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ÉMILE OLLIVIER : SON APPROCHE DU DESCRIPTIF ET SA VISION ROMANESQUE D'HAIT1 Mémoire rédigé sous la direction de, Monsieur Pierre Karsh et soumis à la Faculté des Etudes graduées en accomplissement partiel des exigences pour le degré de Maîtrise ès arts Programme de Maîtrise en études françaises Université York North York, Ontario

OLLIVIER SON APPROCHE SA VISION · En 1873, Demesvar Delorme s 'était fait vertement critiquer pour avoir dérogé à cette règle, dans son roman Francesca. Cependant, depuis le

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  • ÉMILE OLLIVIER : SON APPROCHE DU DESCRIPTIF ET SA VISION ROMANESQUE D'HAIT1

    Mémoire rédigé sous la direction de, Monsieur Pierre Karsh et soumis à la Faculté des Etudes graduées en accomplissement partiel des exigences

    pour le degré de

    Maîtrise ès arts

    Programme de Maîtrise en études françaises Université York

    North York, Ontario

  • National Libraty 191 of Canada Biblioth&que nationale du Canada Acquisitions and Acquisitions et Bibliographie Services services bibliographiques 395 Wellington Street 395, rue Wellington OttawaON KlAON4 Ottawa ON K1A ON4 Canada Canada

    The author has granted a non- exclusive licence allowing the National Library of Canada to reproduce, ban, distribute or seU copies of this thesis in microfonn, paper or electronic formats.

    The author retains ownership of the copyright in this thesis. Neither the thesis nor substantial extracts firom it may be printed or otherwise reproduced without the author's permission.

    L'auteur a accordé une licence non exclusive permettant à la Bibliothèque nationale du Canada de reproduire, prêter, distribuer ou vendre des copies de cette thèse sous la forme de micro fi ch el^ de reproduction s u r papier ou sur format électronique.

    L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation.

  • by Frantz Celestin

    a thesis subrnitted to the Faculty of Graduate Studies of York University in partial fulfillment of the requirements for the degree of

    Masters in French Studies

    Permission has been granted to the LIBRARY OF YORK UNiVERSIM to !end or sel1 copies of this thesis, to the NATIONAL LIBRARY OF CANADA to microfilm this thesis and to iend or seIl copies of the film, and 10 UNlVERSrrY MICROFILMS to publish an abstract of this thesis. The author reserves other publication rights, and neither the thesis nor extensive extracts from it may be printed or otherwise reproduced without the author's wtitten permission.

  • Le but de cette thèse est de savoir dans quelle mesure et de

    quelle façon, Émile Ollivier, écrivain expatrié au Québec,

    décrit Haïti, son pays d'origine. Pour atteindre notre

    objectif, avouons-le, de façon partielle, nous avons choisi,

    comme cadre théorique, le chapitre intitulé : .Le système

    conf iguratif de la description)) du livre Du Descriptif de

    Philippe Hamon.

    Le travail comporte cinq chapitres. Le premier, intitulé :

    &'état de la question. consiste en un bref tour d'horizcn des

    romanciers haïtiens faisant partie de la dispora, de leurs

    oeuvres et de leur engagement. Cela nous a conduits à Ollivier

    et nous a permis de considérer le probléme de sa vision

    romanesque du pays.

    Le deuxième chapitre, (Ge regard descripteur. explique que pour

    rendre naturelles et vrais&lables, certaines de ses

    séquences descriptives, Ollivier se sert de personnages

    particuliers qui par leurs (, le lecteur

    apprend qu'une autre façon utilisée par Ollivier pour

  • VI

    introduire et justifier ses séquences descriptives, c'est de

    déléguer la déclinaison de la description à un personnage

    (.porte-parole)) qui parle le spectacle et le commente pour

    autrui.

    Le chapitre IV, .Le travailleur descripteur. mentionne une

    autre politique à laquelle souscrit Ollivier et dont Hamon

    fait état dans son livre Du Descriptif. C'est celle de la mise

    en scène d'un .personnage de travailleur. à qui est délégué le

    rôle de procéder à une tranche descriptive. Enfin, le

    cinquième et dernier chapitre, (:Le démarcatif et sa

    stylistique.), parle de ce qulHamon appelle une .thématique vide

    et postiche. (Hamon, 1993 : 198) qui entraîne avec elle la

    coupure, la fenêtre, la lumière, la pause, le poste, le

    regard, etc.

  • REMERCIEMENTS

  • Remerciements

    L'auteur éprouve un réel plaisir à présenter ses sincères

    remerciements à son directeur de thèse, Monsieur Pierre Karsh,

    professeur en Études françaises au campus de Glendon, pour sa

    grande disponibilité, ses judicieux conseils et son assistance

    soutenue qui ont grandement contribué à la réalisation de ce

    travail.

    Des remerciements sont également adressés à Monsieur Alain

    Baudot, directeur du programme, pour sa précieuse

    collaboration.

  • TABLE DES MATIERES

  • Table des matières

    Résumé : . . . . .........*.*...,........................ IV

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Remerciements V I 1

    Liste des tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI

    Introduction ........................................ 1

    Chapitre 1 : État de la question ..................... 4

    Chapitre II : Le regard descripteur ................. 16

    Chapitre III : Le bavard descripteur ................. 44

    Chapitre IV : Le travailleur descripteur ............ 68

    Chapitre V : Le démarcatif et sa stylistique ........ 95

    ......................................... Conclusion 121

    ....................................... Bibliographie 126

  • LISTE DES TABLEAUX

  • X I I

    L i s t e des tableaux

    Page

    Tableau 1 : Insertion des tranches descriptives

    dans les positions interstitielles

    ou externes ................................. 18

    Tableau 2 : Illustration des types de couples . . . . . . . . . . . . 7 4

  • INTRODUCTION

  • Introduction

    Les critiques s'entendent pour reconnaître le caractère

    essentiellement .engagé. de la littérature haitienne (Pr ice-

    Mars, 1959 : 9-71) . En effet. la grande majorité des écrivains haïtiens se portent au service de ce pays en l'utilisant

    souvent comme cadre et en se donnant pour tâche de divulguer

    toute l'information susceptible de le faire connaître et de

    contribuer à son avancement.

    Comme toute littérature émanant de peuples qui contemplent une

    longue histoire derrière eux, la littérature haitienne se

    révèle un médium utilisé non seulement pour expliquer Haïti

    aux étrangers comme aux compatriotes. mais aussi pour

    transmettre à tous les citoyens jeunes et vieux, le message de

    patriotisme et de solidarité nationale.

    La poésie est importante parce que c'est elle qui inculque d a

    vertu civique.. (Marcelin, 1878 : 326) . L e s romanciers Fernand

    Hibbert ( 1 9 1 0 ) , ~uraciné Vavai (1933 1 abondent dans le même

    sens. Celui-ci va jusqu'à laisser croire que le rôle des

    homes de lettres est supérieur à celui des hommes d'État car,

    à son avis, ce sont ceux-là qui bâtissent les

    nations (Vaval, 1933 : 481) .

  • Ainsi, à quelques exceptions près. les romanciers haïtiens

    choisissent ordinairement Haïti pour cadre et les Haïtiens

    pour protagonistes. Dans Stella, le tout premier roman haïtien

    (1859), l'auteur Éheric Bergeaud insiste sur deux éléments qui

    lui paraissent essentiels : le spectacle qtdes montagnes

    altières qui anoblissent l'aspect du pays. et le sol fertile

    sous un doux climat qui en fait un paradis terrestre oii il n'y

    a .pas un seul reptile dangereux, pas une bête féroce.. A la

    suite de Bergeaud, ~rédéric Marcelin (1909). Jacques Stephen

    Alexis (1957) , Anatole Cyprien (1966) , A. ~ e s p è s (1949 1 ,

    Pétion Savain (1932 ) , Jacques Roumain (1944) et beaucoup

    d'autres ont décrit, chanté, célébré le pays natal, chacun en

    son temps, chacun à sa manière.

  • CHAPITRE 1

    É t a t de la question

  • État de la question

    Longtemps, c'était comme une règle établie qu'Haiti occupait

    le centre des oeuvres littéraires produites par les Haitiens.

    En 1873, Demesvar Delorme s 'était fait vertement critiquer

    pour avoir dérogé à cette règle, dans son roman Francesca.

    Cependant, depuis le début des années 1980, un virage semble

    être en train de se produire. Le nombre de romans publiés par

    des écrivains haïtiens et dont le cadre et les protagonistes

    n'ont rien d'haïtiens, devient de plus en plus important.

    C'est le cas pour Une eau forte et La garo le prisonnière,

    publiés par le romancier Jean Métellus. le premier en 1983, le

    second. en 1986. M ê m e remarque pour Roger Dorsainvilla à

    propos de Renaître à Dendé (1980). Dans ses deux romans:

    Comment f a i r e llamour avec un nègre sans se fa t iguer ( 1 9 8 5 ) e c

    Éroshima (1987), Dany Laferrière a choisi un quartier de

    Montréal pour cadre comme du reste, l'a fait Gérard Étienne.

    dans Un ambassadeur macoute à Montréal (1979) et Une femme

    muette (1983).

    De nos jours, on ne saurait blâmer comme en 1873, les

    romanciers qui sont rendus légion dans cette lignée. Haïtiens,

    ils tiennent à l e u r identité qu'ils ne cachent pas. Ils

    conservent leurs souvenirs d'enfance qui les rattachent encore

  • 6

    au pays et à certains parents et amis qui y sont restés. Ils

    sont tout aussi bien intéressés à toutes sortes de nouvelles,

    qu'elles soient à caractère social, économique ou politique,

    qui en proviennent.

    Constamment, ils souhaitent une amélioration de la chose

    publique et souvent, il y en a même qui travaillent,

    s'impliquent profondément pour cette amélioration. Mais la

    réalité est qu'ils vivent depuis très longtemps sur la terre

    étrangère OU bon nombre d'entre eux ont pris dl importants

    engagements et ont vu naître leurs progénitures. Malgré la

    nostalgie chez certains, la frustration chez d'autres, ils en

    viennent presque tous à s'habituer, à s'adapter voire à

    s'identifier au pays d'accueil.

    II suffit de lire leurs biographies pour placer dans cette

    dernière catégorie, des auteurs bien connus d'origine

    haïtienne comme : Gérard Étienne, Jean-Claude Charles, René

    Despestre, Roger Dorsainville, Anthony Phelps , Émile Ollivier

    pour ne citer que ceux-là. 11 est évident que malgré la

    similitude de la situation qui les caractérise, il ne se

    dégage pas de leurs oeuvres respectives une seule et même

    image du pays.

    Sachant qu'un roman, ce n'est autre que d'analyse d'une

  • 7

    société., Léon-François Hoffmann a compris que pour analyser

    la société haltienne, ces romanciers de la diaspora ont

    choisi, les uns, de rester fidèles au (créalisme traditionnel.,

    les autres, de se tourner vers le .réalisme merveilleux)).

    (Hoffmann, 1992 : 202) .

    Le idalisme traditionnel. sous-entend le procédé selon lequel

    le romancier fournit, à des fins didactiques, une image

    grotesque et énigmatique de la société. Jacmel au crépuscule

    (1981) et La famille Vortex (1982) de Jean Métellus illustrent

    ce genre, en entremêlant des faits historiques aux aventures

    de personnages haïtiens types : politiciens véreux, mère de

    famille dévouée, militaires ambitieux ... (Hoffmann, 1992 : 202)

    Par (créalisme rnerveilleum, il faut entendre la technique par

    laquelle le romancier présente, sans explications, par le

    biais d'un style riche et abondant, toutes sortes de

    situations bizarres et inhabituelles, comme si elles faisaient

    partie intégrante de la vie quotidienne normale. Sur ce sujet,

    éon-~rançois Hoffmann se prononce corne suit :

    L'exemple le plus r i u s s i de cette nouvelle

    o c r i ~ u r e , et j 'oserai d i r e Le meilleur roman

    jamais compose par un Haltien, ne smbls êïre

  • Mere-Sol icude, qu'Émile Ollivier, domicili4 A

    MontrPal depuis 1 9 6 5 , a p u b l i d en 1983 chez Albin

    Michel

    (Hoffmann, 1992 : 203) .

    Malheureusement, Hoffmann n'a pas fourni une explication

    claire et détaillée de la raison de ce succès sous prétexte

    qu'il en aurait trop à dire et que seulement quelques lignes

    ne sauraient suffire pour donner tune idée de cet

    extraordinaire roman)) (Hoffmann, 1992 : 203) . En effet, l'accueil dont bénéficie cette oeuvre de la part de la

    critique s'est avéré favorable. Mais, d'un autre côté, les

    chroniqueurs étrangers ne parviennent pas à dissimuler quelque

    peu leur déconcertation devant certains faits leur paraissant

    incroyables. Ce désappointement ne surprend, d'ailleurs, pas

    on-~rançois Hoffmann qui avoue : Comment le lecteur non

    prévenu pourrait-il saisir la multitude d'allusions et de

    résonnances évidentes pour qui a vécu cette sombre période.#

    (Hoffmann, 1992 : 204) ?

    C'est dans ce contexte que nous viennent plusieurs questions

    et particulièrement la suivante : Cornent l'écrivain expatrié

    =le Ollivier, décrit-il son pays à travers ses romans ?,)

    Le but de cette étude est d'apporter une réponse partielle à

  • 9

    cette question tout en tenant compte de certains points

    théoriques traités par Phi l ippe Harnon dans son ouvrage : Du

    descriptif.

    Le descriptif

    Avant d'entreprendre un éventuel long travail sur ce sujet, il

    convient de préciser la signification du concept :

    (

  • 10

    présentent souvent la description comme nune u n i té textuelle#

    ou une . f igure# au m i l i e u de nombreuses autres alors qu' ils

    voient le descriptif comme d'objet)), le .genre descriptif.

    qui abuse de la ((description* (Harnon, 1993 :15) . C h e z Littré [ . . . ] , 1 'article Descriptif e s t , plus que 1 'article Description, le lieu d'enregistrement d'une normativitéu

    (Hamon, 1993 : 16). Et, pour sa p a r t , Pierre Larousse déclare

    que le descriptif est d'abus monotone et fatigant. de la

    description (Hamon, 1993 : 16).

    Sous ce même angle, au cours d'un bref historique présentant

    le descriptif comme un texte conçu dans une langue désignée à

    représenter un monde .discret. subdivisé en (unités., Hamon

    fait aussi état de la résistance et des condamnations

    auxquelles le ~descriptifa) s ' est affronté jusqu' au début du

    XIXe siècle, de la part des critiques littéraires. En fait, le

    genre descriptif n'était pas connu dans l'Antiquité. Ce n'est

    qu'à la fin du XVIIIe siècle que quelques voix timides, au

    milieu de la méfiance persistante, commencent à se faire

    entendre en faveur de ce genre littéraire que saint-~ambert

    appelle .une invention moderne* (Hamon, 1993 : 15).

    A ce compte, on peut lire la remarque suivante citée par

    Bamon :

  • La p l u p a r t des Rhétoriques n ' i n s i s c e n c pas

    assez s u r l a d e s c r i p t i o n ; c'est un t o m . La

    description revient presque in&vicab le rnen t

    en quelque ouvrage que ce soit. Lbal14yorie,

    la rornparzison, les métaphores meme et l a p l u p a r t dos figures ne s o n t que des descrip-

    t i o n s , p l u s o u moins prolongées . (Baron, A. , 1807 : 180) .

    Malgré t o u t , la réticence vis-à-vis de l'unité

    description) et de l'objet (le descriptif). ne disparaît

    partiellement. .Même au X I X e siècle, on s'aperçoit que

    (la

    que

    les

    préventions à l'égard de la description restent très fortes.

    (Hamon, 1993 : 31) .

    N'empêche que les théoriciens e t les critiques continuent à

    rectifier leurs attitudes et leurs positions. Zola va même,

    dans un bref historique du genre descriptif, jusqulà se

    j u s t i f i e r (cd' avoir , après les "orgies descrigtives" du

    romantisme, voulu faire un "emploi scientifique", "de savant",

    de la descriptionas. (Hamon, 1 9 9 3 : 3 2 ) .

    Pour sa p a r t , à la suite de l'historique sur l'évolution de

    l'idée de descriptif dans le discours théorique de la

    littérature, Hamon se penche sur la portée de la description.

  • 12

    De fait. celle-ci entraîne. dans le texte, une nouvelle image

    d'émetteur (le descripteur) et réclame un nouveau statut de

    lecteur (le descriptaire). Le descripteur se signale souvent

    par son attitude de savant austère. attitude qui émane surtout

    des descriptions rencontrées dans les textes réalistes-

    naturalistes du X I X e siècle et qui provoque le ."faire-croire"

    persuasif [ . . . ] qui caractérise toute écriture (créaliste.

    (Hamon, 1993 : 39).

    Privilégiant la planification écrite sur la parole, le

    personnage du descripteur se comporte comme un sédentaire ou

    un voyageur. Parfois, il e s t plutôt un touriste ou un

    explorateur; d'autres fois, il représente un individu chargé

    d'une mission scientique, un étudiant ou encore, un chercheur

    accomplissant un voyage en vue de s'instruire ou de recueillir

    de l'information. Il classe, organise et régit son texte qui

    est réaliste quand il se pose comme savant sur les choses ou

    ironique quand il se pose comme savant sur les textes des

    autres.

    Ainsi, le descripteur est un actant informé qui, par le biais

    de son .texte de savoir, savoir sur les mots et sur les ch os es^^

    ( H a m o n , 1993 : 501, passe un message à un autre actant moins

    informé. Pour cela, sa description doit être persuasive,

    conative, argumentative (cou du moins moment [ . . . ] d' une suite

  • dialectique où [il] cherche à prouver, ou à transmettre,

    quelque chose à quelqu'un d'autren (Hamon, 1993 : 51). Il e s t

    donc évident que :

    .Le d e s c r i p t i f est [ . . . ] le lieu textuel où se surdéterminent une compétence linguistique

    (essentiellement lexicale et paradigmatique) et

    une compétence encyclopédique (une mémoire, la

    Mathesis, le savoir sur les objets ou sur les

    sujets, sur le monde et/ou sur le(s) texte(s1.

    (Hamon, 1993 : 52)

    Cependant, quand le référent à décrire ne se présente pas

    comme un ensemble de territoires et de discours à arpenter,

    mais comme un ensemble comportant plusieurs aniveaux)) à

    franchir, passant du .plus explicite au moins explicite^^. la

    tendance devient plus qualitative que quantitative. 11 ne

    s'agit plus de la Mathesis , mais plutôt d'une Semios i s : aune

    traduction, un déchiffrage, un décryptage du réel* (Hamon,

    1993 : 6 2 ) .

    Ce type de description ne repose pas sur des groupes de mots.

    de lexiques et de connaissances à juxtaposer. 11 se trouve

    plutôt lié à des quêtes d'identité ou de savoir sur soi corne

    c'est lé cas dans le texte lyrique ou de savoir sur le monde

    comme dans le texte scientifique. .Dévoiler, découvrir, ôter

  • les masques, [ . . . ] "peindre le dessus et métaphores les plus usitées de cette

    descriptive. (Hamon, 1993 : 63) . Voilà, consiste le (tdescriptif>) dont nous nous

    14

    le dessous" sont les

    attitude réaliste-

    en résumé, en quoi

    proposons d'analyser

    la portée dans l'oeuvre romanesque d'Émile Ollivier.

    Harnon a travaillé sur divers aspects de ce domaine comme en

    confirment les titres suivants des différents chapitres de son

    livre Du descriptif : ((L ' énoncé descriptif et sa construction

    théorique., 4I'ypologie du descriptif)), .Le s y s t h e conf iguratif

    de la description)}, (

  • 15

    d'études critiques. Une t e l l e analyse permettra, croyons-nous,

    de mieux connaître et comprendre ses cinq romans : Paysage de

    1 'aveugle , Mère soli tude, Passages, La discorde aux cent voix,

    L e s Urnes scellées.

  • CHAPITRE II

    Le regard descripteur

  • Le regard descripteur

    A la lecture des romans d'Ollivier, il n'est pas difficile de

    constater que les séquences de description reviennent

    principalement à des endroits particuliers comme des espaces

    intermédiaires entre des chapitres, entre différentes parties

    de récits ou lorsqu'il s'agit de quitter une place ou

    d'atteindre un point corne un port, un pays, une ville ou un

    lieu public.

    Cette tendance d'Ollivier à insérer des tranches descriptives

    dans les positions interstielles ou externes, c'est-à-dire

    dans les inciputs et les closules contribue grandement à la

    cohésion globale du texte et aussi à la cohésion interne de la

    description. C'est ce phénomène qui se trouve représenté dans

    le tableau de la page suivante. La tranche descriptive (D) se

    retrouve alors encadrée par deux séquences narratives ( E N) en

    corrélation. Les symboles E N a et E N a représentent les

    termes de la corrélation qui assurent la vraisemblance de

    1 ' i n s e r t ion :

  • Tableau 1

    Insertion des tranches descriptives dans les positions

    interstitielles ou externes

    E FI a D ------------------ E EI a ouverture de porte -------- - D ----- fermeture de porte a p p a r i t i o n de lumih re ------ D - disparicion de lumiPre ouverture de fenêcre ------- D --- fermeture de Eenetrs (InCrde ----------a---------- C ----------------- sortie

    montée B an lie12 41evS ----- D - d e s c e n t e du l i e c Elev4 conjonction avec personnage- D -- dis jonctior. d ' avec Le

    psrsonnsgo, e t c .

    (Hamon, 1993 : 167)

    Cette découpe et cet encadrement au niveau de I'inciput ou de

    la clausule de l'unité marchent de pair avec la grille interne

    qui expose les éléments de la description à l'intérieur d'une

    enceinte formant elle aussi un cadre optique où le détail

    habilement choisi est mis en relief à la fin d'une (

  • 19

    une stratégie à caractère d h r c a t i f et justificatif qui telle

    que présentée par Hamon est basée sur les trois ensembles

    privilégiés :

    - le regard de ses personnages narrateurs ou acteurs;

    - la parole de ses personnages narrateurs ou acteurs;

    - le travail de ses personnages narrateurs ou acteurs.

    Ce procédé à caractère tripartite est évident au niveau du

    descriptif dans l'oeuvre d'Émile Ollivier. Chacun des deux

    derniers ensembles constituera le titre des deux prochains

    chapitres. Comme son titre .Le regard descripteur)) l'indique,

    l'actuel chapitre étudie l'aspect concernant la déclinaison

    d'une nomenclature déléguée à un personnage qui l'assumera par

    ses regards.

    En effet, l'un des facteurs qui président à la réussite des

    énoncés descriptifs insérés dans 1 ' oeuvre de ce romancier,

    c'est son habileté à s'éclipser pour placer des personnages-

    truchements en position de vivre certaines situations ou de

    voir, dominer certains panoramas qu'il décrit, à son tour,

    après avoir suivi pas à pas ces personnages.

  • 20

    Ses séquences descriptives se déroulent selon le syntagme-

    postiche :

    oul loir voir -- s avo i r v o i r -- pouvoir v o i r -- VOIR --DESCRIFTION

    Dans le passage suivant tiré du roman Les urnes scellées,

    le texte, conçu à la suite d'un déplacement qui j u s t i f i e l a

    situation du .Vouloir voirjs du protagoniste, réunit les

    principaux éléments de la thématique-postiche : porte,

    fenêtre, observateur, déplacement, lieu élevé, lumière . . . évoquée par Phi l ippe Hamon, à l a page 170 de son livre.

    Arr ivP devant l a maison, Adrien n e ï i c d ' abo rd

    q u ' u n e m a s s i ? ~ e p o r t e à deux b a ï t a n t s , de celies

    qui fcr;nir,t l+s g u i l d i v t r i o s , l es riist illeries GU

    l es d P ~ 6 t s de caf4. Sn s ' approcnant , F 1 d4coüvrit,

    perc3e J z n s l ' d p a i s s e c r d u bois, m e l a rge :ente

    pa r laquelle il passa let t ê t e . A gauche, aü prmier

    plan, une chaise cannée renversge pr3s d'une table

    ronde, massive aux p i e d s d ' aca jou rrsvalll4. Au

    c e n ï r e , un napperon brodé e n p o i n t s de c ro ix , de

    mot i f s à l osa~gos ; l e s mgmes mot i f s se r 4 p 4 t a i e n t

    s u r Io pap i e r p e i n c de p iê t re q u a l i t i , c o l l 4 s u r le

    mur 4claboüssé ee sang, Au g)iafond, u n e lampe à

    pendeioques de c r i s t a l , beaucoup crop imposanie pour

    13 d4c0r. Une f e n ê t r e naute ec d c r o i t e & c l a i r û i t

    fa iblement l a piece, [ -. . ] - Au fona de la piPce , le c o r p s do Lucie Dospin, lû moitie au corps nu de

  • L u c i e Despin ... (Ollivier, 1995 : 121)

    Le déplacement d'Adrien vers la maison a déclenché la séquence

    descriptive. Du premier coup, on est porté à croire qu'il

    s'agira de la description d'une de ces grosses maisons

    antiques en bois que l'on rencontre parfois, au fond de

    certaines cours boisées de quelques quartiers anciennement

    paisibles et cossues de Port-au-Prince et qui, aujourd'hui

    encore, malgré les signes du temps, fascinent par leur faste

    et l'originalité de leur architecture.

    Cette première impression demeure évidente jusqu'à l'issue du

    mouvement motivé par le wouloir voir## d'Adrien et qui débute,

    selon le contexte, au moment où ce dernier, se .dirigea vers

    les bas quartiers)) de cette ville des Caraïbes qu'il revoit

    après plusieurs années d'exil au Canada, afin de constater, de

    ses propres yeux, l'amplerir d'un affreux assassinat qui plonge

    d e s citadins dans un abîme d' inquiétudes)) (Ollivier, 1995 :

    123) .

    Ayant fourni une bonne raison qui lui permet de ..franchir un

    cordon de police., il emprunte un long corridor qui mène à la

    masure où se trouve perpétré le meurtre. La fin du mouvement

    est signalée par le terme .Arrivé)) indiquant, naturellement,

  • qu'il est rendu devant la maison du crime.

    Ce qui attire, en premier lieu, l'attention d'Adrien, c'est la

    massive porte à deux battants. que le narrateur compare à

    celles des quildiveries~, des d distille ries^ ou des .dépôts de

    café. que, certes, le revenant n'a pas vues durant les

    multiples années passées en Amérique du Nord où un tel type

    d'industrie n'existe pas vraiment. Si le narrateur procède à

    une pareille comparaison, c'est probablement en tenant compte

    du ()

    que, dès l 'âge de vingt ans, elle avait choisi d'habiter et

    qui constitue, au j ourd ' hui, (un en£ er de feux roulant SB

    (Ollivier, 1995 : 124) au point que .marcher devenait une

    activité à haut risque. Rester chez soi aussifi (Ollivier, 1995

    : 124) . ès le crépuscule, la paix des gens de bien se trouve troublée par un crépitement continu d'armes à feu qui se

    poursuit jusqu'à l'aurore, laissant d'asphal te jonché de

    décombres, de ruines, de cadavres)) (Ollivier, 1995 : 124).

    insécurité est tellement flagrante que les résidents n'ont

  • pas d'autre choix que

    de [leur] propre

    23

    de ((se barricader entre les quatre murs

    maison transformée en forteresse

    inexpugnable. (Ollivier, 1995 : 124) . Voilà une raison essentielle de la massive portefi susceptible de rendre

    difficile aux malfaiteurs l'accès de cette masure retirée au

    fond d'un long couloir. Malheureusement, malgré ies mesures de

    protection, malgré son isolement, son caractère austère et le

    respect qu'elle impose, Lucie Despin n'y a pas échappé. Elle

    a laissé sa peau dans ce quartier, dans ce pays où d'instinct

    destructeur avait franchi 1 ' extrême limite de la violence^^

    (Ollivier, 1995 : 12).

    Cette m a s s i v e porten n'a pas seulement la fonction de

    protection. Elle constitue, dans un autre ordre d'idées, un

    nouvel obstacle physique qu'Adrien, voyageur curieux et même

    indiscret doit surmonter pour passer de l'étape du wouloir

    voiru à celle du .pouvoir voir.. Déterminé, celui-ci finit par

    s'approcher très près de la porte pour découvrir, (

  • 24

    Cependant, même si Adrien ne monte pas à un point plus élevé,

    il se trouve quand même en position de dominer la pièce qu'il

    décrit. Son oeil peut balaver le décor et découvrir un à un

    les éléments qu'il choisit ou retient. De plus, la lumière

    électrique projetée par une lampe de plafond, jointe à la

    lumière naturelle arrivée par une fenêtre et aussi par la

    fente de la porte, fournissent un éclairage suffisant pour

    permettre au personnage de distinguer les plus petits détails

    allant du premier plan de la salle jusqulà sa partie arrière.

    Une .chaise cannée., une .table d ' aca j ou^^, un ((napperon brodé.,

    une lampe pendeloques et enfin un ((lit aux barreaux en

    laiton. constituent les principaux objets d ' usage et de

    décoration de l'appartement. Bien qu'en petite quantité, ces

    meubles ainsi que la lampe sont de bonne qualité et ont une

    grande valeur. Ils constituent la preuve que Lucie Despin

    était une femme fière, instruite, de bonne éducation et qui

    avait le goût du beau.

    Le cachet d'originalité ainsi que le caractère de fierté que

    dégage son mobilier ne font que contraster avec l'état

    médiocre du papier peint recouvrant le mur et avec la laideur

    de la façade de L'imeuble qui atteste de la pâuvreté des

    lieux. Madame Despin ne demandait pas mieux qu'une telle

    ambiance environnante- Née d'une famille riche, très tôt,

  • 25

    - elle n'avait que vingt ans - léguant à ses frères et à ses

    soeurs sa part d'héritage, elle avait choisi de vivre au

    milieu des pauvres après avoir ttfait voeu de chasteté et de

    pauvreté)) (Ollivier, 1995 : 122).

    La position de chaque unité du mobilier est indiquée de façon

    précise. Tout est bien localisé depuis le .premier plana, .à

    gauche. jusqu' (tau fond)) en passant par le cen t r e* . L e regardant

    d'Ollivier ne cesse de scruter les horizons. 11 veut tout voir

    et tout savoir. Sa sensibilité, son esprit de patriotisme qui

    l'empêche d'oublier ce coin de terre qu'il a laissé depuis si

    longtemps le

    du touriste

    comprendre ,

    ramène au bercail, à ses racines. L à , à l l instar

    curieux, il se déplace, s 'informe et cherche à

    L a f e n t e dans la porte, utilisée par Ollivier n'est qu'une

    variante de la fenêtre, ~thhatisation du pouvoir-voir)) àont

    il se sert pour in t rodu i re ses paysages. D e même, par le

    (cadre)) de ses portes ou de ses fenêtres, il annonce et expose,

    à l'intérieur d e certaines limites, l'ampleur des spectacles

    qu'il invite à comtempler, justifiant ainsi les tableaux

    descriptifs qu'il fait suivre,

    En plus du cadre et de la porte, le miroir constitue une autre

    variante de la fenêtre que 1 'on rencontre souvent dans les

  • 2 6

    romans d'Ollivier. Utilisé pour sa propriété de réfléchir sur

    un personnage son propre portrait, il apparaît dans le texte

    tantôt sous la forme métaphorique, tantôt sous la forme

    réelle.

    Dans le roman La discorde aux cent voix, par exemple, la

    corrélation : conjonction-disjonction des personnages Diogène

    e t Madame Anselme encadre un tableau descriptif allant à

    partir du moment que Madame Anselme (carriva. avec une cage de

    bambou contenant un perroquet et se poursuivant jusqu'à ce que

    Diogène ceferma bruyamment* la (

  • 27

    Le miroir intervient aussi sous sa forme réelle. Un moyen

    facile et sûr pour Ollivier de mettre ses personnages face à

    eux-mêmes consiste à les faire passer devant un vrai miroir

    qui leur renvoie leur image. II lui arrive même, à l'occasion,

    de multiplier ce technème afin d'amplifier l'illusion

    d'optique, comme c'est le cas dans le prochain passage :

    Le. plafond est recouver t de m i r o i r s , en p a r t i e

    peints, agencPs de telle sor te que celui q u i

    passe se c r o i t a u milieu d'une f o u l e , sa propre

    image 4tant reproduite A l'infini, ...

    (Ollivier, 1 9 9 5 : 2 1 9 ) .

    Non seulement les miroirs constituent, selon le contexte, de

    magnifiques éléments de décoration dans cette somptueuse

    maison décrite par le romancier, mais encore, ils offrent à

    tous, occupants ou visiteurs, 1 ' opportunité de contempler,

    sinon de subir et endosser de temps à autre, leur physique

    personnel e t même aussi de s'illusionner, parfois, de se

    retrouver seul au milieu d'une multitude de pairs . Voilà, en

    quelque sorte, comment Ollivier utilise, dans son lctexte

    descriptif-réaliste,,, le miroir comme un meuble, mais surtout

    comme une .des variantes de la fenêtre qui encadre et

    introduit un paysage,) (Hamon, 1993 : 175).

  • 28

    Une autre variation utilisée par ce romancier haitien, c'est

    celle de la .description ambulatoire^^ où un parcours d'une

    certaine distance lui sert de prétexte pour introduire une

    description de lieu ou de milieu. Par exemple, le premier

    chapitre de Les urnes scellées tient en une série de .tableaux

    descriptifs juxtaposés) qui s'élaborent au fur et à mesure

    qu'un protagoniste avance au cours d'une randonnée pédestre

    qui prendra fin de façon tragique.

    travers cette succession de descriptions, Ollivier expose

    une facette d'une ville d'Haïti dont i1 prend soin de n e pas

    p r é c i s e r le nom. Pour la désigner, il emploie, tout

    simplement, 1 ' expression &a ville~b. De quelle ville

    s'agit-il ? Tout laisse croire qu'il est question de Port-au-

    Prince, la capitale nationale. Cependant, l'auteur semble ne

    pas estimer nécessaire de préciser un endroit particulier, car

    à en juger par les faits, les révélations apportées à partir

    de son cadre particulier ne constituent qu'un reflet de la

    réalité du pays en général.

    Le périple descriptif commence au moment où après avoir reçu

    les services de son barbier qui lui suggère de faire attention

    dans les rues de la ville et de se dépêcher de regagner sa

    demeure, le personnage .enjambe le pas de la porte et prend

    pied sur le trottoil-s (Ollivier, 1995 : 17) . Sa mobilité va le

  • 2 9

    conduire successivement dans différents milieux que l'on

    explore avec lui tandis qu'on le suit du regard.

    Le fait que le coiffeur se montre très adroit dans sa façon

    de 1 'exhorter à la prudence, indique le climat d' insécurité

    qui sévit en ces lieux. Ne musez pas trop en chemin, les rues

    ne sont pas sûres ces temps-ci. (Ollivier, 1995 : 16) . Cette phrase de Zag reflète clairement son sentiment d'insécurité.

    11 n'ose pas s'exprimer de façon claire et nette; mais, le peu

    qu'il dit et aussi, le {(ton sentencieux. qu'il emprunte

    suffisent pour mettre sur ses gardes, la personne la plus

    nailve .

    S'il a si peur, c'est en raison de la fragilité du contexte

    dans lequel il évolue. Le métier pratiqué par ce personnage

    lui permet dl obtenir beaucoup d' informations car il reçoit

    régulièrement des clients qui entreprennent toutes sortes de

    conversations sur les sujets les plus divers. C'est ainsi

    qu'il est convaincu qu'un danger imminent plane sur la tête de

    celui qu'il vient de coiffer. Malheureusement, Zag qui,

    d'habitude, ne se fait pas prier pour lancer ses commentaires

    sur les moindres rumeurs, ce jour-là, ne dit mot, tout au

    plus, incite-t-il le monsieur à ne pas tarder à regagner ses

    pénates. .L'oreille avertie devine qu'il sait plus qu'il n'en

    dit,, (Ollivier, 1995 : 16) .

  • 30

    D'une part, pour sa sécurité, le barbier a peur de parler; et

    lorsqu'il est obligé de s'exprimer, consciemment, il se garde

    d'être ni loquace ni précis. D'autre part, il craint pour la

    vie de son client obligé, pour regagner son domicile, de

    s'engager dans les rues de la ville tass sou pie^^ qui, dlailleurs,

    ((vient d'être le théâtre d'événements sanglants. Du reste, une

    odeur de violence flotte encore dans llairta (Ollivier, 1995 :

    17) .

    Terre de soleil ! Terre de violence ! Terre de crimes ! Terre

    de misère ! Depuis son indépendance, Haïti connaît une vie

    politique sans cesse perturbée par une rivalité entre

    différentes factions de sa population. Les incessantes luttes

    intestines n'ont pour effet que d'entraîner le pays, de plus

    en plus, dans la misère et dans un climat général

    d'instabilité et d'insécurité, (6De 1804 à 1957, vingt-quatre

    chefs d'État sur trente-six sont renversés ou assassinésaa

    (Lacoste, 1994 : 2 6 6 ) .

    La majorité de ces renversements et de ces assassinats sont

    suivis de bains de sang spécialement au niveau des concitoyens

    démunis, trop longtemps astreints au silence imposé par une

    dictature tenue en place, sous une forme ou sous une autre,

    depuis bien avant la proclamation de l'indépendance en 1804.

  • 3 1

    Conséquemment, les occasions sont multiples où l'on assiste à

    des révoltes entraînant dans les rues, des populaces en délire

    qui se défoulent de leurs frustrations et qui se font justice

    elles-mêmes en détruisant presque tout sur leur passage,

    lynchant même leurs pairs souvent innocents. De m ê m e aussi, il

    survient souvent des scènes horribles où les citoyens

    s'entretuent à tort et à travers et même où certains se font

    assassiner au grand jour et en pleine rue. C ' e s t ce dernier

    sort qui semble menacer le client de Z a g et qui provoque tant

    l'appréhension du barbier.

    En fait, la séance terminée, à peine le client a-t-il traversé

    le pas de la porte que sur le trottoir, il se retrouve en face

    d'un corollaire à la réalité politique : la misère haïtienne.

    &a charité, s ' il vous plaît), (Ollivier, 1995 : 17) . Le pauvre aveugle assis, comme toujours au même endroit, à côté du salon

    de coiffure, demande l'aumône. L'homme lui donne une pièce de

    monnaie.

    Natif dlHaiti où il a vécu la majeure partie de sa jeunesse,

    Ollivier comprend qu'il ne saurait décrire son pays natal sans

    tenir compte de la misère et de la violence qui le

    caracterisent depuis toujours et davantage de nos jours où la

    situation s'est détériorée de façon catastrophique tant au

    point de vue économique qu'au point de vue politique et

  • social.

    Malgré la Lumière éclatante dl un soleil de midi qui (

  • 33

    p r é s e n t e les di£ f érents tableaux dans une abondance de mots

    j u s t e s . Grâce à cette précision dans le vocabulaire et une

    mise en scène, parfois insistante, les scènes qu'il décr i t

    contribuent largement à théâtraliser la nature, les o b j e t s et

    les personnes. C'est ce qui explique aussi que ses personnages

    sont si édifiants. Leur personnalité transcende comme on peut

    le c o n s t a t e r dans les lignes suivantes :

    Le visage austPre, l'oeil indéchiffrable,

    svelte, filiforme, l'homme s'en va d'un pas

    de ~ P n a ~ w r , pigtinant son ambre, I ' o r n b r ~

    passagSre do m i d i .

    (Ollivier, 1995 : 18)

    Ce portrait indique une (créalité~ psychologique du personnage

    présentant le profil d'un homme de bien, sûr de lui, la

    conscience nette et qui s'en va, sans crainte, la tête haute.

    L'homme avance calmement et fièrement. II marche sur son ombre

    comme lui, Sam Soliman, citoyen de bonnes vie et moeurs, . issu

    d'une des plus vieilles familles., de la cité, il souhaiterait

    pouvoir piétiner tout être vil et bas, toute crapule qui ne se

    gêne pas pour ramper à plat ventre devant n'importe qui

    capable de lui offrir la moindre faveur. Mais, attention !

    Dans cette jungle, malgré son intégrité, son honnêteté et sa

    sagesse, Monsieur Soliman n'aura pas la chance de marcher

  • 34

    longtemps sur son ombre, dfombre passagère de midi## (Ollivier,

    1995 : 18).

    Toujours .au pas de sénateur., le personnage focalisateur se

    déplace. Au fur et à mesure qu'il poursuit son chemin, il

    feuillette son journal. Ce déplacement qu'il entreprend sur

    une certaine distance constitue un prétexte pour introduire la

    description du m i l i e u . Il en est de même pour le regard jeté

    sur aune quantité chif f réew de q u a t r e pages d ' insignifiances

    et de platitudes. (Ollivier, 1995 : 18) du journal local.

    Cette séquence permet A l'auteur d'organiser la distribution

    de la description ambulatoire à laquelle M. Soliman, le

    personnage focal sert aussi de focalisateur.

    En plus du fait que Sam Soliman représente un personnage, à la

    fois, focal et focalisateur, on assiste au cours de la

    description ambulatoire à la distribution et à l'exploitation

    de trois systèmes topographiques.

    a) Le premier est la perspective (le près et le loin) qui

    s'exprime dans la distance que le personnage doit parcourir

    pour se rendre chez lui à partir dc salon de coiffure. près du

    salon, il y a l'aveugle assis à qui l'on fait l'aumône et qui

    constitue un symbole de la société haïtienne. l'opposé, il

    y a la demeure du client qui est loin. 11 doit marcher

  • 35

    longtemps pour s'y rendre. Selon le sage conseil du coiffeur,

    il ne faut pas tarder en chemin. Mais il ne s'en fait pas. Il

    s'en va sans inquiétude, sans se soucier de ce rappel de

    Zag : .La pure prudence ne s u f f i t plus; la sécurité est une

    denrée rase de nos jours)) (Ollivier, 1995 : 16) .

    b) Le second système exploité par Ollivier dans son t e x t e est

    la verticalité (le bas et le haut). En effet, parti du bas de

    la cité, Ohorne donne dos à la mer qui enserre la ville en

    fer à cheval)) (Ollivier, 1995 : 18) . Il laisse (c derrière lui, le quartier du Port)) en direction des hauteurs où il habite

    normalement, car, à cause de l'exode rural vers les quartiers

    paisibles du bas, les familles aisées ont fait place aux

    upéquenots accompagnés de leurs péquenotes venus en ville,

    pour "bousqueru la vie)) (Ollivier, 1983 : 170) . Laissant le champ libre à ces nouveaux venus, des villageois urbains.

    (Ollivier, 1995 : 19) el les ont glu domicile dans les hauteurs

    dominant la cité,

    c ) Le troisième système exploité dans le texte est celui de la

    latéralité (gauche-droite; orient-occident) . D'une part, (cDu coté nord, à la rue des Sapotilles, un pâté de maisons un

    peu vieillottes d'allurel) (Ollivier, 1995 : 19) . Ces maisons de la rue Sapotille représentent le côté humain et le b3ti

    culturel par opposition au quartier du Port avec «ses échoppes

  • bancales et ses maisons de commerce, son marché en fer et ses

    baraques de ghetto* (Ollivier, 1995 : 18) . Un marchand de fresco cegarde à droite, à gauche, en haut, en bas. (Ollivier,

    1395 : 22) avant d'émettre son opinion. Car, il n'est pas sans

    savoir que dans cette galère où il vit, il doit penser quatre

    fois avant de parler.

    Ollivier qui réfléchit avant d'écrire, établit une sorte de

    paradoxe susceptible de faire sourire et d'entraîner, du même

    coup, des questions conduisant à la prise de conscience de la

    fragilité ou de la gravité d'une situation. L'une des

    caractéristiques de son oeuvre, c'est, en effet, 1 'ensemble

    des révélations empreintes d'un humour mordant. Il dénonce et

    tourne au ridicule tant l'insuffisance et la mesquinerie que - la malversation et la violence.

    Ses attaques virulentes sont portées contre les journaux du

    pays qui affichent trop de pages ~d'insignifiances et de

    platitudes. et qui n'ont rien d'autre à publier à la une que

    les multiples avis de divorce signés de maris frustrés, avides

    de vengeance contre leur femme infidèle. 11 y va encore plus

    fort contre les gendarmes qui se livrent impitoyablement à des

    actes de tchold up nocturne. sur la population alors que,

    paradoxalement, ils sont payés pour en assurer la sécurité.

  • 37

    Au fond, peut-on parler de sécurité quand on considère la

    façon dont un paisible citoyen s'est fait assassiner, en

    pleine rue, au grand jour, de manière si mystérieuse ?

    D'abord heurté sauvagement par un cavalier brutal et arrogant,

    à peine le monsieur a-t-il le temps de reprendre ses sens, il

    fait face à quatre hommes qui, descendus d'une voiture non

    identifiée, l'abattent froidement d'une rafale de balles.

    Incroyable ! Mais, c'est ce qui se passe en ce pays. Était-il

    la personne visée ? Était-il au mauvais endroit, au mauvais

    moment ? Peut-être que le marchand de glace a raison quand il

    déclare, avec la mine déconfite)) et l'humour caractéristique

    d'Ollivier : { ~ A d i é bondié oh ! Quel gilet ils lui ont tricoté,

    sans sauter une maille !,) (Ollivier, 1995 : S 3 ) , ce qui peut

    se traduire par : «Oh, Bon Dieu ! Dans quel beau drap, l'a-t-

    on mis ?I#

    Voilà à quel point le moindre déplacenent des personnages

    d'Ollivier provoque une description. Il en est de même d'une

    entrée ou d'une sortie de leur part. Grâce à ce procédé, il

    réalise l'esthétique du discontinu. Par exemple, lors de la

    conférence tenue à 1 'auditorium des pères salésiens, en deux

    fois, l'intrigue est coupée : d'une part, quand arrive le

    conférencier Bernissart et d'autre part, quand s'amène la

    présentatrice.

  • Cinq heures sonnaient quand, avec une ponctualit4

    d ' h o r l o g e , maître Bernissarc encra dans la

    salle paroissiale der p4rer sal4siens. C'4taic

    un dimanche poisseux de ntwembre, à cinq h e u r e s

    de 11apr4s-midi. Salve d'applaudissements,

    sourires amuses et sceptiques, tetes h i l a r e s ,

    sifflements admiratifs ou moqueurs l'accueillirent

    et quand il PUC pris place sur l'estrade d'honneur,

    une femme en longue robe fleurie, par& comme une

    chasse, pornponn&e, attifge Srnergea des coulisses.

    E l l e déclina pompeusement son titre : presidente

    de 1'Association des scientifiqu~s.

    (Ollivier, 1983 : 16)

    On relève, dans le texte, une entrée fortement marquée par le

    verbe fientrafi, celle de maître Bernissart, et une sortie, tout

    aussi bien marquée par le verbe émergea l b , celle d' une f m e

    jusqutici inconnue du lecteur. Deux mouvements contraires qui

    annoncent une opposition probable entre les deux personnages,

    chaque mouvement accompagné d'une description.

    La séquence porte d'abord sur le temps que fournit un élément

    sonore du décor : c i n q heures sonnaient.. De quelle horloge

    s'agit-il ? Celle de l'église ? Celle de l ' hô t e l de ville ?

    U n e autre ? Même en resituant le texte dans son contexte, il

    est impossible de savoir de quelle horloge retentissaient de

    f a i t les cinq coups-

  • 39

    Le lecteur doit accepter cette précision temporelle pour trois

    raisons qui sont données ici : a) on peut se fier à l'horloge

    qui sonne 1 'heure juste; b) maître Bernissart, étant d ' w n e

    ponctualité d'horloge., entre dans la salle à l'heure qu'il

    devait y entrer, son horloge intérieure personnelle,

    correspondant à celle du groupe social auquel il appartient;

    C ) le narrateur le dit (C'était [ . . . ] à cinq heures de

    l'après-midi.) et, s'il le fait, c'est qu'il possède un savoir

    que ne lui dispute pas le lecteur.

    Même s ' il y a, dans les deux premières phrases, passage d'un

    lieu à un autre, de 1 'extérieur à 1 'intérieur, tout se fait

    sous le signe de l'ordre, puisque tout iridique une seule et

    même chose : l'heure de l'action qui se déroule. L'insistance

    sur la ponctualité de Maître Bernissart paraît, malgré tout,

    paradoxale. Pourquoi, le fait par un conférencier d'entrer à

    1 'heure exacte dans l'auditorium où il va prononcer une

    causerie littéraire, scientifique paraît-il tellement bizarre

    qu'il mérite d'être souligné avec tant d'insistance ?

    La surprise du narrateur peut s 'expliquer par le f a i t que

    dans ce pays, l'observance des règles de la ponctualité est

    tellement bafouée qu'on ne parvient que difficilement à

    comprendre que quelqu'un puisse se présenter à un rendez-vous,

    sans accuser de retard. Cette tare au sein de la population

  • est si évidente que les Haïtiens ont fini par en trouver une

    excuse en alléguant qu'elle n'est qu'une conséquence directe

    de la chaleur suffocanteu qui pèse constamment sur le peuple

    et dont Ollivier a fait mention avant d'entreprendre la

    description.

    C ' est cette chaleur qui, dès la deuxième phrase, menace

    l'ordre. C'est elle, en effet, qui justifie le qualificatif

    qmisseux)* qui précise le jour de la semaine, .un dimanche)),

    mais qui pourrait aussi préciser l'atmosphère morale, bel et

    bien bouleversée dans l a première partie de la troisième

    phrase, alors qu'on nous fait part de la réaction désordonnée

    de la salle. Ce comportement suspect de l'assistance aurait dû

    suffire pour prévenir l'intéressé qui n'en continue pas moins

    d'avancer pour terminer son geste, en prenant (place s u r

    1 ' est rade d ' honneur)).

    Dès que ce mouvement cesse, un autre commence. Cette fois-ci,

    c'est la femme qui émerge, entrée théâtrale comme l'indique le

    n o t wzoulissefi qui introduit un spectacle comique sinon

    grotesque puisque le narrateur fait d'elle un objet dont la

    décorat ion est exagérée comme une châsse., quatrième élément

    du paradigme religieux et sacré ou figurent déjà qaroissialem,

    qèresab et .dimanche* et qui s 'oppose au carnavalesque.

  • 41

    A l'aspect à la f o i s comique et grotesque du spectacle livré

    par la femme, s 'ajoute une note de ridicule, de doute et de

    dérision quand celle-là décline qompeusement son titre de

    présidente de 1 'Association des scientifiques*. Est-elle

    sérieuse ? Est-ce de la démagogie ? De quelle Association de

    scientifiques parle-t-elle exactement ? Existe-t-il des

    scientifiques en Haïti ? Si oui, combien sont-ils ? Où cette

    Association a-t-elle son siège social ? Perplexité.

    Incrédulité. Ironie. Indifférence, Disons, toutefois, que dans

    un roman, la vraisemblance doit primer sur la réalité. Avant

    tout, Ollivier est un auteur réaliste; son propre, c'est

    d'hypertrophier les situations pour assurer le vraisemblable.

    L'entrée du conférencier suscite du nouveau dans le t e x t e et

    engendre la description. Par contre, lors de la sortie de la

    présentatrice, c'est plutôt l'inverse : la description

    précède le nouvement. Avant même l'arrivée de la femme sur la

    scène, le caractère extravagant de sa parure est déjà présenté

    à travers une séquence descriptive.

    Cela dénote que, dans le texte d'Ollivier, la description

    occupe une fonction réversible. Elle intervient,

    indifféremment, avant ou après une entrée, une sortie, une

    lumière, une porte, une fenêtre, une montée à un niveau

    supérieur. S ' insérant dans les d i e u x interstitiels ou

  • externes$ du texte, non seulement elle en assure la cohésion

    globale, mais aussi, elle contribue à la justification et à la

    vraisemblance tant des mouvements dans le temps et dans

    l'espace que des mentioris de seuils et de frontières

    franchies.

    Au cours de la séquence citée plus haut, mettant en évidence

    l'entrée de maître Bernissart et celle de la dame qui le

    présente, on passe doucement de la descript ion 1sob-j ectivel~ à

    la description psychologique, morale et sociale. Jamais sent-

    on comme un moment d'arrêt, le temps de cette description qui

    s'infiltre entre deux blocs narratifs en corrélation.

    En somme, Ollivier réalise bien l'insertion des séquences du

    descriptif dans le narratif. Récit et description tendent donc

    à se confondre au point que le lecteur parvient difficilement

    à déterminer à quel moment l'auteur raconte ou bien décrit. La

    fonction démarquante et l ' é t a t d'unité démarquée de la

    description dite wzlassiqueu sont systématiquement sabotées,

    par des (cglissements imperceptibles mais systématiques à

    l'intérieur des cases du texte. (Hamon, 1993 : 170) .

    Nous devons admettre que l'une des raisons du succès du

    romancier, c'est le fait qu'il applique si bien sa stratégie

    du .regard descripteur.. Mais, il y a plus. 11 emploie aussi

  • la méthode du .bavard descripteur.. Nous nous proposons de voir

    dans le chapitre suivant dans quelle mesure il réussit c e t t e

    stratégie.

  • CHaPITRE III

    Le bavard descripteur

  • L e bavard descripteur

    Après avoir passé les 25 premières années de sa vie en Haïti.

    son pays natal, Emile Ollivier a émigré au Québec en 1965. Il

    habite Montréal depuis une vingtaine d'années et enseigne la

    sociologie à l'université de Montréal. Entre 1977 et

    aujourd'hui, il a publié cinq romans dont le dernier a paru en

    1 9 9 5 . Son oeuvre n'est pas abondante, mais elle se signale

    surtout par la splendeur et par l'éloquence qui se manifestent

    dans les descriptions des décors.

    Le succès du système descriptif chez cet auteur, vient du fait

    qu'il utilise une stratégie semblable à celle recommandée par

    Philippe Hamon dans sa théor ie Du Descriptif et basée sur : a)

    le regard descripteur, b) le bavard descripteur, c ) l e

    travailleur descripteur. L'analyse de la première partie ayant

    été réalisée. les pages suivantes se donnent pour objet de

    voir dans quelle mesure Ollivier suit les traces de Hamon en

    ce qui concerne le 1~ bavard descripteur 0 .

    Pour cette analyse, nous tiendrons compte de l'aspect général

    de l'oeuvre d'Ollivier, mais surtout du contexte particulier

    qu'on retrouve dans les romans Paysage de l'aveugle et

    Passages où la fonction de décrire des situations est déléguée

    à des personnages comme Héronimus et Badegros, dans le

  • 46

    premier, et ~ é g i s , Brigitte, Amédée Hosange, Leyda, Arnparo,

    Normand, dans le second.

    Ollivier ne s'éloigne pas de ses personnages. 11 les

    accompagne constamment; et les scènes ou les tableaux qu'il

    décrit ne son t autres que les cibles qu'il observe et sur

    lesquelles il dirige leur regard. Dans sa vision épique,

    parfois, ce sont les événements qui subissent l'effet du

    grossissement; d'autres fois, ce sont les objets qui se

    trouvent amplifiés de façon démesurée. C l est donc le (gros

    plan monstrueux), qui prédomine.

    On constate aussi que, souvent, au gigantesque, il sait

    substituer une vision microscopique susceptible de s'emparer

    du moindre détail visiblement banal pour I ' exploiter et

    ensuite, tel dans un cercle vicieux, l'agrandir, en fin de

    compte, énormément (Audet ; .Une épopée des Caraïbes>,, Lettres

    québécoises : 2 9 , jusqu'à nous ramener au gigantisme du point

    de départ.

    La contradiction entre ces deux types de visions

    (macroscopique et microscopique) ne constitue pas de brèche au

    niveau de la cohérence dans le texte, l'harmonie étant assurée

    par la richesse de l'écriture, en général, et par l'éloquence

    qui se manifeste dans les descriptions, en particulier.

  • 47

    Il est évident que la contribution de l'écriture n'est pas peu

    dans la bonne qualité du texte. Cependant, en ne parlant que

    de cet aspect, on sacrifierait une partie importante de

    llatmosphère générale de l'oeuvre romanesque d'hile Ollivier,

    car le côté verbal y j oue aussi un rôle important. A ce

    compte, Gilles Marcotte écrit : .Le roman d'Émile Ollivier, en

    effet, est une véritable crue de langage avec des descriptions

    flamboyantes)) (Marcotte, ~'~ctualit& 1995 : 94). Dans le même

    ordre d'idées, Noël Audet se prononce en ces termes : (Ce

    dernier s'installe dans un plaisir de parler, de dire à haute

    voix, comme à la criée, ce qui se passe dans les cons ci en ces)^.

    (Audet, 1987 : 25). Il le fait en utilisant un vocabulaire qui

    .s'étend du mot le plus cru au mot le plus poétique et cela

    parfois à l'intérieur d'une seule phrase.. (Audet, 1987 : 2 5 ) .

    En émettant ainsi des séquences descriptives non pas par le

    biais de 1 'écriture, mais par la voix de ses protagonistes,

    Ollivier illustre l'aspect théorique cité par philippe Hamon

    selon lequel, après la stratégie d~ .regard descripteur)), la

    seconde façon commode pour introduire une description dans un

    texte, (c'est d t en déléguer la déclinaison à un personnage

    qui, par sa parole, assumera cette déclinaison^^. (Hamon, 1993

    185). Ainsi, loin de se contenter d'un seul type de

    description, celle basée sur l'aspect optique qui s e développe

    à partir d'un «regard)), ce romancier haïtien exploite

  • différents autres systèmes dont celui axé sur la parole.

    En effet, il n'est pas rare que le personnage olliviérien,

    joue le rôle de porte-parole au cours d'une séquence et qu'il

    décrive, .parle., commente, à haute voix, un spectacle pour

    autrui. Comme dans le cas de ses séquences de description

    ttoptiqueu, Ollivier se sert de mises en scènes spécifiques pour

    émettre dans son texte, le double signal de l'introduction et

    de la justification de ses tranches descriptives. De telles

    tranches se présentent, sous 1 ' aspect de monologues, de

    dialogues ou de discours volubiles et s'élaborent selon .un

    syntagme-postiche introductif* du type suivant :

    Cette sorte de stratégie thématique se répète souvent tant

    dans Paysage de l'aveugle ( 1 9 7 7 ) , ère-Solitude (1983) que

    dans La Discorde aux cent v3ix (1986), Passages (1991) et Les

    urnes scellées (1995).

    Paysages de 1 'aveugle

    Dans le roman, Paysage de 1 'aveugle. le protagoniste Iris-

  • 49

    Sans-Sommeil (craconte sur le mode onirique et grotesque ses

    souffrances aux mains du dictateur ~démar Badegros et de son

    homme de main Héronymus, avatars des Duvalier,, (Hoffmann, 1 9 9 7

    : 16). Il revit alors le moment où ce dernier cherche à

    comprendre Haiti, ce pays qui l ' a vu nartre et dans lequel il

    vit encore. Perdu, tel un néophyte qui ne connaît pas le

    mileu, il questionne Adémar Badegros, son mentor, à 1 'ombre

    duquel il évolue. Celui-ci se trouve, de toute évidence, en

    mesure de répondre à ses questions, compte tenu de sa position

    économique et sociale dans l'immédiat et des fonctions

    politiques qu'il a déjà occupées dans le sillage des Duvalier.

    Là-dessus, Iris-Sans-Sommeil affirme :

    Le inStayer . (Ollivier, 1977 : 13)

    Ce discours fait état, en peu de mots, d'une bonne partie du

    curriculum vitae de celui qul~éronymuç appelle : (~M'sieu

    Badegros, Seigneur Badegros.. (Ollivier, 1977 : 15 ) . Le profil, ainsi tracé, indique que cet homme possède le (savoir.

    et la compétence requis pour éclairer les lanternes de son

  • 5 0

    protégé et lui transmettre l'information désirÉe. Dépassé par

    les événements, Héronymus se sent perdu, désemparé. Bref, il

    ne comprend plus rien du contexte socio-politique haïtien.

    L'aide du maître, sinon du pédagogue, se révèle, pour lui, de

    toute importance quand il s'écrie :

    Seigneur Baderos, nous vivons dans ce pays,

    le nombril de l a Terre, le nom-bril de l a

    Terre, le nombril de l a Terre. M'sieu Saderos,

    rnl enrendez-vous ?

    (Ollivier, !977 : 15)

    Cette question comporte, en premier lieu, une périphrase dans

    laquelle le questionneur exprime une vision pessimiste à

    propos de la qualité de vie que ltKaiti de &Baby Doc* offre à

    ses citoyens. En second lieu, elle présente une définition

    péjorative de ce pays qui, jadis, était surnommé la Perle des

    Antilles et que, aujourd'hui encore, malgré sa déchéance, les

    nostalgiques et les démagogues, soi-disant nationalistes,

    persistent à considérer corne le plus beau, le meilleur au

    monde.

    Héronymus s 'attendrait alors, de la part de Badegros, à une

    réponse claire et honnête qui prendrait l'allure d'une

    définition ou encore d' une description détaillée plus

  • 51

    .appropriée# que la *périphrase. dont il s'est servi pour

    demander l'information. En effet, s'il sollicite des

    explications, c'est parce qu'il se trouve dans une situation

    telle qu'il (me maîtrise pas suffisamment la nomenclature

    officielle, appropriée de la langue. (Harnon, 1993 : 186). Dans

    ce cas, à l'instar d'un néophyte. .quémandeur de nouvelles?)

    (Hamon, 1993 : 186), il s'adresse à un interlocuteur,

    détenteur éventuel du savoir, qui lui fournira l'information

    nécessaire. Celui-ci remplit, alors, la fonction d' un

    .pédagogue qui explique quelque chose à un étudiant* (Hamon,

    1993 : 187) . Cependant. la réponse qu'il reçoit n'est nulle autre que : .D'accord, ~éronymus, le nombril de la Terre,

    d'accord et ensuite.. . # ) , (Ollivier, 1977 : 15)

    Pareille réaction ne se révèle ni convaincante ni assez

    explicative pour satisfaire la curiosité du questionneur. La

    réponse provenant du questionné, malgré la compétence de

    celui-ci, s'avère plutôt évasive, vague et même fallacieuse.

    Insatisfait, Héronymus ne peut s ' empêcher de poursuivre

    l'interrogatoire :

    Monsieur Badegros, le rno~de e s t prPsen t mais nous

    ne L'avons jamais vu. Ses bruits, ses martèlements

    et ses f u r e u r s ncus parviennent à t ravers une c l o i s o n

    opaque de cris et de c l a m e u r s , de produics et de

  • slogans et d'images vieilles à l'instant oU e l fes

    naissent. Au dernier recensement, vous souveaez-vous,

    M'siou Badegros, rious oc ions quatre m i Ilions. Les

    chiffres, vingc ans plus tard (déjà ? ) ont changb b coup

    sfir, n'est-ce pas M' sieu Badegros ? .Le monde existe

    et nous avec... Mais nous, sommes-nous cles champignons,

    M'sieu Badegros ?P.

    - Des cactusn. - Des champignons

    Des cactus

    - Des champignons (Silence)

    - Des cactus f Silence prolong&)

    (Ollivier, 1977 : 15)

    Ce qui fait l'objet essentiel de ce paragraphe, c'est la

    réflexion d'Kéronyrnus sur le monde^^. Le terme monde^^, en

    effet, qui paraît au début, est répété à La f i n de la

    description. Ce personnage se trouve dans une situation de

    wouloir dire23 quelque chose à propos du monde^^ qui 1 'entoure.

    Mais, incapable de comprendre ce qui se passe dans son milieu,

    il se voit obligé de s'informer auprès de Badegros pour

    acquérir l'ensemble des connaissances susceptibles de lui

    fa i re passer de la position de wouloir dire. à celles de

    ((savoir dire,) et qouvoi r dire#,.

  • 53

    La première phrase i n t r o d u i t la tranche descriptive lorsque

    malgré l'absence du signe d'interrogation à la f i n , Héronymus

    demande su r un ton bien plus interrogatif qu'affirmatif : d e

    monde est présent mais nous ne l ' a v o n s jamais vu)). O n

    penserait que ce doute constaté au début se dissiperait au fur

    et à mesure qu'on avance dans la séquence descriptive.

    Cependant, ~éronyrnus ne parvenant guère à obtenir une

    explication valable, son incertitude persiste. Et jusqu'à la

    fin de la séquence, au lieu d'obtenir une information

    satisfaisante, il doit se contenter d'une série de réponses

    insensées, évasives qui n'ont aucun rapport avec l'ensemble du

    texte déjà, pour sa part, incohérent. Pour mieux comprendre

    11appr8hension de ce monsieur, il est important de passer en

    revue certaines définitions du terme monden afin de s'entendre

    sur la signification qul il peut revêtir dans l'esprit de ce

    personnage d'Ollivier.

    Selon le dictionnaire Petit Larousse : .Le monde, c'est

    1 ' ensemble des êtres humains vivant sur la terre), (Larousse,

    1993 : 668). Dans le dict ionnaire Québec d'aujourd'hui : G e

    monde : 1) ce sont les gens, des gens; un certain nombre de

    personnes. II) La Terre, habitat de l 'être humain; l 'humanité.

    (Boulanger et Rémy, 1992 : 7 5 3 ) . Dans le Dictionnaire des

    synonymes et des antonymes, ((Monden s ignif ie : &Foule, gens,

    hommes, humanité, milieu, peuple, population, société* (Légaré

  • 54

    et Robert, 1979 : 356). P a r m i un grand nombre de définitions

    du terme (lrnonde)~, qui se suivent dans le Dictionnaire

    alphabétique et analogique de la langue française, la suivante

    est retenue parce qu'elle se rapproche davantage du contexte

    faisant l'objet de cette analyse. (Nonde : La société, la

    communauté humaine vivant sur la terre; le genre humainfi

    (Robert, 1978 : 1219).

    De tou tes ces définitions, la dernière paraît la plus

    susceptible de s'appliquer au cas d'~éronimus. Homme

    ordinaire, né et vivant en Haiti, ce monsieur se trouve

    perturbé par l'arbitraire, d a dictature, la torture, et la

    déchéance du pays et de ses citoyens)) (Hoffmann, 1996 : 16)

    11 tombe dans la confusion et l'incohérence au point q u ' i l ne

    se reconnaît plus dans cette s o c i é t é et qu'il n ' y comprend

    plus rien.

    C'est pourquoi il veut savoir s'il est évident que le peuple

    haïtien tel qu4il est, fait quand même partie de (da société,

    l a communauté humaine vivant sur la terre,) qu'on appelle

    .monde)#. Étant donné la façon dont il conçoit le .monde., il

    n ' e s t pas certain q u ' i l y en a en Haiti. Car, pour lui, le

    monde*, c'est le peuple d'outre-mer qui se signale par uses

    bruits. : bruit de ses avions, de ses voitures, de ses usines,

    de ses fusées et de ses bombes . - . Le (), pour lui, c ' est

  • 55

    le peuple d'ailleurs qui se sert des médias électroniques pour

    faire connaître ses produits à vendre. C'est, aussi, un

    peuple qui bénéficie d'un espace vital raisonnable.

    L'espace vital constitue un handicap serieux en Haïti. En

    1994, la densité de la population haitienne est de 235

    habitants par kilomètre carré (Lacoste, 1994 : 265)

    comparativement à celle de la population canadienne qui est de

    3 personnes par kilomètre carré (Lacoste, 1994 : 118). C'est

    à cause de la trop forte densité de la population qu'Héronymus

    tend à comparer les Haïtiens à des champignons. Malheusement,

    quand il demande : %Mais nous, sommes-nous des champignons,

    M'sieu Badegros ?a La réponse n'est au t r e que : 4tDes cactusa-

    Sur son insistance, en trois fois, il se fait répondre de

    cette façon bizarre. Enfin, c'est le silence et même un

    silence prolongé.

    Ce .Silence prolongé* en dit long chez Ollivier. En effet, la

    description déléguée à un personnage dans le texte, .Fortement

    "encadrée" [constitue unel unité autonome (début de parole --

    - fin de parole, mutisme)~, (Hamon, 1993 : 188). Dans cette séquence descriptive impliquant ~éronymus et Badegros, le

    mutisme intervient afin d'assurer la clôture de la tranche de

    dialogue qui menace de devenir compromettante.

  • 56

    En fait, le droit à la liberté d'expression ayant toujours été

    bafoué en Haïti et particulièrement sous le régime dictatorial

    de Duvalier, les personnages d'Ollivier, comme tout Haitien

    vivant dans le pays, doivent constamment faire attention à ce

    qu'ils disent. Ils doivent, alors, se garder de critiquer ou

    même de commenter toutes situations à caractère politique. Or,

    Dieu sait que tout est politisé sous le règne des Duvalier.

    Ainsi, lorsque ~éronymus l'invite à se prononcer s u r le sort

    de ses compatriotes, il commence par fournir des réponses

    évasives, insignifiantes pour ensuite ne plus parler.

    Finalement, les deux hommes se sont compris car, étant donné

    l'attitude fataliste caractérisant le peuple haïtien,

    Héronymus achève le dialogue par ces mots : (.De toutes façons,

    continuons à battre le tambour pour meubler l a Présence muette

    du Ciel, si bleu, au-dessus de nos crânes rasés . . . f i (Ollivier,

    1977 : 1 6 ) . Une f o i s d e plus, en bon Haitien, il se soumet à

    la volonté de Dieu, c'est-à-dire au phénomène du hasard, car

    on ne sait jamais quand le bon Dieu va vouloir ou pas. S'il

    n'a pas le droit d'opiner sur la situation économique,

    politique et sociale de son pays, au moins, il a un C i e l bleu

    et chaud à contempler.

    Outre la chaleur du ciel, il a aussi son tambour, ce tambour

    qui le f a i t danser et qu'il frappe avec rage pour implorer l a

  • 57

    grâce de la Providence, même si cette Providence se montre

    passive, impassible à son endroit. Lui et bon nombre de ses

    concitoyens n'ont pas le choix et doivent se contenter de peu.

    Pourtant, malgré leurs crânes rasés), bien qu' ils soient.

    comme ils répètent souvent, des .têtes chauves^^ qui acceptent,

    volontiers, sans négocier, de payer chez le barbier le même

    tarif que les porteurs de cheveux longs et touffus, ils ne

    sont pas aussi naifs qu'on pourrait le croire. Là-dessus,

    disons comme Ollivier : . . . C'est une autre histoire; une bonne fois, je vous la conterai et vous verrez, pèlerins,

    c'est pareil !,) (Ollivier, 1977 : 71) .

    Passages

    C'est aussi pareil dans Passages comme, du reste, dans les

    autres romans d'Ollivier. Celui-ci utilise la même démarche

    qui consiste à insérer une tranche descriptive dans son texte

    et à confier la déclinaison de cette partie descriptive à un

    personnage qui se sert de sa parole pour accomplir cette

    tâche. Les mises en scène appuyées par le syntagme-postiche

    mettant les protagonistes dans les situations de : vouloir

    dire. savoir dire, pouvoir dire pour enfin dire la description

    indiquent tant le début que la pertinence de la partie

    descriptive.

  • 58

    Amédée Hosange est l ' u n des personnages à qui Ollivier confie

    la fonction de procéder à la déclinaison d'une séquence de

    description. Le signal de l'introduction en est donné au

    moment où le protagoniste manifeste le désir de parler^^. Ce

    pays qu'il aime, qui faisait son bonheur devient, maintenant,

    la Terre de ses souffrances, une Terre de crimes crapuleux.

    . Femme, il nous faut partir., s'écrie-t-il (Ollivier, 1991 : 4 0 ) .

  • 59

    de .gens de la campagne ou gens d'en dehors. et qui vivent sans

    eau potable, sans pouvoir se daver à grande eau., ni dormir

    en toute quiétude d'esprit (Ollivier, 1991 : 40).

    Il entre dans la (classe)) (Hamon, 1993 : 109) du paysan dépeint

    dans presque l'ensemble des romans haïtiens et qui apparaît

    comme une victime non seulement d'une nature capricieuse et

    inclémente mais aussi de l'avidité insaisissable des

    capitalistes américains et des .gros bonnets~a nationaux.

    (Shelton, 1993 : 61). Très attaché à sa terre, ce n'est pas de

    gaieté de coeur qut~médée Hosange se décide à s'exiler. Mais

    il n'a pas le choix. Car, après avoir surpris deux hommes

    mesurer des terres dans ses parages, il a cru déduire d'une de

    leurs conversations qu'ils allaient transformer son village de

    port-&l'Écu en dépotoir destiné à recevoir les vidanges

    provenant des (.pays blancs,) .

    Dès lors, c'est la dépression. 11 doit quitter. Bien entendu,

    1 reviendra. Son absence, d'ailleurs, durera seulement le

    court temps pour lui et sa fame ~rigitte qui l'accompagnera,

    d'acquérir beaucoup d'argent. N'est-il pas déterminé à suivre

    l'exemple d'un nomé Tyrésias de sa connaissance qui, rendu en

    terre étrangère, n'a mis qu'une courte durée pour réaliser une

    fortune faramineuse au point, de .se construire un palais)),

    dit-on, en moins de ((six mois* de la date de son arrivée

  • là-bas ? Amédée est convaincu que comme ce dernier, il se

    fera, bien vite, beaucoup de dollars. Il reviendra, a l o r s ,

    avec sa femme pour renover d a tombe de leurs ancêtres, donner

    à manger à leurs morts et à leurs loas)). (Ollivier, 1991 :

    4 0 ) .

    Dès qu'il lui communique son in tent ion de .partir, s ' e n aller))

    (Ollivier, 1991 : 4l), Brigitte Kadmon Hosange, s o n épouse,

    obtempère. Quant aux autres citoyens et citoyennes de port-à-

    l'Écu, cette décision n e tarde pas, non p l u s , à susciter

    l'intérêt d'un grand nombre d'entre eux car ~rnédée possède

    1 'art de convaincre même les sceptiques. Madame Hosange en

    est, d'ailleurs, très f ière et c'est avec plaisir qu'elle

    profite de la fonction de porte-parole que lui confie l'auteur

    pour exposer, comme dans le passage suivant, combien son m a r i

    excelle (tdans 1 ' art de parler, . -1) :

    Je vous Inai i4jà air , monsieur, ce . + r i e ~ i r ac

    drAm6d4e excellai t dans i'ürt de par ler aux

    f ~ m e s , Les mots d'Am&dée m e suf f i s â i e n t pour

    composer avec la v i e . [ . . . ! . Pariir, s 'en aller ?

    [ , . , ] Oui, nous partirions car il Stait . impossible

    r',e donne r à notre terre et à la vie l e u r po ids de

    saveur oc de sens, alors que chaque four q u i

    sD4coule dépose e n nous des g r a i n s d1&ern i t6 .

    (Ollivier, 1991 : 41)

  • En effet, l'idée d'aller

  • 62

    d'immondices (Ollivier, 1991 : 43); pays d'horreurs, de crimes

    crapuleux, de massacres sordides, lieu des .grandes et petites

    misères~, marché de 1' indigence, parvis de la mort lente sans

    cesse recommencée^^ (Ollivier, 1991 : 20 ) . C'est un pays où les miliciens faisant l a chasse à ceux qui s'opposent au régime

    duvaliérien, les assassinent, souvent, sauvagement, sur la

    place publique, à coups de machette. Parfois, ces assassins du

    pouvoir vont jusqu'à ouvrir la poitrine des victimes pour

    arracher leur coeur qu'ils emportent sans que personne ne

    sache jamais où et à quelles fins. Et encore, il y a pis.. . C'est ce pays qui fait, désormais, les soirs, le s u j e t des

    conversations (Ollivier, 1991 : 42). C ' e s t ce pays qu'il faut

    laisser ...

    Laisser le pays ! Mais pour se rendre où et comment ? C'est

    bien beau de parler, de crier bien fort son indignation, son

    dégoût. Mais il importe aussi de .savoir. vers quelle

    destination se tourner et comment s'y prendre pour atteindre

    le but. Le lieu visé ne semble pas être précis. L'important,

    c'est de partir. Ensuite, poussés par les grands vents]),

    telles des épaves à la dérive, ils se laisseraient .porter

    vers les côtes de la Floride.. - 2 ) (Ollivier, 1991 : 47) . Cette hypothèse jointe au fait que le bateau qui les portera fera

    naufrage au large de Miami, laisse croire que cette dernière

    ville constitue le point de mire. Quant à la façon de

  • 63

    l'atteindre, la suggestion du personnage Derville Dieuseul

    tombe à poin t : 4 1 nous faudra construire notre propre

    bateau. Cela ne doit pas être compliqué. Avec une escouade,

    épaule contre épaule, on devrait y p a n e n i r u (Ollivier,

    1 9 9 1 : 45)

    Cette suggestion émise à haute voix, au cours d'une assemblée,

    reçoit, volontiers, l'approbation de presque tous les membres.

    Cependant, en tant que pédagogue et aussi en bon pasteur,

    Philéus Corvolan ne peut s l empêcher d1 émettre son opinion :

    nSi on entreprend cette aventure, en aucun cas, il ne faudrait

    échouer.. . f i (Ollivier, 1991 : 45). Ils auront beau être sous

    la protection de l'Éternel, ils n'arriveront pas à bon port

    s'ils ne disposent pas, pour un tel voyage, non seulement de

    tout le matériel nécessaire à l a navigation, mais aussi de

    l'assistance d'au moins un marin expérimenté (Ollivier,

    1993, : 4 5 ) .

    En guise de conclusion B son intervention, le professeur

    Phi l éus Corvolan déclare qu'il est prêt à embarquer dans l e

    projet, malgré la responsabilité morale w e lui incombe sa

    double fonction, d'une part, envers les fidèles de 1 ' église

    dont il est le pasteur, d'autre part, vis-à-vis la

    cinquantaine d'adolescents qui fréquentent l'école dont il est

    le d i r e c t e u r et qui fournit les services bienfaisants d'une

  • 64

    cantine. Il laissera tout tomber pour prendre la mer avec le

    groupe, mais à condition qu'un home qui connaît bien le

    domaine vienne avec eux (Ollivier, 1991 : 46).

    Cet homme, digne de confiance, ne sera pas difficile à

    trouver. En effet. c'est un monsieur bien connu à port-&-l'Écu

    qui a déjà entrepris avec succès, sur de frêles embarcations,

    des voyages dans presque toutes les îles de la Caraïbe. En

    plus. il est présent à la réunion, mâchonnant sa pipe, sans

    mot dire dans son petit coin. Celui-là, c'est ~rnédée Hosange

    que Maître Philéus Corvolan propose pour diriger l'équipage

    jusqu'à Miami. La proposition adoptée, Amédée accepte, à son

    tour, volontiers (Ollivier, 1991 : 46) . Ce sera, quoi qu'on pense, malheureusement, pour le pire, car, la traversée se

    soldera, comme indiqué plus haut, par un naufrage où les deux

    tiers des passagers embarqués à port-&l'Écu sur la Caminante,

    pér i ront au large de la Floride (Ollivier, 1991 : 118). ~rnédée

    lui-même mourra en prison, des suites de cette catastrophe

    (Ollivier, 1991 : 158).

    Il serait aussi interessut de considérer, parmi plusieurs

    autres, une séquence descriptive où, toujours dans Passages,

    Ollivier délègue, cette fois-ci, la parole à Amparo Doukara

    qui fait une mise au point avec Normand :

  • Je viens avec t o i . Je voudrais cependant

    qu'entr- nous , au point de d&part, t o u t s o i t

    clair. Je veux bien partager t o n appartement,

    discut+r avec coi, rire, nager, courir sur la

    plage, jouer avec toi et même dormir dans le

    m e m e lit que toi. Js veux partager c+s ripas,

    goûter des mets fabuleux, d4couvrir avec c o i

    l a Floride n a i s je ne veux pas f a i r e l'amour

    avec toi.

    (Ollivier, 1991 : 87)

    Cette tranche descriptive prend la forme d'un dis cour sr

    (Hamon, 1993 : 187) où la .parleuse)) Amparo .parle)) à Normand

    qui demeure (grnueta en l'écoutant. Après qu'ils ne se sont pas

    revus depuis le lointain matin qu'ils avaient décidé de se

    qui t te r , les deux personnages se retrouvent à 1 ' aéroport de

    Miami comme deux nouveaux amis récemment arrivés dans cette

    ville de la Floride qu'ensemble, ils se proposent de

    découvrir. Elle est catégorique et l'autre doit l'écouter en

    {CS i lenc eb) ,

    L'essentiel de son discours est de rappeler à Nornand qu'elle

    entend garder sa f idél i té envers son nouveau compagnon. Elle

    accepte, volontiers, de partager un appartement avec Normand,

    mais pas plus ! Il n'est pas question qu'ils fassent l'amour

    ensemble. C'est pourquoi, au départ, elle f a i t sa mise au

  • 66

    point : d e ne veux faire ltamour qu'avec Felippe. Tu

    comprends, dis. (Ollivier, 1991 : 87) ? Silence. . . Au début de la séquence, le silence s'observait de la part d'un seul

    personnage. A la fin, les deux se taisent. C'est le silence

    complet.,.

    En dépit de ces périodes de silence éloquent, Nicole Aas-

    Rouxparis reconnaît que Passages .est un récit à voix et à

    voies multiples~* (Aas-Rowcparis , 1992/93 : 3 1) . Jonassaint , de son côte, souligne qu'Ollivier reconnaît lui-même qu'il est

    Mun amoureux de la polyphonie. (Jonassaint, 1992 : 15) . Et personnellement, Ollivier qualifie Passages de .partition à

    plusieurs voix) ((Ollivier, 1991 : 37) dont Régis, le narrateur

    principal, extérieur, se fait l'écho. En fait, .Amédée,

    Brigitte, Philéus Corvolan, Amparo, Leyda et autres, se font

    entendre, tour à tour, dans le roman.

    Grâce à ses relations étroites avec les personnages, utilisant

    le jeu du langage, Régis, en arrière plan, parvient, par la

    dynamique d'une parole forte et créatrice, à dtablir les

    liens, les raccords)$ entre les parties du récit (Jonassaint,

    1992 : 15) et à en assurer la cohésion-

    Voilà encore une façon parmi d'autres, utilisée par Ollivier

    pour procéder, sous di£ f érents aspects, à la description

  • 67

    d'Haïti, son pays natal. Dans Passages, comme dans ses autres

    romans, il illustre admirablement bien les principes

    directeurs émis par Philippe Hamon dans son étude Du

    Descriptif. Ainsi, pour rendre plus naturelle l'insertion

    d'une nomenclature dans son texte, il en délègue la

    déclinaison à des personnages qui assument cette tâche, tantôt

    par leur regard, tantôt par leurs paroles.

    Comme nous le verrons dans la prochaine partie, Ollivier

    poursuit une troisième voie relevée par Hamon en créant,

    souvent, des situations dans lesquelles certains de ses

    personnages assument, sous la bannière du .travailleur

    descripteur. la responsabilité de procéder à la description

    d'un panorama.

  • CHAPITRE IV

    Le travailleur descripteur

  • Le travailleur descripteur

    Pour introduire ses séquences descriptives, Ollivier utilise

    tantôt le procédé du (

  • et, v i a ces alliances, i l grimperait à l'assaut de l a

    pyramide soc i a l e . En attendant ces jours de f a s t e s ,

    il f a i s a i t par le r de ses r4alisa~ions dans l a

    prosqu ' île.

    (Ollivier, 1986 : 166)

    L'objectif de ce monsieur est clair parce qu'il sait

    pertinemment ce qu'il veut faire. Il ne terminera pas sa

    carrière en province, mais à la capitale comme ncommandant des

    casernes)a pour ainsi devenir un membre de la haute sphère

    sociale du pays. Au départ, le narrateur fait état de sa

    détermination en employant le terme .confiant)). Quand on tient

    compte de ses exactions et de ses excès de zèle sur les

    woleurs de poules et de cabrits)) et sur les ~comrnunistes

    éventuels)) (Ollivier, 1986 : 1651, on comprend que Masquini

    s'élance résolument à la poursuite de son but.

    Il peut faire son chemin sans difficulté en s'attaquant à ces

    catégories de contrevenants. Car, les premiers, ce sont de

    pauvres gens, sans défense, dont la chasse, à tort ou à

    raison, contribue à protéger la propriété des gros bonnets

    quand e l l e ne détourne pas l'attention sur l eurs méfaits et

    leurs malversations. Quant aux seconds, les cornunistes, il se

    fait un capital politique en les persécutant, vu qu'ils sont

    pourchassés, sans merci, par le gouvernement, en particulier,

  • et par le monde capitaliste, en général.

    La fin de la citation se signale par l'expression .il fait

    parler de ses réalisationsm. En fait, . s e s supérieurs [sont] unanimes à reconnaître tt son savoir-faire qui se résume en d a

    discrétion, la poigne et une finesse exemplaire dans la

    cruauté), (Ollivier, 1986 : 165). Mais, en quoi consiste

    effectivement son savoir-faire ?

    En ce qui concerne cet homme, il n'est, réellement, pas

    convenable de parler de réalisations. Honnêtement, il n'a rien

    réalisé sinon que concussions et appropriation de (da farine

    et [du] lait en poudre, dons de la Fondation Care [qu' il] vend

    manu militari aux soldats et personnel de la fonction publique

    avec le droit de décompter le prix de ces produits de leur

    salaire,, (Ollivier, 1986 : 167) .

    Si on parle de lui, ce n'est point dans