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Qui vive ? Le communisme !
« une question intimidante, une question que personne encore au monde nâa pu jamais laisser sans rĂ©ponse, jusquâĂ son
dernier souffle : Qui vive ?⊠» J. Gracq ***
« La fin de lâhistoire de lâĂ©goĂŻsme absolu marquera la dĂ©livrance vers le communisme, [⊠cet ] idĂ©al politico-social dâun organisme commun Ă tous dans lâavenir. » R. Wagner (1849-1871)
« Je pense toujours Ă lâavenir communiste. [âŠ] En un sens, je suis communiste. » G. M. Hopkins (1871) « Lâaffaire du communisme est le monde entier. [âŠ] Nous parlons au nom de lâhumanitĂ© toute entiĂšre, Ă©tant dâelle la partie
qui reprĂ©sente non pas ses intĂ©rĂȘts particuliers mais ceux de lâhumanitĂ© toute entiĂšre. » B. Brecht (1932) « Il a existĂ© des communes et des communistes de tout temps ; il en existera toujours. » J. Steinbeck (1936)
« Je suis communiste par sympathie et conviction. Je suis, de toute certitude, pour un communisme intelligent. » J. Agee (1939)
« Il mâintĂ©resserait de voir Ă©clore et sâĂ©panouir la variĂ©tĂ© africaine du communisme. Il nous proposerait sans doute des variantes utiles, prĂ©cieuses, originales de la doctrine. » A. CĂ©saire (1956)
« Je suis dâun village oubliĂ© dont les rues nâont plus de noms et tous les hommes, au champ et Ă la carriĂšre, aiment bien le communisme. » M. Darwich (1964)
« Commun, du lat. communis, adj., se dit de toute chose à laquelle chacun peut participer : exemple : la Commune de Paris » (Paris, 1971)
« Le communisme est le contraire exact dâune utopie, il est le vrai nom du rĂ©el comme impossible. » A. Badiou (2011) « âŻLe Communisme, Ă©videmment, il nây a jamais eu dâautre solution digne des Humains et voulue par eux. » F. Laruelle (2011)
« Si on veut ĂȘtre un intellectuel aujourdâhui, on ne peut pas ne pas ĂȘtre communiste. » B. Sobel (2011) « Je reprends Ă partir du mot âcommunisteâ. » J.-M. Gleize (2011)
Bulletin hebdomadaire sur lâactualitĂ© politique
diffusĂ© le dimanche soir (pour sâinscrire, Ă©crire à « egalite68 [at] numericable.fr » RĂ©daction : François Nicolas [ÆNi]
Numéro 22 : 5 février 2012
(fichier format pdf à télécharger : http://www.egalite68.fr/Qui-vive/22.pdf
Sommaire :
Maroc................................................................................................................................................................... 3 Suite des émeutes à Taza............................................................................................................................... 3 La question des intellectuels arabes⊠........................................................................................................ 3 Marrakech : La base arriÚre des nouveaux coloniaux enfin remise en question ?.............................. 4
Ăgypte .................................................................................................................................................................. 9 Les derniers Ă©vĂ©nements ............................................................................................................................... 9
Liban .................................................................................................................................................................. 10 « Le peuple veut la chute du régime confessionnel ! » ........................................................................... 10
France ................................................................................................................................................................ 13 Un enjeu sordide de lâagression contre la Libye⊠................................................................................. 13 La question des « classes moyennes » ....................................................................................................... 13
Rendre justice Ă ce dont « Yougoslavie » a Ă©tĂ© le nom ? (7)...................................................................... 18 Documentaires mis Ă la disposition des lecteurs du Qui-vive⊠............................................................ 18 Petite enquĂȘte sur le nom Azra ................................................................................................................... 18 DĂ©but dâune enquĂȘte sur le surrĂ©alisme serbe : un poĂšme.................................................................... 19
Petit rappel préliminaire ............................................................................................................................................19 Spécificité du surréalisme serbe ................................................................................................................................19 Turpitude, de Marko Ristic.........................................................................................................................................20
Marko Ristic (1902-1984)........................................................................................................................................... 20 Analyse du capitalisme.................................................................................................................................... 24
2 Les notes de Artus/Natixis .......................................................................................................................... 24
Divers ................................................................................................................................................................. 27 Sartre.............................................................................................................................................................. 27
Sommes-nous en dĂ©mocratie ? ...................................................................................................................................27 ActualitĂ© dâAlain Badiou ............................................................................................................................ 27
Florence Dupont (Le Monde) ....................................................................................................................................27 Monique Dixsaut (Marianne).....................................................................................................................................28 Robert Maggiori (Libération) ....................................................................................................................................29 Pierre Bance................................................................................................................................................................30 Claude Askolovitch (Le Point) ...................................................................................................................................38
3 MAROC
SUITE DES ĂMEUTES Ă TAZA
Il a déjà été question de la ville de Taza dans le Qui-vive n°18 (8 janvier) http://www.egalite68.fr/Qui-vive/18.htm
Poursuite ces jours-ci du mouvement : http://www.youtube.com/watch?v=TdEO3mj7jGA http://www.youtube.com/watch?v=ILmVrd59WTc
Ce que colĂšre veut dire : http://www.youtube.com/watch?v=7rUY-P3ByRk
Maroc : 150 blessĂ©s lors dâaffrontements, appel au calme du gouvernement
vendredi 3 fĂ©vrier 2012, par La RĂ©daction Environ cent cinquante personnes, des policiers et des civils, ont Ă©tĂ© blessĂ©es, vendredi 3 fĂ©vrier, lors dâaffrontements Ă Taza, une ville situĂ©e dans une rĂ©gion pauvre du Maroc, en proie Ă des accĂšs sporadiques de violences. Plusieurs journaux marocains ont fait Ă©tat de ces affrontements entre la population et les forces de lâordre, souvent violents, qui ont commencĂ© mercredi, sur fond de problĂšmes sociaux et de chĂŽmage des jeunes. Ces journaux montraient en âuneâ des photos de vĂ©hicules incendiĂ©s et dâĂ©difices publics endommagĂ©s. Le gouvernement tente de calmer le jeu, alors que la tension restait assez vive dans cette localitĂ©. âOn sâachemine vers un contrĂŽle de la situation. Les autoritĂ©s sont concernĂ©es par le maintien de lâordre et la prise en considĂ©ration des revendications lĂ©gitimes de la populationâ, a ainsi dĂ©clarĂ© vendredi le porte-parole et ministre de la communication, Mustapha Khelfi. âLe dialogue est lâunique moyen pour rĂ©soudre ces problĂšmes. Autant le droit de manifester pacifiquement est garanti, autant le respect des Ă©difices publics doit ĂȘtre assurĂ©â, a ajoutĂ© M. Khelfi. Le nouveau gouvernement, qui a officiellement Ă©tĂ© investi par le Parlement la semaine derniĂšre, est confrontĂ© Ă une situation sociale difficile dans un pays de 33 millions dâhabitants. (03 fĂ©vrier 2012 - Avec les agences de presse)
LA QUESTION DES INTELLECTUELS ARABESâŠ
Ouverture dâune intĂ©ressante question sur les intellectuels arabes par lâorganisation (marxiste-lĂ©niniste marocaine) La voix dĂ©mocratique
http://www.annahjaddimocrati.org/index.php/en/accueil/77-fr/527-ali-15
"L'accĂšs Ă la culture: un enjeu politique.Car l'Ă©ducation est l'arme la plus puissante que vous pouvez utilser pour changer le monde" MANDELA
Que les intellectuels osent... Les forces conservatrices l'ont bien compris, c'est pourquoi elles font tout pour inculquer aux futures gĂ©nĂ©rations une culture abrutissante, une culture d'assujettissement, une culture du fatalisme, une culture obscurantiste, une culture a-historique... elles apprennent Ă nos enfants Ă "penser" avec les moyens d'il y a des siĂšcles, Ă Ă©viter le questionnement, le raisonnement, l'innovation, Ă ne regarder que par le rĂ©troviseur, Ă n'exister que grĂące Ă un passĂ© (lui-mĂȘme dĂ©formĂ© par le rĂ©troviseur en mauvais Ă©tat), c'est pourquoi, si on continue ainsi, nous resterons toujours dans la mĂ©diocritĂ©, dans "l'impasse" de l'Histoire, attendant une remorque qui ne pourra en aucun cas venir du ciel, mais des "impies". La stĂ©rilitĂ© ou la fĂ©conditĂ© des sociĂ©tĂ©s est le fruit de leur dĂ©veloppement culturel, de la qualitĂ© de leur savoir, du contenu scientifique de l'enseignement dispensĂ©, de la libertĂ© d'expression, de la libertĂ© de croyance... L'une des causes des trĂ©buchements des forces progressistes marocaines c'est qu'elles ne sont progressistes qu'en politique. Elles sont conservatrices en thĂ©orie, en idĂ©ologie, en culture, en pratiques sociales, en relations humaines. Sous prĂ©texte de ne pas "choquer la sociĂ©tĂ©", de respect de "nos valeurs", de " notre spĂ©cificitĂ©", les politicards et surtout nos "intellectuels", nos "artistes"...se comportent objectivement en avocats de la mĂ©diocritĂ©, de l'immobilisme, du conservatisme.
4 La révolution française de 1789 s'était faite dans le bouillonnement politique-culturel ( déclenché des années avant par Diderot, Voltaire, Rousseau...qui avaient osé remettre en cause tout l'édifice en place et sous tous ses aspects. Un "Jacques le fataliste" de Diderot avait certainement joué un rÎle aussi important, sinon plus que, des dizaines de discours politiques enflammés). La révolution bolchevique de 1917, est l'aboutissement d'une lutte de classes non seulement politique, mais aussi idéologique, l'aboutissement d'un épanouissement culturel (nonobstant sa couleur de classe sociale): Tolstoï avec "la guerre et la paix", "Anna Karinine"..., Dostoïevski avec "l'idiot", "les frÚres Karamazov"...Tchekhov, Gogol, Pouchkine, maxime Gorki ("la mÚre" a joué un rÎle dans le processus révolutionnaires plus important que beaucoup de dissertations enflammées de certains politicard d'alors)... Au Maroc d'aujourd'hui, avec le mouvement du 20 février, mouvement essentiellement politique, mouvement dirigé avec raison contre la tyrannie monarchique, les militants progressistes ne doivent en aucun rester cantonnés dans les luttes politiques (teintées de luttes syndicales et sociales), ils doivent s'attaquer au carcan idéologique, à l'édifice culturel...la lutte pour la laïcité, pour les droits de la femme, pour Tamazight, pour le droit de croyance...est incontournable pour édifier un autre Maroc. Les intellectuels doivent oser REMETTRE TOUT EN CAUSE, sinon ils resteront toujours esclaves du conservatisme. Chercher la considération du peuple et non celle des tyrans. Soyez le miroir de la société dans sa complexité et non une petite "glace" ayant pour rÎle l'embellissement artificiel des visage hideux des bourreaux Ali Fkir (5 février 2012)
MARRAKECH : LA BASE ARRIĂRE DES NOUVEAUX COLONIAUX ENFIN REMISE EN QUESTION ?
Certes, rien de bon Ă attendre dâun tel livre Ă scandales, mais lâattention dĂ©sormais portĂ©e sur Marrakech, base arriĂšre de BHL et alii, doit ĂȘtre remarquĂ©e. Ci-suit des extraits de ce livre publiĂ©s sur un site marocainâŠ
Marrakech. Des scandales et des hommes http://www.telquel-online.com/507/couverture_507.shtml
âParis Marrakech : luxe, pouvoir et rĂ©seauxâ (Ă©d. Calmann-lĂ©vy) des journalistes Jean-Pierre Tuquoi et Ali Amar, qui sort cette semaine en France, revient sur les liens qui relient le royaume Ă son ancien pays colonisateur, en mettant lâaccent sur la nature trĂšs âfrançaiseâ de la ville ocre, avec en toile de fond complots politiques, arrangements Ă©conomiques⊠et coulisses people. Dans le souci de rapprocher ses lecteurs dâun livre qui risque de faire des vagues, au Maroc et en France, TelQuel en publie de larges extraits en avant-premiĂšre.
* LâhĂŽtel du roi Ă Marrakech, le summum, câest le Royal Mansour, dans le quartier huppĂ© de lâHivernage, un palace plus discret que la Mamounia et le seul, au fond, qui sait faire la diffĂ©rence entre un millionnaire et un milliardaire. Pour ce rĂ©veillon 2010, CĂ©cilia Ciganer-Albeniz et son nouveau mari, Richard Attias, sont descendus au Royal Mansour. Le couple est lâinvitĂ© de Mohammed VI. CĂ©cilia et Richard Attias ne sont pas des intimes du monarque, mais des âamisâ du Maroc. Ils sont logĂ©s aux frais de la monarchie dans le âriad dâhonneurâ, le plus luxueux des cinquante-trois riads qui composent le Royal Mansour : quatre chambres qui donnent sur des jardins, pas moins de deux piscines, un spa, une salle de fitness et en sous-sol un cinĂ©ma. Le cadeau est royal : la nuit au riad dâhonneur est facturĂ©e 34 000 euros. Un tarif trĂšs thĂ©orique. En rĂ©alitĂ©, depuis lâouverture du Royal Mansour en 2010, le riad nâa jamais Ă©tĂ© louĂ© mais systĂ©matiquement offert. Le riad dâhonneur est rĂ©servĂ© aux amis de Mohammed VI et du Maroc. Il faut le prendre pour ce quâil est : un prĂ©sent royal, le tĂ©moignage baroque du bon plaisir du souverain. Demain lâIran ? Le Royal Mansour mĂ©rite que lâon sây attarde. ClassĂ© en 2011 parmi les hĂŽtels âles plus extraordinaires du mondeâ par le Conde Nast Traveler, la bible des voyageurs fortunĂ©s, il est dâune certaine façon le fruit dâun
5 rĂšglement de comptes posthume. Entre un fils et son pĂšre, entre deux rois, Mohammed VI et Hassan II. Ce dernier, Ă lâimage dâun sultan oriental, avait fait construire au fil de ses trente-huit annĂ©es de rĂšgne maints palais par ses architectes français fĂ©tiches, Michel Pinseau et AndrĂ© Paccard, sans compter les rĂ©sidences royales, les villas dâĂ©tĂ©, les villas dâhiver dans lesquelles il sĂ©journait au rythme des saisons et de son humeur, traĂźnant derriĂšre lui un harem et une armĂ©e de serviteurs. Mohammed VI sâest dĂ©tachĂ© de ce patrimoine immobilier. Le nouveau monarque entend lui aussi ĂȘtre un bĂątisseur comme son pĂšre. Il veut avoir ses propres palais et, dans le mĂȘme temps, Ă coups de millions, transformer en hĂŽtels de luxe certains des biens dont il a hĂ©ritĂ©. Le Royal Mansour est le premier palace griffĂ© Mohammed VI. Combien a coĂ»tĂ© cette folie condamnĂ©e Ă nâĂȘtre jamais rentable ? Le chiffre tient du secret dâEtat. Le Royal Mansour appartient donc Ă Mohammed VI ou, plus prĂ©cisĂ©ment, Ă Siger â le holding oĂč est investi lâessentiel de sa fortune â Ă travers une kyrielle de filiales. Peut-ĂȘtre dans la perspective de dĂ©cliner le Royal Mansour comme une marque, Siger a dâailleurs dĂ©posĂ© le nom dans tous les pays dâEurope, aux Etats-Unis⊠et mĂȘme dans lâIran des mollahs. Sexe, orgies et pĂ©dophilie Depuis 2005, les bas-fonds de Marrakech mais aussi les riads repliĂ©s sur eux-mĂȘmes, les palaces Ă©toilĂ©s, les bars branchĂ©s, les night-clubs baroques, les restos chics, les rĂ©sidences tapageuses et les villas cossues avec leurs vigiles sourcilleux ont supplantĂ© Bangkok, longtemps destination phare du tourisme sexuel. Aujourdâhui, la capitale thaĂŻlandaise est moins attirante. Trop Ă©loignĂ©e de lâEurope. Trop exposĂ©e aux tsunamis. Et trop turbulente du point de vue politique. A Marrakech la paisible, quel que soit le lieu de sortie, le sexe tarifiĂ© est omniprĂ©sent et les prix aussi variĂ©s que les prestations. Tarif de la soirĂ©e pour une âambianceuseâ croisĂ©e dans un endroit Ă la mode dans le quartier huppĂ© de lâHivernage : environ 200 euros. Au total, elles seraient Ă Kech plus de 20 000, ĂągĂ©es de 16 Ă 30 ans, Ă offrir leurs services avec lâespoir de gagner jusquâĂ 15 000 euros par mois pour les plus sollicitĂ©es. La passe furtive, elle, se nĂ©gocie aux alentours de 10 euros dans les bosquets attenants au minaret de la Koutoubia. Tarifs identiques dans les jardins du centre-ville et sur Djemaâa el-Fna, rebaptisĂ©e âle souk des pĂ©dĂ©sâ par les Marrakchis. Ne dit-on pas sur les sites des tours opĂ©rateurs que la sulfureuse Kech est la troisiĂšme destination âgay friendlyâ du monde ? Un riche septuagĂ©naire suisse, ancien dandy homosexuel, raconte au journaliste de passage les folles histoires quâil a vĂ©cues durant des annĂ©es Ă Marrakech. Comme celle de ce dĂźner privĂ© offert par un styliste parisien dans lâun des restaurants les plus courus de la mĂ©dina oĂč un adolescent nu, portĂ© sur un palanquin, a Ă©tĂ© offert aux convives en guise de dessert. âCâĂ©tait comme dans un film de Pasoliniâ, se rappelle-t-il. Et dâajouter : âJâai des amis, des connaissances qui vivent ici et qui sont des cĂ©lĂ©britĂ©s françaises de passage aussi que jâai souvent croisĂ©es en soirĂ©eâ. DSK et les âamisâ du Maroc Le nombre des thurifĂ©raires du royaume fait honneur au professionnalisme des Marocains, passĂ©s maĂźtres dans lâart de sâattacher des âamisâ bien mieux que ne le font leurs voisins algĂ©riens. Pas de recette unique dans leur approche. Les Marocains jouent sur plusieurs cordes. Lâattachement au pays natal en est une, quâils savent trĂšs sensible. Lorsque DSK lĂąche tout Ă trac : âCâest vrai que lâaide que reçoit le Maroc de la France est disproportionnĂ©e comparĂ©e aux autres pays. Il y a deux poids deux mesures. Mais câest bien de favoriser le Marocâ. Comment ne pas se souvenir que lâex-directeur du FMI a grandi dans le royaume. Ainsi que nombre de responsables français : Dominique de Villepin, natif de Rabat, la socialiste Elisabeth Guigou, nĂ©e et ayant grandi Ă Marrakech, tout comme Eric Besson, issu du Parti socialiste, aujourdâhui ralliĂ© Ă Nicolas Sarkozy. Les cadeaux petits ou grands sont une autre façon de sâattacher des fidĂ©litĂ©s. Une invitation, tous frais payĂ©s, Ă un festival de musique, Ă un colloque de haute volĂ©e, Ă lâinauguration dâun palace Ă Marrakech, un bout de terrain constructible, une dĂ©coration⊠rien de tel pour se faire des obligĂ©s français qui auront Ă cĆur de renvoyer lâascenseur. Hassan II a appliquĂ© la recette pendant des dĂ©cennies. Les mĆurs du Palais ont-elles tant changĂ© avec Mohammed VI ? Le dĂ©sintĂ©rĂȘt du roi pour la vie politique française, sa mĂ©connaissance profonde des acteurs qui lâaniment, lâindiffĂ©rence quâil tĂ©moigne pour les intellectuels et les journalistes, tout pourrait Ă premiĂšre vue laisser croire que lâachat des consciences nâa plus cours. En rĂ©alitĂ©, il nâen est rien. Si le roi est rarement en premiĂšre ligne, les conseillers qui gravitent autour de lui et tous ceux qui incarnent le Makhzen sont Ă la manĆuvre. Par leurs soins, les sĂ©jours tous frais payĂ©s dans les palaces de Marrakech ou dâailleurs, les invitations Ă des festivals culturels prestigieux, les voyages de presse en trompe-lâĆil continuent. Les âamis du Marocâ sont toujours choyĂ©s. Combien sont-ils, dâailleurs, les âamis du Marocâ ? Les recenser serait une tĂąche impossible tant la liste est longue, changeante et semĂ©e de zones dâombre.
6 Lâexception marocaine DĂ©but septembre 2011, pour la dix-neuviĂšme Ă©dition de la grand-messe des ambassadeurs de France rĂ©unis dans la grande salle des fĂȘtes de lâElysĂ©e, lâheure est Ă lâintrospection sur les rĂ©volutions arabes. Autour de petits fours et dâune coupe de champagne, les langues se dĂ©lient. Ambassadeur de France au Maroc, venu de la cellule Afrique de lâElysĂ©e, Bruno Joubert analyse en off la situation au Maroc avec ses confrĂšres du Maghreb et une poignĂ©e de journalistes qui diffuseront lâessentiel de son analyse. Si le royaume nâa pas Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© par la contestation sociale, celle-ci a plutĂŽt constituĂ© un atout pour le Palais, explique en substance le diplomate. âLe souverain, prĂ©cise Bruno Joubert, a trouvĂ© avec ce mouvement lâoutil qui lui a permis de balayer des obstacles qui le gĂȘnaient pour appliquer les rĂ©formes promises depuis des annĂ©esâ. Voici donc expliquĂ©e en une phrase la vision diplomatique de la France sur ce ânouveau Marocâ : Mohammed VI est favorable aux rĂ©formes mais il serait freinĂ© dans son Ă©lan par âdes partis qui ne semblent pas prĂȘts Ă entrer dans le jeuâ car, si cela ne tenait quâĂ lui, le roi âirait plus loin et plus viteâ. Aveuglement ? Mauvaise foi ? La diplomatie française est bien oublieuse : jusquâĂ lâĂ©tincelle tunisienne qui a bouleversĂ© le monde arabo-musulman, Mohammed VI nâa jamais marquĂ© son intention de rĂ©former la Constitution faisant de lui un roi qui rĂšgne et qui gouverne sans partage. De son cĂŽtĂ©, Paris nâa eu de cesse dâapprouver les discours de Mohammed VI oĂč il exaltait lâidĂ©e dâune âmonarchie exĂ©cutiveâ. Celle qui garantit au Palais la haute main sur les affaires de lâEtat. Les propos terribles dâYves Aubin de la MessuziĂšre, directeur pour lâAfrique du Nord au Quai dâOrsay, lorsquâen 2002 il lĂącha en petit comitĂ© que âle roi ne maĂźtrisait plus rienâ, le monarque comme pris en otage et isolĂ© par un cercle dâintrigants, ne sont manifestement plus dâactualitĂ© chez les diplomates français. Eldorado des entreprises françaises Pour les entreprises du CAC 40, le Maroc est un pays de cocagne, gĂ©nĂ©reux et peu exigeant. A condition de ne pas faire de lâombre au Palais, les bĂ©nĂ©fices y sont solides, les aides gĂ©nĂ©reuses et les parts de marchĂ© faciles Ă grignoter. Les groupes tricolores lâont compris. Presque tous ceux qui sont cotĂ©s Ă la Bourse de Paris se rĂ©vĂšlent solidement implantĂ©s dans le royaume. Certains ont pris pied au Maroc Ă la hussarde, profitant dâune aubaine, comme Vivendi, dont lâhistoire mĂ©rite dâĂȘtre contĂ©e. En 2000, le groupe français, dirigĂ© par Jean-Marie Messier, lâancien âmaĂźtre du mondeâ, avait raflĂ© 35% de lâopĂ©rateur de tĂ©lĂ©phonie marocain au cours dâune transaction hors normes. Trente-cinq pour cent de Maroc Telecom pour 2 milliards de dollars : lâEtat marocain faisait une bonne affaire. Il avait obtenu 10% de plus que la valeur estimĂ©e par les analystes financiers. Sauf que la âbonne affaireâ nâen Ă©tait pas vraiment une. La prime acquittĂ©e par Jean-Marie Messier cachait une contrepartie : lâEtat quoique lĂ©galement majoritaire cĂ©dait le contrĂŽle effectif de Maroc Telecom au nouveau venu. Officiellement, Vivendi Ă©tait un actionnaire minoritaire ; en pratique, câĂ©tait dĂ©sormais le seul maĂźtre Ă bord. La gestion quotidienne de Maroc Telecom et de sa trĂ©sorerie lui revenait. Pourquoi lâEtat avait-il abdiquĂ© sans le dire son statut dâactionnaire majoritaire ? Pour une histoire de gros sous : Rabat Ă©tait Ă court dâargent pour boucler le budget de lâEtat. La surprime versĂ©e par Vivendi avait pour seul objectif de boucher un trou dans les finances, de donner un peu dâair Ă Rabat. Confidentiel et destinĂ© Ă le demeurer, lâaccord ne fut rĂ©vĂ©lĂ© quâavec la dĂ©confiture de Vivendi Universal, lorsque les autoritĂ©s boursiĂšres dĂ©couvrirent un avenant secret au contrat de 2000. DatĂ© du 19 dĂ©cembre, soit la veille de la privatisation, un courrier de la direction financiĂšre de Vivendi expliquait que la manĆuvre allait permettre de consolider les rĂ©sultats de Maroc Telecom, donc de faire remonter dans les comptes de la maison mĂšre la totalitĂ© des bĂ©nĂ©fices de la filiale marocaine. On apprendra plus tard par Vivendi quâAndrĂ© Azoulay, le conseiller du roi pour les affaires Ă©conomiques, Ă©tait lâartisan, cĂŽtĂ© marocain, de ce marchĂ© de dupes dont le consommateur continue encore Ă faire des frais : malgrĂ© la concurrence, Maroc Telecom occupe toujours une position hĂ©gĂ©monique et pratique des tarifs parmi les plus Ă©levĂ©s du continent africain et du monde arabe. Le flop des rafale Ă Alger Le 10 mars 2006, le prĂ©sident russe en visite dans la capitale algĂ©rienne signe une lettre dâintention pour la fourniture dâune soixantaine de chasseurs. Vu de Rabat, câest lâĂ©quilibre des forces dans la rĂ©gion qui est menacĂ© par cette commande alors que les relations entre la monarchie marocaine et lâAlgĂ©rie des gĂ©nĂ©raux â deux rĂ©gimes aux antipodes â sont empoisonnĂ©es depuis des dĂ©cennies et se cristallisent sur le conflit du Sahara occidental. Mohammed VI va rĂ©agir comme nâimporte quel chef dâEtat qui voit son voisin rĂ©armer. Il va chercher Ă lâimiter. La flotte de lâarmĂ©e de lâair marocaine ne fait plus le poids ? Elle va ĂȘtre renforcĂ©e. Elle est vieillissante ? Elle va ĂȘtre modernisĂ©e.
7 PressĂ© de proposer une offre allĂ©chante aux Marocains qui marquent dâabord leur prĂ©fĂ©rence pour vingt-quatre Mirage 2000 (ceux âlĂ mĂȘmes quâavait vainement tentĂ© dâacquĂ©rir Hassan II auprĂšs de François Mitterrand puis de Jacques Chirac) lâElysĂ©e interroge Dassault. Un problĂšme se pose : lâarrĂȘt de la fabrication de ces appareils est programmĂ©. Lâentourage de Chirac recense les pays qui possĂšdent des Mirage 2000 et consulte les rĂ©seaux dâintermĂ©diaires qui grouillent parmi les marchands dâarmes : Rabat, passablement dĂ©sargentĂ©, nâest pas opposĂ© Ă lâidĂ©e dâacquĂ©rir des avions de seconde main. La France propose donc de racheter des appareils au Qatar, de les moderniser puis de les cĂ©der aux Marocains pour 1 milliard dâeuros. Mais lâopĂ©ration sâannonce peu rentable pour Paris, compliquĂ©e Ă mettre en Ćuvre et, de toute façon, le Qatar nâest pas vendeur. Les discussions sâorientent dĂšs lors sur le Rafale. Dassault propose de vendre dix-huit Rafale pour 2 milliards dâeuros. Mais lâoffre française est Ă revoir. Rabat veut une flotte dâavions de combat dotĂ©s de leur armement. Pas des avions nus. La proposition est rĂ©visĂ©e Ă la hausse : fin dĂ©cembre 2006, elle atteint la bagatelle de 2,6 milliards dâeuros, soit prĂšs de 5% du PIB marocain. Les Etats-Unis sortent du bois et proposent Ă lâarmĂ©e de lâair marocaine vingt-quatre F-16 flambant neuf pour 1,6 milliard dâeuros. Tels ces bonimenteurs de foire qui, pour vendre un objet coĂ»teux, y ajoutent des produits de pacotille pour faire masse, les AmĂ©ricains accordent en sus Ă Rabat une enveloppe de 700 millions de dollars dâaide au dĂ©veloppement assortie dâun appui â discret â au projet dââautonomieâ au Sahara occidental, que le Maroc sâefforce de âvendreâ Ă la communautĂ© internationale. Le marchĂ© sera vite conclu malgrĂ© une ultime offre française qui tombera dans le vide. TGV : les secrets dâun contrat Ce que Nicolas Sarkozy ressent, alors que vient de commencer Ă Marrakech son voyage officiel, ce lundi 22 octobre 2007, au Maroc, câest de la colĂšre et de lâagacement. Il y a chez lui des gestes qui ne trompent pas et que les journalistes qui couvrent la visite sauront dĂ©crypter : lâattitude dĂ©sinvolte face Ă Mohammed VI, jambes croisĂ©es, donnant du plat de la chaussure. Pour un peu il jouerait avec son tĂ©lĂ©phone portable devant le Commandeur des croyants. Tout nâest pourtant pas sombre. Sâil nâa pas dĂ©crochĂ© le gros lot, le prĂ©sident français sait quâil ne va pas pour autant revenir bredouille de sa visite officielle. A dĂ©faut dâavions, câest un navire que vont acheter les Marocains Ă la France. Plus prĂ©cisĂ©ment une frĂ©gate de type Fremm, un bĂątiment high-tech lui aussi, difficilement repĂ©rable par les radars ennemis mais qui coĂ»te la bagatelle de 470 millions de dollars et reprĂ©sente des dizaines de milliers dâheures de travail pour les chantiers français. LâEtat français nâa pas Ă©tĂ© en reste en offrant la formation des marins marocains (prĂšs de 50 millions dâeuros) appelĂ©s Ă naviguer sur le Mohammed VI , le nom â obligĂ© â de la future frĂ©gate. La signature Ă Marrakech du contrat pour la vente de la frĂ©gate attĂ©nuait le dĂ©pit de Nicolas Sarkozy. Elle ne le faisait pas disparaĂźtre. Il fallait rapporter un autre scalp de cette visite officielle. Mais quoi ? Que proposer de sĂ©duisant Ă Mohammed VI ? Une centrale nuclĂ©aire ? Des hĂ©licoptĂšres de combat ? Tout le catalogue du âmade in Franceâ avait Ă©tĂ© Ă©pluchĂ© avant la visite. JusquâĂ cette idĂ©e saugrenue mais plaisante qui allait ĂȘtre retenue et que Nicolas Sarkozy emporterait dans ses bagages : proposer Ă Rabat de construire au Maroc le premier TGV dâAfrique. Un TGV français, bien entendu. Mohammed VI nâavait pas en tĂȘte une telle acquisition, mĂȘme sâil caressait le rĂȘve de doter un jour son pays dâun tel bijou. Mais lâoffre française permettrait de dĂ©senclaver le nord du Maroc, frondeur et rĂ©tif du temps de Hassan II. Pour la France, ce serait un joli succĂšs commercial que de vendre un TGV dont seules lâEspagne, la CorĂ©e du Sud et lâItalie ont adoptĂ© le savoir-faire au moment oĂč la concurrence japonaise, chinoise, allemande, canadienne fait rage et taille des croupiĂšres aux industriels français comme, tout rĂ©cemment, en Arabie Saoudite. Du Medef Ă la CGEM Un des multiples instruments du soutien de la France au Maroc est le Groupe dâimpulsion Ă©conomique France-Maroc (GIEFM), crĂ©Ă© en 2005 sous la houlette de Dominique de Villepin, alors Premier ministre de Jacques Chirac, qui, pour lâoccasion, avait rappelĂ© ĂȘtre nĂ© Ă Rabat. Le GIEFM est une instance unique en son genre. Elle sert de passerelle entre le Medef et la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale des entreprises du Maroc (CGEM), son homologue marocaine. âLe nirvana pour les patrons du CAC 40 qui sont chez eux dans le royaumeâ, pour reprendre lâexpression dâun journaliste prĂ©sent Ă la premiĂšre grand-messe de ce club, organisĂ©e Ă lâĂ©tĂ© 2006 comme une garden-party au golf royal de Dar Es Salam Ă Rabat. On pouvait y croiser Claude BĂ©bĂ©ar, patron dâAxa, Jean-RenĂ© Fourtou, son alter ego chez Vivendi, ou encore Guillaume Sarkozy, le frĂšre de Nicolas. La couverture mĂ©diatique Ă©tait tout aussi exceptionnelle pour assurer aux agapes lâĂ©cho quâelles mĂ©ritent en France, avec pour tĂȘtes dâaffiche des plumes de Paris Match, du Point, du Figaro, certaines dĂ©jĂ habituĂ©es Ă tresser des lauriers Ă ce âMaroc en mouvementâ. Azoulay in & out
8 Originaire dâEssaouira, cet ancien cadre de la banque Paribas, dont la silhouette mince Ă©voque celle dâun major anglais, a refait sa vie dans son pays natal, jusquâĂ obtenir le titre officiel de âconseiller du roiâ, mais sous Hassan II. Les temps Ă©taient diffĂ©rents. Le monarque Ă©tait Ă la recherche dâun Franco-marocain, homme de rĂ©seaux capable de redonner du lustre Ă la monarchie mise Ă mal en France pour lâaffaire des emmurĂ©s de Tazmamart et la captivitĂ© interminable de la famille Oufkir. AndrĂ© Azoulay, âle dĂ©votâ comme le surnommait le journaliste Jean Daniel, allait rĂ©ussir dans son entreprise au-delĂ de tous les espoirs. A sa mort, Hassan II Ă©tait rĂ©habilitĂ© et son image devint celle dâune sorte de Louis XIV devenu sage, Ă©voluant dans un dĂ©cor des Mille et une nuits. AndrĂ© Azoulay avait fait mieux encore. Professionnel de la communication, il avait vendu Ă la presse française lâimage du prince hĂ©ritier, le futur Mohammed VI, transfigurĂ© en monarque Ă©pris de modernitĂ©, dĂ©mocrate dans lâĂąme et proche du peuple. Le mythe du roi des pauvres â et lâon sait le succĂšs quâil a longtemps remportĂ©, jusquâaux Etats-Unis -, câest au crĂ©dit dâAndrĂ© Azoulay quâil faut le porter. Une fois montĂ© sur le trĂŽne, le jeune monarque a trĂšs vite Ă©cartĂ© les conseillers hĂ©ritĂ©s dâun pĂšre quâil nâaimait pas. Il lâa fait pour exorciser le passĂ©, poussĂ© par les « quadras » du premier cercle du roi qui, pressĂ©s de prendre les commandes du royaume, ne voulaient pas sâembarrasser de gĂȘneurs tel AndrĂ© Azoulay. Figure du âjuif de Courâ, comme il existe depuis des siĂšcles dans le monde arabo-musulman, celui-ci sâest retirĂ© sur des terres moins pĂ©rilleuses Ă arpenter : lâessor dâEssaouira et le dialogue entre les trois religions monothĂ©istes. Aujourdâhui les affaires du royaume lui Ă©chappent. Il nâest plus quâun agent dâinfluence de seconde catĂ©gorie, oubliĂ© des mĂ©dias. Câest le fisc qui rĂ©gale En cadeau de bienvenue, tous ceux qui font le choix de sâinstaller dans le royaume ont droit, quelle que soit leur nationalitĂ©, Ă un abattement de 40% avant la dĂ©termination du revenu net imposable. Joli cadeau mais qui nâest quâune mise en bouche lorsquâon est français : les pensions de retraite venues de France bĂ©nĂ©ficient dâune rĂ©duction dâimpĂŽt de 80% si elles sont rapatriĂ©es Ă titre dĂ©finitif sur un compte en dirhams, la monnaie nationale, non convertible. Commentaire dâun expert : âIl sâagit en clair dâune exonĂ©ration presque totale de lâimpĂŽt sur le revenu. Le taux dâimposition ne dĂ©passe pas 4% en tout et pour toutâ. Câest Ă peu prĂšs ça : un retraitĂ© qui dĂ©clare un montant dâenviron 2000 euros de retraite par mois, pour une seule part, paiera un peu moins de 700 euros par an dâimpĂŽts. Cette derniĂšre mesure ne sâapplique quâaux Français. Elle est le fruit dâune convention fiscale entre Paris et Rabat, jamais dĂ©poussiĂ©rĂ©e, jamais remise en cause, depuis quarante et un ans quâelle existe. Etonnante convention qui stipule que âles pensions et les rentes viagĂšres ne sont imposables que dans lâEtat contractant oĂč le bĂ©nĂ©ficiaire a son domicile fiscalâ. Donc, pas dâimpĂŽts en France, et trĂšs, trĂšs peu au Maroc. De Jacquot Ă Sarko Ă lâautomne 2010, Jacques et Bernadette Chirac ont passĂ© quelques jours au Royal Mansour. Hasard de la toute petite histoire, le jour oĂč les Chirac ont quittĂ© lâhĂŽtel et son pavillon luxueux, ils auraient pu croiser Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, qui y arrivaient, invitĂ©s eux aussi par Mohammed VI. Le temps de changer de literie et le nouveau prĂ©sident et madame occupaient sans le savoir la chambre de son meilleur adversaire politique.
* AmarâTuquoi. Les deux mousquetaires On ne prĂ©sente plus les deux auteurs, journalistes rĂ©putĂ©s critiques envers le rĂ©gime marocain. Jean-Pierre Tuquoi, bientĂŽt 60 ans (il est nĂ© en 1952), est Monsieur Maghreb au quotidien français Le Monde. On lui doit, entre autres livres, deux brĂ»lots dĂ©diĂ©s au Maroc : Le dernier roi, crĂ©puscule d'une dynastie (Grasset, 2001) et MajestĂ©, je dois beaucoup Ă votre pĂšre (Albin Michel, 2006). Sans oublier Notre ami Ben Ali (La DĂ©couverte, 1999), consacrĂ©, cette fois, au Tunisien Zine El Abidine Ben Ali, coĂ©crit avec Nicolas Beau. Ali Amar, lui, est un ancien du dĂ©funt Le Journal Hebdomadaire dont il fut lâun des fondateurs. Il est nĂ© en 1967 et Paris Marrakech : luxe, pouvoir et rĂ©seaux est son deuxiĂšme livre aprĂšs Mohammed VI, le grand malentendu paru en 2009, toujours chez Calmann-LĂ©vy.
9 ĂGYPTE
LES DERNIERS ĂVĂNEMENTS
Le récit par Sylvie Noly sur son blog⊠Le scénario du chaos
3 fĂ©vrier 2012 Bien difficile de dire ce qui sâest vraiment passĂ© Ă Port SaĂŻd mercredi soir. On a beau repasser les images, comme ce portfolio dâal-Ahram, les zones dâombre sont immenses. De toutes façons, ce nâest presque plus le problĂšme car une autre histoire est en train de se jouer ici. Alors que les plus de soixante-dix victimes sont Ă peine inhumĂ©es, il semble que le pays entier nâattendait que ce dĂ©clic pour exploser. Jeudi soir des dizaines de milliers de jeunes se sont rĂ©pandus dans les rues, tout autour du MinistĂšre de lâIntĂ©rieur. Des combats aux gaz lacrymogĂšnes ont dĂ©marrĂ© vers 19h. A 20h, lâhĂŽpital de campagne sur la place (mosquĂ©e Makram) lançait son premier appel aux mĂ©decins volontaires, puis Ă 21h pour des mĂ©dicaments (ventoline, gaze, bĂ©tadineâŠ). On annonce ce matin plus de 600 blessĂ©s, et deux morts Ă Suez. âComment sais-tu ce qui sâest passĂ© ?â. Toute la journĂ©e de jeudi jâai questionnĂ©, les jeunes qui manifestaient dĂšs le matin sur Talaat Harb, les commerçants et les passants dont les conversations Ă©taient de toute Ă©vidence, plus animĂ©es que dâhabitude, les femmes qui dĂ©filaient lâaprĂšs-midi. âPremiĂšrement, me dit mon Ă©picier, il y avait deux absents notoires Ă ce match : le prĂ©sident du gouvernorat, et le chef de la sĂ©curitĂ©â alors quâils assistent toujours aux matchs. âDeuxiĂšmement, on a vu Ă la TV, les policiers qui ouvraient la porte aux voyous pour quâils rentrent dans le stadeâ. De toute la journĂ©e je nâai pas rencontrĂ© une seule personne qui doute de la rĂ©ponse Ă la question : âqui est entrĂ© sur le stade pour attaquer les Ahly ?â⊠âDes felouls !â. Dans la nuit dĂ©jĂ , des jeunes du 6 avril Ă©crivaient sur Facebook : lâarmĂ©e a voulu provoquer le chaos pour dĂ©tourner lâattention de la rĂ©volution et des manifestations spontanĂ©es se formaient dans les rues du centre ville, Ă 3h ou 4h du matin ! Le fait est quâhier soir, anniversaire de la âbataille des chameauxâ, les jeunes de Kazeboon avaient prĂ©vu de projeter sur la place Tahrir les films de lâattaque des manifestants par les nervis Ă la solde du PND, il y a tout juste un an. La projection a Ă©tĂ© annulĂ©e, si on peut dire, par une sĂ©ance de cinĂ©ma vĂ©ritĂ© dans la rue dâĂ cĂŽtĂ©. En quelques minutes, sur le coup de 19h, la tempĂ©rature est montĂ©e dâun cran : des cris, des motos qui ramĂšnent des blessĂ©s de la rue Falaky, dâautres motos qui partent au front en sens inverse, un hĂŽpital de campagne sâorganise⊠Un scĂ©nario qui ressemble aux heures noires de dĂ©cembre, rue M. Mahmud. Nous Ă©tions Ă Bab el-Luq, aprĂšs avoir contournĂ© le barrage sur Qasr el-Einy, le barrage sur la rue Falaky, celui sur la rue Majlis al-Shâab, celui de Lazurly, celui sur la rue Mansour, celui de Cheikh al-Rihan, celui de la rue Mohamed Mahmud⊠A chaque barrage, des rouleaux de barbelĂ©s. DerriĂšre les barbelĂ©s, âprotĂ©geantâ le MinistĂšre de lâIntĂ©rieur, des markazy (sĂ»retĂ© centrale). Devant les barbelĂ©s, des centaines, voire des milliers de jeunes, pacifistes, venus parfois au son dâun roulement de tambour (comme sur cette vidĂ©o) mais dont les slogans Ă©taient sans Ă©quivoque âLa peine capitale pour le marĂ©chalâ,âTantawi, câest Mubarakâ, âLe responsable (de Port SaĂŻd) câest le Conseil (suprĂȘme)â, âA bas, Ă bas le pouvoir militaireâ, et enfin al-dakhilya baltaguya (lâIntĂ©rieur, ce sont des voyous). Le divorce entre le peuple et lâarmĂ©e (celui avec la police est consommĂ© depuis un an) est nettement perceptible depuis le 25. Mais jeudi soir, il a explosĂ© comme une Ă©norme boule de haine accumulĂ©e. DĂ©jĂ la nuit prĂ©cĂ©dente, alors que le train des supporters du Caire arrivait en gare Ramses, ramenant les blessĂ©s, un impressionnant rassemblement sâĂ©tait formĂ©, Ă 3h du matin. Câest que les victimes ne sont pas nâimporte qui : ce sont les supporters des deux grands clubs du Caire, dont les fameux Ultras (altrass en Ă©gyptien). Ils ont apportĂ©s leur soutien musclĂ© aux rĂ©volutionnaires aux pires heures de lâan dernier. Ils Ă©taient encore lĂ mardi soir lorsque des affrontements ont eu lieu du cĂŽtĂ© de lâassemblĂ©e nationale. Leur cortĂšge arrivĂ© sur Tahrir vers 16h aujourdâhui, encadrait une manifestation de femmes dont les slogans condamnaient sans appel le MarĂ©chal et son Scaf. Comment les tireurs de ficelle qui fabriquent depuis plusieurs mois ces scĂ©narios de lâhorreur (attaques de voyous prĂ©mĂ©ditĂ©es, passivitĂ© organisĂ©e des forces de lâordre, rĂ©pression fĂ©roce aprĂšs coup) ont-ils pu manquer Ă ce point de psychologie en sâattaquant Ă lâidentitĂ© du pays, son Ă©quipe de foot ? A cette question des jeunes prĂ©sents sur les lieux tĂ©moignent : âles attaquants ne tapaient pas sur nâimporte quel supporter : ils avaient des victimes bien dĂ©signĂ©esâ. On aurait donc voulu, en terrain extĂ©rieur, faire leur peau Ă quelques uns de ces Ultras ? ⊠Mais avait-on prĂ©vu un tel dĂ©rapage ? Les dizaines de milliers de personnes qui ont manifestĂ© Ă travers la ville hier, et qui appellent au million pour aujourdâhui, nâont, de leur cĂŽtĂ©, aucun doute sur lâorigine du chaos.
10 LIBAN
« LE PEUPLE VEUT LA CHUTE DU RĂGIME CONFESSIONNEL ! »
Une analyse du mouvement libanais pour faire tomber le confessionnalisme⊠Analyse sévÚre ; je ne sais si elle est juste.
« Le peuple veut la chute du régime confessionnel ! »
Empruntant aux rĂ©volutions tunisienne et Ă©gyptienne le mot dâordre « Le peuple veut ⊠», de jeunes Liba-
nais ont lancé une campagne pour faire tomber le confessionnalisme, sans grands résultats. Nidal Ayoub 03/02/2012
http://www.babelmed.net/Pais/M%C3%A9diterran%C3%A9e/dictatures_du.php?c=7251&m=34&l=fr Lorsque Bouazizi a dĂ©cidĂ© de sâimmoler par le feu, il ne savait pas ce jour lĂ que ses cendres allaient se dis-perser dans les pays voisins pour faire fleurir le printemps. La marche de mille lieues, Bouazizi lâa ouverte avec son pas ; et, la barriĂšre de la peur ayant Ă©tĂ© brisĂ©e, la contagion sâest Ă©tendue, les yeux se sont dessillĂ©s et les peuples arabes se sont mis Ă acclamer la libertĂ© Ă partir de la Tunisie et de lâEgypte, passant par la Li-
11 bye, Bahrein et le Yemen, ensuite en Syrie puis au Liban. Avec le commencement des Ă©vĂ©nements et lâĂ©clatement des rĂ©volutions, les Libanais ont dĂ» interagir avec leur environnement. Ils ont exprimĂ© tout dâabord leur soutien et leurs encouragements Ă la rĂ©volution Ă©gyp-tienne aprĂšs que la rĂ©volution de la Tunisie eut surpris les peuples arabes. DĂšs les premiers jours de la rĂ©vo-lution en Egypte, des Libanais ont pris lâinitiative dâorganiser des manifestations et des sit-in ouverts pour saluer et appuyer les sit-inners des grandes places du Caire. Mais les manifestations de soutien Ă elles seules ne suffisaient plus ; câest alors que des activistes libanais ont voulu que ce petit pays arabe ait sa propre rĂ©vo-lution. LĂ commence lâhistoire. Empruntant aux rĂ©volutions tunisienne et Ă©gyptienne le slogan : « Le peuple veut ⊠», les Libanais ont en-tamĂ© leur campagne pour faire tomber le confessionnalisme, campagne qui a suscitĂ© des rĂ©actions diverses, entre partisans qui y ont trouvĂ© une opportunitĂ© pour monter Ă lâassaut dâun systĂšme fondĂ© sur les confes-sions et le remplacer par un autre Ă©tabli sur le concept de la citoyennetĂ©, et adversaires qui estimaient que la campagne est un prĂ©lude pour ĂŽter la lĂ©gitimitĂ© Ă un leader qui les accueille et les protĂšge des « autres ». Entre partisans et adversaires se situe une masse silencieuse dont lâorientation prĂ©cise nâa pu ĂȘtre dĂ©terminĂ©e en raison de la courte durĂ©e de la campagne. LâĂ©ventualitĂ© dâun Ă©chec de ce mouvement Ă©tait envisagĂ©e dĂšs le dĂ©but. Un Ă©lan rĂ©volutionnaire ayant trouvĂ© Ă©cho chez des jeunes activistes qui ont cru que le moment Ă©tait propice pour agir. Sâen tenant au slogan : « Le peuple veut la chute du confessionnalisme », et nĂ©gligeant lâaction effective, ils nâont pu prĂ©senter de vĂ©ritables propositions englobant les questions politiques, sociales et Ă©conomiques qui suscitent lâintĂ©rĂȘt de toutes les classes de la population et rassemblent autour dâelles les « enfants » des confessions. Bien plus, le slogan principal nâa pas rĂ©ussi Ă clarifier lâobjectif direct de la campagne. En effet, le confes-sionnalisme au Liban ne se rĂ©duit pas Ă la personne du chef de lâEtat ou du gouvernement par exemple, mais constitue une structure socio-culturelle globale, sâĂ©tendant de la base (le peuple) pour arriver Ă la direction (les autoritĂ©s sous toutes leurs formes). Câest pourquoi le slogan portait en lui-mĂȘme le germe de son Ă©chec puisquâil nâa su devancer une action qui aurait dĂ» ĂȘtre exercĂ©e sur les constituants mĂȘmes de cette structure. Ainsi, les Libanais ont Ă©tĂ© pris de court, aussi bien les partisans que les adversaires du systĂšme, ou encore ceux qui se maintiennent dans la neutralitĂ©, nâayant pas encore pris position. Une rĂ©trospective rapide du dĂ©roulement de la campagne rĂ©vĂšle les faiblesses qui ont caractĂ©risĂ© le compor-tement de certains organisateurs. Elle permet de constater Ă©galement quâune contre-campagne a Ă©tĂ© menĂ©e par certains partis confessionnalistes et par dâautres partis qui tirent profit du systĂšme en place Ă des titres divers. Les premiĂšres semaines de la campagne ont connu un succĂšs remarquable attestĂ© par le nombre Ă©levĂ© des participants qui croyaient dans le changement, mĂȘme si celle-ci nâa pas rĂ©ussi Ă entrainer de nouvelles catĂ©gories sociales dans le mouvement. Par la suite, sont apparus les signes dâune contre-campagne rendue possible par lâadhĂ©sion de certains hommes politiques faisant partie du systĂšme Ă la campagne qui rĂ©clamait la chute de ce mĂȘme systĂšme ! Lâ"exploitation " du mouvement par les hommes politiques a causĂ©, dans les rangs des activistes, une dissen-sion qui nâa cessĂ© de sâapprofondir de jour en jour : certains voyant dans les dĂ©clarations des hommes politi-ques un aspect positif permettant de rĂ©aliser un rassemblement populaire plus grand, tandis que dâautres re-fusaient absolument cette compromission du fait que le confessionnalisme est incarnĂ© par ces mĂȘmes per-sonnalitĂ©s. Le troisiĂšme groupe sâen est tenu Ă un refus de sâallier avec ces partis politiques pour quelque raison que ce soit, tant que la chute du confessionnalisme signifie la chute de toute la classe dirigeante qui le protĂšge. Mais cette attitude de principe sâest heurtĂ©e Ă la rĂ©alitĂ©, Ă©tant donnĂ© que la majoritĂ© des Libanais soutiennent des partis confessionnalistes dont certaines factions sâallient entre elles pour en affronter dâautres. Il nâest donc pas possible de faire tomber le systĂšme confessionnaliste sans avoir attirĂ© auparavant la majoritĂ© de la population pour quâelle se retourne contre ses dirigeants. Ainsi, en dĂ©pit de lâenthousiasme soulevĂ© par la campagne chez une grande frange de la jeunesse, cet Ă©lan nâa rĂ©sistĂ© ni aux difficultĂ©s, ni aux faiblesses qui ont entravĂ© ce mouvement spontanĂ©. La cause la plus importante de lâĂ©chec de la campagne tient probablement au fait que les manifestants nâont usĂ© dâaucun moyen pour convaincre la majoritĂ© confessionnaliste de la pertinence de leurs objectifs. Au contraire, ils se sont carrĂ©ment posĂ©s en adversaires de ce systĂšme dans un pays qui se caractĂ©rise par la mul-tiplicitĂ© des despotes. Plusieurs intellectuels libanais ont dĂ©noncĂ© cette rĂ©alitĂ©, comme lâĂ©crivain et romancier Elias Khoury qui constate que le Liban est un pays particuliĂšrement despotique car soumis au despotisme des confessions. Il y a donc plusieurs dictatures Ă abattre dâun seul coup car chaque confession a son despote, quand elle ne va pas jusquâĂ disposer de plusieurs despotes. AprĂšs lâĂ©chec de la campagne qui visait Ă dĂ©manteler le confessionnalisme, les Libanais ont Ă nouveau rem-pli les grandes places pour exprimer leur solidaritĂ© avec les rĂ©volutions des autres pays arabes dont les peu-ples se sont engagĂ©s sur la voie de la libertĂ©. Le confessionnalisme profondĂ©ment enracinĂ© dans la psycholo-gie des Libanais, tout comme dans leur rĂ©gime, sâest probablement rĂ©percutĂ© sur leurs attitudes vis-Ă -vis des
12 rĂ©volutions En effet, aprĂšs que les rĂ©volutions arabes en Tunisie et en Egypte ont encouragĂ© et rassemblĂ© les Libanais, les signes de la division ont commencĂ© Ă apparaĂźtre avec lâextension de la rĂ©volution Ă la Syrie, Ă la Libye et au BahreĂŻn. Câest la rĂ©volution du peuple syrien qui a eu lâeffet le plus net dans la consĂ©cration de cette division entre partisans de la rĂ©volution et alliĂ©s du rĂ©gime. Mais sâil est aisĂ© de comprendre les raisons des partisans de la rĂ©volution syrienne, surtout lorsquâon constate lâadĂ©quation entre cette attitude et lâappui aux rĂ©volutions arabes, en revanche, lâanalyse de la position des alliĂ©s du rĂ©gime syrien conduit Ă relever deux aspects fon-damentaux en relation avec la structure de la sociĂ©tĂ© libanaise. Tout dâabord, il faut rappeler le soutien dâune large partie de la population libanaise Ă la rĂ©volution Ă©gyp-tienne et nĂ©anmoins son rejet de tout soutien Ă la rĂ©volution syrienne. Ce groupe de Libanais sâest dĂ©terminĂ© en accord avec leurs directions (confessionnelles toujours) comme câĂ©tait le cas par exemple pour les deux partis alliĂ©es « le mouvement Amal » et le « Hezbollah ». Depuis les dĂ©buts des rĂ©volutions, le mouvement Amal a pris lâinitiative dâadopter la rĂ©volution du peuple libyen contre le rĂ©gime de Mouammar Kaddafi, en dĂ©pit de lâintervention militaire Ă©trangĂšre de lâOTAN, en contrepartie de son silence sur les actes commis par le rĂ©gime syrien sur les frontiĂšres orientales du Liban, sous prĂ©texte dâun « complot extĂ©rieur » visant la Syrie. Il en est de mĂȘme pour le Hezbollah, alliĂ© de lâIran, qui Ă©lĂšve bien haut la voix pour soutenir le peuple de Bahrein en contrepartie de son soutien clair au rĂ©gime de Bachar Al-Assad « le rĂ©sistant ». Par ailleurs, avec lâarrivĂ©e des vents de la rĂ©volution en Syrie, le discours sur « la crainte des minoritĂ©s » a autorisĂ© certaines directions politiques et religieuses du Liban Ă justifier leur soutien au rĂ©gime syrien. Cette attitude sâest rĂ©percutĂ©e sur les couches de la population relevant de ces directions. Celle-ci a trouvĂ© dans lâĂ©ventualitĂ© de lâarrivĂ©e au pouvoir des islamistes en Syrie un motif suffisant pour accepter les tueries com-mises par le rĂ©gime syrien Ă lâendroit de son peuple. Lâexemple le plus clair, dans ce contexte, est sans doute celui de lâarchevĂȘque maronite du Liban qui a mis en garde contre le danger de la chute du rĂ©gime syrien pour ce quâil a appelĂ© « la minoritĂ© chrĂ©tienne » (au lieu de parler de citoyennetĂ©). Lâattitude du « Courant National Libre » (alliĂ© au Hezbollah pour affronter le Courant de lâAvenir et ses alliĂ©s du Mouvement du 14 mars), qui a choisi de se tenir aux cĂŽtĂ©s du rĂ©gime syrien, est du mĂȘme ordre. En revanche, on peut dire que lâattitude hostile de certains Libanais au rĂ©gime syrien, en harmonie avec celle de leurs dirigeants politiques, sâinscrit dans le contexte de la lutte essentiellement intĂ©rieure (lutte confes-sionnelle par excellence), surtout lorsquâon essaie de connaĂźtre avec prĂ©cision la position de ces derniers (silencieuse en gĂ©nĂ©ral) vis-Ă -vis des autres pays arabes, et notamment de lâEgypte en raison des liens dâamitiĂ© et de communautĂ© dâintĂ©rĂȘt qui les unissaient Ă son prĂ©sident dĂ©chu, Hosni Moubarak. Cette scission entre Libanais est Ă la mesure des conflits qui les divisent et ont pu les menĂ©s dans la rue oĂč ont eu lieu des affrontements limitĂ©s entre partisans de la rĂ©volution syrienne et alliĂ©s du rĂ©gime de Bachar Al-Assad. Ces conflits ont Ă©tĂ© renforcĂ©s par lâattitude du gouvernement composĂ© principalement par des forces confessionnalistes qui soutiennent le rĂ©gime syrien, dont le Hezbollah, le mouvement Amal, le Cou-rant National, et font face Ă dâautres forces confessionnalistes dans lâopposition. Cette attitude se traduit par une ignorance totale, cĂŽtĂ© officiel, de ce qui se passe aux frontiĂšres du pays, oĂč lâon assiste Ă une violation de celles-ci par les forces syriennes qui poursuivent en territoire libanais les rĂ©volutionnaires et les rĂ©fugiĂ©s qui fuient la rĂ©pression du rĂ©gime et tentent de trouver un abri dans les villages situĂ©s Ă proximitĂ© des frontiĂšres. Ainsi, les Libanais nâont pas rĂ©ussi Ă tirer profit du climat rĂ©volutionnaire arabe et nâont pu rĂ©examiner les grands principes que les rĂ©volutions ont remis sur le tapis, notamment celui de la citoyennetĂ© profondĂ©ment rattachĂ© aux concepts de libertĂ©, de justice et de dĂ©mocratie, complĂštement absents de la sociĂ©tĂ© libanaise qui jouit dâune libertĂ© masquĂ©e, une libertĂ© qui nâest en rĂ©alitĂ© quâun simple chaos rĂ©gi et dirigĂ© par des confes-sions se situant « en dehors » de lâEtat dans son acception moderne.
13 FRANCE
UN ENJEU SORDIDE DE LâAGRESSION CONTRE LA LIBYEâŠ
La vente du Rafale Ă lâInde nous apprend quâun intĂ©rĂȘt de la rĂ©cente agression contre la Libye a Ă©tĂ© de tester les capacitĂ©s de l'avion militaire. Ces test rĂ©ussis servent dĂ©sormais d'argument promotionnel Ă la vente: "Achetez! Avec cela, vous tuez qui vous voulez ou vous voulez sans risque pour vous!" Cela Ă©claire un des enjeux non-dits, secondaire bien sĂ»r mais rĂ©el, de cette agression nĂ©o-coloniale : la rivalitĂ© entre puissances impĂ©rialistes dans le domaine de l'exportation de leur aĂ©ronautique militaire.
Le Monde date du 2 février
L'Inde donne sa chance au Rafale Si les négociations aboutissent, ce sera la premiÚre fois que l'avion de Dassault sera vendu à l'exportation Les bonnes nouvelles sont comme les ennuis, elles volent en escadrille. " Par cette formule inspirée de Jac-ques Chirac, Gérard Longuet, ministre de la défense, signifiait l'espoir qu'a soulevé, mardi 31 janvier, l'an-nonce de la sélection du Rafale de Dassault pour la fourniture de 126 avions de combats à l'Inde. " C'est un signal de confiance pour toute l'économie française ", appréciait de son cÎté Nicolas Sarkozy, en évoquant l'avancée significative de cet appel d'offres, estimé à prÚs de 14 milliards de dollars (10,5 milliards d'euros). En Inde, il est qualifié de " contrat du siÚcle ". CÎté français, on estime que l'usage de l'avion en Libye a pesé dans le choix.
LA QUESTION DES « CLASSES MOYENNES »
Article de GĂ©rard Filoche, dont Ă mon sens lâintĂ©rĂȘt tient moins Ă son analyse quâaux chiffres dĂ©livrĂ©s en cours de routeâŠ
http://www.marianne2.fr/gerardfiloche/Il-n-y-a-pas-de-classe-moyenne-ni-des-classes-moyennes_a33.html
Comment ça bosse ? Gérard Filoche sur Marianne2
Il nây a pas de classe moyenne ni « des » classes moyennes Assez des imprĂ©cisions et autres abus de langage concernant « la » classe moyenne, ou encore « les » classes moyennes ! De telles expressions sont vides de sens, et ne correspondent pas Ă la sociĂ©tĂ© actuelle. Explica-
tions. Il est intĂ©ressant dâĂ©couter dans lâimmense buzz mĂ©diatique toutes les imprĂ©cisions de vocabulaire de celles et ceux, qui parlent en permanence et Ă tort et Ă travers « des classes moyennes ». Parfois ils parlent aussi de « couches » moyennes. Ce nâest pas trĂšs nouveau, en fait : Marx Ă©tait Ă peine mort que toutes les thĂ©ories voyaient prolifĂ©rer une Ă©norme « nouvelle petite bourgeoisie » (sic) de fonctionnaires, dâemployĂ©s, de ca-dres, dâingĂ©nieurs, de techniciens et de nouvelles professions libĂ©rales au sein dâun secteur « tertiaire » hy-pertrophiĂ©. Mais ils sont totalement incapables de vous les dĂ©crire aujourdâhui et de vous dire de quoi il sâagit. Pourquoi ? Parce quâelles nâexistent pas. Concept impossible. Vouloir les dĂ©finir, câest la chasse au dahu. Câest facile Ă prouver : commencez par leur demander pourquoi ils mettent toujours « les classes moyennes » au pluriel. Il y en a donc plusieurs ? Lesquelles ? EnumĂ©rez-les ! Dites lesquelles sont plus ou moins « moyennes » ? Quâest ce qui les distingue ? Vous nâaurez jamais de rĂ©ponse claire. Il est assez facile de distinguer la classe supĂ©rieure : 5% possĂšde environ 50 % du patrimoine. Elle possĂšde lâessentiel de la rente, des actions, elle est maĂźtresse de la finance et de la propriĂ©tĂ© des moyens de production, des biens immobiliers et mobiliers. Câest une toute petite partie de la population. Elle vit de lâexploitation du travail des autres et ses intĂ©rĂȘts communs sont puissants : augmenter les profits du capital, baisser le coĂ»t du travail. Certains y adjoignent les « cadres su-
14 pĂ©rieurs » (appelĂ©s parfois Ă tort « bobos ») mais cela ne rajoute que trĂšs peu dâĂ©lĂ©ments : les cadres dits « supĂ©rieurs » (assimilables aux employeurs, Ă©chappant au droit commun du travail) sont moins de 0,2 % des cadres. Il est assez facile de distinguer les « pauvres », encore que⊠: LĂ , les instituts prennent, sans sâencombrer, un concept clair, celui du salaire : un chiffre de revenu actuel-lement infĂ©rieur Ă 900 euros. Câest le « seuil » dit « de pauvretĂ© ». Il y a aujourdâhui, en 2012, plus de 8 mil-lions de personnes concernĂ©es. Ce sont 10 % de la population qui possĂšdent moins de 1 % du patrimoine. Mais ces pauvres peuvent devenir salariĂ©s, ou rester pauvres Ă temps partiels, rester smicards pauvres, puis le chĂŽmage nâĂ©pargnant aucune catĂ©gorie, Ă nouveau pauvres. Ce nâest donc pas une catĂ©gorie isolĂ©e, sĂ©parĂ©e du salariat. Jacques Rigaudiat concluait justement, dĂ©s 2005 : « Entre chĂŽmage, sous-emploi, incertitude de lâactivitĂ© et prĂ©caritĂ© financiĂšre des âtravailleurs pauvresâ, câest trĂšs vraisemblablement entre le quart et le tiers de la population, entre 15 et 20 millions de personnes â 7 millions de pauvres et 8 Ă 12 millions de prĂ©-caires â qui ont, de façon durable, des conditions de vie marquĂ©es du sceau de lâextrĂȘme difficultĂ©. » Mais entre riches et pauvres oĂč sont les classes moyennes ? Donc 5 % possĂšdent 50 % des richesses, et 10 % possĂšdent moins de 1%. Il reste 85 % de la population qui se partage 49 % des richesses. Est-ce cela la « classe moyenne » ? 85% de la population ? Quâest ce quâelle fait, que gagne t-elle, comment vit-elle ? Quâa t elle de commun et de diffĂ©rent pour la « classer » ? Sont-ce les « indĂ©pendants » ? Les actifs « indĂ©pendants », les « libĂ©raux », les artisans, les commerçants, les petits et moyens agriculteurs, les petits patrons ne sont plus que 7 % des actifs dans ce pays. 7% ! Est-ce lĂ UNE classe ou DES classes moyennes ? Peu convaincant, car ils sont hĂ©tĂ©rogĂšnes, bien des artisans sâapparentent Ă des ouvriers du rang y compris du point de vue du salaire, de mĂȘme pour les petits exploitants en agriculture ou les petits com-merçants. Ces 7 % dâactifs qui ne sont pas salariĂ©s sont extrĂȘmement « Ă©tirĂ©s » socialement, entre le million de petits patrons divers de TPE, le mĂ©decin installĂ© Ă lâacte Ă honoraire libre, le plombier dĂ©bordĂ© et lâauto-entrepreneur isolĂ© sans le sou. Toutes les tentatives pour recrĂ©er des « travailleurs indĂ©pendants » (lois Madelin, Dutreil, NovelliâŠ) contre le salariat ont jusquâĂ prĂ©sent Ă©chouĂ©. Il semble bien difficile de voir lĂ une « catĂ©gorie » encore moins une « classe » comme concept pertinent. Que veut dire lâexpression banalisĂ©e sans dĂ©finition : « les classes populaires » ? Ă ce propos et en incise, pourquoi les mĂȘmes qui parlent des « classes moyennes » parlent-ils de « classes populaires » au pluriel ? Y a t il plusieurs « classes populaires » ? Ce dernier concept apparaĂźt aussi imprĂ©cis que lâautre. A moins que vous ne vous entĂȘtiez dans le flou, involontairement oĂč volontairement, essayez de dire une seule fois combien il y en a et comment vous dĂ©crivez « LES » classes populaires ? Quâest ce qui distingue les « classes populaires » des « classes moyennes » ? Est-ce que « les » classes populaires sont les pauvres et les classes moyennes pas populaires ? La domination salariale Le salariat reprĂ©sente 93 % de la population active occupĂ©e Et en plus, il faut rajouter les jeunes qui sont des salariĂ©s en formation, les chĂŽmeurs qui sont des salariĂ©s privĂ©s dâemploi, les retraitĂ©s qui vivent en direct des cotisations des salariĂ©s. Câest le salariat qui rĂšgne, qui domine sociologiquement dans ce pays : la caractĂ©ristique est claire, unique, câest la grande masse de tous ceux qui nâont que leur force de travail Ă vendre. Les salariĂ©s vendent, certes, cette force de travail plus ou moins cher, selon leur Ăąge, qualification, carriĂšre, selon le rapport de force social. Est-ce que cela les diffĂ©rencie en classes ? Alors doit-on chercher Ă distinguer une « classe moyenne » au sein du salariat ? Les salaires sont compris entre 900 euros et 3 200 euros, avec un salaire mĂ©dian Ă 1 580 euros. 97 % des salaires sont en dessous de 3 200 euros. LâĂ©cart entre la moyenne des salaires des cadres et la moyenne des
15 salaires des ouvriers et employĂ©s est rĂ©duit Ă 2,3. Comment cerner lĂ , caractĂ©riser, Ă ce niveau, une « catĂ©gorie », une « couche », une « classe » moyenne⊠dont le salaire, le statut bouge et bougera tout au long de la vie et de la carriĂšre ? Sont-ce les cadres ? Il y en a 3,5 millions. Les cadres sont des salariĂ©s comme les autres : avec une dĂ©gradation de leur statut et de leurs conditions de travail, ils nâĂ©chappent pas au lot commun. Les « grilles de notations » et les « para-mĂštres personnalisĂ©s » aboutissent Ă un barĂšme Ă la « tĂȘte du salariĂ© », et Ă un systĂšme des « primes indivi-duelles », qui finit par toucher les cadres assimilĂ©s au reste du salariat au plan de la rĂ©munĂ©ration. Ils ont aussi des horaires lĂ©gaux communs au reste du salariat, mĂȘme si les lois les concernant sont plus souvent violĂ©es, contournĂ©es. Plus de 40 % dâentre eux sont ainsi passĂ©s en dessous du plafond de la SĂ©curitĂ© sociale. LâĂ©cart de la moyenne des salaires des cadres avec celle des employĂ©s et ouvriers a Ă©tĂ© abaissĂ© progressive-ment de 3,9 en 1955 Ă 2,3 en 1998. Alors que les employeurs se targuent, par tous moyens, dâindividualiser les salaires, en fait, ils les ont « compactĂ©s » ! Sâil convient de suivre, avec lâInsee, le rapprochement du « bas des cadres » et du « haut des employĂ©s et ouvriers », par contre, les cadres ne sont pas correctement catĂ©gorisĂ©s par la statistique publique comme ils devraient lâĂȘtre, câest-Ă -dire, sĂ©parĂ©s entre « cadres » et « cadres supĂ©rieurs ». Ce serait pourtant une clarification parmi les plus nĂ©cessaires car elle porte sur les critĂšres de dĂ©finition du statut : le contrat, le salaire et la relation de subordination. Les cadres supĂ©rieurs sont assimilables au patro-nat. Mais ils sont peu nombreux et ne renvoient pas plus que le « patronat » Ă une rĂ©alitĂ© homogĂšne. Avec le dĂ©veloppement de la sous-traitance et une soumission Ă des donneurs dâordre rĂ©solument du cĂŽtĂ© du CAC 40, les petits patrons sont loin dâĂȘtre tous du niveau « cadre supĂ©rieurs » et subissent un sort alĂ©atoire proche du salariat. Il existe en France, une pyramide dâentreprises avec une base trĂšs large : en haut, mille entreprises de plus de mille salariĂ©s (3,4 millions de travailleurs) produisent prĂšs de 50 % du PIB ; en bas, un million dâentreprises de moins de dix salariĂ©s (3,4 millions de travailleurs Ă©galement) ont une existence prĂ©-caire et la moitiĂ© dâentre elles dĂ©pendent dâun seul donneur dâordre. Les fonctions dâencadrement ont diminuĂ© considĂ©rablement au profit des tĂąches de production. Il nây a plus de coupure entre les « cols blancs » et les « cols bleus » comme dans le passĂ©. Lâemploi non qualifiĂ© aug-mente sans que lâemploi des moins diplĂŽmĂ©s reprenne : le paradoxe renvoie Ă un « dĂ©classement » des di-plĂŽmĂ©s, qui, Ă un niveau de diplĂŽme donnĂ©, occupent des emplois de moins en moins qualifiĂ©s. Quant aux cadres, ils connaissent eux aussi des pĂ©riodes plus importantes de chĂŽmage, lâĂ©pĂ©e de DamoclĂšs du PĂŽle emploi rĂšgne sur eux comme sur les autres. Le chantage Ă lâemploi est rĂ©pandu du haut en bas du salariat « La dĂ©gradation des conditions de travail est gĂ©nĂ©rale, lâurgence rĂ©duit la prĂ©visibilitĂ© des tĂąches et les marges de manĆuvre pour les rĂ©aliser. La charge mentale sâaccroĂźt et la pĂ©nibilitĂ© du travail » Pour une majoritĂ© croissante des salariĂ©s, les pressions sâaccroissent : augmentation du rythme de travail, multiplication des contraintes, mĂ©canisation plus forte, rapiditĂ© dâexĂ©cution, demandes multiples, vigilance accrue, contrĂŽle hiĂ©rarchique permanent, stress⊠Sont-ce les « catĂ©gories intermĂ©diaires » ? LâINSEE utilise depuis des lustres une catĂ©gorie trĂšs contestĂ©e : celle dite des « catĂ©gories intermĂ©diaires ». Mais quâest ce quâune « catĂ©gorie intermĂ©diaire » ? Le haut du salariat ? OĂč commence t-il ? Aux contre-maĂźtres ou ETAM ? Le bas des cadres ? Ă quel niveau les distinguent-on ? Tous les cadres ? LâINSEE y classe tous les enseignants, la plupart des fonctionnaires Ă partir des catĂ©gories « B ». Pourquoi les catĂ©gories « B » seraient-elles « classes moyennes » ? Les instituteurs, les infirmiers, les contrĂŽ-leurs des impĂŽts, du travail, ne sont pourtant pas plus « classes moyennes » que les maĂźtres dâhĂŽtel, les agents de maĂźtrise, les VRP, ou les techniciens⊠Sont-ce des employĂ©s par opposition aux ouvriers ? SĂ»re-ment pas puisque mĂȘme lâINSEE les dĂ©compte en dehors des « catĂ©gories intermĂ©diaires » ! Lesdites « catĂ©gories intermĂ©diaires » avaient une telle disparitĂ© interne que depuis fort longtemps les ex-perts contestaient ce classement incertain de lâINSEE. En mĂȘme temps, ces catĂ©gories ont gagnĂ© une homo-gĂ©nĂ©itĂ© avec les autres salariĂ©s qui pousse Ă ne pas les traiter sĂ©parĂ©ment. Ainsi dans la fonction publique, dans le passĂ©, il y avait quatre catĂ©gories A, B, C, D. On analysait ainsi les missions : les « A » cadres
16 concevaient une lettre, les « B » moyen cadres rĂ©digeaient la lettre, les « C » agents exĂ©cutants frappaient la lettre, les « D » manĆuvres, lâexpĂ©diaient. Cela a Ă©tĂ© bousculĂ© puisque les A frappent la lettre Ă lâordinateur et appuient sur la touche du clavier pour lâexpĂ©dier. La catĂ©gorie « D » a Ă©tĂ© supprimĂ©e un peu comme ont disparu les troisiĂšmes classes dans les trains. Mais toutes les catĂ©gories forment le mĂȘme train, la diffĂ©rence est souvent devenue de niveau salaire. Non seulement le salariat sâest imposĂ© numĂ©riquement et proportion-nellement au travers du siĂšcle Ă©coulĂ©, mais il sâest homogĂ©nĂ©isĂ©, de façon encore relative mais rĂ©elle. 70 % ou 10 % de la population ? Certains disent parfois sans bien rĂ©flĂ©chir : « Le nouveau prolĂ©tariat, ce sont les femmes ». Ou bien encore : « Ce sont les immigrĂ©s » Ou bien « Ce sont les prĂ©caires ». Mais cela nâa pas de sens thĂ©orique sĂ©rieux, global de dĂ©couper des catĂ©gories, sexes ou gĂ©nĂ©rations. Câest du point de vue commun et supĂ©rieur de la place dans le procĂšs de production et du niveau de vie quâil faut raisonner. Bien quâil sâobstine dans la recherche dâune hypothĂ©tique « classe moyenne » finalement aussi introuvable que le centre en politique [2], Louis Chauvel pose une question cruciale : « Le portrait social dâune classe moyenne heureuse correspond-il aujourdâhui Ă 70 % de la population, ou plutĂŽt Ă 10 % ? Tout semble indi-quer que ce noyau central, idĂ©alement situĂ© aux environs de 2 000 euros de salaire mensuel, doit faire face Ă un vrai malaise et connaĂźt, comme par capillaritĂ©, la remontĂ©e de difficultĂ©s qui, jusquâĂ prĂ©sent, ne concer-naient que les sans-diplĂŽme, les non-qualifiĂ©s, les classes populaires. Ă la maniĂšre dâun sucre dressĂ© au fond dâune tasse, la partie supĂ©rieure semble toujours indemne, mais lâĂ©rosion continue de la partie immergĂ©e la promet Ă une dĂ©liquescence prochaine [3]. » Un « prĂ©cariat » a t il remplacĂ© le salariat ? Non. Ni par la crĂ©ation manquĂ©e dâindĂ©pendants non-salariĂ©s. Leur nombre rĂ©gresse malgrĂ© les lois qui les poussent Ă exister (auto-entrepreneurs, etc..). Ni par les 3 millions de prĂ©caires (CDD, intĂ©rims, saison-niersâŠ). Ni par les 3 millions de temps partiels. Ni par les 5 millions de chĂŽmeurs. Evidemment, câest Ă©norme actuellement. Cela frappe surtout les jeunes, les femmes, les immigrĂ©s : câest donc imposĂ© politi-quement, en tout cas, ça ne vient pas des nĂ©cessitĂ©s de la production. Le « prĂ©cariat » câest comme les termi-tes, ça creuse les pieds du meuble du CDI, mais il reste un meuble. 85 % des contrats restent des CDI. Entre 29 ans et 54 ans, 97 % des contrats sont des CDI. Le CDI reste majoritaire de façon Ă©crasante avec Code du travail, statut et/ou conventions collectives. En 25 ans, la durĂ©e moyenne du CDI sâest allongĂ©e de 9, 6 ans Ă 11, 6 ans. Les classes moyennes, sont-ce les « employĂ©s » et « ouvriers » ? La distinction entre ouvriers et employĂ©s, fondamentale au dĂ©but du xxe siĂšcle, sâest estompĂ©e. Tout comme celle avec la majoritĂ© des cadres. Le « col bleu » avait les mains dans le cambouis, en bas, Ă lâatelier ; le « col blanc » avait des manches de lustrine, en haut, dans les bureaux : le premier semblait dĂ©favorisĂ© par rap-port au second. Ce clivage si net tout au long du siĂšcle prĂ©cĂ©dent dans lâimagerie populaire, syndicale et politique, a laissĂ© place Ă un brassage des conditions de travail, de lâhygiĂšne et de la sĂ©curitĂ©, des conven-tions collectives, des salaires et des statuts : aujourdâhui, lâouvrier peut encore porter des bleus de travail mais Ćuvrer dans un environnement aseptisĂ© de machines informatisĂ©es dont la maĂźtrise exige un haut ni-veau de qualifications, tandis que lâemployĂ© peut effectuer des services sales, dĂ©qualifiĂ©s et mal payĂ©s, no-tamment dans lâentretien ou lâaide aux personnes. Il y a environ 9 millions dâemployĂ©s, et 6 millions dâouvriers dont 2 millions dâouvriers dâindustrie. Ils sont lâessentiel du salariat selon lâINSEE. Mais des ouvriers dâindustrie qualifiĂ©s gagnent plus que des ensei-gnants dĂ©butants. Des employĂ©s de restauration rapide gagnent nettement moins que des ouvriers. Et en fait, il est impossible de les sĂ©parer des autres « catĂ©gories intermĂ©diaires » de lâINSEE. Lâensemble du salariat est une sorte de toile tissĂ©e avec des mailles qui vont bas en haut et de haut en bas. Il y a plus de points communs que de diffĂ©renciations. On ne vit pas de la mĂȘme façon Ă 900 euros, 1 800 euros ou 3 200 euros, mais on est placĂ© devant les mĂȘmes problĂšmes fondamentaux dâemploi, de droit, de salaire. Et câest lâexistence qui dĂ©termine la conscience et qui fait le lien « objectif ». Reste Ă ce quâil soit perçu sub-jectivement : cela ne peut se faire quâavec une vision claire de la rĂ©alitĂ© pleine et entiĂšre du salariat. Qui la dĂ©veloppe ?
17 Il reste encore une drĂŽle de thĂ©orie : ce seraient les salariĂ©s qui seraient la « classe moyenne » Ce serait lĂ une « grande couche moyenne centrale » qui, en travaillant normalement, retirerait les bienfaits du systĂšme (capitaliste) et nâaspirerait quâĂ en bĂ©nĂ©ficier davantage. Ce serait les 24 millions dâactifs qui composeraient la classe moyenne, par opposition Ă ceux qui ne le sont pas comme les pauvres et les chĂŽ-meurs. Parfaitement intĂ©grĂ©s au marchĂ©, les salariĂ©s nây seraient pas hostiles et le voudraient au contraire plus efficace, plus rentable. Lâhorizon du systĂšme capitaliste Ă©tant indĂ©passable, il suffirait donc de sâefforcer de mieux faire marcher lâindustrie, le commerce, les Ă©changes, lâinnovation, la production, la compĂ©tition, afin de satisfaire les souhaits fondamentaux de cette «grande couche moyenne » salariĂ©e qui ne demande que cela. La fonction politique de cette analyse est Ă©vidente : elle revient Ă marginaliser tout projet socialiste de gau-che, Ă le rĂ©duire Ă la charitĂ© compassionnelle dâune part, Ă une recherche de rentabilitĂ© rationalisĂ©e dâautre part, saupoudrĂ©e dâune lĂ©gĂšre redistribution des richesses en « constatant » quâil nây a plus de force sociale dĂ©sireuse dâun vrai changement. Finie la rĂ©volution et vive la classe moyenne et ses aspirations sacrĂ©es ! Les cris, aussi imprĂ©cis que pervers, abondent : pas touche aux classes moyennes (sic) ! Et les commentateurs se rĂ©pandent en assimilant dans la confusion celles-ci Ă la fois aux riches, Ă la fois aux salariĂ©s du haut de lâĂ©chelle. Appeler le « salariat » « classe moyenne » nâa plus aucune autre fonction conceptuelle et descriptive, câest une manipulation idĂ©ologique. Câest contribuer Ă lâempĂȘcher de prendre conscience de son immense force collective et de ses revendications lĂ©gitimes communes Cette « thĂ©orie » a un immense « hic » : « masquer ce nouveau nom du prolĂ©tariat que je ne saurais voir »⊠elle nâexplique pas les mouvements sociaux dâensemble du salariat de mai 68 Ă nov-dĂ©c 95, de 2003 Ă 2006 ou 2010⊠Cela nâexplique pas les revendications sociales communes pour les salaires, retraites, durĂ©e du travail⊠ni lâacharnement des employeurs Ă ne plus vouloir de durĂ©e lĂ©gale commune du travail ni de Smic, Ă prĂ©fĂ©rer des « retraites Ă la carte » et des « contrats » plus que des « lois ». Car si le Medef veut diviser, atomiser, rendre invisible le puissant et hĂ©gĂ©monique salariat câest quâils ont bien peur de cette force sociale, la plus importante la plus dĂ©cisive du pays, qui est la classe qui produit de façon dominante les richesses et qui nâen reçoit pas la part quâelle mĂ©rite. En vĂ©ritĂ©, donc, non il nây a pas de couche moyenne avec ou sans « s ». Il y a deux classes fondamentales, celle minoritaire et dominante de lâactionnariat et du patronat, et celle majoritaire et dominĂ©e du salariat. Les consĂ©quences politiques de cette analyse sont Ă©videmment Ă©normes. A lire : SalariĂ©s si vous saviez⊠Ed La DĂ©couverte. GF 2006 (et de nombreux autres articles depuis 20 ans dans la revue mensuelle D&S) Jeudi 2 FĂ©vrier 2012 GĂ©rard Filoche
18 RENDRE JUSTICE Ă CE DONT « YOUGOSLAVIE » A ĂTĂ LE NOM ? (7)
DOCUMENTAIRES MIS Ă LA DISPOSITION DES LECTEURS DU QUI-VIVEâŠ
Suite aux demandes, je laisserai une semaine de plus sur le site en libre tĂ©lĂ©chargement le documentaire « PremiĂšre dĂ©clinaison : lâHomme » / « Prvi padez-Äovek » (1964)
http://www.entretemps.asso.fr/Pro/Homme.mp4 et jây rĂ©installe, Ă©galement pour une semaine, le film « Azra » de Mirza Idrizovic de 1988 (voir Qui-vive n°17) :
http://www.entretemps.asso.fr/Pro/Azra.m4v
PETITE ENQUĂTE SUR LE NOM AZRA
Je profite de cette « reprise » pour signaler les points suivants : 1) Azra a Ă©tĂ© le nom dâun groupe rock croate, assez connu semble-t-il, crĂ©Ă© dans les annĂ©es 80 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Azra_%28groupe%29. Il aurait repris son nom, non pas du film dâIdrizovic mais dâun poĂšme trĂšs connu de Heine que voici :
Heinrich Heine (1797-1856) : Der Asra (Romanzero - 1. Erstes Buch â Historien ; 1851)
La fille du sultan, belle et sereine TĂ€glich ging die wunderschöne Sâen allait chaque jour dâun pas sĂ»r Sultanstochter auf und nieder Vers lâheure du soir Ă la fontaine Um die Abendzeit am Springbrunn, OĂč les eaux blanches murmurent. Wo die weiĂen Wasser plĂ€tschern. Chaque jour le jeune esclave demeure TĂ€glich stand der junge Sklave Vers lâheure du soir Ă la fontaine Um die Abendzeit am Springbrunn, OĂč les eaux blanches murmurent ; Wo die weiĂen Wasser plĂ€tschern; Il devient chaque jour plus blĂȘme. TĂ€glich ward er bleich und bleicher. Un jour la princesse avec un ton Eines Abends trat die FĂŒrstin Soudain sâapproche de lui : Auf ihn zu mit raschen Worten: « Je veux connaĂźtre ton nom, âDeinen Namen will ich wissen, Celui de ton clan, de ton pays ! » Deine Heimat, deine Sippschaft!â « Je mâappelle », lâesclave rĂ©pliqua, Und der Sklave sprach: âIch heiĂe « Mohammed, je viens du YĂ©men, Mohamet, ich bin aus Yemmen, Je suis de la tribu dâAsra, Und mein Stamm sind jene Asra, De ceux qui meurent quand ils aiment. » Welche sterben, wenn sie lieben.â
On remarquera au passage que le poĂšme de Heine est systĂ©matiquement bĂąti sur un rythme en trochĂ©e (pied constituĂ© dâune longue puis dâune brĂšve) : TĂ€g-lich ging die wun-der-schö-neâŠ
2) Si lâon suit cette piste, le nom de la femme dans le film renverrait Ă lâarabe Asra, non Ă Azra. Or la langue arabe nous offre trois possibilitĂ©s de comprendre cet Azra/Asra :
En partant de Asra, on nâa quâune possibilitĂ© de prĂ©nom : celle qui se greffe sur la racine quâil faudrait transcrire ΔaSar (il y a un « aĂŻn » au dĂ©part et le « S » est emphatique) et qui renvoie Ă la notion de temps. Cette racine ne donne, semble-t-il, quâun prĂ©nom masculin : Asr (câest-Ă -dire en fait ΔaSr)
En partant cette fois dâAzra, on a deux possibilitĂ©s.
o La premiĂšre, la plus simple a priori, serait la racine qui se translittĂšre bien en âazr et qui renvoie Ă la notion de force et de puissance. Mais cette notion suscite, semble-t-il, un prĂ©nom
19 masculin (Asre) plutÎt que féminin.
o DeuxiÚme possibilité, qui me semble finalement la bonne : la racine qui se translittÚre ainsi Δazara (le « z » est interdental) et qui renvoie à la notion de virginité. Elle donne en effet le nom
Vierge dâoĂč le prĂ©nom fĂ©minin attendu, courant, de Azra (la Vierge) Au total, lâAsra de Heine nâa donc guĂšre Ă voir avec lâAzra du film ! Conclusion de cette petite enquĂȘte : LâAsra de Heine est un ΔaSra, dâorientation plutĂŽt masculine (comme le soutient le poĂšme). LâAzra du film est un Δazra qui renvoie Ă une figure typiquement fĂ©minine (comme le soutient le film). Tableau rĂ©sumĂ©
DĂBUT DâUNE ENQUĂTE SUR LE SURRĂALISME SERBE : UN POĂME
Comme lâexposition de Bruxelles lâa rappelĂ©, le mouvement surrĂ©aliste a eu, dans les annĂ©es 30, une importante et originale contribution serbe. Politiquement, cette contribution serbe se traduira par une singularitĂ© dans les annĂ©es 40 : son immersion rapide dans la rĂ©sistance armĂ©e Ă lâarmĂ©e nazie.
Petit rappel prĂ©liminaire En France, le rapport du mouvement surrĂ©aliste Ă la politique et Ă la question du communisme telle quâelle se donnait dâabord dans les annĂ©es 20, puis dans les annĂ©es 30, enfin pendant la seconde guerre mondiale est Ă©minemment divisĂ© et contradictoire. Le lieu nâest pas immĂ©diatement de reprendre en dĂ©tail cette histoire, par bien des points trĂšs Ă©loignĂ©e de ma propre expĂ©rience (tant de militant que de compositeur) comme de celle de bien de mes amis. Mais deux mots malgrĂ© tout. Les surrĂ©alistes français, pour une bonne part, se sont constituĂ©s en compagnons de route du PCF, escomptant ainsi que la caution « intellectuelle » quâils apportaient Ă une politique â par bien des points dĂ©testable â du PCF se monnaierait en Ă©change en une caution idĂ©ologico-politique du PCF Ă leurs propres travaux littĂ©raires. Ainsi dâun cĂŽtĂ©, ils ne « militaient » pas, ne faisaient pas rĂ©ellement de politique (comme tout un chacun, qui le dĂ©cide, est amenĂ© Ă en faire â au sens spĂ©cifique du « faire » que veut dire ce « faire de la politique » -), et ne faisaient donc que cautionner de lâextĂ©rieur la politique faite par le PCF. Et dâun autre cĂŽtĂ©, ils attendaient du PCF quâil les dĂ©crĂšte en retour grands poĂštes et/ou artistes. Soit un Ă©change avec le PCF : « je cautionne ta politique et tu promeus en Ă©change mon travail intellectuel/artistique », Ă©change inscrit sous le signe dâun double « comme si » auquel ma gĂ©nĂ©ration sâest attaquĂ©e ouvertement : dâun cĂŽtĂ© faisons comme si un intellectuel ou artiste pouvait se mĂȘler de politique sans avoir Ă en faire rĂ©ellement (comme si son rĂŽle Ă©tait de commenter la politique de lâextĂ©rieur), et dâun autre cĂŽtĂ© faisons comme si la valeur dâun travail intellectuel et/ou artistique pouvait sâattacher Ă quelque conformitĂ© idĂ©ologico-politique dont « Le Parti » serait le garant exogĂšne.
SpĂ©cificitĂ© du surrĂ©alisme serbe Il sâagit donc ici dâenquĂȘter sur les spĂ©cificitĂ©s du surrĂ©alisme serbe et sur le rĂŽle que
20 ces spĂ©cificitĂ©s ont pu jouer dans un rapport particulier Ă lâengagement politique.
Turpitude, de Marko Ristic Voici à ce titre un poÚme de 1938, fourni par nos amis belges et restitué ici dans son contexte.
Lors de sa publication Ă Zagreb (1938) Turpituda, "rapsodie paranoĂŻaque-didactique" de Marko Ristic, avec dessins de Krsta Hegedusic, est immĂ©diatement saisie et dĂ©truite en raison de la Loi sur la protection de la sĂ©curitĂ© et de lâordre public dans lâĂtat. Les relations entre surrĂ©alistes yougoslaves et français furent complexes. Amicales dans un premier temps, elles se sont tendues lorsque les surrĂ©alistes yougoslaves ont pris les armes, une situation qui peut expliquer que les surrĂ©alistes yougoslaves nâaient pas toute leur place dans les manuels français dĂ©diĂ©s au mouvement surrĂ©aliste.
Marko Ristic (1902-1984) http://www.serbiansurrealism.com/be15.htm
Issu dâune vieille famille belgradoise, il est un de chevilles ouvriĂšres du mouvement surrĂ©aliste yougoslave. Il introduit le premier Manifeste du SurrĂ©alisme(1924) dans la revue Svedocanstva, quelques mois aprĂšs sa parution en France. Il est alors rejoint par plĂ©thore de jeunes Ă©crivains tels que Oskar DaviÄo, Dusan MatiÄ, ÄorÄe KostiÄ, Aleksandar VuÄo tous, notons-le, francophones. Le mouvement suscite un vif intĂ©rĂȘt dans le milieu intellectuel belgradois et yougoslave, Ă cette Ă©poque royaliste. Cependant, ces jeunes avant-gardistes vont vite ĂȘtre contestĂ©s ; d'un cotĂ© Ă cause de leur style anti-acadĂ©mique, mais aussi Ă cause de leurs convictions communistes qui a valu Ă tous les membres de la groupe "du 13" prison et tortures dans les prison fĂ©roces du Royaume yougoslave (AndrĂ© Gide fut un des initiateurs de pĂ©titions pour l'amnistie des prisonniers yougoslaves de cette Ă©poque). Ristic publie ses premiers ouvrages dans les annĂ©es 30-40 alors que la toute jeune Yougoslavie sort difficilement de cinq siĂšcles de domination extĂ©rieure (successivement ottomane et austro-hongroise). Ce
21 contexte historique rend difficile lâaccĂšs aux courants littĂ©raires mondiaux, et le patrimoine culturel yougoslave reste assez modeste. Nâoublions pas que la notion de langue littĂ©raire serbo-croate nâapparaĂźt quâau XIXe siĂšcle avec lâAccord de Vienne, menĂ© par Vuk Karadzic et Ludevit Gaj. En 1941, la plupart des surrĂ©alistes yougoslaves entrent dans la lutte armĂ©e libĂ©ratrice des partisans yougoslaves. AprĂšs la libĂ©ration, Marko RistiÄ devient le premier ambassadeur de la Yougoslavie post-rĂ©volutionnaire, en France ( 194-195). Cet extrait du poĂšme Turpituda est assez reprĂ©sentatif de cette gĂ©nĂ©ration dâĂ©crivains et de son mouvement : le passĂ©, obscur, sale, dĂ©cadent, se trouve confrontĂ© Ă un avenir tout aussi brutal que menaçant. De cette confrontation incongrue, dâoĂč Ă©manent anxiĂ©tĂ© et noirceur, va naĂźtre une envolĂ©e onirique enivrante et magique. Le texte, malgrĂ© toutes ses ombres, insuffle un parfum de rĂȘves, qui fera triompher la Turpitude, fusion dâun passĂ©, encore proche, sombre et archaĂŻque, et dâun monde moderne prĂ©-guerrier, apportant peu dâespoir. 1909â1921 NĂ© dans une ancienne famille belgradoise, Ristic fait ses Ă©tudes Ă Belgrade et en Suisse. 1922 Avec M. Dedinac et D. Timotijevic il lance la revue Putevi (Chemins). 1924â1925 RĂ©dacteur, avec R. Petrovic, D. Matic et M. Dedinac, de la revue Svedocanstva (TĂ©moigna-
ges). 1926 Mariage avec Seva Zivadinovic Ă Vrnjacka Banja, leurs tĂ©moins sont Aleksandar et Lula Vuco. 1926â1927 Il fait connaissance avec AndrĂ© Breton et les surrĂ©alistes français pendant son sĂ©jour Ă Paris
dâoĂč il ramĂšne le cycle de collages La vie mobile. 1927 A lâexposition de Max Ernst Ă Paris, Seva et Marko Ristic achĂštent le tableau Le Hibou (Lâoiseau
en cage) (MusĂ©e dâArt Moderne, Belgrade). 1928 Publication de lâantiroman Bez mere (Sans mesure). Naissance de sa fille Mara. 1928â1929 Il rĂ©alise une sĂ©rie de photogrammes avec Vane Bor Ă Vrnjacka Banja 1930 Ristic est un des fondateurs du groupe des surrĂ©alistes de Belgrade et un des signataires du mani-
feste. RĂ©dacteur avec A. Vuco et D. Matic de lâalmanach Nemoguce â Lâimpossible oĂč il publie les col-lages Budilnik (Le rĂ©veil) et Ljuskari na prsima (CrustacĂ©s sur la poitrine). Avec D. Matic il Ă©crit Pozi-cija nadrealizma (La position du surrĂ©alisme) que signent les autres membres du groupe surrĂ©aliste bel-gradois.
1931 Avec K. Popovic il publie le livre Nacrt za jednu fenomenologiju iracionalnog (Projet pour une phĂ©nomĂ©nologie de lâirrationnel).
1931â1932 M. Ristic est un des rĂ©dacteurs de la revue Nadrealizam danas i ovde (Le SurrĂ©alisme au-jourdâhui et ici).
1932 Avec V. Bor il publie le livre Antiâzid (AntiâMur). 1933 La revue parisienne Le surrĂ©alisme au service de la rĂ©volution (n. 6, pp. 36â39) publie sa rĂ©ponse Ă
lâenquĂȘte « Lâhumeur estâil une attitude morale? » 1936 Il Ă©crit le texte âPredgovor za nekoliko nenapisanih romanaâ. 1938 Publication de son poĂšme Turpituda qui est saisi par la police Ă Zagreb. 1939 Avec M. Krleza, K. Hegedusic, V. Bogdanov, Z. Rihtman et dâautres il fonde la revue Pecat (Le
sceau). Voyage en Italie avec Seva. 1941â1942 Il vit Ă Vrnjacka Banja. Il est emprisonnĂ© quelques temps Ă Krusevac. 1944 Il publie des textes politiques dans Politika et Borba et est rĂ©dacteur de lâInstitut pour les publica-
tions de Yougoslavie. 1945â1951 Il est nommĂ© ambassadeur de Yougoslavie Ă Paris. 1951 Ălu membre correspondant de lâAcadĂ©mie des sciences yougoslave Ă Zagreb. 1952 Avec O. Bihalji Merin, O. Davico, M. Dedinac, E. Finci, D. Matic et A. Vuco, Ristic fonde la re-
vue Svedocanstva (TĂ©moignages). 1955 Avec A. Vuco, O. Davico, D. "osic et A. Isakovic, il lance la revue Delo (Ćuvre). 1956 Publication du livre Nox microcosmica. 1958 Ristic est prĂ©sident du ComitĂ© national yougoslave pour UNESCO. 1989 AprĂšs sa mort, H. Kapidzic Osmanagic publie ses textes dans le livre Naknadni dnevnik 12 C (Sa-
rajevo). 1993 Legs de Seva et Marko Ristic - expĂ©rimentation du groupe des surrĂ©alistes de Belgrade (1926â
1939) - dĂ©posĂ© au MusĂ©e dâ Art Moderne de Belgrade.
22 http://serbiansurrealism.com/fr.htm
Extraits de Turpitude (1938) http://retors.net/spip.php?article79#nb1
Je raille son abondante et plĂ©thorique rĂȘverie dâun sculptural Ăąge dâor Sa douce et onirique superstition aux marges claires obscures Sur la bordure mĂ©lancolique de lâindolence sa main frissonne encore une derniĂšre fois La souffrance se transforme [en ?] otage dâune vision mnĂ©motechnique mutilĂ©e et en rien Les traces dâun refrain retentissant contrastent avec le reliquat dâun effrĂ©nĂ© frisson Un misĂ©rable roseau titube et sacrifie son ariditĂ© poussiĂ©reuse Ă des champignons blancs Comme lorsque le soleil exerce un tourbillon dâinfamie autour duquel se rassemblent les grillons 1 Lâinconsciente Ă©charde dâun devenir ancestral et antĂ©rieur dans lâĆil dâune locomotive fumigĂšne Le cĆur dâavant derniĂšres pantoufles vespĂ©rales et la cendre de tous les cendriers diplomatiques Des voiles imaginaires dĂ©ployĂ©es 2 au-dessus dâun plasma en branle dans une passion cul-de-sac Dans les doux bas-fonds des pulsions sexuelles en avalanche contre le roc dâun littoral lunaire La mer flĂ©trie la mer chimĂ©rique monotone immonde Ă©gouttĂ©e labourĂ©e fauchĂ©e Le spectre de la grande voie lactĂ©e dans une Ă©loquente luminositĂ© dâillogisme et lâhorreur et lâhorreur Je raille sa confiance en la rĂȘverie vide et Ă©cumĂ©e dans lâĆil de grenouille Chacune de ses prĂ©dictions de beau parleur sur les rives dâun lac insipide ou [oĂč ?] henni[t ?] un cygne noir Ce perroquet au long cou sans Ă©gard pour le jour pourri sa derniĂšre chanson de papier Dans une acrobatique Ă©caille dâĂ©boulement tombe et chancelle un insolent pean [pĂ©an] 3 Une nuĂ©e dâoiseaux verruqueux dans un rĂąle concourt avec un immense archĂ©optĂ©ryx Les fondations Ă©phĂ©mĂšres dâun avant dĂ©luge capitaliste se lĂ©zardent et craquĂšlent comme le sel dans la boue Les vertigineux toboggans pneumatiques de lâHistoire se ruent sur chaque mamelle nue Les Dodoles 4 Ă travers les siĂšcles se dĂ©hanchent sur les sentiers et sâenroulent autour de la caverne de
lâhomme du palĂ©olithique Autour des forteresses fĂ©odales autour des turbines autour du ParthĂ©non autour du palais Riunione Ă
Belgrade Les forĂȘts prĂ©historiques et marĂ©cageuses dans lesquelles lâinventeur de la machine Ă coudre 5 sâaccroupit
se rĂ©veillent Elles sâĂ©tirent avec leurs lascives et inextricables lianes et en silence gĂ©missent dans la sueur Suintent alors de leurs pulpeux et gigantesques feuillages tout un tas de boutades Sur lâaddition de Bernard Shaw de Sarah Bernhardt et aussi du prĂ©sident de la rĂ©publique dâUruguay 6 dont
je ne connais pas le nom Son nom Ă elle est Turpitude et elle vit dans un gratte-ciel imaginaire de cristal dâaluminium et de vernis Qui se dresse Ă©lancement sur un tronçon parmi des peaux et des crĂąnes dâagneau qui puent Dans Trstenik elle rĂȘve son rĂȘve paradisiaque et argentĂ© fait dâĂ©cume cĂ©leste et immaculĂ©e Dans Trstenik elle tisse son soyeux tissu de magie opiacĂ©e 7 et de bleus fantasmes LĂ elle veille sur lâextase et le silence par son beuglement dĂ©lirant tandis que la cloche sonne et somme 8 1 Jeu de mots sur popovi « popes » au pluriel et popci « grillons », soit insectes « habillĂ©s » en noir 2 razapeta « dĂ©ployĂ© » : on perd lâallusion à « crucifiĂ© » qui existe dans la polysĂ©mie du mot « razapet » 3 PĂ©an : chant en lâhonneur dâApollon 4 Dodoles : jeunes filles qui, en pĂ©riode de sĂšcheresses, chantent pour attirer la pluie tout en versant de lâeau sur les passants et se laissant arroser par eux. 5 Voir LautrĂ©amont, Les Chants de Maldoror, Paris, Robert Laffont, 1980, chant VI, p.743 : « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection dâune machine Ă coudre et dâun parapluie » 6 LautrĂ©amont est nĂ© et a grandi en Uruguay. 7 Peut-on voir lĂ une rĂ©fĂ©rence Ă lâopium de Baudelaire ? 8 Jeu de mots en serbo-croate, zvono zvoni i zove, littĂ©ralement « la cloche sonne et appelle »
23 Je la raille elle et perfidement je tourne autour de son nombril sournoisement je renifle son odeur Les sabots battent vertement sur le pavĂ© leurs mĂ©lodies du vainqueur tels de fringants moreaux Et dĂ©tonnent les pneus dâautomobiles comme des grappes oĂč crĂ©pitent la voluptĂ© et lâivresse dâune rĂ©colte Regarde le poisson de la solitude mollement et bĂȘtement frappe sur la vitre de son aquarium de verre Dans lequel la Turpitude ronge une quenouille et enduit ses ongles dâun vernis Ă lâodeur de bonbons De bonbons bons marchĂ©s de quelques noms et dans Trstenik oĂč personne ne perd le droit de rĂȘver Je raille la Turpitude Ă un tel point que ne me dĂ©vorent pas petits pourceaux et teignes Alors je vois moi aussi sa vision du bonheur et je dĂ©ploie sur les portes cochĂšres dâune ville future lâamour Je frĂ©mis comme elle Ă la pensĂ©e de la voluptĂ© que sur ses seules Ă©paules elle porte comme une fourmi Afin que les villages de nĂšgres chancellent et exultent Ă travers des bibliothĂšques embaumĂ©es Comme une nuĂ©e de sauterelles Ă travers les fertiles champs banates 9 et comme le choc dâun nuage dâacier
Ă travers une Ă©glise OĂč hagards de sournois diacres pillent le butin de ce monde-ci et de celui-lĂ Afin que se rĂ©jouissent les loups auxquels dĂšs aujourdâhui les meilleurs dentistes de lâenfer aiguisent les
dents Pour un festin de folie oĂč tourbillonneront le bĂ©ton et lâacier des bureaux de changes frontaliers Les mers bouillonnantes et la mappemonde jaillissante de lave peut-ĂȘtre dĂ©raillant par la tangente Mais lĂ mĂȘme oĂč la Turpitude aura son rĂŽle majestueux de la vengeance et de la consolation Traduit par Karine Samardzija
9 RĂ©gion de Vojvodine
24 ANALYSE DU CAPITALISME
LES NOTES DE ARTUS/NATIXIS
Jâessaie de retenir de ces notes ce qui Ă chaque fois Ă©claire un point, certes limitĂ©, certes selon un Ă©clairage conventionnel, mais cependant significatif quant Ă lâĂ©tat du capitalisme occidental⊠Premier point : dans la majoritĂ© des cas, le tournant Ă©conomique date bien de la seconde partie des annĂ©es 70 (je me souviens mâĂȘtre penchĂ© Ă lâĂ©poque sur « le Plan Barre »âŠ).
25
Second point : Ă lâintĂ©rieur de la zone euro, lâavenir est plutĂŽt Ă la divergence quâĂ la convergenceâŠ
26
27 DIVERS
SARTRE
Sommes-nous en dĂ©mocratie ? Un extrait qui mâa semblĂ© avoir quelque actualitĂ©âŠ
Les Temps modernes, 1952 Avant de mourir pour la dĂ©mocratie, je voudrais ĂȘtre assurĂ© dây vivre. Il paraĂźt justement que câest le rĂ©gime de mon pays : je le veux bien, mais quand jâen cherche des preuves, je mâaperçois quâelles reposent toutes sur le tĂ©moignage dâautrui. [âŠ] Si, au lieu dâexercer rĂ©ellement mon droit de vote, je ne faisais que participer Ă la cĂ©rĂ©monie dĂ©risoire de lâisoloir et du bulletin, bref si mes actes de citoyen se mĂ©tamorphosaient secrĂštement en gestes, on mâa si bien endoctrinĂ© que je ne mâen apercevrais pas. [âŠ] Tout le monde a les mĂȘmes droits, mais tout le monde nâa pas le droit dâen jouir. [âŠ] Les rĂ©alisations dĂ©mocratiques marquent un « progrĂšs » [âŠ] mais ce progrĂšs mĂȘme, par les consĂ©quences quâil engendre, contribue Ă dĂ©truire le rĂ©gime qui lâa rĂ©alisĂ© ; comme si la rĂ©alisation intĂ©grale de la dĂ©mocratie bourgeoise devait coĂŻncider avec sa totale destruction.
ACTUALITĂ DâALAIN BADIOU
Quelques critiques du livre, ici prĂ©sentĂ©es en dĂ©sordreâŠ
Florence Dupont (Le Monde) "La RĂ©publique de Platon", d'Alain Badiou : Platon, le remake
LE MONDE DES LIVRES | 26.01.12 | Alain Badiou publie sous son nom un livre au titre dĂ©routant, La RĂ©publique de Platon. Dialogue en un prologue, seize chapitres et un Ă©pilogue. Un texte et deux auteurs ? Qu'a fait Badiou avec ce texte chaotique, bien connu des bacheliers, oĂč Socrate affronte un sophiste sur la dĂ©finition de la justice et invente Ă l'occasion une utopie communiste, l'allĂ©gorie de la caverne et le mythe d'Er ? Est-ce une traduction ? L'auteur avertit en prĂ©face que, s'il a lu Platon en grec, sa RĂ©publique n'est pas une traduction, elle en est un Ă©cho contemporain. Certaines phrases "sentent" pourtant la version grecque. C'est donc un effet de trompe-l'oeil. Aurions-nous affaire Ă un simple jeu culturel ? Voire Ă un canular ? Pour tous les normaliens qui ont traduit du grec jusqu'Ă la lie, l'anachronisme rigolard et cultivĂ© est depuis Giraudoux une tradition : "Je suis comme le vieux TolstoĂŻ", dit Socrate chez Badiou. Mais la modernisation de cette RĂ©publique est aussi une affaire sĂ©rieuse bien que souriante. Lacan, Marx et Shakespeare, la biologie molĂ©culaire et les iPod entrent dans le texte de Badiou Ă cĂŽtĂ© d'HomĂšre et des Ă©ternels potiers de Socrate. Cette Ă©quivalence des deux mondes, ancien et moderne, dans le propos philosophique, implique l'Ă©ternitĂ© et l'universalitĂ© d'une vĂ©ritĂ© immanente au texte de Platon, indĂ©pendamment de son ancrage anthropologique et historique et de sa matĂ©rialitĂ© verbale. C'est une vieille histoire. La prĂ©tendue Ă©ternitĂ© de Platon a toujours reposĂ© sur des anachronismes volontaires. Badiou Ă©crit une RĂ©publique politiquement correcte. Des filles de bonne famille accompagnent les amis de Socrate : la soeur de Platon, "la belle Amantha", est l'occasion de mettre une pincĂ©e de fĂ©minisme dans le livre. Et Socrate se rĂ©jouit Ă l'idĂ©e de draguer les filles au bal que donne la municipalitĂ© du PirĂ©e, ce soir de fĂȘte. Juste drĂŽle ? L'Ă©galitĂ© sociale des hommes et des femmes qu'imagine Socrate dans sa citĂ© utopique perd son sens, et devient chez Alain Badiou une affaire de sexe et de filles Ă poil dans les douches communes au sein d'une sociĂ©tĂ© majoritairement hĂ©tĂ©rosexuĂ©e : la nĂŽtre. Il est impossible d'identifier ce livre en le lisant Ă partir du texte de Platon ; c'est une pieuvre socratique qui vous glisse entre les doigts et se retourne comme un gant. On passe du rire pour un anachronisme bien trouvĂ© Ă l'exaspĂ©ration pour une analogie abusive. Pitreries et choses sĂ©rieuses Une autre approche du livre est possible. Dans La RĂ©publique - l'ancienne -, Platon ne fait que transcrire les paroles de Socrate, seul narrateur. Tout le texte est Ă la premiĂšre personne, les autres voix sont enclavĂ©es dans la voix de Socrate. Le coup de force - de gĂ©nie, si l'on veut - d'Alain Badiou consiste Ă avoir supprimĂ© le narrateur et pris la place de l'auteur, dĂ©sormais seul principe unificateur du texte. D'un dialogue platonicien dont l'unitĂ© Ă©tait la voix de Socrate, Alain Badiou a fait un roman avec des personnages dont il est le seul maĂźtre, libre d'en faire les serviteurs de ses anachronismes.
28 La premiĂšre phrase du dialogue Ă©tait : "J'Ă©tais descendu hier au PirĂ©e avec Glaucon, fils d'Ariston, pour prier la dĂ©esse..." Le nom de Socrate apparaĂźtra quand son ami PolĂ©marque lui adressera la parole. La premiĂšre phrase du roman est : "Le jour oĂč toute cette immense affaire commença, Socrate revenait du quartier du port." "Immense" est une intrusion de l'auteur qui Ă©value rĂ©trospectivement ce qui est pour lui, aujourd'hui, un Ă©vĂ©nement. "L'affaire", comme il dit. Mais il n'y a d'affaire ou d'Ă©vĂ©nement que par le rĂ©cit qui le dĂ©finit et le clĂŽture. Philosophe professionnel, Badiou confond le texte de La RĂ©publique, et son histoire postĂ©rieure, avec un Ă©vĂ©nement qui en serait Ă l'origine et qu'il crĂ©e par un rĂ©cit fictif. Le romancier a Ă©liminĂ© la voix de Socrate : il sera l'auteur de chaque pitrerie comme de ses anachronismes philosophiques sĂ©rieux. Platon, qui a disparu avec la voix de Socrate, dont il Ă©tait le transcripteur, ne peut pas lui servir d'alibi. Comment appeler cette dĂ©marche ? Pourquoi pas un remake ? Le terme vient du cinĂ©ma et dĂ©signe un nouveau film qui reprend les principaux Ă©lĂ©ments de scĂ©nario, le rĂ©cit et les personnages d'un autre plus ancien. En 1998, Psycho a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par Gus Van Sant Ă partir de Psychose, d'Hitchcock (1960). Personne n'imagine un remake de Psychose sans la scĂšne de la douche, ni un remake de La RĂ©publique de Platon sans l'allĂ©gorie de la caverne ou le mythe d'Er. Le livre de Badiou s'appuie donc sur des sĂ©quences incontournables pour se livrer Ă tous les Ă©carts que lui permet son statut d'auteur. Un remake est un lieu de mĂ©moire, s'y dĂ©posent l'histoire du premier film et les commentaires qui ont suivi. Psycho est destinĂ© aux cinĂ©philes ; pour bien lire "La-RĂ©publique-de-Platon" de Badiou, il faut non seulement avoir dĂ©jĂ lu celle de Platon - en grec ? - mais avoir aussi son immense culture philosophique et littĂ©raire. LA RĂPUBLIQUE DE PLATON d'Alain Badiou. Fayard, "Ouvertures", 600 p., 25 âŹ. Florence Dupont, latiniste
Monique Dixsaut (Marianne) La meilleure spécialiste de Platon en France a lu pour « Marianne » la traduction de la République effectuée par
le philosophe Alain Badiou. Voici son verdict. Par Monique Dixsaut*
Lire la version quâAlain Badiou nous offre de la RĂ©publique est un bonheur. Il sâamuse, mais seul celui Ă qui un tel texte est devenu intimement liĂ©, Ă force de travail, peut sâamuser avec une telle libertĂ©, une telle justesse ; les interlocuteurs de Socrate â lâinsolente Amantha, Glauque le raisonneur â se font personnages de thĂ©Ăątre. En faisant des sophistes et des « amateurs de spectacles » des portraits qui ne nous sont que trop familiers, Badiou dĂ©montre lâactualitĂ© des diagnostics platoniciens : lâune et lâautre espĂšce bouchent notre horizon comme du temps de Platon. Une restructuration thĂ©matique Ă©vite au lecteur de se perdre ; on y gagne en clartĂ©, bien quâon perde un peu les digressions, les sauts et retours qui sont pour Platon le propre de toute pensĂ©e qui se cherche. Mais il faudrait ĂȘtre sacrĂ©ment grincheux, de mauvaise foi ou pĂ©dant, pour rĂ©sister Ă la vitalitĂ© de ce qui nous est offert. A quoi, dâailleurs, avons-nous affaire ici ? A une traduction « dĂ©poussiĂ©rĂ©e » ? La prendre ainsi, ce serait inscrire cette RĂ©publique dans la lignĂ©e des « belles infidĂšles » (la traduction du Banquet par Racine, par exemple) dont le but Ă©tait dâadapter des textes anciens au goĂ»t de lecteurs contemporains. Cela y ressemble Ă premiĂšre vue, mais Badiou sait bien que ce qui est moderne est vouĂ© Ă se dĂ©moder, et quâhabiller Don Giovanni en complet veston ne fait ni chaud ni froid Ă la musique de Mozart, elle qui possĂšde la puissance de nous arracher au vacarme de toute modernitĂ© et dâouvrir nos oreilles Ă lâintempestif. Le but nâest pas de venir au secours de Platon en le modernisant mais de restituer le cĂ©lĂšbre dialogue Ă son Ă©ternitĂ© vĂ©ritable « qui est dâĂȘtre disponible pour le prĂ©sent ». Pour ce faire, Badiou rĂ©Ă©crit la RĂ©publique. Il nâest pas le premier, le dernier en date Ă©tant Nietzsche qui, dans Sur lâavenir de nos Ă©tablissements dâenseignement (1872), comprend de maniĂšre trĂšs proche ce que ce livre a dâĂ©ternellement contemporain. Il existe pour Platon des vĂ©ritĂ©s absolues, invariantes, mais pour ĂȘtre dĂ©couvertes celles-ci exigent un sujet qui les aime (philosophia, « amour de la sagesse » en grec), et ne peut lui-mĂȘme Ă©merger quâĂ la faveur dâune certaine forme de vie politique. Faute de cela, nous devenons, comme Platon le prĂ©voyait, les instruments dociles dâune tyrannie dâautant plus efficace quâelle est plus subtile, inapparente. Tous les rĂ©gimes de gouvernement existants ou ayant existĂ© y conduisent, Ă lâexception dâun seul, qui nâexiste encore quâen paroles et est orientĂ© par lâ« IdĂ©e du Bien ». Une expression, jugĂ©e trop thĂ©ologique, Ă laquelle Badiou prĂ©fĂšre ici « IdĂ©e du Vrai ». Une vraie vie est donc une vie polarisĂ©e de la sorte. Ainsi que le dit Socrate, tous ceux qui se dĂ©tournent de la philosophie « mĂšnent une vie qui nâest pas vraie ». Câest pour comprendre cela, quâaujourdâhui plus que jamais, Platon nous est nĂ©cessaire, et Badiou a assez de force pour nous forcer Ă lâentendre. Une chose, toutefois, le gĂȘne chez Platon au point quâil le censure ou lui prĂȘte lâaffirmation contraire, et câest
29 ce qui me gĂȘne tout de mĂȘme chez Badiou. Voir dans la figure du « philosophe » une exception, une raretĂ©, relĂšve certes dâune thĂšse inĂ©galitaire de la part de Platon. Pourtant cette inĂ©galitĂ© nâest ni biologique ni intellectuelle. Elle rĂ©sulte dâune diffĂ©rence dâintensitĂ© entre plusieurs sortes de dĂ©sirs: chez la plupart des gens, celui dâavoir plus de pouvoir ou dâargent lâemporte sur le dĂ©sir de vĂ©ritĂ©, câest ainsi. Selon Badiou ce fait nâa rien de naturel, câest une consĂ©quence sociale, et la disposition Ă la philosophie est Ă ses yeux aussi universelle que le sont les vĂ©ritĂ©s. On ne peut le dĂ©montrer, pas plus quâon ne peut dĂ©montrer que la thĂšse de Platon est fausse. On peut seulement juger cette derniĂšre scandaleuse, et au fond immorale. Dans cette histoire, câest plutĂŽt Platon qui semble rĂ©aliste. « La RĂ©publique » de Platon, trad. du grec ancien par Alain Badiou, Fayard, 600 p., 25 euros. * Philosophe, professeur Ă©mĂ©rite Ă Paris I PanthĂ©on-Sorbonne. Avec « La RĂ©publique », fruit de 6 ans de travail, Alain Badiou introduit dans lâĂ©dition un objet philosophique non identifiable : Ă la fois antique et contemporain, le texte de Platon y est remis au goĂ»t du jour par le penseur radical de la rue dâUlm, dĂ©couvert par le grand public Ă travers son pamphlet politique : De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Lignes).
Robert Maggiori (Libération) Alain Badiou renverse «la République» de Platon
CritiqueUn remake contemporain de lâĆuvre du philosophe grec Par ROBERT MAGGIORI
Au fond, il ne faut quâun petit effort pour imaginer Socrate commenter une interview de Sophocle («Alors, Sophocle, oĂč en ĂȘtes-vous, cĂŽtĂ© sexe ?»),faire rĂ©fĂ©rence Ă Nietzsche ou Hitler, citer Mao, se moquer de «ceux qui sont toujours fourrĂ©s chez leur psy» ou fustiger les riches, qui, peu soucieux de «pensĂ©e et justice», veulent surtout «ĂȘtre en forme», «soigner dâavance toutes les maladies quâils risqueraient dâavoir, et sont terrorisĂ©s dĂšs quâils ont envie, inexplicablement, de se gratter le mollet». Comme Platon a beaucoup fait parler Socrate, il est tentant dâenvisager ce quâil eĂ»t pu dire en dâautres occasions, sur dâautres sujets, Ă dâautres Ă©poques. Et comme il parle dâune certaine façon, avec ses tics, ses ruses et ses rĂ©futations diaboliques - qui conduisent lâinterlocuteur Ă opiner du bonnet, «oui, Socrate⊠certainement Socrate», - il est tout aussi excitant de le pasticher. A lâinverse, si lâon veut savoir «ce quâil a vraiment dit», ou sâen approcher, on nâa que le recours Ă la lecture rĂ©itĂ©rĂ©e des dialogues platoniciens, Ă la traduction, lâinterprĂ©tation : la tradition philosophique le fait depuis vingt-cinq siĂšcles. Presbyte. Dans la RĂ©publique de Platon, Alain Badiou nâa optĂ© pour rien de tout cela. Il nâa pas donnĂ© une nouvelle traduction de lâĆuvre du philosophe grec, nâa pas livrĂ© un commentaire, nâa pas Ă©crit une parodie, nâa pas «dĂ©tourné» le texte en le truffant dâanachronismes. Mais il a mis six ans Ă faire ce quâil a fait - une «Ćuvre» qui ne correspond Ă aucune catĂ©gorie familiĂšre. Dans la RĂ©publique de Platon, il y a toute la RĂ©publique, mais il nây a aucune phrase de lâouvrage de Platon qui soit restituĂ©e telle quelle. Approche, Ă la fois myope et presbyte, qui donne un «objet rare» : la RĂ©publique de Badiou, dira-t-on, Ă©tablie avec le concours de Platon, dâoĂč la pensĂ©e du philosophe, professeur Ă©mĂ©rite Ă lâENS, Ă©merge de façon encore plus nette que dans ses autres livres. ArmĂ© de ses «chĂšres Ă©tudes classiques», du dictionnaire Bailly et de quelques traductions (Chambry, Robin, Baccou), Badiou se confronte dâabord avec le texte platonicien. «Je mâacharne, je ne laisse rien passer, je veux que chaque phrase [âŠ] fasse sens pour moi.» Ensuite, sur «la page de droite dâun grand cahier de dessin de chez Canson» - il en remplira 57 -, il Ă©crit «ce que dĂ©livre [en lui] de pensĂ©es et de phrases la comprĂ©hension acquise du morceau de texte grec dont [il] estime ĂȘtre venu Ă bout». Puis il rĂ©vise ce premier jet, et rĂ©dige la nouvelle version sur la page de gauche. Enfin le manuscrit passe dans les mains dâIsabelle Vodoz, laquelle le «peigne», le corrige, en fait un fichier informatique et le retourne Ă lâauteur, qui le peaufine jusquâĂ la version finale. «Souvent, je mâĂ©loigne dâun cran de plus de la lettre du texte original, mais je soutiens que cet Ă©loignement relĂšve dâune fidĂ©litĂ© philosophique supĂ©rieure.» Une telle «fidĂ©lité» incite Badiou Ă ne respecter ni lâordre ni la division en 10 chapitres de la RĂ©publique, Ă introduire un personnage fĂ©minin, Amantha, «sĆur de Platon» (qui dit «fasciste» au lieu de «tyran»), Ă jouer dâune libertĂ© totale dans les rĂ©fĂ©rences («si une thĂšse est mieux soutenue par une citation de Freud que par une allusion Ă Hippocrate, on choisira Freud, quâon supposera connu de Socrate»),Ă survoler lâhistoire («pourquoi en rester aux guerres, rĂ©volutions et tyrannies du monde grec, si sont encore plus convaincants la guerre de 14-18, la Commune de Paris ou Staline ?»),Ă rendre «IdĂ©e du Bien» par «VĂ©rité», «ùme»par «Sujet», «Dieu»par «Grand Autre», et «CitĂ© idĂ©ale» par «politique vraie, communisme et cinquiĂšme politique». Si Badiou Ă©tait traducteur ou philologue, on le pendrait devant le portail de lâAcadĂ©mie. Mais il est
30 philosophe et, en cela, lĂ©gitimĂ© Ă utiliser tous les outils possibles pour mener le «combat spirituel» qui vise Ă sĂ©parer opinions et savoirs et Ă sâapprocher, bon an mal an, du «rĂ©el de lâĂȘtre» et de la vĂ©ritĂ©. De plus, il est romancier et dramaturge. Aussi sa RĂ©publique de Platon se rĂ©vĂšle ĂȘtre un coup de maĂźtre. Si on connaĂźt trĂšs bien la RĂ©publique du Grec, on apercevra dans son «adaptation philosophique» toute la malice et lâinventivitĂ© de Badiou. Si on lâignore, on lira la RĂ©publique de Platon comme un texte «premier», passionnant, alerte, drĂŽle, «mettant en scĂšne» de façon trĂšs contemporaine les questions clĂ©s de la philosophie, la lutte contre les sophistes et les manipulateurs de lâopinion, la justice, lâĂ©ducation, lâart, la discipline des corps, lâamour, la genĂšse de la sociĂ©tĂ© et de lâEtat, la critique des politiques timocratiques, oligarchiques, tyranniques, dĂ©mocratiques⊠«LumiĂšre». Platon nommait «philosophe» celui qui parvient Ă sortir de la caverne et, par une dialectique ascendante, passe de la trompeuse connaissance des ombres, puis des objets sensibles, Ă la vraie connaissance des idĂ©alitĂ©s mathĂ©matiques et de lâIdĂ©e du Bien. Badiou voudrait que tous - «les ouvriers, les employĂ©s, les paysans, les artistes et les intellectuels sincĂšres» - suivent ce mĂȘme parcours afin dâatteindre⊠lâIdĂ©e du communisme. Mythe Ă©ternel, que celui de la caverne, au sens⊠inĂ©puisable ! Platon le dĂ©crit ainsi : «Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrĂ©e ouverte Ă la lumiĂšre ; ces hommes sont lĂ depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaĂźnĂ©s, de sorte quâils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant euxâŠÂ» Et que lit-on chez Alain Badiou, pour qui ces reclus - «ce sera la mĂȘme chose en mieux» - sont les «spectateurs-prisonniers du mĂ©diatique contemporain» ?Eh bien, ceci : «Imaginez une gigantesque salle de cinĂ©ma. En avant lâĂ©cran, qui monte jusquâau plafond, mais câest si haut que tout ça se perd dans lâombre, barre toute vision dâautre chose que de lui-mĂȘme. La salle est comble. Les spectateurs sont, depuis quâils existent, emprisonnĂ©s sur leurs siĂšges, les yeux fixĂ©s sur lâĂ©cran, la tĂȘte tenue par des Ă©couteurs rigides qui leur couvrent les oreillesâŠÂ»
Pierre Bance http://www.autrefutur.org/Badiou-cerne-par-l-anarchisme
Badiou cernĂ© par lâanarchisme
2 février 2012 par Pierre Bance
Alain Badiou a dĂ©frayĂ© la chronique, en 2007, avec son pamphlet De quoi Sarkozy est-il le nom ?, sur la lancĂ©e, LâHypothĂšse communiste, en 2009, reçut un certain Ă©cho. Le RĂ©veil de lâhistoire qui vient de paraĂźtre est passĂ© presque inaperçu. Badiou serait-il passĂ© de mode ? Câest possible mais ses travaux, caricaturĂ©s tant par la rĂ©action que par la gauche radicale, mĂ©ritent mieux quâun anathĂšme grossier. Une Ă©tude de Pierre Bance. Antonio Negri pourrait dĂ©courager la lecture dâAlain Badiou. Il qualifie « âlâextrĂ©mismeËź badiousien » dâ« utopie entretenant un rapport schizoĂŻde avec lâhistoire », en particulier lâhistoire du socialisme rĂ©el, et le condamne comme « nĂ©gation de la lutte des classes » [1]. Le lecteur familier des Ă©changes entre philosophes radicaux ne sâarrĂȘtera pas Ă ce jugement [2]. Il perdrait Ă ne pas lire ce Badiou habituĂ© Ă recevoir des coups plus injustes encore. Si sa philosophie est obscure pour les non-philosophes et probablement pour quelques philosophes, sa thĂ©orie politique est plus abordable que celle dâun RanciĂšre ou dâun ĆœiĆŸek [3]. Jusquâen 2007, lâĆuvre philosophique dâAlain Badiou lâavait maintenu dans un cercle limitĂ© de professeurs, dâĂ©tudiants et de quelques militants Ă la recherche des voies rĂ©gĂ©nĂ©ratrices du marxisme [4]. Mais la parution du livre, De quoi Sarkozy est-il le nom ? a fait connaĂźtre Badiou au-delĂ des cĂ©nacles intellectuels [5]. Lâouvrage nâest pas quâun pamphlet contre Nicolas Sarkozy et son idĂ©ologie associĂ©e au pĂ©tainisme, on y trouve, en conclusion, lâannonce de lâhypothĂšse communiste comme alternative au capitalisme symbolisĂ© par lâactuel prĂ©sident de la RĂ©publique. Ce succĂšs de librairie, inespĂ©rĂ© aux dires de lâĂ©diteur, Michel Surya [6], sâest accompagnĂ© dâune manipulation politico-mĂ©diatique dans le but de discrĂ©diter lâidĂ©e communiste. Pas plus que Slavoj ĆœiĆŸek, Alain Badiou nâest ce stalinien primaire, ce philosophe de la terreur, ce gauchiste dogmatique, ce maoĂŻste attardĂ© que lâon dit pour ne lâavoir pas lu, lâavoir mal lu ou par un anticommunisme rĂ©sultant de la rĂ©duction, consciente ou non, du communisme au stalinisme [7]. Malheureusement, les provocations et les coquetteries de Badiou facilitent ces contrefeux et compliquent le rĂŽle de lâexĂ©gĂšte [8] Philosophe marxiste, Alain Badiou ne sâaventure pas Ă dĂ©crire le communisme. Le communisme est une hypothĂšse heuristique câest-Ă -dire quâelle est toujours provisoire et nâavance que par Ă©valuations successives, rectifications, en se rĂ©fĂ©rant Ă des invariants : Ă©galitĂ©, abolition de la propriĂ©tĂ© privĂ©e, antiĂ©tatisme [9]. Ces invariants communistes « synthĂ©tisent lâaspiration universelle des exploitĂ©s au renversement de tout principe dâexploitation et dâoppression. Ils naissent sur le terrain de la contradiction entre les masses et lâĂtat » [10]. Pour aller au communisme, il convient dâabord de montrer que lâhistoire nâest pas finie, que le capitalisme
31 nâa pas gagner une fois pour toutes. Ce nâest quâen ayant compris que lâĂ©conomie libĂ©rale et le parlementarisme ne sont ni naturels ni fatals quâon pourra imaginer dâautres possibilitĂ©s, envisager lâidĂ©e communiste qui est lâhypothĂšse de lâĂ©mancipation [11], « lâidĂ©e dâune sociĂ©tĂ© dont le moteur ne soit pas la propriĂ©tĂ© privĂ©, lâĂ©goĂŻsme et la rapacitĂ© » [12]. Il conviendra alors de rĂ©installer lâhypothĂšse communiste, la faire exister dans le champ idĂ©ologique et militant en contrant le terrorisme intellectuel qui amalgame le communisme au socialisme dâĂtat, associe Ă toute reprĂ©sentation ou expĂ©rience communistes des dĂ©viances staliniennes. Badiou sâattelle Ă cette tĂąche par ses articles, ses livres, en organisant des rencontres telle la ConfĂ©rence de Londres de mai 2009 [13]. Il fait de la politique et en donne une dĂ©finition qui ne dĂ©plairait pas Ă Jacques RanciĂšre : « Lâaction collective organisĂ©e, conforme Ă quelques principes, et visant Ă dĂ©velopper dans le rĂ©el les consĂ©quences dâune nouvelle possibilitĂ© refoulĂ©e par lâĂ©tat dominant des choses » [14]. Lâarpenteur communiste Au cĆur de lâhypothĂšse communiste, un constat : LâURSS, la Chine et les dĂ©mo-craties populaires nâont pas su rĂ©aliser le communisme par la faute du parti. Le parti communiste, grĂące Ă sa discipline quasi militaire, sâest avĂ©rĂ© une efficace machine pour rĂ©ussir lâinsurrection et prendre le pouvoir. Mais, celui-ci conquis, le parti, au lieu de mettre en Ćuvre la thĂ©orie de la dictature du prolĂ©tariat, moment du dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat, sâest transformĂ© en un parti-Ătat qui perdure et se mue en dictature bureaucratique. « En effet, le parti, appropriĂ© Ă la victoire insurrectionnelle ou militaire remportĂ©e contre des pouvoirs rĂ©actionnaires affaiblis, sâest rĂ©vĂ©lĂ© inapte Ă la construction dâun Ătat de dictature du prolĂ©tariat au sens de Marx, soit un Ătat organisant la transition vers le non-Ătat, un pouvoir du non-pouvoir, une forme dialectique du dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat » [15] Le bilan dĂ©ficitaire, tous les marxistes en ont admis lâĂ©tendue mĂȘme si pour beau-coup ce fut dur et tardif. Peu en tirent la conclusion de Badiou : la forme-parti, bolchĂ©vique ou non, est une organisation qui, non seulement « a fait son temps, Ă©puisĂ©e en un petit siĂšcle, par ses avatars Ă©tatiques » mais sâavĂšre nĂ©faste [16]. Le marxisme est-il lui-mĂȘme dĂ©passĂ© ? Non rĂ©pond Badiou, il reste un outil dâanalyse du capitalisme, de prise de conscience par le prolĂ©tariat de son exploitation et un soutien pour son Ă©mancipation. Ce qui ne va pas, câest lâexercice du pouvoir tel que lâa conçu LĂ©nine, et si de ce point de vue « le marxisme est indĂ©fendable, câest quâil faut le recommencer », quâil faut « refaire le Manifeste » [17]. AprĂšs de tels propos, Bruno Bosteels peut Ă©crire que « Badiou est dâabord communiste avant dâĂȘtre, voire sans ĂȘtre en mĂȘme temps un marxiste » [18]. Toujours est-il que Badiou nâest pas de ces intellectuels qui, aprĂšs la faillite, dĂ©biteurs amers et contraints, rĂ©pondirent Ă lâappel des sirĂšnes de la dĂ©mocratie parlementaire. Pour Badiou, la dĂ©mocratie est lâexpression dâun consensus universalisĂ© du monde occidental [19], dâun consensus implicite entre la droite et la gauche [20]. Un emblĂšme qui sert Ă justifier lâexploitation capitaliste, Ă camoufler lâappĂąt du gain, lâaviditĂ©, lâĂ©goĂŻsme, le dĂ©sir de la petite jouissance [21], Ă faire triompher la corruption sur la vertu [22]. La dĂ©mocratie utilise des idĂ©es louables comme lâĂtat de droit ou les droits de lâhomme pour servir « dâidĂ©ologie de couverture Ă des interventions militaires ou de justification Ă dâintolĂ©rables inĂ©galitĂ©s ou Ă des persĂ©cutions sous couvert de âdĂ©mocratismeËź culturel » [23]. à « dĂ©mocratie », Badiou prĂ©fĂšre « capitalo-parlementarisme » ; lâĂ©lection, le Parlement ne sont que des instruments servant la domination du capital, « lâespace parlementaire des partis est en effet une politique de dĂ©politisation » [24]. Ă ceux qui disent que le contraire de la dĂ©mocratie câest le totalitarisme, la dictature, Badiou rĂ©pond que câest le communisme, lequel « absorbe et surmonte le formalisme des dĂ©mocraties limitĂ©es » [25]. Avec ces propos, dit-il, on prend « le risque de nâĂȘtre pas un dĂ©mocrate, et donc dâĂȘtre rĂ©ellement mal vu par âtout le mondeËź » [26]. Mal vu et mal entendu. LâĂ©chec du socialisme dâĂtat, lâhypocrisie de la dĂ©mocratie parlementaire conduisent les penseurs Ă envisager autre chose telle la dĂ©mocratie radicale de Lauclau et Mouffe, ou la multitude en rĂ©seau de Hardt et Negri, ou lâexpectative de la politique de RanciĂšre [27]. Badiou affirme quâil suffit de reprendre lâhypothĂšse communiste, la reformuler, envisager dâautres voies dâĂ©mancipation qui en finiront « avec le modĂšle du parti ou des partis » qui sâaffirmeront « comme politique âsans partiËź, sans tomber pour autant dans la figure anarchiste, qui nâa jamais Ă©tĂ© que la vaine critique, ou le double, ou lâombre, des partis communistes, comme le drapeau noir nâest que le double ou lâombre du drapeau rouge » [28]. DerriĂšre cette affiche maoĂŻste, sous la figure anarchiste et le drapeau noir, Badiou rĂ©unit abusivement « lâautonomie anarchisante et identitaire des âmouvementsËź », lâorganisation rĂ©ticulaire souple, toutes formes de spontanĂ©isme, tout ce qui conduit à « la prĂ©cipitation » [29]. « Il faut se tenir Ă distance et de la forme-parti et de lâĂtat, et aussi savoir rĂ©sister au fĂ©tichisme du âmouvementËź, lequel est toujours lâantichambre du dĂ©sespoir » [30]. Badiou nâentretient pas toujours la confusion entre « mouvements » et anarchisme et ne rejette pas systĂ©matiquement la variable anarchiste. Ainsi, Ă©crit-il, et pas nâimporte oĂč, dans LâHumanitĂ© : « Nous ne pouvons pas en rester Ă la dispute de la pĂ©riode antĂ©rieure entre les tendances anarchisantes, qui
32 valorisent le mouvement pur, et les tendances plus traditionnellement organisatrices qui valorisaient le parti. Il faudra sans doute retenir quelque chose de ces deux tendances » [31]. Le risque, pour lâhypothĂšse communiste est que Badiou cantonne lâanarchisme, par de vagues rĂ©fĂ©rences Ă Mai 68, Ă la question culturelle : Ă la « poussĂ©e libertaire concernant les mĆurs » [32]. Une tentation Ă laquelle nâĂ©chappent ni les trotskistes ni les communistes rĂ©novateurs [33]. Sâorganiser, mais comment ? On se souvient que pour Badiou, le moyen pour imaginer, construire et vĂ©rifier lâhypothĂšse communiste, faire quâelle soit une politique crĂ©dible pour une majoritĂ©, est lâaction collective. MenĂ©e sans parti, elle renforcera lâidĂ©e que les partis politiques sont corrompus au sens rĂ©volutionnaire dâintĂ©grĂ©s aux institutions au travers de la machinerie Ă©lectorale, des alliances, telle « la âgauche unieËź et autres fariboles » [34]. Politique sans parti ne veut pas dire politique sans organisation, « bien au contraire cela veut dire : politique mesurĂ©e par des processus organisĂ©s tout Ă fait rĂ©els mais incompatibles avec la logique partidaire » [35] ; la logique partidaire pouvant aller de la participation aux Ă©lections parlementaires Ă la prise du pouvoir dâĂtat par un appareil. Ceci admis, on a du mal Ă trouver, dans ses travaux, ce que Badiou entend par des « processus organisĂ©s » puisquâil rejette tout aussi vigoureusement que le parti prolĂ©tarien, les mouvements organisĂ©s ou non en rĂ©seaux. Quand il dit que « pour le moment ce qui compte, câest pratiquer lâorganisation politique directe au milieu des masses populaires et dâexpĂ©rimenter des formes nouvelles dâorganisation » [36], on nâest pas davantage avancĂ© sur ce quâest une « organisation politique directe » ou ce que pourraient ĂȘtre ces « nouvelles formes dâorganisation ». Alors, il ajoute quâ« une organisation politique, câest le Sujet dâune discipline de lâĂ©vĂ©nement, un ordre mis au service du dĂ©sordre, le gardiennage continu dâune exception » que « câest en somme ce qui se dĂ©clare collectivement adĂ©quat tant Ă lâĂ©vĂ©nement quâĂ lâIdĂ©e dans une durĂ©e qui est redevenue celle du monde » [37] ; ce qui laisse encore plus perplexe. Câest un philosophe marxiste labellisĂ© qui lui demande « dâĂ©claircir lâĂ©nigme dâun platonisme libertaire, ou plutĂŽt dâun Ă©trange platonisme antiĂ©tatique autoritaire » ; Daniel BensaĂŻd pousse la critique jusquâĂ Ă©veiller la suspicion : « Le âfĂ©tichisme du mouvement que Badiou dit redouter, nâest-il pas la consĂ©quence du renoncement Ă donner forme Ă un projet politique â quâon lâappelle parti, organisation, front, mouvement, peu importe â sans laquelle la politique si fortement invoquĂ©e, ne serait quâune politique sans politique ? » [38]. Lâaccusation est grave, car elle revient Ă dire que Badiou nâest quâun penseur qui aligne des mots sans comprendre la rĂ©alitĂ©, suprĂȘme injure entre savants marxistes. Que rĂ©pond-il ? Quâil sâacquitte de son rĂŽle dâintellectuel dont la mission est dâ« assurer la nouvelle existence de lâhypothĂšse communiste, ou plutĂŽt de lâIdĂ©e communiste, dans les consciences individuelles » que, pour ce faire, avec dâautres, il combine « les constructions de la pensĂ©e, qui sont toujours globales et universelles, et les expĂ©rimentations de fragments de vĂ©ritĂ©, qui sont locales et singuliĂšres, mais universellement transmissibles » [39]. Quant Ă la forme de lâorganisation, Badiou confirme : il ne prĂ©tend Ă rien sinon de dire quâelle nâest pas trouvĂ©e, quâelle est pourtant la clĂ© de lâentrĂ©e dans lâhistoire de la troisiĂšme sĂ©quence de lâIdĂ©e communiste [40]. Badiou, faute de le rĂ©soudre, sait poser le problĂšme, un problĂšme commun Ă tous ceux qui ne se rĂ©signent pas Ă maintenir la forme-parti et ne sont pas pour autant convaincu par la forme-autonomie rĂ©ticulaire. « Notre problĂšme est le mode propre sur lequel la pensĂ©e, ordonnĂ©e par lâhypothĂšse, se prĂ©sente dans les figures de lâaction. En somme : un nouveau rapport du subjectif et de lâobjectif, qui ne soit ni mouvement multiforme animĂ© par lâintelligence de la multitude (comme le croient Negri et les altermondialistes), ni Parti rĂ©novĂ© et dĂ©mocratisĂ© (comme le croient les trotskystes et les maoĂŻstes ossifiĂ©s). Le mouve-ment (ouvrier) du XIXe et le Parti (communiste) au XXe ont Ă©tĂ© les formes de reprĂ©sentation matĂ©rielle de lâhypothĂšse communiste. Il est impossible de revenir Ă lâune ou lâautre formule. Quel pourra bien ĂȘtre alors le ressort de cette reprĂ©sentation au XXIe siĂšcle ? » [41]. On remarquera que des trois branches de lâextrĂȘme-gauche, Badiou Ă©carte le trotskisme et le maoĂŻsme, mais ne parle pas de lâanarchisme [42]. Lâoubli est assez gros pour que lâon ne sente pas combien Badiou est mal Ă lâaise avec une idĂ©ologie qui se prĂ©sente comme seule rĂ©ponse concrĂšte et cohĂ©rente Ă ses interrogations et quâil rejette par atavisme marxiste. Câest pourquoi il ne peut pas clore le dĂ©bat et va chercher des facteurs qui feront que son projet ne sera pas lâanarchisme mais autre chose Ă imaginer. Les trouve-t-il dans la discipline et le dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat ? Discipline, discipline⊠Pour Badiou, « la discipline politique Ă©mancipatrice est la question centrale du communisme qui vient » [43] et de la nouvelle organisation qui doit lâamener car « les opprimĂ©s nâont pas dâautre ressources que leur discipline », câest-Ă -dire leur unitĂ© [44]. Comment concevoir cette discipline politique ? « Câest un vrais problĂšme dâaujourdâhui : inventer une discipline politi-que rĂ©volutionnaire qui, bien quâhĂ©ritiĂšre de la dictature du Vrai qui naĂźt dans lâĂ©meute historique, ne soit pas sur le modĂšle hiĂ©rarchique, autoritaire, et quasiment sans pensĂ©e de ce que sont les armĂ©es ou les sections dâassaut » [45]. Badiou rassure, pas dâune
33 discipline « calquĂ©e sur le militaire » donc. Si lâon Ă©voque que, cependant, une telle formulation ne prĂ©serve pas du centralisme dĂ©mocratique lequel, jusquâĂ preuve du contraire, dans les Ătats comme dans les organisations, nâa jamais Ă©tĂ© autre chose que le centralisme bureaucratique, autoritarisme rĂ©volutionnaire de lâabsurde, Badiou se fĂąche ; il faut, dit-il, rechercher « une nou-velle discipline arrachĂ©e au modĂšle militaire ou bureaucratique » [46] et enchaĂźne par cette prĂ©vention : « Gardons-nous des approches thĂ©oriques de la question qui ramĂšnent toujours lâopposition entre le lĂ©ninisme (lâorganisation) et lâanarchisme (la mobilisation informelle). Câest-Ă -dire Ă lâopposition entre Ătat et mouvement qui est une impasse » [47]. Impasse peut-ĂȘtre, mais Badiou y conduit par la vacuitĂ© de sa proposition. Faut-il rappeler cette formule dĂ©rangeante dâĂlysĂ©e Reclus inlassablement avancĂ©e par les anarchistes : « lâanarchie câest lâordre ». Un ordre communiste reposant sur une autodiscipline au sein des organisations, des communes, des lieux de production et de leurs fĂ©dĂ©rations [48]. Badiou Ă©chappera-t-il Ă lâencerclement anarchiste ? DĂ©pĂ©rir, dĂ©pĂ©rir⊠Il affirme sa conviction que le communisme ne pourra se faire quâaprĂšs une phase de dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat et lâon sait que les anarchistes sont opposĂ©s Ă cette phase transitoire considĂ©rant quâelle produit lâeffet contraire de celui voulu : lâĂtat plutĂŽt que disparaĂźtre se renforce ; ils en sont dâautant plus convaincus que lâhistoire leur a donnĂ© raison [49]. Alors, Badiou nâhĂ©site pas Ă recourir Ă la falsification thĂ©orique en affirmant que le dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat est une thĂšse « commune aux anarchistes et aux communistes » [50]. De quelle maniĂšre la nouvelle organisation politique (dont lâimage est encore inconnue) sâattache Ă la dissolution du pouvoir Ă©tatique dont elle sâest emparĂ©e sans que lâon sache comment ? Quelles formes le dĂ©pĂ©rissement pourrait-il prendre [51] ? « Tout cela sera Ă©laborĂ© en situation, non comme programme abstrait », dit Badiou ; il esquisse quelques pas : le dĂ©pĂ©rissement sera motivĂ© par la recherche dâĂ©galitĂ© et « cela passe par dâĂ©nergiques mesures anticapitalistes, un redĂ©ploiement des services publics, une refonte de lâĂtat pour quâil soit rĂ©ellement lâĂtat de tous, une nouvelle liaison entre Ă©ducation et travail, un internationalisme rĂ©inventé⊠» [52], en somme le programme Ă©lectoral du Front de gauche ou du Nouveau parti anticapitaliste. Si lâon dĂ©passe ce procĂšs dâintention pour se tenir dans une logique de rĂ©volution permanente, un risque nâĂ©chappe pas Ă Badiou qui se rĂ©fĂšre Ă la RĂ©volution culturelle chinoise ; quand celle-ci commence Ă faillir, que la Commune de Shanghai nâa pas trouvĂ© de relais dans le reste de la Chine, Mao se rĂ©signe « parce quâil nâa pas â et personne nâa â dâhypothĂšse alternative quant Ă lâexistence de lâĂtat, et que le peuple, aprĂšs deux annĂ©es exaltantes mais trĂšs Ă©prouvantes, veut, dans son immense majoritĂ©, que lâĂtat existe et fasse connaĂźtre, au besoin rudement, son existence » [53]. Nâayant pas su concevoir la discipline rĂ©volutionnaire le peuple en appelle Ă la rĂ©pression de lâĂtat pour rĂ©tablir lâordre. Il est ainsi clair que, pour Badiou, le dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat doit commencer avant la conquĂȘte du pouvoir ; tomberait-il dans la conjecture anarchiste de la subversion de lâĂtat [54] ? « Câest pourquoi un des contenus de lâIdĂ©e communiste aujourdâhui â et cela contre le motif du communisme comme but Ă atteindre par le travail dâun nouvel Ătat â est que le dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat est sans doute un principe qui doit ĂȘtre visible dans toute action politique (ce quâexprime la formule : âpolitique Ă distance de lâĂtatËź, comme le refus obligĂ© de toute inclusion directe dans lâĂtat, de toute demande de crĂ©dits Ă lâĂtat, de toute participation aux Ă©lections, etc.), mais quâil est aussi une tĂąche infinie, car la crĂ©ation de vĂ©ritĂ©s politiques neuves dĂ©placera toujours la ligne de partage entre les faits Ă©tatiques, et donc historiques, et les consĂ©quences Ă©ternelles dâun Ă©vĂ©nement » [55]. Câest ce quâil appelle « les interventions du communisme de mouvement » dont le problĂšme est de savoir comment lâ« lâĂ©tablir dans la durĂ©e » [56]. Il faut donc comprendre que la politique rĂ©volutionnaire est « organisatrice au sein du peuple rassemblĂ© et actif du dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat et de ses lois » [57] ; câest une procĂ©dure continue qui commence dans lâĂtat bourgeois et se poursuit dans lâĂtat socialiste. Pour lâheure, Badiou place ses espoirs dâinstallation de lâhypothĂšse communiste et du commencement du dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat dans une « alliance pratique » entre « les prolĂ©taires nouveaux venus, dâAfrique ou dâailleurs, et les intellectuels hĂ©ritiers des batailles politiques des derniĂšres dĂ©cennies. Elle sâĂ©largira en fonction de ce quâelle saura faire, point par point. Elle nâentretiendra aucune espĂšce de rapport organique avec les partis existants et le systĂšme, Ă©lectoral et institutionnel, qui les fait vivre » [58] ; elle se tiendra prĂȘte pour rĂ©pondre Ă lâĂ©vĂ©nement [59]. Ressurgit la mythologie des maoĂŻstes de France : des masses immigrĂ©es Ă©clairĂ©es par la bourgeoisie intellectuelle. Le mouvement contre la rĂ©forme des retraites dâoctobre-novembre 2010 lui apporte un cinglant dĂ©menti. Le prolĂ©tariat local dans toutes ses composantes a montrĂ© quâil nâavait pas disparu et quâil possĂ©dait une potentialitĂ© rĂ©volutionnaire tant en puissance quâen imagination. Les nouveaux prolĂ©taires de Badiou nâont, comme tels, jouĂ© aucun rĂŽle. Et les intellectuels, Badiou compris, ont Ă©tĂ© particuliĂšrement absents de la lutte et des dĂ©bats quâelle a suscitĂ©s, comme subjuguĂ©s par la capacitĂ© politique retrouvĂ©e des classes ouvriĂšres dont on oubliait lâexistence. Pourtant ce mouvement aurait dĂ»
34 convenir Ă Badiou en ce quâil a imaginĂ© des formes dâaction et dâorganisation Ă©loignĂ©es des modĂšle imposĂ©s par les bureaucraties syndicales, faisant revivre, par exemple, la solidaritĂ© interprofession-nelle ; en ce quâil sâest tenu Ă lâĂ©cart du parlementarisme et des grossiĂšres tentatives de rĂ©cupĂ©ration politique de la gauche [60] ; en ce quâil est un Ă©vĂ©nement annonciateur de la troisiĂšme sĂ©quence. Peut-ĂȘtre plus que les rĂ©volutions arabes en dĂ©voiement : « DĂšs lors que lâĂ©meute se laisse interprĂ©ter comme, et encore mieux finit par ĂȘtre, un dĂ©sir dâOccident, politiques et mĂ©dias de chez nous lui feront bon accueil » [61]. LâĂ©vĂ©nement a Ă©chappĂ© Ă Badiou et sa mĂ©taphysique de la contingence parce que, dĂ©jĂ avant la chute du mur de Berlin, dans une discrĂ©tion honteuse, et plus ouvertement depuis, le marxisme ne peut plus se passer de lâanalyse anarchiste pour comprendre la rĂ©alitĂ© et du projet anarchiste pour espĂ©rer parvenir au communisme ; Ă cette vĂ©ritĂ© quasi badiousienne, quâelles lâadmettent ou le nient, se confrontent toutes les pensĂ©es radicales et celle de Badiou est pourtant une des plus rĂ©tives Ă intĂ©grer la nouvelle donnĂ©e qui la cerne, Ă remettre en cause ses Ă©vidences [62]. Il faudra bien, pourtant que toutes les idĂ©es nouvelles convergent pour que le communisme ait quelque chance de se prĂ©senter comme une hypothĂšse crĂ©dible dâabord, possible ensuite. P.-S. Texte libre de droits avec mention de lâauteur : Pierre Bance, et de la source : Autrefutur.org, site pour un Syndicalisme de base, de lutte, autogestionnaire, anarcho-syndicaliste & syndicaliste rĂ©volutionnaire (www.autrefutur.org). Notes 1. [1] Antonio Negri, « Est-il possible dâĂȘtre communiste sans Marx ? », traduit de lâitalien par Jacques
Bidet, Actuel Marx, n° 48, « Communisme », deuxiĂšme semestre 2010, page 46 ; citation page 53. On comprend ce que veut dire Negri, au moins pour ce qui est du « rapport schizoĂŻde avec lâhistoire », en li-sant une tribune dâun optimisme et dâun idĂ©alisme dĂ©sarmants dâAlain Badiou, « Tunisie, Ăgypte : quand un vent dâest balaie lâarrogance de lâOccident » dans Le Monde du 19 fĂ©vrier 2011. Le temps passant, Badiou revient quelque peu sur terre dans Le RĂ©veil de lâHistoire, oĂč la tribune prĂ©citĂ©e est retranscrite ([FĂ©camp], Nouvelles Ă©ditions Lignes, « Circonstances, 6 », 2011, 174 pages). Dans ce dernier livre poli-tique, Badiou dĂ©veloppe que, dans sa recherche du profit, le capitalisme sâattaque Ă tout ce qui contrarie sa folie financiĂšre et sombre dans la sauvagerie de ses origines ; y rĂ©pondent les Ă©meutes â Ă©meutes im-mĂ©diates, Ă©meutes historiques â qui vont nourrir une nouvelle idĂ©e du communisme en prĂ©lude Ă la rĂ©vo-lution ; nous sommes en 1850, Ă lâindustrialisation sauvage la classe ouvriĂšre rĂ©siste par lâĂ©meute, puis par lâorganisation, le capitalisme ne vivra pas en paix pendant cent ans, mais finira par lâemporter dans les annĂ©es 1980. Nous sommes en 2011, en 2012⊠« dans le temps des Ă©meutes par lequel se signale et se constitue un rĂ©veil de lâHistoire contre la pure et simple rĂ©pĂ©tition du pire » (page 13).
2. [2] Ăchanges qui, au-delĂ de la philosophie et de la polĂ©mique politique, alimentent leur existence uni-versitaire, quelquefois mĂ©diatique.
3. [3] Alain Badiou affirme ne faire que de la philosophie : « Ce livre, je veux y insister, câest un livre de philosophie. Contrairement aux apparences, il ne traite pas directement de politique (mĂȘme sâil sây rĂ©-fĂšre) ni de philosophie politique (mĂȘme sâil propose une forme de connexion entre la politique et la phi-losophie) » (LâHypothĂšse communiste, [FĂ©camp], Nouvelles Ă©ditions Lignes, « Circonstances, 5 », 2009, 208 pages ; citation page 32)
4. [4] NĂ© Ă Rabat (Maroc) en 1937, Alain Badiou, Ă©lĂšve de lâĂcole normale supĂ©rieure de la rue dâUlm, enseigne dans les annĂ©es 1960 en lycĂ©e puis Ă la FacultĂ© des lettres de Reims. AprĂšs 1968, il rejoint lâUniversitĂ© de Vincennes, Ă partir de 1999, lâĂcole normale supĂ©rieure. Philosophe influencĂ© par Louis Althusser et Jacques Lacan, reconnu par ses pairs comme bĂątisseur de systĂšmes philosophiques autour de la thĂ©orie de lâ« Ă©vĂ©nement », ses Ă©crits peuvent atteindre un degrĂ© dâabstraction les rendant hermĂ©tiques au profane ; ses dĂ©tracteurs dĂ©noncent son Ă©litisme (Adam Garuet, « Radical, chic, et mĂ©diatique », Agone, n° 41-42, « Les intellectuels, la critique et le pouvoir », 2009, page 150 ; voir aussi Razmig Keu-cheyan, HĂ©misphĂšre gauche. Une cartographie des nouvelles pensĂ©es critiques, Paris, Ăditions La DĂ©-couverte, « Zones », 2010, 318 pages, voir page 216). Il sâessaie au roman, au thĂ©Ăątre dans la veine du rĂ©alisme socialiste. Alain Badiou est un militant politique. Comme quelques-uns de ces congĂ©nĂšres nor-maliens, il devient maoĂŻste ; en 1971, il est lâun des fondateurs et dirigeants de lâUnion communiste de France marxiste-lĂ©niniste (UCFML), une organisation qui sâinvestit dans la lutte pour les droits des tra-vailleurs immigrĂ©s et se rĂ©vĂšle â elle nâest pas seule Ă cette Ă©poque â sectaire, fractionniste, manipula-trice⊠à ce moment, dans le champ des idĂ©es, Badiou sâoppose particuliĂšrement aux plus brillants de ses collĂšgues du dĂ©partement de philosophie de Vincennes : ceux quâils appellent les anarcho-dĂ©sirants parce quâils croient aux capacitĂ©s dâautonomie des travailleurs, câest-Ă -dire Deleuze, Guattari, Lyotard et SchĂ©rer. Les maoĂŻstes sâĂ©tant dissous dans la sociĂ©tĂ© de communication ou la religion, en 1985, Badiou
35 fonde une organisation Ă son image : lâOrganisation politique dont on ne sait plus ce quâelle devient bien quâil ne cesse dây faire rĂ©fĂ©rence ; encore dans Le RĂ©veil de lâHistoire, prĂ©citĂ© note (1), page 120. Sur Badiou, Bruno Bosteels, Alain Badiou, une trajectoire polĂ©mique, Paris, La Fabrique Ă©ditions, 2009, 218 pages. Lâouvrage, difficile, est celui dâun fin connaisseur de Badiou, non dâun apologiste.
5. [5] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, [Fécamp], Nouvelles éditions Lignes, « Circonstances, 4 », 2007, 158 pages.
6. [6] « Il garde la ligne », portrait de Michel Surya par Ăric Aeschimann, LibĂ©ration, 20 dĂ©cembre 2007. 7. [7] Cette perle de Laurent Joffrin, alors directeur gĂ©nĂ©ral de LibĂ©ration, mĂ©rite citation : « Certes ses
nouveaux contempteurs [de la dĂ©mocratie], un Badiou [âŠ] ou un ĆœiĆŸek, ogre mangeur dâhumanistes bĂȘ-lants, remuent de trĂšs vieilles idĂ©es. De lâexpĂ©rience totalitaire, ils ont beaucoup oubliĂ© et fort peu appris. Leur critique de la âdĂ©mocratie formelleËź exhale un parfum rance de sacristie marxiste » (LibĂ©ration, Ă©ditorial, 16 fĂ©vrier 2008). Lire encore, parmi dâautres, Yves Charles Zarka, La Destitution des intellec-tuels et autres rĂ©flexions intempestives, Paris, Presses universitaires de France, « Intervention philoso-phique », 2010, 298 pages, « ĆœiĆŸek-Badiou : les philosophes de la terreur », page 235. Le mĂ©rite que Ba-diou reconnaĂźt Ă Staline est dâavoir Ă©tĂ© craint des occidentaux et, ainsi, facilitĂ© la lutte des ouvriers des pays capitalistes pour lâamĂ©lioration de leur situation matĂ©rielle. « Ce sera, dit Badiou, mon seul coup de chapeau Ă Staline : il faisait peur aux capitalistes » (« Le volontarisme de Sarkozy, câest dâabord lâoppression des plus faibles », entretien avec Ăric Aeschimann et Laurent Joffrin, LibĂ©ration, 27 janvier 2009).
8. [8] Le Badiou dâaujourdâhui, volontiers mandarin, citant plus que nĂ©cessaire sa vie, son Ćuvre, ses amis, ceux quâil estime ses Ă©gaux, peut susciter de lâantipathie. Ainsi Ă la lecture de « LâidĂ©e communiste », in-tervention quâil fit Ă la confĂ©rence de Londres de 2009 organisĂ©e avec Slavoj ĆœiĆŸek (LâIdĂ©e du commu-nisme, [FĂ©camp], Nouvelles Ă©ditions Lignes, 2010, 352 pages), intervention dâAlain Badiou, page 7 ; texte prĂ©alablement publiĂ© in Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note 3, chapitre IV, pages 178 et suivantes) ; ou encore Ă celle de lâintroduction du Second manifeste pour la philosophie et les no-tes de cet ouvrage (Alain Badiou, Second manifeste pour la philosophie, Paris, Flammarion, « Champs essais », 2010, 132 pages).
9. [9] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, prĂ©citĂ© note (5), page 132. Parfois Badiou se rĂ©fĂšre Ă dâautres invariants comme « la conviction que lâexistence dâun Ătat coercitif nâest pas nĂ©cessaire » ou « lâorganisation du travail nâimplique pas sa division » (Alain Badiou, « Le courage du prĂ©sent », point de vue in Le Monde, 14 fĂ©vrier 2010
10. [10] Bruno Bosteels, Alain Badiou, une trajectoire polĂ©mique, prĂ©citĂ© note (4), page 179. 11. [11] « Il est plus sĂ»r et plus important de dire que le monde tel quâil est nâest pas nĂ©cessaire que de dire
âĂ videËź quâun autre monde est possible », Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note (3), page 54 ; « nĂ©cessaire » est soulignĂ© par Badiou. Coup de patte gratuit aux altermondialistes.
12. [12] Alain Badiou, entretien dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009, prĂ©citĂ© note (7). 13. [13] Actes publiĂ©s sous la direction dâAlain Badiou et Slavoj ĆœiĆŸek, LâIdĂ©e du communisme. ConfĂ©rence
de Londres, 2009, précité note (8). 14. [14] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, précité note (5), page 12 15. [15] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, précité note (5), page 144. Voir aussi, Alain Badiou,
« LâhypothĂšse de lâĂ©mancipation reste communiste », entretien avec Rosa Moussaoui, LâHumanitĂ©, 6 novembre 2007 ; Alain Badiou, entretien dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009, prĂ©citĂ© note (7).
16. [16] Alain Badiou, Le RĂ©veil de lâHistoire, prĂ©citĂ© note (1), page 101. 17. [17] Alain Badiou, Peut-on penser la politique ?, Paris, Ăditions du Seuil, « Philosophie gĂ©nĂ©rale »,
1985, 119 pages ; citations pages 56 et 60. Karl Marx, Friedrich Engel, Manifeste du parti communiste (1848) (Karl Marx, Ćuvres I. Ăconomie I, prĂ©face par François Perroux, Ă©dition Ă©tablie et annotĂ©e par Maximilien Rubel, Paris, Gallimard, « La PlĂ©iade », 1963, tirage 2010, 1822 pages ; Le Manifeste com-muniste, page 158, traduction de Maximilien Rubel et Louis Ăvrard).
18. [18] Bruno Bosteels, Alain Badiou, une trajectoire polĂ©mique, prĂ©citĂ© note (4), page 173. 19. [19] Alain Badiou, prĂ©sentation du Colloque de Londres du 12 au 15 mai 2009, LâidĂ©e du communisme,
prĂ©citĂ© note (8), page 5. 20. [20] Alain Badiou, entretien dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009, prĂ©citĂ© note (7). 21. [21] Alain Badiou, « LâemblĂšme dĂ©mocratique » in le recueil de textes DĂ©mocratie, dans quel Ă©tat ?,
Paris, La Fabrique Ă©ditions, 2009, 152 pages ; observations de Badiou, pages 17 et suivantes 22. [22] Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note (3), page 56. 23. [23] Alain Badiou, entretien dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009, prĂ©citĂ© note (7) 24. [24] Alain Badiou, « Politique et vĂ©ritĂ© », entretien avec Daniel BensaĂŻd in Politiquement incorrect, en-
tretiens du XXIe siĂšcle, recueil de textes sous la direction de Daniel BensaĂŻd, Paris, Textuel, 2008, 384
36 pages, entretien page 132, entretien paru précédemment dans la revue Contretemps, n° 15, février 2006.
25. [25] Badiou, « LâemblĂšme dĂ©mocratique » in le recueil de textes DĂ©mocratie, dans quel Ă©tat ?, prĂ©citĂ© note (21), page 25.
26. [26] Alain Badiou, « LâemblĂšme dĂ©mocratique » in le recueil de textes DĂ©mocratie, dans quel Ă©tat ?, prĂ©citĂ© note (21), page 15.
27. [27] Ernesto Laclau, Chantal Mouffe, HĂ©gĂ©monie et stratĂ©gie socialiste. Vers une politique dĂ©mocratique radicale (1985), traduit de lâanglais par Julien Abriel, Besançon, prĂ©face Ă lâĂ©dition française dâĂtienne Balibar, Les Solitaires intempestifs, « ExpĂ©riences philosophiques », 2009, 338 pages. Michael Hardt et Antonio Negri, Empire (Exils, 2000), traduit de lâanglais (Ătats-Unis) par Denis-Armand Canal, Paris, 10/18, « Fait et cause », 2004, 571 pages. Multitude. Guerre et dĂ©mocratie Ă lâĂąge de lâEmpire (La DĂ©-couverte, 2004), traduit de lâanglais (Ătats-Unis) par Nicolas Guilhot, Paris, 10/18, « Fait et cause », 2006, 407 pages. Jacques RanciĂšre, La Haine de la dĂ©mocratie, Paris, La Fabrique Ă©ditions, 2005, 106 pages ; voir aussi Et tant pis pour les gens fatiguĂ©s. Entretiens, Paris, Ăditions dâAmsterdam, 2009, 700 pages.
28. [28] Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note (3), page 126. Est-ce pour cela que les com-munistes libertaires arborent des drapeaux rouge et noir ?
29. [29] Alain Badiou, « Mai 68 à la puissance quatre », à bùbord !, Québec, n° 24, « Nous sommes héritiers de 1968 », avril-mai 2008, http://ababord.org/spip.php?article125.
30. [30] Alain Badiou, entretien dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009, prĂ©citĂ© note (7). Ce qui fait dire Ă lâOrganisation communiste libertaire (OCL) : « Câest lĂ la rĂ©activation dâune vieille polĂ©mique entre par-ti et mouvement, entre spontanĂ©itĂ© et organisation, entre conscience et aliĂ©nation, entre raison et dĂ©sir » (OCL Saint-Nazaire, « Autour des positions politiques dâAlain Badiou », 2 avril 2009, note critique sur lâentretien paru dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009 [prĂ©citĂ© note 9], http://oclibertaire.free.fr, chercher « badiou »).
31. [31] Alain Badiou, entretien dans LâHumanitĂ© du 6 novembre 2007, prĂ©citĂ© note (15). 32. [32] Le danger est sensible dans lâentretien donnĂ© Ă la revue quĂ©bĂ©coise, Ă bĂąbord !, n° 24, avril-mai
2008, prĂ©citĂ© note (29). 33. [33] Voir, par exemple, sur ce site, AutreFutur.org, de lâauteur, « Lecture syndicaliste rĂ©volutionnaire de
Daniel BensaĂŻd » et « Des paradoxes dâune social-dĂ©mocratie libertaire 34. [34] Alain Badiou, « Politique et vĂ©ritĂ© », in Politiquement incorrect, entretiens du XXIe siĂšcle, prĂ©citĂ©
note (24), page 131. Peter Hallward rĂ©sume, au moins pour la France, lâopinion de Badiou : « Puisque la gauche traditionnelle a depuis longtemps renoncĂ© Ă toute tentative de formuler un projet Ă©mancipateur fondĂ© sur la mobilisation directe des exploitĂ©s et des opprimĂ©s, lâĂ©lection de Sarkozy marque la fin de lâancienne orientation droite/gauche de la vie politique, au profit dâune dĂ©sorientation dont se servent les riches pour attaquer les pauvres et exclure les opprimĂ©s » (Peter Hallward, « LâhypothĂšse communiste », La Revue internationale des livres et des idĂ©es, n° 5, mai-juin 2008, page 28 ; article repris dans le re-cueil de textes Penser Ă gauche. Figures de la pensĂ©e critique aujourdâhui, Paris, Ăditions Amsterdam, 2011, 506 pages, article page 267). Le misĂ©rable programme du Parti socialiste, si François Hollande ve-nait Ă ĂȘtre Ă©lu, confortera lâopinion dâAlain Badiou
35. [35] Alain Badiou, « Politique et vérité », in Politiquement incorrect, entretiens du XXIe siÚcle, précité note (24), page 132.
36. [36] Alain Badiou, entretien dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009, prĂ©citĂ© note (7). 37. [37] Alain Badiou, Le RĂ©veil de lâHistoire, prĂ©citĂ© note (1), pages 102 et 105. ( ) Daniel BensaĂŻd, « Un
communisme hypothĂ©tique. Ă propos de LâHypothĂšse communiste dâAlain Badiou », Contretemps, n° 2, mai 2009, page 113.
38. [38] Daniel BensaĂŻd, « Un communisme hypothĂ©tique. Ă propos de LâHypothĂšse communiste dâAlain Badiou », Contretemps, n° 2, mai 2009, page 113.
39. [39] Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note (3), pages 204 et 205. Dans cette derniĂšre phrase, Badiou fait deux fois rĂ©fĂ©rence Ă lâuniversalitĂ©. Pour lui, lâuniversalitĂ©, en politique, est porteuse de deux idĂ©es principales. La premiĂšre est quâelle « suppose quâon rĂ©siste simultanĂ©ment Ă la fascination pour les pouvoirs Ă©tablis et Ă la fascination pour leur destruction infĂ©conde » (Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note 3, page 20). La deuxiĂšme est quâelle rejette « le culte des identi-tĂ©s nationales, raciales, sexuelles, religieuses, culturelles, tentant de dĂ©faire les droits de lâuniversel » (Alain Badiou, Second manifeste pour la philosophie, prĂ©citĂ© note 8, page 9).
40. [40] « Proposons provisoirement [que lâIdĂ©e] soit communiste dialectique au XXIe [siĂšcle] : le vrai nom viendra dans les marges du rĂ©veil de lâHistoire » (Alain Badiou, Le RĂ©veil de lâHistoire, prĂ©citĂ© note 1, page 98). Badiou divise lâhistoire rĂ©cente en deux sĂ©quences rĂ©volutionnaires et deux pĂ©riodes interval-laires. La premiĂšre sĂ©quence va de la RĂ©volution française (1792) Ă la Commune (1871), la deuxiĂšme de
37 la RĂ©volution russe (1917) Ă la fin de la RĂ©volution culturelle chinoise (1976). Nous sommes dans la deuxiĂšme pĂ©riode contre-rĂ©volutionnaire Ă la lisiĂšre, peut-ĂȘtre, de la troisiĂšme sĂ©quence du communisme (Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, prĂ©citĂ© note 5, pages 139 et suivantes). Et les Ă©vĂ©ne-ments du monde arabe en 2011, le confortent dans lâespĂ©rance que la pĂ©riode contre-rĂ©volutionnaire tou-che Ă sa fin (Alain Badiou, Le RĂ©veil de lâHistoire, prĂ©citĂ© note 1).
41. [41] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, prĂ©citĂ© note (5), page 151. « Le mode propre [âŠ] les figures de lâaction » est soulignĂ© par Badiou
42. [42] Sauf Ă considĂ©rer que Negri et les altermondialistes reprĂ©sentent lâanarchisme, ce qui serait faire injure Ă la culture politique de Badiou
43. [43] Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note (3), page 60. « La discipline est la seule arme de ceux qui nâont rien » (Alain Badiou, Le Monde, 14 fĂ©vrier 2010, prĂ©citĂ© note 9).
44. [44] Alain Badiou, entretien dans LâHumanitĂ© du 6 novembre 2007, prĂ©citĂ© note (15). 45. [45] Alain Badiou, Le RĂ©veil de lâHistoire, prĂ©citĂ© note (1), page 101. 46. [46] Alain Badiou, Ă bĂąbord !, n° 24, avril-mai 2008, prĂ©citĂ© note (29). 47. [47] Alain Badiou, entretien dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009, prĂ©citĂ© note (7). 48. [48] « Ătre anarchiste commence par le respect du Code de la route », Flora Bance, entretien avec
lâauteur. 49. [49] Au moins partiellement, dans la mesure oĂč eux-mĂȘmes se trouvĂšrent confrontĂ©s Ă dâinextricables
problĂšmes dâexercice du pouvoir durant la rĂ©volution espagnole. Lire Ă ce sujet : CĂ©sar M. Lorenzo, Le Mouvement anarchiste en Espagne. Pouvoir et rĂ©volution sociale, Saint-Georges-dâOlĂ©ron, Les Ăditions libertaires, 2e Ă©dition revue et augmentĂ©e, 2006, 560 pages. La premiĂšre Ă©dition est parue au Seuil, en 1969, sous le titre Les Anarchistes espagnols et le pouvoir. 1868-1969. La deuxiĂšme Ă©dition couvre Ă©ga-lement la pĂ©riode allant de 1970 jusquâĂ lâapproche des annĂ©es 2000.
50. [50] Alain Badiou, Le Monde, 14 fĂ©vrier 2010, prĂ©citĂ© note (9). 51. [51] « Quelles doivent ĂȘtre les limites [du pouvoir] de lâĂtat ? Pour le moment, nous ne disposons pas
sur ce point dâune doctrine Ă©clairĂ©e » (Alain Badiou, entretien dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009, prĂ©ci-tĂ© note 7) ; « Le problĂšme de lâĂtat est un problĂšme ouvert pour tous ceux qui conservent lâidĂ©e commu-niste » (Alain Badiou, entretien dans LâHumanitĂ© du 6 novembre 2007, prĂ©citĂ© note 15).
52. [52] Alain Badiou, entretien dans LibĂ©ration du 27 janvier 2009, prĂ©citĂ© note (7). 53. [53] Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note (3), page 121. « Mao et les siens iront jusquâĂ
dire que, sans le socialisme, la bourgeoisie se reconstitue et sâorganise dans le parti communiste lui-mĂȘme » (page 96, la fin de la phrase est soulignĂ© par Badiou) ; avertissement vĂ©rifiĂ© aujourdâhui en Chine. Ce qui sâĂ©tait dĂ©jĂ vu durant la Guerre dâEspagne oĂč la petite bourgeoisie a rejoint le Parti com-muniste pour « rĂ©tablir » lâordre en renforçant la contre-rĂ©volution.
54. [54] Ce qui pourrait expliquer sa rĂ©fĂ©rence Ă un dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat envisagĂ© par les anarchistes, voir note (50).
55. [55] Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note (3), page 201. « Un Ă©vĂ©nement est quelque chose qui advient en tant que soustrait Ă la puissance de lâĂtat » ; les appareils idĂ©ologiques dâĂtat (Al-thusser) tendent à « interdire que lâIdĂ©e communiste dĂ©signe une possibilitĂ© » (page 192).
56. [56] Pris dans le feu de lâĂ©vĂ©nement, Badiou en donne un exemple, discutable, avec les mouvements qui agitent le monde arabe en 2011 (Le Monde, 19 fĂ©vrier 2011, prĂ©citĂ© note 1). Badiou explique ce quâil en-tend par communisme de mouvement. « âCommunismeËź veut dire ici : crĂ©ation en commun du destin collectif. Ce âcommunËź a deux traits particuliers. Dâabord, il est gĂ©nĂ©rique, reprĂ©sentant, en un lieu, de lâhumanitĂ© toute entiĂšre. [âŠ] Ensuite, il surmonte toutes les grandes contradictions dont lâĂtat prĂ©tend que lui seul peut les gĂ©rer sans jamais les dĂ©passer : entre intellectuels et manuels, entre hommes et femmes, entre pauvres et riches, entre musulmans et coptes, entre gens de la province et gens de la capi-tale ».
57. [57] Alain Badiou, « LâemblĂšme dĂ©mocratique » in le recueil de textes DĂ©mocratie, dans quel Ă©tat ?, prĂ©citĂ© note (21), page 24.
58. [58] Alain Badiou, LâHypothĂšse communiste, prĂ©citĂ© note (3), page 81 ; citation issue dâun texte prĂ©ala-blement publiĂ©, dans une version simplifiĂ©e, dans Le Monde du 18 octobre 2008. Sur le rĂŽle dĂ©cisif que Badiou attribue aux sans-papiers, Razmig Keucheyan, HĂ©misphĂšre gauche. Une cartographie des nou-velles pensĂ©es critiques, prĂ©citĂ© note (4), page 218.
59. [59] Sur lâĂ©vĂ©nement, la part de la contingence dans les processus politiques chez Badiou, lire Razmig Keucheyan, HĂ©misphĂšre gauche. Une cartographie des nouvelles pensĂ©es critiques, prĂ©citĂ© note (4), pa-ges 211 et suivantes. Keucheyan cite Badiou : « Il est de lâessence de lâĂ©vĂ©nement de nâĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ© dâaucun signe, et de nous surprendre de sa grĂące, quelle que puisse ĂȘtre notre vigilance » (page 213, ex-trait de Saint-Paul. La fondation de lâuniversalisme, Paris, Presses universitaires de France, « Les essais
38 du CollĂšge international de philosophie », 1997, 120 pages, citation page 119). Selon, Keucheyan, « cette thĂšse rend toute rĂ©flexion stratĂ©gique impossible » (page 213) ; ce ne paraĂźt pourtant pas ĂȘtre ce point qui rend difficile la stratĂ©gie chez Badiou mais bien lâimprĂ©cision sur des questions pratiques comme lâorganisation ou le dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat ; lâĂ©vĂ©nement est un fait dont lâimprĂ©visibilitĂ© nâempĂȘche pas de prĂ©voir une stratĂ©gie pour y rĂ©pondre ; câest dâailleurs exactement ce que dit Badiou.
60. [60] En ce quâil fut, encore, trahi par les bureaucraties syndicales et la gauche parlementaire. Sur ce thĂšme, lire par exemple, Pierre Bance, « Ce nâest pas le moment de dĂ©sespĂ©rer », Le Monde.fr, 5 no-vembre 2010 (http://lemonde.fr/idees/article/201...).
61. [61] Remarque qui montre que le danger nâĂ©chappe pas Ă Badiou ; câest dâailleurs la problĂ©matique du RĂ©veil de lâHistoire, prĂ©citĂ©e note (1), citation page 78.
62. [62] Voir cependant la citation de la note (47).
Claude Askolovitch (Le Point)
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