Religions Du Livre

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    Edmond ORTIGUES (1917-2005) Thologien et philosophe,Auteur dun ensemble important de travaux en philosophie et en sciences humaines

    (1981)

    Religions du livre.Religions de la coutume

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected] Site web pdagogique :http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

    Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales"Une bibliothque numrique fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay,

    professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite web:http://classiques.uqac.ca/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

    Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web:http://bibliotheque.uqac.ca/

    mailto:[email protected]://www.uqac.ca/jmt-sociologue/http://classiques.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://classiques.uqac.ca/http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/mailto:[email protected]
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    Du mme auteur,chez d'autres diteurs

    Le Temps de la parole , Delachaux & Niestl, 1954.

    Le Discours et le symbole , Aubier, Ire dition 1962, 2e dition1977.

    Oedipe africain , 1re dition, Plon, 1966 ; 2e dition revue etaugmente, U.G.E., coll. 10/18, 1973 [en collaboration avec Marie-Ccile (Glinier) Ortigues].

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    Edmond ORTIGUES (1917-2005) Thologien et philosophe,

    Auteur dun ensemble important de travaux en philosophie et en sciences humaines

    Religions du livre.Religions de la coutume

    Paris : Les ditions Le Sycomore, 1981, 191 pp.

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    Table des matires

    Prsentation du livre (Quatrime de couverture)

    Introduction I. Le monothisme

    II. Le destin et les oracles III. La destine individuelle chez les Tallensi IV. Le mythe fragmentaire V. Gmellit inceste et folie chez les Bambara et les Dogon VI. Les origines augustiniennes de la philosophie de l'esprit VII. Philosophie du langage et philosophie du droit VIII. critures et traditions au Concile de Trente

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    Prsentation du livre(Quatrime de couverture)

    Retour la table des matires Ce livre runit deux sortes dtudes qui traitent alternativement des

    religions bibliques (origine du monothisme, Trinit chrtienne, Ecri-tures et Traditions) et des religions coutumires comme celles quelon peut encore observer en Afrique. Quel rapport y a-t-il entre le

    culte des Anctres et celui du Dieu unique ? Entre la justice des ora-cles et la justification par la foi ? En quoi llment mystique qui ac-compagne de faon discontinue les crations de lesprit se distingue-t-il de la Coutume et de la foi qui assurent la continuit dune tradition ?Le sentiment religieux na rien qui lapparente la nature dun projet,mais, comme lart, il construit des formes vivantes travers lesquellesse rvlent certains aspects durables de la condition humaine. Danslhistoire des arts de vivre, lanalyse ne peut prtendre autre chosequ duquer la perception. Des rapprochements quil pourra faire en-tre les divers chapitres de ce livre, chacun en tirera ses propresconclusions.

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    Religions du livre. Religions de la coutume

    Introduction

    Retour la table des matires Deux sortes d'tudes composent ce recueil : les unes concernent les

    religions du livre, principalement le judasme et le christianisme ; lesautres traitent des religions de la Coutume, comme celles que l'on peutencore observer quelquefois en Afrique, malgr le dclin des civilisa-

    tions villageoises. Bien que ces tudes puissent tre lues indpen-damment l'une de l'autre, je les ai prsentes dans un ordre qui per-mette d'entrevoir la continuit d'une mme recherche.

    L'histoire des religions est l'histoire des dtours lointains auxquelsles hommes ont d s'astreindre pour arriver faire ce qu'ils avaient faire : s'associer, se reproduire, chasser le gibier, cultiver des champs,construire des villes, etc. De tous temps, les hommes ont considrleurs rves comme sacrs, et leurs actions utiles comme profanes.

    L'une des principales questions que l'on retrouvera tout au long dece livre pourrait se formuler ainsi : d'o vient que la, pense religieuseest insparablement lie des formes institutionnelles et rituelles detransmission ou de tradition ? Il existe en histoire des religions unedifficult que l'on ne rencontre pas au mme degr dans l'histoire des

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    sciences et des arts. L'historien de l'art, par exemple, est assur d'avoirun domaine spcifique d'tude dans la mesure o l'objet esthtique peut tre spcifi par la facture de loeuvre et la psychologie de la

    perception c'est--dire par des moyens autres que ceux de l'histoire. Lefait qu'une statue ait pu tre considre comme une Madone c'est--dire comme une reprsentation sacre, non comme un spectacle desti-n des jouissances profanes, n'empche pas l'historien de l'art des'intresser la facture de l'oeuvre pour elle-mme. Il dispose pourcela de critres logiquement indpendants de l'histoire. Quant lascience, elle tend formuler des noncs contextuellement libres dansleurs construction logique ; elle se donne pour tche d'expliciter lesarguments et d'en soumettre les conclusions l'preuve de l'exp-rience. C'est partir de critres qui sont logiquement, sinon psycholo-giquement, indpendants de l'histoire que l'historien des sciences etdes arts cherche dlimiter son domaine d'tude. L'historien des reli-gions est beaucoup moins assur d'avoir un domaine propre. Pour sp-cifier ce domaine il n'est pas certain que nous disposions de critresindpendants de l'histoire. C'est pour cette raison sans doute que l'on aclass les religions d'aprs la faon dont .elles se communiquent ou, setransmettent, en distinguant les religions ethniques qui se transmettent par voie de coutume ancestrale et les religions de salut qui se trans-mettent par voie de prdication doctrinale vocation universelle. Enfait, il n'existe pas de religion universellement admise mais seulementdes religions missionnaires et d'autres qui mettent leur confianceinaris et focis, dans le foyer et son double, l'autel. Les religions mysti-ques elles-mmes se transmettent par l'autorit d'un Guru. Ne faut-il pas chercher dans le contenu des croyances religieuses ce qui les rendinsparables des formes rituelles de la communication ?

    Les religions ethniques sont un hritage. La coutume est de soi re-ligieuse car elle enveloppe le culte des origines, origines du ciel et dela terre, des signes et du mal, des usages et des lois, des peuples et deslieux-dits. Le culte des anctres devrait tre appel plutt le culte del'ancestral, car il s'adresse moins aux gniteurs naturels qu' leurs M-nes surnaturelles. Les gnalogies font elles-mmes partie des fonda-

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    tions pour la mme raison qu'il ne suffit pas de natre pour tre unhomme mais qu'il faut tre reconnu par un rite d'imposition du nom.Le domaine ancestral se peuple d'entits cultuelles que nous appelons

    des gnies, des esprits, ou des dieux ; il est peupl de craintes et d'es- poirs, de phobies et de contre-phobies. Le dieu est-il un parent ou unalli ? C'est un privilge divin de pouvoir tre la fois l'un et l'autre etd'exister avant l'interdiction de l'inceste. Ainsi le Dieu pre (Zeus Pa-ter) peut-il tre aussi le Dieu des serments (Zeus Orkos). Les dieux sedfinissent par leurs "Puissances" c'est--dire par les fonctions qu'ilsremplissent l'gard de la communaut des hommes. Pourquoi parlez-vous de dieux solaires ? Ce n'est pas l'aurole qui distingue un saintd'un autre, mais un certain pouvoir d'intercession et de miracle. LaToute Puissance elle-mme est le pouvoir d'tre unique, d'lire qui elleveut et d'endurcir les coeurs de ceux qu'elle condamne. La Toute Puis-sance n'est donc pas socialement indiffrencie.

    La religion des anctres n'a pas de Credo ; elle n'est pas exportable par principe comme l'est une Doctrine. Quand les individus prouve-ront le besoin d'tre sauvs chacun pour son compte, natront les reli-gions missionnaires, mais quoi bon prcher quand l'espoir est seu-lement d'tre runi ses anctres ? Les romains de l'antiquit ne de-mandaient pas aux chrtiens de "croire" ce qu'Ovide appelait "lesmensonges des anciens potes", mais ils leur demandaient de sacrifieraux dieux de l'empire, ce qui tait un geste civique d'allgeance.L'existence des religions ethniques est le seul fait religieux absolu-ment universel, non seulement parce que ces religions coutumires ontexist partout mais parce qu'elles continuent nourrir de leur sve po- pulaire les grandes religions missionnaires qui n'auraient pu long-

    temps subsister sans elles. Il n'y a pas de peuple sans religion, parceque la religion est ce qui unit les vivants et les morts dans un seul etmme peuple. Les chiens marquent leur territoire par quelque libationnaturelle, les hommes par des emblmes divins, des clochers, des fa-nions, des temples, des oeuvres d'art, des symboles o l'me se rvle pour soi, au-del de ce qui spare les vivants et les morts. Les raisonsde vivre sont les raisons de vivre l, en un lieu consacr par la patine

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    des ges et le compagnonnage, un lieu o le temps cyclique, commel'on dit, est le temps utile avec ses alternances de jour et de nuit, desaisons, d'annes, de sicles... La coutume est raison, parce que les

    seules raisons de vivre qui puissent tre qualifies de religieuses sontles raisons d'tre l, d'habiter quelque part, plutt que d'tre une meerrante comme les morts sans autel ou les fous sans raison qui partents'garer dans la brousse. Pour vivre sur un sol dshrit faut une rai-son divine, un hritage incorruptible. On demandait un jour une in-tellectuelle musulmane pourquoi elle faisait circoncire son fils.

    Aprs avoir cherch toutes sortes de raisons qui lui parurent vai-nes, elle conclut : "Parce que c'est la coutume chez nous. Je fais cequ'ont fait mes parents". Pourquoi Dieu prfrerait-il l'eau baptismale la chair des prpuces ? La coutume est raison parce qu'elle instituel'humanit de l'homme comme un hritage qui se transmet traversles gnrations. Dans une situation d'incertitude, comme celle qu'illus-tra l'ne de Buridan, quand tous les choix sont galement alatoires,dcision vaut raison. Que faire quand on est son propre enjeu et qu'onaime la vie ? Dieu joue aux ds. Lorsqu'il n'y a pas de raison prexis-tante pour choisir, cration vaut raison.

    Quand on parle de "croyances religieuses", il faut prendre gardeque le mot "croyance" est destin distribuer les penses entre nous,les miennes et les tiennes. Une croyance est une assertion tenue pourvraie. Elle est une expression que l'on peut dsigner, sans quoi nous ne pourrions. l'identifier comme tant telle croyance plutt que telle au-tre. Elle se dfinit par sa structure logique et ne se reconnat commeralit psychologique que secondairement, travers l'inquitude ou

    l'interrogation. Il y aurait un cercle vicieux vouloir dfinir lacroyance psychologiquement alors qu'elle nous sert introduire les problmes psychologiques. Le concept de croyance est un instrumentd'analyse par lequel nous distinguons les conditions de vrit d'une proposition et ses conditions subjectives d'acceptabilit. Nos persua-sions se reconnaissent nos actions. C'est pourquoi la conscience quenous en avons est intermittente. Il ne faut pas confondre les croyances

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    La troisime composante de la religion, aprs la coutume et la foi,est la mystique. Elle se conoit comme un exprience directe, intuitiveou extatique, une illumination. La mystique est partout solidaire de

    considrations cosmologiques plutt qu'historiques (bien qu'elle sedonne des rfrences historiques chaque fois qu'elle se rattache uneinstitution religieuse). On notera que les "dmonstrations de l'exis-tence de Dieu" reproduisent la voie ngative des mystiques, laquellen'implique pas de soi la croyance un Dieu personnel. Quand le mys-tique est aussi un croyant, l'exprience du ngatif se combine avec lacrainte de Dieu et l'esprance, mais quand l'lment mystique s'ida-lise dans la connaissance du monde, l'acceptation de nos limites de-vient une rconciliation avec le prsent ; alors la suprme instance dela sensibilit humaine ne se trouve plus dans la crainte et l'esprancemais dans l'amour intellectuel de ce qui existe.

    *

    Les textes runis dans ce recueil ont t crits des dates diffren-tes et la plupart d'entre eux se trouvaient disperss en diverses publi-cations.

    La premire tude traite du monothisme biblique dans ses rap- ports avec les religions de l'ancien Orient. Depuis le sicle dernier, ona beaucoup spcul sur les origines du monothisme. La question m-ritait d'tre reprise la lumire de ce que nous savons aujourd'hui desreligions babyloniennes utilisant elles-mmes de plus vieilles tradi-tions d'origine sumrienne. En essayant de rpondre la question :"Qu'est-ce qu'un Dieu unique ?", nous serons amens introduire un

    certain nombre de notions qui seront reprises, sous un autre clairage,dans les tudes suivantes. Il en est ainsi, en particulier, pour le conceptde "rvlation" dans son rapport la fonction des oracles et des pro- phtes, et pour le concept de tradition dans sa rfrence aux anctres.

    La seconde tude sur le destin et les oracles est le texte d'uneconfrence faite Cerisy-La Salle l'occasion d'un colloque sur la

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    psychologie du destin de Szondi (1977). Cette confrence est une r-flexion sur l'ouvrage collectif Divination et rationalit,dit par J.P.Vernant (Paris, Le Seuil, 1974). La distinction entre la divination in-

    ductive ou mantique et la divination inspire ou prophtie apporteraquelques complments. au premier chapitre.

    La troisime tude intitule La destine individuelle chez les Tal-lensiest le texte d'une prface la traduction franaise d'un petit livrede Meyer Forts :Oedipe et Job dans les religions Ouest-africaines, publi en 1974 aux ditions Mame. Pour crire cette prface je m'taisappuy sur les divers travaux de Meyer Fortes, dontOedipe et Job. nedonnait qu'un bref rsum. J'avais surtout utilis : The Dynamic ofClanship among the Tallensi(1945) etThe Web of Kinship among theTallensi (1949). Il en est rsult un texte qui dborde largement lescirconstances occasionnelles de sa rdaction. Alors que le chapitre prcdent analysait les conceptions du destin dans le cadre des reli-gions smitiques principalement, nous retrouvons maintenant lemme problme l'intrieur d'une religion africaine.

    La quatrime tude est le texte (polycopi) d'une confrence faite Lyon en 1971 l'occasion d'un colloque sur la parole dans les reli-gions africaines. Son titre Le mythe fragmentairefait allusion l'usagerituel des croyances mythologiques l'intrieur des pratiques religieu-ses. Comment se prsentent les valeurs mystrieuses d'un systme re-ligieux ? Quelle est la diffrence entre raconter et prier ? En outre cechapitre bauche une typologie des religions partir de la distinctionentre la coutume, la foi et la mystique.

    La cinquime tude est l'analyse d'un mythe que l'on trouve lafois chez les Bambara et les Dogon. C'est lautomne de 1963, enAfrique, que j'ai critGmellit, inceste et folie.Depuis lors ce textea circul en polycopie (comme le prcdent), et je dois expliquer pourquoi je ne l'avais pas publi. Au moment o j'ai crit ce texte, lesrecherches qui devaient aboutir plus tard la publicationd'Oedipeafricain n'en taient qu' leurs premiers ttonnements. Les traditions

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    Wolof m'apparaissaient alors trop dlabres pour tre comprhensi- bles. Il m'avait sembl utile d'explorer une mythologie plus consis-tante et cependant assez voisine pour fournir des points de comparai-

    son avec ce que nous observions dans les populations du Cap Vert.Par exemple, le "sass" ou madrier rituel des Serer paraissait analogueau "pembele" des Bambara, peut-tre aussi le dieu Ro avec Faro. larentre universitaire 1963164, je dcidai de relire tout ce que je pour-rais trouver sur les Bambara et les Dogon. L'analyse de la mythologie"Mand" ne fut donc pas un but en soi, seulement un moyen pourmieux comprendre ventuellement les tudes de terrain qui se pour-suivaient alors dans l'quipe de Fann. Je ne suis pas all Bandiagara pour vrifier mes sources, M. Griaule, G. Dieterlen, Travele... "G-mellit, inceste et folie" est rest un exercice d'analyse, et c'estcomme tel qu'il faut le lire. Pour comprendre la nature de ce travail, ilfaut relire la prsentation du mythe telle qu'elle se trouvait alors dans La religion Bambarade G. Dieterlen (Paris, PUF, 1950, pp. 16-30).C'est ce texte assez difficile que j'ai tent de dchiffrer.

    L'tude suivante, intitulePhilosophie du langage et philosophiedu droit,est un compte rendu de lecture m'ayant donn l'occasion de prsenter quelques rflexions personnelles dans la revue canadienne Dialogue (vol. XVII,no 3, 1978, pp. 528-547). Le problme central estici celui de la Loi, tout ensemble morale et conventionnelle, qui rgleles rapports entre les hommes et fonde leur appartenance commune un groupe social. Il semble que la mythologie des origines tende r-duire l'une l'autre ces deux sortes de relations que nos concepts juri-diques ont pour fonction de distinguer. C'est du moins ce que semblesuggrer la comparaison entre la finale de ce chapitre VII et le chapi-

    tre V sur la gmellit. On peut formuler le mme contraste autre-ment. La plupart des socits anciennes tendent privilgier une mo-rale du statut dont on hrite (morale de l'honneur et de la honte) alorsque les socits contemporaines accordent beaucoup plus d'impor-tance aux valeurs d'utilit, de prvision, d'initiative. C'est peut-tre parl'ide de contrat que l'on comprend le mieux comment le droit s'estdistingu de la religion.

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    Le chapitre surles origines augustiniennes de la philosophie del'esprit (publi dans lesKant-Studien,t. 63, vol. 2, 1972, pp. 163-

    181), traite d'une question analogue celle du premier chapitre. C'estdans lede Trinitatede saint Augustin qu'est n ce qu'en Europe nousappelons "l'esprit" c'est--dire la pense qui, en se dpassant, se trouveabsolument. Augustin cherche Dieu dans la faon dont l'esprit conoitla prsence soi-mme. Nanmoins la transcendance demeure encore pour lui la Belle trangre dont nous sommes l'image. L'esprit n'a pasencore accept en lui-mme la patience -de vivre. Ainsi quand laneige d'hiver recouvre la terre, l'enfant arrondit d'une volte la fin de saglissade, il place la beaut o ne peut aller. L'unique ncessaire tait pourtant chez soi dj dans le chemin.

    La dernire tude, surles critures et les traditions au concile deTrente,avait t prsente dans divers colloques runissant des tho-logiens catholiques et protestants au cours des annes 1946-1952. Jerappellerai, dans une note au dbut du texte, dans quelles circonstan-ces celui-ci a t compos. On y retrouvera l'un des thmes essentielsde ce livre, savoir la question des rapports entre lesauguria, signesde rvlation, et les sacra ousacramenta, fondements de la commu-naut religieuse. En outre, la controverse entre catholiques et protes-tants est toujours d'actualit en ce quatrime centenaire de la confes-sion d'Augsbourg (1580).

    Je remercie Jean Jamin, qui m'a convaincu de runir ces textesdans une publication d'ensemble. J'espre seulement que leur diversitn'empchera pas le lecteur d'apercevoir entre eux d'utiles convergen-

    ces.Octobre 1979

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    Chapitre ILE MONOTHISME

    Retour la table des matires Qu'est-ce que le monothisme ? La rponse parat simple au pre-

    mier abord : le monothisme est la croyance d'aprs laquelle il n'existequ'un seul Dieu. On remarquera cependant que l'ide d'un Dieu su- prme se retrouve un peu partout dans le monde, soit qu'elle serve hirarchiser un panthon, soit qu'elle explique l'origine des choses, ouqu'elle demeure l'arrire plan dans ce qui doit rester .mystrieux.Pour tenir compte de ce fait, on distingue habituellement "Dieu su- prme" et "Dieu unique", hnothisme et monothisme, le mono-thisme tant le culte exclusif d'un Dieu unique. Cette distinction n'est pas toujours facile faire. Les religions bibliques se reprsentent Dieuenvironn des anges et des saints. Sans doute elles opposent radicale-

    ment le crateur et la crature, l'adoration et la pit, mais le culte n'enconserve pas moins une pluralit de destinataires. Notre calendrierliturgique n'est pas moins peupl qu'un panthon. Patriarches, proph-tes, aptres, docteurs, vierges et martyrs, tmoignent du lien qui unitDieu la communaut humaine. En l'absence de ce lien, il ne serait pas proclam le Dieu vivant, le Dieu des patriarches et des prophtes,

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    le Dieu des anctres et des pres fondateurs. Si le culte des anctresaccompagne en sourdine le culte du Dieu unique, c'est sans doute quela religion, sous sa forme la plus constante, la plus banale et la plus

    universelle, est ce qui unit les vivants et les morts dans une mmecommunaut. C'est pour cela qu'une religion est une tradition, unecoutume, un hritage qui se, transmet. Le sentiment que nous avons denous mmes, demeure narcissiquement li la terre ou la langue denos anctres. Le culte remonte vers ceux dont nous descendons. Lesdieux, quels qu'ils soient, sont toujours lis d'une manire ou d'uneautre la sphre ancestrale de la coutume, suivant le vieil adage :cujus regio, illius religio. C'est seulement dans les cas o une religions'labore en doctrine de salut personnel qu'elle devient par principeexportable. Les religions de salut se reconnaissent une mission doctri-nale universelle. Les religions missionnaires sont nes dans des empi-res ou des aires gographiques pacifiquement ouvertes au voyage, endes temps o le prdicateur de la nouvelle doctrine pouvait s'arracheraux liens de son lignage. Partout o elles se sont implantes, les reli-gions missionnaires ont recouvert d'une pellicule d'orthodoxie le vieuxterreau des religions populaires. Lexistence des religions ethniquesest le fait religieux universel, d'o mergent comme d'originales cra-tions les religions missionnaires.

    Le monothisme fut lui-mme d'abord une religion ethnique. Iln'est devenu religion de salut qu' l'poque hellnistique, surtout tra-vers la diaspora d'Alexandrie et la chrtient d'Antioche. Il convientde s'en souvenir pour comprendre le sens de la question : qu'est-ce quele monothisme ?

    La croyance au Dieu unique ne suppose pas ncessairement quel'on nie l'existence des autres dieux ; elle exige seulement que cesdieux trangers ne soient pas l'objet d'un culte sur la terre d'Isral orgne seul le Dieu des anctres. On connat la plainte de David lors-que Sal l'oblige fuir en terre trangre et donc servir les dieux du pays o il se trouve : "Si c'est Yahweh qui t'excite contre moi, qu'agre le parfum d'une offrande ; mais si ce sont des hommes, qu'ils

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    soient maudits devant Yahweh puisqu'ils m'ont chass maintenant pour m'ter ma place de l'hritage de Yahweh en disant : va servir des,dieux trangers ! Et maintenant, que mon sang ne retombe pas sur la

    terre loin de la face de Yahweh" (ISam. 27, 19-30). C'est le mouve-ment prophtique qui transformera peu peu le monothisme relatifen monothisme absolu. Avant de prendre une signification abstraite,l'unicit divine a eu d'abord une signification sociale et cultuelle :Yahweh est un dieu national dont le culte se veut exclusif, hostile l'gard des autres dieux, ce qui donne aux serviteurs de Yahweh unstatut religieux unique parmi les nations. Un seul Dieu, un seul Peuplelu. Ces deux ides sont insparables ; elles se dfinissent l'une parl'autre suivant la clbre formule d'alliance entre Yahweh et Isral : jeserai votre Dieu, et vous serezmonPeuple. La rvlation monothistese rsume dans une thologie de l'adjectif possessif - mon Dieu,monPeuple. Dieu est le dieu d'Isral, comme Isral est le peuple de Dieu.

    La thologie de l'appartenance lective claire rtrospectivement la prhistoire du monothisme. Le peuple hbreu a su dvelopper d'unemanire originale un certain nombre de notions hrites des traditionsde l'ancien Orient. C'est d'abord la vieille ide sumrienne d'aprs la-quelle les dieux ont cr les hommes pour tre leurs "serviteurs". C'estaussi la tendance des peuples smitiques revendiquer un dieu natio-nal : Kamosh pour Moab, Moloch (c'est--dire "roi", Melech) pourAmmon, Kosh pour Edom, Ashur pour l'Assyrie... Les Smites du Nord concevaient leur dieu national comme un dieu universel dont lergne s'tend sur les peuples trangers ; et la premire dynastie smi-tique de Babylone, celle d'Hammurabi, avait glorifi Marduk au pointd'absorber en lui les autres divinits : "Marduk en tant que Dieu de

    l'agriculture, c'est Ninurta ; en tant que dieu de la bataille, c'est Zibur- ba ; en tant qu'illuminateur de la nuit, c'est Sin ; en tant que dieu de la justice, Shamash ; en tant que dieu de la pluie, Adad..." Pourtant laglorification de Marduk dans l'pope de la cration n'est pas mono-thiste. Yahweh n'absorbera pas les autres dieux, il les exclura, il lesrduira n'tre que des idoles de pierres ou de bois. D'autre part ledieu national est un dieu local, un "baal" c'est--dire un matre du

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    pays, et bien que Yahweh lui-mme ait t considr souvent commeun "baal", la polmique des prophtes contre les cultes locaux souli-gnera surtout la signification sociale de l'unicit divine, le lien d'lec-

    tion qui unit Yahweh son peuple. La thologie de l'adjectif possessif,qui prendra sa forme dfinitive dans la doctrine de l'alliance entreDieu et Isral, s'expliquerait mal cependant si elle n'avait de profondesracines dans la sensibilit populaire. A cet gard, l'un des faits quinous aide le mieux comprendre la prhistoire du monothisme est ladistinction que, selon E. Dhorme, faisaient les anciennes religionsorientales entre les divinits locales (par exemple Ashur) et les "dieux personnels" (par exemple Ilabrat) attachs une personne et sa fa-mille.2 L'expression "dieu personnel" est devenue chez les assyriolo-gues une expression technique servant dsigner non pas des dieuxayant une personnalit (ils en ont une, si vague soit-elle) mais desdieux qui appartiennent en propre tel individu et sa famille. Ledieu personnel est appel "ton dieu, le dieu de ton pre". La thsebauche par Dhorme puis reprise et dveloppe par Henri Gazelle3 tait que les Patriarches de la Gense ne devaient pas tre. considrscomme les fondateurs d'une nouvelle religion, mais que le Dieud'Abraham tait un dieu "personnel" qui se dplaait avec son protg,lui accordait ses bndictions et ses rvlations, garantissait la f-condit de sa race et de ses troupeaux, suivant la coutume communeaux Babyloniens, aux Assyriens et aux Hbreux, d'aprs laquelle"chaque individu a son dieu gardien, prcurseur de l'ange gardien desreligions chrtiennes".4 Le patriarche a transmis son dieu personnelses descendants. Plus tard lorsque les rdacteurs de la Gense vo-queront "le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob", "le Dieu de nos p-res", ils tmoigneront du lien qui rattache le monothisme juif la

    vieille coutume du dieu personnel ou dieu du pre, coutume bien plusancienne qu'Abraham. La thologie du dieu personnel est d'origine

    2 E. Dhorme, La Religion des Hbreux nomades, NSE, Bruxelles, 1937, ch.XX, p. 345.

    3 M. Cazelles, Le Dieu d'Abraham, La Revue des quatre fleuves, no 6 , Seuil,1976.

    4 Dhorme, op. cit., p. 317.

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    sumrienne ; elle a prcd d'au moins un millnaire l'avnement du peuple hbreu dans l'histoire.

    La notion du dieu personnel est diversement prsente par les his-toriens. Dans son livre sur la Religion Babylonienne, Jean Bottronote que la grande liste babylonienne des dieux trouve dans la, bi- bliothque d'Assurbanipal, devait comprendre plus de 2.500 noms di-vins, et que la liste n'est pas close, on en a trouv bien d'autres. Il note par ailleurs la tendance bien connue des hymnes concentrer toutesles perfections, tout le potentiel sacr, sur la personne divine la-quelle on s'adresse hic et nunc. C'est l un phnomne assez gnralque l'on retrouve dans l'Inde et ailleurs. Finalement Bottro donne sondiagnostic sur le sentiment religieux chez les Babyloniens : "La tradi-tion, crit-il, leur proposait des personnalits de dieux en grand nom- bre, et leur entendement n'y rpugnait point, au contraire, mais dansl'exercice de leur religiosit, leur rvrence et leur adoration se poin-taient plus naturellement vers un individu unique, en qui se trouvaitconcentr en pratique tout le divin et le sacr. De nombreux textes il-lustrent ce phnomne, dont l'tude relve de la psychologie de la re-ligion. C'est lui qui claire en trs grande partie l'existence des "dieux personnels" (il reshi, mot mot "le dieu de la tte de" quelqu'un) quisemblent jouer chacun vis--vis du fidle dont il est le dieu particulier,le rle de la divinit universelle par rapport au monde : "Tu est monDieu, tu es mon Matre, tu es mon Juge, tu es mon Secours, tu es monVengeur..." Et c'est ici que les noms de parent appliqus aux dieux prennent peut-tre tout leur sens : chacun est "fils de son dieu". On ne peut prendre cela que comme une traduction du dsir de s'assurer un protecteur surnaturel particulier, quelque chose comme l'ange gardien

    du folklore chrtien. Mais il est trs probable qu'il faut y voir davan-tage : une ncessit relle du sentiment religieux de ne point dispersersa force sur une multitude mais de se projeter tout entier sur une per-sonnalit unique, non en principe mais en fait".5 Cependant il ne suf-fit pas, pour expliquer une forme historique particulire, de faire appel

    5 J. Bottro, La religion babylonienne,PUF, Paris, 1952, pp. 52-53.

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    un besoin psychologique, gnral, comme le besoin de concentrertoute la dynamique du sacr dans l'instant d'une invocation. Cet argu-ment prouve trop et pas assez, justement parce qu'il est vrai d'une ma-

    nire trop gnrale. D'ailleurs le dieu personnel est souvent accompa-gn de sa pardre, et il n'est pas certain qu'il soit toujours unique. Lacroyance aux esprits gardiens, attachs la protection spciale d'unindividu, est courante en Afrique occidentale, et il est probable qu'ellese retrouve aussi ailleurs. La question serait plutt de savoir ce quicaractrise les dieux personnels ou familiaux des smites parmi tousles dieux de lignage, les Gnies du Genos, que l'on trouve un peu par-tout et qui se distinguent aussi peu que l'on voudra de l'anctre commes'il importait seulement de diffrencier l'intrieur du statut ancestralune double fonction, la fonction du gniteur (celui dont nous descen-dons) et la fonction de l'objet cultuel idalis (celui vers qui le culteremonte est un "esprit", une entit culturelle, idale ou surnaturelle).Or le concept smitique du dieu personnel se caractrise par un modede relation lective entre l'homme et le divin. Et, dans ce cas, nous pouvons retenir de l'argumentation de Bottro une ide importante :c'est qu' l'intrieur de cette relation lective, le fidle attend de sondieu une protection singulire. Cette singularit est fonctionnelle. Cequi nous empche de comprendre la prhistoire du monothisme, c'estque nous imaginons qu' un moment dut s'oprer un choix entre "un"ou "plusieurs" dieux. Par une illusion rtrospective nous projetons cedilemme dans le pass. Nous supposons que les hommes se sont possle problme, puis l'ont rsolu. Mais ce n'est pas ainsi qu'opre une tra-dition collective. Dans ce cas, c'est au contraire la solution qui fait ap- paratre rtrospectivement l'existence d'un problme. Tant que nousrestons hypnotiss par l'alternative "un" ou "plusieurs", nous nous

    mettons dans l'impossibilit d'appliquer la rgle formule par G. Du-mzil d'aprs laquelle un dieu se caractrise avant tout par son modeopratoire, sonmodus operandidans la vie sociale. Et pourtant la so-lution est l sous nos yeux, dans la formule d'alliance entre Yahweh etIsral : je seraivotreDieu et vous serezmon peuple. L'alternative per-tinente dans cette formule c'est la prsence ou l'absence du possessifou en gnral d'une marque d'appartenance lective. Ce mode de rela-

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    tion entre l'homme et le divin peut se trouver aussi bien chez des poly-thistes de principe, comme dit Bottro, pratiquant une sorte de mono-ltrie provisoire et alternative, que chez des monothistes de principe,

    comme le roi David, admettant un polythisme de fait. Nous rptonsencore NotrePre qui tes aux cieux... alors qu'on ne dirait pas cou-ramment NotreJupiter, bien que Dios Pater soit aussi Dieu le Pre. Enhbreu le mot "El" (Dieu) se dcline avec la marque du possessif :Elohnou, notre Dieu, Elohka, ton Dieu, Eli, mon Dieu. Mais si je dit"le Zeus de Phidias", vous pensez immdiatement une statue, non une divinit, et ce n'est pas la psychologie des religions en gnral,sans rfrence une laboration conceptuelle particulire, qui peutnous faire comprendre pourquoi le "dieu de Phidias" est une expres-sion profane alors que, le "dieu d'Abraham" est une formule thologi-que. C'est prcisment l'tude de ces formules qui fait l'objet du Livred'Hermann Vorlnder :"Mein Gott. Die Vorstellungen vom persnlis-chen Gott in Alten Orient und im Alten Testament. 6

    Hermann Vorlnder a divis son tude en deux parties, l'ancien

    Orient puis l'ancien Testament. L'auteur a rsum lui-mme lesconclusions qu'il tire de l'une et l'autre tude. Cependant, comme cettercapitulation suppose connu, dans les deux cas, le reste de l'ouvrage, je ne puis la reproduire littralement. J'y ajouterai donc parfois un brefcommentaire pour en faciliter la lecture, en esprant ne pas trahir la pense de l'auteur. Et d'abord pour l'ancien Orient.7

    1. Le dieu personnel se tient dans un rapport troit de confiance et

    de protection l'gard d'un individu et de sa famille. Ceci peut avoirt tabli du ct de l'homme par une crmonie de ddicace. Mais

    quels sont les dieux susceptibles de remplir cette fonction ? La plupartdes auteurs, et Dhorme lui-mme insistait sur ce point, admettentqu'une mme divinit peut concentrer en elle les deux fonctions dedieu local et de dieu familial. Mais Vorlnder va plus loin en montrant

    6 Neukirchene Verlag, 1975.7 D'aprs Vorlnder, pp. 165-167.

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    que la fonction de dieu personnel se rencontre dans tous les domaineso les dieux exercent leur juridiction : dieu du pays, dieu de l'tat,dieu de la vgtation, dieu du droit etc... Autrement dit, la fonction de

    dieu personnel est cumulable avec d'autres fonctions.

    2. Peuvent remplir la fonction de dieux personnels aussi bien les"grands dieux" que les dieux subordonns. Vorlnder cite en effet destextes o Ishtar, Amurru, Ashur, Adad, Marduk, Shamash, et mmeune fois Enlil, sont expressment dsigns comme dieux personnels.En supposant mme que certains textes puissent donner lieu des in-terprtations divergentes, il se dgage de l'ensemble une conclusionimportante, savoir que les dieux personnels constituent moins uneespce de dieux parmi d'autres qu'une modalit de relation ou un rlesusceptible d'tre rempli par tel ou tel dieu, qu'il soit majeur ou mi-neur.

    3. Les principales expressions pour dsigner le dieu personnel dansl'ancien Orient sont les suivantes :

    a. Mon (ton, etc.) Dieu (Msopotamie, Asie mineure, Arabie, Sy-rie-Palestine).

    b. Mon patron (Arabie)c. Dieu d'un tel NN. (Msopotamie, Syrie-Palestine).d. Dieu de l'homme (Msopotamie).e. Le dieu (Msopotamie).f. Mon Seigneur vu mi Dame (Msopotamie, Asie mineure, Ara-

    bie, Syrie-Palestine).g. Ma desse du soleil (Arabie).

    h. Dieu de mon pre (Msopotamie).i. Dieu de la famille (Msopotamie, Syrie-Palestine). j. Seigneur de la Maison (Arabie, Syrie-Palestine).k. Mandah/Mundih (Arabie).l. Mon crateur (Msopotamie).m. Mon pre ou ma mre (Msopotamie).n. Dieu qui accorde la prosprit (Msopotamie, Syrie-Palestine).

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    o. Gardien de ma prosprit, et de ma vie (Msopotamie). p. Le dieu oui se soucie (de moi) (Msopotamie).q. Mon berger (Msopotamie).

    r. Dieu gardien (Msopotamie).s. Dieu de ma tte (ou de la tte de NN (Msopotamie, Asie mi-

    neure, Syrie-Palestine).t. Misricordieux et Dfenseur (Msopotamie).u. Lama et Udug (Msopotamie).v. Shedu et Lamassu (Msopotamie, Syrie-Palestine) que Vorln-

    der interprte comme quivalent aux Pnates des latins.

    4. Chaque homme, et aussi le roi, a un dieu personnel ou plusieurs.Dans le cas du roi la distinction entre dieux personnels et dieux del'tat est trs fluente.

    5. Dans le nom thophore d'un individu, l'indicatif divin peut, faireallusion au dieu personnel soit du porteur soit du donneur du nom. Ledieu personnel peut d'ailleurs tre dsign soit par un nom propre soit par sa fonction l'gard d'un individu.

    6. Le dieu personnel peut tre honor soit dans les temples publicssoit dans des sanctuaires privs. La bienveillance du dieu dpend de la pratique du culte.

    7. En temps normal le dieu personnel habite en l'homme, se tient son ct, et exerce envers son protg les trois fonctions suivantes :

    7.1. Comme garant de sa prosprit 9 accorde l'homme la sant,

    le succs, l'harmonie avec l'entourage et la faveur de ses suprieurs.Lhomme lui doit la vie depuis sa naissance. Pour expliquer ce point,ajoutons une remarque qui n'est pas dans Vorlnder : d'aprs unecroyance peu prs universelle, les dieux ou les anctres contribuent la gnration humaine en intervenant dans le sein maternel. Ainsi dansla croyance chrtienne, le corps vient des parents mais l'me est credirectement par Dieu. Les smites pensaient qu'un dieu avait ptri

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    l'embryon (comme avec de l'argile) ou l'avait tiss dans le sein mater-nel, en avait assembl les lments, puis lui avait donn le souffle etl'avait fait sortir du sein (Voir Job 10, 8-9 ; Il Mac. 7,22-23). Ce p-

    trissage divin s'ajoute l'action de la semence paternelle (Sap. 7, 1-2).C'est donc en vertu d'une thorie physiologique de la gestation qu'undieu est appel "mon pre" ou "mon crateur". La fonction divine defcondit et de prosprit assure en outre au roi la prolongation de sonrgne et la succession sur le trne.

    7.2. Le dieu personnel est le dfenseur de l'homme contre les en-nemis qui menacent sa vie, non seulement ennemis politiques et mili-taires mais sorciers et dmons.

    7.3. Le dieu personnel sert de mdiateur ou d'intercesseur del'homme auprs des autres dieux. En Msopotamie, cette fonction ap- parat sur les cylindres de victoire sous forme d'une "scne d'introduc-tion" (le protecteur prsentant son client au suprieur).

    8. Les causes et les consquences de l'loignement du dieu person-nel sont mentionnes frquemment dans les textes msopotamiens :

    8.1. Si le dieu personnel abandonne l'homme, alors les sorciers, lesdmons et autres forces mauvaises ont pouvoir sur lui. Ces puissanceshostiles provoquent l'chec, la maladie et le sentiment d'tre devenutranger son entourage ("Entfremdung", dit Vorlnder). En mmetemps, ses prires ne sont plus entendues et les oracles deviennent n-fastes.

    8.2. Les causes de l'loignement du dieu personnel se trouventdans les pchs de l'homme, qui suscitent la colre du dieu personnelet des autres dieux. Certains textes affirment que les sorciers peuventdirectement provoquer l'loignement du dieu personnel.

    8.3. Le retour du dieu personnel s'effectue par l'accord de son par-don, l'expulsion des dmons, la purification et l'absolution du pch.

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    Telles sont les premires conclusions de Vorlnder. Il apparat queles dieux personnels sont moins une espce de divinits parmi d'autres

    qu'une faon de concevoir le mode de relation de l'homme l'une oul'autre divinit. L'importance psychologique d'un tel mode de relationdevient particulirement sensible lorsque le dieu s'loigne, que l'indi-vidu est malade, en proie un sentiment d'tranget et d'hostilit de la part de son entourage. Voici quelques textes typiques :

    Ma ville me voit environn de tnbres comme un ennemi. Monami est devenu mon ennemi,

    Mes compagnons comme de mauvais dmons.Mon esclave me renie ouvertement dans l'assemble" (p. 97).

    Ou encore, le malade s'adressant la sorcire dont il est victime,dclare :

    "Tu m'as spar de mon dieu et de ma desse.Tu m'as spar de mon ami, de mon amie,de mon frre, de ma sur, de mes compagnons" (p. 98) ;

    Le paralllisme est saisissant. On ne saurait rendre avec plus d'in-tensit le sentiment d'tranget d'un "Moi" dpossd de lui-mme parl'abandon de son dieu, impuissant communiquer avec son entourageRien ne fait mieux comprendre l'importance que pouvait avoir dans la pit populaire et dans la vie quotidienne cette dvotion au "dieu dema vie, dieu de mon salut". La maladie et la dtresse s'expliquent parl'loignement du dieu abandonnant son protg. D'o les expressions

    "celui qui n'a pas de dieu", "celui qui est sans dieu", pour celui-l c'estle malheur, la dtresse, l'isolement, la crainte au milieu d'ennemis in-saisissables, le sentiment d'tre incompris dans une socit de men-teurs. Son dieu n'a plus souci de lui.

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    Dans tout ce qui prcde le lecteur aura dj pu reconnatre denombreux traits communs avec la Bible. Voici comment Vorlnderrcapitule ses conclusions propos de l'ancien Testament8.

    1. ct du culte officiel de Yahweh comme affaire collective du peuple et de l'tat, 9 y avait aussi en Isral une pit prive, chaqueindividu (incluant sa famille) honorait son dieu personnel, dont at-tendait d'une manire particulire soin et protection. La fonction dedieu personnel pouvait tre remplie aussi bien par Yahweh que pard'autres divinits (Elim ou Bahal). Ces cultes se sont poursuivis pen-dant toute la priode royale jusqu' l'exil.

    2. Le dieu personnel est dsign de la manire suivante

    a. Mon (ton-, etc.) Dieu (ex. I Sam. 30, 6 ; Ps. 22,2). b. Dieu de mon pre (ex. Gen 31,5 ; I Chr. 28,9).c. Dieu d'un tel (ex. Gen 31,53 ; 2 Chr. 32,7).d. Mon berger (ex. Gen. 38,15 ; Ps. 23,1).e. Mon Seigneur (ex. Ps. 16,2...).f. Dieu de mon salut (ex. Ps. 18,47) ; le salut de ma face (Ps.

    42,7).g. Dieu de ma vie (Ps. 42,9).h. Shaddaj, dans Job et le Code sacerdotal (cf. Gen 17,1), que

    Vorlnder interprte d'aprs l'accadien "Shedu" qui aurait dsi-gn les Pnates ou les Mnes.

    3. Le culte du dieu personnel est clbr soit dans des lieux deculte privs (cf. Jug. 17 sq.), soit dans des sanctuaires publics (cf. I

    Sam. I, 3 sq.). Les images divines, Ephod et Teraphim, jouent un rledans le culte priv.

    4. Les noms de personne peuvent faire allusion au dieu personneldu porteur ou du donneur du nom.

    8 Op. cit., pp. 302-204.

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    5.1. Le dieu personnel cre l'homme (Ps. 22, 10 sq. : "Tu m'as tirdu sein maternel". Mme remarque que prcdemment sur la physio-

    thologie de la gnration humaine). Lie dieu se tient au ct de son protg, lui assurant la prosprit, le succs, la nourriture et le vte-ment, aussi bien que la faveur des puissants. Comme paradigmes dugenre on peut citer les histoires de Jacob, de Joseph et l'ascensionroyale de David. Les rcits montrent comment le dieu gardien assuraitle succs de son protg en dpit des embches et des adversits.

    5.2. La deuxime fonction du dieu personnel, celle de dfenseurcontre les forces hostiles, s'exprime en particulier dans les "Prires audieu personnel" que sont les Psaumes 3 7 ; 13 ; 16 ; 18 ; 22 ; 23 ; 27 ;28 ; 31 ; 42/43 ; 59 ; 63 ; 69 ; 86 91 ; 140 ; 142. Sont ici reprsentscomme ennemis les sorciers et dmons qui menacent la vie del'homme et qui exercent sur lui leur pouvoir par la maladie et la d-tresse.

    5.3. Le troisime fonction, celle de mdiateur ou d'intercesseur au- prs des autres dieux, est absente de l'ancien Testament.

    6. Les consquences de l'loignement du dieu personnel consistenten ceci que l'homme devient la proie des sorciers et des puissanceshostiles, est afflig de maladie et de dtresse (Ps. 13 ; 22 27 ; 42/43).Le dieu s'carte de son compagnon humain (Ps. 22, 7 sq. 27, 10). Les prires pour le retour du dieu personnel vont la main dans la mainavec la prire pour l'annihilation des ennemis (Ps. 3,8 ; 31,18) et ladlivrance hors de leur pouvoir (Ps. 22, 21 sq. ; 140, 5 sq.).

    7. La famille de David occupe une position privilgie dans la reli-gion d'Isral, en tant qu'elle honore Yahweh comme son dieu person-nel. La relation personnelle troite entre Yahweh et la maison de Da-vid apparat dans le noyau primitif de la prophtie de Nathan (2 Sam.7, 11 b), dans les dclarations sur la relation pre-fils (2 Sam. 7, 14 ;Ps. 2,7 ; 89,27) aussi bien que dans les dsignations typiques du dieu

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    11. Vorlnder conclut en soulignant la continuit entre la religionhbraque et les traditions de l'ancien Orient dans laquelle elle s'insre.

    Cet ensemble impressionnant claire d'un jour nouveau bien des pages de la Bible. Sans doute il appartient au gnie des prophtescrivains et des scribes d'Isral d'avoir su exploiter les virtualits de latradition antrieure, mais la thologie sumro-babylonienne du dieu propre, dieu de tel homme ou de la tte d'un tel, nous aide mieuxcomprendre comment la religion prophtique, sacerdotale et royale pouvait correspondre quelque chose de trs profond dans la religiondes gens ordinaires, quelque chose venu du fond des ges et qui, pourles petits gens, demeurait confusment vital. Dhorme ouvre son chapi-tre sur "les noms divins" par une remarque philologique impor-tante : :'De mme, crit-il, que nous avons commenc par tudier lesformules "mon matre", "mon seigneur", "mon roi", pour aboutir l'ide du Matre, du Seigneur, du Roi par excellence, nous commence-rons par "mon dieu" pour arriver Dieu. Le procd peut paratre illo-gique, car on voudrait connatre la signification de "dieu" avant cellede "mon dieu". Mais nous avons vu que les noms de parent ou dedomination apparaissaient gnralement avec le possessif de la pre-mire personne du singulier dans l'onomastique. L'homme dit instinc-tivement "mon pre" ou "mon matre" avant d'analyser l'ide de preou de matre. C'est la grammaire qui isole les mots de leur dtermina-tion naturelle. L'enfant arabe ou hbreu, qui crie "ummi" ou "immi","ma mre", ne songe point isoler "umm" ou "imm". Et de mmel'invocation "mon dieu" est plus spontane, plus frquente aussi quecelle de "Dieu" ! Ce qui nous intresse dans l'onomastique des H- breux, c'est de voir "Eli", "mon dieu" remplacer "mon pre" et les au-

    tres formules de Parent, "mon matre" et les autres formules de sou-mission. De la sorte nous verrons comment le dieu de la tribu est envi-sag dans ces noms qui gardent le dpt des plus anciennes ides reli-gieuses" (E. Dhorme, La religiondes Hbreux nomades,1937, eh.XX, pp. 333-334).

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    Pour comprendre le rapport entre le Moi et le dieu, rien n'est plusclairant que les textes dcrivant une situation de dtresse. Le malsous sa double forme physique et morale est tout ensemble le signe et

    l'effet d'un loignement du dieu personnel. En 1954 Samuel N. Kra-mer avait dcouvert, en recollant de vieilles tablettes, ce quil appellele premier Job 9. Ce titre est malheureusement erron car le Job bibli-que proteste au contraire contre les anciennes traditions de la justiceimmanente ; il tente de dissocier le complexe "faute-et-malheur".Quoi qu'il en soit, le texte sumrien nous fait bien sentir le dsespoirdu suppliant malade :

    "Mon dieu, le jour brille lumineux sur la terre ;Pour moi le jour est noir.

    ...Les larmes, la tristesse, l'angoisse et le dsespoirse sont logs au fond de moi.Le mauvais sort me tient en sa main, emporte mon souffle-de-

    vie,La fivre maligne baigne mon corps...Mon dieu, Toi le pre qui m'as engendr,Relve mon visage....Combien de temps me ngligeras-tu ?me laisseras-tu sans protection ?Combien de temps me laisseras-tu sans soutien ?

    On retrouve le mme accent, de faon plus poignante encore, dans

    le Psaume 22 de la Bible :2. Mon dieu, mon dieu, pourquoi m'as-tu abandonn ?

    Tu es loin de mon salut, du rugissement de mes paroles.

    9 S. N. Kramer, L'Histoire commence Sumer,Arthaud, Paris, 1957, pp. 157sq.

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    3. Mon dieu, j'appelle de jour, et tu ne rponds pas ;Mme de nuit, et tu ne fais pas attention moi.

    7. Et moi, je suis un ver et non un homme,Opprobre des hommes et mpris du peuple.

    8. Tous ceux qui me voient se moquent de moi,Ils grimacent des lvres, ils hochent la tte

    9. "Il s'en remet Yahwet : qu'il le dlivreQu'il le sauve, puisqu'il l'aime10.C'est toi qui m'as tir du ventre,Qui m'as confi aux mamelles de ma mre,Sur toi je fus jet au sortir du sein,Ds le ventre de ma mre, tu fus mon dieu.

    12. Ne reste pas loin de moi, car la dtresse est proche,Et il n'y a personne pour m'aider.

    13. De nombreux taurillons m'entourent,Des taureaux de Basan me cernent,

    14. Ils ouvrent leur gueule contre moi,Tel le lion qui dchire et rugit.

    15. Je suis comme de l'eau qui s'couleEt tous mes os se disloquent.

    Mon coeur est comme de la cire,Il fond au milieu de mes entrailles.

    16. Mon palais est dessch comme un tesson,Et la langue est colle mon gosier.

    10 Podechard, Le Psautier,Facult catholique de Lyon, 1949, 1, p. 107.

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    On va me dposer dans la poussire de la mort.

    17. Une meute de chiens m'entoure,

    Une bande de malfaisants m'encercle,Ils ont endolori mes mains et mes pieds

    18. Ils comptent tous mes os.Eux, ils me regardent et me voient.Ils tirent au sort mon vtement.

    20. Et toi, Yahweh, ne reste pas au loin,O ma Force, hte-toi de me secourir.

    21 Prserve mon me de l'pe,Mon unique de la patte du chien.

    22. Sauve-moi de la gueule du lionEt ma pauvre personne des cornes des buffles

    J'ai suivi la traduction de Dhorme11 sauf pour 3b o j'adopte lalecture de Podechard 12 appuye sur d'anciennes versions. Le sup- pliant se plaint d'avoir t abandonn par son dieu (2-3). Le peuple ne peut voir dans sa dchance qu'un signe de l'abandon du dieu suivantles traditions admises, et c'est pourquoi les gens se moquent de lui (7-9). Le suppliant donne son dieu des raisons de ne pas l'abandonner, puisque, d'aprs la physio-thologie admise, c'est ce dieu qui l'a faitnatre (10-11). Plusieurs commentateurs (dont Podechard) voient dansle suppliant un prisonnier, mais c'est l pure spculation. On ne voit

    pas, dans ce cas, ce que viendraient faire tous ces animaux (13-14 et21-22) qui semblent tout droit sortis de la dmonologie babylonienne

    11 La Bible,Gallimard, 1959, pp. 931-934 (cd. de La Pliade), Psaume XXII a (ilfaudrait noter XXII b partir du verset 23).

    12 Podechard, Le Psautier,Facult catholique de Lyon, 1949, 1, p. 107.

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    Mowinkel13 et Vorlnder14 voient dans ces btes malfaisantes destres infernaux. En effet, suivant le trait pnitentiel Shurpu : "La ogt la colre des dieux, les dmons se prcipitent grands cris"15 Si

    quelqu'un est malade c'est qu'un de ces dmons "a mis sa tte dans latte du patient, sa main dans sa main, son pied dans son pied"16 sui-vant une croyance que l'on retrouve aussi en Afrique, bien qu'elle ysoit utilise diversement. Dans cette perspective on comprend que lesmonstres infernaux ont endolori ses mains et ses pieds (17), et comp-tent tous ses os (18), puisqu'ils s'infiltrent en eux comme des miasmes.Le patient a la fivre, sa langue est dessche (16) et il craint de mou-rir, d'tre dpos dans la poussire de la mort (16 b). Ses ennemis in-visibles l'observent (18 b), et, srs du succs de leur entreprise, ils se partagent dj ses dpouilles, comme des soldats tirant au sort les v-tements du vaincu (19). Enfin on notera le paralllisme : "Mon me...Mon unique ... (21), je n'ai qu'une vie, car, suivant la tradition babylo-nienne (diffrente en cela d'autres traditions orientales, africainesetc.), la Demeure des morts est sans retour.

    On aura remarqu que j'ai saut, dans le relev du Psaume, les ver-sets 4 6. Ces versets paraissent une addition ultrieure, post-exilique,introduisant une nouvelle interprtation du Psaume. Lisons-les

    4. Et toi qui rsides dans le TempleVers toi vont les louanges d'Isral

    5. En toi nos Pres ont eu confiance,Ils ont eu confiance, et tu les as dlivrs.

    6. Ils ont cri vers toi et ont t sauvsEn toi, ils ont eu confiance et ils n'ont pas t confondus !

    13 Mowinckel,Psalmen-Studien,Kristiana 1921-1924, Il, p. 73 sq.14 Mein Gott, pp. 273 sq.15 Bottro, op.cit.,1952, p. 94.16 Bottro, op.cit.,1952, p. 94.

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    On remarquera que ce passage interrompt la suite des ides entre 3et 7. En outre, le style change brusquement ; on passe la premire

    personne du pluriel : "nos Pres". C'est le Peuple d'Isral qui parle. Nous avons ici un clich de doctrine sacerdotale, qui, se rfrant auTemple, rpte satit : Confiance ! Confiance ! Pour la gnrationd'aprs l'exil, il tait choquant de penser qu'un juif puisse tre aban-donn de Dieu au point de sombrer dans le dsespoir. L'addition sa-cerdotale corrige (ou mme contredit) la plainte angoisse du sup- pliant. Mais par l elle introduit une nouvelle lecture du Psaume, salecture liturgique. Dans l'intitul du verset I (que je n'ai pas transcrit)on prcise "Pour le matre de choeur" le psaume devra tre chant surl'air "Biche de l'aurore", le psaume tant alors catalogu "psaume deDavid" pour indiquer qu'il s'agit bien d'un texte canonique adopt parla liturgie officielle. Suivons cette nouvelle lecture : c'est le Peupled'Isral qui devient le suppliant ; il est le serviteur souffrant, le servi-teur de Yahweh (dont parlait le second Isae), qui fait appel son Dieu"personnel" pour sa dlivrance. On sait que les rdacteurs chrtiensdes vangiles introduiront leur tour une troisime lecture, faisant dece psaume une prophtie du Messie souffrant.

    Nous saisissons la sur le vif comment la vieille tradition sumro- babylonienne, avec sa thologie du dieu de la personne et mme avecsa dmonologie des monstres infernaux, a pu tre transpose, r-interprte dans un esprit nouveau. L'volution des ides religieusesdans la Bible est bien connue, mais il importait de mettre ici l'accentsur la continuit d'une sensibilit populaire qui sous-tend le dvelop- pement de la rvlation. La conception du mal sous forme perscutive

    est une donne trs gnrale dans l'histoire de l'humanit. Le besoinde se poser en victime pour se faire plaindre est un art bien connu. Ilserait inexact d'y voir une spcialit judo-chrtienne, comme certainsle prtendent. Ce qui est propre cette tradition, c'est l'usage de cethme dans une thologie o la singularit du Moi et l'unicit de Dieusont troitement lies.

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    Nous pouvons maintenant reprendre notre question initiale qu'est-ce qu'un Dieu unique ? Nous pensons tous aujourd'hui que, s'il existeun tre infiniment parfait, il est ncessairement unique. Mais il y a l

    une quivoque. L'unit de l'ordre surnaturel peut se concevoir aussi bien dans l'Un ineffable des mystiques que dans l'Unique des proph-tes. Les premiers qui ont peru cette quivoque furent les thologiensarabes Alfarabi, Avicenne, Algazali17. L'unit de Dieu, expliquent-ils, peut s'entendre de deux manires. La premire manire s'exprimeencore aujourd'hui dans l'exclamation arabe : Allah est le plus grand.Qui est comme Dieu ? Dieu ne peut avoir ct de lui aucun tre quilui soit comparable ; il est sans gal. Au fond, c'est ici la version mo-nothiste de la vieille ide babylonienne : Marduk l'incomparable,Gilgamesh le hros sans pareil. La seconde manire, explique Alfara- bi, vient de ce que l'unit divine n'est pas divisible dans ce qu'Aristoteappelait "les parties de la dfinition". C'est l'ide que reprendra saintThomas : dans la perfection absolue tous les attributs ne font qu'un ; le justice, la sagesse, l'amour, la puissance... ne dsignent qu'une seule etmme chose. La distinction des attributs s'abolit dans l'infini. Aucun jugement prdicatif ne peut exprimer adquatement la simplicit del'Un. Se pourrait-il alors qu'au moment de penser la perfection infinie,nous ne pensions plus rien ? C'est ce qu'admet le mystique en ajoutantque ce rien est tout. Qu'y a-t-il sur la montagne, demande saint Jean dela Croix ? Todo y Nada. Sur la montagne il n'y a rien que la totale d- possession de soi dans la nuit sonore de lamour. Cela revient direque le sentiment mystique n'est pas autre chose que l'acceptation denos limites dans le monde tel qu'il est. Saint Thomas estimait pourtantque la causalit cratrice suffit garantir l'existence d'un Dieu person-nel. Mais l'argument thologique de la causalit confond signification

    et implication, comme l'a montr B. Russell18

    . Les conditions de sensd'une phrase sont en nombre fini ; par contre si l'on ne pouvait conce-voir une suite infinie d'implications, la physique mathmatique ne se-

    17 Voir Harry Wolfson,Studies in the History of Philosophy and Religion,Har-

    vard U.B., Cambridge Mass, 1973, 1, p. 144.18 B. Russell,The Principles of Mathematics,Allen, Londres, 1903/64, p. 51.

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    rait pas possible. Au cours des derniers sicles, la thologie naturelle a perdu peu peu ses dfenseurs. La foi monothiste ne se distingue dela mystique ou de l'agnosticisme que par l'acceptation d'une autorit,

    la soumission une Parole historiquement rvle. Le Dieu vivant estle Dieu d'Abraham et le Dieu des Prophtes. Que signifie cette duali-t ? D'o vient que le Dieu vivant soit la fois "Le Dieu des pres" et"le Dieu des oracles prophtiques" ?

    Nous touchons ici un point qui intresse non seulement l'histoired'Isral mais la nature des traditions religieuses en gnral. Lorsqu'ondit que la religion est le domaine du sacr, cela n'est vrai qu'en gros.Les latins, quant eux, distinguaient les "sacra" et les "auguria" lisont t en cela perspicaces. Il est vrai que tout ce qui concerne la divi-nation, les oracles, la rvlation c'est--dire les Signes manant del'au-del s'oppose en principe aux actes du culte sacr qui manent denous. Cette opposition distinctive claire mme le cas, comme celuidu sacrifice, o les deux valeurs sacres et augurales se rejoignentmais sans jamais se confondre. Le sacrifice peut prendre la fois unevaleur d'offrande faite par les hommes, et une valeur divinatoire designe fait par les dieux (ce que l'on diagnostique d'aprs l'observationdes entrailles, la faon dont la victime est tombe etc...). L'inde elle-mme joue encore sur cette opposition lorsqu'elle place dans le sacri-fice primordial la source de l'ordre universel car elle utilise alors ladouble valeur du sacrifice pour oprer, suivant ses habitudes, la fusiondes contraires. Ce serait donc une erreur de penser que la religion puisse se rduire une solidarit sacre assure par un circuit de pres-tations et de contre-prestations entre les dieux et les hommes ou lesascendants et les descendants. Il y a autre chose. Il y a le caractre

    alatoire du Signe, l'vnement improbable, sans lequel on ne com- prendrait rien ces rgles du jeu compliques qui sont celles de laCoutume. La solidarit inviolable et sacre ne se referme pas sur soi,car il y a le malheur imprvisible, le Signe venu d'Ailleurs.

    C'est cette mme dualit que l'on retrouve dans "le -Dieu des p-res" et "le Dieu des prophtes". Il est vrai que la divination inspire ou

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    prophtique a fini par supplanter en Isral la divination inductive utili-sant les techniques coutumires. Mais qu'en tait-il aux origines dumouvement prophtique ? Qu'est-ce qui a permis l'essor de ce mou-

    vement ? Il faut relire ici le premier livre de Samul. Pour comprendrecomment le culte de Yahweh, Dieu des anctres, a pu devenir hostileau culte des anctres, il faut prendre garde que le dbat ne porte passeulement sur l'objet de culte, il porte sur la nature des oracles c'est--dire de la rvlation. Le premier livre de Samuel est trs clair sur ce point. On y voit que l'opposition fondamentale entre la fidlit (deDavid) et l'infidlit (de Sal) se concentre finalement autour d'unealternative centrale : ou bien consulter Yahweh (et c'est ce que Davidfait constamment avant d'entreprendre quoi que ce soit), ou bienconsulter les morts (et c'est ce qui arrive au malheureux Sal chez la pythonisse d'Endor) (I Sam. 28). Dans les deux cas, la consultationdivinatoire utilise des techniques coutumires. Mais a faut choisir en-tre la consultation des morts lie aux cultes locaux ou privs, et laconsultation de Yahweh, Dieu national, Dieu personnel de la dynastiedavidique.

    Il n'empche que Mose, en rvlant aux hbreux le nom divin,avait pris la prcaution de leur dire que Yahweh tait le nom du Dieude leurs pres : "Yahweh, le Dieu de vos pres, le Dieu d'Abraham, lePieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, m'a envoy vers vous" (Ex. 3, 15).Pour abolir le culte des anctres, le mouvement prophtique s'appuierasur le Dieu des anctres.

    Les anctres sont des cratures. Il n'y a aucune commune mesureentre le crateur et les cratures. Yahweh est un Dieu jaloux. L'adora-

    tion n'est due qu' lui seul. Georges Dumzil19

    a soulign le contrasteentre cette formule classificatoire, "Dieu et la crature", et les formu-les classificatoires des trois fonctions chez les indo-europens (sa-gesse souveraine, vaillance guerrire, prosprit). Il cite un texte deJrmie opposant "la voie des nations" celle de Yahweh

    19 G. Dumzil, Mythe et pope, III, Gallimard, Paris, 1973, p. 359.

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    "Ainsi parle Yahweh :

    Que le sage ne se glorifie pas dans sa sagesse (1e fonction)Que le vaillant ne se glorifie pas dans sa vaillance (2e fonc-tion)Que le riche ne se glorifie pas dans sa richesse (3e fonction)

    Mais que celui qui se glorifie se glorifie en ceci : avoir l'intel-ligence et me connatre, car je suis Yahweh qui fait le juge-ment, la justice et la misricorde sur la terre ; c'est en cela que je me complais" (Jer. 9, 22-23).

    Cependant la remarque de G. Dumzil ne concerne que la premire partie du texte. Le Dieu de la rvlation prophtique n'est pas seule-ment le crateur, il est aussi celui qui a lu le peuple d'Isral pour fairealliance avec lui. Le chapitre 9 de Jrmie reproche aux Isralitesd'avoir pratiqu des cultes locaux en apprenant "connatre les Baals"au lieu d'avoir observ le culte de Yahweh conformment "laconnaissance" de sa Loi. Parce que les Isralites ont abandonn la Loide Yahweh ("Torah" verset 12), Yahweh les abandonne leur mal-heur. Le chapitre 9 est la version prophtique du thme traditionnel del'abandon du dieu personnel, comme l'annonce clairement le dbut dece chapitre o Yahweh dit :

    "Qui me donnera dans le dsert un gte de voyageurs

    Pour que j'abandonne mon peuple,Et que je m'en aille loin d'eux ?Car ce sont tous des adultres, Une bande de tratres,...Et ils ne me connaissent pas" (Jer. 9, 1-2).

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    Entre Dieu et son Peuple il s'agit donc bien d'un rapport "person-nel" fond sur la Torah. Yahweh est "le Dieu de nos pres", et c'est pourquoi les scribes du Code sacerdotal, aprs l'exil, se sont. complu

    recenser les gnalogies. En dressant ces listes gnalogiques, ils ontrepris leur compte un vieux schme de pense, le schme. gnalo-gique, qui sert de base aux religions de la Coutume et qu'ont idalistoutes les "genses" mythologiques. Le christianisme a eu, sur ce point, deux attitudes. Dans l'glise des bionites, qui fut la commu-naut "primitive" de Jrusalem prside par Jacques, frre de Jsus, etqui, ensuite, rfugie Pella, demeura la communaut prside par les parents de Jsus (les "desposunoi"), on eut surtout cur de donner Jsus une dynastie davidique en le considrait comme un homme or-dinaire (sans pr-existence divine), et l'on sait qu'une tradition judo-chrtienne de ce genre sera reprise par Mahomet dans le Coran. Parcontre l'glise paulinienne hellnistique a transpos au ciel la gna-logie. En proclamant Jsus fils ternel de Dieu, elle s'est dtache del'Isral selon la chair pour devenir religion de salut, Isral selon l'Es- prit. Nanmoins, quelles que soient les hsitations des premires tho-logies chrtiennes, l'ide fondamentale est toujours la mme ; elle s'estconserve en passant de l'ancien Isral au nouveau, puis l'Islam.Cette ide est que l'unicit divine a une fonction sociale : un seulDieu, un seul Peuple lu. Un seul sauveur, Jsus-Christ, une seuleglise hors de laquelle il n'y a point de salut. Allah seul est Dieu, etMahomet est son prophte. Isral est un nom de personne devenu lenom d'un peuple. Le peuple lu a t lui-mme personnifi suivant laleon du second Isae. La mme loi vaut pour la collectivit et l'indi-vidu. L'unicit divine et la singularit (individuelle ou collective) duServiteur de Yahweh se rpondent, indissolublement lies dans l'his-

    toire. On ne peut concevoir l'une sans l'autre. L'unicit divine a unefonction sociale. Et c'est pourquoi les mmes rgles d'exgse s'appli-quent aux religions monothistes comme aux religions indo-europennes, africaines ou autres. Si l'on a souvent l'impression ducontraire, c'est que l'tude compare du judasme, du christianisme etde l'Islam n'a pas encore retenu toute l'attention qu'elle mrite. Il estclair pourtant qu'au cours de l'histoire, la fonction sociale exclusive

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    exige par l'unicit divine, s'est prise son propre jeu. Elle a donnnaissance plusieurs monothismes incommensurables entre eux.Dieu a eu plusieurs faons de se rvler unique. Elles sont inconcilia-

    bles, moins que chacun ne renonce ce que lui commande sa foi.

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    Nous sommes le jouet des vnements. Jous, tromps, flous, noussommes pris au pige, englus, emptrs. C'est la dveine, la guign,la poisse. Un malheur ne vient jamais seul. Jamais deux sans trois. Un

    symptme ne vient jamais seul. Les symptmes se dplacent. Ils ne sedplacent pas seulement dans le cours d'une vie mais dans celui d'unegnalogie. Lorsque nous parlons de destin familial, nous voulons direqu'il faut prendre en compte au moins trois gnrations pour com- prendre que psychose, perversion ou nvrose puissent tre les versionsd'un problme qui se joue "entre" les individus, dans les intersticesquotidiens du tissu social, de sorte que chaque version s'analysecomme une rponse l'autre sans qu'il y ait nulle part une version ab-solument originale de la fatalit. Ce genre de situations o la srie desvnements biographiques se combine avec une constellation de rap- ports familiaux, ne peut tre expliqu seulement par les antcdentshrditaires, puisque la srie chronologique n'agit qu' travers uneconstellation psychologiquement prsente. Ce que nous pourrions ap- peler "destin" serait donc la rptition d'une figure complexe o s'en-chevtrent deux sortes de rapports, diachroniques et synchroniques,figure complexe pareille une statue brise dont chacun ne dtiendrait par devers soi qu'un fragment indchiffrable.

    D'o nous vient ce mot de "destin" ? On peut lui assigner deuxsources diffrentes : la spculation mtaphysique et la pratique divina-toire. C'est pour expliquer le succs prsum des pratiques de divina-tion qu' l'poque hellnistique on a forg la notion spculative d'une"heimarmn"c'est--dire d'une puissance hermtique soumettantl'histoire des hommes aux ncessits du Cosmos. Les Anciens perce-vaient un contraste entre la physique terrestre et la physique cleste.

    Le monde sub-lunaire tait soumis au changement, au dsordre ; dansle monde cleste rgnait la rgularit immuable des astres. L'astrolo-gie n'tait qu'une application de cette doctrine physique ; il s'agissaitde discerner sous la contingence apparente des vnements terrestresles ncessits de l'ordre cleste. C'est ainsi que l'ide de destin fut as-socie aux ides de prvision et de ncessit.

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    Or, chose curieuse, lorsqu'on examine les croyances religieusesimpliques dans les pratiques divinatoires, on ne retrouve plus cesdeux ides-matresses de ncessit et de prvision. Ces deux ides ne

    sont peut-tre pas tout fait exclues ; on peut toujours prtendre quesi les devins avaient raisonn correctement, ils auraient adopt la phy-sique des Stociens. Mais ce n'est l qu'une rationalisation secondaire.La croyance religieuse voyait les choses autrement. Pour elle, le destinn'tait pas la ncessit ; n'tait pas un dterminisme. Du moins, cen'tait pas ce genre de rationalisation qui venait au premier plan. Ils'agissait d'autre chose. De quoi ? C'est prcisment ce que nous al-lons chercher. Quels genres de croyances ou de reprsentations sous-tendent la divination ? Bien entendu, dans une matire aussi vaste, onne peut attendre de rponse valable pour tous les cas. Quelques exem- ples suffiront pour remettre en cause nos ides habituelles. J'appuieraimes rflexions en particulier sur l'excellent ouvrage collectif dit parJ.P. Vernant sous le titre Divination et rationalit 20. Il y a dans la di-vination une rationalit, mais elle n'est peut-tre pas o nous l'atten-dions.

    Mon expos comprendra trois parties : je prsenterai d'abord quel-ques notions gnrales sur la divination et le destin. Ensuite, je diraiun mot de certaines techniques divinatoires. Enfin je m'attarderai surl'interprtation des oracles, car c'est la logique mme de l'interprta-tion qui nous fera comprendre la signification religieuse du destin.

    1

    Qu'est-ce que la divination ? La divination est l'art ou le pouvoir de

    rvler ce qui est cach, et d'o dpendent la vie et la mort, le bonheurou le malheur, le salut ou la perdition. La divination est le moyen dedcouvrir ce qui est cach. Ce moyen peut tre soit un art que l'on ap- prend, soit un don exceptionnel, un pouvoir que l'on a reu. Il est im-

    20 J. P. Vernant, (ed), Divination et rationalit , Seuil, Paris, 1974 (note D.R.).

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    portant, comme nous allons voir, de ne pas confondre ces deux cho-ses.

    Il existe en effet deux sortes de divinations : la divination inductiveet la divination inspire. La divination inductive ou raisonne est unart utilisant des techniques plus ou moins complexes qu'il faut appren-dre. Pour la caractriser nous l'appellerons l'art divinatoire ou la man-tique. Par contre, la divination inspire est un don, un pouvoir surnatu-rel, dont la forme principale, la plus clbre, est le prophtisme. Noshabitudes chrtiennes nous inclinent opposer fortement prophtes etdevins. Pourtant remarquez bien que les uns et les autres sont au ser-vice d'une mme chose : l'oracle. C'est l'oracle qui s'exprime par desvoies diffrentes, signes extrieurs ou inspiration intrieure. En outre,il existe de nombreuses formes mixtes o se combinent l'art et lavoyance ; il existe mme des techniques diverses pour provoquerl'inspiration. Ce serait une erreur historique d'imaginer que les deuxsortes de divinations sont toujours exclusives l'une de l'autre. Maiselles peuvent tendre le devenir. Suivant que l'on privilgie la divina-tion raisonne ou la divination inspire, on peut aboutir des types dereligion bien diffrents. Lorsque Platon par exemple rapproche la"mantique" de la"mania" ("mantik-manik"),en distinguant quatresorte de folies (mantique, initiatique, potique, rotique), il opte pourune religion intrieure, mystique21. Par contre, lorsque Jsus annonceles signes avant-coureurs du Royaume eschatologique (miracles, ex- pulsions de dmons), il se pose, comme jadis Ezechiel, en prophteinspir qui est lui-mme un signe, d'o nat une religion de la foi (cequi est tout autre chose qu'une religion fonde sur la seule expriencemystique, intrieure, directe). Divers systmes religieux peuvent se

    distinguer d'aprs les mthodes de rvlation qu'ils privilgient. Resteque, dans tous les cas, la divination, inductive ou inspire, concerne laconnaissance. Quel est donc ce secret du destin ou de la destine quel'on cherche connatre ?

    21 Platon,Phdre244. Le prophte au sens grec, est l'interprte (hermneute) des paroles inspires (cf. Time 71e et 72b).

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    Divers indices nous montrent qu'il s'agit d'autre chose que d'unencessit. D'abord on choisit les prsages. On peut les accepter ou les

    refuser. Les romains avaient mme un rituel spcial pour reconnatreofficiellement le genre de prsage que l'on sollicitait. En outre, si les prsages sont ngatifs, l'artisan-devin peut recommencer la consulta-tion plusieurs reprises, et l'on peut prier pour que les prsages de-viennent positifs. Ce serait l, une tricherie, si ce que l'on cherche connatre avait les caractres d'une loi naturelle ou d'une ncessit g-nrale. C'est au contraire un acte de pit si ce qui doit arriver est unechose conforme la volont des dieux ou des anctres. Les rites deconsultation peuvent tre combins avec des rites d'influence ou de prire, ds lors que le destin est une volont singulire. Nous avons lune premire caractristique : le destin est singulier, il n'est pas gn-ral. Le destin est singulier comme la libert ; il n'est pas gnralcomme une loi naturelle. Seul un tre libre peut avoir un destin, puis-que le destin est une forme aline de la libert, une libert qui secherche dans la volont de l'autre.

    Une seconde caractristique se trouve dans la forme de l'oracle. Ladcision de l'oracle a la forme d'une sentence. Il a la mme formequ'une sentence judiciaire. L'exemple le plus fameux se trouve dans lemot bibliquetorah, plurieltoroth, quivient d'une racineiara, "jeter",sans doute par allusion des pratiques divinatoires, et que l'on peuttraduire indiffremment par "oracle" ou par "loi". Les deux traduc-tions sont traditionnelles. Pour dsigner l'ancien Testament, les presde l'glise disent indiffremment : les lois de Dieu ou les oracles deDieu. Puisque l'oracle exprime un jugement de Dieu, il peut concerner

    le pass ou le prsent aussi bien que l'avenir. Il peut servir reconna-tre un coupable. Il ne s'agit donc pas toujours de prvision. Onconsulte l'oracle comme l'on se prsente au tribunal, pour obtenir unedcision, se soumettre au jugement des anctres ou des dieux. L'orda-lie et l'oracle sont deux espces du mme genre. Mme lorsqu'il s'agitd'obtenir une prvision, cette prvision est donne en forme de sen-tence, et de sentence souvent nigmatique, requrant une interprta-

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    tion. Parlant des Babyloniens, Jean Bottro22 nous dit que l'avenirdont il s'agit dans la divination, est un avenir judiciaire. Il montre, etnous y reviendrons, que la divination et la jurisprudence sont inspa-

    rables, elles ont la mme forme. Il arrive aussi que la sentence divina-toire ressemble une ordonnance mdicale : c'est une sorte de pres-cription laquelle il est bon de se conformer si l'on ne veut pas avoird'ennui. Divination, jurisprudence et mdecine (au sens plus ou moinsmagique du terme) se prononcent en paroles efficaces, doues d'auto-rit.

    Quel est donc l'ordre des choses qu'elles annoncent et auquel ilconvient de se conformer ? C'est un ordre du monde sans doute, maisun ordre qui s'impose avec l'autorit de ce qui doit tre, et que l'on doitrespecter pour ne pas tre dans son tort. C'est un ordre du mondecompris comme un ordre de justice. C'est ainsi que les pr-socratiquesdistinguaient deux sortes de justices : ladiket la thmis.La thmisest la justice des hommes, celle qui rgit les affaires courantes de lacit, c'est une justice humaine, plus ou moins autonome. Ladik,aucontraire, est une justice htronome ; c'est l'ordre tabli par les dieuxou les anctres c'est--dire par une volont qui ne fait pas partie del'administration humaine et qui inscrit ses dcrets directement dans lesvnements. De mme, dans la Bible, le prophte annonce la justicede Dieu. Or les justices de Dieu sont des vnements, ce sont les vic-toires de Yahweh contre ses ennemis, les hauts faits qui dmontrent sa puissance. La justice divine est une dmonstration de force. La mmeide se retrouve en Afrique : pour qu'un oracle soit vridique, il fautque sa force soit plus grande que les forces adverses qui pourraient enfausser le mcanisme et lui faire rendre une sentence trompeuse.

    L'ordre du monde est un ordre de justice c'est--dire un ordre dedomination, de hirarchie entre les forces terrestres et supra-terrestres.

    22 J. Bottro, Symptmes, signes, critures en Msopotamie ancienne,(in D.R., pp. 70-196).

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    loin, 48-49 : "A quoi cela sert-il d'avoir contact avec les puissancessuprieures, si c'est pour leur demander si l'on doit se marier ou ache-ter une proprit ou retrouver un esclave fugitif ou rgler une transac-

    tion commerciale ? Tout cela ne nous apprend rien sur le bonheur".Comme on voit, ce qui scandalise Porphyre, c'est que les dieux aillents'enfariner dans les soucis des hommes. La divination a compltementchang de sens : elle n'exalte plus au-dessus des mortels le droit dedieux, elle rabaisse les dieux servir le souci des hommes. Le contre-sens est radical : ce n'est plus les dieux qui ont un droit, ce sont leshommes qui ont des soucis. Autrefois, si le fianc allait consulter, c'est parce que la justice lgale du mariage avait besoin de recevoir l'augur ,la force pleine de cette autre justice, divine, secrte, qui s'inscrit direc-tement dans la ralisation d'une destine, et sans laquelle aucun ma-riage ne pourrait tre vraiment "bon". En prsence d'une force divinesurgissante et sauvage, nigmatique (comme celle qui nous saisit en-core au tympan de Moissac), la culpabilit humaine prenait la forme perscutive d'une menace dont le plus fort nous dlivre. Alors rgnaitle droit des dieux. Maintenant la culpabilit s'est faite soucieuse, elles'est infiltre dans le souci des hommes, elle n'est plus dans les entrail-les des victimes sacrifies mais dans nos propres entrailles. C'est exac-tement ce que dit Porphyre. coutez : "Mais le philosophe..., celui quise dtache des choses extrieures, nous sommes fonds affirmerqu'il n'ira pas importuner les dmons, et qu'il n'aura pas besoin de de-vin ni d'entrailles d'animaux. Car les biens qui font l'objet des divina-tions sont prcisment ceux dont il s'est exerc se dtacher. En effet,il ne s'abaisse pas au mariage, et n'a donc pas importuner le devin ce sujet ; il ne s'abaisse pas faire commerce ; ne consulte pas ausujet d'un serviteur, ou de sa russite sociale, ou de toutes les autres

    formes de prtention la gloire qui rgnent chez les hommes. Sur cequ'il recherche, ce n'est pas le devin, ce ne sont pas des entraillesd'animaux qui lui donneront des indications certaines. Seul et par lui-mme ainsi que nous l'avons dit, 0 s'approchera de Dieu, qui a sonsige dans l'intimit de ses propres entrailles, et prendra ainsi des ga-ges de vie ternelle, se rassemblant tout entier l-bas"(De Abstinentia,

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    II , 52). "Car, enseigne Porphyre, ce quoi l'on fait retour, n'est pasautre chose que le soi de l'tre"(ibid.1, 29).

    Ce texte remarquable montre comment une exprience mystique,une rvlation intrieure, peut prendre la place d'une rvlation ext-rieure. C'est la nature mme desauguriaou manifestations divines quia radicalement chang. Ceux qui aujourd'hui croient pouvoir dfinir lareligion uniquement par "le sacr", parce qu'ils ne peroivent pas ladiffrence entre les sacra et lesauguria, ne peuvent expliquer la muta-tion du sentiment religieux que nous observons ici. La fonction so-ciale du sacr s'amenuise dans la mesure mme o l'auguration estdevenue plus intrieure. Quoi qu'il en soit, entre la religion de Por- phyre et celle des anciennes Coutumes s'est creus un malentendu ra-dical : l o les Anciens voyaient le droit des dieux, la part rserve, lesecret qui appartient aux dieux, Porphyre voit le souci des hommes. Ilvoit la prvision, o tait la sentence, le permis et l'interdit, le fas et lenefas.L o tait une culpabilit inassumable, inexprimable autrementque sous la forme extrieure d'une dpendance, Porphyre voit (nonsans raison) un intrt goste, un "ordre de la concupiscence", diraitPascal. Porphyre et les devins ne pouvaient se comprendre. La raisonest impuissante l o il n'y a plus de symboles communs. Il y a dansl'histoire des situations incommunicables, comme celles que nousprouvons dans nos vies sous forme de nvroses et de psychoses.Quand la raison commune est "perdue", il n'y rien expliquer, puis-qu'il n'y a plus de jetons communs que nous puissions utiliser pour uncalcul raisonnable. Nous sommes mis en demeure d'avoir crer unnouveau jeu de langage en revenant aux sources potiques de la rai-son.

    Passant maintenant la deuxime partie de cet expos, je voudraisdire quelques mots des techniques divinatoires.

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    Dans un livre intitul Anthropologie et calcul,Philippe Richard etRobert Jaulin ont fait l'analyse mathmatique d'une technique divina-toire, la gomancie27. Je voudrais vous en donner un aperu trssommaire. Et voici pourquoi. Je vous ai dit qu'il y avait dans l'art divi-natoire une rationalit, mais qu'elle n'tait peut-tre pas o nous l'at-tendions. La rationalit se trouve non pas dans la conception dumonde, mais dans la structure mme de l'appareil divinatoire. Il y a iciune raison qui n'est pas dans ce que l'on dit mais dans ce que l'on

    montre sans pouvoir le dire. De mme que la justice augurale est une justice qui ne rside pas dans les lois crites, dans les choses dites parle lgislateur, mais une puissance rectrice des vnements qui se ca-che ou se montre plus qu'elle ne se dit, une puissance qui ajoute auxmots l'auguste plnitude de sa force augurale, ainsi la rationalit destechniques divinatoires est une rationalit qui prcde tout ce que l'on peut dire et qui n'appartient personne sinon l'appareil oraculairelui-mme. Dans la gomancie, ce sont les pierres qui deviennent lesmessagres de cette raison alatoire.

    Voici l'essentiel en quelques mots. L'appareil gomantique peuttre dfini comme un systme avec une entre et une sortie. L'entreest en gros la suivante : le devin ramasse des cailloux au hasard ; puisil les repose un un en srie. A la fin il lui en restera soit deux (pair)soit trois (impair). L'unit d'information est binaire : pair/impair ;oui/non. A partir de l on peut obtenir diverses combinaisons. Parexemple, s'il me reste la fin quatre pierres, je termine avec pair-pair.

    S'il m'en reste cinq, je termine en pair-impair.

    La syntaxe du systme consiste en rgles de combinaisons. On a

    27 Ph. Richard et R. Jaulin,, Anthropologie et calcul,U.G.E., Paris 1971, pp.183-215. Pour une prsentation plus concrte, voir A. Adler et A. Zemplni Le bton de l'aveugle,Hermann, Paris, 1972, pp. 50 sq.

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    En tudiant la logique de l'interprtation, nous allons voir se prci-ser la notion de destin. Dans ce qui va suivre, je m'appuierai sur lesremarquables analyses que Jean Bottro a donnes des tablettes baby-loniennes29. Nous y rechercherons les principes de ce qui fut, dansl'antiquit, la science des Chaldens, grands experts dans l'art divina-toire. La sentence divinatoire se rsume logiquement dans une for-mule conditionnelle : si telle conjonction de signes survient, alors telleclasse d'vnements est voulue par le destin. Si tel prsage, alors tel

    oracle.

    La forme conditionnelle : "Si..., alors..." nonce une implication.La protase ou condition est donne dans le prsent observable : c'est le prsage ou le signe. Le conditionn ou l'apodose s'annonce dans unesorte de temps judiciaire qui soumet le prsent (ou mme le pass) des chances futures. Une forme analogue de raisonnement se re-trouve dans toute casuistique, divinatoire ou juridique ou mdicale.Elle intresse donc la science des Chaldens dans ses diverses aspects.

    Premire question : comment les Chaldens ont-ils labor leurscience ?

    Nous pouvons tre renseigns sur ce point par des tablettes didac-tiques, sorte de manuels destins l'instruction des devins. Ces tablet-tes didactiques donnent des listes de formules qui mettent en corres- pondance une division systmatique des prsages avec un classement

    des interprtations possibles. Ces correspondances peuvent tre illus-tres par des maquettes, comme les foies de Mari ; l'organe est div