Rapport HCI 2011 intégration des immigrés

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"LA FRANCE SAIT-ELLE ENCORE INTEGRER LES IMMIGRES ?" "Bilan de la politique dintgration en France depuis vingt ans et perspectives"

Cet avis du Haut Conseil l'intgration a t tabli sur le rapport de Benot Normand, Secrtaire gnral, et de Suzel Anstett, Charge des tudes, et s'est appuy sur les auditions ralises lors des sances plnires du Collge du Haut Conseil.

Il a t examin et discut par les membres du Collge runis, sous la prsidence de Patrick Gaubert les 7 dcembre 2010, 1er, 15 et 29 mars, et 5 avril 2011, et en particulier Pierre Cardo, Ccilia Gabizon, Claude Greff, Mohand Hamoumou, Marc-Antoine Jamet, Zar Kdadouche, Cathy Kopp, Arnaud Ngatcha, Gaye Petek, Nora Prziosi, Salima Saa, Alain Seksig, Jacques Toubon et Jean-Philippe Wirth.Mis en forme : Gauche

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TABLE DES MATIERES

PRESENTATION........................................................................................................................................ 4 AVANT PROPOS...................................................................................................................................... 10 PREMIERE PARTIE : ................................................................................................ 16 L'INTEGRATION : A MARCHE ................................................................................ 16 Des enfants plus diplms que leurs parents ........................................................................................... 19 L'emploi et la mobilit sociale des immigrs et de leurs enfants............................................................. 19 Une population aujourd'hui plus souvent propritaire............................................................................. 21 Des mariages mixtes majoritaires chez les descendants d'immigrs ....................................................... 24 Un taux de fcondit matris dans la dure ............................................................................................ 25 La volont et le sentiment d'tre Franais .............................................................................................. 27 La socit franaise ouverte l'intgration ? ........................................................................................... 29 DEUXIEME PARTIE ..................................................................... Erreur ! Signet non dfini. DES OBSTACLES AU PROCESSUS D'INTEGRATION ........................ Erreur ! Signet non dfini. 2.1 Une immigration mal matrise .....................................................................Erreur ! Signet non dfini. "Les yeux grands ouverts"...............................................................................Erreur ! Signet non dfini. Les flux migratoires.........................................................................................Erreur ! Signet non dfini. L'immigration de travailleurs ..........................................................................Erreur ! Signet non dfini. Le tournant de 1984: la cration de la carte de rsident ..................................Erreur ! Signet non dfini. L'immigration familiale: "la voie royale" pour accder au march de l'emploi.......... Erreur ! Signet non dfini. Une immigration "auto-engendre".................................................................Erreur ! Signet non dfini. Une pression migratoire irrgulire difficile matriser .................................Erreur ! Signet non dfini. 2.2 Des "quartiers", entre sgrgation et scession ........................................Erreur ! Signet non dfini. Une immigration trs concentre.....................................................................Erreur ! Signet non dfini. La politique de la ville.....................................................................................Erreur ! Signet non dfini. Une surexposition aux risques sociaux............................................................Erreur ! Signet non dfini. Une logique de "ghetto" ..................................................................................Erreur ! Signet non dfini. La rnovation urbaine......................................................................................Erreur ! Signet non dfini. Un recentrage sur les personnes l'cole et dans l'emploi ..............................Erreur ! Signet non dfini. 2.3 Des comportements culturels inconciliables avec la Rpublique.............Erreur ! Signet non dfini. Le droit des femmes l'preuve des particularismes.......................................Erreur ! Signet non dfini. La lacit questionne par les pratiques de l'intgrisme islamique ..................Erreur ! Signet non dfini. TROISIEME PARTIE : .................................................................. Erreur ! Signet non dfini. 2

PROMOUVOIR LE MODELE REPUBLICAIN ET CONFORTER LES NOUVELLES POLITIQUES D'INTEGRATION ..................................................... Erreur ! Signet non dfini. 3.1 L'accueil des primo-arrivants : la russite incomplte du contrat d'accueil et d'intgration (CAI) ......................................................................................................................Erreur ! Signet non dfini. Le contrat d'accueil et d'intgration .................................................................Erreur ! Signet non dfini. Une obligation encore virtuelle .......................................................................Erreur ! Signet non dfini. 3.2 L'galit des droits : quelle est la place de la lutte contre les discriminations dans la politique d'intgration?........................................................................................................Erreur ! Signet non dfini. Une mission fragilise .....................................................................................Erreur ! Signet non dfini. La promotion de la diversit, jusqu'o?...........................................................Erreur ! Signet non dfini. 3.3 La citoyennet : droit du sol et sentiment d'appartenance nationale......Erreur ! Signet non dfini. Le droit du sol..................................................................................................Erreur ! Signet non dfini. Les allgeances multiples en question.............................................................Erreur ! Signet non dfini. 3.4 Une histoire commune : la Cit nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI), est-elle une institution culturelle comme une autre ? ............................................................Erreur ! Signet non dfini. La Cit nationale de l'histoire de l'immigration...............................................Erreur ! Signet non dfini. La Maison de l'Histoire de France...................................................................Erreur ! Signet non dfini. Histoire et mmoires .......................................................................................Erreur ! Signet non dfini. CONCLUSION : UNE ARDENTE OBLIGATION D'INTEGRATION ........Erreur ! Signet non dfini. ANNEXES ......................................................................................................Erreur ! Signet non dfini.

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PRESENTATION

En France, un habitant sur cinq est immigr, ou enfant dimmigr. La question de lintgration est devenue majeure. Charg par le Premier ministre dexaminer vingt ans de politique dintgration, le Haut conseil lintgration (HCI) a voulu dresser un bilan lucide. Et avancer des propositions, parfois iconoclastes, pour tenter denrayer les phnomnes de dsintgration.

Il est bon de rappeler que lintgration nest pas un problme que lon rsout, mais un processus qui ne sachve jamais. .Prs de 180 000 personnes arrivent en France chaque anne. Quand les uns sont intgrs, dautres entament tout juste ce cheminement. La politique dintgration les accompagne. Elle est limage des politiques sociales, un instrument de cohsion nationale. Dautant que lintgration dune vague dimmigration ne se constate vraiment quune gnration plus tard. On la oubli, mais on jugeait les italiens "voleurs". Les Polonais taient parfois qualifis de "fanatiques religieux replis autour de cur obscurantiste". Les Espagnols et les Portugais furent aussi considrs avec mfiance. Tous forment la France daujourdhui.

Selon les dernires donnes de l'INSEE, la France compte ainsi 5 millions dimmigrs (personnes trangres nes ltranger) auquel il convient d'ajouter 6,5 millions d'enfants dimmigrs dont 3,4 millions sont eux-mmes ns ltranger et 3,1 million sont ns en France. Au total, ce sont donc 11,5 millions de personnes immigres ou d'enfants ayant au moins un parent immigr qui rsident en France, soit 19% de la population franaise.

Lintgration la franaise, a marche!

Autrefois, on le disait aveuglment, fiers de notre modle. Depuis, le pessimisme sest impos et il est communment admis que lintgration ne fonctionne plus ! En ralit, si4

lon considre des indicateurs tangibles, comme le niveau de diplme obtenu par les gnrations suivantes, la mobilit sociale, les mariages exogames, la majorit sintgre, se fond dans la foule et disparat des crans. Cest en France que les immigrs et leurs enfants se sentent aussi le plus intgrs.

Le HCI relve un chiffre selon lui trs marquant de la ralit de l'intgration des immigrs dans notre pays, au regard des exemples trangers : 65% des descendants d'immigrs vivent en couple avec des personnes de la "population majoritaire". De faon gnrale, ce sont les hommes descendants d'immigrs qui pousent des femmes de la population majoritaire.

On y observe que seuls 16% d'immigrs ayant la nationalit franaise ont peu ou pas le sentiment d'tre Franais, ce qui est bien infrieur, semble-t-il d'autres enqutes effectues l'tranger, mais ils sont encore 10% tre dans ce cas pour les descendants de deux parents immigrs qui sont pour le plus grand nombre Franais par le droit du sol.

La liste des immigrs ou enfants d'immigrs devenus clbres est longue. Pour n'en citer que quelques uns de A Z, et chacun pourrait complter l'envie :

Isabelle Adjani, Charles Aznavour, Alima Boumedienne, Jeannette Bougrab, Jean-Marie Cavada, Franois Cheng, Rachida Dati, Djamel Debbouze, Gad Elmaleh, Louis de Funs, /Max Gallo, Romain Gary, Eugne Ionesco, Tahar Ben Jelloun, Marin Karmitz, Francis Lemarque, Edgar Morin, Yannick Noah, Michel Platini, Yazid Sabeg, Jo Wilfrid Tsonga, Albert Uderzo, Sylvie Vartan, Manuel Valls, Koffi Yamgnane, Rama Yade, Zinedine Zidane.

Encore plus nombreux sont ceux qui, n'ayant pas connu la gloire, ont russi leur intgration en France. Ce sont ceux qui souffrent souvent de l'image dforme que les comportements de certains jeunes dlinquants, clairement identifiables comme issus de l'immigration, font peser sur l'immense majorit qui a, sans bruit, "jou le jeu" de l'intgration.

Car les rats de lintgration, mme minoritaires, sont particulirement graves et douloureux. Lorsquune partie de la jeunesse des banlieues dveloppent une contre-culture5

hostile la France, se montre violente, les dgts sont impressionnants. Lorsque certains revendiquent des droits particuliers qui heurtent la lacit et la conception que nous avons de lgalit homme-femme : les frictions sont fortes. La mfiance sinstalle. Et ce terreau nourrit les craintes et les extrmismes.

Le HCI a tent dapporter des solutions concrtes

La France a besoin de mieux se connatre :

Ces dernires annes, des groupes communautaires ont plaid pour que lon instaure des statistiques ethniques, prsentes comme la condition du changement. Loutil indispensable pour lutter contre les discriminations. Le HCI sest maintes fois prononc contre cette classification ethnique de la population car la France nest pas une socit raciale. Les mtissages sont nombreux et valoriss. Les effets dltres dun tel classement, qui fige les identits ethniques, semblent bien suprieurs lventuel bnfice. En revanche, le HCI propose que la statistique publique rcolte des donnes

gographiques sur les immigrs et leurs enfants. LINSEE pourrait demander lors du recensement, le lieu de naissance de la personne et de ses parents.

Ces donnes gographiques, objectives, permettront de mieux apprhender la ralit franaise, la concentration des immigrs dans certaines rgions, la mobilit sociale de leurs enfantsCes statistiques gographiques seront rserves la statistique publique et aux chercheurs, deux exceptions prs : le logement social et les lus

Sattaquer rellement aux ghettos communautaires

Un immigr sur cinq (19%) vit dans une ZUS, soit prs d'un million de personnes. La proportion d'immigrs y est 2,5 fois suprieure la moyenne nationale (18,3% contre 7,3%). Bien entendu, ici encore, ces chiffres ne prennent pas en compte les enfants d'immigrs ns en France, et devenus, de ce fait, Franais. Pour 4,6 millions d'habitants de ces quartiers en 2004, un quart fait partie de mnages dont la personne de rfrence est6

trangre. 83% des immigrs rsidants en ZUS sont originaires de pays tiers l'Union europenne. Les pays les plus reprsents sont l'Algrie (21,5%) et le Maroc (20,1%) ainsi que la Turquie. Les communauts se rassemblent naturellement au dpart, pour sentraider. Puis chacun volue selon ses possibilits. Mais le logement social a fig les parcours. Dsormais, certains immigrs se transmettent presque les appartements de pre en fils. Les enfants sinstallent dans le parc HLM, dans les mmes cits, ce qui renforce encore la concentration. Dans certaines classes, comme Evry, les enfants dont le franais est la langue maternelle sont minoritaires

En Grande-Bretagne, des tudes menes par le Comit pour lgalit raciale, ont montr quau-del de 20% de personnes de la mme origine dans un quartier, lintgration se faisait difficilement. Le HCI propose que pour viter les ghettos, principal obstacle lintgration, les offices HLM disposent du lieu de naissance du demandeur et de ses parents. Le HCI est bien conscient que cette mesure va lencontre de lgalit de traitement qui aurait du prvaloir.

Chacun aimerait que la mixit se ralise naturellement. Mais ce nest pas le cas : les concentrations communautaires se renforcent dans le logement social. On rencontre beaucoup plus de familles africaines, ou maghrbines dans les ensembles les plus dgrads. Ce qui alimente grandement le communautarisme, subi ou revendiqu.

La Cour des comptes avait dj voqu cette question dlicate du peuplement sans oser prconiser des mesures prcises. Cest justement pour viter cette relgation que le HCI propose que les HLM disposent de donnes pour mieux rpartir les demandeurs notamment dans les quartiers les plus valoriss. Les prfets seront chargs de veiller la bonne mixit sociale.

Des lus limage des Franais

Le HCI propose que les candidats aux lections prcisent dans les fiches quils remplissent, leur lieu de naissance et celui de leurs parents. Cela reprsentants politiques sont limage du pays.7

permettra de vrifier que les

L encore, le HCI est conscient des cueils. Cette mesure rpond au besoin profond de reprsentation de la France dans sa diversit. En revanche, elle ne doit pas favoriser le clientlisme communautaire, avec des candidats apporteurs de voix par groupes dimmigrs. Au niveau local, le risque existe dj.

Le portrait des lus, dans la diversit de leurs origines, semble nanmoins une tape ncessaire.

La gestion des flux dimmigration

Contrairement ce qui est souvent affirm, la France reste un pays dimmigration. En 2008, elle a ainsi dlivr 183 893 titres de long sjour des ressortissants de pays tiers l'Union europenne.

Le HCI considre quil faut tre lucide et transparent dans la gestion des flux dimmigration. Car la bonne intgration repose aussi sur une immigration maitrise. Si des primo-arrivants sinstallent sans cesse dans des zones o les immigrs sont nombreux, les chances dintgration samenuisent. Car cest par le brassage, au travail et dans le quartier, que se construit petit petit lintgration. Il propose que les parlementaires rgulent les arrives en fonction des possibilits daccueil, par rgion.

Par ailleurs, le HCI propose de renforcer les exigences pour laccueil dun conjoint tranger. Le mariage est devenu la premire porte dentre en France. Les mariages avec un conjoint du pays dorigine sont nombreux et posent la question de lintgration.

Certaines familles rsistent ainsi lassimilation en faisant venir une bru ou un gendre du pays dorigine. Si lEtat ne doit pas simmiscer dans lintimit des couples, il peut vrifier quil ne sagit pas de mariages forcs. Et renforcer les conditions pour accueillir un conjoint, comme pour le regroupement familial. Il faudra disposer dun logement et dun revenu, avant de faire venir lpoux ou lpouse ; car on constate rgulirement de graves problmes sociaux dans ces mnages.8

Une politique dintgration qui ne se limite pas aux primo-arrivants

Le HCI rappelle enfin, quon ne peut prconiser lintgration sans sen donner les moyens rels. Cest une politique continue. De laccueil des primo-arrivants, au suivi des immigrs dj prsents et de leurs enfants parfois. Puisquil sagit dun enjeu majeur pour le pays, il faut considrer que cest une vritable politique, qui devrait tre pilote par une Agence de lintgration1, qui aurait une vision globale et assurerait la continuit de laction publique.

Elle serait charge de l'intgration des immigrs sans limite de dure, de l'apprentissage de la langue franaise comme des valeurs de la Rpublique et du mode de vie en France, de la promotion de la diversit culturelle, de l'accs aux droits et de la mdiation interculturelle. Au plan local ces actions d'intgration devraient s'inscrire galement dans les contrats urbains de cohsion sociale (CUCS).

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AVANT PROPOS

"Ce qui dans le nom de Franais nous appelle l'universel doit beaucoup aux trangers qui, choisissant la France comme terre de prosprit et de libert, sont venus, depuis des sicles, enrichir notre culture, dfendre notre sol et soutenir notre conomie. La politique d'intgration n'est donc ni un acte de charit, ni un simple devoir. Elle est l'une des manires pour la France d'tre fidle elle-mme." Simone Veil, Prsidente du Haut Conseil l'Intgration, 1997-98.

Plus que la simple insertion matrielle des immigrs dans la socit d'accueil, et moins que l'assimilation souvent entendue comme l'abandon de la plupart des spcificits culturelles lies l'origine2, l'intgration reste un concept sinon contest, du moins mal compris. Il dsigne un processus qui "demande un effort rciproque [ l'immigr et la socit du pays d'accueil], une ouverture la diversit qui est un enrichissement mais aussi une adhsion et une volont responsable pour garantir et construire une culture dmocratique commune3".

Pour viter les faux dbats, prcisons que l'intgration s'adresse pour l'essentiel aux immigrs installs rgulirement en France, soit plus de 5 millions de personnes, dont 2 millions sont devenues franaises. Nanmoins, le sort de leurs enfants n'est pas indiffrent la politique d'intgration, ne serait-ce que pour mesurer leur volution sociale. En outre,

En revanche, l'assimilation est une condition de la naturalisation. Article 21-24 du Code civil "Nul ne peut tre naturalis s'il ne justifie de son assimilation la communaut franaise, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue franaise et des droits et devoirs confrs par la nationalit franaise" 3 Haut Conseil l'intgration, Le bilan de la politique d'intgration 2002-2005, Rapport au Premier ministre, Collection des rapports officiels, Paris, La Documentation franaise, 2006, p. 22. 10

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leur nombre est loin d'tre ngligeable puisqu'aujourd'hui les enfants d'immigrs, c'est-dire les descendants directs d'un ou de deux immigrs, sont 6,5 millions4. Au total, les immigrs et les personnes directement issus de l'immigration sont 11,5 millions, soit 19% de la population franaise. Ce dernier chiffre suffit lui seul montrer l'importance des sujets relatifs l'immigration et l'intgration, pour notre pays.

Le mot intgration dsigne ce processus rciproque d'incorporation des immigrs la socit d'accueil, et de la politique d'accompagnement temporaire vers le droit commun mise en uvre pour le faciliter. C'est en 1988 que le mot intgration devient le terme officiellement consacr pour dfinir de cette politique. Ce choix est trs directement li la cration par la loi du 17 juillet 19845 de la carte de rsident, valable 10 ans et renouvelable automatiquement, qui donne le droit d'exercer, sur l'ensemble du territoire, la profession de son choix. Ainsi, tirant les consquences de cette cration, Claude Evin, ministre de la solidarit nationale du gouvernement Rocard, pouvait dclarer en juin 1988, devant le conseil d'administration du Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrs et leur famille : Les trangers qui rsident actuellement en France y resteront, chacun en est aujourd'hui conscient ; parlons donc maintenant d'intgration plutt que d'insertion6.

Du point de vue institutionnel, ont t crs cette priode le Comit interministriel l'intgration7, le Haut Conseil l'intgration (HCI)8, et un phmre Secrtaire gnral l'intgration. Pour autant, lintgration est demeure une politique clipse des

gouvernements, l'exception, de la priode 1991-1997 o tous ont eu soit un ministre, soit un secrtaire d'Etat charg de l'intgration, et en avril 2003, 2004 et 2006 o s'est runi le Comit interministriel. Ce sont les politiques de lutte contre les discriminations, dgalit des chances, voire de promotion de la diversit qui ont t le plus souvent privilgies au dtriment de l'intgration. Aussi est-il lgitime aujourdhui de se demander : la France sait-elle encore intgrer les immigrs ?, et s'en donne-t-elle les moyens ?

Insee Premire, N1287, Etre n en France d'un parent immigr, mars 2010. Loi n84-622 du 19 juillet 1984 portant modification de l'ordonnance n45-2658 et du Code du travail et relative aux trangers sjournant en France et aux titres uniques de sjour et de travail. 6 Actualit-Migration, revue de l'OMI, n253, 21-25 novembre 1988. 7 Dcret du 6 dcembre 1989. 8 Dcret du 17 dcembre 1989.5

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Paradoxalement, alors qu'en France la volont dintgrer les immigrs semble faiblir, le besoin dharmonisation des politiques nationales tend s'affirmer au plan europen au point que s'esquissent quelques lignes directrices d'une politique d'intgration europenne. (Dcision de novembre 2004, Conseil Justice Affaires Intrieures9).

Si la question de l'intgration revient nanmoins de faon rcurrente dans les mdias en France depuis vingt ans, c'est au travers du surgissement de situations o sont directement contests certains principes fondamentaux de la Rpublique et en particulier de l'galit homme/femme, et la lacit. Les points d'orgue en ont t la question du voile islamique l'cole publique de 1989 jusqu'au vote de la loi du 15 mars 200410, ou plus rcemment, le port du voile intgral dans les espaces publics11. Rien de plus normal, puisque l'intgration a pour objet de valoriser ce qui unit les Franais et ceux qui ont vocation ltre. Le Haut Conseil l'intgration observe toutefois que la focalisation sur les principes rpublicains, aussi importante soit-elle, a pour effet de diffrer la satisfaction des besoins d'intgration au quotidien des immigrs et de leurs enfants dans notre pays. Bien plus, ces valeurs communes, et tout particulirement la lacit, ne doivent pas tre instrumentalises, ou exclure une part de la communaut nationale, au premier rang desquels des Franais issus de l'immigration de culture ou de confession musulmane.

Le Haut Conseil note nanmoins que, depuis 2003, des dispositifs prennes essentiels ont t crs, et en particulier, le contrat d'accueil et d'intgration (CAI) destin aux primoarrivants, et la lutte contre les discriminations raison des origines avec la cration d'une Haute autorit indpendante (HALDE) .

A la demande du Premier ministre, dans le prsent avis, le Haut Conseil lintgration a, dans un premier temps, ralis un tat des lieux des russites et des checs de lintgration des immigrs en France. Est-il vrai comme on le lit si frquemment que lintgration est en panne ? Si la gnralisation de ce lieu commun est contestable, il est indniable que les

Et cration par le Conseil de l'Union Europenne, le 25 juin 2007 du Fond europen pour l'intgration des ressortissants des pays tiers. 10 Loi encadrant, en application du principe de lacit, le port de signe ou de tenue manifestant une appartenance religieuse dans les coles, collges ou lyces publics. 11 Rapport d'information n2262, janvier 2010, de la Mission d'information-Voile intgral: le refus de la Rpublique. 12

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difficults saccroissent et que la tension monte, en particulier dans les quartiers de la politique de la ville.

Il a, dans un second temps, valu les politiques mises en uvre pour faciliter cette intgration, aprs avoir observ qu'elles ont t mises en place bien tardivement, soit prs de trente ans aprs la fin de l'immigration de travail et la monte de l'immigration familiale ayant cr de nouveaux besoins. Ces politiques axes principalement, ces dernires annes, sur laccueil des primo-arrivants, la lutte contre les discriminations et les restructurations urbaines, bien que ncessaires, ne peuvent nanmoins suffire garantir une bonne intgration en France. Comme il est indiqu prcdemment, les dbats rcents sur les valeurs de la Rpublique contestes par certaines minorits, au nom souvent de lattachement des principes, voire des coutumes du pays dorigine, amnent le Haut Conseil souhaiter que soient compltes les politiques mises en uvre par une approche plus concrte, afin de transmettre le "got de la France", de ses paysages, de sa culture, de son histoire et d'en fournir les "modes d'emploi" et les codes sociaux.

Pour le Haut Conseil, deux cueils sont viter. Premier cueil : se focaliser sur les seuls quartiers de la politique de la ville, bien que s'y concentrent de nombreux immigrs parmi les plus dshrits. Il s'agit en effet de penser la majorit des immigrs, disperse sur le territoire, qui s'intgre dans la dure, avec certaines difficults communes, telles que les discriminations. Ce processus d'intgration est toujours long et complexe. Il comprend ncessairement, pour tous, une rupture, une forme de renoncement, au moins partiel, un hritage culturel et familial puisqu'il s'agit d'un dsenchanement des gnrations12. Second cueil : considrer que l'immigration est un bloc homogne avec des problmes d'intgration similaires13. Lors de ses dplacements, le Haut Conseil a peru une accentuation de la diversit des immigrations dans notre pays, et une variation, parfois considrable d'un groupe l'autre, en matire de difficults ou de succs scolaires, professionnels, ou sociaux. La russite ou l'chec de l'intgration dpend bien-entendu des conditions sociales objectives, mais aussi de donnes culturelles. C'est d'ailleurs cet aspect culturel qui est une des spcificits de la politique d'intgration au regard des autres12 Voir ce propos le livre de Claudine Attias-Donfut et Franois-Charles Wolf, "Le destin des enfants d'immigrs, un dsenchanement des gnrations", d. Stock , 2009.

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politiques sociales puisque notre pays refuse le dterminisme des origines et des cultures. De ce point de vue, comme nous l'avons exprim dans notre avis "Relever les dfis de l'intgration l'cole",14 la structure familiale et sa mobilisation pour la russite scolaire des enfants apparaissent dterminantes pour une bonne intgration.

En outre, pour la premire fois depuis sa cration, le Haut Conseil a souhait se saisir de la question migratoire, puisqu'il y a continuum entre immigration et intgration. Si, jusqu' prsent, la France n'a pu choisir ses immigrs au regard de ses seuls besoins ou intrts comme le font des pays comme le Canada par exemple, ne peut-elle, tout le moins, en fixer le volume annuel quant au de ses capacits d'accueil ? Doit-elle galement abandonner toute matrise de son immigration, aujourd'hui pour l'essentiel familiale, au nom d'impratifs juridiques europens?15 Le Haut Conseil n'ignore pas le caractre iconoclaste de ces questions au regard du droit positif, mais souhaite nanmoins les examiner au vu d'expriences trangres, considrant que face l'accroissement des flux d'entres, il ne peut y avoir de bonne intgration des immigrs en France sans nette amlioration de la matrise de nos flux migratoires.

De mme, en aval de l'immigration et du processus d'intgration, le Haut Conseil a souhait rexaminer les lments du dbat sur l'accs la citoyennet, qui, aprs le rapport de la Commission sur la rforme de la nationalit (1987-1988), prside par M. Marceau Long, a sembl clos par la "loi Guigou" de 199816, pour se rouvrir en octobre 201017. La France favorise l'accs la nationalit franaise, par le droit du sol notamment, trs largement pour des raisons dmographiques, dans la tradition de la IIIme Rpublique18. Comme aprs la dfaite de 1870, ou aprs la Seconde guerre mondiale, notre pays a

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Voir ce propos l'une des trop rares tudes compares "Jeunes d'origine portugaise et maghrbine, "Etude compare des positions scolaires et des mobilisations identitaires" , par Sylvie de Amorim Alves, Migrations et Socit, Mai/Aot 2010. 14 Les dfis de l'intgration l'cole, Remis au Premier ministre en dcembre 2010 ; la Documentation franaise, 2011. 15 Article 8 de la Convention europenne de sauvegarde des Droits de l'Homme. 16 Loi du 16 mars 1998 relative la nationalit. 17 Mission d'information parlementaire sur "le droit de la nationalit en France" prside par M. Manuel Valls. 18 En particulier aprs la loi du 26 juin 1889, sur la nationalit qui a tabli, aprs la dfaite de 1870, le droit du sol pour des raisons dmographiques lies au service militaire. 14

soulev la question de sa dmographie avant bon nombre de pays europens19. Mais, paradoxalement, dans le mme temps, alors que notre pays est conscient des problmatiques dmographiques, il laisse se durcir, sur son territoire, des zones, le plus souvent urbaines et parfois rurales, o se dveloppent au mieux l'ignorance, au pire la dtestation de la France, de la part de jeunes Franais issus de l'immigration. Le Haut Conseil n'hsite plus dsormais, parler dans certains cas, de dsintgration. Cette situation cr un risque supplmentaire, non d'une simple exaspration des autochtones, mais d'une crispation identitaire d'une large partie de la socit franaise et d'un rejet de l'ensemble des immigrs, l'image des drives populistes de plusieurs pays europens dont certains passaient, encore rcemment, pour des modles de tolrance.

Notre avis est le rsultat de constatations faites sur le terrain ds 2009, Marseille deux reprises, Lyon, Strasbourg, Cergy Pontoise, Lille, ou encore Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), de nombreuses auditions, dont on trouvera, en annexe, la liste, mais avant tout des analyses et rflexions des personnalits qui constituent le Collge du Haut Conseil, au premier rang desquelles, les lus locaux et nationaux, comme les reprsentants du monde de l'entreprise, associatifs et de la fonction publique.

On pourra regretter le caractre trop ramass de cet avis, pour un sujet aussi vaste, dont les donnes sont nombreuses et complexes et les leons dlicates tirer. Mais le Haut Conseil a eu la volont, au-del du strict bilan et des recommandations techniques, de dgager, partir de constatations d'une lucidit indispensable, fut-elle drangeante, des choix plus stratgiques. Il s'agit en effet de donner un nouvel lan la politique d'intgration de notre pays, aprs la priode de refondation opre il y a bientt dix ans.

C'est parce qu'il croit fortement que l'Etat ne doit, en aucun cas, renoncer faire partager ses principes constitutionnels, au premier rang desquels l'galit devant la loi, sans laquelle il n'y a pas, dans une Rpublique, de sentiment de justice, ni de dsir de solidarit, comme transmettre une histoire et une culture commune, c'est--dire construire un destin et une ambition collectifs, que le Haut Conseil adresse au Premier ministre le prsent avis.19

Ainsi a t cr, en janvier 1946, une direction de la population sous l'impulsion d'Alfred Sauvy, Premier prsident de l'Ined, devenu en juillet 1966 la direction de la population et des migrations, supprime en janvier 2008. 15

PREMIERE PARTIE : L'INTEGRATION : A MARCHE En France, l'immigration comme phnomne dmographique de masse remonte la deuxime moiti du XIX sicle. Pour des raisons conomiques, il a t fait appel l'immigration de travailleurs jusqu'en 1974. Originaires d'abord des pays limitrophes, Suisses, Belges, Allemands, c'est de toute l'Europe que les trangers sont ensuite venus entre les deux guerres mondiales (200 000 par an en moyenne) en provenance d'Italie, de Pologne, de Hongrie, de Tchcoslovaquie Aprs la Seconde guerre mondiale, les origines se sont diversifies en provenance d'Espagne, du Portugal, de la Yougoslavie, du Maghreb, de la Turquie. Avec la dcolonisation, l'effondrement du bloc sovitique, la mondialisation et les conflits africains, l'immigration en France est plus htrogne encore que par le pass avec des flux provenant d'Afrique subsaharienne, d'Europe centrale et de Chine.

Tous les trangers, quelles qu'aient t les difficults rencontres, se sont progressivement intgrs jusqu' se fondre dans la nation franaise, eux et plus encore leurs descendants.

Aujourd'hui, la France compte prs de 11,5 millions d'immigrs et d'enfants dont l'un des parents au moins est immigr.

Bien que contest, le modle d'intgration franais dmontre quotidiennement que l'intgration en France, a marche ! A tel point que dsormais la plupart des pays europens s'inspirent largement de ce modle, remettant en cause le modle multiculturaliste comme l'ont fait rcemment la chancelire allemande Angela Merkel ou le premier ministre britannique David Cameron.

Ce modle franais connait certes de relles difficults qui seront examines ici ultrieurement et qui tiennent la fois une immigration mal maitrise, une concentration urbaine excessive, des difficults d'ordre culturel, le tout sur fond de crise conomique, de chmage, d'effacement des structures traditionnelles de socialisation comme les partis politiques ou les syndicats.

16

Il est toutefois indniable que, depuis fort longtemps, des gnrations d'immigrs et leurs enfants ont trouv leur place en France. Qu'il s'agisse des gnrations arrives entre les deux guerres mondiales ayant russi et apport leurs talents comme Georges Charpak, prix Nobel de Physique, ou de leurs enfants comme Nicolas Sarkozy, dont le pre est arriv de Hongrie et qui a accd la fonction suprme de Prsident de la Rpublique.

Qu'il s'agisse de ceux arrivs pendant les "Trente glorieuses" et de leurs enfants dont certains sont devenus maires, dputs, snateurs, ministres, hauts fonctionnaires, chercheurs, entrepreneurs, mdecins, avocats, enseignants. Tous les secteurs de la vie conomique, sociale, culturelle ou sportive peuvent avancer les noms d'immigrs qui ont russi faire leur vie en France et trouver le chemin de la russite. Souvent issus de familles modestes, de fratries nombreuses, ils ont su, grce leur capacit et leur volont personnelle, saisir la chance d'galit et de russite que la France leur offrait

La liste des immigrs ou enfants d'immigrs devenus clbres est longue. Pour n'en citer que quelques uns de A Z, et chacun pourrait complter l'envie : Isabelle Adjani, Charles Aznavour, Alima Boumedienne, Jeannette Bougrab, Jean-Marie Cavada, Franois Cheng, Rachida Dati, Djamel Debbouze, Gad Elmaleh, Louis de Funs, Max Gallo, Romain Gary, Eugne Ionesco, Tahar Ben Jelloun, Marin Karmitz, Francis Lemarque, Edgar Morin, Yannick Noah, Michel Platini, Yazid Sabeg, Jo Wilfrid Tsonga, Albert Uderzo, Sylvie Vartan, Manuel Valls, Koffi Yamgnane, Rama Yade, Zinedine Zidane.

Rappelons que nombre d'entre eux ont longtemps tu leurs origines pour diverses raisons, en particulier car ils souhaitaient tre jugs sur leur seul talent.

Encore plus nombreux sont ceux qui, n'ayant pas connu la gloire, ont russi leur intgration en France. Ce sont ceux qui souffrent souvent de l'image dforme que les comportements de certains jeunes dlinquants, clairement identifiables comme issus de l'immigration, font peser sur l'immense majorit qui a, sans bruit, "jou le jeu" de l'intgration.

L'intgration est un processus complexe inscrit dans l'interconnexion de phnomnes externes (emploi, conditions de logement, ducation) et de facteurs individuels qui peuvent17

parfois trouver leur source dans les cultures d'origine. Analyser cette multitude de facteurs n'est donc pas ais si l'on veut se garder d'tre rducteur.

L'intgration est un processus qui exige du temps. Les indicateurs montrent que ce facteur est primordial pour amliorer sa situation sociale et conomique, ses conditions de logement, sa matrise du franais et des codes sociaux.

Apprhender ce processus d'intgration, exige de s'appuyer sur les donnes statistiques. Or, les donnes par nationalit d'origine sont rarement disponibles et lorsqu'elles le sont, peu exploites. De plus, mme l'exploitation de la grande enqute TeO (trajectoires et origines) dont c'tait pourtant l'objectif ne permet pas toujours d'approcher les parcours d'intgration.

L'enqute TeO

Au dbut des annes 1990, une premire enqute MGIS (mobilit gographique et insertion sociale) diligente par l'INSEE et l'INED avait permis d'apprhender cette intgration. En 2001, le Haut Conseil prconisait de lancer une nouvelle enqute

d'ampleur nationale. Cette enqute a vu le jour sous l'intitul TeO (trajectoires et origines). Ce sont les donnes publies fin 2010 de cette enqute, ralise conjointement par l'INED et l'INSEE, que nous utilisons pour tayer ce chapitre. On peut regretter toutefois que cette enqute qui a soulev de nombreuses polmiques se soit excessivement oriente vers des questions sur le ressenti des discriminations au dtriment de l'observation des modalits du parcours d'intgration20.

20

Chroniques de discriminations annonces, l'enqute Trajectoires et Origines , France Gurin Pace in Le retour de la race , contre les statistiques ethniques, ouvrage collectif, ditions L'aube 2009 18

Des enfants plus diplms que leurs parents Si les enfants d'immigrs sont souvent ceux qui rencontrent le plus de difficults scolaires, on relve toutefois qu'ils atteignent, en moyenne, un niveau scolaire nettement suprieur celui de leurs parents. Les comparaisons par origine gographique et par sexe montrent nanmoins des diffrences qu'il convient d'interroger.

Si l'on compare le niveau de diplmes des descendants d'immigrs par rapport la population majoritaire, on observe un niveau plus faible en particulier concernant les garons. Ainsi, parmi les descendants dont les parents sont venus d'Algrie, du Maroc de Tunisie ou de Turquie, la part des hommes sans diplme ou de diplme de faible niveau est presque deux fois plus importante que dans la population majoritaire21. Toutefois, le pourcentage de pres ouvriers (70%) des descendants d'immigrs du Maghreb, de Turquie et du Portugal contribue expliquer les niveaux atteints. Si l'on ajoute comme facteur la taille de la fratrie, on comprend cette difficult dans la russite scolaire.

Ces conditions sociales ne produisent cependant pas les mmes effets sur les filles qui, elles, ont de meilleurs rsultats, en particulier pour les ressortissantes du Maghreb et du Sud-est asiatique, l'exception des descendantes originaires de Turquie.

L'emploi et la mobilit sociale des immigrs et de leurs enfants S'agissant de l'emploi, l'enqute TeO prcite note, pour l'ensemble de la population, un taux d'emploi de 81% pour les hommes, et de 72% en moyenne chez les femmes. En comparaison Selon l'origine, les taux d'emploi les plus forts s'observent chez les immigrs d'Espagne, d'Italie et du Portugal. Cela s'explique en partie par un effet de structure : les immigrs en provenance de ces pays sont en moyenne plus gs que les autres. Pour les hommes, les taux d'emploi les plus faibles s'observent chez les descendants d'immigrs, en particulier les descendants d'immigrs d'Afrique subsaharienne (53%), d'Asie du Sud-Est (60%), du Maroc et Tunisie (61%), de Turquie (67%) et d'Algrie (69%), alors que le niveau d'emploi est nettement plus lev chez les descendants d'immigrs des pays de21

Enqute sur la diversit des populations en France, Premiers rsultats Octobre 2010, Trajectoires et Origines. 19

l'Europe du Sud (Portugal (82%), Espagne et Italie (86%) ou l'Union europenne (81%) et proche du taux d'emploi de la population majoritaire (81%).

De faon plus nette encore, l'enqute TeO, comme l'indique le tableau ci-dessous, fait apparatre de trs fortes disparits des taux d'activits, selon l'origine gographique des femmes immigres. Cela ne peut tenir simplement aux difficults linguistiques puisque les femmes originaires du Maghreb, le plus souvent francophones, ont un taux d'activit bien infrieur aux ressortissantes des pays d'Afrique Subsaharienne, qui elles-mmes, bien que rentrant plus tardivement sur le march du travail, ont ds 35 ans un taux d'activit comparables aux femmes europennes. Dans le cas des femmes immigres turques, le taux d'activit est plus faible encore, et il faut sans doute s'interroger sur le statut de la femme, sa place dans la famille, inscrits dans une culture reste trs largement patriarcale et des communauts rsidant en France souvent fermes.

Taux d'activit des femmes immigres selon l'ge et l'origine gographique

Il apparat ainsi clairement, que si les personnes immigres ou issues de l'immigration rencontrent des difficults particulires, lies quelquefois leur niveau de formation, comme aux discriminations dont elles sont victimes, le facteur culturel peut jouer un rle ngatif dans l'intgration.

20

S'agissant de la seconde gnration, on observe sans conteste une intgration par le travail marque par une mobilit sociale. Ainsi, les parents mettent des avis plutt logieux sur la deuxime gnration. Pour subjectifs qu'ils soient, ces jugements n'en sont pas moins objectivement lgitimes, les enfants ayant un niveau d'tudes trs suprieur et des occupations professionnelles plus diversifies et de plus haut niveau. La fluidit sociale est relle22

Si les pres immigrs appartenaient aux professions peu qualifies, notamment ouvrires, leurs fils accdent plus frquemment des postes d'ouvriers qualifis (74% contre 62% pour leurs pres). Ils ont connu, comme l'ensemble de la population, une mobilit professionnelle du fait de la baisse du travail non qualifi, de la tertiarisation des emplois, mais galement de l'lvation du niveau de formation. Les fils occupent plus frquemment des professions intermdiaires (22%), voire de cadres (12%), pour respectivement 7% et 4% pour leurs pres.

S'agissant des filles, 57% d'entre elles sont employes. Elles accdent aux professions intermdiaires dans des proportions quivalentes celles des fils d'immigrs (22%), mais sont moins souvent cadres (9%). Signalons la russite des descendants d'Asie du Sud-Est asiatique dont 27% sont cadres.

Pour l'ensemble de la population, les chiffres sont respectivement de 24% pour les professions intermdiaires, et 14% pour les cadres.

Une population aujourd'hui plus souvent propritaire Pour ce qui concerne le logement, les enqutes nationales de l'INSEE montrent que les conditions se sont globalement amliores pour tous et qu'en moyenne il n'y a plus d'carts qualitatifs entre les logements des immigrs et ceux des autochtones. En revanche, les diffrences concernent surtout le taux d'occupation, les immigrs connaissant des taux de sur occupation en raison de la taille des familles23.

22 23

Le destin des enfants d immigrs, prcit. Rapport du HCI remis au Premier ministre le 22 janvier 2008 Avis sur le logement des personnes immigrs. 21

Un indicateur pertinent au regard de l'intgration est celui du statut des occupants en qualit de propritaire ou de locataire.

Etre propritaire est souvent considr par l'ensemble de la population comme un objectif de russite sociale et de scurit personnelle. Concernant les immigrs, c'est galement un signe manifeste de volont d''intgration en France. L'enjeu du patrimoine dans les parcours migratoires est particulirement important en raison du symbole qu'il reprsente. Situ en France, il signifie un enracinement en terre d'adoption, en terre natale, il reprsente un lieu de rattachement celle-ci.24 Le pourcentage de Franais propritaires est de 59 % et celui des immigrs de 39% (soit 930 000 mnages immigrs) ; il tait de 33, 6% en 1992. Le diffrentiel se rduit galement pour les descendants d'immigrs (51% des descendants d'immigrs sont propritaires)25.

Cependant, parmi les immigrs, l'accs la proprit est moins frquent pour les mnages issus des pays tiers, qui ne sont propritaires que dans 25% des cas (350 000) et 33% chez leurs descendants.

Epargner pour acheter une rsidence principale ncessite du temps. Ainsi, 30,5% des mnages immigrs de pays tiers arrivs dans les annes 70 sont propritaires, soit trois fois plus que ceux arrivs dans les annes 2000.

Or, les mnages immigrs primo-arrivant connaissent souvent des handicaps : revenus faibles, familles plus nombreuses, etc., 30% des mnages immigrs des pays tiers

disposant d'un revenu infrieur 2000 euros atteignent 5 personnes contre 6,5% des Franais de parents franais ce qui explique notamment le taux de sur occupation (quatre fois plus que chez les Franais de naissance). Pour pallier ce manque de moyens, les aides au logement, calcules sur le montant des revenus et la taille des mnages permettent de

Le destin des enfants d'immigrs prcit. Infos migrations, Etude : Les mnages immigrs en 2006 : des locataires en zone urbaine, 6 janvier 2009, Infos migrations numro 6 janvier 2009- les mnages immigrs en 2006:les locataires en zone urbaine Infos migrations numro 7 les conditions de logement des immigrs en 2006, analyse de l'enqute logement de l'INSEE INED INSEE Trajectoires et origines, enqute sur la diversit des populations en France, documents de travail 168, Ingalits des transitions de logement, discrimination et sgrgation perues 2225

24

compenser la moiti des loyers des mnages. Aussi, les immigrs sont-ils plus nombreux tre locataires, surtout dans le parc social.

Par ailleurs, les parcours rsidentiels des immigrs diffrent selon les origines. Ainsi, les Algriens, comme les Africains subsahariens sont majoritairement logs dans le parc HLM: 70% des mnages locataires Algriens sont logs dans le parc social HLM, 64 % pour les Marocains, 60,5%pour les Africains du sud Sahara. En revanche, les ressortissants d'Asie du sud-est ou les Portugais y sont beaucoup moins nombreux et sont majoritairement propritaires (43% pour les premiers sont propritaires, et 53% pour les seconds). On retrouve les mmes diffrences, attnues, concernant les descendants d'immigrs. Ce sont cependant, paradoxalement, les Algriens ou leurs descendants qui s'estiment le plus souvent discrimins dans l'accs au logement. Compte tenu de l'anciennet de l'immigration algrienne, aucune raison objective ne justifie ce sentiment. Les Algriens n'ont pas des revenus significativement infrieurs ceux des autres origines bien que la taille des familles et la faible activit professionnelle des femmes puissent avoir un impact ngatif sur les revenus.

Les sorties d'HLM sont, en gnral concrtises par l'accession la proprit prive. Or, seuls 15 % des immigrs du Maghreb et d'Afrique subsaharienne accdent la proprit prive. Concernant les mnages immigrs qui souhaitent dmnager (69%), ils sont deux fois plus nombreux que les Franais de parents Franais vouloir dmnager au sein du parc social.

S'il est normal que la solidarit nationale prenne en charge le logement social, on peut nanmoins s'interroger sur la permanence et surtout la reproduction de ce phnomne pour les secondes gnrations. De plus, comme les logements du parc social sont concentrs sur certains territoires, ce choix, contraint ou choisi, renforce la concentration des populations. Ainsi, le sentiment d'tre dans un territoire "sgrgu" est peru deux fois plus par les immigrs en HLM que par la population franaise en HLM, alors mme qu'elle y est souvent minoritaire.

Par ailleurs, il semble que l'effort consenti pour se loger soit, pour certaines familles, limit en restant dans le logement social, mme dgrad, afin de construire des rsidences dans la23

perspective de retour au pays ou pour les vacances au pays d'origine (21% pour les Maghrbins et 20% pour les Turcs). Il n'est pas rare que ces habitations "au pays" incarnent une certaine russite sociale. Cependant, il est certain que les fonds utiliss pour ces habitations "au pays" le sont au dtriment d'une amlioration des conditions d'habitat en France.

Enfin, il est souvent port un jugement trs favorable sur le fait que les immigrs envoient des sommes importantes au pays d'origine. Les pays d'origine26 apprcient coup sr cette arrive de devises bien que ces sommes d'argent permettent rarement de participer au dveloppement local ou des investissements productifs. Des tentatives d'orienter cette pargne vers des investissements utiles sont en cours mais demeurent exprimentales. En revanche, ces envois d'argent se font souvent au dtriment des conditions de vie et d'intgration en France. Bien que l'on puisse comprendre l'intention gnreuse de solidarit familiale, ces envois viennent obrer des revenus dj faibles.

Des mariages mixtes majoritaires chez les descendants d'immigrs La mixit des couples est un puissant facteur d'intgration. Toutefois, il convient de prciser qu'il s'agit d'une donne complexe qui ne peut se rduire la prise en compte de la seule nationalit du conjoint au moment du mariage. En effet, de nombreux mariages "mixtes" sont souvent de simples mariages endogames entre un tranger et un Franais de la mme origine. Des tudes 27 et l'enqute TeO ont permis d'analyser ces comportements avec plus de prcisions.

Dans leur ensemble et quelle que soit la date de rencontre de leur conjoint (avant ou aprs la migration), la moiti des immigrs de 18 60 ans ont un conjoint immigr originaires du mme pays. L'union entre conjoints de mme origines domine pour certaines origines (82%pour les originaires de Turquie, par exemple) mais devient minoritaires pour les immigrations plus anciennes (venues d'Espagne ou d'Italie). Par ailleurs un peu plus de

26 27

Pour la France, il s'agit d'un transfert de 8 milliards d'euros en 2010. Collet Bate et Rgnard Corinne, 2008 "mixit franco-trangre: quelle ralit sociale?" Infos migration 24

quatre immigrs sur dix vivent avec un conjoint n en France et dans 90% il s'agit d'une personne de la population majoritaire.28.

Le Haut Conseil relve un chiffre selon lui trs marquant de la ralit de l'intgration des immigrs dans notre pays, au regard des exemples trangers : 65% des descendants d'immigrs vivent en couple avec des personnes de la "population majoritaire". De faon gnrale, ce sont les hommes descendants d'immigrs qui pousent des femmes de la population majoritaire.

Comme le signalent les auteurs de l'enqute TeO, la part de mariages mixtes tmoigne aussi du degr d'acceptation par la socit d'accueil des immigrs et de leurs enfants. De ce point de vue, les comparaisons internationales sont clairantes. Ainsi, en 2006, aux EtatsUnis, les couples mixtes composs d'une femme la peau blanche et d'un homme la peau noir (ou l'inverse) reprsentaient 0,67 % des couples maris. Or, si les appariements se faisaient au hasard, on devrait compter au moins 11% de mariages interraciaux.29

Un taux de fcondit matris dans la dure Le tableau ci-dessous fait apparatre que la part de naissance de deux parents trangers reste stable en France depuis 15 ans, autour de 7%, alors que celle dont un des parents seulement est tranger, a presque tripl dans la mme priode. Or tout indique qu'il n'y a plus d'cart observ entre les enfants issus de couples mixtes ou de couples dont les deux parents sont Franais, en particulier en terme de russite scolaire ou de sentiment d'appartenance (cf. infra).

28

Trajectoires et origines, document de travail, premiers rsultats octobre 2010, la formation du couple, entre ici et l bas 29 Lagrange, le dni des cultures p.23 25

Bien que notre analyse s'appuie sur une tude dj un peu ancienne30, il y a peu de raison que les choses aient volu brutalement dans ce domaine. Le tableau ci-dessous indique que la fcondit des immigres est intermdiaire entre la fcondit des femmes vivant dans le pays d'origine, et celle des femmes nes en France, l'exception de celles d'origine portugaise, tunisienne et turque.

Diffrence de fcondit entre les femmes immigres et les femmes nes en France mtropolitaine

La mme tude rvle que les immigres, entres avant l'ge de 13 ans en France, ont peine plus d'enfants que les femmes nes en mtropole. Enfin, aprs une gnration d'adaptation, les femmes dont les deux parents sont immigrs ont peu prs la mme fcondit que celles des familles d'origine franaise.

La fcondit des immigres : nouvelles donnes, nouvelle approche, Laurent Toulemon (Ined), in Population et socits, avril 2004. 26

30

La volont et le sentiment d'tre Franais Il apparat au Haut Conseil que la volont d'tre Franais exprime l'occasion d'une demande de naturalisation, et les conditions objectives requises (rsidence, dure de stage de cinq ans, matrise de la langue franaise selon sa condition, revenus hors prestations sociales et absence de condamnation)31 constituent galement un bon indicateur d'intgration.

Ce chiffre de plus de 100 000 acquisitions de la nationalit franaises, chaque anne, qui fait de la France le premier pays d'Europe de ce point de vue, est rapprocher de celui des 140 000 trangers, hors tudiants, entrant annuellement titre permanent dans notre pays depuis plusieurs annes. A peu de choses prs, notre pays "fabrique" autant de nouveaux Franais qu'il accueille de nouveaux trangers.

Alors que les trangers remplissant les conditions vises ci-dessus peuvent demander la nationalit franaise aprs cinq ans de rsidence en France, il est important de noter qu'ils la demandent en moyenne aprs seize ans de rsidence. Il faut sans doute y voir l'effet de notre lgislation sur le droit du sol, puisque leurs enfants, ns sur notre territoire peuvent demander la nationalit franaise par dclaration 13 ou 16 ans, et en bnficier de plein droit 18 ans. On peut penser que, voyant leurs enfants acqurir la nationalit franaise, les parents ralisent que leur vie est en France, et demandent bnficier de la naturalisation. C'est l encore un bon exemple d'intgration familiale.27

Le Haut Conseil rappelle nanmoins que devenir Franais n'est pas obligatoire. Certains trangers parfaitement intgrs peuvent ne pas vouloir devenir Franais. Cette attitude est tout fait respectable et un tranger peut parfaitement vivre toute sa vie en France sans devenir Franais.

En revanche, devenir Franais suppose d'accepter consciemment ce choix qui implique un engagement pour soi-mme, pour ses enfants et ses descendants.

Une autre approche nous renseigne sur l'efficacit du processus d'intgration en France, celle de l'enqute enqute TeO prcite, qui dtermine, dans le tableau ci-dessous, le sentiment "d'tre Franais" selon le lien la migration et la nationalit

On y observe que seuls 16% d'immigrs ayant la nationalit franaise ont peu ou pas le sentiment d'tre Franais, ce qui est bien infrieur, semble-t-il d'autres enqutes effectues l'tranger32, mais ils sont encore 10% tre dans ce cas pour les descendants de deux parents immigrs qui sont pour le plus grand nombre Franais par le droit du sol

Article 21-15 et suivants du Code civil. Voir, par exemple, l'enqute du Pew Research Center ralis au printemps 2006 auprs, non des immigrs, mais des musulmans de quatre pays europens, dans lequel, en France, 78% expriment une prfrence pour l'assimilation contre 41% en Grande Bretagne et 30% en Allemagne. 2832

31

(cette question sera examine dans le 2.3 du prsent avis) et 3% pour les descendant des couples mixtes.

La socit franaise ouverte l'intgration ? Il est souvent considr que l'intgration est d'autant plus aise que la socit d'accueil adopte une attitude d'ouverture l'gard des immigrs ou de leurs enfants. A l'inverse, certains considrent que les difficults d'intgration s'expliquent par l'attitude de la socit d'accueil qui serait raciste ou xnophobe. Pour clairer notre opinion, nous nous sommes reports au rapport 200933 de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH).

Chaque anne, la CNCDH fait procder un sondage sur la base d'un baromtre permettant d'tudier l'volution de l'opinion publique sur les questions de racisme, de xnophobie et de discriminations.

En 2009, ce sondage fait apparatre que 54 % des sonds se dclarent "pas racistes du tout", niveau le plus lev depuis que ce questionnaire existe, mme s'ils ont le sentiment que le racisme est un phnomne rpandu (84%). Ils condamnent massivement les comportements de discriminations. Ainsi 91 % des sonds estiment grave de refuser l'embauche un Noir ou un Maghrbin qualifi pour un poste et 89% de refuser un Noir un logement s'il remplit les conditions financires.

Concernant l'intgration, 88% considrent que ce sont les trangers qui doivent adopter les habitudes de la vie franaise et 67 % qu'il leurs revient de faire un effort pour s'intgrer.

Toujours selon cette enqute, si les Franais musulmans sont davantage considrs comme les autres Franais (+3 points depuis 2008), on remarque une certaine mfiance l'gard de l'islam qui concerne surtout les pratiques religieuses ostentatoires comme le port du voile.

En outre, les sonds expriment un fort attachement la lacit (67%).

29

Malgr la crise conomique, le dbat sur lidentit nationale, ou encore lexacerbation du conflit au Proche-Orient, lacceptation des personnes dune autre religion, dune autre nationalit, dune autre culture, continue de progresser dans lHexagone. L'indicateur de tolrance n'a jamais t aussi lev.

Pour autant, notre pays comme d'autres dmocraties europennes qui ont une longue tradition de tolrance est aujourd'hui travers par des tensions identitaires autour de la question de l'immigration, et plus particulirement de l'Islam.

Une enqute d'opinion ralise en janvier 2011 par le German Marshall Fund, et intitul "Transatlantic Trends-immigration", est cet gard clairante.

Certes en 2010, 58% des Franais voient toujours dans l'immigration un enrichissement pour la culture de leur pays. Ils taient cependant 68% le penser en 2009. De mme, la France est l'un des rares pays ne pas percevoir plus ngativement l'intgration des immigrs musulmans (45%) que celles des immigrs dans leur ensemble (44%). Reste que ces chiffres sont en forte hausse.

Enfin, face aux revendications identitaires et communautaires, la monte du populisme en Europe, et aux peurs sourdes qui s'y dveloppent depuis le 11 septembre 2001, conforts par la crise conomique et financire de fin 2008, les Franais sont parmi les plus sceptiques sur les bienfaits de l'immigration. Selon l'enqute, seulement 38% des personnes interroges considrent que l'immigration est une chance pour la France alors qu'ils taient 50% en 2009.

Recommandation n1Le Haut Conseil l'intgration recommande que le Gouvernement raffirme clairement les objectifs et conforte les moyens de la politique d'intgration des immigrs et de leurs enfants dans notre pays, et que l'Etat soit le ferme garant des principes de notre Rpublique et de la cohsion sociale et territoriale.

33

La Documentation franaise, rapport 2009, La lutte contre le racisme, l'antismitisme et la xnophobie. 30

DEUXIEME PARTIE DES OBSTACLES AU PROCESSUS D'INTEGRATION

Comme nous l'avons rappel dans la premire partie du prsent avis, l'intgration des immigrs est une ralit dans la dure. Force est de constater qu'elle se heurte nanmoins de relles difficults faisant parfois douter de la capacit de la France mener bien ce processus.

Le Haut Conseil a retenu trois obstacles qui lui paraissent dterminants : une immigration mal matrise, une concentration excessive des immigrs et de leurs enfants dans certains quartiers, et enfin des difficults d'ordre culturel.

2.1 Une immigration mal matrise Tout au long des vingt dernires annes, le Haut Conseil s'est proccup des conditions de l'intgration. Mais l'exception des rapports publis au cours de sa premire anne d'existence1, il s'est peu intress au sujet "immigration" alors mme qu'il a labor, chaque anne, un rapport sur les flux2 coordonnant les donnes issues de plusieurs administrations. En 20013, il s'est tout de mme saisi des conditions d'accueil affirmant qu'on ne pouvait continuer de cacher l'arrive de plus de 100 000 immigrs par an.

"Les yeux grands ouverts" Pour des raisons diverses, et notamment pour viter d'alimenter des ractions d'une

population souponne d'tre xnophobe, les pouvoirs publics et les organismes statistiques ont t tents de cacher ou de minorer les flux migratoires. Cette attitude a induit des ractions contradictoires, les uns dnonant l'Europe forteresse, les autres niant la ralit des arrives et ne se proccupant que de diversit. Le Haut Conseil est convaincu,

Rapport du Haut Conseil l'intgration au Premier ministre pour 1990, Pour un modle franais d'intgration, La documentation franaise 1991. 2 Lettre du Premier ministre du 29 mai 1990. 3 Rapport du Haut Conseil l'intgration, au Premier ministre pour 2001, Les parcours d'intgration, La documentation franaise, 2002. 1

1

quant lui, que, pour agir, les pouvoirs publics ont besoin d'avoir "les yeux grands ouverts", dtournant ainsi le titre du dernier ouvrage de Michle Tribalat4 . Il faut partir des chiffres et des ralits, il faut aussi pouvoir nommer, analyser les situations. Trop souvent, par volont lgitime de ne pas stigmatiser les populations ou les territoires, les politiques ont adopt des euphmismes, des catgories globalisantes qui, en dfinitive, ne permettent pas, partir d'une analyse objective et proche des ralits, de construire des solutions adaptes. De surcrot, cette absence dinformation claire est de nature alimenter tous les fantasmes sur un sujet de socit aussi sensible.

Il apparat doc indispensable de pouvoir disposer des donnes en matire d'immigration, tant sur les flux que sur les "stocks"5.

Dans son premier rapport de 1991, le Haut Conseil l'intgration s'tait attach prciser les dfinitions. A la suite de ses prconisations, l'INSEE a adopt la catgorie "immigre", regroupant les personnes nes trangres l'tranger et rsidant durablement en France, qu'elle soit reste trangre ou devenue franaise par acquisition de la nationalit. Selon les dernires donnes de l'INSEE6, la France compte ainsi 5 millions dimmigrs (personnes trangres nes ltranger) auquel il convient d'ajouter 6,5 millions d'enfants dimmigrs dont 3,4 millions sont eux-mmes ns ltranger et 3,1 million sont ns en France. Au total, ce sont donc 11,5 millions de personnes immigres ou d'enfants ayant au moins un parent immigr qui rsident en France, soit 19% de la population franaise.

Prs de 70 % des enfants dimmigrs gs de 18 25 ans sont originaires du continent africain. Cette population immigre nest pas rpartie de faon homogne sur le territoire, les dernires vagues tant concentres en Ile de France. Ainsi, 4 immigrs sur 10 s'installent en Ile de France et 37 % des Franciliens de 18-20 ans sont des enfants dimmigrs contre 8% des 41-50 ans.

4 5

Michle Tribalat, Les yeux grands ferms, l'immigration en France, Denol, mars 2010. Terme, pour inlgant qu'il soit, couramment utilis en statistiques. 6 INSEE Premire, n1287-Mars 2010, prcit. 2

Un appauvrissement regrettable de la connaissance

Par lettre du 29 mai 1990, le Premier ministre avait

confi au Haut Conseil la

responsabilit de lensemble des donnes statistiques relatives la composition et la variation des flux dimmigration, la prsence et la situation juridique des trangers sur le sol franais.

Le Haut Conseil sest pench sur lensemble des statistiques disponibles, grce notamment un groupe de travail o sigeaient des reprsentants des diffrentes administrations charges de produire des statistiques et, en particulier de lInstitut national de la statistique et des tudes conomiques (INSEE).

Tout au long de ces annes, le HCI a assur un rle de coordination entre les diffrents ministres (intrieur, affaires sociales, justice, ducation nationale) ou des principaux tablissements producteurs7

de

donnes

statistiques

(Office

des

migrations

internationales(OMI) , devenu Agence nationale de laccueil des trangers et des migrations(ANAEM)8 puis Office de limmigration et de lintgration(OFII)9; Office de protection des rfugis et apatrides (OFPRA), Institut national d'tudes

dmographiques (INED).Le Haut Conseil a ainsi recherch une harmonisation et une centralisation des sources manant de ces divers organismes. Il a galement permis ladoption dune nomenclature et de dfinitions homognes, comme par exemple le systme de classification des nationalits, les flux dinstallation temporaire et la dfinition de l'immigration familiale.

Cr en 1988. Cr en 2005. 9 Cr en 2009. 10 Dcret n2007-999 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du Ministre de l'immigration, de l'intgration, de l'identit nationale et du Co-dveloppement. 11 Article L111-10 du Code de l'entre et du sjour des trangers et du droit d'asile. 12 Ensemble des individus qui ont vcu un vnement semblable au cours d'une priode de temps (habituellement une anne). 13 Rapport du HCI au Premier ministre pour 2005, Le bilan de la politique d'intgration 2002-2005, la documentation franaise 2006. 14 Pour un modle franais d'intgration, prcit. 15 Rapport du HCI au Premier ministre pour 2006, Charte de la lacit dans les services publics et autres avis, La documentation franaise, 2007 (voir l'avis intitul Les indicateurs de l'intgration, statistiques ethniques, enqutes sur les patronymes, mesures sur la diversit, baromtre de l'intgration). 38

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En 2004, a t cr au sein du HCI, un observatoire statistique de limmigration et de lintgration charg damliorer la connaissance statistique de limmigration et de lintgration. En 2007, avec la cration du ministre de limmigration, de lintgration, de lidentit nationale et du Co-dveloppement10 puis du dveloppement solidaire, la mission statistique a t reprise par le dpartement statistique de ce ministre.

Aprs une priode d'abondance de donnes dont, voici vingt ans, il avait relev l'incohrence, le Haut Conseil constate prsent, pour le regretter, la rarfaction des donnes et un certain appauvrissement en matire de connaissances statistiques sur l'immigration. Ceci est particulirement perceptible, depuis 2005, au travers du rapport du Gouvernement au Parlement, relatif aux orientations de la politique d'immigration11.

De plus, le choix adopt par l'INSEE de ne plus procder un recensement gnral de la population mais des recensements annuels par chantillon s'est traduit, de fait, par une approche parcellaire et fragmente de l'immigration.

Si la question des statistiques ethniques a rcemment fait l'objet de nombreuses discussions, en revanche la publication de donnes croises avec la nationalit deviennent rares, alors que rien ne les interdit. Il a pu tre observ, en outre, des rticences produire ou communiquer des donnes croises avec la nationalit concernant, par exemple, les revenus sociaux.

En revanche, le HCI salue la ralisation de l'tude longitudinale sur l'intgration des primo-arrivants (ELIPA), mise en place ds 2009, par le dpartement statistique du Ministre charg de l'intgration, permettant de suivre une cohorte12 d'trangers ayant sign le contrat d'accueil et d'intgration et de mesurer les progrs en matire d'intgration. Le HCI avait en effet suggr cette tude dans son rapport de 200513.

Il se flicite galement de la mise en place, en fvrier 2011, par le mme dpartement, du tableau de bord de l'intgration recommand dans ses rapports pour 199014 et 200615.

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Recommandations

N2 - Le HCI recommande que l'INSEE publie, de faon accessible, l'ensemble des donnes actualises concernant les trangers et les immigrs dclines par nationalits, ou dfaut par origines gographiques.

N3 Le HCI recommande que l'INSEE inclue les variables immigrs et descendants directs d'immigrs dans le recensement annuel et les enqutes nationales qu'il conduit.

N4 - Il demande ce que le ministre charg de l'immigration reprenne la publication de donnes dtailles qui figuraient dans les rapports prcdant la cration du ministre charg de l'intgration en 2008, notamment en matire de dlivrance de titres de sjour et d'acquisitions de la nationalit.

Les flux migratoires Du fait des nombreuses modifications intervenues dans la lgislation sur l'immigration et des changements oprs dans le champ gographique couvert par la notion de pays tiers l'Espace Economique Europen16, il est difficile d'tablir une srie statistique sur les vingt dernires annes. Toutefois, le graphique ci-dessous permet d'apprhender l'volution de l'immigration par motifs de 1995 2006.

Admission au sjour (hors tudiants) d'trangers des pays tiers en France de 1995 2006Source : rapport annuel de la Direction de la Population et des Migrations, Immigration et prsence trangre en France en 2006.

Les pays tiers se distinguent de l'Espace conomique europen en raison de rgimes juridiques diffrents concernant l'entre et le sjour des trangers en France. En 2004, l'Europe des quinze devient l'Europe des vingt-cinq, avec Chypre, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Rpublique tchque, la Slovaquie et la Slovnie, et en 2007, l'Europe des 27, avec la Bulgarie et la Roumanie. Ces nouveaux ressortissants disposent d'une entire libert de circulation et d'tablissement, mais doivent toujours dtenir durant une priode transitoire un permis de travail pour occuper un emploi salari en France (except pour les ressortissants chypriotes et maltais). 5

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Contrairement ce qui est souvent affirm, la France reste un pays dimmigration. En 2008, elle a ainsi dlivr 183 893 titres de long sjour des ressortissants de pays tiers l'Union europenne, maintenant, depuis 2004, une stabilisation de l'immigration opre.

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Admission au sjour des ressortissants de pays tiers l'Union europenne vingt-sept l'Espace Economique Europen, la Confdration suisse (Mtropole).

Source : MIINDS-DSED

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Si l'on note une augmentation du nombre d'entres de travailleurs (21 000), dont on peut nanmoins soustraire les saisonniers qui n'ont pas vocation rsider en France durablement, et d'tudiants (52 000), l'essentiel des flux est toujours majoritairement li l'immigration familiale qui comptabilise plus de 81 000 entres.

L'immigration de travailleurs Historiquement, lorsque la France a fait appel limmigration, ctait pour fournir de la main duvre aux entreprises industrielles, du btiment ou dans lagriculture. Il sagissait donc dune immigration de travail, la diffrence dautres pays comme le Canada, lAustralie, lArgentine ou les Etats-Unis ayant opt pour une immigration de peuplement afin de dvelopper de vastes espaces insuffisamment peupls.

Contrairement ses voisins, la France a t un pays dployant une politique officielle d'immigration ds la moiti du XIXme sicle, ayant amorc un peu avant la Rvolution franaise sa rvolution dmographique17. Pour faire face aux besoins des entreprises au moment de la rvolution industrielle, les usines, mais aussi l'agriculture qui manquaient de bras, ont accueilli des travailleurs des pays limitrophes : Belges, Allemands, Suisses, puis Polonais, Italiens et Espagnols. Aprs la Premire guerre mondiale, la France devient le premier pays d'immigration devant les Etats-Unis. Dans les annes 20, la moyenne annuelle des entres en France est de l'ordre de 300 000 immigrs.

Aprs la Seconde guerre mondiale, la planification dtermine nouveau des objectifs en matire d'immigration de travail, confiant le monopole des introductions l'Office national de l'immigration (ONI)18. Les objectifs fixs seront atteints avec difficult, la situation conomique et sociale de la France n'tant pas suffisamment attractive. Ce n'est que dans la seconde partie des "trente glorieuses" qu'une nouvelle dynamique des flux sera amorce, alors mme que les planificateurs du VIIme plan (1976-1980) conseillaient de freiner l'immigration de travail qui constituait, selon eux, un obstacle la modernisation de

Le Bras Herv, Dnatalit, l'antriorit franaise 1800-1914, le Seuil, 1986, in communication n44 (ouvrage collectif). 18 Cr par l'ordonnance n45-2358, du 2 novembre 1945, sur l'entre et le sjour des trangers en France. L'ONI est l'anctre de l'OMI, devenue ANAEM, puis OFII en 2009. 8

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l'appareil productif, malgr l'opposition du patronat. Ainsi le nombre d'immigrs s'est accru de 31% entre 1968 et 1975 et de 7% de 1975 1985.

En 1974, suite au premier choc ptrolier et l'apparition d'un chmage de masse, le gouvernement dcide de suspendre l'immigration des travailleurs permanents des pays non europens, en opposant la situation de l'emploi19. Seule la venue des travailleurs saisonniers pour les travaux agricoles restera autorise, ainsi que celle des cadres de haut niveau.

La suspension de l'immigration de travailleurs a t maintenue jusqu' ce jour, bien qu'elle se soit rcemment assouplie. Compte tenu de l'explosion du chmage pendant les trente annes qui ont suivi cette dcision du Prsident Giscard d'Estaing, aucun gouvernement n'a souhait revenir sur cette restriction d'autant plus que ce sont les secteurs employant le plus d'immigrs, comme l'automobile, la sidrurgie ou le textile, qui ont supprim le plus grand nombre d'emplois dans le cadre des restructurations, d'abord, puis des oprations de dlocalisation ensuite.

Ainsi, selon une tude de Jean-Louis Dayan (INSEE): Depuis la fin des trente glorieuses, lemploi sest rduit de plus dun tiers dans les activits industrielles. Il ne concerne plus quun salari sur 6 contre 1 sur 4 trente ans plus tt.20 Traditionnellement, ce secteur tait avec le btiment, le secteur demploi des salaris trangers. Aujourd'hui, les crations demploi concernent essentiellement le secteur tertiaire, et surtout le tertiaire qualifi.

Mais alors que l'conomie franaise n'avait plus besoin d'une immigration de travailleurs peu qualifis, la pression migratoire lie la pression dmographique et la dgradation de la situation conomique des pays d'origine, en particulier du continent africain, n'a cess d'augmenter.

La suspension provisoire de cette immigration, hors mis celle des ressortissants de la Communaut conomique europenne, a t dcide le 3 juillet 1974. 20 Dayan Jean Louis, Vue d'ensemble, lemploi en France depuis trente ans, L'emploi, nouveaux enjeux dition 2008 9

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Le tournant de 1984: la cration de la carte de rsident21 Jusqu'en 1984, existait un double systme de cartes de sjour et de travail dont la validit tait progressive : un an, trois ans, dix ans. De plus, ces cartes taient limites l'exercice d'une activit professionnelle et dans un espace gographique dtermin. Ce systme permettait l'adquation entre travailleurs immigrs et zones d'emploi, il a t supprim en 1984 la demande des associations pour faciliter la vie des immigrs face aux obstacles bureaucratiques. Ainsi, un systme de titre unique valant pour le sjour et le travail a t mis en place, et seulement deux dures de validit: carte temporaire d'un an, carte de rsident de dix ans. Toutes les restrictions professionnelles ou gographiques ont t supprimes. En outre, la carte de rsident de dix ans tait dlivre de plein droit aux personnes qui rejoignaient le titulaire d'une carte de rsident. Ces dispositions22 taient prsentes comme devant assurer la scurit des migrants au regard du sjour ainsi que faciliter la libert d'installation et la mobilit, notamment pour chercher un emploi et trouver un logement. En un mot, ces mesures taient facteur d'intgration.

Or, si le phnomne de concentration n'a pas commenc avec les annes 80, il s'est amplifi avec l'arrive massive de familles de migrants tandis que la construction de logements sociaux s'est, elle, ralentie et que les plans de licenciements se sont multiplis avec la crise conomique. Aucune tude, notre connaissance, n'a analys l'impact de cette loi de 1984 sur la concentration urbaine ou la mobilit, mais les tmoignages sont nombreux pour dater de ces annes, le dclin de la mixit sociale ou ethnique dans les zones urbaines dfavorises23.

Cependant, ces dernires annes, par touches lgislatives successives, les cas d'attribution de plein droit, sans condition de dlai, ont t rduits de faon drastique. Cela va de pair avec la mise en place du contrat d'accueil et d'intgration (CAI) , la carte de rsident n'tant qu'une tape du parcours d'intgration.

21 22

Loi du 17 juillet 1984 prcite. Dispositions qui ont t modifies ou supprimes en 2003 et 2006. 23 Exemples de la ZAC de la No Chanteloup, de la Villeneuve Grenoble 10

L'accs la carte de rsident aujourd'hui

L'accs sous condition:

La loi n 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative la matrise de l'immigration, au sjour des trangers en France et la nationalit, avait port de trois cinq ans la dure de rsidence rgulire sur le territoire franais pour solliciter la carte de rsident. Ce dlai tait alors rduit deux ans pour les membres de famille et les parents d'enfants franais.

La loi n 2006-911 du 24 juillet 2006 relative l'immigration et l'intgration, porte le dlai trois ans (art. L; 314-9). Les conjoints de Franais n'accdent plus de plein droit la carte de rsident et ne peuvent en solliciter la dlivrance qu'aprs 3 ans de mariage [art. L.314-9 (3)].

Cette carte peut tre retire pour rupture de la vie commune pendant quatre ans compter de la clbration du mariage [art. L. 314-5-1].

Le concept d'intgration s impose aussi aux conjoints de Franais.

L'accs de plein droit:

La loi supprime l'accs de plein droit la carte de rsident pour les catgories suivantes:

- pour les conjoints de Franais [l'art. L.314-11 (1) a t abrog],

- pour les trangers rsidant en France en situation rgulire depuis plus de dix ans [l'art. L.314-11 (10) a t abrog].

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L'immigration familiale: "la voie royale" pour accder au march de l'emploi L'immigration en raison du travail tant suspendue, l'immigration caractre familial est devenue la voie d'accs privilgie pour accder au march du travail. L'entre pour raison familiale est considre comme un droit, la loi de juillet 1984 prcite ayant instaur la possession d'une carte de rsident temporaire ou permanente ouvrant droit

automatiquement au march du travail.

Si le regroupement familial est rest majoritairement fminin, les conjoints de Franais ont concern progressivement les hommes. Plusieurs tudes ralises par la direction de la population (DPM) et des migrations [Lger 1997 et 2007] ont estim 100 000 le nombre d'trangers entrs des titres divers (conjoints dtrangers, conjoints de Franais, enfants dtrangers, tudiants, rfugis, rgulariss) se prsentant chaque anne sur le march de lemploi. En outre, ces 100 000 travailleurs immigrs ne faisaient l'objet d'aucune slection au regard de leurs comptences professionnelles ou des besoins de main d'uvre. Cette ralit a t pourtant difficilement admise car ces travailleurs n'taient pas "reprs " en tant que tels ni par l'OMI, devenu ANAEM puis OFII, ni par les services de la main d'uvre trangre des ex-directions dpartementales du travail et de la formation professionnelle. Pour ces services, seuls taient pris en compte les 10 000 trangers "introduits" officiellement par des employeurs.

C'est probablement sur la base de cette information que le Ministre de l'intrieur a annonc en 2006 son intention de rompre avec "l'immigration subie" et de rquilibrer le rapport entre immigration de travail (ou "migration choisie") et immigration familiale, en faveur de l'immigration professionnelle sur un modle d'inspiration canadienne24.

Dans cette optique, le rapport du Gouvernement au Parlement pour 2008 relatif aux orientations de la politique d'immigration25 se flicite d'une forte augmentation du nombre de titre de sjour dlivrs pour raisons professionnelles : il est pass de 18 200 en 2007 28 000 en 2008. Toutefois, cette forte augmentation s'explique essentiellement par laEn fvrier 2006, en Conseil des ministres, le Ministre de l'intrieur a propos une politique d'immigration choisie et non plus subie, concept dont il entendait faire le principe fondateur de la nouvelle politique d'immigration. 25 Rapport au Parlement, sixime rapport tabli en application de l'article 111-10 du code de l'entre et du sjour des trangers et du droit d'asile- dcembre 2009- La documentation franaise 1224

dlivrance d'une carte de sjour aux saisonniers alors qu'ils en taient jusqu'alors exempts. Mais si l'on observe les deux blocs composant l'immigration permanente familiale et celle du travail salari, on constate qu'en 2008, la premire concerne 81 177 personnes et la seconde 11 675 personnes seulement. A partir de 200826, un dispositif complexe a t mis en place permettant d'accder certains emplois partir d'une liste de 150 mtiers connaissant des difficults de recrutement. Elle tait d'abord ouverte aux ressortissants des nouveaux Etat membres de l'Union europenne, puis, des accords bilatraux ont t ngocis avec certains pays (Bnin, Congo, Gabon, Ile Maurice, Sngal, Tunisie) ouvrant une liste de 30 emplois parfois tendus d'autres mtiers en tension, (de 9 pour le Gabon 77 pour la Tunisie et 108 pour le Sngal). On dispose nanmoins de peu d'lments pour savoir comment ces accords complexes sont appliqus et notamment si les salaris restent dans les emplois pour lesquels ils ont t autoriss immigrer. Le rapport au Parlement prcit ne consacre en effet qu'une seule page l'immigration professionnelle.

L'exemple canadien: une immigration trs contrle, pralable l'intgration

L'exemple canadien est souvent prsent en France comme modle. Aussi, le Haut Conseil l'intgration a souhait auditionner deux reprsentants de l'Ambassade du Canada Paris. Alain Thault, ministre conseiller (immigration) et Marc Berthiaume, charg des relations politiques et parlementaires.

La France et le Canada ont chacun une histoire et une gographie fort diffrentes. Si les changes dinformation et les expriences sont instructifs, il convient toujours d'avoir l'esprit ces diffrences de contexte. Pour le Canada, lide fondamentale est que limmigration est toujours perue positivement, comme un enrichissement, ce qui justifie la fois limmigration et les efforts en terme de politique dintgration.

Le Canada se dfinit comme une terre dimmigration : 156 000 200 000 nouveaux immigrs s'installent chaque anne soit environ 4 millions de personnes tous les dix26

Arrt du 18 janvier 2008 relatif aux mtiers en tension des ressortissants des Etats tiers. 13

ans. 85 % demandent la nationalit aprs trois ans de rsidence. recensement, 31% des Canadiens ont dclar avoir un parent tranger.

Au dernier

Limmigration au Canada est avant tout une immigration choisie. Chaque anne, le Parlement fixe une cible , soit un nombre global dimmigrants qui peuvent tre introduits et sont rpartis par province, toutes les provinces ayant dsormais la capacit de choisir leurs propres immigrants, comptence que seul le Qubec avait jusqu' rcemment. Chaque demande est examine en fonction du bienfait, de l'apport conomique, culturel, dmographique, que le nouvel arrivant va apporter au Canada.

Limmigration est compose de trois flux :

- limmigration conomique est fixe 60 % de la "cible". Cest une immigration choisie partir de diffrents critres (connaissance de la langue anglaise ou franaise ; qualification professionnelle, secteur demploi, ge, sant).

- limmigration familiale comprend la fois le regroupement familial (conjoints trangers dtrangers) et les conjoints trangers de Canadiens. Pour faire venir son conjoint, il faut avoir le statut de rsident permanent et l'entre est soumise des exigences financires et de sant. Bien que le Canada reconnaisse le droit personnel du pays dorigine, la venue des secondes pouses est refuse. Limmigration familiale est fixe 37 % de la cible . La procdure doit durer thoriquement 6 mois, mais slve souvent un an ou plus.

- lasile : La demande d'asile ne fait pas partie de la "cible". Cette procdure pose problme et fait lobjet actuellement dune tude pour amliorer les conditions daccs et dexamen des demandes dont la dure est juge trop longue (2 ans en moyenne). Comme en France, on constate un certain dtournement du systme de protection.

Si l'apprciation globale de l'immigration nest pas branle, quelques difficults commencent se faire sentir en matire dintgration de certaines communauts et ont

Du nom des deux prsidents de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements relies aux diffrences culturelles qui a remis son rapport le 22 mai 2008. 14

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suscit, en particulier au Qubec, des ractions qui sont l'origine du rapport dit Bouchard-Taylor, de 200827, sur les "accommodements raisonnables". En outre, la perception quont les Canadiens de limmensit de leur territoire leur donne la conviction quil y a "beaucoup de places" pour "beaucoup de monde" ce qui est diffrent en Europe. Toutefois, certaines projections peuvent conduire modifier ces perceptions. En 2006, Toronto, la proportion des membres appartenant des "minorits visibles" tait de 16%, chiffre qui passerait 31 % en 2030 et 50 % en 2050.

A l'issue de cette audition, il est apparu que le Canada disposait d'un systme trs contrl de l'immigration tant sur le nombre que sur les critres conomiques et sociaux. Ayant slectionn des immigrants capables d'apporter un bnfice au Canada, celui-ci se sent responsable de leur intgration qui repose nanmoins sur l'implication personnelle dans la socit des nouveaux immigrants. Un lien trs fort existe entre activit conomique et intgration. La plupart des migrants sont choisis par rapport leur capacit dintgration, et cela a un impact aussi sur les membres de leur famille. Ainsi, il n'y a pas au Canada de logements sociaux et l'entre peut tre refuse pour un membre de famille dont l'tat de sant pourrait entrainer une charge financire excessive pour les finances publiques.

Cette volont affirme de favoriser l'immigration professionnelle s'est nanmoins heurte la rcente crise conomique, dont les effets se sont traduits en France par la suppression de 357 600 emplois28. Cette nouvelle dgradation de la situation de l'emploi intervient aprs des dcennies de rduction du nombre d'emplois salaris, en particulier dans le secteur industriel, principal employeur de travailleurs trangers.

Certes de 1975 2007, la France a gagn 3,5 millions demplois, mais dans le mme temps la population active a augment de 5 millions, en partie du fait de son importante fminisation. Il y a donc un dficit d'emplois, en particulier dans le secteur secondaire. Le chmage qui avait diminu au cours des annes 2007/2009, est nouveau en hausse pour atteindre 9%. Sans tre au niveau de lEspagne (18%), il reste un tiage lev.

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Sources : INSEE et Ple emploi, 2009. 15

Dans cette conjoncture morose, la question de l'introduction de nouveaux travailleurs trangers mrite d'tre pose, l'exception des postes spcifiques et des cadres de haut niveau ayant toujours bnfici dun rgime particulier29.

De surcrot, sachant que les immigrs venant d'autres titres accdent galement au march du travail, des efforts sont entrepris notamment par la mise en place d'un bilan de comptences pour les aider, dans un contexte conomique dfavorable, trouver un emploi.

Comme le faisait la France avant 1984, d'autres pays ont choisi de restreindre l'accs l'emploi des conjoints par exemple. Cette piste ne semble cependant pas souhaitable dans la mesure o l'on constate dj un niveau de pauvret suprieur dans les mnages trangers, parmi lesquels le conjoint (le plus souvent la femme) n'exerce pas d'activit professionnelle. Or, cette situation est d'une part pnalisante pour les revenus du mnage, et d'autre part dfavorable l'intgration et l'autonomie des femmes immigres. Cette situation ne pourrait que rejaillir sur l'intgration des enfants par un dficit des ressources financires et culturelles.

Une immigration "auto-engendre" Sans en avoir eu pleinement conscience, l'immigration de travailleurs, organise depuis le dbut du XXme sicle, s'est transforme en immigration de peuplement laquelle la France ne s'tait pas prpare, principalement en raison de la suspension de l'immigration des travailleurs permanents en 1974. En cela, elle s'oppose au Canada qui l'affiche clairement comme objectif tout en slectionnant ses immigrs.

Cette volution s'est faite au travers de l'immigration familiale dont les flux reprsentent actuellement prs de 80 % des motifs d'entres titre permanent pour les ressortissants des pays tiers. Il importe de prciser que les caractr