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1
Réflexions « concrètes » sur les aspects judiciaires de l’attractivité économique du
système juridique de l’OHADA1
Résumé :
Pour attirer les investissements étrangers et encourager les investissements domestiques,
les États Parties au Traité de l’OHADA ont entrepris d’harmoniser, voire d’unifier
leurs législations relatives au secteur économique. Cette entreprise était motivée par
l’objectif de la restauration de la sécurité juridique et judiciaire dans ce périmètre géo-
juridique. Toutefois, s’il est indéniable que d’énormes progrès ont été faits sur le chemin
de la sécurité juridique en droit substantiel, d’importants efforts restent à accomplir sur
le plan processuel afin que la sécurité judiciaire rime avec la sécurité juridique obtenue.
Les règles de procédure des différents États Parties, encore trop disparates les unes des
autres, portent en elles-mêmes les germes de l’insécurité juridique et judiciaire. Le
régime juridique des délais et de la saisine du juge national de fond, juge de première
saisine en droit de l’OHADA, appelé à interpréter et à appliquer les textes de l’OHADA,
son office et les procédures applicables devant lui ne sont pas harmonisés. On se
demande pragmatiquement comment l’incohérence des aspects judiciaires de ce système
juridique peut servir la sécurité juridique et son attractivité économique. Il ne suffit pas
seulement que le législateur de l’OHADA affirme son attachement à la sécurité
judiciaire pour qu’elle soit perceptible, il faudrait encore qu’il se donner les moyens d’y
parvenir. En définitive, la sécurité judiciaire reste un concept en devenir dans le système
juridique de l’OHADA.
1. Soucieux de construire un espace juridique commun à même de répondre à leurs
besoins économiques et sociaux, certains États africains ont décidé de créer l’OHADA2. Cette
organisation est le fruit de leur volonté d’uniformiser leurs législations afin de trouver des
solutions à l’atonie économique persistante, génératrice d’un chômage de masse endémique.
Sa vocation principale est de redonner confiance aux investisseurs qui, pendant longtemps,
ont tourné le dos à l’Afrique à cause de l’obsolescence, de l’éparpillement et de l’extrême
hétérogénéité de ses législations de nature économique3. L’autre reproche visait les
1 Le présent article a été rédigé à partir de la prise en compte du résultat négatif de la contribution des
juridictions nationales à l’atteinte des objectifs d’attractivité économique de l’OHADA. Je remercie mon
directeur de thèse, le professeur Loïc CADIET, d’avoir accepté de relire et d’apprécier cette étude. 2 OHADA : Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. Cette organisation fut créée par
le Traité de Port-Louis le 17 octobre 1993, traité révisé à Québec au Canada le 17 octobre 2008. 3 Voir les propos recueillis par la mission dirigée par Kéba M’Baye, ancien Président de la Cour suprême du
Sénégal, cité par Barthélémy Cousin, « Fiabilisation des systèmes judiciaires nationaux : un effet secondaire
méconnu de l’OHADA », Intervention lors de la Conférence Consultative Régionale en Afrique organisée par la
conférence des bailleurs de fonds pour le développement de l’entreprise du 5 au 7 novembre 2007 à Accra
2
institutions judiciaires, jugées subordonnées au pouvoir politique, inadaptées aux réalités du
monde des affaires et composées de magistrats reprochables4. C’est pour répondre à ces
critiques que les chefs d’États de neuf pays africains (à l’origine) s’étaient accordés pour
uniformiser les règles substantielles touchant au droit des affaires5 en constituant une mission
à cet effet.
2. Cette mission confiée à un groupe de travail dirigé par M. Kéba M’Baye avait pour fil
conducteur la « réalisation de la sécurité juridique et judiciaire dans le but de favoriser le
développement de l’esprit d’entreprise »6. Le résultat de cette mission est connu : l’OHADA,
avec à son actif à ce jour neuf Actes uniformes7, un résultat qui lui vaudra le qualificatif d’un
« droit très important et original »8 qui « force l’admiration »
9. Nous reprenons à notre
compte ces heureuses appréciations. Mais qu’en est-il concrètement des aspects judiciaires de
cet « outil imaginé par l’Afrique pour servir le développement et la croissance »10
?
Le législateur communautaire a érigé « la mise en œuvre des procédures judiciaires
appropriées » au rang des objectifs primordiaux de l’OHADA 11
(cette organisation compte
(Ghana) dont le thème était : « Gérer des réformes réussies de l’environnement des affaires en Afrique »,
Ohadata D-07-30. 4 H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA, Préf. de Maurice Kamto,
L’Harmattan, 2009, p. 20, n° 9. 5 G. de LAFOND, T., « Le Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique », Gaz. Pal. Du 21
septembre 1995, p. 1084, cité par TCHANTCHOU, H., La supranationalité judiciaire dans le cadre de
l’OHADA, Préface de Maurice Kamto, L’Harmattan, 2009, p. 23, n° 21. 6 K. M’BAYE, « Historique de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires », Avant-
propos de la Revue Penant n° 827, 1998, spécial OHADA, p. 126. 7 Les neuf Actes uniformes aujourd’hui en vigueur sont : l’Acte uniforme relatif au DROIT COMMERCIAL
GENERAL - 289 articles (JO Ohada N°1 du 1er octobre 1997, p.1) ; l’Acte uniforme relatif au DROIT DES
SOCIETES COMMERCIALES ET DU GROUPEMENT D'INTERET ECONOMIQUE - 920 articles (JO
Ohada n° 2 du 1er octobre 1997) ; l’Acte uniforme portant ORGANISATION DES SÛRETÉS - 151 articles ( JO
Ohada n°3 du 1er Octobre 1997) ; l’Acte uniforme portant organisation des PROCÉDURES SIMPLIFIÉES DE
RECOUVREMENT ET DES VOIES D'EXÉCUTION - 338 articles (JO Ohada n° 06 du 1 Juillet 1998) ; l’Acte
uniforme portant organisation des PROCEDURES COLLECTIVES D'APUREMENT DU PASSIF - 258 articles
(JO Ohada n° 7 du 1er Juillet 1998) ; L’Acte uniforme relatif au DROIT DE L'ARBITRAGE ADOPTE LE 11
MARS 1999 - 36 articles (JO Ohada N° 08 du 15 mai 1999, p.2) ; l’Acte uniforme portant ORGANISATION
ET HARMONISATION DES COMPTABILITES DES ENTREPRISES ADOPTE LE 23 MARS 2000 - 113
articles ( JO Ohada N°10 du 20 novembre 2000) ; l’Acte uniforme relatif AUX CONTRATS DE TRANSPORT
DE MARCHANDISES PAR ROUTE - 31 articles et l’Acte uniforme sur le droit des sociétés coopératives
adopté le 15 décembre 2010 et publié dans le J O du 15 février 2011. 8 J. PAILLUSSEAU, « Le droit de l’OHADA. Un droit très important et original », La semaine juridique n° 4 du
28 octobre 2004, Supplément n° 5, p. 1 et s. 9 P.-G., POUGOUE, « Présentation générale du système OHADA », in A. AKAM AKAM (dir.), Les mutations
juridiques dans le système OHADA, L’Harmattan Cameroun, 2009, p. 16, n°13. 10
K. M’BAYE, cité par Michel Akouété Akué, Plaidoyer pour un espace OHADA plus attractif pour les
investissements étrangers, Actes du colloque sur La sécurisation des investissements des entreprises en Afrique
francophone : Le droit OHADA, organisé par le Centre de droit économique de l’Université Paul-Cézanne
d’Aix-En-Provence le 20 mars 2009 : Revue Lamy, Droit civil, n° 67, janvier 2010. p. 85. 11
Voir art. 1 du Traité du 17 octobre 1993 signé à Port-Louis (Ile Maurice).
3
effectivement 16 pays en 2011). Et pour lui donner les moyens de ses objectifs, les pères
fondateurs de l’OHADA ont choisi de créer une instance judiciaire sui generis compétente
pour unifier l’interprétation et l’application de ce droit uniforme. L’instrument de mise en
cohérence des « procédures judiciaires appropriées » est donc la Cour Commune de Justice
et d’Arbitrage. Cette haute juridiction, « l’une des plus osée de l’histoire des institutions
internationales »12
, est présentée comme le gage de la fiabilisation du système judiciaire des
États Parties et des procédures arbitrales diligentées à l’intérieur des États qui sont sous sa
juridiction.
3. L’objet de cette étude est de tenter d’ébaucher une grille d’analyse et d’interprétation
des aspects judiciaires du droit de l’OHADA, non pas du point de vue de la théorie juridique
ou de la pratique juridique, mais sous l’angle de ce qu’ils représentent sur le plan de
l’attractivité économique. L’orientation du sujet répond à l’impératif incontournable de la
mondialisation et de la compétition entre les systèmes juridiques13
. Cette compétition conduit
les investisseurs à évaluer les qualités et défauts de l’offre de justice proposée par chaque
système judiciaire : la célérité, le coût, la discrétion, la prévisibilité, la sécurité, l’impartialité,
l’indépendance, la compétence, la confiance et bien d’autres critères. Les classements des
systèmes juridiques opérés par les Rapports Doing Business inclinent à penser qu’aujourd’hui,
on ne demande plus au droit d’être seulement efficace, mais aussi d’être compétitif dans la
concurrence mondiale14
. Les enseignements de ce Rapport résident dans la nécessaire
adaptation des systèmes juridiques à un environnement concurrentiel et innovant. La finalité
est donc d’emblée pluridisciplinaire et vise à faire dialoguer théorie générale de la justice et
stratégies économiques.
12
D. NDOYE, La nouvelle Cour de cassation des pays de l’OHADA, Dakar, EDJA, 1998, p. 14. 13
Les travaux fondateurs de Richard POSNER et Ronald COASE ont montré que le comportement économique
des investisseurs est fortement inspiré des réflexions des économistes sur le droit. L’analyse économique du droit
(Economic Analysis of Law ou Law and Economics selon l’appellation américaine) a pour ambition d’appliquer
aux règles de droit les outils et la méthode de la science économique. Elle prétend apprécier les règles en termes
d’efficacité. Le résultat de ces analyses a pour vocation de mettre en compétition les systèmes juridiques
nationaux entre eux. Cependant, M. le Professeur Gérard FARJAT quant à lui, estime que le droit est d’abord un
serviteur de normes et qu’à ce titre, il doit servir tous les autres systèmes, y compris le système économique.
Pour cet auteur, le système juridique est ouvert à tous dans la mesure où il assure une fonction normalisatrice (G.
FARJAT, Pour un droit économique, PUF, 2004, p. 33). En un mot, la perception des rapports entre le droit et
l’économie dépend, comme le soutiennent Marie-Anne FRISON-ROCHE et Sébastien BONFILS, des cultures
juridiques (Les grandes questions du droit économique, PUF 2005, p. 10). 14
C’est justement l’argument d’efficacité économique qu’invoque l’Ile Maurice pour refuser de rejoindre le
cercle de l’OHADA. Ce pays craint que les Actes uniformes freineraient ou empêcheraient sa performance
économique (Voir ISSA-SAYEGH, « Synthèse des Travaux du colloque sur « Le droit OHADA dans l’océan
indien Actualités et perspectives », (consulté le 15 mars 2011), disponible sur internet :
http://www.ohada.com/fichiers/newsletters/794/rapport-de-synthese.pdf
4
4. Bien qu’étant un instrument d’assainissement de l’environnement juridique et
judiciaire de l’économie, l’OHADA se présente aujourd’hui comme une œuvre inachevée sur
le terrain de son application. En effet, des points positifs ont été marqués au niveau de la
sécurité juridique avec l’adoption de plusieurs Actes uniformes (lisibles et accessibles et
stables) couvrant le droit des affaires. Les investisseurs connaissent désormais les règles du
jeu économique dans tous les territoires couverts par l’OHADA. Avec la stabilité des textes, il
devient possible à l’investisseur étranger de les connaître et de les intégrer dans son
comportement et sa stratégie d’investissement. Cette stabilité est d’autant plus garantie que
les États Parties n’ont plus aucun pouvoir pour légiférer unilatéralement dans les domaines
couverts par le Traité de l’OHADA.
5. La réalisation de la sécurité juridique dans cet espace juridique constitue un bon point
de départ. Mais cela suffit-il pour attirer les investisseurs ? Suffit-il de connaître les règles du
jeu économique (sécurité juridique) pour s’y engager (investir) ? Il ne suffit pas de vouloir la
sécurité juridique pour qu’elle soit réelle et perceptible ; encore faut-il en déterminer les
modalités de concrétisation et en définir la philosophie de réalisation. Le droit substantiel
uniforme de l’OHADA est une réponse à l’incertitude dans laquelle se trouvaient les
investisseurs quant au droit qui régira leur patrimoine (avant l’OHADA). La réponse à
l’incertitude de ces derniers quant à la compétence et l’office du juge qui tranchera les litiges
dans lesquels ils seront impliqués n’est pas à la hauteur des enjeux et des attentes. La garantie
de la sanction effective et équitable des droits subjectifs (sécurité judiciaire) est l’un des gages
indispensables de la dynamique des économies modernes. Cette garantie des droits serait
même « l’assurance tout risque » que peut offrir l’Afrique aux investisseurs. C’est pourquoi
l’OHADA devrait s’attaquer aux « risques judiciaires » (qui, au demeurant, ne sont pas
assurables) dans l’espace économique qu’elle couvre, si elle veut être attractive. La sécurité
juridique, à elle seule, ne garantit pas le résultat recherché par la création de l’espace juridique
commun ; elle ne rassure par ailleurs point les investisseurs15
. L’objectif suprême de
l’OHADA est de faciliter l’intégration économique, l’incitation aux investissements des
agents économiques locaux et l’accueil des investissements directs étrangers des entreprises
transnationales. La réalité montre que celui-ci n’est pas encore au rendez-vous ou, à tout le
moins, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. Si l’incitation et l’accueil des
15
B. COUSIN, « Fiabilisation des systèmes judiciaires nationaux : un effet secondaire méconnu de l’OHADA »,
Intervention lors de la Conférence Consultative Régionale en Afrique organisée par la conférence des bailleurs
de fonds pour le développement de l’entreprise du 5 au 7 novembre 2007 à Accra (Ghana) dont le thème
était : « Gérer des réformes réussies de l’environnement des affaires en Afrique », Ohadata D-07-30.
5
investissements est l’objectif suprême (en tout cas c’est l’attente légitime des populations des
États Parties), il serait alors préférable que les institutions de l’OHADA concentrent leurs
efforts sur l’essentiel. Nous avons envie de penser à la réforme des institutions et des
procédures judiciaires garantes de la sécurité juridique et de la sécurisation économique des
investissements. Il suffit de mesurer l’influence exercée par les règles de procédures
juridictionnelles sur la décision de localisation d’une activité économique dans un pays par
une grande entreprise.
6. C’est fort de ces constats que la présente réflexion entend remettre la question de la
sécurité judiciaire en droit OHADA au cœur du débat, au cœur des préoccupations, et ce sous
l’angle de sa fonction d’attractivité économique. Ces lignes n’ont d’autre ambition que d’en
donner une image plus fidèle pour mieux faire apparaître les véritables enjeux de la quête de
crédibilité du système OHADA. Cette réflexion a vocation à attirer l’attention des acteurs de
l’OHADA sur ce que l’on a trop tendance à ne pas voir assez : le lien consubstantiel entre la
sécurité judiciaire et l’attractivité économique d’un espace juridique commun. L’élimination
du « risque judiciaire » est une étape majeure de la construction d’une « Économie de droit »16
dans l’espace OHADA. Il ne s’agit pas là d’une démarche isolée17
puisque des études en ce
sens ont cours dans d’autres espaces juridiques18
. Si l’on procède à une enquête de satisfaction
auprès des investisseurs usagers des services publics de la Justice des différents États
membres, ils diraient certainement la gêne qui est la leur concernant le fonctionnement des
institutions chargées de trancher les litiges et la lisibilité des procédures judiciaires de
l’OHADA. On pourrait même être tenté de dire que la Justice a sa part de responsabilité dans
la régression économique de l’Afrique19
.
Les pistes de réponse aux difficultés soulevées par la diversité des règles de procédure à
l’attractivité économique de l’espace juridique de l’OHADA peuvent être trouvées par la mise
16
Le concept d’ « Économie de droit », à l’image de l’État de droit, signifie tout simplement une économie
encadrée par les règles de droit, lesquelles constituent efficacement un rempart contre ses aspects débridés. 17
M.-L STORME, (éd)., Approximation of Judiciary Law in the European Union- Rapprochement du droit
judiciaire de l'Union européenne, Kluwer et Martinus Nijhoff, 1994. 18
C’est le cas de l’Europe avec la Convention de Bruxelles de 1968 et en Amérique latine où un Code modèle
fut instauré en 1988 sous la forme du Codigo tipo ibero-americano. Dépourvu de portée obligatoire, le Code
latino sert néanmoins de modèle aux réformes du droit de la procédure en Amérique latine. 19
Selon les données de la Banque mondiale, l’Afrique ne représente à ce jour que 1% du PIB mondial, 1,5% des
investissements directs étrangers (IDE) et sa contribution aux échanges internationaux n’est que de 2%. Voir M.
ROUSSIN, « Afrique : indispensables opérateurs privés », in Le Monde du 27 juin 2002, p. 14, cité par F.
WORMS, Les faillites internationales : l’approche OHADA et l’approche européenne, thèse, Paris 2, 2007, p. 9,
n°8.
6
en relief des acquis (I) et des défis (II) de la sécurité judiciaire qui doit être un principe
vivant.
I- Les acquis de la sécurité judiciaire dans l’espace OHADA
7. Il est coutumier, dans le jargon de l’OHADA, de toujours associer les concepts
« sécurité juridique » et « sécurité judiciaire ». Jamais l’un sans l’autre et cela donne ceci :
« sécurité juridique et judiciaire »20
. La sécurité judiciaire (souvent considérée improprement
comme synonyme de la sécurité juridique) s’entend d’un sentiment de confiance des acteurs
économiques et des usagers du service public de la Justice dans l’institution judiciaire. Ce
concept est le pendant judiciaire de la sécurité juridique qui concerne principalement les
attentes des administrés à l’égard du législateur. Cette confusion conceptuelle entame
considérablement les efforts de séduction des aspects judiciaires de l’OHADA à l’endroit des
potentiels investisseurs. Quoiqu’il en soit, la sécurité judiciaire reste l’un des objectifs
déclarés du législateur communautaire et marque même un certain état d’esprit ; elle est
même son arme stratégique d’incitation aux investissements dans l’espace OHADA. Il suffit
d’interroger les textes de l’OHADA pour s’en convaincre (A) et d’examiner l’environnement
judiciaire OHADA pour en percevoir les manifestations (B).
A- Les fondements de la sécurité judiciaire dans les textes de l’OHADA
La sécurité judiciaire est consacrée par les textes de l’OHADA. Elle se déduit explicitement
ou implicitement du droit primaire (1) et concrètement du droit dérivé (2).
1- La sécurité judiciaire dans le droit primaire OHADA
8. L’articulation des normes juridiques du système OHADA place son Traité institutif,
signé le 17 octobre 1993, au sommet de la hiérarchie normative. Ce Traité, révisé le 17
octobre 2008 à Québec au Canada, dispose en son article premier que l’OHADA « a pour
objet l’harmonisation du droit des affaires dans les États Parties, par l’élaboration et
l’adoption des règles communes, simples, modernes et adaptées à la situation de leurs
économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées, et par
l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels ».
20
La sécurité judiciaire est constamment passée sous silence au profit de la sécurité juridique. Celle-ci renvoie à
la problématique de l’accessibilité et de la stabilité des règles substantielles. L’aspect judiciaire n’est souvent pas
mis en évidence.
7
Ce texte fondateur de l’espace juridique intégré n’emploie pas le concept de « sécurité
judiciaire » dans ses dispositions de fond, mais plutôt l’expression « procédures judiciaires
appropriées ». Toutefois, le premier considérant du préambule du Traité révisé réaffirme la
volonté des États Parties de renforcer la « sécurité juridique et judiciaire » sur leurs
territoires21
. Les « procédures judiciaires appropriées » sont-elles synonymes du concept
« sécurité judiciaire » ? Une réponse affirmative serait hâtive, d’autant plus que le terme «
judiciaire » n’est employé, par le Traité, qu’à quatre reprises22
. Nulle part il n’est
explicitement question de sécurité judiciaire. Seul son article 1er
, consacrant l’attachement du
législateur aux procédures judiciaires appropriées, laisse présager une aspiration à la sécurité
judiciaire. Quelle que soit la portée que l’on voudrait donner à l’expression « procédures
judiciaires appropriées », il est constant qu’on ne peut prétendre à une sécurité judiciaire sans
la mise en œuvre des procédures appropriées devant les institutions judiciaires.
De même, compte tenu du caractère général de cette expression utilisée par le législateur, ce
texte se présente comme le fondement par défaut de la sécurité judiciaire en droit OHADA.
Pour s’en convaincre, il suffit de se référer au célèbre Yves Guyon (de regrettée
mémoire) : « un effort considérable a été accompli à partir de 1992 en vue d'un double
objectif. En premier lieu, il s'agissait de renforcer la sécurité juridique en appliquant d'abord
dans les États de la zone franc, puis ultérieurement dans un cadre africain plus large, un
droit des affaires harmonisé, simple, moderne et adapté aux besoins des entreprises. En
second lieu, il convenait de garantir une sécurité judiciaire en organisant une Cour de justice
chargée d'interpréter ce droit et de faciliter le recours à l'arbitrage. C'est l'objet du Traité de
Port-Louis du 17 octobre 1993 relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique »23
.
Par ailleurs, nous pouvons également voir, dans les dispositions des articles 3, 13 et 14 du
Traité, d’autres fondements de la sécurité judiciaire dans l’espace OHADA. Ces textes créent
le cadre général d’interprétation et d’application du droit uniforme. L’article 3 institue la Cour
suprême de l’espace juridique intégré : la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA).
L’article 13 consacre les juridictions de fond des États Parties comme juge de droit commun
21
C’est le souci de trouver des solutions de nature à résorber l’insécurité juridique et judiciaire qui a motivé les
États Parties à créer ce système géo-juridique qu’est l’OHADA. En ce sens, voir M.-J.-V. KODO, L’application
des Actes uniformes de l’OHADA, Academia Bruylant, Louvain-La-Neuve, 2010, p. 51. 22
Voir à cet effet, les articles 1er
, 2, 32 et 48 du Traité OHADA. 23
Y. GUYON, « Conclusion », Association Henri Capitant, « L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique
du Droit des Affaires », Journées Organisées le 22 novembre 2002, in Les Petites affiches, 13 octobre 2004
n° 205, P. 59.
8
du droit uniforme. Enfin, l’article 14 définit les attributions (consultatives et contentieuses) de
la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Il convient de remarquer que c’est par un
important arrêt du 11 octobre 2001 que cette haute juridiction a marqué de manière
tonitruante les esprits des juristes en réaffirmant la primauté du Traité sur le droit interne des
États Parties24
, ce qui participe de la construction et de l’affermissement de la sécurité
judiciaire.
Tous ces éléments montrent à quel point le législateur communautaire a, au décollage du
projet OHADA et ce en dépit du grand risque d’effritement de la souveraineté judiciaire25
des
États Parties, tenu aux aspects judiciaires nécessaires à la réalisation de son projet. Il ne s’est
d’ailleurs pas arrêté à ce cadrage général. Il est allé plus loin dans les dispositions du droit
dérivé OHADA.
2. La sécurité judiciaire dans le droit dérivé OHADA
9. Le législateur communautaire a principalement exprimé la prise en compte des aspects
judiciaires de l’attractivité économique du droit uniforme à travers les dispositions de deux
Actes uniformes26
: Acte uniforme sur les voies d’exécution, Acte uniforme portant sur
l’arbitrage. Le fait que le droit OHADA présente avant tout un caractère national27
est
également un grand atout pour la sécurité judiciaire tant souhaitée par les investisseurs et
véhiculée par ces deux Actes uniformes. Les Actes uniformes sur les voies d’exécution (a) et
l’arbitrage (b) étant d’application directe28
; ils représentent les prémices de la sécurisation
judiciaire des investissements de l’espace OHADA.
24
CCJA, arrêt n° 002/2001, 11 octobre 2001, Epoux Karnib c/ SGBCI, Ohadata N° J-02-0 ; voir aussi, S.
SOUOP, « Pour qui sonne le glas de l'exécution provisoire ? Commentaire de l'arrêt de la CCJA n° 2/2001 du 11
octobre 2001, Affaire Epoux KARNIB c/ Société Générale de Banques Côte d'ivoire (SGBCI) », Ohadata D-02-
06. 25
Voir la préface du professeur Maurice Kamto, in H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le
cadre de l’OHADA, L’Harmattan, 2009. Le célèbre auteur précise que « le transfert de souveraineté judiciaire est
l'aspect le plus sensible de la problématique englobante et controversée de la supranationalité en OHADA ». 26
On peut également voir dans les dispositions de l’article 247 de l'acte uniforme sur les procédures collectives
une traduction de la sécurité judiciaire : « Lorsqu'elles sont devenues irrévocables, les décisions d'ouverture et
de clôture des procédures collectives ainsi que celles qui règlent les contestations nées de ces procédures et
celles sur lesquelles les procédures collectives exercent une influence juridique, prononcées dans le territoire
d'un État partie ont autorité de la chose jugée sur le territoire des autres États parties ». 27
P.-G. POUGOUÉ, « L’avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats : les tribulations d’un
universitaire », Ohadadata D-07-41, p. 8 28
Voir l’article 10 du Traité OHADA qui dispose que : « les Actes uniformes sont directement applicables et
obligatoires dans les Etats Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou
postérieure ». Ce texte a soulevé moult débats, mais il est évident que dans l’espace OHADA, la primauté de
l’effet direct des Actes uniformes est une donnée acquise.
9
a. Les procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution
10. Pour stabiliser l’environnement judiciaire, attirer et rassurer les investisseurs (ce qui
reste toujours l’un des grands chantiers à venir de l’OHADA) l’uniformisation des règles
relatives au recouvrement simplifié des créances et aux procédures civiles d’exécution s’est
avérée nécessaire dans tous les États Parties. C’est l’article 2 du Traité qui classe les voies
d’exécution parmi les matières qui ressortissent du champ du droit uniforme. L’objectif était
de lutter contre les procédures de saisies jugées irrégulières par les opérateurs économiques et
les difficultés de recouvrement des créances commerciales certaines, liquides et exigibles. Il
n’est pas inintéressant de rappeler qu’avant l’OHADA, les saisies-ventes étaient possibles
sans titre exécutoire dans certains États Parties. Ces saisies étaient généralement diligentées
par les nationaux contre les biens des investisseurs étrangers, ce qui ne servait pas la
réputation et l’attractivité de leur espace économique29
.
Dans la même logique, le législateur a doté les entreprises (investisseurs domestiques et
internationaux) d’outils efficaces pour vaincre en temps utile les résistances abusives des
débiteurs récalcitrants grâce aux procédures simplifiées de recouvrement, telles que
l’injonction de payer et de délivrer ou de restituer. Toutefois, il convient de noter que si
l’injonction de délivrer et l’injonction de restituer marquent sinon une véritable originalité
conceptuelle du moins une innovation30
dans l’espace OHADA, il en va différemment de
l’injonction de payer qui, préexistant à l’OHADA, a simplement été réformée31
.
11. Il n’est pas intéressant de souligner que l’héritage le plus impressionnant de
l’OHADA sur le plan de la sécurité judiciaire est la limitation des immunités de juridiction et
d’exécution des personnes publiques. Les saisies sont désormais possibles sur les biens de ces
derniers32
et leurs dettes peuvent désormais donner lieu à compensation avec leurs créances33
.
De même, puisqu’ils ne sont pas des acteurs économiques comme les autres (dépositaire de la
29
B. COUSIN, op. cit. 30
Voir R. MASAMBA, « Avantages comparatifs des Actes uniformes de l’OHADA », Penant n° 869, p. 500. 31
Voir en ce sens, R. SOCKENG, « L’injonction de payer dans sa phase contentieuse », in L’injonction de
payer : étude pratique de législation et de jurisprudence, Séminaire de restitution en droit OHADA (organisé par
le Programme d’appui au secteur de la Justice, coopération Cameroun-Union européenne), Ebolowa, 28 février
au 3 mars 2011, p. 2 ; voir aussi KENFACK DOUAJNI, G., « Suggestions en vue d’accroître l’efficacité de
l’OHADA », Communication faite au colloque ARPEJE/ IDEF, ERSUMA, Porto Novo, 3-5 mai 2004 ; Revue
Camerounaise de l'Arbitrage n° 24 - Janvier - Février - Mars 2004, p. 3, Ohadata D-04-01. 32
Il convient de remarquer que cette voie d’exécution n’est pas expressément autorisée par les textes, mais reste
possible. Peut-être le législateur n’a pas voulu encourager les procédures d’exécutions abusives sur les biens des
personnes publiques. 33
Voir R. MASAMBA, op. cit., p. 501.
10
puissance publique et du monopole de la coercition), les pères fondateurs de l’OHADA ont
investi les États d’une charge essentielle à l’effectivité et l’efficience du droit uniforme. C’est
ainsi que l’article 29, al. 1 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution dispose que l’État est
tenu de prêter son concours à l’exécution des décisions de justice et des autres titres
exécutoires. L’intérêt de ce texte se comprend aisément lorsque l’on a une idée de la pratique
de l’exécution des décisions de justice antérieure à l’avènement de l’OHADA34
. Le fait que
l’État soit tenu constitue déjà une garantie indéniable de sécurité judiciaire pour le justiciable,
et ce d’autant que l’alinéa 3 de l’article 29 précité pose le principe général de la responsabilité
de l’État du fait de sa carence ou de son refus de prêter son concours à l’exécution des
décisions de justice et autres titres exécutoires35
.
b. La voie de l’arbitrage ou la voie de la justice rendue en dehors du juge
étatique
12. Le droit de l’arbitrage OHADA est également un autre instrument de consécration de
la sécurité judiciaire dans l’espace OHADA36
. Son cadre institutionnel est organisé par les
articles 21 à 26 du Traité. Son régime est encadré par un Acte uniforme spécialement dédié au
droit de l’arbitrage. Ce mode alternatif de résolution de litige est un élément de sécurité
judiciaire en ce qu’il est un instrument d’évitement du juge étatique dont l’indépendance, la
compétence et surtout l’impartialité n’emportent pas généralement l’adhésion des
investisseurs. Il offre une alternative crédible aux investisseurs qui ne font pas confiance aux
institutions judiciaires des États Parties. Il doit être rappelé que les investisseurs reprochaient
à l’Afrique les dysfonctionnements préjudiciables de son système judiciaire. L’arbitrage se
présente ainsi comme une réponse à ces reproches. Pour le règlement des litiges de nature
34
Voir A. C. AQUEREBURU, « L’État justiciable de droit commun dans le Traité de l’OHADA », Penant
n°865, p. 504. L’auteur rappelle que « bien que les dispositions nationales en vigueur dans les États Parties avant
les Actes uniformes de l’OHADA prévoient que l’État détenteur du pouvoir coercitif doit prêter main forte à la
justice pour que ses décisions et autres titres exécutoires soient exécutés, force est cependant de constater que
bien de décisions n’ont de suite heureuse en ce qui concerne leur exécution pour des raisons diverses allant de la
difficulté à obtenir l’assistance de la force publique pour l’exécution des décisions et autres titres exécutoires à
l’interférence intempestive du ministère public dans le travail des huissiers en passant par des intimidations et
diverses menaces voire agressions dont ceux-ci sont souvent l’objet de citoyens peu respectueux de la règle de
droit ». 35
On peut voir dans ce principe général un écho à la jurisprudence Francovich et Bonifaci de la Cour de Justice
des Communautés Européennes en date du 19 novembre 1991 (C-6/90 et C-9/90 Rec. P. 5357). On peut y lire :
« La pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits qu’elle
reconnaît serait affaiblie si les particuliers n’avaient pas la possibilité d’obtenir réparation lorsque leurs droits
sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à un État membre …». Voir A. C.
AQUEREBURU, op. cit., p. 505. 36
L’article 2 du Traité fait de l’arbitrage l’une des matières qui entre dans le champ de l’OHADA.
11
contractuelle, les investisseurs peuvent alors choisir la voie arbitrale, classiquement présentée
à la fois comme une justice au service des affaires et une technique d’évitement du juge
étatique. Mais il convient de signaler que la voie de l’arbitrage n’est pas une solution miracle ;
il faut donc se garder d’en surestimer la portée. Elle ne garantit pas les investisseurs contre le
fait que les tiers peuvent les attraire en justice devant les juges nationaux (sur les fondements
délictuels ou contractuels en l’absence de toute clause arbitrale ou même en formant une
tierce opposition contre la sentence), ni contre les contentieux post arbitraux ou répressifs. On
comprend, à la lumière des limites de l’arbitrage, « que la meilleure manière pour que la
justice soit rendue » ne consiste pas toujours « à éviter le palais de justice »37
. C’est dire que
malgré ses indéniables avantages, l’arbitrage n’est pas la panacée contre l’insécurité
judiciaire38
. Mais tout compte fait, l’arbitrage est pleinement légitimé par le système de
l’OHADA dans ses trois grandes dimensions : la résolution individuelle et consensuelle des
litiges, la création d’un droit, sa contribution à l’attractivité économique des territoires du
système juridique de l’OHADA.
B- Les manifestations de la sécurité judiciaire dans l’espace OHADA
13. Ce qui est frappant aujourd’hui, lorsque l’on s’intéresse à l’attractivité économique de
l’espace OHADA sous l’angle judiciaire, c’est l’illisibilité du régime de la réalisation
judiciaire des droits substantiels que définissent les Actes uniformes39
. L’articulation entre le
droit communautaire et les droits nationaux n’est pas toujours simple. Toutefois, en y
regardant de près, on perçoit quelques prémices de la sécurité judiciaire tant en amont (1)
qu’en aval (2) de l’acte juridictionnel.
37
Les termes entre guillemets sont empruntés à M. le Professeur Thomas CLAY. Voir T. CLAY, « Le modèle
pour éviter le procès», in Code civil et modèles, Des modèles du Code au Code comme modèle, LGDJ, 2004, p.
51. 38
Voir CCJA, arrêt n° 027/2010 du 29 avril 2010, cette décision a cassé un arrêt ayant annulé une sentence
arbitrale motif tiré de la composition irrégulière du tribunal arbitral. Il convient également de relever la durée
significativement longue de ce contentieux post-arbitral née après le prononcé de la sentence le 30 décembre
2003. On peut également consulter avec intérêt le dispositif de la décision rendue le 14 février 2011 par un juge
équatorien pour comprendre la portée des limites du champ de l’arbitrage lorsqu’une faute délictuelle est
reprochée à un sujet recourant habituellement à la technique arbitrale. Ce juge a condamné le groupe pétrolier
américain Chevron à une amende de près de 8 milliards de dollars. Voir http://www.rfi.fr/ameriques/20110215-
equateur-le-groupe-petrolier-chevron-condamne-une-amende-8-millions-dollars ; http://www.radio-
canada.ca/nouvelles/International/2011/02/14/015-decision-chevron-equateur.shtml (dernière consultation des
deux sites : 05-04-2011). 39
L’insécurité judiciaire est caractérisée par « l’imprévisibilité des décisions judiciaires, celles-ci variant d’un
justiciable à l’autre et le contenu desdites décisions étant parfois conditionné par la puissance économique des
parties en litige », voir G. KENFACK DOUAJNI, L’arbitrage dans le système OHADA, thèse, Paris 1, 2005, p.
9.
12
1- En amont de l’acte juridictionnel.
14. Avant toute chose, il convient de rappeler que le législateur communautaire est resté
muet quant au régime juridique de l’accès au juge de droit commun de l’OHADA, renvoyant
la question aux droits processuels des États Parties. Les manifestations de la sécurité
judiciaire en amont de l’acte juridictionnel ne sont pas suffisamment perceptibles dans les
dispositions de l’arsenal juridique de l’OHADA.
Sa manifestation saisissante réside dans l’application de l’article 336 de l’Acte uniforme sur
les voies d’exécution qui dispose que : « Le présent Acte uniforme abroge toutes les
dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les États Parties ». La portée
abrogatoire de ce texte est plus énergique que celle de tous les autres Actes uniformes40
.
L’intérêt pratique de ce texte est évident, il tranche les conflits de lois de procédure en faveur
du droit uniforme sur les voies d’exécution. Toutes les dispositions de droit interne, contraires
à l’esprit ou à la lettre des Actes uniformes contenant une disposition de procédure sont
inapplicables au litige41
. Ce qui met les justiciables à l’abri des instrumentalisations, à des fins
dilatoires, des lois de procédure nationales. C’est sur le fondement combiné de ce texte et de
l’article 10 du Traité que la CCJA a jugé que la loi ivoirienne instituant la procédure de
communication au ministère public, en matière d’injonction de payer, était contraire à la lettre
et à l’esprit du droit uniforme42
. Ce texte sécurise les investissements contre les risques
d’instrumentalisation des législations nationales favorisant la saisie les biens des
investisseurs43
.
15. Une autre manifestation de la sécurité judiciaire en droit de l’OHADA réside dans les
procédures simplifiées de recouvrement de créances. Les procédures d’injonction de payer, de
délivrer ou de restituer un bien meuble sont autant d’outils mis à la disposition des
investisseurs pour d’une part, sécuriser leur patrimoine contre la résistance des débiteurs
récalcitrants et d’autre part, faire face aux lenteurs judiciaires et à l’usure du temps44
. Ainsi,
40
Voir Arrêt n° 3 du 10 janvier 2002, Recueil de jurisprudence de la CCJA n° Spécial de janvier 2003. Art 23 de
l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage. 41
Ibid. 42
CCJA, arrêt n° 016, 29 avril 2004, Scierie d’Agnibilekrou c/ H.S, Rec. n° 3, janv. juin 2004, p. 116, Penant n°
851, avr. Juin 2005, p. 242, note Bakary DIALLO, Ohada.com/Ohadadata J-04-301. 43
Voir B. COUSIN, op. cit. 44
Voir CCJA, arrêt n°004/2007 du 1er
févr. 2007, pourvoi n° 021/2004/PC du 16/02/2004, Affaire : MAMBO
Serges Henri Séraphin contre Société SAGA-CI. Recueil de Jurisprudence n° 9 - Janvier/Juin 2007, p. 5.
13
les créances d’origine contractuelle45
ou celles résultant de l’émission ou de l’acceptation de
tout effet de commerce ou d’un chèque sans provision46
peuvent être recouvrées au terme
d’une procédure rapide et simplifiée47
.
Il convient aussi de voir dans l’organisation et le fonctionnement de la CCJA ainsi que dans le
statut des juges de cette juridiction, un gage de sécurité judiciaire. Les attributions
consultatives de la haute juridiction basée à Abidjan (Côte d’ivoire) offrent un cadre de
dialogue aux différents acteurs chargés d’appliquer le droit uniforme au premier degré et en
cause d’appel. C’est la traduction même de la théorie du dialogue des juges défini comme
« l’échange d’arguments, d’interprétations et de solutions juridiques entre magistrats. Il
symbolise la relation que peuvent entretenir les juges de différentes juridictions, parfois de
différentes nations…»48
. La procédure d’avis consultatif prévue par l’article 13 du Traité
permet ainsi aux juridictions nationales de dialoguer avec la haute Cour en amont de l’acte
juridictionnel contentieux en vue d’optimiser l’interprétation du droit uniforme. Cet
instrument processuel a pour objet d’éviter une dispersion de l’interprétation du droit. Il
convient également de voir, dans les dispositions de l’article 16 du Traité, une expression
explicite du souci du législateur de parvenir à une véritable sécurité judiciaire dans l’espace
OHADA49
. L’objectif de ce texte est de prévenir les risques d’illisibilité des procédures
judiciaire et de contrariété des décisions de justice irrévocables dans l’espace OHADA.
16. Par ailleurs, la compétence exclusive de la CCJA (article 14 du Traité) concernant les
pourvois en cassation dans toutes les matières énumérées à l’article 2 du Traité est également
un gage de sécurité judiciaire. Unique Cour suprême de l’espace OHADA au détriment des
Cours suprêmes nationales, la Cour commune présente l’avantage d’unifier l’interprétation et
les tendances d’application de ce droit. Cette compétence exclusive est de nature à renforcer
la confiance des investisseurs dans le système judiciaire OHADA.
45
Voir CCJA, Arrêt n° 15 du 29 juin 2006, Affaire C.D c/ Société Ivoirienne d'Assurances Mutuelles dite
SIDAM, Le Juris-Ohada, n° 4/2006, p. 22, OHADATA J-07-29 ; Voir R. MASAMBA, op. cit., p.501. 46
TPI de Bafoussam, Jugement n° 84/Civ., 16 juin 2006, Affaire Sagne Boubou Cylaine C/ First Trust Savings
and Loan, OHADATA J-07-61. 47
Voir article 2 de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. 48 J. ALLARD, « Le dialogue des juges dans la mondialisation », in Le dialogue des juges, Actes du colloque
organisé le 28 avril 2006 à l’Université Libre de Bruxelles, BRUYLANT 2007, p. 77. 49
Article 16 : La saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage suspend toute procédure de cassation
engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée. Toutefois, cette règle n’affecte pas les
procédures d’exécution.
14
Le pouvoir d’évocation qui lui est reconnu50
est également un instrument très efficace pour la
réalisation de la sécurité judiciaire et participe à la lutte contre les lenteurs judiciaires
devenues la marque de fabrique de certaines juridictions africaines51
. Ce pouvoir d’évocation
qui se transforme dans d’autres circonstances en « devoir d’évocation », est fondé sur les
nécessités d’une bonne administration de la justice52
. Une procédure qui « traine » est
forcément plus dispendieuse. Le fait de casser sans renvoi lui permet de juger de plus en plus
vite en se substituant aux juridictions nationales de fond. Un auteur remarquait déjà que « la
procédure trop lente ne protège plus les droits, elle ne donne plus le sentiment de sécurité53
».
Conçu pour prévenir le risque de résistance des juridictions de fond, le pouvoir d’évocation
transforme le pourvoi en cassation devant la CCJA en une véritable voie d’achèvement du
litige. Aujourd’hui, dans les rapports entre la Justice et les affaires, ce qui compte, ce n’est
plus seulement la souveraineté judiciaire des États, c’est également le souci de juger de plus
en plus vite et bien juger. La technique de l’évocation devant la CCJA participe de cette
dernière mission de la justice des affaires.
De même, il convient de voir dans l’autonomisation recherchée de l’arbitrage CCJA (dans le
Traité OHADA révisé) un autre acquis, dans la mesure où certains auteurs craignaient que le
mélange des compétences juridictionnelles et arbitrales à la CCJA n’altère l’esprit même de
l’arbitrage comme alternative à la justice étatique.
2. En aval de l’acte juridictionnel
16. La sécurité judiciaire en aval des décisions de justice est le point qui a le plus
préoccupé la doctrine de droit OHADA. Quoi de plus normal que de se préoccuper de la
satisfaction équitable du justiciable en l’aidant à faire exécuter la décision de justice
consacrant son droit substantiel. La clé de voûte du système de protection des droits
substantiels, civils et commerciaux, n’est-elle pas à rechercher dans les voies d’exécution ? En
effet, le contentieux de l’exécution forcée est l’une des préoccupations constantes des
50
Article 14 al.5 du Traité OHADA. L’exercice de ce pouvoir d’évocation permet à la CCJA de statuer sans
renvoi aux juridictions de fond et de s’ériger ainsi en un troisième degré de juridiction. 51
Voir A-F, TJOUEN, Les rapports entre les juridictions suprêmes nationales et la CCJA de l'OHADA, Thèse
Université Paris 2, 2006, Préf. J-H. ROBERT, Ohadata D-07-19, n° 323. 52
À titre de droit comparé, l'article L. 821-2 du Code de justice administrative français, le Conseil d'État, s'il
prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler
l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie " 53
A. TISSIER, « Le rôle social et économique des règles de procédure civile », in Les méthodes juridiques,
Études économiques et sociales, XII, éd. Giard et Brière, 1911, p. 110.
15
praticiens et de la doctrine de l’espace OHADA54
. On le sait, la sécurité judiciaire après une
décision de justice se décline sous deux formats : la fin du procès, et l’exécution (forcée) de la
décision de justice.
17. Le règlement définitif du litige. La sécurité judiciaire se manifeste dans l’espace
OHADA à travers la réglementation des effets des décisions de justice. Afin d’éviter toute
instrumentalisation négative des règles de procédure nationale, le législateur communautaire a
soigneusement55
encadré les effets attachés aux décisions de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage et aux sentences arbitrales rendues sous son égide. Pour éviter que les procès ne
s’éternisent et « couper court à des tentatives détournées de rouvrir un débat clos »56
, le
Traité OHADA dispose en son article 20 que : « les arrêts de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent sur le
territoire de chacun des États Parties une exécution forcée dans les mêmes conditions que les
décisions des juridictions nationales. Dans une même affaire, aucune décision contraire à un
arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne peut faire l’objet d’une exécution
forcée sur le territoire d’un État Partie ». Attacher aux décisions de la haute juridiction
l’autorité de la chose jugée (effet attaché automatiquement à toute décision judiciaire
contentieuse) et la force exécutoire (l’arrêt de la Cour est ainsi susceptible d’exécution forcée
à défaut d’exécution spontanée par le débiteur) a pour effet utile d’empêcher toute remise en
cause de l’efficacité des décisions de la CCJA devant une juridiction nationale. Il s’agit d’une
autorité supranationale de la chose jugée. L’autorité de la chose jugée est, comme l’avait dit
Savigny en parlant du droit allemand, l’une des institutions les plus importantes du droit de
l’OHADA et constitue objectivement une source de la sécurité juridique dans l’espace
54
Voir F. TEPPI KOLLOKO, « La CCJA et l'article 32 de l'AUPSRVE. A la lumière des arrêts n° 12/2003,
13/2003 et 14/2003 du 19 juin 2003 », Ohadata D-06-30, Juris Périodique n° 58, pp 112 à 116 ; S. SOUOP,
« Commentaire de l'arrêt de la CCJA n° 1/2001 du 11 octobre 2001, ETS THIAM BABOYE (ETB) C/
Compagnie Française Commerciale et Financière (CFCF) », Ohadata D-02-05 ; « Pour qui sonne le glas de
l'exécution provisoire ? Commentaire de l'arrêt de la CCJA n° 2/2001 du 11 octobre 2001, Affaire Époux
KARNIB c/ Société Générale de Banques Côte d'ivoire (SGBCI) », Ohadata D-02-06 ; H. TCHANTCHOU,
« Le contentieux de l'exécution et des saisies dans le nouveau droit OHADA, (Article 49 AUPRCVE) », Ohadata
D-03-17, Juris Périodique n° 46, avril - mai - juin 2000, p. 98-105 ; H. TCHANTCHOU et A. NDZUENKEU,
« L'exécution provisoire à l'ère de l'OHADA », Ohadata D-04-23, Penant n° 850, Janvier-Mars 2005, p. 46. 55
Si le législateur OHADA a soigneusement encadré les effets attachés aux décisions de justice, il ne l’a pas fait
suffisamment. On peut en effet regretter que, dans le Traité, il soit resté muet quant au moment précis où les
décisions de la CCJA ou les sentences arbitrales acquièrent autorité de la chose jugée. Il n’est pas exclu que ce
silence donne des idées à certains plaideurs désireux de retarder autant que possible la mise à fin du litige au
motif que la décision n’a pas encore acquis autorité de chose jugée parce que non encore signifiée. En droit
français, l’article 480 du Code de procédure civile est très précis à ce propos. Le jugement y acquiert l’autorité
de la chose jugée « dès son prononcé ». 56
H. MOTULSKY, « Pour une délimitation plus précise de l’autorité de la chose jugée en matière civile », D.
1958, chron. 1, n° 9, p. 206
16
OHADA57
. L’autorité de chose jugée consacrée par le Traité institutif de l’OHADA est
également rappelée et précisée par les dispositions de l’article 41 du règlement de procédure
de la Cour de justice communautaire58
. Un auteur a pu analyser la portée de l’article 20 du
Traité en ces termes : « L'autorité acquise par arrêt de la CCJA s'impose sur le territoire de
chacun des États parties. Ainsi, un arrêt rendu à la suite d'un litige survenu entre une partie
ayant son domicile au Sénégal et dont le contrat devait être exécuté au Mali, aura autorité de
la chose jugée non seulement au Sénégal, et au Mali mais aussi en Côte d'ivoire, au Burkina
Faso, au Cameroun, etc. En d'autres termes, l'autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt
constituera un obstacle au renouvellement au Burkina, par exemple, d'un procès déjà fait au
Sénégal et vice versa »59
.
18. Pour rassurer les investisseurs, le législateur a intégré la règlementation des effets des
sentences arbitrales dans le corps même du Traité. À ce titre, son article 25 dispose que : « les
sentences arbitrales rendues conformément aux stipulations du présent titre ont l’autorité
définitive de la chose jugée sur le territoire de chaque État Partie au même titre que les
décisions rendues par les juridictions de l’État. Elles peuvent faire l’objet d’une exécution
forcée en vertu d’une décision d’exequatur ». L’autorité définitive consacrée par le Traité est
reprise par l’article 27 du règlement d’arbitrage de l’OHADA. La décision d’exequatur relève
de la seule compétence matérielle de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage60
. Cette
disposition est complétée par celle de l’article 23 de l’Acte uniforme relatif au droit de
l’arbitrage, qui rappelle que : « la sentence arbitrale a, dès qu’elle est rendue, l’autorité de la
chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche ». Dans ce même registre, l’autorité
définitive de la chose jugée reconnue aux sentences arbitrales ne laisse-t-elle pas penser
qu’aucun recours national ou international n’est plus possible contre la sentence arbitrale ?
57
Pour une consécration récente de l’autorité de la chose jugée comme source de la sécurité juridique, voir
CCJA, arrêt n° 03/2011 du 31 janvier 2011, Société PLANOR AFRIQUE SA c/ Société ATLANTIQUE
TELECOM SA. Le raisonnement de la Cour est fort significatif : « attendu que l’autorité de la chose jugée,
principe fondamental de la justice en ce qu’il assure la sécurité juridique d’une situation acquise, participant
de l’ordre public international au sens des articles 29.2 et 30.6-4. du Règlement d’arbitrage de la CCJA, s’oppose
à ce que l’arbitre statue dans la même cause opposant les mêmes parties ; Qu’en conséquence, en statuant à
nouveau sur la demande de cession forcée des mêmes actions, la sentence du tribunal arbitral, qui porte ainsi
atteinte à l’ordre public international, doit être annulée » ; Voir également T. PIAZZON, La sécurité juridique,
Préface de Laurent Leveneur, Défrenois – Lextenso éd., 2009, p. 143, n° 29. 58
Ce texte dispose que « L’arrêt a force obligatoire à compter de son prononcé ». 59
C. ETONDE, « L’OHADA ou la sécurisation du droit des affaires en Afrique », http://www.village-
justice.com/articles/IMG/pdf/ohada.pdf, p. 64. 60
Article 25 alinéa 3 du Traité OHADA, voir aussi Ph. LEBOULANGER, « La reconnaissance et l’exécution
des sentences arbitrales dans le système OHADA », Penant N° 833, pp. 166-169.
17
Mais cette autorité ne s’étend qu’au territoire de chacun des États Parties61
et pas au-delà.
C’est dire que même s’il s’agit d’une autorité définitive de la chose jugée, elle reste tout de
même une autorité assignée (à l’intérieur de l’espace OHADA). Un auteur a même souhaité
que « hors de l’espace OHADA, on ne tire aucune conséquence malheureuse de la lettre de
l’article 25 du Traité OHADA »62
.
S’opposant à la perpétuation des litiges par le biais des voies de recours ou du renouvellement
de la demande63
, le législateur communautaire a strictement régi les effets des décisions de
justice rendues sous l’empire de sa législation. On peut voir, dans les dispositions de l’alinéa 3
de l’article 25 du Traité OHADA, la preuve de son attachement à la sécurité judiciaire. Ce
texte consacre l’exequatur communautaire qui permet de poursuivre l’exécution forcée des
sentences arbitrales sur le territoire de l’ensemble des États Parties au Traité OHADA64
. Ce
faisant, ils marquent leur volonté de favoriser la saine exécution des décisions de justice.
19. L’exécution forcée des décisions de justice. Le législateur a accordé une importance
particulière à l’exécution des décisions de justice dans l’espace OHADA. L’autorité même de
la justice comme l’intérêt des justiciables impliquent que les jugements puissent être
exécutés65
. C’est à ce niveau que se vérifie, comme l’a écrit Henri Motulsky, « la force d’une
structure juridictionnelle. Il importe d’avoir une bonne justice ; mais n’est vraiment bonne
qu’une justice qui réussit à se faire obéir » 66
. En règle générale, les décisions de justice
doivent être exécutées spontanément dès qu’elles sont exécutoires, c’est-à-dire passées en
force de chose jugée. Il ne peut en être autrement que si le débiteur bénéficie d’un délai de
grâce ou le créancier de l’exécution provisoire. Pour vaincre l’inertie, voire la rébellion des
parties succombantes, le législateur communautaire a organisé le régime de l’exécution forcée
des décisions de justice par un important Acte uniforme67
. L’OHADA manquerait son objet si
les décisions de justice ne sont pas exécutées. C’est justement pour servir cet objectif que
61
J.-M. TCHAKOUA, « L’espace dans le système d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de
l’OHADA », Penant 804. 2003, p. 84. 62
Ibid, p. 85. 63
La jurisprudence française considère que le renouvellement de la demande qui méconnaît l’autorité de la chose
jugée peut constituer un abus de droit d’agir (Cass. 3e civ., 19 nov. 1997 : D. 1997, p. 591, note Puigelier).
64 J-M. TCHAKOUA, op. cit., p. 85 ; voir aussi en ce sens B. LEBARS, Droit des sociétés et de l’arbitrage
international. Pratique en droit OHADA, Joly éd. et Lextenso éd., 2011, p. 129, n° 287 et 289. 65
J.-C. MAGENDIE, Le principe de concentration a un effet bénéfique en termes d'économie de la justice (…),
Entretien in JCP 2008, I, 192. 66
H. MOTULSKY, Ecrits : Etudes et notes sur l’arbitrage, Préf. Berthold Goldman et Philippe Fouchard,
Dalloz 1974, note 36, p.380. 67 Voir l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution, J.O. OHADA n° 6, 01/06/98, p. 1 et s.
18
l’exécution forcée transfrontière des jugements nationaux à l‘intérieur de l’espace OHADA
n’est soumis qu’à l’exigence d’exequatur68
. Les sentences arbitrales rendues sous l’égide de la
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ont, à ce titre, une force supérieure à
celle des jugements étatiques et des autres sentences arbitrales car elles ne sont soumises qu’à
l’exigence de l’exequatur communautaire69
dans le pays de l’exécution. Ce qui constitue une
avancée majeure.
En règle générale, les décisions rendues par les juges du fond acquièrent autorité de chose
jugée, dès leur prononcé, dans le système OHADA. Toutefois, les voies d’exécution ne
peuvent être mises en œuvre qu’à partir du moment où elles sont passées en force de chose
jugée, c’est-à-dire insusceptibles d’une voie de recours suspensive d’exécution. On voit donc
que la condition nécessaire et indispensable pour poursuivre l’exécution forcée d’une décision
de justice est la force de chose jugée et non la seule autorité de chose jugée. Cette remarque
est particulièrement valable pour les décisions rendues par les juridictions de première
instance. Celles que rendent les Cours d’appel nationales ont, dès leur prononcé70
, autorité de
la chose jugée et force de chose jugée car elles ne peuvent, sauf exception, faire l’objet d’un
recours suspensif d’exécution.
Certains points positifs ont déjà été marqués sur le terrain du contentieux de l’exécution dans
l’espace juridique OHADA. L’harmonisation du cadre juridique des notifications des
décisions de justice (notifications des décisions de justice, certificats de non appel ou de non
opposition, mentions obligatoires), l’encadrement du caractère exécutoire des décisions de
justice, le rôle du juge dans le contentieux de l’exécution sont autant d’avancées sur le chemin
de la restauration de la confiance des investisseurs dans le système judiciaire OHADA. Mais,
en clair, ces indices formels préfigurent-ils une sécurité judiciaire réelle ?
68
G. MECARELLI, L’hypothèse d’un droit commun du procès. Réflexions sur le rapprochement international
et européen de la procédure civile, Thèse, Paris 2, 2002, p. 565. 69
Voir B.GUEYE et S.N, TALL, commentaires sous l’article 25 du Traité de l’OHADA, OHADA Traité et
Actes uniformes commentés et annotés, Juriscope 2008, p.50. Cet exequatur est de la seule compétence de la
CCJA. Chacune des parties peut le solliciter par voie de requête adressée seulement à la CCJA. 70
Exception faite des décisions rendues par défaut.
19
II- Les défis des aspects judiciaires de l’attractivité économique du
système OHADA
20. Parler des aspects judiciaires d’un système juridique porte à s’intéresser à l’institution
chargée d’administrer la justice et de dire le droit ainsi qu’aux procédures conduisant au
dénouement du litige. À l’observation, il se trouve que la pratique judiciaire de l’espace
OHADA ne mérite, pour reprendre une expression du Professeur Loïc Cadiet, « ni adulation,
ni exécration »71
: point d’exécration parce que les institutions judiciaires du système
OHADA ont un mérite, celui d’exister ; point d’adulation parce qu’elles ne semblent pas être
à la hauteur des attentes légitimes des investisseurs et populations des États Parties qui en
attendent toujours les retombées économiques en termes de relèvement de leur niveau de vie.
Les principaux défis sont la crédibilisation de l’institution judiciaire dans l’espace OHADA
(A) et la nécessité de rapprocher les règles de procédure dans cet espace (B).
A- Crédibiliser l’institution judiciaire dans l’espace OHADA
21. Appeler à crédibiliser une institution aussi régalienne que la Justice peut paraître osé et
impertinent. Mais il semble constant, en ce qui concerne le système de l’OHADA, que le
juriste, le chef d’entreprise et les potentiels investisseurs ne peuvent se désintéresser des
aspects judiciaires de ce droit dans la mesure où, même s’ils n’en font pas son activité
principale, ils sont appelés régulièrement à côtoyer les institutions judiciaires. La confiance
dans l’institution ou les institutions judiciaires de l’espace OHADA est l’un des fondements
indispensables à l’attractivité économique de cet espace juridique. Le professeur Philippe
CONTE avertissait déjà que « rien ne sert de réformer les textes, si ceux qui sont chargés de
les appliquer restent prisonniers des réflexes intellectuels d’hier »72
. Cette remarque faite en
son temps à l’endroit du législateur français garde toute sa consistance à l’égard du législateur
OHADA. Il ne serait pas excessif de qualifier la sécurité judiciaire de « parent pauvre » du
droit OHADA.
On perçoit très rapidement les handicaps du système judiciaire de l’OHADA lorsque l’on
cherche à trouver une réponse efficace aux trois grandes questions que se posent les
71
L. CADIET, « Observations conclusives », Gaz. Pal du 7 septembre 2000, p. 32. 72
Ph. CONTE, « Le législateur, le juge, la faute et l’implication (la fable édifiante de l’autonomie de la loi du 5
juillet 1985) » : JCP 1990, I, 3471, n°13.
20
investisseurs et qui précèdent chaque litige73
: combien le litige coûtera-t-il ? Combien de
temps le procès durera-t-il ? Que puis-je recevoir ou quels dommages-intérêts devrai-je
payer ? Il est évident que la réponse à ces questions fondamentales n’est à chercher ni dans le
Traité de l’OHADA ni dans les règles substantielles déjà en vigueur dans cet espace juridique,
mais dans son organisation judiciaire. La crédibilité d’une intégration juridique et judiciaire
ne peut être acquise sans une certaine forme d’uniformisation du droit de la procédure et de
l’organisation des institutions judiciaires chargée de la mise en œuvre des règles communes.
Mais il faut rester prudent toutes les fois qu’il est question de regarder de près l’un des trois
pouvoirs constitutionnels qu’est le pouvoir (ou l’autorité selon les cas) judiciaire. C’est
pourquoi il serait préférable de recentrer les discussions sur la nécessité de créer une
juridiction spécialisée compétente avec, pour unique vocation, d’appliquer efficacement le
droit uniforme OHADA (1). L’effort ne devant pas s’arrêter à ce niveau, il est également
urgent de redéfinir l’office du juge du droit uniforme OHADA si les États Parties veulent
attirer effectivement les investisseurs (2).
1- L’urgente nécessité de créer des juridictions de fonds spécialisées du droit
OHADA
22. Juridiction spécialisée de l’OHADA. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
(CCJA) est la juridiction spécialisée de l’OHADA et allégrement présentée comme la tête de
pont de la sécurité judiciaire dans ce système juridique. La lecture de l’article 31 du Traité
OHADA révisé prévoit que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage comprend neuf juges.
Les magistrats composant cette Cour suprême spécialisée du droit uniforme sont les seuls
juges directement rémunérés par l’OHADA. Ils sont les garants de la sécurité judiciaire de
l’OHADA. Mais quoique gardiens de l’esprit et de l’unité d’application de ce droit, ils
n’entrent en piste dans le jeu judiciaire qu’après coup et ne sont pas saisis à tous les coups74
.
23. Juridictions spécialisées dans l’OHADA. À la lecture de l’article 13 dudit Traité, le
juge de droit commun de l’OHADA reste bien le juge national des États Parties (en première
73
M.-L. STORME, (éd.), Approximation of Judiciary Law in the European Union- Rapprochement du droit
judiciaire de l'Union européenne, Kluwer et Martinus Nijhoff, 1994, p. 11 74
Il faut remarquer qu’en tant que juge de cassation, le prétoire de la CCJA n’est pas accessible à tous les
plaideurs ; soit parce qu’ils n’ont pas la possibilité de se permettre le luxe d’accéder à la justice de cassation ;
soit parce qu’ils n’ont pas les moyens ou généralement parce qu’ils ne remplissent pas les conditions pour se
pourvoir en cassation. En plus, compte tenu de la lenteur des procédures devant les juges de fond, l’efficacité de
l’autorité de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est sujette à caution. Le monde des affaires a soif
d’efficacité de la justice plus en amont qu’en aval. Le temps judiciaire doit s’arrimer au temps des affaires si la
justice économique veut remplir son rôle d’élément d’attraction dans un espace économique.
21
instance et en appel). Rémunérés par les États Parties, il est reproché à ces juges de droit
commun de ne pas appliquer convenablement les textes pour des raisons diverses75
. La
sécurité judiciaire qui commande qu’un système judiciaire se dote de juges compétents,
indépendants et impartiaux doit concerner au premier chef les juges de droit commun puisque
ce sont eux qui connaissent en premier et en principal le contentieux des Actes uniformes. À
dire vrai, ce sont donc les juges nationaux qui ont la responsabilité première de servir les
objectifs du Traité OHADA76
: favoriser le développement économique en offrant la sécurité
judiciaire aux acteurs économiques. Les juges nationaux sont l’épine dorsale de
l’administration de l’application du droit de l’OHADA en ce sens qu’ils jugent
définitivement, en l’absence d’exercice de pourvoi en cassation, les contestations portées
devant eux. Leur rôle est très important en ce sens que les recours en cassation devant la
CCJA sont rares, du moins statistiquement77
.
Toutes les conditions sont réunies aujourd’hui pour que la question de la création des
juridictions spécialisées en droit des affaires dans l’ensemble de cet espace judiciaire commun
soit enfin posée en termes législatifs. Depuis une série d’arrêts de 2003, émanant de la haute
Cour au sujet de l’identification du juge de l’article 49 de l’Acte uniforme portant procédures
simplifiées de recouvrement et voies d’exécution, cette question n’est posée qu’en termes
jurisprudentiels et académiques. On a pu constater à la lecture de certains arrêts que dans
l’espace OHADA, la célèbre citation de Pascal se traduisait en termes judiciaires : « vérité en
deçà des Pyrénées, erreur au-delà »78
. En effet, la haute juridiction basée à Abidjan (Côte
d’ivoire) censure les décisions par lesquelles une Cour suprême nationale se déclare
compétente au mépris du texte précité79
. Dans cette même logique, la haute Cour a censuré
75
On reproche généralement à beaucoup de magistrats africains d’être soumis à de nombreuses pressions
(pressions des milieux économiques, pressions politiques et pressions sociales). Voir infra Le rapport mondial de
de Transparency International de 2007 sur la corruption judiciaire. 76
F. ANOUKAHA, « L’OHADA en marche », Ohadata D-04-36 ; Annales de la Faculté de droit de Dschang,
2002, p. 7. 77
De son installation en avril 1997 au 31 décembre 2007, 615 pourvois avaient été enregistrés devant la CCJA et
217 arrêts avaient été rendus. Voir F. ONANA ETOUNDI, Ohada : la problématique de l’unification de la
jurisprudence de la Cour commune de justice et d’arbitrage. Cameroun : Droit au service du développement,
2008, p. 32 ; l’interrogation de la base jurisprudentielle de la CCJA au 26 août 2011 nous donne 468 arrêts et
ordonnances rendus par cette haute juridiction. 78
PASCAL, Pensées, 294. 79
Depuis son installation en avril 1997 la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage casse régulièrement, sur le
fondement des articles 18 et 14 du traité de l’OHADA, les arrêts des cours suprêmes nationales qui continuent de
se déclarer compétentes dans les matières mettant en cause l’application du droit de l’OHADA. Pour une
application récente, voir CCJA, arrêt n°017/2010 du 25 mars 2010, CCJA, arrêt n°007, 24 avr. 2003, CI-
TELECOM devenue Côte d’ivoire Télécom c/ Société Publistar, juriscope.org ; CCJA, arrêt n° 011/2003, 19
juin 2003, MCCK et SCK c/ Loteny Télécom, Rec. N° 1, janv.- juin 2003, p. 32, Ohada.com/Ohadata J-O4-107.
22
une juridiction de premier degré qui a méconnu sa compétence au motif que les règles de
procédure civile nationale lui faisaient interdiction de faire grief aux décisions rendues par
une juridiction supérieure dans le cas d’espèce80
. La jurisprudence concernant l’identification
du juge de l’OHADA permet de constater que la question de la détermination du juge de
l’OHADA relève de la compétence des États Parties81
. Ce qui est vrai est que le juge
compétent dans un État Partie ne l’est pas forcément dans un autre État Partie. Il est
souhaitable que le législateur OHADA détermine avec clarté et précision laquelle des
juridictions de fond des États Parties doit être saisie toutes les fois qu’un litige commande
l’application au principal du droit OHADA. Le principe de l’autonomie procédurale des États
Parties ne sert pas toujours l’efficacité, la lisibilité et la crédibilité tant recherchées par
l’OHADA. L’exemple du contentieux de l’exécution en droit camerounais est saisissant à ce
point. Le législateur camerounais a institué quatre juridictions de l’exécution là où l’article 49
de l’Acte uniforme sur portant Procédures Simplifiées de Recouvrement et Voies d’Exécution
(AUPSRVE) n’en prévoit qu’un seul82
. On a également envie de penser qu’avec le
contentieux des baux à usage professionnel que l’Acte Uniforme réformé portant sur le droit
commercial général confie au « Juge statuant à bref délai » (art. 106,107, 112, 117, 122, 132,
133…), des hésitations de la pratiques seront encore nombreuses. Le « juge statuant à bref
délai » n’est pas forcément et exclusivement le juge des référés. Sur le fondement de ce
principe, le droit uniforme OHADA est mis en œuvre en fonction de l’organisation judiciaire
de chaque État Partie83
avec le résultat que l’on connait en termes de cohérence.
24. Même si ces lignes n’ont pas vocation à offrir des solutions toutes faites, elles en
proposent tout au moins quelques pistes. On a pu constater à quel point il est malaisé
d’identifier avec certitude le juge compétent pour appliquer le droit OHADA. Il serait
opportun voire souhaitable que l’OHADA se dote de véritables juridictions chargées de
trancher tous les litiges appelant l’application du droit uniforme. Cette nécessité avait déjà été
80
CCJA, arrêt n° 17/2003, 09 oct. 2003, Société ivoirienne de Banques dite SIB c/ Complexe Industriel
d’Élevage et de Nutrition animale, dit CIENA, Rec. N° 2 juil.-déc. 2003, p. 19 Ohada.com/Ohadata J-04-120 ;
Voir aussi dans ce sens Abidjan, ch. civ. et com., arrêt n° 226 du 15 févr. 2000, Ohada.com/Ohadata J-02-128. 81
Port-Gentil, Ch. civ. et com., 06 févr. 2002, Mme Kamdje Elise c/ Mr Tchana Kweze, Ohada.com/Ohadata J-
02-125, obs. ISSA-SAYEGH ; Ouagadougou, ord. de référé, n° 28 du 15 mai 2003, Société Colina Assurances c/
cabinet d’audit financier et d’expertise comptable Komboigo et associés, Ohada.com/Ohadata J-04-56. 82
J. FOMETEU, « Le juge de l’exécution au pluriel ou la parturition au Cameroun de l’article 49 de l’Acte
uniforme OHADA portant voies d’exécution », Juridis Périodique, avril-mai-juin 2007, p. 97-109. 83
F. NDONGO, « L’impact de l’érection de la CCJA de l’OHADA dans les systèmes judiciaires nationaux »,
Communication NDONGO Fall, Président de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA,
(consulté le 27 mars 2011), disponible sur internet : http://www.institut-
idef.org/IMG/pdf/COMMUNICATION_DU_PRESIDENT_CCJA_RENCONTRE_INTER_.pdf
23
mise en exergue par le Doyen François Anoukaha dans un article84
publié en 2002. À ce titre,
on pourrait penser à l’institutionnalisation des juridictions spécialisées sur le modèle des
tribunaux de commerce, mais composées soit exclusivement de magistrats professionnels
techniquement formés à l’École Régionale Supérieure de la Magistrature de l’OHADA, soit
selon la technique de l’échevinage85
. Le critère de compétence privilégié pourrait être la
nature de l’affaire : tout ce qui touche les matières entrant dans le domaine du Traité institutif
(voir son article 2). Il est urgent que le système OHADA marche sur ses deux pieds.
L’élaboration des normes communes doit s’accompagner de la constitution d’outils crédibles
de leur mise en œuvre. Les juridictions spécialisées peuvent bien jouer ce rôle. On a vu les
performances des tribunaux de commerce au Rwanda s’accroître seulement un an après leur
création86
.
Ce n’est qu’après une identification lisible des juridictions spécialisées de l’OHADA que la
question de ses pouvoirs et devoirs peut se poser.
2. La redéfinition de l’office du juge de l’OHADA
25. À l’heure de la mondialisation des échanges, les noces de l’attractivité de l’espace
OHADA, de son développement économique et de son système judiciaire ne peuvent être
célébrées sans une définition plus précise de l’office du juge de l’OHADA. Si la technique du
dialogue des juges a été présentée comme une manifestation de la sécurité judiciaire87
, le
dialogue entre le juge et les justiciables participe également de cette sécurité judiciaire. À
l’analyse, la sécurité judiciaire est d’abord un profond sentiment de confiance des justiciables
dans l’institution du juge, dans sa personne. Il ne faut surtout pas perdre de vue que nombre
d’entreprises candidates à une implantation en Afrique sont parfois découragées par le
manque de confiance dans l’institution judiciaire qui a pour figure de proue le juge. Il faut
toujours se souvenir que le procès civil est structuré autour du principe dispositif qui signifie
84
F. ANOUKAHA, « L’OHADA en marche », Ohadata D-04-36 ; Annales de la Faculté de droit de Dschang,
2002, p. 7. Monsieur le Doyen avertissait déjà que « pour une application efficience des Actes uniformes, il
paraît souhaitable de créer des juridictions et juges spécialisés ». 85
Selon cette technique, le tribunal de commerce est composé de magistrat professionnel et des professionnels
commerçants choisis en raison de leur compétence ou élus. 86
Les tribunaux de commerce inaugurés à Kigali en mai 2008 ont traité plus de 81,5 % des affaires reçues. Étant
donné que la moitié des 6 806 affaires reçues par les tribunaux de commerce de Kigali qui ont été résolues en
2008–2009 avaient été transférées par d’autres tribunaux, cela a permis une importante diminution des affaires
en attente de traitement, voir Rapport Doing Business 2011, p.76 87
Supra, p. 10, n°14.
24
que le procès est la chose des parties. Les parties ont la maîtrise de la matière litigieuse88
. Ce
principe est la traduction du vieil adage romain « Da mihi factum, tibi dabo jus »89
. Mais le
juge n’est pas aussi neutre qu’on pourrait être porté à le penser. Il n’est plus un « automate » à
qui l’on fournit tous les matériaux du procès pour retirer ensuite un jugement90
. Et c’est là,
toute la question de l’office du juge de l’OHADA. L’office du juge renvoie à la question des
pouvoirs et devoirs du juge au regard de sa mission qui est de dire le droit, de trancher le
litige. Pour que les parties jouent convenablement et efficacement le rôle qui est le leur91
, il
faut que soient déterminés au préalable les pouvoirs et les devoirs du juge. Que doit faire le
juge (a), comment doit-il remplir sa mission et sur quels critères doit-il fonder sa mission (b) ?
a. Que doit faire le juge de l’OHADA ?
26. C’est la question de la mission et du pouvoir du juge du droit uniforme. Le juge du
droit uniforme doit trancher le litige par application des règles de droit. Il doit mettre fin aux
litiges en se fondant sur le droit OHADA dont il est spécialiste. Les litiges concernés doivent
être ceux touchant les matières visées par l’article 2 du Traité OHADA92
. Sa mission est donc
de rendre la justice, de trancher les litiges portant sur les matières entrant dans le champ du
texte ci-dessus cité. Assurer la direction du procès est également l’un de ses devoirs. Le
principe du dispositif ne l’empêche pas de veiller à rendre la justice dans un délai raisonnable.
Au début du siècle dernier, un auteur n’avait pas hésité à « poser en principe général » qu'en
matière de procédure « tout ce que la loi ne défend pas aux juges est permis »93
. Le juge de
l’OHADA peut alors diriger le procès dans la limite de ce qui est interdit par la loi dans
l’intérêt des parties.
Mais il faut aussi et surtout qu’il soit saisi d’un vrai litige. Le juge n’est pas et ne doit pas être
un consultant juridique qui pourrait être saisi de litiges virtuels. Les parties ne doivent pas
88
G. BOLARD, « L’office du juge et le rôle des parties : entre arbitraire et laxisme », JCP 2008, I, 156. 89
Cet adage latin se traduit ainsi : « Donne-moi les faits et je te donnerai le droit » 90
D. TOMASIN, Essai sur l’autorité de la chose jugée en matière civile, LGDJ, 1974, p. 3, n° 5. 91
Selon une systématisation opérée par le professeur Henri Motulsky, la charge processuelle des parties consiste
à alléguer à la fois les faits et les moyens de preuve qu’ils avancent au soutien de leurs prétentions. C’est la
traduction du vieil adage romain « donne-moi le fait, je te donnerai le droit ». 92
Article 2 : « Pour l’application du présent Traité, entrent dans le domaine du droit des affaires, l’ensemble des
règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux
sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au
droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports et toute autre
matière que le Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure, conformément à l’objet du présent
traité et aux dispositions de l’article 8 ». 93
A. RODIERE, Traité de compétence et de procédure en matière civile, 5e éd., Paris, Durand /Pedone-Lauriel,
1878, Tome 1, p. 160.
25
également saisir le juge des litiges prématurés, mais seulement des litiges déjà noués. Un
différend juridique est la condition préalable de la saisine du juge. Selon l’analyse des
Professeurs Loïc Cadiet et Emmanuel Jeuland, un différend juridique est celui qui naît de
l’application du droit pour être résolu par application du droit94
. On se souvient qu’il y a
bientôt un siècle, le Conseil d’État français avait énoncé, par un grand arrêt, le principe selon
lequel l’administration ne peut pas renvoyer un dossier au juge afin que celui-ci décide à sa
place, le juge n’étant pas un agent administratif95
. Ce principe posé par cette haute juridiction
pourrait servir de fondement à la délimitation de la matière litigieuse à soumettre à la
connaissance du juge de l’OHADA.
b. Comment doit-il remplir sa mission ?
27. C’est ici la question des devoirs ou des responsabilités du juge de l’OHADA. Ces
devoirs sont la contrepartie de ses pouvoirs. Le juge de l’OHADA doit remplir son office en
toute impartialité, en toute indépendance et avec compétence. Les deux premiers devoirs dont
le juge de l’OHADA doit faire preuve sont son indépendance et son impartialité (impartialité
objective et subjective). Ce sont deux responsabilités qu’il doit préserver pour inspirer la
confiance aux acteurs locaux et investisseurs étrangers de l’espace OHADA96
. C’est
justement parce que ces acteurs économiques n’ont pas confiance dans la personne des juges
étatiques qu’ils se détournent parfois de lui pour soumettre leurs différends à une juridiction
arbitrale. Les acteurs économiques ne voient pas, dans le juge du droit des affaires africain,
les vertus du « tiers impartial et désintéressé »97
que décrivait Alexandre Kojève. Nous nous
garderons ici d’évoquer la question de la corruption du juge africain98
qui est quasi
94
L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, Paris, Litec, 6e éd. 2009, p.3, n°6 ; L. CADIET, J.
NORMAND et S. AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, Paris, PUF 2010, p. 294, n° 72. 95
CE 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, Lebon, p. 583. 96
Il convient de lire Monsieur Martin KIRSCH pour mieux percevoir la portée de ce reproche : « l’insécurité
judiciaire découle de la dégradation reconnue par tous de la façon dont la justice est rendue. Elle a pour source,
notamment, le manque de moyens matériels, une formation insuffisante des magistrats et des auxiliaires de
justice. » M. KIRSCH, « Historique de l’Organisation pour l‘Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires »,
Penant n° 827, 1998, p. 130. 97
Voir A. KOJÈVE, Esquisse d'une phénoménologie du droit, Paris, Gallimard, 1981, p. 25. Le modèle de tiers
impartial et désintéressé décrit par Kojève doit être nuancé. Le désintéressement consiste par exemple au fait de
ne pas se faire rétribuer par les parties. Cela est encore vrai devant le juge étatique, mais erroné dès lors que les
parties ont préféré recourir plutôt aux modes alternatifs de règlement de leurs différends, voir en ce sens G.
FARJAT, Pour un droit économique, PUF 2004, p. 33. 98
Le baromètre mondial de Transparency International de 2007 laisse apparaître qu’au Cameroun et au Gabon,
plus de 30% des personnes en relation avec les institutions judiciaires ont versé des pots-de-vin. Ce même
rapport relève que plus de 80% des personnes sondées ont qualifié le système judiciaire camerounais de
corrompu. Voir Rapport mondial sur la corruption 2007 (consulté le 20 mars 2011), disponible sur internet :
http://www.transparency.org/publications/gcr/gcr_2007/gcr_french_2007
26
unanimement considérée comme l’un des ressorts de la non attractivité économique du
continent. Certains juges africains qui manqueraient à leurs charges processuelles, aux devoirs
de leur mission et à ceux de leurs états ne sont pas réellement sanctionnés99
.
M. Jean-Marc SAUVÉ présente ces deux devoirs comme une « arme du droit »100
. La
confiance dans la personne du juge est l’un des éléments d’attractivité économique d’un
système juridique. Le juge de l’OHADA pourrait être sa meilleure arme s’il s’émancipait pour
enfin jouer le rôle qui est le sien et qui doit rester le sien101
. À défaut d’initiative expresse de
la part du législateur de l’OHADA, le juge du droit des affaires, qui constitue désormais « le
plus universalisable, mais aussi le plus universalisant des trois pouvoirs décrits par
Montesquieu »102
, se présente comme le garant ultime des promesses de l’OHADA103
.
Le juge doit remplir sa mission de manière à inspirer aux acteurs économiques la confiance du
système judiciaire auquel il appartient. Ces deux devoirs sont les principaux défis auxquels
l’OHADA doit apporter une réponse à la hauteur des attentes des acteurs économiques. Pour
ce qui est de l’obligation d’impartialité, le président Lebetoulle écrivait : « pour un magistrat,
rendre la justice n’est pas un privilège jaloux mais un service »104
. C’est dire que ces deux
missions sont à construire au niveau de l’OHADA. Ces responsabilités sont d’autant plus
importantes pour la crédibilité d’un système judiciaire qu’un auteur a ajouté qu’« un jugement
bien accepté a plus de chance d’être respecté et exécuté spontanément par le perdant qu’un
jugement qui semble entaché d’une erreur de droit »105
. Si le juge ne peut être perçu comme
99
L. CADIET, « La sanction et le procès civil », », In Liber amicorum, Mélanges Jacques Héron, LGDJ 2008, p.
126. 100
J.-M. SAUVÉ, « L’arme du droit », Intervention dans le cadre des Journées organisées à l’occasion du
bicentenaire du rétablissement du Barreau de Paris, à l’UNESCO, le 26 juin 2010, (consulté le 20 mars 2011),
disponible sur internet : http://www.conseil-etat.fr/cde/fr/discours-et-interventions/l-arme-du-droit.html 101
Par son rôle historique de gardien naturel du droit de propriété et des libertés économiques, le juge judiciaire
de l’OHADA est un acteur incontournable du développement économique. Pour crédibiliser son action, il faut
encore qu’il ait conscience du rôle qui est le sien. 102 J. ALLARD et A. GARAPON, Les juges dans la mondialisation, La nouvelle révolution du droit, Seuil, La
République des idées, 2005, p. 84. 103
L’OHADA est, selon la pensée de ses pères fondateurs, un outil approprié du développement économique de
l’Afrique. On pourrait même dire que ce droit est la plus merveilleuse des technologies juridiques que l’Afrique
ait créée. 104
D. LEBETOULLE, « Une histoire de troïka », Mélanges Louis Dubouis, Dalloz, 2002, p. 90. 105
C. BLÉRY, « Concentration des demandes et office du juge : une nouvelle donne au sein des principes
directeurs du procès ? (Du renouvellement des rôles du juge et des parties quant au droit lors du procès) », In
Liber amicorum, Mélanges Jacques Héron, LGDJ 2008, p. 120, n°11.
27
irréprochable, à l’abri du soupçon et des pressions, sa décision, bien que dotée de l’autorité de
la chose jugée, sera dépourvue de l’autorité persuasive106
.
c. Selon quelles exigences doit-il remplir sa mission ?
28. Pour attirer les investisseurs et servir les besoins du développement, le juge de
l’OHADA doit trancher le litige avec efficacité, de manière crédible.
La crédibilité tout d’abord. Le système judiciaire de l’OHADA souffre d’un déficit de
confiance des investisseurs locaux et étrangers. Restaurer la confiance des plaideurs (acteurs
économiques) dans la personne du juge est l’un des défis à relever. La restauration de cette
confiance est d’autant plus nécessaire que « le procès n’est ni la chose des parties (conception
dite accusatoire), ni la chose du juge (conception dite inquisitoire), mais la chose commune
du juge et des parties, cette communauté d’objet leur imposant une collaboration permanente
dans la détermination de la matière litigieuse aussi bien que dans le déroulement de
l’instance »107
. Le juge de droit commun du droit uniforme doit donc remplir son office avec
la compétence requise, avec l’impartialité et l’indépendance. Les résultats de ses
investigations doivent laisser transparaître le respect de ses devoirs et crédibiliser son action.
Pour ce faire, il doit juger de manière concrète, asseoir sa décision sur la prise en compte des
éléments objectifs du dossier de la procédure. Seule une justice crédible peut servir de levier
d’attractivité des investissements et de promotion du développement économique.
L’exigence d’efficacité ensuite. Le manque d’efficacité est l’une des raisons invoquées par
les acteurs économiques pour éviter autant que possible la Justice étatique. L’efficacité
douteuse de la justice économique étatique en Afrique est intimement liée à la problématique
de la compétence technique du juge. Ainsi le slogan britannique des années quatre-vingt
« public is bad, private is good » s’appliquerait dans l’espace OHADA, non pas à son système
administratif, mais à son architecture judiciaire. L’arbitre (juge privé) est généralement
préféré au juge étatique (juge public) pour sa compétence dans le domaine de la matière
litigieuse. L’arbitre serait plus efficace que le juge étatique (généraliste) qui se voit confronté
à un litige dont il ne maîtrise pas toujours tous les contours. Le second défi de l’efficacité
pour le système de l’OHADA concerne le renforcement crédible de la prévisibilité du temps
106
A.-M. SLAUGHTER, A New World Order, Princeton University Press, Princeton, 2004, cité par Julie Allard,
« Le dialogue des juges dans la mondialisation », in Le dialogue des juges Actes du colloque organisé le 28 Avril
2006 à l’Université Libre de Bruxelles, p. 79. 107
L. CADIET, « Les tendances contemporaines de la procédure civile en France », in Mélanges en l’honneur du
Doyen Georges Wiederkehr, Dalloz 2009, p. 69.
28
judiciaire. À titre d’illustration, nous avons la procédure d’injonction de payer que le
législateur a voulue simple, rapide et efficace, mais qui s’enlise indéfiniment en cas
d’opposition formée contre l’ordonnance qui l’autorise108
. L’un des éléments de
crédibilisation du système judiciaire de l’OHADA aujourd’hui consiste en la coordination
des délais de procédure. Le déroulement du procès s’inscrit dans la durée ; le temps est donc
consubstantiel au procès qui n’est qu’une succession de délais109
.
B. Rapprocher les principes directeurs du droit processuel dans l’espace OHADA
29. Appeler à harmoniser les règles de procédures, l’approche peut paraître iconoclaste à
certains. Iconoclaste parce que le postulat qui semble emporter l’adhésion quasi générale des
processualistes et des constitutionnalistes voudrait que les États soient souverains dans la
mission d’organisation de leur Justice110
. La procédure a longtemps été considérée comme la
branche du droit qui a de profondes racines nationales. Les règles de procédure relèveraient,
selon des arguments de nature politique, de la seule compétence du souverain. Mais certains
auteurs rappellent d’ailleurs que « la portée de la solution ne doit cependant pas être
exagérée »111
.
Poussés à l’extrême, ces arguments peuvent considérablement nuire à l’attractivité
économique de l’espace OHADA. Dans un espace juridique intégré doté d’un droit substantiel
commun, le principe de cohérence commande qu’il y ait un minimum de règles de procédure
communes. La raison est simple : « quand chacun fait ses règles, tout se dérègle »112
. A
l’heure où les entreprises candidates à une implantation à l’étranger mettent en concurrence
les espaces économiques à travers leurs systèmes judiciaires, les disparités et les incohérences
procédurales ne peuvent que desservir l’attractivité économique des pays africains. Il nous
semble que le premier capital que les autorités politiques peuvent investir dans un espace
économique, c’est cultiver la confiance des justiciables (et potentiels investisseurs) dans les
institutions judiciaires. Mais, pour des raisons de pragmatisme juridique, seul l’aplanissement
108
L’examen d’une cinquantaine d’arrêts rendus entre 2002 et 2010 par les Cours d’appel du Littoral et du
Centre (Cameroun) permet d’établir qu’en cas d’opposition contre l’ordonnance d’injonction de payer, la
procédure peut durer de deux à quatre ans ; voir également R. SOCKENG, supra, note 26, p. 7 et 8. 109
S. AMRANI-MEKKI, Le temps et le procès civil, préf. Loïc CADIET, Dalloz, 2002, spéc. p.217 et s. 110
L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, Paris, PUF, Paris 2010, p.
262, n° 65. 111
Ibid., 112
Cette belle phrase est un slogan d’incitation à la civilité qu’on voyait affiché au premier trimestre 2011 dans
les bus de la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens).
29
de ces disparités et incohérences peut faire naître chez les investisseurs la confiance dans la
Justice.
Mais, comment doit-on aplanir ces disparités et incohérences procédurales ? Plusieurs
possibilités s’offrent au législateur OHADA parmi lesquelles se trouve l’harmonisation et
l’unification. À quel degré d’aplanissement des disparités et incohérences procédurales
pourra-t-on prétendre pour atteindre la sécurité judiciaire dans l’espace OHADA ? Ici aussi,
deux possibilités : soit on procède à l’unification de toutes les règles de procédure, soit on
harmonise les principes directeurs du procès. Quoiqu’il en soit, le législateur sera obligé de
faire un choix de la méthode de rapprochement du droit processuel (1) et son ampleur (2).
1- La méthode de rapprochement du droit processuel des affaires dans l’espace
OHADA
30. L’une des faiblesses de l’OHADA réside dans la forte disparité procédurale qui
caractérise son espace. Le justiciable de l’OHADA est perdu, pour utiliser une expression du
Doyen Jacques Normand, quand il doit subir ou conduire un procès hors de chez lui113
. Il
risque des erreurs aux conséquences irréparables pour peu (ce qui est souvent le cas) que des
règles aussi élémentaires que celles qui touchent aux délais ou aux nullités soient conçues sur
des bases et selon des techniques différentes des siennes114
. On comprend que, par souci
d’efficacité et d’attractivité économique de la Justice, il convient ici de rapprocher utilement
et efficacement les systèmes de justice de l’espace OHADA.
31. Mais selon quelle méthode ? On pourrait par facilité penser immédiatement à la
technique de l’harmonisation horizontale qui semble avoir la faveur du législateur OHADA.
On pourra aussi penser à la technique de l’unification qui constitue, à n’en point douter, l’un
des leviers du rapprochement des normes. Quoiqu’il en soit, l’intérêt doit être accordé à
l’exigence de cohérence interne des procédures dans les systèmes judiciaires OHADA. À cet
effet, l’hypothèse proposée par Mme. DELMAS-MARTY, celle de la « mise en
compatibilité »115
, semble être une piste intéressante. À ce titre, on a envie de penser à une
charte de procédure au niveau de l’OHADA liant les États Parties quant au résultat à
113
J. NORMAND, « Préface », in M.-L. STORME, (éd.), Approximation of Judiciary Law in the European
Union- Rapprochement du droit judiciaire de l'Union européenne, Kluwer et Martinus Nijhoff, 1994, p. xi 114
Ibid. 115
M. DELMAS-MARTY, « La mondialisation du droit : chances et risques », Rec. Dalloz, 1999, Chroniques, p.
43 et s., spéc. p. 47.
30
atteindre116
, tout en leur laissant le choix des moyens pour en transposer le contenu en droit
processuel interne. Cela pourrait prendre la forme d’un « Acte uniforme cadre » portant
harmonisation des procédures civiles et commerciales.
2. Le degré de rapprochement du droit processuel des affaires dans l’espace
OHADA
32. Jean Monnet avait dit un jour que « Rien n’est possible sans les Hommes, rien n’est
durable sans les institutions »117
. Cette prédiction s’illustre bien dans l’espace OHADA sous
l’angle substantiel, mais fait encore défaut sur le plan processuel. Il ne suffit pas que la loi soit
claire, accessible pour que ses impératifs soient suivis volontiers par ses destinataires car, « si
le droit ne vit pas éternellement sur pied de guerre, il ne se réalise pas toujours dans la
paix »118
. La règle est bien connue de tous, l’autonomie procédurale est, sous réserve des
dispositions de procédure du traité et des Actes uniformes, le droit positif dans l’espace
OHADA. S’il fait l’unanimité qu’aujourd’hui le juge camerounais applique le même droit
matériel des affaires que son homologue malien, sénégalais ou nigérien, il n’est cependant pas
habilité à appliquer les règles de procédure d’un autre État Partie, quelles que soit leur
efficacité. Le juge qui le ferait pourrait encourir le grief de l’excès de pouvoir en ce sens qu’il
n’est pas compétent pour appliquer la loi de procédure étrangère. En l’appliquant, il
outrepasserait les limites qui lui sont assignées par le législateur national119
. On perçoit très
vite les risques, déjà réalisés, de clivage procédural entre les juridictions de droit commun de
l’espace OHADA.
33. S’il semble inapproprié au regard du droit positif des États Parties d’unifier toutes les
règles de procédure juridictionnelle, il serait opportun de dégager des principes directeurs
communs de procédure applicables devant toutes les juridictions appelées à appliquer le droit
uniforme. La généralité doit être de mise. Sans doute faudrait-il se remémorer la fameuse
maxime de Portalis, selon qui « l’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes
générales du droit : d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre
dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière». On se rend compte qu’il
116
Nous pensons à la sécurité juridique en général, à la lisibilité des procédures et à l’efficacité de la Justice en
particulier. 117
J. MONNET, Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p 412. 118
G. CORNU et J. FOYER, Procédure civile, 2ème
éd., PUF, Thémis, 1996, p.1. 119
Sur question des inconvénients de la diversité des règles nationales de procédure, voir N. FRICERO, RGP.
janv. / mars 1998, doctr., p.17
31
semble difficile de parvenir à cet objectif de bon sens. Le rapprochement pourrait porter sur le
régime de l’accès au juge du droit de l’OHADA, sur la durée raisonnable du procès, sur le
régime d’administration judiciaire de la preuve, sur le mode d’introduction d’instance, sur les
notifications, le régime des voies de recours devant les juges de fond.
Cette harmonisation des principes directeurs du procès dans l’espace OHADA permettrait aux
services juridiques et aux conseils juridiques habituels des investisseurs d’avoir une visibilité
procédurale. La kyrielle, mais surtout la disparité des règles de procédure, brouillent les
stratégies procédurales des investisseurs déjà installés et des entreprises candidates à une
implantation dans l’espace OHADA. Se doter de règles processuelles à la hauteur des
ambitions de son droit substantiel est le défi à venir de l’OHADA. Il est donc urgent que
l’OHADA se dote d’un droit commun du procès qui aura pour fonction de pallier les
inconvénients des divergences nationales en matière de procédure civile. Un équilibre
nécessaire devrait être trouvé entre la souveraineté des États Parties et la nécessité du
développement économique qui a justifié la création de l’OHADA. Le rapprochement
constitue l’unique instrument efficace à même de réduire les inconvénients dus à la diversité
des règles nationales de procédure. Cet objectif est d’autant plus réaliste et possible que la
majorité des États Parties ont hérité des règles de procédure civile à dominante de droit
continental. L’utilité du rapprochement des procédures civiles des États membres de
l’OHADA n’est plus à démontrer, la question reste son ampleur.
Les avantages d’une harmonisation renforcée des règles de procédure dans un espace
juridique intégré tel l’OHADA ne sont plus à démontrer. Les jugements circuleront d’autant
mieux d’un pays à l’autre qu’ils auront été prononcés à l’issue d’une procédure obéissant à
des standards communs à tous les systèmes juridictionnels120
.
Quoiqu’il en soit, le principe de l’autonomie procédurale fait vivre aux justiciables de
l’OHADA un véritable « cauchemar procédural ». N’étant ni législateur ni juge, nous ne
pouvons que finir sur cette note d’optimisme : « on ne résout pas les problèmes en les
ignorant »121
.
120
Voir L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI-MEKKI, op. cit., p. 263, n°65. 121
H. BATIFFOL, « La douzième session de la Conférence de La Haye de droit international privé », RCDIP,
1973.243, spéc. p. 246. Cité par Pierre CALLÉ, « L'acte authentique établi à l’étranger. Validité et exécution en
France», RCDIP, 2005 p. 377, spéc. 1.
32
Conclusion
Nous arrivons au terme de cette étude en ayant d’ailleurs parfaitement conscience de ses
lacunes et insuffisances. Il en ressort que la sécurité judiciaire est entrée dans l’esprit du droit
de l’OHADA par « effraction »122
et peine encore à entrer par conviction dans les mœurs des
justiciables et des praticiens. Par ailleurs, le niveau de préparation des institutions judiciaires
des États Parties à traduire son exigence dans les faits n’est pas à la hauteur des attentes des
pères fondateurs de l’OHADA. La garantie d’une sécurité judiciaire dans l’espace de
l’OHADA semble encore, en grande partie, un monopole de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage123
. L’OHADA et son droit ne peuvent être attractifs des investissements étrangers
et incitateurs des investissements domestiques qu’à la condition que la sécurité judiciaire soit
partagée en copropriété par la cour suprême de l’OHADA et les juridictions nationales des
États Parties. S’il est vrai que la sécurité juridique constitue un critère d’attractivité des
investissements étrangers124
, seule la sécurité judiciaire peut en garantir la réalité et
l’efficacité. Associée à la sécurité juridique, la sécurité judiciaire est un avantage comparatif
décisif pour l’attractivité des investissements dans un contexte mondialisé de concurrence
entre les systèmes juridiques.
Si les pouvoirs publics africains veulent vraiment que la sécurité judiciaire ne soit pas un vain
concept, le législateur de l’OHADA devrait, de concert avec les États Parties, prendre des
mesures adéquates et efficaces visant à faire des institutions judiciaires la tête de pont des
éléments d’attraction des investissements dans l’espace de l’OHADA. Le système juridique
de l’OHADA n’est pas, pour parler comme Bruno Oppetit125
, réductible à sa seule sécurité
juridique, celle-ci doit se coupler avec la sécurité judiciaire pour qu’enfin les fruits annoncés
tiennent toute la promesse des fleurs portées par les textes du droit substantiel harmonisé
commun aux États Parties.
122
Aucun article du corps du traité de l’OHADA ne parle de la sécurité judiciaire, seul le premier considérant du
préambule réaffirme la détermination du législateur de l’OHADA à accomplir des nouveaux progrès en vue de
renforcer la sécurité juridique et judiciaire. Nous avons relevé (supra n°7 p.6) que cette notion est confusément
utilisée avec celle de la sécurité juridique. 123
Nous disons en grande partie et non exclusivement parce que certaines juridictions de fond contribuent elles
aussi à la construction des bases d’une véritable sécurité judiciaire. En ce sens, voir voir M.-J.-V. KODO,
L’application des Actes uniformes de l’OHADA, Academia Bruylant, Louvain-La-Neuve, 2010, p. 86-88. 124
L. BOY, J.-B. RACINE et F. SIIRIAINEN (dir), Sécurité juridique et droit économique, Larcier 2008, p. 18. 125
Voir B. OPPETIT, Philosophie du droit, Précis Dalloz, 1999, p. 181. Il y soutient que « l’homme n’est pas
réductible à la seule efficacité ».