Psychotraumatologie : Apports de la Psychiatrie Militaire et de la

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    UNIVERSITE DE ROUEN FACULTE DE MEDECINE

    Anne 2012

    THESE POUR LE DOCTORAT EN MEDECINE

    Psychotraumatologie :

    Apports de la Psychiatrie Militaire et de la Psychiatrie Civile.

    Prsente et soutenue publiquement le 20 septembre 2012

    par Isabelle de VITTON

    Prsidente de jury : Madame le Professeur Florence THIBAUT Directeur de thse : Monsieur le Docteur Christian NAVARRE

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    Par dlibration en date du 3 mars 1967, la Facult a arrt que les

    opinions mises dans les dissertations qui lui seront prsentes doivent tre considres comme propres leurs auteurs et quelle nentend

    leur donner aucune approbation ni improbation.

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    Remerciements Aux membres du jury de cette thse :

    Madame le Professeur Florence THIBAUT qui ma fait lhonneur daccepter de prsider le jury, Monsieur le Docteur Christian NAVARRE qui a dirig ce travail, ainsi que les Professeurs Pierre DCHELOTTE et Bernard PROUST.

    mes matres :

    le Professeur Florence THIBAUT et le Gnral Louis CROCQ, pour lexcellence de leur enseignement et leur prcieux soutien.

    Je tiens galement leur tmoigner toute ma gratitude pour leurs encouragements et les opportunits quils mont offertes dentrer en relation avec certaines personnes particulirement comptentes dans la problmatique aborde.

    mon directeur de thse et chef de service au Centre Hospitalier du Rouvray :

    le Docteur Christian NAVARRE, qui fut pionnier dans le rseau des CUMP et sans lequel je naurais pu raliser ce travail.

    Il ma transmis sa passion de la psychotraumatologie et ma guide au cours de mon internat. Quil en soit sincrement remerci.

    Aux chefs de service qui mont accueillie et forme :

    le Professeur Humbert BOISSEAUX grce qui jai eu le privilge de connatre la psychiatrie militaire, le Professeur Priscille GRARDIN, le Docteur Christian NAVARRE, le Docteur Annie NAVARRE, le Docteur Gal FOULDRIN, le Docteur Laurent FABRE, le Docteur Marie-Nolle VACHERON, le Docteur Mounir SAMY et le Docteur Batrice BEAUFILS, ainsi que leurs quipes.

    Ils ont fait de moi la psychiatre que je suis aujourdhui. Je leur suis profondment reconnaissante de tout ce quils mont apport.

    Aux enseignants du Diplme Universitaire sur le stress de Paris V :

    notamment le Gnral CROCQ, Madame DENTAN et Monsieur CABON. Mes remerciements vont galement au Docteur Franois DUCROCQ pour

    son aide prcieuse dans mes recherches bibliographiques.

    Aux militaires qui ont accept de se prter aux entretiens. Je ne saurais suffisamment remercier pour la qualit de leur accueil les deux

    rgiments qui se reconnatront. Aux patients qui ne sauront jamais quel point ils mont enrichie au cours de ma formation.

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    Je ddie cette thse mes parents,

    mon arrire-grand-pre le Colonel HIRIART, ancien dport,

    et mon oncle Pierre LONARD, mort sous les drapeaux 23 ans.

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    Sommaire

    I. Introduction

    II. Historique de la psychotraumatologie

    A. En milieu militaire 1. Ds lAntiquit 2. Lexprience napolonienne 3. Les grands conflits arms mondiaux 4. Guerres post-coloniales et terrorisme

    B. En milieu civil 1. Les catastrophes civiles 2. Psychiatrie de secteur et psychiatrie durgence

    C. Interactions et apports rciproques

    1. Les psychiatres et les guerres 2. Cration des CUMP 3. SAMU et EPRUS

    III. Clinique et thrapeutique de ltat de stress aigu et de ltat de stress post-traumatique

    A. Clinique de ltat de stress aigu et de ltat de stress post-

    traumatique 1. Dfinitions 2. LESA 3. LESPT

    B. Thrapeutique en milieu militaire 1. Programmes daide aux soldats

    a. BMT b. Buddy Aid c. ERASE

    2. CISPAT et psychiatre dOPEX a. SSA b. CISPAT

    3. Le debriefing

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    C. Thrapeutique en milieu civil 1. La psychothrapie

    a. Analytique b. TCC c. Hypnose d. EMDR e. Approches ltude

    2. La pharmacothrapie a. Hypothses physiopathologiques b. Psychotropes

    IV. Prise en charge du stress de combat en milieu militaire : une volution rcente

    A. Le sas de fin de mission de Chypre

    1. Pourquoi un sas de fin de mission ? 2. Droulement du sas 3. Objectifs

    B. Observations cliniques 1. Militaires ntant pas passs par le sas 2. Militaires tant passs par le sas 3. Commentaires

    C. Evolution de la socit et du Service de Sant des Armes

    1. Une arme professionnalise 2. volution des mentalits 3. Un partenariat renforc

    V. Discussion

    VI. Conclusion Bibliographie Annexes Rsum

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    I. Introduction Le domaine de la psychotraumatologie, encore mconnu il y a quelques dcennies, a

    formidablement volu au cours de lHistoire.

    Bien que des descriptions de cas correspondant au syndrome psychotraumatique aient t

    rapportes depuis lAntiquit, cest au cours des grands conflits arms du XXe sicle que la

    psychotraumatologie a connu son plein essor.

    lheure o les mdias parlent de plus en plus des cellules de soutien psychologique

    dployes en cas de catastrophe civile, et o larme franaise dsengage ses troupes du

    thtre militaire afghan, ce travail se propose de reprendre le dveloppement de la

    psychotraumatologie au travers de lvolution conjointe de la psychiatrie militaire et de la

    psychiatrie civile.

    Aprs un rappel clinique et thrapeutique, un expos du rcent dispositif de sas de fin de

    mission au sein de larme franaise ouvrira la discussion sur la complmentarit de ces

    deux approches mdicales. Des mthodes psychothrapeutiques similaires peuvent en effet

    sappliquer aux victimes civiles de catastrophes.

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    II. Historique de la psychotraumatologie Le dveloppement de la psychotraumatologie sest articul autour des vnements

    martiaux de lHistoire qui furent des moments de rupture et de rnovation.

    Les progrs de lhygine mdicale faisant reculer les grands flaux pidmiques qui

    dominaient les questions de sant, notamment en milieu militaire, laissaient progressivement

    voir limpact de la bataille sur ltat psychologique du soldat.

    A. En milieu militaire

    Alors que la nvrose traumatique a t identifie par le neurologue allemand

    OPPENHEIM ds 1888 chez les accidents des tout rcents chemins de fer (109), ce sont

    surtout les conflits arms du XXe sicle qui ont fait le jour sur ce qui fut dnomm la

    nvrose de guerre , et qui en ont permis les grandes avances thrapeutiques.

    La pathologie psychotraumatique, dj retrouve dans les rcits relatant les rves de

    bataille dans lAntiquit, prit successivement diverses appellations.

    Du syndrome du vent du boulet lors des guerres napoloniennes, aux hystries

    traumatiques de la Grande Guerre, la connaissance de ce trouble sest enrichie des grands

    conflits arms du XXe sicle.

    Le nouveau type de guerre que connat le XXIe sicle offre de nouveaux dfis aux

    psychiatres militaires contemporains, qui oeuvrent de plus en plus en partenariat avec leurs

    homologues civils.

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    1. Ds lAntiquit

    Selon L. CROCQ (34), la rflexion sur le trauma a toujours accompagn la violence de

    lHomme et sa rencontre avec lincomprhensible de la mort.

    On en retrouve ainsi des traces dans le rcit lgendaire plurimillnaire de lpope

    msopotamienne de Gilgamesh en 2000 av. JC, ou encore dans lIliade dHOMRE (900 av.

    JC)

    On retrouve dans lAntiquit de nombreux autres cas en lien avec des combats :

    Le cas du guerrier athnien EPIZELOS, atteint de ccit hystrique motionnelle en

    pleine bataille de Marathon, constitue une vritable observation clinique rapporte par

    HRODOTE en 390 av. JC (cit par L.CROCQ en 2003 (35)).

    On peut aussi en retrouver dans la Chanson de ROLAND (Bataille de Roncevaux) vers

    1110, et dans les Chroniques de FROISSART (Guerre de Cent Ans) en 1338.

    Ambroise PAR, chirurgien franais des champs de bataille, recueille au lendemain du

    massacre de la Saint Barthlemy (1572) auprs du jeune roi Charles IX qui en fut tmoin, ses

    plaintes dhallucinations et cauchemars terrifiants en faire dresser les cheveux sur la tte .

    Dans son pome Les Tragiques, AGRIPPA dAUBIGN dcrit par cette mme image ( Mes

    cheveux tonns hrissent en ma tte ) les atrocits auxquelles il a assist en tant

    quhuguenot lors des guerres de religion.

    Cest cette poque que SHAKESPEARE mentionne les rves de bataille dans ses pices

    Romo et Juliette, et Henry IV, et dcrit, dans Macbeth, les symptmes psychotraumatiques

    du couple Macbeth, tortur par la culpabilit de ses crimes. (35)

    2. Lexprience napolonienne

    Les vnements de la Rvolution et de lEmpire fournirent des cas de nvroses de la

    circulation ou de la respiration , prfigurant la nvrose traumatique.

    Il faut rappeler que la discipline psychiatrique nexistait pas en tant que telle avant le

    XIXe sicle (ESQUIROL, PINEL), et quelle ne sest autonomise de la neurologie quau

    milieu du XXe sicle.

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    Les dsordres psychiques observs jusqualors trouvaient une explication

    neuropsychiatrique, et les pathologies infectieuses telles que syphilis et tuberculose taient

    combattues en premier chef par les mdecins du Service de Sant des Armes. (CLERVOY

    2008 (26))

    DESGENETTES, PERCY et LARREY, mdecins de la Grande Arme, dnomment

    syndrome du vent du boulet ltat stuporeux qui saisit les combattants pargns de

    justesse par un boulet pass tout prs deux. (CROCQ 2003 (35)). Le concept de la commotion

    est leffet lsionnel sur les mninges et les vaisseaux crbraux de la succession dondes de

    pression et de dcompression accompagnant lexplosion de lobus.

    Il est intressant de noter que le Syndrome Post-Commotionnel est une entit clinique

    actuelle, comme le rappellent AUXEMERY et RIBETON de lHIA Legouest Metz dans

    leur travail de 2012 La ralit post-commotionnelle du syndrome subjectif des patients

    traumatiss crniens (6) :

    Le syndrome post-commotionnel rside aux confins de symptmes somatiques

    (cphales, vertiges, fatigue), cognitifs (trouble de mmorisation et de concentration), et

    affectifs (irritabilit, labilit motionnelle, dpressivit, anxit, troubles du sommeil). Partant

    du constat que de nombreux traumatiss crniens lgers examens clinique et paraclinique

    normaux prsentent une souffrance durable, les auteurs affirment que la recherche de

    microlsions crbrales est ncessaire afin dobjectiver latteinte neuropathologique et de

    proposer un modle tiologique, mais ne doit pas faire dissocier le psychique du somatique

    (dissociation thorique cerveau-esprit) dans lapproche thrapeutique de ces patients.

    Une tude amricaine de mai 2012 de GOLDSTEIN et son quipe a t publie sur le

    syndrome post commotionnel (57). Ils ont ralis des autopsies de cerveaux de vtrans de

    larme amricaine ayant t exposs des blasts (souffles dexplosion) et/ou

    concussion (commotion crbrale) et ont retrouv une encphalopathie neurodgnrative

    lie la protine tau, l encphalopathie traumatique chronique , connue chez des joueurs

    de baseball antcdent de traumatisme crnien lger.

    Lexprience que GOLDSTEIN a alors monte sur modle murin blast a retrouv la

    tauopathie associe une neuro-inflammation chronique, une axonopathie, et des lsions

    microvasculaires sans hmorragie ni lsion crbrale macroscopiques. Ces lsions

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    expliqueraient les troubles mnsiques observs au dcours des traumatismes. Il a t dmontr

    que limpact dltre des ondes de choc passait par (et pouvait ne se limiter qu) loscillation

    de la tte. Les rsultats identifient donc des dterminants pathogniques communs

    lencphalopathie traumatique chronique chez les militaires exposs des blasts et chez les

    sportifs traumatiss crniens. Il sagit pour les auteurs dune preuve mcanique du lien entre

    lexposition des traumatismes crniens lgers (commotions crbrales) et les dficits

    persistants des fonctions neurophysiologiques que sont lapprentissage et la mmoire.

    Dans son article Psychiatrie du combattant : volution sur trois sicles, P. CLERVOY

    crit en 2008 (26) Dans son acte auprs du bless de guerre, le dvouement du chirurgien, sa

    prsence et son engagement moral, sont dj la forme dun soin psychologique.

    Henri DUNANT rapporte en 1863 (43) lhorreur du champ de Bataille de Solferino le 24

    juin 1859 les yeux hagards , la prostration et les soldats agits dun branlement

    nerveux et dun tremblement convulsif .

    la mme poque, DA COSTA, mdecin dans larme nordiste lors de la Guerre de

    Scession amricaine dcrivait le soldiers heart ( cur de soldat ), manifestation

    cardiovasculaire danxit due lpuisement et la frayeur.

    Cest au cours de la guerre russo-japonaise de 1904-1905 que fut instaure la doctrine de

    la psychiatrie de lavant par le psychiatre russe AUTOCRATOV : le transsibrien

    ntant pas achev, cest par charrettes hippomobiles que les psychiatres parcouraient le front

    la recherche de blesss psychiques afin doprer un triage et de les traiter proximit du

    front. Lallemand HONIGMAN, qui y participait comme psychiatre volontaire de la Croix

    Rouge, cra le terme de nvrose de guerre en 1908.

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    3. Les grands conflits arms mondiaux

    La Premire Guerre Mondiale oublia cette pratique de psychiatrie de lavant et vit

    vacuer sur les hpitaux de larrire une masse de blesss psychiques qui reprsentait une

    attrition notable deffectif au front. Leurs cas firent lpoque lobjet de nombreuses

    publications.

    Comme le rapporte le Docteur NAVARRE en introduction de son ouvrage de 2007

    Psy des catastrophes, dix annes auprs des victimes (105), ces combattants rescaps des

    assauts meurtriers, englus de la boue des tranches en tte tte forc avec les cadavres

    grimaants de leurs camarades, ces soldat saturs dexplosions, dclats dobus et de bombes,

    ahuris aprs lacharnement dun corps corps o ils ont peru la frocit dans le regard de

    lennemi, () reviennent effrays de ce nant des enfers .

    Les blesss nerveux qui ne sont pas morts au front sont des poilus qui nont jamais eu

    droit la reconnaissance publique, tant ils renvoyaient une image terrible de la guerre en

    complte contradiction avec les lauriers de lhrosme.

    Un mdecin militaire, le mdecin-major MILIAN, est en janvier 1915 lun des premiers

    dcrire les cas de psychonvrose que prsentent ces hommes frapps de terreur dans son

    article intitul Lhypnose des batailles paru dans la revue Paris Mdical (96).

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    Dans Le Courage (1917) (66) et Le Cafard (1918) (67), Paul VOIVENEL et Louis HUOT

    tudient le stress post-traumatique, analysant la dcharge motionnelle diffre ( hmorragie

    de la sensibilit ) contenue durant lassaut sous le coup de lhorreur de la situation. Ce nest

    qu lissue des vnements que leffroi submerge le Poilu.

    La Premire Guerre Mondiale marqua une grande rupture pour les mdecins militaires

    qui se retrouvrent confronts une incidence inattendue de conversions hystriques.

    En 1916, ROUSSY et BOISSEAU (cits en 2011 dans le livre de LE NAOUR Les

    soldats de la honte (90)) notaient que ds le dbut de la guerre, les troubles nerveux tant

    organiques que fonctionnels prirent une importance qui ne laissa pas de surprendre mme les

    gens les plus autoriss .

    Lhypothse pathognique commotionnelle a laiss place lhypothse motionnelle

    avec lattribution dune signification symbolique au symptme conversif.

    Ainsi, il a t observ des tics de la face chez le soldat ayant billonn un ennemi au

    visage, ou des spasmes abdominaux chez dautres qui avaient poignard ladversaire

    labdomen, ou encore des ccits conversives chez des snipers.

    Un ouvrage de psychiatrie militaire de 1930 (RODIER et FRIBOURG-BLANC (113)),

    cit par CLERVOY (26), sattachait dmontrer quil nexistait pas de clinique psychiatrique

    spcifique au temps de guerre.

    Cinq ans plus tard, les mmes auteurs publirent un autre ouvrage (FRIBOURG-BLANC

    et GAUTHIER (52)) qui souligne pourtant les spcificits dune pratique psychiatrique aux

    armes, comme le reprendront en 1969 les psychiatres JUILLET et MOUTIN dans leur

    ouvrage Psychiatrie Militaire (72) qui synthtise les travaux psychiatriques de la Seconde

    Guerre Mondiale. Les pathologies des temps de paix y sont distingues des pathologies des

    temps de guerre en adoptant de nouveaux termes dnus de jugement moral ( conduite de

    fugue au lieu de lchet , conduite addictive au lieu d ivrognerie )

    Les articles du Gnral CROCQ (2005 (37)) ainsi que du Docteur NAVARRE (1991 (102))

    ce sujet soulignent combien les profils cliniques, hypothses pathogniques et attitudes

    thrapeutiques ont suivi lvolution du conflit.

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    En effet, on a vu que MILIAN avait surnomm hypnose des batailles ltat confuso-

    stuporeux des combattants puiss lt 1914. Lanne suivante, une fois le front stabilis,

    cest le terme anglosaxon de shell shock (qui signifie littralement choc dobus , et traduit

    leffet des ondes de choc caus sur le cerveau des combattants par les tirs dartillerie) ou celui

    d obusite qui fut employ par GAUPP, MYERS et CHAVIGNY pour traduire les

    squelles (en fait plus post-motionnelles que post-commotionnelles) des soldats pilonns au

    fond des tranches qui prsentaient une obnubilation. Puis, avec lenlisement du conflit et la

    baisse du moral des troupes, LPINE voque des hystries de guerre ou neurasthnies, dont

    on sest inquit de lafflux quasi pidmique, alors que ces grandes hystries la

    CHARCOT avaient quasiment disparu avant la guerre. De nombreuses observations

    cliniques relevaient des troubles psychosomatiques touchant principalement la peau

    (psoriasis), les phanres (canitie), le systme endocrinien (glande thyrode, pancras causant

    des diabtes), et linnervation autonome (palpitations du cur du soldat de DA COSTA,

    hyperhydrose palmaire). Enfin, la fin de la guerre voit apparatre les termes de

    psychonvrose de guerre et nvrose traumatique par ROUSSY, MILLIGAN, FERENCZI et

    LHERMITTE.

    Ainsi, pour ROUSSY et LHERMITTE (1917 (116)), laccident nvropathique survient en

    trois phases. Une premire phase de renforcement dune prdisposition motive

    constitutionnelle dans le contexte martial, une phase d incubation silencieuse au cours de

    laquelle linstinct de conservation suspend les ractions dangereuses de sidration ou

    dagitation en milieu dcouvert et inspire au sujet des conduites de sauvegarde , puis une

    phase de fixation o les symptmes nvropathiques sinstallent et se prennisent par

    enfouissement dans linconscient.

    Quant aux hypothses pathogniques, elles furent dabord organiques et biologiques avec

    la confusion mentale de guerre de CAPGRAS, la paralysie nerveuse rflexe de

    BABINSKI et OPPENHEIM, et lexplication post-commotionnelle de SARBO, MAIRET et

    MOTT (rminiscence du Syndrome du Vent du Boulet de lpoque napolonienne).

    Constatant que de nombreux tableaux se rduisaient aux troubles motionnels et affectifs mais

    taient dpourvus des symptmes cognitifs de confusion, ltiologie commotionnelle cda la

    place lhypothse post-motionnelle (par effroi et autosuggestion, comme le dcrivait

    LPINE ). Les symptmes pseudo-neurologiques taient en ralit aberrants et changeants, ce

    qui voquait une pathologie purement nvrotique (hystrique ou neurasthnique). Cest enfin

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    les hypothses psychodynamiques qui simposrent avec les notions d effondrement

    narcissique de rgression libidinale et de complexe de peur dveloppes par

    FREUD, FERENCZI et ABRAHAM (51).

    Sur le plan thrapeutique, on sinspira dabord de la thrapie applique par lAmricain

    W. MITCHELL (qui posait le diagnostic d hystrie masculine ) en ayant recours aux

    moyens usuels de sdatifs ou psychostimulants assortis de repos et nourriture abondante. On

    insista ensuite sur la suggestion (KAUFMAN), ventuellement au moyen de coercition

    faradique comme la pratiquait Clovis VINCENT, qui fut sans succs. En revanche, les

    abractions cathartiques sous hypnose ou narcose (PROCTOR, CHIADINI) firent la preuve

    de leur efficacit. ABRAHAM et SIMMEL en tablirent des applications de la psychanalyse.

    On souligne la radicale divergence entre la mthode douce (de repos, balnothrapie,

    hliothrapie, et massages) et celle du torpillage lectrique , qui rvle lambigut du

    corps mdical face ces consquences de la guerre. Comme le disait PASTEUR, La

    Science na pas de patrie, mais le savant en a une . Le dilemme du psychiatre militaire se

    trouvait entre lexigence patriotique de la gurison la plus prompte pour renvoyer les soldats

    leur devoir au front dont ils ont cherch se soustraire , et le soulagement de la

    souffrance dun patient.

    Les conversions hystriques posent la dlicate question de la simulation. On note

    dailleurs que lhystrie, qui emprunte des symptmes de pathologie somatique sans aucune

    anomalie organique, tait surnomme grande simulatrice par CHARCOT. BABINKSI,

    lve de CHARCOT, rebaptise lhystrie en 1901 pithiatisme (dont ltymologie grecque

    signifie persuader ). Il considre en effet que ce trouble nat de lautosuggestion, et que sa

    gurison est affaire de persuasion. La simulation hante les proccupations des soignants, dont

    le neurologue Andr LERI de Rennes, cit par LE NAOUR (90) : Ce qui augmente de plus

    en plus cest lenttement complet et le parti pris bien arrt des simulateurs de ne cder

    aucune espce de menace ou de contrainte ; il apparat de faon nette que des leons leur ont

    t faites, et bien faites, [] leur assurant limpunit par limpossibilit frquente dune

    dmonstration absolue.

    En voquant les ractions de stress aigu inadaptes (comportement automatique, fuite

    panique (CYGIELSTREJCH 1916 (39)), les mdecins militaires de la Grande Guerre

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    identifient le caractre pathologique de ces soldats qui se mettent en danger (en jaillissant des

    tranches et courant sous la fusillade) l o la justice militaire a parfois condamn mort un

    fugueur /dserteur. LOGRE, dans son article Sur quelques cas de fugue pathologique devant

    lennemi (92) en 1916 relate ces cas. On parle alors de peur morbide , de poltronnerie

    pathologique .

    Face la justice militaire et la terrifiante perspective du peloton dexcution l o le

    commandement pouvait ne voir quun abandon de poste, lexpertise psychiatrique avait un

    rle crucial : du certificat mdical pouvait dpendre la vie ou la mort de laccus. Aprs

    plusieurs graves et lourdes erreurs mdico-judiciaires, lthique mdicale prvalut vers la fin

    de la guerre.

    Quand un homme recouvrait pleinement sa raison dans le confort relatif dun hpital de

    larrire, il tait trs probable quil retomberait malade ds quon le renverrait lavant.

    En 1917, LEPINE constatait que plus nous allons, et plus nous constatons dans cette

    guerre que la prdisposition perd sa valeur et que les circonstances occasionnelles

    apparaissent au contraire comme le vritable facteur. (91). On reconnaissait que la violence

    du conflit pouvait conditionner leffondrement des rsistances du combattant.

    Par ailleurs, bien que prconise ds 1915 par GRASSET, sinspirant dAUTOCRATOV,

    la psychiatrie de lavant ne fut applique que deux annes plus tard par les Franais

    (DEMAYE).

    LAmricain SALMON la formalisera ultrieurement par ses cinq principes

    Immediacy Centrality Expectancy Proximity Simplicity que lon peut traduire par

    Immdiatet, centralit, espoir de gurison, proximit, et simplicit des soins

    Mais nouveau, la Seconde Guerre Mondiale est marque par les vacuations vers

    larrire des blesss psychiques. Cest au bout de quatre annes de guerre, quavec la

    circulaire BRADLEY du 26 avril 1943, les psychiatres anglo-amricains ont eu ordre de

    traiter les victimes dexhaustion (puisement) sur place pendant une semaine. Ce systme de

    camps de repos et de rentranement a permis de limiter la fonte deffectif dans les rangs

    allis.

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    On retient cet t-l les incidents PATTON : gnral qui invectiva et gifla des soldats

    traumatiss au combat.

    Au lendemain des deux Grandes Guerres Mondiales, les souffrances psychiques

    conscutives la guerre taient mconnues des psychiatres et mdecins de famille ny voyant

    que de banales dpressions qui sattnueraient avec le temps. (AL-SAFFAR, BORGA, et

    HALLSTROM 2002 (3)) (HOWGEGO, OWEN, et MELDRUM 2005 (65))

    Leuphorie dune paix retrouve plongeait les soldats dans loubli ou lindiffrence qui

    sajoutait un trauma encore plus indicible.

    La spcificit de la nvrose de guerre ntait en fait connue que du cnacle

    restreint des psychiatres militaires.

    Cette pathologie particulire ne peut tre traite selon les mmes mthodes que celle de la

    psychiatrie courante.

    Les psychiatres militaires font ds lors la distinction entre les ractions aigus au combat,

    et les nvroses de guerre, pathologie chronique qui en rsulte. Lhypnose et la narco-analyse

    sont pratiques grande chelle dans le cadre de programmes de rhabilitation

    (sociothrapie).

    4. Guerres post-coloniales et terrorisme

    Pendant la Guerre de Core (56) (1950-1953) et la guerre du Vietnam (1954-1975), les

    principes de SALMON furent appliqus (38), mais le nombre des post-Vietnam syndromes

    (25% des combattants) a montr combien une psychiatrie de lavant qui se contente de

    rprimer les symptmes du stress sans aborder la question du trauma ntait pas thrapeutique

    long terme. Ces post-Vietnam syndromes ont clos aprs un temps de latence pouvant aller

    jusqu' plusieurs annes. Les vtrans cherchaient se gurir entre eux par la parole et

    lcoute dans des rap groups, car ils avaient limpression de ne pas tre compris des

    psychiatres. Les problmes poss aux Etats-Unis par lafflux des post-Vietnam syndromes ont

    relanc lintrt pour cette pathologie et abouti en 1980 lentre de l tat de stress post-

    traumatique ou Post Traumatic Stress Disorder (PTSD) dans les catgories

    diagnostiques du DSM-III (Diagnosis and Statistical manual of Mental disorders) (89),

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    remplaant les dnominations de nvrose traumatique (H. OPPENHEIM) ou de nvrose

    deffroi du psychiatre allemand E. KRAEPELIN.

    La pathologie psychotraumatique avait en effet disparu de la nosographie psychiatrique

    au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.

    Le diagnostic Gross Stress Reaction du DMS I avait disparu du DSM II (1968), alors

    mme que les militaires au Vietnam connaissaient les conditions traumatiques dun combat

    intensif avec loffensive du Tt. SHATAN, psychiatre canadien, qui observait leurs

    reviviscences, leur agressivit, leurs ruminations, leur tat dalerte et leur transfiguration de

    la personnalit , contribua la rintgration du PTSD dans le DSM III. Le rseau des Vet

    Centers (structures extra-hospitalires destines aux vtrans et comprenant des psychiatres,

    conseillers juridiques et assistants sociaux) a connu un immense succs, rvlant ltendue

    des squelles psychiques, et le besoin dun suivi adapt au long cours.

    Plus rcemment, un soutien psychologique mieux conu (avec dbriefings) a t appliqu

    en Isral (1982), pendant la premire guerre du Golfe (1991), auprs des forces de lONU en

    Ex-Yougoslavie (1992) et dans les forces franaises lors des missions outre-mer comme au

    Rwanda en 1994.

    Aprs de longues annes dimmobilisme apparent de la Guerre Froide, les soldats

    franais se trouvent de nouveau impliqus dans des conflits arms, mais les conditions en ont

    radicalement chang : il sagit doprations dinterposition et de maintien de la paix sous

    mandat international de lONU et de lOTAN, des missions de police au profit du Tribunal

    International, laccueil humanitaire de populations rfugies. On parle de Syndrome des

    Casques Bleus pour voquer le stress permanent -li aux menaces individuelles et la

    limitation des conditions douverture du feu- auquel ils sont exposs.

    Les troupes de lONU affectes des missions dinterposition et de secours humanitaires

    ont dvoil de nouveaux profils de psychotraumatismes de guerre avec dmotivation et

    exaspration. (LASSAGNE et al. 1995 (78))

    Les guerres post-coloniales (dIndochine, dAlgrie, dAngola), qui nont pas appliqu un

    dispositif de psychiatrie de lavant efficace, ont un profil particulier : ce sont des guerres

    faible intensit (i.e. sans grosse puissance de feu). Il sagit de gurillas. Linscurit y est

  • 19

    permanente (risque dembuscades). Les Amricains parlent de low intensity combat

    psychiatry war profile.

    Avec lapparition du terrorisme, qui frappe limproviste des civils en temps de paix, et

    essentiellement depuis les attentats du 11 septembre 2001, est apparu un nouveau type de

    guerre. Alors quune technologie de plus en plus sophistique ne fera jamais parade aux

    traumatismes psychologiques, le soldat du XXIe sicle doit faire face des ennemis masqus.

    La France, qui navait pas connu dengagement dur depuis longtemps, est confronte

    cette problmatique depuis que ses armes interviennent en Afghanistan.

    Les guerres contre le terrorisme (Irak, Afghanistan) se caractrisent par leur asymtrie,

    confrontant des forces armes traditionnelles une menace ubiquitaire propre aux gurillas,

    avec de nouveaux enjeux stratgiques, diplomatiques et psychologiques : Les armes se sont

    installes dans une guerre asymtrique opposant forces occidentales richement dotes mises

    en chec par le harclement de gurillas protiformes, mobiles, noyes dans la population

    locale, habiles fabriquer des engins explosifs improviss qui font des piges de chaque

    maison ou chaque voiture. (CLERVOY, de MONTLEAU, et ANDRUETAN 2010 (27))

    On y observe un scnario en deux temps : une courte offensive o la supriorit

    technologique fait la diffrence, puis une priode floue de guerre aprs la guerre o les

    troupes sinstallent dans les centres urbains pour des oprations de police et scurisation

    rvlant la difficult dassurer loccupation sur le long terme.

    Des armes structures pour le combat classique doivent faire face des actions de

    gurilla avec vacuation de ressortissants, interposition, actions civilo-militaires, intervention

    dans une ambiance dhostilit de la population civile.

    Mme sans combat de haute intensit, les contraintes psychologiques sont trs fortes. Ces

    conflits modernes engendrent de nouveaux facteurs de stress pour le combattant.

    Le stress vient de lattente dans des FOB (Forward Operating Base : base oprationnelle

    avance) qui peuvent tre cibles de roquettes, des TIC (Troop In Contact : confrontation,

    attaque), et de lexposition des IED (Improvised Explosive Device : bombe artisanale) lors

    des convois.

  • 20

    Dans son article Intervention planifie : le vcu du risque vital. Tmoignage dun

    psychiatre militaire (2010 (114)), le Professeur RONDIER dveloppe en quoi la

    confrontation au risque vital -de la menace terroriste celle des actions de combat, en dehors

    mme de la survenue dun trauma- peut bouleverser les amnagements psychiques des soldats

    qui y sont exposs.

    Larticle Les nouvelles dimensions des engagements militaires contemporains du

    Docteur VAUTIER (2010 (142)), recense certains facteurs de dstabilisation sur le terrain :

    ! La menace ubiquitaire et permanente, imprvisible dans le temps et dans

    lespace (absence de front, darrire, de dmarcation, de zone franche / sanctuaire,

    de rpit) qui cre un tat de stress prolong avec vigilance constante qui se rvle

    puisante au long cours. Le risque est bien rel pour ces soldats la merci des IED

    (Improvised Explosive Devices), des snipers sur les toits ou de bombes humaines

    au milieu de civils ; mais les cibles des attentats sont galement imprvisibles

    (convois dapprovisionnement, personnels civils humanitaires, ambassades, htels,

    coles, hpitaux, cimetires ).

    Pour les units interagissant directement avec les forces armes locales (en

    OMLT : Operational Mentoring and Liaison Team), la notion dinterlocuteur

    jouant pour certains un potentiel double jeu (insurg masqu) vient compliquer les

    relations et la cohabitation au quotidien.

    Frler la mort de prs : Un militaire ma rapport le cas dun de ses camarades de combat qui,

    le soir dun TIC, a retrouv en se dshabillant, une balle crase qui avait ricoch et tait

    venue se loger lintrieur de son gilet pare-balles.

    ! Le sentiment dimpuissance malgr la supriorit technologique.

    Les insurgs afghans ont pour eux la matrise du terrain, la furtivit et la mobilit.

    De plus, ils ne sont pas identifiables, ce qui impose une discipline de tir trs stricte

    (hantise de toucher un civil mais galement des tirs amis) et rend difficile le reprage

    dans les oprations de maintien de lordre.

    Leurs armes artisanales (IED) mutilent plus quelles ne tuent, ncessitant souvent

    des amputations multiples qui offrent le spectacle atroce de camarades mutils. La

  • 21

    crainte dtre bless, ou de la blessure du camarade, est un important facteur de

    traumatisme psychologique.

    ! Limpression denlisement, sans perspective de victoire .

    Le combattant moderne (ainsi que sa famille) attend la fin de sa mission sachant

    quil scoulera quelques mois avant quil ne reparte dans les mmes conditions.

    Laugmentation du nombre, de la dure et de la frquence des projections a un

    effet daccumulation faisant craindre une habituation au stress et lhorreur qui

    favorise les comportements de dcrochage moral long terme (augmentation des

    crimes et dlits aux USA depuis 2005 suite la guerre dIrak), voire un burn out

    (puisement). De nombreux cas de dcrochage moral ont t rapports avec la

    confrontation lhorreur des charniers au Rwanda, et chez les Casques Bleus en

    Bosnie confronts la dtresse des rfugis avec un sentiment dimpuissance face la

    barbarie.

    De plus les revirements stratgiques sajoutent la diversit des missions avec des

    sorties parfois trop rapproches pour laisser aux soldats le temps dassimiler le sens

    des missions quils effectuent. linverse, certaines missions peuvent engendrer des

    sentiments dltres dennui et dinutilit.

    ! Le choc des cultures et lhostilit de la population civile.

    Il ressort que les soldats sont perus par la population locale comme des troupes

    doccupation et non comme librateurs. Dautres difficults se font sentir telles que

    des situations didentification (militaires particulirement sensibles la dtresse de

    rfugis, ou jeunes pres de famille celle des enfants), ou encore le manque

    dinterprtes.

    Les modalits dadaptation culturelle comportent notamment lobligation

    demployer des femmes pour la fouille des Afghanes en burqa.

    Les situations de guerres actuelles, telles quen Afghanistan, rassemblent la plupart

    des facteurs de dcrochage moral : menace constante, stress quasi continu,

    engagement peu clair et but peu prcis, pas ou peu de sparation entre les insurgs et

    la population civile.

  • 22

    B. En milieu civil

    1. Les catastrophes civiles

    La vie civile est le thtre de catastrophes naturelles, industrielles et humaines qui

    confrontent de manire brutale et imprvisible ses victimes la mort et au chaos.

    Comme le constate L.CROCQ (2003 (35)), Par-del lexprience des militaires, toute

    une srie dobservations et de rflexions sur les traumatismes psychiques survenus dans

    la socit civile, en temps de paix, est venue toffer le corpus de travaux sur le PTSD :

    catastrophes naturelles ou technologiques, accidents individuels ou collectifs, agressions,

    viols, prises dotage, etc

    En effet, depuis quexiste la violence des hommes, les dsordres psychiques lis au

    trauma sont connus et rapports dans la littrature, mais cest avec les accidents de train de la

    fin du XIXe sicle que lon commena parler de nvrose traumatique .

    Le Docteur Christian NAVARRE prcise dans son livre de 2007 (105) que par les

    destructions matrielles, les catastrophes civiles de grande ampleur engendrent une

    dsorganisation sociale et une altration des rseaux fonctionnels tels que les rseaux

    production-distribution-consommation dnergie, de nourriture, deau potable et non

    potable, de soins mdicaux, de circulation des biens et des personnes, de communication-

    information, dducation, de maintien de lordre, de gestion des cadavres .

    Dans son article Historiques des catastrophes urbaines et industrielles de 2004 (36), le

    Gnral CROCQ revient sur lruption volcanique de Pompi en 79 de notre re, lincendie

    de Rome en 64, les fortes mortalits suite des mouvements de panique de foules tels qu

    Byzance en 963 ou plus rcentes dans nos stades, le sisme de Lisbonne en 1755, linondation

    de Paris en 1910, et tant dautres exemples.

  • 23

    Les attentats des tours jumelles du World Trade Center Manhattan le 11 septembre

    2001, qui ont caus la mort de prs de 3000 personnes et fait prs de 6300 blesss, sont un

    exemple de catastrophe humaine majeure.

    Ces vnements ont dailleurs t vcus presque en temps rel par des centaines de

    millions de tlspectateurs travers le monde, ce qui a provoqu un choc psychologique

    considrable. Les images de l'avion heurtant la deuxime tour et celles de l'effondrement des

    tours ont en effet t diffuses en direct.

    Dix jours plus tard, lexplosion de lusine AZF de Toulouse, faisant 31 morts, 2500

    blesss et de lourds dgts matriels, a constitu une catastrophe industrielle franaise.

    Un exemple de catastrophe naturelle rcente est le sisme dHati en janvier 2010 qui a

    fait plus de 300 000 morts et 300 000 blesss et a laiss le pays dans un tat de grande

    prcarit.

    lchelle individuelle, le philosophe PASCAL manque, en 1654, dtre prcipit dans

    la Seine avec son carrosse par ses chevaux emballs. Il ressent ensuite tous les symptmes de

    lactuel tat de stress post traumatique avec reviviscences, et vitement des situations

    anxiognes lies au souvenir traumatique.

    PINEL, qui reprendra son cas, parle en 1818, dans sa Nosographie philosophique, ou

    la mthode de lanalyse applique la mdecine, cite par L.CROCQ (2003 (35)), de

    nvroses de la circulation et de la respiration conscutives aux motions morales.

  • 24

    Dans son Trait mdico-philosophique (111) paru en 1801, PINEL rapporte galement le

    cas dun jeune militaire de 22 ans frapp de terreur par le fracas de lartillerie, dans une

    action sanglante o il prend part aussitt aprs son arrive dans larme.

    Cet aliniste de Bictre rapporte une autre observation qui montre son intrt pour les

    troubles psychiques de guerre : A la mme poque, deux jeunes rquisitionnaires partent

    pour larme, et dans une action sanglante, un dentre eux est tu dun coup de feu ct de

    son frre ; lautre reste immobile et comme une statue ce spectacle.

    Il prcdait JANET et FREUD qui rvlrent le rle pathogne du souvenir traumatique

    qui opre une forme de dissociation entre la conscience et l inconscient traumatique ,

    premier pas vers le concept de l inconscient .

    BRIQUET devance CHARCOT en dcrivant, dans son Trait clinique et thrapeutique de

    lhystrie (cit par L.CROCQ (35)), de nombreux cas d hystrie ractionnelle des frayeurs

    et autres chocs moraux .

    La nvrose traumatique tait en effet assimile par CHARCOT -qui optait pour la thse

    motionnelle- des varits traumatiques de la neurasthnie et de lhystrie, au vu de la

    disproportion entre les tableaux cliniques parfois spectaculaires et les chocs physiques

    minimes senss les avoir dtermins.

    En 1888, lAllemand OPPENHEIM dfinit la nvrose traumatique daprs les cas

    daccidents de chemin de fer (reviviscences de laccident de chemin de fer, labilit

    motionnelle, sidrodromophobie ou phobie des chemins de fer ). OPPENHEIM adopte

    alors la thse psychognique incriminant leffroi qui provoque un branlement psychique

    tellement intense quil en rsulte une altration psychique durable. Les effets neurologiques

    mcaniques de la commotion crbrale taient lpoque gnralement avancs pour

    expliquer la pathologie psychique conscutive aux accidents de chemin de fer.

    Dans sa thse lAutomatisme psychologique (1889), Pierre JANET prsente vingt-et-un

    cas dhystrie, dont une dizaine sont traumatiques. Il montre que ces hystries peuvent se

    rsoudre sous hypnose, et attribue leur pathognie une dissociation de la conscience , la

    partie non impacte par le souvenir traumatique permettant un comportement adapt.

  • 25

    En 1893, FREUD reprend JANET cette ide de dissociation du conscient, et nomme

    rminiscence les reviviscences que JANET dsignait par ide fixe . Il prne, pour ces

    hystries traumatiques, une thrapeutique cathartique en faisant revivre lvnement assorti

    de toute sa charge daffect. Du grec , la catharsis aristotlicienne est en effet

    lpuration, la purgation des motions par leur expression maeutique, limage du dernier

    acte des tragdies o lintrigue trouve son dnouement.

    Aprs la mort de CHARCOT, la nvrose traumatique a eu droit de cit, et en Allemagne,

    KRAEPELIN lintgrait en 1899 sa nosographie dans la sixime dition de son trait de

    psychiatrie.

    Cest entre les deux Grandes Guerres Mondiales que S. FREUD, S. FERENCZI, K.

    ABRAHAM (51), E. SIMMEL ou encore O. FENICHEL ont prcis la smiologie et la

    physiopathologie de la nvrose traumatique. Ainsi, la thorie sur le trauma du psychanalyste

    hongrois FERENCZI, prend racine dans la violence prcoce dune confusion de langage entre

    la mre et lenfant. LAllemand ABRAHAM, qui fut lun des pionniers de la psychanalyse,

    attachait une importance centrale au traumatisme sexuel infantile.

    Et cest seulement aprs les nombreuses guerres meurtrires du XXe sicle que lon a

    cess de considrer ce champ de pathologie comme marginal en psychiatrie.

    Au dbut du XXe sicle, lorientation est neuropsychiatrique : les dsordres psychiques

    sont attribus une pathologie de lencphale ou de ses enveloppes.

    Les premires avances de la psychanalyse ont inscrit la pathognie traumatique dans les

    avatars de la libido narcissique.

    L. CROCQ (2005 (37)), partant des crits dABRAHAM, explicite clairement le concept

    d effondrement narcissique : La guerre impose ces hommes de renoncer tous leurs

    privilges narcissiques, de supporter passivement les pires agressions, dtre capables de tuer

    et dtre prts sacrifier leur vie pour la collectivit. Ces sujets pulsions htrosexuelles

    labiles (sont) privs du soutien de leur pouse. Lamour du dehors qui venait leur manquer,

    ils le remplaaient en saimant eux-mmes. Mais ds quun traumatisme les frappe, ils

    perdent lillusion narcissique de leur invulnrabilit et de leur immortalit et seffondrent dans

    labattement total avec obsession de la mort.

    Un an avant sa mort, FNICHEL parle dans sa Thorie psychanalytiques des nvroses

    (1987 (47)) de triple blocage des fonctions du moi : fonction de relation au monde

  • 26

    (filtration des stimuli environnementaux), fonction de relation aux autres (sexualit, relations

    sociales), et fonction de relation soi (tre prsent soi, prserver son quilibre, sa

    personnalit).

    LAmricain KARDINER (1947 (73)) se dmarque du freudisme en opposant lego

    effectif, impliqu dans les nvroses de guerre, lego affectif des nvroses de transfert.

    LAllemand SIMMEL notait dj le changement dme que lon retrouve aujourdhui

    dans le symptme changement de personnalit .

    La fin de la Seconde Guerre Mondiale a t marque par la dcouverte des camps

    dexterminations nazis. En 1960, EITINGER (psychiatre norvgien, lui-mme survivant de

    lHolocauste) a introduit au sein de la communaut psychiatrique anglophone le terme de

    KZ Syndrome ( Konzentrationslger Syndrome : syndrome des camps de

    concentration) pour dsigner ltat dasthnie et dhypermnsie motionnelle prsent par les

    survivants de lHolocauste. Les rescaps des bombes atomiques dHiroshima et Nagasaki,

    confronts des scnes apocalyptiques voquant pour eux lenfer bouddhique, ont galement

    t des sujets dobservation et dtude de lESPT.

    Sur le plan thrapeutique, au-del du repos et de toute la gamme des sdatifs de lpoque,

    la narco-analyse sous ther ou chloral, lhypnose et la psychothrapie appuye de persuasion

    furent essayes. K ABRAHAM (1918 (1)) tentait une sorte de psychanalyse simplifie, mais

    ce que Clovis VINCENT mit au point et pratiqua est autrement plus agressif : le torpillage

    faradique qui correspond un conditionnement aversif par excitation lectrique

    douloureuse. En revanche, les abractions cathartiques sous hypnose ou narcose (PROCTOR,

    CHIADINI) firent la preuve de leur efficacit. ABRAHAM et SIMMEL en tablirent des

    applications de la psychanalyse.

    Lcole franaise, comme quelques voisins belges, italiens, espagnols ou suisses, cultive

    une conception pathognique, clinique et thrapeutique centre sur la notion de trauma, ce qui

    len distingue de lcole nord amricaine fonde sur le concept neurobiologique de stress.

    Ainsi, L. CROCQ, G. BRIOLE, F. LEBIGOT, C. BARROIS, psychiatres aux armes

    franaises se rfrant la psychanalyse lacanienne, saccordent dire que le trauma

    rencontre authentique avec le rel de la mort- constitue un court-circuit dans le signifiant chez

    des sujets dont le rel tait jusque-l dulcor par le fantasme et le rve.

  • 27

    Dun point de vue phnomnologique, la nvrose traumatique nmerge pas dans

    l aprs-coup (selon une conception linaire du temps), comme la rsultante de

    mcanismes, mais bien comme une exprience de rupture de sens avec alination de la

    personnalit. La temporalit est en effet bouleverse par limmuabilit du trauma et son

    omniprsence. La mort vraie ne pouvant avoir de reprsentation psychique, sa rencontre

    phmre se heurte une impossibilit de se rfrer des signifiants, et de linscrire dans la

    temporalit du sujet qui tente alors vainement (inhibition, dissociation, rptition) de faire

    obstacle leffroi (ml de fascination) de la mort du soi comme vrit ultime .

    2. Psychiatrie de secteur et psychiatrie durgence

    Les annes 1960 ont t marques par lmergence de lantipsychiatrie qui sopposait au

    dispositif asilaire, jug nfaste et dsocialisant. La France daprs guerre est domine par un

    vaste mouvement de dsinstitutionalisation et une politique de sectorisation de la psychiatrie,

    autour du psychiatre Lucien BONNAF.

    La sectorisation des soins psychiatriques consiste prendre en charge le malade dans

    l'aire gographique proche de son domicile. Par le dveloppement de structures intermdiaires

    extra-hospitalires, elle permet d'assurer la continuit des soins en permettant le maintien des

    personnes hors des murs, constituant une rupture totale avec l' asile .

    Si la naissance officielle de la sectorisation date de 1958, la premire circulaire

    ministrielle parat en 1972.

    On voit l aussi la volont de rintgrer les malades dans la communaut, au sein mme

    de la socit, au plus proche de leur milieu de vie, grce des structures de jour alternatives

    aux hospitalisations.

    La psychiatrie durgence (ou psychiatrie de catastrophe) merge avec cette ide que le

    psychiatre peut quitter son service hospitalier ou son cabinet pour aller au-devant des victimes

    de catastrophe.

    Dans son livre Psy des catastrophes paru en 2007 (105), le Docteur Christian

    NAVARRE relate ses nombreuses expriences dintervention durgence mdico-

    psychologique, ainsi que les rflexions quelles lui ont apportes sur cette discipline.

  • 28

    Ses rflexions portent notamment sur la temporalit de laide psychologique proposer,

    constatant, lors des inondations de juin 1997 louest de Rouen, que la priorit tait aux

    besoins de premire ncessit (logement, nourriture, vtement, proccupations matrielles) et

    que leffondrement motionnel ne se manifestait que dans un second temps. Il rapporte par

    ailleurs limportance de la prise en charge de lentourage, quil sagisse d attendants ou

    d endeuills . Il aborde galement la question de la culpabilit des survivants, et celle des

    deuils traumatiques (sans dpouille honorer). Il est aussi question des diffrences entre

    le dbriefing de victimes et celui de secouristes, de la place des interprtes lorsque la langue

    fait barrire.

    Il en ressort un besoin de pragmatisme, dexprience de terrain et dhumanit, profil

    mlant celui du psychiatre hospitalier, et celui de lhumanitaire / missionnaire.

    Des auteurs tels que WOLF et MOSNAIM (1984 (144)), ou encore EVERLY et LATING

    (1995 (46)) ont contribu au dveloppement de ce champs de la psychiatrie durgence.

    C. Interactions et apports rciproques

    En 1994, plusieurs vnements fortement mdiatiss produisent des effets conjugus

    qui ont donn naissance des innovations en matire dintervention psychologique

    prcoce. Deux attentats terroristes dans les transports en commun parisiens, une intervention

    militaire au Rwanda avec des morts par milliers lors dune pidmie de cholra dans un camp

    de rfugis, la prise dotage de militaires franais sous mandat de lONU en ex-Yougoslavie

    et enfin la libration des passagers victimes dune prise dotage sur laroport de Marseille-

    Marignane ; chaque fois est improvise une intervention psychologique prcoce au profit

    des victimes et des sauveteurs. En association avec les psychiatres militaires, les pouvoirs

    publics prennent en compte la dimension de souffrance associe un traumatisme

    psychologique. Aujourdhui, dans chacune des armes comme en milieu civil, des

    procdures sont institutionnalises pour mettre en place en quelques heures des cellules

    dassistance psychologique en cas de catastrophe ou dattentat. (CLERVOY 2008 (26))

  • 29

    1. Les psychiatres et les guerres

    On voit bien comme les avances de la psychiatrie militaire et de la psychiatrie civile se

    sont mutuellement nourries au cours de lhistoire. Ce sont des accidents civils (chemin de fer)

    qui ont ouvert lintrt pour ce syndrome, et lenchanement des interventions armes du

    sicle suivant qui ont beaucoup contribu faire avancer la psychotraumatologie.

    Une illustration en est la mobilisation aux armes dABRAHAM (TREHEL 2007 (137)) et

    FERENCZI, lves de FREUD, lors de la Premire Guerre Mondiale, et les cliniques quils

    ont pu faire sur les champs de bataille, avec toute lavance thorique qui en a dcoul. (51)

    FREUD, prcisment, dont les trois fils, un gendre et un neveu partirent au front,

    dveloppa, dans Au-del du principe de plaisir (1920 (50)), sa thorie du destrudo, qui,

    rpondant la pulsion de vie contenue dans la libido, correspondrait une pulsion de mort,

    une fascination de la mort. Il fonde sa rflexion sur le paradoxe quil note du cauchemar

    traumatique qui contrevient au plaisir hdonique du rve. Il identifie alors une compulsion

    de rptition qui viserait rpter le dsagrable pour sy habituer. Il clarifie aussi cette

    poque ce quil entend dans ltiologie sexuelle des nvroses de guerre : il convient dy voir

    la thorie de la libido dans les nvroses plutt que ltiologie sexuelle des nvroses. En

    effet, le danger est interne dans les nvroses de transfert, tandis quil est extrieur dans les

    nvroses de guerre et les nvroses traumatiques.

    BION, psychanalyste britannique qui fut capitaine lors de la Premire Guerre Mondiale,

    fut pionnier de la psychothrapie et de la psychanalyse de groupe. Aprs avoir servi comme

    capitaine sur un char dassaut lors de la Premire Guerre Mondiale, il devint psychiatre de la

    Deuxime Guerre Mondiale et pratiqua les analytic hours ( heures analytiques ). Sa

    pense fut fortement influence par son exprience vcue des traumatismes de guerre, tels que

    rapports dans Mmoires de guerre. Juin 1917- janvier 1919 (9). Pour lui, la base du

    dveloppement mental et de la vrit est lexprience motionnelle.

    Le mdecin et sociologue franais LE BON tudia la psychologie des foules, notamment

    autour de la Grande Guerre. On peut lire dans son ouvrage Premires consquences de la

    guerre. Transformation mentale des peuples (1916 (88)) comportant des chapitres intituls

  • 30

    Variations de personnalits cres par la guerre ou encore perturbations morales rsultant

    de la vie militaire : Toute lchelle des valeurs se trouve transpose en effet par la guerre.

    Ce qui tait considr comme respectable cesse dtre respect. Les meurtres, les incendies,

    les destructions, crimes en temps de paix deviennent des vertus. Le respect de la proprit et

    celui de la vie humaine, fondements mmes de la socit, svanouissent. () on peut dire

    quil sera bien difficile de rappeler la vie paisible et au respect des lois les hommes dont le

    mtier a t de tuer et de dtruire. () Les lois civiles finissent par peser bien peu, quand on

    est accoutum naccepter que des lois militaires indpendantes de laction des

    lgislateurs. S'adapter un nouveau milieu, c'est forcment changer de personnalit.

    Pareille adaptation offre gnralement de grandes difficults. () On va, on vient, on

    travaille, () et lofficier, le soldat surpris lheure du repas le plus gai, se retrouvent

    instantanment () face la mort.

    2. Cration des CUMP

    Le principe des CUMP (Cellules dUrgence Mdico-Psychologique) est celui de la

    psychiatrie de lavant appliqu la sphre civile.

    Au lendemain de lattentat la bombe qui fit dix morts et une centaine de blesss la

    station de RER Saint-Michel le 25 juillet 1995, le Prsident J. CHIRAC demande au ministre

    de la Sant de crer un dispositif adquat pour prendre en charge la souffrance psychique au

    mme titre que la souffrance physique de ce type de victimes de catastrophes. Il stait en

    effet rendu, accompagn du ministre de lAction humanitaire durgence Xavier

    EMMANUELLI, au chevet des blesss hospitaliss la Salptrire, et avait constat que

    beaucoup taient encore sous le choc motionnel.

    Cest sous la direction du Gnral Louis CROCQ, en tant que mdecin gnral et

    psychiatre des armes expriment en psychiatrie de guerre, quun groupe dune douzaine de

    psychiatres et psychologues comptents en traumatisme psychique a assur cette mission.

    Au moment de lattentat, le plan rouge avait immdiatement t dclench, et les

    victimes avaient t prises en charge par les sauveteurs et le personnel mdical durgence du

    SAMU 75 (Service dAide Mdicale dUrgence) et du corps de sant de la BSPP (Brigade des

  • 31

    Sapeurs Pompiers de Paris). Mais lintervention psychiatrique durgence ntait pas institue

    ni systmatique dans le civil.

    Il sagissait de crer un rseau chelle nationale, den rglementer laction, et de rgir la

    formation de personnel en psychiatrie de catastrophe.(32)

    Le rseau franais des CUMP applique le principe de la psychiatrie de lavant, en

    immdiat et post-immdiat, auprs des victimes dattentats et de catastrophes.

    Le 27 mai 1997, le ministre de la sant a dict un dcret, accompagn le lendemain

    dune circulaire dapplication (146), complte en 2003 (147), crant lactuel Rseau National

    des Cellules dUrgence Mdico-Psychologique.

    Chaque dpartement est ds lors dot dun psychiatre rfrent volontaire, nomm par le

    prfet, qui coordonne la CUMP dpartementale, en troite collaboration avec le SAMU.

    Chaque CUMP se compose dune quinzaine de personnels (psychiatres, psychologues et

    infirmiers de psychiatrie) volontaires et forms, mobilisables lorsquune alerte est dclenche

    par le prfet.

    Les CUMP sont appeles se dployer dans les cas de catastrophes, accidents collectifs

    ou incidents graves ayant une forte rpercussion psychologique sur les groupes et les

    communauts.

    Une antenne de secours mdico-psychologique est alors dpche sur les lieux, intgre

    aux lments dintervention du SAMU (port dune chasuble SAMU PSY ), sous lautorit

    du directeur des secours mdicaux. Elle a notamment pour mission de mettre en place un

    poste durgence mdico-psychologique (PUMP) proximit du Poste Mdical Avanc

    (PMA), et dvacuer, si ncessaire, vers des tablissements de sant les cas les plus lourds.

    On retrouve l tout lesprit de la psychiatrie de lavant , instaur par les

    psychiatres militaires. (CREMNITER 2004 (30))

    Un vritable partenariat est ncessaire pour la bonne coordination des soins.

  • 32

    LAFORCUMP-SFP (Association de Formation et de Recherche des Cellules dUrgence

    Mdico-Psychologique, Socit Franais de Psychotraumatologie) est, avec lALFEST

    (Association de Langue Franaise pour lEtude du Stress et du Traumatisme), charge de la

    formation de ces professionnels.

    Par ailleurs, sur demande du ministre des Affaires Etrangres (ou dautres ministres), les

    CUMP peuvent tre amenes envoyer des quipes volontaires ltranger, le plus

    frquemment pour venir en aide des pays francophones traverss par des situations de crise

    de grande ampleur et qui ne disposent pas dun dispositif quivalent. Un exemple rcent en

    est le sisme dHati le 12 janvier 2010.

    Un Comit national de lurgence mdico-psychologique en cas de catastrophe veille

    la cohrence de lensemble du dispositif (valuer les actions, dfinir les objectifs).

    Si les cellules durgences rapidement mises en places lors des catastrophes civiles et

    relayes par les mdias ont t adoptes par notre socit, cest en grande partie aux

    ttonnements et lvolution de la psychiatrie militaire lors des grands conflits du XXe et

    XXIe sicles que lon doit les importantes avances en matire de psychotraumatologie.

    3. SAMU et EPRUS

    Les prmices de lactuel Service dAide Mdicale Urgente (SAMU) remontent 1956,

    lorsque le Professeur CARA cra Paris le premier service mobile de ranimation (en

    loccurrence une seule ambulance mdicalise, base lHpital Necker, pour toute la

    France) pour transporter des patients trs fragiles sous assistance respiratoire dun hpital un

    autre. Et cest en 1965 que les SMUR hospitaliers furent officialiss grce au Professeur

    SERRE de Montpellier. Ils dpendent du SAMU rgional qui est le centre rgulateur des

    urgences sanitaires de la rgion.

    Contrairement au Scoop&Run nord-amricain qui consiste ramasser et courir

    (cest--dire transporter au plus vite la victime lhpital le plus proche), la doctrine du

    Service Mobile dUrgence et de Ranimation (SMUR) franais est Stay&Play

    (littralement rester et jouer , soit assurer les soins de premire urgence sur place, avant de

    transporter le malade vers un lieu de soins adapt). Les urgentistes et ranimateurs des SMUR

  • 33

    ont emprunt bon nombre de techniques et mthodes leurs homologues militaires qui de tout

    temps ont eu lexprience du terrain sur les champs de bataille.

    Comme nous lavons vu, les CUMP sont rattaches ces SAMU.

    Paris, elles travaillent en troite collaboration avec la BSPP qui relve de larme et est

    dote dun service mdical militaire.

    Lors de la cration du SAMU Mondial en 2006 linitiative du Ministre de la Sant

    Xavier BERTRAND, les Mdecins en chef PENACINO et CAVALLO du Service de Sant

    des Armes (SSA) ont t consults au titre dexperts lors des comits de rflexion. Cette

    filiale du SAMU de France emprunte dailleurs bon nombre de termes au lexique militaire

    ( EVASAN pour les vacuations sanitaires, OPEX pour les oprations extrieures, base

    arrire).

    limage de larme, lEtat a dcid de se doter dune rserve sanitaire et a institu,

    le 5 mars 2007, lEtablissement de Prparation et de Rponse aux Urgences Sanitaires

    (EPRUS), qui dpend du Ministre de la Sant et est dirig par Thierry COUDERT.

    Lobjectif de lEPRUS est de rpondre aux urgences sanitaires, dapporter un renfort en

    cas de crise de grande ampleur en facilitant lorganisation et le dploiement des forces de

    sant. Pour ce faire, cet tablissement possde des stocks de mdicaments (notamment

    vaccins, antidotes, antiviraux, pastilles diode en cas dattaque nuclaire, tenues NRBC et

    marques) stratgiquement dissmins sur le territoire. Il coordonne galement les rservistes

    qui sont des professionnels de sant qui sengagent volontairement pour trois ans, appels

    intervenir en situation durgence et de catastrophe, y compris lors doprations de secours et

    dassistance menes par la France ltranger. Leurs missions (indemnises financirement et

    couvertes sur le plan juridique) se font en complment des missions des autres services

    (scurit civile, arme ). Ces rservistes peuvent tre en activit, retraits ou en fin

    dtudes.

    Depuis cinq ans, ce dispositif prend de plus en plus dampleur. Il a par exemple envoy

    du personnel en Cte dIvoire et en Hati en 2010, a apport son aide aux franais expatris au

    Japon lors de la catastrophe nuclaire de Fukushima en mars 2011, est intervenu en Libye

    durant lhiver 2011 pour la prise en charge mdicale dune centaine de blesss graves. Dans le

    domaine psychiatrique galement, lEPRUS a particip au suivi psychologique des enfants en

    cours dadoption lors du sisme dHati en janvier 2010 (en complment du dploiement

  • 34

    CUMP), et a envoy en mai 2011 deux rservistes au Maroc afin dapporter un soutien

    mdico-psychologique suite lattentat sur la Place Jama el-Fna de Marrakech.

    LEPRUS travaille en troite collaboration avec le Service de Sant des Armes, mais

    galement le SAMU, des ONG internationales type Mdecins Sans Frontires, la Direction

    Gnrale de la Scurit Civile et de la Gestion des Crises, et lensemble des autres organismes

    comptents dans la gestion des crises sanitaires et France et ltranger.

  • 35

    III. Clinique et thrapeutique du stress aigu et de ltat de stress post traumatique :

    A. Clinique ESA et ESPT

    On la vu, la clinique post-traumatique a vari au cours de lHistoire.

    Les cas dhystrie de la Grande Guerre, avec les ccits ou myodsopsies, aphonies/

    miaulements/ aboiements/ bgaiements/ jactations/ hoquets spasmodiques, surdits ou

    acouphnes, paralysies, contractures, camptocormies, convulsions, anesthsies, hyperalgies,

    tremblements, tics, astasie-abasie, et autres symptmes conversifs (se fixant gnralement sur

    une partie du corps antrieurement atteinte -sans lsion organique-), ont disparu.

    Les militaires qui rentrent traumatiss des thtres doprations contemporains prsentent

    plus sournoisement une intoxication alcoolique, une agressivit, un repli sur eux-mmes, des

    idations et passages lacte suicidaire,

    Tout lenjeu est alors de dpister, derrire ces symptmes aspcifiques, le syndrome

    psychotraumatique quil faudra sattacher dnouer par une mthode cathartique.

    Les psychiatres franais restent trs attachs la dimension psychopathologique du

    trauma, et distinguent la clinique du trauma de celle du stress.

    Avec la dnomination d tat de stress post-traumatique , le DSM met laccent sur la

    dimension biophysiologique du trouble, tout en introduisant une confusion entre stress et

    trauma.

    Aussi le Gnral CROCQ lui prfre-t-il lappellation Syndrome psychotraumatique ,

    tout en prcisant quil recouvre en fait tout le panel des tats pathologiques immdiats, post-

    immdiats ou diffrs, phmres, transitoires ou durables, pauci- ou plurisymptomatiques,

    modrs ou svres, plus ou moins invalidants, qui sont causs par un traumatisme psychique (31).

  • 36

    1. Dfinitions

    Le trauma (ou traumatisme psychique ) est le phnomne deffraction psychique et

    de dbordement des dfenses caus par la survenue dun vnement menaant la vie ou

    lintgrit (physique ou psychique) dun individu, qui y est expos en tant que victime, tmoin

    ou acteur. Cette exprience est ressentie dans leffroi, lhorreur et labsence de secours.

    Issu du vocable chirurgical, il reprend lide de lirruption dun corps tranger au sein de

    lappareil psychique, provoquant des efforts dassimilation ou dexpulsion.

    Les catastrophes, du latin catastropha, lui-mme du grec ancien (compos

    de vers le bas et tour ) sont des vnements destructeurs et soudains,

    causant un grand nombre de victimes et provoquant une dsorganisation sociale (par

    altration des rseaux de transport, de communication etc). Elles gnrent chez les impliqus

    un sentiment de grande dtresse associ la perte de contrle de son destin.

    Lhomme y a longtemps vu la colre des dieux. La mythologie en rapporte dailleurs de

    multiples exemples, comme le rappelle le mdecin-gnral Louis CROCQ dans ses

    ouvrages (33) :

    Le mythe de Sisyphe condamn par Zeus recommencer sans cesse un effort

    puisant et vain, vient faire cho au syndrome de rptition dvelopp plus

    loin. Pour avoir confront la mort dans le face face avec Thanatos, et lui

    avoir chapp, Sisyphe incarne lexpiation de la faute du rescap ( culpabilit

    du survivant ).

    Le mythe platonicien dEr est celui dun soldat autoris par les dieux revenir

    des enfers pour tmoigner de la vision dhorreur des chtiments imposs aux

    mes impies.

    Le mythe dOrphe met en scne la perte itrative et le deuil impossible.

    limage dOrphe, le traumatis perd de sa prsence au monde par le souvenir

    traumatique qui simpose lui de manire rptitive, harcelante et incoercible.

  • 37

    Le Professeur de psychiatrie militaire C. BARROIS (1988 (7)) voit dans lorphisme une

    rfrence au traumatisme originaire, -ce chaos dont nous extrait la naissance-, et dans le vcu

    traumatique en cas de catastrophe, une menace de retour vers le nant, le non-humain.

    linstar des hros mythologiques revenus des enfers, les traumatiss psychiques auraient

    entraperu le chaos originel, le non-sens, le nant.

    Le stress est la raction bio-physio-psychologique immdiate, dalarme, de mobilisation

    et de dfense de lindividu face une agression ou une menace. Cest une raction rflexe qui

    met en uvre un processus neurobiologique complexe (axes catcholaminergique et

    corticotrope, peptides opiacs et systme immunitaire), et qui est utile et adaptative, bien

    quaccompagne de symptmes neurovgtatifs gnants (sudation, tachycardie, tremblement,

    pleur, ).

    Daprs le DSM IV-TR (4), le trouble de ladaptation peut tre retenu devant une

    souffrance marque et une altration durable du fonctionnement relationnel en lien avec un

    stress environnemental. Il peut tre associ une symptomatologie thymique, anxieuse et/ou

    comportementale. Les symptmes surviennent dans les trois mois qui suivent lapparition du

    facteur de stress, et ne durent pas plus de six mois aprs la disparition de ce facteur.

    Selon la CIM 10 (108), les troubles de ladaptation sont des tats de dtresse et de

    perturbation motionnelle entravant le fonctionnement et les performances sociales, qui

    surviennent au cours dune priode dadaptation un changement existentiel important ou

    un vnement stressant. Les dlais dapparition et de dure sont les mmes que dans le DSM

    IV-TR, mais la CIM 10 insiste sur la prdisposition et la vulnrabilit individuelle, prcisant

    cependant que le trouble ne serait pas advenu en labsence du facteur de stress en cause.

    2. tat de Stress Aigu

    Dans la conception interactionnelle de LAZARUS et FOLKMAN (1984 (79)), le stress est

    le rsultat dune relation dynamique entre les contraintes ou exigences de lenvironnement,

    les ressources individuelles et socitales pour faire face ces demandes, et la perception par

    lindividu de cette relation.

  • 38

    linstant t dun vnement stressant, les auteurs dcortiquent la raction de stratgie

    adaptative dun individu en deux temps :

    - lvaluation primaire o lindividu se demande quels sont les enjeux dans cette situation

    de stress. (perte, menace, )

    - et lvaluation secondaire o il considre les diffrentes options qui soffrent lui

    (acceptation, fuite, )

    On distingue galement les stratgies centres sur le problme de celles qui sont centres

    sur les motions.

    Cependant, si cette raction est trop intense, trop prolonge ou rpte de trop courts

    intervalles, elle devient une raction inadaptative de stress dpass , telle que sidration,

    agitation, fuite panique ou comportement automatique.

    Cela correspond la phase aigu, immdiate, appele Etat de Stress Aigu (ESA) (DSM

    IV TR).

    En situation oprationnelle, on emploie galement la dnomination amricaine de

    Combat Stress Reaction (raction de stress de combat).

    Sensuit la priode post-immdiate, pendant laquelle peut soprer un retour la normale,

    ou linstallation torpide dun syndrome psychotraumatique par la fixation du souvenir brut de

    lvnement.

    Les ESA qui correspondent une raction de stress dpass sont plus risque de se

    chroniciser sous la forme dun ESPT (Etat de Stress Post Traumatique), mais la

    correspondance nest pas absolue.

    Si la dissociation pri-traumatique est le plus fort prdicteur dESPT, ltude de BRYANT

    de 2003 (21) note cependant que 56% des patients de ltude prsentant un ESPT navaient pas

    t diagnostiqus avec un ESA, soit une majorit des cas.

    La forme et lintensit des troubles psychiques aigus de guerre ne sont pas des

    indicateurs pronostiques fiables. crit CLERVOY en 2008 (26).

  • 39

    3. tat de Stress Post Traumatique

    Selon les publications, 10% (STECKLER et RISBROUGH 2012 (130)) 30 % (NICE et

    NHS 2005 (106)) des individus exposs un vnement traumatique dvelopperaient un ESPT.

    Dans environ 15% des cas (106), les symptmes apparaissent de manire diffre, aprs

    une phase de latence, bien connue des cliniciens du XIXe sicle (S. FREUD, JM

    CHARCOT, P. JANET) qui lappelaient phase dincubation, mditation, contemplation ou

    rumination.

    Il sagit dune priode de quelques jours plusieurs mois, asymptomatique ou

    paucisymptomatique ( queue de stress ) avec parfois des dcharges motionnelles liquidant

    la tension anxieuse rprime en phase aigu (notamment en cas daction).

    Cest donc parfois de faon diffre que sobserve le trouble chronicis communment

    appel PTSD (Post Traumatic Stress Disorder), ou ESPT en franais, qui correspond la

    triade reviviscence, vitement, hyperactivation neurovgtative :

    " Les reviviscences sont des intrusions involontaires et itratives, type de

    cauchemars, hallucinations, flashbacks. Elles constituent un syndrome de

    rptition qui est pathognomonique de lESPT. Le sujet revit alors

    pleinement lvnement traumatogne, assorti de toute sa charge affective et

    sensorielle.

    " Le comportement dvitement concerne tous les stimuli vocateurs du trauma

    (couleur, son, situation de foule par exemple-, lieu, ). terme, il aboutit

    frquemment une modification durable de la personnalit avec irritabilit,

    dtachement motionnel (le terme anglosaxon de emotional numbing ), repli

    sur soi (major par le sentiment dincommunicabilit de lexprience),

    marginalisation, parfois assortie de troubles des conduites (agressivit, troubles

    du comportement alimentaire), mais galement de troubles psychosomatiques.

    S. SIMMEL (1918) parlait d ensevelissement de la personnalit et de

    changement dme ; A. KARDINER (1941) de nouvelle personnalit

    tablie sur les ruines de lancienne ; CF SHATAN (1972) de transfiguration

    de la personnalit , et L. CROCQ (1974) de personnalit traumatico-

    nvrotique .

  • 40

    " Lhyperactivation neurovgtative (hyperarousal en anglais) se manifeste

    essentiellement par des sursauts, des troubles du sommeil, un tat dalerte

    permanent.

    Ces atteintes sont dsormais dpistes et quantifies (JACOBSON et TRUAX 1991 (70))

    par diffrentes chelles standardises telles que lIES (Impact Event Scale : Echelle dImpact

    de lEvnement) dHOROWITZ (64) (20) rvise, et la PCL-S (PTSD CheckList Scale :

    Echelle de critres dEtat de Stress Post Traumatique).

    ct de cette triade symptomatique, il ne faut pas ngliger tous les troubles co-

    morbides, au premier rang desquels se trouvent les conduites addictives (alcool, drogues), les

    syndromes dpressifs avec haut risque suicidaire, mais galement les troubles du spectre

    anxieux.

    On comprend aisment combien lESPT impacte la vie sociale, professionnelle et

    familiale, du sujet, et constitue par l un lourd handicap (KESSLER 2000 (74)).

    Pourtant, malgr une dtresse majeure, il existe souvent un important retard au diagnostic

    de lESPT de par la rticence des personnes concernes voquer leurs difficults, ou par le

    diagnostic diffrentiel des troubles co-morbides. (106)

    Sous un regard psychodynamique, laltration de la personnalit peut tre apprhende

    comme un blocage de la triple fonction du moi :

    ! dans sa fonction de filtration de lenvironnement

    ! dans sa fonction de prsence dans le monde

    ! dans sa fonction de relation autrui.

    Le Professeur LEBIGOT, psychiatre militaire, rappelait, dans son allocution lors de la

    Journe de lAlfest le 31 mais 2012, que limage traumatique, qui est une image de

    nantisation, envahit le psychisme et repousse hors du champ de la conscience le signifiant.

    Dpouill du parltre lacanien (i.e. dpouill du langage), le sujet traumatis vit une

    exprience de dshumanisation, avec les prouvs de honte et dabandon qui y sont associs.

    Il est confront ce rel de la mort, qui selon FREUD, avait t initialement refoul de

    lappareil psychique.

  • 41

    Il est noter que les anomalies biologiques de lESPT diffrent de celles du stress

    chronique : Il y a dans lESPT des altrations spcifiques de laxe corticotrope (hypothalamo-

    hypophyso-surrnalien) qui sont inverses de celles observes dans le stress prolong.

    Mme si la menace vitale est constante, il faut bien distinguer le stress oprationnel qui

    peut engendrer des difficults de radaptation-, du trauma dont le risque est lESPT.

    La logique est adaptative dans le cas du stress oprationnel (stress linaire), avec la

    possibilit pour le sujet de tenter de reculer son point de rupture, mais elle est celle du tout

    ou rien dans le cas du traumatisme psychique, o lvnement traumatique convoque le

    sujet face sa propre mort (provoquant une rupture radicale dans la vie du sujet).

    Nanmoins, le trauma subi en situation oprationnelle lest dans un contexte dexposition

    tout un ensemble de facteurs de stress qui peuvent avoir un effet de fragilisation.

    (BOISSEAUX 2010 (13))

    B. Thrapeutique en milieu militaire

    Contrairement aux catastrophes qui frappent les civils de manire alatoire et

    imprvisible, le propre du milieu militaire est de projeter des soldats sur des thtres

    dopration o lon sait quils risquent de connatre un traumatisme psychique.

    Il est alors possible de faire de la prvention sous forme dinformation et prparation

    des troupes avant dploiement et daccompagnement adapt pendant lOPEX.

    Nous reviendrons sur les approches thrapeutiques qui ne sont pas lapanage des

    psychiatres militaires dans le paragraphe suivant sur larsenal thrapeutique en milieu civil.

    Nous allons ici plutt nous attacher aux spcificits du milieu militaire, savoir les

    programmes daccompagnement psychologique et daide aux combattants.

    Bien quelles soient gnralises la psychiatrie civile durgence mdico-psychologique,

    nous dvelopperons galement dans cette partie limportante question des interventions

    prcoces connues sous le terme de dbriefing (84) (LEBIGOT, LASSAGNE, et

    GAUTHIER 1997 (83)).

  • 42

    Lengagement militaire impose une capacit dadaptation des facteurs de stress trs

    spcifiques dont lvaluation est difficile. La rsistance du combattant est mise lpreuve

    non seulement en raison de lintensit des stresseurs, de la dure dexposition mais aussi de

    leur effet cumulatif. Leffet quun vnement va avoir sur un individu dpend surtout

    dlments constitutifs de sa propre structure psychique. Le reprage des difficults prcoces

    lors de la priode initiale est essentiel, mais des vnements de vie peuvent aussi influer sur

    son quilibre psychologique, do limportance du suivi rgulier tout au long de la carrire.

    Le dpart la retraite est galement un temps o peuvent se rvler des troubles compenss.

    Cependant, les publications de BREWIN en 2000 (17) et OZER en 2003 (110), rapportent

    que les facteurs immdiats dintensit du traumatisme mais galement dtayage social sont

    plus fortement corrls la probabilit de dvelopper un ESPT en cas dexposition

    traumatique que des facteurs plus lointains comme le droulement de lenfance ou lexistence

    dune psychopathologie familiale.

    Cest dans cet esprit quont t dvelopps, outre-Atlantique, des programmes daide aux

    soldats.

    1. Programmes daide aux soldats

    a. BMT

    Le BMT (Battle Mind Training, que lon peut traduire par Entranement lesprit de

    combat ) (ANDRUETAN et CASTRO 2010 (5)) est un programme pdagogique dvelopp

    par lUS Army et mis en place en 2006 pour identifier et corriger les comportements

    inadquats des combattants au retour dopration. Il sagit dun programme global, de

    prvention et de traitement des patients, stendant de la phase de prparation jusquau retour

    du dploiement des troupes, et incluant militaires, commandement et familles. Cest

    linitiative la plus structure et documente dans ce domaine.

    Le BattleMind se dfinit comme la capacit du combattant faire face aux ralits de

    lenvironnement avec courage, confiance et rsilience, ce qui signifie se prparer aux dfis de

    lentranement, des oprations, du combat et du retour au foyer. Le principe du BMT est

    dutiliser les ressources guerrires du combattant rentrant du thtre dopration comme

    outils de radaptation.

  • 43

    Lentranement sappuie sur une approche fonde sur la volont, utilisant des systmes de

    self-aid ou buddy-aid, et dveloppant le rle du commandement dans le maintien du bien-tre

    psychique des combattants.

    labor en sinspirant des Thrapies Cognitivo-Comportementales (TCC) et construit

    partir des caractristiques de lexprience de combat moderne (Afghanistan, Irak), le

    programme est constitu dune srie de courtes sances centres sur des postures identifies

    comme inadquates lors des diffrents rythmes de vie du combattant (les diffrentes phases

    du dploiement oprationnel, le retour de mission). Un orateur ayant lui-mme connu ces

    situations oprationnelles aborde dans les modules lhyperractivit (agressivit, violence,

    impulsivit envers les proches) lie au rflexe de Targeted aggressions , les situations de

    repli affectif, de labilit motionnelle (fluctuation de lhumeur), la conduite agressive de

    vhicule, la dtention darme, lhypervigilance, labus dalcool, les troubles du sommeil, le

    sentiment de culpabilit, lexcs de volont de contrle. Tous ces conseils sont galement

    divulgus sur Internet via le site www.behavioralhealth.army.mil/battlemind/index.html

    Ce concept permet aux chefs, aux soldats, aux membres de la famille et mme aux civils

    de larme de reconnatre les soldats en dtresse et de les aider.

    Un premier volet de ce programme du BMT a donc pour objectif de permettre au soldat

    de retour au foyer de bien se radapter la vie quotidienne en temps de paix.

    Le deuxime volet concerne laccs au soin dans des structures spcialises (Hpitaux de

    vtrans Vet Centers- ou systme Health Care public). Il rappelle aux soldats qui traversent

    une priode difficile quils ne sont pas seuls. Leur prise en charge est finance par le ministre

    de la Dfense, et une stricte confidentialit est assure.

    Le BMT a donc sa place la fois avant et aprs le dploiement. Il sinscrit dans un

    systme dducation sanitaire qui implique notamment les familles.

    Les rsultats de ce programme de coaching pragmatique sont encore difficiles valuer,

    mais le Canada et la France sen sont inspirs. court terme (4-6 mois aprs le dploiement

    oprationnel), le BMT semble montrer une amlioration de la qualit du sommeil, et une

    diminution de la frquence des symptmes dpressifs et anxieux.

  • 44

    b. Buddy Aid :

    Dans une tude que la psychiatre et colonel de larme amricaine Elspeth CAMERON

    RITCHIE a mene en octobre 2008 en Irak auprs des combattants amricains (GORIN 2010 (58)), les soldats exprimaient le besoin de savoir reconnatre les problmes chez leurs

    camarades de combat, et les aider.

    Le principe du programme Battle Buddy est que chaque soldat reoit une carte ACE

    quil conserve sur lui comme pense-bte pour Ask your buddy, Care for your buddy and

    Escort your buddy ( interrogez votre copain, occupez-vous de votre copain, accompagnez

    votre copain ), afin de simpliquer suffisamment, davoir la volont de comprendre ce qui se

    passe et de ne jamais laisser un collgue dans lisolement.

    Ds la priode de prparation, les soldats reoivent rgulirement une information sur les

    tats pr-suicidaires et le risque de dvelopper des addictions ( lalcool, des drogues), voire

    des troubles des conduites. Le principe du binme est de permettre de dtecter ces signes chez

    son camarade et de ladresser un spcialiste. Au retour, les binmes sont invits rester en

    contact et se rendre visite en famille, ce qui diminue le sentiment disolement et permet une

    observation lors de la priode dlicate du retour la vie normale. Ce programme complte

    celui du BMT.

    c. Programme ERASE

    Le programme ERASE est un programme amricain de gestion du stress dispens de

    manire prventive, dont le but est de rduire lexposition aux stresseurs, rpondre aux

    besoins physiologiques de base (repos, hygine, nourriture), faire intervenir le support amical

    / professionnel / familial / institutionnel, apporter de linformation et du sens, et souligner

    lespoir de revenir une situation normale.

  • 45

    2. CISPAT et psychiatre dOPEX

    Actuellement, au sein des armes franaises, le commandement est responsable du bien-

    tre de ses hommes. Sous sa direction, les psychologues des armes assurent le soutien

    psychologique du personnel pendant et aprs la mission.

    Dans lArme de Terre, les registres daction mdico-psychologique et psychosociale

    sont bien diffrencis, avec des acteurs spcifiques dont les responsabilits se compltent

    mais ne se recouvrent pas. Dun ct les personnels mdicaux et paramdicaux du Service de

    Sant des Armes (SSA), et de lautre les psychologues institutionnels, les OEH (cf. ci-aprs),

    les personnels de laction sociale aux armes, les membres des cellules daide aux blesss, les

    officiers de culte.

    Le Professeur BOISSEAUX (2010 (13)) rappelle quil est essentiel que le combattant

    puisse saisir quelle est la place des uns et des autres. Le SSA gre la prise en charge mdico-

    psychologique, tandis que la CISPAT (Cellule dIntervention et de Soutien Psychologique de

    lArme de Terre) gre le versant psychosocial. Lintervention mdico-psychologique est

    oriente vers les individus et la spcificit des troubles quils prsentent. La cible de

    lintervention psychosociale est le groupe, et son objet en est le fonctionnement.

    a. SSA

    Alors que la discipline psychiatrique stait individualise et que les spcificits des

    pathologies en temps de guerre taient reconnues, les conflits de la seconde moiti du XXe

    sicle ont vu larrive de psychiatres au front .

    Sous limpulsion de Bernard LAFONT (76) se met en place une doctrine sur la place et le

    rle du psychiatre en opration, auprs du commandement et en association avec le mdecin

    dunit. Depuis la Guerre du Golfe en 1991 et dans lhritage de la psychiatrie de lavant ,

    le SSA envoie dans les zones de guerre des psychiatres (qui peuvent notamment dcider des

    vacuations sanitaires pour motif psychiatrique). Ainsi, tant que leffectif de spcialistes est

    suffisant, un psychiatre est intgr aux structures mdico-chirurgicales projetes sur les

    thtres dopration. (CLERVOY 2008 (26))

    Dans lexemple du conflit afghan, il y a en permanence, par rotations de trois mois, un

    psychiatre du SSA bas en service hospitalier Kaboul, qui travaille en partenariat avec les

  • 46

    mdecins dunit (accompagnant leurs troupes sur le terrain) pour la prise en charge des

    dcompensations psychiatriques, rapatriant au besoin le militaire dans un Hpital

    dInstruction des Armes (HIA) en France mtropolitaine. Le relais est alors pris par lquipe

    mdicale du HIA qui assurera le suivi spcialis et jugera de laptitude du militaire concern

    poursuivre son contrat.

    Claude BARROIS (7), puis Franois LEBIGOT (83) et Guy BRIOLE (18), psychiatres

    militaires franais contemporains qui ont dirig de nombreux travaux dans le champ des

    nvroses traumatiques, ont donn une orientation psychanalytique leurs lves.

    Au contact des vtrans des conflits de la seconde moiti du XXe sicle, trois gnrations

    de psychiatres militaires dveloppent une approche conceptuelle de leur pathologie et de leur

    traitement. Selon lorientation et le travail de chacun, la narcoanalyse puis lapproche

    psychanalytique, la prise en charge des blesss psychiques se prolonge sur plusieurs annes.

    (LEBIGOT, BRIOLE, et LAFONT 1994 (82))

    Le SSA assure :

    - le suivi mdical, notamment par les VSA (Visites Systmatiques Annuelles), tout

    au long de