52
1 CIFEN Centre interfacultaire de formation des enseignants Bulletin n°31 Avril 2012 SOMMAIRE Bulletin n° 31 - Avril 2012 PUZZLE LES RÉFÉRENTIELS DE COMPÉTENCES EN CHANTIER : QUELQUES PROPOSITIONS Éditorial Jean-Louis DUMORTIER Julien VAN BEVEREN ............................................................................................................2 Vers une articulation des compétences et des savoirs Les disciplines… Le retour Maggy SCHNEIDER-GILOT Pierre HENROTAY Pierre JOB ................................................................................................................................4 Quelles compétences développer en langues anciennes ? Une approche comparative des plans d’études et programmes de latin en vigueur en Europe francophone Paul PIETQUIN ..................................................................................................................... 12 La réécriture du référentiel des compétences terminales et savoirs communs dans l’enseignement qualifiant : enjeux et opportunités Jean-Louis JADOULLE ...................................................................................................... 18 Trois projecteurs braqués sur les (sections des) référentiels consacré(e)s à la discipline scolaire « Français » Julien VAN BEVEREN ......................................................................................................... 26 Un référentiel de français spécifique pour l’enseignement qualifiant ? Jean-Louis DUMORTIER .................................................................................................. 33 Les séminaires d’approche interdisciplinaire Pourquoi s’intéresser à l’interdisciplinarité dans l’enseignement et dans la formation des enseignants ? Annick FAGNANT Catherine JACMIN Isabelle SENTE .................................................................................................................... 40 L’étude des situations difficiles. De la nécessité d’une approche théorique multiple Jocelyne ROBERT ............................................................................................................... 49

puzzle Les référentieLs de compétences en chantier ... · Service de Didactique du Français éditorial ... dans le cadre de la formation des enseignants du secondaire supérieur

Embed Size (px)

Citation preview

1

CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

s o m m A I r E B u l l e t i n n ° 3 1 - A v r i l 2 0 1 2

puzzleLes référentieLs de compétences en chantier : queLques propositions

Éditorial Jean-Louis DUMORTIER Julien VAN BEVEREN ............................................................................................................2

Vers une articulation des compétences et des savoirs Les disciplines… Le retour Maggy SchNEIDER-GILOT Pierre hENROTAy Pierre JOB ................................................................................................................................4

Quelles compétences développer en langues anciennes ? Une approche comparative des plans d’études et programmes de latin en vigueur en Europe francophone Paul PIETQUIN .....................................................................................................................12

La réécriture du référentiel des compétences terminales et savoirs communs dans l’enseignement qualifiant : enjeux et opportunités Jean-Louis JADOULLE ......................................................................................................18

Trois projecteurs braqués sur les (sections des) référentiels consacré(e)s à la discipline scolaire « Français » Julien VAN BEVEREN .........................................................................................................26

Un référentiel de français spécifique pour l’enseignement qualifiant ? Jean-Louis DUMORTIER ..................................................................................................33

Les séminaires d’approche interdisciplinaire Pourquoi s’intéresser à l’interdisciplinarité dans l’enseignement et dans la formation des enseignants ? Annick FAGNANT catherine JAcMIN Isabelle SENTE ....................................................................................................................40

L’étude des situations difficiles. De la nécessité d’une approche théorique multiple Jocelyne ROBERT ...............................................................................................................49

2CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Jean-Louis Dumortier, ProfesseurJulien Van Beveren, Assistant Université de Liège Service de Didactique du Français

éditorial

Éditorial

chères et chers collègues,

Lorsqu’il s’est agi de proposer une thématique pour ce numéro de Puzzle, l’un de nous a suggéré de le consacrer aux référentiels de compétences, en songeant au fait que l’autre avait été invité à prendre part aux réflexions d’un groupe de travail chargé, par le ministère, de produire un référentiel de compétences en français pour l’enseignement qualifiant. Le sujet retenu pour ce numéro est donc, à notre estime, d’une grande actualité. En effet, le chantier des référentiels de compétences a - enfin - été (r)ouvert.

Et il importe que les didacticiens aient, comme les autres acteurs du système scolaire, le droit de consulter les plans de l’édifice - c’est le « cahier des charges » dont il sera question dans plusieurs contributions - et celui de suggérer l’une ou l’autre amélioration aux architectes. Qu’ils aient le droit de le faire soit parce qu’ils y auront été invités officiellement, soit parce qu’ils prendront la peine de dire ou de coucher sur le papier tant les critiques qu’ils ont à adresser aux référentiels en vigueur que les propositions qu’ils ont à faire en vue de leur révision. Il nous a semblé, cela étant, que Puzzle pouvait être un lieu où rassembler et un moyen de diffuser certaines de ces critiques et propositions. Avant de passer en revue les contributions à ce numéro, signalons que les cinq premières ont trait à sa thématique et les deux suivantes, à des séminaires qui sont mis en place, à l’Université de Liège, dans le cadre de la formation des enseignants du secondaire supérieur.

Maggy Schneider-Gilot, Pierre henrotay et Pierre Job, du Service de Didactique des Sciences mathématiques, en s’appuyant sur le compte rendu d’atelier qu’ils ont rédigé pour le numéro 30 de Puzzle, examinent les grands principes qui sont à l’œuvre dans le « cahier des charges » du ministère de l’Éducation et prennent position par rapport à ceux-ci, s’agissant des contenus disciplinaires spécifiques aux mathématiques. Paul Pietquin, du Service de Didactique des Langues classiques, relit le référentiel de latin compte tenu de ses applications dans les programmes et cette relecture se prolonge par une comparaison avec les instructions de la France et de certains cantons suisses. Jean-Louis Jadoulle, du Service de Didactique de l’Histoire, énonce quelques principes fondamentaux qui devraient être pris en considération lors de la rédaction du référentiel d’histoire de l’enseignement qualifiant. Julien Van beVeren, du Service de Didactique du français, analyse les (sections de) référentiels consacré(e)s au français à la lumière de trois questions qui visent à voir si ces (sections de) référentiels constituent un obstacle ou, au contraire, une aide à l’avènement d’une conscience disciplinaire. Jean-Louis dumortier, lui aussi du Service de Didactique du français, insiste sur certains principes qui devraient être appliqués lors de la rédaction du référentiel de français pour le qualifiant, en prenant le soin d’exemplifier lui-même une telle application.

3CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

éditorial

Annick FaGnant, Catherine Jacmin et Isabelle Sente, après avoir rappelé ce qui distingue le concept d’interdisciplinarité de plusieurs concepts voisins (entre autres ceux de pluri- et de transdisciplinarité), font état du dispositif mis en œuvre, à l’ULg, pour former les futurs enseignants à (enseigner grâce à) l’interdisciplinarité. Quant à Jocelyne robert, elle rappelle ce qui justifie l’existence d’un séminaire de gestion des situations scolaires difficiles, en mettant l’accent sur la nécessité de diversifier les apports théoriques grâce auxquels on analyse de telles situations.

Nous espérons que ces contributions ne seront pas perçues comme des manifestations de l’agitation des cerveaux fumeux de didacticiens « en chambre ». Elles sont, à notre estime, des preuves de leur engagement dans le système scolaire, de leur intérêt pour tout ce qui le concerne, de leur acceptation d’avoir un tant soit peu « les mains sales » en allant voir sous le capot quand le moteur de la voiture connait quelques ratés. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que ce numéro de Puzzle, comme les autres, suscite des réflexions, voire des réactions de votre part. Peut-être trouvera-t-il également - qui sait ! - quelque écho du côté de nos décideurs politiques. Quoi qu’il en soit, à toutes et à tous, nous souhaitons une agréable et stimulante lecture.

4CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Maggy Schneider - Gilot, Professeur Pierre Henrotay et Pierre Job, AssistantsUniversité de Liège Service de Didactique des Sciences mathématiques

Vers une articulation des compétences et des savoirs

VErS UNE artiCUlatioN dES CoMPÉtENCES Et dES SaVoirS lES diSCiPliNES… lE rEtoUr

Dans ce texte, nous revenons sur la réforme dite « des compétences », et plus particulièrement les référentiels qui y sont associés. Née d’une volonté de standardisation des pratiques ensei-gnantes, associée à une piste méthodolo-gique potentiellement source d’illusions, elle s’est accompagnée d’un certain oubli des spécificités disciplinaires et de l’introduction d’un nouveau contrat social paradoxal. Plus de 10 ans après cette réforme, subsistent des interroga-tions fondamentales, accompagnant des constats pas toujours heureux. Nous évoquons la volonté annoncée de revi-siter les référentiels des compétences terminales pour les mathématiques et analysons les perspectives propo-sées. Nous le faisons en prolongeant la réflexion entamée dans le numéro de Puzzle précédent (n° 30) sur la résolu-tion de problèmes, dans sa liaison avec la problématique du transfert, au sens commun du terme.

Des référentiels conçus dans un contexte complexe

et toujours questionnés 15 ans après

Une volonté de standardisation du curriculum

Confronté d’une part à un système scolaire complexe jugé peu perfor-mant, peu piloté et très inégalitaire, et d’autre part à la communautarisa-tion de l’enseignement, entraînant des

restrictions budgétaires et des mouve-ments de grève importants en 1990 et 1995, le monde politique a réagi par le biais d’un décret, appelé décret « Missions » qui, en 1997, définit, pour la première fois en Belgique, les objectifs de l’enseignement obliga-toire. Parmi ceux-ci, on lit qu’il faut préparer tous les élèves à « être des citoyens responsables et à s’appro-prier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie écono-mique, sociale et culturelle ». Outre des mesures relatives à l’organisa-tion des établissements scolaires, aux droits et à l’égalité des élèves, ce décret promeut une transforma-tion pédagogique importante axée sur l’école de la réussite mais visant aussi une « standardisation du curri-culum avec la rédaction de référen-tiels de compétences pour tous les niveaux d’enseignement et la création d’outils d’évaluation devant servir de référents externes communs à tous les réseaux ».Et, somme toute, on pouvait se réjouir de ce discours d’intention qui situait la portée de l’enseignement en général et celui des mathématiques en particulier au-delà de l’acquisition de savoirs encyclopédiques et de procé-dures techniques. Restait cependant la question des moyens pour atteindre les objectifs formulés dans ce contrat social ambitieux tant pour les élèves que pour les professeurs.

La piste méthodologique, illusions et filiations

incertaines

Depuis le début de la réforme des compétences, certains ont espéré beaucoup de la piste méthodologique qui pourrait s’avérer source d’illu-sions si l’on n’y prend garde. Elle se traduit d’abord par une emphase mise, dans les référentiels de compé-tences de nombreuses disciplines, sur des compétences très transversales telles que « se poser des questions » ou « formuler une hypothèse ». En mathématiques, on met l’accent sur la résolution de problèmes et ses différentes étapes, de la lecture de l’énoncé à la communication de la réponse, étapes que l’on doit d’ac-complir judicieusement pour devenir bon résolveur de problèmes. Le but, semble-t-il, est de faire acquérir aux élèves ce que certains appellent tantôt une « méthode de recherche scienti-fique », tantôt une « démarche expé-rimentale», ou plus récemment une « démarche d’investigation »… fina-lement une méthode implicitement universelle qui les rendrait aptes à aborder n’importe quelle ques-tion avec rationalité. On touche ici à ce que l’on appelle le transfert au sens commun du terme. Mais, tant du côté des chercheurs que de celui des enseignants, on sait que l’entre-prise est particulièrement délicate en mathématiques et tout professeur a pu éprouver le risque d’augmenter dangereusement le nombre d’échecs

5CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Vers une articulation des compétences et des savoirs

en variant quelque peu le problème posé à l’examen par rapport à ceux travaillés en classe. Nous renvoyons ici, en guise d’illustration de la diffi-culté du transfert, à l’analyse de la classe des problèmes d’optimisation faite dans les Actes de l’Université d’Été 2011 (Compte rendu de l’atelier « Mathématiques », Puzzle n°30 de novembre 2011).Les méthodes d’enseignement préco-nisées sont, elles, déclarées dans la ligne du paradigme socioconstructi-viste, les situations-problèmes étant pensées pour les élèves comme des galops d’essai de cette fameuse démarche universelle. Si l’on peut concevoir la nécessité, pour les réfor-mateurs, de justifier la mouvance de compétences par des raisons internes au monde de l’éducation, indépen-damment des influences externes supposées du monde de l’entreprise, on peut regretter là plusieurs conver-sions douteuses en idéologies d’ensei-gnement de théories d’apprentissage sorties de leur contexte de recherche.

Un oubli certain des spécificités disciplinaires

Dans cette optique, la « souverai-neté » supposée des mathématiques est questionnée. Toutes les disciplines se valent et leurs spécificités épisté-mologiques passent à l’arrière-plan. Ce qu’on perd là, semble-t-il, est une certaine efficacité de la « disci-plinarisation » des questions que se sont posées les humains, qu’elle soit d’ordre scientifique ou scolaire (par exemple la biochimie relève du premier mais pas du second, du moins avant l’enseignement supérieur), qu’elle soit standardisée aujourd’hui ou à concevoir dans l’avenir (ainsi, on pourrait imaginer une discipline scolaire « math-physique » à supposer qu’on en valide la pertinence). Cette disciplinarisation permet en effet de fédérer en classes des questions parentes car pouvant être traitées au moyen de mêmes savoirs et tech-niques. Et les bons résolveurs de

problèmes de mathématiques le savent puisqu’ils lisent l’énoncé d’un problème à la lumière des catégories de problèmes que leurs connaissances leur auront permis de distinguer. On a pu trouver cette idée de parenté de questions dans le concept de « famille de tâches » supposé structurer l’écri-ture d’outils d’évaluation associés aux référentiels de compétences mais cette idée a été parfois déclinée de manière tellement générale que l’on retrouvait, d’une discipline à l’autre, des familles de tâches communes formulées… au moyen de compétences transversales, au risque de rendre peu visibles, pour les élèves et les enseignants, les ques-tions constitutives d’une discipline donnée. Nous renvoyons ici encore aux Actes de l’Université d’Été 2011 (art. cit.), où est explicitée une manière de concevoir l’apprentissage et l’enseignement de la résolution de problèmes (1).

Un nouveau contrat social porteur d’un paradoxe

Il faut reconnaître que cette réforme des compétences a fonctionné jusqu’à présent comme une véritable doxa à laquelle devaient se soumettre les acteurs de terrain, souvent privés des outils didactiques qui leur auraient permis de discerner les opportu-nités et inopportunités du paradigme socioconstructiviste et les contraintes didactiques qui pèsent sur le fonction-nement des dispositifs qu’il inspire. Et on ne peut manquer de souligner ce qui apparaît comme un paradoxe du nouveau contrat social engagé par cette réforme. Les enseignants sont supposés rendre leurs élèves « auto-nomes », capables de penser par eux-mêmes, mais ne disposent pas forcé-ment eux-mêmes des outils intellec-tuels leur permettant de le faire de manière un tant soit peu éclairée et critique. Ce qui risque de les confiner dans un rôle d’exécutants que certains d’ailleurs assument en se contentant de donner des « signes extérieurs de compétences ».

La nécessité de revisiter les référentiels interréseaux des

compétences terminales

Des questions restant fondamentales et des constats

Plus de 10 ans après le lancement de la réforme des compétences, des acteurs de terrain continuent de poser des questions aussi fondamentales que « De quoi s’agit-il ? », « Que dois-je enseigner ? », « Comment dois-je m’y prendre ? », « Que dois-je faire faire aux élèves ? ». Ce sont de telles demandes qu’identifient les rapports d’inspection annuels et que relayent les conseillers pédagogiques. C’est le cas des mathématiques, et ce malgré l’existence de programmes listant des contenus disciplinaires, qu’il est toutefois bien difficile d’articuler au discours sur les compétences. À ces observations s’ajoutent un mauvais score des élèves de la CFWB aux études PISA, ainsi qu’un constat sur l’absence de continuité des apprentissages mathématiques d’un niveau d’enseignement à l’autre.

La mise en chantier d’un travail progressif de relecture

Sur la base de ces constats, auxquels s’ajoutent des observations issues des évaluations externes certificatives ou non certificatives, la considération du taux d’échec important observé pour le cours de mathématiques, et les réflexions de l’Inspection, les auto-rités politiques ont récemment entre-pris de mettre en chantier un travail progressif de relecture des référen-tiels « des compétences terminales et des savoirs requis » pour des cours de formation générale des Huma-nités générales et technologiques et « des compétences terminales et des savoirs communs » des Humanités professionnelles et techniques. À la lecture des rapports annuels de l’Ins-pection, les cours de mathématiques ont été identifiés comme un des chan-tiers prioritaires. Il s’agit aussi de

6CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Vers une articulation des compétences et des savoirs

répondre plus concrètement et plus systématiquement aux attentes expri-mées par les enseignants et relayées par les conseillers pédagogiques. Pour mener à bien ce chantier, une commission réunie à l’initiative de la ministre en charge de l’Éducation propose plusieurs balises qui font l’objet d’un texte de cadrage dont nous avons pu avoir connaissance, étant invités, en tant que membre d’un service de didactique des mathé-matiques, à illustrer les idées-forces par des exemples. Ces derniers n’ont bien sûr pas de valeur institutionnelle, une commission ad hoc étant chargée de réécrire les référentiels sur la base de ce cadrage. On trouvera ci-dessous ce que nous avons retiré d’important dans ce texte ; ensuite, nous explicite-rons notre position par rapport à cela.

Des balises pour un cadrage méthodologique et une

insistance sur le caractère disciplinaire

D’abord un cadrage du travail, défi-nissant le champ d’application, prend appui sur un schéma simple reprenant trois questions fondamentales :• « Pourquoi ? »

L’éducation à une citoyenneté responsable, à l’utilisation critique des médias, au respect de l’environ-nement, au développement durable, à l’interculturalité […] doivent s’intégrer dans les finalités mêmes de la formation au sein de chaque discipline.

• « Comment ? »[…] relève de la liberté méthodo-logique des réseaux. Il faut donc veiller à gommer des référentiels les glissements vers les domaines de la didactique et de la méthodo-logie.

• « Quoi ? »[…] où il s’agirait au niveau des référentiels de resituer l’approche par compétences à sa juste place, à savoir la finalité des apprentissages progressifs, en y intégrant explici-

tement les savoirs, les savoir-faire et les attitudes qui concourent à la maîtrise des compétences. L’enjeu est de renforcer le caractère « actif », « constructif » et « spiralaire » des apprentissages.

Ensuite, une insistance est mise sur le caractère disciplinaire au sens « scolaire », ce qui inclut des champs disciplinaires plus spécifiques, tels qu’ils sont découpés par les commu-nautés de savants, comme la physique, la chimie, la biologie, la géométrie, l’algèbre… mais aussi leur transposi-tion didactique et ce que cela suppose en termes de progression d’apprentis-sage. Enfin, le travail de réécriture doit de prendre en compte les pratiques ensei-gnantes et les réalités du terrain autant que les référents disciplinaires :

Ce travail de remaniement des référentiels peut se faire utilement mais pas exclusivement en partant de ce qui se pratique sur le terrain et des différents programmes exis-tant dans les réseaux, selon une approche ascendante.

Le souci de lisibilité du texte par les professeurs n’est pas oublié :

Pour être plus proches du terrain et plus lisibles par les enseignants, les référentiels liés aux disciplines scolaires devraient présenter pour chaque domaine, des unités d’ac-quis d’apprentissage graduées et spiralées en fonction du cycle ou degré concerné, mais aussi en fonction du niveau visé (compé-tences-socles, formation commune, cours de base, cours d’approfon-dissement, cours préparatoires aux études supérieures…).

L’utilisation de matrices-types autour du concept d’unité d’acquis d’apprentissage

Techniquement, l’écriture des référen-tiels doit s’appuyer sur des matrices-types qui permettent de présenter chaque référentiel disciplinaire sur la base des mêmes paramètres, et qui sont construites à partir d’items dont

le choix et la caractérisation révèlent une épistémologie sous-jacente. Le premier de ces items est le concept « d’unité d’acquis d’apprentissage » (UAA), qui permet d’organiser des ensembles cohérents, finalisés et évaluables, en fonction de l’histoire et de la didactique propres d’une disci-pline. Il désigne ce qu’un élève sait, comprend, est capable de réaliser au terme d’un processus d’apprentissage. Si chaque unité d’acquis d’apprentis-sage fait appel à des « macro-compé-tences » telles que « adopter un raison-nement mathématique », « comprendre une démonstration mathématique » ou « communiquer en langage mathé-matique », elle doit cependant viser un niveau plus précis en ce sens que doivent être précisées les ressources à mobiliser pour accomplir des tâches génériques correspondant à une ou à plusieurs compétence(s) disciplinaire(s) constitutive(s) de ces macro-compétences. Ainsi, il pour-rait s’agir, par exemple, de « résoudre un problème d’optimisation », avec ou sans choix d’une technique de la part de l’élève, les techniques étant, au niveau secondaire, la programma-tion linéaire ou le calcul des dérivées. Mais on peut également concevoir une unité d’acquis d’apprentissage orga-nisée autour d’une même technique tout en brassant des tâches multiples. Ainsi, « modéliser des problèmes de manière à les traiter au moyen de la dérivée d’une fonction algébrique ou trigonométrique » suppose de savoir appliquer le calcul des dérivées pour réaliser des tâches diverses : optimiser une grandeur, approximer localement une fonction, déterminer une vitesse instantanée ou un coût marginal, …Les auteurs du « Cahier des charges » de ce chantier notent encore la néces-sité de réinterroger au préalable le champ de la discipline pour s’assurer que l’on ne passe pas à côté d’un pan disciplinaire important, et de s’assurer, en se référant à la didactique de la discipline, de la cohérence de chacune des unités en leur sein et entre elles. C’est qu’il y a une démarche du physi-cien qui n’est pas celle de l’historien

7CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Vers une articulation des compétences et des savoirs

ou celle du linguiste… Chaque unité d’acquis d’apprentissage fait inévi-tablement appel à certaines de ces compétences disciplinaires.Un deuxième item est relatif aux « processus cognitifs ». Le texte distingue trois tels processus : « connaître », « appliquer » et « trans-férer » qui ne doivent pas nécessaire-ment être présents ou développés de la même façon dans toutes les unités d’acquis d’apprentissage.Le processus « connaître » insiste sur la nécessité d’armer les élèves de connaissances suffisamment structu-rées et non liées à un contexte déter-miné, susceptibles de pouvoir être mobilisées indifféremment d’une situation donnée à l’autre. Il s’agit surtout de développer chez l’élève un niveau « méta » qui le rend capable d’expliciter ses connaissances et ses ressources en vue de les appliquer ou de les transférer. On emploiera « appliquer » lorsque la variation des paramètres entre tâches entraînées en classe et tâches nouvelles est faible, et « transférer » quand « la variation des paramètres est […] forte » et quand « on attend un plus grand degré d’autonomie de la part de l’élève ». C’est jugé déjà comme un niveau de compétence relativement complexe. À cheval sur l’application et le trans-fert, est définie la complexité d’une tâche grâce à des indicateurs liés aux savoirs et savoir-faire à mobiliser (leur nombre, leur éventuelle combinaison, leur sélection), aux informations à traiter (fournies, à sélectionner, à cher-cher) et au mode de communication de la production (choix, brièveté). Relevons que les auteurs du texte de cadrage précisent :

Dans le transfert, la variation des paramètres entre tâches entraînées et tâches « nouvelles », voire « inédites », est plus forte : on attend un plus grand degré d’autonomie de la part de l’élève. […] En contexte scolaire, le transfert doit rester le résultat d’un apprentissage : l’élève doit avoir pris conscience que ce qu’il apprend est transférable à certaines conditions, doit pouvoir

identifier la famille (ou classe) de tâches, de problèmes ou de situa-tions où un tel transfert est possible, doit avoir appris à construire des homologies entre des tâches, problèmes, situations, contextes tout en relevant des différences qui nécessiteront des ajustements au moment du transfert.

Les « ressources » constituent le troi-sième item. Elles correspondent à l’ensemble des savoirs, savoir-faire, attitudes, stratégies qui seront actua-lisés, découverts, mobilisés au cours de l’unité d’apprentissage et qui s’avèrent incontournables lors de la réalisation des tâches. En situation de formation, ces ressources ne sont pas traitées pour elles-mêmes, comme si elles avaient une valeur en soi. Elles sont finalisées en fonction de situa-tions à traiter, de tâches à réaliser, de compétences à développer en fonc-tion d’un paradigme disciplinaire. Pour les auteurs du texte, c’est cette intentionnalité qui leur donne sens et permet d’éviter les dérives de l’ency-clopédisme. Parmi les ressources, il y a les « outils conceptuels » qu’il faut entendre comme des « notions », des « concepts », des « modèles », des « théories », propres à la discipline : ainsi, en mathématiques, « la dérivée, les nombres entiers, l’équation du second degré… »Enfin, un quatrième item concerne les « démarches transversales », lesquelles mobilisent des processus cognitifs logiques, méthodologiques, relationnels, communicationnels… considérés comme « nécessaires » dans plusieurs disciplines. Au nombre de ces démarches, « mener un raison-nement inductif, déductif, analo-gique… », « poser des questions à un interlocuteur pour obtenir des réponses pertinentes… », « recueillir, sélectionner et traiter de l’informa-tion », « communiquer une solution ou un résultat sous la forme d’un schéma »…La relecture des référentiels propose donc une modélisation uniforme, sous la forme d’une matrice déjà évoquée plus haut, permettant de présenter

chaque référentiel disciplinaire sur la base des mêmes paramètres : on y identifie l’UAA, on en précise les finalités en termes de compétences, et on la décrit d’un point de vue opéra-tionnel sur le plan pédagogique. Les référentiels établissent de manière explicite et contraignante les ressources incontournables pour l’exercice des compétences discipli-naires. L’ordre séquentiel des unités, à quelques exceptions près, est de la responsabilité des programmes.

Notre position : penser le transfert par un élargissement progressif du choix des élèves

Dans son introduction, le texte de cadrage relève la nécessité d’une clarification des référentiels de nature à faciliter la définition des indica-teurs de maîtrise des compétences qui y sont décrites, ceci en identifiant clairement les savoirs et savoir-faire requis en tant que ressources opéra-tionnelles pour l’accomplissement de tâches disciplinaires mieux définies et plus circonscrites. Nous retrouvons dans ce texte certains points essentiels auxquels nous adhérons résolument. Résumons-les ici.D’abord une insistance sur le travail par disciplines, en évitant toutefois tout cloisonnement disciplinaire stérile et en attirant l’attention sur certains phénomènes associés au processus de transposition didactique qui conduisent les auteurs du texte à prôner une formalisation progressive des concepts.Ensuite une revalorisation du « connaître » auquel est octroyé le statut de compétence pour autant qu’on pense cette rubrique à un certain niveau de réflexivité : l’élève doit pouvoir, en regard d’une tâche donnée, justifier le choix d’une procé-dure et pouvoir en exprimer l’intelli-gibilité sans laquelle il ne peut espérer en percevoir les opportunités d’usage. On reconnaît là le « discours techno-logique » de cheVallard ou les « connaissances conditionnelles » de

8CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Vers une articulation des compétences et des savoirs

TardiF. À ce retour à la rubrique « connaître », s’ajoute une coloration « méta » que lui avaient déjà donnée certains d’entre nous (2). Enfin, l’idée que le transfert doit rester le résultat d’un apprentissage, l’enseignement ayant permis aux élèves de construire des homologies et d’identifier ainsi des classes de problèmes. Le transfert est alors pensé en termes d’ajustement d’une méthode standardisée. Le texte de cadrage montre une certaine évolution dans la façon de penser le transfert et son évaluation, loin de l’illusion méthodologique évoquée plus haut. Il est apparent également qu’il corrige largement certains excès en permettant une harmonie entre plusieurs facettes de la résolution de problèmes et en remettant à l’honneur la « disciplina-risation » des grandes questions qui se posent aux humains sans la penser dans une perspective de cloisonne-ment stérile.Un point d’attention subsiste cepen-dant concernant ce transfert, que nous pensons de manière un peu différente ; on consultera ici pour plus de détails les Actes de l’Université d’Été 2011 (art. cit.)Nous pensons que la question du transfert peut être analysée à la lumière de théories didactiques (Schneider, 2006b). Il en ressort une possibilité d’action qui consiste à mettre le transfert « sous contrat » en apprenant aux élèves à manœuvrer dans une classe (ou catégorie) donnée de problèmes, puis en leur apprenant à brasser plusieurs classes à la fois. Ces classes sont, dans un premier temps, fédérées à la fois par une tâche donnée et par une technique particu-lière associée à un savoir. Dans un second temps, on peut mélanger des problèmes qui concernent une même tâche, mais dont la résolution suppose le choix de la technique appropriée entre plusieurs possibles, les élèves étant avertis - et c’est là l’aspect contractuel - qu’ils ont ce choix.C’est qu’en effet les rubriques « connaître », « appliquer » et « transférer » ne sont pas à considérer

uniquement comme des processus cognitifs, ainsi que le stipule le texte de cadrage, ce qui n’est pas sans conséquence sur leur gestion didac-tique. En effet, du point de vue de la didactique, l’élève est plus qu’un sujet cognitif. C’est un sujet institutionnel qui occupe une position spécifique, celle d’élève précisément, qui est bien distincte de celle du professeur. Par conséquent, sauf en de rares cas qui peuvent d’ailleurs s’avérer tout à fait opportuns, le professeur maîtrise les apprentissages mieux que l’élève et avant ce dernier. L’élève le sait et en joue, la plupart du temps, pour deviner les attentes du professeur sans s’engager plus qu’il ne le faut dans la tâche demandée. Ces effets pervers de ce contrat qualifié de « didactique » par les didacticiens, l’enseignement cherche à les gommer en rendant les élèves « autonomes » c’est-à-dire capables de penser par eux-mêmes. Soit. Il n’empêche que les recherches en didactique ont largement montré la prégnance du contrat didactique et de ses effets à tout niveau de formation et, on le constate souvent, jusque et y compris dans une formation docto-rale. Mieux vaut donc, à notre tour, jouer de cette réalité en mettant le transfert sous contrat, en un sens que nos exemples de « matrices » vont permettre d’illustrer.

Exemples de matrices

Il s’agit d’abord de Modéliser des problèmes de manière à les résoudre au moyen d’un traitement appro-prié de fonctions et ceci concerne donc la modélisation fonctionnelle remise largement à l’ordre du jour par la commission des outils d’éva-luation relatifs aux compétences terminales, dès sa création il y a plus d’une dizaine d’années. Les élèves confrontés à des tâches relevant de la modélisation fonctionnelle ont tendance à choisir un modèle qui vient d’être enseigné ou, du moins, qui a été enseigné durant l’année scolaire en cours, plutôt que d’envi-sager à priori un ensemble plus vaste

de possibles. C’est là bien sûr un effet indésiré du contrat didactique mais il faut bien reconnaître que ça marche la plupart du temps, le professeur étant complice de ce contrat en évaluant souvent et naturellement d’ail-leurs à propos de ce qui vient d’être enseigné ! D’où l’intérêt de brasser effectivement, à chaque moment de la scolarité, l’ensemble des modèles déjà vus, les élèves de 6e par exemple devant être avertis que les questions qui leur sont posées peuvent mobiliser aussi bien des modèles enseignés 2 ou 3 ans auparavant que ceux introduits lors de l’année scolaire en cours. Le passage de l’application au trans-fert se définit donc par le brassage contractuel de plusieurs classes de problèmes, l’élève ne pouvant plus se situer en devinant les attentes, plutôt que par le caractère standard ou inédit de ces problèmes. Et les observations donnent à penser qu’il s’agit déjà là d’une véritable révolution à mener, pour la modéli-sation fonctionnelle en particulier, une autre révolution étant de négocier des changements dans l’approche des fonctions qui devraient être étudiées par classes paramétrées plutôt qu’une à une. Cet exemple de matrice est proposé pour le 2e degré de l’ensei-gnement de transition, les principaux modèles fonctionnels étant abordés dans ce cadre, hormis les modèles exponentiel et logarithmique. Toute-fois, ces derniers pourraient l’être facilement si l’on acceptait de voir, sous un angle fonctionnel, l’étude des puissances à exposants rationnels. On en arrive là à un enjeu fonda-mental de cette démarche qui est de fédérer un grand nombre d’apprentis-sages sur les 6 années de l’enseigne-ment secondaire. Dès la 1ère année, l’étude de certaines suites de nombres figurés permet d’aborder les premiers modèles fonctionnels et d’y subor-donner les acquisitions algébriques relevant d’identités ou d’équations tout en leur donnant du sens. Et, au 3e degré, c’est la modélisation fonc-tionnelle qui va permettre d’enclen-cher des techniques de résolution de

9CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Vers une articulation des compétences et des savoirs

problèmes particulièrement perfor-mantes. Il s’agit évidemment du calcul des dérivées et de celui des primitives. Ces techniques autorisent en effet une économie de pensée impressionnante pour deux raisons. La première est que les modèles mathématiques en général et les modèles fonctionnels en particulier sont polyvalents car multi-contextuels, une fonction du second degré par exemple représentant aussi bien un mouvement rectiligne unifor-mément accéléré que la variation des aires de rectangles de même péri-mètre. La seconde raison est que ces techniques permettent de réaliser des tâches multiples : ainsi, le calcul des dérivées fournit aussi bien une vitesse instantanée en physique qu’un taux marginal en économie et est utilisé tant pour optimiser des grandeurs que pour approximer localement une fonction compliquée par une fonction plus simple. C’est cette polyvalence que cherche à traduire la matrice proposée pour le 3e degré de l’ensei-gnement général, qui est un prolonge-ment naturel de la précédente et qui demande de Modéliser des problèmes de manière à les traiter au moyen de la dérivée. Elle illustre en outre qu’il existe en mathématiques un croise-ment entre tâches et techniques. Par exemple, l’optimisation d’une gran-deur peut requérir aussi bien des méthodes de programmation linéaire que le calcul des dérivées alors que ce dernier permet de réaliser des tâches autres qu’optimiser comme on vient de le voir. Il n’empêche qu’« optimiser une grandeur à l’aide des dérivées » est une tâche suffisamment complexe qui mériterait aussi le label d’Unité d’Acquis d’Apprentissage en préam-bule de celle proposée ici. Le lecteur trouvera une étude plus détaillée de la classe des problèmes d’optimisation comme exemple d’illustration d’une technique d’étude dans les Actes de l’Université d’Été 2011 (art. cit.).Dans ces deux matrices, une formali-sation progressive des concepts en jeu est prise en compte. Dans la 1ère, on peut lire :

À ce stade, et pour respecter un niveau de formalisme adapté au public des élèves, le concept de fonction peut être abordé à un niveau intuitif. Le formalisme ensembliste n’est pas indispen-sable et le focus doit être mis sur la dépendance entre deux quantités variables, dépendance qui s’ex-prime dans la langue vernaculaire mais qui peut être traduite dans les registres numérique, graphique et algébrique.

Et, dans la seconde : À ce stade, […] le concept de dérivée peut n’être pas encore défini par le biais du concept de limite en termes de quantificateurs et d’inégalités. Le taux de variation instantané est alors défini comme ce que devient un taux moyen lorsqu’on annule « Delta x » après avoir fait toutes les simplifications algébriques standards. De même, il n’est pas utile ici de présenter les réels de manière axiomatique, l’axiome de continuité en parti-culier étant, dans les problèmes concernés, souvent implicitement à l’œuvre sous la forme d’une conti-nuité naturelle de type cinématique ou géométrique.

Les matrices proposées sont jusqu’à un certain point interchangeables entre l’enseignement de transition et l’enseignement technique de qualifi-cation. Ce qu’il convient de souligner ici à leur propos, c’est que les thèmes retenus indiquent une intention d’en-seigner, autant que faire se peut, des mathématiques socialement engagées. Abordons ainsi les matrices proposées pour l’enseignement qualifiant : il s’agit, pour le 2e degré, de Synthétiser et d’exploiter l’information contenue dans un ensemble de données à l’aide d’outils statistiques et, pour le 3e degré, de Répondre à une question qui relève de phénomènes aléatoires au moyen d’outils statistiques et proba-bilistes. Un aspect souligné par leurs auteurs (3) est que les statistiques et probabilités sont destinées à former un couple inséparable si l’on veut pouvoir s’en servir - que ce soit pour

tester l’efficacité d’un médicament ou pour prévoir le résultat d’une élection, par exemple - et que les programmes scolaires ne se prêtent pas toujours à une réalisation harmonieuse de ce mariage nécessaire. On comprendra que la révision des référentiels inter-réseaux peut avoir des incidences sur les programmes des différents réseaux, qui ne se situent pas de la même manière, du moins s’agissant du point précis de cette liaison entre statistiques et probabilités.Les exemples montrés ici mettent en avant le côté « outils » des concepts mathématiques. Mais ceux-ci, construits comme modèles unifiants de contextes divers, vivent ensuite leur vie propre comme « objets » dont les propriétés sont validées dans une structure déductive. Cet autre aspect a sa place au niveau de l’enseignement secondaire, mais peut-être pas dans tous les domaines mathématiques. La géométrie, en tout cas, est un domaine privilégié à propos duquel il faudra adapter la matrice initiale au raison-nement déductif. Il n’empêche qu’il existe un niveau d’intelligibilité des outils mathématiques préalable au raisonnement déductif et qu’un élève doit pouvoir expliciter oralement ou par écrit sans compter sur la compli-cité du professeur, c’est-à-dire comme s’il s’adressait à un « quidam non expert fictif ». C’est là une réelle « stratégie transversale » impliquant un certain rapport au savoir, et négligée la plupart du temps, y compris dans les manuels.

Un apprentissage progressif qui devrait se traduire par un

emboîtement d’UAA

Notre modèle du transfert et les quelques UAA décrites ci-dessus suggèrent une certaine forme de progressivité des apprentissages : l’élève est amené à faire des choix dans un ensemble de possibilités de plus en plus vaste, l’élargissement venant tant de la diversité croissante des outils disponibles que de celle des tâches. Illustrons cela à travers deux

10CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

grands domaines : l’algèbre et l’ana-lyse d’une part et la géométrie d’autre part. Ils représentent une grande partie des programmes actuels, le troisième grand domaine étant constitué de la statistique et du calcul des probabi-lités.Au 2e degré, la modélisation fonction-nelle mobilise les premières fonctions de référence ainsi que les modèles paramétrés auxquels elles conduisent par « transformations graphiques » : les fonctions linéaires, les fonctions affines (ou affines par morceaux), les fonctions du second degré. Au fur et à mesure de la progression des élèves, on élargit à d’autres modèles : fonc-tions sinusoïdales, fonctions ration-nelles et irrationnelles, … fonctions exponentielles et logarithmiques. Mais les usages de ces modèles sont multiples eux aussi et dépendent des questions posées : déterminer les racines d’une fonction ou certaines de ses images, les intervalles où une fonction est positive, le point commun aux graphiques de deux fonctions, chercher l’extremum d’une fonction du second degré… en adop-tant les formes analytiques les plus adaptées à la tâche demandée. Dans cette perspective, les apprentissages algébriques relatifs aux équations, inéquations, systèmes d’équations, identités sont subordonnés à l’étude des fonctions « utiles » pour résoudre des problèmes, ce qui leur donne du sens tout en limitant les difficultés techniques à ce qui est vraiment nécessaire. À ces techniques s’ajoute-ront le calcul des dérivées et celui des primitives lorsqu’on voudra optimiser des grandeurs, modéliser celles-ci (par exemple, des vitesses variables), ou encore de calculer des aires ou volumes. On diversifie ainsi progres-sivement non seulement les modèles fonctionnels mais aussi ce que l’on en fait.La géométrie au 2e degré, elle, débute par la détermination de tous les éléments d’un triangle à partir de la connaissance de quelques-uns d’entre eux. Cette démarche de « résolution de triangles » est à l’œuvre, par exemple,

dans l’évaluation de distances inac-cessibles et peut mobiliser des tech-niques variées relevant des triangles semblables, de Thalès, de Pythagore ou de relations trigonométriques. Ces techniques peuvent être combinées, certains problèmes supposant la réso-lution de plusieurs triangles.Des triangles respectant des mesures données d’angles ou de côtés, on passe aux figures planes répon-dant à certaines contraintes. Leur construction suppose des techniques telles que la recherche de lieux et la méthode de construction dite des deux lieux, lesquelles mobilisent, dans certains cas, des transformations géométriques. Quant à la construc-tion d’objets géométriques, elle se prolonge dans l’espace aux points de percée d’une droite dans un plan et aux sections de polyèdres par un plan déterminé par 3 points.Les constructions géométriques, dans le plan ou dans l’espace, mobilisent des propriétés de figures qu’il s’agit alors de démontrer dans une orga-nisation déductive, fût-elle locale. Ces propriétés peuvent relever de la géométrie plane ou de la géométrie dans l’espace. Quant aux méthodes de démonstration, elles se diversifient au fil de la scolarité pour relever de la géométrie synthétique, de la géomé-trie vectorielle et de la géométrie analytique. Ici, la variété se retrouve à plusieurs niveaux : c’est celle des tâches, mais aussi celle des objets géométriques et celle des méthodes.Dans ces deux domaines, les élèves sont donc amenés à gérer des variétés multiformes. Il importe alors de concevoir les UAA selon un emboî-tement qui les y préparent progressi-vement. Cela peut commencer par les mettre en situation de devoir choisir entre un modèle linéaire et un modèle quadratique, entre résoudre une équation pour déterminer les racines d’une fonction et chercher l’une ou l’autre de ses images, entre Thalès et Pythagore pour résoudre un triangle ou entre la méthode synthétique et la méthode analytique pour démon-trer une propriété géométrique. Puis,

dans chaque cas, le choix s’élargit et les possibilités se cumulent d’une année à l’autre. Le point fort et par là même l’enjeu des UAA serait alors de proposer dans un cadre fédérateur une hiérarchie de grandes classes de problèmes et une progression dans la multiplicité à priori des types de réso-lution. Vaste programme…

Notes

(1) On se reportera également à la conclusion de cet article paru dans le numéro 30 de Puzzle.(2) Ce qui nous est proposé ici fait surgir en une des coauteurs (M. Schneider) certaines résonances, celle-ci ayant élaboré avec deux collègues , B. Gerard et C. Varlet, une grille d’évaluation qui inspire aujourd’hui encore des enseignants et certains auteurs de manuels. Elle se composait de trois points : connaître, appliquer et résoudre des problèmes. Le « connaître » englobait explici-tement les connaissances condition-nelles de Tardif ou le discours tech-nologique de cheVallard (cf. supra). La rubrique « appliquer » renvoyait à des résolutions de problèmes très proches de ceux travaillés en classe et, qui plus est, dans des conditions où l’élève n’a guère de doute quant aux savoirs et techniques à mobiliser. L’item « résoudre des problèmes » correspondait en gros au « transférer » du texte de cadrage, mais en quelque sorte dans une version plus modeste.(3) Auteurs : J. dewitte, ICADI Ville de Liège et c. Varlet, St-Laurent, Liège, Ladimath, ULg.

Bibliographie

baeten e. et Schneider m. (à paraître). Évolutions curriculaires récentes dans l’espace mathématique francophone. Actes de la 12e Rencontre de l’Espace Mathématique Francophone.brouSSeau G. (1998). La théorie des situations didactiques. Grenoble : La Pensée Sauvage.

Vers une articulation des compétences et des savoirs

11CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

cheVallard y. (1999). L’analyse des pratiques enseignantes en théorie anthropologique du didactique. Recherches en Didactique des Mathé-matiques, 19/2, 221-265.

henrotay P. & Schneider m. (2011), Compte-rendu de l’atelier «Mathéma-tiques». Actes de l’Université d’été 2011 (CIFEN, Centre Interfacultaire de Formation des Enseignants). Puzzle n°30, 44-53.

Schneider m. (2006a). Quand le courant pédagogique ‘des compé-tences’ empêche une structuration des enseignements autour de l’étude et de la classification de questions parentes. Revue Française de Pédagogie, 154, 85-96.Schneider m. (2006b). Comment des théories didactiques permettent-elles de penser le transfert en mathéma-tiques ou dans d’autres disciplines ? Recherches en Didactique des Mathé-matiques, 26 (1), 9-38.

Schneider m. (2007). Les compé-tences comme cadre pour orga-niser des enseignements de mathé-matiques ? Oui, mais … Quelques dérives possibles. Canadian Journal of Science, Mathematics and Tech-nology Education, vol. 7, numéro 1, 28-40.Schneider m. (2008). Traité de didac-tique des mathématiques. La didac-tique par des exemples et contre-exemples. Les Éditions de l’Univer-sité de Liège.

Vers une articulation des compétences et des savoirs

12CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

QUEllES CoMPÉtENCES dÉVEloPPEr EN laNGUES aNCiENNES ? UNE aPProCHE CoMParatiVE dES PlaNS d’ÉtUdES Et ProGraMMES dE latiN EN ViGUEUr EN EUroPE FraNCoPHoNE

Paul PietquinUniversité de LiègeService de Didactique des Langues anciennes

Quelles compétences développer prioritairement dans l’apprentissage des langues anciennes au niveau de l’enseignement secondaire ? La réponse à cette question est figée en Communauté française de Belgique (désormais « Fédération Wallonie-Bruxelles »), depuis le 5 mai 1999, par un décret définissant cinq compé-tences à atteindre à l’issue de la filière dite « de transition » (humanités géné-rales et technologiques)(1) Comme le notent J. beckerS et c. VooS (2008, p. 62), cette situation (commune à tous les référentiels disciplinaires) constitue à la fois une garantie contre toute tentative de retour en arrière et un obstacle à d’éventuels réajuste-ments, dont la nécessité apparaît pour-tant, à l’usage, dans les classes (2) ou lors de la conception d’outils d’éva-luation communs à tous les réseaux (3). Dans les pages qui suivent, nous nous proposons, dans un premier temps, de détailler la diversité relative à la mise en œuvre des compétences du réfé-rentiel actuel au sein des différents programmes en vigueur en Belgique francophone. Nous confronterons ensuite la liste des compétences fixée par le décret avec les objectifs et finalités d’apprentissage des langues anciennes mis en avant dans deux autres pays de la francophonie : la France et la Suisse. Nous avons pris le parti de limiter l’ensemble notre exposé au domaine de l’apprentissage de la langue latine, car les instruc-tions officielles pour l’étude du grec - quand elles sont disponibles - se

présentent en général sous une forme relativement sommaire et offrent moins de prise à la comparaison.

Les programmes approuvés en Communauté française

Pas moins de cinq programmes de latin ont été approuvés(4) par la Commission des programmes et par le ministre en charge de l’Éducation : un pour l’Enseignement organisé par la Communauté française (aujourd’hui « Fédération Wallonie-Bruxelles », désormais : ECF), un pour la Fédé-ration de l’enseignement secondaire catholique (désormais : FESeC), un pour la Ville de Bruxelles (désor-mais : Brux.), un pour la Province de Hainaut et un pour l’École Decroly d’Uccle. D’un document à l’autre, la référence faite aux compétences terminales à atteindre adopte des points de vue sensiblement différents.

Compétences transversales vs. compétences terminales

D’après certains de ces programmes, l’acquisition des cinq compétences terminales est censée concerner chacune des six années du secondaire (autrement dit, dès avant l’entrée dans la filière de transition visée par le réfé-rentiel). Cela ressort clairement de la lecture des grilles de l’École decroly, qui font figurer chaque année les cinq numéros correspondants en face des activités d’apprentissage envisagées,

et cela est explicitement indiqué dans le texte de la Communauté française (où, du reste, la notion de « compé-tences terminales » est fréquemment associée à celle de « compétences transversales », sans explication précise sur ce qui les distingue) :

[...] le programme souligne [...] la place et l’importance des compé-tences terminales [...] qui doivent être exercées tout au long des six années d’études (ECF, 2000, p. 1).

Plus ambigu, le document de la Province de Hainaut affirme que « la mise en application de ces cinq compé-tences terminales s’exerce à chaque degré » , avant de reconnaître que la deuxième compétence (commentaire de textes) concerne principalement les deuxième et troisième degrés, et la cinquième (recherche personnelle), surtout le troisième.Seul le programme de la Ville de Bruxelles opère une nette distinc-tion entre le premier degré, ayant pour objectif « la maîtrise progres-sive [...] des compétences transver-sales » (Brux., 2000, p. 3), et les deux autres, où les cinq compétences sont à développer, mais où « le recours aux compétences transversales exercées au premier degré reste d’application pour atteindre les compétences termi-nales [...] » (Brux., 2000, p. 7).Quant aux instructions pédagogiques de la FESeC, elle concernent spéci-fiquement la filière de transition et n’envisagent donc que l’acquisition des compétences terminales aux

Quelles compétences développer en langues anciennes ?

13CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

deuxième et troisième degrés, réser-vant clairement le développement de compétences transversales au premier degré, en les considérant en quelque sorte comme prérequises (cf. FESeC, 2000, pp. 13-14). Ces instructions sont cependant les seules à ne pas reprendre tel quel le texte du référentiel, mais à introduire une reformulation des compétences, « en des termes plus opérationnels » (FESeC, 2000, p. 13).

Mise en avant des compétences

Il y a là un paradoxe sur lequel il vaut la peine de s’arrêter : en même temps qu’il s’écarte de la lettre du référen-tiel, le programme de la FESeC nous apparaît comme celui dont l’organi-sation est la plus nettement structurée autour de la notion de compétences terminales. Nous en voulons pour preuve, notamment, le fait qu’il envi-sage d’abord le programme du troi-sième degré, plus proche de l’objectif final, avant de définir, sous la forme de « compétences transitoires »(5), les objectifs à atteindre au terme du deuxième degré. De même, les diffé-rentes situations-problèmes propo-sées sont chaque fois strictement liées à une compétence particulière, même s’il faut reconnaître que la reformula-tion proposée tantôt occulte certains aspects des compétences décré-tales (on n’y retrouve point certains aspects, tels que « retraduire en fran-çais des textes d’auteur », « saisir [...] la constitution de lexiques »), tantôt réunit plusieurs compétences en un seul énoncé (à savoir : les quatrième [confrontation des cultures] et cinquième [recherche personnelle] compétences).À titre de comparaison, le programme de la Communauté française ne fait référence explicitement ni à la notion de « situation-problème », ni à celle de « situation d’apprentissage ». Il se contente d’indiquer, dans un « avertissement » vraisemblablement rédigé à posteriori, à quelles pages du programme sont données des instruc-tions qui pourraient rendre « peu à

peu les élèves capables » de mener les tâches décrites dans le référen-tiel(6). À l’examen, on s’aperçoit que ces instructions n’ont pas toujours été spécifiquement formulées dans cette perspective (ainsi, le lien annoncé entre la page 10 du programme et les deuxième et troisième compétences du référentiel ne semble pas si évident à établir). Qui plus est, la notion de compétence elle-même est glosée par le programme en des termes qui ne rejoignent que partiellement la défi-nition du décret « Missions » (lais-sant de côté la notion d’ « ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes ») :

Aujourd’hui, on met plus que jamais l’accent sur l’acquisition par le jeune de capacités, de compétences. Il s’agit donc de conduire le processus éducatif non pour aboutir à la resti-tution pure et simple d’un savoir, mais bien pour conférer l’aptitude à utiliser ce savoir dans un contexte donné et en fonction d’un but déter-miné (ECF, 2000, p. 2).

Mise en avant des situations d’apprentissage

Même s’il reprend intégralement les cinq compétences du référentiel et s’il s’efforce de baliser des étapes pour amener progressivement les élèves à les maîtriser (en spécifiant, année après année, sous quels aspects - déjà explicités dans le référentiel (7)- elles seront successivement exercées), le programme de l’École Decroly nous semble cependant davantage construit autour de situations d’apprentissages (appelées aussi « activités », confor-mément à la pédagogie dont s’inspire l’établissement). Dans la série de tableaux qui détaillent le programme de chaque année d’étude, ces activités occupent en effet la colonne de gauche (laquelle vient donc en premier, dans l’ordre naturel de la lecture). Deux autres colonnes sont mises en paral-lèle : au centre, les compétences, avec ce qu’elles impliquent en termes de capacités précises (ou de savoir-faire ?) ; à droite, les savoirs discipli-

naires. Le fait qu’une activité donnée soit souvent reliée, par des chiffres, à plusieurs compétences - lesquelles ne figurent pas en regard de l’acti-vité concernée, mais sont notées dans l’ordre du référentiel - nous renforce dans notre conviction que ce sont bien les situations d’appren-tissage qui président à l’organisation de l’ensemble. Certes, les savoirs disciplinaires sont également reliés aux compétences qu’ils permettent d’exercer, mais le nombre de liens établis est, dans l’ensemble, nette-ment plus réduit.C’est pareillement la notion de « situa-tion-problème » qui charpente princi-palement, selon nous, le programme de la Ville de Bruxelles. Le présup-posé pédagogique de ce programme nous est livré à la page 5 :

La mise en œuvre des savoirs, activés dans des situations-problèmes, débouchera sur la maîtrise progressive des compé-tences [...].

Alors que savoirs et compétences sont simplement donnés sous forme de listes, les situations-problèmes (formulées parfois de façon trop générales(8)) sont chaque fois explici-tées par les capacités qu’elles néces-sitent de mettre en œuvre, et sont très précisément hiérarchisées : les situa-tions les plus simples sont proposées dès les premières années (et pourront être proposées également les années suivantes), les plus complexes sont réservées aux années ultérieures, sans que la liste soit présentée comme exhaustive. Toutefois, aucun lien explicite n’est fait dans ce programme entre les situations et les compétences qu’elles contribuent à exercer.

Mise en avant des contenus

Le même souci de progressivité est manifesté par le programme de la Province de Hainaut, qui prétend, dans des tableaux développés sur plusieurs pages, préciser à quel niveau d’enseignement telle ou telle compétence fera l’objet d’une initia-

Quelles compétences développer en langues anciennes ?

14CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

tion (flèche oblique), sera certifiée (sigle « C ») ou bien encore entre-tenue (sigle « E »), à l’instar de ce que proposent les documents « socles de compétences » de l’enseignement obligatoire. Un examen plus attentif révèle cependant que les « compé-tences » en question sont formulées sous la forme de contenus-matières (« les 5 déclinaisons nominales », « infinitif parfait actif »). La présence, à droite du tableau, des numéros des compétences terminales concernées, et la mention de démarches propo-sées (« je reconnais un verbe », « je suis capable de justifier une concor-dance des temps ») masquent mal le fait qu’il s’agit bien d’évaluer des connaissances (éventuellement dans un contexte particulier d’applica-tion) plutôt que des compétences, et que rien n’est dit sur la manière d’amener les élèves à articuler toutes ces connaissances dans l’accomplis-sement d’une des tâches (« traduire en français », « mener une recherche personnelle ») évoquées par le réfé-rentiel.

La faute au référentiel ?

J. beckerS et c. VooS ont suggéré que les manières très diverses dont les programmes traduisent parfois les exigences des référentiels pourrait tenir, pour une part, « aux impréci-sions ou aux incohérences des réfé-rentiels eux-mêmes » (beckerS & VooS, 2008, p. 62). Au terme de ce bref tour d’horizon, force nous est pourtant de constater que, parmi les programmes validés, certains ne s’en tiennent pas strictement à la formula-tion des compétences du référentiel (voire en occultent plusieurs aspects), d’autres privilégient les contenus-matières dans la certification, d’autres encore n’identifient pas les compé-tences exercées par les situations-problèmes qu’ils proposent, d’autres enfin entretiennent la confusion entre les notions de compétences transver-sales et de compétences terminales. La plupart des programmes semblent toutefois attentifs à ménager une

progression dans l’apprentissage et la maîtrise graduelle des compétences. La disparité des dispositifs imaginés s’explique évidemment par le choix qui a été fait de ne pas faire figurer, dans le référentiel, d’indication sur les niveaux de maîtrise à exiger, mais de laisser ce soin aux commissions d’élaboration d’outils d’évaluation communs à tous les réseaux.Si la qualité du référentiel n’appa-raît donc pas, dans le cas des langues anciennes, comme le principal facteur de divergence entre les programmes, celui-ci n’est-il pas pour autant susceptible d’améliorations ? Sur cette épineuse question, nous nous borne-rons à quelques pistes de réflexion, à partir d’une rapide confrontation avec les instructions officielles suisses et française.

Les plans d’études en Suisse romande

Le latin est actuellement enseigné dans six cantons suisses francophones (Berne, Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel, Vaud), à la fois au niveau de l’école obligatoire et au niveau du deuxième cycle du secondaire. Il en résulte une douzaine de docu-ments d’instructions officielles, qu’il serait fastidieux de passer ici en revue systématiquement. On notera toute-fois que, dès 1994, un Plan d’études cadre pour les écoles de Maturité (9)

a défini une série d’objectifs fonda-mentaux pour l’apprentissage des langues anciennes, déclinés en termes de connaissances, savoir-faire et atti-tudes. Reproduits tels quels (Berne, Fribourg, Vaud) ou adaptés (Genève) par les différents cantons, ils nous paraissent dignes d’intérêt dans la mesure où ils reprennent précisé-ment les catégories de ressources à mettre en œuvre selon la définition de la compétence donnée par le décret « Missions ».Une réforme ambitieuse s’est récem-ment donné pour objectif d’unifier tout l’enseignement obligatoire, en définissant un « Plan d’études romand » commun(10) (en abrégé :

PER). Le latin, pourtant absent de certains cantons, n’a pas été oublié : le PER distingue trois axes d’ensei-gnement complémentaires (langue, littérature latine et culture antique) et un objectif d’apprentissage, décliné en six composantes :

Accéder aux principales sources de la pensée occidentale par l’étude de langues et de civilisations antiques dans une perspective d’enrichisse-ment des références culturelles et de la langue française…(1) … en étudiant un vocabulaire de base et en identifiant son évolution dans d’autres langues ;(2) … en s’appropriant des outils de base en morphologie et syntaxe ;(3) … en traduisant des textes et en prenant les décisions nécessaires à une lecture cohérente ;(4) … en découvrant des sources littéraires antiques (en version originale ou en traduction) ;(5) … en utilisant des ressources documentaires pour découvrir les civilisations antiques et en visitant les lieux et musées archéologiques de façon réelle ou virtuelle ;(6) … en observant les permanences culturelles dans les arts, le droit, la politique et les sciences.

Certains rapprochements avec les compétences terminales du référentiel belge francophone sautent aux yeux : ainsi, la première composante rejoint la troisième compétence (« saisir [...] la constitution de lexiques, à l’ori-gine du lexique français, et source d’emprunts pour lui, comme pour de nombreuses langues modernes ») ; la troisième composante est à mettre en rapport avec la première compé-tence (« comprendre un extrait d’au-teur [...] et le traduire en français ») et la sixième composante évoque la quatrième compétence (« mettre les aspects les plus importants [...] de la civilisation romaine en rapport [...] avec notre culture contemporaine »). La deuxième composante est plutôt présentée par le référentiel belge comme une connaissance, nécessaire au développement des compétences,

Quelles compétences développer en langues anciennes ?

15CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

mais elle figure aussi implicitement - ce que tous les programmes belges semblent ne pas avoir perçu - dans la troisième compétence (« saisir [...] le fonctionnement [...] de ces deux langues flexionnelles »). C’est égale-ment plutôt en termes de connais-sances que le référentiel évoque l’ac-quisition de savoirs littéraires, histo-riques et culturels (cf. les quatrième et cinquième composantes). En revanche, certains aspects spécifiques au référentiel belge, pourtant ancrés dans une solide tradition pédagogique, ne semblent pas trouver écho dans les composantes suisses : le commentaire de texte (deuxième compétence) et l’élaboration d’une recherche person-nelle (cinquième compétence). Il est vrai que le PER limite sa perspective aux premières années de l’enseigne-ment secondaire, mais ceci donne précisément matière à nous interroger, pensons-nous, sur la place relative à donner à ces démarches particulières dans l’apprentissage des langues anciennes.Pour chacune des six composantes de l’objectif d’apprentissage retenu, le PER définit très précisément (sous l’intitulé « progression des appren-tissages ») dans quelle partie du cycle doit être abordée telle ou telle matière (en termes de connaissances, par exemple « étude de l’infinitif présent » ou d’activités, par exemple « traduction de textes simples »), et précise les attentes fondamentales en fin de cycle (par exemple « Au cours, mais au plus tard à la fin du cycle, l’élève traduit correctement les degrés de comparaison des adjectifs »).On perçoit d’emblée à la fois la complexité et l’intérêt de ce travail considérable. Le canton de Neuchâtel disposait déjà d’un programme(11) conçu de façon similaire : des « objec-tifs prioritaires d’apprentissage », formulés en termes de compétences à développer (entre autres « Connaître les bases de la langue latine dans une perspective linguistique et cultu-relle ») sont déclinés en une série d’objectifs spécifiques (tels que « acquérir un bagage lexical minimal

de la langue latine » ou « développer l’exercice de la traduction »), avant que soient précisées les attentes mini-males « en terme [sic] de compé-tences précises » à la fin du degré (par exemple : « l’élève comprend et explique des phrases et textes latins simples », « il situe dans un contexte culturel les auteurs rencontrés au gré des lectures »).Plutôt que d’objectifs (prioritaires ou spécifiques), le Plan d’études vaudois (12) préfère, pour sa part, parler de « compétences visées » et de « compétences associées à la compé-tence visée », explicitées comme suit (partie B, p. 1) :

Les compétences visées mettent en évidence les lignes de force de la discipline. Elles en constituent le cœur. [...]Les compétences visées sont des compétences « larges » dont l’ac-quisition nécessite l’établissement de liens entre divers apprentissages (savoirs, capacités, …).Les compétences associées servent de base à l’élaboration de situations d’enseignement/apprentissage. [...]Les compétences associées sont une explicitation des compétences visées. Elles précisent et délimitent les apprentissages des élèves.

Prenons l’exemple de la compétence « Lire, comprendre et traduire un texte latin d’un niveau adapté aux outils à maîtriser » (partie B, p. 13.7). On la rapprochera évidemment de la première compétence du référen-tiel de Belgique francophone. Cette compétence visée est mise en relation avec cinq compétences associées :

(1) identifier les éléments consti-tuants de la phrase latine ;(2) identifier les éléments consti-tuants du mot : radical, suffixe, désinence [...] ;(3) choisir des moyens appropriés à une reformulation en français correcte, claire et exacte ;(4) pratiquer une méthodologie systématique de la traduction [...] ;

(5) utiliser de manière efficace des ouvrages de référence (dictionnaire, grammaire).

Dans le référentiel belge francophone, nous retrouvons, sous une formula-tion quasi identique, une seule de ces compétences associées : « l’utilisation efficace d’ouvrages de référence » (p. 5). Elle figure dans une longue liste de savoir-faire qu’implique l’exercice de la première compé-tence. Une lecture attentive permet de comprendre pourquoi il n’y a pas d’autres convergences, bien que la liste des autres savoir-faire impliqués soit relativement étendue : contrai-rement au document belge, le plan d’études suisse vise à formuler spéci-fiquement des compétences devant permettre l’élaboration de situations d’apprentissage. Il y aurait là, selon-nous, une piste de réflexion à creuser dans la perspective d’une mise à jour des référentiels. En formulant les compétences, les rédacteurs ont-ils vraiment songé aux situations d’ap-prentissages qu’elles impliquent ?

« Langues et cultures de l’Antiquité » en France

Notre dernier point de comparaison sera le programme de latin destiné aux collèges français, paru en 2009, qui fait une large place à la notion de compétence (13).Un préambule à ce programme rappelle qu’en France, le cours de latin s’inscrit tout naturellement dans le cadre de l’acquisition d’une « culture humaniste », laquelle constitue l’une des sept compétences définissant le socle commun (de connaissances et de compétences) à acquérir à la fin de la scolarité obligatoire. Un tableau (p. 11) précise les compétences attendues en fin de cycle d’orientation, déclinées en six rubriques : « Lire et comprendre », « Lire et traduire », « Lire et dire », « Lire l’image », « Commenter », « Maîtriser les techniques usuelles de l’information et de la communi-cation ». La présence d’une rubrique

Quelles compétences développer en langues anciennes ?

16CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

« Commenter », riche de cinq compé-tences à exercer, marque un contraste important avec le PER suisse, qui semble méconnaître (ainsi qu’on l’a déjà noté) cet aspect de l’ensei-gnement des langues anciennes. Par ailleurs, bien que plusieurs de ces compétences s’inscrivent dans la perspective belge des compétences terminales (« élaborer de façon auto-nome une traduction » [première compétence], « rapprocher, comparer textes et documents de nature variée » [quatrième compétence], « construire un exposé » [cinquième compétence]), beaucoup apparaissent en revanche comme plus inédites (notamment « utiliser une traduction pour produire une traduction person-nelle » et « mémoriser et réciter de courts extraits »), comme s’il fallait nous rappeler que les compétences du référentiel belge ne sont jamais qu’un document de consensus, qui n’exclut nullement les initiatives pour déve-lopper d’autres potentiels chez les élèves qui nous sont confiés.

Conclusion

De notre brève investigation, nous retiendrons un point essentiel : en Belgique francophone, le référen-tiel de compétences terminales en langues anciennes apparaît, au regard des programmes qu’il a inspirés autant qu’à l’aune des instructions pédagogiques suisses et françaises, comme porteur de hautes visées dans la formation des élèves, très proches des objectifs fondamentaux d’appren-tissage repérés par le Plan d’études romand. C’est manifestement un point fort, par lequel, par exemple, ce réfé-rentiel se démarque du programme français pour les collèges, dont la liste des compétences à évaluer, somme toute assez disparate, se prêterait assez difficilement à un regroupement en familles de tâches. C’est peut-être aussi son talon d’Achille, au sens où il gagnerait sans doute à se situer davantage, à l’instar du Plan d’études vaudois, dans la perspective de l’éla-boration de situations d’apprentis-

sage plus concrètes, que certains programmes belges semblent avoir eu du mal à définir. En outre, préci-sément parce que ce référentiel porte de hautes visées, la question se pose de savoir si elles doivent être prises en compte dès le début de l’apprentis-sage. Le fait que certaines des compé-tences qu’il envisage ne se retrouvent pas dans le Plan d’études romand parait faire pencher la balance en faveur des concepteurs de programme qui ont voulu qu’elles ne soient exer-cées qu’à partir d’un niveau avancé.

Notes

(1) Ministère de la Communauté fran-çaise, 1999. Consultable en ligne : http://www.enseignement.be/index.php? page=24923.

(2) Pour surmonter cette difficulté constatée sur le terrain, la Fédéra-tion de l’Enseignement Secondaire Catholique vient de publier un docu-ment intitulé « Outil de facilitation du prescrit » (Fédération de l’Enseigne-ment Secondaire Catholique, 2012), consultable en ligne : http://admin.segec.be/documents/6496.pdf.

(3) Il est symptomatique à cet égard que la Commission des outils d’éva-luation en langues anciennes ait été amenée à regrouper les cinq compé-tences du référentiel en trois « familles de tâches ». Cf. http://www.enseigne-ment.be/download.php?do_id=4862.

(4) La liste des programmes approuvés est donnée en : http://www.enseigne-ment.be/index.php?page=25203.

(5) Cette dénomination ne figure pas dans les programmes, mais a été proposée ultérieurement, notamment par M.-B. Mars (duFayS, De keerS-maecker, meurant, 2010, p. 48, note 38).

(6) ECF, 2000 p. 1. J. beckerS et C. VooS considèrent effectivement les compétences du référentiel comme des « finalités de tâches » (beckerS & VooS, 2008, p. 62).

(7) Ainsi, la compétence « Version » se voit explicitée par « mise en œuvre des connaissances linguistiques », « intuition contrôlée par l’analyse », « formulation et vérification d’hypo-thèse », etc. Toutes ces expressions sont tirées de la p. 5 du référentiel (Ministère de la Communauté fran-çaise, 1999).

(8) Si nous pouvons concevoir que « traduire une ou plusieurs phrases latines » (Brux., p. 5) soit une situa-tion-problème, nous peinons à conce-voir de la même manière une formu-lation telle que « appréhender le monde » (Brux., p. 6).

(9) Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique, 1994. Consultable en ligne : http://edudoc.ch/record/17477/files/D30b.pdf.

(10) Consultable en ligne : http://www.plandetudes.ch.

(11) Canton de Neuchâtel. Service de l’enseignement obligatoire, 2006. Consultable en ligne :http://www.ne.ch/neat/documents/a d m i n _ c a n t o n / D I PA C _ 1 6 5 4 /seo_1675/c_4730/pense789Coupe_files/PENSE789_2006.pdf.

(12) Département de la formation, de la jeunesse et de la culture. Direction générale de l’enseignement obliga-toire, 2006. Consultable en ligne :h t t p : / / w w w. v d . c h / f i l e a d m i n /user_upload/organisation/dfj/dgeo/fichiers_pdf/PEV_Modif_2011.pdf.

(13) Ministère de l’Éducation natio-nale, 2009. Consultable en ligne: http:/ /media.education.gouv.fr/file/31/56/2/Langue-culture-anti-quite-college_101562.pdf.

Bibliographie

beckerS, J. & VooS, c. (2008). Savoirs scolaires et compétences, les difficultés de cadrage d’une réforme en Communauté française de Belgique, dans F. audiGier et N. tutiaux-Guillon (Éds.). Compé-

Quelles compétences développer en langues anciennes ?

17CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

tences et contenus. Bruxelles : De Boeck.Canton de Neuchâtel. Service de l’en-seignement obligatoire (2006). Plan d’études neuchâtelois du secondaire 1. Degrés 7-8-9. S. l.Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (1994). Plan d’études cadre pour les écoles de Maturité du 9 juin 1994. Recommandation à l’intention des cantons conformément à l’art. 3 du Concordat scolaire du 29 octobre 1970 avec des propositions pour sa mise en œuvre. Berne : CDIP.Département de la formation, de la jeunesse et de la culture. Direction générale de l’enseignement obliga-toire (2006) Plan d’études vaudois. Version 2007. S. l.

duFayS, J.-l., de keerSmaecker, m.-l. & meurant, a. (Éds.) (2010). Quelles pratiques didactiques pour favoriser la transition secondaire-université ? Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de Louvain.Fédération de l’Enseignement Secondaire Catholique (2000). Programme. Latin. 2e et 3e degrés de Transition. Bruxelles : FESeC. [N° D/2000/7362/019.]Fédération de l’Enseignement Secon-daire Catholique (2012). Autour des quatre éléments. Outil de facilitation du prescrit. Langues anciennes – 2e et 3e degrés. Bruxelles : FESeC. Ministère de l’Éducation nationale (2009). Programme de langues et cultures de l’Antiquité au collège. Bulletin officiel, n° 31.

Ministère de la Communauté fran-çaise (1999). Compétences terminales et savoirs requis en latin & grec. Humanités générales et technolo-giques. S. l. Ministère de la Communauté fran-çaise (2000). Programme d’études du cours et de l’option de base simple : latin. S. l. [N° 48/2000/240.]Province de Hainaut. Direction générale des enseignements (2000). Programme d’études du cours de latin. Enseignement secondaire. Humanités générales et technolo-giques. Deuxième et troisième degrés. S. l. [N° P 00-058.] Ville de Bruxelles (2000). Programme du cours de latin. Enseignement général (type II, avril 2000). S. l.

Quelles compétences développer en langues anciennes ?

18CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Parmi les référentiels inter-réseaux dont la réécriture a été entamée au début de l’année 2012, il en est un dont l’importance n’échappera à personne : il concerne les compé-tences et les savoirs dont les élèves issus de l’enseignement technique de qualification et de l’enseignement professionnel doivent avoir la maitrise à travers les apprentissages qui leur sont proposés dans les cours qui composent la formation commune, à savoir essentiellement l’histoire et la géographie dans les réseaux offi-ciel et du CEPEONS, le cours de « sciences humaines » dans l’ensei-gnement « libre ». Deux commissions sont désormais à l’œuvre : l’une est en charge de l’histoire et de la géogra-phie ; l’autre, des sciences écono-miques et sociales. Quand on sait que, aux deuxième et troisième degrés, environ 45 %(1) des élèves fréquentent ces filières d’enseignement et que, en outre, l’indice socio-économique moyen des quartiers où habitent ces élèves est significativement inférieur à celui des quartiers où résident les élèves scolarisés dans les filières de transition(2), l’on mesure l’enjeu péda-gogique et démocratique que recèle l’écriture de pareil référentiel.

Un enjeu pédagogique ?

La définition précise des compé-tences et des savoirs dont les élèves doivent avoir la maitrise est, de toute évidence, une tâche de première importance au plan pédagogique. Elle

l’est d’autant plus pour ce public dont le profil socio-cognitif et socio-langa-gier d’une part, le rapport au savoir d’autre part, supposent beaucoup de clairvoyance et de finesse dans la défi-nition des attendus de l’apprentissage.Comme le rappelait encore récem-ment J. beckerS, dans la mise en pers-pective théorique du dernier ouvrage qu’elle coordonne avec J. crinon et G. SimonS(3), l’ « approche par compétences », par le niveau taxono-mique élevé des apprentissages qui sont exigés, risque, si l’on n’y prend garde, de pénaliser les élèves dont le mode de socialisation ne favorise pas souvent la maitrise de démarches à haute valeur cognitive et/ou langa-gière. C’est dire si l’énoncé des compétences attendues de ces élèves mérite grand soin.D’autres études, particulièrement celles, bien connues, de b. charlot(4), ont montré que les élèves fréquen-tant les filières de l’enseignement qualifiant nourrissent un rapport au savoir qui les amène à accorder (très) peu de sens aux savoirs que l’École promeut traditionnellement. Ce déficit de signification est parti-culièrement sensible s’agissant des savoirs à apprendre dans le cadre des cours de la formation générale, par distinction avec ceux qui composent la formation professionnelle. La tâche d’énoncer les savoirs dont ces élèves devront avoir la maitrise à l’issue de la formation commune est donc aussi redoutable.

Un enjeu démocratique ?

Sans nier ni même minimiser l’impor-tance de la formation professionnelle au plan de l’insertion des jeunes dans la société, nous sommes convaincu que les cours de formation générale jouent également un rôle essentiel dans la compréhension que l’élève pourra développer du monde qui l’entoure et donc dans sa manière de s’y insérer. Les cours qui composent la formation générale dans les filières qualifiantes constituent en outre souvent les seules occasions qui sont données à tous les élèves de construire des outils de compréhension de la société.Au-delà ou en-deçà de la question pédagogique (quelles compétences et quels savoirs faire apprendre aux élèves ?), l’écriture de ce réfé-rentiel pose donc aussi la ques-tion des « réalités sociales » ou des « problèmes de société » auxquels il importe d’ouvrir les jeunes afin de leur permettre de jour un rôle actif et critique dans le monde actuel.

Le référentiel actuel : quelles imperfections ?

Que ce soit au regard de l’enjeu péda-gogique ou de l’enjeu démocratique, la décision de réécrire le référentiel voté en 2000 nous semble entièrement fondée. Ce texte comporte en effet de nombreuses imperfections. Elles ont notamment été mises en avant dans plusieurs rapports du service de

La rÉÉCritUrE dU rÉFÉrENtiEl dES CoMPÉtENCES tErMiNalES Et SaVoirS CoMMUNS daNS l’ENSEiGNEMENt qUaliFiaNt : ENjEUx Et oPPortUNitÉS

Jean-Louis Jadoulle, ProfesseurUniversité de Liège Service de Didactique spéciale de l’histoire

La réécriture du référentiel des compétences terminales...

19CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

l’inspection inter-réseaux et dans le cahier de charges que le cabinet de la ministre m.-d. Simonet a réalisé pour baliser le travail de réécriture des réfé-rentiels. Elles ont été aussi souvent soulignées par les acteurs de terrain : enseignants, conseillers pédago-giques, responsables des programmes dans les réseaux, formateurs d’ensei-gnants…

Des compétences… à énoncer !

En ce qui concerne les compétences, le référentiel actuel souffre d’un déficit criant de précision. D’emblée, les auteurs de ce texte précisent que « les élèves doivent construire des savoirs et des compétences qui leur permettent de connaître leurs racines, prendre conscience des origines de la société où ils vivent, pouvoir agir en tant que citoyens »(5). Mais quelles sont ces compétences ? Celles-ci ne font l’objet d’aucun énoncé précis. Le terme lui-même de « compétence »… n’apparait plus dans la suite du docu-ment. Il semble remplacé par ceux de « savoir-faire » ou de « savoirs essentiels »(6). Certes, le document énonce quantité d’aptitudes, de capa-cités, d’habiletés, d’attitudes… : « reconnaître la diversité des modes d’expression artistique », « prendre conscience de l’existence de critères éthiques et de leur caractère relatif », « poser, se poser des questions », « pouvoir conduire un raisonnement logique jusqu’à une conclusion argu-mentée », « dans la résolution d’une situation-problème, envisager et croiser différents points de vue, scien-tifique, technique, économique, socio-culturel, éthique… », « s’adresser aux autres sans agressivité, les laisser s’exprimer et écouter », « pratiquer la langue avec clarté (…) », « connaître son corps (…) », « comprendre les mécanismes de solidarité (…) », « lire, analyser et comprendre les messages publicitaires… »… Autant d’énoncés qui pourraient sans doute, potentiellement, donner lieu à la défi-nition de compétences entendues au sens strict, c’est-à-dire des capacités à

mobiliser conjointement un ensemble de ressources (savoirs, savoir-faire, attitudes) pour résoudre un type ou une famille de problèmes. Mais ces aptitudes, capacités, habiletés, atti-tudes…, outre leur trop grand nombre, ne font pas l’objet d’une définition suffisamment précise pour que l’on puisse parler, à leur sujet, de « compé-tences ». Ce constat appelle quelques précisions.L’ « approche par compétences » est l’objet de nombreux cadrages théo-riques. Pour y voir clair, on peut distin-guer deux optiques. Dans la première, que l’on peut qualifier de « généra-liste » ou de « longitudinale »(7), la compétence est vue comme une capa-cité générale dont le développement passe par la rencontre de situations très diverses. Cette optique est celle qui a prévalu, en 1999-2000, dans la plupart des disciplines du cursus secondaire en Belgique francophone. En effet, dans la plupart d’entre elles, les compétences qui ont été définies dans les référentiels, puis dans les programmes, correspondent tantôt à des capacités générales (savoir écrire, savoir observer, savoir analyser…), tantôt à des savoir-faire techniques (résoudre une équation, accorder un participe passé…), tantôt encore à des attitudes (faire preuve d’autonomie, planifier son travail…). Ces énoncés ont en commun de laisser à l’ensei-gnant le choix de la situation dans laquelle il développera puis évaluera la maitrise de la compétence. En effet, dans cette optique, la diversité des situations est vue comme le gage de l’apprentissage de la compétence.Cette option est contestée par les promoteurs de l’optique « opéra-tionnelle » ou « situationnelle »(8). Pour ces derniers(9), l’apprentissage d’une compétence suppose que la diversité des situations soit contenue dans l’espace de la « famille de situations » ou « famille de tâches » attenante à cette compétence. Cette approche suppose donc la définition, pour chaque compétence, d’un type ou d’une famille qui circonscrit les contours des situations, nouvelles et

complexes, dans le cadre desquelles les élèves exerceront un type de tâche. Comme nous l’avons déjà donné à penser(10), l’optique « généraliste » nous semble souffrir de plusieurs insuffisances, susceptibles d’affecter grandement le degré d’atteinte de trois attendus principaux de la réforme initiée par le « Décret-Missions ».

• En termes de pilotage de l’ensei-gnement, le caractère relative-ment indéterminé des énoncés de compétences, qu’il s’agisse de capacités générales, de savoir-faire techniques ou d’attitudes, laisse à chaque enseignant une liberté d’interprétation extrê-mement large. S’il convient de rappeler l’importance essentielle, à nos yeux, de préserver la liberté pédagogique de chaque profes-seur, nous y reviendrons, il faut s’interroger sur l’opportunité qu’il y a, en termes de pilotage du système éducatif, de leur laisser le soin de définir les objectifs d’ap-prentissage.

• En termes de réduction des inéga-lités et eu égard au projet ambi-tieux d’égalité des acquis, il nous parait aussi indispensable de fixer d’une manière suffisamment souple mais précise le niveau à atteindre et donc la tâche attendue de l’élève et les contours des situa-tions complexes auxquelles il aura à faire face.

• En termes de réduction de l’échec scolaire, cette définition précise de la nature des tâches et des situa-tions d’évaluation nous parait également primordiale. L’indéter-mination pose en effet un triple problème.- Elle ne permet pas à l’enseignant d’assurer une équivalence suffi-sante entre les différentes situa-tions d’apprentissage et d’éva-luation proposées à l’élève. À nos yeux, l’énoncé du type de situation dans lequel chaque compétence doit être apprise s’impose donc d’abord pour des raisons stricte-ment didactiques : il constitue le

La réécriture du référentiel des compétences terminales et savoirs communs dans l’enseignement qualifiant

20CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

gage de la transparence du contrat pédagogique que doivent nouer élèves et enseignant.- La cohérence entre les diverses situations d’apprentissage et d’évaluation nous parait égale-ment indispensable afin de donner aux élèves le temps de, tout simplement, apprendre… Comment pourraient-ils y parve-nir - et d’abord s’engager sereine-ment sur cette voie - si, sans cesse, les conditions dans lesquelles ils doivent attester de leur compé-tence se modifient ?- Ensuite, à supposer même que le professeur soit suffisamment outillé pour préciser le contexte dans lequel chaque compétence sera exercée, comment assurer la cohérence entre ce qui est attendu d’une classe à l’autre, d’une année à l’autre, d’un professeur à l’autre... ?

Il faut ajouter enfin que, contraire-ment à l’approche « généraliste », le paramétrage des situations d’inté-gration a également une vertu clari-ficatrice pour les enseignants dont certains disent souffrir d’un manque de balises, face aux énoncés des compétences terminales. Nous revien-drons sur cette nécessité, selon nous, d’opter pour une « optique situation-nelle », dans l’esprit, par exemple, de la « pédagogie de l’intégration »(11).

Des savoirs… à choisir pour le supplément d’intelligibilité

qu’ils apportent

Le référentiel actuel souffre égale-ment d’un manque de discernement au plan des « savoirs communs » dont les élèves doivent avoir la maitrise. Ainsi, s’agissant de l’ensei-gnement de l’histoire, les auteurs du référentiel précisent que les savoirs à construire doivent permettre aux élèves de « connaître leurs racines, prendre conscience des origines de la société où ils vivent, comprendre le présent, pouvoir agir en tant que citoyens »(12). Suit une liste des

grandes étapes ou des grands phéno-mènes de l’Histoire de l’Homme, depuis la sédentarisation jusqu’à la chute du mur de Berlin. Mais de quelles « réalités sociales » actuelles, ces moments ou ces phénomènes sont-ils les « racines » ? La genèse de quels éléments du monde contempo-rain sont-ils censés éclairer ? Quelles dimensions du présent permettent-ils de comprendre ? À quelles situations que nos élèves rencontreront en tant que citoyens, ces savoirs se réfèrent-ils ? À quelles questions de société dont ils sont parties prenantes l’étude de ces grands « moments histo-riques » permettra-t-elle de répondre ?L’absence de réponse à ces ques-tions, consécutives du manque de discernement qui affecte l’énoncé des « savoirs communs » dans le référen-tiel actuel, laisse l’enseignant bien seul : à lui de tenir ensemble les fina-lités de l’apprentissage et les savoirs qu’il s’agit de faire apprendre. Une tâche qu’il pourra difficilement éluder vu le public qui est le sien, dans les filières de l’enseignement qualifiant. À lui de donner sens à ces « savoirs communs » et de montrer le supplé-ment d’intelligibilité que leur maitrise donne sur le monde présent. La tâche est assurément rude, très rude. Il n’est pas sûr, en outre, qu’elle soit possible pour l’ensemble des « savoirs histo-riques » qui sont énoncés.Le même constat vaut, sans doute, pour les « savoirs géographiques ». Comme pour les « savoirs histo-riques », les dimensions du monde contemporain qu’ils sont censés éclairer ne sont pas explicitées. Les auteurs signalent bien la nécessité de rendre les élèves conscients « des enjeux spatiaux, ici et ailleurs, du local au mondial »(13). Mais quels sont ces « enjeux spatiaux » ? On les cherche en vain. Il reste donc à l’enseignant à les discerner au départ des « savoirs géographiques » qui ont été énumérés, d’une manière aussi traditionnelle que le sont les « savoirs historiques ». Et à tenter de leur donner du sens aux yeux des élèves, si cela est possible…

Le référentiel à venir : quel cahier des charges ?

Si ces imperfections justifient, à nos yeux, le projet de revisiter le référentiel, dans quelles directions s’orienter ? Le cabinet de la Ministre de l’Enseignement obligatoire a élaboré, avec le soutien de quelques experts extérieurs, un cahier des charges qui fournit un certain nombre de balises.Au cœur de ce cahier des charges, on trouve les « unités d’acquis d’appren-tissage » (UAA). Chaque référentiel devra en proposer plusieurs. Chaque UAA portera sur un objet d’appren-tissage : un domaine de la discipline scolaire, un objet de savoir particulier, un outil conceptuel… Étalonnées en fonction de l’âge des élèves, ces UAA préciseront ce qui peut être attendu d’un élève pendant un « processus d’apprentissage »(14) et au terme de celui-ci. Ces attendus relèvent de trois niveaux, lesquels organisent la présentation de chaque UAA : « connaître », « appliquer » et « trans-férer ». Le troisième niveau (« trans-férer ») renvoie aux compétences : chaque UAA devra donc en préciser une ou plusieurs. Avant d’y confronter les élèves, l’enseignant devra les entrainer à « appliquer » (deuxième niveau) leurs acquis dans le cadre de « situations entraînées »(15) ou « stan-dardisées » ou « routinisées » (16). Ces acquis qu’il s’agira d‘ « appliquer » auront été appris au premier niveau, celui du « connaître » (17). Il précise les ressources, c’est-à-dire les connais-sances « déclaratives, procédurales et conditionnelles » (18) que l’élève doit s’approprier et sans lesquelles il ne pourra prétendre accéder aux attendus d’ordres supérieurs.Cette organisation à trois niveaux rappelle à très bon escient ce que de nombreux auteurs, dont nous sommes, n’ont eu de cesse de mettre en évidence depuis l’entrée en vigueur des nouveaux programmes, en 2001 : avant de faire apprendre des compétences, il est indispensable que l’élève ait eu l’occasion d’acquérir

La réécriture du référentiel des compétences terminales et savoirs communs dans l’enseignement qualifiant

21CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

les ressources, particulièrement les savoirs et les savoir-faire, qu’il aura à mobiliser dans le cadre de l’exercice des compétences. Cet apprentissage des ressources (le « connaître ») inclut la découverte de leur potentiel expli-catif ou instrumental et suppose donc aussi que l’élève soit entrainé à s’en servir, d’abord dans des situations cadrées (l’ « appliquer »). C’est à ces conditions qu’il lui sera possible, ensuite, de les « transférer » dans des situations nouvelles et de faire montre de la maitrise des compétences souhaitées.À fort juste titre, les auteurs du cahier des charges rappellent en outre que ces situations nouvelles ou de trans-fert devront présenter « un certain nombre d’homologies avec les situa-tions d’apprentissage, l’élève étant présumé capable d’identifier ces homologies » (19). Ou encore : l’élève « doit pouvoir identifier la famille (ou la classe) de tâches, de problèmes ou de situations où tel transfert est possible » (20). Cette insistance nous semble rejoindre notre plaidoyer pour le choix d’une optique « opération-nelle » ou « situationnelle » au plan de la définition des compétences. On ose espérer qu’elle sera suivie d’effets.Autant ces deux rappels nous semblent donc hautement salutaires, autant le choix qui a été fait de pré-déterminer, dans les référentiels, les contours précis de chaque UAA nous inquiète, et ce pour deux raisons principales.

• L’enseignant ne devrait en effet plus avoir la liberté d’associer telle compétence avec tel objet de savoir. Pour prendre un exemple, si le référentiel prévoit que l’étude des croisades doit donner lieu à une situation de transfert qui relève de la critique de témoignage, l’ensei-gnant n’aurait d’autre choix que d’exercer cette compétence sur cet objet. Il se pourrait pourtant que, au vu des acquis des élèves, à ce stade de l’apprentissage, il soit prématuré d’exercer cette compé-tence et qu’une autre situation de transfert, conforme à une autre famille de situations à laquelle il

importe de confronter les élèves, serait plus opportune. De plus, le chemin pour conduire les élèves à « transférer » leurs connaissances risque d’être balisé de telle sorte que tel angle d’approche, pourtant particulièrement parlant pour les élèves, par exemple étant donné leur filière professionnelle, leur établissement, leurs caractéris-tiques particulières…, risque de devoir être écarté. On peut imaginer, par exemple, que si les auteurs de l’UAA ont fait le choix de porter l’attention sur l’immi-gration italienne dans la seconde moitié du XXe siècle, il ne soit guère possible, à un enseignant qui s’adresserait à un public majo-ritairement issu de l’immigration maghrébine, d’orienter le projec-teur sur cette phase, un peu plus récente, de l’histoire de l’immi-gration en Belgique. Plus grave encore, on peut craindre que le professeur se voit très fortement limité dans ses possibilités de tenir compte des centres d’intérêt des élèves, de leurs questionne-ments… car le transfert visé et le processus d’apprentissage pré-déterminé dans le référentiel ne s’en accommoderaient pas.On perçoit donc le double risque que le choix de corseter l’appren-tissage des compétences dans des UAA contraignantes fait courir : d’une part, celui de déposséder l’enseignant d’une partie de son métier, en le réduisant à un travail d’application de séquences d’apprentissage(21) pré-détermi-nées, d’autre part celui de limiter grandement les possibilités de rejoindre les élèves là où ils sont et d’adapter l’apprentissage à leur cheminement, une exigence qui nous semble absolument incon-tournable face au public particuliè-rement hétérogène qui fréquente l’enseignement qualifiant.On peut aussi se demander dans quelle mesure le choix d’édicter des UAA, sous la forme qui est préconisée, n’amène pas le

pouvoir politique à franchir la ligne rouge dessinée par le Pacte Scolaire. Autant l’option, prise en 1997 par le « Décret-Missions », de définir en commun les objec-tifs de la formation obligatoire nous semblait conforme à l’esprit du Pacte Scolaire, autant il nous parait que la liberté des méthodes pourrait être considérée comme significativement limitée par la prescription des UAA. Mais la question étant d’ordre juridique, elle n’est pas de notre ressort.

• La seconde raison qui est pour nous source d’inquiétude, concerne le bien-fondé des attendus qui seront pré-déterminés dans les UAA. Quelles que soient les compétences des membres des commissions chargées de l’écri-ture des UAA, et il n’est nullement question de les remettre en cause, comment s’assurer que leurs déci-sions, qui devraient avoir valeur contraignante pour les enseignants, seront réalistes, accessibles, effi-caces… dans une même classe d’âge pour TOUS les élèves de TOUS les établissements ? Quel enseignant, même chevronné, ne s’est en effet pas rendu compte, un jour, que la séquence d‘appren-tissage qu’il avait confectionnée et qu’il a mise en œuvre n’a pas efficacement anticipé ce qu’il était possible d’attendre des élèves? Et pourtant, il connaissait ses élèves… Comment faire en sorte que les attendus définis au sein des commissions et le processus qui doit y conduire (« connaître », « appliquer », « transférer ») soient pertinents, réalistes, acces-sibles, efficaces… dans TOUS les contextes ? Le calendrier auquel sont astreintes les commissions et, en leur sein, le petit nombre d’en-seignants encore en fonction dans les classes, ne nous rassurent pas.

Il semble que ce choix de définir des UAA soit la conséquence du projet de « certification par unités » (CPU) qui prend place dans le cadre de la revalorisation et de la refonda-

La réécriture du référentiel des compétences terminales et savoirs communs dans l’enseignement qualifiant

22CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

tion de l’enseignement qualifiant. La modularisation de la formation professionnalisante a en effet, assez logiquement, conduit les promoteurs de la CPU à imaginer une formation commune qui soit également de type modulaire, sous la forme des UAA. Mais fallait-il forcément rendre ces UAA tellement contraignantes ? Et, si l’on peut encore l’imaginer, sous une forme assouplie dans l’enseignement qualifiant, pourquoi penser l’étendre, comme cela semble être le projet, à l’enseignement de transition ? Le profil des élèves et les contraintes de travail des enseignants ne nous semblent pas du tout le justifier. Et ses conséquences potentielles pour le métier d’enseignant nous paraissent particulièrement néfastes.Ces critiques ne doivent aucune-ment donner à penser que nous souhaiterions revenir sur le prin-cipe d’égalité des acquis qui est au cœur du « Décret-Missions », et que nous avons rappelé plus haut. Ni sur l’exigence d’un pilotage plus serré du système d’enseignement : nous avons souligné précédemment que la liberté pédagogique de l’enseignant ne peut aller jusqu’à lui confier la définition des objectifs de l’appren-tissage. Répétons-le encore: le travail de clarification des compétences et des savoirs communs est absolument indispensable et nous souscrivons à ce projet. Il nous semble cependant que, pour assurer l’égalité des acquis et le pilo-tage du système, il n’est aucunement nécessaire de limiter à ce point la liberté pédagogique des enseignants. Pour assurer l’égalité des acquis et le pilotage du système tout en garantis-sant la liberté pédagogique des ensei-gnants, il nous parait que les trois principales contraintes à imposer aux commissions chargées de réécrire les référentiels auraient pu être, d’abord de limiter le nombre de compé-tences , ensuite d’assortir chacune du descriptif de la famille de situations qui la définit, et enfin de limiter les « savoirs communs » à faire appendre. C’est en effet, selon nous, ce déficit de

précision dans l’énoncé des compé-tences terminales et cette hypertro-phie du nombre de compétences et de « savoirs requis » qui ont conduit à la situation que déplore à juste titre le Service d’inspection inter-réseaux : une trop grande diversité dans les apprentissages.Le choix d’une optique « opéra-tionnelle », qui aurait dû être fait, à notre estime, dès l’élaboration de la première génération de référentiels, s’il était combiné à une réflexion plus approfondie sur les savoirs à apprendre, aurait pu suffire, à notre sens, à rebâtir des référentiels pertinents et réalistes. Enrichie du rappel, fort pertinent, que le trans-fert se prépare et que les ressources à mobiliser doivent d’abord avoir été apprises et manipulées, cette double commande était en mesure de corriger les insuffisances des référentiels. Histoire de tirer, peut-être, les leçons du passé, il ne nous parait pas inutile de jeter un rapide regard sur la récep-tion, par les professeurs, des compé-tences terminales en histoire. Le réfé-rentiel, les programmes qui l’ont suivi puis les outils d’évaluation qui ont été produits par la Commission inter-réseaux des outils d’évaluation en histoire, se distinguent en effet assez nettement des curricula en vigueur dans les autres disciplines scolaires, et ce par le choix qui a été fait de l’op-tique « situationnelle » ou « opéra-tionnelle » que nous avons explicitée plus haut. Comment les professeurs d’histoire ont-ils réagi face à cette nouveauté majeure ?Dans un premier temps, ce choix a été ressenti par les enseignants comme relativement attentatoire à leur liberté et à leur créativité. Inter-rogés en effet à ce sujet, en avril 2001, soit quelques mois avant l’entrée en vigueur du nouveau programme (septembre 2001), les professeurs de l’enseignement « libre » catho-lique (22) étaient 46 % à estimer que les nouveaux prescrits limitaient trop leur liberté pédagogique. Ils étaient également 42 % à estimer que leur créativité était, peu ou prou, atteinte.

Les nombreux contacts et échanges que nous avons eus avec eux à cette époque, indiquent que cette percep-tion se cristallisait prioritairement sur les familles de situations. C’est d’autant plus compréhensible que, en avril 2001, les enseignants d’histoire du réseau « libre » étaient presque les seuls à découvrir cette contrainte. De nombreux efforts ont été déployés, via de nombreuses formations et publica-tions (23), pour leur faire comprendre le bien-fondé de ces familles de situa-tions et, paradoxalement, les espaces importants de liberté et de créativité qu’elles ouvraient aux enseignants.Durant l’été 2008, soit après plusieurs années de mise en œuvre du nouveau programme, M. bouhon a réinterrogé un échantillon comparable d’ensei-gnants travaillant dans les écoles de la Fesec : ils étaient respectivement 38 % et 33 % à estimer que leur liberté et leur créativité étaient trop limitées.

Évolution de la perception de la liberté pédagogique et de la créativité laissée par le nouveau programme d’histoire de la Fédé-ration de l’Enseignement secondaire catho-lique (Fesec) entre 2001 et 2008 (D’après Jadoulle, J .-L. et letor, c. [2002]. Que pensent les enseignants des nouveaux programmes ?, dans

Exposant neuf, 10, 30-31 et Bouhon, M.

Cette diminution du nombre de professeurs qui se sentent atteints au plan de leur liberté et de leur créa-tivité pédagogiques est difficile à interpréter. On ne dispose d’aucune donnée empirique sur les raisons des perceptions des enseignants et de leur évolution. Impossible également de les comparer avec des données rela-tives aux programmes antérieurs à 2001. On peut postuler, à titre d’hy-pothèse, que, au fur et à mesure de la mise en œuvre du programme de 2001

La réécriture du référentiel des compétences terminales et savoirs communs dans l’enseignement qualifiant

23CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

et, peut-être à la faveur des formations et des publications qui ont été propo-sées, un nombre important de profes-seurs ont découvert que les familles de situations, si elles demeurent contraignantes, n’obèrent pas, autant qu’ils le craignaient, leur liberté.En conclusion, ces données nous inspirent trois réflexions et questions.

• La définition, pour chaque compé-tence, d’une famille de situations, a induit, en 2001, et continue à induire, dans une moindre propor-tion, un sentiment de limitation de la liberté pédagogique et de la créativité qui est assez marqué : il manifeste l’importance que les enseignants accordent à cette liberté et cette créativité. Quelles seraient leurs réactions face à des programmes conçus au départ des UAA qui sont en projet ?

• La définition de familles de situations semble demeurer, huit années après l’introduction du nouveau programme, l’objet de réticences qui renvoient sans doute à la résistance par rapport au projet, légitime à nos yeux, de mieux piloter le système éducatif en enlevant aux enseignants la tâche de définir les objectifs finaux de l’apprentissage. Quelles seront les réactions face à des UAA qui leur dicteront l’objet et les objec-tifs de chacune des séquences d’apprentissage qu’ils auront à mettre en œuvre ?

• La définition de familles de situa-tions ne heurte pas une majorité d’enseignants et elle en heurte de moins en moins : entre 51% (en 2001) et 61 % (en 2008) d’entre eux n’y voient pas d’atteinte à leur liberté et entre 54 % (en 2001) et 66 % (en 2008) n’y voient pas de limitation inacceptable à leur créa-tivité. L’optique « situationnelle » ne suffirait-elle donc pas à rencon-trer le besoin d’un plus grand balisage des référentiels tout en préservant la liberté et la créativité des enseignants ?

Le référentiel des compé-tences terminales et savoirs communs : quelles opportu-

nités et quelles orientations ?

Un vœu… déjà dépassé par les décisions ?

Renforcer et intégrer l’étude des sciences humaines

Si le référentiel existant péchait sans doute par son caractère trop général et par son manque de discernement et de choix, il avait pourtant un mérite : celui d’ouvrir largement à l’ensemble des sciences humaines la formation commune des élèves du qualifiant. Cette ouverture nous parait extrême-ment pertinente. Il faut rappeler que les sciences humaines recèlent un grand nombre de clés de compréhen-sion du monde contemporain et que le renforcement de leur place dans la formation commune de tous les élèves est une nécessité « citoyenne »(24) .Le choix qui a été fait d’installer deux commissions, l’une en charge de définir les compétences terminales et les savoirs communs en histoire-géographie, l’autre en sciences écono-miques et sociales, nous interpelle. S’agit-il de l’annonce d’un renforce-ment, au moins au troisième degré, de la formation commune des élèves par l’ajout d’une heure de cours supplémentaire dévolue aux sciences économiques et sociales ? On s’en réjouirait, quand on sait que les élèves du qualifiant ne bénéficient, généra-lement, que de deux heures hebdo-madaires d’histoire-géographie alors que leurs homologues de transition se voient dispenser jusqu’à quatre heures par semaine. Comme nous venons de le rappeler, renforcer la formation des élèves du qualifiant dans le champ des sciences humaines nous semble une nécessité essentielle pour la cohé-sion de notre société. Mais, si tel est le projet, pourquoi ne pas le réaliser en intégrant cet enseignement des sciences économiques et sociales à celui de l’histoire et de la géogra-phie ? En effet, c’est dans l’éclairage

disciplinaire que ces deux disciplines peuvent apporter à la compréhension des phénomènes sociaux, écono-miques, culturels, politiques, géopoli-tiques… contemporains que l’histoire et la géographie trouvent leur perti-nence éducative et citoyenne.

Conjuguer l’apprentissage de l’histoire-géographie et

la compréhension du présent

Cette dernière exigence nous semble absolument prioritaire. Elle est au cœur du discours sur les finalités de l’enseignement de l’histoire et de la géographie depuis plus de quarante années mais a, à ce jour, trop peu percé dans le détail et l’ordonnancement des savoirs qui sont énumérés dans les programmes d’histoire. Ceux-ci témoignent donc d’un hiatus entre les finalités énoncées (comprendre le présent) et les savoirs qu’il s’agit de faire apprendre. Si certains et seule-ment certains recèlent sans doute un potentiel d’intelligibilité du monde actuel, leur connexion avec le présent n’est nullement explicitée, de sorte que la conjugaison du présent et du passé demeure bien périlleuse pour les enseignants(25).

Rendre à la chronologie sa place et sa fonction

Si le référentiel dont l’écriture est en cours constitue donc une occasion à ne pas manquer de faire un pas décisif dans le sens d’une articulation explicite et effective à établir entre les savoirs à apprendre et un certain nombre de dimensions du monde présent qu’il convient de nommer, il importe d’en tirer profit. S’agis-sant de l’enseignement de l’histoire, ce travail devrait en effet conduire à revisiter, pour une part, le principe selon lequel l’histoire s’enseignerait nécessairement dans l’ordre chrono-logique et, en conséquence, à consi-dérer plutôt la chronologie comme un outil intellectuel que les élèves doivent manipuler pour structurer

La réécriture du référentiel des compétences terminales et savoirs communs dans l’enseignement qualifiant

24CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

leurs connaissances. Comme le fait, du reste, l’historien, pour qui la chro-nologie n’est pas donnée à priori mais construite à posteriori. Ce déplace-ment, absolument majeur, permettrait donc, non pas de tourner le dos à la chronologie - absolument pas -, mais d’y revenir d’une manière fondamen-tale en faisant de la « mise en ordre chronologique » une des activités essentielles en classe d’histoire. Nous pensons que ce travail de « mise en ordre chronologique » pourrait d’ail-leurs donner lieu à l’énoncé d’une compétence très spécifique à l’his-toire et particulièrement suggestive.Revisiter le principe selon lequel l’histoire s’enseignerait nécessaire-ment dans l’ordre chronologique, permettrait donc d’ouvrir des espaces dans lesquels il serait possible de travailler, de manière beaucoup plus explicite et systématique, les diffé-rents modes d’articulation du présent et du passé et, ainsi, de contribuer à donner davantage sens à l’apprentis-sage de l’histoire, une exigence à côté de laquelle les enseignants du quali-fiant ne peuvent plus passer.

Définir d’authentiques compétences

Last but not least, on ne peut que souhaiter que les auteurs des prochains référentiels mettent réel-lement en œuvre la demande qui leur est adressée(26) d’assortir chaque énoncé de compétence du descriptif de la famille de situations à laquelle l’élève devra être confronté et du type de tâche complexe qu’il devra être capable de réaliser. En formulant cette demande, les auteurs du cahier des charges nous semblent avoir fait le choix d’une optique « situationnelle » ou « opérationnelle ». Nous espérons que, à la différence des responsables qui les ont précédés à la barre, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, ils seront bien plus poin-tilleux et exigeants quant à la manière dont ces familles de situations ou de tâches seront effectivement définies dans les référentiels qui seront soumis

à leur approbation et que, le cas échéant, ils renverront les membres des commissions à leurs travaux.Cette exigence nous semble être le meilleur gage de production de réfé-rentiels clairs et efficaces. Le « calen-drier politique » fixé par le cabinet de la ministre L. onkelinx, était tel que l’écriture de la première généra-tion de référentiels a été entachée par trop d’empressement. Les pilotes de l’actuelle réécriture prendront-ils la liberté de ne pas commettre la même erreur ? Les enseignants et les élèves du qualifiant le méritent bien.

Notes

(1) 23 % dans les sections de qualifica-tion et 22 % dans les filières d’ensei-gnement professionnel (D’après Les indicateurs de l’enseignement 2011, 6e édition, Bruxelles : Etnic – Fédéra-tion Wallonie-Bruxelles, p. 22 et 33).(2) Les indicateurs de l’enseignement 2011, 6e édition, Bruxelles : Etnic – Fédération Wallonie-Bruxelles, p. 31.(3) beckerS, J., crinon , J. et SimonS, G. (Eds) (2012), Approche par compétences et réduction des inéga-lités d’apprentissage entre élèves. De l’analyse des situations scolaires à la formation des enseignants, Coll. « Pédagogies en développement », Bruxelles : De Boeck.(4) Cf. notamment charlot, B. (1999). Le rapport au savoir en milieu popu-laire : une recherche dans les lycées professionnels de banlieue, Coll. « Éducation », Paris : Anthropos.(5) Compétences terminales et savoirs communs. Humanités profession-nelles et techniques, Bruxelles, 2000, p. 5.(6) Ibid., pp. 6, 10 et 11.(7) roeGierS, x. et de ketele, J.-M. (2000). Une pédagogie de l’intégra-tion. Compétences et intégration des acquis dans l’enseignement. Paris-Bruxelles : De Boeck, p. 96. Elle est aussi qualifiée de « virtuelle » par Jonnaert, Ph. (2003). Compétences et socio-constructivisme : un cadre

théorique, Paris – Bruxelles : De Boeck, p. 39-40.(8) roeGierS, x. et de ketele, J.-M. (2000). Une pédagogie de l’intégra-tion. Compétences et intégration des acquis dans l’enseignement. Paris-Bruxelles : De Boeck, p. 96.(9) Auxquels il faut ajouter beckerS, J. (2002). Développer et évaluer des compétences à l’école : vers plus d’ef-ficacité et d’équité. Bruxelles : Labor.(10) Voir notamment Jadoulle, J.-L. (2011). Faire apprendre des compé-tences en classe d’histoire : tenants et aboutissants d’une réforme au long cours en Communauté française de Belgique, dans M.-A. ethier, D. leFrançoiS et J.-F. cardin (Eds), Enseigner et apprendre l’histoire : manuels, enseignants et élèves. Québec : Presses universitaires de Laval, p. 331-357.(11) À ce sujet, voir roeGierS, x. et de ketele, J.-M. (2000). Une pédagogie de l’intégration. Compétences et inté-gration des acquis dans l’enseigne-ment. Paris-Bruxelles : De Boeck et roeGierS, x. (2010). La pédagogie de l’intégration. Des systèmes d’édu-cation et de formation au cœur des sociétés. Paris-Bruxelles : De Boeck.(12) Compétences terminales et savoirs communs. Humanités profession-nelles et techniques, Bruxelles, 2000, p. 5.(13) Ibid., p. 6.(14) Référentiel interréseaux des « compétences terminales et savoirs requis » à l’issue des Humanités générales et technologiques et des « compétences terminales et savoirs communs » à l’issue des Humanités professionnelles et techniques. Cahier des charges (2012), document non publié émanant du cabinet de madame la ministre M.-D. Simonet, p. 9. L’ex-pression « processus d’apprentissage » nous semble désigner, en fait, une séquence d’apprentissage (voir infra, note 21).(15) Ibid., p. 15.(16) Ibid., p. 17.

La réécriture du référentiel des compétences terminales et savoirs communs dans l’enseignement qualifiant

25CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

La réécriture du référentiel des compétences terminales et savoirs communs dans l’enseignement qualifiant

(17) On passera sur le choix de cette appellation, qui nous semble particu-lièrement discutable. Qu’est-ce que « connaître » ? Ne sera-ce d’ailleurs pas en transférant ses connaissances que l’élève fera la preuve qu’il les « connaît » ? Un verbe d’action dési-gnant une tâche de l’élève, comme les verbes « appliquer » ou « transférer », aurait sans doute été plus pertinent : restituer, redire/refaire…(18) Référentiel interréseaux des « compétences terminales et savoirs requis » à l’issue des Humanités générales et technologiques et des « compétences terminales et savoirs communs » à l’issue des Humanités professionnelles et techniques. Cahier des charges (2012), document non publié émanant du cabinet de madame la ministre M.-D. Simonet, p. 15.(19) Ibid., p. 17.(20) Ibid., p. 17.(21) Même si le cahier des charges ne désigne pas les UAA comme des séquences d’apprentissage, parlant à leur sujet de « processus d’appren-tissage ». Par crainte d’enfreindre le principe de la liberté méthodologique

des réseaux et de franchir la ligne rouge du Pacte Scolaire ?(22) À cette date, seul le programme d’histoire de la Fesec avait fait l’objet d’un cadrage en « familles de situa-tions » et les données disponibles ne concernent que ce réseau d’enseigne-ment. Cf. Jadoulle, J .-L. et letor, C. (2002). Que pensent les enseignants des nouveaux programmes ?, dans Exposant neuf, 10, 30-31.(23) Jadoulle, J.-L. et bouhon, M. (2000 ; nouv. éd. : 2003). Développer des compétences en classe d’histoire. Louvain-la-Neuve : Unité de Didac-tique et de Communication en Histoire de l’UCL ; bouhon, M. et dambroiSe, C. (2002). Evaluer des compétences en classe d’histoire. Louvain-la-Neuve : Unité de Didactique et de Communication en Histoire de l’UCL; Jadoulle, J.-L., bouhon, M. et nyS, A. (2004). Conceptualiser le passé pour comprendre le présent. Concep-tualisation et pédagogie de l’intégra-tion en classe d’histoire. Louvain-la-Neuve : Unité de Didactique et de Communication en Histoire de l’UCL. À ces ouvrages didactiques, se sont ajoutées deux collections de manuels scolaires : Jadoulle, J.-L.

et GeorGeS, G. (2005-2008) (dir.), Construire l’Histoire. Namur : Didier Hatier et haSquin, H. et Jadoulle, J.-L. (2008-2012) (dir.), FuturHist. Le Futur, toute une Histoire ! Namur : Didier Hatier.(24) Jadoulle, J.-L. École et citoyen-neté : l’heure «H» a sonné !, dans Le Soir, 5 septembre 2008, p. 18.(25) Jadoulle, J.-L. (2008), Conju-guer apprentissage de l’histoire et compréhension du présent. Quelles modalités ? Quelles implications ?, dans Enjeux du monde. Enjeux d’ap-prentissage. Quels apports des didac-tiques ? Colloque des Didactiques de l’Histoire, de la Géographie et de l’Éducation à la Citoyenneté, Nantes, 8-9 décembre 2008 (sur CD-Rom).(26) Référentiel interréseaux des « compétences terminales et savoirs requis » à l’issue des Humanités générales et technologiques et des « compétences terminales et savoirs communs » à l’issue des Humanités professionnelles et techniques. Cahier des charges (2012), document non publié émanant du cabinet de madame la ministre M.-D. Simonet, p. 17.

26CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Nous nous bornerons ici à envisager, étant donné l’objet de notre recherche, 1°) les parties consacrées aux « compétences transversales » et au « français » dans le référentiel Socles de compétences (dorénavant SC), destiné à l’enseignement primaire et au premier degré du secondaire, 2°) le référentiel Compétences terminales et savoirs requis en français (dorénavant CTSR), destiné aux formes de l’ensei-gnement de transition (enseignement général et enseignement technique de transition) et 3°) le référentiel Compé-tences terminales et savoirs communs (dorénavant CTSC), destiné, lui, aux formes de l’enseignant dit « quali-fiant » (enseignement technique de qualification et enseignement profes-sionnel)(1). Bien que nous participions à la forma-tion d’enseignants de français qui se destinent en principe à œuvrer dans les trois dernières années de la scolarité obligatoire, il nous a paru judicieux d’examiner les Socles de compétences afin de pouvoir faire état d’une rupture ou d’une continuité entre les directives données pour les deux grands cycles d’études insti-tués par les référentiels, nonobstant la traditionnelle distinction entre le primaire et le secondaire.On pourrait s’étonner du fait que nous n’envisageons pas les programmes. Si nous avons fait ce choix, c’est parce qu’examiner les programmes nous conduirait à faire état de différences susceptibles d’alimenter de vieilles querelles au-dessus desquelles nous

nous plaçons résolument. Nous parti-cipons à la formation des enseignants de français du secondaire supé-rieur dans une université pluraliste, qui accueille, sans distinction, des étudiants issus des divers réseaux. En l’état actuel du marché du travail, la plupart des jeunes diplômés accepte-ront un emploi dans l’établissement qui, le premier, leur en proposera un, quel que soit le réseau dont il relève, et ils pourront, au fil de leur carrière, occuper un poste dans des institutions relevant de réseaux distincts. Cela étant nous estimons ne pas devoir épingler des divergences qui nous paraissent dérisoires par rapport aux convergences qu’instituent les réfé-rentiels. Par ailleurs, en tant que cher-cheur, nous pensons que les caracté-ristiques de ces derniers nous donnent suffisamment de grain à moudre. Notre examen sera orienté par trois questions de recherche. Nous formu-lerons ainsi la première : les référen-tiels invitent-ils à conjuguer « compé-tences disciplinaires » et « compé-tences transversales » et ouvrent-ils des pistes vers des pratiques de conju-gaison ? La deuxième question est la suivante : les compétences (discipli-naires et transversales) ainsi que les savoirs dont font état les référentiels sont-ils articulés aux finalités de la scolarisation, énumérées dans l’article 6 du décret et censées être en phase avec l’approche par compétences ? La troisième question surgit au confluent des deux précédentes : trouve-t-on dans les référentiels de quoi établir

une (nouvelle) définition de la matrice disciplinaire du cours de français ? Avant d’aborder les référentiels compte tenu de ces trois questions, posons celles-ci, qui nous semblent fondamentales : 1° Les référentiels susmentionnés ont-ils une structure d’ensemble marquée au coin du décou-page disciplinaire ? 2° Les (sections de) référentiels consacré(e)s au fran-çais contiennent-ils/elles des compé-tences qui sont fidèles à la définition figurant dans le « décret-missions » ?

1. Ce premier angle d’approche des référentiels est crucial à nos yeux puisqu’il vise à montrer la prise en considération (ou l’absence de prise en considération), par les concepteurs de ces documents officiels, d’un des traits majeurs de la forme scolaire dominante en CFWB : le découpage disciplinaire.Pour ce qui concerne SC, existent des sections spécifiquement associées à des disciplines: français, forma-tion mathématique, éveil - initia-tion scientifique, langues modernes, éducation physique, éducation par la technologie, éducation artistique, éveil - formation historique et géogra-phique, comprenant une initiation à la vie sociale et économique(2). En dépit de la mention du champ disci-plinaire « éveil », nous reconnaissons dans cette liste un découpage assez traditionnel puisque les différentes disciplines qui constituent ce champ « éveil » sont précisées et distinguées.

Julien Van Beveren, Assistant Université de Liège Service de Didactique du Français

TroiS ProjECtEUrS BraqUÉS SUr lES (SECtioNS dES) rÉFÉrENtiElS CoNSaCrÉ(E)S À la diSCiPliNE SColairE « FraNÇaiS »

Trois projecteurs braqués sur les (sections des) référentiels ...

27CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

CTSR est lui aussi décliné en plusieurs fascicules sur la base d’un découpage traditionnel : français, mathéma-tiques, latin et grec, histoire, géogra-phie, langues modernes, sciences, sciences économiques et sciences sociales, éducation physique. Certes, par rapport au découpage opéré dans SC, l’éducation artistique a disparu, les langues anciennes sont apparues, chacune des disciplines rassemblées sous l’étiquette « éveil » a acquis son autonomie, mais, dans l’ensemble, on constate peu de différences par rapport à ce découpage. Épinglons tout de même le fait que l’éducation artistique n’est plus considérée, dans le secondaire, comme une discipline à part entière. Dès lors, en fonction notamment de leur volonté, de leurs connaissances et de leur degré de conscience de l’apport singulier de cette partie de la formation, c’est tantôt le professeur de français, tantôt le professeur d’histoire, tantôt les deux, qui se chargent de cette partie de la formation. CTSC, quant à lui, se distingue nettement par son caractère presque exclusivement non discipli-naire(3).

2. Venons-en aux compétences. Les énoncés listés dans les (sections de) référentiels consacré(e)s au fran-çais en sont-ils ? Dans l’article 5 du « décret-missions », la compétence est entendue comme l’ « aptitude à mettre en œuvre un ensemble orga-nisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches ». Étant donné cette définition, qui résulte d’un consensus de spécialistes en sciences de l’éducation, « planifier l’organisation générale par le choix d’un modèle d’organisation adéquat au texte à produire (dominante injonc-tive, narrative, descriptive, explica-tive, informative, argumentative) »(4), « repérer les indices visuels d’organi-sation du texte : titres, chapeaux intro-ducteurs, paragraphes, graphies »(5) et « lire, écrire, écouter et parler dans des situations de communication variées »(6), entre bien d’autres, ne sont pas des compétences. Ce sont

tantôt, comme la dernière citée, des « macro-compétences ». Ce sont tantôt, comme les deux premières, des savoir-faire, des capacités qui ne sont pas sans rapport avec les compé-tences, mais qui se situent, si l’on veut, un étage en dessous puisqu’elles sont mobilisées lors du développe-ment de compétences. Faute de place, nous ne pouvons allonger la liste des exemples, mais nous soutenons que c’est sur l’une ou l’autre de ces deux grandes tendances que peuvent être situés la plupart des énoncés figurant dans les (sections de) référentiels consacré(e)s au français. À coup sûr, les concepteurs de ces (sections de) référentiels n’ont pas tenu compte de la définition de la compétence figurant dans le « décret-missions ».Et on ne peut que le regretter. On peut regretter car le vide laissé entre les « macro-compétences » et les « compétences-savoir-faire » oblige les enseignants à adopter des postures d’équilibriste qui risquent fort de donner lieu à des pratiques d’ensei-gnement-apprentissage extrêmement diverses, elles-mêmes susceptibles de véhiculer des représentations pour le moins hétérogènes de la discipline « français ». En dépit de la clarifica-tion terminologique salutairement apportée par le « décret-missions » à propos de la notion de compétence, les concepteurs des référentiels se sont livrés à des interprétations fort différentes de cette notion. Dans le cas du français, ce sont les savoir-faire assimilés à des compétences qui dominent. Eu égard à l’avènement d’une conscience claire du rôle spéci-fique que joue/pourrait jouer/devrait jouer une discipline, une telle assimi-lation risque d’être très dommageable. En effet, si les savoir-faire prennent le pas sur les « savoir-mobiliser conjoin-tement des savoirs, des savoir-faire et des savoir être », autrement dit sur les compétences, cela peut, dans certains cas, conduire à une multiplication de tâches dont la réalisation serait une fin en soi. Selon cette logique de tâches, que nous avons dénoncée ailleurs (Dumortier et Van Beveren, 2011) et

que d’autres que nous ont dénoncée (cf., entre autres, Bautier & Rayou, 2009), le cours serait morcelé en une mosaïque de séquences finalisées par la réalisation de tâches-problèmes, séquences dont les liens ne seraient que peu - voire pas du tout - percep-tibles par les élèves. Nous redoutons que la logique de tâches, dont une des sources possibles est à trouver dans les pseudo-compétences susmen-tionnées, entraine l’éclatement de la discipline et l’impossibilité, pour les maitres comme pour les élèves, d’en tenir les fils rouges.

Rappelons les trois questions de recherche qui orienteront notre examen des (sections de) référentiels consacré(e)s au français. La première est celle-ci : les référentiels invitent-ils à articuler « compétences discipli-naires » et « compétences transver-sales » et ouvrent-ils des voies vers des pratiques d’articulation ?Dans le « décret-missions », les « compétences transversales » sont définies comme suit :

attitudes, démarches mentales et démarches méthodologiques communes aux différentes disci-plines à acquérir et à mettre en œuvre au cours de l’élaboration des différents savoirs et savoir-faire; leur maîtrise vise à une autonomie croissante d’apprentissage des élèves. (p. 3)

Par ailleurs, le texte de loi prévoit que des compétences disciplinaires et des compétences transversales soient mobilisées « dans une même démarche ». Il n’est pas question, ailleurs dans le décret, de la transver-salité. Et il n’en sera pas du tout question dans CTSR ni dans CTSC. On ne trou-vera donc, ni dans l’un ni dans l’autre de ces référentiels, de conjugaison de compétences disciplinaires et de compétences transversales. La pêche est-elle meilleure dans la partie « fran-çais » de SC ? Constatons d’entrée de

Trois projecteurs braqués sur les (sections des) référentiels consacrés à la discipline scolaire « français »

28CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

jeu qu’une section y est consacrée aux compétences transversales (pp. 6-7). Celles-ci sont de trois types : les « démarches mentales » (« saisir l’information », « traiter l’informa-tion », « mémoriser l’information », « utiliser l’information », « communi-quer l’information »), les « manières d’apprendre » et les « attitudes rela-tionnelles » (« se connaitre, prendre confiance », « connaitre les autres et accepter les différences »). Mais empressons-nous d’ajouter que cette section, dans l’organisation générale de SC, est totalement indépendante de celle consacrée aux compétences disciplinaires : aucun renvoi de l’une à l’autre n’a été prévu. C’est donc en vain que l’on cherchera dans SC, comme dans CTSR et CTSC, une articulation de compétences discipli-naires et de compétences transver-sales.Stricto sensu, nous avons ainsi traité notre première question de recherche. Mais le développement suivant, même s’il n’a trait qu’indirectement à cette question, nous semble important. SC est donc, dans ceux que nous avons sélectionnés, le seul référentiel qui fait état de l’existence de compétences transversales. Mais, s’agit-il vraiment de compétences ? Et, si c’est le cas, sont-elles transversales ? Les énoncés qui sont répertoriés dans cette section sont incontestablement en accord avec les missions prioritaires de l’en-seignement, énoncées à l’article 6 (cf. supra, p. 33). Ils se situent également dans le droit fil des recommandations publiées par l’OCDE. Cela étant, si les compétences désignent des aptitudes à mobiliser ensemble des connais-sances déclaratives, procédurales et conditionnelles pour faire face à une situation apparentée à une famille de situations, il faut n’accorder aucune importance - ou si peu - à la néces-saire composante disciplinaire de la situation pour considérer que ces « démarches mentales » sont autant de « compétences transversales ». L’élève qui n’éprouve aucune difficulté à mémoriser son cours de sciences sera-t-il forcément aussi compétent dans la

mémorisation de son cours d’histoire ou de français, d’anglais ou de mathé-matiques ? L’élève qui ne parvient pas à comprendre une démonstration au cours de mathématique peinera-t-il nécessairement en interprétant une carte au cours de géographie ou en étant confronté, au cours de latin, à des vers de Virgile ? Rien n’est moins sûr. Notre doute est fondé, notamment, sur les résultats d’une vaste enquête menée aux États-Unis par D.R. recht et L. leSlie. Ces résultats ont été publiés dans l’article « Effect of prior knowledge on good and poor readers’memory of text », paru en 1988 dans le Journal of Educational Psychology (pp. 16-20). recht et leSlie ont, dans un premier temps, classé des élèves du secondaire en deux groupes : les bons et les mauvais lecteurs. Dans un second temps, ils ont évalué les connaissances de l’ensemble de ces élèves en matière de baseball. Ils ont ensuite croisé ces deux critériums, ce qui leur a permis de constituer quatre groupes : les bons lecteurs qui connaissent bien le baseball, les bons lecteurs qui ne connaissent pas bien le baseball, les mauvais lecteurs qui connaissent bien le baseball et les mauvais lecteurs qui connaissent mal le baseball. Ces quatre groupes d’élèves ont été invités à prendre connaissance d’un texte de 625 mots ayant trait à une rencontre entre deux équipes de baseball. Ayant lu ce texte, les quatre groupes ont dû en manifester leur compréhension de trois manières : à l’aide de figurines représentant les joueurs, ils ont été sommés de reproduire les moments-clés du match ; ils ont été contraints de produire un résumé du texte et, enfin, de sélectionner les vingt-deux phrases qui leur semblaient contenir les informations les plus importantes pour comprendre le texte. La variété de ces sollicitations est une garantie de fiabilité des résultats de l’enquête, qui ne peuvent être imputés au choix d’un seul mode de mani-festation de la compréhension. Sans grande surprise, les bons lecteurs

qui connaissaient bien le baseball occupent le haut du classement et les mauvais lecteurs qui connaissaient mal ce sport en occupent le bas. En revanche, seront surpris celles et ceux qui admettent que « traiter l’infor-mation » est une compétence trans-versale. Ce sont en effet les mauvais lecteurs qui connaissaient bien le baseball qui ont devancé les bons lecteurs qui connaissaient mal le base-ball. Ces résultats prouvent l’impor-tance des connaissances préalables dans le processus de traitement de l’information. Ils permettent de considérer comme erronée l’affirmation selon laquelle « traiter l’information » est une « compétence transversale ». Corol-lairement, ils remettent en cause l’opinion défendue par celles et ceux pour qui les enseignants de français sont responsables de tous les maux en matière de compréhension en lecture. Nous pensons, de manière plus générale, que ces contesta-tions peuvent s’étendre à l’ensemble des « démarches mentales » listées dans SC. Ces démarches-là peuvent nécessiter, dans les différentes disci-plines, la mobilisation de connais-sances procédurales analogues, voire semblables ; mais à coup sûr, elles impliquent aussi, dans ces diffé-rentes disciplines, de convoquer des connaissances déclaratives qui leur sont très largement spécifiques.Quant aux « manières d’apprendre », elles ne sont pas, à notre estime, à distinguer de ces « démarches mentales ». « Saisir l’information », « traiter l’information », « mémoriser l’information », « utiliser l’infor-mation », « communiquer l’infor-mation » : ne sont-ce pas autant de moyens qui peuvent être mis en œuvre pour fixer des apprentissages ? Cela étant, il n’est pas utile de rappeler les motifs de contestation que nous venons de soulever.La troisième catégorie de « compé-tences transversales » figurant dans SC regroupe des « attitudes relation-nelles ». À coup sûr, l’adjectif « trans-versal » convient pour les désigner.

Trois projecteurs braqués sur les (sections des) référentiels consacrés à la discipline scolaire « français »

29CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Mais nous doutons, par contre, qu’il s’agisse de « compétences » au sens où le « décret-missions » invite à les entendre. Comment peut-on en effet considérer que ces attitudes soient autant d’aptitudes à mobiliser conjointement des connaissances déclaratives, procédurales et condi-tionnelles ?Des compétences transversales qui n’en sont pas, des compétences disci-plinaires qui, pour la plupart, n’en sont pas non plus et aucun effort de conjugaison du disciplinaire et du transversal : voilà les constats que nous pouvons dresser au terme de notre première question de recherche.

Rappelons notre deuxième question : les compétences (disciplinaires et transversales, quand il s’en trouve) ainsi que les savoirs listés dans les référentiels sont-ils articulés aux fina-lités de la scolarisation, énumérées dans l’article 6 du décret et censées être en phase avec l’approche par compétences ?Il n’est pas inutile - il n’est jamais inutile - de rappeler ces finalités :

1° promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves;2° amener tous les élèves à s’appro-prier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie écono-mique, sociale et culturelle;3° préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures;4° assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.

Remarquons d’abord que ces finalités ne sont explicitement mentionnées dans aucun(e) des (sections de) réfé-rentiels consacré(e)s à la discipline scolaire « français ». Toutefois, des

fragments de ces finalités constituent la charpente de CTSC, référentiel destiné aux quatre dernières années de l’enseignement qualifiant, référen-tiel dont nous avons dénoncé le carac-tère « fourre-tout ». Voici la table des matières de ce référentiel (p. 3) :

1. Développement personnel1.1. Se situer dans le temps et dans l’espace1.2. S’approprier leur culture1.3. S’approprier des outils de communication et de réflexion1.4. Prendre conscience de ce qu’impliquent leurs choix

2. Environnement et technologies2.1. Se situer par rapport à l’environnement2.2. Se situer par rapport aux technologies et aux sciences

3. Environnement économique et social

3.1. Apprendre à préparer leurs choix professionnels3.2. S’ouvrir à la diversité socioculturelle3.3. Agir en consommateurs individuellement responsables

4. Citoyenneté dans une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures

Bien que ces formules rappellent les missions générales du système scolaire, dans la mesure où la plupart des énoncés qui constituent CTSC ne sont pas des compétences, dans la mesure où ont été mélangés les énoncés relatifs aux différentes disci-plines qui correspondent à ce que l’on appelle, dans l’enseignement quali-fiant, les « cours généraux », on est en droit de regretter qu’aucun effort n’ait été fourni pour mettre en rapport l’ap-port spécifique d’une discipline - le français, pour ce qui nous concerne - et les missions prioritaires de la scola-risation. Des énoncés tels que, sous « 1.2. S’approprier leur culture », « accéder à la création littéraire d’hier

et d’aujourd’hui » (p. 7) et, sous « 1.3. S’approprier des outils de communi-cation et de réflexion », « lire, écrire, écouter et parler dans des situations de communication variées » (p. 9) sont à cent lieues de cette mise en rapport.S’agissant de SC et de CTSR, on peut considérer que le lien entre les « pseudo-compétences » et les fina-lités de la scolarisation est encore plus lâche. Cette précision, extraite de la section « le cadre conceptuel » dans CTSR (p.6), en dit long sur l’attention portée à la définition des buts disci-plinaires et à la mise en rapport de ceux-ci avec les missions de l’institu-tion scolaire :

C’est à cette condition [ne pas sacraliser ni aborder la langue et la culture pour elles-mêmes] que le cours de français aura un sens, dans les deux acceptions du terme :

• il devrait d’une part susciter la construction de significations et d’interprétations nouvelles, originales, pertinentes pour chacun (sur les plans poétique, fictionnel, argumentatif...) ;

• il devrait d’autre part viser des finalités précises, explicites, fondées qui correspondent aux attentes et aux besoins de l’élève. (nous soulignons)

Le conditionnel a ici valeur de souhait. Et l’objet de ce souhait est de la plus haute importance. Au cours de fran-çais, comme à tous ses homologues, devraient en effet être assignées « des finalités précises, explicites, fondées qui correspondent aux attentes et aux besoins de l’élève ? » Mais sur quoi devraient-elles être « fondées », ces finalités ? Et surtout, qu’est-ce qui est mis en place, dans ce référen-tiel, pour les préciser ? Regrettable-ment, un enseignant qui se poserait ces questions n’y obtiendrait pas de réponse en lisant CTSR, ni en lisant SC, d’ailleurs, où il est mentionné que « ces compétences […] ont été retenues pour leur importance dans la formation de l’enfant et du jeune adolescent » (p.5), sans autre préci-sion. C’est donc sur les épaules de cet

Trois projecteurs braqués sur les (sections des) référentiels consacrés à la discipline scolaire « français »

30CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

enseignant que reposerait la tâche d’y répondre. À quoi pourrait-on songer, lorsqu’il s’agira de refondre les réfé-rentiels, pour l’aider dans cette tâche ?Ce qui pourrait conférer une assise solide aux finalités du cours de fran-çais, ce sont les missions de l’École. Cela étant, il serait sans doute utile de poser la question : lorsque vous vous employez à ce que vos élèves déve-loppent la compétence X, en quoi poursuivez-vous, dans le cadre de la discipline que vous enseignez, une (ou mieux : plusieurs) des missions de la scolarisation ? Ou encore : quel rapport ces ressources (savoirs, savoir-faire et savoir être) que vos élèves doivent apprendre à mobiliser pour développer la compétence X entretiennent-elles avec les missions prioritaires de l’institution scolaire ? L’interrogation pourrait, envisagée sous un autre angle, se formuler ainsi : Ces tâches que vous imposez à vos élèves, les supports de ces tâches et les objectifs d’apprentissage pour-suivis au moyen de ces dernières sont-ils en adéquation avec les finalités de l’École ? Quelques exemples pour-raient être fournis dans les référen-tiels, qui viseraient non à mettre sur les mêmes rails tous les enseignants d’une discipline, mais à les amener à réfléchir au rapport que devraient entretenir, d’une part, les buts qu’ils poursuivent dans leur propre cadre disciplinaire et, d’autre part, les missions générales de la scolarisation.

La troisième question surgit, nous l’avons annoncé, au confluent des deux précédentes : trouve-t-on dans les référentiels de quoi établir une (nouvelle) définition de la matrice disciplinaire du cours de français ?Si l’on se penche sur les tables des matières des (sections de) référentiels spécifiques au français, on remarque d’emblée qu’ils ne reposent pas sur la même logique. Il semble donc que, pour la discipline scolaire « fran-çais », n’existe pas, à tous les niveaux de l’enseignement obligatoire, une

seule et même matrice disciplinaire, c’est-à-dire, selon Michel deVelay, qui a théorisé la notion, un seul « point de vue qui organise la totalité des contenus en un ensemble cohérent » (1995 : 27), un seul principe organi-sateur. Vérifions cette impression en examinant la structure d’ensemble de chacun des référentiels.Quatre parties composent SC : des « principes généraux », les « compé-tences transversales », que nous avons commentées (pp. 53-55), les « compétences disciplinaires » et, enfin, un glossaire. Les compétences disciplinaires comprennent trois sous-parties : « lire », « écrire », « parler-écouter ». On peut se demander ce qui justifie que « lire » et « écrire » ne soient pas associés alors que le sont « parler » et « écouter ». La justifica-tion suivante est avancée :

Ces deux axes de communication sont ici associés parce que, dans la grande majorité des cas, la parole et l’écoute s’exercent dans un contexte d’échange immédiat (même s’il est techniquement médiatisé) où chaque interlocuteur joue alterna-tivement le rôle d’émetteur et celui de récepteur. (p. 16)

Nous ne la contestons pas ; néan-moins nous regrettons qu’elle ne soit pas reprise et adaptée pour rendre manifestes les liens qui unissent les pratiques d’écriture et celle de lecture. Mais remarquons surtout que ce découpage-là peut donner à entendre que ce qui est au cœur du cours de français, c’est le développement de compétences de communication. Est-ce cela aussi qui confère sa structure à CTSR ? En partie, seule-ment. Expliquons-nous. Après une introduction, CTSR est constitué de deux grandes sections : les « compé-tences terminales », d’un côté, les « savoirs disciplinaires », de l’autre. Une articulation de ces deux sections est proposée, mais elle n’est pas imposée :

Ces savoirs couvrent l’ensemble des compétences : ils s’acquer-ront principalement par l’exercice

même de ces compétences, mais ils peuvent occasionnellement faire aussi l’objet d’un apprentissage spécifique. (CTSR : 16)

Les « compétences terminales » sont divisées en trois sections, comme dans SC : « lire », « écrire » et « parler-écouter ». Et, comme dans SC, étant donné cette structure, les articulations possibles entre l’enseignement de la lecture et celui de l’écriture ne sont pas rendues manifestes, en dépit de certaines précautions mentionnées dans l’introduction, qui pourraient demeurer des vœux pieux :

Les compétences de lecture, d’écriture et de communication orale (parler-écouter) ne seront ici distinguées que par souci de clarté et de précision méthodolo-giques. Ces compétences, qui dans la réalité sont rarement séparées, seront autant que possible associées et combinées dans les activités en classe comme le suggèrent les nombreux recoupements entre les différents volets de ce document(7). (id. : 5)

Quant aux « savoirs disciplinaires », ils sont répartis eux aussi dans trois groupes, mais qui diffèrent totalement des précédents : les « savoirs sur la langue », les « savoirs sur la littérature et l’art », les « savoirs sur l’homme et le monde ». Remarquons que cette seconde tripartition se superpose pour partie aux composantes « langue » et « littérature » qui ont longtemps constitué - et qui, dans une certaine mesure, constituent parfois encore - la charpente du cours de français dans l’enseignement secondaire(8). Cette tripartition-là correspond à un découpage relativement traditionnel des savoirs ; quant à la première - lire, écrire, parler-écouter -, elle oriente davantage le cours de français vers le développement de compétences de communication. Ce faisant, elle incite plus les maitres à penser l’unité de la discipline, ne serait-ce que parce qu’en faisant appel à la notion de situation de communication, elle dépasse le clivage entre enseigne-

Trois projecteurs braqués sur les (sections des) référentiels consacrés à la discipline scolaire « français »

31CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

ment des savoirs langagiers et ensei-gnement de la littérature. Une telle matrice pourrait en effet inciter les enseignants à considérer les œuvres littéraires comme des traces d’actes de communication, de discours carac-térisés par des usages de la langue qui se distinguent, au moins partiel-lement, de l’usage quotidien qu’en font les individus (mainGueneau, 2004). En revanche, la tripartition relative aux « savoirs disciplinaires », elle, n’est pas de nature à amener les enseignants à jeter des ponts entre les diverses composantes de la discipline « français ». Ainsi, entre autres, elle ne les amène pas à concevoir la litté-rature comme un ensemble d’usages de la langue procédant d’une inten-tion artistique ni d’ailleurs comme un ensemble d’univers qui donnent à voir l’homme aux prises avec une situation. De ce point de vue, on peut donc considérer qu’une tension appa-rait dans CTSR entre deux matrices opposées, la première, en phase avec les principes de l’OCDE et avec le « décret-missions », la seconde, davantage la trace d’un enseignement traditionnel.Nous ne dirons rien de CTSC : en raison de son caractère non discipli-naire, il serait inutile de songer à y repérer une matrice de la discipline scolaire « français ». Rappelons cependant que sa structure repose sur les missions prioritaires de l’école, qui constituent l’article 6 du « décret-missions ».En dépit du fait que tous les réfé-rentiels sont censés être les fruits du « décret-missions », on constate encore, s’agissant des matrices disci-plinaires, des orientations diver-gentes. On peut repérer, dans CTSR, une tension entre deux matrices, dont l’une, novatrice lorsqu’ont été publiés les référentiels, est orientée vers le développement de compétences de communication - « lire », « écrire », « parler-écouter » -, et l’autre, plus traditionnelle, vers l’acquisition de savoirs disciplinaires dont l’unité est compromise - on cherchera en vain fût-ce une allusion, à l’articulation des

« savoirs sur la langue », des « savoirs sur la littérature et l’art » et des « savoirs sur l’homme et le monde » et à ses bénéfices possibles en termes d’apprentissage. Compte tenu de cette donne, si les différents enseignants ayant en charge la discipline « fran-çais » auxquels un élève est confronté tout au long de la scolarité obliga-toire associent à cette discipline des matrices différentes, il est à craindre que cet élève peinera à acquérir et à développer une conscience discipli-naire claire.

Au terme de cet examen des (sections des) référentiels spécifiques au fran-çais, nous pouvons retenir ceci, qui illustre à nouveau, de manière géné-rale, l’absence de concertation entre les concepteurs des différents référen-tiels et les écarts qui existent entre les principes du « décret-missions » et les référentiels où ils sont censés être mis en œuvre.Relativement à notre première ques-tion, le principe, posé dans ce décret, selon lequel les compétences disci-plinaires et les compétences transver-sales devraient être conjuguées dans « une même démarche », ne semble ne pas avoir été pris en considération. Ce principe ne pourrait l’avoir été dans la mesure où aucune compétence transversale ne figure dans CTSR, ni dans CTSC, et dans la mesure où les « compétences transversales » listées dans SC paraissent coupées de toute préoccupation à caractère discipli-naire. En outre, le plus souvent, les énoncés étiquetés comme des « compétences disciplinaires » n’en sont pas : il s’agit, comme dans la plupart des autres référentiels, soit de « macro-compétences », soit de savoir-faire à peine déguisés. S’agissant de notre deuxième ques-tion, nous avons pointé, dans CTSR et dans SC, l’absence totale de mise en rapport des énoncés tenus pour des compétences et des finalités de la scolarisation constituant l’article 6 du « décret-missions ». Quant à CTSC,

bien qu’il soit structuré compte tenu de ces finalités, il ne peut, en raison de son caractère non disciplinaire, proposer une telle mise en rapport. Enfin, pour ce qui concerne notre troisième question, qui avait trait à la présence ou à l’absence d’éléments permettant de définir la matrice disci-plinaire du cours de français, nous n’avons forcément rien trouvé dans CTSC. Dans SC, on peut repérer une matrice disciplinaire centrée sur le développement de compétences de communication (cf. « lire », « écrire », « parler-écouter »). La même matrice est à l’œuvre dans CTSR, mais là, elle est en concurrence avec une autre, plus traditionnelle et plus cloisonnée : « savoirs sur la langue », « savoirs sur la littérature et l’art », « savoirs sur l’homme et le monde ».

Dans la mesure où, à notre sens, la question de la matrice disciplinaire est liée à celle de la pensée curricu-laire, il importe d’examiner si, aux différents niveaux d’études, c’est une même matrice disciplinaire qui est répétée, ce qui pourrait contribuer à faire croitre ou à faire naitre une conscience disciplinaire. Si, dans les instructions officielles, on ne trouve nulle trace d’une progression curri-culaire, le risque d’éparpillement des apprentissages disciplinaires est, pensons-nous, plus important.En guise de prolongement, voyons donc à présent si l’on trouve, dans ces trois référentiels, des traces d’une progression curriculaire des appren-tissages disciplinaires. Cette perspec-tive mérite d’être abordée compte tenu de nos questions de recherche puisque l’avènement d’une conscience disci-plinaire est, selon nous, pour partie conditionné par la possibilité de percevoir une telle progression. On notera, de ce point de vue, que dans SC, sont mentionnés les degrés de développement d’une même « compé-tence » qui sont attendus à chacun des trois paliers fixés au cours des huit premières années de la scolarité obli-

Trois projecteurs braqués sur les (sections des) référentiels consacrés à la discipline scolaire « français »

32CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

gatoire, soit à la fin de la deuxième année du primaire, à la fin de la sixième année du primaire et à la fin de la deuxième année du secondaire. Incontestablement, ces mentions-là participent de la volonté d’informer les enseignants qui œuvrent aux différents niveaux de la scolarité, de ce que les élèves devraient en prin-cipe savoir, savoir faire et savoir être avant qu’eux-mêmes interviennent. Ce choix posé dans SC se prolonge d’une certaine manière dans CTSR : à côté du degré de développement de chacune des compétences attendu au terme de l’enseignement secondaire, figure, s’il existe, le degré de déve-loppement escompté pour la même compétence à la fin de la deuxième année du secondaire. On cherchera en vain de telles précisions dans CTSC. Bien qu’il convienne de ne pas sures-timer leur importance, ces précisions relatives au degré de développement d’une même compétence à différents niveaux d’études, sont de nature à compenser quelque peu le manque éventuel de concertation entre les maitres qui, enseignant à différents niveaux d’études, ont en charge une même discipline(9). Et cette possible compensation, pour nous, n’est pas sans rapport avec la possibilité

qu’advienne et que se développe une conscience disciplinaire.

Notes

(1) Sur le site http://enseignement.be/index.php?page=0&navi=190, on peut accéder à ces différents textes.(2) http://www.enseignement.be/index.php?page=24737. (3) « Presque exclusivement », avons-nous écrit, car seuls les cours de langues modernes échappent à ce principe.(4) CS : 14 (version 2010).(5) CTSR : 7.(6) CTSC : 9.(7) Certes, on constate parfois la reprise de « compétences » analogues, mais de là à écrire que les « recoupements » sont « nombreux », il y a un pas que nous ne ferons pas.(8) Soit dit en passant, en CFWB, c’est aussi cette charpente-là qui structure très largement les études de Langues et Littératures françaises et romanes que doivent suivre, à l’université, celles et ceux qui se destinent à ensei-gner le français au secondaire supé-rieur. (9) N’oublions cependant pas ceci, que l’on peut regretter et qui montre

qu’une véritable pensée curriculaire n’a pas été mise en place : si les ensei-gnants à qui CTSR est destiné peuvent savoir, pour une compétence donnée, le degré de développement qui en est attendu en amont, les enseignants à qui SC est destiné, quant à eux, s’ils ont en charge la deuxième année du secondaire, ne peuvent pas connaitre, en consultant leur référentiel, le degré de développement d’une compétence qui est attendu en aval.

Bibliographie

bautier, e. & rayou, P. (2009). Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malen-tendus scolaires. Paris : PUF (coll. « Education et société »).deVelay, m. (1995), Le sens d’une réflexion épistémologique, dans M. Develay, dir., Savoirs scolaires et didactiques des disciplines, Paris, ESF, pp. 17-31.dumortier, J.-L. & Van beVeren, J. (2011). Réflexions sur les séquences didactiques, les tâches-problèmes et les compétences, dans l’enseignement obligatoire, en général, et dans les formes de l’enseignement qualifiant, en particulier. Enjeux, 80, 7-38.

Trois projecteurs braqués sur les (sections des) référentiels consacrés à la discipline scolaire « français »

33CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

UN rÉFÉrENtiEl dE FraNÇaiS SPÉCiFiqUE PoUr l’ENSEiGNEMENt qUaliFiaNt ?

Un référentiel de français spécifique ...

Une commission a récemment été chargée de la création d’un référentiel de français destiné à l’enseignement qualifiant. Il m’a été demandé de prendre part au début de ses travaux et c’est à l’intention de ses membres que j’ai rédigé les pages suivantes, légèrement remaniées pour leur publication dans Puzzle.

Le décret du 24 juillet 1997 de la Communauté française assigne quatre missions à l’école :

1°) promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves, 2°) amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle, 3°) préparer tous les élèves à être des citoyens responsables capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures, 4°) assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale. (art.6)

Chaque composante de la formation doit concourir à la réalisation de ces missions-là en pourvoyant les élèves de compétences, c’est-à-dire, selon les termes de l’article 5 du même décret, d’« aptitudes à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de

savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches ». Un document publié par le Ministère de l’Éducation de la Communauté française de Belgique en avril 1996, intitulé De 2 ans et demi à 18 ans, réussir l’école…, précise (pp.19-20) :

Une compétence intègre 1°) une facette socio-affective qui pousse l’individu à s’investir dans la tâche et la colore affectivement (...); 2°) une facette cognitive qui fait référence aux savoirs (ou connaissances déclaratives) et aux démarches (ou connaissances procédurales) que l’élève doit mobiliser ou construire; 3°) une facette de transfert (...) qui renvoie à la capacité de reconnaitre les situations par rapport auxquelles ces savoirs et ces démarches sont pertinents. (...).

La question fondamentale à laquelle un référentiel de compétences disciplinaires doit apporter une réponse claire est donc la suivante : de quelles compétences disciplinaires faut-il pourvoir les élèves… pour contribuer à la réalisation des missions de l’école ? Afin de répondre convenablement cette question, rappelons ce qu’est une discipline scolaire.Ce qui fait l’identité d’une discipline scolaire, ce qui la distingue des autres, ce sont des contenus, autrement dit des systèmes de savoirs, de savoir-faire et de savoir être (d’« attitudes », si l’on préfère) dont l’appropriation

rend possible l’exécution de tâches. Ces dernières sont identifiables à des travaux obligatoires, (plus ou moins précisément) déterminés, généralement destinés à la personne qui les impose et évalués par celle-ci. Le mot « système », quant à lui, désigne des ensembles dont les éléments sont en relation les uns avec les autres et interagissent. En effet, toute exécution d’une tâche - et plus généralement toute action accomplie dans une situation donnée-, implique des savoirs dont la plupart conditionnent des savoir-faire et elle implique aussi des savoir être, car tout ce que l’on fait dépend de ce que l’on est, de ce que l’on veut être ou devenir, pour soi et pour autrui. Réciproquement, tout ce que l’on fait en s’impliquant dans son action, affermit ou accroit les savoirs et les savoir-faire nécessaires pour agir.Ce qui spécifie la discipline « français », ce sont des contenus - des savoirs, des savoir-faire, des savoir être, donc - relatifs à la langue de scolarisation et à ses multiples usages. Les compétences en français, ce sont des aptitudes à mobiliser ces contenus-là pour résoudre les problèmes inhérents aux différentes familles de situations de communication verbale en langue française. Certes, les usages de la langue - ceux qui relèvent de la production d’écrits en particulier - contribuent puissamment à la formation de la pensée et au développement de la conscience de soi ; pour évaluer ces

Jean-Louis Dumortier, ProfesseurUniversité de Liège Service de Didactique du Français

34CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

usages il faudrait ajouter d’autres pierres de touche à celle du succès ou de l’insuccès (relatifs) de la communication ; toutefois, dans les situations didactiques, il est bien malaisé d’utiliser d’autres critères que celui-là : de quels moyens, en effet, disposent les enseignants pour mettre en relation les progrès en fait de pratiques langagières et les progrès d’ordre cognitif ? Cela étant, la question fondamentale posée plus haut peut donc se reformuler ainsi : quelles sont les situations de communication verbale (en langue française) que les élèves, au terme de leur scolarité, doivent pouvoir affronter, avec de bonnes chances de succès afin d’être ces jeunes adultes que l’école se donne pour mission de faire advenir ? À quelles situations de communication verbale doivent pouvoir faire face de jeunes adultes confiants en leurs possibilités d’épanouissement personnel, désireux autant que capables d’apprendre toute leur vie, aptes à contribuer au progrès économique, social et culturel, conscients de leurs devoirs de citoyens et résolus à les accomplir dans « une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures », libérés des tutelles de toutes sortes et donc susceptibles d’autonomie - susceptibles de s’imposer eux-mêmes les règles qui conditionnent l’harmonie de la vie commune ?Les membres de la communauté éducative doivent accomplir au bénéfice de tous les élèves, quelle que soit la forme d’enseignement dans laquelle ces derniers sont scolarisés, les missions que, via ses représentants, la société civile assigne à l’institution scolaire : c’est là une fondamentale exigence d’équité. Étant donné cette exigence, si l’aptitude des jeunes à affronter, au terme de leur scolarité, certaines situations de communication est une preuve de leur passage à l’état d’adultes autonomes susceptibles de contribuer au progrès social, on ne saurait songer à ne pas outiller certains élèves pour

résoudre les problèmes inhérents à ces situations. Où serait l’équité si, d’une part, on tenait certaines compétences de communication verbale pour des conditions sine qua non de l’épanouissement personnel au sein de la communauté, pour des conditions sine qua non du développement harmonieux de la collectivité grâce à la réalisation des meilleures potentialités de chacun, et si, d’autre part, il était décidé de ne pas pourvoir de ces compétences-là certains élèves sous prétexte que, dans la forme d’enseignement où ils sont scolarisés, moins de temps est consacré à la formation en « français » que dans d’autres formes d’enseignement ? Que les différences entre les durées totales de la formation disciplinaire, dans telle ou telle forme d’enseignement, entrainent des différences sensibles dans les programmes de formation, cela va de soi. Que les perspectives qui s’ouvrent, au terme de la scolarité, aux élèves de l’enseignement qualifiant invitent à concevoir un référentiel disciplinaire spécifique, cela se comprend aussi aisément. Mais que la spécification de ce référentiel implique l’évacuation ou même la marginalisation des compétences de communication verbale qui conditionnent le progrès de l’individu et l’amélioration de la vie commune, cela serait inadmissible. Il est donc conforme au principe d’équité et nécessaire à l’harmonie de la vie commune de rendre les jeunes filles et les jeunes gens scolarisés dans

les formes du qualifiant capables de surmonter les difficultés inhérentes aux situations de communication dans lesquelles se trouve, à un moment ou à un autre, l’individu social. Quelles sont ces situations ? Selon quels critères peut-on les distinguer ? Dans la longue liste des critères envisageables, il s’en trouve deux qui méritent une attention particulière. L’un est l’intention que veut réaliser la personne qui prend l’initiative d’une action langagière, intention plus ou moins aisément conciliable avec celle(s) de la ou des personne(s) visée(s) par cette action ou susceptible(s) de se sentir concernée(s) par elle, intention dont les chances de réalisation dépendent de la prise en considération réciproque des acteurs. L’autre critère qu’il importe d’épingler est la différence de possibilités d’interaction entre les personnes qui sont visées ou qui se sentent concernées par une action langagière en cours ou par quelque trace de cette action.Le croisement de ces deux critères permet d’ébaucher une identification et donc une différenciation des situations de communication: (voir tableau ci-dessous).Mais d’autres variables des situations de communication sont à prendre en considération si l’on s’attache à cerner les contenus disciplinaires et les aptitudes à mettre en œuvre ces contenus pour résoudre les problèmes inhérents à des familles de situations - si l’on s’attache, en d’autres

Intention Sans possibilité d’interaction verbale

Avec possibilitéd’interaction verbale

Faire agir (en guidant l’action) X X

Coopérer dans l’action X

Persuader de faire ou de penser X X

Conclure un accord au moyen d’une négociation X

Informer X X

Réaliser une synthèse de savoirs X X

Partager une réaction à un fait de société X X

Partager une réaction à une œuvre d’art X X

Un référentiel de français spécifique pour l’enseignement qualifiant ?

35CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

termes, à cerner des compétences de communication verbale. Parmi ces variables, celle des positions respectives des acteurs de la communication et celle de l’usage oral ou écrit des ressources langagières sont à mettre particulièrement en évidence. Les chances de succès comme les risques d’échec d’un acte de communication verbale croissent en effet selon que les acteurs réussissent ou non à adapter leur énoncé à la position du destinataire, étant entendu que la supériorité, l’infériorité ou l’égalité respectives de ces positions peuvent être déterminées non seulement par des hiérarchies sociales, mais encore par des différences de savoir, de savoir-faire ou de savoir être, ces dernières étant elles-mêmes liées à des qualités morales. Les chances de succès comme les risques d’échec d’un acte de communication verbale croissent également selon que les acteurs réussissent bien ou mal à tenir compte des contraintes et des libertés spécifiques aux usages écrits ou oraux de la langue, contraintes et libertés que formalisent divers genres de discours. Ce dernier mot n’a pas ici son acception courante (énoncé oral destiné à une assemblée nombreuse) : il désigne toute espèce de matérialisation d’un acte de langage, toute espèce de « message » verbal, si l’on préfère.Il n’est pas possible d’identifier une compétence de communication verbale sans référence à la famille de situations de communication dans laquelle un acteur produit ou comprend un discours compte tenu des conventions du genre discursif auquel appartient ou auquel s’apparente le discours qu’il produit ou qu’il comprend. Si, comme il a été dit, les élèves de l’enseignement de qualification doivent, comme ceux de l’enseignement de transition, pouvoir affronter, avec de bonnes chances de succès, toutes les familles de situations distinguées de manière approximative dans le tableau ci-dessus et précisées compte tenu, d’une part, de la position

respective des acteurs, d’autre part, de l’usage oral ou écrit des ressources langagières, le temps imparti à la formation en français dans le qualifiant et l’état des ressources dont disposent les élèves qui aspirent à une qualification contraignent à spécifier le référentiel en jouant sur deux variables : la première, ce sont les genres de discours, oraux et écrits, à comprendre et à produire ; la seconde, ce sont les objets de ces discours. Genres et objets sont à déterminer en prenant en considération, d’une part, les besoins langagiers liés à la qualification professionnelle, d’autre part, les besoins langagiers inhérents à l’épanouissement de l’individu social dans une démocratie comme la nôtre, ce qui implique des pratiques culturelles qui font grandir sur le plan intellectuel comme sur le plan socio-affectif.

Je me hasarde à présent à exemplifier ce qui, selon moi, devrait figurer dans un référentiel de compétences qui mériterait son nom. Je désigne ainsi un document où les enseignants trouveraient, non plus de vagues formules qui amalgament, sous l’étiquette fallacieuse de « compétences », la désignation de résultats d’apprentissage escomptés et celle de savoirs à enseigner, mais 1°) des motifs de s’impliquer dans les projets de développement de telle et telle compétences, entendues selon l’article 5 du décret de juillet 1997 ; 2°) des savoirs propres à la réalisation de ces projets ; 3°) des indications sur les résultats d’apprentissage escomptés, compte tenu desquels il convient d’envisager les résultats d’apprentissage attestés, les fameux learning outcomes, que sont censés prendre en considération les évaluateurs du fonctionnement de l’école. J’ai fait le choix de traiter d’une compétence qui s’inscrit sur la deuxième ligne du tableau proposé ci-dessus. L’intention est celle de

« coopérer dans l’action » ; toutefois, j’ai cru judicieux d’attirer l’attention sur une sorte d’interaction qui est au cœur du vivre ensemble sans être finalisée par l’agir collectif.

Compétence : prendre part à une conversation

Justification du choix de la compétence

1. La participation à une conversation est une pratique langagière fréquente : elle peut avoir lieu, à l’occasion de contacts prévisibles ou fortuits avec des personnes plus ou moins connues, tantôt dans le cercle familial ou dans la sphère élargie du voisinage, tantôt dans l’entourage professionnel ou dans de petites communautés de loisir, tantôt encore dans toutes sortes de lieux publics (jardins, cafés, restaurants…) ou de transports en commun, etc.

2. La fréquence de cette pratique langagière est proportionnelle à son importance dans le processus de socialisation comme dans le développement personnel. Chaque conversation donne en effet une chance de nouer ou de perpétuer de bonnes relations avec autrui, mais elle fait aussi courir un risque de rater une prise de contact ou d’augmenter la tension de certains rapports. Chaque conversation est également une occasion de prendre confiance en soi, si les autres vous jugent bon interlocuteur, mais elle met aussi, peu ou prou, l’estime de soi en danger, en cas de jugement inverse.

3. En dépit de certaines apparences (les jeunes semblent n’avoir pas de difficultés pour converser entre eux), beaucoup d’adolescentes et d’adolescents manquent de savoirs et de savoir-faire pour prendre part à une conversation… qui se conclue à la satisfaction générale ; il arrive également parfois que leur fasse défaut l’attitude positive qui incline à y participer. Cela s’explique par des raisons tant sociologiques que

Un référentiel de français spécifique pour l’enseignement qualifiant ?

36CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

psychologiques. Ces jeunes qui ne parviennent pas à participer à une conversation bénéfique pour tous les intervenants sont généralement issus de milieux où la parole est rare et utilitaire, de milieux où le droit de parler n’est pas également reconnu à tous, voire est dénié à certains (en raison de leur âge ou de leur sexe notamment), de milieux où une conversation ne peut s’engager sans tourner à l’épreuve de force, de milieux où l’on ne sort jamais des dichotomies « vrai-faux », « bien-mal », « beau-laid » et où, par conséquent, on ne peut qu’avoir raison ou avoir tort. Mais les difficultés s’expliquent aussi parce que, trop peu confiants en eux-mêmes (ce qui n’empêche pas de manifester beaucoup d’assurance), les jeunes en question soit n’osent pas se risquer à entrer dans une conversation, soit n’osent pas céder la parole à autrui de peur de perdre ce qu’il croient avoir gagné en la prenant et ce qu’ils croient gagner encore en la gardant.

Qu’est-il souhaitable qu’un enseignant sache pour

favoriser, dans l’esprit des élèves, le développement de

la compétence de prendre part à une conversation ?

1. Le terme « conversation » est parfois employé pour désigner toute espèce d’interaction verbale, c’est-à-dire toute pratique langagière impliquant au moins deux personnes qui se parlent, le discours de l’une influençant celui de l’autre ou des autres. Toutefois, le plus souvent, le mot « conversation » réfère à une variété non formelle d’interaction verbale, une variété où la prise de parole n’est pas soumise aux règles ou aux conventions de genres comme l’entretien d’embauche, le débat politique, l’interrogatoire policier, le questionnement scolaire, la consultation médicale, l’interview journalistique, les échanges du prétoire, etc. Cette variété présente les caractéristiques suivantes.

1.1. Le cadre (= l’espace-temps social) ne détermine pas la participation de telle ou telle personne(s) et il ne contraint pas les participants au choix d’un sujet, même s’il en favorise certains : on peut, par exemple, avoir une conversation ayant trait à la santé dans la salle d’attente d’un service hospitalier ou d’un cabinet médical, mais aussi à table, en famille ou avec des amis, dans les transports publics, avec des compagnons de voyage, au travail, lors d’une pause avec des collègues, etc.

1.2. Aucun participant n’est officiellement chargé de réguler les échanges, même si l’un ou l’autre peut momentanément s’arroger le rôle de régulateur (« Mais laisse-le dire jusqu’au bout ! »).

1.3. Quelles que soient leurs positions respectives dans des hiérarchies établies selon tel ou tel critère (le capital économique, social ou culturel, par exemple, ou encore l’âge, l’expérience, la réputation, etc.), les personnes qui prennent part à une conversation se trouvent en principe sur un pied d’égalité pour prendre et pour garder la parole. Bien entendu, ce principe n’exclut pas la prise en considération de telle ou telle position occupée par tel ou tel participant : quand on sait avec qui l’on parle, l’égalité de principe n’abolit pas nécessairement le sentiment d’infériorité ou de supériorité.

1.4. Les participants n’ont pas d’intention précise : la conversation étant une pratique langagière qui confine à la gratuité, la réalisation d’intentions poursuivies par les intervenants n’est pas une condition sine qua non de la réussite de l’acte de communication. Il est toutefois possible que, de temps en temps, des intentions se manifestent et se réalisent, mais l’ensemble des interventions n’est pas orienté par un but commun comme celui de réunir le plus d’informations possible sur un sujet, celui de réussir une négociation, celui de s’accorder pour agir, etc.

1.5. La gratuité de la conversation rend les enjeux d’ordre socio-affectif prépondérants. L’enjeu d’un échange conversationnel - ce qui peut être gagné ou ce qui risque d’être perdu -, c’est la somme des mises des participants et ce que mise chacun d’eux, c’est une partie de son temps de loisir, une partie de ses relations avec autrui et une partie de l’estime de soi, qui leur est liée. La spécificité de la conversation, s’agissant de l’enjeu, c’est la possibilité que tous l’emportent. Chacun peut, en effet, estimer qu’il n’a pas perdu son temps, qu’il a renforcé des liens qui lui sont agréables et donc qu’il est à la fois apprécié et appréciable. L’inverse est, hélas, également possible. L’inverse, c’est que l’on se quitte mécontent des autres comme de soi-même, avec l’impression navrante d’avoir gaspillé des minutes ou des heures qu’on aurait pu mieux employer à faire autre chose, et avec le sentiment pénible de ne pas valoir grand-chose.

1.6. Ce qui motive à prendre part à une conversation, c’est généralement l’escompte du plaisir de l’échange, ou, si quelque pression s’exerce sur un participant taciturne, si ce dernier sent qu’il ne peut pas rester sur la touche dans une assemblée où l’on parle, la motivation, c’est l’espoir de faire bonne figure. Cet escompte et cet espoir ont trait aux images de soi : celle(s) que l’on a, celle(s) que l’on donne et celle(s) que l’on reçoit. De ces images, le bonheur ou tout au moins le bien-être dépend en partie : il est impossible en effet de vivre heureux ou satisfait avec des images négatives de soi-même, qu’elles soient notre fait ou le fait d’autrui. Tous les théoriciens de la conversation ont mis en évidence l’impossibilité de contribuer à la construction d’images positives de soi à l’occasion d’un échange conversationnel sans permettre aux autres participants de contribuer également à la construction d’images positives d’eux-mêmes. On dirait aujourd’hui que la conversation doit être régie par le principe du win-win (le principe du gain réciproque)

Un référentiel de français spécifique pour l’enseignement qualifiant ?

37CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

et ce principe-là implique qu’aucun des participants d’une conversation ne « tire la couverture à soi », ne cherche à monopoliser la parole, ne veuille briller aux dépens d’autrui, ne fasse preuve de cet égocentrisme qui empêche de prendre en considération la recherche, par tous les participants, de semblables bénéfices.

2. Toute personne raisonnable et désireuse de contribuer à l’harmonie du vivre ensemble (ce qui n’est pas n’importe qui) est censée se conformer, lorsqu’elle prend part à une conversation, outre au principe du win-win, à un principe de coopération. Ce principe - régissant un échange idéal - veut que chaque prise de parole individuelle contribue à ce que les participants sont en droit d’attendre de celui qui s’exprime, compte tenu de la direction momentanément prise par la conversation.

Étant donné que les interactions ver-bales qui composent cette dernière ne sont pas orientées par une fin com-munément admise, les changements de direction peuvent être fréquents et radicaux : l’important est que celui qui prend l’initiative de détourner le cours de la conversation tienne compte de l’intérêt général, plus ou moins vif, porté au sujet dont il est momentané-ment question.

Étant donné, par ailleurs, que les par-ticipants à une conversation fortuite-ment engagée peuvent être les uns pour les autres de parfaits ou de qua-si-inconnus, il est souvent difficile de préciser ce que chacun est « en droit d’attendre »… en plus d’un certain re-spect pour son droit à la parole et pour l’exercice de ce droit, en plus d’une certaine attention à ce qu’il dit et à ce qu’il veut être en le disant. C’est lorsque les interlocuteurs se connais-sent que les attentes peuvent être plus précises, que l’on est « en droit d’attendre », par exemple, que tel locuteur fasse part d’une expérience vécue personnellement, ou vécue par un proche.

Le principe de coopération se décline en quatre maximes ou règles conversationnelles.

2.1. La règle de pertinence veut que l’on parle « à propos », c’est-à-dire compte tenu du sujet momentané de la conversation. Mais répétons que le cours d’une conversation est capricieux et que chaque participant peut le dévier à la condition de respecter l’intérêt manifesté par les autres au sujet momentanément traité.

2.2. La règle de clarté veut que l’on évite de dire les choses de manière désordonnée, confuse ou ambigüe.

2.3. La règle de quantité veut que l’on en dise assez pour être compris (on songera ici, notamment, au « …et tout ça », si commun dans le propos des élèves), mais aussi qu’on n’en dise pas plus qu’il ne faut pour assurer la compréhension.

2.4. La règle de qualité veut que l’on ne dise pas ce que l’on sait être faux ou ce pour quoi on manque de preuves.

3. La conversation implique des tours de parole. Le tour de parole, c’est la contribution, totale ou partielle, de chaque intervenant à la conversation.

3.1. L’occasion de prendre son tour de parole est donnée par un silence, qui peut être extrêmement bref. Si chacun peut saisir cette occasion pour intervenir, chacun doit aussi éviter de couper la parole à un participant.

3.2. Lorsque deux personnes saisissent l’occasion en même temps ou presque en même temps, chacune peut se prévaloir soit d’avoir été un peu plus rapide que l’autre ou, dans le cas contraire, d’avoir à dire quelque chose qui « colle » vraiment à ce qui vient de l’être. En pareil cas, une formule de politesse est la bienvenue, du type : « Excuse(z)-moi, mais, justement, à propos de ce que vient de dire X, je voudrais… ». Chacune des personnes dont les prises de parole se chevauchent peut aussi, par courtoisie, par amitié, par modestie, ou pour d’autres raisons (dont aucune

n’exclut le calcul stratégique ou le souci sincère d’être un interlocuteur agréable), céder la parole à celui qui l’a prise en même temps que lui, ou une fraction de seconde après lui.

3.3. Si de trop longs silences séparent les tours de parole, on dit qu’« un ange passe » ou, de manière moins imagée, que la conversation languit. Les participants sont alors confrontés soit à la difficulté d’une relance des échanges (on dit du relanceur qu’il « fait les frais de la conversation »), soit à celle d’un commun repli sur soi (on reste ensemble, mais on ne se dit plus rien), soit encore à celle, radicale, d’un départ… pour autant que la situation le permette.

3.4. La politesse exige que l’on ne quitte pas une conversation sans excuse, qu’il s’agisse d’une absence momentanée (pour répondre à un appel téléphonique, par exemple) ou, à fortiori, définitive.

4. Dans la Rome antique déjà, mais surtout à partir du XVIe siècle, les personnes qui ont réfléchi sur la conversation ont attiré l’attention sur l’importance des manifestations de la politesse pour la réussite de ce genre d’interaction verbale. Mais de quoi s’agit-il exactement ?

Le mot provient de l’adjectif latin politus signifiant « qui a été poli », « qui n’est plus rugueux », « qui n’est plus à l’état brut ». La politesse, c’est, avant tout, ce qui évite que, lors des contacts humains, l’état brut de l’humanité - l’état de bête sauvage dans lequel l’homme songe d’abord à lui, occupe le plus d’espace possible, use de tous les moyens qui le rendent supérieur aux autres pour imposer sa loi - ne rende la vie commune impossible, ou tout au moins qu’il ne la rende difficilement supportable à ceux qui pâtissent du sans-gêne des autres.

4.1. Dans cette forme de contact inter-humain qu’est la conversation comme dans bien d’autres, la politesse veut que chacun s’efforce de ne pas faire « perdre la face » à autrui tout en la

Un référentiel de français spécifique pour l’enseignement qualifiant ?

38CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

sauvant pour soi-même. « Perdre la face », c’est se résigner à ce qu’on envahisse notre territoire, à ce qu’on nous traite avec hauteur voire avec mépris. « Sauver la face », c’est par-venir à protéger notre territoire et à obtenir les marques de reconnais-sance auxquelles nous pouvons légi-timement prétendre étant donné la place que nous occupons. Le terme « territoire » peut référer à un espace physique dont l’envahissement nous est désagréable, mais il peut référer aussi à un espace mental (notre « jar-din secret », dit-on parfois) où nous ne tolérons pas l’intrusion (« Ça ne te regarde pas », « Ce ne sont pas tes af-faires », etc.).

4.2. L’égalité de principe entre les participants d’une conversation implique que chacun ait son mot à dire, que les autres lui donnent l’occasion de dire son mot, qu’ils manifestent de l’intérêt pour ce qu’il dit et de la considération pour ce qu’il est. Refuser de céder la parole, couper la parole, dire à quelqu’un « Tais-toi, tu n’y connais rien », ne pas lui prêter attention, parler d’une voix tonitruante et de façon péremptoire, prétendre tout savoir ou tout dire mieux que les autres, c’est porter atteinte à la face d’autrui. Et c’est mettre la sienne en péril : c’est en effet courir le risque d’une mise à l’écart du groupe, momentanée ou définitive (« Ça suffit maintenant, on t’a assez entendu, laisse (un peu) la parole aux autres… »), la pire étant peut-être l’exclusion tacite : on se trouve rejeté d’une communauté parce qu’on a manqué de politesse conversationnelle, mais ce manque n’a pas été explicitement signifié.

4.3. La politesse conversationnelle implique deux grandes espèces d’actes de parole : les actes qui réparent ou qui adoucissent une atteinte portée à la face d’autrui et les actes qui cajolent la face d’autrui. On dit parfois des premiers qu’ils relèvent de la politesse négative, et des seconds, qu’ils relèvent de la politesse positive. Ce serait poser un acte réparateur ou adoucisseur que dire, par exemple :

« Permettez-moi de vous couper très brièvement la parole, mais ce que vous venez de raconter me donne l’occasion de… » (ou, avec moins d’amidon : « Je t’interromps, excuse-moi, mais, justement, à propos de ce que tu viens de raconter, je peux dire moi-même que…). Ce serait poser un acte cajoleur que dire, par exemple : « Je ne vous en dis pas davantage et je cède volontiers la parole à mon voisin, qui a une meilleure connaissance de la question que moi-même » (ou, de manière moins guindée toujours : « Je n’en dis pas plus. Vas-y, toi : tu connais la question mieux que moi »).

Résultats d’apprentissage escomptés

Ce qui devrait résulter de l’apprentissage, c’est, bien sûr, vu de très haut, la compétence de prendre part à une conversation. Cette compétence étant l’aptitude à mobiliser les savoirs, les savoir-faire et l’attitude requis par la résolution des problèmes inhérents à la participation à une conversation, il faut escompter l’appropriation par les élèves de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes en rapport avec la conversation.

1. Les savoirs sont ceux dont il vient d’être question. Il s’agit de transpositions didactiques de « savoirs savants »(1), destinées aux enseignants, et elles sont elles-mêmes susceptibles d’autres transpositions, effectuées, elles, par les enseignants et destinées aux élèves. Ces derniers devraient, au terme de la séquence, disposer de connaissances sur…

1. ce qui distingue la conversa-tion de certains genres formels de l’interaction verbale,

2. les règles conversationnelles,3. les tours de parole,4. la politesse.

2. Les savoir-faire se répartissent en trois catégories.

1. Le savoir comparer (faire état de ce qui apparente et de ce qui distingue), sélection-

ner, résumer, synthétiser des informations fournies ayant trait à la conversation ; cela implique la capacité de com-prendre (à l’audition ou à la lecture) les informations en question.

2. Le savoir évaluer, en tant qu’observateur, la partici-pation à une conversation, fournie sous la forme d’un document quelconque ; cela implique la capacité de cerner et de dire ce qui peut con-tribuer au succès ou ce qui peut concourir à l’échec d’une conversation.

3. Le savoir participer à une conversation… qui bénéficie à tous les interlocuteurs.

3. L’attitude, comprise en tant que disposition favorable envers la participation à des conversations bénéfiques pour toutes les personnes concernées, est, bien sûr, un indispensable complément aux savoirs et aux savoir-faire 2 et 3 susmentionnés : en effet, on peut savoir, on peut savoir faire et, pour toutes sortes de raisons, n’être pas du tout porté à faire ce que l’on est pourtant capable de faire.

L’attitude correspond ici à l’implication personnelle dans toutes les activités scolaires concernant la conversation et, plus particulièrement, dans celles qui réclament une intervention en tant que participant.

Les commanditaires du référentiel, s’ils ne s’interrogent pas sur les conditions d’efficacité d’un tel document, estimeront sans doute que des pages comme celles qu’on vient de lire n’y ont pas leur place parce que le genre implique une présentation tabulaire d’énoncés succincts au mode infinitif. Je m’interroge : sur quelle table de la loi est-ce écrit ? Qui a décidé des règles du genre et sur quoi ce(s) décideur(s) s’est (se sont)-il(s) fondé(s) pour

Un référentiel de français spécifique pour l’enseignement qualifiant ?

39CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

estimer qu’il fallait respecter de telles règles pour élaborer un instrument utilisable ? Que l’on permette au didacticien que je suis de penser que, pour engager des enseignants dans l’action, une persuasion vaut mieux qu’une injonction, une information sur les savoirs utiles, mieux qu’une énumération de ces savoirs, et des précisions sur les résultats d’apprentissage attendus, mieux que

l’énoncé de pseudo- compétences.

Notes

(1) GoFFman, E. (1973). Les rites d’interaction. Paris : Minuit ; Grice, H.P. (1979). Logique et conversation, Communications, n°30; kerbrat-orecchioni, C. (1996). La conversation. Paris : Le Seuil ; (2005) Le discours en interaction.

Paris: Armand Colin ; Cahen, G. (dir.) (1999). La conversation. Un art de l’instant. Paris : Autrement ; Godo, E. (2003). Histoire de la conversation. Paris : PUF ; neVeu, F. (2004). Dictionnaire des sciences du langage. Paris : Armand Colin ; charaudeau, P. & mainGueneau, D. (dir). (2005). Dictionnaire d’analyse du discours. Paris : Le Seuil.

Un référentiel de français spécifique pour l’enseignement qualifiant ?

40CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Pourquoi l’interdisciplinarité dans l’enseignement ?

Le monde qui nous entoure est de plus en plus complexe et les disciplines, de plus en plus spécialisées : pris isolément, l’éclairage particulier que chacune d’elles jette sur les questions que l’on se pose aujourd’hui n’apporte généralement pas une réponse satisfai-sante. L’hyperspécialisation des disci-plines et leur découpage n’aide pas à se construire une vision globale des phénomènes naturels, scientifiques et sociaux propres à la société du XXIe siècle. Pourtant, la complexité des problèmes que nous rencontrons rend de plus en plus nécessaire l’éta-blissement de relations entre les disci-plines (brouillette, 2004, mainGain, duFour & Fourez, 2002).

Dans le monde scolaire, le concept d’interdisciplinarité est apparu en réaction au cloisonnement des disciplines conduisant générale-ment à présenter aux apprenants des savoirs qui leur paraissent segmentés (brouillette, 2004 ; Fourez, 1998 ; Lenoir & SauVé, 1998a). caSSie et haché (1998) précisent ce problème inhérent aux curriculums scolaires classiques.

Étant donné le bagage peu signifiant et souvent artificiel des connais-sances imposées par les disciplines scolaires, la rareté de la collabora-tion entre professeurs de différentes disciplines dans la planification du travail d’équipe, la carence de

liens conceptuels entre les matières, l’apparition croissante de thèmes ou de contenus disciplinaires plus ou moins pertinents et l’étendue des redondances dans et entre les matières scolaires - à un point tel que les territoires disciplinaires se chevauchent sans grande logique -, il devient nécessaire de s’interroger sur le degré d’interaction, d’inté-gration et de compréhension que les écoles primaires et secondaires adoptent au regard du curriculum qu’elles enseignent (caSSie & haché, 1998, p. 75).

S’appuyant sur ces propos, brouil-lette (2004) précise que c’est en réponse à de tels constats que « l’ap-proche interdisciplinaire tente de tisser des liens entre les savoirs disci-plinaires pour résoudre des problèmes complexes issus de la réalité d’au-jourd’hui » (p. 61). L’interdisciplina-rité aurait donc un rôle incontournable à jouer pour permettre une compré-hension globale des phénomènes qui nous entourent. Les approches interdisciplinaires sembleraient offrir « des moyens pour faire face aux problèmes et aux thèmes abordés et pour favoriser la pensée intégratrice et la résolution de problèmes dans un monde de plus en plus diversifié et complexe » (klein, 1998, p. 61).

Les notions de complexité et d’inté-gration sont au cœur de l’interdiscipli-narité. D’une part, on peut considérer que c’est la complexité des situations, des problèmes et des objets étudiés

qui rend nécessaire la mise en réseau des disciplines. Au niveau de l’école, on cherche à « équiper les élèves d’outils d’intelligibilité de réalités de plus en plus complexes, ou plus exac-tement, de réalités dont on a décidé de ne plus gommer la complexité » (Fleury, 2000, cité par mainGain et al., 2002, p. 22). D’autre part, c’est par son impact sur la construction de représentations intégrées que se mesure l’intérêt d’une approche inter-disciplinaire : « le test acide de l’in-terdisciplinarité réside dans la profon-deur et la consistance avec lesquelles l’intégration sera menée au sein de l’expérience d’apprentissage réalisée par l’élève » (SquireS, 1992, p. 206, cité par lenoir & SauVé, 1998, p. 124). Dit plus simplement, une approche interdisciplinaire devrait se traduire par l’intégration de diffé-rentes disciplines pour se représenter une situation particulière (mainGain et al., 2002).

Pour lenoir et SauVé (1998b), l’inter-disciplinarité viendrait donc « pallier les faiblesses des enseignements disciplinaires, tant sur le plan de la construction de la réalité sociale et biophysique que sur celui du sens que l’élève recherche dans ses appren-tissages et de l’engagement moteur, intellectuel et affectif qu’il peut y trouver » (p. 121). Cette position ne doit nullement être comprise comme un rejet de la valeur des disciplines propres. Au contraire, les savoirs disciplinaires sont essentiels au bon fonctionnement d’une approche

LES SÉMiNairES d’aPProCHE iNtErdiSCiPliNairE PoUrqUoi S’iNtÉrESSEr À l’iNtErdiSCiPliNaritÉ daNS l’ENSEiGNEMENt Et daNS la ForMatioN dES ENSEiGNaNtS ?

Annick Fagnant, Université de LiègeService de Didactique Générale et Intervention éducativeCatherine Jacmin, Université de Liègecentre interfacultaire de formation des enseignantsIsabelle Sente, Université de LiègeService de Didactique Générale et Intervention éducative

Les Séminaires d’approche interdisciplinaire

41CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Les Séminaires d’approche interdisciplinaire

interdisciplinaire : « l’élève doit les maîtriser pour être en mesure de tisser des liens entre eux afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble d’une problématique ou d’une question » (brouillette, 2004, p. 65).

lenoir et SauVé (1998b) expriment très clairement le rôle et l’importance des disciplines : « la pratique inter-disciplinaire se situe (…) dans des rapports qui assurent une dépendance réciproque - sans prédominance et sans ignorance aucune - entre des disciplines scolaires en fonction des finalités de formation poursuivies et leur prise en compte, dans la richesse de leurs complémentarités et de leurs interrelations effectives et incontour-nables au niveau de leurs contenus cognitifs et de leurs démarches, nécessaires pour construire la réalité, humaine et naturelle, pour l’exprimer et pour interagir avec elle » (p. 121).

En accord avec mainGain et al. (2002), on reconnaitra que l’école doit concourir à la formation d’ac-teurs sociaux autonomes et critiques face à des situations et à des problé-matiques complexes. L’interdiscipli-narité devrait trouver sa place dans les écoles primaires et secondaires en tant que moyen permettant « de consolider les apports disciplinaires dans un contexte authentique » (brouillette, 2004, p. 64) et de former tout citoyen à la compréhension globale de phéno-mènes complexes (mainGain et al., 2002).

Pourquoi l’interdisciplinarité dans la formation des

enseignants ?

Pour se former à l’enseignement de l’interdisciplinarité ou pour travailler dans un contexte interdis-ciplinaire, les enseignants doivent comprendre de quoi il s’agit et avoir déjà exercé ce genre de pratiques (Fourez, 1998, p. 31).

Selon lenoir et SauVé (1998a), la question de l’interdisciplinarité dans la formation à l’enseignement

doit être envisagée selon une triple facette : une formation « par » l’in-terdisciplinarité, une formation « à » l’interdisciplinarité et une formation « pour » l’interdisciplinarité, « c’est-à dire en vue du recours à des pratiques interdisciplinaires dans l’enseigne-ment » (p. 126).

Sous un angle optimiste, on pourrait considérer que la formation proposée à l’ULg dans le cadre de l’agréga-tion de l’enseignement secondaire supérieur (AESS) est une formation interdisciplinaire (formation à l’en-seignement par l’interdisciplinarité), notamment parce qu’elle propose un programme qui vise à faire appel à la complémentarité entre différentes disciplines pour viser le développe-ment de compétences relatives à l’in-tervention éducative.

Dans la formation à l’enseignement, on considèrera avec lenoir et SauVé (1998b) que la finalité est « l’ap-prentissage et le développement des compétences relatives à l’interven-tion éducative et des conditions qui concourent à son meilleur exercice » (p. 129). Toujours selon ces auteurs, « si le développement de ces compé-tences requiert la conjonction de diffé-rents savoirs disciplinaires, il requiert aussi l’insertion dans la formation d’autres composantes à la forma-tion disciplinaire : les didactiques, la psychopédagogie, la sociologie, la psychologie, etc. » (p. 129). On rencontre alors un autre niveau d’in-terdisciplinarité, « celui de l’interdis-ciplinarité elle-même de certaines des composantes du curriculum de forma-tion. Tel est le cas, par exemple, des didactiques, dont le propre est bien d’être interdisciplinaire (…), et de la psychopédagogie (…) » (p. 129).

De façon moins optimiste, on notera toutefois que la convocation des différentes disciplines ne suffit pas à assurer en elle-même une applica-tion effective de l’interdisciplinarité dans la formation (lenoir et SauVé, 1998b) et que « ce n’est pas parce que les curricula de formation profession-nelle sont, on pourrait dire presque

par essence, nécessairement interdis-ciplinaires en ce qu’ils recourent à des savoirs de diverses provenances (…), que la formation l’est » (lenoir et SauVé, 1998a, p. 130).

Il semble dès lors que les séminaires d’approche interdisciplinaire offrent une complémentarité essentielle à la formation en visant conjointement une formation « à » l’interdisciplina-rité (comprendre ce que ce concept recouvre et en quoi il se distingue d’autres concepts proches, mais aussi découvrir comment une approche interdisciplinaire peut être développée et quelles en sont les caractéristiques) et une formation « pour » l’interdisci-plinarité (développer les compétences professionnelles nécessaires à la mise en œuvre de pratiques interdiscipli-naires dans les classes). Autrement dit, les séminaires d’approche inter-disciplinaire proposés dans le cadre de la formation des enseignants nour-rissent le projet ambitieux de faire vivre une expérience interdiscipli-naire aux étudiants (en construisant, en tant qu’apprenants, une représenta-tion interdisciplinaire du phénomène étudié) tout en leur donnant les bases leur permettant de développer ce type d’approche avec leurs élèves (en échafaudant, en tant qu’enseignants, un projet interdisciplinaire qui pour-rait être mis en œuvre dans des écoles secondaires).

Pourquoi l’interdisciplinarité va-t-elle plus loin que la pluri-

ou la multidisciplinarité ?

En introduction d’un numéro spécial consacré à l’interdisciplinarité, lenoir et SauVé (1998c) retracent l’histo-rique du concept d’interdisciplina-rité et précisent sa spécificité dans le champ scolaire : « il s’agit de la mise en relation de deux ou de plusieurs disciplines scolaires (…) en vue de favoriser l’intégration des processus d’apprentissage et des savoirs chez les élèves » (p. 10).

Dans de nombreux écrits pédago-giques, différents concepts cohabitent

42CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Les Séminaires d’approche interdisciplinaire

avec parfois une certaine confusion entre ceux-ci. Nous nous appuierons sur mainGain et al. (2002) pour tenter d’en définir les frontières.Tout d’abord, il paraît important de distinguer « multidisciplinarité » et « pluridisciplinarité ». Ces deux concepts ont pour point commun de renvoyer à l’idée d’une juxtaposi-tion de disciplines diverses. Ils se distinguent en fonction de la présence ou de l’absence d’un projet explicite.

La multidisciplinarité traite d’une question par juxtaposition d’ap-ports disciplinaires, sans que les partenaires de la démarche aient préalablement précisé des objectifs communs. À titre d’exemple, c’est souvent le cas d’expositions sur un thème, un pays… où les sections se succèdent, pour illustrer différents aspects, sans être articulées selon une finalité intégratrice bien établie (mainGain et al., 2002, p. 57). La pluridisciplinarité consiste à traiter une question en juxtapo-sant des apports de diverses disci-plines, en fonction d’une finalité convenue entre les partenaires de la démarche. Ce dernier trait distingue, à nos yeux, la pluridisci-plinarité de la multidisciplinarité. À titre d’exemple, beaucoup de sémi-naires de recherche sont pluridisci-plinaires : on convoque différentes disciplines pour chercher la solu-tion d’un problème (mainGain et al., 2002, p. 57).

Dans un second temps, il convient de distinguer la « pluridisciplinarité » de « l’interdisciplinarité ». Dans les deux cas, ces approches vont conduire à réaliser un projet ou à analyser une thématique particulière à l’aide de disciplines diverses. Ce qui distingue alors les deux concepts, c’est que dans le premier cas, on va s’en tenir à une juxtaposition de disciplines alors que dans le second on visera leur intégration. La pluridisciplinarité (…) est prati-quée, entre autres, lorsque l’on se donne l’objectif d’examiner avec une intention particulière un thème,

une notion, une problématique selon différents points de vue disciplinaires. La confrontation des disciplines (…) produit un « effet kaléidoscope » lié à une « multifocalisation » disciplinaire (…). La représentation obtenue n’est pas négociée entre partenaires d’un projet, en fonction d’un contexte, de finalités et de destinataires spéci-fiques : chaque sujet produit sa synthèse personnelle en fonction de ce qu’il a perçu (mainGain et al., 2002, p. 57).L’interdisciplinarité (…) constitue une pratique intégratrice en vue de l’approche de certains problèmes dans leur particularité. (…) L’inter-connexion des disciplines en fonc-tion d’un contexte particulier et d’un projet déterminé : tel est le trait le plus spécifique d’une démarche interdisci-plinaire. Les disciplines sont sollici-tées et intégrées en vue de construire un modèle original en réponse à une problématique particulière (mainGain et al., 2002, pp. 61-62).mainGain et al. (2002) distinguent encore inter- et transdisciplinarité :

L’objet de la démarche interdiscipli-naire, au sens où nous l’entendons, est la construction d’une représen-tation d’une notion, d’une situation, d’une problématique par la convo-cation de plusieurs disciplines. La transdisciplinarité repose, quant à elle, sur l’opération de transfert de connaissances, de compétences, d’outils propres à une discipline vers une autre (mainGain et al., 2002, p. 16).

À la lumière de ces différentes défini-tions, nous retiendrons que le travail interdisciplinaire devrait être déve-loppé face à une tâche précise, préala-blement négociée par les partenaires, en vue d’analyser une problématique complexe à la lumière de diverses disciplines. Ces diverses disciplines ne devront pas simplement être juxtaposées pour apporter un éclai-rage multiple (pluri), mais plutôt intégrées en vue d’apporter un éclai-rage nouveau (inter). Dans le travail interdisciplinaire, les différentes

disciplines devront être « traitées comme des ressources qui, dans et par leur complémentarité, permettent de conceptualiser, d’analyser, de discuter, voire de résoudre la problé-matique concernée » (mainGain et al., 2002, p. 64). Même si ce n’est pas là que se situe l’objectif prin-cipal, la mise en œuvre d’un travail interdisciplinaire pourrait amener à des transferts de connaissances, de compétences ou d’outils d’un champ disciplinaire à un autre (transdisci-plinarité).

Que fait-on dans les séminaires d’approche

interdisciplinaire ?

Les séminaires d’approche interdis-ciplinaire sont dispensés aux futurs enseignants issus des 17 sections de l’AESS(1) Ils visent les objectifs suivants : (a) Renforcer la constitution d’une identité disciplinaire et l’ouver-ture aux autres disciplines ; (b) Appré-hender et comprendre l’approche d’un contenu dans une perspective globale ; (c) Pratiquer un certain nombre de compétences collectives (dialoguer, concilier des points de vue, planifier un travail d’équipe,…) ; (d) Produire un dispositif pédago-gique interdisciplinaire et (e) déve-lopper les conditions nécessaires à la réussite d’un dispositif pédagogique interdisciplinaire dans l’institution scolaire.Répartis en groupes de 4 ou 5, les futurs enseignants, issus de sections différentes, sont amenés à concevoir un dispositif interdisciplinaire à l’in-tention d’élèves du secondaire supé-rieur de l’enseignement de transition (général ou technique de transition) ou de l’enseignement qualifiant (tech-nique ou professionnel). Chaque groupe doit choisir une problématique à étudier et imaginer un ensemble d’activités articulées ayant pour objectifs l’analyse et la compréhension de la problématique choisie, c’est-à-dire la construction

43CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Les Séminaires d’approche interdisciplinaire

d’une représentation interdisciplinaire de cette problématique. Pour que l’approche proposée soit davantage significative et motivante aux yeux des élèves à qui elle est destinée, les futurs enseignants sont invités à insérer leur dispositif inter-disciplinaire au sein d’un projet ayant une finalité concrète (par exemple, une exposition, un folder, un clip-vidéo, un échange interscolaire,…). Ainsi, ils doivent dépasser l’étude théorique d’une problématique pour concevoir un dispositif pédagogique s’inspirant en partie de la pédagogie par projets (voir notamment rey, carette, de France & kahn, 2006 pour une présentation succincte de cette approche). Chaque groupe sera ainsi amené à préciser, non seulement, les objectifs généraux du projet, les grandes étapes de son déroulement et le produit attendu, mais aussi les apports spéci-fiques des disciplines impliquées (les compétences et concepts développés), les complémentarités entre elles et l’organisation séquentielle des diffé-rentes activités d’apprentissage qui permettront de mener à bien le projet imaginé.

Quelles sont les grandes étapes de la démarche interdisciplinaire mise

en œuvre ?

Cette partie de l’article décrit les étapes du développement d’un projet interdisciplinaire tel que les étudiants sont amenés à le vivre et à le construire au cours des séminaires(2). Ces étapes et leur description s’ins-pirent de l’ouvrage de mainGain et al. (2002) dans la droite ligne des travaux menés par Fourez (1998) autour du concept d’ « îlot interdisciplinaire de rationalité ».

La notion d’îlot de rationalité désigne une représentation théorique appro-priée, créée pour pouvoir commu-niquer et décider dans un contexte précis et en fonction d’un projet particulier. Ainsi, quelqu’un désirant

s’alimenter sainement - ou procéder à l’isolation thermique de son habi-tation, ou acheter une voiture, ou apprécier un beau tableau, ou réflé-chir à l’origine de l’univers - doit se donner une représentation de ce dont il s’agit. (…) La notion d’îlot de rationalité renvoie à deux images ou métaphores : celle d’un îlot émer-geant dans un océan d’ignorance et celle de rationalité qui implique la possibilité d’une discussion parce qu’on s’est mis suffisamment d’ac-cord sur ce dont on parle (Fourez, 1998, p. 45).

Un « îlot interdisciplinaire de ratio-nalité » est donc une représentation interdisciplinaire (c’est-à-dire une représentation intégrant l’apport de plusieurs disciplines) structurée en fonction de la problématique étudiée (mainGain et al., 2002). Cette repré-sentation interdisciplinaire sera aussi fonction des destinataires du dispo-sitif interdisciplinaire dans la mesure où l’on ne développera pas les mêmes concepts et/ou le même niveau de conceptualisation si l’on s’adresse par exemple à des élèves de l’ensei-gnement primaire ou de l’enseigne-ment secondaire, et ceci même si l’on pourrait imaginer de traiter la même problématique à ces différents niveaux scolaires.

La démarche est décrite en trois grandes étapes : (a) le choix du thème et la définition de la problématique ; (b) la construction d’une représenta-tion interdisciplinaire de la problé-matique et (c) la précision du projet interdisciplinaire à mener avec les élèves. La linéarité de l’écriture trahit quelque peu la logique de travail qui, en réalité, est constituée de multiples aller-retour permettant de préciser la problématique, la carte conceptuelle et le projet au fur et à mesure de l’avancement de la réflexion. Avant de s’engager dans le choix du thème et la construction du dispositif, la première séance des séminaires invite les futurs enseignants à inter-roger le concept d’interdisciplinarité en confrontant leurs représentations

spontanées (qu’ils expriment notam-ment au travers de métaphores et de récits d’expériences qu’ils ont pu vivre en tant qu’élèves, stagiaires ou enseignants dans le secondaire) aux définitions proposées dans la litté-rature scientifique (mainGain et al., 2002). Au fil des séances, ils reçoivent également quelques éclairages spéci-fiques portant notamment sur les cartes conceptuelles et sur la péda-gogie par projets.

Étape n°1 : le choix du thème et la

définition de la problématique

En général, le point de départ d’une démarche interdisciplinaire naitra de l’envie d’un enseignant ou d’une équipe d’enseignants de travailler sur un thème donné. Une première exploration de ce thème fera appa-raitre l’intérêt de porter un regard global et interdisciplinaire sur cette thématique. Il conviendra alors de la préciser et de l’exprimer sous la forme d’une problématique, c’est-à-dire sous la forme d’une véritable question de recherche qui orientera la suite du travail et la construction d’une repré-sentation interdisciplinaire visant à éclairer (voire même à résoudre) cette problématique.

Lors des séminaires, les étudiants sont tout d’abord invités à choisir un thème (par exemple, les carburants et les modes de déplacement) et à l’explorer de manière large de façon à l’ouvrir et à dégager de premières pistes d’inves-tigation (par exemple, ce qui déter-mine le prix des carburants, l’impact des prix sur les consommateurs, les impacts en termes de mobilité, de pollution,…). Lors de cette étape, après un moment de réflexion indivi-duelle, le groupe est invité à partager ses idées et à construire une première schématisation mettant à plat les concepts et les questionnements qui pourraient être abordés et établissant certaines relations entre eux. Durant cette phase d’ouverture, ils sont invités à « oublier » qu’ils sont les représen-tants d’une discipline spécifique afin

44CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Les Séminaires d’approche interdisciplinaire

de « brosser le thème » le plus large-ment possible. Cette démarche, peu naturelle en soi tellement ils sont habitués à « penser disciplinaire » depuis le début de leur formation universitaire, vise à les empêcher de s’enfermer trop rapidement dans une thématique « étriquée » ou « fourre-tout » et à leur laisser la chance de développer par la suite une probléma-tique originale et riche, tant du point de vue du développement social que des acquis conceptuels.

Après cette phase d’exploration du thème (ouverture), un double « cadrage » est proposé en vue de circonscrire et/ou d’orienter le thème en fonction de l’intérêt qu’il pourrait susciter chez les jeunes d’une part et des apports disciplinaires potentiels des membres du groupe d’autre part. Le premier cadrage est essentiel et vise à cerner la pertinence du thème pour les jeunes et son potentiel pour développer certains objectifs géné-raux de l’enseignement obligatoire, tels qu’ils ont été définis dans le Décret « Missions »(3) : « En quoi ce thème concerne-t-il les jeunes ? En quoi touche-t-il l’épanouissement du jeune et le développement de sa personnalité ? En quoi est-il impor-tant pour la société ? Quels en sont les enjeux dans une perspective plura-liste, démocratique et ouverte aux autres cultures ? En quoi l’explora-tion de ce thème peut-il contribuer à former de jeunes citoyens conscients et responsables ? » Le deuxième cadrage est plus « scolaire » et en partie « artificiel » puisque l’on demande aux différents groupes de s’assurer que la thématique choisie permet l’intervention pertinente des différentes disciplines constitutives de leur groupe alors qu’il serait plus logique, une fois le thème choisi (et la problématique définie), de convoquer à posteriori les disciplines les plus appropriées à son éclairage.

Alors qu’en situation réelle le projet interdisciplinaire serait probablement initié par un enseignant intéressé par une thématique (si possible définie à la suite de questionnements amenés

par les élèves) qui chercherait ensuite des collègues susceptibles de se lancer dans l’aventure, en fonction non seulement de leur intérêt pour le thème mais aussi de leur envie de collaborer avec la (ou les) personne(s) cible(s), le séminaire impose à un groupe de futurs enseignants, qui à priori ne se connaissent nullement, de collaborer pour construire ensemble un projet fictif qui prendra d’emblée une ampleur importante puisqu’il convoquera à minima 4 disciplines différentes. Il est clair que le travail imposé n’est pas facile et que l’on demande aux étudiants de « se jeter à l’eau pour apprendre à nager »…

L’étape suivante invite chaque groupe à formuler une probléma-tique sous la forme d’une question (« Pourquoi… ? » ou « Faut-il…? » ou « Comment…? »…) que leur projet interdisciplinaire permettra d’éclairer(4).

À titre illustratif, nous reprenons ici quelques exemples de problématiques proposées par mainGain et al. (2002) en lien avec une thématique relative au prix des carburants.

Quels sont les comportements que peut adopter ma famille, en matière de consommation énergétique, en vue de respecter le milieu naturel ? Comment, au niveau des choix collectifs, préserver les équilibres planétaires en matière de ressources d’énergie ? Comment les institu-tions européennes pourraient-elles intervenir pour réguler les cours des carburants sur le marché européen ? Comment s’établit le prix du carbu-rant à la pompe de mon quartier ? (mainGain et al., 2002, p. 76)

Par ces exemples, on perçoit qu’il s’agit de questions précises, et non d’un thème ouvert. La probléma-tique doit être définie en fonction du résultat de l’exploration menée précé-demment, mais aussi en fonction des élèves auxquels elle s’adressera et des apports interdisciplinaires qu’elle pourra offrir.

Dans le champ scolaire, l’articu-lation de différentes disciplines n’est généralement possible qu’au-tour d’une situation probléma-tique élaborée en fonction d’un projet pédagogique susceptible de connecter, de façon originale, diffé-rents apports disciplinaires. L’idéal est d’identifier une problématique ayant un ancrage dans la vie sociale ou les référents culturels de l’élève, de donner au projet une finalité qui donne sens à la démarche d’appren-tissage et de placer l’apprenant dans une situation de (re)construction de ses connaissances » (mainGain et al., 2002, p. 124).

Étape n°2 : la construction d’une repré-

sentation interdisciplinaire de la problématique

Lors des séminaires, cette représen-tation devra être externalisée sous la forme d’une carte conceptuelle (welcomme, romainVille & deVoS, 2006).Cette carte conceptuelle vise un double objectif : (a) illustrer l’inter-vention spécifique de chacune des disciplines (les concepts abordés) et leurs apports complémentaires dans l’éclairage de la problématique étudiée et (b) illustrer ce que les élèves qui auraient vécu le dispositif inter-disciplinaire devraient avoir compris de la problématique après avoir parti-cipé au dispositif interdisciplinaire. Cette carte conceptuelle doit prendre la forme d’une représentation sché-matique au centre de laquelle se trouve la problématique étudiée. Elle doit préciser les concepts qui vont être développés grâce au dispositif mis en place, représenter les liens entre les différents concepts, préciser l’apport des différentes disciplines - quels concepts sont développés via quelle(s) disciplines(s) - et mettre en évidence les liens entre les disciplines - la problématique doit être éclairée par l’intégration des disciplines.

45CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Les Séminaires d’approche interdisciplinaire

Au niveau des apprentissages à construire avec les élèves qui vivraient le dispositif interdisciplinaire imaginé par les futurs enseignants, la construc-tion d’une représentation globale et intégrée de la problématique étudiée doit être un des objectifs centraux puisque c’est la nature même de cet objectif qui garantit le caractère interdisciplinaire du dispositif. Pour optimiser les chances d’atteindre un tel objectif (assez complexe dans la mesure où les élèves sont peu habi-tués à créer explicitement des liens entre les cours dispensés à l’école secondaire), il convient de prévoir des activités visant à aider les élèves à construire ces liens et à intégrer progressivement les concepts permet-tant d’éclairer la problématique étudiée.

Si le travail a été inséré au sein d’un projet concret (une exposition, un journal, une séance d’information pour une autre classe,…), un second objectif sera alors la réalisation de cette tâche qui devra s’appuyer sur la représentation interdisciplinaire construite.

Étape n°3 : la précision du projet

interdisciplinaire à mener avec les élèves

La problématique étant définie, il convient de préciser le projet inter-disciplinaire dans lequel les élèves devront s’inscrire.

• À quels élèves le dispositif imaginé est-il destiné (type d’enseignement, niveau scolaire, options,…) ?

• Quels sont les objectifs généraux visés par le projet ? Permet-il de développer certaines compétences transversales ?

• Quels sont les contenus et compé-tences disciplinaires visés ? Quelles sont les approches métho-dologiques privilégiées ?

• Comment le projet se déroulera-t-il ? Quelle est sa durée ? Comment

est-il introduit aux élèves ? Y a-t-il des séances communes à diffé-rents cours ? Selon quelle logique les activités prévues dans les diffé-rents cours sont-elles articulées ? Comment les élèves seront-ils « conduits » à construire des liens entre les cours ? Etc.

• Quel est le type de produc-tion finale attendue (un rapport écrit, une brochure, un film, un site internet, un panneau,…) et quels sont les destinataires de cette production (les élèves du premier degré, une autre classe du même niveau scolaire, le conseil communal,…) ?

• Quelles sont les modalités d’éva-luation prévue ?

• Etc.

L’exploration du thème lors de la première étape et la première ébauche de la construction de la carte conceptuelle lors de la deuxième étape peuvent conduire à envisager la problématique sous de multiples angles qui ne pourront sans doute pas tous être investigués dans le cadre du projet interdisciplinaire.

Dans le même ordre d’idées, lorsque la problématique est soumise aux élèves dans une école, il est important de faire appel à leurs représentations et de leur permettre de s’exprimer largement sur le thème. mainGain et al. (2002) parlent de « panorama » pour évoquer cette première étape de rencontre avec la problématique et d’ouverture sur de multiples possibi-lités.

Au départ de ce large « éventail des possibles », les auteurs proposent alors de dresser la liste des « boîtes noires », c’est-à-dire des champs spécifiques que l’on va choisir d’in-vestiguer dans le cadre du projet inter-disciplinaire. En situation scolaire, il est généralement utile de choisir les « boîtes noires » à ouvrir en fonc-tion de certains points du programme (quels sont les savoirs et compétences que l’on souhaite faire acquérir aux élèves ?).

Selon mainGain et al. (2002), l’ouver-ture des « boîtes noires » consiste à développer l’apport des différentes disciplines pour éclairer la problé-matique étudiée. Lors de la mise en œuvre effective d’un projet inter-disciplinaire, « c’est le moment où l’on procède à la confrontation des représentations déjà-là avec les savoirs établis par les disciplines (…). Certaines boîtes noires seront ouvertes dans le cadre de cours, d’autres pourront l’être par l’inter-view d’un expert ou encore la lecture d’un article, d’un ouvrage spécialisé ou d’une encyclopédie : c’est sous ces différentes formes que se fait l’apport des disciplines (…) » (mainGain et al., 2002, p. 85).

Dans le cadre des séminaires, les étudiants ne vont pas réellement « ouvrir les boîtes noires », mais ils vont au moins devoir décider quelles sont celles qui seraient ouvertes dans le dispositif interdisciplinaire qu’ils sont en train d’imaginer. Autre-ment dit, ils vont devoir préciser les concepts qu’ils proposent d’étudier dans le dispositif imaginé et, pour ces derniers, décrire brièvement la façon dont ils seront abordés dans les diffé-rents cours (précision des contenus et compétences disciplinaires visés, ainsi que des approches méthodolo-giques privilégiées).

Cette étape pourrait conduire les futurs enseignants à adapter leur carte conceptuelle puisqu’on leur demande qu’elle représente ce qui va être travaillé dans le projet, c’est-à-dire le type de représentation globale inté-grée que les élèves devraient pouvoir eux-mêmes construire après avoir vécu le dispositif. Notons que l’on pourrait également demander aux futurs enseignants de produire deux cartes conceptuelles : l’une représen-tant leur propre compréhension de la problématique et l’autre schémati-sant la compréhension à laquelle ils voudraient amener les élèves.

Au terme du travail, chaque groupe de futurs enseignants doit avoir construit les grandes lignes d’un

46CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

dispositif interdisciplinaire qui pour-rait être présenté à des collègues en vue de les motiver à s’inscrire dans un tel projet. Concrètement, lors de la dernière séance, chaque groupe est invité à présenter son dispositif inter-disciplinaire à un panel d’enseignants (des enseignants et formateurs issus de divers services de didactique de l’ULg, des enseignants en place et/ou futurs enseignants du secondaire). Ils doivent ainsi convaincre leurs audi-teurs de la pertinence de la problé-matique étudiée, de l’intérêt du projet mis en œuvre, du caractère interdisci-plinaire du dispositif, de l’intérêt des apports disciplinaires, de la faisabilité du projet et de leur capacité à porter un regard critique sur leur production.

Évidemment, si le projet devait être réellement mis en œuvre en classe, il ne s’agirait encore que d’une amorce, certes déjà bien construite, mais qu’il conviendrait encore de préciser pour la rendre réellement opérationnelle. Ainsi, par exemple, les différentes séquences de cours ne sont à ce stade qu’à l’état d’ébauche, mais on peut nourrir l’espoir que la construction de ce projet aura donné à plusieurs enseignants des idées à développer pour donner du sens à certains cours, même si ceux-ci ne s’inscrivent pas réellement dans un dispositif aussi complexe que celui qu’ils ont imaginé pour le séminaire. En vue de donner du sens à certains apprentissages, il pourrait notamment être possible de reprendre la problé-matique comme point de départ d’une étude mono- voire bi-disciplinaire. Le « panorama » de départ permettra de faire percevoir l’étendue de la problé-matique aux élèves et l’« ouverture des boîtes noires » disciplinaires les aidera à prendre conscience de l’in-térêt de l’éclairage apporté, mais aussi de son angle d’entrée et de son carac-tère nécessairement partiel.

Pour terminer sans conclure ?

Le point faible le plus important de l’approche proposée est sans doute le caractère fictif du dispositif mis en

place dans le cadre des séminaires : les futurs enseignants ne seront pas amenés à réellement mettre en œuvre dans une école secondaire le projet qu’ils ont développé. L’orga-nisation actuelle des stages rend en effet impossible cette étape de la démarche, et ceci d’autant plus que les projets construits par les futurs enseignants dans le cadre du sémi-naire sont généralement assez ambi-tieux. Une solution possible serait peut-être alors justement de proposer des projets plus « cadrés », entremê-lant seulement deux voire trois disci-plines proches. Mais ce faisant, n’au-rait-on pas plus à perdre qu’à gagner ? Le caractère fictif de l’approche offre également des avantages et permet justement quelque peu de « rêver »… « Rêver » par exemple que des ensei-gnants qui ne se connaissent pas, qui proviennent de disciplines à priori fort éloignées, qui ont parfois des appré-hensions quant au regard que portent leurs condisciples sur leur propre discipline, qui n’ont pas l’habitude de travailler en groupe et qui pensent parfois que c’est impossible… arrivent justement à réaliser un travail pertinent et dont en fin de compte ils sont fiers. Plusieurs commentaires des futurs enseignants montrent en effet que l’expérience interdisciplinaire qu’ils ont vécue a porté ses fruits. De nombreux témoignages illustrent une compréhension de la valeur qu’un tel projet peut avoir pour les élèves, mais aussi plusieurs bienfaits au niveau du développement des colla-borations entre enseignants. C’est sur ce dernier aspect que nous mettrons l’accent ici, en proposant quelques extraits de témoignages rédigés par de futurs enseignants (provenant de disciplines diversifiées) au terme du processus interdisciplinaire qu’ils ont eux-mêmes vécu.

En collaborant avec des collègues, les cours bénéficient d’une nouvelle fraîcheur, d’une nouvelle richesse car un autre regard est posé sur eux et le professeur est amené à se poser la question du « pourquoi étudier

cela avec mes élèves ? » (étudiant en romanes)(5).

Je tiens à dire que je n’étais aupara-vant jamais enthousiaste à l’idée de faire un travail de groupe ; qui dit travail de groupe dit bien souvent désaccords, non-motivation ou non-investissement de certains. Dans ce cas précis d’interdisciplinarité, j’ai découvert autre chose, à savoir un soutien et un élan mutuel envers un même objectif : créer un projet inté-ressant et enthousiasmant POUR nos élèves. Dans ce dispositif, il ne s’agissait pas de vanter nos disci-plines respectives mais de penser avant tout à l’enrichissement et l’épanouissement des élèves. Cette priorité nous a donc inévitablement obligés à nous écouter les uns les autres, à nous entraider et à fusionner nos compétences dans les différentes étapes du projet (étudiant en langues germaniques).

En collaborant avec des enseignants exerçant des matières différentes, nous sommes poussés dans notre créativité afin de construire des acti-vités qui allient intérêt des élèves, adéquation avec les contenus du programme et cohérence globale entre les multiples disciplines. En comparant nos méthodes pédago-giques avec les collègues, celles-ci sont remises en question, car le projet place l’élève au centre du processus : de sa conception, sa construction à sa réalisation. L’échange entre ensei-gnants est alors enrichissant afin d’apprendre de nouvelles techniques d’enseignants (étudiant en commu-nication).

Les savoirs transmis par les histo-riens de l’art, souvent confondus avec ceux véhiculés par les plas-ticiens, sont parfois mal consi-dérés (…) Or, dans mon équipe, ma discipline ne fut jamais consi-dérée comme un parent pauvre et fut, au contraire, mise en valeur et employée de manière efficace afin de répondre à la problématique que nous étions imposés (étudiant en histoire de l’art).

Les Séminaires d’approche interdisciplinaire

47CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Il est important que tout enseignant (…) garde en tête qu’une équipe d’enseignant doit être unie et doit pouvoir collaborer. Nous n’exécu-tons pas notre travail seul, mais en équipe. Celle-ci ne se limite bien évidemment pas aux collègues de la même discipline, ce qui est malheureusement observé ! Cette équipe unie doit aider à faire jaillir de nouvelles idées, de nouveaux moyens pour offrir aux élèves la possibilité de faire des liens entre les cours et tisser un apprentis-sage clair et structuré dans la tête de chaque jeune se trouvant face à nous (étudiant en sciences de la motricité).Je pense en toute honnêteté qu’il n’est pas facile de mettre en place un tel projet (…) Le professeur doit laisser pour un temps le programme rigide à suivre (…) Il doit accepter de ne plus être le seul « à bord » puisqu’il va travailler en interaction avec ses collègues (…) La mise en place de cette structure (…) permet de rencontrer des professeurs d’autres disciplines alors que l’on aurait tendance à rester enfermer sans sa discipline (étudiant en chimie).

Plusieurs futurs enseignants esti-ment également que la valeur d’une approche interdisciplinaire ne fait pas le poids face au fameux impératif de « boucler le programme ». Le témoi-gnage suivant l’illustre très claire-ment.

Je dois avouer qu’autant je trouve le principe d’interdisciplinarité très enrichissant aussi bien pour les professeurs que pour les élèves, autant je pense que cela serait très compliqué à mettre en place dans la vie scolaire réelle. (…) Je sais que les programmes des cours d’His-toire sont très cadenassés et je vois mal comment trouver un thème qui pourrait convenir à tout le monde tout en respectant une adéquation avec le programme, d’autant plus qu’il faudrait « perdre » des heures de cours afin de réaliser ce projet, et qu’en histoire, chaque heure de

cours est précieuse pour ne pas être en retard avec ce dit programme (étudiant en histoire).

Comme le résume brouillette (2004) : « alors que la pédagogie inter-disciplinaire devrait être vue comme un moyen de consolider les apprentis-sages dans un contexte authentique, certains enseignants craignent de manquer de temps pour couvrir leur contenu disciplinaire » (pp. 64-65). Il n’est en effet pas aisé de sortir de la logique disciplinaire cloisonnée qui prévaut depuis fort longtemps dans l’enseignement secondaire. Pourtant, le travail interdisciplinaire ne néglige pas les savoirs disciplinaires : l’élève doit d’autant mieux les maîtriser pour être capable de tisser des liens entre eux en vue de construire une repré-sentation intégrée de la problématique étudiée. C’est une éternelle question en pédagogie lorsque l’on propose des méthodes dans lesquelles les élèves prennent une part plus active dans leurs apprentissages : est-ce une perte de temps ou ce temps « perdu » est-il un gain réel pour la signification des savoirs construits, pour les compé-tences développées et pour les valeurs et attitudes questionnées ?

L’interdisciplinarité vise à construire des apprentissages au travers d’une démarche signifiante permettant « d’aborder les problèmes ou les situations à traiter comme ils se présentent dans le quotidien, c’est-à-dire dans toute leur complexité et leur authenticité » (brouillette, 2004, p. 81). Faut-il absolument « boucler le programme » au risque d’empiler dans la tête des élèves un ensemble de « savoirs morts », peu mobilisables et peu utilisables en dehors des bancs de l’école ? Ne serait-il pas au contraire profitable de prendre parfois le temps (parce que nous ne défendons pas de travailler de la sorte tout au long de l’année), de tenter de telles expé-riences ?

Nous nourrissons l’espoir que les séminaires d’approche interdiscipli-naire parviendront à motiver quelques enseignants à se lancer dans une telle

aventure ou, à tout le moins, à recher-cher les occasions de collaboration avec leurs collègues dans l’objectif de conduire les élèves vers des appren-tissages qui prennent du sens et qui les préparent « à être des citoyens responsables, capables de contri-buer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures » (pour reprendre un des objectifs du Décret « Missions »).

En fin de séminaire, les futurs ensei-gnants sont invités à remplir anonyme-ment un questionnaire de satisfaction par rapport au dispositif mis en place et à proposer des pistes pour améliorer le dispositif. En plus de leur rapport de groupe, ils doivent aussi rédiger une fiche réflexive individuelle faisant preuve d’un recul critique sur l’inter-disciplinarité (les témoignages repris ci-dessus sont extraits de ces fiches). En 2010-2011, c’était la première fois que les auteures du présent texte orga-nisaient le séminaire en s’appuyant sur le dispositif mis en place précé-demment par Nicolas leclercq et par Christine Partoune. En 2011-2012, le dispositif a déjà subi quelques modifications et il sera probable-ment amené à subir ultérieurement de nouveaux développements, sur la base des témoignages des étudiants mais aussi d’un processus de régu-lation méthodologique constant des formateurs. Pour l’an prochain, nous envisageons notamment de présenter aux étudiants des appels à projet auxquels les enseignants du secon-daire supérieur peuvent répondre en équipe. Cela permettra de concrétiser davantage le processus et d’engager les étudiants dans une réflexion qui pourrait prendre plus de sens à leurs yeux pour leur pratique future.

Notes

(1) Langues romanes, langues clas-siques, philosophie, histoire, histoire de l’art et esthétique, langues germa-niques, information et communi-cation, sciences mathématiques, sciences physiques, sciences

Les Séminaires d’approche interdisciplinaire

48CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

chimiques, sciences biologiques, sciences géographiques, sciences économiques, sciences sociales, éducation physique, santé, psycho-logie et sciences de l’éducation.(2) Le descriptif qui suit s’appuie sur le dispositif didactique mis en place par Nicolas Leclercq (et précédemment par Christine Partoune) et tente de le présenter en parallèle avec les étapes centrales de la démarche décrite par duFour et al. (2002). (3) Pour rappel, ces objectifs généraux de l’enseignement sont : (a) promou-voir la confiance en soi et le dévelop-pement de la personne de chacun des élèves; (b) amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle; (c) préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, soli-daire, pluraliste et ouverte aux autres cultures; (d) assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.(4) La formulation de la problématique est une étape complexe. Les étudiants pourront y revenir tout au long du processus en vue de la préciser, de

l’affiner, de la rendre plus concrète, plus accessible ou plus motivante aux yeux des élèves.(5) Ces témoignages sont reproduits sans avoir subi de modification.

Bibliographie

brouillette, N., (2004). Interdiscipli-narité, transdisciplinarité et enseigne-ment stratégique. In A. Pressiau (Ed.), Intégrer l’enseignement stratégique dans sa classe. Montréal : Chenelière Education.caSSie, J.r. & haché, D. (1998). L’utilisation d’une heuristique curri-culaire pour créer un apprentissage adapté à la vie. Revue des Sciences de l’Education, 24(1), 75-93.Fourez, G. (1998). Se représenter et mettre en œuvre l’interdisciplinarité à l’école. Revue des Sciences de l’Edu-cation, 24(1), 31-50.klein, J. T. (1998). L’éducation primaire, secondaire et postsecon-daire aux États-Unis : vers l’unifica-tion du discours sur l’interdisciplina-rité. Revue des Sciences de l’Educa-tion, 24(1), 51-74.lenoir, y. & SauVé, L. (1998a). De l’interdisciplinarité scolaire à l’inter-disciplinarité dans la formation à l’en-seignement : un état de la question. 1 - Nécessité de l’interdisciplinarité et

rappel historique. Revue Française de Pédagogie, 124, 121-153.

lenoir, y. & SauVé, L. (1998b). De l’interdisciplinarité scolaire à l’inter-disciplinarité dans la formation à l’en-seignement· : un état de la question. 2 - Interdisciplinarité scolaire et forma-tion interdisciplinaire à l’enseigne-ment. Revue Française de Pédagogie, 125, 109-146.

lenoir, y. & SauVé, L. (1998c). Intro-duction. L’interdisciplinarité et la formation à l’enseignement primaire et secondaire : quelle interdisciplina-rité pour quelle formation? Revue des Sciences de l’Education, 24(1), 3-29.

mainGain, a., duFour, b. & Fourez, G. (2002). Approches didactiques de l’interdisciplinarité. Bruxelles : De Boeck.

rey, b., carette, V., deFrance, A. & kahn, S. (2006) (2e édition). Les compétences à l’école - Apprentissage et évaluation. Bruxelles : De Boeck.

welcomme, l., romainVille, m. & deVoS, P. (2006). Les cartes concep-tuelles. Réseau (revue au service de l’enseignement universitaire, 60, Service de Pédagogie Universitaire, FUNDP.

Les Séminaires d’approche interdisciplinaire

49CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Jocelyne Robert, chargée de courshEc - école de gestion de l’Université de Liège

L’EtUdE dES SitUatioNS SColairES diFFiCilES. dE la NECESSitE d’UNE aPProCHE tHEoriqUE MUltiPlE

L’étude des situations scolaires difficiles

De la diversité des représentations

Si les situations de violence (sans nécessairement préciser dans un pre-mier temps de quel type de violence il s’agit) sont évoquées à plusieurs re-prises, de nombreuses autres situations sont associées aux situations scolaires difficiles : le manque de respect, les conflits, le sentiment d’impuissance, de fatigue, de stress ou encore le pro-blème de l’autorité, les difficultés de communication, les cris, la colère, les chambards, la drogue, les absences, le manque de motivation et bien d’autres encore. Une étude plus poussée de la violence souligne l’existence de vio-lences physiques, verbales, morales et psychologiques.

Les représentations (ensembles d’opi-nions, d’attitudes, de comportements) que les jeunes enseignants mettent en évidence varient selon leur passé, leur expérience dans l’enseignement, leur statut d’élève, de stagiaire, d’intéri-maire, de temporaire ou de définitif. Elles sont également influencées par le contexte social, les médias. Certains enseignants se disent non concernés, ils déclarent que ces situations ne sont pas pour eux, qu’ils n’envisagent pas de donner cours dans certains éta-blissements, dans certaines filières privilégiant par exemple la formation d’adultes ou les filières générales, fei-gnant d’ignorer que là aussi ils pour-ront éventuellement se trouver face à des situations difficiles.

Qu’il s’agisse d’un événement impré-visible dans la classe ou du résultat d’une dégradation progressive, cha-cune des situations scolaires difficiles évoquées est spécifique, unique. Les situations scolaires difficiles varient selon les établissements, les direc-tions, la situation socio-économique et culturelle de l’élève, le passé de l’en-seignant, les évènements précédant le cours ou encore la relation établie auparavant entre les élèves et l’ensei-gnant, entre les élèves eux-mêmes, le mode de gestion des interactions dans la classe, le type de cours et bien d’autres éléments encore.

La perception de la situation variera d’un enseignant à l’autre. Les faits associés à ces situations sont multiples : de l’élève qui mange en classe à celui qui envoie un coup de poing à son voisin, accrochant éventuellement au passage l’enseignant. Chaque situation est unique.

Nous aurions parfois tendance à dire de ces évènements qu’ils n’en sont plus, qu’il en va ainsi de la vie quotidienne en classe, que ces situations sont banales, voire habituelles. Cela est sans doute vrai pour certaines d’entre elles comme, par exemple, les bruits de fond, l’utilisation de certaines expressions langagières, la manière d’exprimer l’une ou l’autre revendication. Reconnaitre cela nous amènerait à oublier que ces situations perturbent le cours normal de l’enseignement et du processus d’apprentissage, que

certaines de ces situations, plus ou moins fréquentes selon les contextes, doivent être l’objet d’une grande attention étant donné leur intensité et les conséquences importantes qu’elles entrainent pour les enseignants, pour les élèves et à moyen voire à long terme pour notre société toute entière. La gestion de ces situations et de leurs conséquences demande dès lors une attention de tous les instants, la mobilisation de ressources spécifiques, une formation accrue.

Mobiliser plusieurs théories

Le poids des déterminismes alourdit le climat de la classe. Oppressant, il est à même de ralentir la mise en œuvre des innovations, de diminuer l’impact des initiatives prises en vue de réduire l’échec scolaire, le redoublement, l’exclusion du système scolaire, le décrochage. Le déterminisme avance masqué, se cache dans les interstices, les moindres recoins d’un parcours qui se voudrait sans faille, rationnellement performant, comme tente de le montrer l’extrait suivant(1) :

Tout était pourtant bien préparé quand je suis entrée dans la classe : le contexte significatif, le plan de leçon, la méthodologie, les exercices. Le bonjour enjoué, le pas décidé, le regard circulaire, autant d’indices d’une journée qui commençait bien, sans problème à l’horizon. Et pourtant, très vite, je cru percevoir, dans les yeux de

50CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

mes élèves comme une lassitude, une fatigue, voire pour certains le regard absent tourné vers la fenêtre ou lisant un message venu d’ailleurs sur le GSM que je devais, selon le règlement, confisquer. À ma première question, il n’y eut guère de réaction : des regards interrogateurs, une réponse approximative. Je décidai alors de reformuler la question, d’évoquer la séance où nous avions étudié ce point précis, de rappeler l’exercice. Deux, trois têtes se tournèrent vers moi, deux, trois regards où se lisait l’espoir de grandes découvertes. J’obtins enfin la réponse tant attendue. Je voulais progresser avec la classe, lancer un débat, demander de prendre une distance critique, j’étais persuadée que c’était possible. Je me décidai à poser une seconde question. La moitié de la classe me regarda. C’était gagné. Très vite, je du déchanter car le silence s’installa, pesant et long, très long… Je décidai de passer à un autre point de la leçon.

Cette description montre bien à quel point une scène de la vie quotidienne en classe peut mettre en évidence un écart entre ce qui est attendu et ce qui se réalise, une distance entre les attentes de l’enseignant et la réponse des élèves. C’est un peu comme si la volonté de réussir rencontrait une opposition la plupart du temps inconsciente, comme si tout effort de progression était vain. Au-delà des meilleures intentions, le déterminisme joue son rôle. Dans leur manière d’être, de réagir, de se tenir, de poser des questions et d’y répondre, les acteurs reproduisent inconsciemment des modèles appris précédemment. Et si communiquer sur ce qui se passe permettait de résoudre le problème ? Oui mais comment communiquer sur un problème qui aux yeux des élèves n’existe pas, si ces derniers

considèrent qu’en somme tout est normal et même dans l’ensemble plutôt positif, s’ils estiment plus exactement que tout se passe comme cela doit se passer ?

Pour qu’une interaction se déroule de manière attendue par les diverses parties en présence, il importe que celles-ci aient de la situation dans laquelle cette interaction a lieu une définition, sinon identique, du moins commune (ce qui peut faire l’objet d’une négociation préalable). Bien entendu, rien n’empêche l’un ou l’autre des partenaires, en cours d’interaction, de ne plus tenir compte de cette définition partagée. On aura alors affaire à une tentative de coup de force, laquelle peut ou non aboutir (JaVeau, 2011, pp. 58-59).

Il s’agit de distinguer les bonnes manières de faire, de comprendre, de réagir, en utilisant les bons codes, de celles qui, à l’inverse, sont rejetées par le système, sont des manières de faire « à l’envers », celles que l’on appelle des dysfonctionnements. Les rationalités diffèrent, les logiques aussi. Comportements appris précédemment et reproduits à mauvais escient. Cris, hurlements, dans un monde policé, organisé, minuté.

Et si le déterminisme ne suffisait pas à expliquer la situation. Si, au-delà de l’héritage social, de l’éducation, de tout le bagage avec lequel nous abordons les situations, autre chose se passait, nous amenant à réagir différemment. Le professeur devient chercheur, inventeur. Il faut inverser le cours des choses, trouver les mots justes, convaincre.

Ennuyé de ne pas donner la bonne réponse aux questions que le professeur lui posait lors de chaque leçon, ne sachant pas comment, ni pourquoi, expliquer au professeur qu’il n’avait pas compris la matière,

Alain décida que tout ce cirque devait cesser. Il lança son cahier par terre, se leva et quitta la classe. Le professeur lui demanda de revenir, qu’ils allaient trouver ensemble une solution, revoir les points difficiles, qu’il devait être possible de rattraper le retard.

Le poids des structures sociales sans doute, mais aussi celui des habitus, si bien décrits par Bourdieu, accompagnent le moindre de nos mouvements, de nos actes, de nos prises de parole. Et pourtant, l’utilisation des ressources dont chacun dispose, la magie des interactions quotidiennes font de la classe ici et maintenant un lieu unique, précieux.

La prof d’anglais était géniale. Elle était sympa, elle donnait plein d’exemples, elle nous faisait travailler. On a fait une bande dessinée, on s’est bien marré et on a appris plein de choses.

Fred intervenait tout le temps pendant le cours. Il posait des questions, avait un avis sur tout et monopolisait l’attention. Si d’autres élèves intervenaient, parfois, il laissait faire, approuvait l’intervention. À d’autres moments, il montait sur ses grands chevaux, ripostait, insultait. Il était suivi par deux, trois autres élèves qui riaient de voir s’installer une tournure des événements imprévue.

Dans le premier extrait, le professeur suscite l’apprentissage, prend des initiatives, agit, interagit, éveille la curiosité, dynamise la classe. Elle contribue à transformer des micro-situations potentielles d’incivilité, voire à moyen terme de violences. Dans le second extrait, Fred est un leader pour son groupe, il perturbe, il modifie le fonctionnement de la classe, il suscite l’intérêt. Ici, c’est lui qui modifie le cours des choses.

L’étude des situations scolaires difficiles

51CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Nous pourrions également analyser ces extraits en référence à Goffman et à la « mise en scène de la vie quotidienne ». Les règles de vie dans la classe apparaissent.

Avec GoFFman, nous explorons l’aspect existentiel de la vie sociale (…) la vie sociale consiste en un enchaînement de « petits rituels » qui sauvegardent un degré de confiance et d’ordre, une certaine protection du moi (…). On peut même parler de micro-rituels, de ces petits gestes ou paroles qui se reproduisent tout au long de la journée et au jour le jour et qui contribuent de manière insigne, chez tout un chacun à la gestion du temps (JaVeau, 2011, pp. 72-73).

Les règles de la classe vont parfois à l’encontre de l’ordre établi. Ces perturbations mettent davantage encore en évidence les règles reconnues, légitimées. Nous pouvons aussi voir à l’œuvre des tactiques, voire sur le long terme une stratégie.

Lieu de déterminismes, d’actions et d’interactions où chacun définit des situations, joue son rôle, la classe se révèle être un lieu de vie d’une grande complexité. Il s’agit d’un système construit à partir de micro-systèmes auxquels chaque communication interpersonnelle participe. La classe est également un système inséré dans le système plus vaste qu’est l’école. L’école est elle-même en interaction quotidienne avec son environnement. Il est d’ailleurs intéressant de définir les limites de l’école et d’identifier les acteurs internes et externes pour voir que ces limites ne sont pas toujours précises. La définition de ces acteurs permet d’identifier des micro-mondes dans lesquels les enseignants évoluent. Il s’agit de lieux de contrôle, ou de liberté, où les enseignants, les directions et les membres de l’inspection se côtoient,

d’espaces de rencontres avec les parents, de lieux de collaboration et/ou de confrontation avec les collègues et avec les autres acteurs du monde scolaire. Il s’agit également d’espaces et lieux multiples en relation avec la société et l’environnement dans lequel l’école s’insère (monde social, économique, politique).

Chaque système et sous-système tente de maintenir l’équilibre à l’intérieur du système et avec son environnement. Cela ne signifie pas l’absence de perturbations. Au contraire, ces perturbations de faible ou de moyenne intensité renforcent le système, mais aussi contribuent à le faire évoluer.

Devenir enseignant

Le nombre important d’enseignants qui quittent l’enseignement ou se détournent de l’enseignement secondaire pour œuvrer à un autre niveau et ce après quelques années seulement, pose question. Certes le métier est difficile et contraignant, certes l’expérience, si enrichissante soit-elle, n’apporte pas entière satisfaction en termes de rétributions. Et l’on voit ainsi des agrégés quitter le camp alors que d’autres, venant du privé, sans formation particulière, reprennent le flambeau. Et l’on assiste, à côté d’un nombre non négligeable de véritables passionnés, noyau dur du système, à une sorte de chassé-croisé entre ceux qui vont et ceux qui viennent, ceux qui décident de tourner la page et ceux qui entrent dans un système qu’ils découvrent progressivement.

Dans une société où tout doit aller vite, où la concurrence est exacerbée, on oublie l’importance de l’école comme lieu de socialisation, comme lieu ― oserais-je le mot ? ― d’enfermement, comme lieu d’apprentissage. Or,

les modes de socialisation se sont diversifiés, les modes de socialisation ont changé, les lieux d’enfermement sont devenus virtuels, les lieux et modes d’apprentissage se sont démultipliés. A côté de l’école ou à l’intérieur de celle-ci, différents lieux d’apprentissage évoluent en parallèle. Les propos du professeur sont comparés à ceux portant sur le même sujet que l’on peut trouver sur internet. Au réseau social de la classe se superposent les réseaux sociaux.

Le statut du professeur est comparé à celui d’autres professions, à celui des parents.

Et puis, en fin de course, il y a le statut de l’élève. Quel est-il ? L’élève se réfère à différentes normes de comportement, il suit les modes en vigueur dans son groupe, il change en fonction de la mode, de ses intérêts à court et à moyen terme, de ses coups de cœur.

Dans ces situations complexes, l’élève est susceptible d’adopter d’autres règles que les règles officielles de l’école : réussir sans étudier, s’étran-gler jusqu’à l’asphyxie, respirer de la colle, avoir un enfant. Chaque année voit une nouvelle mode se créer.

Il y a gros à parier que dès demain, l’enseignant redeviendra un pilier auquel se raccrocher dans un monde anomique, en crise et, pour certains, sans avenir. Car, dans un monde en changement permanent, le besoin de s’arrêter, de respirer et de penser, le besoin de rêves et de héros, le besoin de grandir et celui de comprendre son environnement, pour n’en citer que quelques-uns, resteront essentiels.

Notes

(1) Issus de travaux d’étudiants, ces extraits ont été reproduits sans aucune modification.

L’étude des situations scolaires difficiles

52CIFEN ● Centre interfacultaire de formation des enseignants ● Bulletin n°31 ● Avril 2012

Bibliographie

bourdieu, P. et PaSSeron, J-C. (1964). Les héritiers : les étudiants et la culture. Paris : Les Éditions de Minuit.

Bourdieu, P. et PaSSeron J-C (1970)., La reproduction : Éléments d’une théorie du système d’enseignement. Paris : Les Éditions de Minuit.

bourdieu, P. (1978). Classement, déclassement, reclassement. Actes de la recherche en sciences sociales, no 24.

bourdieu, P. (1979). La distinction : critique sociale du jugement. Paris : Les Éditions de Minuit.

bourdieu P. (1980). Le Sens pratique. Paris : Les Éditions de Minuit.

crozier, M. (1964). Le Phénomène bureaucratique. Paris : Le Seuil,

crozier, M. et FriedberG, E. (1977). L’Acteur et le système, Paris : Le Seuil.

GiddenS, A. (1987). La Constitution de la société : Éléments de la théorie de la structuration, Paris : Presses Universitaires de France.

GoFFman, E. (1973). La Mise en scène de la vie quotidienne. T.1 La Présentation de soi. Paris : Les Éditions de Minuit.

GoFFman, E. (1973). La Mise en

scène de la vie quotidienne. T.2 Les Relations en public. Paris : Les Éditions de Minuit.

GoFFman, E. (1979). Asiles – Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris : Les Éditions de Minuit.

JaVeau, Cl. (2011). Sociologie de la vie quotidienne. Paris : Presses universitaires de France.

watzlawick P., weakland J. et FiSh R. (1975). Changements : paradoxes et psychothérapie. Paris : Seuil.

watzlawick P., beaVin J.H. et JackSon D. (1972). Une logique de la communication. Paris : Seuil.

L’étude des situations scolaires difficiles