Upload
naoufalstitou
View
214
Download
0
Embed Size (px)
DESCRIPTION
psy
Citation preview
La psychothérapie des psychoses1
Si l’on étudie les critères diagnostiques de la psychiatrie, il est un
fait qui frappe aussitôt : malgré leur grande complexité et l’étendue
du domaine clinique qu’ils couvrent, ces critères sont
essentiellement centrés sur un point particulier, la relation à la
réalité. Mais, bien entendu, la réalité à laquelle pense le psychiatre
est celle, à la fois subjective et objective, de l’adulte normal. Cela se
justifie peut-être comme point de vue sociologique sur la folie, mais
un fait capital reste ainsi ignoré : les fondements des modes de
relations à la réalité, dans la petite enfance, sont d’une nature
absolument différente. L’analyse des jeunes enfants âgés de deux ans
et demi à cinq ans montre clairement qu’au début de la vie, la réalité
extérieure constitue surtout, pour tous les enfants, un miroir de leur
propre vie pulsionnelle. Or, la première phase des relations humaines
est dominée par des pulsions sadique-orales. Celles-ci s’exacerbent à
la suite d’expériences de privation et de frustration, et le résultat de
ce processus est le suivant : tous les autres instruments d’expression
sadique à la disposition de l’enfant, et que nous nommons sadisme
urétral, anal ou musculaire, sont activés à leur tour et dirigés contre
les objets. Pendant cette phase, en effet, la réalité extérieure est
1 Contribution à un Symposium sur le Rôle de la Psychothérapîe dans les
Psychoses, lors d'une Séance Commune de la Section de Psychiatrie de la
Royal Society of Medecine, et de la Section Médicale de la British
Psychologial Society.
1
La psychothérapie des psychoses
peuplée, selon l’imagination de l’enfant, d’objets dont il attend
précisément le même traitement sadique que celui qu’il est poussé à
leur infliger. Cette relation constitue véritablement la réalité
primitive du très jeune enfant.
Il n’est pas exagéré de dire que d’après la première réalité de
l’enfant, le monde est un sein et un ventre rempli d’objets dangereux
— dangereux par la tendance de l’enfant lui-même à les attaquer.
Alors que le cours normal du développement permet au moi
d’estimer progressivement les objets extérieurs à l’échelle des
valeurs de la réalité, le monde — c’est-à-dire, pratiquement, les
objets — est évalué par le psychotique à son niveau d’origine ;
autrement dit, le monde est encore, pour le psychotique, un ventre
peuplé d’objets dangereux. Si l’on me demandait donc de justifier en
quelques mots un concept général des psychoses, je dirais que leurs
types principaux correspondent à des défenses contre les principales
phases du développement du sadisme.
Voici une des raisons pour lesquelles de telles relations sont
habituellement méconnues : bien qu’il existe, certes, des cas
présentant de très étroites ressemblances, les traits diagnostiques
des psychoses infantiles diffèrent en général essentiellement de ceux
des psychoses classiques. Je dirais par exemple que le trait le plus
inquiétant que l’on puisse trouver chez un enfant de quatre ans est
l’activité de certains systèmes de fantasmes, caractéristiques de
l’enfant d’un an, — en d’autres termes, une fixation qui,
cliniquement, provoque l’arrêt du développement. Bien que la
fixation de la vie fantasmatique ne soit dévoilée que par l’analyse, un
tel cas présente néanmoins de nombreux signes cliniques de retard,
qui sont rarement appréciés à leur juste valeur, s’ils le sont jamais.
Chez les patients qu’un médecin examine, il est souvent
impossible après un seul examen rapide de déceler la schizophrénie.
De telle sorte que de nombreux cas semblables sont classés sous des
appellations vagues telles que « arrêt du développement », « état
2
La psychothérapie des psychoses
psychopathique », « tendances asociales », etc. Par-dessus tout, la
schizophrénie est moins évidente et moins nette chez les enfants que
chez les adultes. Certaines caractéristiques de cette maladie sont
moins apparentes chez un enfant parce que, sur un mode atténué,
elles entrent dans le développement des enfants normaux. Des
manifestations telles que, par exemple, la rupture marquée avec la
réalité, le manque de contact affectif, l’incapacité à se concentrer sur
une occupation, l’attitude stupide ou le bavardage incohérent ne
frappent pas l’attention lorsqu’il s’agit d’un enfant ; nous ne jugeons
pas celui-ci comme nous jugerions un adulte. Un excès d’activité et
des mouvements stéréotypés sont très fréquents chez les enfants, et
seule une différence de degré les sépare de l’hyperkinésie et de la
stéréotypie des schizophrènes. Il faut que l’obéissance automatique
soit très accentuée pour que les parents la prennent pour autre
chose que de la « docilité ». L’attitude négativiste est considérée en
général comme de la « méchanceté », et la dissociation est un
phénomène qui, chez un enfant, échappe généralement à toute
observation. L’angoisse phobique des enfants comprend souvent des
idées de persécution du type paranoïde et des peurs
hypocondriaques ; une observation attentive est nécessaire pour le
reconnaître, et bien souvent, l’analyse seule le révèle. On rencontre
chez les enfants des traits psychotiques plutôt que des psychoses,
mais dans des circonstances défavorables, ceux-ci peuvent conduire
plus tard à la maladie. (Cf. « La Formation du Symbole ».)
Je pourrais citer l’exemple d’un cas où les actions stéréotypées se
fondaient entièrement sur une angoisse psychotique, mais qui
n’aurait jamais éveillé pareil soupçon. Il s’agit d’un garçon de six ans
qui jouait pendant des heures à l’agent de police en train de régler la
circulation ; il reprenait donc sans cesse certaines attitudes et en
gardait quelques-unes pendant un bon moment. Il donnait ainsi des
signes de catatonie et de stéréotypie, et l’analyse dévoila des
terreurs écrasantes et caractéristiques, habituelles aux cas de nature
3
La psychothérapie des psychoses
psychotique. Notre expérience nous a appris que pour cette peur
psychotique écrasante, il est un mode typique de s’endiguer au
moyen de divers artifices liés aux symptômes.
Il existe aussi des enfants qui vivent dans leurs fantasmes, et nous
pouvons observer qu’ils doivent exclure toute réalité de leurs jeux
afin de pouvoir maintenir leur univers fantasmatique. Ces enfants
trouvent toute frustration insupportable parce qu’elle leur rappelle la
réalité ; ils sont absolument incapables de se concentrer sur une
occupation qui se rattache à la réalité. Un garçon de six ans, par
exemple, qui répondait à ce type, jouait sans cesse à être le chef
puissant d’une bande de chasseurs féroces et de bêtes sauvages ; il
combattait, et après avoir remporté la victoire, infligeait une mort
cruelle à ses ennemis, qui se faisaient aider eux aussi par des
animaux sauvages. Les bêtes étaient alors mangées. La bataille ne
s’achevait jamais, car de nouveaux animaux surgissaient sans cesse.
Une longue période d’analyse fit apparaître, chez cet enfant, non
seulement une névrose grave, mais aussi des traits nettement
paranoïdes. Il s’était toujours, consciemment, senti entouré et
menacé par des magiciens, des soldats, des sorcières, etc. Comme
tant d’autres enfants, ce garçon avait toujours gardé, devant son
entourage, le secret le plus total sur le contenu de son angoisse.
Je découvris aussi, par exemple, chez un enfant apparemment
normal qui croyait avec une ténacité exceptionnelle à la présence
constante, autour de lui, de fées et de personnages bienveillants tels
que le Père Noël, que ces personnages dissimulaient une angoisse : il
était toujours entouré d’animaux terrifiants qui menaçaient de
l’attaquer et de l’avaler.
À mon avis, la schizophrénie pleinement développée est plus
fréquente chez les enfants qu’on ne le croit ; les traits schizoïdes
sont un phénomène bien plus répandu encore. Je suis arrivée à la
conclusion que le concept de schizophrénie en particulier et de
psychose en général, telles qu’elles se présentent chez les enfants,
4
La psychothérapie des psychoses
doit être élargi, et je crois qu’une des tâches principales de la
psychanalyse des enfants consiste à dépister et à soigner les
psychoses de l’enfance. Les connaissances théoriques ainsi acquises
amélioreraient sans aucun doute notre compréhension de la
structure des psychoses, et nous permettraient également d’établir
un diagnostic différentiel plus précis entre les diverses affections.
5