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Rejoignez les Editions Addictives sur les réseaux sociaux et ...ekladata.com/0TwSHkp9H2ZxPpnFQSZ4KCC_HP4/TAYLOR-Hannah...somme d’argent et avoir le temps d’étudier. J’étais

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  • Hannah Taylor

  • JE SUIS À TOI

    Épisode 6

  • 1. Parole fragile

    Cette femme n’est donc pas sa mère ?

    Je ne comprends plus rien ! Certes, nous n’avions aucune preuve, mais enfin tous ces indices : lescadres photo, les coupures de presse, le début de la conversation…

    Et enfin l’aveu final : « Milton, je ne suis pas ta mère. » Ces milliers de kilomètres parcourus, cebout du monde atteint comme un but, comme la résolution d’un destin troublé, pour enfin entendre quetout cela n’était qu’une erreur, qu’un leurre ? Nous voici revenus à zéro. Mon cœur est une pierre quitombe dans ma poitrine.

    Milton retrouvera-t-il la trace de son passé ? Je l’observe du coin de l’œil et je pose ma main sursa cuisse. Son regard intense ne bouge pas d’un poil. Il attend la réaction d’Abigail, aussi immobilequ’une statue. Le temps s’est distendu. Je ne sais combien de minutes ou de secondes se sontécoulées.

    Mais, contre toute attente, c’est Milton qui brise le silence.

    – À qui avons-nous donc l'honneur ? risque-t-il calmement.

    Elle tourne son beau visage et plonge ses yeux dans ceux de Milton. Son regard est à la fois douxet désolé.

    Elle répond simplement :

    – Je suis Alice. Alice Delattre.

    Milton plisse légèrement les yeux. Je sens qu'il reçoit la nouvelle durement, même s’il ne lemontre pas.

    – Et… Ma mère ? réplique Milton.

    Alice avale sa salive et retire son chapeau. Elle le pose sur la table à côté du plateau fleuriencombré de tasses, théière et gâteaux secs.

    – L’après-midi touche à sa fin, reprend-elle. La lumière n’est plus si forte, et l’air se rafraîchit.J’aime ce moment. Celui qui nous fait glisser du jour au soir. C’est le temps idéal pour lesconfessions. Mais je ne peux dire tout à la fois. Restez dîner. Bob, pourquoi ne couperais-tu pas dubois avec Milton ?

    – Si tu veux, Al, répond Bob avec un sourire paisible, tout en invitant Milton d’un geste.– Et vous… ?

  • – Charlotte, lui dis-je.– Charlotte, venez donc avec moi au jardin. Je vais vous faire visiter l’exploitation.– Bien, bredouillé-je en me levant.

    Je suis surprise par la tournure des événements. Alice ressent manifestement le besoin de nous endire plus. Mais avant cela, c’est comme si elle tenait à nous faire partager un moment de sa vie.

    Nous sommes maintenant tous levés. Les yeux de Milton pétillent. Il semble comprendre quelquechose qui m’échappe encore. Alors que nous allons nous séparer vers nos directions respectives, jelui murmure :

    – Que se passe-t-il, Milton ?– Je pense qu’Alice en sait beaucoup, et qu’elle a besoin de nous connaître un peu mieux. Comme

    pour apprivoiser des images enfin devenues réalité. Cela doit faire longtemps qu’elle s’attend à cemoment, dit-il tout bas en me tenant les mains.

    Il les lâche après m’avoir tendrement embrassée, puis rejoint Robert, en route vers le bout d’unelongue bâtisse semblable à une grange. La maisonnette à travers laquelle nous sommes passés n’estpas seule sur le grand terrain. Ce que nous ne pouvions voir auparavant, ce sont les nombreusesdépendances qui forment ensemble une ferme.

    Tandis que Milton et Bob disparaissent derrière un petit cabanon de bois, je rattrape Alice quimarche d’un pas vif. Arrivée à son niveau, elle se tourne vers moi et me sourit. Elle me prend le braset nous avançons, côte à côte, vers une haie haute et épaisse. Une légère brise s’est levée et Alicemaintient son chapeau d’une main.

    Elle ne dit rien. Je la sens en pleine réflexion. Stupéfaite, déconcertée ou étrangement réjouie, tantd’émotions paraissent se suivre et se mêler en elle.

    Arrivées aux pieds des arbustes, nous longeons la haie vers la gauche pour accéder à uneouverture de la taille d’une grande porte. Le sol est tendre et mes bottines de mi-saison ne sont pasles chaussures idéales ! Peu importe, je garde le pas aussi assuré que possible.

    L’ouverture n’est plus qu’à deux mètres. Et soudain, nous y sommes. La vue est à couper lesouffle ! C’est absolument grandiose. Face à nous, les collines verdoyantes descendent en ondulant.Au loin, à gauche, elles se perdent en rochers écorchés dans la mer. À l’horizon, les silhouettes desmontagnes transparaissent derrière une brume quasi mystique. Les plus distantes ne sont pas plusgrandes que des paillettes, tandis que plus près de nous, je reconnais des moutons en train de paître.

    – Nos troupeaux sont ceux que tu vois ici, et là, en bas près du chemin gris, m’indique-t-elle d’ungrand geste. Les autres appartiennent aux autres fermiers de la coopérative.

    – C’est très beau, laissé-je échapper, admirative.– Oui. C’est ce paysage qui m’a décidée à m’installer ici. Enfin, ça et Robert, me glisse-t-elle

    avec un sourire.– Finalement, tout est une question d’histoire d’amour… dis-je en pensant à Milton.

  • – Les chemins de vie sont tellement imprévisibles, dit-elle dans un soupir.

    Je repense à moi, il y a à peine un an. Comment aurais-je pu imaginer un seul instant tout ce quim’est arrivé ces derniers mois. Enfin, surtout, comment aurais-je pu imaginer tomber éperdumentamoureuse de Milton Turner, un homme exceptionnel, et que cela soit réciproque ?

    – Imprévisibles, oui. Étourdissants, parfois, lui réponds-je, les yeux toujours rivés sur le paysagefantastique déroulé devant nos yeux.

    – Retournons voir nos hommes, reprend-elle. Le jour décline. Ils doivent avoir presque terminé, etil me tarde de m’installer devant le feu. J’espère que tu aimes le meat pie ?

    – Oui, oui, j’adore ça, dis-je en souriant.

    Quand il est bien fait, le meat pie fait partie de mes délices numéro un au monde !

    Nous nous retournons et repartons vers la maisonnette qui paraît si petite d’ici. Nous ne disonsplus rien, mais il n'y a aucun signe de malaise ou d’inconfort entre nous. Un lien très simple et naturels’est établi. C’est très curieux comment Alice nous reçoit comme de vieilles connaissances. Commedes parents depuis longtemps perdus de vue. Aussi, je ne décèle plus de trace de tristesse dans savoix ou dans son regard. Plutôt une sorte de sérénité.

    Nous pénétrons dans le salon qui s’est légèrement assombri. Bob et Milton sont accroupis près dufoyer, tison en main. Les brindilles sèches craquellent dans les flammes sous une bûche imposante.Avant peu, elle cède au feu et rougeoie intensément.

    Les deux hommes sont en pleine conversation. La bienveillance de Bob et l’intelligence de Miltonfont visiblement bon ménage. Les rires ponctuent régulièrement leurs paroles, et c’est à croire qu’ilsse sont toujours connus.

    Milton a les cheveux en bataille et les joues rosies par la chaleur du feu. Sa chemise entrouvertelaisse deviner le haut de ses pectoraux. Il respire le bonheur et son sourire me fait littéralementfondre. Je l’observe en silence, et c’est comme une nouvelle première rencontre. Je vois cet hommeau bout de la pièce et il me plaît tant… Puis son regard tombe sur moi et un éclair passe entre nous.Nous nous sourions.

    Alice s’approche de Bob, pose sa main sur son épaule en regardant Milton.

    – J’étais certaine que vous vous entendriez à merveille, dit-elle en les observant d’un regardattendri.

    Alice dit cela alors qu’elle n’avait jamais vu Milton auparavant. Est-elle une sorte de médium ?

    – Je vais réchauffer le meat pie. Je l’avais préparé ce midi. Une sorte de lubie. Comme quoi, iln’y a pas de hasard, sourit-elle en s’éclipsant dans la cuisine.

    La grande table en bois épais qui trône au milieu de la pièce semble n’attendre que moi pour

  • l’habiller. J’ouvre la commode attenante et en sors une nappe. Posément, je m’applique à mettre unejolie table. Je me surprends de mon initiative dans cette demeure inconnue, chez ces gens sirécemment encore étrangers.

    C’est tellement étonnant : en l’espace de deux heures, Milton et moi réagissons comme en famille.Les gestes, les automatismes, tout semble couler de source. J’ai peine à penser que ce matin encore jen’avais jamais mis les pieds dans cette maison.

    – Charlotte, voudriez-vous un verre de whisky ?

    La voix de Robert me fait sursauter tant j’étais absorbée par mes réflexions. Il a un léger rire et mecaresse le dos en me souriant :

    – Je ne voulais pas vous faire peur, Charlotte. Je suis désolé.– Non, ce n’est rien, lui réponds-je gaiement. J’étais dans mes pensées.– Je comprends. Ce n’est pas une situation banale. Je crois que nous avons tous besoin de faire un

    peu le point, ajoute-t-il en désignant Milton, silencieusement installé face au feu dans un grandfauteuil, le regard portant bien au-delà du foyer dansant.

    Une odeur délicieuse se met à envahir le salon. Cela vient de la cuisine. Des arômes de beurre, depâte cuite et de viande attisent ma faim.

    – Merci Bob. Un verre de whisky, c’est parfait, dis-je.– Glaçons ?– Bien sûr que non ! m’exclamé-je en riant.

    Nous trinquons tous les deux. Milton s’est levé et nous rejoint. Le whisky est divin.

    – Eh ! Alors, on m’a déjà oubliée ? s’exclame Alice en sortant de la cuisine, en train de s’essuyerles mains sur son tablier.

    Tout le monde éclate de rire. Les verres tintent et le chatoiement doré du whisky se reflète sur lesmurs.

    Il y a malgré tout comme une appréhension dans l’air. Les cœurs sont légers, mais chacun sait quele rideau va se lever après le prologue, et que nous en saurons plus sur l’histoire d’Alice et – nousl’espérons tant – sur Abigail.

    ***

    Assis à table, le meat pie cuivré et fumant au centre, Bob fait le service.

    – Merci d’avoir mis la table, Charlotte, dit Alice.– Oh, je vous en prie, c’est tout naturel, rougis-je.

  • Une fois nos assiettes pleines, un léger silence s’installe. Je sens mon cœur battre. Ceux de tousles convives doivent faire de même. Impossible de reporter plus longtemps. Alice porte sa fourchetteà sa bouche et mâche lentement en fixant la nappe à quarante centimètres de son assiette. Les yeux deMilton passent du visage de Bob à celui de sa femme.

    Alice pose enfin sa fourchette et son couteau de part et d’autre de son assiette d’un gestenaturellement délicat et élégant. Elle s’éclaircit la voix, pose les coudes sur la table et son menton surses doigts croisés. Elle serre les lèvres puis se tourne vers Milton. Son ton de voix est toujours aussimélodieux et caressant, mais plus fin et fragile que tout à l’heure.

    – Milton, tu l’as compris, je ne suis pas ta mère. Abigail Turner était ta mère. Mais moi, AliceDelattre, je suis peut-être la seule à pouvoir te renseigner sur elle. Parce que je me doute que si tu esici, c’est que tes grands-parents ne t’ont pas dit grand-chose.

    – Oh si, ils m’en ont raconté, des événements, répond Milton calmement. Mais il faut maintenantque je fasse la part des choses entre les fables et la réalité.

    – Je vois. Ils ont toujours eu une idée assez rigide de l’étiquette qui sied à des gens de leur classe.

    Milton crispe ses lèvres.

    – Ne te méprends pas, Milton. Je ne médis pas. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient, et surtout ce qu’ilspensaient être le plus juste dans cette situation difficile.

    – Enfin, il n’est pas compliqué de se dire qu’un grand amour est plus important que des qu’en-dira-t-on ! interromps-je prestement.

    Je regrette aussitôt mon intervention un peu vive.

    – Je comprends ta colère Charlotte, mais il s’agit ici de personnes qui vivent avec d’autresvaleurs, dans un autre monde…

    – Dans un autre temps, oui, rétorque Milton, sans quitter Alice du regard.– Quoi qu’il en soit, ce n’est pas à moi de juger, lui répond-elle. À voir ce que tu es devenu, ils

    ont l'air de t'avoir toujours aimé, d'avoir toujours cherché à te donner le meilleur. N'étaient-ils paspleins de bonne volonté ?

    – Comme quoi, il ne suffit pas de vouloir, dit Milton d’un air songeur.

    Je regarde Milton. Je devine mille questions qui se bousculent derrière ses yeux intenses, toutesfreinées par sa pudeur masculine. Je décide de me lancer à sa place :

    – Et donc, comment en savez-vous autant, Alice ? Racontez-nous tout, lui demandé-je en prenantune gorgée de vin.

    Comme un signal, chacun porte son verre à ses lèvres. Une pause tacite dans la conversation.Puis :

    – J’étais au château Bertram en même temps qu’Abigail. L’endroit était froid et inhospitalier. Ons’y sentait terriblement seul. Les jeunes filles filaient dans les couloirs comme des ombres perdues.

  • Mais dès que j’ai vu Abigail, quelque chose est passé entre elle et moi. Il n’a pas fallu deux jourspour que nous devenions les meilleures amies du monde.

    – Mais ce château, que s’y passait-il précisément ? s’enquiert Milton en tournant le pied de sonverre entre le pouce et l’index.

    – Précisément ? Ce n'est pas une question facile. Les conditions étaient dures. Personne n'y entraitvolontairement. Personne n'avait envie d'y rester. Nos « gouvernantes », comme ils les appelaient,étaient d'une sévérité redoutable. Il n'était pas si rare que l'une d'entre nous cherche à s'échapper. Çaa été le cas d'Abigail. Trois fois. Et trois fois ils l'ont ramenée, sanglotante, les mains gelées par lefroid et les genoux écorchés par la pierre râpeuse des murs. Ils l'ont placée à la cave à chaque foispour « faire son éducation ». Ils aimaient bien dire cela lorsque nous subissions des corrections.C'était censé être pour notre bien. Peut-être le pensaient-ils vraiment ? Je ne le saurai jamais.

    – Mais je ne comprends pas : qu'est-ce qui poussait ces gens à envoyer leur enfant dans un endroitsi terrible ? C'est absolument inhumain ! m'écrié-je.

    – C’était une pension de jeunes filles. Mais elle était, dirons-nous, un peu… spéciale, expliqueAlice avec un coup d’œil au plafond.

    – Ma mère était enceinte, c’est ça ? dit Milton.– Effectivement, fait Alice après une seconde d’hésitation. C’était ça, la particularité du château si

    honteuse… et si rentable !

    Un ange passe.

    – Donc Alice, vous aussi, vous étiez en… avancé-je en m’interrompant net.– Oui Charlotte. Ne t’en fais pas, il n’y a pas de tabou. Nous pouvons en parler, vous êtes ici pour

    ça. La plupart des jeunes filles de la pension étaient enceintes et issues de familles très aisées. Desfamilles pour lesquelles ce genre de situation n'était pas acceptable. C’est le genre de situation donton « s’occupe », explique-t-elle froidement.

    – C’est Bob qui… ? m’exclamé-je d’un coup en le regardant.

    Celui-ci lâche un léger éclat de rire.

    – Non ! Je n’ai connu Alice que plus tard. Je ne suis pas le père de cet enfant.– Donc un premier amour ? conclus-je.

    Alice inspire doucement.

    – J’ai été violée, lâche-t-elle dans un souffle.

    Un silence bourdonnant couvre la tablée un instant.

    – Je… Je suis terriblement désolée… Je, bafouillé-je, écarlate de honte et d’émotion.– Tu n’as pas à l’être Charlotte. Pas toi. Le coupable, si. Mais j’imagine qu’être l’ami de mes

    parents lui donnait un sentiment d’impunité, reprend Alice calmement.

    Bob fait glisser sa main sur la table pour prendre celle de sa femme. Milton et moi avalons notresalive.

  • – Et vous n’avez pas tout simplement appelé la police ? risqué-je, naïvement.

    Alice laisse brièvement échapper un sourire las en haussant les sourcils.

    – Je vivais en France. Ma famille était particulièrement stricte. Les coups n’étaient pas rares. Monpère surtout. Il ne fallait pas songer à le contredire. Quand je leur ai parlé de « l’événement », ils nem’ont d’abord pas crue. Par la suite, quand ça a commencé à se voir, ils m’ont placée de force auchâteau. Appeler la police n’était malheureusement pas une option, explique-t-elle posément.

    Quelques instants passent, puis :

    – Mais tout ça est bien loin maintenant, dit-elle en levant les yeux vers Bob, et en esquissant undemi-sourire ému.

    À comparer avec la famille d’Alice, les grands-parents de Milton passeraient presque pourMickey et Minnie !

    – Enfin, je ne parle que de moi depuis tout à l’heure ! reprend Alice en se forçant à penser à autrechose. Mon pauvre Milton. Toi qui es venu en savoir plus sur ta mère, tu dois être impatientd’entendre la suite, lui dit-elle d’un air maternel.

    – Je vous en prie, Alice, ne vous pressez pas. Nous vous écoutons attentivement, et partageonsautant que possible vos souffrances, répond-il, visiblement ému.

    Bob refait le service du vin. Quelques secondes pendant lesquelles nous n’entendons que le son duliquide versé dans les verres.

    – Pour Abigail, heureusement, c’était bien différent. Son rêve à elle, c’était de rejoindre Joseph,ton père. Tu n’imagines pas toutes ces conversations que l’on a pu avoir, le soir, en chuchotant d’unlit à l’autre ! On passait des heures à se raconter nos vies passées et nos rêves d’avenir. On voulaitpouvoir tout effacer, tout reprendre à zéro, comme si rien n’avait existé. Nous étions nos rayons desoleil réciproques. Il nous arrivait de faire le mur, discrètement, en plein milieu de la nuit, lors desbeaux jours. On glissait au clair de lune, main dans la main, sur la pelouse du joli jardin du château…raconte-t-elle en laissant les mots en suspens et son regard au loin.

    Joli jardin ? Heureusement qu’elle ne voit pas le château hanté que c’est devenu !

    – C’est Abigail, un jour, qui a eu l’idée. Échanger nos identités. Abigail se fichait de son nom.Tout ce qu’il lui importait, c’était Joseph. Quant à moi, un nouveau nom, c’était une nouvelle vie. Laliberté, quoi ! Et c’est ce qui s’est passé. Alice Delattre est devenue Abigail Turner, et je suis partiepour toujours.

    Il y a encore tant de zones d’ombre. Je n’ose, par pudeur, poser trop de questions. Milton ne ditpas un mot, suspendu aux lèvres d’Alice et au premier récit véritable de ses origines. Mais je saisque lui comme moi, nous comprenons à demi-mot ce qu’Alice n’a pas encore dévoilé. Une immensetristesse étreint mon cœur.

  • Mais les lèvres ne se desserrent pas. Je me lance donc :

    – Et Abigail ? Qu’est-elle devenue ?

    Alice nous regarde sans ciller.

    – Elle est morte. Elle est partie en donnant la vie à son fils.

    Milton prend soudain une grande inspiration. Il ferme les yeux et penche la tête vers le plafond.Mon cœur bat à cent à l’heure. Celui de Milton doit s’être tout simplement effondré.

    – J’ai voulu te prendre avec moi, Milton, mais je n'en ai pas eu le droit. Tous ces événements…C'est devenu trop dur pour moi. Il fallait que je parte loin, très loin.

    Le crépitement du feu emplit la pièce quelques instants.

    – Et le prénom « Milton » ? demande-t-il.– C’est mon choix. C’est tout ce que j’ai trouvé pour te donner une filiation et… Et pour que

    l’amour d’Abigail ne meure pas. Qu’il ne meure jamais. Heureusement que tes grands-parents ne sesont pas rendu compte du lien avec le nom de famille de Joseph.

    Tout le monde autour de la table semble sonné.

    Mais soudain une question me vient :

    – Et votre enfant, Alice ?

    Elle me fixe une fraction de seconde et sa paupière tressaille.

    – Son cœur a cessé de battre quelques minutes après son premier souffle, articule-t-elle.

    Sa voix s’est perdue dans un léger tremblement. C’est une femme d’une force phénoménale.

    – Je m’excuse, je vais devoir vous laisser un instant, dit-elle en se levant.

    Bob fait de même, et lui prend le bras pour l’accompagner dans la pièce d’à côté. Elle est forte,mais l’émotion est éprouvante.

    Milton et moi restons un moment sans nous regarder, seuls dans le silence du salon. Milton finitpar se tourner vers moi. Il pose sa main sur ma cuisse et plonge ses yeux bleu nuit dans les miens :

    – Comment ça va, Milton ? lui demandé-je prudemment.

    Il réfléchit, puis déclare d’un ton troublé :

    – Je n'avais pas prévu que ce voyage au bout du monde serait un voyage au bout de mon être. Cela

  • remet en question tout ce à quoi j'ai toujours cru. Ma mère ne m'a pas abandonné. Jamais. Je saismaintenant qu'elle m'aurait chéri et aimé. J'en suis persuadé. Elle n'en a simplement pas eu l'occasion.Mais cette découverte a un prix à payer : je sais maintenant que je ne la reverrai jamais.

    Sa voix se brise. Son émotion est palpable. Je m’enquiers doucement :

    – Que puis-je faire pour toi ?

    Il me sourit :

    – Simplement être là, être toi. Ta présence vaut tous les réconforts du monde.– Je t’aime.

    Je me love contre lui. Il se penche vers moi et m’embrasse.

    – Je t’aime tant, répond-il de sa voix grave.

    Ces derniers mots ont résonné longtemps à mes oreilles.

  • 2. Souvenirs tatoués au cœur

    Le parquet grince un peu. J’ai beau marcher sur la pointe des pieds, les longues lattes de pingeignent timidement à chaque pas. J’espère que je ne vais pas réveiller Milton. Je le regarde,heureusement encore profondément endormi. Sa poitrine se soulève doucement au rythme de sarespiration. C’est si émouvant de le voir ainsi assoupi, si paisible, comme un enfant endormi.

    Je viens de sortir du grand lit moelleux mis à notre disposition par Alice et Bob. Nous sommeslogés dans une des dépendances de la ferme. L’intérieur est décoré avec beaucoup de goût etd’astuce, et la chambre se trouve sous les toits de cette grange magnifiquement restaurée.

    Je me baisse pour éviter les larges poutres apparentes, et me dirige vers le lavabo. Je bois ungrand verre d’eau fraîche. Puis, tout en appuyant le verre froid contre mon front, je ferme les yeux uninstant en inspirant profondément.

    Je repose le récipient et glisse aussi silencieusement que possible vers une haute porte-fenêtresituée au bout de la pièce. Il n’y a pas de volets, mais uniquement un voile écru assez épais. Il estencore très tôt et la clarté du jour peine encore à percer la nuit finissante.

    Mais alors que j’écarte le tissu, quelques faibles rayons orangés naissent à l’horizon. D’ici, la vueest encore plus belle que celle qu’Alice m’avait montrée hier. Les collines, la mer et les montagnes,toutes présentes sur un même tableau, comme sorties de l’imagination d’un peintre. Les couleurs sontencore éteintes, mais plus pour longtemps.

    Quelques minuscules taches blanches pointent au loin. Je perçois les premiers troupeaux demoutons avancer vers les pâturages.

    Puis, très vite, tout s’emballe. Le ciel rougeoie, les collines verdissent et la mer s’éveille à lalumière. Des éclats de vie parsèment le paysage, et avant peu le soleil est tout à fait visible.

    – Tu crois qu’il s’est levé pour toi ? me glisse Milton à l’oreille en m’enlaçant par-derrière.

    Je sursaute.

    – Tu m’as fait peur ! m’écrié-je, surprise.

    Ses bras solides me tiennent, et c’est à peine si je peux me retourner. Peu importe : sa bouche s’estdéjà nichée dans mon cou qu’il embrasse voluptueusement. Je penche la tête sur le côté pour enprofiter autant que possible, en tendant une main par-derrière pour caresser sa nuque.

    Je me laisse aller à un gémissement. Ses doigts voyagent sur ma taille, sa main gauche s’attardesur ma hanche tandis que la droite vient me prendre le menton. Il me mordille le cou juste sous le

  • lobe de l’oreille. Je passe ma main derrière mon dos et je prends son sexe à travers son boxer.

    – Il n’y a pas que le soleil qui s’est levé, à ce que je vois, lui murmuré-je.

    Il me caresse la poitrine. Mes seins, libres sous ma chemise de nuit, frémissent sous ses mains. Ilm'enserre la taille, me câline, et me chuchote à l'oreille :

    – C'est irréel. Ces émotions que je ressens avec toi ce matin, là, dans cette aube merveilleuse…Ce jour nouveau est comme la nouvelle vie que je vais devoir apprendre à vivre. Sans regretter lepassé ni me sentir abandonné. Et surtout, je le vis avec toi.

    Je me retourne et nous nous étreignons fort. Mon cœur bat.

    J'ai les yeux humides.

    ***

    Une heure s’est écoulée. Milton et moi prenons une douche ensemble dans la salle de bainsattenante. Elle est carrelée de mosaïques prune et turquoise. Sous le jet d’eau chaude, nos corps setouchent et se caressent. Une fois habillés, nous descendons pour rejoindre la maisonnette principale.En marchant sur le petit chemin plaqué de pierres entre les deux bâtisses, nous croisons Bob.

    – Bonjour les amoureux ! lance-t-il joyeusement. Avez-vous bien dormi ? Est-ce que c’est assezconfortable pour vous ?

    – C’est absolument parfait, Bob, lui répond Milton dans un sourire. Merci beaucoup de nousaccueillir comme ça.

    – Mais c’est tout naturel, voyons. Et puis, cela devait arriver un jour ou l’autre, n’est-ce pas ?– Effectivement, répond Milton. Avez-vous besoin d’aide pour quoi que ce soit, Bob ? Je vous

    vois partir d’un air décidé.– Non, c’est gentil, merci Milton. J’ai un rendez-vous. En tant que maire de la ville, j’ai quelques

    obligations. Et ce matin, c’est la réunion de la coopérative fermière. Impossible de la rater.– Vous êtes le maire ? ! m’exclamé-je. Ça alors !– Il est vrai que nous n’avons pas encore eu le temps de beaucoup discuter. Je veux dire, de parler

    de choses plus anodines et agréables. D'ailleurs, j'en ai parlé à Al : que diriez-vous de resterquelques jours avec nous ? Cela nous ferait grandement plaisir. L'occasion de mieux faireconnaissance.

    – C'est très gentil. On va en parler avec Charlotte. On vous voit tout à l’heure, alors, dit Milton enlui serrant la main virilement.

    Ils se regardent un instant, poigne serrée et main sur l’épaule. Quelque chose circule entre eux, unje-ne-sais-quoi de familier et de fort.

    Bob nous laisse et nous salue d’un geste de la main. Il se dirige vers le garage d’où il ressort auvolant d’un vieux pick-up Chevrolet des années soixante. Le son vrombissant et chaleureux du moteur

  • ronronne et résonne. La voiture disparaît derrière un virage juste après que Bob nous ait lancé undernier signe de la main par la fenêtre.

    Le bruit et l’odeur de la voiture semblent encore emplir l’air. Je me tourne vers Milton dont leregard est resté fixé à l’endroit où le pick-up a filé. Une vieille Chevrolet ? On dirait que Bob etMilton ont quelques goûts en commun !

    Nous reprenons notre marche. Milton me glisse doucement :

    – Qu'en dis-tu, Charlotte, de rester quelques jours ? Ça ne poserait pas de souci pour ton travail ?– J'adorerais. Je peux m'arranger, je pense. Mais toi, et toutes tes responsabilités ?– Ne t'inquiète pas pour moi. Je préviendrai Hadrian. J'ai une totale confiance en lui. Et puis, on

    est peut-être au bout du monde, mais il n'empêche que je reste joignable au cas où.– Alors c'est décidé ! dis-je avec un sourire.

    Nous entrons dans la maisonnette par une petite porte en bois donnant sur la cuisine. En tournant lapoignée en céramique, nous essayons de ne pas faire de bruit. Mais soudain, elle s’ouvre vivementd’elle-même. C’est Alice, de l’autre côté :

    – Charlotte ! Milton ! Quel plaisir ! Vous êtes bien matinaux, dites-moi, s’exclame-t-elle avecbonne humeur. Y avait-il un souci avec la chambre ?

    – Ne vous inquiétez surtout pas pour nous Alice, dit Milton en l’embrassant sur la joue.

    Il a fait cela très naturellement, sans y penser.

    Comme un fils qui embrasse sa mère le matin…

    Alice, elle, détourne un instant la tête, presque rougissante. Je ne pense pas que Milton se soitrendu compte de quoi que ce soit, mais je crois avoir vu dans les yeux d’Alice un éclat de bonheur.

    – Je pense que tu peux nous tutoyer Milton, glisse-t-elle dans un sourire.

    Il s'arrête un instant et lui rend un sourire lumineux.

    Elle nous invite à entrer. Dans la cuisine, à la fois rustique et moderne, l’odeur du café et destoasts grillés me met en appétit. Une table haute en bois clair est installée contre le mur de gauche.Plusieurs tabourets l’entourent. À peine installés, Alice nous verse du café dans des tasses.

    – Du lait ou du sucre pour quelqu’un ? demande-t-elle.– Les deux pour moi, réponds-je.– Et rien pour moi, merci Alice, dit Milton. Je l’aime noir.

    Elle s’assied avec nous et la conversation du matin s’anime. Alice est intarissable sur la vie de laferme. Et c’est absolument passionnant ! Entre la fonction de maire de Bob et la gestion del’exploitation, c’est une vie bien remplie qu’elle a ici. Elle semble n’avoir le temps de…

  • – Oups… fais-je, surprise.– Qu’y a-t-il, Charlotte, un problème ? dit Alice, inquiète.– Euh… Non, non, rien… me défends-je en rougissant.

    Les yeux d'Alice vont de mon visage à la tartine que j'ai en main. Je me sens vraimentembarrassée.

    Je bafouille :

    – Je ne sais pas, c’est ce miel bizarre. Ça a un goût… Euh, comment dire…

    Alice éclate de rire.

    – Mais ce n’est pas du miel ! C’est du vegemite. Une pâte à tartiner à base de levure. C’est typiqued’ici. Je comprends que tu aies du mal. C'est vrai que c'est très salé. Et avec une saveur trèsparticulière ! Ce n’est pas vraiment au goût de tout le monde, affirme-t-elle en souriant.

    – Et toi, Milton, tu arrives à manger ça ? lui demandé-je en me tournant vers lui.

    Il me regarde d’un air malicieux en croquant à belles dents dans sa tartine.

    C’est officiel, nous n’avons pas complètement les mêmes goûts avec Milton !

    La discussion reprend. Au départ sur des sujets légers, puis elle glisse progressivement surl’histoire d’Alice et, bien entendu, le château Bertram. Les paroles se font plus posées et les voixplus nostalgiques ou mélancoliques. Alice a une mémoire extraordinaire. C’est le genre de personnequi se souvient de chaque couleur, de chaque odeur. Et lorsqu’elle raconte des événements, c’estavec une foultitude de détails qui nous transportent immédiatement.

    – Tu dois être tellement en colère après tes parents, Alice, après tout ce qu’ils t’ont fait, laissé-jeéchapper en secouant la tête.

    – La colère ne résout pas grand-chose, Charlotte. Elle ne fait que rendre encore plus malheureusela personne qui la subit. Enfin, je te dis cela maintenant parce que j’ai fait la paix avec mon passé. Jen’aurais pas dit la même chose il y a trente ans, c’est sûr.

    – Tes parents ne se sont jamais excusés ? demande Milton avec peut-être une pensée pour sespropres grands-parents.

    – Excusés ? Même s’ils pensaient avoir accompli une faute – et ce n’était sûrement pas le cas – cen’était pas le genre à se repentir de quoi que ce soit, dit Alice d’un ton philosophe.

    – Tu emploies le passé. Cela veut dire que… dis-je doucement.

    Alice hésite un instant en inspirant.

    – Ma mère est morte il y a une dizaine d’années. Une tumeur fulgurante. C’est elle que je regrettele plus. De mon père, je n’ai plus de nouvelles. Mais je ne cherche pas à en avoir non plus. Il estpeut-être décédé, peut-être pas. Cela ne change pas grand-chose. Le plus important n’est pas lafamille qui nous est imposée, mais celle que l’on choisit.

  • Milton me regarde et me prend la main. Je rougis.

    – Mais, à leur décharge, continue Alice, les parents qui envoyaient leur fille au château Bertram nesavaient pas exactement ce qu’il s’y déroulait. Ils avaient en général les meilleures intentions dumonde.

    – Comment ? Mais vu ce qu’il s’y passait, la pension devait avoir une réputation plutôtsulfureuse ? interroge Milton.

    – L’institution était très ancienne. Elle était très respectable de par le passé. On y envoyait desjeunes filles que l’on voulait mettre « au vert ». L’endroit était connu pour sa sévérité mais aussi saprobité. Elle était tenue par un certain Aloysius Bertram.

    Le grand-père de Nina !

    – Mais que s’est-il donc passé pour que cela change du tout au tout ? questionne Milton.– Aloysius est mort en 1985, et la pension a été léguée à ses trois fils : Germain, Wilhelm et

    Edouard – euh, non, Edmond – Bertram. Et c’est là que cela a dégénéré. Ils n’en avaient qu’aprèsl’argent. Le bien-être des pensionnaires était parfaitement secondaire. J'ai appris tout cela par lasuite, après quelques recherches.

    Je lâche un grognement d’amertume. Entendre toutes ces histoires de la bouche même de quelqu’unqui les a vécues me fait froid dans le dos.

    – Ils se sont mis à courtiser les parents fortunés qui rejetaient leur fille. Ceux-ci étaient bien moinsregardants sur les conditions d’accueil, et payaient tout aussi bien. Rapidement, le nombre d’internesa triplé. Les chambres individuelles sont devenues de vrais dortoirs. L'entretien et l'hygiène se sontdétériorés. Une usine à filles-mères en quelque sorte…

    – C’est terrible, marmonne Milton, mais malheureusement pas illégal…– Mais leur appétit pour l’argent était trop fort. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’ils se mettent à

    vendre les nourrissons.– Comment ? ! m’écrié-je. Mais c’est horrible !

    Alice me couvre de son regard tendre et maternel.

    – On dira que cela fait montre d’une éthique somme toute très relative, dit-elle d’un ton détaché.– C’est plus qu’un euphémisme ce que tu dis là, Alice, intervient Milton.– S’il faut voir le côté positif, reprend Alice, c’est que personne n’en voulait de ces bébés. Ils ont

    finalement trouvé des familles désireuses de les accueillir. Mais le véritable choc, cela a été en1987. Deux décès. Ceux dont je vous ai parlé hier soir. Ta mère, Milton, et aussi mon enfant.

    – Je n’en reviens pas que l’on ait pu encore mourir en couches en 1987… dis-je, songeuse.– Il n’y a pas de mystère. Les frères Bertram auraient dû appeler un médecin. La sage-femme le

    leur avait demandé, mais ils ont directement évacué la question. Je ne suis pas sûre qu’ils voulaientqu’un médecin du coin voie les conditions de vie de leurs pensionnaires. Je suis même étonnéequ’une tragédie de ce type ne soit pas arrivée plus tôt. Quoi qu’il en soit, le passé est le passé, etnous pouvons maintenant laisser les morts reposer en paix…

  • – Sous la terre du parc du château Bertram, interrompt Milton.

    Un ange passe. Un frisson me parcourt. Évidemment, tout s’explique : les ossements déterrés sontdonc ceux d’Abigail et de l’enfant d’Alice. Milton l’a deviné avant moi.

    – Tu as vu juste, Milton, dit Alice d’un ton grave. À la suite de cet événement, les trois frères ontpris peur et ont tout simplement fermé l’institution en ayant empoché au passage le maximum d’argent.

    Je ne suis pas sûre d’arriver à terminer mon petit déjeuner…

    Je reprends néanmoins une tasse de café que je surcharge en sucre. Milton lève les sourcils en mevoyant faire.

    Voilà, c’est donc cela le secret des frères Bertram. Ce qu’ils ont cherché à nous cacher, et qu’ilspensaient parfaitement dissimulé depuis presque trente ans. Ça ne m’étonne pas qu’ils aient été sinerveux lorsque Milton s’est mis en quête de sa mère. Tout à coup, leur passé douteux à l’odeur demort remontait à l’air libre pour leur titiller les narines !

    Dans mon cerveau, un enchaînement de pensées s’imbrique comme les dernières pièces d’unpuzzle. Je comprends maintenant la raison pour laquelle les frères Bertram n’ont jamais révélé lamort d’Abigail. « Disparue », c’est tellement plus pratique… Et évidemment, ils n’ont pas couruaprès Alice quand elle a fugué avec les papiers d’Abigail. Tout cela était très arrangeant pour tout lemonde, les parents d'Alice compris.

    – Milton, je ne suis pas magistrate, mais quand même, au vu de tous ces éléments, les frèresBertram ne peuvent être jugés que coupables, non ?

    Milton réfléchit en se passant la main sur le menton.

    Je pense également à Nina. Quelle douleur cela sera pour elle quand elle découvrira tous lesdétails sordides de cette histoire ! Elle qui tenait tant son père et ses oncles en haute estime…

    – Quelle heure est-il, Charlotte ? me demande Milton.– Euh… Dix heures et demie, pourquoi ? lui réponds-je, surprise du changement de sujet.– Donc vingt-deux heures trente à Gstaad… murmure-t-il pour lui-même. J’appelle Karl avant

    qu’il ne soit trop tard.– Comment ? Mais pourquoi… demandé-je.

    Milton n’attend pas la fin de ma phrase et se lève brusquement. Il m’embrasse sur le front et filedans le jardin en sortant son portable de la poche.

    Je me tourne vers Alice d’un air déconcerté. Elle me sourit.

    – Milton vit des moments compliqués, dit-elle. Ce n’est pas évident de réagir aussi calmementqu’il le fait. Il a besoin de soutien et de réconfort, de quelqu’un sur qui il puisse compter.

  • – Mais je…– Et je pense que tu es parfaite. Il a beaucoup de chance de t’avoir, finit-elle avec un regard

    profond.

    Je deviens immédiatement écarlate et bafouille mollement un « merci » gêné.

    ***

    Le petit déjeuner a été rangé et cela fait une bonne demi-heure que Milton est en ligne. Karl doitavoir mille choses à dire. En travaillant aux RG français, il a accès à beaucoup d'informations surl'affaire. Ses contacts dans la police suisse sont nombreux et il s'investit pleinement. Pour nous, biensûr, mais aussi pour Nina. Il semble si amoureux d'elle !

    Je me suis installée sur le canapé du salon pour bouquiner en attendant Milton, mais difficile de seconcentrer. Je ne cesse de gigoter sans arriver à trouver de position confortable. Mes yeux vont sansarrêt de la page à Milton, visible à travers la porte vitrée du salon laissée entrouverte. Alice, elle,s’est éclipsée dans son bureau-bibliothèque, jolie pièce adjacente au salon, calme et cosy, pour ytravailler.

    Enfin, Milton détache le téléphone de son oreille. Il va pour le ranger. Il hésite… Il regardel’écran… Ah si, c’est bon. Portable en poche, il me rejoint à l’intérieur.

    – Alors ? m’enquiers-je fébrilement.

    Milton s’assied à mes côtés sur le sofa. Il s’adosse un instant, expire, puis se redresse et se tournevers moi. Il met sa main sur ma cuisse et m’explique :

    – Karl a reçu cet après-midi les premiers résultats incomplets des tests sur les os. Il allait nousappeler demain après réception du reste. Mais ce n’est même pas la peine : c’est déjà très clair. Il y atrace de deux ADN différents, non liés génétiquement. Par acquit de conscience, il veut que je luienvoie de quoi analyser mon ADN pour le comparer. Mais nous savons tous ce que vont donner cesrésultats-là.

    – Et les frères Bertram ? Où en sont-ils ?– Toujours aux mains des autorités. Ils se taisent, bien évidemment. Ils sont maintenant défendus

    par un ponte du barreau. Mais ça ne sera pas suffisant pour qu’ils s’en tirent, si tu veux mon avis,déclare Milton d’un ton posé. Sinon, Karl pense qu’Alice devrait témoigner.

    – C’est hors de question ! s’exclame Alice.

    Nous nous tournons tous les deux vers elle. Elle est apparue à l’entrée du salon. Elle a dû entendreune partie de la conversation. Elle s’approche et s’installe dans le fauteuil en face de nous.

    – Je ne veux pas revoir le visage de ces types d’ici à ma mort ! déclare-t-elle durement.

    Ce ton qui ne lui ressemble pas est le signe de la profondeur de sa blessure. Milton reprend de savoix grave :

  • – Tu ne seras pas obligée de les voir. La justice est bien faite dans ce genre de cas. Si tu le fais,dis-toi que c’est en mémoire de ma mère.

    Alice reste silencieuse. Son visage s’adoucit.

    – Donne-moi du temps pour y réfléchir, déclare-t-elle enfin.

    Puis elle se lève et retourne dans son bureau sans un mot de plus.

    – Veux-tu que j’aille lui parler pour tenter de la convaincre ? demandé-je à Milton.– Tu veux mon avis ? réplique-t-il.– Oui ?– Elle est déjà convaincue.

  • 3. L’encre des sentiments

    Je glisse et manque de tomber. Milton m'attrape vivement la main droite, et je me retiens tout justealors qu’une vague d’écume vient me lécher les talons. Je me suis écorché les doigts de la maingauche sur la roche noire et humide.

    – Tout va bien Charlotte ?– Heureusement que tu es là Milton.

    Il me relève en me tirant solidement à lui. Je le prends dans mes bras. À travers nos vêtements, jesens son corps contre le mien. Il est si puissant.

    La brise marine est fraîche. Les cheveux de Milton volettent dans le vent. Sa barbe de trois jourset ses yeux bleu sombre lui donnent un air sauvage et singulièrement sexy.

    – Tu ressembles à un marin prêt pour un tour du monde en solitaire, lui dis-je en souriant et en luicaressant la joue.

    – En solitaire ? Mais tu es folle ! Je ne voudrais pas passer tout ce temps sans toi, me répond-il enriant.

    Il me tient la tête entre ses deux mains et m’embrasse fougueusement.

    Puis il me prend par la main, et nous sautons de roche en roche pour atterrir sur le sable brun.Nous continuons notre promenade sur la plage. Celle-là même que nous voyons depuis la fenêtre denotre chambre. L’étendue de sable est encadrée par des falaises grises au sommet desquelles desmoutons se promènent gaillardement.

    Autour de nous, personne. Les seules traces sont celles laissées par nos propres chaussures. Auxcôtés de Milton, j’ai souvent eu cette impression magique que nous étions seuls au monde avec notreamour. Ici, ce sentiment est exacerbé. Seuls, et au bout du monde. En regardant l’horizon, il mesemble que la Terre nous appartient.

    ***

    Nous arrivons en vue de la ferme, bordée par la grande haie de houx anglais. Quelques agneauxenthousiastes viennent nous souhaiter la bienvenue, puis rejoignent leur troupeau en sautillant.

    Nous passons maintenant à travers une ouverture de la haie, sous une arche végétale dessinéecomme un porche. Il reste encore un bout de terrain à traverser pour rejoindre le salon de lamaisonnette. Alice apparaît à la porte-fenêtre.

  • – Tu as raison Milton, lui lance-t-elle d’un ton décidé alors que nous arrivons à sa hauteur.– C’est-à-dire ?– À propos de témoigner. C’est essentiel. Je le ferai. Mais à la seule et unique condition que je ne

    revoie pas les fils Bertram.– Je te le promets, Alice. Je vais te programmer dès aujourd’hui un voyage à Genève. D’ici deux

    mois environ. Tu as largement le temps de t’organiser pour ton absence sur l’exploitation.– Bien, murmure-t-elle. Bon, maintenant que c’est dit, il nous faut prendre le thé ! Il est largement

    l’heure, dit-elle en regardant sa montre.

    Elle pénètre dans la maison, et se dirige vers la cuisine. Milton la suit pour l’aider non sansm’avoir jeté un coup d’œil de soulagement. Le son chantant de la bouilloire s’échappe, et avant peuAlice reparaît, théière en main. Milton est deux pas derrière avec un grand plateau chargé de tasses etde gourmandises.

    Nous nous installons à la table blanche du jardin sous le soleil de fin d’après-midi. Milton sert lethé.

    – Ma fille va nous rejoindre d’ici une demi-heure, annonce Alice. Elle habite dans la banlieue deWellington. Elle nous rend visite régulièrement. Je lui ai demandé de venir aujourd’hui, pour vousrencontrer. J’espère que cela ne vous dérange pas.

    Milton et moi nous regardons. Il est surpris comme moi d'entendre Alice parler d'un enfant qu'ellea eu. Nous étions si attentifs aux innombrables photos de Milton dans le salon que nous n'avionsmême pas remarqué les cadres présentant d'autres visages.

    – Au contraire ! nous exclamons-nous. C’est avec plaisir que nous la verrons.

    Je crois que Milton comme moi sommes contents d’apprendre qu’Alice a totalement refait sa viedepuis les terribles événements qu’elle a pu endurer dans sa jeunesse. Elle a effectivement mené sabarque comme elle l’entendait. Elle a fait table rase après la pension, comme elle se l’était promisavec Abigail.

    Malheureusement, cette dernière n’a pas eu cette chance…

    Effectivement, il ne faut pas attendre longtemps avant que la sonnette ne retentisse. Alice se lève etrevient accompagnée d’une grande jeune femme aux cheveux châtains et bouclés. Elle doit avoir àpeu de chose près mon âge.

    – Gaëlle. Je suis enchantée, dit-elle, se présentant avec un large sourire en nous tendant la main, àMilton et à moi.

    Gaëlle ? Un peu comme Abi… gail ? Après Milton, c'est une nouvelle preuve qu'Alice tient à lasignification des prénoms et au sens de la filiation.

    Gaëlle s’avère adorable. Elle est très volubile. La discussion s’anime, part dans tous les sens, et

  • nous rions beaucoup.

    En regardant Milton lui parler, je me demande ce qui se passe dans sa tête. Comment considère-t-il cette fille ? Simplement comme une connaissance ? Comme une parente éloignée ? Ou peut-êtremême comme une sorte de demi-sœur ?

    C’est très curieux. Je commence à me perdre dans toutes ces histoires. Un certain vertige me prenden songeant à ces familles, chacune blessée pour des raisons différentes. Mes pensées vont égalementà toutes ces filles et ces parents ayant gravité autour du château Bertram. Combien de drames et denon-dits ?

    Finalement, je me sens un peu honteuse de râler parfois après ma mère pour des raisons sifutiles !

    – Charlotte ? Est-ce que tout va bien ? Tu ne dis plus rien ? me demande Gaëlle en se tournant versmoi.

    – Oh si ! Je suis désolée, j’étais simplement perdue dans mes pensées, dis-je avec un sourire ensecouant la tête.

    – Aucun souci. Moi, ça m’arrive tout le temps ! s’exclame Gaëlle. Et elle part dans un grand rire.

    C’est alors que Milton se lève :

    – Excusez-moi, je vais vous fausser compagnie. J’espère que vous ne m’en voulez pas, mais il y aquelque chose que je dois faire.

    – Oh mais bien sûr, Milton. As-tu besoin de quoi que ce soit ? s’enquiert Alice d’un ton maternel.– Si tu as du papier et un stylo, tout simplement.– Bien entendu. Allons-y, je t’accompagne.– Au revoir, Gaëlle. Ça a été un plaisir de te rencontrer, dit Milton en l’embrassant sur la joue.– Moi aussi, Milton. Combien de temps comptez-vous rester ? Je repasserai sans doute dans la

    semaine.– Formidable, nous ne serons pas partis. À très vite, donc.– À très vite !

    Ils se sourient. Il règne une atmosphère sereine et familiale, et il est difficile de ne pas s’y sentir àl’aise, même si la disparition soudaine de Milton me surprend un peu. Gaëlle et moi reprenons laconversation, et c’est comme si nous avions toujours été les meilleures amies du monde ! Au détourd’une phrase, nous abordons les histoires de cœur.

    – … Et donc, c’est pour ça que je l’ai largué. Non mais tu te rends compte de son culot ? !s’exclame-t-elle.

    J’éclate de rire. Elle a une manière irrésistible de raconter les histoires. Elle doit tenir ça de samère – l’humour en plus !

    – Du coup, depuis, j’ai tout essayé, reprend-elle. Même le speed dating, c’est te dire.

  • – C’est drôle, j’ai justement un ami qui organise des soirées de speed dating. Ça marche très bien.– Ah oui ? C’est pas là où t’as rencontré Milton quand même ? me lance-t-elle, incrédule.– Non ! rétorqué-je dans un éclat de rire. Lui, c’est dans un château hanté.– Je devrais plus traîner dans les parcs d’attractions…– Fais attention aux monstres cachés. Il y en a qui ne font pas rire du tout ! lui lancé-je.

    Alice nous rejoint à ce moment-là.

    – Alors, que fait Milton ? lui demandé-je.– Il s’est enfermé dans le bureau de Bob avec du papier et un crayon. De là à savoir ce qu’il fait…– En tout cas, je crois qu’il est temps pour moi de partir, dit Gaëlle en regardant sa montre. Avec

    le trafic qu’il y a à cette heure, je ne suis pas rendue.

    Nous nous levons. Elle me prend dans ses bras pour un hug chaleureux, et me dit en me regardantdans les yeux :

    – On se voit très vite, j’espère, me dit-elle.– Avec grand plaisir, lui réponds-je en souriant.

    Puis elle se détourne et ramasse son sac.

    – Maman, tu feras un bisou à papa de ma part. Il est toujours tellement occupé.– Mais oui, ma chérie, dit-elle en l’embrassant.

    Alice raccompagne sa fille.

    Cela fait chaud au cœur de voir tant d’amour.

    ***

    – Un whisky, comme hier ? me demande Bob.– Impossible de refuser, tu as déjà le verre rempli à la main ! lui rétorqué-je.

    Nous rions ensemble. Nous trinquons, et je goûte le délicat liquide doré.

    – Est-ce que tu crois que Milton va sortir un jour ? questionne Bob.– Effectivement, ça fait un bout de temps qu’il est enfermé, intervient Alice tout en déposant sur la

    table basse une fournée de petits gâteaux apéritifs, tout frais sortis du four.

    Le feu craquelle gaiement. Je regarde ma montre.

    – Ça fait plus de trois heures…

    Je dis cela avec un sourire, mais je ne peux m’empêcher d’avoir un petit pincement au cœur.J’espère que tout va bien. Les récentes révélations ont été lourdes et même si c’est un homme solide,

  • je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter pour lui.

    Je m’excuse auprès de mes hôtes et me lève. Je longe le couloir pour me retrouver devant lebureau de Bob. Il est fermé et je n’entends pas un bruit. Je me penche doucement pour poser monoreille contre la porte. Mes paumes et ma joue se calent tout contre le bois.

    Rien… Pas un…

    Soudain, je perds l’équilibre. La porte s’est ouverte et je plonge tête la première dans le bureau !Je me ramasse contre un torse solide et puissant. Je lève les yeux. Debout, poignée en main : Milton.

    – Charlotte ? Tu écoutais à la porte ? me dit Milton en esquissant un sourire.– CIA, agent Becker à votre service, experte en espionnage, mon commandant, dis-je en me

    relevant avec un salut militaire.

    Nous rions tous les deux.

    – Ça va ? me dit-il en m’embrassant le front.– Toujours quand je te vois, lui réponds-je en posant mes lèvres sur les siennes. Ça y est ? Tu as

    terminé ?– Oui, et justement, cela tombe bien que tu sois là. Je voudrais te faire lire quelque chose.

    Il se retourne et s’assied face au bureau. Il m’indique le fauteuil juste à côté. Je m’installe et il metend une enveloppe.

    – Une lettre ? Tu n’étais pas obligé : j’étais juste dans la pièce à côté. Il suffisait de m’appeler, letaquiné-je.

    Il sourit.

    – C’est important pour moi que tu la lises avant que je ne l’envoie, répond-il d’une voix un peuémue.

    Je regarde le nom inscrit sur la missive : Joseph Milton.

    Il s’était donc isolé tout ce temps pour écrire à son père…

    Je déplie le papier et me mets à parcourir les mots.

    « Joseph,

    Tu dois être étonné de recevoir cette lettre maintenant. Peut-être étonné que je te tutoie, maisc'est ce qui me vient naturellement. J’ai tant de choses à te dire et pourtant je ne sais par oùcommencer.

    Si, en premier lieu, pardonne-moi. Pardonne-moi d’avoir pu douter de toi. Pardonne-moi de ne

  • pas t’avoir immédiatement fait confiance. J’ai trop longtemps forgé une carapace qui m’a protégédu monde, et malheureusement cette carapace m’a d’abord éloigné de toi. Mais je sais maintenantque tu avais raison. Je le voyais dans tes yeux quand tu me parlais. J’ai vu ton regard brillant etentendu ces mots qui me parlaient de ma mère, de ton grand amour.

    J’ai dû attendre si longtemps pour enfin entendre des mots tendres au sujet d’Abigail. Ce n’estpas que mes grands-parents ne l’aient pas aimé, non. Mais ils étaient – et sont encore –prisonniers de leur étiquette sociale. Je n’aime pas ces mots, mais il faut bien le dire : ils sontcorsetés à jamais dans une bourgeoisie poussiéreuse. C’est cela qui les a poussés à envoyer leurfille dans une pension.

    Mais il y a plus. J'ai appris des choses. Ces choses, je te les dois.

    Sache d'abord qu’Abigail t’a toujours aimé. Tu as été son premier, dernier et unique grandamour. Jamais elle ne serait partie sans toi. Ses parents l’ont forcée à entrer au château Bertram,cette pension de jeunes filles de la haute société, pour s’occuper de sa situation qu’on jugeait siproblématique.

    Là-bas, elle n’a eu de cesse de vouloir s’échapper. De partir. De vouloir te rejoindre pour quevous viviez, ensemble, votre grand amour, comme une nécessité du destin.

    Malheureusement, c’est ce même destin qui l’a rattrapée comme une fatalité. Je suis né, et elleest partie pour toujours. Je ne sais si elle a souffert, mais vivre sans toi eut été une douleur toutaussi grande.

    Voilà, nous voici maintenant, toi et moi, rescapés de cette tragédie. Je sais que nous n’avonspas vécu les mille moments qui comptent entre un père et son fils. Les heures à jouer au parc ou àse lancer une balle de base-ball. Mais nous pouvons en inventer d’autres. En tout cas, et si tu leveux bien, je suis là pour créer ces moments-là avec toi.

    Ce ne sera sûrement pas facile. Pour toi comme pour moi. Mais je me rends compte à quel pointil me manque d’avoir une famille. Une vraie. Et si le père que je me choisis est également le pèrequi m’a fait, eh bien tant mieux !

    Il y a tant de choses que j’aimerais connaître de toi. Il y a tant de choses que tu pourraism’apprendre sur Abigail. Il y a tant de choses que nous pouvons partager.

    Tu sais, il n’y a pas si longtemps, j’ai rencontré quelqu’un. Oh, pas n’importe qui. C’estl’amour de ma vie. C’est un sentiment si fort qu’aucun mot ne saurait le décrire. Grâce à cela, jecomprends ce qui vous liait toi et maman. Ce sentiment qui unit deux êtres par-dessus tout etsurpasse n’importe quelle autre décision. Je voudrais tant te la présenter.

    J’espère sincèrement que tu voudras m’ouvrir les bras. On ne peut effacer presque trente ansen dix minutes à la faveur de quelques paragraphes d’une lettre. Alors prends ton temps, si tu enas besoin.

  • Je pense à toi papa.

    Milton »

    J’ai tout lu d’un trait sans lever les yeux. Ce sont des mots si simples et si beaux. J’ai le cœur quibat. Des larmes montent. Je n’ose croiser le regard de Milton, comme une pudeur ridicule.

    Toujours tête baissée, je replie le papier que je replace délicatement dans l’enveloppe. Je la posesur le bureau devant Milton. Je cligne des paupières et prends une inspiration profonde.

    Ça y est, tout doucement, je me redresse. Milton ne m’a visiblement pas quittée du regard. Il esttrès ému. Je ne sais s’il a jamais autant partagé avec quelqu’un.

    Il se penche vers moi et pose sa main sur la mienne. La chaude douceur de sa paume me faitfrissonner.

    – Oh Milton…– Qu’en dis-tu Charlotte ? Ton avis compte beaucoup.– Je suis tellement émue, dis-je faiblement.– Moi aussi, Charlotte. Moi aussi.

    Sa voix grave résonne dans ma poitrine. Puis nous nous levons, comme magnétisés, et nous nousprenons dans nos bras avec une rare intensité. Nos lèvres se trouvent et nous nous embrassons commejamais.

    Tous les violons de mon cœur vibrent de concert.

  • 4. La faute à l’amour

    Les jours en Nouvelle-Zélande chez Alice et Bob se succèdent doucement. Progressivement, lesliens se tissent et nous nous sentons de plus en plus en famille. Aussi, la relation entre Milton et Aliceévolue. Ils sont devenus si proches !

    Les anecdotes d’Alice sont nombreuses et son talent de conteuse ne se dément pas de jour en jour.On aurait pu croire qu’à force, les conversations se tariraient. En effet, une fois dépeint l’épisode duchâteau de long en large, ne serions-nous pas arrivés à un point de lassitude ?

    Il n’en est rien ! Au contraire : il semble qu’à mesure que nous faisons plus ample connaissance,les sujets de discussion se multiplient.

    – C’est l’heure, Charlotte ! Il faut aller mettre les bottes, me lance Alice avec un grand sourire mi-joyeux, mi-moqueur.

    – Mince, c’est vrai, on avait dit cet après-midi ! laissé-je échapper, surprise.– Tu ne vas pas te dédire quand même, me dit Milton en se tournant vers moi, journal à la main et

    tasse de thé dans l’autre.– Ha, ha ! Tu fais ton malin allongé sur ton transat, mais ce n’est pas toi qui t’es engagé à aider à

    t’occuper des moutons ! lui lancé-je d’un ton railleur.– Mais c’est toi-même qui as demandé à Alice ! me rétorque-t-il. Surtout que Bernie, le garçon de

    ferme, s’en sort très bien tout seul. C’est juste que tu trouvais les moutons tout mignons, et quemaintenant l’idée de devoir crapahuter dans la boue te refroidit. C’est pas ça ?

    Je rougis un peu. Il a raison la crapule ! Je le vois en train de déguster son thé tranquillement touten me regardant d’un air malicieux.

    – Allons Charlotte, me rassure Alice, tu verras, c’est plutôt amusant. Et puis, si jamais un moutonte fait du mal, je t’autorise officiellement à l’appeler Milton pour te venger !

    Alice et moi éclatons de rire.

    Elle me prend par le bras, et nous nous dirigeons vers le cabanon de bois pour récupérer de quoim’équiper.

    – Ciao les filles ! me lance Milton avec un clin d’œil.

    Je me retourne et je lui tire la langue !

    ***

  • – Je suis fière de toi, m’encourage Alice.– Merci. J’ai grandi à la montagne, mais je ne me suis pas souvent occupée d’animaux.

    Nous revenons vers la maisonnette après un après-midi de dur labeur, parfaitement exténuant maisfoncièrement passionnant ! Je ne ferai peut-être pas ça toute ma vie, mais ça a été un vrai plaisird’être près des moutons, de les chouchouter et de les bichonner.

    Et puis, il y en a bien un que j’ai nommé Milton. Mais…

    Chut !

    Bon, à vrai dire, il ne m’avait rien fait de mal. C’est juste qu’en le brossant, j’ai commencé à luiparler. Il avait l’air de m’écouter avec tant d’attention avec ses grands yeux… Alors la discussion acommencé et je m’imaginais parler à Milton… Jusqu’à ce que Bernie revienne vers moi. Même si jeme suis tue immédiatement, je crois bien qu’il m’a surprise et qu’il avait un petit sourire en coin…

    Je monte les marches de la petite dépendance dans laquelle nous sommes logés. J’ai laissé lesbottes maculées de boue à l’entrée, mais je dois avouer que le reste de mon corps l’est presque toutautant !

    Arrivée à l’étage, je retire mon pull et mon débardeur.

    – J’aime voir tes seins libres comme ça.

    Je sursaute et me retourne.

    – Milton ! Mais ça va pas de faire peur aux jeunes demoiselles dénudées ?– Tu es si sexy, simplement en jean. Tes longs cheveux blonds et bouclés qui retombent sur tes

    épaules et sur ta belle poitrine ferme. J’adore. Tu es magnifique. Et puis, toute cette boue sur tapeau… Ça te donne un petit côté sauvage qui me plaît beaucoup.

    Il se lève du fauteuil sur lequel il était assis et se dirige droit vers moi.

    – J’étais venue prendre une douche, fais-je avec un sourire, les poings sur les hanches.– Comme quoi, il faut savoir s’adapter aux changements de programme dans la vie, me répond-il

    en haussant les épaules.– Mais… Je dois sentir le mouton ! m’exclamé-je.

    Il éclate de rire.

    – Ne t’inquiète pas, je serai doux comme un agneau, rétorque-t-il avec un regard de braise.

    Il est maintenant tout proche. Il pose ses lèvres sur les miennes, mais sans me toucher encore. Ilretire son tee-shirt et dévoile son torse sculptural. Je me baisse un peu et embrasse ses pectoraux. Ilpose son front contre ma tête. Nos mains se joignent et nous nous étreignons.

  • Lui aussi est maintenant plein de boue…

    ***

    Ce soir, tout le monde s’affaire à la préparation du dîner… Sauf moi !

    – Charlotte, toi, ton travail, c’est de te reposer, me déclare Alice d’un ton directif. Alors va doncsur le canapé du salon. Nous nous occupons du reste !

    Je lève les yeux vers Bob.

    – Ah, si Alice le dit, il serait mal vu de la contredire, dit-il en souriant. N’est-ce pas Milton ?– Parfaitement !

    Très bien. Je ne vais pas m’en plaindre : mon après-midi a été plus que sportif…

    Je me love tranquillement dans les coussins moelleux du sofa en fermant les yeux un instant.

    Soudain, j’ai une pensée pour Nina. Ça fait une éternité que je n’ai pas eu de ses nouvelles ! Jeprends mon téléphone de suite et clique sur son contact.

    – Allô Charlotte ! Je suis contente que tu m’appelles, dit-elle d’une voix douce.– Ça fait plaisir de t’entendre, Nina.– Comment ça va alors en Nouvelle-Zélande ?– Très, très bien. Nous passons un très bon moment.– Alors… C’est bien la mère de Milton, c’est ça ? questionne-t-elle.– Hmm… Non. Ce n’est pas exactement ça, bafouillé-je, incertaine.– Pas exactement ça ? C’est bizarre comme formulation…– Je te raconterai tout à mon retour. Mais je voulais surtout savoir comment tu allais, toi. Où

    loges-tu, d’ailleurs ?– Je suis chez Karl. Il m’a accueillie très gentiment. Ça se passe super bien. Et puis, il prend très

    bien soin de moi.– Chouette !

    Je n’avais jamais entendu la voix de Nina aussi sereine. Je sens Nina bien pudique sur cettehistoire d'amour naissante. Je respecte sa discrétion. Elle a traversé des choses difficiles et ellesemble bien tenir le coup. Karl ne doit pas y être pour rien.

    Je reprends :

    – Et comment ça se passe avec tes oncles ?– J’évite tout rapport avec eux pour l’instant. Je ne veux pas gêner l’enquête. Ça me permet aussi

    de prendre du temps, de remettre certaines choses au point.– Oui, je comprends, fais-je.

  • Milton m’a dit ce matin que les frères Bertram n’ont encore rien dit à la justice. Mais je préfère nepas en parler à Nina. Je laisse un temps de silence, puis :

    – Et avec ton père ? demandé-je délicatement.– Pareil, répond-elle simplement. J’ai à faire le deuil de beaucoup de choses. Il me faut du temps.– Tu sais bien que si tu as besoin de moi, je suis là, n’est-ce pas Nina ?– Oui, bien sûr que je le sais ! s’exclame-t-elle en souriant. Heureusement que vous avez été

    présents, Jay et toi. Je ne sais pas comment j’aurais fait.– Et Karl ! ajouté-je.– Ah… Karl…

    La voix de Nina devient rêveuse.

    C’est alors que Bob arrive dans le salon en portant une grosse marmite en fonte avec des maniquesroses à pois blancs.

    – C’est prêt ! À table ! lance-t-il à la cantonade.– J’en ai pour une minute, lui chuchoté-je en recouvrant le micro du portable.

    Puis je reprends pour Nina :

    – Il va falloir que je te laisse, nous passons…– … À table. Oui, j’ai entendu, dit-elle en riant. Bon, j’ai été contente que tu m’appelles. Tu

    rentres quand ?– En début de semaine prochaine.– Téléphone-moi dès ton retour en Suisse, OK ?– OK, promis ! Je t'embrasse.– Moi aussi.

    ***

    Je me réveille bien tardivement le lendemain matin. La nuit a encore été agitée.

    Et pour de bonnes raisons !

    Je me retourne dans le lit. Sans surprise, Milton est déjà parti. C’est un actif. Il doit toujoursavancer dans tout ce qu’il fait, et ce n’est pas son genre de lézarder des heures sous les draps.

    Alors que moi, j’adore ça !

    Je souris pour moi en m’étirant comme une chatte. Je m’octroie encore quelques minutes dedouceur matinale, puis je me lance, pleine d’énergie, à l’assaut de la salle de bains.

    J’ouvre le robinet, et une eau délicieusement chaude m’enveloppe. Ici aussi, je pourrais y resterdes heures !

  • Mais soudain, j’entends une sonnerie. Je coupe l’eau. C’est celle du portable de Milton. Bizarre :je ne l’ai pas entendu rentrer. Ça s’arrête. Personne n’a répondu. Je laisse passer un moment avant derelancer la douche, quand la sonnerie retentit de nouveau.

    Oh non, il va falloir sortir du doux cocon de la salle de bains ! Je m’enveloppe rapidement d’uneserviette et je reviens dans la chambre. Le son vient de la table de chevet de Milton. Tiens, il aoublié son mobile ?

    Je regarde l’écran : c’est Hadrian qui appelle, son bras droit au boulot. J’hésite un instant. Est-ceque j’ose ? Ça peut être important. Je réponds.

    – Allô Hadrian ?– Charlotte ? dit-il d’un ton surpris et inquiet. Dites-moi, tout va bien ? Milton est là ?– Oui, oui, tout va bien Hadrian, ne vous en faites pas, le rassuré-je. Milton ne doit pas être loin.

    Que puis-je faire pour vous ? Y a-t-il un souci quelconque ?– Non, bien évidemment, pas de problème, rétorque-t-il d’un ton un poil vexé. Non, en fait je…

    Je…– Oui ?

    Il semble avoir du mal à exprimer ce qu’il a sur le cœur.

    – Je m’inquiétais, voilà, avoue-t-il.

    Hadrian a toujours eu l’air beaucoup plus froid qu’il ne l’est réellement.

    Il reprend :

    – Est-ce que Milton va bien ? Je suis au courant pour le détective, vous savez Charlotte. Je saisaussi qu’il a trouvé une piste, et que vous êtes partis en Nouvelle-Zélande, déclare-t-il, apparemmentpréoccupé.

    – Encore une fois, Milton va très bien. Et ne vous inquiétez pas, nous revenons bientôt.– Et donc cette piste est concluante ?– Ce n’est pas si simple. Nous avons rencontré quelqu’un qui a bien connu la mère de Milton…

    Avant qu’elle ne décède prématurément, annoncé-je avec précaution.– Oh mon Dieu ! Je suis désolé.– Nous avons vécu beaucoup de choses poignantes. Mais le moral est bon. Milton vous le

    racontera sûrement.– Oh ça, je n’en suis pas sûr…– Vous savez qu’il vous considère comme un ami. Je ne pense pas qu’il vous l’ait dit. Ce n’est pas

    son genre d’exprimer ses sentiments. Pas le vôtre non plus, peut-être ? glissé-je doucement.

    Hadrian fait une légère pause, puis continue :

    – En tout cas, je suis soulagé d’apprendre qu’il va bien.– Et sinon, Hadrian, je voulais vous dire…

  • – Oui ?– Je suis contente : vous m’avez appelée Charlotte, comme je vous l’avais demandé. Et plus

    mademoiselle Becker. Merci ! lui dis-je en souriant.– Oh, euh… bafouille-t-il.

    Et sans lui laisser le temps de répondre :

    – Donc y a-t-il un message que je peux prendre pour Milton ? De ta part ? lui demandé-jemalicieusement.

    Je sais que Hadrian sera un peu troublé par le tutoiement, mais bon, si on le bouscule pas un peu,on va pas s’en sortir !

    Mais, contre toute attente, il répond :

    – Pourras-tu simplement lui demander de me rappeler ?– Aucun souci.– Merci Charlotte.– À bientôt, Hadrian !

    Et nous rions tous les deux au téléphone avant de raccrocher.

    – À ce que je vois, tu t’es fait un nouvel ami ! lance Milton avec un sourire, en entrant dans lachambre.

    Je me retourne en sursautant.

    – Toi, tu as le chic pour te trouver toujours là où on ne t’attend pas, lui dis-je en riant.– Et toi, tu réponds à mon téléphone ? répond-il avec les sourcils froncés.

    Prise de court, je balbutie :

    – Non mais… Euh… C'était Hadrian et… Et je me suis dit…

    Milton éclate de rire.

    – Je te taquine ! Bien sûr qu’il n’y a aucun souci. Que voulait-il de si urgent ?– Il s’inquiétait pour toi. Tout simplement.

    Milton paraît surpris et touché. Troublé, il change rapidement de sujet :

    – J’étais simplement venu chercher mon portable. Je l’avais oublié.– Oui, d’ailleurs, cela ne te ressemble pas. Tu es préoccupé par quelque chose ?– Je vois que tu commences à bien me connaître, annonce-t-il en s’asseyant à mes côtés sur le lit.– Tu dois retourner à Boston pour travailler, c’est ça ? lui dis-je en le cajolant.– Retourner à Boston, oui. Mais ce sera plutôt pour parler avec mes grands-parents.

  • Je reste un instant silencieuse dans ses bras.

    – J’imagine que, si tu veux, Alice t’accueillera avec plaisir pendant encore quelques jours,reprend-il.

    – Hors de question ! m’exclamé-je en me redressant. Je ne vais pas te laisser seul dans un momentpareil.

    Il me regarde d’un air pénétrant.

    – Alors nous partons cet après-midi.– Déjà ! ?

    Quand je disais que Milton est un homme d’action…

    ***

    Les au revoir avec Alice et Bob ont été émouvants. Mais Milton leur a promis que nous nousreverrions vite. Et il tient toujours ses promesses. Nous avons aussi pu saluer Gaëlle, devenue unevéritable nouvelle amie.

    Le voyage en jet paraît filer comme l’éclair. L’arrivée à Boston en plein hiver est un peu rude.Nous avons quitté la douceur du climat néo-zélandais de manière si abrupte ! J’ai à peine eu le tempsde me préparer mentalement. Milton, lui, semble paré à affronter n’importe quelle épreuve. C’est unroc.

    En si peu de temps, nous sommes passés de la jolie ferme d’Alice à l’appartement luxueux deMilton.

    Il faut que mon cerveau se réadapte.

    Milton a sollicité une entrevue avec ses grands-parents dès ce soir. Je n’ai que quelques heurespour m'acclimater de nouveau et me reposer. Je réalise que lorsque Milton a une idée en tête, il faittout pour aller jusqu’au bout, et ce sans temps mort.

    – Réveille-toi Charlotte, dit-il de sa voix douce et grave.– Co… Comment ? balbutié-je.– Nous avons rendez-vous chez mes grands-parents dans une heure.

    J’ai l’esprit tout engourdi par la sieste. Je ne suis pas encore une pro du jet-lag !

    – Tu n’es pas obligée de venir, tu sais, glisse-t-il. Je ne t’en voudrais pas.

    Je ris doucement.

    – Donne-moi cinq minutes et je serai opérationnelle.

  • – Bien.

    Il m’embrasse sur le front.

    Dans le taxi qui nous mène à la propriété des Turner, je ne cesse de regarder Milton. Il est moinstourmenté que je ne l’aurais cru. Si ce séjour en Nouvelle-Zélande a été un vrai cyclone intérieur, ilne reste après son passage que calme et sagesse.

    Une fois arrivés, nous sommes accueillis par l’immuable majordome. Celui-là semble faire partiedes murs : c’est à peine si je pourrais l’imaginer avoir un chez-soi.

    Il nous mène dans le vestibule, et, pour la deuxième fois, je patiente, assise, en contemplant ladécoration désuète de la petite pièce ronde. Milton dégage une sérénité à toute épreuve. Je ne peuxpas en dire autant à mon sujet. Je m’attelle à respirer doucement et profondément. Milton me tient lamain. Il me sourit calmement.

    – Je suis là, me rassure-t-il.

    C’est alors que des bruits de pas font résonner le vieux parquet en bois. Ce sont des talons defemme. Dans l’encadrement de la porte, apparaît sans surprise Denise Turner. Visage plus froid etfermé que jamais. La température de la pièce semble avoir chuté de dix degrés.

    Milton et moi nous levons. Elle ne dit pas un mot et se retourne, direction le petit salon. Nous lasuivons silencieusement.

    En pénétrant dans la pièce, j’aperçois Edward, déjà installé. Il ne se lève pas, ce qui est unegrosse entorse à son étiquette. Cela en dit long sur l’atmosphère qui règne ici.

    C’est Milton qui le premier prend la parole. Il parle très posément. Sa voix grave est chaude etrassurante. J’imaginais un flot de reproches véhéments, mais c’est au contraire une explicationpatiente. Il détaille tout ce qu’il sait, tout ce qu’il a appris sur le château, sur Abigail et sur sanaissance.

    Une fois son discours terminé, les paroles font place aux regards. Denise semble accuser le coup.Un lourd silence s’est installé. Edward a les yeux ronds et respire fortement. Tout doucement, Denisese met à parler. Sa voix n’est pas aussi ferme que la dernière fois. Je perçois peut-être untremblement. Contre toute attente, elle est manifestement surprise.

    – Mais nous ne savions pas que les jeunes filles étaient maltraitées à la pension Bertram ! Enfin,c’était une institution tout ce qu’il y a de plus respectable, avec une réputation très ancienne. Quiaurait pu croire ? dit-elle d’un air effaré en direction d’Edward. Tu nous reproches de l’y avoirenvoyée, mais tu sais, dans notre milieu, c’était une chose très courante d’envoyer les jeunes fillesdans cet état se reconstruire au vert. Je conçois que c’est difficile à accepter pour les gens de votreâge, mais c’était pour nous un sacrifice auquel il fallait nous résoudre.

    – Un sacrifice ? Pour vous ? réplique Milton sèchement.

  • – Mais oui, bien entendu ! C’est une souffrance que d’être rejeté par sa fille alors que l’on fait aumieux pour elle ! C’était pour son bien. Une nécessité ! Enfin Milton, ne te rends-tu pas compte ?

    – Une nécessité pour votre réputation, peut-être ? rétorque Milton.– La nôtre et celle d’Abigail, mon cher petit-fils, répond Edward avec les dents serrées. Comment

    peux-tu t’imaginer qu’elle trouve un parti après un événement comme celui-là ?– Mais là où les jeunes filles rentraient toujours dans le rang, continue Denise, ta mère nous a tenu

    tête. Elle nous a juré de ne plus jamais nous revoir. La séparation a été terriblement dure. Ses motsont été d’une violence… Si tu savais ! Après tout cela, ça n’a malheureusement pas été une surprised’apprendre qu’elle avait disparu.

    Sa voix chancelle. Je vois l’émotion poindre dans ses yeux.

    – Nous avons toujours pensé qu’elle reviendrait avec le temps. Qu’elle voudrait reprendrecontact. Si ce n’était pour nous, au moins pour toi. Toutes ces années, cette absence, ça a été unedouleur terrible.

    – Terrible… répète Edward en secouant la tête.– Nous pensions véritablement qu’elle nous avait tous rayés de sa vie ! s’exclame Denise. Nous,

    ses parents, mais également toi et son prétendu grand amour.

    Ses paroles sont devenues graves.

    – Maintenant Milton, annonce Edward calmement, il faut que tu acceptes que nous sommes, nousaussi, sous le choc. Tu nous apprends la mort de notre fille, tu nous expliques que toute une partie denotre vie s’est avérée fausse. Tu dois nous laisser le temps. Le temps du deuil, le temps durecueillement, et le temps de la réflexion. Oui, peut-être sommes-nous coupables de quelque chose,mais nous ne savions rien. Rien, entends-tu ?

    – Je ne veux pas juger votre relation avec Abigail et vos choix concernant son éducation, lanceMilton. Cela ne me regarde pas. La seule chose qui m’importe est que vous m’ayez menti.

    – Certes, nous n’aurions peut-être pas dû te mentir, déclare Denise d’une voix émue. Maisqu'aurions-nous pu te dire ? Parfois, la vérité est trop dure pour un enfant. Si c’est pour cela, alors jete demande pardon. Sincèrement.

    – Oui, Milton, sincèrement, reprend Edward.

    De nouveau un silence épais emplit la pièce.

    Milton respire profondément. Il ne s’attendait pas à cette version des faits. Sans me regarder, ilserre fort ma main.

    Il n’y a rien de plus douloureux que de crever un abcès.

    Mais c’est alors que tout peut se reconstruire.

  • 5. Le point culminant

    Le chemin est bien étroit. Trois, quatre mètres tout au plus. À gauche et à droite, la roche descendà pic et c’est la mer à perte de vue. Milton a marché plus vite que moi et je trottine pour le rattraper.Il m’attend au sommet d’un petit sentier qui serpente vers la mer, en contrebas.

    L’hiver n’est pas terminé, mais le climat est plus doux ici qu’à Boston ou – bien évidemment –Gstaad. La Nouvelle-Zélande ? Non. L’île de Sercq, située dans la Manche, non loin de Guernesey.Les températures sont clémentes mais aujourd’hui la mer est houleuse. Les vents balaient les vaguescontre les falaises escarpées de cette petite île verdoyante, et je me sens faire partie d’un tableauromantique de Friedrich.

    Trois jours que nous sommes ici, sur ce petit coin de paradis. Aux promenades en calèchesuccèdent les longues journées au lit. Le manoir dans lequel nous logeons est une magnifique bâtisseen pierre du xvıııe siècle.

    Quand nous sommes épuisés par trop d’étreintes, nous cuisinons ensemble dans l’immense cuisineséculaire. Nous sommes si complices qu’un seul regard nous suffit pour éclater de rire. Nous nouscomprenons tant que nous anticipons à chaque fois les désirs de l’autre.

    Et nous n’arrêtons pas de parler ! Les conversations nous emmènent à chaque fois loin dans la nuit.Les sujets sont intarissables. Nous découvrons tout de nos enfances respectives. Tout ce que nousaimons, tous les détails insignifiants et indispensables de nos vies. Nous rions beaucoup, maisparfois quelques larmes d’émotion nous échappent.

    Milton me fait découvrir des jardins splendides dont les fleurs naissantes colorent magnifiquementle paysage. Puis nous empruntons de minuscules chemins pour aborder des voiliers superbessemblant sortir de romans d’aventure.

    Bref, c’est le paradis !

    – Ce n’est pas un peu raide ? demandé-je à Milton, voyant d’en haut le mince ruban de terredévaler la pente.

    – Ce n’est que pour quelques mètres. Viens, je te tiendrai, répond-il en me tendant la main.

    Nous descendons de quelques pas, et Milton me mène derrière une corniche de pierre. C’est unminuscule plateau de mousse de deux mètres sur deux, comme en apesanteur au-dessus des flots. Lavue est extraordinaire. À gauche, les falaises résistent à l’assaut des vagues blanches, et à droite,l’étendue de la mer luit sous le soleil. Au loin, on peut deviner dans la brume les côtes deNormandie.

  • Je regarde Milton dont les cheveux sont balayés par le vent puissant. Nos regards sont aimantés.De nouveau, je nous sens seuls sur Terre, notre amour terrassant le monde.

    Milton me dit quelque chose. Je n’entends rien : le bruit est assourdissant. Il sourit et sort sonportable. Quelques secondes et mon mobile vibre. Il m’a envoyé un SMS :

    [Tu n’as jamais été aussi belle.]

    Nous rions ensemble, puis nous nous mettons à l'abri du vent. Milton se baisse. Veut-il ramasserquelque chose ? Il pose un genou à terre et lève les yeux vers moi.

    Oh non… Serait-ce…

    Mon cœur bat la chamade. Mes membres se mettent à trembler.

    Mon Dieu… Milton… Tu es…

    Il me prend la main. Je n’entends presque plus le vent tant mes oreilles résonnent de la pulsationde mon cœur.

    Il sort de sa poche un écrin en velours violet. Il l’ouvre et découvre une bague. Un diamant, le plusbeau que je n’ai jamais vu de ma vie. J’aperçois à peine son éclat étincelant tant mes yeux seremplissent de larmes. Je suis prise de soubresauts. Je porte ma main à la bouche.

    Oh Milton… C’est trop… Je… Je t’aime tant…

    J’ai un petit rire entre deux sanglots. Il rit aussi. Nous pensons tous les deux à la même chose. Jesais pourquoi il a choisi cet endroit : c'est l'image romantique dont nous avions parlé. Ce clichéprésent dans tous ces romans d'amour que je lisais. C'est la grande déclaration de l'homme amoureuxsur la falaise battue pas les vents. Et c'est vrai que là, j'y crois ! Milton me montre en vrai ce que jeressentais au fond de moi : l'essentiel n'est pas la destination, mais le voyage. Il me l'a bien prouvélors de sa déclaration au supermarché. Et le prince que j'ai trouvé est mille fois plus charmant quetous ces héros de papier qui m'ont fait rêver.

    Il se lève alors et vient tout contre moi. Il colle sa joue contre la mienne. Mon regard porte loin surla mer. Ses lèvres touchent pratiquement mon oreille. Il chuchote – presque un murmure – de sa voixcaressante :

    – Charlotte Becker, voulez-vous m’épouser ?

    Je décolle ma joue de la sienne pour le regarder droit dans les yeux. Nos visages sont à unetrentaine de centimètres l’un de l’autre. Impossible qu’il m’entende avec le bruit ambiant, alorsj’articule avec mes lèvres, sans un son :

    – Oui. Mille fois oui. Milton Turner, je vous aime.

  • Nous nous laissons tomber à genoux. Je me jette dans ses bras. Nous nous étreignons commejamais auparavant. Nos bouches se trouvent et notre baiser enflammé nous transporte loin au-delà del’amour. J’entends comme des violons jouer mille harmonies autour de moi.

    Nous nous relevons et Milton me prend par la main. Nous continuons le petit sentier, comme unpassage secret. C’est alors que je la vois, au loin : une maisonnette nichée dans la falaise. Nous ypénétrons. Je laisse échapper un cri de surprise. C’est un vrai petit nid d’amour. L’intérieur est ornéde dizaines de bougies. Le sol est parsemé de milliers de pétales de fleurs. Un foyer brûle d’un feuvif devant un grand tapis moelleux.

    Milton referme la porte. Le bruit du vent s’est éteint. Nous nous regardons intensément. Je ne peuxplus résister : je me jette sur sa bouche que mes lèvres caressent voluptueusement. L’émotion me rendfolle. Mes mains sont fébriles et vont chercher son corps. Je sens le cœur de Milton battre de même.Nos peaux se touchent et s’électrisent. Les sens prennent le pas sur la raison et nos salives se mêlentdans une sensualité indécente.

    Tu es mon amour Milton. Mon grand amour.

    Nos visa