Pierre Michel, "Octave Mirbeau et Léon Werth"

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    PIERRE M I C H E L

    OCTAVE MIRBEAU

    ET

    LON WERTH

    Socit Octave Mirbeau

    Angers - 2007

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    UNE RELATION DE TOTALE CONFIANCE

    Nous ignorons prcisment quand ils se sont rencontrs pour la

    premire fois. Mais Lon Werth faisait partie de ces jeunes intellectuelsnon conformistes et passionns dart qui, tels Francis Jourdain et GeorgeBesson, voyaient dans le vieil crivain prmaturment us, sinon unmatre penser, ce quoi il na bien videmment jamais prtendu, dumoins un exemple suivre, voire un modle, tant sur le plan de lcritureque sur celui de lengagement, o les exigences thiques et esthtiquessont indissociables. Et il nest donc pas tonnant quil soit spontanmentall, comme tant dautres, lui rendre visite, sinon hommage, mais en touteindpendance : Je ne mtais jamais cherch un matre , dira Werth2.

    Quoi quil en soit des dbuts de leur amiti, elle a t demblesolide et dfinitive, et les signes dadmiration rciproque se sontmultiplis. Mais cela ne signifie pas pour autant quentre ces deuxcaractres bien tremps et forts en gueule il ny ait jamais eu dedsaccords : avec un Mirbeau, qui joue bien souvent au provocateur,histoire de tester ses interlocuteurs ou daccoucher les esprits, et unWerth plutt ombrageux, qui prend facilement la mouche et se piquedintransigeance, au risque de braquer ses meilleurs amis, la discussion nepouvait tre que permanente, mais comme elle doit ltre entre deuxlibres esprits, moustills par la confrontation intellectuelle et qui nont

    que du dgot pour la vile complaisance. Comme le note George Besson,ces charmantes querelles [...] se terminaient par une exclamationaffectueuse ou par un reproche boudeur de Mirbeau, devenu compagnonraisonnable : Cest tonnant, mon petit Werth, comme vous aimezlexagration3 .

    Dans lhistoire des relations entre les deux amis, trois pisodesmritent dtre rappels : leur collaboration pour achever Dingo, la batailledu prix Goncourt 1913 et laffaire du faux Testament politique deMirbeau.

    La collaboration pourDingo

    Depuis 1905 et le terrible coup de poing de la vieillesse quil a reu sur la tte4, surtout depuis lt 1908, o il a bien failli passerlarme gauche , comme il le confie au grand dieu de son curAuguste Rodin5, et jusqu son dcs dans son pied--terre de la rueBeaujon, en fvrier 1917, Mirbeau a continuellement des ennuis de sant,

    2 Dans le n 2 des Cahiers daujourdhui (fvrier 1913).3 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 91.4 Lettre Gustave Geffroy du 8 juillet 1905, Archives de lAcadmie Goncourt, Nancy.5 Octave Mirbeau, Correspondance avec Rodin, Tusson, ditions du Lrot, 1988, p. 232.

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    qui vont saggravant au fil des ans. Les priodes pendant lesquelles ildispose de lintgralit de ses capacits, par exemple pendant lespremiers mois de 1910, o il collabore Paris-Journal, se font rares etapparaissent comme de simples rpits, entre des phases, toujours plus

    longues et plus nombreuses, o il semble amorphe, incapable mme detracer des lettres ce quil appelle de lagraphie et vou une viecontemplative face aux parterres de fleurs et aux uvres dart dont il a susentourer. Pour le vieux lutteur, particulirement douloureuse est laconviction croissante de ntre plus bon grand-chose et, dacteur majeurquil tait dans la vie littraire, artistique et politique, den tre rduit aurle de spectateur passif. Pour un crivain qui, au sortir de lprouvantebataille du Foyer (1908), continue de caresser tout plein de projetsromanesques et thtraux, cette impression davoir perdu jusqu lacapacit dcrire apparat comme la plus angoissante des mutilations. Oncomprend quil aime sentourer de jeunes amis pleins de ferveur et toutprts assurer le relais.

    On comprend aussi que le vieux lion fatigu, dcidment en peine depoursuivre ses inlassables combats contre les grimaciers des lettres et desarts et les forbans de la politique et de la finance, ait song faire dunchien mythique, qui le changera des hommes6 , son substitut pourpoursuivre son uvre de justicier et de vengeur des opprims. Ce sera lerle dvolu Dingo, le hros ponyme du roman auquel Mirbeau acommenc travailler en 1908 : Tel matre, tel chien , observe

    justement le notaire Anselme Joliton7, avant de prendre la poudredescampette avec les conomies de ses clients, comme il se doit pourtout notaire mirbellien. Ce chien suprieurement intelligent8, dans lequelse mire le romancier, et auquel il prte instinctivement ses pensessecrtes, ses dsirs, ses aspirations, ses inquitudes, ses tares , commelcrit lanarchiste Victor Mric9, ce chien qui est limage-miroir de sonme , selon Reginald Carr10, loin de ntre quun vulgaire ornement desalon ou quune consolation pour mes esseules, devient le dmystificateur, celui qui, comme la Clestine duJournal dune femme

    de chambre, lve les masques11

    .

    6 Octave Mirbeau, lettre Francis Jourdain, Cahiers d'aujourd'hui, n 9, 1922, p. 179.7 Octave Mirbeau, Dingo, chapitre V (uvre romanesque de Mirbeau, Buchet/Chastel Socit Octave

    Mirbeau, 2001, t. III, p. 717).8 Samuel Lair crit ce propos : Loin de se dresser lun contre lautre, linstinct enfante lintelligence,

    et les forces dionysiaques contenues dans la personnalit du chien se concilient harmonieusement avec lafinesse apollinienne (Mirbeau et le mythe de la nature, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p. 346).

    9 Victor Mric, compte rendu deDingo,La Guerre sociale, 25 juin 1913.10 Reginald Carr, Anarchism in France - The Case of Octave Mirbeau, Manchester University Press,

    1977, p. 150.11 Pierre Dufief, Le Monde animal dans luvre dOctave Mirbeau , in Octave Mirbeau, Actes ducolloque dAngers, Presses de lUniversit dAngers, 1992, p. 282.

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    Las ! Pour que le vengeur masqu en canid puisse accomplir samission, encore faudrait-il que son pre de plume pt mener bien sapropre tche. Or il sen rvle bien incapable. Cela ne l'empche pas dedclarer avec aplomb Georges Pioch, en aot 1911 : Dingo est

    compltement achev. Mais il faut que je le revoie, et, pour cela, il n'estqu'une bonne manire : le recopier. Tel qu'il est actuellement, il ferait 600pages. C'est beaucoup trop12. En ralit, il n'a crit, au plus, que 52feuillets qui sont, il est vrai, d'une criture extrmement serre, commes'il lui fallait tout prix conomiser le papier. Il en est donc rduit recourir un ngre, des conditions financires que nous ignorons. Et,tout naturellement, il choisit, pour cette tche de haute confiance, le plusfidle de ses jeunes amis, Lon Werth, qui est, selon lui un fauve , avec des jarrets de fauve e t des yeux et des dents de fauve13 .Autrement dit, un alter ego de Dingo, ou de Mirbeau lui-mme : le chiensauvage, qui refuse obstinment de se laisser domestiquer, tout endbordant de tendresse pour quelques spcimens dhumains choisis aveccirconspection, est bien un trait dunion entre les deux hommes, auxquelsil ressemble comme un frre.. Werth s'installe donc, en juin et juillet 1912, dans la maison deCheverchemont, Triel-sur-Seine : Werth travaille trs rgulirement. Ilcroit qu'il va prendre got ce sport, crit Alice Mirbeau GeorgeBesson, dbut juillet14. Et, quelques jours plus tard, le 16 : Lon Werthest toujours avec nous ; il travaille avec une rgularit tonnante15 . A-t-il

    pour autant achev sa part de labeur avant d'aller passer le mois d'aot1912 Carantec, dans le Finistre, ou bien a-t-il d, au cours del'automne, peaufiner avec son hte la version dfinitive ? Nous l'ignorons.Quoi qu'il en soit, aprs en avoir, en octobre, pr-publi deux fragmentsdans les Cahiers d'aujourd'hui de l'ami George Besson, c'est seulement le20 fvrier 1913 que commence la parution en feuilleton dans les colonnesdu Journal. Elle durera jusqu'au 8 avril. Cest cet pisode qui a valu Werth lappellation de secrtaire de Mirbeau , sans quil soit possible deprciser si, outre la mise au net de Dingo, il sest galement occup de

    rdiger pour son employeur dautres textes, intimes ou daffaires,comme cest en principe la fonction dun secrtaire particulier : cest uneexprience avilissante que Mirbeau, prcisment, a bien connue lors deses dbuts16 et quil a voque dans un roman inachev et posthume, enforme de confession tardive, Un gentilhomme17. Mais cest extrmement

    12Interview dOctave Mirbeau par Georges Pioch, Gil Blas, 11 aot 1911.13 Prface de Mirbeau La Maison Blanche (Gil Blas, 21 novembre 1913).14 Archives Jacqueline George-Besson.15Ibidem.16 Il a t le secrtaire particulier dHenri Dugu de la Fauconnerie, directeur de LOrdre de Paris, et

    dArthur Meyer, directeur du Gaulois.17 Roman recueilli dans le tome III de luvre romanesque de Mirbeau, et aussi accessible gratuitementsur le site Internet des ditions du Boucher (http://www.leboucher.com/).

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    http://www.leboucher.com/http://www.leboucher.com/http://www.leboucher.com/
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    douteux, car Werth travaillait en mme temps La Maison Blanche, et onvoit mal comment il aurait pu assumer de surcrot les tches de secrtaire.Mais, sil est probable quil na pas eu faire le domestique en tant quesecrtaire18, il a bel et bien fait le ngre.

    Mirbeau ayant commenc sa carrire littraire comme ngre19

    , onpourrait avoir limpression que la boucle est boucle : de ngre, serait-ildonc devenu ngrier ? La ngritude rsultant de la rencontre, sur lemarch des cervelles humaines, dun professionnel de la plume en qutede ressources pour assurer sa subsistance et dun amateur soucieux de seconstruire bon compte une petite rputation dans le monde des lettres,on pourrait en conclure que Mirbeau, devenu riche et clbre, sestcontent dintervertir les rles assums lors de ses dbuts dcrivailleurpauvre et obscur. Mais les choses ici sont en ralit plus complexes, pourune raison essentielle. En principe, le ngre est condamn par contrat rester dans lombre, et un personnage de Mirbeau, dans un conte de 1882,symptomatiquement intitul Un rat , se plaint de ne pouvoir proclamersa paternit sur telle pice, tel roman ou tel livre dhistoire publis sous lenom du ngrier, sous peine de passer pour un fou ou pour un voleur 20.Or, en loccurrence, cest linverse qui se passe : Mirbeau proclame urbi etorbi que son ngre lui a rendu un minent service en achevant un livredcidment au-dessus de ses forces, et Werth, loin de se sentir exploit etpriv de sa lgitime paternit comme le rat du conte, nomm JacquesSorel, manifeste sa reconnaissance son an : Mirbeau qui, cette

    poque, ne pouvait plus ni composer, ni crire, me demanda amicalementde terminer le livre , expliquera Werth, le 1er mars 1935, aucollectionneur acqureur du manuscrit complet de Dingo21. Et de prciser,le 14 novembre 1949 : Dingo, inachev, ne pouvait paratre. J'en crivis,de toutes picesles dernires pages. Je m'efforai de faire du Mirbeau quine ft point pastiche, qui ne ft point la manire de.... et de renoncer tout trait, tout accent, qui me ft personnel. Je le fis avec joie, parce quej'aimais Mirbeau. J'aurais eu pudeur faire allusion cela, si Mirbeau,cinquante fois, devant des tiers, n'avait proclam cette attribution

    d'origine et rendu public ce que j'avais fait pour lui. Plus exactement, lapreuve d'amiti que je lui avais donne22. De son ct, George Besson

    18 Dans Un gentilhomme, Mirbeau assimile la condition des secrtaires particuliers celle desdomestiques, mais en pire, et aussi celle des prostitues. Voir luvre romanesque de Mirbeau, loc. cit., t. III,pp. 889-890.

    19 Voir nos articles Quand Mirbeau faisait le ngre , dans les Actes du Colloque Octave Mirbeau duPrieur Saint-Michel de Crouttes, ditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 81-101, et Quelques rflexions sur langritude , Cahiers Octave Mirbeau, n 12, 2005, pp. 4-34. Jai publi cinq de ces romans rdigs commengre en annexe des trois volumes de mon dition critique de luvre romanesque de Mirbeau,Buchet/Chastel - Socit Octave Mirbeau, 2000-2001.

    20 Un rat , Paris-Journal, 1882. Recueilli dans notre dition des Contes cruels, Librairie Sguier,

    1990, et Les Belles Lettres, 2000, t. II , p. 426.21 Ancienne collection Daniel Sickles.22 Archives Claude Werth.

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    confirmera ds 1923 que Mirbeau disait Paris, emport par satendresse et son admiration : Werth a beaucoup plus de talent que moi,il a critDingo. Ctait une boutade de ce merveilleux homme. Werthseul, dailleurs, il appartient de dterminer sa part de collaboration avec

    Mirbeau en 191223

    . Il ne sagit donc en aucune faon dune relation marchande entre uncapitaliste honni et un de ces proltaires de lettres [...] venus labataille sociale avec leur seul outil de la plume et que Mirbeau appelait

    jadis serrer leurs rangs et [] poursuivre sans trve leursrevendications contre les reprsentants de linfme capital littraire24 .Mais dun service rciproque et quitable quils se rendaient par pureamiti : le jeune permettait la publication de la dernire uvre du matre,qui, en change, outre les gratifications sonnantes et trbuchantes quenous ne saurions valuer, mettait son successeur je nose dire lve le pied ltrier et le cornaquait dans le monde des lettresavec une telle efficacit quil a t deux doigts de lui conqurir de hautelutte le prix Goncourt 1913, nous y reviendrons. Mais son rle ne sestmanifestement pas limit promouvoir luvre future de son protg,comme il a lanc Marguerite Audoux trois ans auparavant. Car, en luiproposant de prendre sa suite, sous sa direction, il lui a aussi servi de mentor, comme le qualifie justement Gilles Heur (p. 24), ou, pourparler en termes sportifs, dentraneur. Car la ngritude nest passeulement une transaction : pour lcrivain dbutant, elle constitue aussi

    un entranement indispensable avant de se lancer dans la bataillelittraire sous son propre nom, linstar dun sportif professionnel avantde sengager dans des comptitions de haut niveau. Elle lui permet defaire vritablement ses armes en mme temps que ses preuves, et loncomprend aisment que, sous la houlette dun tel matre, Werth nait euqu se louer de dbuts littraires qui ne sont pas passs inaperus et quiont contribu son apprentissage du mtier.

    Reste dterminer sa part. Plus encore que les prcisions de Werth,sollicites par George Besson, et quil na dailleurs pas jug bon

    dapporter, cest ltude des deux manuscrits autographes qui permet dedterminer ce qui revient chacun des co-auteurs. Le premier manuscritest conserv dans les archives du Dr. Claude Werth : entirement de lamain de Mirbeau, il est incomplet et ne comprend que 52 feuillets, plusquelques variantes sur des feuilles de brouillon. Le deuxime, destin l'impression, faisait partie de la collection Daniel Sickles et a t vendu le9 novembre 1990 : achev par Lon Werth, il est complet et comprend158 feuillets, dont 108 seulement sont de la main de Mirbeau (notammentles pages 1 99). Si lon se rfre au texte publi, il apparat que Werth a

    23 Cit par Gilles Heur, op. cit., pp. 91-92.24 DansLes Grimaces du 15 dcembre 1883.

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    pris le relais au milieu du chapitre VIII et a rdig seul les cinq dernierschapitres. Soit environ 77 pages de mon dition Buchet/Chastel sur untotal de 219. Compte tenu du fait quil a emprunt quelques pages Mirbeau il a insr, dans les dernires pages , de larges extraits d'un

    conte, Un zbre , et sest inspir troitement d'une chronique, Sur lesanimaux , on peut valuer sa part un tiers de lensemble. Il convienttoutefois de prciser quil na pas dispos dune totale libert, loin senfaut, et quil a rdig ces pages sous les directives de son mentor. Cela estparticulirement vident pour le dernier chapitre, consacr lagonie et la mort de Dingo, prcdes dun accident de voiture dAlice Mirbeau, ole rcit colle parfaitement la ralit historique telle quon peut lareconstituer partir des nombreuses lettres de Mirbeau lors de ces deuxpreuves successives, en octobre 1901. Werth sest visiblement contentde couler en phrases les souvenirs que Mirbeau, toujours en deuil de sonchien, devait grener inlassablement, moins quil ne lui ait carrmentdict des passages entiers.

    Si lon examine maintenant lcriture de ces chapitres, il me sembleque lon peut faire deux constats, qui mriteraient dtre affins par unetude approfondie : les points de suspension, si caractristiques delcriture mirbellienne au point de constituer un signe de reconnaissance,y sont sensiblement moins nombreux que dans la premire partie duroman, et ont mme quasiment disparu des squences narratives25 ; etlon ny trouve plus les formules frappantes, typiquement mirbelliennes,

    qui foisonnent dans les premiers chapitres et auxquelles Werth recourraabondamment quand il signera sa copie. Songeait-il se les rserver desfins personnelles ? Quoi quil en soit, mme sil sest efforc dcrire lamanire de Mirbeau, mais sans le caricaturer comme lont fait Reboux etMuller deux ans plus tt pour la plus grande jubilation de leurs lecteurs26,Werth, dans sa part du roman commun, ne me semble pas encore tout fait la hauteur de son associ. Mais cela est ais expliquer : il est clairque, nonobstant son amiti pour son commanditaire, son implication nesaurait tre la mme que lorsquil entreprend de rdiger, pour son

    compte, cette fois, un rcit largement autobiographique, La MaisonBlanche. Or cest prcisment au cours de son sjour chez Mirbeau, Triel, quil en entreprend paralllement la rdaction.

    La Maison Blanche et le prix Goncourt 1913

    Il sagit dun rcit trs largement autobiographique, paru chezFasquelle en novembre 1913. Lon Werth y raconte une hospitalisation dedeux mois, en octobre-novembre 1911, dans la clinique du Dr. Gosset la

    25 On en trouve fort peu aussi dansLa Maison Blanche, que Werth rdige paralllement.26 Paul Reboux et Charles Muller, la manire de, Grasset, 1910. La parodie de Mirbeau est intitule Pour les pauvres (pp. 7-24).

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    Maison Blanche du titre , pour une otite dangereusement aggrave, etlaccoutumance du malade son tat, source de plaisirs nouveaux et dedcouvertes qui bouleversent sa perception des tres et des choses, telpoint quil est tout dsempar quand il est condamn retrouver la libert

    en mme temps que la sant. Comme Mirbeau quand il crivait LAbbJules, le romancier dbutant se lance sans plan prtabli, au fil de laplume, sans trop savoir o il va ni avoir la moindre ide de ce que cela peut valoir, voquer, signifier, comme il lcrit Valery Larbaud27. Habitude de travail qui, bien que pas encore trs enracine28 , estintressante noter, car celle a bien une signification, mme sil prtendde pas en avoir une claire conscience : elle implique en effet que, commeMirbeau, il refuse trois ingrdients propres au roman traditionnel : unestructuration du rcit, qui laisserait croire une finalit inhrente auxchoses ; un formatage pr-tabli, o la vie se trouveraitmalencontreusement emprisonne ; et un sens pralable lcriture,comme si luvre nexistait que pour lillustrer, et comme si luniverspouvait avoir un sens et une finalit que le roman ne ferait que rendresensible. Aussi totalement matrialiste que Mirbeau, aussi rfractaire tout finalisme, Werth adapte lui aussi son systme narratif sesprsupposs philosophiques.

    Deux autres points communs avec son grand an sont relever.Tout dabord, il sappuie lui aussi sur une exprience qui la transform29,car il a, crit Gilles Heur, la conviction que toute ide ou toute morale

    doit se fonder sur lexprience30. Cela suffirait dj les distinguer desnaturalistes qui, linstar de Zola, accordent aux documents humains etaux petits faits vrais, une confiance que nos deux complices nepartagent pas. Ensuite, il cherche nous faire dcouvrir les choses sousun jour nouveau : linstar de la femme de chambre Clestine, qui nousfaisait pntrer dans les sentines des classes dominantes et dans lescoulisses du theatrum mundi, ici cest la maladie qui sert de rvlateur,aux lecteurs autant quau personnage : en bouleversant toutes leurshabitudes, elle constitue une exprience qui, pour tre apparemment

    banale, nen a pas moins une porte existentielle quand elle permet unedistance par rapport aux choses et par rapport soi-mme Gilles Heurparle mme de ddoublement (p. 56) et quelle donne lieu unerflexion susceptible de nous changer en profondeur. Elle rend possible ceque Mirbeau appelle un voyage de dcouverte dans la vie31 , non dansla vie rve telle que la vhicule une littrature dvasion ad usum populi

    27 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 55.28 Lettre de Lon Werth Valery Larbaud (ibidem).29 Il en ira de mme de deux autres expriences qui lont aussi transform : celle de la guerre, do il tire

    Clavel soldatet Clavel chez les majors (1919), et son voyage en Indochine, do il ramne Cochinchine (1926).30 Gilles Heur, op. cit., p. 9. Il ajoute : Aucune grande ide gnrale nest selon lui recevable si elle nesadosse lexprience humaine concrte et palpable. 31 Dans sa prface La Maison Blanche (loc. cit.).

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    aussi bien que des uvres rares lusage desthtes quintessencis, maisla vraie vie, celle laquelle sont confronts violemment etbrutalement de pauvre|s] homme[s] daujourdhui tels que LonWerth32.

    Conscient davoir pass le relais son successeur, Mirbeau vasemployer pour lui, comme il la toujours fait pour ceux qui avaient su letoucher : Maurice Maeterlinck, Remy de Gourmont, Ernest La Jeunesse,Charles-Louis Philippe, Sacha Guitry et Marguerite Audoux. Non content delui avoir fourni un diteur de prestige, Fasquelle, auprs duquel il estintervenu efficacement au dbut de lt 1913, il rdige une brve prfacequi a pour objet, non de dflorer le sujet du roman, quil ne laisse quevaguement entrevoir, mais de donner envie de le lire et de mettre sonauteur sur orbite en soulignant tout ce qui le distingue radicalement deslittrateurs et autres gendelettres postures et prtentions : Werth estun homme libre, aussi libre quun dingo allergique la domestication, etun homme vrai, vivant dans la vraie vie, et non dans le monde thr etfaux de ces psychologues scalpel pour mondaines pmes33 et de cespotes dliquescents pour crmires neurasthniques que Mirbeau nacess de tourner en drision.

    Prface deLa Maison Blanche

    Lon Werth celui-l, je nai pas le prendre par la main et le prsenter

    comme on prsente une jeune fille qui dbute dans le monde. La Maison blanche est son premier livre. Mais Lon Werth sest depuis

    longtemps prsent lui-mme.Il a parl des peintres que nous aimons34 il a parl des peintres que nous

    naimons pas et son intelligence est si claire quelle lana comme une projection de lumire sur les hommes et sur les uvres. Pourrions-nousdsormais oublier le mouvement de sa phrase, la sonorit et laccent de sa voix ?

    Son uvre se mesure aujourdhui la puissance de haine et lardeurdenthousiasme quil a su provoquer.

    Il sait ma tendresse fraternelle. Avec la ferveur qui fait treindre un compagnontrs cher, la veille dun premier dpart, je voudrais dire seulement quelle envie,quelle joie de vivre, il a su me donner. lpoque o je rencontrais encore ce ministre qui me fait regretter de ntre

    pas gendarme, cette grande dame qui me fait regretter de ntre pas gavroche, cetcrivain qui me fait regretter davoir essay dcrire, japerois parfois, devant la

    32Ibidem. Sur linfluence de Mirbeau sur ce roman, voir larticle de Claude Herzfeld, La Vervemirbellienne de Lon Werth , Cahiers Octave Mirbeau, n 11, 2004, pp. 159-166.

    33 Mirbeau sest souventes fois moqu des prtentions grotesques de Paul Bourget, qui se vantait de fairede la psychologie au scalpel, notamment dans sa srie de dialogues publis dans Le Journal pendant

    lautomne 1897 sous le titre Chez lIllustre crivain.34 Dans le Gil Blas, La Phalange et les Cahiers daujourdhui. Parmi les peintres que nous aimons figurent au premier rang Claude Monet, Pierre Bonnard, douard Vuillard et Flix Vallotton.

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    gare Saint-Lazare, un trimardeur qui, las du chantier o le travail est toujours lemme, contemplait avec toute lardeur dune inlassable esprance un paquebot chemine rouge qui fumait surune affiche bleue.Lon Werth, non plus, naime pas les chantiers, il svade toujours avant que le

    contrematre nait sorti sa montre et son sifflet et son carnet de paye. Il sembteavec vous et sen va en voyage ; je pars souvent avec lui. Il na pas besoin dallerloin pour senrichir et pour nous enrichir. Il ne joue pas de la dolente musiquedes ailleurs et des autrefois, il nest pas le pote quaiment les fruitires de rveet les crmires neurasthniques, il est violemment, il est brutalement un pauvrehomme daujourdhui

    Une de ses dernires tapes fut une chambre dhpital, o la maladie lavaitconduit. Ce voyage, avec quel accent il nous le conte ! Nous savons maintenantquels autres livres nous pouvons attendre : fermes, rudes, riches et gnreux.Avec ses yeux doux et froces, Lon Werth est un fauve. Il a besoin dagir, il a

    du sang et de la race. Pour le tenir en cage, il vous faudrait dabord lattirer avecune belle proie, mais il ne flaire pas vos cadavres, il ne saute pas comme une

    grenouille sur le ruban rouge, ni comme un brochet sur une cuiller dargent. Ilsaute par-dessus les piges parce quil a des jarrets de fauve comme il a des yeuxet des dents de fauve.

    On serait intimid parfois si, brusquement, on ne dcouvrait sur lchinecambre ce petit frisson multipli qui trahit sa sensibilit. Car il est tendre aurepos lorsquon ne le regarde pas en dessous pour lui offrir du sucre.Il est tendre et sa tendresse est dune qualit que nous ne connaissons plus,

    puisque nous ne connaissons que des animaux domestiques. Elle est discrte, et ilfaut tre seul avec Lon Werth, en voyage, pour en sentir la chaleur et la gravedouceur.En voyage ? Oui voyage dans une chambre de La Maison Blanche, voyage de

    dcouverte dans la vie35.Octave Mirbeau

    Il lui reste maintenant se battre pour que, plus heureux queMarguerite Audoux en 191036, Werth obtienne, en guise de couronnement,

    le prix Goncourt qui lui apporterait la clbrit en mme temps quil lemettrait labri du besoin. Mais prilleuse est lentreprise : dune part, laconcurrence est rude (sur les rangs, on trouve Le Grand Meaulnes, dAlain-Fournier, Barnabooth, de Valery Larbaud, pour qui Mirbeau a dj vot,sans le connatre, lors du prix Goncourt 1908, Du ct de chez Swann, deProust, etJean Barois, de Martin du Gard, excusez du peu, sans parler deGaston Roupnel et de Georges Pioch, autre admirateur de Mirbeau) ; et,dautre part, notre justicier des lettres est le plus souvent minoritaire ausein de lacadmie et ses collgues se mfient de ses coups de cur et de

    35Gil Blas, 21 novembre 1913.36 Elle navait aucune chance dobtenir le prix Goncourt, car le prix Femina lui a t accorde unesemaine plus tt.

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    ses coups de gueule. Il semploie donc les amadouer et les travailler aucorps, que ce soit en particulier37, ou lors des runions mensuelles, ouencore par le truchement de la presse, en leur vantant le volume dunefaon telle quil ait quelques chances dtre entendu : Sil y a jamais eu

    candidat selon le vu des Goncourt, cest Werth. Jaime sa penseoriginale, son style nerveux, son amour pour tout ce qui vit, les plantes,les btes, les gens eux-mmes, et Goncourt laurait choisi cause de sonindpendance absolue et de la dignit de sa vie38. La fidlit aux vuxet aux valeurs dEdmond de Goncourt, lamour de la nature, loriginalitdun auteur qui refuse la littrature de consommation base daventureset de romances, voil qui ne devrait pas faire de vagues parmi les dix

    jurs. Mais, si ncessaire que soient ces prcautions, elles ne sont passuffisantes, car chacun a ses poulains, et la gauche de lacadmie estdivise : Gustave Geffroy soutient Georges Pioch aux deux premiers tours,Lucien Descaves commence par voter pour Alain-Fournier, avant de serallier au Peuple de la mer de Marc Elder, expliquant aprs coup quilaurait pu voter pour Lon Werth , mais quil dteste voler au secoursde la victoire lorsquil y a bataille39 ... On sait quil ne faudra pas moins deonze tours pour aboutir un dnouement totalement imprvisible, auterme dun long suspens et de multiples rebondissements, qui ont vuWerth se retrouver un moment en tte avec cinq voix : le couronnementdun outsider nantais, Marc Elder. Chose curieuse : Marc Elder vient defaire paratre une premire tude enthousiaste sur Octave Mirbeau ,

    dans La Grande Revue, le 25 mai 1913, et, sans rancune, il la dvelopperalanne suivante dans un volume intitul Deux essais : Octave Mirbeau etRomain Rolland...

    Laffaire du faux Testament politique dOctave Mirbeau

    Lorsque arrive la guerre, pour tous les pacifistes, pour tous ceux qui,comme Mirbeau, avaient plaid, contre tous les revanchards, pour larconciliation et pour lamiti entre les peuples dAllemagne et de France,

    la dsillusion est terrible. Car, si pessimiste quil ait toujours t, Mirbeaustait depuis longtemps persuad que lquilibre de la terreur, rsultantde la mise au point darmes de plus en plus sophistiques40, et plus encoreles mobilisations toujours plus massives en cas de guerre, dont

    37 Alice Mirbeau crit Gustave Geffroy, lui-mme crit Lon Hennique, et il invite Rosny jeune rencontrer Werth chez lui, ce qui sest rvl fort utile.

    38Interview dOctave Mirbeau dansLHumanit du 27 novembre 1913.39 Lucien Descaves, Souvenirs dun ours, Les ditions de Paris, 1946, p. 242.40 Dans Nous avons un fusil (Le Journal, 22 avril 1894, Mirbeau crivait : Les prparatifs dune

    guerre quon attend toujours et qui ne vient jamais ont ceci dirrsistiblement comique quils rendent la guerre

    dsormais impossible. Pour faire la guerre, il faut des armes [...], et nous nen avons pas, faute den tropavoir. Et, le 10 juin 1894 (dans Philosophe sans le savoir ) : Si cette folie [darmement] doit nous garantirla paix, considrons-la comme un bien.

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    lintendance serait trop difficile assurer, auraient du moins pouravantage de rendre, sinon carrment impossible, du moins peu durable unaffrontement entre les grandes puissances imprialistes. Il sestlourdement tromp. Dj bien diminu physiquement, il est dsormais

    effondr, et tout ce quil apprend sur les incessants massacres dinnocentsSbastien Roch et sur les monstrueuses conditions de vie imposes aubtail humain dans les tranches le blesse continuellement, comme silsagissait de ses frres et amis. Son grand cur sensible et tendre necesse de saigner, il est obnubil par les horreurs et la tragique absurditde la boucherie et ne peut en dtacher sa pense. Lui quon accusaittoujours dexagrer cest bien commode ! dcouvre ave stupeur que laralit est mille fois pire encore que tout ce quil avait cru imaginer deplus horrifique. Sans msestimer les causes profondes du conflit entreimprialismes concurrents, dont il avait juste titre dnonc la course auxarmements, il est sans doute convaincu, comme Werth lui-mme etcomme tant dautres de leurs compagnons, que cette guerre monstrueusersulte bien, dans limmdiat, dune agression allemande, puisque cestbien larme du Kaiser qui a envahi la Belgique et la France, le 4 aot1914. Peut-tre mme, comme Clavel, se dit-il que les responsablespolitiques et syndicaux savent ce quils font en nappelant pas sopposer la mobilisation et quil ny a donc rien de plus faire. Nous ne saurons

    jamais exactement, faute de traces crites, comment il a interprt lesvnements, si tant est quil ait alors t intellectuellement en tat de se

    faire une opinion rflchie. Mais ce qui est sr, cest quil a refus departiciper lhroque littrature des embusqus, toujours prts glorifier les sacrifices des autres en phrases bien ronflantes et en vers biencalibrs41. Il y a quelque chose de pathtique dans leffacement dunhomme la parole tonitruante, qui sest si longtemps battu pour desvaleurs essentielles sa vie et qui se retrouve condamn au silence aumoment o ces valeurs sont bafoues bien au-del de tout ce que lonpouvait craindre de pire. Spectateur prostr et impuissant, il finit parsteindre, au terme de ce qui apparat ses rares visiteurs comme une

    interminable agonie, le 16 fvrier 1917, le jour de ses 69 ans. DaprsLon Deffoux, ses derniers mots auraient t : Est-ce que a finirabientt42 ?

    Trois jours plus tard, Le Petit Parisien, quotidien populaire etardemment belliciste, pour lequel il navait toujours manifest que dumpris, .publie un texte qui fait leffet dune bombe : il est intitulpompeusement Testament politique dOctave Mirbeau . en croire ce

    41 Lon Werth se demande si certains bourgeois nauraient pas besoin de la guerre pour lhrosme,comme il leur faut des pauvres pour leur salut, formule tout fait mirbellienne (Clavel chez les majors,

    Viviane Hamy, janvier 2006, p. 125).42 Lon Deffoux, Octave Mirbeau ou le bel incendie , La Caravane, mars 1937. Selon Sacha Guitry,Mirbeau lui aurait murmur : Ne collaborez jamais !

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    document sidrant, le grand crivain aurait reni son antipatriotisme detoujours et appellerait tout sacrifier la France . videmment, sesennemis ne manquent pas de se rjouir de ce qui est, leurs yeux, uneultime palinodie, suffisante pour discrditer rtroactivement tous ses

    combats passs. Quant tous ses anciens amis, convertis la bien-pensance patriotique, ils sont bien soulags dtre rejoints dans leurreniement par le plus illustre des crivains de lpoque : leur consciencepeut sapaiser bon compte. Mais ses derniers vritables amis, eux, sontconsterns et sceptiques.

    Lon Werth est lun des rares, avec George Besson, Francis Jourdainet Georges Pioch, proclamer en priv faute de pouvoir le faire enpublic, son article de rfutation ayant t refus quil sagit dun fauxpatriotique de la mme farine que ceux concocts, vingt ans plus tt, parle colonel Henry pour mieux accabler linnocent Dreyfus. Mais enloccurrence, ce nest pas un de ces mirlitaires au front bas et prts toutes les canailleries qui la perptr, avec la complicit dAlice Mirbeau,et sans doute sa demande, mais un ancien socialiste dextrme gauche,un antimilitariste qui avait pay son engagement de plusieurs annes deprison et qui Mirbeau avait alors apport son soutien, malgr sesprventions avoues Francis Jourdain43 : le rengat Gustave Herv44,devenu patriote tous crins, et quAlice chargera de prononcer, sur latombe dOctave, un discours qui donnera lieu quelques hues et qui ferafuir les vritables amis du dfunt. Mais lagrg dhistoire sest rvl

    aussi maladroit que lofficier flon, et Werth, mu en Sherlock Holmes,relve impitoyablement tous les indices du faux. Pour justifier saconclusion, il se livre une analyse du texte et sappuie sur ce quilconnat de lhomme Mirbeau, de son caractre, de ses valeurs et de soncriture, pour en conclure que ce document qui lui a t abusivementattribu par sa veuve ne porte en aucune faon sa marque.

    Tout dabord, il est frapp par lincertitude du langage etlhsitation de la syntaxe , et il en relve deux exemples frappants. Ledeuxime paragraphe du pseudo-testament : Durant quarante ans je

    me suis efforc de dmasquer chez les tres le crime et le mensonge,quarante ans de lutte pour aboutir au plus grand crime de lhistoire dumonde, la monstrueuse agression de lAllemagne. Comme sil y avait unrapport de cause effet entre ses quarante annes de lutte et lagressionallemande... Un peu plus loin, le rdacteur emploie deux fois le motdpart dans des acceptions diffrentes : Ne nous laissons jamaisdistraire de ce dpart [entre la France et lAllemagne] et si nousvoulons que la victoire soit le dpart dune humanit meilleure . Ce quioblige, conclut Werth avec humour, faire le dpart de la langue de La

    43 Il crit en effet Francis Jourdain, en 1911 : [...] Herv qui, par quelques cts, mestantipathique [...] , Cahiers daujourdhui, n 9, 1922, p. 180).44 Il crera par la suite un parti pro-nazi et appellera ds 1932 le marchal Ptain comme sauveur suprme.

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    628-E8 et de la langue du Testament politique. quoi il conviendraitdajouter lhorrifique malgr que inaugural, que Mirbeau ne se seraitvidemment jamais autoris perptrer.

    Ensuite, Werth est choqu par la tonalit gnrale du texte, qui est

    totalement incompatible avec les habitudes du grand crivain. Il ny voitquun assemblage de clichs de journalisme : par exemple loppositiongrotesque entre lAllemagne, qui a pris position dans le crime , et laFrance, qui a pris position dans le bien , hyper-manichisme totalementtranger lesprit mirbellien ; ou laffirmation que nous, les Franais,malgr des faiblesses individuelles, collectivement nous avons fait preuve dune me magnifique, ce qui est totalement contraire lindividualisme farouche de Mirbeau, totalement rfractaire toutcollectivisme et qui voyait dans les foules une dangereuse et mortifreirresponsabilit collective45 ; ou encore cette ide, si barbarementexprime, que les patries [...] nous ont dcouvert leurs bases morales ce qui, soit dit en passant, rhabiliterait lagression allemande au nomdun patriotisme dot de bases morales ... Autant de stupidits qui, serjouit Werth, sont sans force contre .Le Calvaire etSbastien Roch .

    Et puis, Mirbeau aurait-il pu se targuer sans rire davoir traqu lecrime et le mensonge , doffrir ses dernires penses pour accomplir [son] suprme devoir envers {son] pays , ou, pire encore, de trouver dans un pays ce quil demandait autrefois un parti . Comme siMirbeau, si hostile tous les politiciens et si rfractaire tout

    embrigadement partidaire, avait jamais attendu quoi que ce soit dunparti, ft-il socialiste ! En novembre 1904, il avait justement quittLHumanit de Jaurs o tout tait sacrifi la construction du nouveauparti socialiste unifi46, et en 1912 il avait reproch George Besson etpeut-tre aussi Lon Werth son adhsion la S.F.I.O.. Cette phraseconstitue un vritable aveu de Gustave Herv, qui a men tous sesanciens combats antimilitaristes au sein du parti de Jaurs mais Werthne semble pas lavoir relev, du moins dans le texte manuscrit que nousconnaissons. En tout cas, ses yeux, cest vraiment ne rien connatre

    lauteur de LAbb Jules que de lui prter des penses aussi totalementtrangres ses valeurs et par-dessus le march aussi emphatiquementexprimes47.

    Il voit une confirmation de sa certitude de linauthenticit dufactum dans la lettre quAlice Mirbeau lui a adresse le 14 avril 1917 et aprventivement rendue publique peu aprs, de peur que Werth ne

    45 Voir notamment ses deux Paysages de foule , parus dans Le Journalle 30 dcembre 1894 et le 30dcembre 1900 (ils sont recueillis dans notre dition des Contes cruels de Mirbeau, Librairie Sguier, 1990, etLes Belles Lettres, 2000, t. I, pp. 411- 417 et 497-501).

    46 Mirbeau crit Rodin : Il ne ma pas convenu de rester LHumanit, o tout est sacrifi la

    politique (Octave Mirbeau, Correspondance avec Rodin, loc. cit., p. 220).47 Werth relve aussi ces deux formulations : Gardons-nous de jeter nos forces gnreuses au pied defausses idoles et Que mes anciens compagnons de lutte ne sy mprennent pas .

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    parvienne publier sa rfutation48. Avant de lui interdire de jamaisprononcer ou crire le nom de Mirbeau, elle reconnat en effet, croyantse tirer daffaire, stre contente de noter les paroles saines et fortes quelle prtend avoir entendues et quelle a ensuite livres qui il [lui]

    avait indiqu de les donner, cest--dire, bien sr, Gustave Herv,lhomme de parti, lancien responsable de La Guerre sociale, rebaptise LaVictoire49. Ce qui, de son propre aveu, revient dire quil ne sagit aumieux, si lon ose dire, que d un troisime tat de la pense dOctaveMirbeau . Mais ce demi-aveu est encore insuffisant, car il laisse supposerque Mirbeau, dont la modestie tait bien connue de tous, tait capable desexprimer en priv comme sil tait une rincarnation de lIllustrecrivain, inspir de Paul Bourget, cible de tous ses sarcasmes... Conclusionde Werth : Jen appelle tous les lecteurs de Mirbeau... Et je ne crois pasdevoir insister. Ce nest pas de ma faute, si Mme Mirbeau apporte, dans cedbat douloureux, une note lugubrement comique oxymore comme onen trouve tant sous la plume de lcrivain dfunt.

    Sacha Guitry, qui a bien connu Mirbeau et qui prtendra lavoir vumourir dans ses bras, apportera, sa manire, une confirmation de laconviction de Werth quand il fera reprsenter, en 1922, sa pice Un sujetde roman50, qui sinspirait du couple Mirbeau et qui devait tre interprtepar son pre, Lucien Guitry, et par la grande Sarah Bernhardt : comme parhasard, tous deux avaient cr Les Mauvais bergers vingt-cinq ans plustt. Croyant son mari dcd, la femme du grand crivain, baptis

    Lveill, commande un ngre de rdiger un roman aseptis en lieu etplace de lintrouvable roman que son auteur a soigneusement cach pourle soustraire lavidit de sa femme. Simplement, on est chez SachaGuitry, et la veuve abusive finit par dcouvrir le gnie et lhumanit dunhomme auquel elle na jamais rien compris et dont elle dcouvretardivement quil a aid des quantits de gens vivre : elle tombe alorsdans les bras du mort, qui entre-temps a t dment ressuscit... Dans lavie, bien sr, il nen va pas de mme, et si Mirbeau continue de vivre, cenest pas sa veuve quil le doit, mais des hritiers tels que Lon Werth,

    qui perptuent son esprit de rvolte et sa froce ironie dmystificatrice. Ilnen est que plus dommage que, dans une priode dhystrie collective ola pense critique semble avoir dsert, o chaque brebis gare regagnepeureusement le troupeau et semploie donner lopinion publique desgages de conformit, Werth nait pas russi publier son analysedrangeante : dans Dposition, il se rappellera stre vu refuser, par le

    48 Cette lettre est reproduite en annexe des Combats politiques de Mirbeau, Librairie Sguier, 1990, p.270.

    49 Les mots la victoire occupent prcisment une place de choix dans le pseudo-Testament, puisquecest delle et delle seule que natra une humanit meilleure ...

    50 La pice de Sacha Guitry a t reprise en 1999-2000, Paris et en tourne, et cest Michel Aumont quiinterprtait le rle de Lveill-Mirbeau, cependant que Catherine Samie incarnait lpouse abusive du grandcrivain.

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    directeur dune revue quil ne cite pas, un article o il taitrigoureusement dmontr que leTestament politique de Mirbeau tait unfaux (On apportait mme une lettre daveu de Mme Mirbeau)51 . Cest fortregrettable, car la falsification de Gustave Herv a eu la vie plus longue

    que celle des flons de ltat-major lors de lAffaire : limage de lcrivainen sera durablement brouille et, pendant des dcennies, jusquen 1990,date de la publication de la premire biographie de limprcateur au curfidle52, on vhiculera, sans la moindre distance critique, la vision dunMirbeau expert en palinodies et reniant in extremis toutes ses valeurs ettous ses combats passs.

    51 Lon Werth,Dposition, Viviane Hamy, 1992, p. 520.52 Pierre Michel et Jean-Franois Nivet, Octave Mirbeau, limprcateur au cur fidle, Librairie Sguier,1990, 1020 pages.

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    FRATERNIT SPIRITUELLE

    Pour tre complet sur leurs relations, il faudrait ajouter que Werth aconsacr Mirbeau trois textes : un article dans le n 2 des Cahiersdaujourdhui, en 1913, un tmoignage dans le n des mmes Cahiers,nouvelle srie, en 1922, et une prface aux 21 jours dun neurasthnique,en 1951. Son tmoignage dans le n spcial des Cahiers daujourdhuiconsacr Mirbeau, en 1922 o il ctoie ceux de Gustave Geffroy,Marguerite Audoux, Thade Natanson, Frantz Jourdain et George Besson permet de toucher du doigt ltroite fraternit spirituelle qui les unissait etque je vais essayer, pour les besoins de lexercice, de dcomposer enlments simples, tout en sachant pertinemment que tout se tient etquune telle analyse comporte bien de larbitraire.

    Des caractres entiers

    Si nombre de ceux qui ont connu Mirbeau et Werth se plaisent lesrapprocher, ce nest certes pas pour dvaloriser le cadet auquel lanferait de lombre, mais au contraire pour souligner la continuit de lun lautre. Et ce qui frappe, ds labord, cest la similitude destempraments53, qui entrane invitablement des similitudes dans les

    engagements et dans lapproche de leur rle dintellectuels et dcrivains.Car, chez eux, lhomme et luvre sont indissociables, et leur style, cestvraiment lhomme qui sy reflte. Quatre traits de caractre me semblentdominants chez tous deux.

    Tout dabord une hyper-sensibilit54 qui expose ces corchs vifs toutes les blessures et dsillusions de la vie55 et les pousse constamment rechercher de lapaisement chez des mes surs, lesseules qui fussent mme de les consoler un peu de lignominie deshommes et de labsurdit des choses. Leur besoin de tendresse, mal

    camoufl par des postures parfois un peu brusques, et leur amitiexigeante, au point den tre quelquefois pesante, ou envahissante surtout chez Mirbeau , leur confrent un charme indniable, maispeuvent aussi, loccasion, les rendre peu accommodants. Beaucoup de

    jugements de ceux qui ne les ont connus que superficiellement reposent

    53 Gilles Heur parle de caractres assez semblables (op. cit., p. 25).54 Je suis n avec le don fatal de sentir vivement, dclarent plusieurs des narrateurs de rcits de

    Mirbeau, notamment celui de Dans le ciel(chapitre IV, uvre romanesque, Buchet/Chastel Socit OctaveMirbeau, 2001, t. II, p. 32).

    55 En 1922, Werth termine son tmoignage sur son ami par cette belle phrase : Cest dans cette

    non-acceptation [de la moyenne des hommes] et dans loscillation jamais dtermine entre ce quil esprait deshommes et sa dception quest peut-tre la grandeur et le tragique de sa vie ( Le Pessimisme de Mirbeau ,Cahiers daujourdhui, n 9, 1922, p. 128).

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    sur une apparence quelque peu ombrageuse, voire abrupte chez Werth,passant ct des trsors de tendresse quils reclent. Mirbeau sen estplaint amrement, dans La 628-E8 : Mes chers amis... tous mes bien-aims, vous qui vous tes, hlas ! dtachs de moi, vous surtout dont je

    me suis dtach, de combien de reniements, de combien de lchets voustes responsables... et, je puis le dire, de combien de larmes ! Pauvresimbciles que vous tes, vous avez toujours ignor la belle source detendresse quil y avait en moi56 . Une autre consquence de cettesensibilit fleur de peau, qui les fait compatir, au sens littral du terme,aux souffrances des autres, y compris celles des animaux, est ladifficult quils ont matriser leurs emportements, prtant ainsi le flanc des accusations rcurrentes dexagration. Lucien Febvre crit ainsi deson ami Lon Werth : Il est combatif, ne connat pas la modration et naaucun sang-froid57. Se mfiant de la raison58 et rtifs lgard de toutintellectualisme, ils ont en effet tendance se laisser emporter par leursmotions et faire confiance leurs ractions instinctives59.

    Autre trait fondamental de leur caractre : un besoin farouchedindpendance. Ils sont tous deux des anarchistes individualistes etconsquents, aussi attachs leur libert de pense et dexpression quele mythique Dingo sa libert de vagabonder laventure en qute dechair frache60. Rtifs toute discipline institutionnelle, rfractaires touteautorit61, et par consquent bien en peine dimposer une autoritalternative, ft-ce la leur, celle des mauvais bergers de toutes

    obdiences et des institutions compressives quils vituprent, ils ont gardintacte leur capacit dindignation62 et sont perptuellement en rvoltecontre tout ce qui blesse leurs exigences thiques. Ce refus de toutendoctrinement et de tout embrigadement fait deux des francs-tireurs63,ou plutt des francs-parleurs, compagnons de route, loccasion, despartis politiques qui leur semblent, un moment donn, les mieux mme de concrtiser certaines de leurs esprances, mais allergiques laforme partidaire et au politiquement correctqui musle lesprit critique.Certes, Mirbeau a fait pendant quelques mois un bout de chemin avec

    56La 628-E8, chap. V (uvre romanesque, Buchet/Chastel Socit Octave Mirbeau, 2001, t. III, p.463).

    57 Cit par Gilles Heur, p. 294.58 Voir Pierre Michel, Mirbeau et la raison , Cahiers Octave Mirbeau, n 6, 1999, pp. 4-31.59 Dans Sbastien Roch (1890), le hros ponyme est toujours tromp par sa raison et va sa perte en

    ncoutant pas son instinct.60 Gilles Heur fait lui aussi le rapprochement : Cest ce besoin dindpendance que [Werth] apprcie

    chez certains animaux , il aime dans Dingo , cette indpendance qui le distingue de ses semblables [...] :Dingo ne suit pas, il accompagne ; Dingo ne qumande pas, il partage (op. cit., p. 145).

    61 Werth crit par exemple : Que lautorit soit odieuse, passe... Mais quelle soit ce point ridicule,cela semble presque invraisemblable (Cochinchine, Viviane Hamy, 2005, p. 206).

    62 propos de Voyages avec ma pipe, Gilles Heur crit : Et toujours ses indignations devant les petites

    choses de la vie, qui symbolisent les vrais plaisirs ou trahissent les grandes lchets (op. cit., p. 121).63 Clavel est aussi un franc-tireur : il entend faire la guerre une guerre de partisans (Clavel chez lesmajors, loc. cit., p. 222).

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    Jaurs au sein de la rdaction de LHumanit, en 1904, et Werth, parralisme, a mis en sourdine son anarchisme foncier et pris sa carte laS.F.I.O. en 1912. Mais pour lun comme pour lautre, ce compagnonnagena pas dur et ne pouvait pas durer, car il leur tait impossible de ne pas

    penser par eux-mmes et de ne pas placer leur conscience bien au-dessusdes tactiques, stratgies et combinazioni dun parti.Cest prcisment cette conscience thique mise au poste de

    commande qui, me semble-t-il, constitue leur troisime trait de caractrecommun : ils sont assoiffs de justice, et cest cette qute dun idal, quitoujours chappe leur prise, qui constitue le moteur de leur rvolte et deleur engagement.. Ainsi Vlaminck crit-il de Werth : Un tendre, unsentimental, qui a des sentiments quune injustice ou une salet rvolte64

    , cependant que Georges Rodenbach voyait en Mirbeau le Don Juan delidal, de tout lidal65 . Nouveaux don Quichotte, ils se lancentintrpidement, arms de leur seule plume, lassaut de ces gants quesont le Capital rouge de sang66, la Bourgeoisie sans cur ni piti, lesGouvernements oppressifs et homicides, les Religions alinantes etanesthsiantes, et luniverselle Btise au front de taureau Aucunepuissance humaine ou mcanique ne peut lempcher de rouspter, deragir linjustice, dengueuler les entripaills, de dire leur fait quelquespontifes de la fortune ou de la littrature , note Lon-Paul Fargue propos de Lon Werth67. Mais nos preux chevaliers le font avec un telemportement et une telle intransigeance quil peut leur arriver de

    commettre des dgts collatraux ou de se rendre suspects aux yeuxmmes de ceux dont ils entendent prendre la dfense68. Ce que LucienFebvre dit gentiment de son ami Lon vaut aussi pour Octave : Il se batcomme un fou furieux pour ce quil pense tre la raison ; il se montre,dans la dfense de ce quil pense tre la justice, dune injustice quedaucuns trouvent scandaleuse. Ce rvolt est rvoltant69. De l devenir scandaleux, il ny a quun pas, que lauteur du Journal dunefemme de chambre a vite franchi, suivi par le pre de Clavel. On le leur afait chrement payer !

    Leur est galement commune cette insatiable curiosit70

    , que, leplus souvent, chez les tres ordinaires, ce quil est convenu dappelerlducation est parvenue anantir consciencieusement. Eux, aucontraire, lont prserve avec un soin jaloux.. Non seulement la curiosit

    64 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 294.65 Georges Rodenbach,Llite, Fasquelle, 1899, pp. 143-155.66 Mirbeau a intitul le caoutchouc rouge un chapitre de La 628-E8 consacr la sanglante

    exploitation du Congo par le roi des Belges Lopold II, qui constitue vritablement un gnocide (uvreromanesque de Mirbeau, t. III, pp. 377-380).

    67 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 159.68 Ainsi certains domestiques se sont-ils crus attaqus parLe Journal dune femme de chambre, et les

    soldats auxquels sadressent Sbastien Roch et Clavel sont-ils incapables de comprendre quoi que ce soit.69 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 294.70 Cest ce que note Gilles Heur propose de Werth, op. cit., p. 144.

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    qui les pousse tout lire pour ne passer ct de rien qui puisse lesclairer un peu sur le monde o ils vivent, ou celle qui les met enmouvement sur les routes de lAllemagne wilhelminienne (dans La 628-E8)ou de la Cochinchine coloniale, mais, plus encore, celle qui leur fait voir en

    tout tre humain, ft-il le plus misrable, le plus infime ou le plus alin,une personne digne dtre coute. Tous les gens intressent Werth ,note Gilles Heur (p. 143), comme ils nont cess dintresser Mirbeau,lavocat des humbles et des exclus, des proltaires, des vagabonds, desprostitues, des .domestiques et des paysans que leur terre ne nourritplus71. Tous deux ont avec les petits, les marginaux72 et les sans-voixdes relations privilgies et se maintiennent toujours avec eux hauteurdhomme, sans cette compassion mprisante et ce paternalisme hypocritepropres aux dominants73. Mais ils ne sauraient pas davantage se passerdes autres, de tous les autres, les mdiocres, les lches, les faibles, aussibien que les puissants, les nantis, les escrocs de la politique ou desaffaires, qui font partie de limmense comdie humaine et qui leurinspirent tant de pages vengeresses : Une seule chose m'amuse etm'amuse toujours confie le narrateur dUn gentilhomme l'homme.L'homme en soi. L'homme me rjouit par le compos, extrmement vari,extrmement grotesque, extrmement fou, d'incohrences, de ridicules,de contradictions, de vertus funestes, de mensonges sincres, de vicesingnus, de sentimentalits froces et de cruauts naves qu'il estrellement 74. Devant cette fascination pour les grotesques humains,

    Mirbeau et certainement Werth aussi prouve cette tristesse et cecomique d'tre un homme... Tristesse qui fait rire, comique qui fait pleurerles mes hautes75 . Aussi Francis Jourdain na-t-il pas tort dcriregentiment de son ami Lon ce qui vaut aussi pour son grand amiOctave76 : Il a besoin des hommes pour aimer les uns, har les autres etles contredire tous77.

    Pessimisme existentiel

    71 Voir notamment Les Bouches inutiles , recueilli dans les Contes cruels, Librairie Sguier, 1990, t. I,pp. 167-171.

    72 Sur Octave Mirbeau et la marginalit , voir notre article, dans Figures du marginal, Cahier n 29des Recherches sur limaginaire, Presses de lUniversit dAngers, 2003, pp. 93-103.

    73 Werth crit en 1922 que Mirbeau accordait une confiance presque enfantine des inconnus quil parait de qualits extraordinaires et dont il attendait tout, do de constantes dsillusions ( LePessimisme de Mirbeau , Cahiers daujourdhui, n 9, 1922, p. 127).

    74 Octave Mirbeau, Un gentilhomme, chapitre I (uvre romanesque, loc. cit., t. III, p. 901).75 Ddicace duJournal dune femme de chambre Jules Huret (uvre romanesque de Mirbeau, loc. cit.,

    t. III, p. 377).76 Andr Gide a crit peu prs la mme chose de Mirbeau, la mchancet en plus, propos des 21 jours

    dun neurasthnique dont Lon Werth a prfac une rdition en 1951 : Peu lui chaut [ Mirbeau] quelennemi soit vrai, il a bien plus beau jeu avec ceux quil invente (Prtextes, 1963, p. 115).77 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 295.

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    Tout autant que le temprament, une vision du monde communerapproche nos deux compres. Athes et matrialistes consquents, ilsrejettent toutes les illusions idalistes et spiritualistes et voient dans lesreligions institues et dans leurs succdans laques, tels que le

    scientisme, un moyen pour les dominants de sassurer la soumission desdomins. Ils sont donc des anticlricaux convaincus. Lanticlricalisme estalors fort rpandu chez les rpublicain, au sortir de laffaire Dreyfus et enpleine bataille pour la sparation des glises et de ltat, mais le leur napas grand-chose voir avec celui de M. Homais ou des lites positivistesde la Troisime Rpublique. Dune part, parce quils nont aucuneconnivence avec les politiciens pour qui la Rpublique nest quun coffre-fort bien garni mis leur disposition78 et en qui Mirbeau voyait des Cartouche en concurrence avec les Loyola ensoutans pour lepartage des mes et du butin79 : sur le fond, rien ne les distingue, leursapptits et leur libido dominandi sont les mmes, et ils ont pourproccupation prioritaire de tondre les brebis humaines. Dautre part,parce que Mirbeau et Werth ne se contentent pas de vouloir exclure lesprtres de lespace public pour les empcher de nuire : cest une vritablervolution culturelle quils appellent de leurs vux pour librer les espritsdu poison religieux et des croyances mystificatrices qui les maintiennentdans les fers80. Sous Ptain et face la raction clricale, Werth citera, demmoire et approximativement, plus de quarante ans aprs, une formulede son ancien compagnon qui la visiblement marqu : On na pas le

    droit dempoisonner les sources81 . Il se rappellera aussi Mirbeauddicaant un de ses livres et dtournant la devise bien connue de MichelStrogoff : Contre Dieu, le tsar et la patrie82 . Lathisme, pour lui commepour son vieux complice, est la condition de la rvolte83.

    Dans un univers qui, en labsence de toute harmonie pr-tablie parune divinit bienveillante, na pas de sens et nobit aucune finalit, eto tout ce qui vit est soumis linexorable loi du meurtre , commelappelle Mirbeau, les seules chances de bonheur bonheur trs relatif,

    78

    Dans ses Grimaces de 1883, Mirbeau accusait les politiciens opportunistes de faire main-basse sur laFrance et de crocheter les caisses de ltat.79 Voir Cartouche et Loyola , Le Journal, 9 septembre 1894 (recueilli dans les Combats politiques de

    Mirbeau, Librairie Sguier, 1990, pp. 157 sq.).80 Clavel constate ainsi que les prtres font chorus avec les dirigeants rpublicains pour rendre les soldats

    plus dociles : La Marseillaise est devenue clricale , note-t-il ironiquement (Clavel chez les majors, loc. cit.,p. 163).

    81Dposition, loc. cit., p. 418. Werth fait allusion la rponse de Mirbeau une enqute de La RevueBlanche (1er juin 1902), o celui-ci, quoique partisan de toutes les liberts, sopposait vigoureusement la libertde lenseignement : Est-ce que, sous prtexte de libert, on permet aux gens de jeter du poison dans lessources ?... (texte recueilli dans notre dition de ses Combats pour lenfant, Ivan Davy, Vauchrtien, 1990, p.166).

    82Dposition, loc. cit., p. 186.83 Au terme de son exprience, Clavel conclut : Il faut croire en Dieu pour tolrer cette folie humainequest la guerre (Clavel chez les majors, loc. cit., p. 279). Sans cette croyance en Dieu, personne ne se

    rsignerait : elle constitue donc bien un opium du peuple.

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    dailleurs qui soient accessibles lhomme lucide viennent de sacapacit ne jamais perdre de vue lhorreur dtre un homme , selon laformule de Leconte de Lisle quOctave aime citer. Ds lors, il est loisiblede profiter dautant plus jouissivement des moments de rpit et des

    plaisirs que la vie peut rserver. Et Mirbeau et Werth sy emploient avecart : de la jouissance esthtique et de la jubilation verbale aux plaisirs dupalais et de loreille, en passant par la griserie de la vitesse et le charmede la dcouverte et du dpaysement, rien de ce qui peut rendre la viemoins insupportable nest ignor ni mpris. Werth pousse mmelgotisme, ou une forme perverse dhdonisme masochiste, se dlecterdes souffrances nouvelles que lui occasionne son otite et quil parvient contempler comme un spectacle84 . Davoir avoisin la mort, et delavoir apprivoise la faon de Montaigne ( je nai pas peur de lamort) lui permet de redcouvrir la vie avec encore plusdmerveillement : que la vie est donc belle et quelle se compose demerveilleux spectacles85 !

    Mais les remdes les plus efficaces langoisse existentielle quitreint tout tre pensant confront labsurdit de sa condition tragique,sont la distance ironique, le dtachement de lhumour, lautodrision.Dans ce calvaire quest lexistence terrestre, dans ce jardin des supplicesque sont les socits humaines, lhumour et lironie sont sans doute debien drisoires dfenses. Mais ils constituent du moins une indispensablehygine de survie, et ils permettent lhomme lucide et dsespr

    daffirmer sa dignit86 et sa rvolte, en attendant sa mise mort. Lironiequi est dans la vie, et dont ils ont conscience, se reflte dans la faon dontnos deux auteurs, nourris de Pascal87, peroivent les choses et nous lesrestituent, en mettant en lumire leur tragique cocasserie, dont, toutprendre, il vaut bien mieux rire que pleurer. Les formules comiques quilsaffectionnent pour souligner labsurdit gnrale ne sont aucunement desimples divertissements destins faire sourire un bref instant, histoiredoublier sa misre : elles expriment la supriorit de lhomme dot depense sur cela mme qui lcrase. Dans un univers qui est un crime ,

    selon la formule-choc de Mirbeau88

    , mais un crime sans criminel, lameilleure des thrapies est encore de rire de ce qui devrait nouspouvanter. Ainsi la grande Sverine, propos de Clavel soldat,rapproche-t-elle le rire vengeur de Werth de celui, plus tonitruant, du prede Clestine : Cest Mirbeau quil voque parmi nous. Certaines pagesde Clavel soldat rsonnent du mme rire, puissant et meurtri, dont lcho

    84La Maison Blanche, Viviane Hamy, 1990, p. 133.85La Maison Blanche, loc. cit., p. 145.86 Dans Cochinchine, un Annamite dclare Lon Werth : La dignit, pour nous, cest de se vaincre, de

    se dominer (loc. cit., p. 65).87 Comme Mirbeau, Werth est aussi nourri de Spinoza et se rclame de Tolsto.88 [...] ce malentendu, ce crime, lunivers (Dans le ciel, chapitre VI ; uvre romanesque de Mirbeau,

    op. cit., t. II, p. 43).

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    vibre encore dans notre mmoire89. La causticit quon leur reconnat narien voir avec de la mchancet : elle constitue une revanche de lespritpar le rire. Mais, comme disait Musset parlant de Molire et de sa mlegaiet , le comique de Mirbeau et de Werth est si triste et si profond

    que,lorsquon vient den rire, on devrait en pleurer.

    Des intellectuels engags

    trente ans de distance, Mirbeau et Werth sont des figures notablesde lintellectuel engag dans les affaires de la cit, dans lacception que lemot intellectuel a prise partir de laffaire Dreyfus. Sils sengagent, cenest certes pas pour apporter au bon peuple les lumires dune Vritquils seraient les seuls possder : ils ne sont pas des experts90 et semfient de ceux qui prtendent duquer les hommes. Ce nest pas non

    plus pour acqurir bon compte une aura mdiatique et se poserpubliquement en donneurs de leons : modestes et exigeants avec eux-mmes, ils nont pas cette prtention grotesque, et ils ont en horreur lesprofessionnels de la posture et tout ce qui sapparente de la rclame et de lauto-promotion91, qui sont le propre des mes basses. Ce nest pasnon plus, plus forte raison, pour se rapprocher dun pouvoir que noslibertaires indcrottables considrent comme corrupteur et salissant, etdont ils se gardent comme de la peste : ainsi Werth se demande-t-ilironiquement sil ny a point entre tous les gouvernements et[sa] propre

    personne une insurmontable incompatibilit92 , et Mirbeau entend-ilrduire ltat son minimum de malfaisance93 . Aux antipodes de cequon a appel lintellectuel de cour, qui sacrifie sa dignit devulgaires ambitions ou lespoir, souvent illusoire, dexercer une influencesur le monarque, lintellectuel dreyfusiste tel quils lincarnent doitprserver jalousement son indpendance par rapport tous les pouvoirs.

    Si donc ils sengagent, sans rien abdiquer deux-mmes94, cest toutsimplement parce quils sont des hommes qui rien de ce qui est humainnest tranger et qui souffrent de voir, partout dans le monde, tant de

    misres, dinjustices et de crimes. Et aussi parce quils sont des citoyenslucides qui ne se contentent pas de jeter un bulletin dans une urne (cequils nont dailleurs jamais fait) : face une presse lnifiante oumensongre quils excrent, ils estiment quil est de leur responsabilit de

    89 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 103.90 Ainsi Werth avoue-t-il, dans Cochinchine : je napporte point des vrits dfinitives et de vastes

    gnralisations. [...]Je nai point de doctrine morale sur la colonisation, je mai point de systme conomiquepour la mise en valeur des colonies (loc. cit., p. 53).,

    91 Voir par exemple Le Manuel du savoir crire , article de Mirbeau paru le 11 mai 1889 dans LeFigaro.

    92Cochinchine, loc. cit., p. 155.93Interview de Mirbeau dansLe Gaulois du 24 fvrier 1894.94 Gilles Heur crit que Werth sest engag, mais en restant lui-mme (op. cit., p. 167).

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    manieurs de plume de faire entendre un autre son de cloche et depermettre ainsi leurs lecteurs beaucoup plus nombreux pour Mirbeauque pour Werth95 de se faire une opinion qui ne soit pas toujours lesimple reflet dune dsinformation. Ne rien dire, face aux massacres qui

    ensanglantent continuellement la terre et aux scandales qui claboussentla Rpublique, troisime du nom, tout en remplissant bien des poches, ceserait devenir objectivement complice des criminels et des forbans. Et,pour qui sait se servir de lcriture comme dune arme, ce serait, selonlexpression de Mirbeau, une lche et hypocrite dsertion du devoirsocial96 que de sabstenir de lutiliser pour dmasquer les responsables,si respectables quils apparaissent aux yeux dune opinion publiquedment conditionne97. Cette respectabilit mensongre, qui aveugle lebon peuple, est dailleurs un des principaux obstacles carter, si lonsouhaite faire passer un message de vrit, et, pour ce faire, nos deuxchevaliers de lidal semploient mettre en uvre le conseil donn par ledoux lmir Bourges Mirbeau propos de sa pice Vieux mnages98 : Ce nest quau vitriol quil faut dbarbouiller les salauds ...

    Car le premier devoir de lintellectuel, cest dessayer de servirmodestement la vrit, face tous les mensonges orchestrs par ceux quipossdent le pouvoir politique et le capital et qui contrlent la presse etles organes de manipulation. Sa qualit premire doit donc tre la lucidit,et mme une lucidit dsespre99, afin de ne jamais se laisser aveuglerpar les multiples illusions et esprances trompeuses qui nous menacent,

    fussent-elles le fruit dun idal ou dictes par une foi respectable : toutesles chimres sont dangereuses, toutes les utopies sont meurtrires, pourpeu quon entreprenne de les raliser hic et nunc. Le pessimisme deMirbeau et de Werth100, quon leur a parfois reproch gauche, sousprtexte quil serait dcourageant et dmobilisateur, est leurs yeux lacondition pralable de laction101 : il ne faut surtout pas esprer pourentreprendre ! Si lon commence croire au pre Nol, au dieurmunrateur et vengeur de Voltaire et des religions ce magistrat

    95 Mirbeau sexprime dans des journaux grand tirage et y acquiert une influence considrable. La plupart

    de ses livres connaissent aussi de forts tirages (par exemple, 156 000 exemplaires du Journal dune femme dechambre ont t couls de son vivant rien quen France, et ce roman a t traduit dans plus de vingt langues).Quant sa grande comdie,Les affaires sont les affaires, elle remporte le plus grand succs thtral du dbut dusicle, non seulement en France, mais aussi en Allemagne et en Russie.

    96 Lexpression apparat au chapitre XX deDans le ciel(uvre romanesque de Mirbeau, t. II, p. 99).97 Pour les mmes raisons Mirbeau et Werth semploient dboulonner Napolon et montrer en lui le

    plus grand massacreur des temps modernes. DansDposition (Viviane Hamy, 1992, p. 146), Werth rappelle queson ami mettait Napolon au rang des ngres qui, Sainte-Hlne, lcoutaient, bahis, leur raconter sescampagnes. Et il commente ainsi : sa rage vanglique ne supportait pas cette sorte de gloire .

    98 Lettre indite de Bourges Mirbeau, 1901 (ancienne collection Hayoit).99 Gilles Heur parle de la lucidit dsabuse de Lon Werth.100 Werth rapporte ce propos de Mirbeau : Le pessimisme...tout est l et ajoute : quand il disait :

    pessimisme, il le disait avec calme et fermet, comme si le mot et contenu en lui seul toute la vrit ( Le

    Pessimise de Mirbeau , Cahiers daujourdhui, n 9, 1922, pp. 126-127).101 Voir Pierre Michel, Lucidit, dsespoir et criture, Socit Octave Mirbeau Presses de lUniversitdAngers, 2001.

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    plantaire dcernant des chtiments et des rcompenses dont parleWerth102 , ou aux lendemains qui chantentdes rvolutionnaires patents,on est bien sr quils dchanteront, ces fumeux lendemains. Mirbeau etWerth nhsitent donc pas, dans leurs articles ou leurs uvres littraires,

    faire des constats qui choquent la bien-pensance de tous bords, ycompris du leur, au risque de dsesprer Billancourt et de sattirer lescritiques de leurs compagnons de lutte. Ils sont trop sensibles auxcontradictions qui sont en toutes choses pour jamais se laisser sduire parune reprsentation manichenne minemment suspecte.

    Ainsi, dans sa tragdie proltarienne Les Mauvais bergers, Mirbeauprsente un leader anarchiste, baptis Jean Roule, qui est lui aussi unmauvais bergerpuisquil conduit les grvistes la mort, ce qui lui vaut lesreproches du thoricien anarchiste Jean Grave ; et il nous montre la massedes ouvriers comme versatile et manipulable souhait : Effarant,sexclame Jaurs103. Dans Le Journal dune femme de chambre, il noustrace un tableau dmoralisant de la condition inflige aux domestiques,tellement avilis quils donnent dsormais limpression, selon la soubretteClestine, davoir la servitude dans le sang104 . Et dans son fameuxappel de 1888 la grve des lecteurs , il qualifie llecteur moyend inexprimable imbcile et d animal irrationnel, inorganique,hallucinant, parce que, plus bte que les btes, plus moutonnier queles moutons , llecteur nomme le boucher qui le tuera et choisit lebourgeois qui le mangera105. De son ct, dans les deux Clavel, Lon

    Werth nest pas plus tendre avec ses compagnons de misre, les soldatsexpdis en premire ligne et qui, quoique traits comme du btailconduit labattoir, se rvlent dans toute leur vrit, souvent abjecte, etne se rvoltent pas plus que les moutons humains conduits aux urnes :dment conditionn par la propagande belliciste des gouvernants et des

    journaux, le peuple grgaire se fait ainsi, par sa soumission mme,complice du plus grand massacre de lhistoire. Selon une formule bienmirbellienne, Werth constate amrement que la guerre a crtinis etcatinis les hommes106 . Crtinis terme emprunt Mirbeau

    parce quils vivent dans un monde men par la btise universelle etquils nont aucun moyen dy chapper107. Catinis , car cest seprostituer que de livrer passivement son corps au tout venant sans en trematre et sans essayer de se le rapproprier. Il fait un constat similairedans Cochinchine, o il nous prsente une masse de coloniss courbant la

    102La Maison Blanche, Viviane Hamy, 1990, p. 96.103 Cest le titre de son article deLa Petite Rpublique, le 25 dcembre 1897.104Le Journal dune femme de chambre, chapitre XIII (uvre romanesque de Mirbeau, t. II, p. 573).105 Octave Mirbeau, La Grve des lecteurs ,Le Figaro,28 novembre 1888 (recueilli dans les Combats

    politiques de Mirbeau, Librairie Sguier, 1990, pp. 109-114).106 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 153.107 Clavel chez les majors, op. cit., p. 164. Werth ajoute un peu plus loin : La plupart des hommes

    acceptent comme les btes domestiques, ni plus, ni moins, le gte, la nourriture et le travail (p. 173).

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    nuque devant une poigne de colons et dadministrateurs coloniaux tousplus mprisables, stupides et sadiques les uns que les autres. Devant untableau aussi noir de toutes ces victimes passives, soumises et rsignes,on est tent de se poser la question : ny aurait-il dcidment aucun espoir

    dmancipation pour les damns de la terre ? Doivent-ils aussi, commeceux de Dante, lasciare ogni speranza ?Les deux amis nentretiennent aucune illusion sur les hommes

    considrs individuellement, ni sur les foules, troupeau passif etinconscient quexcite lodeur du sang108, ni sur le mythique peuple engnral, imagin pour les besoins de la rvolution, et on comprend quecela nait pas lheur de plaire aux marchands dorvitan ou de lunesrvolutionnaires. Ainsi. Henri Barbusse, qui est pourtant lui aussi, safaon, un hritier de Mirbeau109, mais quelque peu infidle, affirme-t-il que Cochinchine ptit dune forme de pessimisme qui conduit son auteur mpriser celui qui est frapp autant que celui qui frappe110 . Comme quoi,pour ceux qui entendent diriger la rvolution venir, la vrit nest pastoujours bonne dire et il est prfrable, au nom de lefficacit sacralise,de prsenter au peuple les mensonges quil mrite. Mais, prcisment, nosdeux libertaires nont pas lintention de diriger qui que ce soit : pourMirbeau, tous les bergers, fussent-ils anarchistes comme Jean Roule, nepeuvent tre que de mauvais bergers, et il ddie ironiquement Le Jardindes supplices Aux Prtres, aux Soldats, aux Juges, aux Hommes, quiduquent, dirigent, gouvernent les hommes111 ; quant Werth, il voit

    dans une pense prtendue utile le symptme dune soumissionavilissante112, il a en horreur toute forme de propagande, et refuse dereconnatre le rle dclaireurs des masses ceux qui la pratiquent,remarque Gilles Heur (p. 202).

    Si Mirbeau et Werth sont politiquement incorrects et jugsinfrquentables par beaucoup, ce nest donc pas seulement parce quilsdmystifient les valeurs les plus respectes et quils choquent lesconformismes bourgeois, les prjugs des foules imbciles et les intrtsdes nantis, cest aussi parce quils refusent de bercer leurs lecteurs de ces

    consolantes illusions qui ne sont jamais quun avatar de lopium du peupledes anciennes religions. Pour cette raison, en 1923, Romain Rolland lesrapproche juste titre, voyant en ce fier crivain quest Lon Werth

    108 Une nouvelle de Mirbeau, Paysage de foule , est traduite en espagnol sous le titre El rebaoinconsciente y sanguinario , cest--dire le troupeau inconscient et sanguinaire (dans un recueil intitul ElAlma rusa [lme russe], Barcelone, Alfredo Roglan, collection Biblioteca popular Progreso , 1921).

    109 Voir Pierre Michel, Octave Mirbeau, Henri Barbusse et lenfer , site Internet de la Socit OctaveMirbeau, http://membres.lycos.fr/octavemirbeau/et http://www.mirbeau.org/ , novembre 2005, 32 pages.

    110 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 186.111 Aux Prtres, aux Soldats, aux Juges, aux Hommes, qui duquent, dirigent, gouvernent les hommes,

    je ddie ces pages de Meurtre et de Sang (uvre romanesque de Mirbeau, t. II, p. 163).112 Gilles Heur crit : Werth sera toujours partisan dune pense indpendante et sincre, plutt quesoumise et utile, ce dernier adjectif tant synonyme dappartenance obissante et militante (op. cit., p. 170).

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    http://membres.lycos.fr/octavemirbeau/http://membres.lycos.fr/octavemirbeau/http://www.mirbeau.org/http://membres.lycos.fr/octavemirbeau/http://www.mirbeau.org/
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    lhritier de Mirbeau , dont il a lironie vengeresse, le mpris puissant,la saine misanthropie . Mais il tablit, dans leur pessimisme, des nuancesquil estime lies la rupture de la guerre : Mirbeau croyait auxhommes , malgr tout. Mirbeau croyait la victoire. Et, dans le tonnerre

    de ses invectives, jentends souvent rouler le rire triomphant. Mirbeauvivait encore au temps des grandes illusions. Werth nen a gardaucune113. Il na certainement pas tort de considrer que la guerre aintroduit une rupture radicale et que Mirbeau, si nihiliste quil nousapparaisse le plus souvent dans son insistance sur la frocit naturelle delhomme et la monstruosit des institutions, appartenait au mondedavant, baptis aprs coup Belle poque , par opposition nostalgique lhorreur et la barbarie inimaginables qui allaient suivre. De ce point devue-l, il est possible, en effet, que Werth ait fait un pas de plus vers unpessimisme encore plus total, si jose dire, que celui de son mentor, dontMarc Elder disait pourtant quil fallait lentendre au pied de la lettre : Tout est au plus mal dans le plus mauvais des mondes possibles 114 .Nanmoins, il ne me semble pas que, sous le vernis de sa luciditdsespre, il y ait une relle croyance en la victoire de ses grandscombats pour la Vrit et la Justice. Tout au plus Mirbeau pensait-il quepouvaient tre remportes de toutes petites victoires, provisoires et sanseffet durable, telles que la libration, puis, sept ans plus tard, larhabilitation du capitaine Alfred Dreyfus115. Mais Le Journal dune femmede chambre est l pour prouver quil nattendait rien de plus du succs des

    dreyfusards, bien en peine de changer quoi que ce soit linhumanit deshommes et la barbarie de lordre social. Son pessimisme lui est aussiconsubstantiel quil lest son hritier, mais ni lun ni lautre ne sersignent pour autant, et cest ce qui fait deux des engagsdsengags , pour reprendre la belle formule de Bernard Garreau116.

    Le seul bmol que je mettrai au rapprochement politique entre nosdeux dmystificateurs et entrepreneurs de dmolitions, selon la forteexpression de Lon Bloy117, est que Werth est sensiblement moins soupleque son an, et probablement aussi plus intransigeant et plus radical, ce

    qui explique sans doute pour une part quil nait pas eu les mmes succs

    113 Cit par Gilles Heur, op. cit., p. 128.114 Marc Elder,Deux essais Octave Mirbeau, Romain Rolland, Georges Crs, 1914, p. 26.115 Ou bien, dans un autre domaine, les reprsentations de ses comdiesLes affaires sont les affaires etLe

    Foyer la Comdie-Franaise, conservatoire de la tradition et du conformisme, au terme de longues bataillesquil sest donn les moyens de gagner, sans que cela suffise pour autant rvolutionner le thtre, modifier lesmentalits ou faire voluer positivement les lgislations. Ou encore la tardive reconnaissance sociale despeintres impressionnistes jadis moqus, impuissante modifier rellement les gots et la sensibilit esthtique duplus grand nombre.

    116 Bernard Garreau, compte rendu de la biographie deLInsoumis Lon Werth, par Gilles Heur, CahiersOctave Mirbeau, n 13, paratre en mars 2006.

    117 Cest en 1884 que Lon Bloy a publi chez Tresse ses Propos dun entrepreneur de dmolitions.Quoiquil se situe aux antipodes de Mirbeau sur le plan politique et religieux, il est aussi dgot et aspiregalement tout dmolir.

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    de ventes ni connu la mme russite sociale. Voyant plus facilement descompromissions l o Mirbeau ne voyait que des compromisindispensables pour remporter des victoires provisoires, il est restpauvre, marginal et na eu finalement quun impact modeste, alors que

    son mentor a conquis tous les titres de gloire, est devenu riche, influent,clbre dans toute lEurope et traduit dans toutes les langues118. Il est vraique Mirbeau est un exemple tout fait exceptionnel dcrivain qui la foissatisfasse les exigences dune avant-garde littraire et qui puissenanmoins plaire un trs vaste public. Marginal par ses prises deposition sans concessions, il nen est pas moins reconnu socialementaprs avoir conquis de haute lutte une place minente parmi lesinstitutions quil conteste par ailleurs : la presse, ldition, la Comdie-Franaise et lacadmie Goncourt119.

    De la critique la hache

    Ce langage de vrit inspire aussi les chroniques esthtiques etlittraires de nos deux compres, dont limpact, au demeurant, nestgure comparable. Allergiques au rclamisme, au snobisme, lindustrialisme et lacadmisme, qui sont les tares rdhibitoires dumonde des lettres et des arts, ils obissent leurs coups de cur (pourClaude Monet, Pierre Bonnard et Flix Vallotton, par exemple) autant quleurs excrations, et ils rejettent le consensus mou, qui est souvent la

    rgle chez les critiques attitrs, pour la plupart peu soucieux de choquerles prjugs de leur lectorat et de sattirer les vindictes des artistes etcrivains quils pingleraient. Ils sont souvent froces dans leurs

    jugements120, et ne sembarrassent pas de circonlocutions pour direcrment que des tableaux sont, tel le sonnet dOronte, tout juste bons mettre au cabinet. Dailleurs, ni Mirbeau ni Werth naspirent le moins dumonde tre embarqus sur la nef des critiques, car ils nont quempris pour cette engeance, aussi inutile, selon Mirbeau, que desramasseurs de crottin de chevaux de bois121. Werth critique dart ? Voil

    un titre quil et rejet avec violence , note pour sa part Gilles Heur122

    .Et puis, surtout, ils sont parfaitement conscients de la difficult, voire de la

    118 Voir notreBibliographie dOctave Mirbeau, Socit Octave Mirbeau, 2006, 400 pages (accessible surle site Internet de la Socit Octave Mirbeau).

    119 On peut ajouter que larrive au pouvoir de ses amis Georges Clemenceau et Aristide Briand, partirde 1906, lui a mme ouvert les portes des ministres, ce qui lui a servi dans la bataille du Foyer, en 1908. Il estdouteux que Werth ait jamais bnfici de semblables soutiens.

    120 Gilles Heur crit par exemple que les jugements [de Werth]sont dune frocit surprenante (op.cit., p. 237).

    121 Octave Mirbeau, Points de vue , Le Journal, 14 juin 1896 (Combats esthtiques de Mirbeau,Nouvelles ditions Sguier, 1993, p. 140). Dans son compte rendu du Salon de 1893, il crivait dj, en guise

    dentre en matire, quil ne voulait surtout pas tre pris pour un critique et quil avait horreur de cetanimal pontifiant et parasitaire (ibid., t. II, p. 8).122 Gilles Heur, op. cit., p. 228.

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    vanit, de lentreprise consistant mettre des mots sur des motionsesthtiques procures par des couleurs ou des sons. Limpuissanceradicale du langage rendre la vie dans toute son intensit et toute sacomplexit contribue les rendre modestes en tant quutilisateurs forcs

    dun instrument aussi drisoire. plus forte raison quand il sagit derendre compte des arts plastiques : Werth avoue souvent la difficultquil prouve parler peinture , remarque Gilles Heur (p. 237),cependant que Mirbeau, bien convaincu qu on nexplique pas une uvredart comme on dmontre un problme de gomtrie , en conclut que le mieux serait dadmirer ce quon est capable dadmirer, et ensuite de setaire . Mais, ajoute-t-il, nous ne pouvons pas nous taire. Il nous fautcrier notre enthousiasme ou notre dgot123... Ce mlanged enthousiasme , pour les happy few de la cration, et de dgot,pour le tout venant des gargotes de lart commercial, se retrouve chez sonhritier, dont Gilles Heur nous dit Il y a une sorte daristocratieplbienne et austre chez cet homme qui se tient toujours sur le fil tenduentre mpris du plus grand nombre et amour de celui quil estime dignedtre son prochain (p. 157).

    Ce refus du formatage artistique et de lesthtiquement correct leura valu bien des ennemis, dont ils navaient cure. ceux qui accusaientMirbeau de manquer par trop dindulgence, Werth arpliqu vertement : Vous appelez indulgence ce qu'il y a de plus basdans la complaisance et de plus lche dans la rsignation124 .

    Complaisance dans le refus de dire du mal de ce qui, pourtant, est ses yeux de la littrature industrielle ou de lart impuissant exprimer lavie. Rsignation face au systme commercial et mdiatique dominant,qui fabrique des gloires usurpes et dont la majorit des critiques sontpartie prenante que dirait-il aujourdhui ! Le snobisme et le ngoce quisunissent dans les annes 20 sont pour Werth la cause dune perversionde lart, constate Gilles Heur125. Faisant de lmotion esthtique lecritre suprme de leurs jugements, nos deux lascars ne se contententpas de dpidestaliser les peintres acadmistes, couverts de ces

    breloques qui dshonorent126

    , ceux-l mmes dont Mirbeau, en 1910,affirmait quils taient plus que morts127 . Il est en effet venu un tempso les combats de limprcateur au cur fidle pour les grands artistesnovateurs de son temps ont fini par se rvler payants et o Monet, Rodinou Van Gogh ont suppl jamais Dagnan-Bouveret, douard Detaille et

    123 Octave Mirbeau, prface au catalogue de lexposition Flix Vallotton, 1910 (Combats esthtiques, t. II,p. 496).

    124 Lon Werth, Octave Mirbeau ,Les Cahiers daujourdhui, n 2, fvrier 1913.125 Gilles Heur, op. cit., p. 234.126 Lon Werth se rappelle, en 1944, que ni Monet ni Mirbeau ntaient dcors et parle de

    l enfantine acceptation de la Lgion dHonneur (Dposition, loc. cit, p. 647).127 Cest le titre dun article paru dans Paris-Journalle 1910 (recueilli dans les Combats esthtiques deMirbeau, Nouvelles ditions Sguier, 1993, t. II, pp. 505-509).

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  • 8/14/2019 Pierre Michel, "Octave Mirbeau et Lon Werth"

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    Carolus-Duran dans ladmiration bate des foules moutonnires128 : il ny aplus, ds lors, grand mrite tirer sur un convoi mortuaire. En revanche, ilfaut du courage, et ils nen manquent ni lun ni lautre129, pour ne pascraindre daller contre-courant des hrauts dune pseudo-modernit

    pare magiquement de toutes les vertus.Modernit, que de crimes, que de stupidits aussi, ne commet-onpas en ton nom ! Si fervent quil soit des prodigieux apports de progrstechniques tels que llectricit et lautomobile, dont il est un des premiersutilisateurs, Mirbeau, cologiste avant la lettre, nen met pas moins encause le pouvoir croissant des ingnieurs, qui menacent de dtruire laplante, et il juge quen matire dart le progrs na aucun sens 130. Il necesse de dauber les jeunes prtentions esthtiques subversives, qui le font rire avec leurs journaux et leurs revues, leurs manifestes et leursprogrammes. les entendre, ils vont tout rvolutionner. Assez de vieuxarts morts et de vieilles littratures pourries ! Du nouveau, du nouveau, delinaccessible, de lintreignable, de linexprim131 ! . Il nest pas plustendre avec ceux pour qui le progrs signifie en ralit le grand bond enarrire, les prtentieux artistes de lme et autres prraphalites,symbolistes, mystiques larmoyants et autres kabbalistes etdcadents gcheurs de couleurs132 , pour qui seule compte la postureauto-promotionnelle. Et le chantre de Pissarro et de Van Gogh se rvletotalement rfractaire Matisse et sa pauvre folie , dont il se gaussedevant Claude Monet133. Werth, une fois de plus, se situe dans sa

    continuit quand il conteste les engouements injustifis, au point dallerjusqu dmythifier Lonard de Vinci, ou quand il voit dans les cubistes leshritiers sans me des peintres de la Rose-Croix134 , ces fidles du srPladan tympanis par Mirbeau, ou bien quand il reproche aux futuristes135

    de sacrifier lhomme la machine, ou encore quand il dcle chez Picassoun nouvel avatar de lacadmisme en mme temps quun mystificateursduisant et camlonesque, dont le seul gnie consiste faire du fric enexploitant le snobisme des gogos et des banquiers. On est en droit de voirdans leurs jugements critiques, parfois sans nuances, la preuve des limites

    128 Mirbeau ne se fait aucune illusion sur cette admiration, qui rsulte du snobisme des uns et duconformisme des autres, sans quil y ait, chez la plupart des hommes dans leurs jugements sur lart, la moindremotion esthtique.

    129 Lon-Paul Fargue reconnat ainsi que Werth est courageux comme peu de gens au monde, courageuxcomme ltait Mirbeau, naturellement (cit par Gilles Heur, op. cit., p. 159).

    130 Voir Pierre Michel, Mirbeau et le concept de modernit , dans les Actes du colloque de Caen Mirbeau et la modernit , Cahiers Octave Mirbeau, n 4, 1997, pp. 11-32.

    131 Octave Mirbeau, Propos belges ,Le Figaro, 26 septembre 1890 (article recueilli dans les Combatslittraires de Mirbeau, paratre lAge dHomme)..

    132 Octave Mirbeau, Botticelli pr