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Implication, Complexité, Multiréférentialité, et approche transversale (1er semestre 2005-2006) Au premier semestre de l’année universitaire 2005-2006, j’ai donné une série de cours sur la nouvelle épistémologie en sciences humaines, en traitant de l’implication, de la complexité, de l’approche transversale et de la recherche-action existentielle. Un de mes étudiants en Master 1, Paul Scheffer, a accepté de nous en rendre, ici, la synthèse essentielle et d’entrer en retentissement personnel. (René Barbier) Conférences de René Barbier Cours du 13 octobre Le thème du jour était l'implication. Celle-ci part de la relation comme source de connaissance et se différencie de la traditionnelle prise de distance objective du scientifique en réhabilitant le sens qui peut découler de notre rapport subjectif aux situations. Une des conclusions de la physique quantique n'est-elle pas de montrer que l'observateur ne peut s'empêcher par sa vision propre de ce qu'il observe d'interférer avec les phénomènes, comme l'illustre le célèbre chat de Schrödinger 1 ? Dans ces conditions, autant partir de ce postulat et essayer de voir ce que cette subjectivité peut apporter dans notre compréhension du monde et des problèmes qu'il pose. En cela on retrouve une des positions de Krishnamurti dans le sens où l'on affirme que la connaissance découle de la relation et de notre immersion dans la situation. Cela suppose un dépassement de l'état de fragmentation qui ne permet pas de tenter d'appréhender les situations dans leur globalité, de concevoir que « nous sommes le monde » comme le disait ce dernier. L'implication invite aussi chacun à réfléchir sur sa propre vie, à faire un retour sur les choix que nous avons faits et les déterminants de notre entourage qui ont pu les conditionner. Cette démarche permet de mettre en relief notre rapport singulier au monde et d'en discerner l'itinéraire, son évolution et le sens qui peut y transparaître, mettant en lumière différents moments, des ruptures, des nouvelles connaissances venant bouleverser l'équilibre, des aspirations qu'on note refaire régulièrement surface dans notre parcours... Cette trace du cheminement permet de dépasser là aussi l'état de fragmentation à travers lequel on se coupe de notre passé et de ses forces qui influencent notre présent, notre être au monde. Le film « Magnolia » en a fait un de ses leitmotivs en nous rappelant à plusieurs reprises que « nous pouvons en avoir terminé avec notre passé, notre passé, lui, n'en a pas fini avec nous » . Bourdieu disait lui « penser les forces qui agissent sur nous afin de s'en libérer et de se rapproprier sa propre histoire » . Cette réflexion devra être menée vis-à- vis de notre projet de recherche, comme nous le ferons en post-conclusion. L'implication nous relie à notre individualité sur différents plans. Nous en dégageâmes trois principaux, qui nous permettent de saisir le monde et de rentrer et rester en interaction avec lui. On peut tout à fait vivre en dehors de cette « reliance » comme Socrate nous le faisait déjà remarquer il y a 2500 ans, en montrant que la majorité des grecs vivaient en « ignorant leur ignorance » et se contentaient de leur suffisance, de l'état de leurs représentations mentales. Krishnamurti souligne sans doute le même phénomène lorsqu'il parle de fragmentation, comme nous l'avons déjà exposé. L'implication incite à se sentir concerné, pas que par soi, mais par les autres et le monde tout autant, qui interagissent avec nous et font ainsi aussi partie de nous, comme nous faisons partie d'eux. Bakounine disait dans ce sens « la liberté des autres étend la mienne à l'infini », tracant une continuité entre l'individu et les autres. On peut voir également cette idée et cette préoccupation dans le « Dasein » de Heidegger qui tend à abolir la frontière communément admise entre conscience de soi et du monde. Cours du 20 octobre 1 Bernard Werber « Encyclopédie du savoir relatif et absolu » Albin michel p.37

René barbier - Implication, Complexité, Multiréférentialité

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Implication, Complexité, Multiréférentialité, et approche transversale (1er semestre 2005-2006)

Au premier semestre de l’année universitaire 2005-2006, j’ai donné une série de cours sur lanouvelle épistémologie en sciences humaines, en traitant de l’implication, de la complexité, del’approche transversale et de la recherche-action existentielle.Un de mes étudiants en Master 1, Paul Scheffer, a accepté de nous en rendre, ici, la synthèseessentielle et d’entrer en retentissement personnel. (René Barbier)

Conférences de René Barbier

Cours du 13 octobre

Le thème du jour était l'implication. Celle-ci part de la relation comme source deconnaissance et se différencie de la traditionnelle prise de distance objective du scientifique enréhabilitant le sens qui peut découler de notre rapport subjectif aux situations. Une des conclusionsde la physique quantique n'est-elle pas de montrer que l'observateur ne peut s'empêcher par savision propre de ce qu'il observe d'interférer avec les phénomènes, comme l'illustre le célèbre chatde Schrödinger1? Dans ces conditions, autant partir de ce postulat et essayer de voir ce que cettesubjectivité peut apporter dans notre compréhension du monde et des problèmes qu'il pose. En celaon retrouve une des positions de Krishnamurti dans le sens où l'on affirme que la connaissancedécoule de la relation et de notre immersion dans la situation. Cela suppose un dépassement de l'étatde fragmentation qui ne permet pas de tenter d'appréhender les situations dans leur globalité, deconcevoir que « nous sommes le monde » comme le disait ce dernier.

L'implication invite aussi chacun à réfléchir sur sa propre vie, à faire un retour sur les choixque nous avons faits et les déterminants de notre entourage qui ont pu les conditionner. Cettedémarche permet de mettre en relief notre rapport singulier au monde et d'en discerner l'itinéraire,son évolution et le sens qui peut y transparaître, mettant en lumière différents moments, desruptures, des nouvelles connaissances venant bouleverser l'équilibre, des aspirations qu'on noterefaire régulièrement surface dans notre parcours... Cette trace du cheminement permet de dépasserlà aussi l'état de fragmentation à travers lequel on se coupe de notre passé et de ses forces quiinfluencent notre présent, notre être au monde. Le film « Magnolia » en a fait un de ses leitmotivsen nous rappelant à plusieurs reprises que « nous pouvons en avoir terminé avec notre passé, notrepassé, lui, n'en a pas fini avec nous » . Bourdieu disait lui « penser les forces qui agissent sur nousafin de s'en libérer et de se rapproprier sa propre histoire » . Cette réflexion devra être menée vis-à-vis de notre projet de recherche, comme nous le ferons en post-conclusion.

L'implication nous relie à notre individualité sur différents plans. Nous en dégageâmes troisprincipaux, qui nous permettent de saisir le monde et de rentrer et rester en interaction avec lui. Onpeut tout à fait vivre en dehors de cette « reliance » comme Socrate nous le faisait déjà remarquer ily a 2500 ans, en montrant que la majorité des grecs vivaient en « ignorant leur ignorance » et secontentaient de leur suffisance, de l'état de leurs représentations mentales. Krishnamurti soulignesans doute le même phénomène lorsqu'il parle de fragmentation, comme nous l'avons déjà exposé.L'implication incite à se sentir concerné, pas que par soi, mais par les autres et le monde tout autant,qui interagissent avec nous et font ainsi aussi partie de nous, comme nous faisons partie d'eux.Bakounine disait dans ce sens « la liberté des autres étend la mienne à l'infini », tracant unecontinuité entre l'individu et les autres. On peut voir également cette idée et cette préoccupationdans le « Dasein » de Heidegger qui tend à abolir la frontière communément admise entreconscience de soi et du monde.

Cours du 20 octobre

1 Bernard Werber « Encyclopédie du savoir relatif et absolu » Albin michel p.37

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L'implication permet d'imaginer une réconciliation entre l'objectivité et la subjectivité, aussientre le corps et l'esprit en soulignant que « l'esprit fait corps ».Ceci peut rappeler la traditionanglaise philosophique du sensualisme de Locke et de l'empirisme de Hume qui insistaient tousdeux sur l'importance des sens et de l'expérience empirique de la situation dans la connaissance. Acela s'ajoute la portée existentielle de l'implication qui fait écho à Sartre et à sa conception de laliberté : « la liberté, c'est ce qu'on fait de ce qu'on a fait de nous » disait-il, cette expériencesensorielle est une des prises que nous avons pour nous saisir du réel et choisir notre vie, rêver notreimaginaire.

Nous fîmes ensuite la distinction entre le réel, le symbolique et l'imaginaire, en montrant quenous projetons des représentations déguisant notre rapport au monde, à l'autre et à soi. Le réel nousheurte, nous réagissions par l'imaginaire, l'appréhendons et et lui donnons forme à travers lesymbolique, tamis de l'imaginaire sur le réel. Ce qui retînt mon intention dans cette notion du réel,c'est cet aspect d'inconnu absolu qui le définit et qui s'offre à nous à tout moment que cela soit sousla forme d'une autre personne, de soi-même, ou de quoi que ce soit. C. G. Jung l'a exprimé de cettemanière à la fin de sa vie : « Je suis étonné de moi-même, déçu, réjoui. Je suis attristé, accablé,enthousiaste. Je suis tout cela et ne parviens pas à en faire la somme. Je suis hors d'état de constaterune valeur ou une non-valeur définitives; je n'ai pas de jugement sur moi ou sur ma vie. Je ne suistout à fait sûr de rien. Je n'ai à proprement parler aucune conviction définitive – à aucun sujet. Jesais seulement que je suis né, et que j'existe; et c'est comme si j'éprouvais le sentiment d'être porté.J'existe sur la base de quelque chose que je ne connais pas. Malgré toute l'incertitude je ressens lasolidité de ce qui existe, et la continuité de mon être, tel que je suis. » 2, cela nous rappelle à un étatinterrogatif par rapport à notre condition, à notre entourage, et attise à la fois une curiosité de fairela rencontre de ce présent mystérieux, une sorte d'état d'éveil où les sens sont aiguisés, et unehumilité pour essayer de la comprendre. Ces deux attitudes induisent une ouverture, une tolérancequi semblent pouvoir réduire voire écarter les préjugés avec lesquels nous sommes habitués àaborder les situations, elles invitent plutôt à découvrir les trésors de l'altérité au lieu de la redouter,comme a su l'exprimer Bakounine cité plus haut ou Albert Jacquard en écrivant « je suis les liensque je tisse». On peu également citer cet aphorisme de Platon : « la seule qualité requise pour fairede nous un bon philosophe est notre capacité d'étonnement ». Et l'un des buts de cette posturephilosophique était bien d'essayer de dépasser les préjugés de son époque et l'esprit qui les générait.

J'avais plus de mal à accepter les concepts d'imaginaire et de symbolique tels qu'ils étaientprésentés. Il me semblait bien que nous étions des êtres imaginaires dans le sens où seul celui-cipermet d'appréhender et de donner des réponses à l'absurdité de notre condition, que cela soit àtravers les mythes, les systèmes philosophiques métaphysiques ou les religions accompagnées deleurs discours exégètes. Cependant il me semblait que dans notre vie pratique (pour la distinguer dela vie « pure » d'ordre métaphysique décrite plus haut, pour reprendre la distinction de Kant),l'imaginaire et le symbolique pouvaient avoir de toutes autres significations. Le réel vient nousheurter et que cela soit sous la forme d'un paysage, d'un ami ou de soi-même, il ne me semble quecela soit l'imaginaire qui nous permette de mieux les appréhender, mais au contraire une sorte desilence intérieur, l'humilité déjà évoquée plus haut et le repos permettant de mieux épouser à monsens ce qui se présente à nous, comme le suggère à sa manière le Tao-te-king en nous rappelant quec'est le vide du vase qui en fait toute la capacité de contenance, ou ce précepte zen aboutissant àl'idée que l'on ne peut apprendre quelque chose à quelqu'un qui déborde déjà de ses connaissanceset d'idées préconçues, comme une tasse trop pleine3. Ainsi faudrait-il pouvoir faire taire justementnotre imaginaire et ses productions symboliques pour accéder à un état plus contemplatif, intuitif,empathique. On retrouve là une idée présente chez Wittgenstein qui écrivait qu'on ne peut justementrien « dire » du monde, qu'en soi, il échappe à toute définition du langage. Ainsi ce n'était pas cequ'il avait pu dire qui comptait le plus d'après lui mais bien ce qu'il n'avait pas exprimé.Krishnamurti également insiste sur les chimères crées par le nominalisme et des peurs qu'il génère,alors qu'elles n(ont aucun fondement dans l'absolu. Il me semble que chaque phénomène doit fairel'essai d'être perçu pour lui-même, « en soi » comme disait Kant et les phénoménologistes après lui,et que cela passe par une attitude faisant appel à d'autres registres que ceux du symbolique et de 2 C. G. Jung « ma vie » Folio p.4083 Paul reps et nyogen senzaki « on ne peut pas voler la lune » p.17 éditions de la table ronde

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l'imaginaire de la psyché humaine. On pourrait évoquer ici Carl Gustav Jung lorsqu'il dit : « La'connaissance réelle' repose sur un un instinct ou sur une participation mystique avec autrui. Onpourrait dire que ce sont 'les yeux de l'arrière-plan' qui voient, dans un acte impersonneld'intuition » Il parle aussi de natural mind qu'il définit ainsi « natural mind est l'esprit de la nature,qui n'a rien à voir avec les livres. Il émane de la nature de l'homme, ainsi qu'une source jaillie de laterre, et il exprime en propre la sagesse de la nature. Il dit les choses rudement et sansménagement » 4. On retrouve par contre l'imaginaire et le symbolique nécessairement dans ladémarche analytique de la science qui permet elle aussi d'affiner notre intelligence du réel commeau-travers des théories bouleversantes d'Einstein, ou de la physique quantique, qu'on dit à juste titre« non-intuitives » tellement elles défient le bon sens.

Ces concepts méritent donc pour moi qu'on continue à les nuancer et à les approfondir. Ainsila limite entre symbolique et chimérique ne se limiterait pas à une pensée fermée sur elle-même nepermettant plus de communication avec le monde extérieur mais pourrait inclure l'illusion de larationalité de notre symbolique qui prétend souvent se substituer à la vérité à tout bout de champ.Mais dans cette discussion, il y a tout un pan du problème qui se résume à une différence determinologie, où chacun met légitimememt ses propres définitions derrière de mêmes mots. Il sepourrait bien qu'in fine, mon ressenti soit beaucoup plus proche de ce qu'a voulu exprimer MrBarbier.

Pour le pôle du « moi », là aussi je ne me retrouvais pas tout à fait dans les conceptsproposés. Il me semble que Thanatos est bien moins universalisable qu'Eros, qu'il est plus emplid' « ethnooccidentalisme ». La pulsion de vie peut être bien plus facilement vécue, quoique sous desformes différentes selon chacun, aussi bien par un parisien, que par un bushmen ou un indien Kogià mon sens, avec ce m^me ressenti d'adhésion à la vie, d'être impliqués de la m^me manière dans lefait que le monde et soi appartiennent à la même écorce. Thanatos par contre induit une pulsion dedestruction que je soupçonne plus spécifiquement propre à nos civilisations techno-industriellesdéracinées jusqu'à en être aujourd'hui « postmodernes » et bientôt peut-être cybernétisées Àun degré difficilememt imaginable par le bais des bio et nanotechnologies. Il me semble que le corpshumain ou la nature nous donnent de formidables exemples de la force d'homéostasie qui s'y trouve.Thanatos pourrait dans cette optique être plutôt considérée comme une nuance apportée à Eros pourmontrer que la vie n'est pas l'éden de l'individualité destiné à l'immortalité, mais que « la vie senourrit de destruction, comme le faisait remarquer Gandhi, la vie est tout de même la plus forte 5».On peut trouver dans ce sens d'autres arguments pour montrer que Thanatos est sans doute plus auservice d'Eros qu'on pourrait le supposer, à travers la mort par exemple comme nous avonscommencé à le souligner en montrant avec Bernard Werber que celle-ci est « d'utilité publique »6,garante de l'équilibre dans un monde fini où les espèces se reproduisent.

Cette vision affecte aussi Polemos, dans la mesure où ce troisième pôle, pour moi, devraitrassembler tout autant cette notion d'agressivité que celle d'entraide, de symbiose,d'interdépendance qui caractérisent notre condition comme voulaient le montrer déjà Kropotkineavec son livre « L'entraide » venant nuancer la « lutte pour la vie » interprétée à partir de Darwin,ou les derniers livres de Jean-Marie Pelt « la loi de la jungle » (« l'agressivité chez les plantes, lesanimaux et les hommes ») et « la solidarité (« l'entraide chez ces mêmes espèces »). qui viennent secompléter réciproquement. Cette ambivalence insistant plus sur la notion d'équilibre, je proposeraisde l'appeler « Vishnos » faute de mieux, en référence à celui qui est vu comme le « conciliateur »entre Brahma, le dieu de l'éternité, du commencement de tout, et de Shiva, dieu de la destructioncréatrice, Dionysos oriental, dans la tradition hindouiste.

D'autres éléments peuvent contribuer à infléchir la référence à l'agressivité de Polemos. Il futquestion notamment de défense de la cellule par rapport à des virus ou des bactéries pour illustrerl'importance de ce dernier. Cette vision, qui reprend le schéma pasteurien de la lutte permanente ducorps face aux intrus de l'extérieur tentant de l'assaillir, est toujours débattu et sérieusementinfirmée. Claude Bernard déjà, contemporain de Pasteur disait que « le virus n'est rien, c'est leterrain qui est tout ». Pasteur, sur son lit de mort l'admit, mais c'est son modèle tout de même qui fut

4 C. G. Jung opus cité p.715 Lanza del Vasto « Le pèlerinage aux sources » Folio p.1686 Bernard Werber opus cité

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perpétué jusqu'à nous. Des travaux récents sont venus remettre en question les études de Pasteur surles bienfaits de la vaccination et de la logique dont elle procède, montrant au passage que celui-ciaurait truqué ses résultats, qu'il ne se serait jamais soumis ni ses enfants à l'immunisation qu'ilpréconisait7. D'autres recherches, comme celle de Bruno Comby 8, tendent à montrer que l'aspectpathologique des virus n'est pas acceptable dans sa vision actuelle, que ceux-ci pourraient mêmes'avérer utiles. Ils ne deviendraient pathologiques que si l'organisme se trouve trop déséquilibré aumoment de l'entrée du virus pour en réguler correctement l'activité et la prolifération : si celle-ci envient à dégénérer c'est à ce moment que le virus conduit aux symptômes que la médecine reconnaît.Il apparaît donc qu'il en est une condition nécessaire mais pas suffisante. Le virus n'est d'ailleurs pasdétruit par le système immunitaire en premier lieu mais contrôlé en nombre. Et chaque cellule ducorps va conserver une trace du virus ce qui peut être interprété comme un complémentd'information laissé par le virus sous la forme d'ADN (un virus n'est qu'un bout d'ADN enveloppéd'une capsule) dont le corps se sert pour faire des opérations qu'il ne sait pas bien faire de lui-même,son propre bagage génétique étant limité. De même pour les bactéries, les travaux de la biologisteLynn Margulis9 suggèrent une profonde affiliation entre nos organismes et les bactéries, qui nousont précédé de millions d'années, qui se trouvent partout, et sans lesquelles nous ne pourrions vivre,grâce notamment aux millions d'entre elles en symbiose avec nous dans nos intestins et sans quitoute digestion serait impossible. Ces recherches invitent à reconsidérer notre vision des bactéries etentre autre à se demander si leur rôle pathologique n'est pas lié tout d'abord à un déséquilibre del'organisme tout comme les virus, et si elles ne sont au contraire pas beaucoup plus utiles que nousle pensions. Ces exemples tendent à relativiser la place du combat, de l'agressivité dans les rapportsavec notre environnement, pour privilégier plutôt les relations de coopération. D'où notre idée d'unpôle plus « Vishnouïte » que « Polémique ».

Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder le troisième pôle décrivant notre rapport à l'autre encitant Bakounine par exemple. L'autre dans son altérité,complémentarité apparaît également commeun révélateur de notre propre identité par le contraste qu'il provoque avec nos propres manières defaire, qui nous semble toujours naturelles tant que l'on n'a pas de références pour les mesurer(Orwell l'exprimait bien au niveau du collectif : « masses ne se révoltent jamais de leur propremouvement, et elles ne se révoltent jamais par le seul fait qu'elles soient opprimées. Aussilongtemps qu'elles n'ont pas d'éléments de comparaison, elles ne de rendent jamais compte qu'ellessont opprimées.»10). On peut rapprocher cette considération des « révélateurs » de l'analyseinstitutionnelle sociologique qui cherchait elle aussi à mettre en évidence ces rapports dialectiquesau sein des groupes.

Cours du 27 octobre

Le cours a porté sur la notion de complexité développée par E. Morin, dont une descaractéristiques est de s'être intéressé à un large éventail à travers une approche transdisciplinaire etde n'avoir pas eu forcément la reconnaissance de ses pairs, tout du moins à ses débuts, comme c'estsouvent le cas pour les penseurs développant une réflexion originale. Pour toutes les idées nouvelleson observe toujours une résistance de l'institué qui permet de mettre à jour les pouvoirs en place etles rapports de force en vigueur. C'est aussi le cas pour les idées qui sous-tendent notre objetpersonnel de recherche, où l'on voit les idées et les personnes les portant marginalisés, comme s'enplaignait notamment le Dr Seignalet, qui faisait remarquer que depuis qu'il s'intéressait àl'alimentation, les portes des revues s'étaient fermées alors qu'il avait publié plus de 175 articlesdans sa carrière jusqu'alors11.

Pour ce qui est de la complexité, elle apparaît liée à l'implication dans un rapport deproportionalité. Plus on s'implique dans une recherche, plus on a de chances de découvrir les

7 Dr Eric Ancelet « pour en finir avec Pasteur » Marco Pietteur 19988 Bruno Comby « Renforcez votre immunité » TNR éditions9 Lynn Margulis « L'univers bactérien » Points10 Georges Orwell « 1984 » Folio11 Cf la réponse de Seignalet aux critiques d'un de ses confrères :

http://membres.lycos.fr/xbeluga/JS3McritiquesJMQ-repnsJS.html

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différentes facettes d'un phénomène qu'on aurait pu ne jamais soupçonner en se contentant d'unaspect de celui-ci et en le prenant pour sa totalité. Les rapports à la culture, a de l'implication miseen jeu. La complexité découle de celle du réel où une interaction permanente d'éléments se produit .Face à la complexité du réel, l'approche de la complexité tente de comprendre le phénomène danssa globalité sana pouvoir dire si la vision qu'elle propose est totalement juste ou pas, en gardant, enessayant, en revendiquant le caractère ouvert, aporétique des solutions qu'elle propose. En cela ellerappelle l'aveu d'ignorance de Socrate « la seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien » qui luiavait valu d'être reconnu comme l'homme le plus sage par l'oracle de Delphes. Cela rappelle aussi ladéfinition que donnait Karl Popper de la science, qui disait qu'une théorie scientifique ne peut serevendiquer comme telle que si elle conserve son caractère réfutable, donc ouvert à la révision. Lascience comme l'environnement est un système ouvert, en interaction avec les données, les élémentsde son époque, de son milieu, qui les composent. C'est là le caractère « dialogique » de lacomplexité qui reprend l'idée d'interaction et de dialectique du mouvement de la pensée, et qui meten avant la propriété permanente de ce mouvement qui ne peut affirmer être arrivé à la fin de soncheminement et se refermer sur lui-même, comme cela peut être le cas pour la science même,lorsque celle-ci tombe dans la rationalisation et le réductionnisme, ce qui arrive souvent comme lesouligne Jacques Testard dans le Monde diplomatique de décembre 200512. Ce mouvement estpermanent, comme l'est le réel en perpétuel émergence qui fait apparaître des formes à partir desinteractions qui ne se réduisent pas à la somme des parties en jeu. Albert Jacquard voit d'ailleursdans l'évolution de la vie une constance d'auto organisation allant toujours vers plus de complexité(cette opinion est par contre relativisée par Stephen Jay Gould13, celui-ci montre que lapaléontologie ne nous laisse pas voir un progrès continu vers plus de complexité, mais bien plutôtune succession de périodes de stabilité et d'explosion de diversité.) cette dialectique prise encompte, cette émergence permet de considérer à la fois la diversité et l'unité en jeu, la thèse etl'antithèse donnant la synthèse, et permet d'apposer au « ou » exclusif du principe de noncontradiction hérité d'Aristote, et auquel se limite souvent la science occidentale, le « et » inclusif,plus proche de la philosophie chinoise et du tao en particulier, qui propose la synthèse descontraires dans son symbole même.

Cours du 3 novembre, avec jacques Ardoino

Nous passons maintenant à la multiréférentialité. Jacques Ardoino nous donna différentesnotions permettant de la distinguer de l'approche scientifique conventionnelle et de mieux cerner saspécificité. Ainsi nous vîmes l'idée du vague se rattacher à la multiréférentialité dans la mesure oucelui-ci insinue quelque chose qui reste mouvant, non fixé, nous échappant, comme le veutl'approche multiréférentielle (AM) qui reprend à son compte l'idée de rationalité ouverte déjàprésentée pour la complexité de Morin. Ardoino insista dans ce se même sens sur l'idée de plurielqu'il entendait voir réhabilitée face à un primat de l'unité (on retrouve ici l'idée du « ou » exclusifpréférée au « et » laissant la place à la dualité et considéré comme une forme dégradée, uneincomplétude d'une vérité une et indivisible). Les notions de contradictions, d'hétérogénéité sevoient attribuées un rôle important dans l'AM dans le m^me ordre d'idée alors qu'ils sonttraditionnellement considérés plutôt péjorativement. Toutes ces notions renvoient à un désir derentrer dans la complexité du phénomène en essayant d'aborder le plus grand nombre de sesfacettes, des problèmes qu'il suscite, et non d'arriver à avoir un avis définitif sur lui, de céder à latentation d'apporter le point final à la question pour s'en s'octroyer le prestige. L'AM à ce niveau estdu côté d'une épistémologie du témoignage et non de la preuve qui veut expliquer, qui accumule lesfait à travers des études quantitatives. L'idée clé ici est que personne ne peut avoir le point de vue dela totalité des points de vue et renvoie à l'humilité du chercheur dont nous avons pu parler au sujetde l'implication, ou à la phrase de Socrate rappelant qu'il ne savait rien. On aborda aussi le problèmed'actualité des banlieues à travers une vision que pourrait en proposer l'AM, mettant en lumièrel'aspect linéaire de l'interprétation du gouvernement face aux multiples dimensions politiques,ethnologiques, psychanalytiques du problème. Cet exemple constituait en lui-même une application 12 « Une fois aveugle dans le progrès scientifique » Jacques Testard Le Monde diplomatique 12/05 p.26 et 2713 Stephen Jay Gould « Darwin et les grandes énigmes de la vie » Points p.124

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concrète des principes de l'AM, à travers l'émergence et dans l'implication qu'elle suscite, dans lamesure où l'on consacra une partie du cours à un événement non-prévu amené par l'actualité, nousimpliquant de fait. Nous laissions ainsi la place dans le cours à ce qui survenait et ne suivions pasun cours déterminé, tout tracé à l'avance, uniforme.

Cours du 10 novembre avec J. Ardoino

Jacques Ardoino commença par relever le fait que notre classe était un paradoxe à ce qui s'ydisait dans la mesure où la pédagogie active qu'on essayait d'explorer s'avère très difficile àpratiquer en acte dans une classe de 100 personnes, et rappelle à bien des égards les coursmagistraux traditionnels. Tout du moins il n'a pas été question d'évacuer cette contradictionsapparente, nous sommes partis d'elle, offrant une occasion de retour critique sur nos propres modesde faire, ce qui arrive relativement rarement, lors de nos cours et même en dehors..

La notion d'holisme fut mise en avant et distinguée de l'hologrammatisme auquel préfère seréférer Morin. Les deux approches proposent une vision globale du phénomène prenant en comptesa complexité et sa nature interactionnelle émergente. La première me semble-t-il suppose plutôtque de cette interaction permanente émerge une complexité mécaniquement, tandis que la secondeinsiste davantage sur le lien de filiation qui persiste à travers ce changement, la partie étant capablede redonner le tout, pourtant pus complexe. Ces deux notions invitent de toute façon à questionnernos représentations trop linéaires, issues de nos traditions occidentales de raisonnement, commenous l'avons déjà relevé, en relativisant la position dominante du « ou » exclusif par rapport au« et » intégrateur de la pensée chinoise.On abordera de nouveau d'ailleurs la question de l'autre et de l'altérité en soulignant que celle-ci,dans le cadre du dédain de l'hétérogénéité,, du pluriel, de la contradiction, pouvait des penser et sevivre surtout plus comme une altération de l'unité que comme une source de liberté comme le disaitBakounine, ou une complémentarité. Sur cette base, on peut déjà s'imaginer les peurs qui peuventdécouler et les difficultés que cela peut soulever en matière de vivre ensemble. Si les divergencestendent à être déconsidérées et intérieurement combattues, la tendance peut se rapprocher etrenforcer un désir plus ou moins inconscient de pensée unique à l'intérieur du corps social, de« bonheur conforme » pour reprendre le titre du livre de sémiologue François Brune, d'une pressionsociale autour de la norme qui l'expose à la résignation face à la démagogie en acceptant que touspensent pareil (un autre livre de Brune s'intitule justement « les médias pensent comme moi »). Pasétonnant dans ce contexte que des pensées marginales et originales comme celles de Bourdieu ou deMorin soient intrinsèquement rejetées, car trop « autre », ne correspondant plus aux lieuescommuns de référence habituels. Cette réflexion nous amène aux termes de trajectoire et decheminement qui expriment cette dualité entre un parcours réifié, dont l'intentionnalité est réduite,comme c'est le cas pour la première, et celui du tâtonnement ou l'auteur reste dans questionnement,la réceptivité et le choix dans son implication. René Barbier préfère lui le mot d'itinérance à celui decheminement.

Dans ce cadre de pensée conforme et figée, sauvant perpétuellement les apparences, toutconflit doit être évacué, renforcé par l'idée d'harmonie qui présuppose l'unité, l'accord, laconcordance (on pourrait ici faire référence à R Bradbury14, qui présente un monde où les livres ettout ce qui peut faire réfléchir est banni, car « rendant le monde triste », voir la scène où Montagprovoque un conflit à propos de la superficialité de la famille virtuelle avec les amies de sonépouse), alors que le « conflit » paraît inéluctable si 'l'on considère l'hétérogénéité de chacun etm^me serait plutôt moteur, induisant une dynamique rappelant les dialogues socratiques où larecherche de la vérité se faisait en commun en profitant des points de vue différents desprotagonistes comme dans le Phédon à propos de la vie après la mort. Jacques Ardoino soulignequ'on retrouve ce conflit permanent dans la nature, et l'on retrouve là l'idée présentée par le pôle dePolemos. Nous ne reprendrons pas les critiques formulées à cet égard précédemment. (on pourraitajouter aussi les références utilisées par Édouard Goldsmith15 pour prolonger cette réflexion autourde l'homéostasie et de l'entraide, en s'appuyant sur l'hypothèse Gaïa de James Lovelock rentre 14 Ray Bradbury « Farhenheit 451 » Denoël15 Edouard Goldsmith « Le Tao de l'écologie » édition du rocher

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autre.), ce qui paraît intéressant, c'est que cette approche du conflit désamorce sa perceptionunilatéralement négative, et permet de l'appréhender de manière plus complexe, comme le proposaitdéjà François Perroux à travers ses trois dialectiques. Par le biais de ces propositions on se rendcompte que nous vivons dans un monde où la dialectique de l'antagonisme est très répandue,notamment lorsqu'on se rappelle les mots de G.W Bush « Vous êtes avec nous, ou contre nous » etlorsqu'il parle, lui et son administration dite de « faucons » « d'axe du mal ». Ce contextedialectique suffirait à nous alerter quant au contexte international en vigueur, et aux violences quipeuvent en découler, comme c'est le cas en Irak et dans bien d'autres régions du monde dont onparle moins, comme en Afrique notamment où la France s'implique activement d'une façon trèssimilaire si l'on suit les travaux de Francois-Xavier Verschave16, ou ce qui ressortit du procès Elf.Jacques Ardoino insista donc sur l'importance du dialogue social, en se référant notamment aupédagogue Louis Legrand. Ici l'on pourrait faire référence à l'ouvrage du sociologue ChristianLaval17. Celui-ci montre que le rapport Legrand remis en 1983 fit date en proposant « un florilègedes idées 'démocratiques' introduisant les termes 'd'hétérogénéité', 'd'interdisciplinarité' et essayantde prendre en compte 'les élèves tels qu'ils sont' ». Laval montre cependant que cette aspiration àconsidérer les différences (comme l'appelait aussi de ses voeux Pierre Bourdieu critiquant« l'indifférence aux différences » de l'institution.) peut facilement se renverser en « assignation auxdifférences » et légitimer les inégalités sociales. Ainsi il apparaît que toutes les nouvelles valeursprônées par la gauche (le divers, la différence, l'individuel, le local...)interprétées commeprogressistes, ont plutôt eu tendance à supplanter les valeurs de gauche plus traditionnellesd'universalité, d'émancipation et d 'égalité jugées « ringardes », voire « totalitaires » et jouer le jeude l'offensive libérale que dénonce Laval. Cette remarque rappelle toute a prudence que l'on doitconcéder aux significations des mots, comme l'a rappelé J. Ardoino à plusieurs reprises dans sesinterventions, et ne pas s'arrêter seulement à leur apparence séduisante, surtout lorsqu'il s'agit depolitique.

Cours du 17 novembre

Toujours au sujet de l'AM, il fut question de temporalité. Celle-ci est constamment prise encompte dans l'AM, à travers la considération de l'émergence et des interactions en jeu qui fontévoluer les paramètres et leur interprétations, à travers la compréhension de l'historicité du contexteétudié, à travers le temps, ne serait-ce que pour que deux personnes parviennent à suffisamment seconnaître pour se comprendre un minimum et travailler ensemble. Celle-ci pourtant est rarementmise en avant dans la science traditionnelle, encore plus aujourd'hui où les impératifs de rentabilités'appliquent de plus en plus à elle, à la recherche comme Laval le souligne dans son livre18.

Il fut question aussi de négatricité. Celle-ci prend en compte l'individualité du sujet enrespectant son autonomie intellectuelle, ses opinions propres, estimant tout à fait légitimes lesmodes de défense que celui-ci met en place pour résister à l'influence de désir d'autrui. Toutefois lanotion me gêne dans la mesure où elle me semble réduire les relations humaines au conflit, à unelutte dans laquelle il s'agit toujours de se défendre. Il me semble que cela peut être le cas face à desindividus cherchant à imposer leur vision des choses, mais il y a tout un spectre d'autres relations oùl'échange prévaut laissant chacun des interlocuteurs libre de retenir ce qu'il juge pertinent de lavision des autres. Dans ces cas là il s'agit plus de bénéfices mutuels, Jacques Ardoino parlait peut-être à ce titre d'harmonie, possible lorsque les conflits ne sont pas évacués mais pris enconsidération, vraiment vécus, ce qui serait le cas ici si on comprend la notion de conflit commement semble-t-il entre sous-entendus et vus comme fatals à travers l'idée de conflit et de négatricité.

Il m'a semblé important que la sixième dimension, dite sacrale, soit rajoutée aux cinqperspectives proposées par Ardoino afin d' appliquer l'AM, notamment par rapport à mon objet derecherche. Un des éléments qui me plaît dans l'AM, c'est qu'elle n'oublie pas de considérer l'homme,l'aspect humain, éthique dans son processus, alors qu'il est si souvent À mon goût mis de côté dansles pratiques de la science conventionnelle, au nom de l'objectivité. 16 La liste serait trop longue, citons « la françafique », « Noir Chirac » et « au mépris des peuples »17 Christian Laval « L'école n'est pas une entreprise » La découverte 2003 p 247 et 248 notamment18 Christian Laval Opus cité p. 51 et 57

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Cours du 24 novembre

Cette dimension éthique se retrouve au coeur de l'approche transversale (AT) développée cejour, notamment au travers de ce qu'induit l'écoute clinique. Cette écoute réintroduit elle aussi ladimension du corps (pulsions, tropismes) qui est de toute première importance pour notre objet derecherche, comme le sont également les deux autres écoutes, insistant respectivement sur notreDasein, notre être-au-monde, et sur le lien nous unissant à nos racines (nos mythes) et nos ailes(notre inspiration poétique). Au-delà de notre projet de recherche, ce qui semble décisif est le faitqu'il apparaît évident que les personnes se prêtant à l'AT prennent un engagement pour s'impliquerde manière poussée, pour essayer de solliciter toutes les ressources de leurs perceptions, ce que l'onfait rarement, et en cela je pense que l'AT, en plus d'apporter un point de vue original de recherche,a aussi pour effet et intérêt de toucher et transformer ceux qui y participent en leur donnantl'occasion d'éprouver leur potentiel personnel souvent peu mis à contribution. Ces trois typesd'écoute sont autant d'exercices pouvant nous inciter à redécouvrir l'infini inconnu de l'autre, dumonde, de notre propre présence au monde et en cela, elles peuvent être l'électrochoc capable denous réveiller de notre léthargie existentielle, routinière, blasée, inerte, de notre nihilisme quotidien.Cette expérience peut nous relier, nous faire (re)trouver le contact de « la chair du sensible » chère àMerleau-ponty, de notre conscience de l'expérience présente, de cette sensibilité qu'a su exprimerLévinas : « Le meurtre est possible. Mais il est possible quand on n'a pas regardé autrui en face.L'impossibilité de tuer n'est pas réelle, elle est morale (...) Le regard moral mesure, dans le visage,l'infini infranchissable où s'aventure et sombre l'intention meurtrière » Elle nous re-situe vis-à-visde nous-mêmes et nous revoit à nos valeurs, nos principes personnels, ce que nus jugeonsessentiel,et notre cohérence par rapport à cela, elle réveille notre lucidité, notre responsabilité defaire nos choix, notre part de créativité assoupie. La philosophie bouscule nos certitudes, la poésie« salve contre l'habitude » d'après l'expression d'Henri Pichette, bouscule notre apathie, et nousredonne faim et soif, de connaissances, des autres, d'inconnu, de sensations et affûte notre capacitéd'attention et de réceptivité, notre capacité de voir, ou de percevoir comme le dira MauriceKrichevsky, et comme nous le disait déjà Rimbaud19 dans sa lettre du voyant. Cette expériencebouscule, « dérègle » nos sens écrivait-il, et nous permet de reprendre contact avec ce qui se jouedevant nous, avec nous... Lorsque René Barbier parlait de ces trois écoutes, il était debout, prochedu premier rang, présent, impliqué, n'ayant pas besoin de notes, comme à chaque fois d'ailleurs,mais il était peut-être encore plus habité par ce qu'il nous disait, ces propos vibraient encoredavantage que d'habitude.

Cours du 1er décembre

Cette implication existentielle, capable de nous transformer de l'intérieur en mobilisant tousnos sens et nos capacités de compréhension, se retrouva logiquement dans le cours sur la recherche-action existentielle (RAE). Une des caractéristiques de cette dernière est de réunir constammentthéorisation et pratique dans un va et vient censé les féconder l'un l'autre, soulignait que l'un ne peutse passer de l'autre et que le chercheur est prêt à suivre les fluctuations que ces deux domaines serenvoient, au plus près donc du caractère émergent et dynamique de la situation, dans la mesure oùelle est une démarche collective, impliquant des personnes directement liées au problème à résoudreet appartenant au terrain. L'interaction est recherchée, l'hétérogénéité considérée comme un atout,qui se retrouve donc dans le rapport final du chercheur collectif à travers ses différents registres delangages, ses formes d'expressions (poème, chansons, texte... ) ayant pour but de rendre le plusfidèlement possible les fruits de travail liés au processus de recherche commune, de critiquemutuelle, d'échanges de perceptions entre universitaires et personnes de terrain et entreuniversitaires entre eux, découlant du travail réalisé à partir des journaux d'itinérance de chacun desmembres.

19 Arthur Rimbaud « poésie complète » livre de poche

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Colloque du 8 Décembre ( 3 premières interventions seulement)

Henri Lefebvre fait de la vie quotidienne son objet d'étude, alors que celle-ci, à travers satrivialité, son aspect banal, pourrait rester en dehors du champ de l'étude scientifique. Au contraire,Lefebvre la considère comme étant la base de l'organisation sociale et estime que chacun de sescaractères devrait être mieux compris, comme H. D. Thoreau invitait déjà à le faire à sa manière en1854 : « Penchons-nous sur la façon dont nous menons nos existences »20. Celui-ci de la mêmefaçon, toujours dans le même discours, critiquait le divertissement spectaculaire éloignant del'expérience vécue : « Quand notre vie cesse d'être intérieure et s'étiole, nous nous rendons plusfréquemment et désespérément au bureau de poste », ce qui est valable pour la télévision, la radio,comme Thoreau le souligne en parlant lui des journaux de son temps.

On peut aussi retrouver des idées proches de Jacques Ellul sur la technique21, même siLefebvre considère, semble-t-il, que c'est l'usage qu'on en fait qui reste déterminant, alors qu'Ellul,et à sa suite des personnes comme Alain Gras n'eut de cesse de souligner que la technique estcapable d'imposer sa propre logique et de se perpétuer selon ses propres règles, entraînant le mondesocial et politique avec lui.

Pour ce qui est de la crise des valeurs, de la crise social, on pourrait évoquer uneressemblance avec Castoriadis, ou avec Hannah Arendt qui dans « la crise de la culture » montreque la transmission des connaissances n'allait plus de soi dans les sociétés développées dès 1950.Pour Lefebvre, la vie quotidienne reste le lieu du dépassement de cet état de fait, le lieu du possibleoù les individus peuvent se rapproprier leurs « arts de faire », pour reprendre l'expression de Michelde Certeau. Cette idée renvoie aussi à ce qui fut pratiqué et publié par les situationnistes dontLefebvre fut proche un temps durant.

L'intervention de C. Jabot fit apparaître que les études sur la vie quotidienne se poursuivent,comme celle qu'il dirigea dans les années 70, tandis que J. L. Legrand nous fit part de ses travauxsur «l 'esprit critique », constatant qu'il était quant à-lui encore peu étudié en France, bien qu'on enfasse couramment mention. Cela posait la question de sa réelle prise en considération et mise enpratique.

Conclusion

« Dans une maison de la culture, il n'y a pas très longtemps, j'eus l'impression que leconférencier avait choisi un thème qui lui était trop étranger et que, partant, il n'était pas parvenu àm'intéresser autant qu'il l'aurait dû. Il traitait de choses qui n'était ni dans son coeur ni proches delui, mais qui se trouvaient à ses extrémités et à sa surface. En ce sens sa conférence ne reposait suraucune pensée véritablement centrale ou centralisatrice. J'aurais souhaité qu'il évoquât sesexpériences les plus personnelles, à l'image du poète »22

Ces différents cours ont dans l'ensemble eu le mérite de répondre aux voeux de Thoreau.Pendant toutes ces séances nous avons parlé de la vie, nous l'avons laissée entrer dans le courslorsque l'actualité des banlieues se fit si pressante, nous lui avons laissé de l'espace en nous donnantle temps de nous connaître à quelques reprises, ce qui me permit de constater que les étudiantsautour de moi semblaient partager ce sentiment de se sentir concerné par ce qui s'y disait. Et mêmeau-delà, car l'on pouvait aussi dire qu'il y avait suffisamment de matière, de grain à moudre, pourmettre en branle notre raisonnement, le réactiver, ce qui est tout à fait différent d'une simpleopération intellectuelle, spéculative ou autre restant une occupation décalée, abstraite, sans prise surnous comme c'est le lot de beaucoup d'heures passées en classe, habituant l'esprit à se mettre enveille, rendu à la passivité. Ici, un certain nombre d'entre nous ont pu se sentir engagés, touchés parce qui se passait, comme un avant-goût de ce que peut être l'approche transversale en recherche, etse mettre à vibrer en exprimant leur vérité lors du journal d'itinérance que nous devions rédiger,comme cela a été le cas pour moi. Et qu'importe finalement les opinions de chacun, qui ont bien sûr

20 H. D. Thoreau « La vie sans principe » mille et une nuits21 Jacques Ellul « le système technicien »22 H. D. Thoreau, opus cité p.1

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leur valeur, ce qui a compté est le fait qu'un cours nous demande enfin ce que nous pensons, en tantqu'individu, sur ces sujets centraux de nos existences que sont notre identité, notre rapport auxautres, au monde... Thoreau, à la suite de la tirade citée plus haut ajoute : « Le plus grandcompliment que l'on m'ait fait, ce fut le jour où l'on me demanda ce que 'je pensais', et où l'onaccorda de l'attention à ma réponse ». Pour une fois les barrières entre spectateurs et acteurs,enseignant et apprenant sont rompues, ou permettent tout du moins de rentrer et de favoriser ledialogue, pour donner une place à chaque pensée, dans l'état où elle se présente, en partant dechacun, comme le préconisait Montaigne lorsqu'il disait que « c'est au précepteur de se mettre auniveau de son élève et de l'accompagner », accompagner qui veut dire « partager son pain », on estbien donc bien dans l'échange.

Pour moi, l'ensemble des thèmes que nous avons traités (l'implication, la complexité, lamultiréférentialité, l'approche transversale) renvoie à ce moment singulier et décisif où notreconscience renaît à l'enracinement et au surgissement qui caractérisent notre être au monde.Lorsque l'esprit et le corps retrouvent leurs racines, ce dont ils sont faits et qui les constitue (la« matière » du monde, celle de leur histoire personnelle, de leurs rêves, des personnes qui les relieau monde eux aussi) et que nous oublions la plupart du temps tellement ils nous apparaissenttriviaux, allant de soi. « Rien n'est normal » dit un poème de Brecht nous rappelant à la consciencequi a trop tendance à prendre la fuite des échappatoires, comme le suggère la planche de Gébé ci-jointe23, et ne connaît que de rares éclats de présence d'esprit, de mesure d'être au monde commeceux qui bouleversent la vie des personnages du film de Coline Serreau dans « la belle verte »,lorsqu'ils sont « déconnectés », comme ils disent dans le film, de leur monde virtuel d'image, d'ego,de stress, d'absurdité et reconnecté, relié à la transcendance de l'existence. Nous pouvons passernotre vie, des siècles même à faire semblant, à rester à la surface comme le dit Thoreau ou RichardBach dans son conte « Jonathan Livingstone le Goéland », mais il nous est toujours donné de faireet refaire l'expérience de l'enracinement et de changer nos rapports au monde, aux autres à soi, pourles vivre avec plus de justesse et d'intensité, de profondeur. L'enracinement nous recentre en nous-mêmes, tout en nous reliant à l'ensemble du monde, dépassant les clivages traditionnels de soi et del'autre, du corps et de l'esprit, de l'objectivité et de la subjectivité, et permet aussi bien de voir leschoses dans leur ensemble, relatif à la totalité du monde que d'accorder notre attention à lasingularité de chaque chose. Les Oppositions rentrent en Appositions, et réunissent leurs énergies,leurs spécificités en synergie au lieu de les annuler dans la confrontation, rejoignant par là l'espritdu tao. La dynamique du surgissement quant à-elle nous fait épouser nos limites, nosclivages intérieurs, et nous invite à les redécouvrir, à le dépasser avec une attitude plus juste. Ilremet ainsi en marche notre curiosité pour toute chose et avant tout pour nous-mêmes et la vie quinous est donnée et nous rend à la fois notre liberté et notre responsabilité de la laisser dépérir dansl'inertie, ou de la cultiver comme le proposait le candide de Voltaire à sa manière. Et cette liberté,cette responsabilité, sont sans limites, porteuses de l'énergie voulant embrasser le monde en entier, àl'infini, comme ce fut le cas des encyclopédistes et de leur soif insatiable de connaissance, ou debeaucoup de poètes désireux d'embrasser pleinement la vie, rongés par la même inspiration qui lespoussaient à se dépasser eux-mêmes. Du surgissement émerge un présent créé, fécondé,imprévisible. C'est celui du sens qui s'exprime et qui n'en finit pas de nous échapper, insaisissable,c'est un mouvement perpétuel d'énergie dont nous ne connaissons ni la provenance, ni ladestination, qui nous traverse seulement de toute sa vigueur. On peut l'appeler génie, folie, Aristotedisait que l'un n'allait pas sans l'autre d'ailleurs. Cette énergie est en tout cas tapie quelque part ennous, prête à se redéployer pour un peu qu'on se laisse griser par la grandeur des choses, toucher parla valeur inestimable de nos amitiés véritables, où qu'on daigne enfin se réconcilier avec soi-mêmeau lieu de se fuir, de se divertir ou même de s'autodétruire. Et de cette liberté personnelle retrouvéedépend peut-être la Liberté collective de tous si l'on en croit des penseurs comme Krishnamurti ouThoreau encore, que nous pouvons citer à nouveau pour finir: « Est-ce là ce que nous appelons nepays de la liberté? Que signifie être libre du roi George si l'on reste les esclaves du roi Préjugé?Qu'est-ce que naître libre et ne pas vivre libre? Quelle autre valeur pour toute liberté politique que

23 Cf planche du 10/05/1971 « De l'origine de l'espèce humaine, au VIIIe plan » dans « l'an 01 » édition L'Association

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de permettre d'accéder à la liberté d'être libre dont nous nous vantons? »24 C'est là un éclat del'essentiel de ce que je témoignerai du cours, préférant cette expression vivante de mareconnaissance en guise de conclusion qu'une prolongation d'une description plus distante etintellectuelle par laquelle j'ai commencé ce travail.

Écho vis-à-vis de la recherche envisagée

Depuis plusieurs années je m'intéresse à la question de l'alimentation. Le besoin de merapprocher de mon corps, la curiosité de savoir ce qui se passait avec ce qu'on lui donnait chaquejour, l'intuition que cet acte qui paraît si anodin avait plus de conséquences qu'il n'en laissaitparaître, m'amena à approfondir toujours davantage mon interrogation. Plus je lisais, plus le champd'implication du sujet grandissait et posait de nouvelles questions, et plus je me sentais impliqué etpassionné d'autant plus que je mettais en pratique ce que j'estimais le plus cohérent et juste, et queces changements d'habitude venaient à leur tour nourrir l'envie d'autres changements, d'expériencesnouvelles. Je commençai par la diététique classique, par le biais de ma soeur et de ma cousinediététicienne, je mangeai en gros moins d'aliments raffinés et plus provenant de l'agriculturebiologique, puis je découvris le végétarisme qui introduisit ne dimension écologique et éthique àcelle de la santé personnelle.

Je fis ensuite la lecture d'un livre sur le jeûne25 qui m'interpella fortement et j'en fisplusieurs expériences fort enrichissantes ajoutant un aspect plus spirituel et un contact, un sentimentde m'être vraiment rapprocher de mon corps, de la conscience de son pouvoir, au sens où l'entendaitSpinoza : « personne, il est vrai, n'a jusqu'à présent déterminé ce que peut le Corps »26 disait-il, jedécouvris qu'il pouvait très bien se passer de nourriture solide pendant dix jours sans défaillir bienau contraire, je découvris que notre corps était comme la terre qui nous nourrit en cela qu'un tempsde repos, de jachère lui était tout à fait profitable après avoir été surexploité comme nous avonstendance à le faire, je prenais conscience aussi de manière plus aiguë que nous donnions n'importequoi à notre corps, donnant l'impression d'avoir plus de soucis pour le moteur de notre voiture dontnous vérifions le carburant que pour notre tout premier véhicule qu'est notre organisme. Jecomprenais que c'était là une manière bien ingrate de lui témoigner, de nous témoigner à nous-mêmes par son biais aussi peu d'attention et de reconnaissance, après toutes les tâches qu'il remplitdont il nous permet de nous acquitter. En quelque sorte, je faisais l'expérience de quelqu'un quiapprend qu'il a un corps en apprenant à danser, alors qu'il était jusque là raide comme un manche àbalai, mais cela de l'intérieur, par rapport aux organes qui remplissent tout l'équilibre de notre corpsde manière si silencieuse et invisible.

Enfin je fis la connaissance d'une jeune femme lors d'une manifestation contre les OGM àGrenoble en 2003 qui ne mangeait que des aliments crus, n'ayant subi aucune transformation, enutilisant son odorat pour choisir ce qu'elle mettait dans son assiette. Intrigué par l'originalité de lapratique et par la cohérence des arguments la sous-tendant qu'elle m'exposa pendant les deux heuresde notre conversation, elle me proposa de la retrouver chez elle avec sa famille (toute sa famille àl'exception du père suivait cette manière de s'alimenter) le soir même pour faire une expériencepratique, et j'acceptai avec enthousiasme. Ce repas fut vraiment extraordinaire, de goût, d'alimentsque je découvris pour la première fois, comme des variétés de dattes, d'avocats, ou de certainslégumes comme le panais par exemple, de simplicité, ne nécessitant ni préparation, ni vaisselle,alliant à la fois respect personnel, vu que chacun choisissait une nourriture différente en fonction deson odorat parmi ce qui se trouvait sur la table, et convivialité du repas partagé, de bien-être enfin,après une digestion particulièrement légère. J'avais l'impression de toucher là quelque chosed'important, j'étais impressionné et j'empruntai tous les livres que je pouvais trouver sur le sujet.Quelques mois plus tard, je décidai d'expérimenter la pratique, ce que j'avais lu n'ayant fait queconfirmer et renforcer mes impressions positives de départ. Ce changement s'avérait d'autant plusattirant et logique que ces lectures avaient pu élucider plusieurs questions qui étaient restéesjusqu'alors en suspens suite à mes précédentes lectures qui se contredisaient entre elles. Ici le point

24 Thoreau opus cité25 Dr Lützner « Le guide du jeûne autonome » Terre vivante26 Spinoza Ethique III, prop. II, scolie G-F 1965

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de vue provenait d'un angle tout à fait différente et proposait une approche issue d'unepluridisciplinarité qui paraissait apporter des clés décisives pour trancher ces noeuds gordienspersistants.

Je pratique depuis maintenant plus de deux ans ce type d'alimentation et continue à endécouvrir des implications inattendues qui mériteraient d'après moi des recherches complémentairespour en mesurer vraiment les portées et leur pertinence. Il s'agirait par exemple de conséquences enterme : - d'écologie, par rapport aux questions de choix d'agriculture, de déforestation, d'énergie, desdéchets, des transports, du réchauffement climatique - de politique, en matière de souveraineté alimentaire - de santé et d'autonomie par rapport au poids des entreprises pharmaceutiques dans le domaine,alors que les manières de s'alimenter qui découlent des principes d'une alimentation paléolithiquecomme on l'appelle parfois, obtient de résultats curatifs impressionnants, notamment sur desmaladies sur lesquelles butent encore la médecine allopathique27 . - de rapport à la nourriture affective, symbolique, sensible, et ses effets psychologiques(boulimie, anorexie etc...) - d'émancipation de la femme à priori, notamment dans les pays du « sud », vu que la majoritéd'entre elles passent près de cinq heures par jour à s'occuper de la cuisine, pour aller chercher l'eau,le bois, par rapport aux accouchements également vu qu'ils semblent se passer tout autrementsystématiquement après adoption du crudivorisme instinctif ou d'un régime assez proche (naissancede « bébés coiffés » notamment) - d'éducation et de considération de l'enfant car ceux-ci à travers ce mode d'alimentation sontsusceptibles d'apprendre très tôt à être les seuls à décider de ce qu'ils doivent manger, les seuls àpouvoir choisir par eux-mêmes. Ceci pourrait structurer de manière forte un rapport à l'autonomie età la responsabilité personnelle, et également éveillée davantage la curiosité des individus ensuscitant plus une attitude interrogative vis-à-vis des aliments (qu'est-ce que je vais choisiraujourd'hui, qu'est-ce qui va sentir bon pour moi?...) par rapport à une relation plus déterminée àtravers les modes alimentaires basés sur la cuisine. - de psychologie des individus, notamment dans leur rapport et leurs peurs vis-à-vis de la nature,renforcées par le tendance des autorités et des médias à insister sur les problèmes sanitaires etl'hygiène(cf ce que nous avons dit précédemment à propos des virus et des bactéries)28

Pour moi les conséquences qu'induisent ce changement alimentaire tant sur le plan del'imaginaire que sur le plan pratique et matériel constitue une révolution conceptuelle au sens propretel que la définissait Thomas Kuhn29 créant un nouveau paradigme de référence à partir duqueltoute une foule de phénomène peuvent s' interprêter différemment, afin de repenser tout unensemble de représentations et de moeurs communément admises, notamment par le fait que l'ons'attaque ici à l'un des piliers de la culture de l'homme, à savoir la cuisine. Elle invite à la place àsuivre les indications que notre physiologie nous témoignent via nos sens du goût et de l'odoratcomme ce fut certainement le cas de nos ancêtres du paléolithique30 , mais à condition que lanourriture soumise à cette sélection n'ait pas été précédemment transformée génétiquement,mécaniquement, chimiquement ou thermiquement, ce qui affecterait et neutraliseraient au moins enpartie les processus de régulation en question.

L'on retrouve là plusieurs éléments du cours, mon implication personnelle pour ce sujet, issud'une démarche personnelle qui fit l'expérience de la complexité des points de vue existant sur laquestion, de plusieurs changements de régimes traduisant mon cheminement au fil de l'évolution demes convictions, l'aspect multiréférentiel des recherches que cette découverte invite à faire, re-visitant un ensemble d'autres domaines lui étant rattachés. Ce type d'alimentation illustre égalementce que nous avons dit à propos de la réalité, du « réel voilé » pour reprendre l'expression de Bernard

27 Dr Jean Seignalet « L'alimentation ou la troisième médecine » 5e édition F-X de Guibert, Dr Catherine Kousmine

« Sauvez votre corps » Laffont pour n'en citer que deux.28 On lira aussi avec profit sur ce sujet le livre de François Terrasson « la peur de la nature »29 Thoma Kuhn « La structure des révolutions scientifiques » Champs Flammarion30 Voir les travaux médicaux sur l'alliesthésie réalisés depuis les années 60, et ceux de Michael Romer pour les plus

récents

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d'Espagnat qui nous réserve bien des surprises : la représentation que je me fais de l'acte alimentairesignifiant tellement plus de choses et étant si différente aujourd'hui de ce qu'elle était il y a encorequelques années. On peut noter également que la théorie sous-tendant le crudovorisme instinctif quej'expérimente fut l'oeuvre d'un chercheur indépendant qui partit de son expérience, de sesconnaissances (de physicien entre autre) et de son intuition pour bâtir finalement une théorietransdisciplinaire, réunissant génétique, anthropologie, paléopathologie, biologie, chimie,immunologie, éthologie. proposant de nombreuses conceptions et pistes originales de recherche surles origines des pathologies, sur notre rapport à la nature, à notre nature et à nos sens ente autre.Ces théories interrogent aussi notre sens de la temporalité en mettant en évidence que notre horlogebiologique diffère de notre horloge culturelle, dans la mesure où notre génétique apparaît êtreencore infiniment plus adaptée à la nourriture que nous ingérions il y a 100000 ans, au temps dupaléolithique précédent l'usage du feu pour cuire, qu'à celle d'aujourd'hui. Il semble compromis quenous puissions nous adapter un jour aux « nouvelles » conditions d'alimentation, vu le « désordremoléculaire » que génère la cuisson d'après les chimistes s'étant penchés sur la question31 .

Cela questionne donc le rôle de la domestication du feu et de son usage pour transformer nosaliments dans notre histoire d'homme, question peu considérée tellement il nous apparaît allant desoi de procéder chaque jour à la cuisine. Le feu peut pourtant avoir joué un rôle important voirdécisif dans le passage de cueilleur-chasseur du paléolithique aux agriculteurs-éleveurs dunéolithique qui lança à mon sens le processus de civilisation à travers celui de la sédentarisation.Cette dernière permit la division des tâches, l'accumulation des récoltes qui demanda la constructionde défense pour les protéger, initiant peut-être la thésaurisation propre aux sociétés capitalistes. Ceraccourci, forcément caricatural et problématique montre en tout cas que le feu, à l'instar d'autreséléments, peut être considéré comme un moment clé du passage entre la nature et la culture, commele défendait déjà Claude Lévi-Strauss, son usage pour cuire réactive leur opposition séculaire,mettant d'un côté le « fait social total » que constitue la cuisson pour reprendre l'expression deMauss, et le fait qu'il semble que notre physiologie n'y soit toujours pas, et pour longtemps,préparée. On touche là peut-être des éléments à rattacher à la sixième perspective de lamultiréférentialité générale dite « sacrale ».

Quoi qu'il en soit, l'écoute mythopoétique est elle bien concernée dans la mesure oùl'utilisation du feu illustre la nature « imaginante » de l'homme, capable de le domestiquer pourremédier à tout un tas de situations bien exposées dans le roman de Roy Lewis salué par ThéodoreMonod32 : protection vis-à-vis des prédateurs, chaleur, confort... Il renvoie directement aussi à nosorigines en nous remémorant le mythe de Prométhée qui lie l'origine de l'homme et son destin àcelui du feu, puisque celui-ci d'après Platon33 conduisit tout droit à la boîte de Pandore, il nousamena en tout cas dans le monde dominé par la technique que nous connaissons. Peut-être que lecrudivorisme instinctif34, associé à d'autres pratiques alternatives comme celle de la permaculturedéveloppée par bill Mollison35 peut apporter quelques éléments de réflexion pertinents pour faireface aux défis écologiques et sociaux à venir, avec la fin du pétrole et des économies occidentalesdépendantes de lui, et le réchauffement climatique comme horizon proche... « En tout cas, si l'on encroit une dernière fois Thoreau, je pourrais emprunter un chemin, même s'il est solitaire, étroit ettortueux, sur lequel je pourrais marcher avec amour et respect. Chaque fois qu'un homme se séparede la multitude et suit soin propre chemin dans cette disposition d'esprit, il rencontre de fait unembranchement sur sa route, bien que d'ordinaire les voyageurs ne puissent voir qu'un trou dans lapalissade. Son chemin solitaire à travers champs peut se révéler être la 'grand-route' ».36

Paul Scheffer

31 Voir les travaux précurseurs du chimiste Louis Camille Maillard à propos des « molécules de Maillard »32 Roy Lewis « Pourquoi j'ai mangé mon père » Pocket33 Platon « Protagoras » 320c-323d G-F 199734 Sur le crudivorisme instinctif, on pourra se référer aux livres sur le sujet de Dominique Guyaux, de Bruno Comby,

de Guy-Claude Burger et de Seignalet35 Bill Mollison « Permaculture 1 & 2 »36 Thoreau opus cité