Upload
bibliotheque-numerique-manioc-scd-universite-antilles
View
227
Download
6
Embed Size (px)
DESCRIPTION
Auteur : Partie 1 d'un ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane, Bibliothèque Franconie.
Citation preview
MANIOC.orgConseil général de la Guyane
MANIOC.orgConseil général de la Guyane
MANIOC.orgConseil général de la Guyane
MANIOC.orgConseil général de la Guyane
MANIOC.orgConseil général de la Guyane
ETATS UNIS OU BRÉSIL © E R N E
C O N T E S T É
F R A N C O - B R É S I L I E N
SENTENCE D U
CONSEIL FÉDÉRAL SUISSE DANS LA
QUESTION DES FRONTIÈRES
D E L A
GUYANE F R A N C A I S E ET DU
B R É S I L
DU 1er D E C E M B R E 1900
IMPRIMERIE STÆMPELI & Cie BERNE
A B R É V I A T I O N S
Les documents communiqués à l'arbitre par les parties sont cités comme suit dans la sentence ci-après:
M. F . I = Mémoire contenant l'exposé des droits de la France dans la question des frontières de la Guyane Française et du Brésil soumise à l'arbitrage du Gouvernement de la Confédération Suisse, Paris, Imprimerie Nationale, 1899;
M. F . II = Mémoire contenant l'exposé des droits de la France dans la question des frontières de la Guyane Française et du Brésil soumise à l'arbitrage du Gouvernement de la Confédération Suisse, Documents et pièces justificatives, Paris, Imprimerie Nationale, 1899;
A. F . = Mémoire contenant l'exposé des droits de la France dans la question des frontières de la Guyane Française et du Brésil soumise à l'arbitrage du Gouvernement de la Confédération Suisse, Atlas, Pho-totvpie Berthand Frères, Paris ;
M. B . I = Mémoire présenté par les Eta ts-Unis du Brésil au Gouvernement de la Confédération Helvétique, Arbitre choisi selon les stipulations du Trai té conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France , Tome premier, 1899;
M. B . II et III = Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au Gouvernement de la Confédération Helvétique, Arbitre choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France, Tome deuxième et Tome troisième, Paris, A . Lahure, 1899;
A. B . I = Atlas contenant un choix de cartes antérieures au Traité conclu à Utrecht le 11 Avril 1713 entre le Portugal et la France, Annexe au Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au Gouvernement de la Confédération Helvétique, Arbitre choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France;
Silva I et II = D a Silva, Joaquim Caetano, L'Oyapoc et l'Amazone, Question Brésilienne et Française, Tome premier et Tome second, troisième édition, Paris, A. Lahure, 1899;
R . F . = Réponse du Gouvernement de la République Française au Mémoire des Etats-Unis du Brésil sur la question de frontière soumise à l 'Arbitrage du Gouvernement de la Confédération Suisse, Paris, Imprimerie Nationale, 1899 ;
R. B . I à V = Second Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au Gouvernement de la Condédération Suisse, Arbitre choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France, Tomes I à V , Berne, Imprimerie Stæmipfli & C i e , 1899;
A. B . II = Second Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au Gouvernement de la Confédération Suisse, Arbitre choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France, tome V I , Atlas, Paris, A . Lahure, 1899.
L E CONSEIL FÉDÉRAL SUISSE appelé par les
ÉTATS-UNIS DU BRÉSIL ET LA FRANCE a
trancher comme arbitre le différend qui divise les deux Etats au sujet des frontières du Brésil et de la Guyane
française,
a rendu la sentence dont la teneur suit :
A. LES ÉLÉMENTS DU LITIGE
I. Le traité d'arbitrage. 1.
L e 10 avril 1897, a été signé à Rio de Janeiro entre
le Gouvernement de la République française et le Gouver
nement de la République des Etats-Unis du Brésil un traité
par lequel les deux Etats ont chargé le Conseil fédéral
suisse de fixer définitivement, par décision arbitrale, les
frontières du Brésil et de la Guyane française.
Dans ce traité, les parties ont défini comme suit les
questions à résoudre, ainsi que la nature et l'étendue de
la mission de l 'arbitre 1 ):
1) Nous citons d'après le texte du traité d'arbitrage remis au Conseil
fédéral par la République des Etats-Unis du Brésil . Dans le texte
6 —
Article I.
La République des Etats-Unis du Brésil prétend que,
conformément au sens précis de l'Article 8 du Traité
d'Utrecht, le rio Japoc ou Vincent Pinçon est l'Oyapoc,
qui se jette dans l'Océan à l'Ouest du cap d'Orange et qui,
par son thalweg, doit former la ligne frontière.
La République Française prétend que, conformément
au sens précis de l'Article 8 du Traité d'Utrecht, la rivière
Japoc ou Vincent Pinçon est la rivière Araguary (Araouary)
qui se jette dans l'Océan au Sud du Cap Nord et qui, par
son thalweg, doit former la ligne frontière.
L'Arbitre se prononcera définitivement sur les préten
tions des deux Parties, adoptant dans sa sentence, qui sera
obligatoire et sans appel, l'une des deux rivières énoncées
ou, à son choix, l'une de celles qui sont comprises entre elles.
Article IL
La République des Etats-Unis du Brésil prétend que
la limite intérieure, dont une partie a été reconnue provi
soirement par la Convention du 28 Août 1817, est sur le
parallèle de 2° 24' qui, partant de l'Oyapoc va se terminer
à la frontière de la Guyane Hollandaise.
La France prétend que la limite intérieure est la ligne
qui, partant de la source principale du bras principal de
l'Araguary, continue par l'Ouest parallèlement à la rivière
des Amazones, jusqu'à la rencontre de la rive gauche du
Rio Branco et suit cette rive jusqu'à la rencontre du parallèle
qui passe par le point extrême des montagnes de Acaray.
L'Arbitre résoudra définitivement quelle est la limite
intérieure, adoptant dans sa sentence, qui sera obligatoire
et sans appel, une des lignes revendiquées par les deux
notifié au Conseil fédéral par la République française, les prétentions de la France figurent partout avant les prétentions du Brésil.
— 7
Parties, ou choisissant comme solution intermédiaire, à
partir de la source principale de la rivière adoptée comme
étant le japoc ou Vincent Pinson jusqu'à la frontière hollan
daise, la ligne de partage des eaux du bassin des Amazones,
qui, dans cette région, est constituée dans sa presque tota
lité par la ligne de faîte des monts Tumuc-Humae.
L'article 8 du traité d'Utrecht du 11 avril 1713, visé
dans la convention d'arbitrage, est ainsi conçu :
«Afin de prévenir toute occasion de discorde qui pou-
roit naître entre les sujets de la Couronne de France et
ceux de la Couronne de Portugal, S a Majesté très Chres-
tienne se désistera pour toujours, comme elle se désiste
des a présent par ce Traité dans les termes les plus forts,
et les plus authentiques, et avec toutes les clauses requises,
comme si elles étoient insérées icy, tant en son nom, qu'en
celuy de ses hoirs, successeurs et héritiers, de tous droits
et prétentions, qu'elle peut ou pourra pretendre sur la pro-
prietté des terres appellées du Cap du Nord, et situées
entre la riviere des Amazones, et celle de Japoc, ou de
Vincent Pinson, sans se reserver ou retenir aucune portion
desdites terres, afin qu'elles soient désormais possédées
par Sa Majesté Portugaise, ses hoirs, successeurs, et héri
tiers avec tous les droits de souveraineté, d'absolue puis
sance, et d'entier domaine, comme faisant partie de ces
Etats, et qu'elles luy demeurent a perpetuité, sans que
Sadite Majesté Portugaise, ses hoirs, successeurs et héri
tiers puissent jamais estre troublés dans ladite possession
par Sa Majesté très Chrestienne ny par ses hoirs, succes
seurs et heritiers 1). »
1) D'après M. F . II, pp. 78 et suiv., qui reproduit le texte de l'ori
ginal scellé, déposé aux Archives des Affaires étrangères. M. B . II, pp. 63
et suiv., donne le même texte, avec quelques variantes de peu d'impor
tance ; il y ajoute le texte portugais.
La convention distingue par conséquent entre la limite extérieure qui, partant de l'Océan, suit un cours d'eau à déterminer, et la limite intérieure, qui, partant de ce cours d'eau, continue dans l'intérieur du pays. En ce qui concerne la première, l'arbitre décidera quel est le cours d'eau que désigne l'article 8 du traité d'Utrecht ; en ce qui concerne la limite intérieure, l'arbitre adoptera ou bien l'une des frontières revendiquées par les parties, ou bien, partant de la source principale du cours d'eau qu'il aura choisi comme frontière extérieure, il adoptera comme limite jusqu'à la Guyane hollandaise la ligne de partage des eaux du bassin de l'Amazone, qui, dans cette région, est constituée dans sa presque totalité par la ligne de faîte des monts Tumuc-Humac.
Quant à la limite extérieure, l'arbitre désignera soit l'un des cours d'eau revendiqués par les parties comme frontière, soit, à son choix, une des rivières comprises entre ces deux cours d'eau. Quant à la limite intérieure, l'arbitre choisira entre les frontières revendiquées par les parties et la ligne de partage des eaux des monts Tumuc-Humac, qui aura un point de départ différent selon que l'Araguary ou POyapoc ou un des cours d'eau intermédiaires sera adopté comme limite maritime.
La sentence de l'arbitre déterminant les limites intérieure et maritime sera obligatoire pour les parties et sans appel.
Quelque simples et claires que paraissent ces dispositions, elles n'en ont pas moins donné lieu, dans les mémoires des parties, à des commentaires et parfois à des controverses qui doivent être mentionnées ici.
1. En ce qui concerne la limite extérieure, que les parties appellent aussi « limite maritime », le Brésil soutient,
— 8 —
2.
9 —
dans son premier mémoire, que l'arbitre est libre d'adopter comme frontière un des cours d'eau intermédiaires, «pourvu que le cours d'eau choisi soit, selon lui, le Japoc ou Vincent Pinçon de l'article 8 du Traité d'Utrecht » 1 ). Suivant cette opinion, l'arbitre ne peut donc choisir une des rivières qui coulent entre l'Araguary et l'Oyapoc comme cours d'eau frontière que s'il tient cette rivière pour le Japoc ou Vincent Pinçon de l'article 8 du traité d'Utrecht.
Dans sa réplique 2), la France fait observer à cet égard: «Nous sommes amenés à adhérer à l'interprétation brésilienne sur ce point et nous convenons que l'arbitre, devant statuer conformément aux stipulations d'Utrecht, ne pourra prendre comme frontière que le cours d'eau qui lui paraîtra représenter le plus exactement le Japoc ou Vincent Pinçon prévu par ce traité. Mais c'est à
• lui seul à désigner librement la rivière qu'il adopte comme telle dans la pleine souveraineté de sa conscience. »
Il n'est pas besoin de rechercher si cette interprétation répond au texte du traité, attendu que l'examen de la question a conduit l'arbitre à adopter une solution précise sur le point de savoir quel est le cours d'eau visé dans le traité d'Utrecht sous le nom de Japoc ou Vincent Pinçon. Il sera permis de relever toutefois que si l'arbitre s'était vu obligé d'admettre que le Japoc et le Vincent Pinçon sont deux fleuves différents et que, par conséquent, les rédacteurs du traité d'Utrecht se trouvaient dans l'erreur lors de la conclusion de cet acte, il lui serait impossible, sur la base de ladite interprétation, de rendre une sentence fixant la frontière.
1) M. B . I, page 8.
2) R . F . , page 7.
— 10
2. Selon cette convention, la France revendique comme limite intérieure la ligne « qui, partant de la source principale du bras principal de l'Araguary, continue pur l'Ouest parallèlement à la rivière des Amazones »...
Il y a lieu de remarquer à ce sujet:
Le Brésil, se fondant sur les explorations auxquelles il a fait procéder en 1891 et 1896 par le capitaine d'état-major Felinto Alcino Braga Cavalcante, prétend que le cours supérieur de l'Araguary se dirige du nord au sud, qu'il faut chercher la source principale de cette rivière à proximité de la source principale de l'Oyapoc et non pas dans la direction de l'ouest 1). La France conteste la valeur de cette exploration isolément entreprise par le Brésil ; lors de la signature de la convention d'arbitrage, explique-t-elle, l'opinion dominante était que l'Araguary coulait de l'ouest à l'est ; il est donc conforme au compromis que l'Araguary ne constitue la limite extérieure que dans la partie de son cours qui vient de l'ouest, laquelle a été explorée scientifiquement, et que, par conséquent, on fasse commencer à la Grande Pancada la limite intérieure se dirigeant vers l'ouest 2). Les deux parties ont fait dresser des cartes à l'appui de leur démonstration. Au moyen d'une des cartes annexées à son mémoire, le Brésil expose comment, dans son opinion, la frontière qui, partant de la source de l'Araguary et se dirigeant vers l'ouest parallèlement à l'Amazone, se confondrait presque avec la ligne de partage des eaux des monts Tumuc-Humac. La France oppose à cette démonstration deux cartes annexées à sa réplique et dont la première a pour but d'établir qu'étant admise l'hypothèse du Brésil quant à la source
1 ) M. B . I, page 22. 2 ) R . F . , pp. 11 et suiv., 278 et suiv., 386 et suiv., et la carte n° 2.
11
de l'Araguary, la frontière serait déplacée beaucoup plus au sud que ne la fixe le Brésil ; la deuxième représente en son entier le territoire réclamé par la France. Par note du 27 juillet 1900, l'Ambassade de France a communiqué à l'arbitre une rectification de la deuxième de ces cartes, où la frontière partant également de la source de l'Araguary se dirige vers l'ouest, de sorte que cette carte n° 2 se rapproche sensiblement de la carte n° 1 de R. F . ; la seule différence qu'on constate entre elles porte sur le tracé du cours supérieur de l'Araguary. L'Ambassadeur de France dit dans sa note que cette carte n° 2, rectifiée, « a.... été établie d'une manière exactement conforme à la Convention ». La France ne maintient donc plus la manière de voir qu'elle a exposée dans sa réponse au sujet du point de départ de la limite intérieure.
3. L a France prétend dans sa réplique 1) que la convention d'arbitrage règle et met hors de contestation un point de fait, savoir la position du Cap de Nord. L'article 1 e r
désigne l'Araguary comme étant le cours d'eau « qui se jette dans l'Océan an Sud du Cap Nord». L e Cap Nord serait donc le promontoire au sud duquel l'Araguary se jette dans la mer. L a France ajoute que les deux parties ont reconnu expressément par là que l'Araguary se jette dans l'Océan et qu'il n'est par conséquent pas un affluent de l'Amazone.
Mais il est impossible d'attribuer cette portée à la convention d'arbitrage. Bien que le texte en ait été arrêté d'accord entre les parties, le traité ne saurait à l'évidence déterminer ce qui, à diverses époques et d'après différents auteurs, a été considéré comme l'embouchure de l'Amazone, ou comme appartenant encore ou n'appartenant plus à cette
l ) R . F . , pp. 5 et suiv.; 198-203.
— 12
embouchure. On n'a pas pu davantage décider une fois pour toutes que, d'après les données géographiques et l'opinion des auteurs sur la situation du Vincent Pinçon ou Oyapoc, le Cap de Nord devait être le cap qui est immédiatement au nord de l'embouchure de l'Araguary. Imposer cette interprétation à l'arbitre serait l'obliger à adopter des conclusions manifestement inexactes dans les cas où il est établi, sans doute possible, que, par Cap de Nord, il faut entendre le cap de l'île de Maraca et non pas le cap de l'embouchure de l'Araguary. Aussi importe-t-il de maintenir que toute liberté est laissée à l'arbitre d'examiner et de trancher cette question sans être lié par la terminologie employée par la convention.
4. Un désaccord plus profond s'est manifesté entre les parties au sujet de l'étendue des pouvoirs de l'arbitre.
Nous lisons à ce sujet dans le mémoire de la France 1): «D'après ce traité (le traité d'arbitrage), le Gouvernement de la Confédération Suisse est appelé à connaître de tous les éléments du litige. Ses pouvoirs ne sont pas bornés à l'appréciation de formules irréductibles et invariables. Il peut, soit dire le droit tel qu'il lui paraît découler des textes, soit arbitrer ex æquo cl bono telle décision transactionnelle qui lui semblerait justifiée. Si nous avons cru devoir investir le Gouvernement de la Confédération suisse de ces pouvoirs illimités, ce n'est point par défiance de notre cause, c'est pour donner à l'arbitre un témoignage éclatant de notre confiance dans sa justice, dans son impartialité et dans l'élévation de ses vues. Désirant avoir une solution complète, nous n'avons pas voulu entraver son jugement en l'enfermant dans des bornes trop étroites; nous avons tenu à lui fournir tous les moyens d'exercer librement sa
1) M. F . I, page 369.
— 13 —
mission et de décider, sans appel et sans restriction, soit sur le terrain du droit, soit sur celui de la convenance et de l'équité. »
La France entend par conséquent donner à l'arbitre le droit de baser sa sentence sur des motifs tirés de la convenance ou de l'équité.
Dans sa réplique 1), le Brésil s'est élevé contre cette manière de voir que ne justifient d'après lui, ni la lettre, ni l'esprit, ni la genèse du traité d'abitrage. Les parties ont voulu s'en remettre non pas à un médiateur, mais à un véritable arbitre appelé seulement à dire le droit.
Le premier projet de traité d'arbitrage rédigé par le Gouvernement français et remis en janvier 1896 par la Légation de France à Rio de Janeiro au Ministre des Relations Extérieures, Monsieur Carlos de Carvalho, contenait cette clause :
« Art. 2. L'Arbitre réglera définitivement la question, soit qu'il adopte entièrement dans sa sentence le tracé de frontière qui lui sera proposé par l'une ou l'autre des deux Puissances, soit qu'il choisisse toute autre solution intermédiaire qui lui paraîtrait plus conforme au sens précis de l'article VII I du Traité d'Utrecht 2).»
L e 20 mars 1896, M. Berthelot, Ministre des affaires étrangères de France, remettait au Ministre du Brésil à Paris un second projet dans lequel le même article était rédigé comme suit :
« L'Arbitre réglera définitivement la délimitation dont il s'agit, soit qu'il adopte dans sa sentence la ligne de frontière qui lui sera proposée par l'une ou l'autre des deux Parties, soit qu'il choisisse toute autre solution intermédiaire, les
1) R. B . I., pp. 2 et suiv. 2 ) R . B . III, pp. 345, 346.
1 4
Parties entendant donner à l'Arbitre les pouvoirs les plus
étendus afin d'arriver à une solution équitable de la diffi
culté. »
Le Ministre du Brésil répondit le 25 mars 1 ) :
«J'étudierai avec soin ces deux pièces (c'est-à-dire un
projet de compromis arbitral du 20 mars et un projet de con
vention relative à la constitution d'une police mixte) et j 'aurai
l'honneur de soumettre prochainement à Votre Excellence
un contre-projet de traité d'arbitrage, mais, dès maintenant,
et pour ce qui est de l'article 2 du nouveau projet, je prends
la liberté de rappeler à Votre Excellence que l'arrangement
amiable à intervenir, c'est-à-dire l'arrangement définitif des
limites par un Arbitre, ne saurait être fait que «conformé
ment au sens précis de l'article VIII du Traité d'Utrecht
et aux stipulations de l'Acte du Congrès de Vienne », ainsi
qu'il a été convenu à Paris le 28 août 1817.
Dans l'entretien auquel Votre Excellence fait allusion,
j'ai eu l'honneur de la prier de vouloir bien préciser par
écrit les limites réclamées par la France. Il importe que
le Traité établisse clairement les lignes prétendues par les
deux Parties; et cette délimitation préalable du territoire
contesté, ainsi que les pouvoirs à conférer à l'Arbitre consti
tuent certainement les deux questions délicates à discuter
et à résoudre dans la négociation du Traité.»
Le Brésil expose ensuite comment la convention défi
nitive n'a pas repris la clause, inacceptable pour lui, auto
risant l'arbitre à statuer en équité, tandis qu'elle a main
tenu le renvoi à l'article 8 du traité d'Utrecht, malgré
l'opposition des négociateurs français; elle oblige au con
traire l'arbitre à fixer la limite maritime selon le sens
précis de l'article 8 du traité d'Utrecht exclusivement.
1) R. B . III, page 350.
— 15 —
L'arbitre est lié par la convention d'arbitrage, telle qu'elle a été signée par les parties le 10 avril 1897 et ratifiée le 6 août 1898. Aux termes de cette convention, il doit dire quel est le cours d'eau appelé Japoc ou Vincent Pinçon par l'art. 8 du traité d'Utrecht, comme il doit aussi fixer la frontière intérieure des deux Etats limitrophes.
La frontière intérieure doit forcément être fixée d'après la limite maritime qui sera tout d'abord déterminée; pour la frontière intérieure, l'arbitre ne peut que choisir entre les prétentions des parties et une solution intermédiaire que prévoit la convention. Sur ce point, l'arbitre n'est pas lié par une convention, invoquée par les parties et qu'il aurait à interpréter. Il lui serait en conséquence loisible de tenir compte de motifs d'équité en ce qui concerne la limite intérieure.
Mais, en revanche, pour ce qui concerne la limite maritime, le compromis arbitral l'oblige à rechercher et à fixer le sens précis de l'article 8 du traité d'Utrecht. Il s'agit donc d'interpréter le traité et, pour résoudre le problème, il lui faudra recourir aux données scientifiques que lui fournissent l'histoire et la géographie. La nature des choses exclut toute interprétation du traité d'Utrecht tirée de motifs d'équité ou de convenance ; on ne saurait, en effet, déduire de considérants de cet ordre quelle fut, lors de la signature du traité, l'intention de ses auteurs.
3.
Pour plus de clarté, il y a lieu d'expliquer ici l'article 2 de la convention d'arbitrage. Le Brésil prétend que la limite intérieure, dont une partie a été reconnue provisoirement par la convention du 28 août 1817, est sulle parallèle de 2° 24' latitude nord, entre l'Oyapoc et la frontière de la Guyane hollandaise. Il se réfère à la con-
— 16 -
vention de Paris, conclue à cette date entre la France et le Portugal 1) et dont l'article premier est ainsi conçu:
« Sa Majesté Très Fidèle étant animée du désir de mettre à exécution l'article 107 de l'Acte du Congrès de Vienne, s'engage à remettre à Sa Majesté Très Chrétienne dans le délai de trois mois, ou plus tôt si faire se peut. La Guyane française jusqu'à la Rivière d'Oyapock, dont l'embouchure est située entre le quatrième et le cinquième degré de latitude septentrionale et jusqu'au trois cent vingt-deuxième degré de longitude à l'Est de l'île de Fer, par le parallèle de deux degrés vingt-quatre minutes de latitude septentrionale. »
Incontestablement l'Oyapoc que mentionne cet article est le cours d'eau que le Brésil désigne aujourd'hui comme étant le Japoc ou Vincent Pinçon du traité d'Utrecht et qu'il revendique pour frontière maritime. L'article 2 de la convention de Paris dit en ce qui concerne la limite intérieure :
« On procédera immédiatement des deux parts à la nomination et à l'envoi de Commissaires pour fixer définitivement les limites des Guyanes française et portugaise, conformément au sens précis de l'article VIII du traité d'Utrecht, et aux stipulations de l'acte du Congrès de Vienne. Lesdits Commissaires devront terminer leur travail dans un délai d'un an, au plus tard, à dater du jour de leur réunion à la Guyane. Si, à l'expiration de ce terme d'un an, lesdits Commissaires respectifs ne parvenaient pas à s'accorder, les deux hautes Parties contractantes procéderaient à l'amiable à un autre arrangement sous la médiation de la Grande-Bretagne, et toujours conformément
1) M. F. II, page 114 (Archives des Affaires étrangères, — Original scellé); M. B . II, page 122.
— 17 —
au sens précis de l'article VIII du Traité d'Utrecht, conclu
sous la garantie de cette puissance. »
Cette disposition resta sans exécution. Aussi la France
s'empare-t-elle du fait pour affirmer que la question est
demeurée entière et qu'il faut, pour la trancher, interpréter
définitivement l'article 8 du traité d'Utrecht, ainsi que le
disait Guizot dans une dépêche qu'il adressait le 5 juil
let 1841 au Ministre de France à Rio de Janeiro et qui
fut communiquée au Gouvernement brésilien 1) : «Je vous
ai entretenu, le 21 octobre précédent, des circonstances
qui avaient empêché la nomination de commissaires
français pour la démarcation des limites de la Guyane
du côté de Para. J 'a i à vous parler aujourd'hui des
motifs qui nous font regarder cette nomination comme
inutile, parce que, dans notre opinion, la réunion de com
missaires français et brésiliens serait peu propre à conduire
à un résultat complet et définitif. Il ne s'agit point, en effet,
d'un travail ordinaire de démarcation, suite naturelle d'une
négociation où la limite qui doit séparer deux territoires a
été convenue en principe, pour être réalisée ensuite sur le
terrain. Avant que la question soit arrivée à des termes
aussi simples, il faut d'abord s'entendre sur l'interprétation
de l'article 8 du traité d'Utrecht et déterminer une base
de délimitation ; il faut, ce qui ne peut se faire que par
une négociation entre les deux Cabinets, vider d'abord la
question des traités et définir les droits respectifs avant
d'arriver à l'application pratique de ces mêmes droits ».
L e Brésil s'est dans la suite rangé à cette manière de
voir, ce qui explique pourquoi l'article premier du compro-
1) M. F . II, pp. 115, 116, d'après les Archives des Affaires étran
gères, correspondance du Brésil, T . X X ; voir M. F . I, pp. 119, 229 et
suiv., et M. B. II, pp. 129 et suiv. (№ 25 E.) 2
18
mis d'arbitrage stipule que l'arbitre désignera le cours d'eau qui est le Japoc ou Vincent Pinçon du traité d'Utrecht, en se basant exclusivement sur le sens précis de ce traité et sans recourir à la convention de Paris. Et dans son premier mémoire, le Brésil déclare à réitérées fois qu'en ce qui concerne la frontière maritime il s'agit uniquement d'interpréter l'article <S du traité d'Utrecht 1 ) . Aucun désaccord ne règne entre les parties sur ce point, de sorte que l'arbitre peut se dispenser d'examiner si, palla convention de Paris, les parties n'entendaient pas reconnaître l'Oyapoc actuel pour le Japoc ou Vincent Pinçon de l'article 8 du traité d'Utrecht.
Mais si la convention de Paris n'a pas désigné définitivement le cours d'eau frontière, elle doit, en ce qui concerne la limite intérieure, avoir d'autant plus un caractère provisoire, puisque la fixation de cette limite dépend de celle de la limite maritime, qui est à déterminer tout d'abord.
Il est vrai que la convention de Paris a essayé de formuler une norme constitutive de la frontière intérieure et c'est peut-être ce qui aura engagé le Brésil à en invoquer le texte. Le Brésil reconnaît d'ailleurs lui-même, dans sa prétention, que la démarcation de 1817 n'avait été fixée que provisoirement.
1) Voir , entre autres, M. B . I, page 8; R. B . I, page 10.
II. La Procédure.
1. L e traité d'arbitrage contient quant à la procédure
les dispositions essentielles ci-après : Chacune des parties doit, dans le délai de huit mois après
l'échange des ratifications du traité, présenter à l'arbitre un mémoire contenant l'exposé de ses droits et les documents qui s'y rapportent. Ces mémoires sont en même temps communiqués aux parties contractantes. Passé ce premier délai de huit mois, chacune des parties en aura un nouveau, de même durée, pour présenter à l'arbitre, si elle le juge nécessaire, un second mémoire en réponse aux allégations de l'autre partie. L'arbitre a le droit d'exiger des parties les éclaircissements qu'il juge nécessaires ; il règle les cas non prévus par la procédure de l'arbitrage et les incidents pouvant survenir. Les frais du procès arbitral sont déterminés par l'arbitre et partagés également entre les parties contractantes. Les communications entre les parties contractantes ont lieu par l'intermédiaire du Département politique de la Confédération suisse. Enfin l'arbitre statuera dans le délai maximum d'un an à compter de la remise des répliques.
2.
L'échange des ratifications a eu lieu le 6 août 1898, à Rio de Janeiro et le 8 septembre 1898 le Conseil fédéral, sur la demande des deux parties, accepta la mission que lui confiait la convention du 10 avril 1807.
1) M. B . II, page 137, note.
19
— 2 0 —
Les Etats-Unis du Brésil désignèrent pour les repré
senter dans le litige Monsieur Paranhos do Rio-Branco qui
présenta le 6 avril 1899 au Président de la Confédération
ses lettres de créance comme Envoyé extraordinaire et
Ministre plénipotentiaire en mission spéciale.
La France se fit représenter par son Ambassadeur
accrédité auprès du Conseil fédéral, feu le comte de
Montholon, puis par son successeur Monsieur Paul-Louis-
Georges Bihourd, auxquels furent adjoints comme conseil
lers en mission spéciale le Marquis de Ripert-Monclar,
Ministre plénipotentiaire, et Monsieur Albert Grodet, Gou
verneur des colonies de première classe.
Le 4 avril 1899, l'Ambassadeur de la République fran
çaise remit au Président de la Confédération, pour être
communiqués au Conseil fédéral :
1. En Mémoire contenant l'exposé des droits de la France
dans la question des frontières de la Guyane Française et
du Brésil ; deux volumes, dont le premier contient l'exposé
de la demande, le deuxième les documents et pièces justi
ficatives.
2. Un atlas, contenant des reproductions de cartes du territoire contesté.
L e 6 avril 1899, le Ministre du Brésil remit au Président de la Confédération, pour être communiqués au Conseil fédéral :
1. Un Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au
Gouvernement de la Confédération Helvétique, Arbitre
choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio de
Janeiro, le 10 avril 1897, entre le Brésil et la France ; trois
volumes, dont le premier contient l'exposé de la demande
du Brésil, le second des documents et le troisième des
documents et procès-verbaux relatifs aux négociations qui
- 21 —
ont eu lieu à Paris en 1855 et 1856 (Mission spéciale du
Vicomte do Uruguay à Paris, 1855-1856) ;
2. L'ouvrage: L'Oyapoc et l'Amazone, question Brési
lienne et Française, par Joaquim Caetano da Silva, deux
volumes ;
3. Un atlas contenant des reproductions de cartes du
territoire contesté ;
4. Un atlas contenant les relevés géographiques de la
Commission brésilienne d'exploration du haut Araguary,
sous la direction du capitaine d'état-major Felinto Alcino
Braga Cavalcante.
L e Département politique de la Confédération remit aux parties le nombre convenu d'exemplaires de ces diverses pièces.
On constata lors du dépôt des premiers mémoires que les parties différaient d'avis quant au calcul du délai de huit mois. Pour lever tout doute à cet égard, le Conseil fédéral décida, le 5 juin 1899, que le délai prévu à l'article 4 du traité d'arbitrage du 10 avril 1897 expirait le 6 décembre 1899, à 6 heures après midi, heure de l'Europe centrale, ce dont avis fut donné aux deux parties.
L e 6 décembre 1899, les deux parties ont remis leurs répliques au Président de la Confédération ; le mémoire du Brésil est accompagné de trois tomes contenant des documents, d'un atlas et d'un volume renfermant le fac-similé de toute une série des pièces imprimées dans les tomes annexes.
3 .
Dans l'intervalle, l'Ambassade de France avait fait au
Conseil fédéral les communications ci-après :
a) Par note du 30 mars 1900, il fut expliqué que
M. F . I, pages 171 et 175, contenait une erreur, en ce que
— 22 —
deux passages d'une lettre de Pontchartrain à Lefebvre d'Albon. du 19 décembre 1714, y sont mentionnés, qui sont en réalité empruntés à deux documents différents. L'erreur a passé dans le volume contenant les pièces justificatives (M. F . II, pages 123-125) où l'on trouve, sous le titre de « Lettre de Pontchartrain, Ministre de la Marine, à l'ordonnateur de la Guyane, Lefebvre d'Albon » un document qui est visiblement composé de deux pièces différentes. Selon la première partie, en effet, le traité d'Utrecht n'est encore ni ratifié ni publié, tandis que, suivant la seconde, ce traité serait en voie d'exécution. Vérification faite, il a été constaté que la première partie est un extrait d'une lettre du Secrétaire d'Etat de la Marine, d'avril 1713, tandis que les passages subséquents sont la reproduction d'une lettre du même Secrétaire d'Etat, du 19 décembre 1714.
b) Par note du 21 mai 1900, en réponse à une question posée par le Conseil fédéral, il a été fourni des éclaircissements sur les rapports, de 1688, de M. de Ferrolles, qui fut plus tard Gouverneur de Cayenne. La question concernait la controverse qui s'est élevée entre les parties au sujet de la lettre de Ferrolles, du 22 septembre 1688, adressée à « Monsieur et Madame de Seignelay » et reproduite dans M. F . II, pages 155 et suivantes, et des passages qu'en donne M. F. I, pages 163 et suivantes, d'après les Archives des Colonies, t. LXIII. (Voir R. B. II, pages 143 et suivantes.)
La note du 21 mai 1900 expose que c'est par erreur qu'il est renvoyé au t. LXIII des Archives des Colonies (M. F . I, page 164, note 1) « pour ce qui concerne le voyage de Ferolles à l'Araguary. Le rédacteur travaillait sur des notes réunies par divers employés, et l'inexactitude vient de ce que le volume LXIII a été plus particulièrement consulté. Mais il ne renferme rien sur le voyage de Ferolles
2 3
en 1688.» De plus, la lettre à Monsieur et Madame de Seignelay n'est pas une pièce originale, mais une copie, dont il existe deux exemplaires, le premier, le meilleur, aux Archives des Colonies, volume II de la Correspondance générale (Guyane) fol. 44 et suiv., le deuxième, défectueux, aux Archives nationales, K 1232, n° 54 ; en outre, la lettre était adressée, non à Monsieur et Madame, mais au Ministre de Seignelay. L'original de la lettre de Ferrolles n'a pu être retrouvé, mais aucune des deux copies ne contient les mots : « à la rivière du Cap d'Orange. » Ces deux copies ont été remises à l'arbitre en expédition authentique, en partie en reproduction photographique.
c) Enfin, l'Ambassade de France a, comme il est dit ci-dessus, page 11, communiqué au Conseil fédéral par note du 27 juillet 1900, une rectification de la carte n° 2 annexée à R. F., sur laquelle la frontière méridionale revendiquée par la France est tracée non plus à partir de la Grande Pancada, mais de la source de l'Araguary dans la direction de l'ouest.
Sur la demande du Conseil fédéral, le représentant des Etats-Unis du Brésil a, le 11 juillet 1900, produit les pièces ci-après:
a) Une copie du « Compendio das mais substanciaes Razoes e argumentos que evidentemente provam que a Capitania chamada do Norte situada na boca do rio das Amazonas legitimamente pertenee à Coroa de Portugal, etc.,» légalisée par le conservateur de la Bibliothèque royale de Ajuda à Lisbonne, M. Rodrigo V . d'Almeida.
b) Des extraits de l'ouvrage d'Enciso « Suma de geo-graphia, etc., » Séville 1519, que le représentant du Brésil déclare conformes au texte de l'exemplaire qui se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris.
- 24 -
4. R. F . , page 20, dit quant au droit de réplique
accordé aux: parties par le traité d'arbitrage : « Nous
tenons . . . à dire un mot de la signification que nous don
nons à l'article 4 (du traité d'arbitrage) relatif au droit de
réplique. Après avoir imposé à chacune des deux parties,
dans l'article 3, l'obligation de présenter un mémoire im
primé contenant l'exposé de ses droits et les documents
s'y rapportant, le compromis ouvre à chacune d'elles la
faculté d'adresser à l'arbitre un second mémoire en réponse
aux allégations de l'autre partie. Il ne s'agit plus, comme
on le voit, que d'une réponse aux dires de l'adversaire, il
nous semble résulter de ce texte qu'en principe les seconds
mémoires doivent être consacrés à la discussion des pre
miers. Ceci est plus amplement démontré encore par ce
fait qu'après l'expiration du second délai de huit mois la
procédure écrite est close. L e juge peut encore demander
des éclaicissements ; mais les parties n'ont plus le droit
d'argumenter l'une contre l'autre ; on est entré dans la
période finale d'une année pendant laquelle l'arbitre a la
parole pour élaborer et rendre sa sentence. Mettre au jour
pour la première fois dans le second mémoire des systèmes
tenus jusque-là en réserve, et qui ne pourront plus être
contrôlés, nous paraîtrait contraire à l'esprit du compromis.
C'est évidemment une question de mesure et de bonne foi;
en combattant un argument adverse, on est tout naturel
lement et très légitimement entraîné à des raisonnements
nouveaux et à des justifications nouvelles. Mais nous pen
sons que, d'une façon générale, le second mémoire doit
être essentiellement une réponse, et c'est dans ces termes
que nous nous sommes efforcés de nous maintenir.»
L e Brésil ne se prononce pas sur la question, mais il
a joint à sa réplique une si grande quantité de moyens de
preuve nouveaux qu'on est tenté de croire qu'il ne se place
pas au même point de vue que la France.
L'arbitre estime qu'il n'est pas réduit à s'en tenir aux
allégations des parties et aux moyens de preuve qu'elles
invoquent. Il ne s'agit pas, pour lui, de trancher un diffé
rend de droit civil, selon les voies de la procédure civile,
mais d'établir un fait historique ; il doit rechercher la vérité
par tous les moyens qui sont à sa disposition. Il ne tiendra
compte des allégations des parties et des documents produits,
sur lesquels la partie adverse n'aura pas pu s'expliquer,
que si leur exactitude et leur authenticité lui paraissent
hors de doute.
III. Le territoire contesté.
1.
Vue générale.
L'aperçu qui va suivre sur la configuration et la consti
tution du territoire contesté servira de base aux considé
rations d'ordre historique et géographique qui seront déve
loppées ultérieurement.
La partie nord-est de l'Amérique du Sud émerge du
bassin occidental de l'Atlantique à un endroit auquel la carte
de Supan assigne une profondeur de 4000 à 5000 mètres 1).
Le versant continental finit par une déclivité relativement
rapide qui court parallèlement au littoral, à une distance
d'environ 150 à 200 kilomètres. Ce n'est qu'au nord-ouest,
1) Supan, Die Bodenformen des Weltmeeres , mit Tiefenkarte, in Dr. A. Petermanns Mitteilungen, 45. Band, 1899.
25
— 2 6
du côté des Antilles, que le bloc continental s'abaisse en
pente plus douce vers les grands fonds marins. A la pente
rapide qui limite les grandes profondeurs succède, dans la
direction de la terre ferme, le vaste plateau continental sous-
marin, particulièrement large en face de l'embouchure de
l'Amazone; à partir d'une profondeur d'environ 200 mètres,
il s'élève graduellement jusqu'au rivage. Le territoire émergé,
qui est comme la continuation à peine interrompue du sol
sous-marin, ne dépasse que faiblement le niveau de la mer
et présente sa pente générale vers le nord-est.
La zone côtière, basse et uniforme, qui borne au nord-
est l'Amérique du Sud est interrompue par la large embou
chure du puissant Amazone et du Rio Para, coupure pro
fonde qui constitue le trait dominant de la configuration
générale de ce rivage. Au sud-est de la brèche formée
par l'Amazone, il y a lieu de mentionner la profonde baie
de Maranhão et au nord-ouest, du côté des Antilles, la
courbe du delta de l'Orénoque. La ligne du rivage nord-
oriental de l'Amérique du Sud est marquée par ces traits
caractéristiques.
D'après Suess 1), « le tracé de la côte de Cayenne à
l'embouchure de l'Amazone est perpendiculaire à la direction
des couches. Autant qu'on peut en juger d'après ce que
l'on connaît aujourd'hui de la structure du Brésil, il faut
admettre que jusqu'au cap San Roque le contour du con
tinent est encore transversal à la direction du massif mon
tagneux ».
Le pays qui porte aujourd'hui le nom général de
Guyane s'étend des bords de l'Océan atlantique jusqu'à
l'Orénoque, l'Amazone et le Rio Negro, embrassant un
territoire compris entre le 3e degré de latitude sud et le
1) Suess, L a Face de la Terre , Paris 1900, t. II, pp. 222 et 223.
— 27 —
9e degré de latitude nord environ. 11 n'est connu que dans
s'a plus petite partie, dans la région du littoral de la mer
et des bords des grands cours d'eau ; de vastes étendues
de terres sont restées incomplètement explorées. Toutefois,
les traits dominants de la configuration du sol se révèlent
dans son régime fluvial, dans la direction et le groupement
de ses cours d'eau. Au sud se trouve le système fluvial
de l'Amazone qui descend le long d'une large plaine de
pente insensible pour se jeter à l'est dans l'Océan; la
presque horizontalité du bassin et la régularité du profil
longitudinal du fleuve ressortent de ce fait que de l'em
bouchure il faut remonter de 2000 kilomètres pour arriver
à une altitude de 80 mètres. Au nord s'étend un plateau
qui, à l'ouest, limite le bassin de l'Orénoque par les lignes
indécises d'un système de partage des eaux faiblement
accentué; un fleuve, le Casiquiare, relie même directement
l'Orénoque au Rio Negro. Au nord-ouest, entre l'Essequibo
et l'Orénoque, le plateau, qui se prolonge jusqu'au Rio
Negro, atteint dans la Sierra de Rincote sa hauteur maxi
mum. Au nord et au nord-est se trouve le versant conti
nental, divisé lui aussi par des lignes peu élevées de partage
des eaux; il va s'aplanissant toujours plus vers la côte.
Il compte un certain nombre de cours d'eau grands et
petits qui coulent vers la mer, indépendamment les uns
des autres, suivant des lignes sensiblement parallèles. Les
plus importants, par le développement de leur cours et
leur volume d'eau, sont l'Essequibo, le Corentyne, le Maroni
et l 'Oyapoc; leurs larges estuaires sont un des traits dis-
tinctifs de la côte maritime. A l'est de l'Oyapoc jusqu'à
l'Araguary s'étend le territoire qui fait en première ligne
l'objet du présent litige; il s'appelle le contesté extérieur
ou maritime, suivant une dénomination qui, avec le temps,
a passé dans la langue géographique. Tous ces cours
d'eau ont leur source dans les chaînes de monts et de
collines, dirigées principalement de l'est à l'ouest, formées
par les Tumuc-Humac, la Serra Tucumuraque et la Serra
Acaray, d'où proviennent aussi les affluents de la rive
gauche de l'Amazone à l'est du Rio Branco, le puissant
tributaire du Rio Negro. L e versant méridional du massif
montagneux, de la région des sources de l'Araguary vers
l'ouest jusqu'au Rio Branco, forme le territoire du contesté
intérieur, dont la limite méridionale doit constituer, d'une
manière indéterminée, la zone littorale de l'Amazone.
a) L e climat de la Guyane (abstraction faite du contesté
intérieur insuffisamment connu) peut être qualifié de climat
tropical maritime. Hann 1 ) écrit à ce sujet: «Le climat de
la Guyane maritime est caractérisé par une chaleur élevée
et très uniforme, ainsi que par une humidité constante et
d'abondantes précipitations, sans saison sèche nettement
m a r q u é e . . . . Les maxima journaliers moyens se main
tiennent très régulièrement entre 30.1° et 22.8" durant toute
l'année. L a variation diurne de la chaleur atteint son
maximum (8°.9) en octobre, son minimum (5°.9) en janvier
et en février; sa moyenne pour l'année est de 7°.3. L a
tension moyenne de la vapeur d'eau dépasse 21 millimètres;
l'humidité relative se maintient entre 72 et 82%.»
1) Hann, Handbuch der Klimatologie, I I . Auflage, 1897, page 356: «Das Klima des Küstengebiets von Guyana zeichnet sich aus durch sehr gleichmässige hohe W a r m e das ganze J a h r [hindurch, [ebenso gleichmässig hohe Luftfeuchtigkeit und reichliche Niederschläge, ohne eine scharf ausgeprägte Trockenzeit . . . . Die mittleren Tagesmaxima der Temperatur halten sich recht gleichmässig das ganze Jah r hindurch bei 30.1° und 28.8", die Tagesschwankung der W ä r m e ist am grössten im Oktober 8.9°, am kleinsten im Januar und Februar 5.9°, im Jahresmittel 7.3°. D e r mittlere Dampfdruck beträgt über 21 Millimeter, die relative Feuchtigkeit hält sich stetig zwischen 72 und 8 2 % » .
28
— 2 9 —
Il faut distinguer deux saisons :
1" de novembre à juin, la saison fraîche, pluvieuse, sous
l'influence dominante de l'alizé du nord-est;
2° de juillet à novembre, la saison chaude et sèche, sous
l'influence de l'alizé du sud-est.
Voici la hauteur moyenne des pluies pour trois localités :
Georgetown 213.8 cm.
Cayenne . . 301.1 » Para 1) . . . 202.3 »
On peut se rendre compte de la chute moyenne des
pluies dans le contesté extérieur par la comparaison des
observations faites à Cayenne, durant 38 années, et a Para,
durant 4 années, et dont voici les résultats:
Cayenne Para
cm cm •Janvier . . . . . . 36.1 30.3 Février . . . . . . 31.6 28.0
Mars . . . . . . . 39.4 32.9
Avril . . . . . . . 38.5 34.0 Mai . . . . . . . 48.9 19.4
Juin . . . . 37.7 10.6
Juillet . . . . 16.9 7.1
Août . . . . . . . 6.8 5.2 Septembre . . . . 2.8 6.7 Octobre . . . . 3.4 6.2
Novembre . . . . 12.0 9.0 Décembre . . . . . 27.0 12.9
Moyenne annuelle 301.1 202.3
On voit par là que la Guyane contestée n'a qu'une
saison pluvieuse; dans la Guyane anglaise déjà, on en
1) Hann, 1. c , page 350.
— 3 0 —
compte deux, la grande qui dure d'avril au mois d'août,
la petite qui existe en décembre et en janvier.
En ce qui concerne le régime des vents dans le contesté
extérieur ou maritime qui appartient à la zone des vents
alizés changeants, il est à constater 1) qu'au commencement
de l'année l'alizé du nord-est domine, atteignant sa plus grande
intensité en janvier et février; puis il tourne peu à peu et,
soufflant de l'est-nord-est et même de l'est, se fait sentir
sur la côte de la Guyane et jusque vers l'équateur, occa
sionnellement jusqu'au cap San Roque. Les mois de mars
à mai sont caractérisés par le vent du nord-est qui décroît
graduellement, puis par les vents changeants, et par l'alter
nance des calmes plats et des rafales, qui sont dus à
l'approche de l'alizé du sud-est. En avril, cet alizé atteint
le cap San Roque; puis il se propage lentement le long de
la côte dans la direction de l'ouest; c'est pour la (Guyane
la période du second vent dominant qui s'ouvre, non pas
subitement, car jusqu'en juin et au commencement de juillet
les deux courants principaux se disputent la prédominance.
L'alizé du sud-est s'avance ordinairement jusqu'au dixième
degré de latitude nord. En août, septembre et octobre, il
atteint son maximum d'intensité et de permanence. En
novembre, il décroît peu à peu et, après un changement
assez brusque, l'alizé du nord-est le remplace. Il y a lieu
de remarquer que les courants atmosphériques qui passent
sur la Guyane sont des vents de mer qui provoquent
des précipitations presque en chaque saison ; ce n'est
que rarement et tout près de la côte que l'on observe
parfois des vents de terre, se dirigeant du sud-ouest, de
l'ouest ou du nord-ouest. Brousseau dit à ce sujet: « De-
1) Voi r The South America Pilot, Part . I, Fourth Edition, London
1893; de même The W e s t India Pilot, I, Fifth Edition, London 1893.
— 31
puis deux ans le vent n'a pas soufflé une fois de la partie
ouest 1). »
Voici, au sujet du climat du contesté intérieur, ce que
dit Hann 2 ) , d'après Wallace : «Le climat de la plaine de
l'Amazone est remarquable par l'uniformité de la tempéra
ture et la périodicité régulière de l'humidité. Sur sa plus
grande étendue, la plaine a six mois d'humidité et six mois
de sécheresse, mais ni ces pluies ni ces sécheresses ne
sont aussi excessives qu'en maint autre pays tropical. »
Hann signale aussi la température relativement basse qui
règne vers l'équateur, dans l'hylæa de la plaine amazo
nienne. La région de l'embouchure de l'Amazone se dis
tingue au point de vue climatologique par des pluies fré
quentes accompagnées de rafales et par des orages d'une
extrême violence.
b) Des diverses formes qu'affecte la surface de la terre,
il y en a peu qui soient soumises à des modifications
aussi continuelles que les côtes maritimes. Les vagues, les
marées et par elles les érosions, d'une part, le travail de
sédimentation et d'alluvion, d'autre part, tels sont les fac
teurs qui, tantôt réunis, tantôt isolés, s'appliquent à mode
ler les côtes. Le long du rivage de la Guyane, on constate
des phénomènes de cette nature et dont les effets morpho
logiques sont si marqués qu'ils donnent à cette contrée ses
traits distinctifs. La constitution du sol sous-marin joue dans
ce domaine un rôle d'une grande importance. L e vaste pla
teau continental qui s'étend au large de l'embouchure de
1) L e Tour du Monde, numéro du 16 décembre 1899, page 591. 2) Hann, I. c , page 360: « Das Klima des Amazonenthaies ist be
merkenswert durch die Gleichförmigkeit der Temperatur und durch die regelmässige Zufuhr von Feuchtigkeit. In den meisten Teilen desselben sind 6 Monate nass und 6 Monate trocken, und weder Regenzeit noch Trockenzeit sind so excessiv wie in manchen andern tropischen Ländern. »
— 3 2 —
l'Amazone avec une inflexion vers l'ouest, est le lieu de dépôt
des sédiments apportés par le fleuve. D'après Andrée 1 ) ;
carte 176-177, l'isobathe de 4000 mètres est éloignée du Cap
d'Orange et de la baie de Maranhão d'environ 220 kilo
mètres du rivage, tandis qu'au large de l'embouchure de
l'Amazome, elle se trouve à environ <S00 kilomètres du
continent. Mais ce serait une erreur de croire que cette
saillie continentale est due essentiellement à des dépôts
modernes apportés par l'Amazone. A environ 600 kilo
mètres en avant de l'embouchure, et d'une profondeur,
d'après Andrée, de 3400 mètres, s'élève un cône dont
la partie supérieure n'est qu'à 100 mètres au-dessous du
niveau de la mer. Plus on se rapproche de la terre et du
vaste estuaire qui, du Cap Tijoca au Cap de Nord, mesure
340 kilomètres, plus la profondeur diminue. D'après la
carte marine française de Mouchez, n° 2729, édition de 1896,
l'isobathe de 10 mètres se tient, entre Maraca et le Cap
d'Orange, à une distance moyenne de 13 kilomètres du
rivage 2 ) , tandis qu'à l'est de Maraca et au nord-est de
Mexiana, elle s'éloigne à 118 kilomètres. Partout le littoral
est précédé de bas-fonds, de bancs de sable et de vase.
A une distance d'environ 55 kilomètres de la côte et à une
profondeur d'à peu près 15 mètres, le courant équatorial du
sud venant des eaux occidentales africaines, passe le long
de la côte brésilienne et guyanaise, coulant dans la direction
du nord-ouest. C'est entre juillet et octobre qu'il atteint
sa vitesse maxima — de 4 à 6 kilomètres à l'heure — et
sa plus grande puissance. Durant ces mois-là, il se forme
entre le courant équatorial et celui qu'actionne l'alizé du
nord-est un contre-courant se dirigeant vers l'est et qui
2 ) Voir Annexes, planche n° 3.
1) Andrees Allgemeiner Handatlas, 4me édition, 1899.
— 3 3 —
1) Voir The West-India Pilot, I, page 37. 2) Voir la carte marine française, n°2729, et la carte marine anglaise,
n° 1803, et The West-India Pilot I.
3
se tient entre 5° et 9° de latitude nord ; plus à l'est, ce
contre-courant se confond avec le courant permanent de
Guinée 1).
Toute la côte nord-est de l'Amérique a des courants
de marée réguliers et qui se manifestent généralement
avec force ; leur puissance augmente vers l'ouest et atteint
son maximum vers l'Amazone et sur la côte guyanaise.
Leur influence se fait sentir jusque sur les franges du cou
rant équatorial constant, c'est-à-dire jusqu'à 55 kilomètres
environ du rivage. Par suite, ce courant et le flot de marée
combinent leur action, d'où résultent une déviation du cou
rant équatorial vers la côte et une augmentation du volume
et de la puissance de l'afflux d'eau marine qui pénètre à
la marée montante dans les embouchures fluviales. En
revanche, le courant du reflux, dirigé vers le nord-est, tend
à ralentir le courant équatorial qui marche vers le nord-
ouest ; mais le second, de son côté, modère la force du
premier et le fait incliner dans sa propre direction. L'im
portance de ces facteurs au point de vue du transport des
matières en suspension que le reflux a enlevées aux em
bouchures fluviales mérite d'être mise en lumière; ce sont
les causes qui déterminent la direction maîtresse que sui
vent ces matériaux de transport. Dans le voisinage des
côtes, sauf exceptions locales, la marée a, en général, une
direction sud-ouest—nord-est 2 ) ; le dessin de la ligne des
côtes, parallèlement à laquelle les vagues se développent,
joue encore un rôle essentiel et produit les déviations les
plus variées. La hauteur du flot de marée et sa vitesse de
propagation présentent pareillement des variations locales
3 4
sensibles ; il y aura à revenir sur ce point dans la descrip
tion des côtes.
Touchant la formation du rivage, le phénomène redou
table appelé « pororoca » a une importance toute spéciale ;
c'est une vague de marée, un mascaret qui se précipite
avec une force irrésistible contre la côte et la transforme
en un chaos instable par la vase qu'il apporte et les éro
sions qu'il cause. Des bancs de sable arrêtent soudain les
petits cours d'eau; sur de longs espaces, le rivage se couvre
de boue et de débris et se change en un désert ravagé. Le
phénomène de la pororoca est limité à de faibles profon
deurs et ne se produit guère sur des fonds dépassant 8 mètres.
Ses maxima sont liés à ceux de la marée et coïncident par
conséquent avec les syzygies. Elle atteint sa plus grande
hauteur aux équinoxes et dans les mois de janvier et de juin.
La zone où se manifeste la pororoca comprend l'em
bouchure de l'Amazone, la région du Cap de Nord et de
l'île de Maraca. L e phénomène est spécial à ces lieux, à
l'est desquels il n'apparaît plus. Le South America Pilot
signale bien des « heavy overfalls » intermittents dans la
baie de Maranhão, mais pas de pororoca. Para est à l'abri
de la pororoca, mais non pas les fleuves Guama et Gua-
jara. L a vague de marée déploie une grande violence contre
la rive gauche de l'estuaire de l'Amazone et se propage
entre Marajo et le Cap de Nord avec une vitesse de 11 kilo
mètres à l'heure, exceptionnellement de 20 à 28 kilomètres.
L a hauteur du flux varie beaucoup, même dans des lieux
peu distants les uns des autres; il peut y avoir aussi une
différence sensible entre des flux et des reflux consécutifs
au point de vue de la direction et de la force du courant.
Cela provient de la hauteur des eaux dans l'Amazone, des
vents dominants et des différences de niveau qui en résultent
entre le fleuve et la mer.
— 3 5 —
Telles sont les influences maritimes qui agissent sur
la côte de la basse Guyane ; mais, pour comprendre sa
forme et sa constitution, il faut encore tenir compte d'un
facteur essentiel : les eaux de l'Amazone qui, même à une
grande distance au large, ne se confondent pas avec celles
de l'Océan et s'étalent au delà de l'embouchure en un véri
table bassin d'eau douce. Avant de pénétrer en pays bré
silien, l'Amazone a déjà traversé un vaste territoire et reçu
divers affluents, mais c'est dans le Brésil qu'il se grossit
de ses plus grands tributaires, les Rios Iça et Japura, le
Rio Negro, qui, dans son cours inférieur, s'élargit en de
véritables lacs, les Rios Trombetas, Parou et Vary sur la
rive gauche, venant des vallées situées au nord, les Rios
Yaquirana, Juruaj Purus, Madeira, Tapajoz et Xingú sur
la rive droite, venant des vallées situées au sud. Actuelle
ment, son cours supérieur jusqu'à son entrée sur territoire
brésilien porte le nom de Marañon. Il n'y a pas à exa
miner si le Rio Para, à son embouchure, doit être con
sidéré comme un fleuve dépendant de l'Amazone ou comme
un cours d'eau individuel ; dans tous les cas, on ne peut pas
conclure des données cartographiques à la subordination
du Rio Para à l'Amazone.
Il est remarquable que ce fleuve puissant, qui charrie
une prodigieuse masse de sédiments, n'ait pas constitué de
delta à son embouchure ; les nombreuses îles, grandes et
petites, qui parsèment son estuaire à forme de golfe, n'ont
certainement pas été créées par l'Amazone actuel. Les îles
de Marajo, de Caviana et de Mexiana, même de Maraca,
sont les restes d'une côte préhistorique qui se prolongeait
beaucoup plus loin et qui a disparu grâce à un affaissement
et au travail des vagues 1). Une note du South America Pilot
1) Ehrenreich, Verhandlungen der Gesellschaft für Erdkunde, Ber
lin 1890, page 157.
donne une idée des effets de la pororoca: « some 30 years
ago, Caviana and Jurupari islands were both divided by
the strength of the current (la pororoca) and the channel
between those islands rendered unnavigable except by
boats ». On peut citer un exemple semblable d'île fissurée,
bien antérieur à celui-là, et qui a été relaté par le Père
Pfeil vers 1680 ; il en sera parlé plus tard, dans la partie
géographique. La formation du Furo Grande d'Araguary,
ainsi que de la jonction du Rio Para avec l'Amazone au
sud de l'île de Marajo pourraient être attribuées aux mêmes
causes ; elles proviennent l'une et l'autre d'un empiètement
de l'océan sur la terre ferme, phénomène dont les mani
festations sont si nombreuses dans l'estuaire de l'Amazone 1).
De nos jours, le retrait de la côte paraît continuer dans
cette région. Il est vrai que, d'après le South America Pilot,
à l'embouchure du Rio Para le sol est en voie d'exhausse
ment par suite des dépôts de sédiments ; la carte marine
anglaise n° 2186 (small corrections II, 1899) donne l'aver
tissement suivant au sujet de cette partie de la côte : « From
the incomplete nature of the original survey, and from the
great changes that take place on a cost of this nature, the
details of this chart cannot be now regarded as trustworthy ».
Toutefois, l 'accroissement de la terre ferme près du Rio
Para doit être considéré comme une exception ; c'est ce
qu'on peut déduire des données suivantes, fournies par
Suess 2 ) :
« Cette lutte entre l'eau salée et la terre se poursuit
à travers tout un réseau de canaux et de lagunes, depuis
Para jusqu'au Maranhão. Lorsque D a Silva Coutinho visita
l ) Il faut reconnaître que de telles jonctions ont aussi de l'importance
comme canaux de dérivation — anciens ou actuels — des eaux de crue. 2) Suess, 1. c , II, pp. 788 et 789.
36
— 37 —
cette contrée en 1867, il constata que deux phares qui
trente ans auparavant se trouvaient à 500 mètres de la
mer étaient baignés par les flots. La marée, qui pénètre
avec une force irrésistible dans les embouchures du fleuve
et de ses divers bras, empiète perpétuellement sur les rives.
Les animaux marins s'établissent dans des stations précé
demment occupées par l'eau douce, et de longues lignes
de palétuviers s'avancent vers la terre ferme, tandis que
la flore terrestre proprement dite recule. »
Le niveau de l'Amazone varie suivant deux périodes
de six mois environ ; le fleuve monte de novembre à avril
et décroît de mai à octobre l ) ; ce phénomène est en con
cordance avec la répartition mensuelle de la chute de pluies
dont nous avons déjà donné le tableau. La différence de
niveau entre les hautes et les basses eaux peut être de 9 à
15 mètres. Les rives étant très basses, le flot recouvre de
vastes espaces de janvier à mai ; la zone d'inondation s'étend
sur les deux rives du fleuve, et la masse énorme de limon
qui est déversée dans l'océan est susceptible de teinter les
eaux de l'océan jusqu'à 100 kilomètres de l'embouchure.
A cette époque régnent de forts vents de l'est-nord-est et
du nord-est; la pression du vent arrête le flot du côté de
l'est et le rejette contre la rive occidentale de l'estuaire,
où il s'étend sur de vastes territoires. Les inondations sur
la rive orientale sont moins considérables parce que la
côte est quelque peu plus élevée. Les hautes eaux par
viennent à l'océan où elles rencontrent le courant se diri-
1) Voici toutefois ce que dit A. de Lapparent, 1. c , page 663: En outre, grâce à la disposition en éventail du réseau hydrographique, les affluents de gauche compensent le déficit que le jeu des saisons impose aux affluents de droite. De cette manière, l'Amazone subit deux périodes de crues : l'une de mars à juillet, provenant des affluents méridionaux, l'autre de novembre à janvier, causée par ceux du Nord.
— 38 —
géant vers le nord-ouest qu'elles déplacent un peu vers le
nord ; mais, à l'aide des vents du nord-est, les eaux char
gées de vase sont poussées vers le Cap de Nord et autour
de l'île de Maraca ; puis elles cheminent le long de la
côte guyanaise. C'est là principalement que les matières
sédimentaires se déposent. Les Instructions nautiques fran
çaises 1) décrivent très bien les effets mécaniques du trans
port de ces débris durant la période des hautes eaux :
« L e fleuve charrie alors en abondance des débris de
végétaux, des arbres entiers et quelquefois des îles flot
tantes arrachés à ses rives ; des bancs de vase molle for
més par les débris qui sortent de ces rivières, s'étendent
dans quelques endroits à une distance considérable ; des
palétuviers croissent dessus rapidement dans la saison sèche
et sont ensuite arrachés par le courant violent et les marées
produites par les crues de la saison des pluies.»
c) Sur la rive gauche de l'Amazone, où les vagues
déferlent avec force, presque sous l'équateur, se trouve le
vieux fort de Macapa qui a joué dans l'histoire du présent
litige un rôle qui n'est pas sans importance.
En aval de Macapa, on atteint sous 1° 15' latitude nord
l'embouchure de l 'Araguary, un peu au nord de l'île Bai-
lique. Les parties ont discuté la question de savoir si l'Ara
guary est, ou non, un affluent de l 'Amazone 2 ) . Au point de
vue géographique, il n'y a pas de difficulté à étendre l'em
bouchure de l'Amazone jusqu'au Cap de Nord (continental).
Voici les motifs à l'appui :
1° On ne peut pas tirer un argument contraire de la configuration de l'ensemble de la côte, actuellement déformée par l'affaissement.
1) Nous citons d'après R . F . , page 184. 2 ) Vo i r ci-dessus page 10, chiffre 2; M. B . I, pp. 15 et suiv.; R . F .
pp. 5, 198-203; R . B . I, page 156.
— 39 —
2° L'Amazone surpasse potentiellement l'Araguary sous
tous les rapports ; l 'Araguary d'ailleurs ne déverse pas ses
eaux directement dans la mer, mais les mêle aux flots
d'eau douce de l'Amazone qui passe devant son embou
chure.
L'Araguary se jette dans le canal nord de l'Amazone
par une baie bien ouverte, large de 9 kilomètres environ ;
son cours inférieur, large et même majestueux d'après
Reclus 1 ) , s'allonge comme une continuation de l'estuaire,
mais la pororoca qui y sévit avec une extrême violence le
rend des plus dangereux. Toutefois les cartes marines
anglaises et françaises indiquent deux endroits pouvant servir
d'abri contre la violence du flot de marée, l'un à l'ouest de la
pointe nord de l'île Bailique, l'autre au nord-ouest de l'entrée
dans l'Araguary, sur la rive nord de celui-ci. L a pororoca
se fait sentir jusqu'à 90 kilomètres en amont. Au sud-ouest,
à 200 kilomètres de l'embouchure, ensuivant les nombreux
méandres du fleuve, on se heurte aux premières chutes,
à la Grande Pancada; jusque-là le fleuve est navigable pour
les embarcations ayant un tirant d'eau de moins de 2.70 mètres
et c'est jusqu'à ce point seulement qu'il avait été exploré
avant que l'expédition toute récente du capitaine brésilien
d'état-major Braga Cavalcante eût reconnu son cours supé
rieur, qui peu en amont de la Grande Pancada ferait un coude
accentué ; sa source, située au nord-ouest, serait formée
de trois branches principales descendant des monts Tumuc-
Humac. Au-dessus de la Grande Pancada, le lit du fleuve
est obstrué par de nombreux barrages de rochers ; ce n'est
que dans le bassin supérieur que son cours paraît redevenir
plus tranquille. Il est à remarquer que Reclus 2 ) , (se basant
1) E. Reclus, Nouvelle géographie universelle, t. X I X , Paris, 1894. page 24
2) E. Reclus, 1. c.j page 14.
40
probablement sur Coudreau) dit que pendant la saison des
pluies les seuils de partage sont tellement incertains que
des étangs et laguets intermédiaires rattachent en lignes
d'eau continues les sources de l'Oyapoc, du Cachipour,
de l 'Araguary et du Yary . Il ressortirait de ce fait que
les lignes de partage des eaux offrent une grande incerti
tude dans leur dessin ; Brousseau 1 ) suppose que Coudreau,
dans son exploration, n'a pas, comme il le croyait, décou
vert les sources du Cachipour dans le voisinage de l'Oya
poc, mais celles de l 'Araguary qui est le seul cours d'eau
important entre l'Oyapoc et le Yary.
A partir de l 'Araguary, dans la direction du nord,
jusqu'au Cap de Nord ou Cabo Ràzo do Norte s'étend une
zone littorale basse qu'aucun accident de relief n'interrompt ;
il s'agit ici du cap continental sous 1° 40 ' 10" de latitude
nord, en opposition au cap de l'île de Maraca. Peu élevé
au-dessus du pays environnant et couvert de forêts, le Cap
Razo do Norte s'avance dans la mer peu profonde ; la
pororoca fait de la grève entière un immense champ de
dévastation ; c'est un lieu redouté des navigateurs. Au
nord-ouest émergeait l'île de Japioca qui n'est plus aujour
d'hui qu'un dangereux banc sous-marin 2 ) , témoignant de la
violence de l'action des forces océaniques en ce point. Plus
au nord-ouest encore se trouve l'île plate de Maraca, ex
posée de tous côtés aux assauts de la pororoca. L e point
le plus septentrional de l'île est le promontoire sous 2° 15' N,
1) L e Tour du Monde, numéro du 16 décembre 1899, page 590 2 ) D r E. A. Göldi, Eine Naturforscherfahrt nach dem Litoral des
südlichen Guyana zwischen Oyapock und Amazonenstrom, im Bericht über die Thatigkeit der St . Gallischen Naturwissenschaftlichen Gesell-schatt wahrend des Vereinsjahres 1896—1897, page 188; l'article se trouve aussi dans Dr A . Petermanns Mitteilungen, 43. Band, 1897.
— 41 —
appelé aujourd'hui Vieux Cap de Nord; le Brésil le tient
pour l'ancien Cabo do Norte des Portugais.
Au sud-est, l'île de Maraca est séparée du continent
par le canal peu profond de Tourlouri; à la Punta Pelada
se trouve le passage le plus étroit, large de 1.5 kilomètre
à peine, puis s'ouvre le canal de Carapaporis vers le nord?
nord-ouest. La profondeur maximum du canal de Tourlouri
est de 4.5 mètres, tandis qu'au nord de la Punta Pelada le
canal de Carapaporis présente des fonds de 20 à 22 mètres 1) ;
cette profondeur diminue à mesure que le canal s'élargit
vers le nord. Sans vouloir rechercher l'origine de ce
chenal sous-marin, dont l'existence serait d'après Reclus 2 )
en relation avec celle d'un ancien bras nord de l'Araguary,
il y a lieu d'observer, que, s'il existe encore, il le doit sans
doute aux courants de marée qui, atteignant sur ce point une
extrême violence, arrivent momentanément, grâce à l'étran
glement transversal près de la Punta Pelada, à une vitesse et
une puissance extraordinaires et balaient du sol sous-marin
tous les sédiments. L a carte marine de Mouchez, n° 2729, édi
tion de 1896, indique qu'à l'époque des syzygies la plus grande
montée de l'eau est de 10 à 12 mètres et la vitesse maximum
de 18 à 22 kilomètres à l'heure, mais seulement durant très
peu d'instants. Le flot de marée a ici une direction sud-ouest-
nord-est; il ne mesure que 2 à 3 mètres pendant les quadra
tures. Seule la côte ouest de Maraca, près de la crique Cale
basse qui coupe la partie nord de l'île, offre un abri contre
la pororoca, qui, dit-on, a perdu quelque peu de sa violence.
1) Voi r Annexes, planche n° 3. 2) E. Reclus, 1. c , page 28: « L e détroit de Maraca ou l'estuaire de
Carapaporis, ce bras de mer projeté entre l'île de Maraca et le continent et qui se distingue si nettement par sa protondeur de toutes les basses eaux environnantes, serait l'ancienne bouche de l'Araguari, à peine déformée depuis le temps où le fleuve se rejeta vers l'est.»
11 est à rappeler en passant que Göldi 1) conteste la
forme donnée par Coudreau 2 ) à l'île de Maraca et au canal
de Carapaporis; en effet, l'exactitude de ce dessin qu'aucune
carte marine officielle récente n'a adopté né paraît pas
incontestable.
La côte se prolonge ensuite dans une direction assez
uniforme vers le nord-nord-ouest. Elle manque de bons
ports. Tous les havres sont des embouchures de cours
d'eau, mais, dans le contesté, ces bouches fluviales sont loin
de posséder des formes stables par suite de l'abondant
apport de vase qu'amènent les eaux courantes dans leur
cours inférieur et qui se dépose le long des rives. Pendant
la saison des pluies, les hautes eaux sont très chargées
de sédiments, mais la puissance de leur courant est elle-
même augmentée et suffit souvent pour rejeter la vase hors
des embouchures, creusant ainsi du même coup les canaux
d'écoulement. Ces canaux n'en seraient pas moins comblés
depuis longtemps, si la marée ne travaillait sans cesse à
les maintenir. Les matériaux entraînés hors des embou
chures forment, parfois jusqu'à 10 et même 20 kilomètres
au large, de vastes bancs latéraux qui, suivant les circons
tances, peuvent prendre de la consistance avant que les
courants de marée ne réussissent à les détruire ; ensuite
ils finissent par constituer des formes durables de la région
littorale. Les petits cours d'eau côtiers sont sous la dépen
dance presque absolue des marées. Elles en règlent l'écou
lement, et par suite le débit; elles déterminent les modifi
cations incessantes du dessin des rivages, au sujet desquelles
les Instructions nautiques françaises s'expriment ainsi : « Les
1) Dr E. A. Göldi, 1. c , pp. 152-153. 2) H. Coudreau, Dix ans de Guyane. Bulletin de la Société de
Géographie, année 1891. Carte de la Guyane.
4 2
4 3
déplacements sont si rapides que les cartes ne peuvent être
tenues au courant, malgré les efforts faits dans cette vue 1 ) . »
Pour donner une idée de la profondeur de la mer près
des rives, il faut rappeler la situation de l'isobathe de 10
mètres qui cependant, fait essentiel à noter, est déjà en
dehors de la zone à configuration changeante. D'après la
carte marine française de Mouchez, n° 2729, édition de 1896,
à l'est de Maraca l'isobathe de 10 mètres est à 100 kilo
mètres de la côte, au nord de Maraca encore à 20 kilo
mètres, puis elle se rapproche et près du Counani court à
une distance de 9 kilomètres environ du rivage ; plus au
nord, vers le Cap d'Orange et vers Cayenne, elle se tient
jusqu'à 30 kilomètres du bord.
L'aspect des côtes est caractérisé principalement par
la végétation particulière qui les recouvre. D'après Göldi 2 ) ,
c'est la forêt de sirioubas (Avicennia) qui donne à tout le
littoral guyanais sa physionomie propre. Les palétuviers
aux troncs élevés occupent aussi la bande comprise entre les
limites du flux et du reflux, bande qui est très large sur le
bas littoral ; à marée haute, ces arbres émergeant au-des
sus de l'eau donnent l'impression d'une côte noyée (costa
anegada), paysage tropical étrange, absolument nouveau
pour les premiers découvreurs du pays et dont la mention
figure, comme un souvenir durable dans les cartes du
Nouveau Monde. Dès 20 kilomètres de distance, le navi
gateur voit la côte comme une bande vert-bleu qui tranche
sur l'horizon et se distingue de l'onde marine, jaunie par
les matières en suspension. Seules, les brèches que forment
les embouchures fluviales coupent cette ligne d'aspect mono
tone; vus de plus près, les hauts palétuviers produisent,
1) D'après R. F . , page 185. 2) Dr E. A. Göldi, 1. c , page 102.
— 4 4
dans leur ensemble, l'effet d'une curieuse muraille rayée
de traits verticaux. Ce tableau n'a rien d'agréable à l'oeil
et fatigue par son uniformité.
Dans le canal de Carapaporis se jette le fleuve du même
nom ; puis viennent dans la direction du nord les embou
chures du Mapa, du Mayacaré et du Carsevenne. Entre
les deux premières, la carte n° 3 de la R. F. indique des
«falaises» de 15 à 20 mètres de hauteur; elles sont aussi
dessinées dans la carte marine française, n° 2720, édition
de 1896, mais on ne les trouve pas sur les cartes marines
anglaises, ni dans aucune instruction nautique, ni sur la
carte d'Azevedo de 1860, ni dans Coudreau.
L a première élévation qui, à partir de l'Amazone, inter
rompt la longue côte uniformément plate, se trouve un peu au
sud de l'embouchure du Counani ; c'est le Mont Mayé,
(2° 56' lat. N.) aussi nommé Montagne de Counani. Quelque
faible que soit la hauteur de cette colline, qui, étant visible
à 16 milles de distance, peut mesurer 60 mètres au maxi
mum, les Instructions nautiques françaises et le South Ame
rica Pilot sont tout à fait d'accord pour la signaler comme
étant la position la plus reconnaissable de la côte, entre le
Cap de Nord et le Cap d'Orange, et un excellent point de
repère pour les marins. L e Mont Mayé est l'unique acci
dent de terrain sur cette longue côte qui, plus au nord,
reprend son caractère uniforme. Toutefois le South Ame
rica Pilot indique la côte située entre le Mont Mayé et le
Cap Cachipour (sous 3° 49' latitude nord) comme étant plus
haute que ce n'est le cas plus au sud. Au nord-ouest de ce
Cap se trouve l'embouchure du fleuve Cachipour, et, plus
au nord, par 4° 24' latitude nord, le Cap d'Orange. Dans
l'espace compris entre les deux caps, Coudreau et après
lui Reclus, 1. c , page 81, ainsi que l'atlas de Vivien de
Saint-Martin, indiquent près de la côte trois collines que Cou-
— 4 5 —
dreau dit être hautes de 50 mètres; toutefois aucune carte
marine officielle ni aucune instruction nautique n'ont encore
confirmé cette indication. Est-il d'ailleurs possible que ces
collines, situées à 5 kilomètres environ du rivage et qui
doivent être visibles jusqu'à 27 kilomètres au large, aient
jusqu'ici échappé aux navigateurs? Il y a lieu de rappeler
à ce propos que la carte marine française, n° 2729, édition
de 1<S96, marque la courbe de 5 mètres à 10 kilomètres
environ du rivage, d'où l'on doit conclure que des sondages
ont été faits à cette distance de la côte.
Entre le Cap de Nord et le Cap d'Orange, les marées
sont moins fortes que plus au sud et, bien que le flux
puisse atteindre de 4 à 5 mètres, on n'y observe pas de
courant de marée comparable à la pororoca de la région
de l'Amazone et de l'île de Maraca.
A l'ouest du Cap d'Orange, qui portait aussi le nom
de Cap Cécil, s'ouvre un golfe en forme d'entonnoir, large
de 20 kilomètres ; c'est l'embouchure de l'Oyapoc. Si, venant
de l'est, on s'approche de ce point, on voit le Cap d'Orange
n'émerger que faiblement des terres basses; mais de ce
côté encore, il est facile à reconnaître, d'abord à cause de
la large brèche que l'embouchure de l'Oyapoc ouvre sur
la ligne côtière, puis des collines qui se dressent derrière
lui et forment un contraste remarquable avec l'horizontalité
du littoral. Ce sont, d'après le South America Pilot, deux
montagnes remarquables qui donnent à la contrée un aspect
nouveau et caractéristique. Elles se trouvent sur la rive
ouest de l'estuaire de l 'Oyapoc; la plus élevée est le Mont
d'Argent, qui se dresse en forme de coupole à la hauteur
de 100 mètres et qui reste visible jusqu'à 38 kilomètres
environ de distance; l'autre, située plus près du fond de
la baie, à environ 17 kilomètres au sud de la première,
s'appelle le Mont Lucas. C'est à cet endroit, à l'embou-
chure de l'Oyapoc, que la côte basse prend fin. Le pay
sage change, des monts rocheux et arrondis se détachent,
qui, s'abaissant vers la mer, suivent Le littoral jusqu'au delà
de Cayenne, dans la direction du nord-ouest. La carte de
Coudreau indique dans la chaîne de collines, entre l'Oyapoc
et l'Approuague, le Mont Coumarouman, près de la côte.
A 22 kilomètres environ, à l'ouest-nord-ouest de la Montagne
d'Argent, s'élève, situé plus à l'intérieur, le Mont Carimaré 1),
sommité isolée, d'une configuration semblable à celle de
la Montagne d'Argent. La carte marine française n° 2729
l'indique comme visible à une distance de 36 milles, soit
67 kilomètres, ce qui lui donnerait une altitude approxi
mative de 300 mètres. Il n'a pas été possible de rien trouver
qui confirme cette indication; en revanche, le West India
Pilot dit que, de la mer, on peut confondre cette montagne
avec la Montagne d'Argent.
Une série de cours d'eau de moindre importance se
jettent dans l'estuaire ensablé de l 'Oyapoc ; ce sont entre
autres, sur la rive orientale, l'Ouassa, dont l'affluent, le
Couroupi, est regardé par Coudreau comme la branche prin
cipale ; sur la rive occidentale, tout près et au nord du Mont
Lucas, l'Ouanari. Au delà de l'Oyapoc, dans la direction
de l'ouest, on rencontre les cours d'eau suivants qui se
rendent directement à la mer : l'Approuague, l 'Oyack, le
Sinnamarie, la Mana, enfin, à la frontière ouest de la
Guyane française, le Maroni (5° 40' lat. N) ,
L'Oyapoc, qui à l'embouchure n'a guère que 6 mètres
de profondeur, même à l'époque des crues, roule à la. mer
des eaux assez rapides. Les petites embarcations peuvent le
remonter jusqu'à 65 kilomètres environ en amont du Mont
1) Coudreau, 1. c , carte de la Guyane, et l 'Atlas de Vivien de Saint-Martin le rapprochent beaucoup plus de l'Approuague.
— 46 —
47
d'Argent; il présente encore à cet endroit une largeur d'à peu près 650 mètres. Son cours supérieur, coupé de chutes et de rapides, n'est pas navigable. Tout un réseau étendu d'affluents, parmi lesquels le Camopi qui passa autrefois pour le cours principal, le Yaoué et le Yaroupi lui apportent leurs eaux, de gauche et de droite. Ses sources sont aux monts Tumuc-Humac ; d'après Coudreau, le Souanre serait le bras principal et la source proprement dite. Le cours [de l'Oyapoc a une direction générale du sud-ouest au nord-est.
d) Avant de décrire l'intérieur du territoire contesté, il faut rappeler combien sont incertaines les données qu'on possède actuellement sur cette contrée. On ne doit utiliser qu'avec prudence celles de Coudreau qui a parcouru la Guyane pendant une dizaine d'années. Le Dr Göldi 1), ainsi que les Petermanns Mitteilungen 2 ) , ont vivement critiqué les résultats de ses explorations. Ses propres déclarations sont de nature à permettre aux géographes de former leur opinion 3 ) : «Je n'ai pu obtenir de déterminations astronomiques d'une précision suffisante pour les faire entrer en ligne de compte.» Et ailleurs: « Les levés par terre ont été mesurés au podomètre et leurs directions ont été données approximativement d'après les renseignements des Indiens. »
Au point de vue géologique, le territoire guyanais est d'après A. de Lapparent 4 ) «divisé par l'Essequibo en deux parties: celle de l'Orient est une pénéplaine archéenne, tandis que le grès abonde dans la partie haute ou vénézuélienne ». Il faut ajouter à cette donnée générale que la géo-
1) E. A. Göldi, 1. c , pp. 98-99; 111; 128-129; 155. 2) D r A. Petermanns Mitteilungen, 39. Band, 1893, Litteratur-
bericht, page 128. 3) H. Coudreau, 1. c., page 446. 4) A. de Lapparent, 1. c., page b61.
— 4 8 —
logie du pays, comme sa géographie, n'est que très insuffisamment connue. Toutefois Orville A. Derby 1) a donné de la vallée de l'Amazone une vue d'ensemble qui nous permettra de nous orienter. Suivant cet auteur, l'Amazone occupe une vallée synclinale symétrique qui, dans l'ensemble, n'a pas subi de dislocations et dont les couches se trouvent superposées dans un ordre qui n'a presque pas été troublé. Les plus anciennes, celles qui recouvrent le terrain archéen, datent de la période silurienne ; elles appartiennent au silurien inférieur et effleurent en Guyane jusqu'à une limite méridionale qui, partant d'à peu près 1° latitude nord sur la côte atlantique, va en ligne droite jusqu'aux environs du confluent du Rio Negro et du Rio Branco, par 2° latitude sud environ. Une ceinture de silurien supérieur fait suite à ce terrain, plus au sud, dans la direction de l'Amazone et probablement sur toute la longueur de cet alignement, ceinture à laquelle succèdent des formations dévoniennes qui, par places, ont un grand développement. Ensuite, sur une étendue plus considérable, on rencontre les dépôts carbonifères, qui occupent la zone médiane du bassin; leur limite orientale se trouve probablement dans le voisinage de l'embouchure du Parou. Dans la partie du bassin située au sud de l'Amazone, les conditions géologiques doivent être analogues; mais il n'y à pas lieu de s'occuper de cette région. On constate une lacune considérable dans les couches dont la formation est postérieure à celle des terrains paléozoïques ; on peut en déduire que, durant une longue période, le sol a été émergé et modelé par l'érosion et par l'accumulation des dépôts; les formations les plus anciennes après les précédentes -dépôts du bassin supérieur du Purus — datent de l'époque
1) Voir S u e s s , 1. c , I, pp. 679 et 680.
4 9 —
crétacée et permettent de conclure qu'alors le bassin de
l'Amazone fut un golfe limité par des roches paléozoïques.
Les bancs de grès de la partie inférieure du cours de
l'Amazone correspondent aux temps tertiaires ; c'est aux
époques tertiaire et quaternaire que le golfe a été comblé.
Le territoire de l'estuaire de l'Amazone et la zone conti
nentale voisine se composent de terrains diluviens et allu-
viens. Au nord de la vallée paléozoïque de l'Amazone,
on trouve à la surface les roches silicatées cristallines,
c'est-à-dire le terrain archéen, sans revêtement postérieur,
et cela, selon toute apparence, jusqu'à la bande alluviale
de la côte. On peut se demander si l'on se trouve en pré
sence d'un noyau solide primitif resté intact ou si ce noyau
a été recouvert par des roches sédimentaires anciennes
qui auraient disparu complètement par abrasion. On se
tromperait si l'on considérait le domaine du terrain
archéen comme étant d'une construction simple ; le croquis
géologique que Ch. Vélain a construit d'après les indications
de l'explorateur français D r J. Crevaux 1) montre que cette
architecture est passablement compliquée. Les données
certaines que l'on possède sont si rares qu'elles ne per
mettent en aucune manière de s'en faire une idée exacte.
Autant qu'on peut l'affirmer, les roches qui occupent
la plus grande étendue sont la biotite et le gneiss amphi-
bolique, avec des intercalations de schiste et de quartzite,
orientées principalement dans la direction ouest-est. L e
granit, la diorite et le gneiss granitoïde sont parmi les
roches les moins abondantes 2 ) ; la présence de bandes de
1) Bulletin de la Société de Géographie, Paris 1885, carte annexe. 2) Dr Friedrich Katzer. Der strittige Golddistrikt von Brasilianisch-
Guyana. Österreichische Zeitschrift für Berg- und Hüttenwesen, X L V e
année, 1897, tirage à part, pp. 6 et suiv. 4
50
grünstein n'a pas été formellement constatée, mais divers
indices permettent d'en prévoir la découverte avec quelque
certitude.
L e contesté extérieur rentre exclusivement dans la
région archéenne, plissée et dénudée, qui forme un versant
faiblement ondulé, incliné vers l'océan, ou, en d'autres
termes, une pénéplaine. Mais sous l'influence de divers
facteurs, la contrée a subi des modifications, parfois essen
tielles, qui lui ont imprimé ses traits caractéristiques. L a
limite où la pénéplaine passe dans la région recouverte
de terrains plus modernes est représentée par la ligne
reliant les premières chutes d'eau que l'on trouve en
remontant les rivières côtières. Partant de la Grande
Pancada, elle passe par les sources de l'Aporema, affluent
gauche de l 'Araguary, se dirige vers le cours inférieur de
l'Ouassa et aboutit à la première chute de l'Oyapoc, la
chute de Karwosoka (à 78 kilomètres environ de la
Montagne d'Argent). D'une manière générale, en amont
de cette limite s 'exerce l'action érosive des cours d'eau ;
au-dessous s'accomplit le travail d'alluvionnement. En
amont, le terrain monte par degrés, jusqu'aux sommets
peu élevés des chaînons orientaux des monts Tumuc-
Humac. Ce système de collines dont la plus élevée a 800
mètres et dont les chaînons orientaux mesurent 400 à 450
mètres, est la région des sources de l'Oyapoc, du Cachipour
et de l 'Araguary. Dans le voisinage de ces grands cours
d'eau prennent aussi leur source la plupart des rivières
côtières moins volumineuses, qui, les unes, coulent parallèle
ment, en formant des méandres, tandis que les autres se
développent en lignes divergentes — disposition qui cons
titue un trait distinctif des versants en pente continue.
D'après le « profil supposé » de Coudreau, deux degrés
accentués établissent une division dans la zone des hau-
— 51
teurs ; l'un, aux premiers rapides des fleuves, est suivi d'un
large plateau, l'autre, qui lui succède en amont, sert à son
tour de passage à un plateau plus ou moins ondulé qui
finit aux monts Tumuc-Humac. La pénéplaine paraît donc
être interrompue par deux gradins qui ne constituent pas
chacun un escarpement unique et nettement délimité, mais
se présentent plutôt sous forme d'escaliers, d'échelons
reliant les plateaux entre eux. Ainsi s'explique la présence,
dans le cours supérieur des rivières, de nombreuses cata
ractes qui, en seconde ligne, dépendent de la résistance
plus ou moins forte que le sous-sol oppose à l'action de l'eau.
En aval des dernières chutes, des terres basses et très plates
s'étendent jusqu'au rivage atlantique. L a pente est minime,
les rivières chargées de limon coulent paresseusement. Ce
n'est que lors du reflux que leurs eaux subissent un mou
vement marqué, parfois violent, dans la zone soumise à l'in
fluence de la marée. Aux basses eaux, mainte embouchure
peut, d'après le Dr Göldi 1 ) , être comparée à une véritable
mer de boue et ce n'est que grâce à l'action déblayante
de la marée que les canaux d'écoulement restent ouverts;
toutefois, cet écoulement n'est pas assuré. Si l'on se remet
en mémoire la configuration du littoral, les crues de l'Ama
zone, la pororoca et avant tout les bancs de sable mouvants
qui bouchent souvent les rigoles d'écoulement, on com
prendra que les eaux, ainsi arrêtées, doivent chercher sans
cesse de nouvelles voies vers la mer, si bien que l'intérieur
est couvert de bras fluviaux qui constituent un véritable
labyrinthe. Ainsi se créent sur de grandes étendues des
divagations fluviales, des ramifications et aussi par contre
des endiguements, d'où résulte la formation d'eaux sta
gnantes, de marais et de lacs. C'est avant tout à l'époque
1) D r E. A. Göldi, 1. c , page 154 notamment.
5 2 —
des pluies que ces phénomènes atteignent leur plus grande
intensité; les sources et les rivières augmentent de volume,
tous les bassins, toutes les dépressions se remplissent d'eau
et de vase ; on conçoit que dans cette période, cet état
d'éparpillement des eaux en ramifications multiples qui s'en
trecroisent, atteigne son plus fort développement. Ensuite,
le réseau fluvial subit une réduction, les lacs diminuent
d'étendue et au fur et à mesure la végétation s'étend. Le
tissu épais et feutré des plantes aquatiques peut aussi de
venir la cause de l'obstruction d'anciens canaux, qui oblige
les eaux à s'ouvrir de nouvelles issues. On peut se repré
senter cette masse de cours d'eau et de lacs aux conditions
changeantes et qui n'offre pas plus de stabilité et d'équi
libre que le rivage maritime. Il n'est pas rare que les
dérivations du cours inférieur des rivières s'allongent pa
rallèlement au littoral, c'est le courant côtier qui les
repousse vers le nord-ouest; mais les grands cours d'eau,
tels que l 'Araguary, l 'Oyapoc et l'Essequibo, doivent à leur
volume plus considérable de ne pas subir cette déviation
et de s'ouvrir un chemin direct vers la mer.
Ce réseau de lacs et de bras fluviaux, dont les sys
tèmes principaux sont le Carapaporis, le Fréchal, le Tar -
tarougal-Mapa (Amapá), le Mayacaré, le Carsevenne, le
Counani et le Cachipour s'étend de l 'Araguary jusqu'à
ces deux dernières rivières. L a navigabilité de ces rivières
est très limitée; même leur cours inférieur ne peut porter
le plus souvent que de petites embarcations et cela à
l'heure du flux ; leur cours supérieur n'est accessible qu'aux
canots facilement transportables.
Au nombre des caractères typiques d'une pénéplaine,
c'est-à-dire d'une région autrefois montagneuse et dont il
ne reste que le noyau aplani, figurent des cours d'eau
à pente presque complètement régularisée. Dans le ter-
— 5 3 —
ritoire contesté, la zone bordière de la pénéplaine offre
le phénomène inverse: des fleuves qui n'acquerront leur
profil d'équilibre que dans un avenir éloigné et qui
actuellement encore ont gardé leur puissance érosive et
continuent à déposer beaucoup de matériaux. Si l'ancien
état d'équilibre ne s'est pas maintenu, la cause en est à
une modification postérieurement intervenue dans le sens
vertical, dont témoignent les interruptions brusques de la
pente du sol. C'est à ce phénomène que les cours d'eau
jadis apaisés doivent d'avoir repris une activité nouvelle;
l'expansion lacustre représente le travail accompli jusqu'ici,
mais c'est un état transitoire et non définitif. Le réseau
des lacs doit forcément diminuer de plus en plus, car les
fleuves continuent à régulariser leur profil longitudinal.
Mais avant que leur œuvre soit achevée, il est possible
que les forces puissantes qui déterminent les mouvements
de la croûte terrestre aient créé une situation nouvelle.
Quant à la végétation, il est clair qu'elle dépend, d'une
manière générale, de la configuration du terrain et de
l'humidité. Dans la zone côtière se trouvent des forêts de
palétuviers et des prairies marécageuses. A l'intérieur
s'étend la forêt vierge, coupée de savanes ; ce sont tantôt
des prairies à piti, formées d'une espèce de papyrus dé
passant la taille de l'homme, tantôt des prairies naturelles
analogues aux campos brésiliens. La forêt vierge atteint
son plein épanouissement surtout dans les basses terres
et sur les rives des fleuves ; presque partout, elle forme de
chaque côté de ceux-ci une bordure large d'un kilomètre
environ. Dans les territoires plus élevés au sous-sol cris
tallin, la selve existe souvent, avec faible formation d'humus.
e) L e contesté intérieur est sous tous les rapports un
pays dont le mystère n'a pas encore été pénétré. On ne
connaît guère que ses approches et en partie le cours
des grands affluents de l'Amazone. La principale rivière
du contesté intérieur, le Rio Branco qui le ferme à l'ouest,
semble être appelée à prendre dans l'avenir une grande
importance comme voie de navigation entre la Guyane
anglaise et l'Amazone 1)• L a reconnaissance en a été faite
par les Portugais au siècle dernier déjà. Parmi les rares
voyageurs européens qui se sont risqués dans la contrée,
il faut citer le D r Crevaux, qui a descendu le Yary et le
Parou en 1877 et 1879, puis Coudreau qui a exploré la région
du haut Trombetas. Le cours inférieur de ces rivières a
été levé par des hydrographes brésiliens, en particulier
par Barbosa Rodrigues. Les immenses régions du contesté
intérieur sont presque entièrement couvertes d'épaisses et
impénétrables forêts vierges qu'entrecoupent des savanes;
c'est l'hylæa de la plaine amazonienne.
f) Quant à l'ethnographie, qui ne rentre pas dans le
cadre de cette étude 2), quelques brèves données suffiront.
Dans tout le contesté, la population est excessivement rare.
Les indigènes appartiennent aux trois grandes familles
indiennes, les Caraïbes, les Arawaks et les Tupis. Dans le
contesté extérieur, la population actuelle est, vraisembla
blement, en majorité 3 ) d'origine brésilienne; à côté des
Brésiliens, on trouve des Portugais, des créoles français,
des métis indiens et des nègres. La proportion de ces
divers éléments n'est pas établie. Les peuplades indiennes
sont de plus en plus refoulées.
g) Les principales ressources sont l'élevage du gros
bétail dans les savanes ; les vastes forêts fournissent du
1) E. Reclus, 1. c , page 129. 2 ) Voi r R . F . , pp. 3, 4, 190, 191. 3 ) R . F . , pp. 186-191, conteste les données fournies par M. B . I, pp.
41-46, sur la population.
54
—- 5 5 —
caoutchouc et des bois utilisés dans l'industrie ; la pêche
est très fructueuse dans la région des lacs du Cap de Nord.
Avec la découverte de l'or, à partir de 1890, a commencé
pour le pays une ère nouvelle ; les territoires aurifères,
jusque là inhabités, ont soudain pris de la valeur, et au
jourd'hui ils constituent le principal foyer d'attraction et
la source la plus importante de richesse. La zone d'exploi
tation de l'or appartient à la région archéenne et embrasse
actuellement le district situé au nord-est du cours supérieur
de l'Araguary, jusqu'à la lisière des terres basses, c'est-
à-dire la région des sources du Jovisá, du Cachipour, du
Counani, du Carsevenne, de l'Amapá et du Tartarougal 1 ) .
2 .
Les frontières revendiquées par les Parties 2 ) .
Les deux parties ont soumis à l'arbitre une représen
tation graphique des frontières qu'elles revendiquent, basée
sur les clauses du traité d'arbitrage du 10 avril 1897
(cartes nos 1 et 2 de M. B . I et cartes n o s 1 et 2 de R. F.) .
Touchant l'admissibilité de ces prétentions, seules les sti
pulations du traité font loi; c'est selon cette règle qu'elles
doivent être examinées, il va de soi qu'il ne s'agit ici que
de la frontière dite intérieure, non de la frontière mari
time ; suivant quelle sera la frontière maritime adoptée,
chacun des Etats présente des revendications différentes
quant à la frontière intérieure.
Il n'y a pas de points spéciaux à relever en ce qui
concerne le tracé que le Brésil donne de la frontière qu'il
1) D'après la carte du D r E. A. Göldi, 1. c. 2) Voi r pour ce chapitre la planche n° 1 des Annexes.
— 5 6 —
réclame. C'est, d'après lui, le parallèle 2° 24' au nord de
l'équateur qui doit, à partir de l'Oyapoc jusqu'au point de
rencontre de la frontière hollandaise, séparer les posses
sions françaises du territoire brésilien. Cette revendication
est claire, nettement indiquée et concorde avec l'article II
du traité d'arbitrage.
L'expression graphique que la France a donnée de ses
revendications n'a pas la même précision. D'après le texte
du traité, la France prétend que la limite intérieure doit
être la ligne qui, partant de la source principale du bras
principal de l 'Araguary, continue par l'ouest parallèlement
à l'Amazone jusqu'à la rencontre de la rive gauche du Rio
Branco. On peut concevoir la question comme un simple
problème de mathématique: étant donnés sur le même plan
un point fixe et une courbe, tracer par le point une ligne
parallèle à la courbe. On voit immédiatement qu'on peut
déplacer la courbe parallèlement à elle-même d'une foule
de manières différentes, tout en observant la condition que,
dans ces déplacements, l'un de ses points coïncide avec
le point donné. Toutes ces solutions sont acceptables, d'où
résulte que la prétention française a un caractère indéter
miné et qu'en tout cas, elle a été formulée dans le traité d'ar
bitrage d'une manière très insuffisante. Les cartes annexées
aux Mémoires des deux parties ont mis ce fait en pleine
lumière. Le Brésil 1) pour représenter graphiquement la
prétention de la France, déplace droit vers le nord la ligne
de l'Amazone jusqu'à ce qu'elle passe par la source de
l 'Araguary; ainsi la surface du contesté intérieur revendiqué
par la France serait réduite à un minimum. Il n'y aurait
là rien de contraire aux termes du compromis, si ce n'était
que la courbe tracée par le Brésil coupe à deux endroits
1) M. B . I, pp. 26-29.
57 -
un territoire étranger. On comprend difficilement pourquoi
le Brésil s'en est tenu à cette ligne frontière qu'il eût
suffi de déplacer de très peu pour remédier à ce défaut et
mettre le tracé à l'abri de toute critique. Dans sa Réplique 1),
la France discute cette construction qu'elle écarte 2 ) . Sa
carte n° 1 présente une rectification de la courbe qu'elle
trace dans l'éventualité admise par le Brésil. Cette ligne
correspond approximativement au territoire maximum qu'il
est possible d'embrasser par le déplacement de la courbe pa
rallèlement à elle-même. Comme cette ligne frontière tracée
par la France est parallèle à l'Amazone, elle doit être consi
dérée comme compatible avec le texte du traité d'arbitrage.
Toutefois l'argumentation par laquelle la R. P., pages
310-312, défend ce tracé ne peut être acceptée, parce
qu'elle n'est pas fondée sur le compromis. Cette construction
est l'une de celles qui peuvent être admises, mais force n'est
pas de considérer comme s'imposant le principe sur lequel
elle est établie. D'autre part, la R. F., page 384, dans son
explication relative à la carte n° 1 de R. F., déclare : « Ce
tracé (c'est-à-dire le tracé de la carte n° 1 de R. F. , rectifiant
celui de la carte n° 3 de M. B . I) ne représente nullement
la prétention française », cela parce que la France ne peut
accepter le dessin que les cartes brésiliennes fournissent
du cours de l'Araguary. Elle prétend qu'il ne peut pas
être fait état des données rapportées sur la position de la
source de l'Araguary par l'expédition de Braga Caval-
cante, entreprise sur l'ordre du gouvernement brésilien, et
ne se tient pas pour liée par les résultats de cette explo
ration, qui ne lui ont pas été communiqués par le Brésil
lors de la conclusion du compromis. Elle considère le cours
1) R . F . , pp. 309 et suiv., 383 et suiv. 2 ) R. F., page 239.
58
supérieur de l 'Araguary, de la Grande Pancada jusqu'à la source du fleuve, comme non encore déterminé et adopte précisément cette chute comme point de départ de la frontière parallèle à l'Amazone. Elle insiste particulièrement sur ce qu'elle a admis comme indubitable, selon l'état des connaissances géographiques acquises au moment de la signature du traité, que, d'une manière générale, l'Araguary supérieur venait de l'ouest, donnée qui est à la base du traité d'arbitrage. Par suite, dit-elle, l'Araguary ne peut servir de frontière que jusqu'au point où commence
- d'aval en amont son coude brusque vers le nord; c'est de là que devrait partir la frontière intérieure pour continuer dans la direction de l'ouest jusqu'au Rio Branco 1 ) .
En présence de la contradiction qui existe entre les opinions des parties au sujet du cours supérieur du haut Araguary, force est de partir de l'hypothèse que la source de l 'Araguary n'est pas encore connue.
Relativement au tracé de la frontière qu'elle revendique à partir de la Grande Pancada, la France s'exprime en ces termes 2 ) . «L'ar t ic le 2 dit que la ligne séparative continue par l'ouest parallèlement à la rivière des Amazones jusqu'à la rencontre de la rive gauche du Rio Branco. Or, si l'on continue la ligne jusqu'au bout parallèlement à la rivière des Amazones, on va aboutir au Rio Negro. Mais c'est au Rio Branco qu'elle doit arriver d'après le texte formel du compromis. Nous avons pensé nous conformer à l'esprit du traité d'arbitrage et tout concilier au prix d'un sacrifice territorial de notre part, en continuant la parallèle le long et à la même distance du Rio Negro, à partir du déversement de ce cours d'eau dans l'Ama-
1) Vo i r ci-dessus page 10, chiffre 2. 2) R . F . , page 388.
5 9
zone. » D'où il résulte que la frontière proposée par la France n'est pas compatible avec les clauses du traité d'arbitrage, selon lesquelles la frontière doit arriver au Rio Branco et non au Rio Negro; le sacrifice territorial que la France voudrait consentir en acceptant une parallèle au Rio Negro n'y saurait rien changer. La R. F., page 385, combattant la conception brésilienne de la prétention française insiste sur ce point: « La ligne réclamée Par nous, dit-elle, doit arriver à ce fleuve (le Rio Branco) sans subir d'interruption ; or l'on ne satisfait pas à cette condition». Mais cela s'applique aussi au projet français. En outre, la ligne que la France , dans sa carte n° 2, revendique comme frontière n'est pas du tout une parallèle à l'Amazone; c'est une courbe graphiquement simple, mais mathématiquement très compliquée, dérivée de la « Ligne de M. de Castries tracée à 15 lieues portugaises de la rive gauche de l'Amazone et du Rio Negro» 1 ) , qui en soi ne répond pas aux exigences du traité. Car, par courbe parallèle, il faut entendre une courbe qui au moyen d'un simple déplacement, doit pouvoir coïncider entièrement avec la courbe primitive; une telle courbe parallèle ne saurait présenter ni les raccourcissements, ni les déformations qu'offre la « Ligne de M. de Castries » qu'il est impossible de faire coïncider avec l'Amazone. Dans ces conjonctures, l'arbitre a pensé devoir tracer lui-même la ligne représentant le maximum de la revendication française. Il résulte du dessin des sinuosités de l'Amazone que le cas le plus favorable pour la France serait une parallèle passant à la fois par la Grande Pancada et l'embouchure du Rio Branco ; mais la construction d'une courbe répondant à ce cas est impossible.
l ) L'ordre royal, du 16 mai 1781, .sur lequel est basée la ligne de M. de Castries, ligure dans R. F . , pp. 153 et suiv.
6 0
L a solution qui s'en rapproche le plus devait donc être
considérée comme représentant le maximum de la revendi
cation française.
il est devenu inutile de décrire cette construction, attendu
qu'elle est écartée par la nouvelle carte (carte rectificative
de la carte n° 2 de R. F.) que la France a produite en
date du 27 juillet 1900 et dans laquelle sont indiquées ses
prétentions définitives touchant la limite intérieure. La re
vendication primitive s'en trouve sensiblement modifiée, ce
qui rend superflue toute réfutation de l'opinion exprimée
en ces termes dans la R. P., pages 13 et 14: « Nous deman
dons effectivement une ligne qui continue parallèlement au
fleuve des Amazones. Ceci implique qu'elle ne peut pas
en être trop éloignée. Une parallèle, et particulièrement
une parallèle sinueuse, ne doit pas, vraisemblablement, et
ne pourrait pas, en fait, être tracée à une trop grande
distance de la ligne dont elle est appelée à reproduire les
détours. » La source de l 'Araguary sert de point de départ;
la France a voulu par là mettre sa frontière exactement
d'accord avec les stipulations du traité d'arbitrage. La nou
velle ligne est conforme à la revendication exprimée dans
le compromis arbitral.
La modification principale que présente la carte recti
ficative française au point de vue géographique consiste
dans l'adjonction du cours supérieur de l'Araguary. D'après
les indications du Brésil, la source de ce fleuve est située
par 2° 35' de latitude nord environ; d'après les indications
de la France, par 1° 20' de latitude nord environ ; la distance
de ces deux points est approximativement de 185 kilomètres.
Il n'est pas nécessaire d'examiner cette divergence, attendu
qu'il ne rentre pas dans la mission de l'arbitre de recher
cher laquelle des deux données se rapproche le plus de
la vérité.
— 61
11 n'y a pas d'observation à faire quant à la délimita
tion septentrionale du territoire contesté par le parallèle
tracé à partir du point extrême — c'est-à-dire, sans doute,
le plus méridional — des montagnes de Acaray jusqu'au
Rio Branco.
Les frontières définitives réclamées par les deux parties
sont tracées sur la carte d'ensemble du territoire contesté
(Annexes, planche n° 1).
62 —
B. EXPOSÉ HISTORIQUE
I. L'Epoque antérieure au traité provisionnel du 4 mars 1700.
a) Aperçu historique général.
1.
Le Portugal et l'Espagne se prévalaient de diverses bulles des papes pour se considérer comme les deux seules puissances ayant des droits sur le nouveau monde.
A l'exemple du pape Nicolas V qui, en 1454, avait attribué à Alphonse V, roi de Portugal, tous les territoires qui, du Cap Non aux Indes, viendraient à être découverts par les Portugais, soit un immense empire oriental, Alexandre V I , immédiatement après les premières découvertes de Christophe Colomb, conféra au roi d'Espagne, par la bulle « Inter cetera» de 1493, la possession exclusive des terres sises à l'occident. Une ligne tirée du pôle nord au pôle sud (linea a polo arctico ad polum antarcticum), distante de 100 lieues à l'ouest des îles du Cap Vert , devait séparer le territoire portugais du territoire espagnol et il était défendu à quiconque sous peine d'excommunication, de mettre le pied sur les îles et les pays nouvellement découverts, même pour y faire le commerce.
— 6 3 —
Portugais et Espagnols étaient bien d'accord pour
exclure toutes les autres puissances, mais leur entente se
trouva menacée par la bulle de 1493. Les Portugais se
tenaient pour lésés ; selon eux, la ligne tracée par le pape
se rapprochait trop de l'Afrique. L'Espagne se montra
accommodante et, en 1494, signa le traité de Tordesillas (Ca
pitulacion de la particion del mar Océano), qui reculait de
270 lieues plus à l'ouest la ligne du pape (linea de demar
cación, vulgairement «la raya», «la ra ie») ; la démarcation
se trouvait ainsi à 370 lieues à l'ouest des îles du Cap
Vert . Le pape approuva le traité en 1506 1 ) .
La nouvelle démarcation fut, toutefois, impuissante à
prévenir les conflits. Elle n'était tracée que sur le papier.
L e traité de Tordesillas stipulait, à la vérité, que des délé
gués portugais et espagnols entreprendraient en commun
une expédition pour compter, vers l'ouest, les 370 lieues
partant des îles du Cap Ver t et fixeraient la frontière des
deux parties du monde attribuées à chacune des puis
sances ; mais cette mensuration ne fut pas faite et la
délimitation resta à l'état de simple conception théorique.
Les Espagnols pouvaient s'en réclamer pour s'annexer tout
le territoire qui, du point frontière à la 370 e lieue, s'éten
dait vers l'ouest à travers 1<S0 degrés de longitude. Or il
arriva qu'en 1521, une expédition espagnole, commandée par
Gonzalo Gomez de Espinosa, doubla au sud le continent
américain et, à travers l'Océan indien, parvint à Tidore,
une des Moluques. Les Portugais connaissaient ces îles
depuis plusieurs années, mais ils en avaient caché la
découverte. L'on vit alors chacune des puissances reven-
1) Voir le texte de la bulle de 1493 et du traité de Tordesillas dans K o c h - S c h ö l l , Histoire des traités de paix, Paris 1817, vol. III, pp. 229 et suiv., 235 et suiv. Conf. H. Harrisse, The diplomatie history of America, London, 1897,
6 4
cliquer les Moluquès, prétendant qu'elles rentraient dans la
partie du monde lui appartenant; tandis que les Portugais
s'attribuaient leurs 180 degrés vers l'est, à partir du point
frontière, à la 370 e lieue, les Espagnols comptaient les leurs
vers l'ouest. L e traité de Saragosse mit fin à la contestation
en 1529. L'Espagne renonça à toute prétention sur les Mo
luquès, moyennant le paiement d'une certaine somme par
le Portugal et les deux puissances prirent comme frontière
théorique une ligne qui, à la distance de 297 ½ lieues à
l'est des Moluques (17 degrés de longitude), devait aller à
travers l'Océan indien du pôle nord au pôle sud.
Malgré cette délimitation, Philippe II s'empara en 1564,
au nom de l'Espagne, de l'archipel des Philippines. En
fait, la frontière de 1529 n'a donc pas été respectée ; mais
il devint inutile d'en discuter, la réunion du Portugal à l'Es
pagne, qui, accomplie en 1580, dura soixante ans, ayant
suspendu tout conflit à ce sujet.
L e mode de démarcation inauguré par la bulle de
1493 avait donc, échoué dans l'Océan indien; qu'en était-il,
pour les terres d'Amérique, du côté de l'Océan atlantique?
Lors de la conclusion du traité de Tordesillas, on
ignorait qu'il existât un continent sud-américain et que les
terres brésiliennes s'étendissent aussi loin vers l'est, sinon
les Espagnols n'eussent pas cédé à si bon compte les 370
lieues aux Portugais.
Ce n'est qu'en 1498 que Christophe Colomb aborda à
l'embouchure de l'Orénoque; deux ans plus tard, Cabrai
ouvrit le Brésil à l'occupation portugaise et, dès 1508, les
Espagnols, en s'emparant de l'isthme de Panama, tenaient
la route qui par terre devait les conduire dans l'Amérique
du Sud.
En principe, les deux puissances maintenaient toujours
la démarcation de Tordesillas. Mais comme rien n'avait
été tenté d'un commun accord en vue de la fixer matériel
lement, on ne pouvait tout au plus la concevoir que sous
une acception très générale: la partie la plus orientale de
l'Amérique du Sud appartient au Portugal, la partie plus à
l'ouest, à l'Espagne ; l'insécurité de la méthode apparaissait
toutes les fois qu'il s'agissait de tracer une frontière.
Aussi, la prise de possession s'effectua-t-elle, dans le
sud de l'Amérique, par l'occupation portugaise de l'est du
Brésil, tandis que les Espagnols pénétraient à l'ouest et au
nord. Entre les terres ainsi occupées s'étendait un pays,
encore inexploré, si vaste qu'aucun contact entre Portugais
et Espagnols n'était à craindre pendant bien des années.
Et c'est ce qui arriva, sauf sur deux points: Dès 1515, les
Espagnols apparurent à l'embouchure du L a Plata, sur la
rive orientale, et, au nord, sur la Tierra firma, Charles-
Quint concéda des terres, non seulement sur le littoral
du Vénézuéla, mais même sur l'Amazone, une fois, il est
vrai, avec la restriction formelle que « si la concession est
dans les limites de la démarcation de Sa Majesté »
Dans le cas particulier, la question des frontières se
posait en ces termes: En étendant ses possessions jusqu'au
L a Plata et jusqu'à l'Amazone, l'Espagne avait-elle dépassé
la démarcation de Tordesillas?
Durant la réunion des deux Couronnes, la question ne
fut pas soulevée; mais, dès que le Portugal eût reconquis
son indépendance (1640), elle fut reprise et atteignit toute
son acuité lors des conflits auxquels donna lieu la posses-
1) Il s'agit de la Capitulacion en faveur de Francisco de Orellana du 13 février 1544. L e passage que nous citons est emprunté à la traduction française de M. B . II, page 4 : «si elle est dans les limites de la démarcation de S a Majesté», dans l 'original: «siendo dentro de los limites de la demarcación de Su Majestad». R . F . , page 28, mentionne la Capitulacion, sans contester l'exactitude de la traduction.
65
- 6 6 —
sion du La Plata. Sur la rive gauche de ce fleuve, les Portugais avaient fondé la colonie de San Sagramento que les Espagnols détruisirent. En 1681, les deux puissances convinrent de neutraliser provisoirement le territoire contesté, sur lequel elles conservaient l'une et l'autre une certaine juridiction 1); elles cherchèrent en outre à aplanir le conflit en appliquant la méthode de Tordesillas. Une commission mixte qui siégea en Estremadure, sur les bords du Caya, entreprit de compter et mesurer les lieues et les degrés sur les cartes, mais elle ne réussit pas à se mettre d'accord, ce qui fut dû surtout à la diversité des cartes, les Espagnols se servant de cartes hollandaises, les Portugais de la carte de Teixeira, ainsi qu'à l'incertitude où l'on était de savoir laquelle des îles du Cap Vert devait être le point de départ 2 ) .
Ici non plus la démarcation de Tordesillas ne put servir.
Lorsque la contestation dut être tranchée par le traité d'Utrecht, la sentence s'inspira, non de la méthode théorique de démarcation, mais de la situation politique générale : la rive nord du La Plata fut attribuée au Portugal; le Portugal avait été, durant la guerre de la succession d'Espagne, l'allié de l'Angleterre et l'Angleterre, à la fin de la lutte, était restée la puissance victorieuse.
La décision n'était toutefois pas définitive; les Espagnols n'en restèrent pas moins sur la rive nord du La Plata.
L e traité de paix de Madrid 3), conclu en 1750, inaugura une ère nouvelle : L e Portugal et l 'Espagne abandonnèrent
1) Koch-Schöll, 1. c , III , pp. 216 et 217. 2 ) Pour les détails, voir Koch-Schöll, 1. c., pp. 218 et suiv. 3) Vo i r le texte complet dans Koch-Schöll, 1. c , p. 273 et suiv. Pièces
justificatives,.n° V .
— 67
solennellement la méthode des lignes, qui avait échoué
dans l'application, et adoptèrent une nouvelle règle aux fins
de déterminer les frontières dans l'Amérique du Sud.
Les deux puissances reconnaissent réciproquement que
«les conquêtes se sont augmentées avec doute et incerti
tude, parce qu'on n'a pas vérifié jusqu'à présent les véri
tables limites de ces domaines, ni le lieu où doit être fixée
la ligne divisoire qui devait être le principe inaltérable de
la démarcation de chaque couronne».
L e Portugal fit ensuite observer à l'Espagne qu'en
occupant les Philippines, elle avait incontestablement
dépassé la frontière qui lui avait été assignée dans l'Océan
Indien, et que cela étant, l'Espagne n'était pas fondée à
reprocher au Portugal ce qu'elle disait être des empié
tements sur le territoire de la « démarcation espagnole »
dans l'Amérique du Sud, que le Portugal était plutôt en
droit de réclamer ailleurs une compensation des usurpa
tions de l'Espagne.
A quoi l'Espagne répondait : « La Couronne de Portugal
a occupé les deux bords de la rivière des Amazones ou du
Marañon, en remontant à la source de la rivière Javari,
qui y entre par le bord austral. » En adoptant même la
mensuration la plus défavorable à l'Espagne, en calculant
370 lieues à partir des îles du Cap Vert, c'est à peine si
la ville de Para serait sur territoire portugais ; c'est pourquoi
tout le bassin des Amazones devrait en réalité appartenir
à l'Espagne.
Tenant compte de ces réclamations réciproques « et
reconnaissant les difficultés et doutes qui embarrasseraient
dans tous les temps cette dispute si on devait la terminer
par le moyen de la démarcation convenue à Tordesillas»,
l'Espagne et le Portugal conviennent d'abandonner le mode
de délimitation jusqu'alors adopté, « de mettre dans l'oubli
— 6 8 —
et ne faire aucun usage de toutes les actions et droits qui
pourraient leur appartenir en vertu des traités de Torde-
sillas ».
Posant en principe le maintien de leurs possessions:
« que chaque partie reste avec ce qu'elle possède actuelle
ment», les deux puissances arrêtent que le mode «principal
et essentiel» selon lequel il sera procédé aux délimitations
dans l'Amérique du Sud, consistera à s'en tenir à des lieux-
connus, non susceptibles d'être confondus avec d'autres
« comme sont la source et le cours des rivières et les
montagnes les plus remarquables ». Ce sont donc les cours
d'eau ou les bassins de cours d'eau marqués par des
chaînes de montagnes qui doivent servir de frontière.
En application de ce principe, les divers articles du
traité stipulent entre autres : Le bassin du L a Plata appar
tient à l'Espagne. Du côté du Brésil portugais, il faut fixer
la frontière « en cherchant en ligne droite le plus haut et
les cimes des montagnes dont les revers descendent d'un
côté . . . et de l'autre côté . . . à la rivière de L a P la t a ;
de sorte que les sommets des montagnes servent de limites
aux domaines des deux couronnes ».
«Tous les revers des montagnes qui descendent audit
lac (Merim) ou à la grande rivière de Saint-Pierre appar
tiendront à Portugal, et à la couronne d'Espagne ceux
qui descendent aux rivières qui vont se rendre dans celle
de L a Plata» (Art. 4).
E t plus loin, ce sont également des cours d'eau ou des bassins de cours d'eau délimités par des montagnes qui forment la frontière.
L e traité suit le même système pour l'Amazone. L e
bassin de ce fleuve appartient au Portugal, tout comme
celui du L a Plata à l 'Espagne «appartiendra à la cou
ronne de Portugal tout ce qu'elle occupe sur le Marañon
»
— 6 9
ou la rivière des Amazones, en remontant, et le terrain
des deux bords de cette rivière » (Art. 3).
En ce qui concerne la délimitation plus précise de ce
territoire du côté des possessions espagnoles, il est stipulé:
L a frontière « descendra le Gabari jusqu'à sa jonction à la
rivière des Amazones ou Marañon. Elle suivra le cours de
celle-ci jusqu'à l'embouchure la plus occidentale de l'Yapura,
qui s'y jette par le bord septentrional » (Art. 8).
« L a frontière continuera par le milieu de la rivière
Yapura, et par les autres rivières qui s'y joignent et qui
pour la plupart se dirigent au nord, jusqu'à rencontrer le
sommet de la chaîne de montagnes qui sépare la rivière
d'Orinocco de celle des Amazones ou Marañon, et suivra
par le sommet de ces montagnes, du côté de l'Orient,
jusqu'où s'étend le domaine de l'une ou l'autre couronne »
(Art. 9).
Donc, lorsqu'il s'agit du territoire de l'Amazone aussi,
la frontière est formée, soit par des cours d'eau, soit par
des chaînes de montagnes qui délimitent les bassins.
Substituant partout à la théorie des lignes une nouvelle
méthode, le traité adopte comme limites soit des cours
d'eau, sur lesquels alors les états limitrophes ont le droit
de libre navigation, soit des bassins de rivières, et dans ce
cas, ces bassins sont marqués par des chaînes de mon
tagnes dont les eaux se jettent dans le fleuve principal ; la
libre navigation n'appartient qu'à une seule des parties
(Art. 18).
Quant au bassin de l'Amazone plus spécialement, il com
prend — comme territoire portugais par conséquent — tout
le pays qui de la Cordillère frontière descend vers l'Ama
zone entre ce fleuve et l'Orénoque : « Pour ce qui concerne
les sommets de la Cordillère, qui doivent servir de limites
entre la rivière des Amazones et l'Orinocco, ils appar-
— 70 -
tiendront à l'Espagne, et tous ceux qui descendront à la rivière des Amazones ou Marañon, appartiendront au Portugal » (Art. 18).
L e traité de 1750 fut abrogé par une nouvelle convention de 1761; le traité de Paris, 1763, en changea les Clauses relatives au pays du L a Plata, cela au profit du Portugal; les traités de San Ildefonso et de Pardo, 1777 et 1778, furent, par contre, favorables à l 'Espagne, mais au cours de ces diverses négociations aucune des deux puissances ne songea à reprendre le système de démarcation adopté a Tordesillas et l'on en resta aux principes établis en 1750.
2 .
Cependant, Espagnols et Portugais avaient depuis longtemps abandonné la théorie qui voulait exclure les tiers des terres transatlantiques.
L 'Espagne y avait renoncé formellement par un des traités de paix qui mirent fin à la guerre de trente ans, le traité de paix particulier qu'en 1648 elle conclut avec la République des Pays-Bas .
Quelques années auparavant, en 1640, le Portugal s'était de vive force séparé de l 'Espagne ; le gouvernement espagnol n'était pas disposé à intervenir en faveur du maintien des possessions portugaises ; il n'avait d'ailleurs pas abandonné tout espoir de reconquérir le Portugal. L 'Espagne entendait garder sa liberté d'action vis-à-vis du Portugal, dont les intérêts n'étaient pas pour la préoccuper. Aussi se montra-t-elle [des plus accommodantes à l'égard des Pays-Bas dans le traité de 1648, confirmant la légitimité de toutes les conquêtes qu'ils avaient faites au détriment du Portugal durant la réunion
— 71 —
1) Koch-Schöll, 1. c. I, page 167.
des deux Couronnes, dans les Indes occidentales et orien
tales, sur les côtes de l'Amérique, de l'Afrique et de l'Asie ;
elle alla jusqu'à déclarer nulle la reprise par le Portugal
de certains territoires qu'il avait perdus dans le Brésil et
à reconnaître d'avance comme justifiées les conquêtes que
les Pays-Bas pourraient faire à l'avenir sur le Portugal en
Amérique et dans les Indes orientales 1 ) .
Onze ans plus tard, en 1659, l'Espagne conclut la paix
avec la France ; on retrouve dans le traité des Pyrénées la
préoccupation de reconquérir le Portugal; la France s'y
engageait à ne pas secourir à l'avenir le Portugal. Il y a
lieu de relever ici que la légitimité des actes de possession
que la France avait pu faire dans les Indes occidentales ne
fut pas reconnue comme cela avait été le cas à l'égard des
Pays-Bas, ce qui semble prouver qu'il n'y avait pas eu
occupation de territoires de par l'état.
Vrai est-il que, lors de la paix de 1661, consacrée par
le traité de 1669, les Portugais ont maintenu, envers les
Pays-Bas, leurs possessions dans le Brésil, mais ils ont en
revanche reconnu la légitimité des conquêtes hollandaises
dans les Indes orientales.
Dès le milieu du X V I I e siècle, l'Espagne et le Portugal
avaient donc renoncé à l'exclusion des tiers.
3.
Dans quelle mesure ces tiers s'étaient-ils soumis au
système d'exclusion et de démarcation adopté par l'Espagne
et le Portugal pour le nouveau monde?
Si l'on fait abstraction des expéditions dans les mers
septentrionales et sur les côtes nord-américaines qui ame-
72 —
nèrent l'expansion anglaise et française dans l'Amérique du
Nord, les puissances coloniales, à l'exception de l 'Espagne
et du Portugal, suivirent la politique que les lignes suivantes
vont résumer :
D'emblée, ce sont trois groupes qui viennent battre
en brèche le système hispano-portugais 1) : des huguenots
français, des Hollandais et des Anglais; ce sont de simples
particuliers et non pas des états. Ils naviguent sur les
mers interdites, font la course, pillent, se livrent à la contre
bande sur les côtes qu'on veut leur fermer. Francis Drake
est le type de ces aventuriers, de ces « loups de mer » 2 ) ,
Drake qui, en 1577, réussit à faire le tour du monde à tra
vers la démarcation tracée par l 'Espagne et le Portugal.
Après que Philippe II eut ouvertement attaqué l'An
gleterre et qu'en 1588 l'Invincible Armada eût été détruite,
l 'Etat libre des Pays-Bas aussi bien que l'Angleterre péné
trèrent comme états dans le monde hispano-portugais
donnant aux pays par eux conquis une organisation gou
vernementale officielle.
Ce sont des gouvernements qui s'attaquent au com
merce et aux colonies de l 'Espagne et du Portugal, alors
réunis en un seul état. En 1600, la Compagnie anglaise
des Indes orientales se constitue avec l'autorisation du
gouvernement qui lui accorde le monopole du commerce
au delà du cap et au delà du détroit de Magellan ; en 1602,
se crée la Compagnie hollandaise des Indes orientales,
1) M. F . I, pp. 150 et suiv. rappelle, au sujet de la démarcation, le mot de François Ier: «qu'on lui montrât l'article du testament d'Adam, qui avait partagé le monde entre les Espagnols et les Portugais et qui en avait exclu les França i s» .
2 ) Nom sous lequel on désigne communément ces navigateurs. Vo i r Green, Geschichte des englischen Volkes . (Traduction de E . Kirchner), Berl in 1889, vol. I, page 492.
— 73 —
dotée de privilèges encore plus étendus. Elle jouit non seulement du monopole du commerce, mais encore de droits politiques qui l'autorisent à conduire, au nom de l'Etat des Pays-Bas, des négociations politiques et à organiser politiquement les établissements dans l'Inde.
Pendant la première moitié du X V I I m c siècle, les Pays-Bas déployèrent une grande activité. En même temps que Hugo Grotius, dans son célèbre Mare liberum (1618), combattait scientifiquement le système d'exclusion adopté par l'Espagne et le Portugal, ils continuèrent lorsque la guerre recommença (1621) à l'expiration de la trêve de douze ans conclue avec l'Espagne, non seulement leurs entreprises dans l'est, mais fondèrent encore dans cette même année 1628 une Compagnie des Indes occidentales autorisée à faire la course contre les Espagnols et les Portugais et à conquérir des terres en Amérique. Entre 1623 et 1638, près de 800 navires furent armés pour la course, qui s'emparèrent de plus de 500 embarcations espagnoles et portugaises, d'une valeur de 90 millions de florins. L a conquête prit surtout le Brésil pour point de mire. En 1624 déjà, San Salvador est au pouvoir des Hollandais, qui durent toutefois abandonner leurs premières conquêtes; mais, en 1630, l'attaque fut reprise et continuée avec une si grande énergie, par le comte Maurice de Nassau notamment, qu'en 1640 toute la côte nord, de San Salvador vers l'embouchure de l'Amazone, appartenait aux Hollandais. Un an après la séparation du Portugal et de l'Espagne (1640), un armistice fut conclu entre le Portugal et les Pays-Bas, sans toutefois que la guerre cessât dans les colonies où les Brésiliens relevant du Portugal réussirent peu à peu à l'emporter sur les Hollandais qu'en 1654 ils avaient complètement chassés du Brési l ; les traités de 1661 et 1669 consacrèrent diplomatiquement leur succès.
— 74 —
Les Pays-Bas conservèrent quelques conquêtes qu'ils avaient faites en dehors du Brésil, dans les Indes occidentales : plusieurs îles du groupe des Petites Antilles, entre autres Curaçao et des établissements dans la Guyane, sur l'Essequibo (depuis 1627), sur le Berbice (depuis 1628), sur le Surinam (depuis 1634). Ce dernier établissement, abandonné de nouveau par les Hollandais, avait été occupé en 1650 par les Anglais ; à la paix de Bréda (1667), il fut rendu aux Pays-Bas.
4.
En Angleterre, c'est Cromwell qui dirigea la politique coloniale vers les Indes orientales et occidentales. L 'acte de navigation de 1651 équivalait à une déclaration par laquelle l 'Angleterre proclamait son droit d'aller chercher elle-même tous les produits des colonies; partant du principe du Mare liberum et de l 'accès libre de toutes les côtes transatlantiques, la consécration de ce droit impliquait un développement actif des colonies et du commerce anglais au delà de l'Océan. Cromwell passa presqu'immédiatement à l'action. En 1655, il fit occuper la Jamaïque.
Par cela le gouvernement anglais mis la main sur l'archipel des Antilles qui, pendant une génération, avait été au pouvoir de corsaires. Ce fut la fin de l'ère des flibustiers ou boucaniers. Des aventuriers anglais, auxquels vinrent se joindre des Français , appelés flibustiers à cause de la légèreté de leurs embarcations, faisaient métier de s'emparer des navires marchands espagnols qui passaient dans ces parages ; ils s'étaient créé des lieux de refuge et des établissements dans celles des Petites Antilles que les Espagnols avaient négligées ; en 1625, des aventuriers anglais et français s'étaient installés à Saint-Chris-
7 5 —
tophe et s'étaient partagé l'île d'un commun accord, tandis que d'autres îles étaient occupées par des groupes de colons exclusivement anglais ou français. C'est ainsi qu'à l'exception des quelques petites îles rocheuses appartenant aux Hollandais, les Petites Antilles se trouvaient partagées entre des particuliers anglais et français ; une colonie d'émigrants français s'établit même dans l'une des Grandes Antilles, sur la côte nord de Saint-Domingue abandonnée par les Espagnols.
L a conquête de la Jamaïque par l'Etat, en 1655, vint modifier le système des prises de possession par des particuliers. Et quand, cinq années plus tard, à l'avènement du Stuart Charles II, commença l'alliance étroite des souverains de France et d'Angleterre, les deux puissances disposèrent de ces propriétés particulières comme de pays appartenant à l'état et, par un acte de partage (1660), elles s'attribuèrent réciproquement les diverses îles ; la France eut la Martinique, la Guadeloupe, etc., l'Angleterre, les Barbades, Antigoa, etc.
C'est la première fois 'officiellement, la France faisait acte de possession dans les Indes occidentales.
5.
Jusque sous le règne de Louis X I V , la participation de l'état français à des entreprises coloniales, surtout sur le territoire de la démarcation hispano-portugaise, est presque nulle et se borne à l'octroi de concessions à quelques particuliers 1). D'abord s'ouvre une longue période durant laquelle
1) Heeren, Geschichte des europäischen Staatensystems und seine
Kolonien, I. Per., I. T., K. 3., page 149, résume l'histoire de ces entre
prises en ces termes : « Sous Richelieu, les entreprises commerciales dans
— 76 —
de simples colons français sont seuls à l'œuvre ; ce sont
en premier lieu, au X V I m e siècle, des huguenots émigrés
qui, fuyant la persécution, s'en sont allés chercher loin de
leur patrie un asile au delà des mers. L'entreprise du vice-
amiral Villegagnon 1 ) se classe au nombre de celles-là.
Villegagnon, grâce à l'appui de Coligny, trouve de
l'argent, deux navires, des soldats, « nobles aventuriers » et
quelque menu peuple ; il quitte la France en 1555, atteint
les côtes du Brésil à l'embouchure du Gambara et bâtit
sur une île le fort Coligny ; au début, dans une lettre à
Coligny, il vante la richesse du pays et réclame de «bons
théologiens de Genève ». Coligny lui en envoya qui avaient
été choisis par Calvin lui-même, avec un renfort de 290
hommes, plus quelques femmes et des enfants. Mais bien
tôt les choses se gâtèrent ; des discussions théologiques,
des mécontentements, la sévérité de Villegagnon firent
qu'une partie des émigrants rentra bientôt en France .
Villegagnon les suivit de près « assez généralement
blâmé » et l'établissement qu'il avait créé ne tarda pas à
disparaître.
Une autre expédition particulière ayant le Brésil pour
but fut celle qu'en 1594 entreprit le capitaine Riffault avec
trois navires qu'il avait armés lui-même. A peine débarqué,
Riffault paraît avoir renoncé à continuer son entreprise ; il
rentra en France sur le seul navire qui lui restait, laissant au
Brésil un certain nombre de ses compagnons, parmi lesquels
Des Vaux . Ce sont eux qui fondèrent sur la Maranhâo un
les Indes orientales n'eurent pas de succès ; en revanche, des particuliers réussirent à s'établir dans plusieurs des îles des Indes occidentales, dont ils conservèrent la propriété. »
1) Voir Biographie universelle, vol. X L I X , article Villegagnon ; M. F . I, page 152; ci-dessous, page 191.
— 77 —
établissement que les Portugais détruisirent peu après ;
les colons français furent tués ou chassés 1).
Les flibustiers français des Antilles constituent un
nouveau groupe de particuliers, dont l'entreprise, acte
d'initiative privée, n'a rien d'officiel. Il est vrai qu'un des
chefs de ces aventuriers, un gentilhomme normand du nom
d'Anambuc se fit autoriser par le gouvernement français,
qui lui conféra le titre de gouverneur de Saint-Christophe;
d'Anambuc décida, en 1626, le cardinal de Richelieu à
accorder à une compagnie que lui, d'Anambuc, avait fondée,
une concession pour les Indes occidentales en qualité de
société commerciale. Mais en 1630 déjà, survinrent les
Espagnols qui reprirent Saint-Christophe. Puis, les posses
sions des flibustiers furent achetées par des particuliers ;
en 1650, un sieur Du Parquet en possédait une partie, en
1651, l'Ordre de Malte en acquit d'autres ; ces acquéreurs
se considéraient comme les maîtres souverains de leurs
possessions.
Sur ces entrefaites, intervint entre la France et l'An
gleterre l'arrangement de 1660, qui répartit les îles entre
les deux puissances; c'est à ce moment que l'intervention
officielle de l'état français commence.
En 1664, Colbert acheta aux particuliers les îles dont
ils étaient propriétaires. îles qu'il incorpora au domaine de
l'état ; entre autres, il paya près d'un million de livres les
cinq possessions de l'Ordre de Malte.
Alors la France parut vouloir regagner tout d'un coup
le temps perdu et édifier à son tour l'œuvre à laquelle
l'Angleterre et surtout les Pays-Bas travaillaient depuis le
commencement du siècle ; dans la même année 1664, Col-
1) Conf. M. F. I, page 154, M. B . L, pp. 65 et 66. L e s mémoires de
1698 et 1699 traitent aussi de l'expédition de Riffault.
— 78 —
bert fonda à la fois la Compagnie des Indes occidentales et la
Compagnie des Indes orientales en leur octroyant les privi
lèges les plus étendus.
6.
L'intervention de la France en Guyane paraît se ratta
cher à son acquisition des Antilles et à la création de la
Compagnie des Indes occidentales. Depuis longtemps des
Français avaient tenté d'y créer des établissements ; c'est
là un nouveau groupement d'entreprises privées dirigées
par des Français 1 ) :
Des marchands de Rouen, qui faisaient le commerce
des bois de teinture, fondèrent une société en 1626 2 ) et
envoyèrent en Guyane une colonie de 26 hommes sous la
direction du sieur de Chantail et du sieur de Chambaut,
son lieutenant ; les émigrants s'établirent sur les bords du
Sinnamarie. Ils furent suivis en 1630 par 50 hommes com
mandés par le capitaine Legrand et en 1633 par 66 hommes
dont le chef était le capitaine Grégoire. L'entreprise fut
loin de prospérer, car en 1643 déjà il ne se trouvait plus
en Guyane que 17 Français 3 ) .
En 1633, des Normands fondèrent une nouvelle société
sous le nom de Compagnie du Cap de Nord; une conces
sion royale octroya à cette Compagnie le monopole du com
merce et de la navigation, de l'Orénoque jusqu'à l'Amazone;
l'entreprise n'eut pas de succès 4 ) .
1) Vo i r les «Mémoires» de 1688, 1698 et 1699, et aussi M. F . I, pp. 6 et suiv., M. B . I, pp. 99 et suiv.; infra, pp. 193 et suiv.
2 ) 1626 d'après le mémoire de 1688, 1624 d'après celui de 1698. 3 ) V o i r R . B . II, page 202, note 8. 4 ) D'après le mémoire de 1688 : « pour faire seuls le commerce et
la navigation de ces pays-là», d'après le mémoire de 1698: «pour faire seuls le commerce de ces pays ».
— 7 9 —
Une autre compagnie, fondée à Rouen en 1640 par
Jacob Bontemps, envoya en 1643 Poncet de Brétigny comme
gouverneur à Cayenne avec 300 hommes. Cet essai de
colonisation échoua complètement, « la mauvaise conduite
de M. de Brétigny et la révolte des sauvages qui en fut
la suite causèrent seules la destruction de la colonie » l ) .
La concession qui avait été accordée à Bontemps fut
révoquée et, en 1651, l'abbé de l'Isle Marivault et le sieur
de Roy ville en obtinrent une qui comprenait « la Ter re
ferme du Cap de Nord en l'Amérique depuis la Riviere
des Amazones, icelle comprise, jusques à la Riviere d'Ore-
noque, icelle pareillement comprise » ; dans ce document,
Louis X I V constate l'échec des essais de colonisation
tentés jusqu'alors en cette contrée par des Français 2 ) .
Une expédition, forte de près de 500 hommes, s'embarqua
sur deux grands vaisseaux, qui abordèrent, le 29 septembre
1652, à Cayenne. La colonie ne put tenir, qu'une année
à peine. « Plus de 400 personnes avaient déjà péri et les
autres étaient réduits à la dernière extrémité, quand, le
11 décembre 1653, deux bâtiments, l'un hollandais et l'autre
anglais, parurent devant Cayenne. L e commandant de
ce dernier offrit au petit nombre de Français qui se
trouvaient dans le fort de Céperon, de les transporter à
Surinam, ce qu'ils acceptèrent avec la plus grande recon
naissance 3)».
En 1663, la Compagnie du Cap de Nord disparaît 4).
M. B . 1, page 102, d'après H. Temaux-Compans, Notice historique
de la Guyane Française, Par is 1S43, page 47; R . B . II , page 205, note 14. 2 ) R . B . II, page 82, d'après les Lettres Patentes de Louis X I V , de
septembre 1651. 3 ) M. B . I, page 103, d'après H. Ternaux-Compans, 1. c , pp. 58-59);
conf. M. F . I, page 160, R. B . II, page 205, note 16, Silva 1, § 88. 4 ) M. F . I, page 161.
— 80 —
Dès lors, le système de la colonisation par l'état fut
appliqué en Guyane aussi; Colbert en fit le plan et, en 1664,
le roi envoya à Cayenne un convoi composé d'environ
1200 laboureurs avec des forces militaires importantes. Un
fonctionnaire royal, Lefebvre de la Bar re , a le com
mandement de l'expédition avec le titre de « gouverneur
et lieutenant-général pour le Roi en l'isle de Cayenne et
terre ferme de l'Amérique » ; il agit selon les instructions
de Colbert, adresse des rapports au gouvernement et reçoit
régulièrement des ordres directs du roi 1 ) .
L'entreprise, qui avait été jointe à la Compagnie des
Indes occidentales, eut à l'origine quelque prospérité ; les Hol
landais furent chassés de Cayenne où fut fondée une colonie
française, mais à la longue, l'établissement périclita, car
après dix ans de durée, la Compagnie des Indes occiden
tales, dont la situation n'avait fait qu'empirer, dut être dis
soute en 1674,
En 1674, Cayenne tomba aux mains des Hollandais et
ne devint possession française stable qu'en 1676 2 ) .
7.
De cette étude générale découlent les résultats ci-après :
1. L 'Espagne et le Portugal, les deux puissances colo
niales premières en date, sont forcés de reconnaître que la
méthode de démarcation suivant les lignes de 1403 et 1494
est impraticable ; ils s'efforcent d'y suppléer en partageant
les territoires de l'Amérique du Sud d'après les frontières
1) Let t res de Louis X I V , par Morelli, Par is 1760, vol. II , page 119. L e roi écrit en date du 27 mai 1665 : « A Monsieur de la Bar re , Lieutenant-Général en Cayenne »: «Vous recevrez ci-joint mes ordres touchant la rivière du Maron et sur quelques autres points ; outre cela, vous verrez encore mes intentions par les dépêches du Sieur Colbert. »
2 ) M. B . II , page 206. Notes 17 et 18. Vo i r infra pp. 130 à 136.
naturelles des diverses contrées; rivières ou bassins de rivières servent de limites. Ces bassins sont bornés eux-mêmes par les versants des montagnes d'où les rivières descendent vers le cours d'eau principal.
2. L e bassin de l'Amazone appartient au Portugal. Les Espagnols n'ont pas revendiqué d'anciennes concessions de Charles-Quint ; en 1750, ils reconnaissent expressément la légitimité de la possession portugaise.
3. Les phases les plus importantes de l'intervention d'autres puissances dans l'empire colonial hispano-portugais sont :
a) Dès 1648, l'Espagne et le Portugal abandonnent le principe de l'exclusion des autres états.
b) Dès le début, des particidiers, au mépris de l'interdiction, pénètrent dans l'empire colonial hispano-portugais ; ce sont des huguenots, des Hollandais, des Anglais.
c) Dès 1588, l'Angleterre et presqu'en même temps qu'elle la Hollande apparaissent, en qualité de puissances, dans les démarcations hispano-portugaises ; elles accordent à des compagnies le droit exclusif de conquérir et coloniser.
d) Du côté français, l'état n'intervient que depuis 1660 et surtout depuis 1664, avec les établissements coloniaux organisés par Colbert.
b) Actes de possession de l'Espagne et du Portugal et donations
faites par ces pays.
1.
Après qu'en 1498, Christophe Colomb eût découvert, près de Paria, le continent sud-américain, de nombreux navigateurs espagnols, pour la plupart anciens compagnons de Colomb, entreprirent de nouvelles explorations sur ce territoire.
6
81
— 8 2 —
C'est ainsi qu'en 1499 Alonso de Hojeda arriva à Paria
avec Juan de la Cosa et Amerigo Vespucci. Partis « des
environs de l'équateur » »), ils avaient longé 200 lieues de
côte jusqu'à Paria, ayant par conséquent découvert 200
lieues du littoral de la Guyane, comptées de Paria dans la
direction du sud-est. En juin 1500, ils étaient de retour
dans leur patrie 2 ) .
Ce voyage précéda l'expédition de Vicente Yañez
Pinzón 3 ) , un marin expérimenté, originaire de Palos, qui
avait participé à la première grande découverte de
Colomb 4 ) ; son compatriote Diego de Lepe le suivit immé
diatement. Au commencement de décembre 1499, Vicente
Yañez Pinzón partit de Palos avec 4 navires. Il aborda le
littoral sud-américain à un endroit qu'il appela Santa Maria
de la Consolacion et qu'il connut plus tard sous le nom
de Cap Saint-Augustin 5 ) . Il admit que cet endroit rentrait
dans la démarcation portugaise, calculant les 370 lieues et
1) Navarrete, Coleccion de los viages et descubrimientos que hicieron por mar los Españoles. Madrid, 1829, t. III , p. 5 et p. 167: « casi doscientas leguas desde de cercanias del ecuador ».
2 ) Ibidem, pp. 10 et 168. 3 ) T e l est intégralement le nom que donnent les pièces officielles espa
gnoles (p. ex. la donation de 1501, M. B . II, page 2 ; l 'acte du 23 septembre 1519, dans Navarrete, 1. c , III , page 145) ; on trouve aussi l'abréviation, officielle, (donation de 1501) Vicente Yañez , ainsi que les variantes et abréviations que voici : Vicenti Añes Pinzon, Vicenti Añes, Vicenti-añes (voir les dépositions des témoins dans le procès de Colomb, Navarrete, 1. c , III, pp. 547 et suiv.). L a forme latine chez Petrus Martyr ab Angleria, De rebus Oceanicis et Orbo novo decades tres (édition de Bâ le de 1533) est : Vincentius Annez (Dec. II, lib. V I I , fol. 16 et lib. V I I I , fol. 39) et Vincentiagnes cognomento Pinzonus (ibid. Dec . I, lib. I X , fol. 20). Vo i r M. F . I, pp. 240 et 241.
4 ) Conf. l 'Exposé géographique. 6 ) R . B . I, page 25, conteste que le Cap Santa Maria de la Conso
lacion et le Cap Saint-Augustin soient identiques.
— 8 3 —
traçant la ligne frontière selon la méthode à laquelle, en 1495, Jaime Ferrer avait eu recours et que, par ordre du roi, tous les marins espagnols devaient appliquer 1 ) . Il découvrit par conséquent le Brésil pour le roi de Portugal 2 ) . En effet, bien qu'on ne puisse pas fixer avec une certitude absolue la date de l'arrivée de Vicente Yañez Pinzón au Cap Santa Maria de la Consolacion, il est constant qu'il y atterrit près du 1 e r février 1500, donc plusieurs mois avant la découverte du Brésil par Cabrai 3 ) .
Vicente Yañez Pinzon, qui considérait le Cap Santa Maria de la Consolacion comme terre portugaise, n'a pu par conséquent faire là aucun acte de possession au nom du roi d'Espagne ; il s'en retourna, longea la côte et au
1) Voi r infra, page 90. 2 ) Dans sa déposition lors du procès de Colomb, Vicente Yañez
Pinzon en personne affirma (le 21 mars 1513) : « que descubrió desde
el cabo de Consolacion, que es en la parte de Portugal » (qu'il avait
découvert à partir du Cap Consolacion, qui est dans la partie (la dé
marcation) du Portugal, Navarrete, 1. c. III, page 547) ; d'autres dépo
sitions ont confirmé celle-là. Une communication de Pierre Martyr cor
robore ces dires : « Intra jactam lineam (sc. Alexandri V I ) , licet negent
nonnulli, cadit ejus terrae cuspis saneti Augustini Caput appellata. Prop-
terea non licet Castellami figere pedem in ejus terrae initio. Regressus
ergo inde est Vicentius Annez... » (1. c. Dec. II, lib. VI I I , fol. 39). L a dona
tion de 1501 (M. B . II, page 2) prouve que V . Y . Pinzon a donné à ce lieu
le nom de Santa Maria de la Consolacion. 3 ) L a relation italienne sur les Paesi novamente retrovati (Vicenza
1507, Milan 1508 et 1519) donne la date du 20 janvier 1500, Pierre Martyr
celle du 26 janvier. A supposer que, dans ce cas, selon l'usage d'alors, le
nom donné à la côte découverte ait été celui du saint du jour, la fête
de Marie, soit le 2 février, correspondrait le mieux à la dénomination
Santa Maria de la Consolacion ; ce serait donc au 2 février qu'il faudrait
fixer la découverte du Cap Santa Maria de la Consolacion et du Brésil
par conséquent. Voir Ruge, Die Entwickelung der Kartographie von
Amerika bis 1570, Gotha, 1893, page 9.
Cabrai est arrivé en vue des côtes du Brésil le 24 avril (d'après
Navarrete, 1. c. III, page 19, note).
— 8 4 —
premier point où il atterrit, à Rostro hermoso, il prit possession au nom de son roi 1 ) . Pour marquer la prise de
possession, il planta des croix de bois. Dans la suite de
son expédition, il en érigea encore sur « plusieurs points
principaux » ; outre les croix de bois, il planta aussi des
« cruces de maderos » 2 ) .
1) L e Rostro hermoso ne coïncide pas avec le Cap Santa Maria de la Consolacion ; la capitulation de 1501 (M. B . II , page 3) dit : « desde la dicha punta de San ta Maria de la Consolacion seguiendo la costa fasta Rostro hermoso», «de la pointe Santa Maria de la Consolacion le long de la côte jusqu'à Rostro hermoso ». Dans leur déposition lors du procès de Colomb, plusieurs témoins ont décrit le débarquement à Rostro hermoso et l'occupation qui en eut lieu, notamment le médecin Garcia Hernández, qui était présent en qualité de notaire royal (escribano de S. A.) , disait entre autres : « pusieron nombre alli donde tocaron este dia Rostro-hermoso, el dia que la dicha tierra se descubrió », « ils donnèrent à ce lieu un nom qui se rapportait au jour de Rostro hermoso où ledit pays fut découvert ». Il est probable que, par ce jour de Rostro hermoso (de la belle figure), on entendait le jour de Sancta facies, de veronikon ; les Ac ta Sanctorum (de Bollandus et Henschen) indiquent en effet le 4 février comme étant la fête de Sainte-Véronique. Ils citent un hymne qui commence ainsi : « Salve Sancta facies | Nostri Redemptoris In qua nitet species | Divini splendoris | .... O felix figura», etc. Hefele, dans Wetze r et W e l t e , Kirchenlexikon II, page 523, fait observer : « L e s savants du moyen âge ne parlent pas d'une Sainte-Véronique, c'est l 'image qu'ils nomment ainsi. » Puis après le Cap Santa Maria de la Consolacion du 2 février, on aurait le Rostro hermoso du 4 février. E n ce qui concerne la continuation du voyage, Harrisse (cité dans R . B . I, page 26) Diplomatic History of Amerika, page 113, suppose que ce fut le 25 mars, fête de l'Annonciation, qu'eût lieu la découverte de San ta Maria de la Mar Dulce, et da Silva attribue la dénomination du Cap de San Vincenz au fait qu'il fut découvert le 5 avril, fête de Saint-Vincent. (Silva II, page 391.)
S u r la carte de Juan de la Cosa le point d'atterrissage à Rostro hermoso est marqué d'une manière très apparente par un navire attaché au rivage.
2 ) A u dire du témoin Hernandez Calmenero : « en algunos principales lugares hacian cruces en señal de posesion e poniendo otras cruces de maderos ». Navarrete, 1. c. III, page 551.
— 8 5 —
Naviguant dans la direction du nord-ouest, Y . Y.
Pinzon arriva à la Mar-Dulce, l'embouchure du grand
fleuve, et au « pays (provincia) qui s'appelle Paricura » ; de
là, il longea la côte jusqu'au golfe de Paria. L e 23 juin,
il aborda à Saint-Domingue et fut de retour à Palos le
30 septembre.
Son expédition eut pour résultats principaux la décou
verte d'un point du littoral du Brésil portugais et la prise
de possession, au nom de l'Espagne, de terres adjacentes.
V . Y . Pinzon fut donc le premier qui, sur cette côte, dis
tingua entre territoire portugais et territoire espagnol. Le
premier endroit qu'il désigna formellement comme rentrant
dans la démarcation espagnole fut Rostro hermoso, à l'est
de l'embouchure de l'Amazone. Puis, il découvrit le grand
fleuve de Mar-Dulce.
Les diverses personnes qui prirent part à l'expédition
fixèrent de 600 à 800 lieues la longueur de la côte qui fut re
connue du Cap Santa Maria de la Consolacion jusqu'à Paria ;
Vicente Yañez Pinzon estimait la distance à 600 lieues
C'est cette dernière donnée qu'admirent le roi Ferdinand
et la reine Isabelle dans l'acte qui le premier a rattaché une
conséquence politique à la nouvelle découverte. L a «Ca
pitulación de Vicente Yañez», du 5 septembre 1501, dit
entre autres 2 ) :
1) D'après la « Real provision » en faveur de Vicente Yañez Pinzon et de ses neveux, du 5 décembre 1500, où il est dit d'eux qu'il ont rapporté avoir découvert « seiscentas leguas de tierra firme » ; Navarrete, 1. c. III, page 82.
2 ) M. B . II, pp. 1 et suiv., donne le texte espagnol et une traduction française de la donation qui se trouve aux « Archivo de Indias » à Sévil le; Varnhagen dans le tome X X I I de la Revista do Instituto Historico et Geographico do Brasi l et da Silva, 1. c. II, pp. 423 et suiv. et le tome X X X des Documentos ineditos de Indias ont publié la pièce. Nous reproduisons la traduction du mémoire du Brésil ; conf. M. F . I, p. 241.
8 6 —
« L e Roi et L a Reine. — L e contrat qui par notre ordre a été passé avec vous Vicente Yañez Pinzon au sujet des Iles et de la Te r re Fe rme que vous avez découvertes établit ce qui suit :
«Premièrement, que, attendu que vous, le susdit V i cente Yañez Pinzon, domicilié au bourg de Palos, muni de notre permission et de nos pouvoirs, à vos frais et de votre gré, accompagné de plusieurs personnes, de vos parents et de vos amis, vous êtes allé faire des découvertes sur la Mer Océane, du côté des Indes, où à l'aide de Dieu Notre Seigneur, et par votre habileté, votre travail et vos efforts, vous avez découvert certaines îles et des terres continentales auxquelles vous avez donné les noms suivants: Santa Maria de la Consolación et Rostro hermoso ; et que de là vous avez longé la côte qui va vers le Nord-ouest jusqu'au grand fleuve que vous avez nommé Santa Maria de la Mar-Dulce, et, toujours vers le Nordouest, tout le long de la terre jusqu'au Cap de San Vicente ; et que pour découvrir et trouver ce même pays, étant à notre service, vous avez mis vos personnes en grand risque et danger... en rémunération de vos services et des dépenses et des pertes que vous avez eues par suite de ce voyage, vous, le susdit Vicente Yañez, aussi longtemps que ce sera notre volonté de maintenir cette gracieuseté, vous serez notre Capitaine et Gouverneur des susdites terres, ci-dessus nommées, de la susdite pointe de Santa Maria de la Consolacion, le long de la côte, jusqu'à Rostro hermoso, et, de là, de toute la côte qui va au Nordouest jusqu'au susdit fleuve que vous a v e z nommé Santa Maria de la Mar-Dulce avec les îles qui se trouvent à l'embouchure du susdit fleuve qui s'appelle Marinatambalo lequel emploi et charge de Capitaine et Gouverneur vous pourrez tenir et exercer , et vous tiendrez et vous exercerez par
— 87 —
vous même et par toute personne à laquelle vous aurez délégué vos pouvoirs » . . .
Il résulte de la donation royale ce qui suit :
1. Il est officiellement constaté que c'est Vicente Yañez Pinzon, le découvreur, qui a donné leur nom aux points principaux de la côte — Santa Maria de la Consolacion, Rostro hermoso, Santa Maria de la Mar-Dulce, Cap de San Vicente.
2. Le territoire dont V . Y . Pinzon est nommé « Capitaine et Gouverneur » a pour frontières « la Pointe de Santa Maria de la Consolacion » vers le sud-est et « le fleuve Santa Maria de la Mar-Dulce » vers le nord-ouest. L a capitainerie s'étend de l'endroit que Pinzon estimait être sur terre portugaise, c'est-à-dire de la frontière du Brésil portugais jusqu'au fleuve des Amazones.
3. Comme frontières du territoire que la donation qualifie de « territoire découvert » (« pour découvrir et trouver ce même pays »), sont mentionnés : Santa Maria de la Consolacion au sud-est et Cap de San Vicente au nord-ouest 1 ) .
De ces faits découlent les développements ci-après : 1. Les dénominations que Vicente Yañez Pinzon avait
données à divers points de la côte ne subsistèrent pas. L e nom de Santa Maria de la Consolacion disparaît, celui de Rostro hermoso se retrouve une fois encore lors du procès de Colomb dans les dépositions des témoins relatives au voyage de Vicente Yañez Pinzon ; un des témoins le rattache même par erreur à l'expédition de
1) L e fait que la donation ne prolonge, pas la côte découverte jusqu'à Paria peut être attribué à ce que Hojeda avait déjà découvert une partie du littoral devant Paria, de sorte que cette partie-là fut exclue du territoire découvert par V . Y . Pinzon. (Voir ci-dessus, page 81, note 1.)
— 88
Diego de Lepe 1 ) . Au fleuve de la Mar-Dulce, l'autorité de
Pierre Martyr 2 ) fait qu'on substitue le Marañon, et les
témoins entendus dans le procès de Colomb se servent de
cette même dénomination 3 ) . L e nom de Cap de San Vicente
disparaît également.
Si la nomenclature adoptée par Pinzon ne s'est pas
imposée, cela est dû à ce que Diego de Lepe et lui ont
exploré la même région. Vicente Yañez Pinzon n'a précédé
Lepe que de quelques semaines, voire de quelques jours 4 ) ,
mais il ne revint à Palos que le 30 septembre ; Diego de
Lepe l'y avait devancé 5 ) . A cette époque, Juan de la Cosa
travaillait à sa carte des terres nouvellement découvertes
en Amérique (A. B I, n° 1) qu'il a dû terminer en octobre
1500 au plus tard, puisque c'est ce mois-là qu'il quitta le
domicile d'où la carte est datée. 6) Il pouvait donc mettre
1) Déposition de Luis de Val le , citée par Navarrete, 1. c. III , p. 554. De là aussi l'indication erronée reproduite par Navarrete lui-même (ibidem, page 23). *
S i la dénomination Rostro hermoso demeure sur les cartes, ce n'est que modifiée ; Rostro disparaît et de hermoso, on fait humos, par mégarde, sans doute. Vo i r ci-dessous, page 93.
2 ) Il dit 1. c. Dec . II, lib. I X , fol. 40 : « Maragnonum appellant hune fluvium incolae, adjacentes autem regiones Mariatambal, Camamorum et Paricoram » ; et il se sert de ce nom dans le rapport sur le voyage de Vicente Yañez Pinzon déjà : « in fluvium se inquiunt incidisse, nomine Maragnonium » (ibidem, Dec . I, lib. I X , fol. 21). On lit dans une lettre de Pier re Martyr, du 18 décembre 1513 : « Fluminis est nomen patrium Ma-ragnonus », Silva, I, page 441. Conf. M. B . I, pp. 47-50.
3) Navarrete, 1. c. III , pp. 553 et suiv. 4) D'après le compte-rendu du procès de Colomb (Navarrete, 1. c. I I I ,
p. 553) Lepe et ses compagnons ont donné à une baie située à l'est de l'embouchure de l 'Amazone le nom de Santa Jul ia ; d'après le calendrier d'Enciso, la fête de Santa Jul iana tombe sur le 10 février.
6) Navarrete, 1. c. I I I , pp. 23 et suiv. 6) Silva, II , page 384.
— 8 9 —
à profit un plus grand nombre de données sur l'expédition de Lepe que sur le voyage de V . Y . Pinzon Pour la confection de sa carte, de la Cosa a subi en première ligne l'influence de Lepe, non celle de Pinzon. De même, on peut admettre que les indications de Lepe surtout ont servi de base à André Morales pour établir sa carte 2 ) .
Au dire de Pierre Martyr, ces deux cartes précisément étaient fort appréciées 3 ) .
Ainsi les premières cartes qui avaient acquis de la réputation ne tinrent pas suffisamment compte des découvertes de V . V. Pinzon.
Par ordonnance royale du 6 août 1508 4) il fut institué à Séville, auprès de la Casa de Contratacion de las Indias, fondée en 1503, un bureau cartographique central qui eut pour mandat d'établir une carte officielle — un « Padron real » — qui devait être tenue à jour ; la direction du service fut confiée à Amerigo Vespucci, qui reçut le titre de « Piloto-Mayor » ; Jean Diaz de Solis et Vicente Yañez Pinzon faisaient partie de la commission des pilotes royaux 5 ) qui l'assista. Cette situation permit à Pinzon de « faire insérer dans le
1) C'est vraisemblablement en suite des indications de V . Y . Pinzon
que figurent sur la carte la G. de St . MJa (Santa Maria de la Mar-Dulce),
ainsi que le P. fermoso (Rostro hermoso) et peut-être aussi la tierra de
S. Anbrosio. Conf. M. F . I, page 246, note 2. 2 ) Déposition d'André Morales lors du procès de Colomb, Navarrete,
1. c. III, page 552. 3) L . c , Dec. II, lib. X , fol. 40. Il parle de « navigatoria membrana »
des Castillans, qui croient savoir mesurer des contrées et des côtes, et
continue : « E x omnibus commendatiores servant, quos Joannes ille de la
Cossa, Fogedae comes... aediderat, et gubernator alius navium, nomine
Andreas Morales. » Conf. M. F . I, pp. 245, 246. 4 ) R . B . L, pp. 47 et suiv., donne un passage de cette ordonnance. 5 ) Voir la relation que donne de ces faits M. F . I, pp. 246-249, repro
duite textuellement et approuvée par R . B . L, pp. 44 et suiv.
«
9 0
Padron real» des données qu'il rapportait de son voyage Et comme le « Padron » devait aussi assigner leur nom aux diverses localités, on peut admettre qu'il fut tenu compte des données fournies par Pinzon lorsqu'il s'est agi de fixer la nomenclature officielle ; alors même que les dénominations qu'il avait adoptées n'ont pas été reprises, son nom n'en figure pas moins sur les cartes.
L e nom de son collègue Diaz de Solis avait été donné au L a Plata 2 ) , celui de Vicente Yañez Pinzon fut assigné à un fleuve de la côte qu'il avait découverte.
Les noms de la donation de 1501 ont disparu, mais, dans la carte officielle de 1536, la rivière de Vicente Pinçon fait son apparition sur la même partie de la côte où figurait le Cabo de San Vicente de la donation.
2. V . Y . Pinzon ne semble pas avoir jamais administré la capitainerie créée par la donation de 1501 et embrassant le territoire situé entre le fleuve Santa Maria de la Mar-Dulce et la Punta de Santa Maria de la Consolacion. En tout cas, le gouvernement espagnol de son côté ne l'a pas maintenue. Grâce au manque de précision des règles à appliquer, la démarcation du côté du Brésil portugais avança quelque temps toujours plus vers le nord-ouest de la capitainerie de V . Y. Pinzon. Déjà Pierre Martyr d'Angleria dit dans son ouvrage, qui n'a paru qu'en 1516, mais qui reproduit une série d'études antérieures, le De rébus Oceanicis et Orbo novo 3 ) , qu'on n'admettait pas sans conteste que le Cap Saint-Augustin appartînt à la démarcation portugaise.
1) Déposition de Pedro de Ledesma lors du procès de Colomb, citée d'après Harrisse, Discovery of North America, page 416, dans M. F . I, page 245, note 2.
2 ) M. F . I, page 248, note 2. 3 ) L . c , Dec . II, lib. V I I I , fol. 39 : «Intra jactam lineam, licet negent
nonnulli, cadit ejus terrae cuspis Sancti Augustini Caput appellata. »
— 91
Voici d'où provenait cette incertitude: En 1495 déjà Jaime Ferrer avait, sur l'ordre du roi Ferdinand et de la reine Isabelle, tenté de mesurer les 370 lieues sur la mappemonde et la carte ; c'était la première fois qu'on cherchait à fixer matériellement la démarcation. D'après le calcul de Harrisse, la démarcation est à 75 lieues à l'est de Maranhão, à 10 lieues à l'ouest du Paranahyba, donc en tout cas à l'est de l'embouchure de l'Amazone. Or, à teneur d'une ordonnance royale, la démarcation devait figurer sur les cartes marines 1). Il a, par conséquent, fallu qu'elle servît de règle à V . Y . Pinzon, ainsi que nous en avons fait la remarque ci-dessus, page 82, quand il attribua son Cap de la Consolacion (Cap Saint-Augustin) au domaine portugais et qu'étant près de Rostro hermoso, il croyait se trouver dans la démarcation espagnole. L a concession de 1501 part de la même donnée.
En 1519, l'espagnol Enciso exposait dans la « Suma de geographia » 2 ) adressée à Charles-Quint : « Puisque Votre Altesse et le roi de Portugal se sont partagé le globe terrestre et que la frontière, où commence la ligne de partage, est à 370 lieues à l'ouest de l'île Fuego, lieues qui prennent fin sur le continent indien entre le fleuve Maranõ qui se trouve au sud-ouest de l'île Fuego avec une incli-
1) Harrisse, The Diplomatie History of America, 1. c , pp. 91 et suiv. 2 ) Suma de geographia q trata de todas las partidas y provincias
del mundo : en especial del arte del marear : Juntam te con la esphera en romãce : con el regimieto del Sol del Norte ; nueuamente hecha. Con preuilegio real.
Fue impressa en la nobilissima muy leal ciudad de Seuilla por Jacobo Crôberger allemã en el año d' la encarnacion de nuestro senor de mil e quinientos dies nueue.
L e nom de l'auteur (Martin Fernãdez de Enciso) se trouve dans le privilège royal, daté de Saragosse, le 5 septembre 1518; au verso du titre. Conf. pour le surplus Harrisse, 1. c , pp. 103 et suiv.
— 9 2 —
naison de près d'un quart vers le sud, et la Mar-Dulce, il faut que Vot re Altesse sache que de cette frontière proche de la Mar-Dulce, où le partage commence en conformité dit traité, il y a 2270 lieues jusqu'à Malaca ; et à 200 lieues au delà de Malaca est la frontière du lot du roi de Portugal, et sur cette frontière se trouve l'embouchure du Gange et à l'embouchure du Gange commence le lot de Vot re Altesse, qui commence au Gange.... » 1 ) .
Enciso place par conséquent la ligne de démarcation entre « Marañon et Mar-Dulce » et « à proximité de la Mar-Dulce». Cela impliquait un déplacement important en faveur du Portugal ; Enciso en effet évalue lui-même la distance entre le Cap Saint-Augustin jusqu'au Marañon à 300 lieues (il compte 16 2/3 lieues pour un degré) et la distance entre le Marañon jusqu'à la Mar Dulce à 25 lieues 2 ) .
Au congrès cosmographique de Badajoz et Elvas en 1524, à cette « Junta de la Raya » (Commission chargée de fixer la frontière) qui avait pour mandat d'attribuer les Moniques à l'une des deux puissances, les délégués por-
1) « E porque Vuestra Alteza tiene fecha particiò del Vniverso con el Rey de Portugal y el limite de do comiëça la particion esta treziètas e settêta leguas al poniête de la isla del Fuego, las qles vã a star en la tierra firme de las Indias entre el rio Maraño q esta al Suoueste de la isla del Fuego : y algo inclinado a la quarta del Sur y entre la Mar Dulce : ha de saber Vrã Alteza que desde este limite q esta acerca de la Mar Dulce a do comiêça la particiò segun la capituladõ fasta a Malaca ay dos mil y seteciètas y setëta leguas se acaba el limite de lo del Rey-de Portugal, y al fin deste limite esta la boca del rio Ganjes, y en la boca del Ganjes comiëça lo de Vrã Alteza: lo q comiëça en el Ganjes...», ibidem verso du 2" feuillet de avj.
2) Ibidem feuillet guij verso ; l'indication du nombre de lieues comprises dans un degré, au verso du 2 e feuillet de avj. Nous n'examinons pas ici la question de savoir si le Marañon d'Enciso est la baie de Ma-ranhào (comme l'admet Harrisse, 1. c , pp. 119 et suiv.) ou le bras du P a r a (selon da Silva, I, page 438).
— 93 -
tugais déterminèrent la situation de la ligne de démarca
tion à peu près comme l'avait fait l'espagnol Enciso en 1519.
D'après l'historien espagnol Herrera 1), les « Procureurs de
Portugal » établirent leurs indications cartographiques « en
posant la ligne de partage vers la partie Occidentale qui
passe par la bouche de la rivière Marañon et laissant
toute la bouche à la partie Orientale ».
L'Espagne de son côté s'appliquait alors à déplacer la
démarcation des Portugais encore plus à l'ouest que ne le
désirait le Portugal lui-même. Car les Espagnols visaient les
Moluques et pour repousser les prétentions portugaises du
côté de l'est, force leur était de chercher à arriver le plus
loin possible vers l'ouest avec les 180 degrés portugais,
c'est-à-dire qu'il leur fallait ajouter au domaine portugais
sur le littoral du sud de l'Amérique ce qu'ils en ôtaient à
l'est. C'est pourquoi ils demandaient qu'on comptât les
370 lieues des Portugais à partir de celle des Iles du Cap
Ver t située le plus à l'ouest, l'île de San Antonio, tandis
que les Portugais entendaient rester plus à l'est et compter
à partir de l'île de la Sal 2 ) .
Si les Portugais en appliquant leur propre mensuration
arrivaient au Marañon en partant de l'île de la Sal, ils
devaient en partant de San Antonio, selon le mode de
mensuration réclamé par l'Espagne, gagner au delà du
Marañon, vers le nord-ouest, encore plus de territoire ; en
d'autres termes, la démarcation se déplaçait davantage vers
le territoire au nord de l'Amazone. Toutefois, Fernand
Colomb, qui était un des délégués espagnols à la conférence,
déclara expressément qu'avec le système des mensurations
1) Cité par Silva, I, page 437. 2) Rapport des astronomes et pilotes espagnols, de 1524, dans Na-
varrete, 1. c. I V , pp. 343 et suiv.
— 9 4 —
il était impossible d'arriver à fixer la démarcation et
qu'on n'aboutirait qu'au moyen d'une entente amiable « à
déterminer et figurer le commencement et la fin de ladite
démarcation »
L'entente n'intervint pas en 1524 et même le traité de
Saragosse de 1529 ne contient aucune clause relative à la
frontière de l'Amérique du Sud 2 ) .
Ce traité obligeait les Espagnols à abandonner les
Moluques aux Portugais ; aussi les premiers n'avaient-ils
plus aucun motif de céder aux seconds des terres dans
l'Amérique du Sud. E t c'est pourquoi le Padron real de
1536 (Chaves-Oviedo) déplace la frontière à l'est de l'Ama
zone, vers le Cap Humos.
L e Padron real de 1536 adopte la démarcation de
Ferrer , de 1495, à laquelle s'était conformé Vicente Yañez
Pinzon et que consacrait probablement aussi le Padron real
de 1508. Pour V . Y. Pinzon, Rostro hermoso est le pre
mier point marqué dans la démarcation espagnole, de même
pour Juan de la Cosa, où l'on lit P. fermoso (soit hermoso,
le f et le h ayant la même valeur). Dans le Padron real
de Chaves, le Cap Humos est le point-frontière. Comme la
démarcation de Chaves se reporte à l'ancienne démarcation,
que par conséquent la démarcation au Cap Humos provient
de la démarcation à Rostro hermoso ou P. hermoso, on
peut bien admettre que humos n'est qu'une altération qui
a pu facilement se produire : dans hermos(o), u est venu
remplacer er.
L a conférence de 1524 eut pour résultat que l 'Espagne
1) Rapport de Hernando Colon du 13 avril 1524 dans Navarrete, 1. c. I V , pp. 333 et suiv.
2 ) Vo i r le traité in extenso dans Navarrete, 1. c. I V , pp. 389 et suiv.
— 9 5 —
ne s'opposa pas à ce que la démarcation fût déplacée vers
le nord-ouest.
Des donations faites par Charles-Quint à partir de
1524 prouvent que le gouvernement espagnol, dans ses déli
mitations, ne dépassait plus, comme il l'avait fait en 1501,
le Marañon au sud 1 ) :
Le 20 mai 1530, Charles-Quint comme roi d'Espagne
fit à Diego de Ordaz une donation « avec les pouvoirs
nécessaires pour conquérir et peupler les terres qui se
trouvent dans le rio Marañon jusqu'au Cap de Vela, dans
le Gouvernement des Allemands, ce qui fait quelque deux
cents lieues ». Ce Gouvernement des Allemands est incon
testablement le Vénézuéla qu'en 1528 Charles-Quint avait
donné en fief à la famille des Welser d'Augsbourg. Une
autre Lettre royale du même jour nomme Diego de Ordaz
capitaine général de ces mêmes pays. Et en 1552, Charles-
Quint autorise encore Jeronymo de Aguayo à « explorer
et peupler » les provinces qui s'étendent de l'embouchure
du « Rio de Orellana autrement nommé de Las Amazo
nas » jusqu'à l'Orénoque.
Dans ces concessions de territoire vénézuélien jusqu'à
l'Orénoque, Charles-Quint posait comme règle que les
terres concédées se trouvaient sur le côté espagnol de la
limite de Tordesillas. Quand, en 1544, une de ces donations
comprit des terres au-delà de l'Amazone, il fit la réserve
que le concessionnaire, Francesco de Orellana, pouvait
occuper la rive de l'Amazone « si elle est dans les limites
de la démarcation de Sa Majesté » 2 ) .
Philippe II, à son tour, par une «Capitulación» de 1559
autorisa Diego de Vargas à occuper le « Rio Marañon ou
1) Voi r des passages de la donation dans M. B . II, pp. 3 et suiv. 2) M. B . II, page 4.
9 6
Nueva Andalucias » et, en 1568, il donna à Diego Hernandez
de Serpa l'autorisation « d'explorer et peupler la province
de Guyane et Cauria, laquelle formerait un gouvernement
et serait nommée la Nouvelle Andalousie », et dont les
frontières devaient être le bassin du cours inférieur de
l'Amazone et l'Orénoque 1).
Le Portugal n'attachait pas une grande importance à
la conquête de ces territoires, ni par conséquent à la
démarcation; il suivait la même ligne de conduite que les
délégués espagnols en 1524. D'une manière générale, le
gouvernement portugais ne s'occupait guère du Brésil,
abandonnant la colonisation à des particuliers auxquels il
concédait de vastes territoires. Il vouait presque toute sa
sollicitude à l'Inde orientale, réputée beaucoup plus riche 2 ) .
On rapporte toutefois que le Portugais Martim Alfonso
de Souza, faisant route de Lisbonne pour le Brésil, ren
contra le 28 décembre 1530, aux Iles du Cap Ver t , deux
navires espagnols qui allaient au Marañon ; il leur enjoignit
de renoncer à ce voyage « attendu que ce fleuve appar
tenait au roi son maître et se trouvait en dedans de sa
démarcation » 3 ) .
Lorsque Orellana s'occupait des préparatifs de son voyage de retour à l'Amazone, il demanda à Charles-Quint l'autorisation de prendre à son service des pilotes portugais, comme étant les seuls à connaître le pays ; il emmena en effet un pilote portugais 4 ) .
On relate aussi, d'après deux lettres écrites de Séville en date des 3 octobre et 20 novembre 1544, qu'aussitôt
1) M. B . II, pp. 5 et 6. 2) Schäfer, Geschichte von Portugal, III , pp. 359 et suiv. 3) Silva, I, page 443. 4 ) M. B . I, pp. 62 et suiv., d'après des lettres du 9 et du 30 mai 1544,
qui sont aux archives des Indes à Sévil le.
— 97 —
après le retour d'Orellana en Europe, le roi de Portugal aurait fait préparer une expédition pour prendre possession de l'Amazone l ) .
Le 11 novembre 1554, le Portugais Luiz de Mello da Silva fit naufrage près de Para ; c'est à lui que le roi Jean III aurait donné la capitainerie de Para, en vertu d'une concession de 1553 ou 1554 2 ) .
Quelque douteuse que soit la valeur de chacune de ces indications prises isolément 3 ) , il n'en résulte pas moins de l'ensemble de ces faits que de 1501 à 1529 la démarcation se déplaçait vers le nord-ouest, qu'en 1519, l'Espagne la considérait comme située entre le Marañon et la Mar-Dulce, qu'en 1524, les Portugais lui assignaient une position semblable et qu'ils furent la même année encouragés par les Espagnols à aller plus loin encore.
Jusqu'en 1529, la démarcation était toujours plus déplacée en avant, dans la direction du point du littoral où le « Padron real » de 1536 mettait le fleuve de Vicente Pinçon.
3. Quant au territoire découvert par Vicente Variez Pinzon, tel qu'il est décrit dans la donation de 1501, il restait acquis : que V . Y . Pinzon avait découvert le grand fleuve ainsi que le Brésil et qu'il avait le premier sur ce littoral séparé effectivement la démarcation portugaise de la démarcation espagnole.
1) L'exposé de Da Silva, auquel se réfèrent cette note et la précédente, aurait beaucoup plus de valeur s'il reproduisait des citations plus exactes; conf. Silva I, page 443; M. B . I, page 63.
2 ) M. B . II, page 5, note 2. L a concession, dont l'original n'existe plus, est mentionnée dans un rapport du «Procureur de la Couronne» de 1608. Conf. aussi M. B . I, pp. 63 et suiv.
8 ) R . F . , pp. 24-26, admet aussi que ces divers faits sont exacts, tout en disant, avec quelque exagération peut-être, que ce sont des « constatations négatives ».
7
— 9 8
Lorsqu'en 1519, la famille Pinzon sollicita Charles-Quint de lui accorder des armoiries, un acte royal du 23 septembre 1519 1) l'autorisa à prendre comme telles trois caravelles naviguant sur la mer d'où sort une main qui montre le pays que les membres de la famille ont découvert 2 ) . A titre de motifs justifiant cette faveur, l'acte rappelle les services rendus par les membres de la famille, au nombre desquels Vicente Yañez est spécialement nommé. Entre autres « ils découvrirent six cents lieues de terres, le grand
fleuve et le Brésil » 3).
Dans son livre «De la natural hystoria de las Indias», de 1526, Oviedo dit du Marañon que c'est le fleuve à l'embouchure duquel la mer, à 40 lieues au large, a encore de l'eau douce, et il ajoute : « C'est ce que j ' a i souvent entendu dire au pilote Vicente Yañez Pinzon, qui a été le premier chrétien qui ait vu ce fleuve Marañon 4). »
Il répète cette information en 1548 dans son « Historia general y natural de las Indias » ; l'embouchure du fleuve portait auparavant le nom de Mar-Dulce, rappelle-t-il en s'appuyant sur l'autorité de Vincent Yañez Pinzon, « qui a découvert cette r i v i è r e . . . . et ce fut le premier Espagnol qui ait donné des nouvelles de ce grand fleuve et qui l'ait vu » 5 ) ; il relate entre autres : « il m'a raconté que, avec
1) Reproduit par Navarrete, 1. c. III, pp. 145 et suiv. (Documentos n° X L I V ) .
2 ) «tres carabelas al natural en la mar, é de cada una de ellas salga una mano mostrando la primera tierra que asi hallaron é descubrieron. »
3 ) « descubrieron seicentas leguas de tierra-firme, é hallaron el gran rio y el Brasil.»
4) Silva I, page 441. 5 ) Voir le passage dans R. B. II, page 6 et plus loin page 11 ; Silva I.
page 442.
— 9 9 —
quatre petites caravelles, il avait remonté le fleuve quinze ou vingt lieues en l'an 1500... »
Las Casas 1) relate dans son «Historia de las Indias», composée vers le milieu du X V I e siècle, comment Vicente Yañez Pinzon découvrit le promontoire qui s'appelle actuellement Saint-Augustin et que les Portugais nomment Pays du Brésil (tierra de Brasil).
Dans son ouvrage « De rebus Oceanicis et Orbe novo » 2 ) , paru en 1516, Pierre Martyr raconte qu'arrivé à ce cap Saint-Augustin, Pinzon revint en arrière parce que le cap rentrait « intra jactam lineam » et qu'il était défendu à tout castillan de mettre Je pied «in ejus terrse initio»... «Aussi Vicentius Annez s'en retourna-t-il, ayant appris des indigènes que de l'autre côté des hautes montagnes qu'il avait devant les yeux, dans la direction du sud, se trouvait la province de Ciamba, riche en mines d'or 3 ) . »
Dans le procès de Colomb, Vicente Yañez Pinzon put, par sa déposition du 21 mars 1513, établir une fois de plus: « qu'il avait découvert à partir du Cabo de Consolacion, qui est situé dans la démarcation (parte) du Portugal et s'appelle maintenant Saint-Augustin » 4 ) ; ses compagnons attestèrent dans ce procès que, de Rostro hermoso, Pinzon avait fait les premiers actes de possession pour l'Espagne, qu'il avait, pour marquer la frontière, érigé des croix de bois et de «maderos» 5 ) et que cet acte de possession, il
1) L . c , t. III, chap. C L X X X I I I , Edition Madrid 1875, pp. 448 et suiv. 2 ) L . c , Dec. II, lib. VIII, fol. 39 (ci-dessus page 89, note 3). 3 ) « Regressus ergo inde est Vicentius Annez, habito ab incolis,
quod Ciamba provincia ferax auro ad aliud latus montium altorum, quos
ante oculos habebant, ad meridiem jaceret. » 4) Navarrete, 1. c , I V , page 547, ci-dessus page 82, note 2. 5) Hernandez Colmenero : « este testigo vido como el dicho Vicente
Yañez hizo mujones de tierra, » Navarrete 1. c. III, page 548.
— 100 —
l'avait encore accompli dans « plusieurs autres endroits
principaux ».
2 .
L a désignation d'un cours d'eau sous le nom de Vincent Pinçon, le déplacement de la démarcation dans la direction du nord-ouest, au delà de l'Amazone, le fait que l'on admettait que Vincent Pinçon avait contribué à fixer la frontière entre le Portugal et l 'Espagne, ont pu faire qu'on en est venu, en définitive, à l'idée que la frontière se trouvait au cours d'eau portant le nom de celui qui l'avait découvert, que la rivière de Vincent Pinçon était la rivière frontière entre l 'Espagne et le Portugal. Cette opinion est exprimée pour la première fois par le cosmographe portugais Pedro Nuñes qui fut professeur de mathématiques à l'université de Coïmbre de 1544 à 1562 1). L e mémoire français dit 2 ) : « Par une prétention dont le cosmographe Pedro Nuñez avait été le premier auteur responsable, la. rivière de Vincent Pinzon est revendiquée par cet ambitieux Portugais comme la limite occidentale du Brésil . »
L'« ambitieux Portugais » qui avait fait sienne l'opinion de Nuñez, était Gabriel Soarès de Souza qui publia en 1587 un « Itinéraire du Brésil » 3 ) . Il fait observer tou-
1) Conf. M. F . I, page 279, note 1; page 291, note 1. 2 ) M. F . I, page 279. 3 ) M. F . I, page 279, note 1, ci te: « Roteiro geral com largas infor-
macôes de toda a costa do Brazile descripção de muitos de sens lugares e em particolar de Baia de todos os Santos» , 1587: chap. 3, «dans lequel on indique où commence la côte de l 'Etat du Brés i l ». L e chapitre commence (d'après M. F . ibidem, page 299, note 1) par ces mots: « Mostrasse claramente segundo o que se contem neste capitolo atras que se começa a costa de Brazi l alem do Rio das Amazonas da banda de oeste pella terra que se diz dos Caribes do Rio de V t o Pinsom (!) que demora debaixo da linea. » L a traduction que nous donnons de ce passage est empruntée à M. F . , ibidem, dans le texte.
101
chant la frontière : « On a clairement montré dans le cha
pitre précédent que la côte du Brésil commence au delà
du Rio des Amazones, sur la rive occidentale, à la terre
dénommée des Caribes du Rio de V'° Pinsom(!) qui reste
au-dessous de la ligne». Et il ajoute: «De cette rivière de
Vto Pinson à la pointe du fleuve des Amazones qu'on appelle
cap Corso, et qui est située sous la ligne équinoxiale, il y
a quinze lieues 1) ».
Après Gabriel Soarèz de Souza, Symão Estacio da
Sylveira mentionne la frontière du Vincent Pinçon. Dans
la «Relation sommaire des choses du Maranhão 2)», Sylveira
dit: «Le Maranhão est une très importante et vaste colo
nie, s'étendant d'après la délimitation faite par S a Majesté,
depuis Ceará (qui se trouve par 3 degrés 1/3 du côté du
Sud) jusqu'à la dernière borne frontière du Brésil, par
2 degrés du côté du Nord; et dans cette étendue il y a
environ 400 lieues de littoral jusqu'au fleuve de Vicente
1) M. F . I, page 279. Du « Descobrimento do Brazil » (Bahia 1627) de F r . Vicente de Salvador, M. F . I, page 291, note 1, cite ce passage: « L e fameux cosmographe Pedro Nuñez dit que le territoire du Brésil relevant de la couronne de Portugal commence au delà de la pointe du Rio des Amazones dans la partie occidentale, au port de Vicente Pinso qui est situé par deux degrés nord de la ligne équinoctiale. »
Lopes de Velasco: « Geografía y descripcion universal de las Indias» (1571-1574) place le Rio de Vicente Pinzon par 2 3/4 degrés de latitude nord (R. B . II, page 13) et André Thevet : « Cosmographie universelle » (1575) indique le fleuve des Amazones comme situé par 2° 4 5 ' latitude méridionale, et dit: « à cinquante six lieues de ce fleuve, se trouve la riuiere de Vincent Pinçon » (R. B . II, page 16).
2 ) « Relaçào Sumaria das covsas de Maranhão escritta pello Capitão Symão Estacio da Sylveira Dirigida aos Pobres deste Reyno de Portugal. Em Lisboa Com todas as licenças necessarias. Por Geraldo da Vinha. Anno de 1624. » Nous citons d'après la réimpression de cet écrit parue dans les Memorias para a historia do extincto Estado do Maranhão . . . , Rio 1874, t. II, pp. 1—31.
— 102
Variez Pinçon, où, dit-on, se trouve un pilier en marbre, aux armes de Portugal de notre côté et celles de Castille de l'autre, planté à cet endroit par ordre de S a Majesté Césarienne l 'Empereur Charles-Quint. A partir de ce point le littoral suit la direction E . 1/4 S. E . . . 1 )». Voilà, à côté de faits connus, des indications nouvelles : premièrement, sur l'ordre de Charles-Quint, il a été placé sur le bord du Vincent Pinçon une borne en marbre, avec les armes du Portugal d'un côté, les armes de Castille de l'autre, donc un véritable Padron — les documents produits ne permettent pas de rien établir au sujet de la provenance et de l'authenticité de cette information — ; secondement, la « con-quista » du Maranhão a été officiellement organisée.
jusqu'au commencement du X V I I e siècle, les écrivains portugais croyaient par conséquent que la frontière du Brésil portugais, au nord de l'Amazone, se trouvait au Vincent Pinçon.
L ' E s p a g n e n'avait, durant la réunion des deux Couronnes, aucun motif de discuter ce point. L'écrivain espagnol Guadalaxara se rallia si bien à l'opinion des Portugais qu'il fit sienne, en partie textuellement, la note de Sylveira sur la question dés frontières. Ce Marcos de Guadalaxara y Xavier , moine de l'ordre des carmes, a publié en 1630 un ouvrage intitulé «Cinquième Partie de l'Histoire
1) « O Maranhão he uma conquista muito grandiosa e dilatada, cuja governaçâo S u a Magestade tem demarcado desde o Ceará (que está em trez graos e um terco da parte do Sul) até o ultimo marco do Brazil que está em dous graós da banda do Norte : em que ha de costa perto de quatrocentas legoas até o Rio de Vicente Yañez Pinçon, onde dizem estar um padrão de marmore com as armas de Portugal desta Parte e as de Castella da outra, mandado alli fixar pela Cesarea Magestade do Imperador Carlos V , corre delle a costa a Leste quarta a Sueste . . . ».
103
Pontificale » 1 ) . Parlant des frontières, il dit: « . . . Quelques-uns de nos cosmographes l'appellent le grand Rio Marañon, en le délimitant à partir de Ceará, qui se trouve par 3 degrés et 1/3 du côté du Sud, si l'on ne se trompe pas, jusqu'à la dernière borne frontière du Brésil par 2 degrés du côté du Nord, étendue dans laquelle il y a environ 400 lieues de littoral jusqu'au fleuve de Vicente Jañes Pinzon, où l'on assure qu'il y a d'un côté un pilier de marbre aux armes du Portugal et de l'autre côté un autre aux armes de Castille, planté par ordre de S a Majesté Césarienne Charles V 2)». Donc, jusqu'en 1630, les auteurs espagnols eux aussi admettaient que le Brésil portugais s'étendait jusqu'au Vincent Pinçon.
Guadalaxara pouvait en effet, en 1630, adopter sans scrupule la frontière que les auteurs portugais assignaient au Vincent Pinçon. Car le gouvernement espagnol s'était déjà placé sur le même terrain et avait consacré effectivement l'attribution au Brésil portugais des terres s'éten-dant jusqu'au Vincent Pinçon.
1) « Quinta Parte de la Historia Pontifical. A la Magestad Catolica de Don Felipe Quarto Rey de las Españas y Nuevo Mundo. Por F ray Marcos de Guadalaxara y Xavier, de la Orden de Nuestra Señora del Carmen de la Observancia de la Provincia de Aragon. Año 1630. Con licencia. Impresso en Barcelona. Por Sebastian de Carmellas. Y a su costa ».
2 ) Voi r ci-dessous, pp. 140 et suiv. en ce qui concerne l'erreur commise par Sylveira au sujet de la borne-frontière. « . . . Algunos de nostros cosmographos le llaman el gran rio Marañon, demarcandolo desde el Ceará que está en tres grados y un tercio de la parte del Sur, sino se. recibe engaño, hasta el ultimo marco del Brazil en dos grados de la banda del Norte, en que hay de costa cerca de quatrocientas leguas, hasta el rio de Vicente Jañes Pinzon, donde afirman que hay un padron de mármol con las armas de Portugal desta parte, y otro de la otra con las de Castilla que mandó fijar en él la Magestad Césarea de Carlos V . . . » (Le passage a été cité en 1855 déjà par le plénipotentiaire français, M. B . III, page 117).
1 0 4
3 .
Les terres données par Charles-Quint et Philippe II
allaient de l'Orénoque à l'Amazone. En 1601 et 1604 encore,
un gouverneur espagnol déclare que son autorité s'étend
sur le pays jusqu'à l'Amazone l ) , et bien que les deux Etats
fussent réunis en un seul, on est conduit à admettre, l'ad
ministration espagnole étant restée distincte de l'adminis
tration portugaise, qu'un tel gouverneur se considérait
comme fonctionnaire de son roi, le roi d'Espagne 2 ) .
Toutefois, il n'est pas allégué de fait qui implique un
véritable acte d'autorité de la part du gouvernement espa
gnol ou la création d'une colonisation espagnole du terri
toire de l'embouchure de l'Amazone.
A la fin du X V I e siècle et au commencement du X V I I e ,
l 'Espagne se trouvait d'ailleurs dans l'impossibilité de con
sacrer de grandes forces à ce pays.
Pourtant, il était absolument nécessaire qu'elle fît de
sérieux efforts pour soutenir sa prétention.
Dès la fin du X V I e siècle, en effet, des Anglais, des
Hollandais et des Français cherchèrent à pénétrer dans ce
territoire et à s'y établir 3 ) . En 1594, des Français, sous le
commandement de Jacques Riffault, vinrent à Maranhão 4 )
1) M. B . II, page 6. 2 ) R . F . page 29 s'exprime en ces termes : « nous sommes forcés
d'admettre et nous le faisons sans difficulté, qu'au X V I e siècle, les Rois Catholiques ont fait à plusieurs reprises, particulièrement en 1530, en 1552, en 156S et même encore, si l'on veut, en 1601 et 1604, des actes de souveraineté sur la Guyane. » Voi là qui implique l'abandon du point de vue insoutenable auquel se plaçait M. F . I, page 157, en prétendant que le roi d'Espagne considérait les terres concédées à Parente comme avant été jusque là res nullius.
3 ) Conf. l'exposé donné des faits ci-après, par M. B . I, pp. 65 et suiv., M. F . I, pp. 152 et suiv., R . F . pp. 30 et suiv.
4 ) Conf. ci-dessus pp. 71, 74, 78.
— 105 —
et en 1604, de la Ravardière fit son voyage en Guyane;
en 1612, il fonda Saint-Louis dans le territoire de Maranhão
et entreprit une expédition vers le Para l ) .
En 1594 et en 1595, les anglais Robert Dudley et
Walter Ralegh étaient sur les bords de l'Orénoque; en 1596,
Laurence Keymis, envoyé par W . Ralegh, explore l'embou
chure de l'Amazone et le littoral à partir de ce fleuve
jusqu'à l'Orénoque. En 1597, l'anglais Léonard Berrie
parcourt la même côte pour le compte de W . Ralegh
également.
La relation que Laurence Keymis fit de son voyage
en Guyane 2 ) est la première de toute une série de des
criptions de ce pays 3 ) . En 1604, Charles Leigh aborda sur
la rive gauche de l'Oyapoc ou Yapoco ; il prit possession
de ces terres au nom du roi d'Angleterre et fonda un
établissement qu'il nomma Principium et qui subsista jus
qu'à la mort de Leigh survenue en 1606 4 ) ; Robert Harcourt
en 1608 et Edouard Harvey en 1617 le constituèrent à nou-
1) Conf. M. F . I, pp. 152—154; R . F . pp. 32 et suiv.; M. B . I, page 68;
ci-dessous, page 107. 2 ) A relation of the second voyage to Guinea, London 1596. Voi r
M. B . I, page 66, note 2 et R . B . II, pp. 17 et suiv. 3 ) De même Jean Mocquet «Voyages » de 1616 1), Robert Harcourt
«Relation 2 )» de 1613, Pierre d'Avity «Monde 3)» de 1637 et surtout la
«Description de l'Amérique 4 )» de Jean de Laet, parue en premier lieu
en hollandais, en 1625. 4 ) M. B . I, page 69, note 1, renvoie pour cette indication à deux
lettres de Leigh, de 1604.
1) V o y a g e s en Afrique, Asie , Indes Orientales et Occidentales faits par Jean Moc
quet, Paris 1616. Conf. M. B. I, page 68. 2 ) A relation of a v o y a g e to Gviana . . . by Robert Harcourt, London 1603 (1613),
conf. R. B. II, pp. 21 et suiv., ibidem, pp. 29 et suiv. Extraits du journal, dont le manuscrit a été conservé, du v o y a g e fait par les Pères de F a m i l l e s . . . par Jesse des Forest,
3) Le Monde ou la description générale de ses quatre parties par Pierre d'Avity,
Paris 1637, conf. R . B. II, pp. 43 et suiv. 4 ) L'édition latine : « Americæ utriusque descriptio » a paru en 1633, une nouvelle
édition latine et une traduction en français en 1640. R. B. II, pp. 49 et suiv.
— 106 —
veau. En 1608, le même Harvey, avec Michel Harcourt,
reconnut le cours inférieur de l 'Araguary; en 1608 et en 1609
Robert Thornton explora le littoral de la Guyane. Les capi
taines William Clovel et Thomas Tyndall explorèrent la rive
gauche de l'Amazone dans le territoire des Indiens Tapoywa-
sooze (Tapujusûs); dans une lettre datée de Port d'Espaigne,
Trinidad, et adressée à Robert Cecil, comte de Salisbury,
Thomas Roe déclare qu'il connaît la côte entre l'Amazone
et l'Orénoque mieux que tout autre Anglais 1 ) . En 1613
(Lettres patentes du 28 août), le roi d'Angleterre, Jacques I e r ,
concéda à Robert Harcourt, Thomas Challoner et Jean
Rovenson le territoire compris entre l'Amazone et l 'Esse-
quibo ; en 1619 (Lettres patentes du 1 e r septembre), il renou
vela la concession au bénéfice de Robert Harcourt, à qui,
le 3 avril 1626, Charles I e r donna, ainsi qu'au capitaine
Roger North, une concession spéciale pour coloniser sur
les rives de l'Amazone. L e 19 mai 1627, le roi Charles I e r
transféra la concession au duc de Buckingham, au comte
Penbroke et à 52 autres associés appartenant presque
tous à la noblesse. Cette « Compagnie » avait pour projet
de coloniser la Guyane, y compris l'Amazone. Roger North,
représentant du duc de Buckingham, président de la Com
pagnie, devait être le gouverneur des établissements anglais
dans l'Amazone 2 ) .
Outre leur poste sur l'Oyapoc, les Anglais créèrent
deux autres établissements, l'un dans la région occupée
par les Indiens Tapujusûs, l'autre sur le territoire des
Tucujús entre le J a r y et Macapá 3 ) . En 1623, ils possédaient
1) M. B . I, page 70, note 1, d'après le Calendar of State Papers, Colonial Series , 1574—1660, page 11.
2 ) L e s faits relatés par M. B . I, pp. 77 et suiv. sont empruntés au Calendar of State Papers, 1. c., pp. 15, 36, 37, 79, 84, 85.
3 ) M. B . I, page 70.
sur le Cajary deux établissements, Tilletille et Uariminca 1)
et un troisième à quinze lieues plus loin, de plus le fort
Taurege au confluent du Maracapucú, puis encore un fort,
que les Portugais appelaient le fort Philippe, entre Matapy
et Anauirapucú, et enfin le fort Cumaú, ces trois derniers
sur la rive gauche de l'Amazone 2 ) .
Des Hollandais vinrent en 1598 « et même avant » dit de
Laet 3 ) , dans le pays amazonien; ils construisirent sur le Xingú
deux forts, appelés fort « d'Orange » et fort « de Nassau »,
qui servaient de factoreries et protégeaient les plantations.
Vers 1610, ils avaient, comme les Anglais, des factoreries
et des postes fortifiés dans le pays des Indiens Tapujusús,
entre le J a r y et Macapá. Ve r s 1616, ils construisirent un
fort au lieu dit Mariocay, qui fut appelé plus tard Gurupá ;
en 1625, ils bâtirent sur la rive droite de l'Amazone encore
le fort de Madiutuba. En 1627, l'amiral Lucifer établit, sur
l'ordre de la Compagnie hollandaise des Indes occidentales,
un fort sur la rive gauche de l'Oyapoc ; il y avait ren
contré des Hollandais qui étaient venus des bords de
l'Amazone en fugitifs 4 ) .
L'Espagne, contrainte qu'elle avait été de laisser aux
Hollandais durant l'armistice de 1609 leurs possessions même
en Europe, ne pouvait refouler les Hollandais et les autres
étrangers qu'avec l'aide des Brésiliens relevant du Portugal.
Un certain nombre de gouverneurs et capitaines portugais,
parmi lesquels on cite Martin Soares Morena, Manoel de
Souza d'Eea, Jérome de Albuquerque, Alexandre de Moura,
1) M. B . I, page 79, d'après le « Journal » de Jesse de Forest, British Museum, Sloane Ms., 179 B .
2 ) Ibidem, pp. 80 et suiv. 3 ) Ed. française de 1640, Liv. X V I I , chap. V . Conf. M. B . I, page 65,
note 2. 4) M. B . I, pp. 69, 70, 74, 79, 80. R . B . I, page 163.
107
— 108
Francisco Caldeira de Castello Branco, Pedro Teixeira, Luiz Aranha de Vasconcellos, Jacome Raymundo de Noronha, Feliciano Coelho de Carvalho, Ayres de Souza Chichorro, João Pereira de Caceres, Pedro da Costa Favella, Bento Rodrigues de Oliveira, Sebastião de Lucena de Azevedo et Bento Maciel Parente, entreprirent de chasser les étrangers par la force des armes, au nom de leur prince, Philippe IV , roi d'Espagne, Philippe III de Portugal ; ils avaient pour ordre, comme B . M. Parente en 1626, « qu'il faut chercher les Hollandais où l'on saura qu'ils se trouvent, et de les traiter comme rebelles, et qu'il n'en reste pas trace dans ces parties, ni d'aucune autre nation de celles d'Europe » l).
Les capitaines portugais s'efforcèrent tout d'abord d'éloigner de Maranhão L a Ravardière et ses Français 2 ) . En 1613 fut construit le fort de Jer icoacoara qui, l'année suivante, fut défendu contre Du Prat, un des lieutenants de L a Ravardière. Dans le courant de l'automne de 1614, Jé rôme de Albuquerque aborda à la baie de San José , à Guaxenduba, où il construisit un camp retranché qui eut à soutenir et repoussa une attaque de L a Ravardière. Après une trève de six mois, de Albuquerque recommença les hostilités avec l'aide d'une troupe qui, partie de Fer nambuco sous le commandement d'Alexandre de Moura, était venue à son secours ; il attaqua le fort français Saint-Louis et força L a Ravardière à capituler le 2 novembre 1615.
Avant encore la fin de 1615 3 ) , de Moura envoya sur les bords de l'Amazone le capitaine Francisco Caldeira de
1 ) M. F . I, page 158, d'après la Bibl. nat. de Lisbonne, Mss. Y , 2-40, page 133.
2 ) Conf. M. B . I, pp. 72 et suiv. ; M. F . I, pp. 153, 154 ; R . F . , pp. 32 et suiv.
3 ) Conf. pour la suite M. B . I, pp. 74, 78 et suiv. ; R . F . , page 34.
109 -
Castello Branco, et en 1616 furent fondés la ville et le fort
Belem de Para destinés à préparer et à soutenir les expédi
tions qui devaient se diriger vers le bassin de l'Amazone
Les hostilités commencèrent immédiatement après — Pedro
Teixeira s'empara d'un vaisseau hollandais, — mais elles
furent suspendues parce que probablement les Portugais
étaient occupés avant tout à se garder des Indiens des
environs de Para. En 1622, les Portugais de Para échouèrent
dans une attaque dirigée contre les Hollandais et les An
glais sur la rive gauche de l'Amazone. En 1623, Bento
Maciel Parente et Luiz Aranha de Vasconcellos s'emparè
rent des forts hollandais de Muturú et Mariocay (Gurupá)
et livrèrent des combats sur l'eau; les Hollandais prirent
et brûlèrent un poste installé par Parente sur le fleuve.
D'autre part, le fort Saint-Antoine de Gurupá que Parente
avait construit à Mariocay en 1623, resta définitivement
occupé.
En 1625, Pedro Teixeira s'empara des forts hollandais
du Xingú et de celui de Mandiutuba ; ce dernier venait
d'être construit. Les Hollandais qui réussirent à s'enfuir se
réfugièrent chez les Anglais, sur la rive gauche de l'Ama
zone. Ce furent 46 de ces Hollandais échappés au désastre
que l'amiral Lucifer rencontra en 1627 sur la rive gauche
de l'Oyapoc.
Les postes anglais sur le Cajary furent aussi attaqués
en 1625 par Teixeira, qui, le 24 octobre 1629, obligeait
le fort de Taurege, sur la rive gauche de l'Amazone, à
capituler après un siège de plusieurs semaines. L e fort
détruit, Teixeira retourna à Gurupá, où il fut presque
aussitôt attaqué par des Anglais récemment arrivés sous
1) L e fort Presepio a été construit par Bento Maciel Parente, selon
son mémoire de 1627, M. B . II, page 12, IV , page 18 ; Silva I, § 38, 267.
1 1 0
le commandement de Roger North. En 1631, le nouveau
fort anglais Philippe, construit par North entre Malapy
et Anauirapucú, tomba entre les mains du gouverneur
(capitão-mor) de Para, Jacome Raymundo de Norongha,
et fut rasé. L e fort anglais Cumaú ne put pas tenir davan
tage ; il avait été bâti par les gens de la Compagnie
anglaise. 11 fut pris dans la nuit du 9 juillet 1632 par les
Portugais de Para, sous le commandement de Feliciano
Coelho de Carvalho.
L e dernier poste anglais se trouvant ainsi détruit, la
Compagnie anglaise renonça à toutes autres expéditions
vers l'Amazone. De même les établissements des Hollandais
sur l'Amazone étaient anéantis. Mais, maîtres de San Sal
vador 1), les Hollandais pouvaient avec plus de chances
espérer les reconstituer un jour, ainsi que l'écrivait Laet
en 1640: « T a n t eux (sc. les Anglois et les Hyrlandois) que
nos gens, ayans esté inopinément attaqués et chassés par
les Portugais venans de Para, y ont souffert de grandes
pertes ; pour lesquelles recompenser, et se vanger des
injures receuës, ils se préparent avec plus grand effort de
poursuivre ce qu'ils avoyent commencé » 2 ) .
Mais les capitaines brésiliens-portugais n'en restèrent
pas aux succès obtenus jusqu'en 1632. Un des plus entre
prenants d'entre eux, Pedro Teixeira, remontant le fleuve
en 1637 avec une troupe importante de soldats portu
gais et d'indiens, arriva à Quito 3 ) . En revenant, il dési
gna, le 16 août 1639, conformément aux instructions qu'il
avait reçues, la rive gauche du Napo comme frontière
1) Vo i r ci-dessus, pp. 72, 73. 2) J. de Laet, Histoire du Nouveau Monde, Leyde 1640, Liv . X V I I ,
chap. V , page 174, reproduit dans M. B . I, page 88. 3 ) Vo i r les sources citées dans M. B . I, page 83, notes 1 et 2 ; M.
F . I, page 154.
111
du territoire de la Couronne de Portugal. L'espagnol
P. Christoval de Acuna, qui, au retour, voyageait avec
lui, put se convaincre que les capitaines brésiliens-por
tugais ne s'étaient pas attardés au cours inférieur de
l'Amazone ; il rencontra une station portugaise sur les
bords du Curupatuba « qui se jette dans l'Amazone du
côté du nord », il vit le fort Desterro qu'avait construit
B . M. Parente « six lieues en amont du confluent du Gini-
pape (Paru) » 1 ) .
Fait important à retenir: les étrangers qui avaient
pénétré dans le bassin de l'Amazone en furent chassés
sans que l ' E s p a g n e y eût contribué autrement que par des
ordonnances royales ; les armes brésiliennes-portugaises
avaient tout fait.
4.
En 1621 déjà, dans le royaume uni d'Espagne et de
Portugal, le dessein avait été conçu de transférer formel
lement au Portugal la côte qui s'étend du Brésil jusqu'à
Santo Tomé de Guyana et aux Bocas del Drago, cela
dans l'intérêt de la défense contre l'invasion des Anglais
et des Hollandais 2 ) . Ce transfert n'a pas eu lieu 3 ) , mais il
est possible qu'à cette date la situation de la frontière de
l'Espagne et du Portugal au fleuve Vincent Pinçon ait été
officiellement reconnue.
En effet, Philippe I V , roi d'Espagne, troisième du nom
en Portugal, ordonna le 13 juin 1621 que le territoire por-
1) Conf. l'extrait de l'ouvrage de Acuña : « Nuevo descubrimiento del gran rio de las Amazonas », Madrid 1641, dans R. B . II, pp. 65 et suiv. ; M. B . I, page 94.
2) Conf. M. B . I, pp. 76 et suiv. ; R . F . , page 35. 2 ) Argument tiré de la donation faite à Parente en 1637.
tugais dans l'Amérique du Sud serait divisé en deux grands arrondissements administratifs : l ' E s t a d o du Brésil, avec Bahia, et l ' E s t a d o de Maranhão, avec Sam Luiz de Maranhao pour capitales l ) . Quel territoire l'ordonnance royale assignait-elle au nouvel Etat de Maranhão?
1. L'écrivain portugais Symão Estacio da Sylveira dit, en 1624, dans le passage cité ci-dessus, page 100: « S a Majesté (le roi d'Espagne et de Portugal) a délimité (demarcado) le gouvernement (governacão) de Maranhão depuis Ceará, qui se trouve par 3 degrés 1/3 du côté du sud, jusqu'à la dernière borne frontière du Brésil 2 ) , par 2 degrés du côté du nord et dans cette étendue il y a environ 400 lieues de littoral jusqu'au fleuve de Vicente Yañes Pinçon....» « A partir de ce point, le littoral suit la direction de l'est, 1/4 sud-est 3 ) ».
2. L'auteur espagnol Guadalaxara dans son Historia Pontifical (1630) s'est, dans le susdit passage, page 102, rallié à l'opinion de Sylveira touchant la délimitation du Maranhão : « à partir de Ceará qui se trouve par 3 degrés et 1 / 3 du côté du sud, si l'on ne se trompe pas, jusqu'à la dernière borne frontière du Brésil par 2 degrés du côté du nord, étendue dans laquelle il y a environ 400 lieues de littoral jusqu'au fleuve de Vicente Jañes Pinzon...»
3. Bento Maciel Parente, dans le mémoire qu'il remit au roi d'Espagne vers l'année 1630, parle du «gobierno » ou « estado de Marañon » alors existant. Il en décrit la superficie comme suit : « L e gouvernement de Marañon commençant à la Capitainerie de Ceará, et se terminant au Rio de Vicente Pinçon, compte 380 lieues de côte sous
1) M. B . I, page 77, R . F . , page 35. 2 ) L e Brésil pris, non comme Estado, mais dans son ensemble. 3 ) Supposé en arrière du point terminal.
112
113
l'Equinoxiale depuis 3 ° sud jusqu'au 3° nord, cette côte
ayant la direction de l'ouest 1/4 N. O.» 1 ) .
Cette délimitation de l'Estado de Marañon est conforme,
dans son ensemble, à celle de Sylveira ; elle en diffère
dans les détails en ce que Parente au lieu de « environ
400 lieues » précise en disant « 380 lieues », qu'il place
le Vincent Pinçon par 3 degrés au lieu de 2, et qu'il
retranche 1/3 de degré des 3 1/3 degrés par lesquels Sylveira
place Ceará. Ces divergences sont importantes, parce que
Parente connaissait l'ouvrage de Sylveira et le cite dans
son mémoire 2 ) ; elles sont voulues et ont été probablement
introduites à titre de corrections.
Il résulte :
a) du rapport de Sylveira, de 1624, que l'Estado de
Maranhão a été délimité par le roi alors régnant d'Espagne
et de Portugal ;
b) des trois rapports que, selon cette délimitation,
l'Estado de Maranhão avait une étendue de côtes d'environ
400 lieues (380 selon Parente), à partir de Ceará (3 1/3 ° lati
tude sud, 3° selon Parente) jusqu'à la frontière septen
trionale de l'Espagne et du Portugal sur le fleuve Vincent
Pinçon (2 ° latitude nord, 3 ° selon Parente) ;
c) que par conséquent le roi a expressément déclaré
que ce fleuve était le cours d'eau frontière.
1) « E l gobierno del Marañon empeçando en la Capitania del Cearà y acabando en el rio de Vicente Pinçon, tiene trecientas y ochenta leguas de costa por baxo de la Equinocial desde trez grados a la parte del Sur, hasta trez a la del Norte, corre la costa Oeste, quarta al Noroeste ».
Une ligne plus bas, le territoire de ce « gobierno » est appelé « este Estado », M. B . II, page 16.
2 ) L a terre.... est fertile en produits alimentaires, ce dont le capitaine Simào Estacio a fait une description qui a été imprimée, M. B . II, page 11 ; ci-dessous, page 115, note 1.
8
1 1 4
1) « Mémoire présenté au Roi d'Espagne par Bento Maciel Parente en 1627 ou entre les années 1627-1632 ». C'est ainsi que le mémoire est intitulé dans M. B . II, qui, pages 9-15, en donne une traduction française, suivie, pages 16-20, du texte espagnol. Nous utilisons la traduction française, tout en tenant compte du texte espagnol original.
2 ) Soit l 'Estado del Maranõn. 3 ) Orthographe espagnole.
Les contrées pour la conquête desquelles les capitaines portugais-brésiliens combattaient ces années-là contre les Anglais et les Hollandais appartenaient donc à l'Estado de Maranhão.
Lorsqu'il s'agit d'organiser l'Estado, on procéda tout naturellement comme on l'avait fait pour d'autres pays conquis par les Espagnols-Portugais ; on le partagea en capitaineries qui furent dévolues aux braves capitaines portugais-brésiliens, à titre d'encouragement ou de récompense ; en même temps on assurait la propriété du pays à la couronne.
C'est le plan que recommandait de suivre le capitaine Bento Maciel Parente qui, dans les vingt premières années du X V I I e siècle, avait pris part aux combats livrés dans le territoire de l'Amazone. Il est probable que c'est durant un séjour qu'il fit à Madrid en 1627 ou 1628 qu'il remit au roi le mémoire mentionné ci-dessus 1 ) . Il y explique : « Pour conserver et augmenter la conquête et les terres du Ma-rañon 2 ) et les Indiens que le capitaine major Benito Maciel Pariente 3 ) y a réduits, les choses suivantes sont nécessaires et convenables : les terres de cette conquête doivent se répartir par Capitaineries, et être données à des personnes riches et respectables, afin que chacun à l'envi cherche à peupler, fortifier et mettre à profit la terre. »
Après avoir indiqué l'étendue de tout l'Estado de Manranhão (Marañon) comme il est dit plus haut, Parente
propose de le diviser en diverses capitaineries. Il fait observer tout d'abord que deux des capitaineries à constituer devront être réservées à la Couronne, celles du Marañon et du fleuve des Amazones, qui sont les plus importantes : « le Marañon parce qu'il est déjà peuplé et le fleuve des Amazones parce qu'il est conquis, et parce que ce sont les deux plus grands ports de cet Etat ; et ayant en considération tout ce qu'on peut espérer de chacune de ces Capitaineries par la grande étendue navigable de ses fleuves, particulièrement celui des Amazones ou véritable Marañon, lequel pénètre l'Amérique et peut ouvrir la porte aux richesses du Pérou et à tout ce qu'il reste encore dans ce nouveau monde à découvrir et à conquérir. » Puis il énumère les diverses capitaineries, à partir du territoire frontière dans la direction de l'Estado du Brésil :
1. La capitainerie de Ceará, qui commencera au Jagua-ribi pour finir au Mondohytuba, cinquante lieues de côte ; le port et le château de Ceará se trouvent au milieu de la capitainerie.
2. La capitainerie de Jurucoaquara qui commencera au Mondohytuba pour finir au Paraoasú, cinquante lieues de côte, le port de las Tortugas se trouve presque au milieu de la capitainerie.
3. La capitainerie du Marañon 2 ) avec ses îles, qui commencera au Paraoasú pour finir à la pointe de Tapuy-tapera 3 ) , plus de cinquante lieues de côte ; il s'y trouve l'île de Todos los Santos avec la ville de Sam Luiz, qui peut avoir 500 habitants, tant soldats que civils, et qui
1) Jericoacoara ou Buraco de Tartarugas. 2) Maranhão. 3) Aujourd'hui Alcantara.
115
possède trois couvents (de capucins, de carmes et de jésuites). L e « capitaine Simon Estacio » a donné des produits de cette contrée une description qui a été imprimée 1).
4. La capitainerie de Cumá qui commencera à la pointe Tapuytapera pour finir au Pindohytuba, quarante lieues de côte avec deux bons ports.
5. La capitainerie de Cayté 2) qui commencera au Pindohytuba pour finir à l 'Acotyperú, quarante lieues de côte ; il s'y trouve un établissement fondé par Francisco Coelho de Carvalho sur l'Oatacapuhic ; le port a peu d'étendue.
6 . La capitainerie de P a r á 3 ) qui commencera à l 'Acotyperû et, par la pointe de Separará 4 ) « remontera l'embouchure du Para, et suivra le premier bras de ce fleuve du côté de l'est » jusqu'à la première chute du fleuve des los Tocantines, dans la province de ce nom ; trente lieues de côte de l 'Acotyperû jusqu'à la pointe de Separará ; la chute est à cent cinquante lieues de la mer, ou un peu moins. Malgré le peu de développement de la côte, la capitainerie est aussi grande que les autres, car « comme on le verra sur la carte », elle va s'élargissant à mesure qu'on remonte le fleuve 5 ) . Dans cette capitainerie se trouve
1) Voir ci-dessus, page 112, note 2. 2) Aujourd'hui Roajança. 3) C'est la capitainerie de l 'Amazone que, selon Parente, il importe
de réserver à la couronne. E l l e lui fut en effet attribuée, ainsi que
l'autre qu'avait désignée Parente (avec Maranhão, n° 3), par acte du 13
avril 1633 ; conf. la donation à Parente, M. B . II, page 22 ; M. B . II, page 14, note, donne par erreur la date du 13 août.
4) Cap Tijoca. 6 ) « A la Capitania del Cayté se sigue la Capitania del Parti, que
empeçarâ en el dicho rio Acotyperû, y por la punta del Separará cor-
tarâ por la boca del P a r a arriba, y por el primer braço deste Rio de la
parte de Leste yra cortando hasta el primer salto del rio y Provincia de
los Tocantines, que dista del mar ciento y cincoenta léguas, ò poco menos:
116
la ville de Belem avec le fort de Presepio 1) fort que Bento Maciel a fait construire et qui vaut plusieurs milliers de ducats, quoi qu'il en ait coûté moins de 400 au trésor royal.
7. « Depuis la pointe de Separará sous la ligne Equi-
noxiale et sur la rive orientale du fleuve, en allant vers
le nord-ouest jusqu'au cabo del Norte, se trouve l'embou
chure (la boca) du fleuve des Amazones, le vrai Marañon,
et il y a quatre-vingts lieues toutes d'eau douce, et dans cet
Archipel se trouvent de nombreuses îles peuplées de beau
coup de sauvages, lesquelles îles peuvent se répartir en
quatre Capitaineries 2 ) » :
a) La première comprendrait les îles de los Juanes s ) ,
de los Aruans, Mapuas, Inhengahybas de Parijó.
b) L a seconde, les îles situées entre les bras Pará et
les bras Pacajá ; elle aurait 20 lieues de largeur et 40 de
profondeur, y compris les petites îles avoisinantes.
c) L a troisième, l'île située entre le bras Pacajá et le
bras Parnahyba 4 ) ; elle aurait 20 lieues de largeur et 40
de profondeur.
la q u a l Capitania tiene por costa hasta la punta del Separará treinta leguas, y va-se ensanchando por el Rio arriba, con que viene a quedar tan grande como las otras, como en el Mappa se verá. »
1) Fort , est-il dit en outre : « dont les murs sont en terre mêlée de chaux, les portes en pierre de taille et chaux, les trois bastions ont chacun leur cave, le tout fortifié à la moderne. »
2 ) « De la punta del Separará, que está en la linea Equinocial, de la parte de Leste del Rio, corriendo Noroeste, hasta el cabo del Norte, es la boca del rio de las Amaçonas, verdadero Marañon, y ay oitienta leguas todas de agoa dulce, y dentro deste Archipielago ay muchas Islas pobladas de muchos Gentiles, las quales Islas se pueden repartir en quatro Capitanias. »
3 ) Marajó. 4 ) Aujourd'hui Xingú.
117
— 1 1 8
d) L a quatrième, l'île entre le Parnahyba et « el gran canal de las Amaçonas», avec les îles qui viennent après celle-ci du côté du « gran canal » et du côté « del Norte » ; la capitainerie aurait 12 lieues de largeur et 40 de longueur.
8. «De l'autre côté du fleuve «en el cabo del Norte», la côte se dirige vers l'ouest, jusqu'au rio de Vicente Pinçon à la hauteur de trois degrés au nord de la ligne 1): il y aura environ quarante lieues de côte entre le grand canal et la démarcation entre le Portugal et l ' E s p a g n e . Ici on peut établir une autre capitainerie: pays de montagnes, de plaines et de terres noyées, propre à l'élevage du bétail, et où le tabac et le coton viennent bien ; et cette capitainerie pourra s'étendre en remontant le fleuve, jusqu'à l'embouchure du fleuve des Amazones et à la Province des Tapuyosús, comprenant aussi les Provinces des Tucuyús et des Mariguins, ce qui lui donne environ deux cents lieues en remontant le fleuve » 2 ) .
B . M. Parente recommande ensuite d'appliquer à toutes les localités indiennes (los pueblos de Indios) des capitaineries le système des commanderies (Encomiendas) « selon l'usage des Indes », de manière qu'un tiers des revenus
1) L a traduction française de M. B . II, page 13, dit par erreur environ trois degrés ; le texte espagnol est : « en altura de trez grados » ; conf. R. F . , page 36.
2 ) L e texte espagnol est ainsi conçu : « D e la otra parte del R io en el cabo del Norte, corre la costa a Loeste hasta el rio de Vicente Pinçon, en altura de tres grados de la linea al Norte : habrá cosa de quarenta leguas por costa entre el gran canal y la demarcacion entre Portugal y Castilla. Aqui se puede hacer otra Capitania. T ie r ra de sierras, campos, y lagadizos, buena para ganados, dá bien tabaco, y coton, y puede se estender por el Rio arriba, hasta la boca del rio de las Amaçonas, y Provincia de los Tapuyosús, comprehendiendo tambien las Provincias de los Tucuyús y Mariguins, en que habrá cerca de docientas leguas por el Rio arriba. »
119
soit attribué à l'Eglise, un tiers au « Commendador » et un
tiers à la Couronne, « et avec ces ressources on pourra
peupler les lieux en question, y maintenir les garnisons et
fortifications nécessaires sans tirer rien, ou en tirant très
peu de chose du Trésor Royal, et il y aura de l'argent et
des hommes pour continuer à conquérir, peupler et fortifier
en remontant ce grand fleuve jusqu'à Potosi ». L'Amazone,
étant la voie la plus facile, la plus sûre et la plus courte,
servira à transporter les trésors de la tierra firme ; il
serait utile d'organiser un service régulier de navigation
entre l'Espagne et ce littoral. Il faudrait que la mère-patrie
envoyât des colons, pris, par exemple, dans les îles Ter-
ceiras qui sont très peuplées ; ces colons fonderaient une
ville 1) (ciudad) sur la rive gauche de l'Amazone, sur le
Ginipapo 2) « pour encourager la population et les Indiens
réduits et empêcher qu'ils ne soient portés à faire du com
merce avec les Hollandais, et que ces derniers n'y retour
nent comme ils ont tenté de le faire après qu'ils ont été
chassés». Il est nécessaire de faire accompagner les colons
de moines de tous les ordres « pour catéchiser les Indiens
qui seront attirés aux missions». Les Indiens «délivrés du
pouvoir de leurs ennemis quand ceux-ci les gardent pour
les manger», sont selon les lois de S. M. «vraiment des
esclaves » (verdaderamente cautivos), mais pour éviter le
dépeuplement, il importe de ne pas les éloigner de leur
patrie, sinon « ils périssent tous comme des poissons qu'on
aurait retirés de l 'eau».
Les renseignements et les propositions les plus impor
tants que contient l'exposé de Parente sont:
1) E n 1639, de Acuña a constaté qu'en cet endroit existait un fort
construit par Parente, M. B . II, page 66. 2 ) Aujourd'hui le Parú.
— 120
1. L'« Estado del Marañon» a 380 lieues de côte à par tir de Ceará (3° latitude méridionale) jusqu'au Vicente Pinçon (3° latitude septentrionale).
2. L'« Estado » est divisé en capitaineries, dont chacune comprend une partie des 380 lieues de côte. 80 lieues comptées de la Punta del Separará jusqu'au Cabo del Norte sont attribuées aux quatre capitaineries des îles de l'archipel de l'Amazone, les 300 autres lieues aux sept capitaineries restantes.
3. L e s capitaineries doivent avoir une importance à peu près égale; aussi chacune des sept comprend-elle un développement de côtes long de 40 à 50 lieues (un partage rigoureusement égal donnerait : 300 : 7 = 42.9 lieues) ; pour la capitainerie de Para, qui n'a que 30 lieues de côte, ce qui constitue un amoindrissement sensible, il est expressément dit que la différence sera compensée par la plus grande étendue de son territoire vers l'intérieur.
4. Il n'est tenu compte dans l'étendue de la côte assignée à chaque capitainerie que du littoral maritime, non des rives des fleuves ; la capitainerie de Para , est-il remarqué, « commencera à l 'Acotyperú » et « aura 30 lieues de côte jusqu'à la punta del Separará ». De là, elle remonte par la « boca » et le bras de Para, et cette étendue est spécialement évaluée à environ 150 lieues.
5. Il faut donc calculer les dernières 40 lieues de côte jusqu'au Vincent Pinçon le long du littoral maritime à partir du cabo del Norte et non du « gran canal » de l'Amazone. Parente dit qu'elles s'étendent entre le gran canal et le Vincent Pinçon, il ne dit pas qu'elles vont du gran canal
jusqu'au Vincent Pinçon. A quoi il faut ajouter que les 40 lieues doivent rejoindre les 80 lieues des quatre capitaineries des îles. Or ces 80 lieues vont de la punta del Separará jusqu'au cabo del Norte et par conséquent les
40 lieues qui suivent vont du Cabo del Norte jusqu'au Vincent Pinçon 1).
6. Parente fait du Vincent Pinçon la frontière de l'Estado del Maranhão, de la capitainerie de l'Estado qu'il propose de créer au nord-ouest, et la démarcation déjà existante du Portugal et de la Castille. Parente connaissait l'ouvrage de Symão Estacio Sylveira, qu'il cite dans son mémoire, et il savait fort bien ce que cet auteur avait dit du Vincent Pinçon et de la borne-frontière de Charles-Quint qui se trouve sur le bord de ce fleuve.
7. Parente renvoie à la carte (el Mappa), sur laquelle on peut contrôler certaines données fournies par le mémoire.
8. A l'exception de quelques parties situées au sud-ouest de l'Estado, l'administration, la colonisation par des Européens et l'exploitation du territoire sont encore à créer, d'après le mémoire.
Parente n'a pas manqué, dans ce mémoire, de faire ressortir ses propres mérites. Ils lui valurent, ainsi que les services qu'il avait rendus dans les combats, soutenus contre les Hollandais dans l'Estado du Brésil et du Maranhão, plus d'une récompense : le roi lui conféra des lettres de noblesse, lui accorda une pension annuelle de 2000 reis et lui donna des terres sur l'Amazone 2 ) . Surtout, il ne fut pas oublié lorsque Philippe I V créa effectivement dans l'Estado de Maranhão les capitaineries proposées par Parente. Une ordonnance royale du 13 avril 1633 organisa en premier lieu les deux
1) L'allégation de R . F . , page 38: «Ces quarante lieues doivent donc être calculées à partir du Vincent Pinson en doublant le cap de Nord jusqu'au commencement du Grand Canal » qui se base presque uniquement sur les mots « en el cabo del Norte » séparés de leur contexte, n'est donc pas soutenable.
2 ) Mentionné dans l'introduction aux Lettres Royales du 14 juin 1637, M. B . II, pp. 21, 22.
121
122
capitaineries de Maranhão et de Para, réservées à la cou
ronne 1). Puis, Alvaro de Souza reçut la capitainerie de
Caité 2 ) . En 1637, par lettres royales du 26 octobre, il fut
fait donation à Feliciano Coelho de Carvalho de la capi
tainerie de Carnuta 3 ) , en 1639, par lettres royales du
15 mars, à Francisco de Albuquerque Coelho de Carvalho,
de la capitainerie de Cummá 4 ) .
Auparavant, soit le 14 juin 1637, Bento Maciel Parente
avait reçu, sur sa demande, la capitainerie du Cap de
Nord (capitania do cabo do Norte). Voici quelques passages
des lettres royales relatives à cette donation 5) :
« . . . Attendu que le Conseil du Trésor , après avoir pris
1) M. B . II , pp. 22, 23. 2 ) Ibidem, page 23. 3 ) R . B . II, page 41, dit: «Ce document se trouve enregistré dans
le Livre 35 e , f° 95 et suiv. de la Chancellerie de Filippe III, Archives de Tor re do Tombo » . L e s lettres royales parlent en ces termes de la donation d'une capitainerie antérieurement faite à B . M. Parente : ...e yuntamente fyz merce a Bento Maciel Parente da Capitania das terras que yasem no Cabo do Norte com os Rios que dentro nellas estiverem que tem pella costa do mar, trinta te quarenta legoas de distrito que se contào do dito cabo tte o Rio de Vicente pinçon onde entra a repartição das Indias do Reyno de Castella e pella terra dentro Rio das amasonas arriba da parte do canal que vaj sahir ao Mar oitenta para cem legoas atte o Rio dos tapajusus... ». L e Père Pfeil reproduit ce passage dans son Compendio et indique comme source: Archivo da Rea l Farenda do Para , Correa 55 do livro 2.
4 ) R . B . II, page 41, qui renvoie aux « Archives de Tor re do Tombo » à Lisbonne.
6 ) L e s Let t res royales du 14 juin 1637 sont reproduites intégralement en portugais, avec une traduction française incomplète, dans M. B . II, pp. 25-34, (texte portugais certifié conforme à l'original enregistré qui se trouve aux « Archives de Tor re do Tombo » à Lisbonne, Livre 34e de la Chancellerie de D. Philippe III, fol. 2 et suiv.), pp. 21-25, (traduction française). Conf. Silva II, pp. 428-440; R . B . II, pp. 39, 40, 224 ; M. F . I, page 203.
tous les renseignements nécessaires et entendu le rapport de son Procureur, a attribué au susdit Bento Maciel la Capitainerie du Cap de Nord, dont l'étendue sur la côte de la mer est de 30 à 40 lieues, comptées à partir du susdit Cap jusqu'au Rio de Vicente Pinçon, ou commence la démarcation des Indes du Royaume de Castille, et vers l'intérieur, eu remontant l'Amazone, du côté du canal qui va à la mer, de 80 à 100 lieues jusqu'au Rio des Tapu-jusus 1 ) , laquelle Capitainerie n'est pas une de celles que j'ai réservées à ma Couronne, ni de celles que j 'a i données à d'autres, il m'a plu, de cette façon, de lui faire don de la susdite Capitainerie du Cap de Nord et j 'a i ordonné qu'on lui délivrât des Lettres de cette donation, qu'elles fussent pareilles à celles qui ont été délivrées dernièrement à Alvaro de Souza, concernant une autre Capitainerie dont j 'a i fait don à celui-ci dans ce même E t a t . . . et considérant combien il importe au service de Dieu, à mon service, et au bien général de mes Royaumes, de mes Seigneuries et de mes sujets, que mes côtes maritimes et mes territoires du Brésil, du Maranhão et du Pará soient mieux peuplés qu'ils ne l'ont été jusqu'à présent, non seulement pour y faire célébrer le culte divin et mieux répandre notre sainte foi catholique, en appelant et convertissant à notre foi les indigènes infidèles et idolâtres, mais encore ayant en vue les grands avantages qu'en retireront mes Royaumes et Seigneuries, et mes sujets, il m'a plu de diviser ces territoires en Capitaineries, et de les établir de manière à attribuer à chacune un certain nombre de lieues, dans
1) « . . . a capitania do cabo do norte que tem pella costa do mar trinta te quarenta legoas de distrito que se contào do dito cabo ate o Rio de vicente pinçon onde entra a repartiçào das jnndias do Reino de castella e pella terra dentro Rio das amasonas ariba da parte do canal que vai sair ao mar oitenta pera cem legoas ate o Rio dos tapujusus . . . ».
123
— 124
1) . . . das terras que jazem no cabo do norte où os Rios que dentro que nellas estiuerem que tem pella costa do mar trinta te quarenta legoas de distrito que se contào do dito cabo ate o Rio de vicente picon aonde entra a reparticào das jndias do Reino de castella e pella terra dentro Rio das amazonas ariba da parte do canal que vaj sair ao mar oitenta para sem legoas ate o Rio dos tapujusos, con declaracão que nas partes referidas por onde acabarem as trinta e sinco te quarenta legoas de costa de sua capitania se parAo marcos de pedra. E estes marcos correrAo via recta pello sertAo dentro».
l'intention de les accorder aux personnes auxquelles il me
plairait.
C'est pourquoi:
Ayant en estime les services que m'a rendus Bento Maciel Parente, espérant de lui qu'il m'en rendra encore d'autres, et trouvant plaisir à lui accorder des faveurs pour l'en récompenser;
Usant de mon pouvoir royal et absolu, et en parfaite connaissance de cause, j e trouve bon et il me plaît de lui faire, comme je le fais par ces présentes Lettres, donation irrévocable entre vifs, valable dorénavant pour toujours, avec le droit de transmission héréditaire (de juro e herdade), pour lui, ses enfants, petits enfants héritiers et successeurs qui viendront après lui, tant descendants directs que collatéraux, ainsi qu'il sera spécifié ci-dessous, des Terres1) qui gisent au Cap de Nord avec les rivières qui se trouvent sur ces terres lesquelles ont de côte sur la mer de 30 ci 40 lieues d'étendue comptées depuis ce cap jusqu'au Rio de Vicente Piçon (sic), où commence le département des Indes du Royaume de Castille, et vers l'intérieur en remontant le Rio des Amazones du côté du canal qui débouche à la mer, de 80 à 100 lieues jusqu'au Rio dos Tapujusus déclarant que dans les régions (partes) indiquées, là où se termineront les 35 à 40 lieues de côtes de sa Capi-
125
tainerie, des bornes frontières en pierre seront placées. Et ces bornes seront placées en ligne droite vers l'intérieur l ) :
Et, en outre, appartiendront au susdit Bento Maciel Parente et à ses successeurs, les îles qu'il y aura jusqu'à dix lieues au large devant la démarcation des 35 à 40 lieues de côtes de sa Capitainerie, largeur qui doit être mesurée en ligne droite et prolongée vers l'intérieur et la terre ferme, de la manière déclarée, jusqu'au Rio Tapu-jusus, et de là encore aussi loin qu'il sera possible de pénétrer et fera partie de mes conquêtes, et de ces terres, îles et rivières, avec les démarcations indiquées, je lui fais donation et je lui accorde le droit de transmission héréditaire pour toujours, comme il a été dit. Et je veux, et il me plaît, que le susdit Bento Maciel et tous ceux de ses héritiers et successeurs qui hériteront des susdites terres, ou qui lui succéderont, aient les titres de Gouverneurs et Capitaines Généraux des susdites terres . . .
En outre je déclare que je lui fais cette grâce non seulement comme Roi et Seigneur de ces Royaumes, mais encore comme Gouverneur et Administrateur perpétuel, que je suis, de l'Ordre de Chevalerie de la Maîtrise de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et par ces présentes Lettres je donne pouvoir et autorité au susdit Bento Maciel pour que, par lui-même ou par quiconque il lui plaira, il puisse prendre, et prenne, possession réelle, corporelle et effective des terres de la susdite Capitainerie et du susdit Gouvernement. »
1) L a traduction de cette phrase n'est pas absolument exacte. L e texte original dit : « E t ces bornes doivent courir via recta (en ligne droite) vers l'intérieur. Mathématiquement, il s'en suit que selon toute apparence la ligne frontière serait perpendiculaire à la ligne du littoral.
— 1 2 6
En vertu de cette donation, Bento Maciel Parente prit
possession, le 30 mai 1639, de la capitainerie du Cap de
Nord, ce dont procès-verbal officiel fut dressé
Voici les faits qui découlent de la donation consignée
dans les «Let t res royales» du 14 juin 1637:
1. Le roi Philippe reconnaît le fleuve Vincent Pinçon
comme constituant la frontière entre les deux royaumes,
la couronne d'Espagne et la couronne de Portugal.
2. Il ordonne de placer une borne-frontière sur le
Vincent Pinçon.
3. L a capitainerie de Bento Maciel Parente appartient
à l 'Estado de Maranhão et fait partie du domaine de la
Couronne de Portugal.
Cette capitainerie est délimitée comme suit : le Vincent
Pinçon la limite au nord, les 30 à 40 lieues qui vont
du Cabo de Norte jusqu'au Vincent Pinçon forment la
frontière côtière, l'Amazone est la frontière méridionale,
en remontant de 80 à 100 lieues « da parte do canal » jus
qu'au Rio dos Tapajusûs.
En 1640, le Portugal se sépara de l'Espagne par la
force des armes. L e nouveau roi de Portugal, Jean I V ,
prit possession dit territoire portugais dans le Brésil tel que
l'avait délimité le dernier roi d'Espagne et de Portugal,
y Compris par conséquent la rive septentrionale de l'Ama
zone jusqu'au Vincent Pinçon; il ratifia, entre autres, l'or-
1) «Cette donation est enregistrée au Livre 2 d des Registres Royaux de la susdite ville de Belem, du folio 131 au folio 136, ainsi que le procès-verbal de la prise de possession de cette capitainerie par le donataire Bento Maciel Parente le 30e jour du mois de mai de l'année 1639, lequel procès-verbal est enregistré dans le même livre au folio 164 », d'après la réponse portugaise de 1698, R . B . II, page 224 ; Conf. M. F . II, page 21.
ganisation de la capitainerie du Cabo do Norte 1 ) . L 'Es
pagne, bien qu'elle fût alors en guerre avec le Portugal,
ne contesta pas la légitimité de l'occupation portugaise
et reconnut expressément, dans le traité de paix de 1668,
que les frontières entre l'Espagne et le Portugal devaient
être maintenues telles qu'elles existaient avant la guerre 2 ) .
Mais, avant 1640 déjà, les Hollandais s'étaient emparés
de toute la rive septentrionale de l'Estado du Brésil. En
1641, ils pénétrèrent dans l'Estado de Maranhão et prirent
Sam Luiz, où ils firent prisonnier Bento Maciel Parente qu'ils
emmenèrent. Parente mourut la même année au Rio Grande
do Norte, tandis qu'on le conduisait à Moritzstadt (Per-
nambuco), la capitale du Brésil hollandais. La capitainerie
du Cabo do Norte passa à son fils, qui s'appelait Bento
Maciel comme lui ; la donation fut confirmée par les lettres
patentes du 9 juillet 1645, dont il a été parlé. L e troisième
seigneur de la capitainerie fut Vital Maciel Parente, qui
mourut sans laisser de successeur ; la capitainerie fit alors
retour à l'Etat de Portugal 3 ) .
Même la capitainerie du Cabo do Norte se trouva
de nouveau menacée par les Hollandais, à ce que relatent
deux lettres adressées les 1 e r janvier et 20 août 1647 au
roi de Portugal par Sebastião de Lucena de Azevedo 4 ) .
Dans la première, Azevedo rapporte qu'un de ses officiers
s'empara sur le territoire de l'embouchure de l'Amazone
1) M. B . 1, page 95 et R . B . II, page 41, où il est dit que les «Let t res royales du 9 juillet 1645 », du roi Jean I V de Portugal reproduisent intégralement la concession de 1637 et qu'elles se trouvent à Lisbonne aux « Archs. de Torre do Tombo, Liv. 1 e r de la Chanc. de D. João I V , f° 280 e suiv. »
2) M. B . I, page 86. 3 ) M. B . I, page 95. 4 ) R . B . II, pp. 69 et suiv., I V , pp. 13-20, V , nos 1 et 2.
1 2 7
— 1 2 8 —
d'un corsaire hollandais qui, disait-on, attendait de Hollande
300 hommes d'infanterie et d'artillerie. Les Hollandais
étaient en train de construire un fort « aux lacs de Mari-
cary sur la rivière appelée des Amazones». Azevedo y
alla lui-même par un chemin difficile, coupé de cours
d'eau, que seuls les Indiens connaissaient. Il vainquit les
ennemis, s'empara «du fortin où ils étaient». L a rencontre
eut lieu sous la latitude de 3°30 ' , d'après la hauteur du
soleil 1) ; c'était « le point le plus éloigné où soient arrivés
les Portugais». L e 20 août 1647, Azevedo annonça que 8
navires hollandais étaient arrivés au mois de mai et avaient
attaqué Curupá ; ils furent découragés, n'ayant pas trouvé
le corsaire « que j 'avais pris et chassé du Cap du Nord,
où il était fortifié », ce qui fit échapper les Portugais à un
grand danger.
Les Hollandais n'étaient plus à craindre ni dans la
capitainerie du Cap du Nord, ni dans le reste du Brési l ;
dès 1654, ils avaient complètement évacué le Brésil.
En revanche, le conflit avec les Français était proche.
c) Actes de possession faits par la France
et concessions françaises.
1.
L'exposé général de la politique coloniale française
a montré que la F rance ne pouvait pas intervenir dans la
Guyane avant 1660.
L e s premières entreprises tentées par les Français au
X V I e siècle ont été mentionnées ci-dessus, pages 71 et sui-
1) Il est impossible de conclure avec R . B . II , pp. 69 et 70, en se basant sur cette donnée incertaine que ce poste était « entre T r è s Boccas et la pointe Cassiporé, peut-être sur la rivière de ce nom ».
vantes ; il n'y a pas à y revenir ici. Une fois, il est vrai, la
France parut disposée à agir 1), alors qu'en 1602, René Marée,
sieur de Montbarrot, reçut de Henri IV une concession
comme « lieutenant-général pour le Roi en America Peruana »
(Lettres patentes du 8 mai 1602); il prit pour associé La
Ravardière qui en 1604 fit en Guyane un voyage de décou
verte. En 1605, le roi renouvela la concession, nommant
en même temps L a Ravardière « lieutenant-général du Roi
ès contrées de l'Amérique, depuis la rivière des Amazones
jusques à l'Isle de la Trinité » ; mais ce n'était pas là une
concession proprement dite, encore moins la prise de posses
sion effective d'un territoire déterminé. Le 10 octobre 1610,
La Ravardière se fit donner une autre concession pour le
littoral qui est au sud de l'équateur; François de Rezilli,
Nicolas de Harlay de Sancy et lui furent nommés « lieute
nants-généraux du Roi aux Indes Occidentales et terres
du Brésil ». L a Ravardière, en 1612, fonda la ville de Saint-
Louis de Maranhão, mais en 1615 déjà son entreprise
échouait. Plus tard (Lettres patentes du 27 novembre 1624)
Louis XIII , renouvelant la concession précédente, nomma
La Ravardière et Lourdières « lieutenants-généraux du Roi
ès pays de l'Amérique depuis la rivière des Amazones
jusques à l'Isle de la Trinité » ; il n'est pas rapporté toute
fois que cette concession ait jamais été suivie d'un acte
d'exécution quelconque. Dans son mémoire (M. B . I, pp. 86-87),
1) Conf. M. B . I, pp. 70-73, 86 et suiv., 98 et suiv. M. F . I, pp. 152-154, R . F . pp. 50-52. Les parties sont d'accord sur les faits essentiels relatés ci-dessus. Toutefois, c'est M. F . I, page 152, seul qui mentionne encore la concession du 8 mai 1602, plus deux autorisations de 1609 et 1610, accordées par Montbarrot pour découvrir le pays, de l'Amazone à l'île de la Trinité. L e texte des diverses lettres patentes n'ayant pas été communiqué à l'arbitre par les parties, il lui est impossible de déterminer exactement le rapport que ces concessions ont entre elles.
9
129
— 130
le Brésil, invoquant le « Calendar of State Papers, Colo
nial Series » et les documents des Archives de la Com
pagnie hollandaise des Indes occidentales, prétend que,
durant les dix premières années du X V I I e siècle, les Por
tugais ont bien rencontré dans le bassin de l'Amazone des
Hollandais, des Anglais et des Irlandais, mais pas de Fran
çais 1 ) . L a France (M. F . I, pp. 152 et suiv., R. F. , pp. 50
et suiv.) est dans l'impossibilité d'opposer à cette allégation
d'autres faits que ceux mentionnés ci-dessus, savoir les
concessions accordées à L a Ravardière et à ses associés,
ainsi que leurs entreprises; mais cela ne prouve pas que
la F rance ait occupé la Guyane.
En 1626, les diverses compagnies françaises commen
cèrent à prendre pied sur la côte de Guyane en même
temps que les premiers essais de colonisation avaient lieu
sur le Sinnamarie 2 ) . Une de ces concessions royales com-
missionnant une entreprise de ce genre est connue, c'est
celle par laquelle, en 1638, le cardinal de Richelieu, au nom
de Louis XI I I , autorise J acob Bontemps et ses compa
gnons 3) : « que les associez et autres continueront la colo
nie par eux commencée en l'isle qui est à l'entrée de la
riviere de Cayene et clans la riviere de Maronin en l'Amé
rique vers le Cap de Nord, et s'establiront s'ils le peuvent
1) M. B . I, pp. 86 et suiv. Dans le « Certificat » que L a Ravardière remit le 8 décembre 1615 au « Commandant en chef Alexandre de Moura » au fort Saint-Louis de Maranhão, on lit : « j e dis que la Rivière appelée Gran Para , sur cette côte, est une des barres et des bouches de celle qu'on appelle l 'Amazone et que ni sur l'une, ni sur l'autre il n'y a aucun fort, ni aucune garnison de soldats, ni résidents d'aucune partie de l 'Europe », R . B . II, pp. 25 et suiv.
2 ) Vo i r ci-dessus, page 77. 3) D'après la réplique française de février 1699, M. F . II, pp. 37, 38 ;
conf. M. F . I, page 6.
en autres terres, rivieres et isles non habitées par aucun prince chrestien, les plus commodes qu'ils pourront choisir pour le commerce depuis la rivière d'Orenoque icelle comprise, jusques a la riviere des Amasones, icelle comprise, qui est depuis le trois cent dixième degré de longitude jusques au trois cent trentième et dans les terres si avant qu'ils se pourront étendre, et ez isles qui sont depuis le premier degré de latitude du costé du nord jusques au troisième degré, et si les dites terres, isles et rivieres ou partie d'icelles se trouvaient occupées par Princes Chres-tiens, se pourront établir avec eux, s'ils le peuvent commodement ».
Les « Lettres patentes » de Louis X I V , de septembre 1651, nous renseignent officiellement sur le sort qu'eut cette concession. Ces lettres révoquent la concession Bon-temps, que les bénéficiaires n'ont pas su exploiter « en telle sorte que les pays, terres et isles du Cap de Nord, sont depuis longtemps et à présent dénués de tous Habitants François » 1). L'abbé Louis de l'isle Mariuault et Estienne le Roux chevalier, sieur de Royuille, reçurent alors la concession de la « Terre ferme du Cap de Nord en l'Amérique, depuis la Riuiere des Amazones, icelle comprise, jusques à la Riuiere d'Orenoque, icelle pareillement comprise ».
La société à laquelle fut octroyée cette concession se mit à l'œuvre en 1651, mais sans aucun succès; des 500 personnes environ qu'en 1652 elle avait débarquées à Cayenne, il ne restait l'année suivante que quelques malheureux qui acceptèrent l'offre d'un navire anglais de les
1) R . B . II, page 82. L e texte est emprunté à la « Bibl. nat. de Paris. Département des Manuscrits, Vol . in-folio. S. F . 303 »
131
— 132
transporter à Surinam 1). En 1656, Cayenne abandonnée
tomba au pouvoir des Hollandais.
Dès 1663, Colbert chercha à changer le système
jusqu'alors suivi, en procédant comme il est dit plus haut,
page 78. L a « Compagnie de la France Equinoctiale » fut
fondée; sa concession avait pour frontières l'Amazone et
l'Orénoque ; Lefebvre de la Bar re qui en était le lieutenant-
général avait reçu les pleins pouvoirs pour « commander
en ladite qualité, tant aux peuples de ladite terre de l 'Amé
rique ou France équinoxialle qu'à tous nos sujets ou estran-
gers, ecclésiastiques, nobles, gens de guerre et autres de
quelque condition qu'ils soient, estant audit pays » 2 ) .
L 'année suivante déjà la Compagnie de la F rance
Equinoxiale fut réunie à la grande Compagnie des Indes
Occidentales à laquelle fut expressément attribué entre
autres le territoire situé entre l'Amazone et l'Orénoque.
L e 15 mai 1664. La Barre prit Cayenne aux Hollandais.
Après un séjour de treize mois à Cayenne, il retourna en
France et publia, toujours en sa qualité de lieutenant-général
de la Guyane, une étude sur la Guyane française, intitulée :
« Description de la France Eqvinoctiale, cy-devant appellee
Guyanne et par les Espagnols, El Dorado, Nouvellement
remise sous l'obéissance du Roy, par le Sieur L e Febvre
de la Barre , son Lieutenant General dans ce Païs. Avec
la Carte d'iceluy faite et présentée à Sa Majesté par ledit
Sieur De L a Barre . Paris 1666 3 )» .
1) M. B . I, page 103. Rouillé, dans son mémoire de 1698, donne la même date pour l'arrivée et le même chiffre pour les nouveaux débarqués, mais il ne dit rien de leur sort ultérieur, M. F . II, page 2.
2 ) M. F . I, page 7, R. F . , page 5b, d'après les Archives coloniales B 3 , 1671, fol. 103 à 106 et fol. 106, verso à 109.
3 ) R . B . II, pp. 95 et suiv. reproduit le titre et quelques passages du document.
La Barre désigne « L a France Equinoctiale » comme
« cette Coste de Terre ferme, qui commence sous la Ligne
à la pointe du Nord de l'embouchure de la grande Riuiere
des Amazones et court premierement au Nord, quart de
Nordest, jusqu'au Cap de Nord, puis Nord-Nordotiest
jusqu'au Cap d'Orange, de là jusqu'à l'embouchure de la
Riuiere de Marony Nordotiest quart à l'Ouest, et depuis
celle de Marony jusqu'à celle de l'Orinoque Oüest,
Nordotiest et quart de Nordotiest ; le tout contenant à peu
près trois cents lieues Françoises de coste, coupée d'vn
nombre presque infiny de Riuieres, qui fournissent vne
commodité tres-grande à ceux qui habitent et qui vou
draient cy-apres peupler cette vaste étendue de Païs, à
qui nous ne donnerons point de bornes dans les Terres ».
L a Barre décrit l'étendue du territoire conformément
aux données des concessions antérieures, bien que celles-ci
n'eussent pas été suivies d'exécution ; la remarque par
laquelle il termine laisse entrevoir une future possession
illimitée.
Il donne de l'état réel du pays l'aperçu suivant : « Pour
en faire vne exacte Description nous la diuiserons en trois
Parties. La premiere contiendra toutes les Terres qui sont
depuis la Ligne, jusqu'au Cap d'Orange : L a seconde, celles
qui forment la Coste depuis ce Cap jusqu'à la Riuiere de
Marony ; Et la troisième, celles qui sont depuis cette Riuiere
jusqu'à celles de l'Orenoque: Lesquelles trois Parties l'on
pourra proprement appeller du nom de ceux qui les habitent ;
sçauoir, la premiere, Indienne à cause que toutes ces Terres
ne sont occupées que par des Indiens ; la seconde, Fran
çoise, parce que les François sont à present Maistres de
toute la Coste, et y ont étably des Habitations considé
rables, auec des Forts pour s'y maintenir ; la troisiéme,
Anglicane et Belgique, parce que les Anglois et Flamans
133
y ont diuerses Habitations, et en sont comme les Maistres
et Seigneurs.
L a Guyanne Indienne, qui contient enuiron quatre-vingts
lieues Françoises, est vn Païs fort bas et inondé vers les
Costes Maritimes, et depuis l'embouchure des Amazones
jusq'au Cap de Nord, qui est presque inconnu aux François ;
depuis lequel jusqu'au Cap d'Orange, quoy que le Pa ï s
soit de mesme nature, et que l'on ne voye sur ses Riuages
aucune Te r r e releuée, ny Montagne, mais seulement des
Arbres comme plantez dans la Mer, et diuerses coupures
de Ruisseaux et Riuieres, qui ne produisent d'autre aspect
que l'objet d'vn Païs noyé ; l'on ne laisse pas d'auoir vne
plus grande connoissance de ces Terres , parce que les
Barques Françoises, Angloises, et Holandoises y vont
souent traitter du Lamentin ou V a c h e de Mer, que les
Aracarets ou Palicours qui habitent cette Coste, leur traittent
après les auoir harponez dans les Ruisseaux et Marais qui
composent la meilleur partie de la Te r r e qu'ils habitent.
Nous connoissons dans cette Coste les Riuieres d'Ari-
cary, Vnimamary, et Cassipouro ; dans les deux premieres
desquelles la Mer monte en barre de sept, huit à neuf
brasses à pic, auec vn péril extraordinaire des Bastimens
qui y seroient entrez et ne se seroient pas mis à couuert
de ladite barre, ou derriere quelque Isle (dont il y en a
plusieurs) ou dans quelques ances, où les Nauires et Bar
ques demeurent à sec, apres que la Mer s'est retirée. L e
peu de Te r r e propre à estre cultiuée, et la mauuaise qualité
de l'air de cette Coste, la rend inhabitable aux Européens,
qui y sont presque tous malades dans leurs Vaisseaux et
Barques, lors que par la durée de leur traitte ils sont
obligez d'y faire vn faire séjour considerable. »
E t plus loin : « Les Yaos Indiens y ont vne Habitation
plus belle et mieux cultiuée, que l'on ne pourroit attendre
1 3 4
135
du soin barbare de ces gens-là qui y sont au nombre
d'enuiron trente-cinq ou quarante. Ils sont si anciens Habi-
tans de ces Costes, que ie connois et ay parlé plusieurs
fois à vn Anacaïoury, petit-fils d'un Anacaïoury que
Jean Mocquet dit auoir veu en 1604, Roy de ce Païs. En
quoy il erre, ces Peuples n'ayans point de Roys, mais des
Chefs dans chacune Famille, comme cet Anacaïoury l'estoit
alors de celle auec laquelle Mocquet negotia. »
Parlant ensuite de la Riviere d'Yapoco : « Nous n'auons
pas encore connoissance de cette Riuiere plus loin que
trois ou quatre lieuës haut dans les Terres ; mais elle est
nauigeable, et auant qu'il soit un an, l'on en sera plus
instruit. A vne lieue, et le long de la Coste, est la Mon
tagne de Comaribo . . . . L a Riuiere d'Aprouague . . . est
éloignée de huit lieues d'Yapoco . . . L'on peut à la
Riuiere de Marony mettre les bornes de la Guyanne Fran
çoise, et le commencement de l'Anglicanne, puis que les
Anglois ont fait vn petit For t sur cette Riuiere, où ils ont
mis quelque Canon, et tiennent quinze ou vingt hommes
ordinairement. »
Quant aux Portugais, L a Barre en signale quelques-
uns qui sont établis sur la rive septentrionale de l'Ama
zone. Il rapporte que les Indiens Aricarets ont eu avec les
Portugais « qui habitent le Fort Stierro, assis à la Bande
du Nord de la Riuiere des Amazones » un conflit à la
suite duquel une partie des Indiens est allée se fixer sur
les bords du fleuve de Cayenne.
Selon cet exposé du gouverneur, la Guyane française
s'étendait donc du Cap d'Orange au Maroni. Jusqu'en 1666,
les Français n'avaient exploré le Yapoco que trois à quatre
lieues en amont. L e pays situé au delà du Cap d'Orange
dans la direction de l'Amazone leur paraissait inhabitable
pour des Européens. L e Cap de Nord leur était « presque
inconnu » ; ils connaissaient bien sur le littoral les fleuves
« d'Aricary, Vnimamary et Cassipouro », et avec leurs
barques ils allaient, comme les Anglais et les Hollandais,
au pays des « Aracarets ou Palicours, qui habitent cette
Coste » pour faire la pêche du « Lamentain ou Vache de-
Mer ». Pa r crainte des Portugais qui étaient établis sur la
rive gauche septentrionale de l'Amazone, les Indiens étaient
allés se fixer sur la rivière de Cayenne.
Toutefois, à cette époque, l'occupation française était
loin d'être définitive. Pendant l 'absence de L a Barre ,
Cayenne fut prise en octobre 1667 par un amiral anglais;
la France était, en effet, l'alliée de la Hollande dans
la guerre que cet état soutint contre l 'Angleterre. A
la nouvelle de la paix de Bréda, Cayenne fut rendue
aux Français, en décembre 1667, mais elle avait été rava
gée et toutes ses fortifications détruites L a colonie n'eut
pas le temps de se relever de ses désastres, entraînée
qu'elle fut en 1674 dans la ruine de la grande Compagnie
des Indes occidentales et dans la guerre qui, dès 1672, eut
lieu entre la F rance et les Pays-Bas. Cette fois les Hollan
dais envahirent la Guyane française et, à la fin de 1674,
ils avaient repris Cayenne ; en 1675, les Etats Généraux
décidèrent qu'il serait créé un nouveau poste sur l 'Oyapoc 2 ) ,
une ville fortifiée à laquelle fut donné le nom de ville
d'Orange 3). A la fin de 1676, l'amiral français d'Estrées
reprit aux Hollandais Cayenne, en 1677 le fort sur l 'Oyapoc
fut occupé par les Français 4 ) . L e traité de paix de Nimè-
gue de 1678 assit enfin cette possession jusqu'alors si chan-
1) M. B . I, page 106, note 1. 2 ) Dès 1627, il existait un poste hollandais sur la rive gauche de
l'Oyapoc. (Voir ci-dessus, page 106). 3 ) M. B . I, page 107. 4 ) M. B . I, pp. 108, 109.
136
— 137
geante. Le chevalier de Lezu de La Barre, frère du pré
cédent, fut nommé gouverneur ; il avait pour aide-major
Pierre-Eléonor de la Ville de Ferrolles, qui fut plus tard
créé marquis de Ferrolles et succéda en 1690 à de La
Barre.
2 .
C'est alors que commencent les conflits avec les Portugais.
En 1666 déjà, le gouverneur Lefebvre de La Barre
avait parlé de barques françaises, anglaises et hollandaises
qui allaient souvent faire la pêche dans la Guyane indienne,
sur le territoire du Cap d'Orange, vers l'embouchure de
l'Amazone, sur la rive septentrionale duquel existait alors
déjà, à Macapa, la place fortifiée portugaise. Depuis 1679,
les incursions des négociants et pêcheurs français devinrent
de plus en plus fréquentes ; venant de Cayenne, ils passaient
l'Oyapoc pour pénétrer dans la « Guyane indienne » 1).
Les autorités portugaises, s'inquiétant de ces expédi
tions successives, prirent des mesures pour défendre leur
territoire. L e 2 septembre 1684, le roi de Portugal avait
donné l'ordre au gouverneur-général du Maranhão de rendre
compte de la convenance qu'il pourrait y avoir « à fonder
un bourg ou forteresse au Cap du Nord et de l'intérêt
que l'on trouve, ou que l'on pourrait trouver, dans les
terres situées de ce côté, de la nature des Indiens qui
les habitent et de la distance qu'il y a entre la dernière
habitation et ledit Cap, et s'il était utile de fonder ledit
bourg ou forteresse, comment on le pourrait faire sans
l ) Voi r ci-dessous, pp. 180 et 182, le passage du mémoire de Ferrolles, de 1698.
— 1 3 8
porter ombrage aux étrangers, et surtout aux Français
qui habitent Cayenne et font le commerce dans ledit
Cap 1) ».
L e gouverneur-général Gomes Fre i re de Andrada ré
pondit le 15 octobre 1685 2 ) : « L e Cap du Nord est une
borne qui se trouve à côté de la Rivière de Vicente Pinson,
près de Cayenne, par où l'on a fait la démarcation de ce
qui appartenait aux Portugais et aux Espagnols 3), et tout
ce qui se trouve entre ladite borne et Pa rá est appelé Cap
du Nord Les terres de cette partie du pays ne pro
duisent rien dont on puisse espérer du profit ; elles sont
très peuplées d'Indiens et riches en plantes alimentaires,
quoique le sol soit marécageux. Jusqu'à Cayenne il n'y a
aucun établissement d'étrangers, ces baies n'étant d'ailleurs
pas accessibles aux navires, à cause de la violence des
courants que les indigènes appellent Upororocas.
C'est en terre ferme, à l'endroit nommé Torrego, que
l'on peut bâtir une forteresse destinée à mieux défendre
cette région contre l'intrusion des étrangers ; en cet en
droit, il y en eut jadis une autre bâtie par des Anglais, et
qui fut prise par les armes de Votre Majesté, du temps
1) R . B . II, page 127, I V , page 35, cité dans la réponse du gouverneur-général.
2 ) R . B . II, pp. 127 et suiv., pp. 35 et suiv. Tex te de la lettre qui se trouve à la Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. du Cons. Ultram o , Liasse n» 1028.
3 ) L e traité dit Tratado de Justilicacão, conclu en 1681 entre le Portugal et l 'Espagne (le protocole des délibérations des délégués chargés de déterminer la frontière de la Plata) avait fixé la démarcation au Cabo do Norte, d'après ce que dit le P . Pfeil dans son Compendio, ci-dessous visé. L e P . Pfeil exprimait la crainte que la F rance n'en tirât avantage pour augmenter ses possessions de Cayenne. E n adoptant l'emplacement proposé, on conjurait ce danger, car non seulement le Vincent Pinçon était relié à la frontière, mais encore on insistait sur ce qu'il était proche de Cayenne.
139
ou Francisco Coelho de Carvalho gouvernait cet Etat. L e
climat est insalubre. C'est ce pays qui produit tout le Cacao
qui vient au Para, d'où il est éloigné douze ou treize
journées.
La plus forte raison que l'on trouve pour l'utilité d'une
forteresse en cet endroit, c'est que déjà les Français com
mencent à y venir, séduisant les Indiens et leur achetant
des esclaves, et s'emparant peu à peu du Fleuve des Ama
zones, ainsi que Votre Majesté le verra par la pétition
des Capucins à la Municipalité da Pará qui sera présentée
à Votre Majesté en même temps que cette lettre ; et comme
le pays est habité par la plus grande et la plus belliqueuse
des tribus d'Indiens, celle des Tucujûs, ceux qui l'auront
de leur côté réussiront en toutes leurs entreprises, car
sans l'appui des Indiens on ne pourra pas s'emparer de
nos terres, de même que sans eux nous ne pourrons pas
nous défendre.
Sur la pointe des Iles de Janúyanes, en face de la
Rivière de Araguary, terre noyée à la marée haute, bien
pourvue de gibier et de poisson, et très saine, on peut
aussi bâtir un fort, car aucun des canots qui viennent de
Cayenne dans nos terres ne pourront y entrer sans être
vus dudit fort. Cette pointe se trouve à onze journées de
Pará et un peu moins loin de Cayenne.
Aucune de ces fortifications ne peut raisonnablement
éveiller les susceptibilités des Français de Cayenne, attendu
qu'elles seraient situées dans les terres de Votre Majesté,
et qu'ils ne pourraient pas craindre que nous en profitions
pour nous emparer de leur ville, qui ne nous apporterait
aucun des avantages qu'ils en tirent ; mais ce sujet mérite
d'être mûrement étudié, car le dessein de ces gens devient
de plus en plus visible et je ne sais même si ce ne sera
pas déjà trop tard quand nous voudrons les en empêcher ».
140
L e gouverneur-général portugais n'attachait pas grande
valeur au territoire portugais du Cap du Nord, mais il
reconnaissait que sans cette barrière, les Français seraient
bientôt sur les bords de l'Amazone. C'est pourquoi il pro
posait de construire un fort sur le Torrego 1 ) et un autre
sur l 'Araguary.
L e Conseil des ministres recommanda au roi de prendre
la proposition en considération « pour défendre nos terres
et en interdire l'entrée aux nations étrangères » 2 ) .
L e 24 février 1686, le roi ordonna au gouverneur-
général 3 ) ; « de faire bâtir une forteresse sur la terre ferme,
à l'endroit nommé Torrego, où les Anglais en ont eu une,
que nos armes leur ont enlevée, et de rechercher en même
temps l'amitié des Indiens Tucujús, qui habitent ces parages,
en employant à cette fin les Pères de St. Antoine, qui ont
acquis du prestige et de l'influence sur eux. »
En ce temps-là, le gouverneur-général et le gouverneur
de Cayenne avaient échangé des lettres « sur l'entrée et le
commerce que les sujets du roi T rè s Chrétien cherchent
à établir dans les terres de cet Etat qui sont du côté du
Nord ». L e gouverneur-général adressa, le 23 août 1686,
un rapport au roi 4 ) , qui répondit en date du 21 décem
bre 1686 6 ) : « Il m'a paru bon de vous dire, que la mesure,
prise par vous, de renvoyer à leur Gouverneur les prison-
1) R . B . II, page 128, note 2, fait observer : « L a rivière que les Anglais nommaient Taurege : le Maracapucú, à l'ouest de Macapá. »
2 ) Ibidem, page 130. 3) M. B . I, page 114, note 1, R . B . II, page 131, d'après Rivara,
Catalogo dos Manuscriptos de Bibliotheca Publica Eborense, Lisboa 1850, t. I, page 66 ; conf. Si lva, II, page 78.
4 ) M. B . I, pp. 115 et suiv., R . B . II , page 132, cité dans la réponse du roi.
6 ) M. B. I, pp. 114 et suiv., R. B . II, page 132, Bibl. Nationale de Rio de Janeiro, Ms. 878, fol. 56, 57.
141
niers français a été fort sage, comme toutes celles de votre
gouvernement. Et attendu que les moyens les plus efficaces
pour empêcher le projet des français sont ceux que votre
lettre contient, vous tâcherez de les laisser si bien disposés,
qu'Artur de Sá de Menezes, qui va vous succéder, les
puisse mettre à exécution. »
Et la réponse du gouverneur étant revenue sur la con
struction de forts destinés à protéger le domaine de la
couronne de Portugal, le roi lui ordonne de choisir pour
ce fort, qu'il avait été auparavant déjà autorisé à bâtir,
l'emplacement qui lui paraîtrait le plus convenable ; puis le
roi continue : « Vous pourrez même faire construire, non
pas une forteresse seulement, mais encore toutes celles
que vous jugerez nécessaires, tant pour assujettir les sau
vages du côté du nord, que vous aurez soin de persuader
par les cadeaux auxquels ils sont sensibles, que pour
mettre obstacle à toute nation qui entrerait dans les
terres de ma couronne sans les conditions requises pour
le faire. »
Le roi charge Antonio de Albuquerque Coelho, capi
taine-major et gouverneur de Para 1 ) , de diriger la construc
tion du fort.
Le roi écrit en outre : « Vous aurez recours, en même
temps, aux Missionnaires Franciscains de St. Antoine qui
ont des Missions au Cap du Nord, et à ceux des Pères de
la Compagnie de Jésus, qui seraient les plus aptes à ce
service, les prévenant en mon nom de ce qu'ils doivent
faire à fin de maintenir la loyauté et l'obéissance des Indiens
des Missions et d'arriver à assurer la paix et l'amitié avec
ceux des gentils qui n'ont pas encore été soumis... ; j ' a i
ordonné aux Pères de la Compagnie de Jésus d'établir une
1) Conf. Silva, I, pp. 24 et 28.
1 4 2
nouvelle Mission au Cap du Nord et vous les trouverez
dans la disposition habituelle à leur zèle dans les matières
du service de Dieu, notre seigneur, et du mien. Et pour
que les uns et les autres agissent sans se disputer leurs
juridictions, vous prendrez soin de séparer leurs résidences
et leurs Missions par des distances telles qu'ils n'aient point
à avoir de doutes sur ce qui revient aux uns et aux autres
pour la conservation des sauvages et pour le bien de
l'Etat ».
Ensuite de cet ordre, on commença à bâtir plusieurs
forts, dont l'un, sur la rive gauche de l 'Araguary, se
trouvait terminé à la fin de décembre 1687 l ) .
Antonio de Albuquerque, qui avait été chargé de la
construction du fort, entreprit en 1687 une expédition
dans les terres du Cap du Nord; conformément à 1'«ordre»
du roi, le gouverneur-général Gomes Freire de Andrada
lui enjoignit 2) :
« de passer à l'autre rive du fleuve des Amazones, en
compagnie de l'ingénieur de cet Etat, des soldats et d'autres
personnes pouvant servir de guides, et choisis à cet effet ;
de pénétrer dans l'intérieur du Cap du Nord en liant
commerce avec quelques tribus de Gentils, de celles qui
se trouvent en dehors de notre influence : d'aller voir et
examiner les emplacements où furent les forts de Torrego,
de Cumaú et de Mayacary, tous gagnés par les armes
portugaises 3 ) , et s'il en résultait que quelques-uns se trou
vassent dans des positions favorables pour empêcher les
étrangers de venir trafiquer dans cet Etat, de faire dresser
1) M. B . I, page 122, note 2, R . B . II, page 138, note 15. 2 ) R . B . II, page 134. 3 ) Tor rego fut pris aux Anglais en 1629 par Pedro Teixeira, Cumaú
en 1632 par F . Coelho de Carvalho et Mayacary en 1646 aux Hollandais par Lucena de Azevedo. Conf. supra, pp. 108 et suiv.
143 —
1) M. B . I, pp. 91 et suiv., 118 et suiv., R . B . II, pp. 133 et suiv., I V , pp. 43 et suiv., d'après la Bibl. Xat. de Lisbonne, Arch. du Cons o
Ultram o , Liasse n° 1031.
par ledit ingénieur, des plans pour les relever ou les bâtir
à nouveau, tout en cherchant d'autres positions meilleures,
s'il s'en trouvait...».
Le 19 juillet 1687, de Albuquerque adressa au roi un
rapport ainsi conçu l ) :
. . .«Faisant ma route par des endroits d'où l'on peut
bien examiner et signaler les entrées les plus importantes
dudit fleuve des Amazones, j 'entrai dans la rivière d'Ara-
guary voisine de la pointe dudit Cap du Nord, laquelle je
n'ai pu doubler vu le péril de la navigation sur cette côte
qui ne se fait qu'à de certaines saisons. Des régions où
cette rivière prend sa source, ayant appris mon arrivée,
descendirent à ma rencontre quantité d'Indiens, de la nom
breuse tribu des Maruanuns qui habite cet intérieur, les
quels j 'ai fait aussitôt entretenir de ce qui convenait au
service de Dieu et de Votre Majesté, et, montrant leur
contentement, ils exprimèrent leur grand désir d'être chré
tiens, en demandant de leur donner immédiatement un
missionnaire, ce qui n'était pas en mon pouvoir vu que je
n'avais avec moi que le Père Antonio Pereira, de la Com
pagnie de Jésus, et son compagnon, lesquels devaient
continuer le voyage avec moi ; mais je les ai contentés
avec la promesse que bientôt ils obtiendraient ce qu'ils
désiraient.
Sur cette dite rivière, j 'ai appris que huit Français
faisaient séparément le trafic d'esclaves dans le fleuve des
Amazones, aux îles des Aroans, où les Religieux Capucins
ont leur mission : et les envoyant chercher, on n'en trouva
que trois avec quelques esclaves qu'ils avaient déjà ache-
— 1 4 4
tés, et j 'a i appris que, poursuivant leur commerce, les
autres étaient passés dans l'intérieur des Tocujuz, à peu
de distance du fort de Gurupá. Et après leur arrivée, j 'a i
fait part au Gouverneur de l'Etat des circonstances où je
les rencontrai, continuant cependant à pénétrer dans la
rivière et les lacs de Mayacary, où vivent plusieurs autres
tribus de gentils dont j 'a i fait convoquer les chefs au vil
lage situé au milieu d'un grand lac nommé Camonixary.
Les ayant entretenus de la façon que j ' a i dit, ils accueil
lirent avec empressement mes propositions et exprimèrent
le désir d'être admis à la conversion de la Foi et à notre
amitié, laissant entendre combien les contrariaient les rela
tions avec les Français qui fréquemment parcouraient ces
régions et passaient devant leur village qui se trouve sur
la route qu'ils prennent habituellement pour aller au dit
fleuve des Amazones.
Sur ces mêmes lacs, j ' a i fait la rencontre d'un canot
avec d'autres Français venant de Cayenne, pourvus de
quantité d'outils et autres marchandises pour le commerce
d'esclaves, qui est le but de leurs incursions, et porteurs
d'un permis par écrit de leur gouverneur, Pierre Ferrolle,
lesquels, malgré leur répugnance, bientôt vaincue, se
rendirent en bonne paix. Après quoi, les traitant avec
modération, tout en leur faisant de sévères remontrances
sur leur hardiesse d'entrer ainsi dans les terres de Votre
Majesté, et les avertissant de bien prendre garde de ne
pas être de nouveau rencontrés dans ces parages, ou dans
d'autres qui nous appartiennent, et cela sous peine d'être
différemment traités, je les ai fait aussitôt retourner avec
une lettre pour leur gouverneur, dont une copie sera pré
sentée à Votre Majesté avec celle-ci. Pour ce qui est des
rameurs qui les transportaient, lesquels étaient des Indiens
de la Rivière de Vicente Pinson (endroit où, disent les
145
anciens, fut placée la borne de la limite de cette Couronne),
je les réprimandai en leur déclarant qu'ils n'étaient pas
vassaux desdits Français, mais de Votre Majesté, et que
comme tels ils seraient châtiés si de nouveau ils s'employaient
à ramer pour eux (les Français) ou à les guider vers ces
régions, avec d'autres raisons convenables à notre but, ce
à quoi ils se soumirent, en disant qu'ils le feraient savoir
à leurs Chefs. Et ils ont promis de ne plus accompagner
lesdits Français, pour lesquels cette entrée ne sera pas
facile, si lesdits Indiens ne leur portent quelque aide; car
on ne permet pas aux Indiens de Cayenne de les accom
pagner jusque là. A ces dits rameurs j 'a i fait aussitôt dis
tribuer quelques cadeaux, qu'ils apprécièrent beaucoup,
signe pour tous de fidèle amitié, que seuls la crainte ou
l'intérêt entretiennent chez eux.
Et voyant que la baisse des eaux rendait difficile le
passage de mes canots et m'empêchait de poursuivre mon
voyage à travers l'intérieur du pays jusqu'au point de la
côte où fut ladite forteresse de Mayacary, je me suis décidé
à retourner, laissant audit village Camonixari le mission
naire qui m'accompagnait, plus nécessaire à cet endroit
vu les demandes des gentils, lesquels se mirent aussitôt,
et en toute diligence, à bâtir une église et la maison pour
ledit missionnaire.
Il est certain, Sire, que, si cet ordre de Votre Majesté
était arrivé plus tôt, ma mission aurait été terminée, car ce
passage n'est ouvert que du mois de janvier à celui de mai.
Dans tous ces parages, je n'ai trouvé aucun emplace
ment qui fût avantageux pour l'établissement de forts, et
seulement au confluent de la rivière Mayacary, qui se jette
clans l 'Araguary (par où sortent tous les Français qui
viennent de Cayenne à travers lesdits lacs), j ' a i ordonné
au capitaine du génie de dresser le plan d'un blockhaus,
10
146
et pour le moment on a commencé à y en bâtir un, en forme de vigie, qu'on pourra rendre plus important pour empêcher l'entrée desdits Français , ce qui serait faisable très facilement. Et quoique le pays soit marécageux, on y a l'avantage du voisinage des Indiens Maruanuns pour le ravitaillement de la garnison ; et ce blockhaus ne pourra pas être enlevé par lesdits Français , lesquels parcourant cette région des lacs sur de petits canots, seraient aisément repoussés.
Ayant accompli ces choses et visité ces parages de la Rivière d'Araguary et des lacs de Mayacary, et fait connaissance avec tous ces Indiens, j ' a i dépensé avec eux force cadeaux, ce qui était nécessaire pour qu'ils fussent satisfaits de notre commerce . . . E t au retour, en remontant le fleuve des Amazones du côté du Cap du Nord, nous n'avons pas vu d'endroit propre à être fortifié, ni de terre ferme, si ce n'est l'ancien emplacement dudit fort de Cumaú; et, quoique je n'en aie pas trouvé de vestige, l'endroit m'a paru très favorable et les terres bonnes pour être habitées. Il y a aussi le voisinage de quelques Indiens et celui du pays des Tocujuz, tribu très étendue, d'où lesdits Français emportent le plus grand nombre d'esclaves. »
Ce rapport démontre:
1° que c'est sur l'ordre du roi et selon les instructions du gouverneur-général de Maranhão, donc officiellement, qu'Antonio de Albuquerque, gouverneur de Para, entreprit en 1687 son expédition sur la rive septentrionale de l'Amazone ;
2° qu'il pénétra dans l'intérieur du pays jusqu'aux lacs de Mayacary, mais dut renoncer à aller plus loin, la saison étant trop avancée;
3° qu'il traita le pays comme une dépendance de la couronne de Portugal et en conséquence a) fit prisonniers les
147
Français qu'il y trouva, les expulsa et chercha à rendre
impossible à l'avenir toute intrusion des Français dans la
contrée ; b) rappela sévèrement aux indigènes leurs devoirs
de sujets, laissa chez eux des missions et commença à y
construire des forts ;
4° que, se basant sur le témoignage de personnes âgées, il
considérait le fleuve Vincent Pinçon comme la frontière
septentrionale de la Guyane portugaise ; aussi rappelait-il
à leurs devoirs de sujets les indiens qui, habitant sur les
bords du fleuve, avaient servi de rameurs aux Français de
Cayenne pour les amener aux lacs de Mayacary;
5° que, selon lui, la rivière de Vincent Pinçon se trouvait
entre Cayenne et les lacs de Mayacary.
La Guyane des Indiens indépendants, telle que la con
cevait La Barre, n'existait pas pour les autorités portu
gaises; on put le constater lors de la rencontre de quelques
Français avec l'expédition du gouverneur Albuquerque,
en 1687.
3.
A cette époque, les publications du P. De Souza
Ferreira et du P. Aloysio Conrado Pfeil vinrent étayer la
conception portugaise revendiquant pour le Portugal la
contrée au nord de l'Amazone jusqu'au Vincent Pinçon.
Joâo De Souza Ferreira, prêtre de l'Ordre de St. Pierre,
résida pendant de longues années à Belem de Para ; vers
1685, il rédigea un « Noticiario Maranhense», dont le ma
nuscrit a été conservé 1 ) . Il y donne les indications ci-après :
1) R . B . II, page 123, cite d'après la copie de la Bibl. Nat. de Lisbonne, Manuscrit, Cod. n° 467 (B . 6, 19); il existe, dit R . B. , une seconde copie à la Bibl. d'Evora. Voi r un passage de l'ouvrage, ibidem, pp. 123
— 148 —
et suiv., I V , pp. 31-33. L e s notes du P . de Souza ont été utilisées pour la rédaction de la duplique du Portugal de 1699, R . B . II, page 320, note 73.
« De l'embouchure du Pará » il y a 70 lieues jusqu'au « Cap
du Nord » (ainsi nommé parce que c'est la pointe de terre
que le fleuve des Amazones avance de l'autre côté sur la
mer par 2 degrés 40 minutes Nord), telle est la « largeur de
l'embouchure du fleuve»; «vers le Couchant, en doublant
ce Cap autrement nommé de los Humos, à 40 lieues der
rière lui se trouve le ryo de Vicente Pinçào, par un autre
nom dit aussi ryo Fresco , et les indigènes dans leur langue
le nomment Quachipurú, où d'après le bon accord des
deux couronnes, se termine la frontière du Brésil pour
cette partie du Nord et commence celle des Indes Occi
dentales, et d'où, en longeant la côte à vue de terre, il y
a 60 lieues jusqu'à Cayenne, par 4 degrés».
Ensuite il parle des expéditions des Anglais, des Hol
landais et des Français ayant pour but « la célèbre Cayenne,
si disputée, plutôt à cause de ses dépendances de la terre
ferme voisine, que par la valeur de l'île même qui n'est
pas grande». Il continue en ces termes: « La multiplicité
des prétendants à cette côte a fait disparaître une borne,
qui avait été plantée à l'embouchure de la rivière de Vicente
Pinção, ayant les Armes de Castille sculptées sur la face
qui regardait au couchant, et sur celle qui était tournée
vers l'Orient les Armes de Portugal, ainsi qu'en témoignent
les explorateurs encore vivants qui ont vu et touché ladite
borne apportée de Portugal et érigée par le deuxième
Gouverneur de l'Etat, Bento Maciel Parente, lequel prit
possession de cette Capitainerie du Cap du Nord, en vertu
de la donation que lui en fit S a Majesté Sérénissime
Philippe I V , signée de sa royale main, le 14 juin 1637,
quand il régnait en Portugal et gouvernait les terres de
ce Royaume par l'intermédiaire de Bureaux et de Ministres
portugais; ainsi qu'en fait foi le Livre du Registre des
Douanes de Para, indiquant les originaux en Portugal
dans le Livre XII I d'India e Mina, et dans ceux des
Finances.». . .
L e P. Souza Ferreira, renvoie aux documents offi
ciels, ce qui prouve qu'il connaissait fort bien la donation
faite à Parente; il suivait avec attention les entreprises
des Hollandais, des Anglais et des Français en Guyane.
Il ne donne pas une description proprement dite de la côte,
se bornant à en mentionner les points principaux, le Cap
du Nord, le Vincent Pinçon et Cayenne. Voici les plus
importantes de ces indications:
1° Il évalue à 40 lieues la distance du Cap du Nord
(2° 40' N) au Vincent Pinçon, à 60 lieues la distance entre
le Vincent Pinçon et Cayenne (au delà de 4°).
2° Il admet que le ryo Vicente Pinção s'appelle aussi
ryo Fresco et ne serait autre que le Quachipurú des
indigènes.
3° Il affirme que Bento Maciel Parente a placé à
l'embouchure du Vincent Pinçon une borne-frontière appor
tée du Portugal et portant sculptées les armes de Castille
et du Portugal; cette borne aurait toutefois disparu, mais
il invoque le témoignage de « conquistadores » encore
vivants qui l'avaient vue et touchée.
En 1693, le P. Souza Ferreira écrivit l' « America
Abbreviada 1) », dont le manuscrit a été également con-
1) America Abbreviada, suas noticias e de seus naturaes e em par-
ticular da Maranhão, pelo P. João de Sousa Ferreira, Presbytero da
Ordem de S. Pedro, natural da Vi l la da Ponte; R. B . II, pp. 157 et
suiv., I V , 39 et suiv., Bibl. d'Evora, Cod. C X V I , 1-8, 1 vol., 185 et suiv.,
reproduisent des passages du manuscrit.
149
1 5 0
servé. Il y répète une partie de ses informations antérieures; l'histoire de la borne-frontière est modifiée. Deux nouvelles bornes viennent s'ajouter à celle que Parente avait placée sur le Vincent Pinçon: « L à furent plantées deux bornes de marbre, l'une au Levant avec les Armes du Portugal, l'autre au Couchant avec les Armes de Castille, suivant les ordres de S a Majesté Charles-Quint et de S a Majesté le Roy Dom Jean I I I . . . Par suite de la multiplicité des prétendants à la possession de cette côte du Cap du Nord, ont disparu non seulement les premières bornes, mais encore la deuxième, plantée au Levant du Ryo Vicente P inçon . . . »
La nouvelle version est empruntée à 1' « Historia Pontifical, 5. part., liv. 9, cap. 5, let. D » c'est-à-dire à l'exposé historique du carme Guadalaxara (1630), exposé mentionné ci-dessus, page 101 ; Guadalaxara l'avait trouvée dans la « Relacào » de Sylveira (1624), dont il est question à la page 100 mais, grâce à une interprétation erronée du texte, de l'unique borne-frontière de Charles-Quint signalée par Sylveira, il en avait fait deux 1).
Souza Ferre i ra expose ensuite : « Dans le mémoire explicatif de ce traité (se. de l'inutile
et inappliqué Traité du Sacramento de 1681) on a argumenté avec les Fleuves des Amazones et de L a Plata per accidens de la grandeur, mais on a en même temps déclaré les points précis et définis, sans qu'il soit besoin de déter-
1) Comparez entre eux les deux passages de Guadalaxara et Sylveira, ci-dessus pp. 102, note 2, et 101, note 1 ; le texte de Guadalaxara, emprunté à Souza Ferre i ra , reproduit presque mot à mot, le texte de Sylveira. Toutefois, Guadalaxara a pris « l'un » et « l'autre » côté du pa-drAo dont parle Sylveira, pour «l 'un» et «l 'autre» côté du fleuve, ce qui donne deux bornes-frontières au lieu d'une seule et unique, une borne sur chaque rive du fleuve.
miner tous ceux de la partie du Nord où la limite est
déjà hors de question et reconnue par le Roy Catholique
lui-même.
Les Portugais y ont toujours exercé leur droit, non
seulement en délogeant par de fréquents combats les Hol
landais des différents endroits où ils s'étaient introduits sur
cette côte . . . , mais encore en soumettant les indigènes en
plusieurs expéditions, dont les chefs reçurent des Gouver
neurs les cédules et provisions pour gouverner et exercer
le commendement sur ces peuples au moyen d'un com
merce familier et quotidien au temporel comme au spirituel.
Les Missionnaires de la Compagnie de Jésus y résident et
enseignent depuis plus de soixante ans, et il y a peu de
temps encore, les gentils (par haine de leur doctrine, sur
tout parce qu'elle leur interdit d'avoir plusieurs femmes
selon leur coutume) en ont martyrisé deux qui enseignaient
sur la côte de cette Capitainerie et Cap du Nord, en les
assommant avec des massues aux lacs de Aragoary 1)» et
les attachant ensuite à des arbres. L'un deux était le
P. Antonio P e r e i r a . . . et son compagnon le P. Bernardo
Gomes . . . L a même entreprise est poursuivie par les Reli
gieux de l'ordre des Capucins de Saint Antoine dans les
peuplades des Aroans et les nations qui habitent ces côtes
et barre du Cap du Nord.
Chose non moins importante fut la grande dépense
faite avec ces gentils, pour les tenir en bonne paix, par
le Donataire et son fils Vital Maciel Parente, dont sont
encore grevés leurs hér i t ie rs . . . Et quand même le Portu
gal n'aurait pas le titre, il lui suffirait de son droit acquis
1) Albuquerque, ainsi qu'il le mentionne dans son rapport (voir ci-dessus, page 144). les avait laissés là lors de son expédition de 1687. Il faut qu'ils aient été mis à mort dans le courant de la même année, ainsi qu'il résulte du rapport de Ferrolles, de 1688.
151
152 -
avec possession pendant soixante-dix ans, dont il jouit
maintenant, tant de ladite Capitainerie du Cap du Nord
que de tout le fleuve des Amazones, ses terres et versants
des eaux de l'une et l'autre rive depuis le Ryo de Vicente
Pinçon jusqu'à la nation des Cambebas et confluent du
Ryo do Ouro, dont le 26 août 1639, Pedro Teixeira . . . prit
possession au nom de la Couronne de Portugal. »
C'est ainsi que le P. Souza Ferreira considère comme
établie la domination du Portugal sur le territoire du
Cap du Nord jusqu'au fleuve de Vincent Pinçon: par la
délimitation ordonnée par le roi d'Espagne Philippe I V ,
par l 'exercice de certains droits de souveraineté, par l'or
ganisation d'une administration civile et ecclésiastique, par
les dépenses faites au profit du pays et par une possession
effective de 70 ans.
Dès 1680, le P. Aloysio Conrado Pfeil consacra une
vingtaine d'années à rassembler des matériaux relatifs aux
droits du Portugal sur le territoire de l'Amazone et à écrire
l'exposé de ces droits.
L e P. Pfeil 1)né en 1638 à Constance, membre de
la Compagnie de Jésus depuis 1676, envoyé en 1679 dans
la province du Maranhão, à Para , était missionnaire dans
la Capitainerie du Cap du Nord; en 1682, il porta à la
connaissance des Indiens de ce pays la loi du roi de Por
tugal qui interdisait de les réduire en esclavage 2 ) . En 1683,
1) R . B . II, pp. 108 et suiv. donne la plus grande partie de ces notes biographiques.
2 ) «En l'année 1682 le Roi notre Maître ordonna au Père Pedro Luiz, supérieur des missions, et au Pè re Aloisio Conrado, tous les deux de la Compagnie de Jésus, d'entrer dans l'intérieur de ce pays sans dépasser les limites des possessions de la Couronne de Portugal. L e but, dans lequel ils ont été envoyés outre celui d'aller prêcher l 'Evangile, fut de publier parmi ces Indiens la loi que S a Majesté (que Dieu l'ait en sa garde) venait de promulguer, prohibant l 'esclavage des Indiens », R . B . II, p. 237.
153
le roi de Portugal lui ordonna de mettre ses notes au net 1) ;
en 1688, il se trouvait encore dans une mission « au nord
de l'Araguary ». Il fut ensuite durant plusieurs années pro
fesseur de mathématiques au collège de Para, écrivit une
« Relation » que le Portugal utilisa dans sa duplique de
1699 ; le 1 e r avril 1700, il envoya, sur l'ordre du roi, au
gouvernement portugais son « Compendio » sur la question
des frontières du territoire de l'Amazone, fut appelé en
1701 par le roi Pedro III à Lisbonne et mourut pendant la
traversée 2 ) .
Parmi les écrits du P. Pfeil, le « Compendio » a été
conservé ; il a pour titre en français : « Résumé des raisons
et des arguments les plus importants qui prouvent évidem
ment que la Capitainerie appelée du Nord, située à l'entrée
de l'embouchure du Fleuve des Amazones, appartient légi
timement à la Couronne de Portugal, et que le Roi de
France n'a et n'a jamais eu un droit sur elle, ni sur le
Para, ni sur le Maranhão non plus».
L'original de l'écrit existe, l'authenticité en est par
conséquent incontestable, comme il est hors de doute que
l'auteur est bien le P. Pfeil 3 ) . .
1) Rapporté par le P. Pfeil dans la préface du Compendio, R .
B . II, page 372. 2 ) « Missionnaire au Cap du Nord, appelé en Portugal par le Roi
Dom Pedro et décédé pendant la traversée ». Note ajoutée à la copie du
Compendio conservée à la Bibl. Nat. de Lisbonne (Collection Pomballina,
n° 687, page 193), R . B . II, page 372. 3 ) L e « Compendio » est conservé à la Bibliothèque du Roi de
Portugal, au palais d'Ajuda, Lisbonne, dans un volume in-folio Mis
cellanea; il porte le t i tre: «Papéis juridicos e politicos ». Ce ma
nuscrit, lit-on dans la préface, a été mis au net par le copiste ordinaire
du P. Pfeil, « lequel (copiste) allègue des raisons de santé pour ne pas
continuer la copie commencée du livre » et par le sergent-major José
Velho de Azevedo ; la préface est signée de l'auteur, qui a ajouté au-
— 154
L a préface mentionne un ouvrage plus complet (tout le livre) auquel le même auteur aurait travaillé pendant vingt années ; une note qui se trouve à la fin de la préface annonce que le « Sommaire » du livre sera joint au Compendio et le « Sumario » des trois parties du livre se trouve en effet joint à l'original du Compendio.
Ce « Sumario » lui aussi est donc authentique ; il indique quel fut le contenu du grand ouvrage du P. Pfeil. Une partie de cet ouvrage a été conservée en une copie ;
il est intitulé: « Anotaçam », etc. 1 ) «Remarques sur les frontières du Brésil avec une détermination de la ligne, tirée d'un pôle à l'autre, qui divise les terres occidentales du Portugal et de Castille » etc. ; sur le titre est mentionné comme auteur : « P. Aloysio Conrado Pfeil, da Companhia de Jesu, Germano e Missionario do Maranhão ».
Outre le texte de la première partie de l'Anotaçam, cette copie contient de nouveau le Sumario de cette partie.
Il est par là établi que le Compendio aussi bien que les Anotaçam sont authentiques et ont pour auteur le P. Pfeil. Dans la préface du Compendio, le P. Pfeil fait observer que les Anotaçam ont été écrites au jour le jour ; elles n'ont peut-être jamais été mises complètement au net. C'est pourquoi les « brouillons des Anotaçam » ont été conservés.
Voici les raisons qui démontrent que ces brouillons, trouvés en pages détachées dans un volume de la Bibliothèque d'Ajuda 2 ) , ont pour auteur le P. Pfeil :
dessous de sa signature neuf lignes de sa main; R . B . II, pp. 371-375; I V , pp. 143-146 et le fac-similé de la dernière partie de la préface dans R . B . V .
1) Voi r le titre dans R . B . II, page 107. L a copie se trouve à la Bibl. Royale d'Ajuda à Lisbonne.
2 ) R . B . II , page 107. Une partie de ces brouillons a été reproduite
en photographie dans R . B . V , n° 3. Dans R . B . I V , pp. 21-29, se
1. Leur auteur était arrivé dans le pays en 1679, il était missionnaire dans le territoire de l'embouchure de l'Amazone, il connaissait un agent de Parente, il avait des nouvelles de Cayenne et suivait l'expansion française dans le pays, etc. ; tout cela s'applique au P. Pfeil.
2. Ces brouillons traitent des mêmes sujets que le Compendio et l'Anotaçam : de la frontière du Vincent Pinçon, du traité de 1681, dont ils parlent dans les mêmes termes dédaigneux que le Compendio, du Cap Humos qui, d'après les notices aussi bien que le Compendio, doit se trouver sur la rive droite de l'Amazone, à proximité du Tapajoz.
3. Leur rédacteur a à sa disposition les ouvrages scientifiques consultés par l'auteur du Compendio et des Anotaçam ; non seulement Laet, Harcourt, d'Avity, etc., mais encore des livres beaucoup plus rares : celui de Riccioli et les tables du jésuite Aigenler, d'Ingolstadt, qui, d'après le Compendio, avait été le condisciple de Pfeil à Ingolstadt et dont la « Table géographique » avait été envoyée par Pfeil en Portugal en même temps que le Compendio 1).
4. L'argument décisif est : toute une partie des brouillons (fol. 108 et 109) contient un exposé correspondant aux rubriques du Sumario (chap. I de la Parte segunda) et tout un passage est absolument identique. Il est dit dans le Sumario : « Parte Segunda. Contem a resoluçao conforme os solennes e jurados contratos antigos » les mêmes mots se retrouvent dans les brouillons, fol. 104.
trouve une reproduction partielle du texte original, mais qui n'est pas partout exacte ; R . B . II, pp. 109 et suiv., donne une traduction incomplète. R . B . n'établit que d'une manière incomplète que l'auteur est le P . Pfeil.
1) Conf. R . B . II, page 373.
155
1 5 6
Il existe donc trois œuvres du P. Pfeil :
1. le « Compendio » complet 1) ;
2. le livre des « Anotaçam », incomplet 2 ) ;
3. des brouillons des Anotaçam 3 ) .
Voici quelques extraits de ces brouillons :
L a largeur de l'estuaire de l'Amazone du « Cabo do
Norte proprio » jusqu'à Vigia est d'environ 60 lieues espa
gnoles, le Cabo do Norte se trouve par la latitude de
2° 52', longitude 334° 36' (fol. 106 recto). L'î le de Cayenne
est par 4° 37' de latitude, 330° 35' de longitude ; il est donné
des indications sur l'étendue et la position de cette île
(fol. 106 verso); un croquis de l'île est dessiné au haut de
la marge de la page.
Aux pages 106 (verso) à 109 (recto), le P. Pfeil examine
de près la question du « Rio Pinçon ».
Il signale le commencement de cet exposé par une
note marginale folio 106 (recto) écrite en gros caractères :
« Incipit Pinçon Ver t e folium Já que o Pinçon ».
«Puisque la rivière Pinçon —ainsi commence ce passage
— est la limite certaine de la Couronne du Portugal, et
que cela est méconnu, on doit expliquer en détail sa nature
et plus encore au Roi son Maître, car il importe qu'il ait
presque sous les yeux cette rivière, qui lui est soumise et
1) Un passage dans R . B . II, pp. 371 et suiv., IV, pp. 143 et suiv. Conf. ci-dessus, page 23.
2) R . B . II , page 107. L e texte que le Brés i l ne reproduit pas eût eu peut-être de l'importance pour élucider la question de savoir comment le Vincent Pinçon est devenu le fleuve frontière entre les possessions portugaises et espagnoles.
3 ) Comme il est dit ci-dessus, en reproduction photographique (R. B. V, n° 3), transcrits (ibidem, I V , pp. 21 et suiv.) avec une traduction française de certains passages (ibidem II , pp. 109 et suiv.).
remplit les conditions requises pour être la limite des terres
du Portugal du côté du Nord »
Puis il énumère plusieurs « cosmographes ou pilotes
de différentes nations » qui ont étudié et décrit cette ri
vière : « Laet, d'Avity, Harcourt, Moquet, Samuto, Linschot,
Ralegh, Knivet, Candish, Kemnys, etc. » et continue en ces
termes : «J'ajoute peu de particularités nouvelles que je
possède d'après des renseignements sûrs obtenus des Fran
çais de Cayenne qui constamment la traversent » 2 ) .
La rivière porte le nom de l'espagnol Vicente Yañez
Pinçon, dont le P. Pfeil dit par erreur qu'il accompagna
Christophe Colomb dans son troisième voyage, celui de
1499, et que lors de cette expédition, au cours de laquelle il
découvrit « lo rio Wiapoc », il aurait longé la côte vers le sud.
Les géographes donnent au « Rio Pinçon » divers noms
empruntés aux dialectes des Indiens, « mais c'est toujours
la même rivière » (mas sempre he mesmo) que Harcourt
appelle « Wiapoc », Moquet « Yapóc », ou d'Avity, d'après
les cartes françaises « Vaiabógo », « communément et mieux
on dit Oyapóc, qui veut dire la même chose que Oyapucú ou
grand Oya, pour le distinguer de Oya min, ou petit Oya,
la rivière de la Terra firme plus voisine de l'île de Cayana
et que (je crois) Riccioli tient pour la même rivière nommée
de Cayána 3 )» .
1) « J á que o Rio Pinçon he certo limite da Coroa Portugal, e o mesmo ser desconhecido se deve ao leitor a mendo explicar sua consti-tuiçam, e mto mais a E l Rey seu senhor importa que o veja quasi di antes (?) dos olhos o seu subdito que he muy capaz de ser limite das terras de Portugal pelo Norte », R. B . I V , page 23, conf, ibidem II, page 110.
2 ) « Poucas são as particularidades que acrescentado tenho mesmo das seguras informações dos de Cayena Francezes que continuamente o passão », R . B . I V , page 23, conf. ibidem II, page 110.
3) Communemente melhor corre Oyapóc, que quer dizer o mesmo que Oyapucú ou Oya grande, à distincção de Oya mir ou pequeño, Rio
157
— 1 5 8
« Tous les cosmographes donnent à cette rivière de
Vincent Pinçon une latitude nord d'au moins 2 degrés ».
«J'ai trouvé seulement, dit l'auteur, le P. Simâo Vasconcellos,
qui, s'étant trompé, dans sa Chronologie, page PS, le place
sous l'équateur, comme aussi le Cabo do Norte, ce qui
est une erreur très grave et intolérable 1).»
Puis sont énumérées les diverses latitudes sous lesquelles
quelques auteurs ont placé le Vincent Pinçon : Riccioli 2° 40'
latitude nord, Barnicio 3° 40', Langren 3" 30', Laet 4° 30',
d'Avity 4°, Aigenler 3° 40'. C'est la détermination d'Aigenler
qu'adopte le P. Pfeil « parce qu'il a comparé autant qu'il
était possible, comme j ' a i comparé moi-même, les meilleures
cartes » ; il admet donc la latitude de 3° 40' et prend pour
longitude 325° 13'.
Plus loin, le P. Pfeil indique la distance à laquelle se
trouve le Vincent Pinçon des points principaux du litto
ral : « en voyageant le long de la côte » (itinerando pela
costa), il y a 48 lieues espagnoles, 70 lieues françaises du
Vincent Pinçon au Cabo do Norte, « selon ce que m'ont
assuré les Cayennais » (segundo os Cayenenses me affir-
marâo). L e méridien du Vincent Pinçon est éloigné du mé-
de T e r r a firme mais proximo a Ilha Cayána, c que (creo) o Ricciolio tem por o mesmo Rio dito Cavana », fol. 108 verso ; R. B. II, page 113, IV , page 25.
l ) « Comtudo a este Rio de Vicente Pinçon pöem todos os cosmo-graphos em latitud pa o Norte e ao menos em dous graos. Somente achei o Padre Simão Vesconcellos enganado que na sua Chronologia pag. 18 o mete debaixo da linea Equinocial, como tambem o Cabo do Norte ; que he erro gravissimo e intoleravel », fol. 108 verso ; R. B . II. page 114, IV, page 26. L'histoire, ici citée, de la Compagnie de Jésus de l'Etat du Brésil, par le P. Simão Vasconcellos, de 1663, (R. B. II, page 114, note 10) est mentionnée aussi dans le Compendio, où le P . Pfeil reproche à son collègue de nommer « injustamente » la rivière Vincent Pinçon, un « Riacho de Pinçon ».
ridien du Cabo do Norte de 2° 50' ; Laet ne donne pas la
distance, mais il place le Cap de Nord par 1° 50', ce qui
est plus favorable au Portugal (que fica mais favoravel a
Portugal). En ligne droite, le Vincent Pinçon est à 1° 11'
de Cayenne ; en naviguant, à 22 lieues espagnoles, à 30
lieues françaises. La distance de Para est de 5° et d'envi
ron 10'. La distance de l'île de Saint-Antam (une des Iles
du Cap Vert) est de 24° ou 420 lieues, ce que les plénipo
tentiaires auraient dû insérer dans le Tratado da justifi-
cacâo l ) .
« Depuis deux siècles déjà, cette rivière de Pinçon en
elle-même est célèbre pour tous les géographes des rois,
(Laet, p. ex.), parce qu'elle fait partie comme frontière de la
fameuse ligne du pape Alexandre 2 ) . » Après la rivière Aper
Wacque, elle est certainement la plus importante et la plus
renommée de toutes les rivières de la province Guaiana
ou Guiana, d'après Laet. Vient ensuite la description de
là rivière, empruntée pour la grande partie à Laet, à ce
que dit le P. Pfeil.
Quelques cartes placent la source du Vincent Pinçon
non loin de celles des rivières Arawary, Macapà, Mahy et
Anaguaripucu. « Mais le Pinçon reste exclu de la commu
nication avec le fleuve des Amazones et d'autres (Laet I,
17, etc.), et il le fuit au contraire en se dirigeant vers l'oc-
1) Ces plénipotentiaires ont siégé du 10 novembre 1681 au 22 janvier 1682 (Koch-Schöll, 1. c. III, page 218) ; la note a donc été écrite postérieurement à cette date.
2 ) «Já por dous secolos agora de sy este rio de Pinçon he celebre a todos Geographos dos Reys Grandes (por ventura Laet) tambem em razão de ser elle por divisorio limite da famosa linea do Papa Alexandre », photographie du fol. 108 verso. L a transcription dans R . B. I V , page 27, et avec elle la traduction dans R. B . II, page 116, contiennent des erreurs. En particulier les mots « dous secolos» de l'original, ne sont pas reproduits.
159
— 160 —
cident. » Il reçoit sur sa rive méridionale la rivière Arwy.
16 lieues avant son embouchure, il forme une cataracte.
Son embouchure mesure environ une lieue de largeur ;
embarrassée de nombreux rochers, elle n'est pas navigable
pour les grandes embarcations.
« Mais il se jette dans la mer en formant une belle
baie de 4 lieues de large et son eau douce se perd entre
les deux célèbres promontoires du Mont d'Argent et du Cap
d'Orange, lesquels se trouvent à environ huit ou neuf lieues
l'un de l'autre vers la haute mer 1).»
Enfin, il est question (fol. 117, recto et verso) de la do
nation faite à Parente ; la distance entre le Cap du Nord
et le Vincent Pinçon est évaluée, d'après cet acte, à en
viron 40 lieues espagnoles ou portugaises.
Dans cet exposé du P. Pfeil, il y a lieu de relever les
points principaux que voici :
1. L'auteur met toute l'insistance possible à signaler le
Vincent Pinçon comme étant à la fois l'ancienne frontière
adoptée par la démarcation d'Alexandre V I et la frontière
naturelle de l 'Espagne et du Portugal dans la Guyane. Le
fait qu'il admet de façon erronée que la rivière était connue
depuis deux siècles, à l'origine par conséquent, comme le
cours d'eau frontière, ne marque que mieux sa tendance
à placer cette frontière hors conteste. Cette préoccupation
procède de la ligne politique alors suivie, aussi bien que
sa demande au roi «d'avoir la rivière sous les yeux», de
même que l'ordre donné par le souverain au P. Pfeil de
mettre ses notes au net.
1) « Porem desagua no mar em hua fermosa enseada formando hua baya larga de 4 legoas, e perde a agua doce entre dous famosos promontorios do Mont-Argent e do Cabo d'Orange distantes entre (et non sobre, comme dit la Transcription dans R . B . I V , page 28), sy quasi 8 ou 9 legoas no alto mar» , R . B . I V , page 28 ; conf. ibidem II, page 118.
2. Il identifie le Vincent Pinçon et l'Oyapoc : a) en ce
qu'il accorde la même valeur aux diverses dénominations,
disant que Vincent Pinçon, Oyapoc et les variantes de ce
nom désignent tous le même cours d'eau; b) par une des
cription du Vincent Pinçon qui est la description de l'Oya
poc du Cap d'Orange.
3. Lui-même n'a pas exploré le Vincent Pinçon soit
Oyapoc, sa description est faite essentiellement d'après les
renseignements fournis par de Laet. Il a vécu toutefois
avec les indigènes habitant la rive nord de l'Amazone, il a
eu personnellement des rapports avec un agent de la fa
mille Parente et a pu par conséquent apprendre ce que
savaient du pays les explorateurs portugais ; il a reçu enfin
des renseignements sur le fleuve par les Français de
Cayenne qui le « passaient » constamment et qui lui ont
indiqué les distances de Cayenne au Vincent Pinçon, de là
jusqu'au Cap de Nord, savoir 22 (soit 30) lieues pour le
premier parcours, 48 (soit 70) lieues pour le second.
4. Pour le P. Pfeil, la position du Vincent Pinçon est
fixée par l'assimilation de ce cours d'eau avec l'Oyapoc
du Cap d'Orange et par la détermination des distances
qui le séparent de Cayenne, d'une part, du Cap de Nord,
de l'autre.
Les données du P. Pfeil s'écartent de celles du P.
Souza Ferreira sur deux points : Souza Ferre i ra voit dans
le Vincent Pinçon le Rio Fresco et le Quachipurú des
Indiens, tandis que pour le P. Pfeil le Vincent Pinçon
est l 'Oyapoc; Pfeil met le Vincent Pinçon à 22 (soit 30)
lieues de Cayenne, tandis que Souza évalue la distance à
60*lieues.
La distance qui selon le P. Pfeil sépare de Cayenne son Vincent Pinçon du Cap d'Orange est certainement
11
161
exacte *), tandis que celle de 60 lieues adoptée par le P.
Souza Ferreira ne l'est pas, même si l'on part de son
Vincent Pinçon soit Cassipour.
Quant à l'identification que le P. Souza Ferre i ra établit
entre le Vincent Pinçon et le Rio Fresco , il y a lieu de
remarquer que le P. Pfeil assimile aussi son Vincent Pinçon
du Cap d'Orange au Rio Fresco 2 ) . Enfin, le P. Souza
Ferre i ra est seul à rattacher le Vincent Pinçon au Cassi
pour; s'il eût eu raison, on aurait dû chercher les bornes-
frontière sur le bord de ce cours d'eau aussi, ce qui n'a
jamais eu lieu. Les autorités portugaises se sont ralliées
à l'opinion du P. Pfeil, ainsi que l'ont montré les événe
ments ultérieurs; elles considérèrent le Vincent Pinçon et
l 'Oyapoc du Cap d'Orange comme un seul et même fleuve.
Au surplus, le P. Souza Fer re i ra et le P. Pfeil étaient
d'accord pour affirmer les droits du Portugal sur le terri
toire jusqu'au Vincent Pinçon. Ils ont fourni des armes
scientifiques aux autorités portugaises pour les aider à
repousser effectivement les prétentions françaises.
5.
De la Bar re , alors gouverneur français de Cayenne,
ne laissa pas sans réponse les mesures de défense prises
par les Portugais. En 1688, il envoya de Ferrolles sur les
1) E l l e concorde avec les données fournies plus tard par Fer ro l les ; voir ci-dessous, pp. 174, 181.
2 ) Il dit dans le « Compendio » : « Concorda neste limite Pinçon o gravissimo Pedro Nuñez Portuguez, Cosmographo del rey D . Sebastiam, que o chama Rio Fresco. »
« Un éminent écrivain, Pedro Nuñez, cosmographe du roi D. Sébastien, admet aussi cette frontière du Vincent Pinçon, qu'il appelle Rio Fresco. »
— 1 6 2 —
bords de l'Amazone pour sommer les Portugais « d'abandonner les forts qu'ils venaient de bâtir sur la rive gauche de ce fleuve, attendu que toute la rive septentrionale de l'Amazone appartenait de droit à Sa Majesté Très Chrétienne 1) ».
Le rapport de Ferrolles sur son expédition aux postes portugais sur l'Araguary (1688) a fait, entre les rédacteurs des mémoires français et brésiliens, l'objet d'une vive controverse qui porte sur un point très précis : Le texte du rapport de Ferrolles, reproduit par le Brésil, mentionne « la rivière du Cap d'Orange, appellée par les Portugais rivière de Vincent Pinson et par les Français Oyapoc ». Les mémoires français déclarent que ce passage est « une addition au texte original 2 ) » et que « cette identification (du Vincent Pinçon et de l'Oyapoc) a purement et simplement pour base une interpolation 3) ».
L e Brésil répond par des explications sur les textes 4 ) ; il maintient l'authenticité du passage contesté et reproche de son côté au mémoire français d'avoir « omis la partie essentielle » 6 ) du rapport de Ferrolles.
11 résulte ce qui suit des pièces imprimées produites jusqu'à la fin de 1899 :
L a France parlait d'un mémoire de Ferrolles (a), le Brésil d'un autre mémoire (b) qu'il attribuait à Ferrolles.
a) L e rapport qu'invoque la France est reproduit dans M. F . II, pp. 155 et suiv., d'après une copie conservée aux
1) M. F . I, pp. 163, 164, d'après « les Archives des Colonies, t. L X I I I », et M. B . I, page 123, également d'après les « Archives (françaises) du Ministère de la Marine et des Colonies»; conf. toutefois ci-dessous, pp. 163 et suiv.
2 ) M. F . II, page 158. 3 ) R . F . , page 68. 4 ) R . B . II, pp. 143-151. 5 ) R. B . II, page 147.
163
— 164
Archives nationales, K. 1232, n° 54. L'adresse en es t : « à Monsieur et Madame de Seignelay, le 22 septembre 1688 ».
Ce n'est donc pas la reproduction d'un « texte original », comme le prétend M. F . II, page 158: l'adresse ôte au rapport le caractère d'une pièce officielle; à en juger d'après ce texte, c'est une lettre particulière.
b) Quant au rapport qu'invoque le Brésil, le premier mémoire brésilien (M. B . I, page 122) dit qu'il est conservé aux « Archives du ministère de la Marine et des Colonies à Paris » ; le mémoire le qualifie de « rapport officiel de de Ferrole », « revêtu de la signature autographe de ce personnage » 1). En 1840, le vicomte de Santarem a fait du document original un extrait qu'il a communiqué en juillet 1852 2 ) à da Silva, l'auteur de l'ouvrage : « L 'Oyapoc et l'Amazone ». L e premier mémoire du Brésil l'a emprunté à cet ouvrage 3 ) .
C'est la France qui a fourni la meilleure justification des assertions du Brésil. Dans son premier mémoire (M. F . I, pp. 163 et 164), elle a publié plusieurs passages d'un rapport sur l'expédition de Ferrolles, passages qu'elle dit être textuellement cités et empruntés, d'après deux notes qui sont au bas de la page 164, aux «Archives des Colonies, t. L X I I I ». Or, les passages cités sont entièrement conformes au rapport invoqué par le Brésil, rapport que le mémoire français se trouve ainsi confirmer. Seul le passage qui mentionne la « rivière du Cap d'Orange » manquait clans la reproduction que M. F . I donne de la
1 ) M. B . I, pp. 122-123. 2 ) Si lva, II , page 82 (§§ 1954 et suiv.). L a communication a été faite
à Silva, à ce qu'il affirme : « à condition que j e n'en ferais aucun usage pendant sa vie ».
3 ) M. B . II, pp. 122-123.
165
pièce 1), et c'est à cette lacune que le Brésil fait allusion lorsqu'il allègue que « le Mémoire français a omis la partie essentielle ». Pour plus de clarté, voici les deux textes en regard l'un de l'autre :
Texte du passage cité par
le Brésil. M. B . I, pp. 123-124.
(Le Gouverneur de la Barre envoya de Ferrolles dans l'Amazone pour sommer les Portugais)
d'abandonner les forts qu'ils venaient de bâtir sur la rive gauche de ce fleuve, attendu que toute la rive septentrionale de l'Amazone appartenait de droit à S a Majesté Très-Chrétienne.
Ferrolle partit de l'Ouya, sur un brigantin et deux pirogues; il explora l'Approuage, l'Oyapoc et le Cassipour ; laissa son brigantin à l'embouchure du Cassipour, et continua à longer la côte avec les deux pirogues. Arrivé au Mayacaré, il pénétra, par cette rivière dans le lac Macary ; traversa les savanes noyées ; et toujours embarqué, parvint, à la fin du
Texte du mémoire français.
M. F . I, pp. 163-164.
(Le Gouverneur de la Barre envoya de Ferrolles dans l'Amazone pour sommer les Portugais)
d'abandonner les forts qu'ils venaient de bâtir sur la rive gauche de ce fleuve, attendu que toute la rive septentrionale de l'Amazone appartenait de droit à S a Majesté Très Crétienne....
Ferrolles partit de l'Ouya sur un brigantin et deux pirogues, explora l'Approuage, l'Oyapoc et le Cassipour ; laissa son brigantin à l'embouchure du Cassipour, et continua à longer la côte avec les deux pirogues » *).
*) Archives des Colonies, t. L X I I I .
1) M. F . I, page 158 ; R. F , pp. 67, 68.
— 1 6 6
mois, à la forteresse portu
gaise de l 'Araguary, qu'il
trouva située sur la pointe
occidentale de l'embouchure
de la rivière Batabouto,
affluent de la rive gauche de
l 'Araguary, et garnie de
vingt-cinq soldats et de trois
petits canons de fonte.
Il fit sa sommation au
commandant portugais. Et le
commandant portugais lui
répondit que : En vertu d'une
donation faite à Bento Maciel
Parente, les limites des pos
sessions portugaises étaient
à la rivière du Cap d'Orange,
appellée par les Portugais ri
vière de Vincent Pinson, et
par les Français Oyapoc.
Ferrolle le menaça de ve
nir le déloger de force, s'il
ne prenait pas le parti de
décamper volontairement; et
il lui remit une lettre de L a
Bar re pour le Capitào Mór
du Para.
Notre agent le « menaça
de venir le déloger de force,
s'il ne prenait pas le parti de
décamper volontairement ; et
il lui remit une lettre de L a
Bar re pour le Capitào mor
du Para...»
Dans les deux textes, le premier et le dernier passage
sont identiques. Cette concordance absolue frappe d'autant
plus que le texte brésilien n'est qu'un extrait ; elle est pour
donner entière confiance dans l'authenticité du texte inté
gral de l'extrait.
Après le passage initial, conforme au texte de la France, le Brésil donne la suite du récit de Ferrolles ; cette suite, très naturelle, ne s'écarte sur aucun point important du rapport de Ferrolles, du 22 septembre 1).
Après le passage initial, conforme au texte du Brésil, l'exposé de la France interrompt la narration ; il y a là une lacune. Et cette lacune est remplie par une citation de l'histoire de la Guyane, d'Artur 2 ) , qui relate, sans qu'on puisse s'en rapporter entièrement à son dire, que de Ferrolles ne serait pas allé en personne jusqu'au fort portugais sur l'Araguary, mais y aurait envoyé un Indien avec une lettre pour le commandant du fort ; ce qui serait en contradiction même avec le rapport de Ferrolles produit par la France 3).
A la lacune ainsi remplie succède une phrase qui est, elle aussi, empruntée au rapport invoqué par le Brésil et qui, comme le passage initial, est absolument conforme au texte brésilien.
Dans ces circonstances, force a été d'admettre que le passage intermédiaire du texte brésilien, le passage qui comprend l'extrait incriminé par la France, a la même authenticité que les passages initial et final.
Cela étant, on aurait pu baser la constatation des faits de la cause sur l'extrait donné par le Brésil. Le passage contesté par la France n'est pas une interpolation, car il ne fait nullement partie du rapport du 22 septembre invoqué par cette puissance.
Sur la demande de l'arbitre, l'Ambassade de France à Berne, par note du 21 mai 1900, a fourni les éclaircissements ci-après :
1) Conf. M. F . II, page 157. 2 ) Conf. M. F . I, page 164, note 2. 3 ) M. F . II, page 157.
167
- 168 —
1. Quant au rapport de Ferrolles, du 22 septembre 1688, produit par la France, on constate : L'original de ce rapport n'existe plus. « On se trouve donc en présence de deux copies contemporaines de ce document. La première dans le registre Correspondance générale, t. II, Guyane aux Archives des Colonies se trouve dans ce registre à la suite d'un long « Extrait d'une lettre de M. de la Barre , Gouverneur de Cayenne, escrite à M. le M. de Seignelay le 4 Octobre 1688 ».
« Les deux lettres, dont l'analyse et la copie ont été faites en même temps, sont à la place que devraient chronologiquement occuper les originaux dans ce volume II de la Correspondance générale de la Guyane embrassant la période de 1685 à 1691. On peut donc dire en présence de cette copie, qu'elle a été prise directement sur l'original et qu'elle offre une garantie complète d'authenticité. »
« L a seconde copie (Archives Nationales, K 1232, Nr. 54) provient des papiers du père Léonard . . . Le s erreurs de cette copie ne consistent que dans une mauvaise lecture de l'entête et de quelques chiffres ou noms sans portée. L'erreur de l'entête est d'avoir lu M. et Me de Seignelay au lieu de « M. le M. de Seignelay ». Tous les termes de la lettre sont absolument conformes au texte de la pièce conservée au Ministère des Colonies, notamment dans le passage relatif à la rivière Vincent Pinson, et c'est bien là le rapport officiel de Ferrol les sur sa mission à l 'Araguary. »
« Si le Mémoire Français a donné cette pièce d'après la copie des Archives Nationales, cela paraissait indifférent, l'authenticité de la pièce ne faisant aucun doute et
1) D'après la reproduction photographique de cette copie, celle-ci se trouve aux Archives du Ministère des Colonies. Correspondance générale de la Guyane française, vol. 2, C. 14, fol. 44, seq.
— 169 —
les termes mêmes de la lettre étant identiques dans les deux. On ne songeait pas dès lors à s'attacher à une critique de texte. »
A cette communication, le gouvernement français avait joint une reproduction photographique et une transcription de la première copie.
Ces diverses pièces permettent de constater: L e texte du rapport de Ferrolles du 22 septembre 1688;
le texte de la seconde copie que reproduit M. F . II, contient beaucoup d'erreurs, mais concorde en général avec la première copie. L e texte bien meilleur de la première copie permet maintenant de corriger ces erreurs, aussi bien que de combler quelques lacunes. Les erreurs (une comparaison attentive en a fait découvrir plus de cinquante) portent non pas seulement sur des détails, mais plus d'une fois sur des points importants.
Tout d'abord l'en-tête est inexact; il ne porte pas Monsieur et Madame de Seignelay, mais M. le M. de Seignelay. Grâce à cette rectification, le caractère officiel du rapport est hors conteste ; on peut qualifier d'officiel le rapport du 22 septembre.
Puis, en mettant constamment le chiffre 2 à la place du chiffre 1, la copie de M. F . II a embrouillé toute la chronologie du voyage de Ferrolles, qu'il n'est possible de reconstituer qu'après coup.
Enfin, la comparaison avec la première copie fait disparaître l 'Ouyaproque, dont la France voulait faire un cours d'eau spécial 1 ) en se basant exclusivement sur une faute qui se trouve dans la copie reproduite par M. F . II ; l'Ouya-poque de la première copie le remplace.
1) Conf. M. F . I, page 47 ; R . F . , page 68.
— 170 —
Si M. F . II, au lieu de la seconde copie défectueuse, eût reproduit la première qui contient beaucoup moins d'erreurs, bien des confusions eussent été évitées. L'arbitre y aurait probablement gagné qu'on lui eût produit, avec le rapport de Ferrolles, la pièce qui le précède, soit l'« Extrait d'une lettre de M. de la Barre, gouverneur de Cayenne à M. Seignelay », du 4 octobre 1688. La charge élevée que remplissait alors de la Bar re donnerait de l'importance à son rapport.
2. Quant au rapport qu'invoque le Brésil et que cite aussi M. F . I, pp. 163 et suiv., il est dit :
« C'est par erreur que le Mémoire Français s'est référé (p. 164, note 1) au tome L X I I I des Archives des Colonies, pour ce qui concerne le voyage de Ferrol les à l 'Araguary. L e rédacteur travaillait sur des notes réunies par divers employés, et l'inexactitude vient de ce que le volume L X I I I a été plus particulièrement consulté. Mais il ne renferme rien sur le voyage de Ferrolles en 1688. »
L a note de la France ne s'explique pas sur la provenance des deux passages de M. F . I : « d'abandonner — pirogues » et « Notre agent — Para », laissant de la sorte aussi douteux avant qu'après le point de savoir à quoi est due la concordance de ces passages avec le rapport auquel se réfère le Brésil. Vra i est-il que le rapport brésilien ne peut plus s'appuyer sur la déclaration de M. F . I, pp. 163 et suiv., disant que le rapport n'existait pas dans le tome L X I I I des Archives des Colonies. Il faut bien pourtant que les rédacteurs de M. F . I aient trouvé ces deux passages quelque part. Mais comme le Brésil est, lui également, dans l'impossibilité de désigner la provenance exacte, indispensable à connaître, du rapport auquel il se réfère, ce rapport ne peut être utilisé comme moyen de preuve.
171 —
Aussi l'arbitre est-il réduit à se servir du rapport de
Ferrolles du 22 septembre 1688, dont il résulte :
L e 13 mai 1688, de Ferrolles partit du fleuve Ouya
« qui ferme du costé de l'est nostre isle » (Cayenne), avec
un brigantin et deux pirogues, montés par 36 Français et
autant d'Indiens. Après avoir fait 6 lieues, il arriva à la
rivière de Caux : « le lendemain 14 je suis venu mouiller
vis-à-vis la rivière d'Aprouage », 4 lieues de Caux. « Le
15, après avoir fait 10 lieues, je me rendis à Ouyapoque.
L'embouchure de cette rivière est aussi establie nord et
sud et a une lieüe de large. Il y a deux passages à l'est
et à l'ouest de 2 brasses en rangeant la terre. A 4 lieues
de là du costé de l'ouest estoit le fort des Holandois. L a
rivière s'y estrecit tout d'un coup en faisant un coude et
qui done lieu d'une tres bone defense contre les bastimens
qui voudroient y passer. A 8 lieues plus hault on y voit
le Sault lequel est une des plus curieuses choses de l'Amé
rique. C'est une rivière de demie lietie de large, dont le
cours impétueux est arresté par un banc de roches et
semblant s'enfler de colère tombe par cascade avec une
rapidité affreuse à l'espace d'une portée de fuzil de large,
formant au dessous, plus de 300 pas de long, des ondes
aussi grosses qu'une pleine mer. Dans ce lieu je rencontré
un pirogue d'Indiens, nommez Carannes, qui ramenoient
deux traiteurs françois de quatre vingt à cent lieues de là,
où leurs camarades n'avoient encore jamais esté. Ils m'as
surèrent avoir traversé plusieurs cantons de pays de dix
à douze lieues de longueur où il n'y avoit pas d'autres
arbres que des cacaotiers et avoir trouvé une rivière na
vigable qui court au Sud dans celle des Amazones. Cela
estant, on pourrait par ceste route, avec moins de danger
que par le Cap de Nord, aller où les Portugais vont cher
cher le bois de canelle crabe. J e trouvé les terres de cette
rivière bien meilleures que celles de Cayenne et très pro
pres pour des sucreries, ses deux bords estant terres fermes
et point marescageux comme dans les autres de la coste.
Si la navigation en est empeschée par le Sault, on peut
facilement y remedier par un canal qu'on peut faire à
l'ouest à peu de frais ; les gros vaisseaux pourraient venir
mouiller à l'embouscheure, et, quoyque de basse mer ils
touchent, ils n'y souffrent pas, d'autant que la vase y est
si molle qu'ils peuvent siller dessus estant à la voile. L a
mer n'y est jamais grosse, parce que le Cap d'Orange et
la Montagne d'Argent, y form(a)nt une grande baye, font
qu'elle y est toujours belle. Dans cette baye, il s'y descharge
deux autres rivières. L a plus petite, à l'ouest, se nomme
Machourou, et l'autre, du costé de l'est, Coresicribo. »
L e 20 mai il partit de l 'Oyapoc. « L e 20 e j ' en suis party
et je ne suis arrivé que le 3 e de juillet l ) à Cassipoudre,
quoyqu'il n'y ait que 20 lieues, à cause du mauvais tems,
des vents et marées tousjours contraires. C'est une rivière
qui ne passe que par des Savannes, et par conséquent
inhabitable. Son emboucheure a une demie lietie de large
et est establie sud quart sud est et nord quart d'ouest.
Depuis cette rivière jusqu'à celle de Larahouori y a 20
lieues au dela du Cap de Nord où l'on compte prez de
80 lieues. Tout ce que les cartes nomment rivières,
ce ne sont que des esgoux de Savannes ou petits lacs
qui contiennent cette longueur, où l'on peut naviguer
pendant 8 mois de l'année dans de petits canots pour
croiser la coste, qui, jusqu'à Caracapoury est fort dan
gereuse à cause des batures causées par les hauts fonds
et les bancs de sable. » Les indigènes de cette contrée
(Palicours. Aracans, Arouanais et Mayées) le reçurent très
1) Erreur , lire juin.
172
bien et acceptèrent avec joie les présents qu'il leur fit «de
la part du Roy et de Monsieur de la Barre » et lui deman
dèrent de les protéger contre les Portugais « qu'ils appré
hendent tellement que ceux qui en sont les moins esloignez
ont quitté depuis peu leurs càrbets pour se cacher dans
de petits islets ». « Je laissay, » continue Ferrolles, « chez
eux mon brigantin et m'embarquay dans des pirogues pour
avancer outre, et aprez avoir costoyé la coste jusq(u)à la
rivière de Mayacary, je monté dedans pour gagner les
savannes et arrivay le 25 e au lac d'Amocary » l ) . Des jé
suites portugais, qui s'étaient établis sur l'une des îles de
ce lac, avaient été massacrés l'année précédente par des
Indiens «nommés Maprouanes et Marones». Autrefois les
Hollandais s'y livraient à la pêche, ce que « nos Français »
peuvent faire aussi « tant pour leur subsistance que pour
en débiter aux Isles Antiles ».
Après avoir traversé les savanes avec de grandes
difficultés, il arriva, le 27 juin, dans la rivière Batabouto
qui se jette dans le Larahouary, sur la rive occidentale
duquel il a son embouchure. Là se trouve le fort portugais
de Saint-Antoine « construit depuis un an » avec une gar
nison de 25 Portugais et 60 « Indiens Arianes ».
Ferrolles parvint à ce fort le 28 juin. Les Portugais
tirèrent deux coups de canon d'alarme, mais laissèrent
débarquer Ferrolles sur sa déclaration qu'il voulait parler
au commandant ; ce dernier le reçut, sans toutefois le lais
ser entrer dans le fort. Et le rapport continue en ces
termes :
« Il me demanda ensuite ce que j'estois venu faire. J e
dis que j'estois venu savoir pourquoy ils s'establissoient
sur les terres du Roy qui estoient séparées des leurs par
l ) Macary dans le rapport auquel se réfère le Brésil .
173
174 —
le fleuve des Amazones. Ce qui l'estonna, disant que le
capitaine major de Para avoit encore des ordres de cons
truire des forts plus prez de nous, et que les terres du
Roy son maistre s'estendoient jusqu'à la rivière Pinson, que
nous appelons Ouyapoque 1 ) , en vertu d'une commission
donnée en faveur d'un Gouverneur de Para par Philippe
second 2 ) , roy d'Espagne et de Portugal, où la concession
de toutes ces terres estoit portée, et de plus m'allegua que
les Superieurs generaux des ordres religieux de Portugal
inceroient dans les obediances de leurs missionnaires la
permission de prescher la foy chez les Indiens de tous ces
cantons, en me donnant coppie de celle d'un Père Jésuite
qui estoit present.
J e luy respondis que ce n'estoit pas là des tittres va
lables auprez des nostres et que je leur signifiois de la part
de M r de la Barre , mon gouverneur, de se préparer à se
retirer au delà des Amazones ; autrement que nous em-
ployerions à la suite nos forces pour les chasser et qu'en
attendant des ordres de F rance sur cette affaire, qu'ils
eussent à ne pas troubler le negoce de nos traiteurs comme
ils avoient fait l'année dernière. » De Ferrolles écrivit à ce
sujet une lettre au Gouverneur de Para et la remit au
commandant « lequel ne m'aida pas moins à avoir des
vivres pour mon retour. J e permis dans ce lieu, pour faire
voir nos droits, à neuf François d'aller traiter chez tous
les Indiens en deçà des Amazones....
L e premier juillet je suis party de l 'Arahouary. Les
bastiments n'y sçauroient entrer à cause de la quantité de
bancs qui sont au devant et qui continuent jusqu'au Cap
de Nord et mesme au dessous, où je mis pied à terre.
1) Ouyaproque dans la seconde copie. 2) Philippe I V .
C'est le Cap d'une isle qui a 20 lieues de tour 1) nommée
par les Indiens Caracapoury, elle est separée de la terre
ferme par un bras des Amazones d'une lietie de large,
elle est toute en marais et savannes. Les pirogues ne pas
sent par là qu'en petite marée, à cause que dans les
grandes la barre y est tellement rude que de gros basti-
mens ne s'en pourroient sauver. Le 7 j 'arrivay chez les
Indiens où j 'avois laissé mon brigantin, et, aprez y avoir
fait des vivres, je me rendis à Cayenne le unziesme du
courant. »
Les données les plus remarquables de ce rapport sont :
1. La distance de l'Ouya, la première rivière sur le
côté est de Cayenne, jusqu'à « l'Ouyapoque » est de 20
lieues.
2. Ferrolles resta du 15 au 20 mai sur l'Ouyapoque,
dont il reconnut l'embouchure, le cours jusqu'à la cataracte
et les rives ; sur les renseignements que lui donnent deux
« traiteurs français » qui revenaient de l'intérieur « où leurs
camarades n'avoient jamais esté », il étudie le moyen de
surmonter l'obstacle que la cataracte oppose à la naviga
tion de la rivière, pour pénétrer dans l'intérieur jusqu'à
une autre rivière navigable qui coule au sud de l'Amazone
et, évitant ainsi la voie dangereuse autour du Cap du Nord,
arriver « où les Portugais vont chercher le bois de canelle
crabe ».
3. Il décrit cet Ouyapoque comme étant la rivière qui
se trouve au Cap d'Orange ; le rapport ne connaît pas
d'autre cours d'eau de ce nom.
4. L a distance de l'Ouyapoque au « Cassipoudre» est
de 20 lieues (Ferrolles est resté du 20 mai au 3 juin pour
les parcourir, à cause il est vrai « du mauvais tems, des
1) Dans la seconde copie, il y a terre.
175
vents et marées toujours contraires »). L'autre indication
« depuis cette riviere jusqu'à celle de Larahouori (l'Ara-
houary) y a 20 lieues au dela du Cap de Nord où l'on
compte prez de 80 lieues » paraît sujette à caution.
5. Les Indiens de la région du « Cassipoudre », chez
lesquels il laisse sa brigantine pour aller, sur des pirogvies,
longer la côte et arriver jusqu'au Mayacary, ont peur des
Portugais et les Indiens qui sont sur les bords du lac
Amocary, où il arriva en remontant le Mayacary, ont l'année
précédente,, tué des jésuites portugais qui s'étaient établis
là. 11 offre des présents aux Indiens.
6. L e 3 juin, Ferrolles est sur le « Cassipoudre », le 25
juin sur le lac Amocary et après le passage difficile des
savanes, il pénètre le 27 juin dans le Batabouto ; le 28 juin,
il arriva jusqu'au confluent de cette rivière dans le « Lara-
houary », soit jusqu'au point où, à « son confluent sur la
rive ouest » était situé le « For t de Saint-Antoine » construit
« depuis une année » par les Portugais, distant de l'Amazone
de cinq lieues.
7. L e commandant portugais est « étonné » (« ce qui
l'estonna ») d'apprendre de Ferrolles que les possessions
françaises s'étendent jusqu'à l'Amazone, que son fort par
conséquent se trouve « sur les terres du Roy » (de France) .
8. De Ferrolles interprète la réponse du commandant portugais dans ce sens : L e « capitaine major » de Para a en outre l'ordre de son gouvernement de construire des forts « plus prez de nous » donc sur des points plus rapprochés du territoire français que ne l'est le fort Saint-Antoine.
l ) L'interprétation de R . F . , page 68, qui prétend que par les mots « plus près de nous » le commandant portugais entendait l'endroit même où il» se trouve, ne se concilie pas avec le contexte.
176
9. Il interprète la seconde réponse du commandant
portugais en ce sens : L e territoire portugais s'étend
« jusqu'à la rivière Pinson, que nous appelons Ouyapo-
que ». Or, la rivière que « nous (Français) appelons Ouya-
poque », Ferrolles l'a indiquée comme étant la rivière
du Cap d'Orange. A ce qu'a compris Ferrolles, le com
mandant portugais identifie le Vincent Pinçon et l'Oyapoc
du Cap d'Orange et Ferrolles lui-même admet cette iden
tification.
10. Le commandant portugais rattache cette délimita
tion à la donation faite à Parente.
11. Ferrolles proteste contre la conception portugaise
qui veut étendre le territoire portugais jusqu'au Vincent
Pinçon, l'Oyapoc du Cap d'Orange ; c'est l'Amazone qui
constitue la frontière et, conformément aux ordres du
Gouverneur de Cayenne, il exige que les Portugais se
retirent sur la rive droite du fleuve, abandonnant la rive
gauche et qu'en tout cas, en attendant de nouveaux ordres,
les marchands français qui pénètrent jusqu'à l'Amazone,
ne soient pas inquiétés par les Portugais. Il remet au com
mandant du fort portugais une lettre qu'il écrit à ce sujet
au Gouverneur de Para.
12. Pour garantir les droits de la France sur la rive
gauche de l'Amazone, Ferrolles autorise sur place neuf
Français à faire le commerce sur toutes les terres indiennes
de la rive gauche de l'Amazone.
13. Ferrolles revient par le Cap de Nord. L e Cap de
Nord est le cap de l'île que les Indiens appellent Caraca-
poury ; cette île est séparée du continent par un bras de
l'Amazone large d'une lieue ; le « tour » de l'île est de
20 lieues.
14. De Caracapoury au Cassipour la côte est très dan
gereuse ; quant aux rivières que les cartes indiquent sur 12
1 7 7
— 178 -
1) M. F . I, page 164, mentionne d'après Artur, 1. c , une seconde sommation de 1694 ordonnant d'évacuer le fort Macapà et qui ne fut pas davantage suivie d'effet.
2 ) Conf. ci-dessous, page 180, M. B . I, page 127. 3 ) M. B . I, page 129 (Let t re de Albuquerque, de 1691); M. F . II, pp. 122
et suiv. (Let tre de Ferrol les du 1er juillet 1697 relative au P . de la Mousse et à cinq autres Français) . L'allégation de Froger, 1698 (R. B . II, pp. 192 et 193) : « L e s portugais.... font cruellement massacrer ceux qui auparavant y alloient en toute seureté », paraît empreinte d'exagération. Ferrol les ne mentionne rien de pareil. L'enquête faite par le Portugal, en 1696 et 1697, au sujet du meurtre de quatre França is sur les bords du Yar i , n'est pas à l'abri de toute critique; R. B . II, pp. 167-173. Conf. la réponse portugaise de 1698, ci-dessous, page 204 et l 'article 5 du traité provisionnel du 4 mai 1700.
4 ) M. B . II, pp. 37, 38.
cette côte, « ce ne sont que des esgoux de Savannes ou
petits lacs ».
15. Pour aller de l 'Araguary chez les Indiens auxquels
il avait laissé sa brigantine, Ferrolles resta du 1 e r au 7
juillet et jusqu'au 11 juillet pour rentrer de là à Cayenne.
6.
Les Portugais n'obtempérèrent pas à la « Sommation»
que leur avait faite la France d'avoir à évacuer le territoire
de la rive septentrionale de l'Amazone 1 ) . Ils gardèrent le
fort de Saint-Antoine et, pour assurer la sécurité de leurs pos
sessions, construisirent deux forteresses, Macapà (Cumaú) et
Paru 2 ) . Après comme avant, ils interdirent aux Français
l 'accès de ce territoire, firent prisonniers et renvoyèrent en
général à Cayenne ceux qu'ils y trouvaient 3 ) . Mais comme
de leur côté les autorités de Cayenne n'en continuaient pas
moins à autoriser des Français à pénétrer dans le territoire
de l'Amazone, notamment à y faire le commerce 4 ) , Ferrolles,
Gouverneur de Cayenne depuis 1690 et Antonio de Albu-
179
querque, alors Gouverneur de Maranhão, semblent avoir
continué à échanger des lettres dans lesquelles ils faisaient
valoir leurs réclamations et prétentions réciproques
Convaincu que les Portugais ne consentiraient pas à ad
mettre de bonne grâce la légitimité des prétentions de la
France sur l'Amazone, Ferrolles fit ses préparatifs pour les
y contraindre. Il projeta de faire construire une route de
l'Ouia au Paru. Il pensait descendre le Parú 2 ) pour atteindre
les forts portugais sur l'Amazone. Ayant reçu de Louis X I V
l'ordre d'agir 3 ) , il attaqua les postes portugais. Parti de
Cayenne le 20 mai 1697, il s'empara le 31 mai des forts Cumaú
ou Macapá 4 ) , fit prendre et détruire par un détachement le
fort Parú 5 ) , laissa dans le fort Cumaú une petite garnison
française de 50 hommes environ 6) et rentra à Cayenne
avec le reste de sa troupe. Mais les Français n'occupèrent
1) Voir ci-dessous, page 181. Cette correspondance n'a pas été communiquée à l'arbitre.
2) Froger, « Relation d'un voyage fait en 1695... » 1re éd., Paris 1698, extrait publié par R. B . II, pp. 193, 194 : « Monsieur de Feroles a fait commencer un chemin pour aller par terre à cette Rivière (sc. de Amazones) et prétend les (sc. les Portugais) en chasser; elle nous appartient... On verra par la carte de ce gouvernement (que j ' a y reformée sur les Mémoires de Monsieur de Feroles pour envoyer en Cour) le chemin qu'on a fait pour les en chasser. Ce chemin commence à la Rivière d'Ouïa, et doit se rendre à celle de Parou, qu'on descendra ensuite avec des canots ».
3 ) ...« S a Majesté, Elle a donné des ordres pour les (sc. Portugais) en chasser, s'ils refusent de se retirer » (instruction française donnée à Rouillé, du 28 juillet 1697), M. F . I, page 10, d'après les Affaires étrangères, Portugal, Supplément, t. X X X I ; M. F . I, page 165; M. B . I, page 130 ; R. B . II, page 179. Conf. les mises en demeure des années 1687 et 1688, M. F . I, pp. 162 et 163.
4 ) Pour la détermination des dates, voir R. B . II, page 175, note au bas de la page.
5 ) R . B . II, page 176. 6 ) Ibidem, pp. 178, 183.
180
Cumaû que durant 40 jours ; des soldats portugais, au nombre de 1.60, et 150 Indiens 1 ) survinrent et reprirent le fort, le 10 juillet, après un siège de plusieurs jours 2 ) .
Ferrolles avait échoué dans sa tentative de chasser les Portugais de vive force ; il ne la renouvela pas.
L e Gouvernement français recourut alors à la voie diplomatique pour régler « l'affaire de la rivière des Amazones » ; c'était la dénomination officielle. Dans son « Mémoire concernant la possession de la Guyanne par les François », écrit et signé à Cayenne le 20 juin 1698, Fer rolles expose le point de vue français comme suit 3 ) :
« Il y a plus de cent ans que les François ont commencé à faire commerce avec les Indiens qui habitent dans la Guyanne tant ceux de la Coste qui présente à la Mer, que ceux qui habitent le long du rivage Septentrional de la Rivière d'Orenoc».
En 1596, un anglais Laurent Keyniss, dans la relation rapportée par Laet, dit tenir des indigènes « que les François avoient accoutumé d'y recuillir une certaine espèce de Bois du Brésil ». Jean Mocquet, qui voyagea dans la contrée en 1604, rapporte qu'ils y continuent leur commerce; bientôt après, ils commencèrent à s'y établir. En 1633, plusieurs marchands de Normandie formèrent une Compagnie et obtinrent de Louis XI I I des Lettres patentes leur octroyant
1) R . B . II, page 178, note 6. 2 ) Ibidem, pp. 175, 324. L a duplique du Portugal de 1699, parle d'une
« reprise immédiate ». — Il n'est pas question du fort sur l 'Araguary à l'occasion de la seconde expédition que fit Ferro l les en 1697. L e rapport, daté de 1706 seulement (R. B . II, page 176, note 2), ne constitue pas une preuve suffisante.
3 ) D'après une copie conservée à la Bibl. Nationale de Paris , Sec tion des Manuscrits, Collection Clairambault, Ms. 1016, pp. 512, 513, reproduite dans M. B . II, pp. 35-39, et à nouveau, mais partiellement, dans R . B . II, pp. 195-198.
le monopole du commerce dans les pays entre l'Amazone
et l'Orénoque qui « n'estoient occupez par aucun autre
Prince Chrestien ». La Compagnie s'appelait Compagnie du
Cap de Nord. Elle s'établit « à Macapa l ) , où les Portugais
ont trouvé quatre pièces de canon et plusieurs boulets et
baies de mousquet, cette circonstance me fut confirmée non
seulement par les Indiens des Amasones, mais encore par
le Commandant de Macapa, lorsque je fus le prendre ».
Les Portugais n'ont construit les forts de Macapá qu'en
1688, et le fort de Paru que cinq années plus tard
« par jalousie » « de ce que les Indiens Maitres et na
turels de ces païs-là nous préféraient à eux ». Auparavant
« ils n'avaient aucun establissement en deçà de la rivière
des Amasones, ils n'y venoient que pour r e c i l l i r le Cacao,
le bois de Crabe et la Vanille dans la saison ».
Macapá dépend du Cap du Nord « qui s'estend jusques
là » et, selon les Portugais eux-mêmes, les environs de
Macapa appartiennent aux «Ter res du Cap du Nord».
l ) Ici, Ferrolles commet une erreur, qu'il reproduit dans sa carte
qu'en 1696, il envoya au gouvernement français, et où le For t Makaba
(Macapa) est mentionné comme « Fort portugais pris aux Français »,
M. F . I, page 315, note 2. Ce que nous savons du pays et de l'entre
prise de 1633 ne concorde pas avec cette information. L e silence gardé
à ce sujet par tous les rapports français antérieurs (dont toute une série
est énumérée dans R . B . II, page 257, note 29), surtout par le rapport de
la Barre, nous confirme dans notre opinion. D'ailleurs, fait capital, en
1632 Macapa était un fort anglais, qui fut pris par les Portugais dans
la nuit du 9 juillet 1632. (M. B . I, page 82.)
Aussi faut-il considérer comme sans portée l'objection de R . F . ,
page 52, selon laquelle il aurait été dit à Ferrolles par M. de Gennes,
qui le tenait d'un sieur Robin, « que ce fort avait été bâti par le père de
ce dernier, l'un des associés de l'ancienne Compagnie du Cap de Nord » ;
il est de moindre importance encore que cette assertion erronée ait été
reprise par la réplique française de 1699, qui l'a empruntée à Ferrolles
précisément.
181
182 —
Macapâ ne peut donc pas être « des dépendences du fort
de Coroupa », parce qu'il y a entre les deux le fleuve de
l'Amazone.
De 1679 à 1684, Ferrolles a, en qualité de Commandant
en chef de la Colonie de Cayenne, « toujours donné des pas
seports aux françois pour aller traitter sur la rivière des
Amasones de nostre Costé. Ils ont toujours fait paisible
ment leur commerce jusqu'à la rivière d 'Yary 30 lieues
par de là Macapa, sans que les Portugais se soient avisés
de s'y opposer. Ce ne fut qu'en 1686 qu'ils commencèrent
à arrester nos François ».
Ferrolles continue en ces te rmes : «J 'a i envoyé en
cour l'Original des Lettres que le Sr D'Albuquerque capi
taine général du Maranhom m'a escrites sur ce sujet, et
mes responses, dans lesquelles je lui ay fait connoitre, qu'il
se trompoit pour les limittes qu'il marquoit entre la F rance
et le Portugal prenant un Ouyapoc pour l'autre, car il y
en a deux. L'un est dans la Guyanne au deçà du Cap de
Nord à quinze lieues de nos habitations de Cayenne.
L'autre est une Isle assez grande au milieu de la rivière
des Amasones, qui a toujours été prise pour borne 1). L e s
1) Il est question de cette île « Ouyapoc » dans une lettre de F e r rolles au « Ministre de la Marine et des Colonies » de 1694, où il est dit: « La rivière (se. des Amazones) est éloignée de l'île de Cayenne de 70 lieues ; son embouchure est remplie d'ilets où les Indiens sont habitués ; le plus grand est nommé Ouiapoc (Oyapok, M. B . II, page 38, note 4) et situé à moitié chemin ou environ du cap de Nord à Para : il doit faire la séparation des dépendances de France et de Portugal. L'entrée pour des vaisseaux n'y est encore connue que du côté du Brésil, du notre il semble que ce ne soit que des bancs de sable », M. F . I, page 46, d'après les « Archives du Ministère des Colonies », de même dans M. B . II, page 38, note 4 et R. B . II, page 180, note 9 (toutefois la dernière phrase ne se trouve que dans M. B . et R. B . et non dans M. F . ) . E n 1699, le 14 mai, les « principaux et les plus anciens habitants de Cayenne
— 183 —
ayant fait le commerce dans la rivière des Amazones » confirment à Fer -rolles, « que de temps immémorial et par tradition continuelle ils savent certainement par eux et leurs auteurs, comme ils l'assurent, qu'il y a dans le milieu de l'embouchure de la rivière des Amazones une île beaucoup plus grande que celle de Cayenne, que les Portugais, les Indiens Arouas habitants de cette î le, les Français, les autres voisins et aussi les Gabilis sous la domination du Roi, ont toujours nommée Hyapoc... et les naturels de la dite contrée d'Hyapoc de la rivière des Amazones ont de tout temps sans difficulté eu commerce avec les habitants de Cayenne et les Indiens qui en dépendent », M. B . I, page 137, d'après un document cité par Avesac, Considérations géographiques sur l'histoire du Brésil, Paris, 1857, pp. 130, 131 ; de même, mais sans indiquer la provenance, M. F . I, pp. 46, 47, 334, R . F . , pp. 76, 77.
rivières de la Guyanne qui donnent leurs noms aux en
droits qu'elles arrosent sont Ouyapoc, La Raoury, Merioubo,
Macàpa, Yarj , Parou, Orobotiy, Couroupatcoua, et autres
plus petites dont pas une ne s'appelle du nom de Vincent
Pinson, que le S r d'Albuquerque marque néantmoins pour
bornes vers notre Ouyapoc. C'est une rivière et un nom
que personne ne nous a appris que Luy. Les Cartes géo
graphiques nj les Indiens d'icy ne la connoissent point ».
Il conclut : Si les terres doivent appartenir à qui les a
possédées le premier, « toutte la Province de Maranham »
appartient à la France. Car aujourd'hui encore le fort de
la ville de Maraignon s'appelle fort Saint-Louis ; les Por
tugais l'ont en 1615, en pleine paix, pris à la Ravardière,
qu'ils ont longtemps gardé prisonnier à Lisbonne, sans lui
avoir jamais payé de dédommagement. Et antérieurement
déjà le capitaine Riffaud avait là un établissement; d'après
le « Mercure français » Monsieur de Razilly y avait été
également et des capucins avaient commencé à y établir
une mission chez les Indiens. « Que s'il faut une possession
centenaire pour avoir droit de prescription les Portugais
ne l'ont pas encore pour s'attribuer le Maraignon. Ils
— 184 —
doivent donc encore bien moins s'attribuer le Pays de la
Guyanne et les Ter res qui sont en deçà de l'Amazone sur
la partie occidentale et septentrionale de ce fleuve. »
d) Les négociations de Lisbonne, de 1698 et 1699, et le
traité provisionnel du 4 mars 1700.
1.
A l'époque où le roi de Portugal ordonnait la cons
truction de forts destinés à défendre la rive gauche et le
territoire de l'Amazone contre les incursions des Français,
Ferrolles reçut de Saignelay, le 4 août 1687, la lettre ci-
après :
« J e vois encore par ce que vous m'écrivez que les
Portugais font aussi des entreprises du costé de la rivière
des Amazones et qu'il y a dans les terres qui appartien
nent au Roy des bois de cannelle et de gérofle. Vous
devez faire tout ce qui vous sera possible et par toutes voies
pour les empescher de continuer, et m'envoyer des procès-
verbaux de ce que vous découvrirez, afin d'en pouvoir
demander réparation au roi de Portugal 1).»
Cette demande de réparation ne se fit pas longtemps
attendre. Quatre marchands français de Cayenne ayant
été faits prisonniers du côté de l'Amazone par les Portugais,
Louis X I V donna l'ordre, le 21 mai 1688, à son ambassa
deur à Lisbonne d'adresser à la Cour de Portugal des
plaintes au sujet « de cette violence », de réclamer la mise
en liberté immédiate des Français , ainsi qu'une indemnité
pour les dédommager de leurs pertes ; l 'ambassadeur
1) M. F . I, page 162, d'après les Archives de la Marine, B 7 , t. LVI1I , fol. 68.
185 —
devait exiger en outre que « pareille chose » n'arrivât plus
à l'avenir, sinon « Sa Majesté ne pourrait pas s'empêcher
de se servir des moyens qu'elle a en mains pour faire
rendre justice à ses sujets si on la leur refusait». En même
temps, l'ambassadeur recevait un mémoire, « qui explique
le droit de Sa Majesté sur cette partie de l'Amérique par
les établissements et le commerce que les Français y ont
fait successivement depuis l'année 1596» 1 ) ; il avait à se
servir de cette pièce dans les négociations avec le gou
vernement portugais.
Ce mémoire de 1688 2) est le premier de toute une
série de mémoires français qui jouent un rôle dans cette
phase du conflit. Tous ont un fond commun et commencent
par la même phrase stéréotypée : « Il y a plus de cent ans
que les Français ont commencé», etc. Les extraits du mé
moire de Ferrolles, de 1698, reproduits ci-dessus, pages 179
et suivantes, indiquent clairement d'où provient cette coïn-
1) M. F . I, page 163, Archives de la Marine B 7 , t. LVI I I , loi. 171;
R. F . , page 83. 2 ) Il a paru dans la «Collection et Correspondances de Mémoires
officielles sur l'administration des Colonies et notamment sur la Guiane
française et hollandaise », par V. P. Malouet. ancien administrateur des
Colonies et de la Marine, Paris, An X , t. I, pp. 111-118. Il débute en
ces termes : « Il y a plus de cent ans que les Français ont commencé de
faire le commerce avec les Indiens de la Guiane.... Jean Mocquet dans
sa relation rapporte », etc. (R. B . II, page 155, note 4). Malouet a trouvé
le mémoire aux Archives de l'administration des Colonies, même dans le
« portefeuille de Cayenne » (R. F . , page 89), ce qui, nonobstant les arguments
contraires de R. F . , prouve que Ferrolles est bien l'auteur du document;
Ferrolles à cette époque n'était nullement « un fonctionnaire de second
rang » (R. F . , page 90) ; ne dit-il pas lui-même avoir été depuis 1679 déjà
commandant en chef de la colonie (de Cayenne) ; d'ailleurs R . F . I, page
162, réfute les assertions de R. F . , en se référant à une correspondance
échangée directement entre Ferrolles et le Ministre Seignelay ; conf. en
outre R . B . II, pp. 237 et 23S.
— 1 8 6 —
cidence. L e dernier mémoire commence exactement comme
le premier, de 1688, et cette identité se retrouve dans un
grand nombre de passages qui se suivent, d'où l'on est
amené à conclure qu'ils ont le même auteur, Ferrolles,
ou que celui-ci avait sous les yeux en 1698 un mé
moire de son gouvernement. Cette dernière hypothèse n'est
guère plausible, car Ferrolles n'eût certes pas une fois de
plus écrit à son gouvernement ce que ce dernier avait
déjà dit dans les mêmes termes. On se représente très
bien par contre que Ferrolles en 1698 se soit servi de son
mémoire de 1688 pour rédiger le second document, qu'il
l'ait même suivi de près une partie durant. Le mémoire
remis en 1688 à l'ambassadeur de France auprès de la
Cour de Portugal était donc, selon toute apparence, rédigé
intégralement, ou tout au moins en partie, d'après des ren
seignements fournis par Ferrolles.
Jusqu'en 1697, tant que dura la grande guerre en Europe, l'affaire resta en suspens.
2 .
C'est pendant l'année de la paix de Ryswyck que la
France s'occupa plus activement de la question de l'Ama
zone: en Guyane, au mois de mai 1697, Ferrolles entre
prend son expédition militaire; en Europe, le 28 juillet,
le président Pierre Rouillé, ambassadeur de Louis X I V à
Lisbonne, reçoit les instructions ci-après :
« Comme les Portugais... ont passé la rivière des Ama
zones et se sont établis en différents endroits de la côte
du nord de cette rivière qui appartient à S a Majesté, Elle
a donné ses ordres pour les en chasser, s'ils refusent de
se retirer. Comme les ministres de Portugal pourront peut-
être lui (se. Rouillé) en faire des plaintes, quand la chose
sera exécutée, il peut leur dire en attendant les ordres de
Sa Majesté, que les Français sont de temps immémorial
les maîtres du continent qui est entre la rivière des Ama
zones et celle de Surinam » 1)•
A la nouvelle de l'échec de l'expédition militaire en
Guyane, le gouvernement français changea d'attitude ; le
11 décembre 1697, Rouillé, à qui le gouvernement portugais
avait marqué son mécontentement du coup de main de
Ferrolles, recevait des instructions précises 2 ) , qui ne men
tionnent que succinctement l'expédition de Ferrolles contre
les forts portugais et son résultat, avec cette remarque :
« le peu de succès de cette expédition a apparemment em-
pesché qu'on ne vous en ayt fait des plaintes plus vives».
Quant à l'expédition avortée, il est déclaré que « S a
Majesté veut bien ne point approuver l'action du sieur de
Ferrolles » et l'ambassadeur reçoit l'ordre « qu'à cette occa
sion vous renouvelliez au Roy de Portugal les désirs sin
cères qu'elle (S. M. Louis X I V ) a de vivre toujours avec luy
dans la bonne intelligence qu'il y a eu jusqu'à présent
entre les deux couronnes ».
Mais l'ambassadeur doit en même temps faire observer
au Roi de Portugal qu'il s'agit d'une « invasion » des Por
tugais dans « des quartiers... ayant esté découverts par les
François, et qu'ils y ayent eu des establissements longtemps
avant que les Portugais ayent estendu leurs colonies jus-
ques là », même que « dans les règles de la justice » les
1 ) M. F . I, page 10, Affaires étrangères, Portugal, Supplément, t. X X X I .
2 ) M. F . II, pp. 121 et suiv. Lettre de Pontchartrain au président Rouillé, du 11 décembre 1697 (1698 est une faute d'impression), Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I , fol. 5 8 ; conf. M. F . I, pp. 11, 166; R . B . II, pp. 185 et suiv.
187
— 1 8 8 -
Portugais ne devraient même pas conserver « le Mara-
gnon », dont le principal fort s'appelle encore Saint-Louis,
du nom que lui avaient donné les Français qui l'ont construit.
Mais l'ambassadeur n'avait ordre d'exposer tout cela
aux Ministres du Roi de Portugal que pour leur « faire
voir que ce serait au Roy de France à se plaindre de
l'injustice de leurs prétentions » et après avoir engagé la
négociation, il lui était recommandé de stipuler «que la
rivière des Amazones serve de borne aux deux nations et
que les Portugais laissent aux François la possession libre
de la partie occidentale de ses bords ». L e mémoire, joint
aux instructions, devait servir à démontrer le droit qu'avait
le Roi de France à émettre cette prétention ; au besoin, on
pouvait lui fournir encore « quelques preuves » en faisant
rechercher les concessions invoquées dans le mémoire. «Il
serait bien important pour le maintien et l'augmentation
de la colonie de Cayenne que vostre négociation pust avoir
ce succès ».
Comme il n'était pas à prévoir que les Portugais ne
feraient aucune difficulté à accepter la frontière de l'Ama
zone, Rouillé n'avait d'abord pas à en parler; il devait s'en
tenir aux établissements français sur l'Amazone et dans le
Maragnon, attendre les objections des Portugais, y répondre
pour enfin tâcher d'insinuer aux Portugais « de chercher
quelques ajustements par lesquels on puisse, en terminant
la discussion du passé, éviter pour- l'avenir les occasions
d'en faire naistre de nouvelles ».
Il a été exposé ci-dessus, page 184, qu'en 1688 la France
avait remis à son ambassadeur à Lisbonne un premier
mémoire dont l'auteur était vraisemblablement Ferrolles,
189
qui en avait reproduit des passages dans son nouveau
mémoire de 1698. Il fut fait en 1697 comme en 1688; l'am
bassadeur reçut avec ses instructions un mémoire intitulé :
Mémoire contenant les droits de la France sur les pays scitues à l'ouest de la riviere des Amazones. Ce mémoire
contenait la justification des prétentions de la France ; il
n'était pas dit dans l'instruction du 11 décembre 1697 qu'il
dût être remis au gouvernement portugais. Rouillé n'en a pas
moins, ensuite de nouvelles instructions probablement, remis
un mémoire en janvier 1698 L a France prétend que c'est
celui qui accompagnait les instructions de Rouillé 2 ) ; elle
l'a publié comme tel dans le recueil des documents à
l'appui de son premier mémoire 3).
L e Brésil affirme en revanche que le gouvernement
portugais n'a pas eu connaissance de ce document et
allègue comme preuve que le mémoire contient un long
passage (c'est, en effet, toute la seconde moitié de la pièce)
que la réponse, d'ailleurs très complète, du gouvernement
portugais passe complètement sous silence. Le Brésil en
conclut avec raison que ce passage n'existait pas dans le
mémoire remis par Rouillé 4 ) . Il n'en reste pas moins qu'un
mémoire a été remis ; le fait que le Portugal y a répondu
suffit à le démontrer.
R. B . II, page 199, allègue que lors de la reproduction
du mémoire dans M. F . II, pp. 1 et suiv., une pièce s'est
substituée à une autre", erreur provenant de la presqu'iden-
tité des textes. Selon R. B. , 1. c., un texte, concordant avec
M Conf. M. F . I, page 13, note 2. 2) M. F . I, page 11. 3) M. F . II, pp. 1 et suiv. L e document, est-il dit, se trouve aux Ar
chives des Affaires étrangères, Correspondance de Portugal, t. X X X I I I , fol. 300.
4 ) R . B . II, pp. 200, 201.
— 190
M. F . Il, pp. 1 et suiv., est conservé à la « Bibliothèque Nationale de Paris, Collection Clairambault, Manuscrits, n° 1016, p. 635 et suivantes » et le même texte se trouve aussi probablement quelque part aux Archives du Ministère des Affaires Etrangères, mais pas à l'endroit indiqué par M. F. H, page 1; R. B. , 1. c dit: « L e Mémoire remis par le Président Rouillé en 1698 au Gouvernement Portugais ne peut pas être.... une copie de la minute originale conservée aux Archives des Affaires Etrangères, à Paris, t. X X X I I I de la Correspondance de Portugal ». Ce qui revient à dire que M. F . II, page 1, indique exactement l'endroit où est conservé le « Mémoire remis », mais qu'à cet endroit (Archives des Affaires Etrangères, Portugal, t. X X X I I I , fol. 300) ne se trouve pas le texte reproduit par M. F . II, pp. .1 et suiv.
R. B . II, page 200, prétend ensuite qu'il a été possible de « reconstituer » le texte du « Mémoire remis ». Charles Meyniard qui, en 1896, aurait comparé ce texte avec le premier mémoire de 1688, aurait déclaré qu'à l'exception de certains passages qu'il reproduisit, les deux documents concordaient 1).
On peut, par conséquent, admettre que, pour opérer la « reconstitution », on a simplement inséré dans le texte du mémoire de 1688, transcrit dans Malouet (1. c , conf. ci-dessus, page 185, note 2), les modifications signalées par Meyniard. De l'exposé de R. B . II, page 200, on est amené à conclure que le texte produit, ibidem, pp. 201 et suiv., par le Brésil, est le texte, reconstitué selon la méthode indiquée, du « Mémoire remis ». Il n'est pas fourni de justification à l'appui de l'authenticité de ce texte, mais l'ar-
1) M. Charles Meyniard, L a question du contesté franco-brésilien (suite) dans L a Marine Française, Paris, 10 septembre 1896, pp. 211 et 212.
bitre et le gouvernement français sont invités à le faire collationner avec la minute originale déposée aux Archives des Affaires Etrangères à Paris (ibidem, page 201).
11 n'a pas été procédé à cette comparaison des textes. Il faut constater toutefois que le texte de R. B . II, pp. 201 et suiv., ne peut pas avoir été reconstitué à l'aide uniquement du mémoire de 1688 et des modifications signalées par Meyniard. Car à côté de celles-ci, il en renferme un certain nombre d'autres, toutes étrangères au mémoire de 1688 1)
En conséquence, il ne peut pas être tenu compte du texte de R. B. Il, pp. 201 et suiv.
L'authenticité du texte de M. F., pp. 1 et suiv., a été contestée par le Brésil et ne peut en aucun cas faire foi dans sa seconde partie (page 4, ligne 9: « Ils ne peuvent pas alléguer. . .» jusqu'à la fin « sont establis avant eux »).
il ne reste plus, dans ces circonstances, a) qu'à prendre connaissance de cette seconde partie, ou b) pour établir les faits, qu'à utiliser la première partie, comme étant relativement digne de foi (M. F . II, pp. 1-4, ligne 8, du haut de la page, jusqu'à : « de cette colonie françoise »).
a) Dans la seconde partie (M. F . II, pp. 4 et suiv.), il est exposé :
Les Portugais ne peuvent invoquer contre la France la bulle d'Alexandre VI , attendu que cette bulle règle uniquement le partage entre le Portugal et l'Espagne. Les autres
1) Ainsi le mémoire de 1688, dans la première phrase déjà dit : « .... commerce avec les Indiens de la Guiane ou des pays situés entre la rivière des Amazones et celle d'Orénoc » (Malouet, 1. c. I, page 111) tandis que R . B . II, page 201, relate : « .... commerce avec les peuples scituez à l'Ouest ou a la gauche de la riviere des Amazones ». Immédiatement après, dans le premier texte, on lit « Laët », dans le second «Jean de Laet d'Anvers », dans le premier « Sauvages », dans le second «Indiens», etc., etc.
191
— 192
princes chrétiens n'y sont point mentionnés et n'en ont pas
tenu compte ; « quoyque catholiques » les rois de France
et d'Angleterre n'ont point cessé d'envoyer des expéditions
pour découvrir et habiter les pays qui n'étaient pas occu
pés par les Castillans et les Portugais. Il n'y avait rien là
de contraire au véritable sens de la bulle, sinon les papes
n'eussent pas érigé d'évêché, ni autorisé des missions « dans
la nouvelle F r a n c e » .
Si les Espagnols et les Portugais venaient à ne pas
accepter cette interprétation, il n'y aurait jamais de paix
en Amérique, car les Français, pas plus que les Anglais,
les Hollandais et les Danois ne sont disposés à abandon
ner ce qu'ils y possèdent. « Il est donc évident que le
droit et la possession sont entièrement du costé des Fran
çois. »
Les Français seraient d'ailleurs en droit de demander
réparation des injures que les Portugais leur ont faites,
malgré l'amitié qui a toujours existé entre les deux Royau
mes. Il y a plus de 140 ans que les Portugais ont com
mencé à exercer des actes de violence au Brésil « dont près de
la moitié nous devrait appartenir » ; ils ont, en 1558, détruit
à main armée la colonie de Villegagnon; en 15S4, ils ont
chassé les colons français de Paraiba, puis de la capi
tainerie de Tamarica où existe encore un « Porto dos Fran-
ceses» , puis vers 1601, du gouvernement de Rio Grande et
enfin de Maragnon, où Riffault avait fondé une colonie
en 1604. Cette colonie, Ravardière la dirigea depuis 1612,
jusqu'à ce que, en 1615, le For t Saint-Louis eut été pris
par les Portugais et Ravardière et le sieur des Vaux emme
nés prisonniers à Lisbonne.
Ainsi ce n'est point aux Portugais, mais à la France
à demander raison des hostilités exercées en pleine paix,
et « comme les Français estoient establis en divers endroits
193 —
du Brésil avant les Portugais», la France peut «demander la restitution de tous ces pays » ; car « la force et la violence, surtout en pleine paix, ne peuvent donner aucun droit » ; toutefois, en considération de la bonne amitié qui a toujours subsisté entre les deux pays, la France se contentera « qu'ils nous cèdent ce qu'ils occupent sur le rivage occidental de la rivière des Amazones, où les François sont establis avant eux ».
b) La première partie du mémoire (M. F . II, pp. 1-4) débute en ces termes :
« Il y a plus de cent ans que les François ont commencé à faire commerce avec les peuples scituez à l'ouest ou a la gauche de la riviere des Amazones ou de Mara-gnan. »
L . Keymis, qui était dans le pays en 1596, dans sa relation rapportée par J . de Laet, dit que les Français avaient l'habitude de charger une espèce de bois du Brésil 1).
Jean Moquet qui fit un voyage dans ce pays avec Ra-vardière en 1604, rapporte de quelle manière ils firent commerce avec les Indiens « de la riviere d'Yapoco, scituée entre l'isle de Cayenne et la riviere des Amazones » 2 ) . Moquet raconte également que Ravardière avait déjà fait auparavant un voyage dans ce pays, « depuis ce temps la les François continuerent a y faire commerce, et commencerent bientost après, a y habiter » 3 ) .
] ) D'après R. B . II, page 201, note 2, Keymis et Laet ne parlent pas de «la rive gauche de l 'Amazone», mais de la rivière de Cawo, à l'ouest de l'Oyapoc.
2) On lit dans le mémoire de 1688 (Malonet, 1. c , page 111): «de la rivière d'Yapoco, située à quatre degrés et demi de la l igne».
3) L e passage entier «Jean Moquet... y habiter» est condensé dans le mémoire de Ferrolles de juin 1698 en cette phrase: «Jean Moquet ra-
13
1 9 4 -
En 1624 quelques marchands de Rouen y envoyèrent
une colonie 2 ) qui s'établit « sur les bords de la riviere de
Sinamary à 30 lieues à l'ouest de Cayenne » 3 ) . En 1628,
le capitaine Hautespine conduisit « une nouvelle colonie 4 ) »
sur la rivière Conanama « à 5 lieues à l'ouest de Sina
mary ». En 1630, le capitaine L e Grand y mena 50 hommes
le capitaine Gregoire « quelques autres » 5 ) en 1633.
Dans la même année 1633, des marchands normands
formèrent une Compagnie et obtinrent des Lettres patentes
de Louis X I I I et du cardinal de Richelieu « pour faire seuls
le commerce de ces pays qui n'estoient pas occupez par
aucun autre prince chrestien, et dont les bornes furent
marquées dans ces lettres par les rivieres des Amazones
et d'Orenoc. Mesme cette compagnie fut nommée la com
pagnie du Cap de Nord, qui est celuy qui borne l'embou-
porte aussy dans sa relation du voyage qu'il fit en 1604 dans les mesmes païs que les François y continuoient leur commerce et commencèrent bientost après à s'y establir ».
1) Mémoire de 1688 : 1626 au lieu de 1624. 2 ) Mémoire de 1688 (Maloue t , 1. c , page 112) parle non pas seule
ment d'une colonie, mais «d'une colonie de 26 hommes». 3 ) On lit dans le mémoire de 1688 {Malouet, 1. c , page 112): «...Si-
namari, qui entre dans la mer par cinq degrés et demi de latitude.» L'indication de la latitude n'est plus indiquée, pas plus qu'elle ne l'est pour le Yapoco, parce qu'il existait sur ces données une incertitude; en effet, il y avait une contradiction entre Ferrolles qui, en 1688, plaçait le Y a poco par 1/2° latitude nord, et son aide, Froger , dont la carte de 1698, indique pour le Yapoco une latitude de 2 ° . L a modification apportée au texte de ces deux passages montre le peu d'importance que les Français eux-mêmes attachaient à la détermination des latitudes.
4 ) « Une nouvelle colonie de quatorze hommes » dans le mémoire de 1688.
5 ) Ces renseignements sur des faits postérieurs à 1624 manquent dans le mémoire de Ferrolles de juin 1698. L e mémoire de 1688 au lieu de «quelques autres» dit: 66.
— 195 —
chure de la riviere des Amazones du costé gauche ou du
Nord » 1 ) .
En 1638, le cardinal de Richelieu confirma la conces
sion de 1633, avec la mention expresse « que les associez
de cette compagnie continueroient les colonies commencées
à l'entrée de la rivière de Cayenne et dans la riviere de
Marony vers le Cap de Nord ».
En 1643, il se constitua une « Compagnie plus forte »
avec de nouvelles concessions « et ou s'intéressèrent beaucoup
de gens de qualité » ; elle envoya « pour gouverneur le
Sieur Poncet de Bretigny avec 300 hommes pour y habiter ».
Ayant appris que la colonie « estoit fort en desordre »,
le sieur de Royville, « avec diverses personnes de conside
ration», entreprit de la rétablir (1651); ces personnages
obtinrent une nouvelle concession du roi et envoyèrent
sur deux grands navires près de 500 hommes, « qui, le
28 juillet 1652, mouillèrent à l'isle de Madère, dont le gou
verneur les regala beaucoup de rafraichissements, quoy
qu'il n'ignorât pas le sujet de leur voyage ».
En 1664, le roi fonda une « Compagnie des Indes oc
cidentales, a qui il accorda la propriété de toutes les isles
et de tous les pays habitez par les François dans l'Ame
rique Meridionale ». Elle donna mission au sieur de la
Barre « de prendre possession de Cayenne » 2 ) . De la Barre
y laissa pour gouverneur le chevalier de Lezy, son frère.
1) L e mémoire de Ferrolles de juin 1698 contient également ce passage, hormis toutefois l'adjonction «qui est celuy... Nord». Mais à partir de là, il abandonne le texte du mémoire antérieur pour passer à des explications relatives au fort de Macapá et destinées à justilier l'attaque qu'il avait entreprise l'année précédente contre Macapá. — Dans le mémoire de 1688, il est dit en premier lieu: «pour faire seuls le commerce et la navigation de ces pays-là», puis: «par les rivières des Amazones du côté gauche ou du nord» ; la fin manque (Malonet, 1. c , page 112).
2 ) L e mémoire de 1688 ajoute: «et des pays voisins».
196
«Depuis ce temps là (1664), les François sont toujours
demeurez en possession sans aucun trouble, si ce n'est
que l'isle de Cayenne fut pillée par les Anglois en 1667 et
prise par les Hollandois pendant la première guerre (en
1674, pendant la première guerre, commencée en 1672 par
Louis X I V , contre les Hollandais) mais elle fut reprise
sur eux l'année suivante par le Maréchal d'Estrées» (1676,
donc deux ans après), et la possession française fut con
firmée par le traité de paix de Nimègue (1678).»
«Pendant un si grand nombre d'années, les François
ont exercé tous les actes de véritables et légitimes pos
sesseurs » : faisant le commerce avec les Indiens des envi
rons, chassant dans le pays, péchant sur toutes les côtes
et même dans la rivière des Amazones « sans aucune op
position », ils ont construit des forts à l'ouest et à l'est de
Cayenne «jusqu'à Camaribo 1), pres du Cap d'Orange».
Ils ont défendu cette colonie contre les Anglais et les
Hollandais; partant de tous les points de la côte, ils ont
voyagé, et les Pères Grillet et Bechamel, jésuites français,
ont pénétré, au sud de Cayenne, à plus de cent lieues dans
la contrée, jusque chez les peuples « qui habitent à l'oiiest
du Cap de Nord, et ou jamais aucun Portugais n'avait
mis le pied 2 ) . Enfin les François ont fait des cartes fort
exactes de ces pays et des costes depuis la riviere des
Amazones jusqu'à celle de Marony».
Et pour résumer, le mémoire constate qu'il existe
« une possession de plus de cent ans », une « habitation
actuele et continuée de plus de soixante et dix ans » ;
1) Camaribo (Comaribo) est sur la rive gauche de l'Oyapoc. 2 ) R. B. II, page 207, note 25, explique, en se basant sur leur Journal
de Voyage , que ces deux jésuites aussi sont restés sur la rive gauche de l'Oyapoc
« l'habitation » se fonde sur plusieurs concessions royales, qui n'ont jamais soulevé de réclamations de la part des Portugais. Quant aux Portugais, ils n'ont jamais paru « sur ces costes » au nord de l'Amazone 1 ) . Par conséquent, «on ne comprend pas sur quel fondement ils ont entrepris de s'establir sur la coste occidentale de la riviere des Amazones, qui a toujours esté comprise dans les bornes de-cette colonie françoise».
4.
Le gouvernement portugais envoya sa réponse en juin 1698, au plus tard. Elle est intitulée: « Réponse au Mémoire présenté par le tres excellent seigneur ambassadeur du Roy Très Chrestien, touchant le droit que la France pretend avoir sur les terres occidentales de la riviere des Amasones 1) ». Comme les archives portugaises
1) Dans le texte portugais aussi bien que dans la traduction française de M. F . II, page 6 et page 18, se trouve ajoutée la date de « 1698»; dans la reproduction de la traduction française que donne R . B . II, page 217, I V , page 61, il est même dit, d'une manière encore plus précise: «mai 1698 ».
Mais M. F . I, pp. 11-13, assigne lui-même une autre date à la réponse du Portugal, celle de 1699. Ce mémoire expose ce qui suit : « Sur l'instance de notre ambassadeur, il fallut bien se résoudre à examiner nos droits et nos griefs. Mais la Cour de Lisbonne y mit aussi peu d'empressement ou, pour mieux dire, autant de mauvais vouloir qu'elle le put, répondant à nos réclamations qu'elle préparait un mémoire. Cette préparation fut longue: le mémoire vit enfin tardivement le jour; il ne parvint à Versailles qu'au commencement de 1699. D'ailleurs la réponse du Portugal a pris date certaine, par le fait de son insertion dans le volume 34 de la correspondance de Portugal, volume coté, relié aux armes du marquis de Torcy et portant le millésime de 1699 et 1700 ; dans ce volume, le mémoire portugais correspond au folio 310. »
Selon la France, la réponse du Portugal se trouve toutefois dans le volume 33, fol. 326, de la correspondance de Portugal (Archives des
197
— 198
n'en possèdent pas le texte authentique, le Brésil renonça
à publier la réponse. L a France par contre en a reproduit
le texte portugais original ainsi que la traduction française,
pas partout exacte, tirés des Archives des Affaires Etran
gères (Correspondance de Portugal, tome X X X I I I ) repro
duit par M. F . II, pp. 6 et suiv., où l'a pris R. B. II, pp. 217
et suiv., I V , pp. 61 et suiv.
L a première partie de la réponse donne un exposé
des actes de possession accomplis par les Portugais dans
le territoire contesté : L e roi J ean III a fait don de la ca
pitainerie de Maragnon à João de Barros, qui, en 1539,
envoya une flotte avec 900 hommes ; ils se maintinrent
dans la contrée longtemps, bien qu'une partie des hommes
eussent perdu la vie à la suite d'un naufrage près de l'île Sam
Luiz. En 1614, le gouverneur de « l'Estado do Brazil », à qui
tout le Maranhão « qu'on en a depuis séparé » était alors en-
encore soumis, y expédia Jeronimo de Albuquerque avec une
petite troupe ; la même année, de Albuquerque construisit, à
proximité de l'île Sam Luiz, un petit fort, Santa Maria, en un
Affaires étrangères) et date de 1698. Or la note ci-dessus affirme l'existence d'une réponse du Portugal de 1699, réponse qui se trouve dans le volume 34; d'où l'on peut conclure qu'elle est la seconde réponse du Portugal (la duplique).
Un renseignement fourni par Rouillé dans une lettre du 2 septembre 1698 servira à fixer la date de la réponse du Portugal : L e Portugal a répondu par un mémoire que Rouillé a envoyé à Par is il y a trois mois, R. B . I I , page 243, d'après la « Bibl . Nat. de Paris, Manuscrits, collection Clairambault, 1005 (Mel. 234), pp. 919 à 929». L a réponse du Portugal a donc été remise à Rouillé au plus tard en juin 1698.
L 'er reur provient de l'adjonction, dans la traduction française des mots «Janvier 1699», alors que le texte portugais original dit «un mémoire non daté non signé » ; conf. M. B . III , pp. 138, 185.
Il semble d'ailleurs qu'il y a une autre erreur dans l'indication des folios ; en 1855, on prétend que la réponse se trouve : vol. n° 33, fol. 305 (texte portugais original), fol. 295 (traduction française), M. B . III, pp. 138,139).
199 —
lieu appelé Buraco das Tartarugos. « Et, comme en ce même
temps les Sieurs de Labardier et de Rauly, avec le Baron
de Sansi, étoient entrés dans cette île pour se mettre à cou
vert du mauvais temps, ainsi qu'il est amplement rapporté
dans la relation imprimée du Père Claude d'Abbeville,
capucin, et qu'ils essayèrent de chasser les Portugais dudit
fort, et il y eut guerre entre eux, jusqu'à ce qu'une armée
navale, commandée par Alexandre de Moura, arriva avec
des renforts aux Portugais, et les Français furent obligés
d'abandonner l'île et le fort Sam Luiz qu'ils avaient bâti,
comme on le voit par les capitulations signés le deux no
vembre 1615. » L a même année, Alexandre de Moura
envoya le capitaine Caldeira de Castello-Branco dans la
région de Para, avec ordre de se rendre maître de la
contrée jusqu'au Rio de Vicente Pinson, ou Oyapoc, du
nom que lui donnent les indigènes. Ce territoire se trou
vait alors occupé par des Hollandais et des Anglais qui
y avaient construit plusieurs forts et factoreries. Cas
tello-Branco s'acquitta de sa mission de 1615 à 1617, en
fondant la ville de Belem de Para et en prenant des forts
hollandais «à l'entrée de cette embouchure». En 1618, le
capitaine-major Bento Maciel Parente lui succéda, qui « prit
aux Hollandais les îles de Joannes, Aroans et Genecù,
situées à l'embouchure du fleuve des Amazones, près de
la terre ferme du Cap du Nord». Il leur prit aussi Gorupá,
qu'ils occupaient depuis plus de 12 années, repoussa une
invasion qu'ils tentèrent en 1624 et fonda à cet endroit
« une bourgade ». Dans les années qui suivirent, Maciel Pa
rente s'avança vers le Cap du Nord, soumettant les indigènes
aux Portugais par des traités ou par la force des armes, et
chassant les Anglais et les Hollandais des forts et habitations
qu'ils avaient « sur ces rivières et sur la côte » (por aquelles
rios e costa). En 1629, il fit prendre par le capitaine Pedro
— 200 —
Teixeira le fort occupé par les Anglais sur la rivière de
Torrego et que les Portugais ont appelé par la suite fort
Desterro. L'année suivante, Teixeira prit encore aux Anglais
les forteresses de la rivière de Felipe et du port de
Camaû (près de Macapá), ainsi qu'un fort sur le lac de
Mayacari, « et enfin dans les années suivantes, il dégagea
la côte du Cap de Nord, que quelques auteurs appellent
Cap de Humos, en chassant jusqu'à la Rivière de Vincente
Pinson ou de Oyapoca les Hollandais et les Anglais, les
deux seules nations qui, clandestinement ou par violence,
avaient occupé ces territoires ».
Les Portugais occupèrent la plupart de ces forts,
jusqu'à ce que la côte fut débarrassée des ennemis et les
Indiens « de ces parages » soumis, ce qui permit de démolir
les forteresses, «comme l'attestent encore leurs ruines».
La raison pour laquelle les Portugais n'ont pas dépassé
l 'Oyàpoca ou Vincente Pinson, comme l'appellent les Espa
gnols, ou Rio Fresco , selon quelques cartes et descriptions de
voyage, est que Philippe I V , par une ordonnance du 13 avril
1633, avait divisé l'Estado de Maranhão en capitaineries, dont
une, la capitainerie du Cap de Nord fut donnée, en 1637, à
Bento Maciel Parente, pour lui et ses descendants; les
lettres de donation délimitaient expressément les terres de
30 à 40 lieues le long de la côte, depuis le Cap de Nord
jusqu'à la rivière de Vincente Pinson, « où se trouvait la
frontière des Indes d'Espagne » (« adonde entrava a repar-
ticào das Indias de Castella »). V e r s l'intérieur, la donation
comprenait un grand nombre de lieues et le Rio de T o -
cujus, et de là en avant autant que pourrait comprendre
la « conquista ». Cette donation est enregistrée au livre
second des registres royaux de la ville de Belem, fol. 131 à
136; dans le même livre, fol. 164, se trouve le procès-verbal
de la prise de possession par Bento Maciel Parente du 30 mai
201
1639. Cette capitainerie fut délimitée par des bornes qu'on
voyait, il y a quelques années encore, à la rivière de
Oyapoca ou Vinsente Pinson. Ces bornes portaient les
armes d'Espagne sur la face tournée du côté du territoire
espagnol et les armes du Portugal sur la face tournée du
côté du Brésil, « et il est certain qu'elles ont été enlevées
soit par les Indiens, soit par quelqu'une des nations d'Europe
qui ont occupé Cayenne ». Parente et après lui son fils
Vital Maciel ont défendu avec succès ce territoire contre
les ennemis de la couronne de Portugal « en soumettant
les Indiens à son obéissance, tant par l'influence des
Missionnaires que par la force des armes. Il établit le
chef-lieu de cette capitainerie à Curupatuba, lieu où il
fonda une habitation, résidence des Missionnaires de la
Compagnie de Jésus. Il fit toute sorte d'actes de posses
sion et de seigneurie ». Vital Maciel étant mort sans laisser
d'héritiers, la capitainerie fit retour à la couronne de
Portugal.
Dans sa seconde partie, la réponse du Portugal, après
avoir fait observer que ce sont là des actes de possession
qui, pendant plus de 70 ans, ont établi la domination por
tugaise, passe à l'examen des prétentions et des arguments
du mémoire français. Elle relève tout d'abord:
La France allègue qu'en 1604 déjà, des Français fai
saient, sur les bords de l'Oyapoc, le commerce avec les
Indiens. L e Portugal ne cloute pas que des Français aillent
commercer à la rivière d'Oyapoc, ou de Vincente Pinson ou
Rio Fresco, qui sépare l'Inde espagnole du Brésil; il ne
conteste pas davantage que l'île de Cayenne appartienne
aux Français « par une possession de cent ans » ou « par
quelqu'autre principe plus moderne ». En effet, le territoire
que les Portugais ont conquis, défendu et qu'ils possèdent,
se trouve entre la rivière d'Oyapoc et le fleuve des Ama-
— 2 0 2 —
zones. L e mémoire de la F rance n'a opposé à cette prétention aucun argument valable.
Les clauses des concessions octroyées par Louis X I I I en 1633 et 1638 démontrent clairement que d'autres « princes chrétiens » avaient déjà occupé des terres entre l'Amazone et la rivière de Cayenne, ce qui ne pouvait viser d'autres princes que ceux d'Espagne et de Portugal, dont les droits étaient expressément réservés dans les concessions. D'autre part, on n'a pas entendu dire que les Français aient jamais eu une colonie ou un comptoir depuis la rivière d'Oyapoc jusqu'à l'Amazone. En outre, les concessions autorisaient les marchands à faire le commerce dans un pays limité, compris entre 33/4° et 4 3 /4° de latitude nord 1) ; or, comme le Cap de Nord se trouve par deux degrés et le Vincente Pinson ou Oyapoc tout juste par trois degrés, il est évident que Louis XI I I a entendu exclure le territoire qui va du Cap du Nord jusqu'au Vincente Pinson ou Oyapoc. Lorsque la concession parle du Cap du Nord, c'est donc « dans un sens général et improprement », puisqu'en 1633, il n'y avait pas encore de colonie française à Cayenne et qu'à cette époque il n'y avait pas sur ces côtes d'autre cap plus connu.
L e mémoire français attache quelque importance à l'accueil bienveillant que le gouverneur portugais de Madère fit aux Français qui, en 1652, se rendaient dans la Guyane, cela bien qu'il connût le but de leur expédition. Selon la Réponse du Brésil, le fait qu'il savait à quoi s'en tenir ne devait pas empêcher le gouverneur d'accorder aux émigrants l'hospitalité qu'il est de tradition de donner aux Français dans
1) L e texte authentique de ces concessions n'a pas été produit. L'affirmation ci-dessus est empruntée à « l 'Hydrographie » du P . G. Four-nier S. J . de 1643, liv. 6, chap. 29, page 352.
2 0 3 —
les ports portugais, d'autant qu'il savait combien il y a de
place pour les Français entre Oyapoc et Cayenne et
« que cette étendue de terre a la dénomination de Cap
du Nord aussi bien que celle qui est entre cette rivière et
le fleuve des Amazones ».
Il est d'ailleurs hors de doute que cette Compagnie
de 1652 n'a pas établi « ses hommes sur les terres en
litige ».
Quant aux entreprises de la Barre et de la Compa
gnie des Indes occidentales dont s'occupe ensuite le
mémoire, il est à remarquer que jamais la Compagnie
n'est parvenue au Cap du Nord et que la Barre n'a jamais
pris possession des terres en question ; même les Anglais
et les Hollandais qui, à cette époque, ont deux fois occupé
Cayenne (les premiers en 1667, les seconds en 1674), n'ont
jamais dépassé le Vincente Pinson ou Oyapoc qui forme la
frontière des possessions de Cayenne.
Des cartes et d'anciens routiers montrent que le Vin
cente Pinson ou Oyapoc (soit son embouchure) était appelé
Port des Navires portugais (porto de navios Portuguezes)
et les Indiens peuvent encore aujourd'hui affirmer qu'il s'y
trouvait des bornes-frontière.
Ce que le mémoire de la France dit des forts construits
à l'ouest et à l'est de Cayenne jusqu'à Comarimbo dans
le voisinage du Cap d'Orange, de la défense du territoire
contre les Anglais et les Hollandais, ne peut se rapporter
qu'au territoire de Cayenne qui n'était pas plus vaste qu'en
1638, lorsque les Espagnols le perdirent ; entre l'Oyapoc
et l'Amazone, les Français n'ont pas livré de combats aux
Anglais et aux Hollandais. Que les Français, comme l'af
firme le mémoire, aient fait le commerce avec les indi
gènes, qu'ils aient chassé et pêché jusque sur les bords
de l'Amazone, que leurs missionnaires aient voyagé dans
— 2 0 4 —
ces contrées, rien de tout cela n'implique des actes de pos
session. Si les Français ont fait le commerce, chassé et
pêché dans le territoire portugais, c'était à l'insu des Por
tugais, clandestinement, d'une manière passagère ; on com
prend qu'il soit impossible de surveiller tous ces vastes terri
toires, « surtout les pays de l'Amérique et des Indes (qui)
se maintiennent sous la domination de leurs souverains par
l'obéissance des indigènes, indépendamment de la présence
des conquérants, car s'il fallait avoir dans chaque village
des gentils une colonie ou une garnison, toute la popula
tion de l'Europe ne suffirait pas pour occuper une seule
de ces régions ». La présence de Français n'implique pas
de leur part une possession, sinon aucun prince ne possé
derait ses états en sûreté ; il suffirait d'envoyer deux jésuites
français voyager à travers un pays, pour qu'il pût être
déclaré possession française. Pour ce qui est des cartes,
chacun est libre d'en faire faire, surtout secrètement ; elles
ne constituent aucun titre de propriété sur le pays qu'elles
représentent.
Il est de fait que les Portugais ont toujours conservé
la propriété et la possession des terres du Cap du Nord
depuis le Vincente Pinson jusqu'à l'Amazone ; en ce qui
concerne les missions, il en a toujours été entretenu sur
les deux rives de l'Amazone ; il s'en trouve actuellement
au Cap du Nord où elles ont pénétré et ont toujours été
depuis que B. M. Parente a pris possession de cette capi
tainerie ; la mission de Saint-Antoine y passe tous les ans,
venant des îles contigües à la terre ferme, pour aller
exercer son ministère à la rivière d'Araguary ; cette
mission a été longtemps établie sur la rivière Aguirù,
près du Cap du Nord, sous la protection d'une forteresse
dont on voit encore les ruines sur une colline de terre
rouge.
2 0 5
La réponse portugaise reprend ensuite la justification
de la possession par le Portugal et réfute les allégations
du mémoire de la France, selon lequel les Portugais n'ont
jamais paru sur la rive nord de l'Amazone et ne se sont
jamais plaints de l'occupation, par les Français, de tout le
territoire jusqu'à l'Amazone. Le Portugal ne se soucie pas
des terres qui sont de l'autre côté de la rivière de Vincente
Pinson ; mais celles qui s'étendent du Vincente Pinson ou
Oyapoc jusqu'à l'Amazone appartiennent au Portugal ; les
Portugais y entretiennent des factoreries de cacao dans
lesquelles ils résident ordinairement, trafiquent avec les
Indiens qu'ils traitent comme des vassaux qui reconnais
sent la couronne de Portugal à laquelle ils prêtent obéis
sance « et dont ils ont reçu parfois les punitions ou les
récompenses méritées » ; on n'en trouverait pas un qui
contredise cette « vérité ».
C'est parce qu'ils étaient mal renseignés par les gou
verneurs de Cayenne que les Français ont prétendu que
les Portugais ne s'étaient jamais plaints des incursions
françaises. Avant que le maréchal d'Estrées eut repris
Cayenne (1676), les Français n'avaient jamais pénétré dans
ces parages ; deux ou trois années plus tard, le comman
dant de Gorupá empêcha des Français de passer devant
sa forteresse, et quand, en 1682, le roi de Portugal fit pro
clamer dans l'intérieur du pays par les jésuites Pedro Luiz
(Gonzalvi) et Aloyxio Conrrado (Pfeil) la loi qui interdisait
de réduire les Indiens en esclavage, les deux pères ren
contrèrent cinq Français auxquels ils reprochèrent d'avoir
pénétré sur territoire portugais ; ils les renvoyèrent à
Cayenne où ils se plaignirent du commerce d'esclaves que
les Français faisaient sur territoire portugais. En 1685, le
gouverneur de Maragnon dut, pour des faits analogues,
adresser des réclamations à Cayenne.
2 0 6
De même, c'est sur des informations erronées que
repose l'allégation qu'avant les Portugais les Français
auraient occupé le Maranhão. Si la F rance entend rattacher
de grandes provinces à son insignifiante Cayenne, quelles
devront être les dépendances d'un Estado « qui compte des
villes, des bourgs, des villages et un grand nombre de
vassaux, dans lequel il y a des plantations, des comptoirs
sur les terres des Indiens, le tout peuplé de plus de 7000
habitants, qui sont maîtres de la plus grande partie du
fleuve des Amazones, dont les Indiens vont commercer
à Pa rá et y recevoir les brevets et les commissions poul
ies emplois qu'ils exercent dans leurs villages ; et ces
Indiens voyagent sur les rivières avec les Portugais, font
commerce avec eux, se mettent à leur service, et établis
sent dans leurs terres des factoreries de girofle et d'autres
drogues que le pays produit 1 )».
Quand la nation française voudra acquérir à la cou
ronne de F rance de nouveaux sujets et de nouvelles pro
vinces, il lui reste entre l 'Oyapoc ou Vincente Pinson, qui
est situé par 2 degrés 50 minutes de latitude nord et
Cayenne, assez de place pour bien des années : environ
60 lieues de côte avec quelques ports et les vastes régions
vers les déserts de l'intérieur.
5.
Cette réponse du Portugal fut remise à Lisbonne à l'am
bassadeur de F rance Rouillé, qui la communiqua au gouver
nement français au plus tard au commencement de juin 1698.
Après quelque temps, ne recevant pas de communi
cation de son gouvernement « sur l'affaire de la rivière
1) R . B . II , page 240 ; M. F . II, page 30 (sans divergences notables).
2 0 7
des Amazones », il s'enquit des causes de ce silence. L e 2 septembre 1698, il écrivait à Monsieur de la Combe 1) :
« Permetés-moy de vous demander la raison du silence qu'on garde sur l'affaire de la rivière des Amazones, je l'ay entamée, j ' ay parlé, j ' a y donné des Mémoires, on y a répondu icy par un Mémoire qu'on m'a donné que j ' ay envoie il y a trois mois depuis ce temps là on ne m'a pas écrit un mot sur ce sujet, soit qu'on ait trouvé les défenses des Portugais bonnes et qu'il n'y ait pas de répliques, soit que par raison de ménagement on veille dissimuler quant à présent, convenés que je dois estre instruit du parti qu'on veut prendre ; ce qui est certain est que cette Cour regarde comme un désistement tacite l'inaction dans laquelle ils me voient sur cette affaire depuis qu'ils m'ont doné leurs raisons par écrit, je croi M. de Ferole plus sensible que moy, sur l'article, car où il est il connoist mieux que je ne sais icy l'importance de terminer honorablement ce diferent. »
Nous ne connaissons pas la réponse que reçut Rouillé ; mais il lui fut envoyé, le 4 février 1699 2 ) , la Réplique à la Réponse faite au Mémoire présenté par l'ambassadeur de France en Portugal touchant les droits du Roy très Chrétien sur les Terres situées au nord de la riviere des Amasones 3).
Le gouvernement français n'était pas disposé à laisser de côté la question de l'Amazone ; encore moins admit-il
1) R. B . II, page 243, Bibl. Nat. de Paris, Manuscrit, Collection Clairambault, 1005 (Mel. 234), pp. 919 à 929.
2 ) Conf. M. F . I, page 13, notes 3 et 4, avec renvoi aux Affaires étrangères, Portugal, X X X I I I , fol. 287, 336.
3) M. F . II, pp. 31 et suiv., Archives des Affaires étrangères, Correspondance de Portugal, t. X X X I I I , fol. 336, reproduit également par R. B . II, pp. 245 et suiv.
— 2 0 8 —
comme concluantes les preuves alléguées par la réponse
du Portugal.
En premier lieu, la réplique résume comme suit les
renseignements fournis par la réponse portugaise sur les
premiers actes de possession effectués dans le Brésil :
« Pour etablir le droit des Portugais sur la province
ou capitainie de Maragnon, on allegue que le Roy de Por
tugal Jean 3e en fit donation en 1539 a Jean de Barros,
lequel y envoya des troupes, qui y firent naufrage, et
neantmoins s'y établirent, et s'y maintinrent durant quel
ques années. Que depuis ce temps la ce pays etoit demeuré
abandonné, jusques a ce que, en 1614, on y envoya Jerome
d'Albuquerque qui s'y établit, et chassa les François de
l'Isle de Saint Louis, qu'ils occupoient alors, y estant de-
cendus par hasard pour se mettre a couvert du mauvois
temps. »
Puis la réplique française donne en ces termes la dé
finition du droit d'occupation, « que suivant l'usage de
touttes les nations de l 'Europe la donation qui n'est pas
suivie de la possession actuelle et non interrompue, si ce
n'est pour fort peu de temps, ne donne aucun droit. Ces
pays esloignez sont estimez abandonez, et ils appartien
nent au premier qui les occuppe, autrement il s'en suivroit
qu'un prince auroit droit sur tous les pays dont il auroit
accordé la concession et ou il auroit envoyé faire descente
et planter ses armes, sans se mettre en peine de les faire
habiter ; ce qui seroit assurément injuste et contre la pra
tique de tous les peuples ». L e Portugal n'a qu'à se rap
peler un fait qui s'est passé sur le territoire en litige :
Charles-Quint avait, en 1549, donné à Francisco de Orellana
une concession concernant les terres de l'Amazone, d'où
Orellana se retira par la suite. Si donc la concession doit
faire loi, le Portugal est obligé de reconnaître la légitime
2 0 9 —
possession de l'Espagne sur l'Amazone ; or, les Portugais,
pas plus que les Français, ne sont disposés à admettre
ce droit.
La réplique compare alors entre elles les prétentions
du Portugal et de la France sur le Maranhão :
« L a possession des Portugais se réduit à l'établissement
commencé en 1614 par Jerome d'Albuquerque et continué
jusques a présent. Cette possession seroit legitime, si son
origine n'estoit vicieuse et insoutenable. » Les droits de
la France, en revanche, découlent du voyage que fit, en
1594, Riffault au Maranhão, où il laissa de Vaux; après le
retour de celui-ci en France, Henri IV, en 1608, envoya au
Brésil de la Ravardière, dont le premier séjour dans le pays
ne fut que de six mois; le 12 juillet 1612, il revint et avec
ses compagnons, mouilla à la « baye de Maragnon » et « peu
de jours apres ils planterent une grande croix et travaille
rent a construire le Fort de Saint Louis, ou ils mirent
vingt-deux pieces de canon ». En 1613, il envoya sur les
bords de l'Amazone le capitaine Pra qui était arrivé de
France avec 6 capucins et 300 hommes ; au retour de son
voyage qui avait duré neuf mois, Pra trouva le fort de
Saint Louis au pouvoir des Portugais ; en 1619 il était à
Lisbonne.
Tout cela prouve que la possession de Maranhão par
la France dura un grand nombre d'années et était bien
établie, tandis que la possession portugaise repose sur un
acte de violence ; mais si la possession portugaise du Ma-
ranhão est « injuste et violente », il est certain « que tout ce
qui s'en est ensuivy est aussy défectueux et ne peut donner
aucun titre legitime ». Or l'occupation violente du Maran-
hão a permis aux Portugais de pénétrer jusqu'à l'Amazone.
Par conséquent, cette occupation aussi est injuste et les Por
tugais ne sont pas fondés, déjà pour cette seule raison, à 14
— 2 1 0 —
« disputer aux François le rivage septentrional de cette
riviere ».
La réplique continue :
L e Portugal invoque les luttes qu'il a soutenues contre
les Anglais et les Hollandais, auxquels il a pris les forts
construits sur les deux rives de l'Amazone. En outre, dit-il,
Philippe IV , en 1637, « partagea cette partie de l'Amerique
par la riviere de Vincent Pinson autrement appelée Yapoco 1)
entre les Portugais et les Castillans », et fit donation à
B . M. Parente de la capitainerie du Nord « qui s'estend
30 ou 40 lieues le long de la coste jusques au Cap de Vin
cent Pinson» 2 ) , etc. A quoi l'on répond:
1° C'est l'occupation violente du Maragnon qui a amené
aussi ces actes de violence.
2° Les entreprises que les Portugais ont faites contre
les Anglais et les Hollandais peuvent avoir été légitimes
puisqu'ils étaient en guerre avec eux, «mais il n'en est pas
de mesme des François qu'ils ont aussi attaquez contre
toutte justice » et qui s'étaient établis sur la rivière des
Amazones longtemps avant eux ; preuves en soient la cons
truction du fort de Macapa par les Français et le récit du
P. Acuña et du P. Manuel Rodriguez, qui relate que les
Français établis sur la rivière de Tocantins chargeaient
leurs vaisseaux uniquement de terre 3).
1) L a Réponse du Portugal dit c l 'Oyapoc». L e Gouvernement français ne fait par conséquence pas de différence entre l 'Oyapoc et l 'Yapoco.
2 ) L a Réponse du Portugal ne parle pas du Cap de V . P., il n'y est question que de la rivière de Vincent Pinzon.
3) «P . d'Acuña (num. 81) et P . Manuel Rodriguez (livre 2, chap. 13) en parlant de la riviere des Tocantins, disent que les François s'y estoient establis en ces termes : Ninguno ha conocido su caudal, sino solo el Frances , que quando poblara sus costas cargara naos de sola la tierra que de sus orillas sacaba, etc. », M. F . II, pp. 35 et suiv., R . B. II, page 258, note 30.
3° et 4°. Les guerres contre les Anglais, les Hollan
dais et les Français « ne donnent aucun droit, si elles ne
sont pas suivies d'une possession véritable, continue et ac
tuelle », pas plus que la concession de Philippe I V et la
prise de possession de Parente « n'ayant pas esté suivie
de la possession ou habitation actuelle ».
En outre, on n'a « jamais veu vers la riviere d'Yapoco
les armes du Roy de Portugal ny du Roy d'Espagne;...
les pierres qu'on dit avoir esté elevées pres de la par
Maciel Parente y avoient esté mises par les François pour
couvrir le corps d'un Jesuite françois mort en travaillant
a la conversion des Indiens, afin d'empescher les bestes
sauvages de le deterrer, et que le pere L a Mousse, jesuite
françois allant à Macapa en 1697 avec le Sieur de Ferolles
le fit chercher pour le transporter a Cayenne, quoy qu'inu
tilement, ayant esté consommé par la chaleur et par l'hu
midité du pays ».
5° Quand il y aurait eu une possession exercée par le
Portugal depuis 1639, elle n'en serait pas moins «injuste»,
puisque le droit de possession de la France est antérieur;
les Français y habitaient et négociaient au X V I e siècle
déjà, et, en 1633 et 1638, le roi Louis XII I octroya des
concessions, confirmées en 1640 et 1643, qui ne comprenaient
pas un degré de latitude seulement, comme le dit le P.
Fournier, un compilateur inexact ; au contraire, la conces
sion de 1638 va depuis le 310 e degré de longitude jusqu'au
330 e et du 1 e r jusqu'au 3e degré de latitude nord.
6° L a frontière fixée par Philippe I V au Vincent Pin
son ou Yapoco n'a pas seulement été déterminée injuste
ment, elle est encore « imaginaire et sans fondement puis
qu'on n'a pu trouver aucune carte ny géographe qui donne
à cette riviere le nom de Vincent Pinson, et que Laet qui
rapporte tout ce que les autheurs de differentes nations en
211
ont dit n'en fait aucune mention. A l'égard du nom d'Ya-poco, le gouverneur de Cayenne soustient que ce n'est qu'une équivoque et qu'il y a une isle de ce nom assez grande au milieu de la riviere des Amazones, et qui peut servir de borne 1) d'autant plus que les Portugais ne se sont jamais establis depuis le Cap de Nord jusques a Cayenne » 2 ) .
Ce n'est qu'à partir de 1686 que les Portugais ont commencé « a troubler la possession des François », d'une part en faisant prisonniers et en conduisant à Para des Français qui se livraient à la pêche sur l'Amazone ou négociaient avec les Indiens, ce qu'ils ont répété trois fois depuis, d'autre part lorsqu'en 1686 ils «bastirent le fort de Saint Antoine sur la riviere d'Arouary ou d'Alaouarry ». Le fort ayant été détruit l'année suivante «par les marées ou la barre de riviere des Amazones », ils transportèrent leur habitation «sur les ruines du fort de Macapa qu'ils rétablirent ». Les Portugais prétendent en outre qu'ils faisaient le commerce sur les deux rives de l'Amazone. Il vaut mieux garder le silence à ce sujet, car ce commerce consiste à enlever des Indiens libres pour les réduire en esclavage.
L a Réplique conclut ainsi : L a frontière de l'Amazone est la seule possible. L a division que propose le Portugal « par la riviere d'Yapoco est inutile et insuffisante, parce que cette riviere vient du midy et a sa source a la hau-
1) Conf. ci-dessus, page 181, note 1. 2) Vo i l à qui démontre que le gouvernement français avait tait
sienne l'opinion de Fer ro l les ; Vincent Pinçon et Yapoco sont identiques: l'un est une riviere imaginaire, puisqu'il n'y a pas de carte ou de géographe « qui donne à cette riviere le nom de Vincent Pinson » et l'autre « n'est qu'une equivoque ». Une île Yapoco qui est au milieu de l 'Amazone peut servir de frontière.
212
teur ou latitude du Cap de Nord, et quand on seroit arrivé a l'endroit ou elle prend naissance, il faudroit chercher, et convenir d'autres bornes, ce qui seroit impossible en ce pays la, et exposeroit les deux nations a de continuelles guerres ».
Aussi la France espère-t-elle que le roi de Portugal donnera ordre à ses sujets de ne plus troubler les Français « dans une possession aussy ancienne et aussy bien fondée que celle qu'ils ont sur les terres situées au nord de la riviere des Amazones ». Ce serait le moyen de terminer tous différends au sujet du Maranhão et d'autres lieux que les Portugais ont pris aux Français, par la force, en temps de paix.
6.
Voici l'ordre chronologique dans lequel ces divers mémoires ont été échangés :
L a France a remis son premier mémoire au mois de janvier 1698; le Portugal répondit au commencement de juin 1698 au plus tard ; la réplique de la France a été envoyée à l'ambassade de France à Lisbonne au mois de février 1699 ; la duplique du Portugal pouvait donc être attendue dans le courant de l'année 1699.
Aujourd'hui, la France allègue qu'il paraît bien que les Portugais ont travaillé à un projet de duplique, mais qu'il est certain que cette duplique ne fut jamais remise à l'ambassadeur de France, qu'elle n'a jamais été communiquée par ce dernier au gouvernement français et qu'elle n'existe pas dans les Archives françaises 1 ) .
Cette opinion n'est guère soutenable.
1) R. F . , pp. 86 et 87.
2 1 3
— 214 —
1) M. B. III, page 96.
Lors des négociations qui eurent lieu entre le Brésil et la France en 1855, le plénipotentiaire français, baron His de Butenval disait qu'il n'existe dans les Archives des Affaires étrangères que deux mémoires du Cabinet portugais l ) relatifs au débat; mais enfin, il y avait deux mémoires. Or, le premier mémoire de la France, à la page 13, constate qu'il existe dans les Archives des Affaires étrangères une réponse du Portugal, de 1699, qui a été insérée dans le volume X X X I V , folio 310, de la Correspondance du Portugal; cette réponse est probablement une autre pièce que celle qui figure dans le volume X X X I I I .
L 'examen de la question, telle qu'elle est élucidée par les documents visés par la France, conduit donc à la conclusion que la duplique du Portugal existe, ignorée, dans le volume X X X I V de la Correspondance du Portugal, qu'elle a par conséquent été non seulement rédigée, mais encore remise au gouvernement français.
Les Archives de l'état du Portugal ne possèdent le texte ni de la duplique, ni des autres mémoires qui ont été échangés. En revanche, deux copies de la duplique sont conservées, l'une à la Bibliothèque publique d'Evora (manuscrit coté C. V , 1-5), l'autre à la Bibliothèque publique nationale de Lisbonne (manuscrit n° 2767, fonds ancien K. 2, 2). Celle-ci fait partie d'une collection de documents, réunie par Gaetano de Lima, qui fut secrétaire des plénipotentiaires portugais au Congrès d'Utrecht.
Le texte de la duplique, reconstitué d'après les deux copies, a été reproduit dans la R. B . II, pages 277-322 et I V , pages 79-130, sous le titre : Réponse à la réplique de l ' A m bassadeur de France.
Il faut bien l'utiliser, à défaut de l'original ; ce n'est
apparemment pas une pièce falsifiée, mais une copie, plus ou
moins exacte, de l'original. A supposer môme que celui-ci
n'ait pas été remis officiellement au gouvernement français,
la copie n'en refléterait pas moins les arguments que le
gouvernement portugais entendait opposer à la réplique
de la France.
Il y a lieu par conséquent de tenir compte ici de ce
document pour établir les faits de la cause.
La duplique portugaise examine, en premier lieu, la
question du Maranhão dans tout son ensemble, posant en
fait « que les Portugais se sont réintégrés à juste titre dans
la possession de l'île de Saint-Louis du Maranhão, que les
Français avaient voulu leur usurper ».
La réplique de la France, dit-elle ensuite, admettant
que c'est à bon droit que les Portugais ont chassé les Hol
landais et les Anglais de ce territoire, elle doit admettre
aussi la légitimité de la possession portugaise, car c'est avec
ces deux nations uniquement que le Portugal avait alors
affaire et non avec les Français qui « n'y avaient ni pro
priété ni possession ».
A l'argument de la réplique française « que la posses
sion prise par Bento Maciel Parente des terres du Cap du
Nord ne fut pas suivie et continuée par une habitation
actuelle », la duplique répond que la possession « fut tou
jours conservée au moyen de plusieurs forteresses et éta
blissements (habitations) », savoir par les forts «de Cumaú,
Araguari, Rio Negro et du Torrego, autrement nommé
du Desterro, sans en compter d'autres, ni différentes fac
toreries, conquises sur les Anglais et les Hollandais, ainsi
qu'en témoigne le Cosmographe João Teixeira, qui les pré
sente dans la carte de la riviere des Amazones de sa
Description du Brésil, ce qui, au besoin, pourrait être
montré sur un grand nombre d'autres cartes anciennes ».
2 1 5
— 2 1 6
Les établissements (habitations) « sont ceux qu'en plusieurs villages, fondés depuis plus de soixante cinq ans, possèdent, dans toute l'étendue des mêmes terres, les Pères de la Compagnie et les Capucins de Saint-Antoine et de la Pitié, villages soumis au domaine et aux lois de la Couronne de Portugal, comme aussi ceux que possèdent encore dans l'intérieur, du même côté du Nord, les dits Pères de la Compagnie, les religieux de la Merci et les Carmes », à quoi les Français ne sauraient opposer que le commerce que quelques Français, munis de passeports de Cayenne avaient coutume de faire « dans les terres en litige » ; plusieurs de ces Français, dans les dernières années, furent tués par les Indiens auxquels ils voulaient faire violence. L'existence de l'établissement de Corupatuba, le fait que d'autres villages indiens qui sont sur la riviere Genipape 1), sont soumis aux Portugais, fournissent la meilleure preuve qu'on puisse donner en faveur de la solidité de la domination portugaise sur ce pays.
En revanche le Portugal reconnaît « qu'on n'a jamais trouvé les Portugais de l'autre côté de la Rivière Oja-poc 2 ) , mais cela parce qu'ils ont toujours observé l'ordre d'après lequel le Portugal ne cherche qu'à conserver la propriété des terres dont il est maître ; ils ont respecté la division de ces terres que l 'Empereur Charles V a prescrite, par la Rivière de Vincent Pinçon, en y faisant placer les armes des deux Couronnes en regard des pays qui leur appartenaient, ainsi que le rapporte, d'après les relations de Portugal, de France et de Hollande, le Père Marcos déjà cité, au chap. 5 e , p. 243, à la
1) Genipape ou Paru ; Corupatuba, d'après la carte du P. Fritz sur
la rive gauche de l 'Amazone, au-dessus de l'embouchure du Paru. 2 ) Oyapoc dans la copie d'Fvora.
— 2 1 7 —
lettre A 1 ) , et ainsi que l'affirme le capitaine Simão Estacio da Silveira à la première page de sa relation citée ci-dessus 2 ) , laquelle fut imprimée en l'année de 1624, treize ans avant la donation, faite en 1637, par le Roy Philippe I V audit Bento Maciel Parente; et on en conclut que les Portugais occupent et entendent conserver les terres qui appartiennent à leur Couronne et ne prétendent pas à celles qui peuvent appartenir à d'autres Princes ».
La réplique de la France voit dans ces bornes-frontières des pierres apportées par des Français pour couvrir le corps d'un missionnaire ; mais « ni la date citée, ni la forme de ces pierres n'indiquent qu'il en puisse être, ainsi. La date, parce qu'il est impossible de se rappeler exactement ce qu'il en fut de ce cadavre depuis l'an 1637, où lesdites terres furent délimitées par ordre de Philippe IV . . . jusqu'en 1697 3), époque à laquelle M. de Ferrolles 4 ) est allé chercher ces restes ; la forme, parce que les pierres de ladite démarcation avaient et ont encore les Armes des Rois de Portugal et de Castille. On est plutôt convaincu que les pierres qui servirent à couvrir le cadavre seraient quelques-unes de celles prises dans les bornes-frontières qui manquent». Daniel la Penher 5 ) , missionnaire français, dans une lettre qu'il adressait à un missionnaire portugais appartenant au même ordre, et comme lui d'origine allemande, le P. Aloisio Conrado 6 ) , reconnaît l'existence de ces
1) P. Marcos de Guadalaxara, Historia Pontificale (voir ci-dessus,
pp. 102 et 112). 2 ) Vo i r ci-dessus, pp. 101 et 111. 3) R . B . II, page 312, indique 1692 au lieu de 1697 ; conf. R . B . I V ,
page 111. 4 ) L a copie de Lisbonne porte Seroles.
Lapinier selon la copie de Lisbonne. 6 ) Pfeil.
2 1 8
bornes-frontières, « lettre dans laquelle il indiquait l'emplacement de l'une de ces bornes, ce que l'on voit dans la R e lation faite par ledit Père Aloisio Conrado et qu'on produira s'il le faut 1) ».
Les concessions françaises n'ont aucune portée en l'espèce, à cause d'abord de la condition expresse sous laquelle elles ont été données, que les terres ne seraient pas déjà occupées par quelque autre prince et parce qu'ensuite «aucune n'a été rendue effective». Peu importe que la Compagnie s'appelât «Compagnie du Cap du Nord», « cette Compagnie ne pouvant pas exister au Cap du Nord qui appartient aux sujets de la Couronne de Portugal ». Les Français n'ont réussi à occuper définitivement l'île de Cayenne qu'en 1670 ; ils n'avaient pas de possessions ailleurs et l'on ne saurait notamment prétendre qu'ils aient fondé depuis des colonies «dans les terres du Cap du Nord».
L a réplique française déclare «imaginaire» la délimitation par la Rivière de Vincent Pinçon, parce que Laet n'a pas mentionné cette riviere et « qu'on ne peut trouver aucune carte, ni aucun géographe qui donne à cette riviere le nom de Vincent Pinçon ».
A quoi le Portugal répond : « il nous a paru nécessaire de montrer le bien fondé de cette division à l'aide des auteurs, des cartes et des géographes qui s'en occupent et en parlent, et à l'aide des cartes, auteurs et géographes qui font mention de ladite riviere en employant le nom de Vincent Pinçon et Oyapoc ou Oviapoc, ce qui revient au
même »2).
En premier lieu la détermination de la frontière du
1) Vo i r ci-dessus, page 15/ . 2 ) L a note 71 au texte R . B . II , page 318, dit à ce sujet : « Dans
l'original, il y avait probablement Wiapoc , comme plus loin ».
2 1 9
Vincent Pinçon ou Oyapoc est « juste et légitimement faite » :
« La justice de ladite division se consta te . . . par le droit que les rois de Portugal et de Castille avaient de la faire en leur qualité de confinants et de premiers découvreurs et occupants qu'ils maintenaient être des dites terres. » Puis, le Portugal et l'Espagnol ont le droit de procéder à ce partage en vertu de la bulle du pape Alexandre V I qui a établi la ligne de démarcation de 1493 (par suite d'une erreur 1497 dans la duplique). Enfin, se basant sur cette démarcation, ils avaient par le traité de 1529 (traité de Saragosse) conclu des arrangements valables au sujet de la frontière des Moluques, et cette délimitation devait être étendue à l'Amérique du Sud, attendu que la convention stipulait qu'aucune des parties ne pouvait pénétrer dans la démarcation de l'autre. « Il en découle clairement que ladite dernière division que les rois de Castille et de Portugal ont faite quant aux terres situées au Cap du Nord de la riviere des Amazones, qu'elle ait eu lieu avant ou après ledit contrat, fut en tout cas juste et légitimement faite et ordonnée avant le contrat par l'Empereur Charles V , ayant été confirmée, après le contrat, par cet empereur et par Philippe IV , car elle fut mise à exécution et observée. »
La frontière du Vincent Pinçon n'était et n'est en-second lieu pas imaginaire :
« Auteurs qui parlent de cette riviere et la designent sous le nom de Vincent Pinçon » : « le Père Manoel Rod-riguez, livre I e r , page 15, fl. 149 ; le Père Marcos de Gua-dalaxara, . . . dans la 5 e partie de l'Historia Pontifical, livre 9, chap. 5, page 243, litt. D ; Solors, livre I e r , chap. 6, n° 59; Simào Estacio da Silveira, à la première page de sa Relation ; le capitaine Francisco Teixeira de Moraes, dans la I r e partie de ses Relations Historiques, chap. 3 ; le Père
220
Simão de Vasconcellos, dans son livre des Notices du
Brésil, page 14, n° 16 et ad finem, et page 18, n° 21 ; le Père
Alonso d'Ovalle, dans sa Description du Chili, chap. 7,
page 118, lequel dit que Vincent Pinçon ou Vicente Annes
Pinçon, comme d'autres le nomment, après avoir pénétré
dans la riviere des Amazones, poursuivit sa route vers
Par(ia), ce que dit également Solors déjà cité, et qu'il
trouva une autre riviere moins grande, dont il prit pos
session; d'où l'on peut conclure que ce fut celle-ci et qu'elle
a pris le nom de son premier découvreur 1) ; le Père Joào
de Souza Ferreira, dans son Noticiario Maranhense, chap. 4,
où il nous apprend qu'au Maranhão vivaient, dans le temps
où il écrivait, plusieurs personnes qui avaient vu et touché
la borne avec les Armes du Portugal mise à ladite Rivière
de Vincent Pinçon, et, au fol. 5, il cite plusieurs auteurs
et cartes qui font passer ladite division par le Cap de
Humos, qui est celui du Nord, et par le Rio Fresco qui est
celui du Vincent Pinçon. Cette même démarcation a été
adoptée par Jeronimo Girava Tarragonez en son Traité
de Cosmographie, livre 2, page 110, où il donne le nom de
Cap de Humos au Cap du Nord. Et mieux que tous, le
grand Reinel 2 ) , dans sa Carte générale de l'Amérique,
présente les terres et les limites de Castille et de Portugal
avec les pavillons des deux Couronnes, et signale distinc
tement le méridien de la ligne de démarcation des terres
respectives, plaçant la limite à l'embouchure du Rio Fresco,
qui dans sa carte est la même riviere que le Vincent
1) Ici le cours d'eau mentionné dans le texte, mal compris, de Pier re Martyr, apparaît donc comme étant le Vincent Pinçon.
2) Cartographe portugais (né aux environs de 1505), au service de l 'Espagne depuis 1522. Auteur d'une carte qui est à Munich (Hof und Staatsbibliothek), Kretschmer, Tafel I X , 2. Conf. Ruge, Petermanns Mitteilungen, Ergänzungsband, 23, page 37.
— 221 —
Pinçon à la seule différence du nom, car qu'il s'agisse d'un nom ou d'autre, c'est toujours le cours d'eau où l'on a placé la borne et par où ladite division a été faite.»
Au nombre des « géographes et cartes », qui « parlent spécialement de cette riviere, en lui donnant le nom de Vincent Pinçon » il y a lieu de citer : « Gerard Mercator qui, dans la première Carte générale de l'Amérique, de sa Fabrique du Monde, donne à cette riviere le nom de Vincent Pinçon, et qui, dans sa description de la province de Guyane, présente cette même riviere sous le nom de Wia-poc ou Yapoc 1), au Nord du fleuve des Amazones », ainsi que les Hollandais Frédéric Wit et Jean Blaew ; sur la carte d'Abraham Ortelius, le cours d'eau porte le nom de Vincent Pinçon, de même sur la carte de João Teixeira, « cosmographe du Royaume de Portugal ».
« Il s'ensuit donc que l'objection de l'Ambassadeur, provenant aussi de ce qu'il n'y avait pas de carte ni de géographe donnant à la riviere Yapoc 1) le nom de Vincent Pinçon, ne peut plus subsister. »
L'ambassadeur « ne pourra pas non plus soutenir que ce nom de Yapoc 1) est celui d'une île située au milieu du fleuve des Amazones, car, outre ce qui a été dit, toutes les îles de ce fleuve se trouvent placées dans les cartes avec leurs noms particuliers, et celui de Yapoc l ) ne se trouve sur aucune île, ainsi que le dit Ambassadeur pourrait le voir sur les cartes que les cosmographes français Sanson et Duval ont composées.
Il peut encore moins soutenir que l'île en question doive servir de limite entre les deux Couronnes, puisqu'elle n'existe pas. »
Répondant enfin à la dernière objection de la réplique
1) Oyapoc dans la copie d'Evora.
— 2 2 2 —
française, d'après laquelle la frontière du Yapoc l ) serait
«inutile et insuffisante», parce que cette riviere, qui vient
du midi, a sa source à la hauteur du Cap du Nord et qu'on
ne pourrait, sans se heurter à d'inextricables difficultés, dé
terminer la suite de la frontière à partir de la source, La
duplique portugaise dit: Si la frontière de l 'Oyapoc ou
Vincent Pinçon fut « utile et suffisante » pour séparer les
terres du Portugal d'avec celles de l 'Espagne, pourquoi
ne le seraitelle pas pour délimiter les possessions fran
çaises des possessions portugaises ?
7.
L a duplique portugaise est signée du Conseiller d'Etat
Roque Monteiro Paim et porte la date du 30 juillet 1699.
Mais une lettre de Rouillé à son gouvernement, d'août
1699 2 ) , citée M. F . I, page 14, ne concorde pas avec cette
date. En effet, Rouillé y dit que le gouvernement portu
gais s'excuse de n'avoir pas encore donné de réponse, parce
qu'il avait fallu du temps pour travailler à un deuxième
mémoire, qu'on lui remettrait bientôt. Il est permis de croire
que la duplique du Portugal était terminée le 30 juillet,
mais que l'expédition n'en a été faite et remise à Rouillé
que quelques jours plus tard.
Quoi qu'il en soit, dans le courant de l'automne de
1699, la France considéra l 'échange des mémoires comme
clos et estima le moment propice pour obtenir une solu
tion, favorable à ses vues, de la question de l'Amazone.
1) Oyapoc dans la copie d'Evora. 2 ) M. F . I, page 14, qui renvoie aux « Affaires étrangères, Portugal,
t. X X X I V , fol. 98 » ; le texte exact de la lettre et la date du jour ne sont pas communiqués.
2 2 3
Rouillé demanda d'abord que la question fut réglée dans des conférences avec les représentants du gouvernement portugais, conférences en vue desquelles, le 23 septembre, il recevait de son roi pour instruction : S a Majesté « vous ordonne de déclarer au roi de Portugal que, s'il ne prend cette voie, en sorte que la discussion puisse être finie dans le cours du reste de cette année, Elle s'est déterminée de se servir des moyens que Dieu lui a mis en mains pour se faire raison de toutes les entreprises des Portugais » 1 ) .
Les conférences commencèrent à la fin de septembre. On ignore comment furent soutenues de vive voix les thèses contenues dans les mémoires et quels arguments nouveaux furent invoqués 2 ) . Il est probable que Rouillé, sans s'arrêter
1) M. F . I, page 15, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I , fol. 246; conf. M. F . I, page 166.
2 ) L e mémoire du comte Ericeira, du 28 septembre 1699 d'une part, les « Instructions du Gouvernement Français au Gouverneur de Cayenne, 2 septembre 1699 » d'autre part, établissent que les parties se sont préoccupées, en vue de ces conférences, de rassembler de nouvelles preuves à l'appui de leurs prétentions. — R . B . II, page 336, donne l'extrait que voici du mémoire d'Ericeira : « Les plus grands Géographes, tels que Sanson, Duval, Coroneli, De Fer , Villemont, Baudrant, Roube et Lacroix, ainsi que tous les autres, ne nient pas que ces Capitaineries ne nous appartiennent, et nul n'attribue à la France sur ces côtes autre chose que l'île de Cayenne, qui se trouve par 5 degrés de latitude septentrionale. Plusieurs de ces Géographes font aussi mention du fleuve de Vincent Pinçon (A. Ortelius, Novus Orbis, Mercator, Atlas, et alii), et tous lui donnent le nom de Wiapouco, car c'est le même fleuve, comme on le voit clairement par les latitudes (Sanson, Carte de l 'Amérique, Paris 1679; Coroneli, Globe terrestre, Venise 1688).. .». M. B . I, page 135 et R . B . II , pp. 333 et suiv. communiquent un sommaire des « Instructions au gouverneur de Cayenne », d'après Santarém, Quadro Elementar, etc., Paris 1844 : « on lui ordonne de s'informer dans le plus grand détail des titres qu'avaient les Français pour pouvoir naviguer sur l'Amazone, afin que l'on pût les opposer aux Portugais, qui disputaient à la France le
224 —
à développer longuement lu question de droit, se sera plutôt attaché à exposer la revendication par la France de la rive gauche de l 'Amazone; tout au moins adresse-t-il le 30 septembre à Louis X I V un rapport où on lit entre autres qu'il avait demandé, « que le roi de Portugal voulût bien déclarer purement et simplement s'il entendait continuer l'usurpation faite par ses sujets au delà de la riviere des Amazones du côté de Cayenne ou en faire raison à votre Majesté » 1 ) . M. F . I, page 15, explique, en se fondant sur les documents déposés aux archives françaises, que, peu après le commencement de la conférence, le premier des négociateurs portugais, le duc de Cadaval, lui fit entrevoir la possibilité d'obtenir la démolition des forts construits sur l'Amazone, mais que l'on ne pouvait entrer en négociation sur la conclusion d'un traité avant que le représentant de la France fût muni d'un pouvoir spécial. « Ce pouvoir étant arrivé 2 ) , Rouillé s'empressa de l'exhiber à Cadaval. Il le prévenait en même temps de la détermination de sa Majesté très chrétienne de ne vouloir plus entendre à aucun accommodement, si l'affaire n'était ter-
droit de naviguer sur ce fleuve, prétendant réduire des limites à l'Oyapoc». L'Instruction, est-il dit, se trouve aux « Archives du Ministère de la Marine, à Paris , vol. Documents historiques de la Guyana, 1664 à 1716». R . F . , pp. 75 et suiv., 331, prétend il est vrai que cette instruction du 2 septembre 1699 est une «pièce supposée», par la raison qu'à cette date il a bien été adressé une dépêche à Ferrol les , mais que cette dépêche avait un tout autre contenu (Archives coloniales, B . 21, année 1699, fol. 155; A. M. le marquis de Ferrol les , Versai l les , le 2 septembre 1699). Or cela ne prouve pas que l'Instruction soit une pièce supposée : d'abord, dans ces deux citations, l'adresse n'est pas absolument la même, ensuite, il se peut fort bien que l'Instruction existe, mais qu'il y ait une erreur dans l'indication de la date du jour (2 septembre).
1) R . F . pp. 87, 88, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I V , fol. 125. 2 ) L e pouvoir est du 25 octobre 1699, M. F . II, page 41.
minée dès la fin de cette année et d'agir aussi puissamment après ce terme expiré qu'elle avait été de temps à s'y résoudre » 1). L e pouvoir de Rouillé désignait comme objet du litige : « la possession des terres scituées aux environs de la riviere des Amazones» 2 ) , tandis que le pouvoir des représentants du Portugal mentionnait : « les terres situées entre la Colonie de Cayenne et la riviere des Amazones et taisant partie du Maragnon » ; Rouillé protesta contre ces termes et demanda la suppression de cette expression, attendu que la France aurait pu dire avec plus de raison de ce pays, « faisant partie de la Colonie de Cayenne » et qu'elle ne l'avait pas fait, Il reçut du Portugal une réponse qui ne préjudiciait pas à la conclusion du traité 3).
Toutefois, à la fin de 1699, les conférences n'avaient pas encore abouti. «Pressés de plus en plus par Rouillé», les négociateurs portugais proposèrent enfin « de faire un traité provisionel, par lequel on conviendrait que les forts seraient rasés et que la question du fond demeurerait indécise jusqu'à ce qu'elle fût plus éclaircie de part et d'autre » 4 ) .
Rouillé reçut de son gouvernement l'autorisation de signer le traité proposé par le Portugal, moyennant quelques changements. Il n'y en eut qu'un seul 5) qu'il ne put faire admettre, c'était la modification du terme fixé pour trancher définitivement le différend (conf. art. 9 du traité). « Sur
l ) M F . I, pp. 15-l6, «Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I V » . 2) M. F . II, page 41. 3) Rapport de Rouillé du 17 novembre 1699, M. F . I, page 16, « Af
faires étrangères, Portugal, t. X X X I V ». L e s pleins pouvoirs des négociateurs portugais portent d'après M. B . I, page 141, la date du 21 novembre
4 ) M. F . I, pp. 16-17, sans autre indication de la provenance. 5 ) Conf. M. F . I, pp. 32 et suiv.
15
225
— 226 —
tous les autres points, il s'obstina et l'emporta : pour arriver à ce résultat, il feignit de rompre 1), ne consentit à renoncer qu'à la demande personnelle du roi Dom Pedro et ne se résolut à signer qu'après avoir eu satisfaction sur presque toute la ligne » 2 ) .
Rouillé a relaté dans le compte-rendu de son ambassade à quels moyens il dut recourir pour en arriver là : « . . . Le Roi . . . m'envoya des ordres pour les commandants de quelques-uns de ses vaisseaux, qui étaient pour lors dans la riviere de Lisbonne, de courir sur les vaisseaux portugais dès que je leur demanderai de faire. J e pris soin de faire savoir au roi de Portugal que j 'avais cet ordre entre les mains et je le déterminai par là à en finir, non pas décisivement, mais d'une manière qui commençait à donner au roi la satisfaction qu'il desirait » 3). L e gouvernement français exprima à Rouillé sa vive gratitude pour la façon dont les négociations avaient été dirigées et menées à bien et lui manda le 20 janvier 1700 déjà qu'il pouvait se vanter « d'avoir tiré la France de grands embarras en donnant aux affaires une tournure qui n'obligeât pas (la France) à se tourmenter encore cette année au sujet de la question de la riviere des Amazones » 4 ) .
1) Conf. M. F . I , pp. 37 et 38, selon lequel Rouillé aurait, à cause de l 'article 4 du traité, menacé de rompre les négociations ; le Portugal céda et Rouillé écrivit à son gouvernement: « J ' a i fait convenir que les Français de Cayenne pourront s'étendre jusqu'à la riviere des Amazones et fait déclarer qu'elle termine les terres en question ».
2 ) M. F . I, page 17. 3 ) M. F . I, page 18, Affaires étrangères, Portugal, t. X L , fol. 414. 4 ) R . B . II , page 340, extrait de la lettre du Comte de Pontchartrain,
Ministre de la Marine de France , à l 'Ambassadeur Rouillé. Conf. en outre R . B . II, page 363, Extra i t d'une lettre de Pontchartrain, du 1er avril 1700.
8.
L e traité fut conclu le 4 mars 1700 entre Pedro II et
Louis X I V . Il fut rédigé en portugais et ensuite traduit en
français 1).
Le traité introduit tout d'abord la question:
Quelques contestations se sont élevées entre les sujets
du Roi de France et ceux du Roi de Portugal « au sujet
des Terres du Cap de Nord situées entre Cayenne et la
riviere des Amazones » et les motifs de discorde se sont
renouvelés à l'occasion de la construction et du rétablis
sement des forts d'Araguary et de Comaú ou «Massapá» 2 ) .
Pour arriver à une entente, les deux gouvernements
ont commencé par échanger des mémoires, puis l'ambas
sadeur de France Rouillé a demandé des conférences qui
lui ont été accordées ; on y a examiné les points litigieux
à l'aide des « auctores, mappas e cartas, que tratavào da
adquisicão e divisão das ditas terras ». Et comme on estima
1 ) Une première traduction, qui n'avait pas été trouvée entièrement correcte, fut rectifiée sur la demande du Portugal; la traduction française rectifiée et une autre traduction récemment faite d'après le texte portugais original, R. B . II, pp. 344 et suiv. ; le texte portugais original (voir aussi R. B . I V , pp. 135-141) et la traduction française rectifiée, M. F . II, pp. 42 et suiv. ; dans M. B . II, pp. 42 et suiv., le texte portugais original et la première traduction non corrigée. Nous possédons par conséquent : 1. L e texte portugais (Archives des Affaires étrangères, à Paris. — Original scellé) ; 2. la traduction française non corrigée (Ministère de la Marine, à Paris, légalisée par la note: « Collationnée», signée Phelypeaux) ; 3. la traduction française corrigée (Archives des Affaires étrangères, Corresp. de Portugal, t. X X X V , fol. 36) ; 4. une traduction française exacte nouvellement faite par le Brésil.
Dans tous les cas où il y aura quelques divergences entre les documents, nous nous en tiendrons au texte portugais qui est le texte original.
2 ) Orthographe du texte portugais, Macapa dans la traduction française non corrigée.
227
— 228
que des négociations aussi importantes exigeaient des pou
voirs spéciaux, la France donna les siens à son ambas
sadeur Rouillé, le Portugal à Dom Nuno Alvares Pereira,
Duque de Cadaval 1 ) , à Roque Monteiro Paim, à Gomes
Fre i re de Andrada, et à Mendo de Foyos Pereira.
Lés conférences n'aboutirent pas relativement à la pos
session « des terres du Cap de Nord situées entre Cayenne
et la riviere des Amazones », les plénipotentiaires des deux
états n'ayant de part et d'autre pas voulu se départir de
leur droit. Et comme il parut nécessaire de chercher de
« nouvelles informations et de nouveaux documents, outre
ceux qui avaient déjà été produits et examinés », on a
dressé un projet de «Tra i t é provisionnel et suspensif afin
d'éviter, jusqu'à la décision du droit des deux Cou
ronnes, toutes les occasions qui pourraient troubler et
mettre la discorde entre les sujets de l'une et de l'autre
Couronne » 2 ) .
Le texte du traité fut « com maduro accordo e sincero
animo » arrêté comme suit :
« Article 1 e r . L e Roy de Portugal fera evacüer et de-
1) L e titre de Duque de Cadaval manque dans les traductions françaises aussi bien que dans le texte portugais de M. F . II, page 43, et de R . B . I V , page 136 ; il ne se trouve par conséquent que dans le texte portugais de M. B . II, page 44, mais il est évidemment exact.
2 ) L a traduction française corrigée dit : « il a été proposé un projet de Trai té provisionel et de suspension, pour avoir lieu jusqu'à la decision du droit des deux Couronnes, et empescher jusques la toutes les occasions qui pouroient troubler et mettre la discorde... ». L e texte portugais porte: « se passou a hum Projecto de Tratado Provisional c suspensivo, para que em quanto se nào determinava decisivamente o direito das ditas Coroas, se pudessem evitar todos os motivos que podião causar aquella discordia e pertubação. . . ». D'après le texte français, le traité provisoire doit rester en vigueur jusqu'à la décision définitive, tandis que le texte portugais original ne stipule rien au sujet de la durée de la validité du traité.
molir les forts d'Araguary, et de Cumau ou Macapa 1 ) ,
retirer les garnisons et généralement tout ee qu'il y a
dedans, aussy bien que les villages des Indiens qui se sont
établis pour le service et l'usage desdits forts 2 ) , et ce dans
le terme de six mois du jour de l'eschange des ratifications
du present Traité, et en cas qu'il y ayt d'autres forts dans
l'étendue des terres qui s'étendent depuis lesdits forts par
le rivage de la Riviere des Amazones vers le Cap de Nord
et le long de la coste de la mer jusqu'à l'embouchure de
la Riviere d'Oyapoc dite de Vincent Pinçon, ils seront
pareillement demolis comme ceux d'Araguary, et de Cumau,
ou Macapa dont la demolition est convenue en termes
expres 3).
1) Massapa dans le texte portugais. 2 ) Texte portugais : as aldeias de Indios que os accompanhão e se
tormarão para o serviço e uso das ditos fortes ». L e texte portugais et la traduction française non corrigée marquent d'une manière plus précise que les habitations des Indiens étaient voisines des forts. (« Habitations d'Indiens, qui sont proches des d. forts. »)
3) Les textes ne concordent pas sur la délimitation du territoire contesté :
1. L e texte portugais de M. B . II, page 46, dit : « e achando se mais alguns fortes pela margem do rio das Amazonas para o cabo do Norte e costa de mar até a foz do rio Ojapoc ou de Vicente Pinson, se demolirào igualmente com os de Araguary e de Comaû ou Massapá que por seus nomes proprios se mandarào demolir ».
2. L e texte portugais dans M. F . II, page 44, et dans R . B . I V , page 137, de même que da Silva, II, page 443, portait : e achandose mais alguns fortes no districto das terras que correm dos ditos
fortes pela margem.. .» 3. L a traduction française non corrigée dans M. B . II, page 47, dit:
« et en cas qu'il y ait d'autres forts dans l'estendue de Terres depuis lesd. forts jusques à la riviere...».
4. L a traduction française corrigée est reproduite dans le texte ci-dessus.
L e n° 1 contient une omission, due au copiste ou à l'imprimeur, le n° 3 une modification du sens.
229
2 3 0
Article 2e. Les François et les Portugais ne pouront
occuper lesdits forts ny en elever de nouveaux clans les
mémes endroits ny en quelqu'autre que ce soit dans l'eten
due des terres marquées dans l'article precedent dont la
possession demeure indecise entre les deux Couronnes, les
uns ny les autres ne pourront non plus y faire aucune
habitation ny y establir aucun comptoir de quelque qualité
que ce soit jusqu'à ce qu'il soit décidé entre les deux Roys
a qui demeurera de justice et de droit la veritable et
actuelle possession desdites terres.
Article 3 e . Toutes les habitations et nations d'Indiens
qui se trouveront dans l'etendue desdites terres demeure
ront pendant le tems de la suspension convenue dans le
méme etat ou elles sont a present sans pouvoir etre pre
tendues ny soumises de part ny d'autre, et sans qu'on
puisse de part ny d'autre y faire commerce d'esclaves,
mais elles seront secourues par les Missionnaires qui y
assisteront, les instruiront et maintiendront dans la foy, et
au deffaut d'aucun d'eux, ceux qui manqueront seront rem
placés par d'autres de la méme nation, et en cas qu'il se
trouve qu'on ayt chassé desdites habitations quelques Mis
sionnaires françois qui y fussent etablis pour en prendre
soin, ils y seront retablis dans le meme etat qu'ils se trou
veront avoir eté.
Article 4 e . Le s François pouront entrer dans lesdites
terres dont par les articles 1 et 2 du present Trai té la
possession demeure suspendue entre les deux Couronnes
jusqu'au bord de la Riviere des Amazones (qui s'étend) 1 )
1) L e texte portugais ajoute après Amazonas, les mots « que corre » (traduction brésilienne nouvelle : qui s'étend ; de même M. F . II , page 50, note à l 'article 4), qui manquent dans les traductions françaises, celle qui n'a pas été corrigée et celle qui l'a été ; d'après le texte original
— 2 3 1 —
depuis la situation desdits forts d'Araguary et de Cumaü ou Macapa vers le Cap de Nord et coste de la mer, et les Portugais pouront faire de méme jusqu'au bord de la Riviere d'Oyapoc ou Vincent Pinçon qui s'etend vers l'embouchure de ladite Riviere et la coste de la mer ; l'entrée des François etant par lesdites terres qui sont du costé de Cayenne et non par autres, et les Portugais par celles qui sont le long de la Riviere des Amazones et non par autres, et tant les uns que les autres se contiendront respectivement entre les bords desdites Rivieres cy dessus declarées qui font les bornes et les limites des terres qui demeurent indecises entre les deux Couronnes.
Article 9 e . De la part de l'une et de l'autre Couronne on recherchera et on fera venir jusqu'à la fin de l'année prochaine 1701 tous les titres et enseignements alegués dans les conferences pour servir à l'entier eclaircissement de la possession qui par le Traité demeure indecise entre les deux Couronnes, et les pouvoirs donnés par les deux Roys demeureront dans leur force pour dans ledit temps et jusqu'a la fin de l'année 1701 le different dont est question etre terminé definitivement.
Article 10 e. E t comme ce traité est seulement provi-sionel et suspensif, iceluy ny aucune des clauses conditions et expressions y contenues, ne donneront aucun droit de part ny d'autre pour la jouissance et propriété desdites terres qui par ledit Traité demeurent en suspend et en quelque tems que ce soit on ne pourra se prevaloir de
portugais le fleuve des Amazones coule dans la direction du Cap de Nord.
A l'article 4, ainsi que dans tout le traité, le texte portugais a Ojapoc, le texte français Oyapoc.
2 3 2
part ny d'autre de ce qu'il contient pour la décision du
diferend 1 ) . »
Voici les principales constatations de fait résultant du
traité, et qui diffèrent de quelques-unes des conclusions de
M. F . I, pages 21 et suivantes :
1° L'expression générale, deux fois employée dans
l'introduction, sous laquelle les parties désignent le terri
toire contesté, est: « L e s terres du cap de Nord, situées
entre Cayenne et la Rivière des Amazones».
2° L e territoire contesté est situé entre l'Oyapoc ou
Vincent Pinçon et l'Amazone ; ce sont les cours d'eau « que
fazem o termo, raia, e limite das terras, que ficão ha dita
suspensào da posse de ambas as Coroas 2 )» (article 4).
3° L 'Oyapoc et le Vincent Pinçon sont identiques.
Cette identité est exprimée par les art. 1 et 4 du texte
portugais, qui fait foi: «Rio de Ojapoc 3) ou de Vicente
Pinson ».
4° Il est dit, quant au territoire contesté, « que la pos
session demeure indécise entre les deux Couronnes »
(article 2).
1) L e texte portugais qui fait foi dit (au lieu de «pour la etc.») « quando esta materia se houver de dcterminar decisivamente ».
L e texte français dit : L e traité n'emporte aucun accord sur le fond.
L e texte portugais, plus précis, prévoit que lorsqu'il s'agira de prendre une décision définitive, aucune des parties ne pourra se prévaloir du traité.
2 ) Dans la traduction remise par le Brési l : « qui font les termes les frontières et les limites des terres dont la possession reste indécise entre les deux Couronnes ». Fa i t caractéristique, pour mieux faire ressortir le mot «frontière», on l'a encadré de deux synonymes.
3 ) L a traduction française a constamment suivi l'orthographe adoptée par Ferrol les et F roge r qui écrivent le nom avec y. E l l e met l'y, bien que cette lettre ne figure pas dans le texte portugais original. Dans sa correspondance avec Rouillé, le ministre français écrit : « riviere d'Yapoco», M. F . I, page 27, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I , fol. 312.
— 233 —
1) L e projet de traité proposé par le Portugal ne mentionnait que la démolition des forts Araguary et Macapa ; Rouillé demanda cette adjonction «pour éviter l'équivoque des noms», M. F . I, pp. 32, 33, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I V , fol. 176. 216.
2 ) Voi r ci-dessus, page 226, note 1.
5° En conséquence, le fort portugais sur l'Araguary,
le fort de Curnaú ou de Macapa seront démantelés et
évacués, les villages indiens du voisinage démolis, puis 1 )
il sera fait de même des forts portugais qui pourraient se
trouver « dans l'étendue des terres qui s'etendent depuis
lesdits forts par le rivage de la Riviere des Amazones
vers le Cap de Nord et le long de la coste de la mer
jusqu'a l'embouchure de la Riviere d'Oyapoc ou de Vin
cent Pinçon » (article 1). La construction de nouveaux forts,
l'installation de nouveaux établissements en général sont
interdites aux Portugais et aux Français dans l'étendue
des terres contestées, jusqu'à ce que la question de droit
soit tranchée.
6° Par contre, pourront pénétrer dans tout le territoire
contesté, en venant de leurs possessions réciproques : les
Français «jusqu'au bord de la Riviere des Amazones qui
s'étend depuis la situation des dits forts d'Araguary et de
Cumaú ou Macapa vers le Cap de Nord et coste de la mer »,
les Portugais « jusqu'au bord de la Riviere d'Oyapoc ou Vin
cent Pinçon qui s'étend vers l'embouchure de ladite Ri
viere et la coste de la mer 2)» (article 4).
— 2 3 4
II. Depuis 1700 jusqu'à la conclusion du
Traité d'Utrecht, 11 avril Î7Î3.
1.
Dans ses Memorias particulares 1 ) , Jo sé da Cunha Brochado, alors ministre du Portugal à Paris, exprime en ces termes son mécontentement au sujet du traité de 1700: « Nos Plénipotentiaires se sont donc réunis avec celui de France , et ils ont fait d'emblée tout ce que le Français a voulu. Ils ont promis de démolir les forts, de retirer les missionnaires des villages indiens, de se désister de la possession et de l'habitation des terres qui vont de la rive septentrionale (de l'Amazone) au Vincent Pinson, ce qui est un grand espace de terre».
En exécution du traité, le gouverneur général du Ma-ranhão, Antonio de Albuquerque, reçut de son gouvernement l'ordre de démolir les forts désignés dans l'acte diplomatique 2 ) . L e gouvernement portugais ne put tirer aucun avantage de l'avis que de Albuquerque lui adressait de Sam Luiz do Maranhão le 12 février 1700, savoir que quatre Hollandais de Surinam «située sur la côte du Cap du Nord, au delà de Cayenne», lui avaient rapporté «que leur Gouverneur s'offrait à nous aider contre les Français, ayant appris que ceux-ci étaient en guerre avec nous dans ces Provinces; et que s'ils avaient su que le Gouverneur
1 ) D'après une copie, qui se trouve à la Bibliothèque Nationale de Rio de Janeiro, citée par da Si lva II, page 103.
2 ) M. F . I, page 45, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I , fol. 338, et R . B . I I , pp. 359 et suiv.
— 2 3 5
de Cayenne était venu prendre la forteresse de Macapa au
temps qu'il en était parti, ils auraient pu s'emparer de
Cayenne, car il l'avait laissée presque sans garnison 1 )» .
L'affaire de la succession d'Espagne se compliquait
chaque jour davantage, mais elle n'était pas encore deve
nue menaçante au point d'obliger la France à faire au
Portugal dans la question de la Guyane des concessions
qui dépassassent les stipulations du traité de paix de 1700.
La France s'était mise d'accord avec les deux grandes
puissances maritimes sur un projet de partage de la succes
sion d'Espagne, avec l'Angleterre par le traité du 13 mars,
avec la Hollande par le traité du 25 mars 1700, de sorte
qu'il ne resta plus au Portugal qu'à conclure avec la
France, le 18 juillet, soit le 27 septembre 1700, un traité
d'alliance reposant sur les mêmes bases.
Mais après la mort de Charles II, roi d'Espagne, sur
venue le 1 e r novembre 1700, la France abandonna cette com
binaison. Pendant que Louis X I V convenait du partage de
la succession d'Espagne avec l'Angleterre, la Hollande et
le Portugal, sa diplomatie avait traité avec Charles II : Les
états espagnols devaient, selon le désir de ce prince, rester
réunis, sans aucun partage, et toute sa succession être
dévolue à Philippe, le petit-fils de Louis X I V . Les négo
ciations réussirent à Madrid, et Charles II laissa un testa
ment qui désignait Philippe comme héritier de tout le
royaume d'Espagne.
L a succession fut acceptée par Louis X I V au nom de
son petit-fils, et par là tous les traités basés sur le partage
l ) De Albuquerque avait si peu de confiance dans les Français que provisoirement, il retint les quatre Hollandais, les soupçonnant d'être des espions français « car ils pourraient bien venir de Cayenne sous déguisement pour voir nos domaines», R . B . II, pp. 365 et suiv., « Bibl. Nat. de Lisbonne, Arch. du Cons. Ultram., liasse n° 604 ».
2 3 6 —
et passés avec l'Angleterre, la Hollande et le Portugal devenaient sans effet; la situation était modifiée du tout au tout.
Il n'échappa pas au Portugal que le nouvel état des choses créait à la France de graves difficultés, qu'il constituait même un grand danger pour elle; un con f l i t avec l'empereur Léopold, les intérêts de l 'Angleterre et de la Hollande détachés de ceux de la France, voilà qui donnait à l'amitié ou à l'hostilité du Portugal à l'égard de la France une toute autre importance qu'auparavant. Effectivement, la France fit sans tarder des propositions d'alliance au Portugal. Au printemps de 1701, le Portugal entra dans ces vues, mais entre autres conditions, il exigeait que la France admettrait comme légitimes les prétentions portugaises relatives à la question de la Guyane. Dans son projet de traité, le Portugal avait inséré un article 15 ainsi conçu: «Sa Majesté très chrétienne se désiste et renonce à toute prétention des terres du Cap du Nord confinant à la riviere des Amasones et n'empêche que la couronne de Portugal les possède toutes jusqu'à la riviere de Vincent Pinson autrement dit de Oyapoc, la division des terres appartenantes à la couronne de Portugal demeurant faite par la riviere de Vincent Pinson, comme elle l'a toujours été et ce nonobstant le traité provisoire fait entre les deux Cours 1 )».
L e Portugal revendiquait par conséquent la propriété incontestée des «terres du Cap de Nord confinant à la riviere des Amazones», désignait le territoire d'une manière encore plus précise en indiquant outre l'Amazone
1) M. F . I, page 48, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X V , fol. 353. Dans le traité définitif, un nouvel article X V , réglant la question de
la Guyane a remplacé cet article X V du Projet de traité. L a remarque de R . F . , page 125, que l'article X V serait devenu l'article V I du traité définitif, n'est pas tout à fait exacte, comme il sera démontré ci-après.
comme frontière méridionale, « la riviere de Vincent Pinson autrement dit de Oyapoc » comme frontière septentrionale, le Vincent Pinson qui aurait «toujours» servi de limite; il assignait par conséquent à ce territoire le pays qui s'étend entre l'Amazone et l'Oyapoc et déclarait que toute cette contrée lui appartenait.
Le gouvernement portugais notifia à Rouillé, l'ambassadeur de France à Lisbonne, qu'il attachait la plus grande importance à cet article 15, « que l'article que S a Majesté portugaise avait le plus à cœur était celui des terres du Cap de Nord 1 )».
Malgré cela et bien que la situation générale fût difficile, le négociateur français ne se montra pas accommodant; il assura que tout ce qu'il pouvait faire était de consentir une prorogation du traité provisionnel de l'année précédente « et qu'absolument je ne passerais pas outre 2 ) » ; aussi opposa-t-il à l'article 15 du projet portugais son propre article 15, portant « que le traité provisionnel conclu l'année dernière au sujet des terres du Cap de Nord sera converti en traité définitif 3 ) ».
Par une dépêche du 4 avril 1701, Louis X I V approuva la conduite de son ambassadeur et accepta tous les articles du projet portugais, sauf l'article 15, disant: «Il n'est pas juste qu'en vertu de cette alliance j'abandonne au roi de Portugal des droits dont il n'est nullement question dans l'affaire présente ». Il maintint l'article 15 proposé par Rouillé et écarta l'article 15 du projet du Portugal 4 ) .
1) M. F . I, page 49, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X V , fol. 267. 2 ) Ibidem. 3) Dépêche de Louis X I V à Rouillé du 4 avril 1701, M. F . 1, pp. 50 ,
51, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X V , fol. 254. 4 ) M. F . I, pp. 50, 51, Affaires étrangères, 1. c.
237
— 2 3 8 —
Rouillé obtint gain de cause auprès des autorités por
tugaises pour son article 15; le 18 mai, le duc de Cadaval
lui mandait: « L e Roi mon maî t re . . . a accepté l'article
touchant le Maragnon, le traité provisionnel fait entre Leurs
Majestés sur les différends passés demeurant définitif 1 ) » .
L e 18 juin 1701, le traité fut signé 2 ) , en même temps
qu'une autre convention conclue entre le Portugal et le
nouveau roi d'Espagne, Philippe V .
Par ce traité entre le Portugal et la F rance «Tratado
de alliansa e garantia de testamento de Dom Carlos
segundo », le roi de Portugal s'engageait à reconnaître
Philippe V dans tous les états du royaume d'Espagne et
à fermer les ports portugais à tous les ennemis de Phi
lippe V ; le roi de France , de son côté, s'engageait à prêter
aide et assistance au royaume de Portugal et à ses pos
sessions d'outre-mer « con o numero de tropas e navios
necessarios para a sua defensa », pour écarter et prévenir
1 ) M. F . I, pp. 49, 50, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X V , fol. 329 ; au même endroit (fol. 295) une instruction à Rouillé du 24 mai 1701, de laquelle il semble résulter qu'au besoin la F rance aurait accepté la proposition du Portugal ; on y lit : « Quant à la cession absolue des terres du Cap du Nord, vous ne la devez point faire pour une simple neutralité ».
2 ) L e texte portugais du traité en son entier (20 articles) est reproduit par de Castro, Colleçao de Tratados II, pp. 128 et suiv., d'après les documents qui sont au ministère des Affaires étrangères à Lisbonne.
L e texte portugais du traité incomplet (.les articles 6—14 manquent et l 'article 15 est devenu l'article 6) dans M. F . II, pp. 53 et suiv., « Archives des Affaires étrangères. — Original scellé ».
L o r s des négociations de janvier 1856, M. B . III, pp. 204 et 205, conf. M. F . I, page 50, le baron de Butenval produisit une traduction incomplète de l 'article 6 de la seconde rédaction (c'est-à-dire l 'article 15 de la première rédaction). M. B . II, page 54, donne une traduction française de ce même article d'après le texte portugais de de Castro. Conf. Si lva I, page 44, II, pp. 105 et suiv. ; M. B . I, page 199.
E n conséquence le texte portugais doit seul faire foi.
— 2 3 9 —
tout acte d'hostilité, si la guerre venait à être déclarée à
cause de la succession d'Espagne.
Le traité comprenait 20 articles; l'article 15 traite du
territoire contesté sur l'Amazone. Cet article 15 avait donc
gardé sa place 1 ) . Mais on convint d'en tenir quelques-uns
secrets, parce qu'ils eussent pu susciter des réclamations
de la part des Anglais et des Hollandais 2).
C'est ainsi que le traité reçut une nouvelle rédaction 3 ) ,
où les articles 6 à 14 furent supprimés et les articles 15
à 20 devinrent les articles 6 à 11.
L'article 15 (première rédaction), soit l'article 6 (seconde
rédaction), est ainsi conçu :
« Para faser cessar toda a causa de controversia entre
os vassalos da Coroa de França e Portugal, entre os quaes
Suas Magestades querem que haja a mesma boa corres-
pondencia e amisade que ha entre as duas Coroas, a qual
não permitte que se deixe subsistir occasiÒo alguma de
differença e de menos boa intelligencia que possa faser
conceber a seus inimigos alguma esperança mal fundada,
querem Suas Magestades que o Tratado Provisional con-
clùido aos quatro de Marco do anno passado de mil e
setecentos sobre a posse das terras do Cabo do Norte
confinante com o Rio das Amazonas seja e fique daqui
em diante como Tratado definitivo e perpetuo para sempre ».
Dans la traduction, l'article est ainsi conçu : « Pour faire
cesser toute cause de désaccord entre les sujets de la cou
ronne de France 4) et ceux de la couronne de Portugal,
entre lesquels Leurs Majestés tiennent à ce qu'il y ait la
4) Texte de de Castro, 1. c. 2) Schäfer, Geschichte von Portugal, V , page 35, note 2. 3 ) Texte de M. F . II, pp. 53 et suiv. 4 ) « de France » manque dans la traduction produite par M. B . II,
page 54.
— 2 4 0
même bonne entente et la même amitié qui existe entre les deux couronnes, laquelle ne permet pas de laisser subsister 1 ) aucune occasion de différend et de mésintelligence qui puisse inspirer à leurs ennemis quelque espoir mal fondé: Leurs Majestés veulent que le traité provisionnel conclu le 4 mars de l'année précédente 1700 sur la possession des terres du Cap de Nord, confinant à la riviere des Amazones, soit et demeure désormais comme traité définitif et perpétuel à toujours ».
L'article 15, soit 0 du traité du 18 juin 1701, se borne à faire du traité provisoire du 4 mars 1700 un traité définitif. Les clauses demeuraient les mêmes; ainsi rien ne fut changé à la délimitation et à la désignation du territoire contesté, indiquée par le traité de 1700. Les deux traités ont exactement le même objet. Dans l'article 15 de son projet, le Portugal avait, une fois de plus, déterminé l'étendue et les frontières du territoire contesté, telles que les indiquait le traité de 1700, à quoi la France n'avait fait aucune objection; même, dans la brève définition qu'elle donnait de ce territoire dans son article 15, elle empruntait les termes de l'article 15 portugais « terras do Cabo do Norte confinante com o Rio das Amazonas », laissant de côté toute description des frontières, puisque le traité de 1700 les indiquait intégralement 2 ) .
2 .
Peu de temps après la conclusion du traité d'alliance du 18 mai 1701, par lequel le Portugal avait cédé devant la
1) Au lieu de «subsister», M. B . II, page 54, dit: «se produire». 2) C'est ainsi que se termine la contestation entre les parties au
sujet du « confinant », conf. Silva, II, page 108, M. F . I, pp. 51 et 52.
— 241
puissance de la France, la situation générale se modifia au
préjudice de Louis X I V . Depuis le mois de mai, l'Autriche
menait contre la France une campagne victorieuse en Italie ;
en septembre 1701, l'Autriche, l'Angleterre et la Hollande
conclurent un traité d'alliance et au commencement de mai
1702, la reine Anne d'Angleterre, continuant la politique de
son beau-frère Guillaume, déclara la guerre à Louis X I V ;
la Hollande se joignit à elle.
Pendant quelque temps, le gouvernement portugais
chercha à obtenir la neutralité à laquelle il avait renoncé
dans le traité avec la France, mais les puissances mari
times lui offraient leur alliance à des conditions favo
rables. La cour portugaise mit, pour en finir, la France à
l'épreuve et, forte du traité de 1701, réclama le secours
d'une flotte française capable de défendre le Portugal et
ses colonies. Et quand la France dut reconnaître qu'elle
était impuissante à fournir cette aide, le Portugal reprit
sa liberté d'action. En octobre 1702, Rouillé manda de
Lisbonne que les résultats de ses travaux, qui avaient duré
des années, étaient mis à néant; il écrivait à son gouver
nement que la ligue avec le Portugal devait être consi
dérée comme expirée 1 ) . A la même époque, l'Angleterre
envoyait pour la seconde fois son négociateur Methwen à
Lisbonne. En mai 1703, les puissances avaient réussi à
gagner entièrement le Portugal à leur cause. L e 16 mai
1703, le traité d'alliance entre l'Empereur, l'Angleterre, les
Pays-Bas et le roi de Portugal fut signé à Lisbonne.
Au nombre des avantages que le traité apportait au
Portugal — cession du territoire contesté sur le L a Plata
et d'une série de villes jusqu'alors espagnoles, Badajoz,
1) Schäfer, 1. c , pp. 37 et suiv., d'après les documents réunis par Santarém.
16
— 242 —
Valencia, etc., toutes expressément dénommées 1) — il y a lieu de mentionner spécialement la garantie par les puissances alliées des prétentions portugaises dans la Guyane. Cette garantie était stipulée dans l'article 22, ainsi conçu 2 ) :
«Eodem modo etiam pax fieri non poterit cum.Rege Christianissimo, nisi ipse cedat quocumque jure quod habere intendit 3 ) in Regiones ad Promontorium Boreale vulgo Caput de Norte pertinentes, et ad ditionem Status Maranonii spectantes, jacentesque inter fluvios Amazonium et Vincentis Pinsonis, non obstante quolibet Foedere sive provisionali sive decisivo inter Sacram Regiam Majestatem Lusitaniae et ipsum Regem Christianissimum inito super possessione jureque dictarum Regionum. »
Il va sans dire que, par ce traité, le Portugal ne se faisait pas garantir moins que ce qu'il avait jusqu'alors réclamé de la France. Si donc le fleuve devant servir de frontière septentrionale porte ici le nom de «Vincentis Pinsonis», il est clair que le Portugal entendait désigner le même cours d'eau que dans ses négociations et traités avec la France , il appelait «Vincent Pinçon ou Oyapoc ». Dans ses pourparlers avec les puissances maritimes et l'Autriche, le Portugal se servait du terme qui lui était familier ; il n'avait pas de motif pour y ajouter la dénomination sous laquelle les Français désignaient le même fleuve. L a définition du territoire « Regiones ad Promontorium Boreale vulgo Caput de Norte pertinentes », est, contrairement aux assertions
1 ) Conf. Silva I, page 45, § 222 ; M. B . T, page 201. 2 ) M. F . II, page 57 (texte latin et portugais de l'article X X I I « d'après
J . F . B . de Castro, Colleção de tratados. . . t. II, page 1 7 6 » ) ; M. B . II, page 56 (texte latin). Conf. en outre M. F . I, page 53, M. B . I, page 200.
3 ) M. F . I, page 53, cite : « contendit ».
de M. F . I, pages 54 et 55, la traduetion fidèle de « Terres
du Cap de Nord», des traités de 1700 et de 1701.
L e fait que le traité de 1703 renvoie expressément aux
traités de 1700 et de 1701 prouve que tous les trois avaient
le même objet.
3.
L a conclusion du traité d'alliance du 16 mai 1703 n'a
mena pas immédiatement la rupture complète entre le Por
tugal et la France. L'archiduc Charles, le candidat au trône
espagnol, élu par la Grande Alliance, n'était pas encore
entré en Espagne ; ce n'est qu'après son arrivée que le
Portugal devait, aux termes du traité, se prononcer ouverte
ment et jusque-là on tint le traité secret. L'ambassadeur
Rouillé connut bientôt, il est vrai, l'existence du traité et il
abandonna son poste de Lisbonne. On lui donna toutefois
un successeur dans la personne de Chateauneuf, qui cher
cha à reprendre les négociations.
En 1704 seulement, le Portugal prit ouvertement parti.
Lorsqu'en mars de cette année, l'archiduc Charles entra à
Lisbonne, il fut reçu en qualité de roi d'Espagne - et
l'ambassadeur de France sollicita son audience de congé.
En mai 1704, le roi Pedro déclara la guerre et en 1705 il
entra en campagne. Il mourut à la fin de 1706, laissant le
gouvernement à son fils Joâo V
Lorsqu'en 1709, Louis X I V s'adressa en premier lieu
à la Hollande en vue de la conclusion d'un traité de
paix, les prétentions du Portugal devinrent immédiatement
l'objet des négociations. A la Haye, le président Rouillé,
l'ancien ambassadeur à Lisbonne et le marquis de Torcy,
1) Schäfer, 1. c , pp. 40 et suiv., 211 et suiv.
243
— 244 —
ministre des affaires étrangères, représentaient la France,
tandis qu'au nom de la partie adverse Marlborough et
même le prince Eugène s'occupaient de la question de
l'Amazone l ) . C'est ainsi qu'au nombre des 40 articles pré
liminaires que Marlborough et le prince Eugène avaient
rédigés avec le concours du Grand Pensionnaire de Hol
lande Heinsius et qu'ils soumirent le 27 mai 1709 aux pléni
potentiaires français, un article, l'article 20, était consacré
au litige pendant entre le Portugal et la France. Cet
article 20 stipulait: «A l'égard du roi de Portugal, S a Ma
jesté T rès Chrétienne consentira qu'il jouisse de tous les
avantages établis en sa faveur par les traités faits entre
lui et ses Alliés 2 ) . »
On demandait par conséquent à la France de recon
naître comme valables les clauses du traité du 16 mai 1703,
c'est-à-dire d'admettre la revendication par le Portugal du
territoire qu'avaient pour objet les traités passés en 1700
et 1701 entre le Portugal et la France .
Louis X I V ne souleva pas de difficultés au sujet de
cette affaire secondaire et au cours des négociations «qu'en
1710 3) dirigèrent le maréchal d'Uxelles et l'abbé de Poli-
gnac, il accepta formellement l'article 20.
Mais presque immédiatement après, la politique géné
rale subit un profond changement. En Angleterre, lord
Bolingbroke, le chef principal du parti favorable à la
France , devint secrétaire d'état, et dès le commencement
de 1711, il avait ouvert avec la cour de France des négo
ciations secrètes qui furent continuées jusqu'à la signature
1) Schiifer, 1. c , page 212. 2 ) M. B . I, page 201, Silva I, page 47. 3) Silva I, page 48.
— 245 —
des préliminaires du 8 octobre 1711 1), sans que l'Angleterre
se préoccupât beaucoup de ses alliés.
Les préliminaires contenaient en premier lieu une pièce
qui relatait les réclamations de l'Angleterre avec les
réponses de Louis X I V sur chaque point 2 ) , puis une
seconde, réclamée spécialement par l'Angleterre et relative
au duc de Savoie. L'Angleterre, dans les préliminaires,
faisait donc valoir tout d'abord ses réclamations et celles
du duc de Savoie.
Un troisième document contenait : « Les articles pro
posés par la France pour parvenir à la paix générale 3 ) ».
L e gouvernement anglais avait par conséquent laissé à la
France le soin de formuler les clauses préliminaires qu'elle
entendait proposer aux puissances, hormis l'Angleterre et
la Savoie ; l'article 3 de cette proposition française stipu
lait : « Tous les princes et états engagés dans cette guerre
obtiendront une satisfaction raisonnable dans le traité de
paix qui se fera » 4).
A l'exception du troisième document, les articles préli-
1) M. F . I, page 56, donne la date du 27 septembre. Le rapport officiel français dans le manuscrit Mortem., Schlosser, Geschichte des 18. Jahrhunderts, I, page 100, note 47, dit le 8 octobre. Koch-Schöll, 1. c. II, page 79, indique comme date le 8 octobre.
2 ) Dans le texte reproduit par Koch-Schöll, 1. c , pp. 79 et suiv., d'après Lamberty et les « actes et mémoires d'Utrecht », les seules réclamations de l 'Angleterre sont énumérées ; Schlosser, 1. c , manuscrit Mortem., en revanche dit expressément : « L e premier écrit sur deux colonnes contenait d'un côté les conditions que demandait l 'Angleterre, de l'autre, les réponses du roi» .
3) Manuscrit Mortem., 1. c. 4) Koch-Schöll, 1. c , page 81. Un article V I I cité dans M. F . I,
page 56, sans indication de provenance, s'exprime dans le même sens : « . . . on y discuterait de bonne foi et à l'amiable toutes les prétentions des princes et Etats engagés dans la guerre, et qu'on ne négligerait rien pour les régler et terminer à la satisfaction des parties intéressées.»
— 246 —
minaires furent tenus secrets à l'égard des Etats généraux
des Pays-Bas 1), bien que, jusqu'à l'année précédente, ceux-
ci eussent eu connaissance de toutes les négociations.
L'Angleterre se contenta de demander aux Etats généraux
s'ils étaient disposés à prendre part à la discussion d'un
traité de paix et, comme ils ne dissimulèrent pas leur sur
prise, l 'Angleterre donna l'assurance qu'on imposerait à la
France les conditions prévues par les traités antérieurs
conclus par les alliés 2 ) . Les Etats généraux, là-dessus, con
sentirent à prendre part à un congrès de paix qui devait
s'ouvrir à Utrecht le 12 janvier 1712 3 ) .
Une fois les négociations ainsi engagées, le Portugal fut
mis au courant, et, le 20 novembre 1711 4 ) , la reine Anne
faisait savoir au roi du Portugal que, d'accord avec les
Etats généraux, le congrès de paix s'ouvrirait à Utrecht le
12 janvier pour examiner les propositions de la France. L e
Portugal était invité à envoyer des ministres plénipoten
tiaires ; on ne doutait pas de son consentement, puisqu'il
s'agissait d'établir « une Paix solide et dans laquelle chaque
Allié puisse trouver sa satisfaction raisonnable ».
1) Koch-Schöll fait la même constatation, en donnant quelques
détails, 1. c , page 81. L e s « articles proposés par la F rance » ont été
toutefois communiqués, ainsi qu'il résulte de la lettre de la reine Anne,
du 20 novembre 1711 : «lesquelles offres ont esté communiquées à tous
les dits Alliez . . . », R . B . II, page 377. 2) Koch-Schöll, 1. c , pp. 81, 82. 3 ) Conf. le passage de la lettre de la reine Anne du 20 novembre
1711, R . B . II, page 377 : « . . . les Eta ts Généraux ayant là dessus declaré
qu'il sont portez et prets à entrer en negociation d'une Pa ix bonne et
generale, et à se joindre à Nous pour convier les Puissances engagées
avec Nous dans la presente Guerre d'envoyer leurs Ministres et Pleni
potentiaires au Congrès . . . ». 4 ) R . B . II, pp. 377 et suiv., Public Record Office, London. S ta te
Papers, Foreign Various, Portugal V , 42.
— 247 —
La lettre était de nature à éveiller les appréhen
sions du Portugal, car elle ne faisait aucune mention des
engagements que l'Angleterre et les autres Alliés avaient
pris envers lui par traité en prévision de la conclusion de
la paix.
Aussi le Portugal prit-il soin de rappeler ses enga
gements au gouvernement anglais. Un mémorandum du
ministre de Portugal à Londres, Dom Luis da Cunha 1), en
date du 14 décembre 1711, priait la reine Anne de faire
figurer les prétentions du Portugal 2 ) dans les instructions
qui devaient être remises aux plénipotentiaires anglais. Les
réclamations faisaient l'objet de huit articles, dont le cin
quième et le sixième avaient trait à la question de la
Guyane.
L'article V était ainsi conçu :
« Pour ce qui regarde le Roy de France, ce Prince
devra aussi ceder au Roy de Portugal, moyennant le vigou
reux office de Votre Majesté, le Droit qu'il pretend avoir
sur les Terres du Cap du Nord situées entre la Rivière
des Amazones et celle de Vincent Pinson, afin que le Roy
de Portugal et ses successeurs en jouissent à jamais,
nonobstant quelque Traité Provisionel fait entre les deux
Couronnes.
. . . . Votre Majesté, par le Traité de cette heureuse Alliance s'est obligée de porter le Roy de France à faire ladite cession dans l'Article 22 e du même Traité. »
1) Il laut rappeler ici, pour éviter une confusion, que ce Dom Luis da Cunha était second ministre plénipotentiaire du Portugal au congrès d'Utrecht et qu'à l'époque de ce congrès José da Cunha Brochado était ministre du Portugal à Londres.
2) R . B . II, pp. 379 et suiv., Public Record Office, London, State and Treaty Papers. Portugal n° 26; conf. M. B . T. page 203, II, page 57.
— 248 —
Ce ne sont pas, lit-on ensuite dans le mémorandum,
des « nouveaux avantages que Vot re Majesté aye promis
au Roy de Portugal pour entrer dans son Alliance ; mais
seulement des Dedomagements auxquels Votre Majesté
s'est obligée, puisque le Roy de Portugal quittoit celle du
R o y de France et du Duc d'Anjou qui lui assuroient ces
memes avantages ; de sorte qu'il y va de l'honneur et de
l'interest de Vot re Majesté de bonifier au Roy mon Maître
les conditions qu'il aimera mieux recevoir de la main de
Vot re Majesté que de celles de ses Ennemis ».
Il faut ici poser en fait que, au commencement de
ces négociations, le Portugal réclamait le même territoire
qu'avaient pour objet les traités de 1703, de 1701 et de
1700, qu'en particulier « la Rivière de Vincent Pinson » du
mémorandum est identique au « fluvius Vincentis Pin-
sonis » du traité de 1703 et à la « riviere d'Oiapoc ou
de Vincent Pinçon (« riviere d'Oyapoc dite de Vincent
Pinzon ») du traité de 1700 et par conséquent du traité de
1701 aussi.
La démarche de l'envoyé extraordinaire à Londres
fut appuyée par une lettre personnelle du roi Joâo à la
reine d'Angleterre, du 4 janvier 1712 l ) , lettre dans laquelle
le roi exprimait l'espoir « que vous prendrez tant de part
à mes interès comme j 'aurois pris aux votres dans un
pareil cas ».
L e congrès s'ouvrit le 29 janvier 1712. L e Portugal y
envoya comme plénipotentiaires le comte de Tarouca et
Dom Luis da Cunha, jusqu'alors son ministre à Londres.
L a France était représentée par le marquis d'Uxelles,
maréchal de France, l'abbé de Polignac et le sieur Mesna-
1) R . B . II, pp. 383 et suiv., P. Record Office, London, State Papers, Foreign Various, Portugal V . 42, n° 27.
— 249 —
ger, l'Angleterre par l'évêque de Bristol (John Robinson, Lord Privy Seal) et lord Strafford 1).
Les deux plénipotentiaires du Portugal n'ayant pas assisté aux premières séances du congrès, — Tarouca, le premier plénipotentiaire, n'y fut introduit que le 12 février, da Cunha, le second plénipotentiaire, que le 5 avril — les plénipotentiaires anglais furent chargés de la défense des intérêts portugais. En janvier 1712, da Cunha remit à ces fins à l'évêque de Bristol un mémorandum qui exposait les réclamations du Portugal. Celle relative à la question de la Guyane était formulée en ces termes 2 ) : «On demande, quant à la France, la cession des terres appelées du Cap du Nord, situées entre les Rivières des Amazones et de Vincent Pinson, et appartenantes à l'Etat du Maragnan, dont le Portugal a toujours été en possession, et sur lesquelles on a fait dans l'année 1700 un Traité provisionnel, à l'occasion de quelques contestations qui y étaient survenues, par suite duquel Traité les Portugais ont démoli les forts qu'ils y avaient bâtis. On demande aussi que la France cède tout le droit qu'elle prétend avoir sur les dites terres du Cap du Nord ainsi que sur tout autre pays du domaine du Portugal ».
A Utrecht, on vit immédiatement les avantages que la France avait retirés de ses stipulations préliminaires avec l'Angleterre. Procédant comme elle l'avait fait lors des préliminaires, la France soumit le 11 février 1712 des propositions générales à toutes les puissances intéressées ; elles avaient pour titre: «Exposition spécifiée des offres de la France pour la paix générale 3)», et stipulaient au sujet du
1) Su r la position prise par le Portugal au congrès d'Utrecht en
général, conf. Silva I, page 51, § 248. 2) R . B . II, pp. 385 et suiv., M. B . I, pp. 203, 204, II, page 58. 3) Koch-SchOll, 1. c , pp. 84 et suiv. ; M. B . I, page 204.
— 250
Portugal : « Les choses sur le Portugal seront rétablies et
demeureront sur le même pied en Europe qu'elles étaient
avant la présente guerre, tant à l'égard de la France que
de l 'Espagne ; et quant aux domaines de l'Amérique, s'il y a
quelques différends à régler, on tâchera d'en convenir à
l'amiable 1 ) ».
Rien ne restait donc debout de tous les arrangements
jusqu'alors intervenus, la question de la Guyane se pré
sentait entière.
Ainsi que l'Angleterre, lors de la discussion des pré
liminaires anglo-français, avait formulé ses prétentions dans
un document distinct ne traitant que des affaires d'Angle
terre et avait opposé ses réclamations aux propositions de
la France «pour la paix générale », chaque puissance alliée
dut maintenant libeller les siennes dans des documents dis
tincts et opposés à « l'Exposition spécifiée » de la France . Il
n'y a pas action commune des puissances contre la France ;
chacun des alliés lui oppose ses «demandes spécifiques 2)».
D'avance, la France avait divisé et isolé ses adversaires.
L e Portugal dut à son tour produire ses «Demandes
spécifiques » 3). Il le fit le 5 mars 1712. En ce qui concerne
la succession d'Espagne 4 ) , ces demandes (signées de J . comte
Tarouca) restaient sur le terrain du traité d'alliance de
1703; car avec ce traité à la main, le Portugal entendait
obtenir à son profit, contre l 'Espagne, une rectification de
frontière.
1) M. B . I, pp. 204 et suiv. 2) Koch-Schöll, 1. c , pp. 86 et suiv. 3) M. B . I, page 205, II , page 59 et R . B . II, pp. 387 et suiv. (Extrai t
des textes latin et français ; « Imprimé à Utrecht en 1712 ») ; M. F . II , pp. 58 et suiv. (texte latin du document entier « d'après les Actes. Mémoires . . . Concernant la paix d'Utrecht. 1714, t. I, page 326 »).
4 ) Art . 1 dans M. F . II. page 58.
— 251 —
« Quod sibi, cœterisque
Lusitaniæ regibus cedatur a
Gallià in perpetuum quod-
eumque jus, quod habere
intendit in Regiones ad Pro
montorium Boreale vulgo
Caput do Norte pertinentes
et ad ditionem Status Mara-
nonii spectantes, jacentesque
inter fluvios Amasonum et
Vincentis Pinsonis, non ob
stante quolibet fœdere, sivè
Provisionali sivè Decisivo
inito super possessione jure-
que dictarum Regionum ; quin
etiam quodcumque aliud jus,
quod eadem Gallia habere
intenderit in cœteras Monar
ch i e Lusitanae ditiones.»
« Que la France lui cède,
et à tous les Roys de Por
tugal après lui pour toujours,
tout le droit qu'elle prétend
avoir sur les terres appelées
communément du Cap de
Nord, appartenantes à l'Etat
du Maragnan, et situées entre
les Rivières des Amazones et
de Vincent Pinson, nonobstant
tout Traité Provisionnel ou
Décisif qu'on peut avoir fait
sur la possession et sur le
droit desdites terres ; aussi
bien que tout autre droit que
la France pourrait avoir sur
les autres Domaines de la
Monarchie de Portugal.»
Bien qu'elle se fût d'avance mise d'accord avec la
France 1 ) , l'Angleterre aussi déposa des «Demandes spéci
fiques». Mais comme il n'y était pas question de la suc
cession d'Espagne, que par conséquent l'Angleterre aban
donnait les intérêts autrichiens, l'Autriche et même le Por
tugal 2) marquèrent quelque mécontentement. De plus, tous
les alliés de l'Angleterre devaient se contenter d'une « satis
faction juste et équitable » ou d'une « satisfaction raison-
1) Koch-Schöll, 1. c , page 92. 2) Ibidem, page 93.
Les revendications du Portugal relatives à la Guyane
étaient formulées comme suit :
— 252 —
nable », vagues formules consignées dans les préliminaires
anglo-français et dans la lettre de la reine Anne 1 ) .
Tout cela montrait que la grande alliance n'existait
plus en réalité, que chacun des alliés poursuivait ses intérêts
particuliers, ce qui assurait à la France une position plus
forte vis-à-vis de puissances ainsi isolées.
C'est sous de tels auspices que commencèrent les
délibérations sur les propositions générales de la France
et les « Demandes spécifiques » des autres puissances; mal
engagées, elles subirent plusieurs arrêts et même en août,
de la part de la France, une suspension complète.
Comme le congrès semblait devoir faillir à sa mission,
la conclusion de la paix fut de nouveau complètement
subordonnée aux arrangements à intervenir entre la France
et l'Angleterre. Les lettres et les courriers se succédaient
sans cesse entre les deux cours qui projetaient d'obliger
les autres puissances à acquiescer aux conventions franco-
anglaises ou de conclure une paix spéciale entre la France
et l'Angleterre. En juillet, on était si près de s'entendre
que les troupes anglaises qui étaient en Belgique reçurent
l'ordre de se séparer du gros des alliés, laissant ainsi aux
Français la prédominance sur le théâtre de la guerre; le
19 août 1712, un armistice fut conclu entre l'Angleterre
et la France . Les négociations continuèrent sans interrup
tion, l'Angleterre s'assurant les avantages auxquels elle
tenait. Vers la fin de l'année, le secrétaire d'état Boling-
broke se rendit en personne à Versailles, pour terminer
l'affaire sur place.
Dans l'intervalle, cette procédure avait depuis longtemps abouti, à l'égard des autres puissances, aux résultats attendus. En septembre 1712, la Hollande et même
1) Conf. supra, pp. 244, 245.
— 2 5 3
l'empereur, pour ses états non-allemands, avaient conclu
un armistice; le 7 novembre 1712, le Portugal en fit autant
avec l'Espagne et la France. Tous, sauf l'empereur, recon
naissaient que si l'on voulait avoir la paix, il fallait traiter
sur la base de l'arrangement anglo-français, et sous la
direction de l'Angleterre.
C'est ainsi qu'en janvier 1713, les négociations purent
être reprises à Utrecht avec la perspective d'arriver bien
tôt à une solution.
Le Portugal spécialement avait, en juillet 1712 déjà,
abandonné le terrain sur lequel il s'était placé pour formuler
ses demandes spécifiques, c'est-à-dire la succession de l'Au
triche au trône d'Espagne; il avait à craindre en effet d'être
abandonné par l'Angleterre, de ne pas être soutenu par
l'Autriche et d'être laissé ainsi sans défense contre la
France et l'Espagne. C'est dans ce sens qu'au congrès
les plénipotentiaires portugais, dans un mémoire du 22
juillet 1712, avaient exposé la situation à l'évêque de Bristol.
L e même jour le plénipotentiaire anglais en référait à
Bolingbroke 1) : L e Portugal désire une prompte solution,
d'une manière ou d'une autre ; ses plénipotentiaires ont les
pouvoirs les plus étendus de leur souverain, ils peuvent les
remplir à leur gré, pourvu qu'ils « corne to some resolution
and not run the danger of beeing abandon'd by both sides ».
Les plénipotentiaires lui (à l'évêque de Bristol) ont confié
leurs réclamations pour les transmettre aux représen
tants de la France et demandent une réponse dans les
dix jours. Il (l'évêque) leur a déjà fait observer qu'ils
devaient s'attendre à voir réduire leurs prétentions dans
une notable mesure ; et effectivement, quand il communiqua
1) R . B . II, page 393, Record Office, London, Treaty Papers, Foreign Office, vol. 96 et 103.
— 2 5 4 —
ces réclamations aux plénipotentiaires français, ils semblè
rent surpris qu'elles comprissent un nombre de villes si
considérable, dont il n'avait pas été question auparavant et
que jamais, déclarèrent-ils positivement, les Espagnols ne
céderaient 1).
L e s plénipotentiaires portugais réclamaient en ce qui
concerne la Guyane :
« On demande à l'égard de la France la cession des
Ter res appellées du Cap du Nord, situées entre les Rivieres
des Amazones et de Vincent Pinson, et appartenantes à
l'Etat du Maragnan dont le Portugal a été toujours en
possession et sur lesquelles on a fait un Trai té Provisionel
l'année 1701, a l'occasion de quelques disputes qui y etoient
survenues, et par la les Portugais raserent les Forts qu'ils
y avoient bâtis.
On demande aussi que la France cede tout le Droit
qu'elle prétend avoir tant sur lesdites terres du Cap du Nord
que sur tout autre pays du Domaine du Portugal 2 ) . . . . »
On réclame donc expressément pour frontière septen
trionale le Vincent Pinson, qu'en renvoyant au traité de
1700 (non de 1701) on assimile à l 'Oyapoc ou Vincent
Pinson.
En juillet 1712, le Portugal désirait une prompte solu
tion. En l'attendant, il pourvoit momentanément à sa sécu-
1) T e l est le sens de ces diverses phrases : « I told them they may certainly expect considerable retrenchments, and I could only hope that an answer may be given. Upon communicating these demands to the French Ministers, they seem'd surpris'd to find so many Towns demanded that they heard of before, and were very positive the Spaniards will never yield them ». L'opinion de M. F . I, page 60, selon laquelle « retrenchments » viserait les revendications du Portugal en Guyane, n'est pas fondée, puisqu'il s'agit expressément de demandes que le Portugal veut faire valoir envers l ' E s p a g n e .
2 ) M. F . II, page 59 ; R . B . II, page 395.
— 2 5 5 —
rité et conclut l'armistice du 7 novembre 1712. Si, pour l'obtenir, il avait eu besoin de l'aide de l'Angleterre 1 ) , pour avoir une paix acceptable il lui fallut tout l'appui de cette puissance. Le 6 décembre 1712, le roi João écrivait à la reine Anne 2 ) que son «dessin étant. . . de suivre ses très prudents sentiments en la negociation de la Paix », il attendait de sa véritable amitié que l'Angleterre ne conclurait pas la paix, avant que celle du Portugal fût assurée; aussi mettait-il entre les mains de la reine ses prétentions sur les places frontières espagnoles.
Manifestement, les prétentions du Portugal visaient en première ligne ces places frontières en Espagne ; les territoires frontières sur le La Plata et le fleuve des Amazones ne venaient qu'en second lieu.
Les Records du Foreign Office contiennent un projet de traité, également du 6 décembre 1712, entre le Portugal et la France, qui doit être un document officiel portugais, sans que toutefois sa provenance immédiate soit indiquée ; on ne sait s'il est dû au gouvernement de Lisbonne ou aux plénipotentiaires portugais à Utrecht. Il est intitulé : Certains articles qui pourront estre inserés dans un traité entre les Roys de France et de Portugal, duquel la Reyne et le Roy d'Espagne pourront estre garands.
L'article 1 e r de ce document décrit en ces termes le territoire revendiqué par le Portugal :
« Le Roy de Portugal demeurera en possession des Forts d'Aragary et de Camau ou Massapa aussi bien que de Villages d'Indiens et en g e n e r a l de tous les autres
1) R. B . II, page 397. 2 ) R . B . II , pp. 397 et suiv., Record Office, London, Foreign
Office, Treaty Papers, n° 111.
— 2 5 6 —
Forts, Villages, Habitations, Comptoirs et Terres situées depuis les dits Forts par les bords de la Riviere des Amazones vers le Cap du Nord et les Costes de la Mer jusques à l'embouchure de la Riviere d'Ojapoc ou de Vincent Pinson, qui sont déclarées par le present Traité lui appartenir en propre avec tout ce qui en dépend 1).»
Toutes les clauses du traité de 1700 devaient être ainsi modifiées au profit du Portugal, et, de même qu'à cette époque, la frontière maritime était décrite comme allant des forts Macapa et Araguary le long du fleuve des Amazones dans la direction du Cap du Nord, puis de là le long du littoral de la mer jusqu'à l'embouchure de l'Ojapoc ou Vincent Pinson.
Il y a lieu de constater que : Jusqu'en décembre 1712, les prétentions du Portugal portaient en première ligne sur les places frontières espagnoles, donc sur un territoire situé en Europe, en seconde ligne sur un territoire américain, cela : A l'égard de l'Espagne, sur la rive gauche du La Plata, à l'égard de la France, sur la rive gauche de l'Amazone. Dans le projet de traité du 6 décembre, le Portugal réclamait expressément l'Ojapoc ou Vincent Pinson comme frontière nord de ce dernier territoire.
Et à la même époque la France savait exactement quel fleuve le Portugal entendait par l'Ojapoc ou Vincent Pinson. L e 26 décembre 1712 en effet, Louis X I V écrivait à ses plénipotentiaires au congrès d'Utrecht 2 ) :
«Je veux bien entrer dans la discussion de celles (les demandes) du Roy de Portugal s'il réduit toutes ses prétentions a partager avec moy le pays contesté entre la
1) R . В . II, pp. 399 et suiv., Foreign Office Records, Portugal, n° 2/ 2 ) R . В . II, pp. 403 et suiv., Foreign Office Records, Trea ty Papers
112 E .
— 2 5 7 —
Rivière des Amazones et celle d'Oyapoco, mais comme ce partage ne peut se faire avant la paix, vous pouvez convenir qu'il sera fait soit à Paris soit à Lisbonne soit sur les lieux mesmes dans le terme d'un an a compter du jour de l'exchange des ratifications de la paix ou plustost s'il est possible.
Qu'en attendant, le Traité Provisionel fait a Lisbonne aura lieu, et qu'enfin la condition fondamentale du partage que les Portugais proposent sera de laisser a mes sujets la liberté de la navigation sur la riviere des Amazones. »
Voici la situation : En décembre 1712, les Portugais demandent le terri
toire qui s'étend entre le fleuve des Amazones et « l'Oja-poc*) ou Vincent Pinson».
Le même mois, Louis X I V dit : Les Portugais réclament le pays entre l'Amazone et « l'Oyapoco » ; cas échéant, nous le partagerons.
Pour désigner le cours d'eau que les Portugais appellent « Ojapoc ou Vincent Pinson », Louis X I V dit : « L 'Oyapoco ». Il admet par conséquent que « l'Ojapoc ou Vincent Pinson » des Portugais est le même cours d'eau que « l'Oyapoco » des Français.
Or, « l'Oyapoco » ou « Oyapoc » des Français est la riviere à laquelle Ferrolles déjà donnait ce nom, qu'il a explorée, décrite et que Froger a indiquée dans sa carte.
En décembre 1712, Louis X I V et les Portugais étaient encore d'accord sur ce point, comme l'avaient été auparavant Ferrolles et le commandant portugais du fort de l'Araguary.
1) Ojapoc aussi dans le texte portugais du traité provisionnel de 1700, Oyapoc dans la traduction française. Voi r ci-dessus, page 230, note.
17
— 2 5 8
L a France ne consentait au partage du territoire contesté que sous deux conditions :
Premièrement, le Portugal devait renoncer à la rectification de frontière (la « barrière ») qu'il réclamait sur territoire européen.
Deuxièmement, la France devait avoir la libre navigation sur l'Amazone.
L e Portugal avait jusque-là maintenu ses propres prétentions, mais par la lettre du roi, du, 6 décembre, il avait presque abdiqué le droit de trancher de son chef ; quant à la rectification de la frontière entre l 'Espagne et le Portugal, en Europe notamment, il s'en était remis à la reine Anne: « Qu'Elle les regle comme Elle le trouvera à propos 1)».
Si le gouvernement anglais avait voulu n'avoir aucun égard pour le Portugal, il eût pu, au nom de cette puissance, accepter d'emblée la première des conditions posées par la France . Mais on n'entendait pas en user de la sorte, car — les déclarations des hommes d'état anglais en fournissent la preuve 2 ) — l'entière confiance avec laquelle le roi s'en était rapporté à l 'Angleterre avait produit à Londres une bonne impression ; on y avait de la bienveillance pour le Portugal.
Mais ce que l 'Angleterre ne fit pas, le Portugal le fit lui-même. L e 3 janvier 1713, les plénipotentiaires anglais au congrès d'Utrecht mandaient à lord Bolingbroke 3) :
Les plénipotentiaires portugais ont remis la copie d'une lettre du roi, du 6 décembre, en déclarant en même temps
1) R . B . II , page 398. 2) Ainsi, les plénipotentiaires anglais écrivent au secrétaire d'état
anglais, c'est-à-dire que des hommes d'état anglais correspondent entre eux en ces termes : « W e heartily wish to success may be to the content of Portugal. » R . B . II, page 410.
3) R . B . II , pp. 409 et suiv., Foreign Office Records, Treaty Papers, n° 97.
259 —
que, pour éviter des difficultés au sujet de leurs réclamations, ils se départiraient de toutes, hormis de celle relative au Brésil (« T o render their demands more easy, they had orders to tell us, that excepting their interests in Brasile they could depart from all the rest ») ; en Europe, ils convoitent le port de Vigo, et deux autres, ou même une seule autre localité.
C'était faire un grand pas dans la voie des concessions ; la première des conditions formulées par Louis X I V se trouvait, à peu de chose près, remplie.
Mais le Portugal se trompait s'il croyait par là atteindre au but. Dans leur rapport à Bolingbroke, du 3 janvier 1713, rapport ci-dessus cité, les plénipotentiaires anglais ajoutaient:
Lorsque les plénipotentiaires français prirent connaissance des propositions du Portugal, ils qualifièrent le reste des prétentions concernant l'Europe de « chimerical », « de-clar'd they had no orders to dispose of one inch of Ground belonging to Spain », et renvoyèrent les plénipotentiaires portugais «aux ministres espagnols». Quant aux prétentions visant l'Amérique, voici ce qu'il en était dit :
« As to the difference about the country lying between the river of Amazons and the French settlements to the northward of it which by the Treaty made between France and Portugal, before the beginning of this war was not to be possessed by either side, till a farther agreement should be made ; the French Ministers continue to insist that the said Provisional Article be made definitive, and that no settlements be made in that district by either party, and we do not yet percieve they will go farther. »
C'est dans la soirée du 2 janvier l ) qu'eut lieu à Utrecht
1) Les plénipotentiaires anglais disent le 3 janvier « we spoke with
the French Ministers last night », R . B . II, page 410.
— 2 6 0 —
cette entrevue entre les plénipotentiaires anglais et français ; la lettre de Louis X I V à ses plénipotentiaires est datée de Versailles, le 26 décembre, et selon une note placée en tête de la copie du Foreign Office, elle a été « receue » à Utrecht le 31 décembre 1).
Si l'on en peut conclure que dans la soirée du 2 janvier les plénipotentiaires français à Utrecht avaient la lettre de leur roi, ils n'en reste pas moins qu'ils n'opposèrent pas, aux concessions que voulaient faire les Portugais, toutes celles que comportait l'instruction de leur souverain. Ils ne soufflèrent mot du partage du territoire contesté, éventualité admise par Louis X I V . Forts du traité provisionnel de 1700, ils demandaient que cet acte fût de nouveau déclaré définitif. Aussi ne parlèrent-ils pas de la liberté de la navigation sur l'Amazone, bien qu'elle fût mentionnée par le roi dans sa lettre, comme «condition fondamentale du partage».
D'ailleurs, le rapport sur l'entrevue du 2 janvier a de l'importance aussi parce qu'on voit pour la première fois les hommes d'état anglais au congrès d'Utrecht se prononcer de leur chef sur la délimitation du territoire contesté ; pour eux, c'est le pays entre l'Amazone et les établissements français au nord du fleuve «French settlements to the northward of it » ; pour eux, le fleuve des Amazones constitue la frontière méridionale, la frontière du nord passe auprès du « seulement » français qui est le plus au sud. En d'autres termes, aussi loin qu'au nord de l'Amazone il n'existe pas encore d'établissement français, aussi loin s'étend le territoire contesté.
Et les plénipotentiaires anglais disent du territoire ainsi délimité que c'est le même territoire qu'a pour objet le traité provisionnel de 1700.
1) R . B . II, page 403.
— 261 —
Le 11 janvier 1713, les plénipotentiaires français à Utrecht
qui avaient envoyé à leur gouvernement un rapport 1 ) sur
les conférences qu'ils avaient eues avec les Portugais « tou
chant l'Isle de Cayenne et la Province de la Guyane »,
reçurent une instruction du comte de Pontchartrain, le
ministre de la marine 2). Le ministre se réfère à des
mémoires qu'il avait mis à la disposition des plénipoten
tiaires et qui, sous le titre de « France Equinoctiale » 3 ) , expli
quaient que le fleuve des Amazones forme la frontière 4 ) .
Avant toute chose, les plénipotentiaires devaient chercher
à obtenir l'acquiescement des Portugais à cette thèse, c'est-
à-dire l'acceptation de leur part de la frontière de l'Ama
zone. Si les pourparlers échouaient sur ce point, les pléni
potentiaires avaient à maintenir, « que les François auront
la liberté entière de la Nauigation dans la Riuiere des
Amazones ». A cette condition, le traité provisionnel de
1700 pouvait rester en vigueur jusqu'à ce que les com
missaires du roi de France et du roi de Portugal, réunis
à Paris, Lisbonne ou Cayenne, fussent convenus « défi
nitivement des Limites de la Province de la Guyanne». Si
dans le délai d'une année dès la conclusion de la paix, la
frontière n'était pas ainsi déterminée, l'Amazone devait
servir de limite.
1) Ce rapport n'a pas été communiqué à l'arbitre. 2 ) R . B . II, pp. 413 et suiv., Foreign Office Records, Treaty Papers,
111 D. 3 ) Lors de l'expédition de la Ravardière, on entendait par là un
territoire au sud de l'Amazone (Silva I, page 8, § 34); de la Barre se sert de cette dénomination pour désigner le territoire qui va de l'Amazone à l'Orénoque (R. B . II, pp. 95 et suiv.) ; Froger parle du « Gouvernement de Cayenne, que quelques-uns nomment autrement France Equi-noxiale » (R. B . II, page 193, A . B . I, n° 85).
4 ) La thèse de Ferrolles qui se fonde sur les concessions françaises; conf. supra, pp. 179 et suiv.
— 2 6 2 —
L a ligne de conduite suivie par la diplomatie française engagea Bolingbroke à écrire, le 19 janvier 1713, ce qui suit à Prior, ministre d'Angleterre en France 1) :
« Nous ne pouvons pas arriver à la conviction que la conduite des Français soit droite ou sage ; ils semblent nous presser de conclure, pour avoir d'autres états à leur merci et, en même temps, ils chicanent avec nous au sujet de l'article capital de tout notre traité et cherchent à mettre à néant un arrangement conclu, renouvelé et ratifié. »
S'il ne dépendait que de lui, Bolingbroke, la France devrait immédiatement conclure un traité qui donnât satisfaction à l'Angleterre et en même temps se déclarer prête à faire la paix avec les autres puissances, sur des bases équitables, avec le Portugal entre autres sur la base « of our proposition».
Une dépêche de lord Bolingbroke au duc de Shrews-bury, ambassadeur d'Angleterre à la cour de France , montre en quoi consistait à cette époque la « proposition d'Angleterre ». Cette dépêche est également du 19 janvier 2 ) .
On y lit 3 ) : Sans vouloir exprimer « too particularly »
1) R . B . II, pp. 415 et suiv., Fore ign Oftice, London, Trea ty Papers, M* Prior 's loose Papers, n° 90 . . . « W e cannot persuade ourselves here, that the French act either fairly or wisely ; they seem to press us to conclude, that they may have others at their mercy, and at the same time they chicane with us concerning the most essential article of all our Treaty, and endeavour to elude an agreement made, repeated and confirmed. »
2 ) R . B . II, pp. 417 et suiv., reproduit quelques passages de la dépêche, Record Office, London, Foreign Office, Trea ty Papers , n° 90, pp. 614—616; en partie, avec quelques divergences, M. F . II, pp. 60, 61
3) Voici le texte de ce passage : «The Queen would have your Grace , without showing Monsieur de Torcy too particularly how low the King of Portugal sinks in his demands, let that Minister know, that the pretentions of this (le texte de R . B . dit par erreur his, M. F . Il a le terme exact this) Ally, to whom Her Majestie is under stronger engagements
au ministre de Torcy combien le roi de Portugal rabat de
ses prétentions, l'ambassadeur devra faire comprendre au
ministre que les revendications de cet allié « envers le
quel la reine a contracté des engagements plus forts qu'en
vers aucun autre » ne retarderont pas la conclusion de
la paix.
Il doit faire connaître en même temps ce que la reine exige-
Elle réclame « tout au moins que les traités provisionnels 1)
deviennent définitifs au profit du Portugal et elle compte
que la France et l'Espagne prendront des engagements
spéciaux pour garantir les possessions portugaises dans
toutes les parties du monde ; la reine se charge de faire
observer ces engagements ».
La stipulation qui veut que les traités provisionnels
soient rendus définitifs au profit du Portugal, n'est pas
très claire 2 ) ; Bolingbroke tâtonnait encore, en même temps
qu'il était sollicité par José da Cunha Brochado, le ministre
du Portugal à Londres, qui de tout temps avait exprimé
son mécontentement au sujet du traité de 1700 3).
C'est Brochado qui fit que Bolingbroke envoya sa
dépêche à Shrewsbury. Le même jour en effet — Boling-
by treaty than almost to any other, shall not retard the conclusion of the Peace, your Grace will at the same time say, that the Queen will require at least the Provisional Treaties to be made delinitive in his favour, and that she will expect particular engagements from France and Spain for the security of his dominions in all parts of the world, of which engagements she will become guarantee . . . »
1) C'est le traité passé avec la France au sujet des terres de l 'Amazone et le traité avec l 'Espagne relatif au territoire du L a Plata; R . B. II, page 420.
2» Conf. M. F . I, page 59, où, pour expliquer cette dépêche de Bolingbroke du 19 janvier 1713, on renvoie au rapport de l'évêque de Bristol et à des pièces qu'y avaient jointes les plénipotentiaires portugais à Utrecht, du 22 juillet 1712 ; mais ce renvoi n'élucide pas le texte de la dépêche.
3 ) Voi r ci-dessus, page 234.
2 6 3
— 2 6 4 —
broke le relate dans sa dépêche — il lui avait représenté une fois de plus que son roi avait confié à la reine d'Angleterre sa propre défense et celle de ses intérêts, ainsi qu'il le savait bien ; que dans les circonstances présentes, la reine ne pouvait pas faire pour le roi de Portugal tout ce qu'elle eût voulu, mais qu'il espérait obtenir une frontière (some Barrier) ou à défaut, un acte de garantie. «Il fit allusion à la démolition de Badajoz et semblait désirer V igo plus qu'il n'espérait l'obtenir. Puis il en vint à parler de ces traités provisionnels, au sujet desquels il avait déjà remis des extraits à lord Dartmouth » 1 ) .
Bolingbroke joignit à sa dépêche une copie de ces «extrai ts» de Brochado, qui donnent par erreur au traité la date de 1699 2 ) . L e territoire, contesté, de l'Amazone y est délimité comme suit : « that district of country, on the coast of Brazil, situate(d) between the River Yapoco and the Cape North of the River of Amazone inclusive. »
Brochado s'efforça d'inculquer aux hommes d'état anglais les clauses du traité provisionnel, dont il fit une fois de plus la paraphrase (extrait du traité provisionnel, sur les terres de Maragnan) 3 ) ; il remit cette pièce à titre de mémorandum, le 23 janvier, à lord Bolingbroke, qui l'envoya aux plénipotentiaires anglais au congrès d'Ut-recht 4). L e territoire contesté y est défini de nouveau 5 ) :
1) R . B . I l , page 418 : « After which he let himself in to speak of those Provisional Treaties, extracts whereof he had put into my Lord Dartmouth's hands » . . .
2) Tex te dans R . B . II, page 420. 3 ) D e nouveau avec la fausse date de 1699. 4) L e mémorandum a comme note : « Rec 'd from Lord Bolingbroke,
March. 11th 1712/13.» s ) R . B . II, pp. 423 et suiv.. Public Record Office, London, Trea ty
Papers, Utrecht, n° 112.
- 2 6 5
«Terres qu'il (sc. le roi de Portugal) possedoit, situées depuis
la Riviere appellée Yapoco jusques au Cap du Nort de la
Riviere des Amazones inclusive. »
En même temps, Brochado expliquait combien ce traité
provisionnel était préjudiciable au Portugal 1) : « Par cet
accord provisionel le Roy de Portugal fut obligé de faire
sortir ces Sujets des dites Terres, de depeupler les Bourgs,
qu'il y avoit fait bâtir depuis la première decouverte du
Brazil, de demolir les Forts sur le rivage de la Riviere
des Amazones du coté du Nort, et d'abandonner entière
ment tout ce Païs la, au grand prejudice de son ancien
Domaine, avec si peu de seureté pour le reste du Mara-
gnan. »
Il était, selon lui, impossible d'asseoir un traité définitif
sur une convention de cette nature. Aussi fait-il observer,
ainsi que rapporte Bolingbroke le 19 janvier, que changer
le traité provisionnel en un traité définitif « serait la source
de nouvelles querelles 2 ) . »
Le 24 janvier 1713, Brochado récapitula les derniers
événements dans un rapport qu'il adressa au secrétaire
d'état du Portugal, Diogo de Mendonça Corte-Real 3). Il
1) R . B . II, page 424. 2 ) R . B . II, page 420 : « B y the alliance between France, Spain and
Portugal, to guarantee the succession according to the will of Charles II, it was proposed that these Provisional Treaties should be definitive, but Bruchearde observes, that this would be the source of fresh disputes. »
3) R . B . II, pp. 425 et suiv., reproduit le rapport, qu'il accompagne de nombreuses remarques relatives au texte. Il mentionne: «Trois copies manuscrites : Deux à la Bibliothèque du Roi de Portugal, au Palais d'Ajuda ; . . . 3e copie à la Bibliothèque de l'Académie Royale des Sciences de Lisbonne » . . . M. F . II, pp. 63 et suiv., reproduit une partie de la dernière copie du rapport.
M. F . I, pp. 62 et suiv., se sert de cette reproduction-là.
Or voici ce qui en est du document imprimé dans M. F . II, pp. 63 et suiv. : Il porte une date erronée, celle du 14 février, ce qui provient
— 2 6 6 —
reproduit son « extrait » des traités provisionnels (avec de
nouveau la fausse date de 1699) et désigne derechef le ter
ritoire contesté de l'Amazone en ces termes : « Ter ras ci-
tuadas entre o Rio Yapozo, e o Cabo do Norte do Rio das
Almazonas, inclusivamente » ; puis, vient le tableau des
conséquences fâcheuses qu'a eues le traité provisoire des
tiné à régler la question de l'Amazone, traité que l'auteur
qualifie de «violento acordo », accord forcé; pour terminer
il revient à l'appréciation qu'il avait consignée à la fin de
son «extrait» au sujet de la conversion du traité provi
soire en traité définitif. Elle est ainsi conçue dans la tra
duction française que donne R. B . II, pages 428 et suivantes 1) ;
de ce qu'il est formé de deux documents, savoir de deux rapports, dont l'un a été fait le 24 janvier et l'autre le 14 février. L'ensemble du texte, composé de deux documents, a reçu la date du second de ceux-ci. L e texte du premier document va jusqu'à « tanta diferença », celui du second commence par « Tambem o mesmo », 1. c , page 64.
D e plus, en transcrivant le premier document le copiste a par mé-garde écrit «ao» au lieu de «do» et mis devant son « ao » une virgule qui n'existe pas dans l'original ; il écrit : « terras cituadas entre o Rio Japozo e o Cabo do Norte, ao Rio das Almazonas inclusivamente », au lieu de « terras cituadas entro o Rio Yapozo e o Cabo do Norte do Rio das Almazonas inclusivamente », R . B . II, page 426, V , fac-simile n° X I V . L'authenticité du texte original de ce passage est établie par la comparaison des trois manuscrits dont R . B . II, page 425, prouve l'existence (qui ne présentent guère d'autre particularité remarquable que les différences d'orthographe Yapozo ou Yapouco), et aussi par l'emploi du terme dont se sert Brochado dans ses extraits des 19 et 23 janvier.
L e texte erroné de ce passage est ainsi traduit dans M. F . II , page 63 : « Ter res situées depuis le R io Japozo et le Cap du Nord, jusqu'au Rio des Amazones, inclusivement». F t dans M. F . I, page 6 2 : « Te r re s situées entre le Rio japozo et le Cap du Nord, depuis le R io des Amazones inclusivement». L e « ao » = «jusqu'au» copié par mégarde, est à la fin devenu « depuis le ». L e s déductions que M. F . I, pp. 62 et suiv., développe et qui ont cette erreur de copie pour point de départ, ne sauraient dès lors être prises en considération.
1) Manque dans le texte de M. F . II, page 63.
— 267 —
«J'ai terminé en disant que dans la dernière Alliance que nous avons faite avec la France et l'Espagne 1 ) , il fut stipulé que ces deux Traités, quoique provisionnels et temporaires, seraient réputés définitifs et perpétuels, mais qu'on voyait bien quels étaient l'inconvénient et la contrariété de les transformer en définitifs, ce qui rendrait la chose impraticable, et amènerait de nouvelles disputes et de nouvelles querelles, comme, dans une autre lettre, je l'ai déjà dit à Votre Grâce. »
A la fin de son rapport, Brochado relate en ces termes son impression au sujet de la ligne de conduite suivie par le gouvernement anglais dans la question de la Guyane:
« D'après ce que j'entends de ces Ministres, ils prétendent que les Français abandonnent totalement ces terres-là, pour les éloigner du voisinage du Brésil, mais avec tant d'égard pour la Cour de France, qu'ils veulent montrer que cette crainte qu'ils ont vient toute de nous, sur quoi j 'ai écrit à nos Ministres, pour qu'ils montrent à ceux de France la raison qu'ont les Anglais pour nous soutenir dans ces demandes, alors qu'ils traitent les autres en d'autres termes et avec tant de différence 2 ) . »
Voici le tableau général qu'offrait la situation à Londres vers la fin de janvier 1713 :
Le gouvernement anglais s'en tient encore au programme insuffisamment clair : « Les traités provisionnels doivent être convertis en traités définitifs au profit du Portugal ». C'est en ces termes que la tendance à ne pas laisser en tout cas le Portugal s'en aller les mains vides trouve son expression.
] ) Il s'agit du traité d'alliance de 1701, conf. ci-dessus, pp. 238 et suiv. 2) R . B . II, page 429; la traduction de M. F . II, pp. 63 et suiv., n'est
pas entièrement conforme à celle-ci.
— 2 6 8 —
Le représentant du Portugal à Londres s'attache à bien faire ressortir aux yeux du gouvernement anglais les inconvénients du traité provisionnel, pour empêcher qu'il ne soit converti en traité définitif.
Les informations qu'il a recueillies lui donnent à croire que le point de vue du gouvernement anglais est celui-ci: L 'Angleterre n'entend pas que les Français s'approchent du Brésil et demande par conséquent que la France évacue complètement le territoire contesté ; mais elle cherche à cacher ses propres appréhensions, car, en se donnant l'air de se montrer des plus accommodantes envers la France, elle veut faire passer le Portugal pour l'auteur de toutes les difficultés.
On voit par là que l 'Angle terre a des intérêts propres à poursuivre en Guyane.
Peu de jours après que Brochado eût fait son rapport, cette préoccupation se manifesta avec toute l'évidence possible, cela le jour où fut soulevée la question du partage, entre la France et le Portugal, du territoire contesté. Conformément à leurs instructions, les plénipotentiaires français déclarèrent que Louis X I V subordonnait son consentement au partage à une condition sine qua non, la liberté de la navigation sur l'Amazone pour les Français. Cette condition imprime dorénavant une direction précise à la politique anglaise.
Sous aucun prétexte, l 'Angleterre n'entendait laisser aux Français le chemin le meilleur et le plus commode pour pénétrer dans l'intérieur de l'Amérique du Sud. Il lui appartient à ce moment de défendre ouvertement ses intérêts et ses intérêts sont entièrement ceux du Portugal. 11 s'agit de tenir les Français loin de l'Amazone et, pour cela, d'assurer au Portugal sur ce fleuve la position la plus solide et la plus étendue possible.
C'est ainsi que l'acte qui fit connaître la condition posée
par la France décida de la marche des négociations.
Cet acte n'est autre que la conférence tenue par les
plénipotentiaires à Utrecht le 9 février 1718 l ) .
4.
Les plénipotentiaires portugais, français et anglais
prirent part à la conférence du 9 février. Chacun des gou
vernements reçut de ses représentants un rapport sur la
conférence. 11 a été produit : un rapport des plénipoten
tiaires portugais, soit leur dépêche, du 14 février, au
secrétaire d'état Mendonça Corte-Real, avec un passage
des mémoires de Dom Luis da Cunha, relatif à la confé
rence ; un passage, relatif à la conférence, de la dépêche
adressée par les plénipotentiaires français à Louis X I V le
10 février; enfin, un passage d'une dépêche adressée par
les plénipotentiaires anglais à Bolingbroke le 10 février.
Tous ces documents, avec l'indication de leur prove
nance, ont été reproduits dans R. B . II, pages 431 et sui
vantes (les documents portugais traduits ; le texte original
se trouve dans R. B . IV, pages 147-154). Un passage du
rapport que les plénipotentiaires français ont adressé au
roi est transcrit dans M. F . II, pages 61 et suivantes 2 ) .
L e rapport le plus complet est celui des plénipoten
tiaires portugais. L'arbitre le prendra pour guide, tout en
le contrôlant et le complétant au moyen des données em
pruntées aux documents français. L'extrait très court de
la dépêche anglaise suivra.
1) M. B I, pp. 206 et suiv.; R . F . , page 128, dit par erreur que la conférence eut lieu « au mois de mars 1712 ».
2) Voir aussi M. F . I, pp. 60 et suiv., R . F . , pp. 128 et suiv., M. B . I, pp. 206-210; Silva II, pp. 136 et suiv.
2 6 9
— 2 7 0 —
Les plénipotentiaires portugais avaient désiré une conférence — à ce qu'on lit du moins dans le rapport français — ; elle eut lieu sans retard, à cause du prochain départ de l'abbé de Polignac 1 ) ; les plénipotentiaires se réunirent chez les ministres anglais, « ainsi que le font maintenant tous les Ministres lorsqu'ils ont à négocier avec ceux de France » 2 ) .
L e but immédiat de la conférence était le renouvellement de l'armistice.
Mais ce n'était pas là le seul, ni même le principal objet des délibérations ; les plénipotentiaires portugais rapportent 3 ) : « La raison que nous eûmes de nous tenir sur nos gardes fut la crainte que, en échange du nouvel Armistice, ils voulussent obtenir la permission de naviguer sur le fleuve des Amasones, ce qu'ils recherchent avec un ardent désir, comme nous avons pu le voir au cours de cette même conférence. » Il s'était, en effet, écoulé assez de temps depuis le 26 décembre pour qu'il eût pu percer quelque chose de la « condition fondamentale » de Louis X I V .
Mais l'attention des sphères politiques portugaises avait
1) L e s plénipotentiaires français : Nous eûmes le mesme jour (9 février) une conférence avec les Portugais ; ils l'avoient désirée pour dire qu'ils l'avoient eue, M. F . II, page 61, R. B . II, page 443. — L e s plénipotentiaires portugais: L e Maréchal d'Uxelles déclara non seulement qu'il serait disposé à conclure un nouveau traité (d'armistice), mais qu'il aurait été heureux de le conclure le lendemain, jour auquel, ayant à écrire à son Maître, il pourrait lui adresser ce traité ; et comme le départ de l 'Abbé de Polignac était prochain, car il avait été appelé à Paris pour y recevoir le chapeau de Cardinal, nous convînmes de nous réunir chez les Ministres d'Angleterre, R . B . II, page 432. Conf. Mémoires da Cunha, R . B . II , page 438.
2 ) R . B . II, page 432. 3 ) Ibidem.
depuis longtemps été attirée sur le danger qu'il y avait à
laisser les Français devenir maîtres de la navigation sur
l'Amazone. Brochado notamment avait, pendant son séjour
à Paris (1700), lors des négociations franco-portugaises, étudié
la question de l'Amazone et consulté entre autres un mé
moire qu'un missionnaire jésuite, le P. Acuña, avait remis au
gouvernement de Philippe I V peu après la séparation du
Portugal et de l'Espagne (1641). Ce rapport signalait le péril
que la possession, par le Portugal, du fleuve des Amazones
faisait courir à l'Amérique espagnole. Brochado concluait en
disant que ce que les Espagnols redoutaient de la part des
Portugais, Portugais et Espagnols ont à le redouter aujour
d'hui de la part de la France 1 ) . Les plénipotentiaires por
tugais à Utrecht connaissaient aussi l'ouvrage d'Acuña, ils
s'en étaient servis, avant la conférence du 9 février déjà,
pour mettre les plénipotentiaires anglais en garde contre
les projets des Français, mais « mal renseignés sur les
choses de cette partie de l'Amérique », les Anglais ne leur
prêtèrent que peu d'attention. Les Portugais avaient même
parlé déjà de l'affaire avec les Français 2 ) .
A la conférence du 9 février, les plénipotentiaires
français réclamèrent instamment la libre navigation sur le
fleuve des Amazones 3).
On passa de la question de l'armistice à une grande
discussion « au sujet des Terres du Cap du Nord qui con
finent avec le Maranhão » ; la dépêche des plénipotentiaires
portugais remarque à ce sujet : «l'Abbé de Polignac s'y est
1) Voi r les deux rapports de Brochado du 14 février 1713, R . B . II, pp. 451-455.
2 ) Mémoires da Cunha, R . B . II, pp. 437 et suiv. 3 ) Les plénipotentiaires français : L a première chose que nous de
mandames fut la liberté de la navigation pour les sujets de Vostre Majesté dans la riviere des Amazones, M. F . II, page 62, R . B . II, page 444.
271
— 2 7 2 —
efforcé de soutenir sa cause en alléguant des faits notoire
ment controuvés, et en se servant d'un grand nombre d'ar
guments sophistiques» 1), un reproche que les plénipoten
tiaires français ont incontinent renvoyé à leurs collègues
du Portugal: «Il n'y eut ni sens ni raison dans tout ce
qu'ils dirent», lit-on dans leur rapport 2 ) .
Il résulte des renseignements un peu plus détaillés que
fournit sur ce point Dom Luis da Cunha que Polignac se
servait des données documentaires contenues dans les mé
moires de 1698 et 1699. Luis da Cunha écrit en effet au
sujet de la discussion concernant « l'affaire des Ter res de
Maranhão » : « Polignac voulut montrer que la possession
que nous avions eue des dites terres avait été prise par
violence, parce que la propriété en avait appartenu à S a
Majesté Très-Chrétienne par la préférence que lui donnait
la découverte, ce qu'il croyait prouver par certains docu
ments ou lettres de concession ou d'incorporation, que le
Cardinal de Richelieu avait accordés à des marchands, en
donnant à la compagnie le nom de Compagnie du Cap du
Nord 3).»
Comme la discussion générale se prolongeait beau
coup, le plénipotentiaire anglais, lord Strafford 4 ) y mit fin.
Jusqu'alors les plénipotentiaires anglais — la dépêche des
Portugais le leur reproche avaient « plutôt fait l'office
de médiateurs que celui de bons alliés, quoique nous leur
eussions rappelé qu'ils étaient tenus de s'intéresser à cette
affaire, parce qu'ils nous avoient promis la restitution des
1) R . B . II, pp. 432 et suiv. 2) M. F . II , page 61 ; R . B . II, page 443. 3) R . B . II, pp. 438 et suiv. 4) D'après les mémoires de da Cunha, ibidem, page 439 ; la dépêche
des plénipotentiaires portugais se sert de l'expression générale : « L e s Anglais », ibidem, page 433.
dites terres» l ) . Leur intervention donna à la discussion une tournure décisive. Strafford posa au maréchal d'Uxelles cette question : « Si l'on ne pourrait trouver quelque moyen d'accommodement. »
D'Uxelles répondit : « que l'expédient serait de partager entre les deux Couronnes le territoire en question, pourvu que l'entrée et la navigation du fleuve des Amazones fussent libres aux Français» 2).
C'était la «condition fondamentale» de Louis X I V . La France ne consent au partage du territoire en litige que si la libre navigation de l'Amazone est garantie aux Français. Le rapport des plénipotentiaires français, du 10 février, établit que cette proposition fut faite après mûre réflexion.
Leur rapport est ainsi conçu 3) : « La premiere chose que nous demandames fut la
liberté de la navigation pour les sujets de Vostre Majesté dans la riviere des Amazones. Ils ne voulurent jamais y consentir. Ils dirent que cette pretention interessoit toutes les nations de l'Europe. Les Anglais ne les desapprouverent pas 4 ) , et ils proposerent ou de n'en point parler du tout, ou de convenir seulement que cette navigation se feroit comme par le passé, après que les Portugais eurent asseuré qu'elle ne s'estoit jamais faite au moins de leur consentement ; cela nous fit encore plus insister à pretendre
1) R . B . II, page 433. 2 ) Dépêche des plénipotentiaires portugais, ibidem, page 433. D'après
les mémoires de da Cunha (ibidem, page 439) ce serait Polignac qui aurait le premier mis en avant l'idée d'un partage : « A ce moment, l 'Abbé de Polignac parla d'un partage des terres en l i t ige . . .»
3) M. F . II, pp. 61 et suiv. ; R . B . II, page 444. 4) Cette première impression au sujet de l'attitude des Anglais s'ac
centua encore, ainsi que la suite du rapport le montre immédiatement.
18
273
— 2 7 4
que la liberté en fust clairement stipulée, afin qu'il n'y eut plus d'équivoque ni de disputes à l'avenir.
Quant au pays contesté entre ce fleuve et celuy d'Oyapoco 1) nous offrîmes ou de nous en tenir au Traité pro-visionel ou de le changer en definitif, ou de partager egalement le terrain, ou de renvoyer l'affaire à des Commissaires qui la decideroient après la paix, à Paris, à Lisbonne, sur les lieux, ou à Londres par la mediation de la Reyne d'Angleterre. De toutes ces alternatives, ils n'accepterent que celle du partage, mais à condition qu'il se fist avant la paix. Nous primes les cartes, nous mesurames le pays, mais ils n'en voulurent jamais ceder que le quart 2 ) , et se reserverent toujours, non seulement la plus grande partie des costes jusqu'au Cap de Nort, mais encore tous les bords de la riviere des Amazones, jusqu'au fort le plus rea dé, qu'ils avoient avant 1700 3).»
L e rapport des plénipotentiaires portugais, pour être moins exact, fait mieux connaître les détails de la discussion que soulevèrent les propositions de la France.
1) L'étendue du territoire en litige ne donne lieu à aucune discussion ; les Français nomment ici « Oyapoco », la riviere que les Portugais ont en vue ; leur riviere frontière « Oyapoco » est aussi la riviere frontière pour les Portugais.
2 ) L e sens qui se présente le premier à l'esprit est : un quart de tout le territoire contesté, mais il est fort possible qu'il y en ait un autre plus juste : les Français parlaient d'une démarcation « entre trois degrés et demi...» (dépêche portugaise, R . B . I I , page 434). L e s Portugais voulaient accorder 3 3 / 4 degrés ; nous aurions là le «quar t» constituant la concession des Portugais.
3 ) L e s côtes du territoire en litige sont ici aussi divisées clairement
en littoral maritime et en bords des cours d'eau ; elles sont mesurées
toutefois en sens inverse, non plus comme c'était jusqu'alors le cas, à
partir de l 'Amazone, mais à partir de l'Oyapoc, direction toute naturelle
pour les Français qui voyaient et mesuraient en venant de Cayenne.
L'idée d'un partage plut «grandement» aux Anglais, tandis que la liberté de navigation sur l'Amazone ne leur agréait pas du tout. Aussi proposèrent-ils de traiter en premier lieu la question du partage, à quoi les Portugais acquiescèrent ; ils avaient bien l'impression 1) d'être abandonnés par les Anglais, mais ils agirent ainsi, dit leur dépêche, «pour nous conformer à l'opinion des Anglais 2 )».
La perplexité des Portugais avait plus d'une cause. Les Français leur avaient montré leurs instructions «dont nous avons admiré la rédaction minutieuse ainsi que les documents et les cartes qui les accompagnaient 3 ) » ; ils constatèrent donc immédiatement que les Français étaient bien outillés, tandis qu'eux-mêmes n'avaient que des matériaux très insuffisants; ils avaient bien pu prendre connaissance par José da Cunha Brochado de documents relatifs aux négociations de 1700 et réclamé des pièces à leur gouvernement, mais, comme s'exprime leur dépêche « quoique de L a Haye, le 29 juillet 1710, moi le Comte de Tarouca, je vous aie demandé des documents, aucun autre que le Traité Provisionnel ne nous est parvenu de Lisbonne 4 ) ». Il est évident que les plénipotentiaires n'avaient pas été mis au courant des données géographiques fournies par Manoel Pimentel, le «Cosmographo Mor» du royaume portugais, qui venaient d'être publiées en 1712 5 ) . Car d'après ces «Positions géographiques de la côte de la Guyane» la latitude du «Rio Oyapoc ou de Vicente Pinson» est de 4° 06 '
1 ) Mémoires da Cunha, R . B . II, page 439 : « comme les Anglais nous abandonnèrent ».
2 ) R . B . II, page 434. 3 ) R . B . II, page 433. 4 ) R . B . II, page 434. 5) R. B . II, pp. 405 et suiv., M. B . I, pp. 210 et suiv., d'après Silva II,
pp. 131 et suiv.
275
— 2 7 6 —
nord; ce fut pour les plénipotentiaires portugais chose nouvelle que la carte produite par les Français , carte sur laquelle une ligne, qui coupait le territoire en litige presque par le milieu 1 ) , et qui par conséquent était à une distance notable de l 'Oyapoc ou Vincent Pinçon au sud, restait sous la latitude de 3 8 /4 0 . Aussi, ne connaissant pas les tables de Pimentel, les plénipotentiaires portugais tenaient-ils pour «plus exacte» que la carte française, leur propre carte 2 ) qui donnait au Vincent Pinçon la latitude de 3 3 / 4 ° ; sans s'entourer d'autres informations, ils agirent en conséquence.
Au cours de la discussion, les Français firent état d'un document que le Portugal même leur avait livré : la réponse qu'en 1698, le Portugal avait donnée au mémoire français de la même année. Ils y puisèrent un argument qui ne laissa pas d'embarrasser les Portugais. Admettant que le Vincent Pinçon ou Oyapoc était situé par 3 degrés de latitude, la réponse avait mis à profit les indications du jésuite Four-nier d'après lesquelles les concessions de Louis XI I I , de 1633 et 1638, comprenaient uniquement le territoire situé entre 3 3 / 4 ° et 3/4 ° de latitude nord ; par conséquent, argumentait la réponse, la France de Louis XI I I s'arrêtait au nord de l'Oyapoc ou Vincent Pinçon 3 ) . L a France avait alors repoussé ces allégations du Portugal en déclarant que le P. Fournier était un compilateur inexact 4 ) . Mais, en cette situation nouvelle, elle utilisa cet ouvrage ; l'abbé de Poli-
' ) « L e s trois degrés et trois quarts coupent presque par le milieu les terres en litige», dépêche des plénipotentiaires, R. B . II, page 434. «Coupait par le milieu», Mémoire da Cunha, ibidem, page 440.
-) R . B . II, page 440, texte et note 9. Dans une des copies des mémoires la carte est dite « la nôtre » (a nossa), dans l'autre « carte générale » (a geral) ».
3 ) Vo i r supra, pp. 202 et suiv. 4 ) Voi r supra, page 211.
— 2 7 7 —
gnac produisit la carte mentionnée ci-dessus d'après laquelle « les trois degrés et trois quarts coupent presque par le milieu les terres en litige », d'où il tirait la conclusion : Etant admis que la ligne de 3 3 /4 passe par le milieu du territoire en litige, le Portugal par sa réponse se trouve avoir reconnu la légitimité des prétentions de la France sur la moitié du contesté, puisque lui-même fait partir la concession française de 3 3 / 4 °; «de sorte que », disent les plénipotentiaires portugais, « cette ancienne réponse de notre Cour a fourni aux Français un nouvel argument pour prétendre à la possession des terres qui, d'après la démarcation de leur carte, se trouvent entre trois degrés et demi et la Rivière de Vincent Pinson 1) ».
A ce moment les plénipotentiaires portugais firent une déclaration qui rompait avec tous les errements suivis jusqu'alors par la politique du Portugal en l'affaire : Nous sommes prêts à partager, mais à la condition que la solution ne soit pas renvoyée après la conclusion de la paix, qu'il ne soit pas recouru à des commissaires qui seraient, au besoin, envoyés sur les lieux; il faut dès à présent fixer la frontière sur la base des 33/4 degrés mentionnés dans les Lettres patentes octroyées par Louis XI I I à la Compagnie du Cap du [Nord : les terres qui de cette ligne de 3 3 / 4 ° s'étendent vers Cayenne appartiennent à la France, celles qui s'étendent de la même ligne vers le fleuve des Amazones appartiennent au Portugal. Les plénipotentiaires portugais disent à ce sujet dans leur rapport :
«N'approuvant pas l'expédient suggéré par les Français, que ce fût au moyen de Commissaires, afin d'éviter de
1) R . B . II, page 434. — 3 1 / 2 ° et non 3 3 / 4 ° , dans le but probablement d'obtenir la moitié exacte, au lieu de la moitié approximative, du territoire à partager.
— 2 7 8 —
grands embarras et des retards, nous avons proposé que la dite division et démarcation fût réglée par les degrés mentionnés dans les Lettres patentes de la dite Compagnie du Cap du Nord, à savoir que les terres qui vont de trois degrés trois quarts vers Cayenne demeurassent aux Français, et que celles qui vont des mêmes degrés vers le Fleuve des Amazones et le Cap du Nord fussent du domaine de Portugal 1) »
Qu'est-ce qui avait déterminé les plénipotentiaires portugais à faire cette concession?
Les mémoires de da Cunha donnent la réponse à cette question : « Comme la carte générale, que nous estimions être plus exacte, place par trois degrés et trois quarts, la riviere de Vincent Pinson, qui désigne 2) nos limites, nous étions d'accord pour régler le partage de cette manière3). »
Les Portugais avaient donc la certitude que leur Vincent Pinson était situé par 3 3 / 4 ° , ils ne voulaient pas autre chose que la frontière Vincent Pinson ; aussi pouvaient-ils facilement concéder la frontière par 33/4°.
Mais alors les plénipotentiaires français combattirent ce projet de démarcation. Ils soulevèrent des difficultés et à la fin, le maréchal d'Uxelles « irrité selon son habitude » déclara « qu'il était inutile de continuer à se rompre la tête à propos de ce partage, si les Français n'avaient pas, comme auparavant, l'usage du fleuve» 4 ) ; «le point principal consistait à savoir, si les Français auraient ou
l ) R. B . II, pp. 434 et suiv. 2) Conf. R. F . , page 129, où se trouve la remarque que « désigna »
doit être traduit par «désigne» et non par «signale» comme le font M B . I, page 213, et R. B . II, page 440.
3 ) R . B . II, page 440. 4) Mémoires de da Cunha, R. B . II, page 441.
— 2 7 9 —
non la libre entrée et la libre navigation du fleuve des
Amazones » 1 ) .
C'est ainsi que la question du partage fut éliminée par les
plénipotentiaires français eux-mêmes ; on passa à la discus
sion de la « condition fondamentale » de Louis X I V , la libre
navigation de l'Amazone. Les plénipotentiaires portugais
avaient cette fois l'appui des ministres anglais et ils décla
rèrent nettement : « que nous ne pouvions nullement consentir
à une pareille prétention » 2 ) . En effet, lord Strafford intervint
personnellement dans le débat: «Polignac a voulu montrer
que les Français avaient été dans la jouissance de cette
navigation, ce qu'il a cherché à prouver par le même
Traité Provisionnel ; mais, voyant son manque de raison,
Lord Strafford lui dit qu'il tombait en contradiction mani
feste, car si le Roi de France dans les Instructions qui
venaient d'être montrées ordonnait à ses Plénipotentiaires
de demander la liberté de navigation et d'insister sur ce
point, il était notoire qu'ils n'avait jamais réussi à avoir
cette jouissance» 3 ) . Ensuite de cette intervention des An
glais, qui ajoutèrent qu'ils feraient rapport à leur gouver
nement au sujet du désaccord des parties sur ce point 4 ) ,
le maréchal d'Uxelles proposa : « que nous laissions cette
affaire à la décision de la Reine» 5 ) . Mais quand il vit
l'empressement des Portugais à accepter cette proposition,
1) Dépêche des plénipotentiaires portugais, R . B . II, page 435. 2) R. B . II, page 435. 3 ) Dépêche des Portugais, ibidem, page 435. de même Mémoires de
da Cunha, ibidem, page 441. 4) Mémoires de da Cunha : « Strafford répliqua que . . . il était certain
qu'ils (les Français) n'avaient pas eu une possession antérieure, et que dans ce sens il prétendait rendre compte à sa Cour, attendu que nous (Français et Portugais) n'étions pas d'accord sur les faits >, R . B . II, page 441.
s ) R . B . II, page 435.
— 280 —
il dit encore que la question devait être ajournée jus
qu'après la conclusion de la paix. Les Portugais s'opposèrent
à tout ajournement et demandèrent que les contestations
fussent intégralement liquidées avant de signer la paix 1 ) ,
insistant pour que la démarcation fût tracée immédiatement
d'après le degré de latitude et non d'après une mensura
tion faite sur place, qui donnerait lieu à de nouvelles que
relles; ils répétèrent: «Que nous accepterions la décision
de la Reine » 2 ) .
Dans le rapport qu'ils adressèrent à leur gouverne
ment sur ces faits se trouve en outre cette mention : «Car
nous croyions bien que sur cette affaire les Anglais se
trouveront sincèrement d'accord avec nous»; ils relatent
de plus qu'après la conférence lord Strafford leur dit qu'il
écrivait à son gouvernement, «en lui donnant nos raisons
fondées sur la justice de la cause et sur la promesse de
la Reine », et lui signalerait en même temps le danger que
ferait courir aux intérêts du commerce anglais l'octroi aux
Français de la libre navigation de l'Amazone 3).
En effet la dépêche adressée par les plénipotentiaires
anglais à leur gouvernement le 10 février, dit en termes
concis 4 ) :
1) R . B . I l , page 435 : « Nous ne voulions pas de différends après la conclusion de la paix. »
2 ) Ibidem. : 3) Ibidem, page 436. V r a i est-il que les plénipotentiaires portugais
ajoutent : « S' i l avait voulu se prononcer aussi clairement pendant la conférence, il aurait peut-être pu faire avancer de quelque manière notre intérêt. » D a Cunha, dans ses mémoires, donne à entendre que, malgré ce résultat, les Portugais étaient loin d'être rassurés, ibidem, pp. 441 et suiv.
4 ) « In a conference yesterday the French stood very stiffly upon the liberty of their Navigation in the River of Amazones . . . W e held with the Portuguese, taking it to be as much the Interest of England as Por tugal that nothing be innovated in that particular », R . B . II, page 443.
- 281 —
« Dans une conférence qui a eu lieu hier, les Français ont demandé avec insistance la libre navigation de l'Amazone . . . Nous avons tenu le parti des Portugais estimant qu'il est dans l'intérêt de l'Angleterre comme du Portugal, que rien ne soit innové sur ce point. »
La conférence du 9 février n'aboutit donc à aucun des résultats désirés par les plénipotentiaires français touchant la libre navigation de l'Amazone et le partage du territoire en litige ; leur rapport le constate en ces termes : « Après avoir bien disputé, nous ne conclûmes rien 1).»
En revanche, les délibérations jettent beaucoup de lumière sur l'état où se trouvait alors l'affaire et il importe de retenir les points ci-après qui ressortent manifestement des rapports des plénipotentiaires :
1° Les plénipotentiaires français et portugais avaient en vue un seul et même territoire contesté, un seul et même cours d'eau qui devait constituer la frontière septentrionale du territoire, cours d'eau que les Français appelaient Oyapoc, les Portugais Vincent Pinçon; l'Oyapoc des Français et le Vincent Pinçon des Portugais sont un seul et même cours d'eau « Oyapoc ».
2° L a dénomination « terres en litige » dont se servent les Portugais et mieux encore, les termes dans lesquels est formulée l'offre des Français — touchant le « pays contesté entre ce fleuve (des Amazones) et celui d'Oyapoco », ils veulent «tenir au Traité provisionnel » ou consentir à un partage — désignant le territoire en litige qu'il s'agit de partager comme identique avec le territoire qui fait l'objet du traité provisionnel de 1700; d'où il suit qu'à la conférence par l'Oyapoco les Français, par le Vincent Pinçon les Portugais, entendaient le même cours d'eau que d'un com-
1) M. F . II, page 62 et R. B . II, page 445.
- 2 8 2 —
mun accord Français et Portugais appelaient Oyapoc*) ou Vincent Pinson dans le traité de 1700 (article 4). En d'autres termes, l 'Oyapoc ou Vincent Pinson des Français et des Portugais (1700), l 'Oyapoco des Français (1713), le Vincent Pinson des Portugais (1713) sont identiques. En 1713 comme en 1700, les deux parties désignent sous ces noms le même cours d'eau, qu'elles placent en un même lieu comme cours d'eau frontière du territoire litigieux dont elles ont la même conception.
3° Les plénipotentiaires portugais plaçaient ce cours d'eau par 33/4° de latitude nord, les Français par plus de 4° en se basant sur leur carte qui différait de celle des Portugais; leurs 33/4° en effet coupaient le «territoire en litige » presque par le milieu ; le cours d'eau frontière au nord devait donc, dans leur opinion, être vers le nord à une distance notable de 33/4°, ou du milieu du territoire en litige.
4° Dans la conférence, les Portugais revendiquaient les terres allant de 33/4°" jusqu'à l'Amazone; ils plaçaient par 3 3/4° leur Vincent Pinson, le cours d'eau frontière; ils avaient donc en vue le Vincent Pinson comme étant le cours d'eau qui coule par 3 3 /
4 ° - Or, ces 3 3 / 4 ° faisaient plus de 4°, d'après le calcul de la partie française ; les Portugais revendiquaient en conséquence le territoire au delà de 4° jusqu'à l'Amazone.
5° Selon les plénipotentiaires français, les Portugais réclamaient, même en cas de partage du territoire en litige, tout le bord occidental de l'Amazone et la plus grande partie du littoral maritime entre le Cap du Nord et la ri vière constituant la frontière septentrionale.
L a conférence du 9 février ne fournit pas que des éclaircissements; elle a abouti à une solution importante.
1) Orthographe portugaise Ojapoc, orthographe française Oyapoc.
— 2 8 3
Les déclarations faites par les plénipotentiaires français au sujet de la « condition fondamentale » exigée par leur roi dictèrent aux Anglais leur ligne de conduite, et l'attitude de l'Angleterre décida à Utrecht du sort du litige pendant entre la France et le Portugal.
5.
Après la conférence du 9 février, Louis X I V confirma une fois de plus à ses plénipotentiaires, les instructions qu'ils avaient reçues pour la conférence. Avec une lettre du roi du 13 février, il leur fut adressé un «Sommaire des conditions de la Paix Générale », qui, au chapitre « Portugal », expose en ces termes le point de vue auquel se plaçait la France :
« Le Roy consent à convertir en Traité definitif le Traité provisionnel conclu a Lisbonne en l'année 1700 pour suspendre alors les contestations formées entre les François et les Portugais. Sa Majesté et le Roy de Portugal nommeront des Commissaires soit a Paris, soit a Lisbonne, soit dans l'Amérique Méridionale pour convenir du partage du pays situé entre la riviere des Amazones et celle d'Oya-poco, à condition qu'il sera estably pour fondement du Traité que la Navigation sur la riviere des Amazones sera libre aux François» 1 ) .
En se référant au « Traité provisionnel » qu'il s'agit de convertir en un traité définitif, ce document établit de nouveau que les négociations de 1713 avaient le même but que le traité de 1700, que les deux parties, en 1713 comme en 1700, avaient en vue le même territoire contesté, que la détermination de la frontière restait la même, que, par con-
1) R. B . II. pp. 447 et suiv., Record Office, London, Foreign Office, Treaty Papers, 112 D.
— 2 8 4 —
séquent, le «Sommaire » de 1713 par le cours d'eau qui
devait former la frontière septentrionale, par l'« Oyapoco »
entendait le même cours d'eau que le «Trai té provisionnel»
de 1700 appelait « Oyapoc ou Vincent Pinson » ; en d'autres
termes, le cours d'eau nommé « Oyapoc ou Vincent Pinson »
par les Portugais et les Français en 1700, n'est autre que
le cours d'eau qu'en 1713 Louis XXV nomme « Oyapoco ».
Peu de jours après l'envoi du «Sommaire» , Louis X I V
put se convaincre qu'il ne réussirait pas à faire agréer
son « fondement du Traité », la libre navigation de l'Ama
zone pour les Français.
Le 14 février 1713, le ministre du Portugal à Londres,
da Cunha Brochado, écrivait à Lisbonne au secrétaire d'état
Mendonça Corte-Real 1 ) : « Lord Bolingbroke m'a dit.. . que
quoique les Français à Utrecht eussent déclaré qu'ils vou
laient la navigation de la Rivière des Amazones, je pouvais
être sûr qu'ils ne l'obtiendraient pas, et que, ici même, la
Reine l'avait déclaré ainsi au I )uc d'Aumont et avait ordonné
que la même déclaration fût faite au Roi de France par
le Duc de Shrewsbury, que cette affaire était de l'intérêt
commun de toute l'Europe et qu'elle ne s'en désistera pas,
parce que, d'après les informations qu'elle avait, l'entrée
des Français dans cette Rivière pouvait les rendre maîtres
non seulement du Brésil, mais du Pérou. »
L'intérêt commun de l'Europe exige qu'on éloigne les
Français de l'Amazone, telles étaient la conviction et la
décision du gouvernement anglais. Brochado estimait que
c'était en grande partie à ses efforts que ce résultat était
l ) R . B . II , pp. 449 et suiv.. publie la lettre de da Cunha Brochado, en portugais avec une traduction française. M. F . II, pp. 63 et suiv., reproduit la seconde moitié du document composée de deux parties distinctes. L e s traductions que les parties ont produites de ces lettres ne concordent pas entièrement.
— 2 8 5 —
dû. il fait rapport ensuite sur les événements postérieurs à la lettre que, le 6 décembre 1712 le roi de Portugal avait écrite à la reine d'Angleterre et aux conférences qu'il avait eues avec les ministres anglais: « Les ministres d'ici... s'appliquent avec toute activité à réparer les fautes qu'ils ont commises au commencement de cette malheureuse négociation» 2 ) . Il ne fonde pas de trop grandes espérances sur leur pouvoir; il a plus de confiance dans leur bonne volonté dont ils ont donné des preuves une fois qu'ils furent fixés sur l'importance de la question de l'accès de l'Amazone, au sujet de laquelle il leur a donné les renseignements qu'il avait réunis à Paris au temps de la conclusion du « Traité provisionnel » 3) de Lisbonne.
Dans cette lettre du 14 février, Brochado relatait avoir transmis le même jour aux plénipotentiaires portugais à Utrecht des communications circonstanciées 4). Il invitait le comte de Tarouca à ne pas négocier plus longtemps avec les Français « en ce qui concerne le Maranhão » : « V . Excellence ne doit pas entrer en matière avec les Français, soit en discutant la propriété, soit en faisant une concession quelconque. . . Après les extraits, que j 'a i remis de nos traités du Maranhão . . . cette négociation a été entièrement placée entre les mains de la Reine, qu i . . . parle et s'occupe de cette affaire, et avec grand intérêt pour celle de Maranhão, qui est le seul sujet sur lequel ces Ministres se montrent fermes, en déclarant qu'il leur faut que les Français renoncent absolument à ces terres. »
1) Voi r ci-dessus, page 255. 2) R. B . II, page 451, M. F . II, page 64. 3) Conf, supra page 271. 4 ) R . B . II, pp. 453 et suiv., donne en portugais, avec une traduction
française, un passage de cette lettre adressée au comte de Tarouca, British Museum, London, Mss. Add. 20, 819.
Brochado parle ici de l'Estado Maranhão, y compris le territoire en litige, auquel, selon lui, le gouvernement anglais exige que la France renonce complètement.
Il ne manque pas d'expliquer au comte de Tarouca aussi les services qu'il a rendus dans l'affaire ; il lui expose qu'il a détruit la « prétendue autorité de deux livres de voyage faits par deux pauvres capucins » 1) et rappelle que lors des négociations de 1700: «j 'a i suggéré à notre Cour que le Pape ou le Roi Guillaume pourrait être notre arbitre»; il marque quelque mécontentement à l'égard de la diplomatie portugaise d'alors : « mais nos Ministres se sont montrés si pressés qu'il n'ont rien voulu attendre».
Dans les lettres qu'il envoyait tant à Lisbonne qu'à Utrecht, Brochado n'avait rien exagéré touchant la ligne de conduite que l'Angleterre entendait suivre désormais.
Trois jours plus tard déjà, soit le 17 février, le gouvernement anglais adressait à la France son ultimatum.
L'ambassadeur d'Angleterre à la cour de France, le due de Shrewsbury, fut chargé de remettre cet ultimatum. Lord Bolingbroke lui écrivit le 17 février 2 ) :
La conduite de S a Majesté paraîtra droite et cohérente (fair and uniform) à tout le monde, tandis que celle de la cour de F rance aura un aspect tout contraire, si la France ne se prête pas sans délai à conclure la paix avec l'Angle-
1) Ce sont la relation du voyage de P. Claude d'Abbeville « qui lit imprimer sa relation en 1613 à Paris , chez François Huby » et celle du P . d'Yves d'Evreux «compagnon du père Claude», dont la «Suite de l'histoire des choses plus memorables avenues en Maragnon es années 1613 et 1 6 1 4 . . . fut imprimée chez le mesme François Huby en 1615 ». L a réplique de Rouillé de 1699, M. F . II, pp. 33 et 34, fait état de ces relations.
2 ) R . B . Il, pp. 457 et suiv., Foreign Office, London, Treaty Papers, n° 91.
286
— 2 8 7
terre et accepte les ouvertures que Shrewsbury est chargé de lui faire, soit dans une conférence avec les ministres français, soit par un mémoire présenté au ministre de Torcy ou par ces deux moyens :
La reine a jusqu'ici différé l'ouverture du Parlement dans l'espoir que les quelques difficultés (these few difficulties) qui n'ont pas encore reçu leur solution, soit dans le traité de paix et de commerce entre la Grande-Bretagne et la France, soit dans la discussion des intérêts des alliés de l'Angleterre, seront bientôt aplanies. S a Majesté demande que les contestations pendantes entre l'Angleterre et ses alliés d'un part, et la France d'autre part, soient tranchées en conformité des documents joints à sa déclaration (n" 1 et n° 2). Ces documents seront remis « comme l'ultimatum de la Reine aux Français » (as the Queen's Ultimatum to the French).
Quant au Portugal, Bolingbroke dit avoir quelque raison de croire que la demande faite en faveur de cette puissance sera très peu goûtée à la cour de France (will go very hardly down at the French Court) et cependant, il n'y a rien de plus raisonnable pour la France que de consentir à ce que la reine propose. Le Portugal 1) avait le
-
1) « Portugal was entitled to demand a considerable Barrier , and whatever contempt the French Ministers may think fitt to treat the Portuguese with, yet they ought to pay respect to this pretension, since it was become Her Majesty's pretension by the engagements she entered into when she made the Treaty of 1703. This Barr ier is at once given up, and in lieu thereof a promissary security only is demanded of France and Spain. Now since the Portuguese do consent to accept of this security, in lieu of that which they had stipulated for themselves, and since the Queen's honour is concerned not to oblidge them to part with the one without making the other effectual to them ; it is to be considered, that in Europe no attempt can be made upon the Nation, which the Crown
droit de demander une barrière considérable (a considerable
Barrier) défendant son territoire en Europe contre l 'Espagne
et, quel que soit le dédain avec lequel les ministres fran
çais ont cru devoir traiter les Portugais, ils n'en doivent
pas moins respecter cette prétention qui a pour base le
traité de 1703 et que la reine a faite sienne par les enga
gements qu'elle a pris vis-à-vis du Portugal. Le Portugal
a renoncé à cette barrière par gain de paix et se conten
tera de la promesse de la France et de l 'Espagne de res
pecter sa sécurité ; l 'Angleterre veillera à l'exécution de
cet engagement. De fait, aucune attaque ne pourrait en
Europe être dirigée contre le Portugal sans que l'Angle
terre ne la repoussât immédiatement.
of Great Britain will not be almost as much at hand to oppose, as F rance or Spain can be to carry it on ; but in Brazil the case is not the same. T h e French have there slided themselves into the neighbourhood of the Portuguese, they are every day starting new pretensions and making new encroachments upon them ; the Queen is at a distance, and those feeble illgoverned Colonies may be overrun, before the news of their being attacked will arrive in London. Nothing, therefore, can be more just than tor the Queen to expect that, in consideration of what she yields (for that expression may be properly used) in Europe, France should yield something in America. Far ther the navigation of the River of the Amazons cannot but give umbrage even to the Spanyards. W h o e v e r is informed of the freshest accounts which have come from those parts, and of the latest discoverys which have been made, will easily perceive what reasons the Spanyards must have for their apprehensions. In short, my Lord, the source of the River must belong to the Spanyards and the mouth of it to the Por tuguese; and neither the French, nor the English, nor any other Nation, must have an avenue open into that Countrey. I am almost ashamed to have used so many words upon this subject, when I consider that I am arguing against an Advantage purely notional, when I am not proving that the French ought to give up what they have had an actual possession of, but am barely desiring them to forego that which they never enjoy'd but in idea », R . B . I I , p. 460—462.
2 8 8
289
« Mais l) au Brésil le cas n'est pas le même. Les Français s'y sont glissés dans le voisinage des Portugais, ils avancent tous les jours de nouvelles prétentions et y font de nouveaux empiétements ; la Reine est loin, et ces Colonies, faibles et mal gouvernées, peuvent être envahies avant que la nouvelle en arrive à Londres. Rien ne peut donc être plus juste de la part de la Reine que, eu égard à ce qu'Elle cède (expression qui est bien employée ici) en Europe, la France cède quelque chose en Amérique. En outre, la navigation de la Rivière des Amazones ne saurait laisser de donner de l'ombrage même aux Espagnols. Quiconque est informé des dernières nouvelles arrivées de ces régions et des plus récentes découvertes qui y ont été faites, comprendra facilement les raisons sur lesquelles les Espagnols doivent fonder leurs appréhensions 2 ) . Enfin, my Lord, il faut que la source de la riviere appartienne aux Espagnols et son embouchure aux Portugais ; et ni les Français, ni les Anglais, ni aucune autre nation ne doivent avoir une avenue ouverte sur ce pays. Je suis presque honteux d'avoir insisté si longuement sur ce sujet, quand
je considère que je discute un avantage purement imaginaire, lorsque je n'ai pas à prouver que les Français doivent renoncer à une chose dont ils aient eu la possession effective, mais simplement à ce dont ils n'ont jamais eu la jouissance que par l'idée. »
Le premier document 3 ) accompagnant cette lettre était : № 1. Mémorial of the Queen's last resolutions upon the
différences in the Treaty of Peace and Commerce, between
Her Majesty and the most Christian Ring, et le deuxième :
1) R . B . II, page 461. 2) Visiblement inspiré par la thèse de Brochado. 3) R . B . II, pp. 465, 466.
19
2 9 0 —
№ 2. Memorial of the differences relating to the in-terests of the Allies, and others, with the Queen's ultimate resolution upon each h e a d 1).
Ce deuxième mémoire oppose « The Queen's Proposais » aux propositions de la France concernant le Portugal et ainsi conçues : « L e Roi Très-Chrétien offre de convertir le Trai té provisionnel conclu entre la France et le Portugal en Traité définitif, sous reserve 2 ) de la navigation du fleuve des Amazones, laquelle appartiendra en commun aux deux nations». « T h e Queen's Proposais» 3 ) stipulent:
« L e Portugal, dans l'intérêt de la paix et par déférence pour la Reine, ayant consenti à renoncer à la barrière 4 ) à laquelle il avait droit de s'attendre d'après leur Traité, S a Majesté se voit dans l'obligation d'insister en sa faveur pour que la France et l 'Espagne, dans les termes les plus forts et les plus clairs, s'engagent à ne pas inquiéter 5 ) les possessions du Portugal, ni de lui donner aucun trouble, sous n'importe quel prétexte, soit en Europe, soit aux Indes Occidentales ou dans toute autre partie du monde. Que les dures vexations imposées au Portugal par la France dans le Trai té Provisionnel (dont une copie est envoyée avec le présent document de même qu'un exposé de la question tel qu'il a été donné par le Ministre de Portugal ici) soient complètement levées 6) ; que, dans ce but, la Reine insiste
l ) T e x t e anglais et traduction française, M. F . I, page 64 ; II, pp. 65, 66 ; R . B . II , page 466. L e s traductions produites par les parties présentent quelques divergences entre elles.
2) « Reserving » selon R . B . II , page 466, tandis que par erreur, M. F . I, page 64, II , page 66, porte « referring » d'où « se référant ».
3 ) M. F . I, pp. 64, 65, II , 65, 66, R . B . II , pp. 466, 467. 4 ) M. F . I, page 64 : « limite » ; texte anglais : barrier. 5) M. F . , 1. c. : « à ne point molester » ; texte anglais : not to molest. 6) M. F . , 1. c. : « Que les charges imposées. . . . soient entièrement abo
l i e s» ; texte anglais: That the hardships imposed shall be wholly removed.
291 —
pour que la France renonce à toutes ses prétentions à la
liberté de la navigation du fleuve des Amazones ; qu'il soit
entendu pour l'avenir que tant le côté nord que le côté sud
de ce fleuve appartiennent aux Portugais 1) ; qu'ils rentre
ront dans la possession du pays que, par le traité ci-dessus
mentionné, ils furent forcés d'abandonner ; que le susdit
Traité sera rendu définitif de telle sorte que le droit sur la
région, tenu en suspens, soit entièrement laissé, et reste pour
toujours 2 ) , à la Couronne de Portugal, et que les limites
soient clairement et distinctement établies 3 ) dans un Traité
entre la France et le Portugal, de sorte qu'il ne soit laissé
de place pour aucune contestation dans l'avenir à ce sujet.
A tout cela la Reine promet de donner sa garantie. »
Pour bien faire ressortir la portée de cette déclaration,
il en faut énumérer les points principaux dans un ordre
systématique :
1. En Europe, le Portugal renonce à la barrière contre
l'Espagne, qu'il est en droit de revendiquer en vertu du
traité conclu par les alliés en 1703 ; il se contente d'un
engagement exprès et solennel (in the strongest and clearest
terms) par lequel la France et l'Espagne déclareront ne vou
loir inquiéter ses possessions dans aucune partie du monde.
2. Le traité qu'il s'agit de conclure se rattache au traité
provisionnel de 1700. On entend exprimer par là que l'objet
1) M. F . , L e : « Que la rive septentrionale aussi bien que la rive méridionale de cette riviere soient considérées à l'avenir comme appartenant aux Portugais » ; texte anglais : that the north as well as the south side of that River shall to the future be understood to belong to the Portuguese.
2 ) M. F . , l. c. : « Que les droits sur la région jusque là réservée soient entièrement abandonnés et demeurent pour toujours» ; texte anglais: that the right of the Country thereby kept in suspense shall be entirely given up and remain for ever.
3 ) M. F . , l. c. : « définies » ; texte anglais : settled.
— 2 9 2 —
du traité reste le même qu'en 1700. 11 est déclaré à cet
égard :
a) les « hardships » l ) , les vexations et les duretés que
le traité provisionnel a fait subir au Portugal, cessent ;
b) les Portugais « rentrent dans la possession du pays
que par le traité ci-dessus mentionné, ils lurent forcés d'a
bandonner » (shall enter again into the possession of the
country which by the above mentioned Trea ty they were
obliged to abandon) ;
c) « le droit sur le pays tenu en suspens sera entière
ment laissé (par la France) et reste pour toujours à la
Couronne de Portugal » (the right of the country thereby
kept in suspense shall by entirely given up and remain for
ever to the Crown of Portugal) ;
d) « les limites seront clairement et distinctement éta
blies dans un traité entre la France et le Portugal, de
sorte qu'il ne soit laissé de place pour aucune contestation
dans l'avenir à ce sujet » (the boundaries shall be so clearly
and distinctly settled in a Trea ty between France and
Portugal that no room may be left for any future dispute
upon this head).
3. Il est décidé en outre :
a) « L a France renonce à toutes ses prétentions à la
liberté de la navigation du fleuve des Amazones » (France
shall depart from all pretentions to a freedom of naviga
tion in the River of the Amazons).
b) « 11 est entendu pour l'avenir que tant le côté nord
que le côté sud de l'Amazone appartiennent aux Portugais »
(the north as well as the south side of that River shall for
the future be understood to belong tho the Portuguese).
1) L e mot a un sens plus étendu que le terme « vexations » même renforcé du qualificatif « dures ».
2 9 3
c) (Ne se trouve pas dans le mémoire, mais dans la
dépêche de Bolingbroke, voir ci-dessus, page 289.) L a source
de l'Amazone doit appartenir aux Espagnols et son embou
chure aux Portugais, à l'exclusion de toute autre nation
(the source of the River must belong to the Spaniards and
the mouth of it to the Portuguese ; and neither the French,
nor the English, nor any other Nation, must have an avenue
open into that Country).
Voici les clauses essentielles 1) :
1. La libre navigation de l'Amazone n'est pas garantie
aux Français.
2. L e bord septentrional et le bord méridional de l'Ama
zone appartiennent au Portugal, ce qui comprend la navi
gation du fleuve.
3. Un traité devra délimiter clairement et d'une manière
qui ne laisse place à aucune contestation le territoire jus
qu'alors contesté, désormais propriété du Portugal.
1) On remarquera en quels termes l'ambassadeur de France à Londres, le duc d'Aumont, exposait dans sa dépêche au roi du 2 mars 1713 les revendications de l 'Angleterre (M. F . I, pp. 65 et suiv.. Affaires étrangères, Angleterre, t. C C X L I V , fol. 42) : « L a Reine étant à portée de soutenir la garantie de Portugal, il n'est plus question que de chercher une plus grande précaution pour la sûreté du Brésil et en ce cas on n'oste rien à la France. Mais il faut qu'elle se départe de deux choses à l'égard de sa prétention de la libre navigation de la riviere des Amazones. Il faut qu'elle en laisse la source aux Espagnols et l'embouchure aux Portugais. L 'Angleterre entrera dans la même stipulation que la France à cet égard. Il faut également laisser aux Portugais la coste de cette riviere, tant du côté du nord que du côté du sud, et que le pays dont il y avait un accord provisionnel soit cédé définitivement aux Portugais. » Toutes les revendications essentielles de l 'Angleterre sont indiquées et comme telles aussi bien la revendication de « la propriété exclusive de l'embouchure du fleuve des Amazones » pour le Portugal (M. F . I, page 66), que celle visant « le pays dont il y avait un accord provisionnel soit cédé définitivement aux Portugais ».
— 2 9 4 —
6.
L'ultimatum de l'Angleterre décida du sort de la suite des débats sur l'affaire du Portugal. Deux points principaux restaient à liquider: il fallait en premier lieu, faire accepter par la France les demandes formulées par l'Angleterre le 17 février, en second lieu, donner au nouveau traité portugais sa forme définitive et une sanction sur la base des revendications admises.
L'une de ces négociations se poursuivait à Versail les, l'autre à Utrecht.
L e soin de mener à bien la première incombait à l'ambassadeur d'Angleterre, le duc de Shrewsbury, à qui lord Bolingbroke avait remis l'ultimatum du 17 février. Shrewsbury ne notifia pas tout de suite l'ultimatum officiellement au gouvernement de Louis X I V ; il conféra préalablement avec de Torcy , le ministre français des affaires étrangères ; de là vient que les demandes de l 'Angleterre reçurent, le
6 mars 1713, une rédaction 1) dont les termes ont été vraisemblablement arrêtés par Shrewsbury et de Torcy . Le 7 mars, le gouvernement français envoya ces demandes à ses plénipotentiaires à Utrecht 2 ) , tandis que Shrewsbury, de son côté, se conformant aux instructions de Boling-
1) M. F . I, page 67, II, pp. 67 et suiv. Dans le second mémoire, l'ultimatum anglais est désigné sous le titre de « Mémoire de la reine de la Grande-Bretagne (mars 1713) » ; le document se trouve aux Archives des Affaires étrangères, Corresp. d'Angleterre, t. C C X L I V , fol. 49 ; reproduit également sous le titre : « Dernières propositions de la Reine Anne » dans R . B . II, pp. 479 et suiv., d'après la copie d. d. « Versai l les , le 7 mars 1713 », Public Record Office, London Foreign Office, Trea ty Papers, n°91 .
2) M. F . II, page 67 : « Remis le 6 e mars par M. le duc de Shrewsbury. Envoyé à MM. les Plénipotentiaires, le 7 e mars 1713 », Affaires étrangères, 1. c , t. C C X L T , fol. 49.
— 2 9 5 -
broke 1), les adressait aux plénipotentiaires anglais, avec une
dépêche ainsi conçue 2 ) : « Upon the Directions which I re
ceived from the Queen of the 17 t h and 18 t h February O. S.
by which her Majesty explained her ultimate resolutions on
the points which remain unsettled in the General Plan of
Peace as well in relation to her own interests as to those
of her Allyes, I have conferred with Mounsieur Torcy, and
for help of his memory, as well as to avoid any mistake
which may happen in a matter of so great importance, I
gave him a paper containing every point in which Her
Majesty demands satisfaction, a copy of which paper I
send your Exellencies enclosed. »
L'ultimatum de l'Angleterre, dans la teneur qu'il avait
reçue le 6 mars, stipulait quant au Portugal 3 ) :
« Comme la Reine est bien asseurée de la part du Roy
de Portugal, que ce Prince est dans le dessein 4 ) de signer
la Paix en même tems que Sa Majesté, pourveu qu'il ait
une satisfaction entière sur les points suivants :
Elle insiste :
Que la France et l'Espagne s'engageront en termes
formels et clairs, a ne point inquieter les Domaines, Terri
toires, ni les sujets du Roy de Portugal, soit en Europe,
ou dans les Indes, sous quelque pretexte qu'il puisse être.
Que les Traités faits par provision avec le Roy de Por
tugal, seront convertis en Traité définitif, dans lequel sera
1) R. B . H, page 484 : « I give you the earliest notice, as I am advised from the Lord Bolingbroke to do . . . » d'après la dépêche de Shrewsbury du 7 mars 1713.
2) Dépêche de Shrewsbury aux plénipotentiaires anglais à Utrecht du 7 mars 1713, R. B . II, pp. 483-485, Foreign Office, London, Treaty Papers, n° 91, Paris Letters 1712 à 1713.
3 ) M. F . II, page 68 ; R . B . II, page 480. 4 ) R . B . II, page 480 : dessin.
— 2 9 6 —
aussi stipulé et accordé: Que pour mieux asseurer aux
Portugais la paisible jouissance de leurs Colonies en
Amerique, les Français desisteront de toute pretension
à la liberté de la navigation sur la Riviere des Ama
zones, et que le rivage de cette Riviere, tant du côté
septentrional que meridional, appartiendra desormais aux
Portugais.
Comme aussi qu'ils rentreront dans la possession des
Pa ï s qu'ils étoient obligés de quitter en vertu du Trai té pro-
visionel, pour en jouir des à present, sans y être en aucune
maniere inquietés de la part des François.
Que les limites entre les possessions des Portugais
establies (comme il est cy dessus enoncé) et celles que les
François pourroient avoir sur les mêmes côtes, seront
reglées et determineez de telle maniere que de prevenir
tout sujet de dispute qui y puisse naître à l'avenir.
En consideration de ces articles accordez, et de la
satisfaction que le Roy de Portugal pretend de la part de
l 'Espagne a l'égard de la Colonie du Sacrement, et de ce
qui reste à liquider entre ces deux Couronnes sur quelques
dettes de l'Assiento, dont on ne disconvient pas : Sa Majesté
Portugaise desistera de toute pretension à l'égard de la
Barr iere sur quelques places qui soient sur le continent de
l 'Espagne et la Reine deviendra garante des conditions de
Pa ix entre la France, l 'Espagne et le Portugal. »
Les « Queen's Proposais » du 17 février ont subi dans
leur teneur du 6 mars des modifications notables :
1 . Tout en mentionnant que le roi de Portugal est dis
posé à conclure la paix sur la base des conditions qui lui
sont soumises, l'acte ne dit plus, comme le faisaient les
« Proposais », qu'il agit par déférence « to the Queen » ; en
revanche, il n'est plus question des engagements de la
reine envers le Portugal.
— 2 9 7
2. Le Portugal renonce à la « barrière » à l'égard de
l'Espagne, par la raison, entre autres, qu'il a été donné
suite à ses réclamations relatives à la Colonie du Sacre
ment, etc. ; c'est une adjonction au texte du 17 février.
3. Il n'est fait aucune mention des « hardships » qu'en
gendra le traité provisionnel de 1700 ; la note, entre
parenthèse dans les « Proposais », relative à la copie du
traité provisionnel et à l'exposé de la question par le
ministre da Cunha Brochado joints au document, est sup
primée. Ces passages sont remplacés par une phrase:
« Que les Traités faits par provision avec le Roy de Por
tugal seront convertis en Traité définitif », qui dans les
« Proposais » figure presque en dernier lieu.
4. A la clause par laquelle la France renonce à la libre
navigation de l'Amazone, on donne pour motif, au lieu de
la suppression des «hardships», qu'il en est fait ainsi « pour
mieux asseurer aux Portugais la paisible jouissance de
leurs Colonies en Amerique » ; et cette adjonction s'ap
plique aussi à l'attribution au Portugal des deux rives de
l'Amazone.
5. L e territoire qu'il s'agit de délimiter est désigné en
termes plus précis : « les limites entre les possessions des
Portugais establies (comme il est cy dessus enoncé) 1) et
celles que les François pourroient avoir sur les mêmes
côtes ».
Le fait que l'ultimatum, dans le texte qu'il a reçu le
6 mars, mentionne les possessions que pourrait avoir la
France, témoigne manifestement de la part que la France
a prise à cette rédaction; on n'entendait pas par là modi-
1) « Cy dessus», on mentionne comme possession portugaise: les deux rives méridionale et septentrionale de l'Amazone en général et en particulier le territoire évacué en vertu du traité provisionnel.
— 2 9 8 —
fier les «Proposais» du 17 février à l'égard de la France sur la question de la délimitation du territoire contesté.
Ces modifications apportées au texte des « Proposais » n'ont pas trait à la substance même de cet acte, car le 6 mars les demandes essentielles de l'Angleterre étaient toujours les suivantes :
1. La France renonce à toute prétention relativement à la libre navigation de l'Amazone.
2. Les deux rives, méridionale et septentrionale, de ce fleuve appartiennent au Portugal.
3. Au Portugal appartient notamment le territoire évacué en vertu du traité provisionnel.
4. Du côté des possessions françaises, la frontière devra être déterminée de manière à écarter tout conflit à l'avenir.
L e 7 mars, Louis X I V joignit à l'ultimatum anglais une lettre, adressée à ses plénipotentiaires à Utrecht, dans laquelle il acceptait expressément les revendications de l 'Angleterre 1 ) . Il annonce l'envoi de la ratification du traité de suspension d'armes conclu avec le Portugal, en ajoutant toutefois qu'il a lieu de croire que la paix avec cette puissance sera bientôt faite « toute difficulté sur ce sujet estant levée par le consentement que j'ay donné aux dernieres propositions que le Duc de Shrewsbury m'a faites suivant les ordres qu'il en a receus de la Reyne de la Grande Bretagne ».
11 écrit au sujet des demandes formulées par la reine Anne en faveur du Portugal : « Quoyque les Portugais n'ayent ni raison ni prétexte de prétendre ce qu'Elle demande pour eux, je veux bien cependant l'accorder
1) R . B . II , pp. 487 et suiv., Foreign Office, London, Treatv Papers n° 112, D.
2 9 9 —
plutost que de retarder la conclusion de la paix. » Et il donne en conséquence pour instruction à ses plénipotentiaires : «Ainsy vous ne f e r e z nulle difficulté de signer les articles qui regarderont le Portugal de la manière que la Reyne de la Grande Bretagne le demande, et qu'il est porté par l'extrait que je vous envoye ».
Par là commence l'acte final du congrès d'Utrecht. Les plénipotentiaires français connaissaient, par ces
communications du 7 mars, l'état de la contestation entre le Portugal et la France et la ligne de conduite qu'ils avaient à suivre leur avait été tracée.
D'autre part, les plénipotentiaires anglais avaient reçu de leur gouvernement des nouvelles et des instructions qui, en les mettant au courant des événements survenus depuis la conférence du 9 février, leur permettaient de prendre position en toute connaissance de cause. Lord Boling-broke avait, le 17 février, répondu à leur rapport du 10 du même mois l ) : qu'ils avaient eu bien raison de se joindre aux Portugais pour repousser les nouvelles demandes (innovations) des Français. L a reine ne peut pas accorder aux Français la libre navigation de l'Amazone. « Aucune de leurs prétentions — écrivait Bolingbroke — sur le littoral du Brésil ne peut être admise non plus, attendu qu'elles ne leur sont d'aucune utilité ni d'aucun avantage à présent et ne visent qu'à servir de base à toutes les tentatives qu'ils pourraient trouver l'occasion de faire plus tard, ou à des motifs pour provoquer des démêlés avec le Portugal toutes fois qu'il leur conviendra d'en avoir 2 ) ».
1) R. B . II, pp. 471 et suiv., Public Record Office, London, Treaty Papers, Utrecht, n» 109; la date de la réponse (10 février) est inexacte.
2 ) « Neither are any of their pretentions on the coast of Brazil to be admitted, which are of no use or advantage to them at present, but are only aim'd at to serve as a foundation to any attempts they may find
L e 20 février 1), il leur avait envoyé une copie des
«Proposals» du 17 février, en leur recommandant de les tenir
pour des instructions auxquelles ils auraient à se conformer
sitôt qu'ils en auraient reçu l'avis du due de Shrewsbury.
Cet avis leur parvint, ainsi qu'il est dit ci-dessus (pages
294, 295), le 7 mars. «C'est avec une grande satisfaction»,
écrivait le duc de Shrewsbury, « que je mande à Vot re
Excellence que Monsieur de T o r c y a soumis toute l'affaire
au Roi, son Maître, que Sa Majesté en a délibéré ce matin
avec le Conseil des Ministres et qu'Elle a déclaré accepter
entièrement chaque clause 2 ) . » Cela étant, les plénipoten
tiaires pouvaient signer le traité sans autre délai et il était
probable que le Portugal, ainsi que la Hollande et la
Savoie, signeraient également. Il est vrai, continuait Shrews
bury, qu'immédiatement après s'être décidé, le roi s'était
plaint de l'injustice commise à son égard sur deux points,
dont l'un concernait la libre navigation de l 'Amazone;
aussi le roi s'était-il réservé de les soumettre 3 ) à nouveau
à la reine pour pouvoir, entre la signature et la ratifica
tion du traité de paix, insérer dans cet acte les modifi
cations qu'il espérait obtenir 4 ) .
opportunity to make hereafter or for a pretence to quarrel with Portugal whenever it shall be to their purpose to do it », R . B . II, page 473.
1) R . B . II, pp. 475 et suiv. Public Record Office, London, Treaty Papers, Utrecht, n° 109.
2) R . B . II, page 4S4. 3 ) L e passage complet est : . . . . « this King consents that they (sc.
two points) shall be submitted to the Queen, reserving to himself the liberty of laying before her Majesty the justice of these his pretensions, that in case she may think fitt to recede in any part from what he esteems rigourous in these two Articles they may be explained or allowed between the signing and the ratifying of the Peace », R . B . II, pp. 484, 485.
4) Dans ses « Réflexions sur; le Tra i té de Paix . . . . conclu à Utrecht », R . B . II, page 522, de Lima premier secrétaire des plénipotentiaires por-
3 0 0
301
La dépêche de Shrewsbury, du 7 mars, parvint à Utrecht le 11 mars, en même temps que des nouvelles de Londres
Les plénipotentiaires portugais eurent connaissance immédiatement des informations reçues par les plénipotentiaires anglais ; depuis la conférence du 9 février, la bienveillance de l'évêque de Bristol et de lord Strafford leur était acquise 2 ) . Le jour même de l'arrivée de la dépêche, les plénipotentiaires anglais convoquèrent leurs collègues portugais à une conférence où ils leur communiquèrent les nouvelles de Londres et de Paris, en ajoutant que Bro-chado leur ferait probablement rapport directement de Londres, mais qu'il ne savait pas encore ce qui s'était passé à Paris.
Cela permit aux plénipotentiaires portugais de donner avis à leur gouvernement 3 ) que la reine avait adressé à Louis X I V un ultimatum 4 ) dans lequel il était demandé pour le Portugal :
tugais, rapporte dans le même sens : « . . . . que si, avant la notification, le Roi convainquait la Reine de son droit à cette navigation, l'article fût corrigé . . . . »
1) M. F . I, page 69 ; II, pp. 70, 71 ; M. B . I, page 215. 2) Voi r la dépêche des plénipotentiaires anglais à Bolingbroke, du
28 février 1713, R. B . II, page 477, Foreign Office, London, Treaty Papers, n° 97.
3) De Tarouca et Luis da Cunha au secrétaire d'état portugais Mendonça Corte-Real, M. F . Il , pp. 70-72, R . B . II, pp. 489 et suiv., I V , pp. 155 et suiv.
4) C'est l'ultimatum en sa teneur du 6 mars, ainsi qu'il résulte de sa reproduction dans le rapport des Portugais et de l'indication précise fournie par les plénipotentiaires français en date du 13 mars: «Les Plénipotentiaires d'Angleterre ont parlé à ceux de Portugal pour les porter à conclure avec nous suivant ce qui est porté dans le mémoire envoyé par le duc de Shrewsbury », R. B . II, page 493. Bien que les plénipotentiaires anglais eussent les « Proposais » du 17 février, ils ne les ont pas
— 3 0 2 —
« Que le traité provisionnel du Maranhão ne demeurerait pas définitif dans la forme que les François le proposaient, mais qu'ils se désisteraient dans les termes les plus forts de la prétention d'entrer dans le fleuve des Amazones, sans avoir plus de liberté ou de possession que ce qu'ils avaient auparavant.
Que les terres de l'une et de l'autre partie du fleuve demeureraient dans la possession du Portugal, et que nous pourrions conserver les terres contestées et relever les forts qui avaient été démolis. »
Ils sont à même de rapporter que : « L e Roi de France a accordé les susdites prétentions», et d'ajouter: « Pour ce qui touche les prétentions en Amérique, nous sommes satisfaits dans la partie principale qui était l'affaire avec la France ».
Considérant toutefois que « ce qui nous est assuré au Brésil revient trop cher en vue de ce que nous renonçons à acquérir sur nos frontières » (la barrière contre l 'Espagne en Europe), les plénipotentiaires n'entendent pas hâter la conclusion de la paix ; ils écrivent : « Nous ne risquons rien par le délai, parce que les Anglais ne se départiront pas de l'ardeur qu'ils ont montrée dans la question du xMaranhão, vu qu'ils agissent dans leur intérêt propre ». Peut-être aussi « les accidents qui peuvent survenir » augmenteront-ils les chances en faveur de l'obtention de la barrière.
L'attitude de l'Angleterre et les résultats dus à son intervention avaient rassuré les plénipotentiaires portugais, chez qui le découragement fit place à la confiance.
communiqués aux Portugais. L e 11 mars, ceux-ci apprirent pour la première fois ce qu'il en était de l'ultimatum, ainsi que le démontre leur rapport.
— 3 0 3
En tergiversant, sous prétexte de n'avoir pas reçu d'instructions 1 ) , ils comptaient gagner davantage. Mais ils se virent contraints de ne pas ajourner plus longtemps la rédaction du projet de traité 2 ) . Le 17 mars, ils promettaient à l'évêque de Bristol de lui remettre au premier jour un projet de traité de paix entre la France et le Portugal qui serait conforme aux clauses de l'ultimatum de Shrewsbury et n'y ajouterait rien 3).
Malgré cela, les plénipotentiaires portugais auraient bien voulu introduire dans le traité la question de la « barrière » et d'autres encore, mais les Français protestèrent contre toute mention des affaires espagnoles. Et lorsque les Portugais revinrent à la charge auprès des plénipotentiaires anglais, ceux-ci se bornèrent à déclarer que la conclusion de la paix dépendait de la renonciation à la Barrière, que les Portugais avaient à rédiger leur projet selon ce plan et que « ce devait être pour la nuit même. » Dom Luis da Cunha qui raconte le fait dans ses mémoires, ajoute : « Il nous fallut travailler toute la nuit, non pas pour combiner les matières des articles, car nous les avions assez examinés entre nous, mais pour les placer dans l'ordre convenable et dans les deux langues portugaise et française 4).
Cela se passait dans la nuit du 19 au 20 mars. Le 20 mars au matin, le projet était prêt ; il fut remis dans la
1) R . B . II, pp. 493 et suiv. 2 ) Ainsi que les Portugais, les autres alliés de l 'Angleterre avaient
à préparer les projets de traité de paix qu'ils devaient soumettre à la France. Luis da Cunha écrit dans ses mémoires (R. B . II, page 497, note) : « A ce moment, les Plénipotentiaires des Alliés travaillaient aux minutes de leurs traités ».
3 ) Dépêche de l'évêque de Bristol au gouvernement, du 17 mars 1713,
R . B . II, page 494, Record Office, London, Treaty Papers, Utrecht, n° 97. 4 ) R . B . II, page 497, note.
journée à lord Strafford qui le transmit aux plénipotentiaires français ; ceux-ci l'envoyèrent à la cour de France l ) . Da Cunha dans ses mémoires explique cette hâte par la nécessité où l'on fut de permettre au maréchal d'Uxelles, qui n'entendait prendre aucune responsabilité, d'écrire au marquis de To rcy 2 ) .
Le projet rédigé en cette seule nuit-là est devenu le traité de paix, sans avoir, pour ainsi dire, subi de modi
fication.
Les constatations ci-après se dégagent du projet de traité 3) :
1° Le projet a été rédigé par les plénipotentiaires portugais uniquement et cela dans le texte portugais aussi bien que dans le texte français.
Aussi l'orthographe des noms propres est-elle portugaise ; c'est Massapa et non Macapa, Japoc au lieu d'Oyapoc. De l'Oiapoc ou Ojapoc des Portugais, que mentionne le traité provisionnel, on a retranché l'O, qu'on prenait peut-être pour l'article en portugais. Ainsi on obtenait un Japoc ou Yapoc, comme le nommait Brochado, par exemple, qui, au fait de toute la question, était assez écouté des plénipotentiaires portugais pour que ceux-ci aient adopté son orthographe.
De là vient aussi que le Vincent Pinçon, dénomination usitée chez les Portugais, figure là où l'on veut parler de l 'Oyapoc ou Vincent Pinçon.
1) Communication des plénipotentiaires portugais à leur gouvernement, en date du 24 mars, R . B . I l , page 497 (avec une copie du projet) et des plénipotentiaires anglais à Bolingbroke, du 21 mars, ibidem, page 495.
2 ) R . B . I I , page 497, note. 3 ) L e s art. 8-13 du projet, avec les observations des plénipotentiaires
portugais sont reproduits, en français et en portugais, par M. F . Il, pp. 73 et suiv., Archives du comte de Tarouca « d'après l'exemplaire de la Bibliothèque Nationale de Lisbonne », et dans M. B . II, pp. 499 et suiv., I V , pp. 163 et suiv.
3 0 4
2 ° Abstraction faite des sept premiers articles, qui n'ont pas de rapport avec le présent litige, les dispositions du projet sont empruntées à l'ultimatum de Shrewsbury, à celui de Bolingbroke 1) indirectement ; elles ont pour objet :
a) Le territoire dont disposait le traité provisionnel de 1700. L'article 8 stipule que les « terres appellées du Cap du Nord et situées entre le rio 2 ) des Amazones et celui de Japoc ou Vicente Pinson 3)» sera la propriété incontestée du Portugal. On n'a donc pas jugé nécessaire de déterminer les frontières du territoire jusqu'alors litigieux autrement que par les cours d'eau frontière des Amazones et du Japoc ou Vicente Pinson 4). L'article 9 dispose qu'en vertu de l'article 8, sur le territoire compris entre les fron-
1) C'est ce que mandaient aussi, le 21 mars, les plénipotentiaires anglais à lord Bolingbroke : « The Portuguese have given us their Project agreably in the main to the contents of the Duke of Shrewsburys Memorial », R. B . II, page 495.
2 ) R . B . II, page 500 : L a Rivière. 3) R . B . II, page 500 : Vicente Pinçon ; texte portugais de R . B . I V ,
page 164 : Vicente Pinçon. 4 ) Art. 8 Afin de prévenir toute occasion de discorde qu'il pourrait
y avoir entre les sujets des deux couronnes, S a Majesté Très Chrétienne se désistera pour toujours, comme elle se désiste présentement par ce traité dans les termes les plus efficaces et les plus solennels et avec toutes les clauses qui sont requises de droit, comme si elles étaient insérées ici, tant en son nom qu'en celui de ses descendants, successeurs et héritiers, de tout droit quelconque qu'elle prétend avoir ou peut prétendre à la propriété des terres appelées du Cap du Nord et situées entre le rio des Amazones et celui de Japoc ou Vicente Pinson, sans réserver ou retenir aucune portion desdites terres, afin qu'elle[s] soient désormais possédées par S a Majesté Portugaise, ses descendants, successeurs et héritiers avec tous les droits de souveraineté, de pouvoir absolu et d'entier domaine, comme faisant partie de ses États et qu'elles lui demeurent à perpétuité sans que S a Majesté Portugaise, ses descendants, successeurs et héritiers puissent jamais être troublés dans ladite possession par S a Majesté Très Chrétienne, ni par ses descendants, successeurs et héritiers.
20
305
— 3 0 6 —
tières ainsi mentionnées, les forts portugais dont le traité provisionnel avait demandé la destruction 1) seraient rétablis et qu'il en pourrait être élevé d'autres.
En renvoyant au traité provisionnel, déclaré nul, on entend que le projet a pour objet le territoire dont disposait ce traité et que le cours d'eau frontière que cet acte mentionne n'est autre que le Japoc ou Vicente Pinson du projet.
b) Des matières dont le traité provisionnel ne s'occupe pas. Conformément à l'ultimatum, le projet dispose aux articles 10 et 11 2 ) :
L e bord méridional et le bord septentrional du fleuve des Amazones appartiennent au Portugal, et
L a libre navigation de l'Amazone est interdite aux Français .
1) Art . 9. E n conséquence de l 'article précédent, S a Majesté Portugaise pourra faire rebâtir les forts d 'Araguari et de Camau ou Mas-sapa aussi bien que les autres qui ont été démolis en exécution d'un traité provisionnel fait à Lisbonne, le 4 mars 1700, entre S a Majesté T r è s Chrétienne et le Seigneur Ro i D . Pedro II de glorieuse mémoire, lequel traité provisionnel reste nul et de nulle vigueur en vertu de celui-ci, comme aussi il sera libre à S a Majesté Portugaise d'élever les autres forts qu'il lui paraîtra bon et de les pourvoir de tout ce qui sera nécessaire pour la défense desdites terres.
2) Art . 10. S a Majesté T rès Chrétienne reconnaît par le présent traité que les deux bords de la riviere des Amazones, tant le méridional que le septentrional, appartiennent en toute propriété, domaine et souveraineté à S a Majesté Portugaise, ce pourquoi elle promet que ni elle, ni ses descendants, successeurs et héritiers ne prétendront jamais user de la navigation de ladite riviere sous quelque prétexte que ce soit.
Ar t . 11. D e la même manière que S a Majesté T r è s Chrétienne se désiste en son nom et en celui de ses descendants, successeurs et héritiers de la prétention de naviguer sur la riviere des Amazones, elle se désiste également de tout droit quel qu'il soit et de toute action qu'elle peut avoir sur quelqu'autre domaine de S a Majesté Portugaise en Amérique ou dans tout autre partie du monde.
— 307 -
c) Conformément à l'ultimatum, les articles 12 et 13 du
projet prévoient des mesures 1) destinées à garantir la pos
session accordée au Portugal 2 ) .
Sous la forme d'observations en marge des divers
articles, les plénipotentiaires portugais avaient ajouté un
commentaire du projet à l'exemplaire qu'ils adressèrent le
24 mars à leur gouvernement 3 ) .
Ils remarquent quant aux articles 8 et 9 (touchant la
renonciation de la part de la France au territoire contesté
du traité provisionnel et la construction de forts portugais) :
« Nous espérons que, dans ce 8 m e article et dans le suivant,
on n'a oublié aucune des clauses qui peuvent lui donner
plus de force et de validité».
1) Art . 12. E t comme il est à craindre qu'il y ait de nouvelles dissensions entre les sujets des deux couronnes, si les habitants de Cayenne entreprenaient d'aller commercer dans le Maranhão et dans l'embouchure de la riviere des Amazones, S a Majesté Très Chrétienne promet pour elle, ses descendants, successeurs et héritiers de ne point consentir que lesdits habitants de Cayenne, ni aucun autre de ses sujets commercent dans les endroits susmentionnés, ou dans d'autres quelconques du Brésil, comme aussi il leur est absolument interdit de passer la riviere de Vincent Pinson pour faire commerce et acheter des esclaves dans les terres du Cap du Nord.
Art . 13. S a Majesté Très Chrétienne promet aussi en son nom et en celui de ses descendants, successeurs et héritiers, d'empêcher que dans toutes les terres qui en vertu de ce traité demeurent dans la possession incontestable de la Couronne de Portugal, il n'entre des missionnaires français ou autres quelconques sous sa protection, la direction spirituelle de ces peuples restant entièrement aux missionnaires portugais ou envoyés de Portugal.
2 ) Les Anglais, ainsi que l'événement l'a prouvé tôt après, n'entendaient pas se contenter de l'interdiction faite aux Français de commercer dans l'ensemble du territoire brésilien. Les Portugais s'étaient mépris, en exprimant, comme ils le firent dans leur annotation à l'article 7, l'espoir de pouvoir faire adopter cette prohibition : « pello grande horror e eiume que os Ingleses tem mostrado a França sobre as couzas do Brazil ».
3) Conf. R. B . II, page 499.
308 —
Ils attachaient une grande importance au maintien sans changement de l'article 10 (concernant l'attribution au Portugal des deux rives de l'Amazone et l'interdiction faite aux Français de l 'accès du fleuve). Ils savaient probablement que Louis X I V reviendrait à la charge auprès de la reine au sujet de cette question-là et faisaient observer : « Il serait bon que cet article passât sous la forme dans laquelle il est, mais nous craignons qu'il n'y ait dispute à son sujet, parce que, encore que les Français nous cèdent 1) le domaine dudit bord septentrional, peut-être tâcheront-ils qu'on fasse à présent une distinction : qu'ils nous cèdent ledit bord depuis l'embouchure de ladite riviere jusqu'à nos derniers forts, mais qu'en amont de ce point l'usage de la riviere leur sera libre, dans le cas où, par la province de Guyane ou par un autre endroit, ils pourraient communiquer avec elle. »
L a question de la frontière intérieure se pose ici, sous une forme purement hypothétique, il est vrai, puisqu'on fait allusion à un danger qui pourrait surgir : les plénipotentiaires portugais redoutent qu'on décide en principe qu'entre le cours supérieur espagnol et le cours inférieur portugais, on ne réserve à la libre navigation la partie du fleuve demeurée sans maître ; cette appréhension a pour cause l'éventualité possible que les Français quelque jour « par la province de Guyane ou par un autre endroit » ne parviennent à ce tronçon du fleuve resté libre.
Il n'était pas besoin, en 1713, de tracer la frontière le long du cours moyen de l'Amazone, les Français n'avaient alors aucune possession réelle dans ces pays ; il
1) C'est à dessein qu'on a évité dans le traité le ternie « céder », ainsi que le montre une remarque de Lima au sujet de l'article 8, R . B . II, page 518.
— 309 —
suffit, pour le prouver, de rappeler l'observation de B o lingbroke au sujet du défaut de toute « possession effective » sur l'Amazone l ) .
Quant à la dernière clause de l'article 12: «Il leur (aux Français) est absolument interdit de passer la riviere de Vincent Pinson pour faire commerce et acheter des esclaves clans les terres du Cap du Nord », les plénipotentiaires portugais font observer : « Ce fut là l'occasion des disputes au sujet desquelles se fit le Traité Provisionnel de 1700. »
Cette annotation rappelle clairement toute la nomenclature usitée pour le cours d'eau frontière : la riviere qui pour de la Barre devait servir de limite du côté de sa « Guyane des Indiens», la riviere signalée et décrite par de Ferrolles en opposition à l'île Hyapoc, le cours d'eau frontière du traité provisionnel de 1700, du traité d'alliance de 1703 et du projet de traité de 1713 — c'est toujours le même cours d'eau, sous les mêmes dénominations communes : Vincent Pinçon, soit Oyapoc, soit Oyapoc ou Vincent Pinçon, soit Japoc ou Vincent Pinçon.
Les plénipotentiaires français, portugais et anglais eurent plusieurs conférences au sujet de ce projet de traité entre le Portugal et la France ; la première eut lieu le 25 mars 2). Les plénipotentiaires français ne présentèrent pas seulement leurs observations personnelles, mais encore celles qui leur avaient été communiquées de Versailles par leur gouvernement 3). Il y a lieu de retenir à ce sujet ce qui suit :
1) Voir ci-dessus, page 287, note 1, et page 289. 2 ) R . B . II, page 4 % , communication des plénipotentiaires anglais à
lord Bolingbroke, Record Office, Foreign Office, Treaty Papers, Utrecht, n° 97.
3) R . B . II, pp. ,520, 523, 524, d'après les Réflexions de Lima.
— 310 —
Sur quelques points, les termes français employés dans
le projet furent critiqués ; Luis da Cunha dit à cet égard dans
ses mémoires 1) : « Comme c'étaient nous autres qui com
posions le traité, Menager voulut paraître un grand ministre
en élevant des doutes sur les mots, dans l'impossibilité de
le faire désormais sur les choses. Nous n'avons jamais
cherché à éclaircir, si les Français avaient jugé qu'il leur
seyait mieux de nous charger de la rédaction des articles
pour qu'il leur restât la prérogative de les co r r ige r . . . ;
mais comme l'un des originaux était en français, la juste
crainte de manquer à la gravité, à la clarté et à la cor
rection des termes requis dans les traités, nous obligeait à
nous servir de certaines expressions qui donnaient lieu aux
dites remarques » . . .
Il fut donc tenu compte des observations de Mesnager
et c'est ce qui explique les différences entre le style du
traité de paix et celui du projet.
Les articles 8, 10 et 12 du projet soulevèrent des
objections plus sérieuses.
Dom Luiz Caetano de Lima, premier secrétaire de
légation du Portugal au Congrès d'Utrecht, fournit, sur les
débats que souleva l'article 8, des renseignements dans ses
« Réflexions sur le Trai té de Pa ix entre la Couronne de
France , d'une part, et la Couronne de Portugal, de l'autre,
conclu à Utrecht le 11 avril 1713 2 ) ». Il re la te : « L e s Fran
çais ont beaucoup insisté pour limiter le désistement des
terres du Cap du Nord, disant que, d'après leur démarca
tion, elles avaient toujours commencé d'un côté de la R i -
1) R . B . II, page 498. 2 ) R . B . II, pp. 517 et suiv., les reproduit en partie, avec la date du
9 avril 1713. L'original portugais des « Memorias » de L ima , dont sont tirées les « Réflexions », se trouve à la Bibliothèque Nationale de Lis bonne, Manuscrit n° 2767, Ancien fonds, K . 2. 2.
vière de Vincent Pinson ou Japoc et continué par la ligne qui se termine à la Rivière des Amazones en passant par le For t de Camaú. Ils alléguaient que cela avait été convenu dans le Trai té Provisionnel ; et que leurs dernières instructions leur ordonnaient, ou leur disaient qu'il était important d'insister pour que cette limitation fût ajoutée au présent article. Les Ministres de Portugal persistèrent à n'admettre aucune limitation, et s'en excusèrent en disant que ce point avait été réglé entre le Roi de France et la Reine d'Angleterre. » Les plénipotentiaires portugais n'entendaient par conséquent concéder aucune « limitation » du « désistement des terres du Cap du Nord » et s'en tinrent simplement à la teneur de l'article 8.
Outre les renseignements de Lima, il existe au sujet de la discussion que souleva l'article 10 une dépêche des plénipotentiaires portugais au secrétaire d'état Diogo de Mendonça Corte-Real 1 ) . Dans leurs annotations relatives à l'article 10, les plénipotentiaires avaient prévu ce qui se passerait ; ils rapportent : « La grande contestation a été sur l'Article 10, les Français prétendant que dans la cession indéfinie qu'ils nous font des deux rives 2 ) du Rio des Amazones, on posât une limite ; car il serait possible qu'une fois dépassée 3 ) l'étendue des Ter res du Cap du Nord, en amont du fleuve, ils eussent des villages 4 ) sur la même rive septentrionale ; et que nous fermions, si nous le voulions, l'entrée de la Rivière, mais que nous ne les empêchions pas, à une si grande distance de nos posses-
1) C'est la dépêche du 15 avril 1713, qui a communiqué officiellement la conclusion du traité de paix du 11 avri l ; elle est reproduite en partie dans R. B . II , pp. 509 et suiv., I V , pp. 169-172, et M. F . II , pp. 84 et suiv.
2 ) M. F . II, page 84 : bords ; texte portugais : margens. 3) M. F . II , page 84 : déterminée ; texte portugais : acabada. 4 ) M. F . II , page 84 : colonies ; texte portugais : povoaçôes.
3 1 1
3 1 2
sions 1 ) , de naviguer dans les embarcations construites dans lesdits villages 2 ) . »
Selon ce rapport officiel des plénipotentiaires portugais, les Français , comme l'avait annoncé l'annotation marginale, n'ont pas parlé d'établissements sur l 'Amazone qu'ils possédassent déjà, ils se sont contentés de dire qu'il « serait possible qu'une fois . . . ils eussent » des établissements.
L e s « Réflexions » de Lima 3 ) font la même constatation : « Les Français cherchèrent à introduire un terme dans la cession indéfinie des deux rives de l'Amazone, et une exception, pour avoir les terres qui bordent le cours supérieur de cette riviere au delà des possessions portugaises, vers le Nord, alléguant qu'il se pourrait, qu'ils y eussent quelques villages ». L a demande des plénipotentiaires français leur était dictée par une instruction qu'ils avaient en mains ; car « dans les observations qu'ils ont reçues de V e r sailles, il était dit que, quoique l'on eût promis de céder au Portugal les deux côtés de la Rivière des Amazones, il est à croire qu'on a p r é t e n d u excepter ce qui est le long des habitations Françaises du costé Septentrional qui doit appartenir aux Français, sans néantmoins pouvoir descendre la riviere 4)».
Ces « Observations » n'ont pas été communiquées à l'arbitre dans leur teneur intégrale 5 ) . Il est constant toute-
1) M. F . II, page cS5 : domaines; texte portugais: Dominios. 2 ) M. F . I l , page 84 : colonies ; texte portugais : povoações. 3) R . B . II , page 520. 4 ) Réflexions de Urna , R . B . II , page 520. 5 ) M. F . I, page 72, d'après « Affaires étrangères, Hollande, Négo
ciations d'Utrecht, 3e partie, » explique que, le 27 mars, les plénipotentiaires français, tout en reconnaissant au Portugal la propriété des deux rives du fleuve, auraient désiré en excepter « ce qui est le long de nos habitations du côté septentrional qui doit appartenir aux Français , sans toutefois pouvoir
fois qu'en 1713, il n'y avait pas d'établissements français (colonies) sur l'Amazone, d'où il faut conclure que les « Observations » de Versailles ne réclamaient pas une clause exceptionnelle en faveur d'établissements français existants; la faculté devait plutôt être laissée aux Français de s'établir une fois ou l'autre sur le cours intermédiaire de l'Amazone.
La demande des plénipotentiaires français ne fut pas accueillie. Les Portugais « se sont toujours refusés fermement à admettre aucune limitation, alléguant que le Roi Très-Chrétien avait formellement promis à la Reine d'Angleterre que les deux côtés de la Rivière des Amazones, tant le côté septentrional que le méridional, resteraient aux Portugais 1). »
Comme les plénipotentiaires portugais interprétaient l'ultimatum de l'Angleterre en ce sens qu'il fallait aussi déterminer dans une certaine mesure la frontière intérieure, ils cherchèrent une démarcation passant par l'Amazone, le Vincent Pinçon et le Rio Negro, mais ne purent y parvenir à cause de la défectuosité des cartes et « persistèrent à vouloir ces terres indéfiniment par les deux bords 2 ) . » Sur ce point encore, ils s'en tinrent simplement à l'article 10
descendre la riviere ». Bien que cette citation, surtout si on la rapproche
du passage de Lima reproduit dans le texte, donne quelques indications
sur la teneur des Observations de Versail les, elle ne prouve pas pour
autant qu'il existât en 1713 des établissements français sur l 'Amazone. 1) Réflexions de Lima, R . B . II, page 520. 2 ) Voici le passage entier dans les Réflexions de Lima : « L e s mêmes
ministres (portugais) voulurent bien également établir quelques limites, comme le disait la Reine dans l'ultimatum mentionné, faisant la démarcation de ces terres par les trois rivieres des Amazones, de Vincent Pinson et du Rio Negro ; mais n'ayant point de cartes à l'échelle et avec la clarté nécessaire, ils persistèrent à vouloir ces terres indéfiniment par les deux bords », R . B . II, page 521.
3 1 3
— 3 1 4 —
du projet et le firent adopter. Il s'en suit qu'il doit seul
faire règle.
Dans l'article 12 du projet, ainsi que clans l'article 7,
les Portugais, entre autres clauses, avaient inséré la défense
faite aux Français de trafiquer dans le Brésil en général.
L a discussion de cet article, que combattirent également
les Anglais, eut pour résultat que la clause, en tant qu'elle
impliquait une mesure générale, fut retirée et qu'avec les
restrictions qui y furent apportées, elle interdit aux Por
tugais aussi de faire le commerce à Cayenne 1).
Sur tous les points principaux, le projet de traité de
paix présenté par le Portugal l'avait emporté dans la dis
cussion. Grâce à l'aide que l'ultimatum de l'Angleterre
avait prêtée au Portugal, les modifications que réclamaient
les plénipotentiaires français ne furent pas admises.
Aussi les plénipotentiaires français acceptèrent-ils le
traité de paix, comme Louis X I V avait accepté l'ultimatum.
Ils le signèrent le 11 avril 1713, en même temps que les pléni
potentiaires portugais et en présence des plénipotentiaires
anglais 2 ) , mais firent consigner au protocole la réserve
formulée par leur roi 3 ) : « Leurs Excel lences Messieurs les
Ambassadeurs Extraordinaires de S a Majesté T r è s Chré
tienne ont déclaré en signant la paix entre le Roy leur
Maître et S a Majesté le R o y de Portugal, qu'en cas qu'avant
l 'échange des ratifications, on aurait convaincu S a Majesté
la Reine de la Grande Bretagne, et qu'elle l'ayt trouvé
juste et convenable de faire quelque changement en ce qui
regarde la navigation dans les parties supérieures de la
1) R . B . II, pp. 523 et suiv. 2 ) Dépêche des plénipotentiaires anglais à Bol ingbroke du 14 avril 1713,
R . B . I I , page 508. 3 ) R . B . II, page 507 ; conf. M. F . T, page 74.
Rivière des Amazones, on se reserve à en faire dans un
article séparé ».
Les plénipotentiaires portugais répondirent par cette
déclaration : « Qu'ils ne prenaient pas connaissance de cette
matière qui ne regardait que la Reine d'Angleterre ». Et
les plénipotentiaires anglais conseillèrent aux Portugais
« de ne faire aucun cas des prolixités du Maréchal d'Uxelles,
parce que, s'il protestait que son Maître tâcherait de con
vaincre la Reine, ils étaient certains que la Reine ne se
laisserait pas convaincre » 1).
C'est ce qui arriva ; à Londres on ne tint aucun compte
de cette réserve, et le traité de paix signé fut ratifié par
la France tel qu'il était.
Les articles 8 et suivants, importants en l'espèce, sont
ainsi conçus 2 ) :
8. Afin de prevenir toute occasion de discorde qui pou-
roit naitre entre les sujets de la Couronne de France et
ceux de la Couronne de Portugal, S a Majesté tres Chres-
tienne se désistera pour toujours, comme elle se desiste
des a present par ce Traité clans les termes les plus forts,
et les plus autentiques, et avec toutes les clauses requises,
comme si elles étoient inserées icy, tant en son nom, qu'en
celuy de ses hoirs, successeurs et heritiers, de tous droits
et pretentions qu'elle peut ou pourra pretendre sur 3 ) la
1) D'après les Réflexions de Lima, R. B . II, page 522, de même rapport des plénipotentiaires portugais du 15 avril 1713, R . B . II, page 514; conf. la dépèche des plénipotentiaires anglais à Bolingbroke, du 14 avril 1713, R . B . I l , page 50S.
2) L e s textes, portugais et français, tous deux authentiques, de l 'acte entier dans M. B . II, pp. 62 et suiv., le texte français d'après l'original de Paris dans M. F . II, pp. 78 et suiv., est reproduit ici.
3 ) L e projet du 20 mars dit : « de tout droit quelconque qu'elle prétend on peut prétendre à avoir ».
3 1 5
— 3 1 6 —
proprietté des terres appellées du Cap du Nord, et situées entre la riviere des Amazones, et celle de Japoc , ou de Vincent 1 ) Pinson, sans se reserver ou retenir aucune portion desdites terres, afin qu'elles soient desormais possedées par Sa Majesté Portugaise, ses hoirs, successeurs, et heritiers avec tous les droits de souveraineté, d'absolue puissance, et d'entier domaine, comme faisant partie de ses Etats, et qu'elles luy demeurent à perpetuité, sans que Sadite Majesté Portugaise, ses hoirs, successeurs et heritiers puissent jamais estre troublés dans ladite possession par Sa Majesté tres Chrestienne ny par ses hoirs, successeurs et heritiers.
9. En consequence de l'article precedent, Sa Majesté Portugaise pourra faire rebastir les forts d'Arguari 2) et de Camau ou Massapa, aussy bien que tous les autres qui ont esté demolis, en execution du Trai té provisionnel fait a Lisbonne le 4 mars 1700 entre Sa Majesté tres Chrestienne et Sa Majesté Portugaise Pierre 2 d de glorieuse memoire ; ledit Trai té provisionel restant nul et de nulle vigueur, en vertu de celuy-cy. Comme aussy il sera libre a Sa Majesté Portugaise de faire bastir dans les terres mentionnées au precedent article autant de nouveaux forts qu'elle trouvera a propos, et de les pourvoir de tout ce qui sera necessaire pour la deffence desdites Ter res .
10. Sa Majesté tres Chrestienne reconnoist par le present Tra i té que les deux bords de la riviere des Amazones, tant le meridional que le septentrional, appartiennent en toute proprieté, domaine et souveraineté a S a Majesté Portugaise, et promet tant pour elle que pour tous ses hoirs, successeurs et heritiers, de ne former jamais aucune pre-
1) Proje t : « ou Vicente ». 2) M. B . II, 1. c. : Araguari .
tention sur la navigation et l'usage de ladite riviere 1) sous
quelque prétexte que ce soit.
1 1 . De la mesme maniere que Sa Majesté tres Chres-
tienne se depart en son nom, et en celuy de ses hoirs,
successeurs et heritiers de toute pretention sur la naviga
tion et l'usage de la 2 ) riviere des Amazones, elle se desiste
de tout droit qu'elle pourroit avoir 3 ) sur quelque autre
domaine de S a Majesté Portugaise, tant en Amerique que
dans toute autre partie du monde.
12. E t comme il est a craindre qu'il n'y ayt de nou
velles dissensions, entre les sujets de la couronne de France
et les sujets de la Couronne de Portugal, a l'occasion du
commerce que les habitants de Cayenne pouroient entre
prendre de faire dans le Maragnan, et dans l'embouchure
de la riviere des Amazones, S a Majesté tres Chrestienne
promet, tant pour elle que pour tous ses hoirs, successeurs
et héritiers, de ne point consentir que lesdits habitants de
Cayenne, ni aucuns autres sujets de Sadite Majesté, aillent
commercer dans les endroits susmentionnez 4 ) , et qu'il leur
sera absolument deffendu de passer la riviere de Vincent
Pinson, pour negocier et pour achetter des esclaves dans
les terres du Cap du Nord. Comme aussy S a Majesté Por
tugaise promet tant pour elle, que pour ses hoirs, succes
seurs et heritiers qu'aucuns de ses sujets n'iront commercer
à Cayenne 5 ) .
1) P ro j e t : «promet que ne prétendront jamais user de la navigation de ladite riviere ».
2) P ro je t : «prétention de naviguer sur l a » . 3) Projet : « de tout droit quel qu'il soit et de toute action qu'elle
peut avoir ». 4 ) L e projet ajoutait : « ou dans d'autres quelconques du Brésil ». 5 ) L a dernière phrase : « Comme aussy. . . Cayenne » manquait dans
le projet.
317
— 318 -
13. Sa Majesté tres Chrestienne promet aussy en son nom, et en celuy de ses hoirs, successeurs et héritiers, d'empescher qu'il n'y ait des Missionaires françois, ou autres sous sa protection, dans toutes lesdites terres, censées appartenir incontestablement par ce Tra i té a la Couronne de Portugal, la direction spirituelle de ces peuples restant entierement entre les mains des Missionaires portugais, ou de ceux que l'on y envoyera de Portugal.
14. S a Majesté tres Chrestienne et S a Majesté Portugaise, n'ayant rien tant a cœur que le prompt accomplissement de ce Trai té , d'où s'ensuit le repos de leurs sujets, on est convenu qu'il aura toute sa force et vigueur immédiatement apres la publication de la paix.
15. S'il arrivoit par quelque accident (a ce que Dieu ne plaise) qu'il y eut quelque interruption d'amitié, ou quelque rupture entre la Couronne de F rance et la Couronne de Portugal, on accordera toujours le terme de six mois aux sujets de part et d'autre, apres ladite rupture, pour vendre ou transporter tous leurs effets, et autres biens, et retirer leurs personnes ou bon leur semblera.
16. E t parce que la tres haute, tres excelente et tres puissante Princesse la Reine de la Grande Bretagne offre d'estre garente de l'entiere execution de ce Trai té , de sa validité et de sa durée, Sa Majesté tres Chrestienne et S a Majesté Portugaise acceptent la susdite garantie, dans toute sa force et vigueur, pour tous et chacun des presens articles.
L e s articles du traité d'Utrecht sont conformes au projet du 20 mars ; les constatations faites au sujet du projet s'appliquent par conséquent à l'acte définitif et l'on peut répéter, avec de légères modifications, ce qui a été établi au sujet du premier :
1. Quant à la forme, il faut retenir que le texte portugais, aussi bien que le texte français, sont l 'œuvre des plénipoten-
— 319 —
tiaires portugais, que par conséquent, ici encore les noms et leur orthographe sont ceux dont se servaient les Portugais.
Pour l'authenticité, les deux textes sont équivalents. 2. Quant au fond, il importe de s'attacher en premier lieu
aux dispositions qui concernent le territoire au sujet duquel le traité provisionnel de 1700 contient des dispositions.
L'article 8 stipule au sujet de ce territoire : Ces terres appartiennent au Portugal, et ses frontières sont désignées : « terres appellées du Cap du Nord et situées entre la riviere des Amazones, et celle de Japoc, ou de Vincent Pinson ».
Ces cours d'eaux sont les mêmes que ceux mentionnés dans le traité provisionnel, puisqu'en 1713 il s'agissait du même territoire qu'en 1700 ; le fait que l'article 9 se réfère au traité provisionnel, les clauses de l'ultimatum, les phases diverses qu'ont subies les négociations depuis 1700, ne sauraient laisser aucun doute à cet égard.
L e Japoc ou Vincent Pinson du traité d'Utrecht est par conséquent le même cours d'eau, coulant à la même place que l 'Oyapoc ou Vincent Pinson du traité provisionnel, que l'Ouyapoque de Ferrolles.
3. Quant au dispositif, deux clauses sont immédiatement connexes avec les conditions posées par l'ultimatum :
a) La rive nord et la rive sud du fleuve des Amazones appartiennent au Portugal (article 10).
b) La libre navigation de l'Amazone est interdite aux Français (articles 10 et 11).
Au cours de la discussion de l'article, les plénipotentiaires français ont cherché à obtenir une modification de ces dispositions pour assurer aux Français la libre navigation du fleuve en amont des dernières possessions effectives des Portugais, cela au cas où il eût existé des établissements français sur le cours supérieur du fleuve. Cette tentative échoua; le traité de paix adopta la teneur du projet.
— 3 2 0 -
Mais les Portugais de leur côté en vinrent pendant les
délibérations à vouloir modifier leur projet, en précisant
la notion « bord septentrional », ce qui eût fixé une frontière
intérieure précise. Ils renoncèrent à leur dessein et l'on en
resta aux articles 8 et 10.
4. Les articles 12, 13 et suivants prévoient des mesures
destinées à garantir la possession portugaise conformément
à l'ultimatum et, abstraction faite d'une seule disposition, au
projet.
7.
Avec le traité de paix d'Utrecht, du 11 avril 1713, les
Portugais gagnaient plus qu'ils ne demandaient à l'origine.
Jusqu'à la conférence du 9 février, il ne s'agissait pour
eux que du territoire du traité provisionnel ; dès ce jour
la question s'élargit; l'intervention de l 'Angleterre la fit
trancher au profit exclusif du Portugal; sa double demande,
principale et accessoire, lui fut adjugée. Outre que le traité
de paix lui attribuait non seulement le territoire contesté du
traité provisionnel, mais encore et d'une manière générale
le bord septentrional et méridional de l'Amazone, il inter
disait expressément aux França is de naviguer sur ce fleuve.
Au nord du Brésil, le Portugal eut en partage la rive
nord de l'Amazone, au sud la rive nord du L a Plata.
Aussi les plénipotentiaires portugais étaient-ils en droit
de témoigner leur satisfaction comme ils le firent par leur
dépêche du 15 avril 1713 au secrétaire d'état à Lisbonne 1) :
« L e Trai té que nous remettons à Vo t re Grâce nous laisse le
grand plaisir de croire . . . que la cause de S a Majesté, que
Dieu garde, a été bien servie », et de définir en ces termes
explicites et instructifs l 'avantage que remportait le Portugal :
« Tout ce que nous prétendions de la France à l'égard du
1) L a dépêche souvent mentionnée dans R . B . II , pp. 509 et suiv.
— 3 2 1 —
Maranhão était le désistement des Ter res du Cap du Nord,
et on n'esperait pas, d'abord, plus que celles où se trou
vaient les forts d'Araguary et de Camaû; mais à présent,
elles nous sont cédées sans aucune restriction, et au con
traire avec la grande augmentation qu'on nous donne en
propriété tout le bord septentrional du Rio des Amazones ;
et en verité, si nous voulons tenter le commerce par cette
riviere . . . , nous pouvons juger d'une extrême importance
que cette porte sur le Pérou soit affranchie, laquelle le Roi
de France reconnaît nous appartenir, et nous la lui avons
fermée, quoique nous n'eussions d'ordres ni pour l'une ni
pour l'autre circonstance. »
Ce passage résume toute l'histoire des intérêts du
Portugal dès 1700: il s'agissait d'abord de réoccuper le
territoire évacué, sur lequel les Portugais avaient construit
des forts ; en second lieu, il fallait obtenir la possession
incontestée du territoire litigieux, entre l'Amazone et l 'Oya-
poc ou Vincent Pinçon; en troisième et quatrième lieu, il
importait aux plénipotentiaires portugais de constater l'avan
tage résultant de la conférence du 9 février. Sans qu'ils
eussent contribué à ce résultat, par le seul effet de l'ulti
matum de l'Angleterre, le traité de paix d'Utrecht concède
aux Portugais les deux bords de l'Amazone et interdit aux
Français la navigation du fleuve
1) L a teneur de la dépêche portugaise du 15 avril 1713, aussi bien que les diverses phases qu'ont suivies les négociations du traité d'Utrecht ne permettent pas d'atténuer, comme le fait R . B . II , pp. 510 et 511, notes 3 et 5, la portée de l'ultimatum et des clauses du traité qui en découlent ; on ne saurait davantage admettre la conclusion que M. F . I, page 76, dégage de cette dépêche : « que tout ce qui est au delà et derrière ces forts (sc. Araguary et Cumau), tout ce qui en amont excède le bord septentrional (sc. de l 'Amazone) est demeuré aux Français » ; car, abstraction faite des termes du traité d'Utrecht, il serait indispensable, pour que
21
322
L e gouvernement de Lisbonne prit connaissance avec
satisfaction des clauses du traité de paix. L e 10 mai, le
secrétaire d'état Diogo de Mendonça Corte-Real exprima
aux plénipotentiaires à Utrecht, le comte de Tarouca et
Dom Luis da Cunha la « satisfaction » du roi pour la
« grande prudence et habileté » dont ils avaient fait preuve
pendant les négociations et leur fit savoir que « S a Majesté
l'a ratifié (le traité) immédiatement, parce qu'Elle a trouvé
qu'il était conclu conformément à ses ordres royaux 1 ) » .
L a ratification du traité de paix par le roi J ean V est
datée de Lisbonne du 9 mai 1713. Louis X I V l'avait ratifié
à Versai l les le 18 avril déjà 2 ) , sans dire mot de sa récla
mation auprès de la reine d'Angleterre.
L e 31 mai 1713, eut lieu à Utrecht 3 ) l 'échange des rati
fications, sans qu'aucune réserve fût formulée après que la
réclamation de Louis X I V , présentée à la reine Anne à
Londres le 13 avril par l 'ambassadeur de France , duc
d'Aumont, fut restée sans résultat 4).
cette thèse fût justifiée, qu'en 1713 la F r a n c e eût effectivement occupé les contrées en question.
1) R . В . II , pp. 526 et suiv., M. F . II , page 87. L e 25 avril déjà, Mendonça, en accusant réception des articles du traité aux plénipotentiaires à Utrecht, mandait : « S a Majesté a trouvé qu'ils étaient faits avec cette habileté avec laquelle V o s Seigneuries ont coutume d'agir toujours », R . В . II , page 526.
2 ) L e s deux ratifications dans le texte M. В . II , pp. 76 et suiv. 3 ) R . В . II , page 508. 4 ) M. F . I, page 74, se référant à une dépêche du roi du 13 avril et
à deux dépêches du duc d'Aumont des 13 et 15 mai 1713 (Affaires étrangères , Angleterre , t. C C X L V I I I , fol. 356, et t. C C X L V ) : . . . . le duc d'Aumont dut annoncer à sa Cour l 'échec de ses démarches : « Quelque tour spécieux que j ' a i e pu donner à la demande de la liberté de la navigation sur la riviere des Amazones, écrit-il, ce n'est point une raison pour obliger la Re ine à changer de sentiment ou à se départir de ce qui vient d 'être stipulé ».
3 2 3
III. L'histoire du litige depuis 1713.
1.
1. Quelque faibles que fussent les chances d'apaisement offertes par le traité franco-portugais de 1713, les relations des deux puissances commencèrent par être assez amicales. L e Portugal avait besoin des bons offices de Louis X I V pour arriver à une solution avec l 'Espagne. L e gouvernement français de son côté parlait, en 1714, dans l'instruction qu'il remettait à son ambassadeur auprès de la cour de Portugal du « penchant ordinaire à la bien traiter (sc. la couronne de Portugal) » et attribuait son acquiescement aux articles 8-13 du traité d'Utrecht surtout à « un effet de l'ancienne affection de Sa Majesté pour la maison royale de Portugal et pour la nation » 1 ) .
Mais c'était sur place, au lieu même du litige dans l'Amérique du Sud, qu'il fallut éprouver jusqu'où irait ce désir de maintenir la paix et l'amitié et de se conformer aux clauses du traité d'Utrecht.
Quant aux Portugais, il était tout naturel qu'ils tinssent à la stricte observation du traité d'Utrecht qui leur avait assuré un vaste empire brésilien.
D'autre part, la colonie française de la Guyane était dans une triste situation à la fin de la guerre. Jusqu'aux trèves de 1712, la mère-patrie avait été dans la pres-
1) Mémoire pour servir d'instruction au Sieur Abbé de Mornay, du
22 mars 1714, R . B . II, pp. 8 et suiv. En revanche — lit-on un peu plus
loin dans l'instruction — les Portugais étaient « traités (par leurs nou
veaux alliés) dans leur propre continent, comme ils traiteraient eux-mêmes les nègres».
— 324 —
qu'impossibilité de rien faire pour elle. On peut sous ce rapport en croire le tableau que donne de la situation Artur, l'auteur de « l'Histoire des Colonies françaises de la Guiane » (manuscrit) :
« La faiblesse de la colonie française et de la garnison, mal recrutée comme on pense bien, et la misère dans laquelle on languissait à Cayenne nous empêchait de rien tenter contre ces voisins, qui, de leur part, maîtres du païs au Nord de l'Amazone et des terres du Cap Nord et con-séquemment de la navigation de l'Amazone où les França is ne pouvaient plus pénétrer, se tenaient tranquilles dans les terres qu'ils avaient occupées et qui leur furent cédées définitivement par le traité l ) . » Aussi la paix comportait-elle un grand avantage pour les Français de la Guyane également; Pontchartrain, le ministre de la marine, écrivait sans plus attendre, en avril 1713 2), à Lefebvre d'Albon, «ordonnateur de la Guyane » : L e traité sera ratifié dans quelques jours ; que d'Albon annonce « cette bonne nouvelle » à Cayenne, « elle doit y causer bien de la joye » 3 ) .
E t par lettre du 19 décembre 1714, le ministre mandait à d'Albon le désir du roi, « que vous teniez ponctuellement la main » à l'exécution du traité et que tous actes soient évités, « qui fussent contraires au traitté de paix » 4 ) .
1 ) R . B . I I I , pp. 1 et suiv. 2 ) Ce passage constitue la première partie de la pièce n° X L I I
dans M. F . II , pp. 123 et suiv. Conf. ci-dessus, page 22, lettre a. L e texte contient un grand nombre de lacunes, même à quelques
endroits qui eussent eu de l 'importance pour la constatation des faits. Ainsi « S a Mté désire que vous m e t t i . . . . en usage pour faire occuper 1 . . . . qui sépare les terres des F rança i s de celles des Portugais », ibidem, page 124.
3 ) M. F . I I , page 172, considère cette « joie » comme inexplicable si la frontière eût été reculée jusqu'à l 'Oyapoc du Cap d'Orange, mais cette opinion ne saurait se concilier avec les faits.
4 ) M. F . II , page 124.
— 3 2 5 —
M M. F . II, page 124. M. F . I, pp. 176 et 177, en conclut que le ministre n'a pas admis que la frontière fût l'Oyapoc du Cap d'Orange, puisqu'il prévoit que les « habitants de Cayenne » ne pourront pas occuper les terres trop éloignées. On en pourrait tout aussi bien tirer la conclusion inverse, savoir que le terrain à occuper était très rapproché, puisque c'était les habitants de Cayenne qui devaient l'occuper tout d'abord.
2. Toutefois le texte, incomplet, de la lettre du 19 décembre 1714 relate déjà des symptômes fâcheux.
D'Albon avait fait savoir au gouvernement qu'après la conclusion de la paix, des Indiens Arouas avaient pris sur territoire portugais une pirogue qu'ils cherchèrent à vendre sur terre française. D'Albon, par respect du traité de paix, leur avait interdit d'en rien faire, mais les avait consolés par des présents et engagés à venir s'établir sur territoire français. L e ministre, dans sa lettre, applaudit à la conduite de d'Albon, en l'invitant à persévérer dans cette voie : « Sa Majesté a approuvé que pour consoler les Indiens de ce refus vous leur ayez fait les présens dont vous m'avez informé, et que vous les ayes excités à venir s'établir dans les terres de la colonie, il faut continuer à les y engager aussi bien que les Palicours et autres » ; si l'occupation de certaines localités (les noms manquent dans le texte incomplet) « ne se peut point faire par les habitants de Cayenne il faut les faire occuper par les na . . . . Indiennes qui se retireront sur nos ter . . . . cela méritte toute votre attention » 1).
C'est ainsi qu'immédiatement après la conclusion de la paix, on songe à des mesures qui devaient avoir pour conséquence de troubler à nouveau une situation qui venait d'être réglée, de battre en brèche la délimitation des territoires strictement arrêtée par le traité et, grâce à l'immigration des Indiens, de rendre les frontières indécises.
Peu après, un nouveau pas fut fait dans cette voie.
— 3 2 6 —
L'article 12 du traité d'Utrecht prohibait tout commerce dans l'Amérique du Sud entre les possessions françaises et portugaises limitrophes. Du moment qu'aucune des deux parties n'avait plus le droit de mettre le pied sur le territoire de l'autre, le danger des collisions se trouvait fort diminué et tout prétexte à des revendications de territoire supprimé. Or, la F rance voyait dans cette interdiction une entrave dont elle cherchait à se défaire.
L e 20 juin 1720, le gouverneur portugais du Maranhão, Bernardo Pereira de Berredo, adressa au gouvernement à Lisbonne une lettre qu'il avait reçue du gouverneur de Cayenne, Claude d'Orvilliers. L e messager, lit-on en tête de cette missive aura à donner avis au gouverneur portugais, « que le Roy mon Maître (sur la demande que je luy en ay fait) approuve que votre Colonie et celle de Cayenne se visitent et commercent ensemble ».
C'était faire table rase de l'article 12 du traité de 1713 2 ) . Tout ce que sait le gouverneur français, c'est que ces relations commerciales constitueront « un bien pour les deux Colonies », et comme il a lieu de croire qu'on le souhaite du côté de Para , il est ravi du plaisir que la décision du roi de F rance causera au gouverneur portugais.
« Tous vos Messieurs seront les très bien venus à Cayenne » ; il leur suffira d'un passe-port du gouverneur portugais ou de son remplaçant; et de même «il n'ira aucun Français dans votre Colonie, que je ne le sache, si cela
1) Reproduite (sans indication de date) dans R . B . III , pp. 26 et suiv. 2 ) L ' a r t i c le 12 du traité d'Utrecht stipulait : « S a Majesté tres Chres-
tienne promet, tant pour elle que pour tous ses hoirs, successeurs et heritiers, de ne point consentir que lesdits habitants de Cayenne, ni aucuns autres sujets de Sadite Majesté, aillent commercer dans les endroits susmentionnez et qu'il leur sera absolument deffendu de passer la riviere de Vincent Pinson, pour negocier . . . »
— 3 2 7
vous sera agréable, et aucuns n'iront sans ma permission. S'il vous convenoit et à vos habitans, lon pourroit prendre un rendez-vous, comme a Coanany, ou a quelque autre endroit plus commode pour les deux nations, ou lon se trouveroit au temps marqué, et lon pourroit convenir du prix des Indiens, du Tabac etc., egalement des toiles de notre part. Si, Monsieur, vous aviez besoin de quelque chose de Paris, faites moy l'honneur de me le mander. . .»
E t plus loin: «Il y a quelquns de nos Indiens, qui ont de leurs familles parmy vos Indiens, ce sont jens libres, qui reclament leurs familles; je vous suplie d'ordoner. que s'ils veulent revenir, il leurs soit libre; j 'en feray toujours autant de mon coté ».
L e rapport suivant que fit au roi le « Conseil d'Outre-Mer » 1) montre l'accueil que cette lettre reçut à Lisbonne :
La France propose à notre gouverneur à Para de créer des relations commerciales entre les deux contrées; notre gouverneur ne voudrait sous aucun prétexte accorder une permission générale. Mais il consentirait à ce qu'une seule chaloupe vînt par an de Cayenne à Para et qu'il en allât une autre de Para à Cayenne. L e Conseil estime en revanche que de l'ouverture de tout commerce de ce genre, il «pourrait résulter pour la Couronne de Portugal des dommages i r réparables , . . . attendu que la Nation Française est si orgueilleuse et ambitieuse de dominer et d'élargir les domaines de son souverain». C'est pourquoi « il a semblé au Conseil que, ayant égard à cela, il conviendrait de répondre au Gouverneur du Maranhão qu'en aucune façon
1) R . B . III , pp. 23 et suiv., donne une traduction française du rapport, ibidem I V , pp. 179 et suiv., se trouve le texte portugais, Bibliothèque Nationale de Lisbonne, Archives du Conselho Ultramarino, Liasse 861, original. Au document est jointe la lettre de « Dorvilliers », dont un passage est reproduit ci-dessus.
— 3 2 8 —
il ne doit consentir à ce qu'il y ait de pareilles relations de commerce : car, outre qu'il est défendu par nos lois de les entretenir avec les étrangers dans nos possessions, il se trouve encore que cette interdiction a été également stipulée au Trai té conclu avec la Couronne de France à la Pa ix signée à Utrecht ». Il convient d'informer le gouverneur qu'il a à veiller à la stricte observation du traité et à exécuter les ordres de Sa Majesté qui sont: « qu'en aucune façon on n'ait de commerce ».
3. Il n'a pas été établi comment le gouverneur B. Per-reira de Berredo a suivi les instructions que lui donnait son gouvernement en 1720. Deux ans plus tard il était remplacé par J o à o da Maya da Gama, à qui d'Orvilliers écrivit le 30 janvier 1723 1): « Ayant entendu dire qu'il y a beaucoup de chevaux dans votre Capitainerie, j'ai résolu d'envoyer ce navire pour savoir si cela est certain, ainsi que pour apprendre s'il vous sera agréable que ceux qui en ont dans cette Capitainerie en vendent à notre colonie de Cayenne qui est obligée de s'en fournir chez les Anglais. »
L e P. Chrysostomus fut chargé de ce message. Mais Maya da Gama n'accueillit pas ces ouvertures; il ne se rendit pas plus aux motifs invoqués par le gouverneur qu'à ceux que développa oralement le P. Chrysostomus. S e fondant sur le traité et les ordres exprès qu'il avait reçus de son roi, il repoussa catégoriquement ces propositions, répondant 2 ) au gouverneur de Cayenne le 12 avril 1723:
1) R . B . I I I , pp. 35 et suiv., retraduction française de la traduction portugaise. L e texte de cette dernière, faite à P a r a en 1723, ibidem I V , pp. 183 et suiv., Bibliothèque Nationale de Lisbonne, Archives du Con-selho Ultramarino, L iasse n° 1052.
2 ) L a réponse, Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. du cons. Ult ramarino, Liasse n° 1052, en traduction française, R . B . III , pp. 37 et suiv., texte portugais, ibidem, I V , pp. 185 et suiv.
— 3 2 9 —
«Je regrette vivement que, oublieuse d'un solennel Traité de Paix et d'Amitié entre S a Majesté Très-Chrétienne et S a Majesté Portugaise L e Roi Mon Maître, que Dieu garde, et contre le stipulé et déterminé au Chapitre 12 dudit Traité, Vot re Seigneurie envoie un vaisseau, si petit qu'il soit, rempli de marchandises, pour trafiquer et faire du commerce dans les Capitaineries de ce Gouvernement Général, dont je suis chargé, croyant quе, avec un aveugle oubli de mes devoirs, je voudrais contribuer par mon consentement à la violation d'un Traité, fait, stipulé et contracté entre L L . MM. les Rois nos Maîtres, sans une résolution juridique et expresse de leur part, discutée et traitée entre Leurs Majestés par leurs Ministres, déclarant nul le dit Article 12 du Traité d'Utrecht que, de la part du Roi mon Maître, je défendrai et ferai observer religieusement dans tout cet Etat ; et je prie Votre Seigneurie de faire observer de même, au nom du Roi Son Maître, ledit Trai té et très spécialement son Article 12, ne permettant ni le consentant que des administrés, sujets de Sa Majesté Très-Chrétienne, viennent trafiquer sur les domaines de S a Majesté Portugaise, que Dieu garde, ni qu'ils traversent la riviere de Vincent Pinçon pour venir de ce côté-ci, ce qui leur est absolument défendu, ainsi que le déclare expressément ledit Article 12, et si Votre Seigneurie permet le contraire, je proteste auprès d'Elle contre l'inobservance du traité et toutes les conséquences qui pourraient résulter de sa violation.
Outre ledit Traité, j 'a i des ordres exprès du Roi mon Maître par lesquels il défend le commerce avec toutes les nations, m'imposant les peines les plus graves si je le permets ou y consens . . . E t je suis obligé à défendre inviolablement les lois du Roi mon Maître et à les défendre même au prix de ma vie. »
— 3 3 0 —
A la fin de sa lettre, Maya da Gama parle encore de
la « fuite de quelques esclaves » et propose au gouverneur
de Cayenne : « Si Vo t r e Seigneurie veut que nous nous
livrions réciproquement les blancs et les noirs qui s'en
fuiraient d'une partie à l'autre, Vot re Seigneurie s'y enga
geant, j ' en ferai autant de mon côté. »
Ces incidents prouvent que les autorités françaises de
Cayenne, d'accord avec leur gouvernement, n'ont pas tardé
à vouloir éluder l'article 12 du traité d'Utrecht, tandis que
les Portugais s'en tenaient énergiquement à toutes les clauses
de l'acte diplomatique. L e Portugal put se convaincre qu'il
était nécessaire de s'occuper davantage du territoire, autre
fois contesté, maintenant rattaché à son domaine, d'en
assurer la défense par la construction de forts et une coloni
sation toujours plus dense 1 ) et aussi de vérifier sur place
la frontière que le traité d'Utrecht assignait à ses posses
sions du côté de Cayenne.
2.
1. C'est ainsi que, en 1723, le gouverneur général da
Maya da Gama se trouva en présence de diverses questions
auxquelles il a été fait allusion à plusieurs reprises dans
cet exposé. Qu'avait fait le Portugal pour explorer, peupler,
administrer et délimiter le territoire autrefois contesté?
1) Conf. les Instructions d'Amaral de 1723, R . B . III, page 57 : « E t que . . . en allant ou en revenant de l'expédition pour laquelle il partait, il eût à voir la position et le fort de Macapâ et le Cap du Nord, voyant si dans l'un ou l'autre de ces endroits il y aurait un emplacement convenable pour la construction d'un fort, position qui fût balayée par le vent, et ayant de la terre ferme pour la culture des plantes potagères et des céréales ; et s'il possédait un port commode ayant un bon fond pour la sûreté des navires . . . » ; en outre, ci-dessous, pp. 345, 362, 370.
Des pièces versées au débat découle cette constatation:
Ce qu'avait fait le Portugal n'était pas suffisant.
L a lecture du mémoire de Parente (vers 1630) laisse
l'impression que la colonisation de l'Estado do Maranhão,
dans les contrées du nord-ouest, n'en était qu'à ses débuts;
le P. de Acuña constata quelque progrès en 1639. Après
la mort de B . M. Parente, Sebastian de Lucena de Azevedo
entreprit, en 1646, une expédition dans les territoires situés
au nord de l'Amazone et détruisit un poste hollandais
établi depuis peu. Rien ne prouve qu'on ait tenté davantage
pour coloniser ce pays. Il en faut croire une description
que faisait, en 1662, de l'Estado un auteur portugais: la
capitainerie de Bento Maciel « n'est pas peuplée, faute de
monde; elle n'a qu'un comptoir, où l'on fait le commerce
avec les indigènes » 1) ; ce qu'on doit, il est vrai, rapprocher
de l'observation de la Barre 2 ) , qui disait le pays inhabi
table pour les Européens.
Ce n'est qu'une fois les Français définitivement établis
à Cayenne (1676) qu'on s'occupa un peu plus des terres du
Cap du Nord; l'apparition de marchands français dans la
capitainerie éveilla chez les autorités de Para la crainte de
voir des étrangers se fixer dans le pays. En 1687, Albuquerque
fit son expédition dans le but d'asseoir l'occupation portu
gaise; quelques forts furent construits, des missions créées,
en même temps qu'on réunissait des matériaux géogra
phiques et diplomatiques sur lesquels on pût étayer les droits
du Portugal ; et si, d'après le rapport de Ferrolles, de 1688,
les Indiens de Cassipour redoutaient les Portugais, cela
prouve que la domination du Portugal n'avait pas passé
sans laisser des traces. Mais ce n'était pas encore là une
1) Cité par M. F . I, page 308, note 2. 2 ) Vo i r ci-dessus, page 133.
331
— 3 3 2 —
1) Voir ci-dessus, page 137. 2) R. B. III, page 135.
colonisation ni même une exploration, car, d'une part, les ressources manquaient et, d'autre part , la considération dominante était celle qu'en 1685 le gouverneur général de Andrada avait exprimée en ces te rmes : « L e s terres de cette partie du pays ne produisent rien dont on puisse espérer du profit 1 ) .»
Sous l'empire du traité de 1700, on renonça simplement à ce qu'on avait, et, pendant la période des guerres qui commença en 1703, il n'est pas fait mention de nouveaux établissements portugais.
Depuis le traité d'Utrecht, disait Maya, on a fait beaucoup trop peu pour le territoire attribué au Portugal ; il se plaignait encore en 1727, dans son rapport au roi 2), des « négligences antérieures, de ceux qui ont omis de faire avancer l'occupation sur ces parages, de sorte que l'on ne savait rien ici (à Para ) de ce qui s'y passait, car les flottilles que mon prédécesseur appellait des gardes-côtes ne dépassaient pas la bouche de Macapá qu'on nommait ici Cap du Nord, sans savoir où se trouvait celui-ci, qui était si éloigné de ladite pointe. »
En 1723, Maya da Gama entendait faire mieux. Il fallait maintenir les possessions acquises en vertu du traité d'Ut-recht et avant tout les explorer exactement. L e plus pressant était la reconnaissance de la frontière.
C'est encore sur ce point-là qu'on était le mieux renseigné. On savait par des cartes et des descriptions quel était le cours d'eau Oyapoc-Vincent-Pinçon ; il restait à le voir sur place, puis à en déterminer officiellement la situation.
Certaines délimitations auxquelles on procède de nos jours dans l'Afrique centrale et dans quelques parties de l 'Amé-
— 3 3 3 —
rique du Nord peuvent servir d'éléments de comparaison, en ce qu'on dispose là de contrées qui ne sont pas encore exactement connues in natura des deux parties ou de l'une d'elles, mais dont on trace la limite exacte sur la carte ; avec cette différence qu'en l'espèce les connaissances cartographiques s'appuyaient sur une tradition historique et que les données effectives étaient plus abondantes, grâce au va-et-vient des individus qui passaient la frontière Oyapoc-Vincent-Pinçon.
La tradition historique enseignait que la frontière était depuis longtemps tracée et déterminée aussi in natura. Il ne restait donc plus qu'à retrouver l'ancienne délimitation. On peut suivre dans une certaine mesure la genèse de cette tradition :
Déjà des témoins entendus au procès de Colomb font mention des bornes-frontières (mujones de tierra) placées par Vicente Yañez Pinzon en 1500, au cours de son voyage de découverte ; on se souvenait de V . Y. Pinzon comme ayant sur cette côte indiqué la frontière entre l 'Espagne et le Portugal.
A cette tradition vint s'en substituer une autre selon laquelle Charles-Quint avait donné l'ordre de placer la borne-frontière sur la riviere de Vincent Pinçon, avec l'écus-son espagnol d'un côté, l'écusson portugais de l'autre. Cette borne-frontière, dont aucun témoignage contemporain ne fait mention, apparaît pour la première fois dans le «Relação» de Estacio da Sylveira, de 1624; et, tôt après, en 1630, le rapport de Sylveira est embrouillé par une méprise du P. Guadalaxara, qui fait dire à Sylveira que Charles-Quint avait placé une borne-frontière sur chaque rive du cours d'eau 1).
l ) Vo i r ci-dessus, pp. 101-103, 150.
334 —
L e mémoire de Parente (vers 1630) montre que l'auteur avait sous les yeux le rapport de Sylveira, qu'il connaissait par conséquent l'histoire de la borne-frontière, selon la première version, celle de la borne unique de Charles-Quint. Il y avait là de quoi l'inciter à rétablir l'ancienne délimitation à laquelle se rattachait le nom du grand empereur et qui, en 1637, se confondit avec la frontière de sa propre-capitainerie.
De plus, la concession donnée à Parente par le roi d'Espagne et de Portugal (1637) portait en termes exprès que des bornes-frontières seraient placées sur le Vincent Pinçon 1 ) . Enfin, en 1639, Parente prend solennellement possession de sa capitainerie 2 ) ; outre qu'il satisfaisait à sa mission, son intérêt lui commandait de marquer effectivement la frontière au Vincent Pinçon.
Il y a lieu, par conséquent, d'admettre que la donation faite à Parente a fourni l'occasion de placer une borne-frontière sur le Vincent Pinçon et que celle-ci a été effectivement érigée. Pour mettre en doute que l'ordre du roi soit resté sans exécution, il faudrait justifier que la borne-frontière n'a pas été placée; or, rien de pareil n'a été établi, tandis que la preuve contraire, basée sur la tradition, a été rapportée. Cette tradition s'est établie parmi la première génération après Parente et dans des sphères qui étaient en relation avec la famille de ce dernier. L e P. Souza Ferreira , qui a vécu longtemps à Para , parlait, en 1685, d'une « borne plantée à l 'embouchure de la riviere de Vicen te Pinçâo», qui, apportée du Portugal, placée par B . M. Parente, avait été vue et touchée par des explora-
1 ) Voir ci-dessus, page 125 : « Des bornes-frontières en pierre seront placées. E t ces bornes seront placées en ligne droite vers l'intérieur. »
2 ) Voir ci-dessus, page 125.
teurs encore vivants, mais avait disparu par suite « de
la multiplicité des prétendants à cette côte 1) ». En 1685, il
connaissait par conséquent la tradition locale de la délimi
tation opérée par Parente ; dans son rapport de 1698, il
élargit cette tradition en y ajoutant (remarque empruntée
à Guadalaxara) que Charles-Quint déjà avait placé une
-borne-frontière sur chacune des rives du Vincent Pinçon ;
sa conclusion est que non seulement les anciennes bornes-
frontières, mais aussi celles de Parente, que des témoins
encore vivants ont vues et touchées « ont disparu par suite
de la multiplicité des prétendants à la possession de cette
côte du Cap du Nord » 2 ) .
Il existait donc une double tradition à la fin du X V I I e
siècle : des bornes-frontières avaient été placées sur l'ordre
de Charles-Quint, une délimitation avait été opérée par
B . M. Parente. La première avait un caractère légendaire,
la seconde un caractère très net d'authenticité.
C'est pourquoi les mémoires échangés entre le Portugal
et la France en 1698 et 1699 les relatent toutes les deux. La
réponse du Portugal au mémoire français de 1698 ne parle
que des bornes-frontières dont B . M. Parente avait marqué
sa capitainerie 3 ) : « Cette capitainerie a été démarquée et
délimitée par des bornes en pierre qu'on voyait il y a quelques
années encore à la Rivière de Oyapoca ou Vinsente Pinson,
ayant sur la face du côté des Indes les Armes d'Espagne, et
sur celle du côté du Brésil les Armes du Portugal ; et il est
certain qu'elles ont été enlevées soit par les Indiens, soit
par quelqu'une des nations d'Europe qui ont occupé Cayenne.»
L e rédacteur de la réplique française (1699) semble avoir
1) Vo i r ci-dessus, page 148. 2) Vo i r ci-dessus, page 150. 3 ) Vo i r ci-dessus, page 200.
335
— 3 3 6
pensé à toutes les deux, à la borne-frontière de Charles-Quint et à la délimitation de Parente : « on n'a jamais veu (dit-il) vers la riviere d 'Yapoco les armes du R o y de Portugal, ny du Roy d'Espagne », et, quant aux pierres que Maciel Parente aurait érigées « pres de la », elles ont « été mises par les François pour couvrir le corps d'un Jesuite françois» 1 ) .
En 1699 le Portugal répond 2 ) quant à la borne-frontière de Charles-Quint : que le P. Guadalaxara et de Estacio da Silveira en font mention, le premier « d'après les relations de Portugal, de F rance et de Hollande » ; et pour établir l 'existence de la délimitation de Parente, il s'en réfère à un témoin français, Daniel la Penher (Lapinier), jésuite français, originaire d'Allemagne, qui, dans une lettre au P. Pfeil «indiquait l'emplacement de l'une de ces bornes» ; il Se croyait fondé à dire que les pierres dont on avait couvert un corps « seraient quelques-unes de celles prises dans les bornes-frontières qui manquent».
Pour la France , il s'agissait alors de pierres tombales qu'on avait prises pour des bornes-frontières ; elle n'en reconnaissait pas moins qu'il avait existé, sous forme de pierres, des objets qui avaient prêté à cette confusion.
Les allégations du Portugal démontrent que cette puissance maintient la tradition des bornes-frontières de Charles-Quint, qu'elle considère comme établie l'érection de ces bornes par Parente, mais ne savait pas ce qu'il en était advenu.
Te l était vers 1700 l'état de la question des bornes-frontières ; rien n'est venu prouver qu'une enquête ait eu lieu depuis à ce sujet. Mais lorsqu'en 1723, il devint nécessaire de déterminer la frontière, les anciennes bornes reprirent
1) Voir ci-dessus, page 210. 2 ) V o i r ci-dessus, page 216.
une importance spéciale. L'expédition que da Maya da Gama envoya, au printemps de 1723, sur les bords du « Vicente Pinson, chamado Yapoco », sous la direction du capitaine João Paes do Amaral, avait surtout pour tâche de les rechercher sur place.
2. Les parties ont communiqué à l'arbitre deux documents relatifs à cette expédition :
L'un est un procès-verbal de l'interrogatoire de témoins entendus au sujet de l'expédition, par devant le «Juiz de justificações » tenu, sur l'ordre du gouverneur, à Belem do Gram-Para. Il est reproduit dans M. F . II (n° L I V ) , pages 159 et suivantes (en traduction française) sous le titre : « Procès-verbal extrait des archives publiques de la ville de Belem do Para ». M. F . I, page 340, indieme que ce texte est emprunté à l'ouvrage : « L 'Eta t de P a r a . . . . Paris, Lahure, 1897»; il ne contient toutefois, outre l'introduction, que le rapport même de da Maya da Gama. R. B . I V , pages 195 et suivantes (texte portugais), III, pages 49 et suivantes (traduction française), d'après un « Manuscrit à la Bibliothèque Nationale de Rio de Janeiro, Cod. C C L X V I I I , 17 à 56 », donne un texte plus complet, comprenant le rapport du gouverneur ainsi que les dépositions du capitaine Joâo Paes do Amaral et du sergent Antonio Freire de Mendonça
L'autre document est l'itinéraire d'Amaral. M. F . II (n° L V ) , pages 166 et suivantes, en reproduit le texte portugais sous le titre : « Roteiro da Costa da Araguary até o Rio de Vicente Pinzon pelo nome de terra de Guayapoco, que mandou fazer o Capitão commandante Joâo Rodriguez do Amaral, por ordem do general o Capitào general do Estado Joâo da Maya da Gama, indo o dixo Capitão commandante
1) Ce texte non plus ne reproduit pas intégralement le procès-verbal ; voir R . B . III , page 61 ; ci-dessous, page 347.
22
— 3 3 7 —
a reconhecer a paragem onde estavão os marcos das terras de Portugal ».
Selon M. F . II, page 166, note, le texte est emprunté à l'ouvrage : « Brazil Reino e Brazil Imperio », du D r Mello-Moraes, Rio de Janeiro , 1871, t. I, pages 149 à 151, en note.
L e Brési l a pris le texte de ce document, dont l'original n'a pas pu être retrouvé, dans une ancienne copie contemporaine, qui selon R. B . III, page 41, provient des archives de Para et se trouve actuellement à la « Bibliothèque Nationale de Rio, Ms. C C X L V I , 17 à 3 4 » . Il donne le fac-similé photographique de son texte dans R. B . V , n° 8, la reproduction du texte portugais dans R. B . I V , pages 189 et suivantes, et la traduction française dans R. H. III, pages 41 et suivantes.
L e Brésil affirme l'authenticité des deux documents. L a F rance ne conteste pas celle du procès-verbal de
l'interrogatoire des témoins; M. F . I, page 306, invoque au contraire cette pièce comme « un document officiel portugais, qui sera reproduit parmi les annexes (n° LTV) » ; M. F . I, page 340, dit (« cet acte officiel », ibidem, page 342) : « Il vient, heureusement, d'être publié, ou du moins d'être rendu accessible, grâce à son insertion dans un ouvrage intitulé : l ' E t a t de Para, auquel les noms et les fonctions de ses auteurs prêtent un caractère semi-officiel. On ne nous en donne, il est vrai, qu'une traduction française ; la pièce, toutefois, est reproduite in extenso, depuis le préambule jusqu'aux signatures finales ». En publiant le texte portugais, tout en complétant la pièce incomplète produite par la France , le Brésil a levé le seul doute qui pouvait rester au sujet de l'authenticité du document.
Quant au second document, le « Roteiro », la F r a n c e n'en considère que la première partie comme authentique; pour elle, le reste est « un récit arrangé » (M. F . II, page 164);
— 338 —
elle dit, 1. e. II, page 165 : « L e titre, ainsi que les détails de la première partie, jusqu'au Counani, se rapportent probablement aux renseignements fournis en 1723 par Amaral. La deuxième partie a été ajoutée pour les besoins de la cause. Elle est en contradiction sur plusieurs points essentiels avec les circonstances. »
Cette manière de voir, outre qu'elle est en contradiction avec la teneur du document, n'est pas soutenable poulies motifs que voici : Il a été produit deux copies du « Ro-teiro », contenues l'une dans M. F . II, 1. c , l'autre dans R. B . , 1. c. Toutes les deux renferment aussi bien la partie incontestée du « Roteiro » que la partie contestée par la France, et cette seconde partie ne peut donc pas avoir été rédigée après seulement que les copies aient été faites. De plus, les deux copies sont indépendantes 1) l'une de l'autre, en ce sens que l'une n'est pas la copie de l'autre, mais qu'elles ont dû être faites d'après un troisième document au moins, servant de modèle ; il faudrait par conséquent que le « récit arrangé » se fût trouvé déjà dans le modèle ; il faudrait même qu'il existât déjà lorsque Maya da Gama, en 1727, envoya Francisco de Mello Palheta sur les bords du Vincent Pinçon et lui remit, en même temps qu'une instruction, une copie du « Roteiro » d'Amaral. Ce Roteiro de 1727 allait en effet « jusqu'à la riviere de Vincent Pinçon 2 ) », mais à teneur de la même instruction, pour da Maya da Gama, le Vincent Pinçon était au delà du Cassi-poré, dans la direction de Cayenne 3 ) ; l'exemplaire de 1727
1) A côté de nombreuses autres divergences dans le texte, il en existe une dans le nom d 'Amaral : Une des copies porte: «João Rodriguez do Amaral » (M. F . II, page 166), l'autre : « João Paiz do Amara l » (R . B . I V , page 189).
2 ) R . B . III, page 107. 3) Ibidem.
3 3 9
— 3 4 0
comprenait donc la partie déjà située vers le Couanani. D e
tout cela il résulte que le Roteiro, tel qu'il a été produit,
doit être pris en considération.
Les arguments que M. F . II tire de son contenu seront
examinés ci-dessous.
3. Il résulte d'abord de l'interrogatoire des témoins :
L' « Ordonnance » du gouverneur da Maya da Gama,
du 12 juillet 1723, portait :
L e Gouverneur ayant trouvé « au sujet des terres du
Cap du Nord » des ordonnances de S a Majesté qu'elle avait
prescrit à mon prédécesseur de s'informer et vérifier si
des bornes-frontières avaient été placées sur la ligne de
partage des domaines de S a dite Majesté et de ceux de la
Couronne de France , et si les vassaux de cette dernière,
contrairement au Trai té signé à Utrecht, dépassaient ces
bornes et pénétraient sur notre territoire », et la réponse
de son prédécesseur lui ayant paru « insuffisante, étant
donné l'importance de la matière et les instructions qu'au
sujet de cette réponse j 'avais apportées avec m o i . . . il m'a.
paru convenable de faire une enquête exacte sur ce sujet,
et, bien que j ' y ai apporté le plus grand soin, je n'ai pu
trouver de personne âgée ou jeune ayant vu les bornes
dont il est question, ou ayant connaissance qu'elles aient
été placées, ni sachant à quel endroit se trouve la riviere
de Vincent Pinson, nommée Yapoco dans les cartes fran
çaises et Uayapoco par les indigènes ; et voulant éclaircir
une question si importante, j ' en ai chargé le capitaine J o ã o
Paes do Amaral, officier très brave, très prudent, actif et
dévoué au service du Roi » . . . .
Amaral partit avec trois chaloupes de guerre « garnies
d'infanterie », doubla la « pointe de Macapa que quelques
ignorants appelaient Cap du Nord » ; « à grand' peine » et
au péril de sa vie, il doubla le « vrai cap du Nord » ; trois
3 4 1 —
ou quatre fois les chaloupes furent près de sombrer à
cause du « mascaret » et « par la force des courants qui
s'entrecroisaient à travers tous les bas-fonds et les canaux
de cet endroit ».
Après avoir surmonté toutes les difficultés, Amaral
arriva à la riviere Guanany 1). Il croyait « d'après ce que
lui disait un des guides », se trouver déjà à la riviere de
Vicente Pinson ; il parla de cette riviere aux indigènes qui
l'informèrent que plusieurs Français se trouvaient sur une
riviere plus petite, appelée Guairapo 2), qu'il avait déjà
passée. Il revint sur ses pas pour les chercher, les trouva
et leur demanda ce qu'ils faisaient « sur les terres et domaines
de S a Majesté ». Ils répondirent qu'ils étaient venus acheter
des perroquets et autres animaux, qu'ils n'étaient pas venus
par mer et en suivant la côte « qui appartient à la couronne
de Portugal, mais qu'ils avaient pénétré par la riviere de
Vicente Pinson nommée Yapoco 3), et ensuite par terre
allant de village en village, parmi les Indiens leurs amis 4 )» .
Amaral leur intima l'ordre de partir sur le champ et de
s'en retourner dans leurs territoires « sous peine d'être
emmenés prisonniers » ; ils s'en allèrent 5 ) . Plus tard, des
Indiens déclarèrent qu'ils étaient des marchands d'esclaves
1) M. F . II, page 160: Guanani ; dans le Roteiro, M. F . II, page 168: Goanane ; R . B . I V , page 191 : Goanani.
2 ) M. F . , 1. c.: Guairapa, dans le Rote i ro : Vairapu. 3 ) Dans la déposition d'Amarai : « Rio de Vicente Pinson chamado
Yapoco ou Guaiapucú », R . B . I V , page 200. 4 ) Dans la déposition d'Amarai, plus précise : « Pelos Indios seus
Compadres os quaes sâo dos nossos dominios » (parmi les Indiens leurs amis, lesquels habitent nos possessions), R . B . III, page 5 8 ; I V , page 200; de même selon Mendonza : « que sâo dos destrictos d'esta Corôa », R . B . IV, page 202.
5 ) Dans la déposition d'Amarai avec l'adjonction : Su r ces entrefaites les Indiens qui les accompagnaient, prirent la fuite, R . B . III , page 58.
qui aidaient Guaimâ, le chef rebelle des Aroans, et qu'ils l'incitaient à manquer d'obéissance envers le roi de Portugal.
« E t le susdit capitaine, en observant heureusement mes instructions, ce qui lui fit courir des dangers et lui causa des fatigues et des misères, atteignit effectivement le véritable Rio de Vicente Pinson (e seguindo com effeito o dito Capitào o regimento que lhe dei, passando perigos, trabalhos, e descomodos 1) ; entrou com effeito no verdadeiro Rio de Vicente Pinson). 11 chercha les bornes en question à l'embouchure de la riviere et au-dessus ; il ne les trouva pas, non plus qu'un terrain assez solide sur lequel elles eussent pu tenir (e fazendo dilligencia na boca. d'elle, e dentro desta para poder descobrir os ditos marcos ; os não achou, nem terra firme en que pudessem estar). Voyan t au delà de la riviere quelques élévations de terrain, il fit tous ses efforts et mit tout le soin nécessaire pour découvrir les bornes et il eut enfin la bonne fortune de voir son travail et son zèle couronnés de succès » (e vendo que se descobria da outra parte alguma terra alta, fez toda a dilligencia, e pôz todo o cuidado por descobrir os ditos marcos até que teve a fortuna de lograr o effeitto do seu trabalho e dilligencia).
« Faisant l'ascension d'une montagne presque taillée à pie ou présentant une pente raide jusqu'au milieu, qu'ils gravirent avec peine en se tenant aux racines des arbres,
1) L e s mots : passando perigos, trabalhos e descomodos, manquent dans la traduction française de M. F . II, page 160, ainsi que dans R. B . III, page 53, alors qu'ils figurent dans R. B . IV, page 198. Mais le passage est d'une telle importance, que si M. F . I, pp. 340 et suiv., II, page 164, l'eût connu, il n'aurait pas probablement émis la thèse du retour immédiat d 'Amaral de Guanany ; car cette thèse part du fait que, d'après le rapport ci-dessus, Amaral serait « immédiatement » arrivé au Vincent Pinçon. L e passage exclut cet «immédiatement».
— 342 —
— 3 4 3 —
ils trouvèrent depuis le milieu jusqu'au sommet une pente
plus douce ; arrivés au sommet de cette montagne, ils trou
vèrent une pierre de roche naturelle, laquelle avait été taillée
presque en forme de carré, ayant un peu plus de trois
palmos 1) de long et de large, qui était coupée sur les côtés
et se trouvait hors de terre d'un peu plus d'un palmo ; et
sur cette pierre (n'ella), ils ont trouvé sculptées des armes
qui, d'un côté, ressemblaient à celles du Portugal, car on
y voyait les cinq plaies ou « Reaes Quinas » 2 ) , et de l'autre
côté des tours et un lion ; et autour de cette pierre, il s'en
trouvait d'autres, dressées comme témoins ou gardes de
cette borne; et l'une de celles qui se trouvaient du côté
des « Quinas » de Portugal présentait une croix comme
celle de l'Ordre du Christ, ce qui semblait prouver infaillible
ment que c'était la borne signalant la ligne de séparation
entre les domaines du Portugal et de Castille, qu'elle y ait
été placée l ' an . . . sous l'empereur Charles V , comme ra
content les « Historias », ou en 1637, sous Philippe, lorsqu'il
a fait don à Bento Maciel Parente de la Capitainerie du
Cabo do Norte 3 ) . »
1) L e «palmo » ou «la paume de la main» égale, en mesure portugaise, 0.217 m.
2 ) L e s cinq « écussons » sur fond d'argent des armes portugaises. 3) « Sobindo a hum monte quazi talhado a pique até o meio, ou com
pouca escarpa, e sobindo pegados a raizes com trabalho acharào do meio para cima mais facil a sobida, e chegando ao cume do tal monte acharào huma pedia, e rocha natural, e nesta talhado um quaze quadro de largura, e comprimento de pouco mais de tres palmos, cortado pelas bandas e fora de terra pouco mais de palmo, e n'ella acharào escolpidas humas armas que paressem ser de huma parte as de Portugal, vendo-se ainda as cinco Chagas ou Reaes Quinas, e da outra hums Castellos com hum Leào, e roda d'esta pedra se achavào outras levantadas como testemunhas ou guardas do mesmo marco, e huma das que f icava para a parte das quinas de Portugal, mostrava huma cruz como habitto de Christo o que
— 3 4 4 —
Dans l'intérêt de son roi, pour préserver le territoire
portugais et pour éviter des contestations qui pourraient
s'élever entre la F r a n c e et le Portugal, le gouverneur da
Maya da Gama jugea utile que les faits ci-dessus « soient
établis d'une façon authentique » et ordonna à l'Ouvidor
Geral (au docteur Premier Juge) « de faire dresser procès-
verbal des témoignages de tous ceux qui ont vu les susdits
Français , de leur faire raconter l'endroit où ils les ont ren
contrés, ce qu'ils ont entendu dire aux Indiens, et aussi ce
qui est relatif à l'entrée dans la riviere de Vicente Pinson,
à l'ascension de la susdite montagne, à la borne-frontière,
aux marques (sinaes) qu'ils y ont examinées, au côté de la
riviere où elle se trouve, car, par cette borne, il est prouvé
que toute l'embouchure de la riviere Vicente Pinson appar
tient à la Couronne portugaise et fait partie des domaines
de S a Majesté » . . .
Conformément à l'ordre du gouverneur général, il est
procédé à l'enquête ; le capitaine J o ã o Paes do Amaral est
entendu le premier, le 18 juillet 1723. Il dépose 1) :
. . . . L e 17 mars de cette année, il est parti de Belem
do Gram-Para en qualité de commandant de la « flotille
parecia justificar infalivelmente ser alli o marco da devizào dos dominios
de Portugal e de Castella, ou fosse posto no anno de . . . pelo Imperador
Carlos Quinto, como dizem as Historias, ou no anno de mil seis centos
trinta e sette por Fillipe, quando deo a Capitania do Cabo do Norte a
Bento Maciel Parente. »
L a traduction française de ce passage dans M. F . II, page 161,
R . B . I I I , pp. 54 et suiv. n'est pas correcte (elle concorde à l'exception
des mots « peu d'escarpement », dans M. F . , « une pente raide », dans
R . B . ) , de sorte que R . B . I I I ne donne pas la traduction exacte du texte
portugais de R . B . I V . 1) M. F . II ne contient pas les dépositions qui vont suivre ; elles se
trouvent dans R . B . I V , pp. 199 et suiv. (texte portugais), R . B . III , pp. 56
et suiv. (traduction française).
— 341
garde-côte » алее trois chaloupes armées en guerre « por
tant de l'infanterie ». Selon les instructions qu'il avait
reçues, il devait examiner de la manière la plus exacte
et la plus minutieuse tous les « igarapés et rivieres qui se
jetent dans la mer sur cette côte qu'il longerait jusqu'à
ce qu'il pût entrer dans l'embouchure de la riviere de
Vicente Pinson appelée Yapoco ; et là, il examinerait et
explorerait de tous les côtés la dite riviere, les endroits
et les points où furent posées les bornes-frontières qui
séparent les possessions de Sa Majesté des possessions de
la France . . . »
Ayant plusieurs fois risqué sa vie, il arriva « le long
du rivage jusqu'à Macapá et au Cap du Nord » et de là
jusqu'au Guanany; puis, étant revenu sur ses pas, il eut sa
rencontre avec les Français (« ils n'étaient que deux ») sur
les bords du Guairapo, incident qu'il rapporte presque dans
les mêmes termes que le gouverneur; il apprit des détails
au sujet du commerce d'esclaves que pratiquaient les Fran
çais, avec l'aide du «rebel le» Guaimá, le chef des Aroans ;
celui-ci incite les Aroans « à faillir à l'obéissance due à
S a Majesté », et les Aroans sont « instigateurs de désordres
sur toute la côte jusqu'au Cap du Nord et au voisinage
de Cayenne ».
Après être entré « dans la vraie riviere de Vicente
Pinson » et avoir vainement cherché les « bornes-frontières »
à son embouchure, « ayant vu et découvert de l'autre côté
de hautes montagnes, il y alla, quoique cela fût contre les
ordres qu'il portait, parce qu'on supposait qu'elles faisaient
partie des domaines de la France (on s'assura ensuite qu'il
n'en était rien, mais que, au contraire, toutes les bouches
et les passes de la riviere de Vicente Pinson font partie
de nos possessions) ».
— 3 4 6 —
Il fit l'ascension avec une partie de ses soldats. Ils trouvèrent «huma pedra et rocha natural 1 ) do comprimento de tres palmos, e fora da terra pouco mais de hum», avec les armes du Portugal et de l 'Espagne. (Ce sont presque les termes mêmes dont se servait Maya da Gama ; il est ajouté au rapport qu'Amaral a emporté « a copia » de ces armes qu'il remit au gouverneur.)
Après Amaral, ce fut le sergent Antonio Freire de Mendonça qui déposa :
Il est arrivé à la riviere Guanany avec l'expédition d'Amaral, après avoir, en courant de grands dangers, passé Macapa et le Cap du Nord ; sur la foi des guides, Amaral se croyait déjà parvenu sur les bords du Vincent Pinçon, mais après avoir consulté quelques indigènes, il apprit « où il se trouvait», et qu'il y avait des Français sur le Guairapo qu'il venait de passer. Ils rebroussèrent chemin et « le jour suivant » rencontrèrent deux Français à l'endroit désigné. L e témoin raconte l'entrevue comme Amaral et Maya da Gama. L e s França is aident le rebelle Guaimá, le chef des Aroans, les Aroans, bien que « natifs des possessions de cette couronne », ont déjà attaqué parfois des villages près de Belem do Para .
L e témoin déclare en outre que « passant la riviere Guanany, ils arrivèrent à celle de Vincent Pinçon » (que passando o sobredito rio Guanany, chegarão ao de V i cente Pinson), où l'on a vérifié que toutes ses bouches appartiennent à la couronne de Portugal, ainsi qu'il résulte
1) Il est possible qu'il y ait ici une lacune dans le texte, qu'on pourrait remplir par les termes correspondants qui se trouvent dans le rapport du gouverneur. Un rocher « long de trois palmos » et « s'élevant au-dessus du sol d'un peu plus d'un palmo » ne se conçoit guère. D u moment que la longueur est indiquée, il semble que la largeur devrait l 'être aussi.
de la découverte des « marcos », qu'il raconte comme
Amaral.
Outre ces témoins, on entendit encore un second sergent, cinq soldats et deux Indiens, dont R. B . ne reproduit pas les dépositions, attendu qu'elles sont sur les points essentiels conformes aux précédentes.
4. Le Roteiro d'Amaral contient les indications les plus détaillées qui aient été fournies au sujet d'une expédition sur le littoral du contesté ; il renseigne sur la direction des diverses parties du rivage, leurs distances, la configuration de la mer, l'aspect des côtes, la végétation, les accidents de terrain, etc., sur les fleuves qui se jettent dans l'Océan le long de la côte, les habitants du pays. Pour apprécier la valeur du Roteiro, il faut poser en fait qu'il n'entend pas être une description de voyage, un récit d'aventures de voyageurs, mais un simple itinéraire, un indicateur des chemins et des localités (Annexes, planche n° 4). Il y a lieu de retenir surtout :
L e « Roteiro » part de la « ponta de A r a g u a r i . . . cette pointe d'Araguari forme une anse au Nord-Ouest et dans cette anse, venant du Sud-Ouest, se jette la riviere d'Ara-guari » ; il mentionne plus loin une « ponta ao Norte, . . . esta ponta hé o Cabo do Norte», puis «a outra ponta 1) grossa ao Norte . . . laquelle forme une sorte d'anse où . . . se jette un igarapé nommé Orapumaça », puis entre autres le « rio Igarapepucá », le « igarapé de Mayacary », dont il est dit: «on trouve un bon chenal à son embouchure, qui est à environ dix lieues du parcours », puis le « igarapé Vairapu » (le Guairapo du procès-verbal de l'interrogatoire des témoins). On note ici une nombreuse peuplade indienne
1) E t non « parte », comme le dit M. F . II, page 166.
347
de la tribu des Aricurasés 1 ) ; la rencontre des França is est
relatée d'une manière concise: « Ic i nous avons parlé à
des Français ». Viennent ensuite le « igarapé Uruatury »
et le « rio Goanani » 2 ) .
Le Roteiro ne mentionne pas le voyage aller et retour
du Vairapu au Goanani; le plan général du récit excluait
toute double indication de la même distance parcourue;
ces indications réitérées auraient été de nature à apporter
la confusion dans la mensuration du littoral; en outre, la
partie narrative proprement dite est ramenée à ses traits
essentiels. Du Goanani, le Roteiro continue dans la direc
tion du nord-ouest, pour conduire au Vincent Pinçon.
Pour M. P. Il, page 164, c'est là un motif qui prouve
à l'évidence que le « Roteiro » est un « récit arrangé ; il
interprète comme suit le procès-verbal de l'enquête : L 'ex
pédition n'est pas revenue du Vairapu au Goanani et n'a
pas repris ensuite la direction du nord-ouest; au contraire,
pour parvenir au Vincent Pinçon, elle a rebroussé chemin
depuis le Vairapu pour se diliger au sud-est et a trouvé
le Vincent Pinçon à l 'Araguary. Tout d'abord, cette opinion
ne se concilie pas avec la mention contenue dans l'ordon
nance du gouverneur da Maya da Gama, d'après laquelle
Amarai et les siens n'ont atteint le Vincent Pinçon qu'après
avoir été sur les bords du Vairapu, et avoir surmonté des
« perigos, trabalhos et descomodos ». De plus, les França is
qui, sur les bords du Vairapu, déclarèrent être venus du
Vincent Pinçon ou Yapoco, n'étaient certainement pas ar
rivés de l 'Araguary et Amarai eût encore moins pu leur
donner l'ordre d'y retourner. E t Amarai qui, à l'aller, avait
passé l 'Araguary et le connaissait exactement, ne l'a pas pris
1) M. F . II, pp. 167, 168: Bricurarez . 2 ) Goanane, dans le texte de M. F . II , page 168.
348
— 349 —
pour le Vincent Pinçon ; si la thèse de M. F . était fondée,
Amaral eût dû à l'évidence déclarer, qu'il n'avait pas trouvé
de Vincent Pinçon, mais seulement les bornes-frontières sur
l 'Araguary. D'ailleurs, le sergent Antonio Frei re de Men-
donça dit expressément dans sa déposition : « que passando
o sobredito rio Guanany, chegarão ao de Vicente Pinson »,
en d'autres termes, du Vairapu, dans la direction du nord-
ouest, l'expédition est revenue sur les bords du Guanani,
qu'elle a passé ensuite pour arriver au Vincent Pinçon.
Enfin, il importe de relever que les diverses montagnes
et chaînes de montagne signalées près du Vincent Pinçon,
en particulier la haute montagne escarpée, où Amaral dit
avoir trouvé les bornes, n'existent pas près de l 'Araguary;
en revanche, des montagnes de cet aspect caractérisent
rembouchure de l 'Oyapoc.
Il résulte de tout cela que le procès-verbal et le Roteiro
s'accordent pour affirmer que du Guanani le voyage a
continué vers le nord-ouest ; c'est donc à tort qu'on con
clut, d'une prétendue contradiction entre les deux documents,
à la non-authenticité du Roteiro.
Quant à la « pointe de la riviere Goanani » il est dit :
« On reconnaîtra facilement cette riviere parce que, à envi
ron deux lieues avant d'y arriver, on voit vers le Sud-Ouest
une petite montagne ou morne à l'intérieur du pays, assez
élevée et allant du Nord-Ouest au Sud-Est, ce qui est le
meilleur signalement, car la côte est couverte de végétation
rabougrie, de bambous et la terre est noyée 1 ) . » Du Gua
nani, le Roteiro conduit d'abord au « grande rio chamado
Caxipurú », du Caxipurú à la « ponta chamada Camarupy ».
Plus loin (ou en face), au nord-ouest, se trouve un « monte
alto », distant de trois à quatre lieues de la rive de la ponta
1) L e Mont Mayé actuel, conf. ci-dessus, page 44.
Camarupy. Entre la montagne et la baie s'étend la « boca
do rio ou bahya de Vicente Pinson....... Pour entrer dans
cette riviere, on prend la direction de Sud-Sud-Ouest .
Elle est large et profonde ; je ferai remarquer que ses rives
d'un côté et de l'autre sont très basses et s'écartent à 40
ou 50 brasses à marée b a s s e . . . la partie de Sud-Est est
marécageuse ».
En amont, « un bas-fond près de l'île » partage la
riviere en deux bras, dont les indigènes et les França is
ont fait deux rivieres ; ils appellent celui qui se trouve à
main gauche « Curupi », l'autre « Guyapoco ».
Au confluent du Guyapoco et du Curupi (donc en face
de l'extrémité du bas-fond sur le côté nord de la riviere)
« il y a une montagne élevée et par de là, la côte se dirige
à l'ouest-nord-ouest, présentant quatre chaînes de mon
tagnes élevées qui s'avancent vers l'intérieur » (E na entrada
deste rio ou braço Guayapoco esta hum monte alto e delle
corre a costa para Oes-Noroeste coatro Se r ras 1) altas que
vão pela terra dentro).
« E t en venant vers l'embouchure de cette riviere ou
baie, il y a une autre montagne 2) élevée au nord-ouest, sur
le sommet de laquelle se trouvent les bornes-frontières du
Portugal 3 ) » (E vindo sahindo para a boca desto rio ou
1) T e r r a s dans le texte de M. F . I I , page 170. 2 ) C'est manifestement la montagne indiquée auparavant comme
située en face de la « ponta Camarupy ». 3 ) M. F . II , page 164, fait observer : « l'objet essentiel du voyage, la
reconnaissance des marques de frontières, est raconté tout autrement dans les deux textes » (Procès-verbal et Rotei ro) . Mais, d'une manière générale, le Rotei ro ne raconte pas et ne pouvait pas raconter, ainsi qu'il en a été fait la remarque. Amaral se borne à reconnaître le lieu où sont les bornes-frontières. D e ce que le Roteiro ne pouvait pas faire le récit des circonstances dans lesquelles ces bornes ont été trouvées, il n'est pas
350
- 3 5 1 —
Baya está outre- monte alto que demora ao Noroeste onde em cima estão os marcos de Portugal). De cette montagne vers le sud-ouest, on voit trois chaînes de montagnes ; de là, la côte s'étend vers Cayenne dans la direction de l'est-nord-ouest. « Cette terre est nommée du mont Camaripú. » (Chamase a esta terra do oiteiro Camaripú).
« C'est le Rio de Vicente Pinson lequel, les Français nous l'ont dit, sépare les terres du roi de Portugal, notre maître, de celles de la France, et de cette pointe de la montagne, dont j'ai parlé, on compte 24 lieues jusqu'à Cayenne. » (Este hé o Rio de Vicente Pinson que os Fran-cezes nos disserâo se dividião as terras de el Rei nosso Senhor de Portugal com Franca, e desta ponta ao monte que tenho dito são 24 legoas a Cayana.)
A la fin, cette remarque : «J 'a i fini ce routier le 12 mai 1723. »
5. C'est à bon droit que M. F . II, page 164, qualifie de « si importante pour l'interprétation du Traité d'Utrecht », la question des bornes-frontières qui firent l'objet de l'expédition d'Amarai. Mais cette expédition, importante pour l'interprétation du traité d'Utrecht, ne l'est pas uniquement en ce qui concerne la question des bornes-frontières; elle l'est pour la question de la frontière tout entière. A ce point de vue, les principaux renseignements que le rapport fournit au sujet de l'expédition sont les suivants :
a) Quant à la question de la frontière en général, le procès-verbal montre que le gouverneur da Maya da Gama, le capitaine Amarai et ses compagnons de voyage tenaient l 'Oyapoc du Cap d'Orange pour le «Japoc ou Vincent Pinson» du traité d'Utrecht: Sur le Guairapo, Amarai, ses
admissible de tirer la conclusion : « l'opération est présentée comme n'ayant offert aucune difficulté ». Il n'y a pas d'antinomie entre les rapports.
3 5 2
compagnons et les França i s qu'ils rencontrèrent étaient d'accord pour reconnaître qu'ils se trouvaient sur terre portugaise ; au dire de ces Français , le Vincent Pinçon est entre Cayenne et le Guairapo ; au dire de ces mêmes Français , sur le même trajet se trouvait «la côte des. possessions de la Couronne de Portugal» (costa dos dominios da Corôa Portugueza) ; des terres même au nord du Guairapo appartiennent par conséquent au Portugal. Amaral et ses compagnons arrivèrent ensuite au Vincent Pinçon, après avoir continué leur route dans la direction du nord-ouest au delà du Counani ] ) « exposés à des périls, des fatigues et des misères », et ils reconnurent enfin le « rio de Vicente Pinson chamado Yapoco », soit « verdadeiro Rio de Vicente Pinson » clans la riviere auprès de laquelle se trouvaient « terra alta », « serras altas » et une montagne spécialement décrite, haute et escarpée (« monte quazi talhado a pique », «monte a l to») , élévations qui le long de cette côte entre l 'Amazone et Cayenne se rencontrent pour la première fois au bord de l 'Oyapoç.
L e s indications du « Roteiro » établissent avec encore plus de précision et d'exactitude que, pour Amaral, l 'Oyapoc du Cap d'Orange était le même cours d'eau que celui désigné par le traité d'Utrecht comme frontière, sous le nom de «Japoc ou Vincent Pinson » : à l'embouchure, la « ponta chamada Camarupy » (Cap d'Orange) pour bordure au sud-est; un « monte alto » (Mont d'Argent), pour bordure au nord-ouest ; entre les deux, l 'embouchure : « Esta hé a boca do rio ou bahya de Vicente Pinson », et cette riviere (d'après
1) Lorsqu'i ls arrivèrent pour la première fois sur les bords du Counani, Amara l crut, d'après le renseignement erroné donné par un des guides, que c'était déjà (jâ) le Vincent Pinçon, d'où resuite que le véritable Vincent Pinçon était encore plus au nord.
3 5 3 -
un de ces bras) s'appelle « Guyapoco ». Sur sa rive nord se trouvent, outre un « outro monte alto », « serras altas » et la «terra do oiteiro Camaripú» le long de la côte qui, de l'est au nord-ouest, s'étend vers Cayenne. Sur le sommet d'un « monte alto » (Mont d'Argent) est la borne-frontière du Portugal. Ce sont « les Français qui nous on dit » que cette riviere forme la frontière. De la montagne où est plantée la borne-frontière, on compte 24 lieues jusqu'à Cayenne.
Cela impliquait que les Français considéraient bien la riviere Oyapoc du Cap d'Orange comme la frontière ; mais la frontière ne s'arrête pas au cours d'eau, elle le dépasse pour aller jusqu'au sommet du « monte alto » où se trouve la borne-frontière; toute l'embouchure de l'Oyapoc est par conséquent portugaise.
C'est ainsi que le Portugal entra le premier dans la voie qui devait conduire à la violation du traité d'Utrecht. Amaral outrepassa l'ordre qu'il avait reçu, ce dont était cause la borne-frontière sur le « monte alto ».
b) Aucune des parties ne conteste qu'Amaral ait trouvé une borne-frontière; la France reconnaît en effet qu'il en a trouvé une, seulement c'était, selon elle, sur le bord non de l 'Oyapoc du Cap d'Orange, mais de l 'Araguary. M. F . I, page 177, dit : « C'est, en effet, en 1723 qu'un des successeurs de da Cunha envoie Paes do Amaral reconnaître le Vincent Pinzon et rechercher les bornes de Bento Maciel, et il les trouve à l'Araguary»; ibidem, page 308: « le pilier recherché par Paëz do Amaral fut précisément retrouvé par lui sur le bord de l 'Araguary » ; et M. F . II, pages 164 et suivantes, relève « l'accent plus véridique » du procès-verbal, à cause du récit de la découverte de la borne, mais en conclut qu'en 1723, cette trouvaille n'a pas pu avoir lieu sur le Mont d'Argent; si l'on veut que la borne ait été trouvée sur ce mont-là, il faut admettre que le rapport si
23
— 354 -
exact consigné clans le procès-verbal n'est qu'un « long men
songe » (« ou cette description n'est qu'on long mensonge, ou
il s'agit d'une autre montagne que la montagne d'Argent
et d'une autre riviere que celle qui la baigne »).
Cette déduction de M. F . tend donc uniquement à éta
blir que la borne-frontière se trouvait, non sur l 'Oyapoc
du Cap d'Orange, mais sur l 'Araguary; M. F . admet que
la borne a été trouvée. Or, une étude attentive du procès-
verbal de l'audition des témoins amène à la conviction que
la borne n'a pas été trouvée sur le bord de l 'Araguary, car
l 'Araguary fut le point de départ et non le but et le point
d'arrivée de l'expédition d'Amaral. Ce n'est pas au pre
mier, mais au second de ces points que la borne a été
découverte.
Voici les considérations qui militent en faveur de la
découverte, effectuée au printemps de 1723, de la borne-
frontière sur le bord de l 'Oyapoc du Cap d'Orange :
aa) la conclusion, tirée des événements antérieurs, que
rien ne permet de clouter que Parente avait placé une
borne-frontière ;
bb) les dépositions, reçues sous la foi du serment, des
personnes qui ont assisté à la découverte;
cc) les renseignements exacts et circonstanciés que
fournit le rapport sur la découverte même;
dd) la description exacte des armes sculptées sur la
borne principale ;
ee) la mention de la sculpture d'une croix « comme celle de l'Ordre du Christ » sur une des pierres plus petites (des « levantadas como testemunhas ou guardas »), ce qui correspond à la stipulation de la donation royale faite à Parente, selon laquelle le roi Philippe I V procédait à la donation en qualité aussi de Commandeur de l'Ordre du Christ ;
— 3 5 5 —
ff) la mention du fait qu'Amaral apporta à Belem et remit au gouverneur une des copies qu'il avait dessinées des armes trouvées;
gg) le fait que la borne-frontière a été trouvée sur la montagne et non pas sur une rive basse, où une pierre de cette nature n'eût pu rester longtemps ;
hh) le fait que le procès-verbal relatif à la découverte de la borne-frontière a été envoyé à Lisbonne en expédition authentique, voir R. B . III, pages 56, 129; ci-dessous, page 383 ;
ii) le fait que le Roteiro confirma la découverte de la borne-frontière ;
kk) le fait que le précédent gouverneur, Berredo, qui, en 1723, était encore au Brésil, annonça la découverte de la borne-frontière comme effectuée 1)
On ne saurait opposer à cette démonstration ni la relation par laquelle, en 1685, Souza Fereira rapportait que les bornes-frontières avaient disparu par suite des intempéries, ni le fait que les mémoires portugais de 1698 et 1699 paraissaient adopter cette opinion; car ni Souza Fereira ni les auteurs des mémoires n'ont procédé sur place à une enquête ; en outre, le témoignage du P. la Penher ne saurait être écarté du débat. Vra i est-il toutefois que la description de la borne-frontière n'est pas exactement la même dans le rapport de da Maya da Gama, d'une part, et dans les dépositions d'Amarai et du sergent Mendonça, d'autre part.
Ce défaut de concordance provient peut-être d'une erreur due au copiste.
Si l'on prend pour base la description de da Maya da Gama, l'idée la plus naturelle qu'on a de la borne-frontière
1) Silva II, page 287, cite les mots de Berredo : « Cette borne . . . a été retrouvée, en 1723, par Joào Paes do Amarai . »
Voir en outre ci-dessous, page 363.
— 3 5 6 —
retrouvée est celle-ci: sur un côté de la pierre (pedra), un carré avait été taillé et dans ce carré les armes du Portugal étaient sculptées, sur l'autre côté, dans un carré semblable, les armes d'Espagne. Pour arriver à une reconstitution complète, il ne faudrait pas qu'il ne fût fait mention, comme c'est le cas, que d'un seul carré .
D'après les dépositions d'Amaral et de Mendonça, telles qu'elles ont été conservées, c'est en revanche la pierre même qui est le carré ; elle aurait donc été taillée en forme quadrangulaire. Mais cette pierre est de dimensions si modestes qu'elle n'aurait pas pu servir de padrão ni porter sculptées toutes les figures des armoiries.
Quoi qu'il en soit, on était alors à Para au clair sur ce point : la frontière du traité d'Utrecht était à l 'Oyapoc du Cap d'Orange et il avait été officiellement constaté qu'il existait toujours à cet endroit une ancienne borne-frontière.
Dans le courant de 1723 encore, il y eut un échange de vues entre le gouverneur français de Cayenne et le gouverneur portugais de Para au sujet de la délimitation du contesté.
3.
L e P. Chrysostomus avait apporté au gouverneur d'Or-villiers la lettre du 12 avril 1723, par laquelle da Maya da Gama faisait savoir qu'à aucune condition et d'aucune manière il ne pouvait admettre que des relations commerciales s'établissent entre les deux colonies, française et portugaise, l'article 12 du traité d'Utrecht et les ordres exprès du roi s'y opposant.
L e 30 mai 1723 1 ) , le gouverneur français 2 ) répondit :
1) M F . I, pp. 178 et suiv., mentionne le rapport de d'Orvilliers à son gouvernement, du 27 juin 1723, dans lequel il fait part de ses négociations avec le gouverneur portugais. L e s données que M. F . reproduit
— 3 5 7 —
« Il n'y a rien de plus juste et qui soit mieux de notre devoir que de mettre à exécution le Traité fait par nos Souverains à Utrecht. »
En conséquence: «J'interdis et défends absolument aux Français de traverser l'Oyapock suivant ce qui est contenu et déclaré aux Articles 8 et 12 : — S a Majesté T rès Chres-tienne se désistera . . . . de tous droits et prétentions . . . . sur la propriété des terres appelées du Cap du Nord, et situées entre la riviere des Amazones et celle de Oyapock, ou Vincent Pinson.»
« Pa r ce traité, toutes les Terres du Cap du Nord sont au Roy de Portugal et celles du Cap d'Orange au Roy mon Maître, lesquelles ne commencent, je crois, qu'au Cachipou. Si, comme on me le fait espérer, Vot re Seigneurie vient l'année prochaine à l'Oyapock, je m'y trouverai et nous ferons d'accord la démarcation des limites de nos Gouvernements. »
Il veut écrire à la cour de France, afin que les deux gouvernements s'entendent sur le point de savoir si « un commerce de bœufs et autres animaux » ne peut s'établir entre les colonies.
Il est d'accord pour convenir d'un arrangement au sujet de l'extradition réciproque des esclaves fugitifs ; il
d'après ce rapport établissent l'authenticité de la lettre du 30 mai, en ce qu'elles concordent en partie avec le contenu de celle-ci et n'apportent d'ailleurs rien qui soit en contradiction avec cette pièce. E l les en disent moins que la lettre, en ce qu'elles ne mentionnent pas la reconnaissance de la frontière de l'Oyapoc, elles présupposent toutefois qu'elle a eu lieu, à quoi elles ajoutent même l'indication de la latitude du Cap d'Orange et du Cap du Nord. Voi r ci-dessous, page 362, note.
2) L a traduction portugaise, faite à Para , de la lettre de d'Orvilliers est reproduite dans R . B . I V , pp. 205 et suiv., d'après la Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. du Cons. Ultramarino, Liasse n° 1052 ; en retraduction française, ibidem III, pp. 63 et suiv.
statue sur nombre de cas de même nature, à la satisfaction, croit-il, du gouverneur portugais. Il répond aux plaintes que, de tout temps, les Portugais faisaient entendre au sujet du commerce d'esclaves pratiqué par des França i s sur territoire portugais, par une contre-plainte : « On me dit que beaucoup de Portugais se rendent aux terres du Roi mon Maître pour acheter des Indiens esclaves et des produits qu'on trouve sur lesdites terres. »
Cette lettre montrait où, en 1723, le gouverneur français de Cayenne plaçait la frontière du traité d'Utrecht ; d'Orvilliers défendait à ses administrés de passer l 'Oya-pock, c'est-à-dire d'aller sur territoire portugais. Ce devait être un cours d'eau déterminé, évidemment connu, sinon la défense n'aurait eu aucun sens. E t puisque c'était pour se conformer au traité d'Utrecht, ainsi qu'il le disait expressément, que d'Orvilliers interdisait de passer cette frontière sur l 'Oyapock, il faut que, dans son opinion, cet Oyapock et le « J apoc ou Vincent Pinson » du traité d'Utrecht fussent identiques ; c'est pourquoi il l'appelle, non pas Japoc, mais «Oyapock ou Vincent Pinson». Quel était cet « O y a p o c k » connu de tous les França is de Cayenne ? C'était, depuis la B a r r e et Ferrol les , l 'Oyapoc du Cap d'Orange. D'emblée, il était évident que d'Orvilliers n'en entendait pas d'autre, mais ce qui le démontrait encore mieux, c'est qu'il rattachait la riviere-frontière Oyapock au Cap d'Orange et au Cassipour.
D'Orvilliers reconnaissait bien que l 'Oyapcck du Cap d'Orange était la frontière adoptée par le traité d'Utrecht, et défendait de le passer, mais son opinion personnelle « (je crois) » était : il faut en réalité faire rentrer dans la démarcation française tout le territoire de l'embouchure de l 'Oyapock, même celui qui est au sud, comme terres dépendant du Cap d'Orange, terres dont la frontière natu-
3 5 8
relie est le cours d'eau important le plus rapproché, le Cassipour.
C'est ainsi que, tout en admettant l 'Oyapoc du Cap d'Orange comme constituant la frontière adoptée par le traité d'Utrecht, d'Orvilliers en arriva à déplacer cette frontière sur un certain espace vers le sud-est.
Il reçut du gouverneur portugais da Maya da Gama une réponse, datée du 4 août 1723 1), disant :
« J e suis heureux . . . que Vot re Seigneurie comprenne, combien il est de notre devoir d'exécuter fidèlement les stipulations du Traité conclu à Utrecht entre nos Souverains, et que Votre Seigneurie aie expressément défendu à ses Français de dépasser la riviere Japouco, qui n'est autre que la riviere de Vicente Pinçon. »
Il se voyait néanmoins obligé de se plaindre de ce que, nonobstant cette défense, on avait trouvé trois Français sur une petite riviere qui se trouve en deçà du rio Guarapo 2 ) « très loin du Rio de Vicente Pinçon, dans les terres appartenant aux domaines du Roi mon Maître » ; « ainsi qu'il résulte du procès-verbal et enquête que j'en ai fait faire pour servir en tout temps ».
Dans le cas où, à l'avenir, « d'autres Français seraient rencontrés dans les mêmes parages, je les ferais arrêter, et Votre Seigneurie pourra traiter de même mes Portugais, s'ils venaient à dépasser le Cap Comaribô, qui se trouve du côté de Votre Seigneurie, au delà du Rio de
1) Tex te portugais Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Conselho Ultra-marino, Liasse n° 1052, reproduit par R . B . I V , pp. 209 et suiv. ; traduction française dans R . B . III , pp. 67 et suiv.
2 ) D'après la déposition de da Maya da Gama recueillie dans le procès-verbal, le Guarapo même était l'igarapé, la petite riviere ; en outre, d'après le procès-verbal, il s'agissait non de trois, mais de deux Français seulement.
359
3 6 0 -
Vincent Pinçon, parce que, à son embouchure vers l'Ouest on a posC les bornes qui limitent les possessions du Roi mon Maître, ces bornes ayant été posées sur l'ordre de l 'Empereur Charles Quint et puis sur celui de Philippe I V en 1639, le 30 Mai, jour auquel le Capitaine Major Bento Maciel prit possession des dites terres, et l'on doit par conséquent entendre que les territoires dit Roi Très-Chrétien commencent à la dite pointe appelée Comaribô, qui se trouve à l'Ouest de la riviere de Vicente Pinçon et non pas au Cap d'Orange, comme le dit Votre Seigneurie, attendu que celui-ci se trouve à l'Est, et que toute l'embouchure de la riviere de Vicente Pinçon, laquelle est et forme la limite des deux territoires, appartient au Roi mou Maître, comme il est déclaré par le susdit traité ».
L e gouverneur portugais prend occasion de la plainte de d'Orvilliers rapportant que des Portugais pénètrent sur le territoire français, pour se prononcer sur la question de la frontière intérieure : « Quant à la nouvelle mentionnée par Votre Seigneurie, que beaucoup de Portugais se rendent par l'Amazone dans le territoire du Roi Très-Chrétien, pour faire la traite des Indiens, et pour acheter des drogues ou des fruits, qui se trouvent dans ces terres, ces nouvelles sont fausses et dénuées de fondement ; car un tel voyage serait impraticable, non seulement à cause du grand éloignement et des difficultés du terrain dans l'intérieur, mais aussi parce qu'il n'y a pas de riviere que depuis l ' A m a z o n e on puisse remonter pour arriver aux possessions de la Couronne de France. »...
D'ailleurs, il demande que les França is de Cayenne cessent de venir en aide à Guaimâ et aux autres Aroans insurgés auxquels ils fournissent de la poudre et donnent asile ; il serait content que les deux gouvernements « puissent autoriser quelque commerce entre nos colonies », mais, à
— 3 6 1 —
défaut d'un tel accord, il est obligé de faire exécuter dans
le Brésil la loi portugaise qui interdit absolument tout
commerce avec les nations étrangères ; il entend main
tenir si strictement l'interdiction de tout accès du terri
toire portugais qu'il prie le gouverneur français « de ne
pas m'envoyer des embarcations » ; « si Vot re Seigneurie a
un avis quelconque à me faire parvenir, elle peut le faire
par un soldat qui pourra m'apporter sur une petite embar
cation les lettres et en remporter d'autres avec lui, mais
pas autre chose. »
Dans cette lettre, da Maya da Gama s'explique avec
une complète clarté sur la question la plus importante pour
l'arbitre, celle de la frontière du «Japoc ou Vincent Pin
son ». Se fondant sur la délimitation fixée par le traité
d'Utrecht et fort des résultats obtenus par l'exploration
d'Amaral, il prétend que la riviere frontière est le Vin
cent Pinçon, qui a son embouchure entre le Cap d'Orange
et le Cap Comaribô. Mais comme l'ancienne borne-fron
tière se trouve sur la montagne qui est sur la rive nord
de la riviere, les deux rives, tout le territoire de l'embou
chure, appartiennent au Portugal. L e territoire français
ne commence qu'à partir de la montagne où est la borne-
frontière, avec la « pointe de Comaribô », non, par con
séquent, au Cap d'Orange ; il ne dit mot du Cassipour,
le considérant tout naturellement comme un cours d'eau
portugais.
Da Maya da Gama affirme en ce qui concerne la fron
tière intérieure : Il n'y a pas d'affluent de l'Amazone par
lequel on puisse arriver sur le territoire de la France . Il
est par conséquent d'avis que tout le réseau fluvial du bas
Amazone appartient au Portugal.
A teneur de leurs lettres, le gouverneur français et le
gouverneur portugais étaient donc d'accord en 1723 pour
— 3 6 2 —
admettre que la riviere frontière du traité d'Utrecht, « J a p o c
ou Vincent Pinson » est l 'Oyapoc du Cap d'Orange.
Entre eux, il n'existait qu'une divergence : chacun
d'eux revendiquait pour son pays le territoire entier de
l 'embouchure de l 'Oyapoc ; d'Orvilliers opposait au terri
toire portugais du Cap du Nord un territoire français
du Cap d'Orange, traversait l 'Oyapoc et n'entendait s'ar
rêter qu'au Cassipour ; da Maya da Gama suivait l'an
cienne démarcation, réelle ou supposée, passant par le
Mont d'Argent, et arrivait ainsi sur la rive septentrionale
de l 'Oyapoc.
Tous deux dépassaient la frontière d'Utrecht et tous
deux n'en restaient pas moins à la frontière d'Utrecht.
L 'accord ne subsista pas longtemps ; la F rance ne
tarda pas à élargir notablement sa prétention.
4.
1. On voyait à Cayenne dans l'expédition d'Amaral,
rat tachée à la déclaration faite par le gouverneur portu
gais au sujet de la frontière, une tentative d'occupation
opérée par le Portugal sur la rive gauche de l 'Oyapoc. A
cela vint s'ajouter que da Maya da Gama « ayant fait faire
cette année (1723) un établissement assez près d'Oyapoc
par les terres », annonça que l'année suivante il viendrait
en personne sur l 'Oyapoc « où il prétend faire un établisse
ment », et où il désirait se rencontrer avec le gouverneur
de Cayenne « pour régler les limites ». On constata à
Cayenne que, par des mesures de cette nature « cette
nation devient voisine de bien près de Cayenne 1 ) » .
1) D'après le rapport de d'Orvilliers du 27 juin 1723, M. F . I, pp. 178 et suiv.
L e capitaine des Roses qui avait porté à Pa ra la lettre
de d'Orvilliers, du 30 mai 1723, revint avec la nouvelle
qu'Amaral avait planté sur la « montagne de Lucas » « un
poteau avec les armes du Portugal ». D'Orvilliers ne vou
lut pas le croire, mais il ordonna d'enlever la borne en
tout cas 1 ) .
Plus tard, il s'est plaint lui-même au gouverneur por
tugais d'un officier portugais qui « a osé » mettre sur la
« Montagne d'Argent » les armes du roi de Portugal 2 ) , fait
que da Maya da Gama dans le rapport qu'il a adressé à
son gouvernement le 25 septembre 1727, qualifia d'inven
tion et de mensonge, attendu qu'Amaral avait retrouvé
les anciennes bornes, qu'il n'en avait pas érigé de nou
velles 3 ) .
Des écrivains français contemporains maintenaient
qu'en 1723 les Portugais avaient non seulement placé une
1) D'après le rapport de d'Orvilliers du 28 mars 1724, M. F . I, pp. 179 et suiv., « Archives du Ministère des colonies, Limites de Cayenne avec les Portugais » : « L e sieur des Roses, capitaine à Cayenne, qu'il avait envoyé à Para , lui a rapporté, qu'un officier envoyé par le général portugais avait fait planter un poteau avec les armes du Portugal à la montagne de Lucas, qui est au N. O. de la riviere (l'Oyapoc) ; il ne le croit pas, mais si l'officier portugais avait été assez imprudent pour l'avoir fait, il a donné ordre au sieur Capron, qu'il a envoyé dans le Camopy, de faire couper le poteau. Il demande des ordres pour en faire planter un aux armes du Roy ; il est de conséquence qu'il les reçoive et qu'il lui soit prescrit ce qu'il doit faire. » — Si l'officier était chargé de détruire le poteau au cours de son expédition sur le Camopy (affluent de la rive gauche de l'Oyapoc), la borne se trouvait non sur l 'Araguary, mais précisément sur l'Oyapoc du Cap d'Orange.
2) Dans les lettres de d'Orvilliers du 20 août 1726 (R B . III , pp. 85 et suiv.) et du 4 mai 1727 (ibidem, page 112). «J 'a i des motifs de me plaindre », est-il dit dans la première de ces lettres, « d'un des officiers portugais de Vot re Seigneurie, qui a osé mettre les Armes du Roi de Portugal à la Montagne d'Argent. »
3 ) R . B . III , pp. 131 et suiv. ; voir ci-dessous, page 384.
363
— 3 6 4 —
borne-frontière sur la rive septentrionale de l 'Oyapoc, mais
encore gravé les armes du Portugal dans le roc ; sur
l'ordre du gouverneur d'Orvilliers, le poteau fut abattu et
les pierres jetées à la mer 1).
Mais les actes même d'occupation accomplis par la
F r a n c e sur l 'Oyapoc étaient plus importants que la destruc
tion de bornes-frontières portugaises. En relatant qu'il avait
ordonné de détruire la borne-frontière portugaise, d'Orvil
liers demanda à son gouvernement l'autorisation d'en faire
planter une aux armes du roi de F rance 2 ) . Et, en 1724,
on commença la construction d'un poste fortifié français
sur la rive septentrionale de l 'Oyapoc.
1) Conf. K. B . III , pp. 73 et suiv. Pierre Barrère, . . . ci-devant Méde
cin-Botaniste du Roi dans l'Isle de Cayenne, Ext ra i t de la « Nouvelle Rela
tion de la F r a n c e Equinoxiale », Paris 1743, pp. 28 et 29 : « L e s Por tuga i s . . .
se sont avisés de venir en 1723 faire un abaty à Ouyapok, où ils ont
érigé sur un poteau, les Armes du roi de Portugal , et les ont même gra
vées sur des rochers. »
De Milhau, « Histoire de L' is le de Cayenne et Province de Guianne »...
1732 (R. B . III , page 74, imprimé par erreur 1723), Manuscrit, 3 vol.,
Bibl . du Museum d'Histoire Naturelle à Par is , 476, t. I, pp. 71 et 73 : « On
avait même planté une Borne où estoient gravées les Armes du R o y de
Portugal . . . Mais feu M. D'Orvil l iers . . . la fit enlever. »
Dr Artur, « Histoire des colonies françaises de la Guyane », Bib l .
Nat. de Paris , Manuscrit, Nouv. Acq . fr. 2571, page 4 1 4 : « E n 1726 (par
erreur au lieu de 1723) . . . les Portugais, instruits de l'établissement des
Français à Oyapoc, s'avisèrent d'envoyer une pirogue armée planter un
poteau aux Armes de Portugal sur la Montagne d 'Argent ou Quomaripo,
qui fait la pointe nord de l 'embouchure de l 'Oyapoc pour en prendre
aussy possession. S u r la nouvelle qu'on en eut à Cayenne, M. Dunezat
reçut l 'ordre d'aller abattre ce poteau. 11 s'y transporta par terre, l'abattit,
et fit en même temps rouler à la mer des quartiers de roche sur lesquels
les Por tugais avoient aussi g ravé les Armes de Portugal, et dont ils
avoient aussi entouré le pied de leur poteau. » — Il est à remarquer que
ces écrivains parlent de l 'Oyapoc du cap d'Orange. 2 ) V o i r le rapport ci-dessus de d'Orvilliers du 28 mars 1724, M. F . I,
page 179.
— 3 6 5 —
Toutefois, il ne suffisait pas d'assurer la défense de la
ligne de l 'Oyapoc. Grâce aux relations entretenues à Cayenne
avec des peuplades indiennes établies au sud de l'Oyapoc,
la domination française franchit cette riviere. Immédiate
ment après la paix d'Utrecht, le gouvernement avait recom
mandé aux autorités de Cayenne d'entretenir des rela
tions de cette nature. L'expédition d'Amaral avait révélé
que, quelqu'exagérés que fussent les récits des Indiens
habitant sur les bords du Guairapo, il régnait une cer
taine agitation parmi les Indiens de ces contrées ; on cons
tatait des mouvements hostiles aux Portugais, auxquels l'in
fluence de Cayenne n'était pas étrangère 1 ) .
D'année en année, on voit se préciser davantage le
désir de régler la question des frontières de manière à
laisser se développer la sphère d'influence de la France .
On ne tarda pas à donner des motifs à l'appui de cette
politique.
1) A en croire un « Routier » portugais anonyme reproduit par R . B . III, pp. 91 et suiv., I V , pp. 219 et suiv., avec la date «vers 1727» («Voyage du Cap du Nord »), il y avait à cette époque sur le Cassipour (Rio Ocosi-perú) « un village d'esclaves marrons ayant appartenu à des habitants du Pa ra et beaucoup d'Indiens évadés des Missions des Religieux de la Conception et de St . Antoine, et de celles des Pères de la Compagnie de Jésus, lesquels Indiens, quoique se trouvant ici dans nos domaines, donnent obéissance à Cayenne et commercent avec les Français ». Cet écrit ne saurait être utilisé pour la constatation des laits de la cause, vu l'incertitude de sa date et de sa provenance (« Bibliothèque Municipale de Porto, Manuscrit »). S ' i l était authentique, il fournirait l'explication la plus simple du désir de d'Orvilliers qui voulait la frontière du Cassipour. Dans le même Routier, il est dit des « gentils de la nation des Aricurarez » sur « l 'igarapé de Maraipo » (un jour de distance du Rio Guanani), qu'ils « penchent plutôt pour les Français que pour les Portugais ». L e rédacteur connaît en outre le Rio de Vicente Picam ou Hiapouco, la riviere « d'où l'on voit trois monts que les Indiens appelent Comaripû et les Français Montagne d'Argent ; en entrant dans la riviere il y a un fort aux Français . . . à main droite ».
3 6 6 —
2. L e 20 août 1726, le gouverneur d'Orvilliers écrivit à da Maya da Gama *) une lettre qu'il fit porter de nouveau par le capitaine des Roses . Cette lettre dit au sujet de l'affaire de la frontière: « J e d o n n e . . . . pouvoir au dit des Roses pour établir nos bornes : et quoique la Baie de Vincent Pinson. soit plus au Sud que la Rivière de Cachipour, je conviendrai, pour le Roi mon Maître, que nos limites soient à la riviere de Cachipour. Cette riviere ne dépend nullement des terres dites du Cap du Nord qui sont celles que le Roi a cédées par le dernier Traité au Roi de Portugal ; mais comme la Rivière de Vincent Pinson, autrement nommée Ojapoc, est petite, je crois que le Roi ne désapprouvera pas que nous placions la limite à la Rivière de Cachipour, qui est une grande riviere. »
Cette ouverture impliquait un changement d'opinion complet chez d'Orvilliers. Il est vrai que sa conclusion se rapprochait de celle de 1723: les deux Puissances s'arrêteront au Cassipour. Mais il arrivait à cette conclusion à l'aide de prémisses totalement nouvelles. Autrefois il était dit: l 'Oyapoc du Cap d'Orange est la riviere frontière, il est identique avec le J a p o c ou Vincent Pinson du traité d'Utrecht; toutefois, il faut attribuer à la F rance le territoire de l 'embouchure de l 'Oyapoc, parce que le Cap d'Orange appartient à cette puissance et que, « je crois », on peut considérer le Cassipour comme la frontière des terres du Cap d'Orange. Alors, il ne restait plus que la conclusion, fort modifiée, et l 'argumentation dans son ensemble consis-
1) L a traduction portugaise de la lettre « faite à Pará , certifiée conforme par le P . Bucarel l i (Louis Marie) , de la Compagnie de Jésus , le 11 septembre 1727, et envoyée au Conseil d'Outre-mer, à L isbonne» , Bibl . Nat. de Lisbonne, Archivo do Conselho Ultramarino, Liasse n° 1052, reproduite par R . B . I V , pp. 213 et suiv., la retraduction française dans R . B . III , pp. 83 et suiv.
— 367 —
tait en ceci : « la riviere de Japoc ou de Vincent Pinson » n'est pas identique avec l'Oyapoc du Cap d'Orange ; la première dénomination, Japoc, est éliminée, « la riviere » est éliminée aussi, reste: «Vincent Pinson». Auprès du «Vincent Pinson » se trouve une « Baye ». La frontière s'appelle en conséquence « Baye de Vincent Pinson ». La Baye est située « plus au sud que la Rivière de Cachi pour », et la frontière par conséquent est aussi « plus au sud que la Rivière de Cachipour ». Mais comme la « Baye » - ou plutôt la « Rivière de Vincent Pinson, autrement nommée Ojapoc », en laquelle subitement la « Baye » se transforme de nouveau — est petite, d'Orvilliers estime que le roi de France n'aura rien à objecter à ce qu'on place la frontière à une grande riviere plus au nord, qui est le « Cachipour ».
Selon la nouvelle conception de d'Orvilliers, c'était donc en quelque sorte par la faveur du roi de France que la frontière du Cachipour devait être donnée aux Portugais; la même frontière jusqu'à laquelle, en 1723, il avait hésité à se risquer.
On n'en met que plus d'âpreté à vouloir faire respecter cette frontière. « On m'a affirmé », continue-t-il dans sa lettre, « comme chose certaine que des Portugais s'étaient établis à Cachipour. Pourvu que cela soit du côté du Sud de la dite riviere, jusqu'à ce que les ordres du Roi mon maître arrivent, je ne mettrai à cela aucun empêchement. Mais si qui que ce soit allait demeurer au Nord ou au Nord-Ouest de cette riviere, je ne pourrais faire autrement que de les en faire c h a s s e r . . . ».
Outre la lettre adressée au gouverneur portugais, d'Orvilliers remit à des Roses des Instructions l ) qui l'autori-
1) R . B . I V , pp. 216 et suiv. (traduction portugaise), ibidem, III, pp. 86 et suiv. (retraduction française). Des Roses avait ordre de com-
— 3 6 8 —
saient à négocier, au nom du gouverneur français et selon les ouvertures faites au gouverneur portugais « au sujet des limites entre le Roi de France et le Roi de Portugal». « Il fera remarquer à M. le Général que la riviere de Cachipour est celle qui doit servir de limite. II demandera une carte portugaise et fera remarquer que la Baie du Vincent Pinçon se trouve au delà du Cachipour ; par conséquent que c'est l 'emplacement de leurs limites. 11 fera considérer à Monsieur le Général que, par le dernier Tra i té de Paix, le Roi mon Maître cède au Roi de Portugal les terres dites du Cap du Nord que, d'après ce Trai té , il aurait été juste qu'on s'arrêtât aux terres qui sont en face des îles du Cap du Nord, mais que, pour éviter tout différend, je m'arrêterai à la riviere qui est au Nord de la Ba ie du Vincent Pinçon, j e m'arrêterai même au Cachipour.
Si ledit Général veut signer cet accord, je l'enverrai au Roi mon Maître, comme il l 'enverra de son côté au Roi son Maître, pour le faire approuver » . . .
Mais ces propositions de d'Orvilliers ne furent pas communiquées à temps au gouvernement portugais ; des Roses n'arriva pas à P a r a et la lettre du 20 août 1726, qu'il était chargé de remettre, ne parvint qu'après coup (postérieurement au 4 mai 1727) en mains du gouverneur portugais 1).
Ce retard était dû aux circonstances que voici : Un fonctionnaire français de la colonie, le sieur Dage ,
détaché à proximité de Cayenne, avait été assassiné par
muniquer également ces instructions au gouverneur portugais (R. B . III , page 86).
1) A sa lettre du 4 mai 1727, d'Orvilliers joignit la copie de celle du 20 août 1726, non parvenue au destinataire, avec les instructions pour des Roses; R. B . I II , page 114: « J e vous adresse ci-joint copie de la lettre que j'avais envoyée à Votre Seigneurie par l'intermédiaire du Sieur des Roses, l'officier qui commandait cette chaloupe, et j'y joins aussi les instructions que je lui avais données. »
3 6 9 —
ses esclaves, en même temps que sa femme, son nourrisson et un administrateur. Les assassins s'étaient enfuis, emmenant un petit enfant, dans la direction de l'Amazone, à ce qu'apprit d'Orvilliers. « Cette noire action crie vengeance », écrivait celui-ci dans la lettre du 20 août 1726, adressée à da Maya da Gama, à qui il annonça en même temps que des Roses, le porteur de la missive, avait l'ordre de poursuivre les fugitifs dans son voyage à Para et de demander leur extradition « s'ils sont allés du côté de la résidence de Vot re Seigneurie ; . . . chose que je suis persuadé que Vot re Seigneurie ne lui refusera pas, puisque ce crime regarde toutes les colonies en général et que toutes les têtes couronnées y sont intéressées » ] ) . Pour poursuivre les meurtriers, il avait été adjoint au sieur des Roses un sous-lieutenant, un sergent et quelques soldats. « Il s'informera », prescrivait l'instruction, « auprès de tous les Indiens qu'il rencontrera en route, d'ici au Pará, s'ils ont appris que lesdits assassins aient été sur quelque riviere... Si sur ces rivieres il n'y a point de nouvelles de ces gens, il ira jusqu'au Pará » 2 ) .
C'était de la part de l'autorité française un empiètement sur les droits de souveraineté du Portugal ; l 'excuse en était dans l'horreur du crime commis.
L a colonie portugaise professait une certaine méfiance à l'égard de ces expéditions des Français ; aussi le sieur des Roses y fut-il très mal accueilli. A la station des « Pères Missionnaires de Touaré » 3 ) , on lui refusa un guide pour
1) R . B . III , page 84. 2 ) R. B. III, page 87. 3 ) C'est ainsi que l'écrit d'Orvilliers le 4 mai 1727 (R. B. III , page 114);
ou Taueré selon da Maya da Gama (R. B . III , page 96) ; il s'agit du Toheré, un petit affluent de l 'Amazone, qui a son embouchure entre le J a r y et le Paru. (R. B . III , page 96, note 2.)
24
— 370 —
1) Conf. R . B . III , page 96, note 2, et page 114. 2 ) « Regimento que ha de guardar o Sargento-Mór Francisco de
Mello Pa lhe ta », Bib l . Nat. de Lisbonne, Arch , do Cons. Ultramarino, Liasse n° 1032, texte portugais R . B . I V , pp. 229 et suiv.; la traduction française, R . B . I I I , page 101, prête à équivoque.
P a r a ; il dut rebrousser chemin, fit naufrage en route et
périt 1 ) .
Cela causa une grande exaspération à Cayenne, alors
qu'en même temps le gouverneur portugais de Para , qui
ne connaissait pas ou ne connaissait qu'incomplètement les
motifs de l'expédition de des Roses , était irrité de ce nou
vel empiètement des França is sur le territoire portugais.
3. Au commencement de 1727, Maya da Gama décida
d'envoyer une autre expédition portugaise vers le nord
pour se renseigner sur la situation dans le Contesté, opérer
une nouvelle reconnaissance sur l 'Oyapoc et faire remettre
une lettre de plaintes au gouverneur de Cayenne. Il en
confia le commandement au major Francisco de Mello
Palheta, à qui il remit une instruction.
a) Cette instruction 2 ) , datée de Belem do Para le 20 fé
vrier 1727, stipule:
Une ordonnance royale a décidé que tous les ans
quelques chaloupes armées en guerre aillent croiser « à la
côte du Nord », pour savoir si des França is violent la
frontière, et dernièrement le roi a expressément ordonné
la surveillance et la défense de ses domaines situés, de
notre côté, à l 'embouchure de la riviere de Vicente Pinçon,
appelée Japoco , sur laquelle riviere de l'autre côté se
trouvent les bornes . . .
En outre, il est devenu nécessaire de châtier les Indiens
Aroans, qui ont attaqué des sujets de S a Majesté.
Ensuite : « le bruit a couru ici que les França is ont
enlevé, ou avaient l'intention d'enlever lesdites Bornes et
3 7 1 —
de bâtir des forts ou fortifications à l'embouchure de ladite riviere ou sur les domaines de S a Majesté, et d'autres disent sur les terres qui leur appartiennent au delà de la riviere de Vicente Pinçon, ce qu'il faudra éclaircir, pour empêcher qu'ils ne passent en deçà de ladite riviere. »
Là-dessus est arrivée la dernière nouvelle, « qu'ils sont entrés dans la riviere des Amazones à la poursuite de quelques-uns de leurs esclaves qui se sont enfuis de ce côté-ci ».
De là cette expédition : F . de Mello Palheta conduira quatre chaloupes, il prendra le P. Bernardino au Tajapurú et il se renseignera auprès de lui pour savoir s'il vaut mieux châtier d'abord l'insurgé Guaimá et ses hommes, ou aller à la « riviere de Vicente Pinçon », il consultera sur la même affaire le « P. Joâo, commissario da Con-ceicão que esta na ilha defronte do Macapâ ». D'après les renseignements que possède le gouverneur, il semble « qu'il faut d'abord faire le voyage à la riviere de Vicente Pinçon ». Mais, auparavant, Mello demandera « s'il y a des Français dans l'intérieur sur la riviere des Amazones et s'il en trouve, il les mettra en état d'arrestation. Car à teneur du traité d'Utrecht, dont les articles applicables sont rappelés à Mello, « la possession et le domaine de toutes lesdites terres depuis ladite riviere de Vicente Pinçon, ou Japoco, qui est une seule riviere » appartiennent au Portugal (posse e dominio de todas as ditas terras desde o dito rio de Vicente Pinçon, ou Japoco, que hé o mesmo).
De Macapa, il a ordre d'aller à l 'Araguary « et aux autres cours d'eau du Cap du Nord », « et lorsqu'il les aura dépassés, il cherchera la riviere de Vicente Pinçon, entrant, s'il lui semble bon, en allant ou en revenant, dans la riviere Guanany et dans le Caxipurú, qui se trouve
— 372 —
avant la riviere de Vicente Pinçon, prenant grand soin
d'éviter le mascaret, les bas fonds, les courants de toutes
les pointes et les terres du Cap du N o r d . . . » .
Pour qu'il connaisse la route qu'il doit suivre, il lui
sera remis « un Routier de la Côte d'Araguari jusqu'à la
riviere de Vicente Pinçon, lequel a été dressé par mes
ordres par le capitaine J o â o Paes ».
« Il s 'assurera partout si les Français , en contravention
de ce qui est stipulé au Chapitre 12 du Trai té d'Utrecht,
entrent et trafiquent sur toutes ces terres, situées en deça
de la riviere de Vicente Pinçon....»
« Entrant dans la riviere de Vicente Pinçon appelée
Japoco, où sont les bornes, il les examinera de nouveau
pour voir s'ils ont modifié les marques, car elles ont été
faites dans la roche même au sommet de la montagne qui
se trouve à main droite en entrant dans ladite riviere. » Ici
« dans la même riviere » il devait attendre avec toute sa
flottille et pendant qu'un officier (Joâo da Matta ou Joseph
Mendes) porterait la lettre au gouverneur à Cayenne, s'as
surer s'il y avait des indigènes près de la riviere, « et il
s'informera, si les França is y ont 1 ) un établissement».
En revenant, il châtiera les Aroans et les Mexiannas,
peuplades rebelles.
Il appert de l'instruction que le 20 février 1727 l'opinion
de da Maya de Gama était toujours que le «Japoc ou Vincent
Pinson » du traité d'Utrecht était l 'Oyapoc du Cap d'Orange,
avec, sur la rive gauche, la montagne qui portait les bornes-
frontières. En venant du Cap du Nord, il faut passer le
Cassipour pour arriver au « Vincent Pinson ». Da Maya da
1) L a traduction française de R . B . III , page 108, dit par erreur «ont vu» . L e texte portugais es t : « sahendo se os Francezes tem nelle povoação», R . B . I V , page 234.
Gama conteste ensuite qu'on doive séparer le « J apoc » du
« Vincent Pinson » ; le Japoco et le Vicente Pinçon, dit-il,
sont une seule et même riviere (hé o mesmo).
b) Il n'existe que des informations incomplètes sur la
marche et la durée de l'expédition. Des vigies françaises
constatèrent sa présence sur l 'Oyapoc du Cap d'Orange,
où, conformément à l'instruction qu'elle avait reçue, elle
procédait à ses recherches sur la riviere de «Vicente Pinçon
appelée Japoco » et devait attendre le navire envoyé à
Cayenne. Lefebvre d'Albon écrivait à ce sujet le 15 juin 1727
au comte de Maurepas : ] ) . . . « Les Portugais de leur côté nous
chicannent et le Gouverneur de Para envoia le mois passé
sur notre côte neuf pirogues montées de 200 hommes, tant
Indiens pour Équipage, que soldats, pour, à ce qu'ils disent,
châtier les Indiens. Ils mouillèrent devant notre nouvel
Établissement d'Oyapok, d'où le Commandant de la flotte
détacha une Pirogue avec deux officiers et un père Recolet,
pour remettre ès mains de M. Dorvilliers une Lettre du
Gouverneur de Para. »
Ce rapport aussi montre que la riviere de «Vicente
Pinçon, appelée Japoco » que da Maya avait en vue, était
réellement l'Oyapoc du Cap d'Orange.
Les renseignements fournis par les membres mêmes
de l'expédition se trouvent dans le procès-verbal de l'au
dition des témoins qui, à cette occasion, ont procédé à une
nouvelle inspection des bornes 2 ) . Plusieurs des personnes
1) M. F . II, pp. 125 et suiv. («Archives de Cayenne»). Reproduit par R . B . III, pp. 125 et suiv.
2 ) « Procès-verbal de l'examen fait aux pierres du sommet de la Montagne d'Argent par le Major F . de Mello Palheta et sa suite. Vayapouco iOyapoc), 13 mai 1727 », d'après la « Copie annexée à la dépêche du 1 e r octobre 1793 du Capitaine-Général de Pará , D. Francisco de Souza Coutinho, d'après l'original au secrétariat du Gouvernement de Pará .
373
qui y assistèrent avaient pris part à la découverte des
pierres faite par l'expédition d'Amaral; en outre, un sous-
lieutenant français et deux soldats de Cayenne étaient pré
sents. Il fut constaté :
Qu'on chercha les pierres sur le même Mont d'Argent,
où Amaral disait les avoir t rouvées;
que « étant arrivés à cet endroit, le dit commandant a
vu les pierres ainsi que d'autres » ;
que les anciens compagnons d'Amaral, à la question
« si c'étaient bien là les mêmes pierres qu'ils avaient trouvées
portant les Armes Royales », répondirent tous : « que c'étaient
les mêmes pierres qu'ils avaient vues avec les mêmes
dessins ».
Les sculptures « de chacune de ces pierres » furent
dessinées sur papier, ainsi que les signes tracés sur les
« petites pierres brutes naturelles qui étaient dans le même
endroit ».
c) L a lettre que da Maya da Gama fit porter à Cayenne
au gouverneur français d'Orvilliers, par l'expédition de
Mello Palheta, était datée du 20 février 1727 1). Ce dont le
gouverneur portugais se plaignait le plus dans cette lettre,
c'était de l'affaire des Roses : . . . « une chaloupe, montée par
un officier et des soldats, est entrée par la Rivière des
Amazones jusqu'aux villages du Taue ré à la poursuite de
quelques esclaves évadés, ou sous ce prétexte . . . violant de
cette façon ledit Trai té (d 'Utrecht) . . . , d'où il aurait pu et
il peut encore s'ensuivre une rupture entre les deux Cou-
Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Cons. Ultramarino, Liasse 479 A », texte portugais, R . B . I V , pp. 245 et suiv., traduction française, R . B . I I I , pp. 121 et suiv.
1) Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Conselho Ultramarino, L iasse n° 1052, texte portugais reproduit par R . B . I V , pp. 223 et suiv., traduction française R . B . III , pp. 95 et suiv.
3 7 4
ronnes, parce que, lorsque cette nouvelle m'est parvenue, j ' a i envoyé mes gens à leur recherche, et s'ils les avaient trouvés, il n'y a pas de doute qu'il y aurait eu entre eux lutte et combat, car ces Français avaient pénétré dans les domaines du Roi mon Maître, où ils n'ont ni droit ni pouvoir d'entrer ni de faire des arrestations, même si c'étaient des esclaves en fuite ». D'Orvilliers aurait dû lui demander d'arrêter et de livrer les esclaves fugitifs, « en m'envoyant un ou deux soldats dans une petite barque ainsi que je le fais pour remettre la présente ». Il ne se considérait d'ailleurs comme tenu de ce faire que si le gouverneur français de son côté avait agi de même à l'égard des esclaves réfugiés sur territoire français. Da Maya da Gaina mettait donc en question l'obligation même d'extrader, à cause du défaut de réciprocité.
Il proteste ensuite énergiquement contre les violations de frontières jusqu'alors commises par des Français. Lui-même s'est toujours strictement conformé au traité : « Mes chaloupes de guerre n'ont jamais dépassé la Rivière de Vicente Pinçon », jamais il n'a toléré « que mes ressortissants, sous aucun prétexte, passassent au delà de la Rivière de Vicente Pinçon et arrivassent plus loin que les bornes-frontières (marcos) ». Pa r contre, « tant Vot re Seigneurie que ses administrés agissent en contravention de tout ce qui y a été stipulé, Vot re Seigneurie en le permettant, et ses administrés en entrant par les rivieres et en circulant sur les terres du Roi mon Maître. Dans ces conditions j e suis obligé à envoyer mes chaloupes de guerre jusqu'à la Rivière de Vicente Pinçon et d'expédier de là à Votre Seigneurie, par un petit canot la présente lettre dans laquelle je la requiers, de ma propre part et de celle du Roi mon Maître, d'observer sincèrement et religieusement ledit Traité, empêchant ses sujets de traverser ladite Rivière de Vicente
375
Pinçon pour entrer de ce côté-ci dans les rivieres, les barres et les terres du Roi mon Maître, et je proteste contre la violation dudit Trai té , parce que tous ceux qui dorénavant seront trouvés sur lesdits domaines seront par mon ordre faits prisonniers et envoyés au Roi mon Maître, pour qu'il le fasse savoir au Roi Très-Chrétien et que celui-ci commande à Vo t re Seigneurie de faire réparation pour la violation dudit Trai té , ayant agi en complète contravention de ce qui y est stipulé ; et, en attendant, je défendrai de toutes mes forces les domaines du Roi mon Maître et je châtierai quiconque voudrait s'en emparer. »
Au fond, cette lettre constituait le refus de livrer les esclaves aussi longtemps que la F r a n c e ne remplirait pas de son côté ses obligations à cet égard; elle revendiquait catégoriquement la frontière du « Japoc ou Vincent Pineau du traité d'Utrecht à l'Oyapoc du Cap d'Orange.
Rien qu'en ce qui concernait la question de la frontière, cette lettre devait soulever une vive opposition à Cayenne, depuis que la théorie de la baie de Vicente Pinson y était admise.
De plus, les termes dans lesquels elle était conçue étaient si absolus qu'elle devait jeter de l'huile sur le feu, à un moment où les esprits étaient déjà fort excités à Cayenne.
4. L e gouverneur français répondit sur le même ton, accentuant aussi ses prétentions. D'Orvilliers écrivit le 4 mai 1727 à da Maya da Gama 1) :
Il a reçu la lettre de da Maya « dont j 'a i été très peu satisfait . . . Il semble que dans sa lettre V o t r e Seigneurie
l ) Bibl . Nat. de Lisbonne , Arch . do Cons. Ultramarino, Liasse n° 1052. Traduction en portugais faite à P a r á et certifiée conforme, le 11 septembre 1727, par le Pè re Louis-Marie Bucarel l i de la Compagnie de Jésus , reproduit par R . B . I V , pp. 237 et suiv., retraduction française, R . B . III , pp. 111 et suiv.
376
— 377 —
use de menaces. » Il demande « quelques explications » sur
ce que da Maya a voulu dire en parlant de « châtier » ; il
ne veut pas envoyer immédiatement à son gouvernement,
en France, la lettre de da Maya, « pour vous laisser le
temps d'y réfléchir. . . mais de grâce, n'usez pas de termes
qui pourraient en quoi que ce soit ressembler à des me
naces . . . Peut-être Votre Seigneurie m'apprendra-t-elle à
faire la guerre », et ainsi de suite.
Quant aux divergences sur la question même, d'Orvilliers
s'explique comme suit :
Il dit au sujet des esclaves dont il avait demandé l'extra
dition, de ces assassins, que « même pendant une guerre,
j 'aurais eu le droit de vous réclamer les gens de cette
espèce. Et si Vot re Seigneurie ne les livre pas, elle en
recevra l'ordre du Roi son Maître ».
En ce qui concerne la frontière « je désire faire toucher
du doigt à Vot re Seigneurie que ceux qui ont violé ce traité,
ce sont les Portugais, et que Votre Seigneurie elle-même
le viole aujourd'hui, attendu que . . . un officier portugais a
été assez mal avisé pour venir en cachette à la Montagne
d'Argent et pour y placer les Armes du Roi de Portugal » ;
mais cette montagne se trouve « à plus de trois lieues au
Nord-Ouest de notre riviere de l 'Oyapoc ». En 1723, l'officier
portugais qui est venu au Cachipour, où il a rencontré deux
soldats français, a également commis une violation de fron
tière.
« . . . . E t si Votre Seigneurie était venue à Oyapoc
comme elle me l'avait mandé par le Père Joâo Chrysostome,
j ' y serais aussi allé et nous aurions déterminé nos fron
tières. Mais Vot re Seigneurie n'y est pas venue ».
Et si da Maya s'était bien renseigné, il aurait appris
« qu'il n'a jamais existé de riviere du nom de Vicente Pinson
dans toutes ces contrées, et que la riviere d'Ojapoc, autre-
— 378
ment dite Vicente Pinson, à supposer qu'elle existe, se trouve dans l'Amazone.»
«Que Vo t re Seigneurie se renseigne auprès des gens âgés de P a r á ; ils lui diront où se trouve cette riviere-là. Qu'elle examine ses cartes géographiques, et elle verra que la Ba ie de Vicen te Pinson est vis-à-vis du Cap du Nord. L e Pè re capucin de V o t r e Seigneurie est d'accord avec nous sur tous ces points. L e traité de paix stipule que le Roi de F r a n c e cède au Roi de Portugal les terres appelées du Cap du 1 ) Nord. Quelle connexion ont-elles les terres du Cap d'Orange avec celles du Nord et du Nord-Ouest, qui se trouvent à un degré de latitude septentrionale, alors que le Cap d'Orange est sous le quatrième degré?
Il est donc nécessaire, Monsieur, de fixer nos frontières . . . .
Pour en finir, il s'agit, Monsieur, de t racer la frontière, et. jusqu'à ce que cela soit fait, que les Portugais ne remontent pas plus haut que la baie de Vicente Pinson qui se trouve à l'Ouest du Cap du 1 ) Nord, ni que les França is dépassent Cachipour, terre du Cap d'Orange 2 ) ; ni que les Portugais s'allient avec les Indiens qui habitent les terres du Roi mon Maître. J ' a i entendu dire que les gens de V o t r e Seigneurie ont donné la chasse à quelques Indiens Palicours qui ont de tout temps habité le Cachipour. J e prie V o t r e Seigneurie de faire le nécessaire pour que cela ne se renouvelle pas 3 ) .
1) Dans la traduction française de R. B . III, page 113, « Cap Nord », dans le texte portugais « Cabo do Norte », R . B . IV, page 239.
2 ) R. B . III, page 115, traduit « Cachipour où finit le Cap d'Orange »; dans le texte portugais « Cachipur, terra do Cabo d'Orange », R. B. IV, page .240.
3) Ici apparaît de nouveau la connexité qui existe, pour l'autorité de Cayenne, entre la question de la frontière et ses relations avec les Indiens établis sur le Cassipour.
379
D'après l'article 10 du Trai té d'Utrecht, les deux rives
du fleuve des Amazones appartiennent au Roi de Portugal.
Il ne s'agit que de savoir où se trouve la riviere de Vicente
Pinson. L a baie est connue ; la riviere doit s'y déverser »
(A bahia he conhecida; o rio deve estar nessa bahia) 1).
En résumé, d'Orvilliers prétend que :
aa) Il n'a jamais existé de riviere du nom de Vicente
Pinson.
bb) L a riviere « d'Ojapoc autrement dite de Vicente
Pinson » se trouve, à supposer qu'elle existe, dans l'Amazone.
cc) Il existe une « Baie de Vicente Pinson » « vis-à-vis
du Cap du Nord ». La baie est connue; la riviere doit être
dans cette baie.
dd) Au roi de Portugal appartiennent « les terres appe
lées du Cap du Nord ». Les « terres du Cap d'Orange »
n'ont pas de connexion avec celles-là.
Au lieu d'une délimitation, il y en a trois: en premier lieu la riviere d'Ojapoc, autrement dite de
Vicente Pinson dans l'Amazone forme la frontière « à sup
poser que cette riviere existe » ;
en second lieu, « la Baie de Vicente Pinson » près du
Cap du Nord « où doit être la riviere », forme la frontière ;
en troisième lieu, « les terres du Cap d'Orange » appar
tiennent à la France et vraisemblablement le Cassipour
forme la frontière.
Voilà qui explique l'incertitude qui caractérise la con
clusion provisoire :
Les Français ne devront pas dépasser le Cassipour,
les Portugais ne pas aller au delà de la « baie de Vicente
Pinson ». L e territoire intermédiaire est une sorte de terri
toire neutre. Mais du coup, la « riviere Ojapoc autrement
1) L a traduction littérale est: « l a riviere doit être dans cette baie»
— 380 —
1) M. F . I I , page 125. 2) Une note empruntée par M. F . I, page 180, aux Archives du
Ministère des colonies, montre qu'à la cour, on désirait être exactement renseigné sur l'administration de d'Orvilliers et qu'on enjoignit à ce fonctionnaire « que cependant il soutînt les droits de S . M. et qu'il envoyât des mémoires concernant les établissements qu'il avait proposé de faire ».
3 ) M. F . I I , pp. 125 et suiv., « Archives de Cayenne » ; d'après ce texte, R . B . I I I , pp. 125 et suiv.
dite de Vicente Pinson dans l 'Amazone » disparaît de
nouveau.
5. Dans sa missive, d'Orvilliers annonçait « la copie de
ma lettre sera expédiée à la Cour de F rance », et Lefebvre
d'Albon relate que d'Orvilliers envoya à la cour 1 ) la lettre
de da Maya da Gama, du 20 février 1727, traduite en
français, le gouverneur portugais n'ayant apparemment pas
mis à profit le délai qui lui avait été accordé pour retirer
ses griefs.
L e gouvernement français a donc été mis au courant,
par cette correspondance déjà, du conflit de frontières qui
avait éclaté 2 ) .
En outre, Lefebvre d'Albon écrivit à ce sujet au comte
de Maurepas le 15 juin 1727 3):
Pa r la lettre du gouverneur portugais « V . G. verra
avec un stile un peu menaçant et fanfaron des prétentions
tout à fait opposées aux notres. Il n'est que de consulter
le traité d'Utreck, pour connoitre les mieux fondés.
Dans l'Article 8 il est dit que les terres appellées du
Cap du Nort situées entre la Rivière des Amazones et celle
d'Oyapok ou de Vincent Pinson appartiendront au R o y de
Portugal, il s'agit de démontrer où est située cette dernière
Rivière ; c'est à l'endroit où je la marque dans la carte
hollandoise ci-jointe. S i V . G. veut se faire représenter la
Carte Géographique de la Rivière des Amazones dressée
— 381
par Defer sur des mémoires Portugois, elle y est bien
marquée la baye de Vincent Pinson; et le père Récolet
dont j 'ai parlé ci-dessus en convint devant l'officier com
mandant la de Pirogue (qui partit de l 'Oyapoc avec la
lettre ad re s sée à d'Orvilliers) ; il en parloit savament, puis
qu'il est missionnaire en ce quartier là. Il est constament
vrai que jamais à Cayenne on n'a oui parler que notre
Oyapok 1 ) ni autre Rivière en deça du Cap de Nord ait
porté le nom de Vincent Pinson, si ce n'est celle que je citte.
Il est tout évident que les terres appellées du Cap de
Nord ne peuvent raisonnablement s'étendre en deça de la
grande Isle où est situé ce cap, et que la pointe Septen
trionale de cette Isle doit être censée faire le véritable point
de démarcation; cela se confirme encore par l'Article 10 e
où il est uniquement dit que les deux bords de la Rivière
des Amazones seront reconnus apartenir au Roi de Por
tugal ; à quoi bon cette seconde explication ? elle auroit été
tout à fait inutile, si la côte de la mer en deça des terres
Cap de Nord et les terres du Cap d'Orange, dont il n'est
pas parlé, lui eussent aussi dû apartenir, outre que l'ar
ticle 8 e , avec cette spécification expresse du nom de Vin
cent Pinson, pour ne point confondre plusieurs Oyapok,
s'explique de manière à conclure que le bord Septentrional
de l'Isle borne les terres du Cap de Nord à la baye Vin
cent P i n s o n . . . .
M. Dorvilliers a aussi l'honneur de vous en écrire et
souhaiterions en voir bientôt la décision, elle est importante
pour le repos des Indiens sujets du Roi 2 ) . Ils sont cruelle-
1) L a vérité est qu'à Cayenne les Français disaient exclusivement Oyapoc, comme les Portugais de leur côté disaient Vincent Pinçon.
2 ) Une fois de plus, on invoque les relations entretenues avec les Indiens du Contesté comme un motif pour réclamer le déplacement de la frontière.
— 382
ment molestés par les Portugois, qui leur courent sus à
main armée, et aussi pour prévenir telle action qui pourroit
naitre de leur part contre nos traiteurs françois. »
Cette pièce s'inspire de la conception de d'Orvilliers,
quelque peu modifiée et élargie. D'Albon préconise avec
plus de force la frontière de la « baye de Vincent Pinson »,
la seule possible, et son argumentation est celle-ci : ni « notre
Oyapok », ni aucun autre cours d'eau en deça du Cap du
Nord (vers Cayenne) n'ont jamais porté ce nom. Mais il
existe une « baye de Vincent Pinson » sur certaines cartes.
Cette baie est située près du Cap du Nord. L e Cap du
Nord convient d'ailleurs comme frontière pour d'autres
raisons encore : le traité d'Utrecht attribue au roi de Por
tugal les « t e r r e s appellées du Cap du Nort» , et ces
termes ne sauraient viser un territoire qui s'étend bien au
delà du Cap du Nord, puisque le traité n'a cédé au Por
tugal que « les deux bords de la Rivière des Amazones ».
En conséquence, la frontière est évidemment « la pointe
Septentrionale » de la grande île du Cap du Nord « à la
baye de Vincent Pinson » et la « spécification expresse du
nom de Vincent Pinson » a eu lieu « pour ne point con
fondre plusieurs Oyapok ».
Certes, il ne suffisait pas de mentionner « plusieurs Oyapok » pour prouver qu'ils existaient ; en outre, Lefebvre d'Albon n'avait pas vu que la clause du traité d'Utrecht relative aux bords de l'Amazone n'avait rien de commun avec la délimitation du Contesté; mais avant tout le cours d'eau qui devait être identique avec la baie n'était pas encore trouvé.
6. D'Orvilliers, ainsi que d'Albon, relève que le père
capucin portugais qui était venu de l 'Oyapoc à Cayenne
apporter la lettre de da Maya da Gama avait compris
la nouvelle thèse de la F r a n c e au sujet de la délimi-
tation. Néanmoins, les autorités de Para ne la comprirent pas.
L e gouverneur da Maya da Gaina s'expliqua sur ce point dans un rapport général détaillé que, le 25 septembre 1727, il envoya de Belem do Para à son gouvernement 1).
Da Maya da Gama y récapitulait les événements des dernières années :
En 1723, l'expédition qu'il avait envoyée a eu le bonheur « de découvrir les Bornes à l'embouchure du Vicente Pinsson » 2 ) , fait sur lequel un « document authentique » a été remis au gouvernement. Déjà alors, il ne cessait d'insister dans ses rapports sur les dangers de la pénétration des Français « dans les domaines de Vo t re Majesté » ; il a réclamé des « Ingénieurs, des armes, des munitions, de l'artillerie et des soldats » et proposé de construire un fort portugais sur le Vicente Pinsson. « Si le fort avait été bâti sur la riviere de Vicente Pinsson, les Français ne se seraient pas emparés maintenant de cette position. » Bien qu'à teneur du traité d'Utrecht, les terres de cette riviere vers Cayenne leur reviennent « néanmoins, les bornes étant de l'autre côté, nous aurions pu le construire facilement ». Mais comme il n'a rien reçu, pas même « des ordres de Vot re Majesté », il décline la responsabilité « de tout ce qui pourrait s'ensuivre à l'avenir », montrant toutefois qu'il a fait tout ce qui était possible avec les moyens insuffisants dont il usait : « j ' a i disposé de mon mieux la flotille de garde-côtes . . . je fis partir le commandant Francisco de Mello
1) Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Cons. Ultramarino, Liasse n° 1052,
publié en extrait par R . B . I V , pp. 247 et suiv. (texte portugais), R . B . III ,
pp. 129 et suiv. (traduction française). 2 ) C'est ainsi que le nom est écrit dans le texte portugais.
383
— 3 8 4 —
Palheta . . . jusqu'à la riviere de Vicente Pinsson », d'où ce commandant devait envoyer une lettre de da Maya au gouverneur français à Cayenne. « Ce commandant arriva, en effet, jusqu'à ladite riviere de Vicente Pinsson ou Vaya -pouco, comme ils l'appellent, et il apprit qu'en amont on avait élevé un fort, et ayant demandé la permission, qui lui fut accordée, l'officier vit qu'on était en train de bâtir une forteresse de terre et de fascines, ou de terre battue, sur une pointe de la même riviere du côté de Cayenne » . . . De là il envoya un « adjudant pour porter ma lettre au Gouverneur de Cayenne, lequel se montra très courroucé, inventant et disant que, dans l'année 1723, j 'avais envoyé le Capitaine J o ã o Paes mettre des Bornes sur les terres du Roi son maître et y apposer les Armes Royales de Portugal, voulant par ce mensonge étendre les domaines du Roi de France et nier le bonheur que nous avons eu de les découvrir par les renseignements qui nous avaient été fournis par un de ses propres Français ; et ledit Gouverneur affirma que la riviere de Vicente Pinsson était ici en dedans de la riviere des Amazones » . . . .
L e gouverneur français s'était montré irrité de la lettre de da Maya et avait envoyé une réponse que da Maya joignit à son rapport « lettre qu'il convient de voir et apprécier, de même que celle que je lui ai écrite, pour se rendre compte de l'orgueil de ce Français , et que la ligue dans laquelle se trouve son Roi avec l 'Angleterre et la Hollande 1) les encourage dans cette fierté et dans leurs prétentions à étendre leurs domaines, prétentions qui ont été motivées par notre incurie et le manque de décision de Vo t re Majesté, . . . car si on avait construit la forteresse sur le point
1) C'était l'époque des alliances éphémères entre les puissances, de 1714 à 1735.
que j'indiquais de ladite riviere, nous ne trouverions pas
maintenant la place occupée . . .
Tout ce que déclare ledit Français dans sa lettre est
faux, et pour la raison apparente qu'il veut faire droit à
son Roi et étendre ses domaines, car pour ce qui concerne
les Bornes, j 'ai répondu plus haut, et quant à la riviere
qu'il appelle Caxipu, elle est bien en deçà de la riviere de
Vicente Pinsson ; et il dit aussi qu'il n'y a jamais eu de
riviere de Vicente Pinsson, qu'il n'y en a jamais eu, et que
la riviere d'Ojapouco, autrement dite Vicente Pinsson, se
trouve dans l'Amazone.
Ou ce Français est fou et mal intentionné, ou il croit
que je le suis, car même les cartes françaises placent leur
riviere Japouco dans l'endroit où les bornes furent trouvées
et quoique sur leurs cartes ils aient mis au Cap du Nord,
et de leur côté, une Baie de Vicente Pinçon, ils l'ont fait
exprès et par fourberie, dans l'intention de prouver que là
était la riviere de Vicente Pinsson. »
« Pour détruire tout cet édifice de fausseté » il faut
considérer que « tous les anciens écrivains » l ) disent que
Charles-Quint avait fait mettre « les Bornes à l'embouchure
de la riviere de Vicente Pinsson qui est au delà du Cap
du Nord », et du Cap du Nord jusqu'à la riviere où les
bornes-frontières ont été découvertes, il n'y a « pas d'autre
grande riviere que celle-là » et ce n'est qu'à son embou
chure que se trouve « cette montagne ».
Après avoir déclaré que le Vicente Pinsson est sur
l'Amazone, le gouverneur français dit que ses ressortissants
ne dépasseront pas le Caxipur, « comme s'il nous faisait
la grâce de nous laisser ce qui est en deçà de cette riviere
jusqu'à celle des Amazones».
1) Il entend Silveira (1624) et Guadalaxara (1630).
25
385
- 3 8 6 —
« E t il en est de même de tout ce qu'il dit à ce sujet,
dans le seul but d'étendre leurs domaines, et pour tirer
profit de ces terres et des Indiens qui les habitent. » . . .
« Quant à moi, si j ' a i occasion de répondre au Fran
çais, j e le ferai sans démonstration de rupture, mais de
façon qu'il comprenne qu'on ne craint pas ses menaces, et
que s'il venait poser ses Bornes au Para , j ' i rais les mettre
à Cayenne » ; ce ne serait pas la première fois qu'il se bat
trait avec un général français.
« Enfin, j e déclare à V o t r e Majesté que ce Grand Para
et cette riviere des Amazones forment le domaine de V o t r e
Majesté, qui est sans forces comme sans défenses et que
c'est celui qui en a le plus besoin, tant à cause du mauvais
voisinage des Français , qui est le pire, que de celui des
Hollandais et des Espagnols ; avec ces derniers nous nous
entendrions m i e u x . . . . Le s França is dépensent largement
et, poussés par leur ambition, ils ne regardent pas à la
dépense qu'ils font, quelque grande qu'elle soit.
. . . S i ce rapport n'est pas écouté, je déclare à Vo t re
Majesté même, que je ne puis pas prendre la responsabilité
des suites de cet oubli, quoique j 'at tende à toute heure l'ar
rivée de mon successeur pour me voir déchargé de ces
responsabilités. »
5.
L e 14 avril 1728, Alexandre de Souza Fre i re , le nou
veau gouverneur qui avait remplacé da Maya da Gama,
arriva à S a m Luiz de Maranhão ; en octobre 1728, il était
à P a r a 1). L a même année, d'Orvilliers qui avait obtenu une
1) D'après Baena, Compendio das eras da Provincia do Para , cité par R . B . III, page 140, note.
— 387 —
1) R . B . III , page 156, texte et note. 2 ) L a lettre fait mention de « l'avis que vous me donniés de votre pro
chain départ pour la F rance », ce qui en fixe approximativement la date.
E l l e a dû être écrite encore en 1728. L e texte (en traduction française)
est reproduit par M. F . II, pp. 126 et suiv. (Archives du Ministère des
Colonies, Guyane, t. X L I I I , f. 132 ; dans M. F . I, page 184, on cite
t. L X I I I ) . L a lettre porte là la date de « Belem de Para , 12 novembre
1729 ». M. F . I, page 184, la cite en renvoyant à cette reproduction ; il
lui donne la date du « 12 novembre 1727 ». L e s deux dates sont évidem
ment fausses ; celle mentionnée au commencement de la lettre, le «13 août»,
comme jour de l 'arrivée de Fre i re dans son gouvernement ne correspond
pas au 14 avril indiqué ci-dessus d'après Baena. L e document, tel qu'il a
été produit, n'offre donc pas toutes les garanties voulues. R . B . III ,
pp. 139 et suiv., le reproduit d'après M. F . II . 3 ) Il a été communiqué à l'arbitre la traduction française, faite à
Cayenne, d'une lettre dont l'original était écrit en portugais ou peut-être
en portugais et en latin (de même qu'une lettre postérieure de Souza
Freire , voir R . B . III, page 175). Dans ces conditions, une erreur a pu
facilement se glisser dans la traduction. Conf. R . B . III, page 165.
congé rentra en France où il mourut au commencement de 1729
1. Manifestement le nouveau gouverneur portugais s'efforça de rétablir des rapports amicaux avec l'autorité française, s'il en faut croire une lettre qu'il aurait adressée à d'Orvilliers, peu avant le départ de celui-ci pour la France 2 ) .
Après les formules de politesse, de Souza Fre i re aurait écrit dans cette lettre : « J e suis si convaincu de la solli-ditté de vos raisons sur la division de nos limittes que je trouve fort étrange que quelqu'un ait voulu formé la moindre difficulté sur cette matière 3)».
De Souza Fre i re s'explique immédiatement sur ce point : « L a riviere de Vincent Pinson » du traité d'Utrecht, doit être et rester la frontière, ainsi en ont décidé nos souverains ; « et je le souhaitte moy mesme tout comme vous. . . mais il est nécessaire d'observer que la riviere est notre point de démarcation » ; de même que, vers Cayenne, le
— 388 -
bord de cette riviere appartient à la France , de même
l'autre bord, vers Macapa, appartient au Portugal, «de sorte
qu'en toute la distance depuis le bord de la riviere Vincent
Pinson jusqu'à Macapa le Roy mon ma î t r e . . . peut élever
des for teresses . . .
Mon Capitaine garde coste Francisque de Mellopaillent 1 )
porte dans ses instructions les ordres qu'il doit suivre
spécialement sur cette démarcation, voyant qu'il ne reste
aucun doutte entre vous et moy » . . .
2. Une lettre de Paul Lefebvre d'Albon à Alexandre
de Souza Fre i re , datée de Cayenne du 10 ou 11 août 1729 2 ) ,
est la première explication connue qu'ait fournie l'autorité
française au nouveau gouverneur de l 'Estado de Maranhão.
D'Albon écrit : On ne peut que se féliciter des deux parts « persuadé que nous allons voir renaître cette désirable correspondance, qui semblait en train de se déranger par l'entetement mal fondé de M. votre prédécesseur au sujet de nos véritables 3 ) limites ». Un mémoire relatif à la contestation qu'il avait envoyé à son gouvernement, a été probablement communiqué à l 'ambassadeur du Portugal à Paris, en même temps qu'une carte « non suspecte » tirée d'un « flambeau de mer » hollandais.
« J e voudrais en avoir une pareille à vous envoier, vous y verriés nomement marquée au fond de la baye
l ) Francisco de Mello Palheta . 2) Reproduit par M. F . II, pp. 128 et suiv., d'après les « Archives
de Cayenne» , avec la date du 11 août 1729; reproduit par R . B . III, pp. 143 et suiv., avec en regard le texte de M. F . II, d'après la « Col-leção de Manuscriptos », annexée à une dépêche en 1793 par le gouverneur Dom F . de Souza Coutinho de P a r a (Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Cons. Ultramarino, L iasse n° 479 A ) , avec la date du 10 août 1729.
L e s deux textes ne concordent pas sur tous les points. 3) « Véri tables » manque dans le texte de R . B .
— 3 8 9 —
1) R . B . : comme.
Vincent Pinson, près de l'embouchure du canal, qui par
derrière les terres du Cap de Nort communique à la riviere
des Amazones, une riviere nommée Japok. Notre carte
française dressée en 1702 sur les mémoires du R. P. Por
tugais Dacuna, Rodriguez et d'Herrera marque et confine
les terres du Cap de Nord par la baye Vincent Pinson et
le R. P. Bernardin, Recollet, missionnaire en ce quartier là,
venu ici il y a deux ans avec le même Sieur François
Xavier ne put en sa présence disconvenir de ces vérités.
Il est donc incontestable suivant le sens naturel du
8e article du traité d'Utrecht que la dite baye Vincent
Pinson qui confine les terres du Cap de Nort et toute la
côte en deça appartiennent à la France. J e pourrais appuier
mon dire par un raisonnement plus étendu, mais j 'espère
qu'il n'en sera pas besoin, car selon votre gracieuse lettre,
nous voions avec grand plaisir cette difficulté presque 1 )
applanie. »
Plus loin, d'Albon reconnaît volontiers que des Indiens
du Cap du Nord ont trouvé asile dans la colonie de
Cayenne ; les Français traitent les Indiens en hommes
libres, tandis que les Indiens redoutent les Portugais.
11 y a deux choses nouvelles dans ces allégations de
d'Albon : en premier lieu, il attribue à une source por
tugaise l'indication de la baye de Vincent Pinson qui figure
sur la carte de de l'Isle — ce qui n'est pas exact ; en
second lieu, la riviere « qui doit être dans la baie » est
trouvée ; c'est un Japok du « flambeau de mer » hollandais
- ce qui n'est pas établi davantage, attendu que la carte
du « flambeau de la mer » de Claes J . Voogt , publiée par
J . van Keulen, n'a, pas plus qu'une des cartes de l'atlas de
Pieter Goos, de baye de Vincent Pinson, ou de Japok au
— 390 —
Cap du Nord, mais, presque dans le même territoire, uni
quement un Rio Warypoco , le Iwaripoco de Keymis.
3. D e Charanville, gouverneur français ad interim, écri
vit en même temps que d'Albon (le 10 août 1729) 1) de
Cayenne à Alexandre de Souza Fre i re 2 ) .
Il avise le gouverneur portugais de la mort de M. d'Or-
villiers et de la nomination de son successeur en la per
sonne de M. de la Mirande. Il revient en ces termes sur
le conflit entre d'Orvilliers et da Maya da Gama : « s'il eut
vecu . . . il eut sçu faire differance entre vous et votre pré
décesseur qui n'avoit jamais gardé avec luy aucune regle,
je ne dis pas de politesse, mais encore d'egards, et bien
seances, que les personnes de condition se doivent ».
Charanville expose, quant à l'affaire des « limites » : « il
falloit. . . être peu instruit ou fort prevenu pour prétandre
etendre ceux de Portugal jusqu'à notre riviere d'Ouyapoc,
ou nous avons commencé de nous établir ». On n'avait
qu'à je ter les yeux sur la carte et sur les articles 8 et 9
du traité d'Utrecht « pour dissiper cette vision ». S i telle
avait été l'intention des parties contractantes, elles auraient
mentionné non seulement les « terres du Cap du Nord,
mais encore celles du Cap d'Orange ».
Puis, la lettre relate que « quelques Arrouans et Ma-
rones sont venus d'eux memes de temps près qu'immemorial
s'etablir dans les terres de la Domination Françoise , en
quoy ils n'ont suivi que leur arbitre » ; elle s'occupe ensuite
de l'extradition réciproque des fugitifs, se plaint de ce que
1) S i c R . B . I I I , page 162, confirmé ibidem, page 171 ; d'après R . F . II , page 139: «du 12 août» .
2 ) « Copie annexée à la dépêche du ler octobre 1793 du Capitaine-Généra l du Pa rá , D . Franc isco de Souza Coutinho, Bibl . Nat. de L i s bonne, Arch . do Cons. Ultramarino, Liasse n° 479 A », reproduite par R . B . III , pp. 155 et suiv.
— 391
les assassins du sieur Dage, dont il a été souvent question, n'aient pas encore été livrés et de ce que « plusieurs (canots) de Portugais sont à Cachipour à dessain d'emmener les Palicours et d'autres Indiens de nos terres l ) ; . . . on a de plus trouvé un de nos Soldats mort dans un Canot abandonné des Indiens ».
«Pour obvier, Monsieur», ainsi conclut la lettre, « à tous inconvéniants d'équivoque et méprises ou prétandues cauzes d'ignorance, il me paroit qu'il seroit a propos que des deputés intelligents et judicieux munis de part et d'autres de pouvoirs suffisants allassent de concert recon-noitre et marquer les bornes des deux dominations, c'est de quoy vous pourrés convenir avec Mr. notre nouveau Gouverneur. »
4. L e gouverneur portugais répondit en novembre 1729 2 ) à la lettre de Charanville; tout en affirmant sa grande sympathie pour les Français, il repousse de la manière la plus catégorique les prétentions émises par l'autorité coloniale de Cayenne en ce qui concerne la délimitation : « L e principe de la contestation naît de la riviere que vous voulez appeler riviere de Vincent Pinson, laquelle a toujours été celle sur les bords de laquelle la France a fait ériger une forteresse, que je vois par les cartes est le
1) Cette expédition portugaise (1729) sur le Cachipour serait inexplicable si, en 1728, le gouverneur portugais avait réellement partagé l'opinion de d'Orvilliers, de d'Albon et de Charanville quant à la frontière.
2) M. F . II, pp. 135 et suiv., Archives du Ministère des colonies, Guyane, t. L X I I I , fol. 119, sous le t i t re: "Traduction de la réponse du Gouverneur du Para . Belem de Grand-Para, 1er novembre 1729 ». Cette lettre est la réponse à celle de Charanville, du 10 août. Comme dans une lettre postérieure, Charanville dit qu'il a été répondu le 17 novembre à sa lettre du 10 août, ou bien cette indication est inexacte, ou bien il faut changer la date de la lettre dont il s'agit en celle du 17 novembre. R . B . III , pp. 163 et suiv., reproduit un extrait de la pièce d'après le texte de M. F . I I .
— 392 —
dernier terme de la navigation dans la partie duquelle la
F r a n c e ait une forteresse ; l 'autre frontière suivant le même
traité d'Utrech doit aussi, de nécessité, être celle du Por
tugal ».
5. Charanville, de son côté, s'en tint à son argumen
tation; il l'élargit même par une explication nouvelle au
sujet de la riviere « qui doit être dans la baie », et qui fait
l'objet d'une lettre qu'il adressa à A. de Souza Fre i re
le 16 février 1730 1): « J e prétends me renfermer dans le
traité d'Utrech parce que je vous l'ai écrit, si Ouyapoc ou
nous sommes établis eut du être le point de démarcation
on eut pas manqué d'énoncer 2 ) que le Roy mon maître
abandonnoit au Roy de Portugal, non seulement les terres
du Cap Nord, mais encore celles du Cap d'Orange . . .
On n'a qu'à jetter les yeux sur les flambeaux hollandais
et la carte faite sur les mémoires d'Herrera et des Pères
d'Acunha, et Rodrigués, que nous avons très fidelle pour
être convaincu de la vérité. On fit voir cette carte au
R . P. Bernardin, religieux de Saint-Antoine 3) qui était icy
avec Francisque Xav ie r Botero, au premier voiage qu'il y fit.
J 'é tois present quand ce missionnaire, qui avoit demeuré
longtemps dans une mission voisine du Cap de Nord, re
connut sur cette carte la baie de Vincent Pinson et au
même lieu une petite riviere nommé Yapoc par moins de
deux degrés de latitude, au lieu que notre riviere d'Ouyapoc
est une grande riviere environ 4 ) les quatre, qui ne fut
1) M. F . II, pp. 139 et suiv., Archives du Ministère des colonies, Guyane, t. L X I I I , fol. 122; R . B . III , pp. 171 et suiv. en reproduit des passages d'après « la copie de l 'original » annexée à la dépêche, plusieurs fois mentionnée, du 1er octobre 1793. L e s textes de M. F . II et de R . B . I I I ne concordent pas exactement.
2) Dans R . B . I I I : d'énoncer dans ledit traitté. 3 ) R . B . I I I : de S t . Antoine de Pade. 4 ) R . B . I I I : par les quatre.
jamais nommé Vincent Pinson. C'est que nous fîmes remar
quer au sus dit R. P., aussi bien que cette petite riviere,
dans l'enfoncement du Cap de Nord, qui entre dans ses
terres, s'écrit Yapoc, et celle ou nous sommes actuellement
Wyapoc sur les flambeaux et cartes hollandaises par un
double \ Y familier aux nations du Nord et que, selon notre
dialecte, nous prononçons ou. J e vous prie de faire vous
même cette observation. De la on a formé équivoque, soit
faute de lumières, ou par avidité d'établir des droits obscurs
qu'on ne peut maintenir sans surprendre la religion de
nos monarques. Plus de 40 lieues de côte font un objet
important » . . .
Charanville affirme par conséquent que sur les « flam
beaux hollandais » et sur la carte de de l'Isle la baie de
Vincent Pinson figure par 2° de latitude nord, avec la
petite riviere Yapoc. C'est la riviere de J apoc ou de Vin
cent Pinson du traité d'Utrecht. Ce petit Yapoc n'a rien
de commun avec notre Ouyapoc (l'Ouyapoc français) qui
est par 4° de latitude nord.
6. Cette lettre de Charanville était conçue en termes
amicaux. Mais l'irritation reprit quand Charanville dut
constater que A. de Souza Frei re refusait, aussi bien que
da Maya da Gama l'avait fait autrefois, de se rendre aux
arguments de la France et qu'il se contentait de répondre
par de belles paroles touchant la question de l'extradition.
Dans une lettre qu'il adressa le 27 mars 1730 1) au
gouverneur portugais, Charanville rapporte que selon une
information sûre qu'il a reçue, les Portugais ont envoyé un
certain nombre d'embarcations sur le Mayacaré,où ils veulent
fonder un établissement, ce qui, dit-il, cadre mal avec les
1) M. F . II, pp. 146 et suiv., Archives du Ministère des colonies, Correspondance générale, t. X I V , fol. 185; reproduit partiellement par R . B . III , pp. 177 et suiv.
393
assurances d'amitié jusqu'alors données par l'autorité portugaise. « Vous ne pouvez ignorer qu'elles sont nos prétentions puisque vous reconnoissez par votre même lettre que la differente position de nos limites fait le sujet de la contestation, nous prétendons qu'ils sont à la petite riviere d'Japoc, dans la baie de Vincent Pinson, ce qui est d'autant plus évident qu'on ne trouve ce nom en nul autre endroit sur les cartes . Vous voulez qu'ils soient à notre Ouyapoc »...
« Quelque puissent être nos droits », il était équitable et prudent « de ne rien entreprendre de part et d'autre dans toute l'étendue contestée jusqu'à cette respectable détermination que nous attendons ». Au lieu de cela, les Portugais, d'après les renseignements reçus, auraient commis une lourde faute. « Ce seroit vouloir faire la loi à une nation bien plus accoutumée à la donner qu'à la recevoir. Pour peu qu'on ait envie de rompre la bonne intelligence, c'est le moyen le plus infaillible.... S i vous ne contenez pas vos gens, et qu'ils continuent d'entreprendre au dela de la baie de Vincent Pinson ... les représsailles suivront de près ».. . .
7. A la même époque, les deux autorités locales entretenaient avec leurs gouvernements une correspondance au sujet des questions litigieuses.
D'Albon adressait à M. de Maurepas, ministre de la marine, une copie de la lettre qu'il avait envoyée en août 1729 au gouverneur de Para , et y ajoutait cette observation: « toujours est-il important à notre commun repos de déterminer solidement le point fixe de nos limites, que je marque au Gouverneur de Pa ra suivant l'article 8 du traité d'Utrecht, devoir être inclusivement pour nous la baye de Vincent Pinson, que confine et qu'on peut raisonnablement dire être les terres du Cap de Nort 1 ) . »
1) M. F . II, page 134, reproduit par R . B . III , page lb7.
394
— 3 9 5 —
L e 21 mars 1730, d'Albon mandait au ministre 1 ) : «Les
premières lettres de ce Gouverneur (de Souza Freire) sem-
bloient incliner du costé de la raison, celles cy (deux lettres
reçues en février 1730) parlent un tout autre langage. »
Charanville y avait « fait une ample réponse », mais lui-
même croyant « que c'est chose assez inutile », s'était borné
à peu de mots.
L a présomption que le soldat français assassiné « près
de la riviere de Cassipour», l'avait été par des Portugais,
ne s'est pas confirmée ; les auteurs du crime sont des Indiens.
Auparavant déjà, les Indiens avaient tué un soldat français.
« Quoiqu'il . . . . convienne de ménager les Indiens, cependant
une seconde impunité pouroit tirer a conséquence. »
Dans une lettre qu'il adressait au ministre le 2 avril
1730 2 ) , Charanville était plus explicite au sujet de la question
de la frontière :
« Les Portugais et nous convenons du principe incon
testable que suivant le traité d'Utrecht la riviere de Vincent
Pinçon est le point de démarcation, mais nos conséquences
différent de plus de 50 lieues de côte, objet important peut
être plus qu'on ne se l'imagine en F r a n c e ; ils ont envoiés
les raisons sur lesquelles ils se fondent, nous en avons fait
autant, nos souverains ont peut-être déjà prononcé nous
ignorons comment; de là nait une apprehension raisonnable
de faire quelque pas de clerc. »
Si les bornes doivent être déterminées par les deux sou
verains « où elles doivent être à la riviere d'Yapoc, dans la
baie de Vincent Pinson, nom sur lequel on a formé équi-
1) M. F . II , pp. 144 et suiv., Archives du Ministère des colonies,
Correspondance générale, t. X I V , fol. 336. 2 ) M. F . II, pp. 148 et suiv., Archives du Ministère des colonies,
Correspondance générale, t. X I V , fol. 177, reproduit par R . B . III, pp. 181
et suiv.
voque pour surprendre la F r a n c e en l'attribuant ensuite à
notre riviere Ouyapoc », il serait important de créer un
« établissement solide » au Mayacaré ou peut-être directe
ment à la frontière. Mais lui-même ne dispose pas des moyens
nécessaires : « S'il falloit équiper deux canots comme ils
doivent l 'être en guerre on ne le pourroit pas faute de
voiles, cordages, pierriers, mitrailles et bien d'autres choses.
L a meilleure volonté devient cependant inutile sans le pou
voir. »
8. L e s documents versés au débat ne permettent pas
de suivre plus loin les négociations qui, jusqu'en 1732, conti
nuèrent entre l'autorité de Cayenne et le gouvernement
français. Celui-ci ne prit pas de décision, aucun arrangement
n'étant intervenu avec le Portugal. On en resta à Cayenne
à la revendication de la frontière à la baie de Vincent
Pinçon; même, en 1732, d'Albon se plaignit auprès du
ministre de la marine d'officiers français qui ne s'étaient
pas arrêtés à cette frontière, ce dont les Portugais auraient
pu se prévaloir. Passant au delà du Cap du Nord, ces
officiers avaient remonté l 'Amazone sur un parcours de
près de 30 lieues et s'étaient arrêtés dans diverses missions
portugaises 1).
L e 30 septembre 1732, Maurepas manda au gouverneur
de Lamirande, le successeur de Charanville, au sujet des
négociations concernant la délimitation 2 ) : « J e suis persuadé
que ce sera inutilement, mais, quoi qu'il en soit, il ne faut
rien négliger qui puisse être contraire aux intérêts de S. M.
et à ceux de la colonie, et se souvenir que le Cap de Nord
est la principale limite. »
1) Le t t re d'Albon au comte de Maurepas, du 23 juin 1732, M. F . II ,
pp. 151 et suiv., Archives de Cayenne. 2 ) M. F . I, page 192.
3 9 6
9. En considérant comme vaine toute tentative de faire
adopter par le Portugal l'opinion alors dominante à Cayenne,
Maurepas se conformait aux circonstances. Et pourtant le
gouvernement portugais, à ce qu'on peut savoir, dans ses
instructions au gouverneur général du Maranhão, ne prenait
pas position à l'égard de prétentions précises formulées par
l'autorité de Cayenne; il se borne à faire au gouverneur
une recommandation générale 1) : « Ne perdez pas de vue
que les limites entre cette côte et celle de France de ce
côté sont à la Rivière de Vincent Pinson, autrement dite
Hoyapoc. » Et l'on put voir une concession dans l'offre faite
par le gouverneur général José da Serra , qui depuis deux
mois avait succédé à de Souza Freire, d'abandonner provi
soirement la frontière de l'Oyapoc du Cap d'Orange; il
écrivait le 15 octobre 1732, au gouverneur français de Ca
yenne 2 ) : « Tant qu'on n'aura pas pris là-dessus une décision
finale à Lisbonne et à Paris, abstenons-nous l'un et l'autre
d'entrer dans les terres du Cap du Nord ; c'est-à-dire vous
ne ferez pas venir vos gens du Cachipour au Cap du
Nord, et je ne ferai pas aller les miens du Cap du Nord
au Cachipour. »
Mais une année après son entrée en fonctions, le gou
verneur parlait sur un tout autre ton. L e 2 novembre 1733
il exposait par lettre au gouverneur français 3) :
1) « L e Roi de Portugal, par son Conseil d'Outre-Mer, au Gouverneur général de Maranhão, Lisbonne, 10 janvier 1730 », Bibl . Nat. de Rio de Janeiro, Provisões do Cons. Ultramarino, Cod. G M X L I V , 60—34, R . B . III, pp. 169 et suiv., I V , 255 et suiv.
2 ) Silva, I, page 78, cité par M. F . I, page 193. 3 ) « L e Gouverneur Général du Maranhão, José da Serra , au Gouver
neur de la Guyane Française. Belem do Pará , 2 novembre 1733 », annexe à la dépêche du 1er octobre 1793, Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Cons. Ultramarino, Liasse n° 479 A, R . B . III , pp. 193 et suiv. (traduction française), R . B . IV , pp. 257 et suiv. (texte portugais).
397
Une lettre écrite par de Lamirande, en date du 8 juin 1732, à son prédécesseur de Souza lui a appris: « que vous lui rappelez le devoir d'observer le Tra i té d'Utrecht, et qu'à l'imitation de vos prédécesseurs, vous prétendez en même temps maintenir la limite équivoque de la Baie de Vicen te Pinçon pour 1) la riviere du même nom ou J a p o c (Bahia de Vicente Pinçon pelo Rio do mesme nome ou de Japoc) , comme si aux articles 8 et 12 il était parlé une seule fois du mot baie pour marquer la limite entre les deux domaines, et comme si ce n'était pas toujours par le mot riviere que cette limite est dés ignée . . . N'est-ce pas se moquer des Gouverneurs du P a r a que de leur dire que, sur trois ou quatre Cartes marines, vous avez montré à M. Manoel 2 ) que la Baie de Vicente Pinçon était au Cap du Nord ? E t que, d'après le Tra i té d'Utrecht, elle appartient à S a Majesté Très-Chrétienne ? E t que votre frontière se trouve à ladite baie ?
Qui est-ce qui doute que la baie de Vicente Pinçon soit au Cap du Nord ? M a i s . . . ni aux articles cités, 8 et 12, ni en aucune partie du Trai té d'Utrecht, vous ne pouvez montrer que le mot baie soit écrit.
Pour prouver votre système vous auriez à montrer qu'au Cap du Nord se trouve la riviere de Vicente Pinçon ou de V y a p o o c ; parce que alors j e comprendrais que c'est avec sincérité que vous voulez traiter avec les Gouverneurs du Pará » . . .
Il avait fait appeler un nommé Jolivet, venu de Cayenne dans une chaloupe et lui avait demandé de lui expliquer « où, dans le Flambeau hollandais, il y avait au Cap du
1) L a traduction de R . B . III , page 195, n'est pas exacte : pour celle de la Rivière , etc.
2 ) Un envoyé de Souza F re i r e auprès du gouverneur de Cayenne.
398
— 3 9 9 —
Nord une riviere de Vicente Pinçon ». Jolivet prétendit que les Portuguais ne savaient pas lire « à cause de certaines diphtongues... Mais le pauvre pilote n'a pu me montrer où, au Cap du Nord, était cet Yapock ou riviere de Vicente Pinçon, et il serait impossible de maintenir que l'igarapé (petite riviere) Waripoc, qui débouche du côté du Sud-Est, avec trois ou quatre autres, dans l'anse ou la barre d'Ara-guary, en face de Machary, soit, comme le prétend M. Dalbon, le vrai Yapooc ou Pinçon dont parle le Trai té d'Utrecht et qui est indiqué dans le même Flambeau hollandais sous le nom de R . Wayapooc qui débouche près du fort de Yapooc, sur le Cap d'Orange ». D'Albon et d'Orvilliers auraient pu demander au marquis d'Uxelles pourquoi ce cap n'était pas mentionné dans le traité.
« Cessez donc, vous et M. d'Orvilliers, de vous extasier sur les 40 lieues de côte que la France nous a cédées sous ce nom spécieux de terres du Cap du Nord, parce que nous savons, nous autres, les Gouverneurs du Pará que ces merveilleuses 40 lieues de côte ne contiennent pas un seul arpent de terre, mais qu'elles sont toutes inondées et ne servent à la France et au Portugal que de barrières pour séparer une nation de l'autre, et à préserver la Compagnie du Pará de la ruine qu'elle redoute à cause de l'introduction de la contrebande . . . »
« En voilà assez pour cette fois sur l 'Yapooc et la
sincérité. » J o s é da Se r r a acceptait par conséquent la baie de Vin
cent Pinson au Cap du Nord et la considérait comme généralement connue. Il s'exprimait d'ailleurs sur un ton de moquerie à l'égard de l'argumentation française, l'appelant le « système » de d'Albon et d'Orvilliers, et maintenait la frontière de l 'Oyapoc du Cap d'Orange. C'est ainsi que se termina entre les deux autorités locales, la discussion
— 400 —
sur la thèse plaçant la frontière à une baie de Vincent Pinçon ; il ne semble pas qu'à cette époque elle soit devenue l'objet de négociations entre les deux gouvernements.
6.
Si la diplomatie tarda à faire sienne la théorie de la baie, les auteurs français même mirent quelque temps à l'adopter.
En 1730, le P. Labat publia un récit de voyage où il traitait aussi la question de Cayenne 1 ) . L e P. Laba t utilise des lettres du P. Lombard, supérieur général des missions des Jésuites dans la Guyane França ise ; on lit dans l'une d'elles, datée de Cayenne, du 13 août 1726 : « L e gouvernement de Cayenne s'étend depuis la riviere de Maroni jusqu'à celle d'Yapok » ; un des affluents de ce Yapok s'appelle le Camopi 2 ) . Il est question de l'établissement que les França is sont en train de créer à l 'embouchure du Yapok ; il est dit « en revenant de là à Cayenne on trouve la riviere d'Aprouak ». L e P. Lombard désigne par conséquent l 'Oyapoc du Cap d'Orange comme cours d'eau frontière. E t le P. Laba t dit, d'accord avec lui : « Notre borne du côté de l 'Est est donc à présent le Cap d'Orange 3 ) . »
En 1732, Brusen La Martinière (Le Grand Dictionnaire Géographique et Critique) place la frontière à l 'Oyapoc du Cap d'Orange ( Y a p o c o . . . près du Cap d'Orange) :
1) « V o y a g e du Chevalier Des Marchais en Guinée, Isles voisines et à Cayenne, fait en 1725, 1726 et 1727 . . . P a r le R . P è r e Laba t , de l 'Ordre des F r è r e s P r ê c h e u r s . . . Pa r i s 1730, 4 vols, in 1 2 » , passages reproduits par R . B . I I I , pp. 185 et suiv.
2 ) R . B . III , pp. 81 et 82. Conf. R . F . , pp. 342 et suiv. 3) R . B . III , page 188.
— 4 0 1
« Tout ce qui est au Midi du Cap du Nord jusqu'à la source de la Rivière d Japoco a été cédé aux Portugais 1). »
En 1743, Pierre Barrère déclare dans la «Nouvelle Relation de la France Equinoctiale » . . . « L e gouvernement de la Guyane se voit resserré aujourd'hui entre Marony et Ouyapok », et cette dernière riviere a son embouchure au Cap d'Orange 2 ) .
En 1757, l'abbé Prévost remarque dans son « Histoire Générale des Voyages » . . . « Laissant la discussion des droits à ceux qui se les attribuent, on peut dire que le Gouvernement de Cayenne est aujourd'hui resserré entre le Marony et l'Ouyapok », et cet Ouyapok est désigné auparavant comme la riviere qui coule près du Cap d'Orange 3 ) .
En 1771, le « Dictionnaire de Trevoux » imprime : « L a Guiane Françoise, qu'on nomme aussi France equinoctiale, contient environ 80 lieues, en commençant au Cap d'Orange 4). »
En 1780, Raynal écrit dans son « Histoire Philosophique des Etablissemens dans les deux Indes » 5 ) : « Les Hollan-dois, en s'établissant au Nord, et les Portugais au Midi, ont resserré les François entre la riviere de Marony et celle de Vincent Pinçon ou d'Oyapock. » D'après une des cartes de Bonne qui accompagnent le texte, cet Oyapock est « sous le C. d'Orange » 6).
1) R . B . III , page 191. Conf. R . F . , pp. 345 et suiv. 2) R . B . III , pp. 207 et suiv. Conf. R . F . , pp. 346 et suiv. 3) R . B . III , page 231. Conf. R . F . , page 349. 4 ) R . B . III, page 243. Conf. R . F . , pp. 349, 350. 5) R . B . III, page 275. 6) R . B . III, page 276 : sur une seconde carte de Bonne, figure au
Cap d'Orange : « Baye et Fleuve d'Oyapock », au Canal de Maracá : « B . et R . de Vincent Pinçon, selon M. de la Condamine » ; sur une troisième et de nouveau au Cap d 'Orange: « R . d'Oyapok ou de Vincent Pinçon». Dans un passage de Raynal il est question aussi des « deux rivieres ».
26
402
De 1799 à 1800, J. Peuchet 1) publia dans le «Dictionnaire Universel de la Géographie Commerciale », un article « Guianne » commençant par ces phrases : « Cette grande province, que nous avions acquise les premiers, est aujourd'hui comme partagée et soumise à plusieurs puissances maritimes de l 'Europe, et la F r a n c e n'en occupe que la plus petite partie. L e Gouvernement de la Guianne est resserré entre Marony et O u y - A p o k . . . »
Jusqu'en 1800 un groupe d'auteurs français donna, conformément à l'opinion de Peuchet, l 'Oyapoc du Cap d'Orange pour frontière à la Guyane française.
D'autres auteurs français de la même époque, tout en adoptant la baie de Vincent Pinçon, séparaient le Vincent Pinçon du traité d'Utrecht du Japoc , mais en maintenant comme frontière l 'Oyapoc du Cap d'Orange.
En 1732, de Milhau publia son « Histoire de L'isle de Cayenne et Prouince de Guianne » 2 ) . Il savait « qu'il y a au Cap de Nord une B a y e de uincente pinson, comme on peut le uoir dans les anciennes cartes. L e s modernes ayant été asses ignorans, pour placer une seconde B a y e de meme nom a Ouiapok, les portugais ont uoulu profiter de cette Beuüe, ils ont prétendu que c'étoit cette seconde Baye , et non la première qui deuoit être la Borne, et la séparation de leurs terres d'auec les notres » . . . . (Tome I, pages 73 et suivantes.) Il n'en déclare pas moins : « Notre Borne du côté de l 'Est est donc apresent le Cap d'Orange » (Tome I, page 71).
Conf. R . F . , pp. 352, 353. Rayna l se classe par là dans le second groupe d'auteurs dont il est question ci-dessus.
1 ) R . B . III , page 301. 2 ) D 'après le Manuscrit qui se trouve à la Bibl . du Muséum d'Histoire
Naturelle, Par i s 1732, 3 volumes in-8, cité par R . B . III , pp. 189 et suiv. Conf. R . F . , pp. 344 et suiv.
— 4 0 3 —
En 1745, La Condamine publia à Paris sa « Relation abrégée d'un voyage fait dans l'intérieur de l'Amérique Méridionale » . . . 1). A l'issue de son exploration de l'Ama-
1) T e l est le titre de cet ouvrage cité dans R . B . III , page 213, note.
« L a dissertation de L a Condamine, lue à l 'Académie des sciences en
1745 » (mentionnée par M. F . I, page 200), n'est autre que cet ouvrage.
R . B . III, pp. 213 et suiv. (traduction française), I V , pp. 271 et suiv.
(texte portugais), reproduit un extrait d'un manuscrit du P. Bento de Fonseca, jésuite de la Province du Maranhão et Pará , avec la « Relation »
de L a Condamine: «Maranhão conquistado a Jesus Christo e à Corôa
de Portugal pelos Religiosos da Companhia de Jesus » « vers 1757 » ; Bibl.
d'Evora, Cod. CXV/2-14 . a. n° 1). Il résulte de ces pièces:
L e P . Fonseca défend la thèse du Portugal contre L a Condamine,
à qui il reproche d'avoir, « par amour pour son pays », je té de l'obscurité
sur les véritables limites « entre P a r á et Cayenne », et d'essayer à cet
effet « de confondre la véritable Rivière de Vincent Pinçon avec une baie
formée par la Rivière Araguary ».
L a Condamine, qui entretenait une correspondance avec Fonseca,
aurait, après la publication, 1749, des Annaes Historicos do Maranhão
de Berredo, écrit à Fonseca pour lui demander de lui envoyer l'ouvrage
ou tout au moins le passage dans lequel, croyait-il, Berredo avait contesté
ce qu'il avait affirmé dans sa Relation. Fonseca aurait répondu que
Berredo, mort avant que la « Relation » de L a Condamine fût connue,
n'avait donc pas pu répondre à ses observations. Mais en lieu et place
de Berredo, Fonseca voulut opposer à la thèse de la « Relation » :
1o « L e véritable Oyapoc étant . . . incontestablement reconnu, il est
évident que ce cours d'eau est la même riviere qui, sous un autre nom,
est appelé Rivière de Vincent Pinzon » ;
2° L a borne-frontière de Charles-Quint est sur l'Oyapoc ;
3° L a Donation à B . M. Parente mentionnant une étendue de terres
de 35 à 40 lieues du Cap du Nord au Vincent Pinzon et comme, d'après
l'observation de L a Condamine, le Cap du Nord est par 1o 5 1 ' et l 'Oyapoc
par 4 ° 15 ' , « ce sera, à peu de chose près, la même distance de 40 lieues » ;
4° Dans la baie que L a Condamine dit avoir été l'embouchure du
Vincent Pinzon, la côte est, à cause de la pororoca « innavigable aux
grandes embarcations, ce qui n'est pas le cas de la Rivière Oyapoc ou
de Vincent Pinzon ».
Convaincu par ces raisons, L a Condamine aurait reconnu « qu'il
avait été moins bien renseigné sur ce qu'il avait écrit dans sa Relation, et admit, comme étant véritables, les raisons dudit Père , dans une lettre
— 404 —
zone, il était allé de Para à Cayenne. L e trajet dura du
29 décembre 1743 au 26 février 1744, ce qui lui permit de
faire un grand nombre d'observations. « Pendant ce long-
trajet », dit M. F . I, pages 346 et suivantes, « il continua de
lever la côte et d'observer les latitudes. Il reconnut notam
ment l 'embouchure méridionale de l 'Araguary, qu'il appelle
la grande bouche, et en face de laquelle se trouve une île
qu'il nomma île de la Pénitence, en mémoire de douze jours
qu'il fut forcé d'y passer en attendant que la fin des marées
de pleine lune permît de doubler le Cap de Nord. Il releva
la latitude du cap de Nord (d'après lui 1 ° 51 ' N.) avec
d'autant plus de soin qu'il resta pendant sept jours échoué
sur un banc de vase en vue de ce cap. Enfin, dit-il, quel
ques lieues à l'Ouest du Banc des sept jours et par la
même hauteur, je rencontrai une autre bouche de l 'Arawari,
aujourd'hui fermée par les sables. Cette bouche et le profond
et large canal qui y conduit en venant du Nord, entre le
continent du cap de Nord et les isles qui couvrent ce cap,
sont la riviere et la baye de Vincent Pinçon. »
L a Condamine divisait par conséquent l 'embouchure
de l 'Araguary en deux bras, l'un au sud « la grande bouche »,
le second plus au nord « une autre bouche », « aujourd'hui
fermée par les sables » ; ce dernier, avec le canal qui est
entre le Cap du Nord et les îles qui couvrent ce Cap,
qui peut-être pourra être trouvée en original parmi les papiers du P . Ben to da Fonseca ».
L a frontière le long du littoral est donc déterminée, la frontière intérieure l'est par conséquent aussi: « L e s limites des deux Couronnes étant admises comme sûres et incontestées sur la côte de la mer, et ladite riviere servant de frontière à l'intérieur, on doit t racer par elle une ligne dans la direction de l'Ouest, vers les monts ou chaînes du Paru , dont les versants du Sud appartiendront ainsi au Portugal et ceux du Nord aux Colonies de Cayenne, à la F r ance , et de Surinam, à la Hollande. » Conf. R . F . , pp. 347 et suiv.
— 405 —
est la riviere et la baie de Vincent Pinçon. Les Portugais
ont à dessein réuni et confondu cette véritable riviere et
cette véritable baie de Vincent Pinçon avec l 'Oyapoc du
Cap d'Orange: « L e s Portugais de P a r a » , continue L a
Condamine, « ont eu leurs raisons pour les confondre avec
la riviere d'Oyapoc, dont l'embouchure, sous le Cap d'Orange,
est par 4° 15 ' de latitude Nord.»
L a théorie de L a Condamine concordait avec celle qui
avait cours à Cayenne, en ce que toutes deux plaçaient
une baie de Vincent Pinçon au Cap du Nord; elles diffé
raient en ce que, à Cayenne, on cherchait en outre un
Japoc dans le Waripoco, tandis que L a Condamine se con
tentait de rattacher à la baie de Vincent Pinçon une rivière
de Vincent Pinçon représentée, à ses yeux, par un bras
nord ensablé de l 'Araguary.
L a Condamine estime également que l 'Oyapoc du Cap
d'Orange n'a rien de commun avec cette « baye » et « rivière » de Vincent Pinçon du Cap du Nord 1); il dit expres
sément :
« L'article du Traité d'Utrecht, qui paraît ne faire de
l 'Oyapoc et de la riviere de Pinçon qu'une seule et même
riviere, n'empêche pas qu'elles ne soient en effet à plus de
50 lieues l'une de l'autre. Ce fait ne sera contesté par aucun
de ceux qui auront consulté les anciennes cartes et lu les
auteurs originaux qui ont écrit de l'Amérique avant l'éta
blissement des Portugais au Brésil 2 ) . »
Ainsi que l'avait fait Milhau, L a Condamine laissait sub
sister la frontière à l 'Oyapoc du Cap d'Orange, comme
étant celle désignée par le traité d'Utrecht. Il écrivit en
1) Vo i r M. F . I, pp. 347 et suiv., A . F . , nos 23 et 24, pour la repro
duction cartographique de la théorie de L a Condamine par d'Anville. 2 ) Cité par M. B . I, page 229.
4 0 6 —
1757 pour la Grande Encyclopédie de Diderot et d'Alem-bert l 'article « Guiane », dans lequel on lit 1) :
« L e s Géographes donnent aujourd'hui ce nom à tout le pays qui s'étend le long des côtes de l'Amérique Méridionale, entre l'Orinoque et l 'Amazone. On peut le diviser du nom de ses possesseurs d'orient en occident, en Guiane portugaise, Guiane françoise, Guiane hollandoise, et Guiane espagnole. L a Guiane portugaise, que la F rance a cédée à la couronne de Portugal par la paix d'Utrecht, s'étend depuis la rive septentrionale et occidentale de l'Amazone jusqu'à la riviere d'Yapoco, que les França i s de Cayenne nomment Oyapoc, et qui fut mal-à-propos confondue alors avec la riviere de Vincent Pinçon, qui est beaucoup plus au Sud. L a Guiane françoise, ou la F r a n c e équinoxiale, qui est la colonie de Cayenne, embrasse l 'espace compris entre la riviere d'Oyapoc et celle de Marawini, que l'on nomme à Cayenne Marauni ou Maroni 2 ) . »
En 1782, Robert, Géographe ordinaire du Roi, adopta la théorie de L a Condamine ; il reproduisit textuellement tout le passage ci-dessus, à partir des mots « L a Guiane portugaise », jusqu'à la fin, dans un article « Guiane », qui parut dans l' « Encyclopédie Méthodique » de Panckouke 3).
En 1783, Edme Mentelle écrivait, d'après Raynal, dans son ouvrage « Choix de Lectures Géographiques et Historiques » . . . 4 ) , au sujet de la Guyane française : « L e s Hol-
1) Reproduit par R . B . III, pp. 229 et suiv. 2 ) R . F . I, page 348, déclare sans valeur cette assertion de L a Con
damine : « un article de dictionnaire, article sommaire, hâtivement fait ou copié, qui porte bien le nom de L a Condamine, mais qui a pu échapper à son attention ou à celle du secrétaire qui l'a rédigé ». Ces allégations, dénuées de preuve, ne sont pas soutenables.
3 ) B . B . III , pp. 277 et suiv., R . F . , page 354. 4 ) R . B . I I I , pp. 285 et suiv. ; conf. R . F . , pp. 354 et suiv.
— 407 —
landois, en s'établissant à l'Ouest, et les Portugais au Midi, ont resserré les Français entre la riviere de Marony et celle d'Oyapock » ; il déclare en outre, d'après des renseignements reçus de Cayenne 1) : s'il est dit dans Raynal « entre la riviere de Maroni et celle de Vincent Pinçon ou Oyapock », cela est dû à une confusion : « On confond ici la riviere de Vincent Pinçon avec l'Oyapock, quoiqu'il y ait très-loin de l'une à l'autre. »
Au mois de décembre 1797, le géographe Nicolas Buache publia ses « Considérations géographiques sur la Guiane Française, concernant ses limites méridionales » 2 ) . On y lit :
« L'erreur que je me propose de rectifier ici, est d'avoir confondu la riviere d'Oyapok, située à la côte de Guiane par 4° 15 ' de latitude Nord, avec une autre riviere de même nom, que l'on appeloit aussi riviere de Vincent Pinson, située au-delà de l'équateur. »
Aussi les Portugais n'ont-ils « véritablement aucun droit» sur le territoire jusqu'à l'Oyapok (par 4° 15'). «Malgré le Trai té d'Utrecht. qui leur en a assuré la possession, et qui l'a en quelque sorte légitimée, cette possession . . . n'en a pas moins été considérée comme une usurpation »
Même cet auteur, qui dénie catégoriquement aux Portugais tout droit sur le pays jusqu'à l'Oyapok, reconnaît sans ambages : le traité d'Utrecht leur a assuré la possession de cette contrée 3).
1) Où son frère Simon Mentelle resta depuis 1763 ; de 1778 à sa mort (1799) il occupa la fonction de « garde du dépôt des cartes et plans de la colonie » ; R . B . III , page 288, R . F . , pp. 354 et suiv.
2 ) Cité d'après « t. III des Mémoires de l'Institut National des Sciences et Ar t s », Par is 1801, par R . B . III, pp. 297 et suiv. ; conf. R. F . , pp. 358 et suiv.
3 ) Buache étudiait la question depuis nombre d'années. En 1777, l'ambassadeur d'Espagne auprès de la cour de France , le comte de Aranda le trouva occupé à la confection d'une carte de la Guyane et à écha-
408
7.
Depuis 1733, les négociations au sujet de la question
de la frontière restèrent en suspens entre l'autorité de
Cayenne et celle de Pa ra ; toutes les deux maintenaient leurs
prétentions, sans que, de part et d'autre, on fît de grands
efforts pour les mettre à exécution.
M. F . I, page 196, parle, il est vrai, d'une « série d'in
cursions jusqu'ici peu connues », entreprises par les Portu
gais « sur les pays compris entre l 'Amazone et l 'Oyapoc » :
« Au moyen des affluents du grand fleuve, ils tentent de
faire pénétrer lentement leur influence chez les populations
de l'intérieur et d'attirer sur les rives de l'Amazone toutes
les peuplades qui ne sont pas fixées sur le littoral. Celles
qui résistent sont ou déplacées ou complètement anéanties. »
Outre ces expéditions à main armée, pour lesquelles les
Portugais se servent moins de leurs propres soldats que
d'Indiens qui ont accepté leur domination, « une incursion
de missionnaires portugais à Cachipour » a eu lieu, ce dont
deux agents français, Dunezat et Lemoine, se plaignirent
au gouverneur de Cayenne le 1 e r février 1755. « Un mémoire
rédigé vers 1745 et copié dans les recueils de Turgot, énu-
mère longuement les incursions des Portugais dans le terri
toire intermédiaire 1 ) . » En 1753, Lemoine mandait au mi-
fauder des arguments en faveur de l'hypothèse de la baie de Vincent Pinçon. Aranda rapporte qu'à ses objections, Buache aurait répondu: « que j ' ava i s raison, mais que vu la nécessité de présenter une Car te telle qu'il la voulait produire, il fallait s 'accrocher à la moindre chose », R . B . I I I , page 266, d'après une dépêche d'Aranda, du 20 juillet 1777, au comte de Floridablanca, Archives de Simancas, Secre ta r ia de Estado, Liasse 7417, fol. 9, texte espagnol dans R . B . I V , pp. 286 et suiv., traduction française R . B . III , pp. 259 et suiv.
1) M. F . I, page 198 : « Mémoire des irruptions des Portugais du P a r a sur les terres de la Guïane dépendantes de la F r a n c e et l 'extrait
— 4 0 9 —
nistre des Colonies: « Je ne doute pas que Monseigneur
soit exactement informé lorsque les Portugais font incur
sion sur nos terres. J e ne suis informé de ces événements
que par des indiscrétions, puisque je ne puis pas douter
que le secret sur ces choses ne soit recommandé à mon
é g a r d . . . Ces entreprises de la part des Portugais me
paraissent mériter une attention particulière. Ce sont des
actes de souveraineté d'un prince étranger sur les terres
du Roy ; le silence peut non pas donner un droit, mais
rendre le règlement des bornes plus difficile à discuter.
Nous sommes en état d'anéantir ces entreprises. A quoi
doivent servir les troupes ; la représaille est facile ; présen
tons nous ; leurs indiens feront les trois quarts de l'opéra
tion ; leur désertion est certaine . . . Si l'on souffre si patiem
ment leurs entreprises, ils exigeront bientôt la riviere même
d'Oyapock. Usons-en comme les Portugais. Nos prétentions
s'étendent jusqu'au cap Nord. Si les Portugais s'échappent
au delà, passons-le aussi. S'ils enlèvent les Indiens sur les
terres du Roy, ils ont des précautions à prendre : nos Indiens
se défendent tant qu'ils peuvent, les leurs ne cherchent que
la liberté ; armons les Indiens de la frontière ; mettons-les
en état de se défendre 1 ) . »
Mais le gouvernement ne donna pas l'ordre d'agir :
« Pa r une lettre du 28 novembre 1754, le ministre, écrivant
au gouverneur de la Guyane, reconnaît la nécessité de
rappeler les Portugais au respect de la vraie limite et
invite ce fonctionnaire à préparer un mémoire sur ce sujet 2).»
de ce qu'on a pu tirer de la relation ou journal verbal des voïageurs qui ont été dans le haut des terres et des rivieres », à la Bibl. Nat., mss. fr., n» 6235, pp. 13-18.
1) M. F . I, pp. 198 et suiv., Archives des Colonies, t. L X I V . 2) M. F . I, page 199, Bibl . Nat., ms. fr. 1750, fol. 8.
— 4 1 0
Pour le surplus on se contentait à Cayenne de témoi
gner par quelques autorisations qu'on n'admettait pas les
prétentions portugaises : En 1754, un voyageur français,
Lavaud, se rendait, avec la permission du gouverneur, « au
Macari et au Carapapory, et en explorait les bords». « En
1753, un nommé L a Jeunesse qui habitait le poste d'Oyapoc,
était muni d'une permission de pêche au delà de Counani.
Quelques années a p r è s , . . . Godin obtenait de même des
autorités de Cayenne le droit de faire la pêche du lamantin
au Mayacaré et il retournait encore, toujours avec une per
mission identique, en 1764 et 1765 1 ) . »
Il est probable qu'on eût déployé plus d'énergie si la
situation générale de la colonie de Cayenne avait été
meilleure. Voic i le tableau qu'en faisait Malouet dans un
« rappor t» qu'en 1776, il adressait à son gouvernement 2 ) :
. . . « Dès le commencement de nos établissemens en Amé
rique, tout concouroit à fixer à la Martinique et à Saint-
Domingue les armateurs et les colons, tandis que l'espoir
incertain de pénétrer par la riviere des Amazones dans le
Pérou, appeloit quelques aventuriers dans la Guiane. Lors
que des tentatives inutiles, et plus encore, le traité d'Utrecht,
nous firent renoncer à toute liaison fructueuse avec les
Portugais et les Espagnols, les França i s habitués dans
cette partie de l'Amérique, y restèrent avec la même disette
de moyens pour accroî t re leur culture. L e défaut de com
munication, d'instruction et de commerce, perpétua leur
langueur. Avec moins de secours et de connoissances que
les autres colons, ils cultivèrent plus mal : leur industrie
découragée n'éprouva plus d'accroissement; et toutes ces
1) M. F . , pp. 199 et suiv., d'après Moreau Saint-Méry, F . 21, lettre
du 15 septembre 1753, et d'après Froidevaux-Godin, page 52. 2) Malouet, Collection de Mémoires, 1. c. I, pp. 65 et suiv.
— 4 1 1 —
causes agissant l'une sur l'autre, il en résulta pauvreté,
paresse, ignorance, éloignement absolu du commerce na
tional. »
Mais, dès 1763, on paraît vouloir passer de l'indiffé
rence à l'action.
Il est vrai que deux grandes entreprises de colonisation
échouèrent totalement; néanmoins, vers 1775, on projette
de mettre à exécution un plan combiné par le baron de
Bessner : 20,000 nègres, venus en fugitifs de la colonie hollan
daise de Surinam, et 100,000 Indiens environ, devaient être
réunis dans la colonie, où ils auraient été organisés en un
état sur le modèle de celui créé par les jésuites au Para
guay, à l'aide des nombreux ex-jésuites expulsés par le
gouvernement portugais.
Malouet, chargé d'examiner les voies et moyens de
réaliser ce projet et d'établir l'ordre dans la colonie de
Cayenne, fut envoyé, muni de pouvoirs spéciaux du rqi, à
Cayenne où il arriva en octobre 1776.
Avant de partir, il avait, dans un « rapport » au gouver
nement, recommandé la création de missions avec le con
cours de jésuites portugais 1). Peu après son arrivée, une
de ces missions fut créée à la baie de Vincent-Pinson :
1) Malouet, 1. c. pp. 81 et suiv. : « D e tous les prêtres à employer à
une semblable mission, il n'y en auroit pas de plus capables que quel
ques-uns des ex-jésuites qui ont été chassés du Maragnon par les Portugais,
et qui sont actuellement retirés en Italie. L'habitude de vivre avec les
Indiens, le grand crédit qu'ils avoient parmi eux, et la haine qu'ils ont
conçue contre les Portugais, nous rendroient ces missionnaires infiniment
utiles. »
Dans l'introduction à sa « Collection de Mémoires », Malouet dit
(page 21) : « D e tous les projets du baron de Bessner, j e n'avois repoussé
avec inflexibilité que les essais dispendieux; mais j 'avois consenti à em
mener quelques missionnaires pour tenter dans la baie de Vincent-Pinson,
l'établissement d'une mission et d'une pêche du lamantin » . . .
« les villages (des Indiens) les plus nombreux sont du côté
de la baie de Vincent-Pinson » ; on y envoya « deux prêtres,
des ouvriers, des marchandises de traîte, et un poste com
mandé par un sergent, aux ordres des missionnaires » 1).
Outre son « rappor t» , Malouet avait adressé, en 1776,
au gouvernement un mémoire sur l'affaire de la frontière 2 ) .
Il expose dans ce document :
« L a trop longue indifférence du Gouvernement pour
les possessions de la Guiane, occasionne depuis cinquante
ans un progrès d'usurpation de la part des Portugais et
des Hollandais. Si S a Majesté ne détermine incontestable
ment ses droits sur cette partie du continent, il est très-
vraisemblable que les établissemens de nos voisins se
multiplieront à notre détriment, et opposeront les plus
grands obstacles à la prospérité des nôtres. Il est notoire
que les Portugais ont reculé de cinquante lieues au-delà
du Cap du Nord leurs bornes prétendues, et qu'ils y ont
établi des postes et des missions, à la faveur desquels ils
enlèvent les Indiens établis dans notre territoire, et nous
ferment toutes les avenues du Rio-Negro, dont la navigation
seroit pour nous si importante. Cette portion de côte
usurpée par eux est d'ailleurs très-précieuse par la faculté
que nous aurions d'y établir la pêche du lamantin . . .
E t comme il pourroit être dangereux de paroître douter
de la" légitimité de nos droits, on croit que le préambule
nécessaire à toute négociation, seroit de déclarer à la Cour
1) Malouet, 1. c. pp. 47 et suiv. (Notes.) Malouet fait un tableau intéressant de l 'échec des pratiques des missionnaires et de la conduite des Indiens. — C'est le 28 septembre 1776 que le ministre de Sar t ine donna à MM. de Fiedmond (gouverneur) et Malouet l'ordre de construire le poste (aux environs de la baie de Vincent Pinçon), M. F . I, page 203, Archives de la Guyane; conf. R . F . , page 152.
2) Malouet, 1. c. (« Cayenne, Limites »), pp. 107 et suiv., reproduit dans R . B . III , pp. 249 et suiv.
412
de Portugal que le Roi, aux termes du traité d'Utrecht, a ordonné l'établissement d'un poste dans la baie de Vincent Pinçon, d'où S a Majesté se propose de faire tirer une ligne droite de l 'Est à l'Ouest pour la fixation des limites. Il est alors certain que plusieurs postes et missions portugaises se trouveront enclavés dans nos terres, et il seroit bien intéressant d'y retenir les Indiens qui y sont habitués. L'établissement de ce premier poste doit donc être confié à des missionnaires intelligens, accompagnés de quelques soldats, et doit suivre de près la déclaration qui en sera faite à la Cour de Portugal et à son gouverneur du Para . Il n'est pas vraisemblable que celui-ci oppose la force ouverte avant d'avoir reçu des ordres de sa Cour, qui seront au moins suspendus par la négociation, surtout dans la position où se trouve actuellement le Roi de Portugal. Mais si, contre toute probabilité, le gouverneur du Para faisoit enlever nos missionnaires, il semble que les circonstances actuelles seroient bien favorables pour avoir raison d'une infraction aussi manifeste au Trai té d'Utrecht.
Indépendamment de la pêche du lamantin, et de l'augmentation de terres que cet arrangement nous assure, il nous ouvre la traite des bestiaux au Para; et, par Rio-Négro, la navigation interlope sur le fleuve des Amazones. Ces différentes vues réunies à la nécessité de soutenir dignement les droits de la couronne, suffiront, sans doute, pour fixer l'attention du conseil sur un objet aussi important. »
Cette proposition tendait à faire trancher à la fois la question de la frontière extérieure et de la frontière intérieure ; la frontière extérieure sera au poste à créer «dans la baie de Vincent Pinçon » ; la frontière intérieure sera formée par une ligne droite tirée de ce point de la côte, de l'est à l'ouest ; cette frontière intérieure ouvre à la France
413
— 4 1 4 —
« par Rio-Négro, la navigation interlope sur le fleuve des
Amazones ».
Malouet fait entrer en ligne de compte que « plusieurs
postes et missions portugaises se trouveront enclavées dans
nos terres » ; c'est dire que la future limite ne correspondra
pas exactement à la possession réelle. Mais, spéculant sur
les difficultés politiques dans lesquelles le Portugal était
alors engagé avec l 'Espagne, il comptait qu'elles le met
traient dans l'impossibilité de résister.
L e gouvernement français adopta l'idée de Malouet.
L e 16 mai 1781, un ordre royal fut donné et transmis par
le ministre de la marine, le maréchal de Castries, au gou
verneur de la Guyane française, de Fiedmond ; la dépêche
du ministre est ainsi conçue 1) :
« V o u s savez que le traité d'Utrecht a fixé les limites
de la Guyane française et de la Guyane portugaise à la
baie de Vincent Pinçon, à quinze lieues de l'embouchure de
la riviere des Amazones par les 2 d. Nord. Cependant, les
Portugais ont étendu leurs limites bien au delà de cette
ligne et, pour faire cesser cet empiètement, M. de Sart ine
avait marqué à MM. de Fiedmond et Malouet, le 28 septembre
1776, d'établir un poste aux environs de la même baie de
Vincent Pinçon 2 ) . Cette dépêche est restée sans réponse
et, sur le compte que j ' a i rendu au roi des différents mé
moires qui m'ont été remis à ce sujet, S a Majesté m'a chargé
de vous faire connaître ses intentions.
11 sera formé un poste sur la rive gauche de la Rivière
de Vincent Pinçon, après qu'il aura été vérifié que cette
riviere se trouve vers le deuxième degré Nord ou au moins
1) M. F . I, page 203, en cite quelques passages ; elle se trouve plus
complète dans R . F . , pp. 153 et suiv., Archives de la Guyane. 2) V o i r ci-dessus, page 412, note 1.
- 415 —
qu'elle est distante de quinze lieues portugaises de l'embouchure de la riviere des Amazones. Cette reconnaissance faite, on pourra occuper les deux îles qui se trouvent devant la baie de Vincent Pinçon ou seulement la plus grande qui est dans toute son étendue vis-à-vis du territoire français....
Il n'est pas à présumer que les Portugais s'opposent à un établissement sur des limites qui ont été fixées par le traité d'Utrecht, mais il serait possible que la ligne à tirer du point indiqué donnât lieu par la suite à des difficultés. Pour prévenir tout sujet de discussion à cet égard et faciliter les arrangements qui devront être pris avec la Cour de Portugal, vous ferez dresser, le plus promptement qu'il vous sera possible, une carte de la ligne de démarcation qui doit exister d'après la teneur du traité d'Utrecht. Cette ligne devra courir, parallèlement à la riviere des Amazones, à quinze lieues de distance de la rive gauche de cette riviere à partir de l'embouchure de celle de Vincent Pinçon. Cependant les ingénieurs qui seront chargés de cette opération devront s 'écarter de la parallèle prescrite autant de fois qu'ils pourront lui substituer des points plus remarquables, tels que des chaînes de montagnes, des lacs, ruisseaux, etc »
Plus tard, il est arrivé à Malouet de se plaindre de ce que tout ce qu'il avait fait dans les affaires de la Guyane avait été en pure perte. « Ces faits, ces résultats, mes comptes rendus, et la solennité, la sanction qu'ils avoient obtenues, tout cela s'est enseveli dans mon porte-feuille 1). »
L'ordre donné par le roi le 16 mai 1781 resta également sans exécution. L e 15 décembre 1781, Fiedmond fut remplacé par le baron de Bessner 2 ) . Celui-ci avait ses idées par-
1) Malouet, 1.c. I, Introduction, page 27. 2) M. F . I, page 203.
ticulières sur la délimitation. Il les exposa dans un mémoire
de mai 1783 1) :
« L e s limites de la Guyane Française n'ont pas encore
été clairement reconnues d'aucun côté. . . . Il serait possible
qu'en fouillant dans les dépôts et archives on trouvât des
titres à ajouter à celui que la Pa ix d'Utrecht nous fournit,
mais comme les différends entre Souverains ne se jugent
pas à un tribunal, que leurs droits respectifs les règlent
ordinairement moins que la convenance et d'autres considé
rations, il m'a semblé qu'il valoit mieux s'occuper à examiner
ce qui pourroit nous convenir davantage que de perdre du
tems à la recherche de nos droits : celle que j ' a i faite dans
les vieux documens de la Colonie a été infructueuse.
Il a déjà été remarqué que, tant par l'énoncé du Trai té
d'Utrecht, que par les Cartes Portugaises, il paroit incon
testable que notre point de separation avec Pa ra a été placé
à l'endroit que nous appelons B a y e de Vincent Pinson;
mais ce point reconnu réciproquement sur le bord de la
mer, comment déterminer la direction de la ligne qui devra
separer la Guyane Française de la Portugaise dans l'inte
rieur des terres ? En suivant la riviere de Vincent Pinson,
jusqu'à sa source, on parviendra à peine à 8 ou 10 lieues
de la côte. A cette très petite distance, il faudra déjà avoir
recours à une ligne en quelque sorte idéale, que dans la
plus grande partie de son étendue rien ne fera connoitre
sur le terrain, et qui, par consequent, exposera sans cesse
l ) R . B . III , pp. 279 et suiv., en publie des « Extrai ts » dont la provenance est indiquée comme suit : « L e Mémoire, dont nous allons citer quelques extraits, fut communiqué en 1797 au Ministre du Portugal à Par is , Antonio de Araujo de Azevedo, par le Ministre des Relat ions Extér ieures du Directoire, Charles Delacroix. L a copie envoyée à Lisbonne par le Ministre du Portugal est conservée aux Archives du Ministère des Affaires étrangères. »
416
— 4 1 7
aux inconveniens qu'on cherche à prevenir par un règle
ment de limites.
Il n'y a qu'un moyen pour obvier aux difficultés sans
nombre qui naitroient de l'execution litterale du traité : ce
seroit que la Cour de Portugal voulut nous faire une légère
concession sur le bord de la mer, contre une concession
plus importante que nous pourrions lui rendre d'un autre
côté, et consentir à reculer sa borne sur la côte jusqu'à la
riviere d'Arrowary. Cette cession apparente ne lui occasion-
neroit aucune privation, et fourniroit aux deux Nations une
borne reconnoissable qui assureroit leur tranquilité réci
proque. ...
Si nous devions partir de la source du Vincent Pinson,
pour de là continuer notre ligne, nous serions en droit
d'exiger qu'elle s'éloignât nulle part davantage du fleuve
des Amazones, puisque l'objet du traité n'a été que d'ac
corder aux Portugais la navigation exclusive du fleuve, et
que, dans cette vue seulement, il leur a été cédé la pro
priété du bord occidental que nous possédions alors. Notre
ligne, en suivant cette direction, passeroit nécessairement
par beaucoup d'endroits qu'il seroit très incommode aux
Portugais de perdre, quoiqu'ils n'y auroient pas d'établisse
ments formés. S'ils consentoient au contraire à faire passer
les limites par Arrowary, nous pourrions convenir de tirer
de sa source une ligne vers celle d'Oyapock, en faisant
passer derriere et au dessus de toutes les rivieres et ruis
seaux qui auroient leur cours vers l'Amazone, n'importe à
quelle distance....
S i la Cour de Portugal persistoit absolument à ne pas
vouloir changer la borne de Vincent Pinson, alors, et dans
le cas où il conviendroit de prendre un parti sur nos limites,
avant d'avoir reçu de nouveaux renseignements géogra
phiques, on pourroit faire partir la ligne de séparation de 27
la source de cette riviere dernière, jusques vers celle d'Oya-
pock, dans la direction indiquée pour l 'Arrowary ; mais sans
rien stipuler au dela, et remettre à prononcer sur la pro
longation ultérieure de nos limites, que nous soyons plus
instruits sur ce qui concerne cette partie.
Nos bornes reconnues d'un côté jusqu'à la source
d'Oyapock, tandis que de l'autre nous pouvons nous éten
dre sans opposition jusqu'à celle du Marony, il sembleroit
indiqué de tirer une ligne de la source de l'une de ces
rivieres à l'autre, pour achever de renfermer la Guyane
française entre quatre bornes distinctes, et possibles à
vérifier lors de quelques difficultés . . . »
C'est dans le môme mémoire probablement que le
baron Bessner donnait au gouvernement ces renseigne
ments au sujet de nouveaux établissements français 1) :
« L e s ordres de la Cour relativement à Vincent Pinzon
ont été exécutés autant que les difficultés inséparables de
tous les nouveaux établissements que le grand éloignement
des secours a fort augmentées en cette occasion ont pu le
permettre. Il y existe (au Macaré) un poste militaire qui
constate votre propriété par la possession, et qui protège,
en outre, les missions du Macary et du Counani où, depuis
son établissement, le nombre des Indiens a fort augmenté.
Ci-devant les Portugais ne se contentaient pas de pour
suivre ceux qui s'acheminaient vers nous ; ils venaient les
enlever sur notre territoire qu'ils affectaient de ne pas
connaître. L 'ar r ivée de nos troupes a empêché leur déta
chement de continuer leurs courses en deça de nos limites. »
Dans une lettre du 14 septembre 1783 2 ) le maréchal
de Castries approuva les mesures prises par Bessner au
1) M. F . I, pp. 203 et suiv., Archives des Colonies. 2) Cité dans M. F . I, page 204, Archives de la Guyane.
418
— 419 —
sujet de l'établissement du «poste de Vincent Pinzon » ; il
recommanda d'ailleurs au gouverneur « de vous tenir stric
tement à ce qui vous en est prescrit par ma dépêche du
16 mai 1781. Vous devez vous borner actuellement à bien
déterminer les points qui doivent servir de limites et m'en
rendre compte, afin que l'on puisse traiter en connaissance
de cause avec la Cour du Portugal, en cas qu'elle fasse
des réclamations».
En 1785, Daniel Lescallier fut nommé ordonnateur en
Guyane ; l'instruction l ) royale, du 6 juin, qui lui fut remise,
tout en confirmant l'ordre du 16 mai 1781, portait: « L e traité
d'Utrecht a fixé les limites de la Guyane française et de
la Guyane portugaise à la baie de Vincent Pinzon, laquelle
est à 15 lieues de l'embouchure de la riviere des Ama
zones par les deux degrés de latitude Nord. Les Portu
gais ayant étendu leurs limites bien au-delà de cette ligne,
S. M. a ordonné, au mois de mai 1781, l'établissement d'un
poste sur la rive gauche de la riviere de Vincent Pinzon,
afin d'exercer ses droits sur cette partie. Cet établissement
n'a pas encore été suivi d'aucune réclamation de la cour
de Portugal, mais il reste à déterminer la ligne qui doit
partir de ce point pour fixer les limites jusqu'à la riviere
du Rio Negro. Les sieurs de Bessner et Lescall ier se con
formeront aux intentions du Roi qui ont été manifestées à
ce sujet aux administrateurs par des ordres particuliers du
1) « Mémoire du Roy pour servir d'instruction au sieur baron de Bessner, gouverneur de la Guyane française et au sieur Lescallier, commissaire de la marine, ordonnateur en la même colonie », sans indication de provenance, cité par M. F . I, pp. 204 et suiv. Malouet s'est trompé en écrivant que Bessner était mort un an après être entré en fonctions en Guyane (Maloue t , 1. c , Introduction, page 42) ; la date de cette instruction prouve qu'il vivait encore en 1785 ; il est mort avant la fin de cette année-là.
— 420 -
16 mai 1781 et du 14 octobre 1783 1 ) , et ils rendront compte
de leurs opérations au Secré ta i re d'Etat de la Marine et
des Colonies. »
Le 27 décembre 1785, Lescal l ier écrivit au ministre 2 ) :
« L e régime prohibitif des Portugais ne laisse aucun moyen
de communication utile avec eux, à moins qu'on ne puisse
mettre en exécution les ordres que vous avez donnés rela
tivement à la fixation des limites avec cette nation par
votre dépêche du 16 mai 1781, sur quoi nous vous donnons
nos idées dans notre mémoire. »
R. B . III, pages 291 et suivantes, communique quelques
passages d'un document qui pourrait bien être ce mémoire 3).
Il est intitulé : « Mémoire sur l'état actuel de la colonie de
Cayenne et Guyane Française au premier Janvier 1786, par
MM. Fitz Maurice et Lescal l ier ». Ces deux fonctionnaires
s'expriment comme suit touchant la question de la frontière :
« L e Trai té d'Utrecht a fixé les limites de la Guyane Fran
çaise avec la Guyane Portugaise à la B a y e et Rivière de
Vincent Pinçon, laquelle est à 15 lieues de l'embouchure
de la Rivière des Amazones par les deux degrés de lati
tude Nord.
L e s Portugais ont longtemps contesté ces limites, et
ont prétendu (non sans quelque fondement) que la B a y e et
Rivière d'Oyapock étoit la même que l'on a cru désigner
par le nom de Vincent Pinçon, nom qui n'est aucunement
1) Il s'agit vraisemblablement de la lettre du 14 septembre 1783, voir ci-dessus page 418.
2) M. F . I, pp. 206 et suiv., Archives de la Guyane. 3) L a provenance du document est indiquée en ces termes (R . B . III ,
page 291) : « Archives du Ministère des Affaires E t rangères à Lisbonne. C'est une des copies envoyées en 1797 par le Ministre de Portugal en F r a n c e , Antonio de Araujo de Azevedo ». Quant à Fi tz Maurice il est remarqué (ibidem) : « C'était peut-être le Gouverneur de la Colonie. »
4 2 1 —
connu dans le pays que par l'usage que nous avons tiré
de cet Article du Traité d'Utrecht. Quoi qu'il en soit, nous
sommes en possession, et sans aucune difficulté, à présent,
avec les Portugais, du terrain qui s'étend jusqu'à la bande
du Nord de l'Isle dite du Cap Nord, et la rive gauche d'une
riviere nommée Carapapourri, où nous avons un poste
établi depuis l'année 1782 » . . .
Il y a lieu de retenir que les rédacteurs de ce mémoire
placent la frontière adoptée par le traité d'Utrecht à la
« B a y e et Rivière de Vincent Pinçon » ; quoique cette fron
tière soit contestée, les Français sont en possession du
territoire litigieux. Mais en ce qui concerne la frontière
intérieure, la « Ligne de M. de Castries », M. F . I, page 206,
pose en fait « que la fameuse ligne de démarcation que
demandait le gouvernement français ne fut, au témoignage
de Lescallier lui-même, jamais t racée».
Les pièces au dossier ne fournissent aucun éclaircisse
ment sur le point de savoir si, et cas échéant sous quelle
forme, la France a revendiqué auprès du gouvernement
portugais la frontière de la « B a y e et Rivière de Vincent
Pinçon», ainsi que la «ligne de M. de Castries» 1 ) .
8.
1. En expulsant l'ordre des jésuites du territoire por
tugais et en dissolvant du même coup les missions des
1) A supposer que la déclaration du duc d'Aiguillon à M. de Boyenes (du 7 novembre 1772) : « Il me semble que nous ne sommes nullement fondés à proposer au Portugal de donner aux limites de ses possessions une restriction qui ne se trouve point aux termes du Tra i t é» , soit exacte et ait été portée à la connaissance du gouvernement portugais, celui-ci en devait conclure que la F rance n'avait rien à objecter à l'interprétation donnée par le Portugal au traité d'Utrecht ; conf. R. B . III , pp. 245 et suiv.
—- 422 —
jésuites dans l 'Estado do Maranhão (1759), le gouverne
ment portugais se privait d'un auxiliaire qui lui avait rendu
de grands services, en contribuant à assurer sa souverai
neté sur ses colonies. En outre, dans l'Amérique du Sud,
des conflits de frontières et des négociations de paix avec
l 'Espagne avaient absorbé presque toute sa sollicitude
depuis des années. Toutefois, à cette occasion aussi, la
question de l'Amazone avait son importance. L e traité de
paix de Madrid (1750) avait posé en principe, ainsi qu'il a
été expliqué ci-dessus dans l'aperçu historique général 1 ) ,
que là où des bassins de rivieres forment la frontière, les
territoires sont déterminés par les chaînes de montagnes
dont les eaux se jettent dans le fleuve principal. En ce qui
concerne le bassin de l'Amazone, il y faut faire rentrer,
par conséquent, comme territoire portugais tout le pays
qui, de la Cordillère frontière, située entre l'Amazone et
l 'Orénoque, descend vers l 'Amazone.
Un auteur portugais contemporain, le P. Bento da Fon-
seca, qui possédait des renseignements dignes de foi au sujet
des clauses du traité de paix de 1750 2 ) , interpréta comme
suit la disposition du traité fixant la frontière du bassin de
l 'Amazone : . . . « on remontera jusqu'au sommet des monts
par où se fait le partage des eaux, et les versants du Nord
et le bassin du fleuve Orinoco appartiendront à l 'Espagne,
1) V o i r ci-dessus, pp. 66 et suiv. 2) Ext ra i t d'un manuscrit (Apontamentos para a Chronica da Com-
panhia de Jesus no Estado do Maranhão) du P. Bento da Fonseca, de la Bib l . Nat. de Lisbonne, Ms. n° 4516, ancien fonds P . 6, 27, R . B . III ,
pp. 209 et suiv. (traduction française); R . B . I V , pp. 267 et suiv. (texte
portugais).
Fonseca dit, 1. c , pp. 210 et suiv.: « Nous avons appris de la bouche
de l 'auteur même de ce Tra i t é , lequel est Alexandre de Gusmào, membre
du Conseil d'Outre-Mer et homme très instruit, que les limites du Tra i té ,
pour la partie du Fleuve des Amazones sont comme il suit» . . .
— 4 2 3
et les versants du Sud et le bassin de l'Amazone seront
au Portugal. »
Et de là, il décrit la frontière vers l'est de la manière
ci-après :
« De ce sommet, on suivra vers l 'Est la ligne de faîte
des monts, et les versants du Sud seront au Portugal et
ceux du Nord seront à l 'Espagne, à la Hollande et à la
France , jusqu'à ce que l'on arrive, à l'Est, à la Rivière
Yapoco ou de Vincent Pinçon, qui sépare nos domaines et
le rivage de la mer de ceux de F rance 1 ) . »
2. Dès le début de la Révolution française, on vit une
fois de plus que le Portugal n'entendait nullement renoncer
à la frontière de l'Oyapoc du Cap d'Orange.
Au printemps de 1791, le gouverneur de Para, Dom
Francisco de Souza Coutinho, fit les préparatifs d'une expé
dition qui devait aller jusqu'à l 'Oyapoc 2 ) .
Sur quoi Benoist 3 ) , gouverneur par intérim, manda de
Cayenne : « L e 20 du mois dernier (mois de mai), j ' a i été
prévenu qu'un détachement de Portugais de la colonie du
Pa ra s'était porté à notre mission du Macary en deçà du
Cap du Nord et avait annoncé aux Indiens qui y sont qu'ils
allaient sous peu venir en force s'y établir, les mettre sous
la domination portugaise et s'étendre jusqu'à la riviere
1) R . B . III , page 212. M. F . I, pp. 94 et suiv., commentant les stipulations par lesquelles le Portugal et l 'Espagne garantissaient leurs frontières réciproques dans l'article 25 du traité de 1750 et l'article 3 du traité de Pardo (1778). dit que les « margens de huma e outra banda » ne sont qu'« une simple lisière de territoire de l'un et de l'autre bord » ; cette interprétation n'est pas soutenable. A lui seul le texte intégral de ladite disposition la détruit. Conf. le texte de l'article dans M. F . II, pp. 88 et suiv., R . B . III , pp. 223 et suiv.
2 ) M. B . I, page 235. 3 ) M. F . I, pp. 207 et suiv., Archives des Colonies, t. L X I V .
— 424 —
d'Oyapock qu'ils prétendent être leurs limites, malgré les
établissements de culture que nous y avons. . . J ' a i cru de
voir faire partir, le 25 du même mois, un officier avec
huit hommes seulement, pour que, dans le cas où les Por
tugais seraient établis au Macary, réclamer ce territoire
comme appartenant à la France, et attendre à cette mis
sion réponse à la lettre que j ' a i écrite à ce sujet au gou
verneur du P a r a 1). Si , au contraire, cet officier ne trouvait
point les Portugais établis dans cette partie du territoire
de la Guyane française, il y prendrait poste avec son petit
détachement que j 'augmenterai autant que j 'en aurai les
moyens» . . . Le s réclamations du gouverneur français, aussi
bien que les mesures qu'il prit, restèrent sans résultat.
« E n 1792», dit M. F . I, page 208, «nous étions amenés à
évacuer le poste de Macari 2 ) , et, à leur tour, les Portugais
créaient trois postes: l'un à l'entrée de la grande crique
1) L a lettre, datée du 25 mai 1791, se trouve aux archives du ministère des Colonies, Guyane, t. L X I V , M. F . II , pp. 153 et suiv. On y lit: « S u r l'avis qui nous est survenu que des détachements de votre colonie s'étaient portés jusques dans les établissements d'Indiens du Mayacaray qui, par les traités d'Utrecht, est du territoire français, l'on est bien loin de croire que ce soit avec autorisation de V o t r e Excel lence . . .
S' i l y avait diversité d'opinion entre la colonie du P a r a et celle de Cayenne sur nos limites, ce serait à nos souverains, d'après les observations de V o t r e Exce l lence et les miennes, à les déterminer, ces limites étant assez désignées, dans le traité d'Utrecht, par la riviere de Vincent Pinson, latitude de 2 D. 20 m., malgré que l'on y ait confondu cette riviere avec celle d'Oyapock sur la latitude de 4° 10' où nous avons des établissements de culture . . .
Pour que l'on ne puisse avoir le moindre soupçon que nous voulions dans ce temps de paix entre la F r a n c e et le Por tugal nous opposer par la force aux établissements que l'on voudrait surement sans votre aveu former au Mayacaray, j e n'y envoie seulement qu'un officier avec huit hommes pour réclamer à l 'amiable ce territoire f rançais . . .»
2 ) L a lettre ci-dessus du gouverneur, du 25 mai 1791, appelle le poste « Mayacaray ».
4 2 5 —
de l 'Araguary; le second à l'embouchure de cette rivière;
le troisième à l'embouchure du Sucuruju, tout près du cap
de Nord 1 ) . Ils allèrent même plus loin. En 1794, une escadre
de cinq petits bâtiments armés en guerre poussa jusqu'à
l 'Oyapoc du cap d'Orange et détruisit un établissement
assez considérable qu'un habitant de Cayenne avait créé
dans l'Ouassa. »
L e chef de cette expédition portugaise, « le lieutenant
Azevedo», adressa au commandant des forts de l'Oyapoc,
qu'il qualifiait de «gardien des limites », une sommation par
laquelle il l'invitait « à lui remettre les déserteurs et les
esclaves qui avaient cherché asile sur notre territoire ». Mais
comme il n'y avait là ni commandant, ni soldats, la popula
tion civile de la localité répondit « que nos limites (du terri
toire français) étaient à la baie de Vincent Pinzon et non à
l 'Oyapoc » et que la sommation serait transmise à Cayenne.
Les Portugais construisirent alors sur la rive droite de
l 'Oyapoc le « For t de Nossa Senhora da Conceiçâo », sur
lequel ils plantèrent le drapeau portugais 2 ) ; leur comman
dant aurait même prétendu, comme l'avait fait autrefois da
Maya da Gama, que les possessions portugaises allaient
jusqu'à la Montagne d'Argent, en invoquant « un traité ou
un accord de date postérieure au traité d'Utrecht 3) ».
Ce sont les dernières revendications de frontières qui,
de part et d'autre, aient été formulées sur place avant l'ex
piration du X V I I I e siècle.
1) M. B . I, page 235, indique comme suit la position des trois forts portugais (de 1791) : « L e premier sur la rive gauche du Furo Grande de l 'Araguary, les deux autres sur la rive Nord du confluent de cette riviere et sur la rive Nord du Sucuruju. »
2 ) M. F . I, page 209. 3 ) D'après un renseignement donné par l'ingénieur Mentelle dans un
mémoire de 1796, M. F . I, pp. 209 et suiv., Archives des Colonies, t. L X I V .
— 426 —
Peu après, les puissances ont cherché à régler la question
par une série de traités de paix et de conventions.
9.
1. Le traité de Paris du 10 août 1 1797. Ce «Tra i té de paix
et d'amitié entre S a Majesté T r è s Fidèle la Reine de Por
tugal et la République Française » 2 ) , stipule au sujet de la
frontière de la Guyane:
Art. 6. S a Majesté T r è s Fidèle reconnaît par le présent
Tra i té que toutes les terres situées au Nord des limites
ci après désignées entre les possessions des deux Puissances
contractantes appartiennent en toute propriété et souve
raineté à la République Française , renonçant en tant que
le besoin serait, tant pour Elle que pour ses successeurs
et ayans cause, à tous les droits qu'Elle pourrait prétendre
sur lesdites terres à quelque titre que ce soit et nommé
ment en vertu de l'article 8 du Tra i té conclu à Utrecht le
11 avril 1713: réciproquement la République Française re
connaît que toutes les terres situées au sud de ladite ligne
appartiennent à S a Majesté T r è s Fidèle en conformité du
même Tra i té d'Utrecht.
Art. 7. L e s limites entre les deux Guyanes Française et
Portugaise seront déterminées par la Rivière appelée par
les Portugais Calcuenne 3) et par les Français de Vincent
1) M. F . II, page 90, contient une faute d'impression : « avril», au lieu d'août.
2 ) Archives des Affaires étrangères, Original scellé, reproduit par M. F . II, pp. 90 et suiv. Reproduit également par M. B . II, pp. 81 et suivi, qui ajoute les « Articles secrets signés à Paris , le 20 août 1797 (3 F r u c tidor, A n V ) , manquant dans M. F . II, 1. c ; la provenance de ce texte n'est pas indiquée. M. B . I, pp. 236 et suiv., et R. B . III, pp. 293 et suiv., reproduisent à part les «Clauses relatives à la Guyane».
3 ) M. F . II, page 92: Calcuene.
— 427 —
Pinson, qui se jette dans l'Océan au-dessus du Cap Nord
environ à deux degrés et demi de latitude septentrionale.
Elles suivront ladite Rivière jusqu'à sa source, ensuite une
ligne droite tirée depuis ladite source vers l'Ouest jusqu'au
Rio Branco.
Art. 8. Les embouchures ainsi que le cours entier de
ladite Rivière Calcuenne ou de Vincent Pinson appartien
dront en toute propriété et souveraineté à la République
Française, sans toutefois que les sujets de S a Majesté T rès
Fidèle établis dans les environs, au midi de ladite Rivière,
puissent être empêchés d'user librement et sans être assu-
jetis à aucuns droits, de son embouchure, de son cours, et
de ses eaux.
Art. 9. Les sujets de S a Majesté T rès Fidèle qui se
trouveraient établis au nord de la ligne de frontière ci-
dessus désignée seront libres d'y demeurer en se soumettant
aux loix de la République, ou de se retirer en transportant
leurs biens meubles et aliénant les terrains qu'ils justifieraient
leur appartenir. L a faculté de se retirer en disposant de
leurs biens meubles et immeubles est réciproquement ré
servée aux Français qui pourraient se trouver établis au
midi de ladite ligne de frontière. L 'exerc ice de ladite faculté
est borné 1) pour les uns et pour les autres à deux années,
à compter de l'échange des ratifications du présent Traité.
L e traité fut conclu et signé par les négociateurs pléni
potentiaires Monsieur le Chevalier Antoine d'Araujo d'Aze-
vedo pour le Portugal, le Citoyen Charles Delacroix pour la
République Française « à Paris, le 10 août 1797 (23 thermi
dor, an V 2 ) de la République Française une et indivisible)».
1) M. B . II, page 84 : donné. 2 ) An X dans le texte de M. F . II, page 95, est une faute d'im
pression.
— 428 —
« C e traité fut confirmé par le Directoire le 11 août 1797 ; approuvé par le Conseil des Cinq-Cents, le 15 août ; par le Conseil des Anciens, le 12 septembre; et publié dans le Moniteur, avec la ratification du Directoire, le 14 septembre (28 Fructidor An V ) . Il n'a pas été ratifié par le Portugal et fut déclaré non avenu par arrêté du Directoire en date du 5 Brumaire An VI (26 octobre 1797) 1). »
Aux termes de ce traité, la frontière est constituée par le cours d'eau que les Portugais appellent Calcuenne, les França is Vincent Pinson 2 ) , qui se jette dans l'Océan au-dessus du Cap Nord par 2 ½ ° de latitude nord environ. La frontière suivra ce cours d'eau jusqu'à sa source, d'où elle continuera en ligne droite vers l'ouest jusqu'au Rio Branco .
L e renvoi au traité d'Utrecht est fort caractéristique : le Portugal renonce à toute prétention sur les terres attribuées à la France ; il n'entend faire découler de l'article 8
1) M. B . I, pp. 236 et suiv., note, reproduit par M. B . I I , page 81, note. L e texte de l'« A r r ê t é » du 28 octobre 1797, se trouve dans M. B . Il , page 88.
2 ) M. F . I, page 98, commente en ces termes le traité de 1797: «Il est une première observation à fa i re : c'est que l 'Oyapoc est délibérément écarté. D'autre part, on voit varier une fois de plus le synonyme du Vincent Pinson. Cette dernière dénomination ne change pas pour les França i s qui continuent à appeler de ce nom la riviere qu'ils acceptent comme frontière. L e s Portugais essaient au contraire de faire admettre que le Vincent Pinson est l 'équivalent de la riviere Calcuenne, et ils y réussissent, g râce à notre inadvertance . . . . L a riviere, qui répondait à ce mot de Calcuenne est évidemment le cours d'eau qui porte le nom de Calsoène ou plus habituellement aujourd'hui celui de Carsevenne » . . . . Il y a lieu de remarquer à cet égard qu'en admettant l'identification du Vincent Pinçon et du Calcuenne, la F rance aussi modifiait la thèse qu'elle avait jusqu'alors défendue. Mais il est exact que cette identification fut l 'œuvre des Portugais, ainsi que l'indique d'ailleurs R . B . I, page 182: « Il est des cartes manuscrites portugaises, de la fin du siècle dernier et du commencement du nôtre, qui donnent au Calçoene le nom de Vincent Pinçon comme dans le T ra i t é de 1797. »
— 4 2 9 —
du traité aucun droit à son profit sur ces terres ; la France
de son côté déclare que les terres situées au sud de la
ligne appartiennent au Portugal, « en conformité » du traité
d'Utrecht. Il n'est pas dit un mot du Japoc ou Oyapoc.
2. Le Traité de Badajoz du 6 juin 1801. Ce «Tra i té de paix
entre le Premier Consul de la République Française et
S. A. R. le Prince Régent du Royaume de Portugal et des
Algarves » 1) fut conclu par les plénipotentiaires, le citoyen
Lucien Bonaparte, pour la France , S. E . Monsieur Louis
Pinto de Souza Coutinho, pour le Portugal. Il stipule au
sujet de la frontière de la Guyane :
Art. 4 e . Le s limites entre les deux Guyanes seront dé
terminés à l'avenir par le Rio Arawari qui se jette dans
l'Océan, au-dessous du Cap Nord, près de l'isle Neuve et
de l'isle de la Pénitence, environ à un degré et un tiers
de latitude septentrionale : ces limites suivront le Rio Ara
wari depuis son embouchure la plus éloignée du Cap Nord
jusques à sa source, et ensuite une ligne droite tirée de
cette source jusques au Rio Branco vers l'ouest.
Art. 5 e . En conséquence la rive septentrionale du Rio
Arawari depuis sa dernière embouchure jusques à sa source
et les terres qui se trouvent au Nord de la ligne des limites
fixée ci-dessus, appartiendront en toute souveraineté au
peuple français. L a rive méridionale de la dite riviere
à partir de la même embouchure et toutes les terres au
Sud de la dite ligne des limites appartiendront à S. A. R.
— L a navigation de la Rivière dans tout son cours sera
commune aux deux nations.
1) M. F . II , pp. 95 et suiv., Archives des Affaires étrangères. — Original scellé. L e texte dans M. B . II, pp. 89 et suiv., sans indication de provenance ; les « Conditions secrètes » de la même date dans M. B . II, page 92.
L e s articles 4 et 5 ci-dessus sont reproduits par M. B . I, pp. 238 et suiv.
— 430
Ce traité ne se référait pas au traité d'Utrecht; il ne
mentionnait ni le J a p o c ni le Vincent Pinçon ; il fixait une
délimitation indépendante de toute convention antérieure ;
il partait de la proposition faite autrefois par le baron
Bessner tendant à obtenir du Portugal qu'il reculerait « sa
borne sur la côte jusqu'à la riviere d 'Arrowary » 1 ) .
1) E n 1798, durant cette période où aucun traité n'était en vigueur, le ministre de la marine de Portugal avait écrit au gouverneur de P a r a : « L 'expér ience du peu de succès qu'ont eu jusqu'à présent les França i s pour former et consolider leurs établissements à Cayenne donne quelques espérances qu'ils ne seront pas plus heureux dans l 'avenir; le point important est que, de notre part, il y ait toujours le zèle discret et ce prudent patriotisme qui est nécessaire pour susciter habilement des obstacles à leurs projets ambitieux, sans apparence de violence ou de mauvais vouloir » (M. F . I, page 211, « Document cité dans le mémoire de Baëna »).
S i le Por tugal escomptait une certaine indifférence de la F r a n c e à l'endroit de l'affaire de la Guyane, il se trompait. L'ancien « ordonnateur à Cayenne » Lescallier fit paraître, en 1798, un « Exposé des moyens de mettre en valeur et d'administrer la Guyane » (Paris, an V I ) , où il dit au sujet du traité de 1797: « Avec quelle surprise n'a-t-on pas dû voir dans un traité, heureusement resté sans effet, les négociateurs portugais surprendre par une singulière astuce la bonne foi des nôtres, assimiler au nom de Vincent Pinson celui de Carsuene, qui n'existe pas dans les précédents traités, qui est celui d'une riviere très distincte et bien connue pour n'avoir rien de commun avec celle de Vincent Pinson ? » (Cité par M. F . I, page 101.)
E t Malouet, en 1802, jugea nécessaire de ramener à leur juste proportion les évaluations exagérées auxquelles on taxait la valeur de la Guyane; il dit dans la Collection de Mémoires, 1. c , I, page 4, note: « Dans le rapport du dernier traité de paix entre la F r a n c e et le Portugal, à l 'occasion des limites de la Guiane, cette colonie est présentée comme un objet d'espérance pour la nation et le gouvernement. Un ouvrage publié, il y a trois ans, par ordre du Directoire, annonce la même opinion et des vues ultérieures. Enfin, il vient de paraître tout à l 'heure un Nouveau plan de république à établir dans les montagnes de la Guiane. »
C'est dans ces conditions que fut conclu le traité du 6 juin 1801. L e baron Bessner avait reconnu autrefois que les clauses du traité d'Ut-recht ne pouvaient se concilier avec son projet de l 'Araguary ; à son
— 4 3 1 —
Pas plus que le précédent, ce traité ne fut validé.
« L e chef du Gouvernement français (le Premier Consul)
refusa de le ratifier » 1 ) . Il fut « annulé expressément par le
Manifeste du Prince Regent de Portugal et du Brésil, daté
de Rio de Janeiro le 1 e r mai 1808, et par l'Article Addi
tionnel n° 3 au Traité de Paris du 30 mai 1814 » 2 ) .
3. Le traité de Madrid du 29 septembre 1801 (« Trai té de paix
entre là République Française et le Royaume de Portugal»)
fut conclu par le citoyen Lucien Bonaparte, plénipotentiaire
du « Premier Consul de la République Française, au nom
du Peuple Français » et S. E . Monsieur Cyprien Ribeiro
Freire, plénipotentiaire de « Son Altesse Royale, le Prince
régent du Royaume de Portugal et des Algarves » 3 ) ; il
stipulait au sujet de la frontière de la Guyane :
Art. 4 e . Le s limites entre les deux Guyanes Française
et Portugaise seront déterminées à l'avenir par la Rivière
Carapanatuba qui se jette dans l'Amazone à environ un
tiers de degré de l'Equateur, latitude septentrionale, au-
dessus du fort Macapa. Ces limites suivront le cours de la
riviere jusqu'à sa source, d'où elles se porteront vers la
exemple, les parties contractantes renoncèrent le 6 juin 1801 à se prévaloir de l'autorité du traité d'Utrecht. C'est pourquoi l'allégation de M. F . I, page 102, est sans fondement: « C'était bien en effet comme conséquence et comme interprétation du traité (de 1713) que la France obligeait le Portugal à lui reconnaître cette limite. »
1) M. F . I, page 102. 2 ) M. B . I, pp. 238 et suiv., note ; de nouveau dans M. B . II , page 89,
note. 3 ) « Fa i t double à Madrid le sept vendémiaire, an dix de la Répu
blique Française (le vingt-neuf septembre dix-huit cent un) ». M. F . II, pp. 98 et suiv., reproduit le texte du traité, d'après les Archives des Affaires étrangères — Original scellé ; M. B . II , pp. 93 et suiv., également, sans indication de provenance, avec un « Article additionnel » du même jour, ibidem, page 96.
Article 4 dans M. B . I, pp. 239 et suiv.
— 4 3 2
grande chaîne de montagnes qui fait le partage des eaux:
elles suivront les inflexions de cette chaîne jusqu'au point
où elle se rapproche le plus du Rio Branco vers le deu
xième degré et un tiers nord de l 'Équateur.
Cette disposition, qui déplaçait la frontière maritime
encore plus vers le sud, ne se référait pas davantage au
traité d'Utrecht.
Le traité de Madrid, du 29 septembre 1801, fut, il est
vrai, ratifié : « L e s ratifications de ce traité furent échan
gées à Madrid le 19 octobre 1801 »
Mais en même temps le plénipotentiaire français, Lucien
Bonaparte, déclara au nom de son gouvernement qu'en
conformité d'un « article secret du traité préliminaire de
paix signé à Londres entre la F rance et la Grande-Bre
tagne », du 1 e r octobre 1801 2 ) : «l'effet de l'article quatre
du traité de Madrid est modifié ; en conséquence, le Ministre
1.) M. B . II, page 93, note. 2 ) D'après les «Préliminaires de Londres» ( 1 e r octobre 1801), Archives
des Affaires étrangères. — Original scellé, « Art icle V I . L e s territoires et possessions de S a Majesté T r è s Fidèle seront aussi maintenus dans leur intégrité», y compris l'« Art ic le secre t» connexe avec lui, reproduit dans le texte français et anglais par M. F . II , page 101. L ' « Ar t ic le secret» est ainsi conçu : « Il est entendu entre les Par t ies contractantes que par l'article 6 concernant le Portugal il n'est point mis obstacle soit aux arran-gemens qui ont eu lieu entre les Cours de Madrid et de Lisbonne pour la rectification de leurs Front iè res en Europe, soit à ceux qui pourront être arretés entre les Gouvernemens de F r a n c e et de Por tugal pour la délimitation de leurs Terr i toi res dans la Guyane, bien entendu que cette délimitation n'excédera pas celle qui a été arrêtée par le Tra i t é signé à Badajoz le 6 de juin dernier entre les Ministres de F r a n c e et de Portugal et communiqué par le Plénipotentiaire François à Londres par sa note du 18 du même mois . . . »
M. B . I l , pp. 97 et suiv., ne reproduit que le texte français. L o r s de ces négociations avec l 'Angleterre , on ne s'est pas davantage référé au traité d'Utrecht.
- 433 —
Plénipotentiaire soussigné est autorisé à déclarer, comme
il le fait clans la présente, que malgré l 'échange des rati
fications du Trai té de Madrid, les limites de la Guyane
seront fixées comme dans les articles du Traité de
Bada joz . . .» 1).
L e gouvernement français abandonna donc immédiate
ment la démarcation fixée par l'article 4 du traité de
Madrid pour déclarer en vigueur les articles 4 et 5 du
traité de Badajoz.
L e traité de Madrid tout entier, ainsi que le traité de
Badajoz, furent expressément annulés par le manifeste du
prince régent du Portugal et du Brésil, daté de Rio de
Janeiro le 1 e r mai 1808, et par l'Article Additionnel n° 3 au
traité de Paris, du 30 mai 1814 2).
4. Le traité d'Amiens du 27 mars 1802 3 ) , conclu entre la
France , l 'Espagne, la République Batave d'une part, et
l 'Angleterre d'autre part, stipulait en ce qui concerne la
frontière de la Guyane :
Art. 7. Les Territoires et Possessions de S a Majesté
Très-Fidèle sont maintenus dans leur intégrité, tels qu'ils
étoient avant la guerre : cependant les limites des Guyanes
1) L e texte de la « Déclaration relative à l'exécution du Traité de Madrid, spécialement ratifiée par le Premier Consul», (datée « Madrid, le vingt-sept vendémiaire de l'an dix de la République Française », signé : « L . Bonaparte ») est reproduit d'après les Archives des Affaires étrangères, Corresp. de Portugal, t. C X X I I , fol. 400, dans M. F . II, pp. 102 et suiv.
2 ) M. B. I, page 240, note, de nouveau dans M. B . II, page 93. 3 ) « Traité d'Amiens (25 — faute d'impression au lieu de 27 — mars
1802) », Archives des Affaires étrangères — Original scellé, reproduit en partie (Introduction, article 7, clause finale), texte français et anglais, par M. F . II, pp. 104 et suiv.; M. B . II, n° 17, pp. 99 et suiv., donne le texte français seul, mais complet, sans indication de provenance.
M. B . I, pp. 240 et suiv., reproduit le texte français de l'article 7.
28
— 434 —
Françoise et Portugaise sont fixées à la Rivière d'Arawari,
qui se jette dans l'Océan, au-dessus 1) du Cap Nord, près
de l'isle Neuve et de l'isle de la Pénitence, environ à un
degré un tiers de latitude septentrionale. Ces limites sui
vront la Rivière d'Arawari, depuis son embouchure la plus
éloignée du Cap Nord, jusqu'à sa source, et ensuite une
ligne droite tirée de cette source, jusqu'au Rio Branco
vers l'ouest.
En conséquence la Rive Septentrionale de la Rivière
d'Arawari, depuis sa dernière embouchure jusqu'à sa source,
et les terres qui se trouvent au Nord de la ligne des limites
fixées ci-dessus, appartiendront en toute souveraineté à la
République françoise.
L a Rive Méridionale de la dite Rivière, à partir de la
même embouchure, et toutes les Te r re s , au sud de la dite
ligne des limites, appartiendront à S a Majesté Très-Fidèle .
L a navigation de la Rivière d'Arawari, dans tout son
cours, sera commune aux deux nations 2 ) .
L e traité d'Amiens confirmait par conséquent la délimitation fixée par « l 'Article secret » additionnel à l'article V I des « Préliminaires de Londres », du 1 e r octobre 1801, et des articles 4 et 5 du traité de Badajoz.
1) Note dans M. F . II , page 105 : « Pour au-dessous. Cf. le texte anglais du même traité et le texte français du traité de Badajoz. » L e texte anglais dit : below.
2 ) L e s plénipotentiaires qui signèrent ce « Tra i t é définitif Fa i t à
Amiens le six Germinal an Dix de la République françoise, le vingt-sept
mars mille-huit-cent-deux », étaient : Joseph Bonaparte (le citoyen Joseph
Bonaparte , Conseiller d'Etat), nommé par « L e Premier Consul de la
République Françoise , au nom du Peuple François » ; Cornwallis (le
Marquis de Cornwallis), nommé par « S a Majesté le Roy du Royaume
Uni de la Grande Bre tagne et d'Irlande » ; J. Nicolas de Asara, nommé
par « S a Majesté le Ro i d 'Espagne et des Indes » ; et R. J . Schimmel-penninck, nommé par le « Gouvernement d 'Etat de la République Ba tave ».
— 435 —
A ce traité, qui disposait pourtant de ses droits, le
Portugal n'avait pas été partie contractante. Il n'a fait, par
la suite, aucun acte d'accession. L e traité a été annulé par
ceux de 1814 et de 1815
Il y a lieu de constater au sujet de tous ces traités
passés en 1801 et 1802:
a) Aucun d'eux ne se réfère au traité d'Utrecht pour
fixer la frontière de la Guyane française et de la Guyane
portugaise 2 ) .
b) L e traité de Badajoz n'a pas été ratifié par le premier
consul et il a été annulé expressément en 1808 par le prince
régent du Portugal.
c) L'article 4 du traité de Madrid a été écarté par le
premier consul au moment même de la ratification.
d) Le traité d'Amiens a été conclu sans le Portugal et
le Portugal n'y a pas adhéré par la suite 3).
1) M. B . II, page 99, note, où il est dit : « L e Portugal n'était pas
représenté au Congrès d'Amiens et s'abstint de faire acte d'accession.
C'est pourquoi il (sc. le traité d'Amiens) ne figure pas dans le Recueil
des Tra i tés de Portugal publié par Borges de Cast ro», et M. B . I,
page 242, note, avec cette citation de E. Rouard de Card, professeur à
l 'Université de Toulouse, dans la Revue Gén. de Droit International
Public, 1897, page 287 : « Il convient de remarquer que le Tra i té d'Amiens
ne pouvait, en dehors d'une accession formelle, être obligatoire pour le
Portugal qui ne figurait pas au nombre des parties contractantes et qui
par la suite s'abstint de faire acte d'adhésion. » 2 ) Vo i r à ce sujet l 'allégation non fondée de M. F . I, page 105 :
« C'est l 'Araguary qui représente la formule d'exécution de l 'acte de 1713,
sur laquelle les deux Eta t s s'accordèrent tout d'abord et finalement. » 3 ) Lord Hawkesbury, plénipotentiaire anglais lors de la conclusion
des préliminaires du 1 e r octobre 1801, dit dans une note du 22 septembre
1801 : « Comme le Gouvernement français insiste sur ce que les limites
de la Guyane s'étendent jusqu'à la riviere d'Arawary et que le prince-régent de Portugal y a adhéré, S a Majesté y consentira pourvu que
l'intégrité des Eta t s de S a Majesté T r è s Fidèle en Europe et ailleurs soit
— 436
e) Tous ces traités ont été annulés par ceux de 1814 et
de 1815.
1 0 .
En 1807, le général Junot, sur l'ordre de l'empereur
Napoléon, occupa le Portugal et la cour de Portugal émigra
au Brésil . Le prince régent du Portugal et du Brésil publia
à Rio de Janeiro, le 1 e r mai 1808, un manifeste 1 ) , dans lequel
il annonçait :
« Son Altesse Royale rompt toute communication avec
la F rance .. . . et Elle autorise ses sujets à faire la guerre
sur mer et sur terre aux sujets de l 'Empereur des Fran
çais. Son Altesse Royale déclare nuls et d'aucune valeur
tous les traités que l 'Empereur des Français l'a forcée de
conclure, et particulièrement ceux de Badajoz et de Madrid
de 1801, et celui de Neutralité de 1804. . . Son Altesse Roya le
ne déposera les armes que d'accord avec S a Majesté Bri
tannique, son ancien et fidèle allié » . . .
En effet, le Brésil s'empara de la Guyane française,
« que Napoléon avait laissée dépourvue de soldats ». « En
vain — dit M. F . I, page 213, du gouverneur alors en fonc
tion à Cayenne — Vic to r Hugues essaya-t-il d'organiser
la résistance avec les éléments locaux dont il disposait ; il
n'avait pas le moyen de lutter efficacement avec 593 hommes
garantie à tous égards », M. F . I, page 103, Affaires étrangères, Angleterre, t. D L X X X X V , fol. 355.
L e fait rapporté par Hawkesbury ne constitue pas un acte d'adhésion de la part du prince régent. Il résulte d'ailleurs de cette note (contrairement à l'assertion de M. F . I, ibidem et page 105), que c'était la F r a n c e et non pas l 'Angleterre qui insistait pour faire adopter la frontière de l 'Araguary.
1) Borges de Castro, Colleçào dos Tratados de Portugal , 1. c. I V , pp. 274 et suiv., reproduit partiellement par M. B . II, pp. 109 et suiv.
— 437
contre une armée portugaise secondée par les Anglais, et, le 12 janvier 1809, il capitula dans Cayenne. »
L e 19 février 1810, le prince régent conclut avec l'Angleterre un traité l ) dont l'article 2 (des articles secrets) obligeait l 'Angleterre à user, lorsque la paix générale serait négociée, de toute son influence en faveur du Portugal « pour obtenir le rétablissement des anciennes limites de l'Amérique Portugaise, du côté de Cayenne, conformément à l'interprétation que le Portugal a constamment donnée aux stipulations du Traité d'Utrecht ».
Après la chute de l'empereur Napoléon et dès l'avènement de Louis X V I I I , au printemps de 1814, on s'occupa de rétablir la paix générale prévue à ce traité.
Comme au temps du traité d'Utrecht, le Portugal avait pour lui l 'Angleterre qui s'était engagée à soutenir, le moment venu, l'interprétation portugaise de cet acte diplomatique.
Quelle solution l'œuvre pacificatrice donna-t-elle à la délimitation de la Guyane française et de la Guyane portugaise ?
1. Le traité de Paris du 30 mai 1814 2) stipulait:
Article dixième. Son Altesse Royale le Prince R é gent de Portugal et des Algarves, en conséquence d'arran-gemens pris avec ses alliés, et pour l'exécution de l'article huit, s 'engage à restituer à S a Majesté T r è s Chrétienne, dans le délai ci-après fixé, la Guyane Française, telle
1) « Tra i té de Rio de Janei ro du 19 février 1810 entre le Portugal et la Grande-Bretagne », d'après de Castro, 1. c., I V , M. B . II, page 111.
2 ) « Tra i té de Par is » (30 mai 1814), Archives des Affaires étrangères — Original scellé, reproduit partiellement (texte français) par M. F . II , pp. 107 et suiv.; extraits des textes français et portugais dans M. B . II, pp. 112 et suiv.
— 438
qu'elle existait au premier janvier mil sept cent quatre vingt
douze.
L'effet de la stipulation ci-dessus étant de faire revivre
la contestation existante à cette époque, au sujet des limites,
il est convenu que cette contestation sera terminée par un
arrangement amiable entre les deux Cours, sous la média
tion de S a Majesté Britannique.
Article additionnel secret. - Quoique les traités, con
ventions et actes conclus entre les deux Puissances anté
rieurement à la guerre soient annullés de fait par l'état de
guerre, les hautes parties contractantes ont jugé néanmoins
à propos de déclarer encore expressément que lesdits
traités, conventions et actes, notamment les traités signés
à Badajoz et à Madrid en 1801, et la convention signée à
Lisbonne en 1804, sont nuls et comme non avenus, en tant
qu'ils concernent la F r a n c e et le Portugal, et que les deux
couronnes renoncent mutuellement à tout droit et se déga
gent de toute obligation qui pourrait en résulter.
C'était ajourner la solution même et réserver un accom
modement futur. Cette décision ne satisfit pas le prince
régent du Portugal et du Brésil , ni son plénipotentiaire,
Dom Domingos Antonio de Souza Cottinho, comte de
Funchal. L e prince régent ne ratifia pas le traité 1), que
son plénipotentiaire ne signa que le 11 juin 2 ) , en même
temps qu'il remettait aux plénipotentiaires français ainsi
qu'à tous les plénipotentiaires des alliés une déclaration
conçue en ces termes 3 ) : « Tout en prenant en considération
l'impossibilité de consulter son Gouvernement et de retarder
1) M. B . II , page 112, note. 2 ) Ibidem. 3 ) M. B . I I , page 113, note, d'après De Clercq, Recuei l des Tra i tés
de la F r ance , t. II , pp. 427 et suiv.
— 4 3 9 —
indéfiniment une œuvre aussi salutaire que la conclusion
de la paix avec la France , il n'entendait cependant pas,
par l'insertion de l'article 10, se désister au nom de sa
Cour de la limite de l 'Oyapock, c'est à dire du fleuve dont
l'embouchure dans l 'Océan se trouve située entre le 4 e et
le 5 e degré de latitude septentrionale entre les deux Guyanes
Portugaise et Française, limite qui lui a été prescrite par
ses instructions d'une manière absolue, sans interprétation
ni modification aucune, soit comme droit légitime reconnu
par le Trai té d'Utrecht, soit comme un dédommagement
pour les réclamations du Portugal contre la France . » Du
moment que le traité de Paris du 30 mai 1814 ne précisait
pas, le Portugal protesta immédiatement de ses droits sur
la frontière de l 'Oyapoc qu'il plaçait par 4° et 5° latitude
nord, en conformité du traité d'Utrecht. L e congrès de
Vienne devait, semblait-il, trancher le litige.
2. Au congrès de Vienne, l 'Angleterre et le Portugal con
vinrent, par un traité du 22 janvier 1815 1 ) : L e prince régent
de Portugal prendra les mesures nécessaires pour rendre
immédiatement effectif l'article 10 du traité de Paris, « which
provides for the restitution of the French Guyana to his
Most Christian Majesty », moyennant quoi l 'Angleterre pro
met « to employ His mediation.. . , to procure an early and
friendly arrangement of the dispute subsisting between the
Prince Regent of Portugal and His Most Christian Majesty
on the subject of the frontier of Their respective posses
sions in that quarter, as regulated by the 8 t h Article of the
Trea ty of Utrecht. »
1) « Tra i té de Vienne entre l 'Angleterre et le Portugal » (22 janvier 1815), d'après J . F. B. de Castro, Colleção dos Tratados, 1. c., V , page 26, dans M. F . II, pp. 111 et suiv. (texte portugais et anglais); traduction française M. B . II , page 115.
— 4 4 0 —
3. L e 17 janvier 1815, les plénipotentiaires portugais
au congrès de Vienne avaient formulé une note verbale 1)
dans laquelle ils déclaraient: Induits en erreur par le géo-
graphe Frei tz (P. Fritz), les négociateurs du traité d'Utrecht
ont rédigé l'article 8 de manière qu'il a été possible de
confondre l 'Oyapock avec le Vincent Pinson. « De là toutes
ces contestations de limites connues entre le Portugal et
la F r a n c e ; . . . i l ne s'agit à présent que de terminer la
question des limites du côté de l 'Oyapock, en sorte que
tout doute sur l'interprétation du Tra i té d'Utrecht soit à
jamais levé, et que l 'Oyapock, du point où il reçoit les
eaux du Camopi jusqu'à son embouchure, sépare le terri
toire français d'avec celui qui appartient au Portugal » . . .
Ils ajoutaient à titre d'explication et pour corroborer
leur revendication de la frontière de l 'Oyapoc :
« L a base du Tra i té de Paris est le statu quo de 1792 » ;
cette année-là, la F r a n c e n'avait pas d'« établissement » sur
la rive droite de l 'Oyapoc.
Sur la base du traité d'Utrecht peut seul être contesté
« le territoire situé entre les deux rivieres de Vincent Pin
son et de l 'Oyapock : puisque la contestation vient de ce
que l'on a pris à cette époque ces deux rivieres pour une
seule riviere ».
Mais « l 'Oyapock est beaucoup plus considérable que
le Vincent Pinson, et par conséquent il serait plus conve
nable, par cela même, de le prendre pour limite ».
Enfin, au moment où le Portugal est prêt à rendre
Cayenne à la France , il est juste et modéré « que les limites
en soient fixées une fois pour toutes, comme le Portugal
l ) « Note verbale des Plénipotentiaires portugais à Vienne (17 janvier 1815), Archives des Affaires étrangères, Correspondance de Portugal , t. C X X V I I I , fol. 135, reproduit dans M. F . II , pp. 110 et suiv.
— 4 4 1 —
l'a toujours entendu et réclamé depuis le Trai té d'Utrecht,
c'est-à-dire à la riviere d'Oyapock, en la remontant jusqu'à
son confluent avec le Camopi ».
Dans une note verbale qu'ils remirent à Talleyrand
le 16 février 1815, les plénipotentiaires portugais exposaient
une fois de plus leur thèse des deux cours d'eau et leur
revendication de la frontière de l'Oyapoe :
« L a contestation selon le traité d'Utrecht, qui sert de
base au présent arrangement, ne comprend que l'espace
de pays qui se trouve entre les deux rivieres de Vincent
Pinson et d'Oyapock; et par la ligne qu'ils ont tracée, les
Plénipotentiaires offrent à la France sur la rive gauche
de l 'Oyapock un territoire plus étendu que celui qu'ils
prennent sur la droite. Cet arrangement aurait encore
l 'avantage de laisser aux deux nations la navigation libre
et commune de l 'Oyapock. »
Pour les plénipotentiaires portugais, il existait par con
séquent une riviere Oyapock et une autre riviere Vincent
Pinson qui, à ce qu'ils croyaient, avaient été confondues en
un seul et même cours d'eau par l'article 8 du traité d'Ut
recht. Mais celui des deux qu'il faut adopter, à teneur de ce
traité, est l 'Oyapock et non le Vincent Pinson.
En 1797 déjà, pour les plénipotentiaires portugais chargés
de négocier le traité de Paris, le Vincent Pinson n'était
autre que le Calçoene 2 ) . Les deux points de vue différaient
1) « Note verbale des Plénipotentiaires portugais à Vienne (16 février 1815) », Archives des Affaires étrangères, Corresp. de Portugal, t. C X X V I I 1 , fol. 153, M. F . II , pp. 112 et suiv. Vo i r au sujet de cette note verbale et de la précédente M. F . I, pp. 114 et suiv.
A la note était jointe « une carte manuscritte des bords septentrionaux de la riviere des Amazones » sur laquelle une ligne rouge figurait la frontière proposée; en outre, comme pièce de comparaison, « la carte anglaise de Faden ».
2) Conf. R . B . I, pp. 182 et suiv.; ci-dessus, pp. 426 et suiv.
442 —
en ce sens qu'en 1797, les Portugais se seraient contentés
du Vincent Pinson = Calçoene, sans concéder toutefois
que ce fût le cours d'eau désigné par l'article 8 du traité
d'Utrecht, tandis qu'après, ils réclamaient l 'Oyapock, ce qui,
disaient-ils, était l'interprétation probablement la plus exacte,
en tous cas la plus équitable, de l'article 8 du traité d'Ut
recht. L 'erreur que commirent les Portugais en créant le
second cours d'eau, le Vincent Pinson, influa sur l'acte final
du congrès de Vienne.
4. L'acte final du congrès de Vienne, du 9 juin 1815 1 ) . Cet
« instrument général » comprenant « les dispositions d'un
intérêt majeur et permanent», signé au congrès de Vienne,
par les plénipotentiaires de l'Autriche, de la France , de
l 'Angleterre, du Portugal, de la Prusse, de la Russie et de
la Suède disposait au sujet de la frontière franco-portu
gaise dans la Guyane :
Art. 106. Afin de lever les difficultés qui se sont oppo
sées, de la part S. A. R. le Pr ince Régent du Royaume de
Portugal et de celui du Brésil , à la ratification du Tra i té
signé, le 30 mai 1814, entre le Portugal et la F rance , il est
arrêté que la stipulation contenue clans l'article 10 dudit
Trai té , et toutes celles qui pourraient y avoir rapport, res
teront sans effet, et qu'il y sera substitué, d'accord avec
toutes les Puissances, les dispositions énoncées dans l'article
nouveau, lesquelles seront seules considérées comme va
lables. Au moyen de cette substitution, toutes les autres
clauses du susdit Tra i té de Par is seront maintenues et re-
1) « A c t e final du Congrès de Vienne (9 juin 1815)», M. F . II, page 113 (texte des articles 106 et 107), M. B . II , pp. 119 et suiv. (Introduction, art. 106, 107, 121 et signatures.)
P a r notes des 11 et 12 mai 1815, les plénipotentiaires du Portugal et de la F r a n c e s'étaient mis d'accord pour accepter les articles 106 et 107, M. B . II , pp. 116 et suiv.
— 4 4 3 —
gardées comme mutuellement obligatoires pour les deux Cours.
Art. 107. S. A. R. le Prince Régent du Royaume de Portugal et de celui du Brésil, pour manifester d'une manière incontestable sa considération particulière pour S. M. T . C , s 'engage à restituer à Sadite Majesté la Guyane française jusqu'à la riviere d'Oyapock, dont l'embouchure est située entre le quatrième et le cinquième degré de latitude septentrionale, limite que le Portugal a toujours considérée comme celle qui avait été fixée par le Trai té d'Utrecht.
L'époque de la remise de cette colonie à S. M. T . C. sera déterminée, dès que les circonstances le permettront, par une convention particulière entre les deux Cours ; et l'on procédera à l'amiable, aussitôt que faire se pourra, à la fixation définitive des limites des Guyanes portugaise et française, conformément au sens précis de l'article 8 du Trai té d'Utrecht.
A la clause du traité du 30 mai 1814, stipulant la restitution de la Guyane française « telle qu'elle existait au 1er janvier 1792», vient se substituer celle-ci: L e prince régent du Portugal et du Brésil rendra la Guyane française jusqu'à la riviere d'Oyapock (entre 4° et 5° latitude nord), frontière que le Portugal a toujours considérée comme celle qui avait été adoptée par le traité d'Utrecht.
L 'ac te final ne tranche pas la question de savoir si elle est réellement la frontière fixée par le traité d'Utrecht. L 'ac te stipule au contraire que les deux puissances intéressées concluront, dès que faire se pourra, « une convention particulière » sur la restitution de Cayenne à la F rance et procèderont « à l'amiable » à la délimitation définitive « conformément au sens précis de l'article 8 du Trai té d'Utrecht».
— 444 —
L'ac te final ne statuant pas à l'égard des territoires
qui, au sud de l 'Oyapoc, s'étendent jusqu'au Vincent Pinson
auquel on donnait alors cette situation, Tal leyrand s'em
parait du fait pour dire dans son rapport au comte Jaucourt ,
ministre des affaires étrangères, en date du 16 mai 1815 1):
« V o u s remarquerez, Monsieur le Comte, que ces deux
articles (sc. 106 et 107) diffèrent plus par la forme que
par le fond de celui du traité de Paris (du 80 mai 1814).
L e Portugal s 'engage à remettre ce qu'il ne conteste pas.
Sur ce qu'il conteste, nous ne faisons aucune concession. »
L e litige, loin d'être tranché, restait ouvert 2 ) .
Postérieurement à l 'acte final, le Portugal occupa durant
deux ans encore la Guyane française qu'il avait conquise
en 1809, puis, en 1817, fut conclue la «convention parti
culière » prévue par l'acte final.
5. La convention de Paris du 28 août 1817 («Convention entre
S a Majesté le Roi de F rance et de Navarre et S a Majesté le Roi
du Royaume-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves ») 3 ) ,
stipulait:
Art. 1 e r . S a Majesté T r è s Fidèle étant animée du désir
de mettre à exécution l'article 107 de l'acte du Congrès de
Vienne, s 'engage à remettre à S a Majesté T r è s Chrétienne
dans le délai de trois mois, ou plus tôt si faire se peut, la
Guyane française jusqu'à la riviere d'Oyapock, dont l'em
bouchure est située entre le quatrième et le cinquième
degré de latitude septentrionale et jusqu'au trois cent vingt
deuxième degré de longitude à l 'Est de l'île de Fe r , par le
1) M. F . I, page 112, Affaires étrangères, Congrès de Vienne. 2 ) Conf. M. F . I, page 113. 3 ) Archives des Affaires étrangères — Original scellé, reproduit dans
M. F . II , pp. 114 et suiv.; M. B . II , pp. 122 et suiv. (sans indication de la provenance du texte).
445 —
parallèle de deux degrés vingt-quatre minutes de latitude
septentrionale.
Art. 2. On procédera immédiatement des deux parts
à la nomination et à l'envoi de Commissaires pour fixer défi
nitivement les limites des Guyanes française et portugaise,
conformément au sens précis de l'article V I I I du traité d'Ut
recht et aux stipulations de l'acte du Congrès de Vienne.
Lesdits Commissaires devront terminer leur travail dans le
délai d'un an, au plus tard, à dater du jour de leur réunion
à la Guyane. Si, à l'expiration de ce terme d'un an, lesdits
Commissaires respectifs ne parvenaient pas à s'accorder,
les deux hautes Parties contractantes procéderaient à
l'amiable à un autre arrangement sous la médiation de la
Grande-Bretagne, et toujours conformément au sens précis
de l'article VI I I du traité d'Utrecht, conclu sous la garantie
de cette puissance.
Ce traité entendait ne trancher définitivement qu'au
sujet de la restitution de la Guyane française (article 1).
Il mentionnait, lui aussi, le « sens précis de l'article V I I I
du traité d'Utrecht», mais sans le fixer; cette fois encore,
la question demeurait ouverte jusqu'à ce que la frontière
eût été définitivement tracée par des commissaires qui
devaient être nommés « immédiatement ».
1 1 .
En exécution de la convention de 1817, le Portugal
restitua la Guyane française jusqu'à l 'Oyapoc, mais la
nomination, par les deux parties, de commissaires chargés
de fixer définitivement les limites 1) « conformément au
1) M. F . I, page 218, dit, il est vrai: « L e Gouvernement français fut le seul à désigner ses commissaires», sans fournir toutefois la preuve de son dire. M. F . I, page 118, ne donne pas ce renseignement; et dans
4 4 6 —
sens précis de l'article VIII du traité d 'Utrecht», n'eut
pas lieu.
C'est ainsi qu'en 1822, le Brésil devenu indépendant,
mais non encore reconnu par les puissances européennes,
et affaibli par des luttes intestines, succéda au Portugal
à un moment où le litige touchant la fixation de la fron
tière était toujours pendant.
La question était toutefois simplifiée dans une certaine
mesure ; la F rance avait accepté la restitution de son terri
toire jusqu'à l 'Oyapoc du Cap d'Orange, les deux puissances
s'en remettant à des commissaires pour le règlement ulté
rieur, et au cas où ceux-ci, dans le délai d'un an, ne par
viendraient pas à s 'accorder, l 'Angleterre devait intervenir
comme puissance médiatrice.
Or, les commissaires chargés de fixer définitivement la
frontière ne furent pas désignés, il ne fut pas fait appel à
l'intervention de l 'Angleterre, de sorte que l'on put croire
que, de part et d'autre, on s'en tiendrait à l'état de choses
provisoire.
Mais en 1824, le ministre de la marine française, par
lettre du 3 mars, attira l'attention de son collègue, le
ministre des affaires étrangères, sur ce que « dans une
le mémorandum anglais de 1839, on l i t : But no such Commissioners have yet been appointed, R . B . III, page 322.
Un « rapport du 22 février 1822 » émané du gouvernement français donne à ce sujet ces seuls renseignements: «Cette dernière disposition (concernant un règlement définitif) n'a point encore été exécutée, et le Portugal continue de prétendre à tout le territoire situé sur la rive droite de l'Oyapoc, tandis qu'une portion considérable de ce territoire, surtout vers les bords du fleuve, est peuplée de França i s et régie par l'administration française, ainsi que cela avait lieu avant 1792», Archives des Colonies, t. L X I V . L e ministre Vi l l è le recommanda aux représentants de la F r a n c e au congrès de Vé rone (lettre du 27 juin 1822), « de demander que le Por tugal fût invité par le Congrès à règler enfin la question des limites», M. F . I, page 219.
— 4 4 7 —
constitution dernièrement rendue publique » de l'état du
Brésil (non encore reconnu par la France) « le gouverne
ment actuel du Brésil , continuant à cet égard les préten
tions du gouvernement portugais a . . . indiqué l 'Oyapock
comme la limite des Etats brésiliens du côté de la Guyane
française ». L e ministre français voyait là une tentative du
Brésil de traiter le litige toujours pendant comme tranché
en faveur des prétentions brésiliennes. Aussi insista-t-il
auprès de son collègue : « Une rectification sur ce point
est du plus haut intérêt » 1 ) .
D'après une citation de M. F . I, page 118 2 ) , la « rectifi
cation » consista probablement dans un ordre qu'à cette
époque (vers 1824), le gouvernement français donna au
gouverneur de la Guyane « de prendre possession des
limites assignées par le traité d'Amiens qu'il considérait
avec raison 3 ) comme résumant de la manière la plus équi
table le sens du traité d'Utrecht».
E t M. F . I, 1. c , continue : « Si l'effet de cette résolu
tion se trouva alors suspendu, on fut bien obligé un peu
plus tard, à bout de patience et d'efforts, d'en arriver à la
voie de la coaction ».
Il est incontestable que le gouvernement français, s'em-
parant du fait que la délimitation définitive prévue par les
traités de 1815 et de 1817 n'avait pas encore eu lieu, protesta
contre l'occupation de la rive droite de l 'Oyapoc par le Brésil,
qui depuis le 25 août 1825 avait été reconnu par la France 4 ) .
l ) M. F . I, page 220, Archives des Affaires étrangères, Brési l , t. V I . 2) Sans indiction de la provenance. 3 ) L e « traité d'Amiens » ne se réfère pas à l 'article 8 du traité
d'Utrecht, ainsi qu'il a été déjà remarqué ; en outre, il ne fut pas validé, conf. ci-dessus, pp. 434 et 435.
4) M. F . I, pp. 221 et suiv., publie une série d'informations sur cette époque, d'après les Archives des Colonies, t. L X I V . Il s'en dégage
— 4 4 8 —
Même en 1836, la démarcation n'avait pas encore été effectuée, ce qui n'avait rien d'étonnant, étant donnée la situation politique où se trouvait alors l'état du Brésil et spécialement la province de Pa ra ; « les révolutions s'y succédèrent jusqu'en 1835 »
C'est la F r a n c e qui prit alors possession du contesté ; le 29 août 1836, de Choisy, gouverneur de la Guyane française, écrivit au président de la province brésilienne de P a r a 2 ) :
«J ' a i l'honneur de prévenir V o t r e Excel lence que, conformément aux ordres de mon Gouvernement, j ' a i pris possession des limites légales de la Guyane, dans le Sud, en vertu du Traité d'Amiens ».
L e président de Para , le général Soares de Andréa, répondit le 18 octobre 1836 3 ) :
« Bien que j 'eusse déjà appris qu'il existait quelques forces françaises à Vincent Pinçon 4) ou sur le lac d'Amapá, il me paraissait impossible que ce fût en vertu d'un ordre ministériel », et il terminait en ces termes un long exposé de l'histoire du litige depuis le commencement du siècle : « Ayant, autant qu'il m'est possible de le faire, démontré avec quelle injustice le Gouvernement França is a ordonné
que le Brés i l prenait des dispositions en vue d'occuper effectivement la
rive droite de l 'Oyapoc, que le gouverneur français (1828) estimait que
cette rive droite était la limite « par le traité de 1815 », que le ministre
rectifia cette opinion : « la démarcation reste à fixer », et que le gouver
neur reçut l 'ordre « qu'il ne faudrait pas hésiter à les repousser », si les
Brésil iens voulaient « réellement » s'emparer de la rive droite de l'Oyapoc. 1 ) M. F . I, page 226. 2 ) M. B . II , page 124. 3) M. B . II, pp. 125 et suiv. 4) Conf. M. B . II, page 125, note 1 : « L e nom d'un poste français
établi en 1783 sur le lac Maca ry (voir C. da Si lva , §§ 538 à 577) et évacué
quelques années après (ouvrage cité, §§ 603 à 606). »
— 4 4 9 —
à V o t r e Excellence l'occupation d'une position quelconque au Sud de l 'Oyapoc, je dois, comme première autorité de cette Province, et au nom de mon Souverain, sommer Vo t re Excel lence d'ordonner aux troupes qui s'y trouvent de se retirer, laissant à nos cabinets respectifs la décision amiable de cette importante question, dans le sens de la justice, et comme l'a décidé le Traité de Vienne ».
L e gouverneur de Cayenne n'était pas seul à avoir reçu des instructions ; le 20 février 1836, le ministre de la marine avait donné au commandant de la goélette la Béarnaise, le lieutenant de vaisseau Penaud, des ordres ainsi conçus :
« Il importe de mettre le territoire que nous considérons comme français à l'abri de toute invasion . . . Dans cet état de choses, ayant à déterminer le lieu le plus convenable pour l'établissement d'un poste avancé vers le Brésil , il est naturel de porter d'abord les yeux sur la limite la plus éloignée à laquelle la F rance puisse se croire autorisée à prétendre d'après les divers traités qui ont eu lieu. Or cette limite est la rive gauche de l'embouchure la plus méridionale de l 'Arawary (traité d'Amiens) » ] ) .
L e gouvernement brésilien s'alarma de cette affaire, autant que l'avait fait le président de la province de Para . En septembre 1836 déjà, Mouttinho, qui représentait le Brésil à Paris, demanda au duc de Broglie « quelques explications sur la nouvelle très répandue, que . . . le Ministre de la marine avait ordonné l'occupation du territoire en litige . . . » 2 ) , à quoi de Broglie répondit : « que le Ministre de l'a marine s'était borné à ordonner l'établissement d'un poste provisoire sur la rive droite de l 'Oyapoc pour y protéger quelques « ménageries » et préserver les posses-
1) M. F . I, page 226. 2 ) M. F . I, page 227, Archives des Colonies, t. L X I V .
29
— 450 —
sions françaises du contact des sanglantes commotions dont
la province du P a r a était devenue le théâtre »
L e gouvernement brésilien ne fut pas rassuré par cette
déclaration; l 'agent consulaire français à Pa ra écrivait le
30 août 1837 au ministre de la marine: « L e Président du
P a r a a offert lui-même au Gouvernement brésilien de se
mettre en route de sa personne pour faire la conquête de
Cayenne » 2 ) .
L e duc de Broglie se borna à déclarer, « que l'occu
pation du territoire en litige ne devait pas empêcher le
règlement des limites » ; mais, en 1838, Mouttinho n'enten
dait consentir à des négociations que « lorsque le poste
français sera enfin supprimé » 3 ) .
Dès 1838, l 'Angleterre fit auprès du gouvernement
français des « démarches amicales » dans le but d'aplanir
le conflit; auparavant la canonnière « Racehorse », sous le
commandement du capitaine Harris, avait été chargée d'aller
en reconnaissance sur le littoral du contesté 4 ) .
1 ) M. F . I, page 227. 2 ) Ibidem, page 228. 3 ) Ibidem, page 228. 4) R . B . III , pp. 308 et suiv., donne des passages du « Report » du
Captain Harr is « on the Post occupied by the French to the Southward of the R ive r Oyapok » ; l'indication complète de la provenance faisant défaut, ces extraits ne sauraient constituer une preuve sans réplique. Aussi peut-on se contenter de retenir ce qu'il y est dit du fort Saint-Louis à l 'Oyapoc : « F o r t S t . Louis had for many years fallen to decay and was no longer used as a military station »; qu'il est fait mention de « some buildings », en amont sur la rive droite, alors en construction et signalés par Harr is comme devant être un futur poste militaire, puis que « both Brazil ians and French agree in saying that there is no F rench Military Post to Southward of Mapa, nor any on the coast between Mapa and the Oyapok »; enfin, l'opinion que Harris résume en ces termes: « T h e great river Oyapok, mentioned in the Trea ty of Vienna , forms a palpable and not to be evaded frontier for both nations».
L e 11 décembre 1838, l'ambassadeur d'Angleterre à
Paris, lord Granville, reçut pour instruction de son gou
vernement de représenter au comte Molé, président du
conseil des ministres, que les dispositions des traités de
1815 et de 1817 « appear sufficiently precise to preclude all
disputes . . . T h e Island Maracá and the L a k e Amapá, the
occupation of which by the French forms the subject of
complaint on the part of Brazil, beeing 3 degrees to the
South of the Oyapock, plainly belong to Brazil and are
beyond the limits of French Guyana » l ) .
L e comte Molé répondit qu'il ne connaissait pas l'af
faire suffisamment « and treated it as of no great impor
tance ».
En 1839, lord Granville remit un « mémorandum » au
gouvernement français 2 ) .
Il contenait «a concise statement of the question»,
posant en fait tout d'abord que « no claim or pretention
can now be founded upon the Trea ty of Amiens», avec
la conclusion : « That France, as one of the parties of the
T r e a t y of Vienna, consented to accept as a spontaneous
1) « Precis of Instructions and communications to the British Embassy in Par is relative to the alleged occupations of Brazilian Terr i tory by a French F o r c e » , reproduit dans R . B . III , pp. 310 et suiv. (traduction française et texte anglais). L a provenance de la pièce est indiquée à la fin du texte : « Pour copie conforme (Signé) Bento da Si lva Lisboa » avec la note au bas (page 314) : « Si lva L i sboa , Baron de Cayrú , était à cette époque Directeur-Général au Ministère des Affaires Etrangères du Brési l . Une copie du texte anglais, remis par le Ministre d'Angleterre à Rio de Janeiro au Ministre des Affaires Etrangères , fut envoyée à la Légat ion du Brés i l à Londres. Notre traduction française est faite d'après cette copie authentique, conservée aux Archives de la Légation, et dont nous donnons ci-après le texte original anglais».
2 ) Reproduit dans R . B . III , pp. 317 et suiv., sans indication de la provenance (traduction française et texte anglais). L'analyse ci-dessus de la pièce est sommaire; les conclusions seules sont citées.
451
— 452 —
concession on the part of Portugal, the River Oyapock as part of the boundary between French and Portuguese Guyana; and agreed to negotiate upon this basis for the final settlement of the rest of the boundary ; that France confirmed her acceptance of this basis by her separate Trea ty with Portugal in 1817; and that all the Parties to the Congress Trea ty of 1815, F r a n c e included, are bound to respect this agreement , until a definitive settlement between F r a n c e and Portugal, as contemplated in the Trea ty of 1815, shall have been concluded ».
L a thèse de l 'ambassadeur d'Angleterre était donc celle-ci : l 'Oyapoc est la frontière, la France est tenue de l 'accepter jusqu'à ce que la démarcation ait été définitivement fixée ainsi que le prévoient les traités.
L e gouvernement français tint compte des réclamations du Brésil et des « démarches amicales » de l 'Angleterre en évacuant le 10 juillet 1840 le poste militaire sur l'Amapá
Cette évacuation fut toutefois subordonnée à la condition qu'il serait fait un nouvel essai en vue de résoudre le litige une fois pour toutes.
En même temps que, le 24 avril 1840, le gouvernement français faisait savoir officiellement 2 ) , par son ambassadeur au Brésil, le baron Forth-Rouen, au ministre des affaires étrangères du Brésil , «que le détachement de troupes françaises qui a continué à occuper jusqu'à présent le poste de Mapa, serait retiré », il déclarait que l'évacuation aurait lieu « aussitôt que les commissaires des deux Puissances qui, suivant les dispositions des traités, doivent être nommés pour travailler à la démarcation définitive des limites des deux Guyanes, se trouveraient réunis au lieu de leur desti-
1) M. B . I, page 43. 2) Ext ra i t s de la Note du 24 avril 1840, M. B . II, pp. 127 et suiv.
nation». L a France prenait de son côté l 'engagement de s'occuper immédiatement de la nomination de « commissaires démareateurs » et ne doutait pas que le Brésil ne prît les mêmes dispositions.
L e â juin 1840, le ministre des affaires étrangères du Brésil répondit 1) : « L e Gouvernemeut Impérial a résolu de nommer ses Commissaires démareateurs et il les enverra au Pará . . . pour se réunir à ceux de la F rance sur le lieu que l'on déterminera par un accord ultérieur».
L e Brésil désigna en effet ses commissaires 2 ) . Une « Note de M. Guizot, Ministre des affaires étrangères, à M. le baron Forth-Rouen, Ministre de F rance à Rio de Janeiro 3) », du 5 juillet 1841, expose les raisons qui engagèrent la F rance à ne pas nommer les siens : « j 'a i à vous parler aujourd'hui des motifs qui nous font regarder cette nomination comme inutile, parce que, dans notre opinion, la réunion de commissaires français et brésiliens serait peu propre à conduire à un résultat complet et définitif ».
Il ne s'agit pas en effet «d'un travail ordinaire de démarcation, suite naturelle d'une négociation où la limite qui doit séparer deux territoires a été convenue en principe, pour être réalisée ensuite sur le terrain». C'est sur le principe même selon lequel la démarcation doit se faire qu'on n'est pas d'accord. Donc : « avant que la question soit arrivée à des termes aussi simples, il faut d'abord s'entendre sur l'interprétation de l'article 8 du traité d'Utrecht et déterminer une base de délimitation ; il faut,
1) Extra i ts de la réponse du Ministre des Affaires Et rangères du Brési l , Aureliano Coutinho, M. B . II, pp. 128 et suiv.
2 ) M. F . I, pp. 228, 229. 3) M. F . II , pp. 115 et suiv., Archives des Affaires étrangères, Cor-
resp. de Brési l , t. X X , reproduit aussi par M. B . II , pp. 129 et suiv. ; conf. ci-dessus, pp. 17 et suiv.
453
— 454 —
ce qui ne peut se faire que par une négociation entre les deux Cabinets, vider d'abord la question des traités et définir les droits respectifs avant d'arriver à l'application pratique de ces mômes droits. »
Ou bien le gouvernement brésilien entend donner pouvoir à ses commissaires de trancher aussi la question de principe, ce qui serait la cause de nombreux inconvénients ; ainsi, les commissaires seraient obligés de demander des instructions à leur gouvernement et « il paraît peu nécessaire de réunir à deux mille lieues de F rance des commissaires spéciaux pour régler ce que les deux cabinets peuvent déterminer, par une entente directe, beaucoup mieux et plus sûrement que des négociateurs improvisés » ;
Ou bien ces commissaires auraient pour seule mission d'opérer comme « simples démarcateurs » ; « que pourraient-ils faire . . . . si nul principe, nul système de délimitation n'était établi d 'avance?»
« Dès lors, Monsieur le Baron, il a paru au Gouvernement du Roi qu'il serait à la fois plus logique et plus expéditif de commencer par ouvrir une négociation dans le but de se mettre préalablement d'accord sur l'interprétation du traité d'Utrecht» . . . .
L'évacuation du fort de Mapa (Amapâ) ayant eu lieu « avant toute réunion possible des commissaires », « la question des limites, dégagée de l'incident de Mapa, reste entière ».
Jusqu'à ce qu'un accord soit intervenu «sur l'objet principal du li t ige», «le statu quo actuel, en ce qui concerne l'inoccupation du poste de Mapa sera strictement maintenu »
1) M. B . I, page 43, fait observer quant à cette note de Guizot et à une « Réponse du Ministre des Affaires E t rangères du Brési l en date du 18 décembre 1841» : . . . « E n 1841, par un échange de notes à Rio de
L a France déclarait par conséquent qu'il s'agissait de deux choses: une interprétation de l'article 8 du traité d'Utrecht, une démarcation à faire en conformité de cette interprétation.
L'interprétation doit précéder le travail des commissaires démarcateurs.
12.
En décembre 1841, le Brésil adhéra au principe de la note de Guizot et donna à son ministre à Paris, Araujo Ribeiro, les instructions et les pouvoirs nécessaires « pour entrer en pourparlers avec les représentants de la F rance » 1)
«Cette conversation», lit-on dans M. F . I, page 119, « qui ne fut du reste pas poussée à fond, n'eut d'autre résultat que de faire constater une fois de plus le désaccord, sans même préparer les moyens de le résoudre.»
Ce n'est qu'en 1855 que, sur la proposition du Brésil 2 ) , les négociations furent reprises.
L e Brésil se fit représenter 3) par le vicomte do Uruguay, « Envoyé Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire en mission spéciale du Brésil à Par i s» .
Il écrivit le 15 juin 1.855 au comte Walewski, ministre des affaires étrangères de l'empereur Napoléon III, une
Janeiro , il a été convenu de maintenir le statu quo actuel en ce qui concerne l'inoccupation du poste de Mapâ. Cet arrangement de 1841 a amené la neutralisation de la partie du territoire contesté située entre l'Oyapoc et l 'Amapá Pequeno, où se trouvait le poste évacué. ».
1) M. F . I, page 119; M. B. III, page 5; la note à laquelle M. B . donne la date du 18 décembre, est datée du 17 décembre dans M. F . , 1. c.
2 ) M. F . I, page 232. 3) M. B. III : « Mission spéciale du Vicomte do Uruguay à Par is
(1855-1856 , avec cette remarque préalable: - Les documents réunis dans ce volume ont déjà été imprimés à Rio de Janeiro, en 1857,... et présentés aux deux Chambres du Par lement . . . »
455
456 -
lettre accompagnant un «mémoire» 1), « dans lequel », disait la lettre, «j'ai exposé le plus brièvement possible les prétentions de mon Gouvernement, relativement à la délimitation entre le Brési l et la Guyane França i se , et les raisons sur lesquelles il les fonde. — Ainsi exposées par écrit et étant examinées, on pourra plus facilement s'entendre».
L e comte Walewski répondit le 5 juillet 1855 2 ) : Une étude attentive du mémoire l'a convaincu que la question « ne peut être utilement discutée au moyen d'un simple échange de communications écrites. J e compte donc prendre prochainement les ordres de S a Majesté Impériale pour le choix d'un plénipotentiaire français qui sera chargé de suivre cette négociation avec vous, suivant la forme usitée, et par conférences dont il sera tenu un protocole. Néanmoins, en attendant que je vous fasse connaître la décision de l 'Empereur, je prendrai la liberté de recommander à votre attention le Mémoire ci-joint 3 ) , qui contient sur l'objet du litige des observations préliminaires dont vous apprécierez la portée ».
P a r lettre du 4 août 1855 4), le ministre des affaires étrangères de F rance manda au vicomte do Uruguay:
« S a Majesté Impériale a pensé qu'il était à propos de confier à un plénipotentiaire spécial la mission de traiter a v e c vous l'importante question de la délimitation de la
1) L e mémoire est reproduit dans M. B . III, pp. 4 et suiv. Il n'y a pas lieu d'examiner le contenu des pièces échangées ni les délibérations des conférences qui suivirent. L'objet de ces débats est pris en considération dans la présente sentence.
2) M. B . III, pp. 21 et suiv. 3 ) M. B . III, pp. 23 et suiv., sous le titre : « Limites de la Guyane.
Réponse préliminaire au mémoire de M. le Vicomte de l'Uruguay joint à sa lettre particulière au Ministre, du 28 juin 1855. »
4 ) M. B . III, page 28.
— 457 —
Guyane, et a fait choix à cet effet de M. His de Butenval, ancien ministre à la cour du Brésil, conseiller d'Etat en service ordinaire. En l'informant de cette décision, je l'invite à se mettre en rapport avec vous, afin d'entrer le plus tôt possible en négociation sur l'affaire dont les deux gouvernements ont également à cœur la bonne et complète solution. »
L e 30 août 1855 s'ouvrit la première conférence ; le procès-verbal constate à ce sujet:
« Aujourd'hui, 30 août 1855, MM. les Plénipotentiaires du Brésil et de F rance se sont réunis à l'hôtel des Affaires Étrangères , à Par is , à l'effet d'ouvrir les conférences relatives à la délimitation des Guyanes Française et Bré silienne.
M. le vicomte de l'Uruguay . . . Plénipotentiaire de S a Majesté l 'Empereur du Brésil,
Et M. le baron His de Butenval . . . Plénipotentiaire de S a Majesté l 'Empereur des Français . »
L e débat portait sur la question entière du litige, non pas seulement sur l'interprétation de l'article 8 du traité d'Utrecht.
Quinze conférences eurent lieu, la dernière le 1 e r juillet 1856.
M. F . I, pages 119 et suivantes, en consigne les résultats en ces termes :
« S e cantonnant tout d'abord dans sa thèse extrême, le Brésil avait commencé par demander dans un mémoire que la limite longeât la riviere Oyapoc, située entre le 4 e
et le 5 e degré de latitude septentrionale, puis, à partir de l'endroit où cette riviere se divise, l 'embranchement ou l'affluent le plus considérable par le volume de ses eaux en temps sec et ce jusqu'à la source de cet embranchement ou affluent. En ce qui concerne la limite entre l'est
— 458 —
et l'ouest, le Brésil proposait de ne pas conserver comme telle le parallèle établi provisoirement par la Convention de 1817 et de convenir qu'elle continuerait de la source de l'affluent principal de l 'Oyapoc par les Cordillères, chaînes de montagnes ou terrains plus élevés qui forment la ligne de partage entre les eaux qui vont à la riviere des Amazones et celles qui vont à la Guyane française et à l 'Océan.
Puis, se relâchant de ses exigences, au moment de conclure, le plénipotentiaire brésilien, dans la séance du 22 janvier 1856, offrit, à titre de transaction, de prendre pour frontière la crête des terres les plus élevées qui déterminent la division des eaux entre l 'Oyapoc et le Cassi-poure. Sur l'objection que la limite devait être nécessairement un cours d'eau, séance tenante et immédiatement après, il offrait de porter la frontière jusqu'à la rive gauche du Cassipoure. L a limite eût été ainsi fixée à 3° 5 1 ' 15" .
Cette proposition n'ayant pas été acceptée, le Brésil , progressant toujours dans ses concessions, proposa successivement, le 27 mai 1<s56, au cours de la même séance, d'abord l'embouchure de la riviere Conani, à 2° 50' , en faisant remarquer qu'elle correspondait à peu près à la latitude dont il avait été question dans les négociations de 1700, et enfin le Calsoène ou Carsevenne, à 2° 30 ' environ.
Aucune de ces offres ne fut acceptée par la F rance . S a prétention constante et primordiale, affirmée par M. de Butenval, avait été de réclamer «comme la limite (et cela indépendamment de toute détermination de latitude, indépendamment de toute appellation actuelle d'Ararouari, Carapaporis, etc.) le premier grand cours d'eau après l'Amazone, en remontant vers le nord». Amenée à définir plus rigoureusement ses demandes, elle déclara qu'elle ne saurait «accepter ni reconnaître d'autre limite, du côté de
— 4 5 9 —
la mer, que le fleuve de Vincent Pinson, c'est-à-dire le cours d'eau qui se jette dans la baie de ce nom, à moins de 2° au nord de l'Équateur, et qui est aujourd'hui connu sous le nom de Carapapouri ou de branche nord de l'A-roviari, la navigation de cette branche devant désormais être commune aux deux nations et la rive gauche devant appartenir à la F r a n c e » . Contre cette solution, le plénipotentiaire brésilien fit valoir que le Carapaporis, jadis fleuve important, avait été obstrué par les sables et n'était plus maintenant qu'un cours d'eau intérieur, sans issue dans la mer, que la vraie embouchure de l 'Araguary était à 1° 20 ' environ, qu'une fois à l 'œuvre on y placerait la limite et qu'on retirerait ainsi au Brésil une partie des terres du cap du Nord, qu'on avait pourtant entendu céder au Portugal sans aucune réserve, attendu que, disait M. de l 'Uruguay, « la côte qui se trouve entre la riviere des Amazones et 2° 3 0 ' forme ce que le traité appelle terres du cap du Nord » . . .
Dans un désir de conciliation, et pour rassurer le Brésil sur les conséquences du tracé proposé par nous, le plénipotentiaire français fut autorisé à stipuler expressément que les terres adjacentes au cap de Nord appartiendraient au Brésil et que la limite future serait ainsi tracée : « le canal de Carapaporis séparant l'île de Maraca des terres adjacentes au cap du Nord, puis la branche nord du fleuve Arouari, si cette branche est libre ou, dans le cas où cette branche serait aujourd'hui obstruée, le premier cours d'eau suivant en remontant vers le Nord et se jetant sous le nom de « Mannaie » ou de « riviere de Carapaporis » à 1 0 4 5 ' environ de latitude nord. »
Le plénipotentiaire français prévenait d'ailleurs qu'il évitait à dessein de se prononcer sur des appellations dont l'exactitude avait été mise en doute et qu'il s'attachait seule-
4 6 0 —
ment à préciser la situation du cours d'eau éventuellement
désigné.
Le Calsoène étant la dernière concession qu'il était auto
risé à faire, le vicomte de l 'Uruguay ne put pas accepter
la proposition française ; ne croyant même pas pouvoir la
discuter, il préféra « ne pas la repousser directement et
définitivement au nom de son Gouvernement qui n'en a pas
eu connaissance. Cette proposition, ajouta-t-il, sera écrite
dans le protocole, et elle sera portée avec ce protocole à
la connaissance de son Gouvernement ». Il ne perdait pas
d'ailleurs l 'espérance « que l'on puisse trouver le moyen de
terminer la question à l'amiable ». Quant à la limite de l'est
à l'ouest, il s'abstint de l'examiner, parce qu'il avait été
reconnu « qu'il n'était pas possible de s'occuper de la limite
intérieure avant d'avoir arrêté le point de départ, c'est-à-dire
avant d'avoir arrêté la limite de la côte ».
L e s protocoles de 1856 et particulièrement les quatre
derniers montrent qu'on fut alors très près de s'entendre.
Au moment de conclure, le Brési l abandonna assez facile
ment sa prétention à l 'Oyapoc pour arriver, de concession
en concession, à proposer le Carsevenne, à la latitude
de 2° 30' .
L a France , tout en posant comme principe que le pre
mier cours d'eau important après l'Amazone, en remontant
vers le nord, devait être choisi pour frontière, la F r a n c e
avait consenti à admettre comme limite un cours d'eau se
jetant dans le canal de Carapaporis, à 1° 45 ' . On n'était
donc plus séparé que par un intervalle de 45 ' , par consé
quent beaucoup moins d'un degré . . . . Le s conférences ne
furent malheureusement pas reprises, malgré les désirs
exprimés par les deux plénipotentiaires dans le protocole
final, et cette tentative intéressante de conciliation resta
4 6 1
Après les conférences de 1855 et de 1856, les négocia
tions au sujet du Contesté furent suspendues durant bien
des années, jusqu'à la conclusion du traité d'arbitrage du
10 avril 1897, en vertu duquel la présente sentence est
rendue, il n'y a à noter dans l'intervalle que la « Décla
ration entre la F rance et le Brésil concernant les malfai
teurs réfugiés du territoire de l 'Oyapock » du 28 juin 1862 1).
Cette Déclaration a été mise en vigueur « en attendant
que le litige pendant au sujet du territoire d'Oyapock soit
amicalement résolu entre la France et le Brésil » ; elle
termine par cette réserve : « cette Déclaration ne préjugeant
rien d'ailleurs quant à la solution à intervenir dans la
question de limites encore pendante».
1) Archives des Affaires étrangères. — Original, reproduit dans M. F . II, pp. 117 et suiv. ; M. B . II, pp. 132 et suiv. (texte français et portugais).