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Regards des doctorants IHEDN sur le Livre blanc défense et sécurité nationale Préface du général de corps d’armée Jean-Marc Duquesne Directeur de l’IHEDN Sous la direction scientifique du lieutenant-colonel Marie-Dominique Charlier

Regards des doctorants IHEDN sur le Livre blanc défense et

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Regards des doctorants IHEDNsur le Livre blanc défense et sécurité nationale

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale est devenu depuis 1972 une référence pour définir et comprendre la politique de défense et de sécurité de la France. La quatrième édition de ce document n’a pas fait exception et a suscité lors de sa présentation de nom-breux commentaires et débats.

C’est dans ce contexte que de jeunes chercheurs doctorants lauréats au programme de soutien et de valorisation de la recherche de l’Institut des hautes études de défense natio-nale ont souhaité apporter leur éclairage. Il s’agit pour chacun d’entre eux d’exposer sa thématique de thèse au regard du Livre blanc.

Leurs regards sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale sont riches de la pluridisciplinarité qui caractérise leurs travaux de recherche respectifs. Les thématiques abordées, loin d’être exhaustives, reflètent la diversité de leurs sujets de thèse : organisa-tions européennes de sécurité, gestion des crises extérieures, responsabilité de protéger, cyberdéfense, sécurité énergétique et risques de pandémie, rôle de la France au Moyen-Orient, en Asie, ou bien encore en Afrique…

L’ambition de cet ouvrage est de contribuer au débat citoyen autour d’un document fon-damental pour la politique de défense de la France. Il s’agit de donner la parole à une nou-velle génération de chercheurs afin qu’ils tentent de mettre en perspective puis d’esquisser quelques pistes de réflexion sur les thématiques fondamentales de la pensée stratégique française.

Avec la participation de Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, et du général de corps d’armée Jean-Marc Duquesne, directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale et de l’enseignement militaire supérieur.

Les contributeurs de cet ouvrage : Alexander Barkhudaryants ; David Bénazéraf ; Antoine Bondaz ; Jérôme Clerget ; François Delerue ; Hélène De Pooter ; Clara Egger ; Eugénie Mérieau ; Bérénice Murgue ; Leticia Sakai ; Arnaud Siad ; Solène Soosaithasan.

Direction scientifique : lieutenant-colonel Marie-Dominique Charlier, chef du bureau "Études et recherche" du département de la formation des études et de la recherche de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Regardsdes doctorants IHEDN

sur leLivre blanc défense et sécurité nationale

Préface du général de corps d’armée Jean-Marc DuquesneDirecteur de l’IHEDN

Sous la direction scientifiquedu lieutenant-colonel Marie-Dominique Charlier

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Regards des doctorantsde l’IHEDN

sur le

Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale

Lettre adressée le 27 janvier 2014, par le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, Monsieur Francis Delon, au général de corps d'armée Jean-Marc Duquesne, directeur de l'Institut des hautes études de défense nationale.

Mon général,

Depuis que vous avez été nommé à la tête de l'Institut, vous avez eu à coeur de maintenir le soutien à la recherche sur les sujets de défense et de sécurité nationale, dans la continuité de l'action voulue par nos prédécesseurs.

C'est dans cet esprit que, laissant grand ouvert le champ de la critique constructive aux doctorants de tous horizons, vous avez voulu ce "Livre blanc des doctorants de l'IHEDN".

Je trouve l'initiative heureuse et salutaire.

Puissent ces réflexions libres sur notre stratégie, ses enjeux, ses limites, ainsi que les moyens qui lui sont alloués par la Nation, se poursuivre et se renouveler sans cesse parmi les plus jeunes. Car ce sont eux qui, demain, vivront dans la France que nous décidons aujourd'hui.

Je remercie les doctorants qui ont bien voulu se livrer à cet exercice péril-leux. Je vous remercie aussi, mon général, d'avoir pris le risque de lancer une initiative nouvelle favorisant la réflexion, car je crois que c'est pleine-ment le rôle de l'IHEDN que d'encourager débats et échanges.

Je vous prie d'agréer, mon général, l'expression de mes sentiments les meil-leurs.

7PréfaceGénéral de corps d’armée Jean-Marc DuquesneDirecteur de l’IHEDNet de l’Enseignement militaire supérieur

11Avant-proposLCL Marie-Dominique CharlierChef du bureau "Étudeset recherche" de l’IHEDN

I. DoctrIneset engAgements

17Le Livre blanc de 2013et la gestion de crises exté-rieures : stratégie, acteurs et défisClara EGGERPolitiste

31Le Livre blanc de 2013 et les organisations européennes de sécurité, entre volontarisme et scepticismeJérôme CLERGETHistorien

43La "responsabilité de protéger" et le recours à la force : leçons libyennesArnaud SIADPolitiste

II. ressourceset menAces

53Le Livre blanc de 2013 face au problème de la sécurité énergétique : l’exemple des gisements de gaz en Méditer-ranée orientaleAlexander BARKHUDARYANTSGéographe

65La cyberdéfense et la cyber-sécurité dans le Livre blanc de 2013 : une approche ambi-tieuse et réaliste des cyberme-nacesFrançois DELERUEJuriste

77Le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles dans le cadre du Livre blanc de 2013Leticia SAKAIJuriste

87La France face au risque de pandémieHélène DE POOTERJuriste

III. HorIzonsstrAtégIques

97La stabilité du Moyen-Orient à la lumière du Livre blanc de 2013 : une priorité stratégique de second plan pour la FranceBérénice MURGUEHistorienne

111Le déclassement stratégique français et européenen Asie-PacifiqueAntoine BONDAZPolitiste

125Plaidoiriepour un réengagementfrançais et européenen Asie du Sud-EstEugénie MERIEAUPolitiste

137La France et l’Inde :convergence d’intérêtspour deux États en quêtede puissance au XXIe siècleSolène SOOSAITHASANPolitiste

153La France face à l’émergence de la puissance chinoise en AfriqueDavid BENAZERAFGéographe

165 Résumés françaiset anglais des contributions

191Biographiesdes contributeurs

206L’IHEDNen quelques mots…

210La valorisation de la recherche à l’IHEDN

212Contributions

213Remerciements

Abstract

DoctrIneAnD engAgement

167The management of externalcrisis in The French White Paper 2013:strategy, actors and challengesClara EGGER

169The French White Paper 2013and European securityorganizations, betweenvoluntarism and skepticismJérôme CLERGET

171The "Responsiblity to Protect"and the use of force: lessons from LybiaArnaud SIAD

resourcesAnD tHreAts

173The treatment of the issueof energy security by The French White Paper 2013:the example of gas fieldsin the Easter MediterraneanAlexander BARKHUDARYANTS

175Cyber Defense andCyber Security in The French White Paper 2013:an Ambitious and Realistic Approach of Cyber ThreatsFrançois DELERUE

177The principle of permanent sovereignty over natural resources in The French White Paper 2013Leticia SAKAI

179France facing the riskof global pandemiaHélène DE POOTER

strAtegIcAIms

181The stability of the Middle East in the light of The French White Paper 2013: a second-class strategic priority for FranceBérénice MURGUE

183France and the EU, strategic downgraded powers of the Asia-PacificAntoine BONDAZ

185Plea for a French and European Commitment to South-East AsiaEugénie MERIEAU

187France and India: convergence in the interests of two powers in quest of powerin the XXIst centurySolène SOOSAITHASAN

189France faces China’s growing influence in AfricaDavid BENAZERAF

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Préface

La rédaction d’un Livre blanc sur la défense en France est désormais un exercice régulier, initié en 1972, afin d’adapter notre politique de défense et de sécurité à l’état du monde. Le dernier Livre blanc datait de 2008. Un réexamen s’imposait pour définir un nouveau projet face aux évolutions de notre environnement stratégique alors que les tensions budgétaires qui pesaient sur le modèle d’armée 2008 rendaient nécessaire un exercice de vérité et d’ambitions renouvelées. De là est né le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.

L’enjeu était politique, car il fallait en effet concilier deux impératifs de souveraineté : notre souveraineté budgétaire, alors que la crise financière fragilise nos finances publiques et impose une maîtrise sévère des dépenses publiques, et notre souveraineté stratégique, alors que le niveau d’incerti-tude et de menaces n’a pas faibli depuis 2008.

C’est à la critique toujours construite et éclairée de ce Livre blanc que se sont livrés douze des lauréats doctorants bénéficiaires du programme financier de l’IHEDN et de la Fondation Pierre Ledoux partenaire de la Fondation de France. Chacun d’entre eux prépare une thèse dans des disci-plines relevant des sciences sociales (science politique, histoire, droit, phi-losophie). Après sélection sur dossier par le jury scientifique de l’IHEDN, nos lauréats ont obtenu une aide financière provenant du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Cette aide leur permet de bénéficier durant une année, d’un soutien finan-cier dans le cadre duquel leurs frais de recherche, en particulier concernant les séjours de terrain, sont pris en charge. Par ailleurs, la Fondation Pierre Ledoux sous l’égide de la Fondation de France, a souhaité contribuer aussi à soutenir financièrement les étudiants ayant soumis leur candidature à l’IHEDN.

Ces lauréats constituent durant une année au moins, une équipe de cher-cheurs encadrés pédagogiquement au sein de l’Institut par le bureau des études et de la recherche. Ils sont régulièrement appelés à se rencontrer,

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afin d’échanger sur l’avancée de leurs travaux respectifs. Le séminaire des doctorants a ainsi été à l’origine de cet ouvrage qui constitue une première pour l’IHEDN.

La rédaction de ce livre est un exercice ambitieux qui est le résultat d’un long travail mené au sein de l’Institut des hautes études de défense natio-nale qui fidèle au décret(1) définissant le cadre de son action « contribue à promouvoir et à diffuser toutes connaissances utiles en matière de défense, de relations internationales, d’armement et d’économie de défense ».

La vocation de cet ouvrage est d’être le témoignage et le relais de la pensée de lauréats de l’IHEDN et de la Fondation Pierre Ledoux avec laquelle l’IHEDN a signé une convention de partenariat. Les idées émises dans ce que beaucoup appellent déjà : "Le Livre blanc des doctorants de l’IH" n’engagent que leurs auteurs, elles sont donc libres. La volonté n’est pas ici de constituer une référence scientifique ni académique, mais plus modes-tement, de valoriser les travaux de jeunes chercheurs à haut potentiel afin qu’ils puissent se faire connaître et s’exprimer sur leur sujet de thèse, au regard de l’ouvrage le plus essentiel de la politique de défense et de sécurité de la France : son Livre blanc.

Cette mission de valorisation de la recherche est au cœur des activités de l’IHEDN. C’est à ce titre que l’Institut a développé une coopération rap-prochée avec le monde universitaire et la recherche, qui nourrit les forma-tions et participe au rayonnement de la pensée stratégique française.

Au-delà d’associations ponctuelles dans le cadre de l’organisation de mani-festations scientifiques ou de séminaires, l’IHEDN tire de cette relation particulière avec le monde de la recherche, la pertinence et la légitimité de ses formations, qui se doivent d’avoir toujours une longueur d’avance sur les enjeux stratégiques auxquels la France est et sera, demain, confrontée.

Renouant avec la tradition de la Cinquième République, et après la paru-tion du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, le président de la République, François Hollande, s’est exprimé le 24 mai 2014 devant

(1) Décret n° 2009-752 du 23 juin 2009, relatif à l’Institut des hautes études de défense nationale.

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l’Institut des hautes études de défense nationale et les plus hautes autorités de l’État en précisant : « La France a besoin d’une défense forte parce que le monde n’est pas plus sûr qu’hier ».

Parce que pour répondre à ces nouvelles menaces la France a besoin d’une jeunesse qui pense en accord avec les priorités de son temps, l’IHEDN, miroir d’un esprit de défense toujours en devenir, a pour charge de pro-mouvoir la culture de défense.

C’est en ce sens que sans prétendre à l’exhaustivité du sujet ni à la parfaite rigueur académique, j’ai souhaité laisser libre cours à quelques réflexions de nos lauréats concernant leur sujet de thèse respectif au regard des nou-veaux enjeux mis à jour par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013.

Tous mes remerciements pour cet ambitieux travail, pour ces regards savants et multidisciplinaires sur les grands enjeux notre temps ! Toutes mes félicitations aussi et tous mes encouragements accompagnent ces bril-lants esprits en formation pour leur future carrière.

Général de corps d’armée Jean-Marc DuquesneDirecteur de l’Institut des hautes études de défense nationale

et de l’Enseignement militaire supérieur

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Avant-propos

« S’élever pour mieux voir, relier pour mieux comprendre,situer pour mieux agir ».

Joël de Rosnay, in Le Macroscope

En 2013, l’Institut des hautes études de défense nationale a poursuivi sa mission de valorisation de la recherche stratégique française par l’aide apportée à de jeunes chercheurs en sciences sociales, conjointement avec la Fondation Pierre Ledoux – Jeunesse Internationale. Au fil des échanges avec les lauréats, l’idée d’un projet commun susceptible de renforcer les liens entre les lauréats et l’IHEDN a émergé. Articulé autour d’un thème d’actualité fédérateur, le livre que voici est l’aboutissement et la concréti-sation de cette démarche et de cette volonté.

Quel meilleur thème de réflexion commun que le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui vient de paraître ? Par la diversité des thématiques abordées et des réflexions engagées dans ce document, celui-ci offre aux lauréats, doctorants de l’IHEDN et de la Fondation Pierre Ledoux – Jeunesse internationale, un large éventail de pistes de réflexion. L’idée initiale qui a présidé à la naissance de ce livre consistait à analyser les positions du nouveau Livre blanc, ainsi que ses apports à l’aune des thématiques de recherche et sujets de thèse respectifs des lauréats. Douze d’entre eux se sont portés volontaires pour cet exercice.

De la diversité naît la richesse. Tel pourrait être un des fils conducteurs de cet ouvrage, tant les contributions rassemblées sont diverses. Se côtoient en effet de jeunes chercheurs en science politique, en droit, en histoire, en géographie… Ce qui les rassemble est un intérêt commun pour les ques-tions internationales et de défense. En ce sens, ils sont parfaitement repré-sentatifs des missions premières et de la vocation de l’IHEDN.

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Cet ouvrage, qui a su fédérer des horizons académiques variés au regard du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, entend participer pleinement à l’une des cinq grandes fonctions stratégiques identifiées en 2008 et réaffirmées en 2013 : la fonction connaissance et anticipation.

Le Livre blanc lui-même s’ouvre à cette perspective, puisqu’il constate que « le renforcement des moyens de la recherche ne produira […] tous ces effets sur la capacité d’anticipation de l’État que si celui-ci s’ouvre davantage à la réflexion indépendante. L’État ne peut que bénéficier d’un recours accru à l’expertise de la recherche académique »(2). Ce faisant, l’IHEDN, sous la tutelle du Premier ministre, s’inscrit doublement, et pleinement, dans sa vocation première de participer au développement et à la valorisation de la recherche stratégique et de l’esprit de défense, ainsi que dans les préconisa-tions les plus actuelles d’ouverture des services de l’État vers ce que la société civile produit de meilleur. L’édition d’un livre par les doctorants lauréats est une grande première pour l’IHEDN, et l’on voudra bien garder à l’esprit que nos contributeurs sont de jeunes chercheurs en formation.

Mais le plus important n’est pas là : ces jeunes chercheurs font œuvre utile en exposant ce qui, dans le nouveau Livre blanc, leur est apparu comme novateur, traduisant une inflexion, voire une évolution dans la pensée stratégique française, ou à l’inverse en pointant ce qui, dans ce nouveau Livre blanc, semble faire défaut pour une meilleure appréhension des réalités internationales contemporaines et de la défense de la France. C’est pourquoi, en fin de contribution, ils ont souhaité intégrer d’une part quelques éléments bibliographiques, mais surtout proposer quelques pistes de réflexion et quelques recommandations afin de contribuer à améliorer la connaissance et la prise de décision.

Nous avons voulu actualiser notre analyse des menaces de façon réaliste et sans complaisance, dans un contexte marqué, dans le cadre de ce nou-veau Livre blanc par plusieurs grandes évolutions depuis 2008 :

• la crise des dettes souveraines et les crises financières ;• la réorientation de la politique de défense américaine, avec la fin des

guerres en Irak et en Afghanistan et le "pivot" vers l’Asie ;

(2) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l'information légale et administrative (Dila), Paris, 2013, 159 pages, p. 74.

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• les révolutions arabes, à la périphérie de l’Europe porteuse d’espoirs, mais aussi à court terme de risques et de tragédies comme nous le rappelle tous les jours le théâtre syrien et dans une moindre mesure la Libye ;

• les nouveaux développements du terrorisme international, et notam-ment les tentatives de prise de contrôle de la bande sahélienne par des groupes se réclamant d’Al Qaïda.

Si l’exigence de connaissance et d’anticipation a guidé la démarche de nos doctorants, il nous a semblé utile de procéder à un découpage de l’ouvrage en fonction d’un certain nombre de grandes thématiques transverses. Celles-ci sont au nombre de trois : doctrines et engagements ; ressources et menaces ; horizons stratégiques. Ces trois thématiques permettent la com-préhension d’enjeux majeurs des relations internationales et de la politique de défense et de sécurité de la France.

La première partie s’attache à mettre en évidence quelques éléments clés qui structurent la doctrine française en matière de défense et de sécurité, tant nationale qu’internationale. Les contributions rassemblées ici évoquent ainsi la gestion des crises extérieures telle qu’abordée par le Livre blanc, la place et le rôle des organisations européennes de sécurité, la notion émergente de "Responsabilité de protéger" et ses rapports avec le recours à la force.

La seconde partie s’intéresse plus spécifiquement aux ressources et menaces auxquelles la France peut ou doit faire face, les ressources pouvant à terme générer des menaces pour la sécurité française. Sont réunies dans cette partie des contributions qui présentent le problème de la sécurité éner-gétique de la France à l’aune de la situation en Méditerranée orientale et celui de la souveraineté sur les ressources naturelles, ainsi que la question des cybermenaces et des risques de pandémies. Les problématiques évo-quées révèlent les vulnérabilités de la France face à la mondialisation dans un univers d’interconnexion des réseaux. Bien sûr, le Moyen-Orient, le Maghreb et l’Afrique ne sont pas oubliés et demeurent des objets d’études privilégiés à la mesure de l’engagement diplomatique et militaire de la France dans ces régions.

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Enfin, la troisième et dernière partie présente divers horizons stratégiques auxquels la France est confrontée de par le monde. Signe des temps, l’Asie apparaît en bonne place dans les horizons stratégiques de la France. Aussi la politique française doit-elle s’adapter aux évolutions à l’œuvre en Asie-Pacifique, en Asie du Sud-Est et en Inde. Pour autant, le Moyen-Orient et l’Afrique ne sont pas oubliés, puisque la politique française dans ces deux régions y est aussi analysée, amplifiée.

Au-delà de la diversité caractéristique et propre à tout ouvrage collectif, les contributions rassemblées ici laissent apparaître des passerelles et des convergences d’analyse, comme celles qui prévalent entre la Méditerranée orientale et le Moyen-Orient, ou bien encore entre l’Asie et l’Afrique. Ces convergences témoignent du dynamisme intellectuel de la recherche universitaire française, et de la volonté de la jeune génération de parti-ciper activement aux débats stratégiques de notre pays. L’encadrement scientifique de cet ouvrage résulte de cette volonté qui par-delà les années demeure fidèle à la pensée de l’amiral Castex et donc à celle de la diffusion de l’esprit de défense au sein de la société française.

Lieutenant-colonel Marie-Dominique CharlierChef du bureau "Études et recherche"

du département de la formation des études et de la recherche de l’IHEDN

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I. Doctrines et engagements

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Le Livre blanc de 2013et la gestion de crises extérieures :stratégie, acteurs et défisClara EGGERPolitiste, Sciences Po Grenoble

La gestion des crises extérieures est une thématique centrale du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, pour lequel « une capa-cité crédible de prévention et de gestion civilo-militaire des crises s’im-pose dans notre stratégie de défense et de sécurité nationale »(3). Il s’agit d’une thématique transversale abordée tout au long des développements des rédacteurs. S’y retrouve présentée la vision stratégique qu’a la France de la gestion de crise conçue comme multidimensionnelle, multilatérale et globale(4), visant une meilleure coordination des différents volets civils et militaires de la gestion de crise. La partie consacrée aux capacités de ges-tion de crise de l’Union européenne est la plus importante, laissant trans-paraître un certain scepticisme quant aux capacités de l’Europe à assumer ses responsabilités. Les rôles de l’ONU, de l’Otan mais aussi d’autres orga-nisations régionales y sont abordés. En outre le Livre blanc met l’accent sur les enjeux de légitimité de telles interventions, notamment vis-à-vis des populations des États hôtes. Enfin et de façon plus large, le Livre blanc passe en revue les différents défis ayant trait à la mise en œuvre de l’ap-proche globale française et européenne (meilleure coordination des ser-vices ; nécessité de plus importantes capacités civiles et amélioration des relations civilo-militaires).

(3) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l'information légale et administrative (Dila), Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 98.(4) Ibid., pp. 98 et suivantes.

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Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 consacre une part majeure de ses développements à la gestion des crises extérieures. La thématique y est abordée de façon transversale et le document passe en revue les principaux défis auxquels la France est confrontée dans l’exercice de ses responsabilités internationales en matière de sécurité collective.

Cette contribution se propose d’apporter un éclairage sur les défis et les enjeux liés à la mise en œuvre de la conception française de la gestion de crise. Après avoir présenté, dans un premier temps, les caractéristiques de cette conception, l’analyse sera développée autour de trois axes prin-cipaux. Une première partie reviendra sur le développement laborieux de la gestion de crise européenne, alors qu’une seconde mettra l’accent sur la façon dont la France prend en compte les conceptions rivales de la gestion de crise, sur la scène internationale. Enfin, une dernière partie analysera les défis liés à l’appropriation locale des opérations de gestion de crise.

Multidimensionnalité, multilatéralisme et approche globale : la gestion de crise à la française

La conception française de la gestion de crise s’illustre par le choix straté-gique d’une gestion de crise multidimensionnelle, s’opérant de façon pri-vilégiée dans un cadre multilatéral et marquée par le souci d’une approche globale couvrant l’ensemble du continuum de la gestion de crise, de la prévention à la stabilisation.

« Les situations de crise pour les quinze à vingt prochaines années relève-ront probablement de scénarios appelant une réponse multidimensionnelle, notamment sous la forme d’opérations de stabilisation complexes »(5). Par ce constat le Livre blanc prend acte de la complexification qu’a connue la gestion de crise depuis l’échec des interventions dans les Balkans et en Somalie à la fin des années 1990. Depuis la rédaction de l’Agenda pour la paix de B. Boutros Ghali, un nouveau type de régime de sécurité qualifié de

(5) LBDSN, Direction de l'information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édi-tion numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 65.

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multidimensional peacebuilding est né(6). La gestion de crise s’illustre dès lors par son caractère polymorphe visant à harmoniser actions politiques, économiques, ou militaires dans des tâches variées et complémentaires.

Une telle extension de la notion de sécurité internationale modifie le calen-drier des interventions qui commencent dès le stade de la prévention pour s’achever lorsque la reconstruction est terminée plusieurs années après la crise. Le Livre blanc se base d’ailleurs sur la distinction entre les actions de prévention de conflit, de gestion d’un conflit ouvert et de consolidation de la paix(7), faisant référence au cycle du conflit et communément admis dans la littérature. Ce découpage, bien que largement utilisé par les praticiens de la gestion de crise demeure artificiel. En effet, plutôt que de séquences, il convient de parler d’un continuum dans la gestion de crise tant les fron-tières entre les différents types d’activités demeurent floues(8). Le passage d’une phase à une autre demeure souvent un acte déclaratoire, provoquant une réorientation des objectifs et des programmes.

Deuxième constat opéré par le Livre blanc : les opérations auxquelles la France participera « seront autant que possible, menées dans des cadres mul-tilatéraux » tout en veillant à ce « qu’elles relèvent d’une action convergente et coordonnée, associant les organisations multilatérales appropriées, en particulier les organisations régionales ou sous-régionales concernées »(9). Ainsi, la mise en œuvre des opérations de gestion de crise repose sur un nombre important d’acteurs divers, complémentaires et interdépendants.

Face à ces évolutions de la gestion de crise, la France œuvre pour l’adop-tion « d’une approche globale, qui intègre dans une stratégie politique cohérente tous les leviers dont dispose la communauté internationale pour venir en aide à des pays en crise ou menacés par la crise »(10). Dès 2008, la France s’est engagée dans un processus de réflexion autour du dévelop-pement d’une approche interministérielle ou globale dans la gestion des

(6) Boutros-Ghali Boutros, Agenda pour la paix, 1992.(7) LBDSN, pp. 80-85.(8) Tardy Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix. Acteurs, activités, défis, 2009, Bruylant, Bruxelles, p. 23.(9) LBSDN, p. 25.(10) LBSDN, p. 80.

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crises(11). De nouvelles structures ont vu le jour pour favoriser la coopé-ration interservices. En 2013, le Livre blanc se propose de relancer cette stratégie(12).

Si la marche à suivre proposée par les rédacteurs du Livre blanc est per-tinente, l’analyse des doctrines stratégiques des partenaires de la France invite à prêter une attention toute particulière aux points suivants(13) :

• L’expérience néerlandaise tend à démontrer que la veille est plus per-tinente si elle s’organise également de manière globale et non unique-ment par aire géographique, dans la mesure où des crises peuvent se développer rapidement hors des priorités géographiques fixées.

• Il est central de disposer d’une doctrine interministérielle claire, basée avant tout sur une connaissance fine des réalités opérationnelles. Cette doctrine devra être pragmatique et flexible, l’exemple suédois montrant que la simple collaboration est parfois plus efficace qu’une coordination plus poussée entre les services.

• L’accent doit être mis sur le volet civil de la stratégie. Le Livre blanc fait état de la difficulté à mobiliser des experts civils dans des spécialités critiques(14). En réponse à cela, un pool d’experts pourrait être constitué en suivant l’exemple britannique. Ce pool, géré par la cellule intermi-nistérielle serait en charge de mettre à disposition des spécialistes spé-cifiquement formés pour des missions relevant de l’approche globale.

• Il est crucial de disposer de financements spécifiquement dédiés à la mise en œuvre de l’approche interministérielle. Si ce point n’est pas directement abordé par le Livre blanc, il apparaît critique pour le succès de cette approche, les différents services étant souvent réticents à puiser dans leurs propres ressources souvent limitées pour financer des programmes conjoints.

(11) LBDSN 2008, Paris, Odile Jacob/La documentation française, pp. 131-132.(12) LBDSN, p. 99.(13) Wittkowsky Andreas, Wittkampf Ulrich, Pionneering the Comprehensive Approach: How Germany's Partners Do It, 2013, Center for International Peace Operation, Berlin.(14) LBDSN, p. 100.

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• Enfin, l’importance de doter la cellule d’un leadership fort au plus haut sommet de l’État susceptible de doter la cellule d’une autorité et d’une expertise réelle seules à même de dépasser les rivalités et les différences de cultures entre les administrations compétentes.

Les mirages de la gestion de crise européenne(15)

Même si « la France réaffirme son ambition en faveur d’une défense euro-péenne crédible et efficace [...] elle ne saurait ignorer les difficultés aux-quelles se heurte le développement du cadre européen »(16). À cet égard, les rédacteurs du Livre blanc note à juste titre que « des institutions ne peuvent pas, à elles seules transformer les perceptions nationales »(17).

Face au constat qu’en Europe « les perceptions, les cultures stratégiques et les ambitions nationales demeurent très diverses »(18), le Livre blanc propose de « tirer parti de toutes les possibilités ouvertes par les traités, y compris la coopération structurée permanente et les coopérations ren-forcées »(19). Si elle a des vertus, cette option présente aussi de nombreux risques peu abordés par le Livre blanc. Le premier est celui d’une frag-mentation excessive du processus d’intégration, et de la création d’un millefeuille institutionnel qui rendrait peu lisible le processus d’intégration pour les citoyens et les partenaires étrangers de l’Union. Or le Livre blanc note à juste titre que « l’adhésion des peuples est indispensable »(20). Il convient donc de s’assurer que les mécanismes de coopération renforcée restent aisés à saisir et sont expliqués aux citoyens. Un autre risque est celui de la division, en crispant les positions des États membres restés en dehors. Ainsi des coopérations renforcées dans la défense devront prendre à garde à ce que des assurances soient données sur le fait que l’Otan reste le cadre de référence des pays européens en matière militaire, et ce pour

(15) Ce titre est emprunté au travail de Franck Petiteville sur les mirages de la politique étran-gère européenne après Lisbonne cf. Petiteville Franck, "Les mirages de la politique étrangère européenne après Lisbonne", Critique internationale, Vol. 2, n° 51, 2011, pp. 95-112.(16) LBDSN, p. 61.(17) LBDSN, p. 17.(18) LBDSN, p. 17.(19) LBDSN, p. 66.(20) LBDSN, p. 17.

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ne pas heurter nos partenaires d’Europe de l’Est. Enfin, les coopérations renforcées ne doivent pas déboucher sur la constitution de clubs dont les membres auraient le choix de refuser et d’accepter de nouveaux membres de façon discrétionnaire. L’intégration différenciée doit rester ouverte et être dotée de critères légitimes et transparents(21).

Cette position française peut sembler paradoxale dans la mesure où le Livre blanc ne manque pas de souligner le potentiel offert par le cadre européen(22). Dès lors, plusieurs voies peuvent être proposées pour faciliter la convergence de vues entre les différents acteurs de la PSDC afin d’as-surer « une mise en œuvre effective de l’approche globale, qui constitue un axe prioritaire de l’action extérieure de l’Union européenne »(23). Outre le niveau étatique, bien couvert par le Livre blanc, les niveaux organisa-tionnels et individuels méritent de faire l’objet d’une attention spécifique.

Sur le plan organisationnel, le Livre blanc met l’accent sur le rôle clé du Service européen d’action extérieure (SEAE) et souhaite « œuvrer à une meilleure coordination des acteurs institutionnels, des politiques inter-gouvernementales et communautaires et des instruments de gestion de crises, que ceux-ci soient civils ou militaires »(24). De nombreuses études ont démontré que les bureaucraties, au niveau domestique comme au niveau international, tendent à conserver jalousement leurs prérogatives et préfèrent s’engager dans des batailles pour accroître leur influence et leur mandat, plutôt que de coopérer(25). Les oppositions peuvent aussi naître de profondes différences culturelles et normatives(26). Afin de dépasser ces rivalités, il convient de réfléchir aux façons de doter les délégations de l’Union Européenne sur le terrain, mais aussi le SEAE, de ressources

(21) Chopin Thierry, Jamet Jean-François, "La différentiation peut-elle contribuer à l'appro-fondissement de l'intégration communautaire ?", Fondation Robert Schuman, Questions d'Europe n° 106 et 107, 15 et 21 juillet 2008, pp. 1-17.(22) LBDSN, pp. 64-65.(23) LBDSN, p. 101.(24) LBDSN, p. 101.(25) Allison Graham. T. and Zelikow Philip., Essence of Decision. Explaining the Cuban Missile Crisis, 1999, 2nde édition révisée, Little Brown, Boston ; Cooley Alexander., Ron James, “The NGO Scramble, Organisational Insecurity and the Political Economy of Transnational Action”, International Security, Vol. 27, n° 1, Summer 2002, pp. 5-39.(26) Barnett Michael, Finnemore Martha, Rules for the World: International Organizations in World Politics, 2004, Cornell University Press, New-York.

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dédiées (financières comme humaines) quitte à fusionner les lignes budgé-taires des services de la Commission et du Conseil inclus dans le Service. Sur le plan logistique, la colocalisation des bureaux a déjà permis un rap-prochement des services sur le terrain. Elle devrait être la règle partout.

Le Livre blanc appelle de ses vœux de façon très novatrice le « renfor-cement des pouvoirs du représentant spécial de l’Union européenne »(27)

(RSUE). Niveau souvent délaissé, le niveau individuel est pourtant clé pour expliquer la naissance de phénomènes coopératifs. La littérature met ainsi en avant l’importance du leadership, de la confiance, des individus susceptibles de créer des liens entre organisations(28) et communautés pro-fessionnelles(29). Ainsi, à l’image de ce qui existe pour le recrutement des coordinateurs résidents et humanitaires des Nations unies, le recrutement du RSUE devrait mettre l’accent sur la valorisation d’expériences profes-sionnelles variées et de qualités interpersonnelles fortes. Il est aussi central de promouvoir des trajectoires professionnelles et des formations croisées entre communauté civile et militaire.

La France face aux conceptions rivales de la gestion de crise

Les rivalités interinstitutionnelles

Membre fondateur de l’Otan et de l’UE, membre permanent du CSNU et partenaire privilégié de l’Union africaine, la France se trouve dans une situation pivot, au centre de l’architecture internationale de gestion de crise. Elle est donc dans un rôle clé pour faciliter une « action convergente et coordonnée »(30) de ces institutions que le Livre blanc appelle de ses vœux, sans proposer d’action concrète à cet égard.

(27) LBDSN, p. 102.(28) Crozier Michel, Friedberg Ehrard, L’acteur et le système : les contraintes de l’action collective, 1992, Paris, Les Éditions du Seuil ; Granovetter Mark, “The Strength of Weak Ties”, 1973, The American Journal of Sociology, Vol. 78, n° 6, May, pp. 1360-1380.(29) Koops Joachim. A., “Nato’s Influence on the Evolution of the European Union as a Security Actor”, 2012, in Costa Oriol., Jørgensen Knud.E. (eds), The influence of interna-tional institutions on the EU. When Multilateralism hits Brussels, Eastbourne, Palagrave Macmillan, Palgrave Studies in European Union Politics, pp. 155-179.(30) LBDSN, p. 25.

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Le Livre blanc semble consacrer la primauté d’une « approche plus régio-nale de la gestion de crise »(31). Toutefois, cette approche n’est pas sans poser problème.

Tout d’abord, il convient d’évaluer avec soin les rapports qu’entretiennent sur le terrain les missions politiques des Nations unies, les agences onu-siennes et les organisations régionales. La réalité des rapports sur le terrain met souvent à mal l’accent discursif mis sur la coopération et le partena-riat(32). L’opération au Kosovo démontre que cette relation n’est pas sans poser problème, particulièrement entre l’ONU et l’UE qui refusent que cette opération soit reconnue comme un arrangement régional au titre du chapitre VIII de la Charte des Nations unies soumit par là même à l’auto-rité des Nations unies. En Somalie, la façon dont l’approche globale euro-péenne contribue à l’approche intégrée onusienne reste à clarifier. Par sa position de membre permanent, la France est dans une situation privilégiée pour clarifier le partage des tâches entre l’ONU et l’UE sur le terrain.

La régionalisation de la gestion de crise soulève également la question de sa plus grande politisation. En particulier certaines organisations régionales en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie sont suspectées de n’être que des instruments au service des intérêts de leurs membres les plus puissants(33).

En outre, les rédacteurs du Livre blanc semblent optimistes quand ils affir-ment que « l’Otan et l’UE ne sont pas en concurrence »(34). De fait le problème chypriote grève les rapports entre les deux organisations sur le terrain rendant la coopération opérationnelle parfois difficile. En Somalie et au Kosovo, les personnels des deux organisations ont dû faire preuve d’ingéniosité afin de développer des modalités informelles de coordination sur le terrain alors que les relations entre les capitales des États membres étaient tendues. Le Livre blanc pose pour objectif important le développe-

(31) LBDSN, p. 33.(32) Delcourt Barbara, Martinelli Marta, Klimis Emmanuel, L’UE et la gestion de crises, 2008, Éditions de l'ILB, Bruxelles, p. 133 ; Tardy Thierry, Coopération interinstitution-nelle : de la compatibilité entre l'ONU et l'Union européenne dans la gestion des crises, 2011 ; Étude Raoul Dandurand 23 publiée par la chaire Raoul- Dandurand en études diplomatiques et stratégiques, Montréal, 39 pages.(33) Tardy Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix. Acteurs, activités, défis, op.cit, p. 191.(34) LBDSN, p. 63.

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ment « d’une coopération étroite et pragmatique entre ces deux organisa-tions »(35). La France est dans une position pivot pour élargir le dialogue entre les deux organisations, en œuvrant pour qu’il ne soit pas limité aux opérations relevant de l’accord "Berlin Plus", mais s’opère plus largement sur des questions stratégiques ayant trait à la gestion de crise en général. La question du partage des tâches et des zones d’intervention respectives des deux organisations méritent à ce titre d’être soulevées(36).

Une gestion de crise perçue comme "occidentale"

Si les valeurs promues par la France comme par l’Union européenne ont « une portée universelle »(37), il n’en demeure pas moins que les modèles de gestion de crise défendus par l’ONU, l’Otan et l’UE apparaissent de plus en plus comme occidentaux. Toutefois, les rédacteurs du Livre blanc déplorent que le fait que les grandes Nations émergentes ne soient pas « toutes prêtes à assumer les responsabilités globales qu’impose leur poids démographique et économique grandissant »(38).

Ce constat mérite d’être nuancé au regard des opérations en cours et des événements récents. En Afrique, l’émergence de la Chine, de l’Inde, des États du golfe et la Turquie s’est concrétisée, sur le terrain, par un certain refus de rejoindre les structures de coordination traditionnelles. Ces États prétendent inventer leur propre modèle de gestion de crise, notamment en Somalie où le rôle de l’organisation de Coopération islamique est central à cet égard. Pour faire face à la crise syrienne, la Chine a débloqué des crédits importants pour financer la réponse humanitaire. Sur le plan nor-matif, les débats autour de la "protection responsable", concept introduit par le Brésil faisant suite aux mécontentements des émergents après l’inter-vention en Libye, semblent indiquer une volonté plus forte de participer à la réforme du système international de gestion de crise(39).

(35) LBDSN, p. 64.(36) Tardy Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix. Acteurs, activités, défis, op.cit, p. 202.(37) LBDSN, p. 13.(38) LBDSN, p. 63, p. 31.(39) Egger Clara, L'encadrement du recours à la force et le concept de "protection respon-sable" : ce que l'opération Unified Protector a changé, note pour le CICDE, juin 2013, http://www.cicde.defense.gouv.fr/spip.php?article1315

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La France, forte d’une histoire faite de métissage peut être un acteur majeur de la désoccidentalisation de la gestion de crise contemporaine(40). Le soutien de la France à l’Union africaine mis en exergue par le Livre blanc est, à ce titre, un pas dans la bonne direction(41). Il convient toutefois de s’assurer que ce soutien débouche sur un renforcement des capacités, notamment institutionnelles, de l’organisation, encore trop faibles pour permettre l’indépendance.

Les tensions entre acteurs civils et militaires

« La résolution des crises obéit de plus en plus à une approche intégrée, dans laquelle les volets civil et militaire sont étroitement imbriqués, ceci jusqu’aux échelons les plus proches du terrain. À mesure que la résolu-tion de la crise progresse, l’opération militaire devra être complémentaire des opérations à dominante civile de reconstruction, de rétablissement du fonctionnement des institutions publiques et de restauration des capacités économiques de base »(42). En ce qui concerne les relations civilo-militaires, le Livre blanc plaide pour une approche séquentielle, conforme à la plu-part des lignes directrices internationales encadrant les relations civilo-mi-litaires(43).

Ces relations sont particulièrement délicates quand les acteurs civils sont en charge d’organiser des programmes humanitaires. L’accès aux popu-lations victimes repose, pour les acteurs humanitaires, sur le respect de principes de neutralité, d’impartialité, de solidarité et d’indépendance. Si le respect de ces principes varie considérablement d’une ONG à l’autre, il est vital pour les acteurs humanitaires de se distinguer des acteurs sécuritaires d’autant plus que la plupart des opérations de gestion de crise ont lieu dans des zones grises où les combats se poursuivent malgré les accords de paix, et où, malgré l’accent mis sur l’aide au développement et la reconstruc-tion des institutions gouvernementales, la situation humanitaire demeure

(40) Micheletti Pierre, Humanitaire : s’adapter ou renoncer, 2008, Paris, Marabout, essai, 245 pages ; Badie Bertrand, La diplomatie de connivence. Les dérives oligarchiques du système international, 2011, Paris, La Découverte, coll. "Cahier libres", 276 pages.(41) LBDSN, p. 55.(42) LBDSN, p. 85.(43) UN Ocha, Inter-Agency Standing Committee (Iasc), Civil-Military Guidelines and Refe-rence for Complex Emergencies, 2008, New York.

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alarmante. Le fait que la direction de la Commission en charge de l’aide humanitaire (Echo) soit le seul organe de la Commission à n’être pas inclus dans le SEAE est à interpréter dans ce contexte.

Les forces armées intervenant sur ces terrains sont donc placées face à un dilemme : la nécessaire distinction entre acteurs civils et militaires nuit souvent au dialogue sur le terrain, alors que les troupes militaires seront sollicitées en cas d’incident de sécurité. Forte de son implication forte dans l’action humanitaire par le biais de nombreuses ONG réputées, la cel-lule interministérielle pour la gestion civilo-militaire des crises pourrait s’inspirer de son partenaire allemand et œuvrer à la signature d’un accord avec les ONG humanitaires visant à clarifier en amont les modalités d’in-teraction entre acteurs militaires et civils sur le terrain dans le respect des normes internationales régulant les relations civilo-militaires(44).

La France et le défi de l’appropriation localede la gestion de crise

« Les acteurs extérieurs n’auront cependant qu’une influence limitée sur l’issue d’événements qui obéissent avant tout à des logiques nationales »(45). Par ce constat, les rédacteurs du Livre blanc mettent l’accent sur l’impor-tance de l’appropriation locale des opérations de gestion de crise.

Il est important d’inclure le plus tôt possible les acteurs de la société civile locale dans la définition des objectifs des opérations de gestion de crise. Cette implication doit s’opérer dans le respect des différences claniques et ethniques existant au sein d’une population.

De façon très juste, le Livre blanc note qu’« un processus d’accompagne-ment politique est nécessaire pour établir, à défaut d’une pleine adhésion, une confiance minimale entre les différentes composantes d’un pays ainsi que vis-à-vis de l’autorité étatique »(46). Ce processus peut être long, mais

(44) Verband Entwicklungspolitik deustcher Nichtregierungs-Organisationen e.V . (Venro), Handreichung. Empfehlungen zur Interaktion zwischen Venro–Mitgliedsorganisationen und der Bundeswehr, 8. April 2013.(45) LBDSN, p. 32.(46) LBDSN, p. 80.

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il convient de ne pas chercher à consolider trop tôt l’autorité d’un État perçu comme illégitime par les populations dans un souci de stabilisation. En Somalie, si les différents groupes claniques ont été associés à la rédac-tion de la Constitution nationale, le gouvernement que la communauté internationale cherche à consolider peine à asseoir sa légitimité faute de reposer sur une base clanique suffisamment large. Ce constat invite à la prudence et à adopter un processus de négociation le plus inclusif possible entre acteurs internationaux et acteurs locaux pour définir les objectifs politiques d’une opération de gestion de crise.

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Thème central du Livre blanc, la conception de la gestion de crise se heurte à un certain nombre de défis que nous nous sommes proposé d’analyser. Cette étude du Livre blanc nous invite à proposer un

certain nombre de recommandations permettant une meilleure mise en œuvre de la conception française de la gestion de crise, conception qui répond tout à fait aux évolutions des crises extérieures.

• La réussite de l’approche globale d’un point de vue français et euro-péen nécessite d’adopter des stratégies et des instruments de veille et de planification flexibles et pragmatiques, répondant aux spécificités de chaque théâtre d’opérations. L’accent doit être mis sur la nécessité de ressources dédiées à cette approche (financières, humaines, logis-tiques).

• Face aux lenteurs du processus européen, le choix de développer des coopérations renforcées la France et ses partenaires dans le domaine de la défense peut être judicieux. Il n’est toutefois pas sans risques (fragmentation du processus d’intégration, division des Européens, création de clubs fermés) et doit être utilisé avec précaution.

• La gestion des crises extérieures est un champ caractérisé par l’affron-tement de conceptions divergentes (universelle vs régionale ; occiden-tale vs non-occidentale ; civile vs militaire). La France est dans une situation "pivot" pour faciliter la convergence et le partage des tâches et des responsabilités entre les différentes organisations où elle joue un rôle moteur (ONU, Otan, UE).

• Les relations entre acteurs militaires et civiles peuvent se révéler par-ticulièrement tendues sur le terrain en particulier entre acteurs huma-nitaires et militaires. Dans ce contexte, les modalités d’interaction doivent faire l’objet d’un accord entre ces deux communautés en amont de l’intervention.

• Pour réussir dans le long terme, une opération de gestion de crise doit faire l’objet d’un processus d’appropriation par les acteurs locaux, acteurs clés de la définition des objectifs politique.

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Pour aller plus loin(47)

Wittkowsky Andreas, Wittkampf Ulrich, Pionneering the Comprehensive Approach: How Germany’s Partners Do It, ZIF Policy Briefing, Center for International Peace Operations, Berlin, 2013. Un document bref, mais très complet qui propose une exploration synthétique des différents modèles d’approches globales conçues par les partenaires européens de la France. Une ressource essentielle pour penser l’approche globale au niveau étatique.

Metcalfe Victoria, Haysom Simon, Gordon Stuart, Trends and Challenges in Humanitarian Civil-Military Coordination. A Review of the Literature, HPG Working Paper, London, May 2012, 39 pages. Une analyse très com-plète de la littérature sur le concept de coordination civilo-militaire. Les auteurs passent en revue les mécanismes existants, et s’interrogent sur la façon dont acteurs civils et militaires peuvent s’engager dans une coordi-nation stratégique et efficace.

“Frictions in Peacebuilding Interventions: The Unpredictability of Local–Global Interaction”, June 2013, International Peacekeeping, Special Issue, Volume 20, Issue 2. Un très bon numéro spécial de la revue de référence sur le maintien de la paix. Les différentes contributions explorent, par des études de cas, les dilemmes liés à l’inclusion des acteurs locaux dans les programmes de gestion de crise.

Grevi Giovanni, Keohane Daniel (eds), Challenges for European Foreign Policy in 2013 Renewing the EU’s role in the World, Fride, Madrid, 2013. Ce rapport compose d’une succession d’articles distincts passent en revue les enjeux de la politique extérieure européenne en 2013. En particulier la question du bon niveau de réponse aux crises dans la corne de l’Afrique et au Sahel est abordée.

(47) Il convient de noter le fait que la recherche sur la coopération interorganisationnelle dans les opérations de gestion de crise est une thématique de recherche émergente. Dès lors il n’y a que peu de travaux récents sur ce sujet. L’auteur travaille sur une étude de l’Irsem sur l’approche globale européenne qui devrait être publiée fin 2013.

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Le Livre blanc de 2013et les organisations européennes de sécurité, entre volontarismeet scepticismeJérôme CLERGETHistorien, université de Strasbourg

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 affirme de manière très claire que la France est engagée dans plusieurs organisations internationales et que cette présence constitue un élément majeur de sa sécurité. C’est ainsi, selon le document, que « l’ouverture de la France au monde est également renforcée par la participation active de notre pays à de nombreuses organisations multilatérales […] et, s’agissant en parti-culier de sa défense et de sa sécurité, à trois grandes institutions nées de la Seconde Guerre mondiale, l’ONU, l’Otan et l’Union européenne »(48). À ce titre, le document stratégique précise que les premiers partenaires de la France sont les États membres de l’Union européenne, tout en rap-pelant que le pays est également attaché au lien de solidarité transatlan-tique et à sa relation avec les États-Unis. Si « l’Otan et l’Union européenne ne sont pas en concurrence »(49), le Livre blanc met tout particulièrement l’accent sur la volonté de la France de développer de manière prioritaire la construction européenne en matière de sécurité et de défense, en prô-nant une relance de la politique de sécurité et de défense commune, qu’elle considère « non comme une fin en soi, mais comme un instrument, civil et militaire, au service des intérêts essentiels de l’Union européenne »(50). Il souligne toutefois que la crise économique rend illusoire, à court terme, une plus grande prise de responsabilité de l’Europe de la défense dans la sécurité du continent et du monde. Face à ce constat, le Livre blanc préco-nise le développement de partenariats bilatéraux privilégiés avec certains des États membres de l’Union européenne.

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Le Livre(48)

blanc(49)

sur la défense et la sécurité nationale de 2013 fait réfé-rence à de nombreuses reprises à l’Alliance atlantique et au volet sécurité et défense de l’Union européenne, auxquels il consacre son chapitre cinq. La sécurité de l’Europe et de la zone transatlantique est, par ailleurs, expli-citement citée comme l’une des priorités stratégiques de la France

(50)

, dans la mesure où « la plupart des risques et des menaces concernant la France sont très largement partagés par les autres pays membres de l’Union euro-péenne et de l’Alliance »(51) et que « la sécurité des voisins de l’Union euro-péenne a pour la France un caractère prioritaire »(52).

À ce titre, de nombreuses thématiques y sont liées, qu’il s’agisse des res-ponsabilités de la France, des relations à entretenir avec l’environnement immédiat de l’Europe, ou encore du marché international de l’armement. Cette place prépondérante prouve que la France est désormais pleinement intégrée dans une série d’organisations, que celles-ci forment en grande partie son environnement stratégique et qu’elles impactent sa politique de sécurité. Aussi, il convient de se demander comment le Livre blanc appré-hende la place de la France dans les différentes organisations européennes compétentes pour les questions de sécurité. Quelles ambitions le pays entend-il donner à ces institutions ? Quelles évolutions peut-on discerner par rapport aux précédents livres blancs ? Si le Livre blanc de 2013 affiche un volontarisme certain, celui-ci est aussi teinté de scepticisme.

L’Otan plutôt que la PSDC, un choix par défaut

Le Livre blanc de 2013 est le premier à prendre en compte le retour « plein et entier »(53) de la France dans le commandement intégré de l’Otan, même si celui de 2008 en abordait déjà le principe. L’évolution de la doctrine stratégique française est importante. La non-participation de la France au commandement militaire intégré lui permettait, sans renier la solidarité

(48) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 15.(49) Ibid. p. 63. (50) Ibid. p. 65. (51) Ibid. p. 51.(52) LBDSN, p. 53.(53) LBDSN, p. 20.

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atlantique, d’affirmer une position non alignée sur les États-Unis(54), pré-servant la possibilité d’une défense européenne autonome. Inversement, la réintégration dans le commandement intégré devait effacer les soupçons selon lesquels la France voulait construire l’Europe de la défense contre l’Otan(55). Le Livre blanc ne remet nullement en cause ce retour, mais sou-ligne qu’il ne signifie pas pour autant un abandon du développement de l’Europe de la défense, dont il fait même une « priorité »(56). Il affirme, comme l’avait fait celui de 2008, que « l’Otan et l’Union européenne ne sont pas en concurrence. Ces deux organisations sont complémen-taires »(57). Pourtant, les exemples concrets pour renforcer le partenariat Otan/UE et pour relancer la Politique de sécurité et de défense communau-taire (PSDC)(58) restent les grands absents du document(59).

Malgré l’engagement réitéré en faveur d’un développement de la PSDC, il se dégage un sentiment d’attentisme à son égard, qui contraste avec la volonté de faire de l’Otan une « alliance forte »(60). Au regard du déve-

(54) Védrine Hubert, rapport pour le président de la République française, Les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan sur l'avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l'Europe de la défense, 2012, p. 9.(55) Carrère Jean-Louis, rapport d'information fait au nom de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, La révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, Sénat, 2012, p. 24.(56) LBDSN, p. 64.(57) LBDSN, p. 63. Par ailleurs, le premier sous-titre du chapitre 5 du Livre blanc de 2008 était "L’Union européenne et l’Otan : des organisations complémentaires", p. 99.(58) Si le Traité de Maastricht prévoit une politique étrangère et de sécurité commune (PESC), ainsi que la définition à terme d’une politique de défense commune (PESD), c’est le Traité de Nice de 2001 qui créé les structures politiques et militaires permanentes de la PESD, tels le Comité politique et de sécurité (Cops), le Comité militaire de l’UE (Cmue) et l’État-major de l’UE (Emue). Aussi, la PESD regroupait les instruments opérationnels de la PESC, dans laquelle elle était incluse. Après le Traité de Lisbonne de 2007, la PESD est renommée "Politique européenne de sécurité et de défense commune" (PSDC), dans le cadre de la suppression de la division en trois piliers (pilier communautaire, politique étrangère et de sécurité commune, justice et affaires intérieures) qui structurait jusqu’alors le fonctionnement de l’UE.(59) Un rapport d'information de l'Assemblée nationale de 2013 souligne, par exemple, la sous-utilisation ou la non-utilisation de l’Eurocorps, la brigade franco-allemande, ou encore les groupements tactiques. Pueyo Joaquim et Fromion Yves, rapport d'information déposé par la commission des affaires européennes, La relance de l'Europe de la défense, Assemblée nationale, 2013, p. 13.(60) LBDSN, p. 63.

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loppement de la défense européenne, le Livre blanc se fait d’ailleurs très sceptique. Il constate ainsi que l’on assiste à une baisse des budgets de défense en Europe sans connaître pour autant un accroissement de la coor-dination(61). En effet, en 2011, le total des dépenses de défense des vingt-six États(62) membres participants à la PSDC s’élevait à 192,5 milliards d’euros, contre 209 milliards d’euros en 2006, représentant en moyenne seulement 1,55 % du produit intérieur brut (PIB) de l’ensemble des États considérés en 2011 contre 1,78 % en 2006(63). Les effets de la crise éco-nomique n’y sont pas étrangers(64), s’ajoutant au choix de nombreux pays de faire reposer la défense de l’Europe prioritairement sur l’Alliance, dont c’est d’ailleurs la mission première(65).

C’est assurément dans le scepticisme affiché vis-à-vis des perspectives à court et moyen terme de la défense européenne qu’il faut chercher à com-prendre l’intérêt nouveau de la France pour l’Otan, dont les États-Unis sont au centre. Pour autant, cette orientation contredit un constat géopoli-tique que dégage le Livre blanc lui-même, qui est celui de la transformation rapide de la politique américaine et de son repositionnement stratégique. En effet, le document anticipe, en premier lieu, un retrait progressif des États-Unis du continent européen(66), en remarquant la réduction probable des dépenses militaires dans le budget fédéral américain, ce qui ne man-querait pas d’affecter la présence armée américaine à l’étranger. En effet, le secrétaire à la Défense des États-Unis Leon Panetta annonçait déjà, en 2012, le retrait de 7000 soldats américains sur 81 000 en Europe(67). Il convient par ailleurs de souligner la volonté générale de ce pays de réduire sa présence militaire internationale, comme en témoigne le retrait en cours d’Afghanistan.

(61) LBDSN, pp. 10 et 37.(62) Le Danemark bénéfice depuis le Traité de Maastricht d’une clause d’opting out sur le volet sécurité et défense de l’Union européenne.(63) Defence Data 2011, Agence européenne de défense, Bruxelles, 2013, p. 4.(64) LBDSN, pp. 17 et 31.(65) Perruche Jean-Paul, "La défense de l'Europe a-t-elle besoin de l'Europe de la défense", dans Perruche Jean-Paul (dir.), L'Europe de la défense post-Lisbonne, illusion ou défi ?, Études de l'Irsem, n° 11, 2011, p. 50.(66) LBDSN, p. 29.(67) Discours de Leon Panetta à Fort Bliss, 12 janvier 2012, http://www.defense.gov/speeches/speech.aspx?speechid=1646

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En second lieu, le Livre blanc constate une réorientation de l’intérêt des États-Unis vers l’Asie et la zone pacifique(68), élément déjà présent en 2008(69), au détriment du continent européen. Les États-Unis veulent de moins en moins agir en chef de file dans le voisinage de l’Europe, et pré-fèrent désormais se limiter à des interventions au second plan, comme l’a fort bien illustré le conflit libyen. Si les États-Unis ont tout de même gardé un rôle important sur ce dossier, même en arrière-plan, le recul est plus marqué encore dans le cas du Mali où leur implication s’est limitée à un appui à l’intervention française.

Le manque d’avancées concrètes pour développer une Europe de la défense ambitieuse, conjugué à la baisse des budgets nationaux en matière de défense, se heurte par conséquent au constat d’un désintérêt croissant des États-Unis pour l’Europe, et le Livre blanc n’offre pas réellement de solu-tions pour trancher ce nœud gordien. Si l’argument budgétaire est fonda-mental, il ne faut pas pour autant oublier de rappeler que les États membres de l’UE dépensent ensemble l’équivalent de 60 % du budget de défense des États-Unis(70). Même si ce chiffre peut être amené à reculer, il demeure non négligeable. Aussi, plus qu’une question purement budgétaire, c’est le problème du manque de complémentarité des moyens européens qui se pose. Ceux-ci reflètent encore souvent l’orientation traditionnelle vers la défense territoriale plutôt qu’en faveur d’une meilleure capacité de projec-tion des forces(71). Pour autant, si le recul de l’investissement des États-Unis en Europe se poursuit, la France n’aura d’autre choix que de chercher à promouvoir de manière plus active le rôle de l’Union européenne, celle-ci restant la seule organisation à pouvoir assurer un leadership sur le conti-nent européen et dans son voisinage, en l’absence de l’Otan.

(68) LBDSN, p. 30.(69) LBDSN 2008, p. 34.(70) Menon Anand, "La politique de défense européenne après le Traité de Lisbonne. Beau-coup de bruit pour rien." Politique étrangère, 2011/2, Été, p. 378.(71) Boyer Yves et Vilboux Nicole, "Vision américaine de l’Otan", Fondation pour la recherche stratégique, Recherches & Documents, n° 01/2010, p. 30.

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L’absence d’une perspective paneuropéenne

La grande absente du Livre blanc, qui l’était déjà en 2008, est l’Organisa-tion pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)(72). Si la Confé-rence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) avait, dans la guerre froide, pour but de consolider la coopération d’États européens aux systèmes politiques différents, elle ne disparaît pas pour autant après 1989. En devenant une organisation régionale permanente en 1995, l’OSCE affiche un nouvel objectif, celui d’intégrer les ex-républiques soviétiques au sein d’un système de sécurité paneuropéen. Cette vision présente la perspective d’une « Grande Europe » de « Vancouver à Vladivostok »(73), autrement dit à la fois euroatlantique et eurasiatique. L’organisation n’est cependant citée qu’une seule fois dans le Livre blanc, de manière anecdo-tique. L’évolution de la doctrine stratégique française sur ce point est assez nette.

Dans le Livre blanc de 1994, la CSCE était présentée comme « le lieu par excellence d’un dialogue politique entre égaux, d’État à État, de tous les pays européens »(74), et comme une institution pouvant légitimer, au même titre que l’ONU, l’organisation d’opérations de maintien de la paix(75). Le document de 1994 souhaitait également « éviter la reconstitution de blocs militaires antagonistes, en établissant un cadre de sécurité incluant la Russie et tenant compte du processus d’élargissement progressif de l’Union européenne. »(76) En 2013, seule l’ONU est considérée comme

(72) La Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), ancêtre de l’OSCE, est constituée en 1973, et regroupait à l’origine les États-Unis, l’Union soviétique, le Canada, et l’ensemble des États européens à l’exception de l’Albanie et Andorre. Elle pro-venait de la volonté d’institutionnaliser les relations Est-Ouest dans la guerre froide, alors dans une période de détente. Après la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, l’idée apparaît, dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe du 21 novembre 1990, de faire de la CSCE une organisation de sécurité régionale permettant de gérer les questions de sécurité dans une perspective paneuropéenne. Le 1er janvier 1995, la CSCE devient une organisation régionale permanente, l’OSCE, au terme du Sommet de Budapest des 5 et 6 décembre 1994.(73) Ghebali Victor-Yves, "L'idée de l'identité paneuropéenne, de la CSCE à l'OSCE", dans Bitsch Marie-Thérèse, Loth Wilfried, et Poidevin Raymond (dir.), Institutions européennes et identité européenne, Paris, Bruylant, 1998, p. 268.(74) LBDSN 1994, p. 38.(75) Ibid., p. 61.(76) Ibid., p. 31.

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pourvoyeuse de la légitimité internationale(77) même si les organisations régionales sont également citées, mais sans spécifier lesquelles, illustrant le retrait de l’OSCE. En 20 ans, le décalage est donc important. Aussi, alors que la constitution d’un espace de sécurité paneuropéen incluant la Russie était une priorité en 1994(78), au même titre que le développement d’une politique de sécurité et de défense européenne et que la rénovation du lien transatlantique, seuls les deux derniers perdurent en 2013. L’ab-sence d’une instance pertinente de dialogue sur les questions de sécurité à l’échelle continentale pose rapidement la question de l’environnement immédiat de l’Union européenne et de la qualification de la Russie dans la doctrine française.

La place de la Russie est devenue une question prioritaire alors qu’elle est désormais géographiquement plus proche que jamais de l’Union euro-péenne, du fait des élargissements successifs à l’Est. Le Livre blanc affirme clairement que le voisinage oriental de l’Europe doit faire l’objet d’une « vigilance particulière »(79). Il semble avant tout hésiter entre considérer la Russie comme une menace ou comme un partenaire, élément déjà présent dans le Livre blanc de 2008(80). Aussi, il constate que le budget militaire russe est « en augmentation rapide » et qu’il existe des « différends persis-tants » sur bon nombre de domaines, qu’il s’agisse de l’Otan ou de la Syrie. De même, il s’inquiète fortement du fait que la Russie « s’efforce d’établir un monopole sur les routes d’approvisionnement » de l’énergie(81). Dans le même temps, il reconnaît l’existence d’une « coopération » et de « conver-gences »(82). Paradoxalement, ces difficultés de dialogue, entre l’Otan et la Russie d’une part et entre l’Union européenne et la Russie d’autre part, impliquent de fait une perte d’intérêt de l’OSCE dans son rôle de lien entre la Russie et le reste de l’Europe. Cela explique le recul très marqué du rôle de cette organisation dans la résolution des tensions sur le continent.

(77) LBDSN, p. 25.(78) LBDSN 1994, p. 31.(79) LBDSN, p. 54.(80) Romer Jean-Christophe, "La Russie dans le Livre blanc et après", Revue Défense Nationale, n °745, décembre 2011, p. 67.(81) LBDSN, p. 36.(82) LBDSN, p. 37.

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Aussi, alors que l’OSCE n’est plus évoquée, le dialogue avec la Russie semble d’autant plus difficile et contrasté qu’il n’existe plus de réelle inter-face paneuropéenne pertinente, bien que la Russie en soit demandeuse(83). Le Livre blanc souligne à ce titre plusieurs éléments potentiellement dés-tabilisateurs de la part de la Russie que sont « [...] (son) utilisation de la ressource énergétique [...] (ses) pressions sur l’environnement proche et en Géorgie [...] (la) reconnaissance d’entités sécessionnistes. »(84), tout en rele-vant « la dépendance énergétique de l’Europe à l’égard de la Russie »(85). Il convient de tenir compte du risque que l’Allemagne se tourne davantage vers la Russie, les deux pays étant désormais liés par le gazoduc "Nord Stream", et que la France ne soit plus au premier plan sur le dossier des relations UE/Russie. Aussi, la France a tout intérêt à ne pas rester en dehors de ce dialogue, alors même que l’ancrage de la Russie en Europe semble indispensable pour assurer la stabilité du continent, compte tenu des sujets de discorde. Il serait sans doute nécessaire d’imaginer une nouvelle inter-face, ou une relance de l’OSCE, afin de développer une démarche inclu-sive des États européens demeurant hors de la construction européenne ou transatlantique.

La principale innovation : le bilatéralisme consacré

Il existe par conséquent un contraste saisissant entre l’importance accordée par le Livre blanc aux organisations de sécurité, hormis l’OSCE, et les difficultés que rencontre chacune d’elles. Alors que l’Otan souffre d’un désengagement "États-unien" de l’Europe, que la PSDC peine à se déve-lopper faute de volonté politique et financière, et que l’OSCE ne semble plus permettre un dialogue à l’échelle du continent, la principale innova-tion du Livre blanc est qu’il consacre une orientation nouvelle : celle des partenariats bilatéraux. Le document cite expressément un certain nombre d’États avec lesquels la France devrait renforcer sa coopération bilatérale :

(83) La Russie, par l’intermédiaire du président Medvedev, a proposé un nouveau "Pacte de sécurité paneuropéen" lors d'une conférence de l'Ifri à Évian, le 8 octobre 2008. La pro-position de traité est consultable (en anglais) sur le site du ministère des Affaires étrangères russe : http://www.mid.ru/ns-dvbr.nsf/dveurope/065fc3182ca460d1c325767f003073cc(84) LBDSN, p. 36.(85) LBDSN, p. 54.

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l’Allemagne, la Pologne, l’Espagne, l’Italie, les États de Visegrad(86), et sur-tout le Royaume-Uni(87). Ce dernier est vu comme le partenaire à privilé-gier en matière de sécurité et de défense, ce qui est aisément compréhen-sible compte tenu du fait qu’il est, avec la France, la seule puissance au sein de l’Union européenne ayant une vision stratégique et bénéficiant de la force nucléaire. Aussi, le document souhaite que continue à se déve-lopper « […] entre la France et le Royaume-Uni une coopération étroite en matière de défense, impliquant notamment dans des domaines haute-ment sensibles tels que le nucléaire, les missiles et les drones, le dévelop-pement de programmes conjoints, la création d’installations communes et des transferts réciproques de technologie. Dans le domaine opérationnel, la montée en puissance d’une force expéditionnaire interarmées conjointe concrétise l’approfondissement de la coopération entre les deux pays »(88). En effet, le Livre blanc reconnaît une orientation déjà esquissée lors des Accords franco-britanniques de Lancaster House de 2010, et qui a trouvé une application pratique lors du conflit libyen, où ni l’Union européenne ni l’Otan, n’ont été partie prenante.

Aussi, le Livre blanc semble prendre acte de manière implicite des diffi-cultés de fonctionnement du multilatéralisme en Europe, en matière de sécurité, et choisi de contourner celles-ci par le recours au bilatéralisme, indiscutablement plus souple et plus flexible(89), puisque permettant d’éviter les mécanismes traditionnels. Le recours à la PESD (PSDC)a prouvé à maintes reprises sa lourdeur, voire son immobilisme, du fait d’un système de prise de décision de l’unanimité(90). L’opposition de l’Allemagne à une intervention en Libye aurait, par exemple, rendu bien plus compliqué une opération au nom de l’Union européenne, si bien qu’il n’a même pas été envisagé d’utiliser la PSDC pour une intervention dans une zone pourtant proche de l’Europe. Le recours aux partenariats interétatiques devrait, selon le Livre blanc, renforcer l’Europe de la défense, lorsqu’il affirme que « Ces partenariats interétatiques contribuent à consolider l’Europe de la défense et sont conduits en complémentarité avec les initiatives de l’Union

(86) Composés, outre la Pologne, de la Hongrie, la République tchèque, et la Slovaquie.(87) LBDSN, p. 22.(88) LBDSN, p. 21.(89) Pueyo Joaquim et Fromion Yves, op. cit., p. 13.(90) Romer Jean-Christophe, "Regard russe sur l'Europe de la défense", dans Perruche Jean-Paul (dir.), op. cit., p. 248.

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européenne »(91). Cet élément est en revanche nettement plus contestable, dans la mesure où les traités de Londres, s’ils permettent une coopération accrue entre les deux pays, sortent totalement du cadre de la PESD. De même, le choix du Royaume-Uni comme partenaire privilégié, qui est l’un des pays les plus frileux à développer une Europe de la défense dans le cadre de l’UE, ne semble pas augurer d’un renforcement de la PSDC.

Aussi, quinze ans après le Sommet franco-britannique de Saint-Malo de 1998, dont l’objectif était de relancer le projet de coopération militaire accrue dans un cadre européen, il s’agit bel et bien de relancer désormais la coopération militaire à l’échelon bilatéral. Plus qu’un développement de l’Europe de la défense "à la carte", le recours au bilatéralisme semble par conséquent surtout être un moyen de remplacer une Europe de la défense paralysée par les désaccords, qui demeurent persistants, et le manque de moyens financiers. La difficulté à obtenir un consensus dans le cadre de la PSDC se présente avec d’autant plus d’acuité en tenant compte du principe selon lequel les coûts d’une intervention sont pris en charge par le pays intervenant. L’existence du mécanisme "Athena", constitué en 2004(92), qui créé un fonds de réserve prenant en charge une partie des dépenses liées à une opération de l’UE, ne résout pas le problème. En effet, tous les États membres contribuent jusqu’à environ 10 % du coût total de la mission, ce qui n’empêche pas que ce soit les pays intervenants qui paient la plus grosse partie des dépenses. Aussi, nombre d’États membres en sont confortés dans leur réticence à accepter ces déploiements. Toutefois, le recours au bilatéra-lisme ne semble pas être la seule voie de recours. L’utilisation du mécanisme de la "Coopération structurée permanente" au sein de l’UE, prévu par le Traité de Lisbonne(93), présenterait une alternative à l’interétatisme.

Cette coopération concerne les « États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes »(94). Aussi, cet outil permet aux groupes d’États qui le souhaitent d’aller plus loin dans leur développement capacitaire, ce qui offrirait l’avantage de

(91) LBDSN, p. 22.(92) Décision 2011/871/Pesc du Conseil européen du 19 décembre 2011.(93) Article 42 du traité sur l’Union européenne (TUE).(94) Article 42, paragraphe 6, du traité sur l’Union européenne.

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pouvoir contourner l’absence de volonté politique commune à tous les États membres, tout en restant dans le cadre de l’UE. Il faut par ailleurs mettre au crédit de ce mécanisme que la procédure de mise en œuvre est considérablement plus souple que celle des autres coopérations renforcées, puisqu’elle n’est pas soumise à un nombre minimal de participants. De même, la règle de l’unanimité est délaissée au profit du vote à la majorité qualifiée, lorsqu’il s’agit d’intégrer un État membre désireux de participer à la coopération structurée permanente ou d’établir la liste des États par-ticipants(95). La coopération structurée permanente semble par conséquent être l’outil idéal pour constituer le "noyau dur" d’une Europe de la défense plus ambitieuse. Toutefois, le principal frein à la mise en place de cette coopération est que la formulation du traité peut sembler, en apparence, engager les Européens à dépenser davantage pour leur défense, ce qui entre en contradiction avec le contexte actuel de restriction budgétaire.

Pour autant, une autre interprétation est possible. Les « critères plus élevés de capacités militaires » semblent surtout appeler à une plus grande allo-cation des forces nationales à la PSDC et à accroitre leur capacité à être déployées dans le cadre de ses missions. De même, le traité ouvre la porte à un financement communautaire pour « les activités préparatoires » néces-saires à l’exécution des missions PSDC qui peuvent être financées par le budget de l’Union européenne(96). Si l’acception de ces activités prépara-toires n’a pas encore été définie, il s’agit là d’une inflexion notable dans la mesure où, jusqu’alors, les traités ont toujours interdit toute utilisation du budget européen pour des dépenses liées à la sécurité ou à la défense. Aussi, bien loin de mettre en sommeil la PSDC, la crise économique et financière devrait inciter à la mise en place d’une coopération structurée permanente destinée à réduire les coûts, en mettant en commun et en par-tageant des capacités existantes.

(95) Article 46 du traité sur l’Union européenne.(96) Article 41, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne.

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Le Livre blanc de 2013 s’affirme dans la continuité de celui de 2008, mais présente quelques innovations. Prenant acte des conséquences de la crise financière, il assume l’inscription française dans le cadre

de l’Otan, tout en demeurant attentiste vis-à-vis de la PSDC. Cette orien-tation, mi-choisie, mi-contrainte, présente une fragilité, car le Livre blanc reconnaît que les risques demeurent nombreux et divers. Le recours crois-sant au bilatéralisme, s’il permet de dépasser les contradictions internes des organisations régionales, risque ainsi de ne pouvoir former un modèle viable à l’aune des réductions capacitaires et du désengagement croissant des États-Unis du continent. La formation d’un groupe d’États pionniers au sein de l’UE, en matière de sécurité et de défense, représenterait une alternative intéressante, tout particulièrement en période de contraction des budgets de défense.

Pour aller plus loin

Dasseleer Pol-Henry, Russie-Union européenne, des regards sécuritaires différents, L’Harmattan, Paris, 2011, 258 pages. L’ouvrage de Pol-Henry Dasseleer apporte un éclairage très intéressant sur les difficultés de dia-logue entre l’Union européenne et la Russie. L’auteur présente de manière détaillée les logiques propres à chacun des acteurs en ce qui concerne l’analyse de la situation sécuritaire du continent européen, avant d’étudier les problèmes induits par des visions divergentes.

Koepf Tobias, "Interventions françaises en Afrique : la fin de l’européa-nisation ?", Politique étrangère, Ifri, 2012/2 Été, pages 415-426. L’article de Tobias Koepf offre une analyse des dernières interventions françaises en Afrique depuis 2009, dans lesquelles l’Union européenne joue un rôle décroissant comparativement à une période d’européanisation des opéra-tions militaires de la France en Afrique de 2003 et 2008.

Romer Jean-Christophe, "Otan-Russie, une relation à double détente", Revue Défense Nationale, Été 2012, pages 48-53. Jean-Christophe Romer étudie dans cet article l’ambivalence des relations entre l’Otan et la Russie. Il analyse les coopérations développées par les deux acteurs dans de nom-breux domaines, mais aussi les points de frictions qui demeurent.

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La "responsabilité de protéger" et le recours à la force :leçons libyennesArnaud SIADPolitiste, Sciences Po Paris

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 reconnaît « l’émergence de nouveaux principes internationaux tels que la responsa-bilité de protéger [...] (qui) marquent à la fois un progrès éthique et une évolution stratégique »(97). En effet, la France s’avère partie prenante de cette évolution puisqu’elle « a fait de la consolidation de ce principe une priorité de son action extérieure »(98). Toutefois, le document prend acte des réticences suscitées par le concept, puisqu’il estime que « le consensus sur la responsabilité de protéger, tel qu’il s’est exprimé au Sommet mondial de l’ONU en 2005, reste fragile »(99). Le Livre blanc fait enfin état des ten-sions générées par l’application de ce nouveau principe, entre « l’urgence qui, dans certaines situations, s’attache à la mise en œuvre de la respon-sabilité de protéger [et] la patience indispensable pour bâtir un consensus international »(100).

En invoquant « la responsabilité de protéger les civils » en Syrie lors de la conférence des ambassadeurs du 27 août 2013, le président de la Répu-blique, François Hollande, faisait allusion à la R2P(101) dont il reconnaissait

(97) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Paris, 2013, p. 24.(98) Ibid.(99) Ibid.(100) Ibid., p. 32.(101) Responsabilité de protéger devient R2P dans son abréviation anglo-saxonne.

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d’ailleurs le principe dans le même discours(102). Cette reconnaissance, consa-crée dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013, ne doit pas mener à faire l’économie d’une analyse conceptuelle de la R2P à l’aune de l’intervention libyenne de 2011. En effet, dans l’esprit de ses concepteurs, dont Kofi Annan fut la figure de proue, la R2P avait pour ambition de fédérer les États autour d’un consensus sur la nécessité, dans certains cas, d’outrepasser l’inviolable souveraineté d’un État(103). Or, l’intervention en Libye, portée par les Occidentaux avec enthousiasme sous le drapeau de la R2P, a été mal digérée par de nombreux acteurs, dont la Russie et la Chine. S’il y a eu effectivement consensus sur la R2P lors du Sommet mondial de 2005, il importe néanmoins d’en questionner la nature et les contours. Cet éclairage critique se construit selon deux hypothèses :

• Le Sommet mondial de 2005 a défini la "Responsabilité de protéger" non pas comme un mécanisme légitimant des interventions armées, mais comme un rappel à l’État souverain de protéger sa population.

• Face à ce vide institutionnel, la R2P est devenue, dans sa pratique, synonyme d’interventionnisme occidental, contribuant de fait à l’hos-tilité croissante au concept, particulièrement après l’épisode libyen.

Contexte international

Le contexte international joue un rôle déterminant dans l’évolution d’une norme. Ce postulat est d’autant plus vrai pour la R2P qui, en essence, tente de redéfinir la souveraineté de l’État comme subordonnée à la sécu-rité des populations civiles. On peut regretter dans le Livre blanc 2013 une analyse qui privilégie des réponses au coup par coup à des évènements très récents (crise économique, pivot stratégique des États-Unis, révoltes arabes, etc.), plutôt qu’une approche globale, systémique et stratégique des évolutions du « système international »(104). Or, pour comprendre la R2P, il faut s’intéresser aux métaparamètres et tenter une description du système global actuel. Nous en retiendrons essentiellement trois :

(102) Hollande, François, 27 août 2013, discours de M. le président de la République. Consulté le 28 août 2013, sur France Diplomatie : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/2708_Conference_des_Ambassadeurs_cle8421e4.pdf.(103) Annan, K, 16 septembre 1999, "Two concepts of sovereignty", The Economist.(104) LBDSN, Paris, 2013, pp. 27-29.

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La fin de la bipolarité et l’hypothèse du "retour des concerts"

La fin de la logique bipolaire, construite sur l’affrontement idéologique entre les deux blocs Est-Ouest, laissait envisager au début des années 1990 un consensus possible sur une redéfinition des termes de souveraineté, au profit de normes libérales. Or, loin de mettre un terme aux logiques d’al-liances, la bipolarité a rapidement laissé place à des alliances plus compo-sites. Ainsi, pour Bertrand Badie, on assiste au "retour des concerts", ces regroupements d’États dans un modèle oligarchique et selon des critères culturels, sociaux ou économiques (les G7, G8, G20, etc.) qui, dans un système de mondialisation et d’interdépendance, contribuent paradoxale-ment à fragmenter le jeu international et nourrir les contestations(105).

Le rôle accru du Conseil de sécuritédans un contexte de légalisation croissante des conflits

La fin de la guerre froide a rendu les délibérations et décisions du Conseil de sécurité plus incertaines, permettant des consensus qui auraient été improbables du temps du rideau de fer(106). Ces consensus ont permis de remettre le Conseil de sécurité au centre des négociations internationales dans un contexte de légalisation des conflits. En effet, légalité et légitimité sont devenues synonymes aux yeux des commentateurs et des décideurs politiques qui recherchent une résolution onusienne pour appuyer la vali-dité morale d’une intervention(107).

La redéfinition de la notion de "guerre"

Cette redéfinition porte sur deux points. Premier constat, la grande majo-rité des conflits contemporains sont internes aux États : à leur racine se trouvent des tensions sociales, souvent engendrées par des contrats sociaux lacunaires. Ensuite, et dans le prolongement du premier constat,

(105) Badie, B., 2011, La diplomatie de connivence : les dérives oligarchiques du système international, Paris, France, Éditions La Découverte.(106) Malone, D. M., octobre-décembre 2007, "An Evolving UN Security Council", The Indian Society of International Law, 47 (4).(107) Scott, S. V., & Ambler, O., mars 2007, “Does Legality Really Matter? Accounting for the Decline in US Foreign Policy Legitimacy Following the 2003 Invasion of Iraq’’, Euro-pean Journal of International Relations, 13 (1), pp. 67-87.

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on remarque une asymétrie des conflits, d’une part internes, opposant l’ap-pareil étatique à des populations civiles, et d’autre part externes, oppo-sant un pays ou une coalition militairement puissante à un gouvernement étranger jugé en effraction.

La responsabilité de protéger du rapportde la Commission internationale de l’interventionet de la souveraineté des États (CIISE)au Sommet mondial de 2005

Il importe de rappeler l’origine du concept de la R2P, ancré dans les cendres des brasiers du Rwanda et de la Bosnie des années 1990. Lorsque la Ciise est mise en place en 2001, c’est dans l’espoir de réconcilier le besoin occa-sionnel d’intervention militaire dans le but de protéger des populations civiles, à la réticence des États à voir leur souveraineté subordonnée(108). La Ciise, dans son rapport final, préconisera une hiérarchie des responsabi-lités internationales, partant de l’État principalement concerné (instituant la souveraineté comme responsabilité) aux organes onusiens, jusqu’aux organisations régionales, les coalitions de volontaires, et enfin l’État agis-sant de son propre compte. Elle donnera également une définition large des modalités dans lesquelles une intervention serait justifiée(109).

Toutefois, les annexes du rapport de la Ciise démontrent, à travers les conclusions des tables rondes organisées sur cinq continents et réunissant des personnalités du monde politique, académique et diplomatique, le peu d’intérêt, voire l’hostilité de nombreux États, Russie et Chine en tête, pour ce nouveau concept de la R2P. Ainsi pour Beijing, la R2P telle que l’envi-sage la Ciise n’est autre qu’un « outil occidental destiné à servir leurs inté-

(108) Si la Ciise fut une initiative canadienne, Kofi Annan est à l’origine des multiples appels à la communauté internationale pour parvenir à un consensus sur la question de la souve-raineté des États et les violations flagrantes des droits de l’homme.(109) Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, décembre 2001, La responsabilité de protéger, rapport de la Commission internationale de l'interven-tion et de la souveraineté des États, consulté le 4 juillet 2013, sur le site Internet de l'univer-sité du Québec à Montréal : http://www.er.uqam.ca/nobel/k14331/jur7635/instruments/Rapport-de-la-Commission.Resp_de_Proteger.pdf

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rêts et visées politiques »(110). Dans ces conditions, il eut été peu probable que les conclusions de la Ciise soient adoptées dans un texte onusien qui se serait imposé à tous.

C’est donc une version édulcorée, dans le seul but d’obtenir un consensus de principe, qui fut présentée aux États réunis au Sommet mondial de 2005 à New York. La R2P conçue par la Ciise fut dépecée de ses vel-léités post-souverainistes afin de la rendre digeste par tous. En particu-lier, il fut décidé que le champ d’application du principe se limiterait à quatre instances (génocide, crimes de guerre, nettoyage ethnique et crimes contre l’humanité), et aucune ouverture à des mesures coercitives qui ne suivraient pas l’approbation du Conseil de sécurité. Plus significatif, le concept faisait de l’État souverain le principal responsable de la sécurité de ses populations, et la communauté internationale n’aurait pour rôle que d’assister l’État en question à travers des moyens pacifiques(111).

L’intervention en Libye et les limites de la R2P

Si le Sommet mondial de 2005 a donné à la R2P une définition très limitée de la norme, la pratique de certains États, dont la France, laisse à penser qu’en réalité la R2P serait un nouvel outil pour légitimer le recours à la force à des fins humanitaires. C’est ainsi que fut interprétée la résolution 1973, autorisant l’établissement d’une zone de non-vol sur la Libye(112).

(110) Commision internationale de l'intervention et de la souveraineté de l'État, 1er janvier 2001, The Responsibility to Protect: Research, Bibliography, Background; Supplementary Volume to the Report of the International Commission on Intervention and State Sove-reignty, consulté le 1er août 2013, sur le site Internet IDRC, International Development Research Center : http://www.idrc.ca/EN/Resources/Publications/Pages/IDRCBookDetails.aspx?PublicationID=242(111) Assemblée générale des Nations unies, 24 octobre 2005, 2005 World Summit Out-come, consulté le 5 août 2013, sur le site Internet des Nations unies : http://www.unrol.org/doc.aspx?n=2005%20World%20Summit%20Outcome.pdf (112) Conseil de sécurité des Nations unies, 17 mars 2011, "Libye : le Conseil de sécurité décide d'instaurer un régime d'exclusion aérienne afin de protéger les civils contre des attaques systématiques et généralisées", consulté le 18 août 2013, sur le site Internet des Nations unies : http://www.un.org/News/fr-press/docs//2011/CS10200.doc.htm

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En essence, le texte de la résolution 1973 soulignait principalement la responsabilité de la Jamahiriya arabe libyenne de protéger la population civile. Les abstentions russe et chinoise ainsi que celles de quelques émer-gents furent justifiées par ces derniers sur le doute quant aux intentions occidentales d’interpréter la résolution de manière trop libérale. Le choix de l’Otan de mener des opérations militaires en Libye fit voler en éclat le mince consensus qui avait permis la résolution 1973. La volonté de changer le régime par un appui direct aux insurgés, et ce malgré la recon-naissance dans la résolution 1973 de la souveraineté de la Libye, provoqua l’ire des États qui avaient fait le choix de ne pas bloquer une résolution si les Occidentaux s’engageaient à respecter la souveraineté libyenne. En Libye, la logique de connivence s’est très vite reconstituée quand il est apparu que seule l’Otan pouvait gérer cette opération. Avec l’application du principe de la R2P, l’initiative de la résolution 1973 aurait pu être fon-datrice. D’abord soutenue par la Ligue arabe et l’Union africaine, elle s’est très vite transformée en une opération occidentale en Libye, sous l’égide du triumvirat franco-anglo-américain, et n’exprimait plus le choix de la communauté internationale(113).

Concrètement, cela s’est traduit par un mutisme autour de la R2P, qui pour-tant contient des éléments forts de prévention dont peu d’États remettent l’utilité en question. La vive opposition de certains membres du Conseil de sécurité à toute opération de même nature en Syrie démontre l’existence d’une fracture autour d’un concept qui devait défragmenter autour de valeurs communes. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ne fait malheureusement pas le lien entre la R2P et l’intervention en Libye, ce qui aurait pu permettre de s’interroger sur l’application de la norme sur un cas concret, travail essentiel si cette norme est appelée à devenir un des "principes directeurs" de l’action internationale de la France(114).

(113) Voir la tribune conjointe des présidents Barack Obama, Nicolas Sarkozy et du Premier ministre David Cameron : « Pourtant, tant que Kadhafi sera au pouvoir, l'Otan et les partenaires de la coalition doivent maintenir leurs opérations afin que la protection des civils soit main-tenue et que la pression sur le régime s'accroisse », "Sarkozy, Obama, Cameron : « Kadhafi doit partir »", Le Figaro, 15 avril 2011 : http://www.lefigaro.fr/international/2011/04/14/01003-20110414ARTFIG00772-sarkozy-obama-cameron-kadhafi-doit-partir.php (114) LBDSN, Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, édition numé-rique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013, p. 24.

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À l’aune de cette analyse du Livre blanc 2013 faisant « de la consoli-dation de [la R2P] une priorité de [...] (l’)action extérieure »(115) de la France, il convient de souligner :

• Le changement de paradigme d’un "droit" à l’intervention (ce que préconisait la notion de "droit d’ingérence") à une "responsabilité" reste hypothétique.

• Le "retour des concerts" se fait au détriment de la cohésion interna-tionale : il convient dès lors de concentrer l’action sur le dialogue avec tous les acteurs et de renforcer, d’une part, le rôle des organisations régionales dans la résolution des conflits et, d’autre part, de renforcer l’aspect de prévention, plus fédérateur .

• L’évolution de la nature des conflits actuels invite à une réflexion sur les stratégies possibles pour rétablir le contrat social dans des sociétés en guerre.

(115) Ibid.

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Pour aller plus loin :

Badie Bertrand, La diplomatie de connivence, Éditions La Découverte, Paris, 2011. Cet ouvrage tente de décrypter le système international tel qu’il est aujourd’hui. Bertrand Badie décrit le retour à une "diplomatie de concerts" telle qu’elle le fut au début du XIXe siècle, et fondée sur une logique de club et d’exclusion, concept que l’auteur qualifie de "diplo-matie de connivence".

Welsh Jennifer, "The Responsibility to Protect: assessing the report of the Iciss", in Thakur Ramesh, Cooper Andrew F., English John, International Commissions and the Power of Ideas, United Nations University Press, Tokyo, 2005. Jennifer Welsh, spécialiste des relations internationales à Oxford et conseillère R2P auprès de la secrétaire générale de l’ONU, décrit le débat sur la R2P comme interne à la communauté internationale libérale et préfère le terme de lobby à celui de norme émergente.

Thakur Ramesh, The Responsibility to Protect: Norms, Laws and the Use of Force in International Politics, Routledge, 2001. Une excellente collec-tion d’essais offrant une perspective historique et conceptuelle de la R2P du point de vue de l’un de ses concepteurs.

Bachand Rémi, "Idir Mouloud – Décoloniser les esprits en droit inter-national : la "Responsabilité de protéger" et l’alliance entre naïfs de ser-vice et rhétoriciens de l’impérialisme", Mouvements, vol. 4, n° 12, 2012, pp. 89-99. Un article mettant en exergue les contradictions des diploma-ties occidentales sur la R2P dans le cadre de l’intervention en Libye, et les dangers pour les défenseurs des droits de l’homme de s’allier à une rhéto-rique impérialiste.

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II.Ressources et menaces

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Le Livre blanc de 2013face au problème de la sécurité énergétique : l’exempledes gisements de gazen Méditerranée orientaleAlexander BARKHUDARYANTSGéographe, université Paris VIII

Considérant l’équilibre budgétaire et donc le désendettement comme l’une des bases fondamentales de préservation de la souveraineté nationale, en stipulant notamment que « l’indépendance de la Nation est menacée si le déséquilibre des comptes publics place celle-ci dans la dépendance de ses créanciers »(116), le Livre blanc de 2013 n’accorde pas suffisamment d’at-tention à la question de la sécurité énergétique(117), condition sine qua non de toute relance économique. Dans ce contexte, le Livre blanc se contente de brèves et rares mentions des enjeux énergétiques nationaux ou euro-péens à court terme, en omettant en même temps les grandes tendances de fond. Tout en mettant en garde contre la part croissante du gaz russe dans le mix énergétique européen (« La question énergétique est désormais un enjeu majeur de la politique étrangère russe. La Russie s’efforce d’éta-blir un monopole sur les routes d’approvisionnement, ce qui complique les efforts des pays européens pour diversifier leurs importations »(118)), le texte ne précise pas qu’à long terme même les importations de Russie seront dans l’incapacité de compenser le déclin de la production gazière dans la mer du Nord(119). Ceci est d’autant plus important compte tenu du coût élevé, mais aussi de la difficulté politique de l’éventuelle extraction du gaz de schiste et de l’engagement qu’a pris le président de la République vis-à-vis de l’énergie nucléaire.

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Considérant(116)

l’équilibre(117)

budgétaire et donc(118)

le désendettement comme l’une des bases fondamentales de la préservation de la souveraineté nationale, le Livre blanc(119) de 2013 stipule notamment que « l’indépendance de la Nation est menacée si le déséquilibre des comptes publics place celle-ci dans la dépendance de ses créanciers »(120). Pourtant, il n’accorde pas suffisamment d’attention à la question de la sécurité énergétique(121), condition sine qua non de toute relance économique.

Le Livre blanc se contente de brèves et rares mentions des enjeux éner-gétiques nationaux ou européens à court terme, en omettant les grandes tendances de fond. Par exemple, tout en mettant en garde contre la part croissante du gaz russe dans le mix énergétique européen(122), le texte ne précise pas qu’à long terme les importations de Russie ne pourront com-penser le déclin de la production gazière dans la mer du Nord(123). Ceci est d’autant plus important que l’éventuelle extraction du gaz de schiste est pour l’instant repoussée compte tenu de son coût élevé, mais aussi des dif-ficultés politiques que soulève son extraction et que M. François Hollande s’est engagé à réduire la part du nucléaire, pour le ramener de 75 à 50 % du mix électrique national d’ici 2025.

(116) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 9.(117) Dans le cadre du présent article nous adopterons une définition relativement étroite de la notion de la sécurité énergétique, à savoir : "la capacité d’approvisionnement sans rupture en énergie à court terme, ainsi que celle de satisfaire la demande énergétique natio-nale à long terme". On sous-entendra la compétitivité du prix des ressources énergétiques comme une variable clé inhérente par rapport à ces deux composantes.(118) LBDSN, p. 36.(119) Total, "Gaz naturel liquéfié. Une filière en pleine expansion", octobre 2012, URL : http://total.com/fr/brochure-gnl-fr (120) LBDSN, Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 9.(121) Dans le cadre du présent article nous adopterons une définition relativement étroite de la notion de la sécurité énergétique, à savoir : la capacité d’approvisionnement sans rupture en énergie à court terme, ainsi que celle de satisfaire la demande énergétique nationale à long terme. On sous-entendra la compétitivité du prix des ressources énergétiques comme une variable clé inhérente par rapport à ces deux composantes.(122) LBDSN, p. 36.(123) Total, "Gaz naturel liquéfié. Une filière en pleine expansion", octobre 2012, URL : http://total.com/fr/brochure-gnl-fr

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Outre la crise financière, le Livre blanc insiste sur l’importance des « révo-lutions politiques et sociales dans le monde arabe »(124) pour la sécurité nationale et européenne sans préciser, donc, que ces changements coïn-cident avec un autre événement majeur, à savoir la découverte d’énormes gisements gaziers dans la Méditerranée orientale.

L’Union européenne (UE) étant le principal marché potentiel d’exporta-tion du gaz israélien, chypriote et libanais, les modalités d’exploitation de ces gisements posent la question de l’avenir de la sécurité énergétique de la France et de l’UE. Elles visent également directement les intérêts vitaux de plusieurs acteurs de la région, y compris ceux de la Russie. À cela s’ajoute un système complexe de rivalités géopolitiques risquant de dégénérer en un conflit régional, alors même qu’une compagnie française, Total, est pleinement impliquée dans la course aux concessions respectives.

L’analyse de la situation en Méditerranée orientale est donc de première importance pour la sécurité, notamment énergétique, de l’UE et de la France. Malgré l’existence de ces risques qui nécessitent l’application de quatre des cinq grands principes du concept de la sécurité nationale (la connaissance, l’anticipation, la protection, la prévention et l’intervention), le Livre blanc n’y accorde pas d’attention.

La problématique de cet article se focalisera donc sur la démonstration de l’ampleur et de la transversalité des enjeux énergétiques de la Méditer-ranée orientale. La première partie éclairera l’importance stratégique des ressources gazières de la région pour la France et l’Union européenne. La deuxième partie développera l’importance des rivalités géoéconomiques autour de ces gisements, notamment la posture de la Russie et de Gazprom. La concurrence est si forte qu’elle génère de nouvelles confrontations géo-politiques dans la région et en exacerbe les anciennes. La troisième partie traitera donc du danger sécuritaire respectif.

(124) LBDSN, p. 10.

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Une nouvelle source énergétique possiblepour la France et l’Union européenne

De considérables ressources gazières ont été identifiées dans les espaces maritimes chypriote, israélien et libanais à partir du 2009. À cette date, une capacité de 227 milliards de mètres cubes avait été prouvée dans le seul gisement israélien de "Tamar". Depuis, le total des ressources prou-vées dépasse le trillion de mètres cubes(125). Les réserves libanaises font, quant à elles, l’objet de trop de divergences pour être renseignées dans cet article(126).

L’importance des gisements de la Méditerranée orientale est considérable compte tenu des possibles scénarios de leur exploitation. La plupart d’entre eux prévoient en effet la liquéfaction du gaz pour son acheminement aux marchés potentiels.

La production du gaz naturel liquéfié (GNL) est aujourd’hui une industrie mondiale florissante. La part du GNL dans le commerce mondial du gaz était de 31.7 % en 2012(127). Cette technologie offre un avantage décisif, celui de transporter le gaz par voie maritime, sans besoin de le faire tran-siter par des gazoducs. Selon certaines analyses, le GNL sera une compo-sante déterminante du futur énergétique de l’Europe(128). L’importation du GNL donne une importante marge de manœuvre énergétique à la France qui abrite sur son territoire trois terminaux de regazéification.

Finalement, grâce à sa position géographique le gaz de la Méditerranée orientale pourrait être une composante déterminante de la sécurité éner-gétique française et européenne à court terme. Leur situation en Méditer-ranée est un atout décisif compte tenu des menaces régulières de la part de

(125) "Eastern Mediterranean", Noble Energy, URL: http://www.nobleenergyinc.com/Ope-rations/Eastern-Mediterranean-128.html(126) C’est pourquoi l’expression "les gisements gaziers de la Méditerranée orientale" va désigner l’ensemble des gisements chypriotes et israéliens tout au long de cet article. (127) British Petroleum, BP Statistical Review of World Energy, juin 2013, URL: http://www.bp.com/en/global/corporate/about-bp/statistical-review-of-world-energy-2013.html(128) Total, op. cit.

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l’Iran de fermer le détroit d’Ormuz(129) et du changement de la politique de gestion du canal de Suez par l’Égypte post-Moubarak (rappelons que pour la première fois depuis la révolution islamique de 1979 la marine iranienne a eu l’autorisation de transiter par le canal(130).

Deuxièmement, une éventuelle crise de pouvoir ne pourrait pas suspendre les exportations, comme ce fut le cas en Libye et en Égypte, étant donné l’appartenance d’une part importante des gisements aux ZEE des pays politiquement stables : Israël et Chypre.

Les confrontations géoéconomiques

D’après le Livre blanc, « la question énergétique est désormais un enjeu majeur de la politique étrangère russe. La Russie s’efforce d’établir un monopole sur les routes d’approvisionnement, ce qui complique les efforts des pays européens pour diversifier leurs importations. En 2010, le tiers du pétrole brut et du gaz naturel importés par les pays de l’Union européenne provenaient des pays de l’ex-URSS »(131). Or, les dirigeants russes voient dans les projets d’exploitation des gisements gaziers de la Méditerranée orientale une double atteinte à leurs intérêts nationaux (cf. ficgure 1).

Ils redoutent la probable exportation du gaz chypriote et israélien sous forme de GNL à l’Union européenne, ce qui réduirait la dépendance éner-gétique européenne vis-à-vis du gaz russe.

La découverte de grandes ressources gazières près des côtes méditerra-néennes du Moyen-Orient, mais surtout l’efficacité de la stratégie d’ex-ploitation des autorités israéliennes, ont contribué à l’échec du projet russe

(129) "L’Iran procède à de nouvelles manœuvres dans le détroit d’Ormuz", Le Monde.fr, mis en ligne le 25 décembre 2012, URL : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/12/25/l-iran-va-proceder-a-de-nouvelles-man-uvres-dans-le-detroit-d-ormuz_1810266_3218.html (consulté le 18 septembre 2013).(130) "Les deux navires de guerre iraniens en mission de "formation" quittent la Syrie", Le Monde.fr, mis en ligne le 19 février 2012, URL : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/02/19/l-iran-envoie-des-navires-en-mediterranee-pour-montrer-sa-puis-sance_1645459_3218.html (consulté le 18 septembre).(131) LBDSN, p. 36.

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"Blue-Stream 2" qui prévoyait la construction d’un gazoduc transportant "l’or bleu" russe en Israël (et vers le Moyen-Orient en général) à travers la Turquie. Ce projet a perdu tout son sens le 30 mars 2013 quand l’État hébreu a procédé aux premières fournitures de gaz en provenance du gise-ment "Tamar", 4 ans seulement après sa découverte(132).

Par conséquent, la compagnie russe Gazprom espère obtenir des conces-sions chypriotes en utilisant ses relations économiques privilégiées avec Nicosie (notamment à travers le prêt de 2.5 milliards de dollars accordé fin 2011 par la Russie). En ce qui concerne "Léviathan", le plus grand des gisements israéliens, le Kremlin négocie surtout le scénario selon lequel Gazprom achèterait de gros volumes du gaz extrait pour le revendre à

(132) "Izrail poluchil energuétitcheskuyu neravisimost : gaz iz Tamar pochel v Achdod" [Israël a obtenu l’indépendance énergétique : le gaz de Tamar est acheminé à Ashdod], newsru.co.il, mis en ligne le 30 mars 2013, URL : http://newsru.co.il/finance/30mar2013/tamar316.html (consulté le 29 août 2013).

Les gazoducs russes face au commerce mondial de gaz naturel liqué�é

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d’autres pays du Moyen-Orient ou encore de l’Extrême-Orient : le tout afin d’éviter sa liquéfaction et son exportation vers l’Union européenne(133).

Rien n’est pourtant sûr à l’heure actuelle et les négociations sont toujours en cours pour déterminer quelles compagnies opèreront dans les eaux chypriotes et israéliennes, et sous quelles conditions. Toujours est-il que parmi les prétendants, le groupe français Total et Gazprom sont souvent mentionnés(134). Le bénéficiaire de la plus grande part des concessions en Méditerranée orientale sera capable de déterminer la direction d’exporta-tion, la compagnie française visant avant tout l’exportation du GNL en Europe, c’est-à-dire un projet contraire aux intérêts russes.

Les rivalités géopolitiqueset la possibilité d’éclatement d’un nouveau conflit régional

Outre son importance économique stratégique, la situation actuelle en Méditerranée orientale révèle un fort potentiel de dégradation en conflit régional. Les grands projets d’exploitation des gisements gaziers se heurtent à toute une série d’obstacles d’ordre géopolitique qui s’ajoutent à l’instabi-lité générée par le "Printemps arabe" (cf. figure 2).

Le problème le plus important provient du fait qu’au moment de la découverte des ressources gazières, Israël n’avait délimité aucune de ses frontières maritimes. Or ces champs gaziers se trouvent dans des zones maritimes disputées entre les pays riverains. Ne pouvant pas négocier une délimitation avec le Liban, État qui est juridiquement toujours en guerre avec Israël, Jérusalem a décidé de délimiter la frontière de sa Zone éco-nomique exclusive (ZEE) avec Chypre en 2010. Ce tracé a été immédia-tement dénoncé comme illégitime par la République turque de Chypre de Nord (RTCN), soutenue par la Turquie. En 2011, Ankara est allé jusqu’à

(133) "Samimi serioznimi pretendentami na vkhozhdenie v izrailskiï proekt Levifan yavlayutsa rossiïskiï Gazprom ï frantsuzskaya Total" [Les plus grands prétendants au projet israélien "Léviathan" sont les groupes russe et français Gazprom et Total], RBC daily, mis en ligne le 20 août 2012, URL : http://rbcdaily.ru/industry/562949984549749 (consulté le 29 août 2013).(134) Ibid.

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faire des forages de prospection avec la RTCN dans la mer Chypriote en envoyant un vaisseau de recherche accompagné de plusieurs navires de guerre. Les patrouilles de la marine turque sont désormais régulières près des gisements à cheval entre Israël et Chypre(135).

Refusant toujours le droit d’exploitation des fonds marins à Nicosie, la Turquie a menacé de suspendre tous les accords avec les compagnies pétro-lières opérant dans la mer chypriote(136). Fin 2013, le gouvernement turc a mis cette menace à exécution en annulant toute collaboration avec la compagnie italienne ENI. Reste à savoir si les mêmes sanctions vont être

(135) Amsellem David, "Le gaz comme élément de réorientation des alliances géopolitiques en Méditerranée orientale", Hérodote, 2013/1, n° 148, pp. 117-121.(136) Perrigeur Elisa, "À chypre, les promesses d’Aphrodite enflamment le Levant", http://www.latribune.fr, mis en ligne le 8 septembre 2013, URL : http://www.latribune.fr/eco-nomie/international/20130809trib000779865/a-chypre-les-promesses-d-aphrodite-en-flamment-le-levant.html (consulté le 25 août 2013).

Bloc 12

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L’imbroglio géopolitique des gisements gaziers en Méditerranée orientale

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appliquées à l’encontre du groupe français Total qui s’est vu accorder le droit d’exploration de deux blocs gaziers par Nicosie(137).

Cette conjoncture conflictuelle laisse supposer que la création d’une nou-velle unité de la marine russe destinée à augmenter la présence militaire de Moscou en Méditerranée(138) peut en outre avoir pour but la sécurisation d’extraction gazière.

La situation est aussi délicate à la frontière maritime contestée entre Israël et le Liban où l’enjeu du tracé est celui de l’appartenance d’un vaste secteur de champs gaziers. Sous les pressions turques, le Liban conteste également les limites du croisement des ZEE chypriote, israélienne et libanaise(139).

La question est donc de savoir si les problèmes décrits ci-dessus ne vont concerner que la sécurité juridique des investissements dans l’extraction du gaz de la Méditerranée orientale. En effet, la sécurité physique des plate-formes gazières pourrait également être mise en danger, surtout au fur et à mesure du développement de la guerre civile en Syrie, susceptible de désta-biliser les côtes de Lattaquié, de Tartous et probablement celles du Liban.

(137) "Ankara suspend ses projets avec ENI", Le Figaro, URL : http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2013/03/27/97002-20130327FILWWW00410-ankara-suspend-ses-projets-avec-eni.php (consulté le 31 août 2013).(138) "Na phone podgotovki Zapada k udaru po Sirii Rossiya otpravlaet v Sredizemnoé moré novie korabli" [La Russie envoie de nouveaux navires en Méditerranée alors que l’Occi-dent se prépare pour frapper la Syrie], newsru.com, mis en ligne le 29 août 2013, URL : http://www.newsru.com/world/29aug2013/syr.html (consulté le 18 septembre 2013).(139) Rizk Sibylle, "Le Liban ne veut pas renoncer à son espace maritime", Le Figaro.fr, mis en ligne le 18 juillet 2011, URL : http://www.lefigaro.fr/international/2011/07/17/01003-20110717ARTFIG00209-le-liban-ne-veut-pas-renoncer-a-son-espace-maritime.php (consulté le 18 septembre 2013).

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Conclusions et recommandations

L’importance stratégique de la sécurité énergétique pour la vitalité même de l’État, ainsi que son poids dans les politiques nationales ne font aucun doute. Comme le mentionne un rapport soumis au Sénat(140) : « les politiques natio-nales convergent le plus souvent vers les mêmes objectifs finaux : fournir de façon continue et au meilleur coût l’énergie indispensable à la production d’électricité et de chaleur et à la propulsion des véhicules, pour satisfaire les besoins fondamentaux de l’individu et ceux de l’activité économique ou de la vie de la société [surligné en gras dans le document de référence – NDA] ».

Il est donc étonnant de voir la question de la sécurité énergétique quasi com-plètement évacuée du Livre blanc. En absence d’un chapitre ou d’une partie qui la traiterait, le texte mentionne épisodiquement, de manière éparpillée et passagère, quelques problématiques énergétiques. Il y fait parfois des allu-sions. Par exemple, le Livre blanc considère « l’atteinte à la liberté de navi-gation dans le détroit d’Ormuz » comme la première « des répercussions graves et variées »(141) d’un conflit dans le golfe Arabo-Persique, sans préciser toutefois pourquoi cette liberté de navigation est si importante. Pourtant, en ce qui concerne la présence américaine au Moyen-Orient, le texte affirme que « l’alliance stratégique avec Israël et l’intérêt économique des États-Unis pour la libre circulation des marchandises et des hydrocarbures dans cette zone sont en tout état de cause pour eux des raisons suffisantes d’y rester fortement engagés »(142). Est-il sous-entendu que la France partage les mêmes intérêts et engagements dans la région ?

En même temps, la stratégie énergétique fait objet de nombreux rapports, pro-grammes et lois tant au niveau national, qu’à celui de l’UE(143). Le Livre blanc devrait présenter l’essentiel des enjeux énergétiques nationaux et européens.

(140) Revol Henri, Les conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et les conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués, rapport n° 439, tome I, 20 mai 1998, URL : http://www.senat.fr/rap/l97-4391/l97-4391.html(141) LBDSN, p. 56.(142) LBDSN, p. 30.(143) Dans ce sens, le seul exemple de la liste des documents de cette page Web ministérielle suffit : "Politique énergétique", ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, mis en ligne le 5 juillet 2011, URL : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Poli-tique-energetique.html (consulté le 18 septembre 2013).

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Cette présentation générale devrait ensuite être approfondie en fonc-tion des spécificités que suscite l’application des politiques énergétiques nationales ou européennes dans une région donnée. En ce qui concerne le Moyen-Orient, la focalisation excessive sur le "Printemps arabe" et le dossier nucléaire iranien font perdre de vue d’autres importants problèmes géopolitiques comme ceux décrits ci-dessus. Intégré dans le "bassin médi-terranéen", le Moyen-Orient à lui seul n’est d’ailleurs pas considéré comme une zone prioritaire pour la défense et la sécurité nationale, comme c’est le cas pour le golfe Arabo-Persique(144).

L’une des solutions possibles pourrait être puisée dans le concept des "stra-tégies-régions" évoqué par le Livre blanc(145). Une analyse interministé-rielle et systématique des risques régionaux contribuerait certainement à la connaissance et à l’anticipation des futures crises. Le fruit de cette colla-boration ne pourrait qu’enrichir les futurs Livres blancs.

Pour aller plus loin

Eran Oded, "Israel’s Public Debate over Natural Gas: Future Confronta-tion", INSS Insight, n° 438, 26 juin 2013. http://www.inss.org.il/publica-tions.php?cat=21&incat=&read=11666. Le compte rendu le plus récent sur l’état d’avancement d’exploitation du gaz israélien et chypriote.

Amsellem David, "Le gaz comme élément de réorientation des alliances géopolitiques en Méditerranée orientale", Hérodote, 2013/1, n° 148, pp. 117-121. Un excellent article sur les rivalités géopolitiques liées au gaz en Méditerranée orientale.

Magen Zvi, "The Russian Fleet in the Mediterranean: Exercice or Military Operation?", INSS Insight, n° 399, 29 janvier 2013. Un article d’analyse sur les manœuvres de la marine russe au large des côtes syriennes.

(144) LBDSN, p. 82.(145) LBDSN, p. 98.

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La cyberdéfenseet la cybersécuritédans le Livre blanc de 2013 :une approche ambitieuseet réaliste des cybermenacesFrançois DELERUEJuriste, Institut universitaire européen

En matière de cyberdéfense et de cybersécurité, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 dresse un panorama des cybermenaces et de la cyberdéfense dans le monde. En effet, « certains États développent des capacités informatiques offensives qui représentent déjà une menace directe contre des institutions, entreprises et secteurs clés pour la vie de la Nation »(146). Le cyberespace y est considéré comme « un champ de confrontation à part entière »(147) et le Livre blanc prévoit que les actions seront conduites « de façon coordonnée dans les cinq milieux (terre, air, mer, espace extra-atmosphérique et cyberespace) »(148). Pour contrer les cybermenaces, le Livre blanc préconise, entre autres(149) : un renforcement du rôle de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information ; l’adoption d’un nouveau dispositif législatif et réglementaire concernant la sécurité des opérateurs d’importances vitales au niveau national ; la formation d’experts et la sensibilisation des responsables d’administration et des principaux utilisateurs du cyberespace ; enfin, la nécessité de porter une attention particulière à la sécurité des systèmes d’informations, aux équipements qui les composent et à leur provenance.

(146) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 38.(147) Ibid., p. 45.(148) Ibid., p. 84.(149) Ibid., pp. 105-107.

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Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 place les cyber-menaces au cœur des priorités stratégiques de la France. La part réservée à la cybersécurité et à la cyberdéfense est bien supérieure par rapport au pré-cédent Livre blanc datant de 2008. Il est important de noter que dans un Livre blanc marqué par un souci d’économie et de réduction des dépenses et des effectifs dans la plupart des domaines, la nécessité d’augmenter les moyens pour lutter contre les cybermenaces est néanmoins mise en avant. Cette orientation devrait perdurer puisque le Livre blanc précise que « le dispositif de cyberdéfense […] est appelé à s’amplifier dans les années qui viennent »(150).

En ce sens, le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 insiste sur le fait que « [...] (la) cyberdéfense et la cybersécurité sont […] des objectifs majeurs déterminés par le nouveau Livre blanc compte tenu des dangers dont ce livre souligne l’actua-lité, l’intensité et le caractère stratégique »(151). Par ailleurs, ce projet de loi de programmation militaire réaffirme le rôle central du Premier ministre dans la protection des systèmes d’information et clarifie ses compétences.

Une prise en compte réaliste des cybermenaces

Les cybermenaces sont considérées comme faisant partie des « risques et menaces pris en compte par la stratégie de défense et de sécurité nationale »(152) et sont qualifiées de menaces de première importance pour la France et ses partenaires européens(153). Tout en reconnais-sant que les cyberattaques n’ont pour le moment pas « causé la mort d’hommes », le Livre blanc reconnaît qu’elles « constituent une menace majeure, à forte probabilité et à fort impact potentiel »(154). On voit donc clairement une prise en compte accrue des cybermenaces

(150) Ibid., p. 91. (151) Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, enregistré à la présidence du Sénat le 2 août 2013, exposé des motifs. (152) LBDSN, p. 47. (153) LBDSN, p. 45. (154) LBDSN, pp. 48-49.

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sans pour autant les exagérer, à l’inverse de ce qui a pu être fait par certains autres États(155).

Définition et classification des cybermenaces

Le Livre blanc de 2013 opère une distinction entre les cybermenaces rele-vant de la sécurité nationale et la cybercriminalité, cette dernière consti-tuant une « forme nouvelle de criminalité » qui ne relève pas spécifique-ment de la sécurité nationale(156). Les cybermenaces relevant de la sécurité nationale peuvent concerner à la fois l’État et des acteurs privés.

La cybercriminalité n’est cependant pas absente du Livre blanc qui en présente les évolutions et les interactions possibles avec la sécurité natio-nale(157). Ces menaces vont continuer à croître, nécessitant la mobilisa-tion de plus en plus de moyens pour y faire face. Le rapport du sénateur Bockel(158) préconisait la création d’une juridiction spécialisée pour traiter de ces affaires. Cette proposition n’a pas été reprise par le Livre blanc(159).

Cette distinction est à la fois pertinente et nécessaire dans la qualification des cybermenaces et la détermination des réponses à y apporter. En effet, d’un point de vue technique les différentes cybermenaces et les réponses techniques à y apporter peuvent se ressembler, voire être identiques. À l’inverse, d’un point de vue juridique et politique les réponses diffèrent

(155) Voir notamment : Frédérick Douzet, "L’approche des États-Unis", intervention lors du colloque intitulé "La cyberdéfense : quelles perspectives après le Livre blanc ?", organisé au Sénat le 16 mai 2013, dont les interventions sont accessibles en suivant ce lien : http://www.senat.fr/colloques/colloque_cyberdefense_quelles_perspectives_apres_le_livre_blanc.html (visité le 27 août 2013) ; voir aussi : Elisabeth Bumiller et Thom Shanker, "Panetta Warns of Dire Threat of Cyberattack on US", The New York Times, 11 octobre 2012, http://www.nytimes.com/2012/10/12/world/panetta-warns-of-dire-threat-of-cyberattack.html (visité le 27 août 2013).(156) LBDSN, p. 45.(157) Eod. loc.(158) Jean-Marie Bockel, La cyberdéfense : un enjeu mondial, une priorité nationale, rapport d’information n° 681, enregistré par le Sénat le 18 juillet 2012, disponible en suivant ce lien : http://www.senat.fr/rap/r11-681/r11-6811.pdf (visité le 27 août 2013).(159) Myriam Qéméner, "Les forces et les faiblesses du droit", intervention lors du colloque "La cyberdéfense : quelles perspectives après le Livre blanc ?, déjà cité (voir note 155).

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en fonction des auteurs (étatiques ou non) et des cibles de ces attaques. Il existe dans certains États une confusion entre les différents types de cyber-menaces et les différentes réponses possibles à y apporter. Par ailleurs, cette confusion est parfois entretenue par une volonté de recourir à des moyens militaires pour répondre à des cybermenaces non militaires, comme la cybercriminalité. Cette politique a donné lieu à un certain nombre de cri-tiques, notamment aux États-Unis(160).

Les opérateurs d’importances vitales

Les opérateurs d’importances vitales (OIV) occupent une part importante des dispositions sur les cybermenaces dans le Livre blanc de 2013. Les OIV sont des entreprises privées ou publiques qui exploitent des infrastructures vitales. Le Livre blanc préconise l’adoption d’un nouveau dispositif légis-latif et réglementaire concernant la sécurité des OIV(161).

Les OIV devront prendre les mesures nécessaires pour détecter, traiter et notifier les incidents informatiques touchant les systèmes sensibles(162). Par ailleurs, ce dispositif législatif et réglementaire devra préciser un certain nombre de points, notamment concernant l’audit et la cartographie des systèmes informatiques des OIV, ainsi que le rôle de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et des autres services de l’État qui devront notamment intervenir en cas de crise grave(163).

Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 vient confirmer les préconisations du Livre blanc, ainsi les OIV doivent détecter, traiter et notifier les incidents informatiques, à leurs frais, sous peine de pour-suites pénales(164). Le texte précise enfin que les contrôles sont effectués par l’Anssi ou par d’autres services de l’État désignés par le Premier ministre.

(160) Voir en ce sens : Mary Ellen O’Connell, "Cyber Security without Cyber War", Journal of Conflict & Security Law, 17(2), 2012, pp. 187-209, accessible en suivant ce lien : http://jcsl.oxfordjournals.org/content/17/2/187.full.pdf (visité le 27 août 2013).(161) LBDSN, p. 106.(162) Eod. loc. (163) Eod. loc.(164) Article 15, Projet de loi relatif à la programmation militaire, déjà cité (voir note 151).

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De plus, sur la question des OIV, le Livre blanc fait preuve de réalisme en soulignant la nécessité d’apporter une réponse européenne, et non seule-ment nationale, aux cybermenaces qui pèsent sur les infrastructures vitales ainsi que sur le « potentiel industriel, scientifique et technique » euro-péen(165). Il est à noter à ce sujet que les dispositions du Livre blanc et du projet de la loi de programmation militaire vont dans le même sens que la stratégie de cybersécurité de l’Union européenne publiée le 7 février 2013 et le projet de directive qui l’accompagne(166). Néanmoins, il convient de souligner que les États européens sont encore loin d’avoir une position unique sur ces questions, et que cela demandera encore du temps avant qu’une position commune émerge.

La doctrine française

La doctrine française en matière de lutte contre les cybermenaces comporte déjà un volet défensif bien développé. Elle s’enrichit d’un volet offensif qui avait été brièvement mentionné dans le Livre blanc de 2008. C’est une nette évolution de la position française, d’autant qu’il est précisé qu’une cyberattaque « pourrait […] constituer un véritable acte de guerre »(167).

Le cyberespace comme cinquième milieu

Le cyberespace y est consacré comme un « champ de confrontation à part entière »(168) et est considéré comme un des cinq milieux après la terre, l’air, la mer et l’espace extra-atmosphérique(169). Cette reconnaissance a aussi été

(165) LBDSN, p. 53.(166) Stratégie de cybersécurité de l’Union européenne, Un cyberespace ouvert, sûr et sécu-risé, Join(2013) 1, 7 février 2013 et la proposition de directive concernant des mesures des-tinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et de l'information dans l'Union, COM(2013) 48, 7 février 2013 accessibles en suivant ce lien (en anglais) : http://ec.europa.eu/digital-agenda/en/news/eu-cybersecurity-plan-protect-open-internet-and-on-line-freedom-and-opportunity-cyber-security (visité le 27 août 2013).(167) LBDSN, p. 49.(168) Eod. loc., p. 45. (169) Eod. loc., p. 84.

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opérée par un certain nombre de nos partenaires et alliés(170). Cependant, il ne s’agit pas de couper le cyberespace des autres milieux et l’importance de la coordination des actions dans les différents milieux est rappelée(171).

La réserve citoyenne et la réserve opérationnelleen matière de cyberdéfense

Le Livre blanc annonce un renforcement de la réserve citoyenne cyberdé-fense déjà existante(172). La réserve citoyenne cyberdéfense (RCC), dirigée par l’amiral Arnaud Coustillière, a été créée en 2012, dans la continuité du rapport du sénateur J.-M. Bockel et du "Concept de Cyberdéfense" du ministère de la Défense. Elle permet d’associer des membres de la société civile à l’effort national de lutte contre les cybermenaces sans pour autant avoir de rôle opérationnel. À côté de la réserve citoyenne cyberdéfense, le Livre blanc indique que la cyberdéfense « fera l’objet d’une composante dédiée au sein de la réserve opérationnelle »(173). Ainsi la France sera dotée de deux réserves consacrées à la cyberdéfense, l’une citoyenne et l’autre opérationnelle.

Un renforcement de l’Agence nationale de la sécuritédes systèmes d’information (Anssi)

Le Livre blanc de 2008 est à l’origine de la création de l’Anssi, qui est rattachée au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sous l’autorité du Premier ministre(174). Depuis, son rôle et ses effectifs n’ont cessé de croître. Les dispositions du Livre blanc de 2013 sur la lutte contre les cybermenaces vont encore conduire au renforcement du rôle de l’Anssi et à une augmentation de ses effectifs.

(170) Voir par exemple : Mark Barrett, Dick Bedford, Elizabeth Skinner et Eva Vergles, "Assured Access to the Global Commons", Otan, avril 2011, accessible en suivant ce lien : http://www.act.nato.int/mainpages/globalcommons (visité le 27 août 2013).(171) LBDSN, p. 84.(172) Eod. loc., pp. 120-121.(173) Eod. loc.(174) L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) a été créée par le décret n° 2009-834 du 7 juillet 2009 (Journal officiel du 8 juillet 2009) ; voir notamment sa présentation sur son site Internet : http://www.ssi.gouv.fr/fr/anssi/presentation/ (visité le 27 août 2013).

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Il a été souligné que les effectifs de l’Anssi, estimés à 250 personnes en 2012, étaient largement inférieurs à ceux de ses homologues allemands et britanniques (entre 500 et 700 personnes)(175). De ce constat, le Livre blanc annonce que « […] les moyens humains qui […] sont consacrés (à la lutte contre les cybermenaces) seront donc sensiblement renforcés à la hauteur des efforts consentis par nos partenaires britannique et allemand »(176).

La formation des experts et la sensibilisation des citoyens

Le Livre blanc met l’accent sur la nécessité de former des experts et d’in-tégrer la sécurité informatique aux formations supérieures en informa-tique(177). En ce sens, les préconisations du Livre blanc pour faire face aux cybermenaces vont certainement conduire à de nombreuses embauches dans les secteurs de la sécurité des systèmes d’information, par le ministère de la Défense, les autres services de l’État et un certain nombre d’entre-prises.

Par ailleurs, le renforcement de la sécurité des systèmes d’information de l’État passe par la sensibilisation des responsables d’administrations et des principaux utilisateurs du cyberespace(178). Comme l’a souligné Fran-çois-Bernard Huyghe, cette dimension est déjà mise en œuvre dans cer-taines actions de sensibilisation à l’intelligence économique(179).

Peut-être faudrait-il aller plus loin et dépasser le cadre du Livre blanc pour mettre en place une véritable sensibilisation des citoyens aux risques liés au cyberespace. À l’image de l’éducation civique, une formation pourrait voir le jour avec pour objectif de sensibiliser les citoyens au bon usage des systèmes d’information qui sont aujourd’hui omniprésents dans nos sociétés. L’intérêt d’une telle sensibilisation serait double. Elle permettrait de protéger les citoyens et réduirait la vulnérabilité de l’administration

(175) Jean-Marie Bockel, déjà cité (voir note 158), pp. 45-52 ; Lionel Pétillon, rencontre avec J.-M. Bockel, "La cyberdéfense : une priorité nationale", Armée & Défense, n° 2, avril-mai-juin 2013, p. 19.(176) LBDSN, p. 105.(177) Eod. loc., p. 107.(178) Eod. loc., p. 106.(179) En réponse à une question lors du colloque "La cyberdéfense : quelles perspectives après le Livre blanc ?", déjà cité (voir note 155).

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et des entreprises liées à la mauvaise connaissance des systèmes d’infor-mations d’un certain nombre d’employés, chacun pouvant être une porte ouverte à d’éventuelles cyberattaques.

Souveraineté nationale et indépendance technologique

Le Livre blanc précise « […] (qu’une) une attention particulière sera portée à la sécurité des réseaux de communication électronique et aux équipe-ments qui les composent » et que « […] le maintien d’une industrie natio-nale et européenne performante en la matière est un objectif essentiel »(180).

La portée de cette disposition est double : premièrement, renforcer et déve-lopper une industrie nationale et européenne permettant la fabrication de produits sécurisés. Cette disposition trouve un écho tout particulier à la suite des révélations sur le programme de surveillance américain(181) et le pro-blème des produits dont on ne maîtrise pas la chaîne de production. Dans cet esprit, le rapport du sénateur J.-M. Bockel préconisait l’interdiction d’achat d’équipements informatiques sensibles d’origine chinoise(182) ; cepen-dant, l’absence de véritable alternative européenne en la matière conduit les États européens à se tourner vers des produits américains n’offrant pas non plus des garanties de sécurité satisfaisantes. En ce sens, il serait nécessaire de mettre en place une industrie européenne de confiance assurant la souverai-neté et la sécurité des États membres et de leurs entreprises.

Deuxièmement, cette disposition tend à limiter et à encadrer l’usage d’un certain nombre de produits au-delà des dispositions légales et réglemen-taires existantes, comme le précise le projet de loi de programmation mili-taire(183). En effet, l’article 226-3 du Code pénal soumet à autorisation l’usage d’appareils conçus pour porter atteinte au secret des correspon-dances. Le projet de loi de programmation militaire va plus loin en éten-

(180) LBDSN, p. 106.(181) Voir notamment : Martin Untersinger, "Prism, un accès privilégié aux serveurs des géants de l'Internet", Le Monde, 22 octobre 2013 ; Éric Delbecque, "Relevons le défi de la guerre économique", Le Monde, 31 octobre 2013.(182) Jean-Marie Bockel, rapport d'information n° 681, déjà cité (voir note 158), pp. 117-120.(183) Article 16, projet de loi relatif à la programmation militaire, déjà cité (voir note 151).

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dant cette disposition aux appareils "de nature à" réaliser cet acte, et non plus seulement conçus à cet effet(184).

Coopération internationale

Le Livre blanc de 2013 s’intéresse à la coopération internationale de manière générale, mais aussi plus spécifiquement sur les questions liées aux cybermenaces.

Comme l’a indiqué le président de la République dans sa préface du Livre blanc, c’est la première fois que l’on associe deux Européens, un Alle-mand et un Britannique à la rédaction du Livre blanc(185). Cette ouverture souligne le statut de partenaires privilégiés de ces deux États. En ce qui concerne la cybersécurité et la cyberdéfense, le Livre blanc a opéré une analyse de la situation dans ces deux États et insiste sur la nécessité d’ap-profondir nos relations en la matière avec nos partenaires « au premier rang desquels se placent le Royaume-Uni et l’Allemagne »(186), suivant en ce sens les préconisations du rapport Bockel.

Le Livre blanc s’intéresse à « l’engagement de la France dans l’Alliance atlantique et dans l’Union européenne »(187) et souligne notamment que ces deux organisations internationales ne sont pas en concurrence, mais sont complémentaires(188), sans pour autant s’intéresser à leur rôle concernant la cybersécurité et la cyberdéfense. Par ailleurs, le Livre blanc n’aborde que brièvement le droit international applicable aux cybermenaces et sans détailler l’orientation qu’entend prendre la France en la matière de régle-mentation internationale des cybermenaces.

L’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (Otan) est l’une des organi-sations internationales les plus actives en matière de cybermenaces. L’Otan

(184) Eod. loc.(185) LBDSN, p. 7.(186) Eod. loc., p. 107 ; Les approches du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des États-Unis ont été présentées lors du colloque "La cyberdéfense : quelles perspectives après le Livre blanc ?", déjà cité (voir note 155). (187) LBDSN, pp. 61-68.(188) Eod. loc., p. 63.

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est notamment à l’origine de la création du Centre d’excellence pour la cyberdéfense en coopération (CCDCOE) en 2008, à Tallinn, en Estonie, au fonctionnement duquel la France participe depuis 2013(189). C’est sous les auspices du CCDCOE qu’a été rédigé en 2013 le Manuel de Tallinn sur le droit international applicable à la cyberguerre(190). Bien qu’il s’agisse d’un document non contraignant rédigé par un groupe d’experts inter-nationaux indépendants(191), il pourrait néanmoins influencer les négocia-tions internationales et le droit international en la matière. Il est important de noter qu’un certain nombre de ses dispositions ont fait l’objet de cri-tiques et ne sont pas conformes à la pratique française en matière de droit international(192).

Le Livre blanc souligne que les cybermenaces constituent un enjeu euro-péen et que « la France soutient la mise en place d’une politique européenne de renforcement de la protection contre le risque cyber des infrastructures vitales et des réseaux de communications électroniques »(193). La stra-tégie de l’Union européenne intitulée Un cyberespace ouvert, sûr et sécu-risé, publiée le 7 février 2013, et le projet de directive qui l’accompagne, montrent l’engagement de l’Union en matière de cybersécurité. Néan-moins, l’Union européenne et l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information (Enisa) se concentrent sur les questions de cybercriminalité et cyberterrorisme et délaissent les questions liées à la cyberdéfense. Il pourrait être intéressant que la France, forte de son expérience, soit le moteur du développement d’une stratégie européenne

(189) Ministère de la Défense, "La France intègrera le Centre d’excellence en cyberdéfense de l’Otan en 2013", 25 janvier 2013, http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/la-france-integrera-le-ccdcoe-en-2013 (visité le 27 août 2013).(190) Michael N. Schmitt (dir.), The Tallinn Manual on the International Law Applicable to Cyber Warfare, Cambridge University Press, avril 2013, 300 p. ; une première version du Manuel de Tallinn avait été publiée sur Internet par le CCDCOE le 3 septembre 2012, http://www.ccdcoe.org/379.html (visité le 27 août 2013).(191) Il convient néanmoins de souligner qu’aucun français n’a pris part à ce groupe d’expert, soulignant un peu plus la domination des anglo-saxons sur ce sujet.(192) Par exemple, la règle n° 15 du Manuel de Tallinn prévoit la possibilité pour un État de recourir à la légitime défense de manière préventive (avant que l’acte d’agression ait eu lieu) alors que la majorité des États, dont la France, et de la doctrine y est opposée ; voir notamment, Joe Verhoeven, "Les "étirements" de la légitime défense", Annuaire français de droit international, volume 48, 2002, pp. 69-70 ; voir aussi : "Légitime défense", in : Jean Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, 2001, pp. 642-643.(193) LBDSN, p. 107.

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en matière de cyberdéfense en complément de la stratégie en matière de cybersécurité et aux côtés des stratégies existantes au niveau des États et de l’Otan.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale aborde de manière ambitieuse et réaliste la cybersécurité et la cyberdéfense. Il est impor-tant de rappeler que malgré un contexte économique difficile, il pré-

conise une augmentation des moyens dans ce domaine.

Il convient maintenant d’attendre la mise en pratique des dispositions du Livre blanc, notamment en ce qui concerne une probable future révision de la stratégie de la France en matière de défense et de sécurité des sys-tèmes d’information qui date de 2011. Le projet de loi de programmation militaire présenté au Sénat le 2 août 2013 va déjà dans le même sens.

L’autre aspect important sera d’observer comment l’évolution de la posi-tion française en matière de cyberdéfense et de cybersécurité va s’accorder à celles de nos alliés et des organisations internationales dont la France est membre, voire les influencer.

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Le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles dans le cadredu Livre blanc de 2013

Leticia SAKAIJuriste, université Paris I Panthéon- Sorbonne

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, concevant la souveraineté comme « l’autonomie de décision et d’action de l’État », en fait « un fondement de la sécurité nationale »(194). En tant qu’« attribut essentiel de la Nation », si celle-ci « n’est plus en mesure de protéger sa souveraineté, elle perd la maîtrise de son destin »(195). C’est pourquoi, notamment « dans un contexte de tension sur l’accès aux ressources »(196), la France considère que l’exploitation « de nombreuses ressources halieu-tiques, minérales et énergétiques […] constitue un atout très important pour [...] (l’) économie »(197). Ainsi, selon le Livre blanc, « les tensions […] se focalisent sur l’accès à l’eau, aux terres et produits agricoles, aux matières premières minérales et énergétiques, y compris les matériaux stra-tégiques »(198).

(194) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 19. (195) Ibid.(196) Ibid., p. 110.(197) Ibid., p. 14.(198) Ibid., p. 42.

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Le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles en droit international

Depuis la fin des années quarante, sous la pression des nouveaux États membres et des pays en voie de développement, l’Organisation des Nations unies (ONU) a développé une série de discussions consacrées au contrôle et à l’accès des ressources naturelles(199). Ce fut au sein même de cette orga-nisation que le principe de la souveraineté permanente de l’État sur les ressources naturelles a été formulé. Ce principe comprend des pouvoirs souverains de l’État pour exercer la maîtrise, la mise en valeur, la prospec-tion, la disposition, le contrôle et le pouvoir de légiférer sur les ressources naturelles, comme établi dans la résolution 1803 (XVII) de 1962 de l’As-semblée générale des Nations unies(200).

En réalité, lors de sa consécration, le principe de la souveraineté perma-nente constituait une réponse aux contrats de concessions inégaux, rela-tifs à l’exploitation de ressources naturelles, conclus, en général, entre les investisseurs étrangers et les ressortissants des États développés et des États en voie de développement, héritage de la période de la colonisation(201). Ces derniers, exportateurs de matières premières ou importateurs de capitaux étrangers, prétendaient affirmer leurs droits de disposer librement de leurs ressources naturelles, voire aux droits de nationalisation, d’expropriation et de réquisition de ces ressources.

C’est à travers la résolution 523 (VI) du 12 février 1952, que l’Assemblée générale a d’abord reconnu un droit aux États de disposer librement de leurs ressources naturelles suivi(202), la même année, de la résolution 626

(199) Voir G. Elian, "Souveraineté sur les ressources nationales", in RCADI, 1976, vol. 1, pp. 45-63.(200) Voir plus précisement les §2, §3 et §4. Voir également, Abi-Saab, G., "La souveraineté permanente sur les ressources naturelles", in Bedjaoui, M., Droit international : bilan et perspectives, Pedone, Paris, 1991, pp. 638-661.(201) Voir à ce sujet Elian, G., "Le principe de la souveraineté sur les ressources nationales et ses incidences juridiques sur le commerce international", RCADI, vol. 149, 1976, pp. 1-85.(202) La résolution 523 (VI), disponible en ligne: http://www.un.org/french/documents/ga/res/6/fres6.shtml (consulté le 18 septembre 2013). Voir encore Fischer, G., "La souverai-neté sur les ressources naturelles", AFDI, n° 8, 1962, pp. 516-528 ; Gess, K., "Permanent sovereignty over natural resources; an analytical review of the UN Declaration and its genesis", ICLQ, vol. 13, 1964, pp. 398-449.

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(VII) du 21 décembre, laquelle énonce encore que : « le droit de peuples d’utiliser et d’exploiter leurs richesses et ressources naturelles est inhérente à leur souveraineté »(203). Ainsi, le droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles a été relié à la notion de souveraineté de l’État. Tou-tefois, ce n’est qu’en 1962 que l’Assemblée générale est parvenue à préciser le contenu du principe dans la résolution 1803 (XVII) du 14 décembre, par laquelle le principe a été explicitement consacré comme un droit de « souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et ressources naturelles » (§1). Il fut décidé que ce droit de souveraineté disposerait du qualificatif "permanent" afin d’assurer qu’« en aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance »(204). De plus, dans le texte de la résolution 1803 (XVII), il fut précisé que cette souveraineté serait attribuée aux peuples et aux Nations, afin d’inclure également les territoires non autonomes ou sous un régime de tutelle(205).

Néanmoins, le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles a été affecté par l’évolution du droit international et particuliè-rement, par la consolidation de la protection internationale des droits de l’homme. Cinquante ans après la consécration de ce principe, il est pos-sible de remarquer deux facteurs essentiels qui influencent ce concept(206).

Premièrement, on note un changement de perspective du système juridique, autrefois centralisé sur la figure unique de l’entité étatique. Il est désormais possible de noter une "évolution", du droit international contemporain à travers l’incorporation d’autres sujets et de la croissante complexité des thématiques. Au début du vingt-et-unième siècle a eu lieu le développe-ment d’un nouvel ordre juridique international. Cet ordre juridique inter-

(203) Voir la résolution 626 (VII) disponible en ligne : http://www.un.org/documents/ga/res/7/ares7.htm (consulté le 18 septembre 2013). Nous soulignons.(204) Ces questions sont ressorties lors des travaux préparatoires des deux pactes interna-tionaux des droits de l’homme. Bossuyt, M., Guide to the "travaux préparatoires" of the International Convenant on Civil and Political Rights, Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht, 1987, 851 p.(205) Rosenberg, D., Le principe de souveraineté des États sur leurs ressources naturelles, Paris, LGDJ, 1983, 395 p. Voir encore la contribution de Gess, K., "Permanent sovereignty over natural resources; an analytical review of the UN Declaration and its genesis", ICLQ, vol. 13, 1964, pp. 398-449.(206) À cet égard, voir l’ouvrage intéressant de Schrijver, N., Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, Cambridge University Press, Cambridge, 1997, 452 p.

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national contemporain adopte une perspective plus centrée vers l’individu et ses droits à l’égard de son propre État(207). En d’autres termes, le droit international s’intéresse désormais au niveau intraétatique y compris à propos de l’exercice du principe de la souveraineté permanente(208).

Deuxièmement, il est possible d’observer aujourd’hui la consolidation et l’ex-pansion du système de protection internationale des droits de l’homme ainsi que du droit de l’homme à l’environnement. Autrement dit, il se développe progres-sivement la reconnaissance de règles qui prétendent sauvegarder les droits des individus et de l’environnement même au niveau intraétatique. En effet, à tra-vers des principes, des traités, des coutumes internationales concernant la pro-tection des droits de l’homme et de l’environnement, l’État s’engage, au niveau international, à protéger les individus qui se trouvent sous sa juridiction.

Par conséquent, nous trouvons désormais dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles l’inclusion de questions reliées à la protection des droits de l’homme directement concernés par l’exploitation de ressources naturelles, telles que le droit à l’alimentation, le droit à la santé, le droit à un environnement sain et propre, le droit des peuples indigènes. De plus, comme résultat de la conscience croissante de protection de l’environne-ment, il y a la promotion du développement durable. Ce dernier comprend l’harmonie entre le développement économique et la préservation de la nature, y compris la conservation de ressources naturelles et leur utilisation de forme rationnelle, tel que conçu par le rapport Brundtland de 1987(209).

Ainsi, l’État, à travers l’exercice de sa souveraineté permanente sur les ressources naturelles, doit prendre compte de ces questions et des enjeux contemporains. À cet égard, le ministère de la Défense tient un rôle essen-tiel, comme nous analyserons par la suite.

(207) Opinion individuelle, "Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indé-pendance relative au Kosovo", avis consultatif du 22 juillet 2010, CIJ, Recueil 2010, §§ 75-96.(208) Bastid-Burdeau, G., "Le principe de souveraineté permanente sur les ressources natu-relles à l’épreuve de la mondialisation", in L’État souverain dans le monde d’aujourd’hui : mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Puissochet, Paris, Pedone, 2008, pp. 27-28.(209) Rapport rédigé par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations unies, présidée par Gro Harlem Brundtland. Le rapport fut officiellement inti-tulé "Notre avenir à tous". Cette commission envisageait créer une coopération internatio-nale pour résoudre les problèmes environnementaux.

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La mission de la Défense et le principe de la souveraineté per-manente sur les ressources naturelles

Les ressources naturelles constituent un élément important de la stratégie politique, économique et de sécurité nationale d’un pays. À ce propos, depuis la loi du 29 juillet 2009, le nouvel article du Code de la Défense de la France, L. 1111-1 dispose que « la stratégie de sécurité nationale a pour objet d’identifier l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population[...]. Elle contribue à la lutte contre les autres menaces susceptibles de mettre en cause la sécurité nationale ».

Ainsi, considérant que la défense nationale a pour objet de protéger la population et de contribuer à la lutte contre les menaces, il doit participer au débat de certains sujets au sein de l’État. C’est notamment le cas de l’épuisement de ressources naturelles qui peut mettre en danger la sécu-rité nationale ou l’exploitation de ressources susceptible de fragiliser la sécurité de la population locale, comme on le suppose actuellement avec l’exploitation du gaz de schiste.

Dans l’exemple de l’exploitation du gaz de schiste, lors de son discours au 14 septembre 2012 à la Conférence environnementale, le président de la République française, M. François Hollande, a déclaré sa décision de ne pas explorer ni d’exploiter des hydrocarbures non conventionnels, comme le gaz et l’huile de schiste, dont la seule technique d’extraction connue aujourd’hui – la fracturation hydraulique – pouvait provoquer de sérieux risques pour la santé humaine et pour l’environnement(210). D’un côté, le progrès du pays et les intérêts économiques en question exercent des pressions en faveur de l’exploration de cette ressource naturelle ; d’un autre côté, la sécurité de la méthode d’extraction est encore très discutée et pas très fiable.

En effet, malgré l’intérêt du développement économique du pays, le chef de l’État français a effectué le choix de ne pas exploiter cette ressource

(210) Discours du président de la République à l’occasion de la Conférence environnementale, Élysée – Présidence de la République, Déclarations/Discours, Paris, 14 septembre 2012, dis-ponible en ligne : http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-repu-blique-a-l-occasion-de-la-conference-environnementale/ (consulté le 5 février 2012).

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naturelle. Cette décision s’est appuyée sur le droit à la santé et la protec-tion environnementale de la population. Un exemple qui illustre assez bien la conception actuelle du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles au niveau national : dans l’exercice de son pouvoir souverain sur les ressources naturelles, l’État doit prendre en compte la protection des droits de l’homme et de l’environnement dans la maîtrise et le contrôle des ressources naturelles existant sur son territoire.

Dans ce cadre, la défense nationale, dont la charge est « d’identifier l’en-semble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population »(211), a un rôle fondamental dans l’interprétation contemporaine du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. Autrement dit, la défense nationale a une mission particulière concernant la définition d’une stratégie de sécurité nationale qui prenne en compte la protection de la population et de l’environnement de cette dernière dans le cadre de l’ex-ploitation de ressources naturelles.

De surcroît, la Défense a une mission importante en ce qui concerne la maîtrise et l’utilisation rationnelle des ressources naturelles en vue de pro-mouvoir le développement durable sur le sol français. À ce titre, le minis-tère de la Défense estime être « aujourd’hui un des moteurs de la mise en œuvre de la politique de développement durable au sein de l’État »(212).

Rappelons que le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles confère à l’État français l’exercice de maîtrise, de contrôle, de disposition et de régulation sur les ressources naturelles existantes dans son territoire. Il s’agit donc d’un outil, garanti par le droit international, pour que le ministère de la Défense puisse établir des stratégies de sécurité natio-nale qui visent à exploiter les ressources naturelles considérant, pourtant, la protection de la population française ainsi que le développement durable.

À ce propos, il importe de mentionner que le ministère de la Défense avance déjà dans ce sens. Il a engagé un programme "Développement durable"

(211) Loi du 29 juillet 2009, nouvel article L. 1111-1 du Code de la Défense français. (212) Site du ministère de la Défense français, disponible en ligne : http://www.defense.gouv.fr/ (consulté le 18 août 2013).

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portant sur trois domaines : environnemental, économique et social. Paral-lèlement, il a pour fonction de protéger la population locale, les citoyens français, comme une stratégie de la sécurité nationale et intérieure, tel qu’il est présenté dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2008. Cependant, le Livre blanc 2013 aurait pu être plus catégorique à ce sujet, comme nous verrons par la suite.

Le Livre blanc 2013 et le principe de la souveraineté perma-nente sur les ressources naturelles

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 consacre l’im-portance des ressources naturelles pour la France. Il souligne par exemple les ressources naturelles maritimes, en mettant l’accent sur le fait que la France « recèle de nombreuses ressources halieutiques, minérales et éner-gétiques dont l’exploitation constitue un atout très important pour notre économie »(213). Toutefois, il ne s’approfondit pas réellement dans les pro-blématiques contemporaines reliées au sujet de l’exploitation de ressources naturelles. Par exemple, le Livre blanc 2013 aurait pu considérer les ques-tions relatives aux impacts de l’exploitation de ressources naturelles pour la population et pour l’environnement qui affectent directement la défense et la sécurité nationale.

Par ailleurs, le Livre blanc 2013 mentionne la valeur de ressources natu-relles existantes dans les Départements et Territoires d’outre-mer, comme en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, « qui font de la France une puissance politique et maritime dans le Paci-fique »(214). Il souligne également l’importance de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon qui est riche en hydrocarbures et les îles Éparses possédant de nombreuses ressources pétrolières et gazières(215).

Le Livre blanc se préoccupe ainsi à simplement réaffirmer la valeur des res-sources naturelles existantes dans le territoire français aux fins de sécurité intérieure et de stratégie économique de la République française. Mais le

(213) LBDSN 2013, p. 14.(214) Ibid., p. 50.(215) Ibid., p. 51.

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Livre blanc 2013 ne s’emploie pas à développer le sujet de l’importance des ressources à partir d’autres perspectives. Il conviendrait par exemple de discuter de l’exploitation des ressources naturelles aux fins de sécurité énergétique et de sécurité environnementale, un aspect des choses qui a souvent été mis en lumière à l’Élysée ces dernières années. Par ailleurs, le Livre blanc aurait pu s’intéresser à l’ensemble des problématiques et effets susceptibles de toucher la vie de la Nation, de la population en France et en outre-mer, dans le cadre de l’exploitation de ressources naturelles, ce qui lui permettrait ainsi d’atteindre l’objectif de stratégie de sécurité natio-nale inscrit dans le Code de la Défense de la France (2009)(216).

De surcroît, le Livre blanc 2013 semble méconnaître le rôle important de la défense nationale en ce qui concerne la protection des droits de la popu-lation française et de la protection de l’environnement dans le cadre de l’utilisation des ressources naturelles. Le Livre blanc évoque par exemple, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789(217) qui traite des droits et des libertés des individus. De plus, il mentionne « la pression de plus en plus forte sur les ressources naturelles et un impact de moins en moins maitrisé sur l’environnement »(218) à l’échelle mondiale. Pourtant, à ce sujet, le Livre blanc 2013 aurait pu également signaler son programme "Développement durable" ainsi que la question de la préoccupation sur la protection des citoyens français – en France et en outre-mer – dans la maîtrise des ressources naturelles. Par exemple, le Livre blanc aurait pu citer la position de la France ou les méthodes adoptées pour effectuer les études de l’impact environnemental et social, aujourd’hui considérées comme condition préalable à l’obtention par les autorités de l’État des autorisations nécessaires au démarrage d’activités relevant de l’exploita-tion des ressources naturelles(219).

(216) Voir supra, p. 82.(217) Ibid., p. 14.(218) Ibid., p. 41.(219) Voir par exemple, la Convention sur la biodiversité de Nagoya (2010), dont la France est signataire, prévoit également l’établissement des études d’impact concernant des projets "susceptibles de nuire sensiblement à la diversité biologique" (article 14). Voir également, Pellet, A. et autres. Droit International Public, 8e éd., Paris, LGDJ, 2009, p. 1455 ; Prieur, M., Droit à l'Environnement, 6e éd., Paris, LGDJ, p. 91.

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Désormais, l’État doit prendre en compte non seulement la valeur des ressources naturelles sur les plans stratégiques (économique et politique) à l’égard d’autres États, mais aussi l’importance

humaine, sociale et environnementale de ces ressources au niveau intraéta-tique. À ce propos, la défense nationale a un rôle fondamental, admis dans son programme "Développement durable" ou dans sa propre mission de protection des citoyens français. Il est regrettable que le Livre blanc 2013 n’approfondisse pas les éléments de ces missions importantes de la défense nationale.

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La Franceface au risque de pandémieHélène DE POOTERJuriste, université Paris I Panthéon-Sorbonne

Les pandémies ont fait leur entrée dans la stratégie de défense et de sécu-rité française en 2008, à l’occasion de la précédente édition du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Comme son prédécesseur, le Livre blanc de 2013 accorde une attention toute particulière aux pandémies. Ces dernières sont considérées comme un facteur de crise majeure intervenant sur le territoire et auquel la stratégie de défense et de sécurité nationale, qui vise à « bâtir la résilience de la Nation »(220), doit pouvoir répondre en priorité, puisque « les risques de pandémies […] peuvent affecter grave-ment la sécurité de la Nation »(221). En effet, le Livre blanc constate qu’en dépit d’une « probabilité des risques d’origine […] sanitaire (pandémie massive) […] difficile à évaluer, leur impact peut être majeur. C’est pour l’État une obligation que d’y faire face, dans l’Hexagone comme dans les Territoires d’outre-mer »(222).

À eux deux, les termes "épidémie" et "pandémie" figurent pas moins de neuf fois dans le Livre blanc. Un classement des références éparses fait apparaître que le Livre blanc se prononce sur la nature

du danger causé par les épidémies et pandémies, leurs causes et consé-quences, ainsi que sur les objectifs de la France et les orientations fixées pour y parvenir.

(220) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 12.(221) Ibid., p. 10.(222) Ibid., p. 49.

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Quant à la nature du danger, le Livre blanc qualifie les pandémies de "risque", ce qui les distingue des menaces qui supposent une intention hostile(223). Plus précisément, le risque serait "insidieux", car il n’aurait pas de caractère tangible(224). Bien que sa probabilité soit difficile à évaluer, ce risque se serait amplifié depuis le précédent Livre blanc(225). Notamment, la France redoute l’apparition d’une nouvelle pandémie hautement patho-gène et à forte létalité résultant de l’émergence d’un nouveau virus fran-chissant la barrière des espèces (tel le virus de la grippe aviaire) ou d’un virus échappé d’un laboratoire de confinement(226).

Telles qu’identifiées par le Livre blanc, les causes de ce risque sont doubles : d’une part, la faiblesse, c’est-à-dire l’incapacité des États tiers à faire face à une irruption de maladies infectieuses et la défaillance des systèmes de santé dans certaines zones ; d’autre part, la mondialisation, qui se mani-feste par des flux constants de personnes et de marchandises, la rapidité des transports et la concentration de populations dans des mégalopoles(227).

Leur présence dans le Livre blanc s’explique par le fait que, aux yeux de la France, les pandémies ont pour conséquence d’affecter sa sécurité, et cela de façon directe et indirecte. Directement, les pandémies désorga-nisent la société en entraînant un dysfonctionnement grave des structures publiques et privées et en causant un grand nombre de victimes, dont cer-taines peuvent requérir des soins spécialisés. Indirectement, les pandémies menacent la sécurité de la France en provoquant des troubles comme la panique des populations, la contestation des consignes de sécurité ou de périmètres interdits, des pillages ou encore l’accroissement de la délin-quance(228).

La France érige la lutte contre le risque de pandémie en obligation(229). Son objectif est double : protéger le territoire national et les ressortissants français et garantir la continuité des fonctions essentielles de la Nation

(223) LBDSN, p. 11.(224) LBDSN, p. 41.(225) LBDSN, pp. 7/49.(226) LBDSN, p. 46.(227) LBDSN, pp. 39/41-42/46.(228) LBDSN, pp. 46/49-50.(229) LBDSN, p. 49.

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(infrastructures ou institutions essentielles à sa vie économique et sociale), le tout dans l’Hexagone comme dans les Territoires d’outre-mer(230).

Afin de remplir son "obligation" et de parvenir à son double objectif, la stratégie française repose sur trois orientations : 1° l’enrayement dès l’ori-gine, l’État étant le premier échelon de réponse, par le biais d’une capacité sanitaire minimale permettant une identification du risque le plus rapi-dement possible(231) ; 2° la coordination internationale, en particulier au niveau de l’Union européenne, à l’échelle de laquelle des normes assurant une bonne protection devraient être développées et les équipements de sécurité intérieure mutualisés(232) ; 3° la réactivité des forces armées en lien avec les autres services de l’État(233).

Afin de donner corps aux deux premières orientations, la France devrait : 1° achever la mise en œuvre du Règlement sanitaire international (2005) ; 2° mutualiser ses capacités de négociation de contrats d’achat de vaccins à l’échelle de l’Union européenne ; 3° s’efforcer de façonner des standards internationaux conformes à ses objectifs.

L’enrayement dès l’origine :achever la mise en œuvre nationale du RSI (2005)

L’enrayement dès l’origine est une préoccupation de la France, car « [...] (les) risques et les menaces auxquels [les autres États] ne savent pas faire face sur leur territoire peuvent rapidement déborder et affecter notre propre sécurité »(234). La France semble considérer que ce qu’elle appelle "les risques de la faiblesse" proviennent d’ailleurs. Pourtant la France n’est, elle-même, pas un modèle en matière de capacité sanitaire minimale destinée à enrayer le risque dès l’origine. Le Règlement sanitaire interna-tional (2005), instrument obligatoire pour tous les États adopté dans le cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), impose à ces derniers d’acquérir des capacités minimales de surveillance et d’action contre tout

(230) LBDSN, pp. 47/49/89.(231) LBDSN, pp. 39/41.(232) LBDSN, pp. 7/68/79.(233) LBDSN, p. 89. Ce point ne sera pas traité ici.(234) LBDSN, p. 39.

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événement survenu sur son territoire pouvant constituer une urgence de santé publique de portée internationale(235).

Au 5 avril 2013, sur onze critères relatifs aux urgences biologiques(236), la France recevait de la part de l’OMS la note de 100/100 dans un seul domaine : la législation. En comparaison, l’Allemagne obtenait 100/100 dans huit domaines. Certes, la France recevait une note supérieure à 90/100 en ce qui concerne la surveillance, l’action, les laboratoires et la sécurité sanitaire des aliments. Mais la coordination, la préparation, la communication en matière de risques, les ressources humaines, les points d’entrée et les événements d’origine zoonotique étaient moins bien notés. Les domaines les plus critiques étaient ceux de la coordination (63/100), des ressources humaines (60/100) et surtout des points d’entrée (ports, aéroports et postes-frontière), critère pour lequel la France recevait la note de 22/100(237) alors qu’il s’agit d’une composante essentielle de l’enraye-ment dès l’origine souhaité par la France. Cette dernière, qui avait jusqu’au 15 juin 2012 pour mettre en œuvre le RSI (2005), a obtenu un délai sup-plémentaire de deux ans pour remplir les obligations qui lui incombent. Le retard de la France est inquiétant dans le contexte de propagation du coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient. La France doit donc impérativement et dans les meilleurs délais satisfaire à ses obligations aux points d’entrée énumérées à l’annexe 1B du RSI (2005).

Si la France veut protéger l’Hexagone comme les Territoires d’outre-mer, elle doit également investir dans les capacités aux points d’entrée de la Guyane, de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Nouvelle-Calédonie, de la Réunion, de la Polynésie française, etc.

Cet effort national sera toutefois inutile sans une mise en œuvre à l’échelle de l’Union européenne. La faiblesse aux points d’entrée n’est pas propre à la France. L’Allemagne est notée à 27/100, la Suisse à 22/100 et la Slo-

(235) RSI (2005), articles 5 et 13, annexes 1A et 1B, http://www.who.int/ihr/fr/(236) Les onze critères sont les suivants : législation, coordination, surveillance, action, pré-paration, communication en matière de risques, ressources humaines, laboratoires, point d’entrée, événements d’origine zoonotique, sécurité sanitaire des aliments (OMS, "Nota-tion des capacités dans tous les États-Parties ayant transmis des réponses pour l’année 2012", A66/16 Add.1, 20 mai 2013, p. 3).(237) Eod. loc., p. 8.

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vaquie à 9/100. Cette situation est préoccupante dans la mesure où tous ces États font partie de l’espace Schengen caractérisé par la libre circulation des personnes. En cas de menace particulièrement grave, la France devrait envisager la possibilité d’une réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures, conformément au Code frontière Schengen(238).

La mutualisation à l’échelle de l’Union européenne :mutualiser aussi les capacités de négociationde contrats d’achat de vaccins

La "mutualisation" à l’échelle de l’Union européenne mentionnée par le Livre blanc ne peut pas se résumer à celle des équipements de sécurité intérieure des différents États membres(239). Ces derniers devraient égale-ment mutualiser leurs capacités de négociation de contrats d’achat de vac-cins. En effet, la stratégie d’achat individuel de vaccins contre les grippes A (H5N1) et A (H1N1) fut vivement critiquée par la Cour des comptes, qui relève « l’absence de toute coordination, notamment européenne, entre les différents États demandeurs »(240), générant une situation de dépendance vis-à-vis des fournisseurs. La France devrait donc soutenir le projet de directive relative aux menaces transfrontières graves pour la santé voulue par le Parlement européen. Ce projet de directive prévoit notamment une procédure conjointe de passation de marché ouverte à tous les États membres et leur permettant d’acquérir des produits pharmaceutiques au meilleur coût(241). Cette mutualisation des capacités de négociation devrait s’accompagner d’une évaluation des besoins réels afin d’assurer la réparti-tion la plus rationnelle possible des produits de santé à l’échelle de l’Union européenne.

(238) Règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (Code frontières Schengen), Joue, L, 105/1 du 14 avril 2006, considérant 6 et article 23.(239) LBDSN, p. 68.(240) Cour des comptes, L’utilisation des fonds mobilisés pour la lutte contre la pandémie grippale A(H1N1), communication à la Commission des affaires sociales du Sénat, sep-tembre 2010, p. 79.(241) Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 3 juillet 2013 en vue de l’adoption de la directive 2013/.../UE du Parlement européen et du Conseil, relative aux menaces transfrontières graves pour la santé, P7_TA(2013)0311, article 5.

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Le développement de normes assurant une bonne protection : façonner des standards internationauxconformes aux objectifs de la France

Le développement normatif voulu par la France est essentiel, mais il ne doit pas se limiter au cadre de l’Union européenne. La France craint à juste titre l’émergence d’un nouveau virus franchissant la barrière des espèces (zoonose). En effet, « 60 % des maladies infectieuses humaines connues sont d’origine animale (domestique ou sauvage), de même que 75 % des maladies humaines émergentes »(242). La France doit donc participer acti-vement à l’élaboration des standards internationaux adoptés à l’Organi-sation mondiale de la santé animale (OIE). La France doit s’efforcer de façonner ces standards à la lumière du niveau de protection qu’elle consi-dère approprié. Ces standards, en apparence non obligatoire, bénéficient du levier de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ils permettent ensuite à la France d’appliquer des mesures pour protéger son territoire qui seront présumées être compatibles avec l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires(243). Ainsi, la France pourra diffici-lement être accusée d’appliquer des mesures de restriction au commerce international contraires à ses engagements souscrits à l’OMC.

La France se préoccupe avec raison des risques que font peser les pan-démies sur sa sécurité. Cette contribution suggère quelques actions qui pourraient être mises en œuvre afin de donner corps aux orien-

tations françaises. Elle démontre par là même qu’une stratégie efficace ne pourra se passer d’une action aux échelles nationale, européenne et inter-nationale.

(242) Vallat Bernard, "Un monde, une seule santé", Bulletin de l’OIE, 2009, n° 2, p. 1.(243) Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires, article 3, § 2. Voir aussi Truilh-Marengo Ève, "Normes techniques et droit de l’OMC", in Tomkiewicz Vincent (dir.), Les sources et les normes dans le droit de l’OMC, 2012, Pedone, Paris, p. 260.

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Pour aller plus loin

De Pooter Hélène, Le droit international face aux pandémies : vers un sys-tème de sécurité sanitaire collective ?, Thèse de doctorat en droit public, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, xii-649 p.

Fidler David P., International law and infectious diseases, 1999, Clarendon Press, Oxford, xiv-364 pages.

Institute of medicine, The domestic and international impacts of the 2009-H1N1 influenza A pandemic: global challenges, global solutions, 2010, The National Academies Press, Washington, DC, xxii, 417 pages.

Leport Catherine, Guégan Jean-François (dir.), Les maladies infectieuses émergentes : état de la situation et perspectives, 2011, La Documentation française, Paris, 207 pages.

Mehdi Rostane, Maljean-Dubois Sandrine (dir.), La société internatio-nale et les grandes pandémies – Quatorzièmes rencontres internationales d’Aix-en-Provence, colloque des 8 et 9 décembre 2006, 2007, Pedone, Paris, 222 pages.

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III. Horizons stratégiques

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La stabilité du Moyen-Orientà la lumière du Livre blanc de 2013 :une priorité stratégique de second plan pour la FranceBérénice MURGUEHistorienne, université Paris IV-Sorbonne

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale considère comme essentiel de « participer à la stabilité du Proche-Orient et du golfe Ara-bo-Persique »(244). Ainsi, dans le cadre de la stabilisation du voisinage de l’Europe, le processus de paix au Proche-Orient doit être une des prio-rités européennes. Toutefois, le Livre blanc reconnaît que, « s’agissant du Moyen-Orient, la posture américaine devrait rester dictée par la nécessité de garantir la sécurité de la région »(245), d’autant plus que la région se situe dans une zone qui voit se développer la prolifération nucléaire ainsi que « les tensions intercommunautaires et interconfessionnelles »(246).

Alors que « participer à la stabilité du Proche-Orient et du golfe Arabo-Persique »(247) est énoncé au sein du Livre blanc, comme constituant une des priorités essentielles de la France, il semblerait

que la réflexion stratégique nationale se soit déplacée au sein de "l’arc de crise", du Moyen-Orient vers le golfe Arabo-Persique. Ainsi, le Livre blanc porte une attention particulière à la stabilité de l’Iran, qui constitue un enjeu majeur en raison des risques de prolifération nucléaire et des

(244) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l’information légale et administrative (Dila), Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 56.(245) Ibid., p. 30.(246) Ibid., p. 28.(247) LBDSN, Dila, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 56.

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problèmes liés à l’approvisionnement et à la sécurité énergétique. En effet, une atteinte à la liberté de navigation dans le détroit d’Ormuz qui repré-sente le point de passage d’environ 30 % des exportations mondiales de pétrole aurait de graves répercussions sur la stabilité régionale et inter-nationale(248). Il apparaît ainsi clairement que les analyses de la situation régionale faites au sein du nouveau Livre blanc se concentrent presque exclusivement sur la question iranienne en passant sous silence d’autres enjeux transversaux notamment ceux liés aux conséquences des révolu-tions arabes sur la stabilité régionale ainsi que les enjeux relatifs à la pro-blématique israélo-palestinienne.

La crise économique et financière qui frappe le monde depuis 2008, ainsi que le déclenchement des révolutions arabes, à la fin de l’année 2010, ont profondément modifié la donne dans les zones d’intérêt stratégique fon-damentales, pour la France et l’Europe, telles que le Moyen-Orient et la Méditerranée. Ainsi, la baisse du budget de la défense en France(249) et des effectifs du ministère de la Défense depuis 1990(250), aura à long terme, des conséquences importantes sur les troupes françaises à l’étranger, notam-ment au Moyen-Orient : la réduction de notre temps d’intervention, une présence numérique réduite, une autorité affaiblie en comparaison des contingents italiens et espagnols, qui prennent le commandement de cer-taines forces internationales telles que la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Avec en toile de fond, le resserrement des priorités affichées par le Livre blanc de 2013, notamment la stabilisation de l’Eu-rope et de ses voisins ainsi que le retour des théâtres d’opérations africains comme démontré par les opérations militaires en Libye et au Mali(251).

(248) LBDSN, p. 56.(249) De 15 % soit 41.6 milliards d’euros en 1996 à 8,9 % soit 39.2 milliards d’euros en 2010. Tableau "Part du budget de la défense dans le budget de l’État", ministère de l'Éco-nomie et des Finances et Otan, 2011. (250) De 550 249 personnes en 1990, à 379 990 en 2000, et 225 920 en 2011 (incluant l’armée de Terre, l’armée de l’Air, la Marine, la Gendarmerie ainsi que les effectifs militaires de la DGA, du SSA, du SEA, de l’administration centrale et des divers services du ministère de la Défense. Tableau "Effectifs du ministère de la Défense" (1990-2010), ministère de la Défense et ministère de l'Économie et des Finances, 2011. (251) Lecoq, T., "La France et sa défense depuis la fin de la guerre froide, éléments de réflexion sur la réforme comme chantier permanent", revue Historiens et Géographes, numéro spé-cial "Enseigner la défense", Paris, septembre 2013.

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La réorientation des efforts stratégiques américains vers l’Asie demeure également une donnée essentielle de la modification du paysage géostraté-gique en Europe et en Méditerranée. Cependant, le désengagement améri-cain de la scène méditerranéenne n’a pas été analysé dans toutes ses dimen-sions par le Livre blanc, qui n’a pas tiré les conclusions qui s’imposaient face à ce mouvement de retrait des États-Unis dans la région.

Ainsi, malgré la volonté affichée de considérer le champ d’opération médi-terranéen comme déterminant et décisif pour l’influence stratégique de la France dans la région, le Livre blanc ne fait que superficiellement état des défis tactiques soulevés par les révolutions arabes : cycle de recomposition politique, enjeux de la transition, reconfiguration des équilibres régionaux ou encore évolution des relations avec les puissances occidentales(252).

Nous constatons ainsi que le Livre blanc de 2013, dans sa description de la situation politique, économique, sociale et identitaire du Moyen-Orient, ne saisit que partiellement l’ampleur de la déflagration et de la conflagration que subit la région depuis le début des révolutions arabes. Le mouvement de déstabilisation demeure beaucoup plus important que celui énoncé. Dans ce contexte, la multiplicité des conflits et la diversité des menaces à la stabilité de la région ne cessent de creuser les lignes de partage entre les pays du pourtour méditerranéen et les États occidentaux. La Méditerranée constitue aujourd’hui un espace périphérique, éclaté et morcelé sur le plan stratégique. Ceci pouvant conduire, à terme, à une rupture totale ou par-tielle des équilibres régionaux et internationaux ainsi qu’à une perte signi-ficative d’influence de la France et de l’Europe au sein du monde arabe. Ce décalage, entre description et réalité, est à relever concernant trois points : les réalités sous-tendues de la situation au Moyen-Orient suite aux révolu-tions, le désengagement des Américains de la scène méditerranéenne ainsi que la place de nouveaux acteurs engagés dans la région(253).

(252) La France face aux évolutions du contexte international et stratégique, document pré-paratoire à l’actualisation du LBDSN, SGDSN, novembre 2011, pp. 34 à 39. Consultable sur le site Internet du ministère de la Défense. (253) Lecture croisée du Livre blanc avec Tristan Lecoq, inspecteur général de l’Éduca-tion nationale, professeur des universités associé (histoire contemporaine) à l’université Paris-Sorbonne.

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De manière plus générale, l’absence de développement et d’analyse relative à l’évolution de la situation au Moyen-Orient remet une nouvelle fois en exergue les contradictions entretenues de la stratégie régionale française au sein du monde arabe.

Premier décalage : les réalités de la situation au Moyen-Orient

L’antagonisme entre chiites et sunnites :nouvelle ligne de fracture intercommunautaire et interconfessionnelle

Le Livre blanc fait état de tensions intercommunautaires et interconfes-sionnelles qui alimentent notamment le conflit actuel en Syrie(254). Le prisme confessionnel constitue aujourd’hui la base d’analyse de la situation dans la région où la rupture se situe désormais entre sunnisme et chiisme. Véritable ligne de fracture, celle-ci est menée au nom de conflits dogma-tiques, mais aussi sociaux, principalement en Irak, au Liban, en Syrie, au Bahreïn, au Yémen et au Pakistan(255). Cet affrontement est ainsi devenu incontournable, notamment parce qu’il rend problématique la résolution des conflits, comme en Syrie, par des négociations politiques internes et externes. Plus généralement, le Moyen-Orient constituant une véritable mosaïque de communautés, la tentation plane toujours sur les populations de se réfugier au sein de leurs identités communautaires dès lors qu’il y a tension ou conflit. Le monde arabe est renvoyé aujourd’hui du temps de l’Empire ottoman où l’identité principale était la communauté religieuse (les millets). Ces divisions interconfessionnelles remettent ainsi profondé-ment en cause l’idée de la Nation comme appartenance commune. Il serait alors particulièrement difficile pour la France d’envisager un engagement stratégique dans un Moyen-Orient communautaire. Enfin, le Livre blanc ne fait pas état de la situation des chrétiens d’Orient qui font l’objet de violences périodiques et de persécutions notamment en Égypte, en Irak et en Syrie. La situation des minorités religieuses était pourtant développée au sein du document d’actualisation du Livre blanc, rédigé en 2011(256).

(254) LBDSN, p. 28.(255) Sfeir, A., L’islam contre l’islam, l’interminable guerre des sunnites et des chiites, Grasset, Paris, 2013, 256 pages. (256) La France face aux évolutions du contexte international et stratégique, document pré-paratoire à l’actualisation du LBDSN, SGDSN, novembre 2011, p. 36.

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Les interrogations soulevées par les divisions interconfessionnelles et inter-communautaires ainsi que la problématique liée à la sécurité des minorités religieuses constituent un préalable indispensable à la définition des prio-rités stratégiques de la France dans la région.

La militarisation des enjeux énergétiques en Méditerranée orientale :la complexification des relations entre Israël et le Liban

Au-delà de la question du nucléaire iranien, militaire plus que civil, la découverte au début des années 2000 et en juillet 2011 d’importantes ressources énergétiques dans la zone maritime "Léviathan", en Méditer-ranée orientale, devrait constituer une priorité stratégique fondamentale pour la France. Alors que cette découverte a complexifié les relations entre Israël et le Liban concernant leur frontière maritime respective et les res-sources financières liées à l’exploitation offshore, cette nouvelle opportu-nité a permis aux grandes entreprises pétrolières américaines de trouver une place de choix dans le bassin du Levant. De son côté, la France a tout intérêt à optimiser ses bonnes relations avec le Liban en raison de l’impor-tant enjeu économique et énergétique que représente l’exploitation de ces ressources, particulièrement pour les compagnies pétrolières françaises, en vue de la conquête de nouveaux marchés et de la diversification des appro-visionnements français.

Le conflit israélo-palestinien :point de tension en toile de fond des contestations arabes

L’absence de solution au conflit israélo-arabe constitue « un facteur de fragilité supplémentaire pour la région », selon le Livre blanc(257). Bien que les protestations initiales des révoltes arabes étaient basées sur des reven-dications et enjeux purement nationaux, le sentiment de solidarité avec les Palestiniens demeure intact dans les opinions publiques du monde arabe. Le conflit israélo-palestinien constitue un point de tension en toile de fond des protestations arabes, engendrant la frustration, le sentiment d’humilia-tion ainsi que la volonté des extrêmes de s’exprimer par l’instrumentalisa-tion de la religion. Ces tensions anciennes et sous-jacentes aux révolutions arabes doivent être prises en considération afin de cibler, avec précision,

(257) LBDSN, p. 28.

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la direction que l’engagement stratégique de la France doit prendre dans le Moyen-Orient en gestation. Enfin, Israël regarde avec inquiétude les événements en cours qui bouleversent son environnement de sécurité. Le nouvel ordre régional lui sera probablement moins favorable du fait d’un poids croissant de l’islam politique dans les pays en transition.

Deuxième décalage :le triple désengagement américain de la scène méditerranéenne

Sur le plan économique : vers l’indépendance énergétique

Le Livre blanc mentionne que le développement des gaz de schiste et d’hy-drocarbures non conventionnels pourrait garantir l’indépendance énergé-tique des États-Unis(258) qui deviendront, entre 2017 et 2020, le premier producteur mondial de pétrole devant l’Arabie Saoudite. Ce tournant his-torique de l’équation pétrolière américaine aura des conséquences géopo-litiques et stratégiques, notamment par une redéfinition de leurs objectifs nationaux avec les pétromonarchies. La France doit ainsi intégrer cette évolution imminente dans la perspective d’une possible évolution de ses partenariats en matière d’approvisionnement énergétique dans la région. Ainsi, la politique américaine au Moyen-Orient subira des infléchissements stratégiques dans la mesure où sa dépendance énergétique et la sécurisa-tion des accès et de l’approvisionnement en énergie seront des données moins sensibles, expliquant en partie la réorientation d’une partie de leurs dépenses militaires vers l’Asie-Pacifique(259). Leur interventionnisme dans la région se fera en fonction de nouvelles considérations et notamment celles liées à l’influence grandissante de la Chine.

Sur le plan politique :la réorientation des priorités stratégiques américaines

Pour faire suite aux déboires et aux conséquences des interventions en Irak et en Afghanistan, le désengagement des États-Unis de la région

(258) LBDSN, p. 29. (259) Agence internationale de l’énergie (IEA), rapport annuel, World Energy Outlook, 12 novembre 2012.

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fait plutôt figure de "limitation imposée"(260). À cet égard, le Livre blanc évoque une hiérarchisation plus importante des priorités géopolitiques américaines dans un contexte de régulation de leurs finances publiques. L’affaire iraquienne a cristallisé ce désengagement, qui intervient à la suite d’une série de désillusions et de désenchantements. Le discours du Caire du président Obama n’a pas changé le cours de la politique américaine au Moyen-Orient, notamment sur le dossier israélo-palestinien. Ce désen-gagement intervient, au moment où les États-Unis distendent leurs liens avec l’Europe. L’exemple le plus éloquent demeure l’absence du président Obama qui se trouvait à Pékin dans le cadre d’une tournée en Asie, lors des cérémonies du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 2009. Cette prise de distance de moyen terme des affaires européennes, confirme également que l’Europe n’est plus le centre de leurs intérêts de sécurité, notamment l’Europe centrale et orientale. Le Livre blanc relève que « le continent européen n’est plus au cœur de la confron-tation stratégique mondiale »(261). Dans ces conditions, le désengagement continu des États-Unis du Vieux Continent doit avant tout être consi-déré comme une opportunité pour la défense européenne en accélérant la mutualisation des capacités militaires et de défense(262). À cet égard, le Livre blanc constate que le rééquilibrage des capacités américaines de défense vers l’Asie-Pacifique « met les États de l’Union devant leurs res-ponsabilités »(263).

Sur le plan militaire : entre désengagement et tentation isolationniste

Plusieurs manifestations démontrent le désengagement militaire graduel des Américains du théâtre d’opérations méditerranéen, dont la plus visible et la plus opérationnelle de toutes demeure leur posture au sein de l’Otan. Ainsi, les interventions en Libye et au Mali « pourraient avoir préfiguré un mode d’action appelé à se reproduire dans des situations où les intérêts américains sont moins directement mis en cause », comme indiqué dans le Livre blanc(264). Bien que les appareils militaires américains se soient

(260) Revue Moyen-Orient, entretien avec Gilbert Achcar, numéro juin-septembre 2013, p. 10. (261) LBDSN, p. 29.(262) Il s’agit de l’initiative de mutualisation et de partage capacitaire (Pooling and Sharing) adoptée en 2010 par les ministres de la Défense de l’Union européenne. LBDSN, p. 67.(263) LBDSN, p. 65.(264) LBDSN, introduction et chapitre 3, p. 30.

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révélés décisifs pour le succès des frappes menées par les avions euro-péens lors de l’opération en Libye, l’initiative et la direction des opéra-tions étaient menées par la France et le Royaume-Uni. Cette intervention a préfiguré un certain désengagement militaire des États-Unis de la région. Également, l’engagement des États-Unis dans le dossier syrien peut être considéré comme le reflet d’un leadership en perte de vitesse, cherchant à enrayer une crédibilité ébranlée par les interventions passées. Cette posture est accompagnée d’une tentation isolationniste grandissante et la volonté d’intervenir à minima dans les affaires moyen-orientales notamment en Syrie. Cette nouvelle donne de la politique américaine constitue un para-mètre que la France doit considérer dans la définition de son engagement stratégique qui irait dans le sens d’une réaffirmation de son influence, au Moyen-Orient. Le jeu des intérêts nationaux pourrait, à l’avenir, venir bouleverser certaines alliances(265). À cet égard, le Livre blanc souligne que les États-Unis seront tentés, à l’avenir, de privilégier « les opérations rapides et les actions indirectes » à « des campagnes lourdes et de longue durée »(266). Il est à noter cependant que les autorités américaines ont, en partie, réorienté leur présence militaire dans le golfe Arabo-Persique en raison de la nécessité de garantir la sécurité d’Israël et de faire face à la menace des activités d’enrichissement nucléaire de l’Iran(267).

Troisième décalage :l’émergence de nouveaux acteurs au Moyen-Orient.

La baisse de l’effort de défense des pays européens

La Méditerranée constitue pour l’Europe un véritable test de crédibilité pour la définition d’une Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Ainsi, « la France réaffirme son ambition en faveur d’une défense européenne crédible et efficace, mais elle ne saurait ignorer les difficultés auxquelles se heurte le développement du cadre européen »(268). Le Livre blanc constate également que dans plusieurs pays européens, l’effort de

(265) Horizons stratégiques, chapitre 2, Délégation aux affaires stratégiques (DAS), 2013. Consultable sur le site du ministère de la Défense. (266) LBDSN, p. 30.(267) LBDSN, p. 30.(268) LBDSN, p. 61.

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défense est passé en dessous de la barre de 1 % du produit intérieur brut. Ceci confirme le constat d’une baisse généralisée et convergente des efforts de défense des pays de la rive nord de la Méditerranée tels que l’Italie, l’Espagne et le Portugal. De même, les dépenses militaires en Grande-Bre-tagne sont passées de 4.2 % du PIB en 1990 à 2.7 % en 2010, celles de l’Allemagne de 2.8 % à 1.4 %, et en France, de 3,6 % à 1.9 %(269). Pendant longtemps, les Américains ont été réticents à l’égard des efforts portés par la France pour la constitution d’une PSDC(270). Ainsi, le premier abou-tissement de cet effort, visant notamment à diminuer la dépendance vis-à-vis des États-Unis, concerne l’espace méditerranéen avec un engagement continu à l’égard des partenaires de la région grâce à une coopération plus efficace dans le domaine de la sécurité, dans le cadre du processus de Barcelone. Le Livre blanc réaffirme le fait qu’il appartient aux Européens d’agir préventivement sur les foyers de crises émergents notamment sur le processus de paix au Proche-Orient(271). À cet égard, la stratégie de défense et de sécurité nationale vise à coordonner les aspects les plus positifs de l’engagement au sein d’une Alliance atlantique dynamique ainsi qu’à l’égard de l’Union européenne(272). Paradoxalement, le principal moteur de la construction européenne de défense pourrait aujourd’hui être les États-Unis, lesquels demandent à l’Europe de jouer un rôle plus décisif notam-ment sur le théâtre méditerranéen. La France doit ainsi considérer le fait qu’un passage de relais semble aujourd’hui engagé, par les États-Unis aux Européens, en Méditerranée.

L’avènement d’un axe russochiite

Des pays tels que l’Égypte et la Turquie, dont on a longtemps pensé qu’ils pourraient être une des clés de la stabilité dans la région, ont vu leur influence régionale respective remise en question suite aux événe-ments récents. Ainsi, nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’un axe russochiite composé de la Russie, de la Syrie, de l’Iran et du Hezbollah

(269) Tableau "Évolution des dépenses militaires des principaux membres de l’Alliance atlan-tique 1990-2010 (en % du PIB)", Otan, 2011.(270) "Une ambition forte et raisonnable", Défense et sécurité internationale, entretien de Joseph Henrotin avec Nicole Gnesotto, 6 mai 2013, n° 93, juin 2013. (271) LBDSN, p. 65.(272) LBDSN, p. 61.

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libanais(273). Néanmoins, il convient de noter la grande méfiance des Ira-niens vis-à-vis de la Russie. Ces derniers n’ont pas oublié la politique de la Russie impériale du temps de l’Empire perse(274). Si l’Iran n’a pas été jusqu’ici un acteur majeur des recompositions en cours dans le monde arabe, sa capacité d’influer, y compris par des stratégies de nuisance, sur les évolutions régionales ne peut être sous-estimée. Les États-Unis ont une longueur d’avance sur la France dans la région perse. En effet, les Améri-cains ont déjà commencé à s’allier avec les Iraniens pour le retrait d’Irak. Néanmoins, la tenue de l’Assemblée générale des Nations unies à la fin du mois de septembre 2013 semble marquer un nouveau point de départ dans les relations entre l’Iran et les pays occidentaux, en particulier la France, concernant, entre autres, la relance des discussions et des négociations sur le dossier nucléaire. Les relations franco-iraniennes seront amenées à évoluer de manière significative dans les mois à venir. Le Livre blanc ne mentionne nullement l’émergence de cet axe qui constitue pourtant aujourd’hui la coalition la plus influente de la zone en contribuant à une recomposition de paysage géostratégique sans précédent dans l’histoire de la région(275). Cette redéfinition des puissances de la région constitue, dans le champ de la défense, une évolution que la France doit intégrer dans sa réflexion stratégique. Néanmoins, la France a renforcé sa présence et sa coopération de défense dans le golfe Arabo-Persique notamment par des accords de défense avec les Émirats arabes unis, le Koweït et le Qatar, et a établi une base interarmées à Abu Dhabi. Un accord de coopération mili-taire a également été signé avec Bahreïn(276).

La France et le Royaume-Uni : vers une nécessaire réaffirmation stratégique

La France et le Royaume-Uni demeurent les deux seules puissances mili-taires et maritimes européennes capables de prendre le relais des Amé-ricains dans la région. Le Livre blanc de 2008 centrait son analyse sur la Méditerranée alors que celui de 2013 met l’accent sur l’Afrique. Le désengagement progressif des Américains des théâtres moyen-orientaux pourrait ouvrir la voie à la réaffirmation de l’autonomie et de l’influence

(273) La base navale russe de Tartous sur les côtes syriennes comporte dorénavant douze vaisseaux russes dont quatre frégates de premier rang. Information recueillie auprès de Tristan Le Coq. (274) Sfeir, A. (sous la direction de), Dictionnaire du Moyen-Orient, Bayard, Paris, 2011. (275) LBDSN, introduction et chapitre 3.(276) LBDSN, p. 56.

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stratégique de la France au Moyen-Orient dans le cadre de ses alliances et de ses engagements. Malgré la volonté affichée de considérer l’évolu-tion de la situation au Moyen-Orient comme une priorité stratégique, le Livre blanc de 2013 ne fait que renforcer l’idée de la permanence du mythe de la "politique arabe de la France". Cette politique du général De Gaulle, qui redonnait à la France considération et sympathies dans le monde arabe après l’épisode colonial, constitue aujourd’hui encore, une référence à laquelle les autorités françaises tentent de se raccrocher. Les grands choix de la politique française à l’égard du Moyen-Orient n’ont jamais été sérieusement remis en cause, depuis cette période, malgré cer-tains épisodes tragiques comme au Liban dans les années 1980. Depuis, les positions françaises apparemment conservées pour l’essentiel sont for-tement entamées. La prise en considération par la France de cette évolu-tion substantielle lui permettrait de redéfinir les grandes orientations de la politique française au Moyen-Orient et ainsi de développer le rôle de pôles régionaux de sécurité et de défense, capables de relayer ses interventions et de conduire des actions d’anticipation, donnant du sens au concept d’"influence préventive"(277). La rentabilité opérationnelle de l’instrument militaire doit aujourd’hui être optimisée(278). Le risque de déclassement stratégique de la France et de l’Europe au Moyen-Orient, par manque de moyens et de projection, est à considérer.

(277) Horizons Stratégiques, chapitre 2, DAS, 2013. Consultable sur le site du ministère de la Défense. (278) Ibid.

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Au terme de cette analyse, il convient de se demander si le Moyen-Orient constitue encore aujourd’hui, une sphère privilégiée pour la France et si celle-ci est prête à y jouer son rôle historique ainsi qu’à

y garantir la préservation de ses intérêts nationaux.

Plusieurs réflexions permettant d’orienter la réflexion prospective peuvent être envisagées :

• La dimension culturelle des conflits, essentiellement au Moyen-Orient, constitue aujourd’hui une des clés de compréhension de nombreuses situations opérationnelles. Celle-ci permettant d’orienter les stratégies au niveau des théâtres d’opérations et le style des actions militaires(279).

• Concernant la résolution de la crise en Syrie, la France avait les moyens d’entreprendre, seule, une percée diplomatique avec une main tendue à la Russie, mais aussi à l’Iran. Elle a néanmoins été évincée par deux fois des tractations internationales en cours : lorsque le président Obama a jugé préférable de demander l’avis du Congrès américain sur une éven-tuelle intervention militaire ainsi que lors de l’accord américano-russe sur le démantèlement de l’arsenal chimique syrien. La France semble aujourd’hui ne plus être en première ligne des négociations sur la Syrie et plus généralement concernant la stabilisation du théâtre moyen-oriental.

• La France semble devoir revenir aujourd’hui à son rôle de médiateur et de négociateur, aux dépens de sa politique interventionniste, au sein du monde arabe dans la résolution de la crise syrienne. Elle avait autrefois tiré sa puissance au Moyen-Orient du fait qu’elle constituait un interlo-cuteur fiable et engagé auprès de toutes les parties en présence. La France a perdu sa crédibilité dans la région le jour où elle a joué la partie d’un camp contre l’autre. Plusieurs exemples de l’histoire récente peuvent être donnés : l’alliance aveugle de Paris avec les monarchies wahhabites du golfe ; la mise en cause de la Syrie dans l’attentat contre l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri ; la politique interventionniste du président Sarkozy en Libye et les récentes prises de position des autorités françaises en Syrie contre le régime du président syrien.

(279) Ibid.

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Pour aller plus loin

Bauchard, Denis, Le Nouveau Monde arabe : enjeux et instabilités, André Versaille éditeur, Bruxelles, 2012, 274 pages. Cet ouvrage de Denis Bau-chard, ancien diplomate et ancien président de l’Institut du monde arabe, propose un décryptage, clair et lucide, du Nouveau Monde arabe. Chomsky, Noam, Power Systems: conversations on global democratic uprisings and the new challenges to US Empire, interviews with David Barsamian, First edition, 2013, 211 pages. Dans cet ouvrage, Noam Chomsky, professeur et intellectuel américain controversé, examine, entre autres, l’avenir de la notion de démocratie dans le monde arabe.

Lecoq, Tristan, "De la défense des frontières à la défense sans frontières. La défense de la France dans l’après-guerre froide", in "Enseigner la défense", Historiens et Géographes, septembre 2013. Cet article offre une approche originale et inédite des évolutions de l’organisation de défense et de sécu-rité de la France à travers l’histoire des Livres blancs de 1972, 1994, 2008 et 2013 en tant que réforme intellectuelle et militaire permanente. Sfeir, Antoine, L’islam contre l’islam, l’interminable guerre des sunnites et des chiites, Grasset, Paris, 2013, 256 pages. Antoine Sfeir, refusant la dichotomie "démocrates contre intégristes", revient avec pédagogie sur un antagonisme millénaire qui façonne tous les conflits actuels de la région. Tripp, Charles, The power and the people: paths of resistance in the Middle East, Cambridge University Press, Cambridge, paperback, 2013, 385 pages. Professeur en science politique et spécialiste du Moyen-Orient à la School of Oriental and African Studies (Soas), Charles Tripp centre l’analyse de son dernier ouvrage sur la notion de pouvoir. Il dresse un panorama rigoureux de la situation du Moyen-Orient au XXe et XXIe siècle à travers les notions d’occupation, d’oppression et de résistance politique.

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Le déclassement stratégiquefrançais et européenen Asie-PacifiqueAntoine BONDAZPolitiste, Sciences Po Paris

“The Mediterranean is the ocean of the past, the Atlantic is the ocean of the present,

and the Pacific is the ocean of the future” John Hay, secrétaire d’État des États-Unis (1898-1905)

Dans la lignée du précédent Livre blanc de 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 reconnaît l’importance croissante du continent asiatique, et en particulier de l’Asie-Pacifique. Principal foyer de croissance du monde, c’est aussi l’une des régions où les risques de ten-sions et de conflits sont les plus élevés, notamment du fait d’une course aux armements, reflet des antagonismes qui divisent ce continent. La France fait face en Asie-Pacifique à des menaces de violences, en raison du caractère ambigu du développement de la puissance militaire de certains États, mais aussi à des risques qui pèsent sur sa propre sécurité du fait de l’incapacité de certains États à exercer leurs responsabilités. C’est en soulignant ce risque d’instabilité que le Livre blanc reconnaît que la prospérité de la France « est désormais inséparable de celle de l’Asie-Pacifique »(280). Alors que les États-Unis réduisent leurs dépenses militaires et que « le rééquilibrage en cours du dispositif militaire américain vers l’Asie-Pacifique devrait être pour-suivi »(281), le Livre blanc rappelle que notre stratégie de défense et de sécu-rité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne. Cependant, si le rôle de stabilisateur régional des États-Unis est reconnu, aucune stratégie nationale propre à l’Asie-Pacifique n’est mentionnée dans le Livre blanc.

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Le monde occidental,(280) et principalement l’Europe(281), est, pour la première fois depuis le XVe siècle, dans une phase de déclin relatif accéléré(282). Sa domination sur l’histoire mondiale touche à sa fin(283). Les « nouvelles évo-lutions stratégiques » mentionnées dans la préface du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale par le président de la République semblent largement sous-estimées. Nous assistons non pas à un simple « rééqui-librage des économies [émergentes] », mais à un basculement bien plus large du centre de gravité mondial. La crise financière et économique ini-tiée en 2007 n’est qu’un accélérateur de cette tendance de fond. La France doit s’adapter à cette nouvelle configuration internationale, réévaluer sa stratégie en Asie-Pacifique, et ne pas se laisser cantonner à un rôle d’in-fluence dans les seules régions périphériques de l’Europe.

La nécessité d’une recherche stratégique françaiseindépendante sur l’Asie-Pacifique

La recherche stratégique sur l’Asie-Pacifique est largement insuffisante en France à l’inverse de la recherche stratégique sur le Moyen-Orient et l’Afrique. Le Livre blanc reconnaît d’ailleurs qu’en général, « la recherche stratégique [en France] continue de souffrir d’une masse critique insuffi-sante »(284).

La notion même d’Asie-Pacifique, utilisée à quatre reprises dans le Livre blanc, est mal appréhendée. Il n’y a d’ailleurs aucune définition claire de ce que le concept représente dans le Livre blanc et les termes Asie-Pacifique, Asie ou Asie orientale sont utilisés sans explication. Largement en usage aux États-Unis puis repris récemment par les pays européens, le terme d’Asie-Pacifique vise avant tout à légitimer la présence et l’influence amé-

(280) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 36.(281) Ibid., pp. 29-30.(282) Zakaria Fareed, The Post American World and the Rise of the Rest, 2008, Penguin Books, London, 292 pages, pp. 1-2.(283) Mahbubani Kishore, The New Asian Hemisphere, the Irresistible Shift of Global Power to the East, Public Affairs, New York, 2008, 314 pages, pp. 9-125.(284) LBDSN, p. 74.

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ricaine dans cette région(285). Cependant, cette région ne représente géogra-phiquement non pas l’Asie et l’océan Pacifique, mais bel et bien l’Asie de l’Est, c’est-à-dire la façade Pacifique du continent asiatique. La possession de territoires dans le Pacifique Sud ne suffit pas à la France, acteur du Paci-fique, pour être un acteur incontournable de l’Asie-Pacifique. Le concept vague de "zone Indo-Pacifique", promue tout d’abord par le Japon (à tra-vers son "arc des démocraties") et désormais par les Nations occidentales, ne demeure qu’à l’état de concept et suscite les inquiétudes de certains pays de la région, en premier desquels la Chine. La France, si elle veut jouer un rôle stratégique en Asie-Pacifique doit justifier son appartenance à la région, principalement en se présentant comme puissance globale, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

Il convient également d’accroître la masse critique de la recherche stra-tégique française sur l’Asie-Pacifique tout en ayant bien conscience des limites françaises en terme de capacités et d’influence dans la région. Cette recherche indépendante est indispensable afin de pouvoir peser non seu-lement dans la production d’idées en Europe et dans le monde, mais aussi afin d’aider la prise de décision politique en maximisant l’intérêt national français. Favoriser la recherche stratégique ne signifie pas uniquement augmenter les budgets de la recherche dans une ère de "contrainte bud-gétaire", mais aussi réorganiser les administrations, éviter les doublons, assurer une meilleure coordination entre services et renforcer le Rensei-gnement d’origine humaine (Rohum) dans la collecte de renseignements.

Comme rappelé par le président de la République, citant Clémenceau, lors de son allocution à l’IHEDN, le 24 mai 2013, « il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire. Quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire ». La France doit non seulement favoriser la recherche stratégique, mais également assurer une meilleure coordination entre celle-ci et la prise de décision politique. Cela contri-buera à développer une pensée stratégique propre et une stratégie cohé-

(285) Rodham Clinton Hillary, Secretary of State, Inaugural Richard C. Holbrooke Lecture on a Broad Vision of U.S.-China Relations in the 21st Century, Washington D.C., January 14, 2011 ; Campbell Kurt M., Asia, Assistant Secretary, Bureau of East Asian and Pacific Affairs, Principles of US Engagement in the Asia-Pacific, Before the Subcommittee on East Asian and Pacific Affairs Senate Foreign Relations Committee, Washington, DC, January 21, 2010.

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rente pour la région Asie-Pacifique. Pour cela, il faut avant tout avoir une prise de conscience des réalités de l’Asie-Pacifique, de ses dynamiques et du déclassement stratégique à l’œuvre, pour la France, dans cette région. Parmi ces réalités, on citera le basculement du centre de gravité mondial vers l’Asie-Pacifique, le rôle central de la Chine dans la nouvelle équation régionale, nos intérêts parfois divergents avec les États-Unis et notre pos-sible influence dans la péninsule coréenne, aujourd’hui dans une impasse stratégique quant à sa dénucléarisation.

Un basculement du centre de gravité mondial vers l’Asie-Pacifique

Au niveau étatique, et contrairement aux aspirations françaises, le monde n’est pas multipolaire(286). Le « moment unipolaire » se poursuit(287) et les États-Unis demeureront pour quelques décennies la seule superpuissance. Comme l’a rappelé le président Obama lors de son discours sur l’état de l’Union en janvier 2011, « aucune superpuissance ne rivalise avec nous ». Si une bipolarité se profile à un horizon de moyen terme entre les États-Unis et la Chine, elle sera économique dans un premier temps(288), et non militaire, Washington conservant une importante avance sur Pékin, en termes capaci-taire et technologique. L’Inde, la Russie et le Japon, des grandes puissances, ne peuvent rivaliser avec le couple sino-américain. L’Union européenne (UE), puissance institutionnelle, doit faire face à ses dissensions internes et au redressement de ses finances publiques ce qui limite ses capacités de pro-jection.

Par ailleurs, utiliser le terme en vogue "d’émergents" et réunir ces pays sous la même bannière ne reflète pas la structure du système international contemporain. Il existe aujourd’hui une hétérogénéité extrême parmi les pays "émergents", et notamment les Brics, dont la structure économique, l’histoire ou les intérêts divergent fortement, et bien plus que ceux des pays

(286) National Intelligence Council, Global Trend 2025, a Transformed World, Washington D.C., November 2008.(287) Krauthammer Charles, “The Unipolar Moment”, Foreign Affairs, Vol. 70, n° 1, 1990/1991, pp. 23-33.(288) Selon les prévisions du FMI, la Chine pourrait devenir la première puissance écono-mique, en termes de PIB parité pouvoir d’achat, au cours de l’année 2017. IMF, World Economic Outlook, Washington D.C., April 2013.

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du G7. Ceux-ci ne parviennent pas à définir une position commune(289) si ce n’est pour un appel à une réforme du système financier international. Le monde ne se divise et ne se divisera ainsi pas en deux blocs, développés contre émergents.

Au niveau des entités régionales, un système constitué de trois grands pôles économiques perdure, à savoir l’Amérique du Nord, l’Union euro-péenne et l’Asie du Nord-Est. Cependant, le pôle Nord-Est asiatique(290) devance désormais les deux autres, suivant en cela une tendance de fond. Le centre de gravité de l’économie mondiale se déplace désormais rapide-ment de l’Atlantique vers le Pacifique(291), conséquence directe de l’essor économique chinois. Alors qu’en 2007 l’Amérique du Nord représentait 25 % du PIB mondial (PPA) contre environ 21 % respectivement pour l’Union européenne et l’Asie du Nord-est, cette dernière région est devenue le premier pôle économique mondial en 2011(292). Selon les prévisions du FMI, l’Asie du Nord-est devrait représenter 27 % du PIB mondial (PPA) en 2018, contre 22 % pour l’Amérique du Nord et un maigre 17 % pour l’UE(293).

Comme rappelé par le Livre blanc, les dépenses militaires combinées des quatre grandes puissances asiatiques (Chine, Japon, Inde et Corée du Sud), tirées principalement par la croissance du budget de la défense chinoise, dépassent désormais celles des dépenses agrégées des États membres de

(289) Leur position vis-à-vis de la crise syrienne est un exemple frappant. En octobre 2011, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud s’abstenaient de voter un projet de résolution alors que la Chine et la Russie votaient contre, utilisant leur véto. En février 2012, l’Inde et l’Afrique du Sud votaient en faveur d’un projet de résolution alors que la Chine et la Russie s’y opposaient. Enfin, en juillet 2012, l’Inde a voté en faveur du projet de résolution alors que l’Afrique du Sud s’abstenait, Chine et Russie maintenant leur véto. Bondaz Antoine, Pers-pectives diplomatiques chinoises sur les Brics, section thématique 48 : "Les diplomaties des pays émergents", congrès de l’Association française de sciences politiques (AFSP), Paris, juillet 2013.(290) Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Hong-Kong, Japon et Taiwan. (291) L’historien français Fernand Braudel avait montré dans son principal ouvrage, l’évo-lution du centre de gravité de l’économie européenne jusqu’au XVIIIe siècle, de Venise à Londres, étant passé successivement à Gênes, Anvers et Amsterdam. Braudel Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme (XVe-XVIIIe siècles), Paris, Armand Colin, 3 volumes, 1979.(292) IMF, World Economic Outlook, Washington D.C., April 2013.(293) IMF, World Economic Outlook, Washington D.C., April 2013.

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l’Union européenne. Si « la crise financière oblige de nombreux États à ajuster leur posture de défense et de sécurité »(294), cette remarque concerne les États occidentaux et non les États asiatiques(295). De plus, si « la France n’est plus confrontée aujourd’hui à une menace militaire conventionnelle directe et explicite contre son territoire »(296), ce n’est pas la perception des États d’Asie de l’Est, qui poursuivent en conséquence un effort de moder-nisation et une expansion militaire à des degrés divers.

L’incertitude stratégique demeure dans la région, tout comme une insta-bilité allant au-delà de simples « points de crispation »(297). En Asie-Paci-fique, la « logique pluriséculaire des rapports de force »(298) continue. Des litiges territoriaux non résolus au lendemain de la Seconde Guerre mon-diale demeurent et impliquent presque tous les pays de la région. Ceux-ci concernent même des États démocratiques entre eux, comme la Corée du Sud et le Japon à propos des îles Dokdo/Takeshima. Le sentiment natio-naliste est une réalité et se nourrit de traumatismes historiques exploités politiquement(299). Le problème de la prolifération nucléaire demeure et représente un enjeu sécuritaire mondial.

L’Asie-Pacifique, « épicentre de la confrontation stratégique mondiale »(300), remplace en cela l’Europe. Le risque serait aujourd’hui que la région suive le modèle européen de la fin du XIXe siècle, et conjugue le fait d’être le centre de gravité du monde et une région riche économiquement, mais avec d’im-portants problèmes de sécurité tant traditionnels que non traditionnels.

(294) LBDSN, Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 9.(295) Selon les données fournies par le rapport annuel du Sipri, les dépenses militaires en Asie de l’Est ont augmenté de 25 % entre 2008 et 2012. Seuls les budgets militaires de Brunei et de la Malaisie auraient diminué. Le budget chinois aurait augmenté de 48%, celui de Corée du Sud de 10 %, celui du Vietnam de 44 % ou celui de l’Indonésie de 70 %. En compa-raison, le budget américain aurait augmenté de 3 % alors que le budget français se serait contracté de 4 % et le budget britannique de 5 %. Stockholm International Peace Research Institute, Sipri Military Expenditure Database, Stockholm, 2013.(296) LBDSN, p. 13.(297) LBDSN, p. 34.(298) LBDSN, p. 33.(299) Lehman Jean-Pierre, "Nationalism Rises in Northeast Asia", Yale Center for the Study of Globalization, January 2013.(300) LBDSN, p. 13.

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La nécessité pour la France de se tourner vers l’Asie-Pacifique

L’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton estimait à juste titre que « la plupart de l’histoire du XXIe siècle sera écrite en Asie »(301). C’est justement pour cette raison que « l’importance stratégique de l’Asie et du Pacifique pour les États-Unis ne cesse de s’accroître »(302). Cette prise de conscience américaine s’accompagne d’un désengagement, avant tout conjoncturel, des théâtres sur lesquels ils s’étaient impliqués ces dernières années (Irak et Afghanistan). Cela signifie ni que les Américains n’abandonnent ces régions ni que les Européens ne devraient se cantonner à remplacer les États-Unis au Moyen-Orient et en Afrique, à défaut de s’investir en Asie-Pacifique.

La France entend conserver sa « capacité d’initiatives et d’entraine-ment »(303), mais celle-ci est aujourd’hui limitée en Asie-Pacifique. Or, le problème est qu’aujourd’hui la France, bien que souhaitant « assumer pleinement ses responsabilités de puissance politique et maritime présente dans la région »(304), n’est pas considérée par ses interlocuteurs comme un acteur de premier plan au niveau stratégique en Asie-Pacifique, faute d’une stratégie clairement définie et coordonnée avec ses partenaires européens.

La Chine, acteur incontournable de l’Asie-Pacifique

La Chine est indéniablement le nouvel acteur majeur des relations interna-tionales dans la région. Son image est cependant dégradée aux États-Unis et en Europe, notamment en raison de ses différends territoriaux dans ses mers périphériques(305), de certaines de ses prises de position sur la scène interna-tionale (notamment le triple véto chinois au Conseil de sécurité des Nations unies [CSONU] sur les résolutions portant sur la Syrie) ou des craintes du cyberespionnage chinois. Cependant, ces perceptions négatives vis-à-vis de la seconde puissance économique mondiale semblent exagérées.

(301) Rodham Clinton Hillary, America's Engagement in the Asia-Pacific, Kahala Hotel, Honolulu, Hawaii, October 28, 2010.(302) LBDSN, p. 29.(303) LBDSN, p. 11.(304) LBDSN, p. 59.(305) Bondaz Antoine, “China needs new strategies to secure its maritime borders”, China Analysis, European Council on Foreign Relations, February 2013.

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La Chine est un compétiteur évident, mais n’est pas pour autant une reproduction du modèle soviétique. La Chine n’est pas en opposition militaire frontale avec l’Otan, n’a d’alliance militaire qu’avec la Corée du Nord(306) et n’a aucune troupe militaire stationnée en dehors du pays, si ce n’est à travers les Casques bleus de l’ONU. Contrairement à l’URSS, la Chine n’est pas une menace pour la sécurité du continent européen. Ayant pris conscience des problèmes structurels de l’URSS, une « puis-sance pauvre »(307), la Chine entend avant tout développer son système éco-nomique et éviter une confrontation directe avec les États-Unis(308). Tout en s’insérant dans une compétition classique sur la scène internationale, le pays a en effet besoin d’un environnement stable qui puisse permettre son développement économique.

La France et l’Union européenne doivent donc éviter une logique de confrontation avec la Chine. Paris et Bruxelles doivent adopter une stra-tégie de coopération avec Pékin tout en l’insérant dans une logique de com-pétition structurelle. Cela ne signifie en rien le reniement de nos intérêts ou une confiance aveugle envers ce pays. La Chine, ayant bien conscience du fonctionnement institutionnel de l’Union européenne, est d’ailleurs amenée à jouer des différends entre États membres afin d’empêcher une plus grande coordination politique à Bruxelles(309). Pékin reproduit cette stratégie notamment avec ses voisins Sud-Est asiatiques de l’Asean(310) afin de promouvoir son intérêt national, notamment en mer de Chine du Sud. Non seulement l’Union européenne doit être en mesure de mieux

(306) Cette alliance n’est d’ailleurs pas une réelle alliance militaire sur le modèle occidental, Pékin et Pyongyang n’effectuant pas d’exercices militaires conjoints et leur coordination était limitée. Chung Jae Ho and Choi Myung-hae, “Uncertain allies or uncomfortable neighbors? Making sense of China–North Korea Relations, 1949–2010”, Pacific Review, July 2013, Vol. 26, Issue 3, pp. 243-264.(307) Sokoloff Georges, La puissance pauvre - Une histoire de la Russie de 1815 à nos jours, 1993, Fayard, Paris, 937 pages.(308) Zheng Bijian, The 16th National Congress of the Communist Party of China and Chi-na’s peaceful rise – a new path, Center for Strategic and International Studies of the U.S., December 9, 2002.(309) Notamment les récentes tensions sino-européennes concernant les exportations chinoises de panneaux solaires. Godement François, “Europe flunks the solar panel test”, ECFR, 28 May 2013.(310) Bondaz Antoine, Kratz Agatha, "La Chine dans les coulisses de l’Asean", Asia Centre, observatoire Asie du Sud-est pour la Délégation aux affaires stratégiques (DAS), ministère de la Défense, mars 2013.

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coordonner la position de ses États membres, mais également apparaître comme plus unie. De son côté, la France doit faire évoluer la relation bila-térale « caractérisée depuis 1997 par un partenariat global »(311) et le hisser au rang de partenariat stratégique. Cette priorité donnée à la Chine ne doit cependant pas empêcher la France à se rapprocher de certains États clés en Asie-Pacifique, notamment les puissances moyennes dynamiques, telles que la Corée du Sud et l’Indonésie.

Si le Livre blanc souligne que « les grandes Nations émergentes ne sont pas toutes prêtes à assumer les responsabilités globales qu’impose leur poids démographique et économique grandissant »(312), il faut reconnaître qu’en effet, la priorité de la Chine est la région Asie-Pacifique et non la gestion des problèmes globaux. Cela ne l’empêche pas de jouer un rôle grandissant dans des régions clés pour son développement économique, notamment le Moyen-Orient et l’Afrique. La Chine doit donc être intégrée de plus en plus dans le règlement des différends internationaux, et ce même si sa position diverge parfois de la position française(313).

La Chine n’est cependant pas une puissance ascendante insatisfaite contrai-rement à ce que la littérature classique réaliste pourrait laisser croire(314). La Chine n’est pas une puissance révisionniste et s’insère dans le système international, participant à l’ensemble des organisations multilatérales. Son statut de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, et donc son droit de veto, l’incite au contraire à être une puissance conser-vatrice et éviter que ses concurrents directs, comme le Japon ou l’Inde, n’obtiennent les mêmes privilèges. Les appels chinois à une réforme de la gouvernance mondiale se cantonnent d’ailleurs à une réforme du système financier (FMI et Banque mondiale) et ne concernent pas les outils de la gouvernance politique mondiale comme le Conseil de sécurité des Nations unies.

(311) LBDSN, p. 58.(312) LBDSN, p. 31.(313) Bondaz Antoine, R2P et précèdent libyen dans la gestion chinoise de la crise syrienne, section thématique 49 : "Puissances émergentes, institutions globales et gestion de crise", congrès de l’Association française de sciences politiques (AFSP), Paris, juillet 2013.(314) Organski A. F. K., Kugler Jacek, The War Ledger, Chicago, The University of Chicago Press, 1980, 292 pages et Gilpin Robert, War and Change in World Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, 272 pages.

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Ne se laisser ni dépasser ni entraînerpar la compétition sino-américaine

La relation bilatérale entre Washington et Pékin est devenue la relation bilatérale la plus importante en ce début de XXIe siècle. Cependant, les deux pays se perçoivent respectivement comme une menace. Le "pivot" américain en Asie-Pacifique n’a fait que renforcer la méfiance de Pékin envers Washington(315). La France et l’Union européenne doivent à tout prix éviter deux scénarios. Le premier serait de se laisser dépasser par le couple sino-américain, par la création de facto d’un G2, qui signifierait pour la France et l’UE une perte d’influence globale. Le second serait de se laisser enfermer dans la compétition sino-américaine en s’alignant sur l’un des deux États, le scénario le plus probable étant un alignement sur les États-Unis et une implication totale de l’Otan derrière Washington(316).

Bien que la « stabilité de la zone asiatique et la liberté de navigation [soient] des priorités diplomatiques et économiques »(317), il faut bel et bien recon-naître que la France et l’UE ne sont pas des acteurs de premier plan sur le plan sécuritaire dans la région. Cette situation n’est pas une faiblesse, mais une opportunité : celle de jouer un rôle d’intermédiaire, de facilitateur et de médiateur au service de nos intérêts. La France et l’UE doivent toute-fois éviter de se laisser entraîner dans des conflits régionaux dans lesquels nos capacités d’intervention sont limitées. Paris et Bruxelles doivent donc promouvoir une résolution pacifique de ces différends, notamment terri-toriaux, et s’il le faut en ayant recours à des juridictions internationales.

Une plus grande implication dans la péninsule coréenne

La péninsule coréenne, notamment à travers le programme nucléaire nord-coréen, demeure un facteur de déstabilisation de l’Asie-Pacifique. Les tensions dans la péninsule ne sont pas un problème régional, mais bel et bien un problème global. Or celui-ci est traité de façon régionale,

(315) Swaine Michael, “Chinese Leadership and Elite Responses to the U.S. Pacific Pivot”, China Leadership Monitor, Summer 2012, n° 38.(316) Kamp Karl-Heinz, “Nato Needs to Follow the US Pivot to Asia”, Carnegie Endowment of International Peace, 27 March 2013.(317) LBDSN, p. 58.

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que ce soit à travers les "Pourparlers à six" de 2003 à 2009, ou à travers des négociations sino-américaines. Cependant, comme l’a rappelé le pré-sident de la République lors de son intervention à l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), « la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs met en péril l’équilibre de régions entières »(318), ce qui menace les intérêts français. Le risque d’accepter de facto le statut de puissance nucléaire de la Corée du Nord est grand si l’on se réfère aux précédents israélien, indien et pakistanais(319) et enverrait un message contre-productif à l’Iran. Il semble cependant de plus en plus improbable d’arriver à une dénucléarisation à moyen terme de la Corée du Nord, l’arme atomique étant considérée dans le cadre du nouveau lea-dership de Kim Jong-un comme "l’héritage révolutionnaire" de son père, Kim Jong-il(320). La Corée du Nord développe par ailleurs la même pensée stratégique que la France, exprimée dans le Livre blanc : « la dissuasion nucléaire (française) protège la France contre toute agression d’origine éta-tique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et qu’elle qu’en soit la forme. Elle écarte toute menace de chantage qui paralyserait sa liberté de décision et d’action »(321).

La nucléarisation de la Corée du Nord représente ainsi un échec flagrant de la communauté internationale, laquelle a largement sous-estimé les préoccupations sécuritaires derrière le programme nord-coréen. Comme souligné par le Livre blanc, « il sera très difficile de résoudre les crises de prolifération sans résoudre préalablement ou simultanément les problèmes régionaux qui leur ont donné naissance »(322). Cet échec devrait nous per-mettre de réfléchir notamment sur l’efficacité des sanctions internatio-nales, qui, bien que pouvant ralentir un tel programme, ne parviennent pas à l’empêcher.

(318) Intervention du président de la République sur la politique de défense à l'Institut des hautes études de défense nationale, 24 mai 2013.(319) Shen Dingli, "Corée du Nord : dix ans de nucléarisation" (Shinian chengjiu heshi guojia, Chaoxian ye jiang ruci), Caijing, 18 février 2013.(320) Bondaz Antoine et Godement François (to be published), From dynastic succession to reform: raising the odds for change in North Korea, Consortium EKI to the European Commission, 2014.(321) LBDSN, p. 69.(322) LBDSN, p. 37.

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L’incapacité des puissances régionales à adopter une position commune conduit à une impasse diplomatique et à une impossible dénucléarisation de la péninsule. Or, Pyongyang a historiquement misé sur les différends et la compétition entre grandes puissances afin de promouvoir son intérêt national(323). Les perspectives à moyen terme ne sont donc pas optimistes. Cela pose la question même du multilatéralisme et d’une possible gouver-nance globale dont la France doit être l’un des piliers.

La France et l’Union européenne ne peuvent aujourd’hui peser de façon décisive dans l’équation coréenne(324). L’Union européenne, déjà exclue des "Pourparlers à six", semble fragilisée par l’absence de consensus européen – si ce n’est sur le dossier de la prolifération – et marginalisée malgré sa doctrine dite de l’engagement critique(325). Cependant, ne pas être un acteur de premier plan n’est pas forcément un désavantage. Paris et Bruxelles n’ont pas d’intérêts stratégiques directs dans la péninsule et ne représentent pas une menace pour les acteurs régionaux. Ainsi, Paris et Bruxelles ont certainement un rôle de médiation et d’intermédiaire à jouer, permettant favoriser la négociation internationale à travers notamment l’organisation sur le territoire européen, en "terrain neutre", de sessions de discussions incluant la Corée du Nord.

En effet, et en guise de conclusion, si la France a des ambitions globales, elle doit non seulement conserver un « rayonnement global »(326), mais devrait développer une « influence globale » sur des sujets globaux, la situation dans la péninsule coréenne en étant un.

(323) Pollack Jonathan D., No Exit: North Korea, Nuclear Weapons and International Security, The International Institute for Strategic Studies, London, 2011, 247 pages. Sur les limites de la coopération sino-américaine depuis le troisième essai nucléaire, Bondaz Antoine, “A New direction for China’s North Korea policy”, Carnegie Endowment for International Peace, August 2013.(324) Bondaz Antoine, "La Corée du Nord prête au changement ?", Armées d’Aujourd’hui, n° 374, octobre 2012.(325) Cette stratégie européenne vise à continuer d’apporter une aide humanitaire au pays tout en restant ferme notamment sur les questions de prolifération et de droits de l’homme.(326) LBDSN, p. 13.

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Pour aller plus loin

Godement François, Que veut la Chine, de Mao au capitalisme, Odile Jacob, Paris, 2012, 283 pages. Écrit par l’un des rares experts français des questions stratégiques et politiques en Asie-Pacifique, ce livre, Prix de Brienne 2013 du ministère de la Défense, présente les défis internes et externes auxquels la Chine fait face tout en soulignant les limites de l’in-fluence occidentale pour changer la Chine à son image.

Friedberg Aaron, Contest for Supremacy, China, America, and the Struggle for Mastery in Asia, W. W. Norton & Company, 2012, 384 pages. Uni-versitaire reconnu de l’université Princeton et ancien directeur de la pros-pective auprès du vice-président américain de 2003 à 2005, son ouvrage présente une vision d’ensemble des problèmes de sécurité traditionnels ou non en Asie-Pacifique.

Bader Jeffrey A., Obama and China’s rise, Brookings Institution Press, Washington D.C., 2012, 171 pages. Cet ancien directeur pour l’Asie du Nord-est au Conseil de la sécurité nationale, auprès du président Obama de 2009 à 2011, offre une approche détaillée du processus de décision américain et de la construction de sa stratégie de pivot en Asie-Pacifique.

Hill Christopher, “The Elusive Vision of a Non-nuclear North Korea”, Washington Quarterly, Spring 2013, Vol. 36, Issue 2, pp. 7-19. Article faisant écho au troisième essai nucléaire nord-coréen du 12 février 2013 et à la difficulté de dénucléariser la péninsule coréenne.

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Plaidoirie pourun réengagement françaiset européen en Asie du Sud-EstEugénie MERIEAUPolitiste, Institut national des langues et civilisations orientales

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 constate que « l’évolution des tensions géopolitiques en Asie est difficilement pré-visible »(327). Si la France n’est pas directement concernée par ces tensions, elle n’en constate pas moins que les organisations de coopération asia-tiques ne disposent guère de moyens efficaces pour régler ces situations, en dépit de progrès importants de la part de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (Asean). Le Livre blanc rappelle la forte présence militaire américaine dans la région, tout en mettant en avant les responsabilités par-ticulières de la France, signataire du Traité d’amitié et de coopération en Asie du Sud-Est de 1976. Par la coopération de défense ainsi instaurée, elle participe directement à la sécurité de plusieurs pays comme l’Indonésie, la Malaisie, le Vietnam ou Singapour, son premier partenaire commercial en Asie du Sud-Est et le troisième en Asie(328).

Le précédent Livre blanc, intitulé Livre blanc sur la défense et la politique extérieure de la France, établissait déjà en 2008 le constat suivant :

« L’ascension des pays asiatiques se traduira non seulement par l’augmen-tation et la montée en gamme continue de leur production et de leur com-merce, mais aussi par le renforcement de leurs capacités d’innovation et

(327) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), p. 35.(328) Ibid., p. 58.

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la progression de leurs investissements à l’échelle mondiale. Elle provo-quera une redistribution progressive des positions économiques comme des influences politiques, en Asie et globalement. Le déplacement du centre de gravité stratégique du monde vers l’Asie s’en suivra normalement »(329).

Le Livre blanc en déduisait la conclusion suivante : « L’Europe, bien qu’elle n’en soit pas partie prenante, devrait également être davantage concernée par l’équilibre stratégique en Asie, compte tenu de l’impact que tout conflit majeur en Asie aurait sur l’Europe, ne serait-ce que sur le plan économique »(330). Pourtant, à ce constat fait suite celui de laisser les États-Unis se redéployer sur la zone Asie-Pacifique en focalisant nos efforts sur l’Afrique. Ainsi, il est écrit dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 :

« Les États-Unis réduisent leurs dépenses militaires et réorientent une partie de leur effort dans ce domaine vers l’Asie-Pacifique. Ces évolutions sont de nature à conduire notre allié américain vers plus de sélectivité dans ses engagements extérieurs. Elles se traduisent également par une pression accrue sur les Européens pour qu’ils prennent en charge les problèmes de sécurité qui les concernent le plus directement »(331).

Pourquoi l’Asie, et plus particulièrement l’Asie du Sud-Est, intéresse-t-elle si peu la France ? L’Asie du Sud-Est (ASE) se compose de onze pays (Thaï-lande, Birmanie, Laos, Cambodge, Brunei, Philippines, Vietnam, Indonésie, Malaisie, Singapour et Timor oriental(332)) situés entre les géants indien et chinois. Elle bénéficie d’un accès aux océans Indien et Pacifique, à la mer de Chine méridionale et au détroit de Malacca. Ce positionnement au "carrefour" de routes maritimes et terrestres fait d’elle l’une des priorités stratégiques des puissances asiatiques, mais aussi des États-Unis, d’autant plus qu’elle connaît une forte croissance (6 % de croissance prévue pour 2013 selon le FMI). Les onze pays se sont progressivement regroupés au

(329) Livre blanc sur la défense et la politique extérieure de la France, 2008-2020, p. 15. (330) Livre blanc sur la défense et la politique extérieure de la France, 2008-2020, p. 24(331) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), pp. 9-10.(332) Le Timor oriental a acquis son indépendance de l’Indonésie en 2002. Il a adhéré à l’Asean en novembre 2011.

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sein de l’Association des Nations du Sud-Est asiatique (Asean), fondée en 1967 pour contrer l’expansion communiste. Cet ensemble, pendant long-temps assimilé aux seuls pays d’ex-Indochine, est mal connu en France où l’on constate un déficit relatif de chercheurs qualifiés sur la zone, toutes disciplines confondues(333). Cet article appelle à la revalorisation de cette zone dans la pensée stratégique européenne d’une part, dans la diplomatie économique et politique de la France d’autre part.

Enjeux stratégiques en ASE :sécurité traditionnelle et non traditionnelle

Menaces non traditionnelles

L’ASE est sujette comme le reste du monde à une diversification des menaces non traditionnelles au premier rang desquelles la possibilité d’une crise financière de l’ampleur de celle de 1997, mais aussi les menaces trans-nationales posées par le terrorisme et le crime organisé.

Le terrorisme d’Asie du Sud-Est est mal connu. Son rapport aux réseaux internationaux du Jihad est difficile à évaluer. Aux Philippines avec le groupe Abbu Sayyaf, en Indonésie avec la Jemaah Islamiyah, en Thaïlande avec les organisations séparatistes des trois provinces du Sud du pays, les groupes terroristes semblent poursuivre avant tout des objectifs natio-naux. Néanmoins, leur antiaméricanisme et leur ralliement à la "cause musulmane mondiale" sont indéniables(334).

Sur ce terrain, les États-Unis sont handicapés par l’image qu’ils véhiculent auprès des populations musulmanes d’Asie du Sud-Est depuis leurs inter-ventions en Irak et en Afghanistan. L’Europe a en revanche à son crédit le soutien aux soulèvements du "Printemps arabe" et une attitude plus modérée vis-à-vis de la "guerre contre le terrorisme".

(333) Journoud Pierre, L’évolution du débat stratégique en Asie du Sud-Est depuis 1945, Paris, Irsem, n° 14, 2012, p. 13.(334) Carlson Matthew & Nelson Travis, “Anti-Americanism in Asia? Factors Shaping inter-national perception of American Influence”, International Relations of the Asia-Pacific, 2008, vol. 8, n° 3, pp. 303-324. Cité dans Journoud Pierre, op. cit., p. 103.

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D’autres menaces importantes pour la sécurité internationale sont à relever : la piraterie maritime(335) notamment dans le détroit de Malacca, les pandémies notamment le Sras, la contrefaçon, et les trafics internatio-naux. Un observatoire des trafics(336) a été mis en place à Bangkok spéci-fiquement pour étudier l’ampleur du phénomène. Cet observatoire étudie les trafics de faux médicaments, d’êtres humains et de drogues dans la région Asie du Sud-Est. La région est également sujette à des catastrophes naturelles (Tsunami en décembre 2004, cyclone Nargis en 2008). Enfin, en ce qui concerne la prolifération nucléaire, si les Nations d’ASE ont signé en 1995 le Traité de Bangkok créant une zone exempte d’armes nucléaires, elles sont affectées par le risque nucléaire en Asie du Sud et dans la pénin-sule coréenne.

Menaces traditionnelles : stabilité des États, gestion des criseset réforme des systèmes de sécurité (RSS)

Les États de l’Asean sont politiquement très hétérogènes. Les monarchies (Cambodge, Thaïlande, Brunei) côtoient les régimes présidentiels (Philip-pines, Indonésie), des régimes très autoritaires (Birmanie, Brunei) discutent avec de jeunes démocraties encore balbutiantes (Philippines, Indonésie, Thaïlande) : l’ASE est une mosaïque. Elle comprend le pays musulman le plus peuplé, l’Indonésie, deux autres pays musulmans, la Malaisie et Brunei, et d’importantes minorités musulmanes sont présentes aux Philip-pines, pays composé majoritairement de catholiques, en Thaïlande boudd-histe, et à Singapour, bouddhiste et taoïste.

Dans tous ces pays, la transition démocratique n’est pas achevée, le nationalisme se développe, les écarts de richesse se creusent, et les consé-quences écologiques d’un développement mal maîtrisé sont de plus en plus lourdes ; quant à la corruption, elle atteint des proportions considérables. Pour toutes ces raisons, les risques de crise politique interne sont nom-breux. En Thaïlande, des violences sont à prévoir en cas de retour d’exil de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, ainsi qu’à l’annonce de la mort du Roi Rama IX ; au Cambodge, des crises sont à prévoir au départ

(335) Frécon Éric, Pavillon noir sur l’Asie du Sud-Est : histoire d’une résurgence de la pira-terie maritime, Bangkok-Paris, Irasec-L’Harmattan, 2002, 296 p.(336) L’Observatoire des trafics illicites, institut de recherche accueilli par l’Irasec à Bangkok.

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d’Hun Sen, quelles que soient les conditions de son retrait ; en Birmanie, le processus de transition démocratique risque de donner lieu à des résis-tances de la part de la junte et de ses réseaux ; les velléités d’indépendance de diverses ethnies, étouffées sous la dictature, pourraient s’exprimer vio-lemment. Les risques de crises interétatiques existent également, notam-ment pour le contrôle de la mer de Chine méridionale et de ses îles reven-diquées par la Chine, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et Brunei.

Pour faire face à ces menaces, l’Asean s’est dotée en 1994 d’un forum régional dédié aux questions de sécurité, l’ARF ; son efficacité est néan-moins limitée par une forte tradition de non-ingérence dans les affaires des États, tradition consacrée dès 1976 dans le Traité d’amitié et de coopéra-tion (TAC). Au sein de l’ARF et en vertu des dispositions du TAC, le dia-logue et le consensus sont privilégiés en respect du principe fondamental du règlement pacifique des différends.

Pour prévenir ces crises sans "froisser" les pays du Sud-Est asiatique, l’Union européenne devrait s’efforcer de privilégier la coopération tech-nique et le dialogue. Il faut en Asie du Sud-Est renforcer l’État de droit, la démocratie, les droits de l’homme et le fonctionnement de la justice y compris des forces de sécurité. L’outil "Réformes des secteurs de sécurité" ou RSS, à déployer en concertation avec les partenaires européens et les organismes des Nations unies, semble le plus approprié. La France au sein de l’Union européenne pourrait réfléchir davantage à la mise en œuvre de ces actions de prévention qui s’apparentent à de la diplomatie d’influence – tout en ayant l’avantage de développer les capacités nationales d’intelli-gence sur les pays de la zone.

Les moyens du réengagement de l’Union européenne

Diplomatie de balancier : une "attente d’Europe"

L’Europe reste un modèle culturel puissant. Le droit continental roma-no-germanique d’une part, le droit anglo-saxon d’autre part, le constitu-tionnalisme des pays européens, les institutions du parlementarisme ratio-nalisé dans de nombreux pays, demeurent des modèles pour de nombreux

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pays dans la zone Asean. De plus, l’UE est un modèle d’intégration(337) pour l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est, qui s’est fixée pour objectif de construire trois communautés ou "piliers" d’ici 2015 : une communauté économique, une communauté socioculturelle, et une communauté de sécurité. Si l’intégration voulue par les différents États de l’Asean n’est pas aussi poussée que celle de l’Union européenne, l’Union est un modèle pour l’Asean, en ce qui concerne notamment les harmonisations nécessaires à l’intégration régionale, les principes d’union économique, l’abolition des frontières intérieures, les coopérations en matière de sécurité(338).

L’Union européenne pourrait capitaliser sur son rôle de modèle pour déployer en ASE une assistance technique et de coopération politico-ju-ridique de plus grande ampleur, afin de s’assurer une présence sur cette zone, sans pour autant remettre en cause la division du travail entre les États-Unis et l’Europe présentée en introduction. Cette division du travail repose sur l’argument selon lequel la France et l’UE, étant plus proches de l’Afrique que de l’Asie, devraient concentrer leurs forces en Afrique et aux frontières de l’UE. Néanmoins, la plus grande proximité géographique des États-Unis avec l’ASE ne leur assure pas pour autant une plus grande proximité de vues – il suffit pour cela de s’arrêter un instant sur les chiffres de l’antiaméricanisme dans les pays d’ASE, sentiment exacerbé par la crise économique de 1997(339) et l’invasion américaine en Irak(340) ; dans les pays ayant reçu une aide américaine considérable pendant la guerre froide, notamment en Thaïlande, un tropisme européen est toujours sensible. À l’inverse, près de la moitié des États de l’Asean sont associés à l’Organisa-tion internationale de la francophonie (OIF). Le Cambodge, le Vietnam et le Laos sont membres de l’OIF, et la Thaïlande a le statut d’observateur.

(337) Entretien avec Surin Pitsuwan, secrétaire général de l’Asean (2007-2012) à Bangkok, Chaeng Wattana, février 2012. (338) Voir les programmes d’EuropeAid de coopération sur l’intégration régionale, notam-ment le programme Apris (Asean-EU Programme for Regional Integration Support).(339) Higgot Richard, “The Asian Economic Crisis: a study in the politics of resentment”, The New Political Economy, vol. 3, n° 3, novembre 1998, pp. 333-356.(340) Carlson Matthew & Nelson Travis, “Anti-Americanism in Asia? Factors Shaping inter-national perception of American Influence”, International Relations of the Asia-Pacific, 2008, vol. 8, n° 3, pp. 303-324. Cité dans Journoud Pierre, op. cit., p. 103.

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La coopération en matière de sécurité non traditionnelle

Pour assurer la mise en œuvre de chacune des trois communautés de l’Asean, un ensemble de commissions interétatiques ont été mises en place. La plupart de ces commissions ont développé des formats de concerta-tion ouverts à des participants hors Asean, sur la base de la rencontre de volontés politiques. Ainsi, parmi les commissions relevant du pilier de sécurité(341), peut être citée l’Asean Ministerial Meeting on Transnational Crime (AMMTC) qui a récemment signé avec la Chine un Memorandum of Understanding de coopération sur la sécurité non traditionnelle (en l’occurrence terrorisme, piraterie maritime, blanchiment d’argent, narco-trafic, traite d’êtres humains, crimes économiques internationaux et cyber-crime). De même, le plan d’action signé au Brunei à l’occasion du dialogue Europe-Asie (Asem) en 2013 établit les priorités suivantes : coopération renforcée en matière de sécurité maritime, d’aide humanitaire, d’opéra-tions de maintien de la paix, de médecine militaire et de lutte contre le ter-rorisme. Le plan d’action réaffirme la centralité de l’Asean comme garante de la stabilité, non pas de la zone ASE, mais de l’Asie-Pacifique(342).

L’Asean constitue pour l’UE une porte d’entrée vers la sécurité de l’Asie orientale dans son ensemble(343), à travers ses différents forums aux formats élargis, comme l’Asean+3 (Chine, Japon et Corée), le Sommet de l’Asie orientale (EAS) ou l’Asean Regional Forum (ARF). L’Union européenne est membre de cette dernière institution, mais n’y occupe encore qu’une place marginale(344). Au sein de l’ARF, seule l’Union européenne est représentée, non les États membres : il est donc primordial que l’Union européenne éla-bore une politique commune à l’égard des pays de l’ASE pour pouvoir s’im-pliquer au sein de l’ARF. Le dialogue Asie-Europe (Asem) créé en 1996 est

(341) Asean Intergovernmental Commission on Human Rights (AICHR), Asean Ministe-rial Meeting (AMM), Asean Regional Forum (ARF), Asean Defence Ministers Meeting (ADMM), Asean Intergovernmental Commission on Human Rights (AICHR) Asean Ministerial Meeting (AMM), Asean Regional Forum (ARF), Asean Defence Ministers Meeting (ADMM), Asean Law Ministers Meeting (ALAWMM), et Asean Ministerial Mee-ting on Transnational Crime (AMMTC).(342) Plan of Action to strengthen the Asean-EU enhanced partnership (2013-2017) dispo-nible sur le lien Internet suivant : http://eeas.europa.eu/asean/docs/plan_of_action_en.pdf(343) Michael Hass, “Asean’s pivotal role in Asian-Pacific regional cooperation”, Global Governance, 3 (1997), pp. 329-348.(344) Voir Boisseau du Rocher Sophie, op. cit., p. 375.

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venu pallier ce déficit de dialogue entre les deux organisations et leurs États membres. Néanmoins, son efficacité est souvent remise en cause et l’attitude de l’UE y a parfois été perçue comme arrogante, voire contre-productive(345).

La construction de l’Asean est une occasion inespérée pour l’UE, mais aussi pour la France de rayonner sur cette partie du monde, alors même que l’UE et surtout la France ne tirent que peu de bénéfices de la croissance et du dynamisme de cette région(346).

Intérêts français en Asie du Sud-Est

Nos ressortissants en Asie du Sud-Est

Le nombre de ressortissants français enregistrés sur les listes des Français établis hors de France ne cesse de croître. Dans le monde, c’est la zone "Asie" qui connaît la plus forte croissance. Selon les chiffres du ministère des Affaires étrangères, la région Asie-Océanie a compté cette année plus de 3 200 inscrits supplémentaires (+ 2,8 %) ; elle dépasse aujourd’hui les 120 000 inscrits au registre. Dans cette région, quatre pays dont deux en ASE (Birmanie, Brunei, Fidji, Mongolie) ont des taux de croissance supé-rieurs ou proches de 10 %. Ainsi, en Indonésie, le nombre de Français ins-crits au registre croît de 9,6 %, pour atteindre 3 906 inscrits en 2012. La Chine, premier pays de la zone Asie-Océanie en nombre d’inscrits, a un taux d’accroissement du nombre d’inscrits au registre de 1,6 % en 2012 (11,4 % en 2011). Il incombe au centre de crise du MAE de gérer les crises impli-quant des Français à l’étranger, mais le concours du ministère de la Défense, est également important : le dialogue interministériel appelle à être renforcé.

Nos entreprises en Asie du Sud-Est

Les grands groupes industriels français se tournent tous aujourd’hui vers la Chine et l’Inde. Entre les deux, l’Asie du Sud-Est accueille également de

(345) L’Union européenne a annulé ses réunions prévues avec l’Asean en 2003 et 2004 en réaction à la situation politique birmane. L’efficacité de ces sanctions est critiquée au sein de l’Asean, d’autant plus que les activités de Total en Birmanie ne sont pas sanctionnées. (346) Livre blanc sur la défense et la politique extérieure de la France 2008-2020, p. 57.

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nombreuses entreprises dont la sécurité doit être assurée, dans la mesure où des crises peuvent survenir. Par exemple, en Thaïlande, plus de 350 entreprises sont présentes, ce qui représente 70 000 personnes, entrepre-neurs individuels, PME, et filiales de grands groupes dont Total, Areva, Suez, Thalès ou encore Alstom(347). Les pays de l’ASE sont en plein déve-loppement de leurs infrastructures (un projet de train à grande vitesse reliant le sud de la Chine à Singapour en passant par le Laos, la Thaïlande, la Malaisie, le Vietnam, la Birmanie et le Cambodge est en cours de réa-lisation), leurs budgets d’armement augmentent, ce qui offre à la France de possibles débouchés pour ses industries – à condition qu’un effort de diplomatie économique soit réalisé en direction de cette région.

La réflexion stratégique ne peut s’exonérer de considérations écono-miques. Aujourd’hui, si l’Asean pèse encore peu dans l’économie mondiale(348), notamment par rapport à son voisin chinois, aux

États-Unis et à l’Union européenne elle-même, son Produit intérieur brut (PIB) devrait doubler d’ici 2020(349). Dès lors, il serait opportun, alors que la croissance européenne s’est durablement ralentie, que notre reposition-nement sur l’échiquier mondial ne nous empêche pas de nous priver de partenaires du fait d’un manque de vision voire d’une arrogance injus-tifiée(350). Les États-Unis l’ont bien compris et ne cessent, de réaffirmer à quel point leur désengagement de la zone, à la fin des années 1990, fut une erreur(351). Ainsi, l’Europe doit renforcer sa présence en ASE à travers une implication croissante au sein de l’ARF et une redynamisation du dialogue Europe-Asie (Asem). L’action extérieure autonome de la France sur cette zone devrait quant à elle se concentrer sur les éléments suivants : déploie-ment d’outils de coopération tels que l’assistance technique, notamment

(347) Source : Chambre de commerce Franco-Thaïe, http://www.francothaicc.com/informa-tions-thailande-france/presence-francaise/entreprises/ (lien Internet visité le 2 novembre 2013).(348) Boisseau du Rocher Sophie, L’Asie du Sud-Est prise au piège, Perrin, Paris, coll. "Asies", 2009, p. 21.(349) Fonds monétaire international, IMF’s Database on World Economic Outlook, avril 2013. Le PIB de la zone est estimée à 2 000 milliards de dollars en 2012, et 4 000 milliards de dollars en 2020.(350) Voir note 347. (351) Ibid., p. 356.

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juridique ; politique culturelle de rayonnement de la France ; une diplo-matie économique plus dynamique ; et la recherche. Un effort de recherche et d’anticipation des crises pour cette zone doit être entrepris de toute urgence pour s’armer face aux changements rapides qui s’annoncent dans cette région du monde, pour que les voix de l’Union européenne et de la France continuent à porter en Asie du Sud-Est. Comme le rappelle le pré-cédent Livre blanc :

« Une des marques de la prééminence des États-Unis dans le système inter-national est que ces idées [qui façonnent la politique internationale] sont bien souvent américaines. Elles viendront peut-être d’Asie demain. Se dé-finir par rapport à elles, pour ou contre, c’est arriver trop tard : les termes du débat auront été posés par d’autres que nous »(352).

(352) Le Livre blanc sur la défense et la politique extérieure de la France 2008-2020, p. 43.

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Pour aller plus loin

Boisseau du Rocher Sophie, L’Asie du Sud-Est prise au piège, Perrin, coll. "Asies", Paris, 2009, 445 p. Cet ouvrage demeure l’ouvrage de référence le plus récent sur l’Asie du Sud-Est. Il aborde de façon détaillée les situations économiques, politiques et sociales des pays de l’Asie du Sud-Est, avant de réfléchir à la place de cet ensemble en Asie, vis-à-vis des États-Unis et de l’Europe.

Jammes Jérémy (dir.), L’Asie du Sud-Est 2013, bilan, enjeux et perspec-tives, Les Indes savantes-Irasec, Paris-Bangkok, janvier 2013, 430 p. L’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (Irasec), Ifre fondé en 2001, publie chaque année L’Asie du Sud-Est, qui reprend par pays les grands événements politiques et économiques de l’année écoulée. Il aborde également un ou plusieurs thèmes transversaux qui changent chaque année.

Journoud Pierre (dir.), L’évolution du débat stratégique en Asie du Sud-Est depuis 1945, Irsem, Paris, n° 14, 2012, 482 p. Cette étude de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) est l’étude la plus com-plète réalisée en langue française sur les pays de l’Asie du Sud-Est dans les relations internationales. L’ouvrage revient également sur l’état de la discipline en France.

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La France et l’Inde :convergence d’intérêtspour deux États en quêtede puissance au XXIe siècle

Solène SOOSAITHASANPolitiste, université Lille 2

« Combien de cités il a prises, sans franchir le cours de l’Halys,sans devoir quitter son foyer (…) »

Eschyle(353)

La position officielle du Livre blanc 2013 sur les relations la France puisse préserver ses intérêts dans l’océan Indien, une coopération est donc né-cessaire. Face entre la France et l’Inde se trouve être la suivante : « l’Inde, avec laquelle la France entretient une coopération étroite formalisée dans le cadre d’un partenariat stratégique, apparaît comme un facteur de stabi-lité dans la région »(354). Pour que aux risques et aux menaces auxquels la France et l’Inde doivent faire respectivement faire face : « Ceux-ci sont en effet confrontés aux mêmes risques et aux mêmes menaces que nous, et nous devons avec eux construire les solidarités et rechercher les capacités communes qui correspondent aux interdépendances qui nous lient »(355). Le Livre blanc insiste donc sur un partenariat stratégique crucial aussi bien pour ces deux puissances, qui peuvent sembler différentes de prime abord puisque la France est une puissance déjà établie et développée tandis que l’Inde est une puissance émergente, mais elles partagent en fin de compte des intérêts communs.

(353) Eschyle, Les Perses, antistrophe 1, vers 73-76, Paris, Flammarion, 2000, pp. 149 et 151.(354) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 (LBDSN 2013), Paris, La Docu-mentation française, p. 35. (355) Ibid., p. 11.

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L’Asie du Sud est une région en pleine mutation, caractérisée par la montée en puissance d’États qui connaissent pour la plupart un développement économique non négligeable. Cependant, c’est aussi une région qui doit faire face aux menaces du XXIe siècle : lutte contre le terrorisme, contre la piraterie, production d’armes nucléaires, chimiques ou autres, etc.(356) Les auteurs du Livre blanc donnent une acception assez large pour le terme de menace perçu au pluriel, « par menaces, on entend toutes les situations où la France doit être en mesure de faire face à la possibilité d’une intention hostile »(357). À cet égard, il est important de comprendre que le concept de menace a souvent été exploré par différents courants des relations inter-nationales, en passant par les réalistes, les néoréalistes, les libéraux et les constructivistes. La recherche en psychologie politique a trouvé un terreau fertile aux États-Unis où elle a contribué à un renouveau des études en rela-tions internationales portant sur la perception de la menace(358). De ce fait, si le concept de la menace est utilisé dans les Livres blancs sur la défense de 2008 puis de 2013, il s’agit avant tout de resituer ce concept dans son contexte académique, ses différents courants, et de l’expliciter davan-tage(359). Si le terme est utilisé dans n’importe quel contexte, il peut alors perdre de sa pertinence. La menace peut être exprimée clairement, mais le plus important est la perception qu’en ont les acteurs(360). La menace peut donc revêtir différentes formes dans la mesure où les regards d’acteurs se multiplient.

(356) Or, la France a pour objectif de lutter contre les menaces qui ont cours : « Le terrorisme, la cybermenace, le crime organisé, la dissémination des armes conventionnelles, la proliféra-tion des armes de destruction massive, les risques de pandémies, les risques technologiques et naturels peuvent affecter gravement la sécurité de la Nation », Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013, Paris, La Documentation française, 2013, p. 10. (357) LBDSN , op. cit., p. 11.(358) Cf. Gross Stein Janice, “Building Politics into Psychology: The Misperception of Threat”, International Society of Political Psychology, 9(2), juin 1988, pp. 245-271.(359) Quelques références : Checkel Jeffrey, “The Constructivist Turn in International Rela-tions Theory”, World Politics, 50(2), pp. 324-349 ; Waltz Kenneth, Theory of Interna-tional Politics, NY, McGraw-Hill, 1979 ; Wendt Alexander, Social Theory of International Politics, Cambridge (UK), Cambridge University Press, 1999.(360) “What is relevant to the success of the strategy is not the threat itself but its perception; there is often a considerable gap between the intentions of the leader who issues the threat and its perception by another”, Janice Gross Stein, op. cit., p. 246.

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La perception de la menace peut découler de la crainte de voir un État tiers nuire à ses intérêts. D’ailleurs, une région est toujours plus ou moins dominée par une puissance qui joue souvent le rôle de puissance stabi-lisatrice dans un système international perçu comme et qualifié d’anar-chique(361). Les États voisins de ces puissances sont alors considérés comme relevant de leurs sphères stratégiques d’influence respectives. Ce concept de sphère d’influence est souvent utilisé en étroite relation avec celui du "besoin de contrôle"(362). Un État peut vouloir en contrôler un autre afin de s’assurer une certaine stabilité dans son voisinage, sécuriser son envi-ronnement immédiat et par ce biais faciliter la croissance économique entre autres.

C’est le cas de l’Inde. Pour contrecarrer les ambitions de certaines puis-sances avoisinantes telles que la Chine ou encore le Pakistan, l’Inde a cherché à exercer une influence sur d’autres États voisins dans le but de projeter sa propre puissance. Pour ce faire, elle a utilisé différents moyens, une approche pacifique et/ou douce (Soft Power) vis-à-vis de ses voisins ou bien une approche beaucoup plus dure (Hard Power).

Dans le cadre de la projection de puissance pacifique, le rôle de l’Inde est très visible dans les pratiques culturelles communes. Bien que le cricket soit un héritage britannique commun, il n’en reste pas moins que l’Inde a souvent utilisé ce sport pour améliorer ses relations bilatérales avec les États voisins(363). Le cricket est un sport pratiqué dans la plupart des États d’Asie du Sud créant ainsi un lien identitaire commun entre ces États. Il

(361) Waltz Kenneth N., Theory of International Politics, NY, McGraw-Hill, 1979 ; Wendt Alexander, “Anarchy is what States make of it: the social construction of World Politics”, International Organizations, 46(2), Spring 1992, pp. 391-425.(362) Le concept du "besoin de contrôle" (plutôt besoin de contrôler : need to control) relève de la psychologie. Toutefois, l’appropriation par les internationalistes en a fait un concept pertinent dans l’étude des relations internationales et des rapports de force entre États, cf. Walter B. Earle, “International Relations and the Psychology of Control: Alternative Control Strategies and their Consequences”, Political Psychology, 7 (2), juin 1986, pp. 369-375.(363) Dans un article sur le site Russia & India Report, le Premier ministre indien Morarji Desai avait invité le dirigeant pakistanais Ziaul Haq pour voir ensemble un match de cricket à Jaipur en 1978. “Cricket as a factor in determining relations in South Asia”, Russia & India Report, 23 avril 2012. http://indrus.in/articles/2012/04/23/cricket_as_a_factor_in_determining_relations_in_south_asia_15553.html

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existe aussi des partenariats culturels : des traités bilatéraux qui prennent la forme de fondations entre l’Inde et certains de ses États voisins(364). L’Inde est aussi une puissance commerciale montante.

Parallèlement, l’Inde peut aussi à certains moments de son histoire se mon-trer beaucoup plus active envers les États voisins dès lors que ses inté-rêts sont menacés : des tensions voire des confrontations militaires avec le Pakistan et la Chine ont par exemple eu lieu pour protéger ses frontières, des interventions militaires pour stabiliser son voisinage immédiat et donc sécuriser son propre environnement stratégique : le Bangladesh, les Mal-dives ou encore le Sri Lanka(365). Ce sont des démonstrations de force de la puissance militaire indienne vis-à-vis des autres puissances régionales (la Chine, le Pakistan) ou extérieures (les États-Unis en particulier). Notam-ment, en raison de son poids démographique et économique, l’Inde est devenue un acteur clé non négligeable en Asie, elle est reconnue en tout cas comme tel par la grande majorité des États d’Asie du Sud par exemple.

(364) La fondation Inde-Sri Lanka a été créée à la suite d’un MOU (Memorandum of unders-tanding) entre les gouvernements de la République sociale-démocrate du Sri Lanka et de la République de l’Inde signé le 28 décembre 1998. Cette fondation a pour but de renforcer le partenariat culturel, économique, scientifique et technique entre l’Inde et le Sri Lanka. De nombreux projets sont mis en place pour améliorer les relations des deux États mais aussi de leurs populations respectives. http://www.hcicolombo.org/page/display/16 ou http://www.slhcindia.org/index.php?option=com_content&view=article&id=371&Itemid=106. D’autres fondations de ce type existent : Fondation Inde-Bangladesh, Fondation Inde-Bhoutan, etc.(365) L’Inde est intervenue militairement dans des États tels que le Bangladesh, le Sri Lanka ou les Maldives pour des raisons différentes et dans des contextes différents. Les théâtres d’opération étaient différents puisqu’au Bangladesh (ancien Pakistan oriental) : une guerre conventionnelle avait été menée contre l’armée pakistanaise en 1971 pour permettre la créa-tion d’un État indépendant. En revanche, au Sri Lanka, l’armée indienne avait dû faire face à une contre-insurrection sri lankaise tamoule très combattive menée par le LTTE. Un ennemi qui semblait la plupart du temps surgi de nulle part pour les soldats de l’IPFK. Par opposition à une contre-insurrection tamoule très importante au Sri Lanka, les soldats indiens ont ren-contré très peu de résistance et ont pu alors obtenir une victoire plutôt facile aux Maldives. En effet, 1 600 soldats indiens étaient censés affronter 80 militants d’une guérilla tamoule : le Plote, c’est-à-dire l’Organisation de libération du peuple de l’Eelam tamoul.

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L’Inde, un géant en Asie du Sud

Il est nécessaire d’établir une description précise du positionnement de l’Inde en Asie et dans une perspective plus globale pour comprendre l’in-térêt qu’a la France de ne pas négliger ses relations avec l’Inde. Le rapport sur l’environnement stratégique de l’Inde commence avec cette accroche : "être toujours vigilant", l’Inde se retrouve en effet à un carrefour straté-gique entre la Chine, l’Asie centrale, l’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient, ainsi qu’avec l’Afrique par le biais de l’océan Indien(366). L’Inde recouvre une superficie très importante, à savoir 3,3 millions de km². Les frontières territoriales dépassent les 15 500 km et les côtes maritimes dépassent les 7 500 km faisant de l’Inde un voisin à la fois par le biais de la terre et

(366) Security Environment, rapport annuel 2012-2013, Indian Defence White Paper, p. 1 : https://mod.gov.in/writereaddata/AR_2013/Eng/ch1.pdf

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de la mer de onze États (Chine, Pakistan, Myanmar, Bhoutan, Népal, Sri Lanka, Thaïlande, Bangladesh, les Îles Maldives, Andaman et Nicobar). Il est donc nécessaire que les autorités indiennes veillent à la sécurité d’un si grand territoire.

Son positionnement est stratégique dans la mesure où il lui permet aussi d’avoir plein pied en Asie centrale et dans l’océan Indien. Les territoires des Îles Andaman et Nicobar, situées à 1 300 km de la baie du Bengale qui permettent à l’Inde d’assurer une présence stratégique à l’entrée du détroit de Malacca. Plus de 60 000 navires transitent chaque année par ce passage. De même, les îles Lakshadweep et Minicoy situées à près de 450 kilomètres de la mer d’Oman permettent une connexion avec le golfe Persique et la mer Rouge. Les territoires des îles prolongent les eaux ter-ritoriales de l’Inde à plus de 160 000 km et la zone économique exclusive à plus de 2 millions de km². De ce fait, l’Inde est un géant territorial, mais aussi un géant maritime dont il ne faut pas négliger la présence en Asie et dans les relations internationales. Par le biais de son environnement hautement stratégique, l’Inde est sans cesse amenée à coopérer, négocier, dialoguer voire même à devoir se confronter à certains de ses États voisins. Un environnement régional et international stable est extrêmement impor-tant pour créer un climat politique serein et permettra à l’Inde d’avoir un leadership que l’on pourrait qualifier de leadership sof.

Garantir les intérêts françaisen renforçant un partenariat avec l’Inde

Ainsi est-il primordial pour la France de chercher à renforcer un parte-nariat stratégique avec l’Inde pour pouvoir assurer une meilleure défense conjointe de leurs intérêts nationaux. Cela signifie donc que la France doit assurer une présence en Asie du Sud et dans l’océan Indien pour garantir ses propres intérêts dans la région, « l’ordre international requiert de chaque État qu’il assure la garde du territoire sur lequel il exerce sa souve-raineté non seulement pour le compte de son peuple, mais aussi pour celui de la communauté internationale »(367).

(367) LBDSN, p. 39.

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Si, « la France n’est plus confrontée aujourd’hui à une menace militaire conventionnelle directe et explicite contre son territoire », ce n’est pas encore le cas de l’Inde qui a dû faire face aux immixtions de puissances régionales voi-sines sur son territoire : la Chine et le Pakistan(368). L’Inde doit aussi faire face à de nombreuses menaces. Les activités des groupes terroristes, des mafias, le commerce des armes de petit calibre, la prolifération des armes de destruction massive et les défis rencontrés pour la sécurité maritime dans le voisinage immédiat et large sont autant de menaces contre la sécurité de l’État indien.

Pour faire face à ce type de défis sécuritaires conventionnels et non conven-tionnels, l’Inde continue à poursuivre une défense stratégique qui inclut à la fois le renforcement de ses propres capacités tout comme son engagement dans les efforts régionaux et internationaux pour promouvoir la paix et la stabilité. Tandis que les acteurs non étatiques se multiplient, des risques émergents attirent aussi l’attention tels que le terrorisme, la piraterie, etc. Les avancées technologiques dans le domaine des communications et dans d’autres domaines ont accru la capacité de nuisances des groupes terroristes.

Ce qui inquiète l’Inde, c’est d’ailleurs son voisinage immédiat (la Chine, le Pakistan et le Bangladesh dans une moindre mesure avec les mou-vances islamistes et les groupes maoïstes/naxalites agissant au Népal et en Inde…). Les menaces dues à la piraterie sont aussi un souci pour les autorités indiennes, car les pirates peuvent nuire au bon fonctionnement des routes de communication ou d’approvisionnement maritimes. En ce sens, l’Inde possède une flotte navale importante et joue donc un rôle très

(368) LBDSN, p. 13. Pour comprendre les tensions entre l’Inde d’une part avec la Chine et le Pakistan d’autre part, un historique succinct des événements semble nécessaire. De la guerre sino-indienne de 1962 aux nombreuses violations récurrentes de la frontière avec l’Inde par la Chine, les tensions entre l’Inde et la Chine sont nombreuses. Les tensions dues aux contentieux territoriaux de part et d’autre sont toujours en cours. Cf. "Des soldats chinois font irruption sur le territoire indien", La voix de la Russie, 25 juillet 2013, http://french.ruvr.ru/news/2013_07_25/Des-soldats-chinois-font-irruption-sur-le-territoire-indien-6777/ ou encore Jaffrelot Christophe, "Inde-Chine : conflits et convergences", Le Monde diplo-matique, mai 2011, http://www.monde-diplomatique.fr/2011/05/JAFFRELOT/20454. De même, des conflits entre l’Inde et le Pakistan ont eu lieu (plusieurs guerres indo-pakista-naises en 1947-1948, en 1965 puis en 1971). De nombreuses tensions sont aujourd’hui encore palpables des deux côtés. Cf. “A rivalry that threatens the world”, The Economist, 19 mai 2011, http://www.economist.com/node/18712274

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important dans la sécurisation de l’océan Indien. « Pour la France […], la sécurité de l’océan Indien, voie d’accès maritime vers l’Asie, est de ce point de vue une priorité », elle a des intérêts dans la région tout comme l’Inde(369). Premièrement, tout comme l’Inde est une puissance maritime, la France en est une également par sa présence dans les Départements et Territoires d’outre-mer et la possession de zones économiques exclusives, elle possède donc des territoires dans chaque océan. Par ailleurs, elle se doit donc d’assurer un réseau diplomatique étendu et des capacités de pro-jection et de puissance que sa marine assure dans la plupart des océans. Ce qui lui confère un rôle de premier ordre pour le contrôle des zones mari-times et de leurs ressources. Ainsi les ZEE représentent 11 millions de km², faisant d’elle la deuxième puissance maritime derrière les États-Unis(370).

Il n’est donc pas anodin de s’implanter encore davantage dans la région et de s’intéresser à des puissances montantes comme l’Inde. Puisque l’océan Indien représente une région plus importante que d’autres dans la mesure où elle constitue un épicentre des puissances émergentes, il faudra en tenir compte par rapport aux jeux de puissances sur la scène internationale(371). Le poids démographique, économique, politique et militaire de l’Inde, mais aussi de certaines autres puissances environnantes est une réalité que le gou-vernement français doit constamment prendre en compte s’il veut préserver les intérêts de la Nation. L’Asie du Sud constitue une focale de croissance très importante dans le monde, mais représente aussi une région où les risques de tensions et de conflits sont les plus élevés. Or, la stabilité et la sécurité de l’Asie du Sud et de l’océan Indien revêtent ainsi aussi bien pour la France que pour l’Inde une importance stratégique de premier ordre(372).

(369) LBDSN, p. 57.(370) La France : puissance maritime, voir le lien sur la page de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), http://www.ifremer.fr/L-institut/Implantations/Outre-mer(371) Des puissances au poids variable dont il faut tenir compte dans l’océan Indien ne sont pas uniquement l’Inde mais aussi le Pakistan, la Thaïlande, la Malaisie, Singapour, l’Indonésie, le Sri Lanka, etc. Ce sont des petits États qui voient leur croissance prendre de l’ampleur. Il ne faut donc plus les négliger comme il était souvent bon de le faire en France par exemple. (372) Voir aussi l’article sur la perception de la puissance maritime française par le Japon : "La France une grande puissance maritime" (Premier ministre japonais à l'AFP), Marine et Océans, 6 juin 2013, http://www.marine-oceans.com/actualites-afp/5286-la-France-qune-grande-puissance-maritimeq-premier-ministre-japonais-a-afp Dossier thématique : Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, ministère de la Défense, p. 14, http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/livre-blanc-2013

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Par ailleurs, l’océan Indien se trouve au cœur d’enjeux stratégiques mon-diaux : la lutte contre la piraterie, contre le terrorisme international, contre la prolifération nucléaire. Puissance riveraine de l’océan Indien, la France y joue un rôle particulier qui s’est trouvé encore davantage renforcé par le biais d’une relation désormais privilégiée avec l’Inde.

La nécessaire synergiedes forces militaires française et indienne

Enfin, la France doit continuer de renforcer sa coopération militaire avec l’Inde. Il existe de nombreuses déclarations communes de la France et de l’Inde(373). Les résultats visibles sont les exercices militaires conjoints qui ont déjà eu lieu comme "Shakti" (opérations en haute montagne) menés entre des troupes indienne (5e bataillon du régiment Kumaon) et fran-çaise (13e bataillon alpin) sur le territoire français du 9 au 20 septembre 2013. Ceci est la deuxième opération militaire "Shakti" après celle menée du 9 au 22 octobre 2011, à Chaubattia, Ranikhia, en Inde. De même, des exercices militaires conjoints sont menés entre les marines française et indienne "Varuna" et les forces aériennes "Garuda". La France et l’Inde doivent donc continuer dans ces efforts de rapprochement où les militaires apprennent les uns des autres. Cela ne peut donc qu’être bénéfique à terme pour la France, puissance occidentale perçue comme en perte de vitesse.

De plus, grâce à des événements comme les expositions aéronautiques, la France expose ses produits comme le Rafale qui avait très fortement inté-ressé l’armée de l’Air indienne(374). Par ce type de démonstrations, la France démontre son savoir-faire et son avancée technologique par rapport aux puissances émergentes comme l’Inde. À ce titre, l’intérêt de l’Inde pour les Rafale est une opportunité à saisir pour l’industrie de l’aviation française et permettra à la France de renforcer son propre poids vis-à-vis des autres puissances sur la scène internationale.

(373) Les documents sont accessibles sur le site de l’ambassade française à New Delhi, http://www.ambafrance-in.org/-Defence-Cooperation(374) Le Salon du Bourget qui a eu lieu du 17 au 23 juin 2013 a permis de faire la démons-tration du savoir-faire français et de démontrer que la France reste à la pointe de la tech-nologie vis-à-vis d’autres puissances, notamment par rapport aux puissances émergentes.

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La coopération n’est pas uniquement militaire, mais consiste aussi en une coopération civile de l’usage du nucléaire et un programme spatial commun (lancement d’un satellite franco-indien Saral le 25 février 2013 après celui des Megha-Tropiques le 12 octobre 2011)(375). La synergie renforcée des forces française et indienne depuis deux ou trois ans semble montrer le nécessaire partenariat entre une puissance établie, mais qui peut connaître des moments de crise et une puissance émergente (ou renaissante).

Il semble donc tout à fait pertinent de penser que la redistribution des cartes des puissances, toujours à l’œuvre, s’opère en fonction de multiples interactions (entre décideurs politiques et militaires à des niveaux diffé-rents : des contextes sociaux, économiques, etc.).

L’Inde, un acteur clé dans le(s) processus de pacification en Asie ?

Une puissance comme l’Inde a souvent pu peser de tout son poids dans les relations avec ses petits États voisins comme ce fut le cas à certains moments avec le Sri Lanka ou le Bangladesh, ou encore donner l’impres-sion de s’immiscer dans les affaires du Népal ou du Bhoutan comme si ce sont ses protectorats. Des rapports de force entre des puissances émer-gentes de poids plus ou moins équivalent comme le sont la Chine et l’Inde ont laissé et laissent entrevoir des tensions si ce ne sont des affrontements. Or, pour tempérer ces tensions entre puissances, il est nécessaire d’avoir un ou plusieurs autres acteurs pour engager un dialogue stratégique.

Comme le Livre blanc le mentionne à juste titre, « […] la France n’est pas directement menacée par des conflits potentiels entre puissances asiatiques, mais elle n’en est pas moins très directement concernée à de multiples titres. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et de la Commission d’armistice militaire du Commandement des Nations unies en Corée (UNCMAC), elle est une puissance présente dans l’océan Indien et dans le Pacifique. Elle est également l’alliée des États-Unis qui jouent un rôle central en matière de sécurité dans cette partie stratégique du monde.

(375) L’article dans The Hindu est à cet égard très éclairant : Madhumathi, “Isro-Cnes: Taking the next steps together”, The Hindu, 27 mai 2013, http://www.thehindu.com/sci-tech/science/isrocnes-taking-the-next-steps-together/article4757036.ece

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Ses entreprises et ses ressortissants sont en nombre croissant dans la région et sa prospérité est désormais inséparable de celle de l’Asie-Pacifique »(376). L’Asie du Sud est en effet loin de constituer une région totalement paci-fiée ou exempte de conflits. L’Inde se retrouve encerclée par d’autres puis-sances nucléaires. Or, on sait que le Pakistan n’est pas un État aussi stable que pourrait l’être la Chine. De plus, l’Inde et le Pakistan sont souvent considérés comme des "frères ennemis".

Depuis la partition indo-pakistanaise du 14 août 1947, le Pakistan s’est construit à travers un angle presque exclusivement identitaire contre l’Inde à laquelle plusieurs conflits l’ont opposé, en particulier au Cachemire(377). Il est bon de souligner que ces deux États sont devenus des puissances nucléaires et un régime de dissuasion s’est instauré depuis 1998 entre eux.

Par ailleurs, le Pakistan est au carrefour de trois "mondes" plus ou moins ins-tables : le Moyen-Orient, l’Asie centrale, l’Asie du Sud établissant un lien ter-ritorial et culturel entre l’Asie et le monde arabo-musulman. Les tensions qui affectent chacun de ces ensembles ont une conséquence plus ou moins grande sur le Pakistan, déjà fragilisé par des luttes intestines entre musulmans chiites et sunnites, entre musulmans de différentes provinces qui n’ont peut-être rien en commun si ce n’est leur appartenance religieuse. De plus, le Pakistan est souvent en proie à des luttes au sein même de l’appareil d’État, souvent contrôlé par l’armée et/ou l’ISI (Services secrets pakistanais). Il en est relative-ment de même pour l’Afghanistan, voisin immédiat du Pakistan, tourmenté par une anarchie quasi ambiante provoquée par des islamistes radicaux, les talibans et marqué par des logiques tribales. Ce qui renforce la perception de menaces accrues pour les décideurs politiques et militaires indiens.

(376) LBDSN, p. 36.(377) La religion constitue un facteur de différenciation identitaire. Le Pakistan se veut un État rassemblant tous les musulmans, autrefois communauté dominante sous l’Empire moghol, ils avaient perdu de l’importance dans l’Inde impériale britannique. Kallie Szcze-panski, “What was the partition if India”, Asian History, http://asianhistory.about.com/od/india/f/partitionofindiafaq.htm“India-Pakistan Partition 1947”, Global security, http://www.globalsecurity.org/military/world/war/indo-pak-partition.htmCrispin Bates (Dr, “The Hidden Story of partition and its legacies”, 03 mars 2011, BBC history, http://www.bbc.co.uk/history/british/modern/partition1947_01.shtml

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Les rapports difficiles entre le Pakistan et l’Afghanistan ont permis à l’Inde de se rapprocher du gouvernement afghan et de développer sa propre vision stratégique concernant ses propres relations avec le Pakistan. C’est ainsi que l’Inde a signé un partenariat stratégique avec l’Afghanistan en octobre 2011 pour l’entraînement des forces de l’ordre afghanes. Ce rap-prochement avec l’Inde intervient depuis la très forte perception que le Pakistan joue un double jeu dans la lutte anti-terroriste, parallèlement au retrait annoncé des troupes américaines du territoire afghan en 2014(378). De même, le retrait des troupes françaises annoncé et prévu également pour 2014 a déjà pourtant commencé. Le risque serait de voir les talibans revenir au pouvoir si les puissances occidentales ne peuvent plus garantir l’ordre, même si celui-ci était extrêmement fragile(379). C’est pourquoi il semble nécessaire qu’au travers de l’Inde, la France et ses alliés puissent continuer de maintenir un œil vigilant sur les affaires afghanes. Ce sera très certainement un moyen parmi d’autres pour les alliés et la France de garantir l’ordre et la stabilité dans la région, c’est d’ailleurs l’une des mis-sions édictées dans le Livre blanc : « […] la stratégie de la France s’insère dans la perspective plus large de la contribution de notre pays à un ordre international fondé sur la paix, la justice et le droit »(380).

En outre, l’intervention américaine en Afghanistan et le soutien indien au gouvernement actuel de Kaboul sous la présidence de Hamid Karzai ont semblé mettre à mal la stratégie de l’armée pakistanaise qui avait été mise en place sous les talibans. Sous le président américain Georges W. Bush en premier lieu, puis le président Barack Obama, les dirigeants américains ont choisi de renforcer le dialogue avec l’Inde à partir des années 2000. L’Inde est en effet considérée comme une démocratie stable, luttant activement et sans ambigüité contre le terrorisme. Il est vrai que l’Inde a largement profité de la chute du régime taliban pour tenter de s’assurer un allié stra-tégique vis-à-vis du Pakistan et plus généralement lui permettre de mieux stabiliser son flanc ouest. New Delhi a toujours désapprouvé au plus haut

(378) “Rama Lakshmi, India and Afghanistan sign security and trade pact”, The Washington Post, 4 octobre 2011, http://www.washingtonpost.com/world/asia-pacific/india-and-afgha-nistan-sign-security-and-trade-pact/2011/10/04/gIQAHLOOLL_story.html(379) "Le retrait français d’Afghanistan "réussi" mais au prix fort", Le Monde, 27 février 2013, http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/02/27/le-retrait-francais-d-afgha-nistan-reussi-mais-au-prix-fort_1839786_3216.html(380) LBDSN, p. 12.

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point le régime des talibans et leur gouvernance. Elle ne les a considérés que comme des instruments de l’ISI au point d’ailleurs de soutenir la résis-tance de l’Alliance du Nord, dirigée par le commandant Ahmed Chah Massoud dans les années 1990. En raison de son passé prestigieux et de sa civilisation qui s’est effectivement étendue jusqu’à l’Afghanistan, l’Inde a toujours considéré l’Afghanistan comme un voisin immédiat puisque cela était le cas jusqu’à la partition du Pakistan (1947). L’après 11 septembre 2001 et les attentats successifs à Mumbai (Bombay) commis par des mou-vances islamistes radicales ont permis à l’Inde de faire entendre sa voix sur la scène internationale et de soutenir le régime d’Hamid Karzai. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale montre l’importance de l’Inde « comme facteur de stabilité dans la région »(381). C’est effectivement le cas lorsqu’on voit les liens qui unissent certains États à l’Inde. L’Afghanistan est plus précisément un de ces États où le niveau de violence est difficile à gérer pour la France et ses alliés qui y sont présents. De ce fait, avoir l’Inde comme partenaire dans le processus de pacification de l’Afghanistan devra se faire sur le temps long et non pas selon le temps limité des échéances politiques. Pour la France, cela démontre bien la nécessité d’un tel parte-naire dans des négociations avec des acteurs politiques qui partagent une identité plus ou moins commune avec celles des Indiens.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 le montre, la France reste une puissance, mais elle a besoin de partenaires sur lesquels s’appuyer, notamment face à la montée toujours plus irrésistible des puis-sances émergentes. En Europe, elle fait partie de l’Union européenne, une entité économique, mais aussi politique dans laquelle elle peut poursuivre ses intérêts. De même, elle doit pouvoir se reposer sur des acteurs clés régio-naux. Et pour pouvoir dialoguer avec des États dont la croissance écono-mique est de plus en plus importante, de surcroît en Asie du Sud, il faut donc que la France persévère dans ses efforts de rapprochements avec l’Inde.

La France doit donc continuer ses efforts de rapprochements avec l’Inde dans différents domaines. La coopération militaire sur le plan domestique et international (des exercices militaires conjoints), mais aussi la coopéra-tion civile et militaire sur le nucléaire et la non-prolifération nucléaire, la coopération spatiale doivent se multiplier. Par ailleurs, l’Inde est un acteur

(381) LBDSN, p. 35.

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clé pour les intérêts de la France dans la région, cet État lui permettra de mieux dialoguer avec les décideurs politiques et militaires d’autres États qui partagent une identité plus ou moins commune avec le géant Sud-Asia-tique. Comme le Livre blanc le souligne à juste titre : « notre sécurité ne commence pas à nos frontières, nous saurons bâtir, avec nos partenaires et alliés, des réponses collectives »(382). Pour rester ou entrer dans le concert des puissances qui ont une voix effective, la France et l’Inde ont tout intérêt à renforcer leur rapprochement, c’est là finalement tout le sens d’une quête d’identité pour un État.

(382) LBDSN, p. 11.

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Pour aller plus loin

Rapport annuel 2012-2013, Livre blanc sur la défense indienne, https://mod.gov.in/writereaddata/AR-eng-2013.pdf

Boillot Jean Joseph, L’économie de l’Inde, Paris, La Découverte, 2009.

Boivin Michel, Histoire de l’Inde, Paris, La Découverte, 2011.

Jaffrelot Christophe (dir.), New Delhi et le monde. Une puissance émer-gente entre Realpolitik et Soft Power, Paris, Autrement, coll. "Mondes et Nations", 2008.

Sobek David, Clare Joe, “Me, Myself and allies: Understanding the external sources of Power”, Journal of Peace Research, 50 (4), juillet 2013, pp. 469-478.

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La France face à l’émergencede la puissance chinoiseen AfriqueDavid BENAZERAF Géographe, université Paris I Panthéon-Sorbonne

« Je m’adresse d’abord aux miens pour qu’ils comprennent.L’Afrique de plus en plus se fera d’elle-même.

À nous de faire qu’elle ne se fasse pas contre nous. »Dominique Decherf, ancien ambassadeur de France

Les puissances émergentes, notamment la Chine, sont mentionnées dès le premier paragraphe du Livre blanc sur la défense et la sécurité natio-nale 2013(383). En adoptant une perspective de long terme, le Livre blanc accorde une place non négligeable au « rééquilibrage »(384) des puissances et à l’importance croissante des pays émergents. Ses auteurs estiment que l’Asie constituera le « principal foyer de création de richesse »(385) à l’ho-rizon 2030, tandis que l’Afrique deviendra le probable futur « moteur de la croissance mondiale »(386) en dépit des fragilités du continent. L’intérêt croissant des émergents pour l’Afrique est mentionné. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale reconnaît ainsi implicitement l’existence d’une nouvelle donne pour les intérêts français sur le continent, tout en conservant pour présupposé la portée universelle des valeurs européennes. Au sein de l’ouvrage, la Chine occupe une place de premier plan parmi les

(383) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013, 159 pages (édition numérique réalisée par le ministère de la Défense le 29 avril 2013), préface du président de la République, p. 7.(384) LBDSN, p. 7.(385) LBDSN, p. 34.(386) LBDSN, p. 40.

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émergents. Son rôle de « puissance structurante de la mondialisation »(387) est mis en avant. Les auteurs insistent également sur les risques de rupture possible face aux nombreux défis auxquels fait face le pays. La Chine doit en effet réorienter son modèle de développement basé sur les exportations vers l’accroissement de la demande intérieure. Ces réformes de structure, tout comme les scandales de corruption, peuvent être source de tensions sociales majeures. Une place relativement limitée est toutefois accordée à l’internationalisation de la Chine.

Si le Livre blanc reconnaît la montée en puissance des émergents et leur intérêt pour les opportunités sur le continent africain, l’angle d’approche prend pour présupposé la portée universelle des valeurs européennes.

Autrement dit, la vision des relations internationales adoptée dans le docu-ment conserve une représentation autocentrée du monde. Par conséquent, la place accordée aux puissances émergentes n’est pas véritablement propor-tionnelle à leur importance réelle. Pour mémoire, les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) représentent à eux seuls 42 % de la popu-lation mondiale, 21 % du PIB mondial, et 15,5 % du commerce interna-tional(388). Nous tenterons d’aller plus loin et de dépasser le paradigme d’une vision occidentalocentrée en montrant, à travers l’exemple chinois, que le « rééquilibrage des puissances »(389) voit émerger de nouvelles centralités : les dynamiques Sud-Sud accentuent la reconfiguration des forces en pré-sence, au-delà des aspects économiques et en partie en dehors de l’influence occidentale au profit de nouveaux acteurs étatiques. En effet, si, comme le souligne le Livre blanc, les puissances émergentes ne sont pas encore prêtes à assumer de véritables responsabilités sur la scène internationale(390), elles mettent néanmoins au défi les équilibres traditionnels entre pays développés et pays en développement. Dans cette redistribution des cartes, la France, et les pays européens sont en quelque sorte hors champ.

(387) LBDSN, p. 58.(388) "De l’urgence de la création d’une banque des Brics", "Jianli jinzhuan yinhang you-qinei zai jinpoxing", agence Xinhua, 12 avril 2013, URL : http://news.xinhuanet.com/globe/2013-04/12/c_132298280.htm (consulté le 2 septembre 2013).(389) LBDSN, p. 7.(390) LBDSN, p. 31.

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Nous verrons en quoi la Chine tente de s’imposer progressivement comme nouveau pôle d’influence, notamment en Afrique, et comme leader des émergents.

Une influence croissante en Afrique,concurrente des intérêts français

Depuis les années 2000, la présence chinoise en Afrique s’est considérable-ment renforcée. Elle entretient désormais des relations diplomatiques avec la quasi-totalité des États du continent. Alors que 37 pays africains sont représentés à La Baule en 1990, la Chine réunit 80 présidents et ministres de 44 pays dès le premier Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) en octobre 2000, à Pékin. Nous ne reviendrons pas en détail sur l’accrois-sement des relations commerciales avec les pays africains. La Chine est en effet depuis 2009 le premier partenaire commercial du continent. Pour la seule année 2012, le volume des échanges commerciaux s’est élevé à 198,49 milliards de dollars, soit une croissance d’environ 19 % par rap-port à 2011(391). Les intérêts économiques français doivent faire face à une nouvelle forme de concurrence qui remet en cause leur manière de travailler en Afrique et les oblige à s’adapter. Depuis 2005, les engagements chinois dans le domaine des infrastructures auraient dépassé ceux de la Banque mondiale sur le continent(392). La présence chinoise en Afrique dépasse le seul volet économique. Elle y développe aussi une influence linguistique, militaire et en termes de transferts de savoirs ou de pratiques.

La politique linguistique de la Chine accompagne le développement du mandarin à l’international par l’octroi de bourses aux étudiants étran-gers ou le déploiement massif des Instituts Confucius. Le mandarin serait appris par 40 millions de personnes dans le monde. Sous le pilotage du ministère de l’Éducation et hébergés dans des établissements académiques à l’étranger, les Instituts Confucius ont pour mission de promouvoir la langue et la culture chinoises dans le monde par l’envoi à l’étranger de

(391) Office d’information du Conseil des affaires d’État, Zhongguo yu feizhou de jing-maohezuo de pishu, Livre blanc de la coopération économique et commerciale entre la Chine et l’Afrique, Pékin, août 2013.(392) La Chine n’adoptant pas les mêmes modes de calcul ni les mêmes critères que les pays de l’OCDE, les comparaisons chiffrées doivent être employées avec précaution.

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professeurs chinois. Ces Instituts incarnent une nouvelle figure du Soft Power chinois et de la volonté des autorités de développer une influence culturelle sur le continent(393). Le portail Internet des Instituts Confucius est traduit en plus de 45 langues. En Afrique, on dénombre 31 instituts Confucius dans 22 pays, dont 11 membres de l’Organisation internatio-nale de la francophonie (cf. carte). L’octroi de 18 000 bourses du gouverne-ment chinois pour des étudiants africains a été annoncé lors du cinquième Forum sur la coopération sino-africaine en juillet 2012. Vingt universités africaines sont d’ores et déjà jumelées avec des universités chinoises. Des débats existent entre chercheurs : selon certains experts, le mandarin pour-rait dans quelques décennies faire partie des langues les plus parlées aux côtés de l’anglais. La profondeur stratégique de la francophonie pourrait ainsi en être altérée(394). Face à ces évolutions, la France doit renforcer sa présence au sein des universités africaines, et veiller à sélectionner les meilleurs étudiants, futurs relais des intérêts français une fois rentrés dans leur pays.

Parallèlement à la croissance des budgets militaires en Asie abordée dans le Livre blanc, la coopération militaire de la Chine avec l’Afrique doit être mentionnée. Une étude de l’Ifri rappelle que « les accords de coopération militaire sont un élément essentiel de la stratégie africaine de la RPC, que ce soit sous la forme de contrats de ventes d’armes ou de formations des élites militaires africaines »(395). Les États africains, dont quarante d’entre eux ont signé des accords militaires avec la Chine, constituent un marché de taille pour les équipements légers : artillerie, véhicules blindés, hélicop-tères, etc. Les ventes d’armes en Afrique, si elles ne sont pas raisonnées, peuvent avoir un impact sur la stabilité régionale. La Chine forme aussi des officiers africains sur son sol. L’étude précise que certains paiements s’effectuent en nature sous la forme de ressources naturelles ou agricoles.

(393) Paradise James F., “China and International Harmony: The Role of Confucius Insti-tutes in Bolstering Beijing's Soft Power”, in Asian Survey, Vol. 49, n° 4, juillet-août 2009, p. 647 sq.(394) Interview de Joël Bellassen, inspecteur général de chinois au ministère français de l’Édu-cation nationale, directeur de recherche à l’Inalco, propos recueillis par David Benazeraf, Sciences Humaines, n° 225, mars 2012 ; voir aussi l’étude de l’Irsem "Francophonie et profondeur stratégique", n° 26-2013.(395) Niquet Valérie, Touati Sylvain, La Chine en Afrique : intérêts et pratiques, Ifri, 2011, p. 54 sq.

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L’armée chinoise pourrait néanmoins à terme être considérée comme un partenaire potentiel de la France pour de futures opéra-tions militaires en Afrique.

Enfin, phénomène plus diffus, la Chine exporte ses pratiques sur le conti-nent. Plus de 2 000 entreprises chinoises y sont implantées selon les sources officielles chinoises(396). Elles opèrent avec leurs propres habitudes et moda-lités d’action en matière de services, ou y écoulent leurs produits. Le secteur de la dis-tribution occupe entre 2 et 4 % des échanges sino-africains. Le secteur immobilier a fait son apparition dans le dernier Livre blanc Chine-Afrique(397). Les promoteurs chinois entendent tirer profit de la nouvelle classe moyenne urbaine africaine en proposant des types de logements simi-laires à ceux produits pour les villes chinoises. Comme nous le montrerons dans notre thèse, le développement urbain et la production de logements font partie intégrante de la coopération sino-africaine. Les projets concrets et leurs concepteurs chinois sont vecteurs d’une circulation de modèles ou pratiques entre deux continents. Ces projets menés dans plusieurs pays comme le Kenya(398), l’Angola, ou encore le Botswana, répliquent

(396) Ce chiffre ne prend pas compte les petits entrepreneurs (commerçants, propriétaires de restaurants, etc.), très nombreux, et largement ignorés des statistiques.(397) Office d’information du Conseil des Affaires d’État, op. cit.(398) Benazeraf David, communication "China Cooperation Towards African Cities Deve-lopment, Real Estate Construction by Chinese Companies in Nairobi", Annual conference of the International Geographical Union – Urban Geography Commission, Johannesburg and Stellenbosch, South Africa, juillet 2013.

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Pays membre de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) Pays d'implantation d'un Institut Confucius

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des formes urbaines caractéristiques des villes chinoises. En jouant un rôle croissant, les acteurs chinois accompagnent l’ascension d’une classe moyenne africaine et son accession à un confort standardisé, contribuant ainsi à la convergence des modes de vie dans les pays du Sud. Le rôle des échanges immatériels et humains, notamment par le biais du secteur privé, ne doit pas être négligé dans l’analyse de la présence chinoise. L’urbanisme chinois constitue par exemple un vecteur d’influence diffus, et un modèle de réussite attractif pour les villes africaines.

Une remise en causede l’architecture internationale de l’aide au développement

Sur le plan institutionnel, la Chine impose également ses propres pra-tiques. Deborah Bräutigam rappelle que la Chine n’est pas membre de l’OCDE ni associée au Comité d’aide au développement : une part non négligeable de la coopération chinoise ne répond pas aux critères occiden-taux de l’aide officielle(399). "L’aide chinoise" ne transite pas par une agence de développement, mais par le ministère du Commerce (Mofcom) pour les subventions et les prêts sans intérêts, et par la China Exim Bank pour les prêts concessionnels. Seule une petite partie de ces derniers comporte un véritable élément don. Le reste constitue plutôt une forme de soutien des entreprises chinoises à l’export dans le cadre de la politique dite de Going Out (Zou Chuqu)(400). En outre, l’absence de conditionnalités posées par la Chine facilite les négociations avec les partenaires africains. La Chine n’est pas la seule à concurrencer les bailleurs dits traditionnels en Afrique. Des pays comme la Corée du Sud, l’Inde, le Brésil ou encore la Turquie sont en train renforcer rapidement leurs implantations. La Chine incarne la face la plus visible du phénomène. Les Brics ont la spécificité d’être à la fois récepteurs et émetteurs en matière d’aide au développement, à l’exception de la Russie dont la place au sein du groupe demeure singulière.

(399) Bräutigam Deborah, The dragon’s gift: the real story of China in Africa, Oxford Uni-versity Press, Oxford, 2009, 397 pages.(400) Sur la politique de Going Out, on pourra se référer au dossier "La "sortie" des inves-tissements : quels risques ?", China Analysis, n° 36, février 2012.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

159

Lors du premier Forum sur la coopération sino-africaine en 2000, le Premier ministre Zhu Rongji évoquait l’ambition d’établir un nouvel ordre économique et politique mondial, plus égalitaire(401). La Chine est aujourd’hui à l’initiative de la création d’une Banque de développement des Brics. Faisant suite au cinquième sommet des Brics à Durban en mars 2013, sa configuration a été confiée au président de la China Development Bank, Chen Yuan(402). L’objectif est de financer des projets d’infrastruc-tures et de créer une réserve de 100 milliards de dollars afin d’aider les pays membres en cas de choc financier. Cette banque régionale de déve-loppement pourrait, à terme, concurrencer des institutions multilatérales comme la Banque mondiale(403), ou bilatérales comme l’Agence française de développement (AFD).

La question de l’aide dite liée mériterait d’être mise en débat en France. Si l’aide chinoise est systématiquement assujettie à l’achat de biens chinois ou au recours à des entreprises chinoises(404), les acteurs français du déve-loppement agissent au nom du principe de concurrence. Aussi respectables soient-elles du point de vue des principes, ces pratiques pénalisent les entreprises françaises. L’AFD accorde ainsi des contrats à des entreprises de construction chinoises, sans réciproque ou contrepartie côté chinois.

Une conception alternative à l’approche occidentale

Les courants et discours chinois varient entre modestie et ambition affi-chée sur la scène internationale. Nous insisterons sur le second aspect. Certains auteurs estiment que la Chine doit être porteuse, de manière tout aussi légitime, d’une approche alternative aux valeurs universelles occidentales(405). Le professeur de relations internationales Zhang Weiwei

(401) Taylor Ian, The Forum on China-Africa Cooperation, Routledge, 2011, p. 26.(402) Chen Yuan est le fils de l’économiste Chen Yun (1905-1995), membre du comité per-manent du Bureau politique de 1978 à 1987, qui figure parmi les plus influents des anciens après Deng Xiaoping. (403) Benazeraf David, "Vers un Bretton Woods des Brics ? ", China Analysis, n° 45, novembre 2013.(404) Bräutigam, op. cit. p. 152.(405) Zhang Weiwei, Harald J W Muller-Kirsten, The China Wave: Rise of a Civilizational State, World Scientific Publishing Company, 2012, 230 pages.

Le Livre bLanc Défense et sécurité nationaLe 2013

160

développe la thèse de l’émergence de la Chine comme "État civilisation" ayant réussi à intégrer une tradition millénaire dans un État moderne. Cet État sui generis constituerait un nouveau modèle de développement et un nouveau discours politique questionnant le modèle des démocraties occidentales. Si l’on peut y voir une défense du système politique chinois actuel, ce discours incarne également une volonté d’asseoir une position. Sur le plan économique, le modèle chinois de développement semble dif-ficilement réplicable à l’identique dans les contextes des pays africains. En revanche, le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États promus par la Chine suscite une réelle attractivité chez les dirigeants africains souvent agacés par les préceptes des pays occidentaux.

Comme le souligne le Livre blanc, la Chine n’est pas à l’abri d’instabi-lités et de risques de rupture. Une lecture sur le temps long des dynasties chinoises (200-300 ans en moyenne) nous rappelle toutefois que le pays est probablement encore en phase ascendante pour plusieurs décennies. Zhang Weiwei insiste notamment sur la nécessité pour la Chine dans les dix ans à venir de passer du statut de suiveur à une position de leader en matière d’élaboration de standards. Il ne manque pas non plus d’évoquer le fait que l’Afrique a autant, si ce n’est plus, à apprendre de la Chine et de son modèle de développement que de l’Occident.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

161

Conclusion – Recommandations

Si la Chine ne s’impose pas encore comme productrice de standards et de valeurs, les multiples acteurs chinois savent répondre aux attentes des gou-vernements africains avec acuité. Ceux-ci se tournent de plus en plus vers l’Asie. Cette concurrence accrue remet en question les modalités de l’aide au développement et les méthodes des acteurs dits traditionnels, publics et privés. Le principe de non-ingérence de la Chine se révèle attractif pour certains États africains, comme le Zimbabwe. En ce sens, l’attitude de la Chine nuit à l’efficacité des règles de bonne gouvernance imposées par les États occidentaux. Elle peut nous interroger sur la volonté occidentale d’imposer à tout prix son modèle de démocratie.

Pour continuer à jouer un rôle moteur, la France doit faire évoluer sa stra-tégie et son discours, en prenant mieux en considération la nouvelle donne internationale. Il s’agit moins de chercher à contrer la deuxième puissance mondiale dans son expansion africaine que de mieux travailler avec elle, et avec l’ensemble des pays émergents. La croissance africaine et la redistri-bution des cartes en Afrique constituent avant tout une incroyable oppor-tunité qu’il faut saisir par de nouveaux partenariats. En accompagnant le développement de l’Afrique, la Chine démultiplie indirectement les occa-sions économiques pour la France.

Au regard de l’influence croissante de la Chine en Afrique, et plus large-ment des émergents, plusieurs pistes d’action peuvent être formulées :

• Contribuer au renforcement des cadres légaux des gouvernements africains et de leurs capacités de négociation face aux pays émergents ;

• Associer plus étroitement les Chinois dans la sécurité collective en Afrique, notamment dans les villes face à l’urbanisation rapide, et dans le cadre de l’intention chinoise de lancer un "Partenariat Chine-Afrique pour la paix et la sécurité", annoncée lors du cinquième Focac en juillet 2012 ;

• Développer les relations avec le groupe des Brics, au-delà des partena-riats bilatéraux avec chacun de ses membres ;

• Sur le plan de l’aide au développement et de la coopération financière, favoriser très en amont des échanges et coopérations avec la future banque des Brics ;

Le Livre bLanc Défense et sécurité nationaLe 2013

162

• En matière économique, favoriser les coopérations entre entreprises chinoises et françaises implantées en Afrique ;

• Encourager les PME françaises désireuses de s’implanter en Afrique, comme le font déjà les PME chinoises.

Pour aller plus loin

Lai Hongyi, Lu Yiyi (dir.), China’s Soft Power and International Rela-tions, Routledge, 2012, 218 p. Cet ouvrage éclaire la notion de Soft Power appliquée à la Chine, à la lumière de l’approche chinoise des relations internationales.

Taylor Ian, The Forum on China-Africa Cooperation, Routledge, 2011, 117 p. Le livre de Ian Taylor rappelle l’historique de l’accélération des relations Chine-Afrique depuis les années 2000 et décrypte les mécanismes et les acteurs de cette relation, notamment en décrivant le fonctionnement et les avancées du Focac.

Alves Ana Cristina, Power Marcus (dir.), China and Angola: A Partnership for Development?, Pambazuka, 2012, 186 p. Cet ouvrage collectif analyse les ressorts de la présence chinoise en Angola, notamment par la descrip-tion des mécanismes de prêts garantis par les ressources naturelles, dit "modèle angolais" dans le cadre de la coopération sino-angolaise.

Paulais Thierry, Financing Africa’s Cities, World Bank / Agence française de développement, 2012, 250 p. Ce rapport commandité par la Banque mondiale et l’Agence française de développement présente les enjeux du financement de l’urbanisation. Les acteurs émergents du développement comme la Chine sont mentionnés.

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RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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Résumés français et anglaisdes contributions

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Le Livre blanc de 2013 et la gestion de crises extérieures :stratégie, acteurs et défis

Clara EGGERPolitiste, Sciences Po Grenoble

Face aux évolutions des conflits contemporains, la gestion de crise s’est adaptée autour des concepts d’approches "globale", "intégrée" ou "interministérielle" visant à favoriser la coordination des acteurs civils et militaires impliqués dans des opérations extérieures. Dès 2008, le Livre blanc faisait du développement de ces approches une priorité stratégique pour la France dans le cadre, notamment, de l’Union européenne. En 2013, la gestion des crises extérieures s’impose comme un thème central du Livre blanc. Cette contribution s’appuie sur les analyses du Livre blanc pour les enrichir. Sur la base d’une étude appro-fondie de la littérature scientifique et d’enquêtes de terrain, elle met l’accent sur les défis auxquels la France fait face dans la mise en œuvre de sa conception stratégique de la ges-tion de crise.

• La réussite de l’approche globale aux niveaux français et européen nécessite d’adopter des stratégies et des instruments de veille et de planification flexibles et pragmatiques, répondant aux spécificités de chaque théâtre d’opérations. L’accent doit être mis sur la nécessité de ressources dédiées à cette approche (financières, humaines, logistiques).

• Face aux lenteurs du processus européen, le choix de développer des coopérations renforcées la France et ses partenaires dans le domaine de la défense peut être judi-cieux. Il n’est toutefois pas sans risques (fragmentation du processus d’intégration, division des Européens, création de clubs fermés) et doit être utilisé avec précaution.

• La gestion des crises extérieures est un champ caractérisé par l’affrontement de conceptions divergentes (universelle VS régionale ; occidentale VS non-occidentale ; civile VS militaire). La France est dans une situation "pivot" pour faciliter la conver-gence et le partage des tâches et des responsabilités entre les différentes organisations où elle joue un rôle moteur (ONU, Otan, UE).

• Les relations entre acteurs militaires et civiles peuvent se révéler particulièrement tendues sur le terrain en particulier entre acteurs humanitaires et militaires. Dans ce contexte, les modalités d’interaction doivent faire l’objet d’un accord entre ces deux communautés en amont de l’intervention.

• Pour réussir dans le long terme, une opération de gestion de crise doit faire l’objet d’un processus d’appropriation par les acteurs locaux, acteurs clés de la définition des objectifs politiques de l’intervention.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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The management of external crisis in The French White Paper 2013: strategy, actors and challenges

Clara EGGERSciences Po Grenoble

Faced with the evolutions of contemporary armed conflicts, crisis-management has evolved with the development of the concepts of “comprehensive”, “integrated” or “while-of-go-vernment” approaches. These approaches aim to improve coordination between civil and military actors involved in external operations. Since 2008, The White Paper has made of the development of these approaches a key priority for France, especially in the framework on the European Union. In 2013, crisis-management appears as a central theme of The White Paper. This contribution builds on the analyses of The White Paper to enrich them. Based on a detailed review of the academic literature and on field research, this contribu-tion focuses on the challenges France faces in the implementation of its strategic conception of crisis-management.

• To be successful, the implementation of the comprehensive approach at the European and French levels needs to be based on flexible and pragmatic planification tools, adapted to the specificities of each theater of operation. The emphasis should be put on the need for resources dedicated to this approach (financial, human, logistic).

• Faced with the slowness of the European process, it can opportune to develop enhanced cooperation procedures in the field of defense between France and its partners. However, this option may be risky (fragmentation of the integration pro-cess, division of the European, creation of closed clubs) and should be used carefully.

• Crisis-management is a field characterized by the confrontation of diverging concep-tions (universal VS regional; Western VS non-Western, civil VS military). France is at the backbone to facilitate convergence, burden- and responsibility-sharing between the various organizations where France is in a leadership position (UNO, NATO, EU).

• The relations between civilian and military actors may raise tensions in field ope-rations, especially between humanitarian and military actors. In this context, the modalities of interaction between both communities must be agreed upon before the start of an intervention.

• To succeed on the long-run, crisis-management operations must take the issue of local ownership seriously. Local actors are key players of the definition of the political objectives of an intervention.

Le Livre bLanc Défense et sécurité nationaLe 2013

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Le Livre blanc de 2013 et les organisations européennesde sécurité, entre volontarisme et scepticisme

Jérôme CLERGETHistorien, université de Strasbourg

Le Livre blanc accorde une place de choix à l’Alliance atlantique (Otan) et à l’Union euro-péenne (UE). Il semble cependant marquer un intérêt croissant de la France pour la première au détriment de la seconde, et ce malgré le déclin de la place de l’Europe dans la stratégie des États-Unis. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), quant à elle, n’y tient presque aucune place, ce qui pose clairement le problème de l’absence d’une interface paneuropéenne pertinente. Face à un possible recul du rôle des organisations de sécurité en Europe, le Livre blanc ouvre des perspectives pour les partenariats bilatéraux.

L’Otan plutôt que la Politique de sécurité et de défense communautaire (PSDC), un choix par défaut.

• Le manque d’avancées de la PSDC pousse la France à privilégier l’Otan, jugée plus efficace.

• Ce choix semble toutefois s’opposer au recul de l’intérêt des États-Unis pour l’Europe, qui devrait inciter à une relance de l’Europe de la défense.

L’absence d’une perspective paneuropéenne.• La place de l’OSCE comme institution pourvoyeuse de la légitimité internationale et

comme outil de dialogue sur le continent est en net recul par rapport au Livre blanc de 1994.

• L’absence d’interface paneuropéenne pertinente rend cependant plus difficile le dia-logue avec la Russie, pourtant nécessaire pour la sécurité du continent.

La principale innovation : le bilatéralisme consacré.• Les difficultés des organisations européennes de sécurité incitent la France à déve-

lopper les partenariats bilatéraux pour contourner les blocages institutionnels.• Ces partenariats s’orientent davantage vers une substitution que vers un renforcement

de la PSDC, ce qui risque de poser à terme des problèmes à la France dans un contexte de réduction du budget de la défense.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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The French White Paper 2013 and European security organiza-tions, between voluntarism and skepticism

Jérôme CLERGETUniversité de Strasbourg

The White Paper gives a prominent place to the Atlantic Alliance (NATO) and the Euro-pean Union (EU). However, it seems to underline a growing interest in France for the first at the expense of the second, despite the decline of the role of Europe in the strategy of the United States. The Organization for Security and Co-operation in Europe (OSCE) finds almost no place in The White Paper, this clearly raises the issue of the absence of relevant pan-European interface. Faced with a possible decline of the role of security organizations in Europe, The White Paper provides opportunities for bilateral partnerships.

NATO rather than the CSDP, a choice by default• The lack of results of the CSDP pushes France towards NATO, considered more

effective. • However, this choice is opposed to the declining interest of the United States to

Europe, which should lead to a revival of European defense.

The absence of a pan-European perspective• Place of the OSCE as an institution of international legitimacy and dialogue tool has

been declining since 1994• The absence of relevant pan-European interface makes it more difficult to dialogue

with Russia, however there is need for the security of the European continent.

The main innovation: the consecration of bilateralism• The difficulties of European security organizations encourage France to develop bila-

teral partnerships to circumvent institutional barriers. • These partnerships replace CSDP rather than increase it, which can cause problems

for France in a context of reduced defense budget.

Le Livre bLanc Défense et sécurité nationaLe 2013

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La "responsabilité de protéger" et le recours à la force :leçons libyennes

Arnaud SIADPolitiste Sciences Po Paris

Cet article tente de définir la "responsabilité de protéger" (R2P) comme une norme émer-gente, dont l’existence normative n’est plus à démontrer, mais qui peine à trouver une légitimité devant tous les acteurs internationaux. Le paradoxe naît de la stratégie française de vouloir en faire un des principes directeurs de sa politique étrangère, comme le préco-nise le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, malgré le dissensus qui s’exprime sur la R2P. L’analyse se résume en trois hypothèses :

• Le contexte international dans la période post-bipolaire se caractérise par une frag-mentation de la "communauté internationale" et une redéfinition de la notion de "guerre"

• Le Sommet mondial de 2005, signant "l’Onuisation" du concept de la R2P, a préservé le souverainisme du système international

• L’intervention en Libye a servi le dissensus sur la R2P en colorant le concept d’impé-rialisme occidental

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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The Responsiblity to Protect (R2P) and the use of force:lessons from Lybia

Arnaud SIADSciences Po Paris

This paper attempts to define the ‘Responsibility to Protect’ as an emerging norm: while its normative existence is not questioned, the concept has yet to find legitimacy in the eyes of all international actors. Nevertheless, French strategic thinking has sought to make R2P a fundamental principle of its foreign policy with respect to national defense, creating a normative discrepancy. The analysis can be summed up in the three following hypotheses:

• The international context in the post-bipolar period is characterized by a fragmenta-tion of the so-called ‘international community’ and a redefinition of the concept of “war”

• The 2005 World Summit made R2P a UN tool but essentially recalled the principle of state sovereignty

• The 2011 intervention in Libya served to fuel dissensus further on R2P through iden-tification of the concept with Western imperialism

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Le Livre blanc de 2013 face au problème de la sécurité énergé-tique : l’exemple des gisements de gaz en Méditerranée orientale

Alexander BARKHUDARYANTSGéographe, université Paris VIII

Le Livre blanc 2013 ne prend pas suffisamment en compte le problème de la sécurité éner-gétique. Cette question est pourtant d’importance cruciale compte tenu de la conjoncture énergétique et économique aujourd’hui en France. L’article ci-dessous démontrera cette thèse à travers l’exemple de la situation géopolitique actuelle en Méditerranée orientale.

Bien que la facture énergétique française pour 2012 batte le record de 68.7 milliards d’euros dépassant ainsi le déficit commercial de la France (67.2 milliards d’euros)(1), le problème de la sécurité énergétique, et en particulier celui de l’accès aux ressources d’hydrocarbures aux prix compétitifs, n’est pas considéré par le Livre blanc 2013 comme un défi majeur.La situation autour des gisements de gaz découverts récemment en Méditerranée orientale en est une bonne illustration. Elle n’est pas mentionnée dans le Livre blanc alors que :

• Ces gisements sont potentiellement une source d’approvisionnement en gaz pour la France et l’Europe. Ils présentent également des avantages incontestables par rapport aux ressources d’hydrocarbures des Départements et Territoires d’outre-mer qui, eux, sont mentionnées dans le Livre blanc(2) alors que, contrairement aux gisements de la Méditerranée orientale, il s’agit des réserves non prouvées(3), situées loin du territoire métropolitain, dont l’éventuelle exploitation pourrait être parfois bloquée par des litiges frontaliers(4). Au contraire, Israël a déjà réussi à procéder aux premières extrac-tions de gaz quatre ans seulement après la découverte de ses gisements marins.

• Leur position géographique près de l’Europe est stratégique : elle évite le transit des hydrocarbures par le détroit d’Ormuz et le canal de Suez ainsi que par les gazoducs russes. De surcroît, l’appartenance des champs gaziers aux zones économiques exclu-sives des États considérés comme politiquement stables est également un atout de plus.

• La chronologie de cette découverte est identique à celle de la crise financière mondiale et du "Printemps arabe" – les deux événements auxquels le Livre blanc accorde une importance cruciale et qui ont justifié sa réédition. C’est une zone à haut risque pour les compagnies pétrolières exploitantes.

(1) Albertini J.-P. (dir), Louati S., Frédéric O., Rouquette C., Bilan énergétique de la France pour 2012, Commissariat général au développement durable, juillet 2013.(2) LBDSN, p. 51.(3) Les réserves prouvées concernent l’ensemble des quantités de gaz ou de pétrole dont l'existence est établie et dont les chances de récupération et de rentabilisation, dans le cadre des données actuelles de la technique et de l'économie, sont d'au moins 90 %.(4) "Production nationale d’hydrocarbures", ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, mis en ligne le 1 février 2010, URL : http://www.developpement-du-rable.gouv.fr/Presentation-historique-de-l.html (consulté le 7 novembre 2013).

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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The treatment of the issue of energy securityby The French White Paper 2013:the example of gas fields in the Easter Mediterranean

Alexander BARKHUDARYANTSUniversité Paris VIII

Although The White Paper 2013 considers the problems caused by the economic crisis since 2008 as encroaching on national sovereignty, it doesn’t take enough into account the issue of energy security. However, it is fundamental given the current economic and energy background in France. The following paper will expose this thesis throughout the example of the present geopolitical situation in the Eastern Mediterranean.

The White Paper 2013 doesn’t consider the issue of energy security and especially the possibility of access to competitively priced energy resources as a major challenge. Never-theless, the French energy bill for 2012 with its record of 68.7 billions euros exceeded the national trade deficit for the same year (67.2 billions euros).

In this way, the situation around the recently discovered gas fields in the Eastern Mediter-ranean is a good example. It is not mentioned by The White Paper while:

• These fields are potentially a source of natural gas for France and Europe. They also posses a series of advantages if compared to the hydrocarbon reserves of the France’s overseas departments and territories (partially mentioned in The White Paper). By contrast to the gas fields in the Eastern Mediterranean, in this latter case it is a ques-tion of non-proven, situated far from metropolitan France reserves, a possible use of which will sometimes be blocked by border disputes. In a similar geopolitical context, Israel had already extracted its first natural gas only four years after the discovery of Israeli offshore gas fields;

• Their geographical position next to Europe is strategic: it will avoid transiting of hydrocarbons by the Strait of Hormuz, the Suez Canal as well as by Russian pipe-lines. Besides, the very belonging of the fields to the Exclusive Economic Zones of politically stable states is also an asset;

• There is a risk of a local or regional conflict in which at least one French energy com-pany could be involved;

• The chronology of this discovery is identical to those of the international financial crisis and of the “Arab spring”. Yet, these two events are treated as crucial by The White Paper and justified its update.

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La cyberdéfense et la cybersécurité dans le Livre blanc de 2013 :une approche ambitieuse et réaliste des cybermenaces

François DELERUEJuriste, Institut universitaire européen

Cet article a pour objectif d’analyser et de commenter les différentes préconisations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 en matière de cybersecurité et de cyberdéfense. Le Livre blanc place la cyberdéfense et la cybersécurité au cœur des priorités stratégiques de la France. Il dresse un panorama réaliste et une classification pertinente des cybermenaces. Malgré un contexte économique difficile, il propose une stratégie ambi-tieuse pour y faire face, passant notamment par une évolution législative et réglementaire et une augmentation des moyens et personnels engagés dans la lutte contre les cybermenaces qui pèsent sur la France et ses entreprises. Le Livre blanc préconise notamment :

• l’adoption d’un nouveau dispositif législatif et réglementaire concernant la sécurité des opérateurs d’importances vitales ;

• un renforcement de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information ;

• le développement d’un volet offensif, en plus du volet défensif existant, pour la doc-trine française en matière de lutte contre les cybermenaces ;

• la création d’une composante cyberdéfense au sein de la réserve opérationnelle en complément de la réserve citoyenne cyberdéfense déjà existante.

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Cyber Defense and Cyber Security in The French White Paper 2013:an Ambitious and Realistic Approach of Cyber Threats

François DELERUEEuropean University Institute

This article is about cyber defense and cyber security in The French White Paper on Defense and National Security [Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale]. This White Paper, realised in 2013, places cyber defense and cyber security at the heart of the strategic priorities of France and provides a realistic overview and relevant classification of cyber threats. Despite a difficult economic climate, it offers an ambitious strategy, inclu-ding legislative and regulatory changes and a growth in financial resources and staffing engaged to fight cyber threats faced by France and French companies. The French White Paper on Defense and National Security recommends notably:

• The adoption of a new legal and regulatory framework for the security of operators of critical importance (Opérateurs d’importance vitale – OIV).

• Strengthening of the National Network and Information Security Agency (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information – Anssi).

• The development of an offensive component, in addition to the existing defensive component, for the French doctrine on cyber threats.

• The creation of a cyber component in the operational reserve in addition to the exis-ting cyber citizen reserve.

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Le principe de la souveraineté permanentesur les ressources naturelles dans le cadre du Livre blanc de 2013

Leticia SAKAIJuriste, université Paris I Panthéon-Sorbonne

Nous examinons dans cette contribution la question du principe de la souveraineté per-manente de l’État sur les ressources naturelles et ses enjeux actuel. Nous discuterons ici la manière dont ce sujet est traité dans le cadre de la défense nationale et plus particulière-ment, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013. À ce propos, nous allons diviser ce travail en quatre parties. Premièrement, nous allons traiter du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles et de sa consécration en tant que principe du droit international (I), pour parler, ensuite, de la mission de la défense nationale en ce qui concerne les ressources naturelles (II). Par la suite, nous discuterons de la manière dont la question des ressources naturelles est présentée dans le Livre blanc 2013 (III), pour finalement conclure (IV).

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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The principle of permanent sovereignty over natural resources in The French White Paper 2013

Leticia SAKAIUniversité Paris I Panthéon- Sorbonne

In this article, the objective is to analyse the principle of permanent sovereignty over natural resources and its contemporaneous issues. The discussion will be focus on the way by which this principle of International Law is considered in the perspective of the National Defence and specially, in The 2013 White Paper on Defence and National Security. Firstly the principle of permanent sovereignty over natural resources and its consecration in Inter-national Law (I) and then, it will be considered the role of the National Defence about the natural resources issues (II). Thereafter, it will be analysed the way by which the natural resources issues are exposed in The 2013 White Paper (III), and finally, it is going to be presented the conclusion of this analysis (IV).

Le Livre bLanc Défense et sécurité nationaLe 2013

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La France face au risque de pandémie

Hélène DE POOTERJuriste, université Paris I Panthéon-Sorbonne

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 consacre des développements non négligeables aux pandémies en tant que facteur de crise majeure intervenant sur le territoire et auquel la stratégie de défense et de sécurité nationale doit pouvoir répondre en priorité. Afin de parvenir à ses objectifs et de donner corps aux orientations très générales indiquées dans le Livre blanc (enrayement dès l’origine des éruptions de maladies infec-tieuses et coordination internationale), la France devrait notamment :

• Achever la mise en œuvre du Règlement sanitaire international (2005), instrument obligatoire pour ses 195 États Parties, en particulier aux points d’entrée (ports, aéro-ports et postes-frontière) qui s’avèrent être le point faible de la France ;

• Mutualiser ses capacités de négociation de contrats d’achat de vaccins à l’échelle de l’Union européenne et soutenir le projet de directive relative aux menaces transfron-tières graves pour la santé voulue par le Parlement européen, afin de ne pas repro-duire les erreurs commises pendant la pandémie de grippe A (H1N1) ;

• Participer activement à l’élaboration des standards internationaux adoptés à l’Or-ganisation mondiale de la santé animale, puisque 60 % des maladies infectieuses humaines connues sont d’origine animale, de même que 75 % des maladies humaines émergentes.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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France facing the risk of global pandemia

Hélène DE POOTERUiversité Paris I Panthéon-Sorbonne

The 2013 French White Paper on Defence and National Security extensively acknowledges pandemics as a factor which could lead to a major crisis on its territory. France declares that its defence and national security strategy must respond to this risk in priority. The objectives of France are the early elimination of infectious diseases outbreaks as well as coordination. In order to reach these goals and give effects to the broad guidelines indi-cated in The White Paper, France should:

• Complete the implementation of the International Health Regulations (2005), in par-ticular at the points of entry (airports, ports, and ground crossings) since this is the weak point of France;

• Pool its capacities to negotiate contracts for the procurement of vaccines with the other UE Member States, and support the decision adopted by the European Par-liament on serious cross-border threats to health, in order to avoid repeating the mistakes made during the 2009 A (H1N1) pandemic

• Actively take part in the development of international standards adopted by the World Organisation for Animal Health, since 60 % of known human infectious diseases have their source in animals as do 75 % of emerging human diseases.

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La stabilité du Moyen-Orient à la lumière du Livre blanc de 2013 :une priorité stratégique de second plan pour la France

Bérénice MURGUEHistorienne, université Paris IV-Sorbonne

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 rappelle que la stabilité du Proche-Orient et du golfe Arabo-Persique demeure une "priorité en soi". Néanmoins, les analyses de la situation régionale faites par le Livre blanc se concentrent exclusivement sur la question iranienne. Ainsi, la rupture stratégique au Moyen-Orient, qui a fait suite au déclenchement des révoltes arabes, ne fait pas l’objet d’une attention particulière. À l’heure où les États-Unis réorientent une partie de leur effort militaire vers l’Asie-Pacifique, la France doit, plus que jamais, reprendre les efforts de son investissement stratégique dans la région arabe. Trois analyses spécifiques, correspondant à trois décalages de perceptions entre la réalité de la situation au Moyen-Orient et la description qu’en fait le Livre blanc, doivent être engagées :

Premier décalage : Les réalités de la situation au Moyen-Orient.• L’antagonisme entre chiites et sunnites : une nouvelle ligne de fracture intercommu-

nautaire et interconfessionnelle. • La militarisation des enjeux énergétiques en Méditerranée orientale ou la complexifi-

cation des relations entre Israël et le Liban. • Le conflit israélo-palestinien : point de tension en toile de fond des contestations

arabes.

Deuxième décalage : le triple désengagement américain de la scène méditerranéenne.• Sur le plan économique : vers l’indépendance énergétique.• Sur le plan politique : la réorientation des priorités géopolitiques américaines. • Sur le plan militaire : entre désengagement et tentation isolationniste.

Troisième décalage : l’émergence de nouveaux acteurs au Moyen-Orient. • La baisse de l’effort de défense des pays européens.• L’avènement d’un axe russochiite. • La France et le Royaume-Uni : vers une nécessaire réaffirmation stratégique.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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The stability of the Middle Eastin the light of The French White Paper 2013:a second-class strategic priority for France

Bérénice MURGUEParis-Sorbonne University

The 2013 White Paper on Defence and National Security reminds us that the stability of the Middle East and the Arab-Persian Gulf constitutes a priority in itself. However, the analysis of the regional situation, made in The White Paper, focus exclusively on the Iranian issue. Hence, the strategic break that occurred following the onset of the Arab revolutions does not seem to be the subject of particular attention. Whilst the United States re-directs part of its military effort towards the Asia-Pacific, France’s strategic investment in the Arab region has to be considered now more than ever before. There are three specific analyses that need to be undertaken, which correspond to the three differences of percep-tion between the reality of the situation in the Middle East and the description provided by The White Paper:

First discrepancy: the realities of the situation in the Middle East.• The antagonism between the Sunnis and the Shias: a new inter-communal and secta-

rian fault line. • The militarization of energy issues in the Eastern Mediterranean region: further com-

plicating relations between Israel and Lebanon. • The Israeli-Palestinian conflict: the tension between the two states, which has in

essence provided a background in fuelling the Arab revolutions.

Second discrepancy: the triple American withdrawal from the Mediterranean scene.• On the economic front: towards energy independence.• On the political front: the re-direction of American geopolitical priorities. • On the military front: between withdrawal and isolationist temptation.

Third discrepancy: the emergence of new actors in the Middle East and Mediterranean region.

• The decline of European defense efforts. • The advent of a Russian-Shia axis. • France and the United Kingdom: towards a necessary strategic re-assertion.

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Le déclassement stratégique français et européenen Asie-Pacifique

Antoine BONDAZPolitiste, Sciences Po Paris

“The Mediterranean is the ocean of the past, the Atlantic is the ocean of the present,

and the Pacific is the ocean of the future” John Hay, Secretary of State of the USA (1898-1905)

L’Asie-Pacifique est le nouvel "épicentre de la confrontation stratégique mondiale" du fait notamment de l’impact de l’émergence chinoise, du repositionnement américain ou encore de problèmes de sécurité traditionnels et non traditionnels. La France et l’Union euro-péenne manquent aujourd’hui d’une stratégie claire et cohérente vis-à-vis de l’Asie-Paci-fique et courent le risque du déclassement.

• La recherche stratégique sur l’Asie-Pacifique est quasi inexistante en France. La France doit non seulement favoriser la recherche stratégique, mais également assurer une meilleure coordination entre celle-ci et la prise de décision politique afin de contribuer à l’élaboration d’une stratégie nationale pour l’Asie-Pacifique.

• La Chine est un acteur incontournable de l’Asie-Pacifique et n’est pas une menace sécuritaire pour les pays européens. Paris et Bruxelles doivent développer une stra-tégie de coopération avec Pékin tout en l’insérant dans une logique de compétition structurelle.

• La France et l’Union européenne doivent à tout prix éviter tant de se laisser dépasser par le couple sino-américain, au risque d’une perte d’influence globale, que de se laisser enfermer dans la compétition sino-américaine, notamment en s’alignant sur l’un des deux États.

• La péninsule coréenne est dans une impasse diplomatique menant à son impossible dénucléarisation. La France et l’Union européenne ne sont pas des acteurs de premier plan dans la péninsule, mais peuvent jouer un rôle de médiation et d’intermédiaire pour favoriser la négociation internationale.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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France and the EU,strategic downgraded powers of the Asia-Pacific

Antoine BONDAZSciences Po Paris

“The Mediterranean is the ocean of the past, the Atlantic is the ocean of the present,

and the Pacific is the ocean of the future” John Hay, Secretary of State of the USA (1898-1905)

The Asia-Pacific region has become the epicenter of global strategic confrontation due partly to the rise of China, the rebalancing strategy of the USA and persisting traditional and non-traditional security issues. France and the European Union lack a coherent and clear strategy towards Asia-Pacific and may turn into fully strategic downgraded powers in the region.

• Strategic research on Asia-Pacific is insufficient in France. France should not only enhance its strategic research capabilities but also facilitate a better coordination between such strategic research and the policy decision making process in order to help adopt a coherent strategy towards Asia-Pacific.

• China has become the main actor in Asia-Pacific. Contrary to the USSR, China is not a threat to the security of the Europeans. Paris and Brussels should adopt a coopera-tive strategy towards Beijing through a framework of structural competition.

• France and the European Union must avoid either to be outpaced by the Sino-Ame-rican relationship; this would lead to a loss of our global influence, or to get stuck in the Sino-US competition, simply bandwagoning on the USA.

• The Korean peninsula is in a diplomatic deadlock which if left in its current state would face a more unlikely denuclearization situation. France and the European Union are not major actors in the peninsula, and even less so in the general strategic field. Nonetheless, Paris and Brussels could be useful mediators, playing the role of honest brokers, facilitating international negotiation.

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Plaidoirie pour un réengagement français et européenen Asie du Sud-Est

Eugénie MERIEAUPolitiste, Institut national des langues et civilisations orientales

Cette contribution part d’un constat simple : l’Union européenne et la France sont peu pré-sentes en Asie du Sud-Est, en dépit des accessions récentes de la France (2007) et de l’Union européenne (2009) au Traité d’Amitié et de Coopération (TAC), premier traité de coopé-ration en Asie du Sud-Est signé en 1976. Dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, ainsi que dans d’autres documents de réflexion stratégique, la France et l’Union européenne affichent une nette résignation face au déploiement de la puissance américaine sur la zone. Cet article plaide pour l’inversion de cette tendance, et ce, pour trois raisons.

• Premièrement, l’Asie du Sud-Est (ASE) est une zone dynamique dont l’organisation régionale, l’Asean, constitue le principal moteur de la diplomatie en Asie orientale. L’importance stratégique de l’ASE est accentuée par le développement sur son terri-toire de menaces non traditionnelles (trafics internationaux, terrorisme) et tradition-nelles (instabilité régionale aggravée par l’absence de mécanisme régional de pré-vention des crises). En cas de crise régionale ou nationale, l’expertise européenne en matière de gestion de crise, de renforcement de l’État de droit dans le cadre de la réforme des secteurs de sécurité (RSS) pourrait être mise à profit – d’autant plus que l’Union européenne est attendue en ASE pour jouer le rôle de balancier entre les grandes puissances chinoises et américaines, rôle rendu nécessaire par l’exigence de multipolarité chère aux nations asiatiques.

• L’Union européenne est également appelée à jouer le rôle de modèle d’intégration régionale pour l’Asean, rôle dont elle pourrait tirer des bénéfices politiques et éco-nomiques.

• Enfin, la France possède des intérêts strictement nationaux qui devraient la pousser à amorcer un réengagement en Asie du Sud-Est, qu’il s’agisse de la protection de sa propre population expatriée ou d’intérêts culturels et économiques.

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Plea for a French and European Commitmentto South-East Asia

Eugénie MERIEAUInstitut national des langues et civilisations orientales

This paper is based on the following observation: the European Union and France are still minor players in Southeast Asia, despite their recent ratification to the Treaty of Amity and Cooperation (TAC), the 1976 core cooperation treaty in Southeast Asia. In The 2013 Defense White Paper, France seems to willingly relinquish its power to the United States in Southeast Asia, while affirming that European efforts must be directed toward Africa. This paper argues that European and French diplomacy toward Southeast Asia must not be neglected for at least three reasons.

• Firstly, Southeast Asia is a key region between India and China, and its regional orga-nization Asean is the driving force behind East Asian diplomacy as a whole. Many international security concerns are at stake in this region, namely non-traditional threats such as terrorism and trafficking, and traditional threats such as regional instability and the lack of regional mechanisms of conflict prevention. In case of a regional or national crisis, European expertise regarding crisis management, Rule of law, capacity-building and Security Sector Reform (SSR) will be much needed.

• Secondly, the European Union could become a key strategic player in Southeast Asia, as a counterweight to US and Chinese superpowers. Secondly, the European Union could benefit – economically and politically- from its growing role of regional inte-gration model for Asean.

• Lastly, France should consider reinforcing its presence in Southeast Asia, as French expatriate population and business interests are fast growing in the region.

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La France et l’Inde : convergence d’intérêtspour deux États en quête de puissance au XXIe siècle

Solène SOOSAITHASANPolitiste, université Lille 2

Le XXIe siècle sera surement le siècle asiatique. L’émergence voire plutôt la renaissance de la Chine est indéniable. Toutefois, il serait imprudent d’oublier le rôle de l’Inde en Asie et dans les relations internationales. Les puissances occidentales se perçoivent elles-mêmes et sont perçues par les émergents comme des puissances en déclin. De ce fait, le système international semble se transformer progressivement sous l’influence de ces puissances montantes qui veulent se faire une place, provoquant la plupart du temps la peur des élites dirigeantes et des populations des États jusqu’à présent les plus développés. La région de l’océan Indien autour de l’Inde constitue une focale de croissance. Comme le montre le Livre blanc, la France et l’Inde collaborent déjà activement depuis au moins quelques années. Il s’agira toutefois de montrer pourquoi un tel partenariat est nécessaire et doit être renforcé. L’une des pistes que l’on suivra au cours de cet article consiste à montrer que la France et l’Inde sont des États en quête de puissance. Or, dans un système international en constante évolution, certains États trouveront peut-être le moyen de rester ou d’entrer dans le club des puissances ayant un poids effectif sur la scène internationale. D’une part, la France cherche à sauvegarder sa position actuelle dans l’ordre international tandis que d’autre part, l’Inde cherche à occuper une place de choix. De quelle manière s’expriment les intérêts communs qui réunissent la France et l’Inde dans leur quête mutuelle de puissance ?

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France and India: convergence in the interests of two powers in quest of power in the XXIst century

Solène SOOSAITHASANUniversité Lille 2

The XXIst century will surely be “the Asian Century”. The rising China is on the way to have a very important impact on the international arena. However, it is not wise to forget the influence of India in Asia and in the international relations. The western coun-tries perceive themselves and are perceived as declining powers. In fact, the international system seems to be renewed step by step under the influence of the rising powers which want also a place from the inside. By the way, it can generate fear and frustration among the elites and the populations of the most developed states. The Indian Ocean shows a spectacular rising. And as The French Defense White Paper states, India and France are already active partners since a few years. Therefore, it is important to demonstrate why such a partnership is necessary and need to be strengthened. My main analysis consists on analyzing how India and France are in quest for power. France tries to keep its power whereas India wants to be recognized as an important rising Power but their interests are converging. In the international system which experiments a constantly rapid evolution, a few States will perhaps find the way to stay or to enter in the very elitist club of powers. And these powers will have an effective weight on the international policies.

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La France face à l’émergence de la puissance chinoise en Afrique

David BENAZERAFGéographe, université Paris I Panthéon-Sorbonne

« Je m’adresse d’abord aux miens pour qu’ils comprennent. L’Afrique de plus en plus se fera d’elle-même. À nous de faire qu’elle ne se fasse pas contre nous. »

Dominique Decherf, ancien ambassadeur de France

Cette contribution entend revisiter à l’aune des relations sino-africaines la vision de la Chine esquissée dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Elle entend mon-trer que la Chine développe une influence croissante sur le continent africain, en termes de Soft Power, mais aussi de transferts d’expertise et d’idées ou de coopération militaire accrue. Au-delà des échanges économiques et de l’exploitation des ressources naturelles, la coopération Chine-Afrique contribue aux transferts d’idées et de savoirs, et interroge l’ar-chitecture internationale de l’aide au développement. Les principes chinois d’intervention sont présentés par les différents acteurs comme tout aussi légitimes que les valeurs occiden-tales. Le renforcement des relations Sud-Sud voit émerger de nouvelles centralités en dehors de la sphère occidentale, notamment avec la hausse relative du poids des pays émergents et en particulier des Brics. Les conséquences pour la France sont autant économiques du point de vue des entreprises intervenant en Afrique, géopolitiques pour les acteurs de l’aide au développement, ou encore culturelles en ce qui concerne la montée en puissance pro-bable de la langue chinoise. Des pistes en matière de coopération avec la Chine et les pays émergents seront esquissées.

• Sur le plan diplomatique, la Chine a réuni 44 pays africains dès le premier Forum sur la Coopération sino-africaine (Focac) en 2000 ;

• La coopération militaire constitue un axe majeur de la politique africaine de la Chine ;

• La Chine accroit son influence linguistique à travers 31 Instituts Confucius implantés dans 22 pays du continent (voir la carte) ;

• De nouveaux secteurs d’influence se développent rapidement : ingénierie, immobilier, urbanisme, vente en gros et au détail pour l’écoulement de produits chinois, etc. ;

• Par ses modalités de coopération, la Chine questionne l’architecture internationale de l’aide au développement ;

• Certains courants en Chine estiment que le modèle de développement chinois est plus adapté que les valeurs occidentales pour les pays en développement.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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France faces China’s growing influence in Africa

David BENAZERAFUniversité Paris I Panthéon-Sorbonne

This paper will question the way The White Paper on Defense and National Security per-ceives China in the light of China-Africa relations. It aims at showing that China is develo-ping influence in Africa, as far as soft power, transfers of expertise, or ideas, and military cooperation are concerned. Beyond economic relations and natural resources trade, Chi-na-Africa cooperation contributes to the transfers of ideas and knowledge. It questions the international architecture of development aid. Chinese principles pretend to be as legiti-mate as western values. The strengthening of South-South relations contributes to the rise of new centralities which do not belong to the western sphere, in particular due to the increase of emerging countries relative weight. The consequences for France are economic for French companies, geopolitical for development aid stakeholders, and cultural as far as the rise of Chinese language is concerned. Trails for cooperation with China and emerging countries will be drawn in the paper.

• On the diplomatic level, China succeeded in gathering 44 African countries for the 1st Forum of China-Africa Cooperation (Focac) in 2000;

• Military cooperation represent a major axis of China African policy;

• China raises its linguistic influence through 31 Confucius in 22 African countries (see map);

• New sectors of influence are developing fast: engineering, real estate, urban develop-ment, retail and wholesale growth, etc.;

• The Chinese modalities of ‘cooperation’ question the international architecture of development aid;

• Some currents in China believe the Chinese model of development is more suitable for developing countries than the western model.

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RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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Biographiesdes contributeurs

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Alexander BARkHUDARyANTS [email protected]

Alexander Barkhudaryants est doctorant en deuxième année à l’Ins-titut français de géopolitique, université Paris VIII. Sa thèse intitulée La Russie au Moyen-Orient : le remaniement de l’échiquier géopoli-tique après le "Printemps arabe" s’articule autour de trois grandes problématiques : les enjeux de la politique extérieure russe au Moyen-

Orient dans le contexte des événements du "Printemps arabe", les rivalités géopolitiques autour de l’exploitation des gisements gaziers récemment découverts en Méditerranée orientale et le rôle des diasporas russophones du Moyen-Orient dans les relations qu’entre-tient Moscou avec les acteurs de la région. Il a obtenu un master 2 en géopolitique à l’IFG et prépare une licence de langue arabe à l’Inalco.

• Barkhudaryants Alexander, "L’enjeu de la gestion de la migration clandestine en prove-nance du Sahel : exemple des stratégies espagnole et européenne", Revue Averroès, n° 7.

• Cartes dans Loyer Barbara, "Les crises géopolitiques et leur cartographie", Hérodote, 2012/3, n° 146-147, pp. 90-107.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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David [email protected]

Diplômé de Sciences Po (2006), David Bénazéraf finalise son doctorat sur les productions urbaines chinoises dans les villes africaines. Ses recherches analysent les stratégies des entreprises chinoises en Afrique et décryptent l’émergence d’un Soft Power chinois sur le continent. Associé au Centre for Chinese Studies (Stellenbosch University) en Afrique du Sud, David Bénazéraf a été sélectionné par l’IHEDN pour le programme de sou-tien aux doctorants et contribue à la revue China Analysis d’Asia Centre. Il a effectué plu-sieurs séjours de terrain en Chine, au Kenya, au Rwanda, en Afrique du Sud et en Angola.

Parlant le mandarin après plusieurs passées en Chine, David Bénazéraf a forgé son exper-tise du pays au sein de structures chinoises (Institut d’urbanisme de Tsinghua) et françaises (Ambassade de France à Pékin). Il intervient aujourd’hui pour des médias spécialisés sur la Chine et accompagne des entreprises françaises sur les marchés émergents. Il est également titulaire d’un master de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne en géographie des pays émergents et en développement (2007).

Publications récentes

• Benazeraf David (actes à paraître), “China Cooperation Towards African Cities Development, Real Estate Construction by Chinese Companies in Nairobi”, Annual conference of the International Geographical Union – Urban Geography Commis-sion, Johannesburg and Stellenbosch, Afrique du Sud, 2014.

• Benazeraf David, “China in Africa: towards obscure transparency?”, CCS Commentary, Centre for Chinese Studies, Stellenbosch University (Afrique du Sud), novembre 2013.

• Benazeraf David, "Le glissement à l’Est : vers une Banque mondiale des Brics", China Analysis, n° 45, octobre 2013.

• Benazeraf David, "Chine-Afrique : un nouveau modèle de coopération", Sciences humaines, n° 233, janvier 2012.

• Benazeraf David, "Les urbanistes chinois à la conquête des villes africaines", China Analysis, n° 36, février 2012, pp. 23-27.

• Benazeraf David, "Pékin tourne le dos à ses rues ? Les résidences d’habitations dans l’armature urbaine de la capitale chinoise", ÉchoGéo, numéro 12, mai 2010.

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Antoine [email protected]

Antoine Bondaz est doctorant à Sciences Po Paris sous la direction des professeurs François Godement et Dario Battistella. Ses recherches portent sur la théorie des relations internationales, les questions de sécurité en Asie du Nord-Est, la politique étrangère chinoise et la relation entre la Chine et la péninsule coréenne. Il a participé à deux

sections thématiques lors du Congrès 2013 de l’Association française de sciences politiques (AFSP).

Il est rattaché au Centre d’études et de recherches internationales (Sciences Po/Ceri) et à l’Institut de recherches stratégique de l’École militaire (Irsem). Il est allocataire de recherche du CNRS (2011-2014) et financé par la Direction générale de l’armement (DGA). Il est lau-réat de l’IHEDN et de la Fondation de France, deux années consécutives (2012 et 2013). Chargé du programme Corée et assistant de recherche au sein d’Asia Centre à Paris, il est visiting scholar à l’antenne chinoise du Carnegie Endowment for International Peace, au sein de l’université Tsinghua à Pékin. Il est invited visiting fellow au Ilmin International Relations Institute à Séoul, au sein de Korea University, à Séoul.

Il est intervenu dans divers médias dont Le Monde, Le Figaro, France 24, France Culture et CCTV9. Il a enseigné notamment à l’ENS, l’IHEDN, Tsinghua University (清华大学), China’s Women University (中华女子学院), Korea University (고려대학교) et Hufs (한국 외국어 대학교).

Parmi ses récentes publications :

• Bondaz Antoine, "La pensée stratégique des deux Corées", Études stratégiques, note de recherche stratégique, Irsem, décembre 2013.

• Bondaz Antoine, "L’Asie du Sud-Est, nouveau proxy de compétition sino-améri-caine", Dynamiques internationales, n° 9, décembre 2013.

• Bondaz Antoine, “Reassessing China-North Korea relations” and “Syria and China’s international engagement”, China Analysis, European Council on Foreign Relations, October 2013.

• Bondaz Antoine, “A New direction for China’s North Korea policy”, Carnegie Endowment for International Peace, August 2013.

• Bondaz Antoine et Trigkas Vasilis, “Caution can avert downward spiral in Sino-EU trade ties”, Global Times, June 13, 2013.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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Jérôme [email protected]

Jérôme Clerget est doctorant en histoire des relations internationales depuis 2012, sous la direction du professeur Jean-Christophe Romer. Il est diplômé d’un master en administration publique de l’Institut d’études politiques de Strasbourg (2009) et d’un master en histoire des relations internationales de l’Institut des hautes études européennes (2012). Il appartient au Laboratoire Fare (Frontières, acteurs, représentations de l’Europe) qui regroupe les chercheurs de l’Institut d’études politiques de Strasbourg travaillant dans le domaine des relations internationales et des études européennes. Il est également rat-taché, depuis 2013, à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) et fait partie des lauréats du soutien aux doctorants de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Ses recherches portent sur la constitution d’une culture stratégique européenne, sur l’histoire de l’Europe de la défense, sur les questions stratégiques dans la zone transatlantique et eurasiatique, et sur les relations entre les organisations européennes compétentes pour les questions de sécurité.

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François [email protected]

François Delerue est doctorant en droit international à l’Institut uni-versitaire européen (IUE – Florence, Italie). Ses recherches portent sur l’application du droit international à la cyberguerre et la cyber-sécurité. Il est lauréat du programme de soutien aux doctorants de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), doctorant

rattaché à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) et participe aux séminaires jeunes chercheurs de la chaire Castex de cyberstratégie. Il est membre du bureau éditorial et responsable de la section droit international de l’European Journal of Legal Studies (EJLS). Il est diplômé du LL.M. in Comparative European and International Law (2013) de l’IUE et du master recherche en droit international et organisations internatio-nales (2011) de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il est également auditeur de la 62e session jeune des séminaires de l’IHEDN (Marly-le-Roi, 2009).

• Delerue François (à paraître), "Le statut de l’Union européenne devant l’Assemblée générale après la résolution 65/276 du 10 mai 2011 : une nouvelle catégorie d’obser-vateurs ?", in D. Simon, Actualités des relations entre l’Union européenne et l’Or-ganisation des Nations unies : coopération, tensions, subsidiarité ?, Paris, Pedone, Iredies, collection "Perspectives internationales", 2013.

• Delerue François, “The French Twitter Case: a difficult equilibrium between freedom of expression and its limits”, Digital Evidence and Electronic Signature Law Review, vol. 10, 2013, pp. 193-197.

RegaRds des doctoRants de l’IHedn

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Hélène DE [email protected]

Hélène De Pooter est docteur en droit public de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialisée en droit international public. Elle est attachée temporaire d’enseignement et de recherche (Ater) à l’École de droit de la Sorbonne. Après un master 2 de droit international et organisations internationales (université Paris I Panthéon-Sorbonne) et un LL.M. (Université de Leiden, Pays-Bas), elle entreprend la rédaction d’une thèse sous la direction du professeur Pierre Michel Eisemann. La thèse, soutenue en décembre 2013, est intitulée Le droit international face aux pandémies : vers un système de sécurité sani-taire collective ?. Hélène De Pooter y analyse les instruments juridiques internationaux de lutte contre les pandémies et l’action des organisations intergouvernementales telles l’Or-ganisation mondiale de la santé, l’Organisation des Nations unies, l’Organisation mondiale du commerce ou encore l’Organisation mondiale de la santé animale. Hélène De Pooter a bénéficié du soutien de l’IHEDN en 2011, 2012 et 2013. Sa thèse a reçu le Prix scientifique de thèse 2013 de l’IHEDN.

• De Pooter Hélène, Le droit international face aux pandémies : vers un système de sécurité sanitaire collective ?, Thèse de doctorat en droit public, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, xii-649 p.

• De Pooter Hélène (à paraître), "Répartition des espaces et exploitation des ressources en Arctique", Aquilon (Bulletin de liaison de l’Association des internationalistes), n° 11.

• De Pooter Hélène, "Les conséquences juridiques des transformations physiques de l’Arctique", Aquilon (Bulletin de liaison de l’Association des internationalistes), n° 1, juillet 2010, pp. 5-12.

• De Pooter Hélène, “The obligation to prevent genocide: a large shell yet to be filled”, Annuaire africain de droit international, vol. 17, 2009, pp. 287-320.

• De Pooter Hélène, L’emprise des États côtiers sur l’Arctique, Paris, Pedone (coll. de l’Indemer), 2009, 200 p.

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Clara [email protected]

Clara Egger est doctorante contractuelle enseignante à Sciences Po Grenoble, au sein du laboratoire Pacte. Ses travaux de thèse portent sur l’étude des relations interorganisationnelles lors de la mise en œuvre d’opérations de gestion de crise dites globales en Afghanistan, au Kosovo et en Somalie. Elle prend part également à un projet de

recherche collectif sur les préférences des puissances émergentes lors des négociations sur l’architecture de l’aide internationale. Membre du groupe de recherche sur l’action multila-térale de l’AFSP, elle coordonne le séminaire "Organisation internationale" du laboratoire Pacte. Clara Egger est lauréate du soutien financier aux doctorants de la Fondation de France pour 2013 et est rattachée à l’Institut des hautes études de défense nationale et à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Elle a été chercheuse invitée à l’uni-versité Friedrich Schiller de Jena et à l’Institut de recherche sur l’Afrique à Nairobi.

• Egger Clara (à paraître), "L’encadrement du recours à la force et le concept de "Pro-tection responsable" : ce que l’opération Unified Protector a changé", note, Centre interarmées de concepts, doctrine et d’expérimentations.

• Egger Clara, "L’Union fait la force ? L’UE comme source de coopération en réseau. Le cas de Voice", Études internationales, volume 44, n° 1, pp. 5-24, 2013.

• Egger Clara, "L’influence des réseaux d’ONG sur la politique étrangère européenne", Irsem, Lettres de l’Irsem, n° 3, 2013.

• Egger Clara, Situation des personnes en handicapées dans les pays en développement : sensibiliser les acteurs de la solidarité internationale, Handicap International, 2009.

• Egger Clara, Gudefin Caroline, Guide Pratique. Réaliser une action de sensibilisation à la situation des personnes handicapées, Handicap International, direction de la coopération du ministère des Affaires étrangères du Grand-Duché de Luxembourg, 2009.

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Eugénie MÉ[email protected]

Actuellement doctorante à l’Inalco sous la direction de Marie Sybille de Vienne, Eugénie Mérieau est diplômée de cette même institution en siamois ainsi que de Sciences Po en affaires internationales – sécurité internationale. Lauréate de l’IHEDN, de la Fondation de France, et rattachée à l’Irsem depuis 2013, Eugénie Mérieau est depuis 2009 chercheur associée au King Prajadhipok’s Institute, institut de recherche public en droit et politique comparée établi à Bangkok, en Thailande. Sa thèse porte sur le rôle de la Cour constitutionnelle dans la crise politique thaïlandaise.

• Mérieau Eugénie and Albritton Bob (eds.) (à paraître), Thai electoral politics after the 2006 coup, Silkworm Books, Chiang Maï, Thaïlande, 2014.

• Mérieau Eugénie, Les Chemises rouges de Thaïlande, Collection "Carnet de l’Irasec", n° 23, Bangkok, juillet 2013, 168 p.

• Mérieau Eugénie, ความปรองดองแห่งชาติ (La réconciliation nationale en Thaïlande), 2013, 543 p.

• Mérieau Eugénie, "Réconciliation nationale et amnistie en Thaïlande", Péninsules, n° 66, septembre 2013.

• Mérieau Eugénie, "Amnistie et réconciliation nationale en Thaïlande", Florilège stra-tégique de l’IHEDN, 18 p., 2013.

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Bérénice [email protected]

Bérénice Murgue est doctorante contractuelle en histoire des rela-tions internationales à l’université Paris IV-Sorbonne sous la direc-tion d’Olivier Forcade et de Jacques Frémeaux. Sa thèse porte sur le rôle des autorités politiques et diplomatiques françaises, en matière de défense et de sécurité, dans la résolution de la question libanaise

depuis 1975. Elle est lauréate du programme de soutien financier de la Fondation de France et, à ce titre, membre du comité doctoral de l’IHEDN en 2012 et 2013. Bérénice collabore avec le journaliste Antoine Sfeir aux Cahiers de l’Orient depuis 2010. Elle est diplômée en études politiques du Proche-Orient, ainsi qu’en études internationales et diplomatiques, de la School of Oriental and African Studies (Soas) à l’université de Londres. Issue d’une formation en sciences politiques, Bérénice a débuté sa formation sur le monde arabe à l’Ins-titut d’études politiques de Lyon. Ancienne stagiaire de l’ambassade de France au Liban, Bérénice est arabophone.

• Murgue, Bérénice (à paraître), "Il y a trente ans, Drakkar explosait / De 1983 à 2013 : retour sur trente années de stratégie française au Liban et au Moyen-Orient", Les Cahiers de l’Orient, 2014.

• Murgue, Bérénice, “Paving the way: Will constitutional reform in Morocco herald gender equality?”, The Majalla, Humanity section, October 2011.

• Murgue, Bérénice, "La Moudawana : les dessous d’une réforme sans précédent", Les Cahiers de l’Orient, n° 102, "Les résistances marocaines", Société d’édition des revues (SER), Paris, printemps 2011.

• Murgue, Bérénice, rédaction en collaboration avec Antoine Sfeir, de la préface de l’ouvrage Un été de feu au Liban, 2006 : les coulisses d’un conflit annoncé, général Alain Pellegrini, Coll. "Guerres et guerriers", Economica, Paris, décembre 2010.

• Murgue, Bérénice, "La France a les moyens d’être l’architecte de la sécurité au Liban", L’Orient-Le Jour, Liban, novembre 2010.

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Leticia [email protected]

Doctorante en droit international et européen à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, Leticia Sakai est lauréate 2012 et 2013 du sou-tien financier aux doctorants par l’Institut des hautes études de la défense nationale de la France. L’auteur a obtenu un baccalauréat+5 de droit à l’université de São Paulo en 2006 et un second master 2 "Recherche en droit international et organisations internationales" à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne en 2009. Elle était alors "boursière d’excellence" du ministère des Affaires étrangères de la France. Depuis 2007, elle est avocate au barreau de la province de São Paulo au Brésil, a contribué aux travaux de la délégation brésilienne pour les Nations unies à Genève et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies à Genève.

• Sakai Leticia (à paraître), "La diversité culturelle est-elle à l’abri de la protection internationale des droits de l’homme ? – une analyse de la jurisprudence des cours des droits de l’homme", Revue québécoise de droit international, 2014.

• Sakai Leticia, “A Hidrelétrica de Belo Monte: reflexões sobre a exploração de recursos naturais sob a perspectiva do Direito Internacional e dos Direitos Humanos”, Revista do Instituto Brasileiro de Direitos Humanos (Revue de l’Institut brésilien des droits de l’homme), vol. 12, 2013.

• Sakai Leticia, “Building Effective Tools for the Prevention of Torture Worldwide”, Le Petit Juriste, Paris, 17 mars 2013.

• Sakai Leticia, “A reflection on the human rights defenders’ issues”, Le Petit Juriste, Paris, 9 mars 2013.

• Sakai Leticia, "Les Immunités des États – vers un processus d’érosion ?", édition spéciale 2009, Passages de Paris, Paris, pp. 37-59.

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Arnaud [email protected]

Arnaud Siad est doctorant en relations internationales à Sciences Po Paris/Ceri. Avant de rejoindre Sciences Po, il a travaillé pour le minis-tère de l’Économie et des Finances (2009-2010) en tant que directeur d’une chambre de commerce binationale, et pour l’Otan (2012) en tant que consultant.

Il prépare depuis 2012 une thèse sur le concept de la responsabilité de protéger, sous la direction de Bertrand Badie à Sciences Po. Sa thèse fait l’objet d’un soutien financier de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Ses intérêts se concentrent sur les points d’interaction entre le droit international et la science politique, en particulier les questions du recours à la force, le concept de souveraineté étatique, et le rôle du Conseil de sécurité dans un contexte de défiance de sa structure et composition.

En parallèle de sa thèse, Arnaud Siad est également chercheur pour le United States Holo-caust Memorial Museum, dans le cadre de travaux sur les génocides au Rwanda et en Bosnie.

Il est titulaire d’une licence en sciences politiques, philosophie et économie de l’université de Bifröst (Islande) et d’une maîtrise en relations internationales de la London School of Economics (Royaume-Uni).

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Solène [email protected]

Solène Soosaithasan est doctorante en science politique, spécialité relations internationales à l’université Lille 2 Droit et Santé / Ceraps (Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales). Ses travaux de thèse portent sur les thématiques du pro-cessus de pacification et de violence, sur la reconnaissance et/ou le déni entre décideurs politiques et militaires ainsi que sur le lien complexe entre l’inter-national et le domestique. Elle étudie les relations entre l’Inde et le Sri Lanka. Elle est également diplômée d’un master recherche d’histoire contemporaine, spécialité "Histoire de l’Asie" (2010-2012) de l’université Paris I Panthéon Sorbonne / Chac (Centre d’histoire de l’Asie contemporaine), au sein de l’Institut Pierre Renouvin. Elle est membre active du Gerci (Groupe d’études et de recherches sur les conflictualités internationales) sous l’égide du professeur Thomas Lindemann. Lauréate du programme de soutien de la Fondation de France / Pierre Ledoux en 2011 et du programme de soutien moral et financier de l’IHEDN en 2012 et 2013, elle est également doctorante rattachée à l’Irsem. Elle a par ailleurs pré-senté ses travaux au cours de sessions thématiques du congrès de l’Association française de science politique (AFSP) en 2011 puis en 2013 ainsi que lors de colloques étrangers comme la British Association for South Asian Studies (Basas) en 2011 et 2012 devant des chercheurs britanniques et anglophones spécialistes de l’Asie du Sud.

• Soosaithasan Solène (à paraître), "Entre guerre(s) et paix : l’art comme vecteur de légiti-mation de la violence des Tigres tamouls", in L’art comme indice et matrice des conflits armés (Direction Lindemann Thomas et Ramel Frédéric), Paris, L’Harmattan, 2014.

• Soosaithasan Solène (à paraître), "Les enjeux de la présence chinoise au Sri Lanka", in Actes de la journée d’études de l’Irsem sur la Chine (Direction Tertrais Hugues et Journoud Pierre), Paris, L’Harmattan, 2014.

• Soosaithasan Solène, "Les rapports de force entre l’Inde et la Chine à travers le prisme sri-lankais", Irsem, 26 mars 2013.

• Soosaithasan Solène, "Les relations stratégiques entre l’Inde, le Pakistan et l’Afgha-nistan", tribune n° 138, Revue Défense Nationale, mai 2012.

• Soosaithasan Solène, "Les relations stratégiques entre la Chine, l’Inde et le Pakistan", Revue Défense Nationale, n° 749, avril 2012.

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Institut des hautes étudesde défense nationale

Défense – Politique étrangère – Armement et économie de DéfenseFormer – Sensibiliser – Rayonner

Hier, l’histoire…

En 1948, l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) suc-cède au Collège des hautes études de défense nationale, fondé par l’amiral Castex en 1936. Cet institut de niveau gouvernemental a pour vocation de former de hauts fonctionnaires, civils et militaires, à la préparation et à la conduite de la guerre, dans une vision dépassant le seul cadre militaire.

L’IHEDN voit ensuite ses missions évoluer à l’aune de l’évolution de la doctrine de défense de la France. À partir de la Ve République, l’Institut devient le lieu d’explication d’une défense devenue globale et permanente. La priorité n’est plus de former des spécialistes, mais d’initier aux questions de défense des cadres de l’État et du secteur privé. Accomplissement d’une démarche menée sous l’égide du concept de défense globale, l’IHEDN est placé sous la tutelle du Premier ministre en 1979. Il devient le foyer du rayonnement de l’esprit de défense. En 1997, l’Institut des hautes études de défense nationale devient établissement public administratif, doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière.

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Ainsi, au fil des années, l’Institut s’est adapté à la nature de la guerre et aux exigences que celle-ci impose à la Nation dans un environnement qui s’internationalise. À la session nationale s’ajoutent des sessions en région (1954), des sessions internationales (1980), des cycles d’Intelligence éco-nomique (1995), des séminaires jeunes (1996), des séminaires ciblés et des activités de soutien à la recherche en matière de défense (1998). Il est l’un des précurseurs du Collège européen de sécurité et de défense (2004).

… aujourd’hui, un Institut rénové…

En 2008, l’ambition française de continuer à vivre libre et en paix dans un monde de puissances relatives en pleine restructuration, conduit à la définition du concept de sécurité nationale. L’objectif de cette stratégie est d’apporter des réponses à l’ensemble des risques et menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la Nation.

L’Institut, dont la nécessité est au demeurant renforcée par cette nou-velle donne, s’en trouve naturellement affecté. Il se réorganise en un pôle "Défense-Affaires étrangères" voulu par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié en 2008, se diversifie et s’ouvre au national et à l’international. Ses champs de compétences sont recentrés sur les questions de défense, de sécurité, de politique étrangère, d’armement et d’économie de défense.

Au mois de janvier 2010, l’Institut fusionne avec le Centre des hautes études de l’armement (CHEAr), contribue aux formations organisées par le ministère des Affaires étrangères (MAE) et se rapproche de l’Ins-titut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Conforté dans son identité, le nouvel IHEDN est un lieu de formation, de réflexion et de débats de haut niveau sur les questions stratégiques, ouvert sur le monde et ancré dans l’espace européen.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié en 2013, confirme le rôle majeur de plateforme interministérielle de l’IHEDN, de formation et de sensibilisation aux questions de défense et de sécurité nationale, sur l’ensemble du territoire national, tant auprès des dirigeants publics et privés, que des jeunes.

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Outil d’influence au service d’une responsabilité européenne et interna-tionale, l’Institut consolide également sa fonction d’appui à la recherche, pour le rayonnement de la pensée stratégique française.

Fort de son histoire, l’IHEDN inscrit pleinement son action dans sa mis-sion fondatrice de renforcement de la cohésion nationale par la promo-tion, dans la Nation, d’une culture de défense et de sécurité nationale.

… à la mission élargie…

Aux questions de défense, de politique étrangère, d’armement et d’éco-nomie de défense.

À ce titre, l’Institut réunit des responsables de haut niveau appartenant à la fonction publique civile et militaire ainsi qu’aux différents secteurs d’ac-tivité de la Nation, des États membres de l’Union européenne ou d’autres États, en vue d’approfondir en commun leur connaissance des questions de défense, de politique étrangère, d’armement et d’économie de défense.

En outre, il contribue à promouvoir et à diffuser toutes connaissances utiles sur ses trois champs disciplinaires. À cette fin, il coopère avec les autres organismes chargés de la diffusion des savoirs en matière de défense et de politique étrangère, notamment les universités et les centres de recherches.

Des formations nombreuses et adaptées

Depuis plus de soixante-quinze ans, par la diversité de ses formations et de ses auditeurs, civils et militaires, français et étrangers, l’IHEDN est un lieu de diffusion des savoirs, de sensibilisation et de rayonnement.

Selon leurs champs de compétences, ses formations se déclinent en sessions nationales "Politique de défense" et "Armement et économie de défense", en sessions régionales, en cours européens et en sessions internationales.

L’Institut organise également des séminaires ciblés qui s’adressent à des publics diversifiés, parlementaires, élus locaux, magistrats, préfets, jeunes de 20 à 30 ans, étudiants des universités et grandes écoles… ainsi que des

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formations thématiques comme l’Intelligence économique ou la gestion civilo-militaire des crises extérieures.

Chaque année, l’ensemble des actions de formation, de sensibilisation et autres activités de rayonnement de l’Institut concerne environ 10 000 auditeurs et participants.

Une pédagogie originale

D’une durée compatible avec l’exercice de responsabilités opérationnelles de haut niveau, les formations reposent sur un partage d’expériences entre hauts responsables issus du service public et de la société civile qui dépasse les segmentations socioprofessionnelles et nationales.

Cette pédagogie inductive se décline en trois axes :• les "travaux en comités" où se concrétise une riche complémentarité ;• les "conférences-débats" au cours desquelles s’expriment des interve-

nants de haut niveau ;• les "visites et missions d’études" sur le terrain qui permettent une

approche concrète de l’enseignement dispensé.

Des exercices de "mise en situation" de prise de décision dans un envi-ronnement stratégique et la rédaction collective de "notes de position" complètent cette pédagogie.

Les thèmes d’études sont définis à partir des domaines d’actualité traités sous l’angle de la politique de défense, de la politique étrangère, de la poli-tique d’armement et de l’économie de défense.

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La valorisation de la rechercheà l’IHEDN

Le soutien à la recherche

Il s’adresse aux étudiants inscrits dans une université française et ayant choisi de consacrer leurs travaux de recherche à des questions de défense, de relations internationales, d’armement et d’économie de défense. Les lauréats sont sélectionnés, sur envoi de leur dossier, par le conseil scientifique de l’IHEDN, composé d’universitaires et de personnalités qua-lifiées, présidé par le directeur de l’Institut.

Ce soutien se manifeste par la mise en œuvre de deux programmes annuels.

L’aide financière et pédagogique aux doctorants

Financée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité natio-nale (SGDSN) elle s’adresse aux étudiants inscrits en doctorat de sciences sociales. Les lauréats sélectionnés bénéficient, durant une année, d’un soutien financier dans le cadre duquel leurs frais de recherche, en parti-culier ceux qui concernent les séjours de terrain, sont pris en charge. Ils constituent, par ailleurs, une équipe de chercheurs au sein de l’Institut et sont, ainsi, appelés à se rencontrer périodiquement, afin d’échanger sur l’avancée de leurs travaux respectifs.

Les "Prix scientifiques" de l’IHEDN

Créés en 1998, ils récompensent les meilleurs travaux de recherche, mémoires de master 2 recherche et thèses de doctorat, soutenus dans l’année et qui font progresser les connaissances en matière de défense et de sécurité dans le domaine des sciences humaines et sociales.Les "Prix scientifiques" permettent ainsi d’encourager des étudiants à poursuivre sur la voie de la recherche scientifique.

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La valorisation de la recherche

L’Institut entend clarifier les concepts stratégiques et les grands enjeux poli-tiques et stratégiques contemporains, notamment par le biais de synthèses sur la pensée française et/ou étrangère. Par ailleurs, il publie des articles scientifiques émanant notamment de chercheurs sur son site Internet et diffuse les actes de certains colloques, ainsi que de certaines conférences et tables rondes.

Dans les domaines relevant de sa mission, l’Institut peut conduire, seul ou en coopération avec les instituts d’enseignement supérieur et de recherche (établissements d’enseignement supérieur, centres de recherche civils et militaires, institutions diverses), des études et des recherches, notamment dans les domaines relatifs aux contenus de ses formations. Il peut aussi apporter son concours aux ministères et aux établissements d’enseigne-ment supérieur.

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Remerciements

L’Institut des hautes études de défense nationale tient à remercier tout particulièrement les membres du jury scientifique de l’IHEDN pour leurs relectures attentives des contributions

Yves DoutriauxConseiller d’ÉtatPierre Michel EisemannProfesseur de droit public, université Paris I Panthéon-SorbonneDaniel LévineProfesseur d’histoire, université Paris IV-SorbonneHélène MassonMaître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, spécia-liste des questions d’armement et d’économie de défenseGénéral de corps aérien (2S) Pierre-Henri MatheMembre du comité exécutif de la Fondation Pierre Ledoux – Jeunesse internationale, sous l’égide de la Fondation de FranceColonel Laurent MichonReprésentant du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale Jean-Luc RacineDirecteur de recherche émérite au CNRS, Fondation Maison des sciences de l’homme

Ont également participé à la relecture attentive de cet ouvrage

Professeur Jean-Jacques RocheDirecteur de la formation, des études et de la recherche de l’IHEDNAntoine DubreuilChargé de valorisation de la recherche au bureau "Études et recherche" du département de la formation, des études et de la recherche de l’IHEDNThibauld Castillon du PerronChargé de publication, service communication de l’IHEDN

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Cet ouvrage est la preuve du dynamisme de l’Institut, de la confiance et de l’attachement qu’il porte aux jeunes chercheurs et à leurs recherches respectives. Il marque également la volonté des doctorants de s’impliquer dans divers projets, en parallèle de leur recherche doctorale, et de commu-niquer le plus largement possible.

Cet ouvrage collectif n’aurait pu être possible sans l’engagement direct de l’ensemble de l’Institut. Nos remerciements vont tout particulièrement au directeur de l’IHEDN, le général de corps d’armée Duquesne, au comité scientifique de l’IHEDN, ainsi qu’au chef du bureau "Études et recherche" du département de la formation des études et de la recherche, le lieute-nant-colonel Marie-Dominique Charlier et à Antoine Dubreuil, chargé de valorisation de la recherche au bureau "Études et recherches" du départe-ment de la formation, des études et de la recherche, pour leur implication et leur soutien.

Antoine BONDAZDoctorant responsable de la coordination étudiante du projet

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