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Tous droits réservés © La revue Séquences Inc. et Rivista del cinematografo, 1966 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 16 août 2021 02:19 Séquences La revue de cinéma Petite histoire du cinéma d’animation IV De Fleischer à McLaren Piero Zanotto Cinéma et amour Numéro 45, avril 1966 URI : https://id.erudit.org/iderudit/51772ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Zanotto, P. (1966). Petite histoire du cinéma d’animation IV : de Fleischer à McLaren. Séquences, (45), 48–57.

Petite histoire du cinéma d’animation IV : de Fleischer à McLaren - … · furent le marin Popeye et la vamp wssaaWÊÊt Betty Boop. Popeye avait été imaginé par le dessinateur

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Tous droits réservés © La revue Séquences Inc. et Rivista del cinematografo,1966

Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 16 août 2021 02:19

SéquencesLa revue de cinéma

Petite histoire du cinéma d’animation IVDe Fleischer à McLarenPiero Zanotto

Cinéma et amourNuméro 45, avril 1966

URI : https://id.erudit.org/iderudit/51772ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)La revue Séquences Inc.

ISSN0037-2412 (imprimé)1923-5100 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleZanotto, P. (1966). Petite histoire du cinéma d’animation IV : de Fleischer àMcLaren. Séquences, (45), 48–57.

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petite histoire du cinéma d'animation-IV

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Piero Zanotto

Avant d'en arriver à cette évolu­tion dont nous avons parlé dans le dernier article, le cinéma d'anima­tion devait passer en Amérique par d'innombrables expériences. Bien entendu, Walt Disney occupe une place à part dans le no man's land qui se situe entre les primitifs et les artistes actuels de la peinture a-nimée. Parmi les primitifs, il faut placer en tête, évidemment, Emile Cohl, suivi aux Etats-Unis par Winsor MacCay, créateur de Ger­tie le dinosaure. Notons aussi Her-riman et Pat Sullivan dont les créa­tures respectives, le couple Kra-zy Kat — Ignatz Mouse et le chat Félix annonçant la faune disneyen-ne et, en particulier, Mickey Mouse qui devait devenir le personnage a-nimé le plus populaire à travers le

monde. N'oublions surtout pas Tom et Jerry, le duo d'éternels an­tagonistes, créé à cette époque par Hanna et Barbera dans un style très moderne, mais avec de fré­quents clins d'oeil vers la tradi­tion du slapstick à la Sennett.

Les perfectionnements viendront peu à peu. Chaque nouveau car­toonist apportera la touche par­ticulière de son originalité graphi­que, sous l'influence de la culture humoristique et satirique du mo­ment. Passons vite sur les balbutie­ments du début même s'il s'y trou­ve bien des documents intéressants à étudier, et venons-en tout de sui­te à la robuste contribution des frères Max et Dave Fleischer à l'art du dessin animé. Max, Vien­nois de naissance, ne fut pas long

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à saisir le mécanisme psychologi­que très simple de l'American Way of Life qui permettait à cha­cun de se hisser dans l'échelle socia­le, à condition de posséder une bonne dose d'indépendance et de courage.

Max Fleischer se forma à l'éco­le des bandes comiques publiées par les journaux; c'était là un bon tremplin puisque plusieurs personnages de ces bandes se re­trouvent à l'écran lorsque leurs aventures ont connu un certain de­gré de popularité. Après son ser­vice militaire, en 1921, Max eut l'occasion de mettre à l'épreuve ses talents en collaborant à une série de courts métrages réalisés sous le titre générique Out of the Ink Well. Le protagoniste en était un clown sympathique, appelé Koko, qui jaillissait toujours d'une bou­teille d'encre pour y rentrer fina­lement après avoir épuisé la série de ses espiègleries originales et fu­nambulesques. Mais, comme le no­te Gec, un historien italien du des­sin animé, chez Fleischer, le cari­caturiste l'emporte sur le dessi­nateur d'animation. C'est pour cette raison qu'il ne pouvait se conten­ter du style linéaire très simple dû à l'influence de Cohl. En son esprit teutonique s'agitaient les dessins tourmentés de Wilhelm Busch, de Maggendorfer et les essais satiri­ques de ce grand caricaturiste qui signait du pseudonyme Simplicis-

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simus. Bientôt, il abandonna Koko et prit en charge le couple de com­pères créé par Bud Fisher : Mutt et Jeff. Ces mésaventures d'un naïf, continuellement placé en mau­vaise posture par un plus malin, se rapprochaient cependant encore du comique genre tartes à la crème.

L'occasion de s'affirmer lui vint de deux nouvelles séries de courts métrages dont le succès tapageur dépassa soudain de beaucoup la po­pularité de Mickey Mouse. Les ob­jets de cette singulière adulation furent le marin Popeye et la vamp

wssaaWÊÊt

Betty Boop. Popeye avait été imaginé par

le dessinateur Segar pour servir à la publicité des épinards d'une fir­me du Texas. Dans chaque épisode de ses aventures, le marin se trou­vait séparé de sa fiancée Olive Oil par diverses mésaventures. Il arri­vait à la reconquérir grâce à la for-

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ce subite que lui procurait une por­tion d'épinards avalée au moment le plus critique. Pour le public, composé surtout de jeunes, les épinards étaient le symbole de la force de la volonté. Pour avoir quel­que chose, il suffisait de le vouloir. C'est cette psychologie simpliste, typiquement américaine, que Po­peye illustrait concrètement dans ses aventures. Il se trouvait souvent flanqué d'un fainéant chronique, Wimpy, toujours à la recherche d'un sandwich bien fourni, qui agissait un peu comme la conscien­ce du personnage principal. Ce fut là une période faste pour le des­sin animé. L'effort de l'industrie fut amplement récompensé par la réponse d'un public enthousiaste qui ne s'apercevait pas toujours que la trame de ces aventures était tissée de multiples pointes satiri­ques prenant pour cibles la façon de vivre des Américains et leurs idoles factices.

Parmi ces idoles, il y eut jus­tement Betty Boop. Il s'agissait d'une caricature très réussie de ces vedettes hollywoodiennes dont les charmes erotiques envahissent les écrans. Cette créature de fantaisie imitait d'assez près les caractéris­tiques d(une chanteuse de night club, Helen Kane, empruntant même à son répertoire une chan­son qui devint vite populaire. Par la suite, elle n'eut pas de plus fa­rouche ennemie que son modèle.

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Celle-ci intenta même à Fleischer un procès qui eut pour résultat de servir la popularité de Betty Boop. La mort du personnage fut plutôt le résultat des tracasseries de la censure qui voyait dans ses attri­buts généreux des provocations erotiques préjudiciables aux bon­nes moeurs.

Il y avait quatre Fleischer : Max créait les dessins, Dave était di­recteur de la production, Lou s'oc­cupait de la musique et Charlie était en charge de la réalisation technique. En 1939, devant le suc­cès obtenu par Walt Disney avec Blanche-Neige et les sept nains, les Fleischer voulurent se lancer eux aussi dans l'entreprise du long métrage en adaptant Les Voyages de Gulliver, de Jonathan Swift. Cet­te oeuvre convenait bien à l'esprit caustique manifesté depuis ses dé­buts par Max Fleischer, mais une telle affinité n'entraîna pas pour au­tant une adéquation servile. Le ci­néaste exploite avec un plaisir évi­dent la satire sociale contenue dans le livre, inventant de nouveaux per­sonnages et laissant tomber certains, mais il s'attarde trop à l'aspect fan­taisiste de l'intrigue qu'il orne de couleurs opulentes, ce qui a pour résultat de ralentir dangeureuse-ment le rythme en plusieurs en­droits. On ne peut donc objecti­vement pas dire que, sur le plan créateur, ce film soit vraiment un pas en avant. En fait, c'est de là

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William Hanna et Joseph Barbera

que date la décadence des Fleischer qui s'occupent maintenant, tou­jours sous la direction de Max, de dessins animés destinés à la télévi­sion. Le Popeye du dessinateur A. Segar, qui passa pour un temps en­tre les mains de I. Sparber, a tra­versé l'océan pour retrouver une nouvelle vie en Angleterre dans les studios Halas et Batchelor.

Les Autres

C'est maintenant le tandem Wil­liam Hanna et Joe Barbera qui a pris pour mission de s'adresser à un public adulte pour se moquer des manies, des tics et des mythes

de la société américaine. Engagés à leurs débuts par le producteur Fred Quimby, pour le compte de la Metro-Goldwyn-Mayer, ils sont sur la brèche depuis vingt-cinq ans. Il ne sera pas tellement question ici de leurs nombreux shorts met­tant en vedette le maléfique chat Tom et l'astucieuse souris Jerry. On sait que, rajeunissant le slap­stick — les luttes vengeresses de ces deux sempiternels adversaires où le sadisme latent ne devenait sup­portable que parce qu'il était filtré par une ambiance de surréalisme et d'humour — ont mérité à leurs auteurs un nombre incroyable d'Os­cars. Mais nous voulons surtout

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parler des Flinstone. Ce couple de l'âge des cavernes conçu pour la télévision réussit, avec une fan­taisie admirable, à chevaucher les siècles et à se prévaloir des bien­faits de notre civilisation "élec­tro-domestique".

Une intention satirique évidente, mais teintée de sympathie, y trans­paraît dans les rapprochements qui se trouvent ainsi réalisés avec la société actuelle tellement attachée à ses richesses matérielles. Mais on peut y voir aussi un hommage déguisé à cette société qui a réussi par sa seule force inventive à se procurer, à l'état brut, jukebox, au­tomobile, congélateur, etc. Les hé­ros préhistoriques de ces aventures sont présentés dans un style qui tient le juste milieu entre le mo­dernisme de l'U.P.A. et le tradi-tionnalisme de Disney.

Hanna et Barbera semblent bien avoir grandi à l'école de Mack Sennett. Leurs histoires d'animaux, qu'elles soient vécues par Tom et Jerry ou qu'elles soient attribuées à Huckleberry Hound (Roquet Bel­les-Oreilles) et à toute cette faune qui peuple depuis toujours le mon­de du dessin animé, se caracté­risent par le goût du gag fulgurant. A la différence des créatures de Disney, Tom et Jerry jouissent d'une complète autonomie dans leurs affrontements avec la réalité. Ils vivent dans un univers parti­culier, dont l'humour surréaliste ré­

jouit plus l'adulte (et encore faut-il qu'il y soit sensible) que l'adoles­cent ou l'enfant. Rappelons entre autres No Biz like Show Biz, adap­tation libre et divertissante du con­te de Cendrillon. Récemment, les deux associés nous ont régalé d'un long métrage, Hey There, it's Yogi Bear, dont le protagoniste est de­

venu célèbre grâce à de nombreux shorts réalisés pour la télévision.

Dans le sillage de Hanna et Bar­bera, on trouve les cartoons de la Warner Bros dus au trio Robert McKinson, Charles Jones et Fritz Freleng. Les vedettes en sont le la­pin Bugh Bunny, le chat Sylvester et la souris Speedy Gonzales, ainsi qu'une brochette d'animaux variés. On peut porter sur ces films le mê­me jugement stylistique que pour les cartoons de la M. G. M.

Walter Lantz, lui, commença sa carrière avec Disney et c'est lui

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qui hérita du lapin Oswald quand son collègue, par suite d'une subti­lité de contrat, dut se chercher un autre personnage; ce fut là d'ail­leurs l'occasion de la naissance de Mickey Mouse. Son personnage le plus connu est Woody Woodpec­ker, le pivert folichon que le criti­que italien, Walter Alberti, a com­paré à Jerry Lewis. Le même cri­tique ajoutait : "Les temps moder­nes, le rythme saccadé des ma­chines, toute cette civilisation de la vitesse ont inspiré à Lantz son per­sonnage vivace au bec perforateur qui, depuis son apparition en 1930, se présente comme une vrille plan­tée dans la logique des choses".

Que dire de Paul Terry? A peu près la même chose. Il a créé, entre autres, un kangourou dont les bonds sont une source inépuisa­ble de gags. Terry est surtout le producteur d'une série considérable de courts métrages, d'une durée standard de six minutes et demie, appelés Terrytoons. Ces shorts, réa­lisés par divers collaborateurs, abor­dent les thèmes les plus variés avec une fantaisie graphique d'excellent aloi. Signalons en particulier : Pea­nut Battle, de Rasinski, Honora­ble Family Problem, de Kuwahara et Klondike Strike Out, de Tendlar. Mais, parmi les personnages des Terrytoons, on en trouve un qui est à la fois adapté à notre époque de science-fiction et fidèle à la zoophilie commune à tous les au­teurs de dessins animés. C'est Migh­

ty Mouse, une souris dotée de pou­voirs extraordinaires, l'équivalent quadrupède de Superman. Quand je dis quadrupède, je n'oublie pas que les animaux du cinéma d'ani­mation sont souvent dessinés de façon anthropomorphique avec pieds et mains; traditionnellement cependant leurs mains n'ont que quatre doigts. Les gags propres à Mighty Mouse sont donc conçus en relation avec ses possibilités physiques extraordinaires. Un tel personnage, qui appartient à l'ave­nir, peut avoir un sourire de pitié devant les épinards nécessaires à Popeye pour accomplir ses exploits.

Dans l'équipe des "caitoonists" américains, il y a encore Tex Ave­ry. On a dit de lui qu'il est un Dis­ney qui a lu Kafka. Et cela pour exprimer en trois mots le surréa­lisme et la mathématique du "non­sense" typique de l'humour anglo-saxon qui caractérisent ses pellicules. Par le dessin, qui n'a rien d'excep­tionnel, il pourrait s'apparenter à

Honorable Family Problem

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n'importe lequel des auteurs cités dans cet article. C'est la logique in­terne de ses histoires qui le rend inexplicable et toujours neuf. Il a le secret d'un humour cérébral qui le fait admettre ou rejeter en bloc. C'est pour cette raison que Robert Benayoun, dans son ouvrage in­titulé Le Dessin animé après Dis­ney, publie, à la page qui le concer­ne, une photo de L'Homme invisi­ble de James Whale. C'est une tê­te entièrement enveloppée dont on ne voit que les yeux noirs avec cet­te légende : "Ce portrait de Tex Avery est controversé".

Cependant l'animateur qui, plus que tous les autres, tend à se rap­procher, d'une part, de la thémati­que moderne du groupe lié à Bosus-tow, et, d'autre part, du monde abstrait et sutréel, est sans contre­dit le Canadien Norman McLaren.

Image par image

A la vérité, Norman McLaren n'est pas Canadien. Il naquit en Ecosse, à Stirling, en 1914, et son expérience de dessin direct sur la pellicule sans l'aide de prises de vue remonte à 1932. Cela ne de­vrait pas étonner si l'on pense que Méliès faisait la même chose en co­loriant avec un petit pinceau, pho­togramme par photogramme, des objets et des personnages pour cha­cun de ses films délirants. Mais Norman McLaren fait quelque

chose de plus : il tente, tout en composant son propos sans l'auxi­liaire de l'image photographique, de l'accompagner selon la même méthode d'une musique synthéti­que, non enregistrée par des ins­truments musicaux, mais obtenue également en l'écrivant directe­ment sur la bande du son.

Il est donc naturel que les dessins que McLaren trace patiemment sur ces photogrammes et qui don­nent, à la projection, le sens d'un discours volontairement abstrait, d'une fantaisie picturale en mou­vement, trouvent dans la persis­tance rétinienne le principe qui permet à chaque image de dispa­raître ou de devenir son propre mouvement dans l'ensemble des si­gnes et des images. "L'animation n'est pas l'art des dessins qui se meuvent, mais l'art des mouve­ments dessinés", a dit l'auteur de ce cinéma qui a désormais dépassé le stade de l'expérimentation pour devenir un "genre" (même si ce ci­néma individuel constitue un ex­emple rare dans l'histoire du film et s'il n'y a actuellement que lui qui s'y adonne avec une volonté obstinée). Et Norman McLaren ajoute : "Ce qui arrive entre deux cadrages est plus important que ce qui figure à l'intérieur de chacun. L'animation est donc l'art de se ser-sir des intervalles invisibles qui existent entre les cadrages".

Les abstractions recherchées de

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ses premiers films, par lesquelles McLaren donnait corps à ses in­tuitions fondamentales, semblent ce­pendant trouver tout leur poids de signification à un examen serré de la production complète de ce singu­lier artiste. Entendons-nous bien : son oeuvre n'est pas exclusivement dessinée mais elle se rattache à toutes les variations possibles of­fertes ou mieux cherchées par le cinéma d'animation. Les films tché­coslovaques tant admirés de Trnka, de la Tyrvola, mais surtout de Ka­rel Zeman, tournent autour de la recherche du raffinement stylisti­que et du langage culturel, artisti­que et pictural que McLaren a, par d'autres voies, atteints maintes et maintes fois.

S'étendre sur l'explication des techniques variées qu'emploie Me Laren serait une entreprise ardue et hors des limites de notre propos qui est de donner une vue panora­mique du dessin animé. Arrêtons-nous plutôt à quelques titres qui fésument ses divetses expériences. Ils révèlent des dons égaux pour la poésie et pour l'humour subtil de caractère anglo-saxon, humour qu'il tourne parfois férocement contre la bestialité de l'homme in­capable d'apprécier les valeurs de la vie et abandonné à des instincts furieux de destruction. Notons d'a­bord Le Merle et La Poulette gri­se, le second illustré avec des des­sins animés au pastel et le premier, au contraire, construit avec des

Le Merle

figures en carton dont les images apparaissent tour à tour en se com­posant, en se brisant et en se re­trouvant elles-mêmes dans les pho­togrammes qui commentent un chant populaire. Puis signalons Rythmetic : ce sont des chiffres — en carton également — qui dansent, se déforment se multi­plient, pendant qu'un "5", pris de chatouillement, se gratte. Avec Neighbours et A Chairy Taie, l'a­nimation s'applique à la figure hu­maine. La technique de la repri­se photogramme par photogramme avec, dans les intervalles, l'opéra­tion de mouvement exécutée sur le dessin ou sur le mannequin (ou comme nous venons de le voir sur les figures et les chiffres taillés dans du carton) est employée pour l'homme. Le but est de déshuma­niser le mouvement et les instincts à des moments déterminés de l'ac­tion, et de démontrer, dans un es­prit polémique, l'état bestial dans lequel l'homme retombe parfois.

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^H Dans Neighbours, deux hommes

i l sont tranquillement assis l'un près i l de l'autre sur deux chaises longues. Ils voient naître entre eux une marguerite dont ils commencent à se disputer la propriété. Ils finissent par se tuer réciproquement après avoir piétiné l'objet de leur que­

1 relle inhumaine. Allégorie éviden­te en faveur de la paix qui finit par ce commentaire : "Aime ton pro­

Ifl chain". Nous sommes ici dans un Ifl domaine immédiatement intelligi­

ff'w ble comme dans A Chairy Taie. Ce dernier film montre un homme qui voudrait s'asseoir sur une chai­se ; mais celle-ci proteste jusqu'à ce que l'homme la prenne un moment dans ses bras et devienne chaise lui-même. Ce sont là des thèmes qui s'éloignent du dessin animé.

m^^Ê Quoi qu'il en soit, une telle ex­m^^Ê périmentation est un peu le che­

**• val de bataille du secteur de l'ani­mation à l'Office national film du Canada, secteur qu'anime McLa­ren depuis 1941, après l'invitation lancée par John Grierson qui l'avait voulu à ses côtés. Il faut rappeler que McLaren, justement à cause de son activité, a été invité en 1949

wff| par l'Unesco en Chine pour étudier h M la possibilité d'instruire les masses

d'analphabètes par le film, les pho­tographies, les dessins, les tableaux graphiques, etc. Expérience qu'il a répétée en Inde en 1953. Sous la conduite de McLaren, chaque artis­te jouit de la liberté la plus com-

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plète pour ses créations et les ré­sultats jusqu'ici sont tout raffine­ment et délice. Rien à voir avec Disney. Ici le public des jeunes n'a pas droit de cité, même si parfois on a recours à un style infantile et à un graphisme par trop simpliste. Les films de Dunning (notons Cadet Rousselle, obtenu grâce au mouve-

Cadet Rousselle

ment de lames de métal très minces diversement colorées), de Colin Low, de Jim Mackay, de Grant Munro, de Robert Verrai, de Jean-Paul Ladouceur, de René Jodoin, de Sidney Goldsmith, abordent tou­tes les expériences possibles et les traduisent sur la pellicule au fur et à mesure que les thèmes affron­tés, les sujets, les récits se prêtent à une interprétation dans cette clef graphique.

Complétons ces notes en citant au moins le nom de Saul Bass, un des plus prestigieux dessinateurs d'affiches publicitaires, qui a utilisé ses connaissances de la science gra­phique pour animer le générique de nombreux films américains, con­tribuant ainsi à éveiller l'intérêt du spectateur pour le récit cinémato­graphique qu'il allait voir. No­tons à titre d'exemples des films si­gnés par Hitchcock (Sueurs froides), Preminger (Carmen Jones, L'Hom­me au bras d'or, Autopsie d'un meurtre), Anderson (Le Tour du monde en 80 jours). Le lien de pa­renté entre ces exemples graphi­ques dus à Saul Bass et certains "cartoons" modernes est évident. Bass a ses prosélytes en Europe et Robert Benayoun, plaisantant dans son livre consacré au cinéma d'ani­mation sur le génie fantaisiste du dessinateur, a écrit que "mainte­nant l'on attend impatiemment le jour où Preminger, Hitchcock, Wil­liam Wyler filmeront le générique d'un long métrage de Saul Bass". (1 )

( 1 ) R. Benayoun, Le Dessin animé après Walt Disney, éd. J.J. Pau-vert, p. 41.

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