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ISSN 2186-4284 Recueil d’études sur l’Encyclopédie et les Lumières 『百科全書』・啓蒙研究論集 N o 2 mars 2013 Société d’études sur l’Encyclopédie 『百科全書』研究会

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ISSN 2186-4284

Recueil d’études sur

l’Encyclopédie et les Lumières

『百科全書』・啓蒙研究論集

No 2

mars 2013

Société d’études sur l’Encyclopédie

『百科全書』研究会

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Repenser Albrecht von Haller comme « encyclopédiste »

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Repenser Albrecht von Haller comme « encyclopédiste » : Son intervention érudite, journalistique et scientifique

dans le Supplément à l’Encyclopédie

Motoichi TERADA

1. Introduction

Même les spécialistes des Lumières ne connaissent pas bien Albrecht von Haller. Avant d’en entamer l’analyse, il vaudrait mieux montrer qui fut Haller, en puisant dans les résultats très fructueux des recherches sur Haller, faites récemment avant tout à Berne, son pays natal et à Göttingen, où il a travaillé une vingtaine d’années comme professeur universitaire.

Ce Suisse est bien connu à titre de physiologiste ; sans doute pourrait-on le qualifier de meilleur physiologiste du XVIIIe siècle en Europe. Il y a beaucoup de critiques qui se rappellent cet homme de science comme un des plus grands poètes allemands avant le romantisme. Il y en a cependant peu qui connaissent Haller comme journaliste ou érudit. Je voudrais présenter d’abord son personnage en soulignant, avant tout, ces derniers aspects ignorés. Érudition

Haller est né en 1708 et mort en 1777 à Berne en Suisse. Il est donc presque contemporain de Rousseau et de Diderot. Une récente recherche mutuelle consacrée à sa vie, son œuvre et son époque présente le jeune Bernois, en citant la source, comme suivant : « In dem neunten Jahre hub er an, grosse Lexica […] zu verfertigen. […] Er verstunde am Ende des neunten Jahres […] das Griechische Testament ad aperturam1). » En 1718 le garçon fut inscrit au collège de la ville, avec un jugement

1) Steinke, Hubert ; Boschung, Urs et Pross, Wolfgang (éd.), Albrecht von Haller. Leben-Werk-Epoche, Göttingen, Wallstein, 2008, p. 17 : la note montre comme sources Bodemann 1885 [Von und über Albrecht von Haller : ungedruckte Briefe

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porté sur lui par l’inspecteur : « Haller « ohnerachtet seines zarten 10 jährigen alters, in betrachtung seiner guten gaaben fertiger Latinitet und besitzung der Griechischen Sprach » in… der Hohen Schule, aufzunehmen »2); c’est à dire, « accepter Haller au collège, malgré qu’il soit déjà âgé de 10 ans et physiquement fragile, en considérant pourtant qu’il est muni à la fois d’une géniale compétence latine et de l’apprentissage de la langue grecque3). » C’est ainsi que démarra son érudition dès sa première jeunesse.

Aussi Haller acquit-il naturellement la méthode suivante de recherche exhaustive qu’on pourrait qualifier d’érudite : « il [Haller] a lu, écrit-il dans une recension de son propre ouvrage, par ordre Chronologique tous les Auteurs […]. Il a ajouté à ses descriptions les noms de ces Auteurs, un précis de leurs découvertes, un jugement fort court sur la justesse de leurs opinions. Il a répété cette lecture jusqu’à trois fois pour les Auteurs les plus nécessaires4). » De là vient une remarque pertinente de Johann Georg Zimmermann qui publia la première biographie du savant suisse déjà en 1755 : « Daß von Hallern als Gelehrten alles ausgegangen sey was er gethan und gewirkt hat, glaube ich nicht ; aber alles was er that und wirkte, hat er allerdings einzig und allein durch das Medium des Gelehrsamkeit gewirkt5). » C’est-à-dire, « Je ne pense pas qu’il soit juste d’attribuer à Haller comme érudit tout ce qu’il a fait et réalisé. Malgré tout cela, on est obligé d’admettre que tous ses travaux ne se sont mis en œuvre qu’au moyen de son érudition. » Ainsi peut-on situer comme un des meilleurs fruits de ses activités non seulement scientifiques, mais encore journalistiques et érudites, son chef-d’œuvre : Elementa physiologiae. Même après celui-ci, le Bernois éditera pour résultat de longue haleine de recherches bibliographiques quatre Bibliothecae6) ; « a total of about seven thousand pages. He

und Gedichte Hallers sowie ungedruckte Briefe und Notizen über denselben, hrsg. von Eduard Bodemann, Hannover, C. Meyer, 1885], p. 87 et Zimmermann, Johann Georg, Das Leben des Herrn von Haller, Zürig, 1755, p. 7-10. Je traduis comme suit la remarque allemande en français, « à l’âge de 8 ans, il commença à se munir de grands dictionnaires. […] À la fin de 8 ans, il apprit ad aperturam le testament grec. » 2) Ibid., p. 18. 3) Ibid., p. 17-18. 4) Bibliothèque raisonnée, t. 29 (1742), partie 2, p. 271. 5) Steinke et al. (éd.), op. cit., p. 317. 6 ) Bibliotheca botanica (1771-1772), Bibliotheca anatomica (1774-1777),

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mentions not only books but also manuscripts and important papers in periodicals. For the Aphorisms of Hippocrates alone he cites 12 Greek, 37 Latin, 5 Arabic, and 6 Hebrew codexes located in Vienna, Paris, Oxford, and Cambridge, and mentions about five hundred printed editions7). »

Il est donc sous-entendu que Haller est au courant de l’histoire de l’antiquité, avant tout, celle de la médecine, si bien qu’il ose dire dans une recension, « Denis d’Halicarnasse raporte [sic] que dans les deux Pestes, qui desolèrent [sic] Rome, l’année 282 & 301 de sa fondation, les Médecins ne pouvoient suffire pour soulager les malades : & Valère Maxime dit, que dans les trois Temples de la Fièvre, très antérieurs à Archagathus, on consacroit de toute antiquité les Remèdes dont on s’étoit servi avec succès8). » Avant de finir la présentation de son érudition, je ne manquerai pas de constater qu’il avait une extraordinaire bibliothèque ; quand il est mort, le savant laissa plus de 20 000 livres9). Journalisme

Bibliotheca chirurgica (1774-1775) et Bibliotheca medicinae practicae (1776-1778). 7) Bay, J. Christian, « Albrecht von Haller. Medical Encyclopedist », Bull. Med. Libr. Assoc., 48 (1960), p. 401. 8) Bibliothèque raisonnée, t. 31 (1743), partie 2, p. 291. 9) Voir la carte 1 tirée de l’ouvrage, cité dans la note 1, édité par Steinke et al., p. 323.

1 Carte 1: la Bibliothèque de Haller Ü777)351 lieux de publication

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\ 23151 ouvragesNombre de mentions par lieu de publication:

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Pour ses activités journalistiques, je dois constater un fait extraordinaire : il a écrit toute sa vie plus de 9000 comptes rendus : « Allein für die GGA [Göttingischen Gelehrten Anzeigen] verfasste Haller gegen 9’000 Rezensionen von Büchern aus verschiedensten Wissenschaftsbereichen [Medizin, Botanik, mathematische, philosophische, theologische, naturhistorische, ökonomische, historische und belletristische Neuerscheinungen]10). » Dans ces 9000 sont comprises plus de 1000 recensions littéraires, consacrées non seulement à ses favoris écrivains anglais, tels que Shakespeare et Samuel Richardson, mais aussi à des écrivains français, tels que Diderot et Voltaire qu’il n’aime pas tellement à cause de « leur morale douteuse et du mépris des circonstances historiques11). » Voici quelques exemples :

Richardson, Clarissa (Bibliothèque raisonnée, 42 (1749)) Diderot, Le fils naturel (GGA) Voltaire, Candide (GGA) Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse (GGA) Goethe, Clavigo (GGA) 12).

10) Ibid., p. 182. C’est-à-dire, « Seulement pour la GGA Haller a rédigé 9000 recensions de livres de divers domaines de science [médecine, botanique, mathématique, philosophie, histoire naturelle, économie, histoire et belles-lettres]. » 11) Ibid., p. 184. 12) Pour mieux situer l’étendue géographique des activités de Haller à titre de critique littéraire, voir la carte 2 tirée aussi du même ouvrage édité par Steinke et al., p. 185.

Carte 2 : l'Étendue géographique des critiques littéraires d'après les lieux de publication1030 ouvrages/recensions'96lieux Nombre de recensions par lieu .

• 1-2 .3- 10 .,,- 30 .31 - 75 • 76- 150. > 150

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Actuellement les spécialistes de Haller connaissent très bien l’existence du fameux Hallers Netz13), pour que le Bernois puisse acquérir comme une araignée constamment des nouvelles à la fois scientifiques et culturelles de l’Europe entière14). Selon Florence Catherine15), Haller échange habituellement lettres, journaux, revues, ouvrages, exemplaires avec des intellectuels européens : suisses, allemands, français, anglais, italiens, etc. Il s’approprie suffisamment les informations reçues à travers cette correspondance pour rédiger continuellement des recensions. Par conséquent, « La rédaction de comptes rendus d’ouvrages scientifiques français [on peut paraphraser, « européens »], publiés dans les Göttingische Gelehrte Anzeigen, organe de l’université de Göttingen, est l’expression de leur réception dans la pensée hallérienne, matérialisant l’aboutissement de leur circulation16). »

Pour mieux comprendre ses activités journalistiques si énergiques, il faut les situer dans un contexte historico-géographique, avant tout, de Göttingen, une nouvelle ville universitaire qui commençait seulement à se développer depuis 1735.

13) Le numéro IX (2005) de Studia Halleriana consacré à ce thème. 14) Pour savoir le réseau de communication de Haller répandu dans l’Europe entière, voir la carte 3 tirée également de l’ouvrage édité par Steinke et al., p. 383. 15) La pratique et les réseaux savants d’Albrecht von Haller (1708-1777), vecteurs de transfert culturel entre les espaces Français et Germaniques au XVIIIe siècle, Thèse pour le doctorat d’histoire, Université Nancy 2, 2009, 634 p., Ill. 16) Ibid., p. 346.

Carte 3 : la Correspondance de Haller (1724-1777)447 lieux d'expédition -:..13241 lettres à Haller de 1

Il % correspondants i'Nombre de lettres par lieu d'expédition

• 1-2 • 3-10 • 11-50 • 51-100. 101-500 .• >50

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« La bibliothèque devint rapidement l’une des plus universelles d’Europe. Partie de 12 000 ouvrages en 1734, elle rassemblait environ 150 000 titres à la fin du siècle (à la même époque, la bibliothèque universitaire de Cambridge en comptait 30 000, et celle de Halle, 12 000). Sa croissance annuelle à partir des années 1760 était en moyenne de 2000 ouvrages17). » Cette unique atmosphère pleine de vivacité rendit possible la performance journalistique extraordinaire de Haller. Deux recherches remarquables concernant Haller comme « encyclopédiste »

La recherche de Erich Hintzsche (« Albrecht von Hallers Tätigkeit als Enzyklopädist », Clio Medica, I (1966), p. 235-254) est un travail vraiment précurseur réalisé à l’époque où les dix-huitiémistes ne s’intéressaient guère au savant bernois. Après avoir bien établi à travers une lecture précise de sa correspondance l’histoire de la participation de Haller au Supplément et à l’Encyclopédie d’Yverdon, il fixe une liste presque définitive d’articles écrits par le physiologiste et en donne à la fin de son article une analyse pertinente. En conclusion, il porte le jugement suivant : « Umso wertvoller aber ist es, daß sich in den Supplementbänden der Pariser Enzyklopädie und in der Yverdoner Enzyklopädie authentische Äußerungen Hallers aus seinen letzten Lebensjahren finden, die in knapper Form, aber wissenschaftlich genau, die wesentlichen Ergebnisse seiner anatomisch-physiologischen und embryologischen Forschungen enthalten, und uns über seine Einstellung zu den allgemeinen Problemen der damaligen Medizin unterrichten18). » Cette conclusion me semble exacte mais se

17 ) Saada, Anne, « La construction du réseau universitaire de Göttingen : un observatoire exemplaire pour les circulations internationales », Les Circulations internationales en Europe, années 1680-années 1780, Rennes, Presse Universitaires de Rennes, 2010, p. 354). 18) Hintzsche, Erich, « Albrecht von Hallers Tätigkeit als Enzyklopädist », Clio Medica, I (1966), p. 252. Je traduit le texte en français : « Il est donc encore plus valable que dans les tomes du Supplément à l’Encyclopédie de Paris et dans l’Encyclopédie d’Yverdon se trouvent les propos authentiques de ses dernières années de la vie ; ceux-ci englobent dans une forme condensée mais de façon scientifique et pertinente le résultat essentiel de ses propres études anatomico-physiologiques et embryologiques, et ils nous apprennent sa position par rapport aux problèmes universels de la médecine de cette époque. »

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limite un peu trop étroitement au cadre scientifique. Bref, Hintzsche néglige les aspects journalistique et érudit des articles hallériens.

Nathalie Vuillemin, quant à elle, considère que « Les 216 articles rédigés par Haller […] constituent un véritable compendium de son œuvre médicale ; on y trouve en effet l’essentiel des résultats scientifiques accumulés par le savant bernois tout au long de sa carrière. » Et elle remarque pertinemment les intentions rectificatrices de Haller : « Les interventions de Haller frappent en effet par leur minutie et la volonté du Bernois de rectifier jusqu’aux moindres détails une connaissance médicale qui, dans l’Encyclopédie de Paris, lui paraît défectueuse19). » Cependant, elle souligne aussi plutôt la scientificité du physiologiste que son journalisme et son érudition, malgré l’insistance judicieuse suivante : « Beaucoup plus détaillée que le parcours de Tarin dans l’édition parisienne, l’histoire de l’anatomie proposée par Haller consiste surtout en une actualisation des informations fournies par l’Encyclopédie. […] L’importance, aux yeux de Haller, de l’actualité des informations contenues dans un ouvrage encyclopédique est ici évidente20). » Vuillemin aperçoit dans l’intervention hallérienne ainsi très bien l’intention journalistique de mettre à jour les informations.

Quant à moi, je voudrais examiner dans cet article le journalisme et l’érudition aussi bien que la scientificité qui se trouvent dans les articles supplémentaires de Haller. Avant d’entrer dans le cœur de l’analyse, je me permets de souligner l’importance de ces deux aspects à titre de perspectives pour étudier l’ensemble de l’Encyclopédie. D’abord, Jacques Proust reconnaît la formation de l’encyclopédisme dans le croisement des deux courants : l’érudition critique et l’exploitation de la nature.

Les volumes d’Histoire et Mémoires contiennent côte à côte les extraits qu’il [Fontenelle] fit des mémoires sur les sciences et les arts, et les « éloges » qu’il consacra à la mémoire des philosophes disparus. Ceux-ci sont restés fameux,

19 ) Vuillemin, Nathalie, « L’écriture encyclopédique d’Albrecht von Haller », Albrecht von Haller zum 300. Geburtstag, éd. par Jean-Daniel Candaux, Alain Cernuschi, Anett Lütteken, Jesko Reiling (Schweizerische Gesellschaft zur Erforschung des 18. Jahrhunderts : Themenheft, 1 (2008), p. 78. 20) Ibid., p. 81.

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ceux-là méconnus, mais les uns et les autres sont également dignes de représenter les deux courants de la pensée qui vont de la Renaissance à l’Encyclopédie et que jalonnent d’un côté Montaigne, les libertins, Bayle, Deslandes, Brucker, de l’autre Barba, Ramelli, Corneille, Chambers : d’un côté l’histoire critique de l’esprit humain et du progrès des lumières, de l’autre l’inventaire critique des ressources de la nature et des usages que l’homme peut en faire. Ces deux courants sont encore parallèles dans l’œuvre de Deslandes. Chez Fontenelle ils commencent à se confondre ; ils se confondent déjà21).

Plutôt dans le courant de l’érudition, on peut inclure le nom de Robert James, auteur du Dictionnaire universel de médecine, très bien analysé par Tatsuo Hemmi comme une des sources de l’Encyclopédie22).

Quant à Marie Leca-Tsiomis, elle souligne dans son chef-d’œuvre, Ecrire l’Encyclopédie, les relations intimes entre le journalisme et le dictionnaire universel.

Par bien des côtés en effet, le travail de journaliste s’apparente à l’activité dictionnariale ; contenu, destination, rapprochent les journaux de l’époque et les dictionnaires universels. […] Journaux et dictionnaires ont, avant tout peut-être, une pareille destination : faire savoir, renseigner un public grandissant, en lui épargnant, bien souvent, la lecture des ouvrages ; compiler, trier, extraire, résumer pour lui, bref avoir lu pour son lecteur23). Ces deux remarques savantes font ressortir l’érudition, le journalisme et la

science (y compris les arts mécaniques) comme interfaces entre Haller et l’Encyclopédie. Ce n’est pas peut-être par hasard. Je pense hypothétiquement que 21) Proust, Jacques, L’Encyclopédie, Paris, Armand Colin, 1965, p. 40-41. 22 ) Hemmi, Tatsuo, « Usages du Dictionnaire de médecine de James dans l’Encyclopédie », exposé, pas encore publié, fait le 10 mars 2012 dans le cadre du Séminaire, La Manufacture encyclopédique, organisé par Marie Leca-Tsiomis (CSLF, Paris Ouest-Nanterre) et Irène Passeron (SYRTE, CNRS) avec le concours de la Société Diderot. 23 ) Marie Leca-Tsiomis, Ecrire l’Encyclopédie. Diderot : de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, p. 38.

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l’essentiel des Lumières se situe au moins dans l’ensemble de ces trois courants. Laissant de côté, pourtant, cette problématique globale dans cet article, je mettrai en analyse la contribution hallérienne pour que cette trinité se découpe dans le cas particulier du Bernois.

2. Érudition, journalisme et science dans l’intervention hallérienne.

Je n’analyserai que 86 articles rédigés par Haller exclusivement pour le Supplément à l’Encyclopédie de Paris. Voir l’annexe 1. Selon Alain Cernuschi, pour les tomes I-II, A-E du Supplément entre 1769-1772, le savant bernois en écrit 86 dont deux apparaissent à part soit dans le tome III soit dans le tome IV peut-être pour une raison supposée par Cernuschi même :

[Les derniers] deux articles qui n’ont pas de correspondants dans l’édition d’Yverdon ; cette énigme apparente s’éclaire si l’on considère l’intitulé des textes en question. Le premier est GLANDES de Cowper ; or, l’article de l’édition de Paris que Haller complète est l’article COWPER, (glandes de) ; et dans le Supplément de Bouillon, on trouve sous cette entrée le renvoi suivant : »§ COWPER (GLANDES DE), Anatomie. Voyez au mot GLANDES dans ce Suppl. une addition importante à cet article du Dictionnaire rais. des Sciences, &c.« Haller a donc livré cet article pour la lettre C ; s’agit-il d’une de ces coupes dont Haller se plaignait, et que Robinet a compensée ensuite ? On peut faire le même raisonnement avec l’article RENALE du Supplément, dont la suite de l’intitulé précise »arteres rénales, veines rénales« ; l’article est sans doute lié à la lettre A24).

À partir de 1772, il se décida à contribuer à l’Encyclopédie d’Yverdon au lieu

du Supplément de l’équipe de Bouillon. Pour celle-là seule Haller rédigea selon

24 ) Cernuschi, Alain, « Le corpus des articles encyclopédiques de Haller : établissement définitif et histoire de la rédaction », Albrecht von Haller zum 300. Geburtstag, éd. par Jean-Daniel Candaux, Alain Cernuschi, Anett Lütteken, Jesko Reiling (Schweizerische Gesellschaft zur Erforschung des 18. Jahrhunderts : Themenheft, 1 (2008), p. 102.

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Cernuschi 130 articles25). L’Encyclopédie d’Yverdon fut publiée normalement, par contre le Supplément fut retardé : « tout au long de la publication volumes après volumes de l’édition conduite par De Felice, l’équipe de Bouillon repère et recopie les nouveaux articles de Haller (et beaucoup d’autres aussi, d’ailleurs) afin de compléter la contribution et dissimuler la rupture de collaboration26). » C’est la raison pour laquelle il existe 104 doublets entre les deux. Au total ces 320 ou plutôt 216 articles ont été analysés ensemble par Hintzsche aussi bien que par Vuillemin. Quant à moi, j’examinerai seulement les 86 premiers, parce que ceux-ci furent rédigés pour compléter et rectifier les articles préexistants ; par contre, les 130 derniers furent « de moins en moins conçus comme des additions […] et de plus en plus comme des articles entièrement refaits […]27). » En respectant le fait suivant signalé par Cernuschi : « Lorsqu’il collabore à la refonte d’Yverdon, Haller devient véritablement un encyclopédiste qui organise une contribution d’ensemble », je voudrais laisser de côté ces 130 pour le moment.

2.1. Science

Les 86 articles ne concernent apparemment que l’anatomie et la physiologie. Il s’agit là normalement d’additions ou de rectifications. Ils ne semblent être rien d’autre qu’une intervention scientifique. Dans une perspective globale, la constatation suivante de Vuillemin est judicieuse : « Les critiques formulées par Haller à l’égard des encyclopédies de Paris et d’Yverdon s’arrêtent systématiquement sur les lacunes et les inexactitudes des articles 28 ). » Thématiquement parlant, il s’y agit surtout de la circulation sanguine et du réseau de vaisseaux ainsi que de la problématique concernant l’irritabilité et la sensibilité. Le premier sujet est examiné dans les articles tels § ANASTOMOSE, § AORTE, CIRCULATION, et le dernier dans les articles tels § ANIMAL, § ARTERE, § CŒUR. De plus, le savant bernois s’intéresse particulièrement aux additions de nouvelles connaissances. On peut donc consulter les entrées telles

25) Voir la liste qui se situe à la fin du même article de Cernuschi, p. 106-107. 26) Ibid., p. 101. 27) Ibid., p. 103. 28) Vuillemin, op. cit., p. 78, note 5.

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§ ARYTHÉNOÏDES (CARTILAGES), CIRCULATION, § DIASTOLE. Mais ce qui me semble plus remarquable, ce ne sont pas des articles

particulièrement techniques, mais plutôt ceux qui contiennent des descriptions plus étendues. Il s’agit en effet des descriptions concernant l’histoire des sciences, l’anatomie comparée et l’embryologie, dont l’importance n’est pas bien soulignée ni par Hintzsche ni par Vuillemin. En ce qui concerne l’histoire des sciences, il s’agit des articles § ACCOUCHEMENT, § DÉFÉRENT, CANAUX DÉFÉRENS, § ÉPIGASTRIQUE (REGION), avant tout, § ANATOMIE. Mais considérant qu’il existe une grande promiscuité entre l’histoire des sciences et l’érudition, j’en traiterai plus tard. Je passe donc à l’anatomie comparée. Il faut souligner qu’il s’agit ici d’une perspective comparative et relationnelle en même temps que d’une perspective hiérarchique et structurelle. Quelques descriptions comparatives se trouvent presque partout dans l’ensemble des importants articles anatomiques du Supplément. J’en tire une représentative pour montrer la double perspective à la fois relationnelle et structurelle : « Tous les animaux un peu considérables en [de l’estomac] sont pourvus, la classe des quadrupedes, celle des oiseaux & des poissons, un grand nombre d’insectes & quelques-uns des animaux informes qui habitent dans la mer. Les animaux cylindriques ont un intestin sans avoir d’estomac ; il y a des animaux marins qui en sont dépourvus, & généralement les polypes & les animaux microscopiques n’ont aucune différence dans le calibre de leur canal alimentaire. » (Supplément à l’Encyclopédie, II, 873b) On peut comprendre facilement que Haller hiérarchise les animaux en comparant différentes façons dont ils sont pourvus ou non d’estomac. Dans l’article § ANASTOMOSE, par exemple, se trouve le même point de vue structurel duquel le physiologiste constitue une hiérarchie d’anastomoses. De plus, cette double perspective se fonde sur la conception suivante de la nature : « La même main qui a armé l’Animal, a fait l’homme : des Loix générales dominent sur toute l’étendue de la Nature, elles exécutent les effets les plus différens avec une uniformité que nous découvrons de plus en plus29). » De là vient le postulat, chez Haller, de l’unité et la diversité dans la nature, ainsi qu’une pansophie diversifiée, autrement dit l’érudition, dans l’esprit. Je trouve donc très pertinente cette remarque d’Otto Sonntag et Hubert Steinke : « Ce n’était pas

29) Bibliothèque raisonnée, t. 30 (1743), partie 1, p. 436-437.

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seulement un principe fondamental de l’anatomie hallérienne, d’exécuter une recherche comme une affaire érudite, mais c’était tout un postulat central de sa science, qu’il ne pouvait pas considérer comme secondaire30). »

Je passe ensuite à l’embryologie. Il s’agit pour corollaire d’une perspective diachronique, autrement dit, unité et diversité dans le temps. Par rapport à l’anatomie comparée, l’embryologie n’a pas de présence tellement importante, mais on trouve, par exemple, dans l’article § ACCROISSEMENT, une vision temporellement diversificatrice des animaux. « L’accroissement du fœtus, animé par le secours du mâle, devient très-considérable. Le cœur lui-même, jusqu’ici invisible, commence à paroître depuis l’heure douzieme de l’incubation. Les premieres vingt-quatre heures de cette douce chaleur, portent l’embryon au-delà même du quadruple de sa grandeur. On ne sauroit donner plus de quatre centiemes de pouce au fœtus qui n’a pas encore joui des avantages de l’incubation, & il en a dix-huit à la fin des vingt-quatre heures. » (Supplément, I, 125b-126a) Ici sans doute se rappelle-t-on la fameuse anatome animata de Haller. Pour lui, selon Peter Eckhard Knabe, l’anatomie n’est pas suffisante « pour expliquer le fonctionnement de l’être vivant. La vie implique des propriétés telles que la réaction, la résistance, l’équilibre, les propriétés générales de régulation et de renouvellement : propriétés que le pur déterminisme physique passe sous silence31). » Cette perspective diachronique est en relation intime avec le journalisme : le postulat de mettre à jour les connaissances qui changent et se renouvellent au jour le jour. Le compte rendu est donc une activité commune à l’embryologie et à l’anatome animata, car il essaie de saisir pour ainsi dire la scientia animata, autrement dit les informations journalistiques, en l’extrayant, compilant et critiquant32).

30) C’est moi qui traduis en français le texte original, « Forschung als gelehrtes Geschäft zu betreiben war nicht nur ein Grundprinzip von Hallers Anatomie, sondern überhaupt ein zentrales Postulat seiner Wissenschaft, das er auch wie kaum ein Zweiter umsetzte. » (Sonntag, Otto et Steinke, Hubert, « Der Forscher und Gelehrte », Steinke et al. (éd.), op. cit., p. 322) 31) Knabe, Peter Eckhard, « Un esprit universel des lumières européennes : Albrecht von Haller (1708-1777) », The Enlightenment in Europe. Les Lumières en Europe. Aufklärung in Europa : Unity and Diversity. Unité et Diversité. Einheit und Vielfalt. Edited by / édité par / herausgegeben von Werner Schneiders, Berlin, Berliner Wissenschaftsverlag, 2003, p. 350. 32) Je consulte ici cette remarque de Claudia Profos, « Das Rezensieren, d. h. das

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Après avoir examiné en détail l’anatomie comparée et l’embryologie dans les articles de Haller, j’ai bien trouvé les points épistémologiquement communs entre ces deux sciences d’un côté et l’érudition et le journalisme de l’autre. Il s’agissait de deux perspectives à la fois spatiale et temporelle ; mais toutes les deux poursuivent l’unité et la diversité.

2.2. Érudition

En fin de compte, dans l’article § ANATOMIE du Supplément, l’érudition semble être devenu si j’ose dire une eruditio animata. Comment l’érudition encore comparative et hiérarchique s’est-elle appropriée un moment temporel pour se transformer en eruditio animata ? On espère trouver une réponse judicieuse dans l’article § ANATOMIE. Je me mettrai ainsi à analyser ce texte.

L’article est constitué dès le début jusqu’à la fin par le Supplément à l’Histoire abrégée des progrès de l’Anatomie. Cette très longue histoire de l’anatomie (plus de 20 pages in folio, p. 393a-414b) a été préparée depuis très longtemps selon le témoignage de Haller lui-même :

Peu touché de la vanité d’être cru original, Mr. Haller se fit un plaisir d’alléguer ceux qui l’avoient éclairé, ou qui même ne l’avoient que prévenu. Il se livra peu-à-peu au travail de ranger sous chaque description les Inventeurs, en ordre Chronologique, pour rendre à chaque Anatomiste, ce que celui-ci avoit trouvé dans la Nature même33).

Après avoir traité de l’anatomie égyptienne et de l’anatomie gréco-romaine de

façon assez concise, Haller rend compte en détail, anatomiste par anatomiste, de l’histoire moderne de l’anatomie. L’histoire ancienne montre déjà très bien l’érudition du savant bernois avec cette remarque : « Une expérience anatomique suppose des vues, des recherches & des connoissances ; on ne parvient guere à connoître une vérité détaillée, sans connoître en même tems les vérités du même

Exzerpieren, Kompilieren und Kritisieren, war für Haller die Grundvoraussetzung seiner wissenschaftlichen Tätigkeit. » (Steinke et al., p. 196) 33) Bibliothèque raisonnée, t. 33 (1744), partie 1, p. 43.

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rang qui l’avoisinent, & qui font un tout avec elle. On ne sait pas une démonstration d’Euclide sans connoître celles qui la précedent. » (Supplément, I, 393b)

L’histoire moderne est constituée par une série de remarques pertinentes sur plusieurs centaines d’anatomistes qui ont vécu du XVe au XVIIIe siècle. Voici des commentaires représentatifs : sur Vésale, « il osa s’élever contre l’autorité dans un siecle où elle pouvoit tout ; il découvrit plusieurs des erreurs de Galien, & il mérita d’être copié par presque tous les anatomistes de son siecle & du siecle suivant » (Supplément, I, 394b) ; sur Gabriel Faloppia (Fallope) de Modena, « il a suivi en tout la nature, a fait une infinité de découvertes, & a réuni avec tant de talens une modestie sans exemple. […] Ses Observations anatomiques sont un ouvrage unique qu’aucun autre n’a effacé » (Supplément, I, 394b-395a) ; sur J. Baptiste de Helmont, « Il mérite d’être lu pour les faits détachés, & souvent uniques, dont ses ouvrages sont remplis ; il réussit cependant mieux à détruire qu’à élever » (Supplément, I, 397a) ; sur Marcel Malpighi, « Il a trop étendu l’universalité des glandes : à ses yeux tous les visceres en étoient composés ; il a cependant donné une très-bonne description des glandes simples. L’anatomie de la langue est vraie par rapport aux animaux ; il y a bien des choses à corriger avant que de l’appliquer à l’homme. […] il faut lire Malpighy pour s’instruire, mais avec une juste defiance » (Supplément, I, 398a) ; sur Fréderic Ruysch, « Il réussit mieux dans les planches que dans les descriptions ; il y manque le détail & une certaine lumiere, que le génie sait allumer & que le travail seul ne produit pas » (Supplément, I, 399a), etc. Ces remarques concises et essentielles se portent même sur des anatomistes encore vivants au moment de la rédaction, y compris Haller lui-même : par exemple, sur Abraham Trembley, « Il a fait sur ces animaux un nombre considérable d’expériences très-fines & très-lumineuses. Le monde apprit par le succès de ses expériences, qu’il y a des animaux qui, comme les plantes, poussent des bourgeons dont se forment de nouveaux animaux » (Supplément, I, 411b) ; sur lui-même, « Mémoire sur les parties sensibles & irritables ; ce mémoire a fait époque, & a attiré à son auteur bien des ennemis & bien des apologistes. Il réduit l’irritabilité à la seule fibre musculaire, & ne trouve de sentiment qu’aux nerfs ; il le refuse à la dure-mere, à la plevre, aux tendons, au périoste, &c. » (Supplément, I, 407b)

On ne peut pas ne pas constater que cette histoire de l’anatomie est un des résultats de ses activités à la fois érudites et journalistiques. Selon son propre

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témoignage, « Depuis 1727 j’ai formé un recueil, qui contient 4 à 5000 jugemens : c’est là-dessus que j’ai cru pouvoir fonder mes Commentaires sur la Méthode d’étudier. J’ai augmenté ce recueil de tous les jugemens que j’ai trouvés dans les Journaux, dont l’Europe a été abondamment pourvue depuis cent ans ; j’en ai fait des extraits, & des suplémens à ce qui manquoit à mes lectures. Le Journal des Savans, les Acta Eruditorum, le Giornali de Letterati, tant d’autres Journaux ont servi à mes fins34). » Sans aucun doute Haller fit le même travail pour rédiger cette sorte d’histoire. Celle-ci est toujours vivante aussi longtemps que l’auteur survit, en s’appropriant des informations chaque jour renouvelées, par conséquent mouvantes.

2.3. Journalisme

Je pose d’abord une question : qu’est-ce que le journalisme pour Haller ? Dans la Bibliothèque raisonnée il donne quelques réponses. Par exemple, c’est de « parler avec cette équité que le Public demande d’un Journaliste35). » Quant au but du journalisme, il dit, « quel autre but plus raisonnable dans un Journaliste, que de leur [à la vérité & à ses amateurs] attirer l’estime du Public ?36) » Dans ce sens-là on doit qualifier de journalistique sa contribution au Supplément visant à rectifier les descriptions douteuses qui se trouvent dans les articles anatomiques et physiologiques de l’Encyclopédie.

Cependant, pour mieux situer le journalisme de Haller par rapport aux dictionnaires universels, il vaudrait mieux sortir du cadre étroit hallérien et consulter de nouveau l’ouvrage de Leca-Tsiomis :

Mais ce qui se transporte également, des périodiques aux dictionnaires, c’est une extraordinaire rapidité de réaction : moins d’un an après la publication d’un ouvrage, profondément novateur comme le fut l’Essai de Locke, le voici déjà assimilé par le Dictionnaire [universel de Basnage] ; c’est le rythme des journaux transporté dans l’in-folio...37)

34) Ibid., t. 47 (1751), partie 1, p. 126. 35) Ibid., t. 31 (1743), partie 2, p. 269. 36) Ibid., t. 34 (1745), partie 1, p. 117. 37) Leca-Tsiomis, op. cit., p. 46.

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Aussi Haller comme journaliste ainsi que comme « encyclopédiste », s’oblige-t-il à mettre à jour les connaissances scientifiques pour s’adapter à cette vitesse. Je viens de montrer dans la section de science cette sorte d’adaptation que le savant bernois osa réaliser avec une vitesse et assiduité incroyable.

De là provient une attitude très rigoureuse chez Haller : distinguer les prioritaires des épigones. Par exemple, dans l’article GLANDES de Cowper, « Ces glandes avoient été, dit-il, apperçues [sic] dans le hérisson par Coster ; dans le belier par Wepter ; dans plusieurs animaux par les académiciens de Paris & par Malpighi […]. On les attribua à Cowper, parce que ce chirurgien en a donné une assez bonne figure, qu’il a dessinée lui-même, & qu’il en a détaillé la figure & le conduit. » (Supplément, III, 235b)

Mais il ne faut pas oublier qu’il existe aussi chez le Bernois un journalisme plus populaire. Voici un propos de Haller : « Un Journaliste écrit pour tout le monde, il écrit même préférablement pour un Public, qui ne demande que la fleur des choses […]38). » Il est donc nécessaire pour un journaliste d’écrire ce que préfère le public de façon facile à comprendre. Le lexicographe Haller écrit dans l’article § EMPHYSÈME la singuliere relation de M. Galandat, chirurgien à la côte de Quaqua, disant que « Les médecins Negres font naître un emphyseme artificiel, qu’ils croient salutaire contre plusieurs maladies, comme la maladie hypochondriaque, le rhumatisme […]. Il est assez difficile de trouver le mécanisme par lequel l’air soufflé sous la peau, peut guérir la maladie hypochondriaque » (Supplément, II, 803a) ; quant au journaliste, il donne sur la médecine amérindienne dans une de ses recensions la remarque suivante : « Les Médecins Indiens ne se soucient ni du Pouls ni de l’Urine : ils ne saignent point, & ils ignorent l’usage des Cautères & des Ventouses. En récompense, ils aiment les Bains chauds, & ils se servent des Purgatifs les plus forts39). » Ainsi répond Haller à la curiosité en gardant en même temps sa scientificité et son érudition.

On trouve aussi dans l’article § ÉPIDIDYME un journalisme esthétique, qui essaie de répondre cette fois à la curiosité esthétique du public : « La beauté de la structure de cette partie mérite un détail […]. Il y a entre trente & quarante de ces 38) Bibliothèque raisonnée, t. 35 (1745), partie 1, p. 20. 39) Ibid., p. 384.

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cônes : chacun est composé d’un seul vaisseau plus gros que celui dont est composé l’épididyme & replié sur lui-même […]. Il se forme par ces replis multipliés un corps un peu comprimé […]. » (Supplément, II, 818a-818b)

Dans le Supplément le journalisme du savant bernois semble grosso modo tributaire de la science. On peut pourtant y trouver un journalisme visant à la diversité qui nous rappelle l’ensemble multiforme de ses recensions.

3. Conclusion

Haller insiste toujours sur l’importance de l’expérience et de l’observation de façon rigoureuse. Il ne laisse passer aucune lacune ni inexactitude. En apparence sa scientificité semble être assez limitée et qualifiée d’empirique ou plutôt d’expérimentale. Notre analyse de l’intervention scientifique de Haller dans le Supplément souligne une autre perspective scientifique plus ouverte chez le Bernois. La science pour lui est à la recherche à la fois de l’unité et de la diversité dans la nature, diachroniquement ainsi que synchroniquement. De ce côté-là la science hallérienne maintient bien la possibilité de se combiner à l’érudition et au journalisme ; car l’érudition poursuit une pansophie différenciée non seulement de la nature mais aussi de l’histoire et de la culture dans une perspective plutôt spatiale, par conséquent relationnelle et structurelle ; quant au journalisme, il cherche à compiler, trier, extraire et rectifier diverses informations et à les mettre à jour dans une perspective temporelle. Le journalisme hallérien s’oriente vers l’unité, autant qu’il poursuit la vérité de façon un peu austère, mais il se dirige vers la diversité, autant qu’il essaie de répondre à différentes curiosités du public. D’ailleurs au XVIIIe siècle le journalisme et l’érudition s’absorbent l’un l’autre grâce au développement du réseau de communication et le rythme des journaux est transporté dans l’in-folio. De là provient une eruditio animata, érudition qui poursuit l’unité et la diversité au sein de l’ensemble des connaissances dans une perspective relationnelle, structurelle et diachronique.

Ainsi peut-on qualifier Haller d’« encyclopédiste » même dans ses interventions présentées dans le Supplément à l’Encyclopédie, car le physiologiste n’y montre pas seulement « le résultat essentiel de ses propres études » du point de vue étroitement scientifique, comme soulignent Hintzsche et Vuillemin, mais aussi

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de sa façon particulière l’érudition et le journalisme, ces deux aspects représentatifs de l’encyclopédisme de l’époque, mis en relief, comme nous avons vu, par deux spécialistes remarquables de l’Encyclopédie, Proust et Leca-Tsiomis. L’eruditio animata qui caractérise en fin de compte l’intervention de Haller dans le Supplément, se trouvera-t-elle également dans ses 130 articles contribués à l’Encyclopédie d’Yverdon ? Laissant de côté cette question à laquelle je prévois de m’attaquer dans un futur proche, je conclus cet article en signalant que l’eruditio animata de Haller qui se trouve dans le Supplément représente excellemment la trinité encyclopédique : science, érudition et journalisme.

(Université de la ville de Nagoya)

Annexe 1 Liste des 86 articles rédigés par Haller exclusivement pour le Supplément à l’Encyclopédie, numérotés selon la Bibliographia Halleriana, Basel, Schwabe, 2004, avec quelques additions faites par Cernuschi 0443 *Absorption 1776 [§]ABSORPTION ou RÉSORPTION (Physiol., Econ. anim.). 0444 *Accelerateur 1776 [§]ACCELERATEUR (Anat.). 0445 *Accouchement 1776 [§]ACCOUCHEMENT (Mechanisme de l’accouchement). 0446 *Accoucheur 1776 [§]ACCOUCHEUR (Zool.). 0447 *Accouplement 1776 [§]ACCOUPLEMENT (Zool.). 0448 *Accroissement 1776 [§]ACCROISSEMENT (Econ. anim.). 0449 *Adipeux 1776 [§]ADIPEUX, EUSE (Anat.). 0450 *Albumineux 1776 [§]ALBUMINEUX (Anat.). 0451 *Allantoide 1776 [§]ALLANTOIDE (Anat. comp., Zool.). 0452 *Amnios 1776 [§]AMNIOS (Anat. Embryol.). 0453 *Anastomose 1776 [§]ANASTOMOSE (Anat.). 0454 *Anatomie 1776 [§]ANATOMIE (Ordre Encycl., Entend. Raison, Philosophie ou Science, Science de la nature, Physique générale, particulière ; Zool., Anat. simple et comparée)

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0455 *Animal 1776 [§]ANIMAL (Ordre Encyclopédique, Entendement, Raison, Philosophie ou Science, Science de la nature, Zool. Animal.). 0456 *Annulaires 1776 [§]ANNULAIRES (ligamens) (Anat.). 0457 *Antre de Highmore 1776 [§]ANIRE DE HIGHMOR [sic] (Anat.). 0458 *Aorte 1776 [§]AORTE (Anat.). 0459 *Apophyse 1776 [§]APOPHYSE (Anat.). 0459b *Aréole 1776 § AREOLE, Anatomie. [ajouté par Cernusch] 0460 *Artère 1776 [§]ARTERE (Anat.). 0461 *Artériel 1776 [§]ARTERIEL (CONDUIT) (Anat.). 0462 *Arythénoïdes 1776 [§]ARYTHÉNOÏDES (CARTILAGES) (Anat.). 0463 *Azygos 1776 [§]AZYGOS (Anat.). 0464 *Basilique 1776 [§]BASILIQUE, veine (Anat.). 0465 *Bassin 1776 [§]BASSIN (Anat.). 0466 *Biceps 1776 [§]BICEPS, muscle (Anat.). 0467 *Bile 1776 [§]BILE (Anat. [recte : Économie animale]). 0468 *Biliaire 1776 [§]BILIAIRE, conduit (Anat.). 0468c *Bordé 1776 § BORDE, corps bordés, Anatomie. [ajouté par Cernuschi] 0469 *Bouche 1776 [§]BOUCHE (Anat.). 0470 *Brachiale 1776 [§]BRACHIALE (ARTÈRE) (Anat.). 0471 *Bronchiale 1776 [§]BRONCHIALE (ARTÈRE, VEINE) (Anat.). 0472 *Buccinateur 1776 [§]BUCCINATEUR (Anatomie). 0472b *Cachelot 1776 § CACHELOT [=cachalot]. Hist. nat. Zoologie, Mat. méd. [ajouté par Cernuschi] 0473 *Calleux 1776 [§]CALLEUX, corps calleux (Anat., Psychol.). 0474 *Canal 1776 [§]CANAL (Anat.) = Canaux aqueux de Nuck. 0475 *Canaux 1776 [§]Canaux demicirculaires de l’os pierreux (Anat.). 0476 *Canin 1776 [§]CANIN, muscle (Anat.). 0477 *Cannelés 1776 [§]CANNELÉS (CORPS.) (Anat.). 0478 *Capsule de Glisson 1776 [§]CAPSULE de Glisson (Anat., Physiol.). 0479 *Capsule rénale [1776] CAPSULE RÉNALE (Anat.). 0480 *Carotide 1776 [§]CAROTIDE, artère (Anat., Physiol.). 0481 *Casserius 1776 [§]CASSERIUS (MUSCLE DE) (Anat.). 0482 *Centre 1776 [§]CENTRE DEMI-CIRCULAIRE (Anat.).

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0483 *Cerveau 1776 [§]CERVEAU (Anat., Physiol.). 0484 *Cervelet 1776 [§]CERVELET (Anat., Physiol.). 0485 *Chaleur 1776 [§]CHALEUR ANIMALE (Physiol.). 0486 *Chorion 1776 [§]CHORION (Anat.). 0487 *Choroide 1776 [§]CHOROIDE (Anat., Physiol.). 0488 *Ciliaire 1776 [§]CILIAIRE, couronne ciliaire (Anat.). 0489 *Circulation 1776 CIRCULATION du sang dans le cœur du fœtus (Physiol.). 0490 *Circulation de la mère 1776 CIRCULATION de la mère au fœtus. 0491 *Coeliaque 1776 [§]CŒLIAQUE, artère (Anat., Physiol.). 0492 *Cœur 1776 [§]CŒUR (Anat., Physiol.). 0493 *Colon 1776 [§]COLON (Anat.). 0493b *Conarion 1776 § CONARION, Anatomie. (ajouté par Cernuschi) 0494 *Conjonctive 1776 [§]CONJONCTIVE (Anat.). 0495 *Cornée 1776 [§]CORNÉE (Anat.). 0496 *Corticale 1776 [§]CORTICALE (Anat., Physiol.). 0496b *Cristallin 1776 § CRISTALLIN, Anatomie, Physiologie. (ajouté par Cernuschi) 0497 *Crurale 1776 [§]CRURALE (ARTÈRE) (Anat.). 0498 *Cuticule 1776 [§]CUTICULE (Anat.). 0499 *Déférens1776, [§]DÉFÉRENT, CANAUX DÉFÉRENS (Anat.). 0500 *Déglutition 1776 [§]DÉGLUTITION (Physiol.). 0501 *Diaphragme 1776 [§]DIAPHRAGME (Anat., Physiol.). 0502 *Diastole 1776 [§]DIASTOLE (Œcon. anim., Physiol.). 0503 *Dorsal 1776 DORSAL, (Anat.) glandes dorsales. 0504 *Dorsal muscle 1776 Le LONG DORSAL, muscle. 0505 *Droit des yeux 1776 [§]DROITS des yeux. 0506 *Droit du bas ventre 1776 [§]DROIT du bas ventre. 0507 *Droit muscles 1776 [§]DROIT, muscles (Anat.). 0508 *Duodenum [sic] [§]DUODENUM (Anat.). 0509 *Ejaculateur 1776 [§]EJACULATEUR (Anat.). 0510 *Elythroide 1776 [§]ELYTHROÏDE & ERYTHROÏDE (Anat.). 0511 *Embaumement 1776 [§]EMBAUMEMENT (Hist. anc., Physiq., Prépar. anat.).

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0512 *Embryon 1776 [§]EMBRYON (Physiq.). 0513 *Emphysème 1776 [§]EMPHYSÈME (Médecine & Chirurgie). 0514 *Entonnoir 1776 [§]ENTONNOIR (Anat.). 0515 *Epididyme 1776 [§]EPIDIDYME (Anat.). 0516 *Epigastrique 1776 [§]ÉPIGASTRIQUE (REGION) (Physiol.). 0517 *Epiglotte 1776 [§]ÉPIGLOTTE (Anat.). 0518 *Epiploon 1776 [§]ÉPIPLOON, EPIPLOIQUE (Anat.). 0518b *Erecteur 1776 § ERECTEUR, ERECTION, Anat., Physiol. (ajouté par Cernuschi) 0519 *Erreur de lieu 1776 [§]ERREUR DE LIEU (Anat.). 0520 *Estomac 1776 [§]ESTOMAC (Anat. Physiol.). 0545 *Glandes de Cowper 1777 GLANDES de Cowper (Anat.). 0705 *Rénale 1777 RÉNALE, arteres rénales, veines rénales (Anat.). N. B. L’astérisque qui se trouve à la tête de chaque entrée en représente le titre raccourci, présenté dans la Bibliographia Halleriana même. Pour transcrire la liste, je respecte normalement les graphies de cet ouvrage-ci, mais je change celles des titres d’articles non raccourcis, soit en grande capitale soit en petite soit en italique, suivant celles du Supplément.

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略 号

SIGLES ET ABRÉVIATIONS

DPV Diderot, Denis, Œuvres complètes, éditées par Herbert Diekmann,

Jacques Proust, Jean Varloot & al., Hermann, 1975 et suiv. 34 vol. prévus.

Enc. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, Briasson, David, Le Breton, Durand, 1751-1765, 17 vol. in-fol.

RDE Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, Paris, Société Diderot. REEL Recueil d’études sur l’Encyclopédie et les Lumières, Tokyo, Société

d’études sur l’Encyclopédie. SVEC Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, Oxford, The Voltaire

Foundation. Le numéro des tomes est indiqué en chiffres romains, la ou les pages en chiffres arabes

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本誌に掲載された論文は、査読委員会による査読を経たものです。 本誌は日本学術振興会による科学研究費補助金を受けて出版するものです。

ここに厚く御礼申し上げます。 Tous les textes de ces Actes ont été soumis à l’examen de notre comité de lecture. Notre groupe bénéficie d’une subvention du gouvernement japonais (Grant-in-Aid for Scientific Research (B)) 『百科全書』・啓蒙研究論集 第 2 号

発 行 日 2013 年 3 月 7 日 編集・発行 『百科全書』研究会 連 絡 先 180-0003 東京都武蔵野市吉祥寺南町 4-24-24 鷲見 洋一 印 刷 株式会社 インフォテック 206-0033 東京都多摩市落合 2-6-1 電話 042-311-3355

Recueil d’études sur l’Encyclopédie et les Lumières : Numéro 2 Date de parution : le 7 mars 2013 © Société d’études sur l’Encyclopédie (Tokyo, Japon)

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