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Rashed_Alexandre d'Aphrodise_Commentaire Perdu a La Physique d'Aristote (CAGB-1)

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  • Marwan Rashed

    Alexandre dAphrodise, Commentaire perdua` la Physique dAristote (Livres IVVIII)

  • Commentaria in Aristotelem Graecaet Byzantina

    Quellen und Studien

    Herausgegeben vonDieter Harlfinger Christof Rapp Marwan Rashed

    Diether R. Reinsch

    Band 1

    De Gruyter

  • Marwan Rashed

    Alexandre dAphrodise,Commentaire perdu

    a` la Physique dAristote(Livres IVVIII)

    Les scholies byzantines.Edition, traduction et commentaire

    De Gruyter

  • ISBN 978-3-11-018678-9

    e-ISBN 978-3-11-021646-2

    ISSN 1864-4805

    Library of Congress Cataloging-in-Publication Data

    Rashed, Marwan.Alexandre dAphrodise, commentaire perdu a` la Physique dAristote

    (livres IVVIII) : les scholies byzantines : edition, traduction et commen-taire / Marwan Rashed.

    p. cm. (Commentaria in Aristotelem Graeca et Byzantina, ISSN18644805 ; v. 1)

    Includes bibliographical references and index.ISBN 978-3-11-018678-9 (hardcover : alk. paper)1. Aristotle. Physics. Book 48. 2. Alexander, of Aphrodisias.

    3. Science, Ancient. 4. Philosophy of nature. I. Title.Q151.A8A4437 2011500dc22

    2011005049

    Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek

    Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der DeutschenNationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet

    ber http://dnb.d-nb.de abrufbar.

    2011 Walter de Gruyter GmbH & Co. KG, Berlin/Boston

    Druck und Bindung: Hubert & Co. GmbH & Co. KG, Gttingen Gedruckt auf surefreiem Papier

    Printed in Germany

    www.degruyter.com

  • Avant-Propos

    Ce livre contient ldition de scholies byzantines tires du commentaire perdudAlexandre dAphrodise aux livres IV-VIII de la Physique dAristote.Lappareil critique est dautant plus lourd que le texte transmis est plusincertain. Sans traduction, sans commentaire, sans introduction, ces bribesdAlexandre arraches loubli seraient muettes, tout le moins inaudibles parce que certes elles chuchotent des lambeaux dinterprtation, mais surtoutparce que les 1366 pages dalluvions simpliciennes ont presque entimentrecouvert la cit pripatticienne. Pourtant, lanalyse, les scholies ont dansbien des cas permis de restituer linterprtation, jusquici inconnue, delExgte. Une phrase du Voyage en Orient de Nerval dcrira le sentiment quifut souvent le mien durant ce travail : jallais, je me disais : En dtournant cemur, en passant cette porte, je verrai telle chose et la chose tait l, ruine, maisrelle .

    Je me suis fix trois buts. Le premier, bien entendu, archologique :restituer des textes souvent moiti effacs. Cest le travail ddition critiqueproprement dit. Le deuxime, historique : comprendre chacune des scholiestransmises, dans son rapport au texte de la Physique et dans la dynamique ducommentaire dAlexandre. Voir les annotations. Le troisime, systmique :restituer, dans son unit et sa spcificit, la faon dont Alexandre avait lu lePhilosophe. Cest la tche de lintroduction.

    Un mot sur ce dernier aspect des choses. Jai tent ailleurs de montrerquAlexandre tait le grand initiateur dune lecture essentialiste dAristote, quiplaait la forme (eWdor) au centre du systme, et dont la proccupation majeuretait de diminuer mais non pas de nier les prtentions de la matire lasubstantialit (contre Bothos de Sidon et lexgse aristotlicienne hellnis-tique)1. Jai t amen explorer ici les ramifications physiques de cetteintuition gnrale. On saperoit en effet vite que la lecture dAlexandre narien de commun avec celle des calculatores mdivaux. Aucune tentative, bienau contraire, pour insister sur les aspects les plus mathmatisables de la rflexionaristotlicienne. Alexandre tait assez subtil pour savoir quon ne trouveraaucune loi de la dynamique dans la Physique dAristote. Pour lui, la Physiquedveloppe deux lignes complmentaires. La premire est ontologique : ilsagit, en se faufilant entre le Charybde de latomisme picurien et le Scylla du

    1 Essentialisme. Alexandre dAphrodise entre logique, physique et cosmologie, C.A.G.B. 2,Berlin / New York, 2007.

  • holisme stocien, dexpliciter les structures gnrales du sensible : quest-cequtre un individu sensible bien constitu, tre dans le lieu, tre dans le temps,se mouvoir ? La seconde est cosmologique : la Physique comme totalitautonome est une longue preuve rgressive du Premier Moteur, acheve aulivre VIII mais qui stend sur la totalit des sept livres qui prcdent. Le gnieexgtique dAlexandre consiste principalement, me semble-t-il, avoir surattacher ltude du lieu et du temps, au livre IV, la dmonstration du livreVIII. Il offre ainsi lexgse peut-tre la plus convaincante de louvrage commesomme unitaire jamais propose.

    Comme on pouvait sy attendre, la forme (eWdor) est, pour Alexandre, lepersonnage central du roman du monde. Mais il ne suffisait pas de lamentionner pour voir toutes les difficults systmiques rsolues. Il a fallumettre au point dautres outils qui, sans trahir laristotlisme, pussent en rvlerles potentialits essentialistes. Alexandre dveloppe cette fin un dispositifno-aristotlicien sophistiqu, mettant en jeu les concepts, encore latents chezAristote, de tendance (5vesir) et de perfection (tekeitgr). Il ma sembl voir,dans cette reconstitution de la physique dAlexandre (ou, indiffremment, de laPhysique dAlexandre), de nouvelles raisons pour ne pas tre convaincu parlide, assez en vogue en France aujourdhui, de contresens crateur ou de contresens philosophique . Alexandre, si lon me permet ce nologisme,commet des hypersens , en ce quil choisit daccentuer certaines thmatiquesprsentes en puissance chez Aristote ; ses ventuels contresens et je ne parlevidemment pas des invitables erreurs dinterprtation de tel ou tel passagecoriace mauront quant eux chapp.

    Je voudrais remercier Prof. Dr. Dieter Harlfinger davoir bien voulu relirede trs prs ldition des scholies aux livres IV et V, Mademoiselle KatharinaFischer pour son superbe travail ditorial, ainsi que mes amis David Lefebvre etRiccardo Chiaradonna pour leurs prcieuses remarques sur une premireversion de lIntroduction.

    Et Christian Frstel, lami sans qui ce travail naurait pas vu le jour.

    Avant-ProposVI

  • Table des Matires

    Historie du texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

    Chapitre I Les deux manuscrits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1. Le Paris. suppl. gr. 643 (= S) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 2. Le Paris. gr. 1859 (= P) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 3. Larchtype . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

    Chapitre II Les scholies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 1. Les scholies et le commentaire perdu dAlexandre dAphrodise la

    Physique dAristote . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 2. Date de composition des scholies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 3. Le projet de Simplicius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

    Introduction doctrinale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

    Chapitre III Alexandre et lunit de la Physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 1. La Physique dAristote est-elle scinde ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 2. Alexandre et les deux lectures de la Physique dAristote . . . . . . . . 35

    Chapitre IV Alexandre et le trait du lieu (Phys. IV, 15) . . . . . . . . . . 38 1. Une interprtation indite du trait du lieu : Znon critique des

    Pythagoriciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 2. De lhistoire la philosophie : Pythagorisme et latisme,

    picurisme et Stocisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 3. Thorie physique du lieu et anti-stocisme . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 4. Doctrine cosmologique du lieu et stratgie

    aristotlico-aristotlicienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45a. Validit de la thorie aristotlicienne du lieu : la magna quaestio 46b. Usage cosmologique de la thorie aristotlicienne du lieu . . . 49

    Chapitre V Alexandre et le trait du temps (Phys. IV, 1014) . . . . . . . 56 1. Ltude physique du temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 2. Temps et objets mathmatiques selon Alexandre . . . . . . . . . . . . . 58

    a. Lontologie mathmatique dAlexandre . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58b. Une catgorie ontologique mixte chez Alexandre . . . . . . . . . 65

    3. tude cosmologique du temps : temps et modalits . . . . . . . . . . 74a. Phys. IV 12 comme quadripartition modale . . . . . . . . . . . . . . 74b. Substances ternelles vs mouvement sempiternel . . . . . . . . . . . 78

  • Chapitre VI La cinmatique dAlexandre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 1. Laporie cinmatique du mouvement born . . . . . . . . . . . . . . . . 83

    a. Aristotlisme et thories rivales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83b. Alexandre lecteur de la Flche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

    2. Cinmatique physique : le mouvement comme pqcla continu. 93a. La question de la catgorie du mouvement . . . . . . . . . . . . . . . 94b. Le mouvement comme quantit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98c. Larticulation des deux notions de mouvement . . . . . . . . . . . . 100

    3. Bornes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105a. Le dbut et la fin du mouvement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105b. Alexandre contre le stocisme et lpicurisme : sur trois faons

    antiques de mourir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 4. Cinmatique et cosmologie : le mouvement circulaire ternel . . 113

    Chapitre VII La dynamique dAlexandre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 1. La confrontation au platonisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 2. Les quatre types fondamentaux de rapports moteur-m selon

    Aristote . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117a. Le mouvement des projectiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117b. Lautomotricit animale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118c. Les corps lmentaires sublunaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120d. Les substances clestes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122e. Aristote et louverture dynamique du monde . . . . . . . . . . . . . 124

    3. Le mcanisme de lUnivers selon Alexandre . . . . . . . . . . . . . . . . 126a. Alexandre et le mouvement caus par le Premier Moteur . . . 126b. Alexandre et le mouvement des corps simples sublunaires . . . 140c. Le systme cosmologique dAlexandre . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150d. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162

    Note sur la prsente dition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169Liber IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171Liber V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293Liber VI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349Liber VII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424Liber VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 486

    Index nominum et verborum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645

    Table des MatiresVIII

  • Histoire du texte

  • Chapitre ILes deux manuscrits

    Les 826 scholies ici dites pour la premire fois sont contenues dans les margesdun manuscrit conserv aujourdhui Paris, Bibliothque nationale de France,fonds Supplment grec 6431. Certaines dentre elles, cantonnes au livre IV etau dbut du livre V, se retrouvent, plus ou moins altres, dans un autremanuscrit parisien, le Paris. gr. 1859. Nous voudrions, dans les pages quisuivent, rassembler et exposer les maigres renseignements notre dispositionsur lhistoire de ce corpus.

    1. Le Paris. suppl. gr. 643 (= S)

    Le Paris. suppl. gr. 643, copi sans doute Byzance au dbut du XIVe sicle2,provient de lune des missions de Minode Mynas dans les couvents delAthos3. Intgr aux collections publiques aprs les recherches intensivesdImmanuel Bekker et de Ch. August Brandis, il a chapp par la suite lattention des philologues de la seconde moiti du XIXe sicle et du XXe

    sicle4. Il faut dire quavec les Oxfordiens de la premire moiti du XXe sicle

    1 Jen ai signal lexistence dans Alexandre dAphrodise et la Magna Quaestio. Rle etindpendance des scholies dans la tradition byzantine du corpus aristotlicien , Lestudes classiques 63, 1995, p. 295351. Le dlai entre la dcouverte et le prsent livretient pour partie au rythme du dchiffrement, pour partie au fait que je me suisconsacr dautres recherches dans lintervalle.

    2 Cette affirmation se fonde sur la palographie. S ne contient ni date ni nom de copiste.3 Cf. H. Omont, Minode Mynas et ses missions en Orient (18401855), Mmoires de

    lAcadmie des Inscriptions et Belles Lettres 40, 1916, pp. 337421, p. 404 et 412( Catalogue de mes manuscrits qui sont chez moi Paris, M. Mynas ) : Manuscritin-48, bombycinus, contenant la Physique dAristote vusij/r !jqoseyr, le premierlivre de peq cemseyr ja vhoqr et le commencement du deuxime, avec des notes etdes scolies. Je fis intercaler du papier jauntre pour rcrire quelques notes ou motsdifficiles dchiffrer. Louvrage parat tre du XIe sicle. Cet ouvrage contient 186feuilles, ou 372 pages, y compris le papier intercal . Cest la prsence de ces feuillesajoutes par Mynas qui explique que les scholies napparaissent, dans la numrotationactuelle, que sur les folios impairs.

    4 Sur Bekker Paris, voir W. A. Schrder, Immanuel Bekker der unermdlicheHerausgeber vornehmlich griechischer Texte , in Annette M. Baertschi et C. G. King(eds), Die modernen Vter der Antike. Die Entwicklung der Altertumswissenschaften an

  • lexception notable de F. H. Fobes et, dans une moindre mesure, un peuplus tard, de D. J. Allan lecdotique aristotlicienne est davantage le fait decommentateurs du texte que dhistoriens des textes. Quil sagisse dI. Bywater,de W. D. Ross ou de H. H. Joachim, pour citer les trois plus minents, cest laconnaissance profonde et nuance de la philosophie dAristote qui permet lesnouvelles conqutes textuelles plutt quun bouleversement des donnesmanuscrites5.

    On ne sait dans quel couvent Mynas a dnich S, mais jaurais tendance yvoir une pice de la Grande Laure ou de Vatopdi6. Ce manuscrit est arriv lAthos sans doute directement de Byzance. Comme un autre manuscrit de lacollection Mynas, aujourdhui le Paris. suppl. gr. 6557, qui contient des textesde logique alexandrine et byzantine, il a en effet t annot par un ruditbyzantin dans la premire moiti du XIVe sicle, dont la main nest pas sansrappeler celle de Maxime Planude puis, aux alentours de 1360, par le CalabraisLonce Pilate, traducteur dEuripide et dHomre pour Boccace et Ptrarque,lors de son sjour dans la capitale de lOrient grec8.

    Les scholies entourent le texte des livres IV-VIII de la Physique dAristote.Malgr mes efforts, je nai pu identifier le scribe qui les avait crites. Le peuglan est redevable la palographie, la codicologie et lhistoire des textes.

    Lexamen palographique, on la dit, permet de dater lcriture du dbutdu XIVe sicle et de lattribuer un lettr constantinopolitain, scribeprofessionnel ou rudit recopiant la Physique son usage personnel. Lanalysecodicologique confirme, sans la prciser, cette premire constatation. Cette

    Akademie und Universitt im Berlin des 19. Jahrhunderts, Berlin / New York, 2009,p. 329368, en part. p. 338340.

    5 La seule vritable nouveaut textuelle des ditions oxfordiennes de la Physique et du Degeneratione et corruptione par rapport celle de lAcadmie de Prusse consiste danslutilisation du Vind. phil. gr. 100 (ms. J), inconnu de Bekker.

    6 Il napparat pas, en particulier, dans la liste denviron cinquante titres de manuscrits deplusieurs couvents de lAthos compose par Chrysanthios, fils de Notarios, patriarchede Jrusalem entre 1707 et 1731. Cf. L.O. Sathas, Bbkym 1j t_m pokk_m ja diavqymt_m 1m to?r lomastgqoir toO -hymor jatkocor, t. I, Venise, 1872, p. 271284.

    7 Cf. Omont, op. cit. , p. 369.8 Cf. D. Harlfinger et M. Rashed, Leonzio Pilato fra Aristotelismo Bizantino et

    Scolastica Latina. Due Nuovi Testimoni Postillati, Quaderni Petrarcheschi 1213,20022003 [= Petrarca e il mondo greco I, Atti del Convegno internazionale di studi,Reggio Calabria 2630 novembre 2001, a cura di M. Feo, V. Fera, P. Magna et A.Rollo], Florence, 2007, p. 277293 et planches V-XIV. Je signale, ce qui nous avaitchapp au moment de la rdaction de cet article, que le Paris. gr. 1849 comporte luiaussi, fol. 6v, une note latine de Lonce Pilate en marge du fragment conserv de laMtaphysique dAristote. Cest la trace sre dune activit aristotlicienne de Pilate Florence, o ce manuscrit est attest du Moyen ge au XVe sicle : cf. G. VuilleminDiem et M. Rashed, Burgundio de Pise et ses manuscrits grecs dAristote : Laur. 87.7et Laur. 81.18 , Recherches de Thologie et Philosophie Mdivales 64, 1997, p. 136198,p. 177, n. 57.

    Chapitre I Les deux manuscrits4

  • Pl. 1 : Paris. Suppl. gr. 643 (ms. S), fol. 59v: Phys. IV, 208b 29209b 1 (scholies 515)

    1. Le Paris. suppl. gr. 643 (= S) 5

  • portion du manuscrit est copie, dans une encre brune tirant sur le blond, surpapier oriental, comme une bonne part de la production byzantine de cettepoque.

    S est curieusement composite. Non point par son contenu il contientessentiellement la Physique et le De generatione et corruptione9 , mais du fait quilconstitue un assemblage de deux portions dorigine diffrente. Les livres I-IIIde la Physique, ainsi que la partie recopie du De generatione10, ont t copis parun scribe dItalie du Sud, qui tait sans doute au fait de la philosophiescolastique latine, dans le dernier quart du XIIIe sicle11. peine le travailachev, le manuscrit, non reli et pli en quatre12, a t embarqu pourByzance. Cest l quun rudit y a insr les cinq derniers livres de la Physiqueavec les scholies.

    On pourrait supposer, daprs ces quelques lments, que les cinq dernierslivres de la Physique ont t spcialement crits pour combler la lacune dumanuscrit dItalie du Sud. Mais un examen plus minutieux interdit cettehypothse. Le premier cahier de la partie byzantine est en effet numrot h(i. e. 9), ce qui implique que manquent, dans le manuscrit actuel, les huitpremiers cahiers dun codex primitif. Jai pu, par chance, les retrouver Florence, dans le Laurentianus plut. 87.2013. On y trouve les cahiers numrotsag (i. e. 18) ; le format, le papier et la main sont identiques. Ce tmoin esten Italie depuis le Quattrocento, car il provient de la bibliothque personnelle

    9 Auxquels sajoutent dintressants paratextes, qui constituent des adaptations en grec dedivisions de la philosophie nes dans le cadre de la facult des arts de Paris dans lesdcennies prcdentes. dition et tude dans M. Rashed, De Cordoue Byzance. Surune prothorie indite de la Physique dAristote , Arabic Sciences and Philosophy 6, 1996,p. 215262.

    10 Le texte nest cependant pas mutil cet endroit : le copiste sinterrompt sur un recto, en329a 31 (t` xuwq`).

    11 Notre reconstitution de lorigine italique se fonde sur trois lments : 18) lcriture :attribution un centre de copie dItalie du Sud par D. Harlfinger, Die Textgeschichte derPseudo-aristotelischen Schrift Peq !tlym cqall_m. Ein kodikologisch-kulturgeschichtlicherBeitrag zur Klrung der berlieferungsverhltnisse im Corpus Aristotelicum, Amsterdam,1971, p. 60 , n. 1 ; 28) le fait quil contient des traductions grecques de textesscolastiques latins, les premires qui nous soient conserves (cf. n. 9) ; 38) lhistoiretextuelle du De generatione : jai montr (cf. Die berlieferungsgeschichte der aristotelischenSchrift De generatione et corruptione, Wiesbaden, 2001, p. 106110) que le pre de notremanuscrit, copi Byzance, se trouvait en Italie du Sud au moins un sicle avant laconfection de celui-ci.

    12 Cf. Harlfinger et Rashed, Leonzio Pilato .13 Cf. M. Rashed, Vestiges dun commentaire alexandrin au De caelo dAristote , in

    LHritage aristotlicien. Textes indits de lAntiquit, Paris, 2007, p. 219267.

    Chapitre I Les deux manuscrits6

  • de Marsile Ficin, dont il porte encore lex-libris14. Cest donc que ledmembrement est trs ancien15. Il remonte en ralit certainement aumoment o lon a arrach les cinq derniers livres de la Physique de ce qui allaitdevenir le Laur. 87.20 pour les joindre aux folios peine arrivs dItalie duSud.

    2. Le Paris. gr. 1859 (= P)

    Le Paris. gr. 1859 est un manuscrit contenant des traits physiques etbiologiques dAristote16. Il est datable, par lcriture des quelques scribes quiont travaill de concert sa ralisation, des environs de 1300. Cettecollaboration montre dj quil est le fruit dune entreprise ditorialeimportante, typique de luniversit byzantine de lpoque des Palologues.Mais il y a plus : ce manuscrit devait initialement appartenir un corpus enplusieurs volumes des uvres dAristote17. Le Paris. gr. 1897 A, qui contient lestraits de lOrganon, est en effet copi par les mmes mains, et sescaractristiques codicologiques sont identiques. Le texte de la Physique est enoutre pourvu de scholies empruntes aux deux commentaires disponibles lpoque, Simplicius et Philopon, ainsi qu la paraphrase de Thmistius18. Enintercalant un certain nombre de scholies en provenance du corpus dAlex-andre, le scholiaste a donc fait figurer les quatre exgtes antiques les plusimportants de luvre. Dans un article rcent, P. Golitsis a suggr, avec de

    14 Cf. Marsilio Ficino e il ritorno di Platone, mostra di manoscritti, stampe e documenti (17 maggio 16 giugno 1984), Catalogo a cura di S. Gentili, S. Niccoli et P. Viti, Premessa di E.Garin, Florence, 1984, p. 123125.

    15 On peut noter en confirmation que le Laur. 87.20, la diffrence de S, ne contientaucune annotation ni du copiste byzantin qui a annot ce dernier durant la premiremoiti du XIVe sicle, ni de Lonce Pilate qui sen est servi extensivement vers 1360.Ces indices suggrent que le dmembrement du manuscrit initial a eu lieu trs peu detemps aprs sa copie, qui remonte sans doute aux premires annes du XIVe sicle.

    16 Cest le Prof. Dieter Harlfinger qui a attir mon attention sur les scholies de cemanuscrit. Je len remercie vivement.

    17 Cf. Rashed, berlieferungsgeschichte, p. 234236. On sait trs peu de choses de lhistoirede ce manuscrit : sans doute encore prsent Byzance, au patriarcat, vers 1500 poque o il parat avoir t utilis par Manuel le Rhteur pour la confection delAlexandrinus 87 (Bibliothque patriarcale dAlexandrie) ; cf. dernirement C. Frstel, Manuel le Rhteur et Origne : note sur deux manuscrits parisiens , Revue des tudesByzantines 57, 1999, p. 245254 il est intgr quelques dcennies plus tard labibliothque royale de Fontainebleau (et porte encore sa magnifique reliure dpoque,cf. Marie-Pierre Laffitte et Fabienne Le Bars, Reliures royales de la Renaissance. La librairiede Fontainebleau 15441570, Paris, 1999, p. 91).

    18 Voir la prface de Diels son dition du second volume du commentaire de Simplicius la Physique, p. XI-XII.

    2. Le Paris. gr. 1859 (= P) 7

  • Pl. 2 : Paris. Suppl. gr. 643 (ms. S), fol. 63: Phys. IV, 210b 22211a 34 (scholies 3847)

    Chapitre I Les deux manuscrits8

  • bons arguments, de rattacher ce corpus lactivit philosophique de GeorgesPachymre19.

    P est dpourvu dintrt pour ltablissement du texte des scholies car ilprsente ces dernires sous une forme souvent trs fautive et retravaille. Il acependant le mrite de confirmer que le corpus de scholies dont procde Stait disponible Byzance au tournant des XIIIe-XIVe sicles et connu desrudits de la capitale.

    3. Larchtype

    La grande surprise provoque par le rapprochement de S et du Laur. 87.20provient du fait que les huit premiers cahiers du manuscrit unique antrieur audmembrement ne contenaient pas les trois premiers livres de la Physique. Lescinq derniers livres succdaient en effet immdiatement aux traits physiolo-giques et au De caelo dAristote20. Cet ordre exceptionnel est un indice de lavaleur historique du tmoin. Nous avons en effet des chances davoir conservla photographie dun exemplaire ancien, lacunaire, lordre des traitsperturb. Le Laur. 87.20 est le seul manuscrit connu contenir cette suiteexacte de traits et prsenter les recherches aristotliciennes dans lordreinverse du corpus (qui, daprs le Prologue bien connu des Mtorologiques, vade la Physique la physiologie en passant par les recherches sur le monde).

    Loriginalit du manuscrit primordial nest cependant pas cantonne ceslments de structure. Les scholies qui accompagnent le De caelo proviennentau moins en partie dun commentaire de la fin de lAntiquit, qui pourrait treune uvre du jeune Philopon connue de Simplicius21. Les scholies aux cinqlivres de la Physique, quant elles, ne trahissent pas la moindre trace denoplatonisme, mme au sens dulcor de luniversit dAlexandrie post-ammonienne. Bien que le commentaire dont les gloses au De caelo sont tirescite deux fois nommment Alexandre ce qui atteste que leur auteur disposeencore de luvre de lExgte22 , la situation respective des deux corpus de

    19 Cf. P. Golitsis, Copistes, lves et rudits : la production de manuscrits philosophi-ques autour de Georges Pachymre , paratre dans A. Bravo Garca et ImmaculadaPrez Martn, with the assistance of J. Signes Codoer (eds.), The Legacy of Bernard deMontfaucon : Three Hundred Years of Studies on Greek Handwriting, Turnhout, 2010,p. 157170.

    20 Pour une description codicologique du Laur. 87.20, voir la notice de J. Wiesner dansAristoteles Graecus. Die griechischen Manuskripte des Aristoteles, untersucht und beschriebenvon P. Moraux, D. Harlfinger et al., t. I, p. 319323. Linsertion du De sensibus deThophraste et de la Metaphrasis de Priscien de Lydie entre les Parva Naturalia et le Decaelo ne reflte pas ltat original.

    21 Cf. Rashed, Vestiges , p. 264267.22 Cf. Rashed, Vestiges , p. 221223.

    3. Larchtype 9

  • scholies na donc rien voir. En revanche, leur prsence simultane dans unmme manuscrit refltant un codex disjectus quon imagine ancien suggre queles extraits ont t faits une poque o le commentaire dAlexandre laPhysique et celui dun Alexandrin au De caelo taient encore disponibles, soitlAntiquit tardive ou son prolongement proto-byzantin23.

    Deux arguments dordre palographique corroborent cette datation. Lepremier est la prsence de fenestrae dans S, aussi bien dans le texte des scholiesque dans celui de la Physique proprement dite. On en trouve par exemple auxscholies 29, 81, 203, 339 et 399, ainsi que, parmi bien dautres passages,fol. 73v l. 2 ab imo (218a 5, om. wqmou), fol. 75 l. 18 (218a 2930, om. %kko%k-), fol. 79 l. 20 (221a 3, om. b p/wur). En outre, en 218b 11, le texte de laPhysique intgre sans mot dire le cqvetai marginal (voir ad loc.). en jugerpar lapparat critique de Ross, S est le seul manuscrit faire cette erreur. Cesindices semblent indiquer une tradition unique pour le texte dAristote et lesscholies, remontant un exemplaire assez ancien.

    Le second argument, plus dcisif, provient de la scholie 19. Le textevoque, de toute vidence, les qualits affectives (%meu toO eUdour ja t_mpahgtij_m poiottym). Cest la leon de P. On lit pourtant, dans S, le textesuivant : %meu toO eUdour ja t_m lahgtij_m poiottym. Cette leon estdoublement errone. Tout dabord parce quun tel mot nexiste pas, ensuiteparce qu supposer mme quon rtablisse la forme lahglatij_m, le sens seraitpour le moins trs difficile. Or sil est impossible de confondre un m et un piminuscules, il nen va pas de mme avec le trac majuscule de ces lettres. Ilsuffit que la partie suprieure du pi soit un peu affaisse en son centre pourquon puisse le confondre avec un m24. La faute, qui transforme un mot grecqui fait sens en un barbarisme incomprhensible, ne sexplique donc que parun exemplaire en onciales, cest--dire antrieur au dbut du IXe sicle25. Laleon correcte aura quant elle t rtablie par lrudit lorigine de lareformulation des scholies dans P26.

    Ces deux arguments paraissent confirms par limpression gnrale qui sedgage de la mise en page des scholies. Lquilibre graphique de la page, lesvolutes apparaissant parfois la fin dune scholie et la prsence, au fol. 65,dune scholie copie deux fois nous lattestent : S nest certainement pas le

    23 Soit dans la Byzance antrieure la Renaissance macdonienne des premiresdcennies du IXe sicle.

    24 On retrouve cette mme faute plus loin dans le texte : contre la tradition unanimepahgltym en Phys. VIII 7, 260b 8, le ms. S lit lahgltym. Il sagit donc bien duneambigut dans la graphie dun modle en majuscules.

    25 Il est possible quon ait une faute donciales galement la scholie 150 (%kkg eQ lu laeQ).

    26 Cf. supra, p. 7.

    Chapitre I Les deux manuscrits10

  • premier jet dun savant du temps des Palologues, mais provient dune sourceplus ancienne.

    Rien ne prouve bien sr que cest le manuscrit en onciales lui-mme queles copistes de S et de P ont eu entre les mains. Mme si lon sait que cettepoque se signale par son engouement pour les vieux manuscrits27, il se peutque lexemplaire sur lequel la copie a t ralise soit un descendant plus oumoins proche du manuscrit translittr. La substitution, scholie 824, de!diaqetom eqdiaqetom, sexpliquerait mieux avec un exemplaire en critureminuscule, qui confond assez souvent alpha et la ligature epsilon-upsilon. Mais ilse peut aussi que lerreur soit un simple lapsus de copiste.

    Un indice donne dailleurs corps lhypothse dune translittration au IXe

    sicle, dont driverait, sans doute assez directement, le ms. S. Gnralement,dans ce manuscrit, les scholies sont rattaches, par un signe de renvoi, au motou au groupe de mots aristotliciens quelles commentent. Sinon, en labsencede signe de renvoi, elles se trouvent plus ou moins en face du texte auquel ellesse rapportent. Or dans certains cas, la scholie est dcale de manire assezsubstantielle et, ce qui est pour nous capital, dun espace constant : environ 30lignes de ldition Bekker28. La seule explication possible est que le manuscritinitial tait dispos en colonnes et que la scholie, place entre les deux colonneset se rapportant implicitement lune delles, a t rattache lautre aumoment de la copie. Si lon suppose que le copiste de S et celui de P, grossomodo contemporains, ont utilis le mme exemplaire, il sagirait de cet ancienmanuscrit lui-mme : car dans les deux cas contrlables (scholies 34 et 46), lascholie, mal situe dans S, est la bonne place dans P.

    On conclut en outre que lextension de la colonne du manuscrit initialcorrespondait en gros 30 lignes Bekker. Une ligne Bekker comptant environ40 lettres, cela nous donne un total de 1200 lettres par colonne. Ce qui paratexcessif pour un exemplaire en onciales : le Codex sinaiticus, par exemple,contient des colonnes de 48 lignes denviron 13 lettres, ce qui donne 624lettres par colonne, soit moiti moins que le total recherch. En revanche, leParis. gr. 1807 (le ms. A de Platon), copi en minuscules au milieu du IXe sicle Byzance, et dispos sur deux colonnes par page, compte 44 lignes denviron25 lettres par colonne, soit ca 1100 lettres par colonne. La proximit du rsultatnous invite postuler lexistence dun manuscrit en minuscules, de format peine suprieur au Paris. gr. 1807, dispos lui aussi sur deux colonnes etcomptant environ 45 lignes de 2627 lettres par colonne. Cest le copiste dece manuscrit qui aurait commis lerreur lahgtij_m.

    27 Un des exemples les plus fameux est celui du manuscrit de Diophante demand parPlanude Bryennios ; voir M. Treu, Maximi Monachi Planudis Epistulae, Leipzig, 1890,lettre 33, p. 53, ll. 310.

    28 Cf. scholies 32, 34, 46, 114, 151, 172, 437, 651.

    3. Larchtype 11

  • Chapitre IILes scholies

    1. Les scholies et le commentaire perdu dAlexandre dAphrodise la Physique dAristote

    Quelles sont les raisons dattribuer les scholies des cinq derniers livres de laPhysique Alexandre dAphrodise ? Celles-ci tiennent tout dabord un faitgnral, qui se rattache aux 826 scholies comme un tout : le rapport la foisproche et distant quelles entretiennent avec le commentaire de Simplicius. Lesscholies proposent trs souvent une exgse qui se retrouve plus ou moins dansle commentaire-fleuve du noplatonicien. Toutefois, quelques exceptionsprs, elles ne prsentent jamais exactement lnonc de Simplicius et, ce qui estplus dcisif, ne se font jamais lcho dune doctrine noplatonicienneapparaissant chez ce dernier. Ces deux constatations ne constituent pas desarguments e silentio. Un silence qui stend sur cinq livres de la Physique, millepages de Simplicius et plus de 800 scholies ne saurait tre fortuit. Sa seuleexplication est que les extraits drivent dune source qui nest ni Simplicius niun commentaire influenc par Simplicius, mais un commentaire nonnoplatonicien ce qui permet dexclure une ventuelle uvre alexandrine,Ammonius en particulier qui a massivement influenc Simplicius. Il estnaturel de supposer quil sagit dAlexandre, que Simplicius cite peu prs toutes les pages.

    On mobjectera peut-tre quil se pourrait que lauteur des scholies ait unenette conscience de la puret doctrinale aristotlicienne et quil se soit servi deSimplicius comme dune source pour reconstituer le commentaire dAlexan-dre. Outre que ce scnario serait un dfi tout ce que nous savons ducommentarisme post-porphyrien, il scroule devant la constatation simplesuivante : des dizaines de citations nominales dAlexandre dans le commentairede Simplicius sont sans contrepartie dans les scholies. En revanche, denombreux parallles sont constatables des endroits o Simplicius nvoquepas le nom de son prdcesseur. Enfin, tout en recherchant de faon exclusive reconstituer lexgse dAlexandre, lrudit aurait choisi de ne jamaisreprendre Simplicius les mentions de son nom29. Il faudrait donc prter notre puriste la fois un engouement exclusif pour Alexandre et une grandengligence son gard. Cest impossible.

    29 Pour un exemple du contraire, voir infra, p. 1920.

  • Cette prsomption gnrale peut tre dmontre dans le dtail. Toutdabord, Alexandre est le seul commentateur que cite le scholiaste30. Son nomapparat cinq reprises dans S (scholies 11, 14, 67, 191, 432) et une fois dans P(scholie 3)31. Ce nest sans doute pas un hasard si les deux premires citationsde S et celle de P apparaissent trs tt dans le commentaire, cest--dire en unephase o lauteur des extraits tait encore dans la disposition psychologique deciter sa source ce qui tendrait dailleurs confirmer que les extraitsdAlexandre ne concernent que les cinq derniers livres, cest--dire que nousnavons rien perdu du travail du scholiaste. Ce point est encore confirm par lefait que la mention dAlexandre en 11 et 14 ne se retrouve pas dans P, maissurtout que lattribution de 3 Alexandre apparat dans P et non dans S. Cetteindpendance mutuelle des rfrences prouve que le manuscrit source taitpourvu, au dbut du livre IV, dindications sur lorigine des scholies que nousne possdons plus intgralement dans S.

    Les trois dernires mentions dAlexandre dans S sont bien particulires, carelles opposent la thse de lExgte celle de quelquun dautre. Dans lepremier cas, il sagit de commentateurs anonymes, dans le deuxime dunepetite divergence lexicale par rapport Aristote et, dans le dernier, du fameuxdiffrend avec Galien. Il est manifeste que cest cette structure dopposition quifait alors surgir le nom de la source : alors que dans les cas habituels, il nestgure besoin de prciser que cest Alexandre qui parle, la chose devientncessaire quand on veut rendre le fait quAlexandre prend position contre unecertaine thse. Notons en outre que dans aucun de ces cinq passages de S, lexception peut-tre du quatrime, on ne peut supposer sans contorsionsargumentatives que le scholiaste reconstitue une thse dAlexandre partir deSimplicius. Jai tudi ailleurs assez longuement les trois premiers et mepermets de ne pas y revenir32. Pour ce qui est du quatrime, alors que lescholiaste tempre lexplication du terme %qti propose par Aristote (%qti nese rfre quau pass proche) par lusage , auquel, nous dit-il, en appelleAlexandre (%qti se rfre aussi au futur proche), Simplicius oppose Aristotedun ct, Aspasius et Alexandre de lautre. Il serait donc assez trange que lascholie, nuance et moins rudite, remonte Simplicius, plus rudit maismoins nuanc. Et si lon veut tout prix que le scholiaste tire sonrenseignement de Simplicius, pourquoi alors ne lui a-t-il repris une citationdAlexandre quici, sur ce point insignifiant de lexique, alors que lExgtetait mentionn des centaines de fois ailleurs, en des occasions autrement plusdcisives ?

    30 Hormis bien sr Eudme, mentionn en 624.31 On nglige bien entendu ici les cas o P se borne retranscrire Simplicius ou Philopon

    citant Alexandre. Pour un exemple de ce type, voir infra, p. 1920.32 Cf. Alexandre et la Magna Quaestio .

    1. Les scholies et le commentaire perdu 13

  • Lenjeu philosophique de la scholie 432 est moins anodin. Nous enproposons un commentaire approfondi ad loc.33.

    Plusieurs scholies, sans porter le nom dAlexandre, sont cependantstylistiquement ou doctrinalement signes . voquons brivement, parmibien dautres, les scholies 29, 47, 121, 122, 339, 371, 435, 539, intressantes des titres divers.

    29 est une version du nota bene sur linhrence de la forme dans la matireplus complte que celles quon trouve ailleurs dans le corpus conserv et enparticulier dans le passage parallle de Simplicius34. Il faudrait donc, pourlexpliquer comme une influence de Simplicius, supposer en mme temps quele scholiaste avait en tte le passage de Mantissa 5, et quil ait cisel lematriau simplicien pour y insrer ce texte dAlexandre. Cest exclu.

    47 constitue une doxographie indite sur les Stociens sans le moindrequivalent dans le passage correspondant de Simplicius, mais avec deuxpassages parallles chez Alexandre, dans le De mixtione et la Mantissa 335.Aucun nest cependant exact, en sorte quil ne saurait sagir de citations de cesuvres. En outre, non seulement il est peu probable quun scholiaste ait tfrapp par ces textes, mais on ne voit gure pourquoi il les aurait recopis entredeux scholies platement exgtiques. En revanche, Alexandre avait de bonnesraisons dvoquer la thse de la sumweia cosmique dans ses commentaires sur lelieu aristotlicien36. La difficult stocienne rendre compte de la pluralit dessubstances mettait en valeur la distinction aristotlicienne entre contigut etcontinuit au fondement de la doctrine du lieu.

    121 est sans doute galement directement puise au commentairedAlexandre. Il sagit de lexgse de Phys. IV 8, 14b 1727. Voici ce textedans la traduction de P. Pellegrin37 :

    (A) De plus, sil existe quelque chose comme un lieu priv de corps quand il y a unvide, o se portera en lui le corps qui sy trouverait plac ? Car, assurment, ce nepeut tre dans le tout . Le mme argument vaut contre ceux quipensent que le lieu est quelque chose de spar dans lequel sonttransportes. Car comment ce qui y est contenu sera-t-il transport ou sera-t-il enrepos ? Et le mme argument convient videmment aussi bien au haut et au basquau vide ; en effet, ceux qui prtendent que le vide existe en font un lieu. (B) Etcomment sera-t-elle dans un lieu ou dans le vide ? (C) En effet, celanarrive pas quand une totalit est place dans un lieu spar et dans un corps

    33 Cf. infra, p. 424427.34 Cf. M. Rashed, Essentialisme. Alexandre dAphrodise entre logique, physique et cosmologie,

    Berlin / New York, 2007, p. 166181.35 Cf. Alexandre, De mixtione 223.2527 et Mantissa 3, 115.612.36 Cf. infra, p. 205.37 Aristote : Physique, traduction et prsentation par P. Pellegrin, Paris, 2000, p. 233234.

    La division en (A), (B), (C) est mienne. Elle nest pas dicte par larticulation du sensmais par les besoins de la discussion textuelle dAlexandre.

    Chapitre 2 Les scholies14

  • permanent dtermin. Car une partie, si elle nest pas situe sparment, ne serapas dans un lieu mais dans la totalit .

    Tous les manuscrits ayant servi aux diteurs, ainsi que Philopon et Thmistius,transmettent les parties (A), (B) et (C). Mais Averros et Simplicius font uneremarque peu prs identique, quAverros mais non Simplicius prte Alexandre : certains manuscrits ne contiennent que (A) et (B), tandis quedautres ont galement (C). Leur prsentation formelle des choses estcependant diffrente. Alors que selon Alexandre cit par Averros, certainsmanuscrits ne transmettent pas (C) ce qui est plus conforme la situationactuelle , Simplicius affirme que certains manuscrits transmettent ce passage. Lascholie, en se rangeant du ct dAverros, trahit sans doute son originealexandrique.

    Il en va de mme avec la scholie 371. Alors que celle-ci est sanscorrespondant exact chez Simplicius, elle a un parallle rigoureux dans unecitation du commentaire dAlexandre faite par Averros38.

    La scholie 122 est elle aussi dcisive. Aristote voque lhypothsecosmologique selon laquelle la Terre serait immobile par indiffrence semouvoir en telle direction plutt quen telle autre. Aussi bien la scholie queSimplicius citent le dbut de phrase du Phdon, 109 A, en effet, une chosequilibre place au milieu de quelque chose dhomogne . Mais Simpli-cius lattribue de manire errone au Time39. Cette erreur prouve queSimplicius na pas contrl sa citation platonicienne, mais quil la mentionnesoit de mmoire, soit en lempruntant quelque source. Or justement, lascholie mentionne Platon, mais non luvre de Platon dont la citation est tire.On peut donc reconstituer avec vraisemblance le processus de lerreur.Alexandre avait cit la phrase en se contentant de lattribuer, sans davantage deprcision, Platon. Simplicius lit son commentaire, le retranscrit et veutprciser les choses, sans toutefois prendre le temps daller ouvrir son codex dePlaton. tant donn le contexte cosmologique et le fait que le Time voque lamme thse, en des termes assez proches, en 63 A, lerreur tait difficilementvitable, mme pour un professeur aussi aguerri que Simplicius. Si en outrelon accepte ma correction du nom dAnaxagore en Anaximandre sonorigine graphique est vidente , on devra reconnatre que la scholie est deuxfois meilleure que le commentaire de Simplicius, qui lui ne cite pas ici lephilosophe prsocratique. Car Aristote a mentionn Anaximandre, dans cecontexte, en De caelo II 13, 295b 1016. Bref, si lon voulait supposer que lescholiaste drive son savoir de Simplicius, il faudrait admettre quil surpasse lecommentateur en rudition et en acuit, mais surtout en vigilance. Ce qui

    38 Cf. infra, ad loc.39 Simplicius, In Phys. 666.2426.

    1. Les scholies et le commentaire perdu 15

  • serait possible sur une ou deux annotations, mais qui rendrait le projet dunechane continue de scholies peu prs impraticable.

    339 est dterminante. Je lai discute ailleurs en dtail et me permets derenvoyer cette tude40.

    435 est intressante dun point de vue philosophique et idologique . Ilest dit que Platon reconnat le principe aristotlicien omne quod mouetur. Laseule diffrence entre les deux auteurs, selon la scholie, est que Platon tire de ceprincipe que le terme dernier de la rgression est automoteur, tandisquAristote professe quil est immobile. Cette reconstitution historique nepouvait pas plaire Simplicius, car elle recouvre le dbat de lautomotricit delme, o le contentieux avec Alexandre est rcurrent et irrductible. On nentrouve en tout cas pas trace dans son commentaire. Elle apparat presque dansles mmes termes au cours de la Rfutation de Galien transmise en arabe. Voiciune traduction du passage41 :

    Que tout ce qui se meut soit m par quelque chose, cest l ce que disent Aristoteet Platon. Car Platon aussi dit que tout ce qui se meut est m par quelque chose,car soit il est m par une chose autre que lui, soit il est m par lui-mme.

    Il y a donc quelque chose de typiquement alexandrique dans la rcupration dePlaton laquelle se livre la scholie. Et loin de sopposer au commentairedAlexandre comme on la prtendu42, la Rfutation de Galien le confirme.

    539 propose une classification doxographique des systmes du mondeprsents par les diffrentes coles43. La comparaison avec le passage corre-spondant de Simplicius prouve que la scholie et le commentateur noplato-nicien remontent indpendamment au commentaire dAlexandre. Car alorsque le scholiaste la repris sans en modifier la teneur, Simplicius la rcrit pourle faire cadrer avec la vision noplatonicienne de lhistoire de la philosophie,qui trace une ligne de dmarcation nette entre les systmes ayant compris lancessit de distinguer monde intelligible et monde sensible et ceux,matrialistes, qui ont cru que le sensible tait toute la ralit. Alors que tousles premiers ne sont que diffrentes expressions de la mme philosophia perennis,les seconds Dmocrite et picure en particulier sont des rflexionsinabouties qui nont dintrt quanecdotique.

    40 A New Text of Alexander on the Souls Motion , dans R. Sorabji, Aristotle and after[BICS Supplement n8 68], Londres, 1997, p. 181195.

    41 Cf. The Refutation by Alexander of Aphrodisias of Galens Treatise on the Theory of Motion,translated from the Medieval Arabic Version, with an Introduction, Notes and anEdition of the Arabic Text, by N. Rescher and M.E. Marmura, Islamabad, 1965,fol. 66b 23 sqq.

    42 Cf. Silvia Fazzo, Alexandre dAphrodise contre Galien : la naissance dune lgende ,Philosophie Antique 2, 2002, p. 109144, p. 131132.

    43 Voir notre annotation, ad loc.

    Chapitre 2 Les scholies16

  • Je voudrais, pour clore cette section, prier ceux qui voudraient renverserlordre de mes raisons de srier les leur. Plus prcisment : il faudra distinguerentre tous les cas qui, pris isolment, ne permettent pas daffirmer lindpen-dance des scholies lgard de Simplicius et ceux, qui mauront alors chapp,o lon pourra dmontrer que les scholies sont dpendantes de Simplicius. toutes fins utiles, je schmatise ainsi les points essentiels de ma propreargumentation :

    1) Aucune scholie ne peut tre dmontrablement considre comme venantde Simplicius et non dAlexandre (autrement dit : il ny pas de trace denoplatonisme dans les scholies) ;

    2) Rien ne dnote non plus que lauteur des scholies prendrait soin decontourner les lments noplatoniciens du commentaire de Simplicius(autrement dit : le noplatonisme napparat mme pas en ngatif dans lesscholies) ;

    3) Certaines scholies peuvent tre dmontrablement attribues Alexandreindpendamment de Simplicius ;

    4) Presque aucune scholie nest littralement identique un passage deSimplicius ; les cas les plus convergents sont ceux o Simplicius citeAlexandre ;

    5) Aucune diffrence stylistique entre les scholies ne trahirait une diversit deprovenance.

    Un faux procs consisterait sappuyer sur le caractre abrg, strotypet aride des scholies pour refuser leur origine alexandrique. Nous avons pardfinition un matriau retravaill et appauvri, ce qui explique que dans certainscas, le texte originel puisse avoir proprement disparu. Dans ces situationsextrmes, il ny a gure de sens dire quAlexandre soit lauteur du textetransmis. Il se tient seulement lextrmit historique dun processus dont nousne possdons plus que lautre extrmit44. Je me borne dnier que lon puissemontrer que Simplicius constitue lune des tapes de ce processus. Bref, rfuter

    44 En rgle gnrale, on peut affirmer que plus une scholie est brve, moins elle a dechances de reflter rigoureusement lnonc dAlexandre. La terminologie de certainesdentre elles parat difficilement pouvoir remonter Alexandre. Cf. scholies 312, 363,597, 612, 618, 656. Notons que le scholiaste a laiss trs peu de traces de son passage.Sept scholies (70, 79, 151, 259, 315, 468, 543) sont introduites par fti. Sur les troisinterprtations possibles de cet usage, voir B. Reis, Der Platoniker Albinos und seinsogenannter Prologos, Wiesbaden, 1999, p. 4952 : le terme, quand il nest pascommand par un mot de la phrase qui suit, est employ (1) pour introduire la rponse une aporie, (2) dans la mise par crit dun enseignement oral et (3) pour introduire desextraits faits partir dune certaine uvre crite. Nos scholies relvent de cette dernirecatgorie. Une unique scholie (413) contient un mta-commentaire, la premirepersonne, sur le texte la source.

    1. Les scholies et le commentaire perdu 17

  • largumentation propose reviendra prouver laquelle des 826 scholiesremonte Simplicius et non Alexandre indpendamment de Simplicius.

    2. Date de composition des scholies

    Quand est-il plus probable quun professeur disposant encore du commentairedAlexandre la Physique sen soit servi pour composer le recueil dont drive leSuppl. gr. 643 ? Nous avons suggr plus haut que la date pourrait en tre assezancienne, et avons mme voqu lAntiquit tardive. Cette intuition estcorrobore par quelques remarques sur la tradition byzantine des commen-taires anciens la Physique. Nous sont conservs, aujourdhui, outre laparaphrase de Thmistius, celui de Simplicius dans son intgralit et celui deJean Philopon aux livres I IV. Le commentaire de Philopon aux livres V VIII nest attest que sous forme de scholies, les unes copies en marge duParis. gr. 1853 (le fameux ms. E dAristote), les autres dans un codex setrouvant aujourdhui Venise (le Marc. gr. 227, copi par Georges deChypre)45. Or il est deux indices montrant qu lpoque de GeorgesPachymre, on ne connaissait dj plus le commentaire dAlexandre. Commele souligne L. Benakis, il est tout fait impossible que si lauteur ducommentaire byzantin avait eu celui dAlexandre sa disposition, il ait crit, enun passage : Silpkjior kcei r !poqe ? b )knamdqor 1mtaOha 46. De

    45 Lhistoire du texte du commentaire de Philopon la Physique nest cependant pas faite.Je suis ainsi tomb sur des scholies au livre VIII qui lui sont nommment attribues, sansparallle dans le corpus de Paris ni de Venise, dans le Vat. gr. 2208 (dont je dateraislcriture du XIVe sicle), consult sur le microfilm de lAristoteles-Archiv de Berlin :cf. fol. 135v, 136v, 138v, 141. Dautres scholies recoupent parfaitement les extraits : cf.fol. 132v = 829.2025 Vitelli ( je publierai les nouveaux matriaux aprs larouverture de la Vaticane). Il se pourrait que des matriaux philoponiens soientprsents dans notre ms. P (qui demanderait une tude doctrinale srieuse). On lit parexemple, fol. 52v, ad 225b 33 : sjp(ei) fti 1j tatgr t/r 1piweiqseyr ja t %maqwomja !cmgtom tm jslom eWmai !maiqehsetai. eQ cq !qwm oqj 5wei toO eWmai b jslor,!e d %mhqypor 1n !mhqpou, dgkomti pq Syjqtour 5dei cemshai Syvqomsjom, jatoOto 1p( %peiqom. eQ owm 1p( %peiqom !mimai %my, toO d !peqou t pq_tom oqj 5stim,!dmatom d t vsteqa cemshai l cemolmym t_m pqtym, !dmatom %qa cemshaiSyjqtgm l !peqym pq aqtoO cemolmym7 fpeq !dmatom, (addidi) dQ !peqym pqoimai tm cmesim 1meqce Edg cecemglmym. Il sagit l dunestratgie typiquement philoponienne : voir, T

    aba, p. 520 et 523 Badaw, les citations

    convergentes mais non philologiquement identiques de Philopon. Notons dailleursquune histoire du texte de la Physique est un grand desideratum de la recherche. Pour unexemple du caractre encore trs alatoire du recours des diteurs aux mss, voir lesremarques sur la tradition du livre VII, ad schol. 452.

    46 Cf. L. Benakis, Studien zu den Aristoteles-Kommentaren des Michael Psellos ,1. Teil : Ein unedierter Kommentar zur Physik des Aristoteles von Michael Psellos ,

    Chapitre 2 Les scholies18

  • manire plus dcisive peut-tre, le renseignement apparat dans une scholie dums. P, compose au plus tard vers 1300. En Physique IV 8, 216b 1720, Bekkeret Ross suppriment une phrase prsente dans tous les manuscrits mais absente destrois commentateurs grecs. Voici lapparat de Ross cet effet : 1720 5ti "ptoO om. P[hiloponus] T[hemistius] S[implicius], secl. Bekker : habent PVAverroes. Lauteur byzantin de la scholie ne le cde gure en prcision. Voici cequil crit (fol. 41v, haut de la marge de gauche) : Qstom fti tatgm tm knimoqw evqolem 1ngcoulmgm 1m to?r veqolmoir 1ngcgta?r Silpkij\ ja Vikopm\,oqd ce paqapevqaslmgm paq Helistou7 ja, d/kom, C oqj 5cjeitai 1m 1moirt_m !mticqvym, C paqemebkhg vsteqom ( il faut savoir que nous navons pastrouv cette phrase commente dans les commentateurs conservs Simplicius et Philopon, nidavantage paraphrase chez Thmistius ; et il est clair ou quelle nest pas prsente danscertains des manuscrits ou quelle a t interpole ultrieurement ). Lauteur de lascholie parat noncer une vrit gnrale et admise : au moment o il crit, lescommentateurs conservs sont Simplicius et Philopon. La lgre rudesse delapposition grecque en tmoigne47. On peut mme affirmer que la mention descommentateurs conservs soppose implicitement, dans lesprit de lauteur, laperte du commentaire dAlexandre. plusieurs reprises, en effet, il extrait deSimplicius ou de Philopon linterprtation propose par Alexandre du passageconsidr. Un des exemples les plus frappants apparat au fol. 33v, o lescholiaste glose la classification aristotlicienne des 5m timi (Phys. IV 3, 210a 1424). Deux scholies, la premire tire de Philopon et la seconde de Simplicius, sesuccdent en effet directement. Or lune et lautre nont pour but que de nouslivrer linterprtation dAlexandre. Voici la premire :

    ms. P, fol. 33v Philopon, In Phys. 528.1222

    peq t_m 5m timi posaw_r paqkeixe t 1mwqm\ ja 1m rpojeilm\. b d )knamdqrvgsi ja r t la. kcei d t jty (sic)tr 1pivamear "ptlema !kkkym.kcoito cq #m taOta 1m !kkkoir eWmai.d/kom d, eQ t la C r 1m tp\ C r 1mwqm\7 taOta d r 1m tp\.

    b d )knamdqor ja 6teqa sglaimlema toO5m timi paqathetai, ja 4m lm r t laemta vgs, kcy d t jat tr 1pivamear"ptlema !kkkym7 kcoito cq #m taOta1m !kkkoir eWmai. !kk d/kom fti t lapmtyr C r 1m wqm\ kcomtai eWmai C r1m tp\7 t owm !kkkym "ptlema, r 1mtp\ kcomtai 1m !kkkoir7 lqor cqeQsim aR 1pivmeiai jah( $r ptomtai!kkkym toO peqiwomtor aqt tpou7ste oqj 5sti toOto 6teqom sglaimlemom

    Archiv fr Geschichte der Philosophie 43, 1961, p. 215238, p. 233. Pour une nouvelleattribution de ce texte, voir P. Golitsis, Un commentaire perptuel de GeorgesPachymre la Physique dAristote, faussement attribu Michel Psellos , ByzantinischeZeitschrift 100, 2007, p. 637676.

    47 Il na pas crit quelque chose comme les commentateurs conservs comme (oXom)Simplicius et Philopon .

    2. Date de composition des scholies 19

  • ms. P, fol. 33v Philopon, In Phys. 528.1222

    toO 5m timi paq tor !pgqihlglmourtqpour. ja 6teqom d paqathetaisglaimlemom oqj %jolxom.

    kcetai, vgsm, 5m timi ja r 1m (sic)rpojelemom 1m sulbebgjsim, speq valm1m jako ?r eWmai tm de ?ma C 1m jajo ?r.

    kcetai cq, vgsm, 5m timi ja rrpojelemom 1m sulbebgjti, speq valm1m jako ?r eWmai tm de ?ma, C 1m jajo ?rpqclasm eQli, 1m totoir 1st t jah(Blr7 valm cq ovtyr t rpojelemom 1msulbebgjsim.

    La seconde scholie, qui la suit immdiatement, est la suivante :

    ms. P, fol. 33v Simplicius, In Phys. 552.1829

    fti )knamdqr vgsi sgleiteom fti toO 1mrpojeilm\ pqadeclata rceampaqahlemom (sic) 1pcace ja fkyr te Wdor 1m t0 vk, r toO eUdour 1mrpojeilm\ emtor.

    sgleiytom d, vgsm b )knamdqor, ftitoO 1m rpojeilm\ paqdeicla tm rceampaqahlemor 1pcace ja fkyr t eWdor 1mt0 vk, r toO eUdour 1m rpojeilm\ emtor.jatoi t lm 1m rpojeilm\ sulbebgjr1sti, t d eWdor oqsa, vag %m. ja t lm1m rpojeilm\ oqj 5sti lqor toO sumhtou(r aqtr 1m Jatgcoqair qsato kcym d5m timi l r lqor cm !dmatom wyqr eWmaitoO 1m 1sti), t d eWdor lqor 1st toO 1nvkgr ja eUdour. ja Eudglor d totoirpaqajokouh_m ja eQpm %kkyr d tphg ja aR 6neir 1m ta ?r oqsair 1pcacem71pisjeptom d eQ ovtyr ja t sw/la jafkyr B loqv 1m t0 vk, ja aqtrdgkomti tm diavoqm 1mdeijmlemor7

    5oijem owm r 4m kalbmeim t te r eWdor 1mvk, ja t juqyr 1m rpojeilm\ jatjoimm tima vsim toO loqvytijoO. %lvycq loqvytij toO rpojeilmou 1st.

    5oijem owm r 4m kalbmeim t te r eWdor 1mvk, ja t juqyr 1m rpojeilm\ jatjoimm tima vsim toO loqvytijoO. %lvycq loqvytij toO rpojeilmou 1st.

    Lanalyse de ces deux scholies est assez rvlatrice des mthodes de leur auteur.On voit tout dabord le crdit quil accorde Alexandre : dans les deux cas, ilne laisse subsister du commentaire quil abrge que lexplication de lExgte.Il supprime ainsi, du passage de Philopon, les critiques apportes par ce dernier linterprtation dAlexandre (celui-ci jugeant incomplte la liste des 5m timipropose par Aristote dans la Physique) et de celui de Simplicius, laconfirmation eudmienne de la deuxime critique dAlexandre48.

    On peut donc affirmer que lauteur des scholies connat lexistence duncommentaire dAlexandre la Physique, quil a conscience de sa grande valeur

    48 Pour une discussion du problme, cf. infra, ad schol. 29.

    Chapitre 2 Les scholies20

  • et quil ny a accs que par les autres commentaires conservs. Il faut doncprobablement comprendre les mots 1m to ?r veqolmoir 1ngcgta ?r Silpkij\ jaVikopm\ de manire restrictive et non simplement descriptive, cest--direcomme manant dun souci philologique de prcision : il na pas dit toutsimplement dans les commentateurs parce quil est conscient de la perte ducommentaire dAlexandre.

    Le portrait que nous voyons sesquisser est donc celui dun professeurmatrisant bien Aristote et sa tradition textuelle. Rien ne permet de mettre endoute le srieux de son information. On sait en outre que dans le petit mondebyzantin, les manuscrits rares taient connus des rudits. On peut ainsiraisonnablement gager que si un exemplaire du commentaire dAlexandreavait subsist, notre professeur en aurait eu connaissance et aurait alors tout faitpour lobtenir.

    Il est ds lors peu prs certain que le commentaire dAlexandre laPhysique a t victime du mouvement de translittration. Au moment dechoisir tel ou tel commentaire, on jugea probablement que celui de Simplicius,qui reprenait celui dAlexandre de manire littrale, suffirait lenseignement.Car justement parce quil reprend ce qui le prcde de manire systmatique,Simplicius sest impos, malgr sa taille imposante, comme la solution la plusconomique aux copistes byzantins : avoir sa disposition le commentaire deSimplicius sur une uvre dAristote, ctait leurs yeux possder lessentiel delexgse antrieure. Cela explique sans doute qu aucune des uvres surlesquelles le commentaire de Simplicius nous est connu, celui dAlexandre aitsurvcu : perte du commentaire aux Catgories, perte du commentaire au Decaelo, perte du commentaire la Physique. Que les Byzantins aient conserv unmanuscrit en onciales dAlexandre jusquau IXe sicle et quils aient choisi dene pas le recopier, ou quils naient mme pas eu accs cette poque luvrede lExgte, le rsultat est identique : ce commentaire disparut vers cettepoque des programmes aristotliciens. Encore fondamental dans les tudes dephysique aristotlicienne au VIe sicle, disponible dans la langue originalejusqu la seconde moiti du IXe sicle poque o Qust

    a ibn Luqa le traduit

    du grec en arabe Bagdad49 , il est supplant Byzance par celui de Simpliciusautour de lan 900. Le commentaire la Physique dAlexandre ne sera plus alorsconsult quen arabe par les Bagdadiens, puis les Orientaux de lEmpire

    49 On trouve ici et l des indications fantaisistes sur la chronologie de Qusta ibn Luqa.

    lissue dune analyse serre des sources, on peut cependant affirmer avec certitude que jeunes sous le rgne dal-Mutas

    im [833842], les protecteurs les plus prestigieux

    dIbn Luqa taient en pleine gloire sous al-Mutawakkil [842870], et surtout sous al-Mutamid [870892]. Aussi peut-on localiser la priode de Bagdad dIbn Luqa entre860 et la dernire dcennie du sicle, poque o il quitta la Capitale pour lArmnie (R. Rashed, Diophante : les Arithmtiques, 2 vols, Paris, 1984, t. III, p. xxii).

    2. Date de composition des scholies 21

  • comme Avicenne, et enfin les Andalous , son dernier (et plus profond)lecteur connu tant Averros (11261198), qui le cite plusieurs reprises dansses propres uvres.

    Lunique question qui demeure est donc de savoir si les scholies ont tralises dans lAntiquit tardive ou Byzance au IXe sicle, sur la base dunexemplaire encore complet dAlexandre destin vite disparatre. On retrouveici une question pour ainsi dire classique de la philologie classique etbyzantine50. Celle-ci est selon nous assez vaine, dans la mesure o il ne sest engros rien produit, dans le domaine philologique, entre luniversit delAlexandrie tardive et la Renaissance macdonienne51. De lgers indicesnous font toutefois privilgier lhypothse de lAntiquit tardive. Il sagit toutdabord du contexte codicologique : le De caelo, nous lavons dit, est lui aussipourvu de scholies trs anciennes, remontant un commentaire alexandrinperdu. Il y a moins de chances quun Byzantin du IXe sicle ait dispos desdeux commentaires, celui-ci et celui dAlexandre, que du seul commentairedAlexandre.

    Le second argument rside dans le systme de renvoi, qui pourrait treancien. Les signes dappel de note, dont certains sont emprunts aux symbolesecdotiques alexandrins (oble, astrisque, etc.), dautres lastrologie, sont eneffet pour partie identiques ceux que lon trouve dans les scholies du fameuxmanuscrit arabe de lOrganon, Paris BN Ar. 2346. Ce systme se retrouve enoutre lidentique dans les anciennes scholies du codex vetustissimus delOrganon dAristote, lAmbr. L 93 sup. (datable du dbut du Xe sicle), enmarge du texte du De interpretatione. Une comparaison des signes de renvoiapparaissant aux folios 60v, 61, 62, de ce manuscrit avec ceux qui apparaissentdans S se passe de commentaire : ils sont identiques. Cette concidence estdautant plus intressante que (1) des collations partielles mont convaincu queles scholies au De interpretatione figurant dans lAmbr. sont trs anciennes (ellesne proviennent pas directement du commentaire dAmmonius et mriteraientassurment dtre dites), (2) certains indices pourraient indiquer que lAmbr.a eu une tradition priphrique, ce qui le rapprocherait encore des sourcesscolastiques grecques des traducteurs syro-arabes52. La conception des scholies

    50 La bibliographie est abondante. Je me permets de renvoyer seulement, car le cas estplus proche du ntre, ltude fouille de D. Cufalo, Note sulla tradizione degli scoliplatonici , Studi classici e orientali 47, 2001, p. 529568, qui se prononce en faveurdune production byzantine.

    51 Pour un exemple puis aux comdies dAristophane, voir C. Frstel et M. Rashed, Ein neues Aristophanes-Fragment (Ekkl. 283444) aus Paris ,Museum Helveticum 60,2003, p. 146151, p. 151.

    52 Cf. G. de Gregorio, Osservazioni ed ipotesi sulla circolazione del testo di Aristotele traOccidente e Oriente, dans Scritture, libri e testi nelle aree provinciali di Bizanzio, Atti delseminario di Erice (1825 settembre 1988), a cura di G. Cavallo, G. de Gregorio e M.

    Chapitre 2 Les scholies22

  • et leur rapport aux commentaires grecs est elle aussi trs similaire. Comme lesmthodes philologiques de lOrganon arabe drivent certainement, via lascolastique syriaque, de luniversit alexandrine tardive, cest un indice pourvoir dans ce genre littraire ainsi codifi une mthode pratique chez lesderniers professeurs dAlexandrie. Mais encore une fois, la question est sansgrand intrt. Que les scholies aient t produites au VIe ou au IXe sicle, ellesse fondent de toute faon sur un exemplaire du commentaire dAlexandreremontant lAntiquit tardive.

    3. Le projet de Simplicius

    Lauteur des scholies lrudit qui les a tires du commentaire dAlexandre tait un professeur qui voulait expliquer un niveau pdagogique assezlmentaire (quelque chose dquivalent notre premier cycle universitaire) laPhysique dAristote. Pour notre malchance, il est trs peu sensible aux grandesapories, aux rappels historiques ou aux distinctions raffines dAlexandre lencontre de ses rivaux. Ce qui lintresse avant tout, cest dexpliquer la lettredes arguments, de manire interne et ponctuelle aussi bien que dans leursenchanements. On a donc parfois limpression, la lecture du matriautransmis, dune uvre philosophique transforme en notes en bas de page pourcollection de poche.

    Le matriau transmis est donc bien des gards dcevant. Mais on y trouveencore, enfouies dans la gangue dun minerai sans grand intrt, denombreuses ppites. Certaines scholies sont en effet dcisives pour comprendrelinterprtation quAlexandre proposait de la Physique on les a utilises danslintroduction doctrinale. Dautres sont dun grand intrt exgtique, cest--dire contribuent effectivement une lecture enrichie du texte dAristote.Dautres, plus modestement, confirment quAlexandre avait comment jusqula dernire particule du texte de la Physique.

    Il demeure que les nouveaux textes sont ainsi presque autant unecontribution aux tudes simpliciennes quaux recherches sur Alexandre. Pourla premire fois en effet, nous pouvons nous faire une ide un peu prcise de lafaon dont Simplicius utilise les commentaires sa disposition. Nous pouvonsdonc rpondre une question qui est peut-tre jusqu prsent trop reste danslombre : pourquoi Simplicius a-t-il rdig ses commentaires aristotliciens ?

    Commenons, avant de suggrer une rponse, par justifier la pertinence dela question. Elle ne va pas en effet de soi. Lorsque Simplicius crit soncommentaire la Physique, autour de 540, les philosophes grecs dans lorbite

    Maniaci, 2 vol., t. II, Spoleto, 1991, p. 475498, p. 486, n. 23 en part. (et pl. VII et X-XII).

    3. Le projet de Simplicius 23

  • alexandrine disposent du somptueux commentaire dAlexandre, de celui dePorphyre, peut-tre aussi de celui de Maxime, contemporain de Thmistius. Ilnest pas impossible que dautres commentaires anciens de lcole pripat-ticienne aient encore t disponibles. Ils peuvent aussi consulter, pour uneinformation synthtique sur luvre, la paraphrase de Thmistius. Ils ont enfinsous la main une production dcole du plus haut niveau, reprsenteaujourdhui par le commentaire de Jean Philopon.

    Une premire rponse consisterait dire que Simplicius a des thsesphilosophiques exprimer celles de lcole noplatonicienne de lAntiquittardive qui ne se trouvent dans aucun des commentaires conservs. Lecommentaire tant, cette poque, un vecteur de production, voire decration, philosophique, il tait normal que Simplicius sacrifit lui aussi auxrgles du genre. Cette rponse, ajoutera-t-on, est valable quelle que soit larponse que lon donnera la question du destinataire des commentaires deSimplicius : quil sagisse (comme cela parat vident) dune uvre purementlittraire ou dun texte destin lenseignement, Simplicius y exprime des vuespersonnelles. Cette rponse, comme toutes les banalits, nest pas fausse :Simplicius ntant en parfait accord ni avec Alexandre ni mme avec les lvesdAmmonius, il a crit une uvre o pouvait sexprimer, de la manire la plusexacte, sa propre doctrine.

    Cette prsentation des choses est toutefois anachronique. Elle sapparente la faon dont nous concevrions aujourdhui le sens dun commentairephilosophique sur un auteur classique. On dveloppera de nos jours uneinterprtation analytique, gntiste, psychanalytique, etc. dun auteur ou duneuvre du pass pour, ventuellement, se confronter une autre interprtation.Cest, la rigueur, ce que Simplicius fait avec Philopon. Le Grammairien advelopp une interprtation de la cosmologie aristotlicienne qui y voit (1)une erreur thorique massive et (2) une rupture radicale avec le platonisme.Simplicius dploie une nergie considrable pour dmontrer (1) que laprtendue erreur thorique nen est pas une et (2) que cet lment de doctrineest en accord avec Platon. Il serait maladroit de dire, en loccurrence, queSimplicius vise substituer son exgse celle de Philopon : il cherche plutt dtruire les affirmations de son collgue, les disqualifier, en se fondant sur uneanalyse plus rigoureuse des textes. Cest, mutatis mutandis, ce que fera lemoderne quand il disputera de linterprtation donner dun texte ancien.

    Le rapport de Simplicius Philopon ne constitue cependant quune partiedu problme. Car le commentaire de Simplicius la Physique contient surtoutun nombre incalculable de rfrences au commentaire dAlexandre dAphro-dise. Jusqu la dcouverte des scholies byzantines, nous ne pouvionsdterminer avec certitude le rapport de Simplicius sa source principale.Nous tions en effet contraints de nous fier aux renseignements que lui-mmevoulait bien nous donner quand il disait citer Alexandre. Nous tions par

    Chapitre 2 Les scholies24

  • ailleurs dans limpossibilit de nous prononcer sur le statut des autres passages,o nulle mention dAlexandre napparaissait. Or, les scholies nous permettentde reconstituer dans le dtail comment Simplicius travaillait. Ce dernieremprunte toute son interprtation littrale son prdcesseur. La division dutexte est la mme, linterprtation concide presque toujours, et systmati-quement quand le texte est sans enjeu idologique. Mme en faisant la part desvariations introduites par lauteur des scholies des fins de brivet, lacomparaison entre les scholies et Simplicius prouve que souvent, ce dernieradapte un peu sans toutefois introduire le moindre changement majeur cequil trouve chez Alexandre.

    Justifions cette assertion. Il est trs rare que le mot--mot entre nos scholieset Simplicius soit absolument identique lorsque Simplicius se contente de direde manire vague quil dpend dAlexandre. Il arrive en revanche assez peufrquemment dailleurs que Simplicius prouve le besoin de signaler quilcite Alexandre la lettre. Un passage de Simplicius, assez anodin, relve decette dernire catgorie et a un parallle dans S, fourni par la scholie 36 :

    Scholie 36 Simplicius, In Phys. 558.3437

    aqt 1m 2aut` jat sulbebgjr eWmaikcetai ftam eUg aqt C sulbebgjr timiC lqor timr f 1sti jah( art 1m aqt`tot\ toOto sulbbgjem7 oXom eQ b oWmor1m t` !lvoqe ? eUg r sulbebgjr C rlqor, b d( !lvoqer 1m t` oUm\ jah(artm. ovtyr cq #m b oWmor 1m art` jatsulbebgjr eUg, fpeq toO jah( art 1mart` emtor oqdm diavqei.

    b d )knamdqor cqvei ovtyr7 oXom eQ boWmor 1m t` !lvoqe? eUg r sulbebgjraqt` C r lqor aqtoO, b d !lvoqer 1mt` oUm\ jah( art. ovtyr cq #m b oWmoraqtr 1m 2aut` jat sulbebgjr eUg, fpeqtoO jah( art 1m 2aut` emtor oqdmdiavqei.

    Ce quon peut traduire ainsi :

    Quelque chose est dit en elle-mme paraccident quand elle est elle-mme ouaccident pour quelque chose ou partiede quelque chose qui est par soi dans celamme quoi cela arrive par accident : parexemple, si le vin est dans lamphorecomme un accident ou comme une partie,tandis que lamphore est dans le vin. Ainsi,en effet, le vin pourrait tre en lui-mmepar accident, ce qui ne diffre en rien dece qui est par soi en soi-mme.

    Mais Alexandre crit ce qui suit : parexemple, si le vin est dans lamphorecomme un accident ou comme une partie,tandis que lamphore est dans le vin. Ainsi,en effet, le vin pourrait tre en lui-mmepar accident, ce qui ne diffre en rien dece qui est par soi en soi-mme.

    Le mais de Simplicius sexplique parce que le commentateur a mentionnimmdiatement auparavant lopinion dAspasius. Ce faisant, Simplicius laisseclairement apercevoir quil a taill dans le texte dAlexandre. Car lexemple,

    3. Le projet de Simplicius 25

  • chez lui, nillustre rien, alors quil se rattache tout naturellement lnoncgnral dans la scholie. Cest un premier indice fort que la scholie est ici plusrespectueuse du texte dAlexandre. Mais un second lment est particulire-ment intressant. Alors quen rgle gnrale, Simplicius mentionne lopiniondAlexandre laide du verbe dire (vgsi, kcei, 5kece, eWpe, etc.), il se montreici soucieux, du fait que la discussion est surtout philologique, de citerAlexandre la lettre, ce quil indique par la mention il crit , cqvei. Cetexemple prouve a contrario quen cas de divergence entre une scholie et unecitation lche dAlexandre chez Simplicius, il ne faut pas ncessairementconsidrer la scholie comme moins fidle loriginal. Une tude au cas par cassimpose, tenant compte de paramtres stylistiques (ncessit de labrgement)et doctrinaux (raison de Simplicius pour fausser loriginal).

    Si pourtant lexplication dAlexandre dun passage coriace ne lui paratgure convaincante, il arrive que Simplicius, aprs lavoir scrupuleusementcite, propose une solution personnelle. Dans ces cas, la scholie correspond une interprtation que Simplicius prte Alexandre et rejette. En revanche,jamais, dans tout le corpus de scholies, on ne trouve un accord entre unescholie et Simplicius contre Alexandre apud Simplicium. Partout o la compa-raison est possible, la scholie et Alexandre cit par Simplicius saccordentcontre lopinion personnelle de ce dernier. Relvent de cette situation lesscholies 3 (cf. 14), 24, 31, 46, 54, 74, 93, 128, 141, 148, 164, 171, 172, 207,211, 238, 253, 254, 258, 263264, 316, 404, 477, 567, 570, 577, 586, 594,636, 688, 747, 798, 799. On peut ajouter cette liste les scholies 40 et 534,qui affirment lune et lautre une thse critique de manire anonyme parSimplicius. En comparaison du trs grand nombre de passages o Simpliciussuit Alexandre plus ou moins littralement, cette liste est bien rduite. Il nesagit que dajustements invitables de la part de quelquun qui, commeSimplicius, en dpit de toutes ses limites, demeure un professeur comptent.

    Tout change avec les passages idologiquement chargs. On peut reprertrois zones principales de contentieux : la doctrine du lieu et du temps, celle delme et du Premier Moteur, et celle de lorigine du monde. Ces rubriques nontpas le mme statut. Pour la premire, Simplicius soppose Alexandre maisconsidre que celui-ci interprte peu prs correctement la doctrine dAristote ;pour la deuxime et la troisime, il accuse Alexandre de forcer les textesdAristote : le coup de force se dploie dans un champ purement thorique dansle premier des deux cas, dans celui de lhistoire de la philosophie dans le second.

    Ce nest pas le lieu, dans un chapitre consacr lhistoire du texte, dedissquer les tenants et les aboutissants de lopposition de Simplicius Alexandre sur ces diffrents chapitres. La cohrence de lopposition estdailleurs vidente quiconque connat lhistoire de la philosophie delAntiquit tardive. Simplicius entend promouvoir, en physique et encosmologie, la version platonise de laristotlisme qui tait celle de Proclus

    Chapitre 2 Les scholies26

  • et de Damascius. Do lintrt, dans ce cadre, comme on le verra, dadopterpour guide la version essentialiste et eidocentriste de laristotlisme dfendue,contre Bothos de Sidon, par Alexandre. Il y a en effet, chez Alexandre, unembryon certain de hirarchie ontologique, un systme vertical couronn parle dploiement de formes toujours moins matrielles. Il suffira donc, enquelque sorte, de prolonger ce systme vers le haut en lui ajoutant quelquestages hypostatiques, et de trancher les indcisions dAlexandre sur le sens delecture de ldifice en insistant trs fortement sur lide que la causalit estdescendante. (Le dbat est cependant ici obscurci par le fait quAlexandre a destentations similaires, tandis que les Porphyriens, au fond assez conciliants aveclaristotlisme, adoptent souvent le langage oppos). On montrera danslintroduction doctrinale comment la polmique de Damascius, transmise parSimplicius dans ses corollaires, contre le lieu et le temps de la Physique,sinscrivait dans ce cadre, de mme que les rticences des Platoniciens enmatire de dynamique et danimation (cf. scholie 339 et nos commentaires auxscholies de VII 1 et de VIII). Point nest besoin dinsister non plus sur leurattitude dans les passages o Aristote est interprt par Alexandre souvent juste titre, de notre point de vue historique comme sen prenant unreprsentant de la philosophia perennis, Platon bien sr au premier chef, maisaussi Parmnide ou Empdocle et, dans une moindre mesure, Anaxagore(scholies 539, 561, 577). Dans ces cas, Simplicius commence par prsenterlexplicitation propose par Alexandre de la critique aristotlicienne, puis semet en peine dexpliquer pourquoi une telle exgse nest que superficiel-lement adquate. un niveau plus profond de comprhension des choses,Aristote saccorde avec Platon.

    Ds lors, le point le plus intressant de lentreprise de Simplicius nousparat tenir sa faon dimbriquer considration du rel, histoire de laphilosophie et stratgie textuelle. Le rel se compose, comme nous lenseignele Time, de deux grands domaines, lIntelligible et le Sensible. Ces deuxdomaines, dune certaine manire, coexistent et sont tous deux ncessaires laperfection du Tout. Cette coexistence ne signifie cependant bien sr pas quilssont sur un pied dgalit. Cest lIntelligible, sur lequel se sont concentrs lesOracles chaldaques et Platon, qui constitue le centre de gravit du systme.Cette coexistence se donne voir, au plan de lhistoire de la philosophie, dansla coexistence de Platon et dAristote. Correctement interprt, Aristote ne faitqulucider le sensible bien compris, cest--dire rgi par les structures delIntelligible explicites par Platon. Mais le fait de se concentrer sur le sensible,mme dans la suite de Platon, constitue dj un danger de dgradation, unrisque doubli risque qui se fait ralit, dailleurs, les noplatoniciens ycompris les plus conciliants ladmettent quelques reprises, certains endroits

    3. Le projet de Simplicius 27

  • du corpus du Stagirite53. Ce risque saccentue encore avec Aristote lu parAlexandre : le got (dplorable) pour linnovation progresse, lcart qui nousspare de la pristina philosophia se creuse. Mme si, dans une multitude depassages, Alexandre est parvenu lucider, au prix dun travail colossal, la lettresi obscure dAristote, il trahit le Philosophe en interprtant une diffrence deregistre comme un diffrend doctrinal. Alexandre se tient donc, au sens propre, la limite du tolrable. Il est le dernier philosophe antrieur la diffusion relledu christianisme (qui apparat comme problme pour les philosophes avecPorphyre, deux gnrations aprs Alexandre)54, et le dernier seuil avant la pertedu systme dans la verbosit philoponienne. Dans ce quil a de meilleur,Alexandre est la voix mme dAristote ; dans ce quil a de pire heureusementrestreint certains passages de son uvre , percent dj les accentsblasphmatoires du Grammairien. On peut reprsenter cette vision delhistoire de la philosophie de la manire suivante (on remarquera la positioncentrale dAlexandre dans ce schma idologique) :

    Cest cette position limite dAlexandre qui explique, daprs nous, sonimportance stratgique aux yeux de Simplicius. Alexandre constitue, au senspropre, le limes de la Doctrine. Il faut le consolider, cest--dire en vacuer lespierres gtes et en redresser les traves fausses, pour reconstruire, en

    53 Cf. H. D. Saffrey, Comment Syrianus, le matre de lcole noplatoniciennedAthnes, considerait-il Aristote? , in J. Wiesner (ed.), Aristoteles Werk und Wirkung,Paul Moraux gewidmet, 2 vols, t. II, Berlin / New York, 1987, p. 205214.

    54 Cf. H. D. Saffrey, Pourquoi Porphyre a-t-il dit Plotin ? Rponse provisoire , in L.Brisson, J.-L. Cherlonneix, et al. , Porphyre. La vie de Plotin, vol. 2, Paris, 1992, p. 3164.

    Chapitre 2 Les scholies28

  • conservant lidentique la masse des matriaux sains, la muraille qui protgerala philosophia perennis des attaques de la barbarie chrtienne reprsente parPhilopon. On devra donc, lintrieur mme du texte dAlexandre, insufflerlesprit du platonisme qui parcourt le vritable Aristote. Cest ainsi, au bout ducompte, que sexplique la diffrence du traitement allou , respectivement,Alexandre et Philopon. Celui-ci est disqualifi, rejet hors les murs, tandis quecelui-l est assimil. Alexandre devient, lintrieur de son propre commen-taire rcrit ce texte que nous dsignons dans nos catalogues comme lInPhysicam de Simplicius le porte-voix du Sensible bien compris, exactementcomme Aristote ltait dans son rapport Platon. Aussi luvre de Simpliciusnest-elle philosophique quen un sens trs spcial. Son commentaire laPhysique est une dition ad usum Delphini de celui dAlexandre, aux principesdicts par le credo de Syrianus, Proclus et Damascius. La tche que sassigneSimplicius se comprend seulement dans le cadre historique troubl des dernierstemps de lcole noplatonicienne, dernier lot de rsistance hellne auchristianisme triomphant55.

    Le projet idologique tait si puissant quil eut deux consquenceshistoriques majeures. La premire, cest que Simplicius a eu la force de lemener bien. Mme sil ne sagissait bien souvent, plus ou moins, que derecopier sa source, il ne faut pas sous-estimer la passion dogmatique ncessairepour proposer une lecture platonicienne dAristote stendant sur plus de deuxmille pages des Commentaria cest la puissance apostolique des grandsdoctrinaires56. La seconde fut la disparition effective de lIn PhysicamdAlexandre des rayons des bibliothques byzantines. Il ny a bien sr pas grandsens se demander si Simplicius voulait que son propre commentaire supplanttcelui dAlexandre. Il est en revanche certain quil souhaitait quon le ltcomme il lindiquait dans son uvre. La tradition manuscrite la exauc : leseul accs Alexandre, dans la sphre byzantine, ne fut plus fourni (si bien srlon excepte nos scholies), que par le commentaire de Simplicius. Larestauration appele de ses vux par Simplicius fut donc en un sens complte,mais lhistoire, comme on sait, est ironique : ce furent finalement desChrtiens qui assurrent pieusement la conservation dun texte conu lorigine pour endiguer leurs avances.

    55 Cf. H. D. Saffrey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien ,Revue des Sciences Philosophiques et Thologiques 59, 1975, p. 553563 et, du mme, Lethme du malheur des temps chez les derniers philosophes noplatoniciens , inSOVIGS LAIGTOQES chercheurs de sagesse . Hommage Jean Ppin, Paris, 1992,p. 421431. Lauteur montre bien, dans ces deux articles, comment les noplatoniciensdAthnes considraient que le christianisme finirait par disparatre. On comprenddautant mieux, dans ce cadre, la ncessit dorganiser la rsistance.

    56 Le rapport de Simplicius Alexandre nest dailleurs pas sans rappeler, mutatis mutandis,celui de Thomas dAquin Averros.

    3. Le projet de Simplicius 29

  • Introduction doctrinale

  • Chapitre IIIAlexandre et lunit de la Physique

    bibkom kcolem tkeiom, lgdm1mde ? t_m aveikmtym cqav/mai Alexandre, In Metaph. 412.1415

    1. La Physique dAristote est-elle scinde ?

    La Physique dAristote joue le rle dune introduction gnrale la philosophienaturelle ce grand corpus conu par Aristote pour stendre jusquauxrecherches biologiques et botaniques (cf. Meteor. I 2) , mais cest aussi uneuvre parfaitement autonome, construite dun point de vue architectonique,droulant sur au moins trois livres une preuve du Premier Moteur et de sesattributs fondamentaux.

    Le lieu principal de lambigut parat se situer dans linterprtation donner du livre IV. Celui-ci contient comme on sait trois traits , consacrsrespectivement au lieu, au vide et au temps. Il est encadr par le livre IIIconsacr au mouvement et linfini et le livre V consacr au mouvement.

    Le livre III commence par poser lobjet de la recherche : la nature (vsir).Comme cette notion prsuppose celle de mouvement ( jmgsir), il faudra traiterde ce dernier1. Mais comme le mouvement parat son tour indissociable decertaines squelles, il faudra en traiter aussi (peq t_m 1ven/r)2. Le texte, ici, sefait moins clair, oscillant entre le descriptif et le prescriptif. Aristote se contenteen effet de souligner la liaison (sans parfaitement la spcifier) entre mouvementet continu, continu et infini3 ; mouvement et lieu, vide, temps4. Il faudra donctraiter individuellement de toutes ces choses, dit en substance Aristote en unephrase assez obscure. Suit alors une justification dont le flou ne masque pastout fait la porte5 : une fois que ces notions, qui sont communes touteschoses (peq t_m joim_m, cf. une ligne plus haut : pmtym joim jajahkou), seront examines, on pourra faire porter lexamen sur des sujetsparticuliers (peq t_m Qdym).

    1 Phys. III 1, 200b 1215.2 Ibid. , 200b 1516.3 Ibid. , 200b 1620.4 Ibid. , 200b 2021.5 Ibid. , 200b 2125.

  • Il suit de l quaux yeux dAristote crivant ces lignes, la squence III 13(jmgsir), III 48 (%peiqom), IV 15 (tpor), IV 69 ( jemm) et IV 1014(wqmor) est arrte. Il sagit dun traitement gnral et commun, qui permettraensuite de rendre compte dtres, ou de choses, particuliers.

    Peut-on aller jusqu affirmer quAristote, au moment o il rdigelintroduction du livre III, na pas encore conu le projet daccoler quelquechose comme les livres V et suivants au livre IV ? La mention de la continuitrend cela peu probable. La justification du traitement de linfini aprs lemouvement tient la liaison que constitue entre eux le continu. Or celui-cibrille par son absence tout au long du livre III. Si donc Aristote navait en tteque la squence III-IV, on ne comprendrait pas bien cette mention du continusur le mme pied que le lieu, le vide et le temps. On doit par consquentsupposer au moins le projet dintgrer, lensemble III-IV, des dveloppe-ments du type de ceux quon trouve au dbut du livre V ou au livre VI.

    Toutefois, les premires lignes du livre V introduisent un nouveau dpart,sans rfrence au traitement du lieu et du temps qui prcde6. La suite desarguments est alors plus ou moins continue jusquaux preuves du livre VIII. Lemouvement est envisag tout dabord dun point de vue abstrait (livre V,conditions formelles), puis concret : dabord cinmatique (livre VI, conditionsde possibilit), puis dynamique (livres VII-VIII, conditions dexistenceeffective). Cest donc sans doute lors de ltude dynamique que lon envient examiner ce qui, vritablement, meut les tres et, par consquent,quon tudie des tres particuliers (cf. supra, peq t_m Qdym) : les moteurs.

    Une premire question qui se pose alors est celle de lunit de la Physique7.Sil est possible que lon soit en prsence de deux volets principaux, il nestfacile ni de dterminer leur ligne de partage ni mme de savoir dans quellemesure le premier volet contribue aux preuves du second. Il faut ici sentendre.On ne dniera pas que la preuve du Premier Moteur se fonde sur lexistencedu mouvement, ni que le mouvement ne mette en jeu temps, lieu etcontinuit. Il y a, de toute vidence, une justification didactique au chemi-nement de la Physique, signale plus ou moins explicitement par Aristote dansun passage comme lintroduction du livre III. Mais la question est plutt desavoir si les thories du lieu et du temps ont un rle galement apodictique dansla suite de luvre, cest--dire si les preuves du livre VIII ne sont consistantesqu la lumire des thories du lieu et du temps dveloppes au livre IV. On estdautant plus fond sinterroger sur ce point quAristote conoit dans les deux

    6 Phys. V 1, 2130. Certes, le d qui introduit ce passage rpond au lm qui introduit laphrase de clture de Phys. IV. Mais la liaison est, lvidence, artificielle.

    7 Pour une prsentation gnrale du problme, voir J. Brunschwig, Quest-ce que laPhysique dAristote ? , in F. De Gandt et P. Souffrin (eds), La Physique dAristote et lesconditions dune science de la nature, Paris, 1991, p. 1140.

    Chapitre I Alexandre et lunit de la Physique34

  • cas (lieu et temps) son projet comme un choix, dans une liste de dfinitionspossibles, de celle qui rend le mieux compte des donnes empiriques. On estdonc conduit se demander si, dans les motivations du choix opr, ne setrouveraient pas des exigences dictes par les dmonstrations du livre VIII. Ilne suffirait plus alors de dire que lon parle du lieu et du temps parce que le lieuet le temps sont des paramtres du mouvement, mais que lon choisit cettedfinition du lieu et cette dfinition du temps parce que ce sont elles, et ellesseules, dans lventail des dfinitions envisageables, qui permettent ladmonstration particulire du Premier Moteur dtre mene bien.

    Cette difficult dexgse est le reflet, dans lordre du texte, dun problmeplus diffus, quon peut dcrire comme la rencontre dune physique du gnralet dune cosmologie du particulier. Jentends par physique du gnral ltablissement de critres dexistence qui vaudront pour tout tre naturel, par cosmologie du particulier lentreprise de description des objets stables etindividualisables de ce monde (les sphres des lments, le ciel et leurcomportement respectif). Nous sommes face deux lectures possibles,fondationnelles lune de la physique en gnral, lautre de la preuve duPremier Moteur. La premire lecture tudie le lieu et le temps parce que cesont des attributs fondamentaux de tout tant sensible et aussi, dune certainemanire, parce que le lieu et le temps sont des ingrdients du mouvement. Laseconde, en revanche, verra dans le traiteme