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Marguerite Andersen La vie devant elles Prise deparole Récit Extrait de la publication

Perse= Iran; persan = iranien · 2018. 4. 13. · C.P. 550, Sudbury (Ontario) CANADA P3E 4R2 705-675-6491 Prise deparole Récit Prise de parole La vie devant elles Marguerite Andersen

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  • C.P. 550, Sudbury (Ontario)CANADA P3E 4R2

    705-675-6491www.prisedeparole.ca

    Prise deparoleRécit

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    Claire se tourne vers le tableau, y écrit : Perse = Iran ; persan = iranien.— Est-ce qu’il y aurait un Iranien ou une Iranienne dans cette classe ? Non ? Dans l’école ?— The math teacher is from Iran.— En français, s’il vous plaît. Et ce prof de math, a-t-il l’air bien persan ?C’est le tohu-bohu. Les descriptions du professeur de mathématiques fusent de tous côtés, en anglais, en fran-çais... Claire a du mal à calmer la foule. Elle leur lit en core les dernières lignes du texte de Montesquieu :Ah ! ah ! Monsieur est Persan ? c’est une chose bien extraordinaire ! Comment peuton être Persan ?

    La vie devant elles propose une rencontre avec trois jeunes femmes qui cherchent leur voie. Claire, l’aînée, enseigne le français aux jeunes anglo-phones de l’Ontario ; elle rêve d’écrire. Ariane, l’anthropologue mariée à un Africain, tente de concilier vie de famille et carrière ; elle travaille à une thèse sur la situation des femmes au Ghana. Finalement Isa, écologiste et peintre, se préoccupe du sort des 8 000 sangliers qui envahissent les rues de Berlin.Chacune à sa façon, ces femmes se questionnent sur l’amour, la famille, la carrière, la langue, mais aussi et surtout elles inscrivent leur parcours dans un univers de plus en plus marqué par la cohabitation des races et la variété des cultures, le partage du territoire entre les humains et les animaux, les questions d’écologie, de paix et de justice sociale.

    MARGUERITE ANDERSEN, elle-même grande nomade, signe une quinzaine d’ouvrages, dont Le figuier sur le toit (prix Trillium, prix des lecteurs Radio-Canada), Parallèles (finaliste, prix du Gouverneur général), La soupe (Grand prix du Salon du livre de Toronto), et De mémoire de femme (prix du Journal de Montréal).

    Marguerite Andersen

    La vie devant elles

    Marguerite Andersen

    La vie devant elles

    Prise deparoleRécit

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    Extrait de la publication

  • La vie devant elles

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    Extrait de la publication

  • De la même auteureFictionLe figuier sur le toit, roman, Ottawa, L’Interligne, 2008, prix Trillum et

    Prix des lecteurs Radio-Canada.Doucement le bonheur, roman, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2006.Parallèles, roman, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2004.Bleu sur blanc, récit poétique, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2000.Les crus de l’Esplanade, nouvelles, Sudbury, Éditions Prise de parole,

    1998.La bicyclette, nouvelles jeunesse, Sudbury, Éditions Prise de parole,

    1997, épuisé. La soupe, roman, Sudbury, Éditions Prise de parole et Montréal,

    Triptyque, 1995, grand prix du Salon du livre de Toronto.Conversations dans l’interzone, roman écrit avec Paul Savoie, Sudbury,

    Éditions Prise de parole, 1994. La chambre noire du bonheur, roman jeunesse, Montréal, Hurtubise,

    1993 ; deuxième édition, Tournai (Belgique), Gamma-Fleurus, 1995. L’homme-papier, roman, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1992.Courts métrages et instantanés, nouvelles, Sudbury, Éditions Prise de

    parole, 1991.L’autrement pareille, prose poétique, Sudbury, Éditions Prise de

    parole, 1984, épuisée ; traduit en anglais par l’auteure et Antonio d’Alfonso, publié sous le titre Dreaming our space, Toronto, Guernica, 2003.

    De mémoire de femme, roman, collection « BCF », Ottawa, L’Interligne, 2002 [Montréal, Quinze, 1982] ; prix du Journal de Montréal.

    Non-fictionParoles rebelles, Marguerite Andersen et Christine Klein-Lataud (dir.),

    Montréal, Éditions du remue- ménage, 1995.Mother was not a person, écrits de femmes montréalaises, Marguerite

    (Margret) Andersen (éd.), Montréal, Content Publishing et Black Rose, 1972 et 1975.

    Mécanismes structuraux, méthode de phonétique corrective, en collaboration avec Huguette Uguay, Montréal, Centre de psychologie et de pédagogie, 1967.

    Claudel et l’Allemagne, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1965.

    TraductionLouie Palu et Charlie Angus, Industrial cathedrals of the North / Les

    cathédrales industrielles du Nord (Marguerite Andersen, trad.), Toronto, Between the Lines et Sudbury, Éditions Prise de parole, 1999.

    Cinquante exemplaires de cet ouvrage ont été numérotés et signés par l’auteure.

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  • Marguerite Andersen

    La vie devant elles

    Récit

    Éditions Prise de parole Sudbury 2011

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    Extrait de la publication

  • Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives CanadaAndersen, Marguerite, 1924-La vie devant elles / Marguerite Andersen.Publ. aussi en formats électroniques.ISBN 978-2-89423-277-4I. Titre.PS8551.N297V54 2011 C843’.54 C2011-906128-7

    Andersen, Marguerite, 1924-La vie devant elles [ressource électronique] / Marguerite Andersen.Monographie électronique en format PDF et en format ePub.Publ. aussi en format imprimé.ISBN 978-2-89423-437-2 (PDF) — ISBN 978-2-89423-521-8 (ePub)I. Titre.PS8551.N297V54 2011a C843’.54 C2011-906129-5

    Diffusion au Canada : Dimédia

    Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de parole appuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culture françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture contemporaine.

    La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, le Conseil des Arts du Canada, le Patrimoine canadien (programme Développement des communautés de langue officielle et Fonds du livre du Canada) et la Ville du Grand Sudbury de leur appui financier.

    Œuvre en page de couverture : August Macke (1887-1914), Femme à la veste verte, couleur sur toile, 1913, collection Musée Ludwig, Cologne, Allemagne

    Conception de la couverture : Olivier Lasser

    Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.Imprimé au Canada.Copyright © Ottawa, 2011Éditions Prise de paroleC.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R2www.prisedeparole.ca

    ISBN 978-2-89423-277-4 (Papier)ISBN 978-2-89423-437-2 (Interactif )ISBN 978-2-89423-521-8 (E-Pub)

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  • De nouvelles routes bien tracées, pour aller toujours plus loin nulle part.

    Émile Ajar, La vie devant soi

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    Extrait de la publication

  • 6

    Remerciements

    Mes sincères remerciements vont tout d’abord à Véronyque Roy, qui s’est à un moment occupée du manuscrit, ainsi qu’à Johanne Melançon, qui a revu ce texte très attentivement et m’a conseillée avec perspicacité. Finalement, je voudrais remercier denise truax, des Éditions Prise de parole, qui a accueilli le manuscrit avec enthousiasme et l’a de sa main experte conduit vers la publication.

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  • 7

    Petit avant-propos

    Écrivaine à tendance autofictionnelle, je m’aventure dans ce livre à interpréter des vies que je n’ai vues que de l’extérieur, celles de mes six petites-filles. De leurs six réalités, j’ai construit trois récits biofictionnels.

    J’ai aussi un petit-fils ; je n’allais pas l’oublier. Il survient de temps à autre dans la vie des trois protagonistes.

    Mes sept petits-enfants vont bien, ils font leur che-min, chacun à sa façon. Les ai-je mis sur un piédestal ? Je ne crois pas.

    M. A.

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    Extrait de la publication

  • Isa

    On ne peut découvrir de nouvelles contrées sans consentirà perdre le rivage de vue pendant très longtemps.

    André Gide

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  • 11

    Le Gallois

    J’ouvre brièvement les yeux. D’après la lumière, il n’est pas tout à fait sept heures. C’est encore le mois de juil-let, il fait doux, le ciel est bleu, le soleil vient de pla-cer sa clarté sur un des murs de ma chambre. Je suis contente. Je vais rester encore un peu dans ce tiède état de demi-sommeil matinal si agréable. Rien ne presse, dirait Drystan, mon amant.

    Pourtant, zut ! août approche. Le 15 août 2009. Le jour où mon contrat avec le gouvernement du pays de Galles se termine. Faut-il partir ? Non. Je ne veux même pas y penser. Je veux rester ici. Je sais, ce n’est pas possible, je suis folle, je rêve, mais, vraiment, je ne sais pas comment je vais faire pour quitter ce pays. J’adore la maison de berger tout en pierres que l’admi-nistration m’a offerte pour l’été, mon bel abri caché parmi les arbres, sur le chemin sans nom, maison sans numéro, le tout appelé tout simplement cae ichaf, le champ le plus haut. Un lieu paradisiaque pas loin du sommet d’une montagne.

    J’aime les bruits que me fait entendre la nature ; les hiboux qui ululent la nuit, le ruisselet qui coule, les

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    Extrait de la publication

  • 12

    branches mortes craquant sous les pas des animaux.Je me sens bien ici. Mieux qu’à Ottawa, mieux qu’à

    Prince George. Le Yukon ? Oui, l’air y était bon et la recherche super intéressante. Surtout que les gélinottes et les lagopèdes, de bien drôles d’oiseaux, étaient pour ainsi dire devenus mes amis. Ils s’approchaient et je les dessinais, tâchant de capter au crayon les détails complexes de leur opulent plumage. Depuis, oiseaux encadrés, ils se tiennent immobiles sur le mur, au-dessus du buffet de la salle à manger de mes parents.

    Mais le froid yukonnais, huit mois sur douze, l’altitude difficile à vivre ? Ou bien est-ce moi qui suis difficile ? Comme toujours, j’étais contente de partir. Contente d’aller voir un autre pays. Mais cette fois-ci, ce n’est pas pareil. Vraiment pas. Je suis tombée amou-reuse d’un Gallois et j’aime son pays.

    Pourtant. Un seul mois encore. Quatre semaines. Puis moi, l’écologiste de service, je vais devoir m’en aller. Quitter Drystan. Rentrer chez moi au Canada. À Ottawa, pour être précise.

    Là, il faut que je me lève, il doit être près de sept heures et quart. J’ai envie de dire bonjour au jardin, au chien, au renard peut-être. De saluer les corneilles qui sont probablement déjà en train de tourner autour des cimes et qui, dès que je sortirai de la maison, me regar-deront d’en haut, criaillant amicalement, contentes de me voir.

    Allez, j’y vais.J’ouvre la porte, jamais verrouillée.

    C

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  • 13

    Rafraîchis par la rosée du matin, les différents verts du potager scintillent devant moi. Comment je vais vivre sans ce jardin où, le soir, avant de faire la cuisine, je prends quelques fines herbes, cueille deux ou trois tomates, m’arrête pour admirer tout ce qui y pousse, les couleurs si tendres des jeunes légumes, les fleurs sauvages dont j’aime déguster les pétales ? Parfois, le renard vient y jeter un coup d’œil, puis s’en va aussitôt. C’est drôle, il a peur du chien de Drystan.

    Voici les corneilles, oui, elles y sont, fidèles à leurs habitudes. On dirait qu’elles veulent m’inviter à jouer avec elles. Il me faudrait des ailes. Quand j’étais petite, j’ai lu un livre sur un garçon — Nils, il s’appelait Nils, il voyageait à dos d’oie sauvage —, une de mes sœurs m’avait prêté le bouquin. Il avait les cheveux blonds comme du lin. C’est peut-être lui qui m’a insufflé cette envie de voir du pays ?

    Je regarde ce qu’il y a devant moi. J’ai envie de caresser ces collines aux dos arrondis, de suivre pieds nus ces chemins menant à la mer. Glorieuse. Une mer glorieuse toujours prête à nous accueillir.

    Mais c’est ça surtout : le nous. Les amants. Drystan et moi. Drystan. L’homme qui s’est trouvé sur mon chemin ; qui, un jour, au mois de mai, m’a ouvert la porte de la boulangerie où j’allais acheter mon pain et qui ne m’a plus quittée. Qui a planté sa yourte à quelques pas de ma maison.

    Drystan. J’aime ce nom. J’en aime le son. J’aime le répéter — Drystan — encore et encore —, rencontré dans ce beau pays que j’aime. Le pays ? L’homme ? Aimer les deux, quitter les deux…

    Sent-il que mes yeux caressent sa douce et lumineuse

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  • 14

    petite habitation, là, sous le soleil matinal ? Il dort encore, cet homme qui respecte la nature et veut vivre auprès d’elle, comme moi. Avec moi. Mais où ? Mais quand ?

    Dire qu’il va falloir rentrer à Ottawa après cet été de si parfaite harmonie. Recommencer à chercher du tra-vail, à essayer de gagner de l’argent et d’en économiser, de faire son chemin, comme ils disent. Un chemin de bon citoyen, un chemin qui mène droit à un salaire régulier, qui ne permet pas de vagabonder, de s’en aller ailleurs, de courir dans les prés ou de s’asseoir dans l’herbe.

    Vais-je entrer dans la yourte ? Embrasser mon amant alors que c’est l’heure de vérifier mon emploi de temps, de prendre la bicyclette et de m’en aller travail-ler ? Compter les nids de hiboux, dans la forêt, baguer les oisillons, vérifier les bagues des adultes, entrer les données à l’ordinateur, envoyer le tout à l’adminis-tration pour que les chercheurs des Parcs nationaux puissent calculer une saine vie future pour ces oiseaux nocturnes et définir leurs besoins ?

    Le rideau de coton est léger, un mouvement de ma main l’écarte. Voici Drystan. Endormi tel un enfant. Couché sur le côté gauche, le bras droit enfoui sous l’oreiller. Il est nu. Le sexe plus ou moins exposé. Une petite serviette le protège, comme si une couleuvre pouvait venir chatouiller le dormeur. À côté de lui, son cahier à dessins. C’est pour ça qu’une chandelle vacil-lait ici, tard le soir encore, je le voyais. Drystan s’était mis à dessiner, après l’amour que nous avions fait en haut, dans le lit de la maison en pierres.

    « Je te quitte, m’avait-il dit, il faut que tu dormes. »

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  • 15

    Et j’ai dormi. Comment fait-il, lui, pour dessiner le soir, tard, à la lumière d’une chandelle ? Moi, je suis une fille du jour, j’ai besoin de lumière naturelle. Mes toiles boivent la lumière. Le soir, après des heures passées dans le parc, je ne pense même pas à mon chevalet, je ne sors pas mes pinceaux. Puis je me le reproche. Je voudrais peindre la beauté de la nature et la douceur de vivre, mais ne le fais pas. On dirait que ma peinture s’est réfugiée dans les méandres de mon cerveau. Il me faudrait un boulot de nuit qui me lais-serait libre le jour.

    Parfois j’ai peur de devenir une artiste occasionnelle. Peintre du dimanche ? Mais non, jamais. Peut-être que je suis juste un peu paresseuse ? Pourtant, la paresse, ce que le monde appelle la paresse, c’est-à-dire ne rien faire, rien de visiblement productif, est nécessaire aussi. Pour moi. Pour voir, pour regarder, pour écou-ter bruits et chuchotements, pour laisser courir les pensées, retenir les images. Emmagasiner le tout et le particulier.

    Il est beau, mon homme endormi. Je vais m’asseoir sur l’escabeau à côté de son lit. Sans faire de bruit. Voici son cahier. Les premières pages, ce sont les meubles, les tables, les chaises, les armoires qu’il dessine, lui, ébéniste de talent. Puis il y a moi. Isa. Nue, debout, assise, étendue. Je me vois, me revois. Partout. Quelques roches, des nuages, la mer. Le chien. Un arbre. Et toujours de nouveau, moi. Oublierait-il de penser aux meubles ? À l’argent qu’il faut pourtant gagner ? À l’avenir ? Ça fait des semaines qu’il n’est pas descendu à l’atelier qu’il a dans le village. Quand je lui en parle, il rit tout simplement.

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  • 16

    — Ne t’en fais pas…Mon amant si svelte… Le voilà qui ouvre les yeux.— Oh, ma belle Isa, dit-il, couche-toi à côté de

    moi. Tu as le temps. Rien ne t’oblige à courir.— Il est presque huit heures quinze.— Je sais. Le parc national t’attend. Le sens du

    devoir te pousse. Mais comment se fait-il que tu aies pris le temps de venir me rendre visite, dans mon petit refuge privé ?

    — J’avais besoin de te voir. C’est tout. Vraiment.— Ah bon.Drystan se retourne, ouvre un havresac, en sort

    deux pommes.— Déjeunons, veux-tu ?— De pommes, comme au paradis ?— Exact. Et il n’y a pas de serpent ici. Ni personne

    pour nous chasser.— À part les bureaucrates. Mon contrat…— N’y pense pas.

    C

    Mais la réalité est omniprésente. Le gouvernement pré-cise encore une fois la date de la fin de mon contrat. Le temps de flâner approche de sa fin. Le temps d’aimer aussi ?

    Et bien entendu, le paradis moderne est branché. Tous les matins, l’ordinateur me rappelle ce qu’il faut faire. Le soir, je confie les données à la mémoire de l’instrument, d’où elles prennent les autoroutes traver-sant le Réseau.

    Le Réseau, le Net, la Ligne. Un monde merveilleux

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  • 17

    et maudit en même temps. Qui y échapperait ? Il m’arrive de m’y perdre. C’est bizarre, je ne me perds jamais dans ce pays de Galles, ou alors, si jamais je me perds, je retrouve aussitôt, et sans savoir comment, mon chemin. Mais assise tranquillement devant l’ordi-nateur je me rends compte, tout à coup, que je suis en train de me balader en ligne depuis des heures, sans but précis, toujours à la recherche de connaissances nouvelles, importantes ou même pas. Pourquoi suis-je donc tellement curieuse ?

    Curieuse ? Docile aussi. Sébastien, mon père, me dit, me redit dans ses courriels — mais ce qu’il peut être embêtant avec ses conseils — de lire les journaux en ligne, Le  Monde, Le  Devoir et aussi Libération. « Comme ça, tu n’oublieras pas ton français. » D’ac-cord, papa, je lis. Il me semble que je lis tout le temps ! Tu es content ? Hier encore, je me suis laissé capti-ver par des articles parlant de sangliers ayant envahi Berlin, la capitale allemande. De laies qui se plaisent à mettre bas deux fois par an. Un fléau, ces bêtes ? Pourquoi est-ce que les journaux en parlent ? Est-ce si nouveau que ça ? Une de mes dissertations d’écolière me revient à l’esprit : « L’homme et la bête — La bête et la ville ». C’était le dernier semestre. Il ne s’agissait ni de chiens ni de chats, mais de l’homme confronté aux animaux sauvages. De règlements les concernant.

    En Alberta, le gouvernement verse cinquante dol-lars à la personne qui abat un sanglier, parce que les agriculteurs se plaignent des ravages que ces bêtes font. En France, les chasseurs paient des redevances aux agriculteurs pour les dédommager des champs ravagés, des récoltes perdues. Et il n’y a pas que des sangliers.

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    Extrait de la publication

  • 18

    En Floride, les pythons se font de plus en plus nom-breux. En Australie, l’ennemi public numéro un, c’est le crapaud-buffle, qui ravage les cultures et bloque les autoroutes.

    À Toronto, en 1990, six cormorans étaient venus faire leur nid dans les arbres du Leslie Street Spit, une péninsule faite presque entièrement de débris de construction ; quinze ans plus tard, il y en avait trente-cinq mille.Un seul de ces oiseaux palmipèdes chassant sous l’eau peut dévorer une livre et demie de poisson par jour ; combien de temps les stocks de poissons des Grands Lacs pourront-ils se maintenir ? Au cours des dernières années, Toronto a fait abattre quinze mille cormorans. Ceux qui restent produisent, par jour, plus de deux tonnes de guano, substance puante, nocive pour les arbres, qui en meurent. De passage dans la ville, je suis allée renifler ça ; il y avait d’autres personnes avec moi, une femme en a fait une petite crise d’asthme, j’ai entendu les sifflements dans ses bronches.

    À Toronto encore, il s’agit de coyotes s’en prenant aux chiens de petite taille, de ratons-laveurs fouillant les poubelles, de serpents de plus en plus nombreux rampant dans les corridors souterrains de la ville.

    Comment est-ce que tout cela va se terminer ? Comment éviter que les animaux prennent le dessus ? Finirons-nous par les mettre tous en cage ? Aux États-Unis, le nombre de lions gardés par des particuliers dépasse celui des lions vivant, libres, dans le monde entier.

    Retour aux sangliers : Berlin, trois millions et demi d’habitants, la ville la plus verte de l’Europe, envahie par huit mille sangliers… Pragmatiques, les Berlinois

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  • Achevé d’imprimer en octobre 2011 sur les presses

    de l’Imprimerie Gauvin, à Gatineau (Québec).

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    Extrait de la publication

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    Claire se tourne vers le tableau, y écrit : Perse = Iran ; persan = iranien.— Est-ce qu’il y aurait un Iranien ou une Iranienne dans cette classe ? Non ? Dans l’école ?— The math teacher is from Iran.— En français, s’il vous plaît. Et ce prof de math, a-t-il l’air bien persan ?C’est le tohu-bohu. Les descriptions du professeur de mathématiques fusent de tous côtés, en anglais, en fran-çais... Claire a du mal à calmer la foule. Elle leur lit en core les dernières lignes du texte de Montesquieu :Ah ! ah ! Monsieur est Persan ? c’est une chose bien extraordinaire ! Comment peuton être Persan ?

    La vie devant elles propose une rencontre avec trois jeunes femmes qui cherchent leur voie. Claire, l’aînée, enseigne le français aux jeunes anglo-phones de l’Ontario ; elle rêve d’écrire. Ariane, l’anthropologue mariée à un Africain, tente de concilier vie de famille et carrière ; elle travaille à une thèse sur la situation des femmes au Ghana. Finalement Isa, écologiste et peintre, se préoccupe du sort des 8 000 sangliers qui envahissent les rues de Berlin.Chacune à sa façon, ces femmes se questionnent sur l’amour, la famille, la carrière, la langue, mais aussi et surtout elles inscrivent leur parcours dans un univers de plus en plus marqué par la cohabitation des races et la variété des cultures, le partage du territoire entre les humains et les animaux, les questions d’écologie, de paix et de justice sociale.

    MARGUERITE ANDERSEN, elle-même grande nomade, signe une quinzaine d’ouvrages, dont Le figuier sur le toit (prix Trillium, prix des lecteurs Radio-Canada), Parallèles (finaliste, prix du Gouverneur général), La soupe (Grand prix du Salon du livre de Toronto), et De mémoire de femme (prix du Journal de Montréal).

    Marguerite Andersen

    La vie devant elles

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    La vie devant elles

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    Extrait de la publication

    RemerciementsPetit avant-proposIsaLe Gallois4e de couverture