469
MANIOC.org Conseil général de la Guyane

Sentence du conseil fédéral Suisse

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Auteur : Partie 1 d'un ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane, Bibliothèque Franconie.

Citation preview

Page 1: Sentence du conseil fédéral Suisse

MANIOC.orgConseil général de la Guyane

Page 2: Sentence du conseil fédéral Suisse

MANIOC.orgConseil général de la Guyane

Page 3: Sentence du conseil fédéral Suisse

MANIOC.orgConseil général de la Guyane

Page 4: Sentence du conseil fédéral Suisse

MANIOC.orgConseil général de la Guyane

Page 5: Sentence du conseil fédéral Suisse

MANIOC.orgConseil général de la Guyane

Page 6: Sentence du conseil fédéral Suisse
Page 7: Sentence du conseil fédéral Suisse

ETATS UNIS OU BRÉSIL © E R N E

C O N T E S T É

F R A N C O - B R É S I L I E N

Page 8: Sentence du conseil fédéral Suisse
Page 9: Sentence du conseil fédéral Suisse

SENTENCE D U

CONSEIL FÉDÉRAL SUISSE DANS LA

QUESTION DES FRONTIÈRES

D E L A

GUYANE F R A N C A I S E ET DU

B R É S I L

DU 1er D E C E M B R E 1900

Page 10: Sentence du conseil fédéral Suisse

IMPRIMERIE STÆMPELI & Cie BERNE

Page 11: Sentence du conseil fédéral Suisse

A B R É V I A T I O N S

Les documents communiqués à l'arbitre par les parties sont cités comme suit dans la sentence ci-après:

M. F . I = Mémoire contenant l'exposé des droits de la France dans la question des frontières de la Guyane Française et du Brésil soumise à l'arbitrage du Gouvernement de la Confédération Suisse, Paris, Impri­merie Nationale, 1899;

M. F . II = Mémoire contenant l'exposé des droits de la France dans la question des frontières de la Guyane Française et du Brésil soumise à l'arbitrage du Gouvernement de la Confédération Suisse, Documents et pièces justificatives, Paris, Imprimerie Nationale, 1899;

A. F . = Mémoire contenant l'exposé des droits de la France dans la question des frontières de la Guyane Française et du Brésil soumise à l'arbitrage du Gouvernement de la Confédération Suisse, Atlas, Pho-totvpie Berthand Frères, Paris ;

M. B . I = Mémoire présenté par les Eta ts-Unis du Brésil au Gouvernement de la Confédération Helvétique, Arbitre choisi selon les stipulations du Trai té conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France , Tome premier, 1899;

M. B . II et III = Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au Gouvernement de la Confédération Helvétique, Arbitre choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France, Tome deuxième et Tome troisième, Paris, A . Lahure, 1899;

A. B . I = Atlas contenant un choix de cartes antérieures au Traité conclu à Utrecht le 11 Avril 1713 entre le Portugal et la France, Annexe au Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au Gouvernement de la Confédération Helvétique, Arbitre choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France;

Silva I et II = D a Silva, Joaquim Caetano, L'Oyapoc et l'Amazone, Question Brésilienne et Française, Tome premier et Tome second, troisième édition, Paris, A. Lahure, 1899;

R . F . = Réponse du Gouvernement de la République Française au Mémoire des Etats-Unis du Brésil sur la question de frontière soumise à l 'Arbitrage du Gouvernement de la Confédération Suisse, Paris, Impri­merie Nationale, 1899 ;

R. B . I à V = Second Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au Gouvernement de la Condédération Suisse, Arbitre choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France, Tomes I à V , Berne, Imprimerie Stæmipfli & C i e , 1899;

A. B . II = Second Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au Gouvernement de la Confédération Suisse, Arbitre choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio-de-Janeiro, le 10 Avril 1897, entre le Brésil et la France, tome V I , Atlas, Paris, A . Lahure, 1899.

Page 12: Sentence du conseil fédéral Suisse
Page 13: Sentence du conseil fédéral Suisse

L E CONSEIL FÉDÉRAL SUISSE appelé par les

ÉTATS-UNIS DU BRÉSIL ET LA FRANCE a

trancher comme arbitre le différend qui divise les deux Etats au sujet des frontières du Brésil et de la Guyane

française,

a rendu la sentence dont la teneur suit :

A. LES ÉLÉMENTS DU LITIGE

I. Le traité d'arbitrage. 1.

L e 10 avril 1897, a été signé à Rio de Janeiro entre

le Gouvernement de la République française et le Gouver­

nement de la République des Etats-Unis du Brésil un traité

par lequel les deux Etats ont chargé le Conseil fédéral

suisse de fixer définitivement, par décision arbitrale, les

frontières du Brésil et de la Guyane française.

Dans ce traité, les parties ont défini comme suit les

questions à résoudre, ainsi que la nature et l'étendue de

la mission de l 'arbitre 1 ):

1) Nous citons d'après le texte du traité d'arbitrage remis au Conseil

fédéral par la République des Etats-Unis du Brésil . Dans le texte

Page 14: Sentence du conseil fédéral Suisse

6 —

Article I.

La République des Etats-Unis du Brésil prétend que,

conformément au sens précis de l'Article 8 du Traité

d'Utrecht, le rio Japoc ou Vincent Pinçon est l'Oyapoc,

qui se jette dans l'Océan à l'Ouest du cap d'Orange et qui,

par son thalweg, doit former la ligne frontière.

La République Française prétend que, conformément

au sens précis de l'Article 8 du Traité d'Utrecht, la rivière

Japoc ou Vincent Pinçon est la rivière Araguary (Araouary)

qui se jette dans l'Océan au Sud du Cap Nord et qui, par

son thalweg, doit former la ligne frontière.

L'Arbitre se prononcera définitivement sur les préten­

tions des deux Parties, adoptant dans sa sentence, qui sera

obligatoire et sans appel, l'une des deux rivières énoncées

ou, à son choix, l'une de celles qui sont comprises entre elles.

Article IL

La République des Etats-Unis du Brésil prétend que

la limite intérieure, dont une partie a été reconnue provi­

soirement par la Convention du 28 Août 1817, est sur le

parallèle de 2° 24' qui, partant de l'Oyapoc va se terminer

à la frontière de la Guyane Hollandaise.

La France prétend que la limite intérieure est la ligne

qui, partant de la source principale du bras principal de

l'Araguary, continue par l'Ouest parallèlement à la rivière

des Amazones, jusqu'à la rencontre de la rive gauche du

Rio Branco et suit cette rive jusqu'à la rencontre du parallèle

qui passe par le point extrême des montagnes de Acaray.

L'Arbitre résoudra définitivement quelle est la limite

intérieure, adoptant dans sa sentence, qui sera obligatoire

et sans appel, une des lignes revendiquées par les deux

notifié au Conseil fédéral par la République française, les prétentions de la France figurent partout avant les prétentions du Brésil.

Page 15: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 7

Parties, ou choisissant comme solution intermédiaire, à

partir de la source principale de la rivière adoptée comme

étant le japoc ou Vincent Pinson jusqu'à la frontière hollan­

daise, la ligne de partage des eaux du bassin des Amazones,

qui, dans cette région, est constituée dans sa presque tota­

lité par la ligne de faîte des monts Tumuc-Humae.

L'article 8 du traité d'Utrecht du 11 avril 1713, visé

dans la convention d'arbitrage, est ainsi conçu :

«Afin de prévenir toute occasion de discorde qui pou-

roit naître entre les sujets de la Couronne de France et

ceux de la Couronne de Portugal, S a Majesté très Chres-

tienne se désistera pour toujours, comme elle se désiste

des a présent par ce Traité dans les termes les plus forts,

et les plus authentiques, et avec toutes les clauses requises,

comme si elles étoient insérées icy, tant en son nom, qu'en

celuy de ses hoirs, successeurs et héritiers, de tous droits

et prétentions, qu'elle peut ou pourra pretendre sur la pro-

prietté des terres appellées du Cap du Nord, et situées

entre la riviere des Amazones, et celle de Japoc, ou de

Vincent Pinson, sans se reserver ou retenir aucune portion

desdites terres, afin qu'elles soient désormais possédées

par Sa Majesté Portugaise, ses hoirs, successeurs, et héri­

tiers avec tous les droits de souveraineté, d'absolue puis­

sance, et d'entier domaine, comme faisant partie de ces

Etats, et qu'elles luy demeurent a perpetuité, sans que

Sadite Majesté Portugaise, ses hoirs, successeurs et héri­

tiers puissent jamais estre troublés dans ladite possession

par Sa Majesté très Chrestienne ny par ses hoirs, succes­

seurs et heritiers 1). »

1) D'après M. F . II, pp. 78 et suiv., qui reproduit le texte de l'ori­

ginal scellé, déposé aux Archives des Affaires étrangères. M. B . II, pp. 63

et suiv., donne le même texte, avec quelques variantes de peu d'impor­

tance ; il y ajoute le texte portugais.

Page 16: Sentence du conseil fédéral Suisse

La convention distingue par conséquent entre la limite extérieure qui, partant de l'Océan, suit un cours d'eau à déterminer, et la limite intérieure, qui, partant de ce cours d'eau, continue dans l'intérieur du pays. En ce qui concerne la première, l'arbitre décidera quel est le cours d'eau que désigne l'article 8 du traité d'Utrecht ; en ce qui concerne la limite intérieure, l'arbitre adoptera ou bien l'une des fron­tières revendiquées par les parties, ou bien, partant de la source principale du cours d'eau qu'il aura choisi comme frontière extérieure, il adoptera comme limite jusqu'à la Guyane hollandaise la ligne de partage des eaux du bassin de l'Amazone, qui, dans cette région, est constituée dans sa presque totalité par la ligne de faîte des monts Tumuc-Humac.

Quant à la limite extérieure, l'arbitre désignera soit l'un des cours d'eau revendiqués par les parties comme frontière, soit, à son choix, une des rivières comprises entre ces deux cours d'eau. Quant à la limite intérieure, l'arbitre choisira entre les frontières revendiquées par les parties et la ligne de partage des eaux des monts Tumuc-Humac, qui aura un point de départ différent selon que l'Araguary ou POyapoc ou un des cours d'eau intermédiaires sera adopté comme limite maritime.

La sentence de l'arbitre déterminant les limites inté­rieure et maritime sera obligatoire pour les parties et sans appel.

Quelque simples et claires que paraissent ces disposi­tions, elles n'en ont pas moins donné lieu, dans les mé­moires des parties, à des commentaires et parfois à des controverses qui doivent être mentionnées ici.

1. En ce qui concerne la limite extérieure, que les par­ties appellent aussi « limite maritime », le Brésil soutient,

— 8 —

2.

Page 17: Sentence du conseil fédéral Suisse

9 —

dans son premier mémoire, que l'arbitre est libre d'adop­ter comme frontière un des cours d'eau intermédiaires, «pourvu que le cours d'eau choisi soit, selon lui, le Japoc ou Vincent Pinçon de l'article 8 du Traité d'Utrecht » 1 ). Suivant cette opinion, l'arbitre ne peut donc choisir une des rivières qui coulent entre l'Araguary et l'Oyapoc comme cours d'eau frontière que s'il tient cette rivière pour le Japoc ou Vincent Pinçon de l'article 8 du traité d'Utrecht.

Dans sa réplique 2), la France fait observer à cet égard: «Nous sommes amenés à adhérer à l'inter­prétation brésilienne sur ce point et nous convenons que l'arbitre, devant statuer conformément aux stipulations d'Utrecht, ne pourra prendre comme frontière que le cours d'eau qui lui paraîtra représenter le plus exactement le Japoc ou Vincent Pinçon prévu par ce traité. Mais c'est à

• lui seul à désigner librement la rivière qu'il adopte comme telle dans la pleine souveraineté de sa conscience. »

Il n'est pas besoin de rechercher si cette interprétation répond au texte du traité, attendu que l'examen de la question a conduit l'arbitre à adopter une solution précise sur le point de savoir quel est le cours d'eau visé dans le traité d'Utrecht sous le nom de Japoc ou Vincent Pinçon. Il sera permis de relever toutefois que si l'arbitre s'était vu obligé d'admettre que le Japoc et le Vincent Pinçon sont deux fleuves différents et que, par conséquent, les rédac­teurs du traité d'Utrecht se trouvaient dans l'erreur lors de la conclusion de cet acte, il lui serait impossible, sur la base de ladite interprétation, de rendre une sentence fixant la frontière.

1) M. B . I, page 8.

2) R . F . , page 7.

Page 18: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 10

2. Selon cette convention, la France revendique comme limite intérieure la ligne « qui, partant de la source prin­cipale du bras principal de l'Araguary, continue pur l'Ouest parallèlement à la rivière des Amazones »...

Il y a lieu de remarquer à ce sujet:

Le Brésil, se fondant sur les explorations auxquelles il a fait procéder en 1891 et 1896 par le capitaine d'état-major Felinto Alcino Braga Cavalcante, prétend que le cours supérieur de l'Araguary se dirige du nord au sud, qu'il faut chercher la source principale de cette rivière à proximité de la source principale de l'Oyapoc et non pas dans la direction de l'ouest 1). La France conteste la valeur de cette exploration isolément entreprise par le Brésil ; lors de la signature de la convention d'arbitrage, explique-t-elle, l'opinion dominante était que l'Araguary cou­lait de l'ouest à l'est ; il est donc conforme au compromis que l'Araguary ne constitue la limite extérieure que dans la partie de son cours qui vient de l'ouest, laquelle a été ex­plorée scientifiquement, et que, par conséquent, on fasse commencer à la Grande Pancada la limite intérieure se dirigeant vers l'ouest 2). Les deux parties ont fait dresser des cartes à l'appui de leur démonstration. Au moyen d'une des cartes annexées à son mémoire, le Brésil expose com­ment, dans son opinion, la frontière qui, partant de la source de l'Araguary et se dirigeant vers l'ouest parallèle­ment à l'Amazone, se confondrait presque avec la ligne de partage des eaux des monts Tumuc-Humac. La France oppose à cette démonstration deux cartes annexées à sa réplique et dont la première a pour but d'établir qu'étant admise l'hypothèse du Brésil quant à la source

1 ) M. B . I, page 22. 2 ) R . F . , pp. 11 et suiv., 278 et suiv., 386 et suiv., et la carte n° 2.

Page 19: Sentence du conseil fédéral Suisse

11

de l'Araguary, la frontière serait déplacée beaucoup plus au sud que ne la fixe le Brésil ; la deuxième représente en son entier le territoire réclamé par la France. Par note du 27 juillet 1900, l'Ambassade de France a communiqué à l'arbitre une rectification de la deuxième de ces cartes, où la frontière partant également de la source de l'Ara­guary se dirige vers l'ouest, de sorte que cette carte n° 2 se rapproche sensiblement de la carte n° 1 de R. F . ; la seule différence qu'on constate entre elles porte sur le tracé du cours supérieur de l'Araguary. L'Ambassadeur de France dit dans sa note que cette carte n° 2, rectifiée, « a.... été établie d'une manière exactement conforme à la Convention ». La France ne maintient donc plus la manière de voir qu'elle a exposée dans sa réponse au sujet du point de départ de la limite intérieure.

3. L a France prétend dans sa réplique 1) que la con­vention d'arbitrage règle et met hors de contestation un point de fait, savoir la position du Cap de Nord. L'article 1 e r

désigne l'Araguary comme étant le cours d'eau « qui se jette dans l'Océan an Sud du Cap Nord». L e Cap Nord serait donc le promontoire au sud duquel l'Araguary se jette dans la mer. L a France ajoute que les deux parties ont reconnu expressément par là que l'Araguary se jette dans l'Océan et qu'il n'est par conséquent pas un affluent de l'Amazone.

Mais il est impossible d'attribuer cette portée à la con­vention d'arbitrage. Bien que le texte en ait été arrêté d'accord entre les parties, le traité ne saurait à l'évidence déterminer ce qui, à diverses époques et d'après différents auteurs, a été considéré comme l'embouchure de l'Amazone, ou comme appartenant encore ou n'appartenant plus à cette

l ) R . F . , pp. 5 et suiv.; 198-203.

Page 20: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 12

embouchure. On n'a pas pu davantage décider une fois pour toutes que, d'après les données géographiques et l'opi­nion des auteurs sur la situation du Vincent Pinçon ou Oyapoc, le Cap de Nord devait être le cap qui est immé­diatement au nord de l'embouchure de l'Araguary. Imposer cette interprétation à l'arbitre serait l'obliger à adopter des conclusions manifestement inexactes dans les cas où il est établi, sans doute possible, que, par Cap de Nord, il faut entendre le cap de l'île de Maraca et non pas le cap de l'embouchure de l'Araguary. Aussi importe-t-il de main­tenir que toute liberté est laissée à l'arbitre d'examiner et de trancher cette question sans être lié par la terminologie employée par la convention.

4. Un désaccord plus profond s'est manifesté entre les parties au sujet de l'étendue des pouvoirs de l'arbitre.

Nous lisons à ce sujet dans le mémoire de la France 1): «D'après ce traité (le traité d'arbitrage), le Gouvernement de la Confédération Suisse est appelé à connaître de tous les éléments du litige. Ses pouvoirs ne sont pas bornés à l'appréciation de formules irréductibles et invariables. Il peut, soit dire le droit tel qu'il lui paraît découler des textes, soit arbitrer ex æquo cl bono telle décision transactionnelle qui lui semblerait justifiée. Si nous avons cru devoir investir le Gouvernement de la Confédération suisse de ces pouvoirs illimités, ce n'est point par défiance de notre cause, c'est pour donner à l'arbitre un témoignage éclatant de notre confiance dans sa justice, dans son impartialité et dans l'élévation de ses vues. Désirant avoir une solution com­plète, nous n'avons pas voulu entraver son jugement en l'enfermant dans des bornes trop étroites; nous avons tenu à lui fournir tous les moyens d'exercer librement sa

1) M. F . I, page 369.

Page 21: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 13 —

mission et de décider, sans appel et sans restriction, soit sur le terrain du droit, soit sur celui de la convenance et de l'équité. »

La France entend par conséquent donner à l'arbitre le droit de baser sa sentence sur des motifs tirés de la convenance ou de l'équité.

Dans sa réplique 1), le Brésil s'est élevé contre cette manière de voir que ne justifient d'après lui, ni la lettre, ni l'esprit, ni la genèse du traité d'abitrage. Les parties ont voulu s'en remettre non pas à un médiateur, mais à un véritable arbitre appelé seulement à dire le droit.

Le premier projet de traité d'arbitrage rédigé par le Gouvernement français et remis en janvier 1896 par la Légation de France à Rio de Janeiro au Ministre des Rela­tions Extérieures, Monsieur Carlos de Carvalho, contenait cette clause :

« Art. 2. L'Arbitre réglera définitivement la question, soit qu'il adopte entièrement dans sa sentence le tracé de frontière qui lui sera proposé par l'une ou l'autre des deux Puissances, soit qu'il choisisse toute autre solution inter­médiaire qui lui paraîtrait plus conforme au sens précis de l'article VII I du Traité d'Utrecht 2).»

L e 20 mars 1896, M. Berthelot, Ministre des affaires étrangères de France, remettait au Ministre du Brésil à Paris un second projet dans lequel le même article était rédigé comme suit :

« L'Arbitre réglera définitivement la délimitation dont il s'agit, soit qu'il adopte dans sa sentence la ligne de frontière qui lui sera proposée par l'une ou l'autre des deux Parties, soit qu'il choisisse toute autre solution intermédiaire, les

1) R. B . I., pp. 2 et suiv. 2 ) R . B . III, pp. 345, 346.

Page 22: Sentence du conseil fédéral Suisse

1 4

Parties entendant donner à l'Arbitre les pouvoirs les plus

étendus afin d'arriver à une solution équitable de la diffi­

culté. »

Le Ministre du Brésil répondit le 25 mars 1 ) :

«J'étudierai avec soin ces deux pièces (c'est-à-dire un

projet de compromis arbitral du 20 mars et un projet de con­

vention relative à la constitution d'une police mixte) et j 'aurai

l'honneur de soumettre prochainement à Votre Excellence

un contre-projet de traité d'arbitrage, mais, dès maintenant,

et pour ce qui est de l'article 2 du nouveau projet, je prends

la liberté de rappeler à Votre Excellence que l'arrangement

amiable à intervenir, c'est-à-dire l'arrangement définitif des

limites par un Arbitre, ne saurait être fait que «conformé­

ment au sens précis de l'article VIII du Traité d'Utrecht

et aux stipulations de l'Acte du Congrès de Vienne », ainsi

qu'il a été convenu à Paris le 28 août 1817.

Dans l'entretien auquel Votre Excellence fait allusion,

j'ai eu l'honneur de la prier de vouloir bien préciser par

écrit les limites réclamées par la France. Il importe que

le Traité établisse clairement les lignes prétendues par les

deux Parties; et cette délimitation préalable du territoire

contesté, ainsi que les pouvoirs à conférer à l'Arbitre consti­

tuent certainement les deux questions délicates à discuter

et à résoudre dans la négociation du Traité.»

Le Brésil expose ensuite comment la convention défi­

nitive n'a pas repris la clause, inacceptable pour lui, auto­

risant l'arbitre à statuer en équité, tandis qu'elle a main­

tenu le renvoi à l'article 8 du traité d'Utrecht, malgré

l'opposition des négociateurs français; elle oblige au con­

traire l'arbitre à fixer la limite maritime selon le sens

précis de l'article 8 du traité d'Utrecht exclusivement.

1) R. B . III, page 350.

Page 23: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 15 —

L'arbitre est lié par la convention d'arbitrage, telle qu'elle a été signée par les parties le 10 avril 1897 et rati­fiée le 6 août 1898. Aux termes de cette convention, il doit dire quel est le cours d'eau appelé Japoc ou Vincent Pinçon par l'art. 8 du traité d'Utrecht, comme il doit aussi fixer la frontière intérieure des deux Etats limitrophes.

La frontière intérieure doit forcément être fixée d'après la limite maritime qui sera tout d'abord déterminée; pour la frontière intérieure, l'arbitre ne peut que choisir entre les prétentions des parties et une solution intermédiaire que pré­voit la convention. Sur ce point, l'arbitre n'est pas lié par une convention, invoquée par les parties et qu'il aurait à inter­préter. Il lui serait en conséquence loisible de tenir compte de motifs d'équité en ce qui concerne la limite intérieure.

Mais, en revanche, pour ce qui concerne la limite mari­time, le compromis arbitral l'oblige à rechercher et à fixer le sens précis de l'article 8 du traité d'Utrecht. Il s'agit donc d'interpréter le traité et, pour résoudre le problème, il lui faudra recourir aux données scientifiques que lui fournissent l'histoire et la géographie. La nature des choses exclut toute interprétation du traité d'Utrecht tirée de motifs d'équité ou de convenance ; on ne saurait, en effet, déduire de considérants de cet ordre quelle fut, lors de la signature du traité, l'intention de ses auteurs.

3.

Pour plus de clarté, il y a lieu d'expliquer ici l'ar­ticle 2 de la convention d'arbitrage. Le Brésil prétend que la limite intérieure, dont une partie a été reconnue pro­visoirement par la convention du 28 août 1817, est sul­le parallèle de 2° 24' latitude nord, entre l'Oyapoc et la frontière de la Guyane hollandaise. Il se réfère à la con-

Page 24: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 16 -

vention de Paris, conclue à cette date entre la France et le Portugal 1) et dont l'article premier est ainsi conçu:

« Sa Majesté Très Fidèle étant animée du désir de mettre à exécution l'article 107 de l'Acte du Congrès de Vienne, s'engage à remettre à Sa Majesté Très Chrétienne dans le délai de trois mois, ou plus tôt si faire se peut. La Guyane française jusqu'à la Rivière d'Oyapock, dont l'em­bouchure est située entre le quatrième et le cinquième degré de latitude septentrionale et jusqu'au trois cent vingt-deuxième degré de longitude à l'Est de l'île de Fer, par le parallèle de deux degrés vingt-quatre minutes de latitude septentrionale. »

Incontestablement l'Oyapoc que mentionne cet article est le cours d'eau que le Brésil désigne aujourd'hui comme étant le Japoc ou Vincent Pinçon du traité d'Utrecht et qu'il revendique pour frontière maritime. L'article 2 de la convention de Paris dit en ce qui concerne la limite inté­rieure :

« On procédera immédiatement des deux parts à la nomination et à l'envoi de Commissaires pour fixer défi­nitivement les limites des Guyanes française et portugaise, conformément au sens précis de l'article VIII du traité d'Utrecht, et aux stipulations de l'acte du Congrès de Vienne. Lesdits Commissaires devront terminer leur travail dans un délai d'un an, au plus tard, à dater du jour de leur réunion à la Guyane. Si, à l'expiration de ce terme d'un an, lesdits Commissaires respectifs ne parvenaient pas à s'accorder, les deux hautes Parties contractantes procé­deraient à l'amiable à un autre arrangement sous la mé­diation de la Grande-Bretagne, et toujours conformément

1) M. F. II, page 114 (Archives des Affaires étrangères, — Original scellé); M. B . II, page 122.

Page 25: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 17 —

au sens précis de l'article VIII du Traité d'Utrecht, conclu

sous la garantie de cette puissance. »

Cette disposition resta sans exécution. Aussi la France

s'empare-t-elle du fait pour affirmer que la question est

demeurée entière et qu'il faut, pour la trancher, interpréter

définitivement l'article 8 du traité d'Utrecht, ainsi que le

disait Guizot dans une dépêche qu'il adressait le 5 juil­

let 1841 au Ministre de France à Rio de Janeiro et qui

fut communiquée au Gouvernement brésilien 1) : «Je vous

ai entretenu, le 21 octobre précédent, des circonstances

qui avaient empêché la nomination de commissaires

français pour la démarcation des limites de la Guyane

du côté de Para. J 'a i à vous parler aujourd'hui des

motifs qui nous font regarder cette nomination comme

inutile, parce que, dans notre opinion, la réunion de com­

missaires français et brésiliens serait peu propre à conduire

à un résultat complet et définitif. Il ne s'agit point, en effet,

d'un travail ordinaire de démarcation, suite naturelle d'une

négociation où la limite qui doit séparer deux territoires a

été convenue en principe, pour être réalisée ensuite sur le

terrain. Avant que la question soit arrivée à des termes

aussi simples, il faut d'abord s'entendre sur l'interprétation

de l'article 8 du traité d'Utrecht et déterminer une base

de délimitation ; il faut, ce qui ne peut se faire que par

une négociation entre les deux Cabinets, vider d'abord la

question des traités et définir les droits respectifs avant

d'arriver à l'application pratique de ces mêmes droits ».

L e Brésil s'est dans la suite rangé à cette manière de

voir, ce qui explique pourquoi l'article premier du compro-

1) M. F . II, pp. 115, 116, d'après les Archives des Affaires étran­

gères, correspondance du Brésil, T . X X ; voir M. F . I, pp. 119, 229 et

suiv., et M. B. II, pp. 129 et suiv. (№ 25 E.) 2

Page 26: Sentence du conseil fédéral Suisse

18

mis d'arbitrage stipule que l'arbitre désignera le cours d'eau qui est le Japoc ou Vincent Pinçon du traité d'Utrecht, en se basant exclusivement sur le sens précis de ce traité et sans recourir à la convention de Paris. Et dans son premier mémoire, le Brésil déclare à réitérées fois qu'en ce qui concerne la frontière maritime il s'agit uniquement d'interpréter l'article <S du traité d'Utrecht 1 ) . Aucun désaccord ne règne entre les parties sur ce point, de sorte que l'arbitre peut se dispenser d'examiner si, pal­la convention de Paris, les parties n'entendaient pas recon­naître l'Oyapoc actuel pour le Japoc ou Vincent Pinçon de l'article 8 du traité d'Utrecht.

Mais si la convention de Paris n'a pas désigné défini­tivement le cours d'eau frontière, elle doit, en ce qui con­cerne la limite intérieure, avoir d'autant plus un caractère provisoire, puisque la fixation de cette limite dépend de celle de la limite maritime, qui est à déterminer tout d'abord.

Il est vrai que la convention de Paris a essayé de formuler une norme constitutive de la frontière intérieure et c'est peut-être ce qui aura engagé le Brésil à en invo­quer le texte. Le Brésil reconnaît d'ailleurs lui-même, dans sa prétention, que la démarcation de 1817 n'avait été fixée que provisoirement.

1) Voir , entre autres, M. B . I, page 8; R. B . I, page 10.

Page 27: Sentence du conseil fédéral Suisse

II. La Procédure.

1. L e traité d'arbitrage contient quant à la procédure

les dispositions essentielles ci-après : Chacune des parties doit, dans le délai de huit mois après

l'échange des ratifications du traité, présenter à l'arbitre un mémoire contenant l'exposé de ses droits et les docu­ments qui s'y rapportent. Ces mémoires sont en même temps communiqués aux parties contractantes. Passé ce premier délai de huit mois, chacune des parties en aura un nou­veau, de même durée, pour présenter à l'arbitre, si elle le juge nécessaire, un second mémoire en réponse aux allégations de l'autre partie. L'arbitre a le droit d'exiger des parties les éclaircissements qu'il juge nécessaires ; il règle les cas non prévus par la procédure de l'arbitrage et les incidents pouvant survenir. Les frais du procès arbitral sont déterminés par l'arbitre et partagés également entre les parties contractantes. Les communications entre les parties contractantes ont lieu par l'intermédiaire du Département politique de la Confédération suisse. Enfin l'arbitre statuera dans le délai maximum d'un an à comp­ter de la remise des répliques.

2.

L'échange des ratifications a eu lieu le 6 août 1898, à Rio de Janeiro et le 8 septembre 1898 le Conseil fédé­ral, sur la demande des deux parties, accepta la mission que lui confiait la convention du 10 avril 1807.

1) M. B . II, page 137, note.

19

Page 28: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 0 —

Les Etats-Unis du Brésil désignèrent pour les repré­

senter dans le litige Monsieur Paranhos do Rio-Branco qui

présenta le 6 avril 1899 au Président de la Confédération

ses lettres de créance comme Envoyé extraordinaire et

Ministre plénipotentiaire en mission spéciale.

La France se fit représenter par son Ambassadeur

accrédité auprès du Conseil fédéral, feu le comte de

Montholon, puis par son successeur Monsieur Paul-Louis-

Georges Bihourd, auxquels furent adjoints comme conseil­

lers en mission spéciale le Marquis de Ripert-Monclar,

Ministre plénipotentiaire, et Monsieur Albert Grodet, Gou­

verneur des colonies de première classe.

Le 4 avril 1899, l'Ambassadeur de la République fran­

çaise remit au Président de la Confédération, pour être

communiqués au Conseil fédéral :

1. En Mémoire contenant l'exposé des droits de la France

dans la question des frontières de la Guyane Française et

du Brésil ; deux volumes, dont le premier contient l'exposé

de la demande, le deuxième les documents et pièces justi­

ficatives.

2. Un atlas, contenant des reproductions de cartes du territoire contesté.

L e 6 avril 1899, le Ministre du Brésil remit au Prési­dent de la Confédération, pour être communiqués au Con­seil fédéral :

1. Un Mémoire présenté par les Etats-Unis du Brésil au

Gouvernement de la Confédération Helvétique, Arbitre

choisi selon les stipulations du Traité conclu à Rio de

Janeiro, le 10 avril 1897, entre le Brésil et la France ; trois

volumes, dont le premier contient l'exposé de la demande

du Brésil, le second des documents et le troisième des

documents et procès-verbaux relatifs aux négociations qui

Page 29: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 21 —

ont eu lieu à Paris en 1855 et 1856 (Mission spéciale du

Vicomte do Uruguay à Paris, 1855-1856) ;

2. L'ouvrage: L'Oyapoc et l'Amazone, question Brési­

lienne et Française, par Joaquim Caetano da Silva, deux

volumes ;

3. Un atlas contenant des reproductions de cartes du

territoire contesté ;

4. Un atlas contenant les relevés géographiques de la

Commission brésilienne d'exploration du haut Araguary,

sous la direction du capitaine d'état-major Felinto Alcino

Braga Cavalcante.

L e Département politique de la Confédération remit aux parties le nombre convenu d'exemplaires de ces diver­ses pièces.

On constata lors du dépôt des premiers mémoires que les parties différaient d'avis quant au calcul du délai de huit mois. Pour lever tout doute à cet égard, le Con­seil fédéral décida, le 5 juin 1899, que le délai prévu à l'article 4 du traité d'arbitrage du 10 avril 1897 expirait le 6 décembre 1899, à 6 heures après midi, heure de l'Europe centrale, ce dont avis fut donné aux deux parties.

L e 6 décembre 1899, les deux parties ont remis leurs répliques au Président de la Confédération ; le mémoire du Brésil est accompagné de trois tomes contenant des docu­ments, d'un atlas et d'un volume renfermant le fac-similé de toute une série des pièces imprimées dans les tomes annexes.

3 .

Dans l'intervalle, l'Ambassade de France avait fait au

Conseil fédéral les communications ci-après :

a) Par note du 30 mars 1900, il fut expliqué que

M. F . I, pages 171 et 175, contenait une erreur, en ce que

Page 30: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 22 —

deux passages d'une lettre de Pontchartrain à Lefebvre d'Albon. du 19 décembre 1714, y sont mentionnés, qui sont en réalité empruntés à deux documents différents. L'erreur a passé dans le volume contenant les pièces justificatives (M. F . II, pages 123-125) où l'on trouve, sous le titre de « Lettre de Pontchartrain, Ministre de la Marine, à l'ordon­nateur de la Guyane, Lefebvre d'Albon » un document qui est visiblement composé de deux pièces différentes. Selon la première partie, en effet, le traité d'Utrecht n'est encore ni ratifié ni publié, tandis que, suivant la seconde, ce traité serait en voie d'exécution. Vérification faite, il a été con­staté que la première partie est un extrait d'une lettre du Secrétaire d'Etat de la Marine, d'avril 1713, tandis que les passages subséquents sont la reproduction d'une lettre du même Secrétaire d'Etat, du 19 décembre 1714.

b) Par note du 21 mai 1900, en réponse à une ques­tion posée par le Conseil fédéral, il a été fourni des éclair­cissements sur les rapports, de 1688, de M. de Ferrolles, qui fut plus tard Gouverneur de Cayenne. La question concernait la controverse qui s'est élevée entre les parties au sujet de la lettre de Ferrolles, du 22 septembre 1688, adressée à « Monsieur et Madame de Seignelay » et repro­duite dans M. F . II, pages 155 et suivantes, et des pas­sages qu'en donne M. F. I, pages 163 et suivantes, d'après les Archives des Colonies, t. LXIII. (Voir R. B. II, pages 143 et suivantes.)

La note du 21 mai 1900 expose que c'est par erreur qu'il est renvoyé au t. LXIII des Archives des Colonies (M. F . I, page 164, note 1) « pour ce qui concerne le voyage de Ferolles à l'Araguary. Le rédacteur travaillait sur des notes réunies par divers employés, et l'inexactitude vient de ce que le volume LXIII a été plus particulièrement consulté. Mais il ne renferme rien sur le voyage de Ferolles

Page 31: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 3

en 1688.» De plus, la lettre à Monsieur et Madame de Seignelay n'est pas une pièce originale, mais une copie, dont il existe deux exemplaires, le premier, le meilleur, aux Archives des Colonies, volume II de la Correspondance générale (Guyane) fol. 44 et suiv., le deuxième, défectueux, aux Archives nationales, K 1232, n° 54 ; en outre, la lettre était adressée, non à Monsieur et Madame, mais au Ministre de Seignelay. L'original de la lettre de Ferrolles n'a pu être retrouvé, mais aucune des deux copies ne contient les mots : « à la rivière du Cap d'Orange. » Ces deux copies ont été remises à l'arbitre en expédition authentique, en partie en reproduction photographique.

c) Enfin, l'Ambassade de France a, comme il est dit ci-dessus, page 11, communiqué au Conseil fédéral par note du 27 juillet 1900, une rectification de la carte n° 2 an­nexée à R. F., sur laquelle la frontière méridionale revendiquée par la France est tracée non plus à partir de la Grande Pancada, mais de la source de l'Araguary dans la direction de l'ouest.

Sur la demande du Conseil fédéral, le représentant des Etats-Unis du Brésil a, le 11 juillet 1900, produit les pièces ci-après:

a) Une copie du « Compendio das mais substanciaes Razoes e argumentos que evidentemente provam que a Capitania chamada do Norte situada na boca do rio das Amazonas legitimamente pertenee à Coroa de Portugal, etc.,» légalisée par le conservateur de la Bibliothèque royale de Ajuda à Lisbonne, M. Rodrigo V . d'Almeida.

b) Des extraits de l'ouvrage d'Enciso « Suma de geo-graphia, etc., » Séville 1519, que le représentant du Brésil déclare conformes au texte de l'exemplaire qui se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris.

Page 32: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 24 -

4. R. F . , page 20, dit quant au droit de réplique

accordé aux: parties par le traité d'arbitrage : « Nous

tenons . . . à dire un mot de la signification que nous don­

nons à l'article 4 (du traité d'arbitrage) relatif au droit de

réplique. Après avoir imposé à chacune des deux parties,

dans l'article 3, l'obligation de présenter un mémoire im­

primé contenant l'exposé de ses droits et les documents

s'y rapportant, le compromis ouvre à chacune d'elles la

faculté d'adresser à l'arbitre un second mémoire en réponse

aux allégations de l'autre partie. Il ne s'agit plus, comme

on le voit, que d'une réponse aux dires de l'adversaire, il

nous semble résulter de ce texte qu'en principe les seconds

mémoires doivent être consacrés à la discussion des pre­

miers. Ceci est plus amplement démontré encore par ce

fait qu'après l'expiration du second délai de huit mois la

procédure écrite est close. L e juge peut encore demander

des éclaicissements ; mais les parties n'ont plus le droit

d'argumenter l'une contre l'autre ; on est entré dans la

période finale d'une année pendant laquelle l'arbitre a la

parole pour élaborer et rendre sa sentence. Mettre au jour

pour la première fois dans le second mémoire des systèmes

tenus jusque-là en réserve, et qui ne pourront plus être

contrôlés, nous paraîtrait contraire à l'esprit du compromis.

C'est évidemment une question de mesure et de bonne foi;

en combattant un argument adverse, on est tout naturel­

lement et très légitimement entraîné à des raisonnements

nouveaux et à des justifications nouvelles. Mais nous pen­

sons que, d'une façon générale, le second mémoire doit

être essentiellement une réponse, et c'est dans ces termes

que nous nous sommes efforcés de nous maintenir.»

L e Brésil ne se prononce pas sur la question, mais il

a joint à sa réplique une si grande quantité de moyens de

Page 33: Sentence du conseil fédéral Suisse

preuve nouveaux qu'on est tenté de croire qu'il ne se place

pas au même point de vue que la France.

L'arbitre estime qu'il n'est pas réduit à s'en tenir aux

allégations des parties et aux moyens de preuve qu'elles

invoquent. Il ne s'agit pas, pour lui, de trancher un diffé­

rend de droit civil, selon les voies de la procédure civile,

mais d'établir un fait historique ; il doit rechercher la vérité

par tous les moyens qui sont à sa disposition. Il ne tiendra

compte des allégations des parties et des documents produits,

sur lesquels la partie adverse n'aura pas pu s'expliquer,

que si leur exactitude et leur authenticité lui paraissent

hors de doute.

III. Le territoire contesté.

1.

Vue générale.

L'aperçu qui va suivre sur la configuration et la consti­

tution du territoire contesté servira de base aux considé­

rations d'ordre historique et géographique qui seront déve­

loppées ultérieurement.

La partie nord-est de l'Amérique du Sud émerge du

bassin occidental de l'Atlantique à un endroit auquel la carte

de Supan assigne une profondeur de 4000 à 5000 mètres 1).

Le versant continental finit par une déclivité relativement

rapide qui court parallèlement au littoral, à une distance

d'environ 150 à 200 kilomètres. Ce n'est qu'au nord-ouest,

1) Supan, Die Bodenformen des Weltmeeres , mit Tiefenkarte, in Dr. A. Petermanns Mitteilungen, 45. Band, 1899.

25

Page 34: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 6

du côté des Antilles, que le bloc continental s'abaisse en

pente plus douce vers les grands fonds marins. A la pente

rapide qui limite les grandes profondeurs succède, dans la

direction de la terre ferme, le vaste plateau continental sous-

marin, particulièrement large en face de l'embouchure de

l'Amazone; à partir d'une profondeur d'environ 200 mètres,

il s'élève graduellement jusqu'au rivage. Le territoire émergé,

qui est comme la continuation à peine interrompue du sol

sous-marin, ne dépasse que faiblement le niveau de la mer

et présente sa pente générale vers le nord-est.

La zone côtière, basse et uniforme, qui borne au nord-

est l'Amérique du Sud est interrompue par la large embou­

chure du puissant Amazone et du Rio Para, coupure pro­

fonde qui constitue le trait dominant de la configuration

générale de ce rivage. Au sud-est de la brèche formée

par l'Amazone, il y a lieu de mentionner la profonde baie

de Maranhão et au nord-ouest, du côté des Antilles, la

courbe du delta de l'Orénoque. La ligne du rivage nord-

oriental de l'Amérique du Sud est marquée par ces traits

caractéristiques.

D'après Suess 1), « le tracé de la côte de Cayenne à

l'embouchure de l'Amazone est perpendiculaire à la direction

des couches. Autant qu'on peut en juger d'après ce que

l'on connaît aujourd'hui de la structure du Brésil, il faut

admettre que jusqu'au cap San Roque le contour du con­

tinent est encore transversal à la direction du massif mon­

tagneux ».

Le pays qui porte aujourd'hui le nom général de

Guyane s'étend des bords de l'Océan atlantique jusqu'à

l'Orénoque, l'Amazone et le Rio Negro, embrassant un

territoire compris entre le 3e degré de latitude sud et le

1) Suess, L a Face de la Terre , Paris 1900, t. II, pp. 222 et 223.

Page 35: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 27 —

9e degré de latitude nord environ. 11 n'est connu que dans

s'a plus petite partie, dans la région du littoral de la mer

et des bords des grands cours d'eau ; de vastes étendues

de terres sont restées incomplètement explorées. Toutefois,

les traits dominants de la configuration du sol se révèlent

dans son régime fluvial, dans la direction et le groupement

de ses cours d'eau. Au sud se trouve le système fluvial

de l'Amazone qui descend le long d'une large plaine de

pente insensible pour se jeter à l'est dans l'Océan; la

presque horizontalité du bassin et la régularité du profil

longitudinal du fleuve ressortent de ce fait que de l'em­

bouchure il faut remonter de 2000 kilomètres pour arriver

à une altitude de 80 mètres. Au nord s'étend un plateau

qui, à l'ouest, limite le bassin de l'Orénoque par les lignes

indécises d'un système de partage des eaux faiblement

accentué; un fleuve, le Casiquiare, relie même directement

l'Orénoque au Rio Negro. Au nord-ouest, entre l'Essequibo

et l'Orénoque, le plateau, qui se prolonge jusqu'au Rio

Negro, atteint dans la Sierra de Rincote sa hauteur maxi­

mum. Au nord et au nord-est se trouve le versant conti­

nental, divisé lui aussi par des lignes peu élevées de partage

des eaux; il va s'aplanissant toujours plus vers la côte.

Il compte un certain nombre de cours d'eau grands et

petits qui coulent vers la mer, indépendamment les uns

des autres, suivant des lignes sensiblement parallèles. Les

plus importants, par le développement de leur cours et

leur volume d'eau, sont l'Essequibo, le Corentyne, le Maroni

et l 'Oyapoc; leurs larges estuaires sont un des traits dis-

tinctifs de la côte maritime. A l'est de l'Oyapoc jusqu'à

l'Araguary s'étend le territoire qui fait en première ligne

l'objet du présent litige; il s'appelle le contesté extérieur

ou maritime, suivant une dénomination qui, avec le temps,

a passé dans la langue géographique. Tous ces cours

Page 36: Sentence du conseil fédéral Suisse

d'eau ont leur source dans les chaînes de monts et de

collines, dirigées principalement de l'est à l'ouest, formées

par les Tumuc-Humac, la Serra Tucumuraque et la Serra

Acaray, d'où proviennent aussi les affluents de la rive

gauche de l'Amazone à l'est du Rio Branco, le puissant

tributaire du Rio Negro. L e versant méridional du massif

montagneux, de la région des sources de l'Araguary vers

l'ouest jusqu'au Rio Branco, forme le territoire du contesté

intérieur, dont la limite méridionale doit constituer, d'une

manière indéterminée, la zone littorale de l'Amazone.

a) L e climat de la Guyane (abstraction faite du contesté

intérieur insuffisamment connu) peut être qualifié de climat

tropical maritime. Hann 1 ) écrit à ce sujet: «Le climat de

la Guyane maritime est caractérisé par une chaleur élevée

et très uniforme, ainsi que par une humidité constante et

d'abondantes précipitations, sans saison sèche nettement

m a r q u é e . . . . Les maxima journaliers moyens se main­

tiennent très régulièrement entre 30.1° et 22.8" durant toute

l'année. L a variation diurne de la chaleur atteint son

maximum (8°.9) en octobre, son minimum (5°.9) en janvier

et en février; sa moyenne pour l'année est de 7°.3. L a

tension moyenne de la vapeur d'eau dépasse 21 millimètres;

l'humidité relative se maintient entre 72 et 82%.»

1) Hann, Handbuch der Klimatologie, I I . Auflage, 1897, page 356: «Das Klima des Küstengebiets von Guyana zeichnet sich aus durch sehr gleichmässige hohe W a r m e das ganze J a h r [hindurch, [ebenso gleichmässig hohe Luftfeuchtigkeit und reichliche Niederschläge, ohne eine scharf aus­geprägte Trockenzeit . . . . Die mittleren Tagesmaxima der Temperatur halten sich recht gleichmässig das ganze Jah r hindurch bei 30.1° und 28.8", die Tagesschwankung der W ä r m e ist am grössten im Oktober 8.9°, am kleinsten im Januar und Februar 5.9°, im Jahresmittel 7.3°. D e r mittlere Dampfdruck beträgt über 21 Millimeter, die relative Feuchtigkeit hält sich stetig zwischen 72 und 8 2 % » .

28

Page 37: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 9 —

Il faut distinguer deux saisons :

1" de novembre à juin, la saison fraîche, pluvieuse, sous

l'influence dominante de l'alizé du nord-est;

2° de juillet à novembre, la saison chaude et sèche, sous

l'influence de l'alizé du sud-est.

Voici la hauteur moyenne des pluies pour trois localités :

Georgetown 213.8 cm.

Cayenne . . 301.1 » Para 1) . . . 202.3 »

On peut se rendre compte de la chute moyenne des

pluies dans le contesté extérieur par la comparaison des

observations faites à Cayenne, durant 38 années, et a Para,

durant 4 années, et dont voici les résultats:

Cayenne Para

cm cm •Janvier . . . . . . 36.1 30.3 Février . . . . . . 31.6 28.0

Mars . . . . . . . 39.4 32.9

Avril . . . . . . . 38.5 34.0 Mai . . . . . . . 48.9 19.4

Juin . . . . 37.7 10.6

Juillet . . . . 16.9 7.1

Août . . . . . . . 6.8 5.2 Septembre . . . . 2.8 6.7 Octobre . . . . 3.4 6.2

Novembre . . . . 12.0 9.0 Décembre . . . . . 27.0 12.9

Moyenne annuelle 301.1 202.3

On voit par là que la Guyane contestée n'a qu'une

saison pluvieuse; dans la Guyane anglaise déjà, on en

1) Hann, 1. c , page 350.

Page 38: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 0 —

compte deux, la grande qui dure d'avril au mois d'août,

la petite qui existe en décembre et en janvier.

En ce qui concerne le régime des vents dans le contesté

extérieur ou maritime qui appartient à la zone des vents

alizés changeants, il est à constater 1) qu'au commencement

de l'année l'alizé du nord-est domine, atteignant sa plus grande

intensité en janvier et février; puis il tourne peu à peu et,

soufflant de l'est-nord-est et même de l'est, se fait sentir

sur la côte de la Guyane et jusque vers l'équateur, occa­

sionnellement jusqu'au cap San Roque. Les mois de mars

à mai sont caractérisés par le vent du nord-est qui décroît

graduellement, puis par les vents changeants, et par l'alter­

nance des calmes plats et des rafales, qui sont dus à

l'approche de l'alizé du sud-est. En avril, cet alizé atteint

le cap San Roque; puis il se propage lentement le long de

la côte dans la direction de l'ouest; c'est pour la (Guyane

la période du second vent dominant qui s'ouvre, non pas

subitement, car jusqu'en juin et au commencement de juillet

les deux courants principaux se disputent la prédominance.

L'alizé du sud-est s'avance ordinairement jusqu'au dixième

degré de latitude nord. En août, septembre et octobre, il

atteint son maximum d'intensité et de permanence. En

novembre, il décroît peu à peu et, après un changement

assez brusque, l'alizé du nord-est le remplace. Il y a lieu

de remarquer que les courants atmosphériques qui passent

sur la Guyane sont des vents de mer qui provoquent

des précipitations presque en chaque saison ; ce n'est

que rarement et tout près de la côte que l'on observe

parfois des vents de terre, se dirigeant du sud-ouest, de

l'ouest ou du nord-ouest. Brousseau dit à ce sujet: « De-

1) Voi r The South America Pilot, Part . I, Fourth Edition, London

1893; de même The W e s t India Pilot, I, Fifth Edition, London 1893.

Page 39: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 31

puis deux ans le vent n'a pas soufflé une fois de la partie

ouest 1). »

Voici, au sujet du climat du contesté intérieur, ce que

dit Hann 2 ) , d'après Wallace : «Le climat de la plaine de

l'Amazone est remarquable par l'uniformité de la tempéra­

ture et la périodicité régulière de l'humidité. Sur sa plus

grande étendue, la plaine a six mois d'humidité et six mois

de sécheresse, mais ni ces pluies ni ces sécheresses ne

sont aussi excessives qu'en maint autre pays tropical. »

Hann signale aussi la température relativement basse qui

règne vers l'équateur, dans l'hylæa de la plaine amazo­

nienne. La région de l'embouchure de l'Amazone se dis­

tingue au point de vue climatologique par des pluies fré­

quentes accompagnées de rafales et par des orages d'une

extrême violence.

b) Des diverses formes qu'affecte la surface de la terre,

il y en a peu qui soient soumises à des modifications

aussi continuelles que les côtes maritimes. Les vagues, les

marées et par elles les érosions, d'une part, le travail de

sédimentation et d'alluvion, d'autre part, tels sont les fac­

teurs qui, tantôt réunis, tantôt isolés, s'appliquent à mode­

ler les côtes. Le long du rivage de la Guyane, on constate

des phénomènes de cette nature et dont les effets morpho­

logiques sont si marqués qu'ils donnent à cette contrée ses

traits distinctifs. La constitution du sol sous-marin joue dans

ce domaine un rôle d'une grande importance. L e vaste pla­

teau continental qui s'étend au large de l'embouchure de

1) L e Tour du Monde, numéro du 16 décembre 1899, page 591. 2) Hann, I. c , page 360: « Das Klima des Amazonenthaies ist be­

merkenswert durch die Gleichförmigkeit der Temperatur und durch die regelmässige Zufuhr von Feuchtigkeit. In den meisten Teilen desselben sind 6 Monate nass und 6 Monate trocken, und weder Regenzeit noch Trockenzeit sind so excessiv wie in manchen andern tropischen Ländern. »

Page 40: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 2 —

l'Amazone avec une inflexion vers l'ouest, est le lieu de dépôt

des sédiments apportés par le fleuve. D'après Andrée 1 ) ;

carte 176-177, l'isobathe de 4000 mètres est éloignée du Cap

d'Orange et de la baie de Maranhão d'environ 220 kilo­

mètres du rivage, tandis qu'au large de l'embouchure de

l'Amazome, elle se trouve à environ <S00 kilomètres du

continent. Mais ce serait une erreur de croire que cette

saillie continentale est due essentiellement à des dépôts

modernes apportés par l'Amazone. A environ 600 kilo­

mètres en avant de l'embouchure, et d'une profondeur,

d'après Andrée, de 3400 mètres, s'élève un cône dont

la partie supérieure n'est qu'à 100 mètres au-dessous du

niveau de la mer. Plus on se rapproche de la terre et du

vaste estuaire qui, du Cap Tijoca au Cap de Nord, mesure

340 kilomètres, plus la profondeur diminue. D'après la

carte marine française de Mouchez, n° 2729, édition de 1896,

l'isobathe de 10 mètres se tient, entre Maraca et le Cap

d'Orange, à une distance moyenne de 13 kilomètres du

rivage 2 ) , tandis qu'à l'est de Maraca et au nord-est de

Mexiana, elle s'éloigne à 118 kilomètres. Partout le littoral

est précédé de bas-fonds, de bancs de sable et de vase.

A une distance d'environ 55 kilomètres de la côte et à une

profondeur d'à peu près 15 mètres, le courant équatorial du

sud venant des eaux occidentales africaines, passe le long

de la côte brésilienne et guyanaise, coulant dans la direction

du nord-ouest. C'est entre juillet et octobre qu'il atteint

sa vitesse maxima — de 4 à 6 kilomètres à l'heure — et

sa plus grande puissance. Durant ces mois-là, il se forme

entre le courant équatorial et celui qu'actionne l'alizé du

nord-est un contre-courant se dirigeant vers l'est et qui

2 ) Voir Annexes, planche n° 3.

1) Andrees Allgemeiner Handatlas, 4me édition, 1899.

Page 41: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 3 —

1) Voir The West-India Pilot, I, page 37. 2) Voir la carte marine française, n°2729, et la carte marine anglaise,

n° 1803, et The West-India Pilot I.

3

se tient entre 5° et 9° de latitude nord ; plus à l'est, ce

contre-courant se confond avec le courant permanent de

Guinée 1).

Toute la côte nord-est de l'Amérique a des courants

de marée réguliers et qui se manifestent généralement

avec force ; leur puissance augmente vers l'ouest et atteint

son maximum vers l'Amazone et sur la côte guyanaise.

Leur influence se fait sentir jusque sur les franges du cou­

rant équatorial constant, c'est-à-dire jusqu'à 55 kilomètres

environ du rivage. Par suite, ce courant et le flot de marée

combinent leur action, d'où résultent une déviation du cou­

rant équatorial vers la côte et une augmentation du volume

et de la puissance de l'afflux d'eau marine qui pénètre à

la marée montante dans les embouchures fluviales. En

revanche, le courant du reflux, dirigé vers le nord-est, tend

à ralentir le courant équatorial qui marche vers le nord-

ouest ; mais le second, de son côté, modère la force du

premier et le fait incliner dans sa propre direction. L'im­

portance de ces facteurs au point de vue du transport des

matières en suspension que le reflux a enlevées aux em­

bouchures fluviales mérite d'être mise en lumière; ce sont

les causes qui déterminent la direction maîtresse que sui­

vent ces matériaux de transport. Dans le voisinage des

côtes, sauf exceptions locales, la marée a, en général, une

direction sud-ouest—nord-est 2 ) ; le dessin de la ligne des

côtes, parallèlement à laquelle les vagues se développent,

joue encore un rôle essentiel et produit les déviations les

plus variées. La hauteur du flot de marée et sa vitesse de

propagation présentent pareillement des variations locales

Page 42: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 4

sensibles ; il y aura à revenir sur ce point dans la descrip­

tion des côtes.

Touchant la formation du rivage, le phénomène redou­

table appelé « pororoca » a une importance toute spéciale ;

c'est une vague de marée, un mascaret qui se précipite

avec une force irrésistible contre la côte et la transforme

en un chaos instable par la vase qu'il apporte et les éro­

sions qu'il cause. Des bancs de sable arrêtent soudain les

petits cours d'eau; sur de longs espaces, le rivage se couvre

de boue et de débris et se change en un désert ravagé. Le

phénomène de la pororoca est limité à de faibles profon­

deurs et ne se produit guère sur des fonds dépassant 8 mètres.

Ses maxima sont liés à ceux de la marée et coïncident par

conséquent avec les syzygies. Elle atteint sa plus grande

hauteur aux équinoxes et dans les mois de janvier et de juin.

La zone où se manifeste la pororoca comprend l'em­

bouchure de l'Amazone, la région du Cap de Nord et de

l'île de Maraca. L e phénomène est spécial à ces lieux, à

l'est desquels il n'apparaît plus. Le South America Pilot

signale bien des « heavy overfalls » intermittents dans la

baie de Maranhão, mais pas de pororoca. Para est à l'abri

de la pororoca, mais non pas les fleuves Guama et Gua-

jara. L a vague de marée déploie une grande violence contre

la rive gauche de l'estuaire de l'Amazone et se propage

entre Marajo et le Cap de Nord avec une vitesse de 11 kilo­

mètres à l'heure, exceptionnellement de 20 à 28 kilomètres.

L a hauteur du flux varie beaucoup, même dans des lieux

peu distants les uns des autres; il peut y avoir aussi une

différence sensible entre des flux et des reflux consécutifs

au point de vue de la direction et de la force du courant.

Cela provient de la hauteur des eaux dans l'Amazone, des

vents dominants et des différences de niveau qui en résultent

entre le fleuve et la mer.

Page 43: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 5 —

Telles sont les influences maritimes qui agissent sur

la côte de la basse Guyane ; mais, pour comprendre sa

forme et sa constitution, il faut encore tenir compte d'un

facteur essentiel : les eaux de l'Amazone qui, même à une

grande distance au large, ne se confondent pas avec celles

de l'Océan et s'étalent au delà de l'embouchure en un véri­

table bassin d'eau douce. Avant de pénétrer en pays bré­

silien, l'Amazone a déjà traversé un vaste territoire et reçu

divers affluents, mais c'est dans le Brésil qu'il se grossit

de ses plus grands tributaires, les Rios Iça et Japura, le

Rio Negro, qui, dans son cours inférieur, s'élargit en de

véritables lacs, les Rios Trombetas, Parou et Vary sur la

rive gauche, venant des vallées situées au nord, les Rios

Yaquirana, Juruaj Purus, Madeira, Tapajoz et Xingú sur

la rive droite, venant des vallées situées au sud. Actuelle­

ment, son cours supérieur jusqu'à son entrée sur territoire

brésilien porte le nom de Marañon. Il n'y a pas à exa­

miner si le Rio Para, à son embouchure, doit être con­

sidéré comme un fleuve dépendant de l'Amazone ou comme

un cours d'eau individuel ; dans tous les cas, on ne peut pas

conclure des données cartographiques à la subordination

du Rio Para à l'Amazone.

Il est remarquable que ce fleuve puissant, qui charrie

une prodigieuse masse de sédiments, n'ait pas constitué de

delta à son embouchure ; les nombreuses îles, grandes et

petites, qui parsèment son estuaire à forme de golfe, n'ont

certainement pas été créées par l'Amazone actuel. Les îles

de Marajo, de Caviana et de Mexiana, même de Maraca,

sont les restes d'une côte préhistorique qui se prolongeait

beaucoup plus loin et qui a disparu grâce à un affaissement

et au travail des vagues 1). Une note du South America Pilot

1) Ehrenreich, Verhandlungen der Gesellschaft für Erdkunde, Ber­

lin 1890, page 157.

Page 44: Sentence du conseil fédéral Suisse

donne une idée des effets de la pororoca: « some 30 years

ago, Caviana and Jurupari islands were both divided by

the strength of the current (la pororoca) and the channel

between those islands rendered unnavigable except by

boats ». On peut citer un exemple semblable d'île fissurée,

bien antérieur à celui-là, et qui a été relaté par le Père

Pfeil vers 1680 ; il en sera parlé plus tard, dans la partie

géographique. La formation du Furo Grande d'Araguary,

ainsi que de la jonction du Rio Para avec l'Amazone au

sud de l'île de Marajo pourraient être attribuées aux mêmes

causes ; elles proviennent l'une et l'autre d'un empiètement

de l'océan sur la terre ferme, phénomène dont les mani­

festations sont si nombreuses dans l'estuaire de l'Amazone 1).

De nos jours, le retrait de la côte paraît continuer dans

cette région. Il est vrai que, d'après le South America Pilot,

à l'embouchure du Rio Para le sol est en voie d'exhausse­

ment par suite des dépôts de sédiments ; la carte marine

anglaise n° 2186 (small corrections II, 1899) donne l'aver­

tissement suivant au sujet de cette partie de la côte : « From

the incomplete nature of the original survey, and from the

great changes that take place on a cost of this nature, the

details of this chart cannot be now regarded as trustworthy ».

Toutefois, l 'accroissement de la terre ferme près du Rio

Para doit être considéré comme une exception ; c'est ce

qu'on peut déduire des données suivantes, fournies par

Suess 2 ) :

« Cette lutte entre l'eau salée et la terre se poursuit

à travers tout un réseau de canaux et de lagunes, depuis

Para jusqu'au Maranhão. Lorsque D a Silva Coutinho visita

l ) Il faut reconnaître que de telles jonctions ont aussi de l'importance

comme canaux de dérivation — anciens ou actuels — des eaux de crue. 2) Suess, 1. c , II, pp. 788 et 789.

36

Page 45: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 37 —

cette contrée en 1867, il constata que deux phares qui

trente ans auparavant se trouvaient à 500 mètres de la

mer étaient baignés par les flots. La marée, qui pénètre

avec une force irrésistible dans les embouchures du fleuve

et de ses divers bras, empiète perpétuellement sur les rives.

Les animaux marins s'établissent dans des stations précé­

demment occupées par l'eau douce, et de longues lignes

de palétuviers s'avancent vers la terre ferme, tandis que

la flore terrestre proprement dite recule. »

Le niveau de l'Amazone varie suivant deux périodes

de six mois environ ; le fleuve monte de novembre à avril

et décroît de mai à octobre l ) ; ce phénomène est en con­

cordance avec la répartition mensuelle de la chute de pluies

dont nous avons déjà donné le tableau. La différence de

niveau entre les hautes et les basses eaux peut être de 9 à

15 mètres. Les rives étant très basses, le flot recouvre de

vastes espaces de janvier à mai ; la zone d'inondation s'étend

sur les deux rives du fleuve, et la masse énorme de limon

qui est déversée dans l'océan est susceptible de teinter les

eaux de l'océan jusqu'à 100 kilomètres de l'embouchure.

A cette époque régnent de forts vents de l'est-nord-est et

du nord-est; la pression du vent arrête le flot du côté de

l'est et le rejette contre la rive occidentale de l'estuaire,

où il s'étend sur de vastes territoires. Les inondations sur

la rive orientale sont moins considérables parce que la

côte est quelque peu plus élevée. Les hautes eaux par­

viennent à l'océan où elles rencontrent le courant se diri-

1) Voici toutefois ce que dit A. de Lapparent, 1. c , page 663: En outre, grâce à la disposition en éventail du réseau hydrographique, les affluents de gauche compensent le déficit que le jeu des saisons impose aux affluents de droite. De cette manière, l'Amazone subit deux périodes de crues : l'une de mars à juillet, provenant des affluents méridionaux, l'autre de novembre à janvier, causée par ceux du Nord.

Page 46: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 38 —

géant vers le nord-ouest qu'elles déplacent un peu vers le

nord ; mais, à l'aide des vents du nord-est, les eaux char­

gées de vase sont poussées vers le Cap de Nord et autour

de l'île de Maraca ; puis elles cheminent le long de la

côte guyanaise. C'est là principalement que les matières

sédimentaires se déposent. Les Instructions nautiques fran­

çaises 1) décrivent très bien les effets mécaniques du trans­

port de ces débris durant la période des hautes eaux :

« L e fleuve charrie alors en abondance des débris de

végétaux, des arbres entiers et quelquefois des îles flot­

tantes arrachés à ses rives ; des bancs de vase molle for­

més par les débris qui sortent de ces rivières, s'étendent

dans quelques endroits à une distance considérable ; des

palétuviers croissent dessus rapidement dans la saison sèche

et sont ensuite arrachés par le courant violent et les marées

produites par les crues de la saison des pluies.»

c) Sur la rive gauche de l'Amazone, où les vagues

déferlent avec force, presque sous l'équateur, se trouve le

vieux fort de Macapa qui a joué dans l'histoire du présent

litige un rôle qui n'est pas sans importance.

En aval de Macapa, on atteint sous 1° 15' latitude nord

l'embouchure de l 'Araguary, un peu au nord de l'île Bai-

lique. Les parties ont discuté la question de savoir si l'Ara­

guary est, ou non, un affluent de l 'Amazone 2 ) . Au point de

vue géographique, il n'y a pas de difficulté à étendre l'em­

bouchure de l'Amazone jusqu'au Cap de Nord (continental).

Voici les motifs à l'appui :

1° On ne peut pas tirer un argument contraire de la configuration de l'ensemble de la côte, actuellement défor­mée par l'affaissement.

1) Nous citons d'après R . F . , page 184. 2 ) Vo i r ci-dessus page 10, chiffre 2; M. B . I, pp. 15 et suiv.; R . F .

pp. 5, 198-203; R . B . I, page 156.

Page 47: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 39 —

2° L'Amazone surpasse potentiellement l'Araguary sous

tous les rapports ; l 'Araguary d'ailleurs ne déverse pas ses

eaux directement dans la mer, mais les mêle aux flots

d'eau douce de l'Amazone qui passe devant son embou­

chure.

L'Araguary se jette dans le canal nord de l'Amazone

par une baie bien ouverte, large de 9 kilomètres environ ;

son cours inférieur, large et même majestueux d'après

Reclus 1 ) , s'allonge comme une continuation de l'estuaire,

mais la pororoca qui y sévit avec une extrême violence le

rend des plus dangereux. Toutefois les cartes marines

anglaises et françaises indiquent deux endroits pouvant servir

d'abri contre la violence du flot de marée, l'un à l'ouest de la

pointe nord de l'île Bailique, l'autre au nord-ouest de l'entrée

dans l'Araguary, sur la rive nord de celui-ci. L a pororoca

se fait sentir jusqu'à 90 kilomètres en amont. Au sud-ouest,

à 200 kilomètres de l'embouchure, ensuivant les nombreux

méandres du fleuve, on se heurte aux premières chutes,

à la Grande Pancada; jusque-là le fleuve est navigable pour

les embarcations ayant un tirant d'eau de moins de 2.70 mètres

et c'est jusqu'à ce point seulement qu'il avait été exploré

avant que l'expédition toute récente du capitaine brésilien

d'état-major Braga Cavalcante eût reconnu son cours supé­

rieur, qui peu en amont de la Grande Pancada ferait un coude

accentué ; sa source, située au nord-ouest, serait formée

de trois branches principales descendant des monts Tumuc-

Humac. Au-dessus de la Grande Pancada, le lit du fleuve

est obstrué par de nombreux barrages de rochers ; ce n'est

que dans le bassin supérieur que son cours paraît redevenir

plus tranquille. Il est à remarquer que Reclus 2 ) , (se basant

1) E. Reclus, Nouvelle géographie universelle, t. X I X , Paris, 1894. page 24

2) E. Reclus, 1. c.j page 14.

Page 48: Sentence du conseil fédéral Suisse

40

probablement sur Coudreau) dit que pendant la saison des

pluies les seuils de partage sont tellement incertains que

des étangs et laguets intermédiaires rattachent en lignes

d'eau continues les sources de l'Oyapoc, du Cachipour,

de l 'Araguary et du Yary . Il ressortirait de ce fait que

les lignes de partage des eaux offrent une grande incerti­

tude dans leur dessin ; Brousseau 1 ) suppose que Coudreau,

dans son exploration, n'a pas, comme il le croyait, décou­

vert les sources du Cachipour dans le voisinage de l'Oya­

poc, mais celles de l 'Araguary qui est le seul cours d'eau

important entre l'Oyapoc et le Yary.

A partir de l 'Araguary, dans la direction du nord,

jusqu'au Cap de Nord ou Cabo Ràzo do Norte s'étend une

zone littorale basse qu'aucun accident de relief n'interrompt ;

il s'agit ici du cap continental sous 1° 40 ' 10" de latitude

nord, en opposition au cap de l'île de Maraca. Peu élevé

au-dessus du pays environnant et couvert de forêts, le Cap

Razo do Norte s'avance dans la mer peu profonde ; la

pororoca fait de la grève entière un immense champ de

dévastation ; c'est un lieu redouté des navigateurs. Au

nord-ouest émergeait l'île de Japioca qui n'est plus aujour­

d'hui qu'un dangereux banc sous-marin 2 ) , témoignant de la

violence de l'action des forces océaniques en ce point. Plus

au nord-ouest encore se trouve l'île plate de Maraca, ex­

posée de tous côtés aux assauts de la pororoca. L e point

le plus septentrional de l'île est le promontoire sous 2° 15' N,

1) L e Tour du Monde, numéro du 16 décembre 1899, page 590 2 ) D r E. A. Göldi, Eine Naturforscherfahrt nach dem Litoral des

südlichen Guyana zwischen Oyapock und Amazonenstrom, im Bericht über die Thatigkeit der St . Gallischen Naturwissenschaftlichen Gesell-schatt wahrend des Vereinsjahres 1896—1897, page 188; l'article se trouve aussi dans Dr A . Petermanns Mitteilungen, 43. Band, 1897.

Page 49: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 41 —

appelé aujourd'hui Vieux Cap de Nord; le Brésil le tient

pour l'ancien Cabo do Norte des Portugais.

Au sud-est, l'île de Maraca est séparée du continent

par le canal peu profond de Tourlouri; à la Punta Pelada

se trouve le passage le plus étroit, large de 1.5 kilomètre

à peine, puis s'ouvre le canal de Carapaporis vers le nord?

nord-ouest. La profondeur maximum du canal de Tourlouri

est de 4.5 mètres, tandis qu'au nord de la Punta Pelada le

canal de Carapaporis présente des fonds de 20 à 22 mètres 1) ;

cette profondeur diminue à mesure que le canal s'élargit

vers le nord. Sans vouloir rechercher l'origine de ce

chenal sous-marin, dont l'existence serait d'après Reclus 2 )

en relation avec celle d'un ancien bras nord de l'Araguary,

il y a lieu d'observer, que, s'il existe encore, il le doit sans

doute aux courants de marée qui, atteignant sur ce point une

extrême violence, arrivent momentanément, grâce à l'étran­

glement transversal près de la Punta Pelada, à une vitesse et

une puissance extraordinaires et balaient du sol sous-marin

tous les sédiments. L a carte marine de Mouchez, n° 2729, édi­

tion de 1896, indique qu'à l'époque des syzygies la plus grande

montée de l'eau est de 10 à 12 mètres et la vitesse maximum

de 18 à 22 kilomètres à l'heure, mais seulement durant très

peu d'instants. Le flot de marée a ici une direction sud-ouest-

nord-est; il ne mesure que 2 à 3 mètres pendant les quadra­

tures. Seule la côte ouest de Maraca, près de la crique Cale­

basse qui coupe la partie nord de l'île, offre un abri contre

la pororoca, qui, dit-on, a perdu quelque peu de sa violence.

1) Voi r Annexes, planche n° 3. 2) E. Reclus, 1. c , page 28: « L e détroit de Maraca ou l'estuaire de

Carapaporis, ce bras de mer projeté entre l'île de Maraca et le continent et qui se distingue si nettement par sa protondeur de toutes les basses eaux environnantes, serait l'ancienne bouche de l'Araguari, à peine déformée depuis le temps où le fleuve se rejeta vers l'est.»

Page 50: Sentence du conseil fédéral Suisse

11 est à rappeler en passant que Göldi 1) conteste la

forme donnée par Coudreau 2 ) à l'île de Maraca et au canal

de Carapaporis; en effet, l'exactitude de ce dessin qu'aucune

carte marine officielle récente n'a adopté né paraît pas

incontestable.

La côte se prolonge ensuite dans une direction assez

uniforme vers le nord-nord-ouest. Elle manque de bons

ports. Tous les havres sont des embouchures de cours

d'eau, mais, dans le contesté, ces bouches fluviales sont loin

de posséder des formes stables par suite de l'abondant

apport de vase qu'amènent les eaux courantes dans leur

cours inférieur et qui se dépose le long des rives. Pendant

la saison des pluies, les hautes eaux sont très chargées

de sédiments, mais la puissance de leur courant est elle-

même augmentée et suffit souvent pour rejeter la vase hors

des embouchures, creusant ainsi du même coup les canaux

d'écoulement. Ces canaux n'en seraient pas moins comblés

depuis longtemps, si la marée ne travaillait sans cesse à

les maintenir. Les matériaux entraînés hors des embou­

chures forment, parfois jusqu'à 10 et même 20 kilomètres

au large, de vastes bancs latéraux qui, suivant les circons­

tances, peuvent prendre de la consistance avant que les

courants de marée ne réussissent à les détruire ; ensuite

ils finissent par constituer des formes durables de la région

littorale. Les petits cours d'eau côtiers sont sous la dépen­

dance presque absolue des marées. Elles en règlent l'écou­

lement, et par suite le débit; elles déterminent les modifi­

cations incessantes du dessin des rivages, au sujet desquelles

les Instructions nautiques françaises s'expriment ainsi : « Les

1) Dr E. A. Göldi, 1. c , pp. 152-153. 2) H. Coudreau, Dix ans de Guyane. Bulletin de la Société de

Géographie, année 1891. Carte de la Guyane.

4 2

Page 51: Sentence du conseil fédéral Suisse

4 3

déplacements sont si rapides que les cartes ne peuvent être

tenues au courant, malgré les efforts faits dans cette vue 1 ) . »

Pour donner une idée de la profondeur de la mer près

des rives, il faut rappeler la situation de l'isobathe de 10

mètres qui cependant, fait essentiel à noter, est déjà en

dehors de la zone à configuration changeante. D'après la

carte marine française de Mouchez, n° 2729, édition de 1896,

à l'est de Maraca l'isobathe de 10 mètres est à 100 kilo­

mètres de la côte, au nord de Maraca encore à 20 kilo­

mètres, puis elle se rapproche et près du Counani court à

une distance de 9 kilomètres environ du rivage ; plus au

nord, vers le Cap d'Orange et vers Cayenne, elle se tient

jusqu'à 30 kilomètres du bord.

L'aspect des côtes est caractérisé principalement par

la végétation particulière qui les recouvre. D'après Göldi 2 ) ,

c'est la forêt de sirioubas (Avicennia) qui donne à tout le

littoral guyanais sa physionomie propre. Les palétuviers

aux troncs élevés occupent aussi la bande comprise entre les

limites du flux et du reflux, bande qui est très large sur le

bas littoral ; à marée haute, ces arbres émergeant au-des­

sus de l'eau donnent l'impression d'une côte noyée (costa

anegada), paysage tropical étrange, absolument nouveau

pour les premiers découvreurs du pays et dont la mention

figure, comme un souvenir durable dans les cartes du

Nouveau Monde. Dès 20 kilomètres de distance, le navi­

gateur voit la côte comme une bande vert-bleu qui tranche

sur l'horizon et se distingue de l'onde marine, jaunie par

les matières en suspension. Seules, les brèches que forment

les embouchures fluviales coupent cette ligne d'aspect mono­

tone; vus de plus près, les hauts palétuviers produisent,

1) D'après R. F . , page 185. 2) Dr E. A. Göldi, 1. c , page 102.

Page 52: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 4

dans leur ensemble, l'effet d'une curieuse muraille rayée

de traits verticaux. Ce tableau n'a rien d'agréable à l'oeil

et fatigue par son uniformité.

Dans le canal de Carapaporis se jette le fleuve du même

nom ; puis viennent dans la direction du nord les embou­

chures du Mapa, du Mayacaré et du Carsevenne. Entre

les deux premières, la carte n° 3 de la R. F. indique des

«falaises» de 15 à 20 mètres de hauteur; elles sont aussi

dessinées dans la carte marine française, n° 2720, édition

de 1896, mais on ne les trouve pas sur les cartes marines

anglaises, ni dans aucune instruction nautique, ni sur la

carte d'Azevedo de 1860, ni dans Coudreau.

L a première élévation qui, à partir de l'Amazone, inter­

rompt la longue côte uniformément plate, se trouve un peu au

sud de l'embouchure du Counani ; c'est le Mont Mayé,

(2° 56' lat. N.) aussi nommé Montagne de Counani. Quelque

faible que soit la hauteur de cette colline, qui, étant visible

à 16 milles de distance, peut mesurer 60 mètres au maxi­

mum, les Instructions nautiques françaises et le South Ame­

rica Pilot sont tout à fait d'accord pour la signaler comme

étant la position la plus reconnaissable de la côte, entre le

Cap de Nord et le Cap d'Orange, et un excellent point de

repère pour les marins. L e Mont Mayé est l'unique acci­

dent de terrain sur cette longue côte qui, plus au nord,

reprend son caractère uniforme. Toutefois le South Ame­

rica Pilot indique la côte située entre le Mont Mayé et le

Cap Cachipour (sous 3° 49' latitude nord) comme étant plus

haute que ce n'est le cas plus au sud. Au nord-ouest de ce

Cap se trouve l'embouchure du fleuve Cachipour, et, plus

au nord, par 4° 24' latitude nord, le Cap d'Orange. Dans

l'espace compris entre les deux caps, Coudreau et après

lui Reclus, 1. c , page 81, ainsi que l'atlas de Vivien de

Saint-Martin, indiquent près de la côte trois collines que Cou-

Page 53: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 5 —

dreau dit être hautes de 50 mètres; toutefois aucune carte

marine officielle ni aucune instruction nautique n'ont encore

confirmé cette indication. Est-il d'ailleurs possible que ces

collines, situées à 5 kilomètres environ du rivage et qui

doivent être visibles jusqu'à 27 kilomètres au large, aient

jusqu'ici échappé aux navigateurs? Il y a lieu de rappeler

à ce propos que la carte marine française, n° 2729, édition

de 1<S96, marque la courbe de 5 mètres à 10 kilomètres

environ du rivage, d'où l'on doit conclure que des sondages

ont été faits à cette distance de la côte.

Entre le Cap de Nord et le Cap d'Orange, les marées

sont moins fortes que plus au sud et, bien que le flux

puisse atteindre de 4 à 5 mètres, on n'y observe pas de

courant de marée comparable à la pororoca de la région

de l'Amazone et de l'île de Maraca.

A l'ouest du Cap d'Orange, qui portait aussi le nom

de Cap Cécil, s'ouvre un golfe en forme d'entonnoir, large

de 20 kilomètres ; c'est l'embouchure de l'Oyapoc. Si, venant

de l'est, on s'approche de ce point, on voit le Cap d'Orange

n'émerger que faiblement des terres basses; mais de ce

côté encore, il est facile à reconnaître, d'abord à cause de

la large brèche que l'embouchure de l'Oyapoc ouvre sur

la ligne côtière, puis des collines qui se dressent derrière

lui et forment un contraste remarquable avec l'horizontalité

du littoral. Ce sont, d'après le South America Pilot, deux

montagnes remarquables qui donnent à la contrée un aspect

nouveau et caractéristique. Elles se trouvent sur la rive

ouest de l'estuaire de l 'Oyapoc; la plus élevée est le Mont

d'Argent, qui se dresse en forme de coupole à la hauteur

de 100 mètres et qui reste visible jusqu'à 38 kilomètres

environ de distance; l'autre, située plus près du fond de

la baie, à environ 17 kilomètres au sud de la première,

s'appelle le Mont Lucas. C'est à cet endroit, à l'embou-

Page 54: Sentence du conseil fédéral Suisse

chure de l'Oyapoc, que la côte basse prend fin. Le pay­

sage change, des monts rocheux et arrondis se détachent,

qui, s'abaissant vers la mer, suivent Le littoral jusqu'au delà

de Cayenne, dans la direction du nord-ouest. La carte de

Coudreau indique dans la chaîne de collines, entre l'Oyapoc

et l'Approuague, le Mont Coumarouman, près de la côte.

A 22 kilomètres environ, à l'ouest-nord-ouest de la Montagne

d'Argent, s'élève, situé plus à l'intérieur, le Mont Carimaré 1),

sommité isolée, d'une configuration semblable à celle de

la Montagne d'Argent. La carte marine française n° 2729

l'indique comme visible à une distance de 36 milles, soit

67 kilomètres, ce qui lui donnerait une altitude approxi­

mative de 300 mètres. Il n'a pas été possible de rien trouver

qui confirme cette indication; en revanche, le West India

Pilot dit que, de la mer, on peut confondre cette montagne

avec la Montagne d'Argent.

Une série de cours d'eau de moindre importance se

jettent dans l'estuaire ensablé de l 'Oyapoc ; ce sont entre

autres, sur la rive orientale, l'Ouassa, dont l'affluent, le

Couroupi, est regardé par Coudreau comme la branche prin­

cipale ; sur la rive occidentale, tout près et au nord du Mont

Lucas, l'Ouanari. Au delà de l'Oyapoc, dans la direction

de l'ouest, on rencontre les cours d'eau suivants qui se

rendent directement à la mer : l'Approuague, l 'Oyack, le

Sinnamarie, la Mana, enfin, à la frontière ouest de la

Guyane française, le Maroni (5° 40' lat. N) ,

L'Oyapoc, qui à l'embouchure n'a guère que 6 mètres

de profondeur, même à l'époque des crues, roule à la. mer

des eaux assez rapides. Les petites embarcations peuvent le

remonter jusqu'à 65 kilomètres environ en amont du Mont

1) Coudreau, 1. c , carte de la Guyane, et l 'Atlas de Vivien de Saint-Martin le rapprochent beaucoup plus de l'Approuague.

— 46 —

Page 55: Sentence du conseil fédéral Suisse

47

d'Argent; il présente encore à cet endroit une largeur d'à peu près 650 mètres. Son cours supérieur, coupé de chutes et de rapides, n'est pas navigable. Tout un réseau étendu d'affluents, parmi lesquels le Camopi qui passa autrefois pour le cours principal, le Yaoué et le Yaroupi lui apportent leurs eaux, de gauche et de droite. Ses sources sont aux monts Tumuc-Humac ; d'après Coudreau, le Souanre serait le bras principal et la source proprement dite. Le cours [de l'Oyapoc a une direction générale du sud-ouest au nord-est.

d) Avant de décrire l'intérieur du territoire con­testé, il faut rappeler combien sont incertaines les données qu'on possède actuellement sur cette contrée. On ne doit utiliser qu'avec prudence celles de Coudreau qui a parcouru la Guyane pendant une dizaine d'années. Le Dr Göldi 1), ainsi que les Petermanns Mitteilungen 2 ) , ont vivement critiqué les résultats de ses explorations. Ses propres déclarations sont de nature à permettre aux géographes de former leur opinion 3 ) : «Je n'ai pu obtenir de déterminations astrono­miques d'une précision suffisante pour les faire entrer en ligne de compte.» Et ailleurs: « Les levés par terre ont été mesurés au podomètre et leurs directions ont été données approximativement d'après les renseignements des Indiens. »

Au point de vue géologique, le territoire guyanais est d'après A. de Lapparent 4 ) «divisé par l'Essequibo en deux parties: celle de l'Orient est une pénéplaine archéenne, tandis que le grès abonde dans la partie haute ou véné­zuélienne ». Il faut ajouter à cette donnée générale que la géo-

1) E. A. Göldi, 1. c , pp. 98-99; 111; 128-129; 155. 2) D r A. Petermanns Mitteilungen, 39. Band, 1893, Litteratur-

bericht, page 128. 3) H. Coudreau, 1. c., page 446. 4) A. de Lapparent, 1. c., page b61.

Page 56: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 8 —

logie du pays, comme sa géographie, n'est que très insuffi­samment connue. Toutefois Orville A. Derby 1) a donné de la vallée de l'Amazone une vue d'ensemble qui nous per­mettra de nous orienter. Suivant cet auteur, l'Amazone oc­cupe une vallée synclinale symétrique qui, dans l'ensemble, n'a pas subi de dislocations et dont les couches se trou­vent superposées dans un ordre qui n'a presque pas été troublé. Les plus anciennes, celles qui recouvrent le ter­rain archéen, datent de la période silurienne ; elles appartiennent au silurien inférieur et effleurent en Guyane jusqu'à une limite méridionale qui, partant d'à peu près 1° latitude nord sur la côte atlantique, va en ligne droite jusqu'aux environs du confluent du Rio Negro et du Rio Branco, par 2° latitude sud environ. Une ceinture de silurien supérieur fait suite à ce terrain, plus au sud, dans la direction de l'Amazone et probablement sur toute la lon­gueur de cet alignement, ceinture à laquelle succèdent des formations dévoniennes qui, par places, ont un grand développement. Ensuite, sur une étendue plus considérable, on rencontre les dépôts carbonifères, qui occupent la zone médiane du bassin; leur limite orientale se trouve pro­bablement dans le voisinage de l'embouchure du Parou. Dans la partie du bassin située au sud de l'Amazone, les conditions géologiques doivent être analogues; mais il n'y à pas lieu de s'occuper de cette région. On constate une lacune considérable dans les couches dont la formation est postérieure à celle des terrains paléozoïques ; on peut en déduire que, durant une longue période, le sol a été émergé et modelé par l'érosion et par l'accumulation des dépôts; les formations les plus anciennes après les précédentes -dépôts du bassin supérieur du Purus — datent de l'époque

1) Voir S u e s s , 1. c , I, pp. 679 et 680.

Page 57: Sentence du conseil fédéral Suisse

4 9 —

crétacée et permettent de conclure qu'alors le bassin de

l'Amazone fut un golfe limité par des roches paléozoïques.

Les bancs de grès de la partie inférieure du cours de

l'Amazone correspondent aux temps tertiaires ; c'est aux

époques tertiaire et quaternaire que le golfe a été comblé.

Le territoire de l'estuaire de l'Amazone et la zone conti­

nentale voisine se composent de terrains diluviens et allu-

viens. Au nord de la vallée paléozoïque de l'Amazone,

on trouve à la surface les roches silicatées cristallines,

c'est-à-dire le terrain archéen, sans revêtement postérieur,

et cela, selon toute apparence, jusqu'à la bande alluviale

de la côte. On peut se demander si l'on se trouve en pré­

sence d'un noyau solide primitif resté intact ou si ce noyau

a été recouvert par des roches sédimentaires anciennes

qui auraient disparu complètement par abrasion. On se

tromperait si l'on considérait le domaine du terrain

archéen comme étant d'une construction simple ; le croquis

géologique que Ch. Vélain a construit d'après les indications

de l'explorateur français D r J. Crevaux 1) montre que cette

architecture est passablement compliquée. Les données

certaines que l'on possède sont si rares qu'elles ne per­

mettent en aucune manière de s'en faire une idée exacte.

Autant qu'on peut l'affirmer, les roches qui occupent

la plus grande étendue sont la biotite et le gneiss amphi-

bolique, avec des intercalations de schiste et de quartzite,

orientées principalement dans la direction ouest-est. L e

granit, la diorite et le gneiss granitoïde sont parmi les

roches les moins abondantes 2 ) ; la présence de bandes de

1) Bulletin de la Société de Géographie, Paris 1885, carte annexe. 2) Dr Friedrich Katzer. Der strittige Golddistrikt von Brasilianisch-

Guyana. Österreichische Zeitschrift für Berg- und Hüttenwesen, X L V e

année, 1897, tirage à part, pp. 6 et suiv. 4

Page 58: Sentence du conseil fédéral Suisse

50

grünstein n'a pas été formellement constatée, mais divers

indices permettent d'en prévoir la découverte avec quelque

certitude.

L e contesté extérieur rentre exclusivement dans la

région archéenne, plissée et dénudée, qui forme un versant

faiblement ondulé, incliné vers l'océan, ou, en d'autres

termes, une pénéplaine. Mais sous l'influence de divers

facteurs, la contrée a subi des modifications, parfois essen­

tielles, qui lui ont imprimé ses traits caractéristiques. L a

limite où la pénéplaine passe dans la région recouverte

de terrains plus modernes est représentée par la ligne

reliant les premières chutes d'eau que l'on trouve en

remontant les rivières côtières. Partant de la Grande

Pancada, elle passe par les sources de l'Aporema, affluent

gauche de l 'Araguary, se dirige vers le cours inférieur de

l'Ouassa et aboutit à la première chute de l'Oyapoc, la

chute de Karwosoka (à 78 kilomètres environ de la

Montagne d'Argent). D'une manière générale, en amont

de cette limite s 'exerce l'action érosive des cours d'eau ;

au-dessous s'accomplit le travail d'alluvionnement. En

amont, le terrain monte par degrés, jusqu'aux sommets

peu élevés des chaînons orientaux des monts Tumuc-

Humac. Ce système de collines dont la plus élevée a 800

mètres et dont les chaînons orientaux mesurent 400 à 450

mètres, est la région des sources de l'Oyapoc, du Cachipour

et de l 'Araguary. Dans le voisinage de ces grands cours

d'eau prennent aussi leur source la plupart des rivières

côtières moins volumineuses, qui, les unes, coulent parallèle­

ment, en formant des méandres, tandis que les autres se

développent en lignes divergentes — disposition qui cons­

titue un trait distinctif des versants en pente continue.

D'après le « profil supposé » de Coudreau, deux degrés

accentués établissent une division dans la zone des hau-

Page 59: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 51

teurs ; l'un, aux premiers rapides des fleuves, est suivi d'un

large plateau, l'autre, qui lui succède en amont, sert à son

tour de passage à un plateau plus ou moins ondulé qui

finit aux monts Tumuc-Humac. La pénéplaine paraît donc

être interrompue par deux gradins qui ne constituent pas

chacun un escarpement unique et nettement délimité, mais

se présentent plutôt sous forme d'escaliers, d'échelons

reliant les plateaux entre eux. Ainsi s'explique la présence,

dans le cours supérieur des rivières, de nombreuses cata­

ractes qui, en seconde ligne, dépendent de la résistance

plus ou moins forte que le sous-sol oppose à l'action de l'eau.

En aval des dernières chutes, des terres basses et très plates

s'étendent jusqu'au rivage atlantique. L a pente est minime,

les rivières chargées de limon coulent paresseusement. Ce

n'est que lors du reflux que leurs eaux subissent un mou­

vement marqué, parfois violent, dans la zone soumise à l'in­

fluence de la marée. Aux basses eaux, mainte embouchure

peut, d'après le Dr Göldi 1 ) , être comparée à une véritable

mer de boue et ce n'est que grâce à l'action déblayante

de la marée que les canaux d'écoulement restent ouverts;

toutefois, cet écoulement n'est pas assuré. Si l'on se remet

en mémoire la configuration du littoral, les crues de l'Ama­

zone, la pororoca et avant tout les bancs de sable mouvants

qui bouchent souvent les rigoles d'écoulement, on com­

prendra que les eaux, ainsi arrêtées, doivent chercher sans

cesse de nouvelles voies vers la mer, si bien que l'intérieur

est couvert de bras fluviaux qui constituent un véritable

labyrinthe. Ainsi se créent sur de grandes étendues des

divagations fluviales, des ramifications et aussi par contre

des endiguements, d'où résulte la formation d'eaux sta­

gnantes, de marais et de lacs. C'est avant tout à l'époque

1) D r E. A. Göldi, 1. c , page 154 notamment.

Page 60: Sentence du conseil fédéral Suisse

5 2 —

des pluies que ces phénomènes atteignent leur plus grande

intensité; les sources et les rivières augmentent de volume,

tous les bassins, toutes les dépressions se remplissent d'eau

et de vase ; on conçoit que dans cette période, cet état

d'éparpillement des eaux en ramifications multiples qui s'en­

trecroisent, atteigne son plus fort développement. Ensuite,

le réseau fluvial subit une réduction, les lacs diminuent

d'étendue et au fur et à mesure la végétation s'étend. Le

tissu épais et feutré des plantes aquatiques peut aussi de­

venir la cause de l'obstruction d'anciens canaux, qui oblige

les eaux à s'ouvrir de nouvelles issues. On peut se repré­

senter cette masse de cours d'eau et de lacs aux conditions

changeantes et qui n'offre pas plus de stabilité et d'équi­

libre que le rivage maritime. Il n'est pas rare que les

dérivations du cours inférieur des rivières s'allongent pa­

rallèlement au littoral, c'est le courant côtier qui les

repousse vers le nord-ouest; mais les grands cours d'eau,

tels que l 'Araguary, l 'Oyapoc et l'Essequibo, doivent à leur

volume plus considérable de ne pas subir cette déviation

et de s'ouvrir un chemin direct vers la mer.

Ce réseau de lacs et de bras fluviaux, dont les sys­

tèmes principaux sont le Carapaporis, le Fréchal, le Tar -

tarougal-Mapa (Amapá), le Mayacaré, le Carsevenne, le

Counani et le Cachipour s'étend de l 'Araguary jusqu'à

ces deux dernières rivières. L a navigabilité de ces rivières

est très limitée; même leur cours inférieur ne peut porter

le plus souvent que de petites embarcations et cela à

l'heure du flux ; leur cours supérieur n'est accessible qu'aux

canots facilement transportables.

Au nombre des caractères typiques d'une pénéplaine,

c'est-à-dire d'une région autrefois montagneuse et dont il

ne reste que le noyau aplani, figurent des cours d'eau

à pente presque complètement régularisée. Dans le ter-

Page 61: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 5 3 —

ritoire contesté, la zone bordière de la pénéplaine offre

le phénomène inverse: des fleuves qui n'acquerront leur

profil d'équilibre que dans un avenir éloigné et qui

actuellement encore ont gardé leur puissance érosive et

continuent à déposer beaucoup de matériaux. Si l'ancien

état d'équilibre ne s'est pas maintenu, la cause en est à

une modification postérieurement intervenue dans le sens

vertical, dont témoignent les interruptions brusques de la

pente du sol. C'est à ce phénomène que les cours d'eau

jadis apaisés doivent d'avoir repris une activité nouvelle;

l'expansion lacustre représente le travail accompli jusqu'ici,

mais c'est un état transitoire et non définitif. Le réseau

des lacs doit forcément diminuer de plus en plus, car les

fleuves continuent à régulariser leur profil longitudinal.

Mais avant que leur œuvre soit achevée, il est possible

que les forces puissantes qui déterminent les mouvements

de la croûte terrestre aient créé une situation nouvelle.

Quant à la végétation, il est clair qu'elle dépend, d'une

manière générale, de la configuration du terrain et de

l'humidité. Dans la zone côtière se trouvent des forêts de

palétuviers et des prairies marécageuses. A l'intérieur

s'étend la forêt vierge, coupée de savanes ; ce sont tantôt

des prairies à piti, formées d'une espèce de papyrus dé­

passant la taille de l'homme, tantôt des prairies naturelles

analogues aux campos brésiliens. La forêt vierge atteint

son plein épanouissement surtout dans les basses terres

et sur les rives des fleuves ; presque partout, elle forme de

chaque côté de ceux-ci une bordure large d'un kilomètre

environ. Dans les territoires plus élevés au sous-sol cris­

tallin, la selve existe souvent, avec faible formation d'humus.

e) L e contesté intérieur est sous tous les rapports un

pays dont le mystère n'a pas encore été pénétré. On ne

connaît guère que ses approches et en partie le cours

Page 62: Sentence du conseil fédéral Suisse

des grands affluents de l'Amazone. La principale rivière

du contesté intérieur, le Rio Branco qui le ferme à l'ouest,

semble être appelée à prendre dans l'avenir une grande

importance comme voie de navigation entre la Guyane

anglaise et l'Amazone 1)• L a reconnaissance en a été faite

par les Portugais au siècle dernier déjà. Parmi les rares

voyageurs européens qui se sont risqués dans la contrée,

il faut citer le D r Crevaux, qui a descendu le Yary et le

Parou en 1877 et 1879, puis Coudreau qui a exploré la région

du haut Trombetas. Le cours inférieur de ces rivières a

été levé par des hydrographes brésiliens, en particulier

par Barbosa Rodrigues. Les immenses régions du contesté

intérieur sont presque entièrement couvertes d'épaisses et

impénétrables forêts vierges qu'entrecoupent des savanes;

c'est l'hylæa de la plaine amazonienne.

f) Quant à l'ethnographie, qui ne rentre pas dans le

cadre de cette étude 2), quelques brèves données suffiront.

Dans tout le contesté, la population est excessivement rare.

Les indigènes appartiennent aux trois grandes familles

indiennes, les Caraïbes, les Arawaks et les Tupis. Dans le

contesté extérieur, la population actuelle est, vraisembla­

blement, en majorité 3 ) d'origine brésilienne; à côté des

Brésiliens, on trouve des Portugais, des créoles français,

des métis indiens et des nègres. La proportion de ces

divers éléments n'est pas établie. Les peuplades indiennes

sont de plus en plus refoulées.

g) Les principales ressources sont l'élevage du gros

bétail dans les savanes ; les vastes forêts fournissent du

1) E. Reclus, 1. c , page 129. 2 ) Voi r R . F . , pp. 3, 4, 190, 191. 3 ) R . F . , pp. 186-191, conteste les données fournies par M. B . I, pp.

41-46, sur la population.

54

Page 63: Sentence du conseil fédéral Suisse

—- 5 5 —

caoutchouc et des bois utilisés dans l'industrie ; la pêche

est très fructueuse dans la région des lacs du Cap de Nord.

Avec la découverte de l'or, à partir de 1890, a commencé

pour le pays une ère nouvelle ; les territoires aurifères,

jusque là inhabités, ont soudain pris de la valeur, et au­

jourd'hui ils constituent le principal foyer d'attraction et

la source la plus importante de richesse. La zone d'exploi­

tation de l'or appartient à la région archéenne et embrasse

actuellement le district situé au nord-est du cours supérieur

de l'Araguary, jusqu'à la lisière des terres basses, c'est-

à-dire la région des sources du Jovisá, du Cachipour, du

Counani, du Carsevenne, de l'Amapá et du Tartarougal 1 ) .

2 .

Les frontières revendiquées par les Parties 2 ) .

Les deux parties ont soumis à l'arbitre une représen­

tation graphique des frontières qu'elles revendiquent, basée

sur les clauses du traité d'arbitrage du 10 avril 1897

(cartes nos 1 et 2 de M. B . I et cartes n o s 1 et 2 de R. F.) .

Touchant l'admissibilité de ces prétentions, seules les sti­

pulations du traité font loi; c'est selon cette règle qu'elles

doivent être examinées, il va de soi qu'il ne s'agit ici que

de la frontière dite intérieure, non de la frontière mari­

time ; suivant quelle sera la frontière maritime adoptée,

chacun des Etats présente des revendications différentes

quant à la frontière intérieure.

Il n'y a pas de points spéciaux à relever en ce qui

concerne le tracé que le Brésil donne de la frontière qu'il

1) D'après la carte du D r E. A. Göldi, 1. c. 2) Voi r pour ce chapitre la planche n° 1 des Annexes.

Page 64: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 5 6 —

réclame. C'est, d'après lui, le parallèle 2° 24' au nord de

l'équateur qui doit, à partir de l'Oyapoc jusqu'au point de

rencontre de la frontière hollandaise, séparer les posses­

sions françaises du territoire brésilien. Cette revendication

est claire, nettement indiquée et concorde avec l'article II

du traité d'arbitrage.

L'expression graphique que la France a donnée de ses

revendications n'a pas la même précision. D'après le texte

du traité, la France prétend que la limite intérieure doit

être la ligne qui, partant de la source principale du bras

principal de l 'Araguary, continue par l'ouest parallèlement

à l'Amazone jusqu'à la rencontre de la rive gauche du Rio

Branco. On peut concevoir la question comme un simple

problème de mathématique: étant donnés sur le même plan

un point fixe et une courbe, tracer par le point une ligne

parallèle à la courbe. On voit immédiatement qu'on peut

déplacer la courbe parallèlement à elle-même d'une foule

de manières différentes, tout en observant la condition que,

dans ces déplacements, l'un de ses points coïncide avec

le point donné. Toutes ces solutions sont acceptables, d'où

résulte que la prétention française a un caractère indéter­

miné et qu'en tout cas, elle a été formulée dans le traité d'ar­

bitrage d'une manière très insuffisante. Les cartes annexées

aux Mémoires des deux parties ont mis ce fait en pleine

lumière. Le Brésil 1) pour représenter graphiquement la

prétention de la France, déplace droit vers le nord la ligne

de l'Amazone jusqu'à ce qu'elle passe par la source de

l 'Araguary; ainsi la surface du contesté intérieur revendiqué

par la France serait réduite à un minimum. Il n'y aurait

là rien de contraire aux termes du compromis, si ce n'était

que la courbe tracée par le Brésil coupe à deux endroits

1) M. B . I, pp. 26-29.

Page 65: Sentence du conseil fédéral Suisse

57 -

un territoire étranger. On comprend difficilement pourquoi

le Brésil s'en est tenu à cette ligne frontière qu'il eût

suffi de déplacer de très peu pour remédier à ce défaut et

mettre le tracé à l'abri de toute critique. Dans sa Réplique 1),

la France discute cette construction qu'elle écarte 2 ) . Sa

carte n° 1 présente une rectification de la courbe qu'elle

trace dans l'éventualité admise par le Brésil. Cette ligne

correspond approximativement au territoire maximum qu'il

est possible d'embrasser par le déplacement de la courbe pa­

rallèlement à elle-même. Comme cette ligne frontière tracée

par la France est parallèle à l'Amazone, elle doit être consi­

dérée comme compatible avec le texte du traité d'arbitrage.

Toutefois l'argumentation par laquelle la R. P., pages

310-312, défend ce tracé ne peut être acceptée, parce

qu'elle n'est pas fondée sur le compromis. Cette construction

est l'une de celles qui peuvent être admises, mais force n'est

pas de considérer comme s'imposant le principe sur lequel

elle est établie. D'autre part, la R. F., page 384, dans son

explication relative à la carte n° 1 de R. F., déclare : « Ce

tracé (c'est-à-dire le tracé de la carte n° 1 de R. F. , rectifiant

celui de la carte n° 3 de M. B . I) ne représente nullement

la prétention française », cela parce que la France ne peut

accepter le dessin que les cartes brésiliennes fournissent

du cours de l'Araguary. Elle prétend qu'il ne peut pas

être fait état des données rapportées sur la position de la

source de l'Araguary par l'expédition de Braga Caval-

cante, entreprise sur l'ordre du gouvernement brésilien, et

ne se tient pas pour liée par les résultats de cette explo­

ration, qui ne lui ont pas été communiqués par le Brésil

lors de la conclusion du compromis. Elle considère le cours

1) R . F . , pp. 309 et suiv., 383 et suiv. 2 ) R. F., page 239.

Page 66: Sentence du conseil fédéral Suisse

58

supérieur de l 'Araguary, de la Grande Pancada jusqu'à la source du fleuve, comme non encore déterminé et adopte précisément cette chute comme point de départ de la frontière parallèle à l'Amazone. Elle insiste particulière­ment sur ce qu'elle a admis comme indubitable, selon l'état des connaissances géographiques acquises au moment de la signature du traité, que, d'une manière générale, l'Ara­guary supérieur venait de l'ouest, donnée qui est à la base du traité d'arbitrage. Par suite, dit-elle, l'Araguary ne peut servir de frontière que jusqu'au point où commence

- d'aval en amont son coude brusque vers le nord; c'est de là que devrait partir la frontière intérieure pour continuer dans la direction de l'ouest jusqu'au Rio Branco 1 ) .

En présence de la contradiction qui existe entre les opinions des parties au sujet du cours supérieur du haut Araguary, force est de partir de l'hypothèse que la source de l 'Araguary n'est pas encore connue.

Relativement au tracé de la frontière qu'elle reven­dique à partir de la Grande Pancada, la France s'exprime en ces termes 2 ) . «L'ar t ic le 2 dit que la ligne séparative continue par l'ouest parallèlement à la rivière des Ama­zones jusqu'à la rencontre de la rive gauche du Rio Branco. Or, si l'on continue la ligne jusqu'au bout parallèlement à la rivière des Amazones, on va aboutir au Rio Negro. Mais c'est au Rio Branco qu'elle doit arriver d'après le texte formel du compromis. Nous avons pensé nous con­former à l'esprit du traité d'arbitrage et tout concilier au prix d'un sacrifice territorial de notre part, en continuant la parallèle le long et à la même distance du Rio Negro, à partir du déversement de ce cours d'eau dans l'Ama-

1) Vo i r ci-dessus page 10, chiffre 2. 2) R . F . , page 388.

Page 67: Sentence du conseil fédéral Suisse

5 9

zone. » D'où il résulte que la frontière proposée par la France n'est pas compatible avec les clauses du traité d'arbitrage, selon lesquelles la frontière doit arriver au Rio Branco et non au Rio Negro; le sacrifice territorial que la France voudrait consentir en acceptant une parallèle au Rio Negro n'y saurait rien changer. La R. F., page 385, combattant la conception brésilienne de la prétention française insiste sur ce point: « La ligne réclamée Par nous, dit-elle, doit arriver à ce fleuve (le Rio Branco) sans subir d'interruption ; or l'on ne satisfait pas à cette condition». Mais cela s'applique aussi au projet français. En outre, la ligne que la France , dans sa carte n° 2, revendique comme frontière n'est pas du tout une parallèle à l'Amazone; c'est une courbe graphiquement simple, mais mathémati­quement très compliquée, dérivée de la « Ligne de M. de Castries tracée à 15 lieues portugaises de la rive gauche de l'Amazone et du Rio Negro» 1 ) , qui en soi ne répond pas aux exigences du traité. Car, par courbe parallèle, il faut entendre une courbe qui au moyen d'un simple déplace­ment, doit pouvoir coïncider entièrement avec la courbe primitive; une telle courbe parallèle ne saurait présenter ni les raccourcissements, ni les déformations qu'offre la « Ligne de M. de Castries » qu'il est impossible de faire coïncider avec l'Amazone. Dans ces conjonctures, l'arbitre a pensé devoir tracer lui-même la ligne représentant le maxi­mum de la revendication française. Il résulte du dessin des sinuosités de l'Amazone que le cas le plus favorable pour la France serait une parallèle passant à la fois par la Grande Pancada et l'embouchure du Rio Branco ; mais la construction d'une courbe répondant à ce cas est impossible.

l ) L'ordre royal, du 16 mai 1781, .sur lequel est basée la ligne de M. de Castries, ligure dans R. F . , pp. 153 et suiv.

Page 68: Sentence du conseil fédéral Suisse

6 0

L a solution qui s'en rapproche le plus devait donc être

considérée comme représentant le maximum de la revendi­

cation française.

il est devenu inutile de décrire cette construction, attendu

qu'elle est écartée par la nouvelle carte (carte rectificative

de la carte n° 2 de R. F.) que la France a produite en

date du 27 juillet 1900 et dans laquelle sont indiquées ses

prétentions définitives touchant la limite intérieure. La re­

vendication primitive s'en trouve sensiblement modifiée, ce

qui rend superflue toute réfutation de l'opinion exprimée

en ces termes dans la R. P., pages 13 et 14: « Nous deman­

dons effectivement une ligne qui continue parallèlement au

fleuve des Amazones. Ceci implique qu'elle ne peut pas

en être trop éloignée. Une parallèle, et particulièrement

une parallèle sinueuse, ne doit pas, vraisemblablement, et

ne pourrait pas, en fait, être tracée à une trop grande

distance de la ligne dont elle est appelée à reproduire les

détours. » La source de l 'Araguary sert de point de départ;

la France a voulu par là mettre sa frontière exactement

d'accord avec les stipulations du traité d'arbitrage. La nou­

velle ligne est conforme à la revendication exprimée dans

le compromis arbitral.

La modification principale que présente la carte recti­

ficative française au point de vue géographique consiste

dans l'adjonction du cours supérieur de l'Araguary. D'après

les indications du Brésil, la source de ce fleuve est située

par 2° 35' de latitude nord environ; d'après les indications

de la France, par 1° 20' de latitude nord environ ; la distance

de ces deux points est approximativement de 185 kilomètres.

Il n'est pas nécessaire d'examiner cette divergence, attendu

qu'il ne rentre pas dans la mission de l'arbitre de recher­

cher laquelle des deux données se rapproche le plus de

la vérité.

Page 69: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 61

11 n'y a pas d'observation à faire quant à la délimita­

tion septentrionale du territoire contesté par le parallèle

tracé à partir du point extrême — c'est-à-dire, sans doute,

le plus méridional — des montagnes de Acaray jusqu'au

Rio Branco.

Les frontières définitives réclamées par les deux parties

sont tracées sur la carte d'ensemble du territoire contesté

(Annexes, planche n° 1).

Page 70: Sentence du conseil fédéral Suisse

62 —

B. EXPOSÉ HISTORIQUE

I. L'Epoque antérieure au traité provisionnel du 4 mars 1700.

a) Aperçu historique général.

1.

Le Portugal et l'Espagne se prévalaient de diverses bulles des papes pour se considérer comme les deux seules puissances ayant des droits sur le nouveau monde.

A l'exemple du pape Nicolas V qui, en 1454, avait attribué à Alphonse V, roi de Portugal, tous les territoires qui, du Cap Non aux Indes, viendraient à être décou­verts par les Portugais, soit un immense empire oriental, Alexandre V I , immédiatement après les premières décou­vertes de Christophe Colomb, conféra au roi d'Espagne, par la bulle « Inter cetera» de 1493, la possession exclusive des terres sises à l'occident. Une ligne tirée du pôle nord au pôle sud (linea a polo arctico ad polum antarcticum), distante de 100 lieues à l'ouest des îles du Cap Vert , devait séparer le territoire portugais du territoire espagnol et il était défendu à quiconque sous peine d'excommunication, de mettre le pied sur les îles et les pays nouvellement découverts, même pour y faire le commerce.

Page 71: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 6 3 —

Portugais et Espagnols étaient bien d'accord pour

exclure toutes les autres puissances, mais leur entente se

trouva menacée par la bulle de 1493. Les Portugais se

tenaient pour lésés ; selon eux, la ligne tracée par le pape

se rapprochait trop de l'Afrique. L'Espagne se montra

accommodante et, en 1494, signa le traité de Tordesillas (Ca­

pitulacion de la particion del mar Océano), qui reculait de

270 lieues plus à l'ouest la ligne du pape (linea de demar­

cación, vulgairement «la raya», «la ra ie») ; la démarcation

se trouvait ainsi à 370 lieues à l'ouest des îles du Cap

Vert . Le pape approuva le traité en 1506 1 ) .

La nouvelle démarcation fut, toutefois, impuissante à

prévenir les conflits. Elle n'était tracée que sur le papier.

L e traité de Tordesillas stipulait, à la vérité, que des délé­

gués portugais et espagnols entreprendraient en commun

une expédition pour compter, vers l'ouest, les 370 lieues

partant des îles du Cap Ver t et fixeraient la frontière des

deux parties du monde attribuées à chacune des puis­

sances ; mais cette mensuration ne fut pas faite et la

délimitation resta à l'état de simple conception théorique.

Les Espagnols pouvaient s'en réclamer pour s'annexer tout

le territoire qui, du point frontière à la 370 e lieue, s'éten­

dait vers l'ouest à travers 1<S0 degrés de longitude. Or il

arriva qu'en 1521, une expédition espagnole, commandée par

Gonzalo Gomez de Espinosa, doubla au sud le continent

américain et, à travers l'Océan indien, parvint à Tidore,

une des Moluques. Les Portugais connaissaient ces îles

depuis plusieurs années, mais ils en avaient caché la

découverte. L'on vit alors chacune des puissances reven-

1) Voir le texte de la bulle de 1493 et du traité de Tordesillas dans K o c h - S c h ö l l , Histoire des traités de paix, Paris 1817, vol. III, pp. 229 et suiv., 235 et suiv. Conf. H. Harrisse, The diplomatie history of America, London, 1897,

Page 72: Sentence du conseil fédéral Suisse

6 4

cliquer les Moluquès, prétendant qu'elles rentraient dans la

partie du monde lui appartenant; tandis que les Portugais

s'attribuaient leurs 180 degrés vers l'est, à partir du point

frontière, à la 370 e lieue, les Espagnols comptaient les leurs

vers l'ouest. L e traité de Saragosse mit fin à la contestation

en 1529. L'Espagne renonça à toute prétention sur les Mo­

luquès, moyennant le paiement d'une certaine somme par

le Portugal et les deux puissances prirent comme frontière

théorique une ligne qui, à la distance de 297 ½ lieues à

l'est des Moluques (17 degrés de longitude), devait aller à

travers l'Océan indien du pôle nord au pôle sud.

Malgré cette délimitation, Philippe II s'empara en 1564,

au nom de l'Espagne, de l'archipel des Philippines. En

fait, la frontière de 1529 n'a donc pas été respectée ; mais

il devint inutile d'en discuter, la réunion du Portugal à l'Es­

pagne, qui, accomplie en 1580, dura soixante ans, ayant

suspendu tout conflit à ce sujet.

L e mode de démarcation inauguré par la bulle de

1493 avait donc, échoué dans l'Océan indien; qu'en était-il,

pour les terres d'Amérique, du côté de l'Océan atlantique?

Lors de la conclusion du traité de Tordesillas, on

ignorait qu'il existât un continent sud-américain et que les

terres brésiliennes s'étendissent aussi loin vers l'est, sinon

les Espagnols n'eussent pas cédé à si bon compte les 370

lieues aux Portugais.

Ce n'est qu'en 1498 que Christophe Colomb aborda à

l'embouchure de l'Orénoque; deux ans plus tard, Cabrai

ouvrit le Brésil à l'occupation portugaise et, dès 1508, les

Espagnols, en s'emparant de l'isthme de Panama, tenaient

la route qui par terre devait les conduire dans l'Amérique

du Sud.

En principe, les deux puissances maintenaient toujours

la démarcation de Tordesillas. Mais comme rien n'avait

Page 73: Sentence du conseil fédéral Suisse

été tenté d'un commun accord en vue de la fixer matériel­

lement, on ne pouvait tout au plus la concevoir que sous

une acception très générale: la partie la plus orientale de

l'Amérique du Sud appartient au Portugal, la partie plus à

l'ouest, à l'Espagne ; l'insécurité de la méthode apparaissait

toutes les fois qu'il s'agissait de tracer une frontière.

Aussi, la prise de possession s'effectua-t-elle, dans le

sud de l'Amérique, par l'occupation portugaise de l'est du

Brésil, tandis que les Espagnols pénétraient à l'ouest et au

nord. Entre les terres ainsi occupées s'étendait un pays,

encore inexploré, si vaste qu'aucun contact entre Portugais

et Espagnols n'était à craindre pendant bien des années.

Et c'est ce qui arriva, sauf sur deux points: Dès 1515, les

Espagnols apparurent à l'embouchure du L a Plata, sur la

rive orientale, et, au nord, sur la Tierra firma, Charles-

Quint concéda des terres, non seulement sur le littoral

du Vénézuéla, mais même sur l'Amazone, une fois, il est

vrai, avec la restriction formelle que « si la concession est

dans les limites de la démarcation de Sa Majesté »

Dans le cas particulier, la question des frontières se

posait en ces termes: En étendant ses possessions jusqu'au

L a Plata et jusqu'à l'Amazone, l'Espagne avait-elle dépassé

la démarcation de Tordesillas?

Durant la réunion des deux Couronnes, la question ne

fut pas soulevée; mais, dès que le Portugal eût reconquis

son indépendance (1640), elle fut reprise et atteignit toute

son acuité lors des conflits auxquels donna lieu la posses-

1) Il s'agit de la Capitulacion en faveur de Francisco de Orellana du 13 février 1544. L e passage que nous citons est emprunté à la tra­duction française de M. B . II, page 4 : «si elle est dans les limites de la démarcation de S a Majesté», dans l 'original: «siendo dentro de los limites de la demarcación de Su Majestad». R . F . , page 28, mentionne la Capitulacion, sans contester l'exactitude de la traduction.

65

Page 74: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 6 6 —

sion du La Plata. Sur la rive gauche de ce fleuve, les Por­tugais avaient fondé la colonie de San Sagramento que les Espagnols détruisirent. En 1681, les deux puissances con­vinrent de neutraliser provisoirement le territoire contesté, sur lequel elles conservaient l'une et l'autre une certaine juridiction 1); elles cherchèrent en outre à aplanir le conflit en appliquant la méthode de Tordesillas. Une commission mixte qui siégea en Estremadure, sur les bords du Caya, entreprit de compter et mesurer les lieues et les degrés sur les cartes, mais elle ne réussit pas à se mettre d'accord, ce qui fut dû surtout à la diversité des cartes, les Espa­gnols se servant de cartes hollandaises, les Portugais de la carte de Teixeira, ainsi qu'à l'incertitude où l'on était de savoir laquelle des îles du Cap Vert devait être le point de départ 2 ) .

Ici non plus la démarcation de Tordesillas ne put servir.

Lorsque la contestation dut être tranchée par le traité d'Utrecht, la sentence s'inspira, non de la méthode théorique de démarcation, mais de la situation politique générale : la rive nord du La Plata fut attribuée au Portugal; le Portugal avait été, durant la guerre de la succession d'Es­pagne, l'allié de l'Angleterre et l'Angleterre, à la fin de la lutte, était restée la puissance victorieuse.

La décision n'était toutefois pas définitive; les Espagnols n'en restèrent pas moins sur la rive nord du La Plata.

L e traité de paix de Madrid 3), conclu en 1750, inaugura une ère nouvelle : L e Portugal et l 'Espagne abandonnèrent

1) Koch-Schöll, 1. c , III , pp. 216 et 217. 2 ) Pour les détails, voir Koch-Schöll, 1. c., pp. 218 et suiv. 3) Vo i r le texte complet dans Koch-Schöll, 1. c , p. 273 et suiv. Pièces

justificatives,.n° V .

Page 75: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 67

solennellement la méthode des lignes, qui avait échoué

dans l'application, et adoptèrent une nouvelle règle aux fins

de déterminer les frontières dans l'Amérique du Sud.

Les deux puissances reconnaissent réciproquement que

«les conquêtes se sont augmentées avec doute et incerti­

tude, parce qu'on n'a pas vérifié jusqu'à présent les véri­

tables limites de ces domaines, ni le lieu où doit être fixée

la ligne divisoire qui devait être le principe inaltérable de

la démarcation de chaque couronne».

L e Portugal fit ensuite observer à l'Espagne qu'en

occupant les Philippines, elle avait incontestablement

dépassé la frontière qui lui avait été assignée dans l'Océan

Indien, et que cela étant, l'Espagne n'était pas fondée à

reprocher au Portugal ce qu'elle disait être des empié­

tements sur le territoire de la « démarcation espagnole »

dans l'Amérique du Sud, que le Portugal était plutôt en

droit de réclamer ailleurs une compensation des usurpa­

tions de l'Espagne.

A quoi l'Espagne répondait : « La Couronne de Portugal

a occupé les deux bords de la rivière des Amazones ou du

Marañon, en remontant à la source de la rivière Javari,

qui y entre par le bord austral. » En adoptant même la

mensuration la plus défavorable à l'Espagne, en calculant

370 lieues à partir des îles du Cap Vert, c'est à peine si

la ville de Para serait sur territoire portugais ; c'est pourquoi

tout le bassin des Amazones devrait en réalité appartenir

à l'Espagne.

Tenant compte de ces réclamations réciproques « et

reconnaissant les difficultés et doutes qui embarrasseraient

dans tous les temps cette dispute si on devait la terminer

par le moyen de la démarcation convenue à Tordesillas»,

l'Espagne et le Portugal conviennent d'abandonner le mode

de délimitation jusqu'alors adopté, « de mettre dans l'oubli

Page 76: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 6 8 —

et ne faire aucun usage de toutes les actions et droits qui

pourraient leur appartenir en vertu des traités de Torde-

sillas ».

Posant en principe le maintien de leurs possessions:

« que chaque partie reste avec ce qu'elle possède actuelle­

ment», les deux puissances arrêtent que le mode «principal

et essentiel» selon lequel il sera procédé aux délimitations

dans l'Amérique du Sud, consistera à s'en tenir à des lieux-

connus, non susceptibles d'être confondus avec d'autres

« comme sont la source et le cours des rivières et les

montagnes les plus remarquables ». Ce sont donc les cours

d'eau ou les bassins de cours d'eau marqués par des

chaînes de montagnes qui doivent servir de frontière.

En application de ce principe, les divers articles du

traité stipulent entre autres : Le bassin du L a Plata appar­

tient à l'Espagne. Du côté du Brésil portugais, il faut fixer

la frontière « en cherchant en ligne droite le plus haut et

les cimes des montagnes dont les revers descendent d'un

côté . . . et de l'autre côté . . . à la rivière de L a P la t a ;

de sorte que les sommets des montagnes servent de limites

aux domaines des deux couronnes ».

«Tous les revers des montagnes qui descendent audit

lac (Merim) ou à la grande rivière de Saint-Pierre appar­

tiendront à Portugal, et à la couronne d'Espagne ceux

qui descendent aux rivières qui vont se rendre dans celle

de L a Plata» (Art. 4).

E t plus loin, ce sont également des cours d'eau ou des bassins de cours d'eau délimités par des montagnes qui forment la frontière.

L e traité suit le même système pour l'Amazone. L e

bassin de ce fleuve appartient au Portugal, tout comme

celui du L a Plata à l 'Espagne «appartiendra à la cou­

ronne de Portugal tout ce qu'elle occupe sur le Marañon

»

Page 77: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 6 9

ou la rivière des Amazones, en remontant, et le terrain

des deux bords de cette rivière » (Art. 3).

En ce qui concerne la délimitation plus précise de ce

territoire du côté des possessions espagnoles, il est stipulé:

L a frontière « descendra le Gabari jusqu'à sa jonction à la

rivière des Amazones ou Marañon. Elle suivra le cours de

celle-ci jusqu'à l'embouchure la plus occidentale de l'Yapura,

qui s'y jette par le bord septentrional » (Art. 8).

« L a frontière continuera par le milieu de la rivière

Yapura, et par les autres rivières qui s'y joignent et qui

pour la plupart se dirigent au nord, jusqu'à rencontrer le

sommet de la chaîne de montagnes qui sépare la rivière

d'Orinocco de celle des Amazones ou Marañon, et suivra

par le sommet de ces montagnes, du côté de l'Orient,

jusqu'où s'étend le domaine de l'une ou l'autre couronne »

(Art. 9).

Donc, lorsqu'il s'agit du territoire de l'Amazone aussi,

la frontière est formée, soit par des cours d'eau, soit par

des chaînes de montagnes qui délimitent les bassins.

Substituant partout à la théorie des lignes une nouvelle

méthode, le traité adopte comme limites soit des cours

d'eau, sur lesquels alors les états limitrophes ont le droit

de libre navigation, soit des bassins de rivières, et dans ce

cas, ces bassins sont marqués par des chaînes de mon­

tagnes dont les eaux se jettent dans le fleuve principal ; la

libre navigation n'appartient qu'à une seule des parties

(Art. 18).

Quant au bassin de l'Amazone plus spécialement, il com­

prend — comme territoire portugais par conséquent — tout

le pays qui de la Cordillère frontière descend vers l'Ama­

zone entre ce fleuve et l'Orénoque : « Pour ce qui concerne

les sommets de la Cordillère, qui doivent servir de limites

entre la rivière des Amazones et l'Orinocco, ils appar-

Page 78: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 70 -

tiendront à l'Espagne, et tous ceux qui descendront à la rivière des Amazones ou Marañon, appartiendront au Portugal » (Art. 18).

L e traité de 1750 fut abrogé par une nouvelle con­vention de 1761; le traité de Paris, 1763, en changea les Clauses relatives au pays du L a Plata, cela au profit du Portugal; les traités de San Ildefonso et de Pardo, 1777 et 1778, furent, par contre, favorables à l 'Espagne, mais au cours de ces diverses négociations aucune des deux puissances ne songea à reprendre le système de démar­cation adopté a Tordesillas et l'on en resta aux principes établis en 1750.

2 .

Cependant, Espagnols et Portugais avaient depuis longtemps abandonné la théorie qui voulait exclure les tiers des terres transatlantiques.

L 'Espagne y avait renoncé formellement par un des traités de paix qui mirent fin à la guerre de trente ans, le traité de paix particulier qu'en 1648 elle conclut avec la République des Pays-Bas .

Quelques années auparavant, en 1640, le Portugal s'était de vive force séparé de l 'Espagne ; le gouverne­ment espagnol n'était pas disposé à intervenir en faveur du maintien des possessions portugaises ; il n'avait d'ail­leurs pas abandonné tout espoir de reconquérir le Por­tugal. L 'Espagne entendait garder sa liberté d'action vis-à-vis du Portugal, dont les intérêts n'étaient pas pour la préoccuper. Aussi se montra-t-elle [des plus accommo­dantes à l'égard des Pays-Bas dans le traité de 1648, confirmant la légitimité de toutes les conquêtes qu'ils avaient faites au détriment du Portugal durant la réunion

Page 79: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 71 —

1) Koch-Schöll, 1. c. I, page 167.

des deux Couronnes, dans les Indes occidentales et orien­

tales, sur les côtes de l'Amérique, de l'Afrique et de l'Asie ;

elle alla jusqu'à déclarer nulle la reprise par le Portugal

de certains territoires qu'il avait perdus dans le Brésil et

à reconnaître d'avance comme justifiées les conquêtes que

les Pays-Bas pourraient faire à l'avenir sur le Portugal en

Amérique et dans les Indes orientales 1 ) .

Onze ans plus tard, en 1659, l'Espagne conclut la paix

avec la France ; on retrouve dans le traité des Pyrénées la

préoccupation de reconquérir le Portugal; la France s'y

engageait à ne pas secourir à l'avenir le Portugal. Il y a

lieu de relever ici que la légitimité des actes de possession

que la France avait pu faire dans les Indes occidentales ne

fut pas reconnue comme cela avait été le cas à l'égard des

Pays-Bas, ce qui semble prouver qu'il n'y avait pas eu

occupation de territoires de par l'état.

Vrai est-il que, lors de la paix de 1661, consacrée par

le traité de 1669, les Portugais ont maintenu, envers les

Pays-Bas, leurs possessions dans le Brésil, mais ils ont en

revanche reconnu la légitimité des conquêtes hollandaises

dans les Indes orientales.

Dès le milieu du X V I I e siècle, l'Espagne et le Portugal

avaient donc renoncé à l'exclusion des tiers.

3.

Dans quelle mesure ces tiers s'étaient-ils soumis au

système d'exclusion et de démarcation adopté par l'Espagne

et le Portugal pour le nouveau monde?

Si l'on fait abstraction des expéditions dans les mers

septentrionales et sur les côtes nord-américaines qui ame-

Page 80: Sentence du conseil fédéral Suisse

72 —

nèrent l'expansion anglaise et française dans l'Amérique du

Nord, les puissances coloniales, à l'exception de l 'Espagne

et du Portugal, suivirent la politique que les lignes suivantes

vont résumer :

D'emblée, ce sont trois groupes qui viennent battre

en brèche le système hispano-portugais 1) : des huguenots

français, des Hollandais et des Anglais; ce sont de simples

particuliers et non pas des états. Ils naviguent sur les

mers interdites, font la course, pillent, se livrent à la contre­

bande sur les côtes qu'on veut leur fermer. Francis Drake

est le type de ces aventuriers, de ces « loups de mer » 2 ) ,

Drake qui, en 1577, réussit à faire le tour du monde à tra­

vers la démarcation tracée par l 'Espagne et le Portugal.

Après que Philippe II eut ouvertement attaqué l'An­

gleterre et qu'en 1588 l'Invincible Armada eût été détruite,

l 'Etat libre des Pays-Bas aussi bien que l'Angleterre péné­

trèrent comme états dans le monde hispano-portugais

donnant aux pays par eux conquis une organisation gou­

vernementale officielle.

Ce sont des gouvernements qui s'attaquent au com­

merce et aux colonies de l 'Espagne et du Portugal, alors

réunis en un seul état. En 1600, la Compagnie anglaise

des Indes orientales se constitue avec l'autorisation du

gouvernement qui lui accorde le monopole du commerce

au delà du cap et au delà du détroit de Magellan ; en 1602,

se crée la Compagnie hollandaise des Indes orientales,

1) M. F . I, pp. 150 et suiv. rappelle, au sujet de la démarcation, le mot de François Ier: «qu'on lui montrât l'article du testament d'Adam, qui avait partagé le monde entre les Espagnols et les Portugais et qui en avait exclu les França i s» .

2 ) Nom sous lequel on désigne communément ces navigateurs. Vo i r Green, Geschichte des englischen Volkes . (Traduction de E . Kirchner), Berl in 1889, vol. I, page 492.

Page 81: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 73 —

dotée de privilèges encore plus étendus. Elle jouit non seulement du monopole du commerce, mais encore de droits politiques qui l'autorisent à conduire, au nom de l'Etat des Pays-Bas, des négociations politiques et à organiser poli­tiquement les établissements dans l'Inde.

Pendant la première moitié du X V I I m c siècle, les Pays-Bas déployèrent une grande activité. En même temps que Hugo Grotius, dans son célèbre Mare liberum (1618), com­battait scientifiquement le système d'exclusion adopté par l'Espagne et le Portugal, ils continuèrent lorsque la guerre recommença (1621) à l'expiration de la trêve de douze ans conclue avec l'Espagne, non seulement leurs entreprises dans l'est, mais fondèrent encore dans cette même année 1628 une Compagnie des Indes occidentales autorisée à faire la course contre les Espagnols et les Portugais et à conquérir des terres en Amérique. Entre 1623 et 1638, près de 800 navires furent armés pour la course, qui s'em­parèrent de plus de 500 embarcations espagnoles et portu­gaises, d'une valeur de 90 millions de florins. L a conquête prit surtout le Brésil pour point de mire. En 1624 déjà, San Salvador est au pouvoir des Hollandais, qui durent toutefois abandonner leurs premières conquêtes; mais, en 1630, l'attaque fut reprise et continuée avec une si grande énergie, par le comte Maurice de Nassau notamment, qu'en 1640 toute la côte nord, de San Salvador vers l'embou­chure de l'Amazone, appartenait aux Hollandais. Un an après la séparation du Portugal et de l'Espagne (1640), un armistice fut conclu entre le Portugal et les Pays-Bas, sans toutefois que la guerre cessât dans les colonies où les Brésiliens relevant du Portugal réussirent peu à peu à l'emporter sur les Hollandais qu'en 1654 ils avaient com­plètement chassés du Brési l ; les traités de 1661 et 1669 consacrèrent diplomatiquement leur succès.

Page 82: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 74 —

Les Pays-Bas conservèrent quelques conquêtes qu'ils avaient faites en dehors du Brésil, dans les Indes occiden­tales : plusieurs îles du groupe des Petites Antilles, entre autres Curaçao et des établissements dans la Guyane, sur l'Essequibo (depuis 1627), sur le Berbice (depuis 1628), sur le Surinam (depuis 1634). Ce dernier établissement, aban­donné de nouveau par les Hollandais, avait été occupé en 1650 par les Anglais ; à la paix de Bréda (1667), il fut rendu aux Pays-Bas.

4.

En Angleterre, c'est Cromwell qui dirigea la politique coloniale vers les Indes orientales et occidentales. L 'acte de navigation de 1651 équivalait à une déclaration par laquelle l 'Angleterre proclamait son droit d'aller chercher elle-même tous les produits des colonies; partant du prin­cipe du Mare liberum et de l 'accès libre de toutes les côtes transatlantiques, la consécration de ce droit impliquait un développement actif des colonies et du commerce anglais au delà de l'Océan. Cromwell passa presqu'immédiatement à l'action. En 1655, il fit occuper la Jamaïque.

Par cela le gouvernement anglais mis la main sur l'ar­chipel des Antilles qui, pendant une génération, avait été au pouvoir de corsaires. Ce fut la fin de l'ère des flibus­tiers ou boucaniers. Des aventuriers anglais, auxquels vinrent se joindre des Français , appelés flibustiers à cause de la légèreté de leurs embarcations, faisaient métier de s'emparer des navires marchands espagnols qui passaient dans ces parages ; ils s'étaient créé des lieux de refuge et des établissements dans celles des Petites Antilles que les Espagnols avaient négligées ; en 1625, des aven­turiers anglais et français s'étaient installés à Saint-Chris-

Page 83: Sentence du conseil fédéral Suisse

7 5 —

tophe et s'étaient partagé l'île d'un commun accord, tandis que d'autres îles étaient occupées par des groupes de colons exclusivement anglais ou français. C'est ainsi qu'à l'exception des quelques petites îles rocheuses appartenant aux Hollandais, les Petites Antilles se trouvaient partagées entre des particuliers anglais et français ; une colonie d'émigrants français s'établit même dans l'une des Grandes Antilles, sur la côte nord de Saint-Domingue abandonnée par les Espagnols.

L a conquête de la Jamaïque par l'Etat, en 1655, vint modifier le système des prises de possession par des par­ticuliers. Et quand, cinq années plus tard, à l'avènement du Stuart Charles II, commença l'alliance étroite des sou­verains de France et d'Angleterre, les deux puissances disposèrent de ces propriétés particulières comme de pays appartenant à l'état et, par un acte de partage (1660), elles s'attribuèrent réciproquement les diverses îles ; la France eut la Martinique, la Guadeloupe, etc., l'Angleterre, les Bar­bades, Antigoa, etc.

C'est la première fois 'officiellement, la France faisait acte de possession dans les Indes occidentales.

5.

Jusque sous le règne de Louis X I V , la participation de l'état français à des entreprises coloniales, surtout sur le territoire de la démarcation hispano-portugaise, est presque nulle et se borne à l'octroi de concessions à quelques parti­culiers 1). D'abord s'ouvre une longue période durant laquelle

1) Heeren, Geschichte des europäischen Staatensystems und seine

Kolonien, I. Per., I. T., K. 3., page 149, résume l'histoire de ces entre­

prises en ces termes : « Sous Richelieu, les entreprises commerciales dans

Page 84: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 76 —

de simples colons français sont seuls à l'œuvre ; ce sont

en premier lieu, au X V I m e siècle, des huguenots émigrés

qui, fuyant la persécution, s'en sont allés chercher loin de

leur patrie un asile au delà des mers. L'entreprise du vice-

amiral Villegagnon 1 ) se classe au nombre de celles-là.

Villegagnon, grâce à l'appui de Coligny, trouve de

l'argent, deux navires, des soldats, « nobles aventuriers » et

quelque menu peuple ; il quitte la France en 1555, atteint

les côtes du Brésil à l'embouchure du Gambara et bâtit

sur une île le fort Coligny ; au début, dans une lettre à

Coligny, il vante la richesse du pays et réclame de «bons

théologiens de Genève ». Coligny lui en envoya qui avaient

été choisis par Calvin lui-même, avec un renfort de 290

hommes, plus quelques femmes et des enfants. Mais bien­

tôt les choses se gâtèrent ; des discussions théologiques,

des mécontentements, la sévérité de Villegagnon firent

qu'une partie des émigrants rentra bientôt en France .

Villegagnon les suivit de près « assez généralement

blâmé » et l'établissement qu'il avait créé ne tarda pas à

disparaître.

Une autre expédition particulière ayant le Brésil pour

but fut celle qu'en 1594 entreprit le capitaine Riffault avec

trois navires qu'il avait armés lui-même. A peine débarqué,

Riffault paraît avoir renoncé à continuer son entreprise ; il

rentra en France sur le seul navire qui lui restait, laissant au

Brésil un certain nombre de ses compagnons, parmi lesquels

Des Vaux . Ce sont eux qui fondèrent sur la Maranhâo un

les Indes orientales n'eurent pas de succès ; en revanche, des particuliers réussirent à s'établir dans plusieurs des îles des Indes occidentales, dont ils conservèrent la propriété. »

1) Voir Biographie universelle, vol. X L I X , article Villegagnon ; M. F . I, page 152; ci-dessous, page 191.

Page 85: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 77 —

établissement que les Portugais détruisirent peu après ;

les colons français furent tués ou chassés 1).

Les flibustiers français des Antilles constituent un

nouveau groupe de particuliers, dont l'entreprise, acte

d'initiative privée, n'a rien d'officiel. Il est vrai qu'un des

chefs de ces aventuriers, un gentilhomme normand du nom

d'Anambuc se fit autoriser par le gouvernement français,

qui lui conféra le titre de gouverneur de Saint-Christophe;

d'Anambuc décida, en 1626, le cardinal de Richelieu à

accorder à une compagnie que lui, d'Anambuc, avait fondée,

une concession pour les Indes occidentales en qualité de

société commerciale. Mais en 1630 déjà, survinrent les

Espagnols qui reprirent Saint-Christophe. Puis, les posses­

sions des flibustiers furent achetées par des particuliers ;

en 1650, un sieur Du Parquet en possédait une partie, en

1651, l'Ordre de Malte en acquit d'autres ; ces acquéreurs

se considéraient comme les maîtres souverains de leurs

possessions.

Sur ces entrefaites, intervint entre la France et l'An­

gleterre l'arrangement de 1660, qui répartit les îles entre

les deux puissances; c'est à ce moment que l'intervention

officielle de l'état français commence.

En 1664, Colbert acheta aux particuliers les îles dont

ils étaient propriétaires. îles qu'il incorpora au domaine de

l'état ; entre autres, il paya près d'un million de livres les

cinq possessions de l'Ordre de Malte.

Alors la France parut vouloir regagner tout d'un coup

le temps perdu et édifier à son tour l'œuvre à laquelle

l'Angleterre et surtout les Pays-Bas travaillaient depuis le

commencement du siècle ; dans la même année 1664, Col-

1) Conf. M. F. I, page 154, M. B . L, pp. 65 et 66. L e s mémoires de

1698 et 1699 traitent aussi de l'expédition de Riffault.

Page 86: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 78 —

bert fonda à la fois la Compagnie des Indes occidentales et la

Compagnie des Indes orientales en leur octroyant les privi­

lèges les plus étendus.

6.

L'intervention de la France en Guyane paraît se ratta­

cher à son acquisition des Antilles et à la création de la

Compagnie des Indes occidentales. Depuis longtemps des

Français avaient tenté d'y créer des établissements ; c'est

là un nouveau groupement d'entreprises privées dirigées

par des Français 1 ) :

Des marchands de Rouen, qui faisaient le commerce

des bois de teinture, fondèrent une société en 1626 2 ) et

envoyèrent en Guyane une colonie de 26 hommes sous la

direction du sieur de Chantail et du sieur de Chambaut,

son lieutenant ; les émigrants s'établirent sur les bords du

Sinnamarie. Ils furent suivis en 1630 par 50 hommes com­

mandés par le capitaine Legrand et en 1633 par 66 hommes

dont le chef était le capitaine Grégoire. L'entreprise fut

loin de prospérer, car en 1643 déjà il ne se trouvait plus

en Guyane que 17 Français 3 ) .

En 1633, des Normands fondèrent une nouvelle société

sous le nom de Compagnie du Cap de Nord; une conces­

sion royale octroya à cette Compagnie le monopole du com­

merce et de la navigation, de l'Orénoque jusqu'à l'Amazone;

l'entreprise n'eut pas de succès 4 ) .

1) Vo i r les «Mémoires» de 1688, 1698 et 1699, et aussi M. F . I, pp. 6 et suiv., M. B . I, pp. 99 et suiv.; infra, pp. 193 et suiv.

2 ) 1626 d'après le mémoire de 1688, 1624 d'après celui de 1698. 3 ) V o i r R . B . II, page 202, note 8. 4 ) D'après le mémoire de 1688 : « pour faire seuls le commerce et

la navigation de ces pays-là», d'après le mémoire de 1698: «pour faire seuls le commerce de ces pays ».

Page 87: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 7 9 —

Une autre compagnie, fondée à Rouen en 1640 par

Jacob Bontemps, envoya en 1643 Poncet de Brétigny comme

gouverneur à Cayenne avec 300 hommes. Cet essai de

colonisation échoua complètement, « la mauvaise conduite

de M. de Brétigny et la révolte des sauvages qui en fut

la suite causèrent seules la destruction de la colonie » l ) .

La concession qui avait été accordée à Bontemps fut

révoquée et, en 1651, l'abbé de l'Isle Marivault et le sieur

de Roy ville en obtinrent une qui comprenait « la Ter re

ferme du Cap de Nord en l'Amérique depuis la Riviere

des Amazones, icelle comprise, jusques à la Riviere d'Ore-

noque, icelle pareillement comprise » ; dans ce document,

Louis X I V constate l'échec des essais de colonisation

tentés jusqu'alors en cette contrée par des Français 2 ) .

Une expédition, forte de près de 500 hommes, s'embarqua

sur deux grands vaisseaux, qui abordèrent, le 29 septembre

1652, à Cayenne. La colonie ne put tenir, qu'une année

à peine. « Plus de 400 personnes avaient déjà péri et les

autres étaient réduits à la dernière extrémité, quand, le

11 décembre 1653, deux bâtiments, l'un hollandais et l'autre

anglais, parurent devant Cayenne. L e commandant de

ce dernier offrit au petit nombre de Français qui se

trouvaient dans le fort de Céperon, de les transporter à

Surinam, ce qu'ils acceptèrent avec la plus grande recon­

naissance 3)».

En 1663, la Compagnie du Cap de Nord disparaît 4).

M. B . 1, page 102, d'après H. Temaux-Compans, Notice historique

de la Guyane Française, Par is 1S43, page 47; R . B . II , page 205, note 14. 2 ) R . B . II, page 82, d'après les Lettres Patentes de Louis X I V , de

septembre 1651. 3 ) M. B . I, page 103, d'après H. Ternaux-Compans, 1. c , pp. 58-59);

conf. M. F . I, page 160, R. B . II, page 205, note 16, Silva 1, § 88. 4 ) M. F . I, page 161.

Page 88: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 80 —

Dès lors, le système de la colonisation par l'état fut

appliqué en Guyane aussi; Colbert en fit le plan et, en 1664,

le roi envoya à Cayenne un convoi composé d'environ

1200 laboureurs avec des forces militaires importantes. Un

fonctionnaire royal, Lefebvre de la Bar re , a le com­

mandement de l'expédition avec le titre de « gouverneur

et lieutenant-général pour le Roi en l'isle de Cayenne et

terre ferme de l'Amérique » ; il agit selon les instructions

de Colbert, adresse des rapports au gouvernement et reçoit

régulièrement des ordres directs du roi 1 ) .

L'entreprise, qui avait été jointe à la Compagnie des

Indes occidentales, eut à l'origine quelque prospérité ; les Hol­

landais furent chassés de Cayenne où fut fondée une colonie

française, mais à la longue, l'établissement périclita, car

après dix ans de durée, la Compagnie des Indes occiden­

tales, dont la situation n'avait fait qu'empirer, dut être dis­

soute en 1674,

En 1674, Cayenne tomba aux mains des Hollandais et

ne devint possession française stable qu'en 1676 2 ) .

7.

De cette étude générale découlent les résultats ci-après :

1. L 'Espagne et le Portugal, les deux puissances colo­

niales premières en date, sont forcés de reconnaître que la

méthode de démarcation suivant les lignes de 1403 et 1494

est impraticable ; ils s'efforcent d'y suppléer en partageant

les territoires de l'Amérique du Sud d'après les frontières

1) Let t res de Louis X I V , par Morelli, Par is 1760, vol. II , page 119. L e roi écrit en date du 27 mai 1665 : « A Monsieur de la Bar re , Lieute­nant-Général en Cayenne »: «Vous recevrez ci-joint mes ordres touchant la rivière du Maron et sur quelques autres points ; outre cela, vous verrez encore mes intentions par les dépêches du Sieur Colbert. »

2 ) M. B . II , page 206. Notes 17 et 18. Vo i r infra pp. 130 à 136.

Page 89: Sentence du conseil fédéral Suisse

naturelles des diverses contrées; rivières ou bassins de rivières servent de limites. Ces bassins sont bornés eux-mêmes par les versants des montagnes d'où les rivières descendent vers le cours d'eau principal.

2. L e bassin de l'Amazone appartient au Portugal. Les Espagnols n'ont pas revendiqué d'anciennes concessions de Charles-Quint ; en 1750, ils reconnaissent expressément la légitimité de la possession portugaise.

3. Les phases les plus importantes de l'intervention d'autres puissances dans l'empire colonial hispano-portu­gais sont :

a) Dès 1648, l'Espagne et le Portugal abandonnent le principe de l'exclusion des autres états.

b) Dès le début, des particidiers, au mépris de l'inter­diction, pénètrent dans l'empire colonial hispano-portugais ; ce sont des huguenots, des Hollandais, des Anglais.

c) Dès 1588, l'Angleterre et presqu'en même temps qu'elle la Hollande apparaissent, en qualité de puissances, dans les démarcations hispano-portugaises ; elles accordent à des compagnies le droit exclusif de conquérir et coloniser.

d) Du côté français, l'état n'intervient que depuis 1660 et surtout depuis 1664, avec les établissements coloniaux organisés par Colbert.

b) Actes de possession de l'Espagne et du Portugal et donations

faites par ces pays.

1.

Après qu'en 1498, Christophe Colomb eût découvert, près de Paria, le continent sud-américain, de nombreux navigateurs espagnols, pour la plupart anciens compagnons de Colomb, entreprirent de nouvelles explorations sur ce territoire.

6

81

Page 90: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 8 2 —

C'est ainsi qu'en 1499 Alonso de Hojeda arriva à Paria

avec Juan de la Cosa et Amerigo Vespucci. Partis « des

environs de l'équateur » »), ils avaient longé 200 lieues de

côte jusqu'à Paria, ayant par conséquent découvert 200

lieues du littoral de la Guyane, comptées de Paria dans la

direction du sud-est. En juin 1500, ils étaient de retour

dans leur patrie 2 ) .

Ce voyage précéda l'expédition de Vicente Yañez

Pinzón 3 ) , un marin expérimenté, originaire de Palos, qui

avait participé à la première grande découverte de

Colomb 4 ) ; son compatriote Diego de Lepe le suivit immé­

diatement. Au commencement de décembre 1499, Vicente

Yañez Pinzón partit de Palos avec 4 navires. Il aborda le

littoral sud-américain à un endroit qu'il appela Santa Maria

de la Consolacion et qu'il connut plus tard sous le nom

de Cap Saint-Augustin 5 ) . Il admit que cet endroit rentrait

dans la démarcation portugaise, calculant les 370 lieues et

1) Navarrete, Coleccion de los viages et descubrimientos que hicieron por mar los Españoles. Madrid, 1829, t. III , p. 5 et p. 167: « casi doscientas leguas desde de cercanias del ecuador ».

2 ) Ibidem, pp. 10 et 168. 3 ) T e l est intégralement le nom que donnent les pièces officielles espa­

gnoles (p. ex. la donation de 1501, M. B . II, page 2 ; l 'acte du 23 sep­tembre 1519, dans Navarrete, 1. c , III , page 145) ; on trouve aussi l'abré­viation, officielle, (donation de 1501) Vicente Yañez , ainsi que les variantes et abréviations que voici : Vicenti Añes Pinzon, Vicenti Añes, Vicenti-añes (voir les dépositions des témoins dans le procès de Colomb, Navarrete, 1. c , III, pp. 547 et suiv.). L a forme latine chez Petrus Martyr ab Angleria, De rebus Oceanicis et Orbo novo decades tres (édition de Bâ le de 1533) est : Vincentius Annez (Dec. II, lib. V I I , fol. 16 et lib. V I I I , fol. 39) et Vincentiagnes cognomento Pinzonus (ibid. Dec . I, lib. I X , fol. 20). Vo i r M. F . I, pp. 240 et 241.

4 ) Conf. l 'Exposé géographique. 6 ) R . B . I, page 25, conteste que le Cap Santa Maria de la Conso­

lacion et le Cap Saint-Augustin soient identiques.

Page 91: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 8 3 —

traçant la ligne frontière selon la méthode à laquelle, en 1495, Jaime Ferrer avait eu recours et que, par ordre du roi, tous les marins espagnols devaient appliquer 1 ) . Il dé­couvrit par conséquent le Brésil pour le roi de Portugal 2 ) . En effet, bien qu'on ne puisse pas fixer avec une certitude absolue la date de l'arrivée de Vicente Yañez Pinzón au Cap Santa Maria de la Consolacion, il est constant qu'il y atterrit près du 1 e r février 1500, donc plusieurs mois avant la découverte du Brésil par Cabrai 3 ) .

Vicente Yañez Pinzon, qui considérait le Cap Santa Maria de la Consolacion comme terre portugaise, n'a pu par conséquent faire là aucun acte de possession au nom du roi d'Espagne ; il s'en retourna, longea la côte et au

1) Voi r infra, page 90. 2 ) Dans sa déposition lors du procès de Colomb, Vicente Yañez

Pinzon en personne affirma (le 21 mars 1513) : « que descubrió desde

el cabo de Consolacion, que es en la parte de Portugal » (qu'il avait

découvert à partir du Cap Consolacion, qui est dans la partie (la dé­

marcation) du Portugal, Navarrete, 1. c. III, page 547) ; d'autres dépo­

sitions ont confirmé celle-là. Une communication de Pierre Martyr cor­

robore ces dires : « Intra jactam lineam (sc. Alexandri V I ) , licet negent

nonnulli, cadit ejus terrae cuspis saneti Augustini Caput appellata. Prop-

terea non licet Castellami figere pedem in ejus terrae initio. Regressus

ergo inde est Vicentius Annez... » (1. c. Dec. II, lib. VI I I , fol. 39). L a dona­

tion de 1501 (M. B . II, page 2) prouve que V . Y . Pinzon a donné à ce lieu

le nom de Santa Maria de la Consolacion. 3 ) L a relation italienne sur les Paesi novamente retrovati (Vicenza

1507, Milan 1508 et 1519) donne la date du 20 janvier 1500, Pierre Martyr

celle du 26 janvier. A supposer que, dans ce cas, selon l'usage d'alors, le

nom donné à la côte découverte ait été celui du saint du jour, la fête

de Marie, soit le 2 février, correspondrait le mieux à la dénomination

Santa Maria de la Consolacion ; ce serait donc au 2 février qu'il faudrait

fixer la découverte du Cap Santa Maria de la Consolacion et du Brésil

par conséquent. Voir Ruge, Die Entwickelung der Kartographie von

Amerika bis 1570, Gotha, 1893, page 9.

Cabrai est arrivé en vue des côtes du Brésil le 24 avril (d'après

Navarrete, 1. c. III, page 19, note).

Page 92: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 8 4 —

premier point où il atterrit, à Rostro hermoso, il prit possession au nom de son roi 1 ) . Pour marquer la prise de

possession, il planta des croix de bois. Dans la suite de

son expédition, il en érigea encore sur « plusieurs points

principaux » ; outre les croix de bois, il planta aussi des

« cruces de maderos » 2 ) .

1) L e Rostro hermoso ne coïncide pas avec le Cap Santa Maria de la Consolacion ; la capitulation de 1501 (M. B . II , page 3) dit : « desde la dicha punta de San ta Maria de la Consolacion seguiendo la costa fasta Rostro hermoso», «de la pointe Santa Maria de la Consolacion le long de la côte jusqu'à Rostro hermoso ». Dans leur déposition lors du procès de Colomb, plusieurs témoins ont décrit le débarquement à Rostro hermoso et l'occupation qui en eut lieu, notamment le médecin Garcia Hernández, qui était présent en qualité de notaire royal (escribano de S. A.) , disait entre autres : « pusieron nombre alli donde tocaron este dia Rostro-hermoso, el dia que la dicha tierra se descubrió », « ils don­nèrent à ce lieu un nom qui se rapportait au jour de Rostro hermoso où ledit pays fut découvert ». Il est probable que, par ce jour de Rostro hermoso (de la belle figure), on entendait le jour de Sancta facies, de veronikon ; les Ac ta Sanctorum (de Bollandus et Henschen) indiquent en effet le 4 février comme étant la fête de Sainte-Véronique. Ils citent un hymne qui commence ainsi : « Salve Sancta facies | Nostri Redemptoris In qua nitet species | Divini splendoris | .... O felix figura», etc. Hefele, dans Wetze r et W e l t e , Kirchenlexikon II, page 523, fait observer : « L e s savants du moyen âge ne parlent pas d'une Sainte-Véronique, c'est l 'image qu'ils nomment ainsi. » Puis après le Cap Santa Maria de la Consolacion du 2 février, on aurait le Rostro hermoso du 4 février. E n ce qui concerne la continuation du voyage, Harrisse (cité dans R . B . I, page 26) Diplomatic History of Amerika, page 113, suppose que ce fut le 25 mars, fête de l'Annonciation, qu'eût lieu la découverte de San ta Maria de la Mar Dulce, et da Silva attribue la dénomination du Cap de San Vincenz au fait qu'il fut découvert le 5 avril, fête de Saint-Vincent. (Silva II, page 391.)

S u r la carte de Juan de la Cosa le point d'atterrissage à Rostro her­moso est marqué d'une manière très apparente par un navire attaché au rivage.

2 ) A u dire du témoin Hernandez Calmenero : « en algunos princi­pales lugares hacian cruces en señal de posesion e poniendo otras cruces de maderos ». Navarrete, 1. c. III, page 551.

Page 93: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 8 5 —

Naviguant dans la direction du nord-ouest, Y . Y.

Pinzon arriva à la Mar-Dulce, l'embouchure du grand

fleuve, et au « pays (provincia) qui s'appelle Paricura » ; de

là, il longea la côte jusqu'au golfe de Paria. L e 23 juin,

il aborda à Saint-Domingue et fut de retour à Palos le

30 septembre.

Son expédition eut pour résultats principaux la décou­

verte d'un point du littoral du Brésil portugais et la prise

de possession, au nom de l'Espagne, de terres adjacentes.

V . Y . Pinzon fut donc le premier qui, sur cette côte, dis­

tingua entre territoire portugais et territoire espagnol. Le

premier endroit qu'il désigna formellement comme rentrant

dans la démarcation espagnole fut Rostro hermoso, à l'est

de l'embouchure de l'Amazone. Puis, il découvrit le grand

fleuve de Mar-Dulce.

Les diverses personnes qui prirent part à l'expédition

fixèrent de 600 à 800 lieues la longueur de la côte qui fut re­

connue du Cap Santa Maria de la Consolacion jusqu'à Paria ;

Vicente Yañez Pinzon estimait la distance à 600 lieues

C'est cette dernière donnée qu'admirent le roi Ferdinand

et la reine Isabelle dans l'acte qui le premier a rattaché une

conséquence politique à la nouvelle découverte. L a «Ca­

pitulación de Vicente Yañez», du 5 septembre 1501, dit

entre autres 2 ) :

1) D'après la « Real provision » en faveur de Vicente Yañez Pinzon et de ses neveux, du 5 décembre 1500, où il est dit d'eux qu'il ont rap­porté avoir découvert « seiscentas leguas de tierra firme » ; Navarrete, 1. c. III, page 82.

2 ) M. B . II, pp. 1 et suiv., donne le texte espagnol et une traduction française de la donation qui se trouve aux « Archivo de Indias » à Sévil le; Varnhagen dans le tome X X I I de la Revista do Instituto His­torico et Geographico do Brasi l et da Silva, 1. c. II, pp. 423 et suiv. et le tome X X X des Documentos ineditos de Indias ont publié la pièce. Nous reproduisons la traduction du mémoire du Brésil ; conf. M. F . I, p. 241.

Page 94: Sentence du conseil fédéral Suisse

8 6 —

« L e Roi et L a Reine. — L e contrat qui par notre ordre a été passé avec vous Vicente Yañez Pinzon au sujet des Iles et de la Te r re Fe rme que vous avez découvertes éta­blit ce qui suit :

«Premièrement, que, attendu que vous, le susdit V i ­cente Yañez Pinzon, domicilié au bourg de Palos, muni de notre permission et de nos pouvoirs, à vos frais et de votre gré, accompagné de plusieurs personnes, de vos parents et de vos amis, vous êtes allé faire des découvertes sur la Mer Océane, du côté des Indes, où à l'aide de Dieu Notre Seigneur, et par votre habileté, votre travail et vos efforts, vous avez découvert certaines îles et des terres continentales auxquelles vous avez donné les noms suivants: Santa Maria de la Consolación et Rostro hermoso ; et que de là vous avez longé la côte qui va vers le Nord-ouest jusqu'au grand fleuve que vous avez nommé Santa Maria de la Mar-Dulce, et, toujours vers le Nordouest, tout le long de la terre jusqu'au Cap de San Vicente ; et que pour découvrir et trouver ce même pays, étant à notre service, vous avez mis vos personnes en grand risque et danger... en rémunération de vos services et des dépenses et des pertes que vous avez eues par suite de ce voyage, vous, le susdit Vicente Yañez, aussi longtemps que ce sera notre volonté de maintenir cette gracieuseté, vous serez notre Capitaine et Gouverneur des susdites terres, ci-des­sus nommées, de la susdite pointe de Santa Maria de la Consolacion, le long de la côte, jusqu'à Rostro hermoso, et, de là, de toute la côte qui va au Nordouest jusqu'au susdit fleuve que vous a v e z nommé Santa Maria de la Mar-Dulce avec les îles qui se trouvent à l'embouchure du susdit fleuve qui s'appelle Marinatambalo lequel em­ploi et charge de Capitaine et Gouverneur vous pourrez tenir et exercer , et vous tiendrez et vous exercerez par

Page 95: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 87 —

vous même et par toute personne à laquelle vous aurez délégué vos pouvoirs » . . .

Il résulte de la donation royale ce qui suit :

1. Il est officiellement constaté que c'est Vicente Yañez Pinzon, le découvreur, qui a donné leur nom aux points principaux de la côte — Santa Maria de la Consolacion, Rostro hermoso, Santa Maria de la Mar-Dulce, Cap de San Vicente.

2. Le territoire dont V . Y . Pinzon est nommé « Capi­taine et Gouverneur » a pour frontières « la Pointe de Santa Maria de la Consolacion » vers le sud-est et « le fleuve Santa Maria de la Mar-Dulce » vers le nord-ouest. L a ca­pitainerie s'étend de l'endroit que Pinzon estimait être sur terre portugaise, c'est-à-dire de la frontière du Brésil por­tugais jusqu'au fleuve des Amazones.

3. Comme frontières du territoire que la donation qua­lifie de « territoire découvert » (« pour découvrir et trouver ce même pays »), sont mentionnés : Santa Maria de la Consolacion au sud-est et Cap de San Vicente au nord-ouest 1 ) .

De ces faits découlent les développements ci-après : 1. Les dénominations que Vicente Yañez Pinzon avait

données à divers points de la côte ne subsistèrent pas. L e nom de Santa Maria de la Consolacion disparaît, celui de Rostro hermoso se retrouve une fois encore lors du procès de Colomb dans les dépositions des témoins relatives au voyage de Vicente Yañez Pinzon ; un des témoins le rattache même par erreur à l'expédition de

1) L e fait que la donation ne prolonge, pas la côte découverte jusqu'à Paria peut être attribué à ce que Hojeda avait déjà découvert une partie du littoral devant Paria, de sorte que cette partie-là fut exclue du territoire découvert par V . Y . Pinzon. (Voir ci-dessus, page 81, note 1.)

Page 96: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 88

Diego de Lepe 1 ) . Au fleuve de la Mar-Dulce, l'autorité de

Pierre Martyr 2 ) fait qu'on substitue le Marañon, et les

témoins entendus dans le procès de Colomb se servent de

cette même dénomination 3 ) . L e nom de Cap de San Vicente

disparaît également.

Si la nomenclature adoptée par Pinzon ne s'est pas

imposée, cela est dû à ce que Diego de Lepe et lui ont

exploré la même région. Vicente Yañez Pinzon n'a précédé

Lepe que de quelques semaines, voire de quelques jours 4 ) ,

mais il ne revint à Palos que le 30 septembre ; Diego de

Lepe l'y avait devancé 5 ) . A cette époque, Juan de la Cosa

travaillait à sa carte des terres nouvellement découvertes

en Amérique (A. B I, n° 1) qu'il a dû terminer en octobre

1500 au plus tard, puisque c'est ce mois-là qu'il quitta le

domicile d'où la carte est datée. 6) Il pouvait donc mettre

1) Déposition de Luis de Val le , citée par Navarrete, 1. c. III , p. 554. De là aussi l'indication erronée reproduite par Navarrete lui-même (ibi­dem, page 23). *

S i la dénomination Rostro hermoso demeure sur les cartes, ce n'est que modifiée ; Rostro disparaît et de hermoso, on fait humos, par mégarde, sans doute. Vo i r ci-dessous, page 93.

2 ) Il dit 1. c. Dec . II, lib. I X , fol. 40 : « Maragnonum appellant hune fluvium incolae, adjacentes autem regiones Mariatambal, Camamorum et Paricoram » ; et il se sert de ce nom dans le rapport sur le voyage de Vicente Yañez Pinzon déjà : « in fluvium se inquiunt incidisse, nomine Maragnonium » (ibidem, Dec . I, lib. I X , fol. 21). On lit dans une lettre de Pier re Martyr, du 18 décembre 1513 : « Fluminis est nomen patrium Ma-ragnonus », Silva, I, page 441. Conf. M. B . I, pp. 47-50.

3) Navarrete, 1. c. III , pp. 553 et suiv. 4) D'après le compte-rendu du procès de Colomb (Navarrete, 1. c. I I I ,

p. 553) Lepe et ses compagnons ont donné à une baie située à l'est de l'embouchure de l 'Amazone le nom de Santa Jul ia ; d'après le calendrier d'Enciso, la fête de Santa Jul iana tombe sur le 10 février.

6) Navarrete, 1. c. I I I , pp. 23 et suiv. 6) Silva, II , page 384.

Page 97: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 8 9 —

à profit un plus grand nombre de données sur l'expédition de Lepe que sur le voyage de V . Y . Pinzon Pour la confection de sa carte, de la Cosa a subi en première ligne l'influence de Lepe, non celle de Pinzon. De même, on peut admettre que les indications de Lepe surtout ont servi de base à André Morales pour établir sa carte 2 ) .

Au dire de Pierre Martyr, ces deux cartes précisément étaient fort appréciées 3 ) .

Ainsi les premières cartes qui avaient acquis de la réputation ne tinrent pas suffisamment compte des décou­vertes de V . V. Pinzon.

Par ordonnance royale du 6 août 1508 4) il fut institué à Séville, auprès de la Casa de Contratacion de las Indias, fondée en 1503, un bureau cartographique central qui eut pour mandat d'établir une carte officielle — un « Padron real » — qui devait être tenue à jour ; la direction du service fut confiée à Amerigo Vespucci, qui reçut le titre de « Piloto-Mayor » ; Jean Diaz de Solis et Vicente Yañez Pinzon faisaient partie de la commission des pilotes royaux 5 ) qui l'assista. Cette situation permit à Pinzon de « faire insérer dans le

1) C'est vraisemblablement en suite des indications de V . Y . Pinzon

que figurent sur la carte la G. de St . MJa (Santa Maria de la Mar-Dulce),

ainsi que le P. fermoso (Rostro hermoso) et peut-être aussi la tierra de

S. Anbrosio. Conf. M. F . I, page 246, note 2. 2 ) Déposition d'André Morales lors du procès de Colomb, Navarrete,

1. c. III, page 552. 3) L . c , Dec. II, lib. X , fol. 40. Il parle de « navigatoria membrana »

des Castillans, qui croient savoir mesurer des contrées et des côtes, et

continue : « E x omnibus commendatiores servant, quos Joannes ille de la

Cossa, Fogedae comes... aediderat, et gubernator alius navium, nomine

Andreas Morales. » Conf. M. F . I, pp. 245, 246. 4 ) R . B . L, pp. 47 et suiv., donne un passage de cette ordonnance. 5 ) Voir la relation que donne de ces faits M. F . I, pp. 246-249, repro­

duite textuellement et approuvée par R . B . L, pp. 44 et suiv.

«

Page 98: Sentence du conseil fédéral Suisse

9 0

Padron real» des données qu'il rapportait de son voyage Et comme le « Padron » devait aussi assigner leur nom aux diverses localités, on peut admettre qu'il fut tenu compte des données fournies par Pinzon lorsqu'il s'est agi de fixer la nomenclature officielle ; alors même que les dénomina­tions qu'il avait adoptées n'ont pas été reprises, son nom n'en figure pas moins sur les cartes.

L e nom de son collègue Diaz de Solis avait été donné au L a Plata 2 ) , celui de Vicente Yañez Pinzon fut assigné à un fleuve de la côte qu'il avait découverte.

Les noms de la donation de 1501 ont disparu, mais, dans la carte officielle de 1536, la rivière de Vicente Pinçon fait son apparition sur la même partie de la côte où figu­rait le Cabo de San Vicente de la donation.

2. V . Y . Pinzon ne semble pas avoir jamais administré la capitainerie créée par la donation de 1501 et embrassant le territoire situé entre le fleuve Santa Maria de la Mar-Dulce et la Punta de Santa Maria de la Consolacion. En tout cas, le gouvernement espagnol de son côté ne l'a pas maintenue. Grâce au manque de précision des règles à appliquer, la démarcation du côté du Brésil portugais avança quelque temps toujours plus vers le nord-ouest de la capitainerie de V . Y. Pinzon. Déjà Pierre Martyr d'Angleria dit dans son ouvrage, qui n'a paru qu'en 1516, mais qui reproduit une série d'études antérieures, le De rébus Oceanicis et Orbo novo 3 ) , qu'on n'admettait pas sans conteste que le Cap Saint-Augustin appartînt à la démarcation portugaise.

1) Déposition de Pedro de Ledesma lors du procès de Colomb, citée d'après Harrisse, Discovery of North America, page 416, dans M. F . I, page 245, note 2.

2 ) M. F . I, page 248, note 2. 3 ) L . c , Dec . II, lib. V I I I , fol. 39 : «Intra jactam lineam, licet negent

nonnulli, cadit ejus terrae cuspis Sancti Augustini Caput appellata. »

Page 99: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 91

Voici d'où provenait cette incertitude: En 1495 déjà Jaime Ferrer avait, sur l'ordre du roi Ferdinand et de la reine Isabelle, tenté de mesurer les 370 lieues sur la map­pemonde et la carte ; c'était la première fois qu'on cher­chait à fixer matériellement la démarcation. D'après le calcul de Harrisse, la démarcation est à 75 lieues à l'est de Maranhão, à 10 lieues à l'ouest du Paranahyba, donc en tout cas à l'est de l'embouchure de l'Amazone. Or, à teneur d'une ordonnance royale, la démarcation devait figurer sur les cartes marines 1). Il a, par conséquent, fallu qu'elle servît de règle à V . Y . Pinzon, ainsi que nous en avons fait la remarque ci-dessus, page 82, quand il attribua son Cap de la Consolacion (Cap Saint-Augustin) au domaine portugais et qu'étant près de Rostro hermoso, il croyait se trouver dans la démarcation espagnole. L a concession de 1501 part de la même donnée.

En 1519, l'espagnol Enciso exposait dans la « Suma de geographia » 2 ) adressée à Charles-Quint : « Puisque Votre Altesse et le roi de Portugal se sont partagé le globe ter­restre et que la frontière, où commence la ligne de par­tage, est à 370 lieues à l'ouest de l'île Fuego, lieues qui prennent fin sur le continent indien entre le fleuve Maranõ qui se trouve au sud-ouest de l'île Fuego avec une incli-

1) Harrisse, The Diplomatie History of America, 1. c , pp. 91 et suiv. 2 ) Suma de geographia q trata de todas las partidas y provincias

del mundo : en especial del arte del marear : Juntam te con la esphera en romãce : con el regimieto del Sol del Norte ; nueuamente hecha. Con preuilegio real.

Fue impressa en la nobilissima muy leal ciudad de Seuilla por Jacobo Crôberger allemã en el año d' la encarnacion de nuestro senor de mil e quinientos dies nueue.

L e nom de l'auteur (Martin Fernãdez de Enciso) se trouve dans le privilège royal, daté de Saragosse, le 5 septembre 1518; au verso du titre. Conf. pour le surplus Harrisse, 1. c , pp. 103 et suiv.

Page 100: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 9 2 —

naison de près d'un quart vers le sud, et la Mar-Dulce, il faut que Vot re Altesse sache que de cette frontière proche de la Mar-Dulce, où le partage commence en conformité dit traité, il y a 2270 lieues jusqu'à Malaca ; et à 200 lieues au delà de Malaca est la frontière du lot du roi de Portugal, et sur cette frontière se trouve l'embouchure du Gange et à l'embouchure du Gange commence le lot de Vot re Altesse, qui commence au Gange.... » 1 ) .

Enciso place par conséquent la ligne de démarcation entre « Marañon et Mar-Dulce » et « à proximité de la Mar-Dulce». Cela impliquait un déplacement important en fa­veur du Portugal ; Enciso en effet évalue lui-même la dis­tance entre le Cap Saint-Augustin jusqu'au Marañon à 300 lieues (il compte 16 2/3 lieues pour un degré) et la dis­tance entre le Marañon jusqu'à la Mar Dulce à 25 lieues 2 ) .

Au congrès cosmographique de Badajoz et Elvas en 1524, à cette « Junta de la Raya » (Commission chargée de fixer la frontière) qui avait pour mandat d'attribuer les Moniques à l'une des deux puissances, les délégués por-

1) « E porque Vuestra Alteza tiene fecha particiò del Vniverso con el Rey de Portugal y el limite de do comiëça la particion esta treziètas e settêta leguas al poniête de la isla del Fuego, las qles vã a star en la tierra firme de las Indias entre el rio Maraño q esta al Suoueste de la isla del Fuego : y algo inclinado a la quarta del Sur y entre la Mar Dulce : ha de saber Vrã Alteza que desde este limite q esta acerca de la Mar Dulce a do comiêça la particiò segun la capituladõ fasta a Malaca ay dos mil y seteciètas y setëta leguas se acaba el limite de lo del Rey-de Portugal, y al fin deste limite esta la boca del rio Ganjes, y en la boca del Ganjes comiëça lo de Vrã Alteza: lo q comiëça en el Ganjes...», ibidem verso du 2" feuillet de avj.

2) Ibidem feuillet guij verso ; l'indication du nombre de lieues com­prises dans un degré, au verso du 2 e feuillet de avj. Nous n'examinons pas ici la question de savoir si le Marañon d'Enciso est la baie de Ma-ranhào (comme l'admet Harrisse, 1. c , pp. 119 et suiv.) ou le bras du P a r a (selon da Silva, I, page 438).

Page 101: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 93 -

tugais déterminèrent la situation de la ligne de démarca­

tion à peu près comme l'avait fait l'espagnol Enciso en 1519.

D'après l'historien espagnol Herrera 1), les « Procureurs de

Portugal » établirent leurs indications cartographiques « en

posant la ligne de partage vers la partie Occidentale qui

passe par la bouche de la rivière Marañon et laissant

toute la bouche à la partie Orientale ».

L'Espagne de son côté s'appliquait alors à déplacer la

démarcation des Portugais encore plus à l'ouest que ne le

désirait le Portugal lui-même. Car les Espagnols visaient les

Moluques et pour repousser les prétentions portugaises du

côté de l'est, force leur était de chercher à arriver le plus

loin possible vers l'ouest avec les 180 degrés portugais,

c'est-à-dire qu'il leur fallait ajouter au domaine portugais

sur le littoral du sud de l'Amérique ce qu'ils en ôtaient à

l'est. C'est pourquoi ils demandaient qu'on comptât les

370 lieues des Portugais à partir de celle des Iles du Cap

Ver t située le plus à l'ouest, l'île de San Antonio, tandis

que les Portugais entendaient rester plus à l'est et compter

à partir de l'île de la Sal 2 ) .

Si les Portugais en appliquant leur propre mensuration

arrivaient au Marañon en partant de l'île de la Sal, ils

devaient en partant de San Antonio, selon le mode de

mensuration réclamé par l'Espagne, gagner au delà du

Marañon, vers le nord-ouest, encore plus de territoire ; en

d'autres termes, la démarcation se déplaçait davantage vers

le territoire au nord de l'Amazone. Toutefois, Fernand

Colomb, qui était un des délégués espagnols à la conférence,

déclara expressément qu'avec le système des mensurations

1) Cité par Silva, I, page 437. 2) Rapport des astronomes et pilotes espagnols, de 1524, dans Na-

varrete, 1. c. I V , pp. 343 et suiv.

Page 102: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 9 4 —

il était impossible d'arriver à fixer la démarcation et

qu'on n'aboutirait qu'au moyen d'une entente amiable « à

déterminer et figurer le commencement et la fin de ladite

démarcation »

L'entente n'intervint pas en 1524 et même le traité de

Saragosse de 1529 ne contient aucune clause relative à la

frontière de l'Amérique du Sud 2 ) .

Ce traité obligeait les Espagnols à abandonner les

Moluques aux Portugais ; aussi les premiers n'avaient-ils

plus aucun motif de céder aux seconds des terres dans

l'Amérique du Sud. E t c'est pourquoi le Padron real de

1536 (Chaves-Oviedo) déplace la frontière à l'est de l'Ama­

zone, vers le Cap Humos.

L e Padron real de 1536 adopte la démarcation de

Ferrer , de 1495, à laquelle s'était conformé Vicente Yañez

Pinzon et que consacrait probablement aussi le Padron real

de 1508. Pour V . Y. Pinzon, Rostro hermoso est le pre­

mier point marqué dans la démarcation espagnole, de même

pour Juan de la Cosa, où l'on lit P. fermoso (soit hermoso,

le f et le h ayant la même valeur). Dans le Padron real

de Chaves, le Cap Humos est le point-frontière. Comme la

démarcation de Chaves se reporte à l'ancienne démarcation,

que par conséquent la démarcation au Cap Humos provient

de la démarcation à Rostro hermoso ou P. hermoso, on

peut bien admettre que humos n'est qu'une altération qui

a pu facilement se produire : dans hermos(o), u est venu

remplacer er.

L a conférence de 1524 eut pour résultat que l 'Espagne

1) Rapport de Hernando Colon du 13 avril 1524 dans Navarrete, 1. c. I V , pp. 333 et suiv.

2 ) Vo i r le traité in extenso dans Navarrete, 1. c. I V , pp. 389 et suiv.

Page 103: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 9 5 —

ne s'opposa pas à ce que la démarcation fût déplacée vers

le nord-ouest.

Des donations faites par Charles-Quint à partir de

1524 prouvent que le gouvernement espagnol, dans ses déli­

mitations, ne dépassait plus, comme il l'avait fait en 1501,

le Marañon au sud 1 ) :

Le 20 mai 1530, Charles-Quint comme roi d'Espagne

fit à Diego de Ordaz une donation « avec les pouvoirs

nécessaires pour conquérir et peupler les terres qui se

trouvent dans le rio Marañon jusqu'au Cap de Vela, dans

le Gouvernement des Allemands, ce qui fait quelque deux

cents lieues ». Ce Gouvernement des Allemands est incon­

testablement le Vénézuéla qu'en 1528 Charles-Quint avait

donné en fief à la famille des Welser d'Augsbourg. Une

autre Lettre royale du même jour nomme Diego de Ordaz

capitaine général de ces mêmes pays. Et en 1552, Charles-

Quint autorise encore Jeronymo de Aguayo à « explorer

et peupler » les provinces qui s'étendent de l'embouchure

du « Rio de Orellana autrement nommé de Las Amazo­

nas » jusqu'à l'Orénoque.

Dans ces concessions de territoire vénézuélien jusqu'à

l'Orénoque, Charles-Quint posait comme règle que les

terres concédées se trouvaient sur le côté espagnol de la

limite de Tordesillas. Quand, en 1544, une de ces donations

comprit des terres au-delà de l'Amazone, il fit la réserve

que le concessionnaire, Francesco de Orellana, pouvait

occuper la rive de l'Amazone « si elle est dans les limites

de la démarcation de Sa Majesté » 2 ) .

Philippe II, à son tour, par une «Capitulación» de 1559

autorisa Diego de Vargas à occuper le « Rio Marañon ou

1) Voi r des passages de la donation dans M. B . II, pp. 3 et suiv. 2) M. B . II, page 4.

Page 104: Sentence du conseil fédéral Suisse

9 6

Nueva Andalucias » et, en 1568, il donna à Diego Hernandez

de Serpa l'autorisation « d'explorer et peupler la province

de Guyane et Cauria, laquelle formerait un gouvernement

et serait nommée la Nouvelle Andalousie », et dont les

frontières devaient être le bassin du cours inférieur de

l'Amazone et l'Orénoque 1).

Le Portugal n'attachait pas une grande importance à

la conquête de ces territoires, ni par conséquent à la

démarcation; il suivait la même ligne de conduite que les

délégués espagnols en 1524. D'une manière générale, le

gouvernement portugais ne s'occupait guère du Brésil,

abandonnant la colonisation à des particuliers auxquels il

concédait de vastes territoires. Il vouait presque toute sa

sollicitude à l'Inde orientale, réputée beaucoup plus riche 2 ) .

On rapporte toutefois que le Portugais Martim Alfonso

de Souza, faisant route de Lisbonne pour le Brésil, ren­

contra le 28 décembre 1530, aux Iles du Cap Ver t , deux

navires espagnols qui allaient au Marañon ; il leur enjoignit

de renoncer à ce voyage « attendu que ce fleuve appar­

tenait au roi son maître et se trouvait en dedans de sa

démarcation » 3 ) .

Lorsque Orellana s'occupait des préparatifs de son voyage de retour à l'Amazone, il demanda à Charles-Quint l'autorisation de prendre à son service des pilotes portu­gais, comme étant les seuls à connaître le pays ; il emmena en effet un pilote portugais 4 ) .

On relate aussi, d'après deux lettres écrites de Séville en date des 3 octobre et 20 novembre 1544, qu'aussitôt

1) M. B . II, pp. 5 et 6. 2) Schäfer, Geschichte von Portugal, III , pp. 359 et suiv. 3) Silva, I, page 443. 4 ) M. B . I, pp. 62 et suiv., d'après des lettres du 9 et du 30 mai 1544,

qui sont aux archives des Indes à Sévil le.

Page 105: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 97 —

après le retour d'Orellana en Europe, le roi de Portugal aurait fait préparer une expédition pour prendre posses­sion de l'Amazone l ) .

Le 11 novembre 1554, le Portugais Luiz de Mello da Silva fit naufrage près de Para ; c'est à lui que le roi Jean III aurait donné la capitainerie de Para, en vertu d'une concession de 1553 ou 1554 2 ) .

Quelque douteuse que soit la valeur de chacune de ces indications prises isolément 3 ) , il n'en résulte pas moins de l'ensemble de ces faits que de 1501 à 1529 la démarcation se déplaçait vers le nord-ouest, qu'en 1519, l'Espagne la considérait comme située entre le Marañon et la Mar-Dulce, qu'en 1524, les Portugais lui assignaient une position sem­blable et qu'ils furent la même année encouragés par les Espagnols à aller plus loin encore.

Jusqu'en 1529, la démarcation était toujours plus dépla­cée en avant, dans la direction du point du littoral où le « Padron real » de 1536 mettait le fleuve de Vicente Pinçon.

3. Quant au territoire découvert par Vicente Variez Pinzon, tel qu'il est décrit dans la donation de 1501, il res­tait acquis : que V . Y . Pinzon avait découvert le grand fleuve ainsi que le Brésil et qu'il avait le premier sur ce littoral séparé effectivement la démarcation portugaise de la démarcation espagnole.

1) L'exposé de Da Silva, auquel se réfèrent cette note et la précé­dente, aurait beaucoup plus de valeur s'il reproduisait des citations plus exactes; conf. Silva I, page 443; M. B . I, page 63.

2 ) M. B . II, page 5, note 2. L a concession, dont l'original n'existe plus, est mentionnée dans un rapport du «Procureur de la Couronne» de 1608. Conf. aussi M. B . I, pp. 63 et suiv.

8 ) R . F . , pp. 24-26, admet aussi que ces divers faits sont exacts, tout en disant, avec quelque exagération peut-être, que ce sont des « constata­tions négatives ».

7

Page 106: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 9 8

Lorsqu'en 1519, la famille Pinzon sollicita Charles-Quint de lui accorder des armoiries, un acte royal du 23 sep­tembre 1519 1) l'autorisa à prendre comme telles trois cara­velles naviguant sur la mer d'où sort une main qui montre le pays que les membres de la famille ont découvert 2 ) . A titre de motifs justifiant cette faveur, l'acte rappelle les services rendus par les membres de la famille, au nombre desquels Vicente Yañez est spécialement nommé. Entre autres « ils découvrirent six cents lieues de terres, le grand

fleuve et le Brésil » 3).

Dans son livre «De la natural hystoria de las Indias», de 1526, Oviedo dit du Marañon que c'est le fleuve à l'em­bouchure duquel la mer, à 40 lieues au large, a encore de l'eau douce, et il ajoute : « C'est ce que j ' a i souvent entendu dire au pilote Vicente Yañez Pinzon, qui a été le premier chrétien qui ait vu ce fleuve Marañon 4). »

Il répète cette information en 1548 dans son « Historia general y natural de las Indias » ; l'embouchure du fleuve portait auparavant le nom de Mar-Dulce, rappelle-t-il en s'appuyant sur l'autorité de Vincent Yañez Pinzon, « qui a découvert cette r i v i è r e . . . . et ce fut le premier Espagnol qui ait donné des nouvelles de ce grand fleuve et qui l'ait vu » 5 ) ; il relate entre autres : « il m'a raconté que, avec

1) Reproduit par Navarrete, 1. c. III, pp. 145 et suiv. (Documentos n° X L I V ) .

2 ) «tres carabelas al natural en la mar, é de cada una de ellas salga una mano mostrando la primera tierra que asi hallaron é descu­brieron. »

3 ) « descubrieron seicentas leguas de tierra-firme, é hallaron el gran rio y el Brasil.»

4) Silva I, page 441. 5 ) Voir le passage dans R. B. II, page 6 et plus loin page 11 ; Silva I.

page 442.

Page 107: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 9 9 —

quatre petites caravelles, il avait remonté le fleuve quinze ou vingt lieues en l'an 1500... »

Las Casas 1) relate dans son «Historia de las Indias», composée vers le milieu du X V I e siècle, comment Vicente Yañez Pinzon découvrit le promontoire qui s'appelle actuel­lement Saint-Augustin et que les Portugais nomment Pays du Brésil (tierra de Brasil).

Dans son ouvrage « De rebus Oceanicis et Orbe novo » 2 ) , paru en 1516, Pierre Martyr raconte qu'arrivé à ce cap Saint-Augustin, Pinzon revint en arrière parce que le cap rentrait « intra jactam lineam » et qu'il était défendu à tout castillan de mettre Je pied «in ejus terrse initio»... «Aussi Vicentius Annez s'en retourna-t-il, ayant appris des indi­gènes que de l'autre côté des hautes montagnes qu'il avait devant les yeux, dans la direction du sud, se trouvait la province de Ciamba, riche en mines d'or 3 ) . »

Dans le procès de Colomb, Vicente Yañez Pinzon put, par sa déposition du 21 mars 1513, établir une fois de plus: « qu'il avait découvert à partir du Cabo de Consolacion, qui est situé dans la démarcation (parte) du Portugal et s'ap­pelle maintenant Saint-Augustin » 4 ) ; ses compagnons at­testèrent dans ce procès que, de Rostro hermoso, Pinzon avait fait les premiers actes de possession pour l'Espagne, qu'il avait, pour marquer la frontière, érigé des croix de bois et de «maderos» 5 ) et que cet acte de possession, il

1) L . c , t. III, chap. C L X X X I I I , Edition Madrid 1875, pp. 448 et suiv. 2 ) L . c , Dec. II, lib. VIII, fol. 39 (ci-dessus page 89, note 3). 3 ) « Regressus ergo inde est Vicentius Annez, habito ab incolis,

quod Ciamba provincia ferax auro ad aliud latus montium altorum, quos

ante oculos habebant, ad meridiem jaceret. » 4) Navarrete, 1. c , I V , page 547, ci-dessus page 82, note 2. 5) Hernandez Colmenero : « este testigo vido como el dicho Vicente

Yañez hizo mujones de tierra, » Navarrete 1. c. III, page 548.

Page 108: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 100 —

l'avait encore accompli dans « plusieurs autres endroits

principaux ».

2 .

L a désignation d'un cours d'eau sous le nom de Vin­cent Pinçon, le déplacement de la démarcation dans la direction du nord-ouest, au delà de l'Amazone, le fait que l'on admettait que Vincent Pinçon avait contribué à fixer la frontière entre le Portugal et l 'Espagne, ont pu faire qu'on en est venu, en définitive, à l'idée que la frontière se trouvait au cours d'eau portant le nom de celui qui l'avait découvert, que la rivière de Vincent Pinçon était la rivière frontière entre l 'Espagne et le Portugal. Cette opinion est exprimée pour la première fois par le cosmographe por­tugais Pedro Nuñes qui fut professeur de mathématiques à l'université de Coïmbre de 1544 à 1562 1). L e mémoire français dit 2 ) : « Par une prétention dont le cosmographe Pedro Nuñez avait été le premier auteur responsable, la. rivière de Vincent Pinzon est revendiquée par cet ambi­tieux Portugais comme la limite occidentale du Brésil . »

L'« ambitieux Portugais » qui avait fait sienne l'opi­nion de Nuñez, était Gabriel Soarès de Souza qui publia en 1587 un « Itinéraire du Brésil » 3 ) . Il fait observer tou-

1) Conf. M. F . I, page 279, note 1; page 291, note 1. 2 ) M. F . I, page 279. 3 ) M. F . I, page 279, note 1, ci te: « Roteiro geral com largas infor-

macôes de toda a costa do Brazile descripção de muitos de sens lugares e em particolar de Baia de todos os Santos» , 1587: chap. 3, «dans lequel on indique où commence la côte de l 'Etat du Brés i l ». L e chapitre com­mence (d'après M. F . ibidem, page 299, note 1) par ces mots: « Mostrasse claramente segundo o que se contem neste capitolo atras que se começa a costa de Brazi l alem do Rio das Amazonas da banda de oeste pella terra que se diz dos Caribes do Rio de V t o Pinsom (!) que demora debaixo da linea. » L a traduction que nous donnons de ce passage est empruntée à M. F . , ibidem, dans le texte.

Page 109: Sentence du conseil fédéral Suisse

101

chant la frontière : « On a clairement montré dans le cha­

pitre précédent que la côte du Brésil commence au delà

du Rio des Amazones, sur la rive occidentale, à la terre

dénommée des Caribes du Rio de V'° Pinsom(!) qui reste

au-dessous de la ligne». Et il ajoute: «De cette rivière de

Vto Pinson à la pointe du fleuve des Amazones qu'on appelle

cap Corso, et qui est située sous la ligne équinoxiale, il y

a quinze lieues 1) ».

Après Gabriel Soarèz de Souza, Symão Estacio da

Sylveira mentionne la frontière du Vincent Pinçon. Dans

la «Relation sommaire des choses du Maranhão 2)», Sylveira

dit: «Le Maranhão est une très importante et vaste colo­

nie, s'étendant d'après la délimitation faite par S a Majesté,

depuis Ceará (qui se trouve par 3 degrés 1/3 du côté du

Sud) jusqu'à la dernière borne frontière du Brésil, par

2 degrés du côté du Nord; et dans cette étendue il y a

environ 400 lieues de littoral jusqu'au fleuve de Vicente

1) M. F . I, page 279. Du « Descobrimento do Brazil » (Bahia 1627) de F r . Vicente de Salvador, M. F . I, page 291, note 1, cite ce passage: « L e fameux cosmographe Pedro Nuñez dit que le territoire du Brésil relevant de la couronne de Portugal commence au delà de la pointe du Rio des Amazones dans la partie occidentale, au port de Vicente Pinso qui est situé par deux degrés nord de la ligne équinoctiale. »

Lopes de Velasco: « Geografía y descripcion universal de las Indias» (1571-1574) place le Rio de Vicente Pinzon par 2 3/4 degrés de latitude nord (R. B . II, page 13) et André Thevet : « Cosmographie universelle » (1575) indique le fleuve des Amazones comme situé par 2° 4 5 ' latitude méridionale, et dit: « à cinquante six lieues de ce fleuve, se trouve la riuiere de Vincent Pinçon » (R. B . II, page 16).

2 ) « Relaçào Sumaria das covsas de Maranhão escritta pello Capitão Symão Estacio da Sylveira Dirigida aos Pobres deste Reyno de Portugal. Em Lisboa Com todas as licenças necessarias. Por Geraldo da Vinha. Anno de 1624. » Nous citons d'après la réimpression de cet écrit parue dans les Memorias para a historia do extincto Estado do Maranhão . . . , Rio 1874, t. II, pp. 1—31.

Page 110: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 102

Variez Pinçon, où, dit-on, se trouve un pilier en marbre, aux armes de Portugal de notre côté et celles de Castille de l'autre, planté à cet endroit par ordre de S a Majesté Césarienne l 'Empereur Charles-Quint. A partir de ce point le littoral suit la direction E . 1/4 S. E . . . 1 )». Voilà, à côté de faits connus, des indications nouvelles : premièrement, sur l'ordre de Charles-Quint, il a été placé sur le bord du Vincent Pinçon une borne en marbre, avec les armes du Portugal d'un côté, les armes de Castille de l'autre, donc un véritable Padron — les documents produits ne permettent pas de rien établir au sujet de la provenance et de l'au­thenticité de cette information — ; secondement, la « con-quista » du Maranhão a été officiellement organisée.

jusqu'au commencement du X V I I e siècle, les écrivains portugais croyaient par conséquent que la frontière du Brésil portugais, au nord de l'Amazone, se trouvait au Vincent Pinçon.

L ' E s p a g n e n'avait, durant la réunion des deux Cou­ronnes, aucun motif de discuter ce point. L'écrivain espa­gnol Guadalaxara se rallia si bien à l'opinion des Portugais qu'il fit sienne, en partie textuellement, la note de Syl­veira sur la question dés frontières. Ce Marcos de Guada­laxara y Xavier , moine de l'ordre des carmes, a publié en 1630 un ouvrage intitulé «Cinquième Partie de l'Histoire

1) « O Maranhão he uma conquista muito grandiosa e dilatada, cuja governaçâo S u a Magestade tem demarcado desde o Ceará (que está em trez graos e um terco da parte do Sul) até o ultimo marco do Brazil que está em dous graós da banda do Norte : em que ha de costa perto de quatrocentas legoas até o Rio de Vicente Yañez Pinçon, onde dizem estar um padrão de marmore com as armas de Portugal desta Parte e as de Castella da outra, mandado alli fixar pela Cesarea Magestade do Imperador Carlos V , corre delle a costa a Leste quarta a Sueste . . . ».

Page 111: Sentence du conseil fédéral Suisse

103

Pontificale » 1 ) . Parlant des frontières, il dit: « . . . Quelques-uns de nos cosmographes l'appellent le grand Rio Marañon, en le délimitant à partir de Ceará, qui se trouve par 3 de­grés et 1/3 du côté du Sud, si l'on ne se trompe pas, jusqu'à la dernière borne frontière du Brésil par 2 degrés du côté du Nord, étendue dans laquelle il y a environ 400 lieues de littoral jusqu'au fleuve de Vicente Jañes Pinzon, où l'on assure qu'il y a d'un côté un pilier de marbre aux armes du Portugal et de l'autre côté un autre aux armes de Castille, planté par ordre de S a Majesté Césarienne Charles V 2)». Donc, jusqu'en 1630, les auteurs espagnols eux aussi admettaient que le Brésil portugais s'étendait jusqu'au Vincent Pinçon.

Guadalaxara pouvait en effet, en 1630, adopter sans scrupule la frontière que les auteurs portugais assignaient au Vincent Pinçon. Car le gouvernement espagnol s'était déjà placé sur le même terrain et avait consacré effec­tivement l'attribution au Brésil portugais des terres s'éten-dant jusqu'au Vincent Pinçon.

1) « Quinta Parte de la Historia Pontifical. A la Magestad Catolica de Don Felipe Quarto Rey de las Españas y Nuevo Mundo. Por F ray Marcos de Guadalaxara y Xavier, de la Orden de Nuestra Señora del Carmen de la Observancia de la Provincia de Aragon. Año 1630. Con licencia. Impresso en Barcelona. Por Sebastian de Carmellas. Y a su costa ».

2 ) Voi r ci-dessous, pp. 140 et suiv. en ce qui concerne l'erreur com­mise par Sylveira au sujet de la borne-frontière. « . . . Algunos de nostros cosmographos le llaman el gran rio Marañon, demarcandolo desde el Ceará que está en tres grados y un tercio de la parte del Sur, sino se. recibe engaño, hasta el ultimo marco del Brazil en dos grados de la banda del Norte, en que hay de costa cerca de quatrocientas leguas, hasta el rio de Vicente Jañes Pinzon, donde afirman que hay un padron de mármol con las armas de Portugal desta parte, y otro de la otra con las de Castilla que mandó fijar en él la Magestad Césarea de Carlos V . . . » (Le passage a été cité en 1855 déjà par le plénipotentiaire français, M. B . III, page 117).

Page 112: Sentence du conseil fédéral Suisse

1 0 4

3 .

Les terres données par Charles-Quint et Philippe II

allaient de l'Orénoque à l'Amazone. En 1601 et 1604 encore,

un gouverneur espagnol déclare que son autorité s'étend

sur le pays jusqu'à l'Amazone l ) , et bien que les deux Etats

fussent réunis en un seul, on est conduit à admettre, l'ad­

ministration espagnole étant restée distincte de l'adminis­

tration portugaise, qu'un tel gouverneur se considérait

comme fonctionnaire de son roi, le roi d'Espagne 2 ) .

Toutefois, il n'est pas allégué de fait qui implique un

véritable acte d'autorité de la part du gouvernement espa­

gnol ou la création d'une colonisation espagnole du terri­

toire de l'embouchure de l'Amazone.

A la fin du X V I e siècle et au commencement du X V I I e ,

l 'Espagne se trouvait d'ailleurs dans l'impossibilité de con­

sacrer de grandes forces à ce pays.

Pourtant, il était absolument nécessaire qu'elle fît de

sérieux efforts pour soutenir sa prétention.

Dès la fin du X V I e siècle, en effet, des Anglais, des

Hollandais et des Français cherchèrent à pénétrer dans ce

territoire et à s'y établir 3 ) . En 1594, des Français, sous le

commandement de Jacques Riffault, vinrent à Maranhão 4 )

1) M. B . II, page 6. 2 ) R . F . page 29 s'exprime en ces termes : « nous sommes forcés

d'admettre et nous le faisons sans difficulté, qu'au X V I e siècle, les Rois Catholiques ont fait à plusieurs reprises, particulièrement en 1530, en 1552, en 156S et même encore, si l'on veut, en 1601 et 1604, des actes de souveraineté sur la Guyane. » Voi là qui implique l'abandon du point de vue insoutenable auquel se plaçait M. F . I, page 157, en prétendant que le roi d'Espagne considérait les terres concédées à Parente comme avant été jusque là res nullius.

3 ) Conf. l'exposé donné des faits ci-après, par M. B . I, pp. 65 et suiv., M. F . I, pp. 152 et suiv., R . F . pp. 30 et suiv.

4 ) Conf. ci-dessus pp. 71, 74, 78.

Page 113: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 105 —

et en 1604, de la Ravardière fit son voyage en Guyane;

en 1612, il fonda Saint-Louis dans le territoire de Maranhão

et entreprit une expédition vers le Para l ) .

En 1594 et en 1595, les anglais Robert Dudley et

Walter Ralegh étaient sur les bords de l'Orénoque; en 1596,

Laurence Keymis, envoyé par W . Ralegh, explore l'embou­

chure de l'Amazone et le littoral à partir de ce fleuve

jusqu'à l'Orénoque. En 1597, l'anglais Léonard Berrie

parcourt la même côte pour le compte de W . Ralegh

également.

La relation que Laurence Keymis fit de son voyage

en Guyane 2 ) est la première de toute une série de des­

criptions de ce pays 3 ) . En 1604, Charles Leigh aborda sur

la rive gauche de l'Oyapoc ou Yapoco ; il prit possession

de ces terres au nom du roi d'Angleterre et fonda un

établissement qu'il nomma Principium et qui subsista jus­

qu'à la mort de Leigh survenue en 1606 4 ) ; Robert Harcourt

en 1608 et Edouard Harvey en 1617 le constituèrent à nou-

1) Conf. M. F . I, pp. 152—154; R . F . pp. 32 et suiv.; M. B . I, page 68;

ci-dessous, page 107. 2 ) A relation of the second voyage to Guinea, London 1596. Voi r

M. B . I, page 66, note 2 et R . B . II, pp. 17 et suiv. 3 ) De même Jean Mocquet «Voyages » de 1616 1), Robert Harcourt

«Relation 2 )» de 1613, Pierre d'Avity «Monde 3)» de 1637 et surtout la

«Description de l'Amérique 4 )» de Jean de Laet, parue en premier lieu

en hollandais, en 1625. 4 ) M. B . I, page 69, note 1, renvoie pour cette indication à deux

lettres de Leigh, de 1604.

1) V o y a g e s en Afrique, Asie , Indes Orientales et Occidentales faits par Jean Moc­

quet, Paris 1616. Conf. M. B. I, page 68. 2 ) A relation of a v o y a g e to Gviana . . . by Robert Harcourt, London 1603 (1613),

conf. R. B. II, pp. 21 et suiv., ibidem, pp. 29 et suiv. Extraits du journal, dont le manus­crit a été conservé, du v o y a g e fait par les Pères de F a m i l l e s . . . par Jesse des Forest,

3) Le Monde ou la description générale de ses quatre parties par Pierre d'Avity,

Paris 1637, conf. R . B. II, pp. 43 et suiv. 4 ) L'édition latine : « Americæ utriusque descriptio » a paru en 1633, une nouvelle

édition latine et une traduction en français en 1640. R. B. II, pp. 49 et suiv.

Page 114: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 106 —

veau. En 1608, le même Harvey, avec Michel Harcourt,

reconnut le cours inférieur de l 'Araguary; en 1608 et en 1609

Robert Thornton explora le littoral de la Guyane. Les capi­

taines William Clovel et Thomas Tyndall explorèrent la rive

gauche de l'Amazone dans le territoire des Indiens Tapoywa-

sooze (Tapujusûs); dans une lettre datée de Port d'Espaigne,

Trinidad, et adressée à Robert Cecil, comte de Salisbury,

Thomas Roe déclare qu'il connaît la côte entre l'Amazone

et l'Orénoque mieux que tout autre Anglais 1 ) . En 1613

(Lettres patentes du 28 août), le roi d'Angleterre, Jacques I e r ,

concéda à Robert Harcourt, Thomas Challoner et Jean

Rovenson le territoire compris entre l'Amazone et l 'Esse-

quibo ; en 1619 (Lettres patentes du 1 e r septembre), il renou­

vela la concession au bénéfice de Robert Harcourt, à qui,

le 3 avril 1626, Charles I e r donna, ainsi qu'au capitaine

Roger North, une concession spéciale pour coloniser sur

les rives de l'Amazone. L e 19 mai 1627, le roi Charles I e r

transféra la concession au duc de Buckingham, au comte

Penbroke et à 52 autres associés appartenant presque

tous à la noblesse. Cette « Compagnie » avait pour projet

de coloniser la Guyane, y compris l'Amazone. Roger North,

représentant du duc de Buckingham, président de la Com­

pagnie, devait être le gouverneur des établissements anglais

dans l'Amazone 2 ) .

Outre leur poste sur l'Oyapoc, les Anglais créèrent

deux autres établissements, l'un dans la région occupée

par les Indiens Tapujusûs, l'autre sur le territoire des

Tucujús entre le J a r y et Macapá 3 ) . En 1623, ils possédaient

1) M. B . I, page 70, note 1, d'après le Calendar of State Papers, Colonial Series , 1574—1660, page 11.

2 ) L e s faits relatés par M. B . I, pp. 77 et suiv. sont empruntés au Calendar of State Papers, 1. c., pp. 15, 36, 37, 79, 84, 85.

3 ) M. B . I, page 70.

Page 115: Sentence du conseil fédéral Suisse

sur le Cajary deux établissements, Tilletille et Uariminca 1)

et un troisième à quinze lieues plus loin, de plus le fort

Taurege au confluent du Maracapucú, puis encore un fort,

que les Portugais appelaient le fort Philippe, entre Matapy

et Anauirapucú, et enfin le fort Cumaú, ces trois derniers

sur la rive gauche de l'Amazone 2 ) .

Des Hollandais vinrent en 1598 « et même avant » dit de

Laet 3 ) , dans le pays amazonien; ils construisirent sur le Xingú

deux forts, appelés fort « d'Orange » et fort « de Nassau »,

qui servaient de factoreries et protégeaient les plantations.

Vers 1610, ils avaient, comme les Anglais, des factoreries

et des postes fortifiés dans le pays des Indiens Tapujusús,

entre le J a r y et Macapá. Ve r s 1616, ils construisirent un

fort au lieu dit Mariocay, qui fut appelé plus tard Gurupá ;

en 1625, ils bâtirent sur la rive droite de l'Amazone encore

le fort de Madiutuba. En 1627, l'amiral Lucifer établit, sur

l'ordre de la Compagnie hollandaise des Indes occidentales,

un fort sur la rive gauche de l'Oyapoc ; il y avait ren­

contré des Hollandais qui étaient venus des bords de

l'Amazone en fugitifs 4 ) .

L'Espagne, contrainte qu'elle avait été de laisser aux

Hollandais durant l'armistice de 1609 leurs possessions même

en Europe, ne pouvait refouler les Hollandais et les autres

étrangers qu'avec l'aide des Brésiliens relevant du Portugal.

Un certain nombre de gouverneurs et capitaines portugais,

parmi lesquels on cite Martin Soares Morena, Manoel de

Souza d'Eea, Jérome de Albuquerque, Alexandre de Moura,

1) M. B . I, page 79, d'après le « Journal » de Jesse de Forest, British Museum, Sloane Ms., 179 B .

2 ) Ibidem, pp. 80 et suiv. 3 ) Ed. française de 1640, Liv. X V I I , chap. V . Conf. M. B . I, page 65,

note 2. 4) M. B . I, pp. 69, 70, 74, 79, 80. R . B . I, page 163.

107

Page 116: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 108

Francisco Caldeira de Castello Branco, Pedro Teixeira, Luiz Aranha de Vasconcellos, Jacome Raymundo de Noronha, Feliciano Coelho de Carvalho, Ayres de Souza Chichorro, João Pereira de Caceres, Pedro da Costa Favella, Bento Rodrigues de Oliveira, Sebastião de Lucena de Azevedo et Bento Maciel Parente, entreprirent de chasser les étrangers par la force des armes, au nom de leur prince, Philippe IV , roi d'Espagne, Philippe III de Portugal ; ils avaient pour ordre, comme B . M. Parente en 1626, « qu'il faut chercher les Hollandais où l'on saura qu'ils se trouvent, et de les traiter comme rebelles, et qu'il n'en reste pas trace dans ces parties, ni d'aucune autre nation de celles d'Europe » l).

Les capitaines portugais s'efforcèrent tout d'abord d'éloigner de Maranhão L a Ravardière et ses Français 2 ) . En 1613 fut construit le fort de Jer icoacoara qui, l'année suivante, fut défendu contre Du Prat, un des lieutenants de L a Ravardière. Dans le courant de l'automne de 1614, Jé rôme de Albuquerque aborda à la baie de San José , à Guaxenduba, où il construisit un camp retranché qui eut à soutenir et repoussa une attaque de L a Ravardière. Après une trève de six mois, de Albuquerque recommença les hostilités avec l'aide d'une troupe qui, partie de Fer ­nambuco sous le commandement d'Alexandre de Moura, était venue à son secours ; il attaqua le fort français Saint-Louis et força L a Ravardière à capituler le 2 novembre 1615.

Avant encore la fin de 1615 3 ) , de Moura envoya sur les bords de l'Amazone le capitaine Francisco Caldeira de

1 ) M. F . I, page 158, d'après la Bibl. nat. de Lisbonne, Mss. Y , 2-40, page 133.

2 ) Conf. M. B . I, pp. 72 et suiv. ; M. F . I, pp. 153, 154 ; R . F . , pp. 32 et suiv.

3 ) Conf. pour la suite M. B . I, pp. 74, 78 et suiv. ; R . F . , page 34.

Page 117: Sentence du conseil fédéral Suisse

109 -

Castello Branco, et en 1616 furent fondés la ville et le fort

Belem de Para destinés à préparer et à soutenir les expédi­

tions qui devaient se diriger vers le bassin de l'Amazone

Les hostilités commencèrent immédiatement après — Pedro

Teixeira s'empara d'un vaisseau hollandais, — mais elles

furent suspendues parce que probablement les Portugais

étaient occupés avant tout à se garder des Indiens des

environs de Para. En 1622, les Portugais de Para échouèrent

dans une attaque dirigée contre les Hollandais et les An­

glais sur la rive gauche de l'Amazone. En 1623, Bento

Maciel Parente et Luiz Aranha de Vasconcellos s'emparè­

rent des forts hollandais de Muturú et Mariocay (Gurupá)

et livrèrent des combats sur l'eau; les Hollandais prirent

et brûlèrent un poste installé par Parente sur le fleuve.

D'autre part, le fort Saint-Antoine de Gurupá que Parente

avait construit à Mariocay en 1623, resta définitivement

occupé.

En 1625, Pedro Teixeira s'empara des forts hollandais

du Xingú et de celui de Mandiutuba ; ce dernier venait

d'être construit. Les Hollandais qui réussirent à s'enfuir se

réfugièrent chez les Anglais, sur la rive gauche de l'Ama­

zone. Ce furent 46 de ces Hollandais échappés au désastre

que l'amiral Lucifer rencontra en 1627 sur la rive gauche

de l'Oyapoc.

Les postes anglais sur le Cajary furent aussi attaqués

en 1625 par Teixeira, qui, le 24 octobre 1629, obligeait

le fort de Taurege, sur la rive gauche de l'Amazone, à

capituler après un siège de plusieurs semaines. L e fort

détruit, Teixeira retourna à Gurupá, où il fut presque

aussitôt attaqué par des Anglais récemment arrivés sous

1) L e fort Presepio a été construit par Bento Maciel Parente, selon

son mémoire de 1627, M. B . II, page 12, IV , page 18 ; Silva I, § 38, 267.

Page 118: Sentence du conseil fédéral Suisse

1 1 0

le commandement de Roger North. En 1631, le nouveau

fort anglais Philippe, construit par North entre Malapy

et Anauirapucú, tomba entre les mains du gouverneur

(capitão-mor) de Para, Jacome Raymundo de Norongha,

et fut rasé. L e fort anglais Cumaú ne put pas tenir davan­

tage ; il avait été bâti par les gens de la Compagnie

anglaise. 11 fut pris dans la nuit du 9 juillet 1632 par les

Portugais de Para, sous le commandement de Feliciano

Coelho de Carvalho.

L e dernier poste anglais se trouvant ainsi détruit, la

Compagnie anglaise renonça à toutes autres expéditions

vers l'Amazone. De même les établissements des Hollandais

sur l'Amazone étaient anéantis. Mais, maîtres de San Sal­

vador 1), les Hollandais pouvaient avec plus de chances

espérer les reconstituer un jour, ainsi que l'écrivait Laet

en 1640: « T a n t eux (sc. les Anglois et les Hyrlandois) que

nos gens, ayans esté inopinément attaqués et chassés par

les Portugais venans de Para, y ont souffert de grandes

pertes ; pour lesquelles recompenser, et se vanger des

injures receuës, ils se préparent avec plus grand effort de

poursuivre ce qu'ils avoyent commencé » 2 ) .

Mais les capitaines brésiliens-portugais n'en restèrent

pas aux succès obtenus jusqu'en 1632. Un des plus entre­

prenants d'entre eux, Pedro Teixeira, remontant le fleuve

en 1637 avec une troupe importante de soldats portu­

gais et d'indiens, arriva à Quito 3 ) . En revenant, il dési­

gna, le 16 août 1639, conformément aux instructions qu'il

avait reçues, la rive gauche du Napo comme frontière

1) Vo i r ci-dessus, pp. 72, 73. 2) J. de Laet, Histoire du Nouveau Monde, Leyde 1640, Liv . X V I I ,

chap. V , page 174, reproduit dans M. B . I, page 88. 3 ) Vo i r les sources citées dans M. B . I, page 83, notes 1 et 2 ; M.

F . I, page 154.

Page 119: Sentence du conseil fédéral Suisse

111

du territoire de la Couronne de Portugal. L'espagnol

P. Christoval de Acuna, qui, au retour, voyageait avec

lui, put se convaincre que les capitaines brésiliens-por­

tugais ne s'étaient pas attardés au cours inférieur de

l'Amazone ; il rencontra une station portugaise sur les

bords du Curupatuba « qui se jette dans l'Amazone du

côté du nord », il vit le fort Desterro qu'avait construit

B . M. Parente « six lieues en amont du confluent du Gini-

pape (Paru) » 1 ) .

Fait important à retenir: les étrangers qui avaient

pénétré dans le bassin de l'Amazone en furent chassés

sans que l ' E s p a g n e y eût contribué autrement que par des

ordonnances royales ; les armes brésiliennes-portugaises

avaient tout fait.

4.

En 1621 déjà, dans le royaume uni d'Espagne et de

Portugal, le dessein avait été conçu de transférer formel­

lement au Portugal la côte qui s'étend du Brésil jusqu'à

Santo Tomé de Guyana et aux Bocas del Drago, cela

dans l'intérêt de la défense contre l'invasion des Anglais

et des Hollandais 2 ) . Ce transfert n'a pas eu lieu 3 ) , mais il

est possible qu'à cette date la situation de la frontière de

l'Espagne et du Portugal au fleuve Vincent Pinçon ait été

officiellement reconnue.

En effet, Philippe I V , roi d'Espagne, troisième du nom

en Portugal, ordonna le 13 juin 1621 que le territoire por-

1) Conf. l'extrait de l'ouvrage de Acuña : « Nuevo descubrimiento del gran rio de las Amazonas », Madrid 1641, dans R. B . II, pp. 65 et suiv. ; M. B . I, page 94.

2) Conf. M. B . I, pp. 76 et suiv. ; R . F . , page 35. 2 ) Argument tiré de la donation faite à Parente en 1637.

Page 120: Sentence du conseil fédéral Suisse

tugais dans l'Amérique du Sud serait divisé en deux grands arrondissements administratifs : l ' E s t a d o du Brésil, avec Bahia, et l ' E s t a d o de Maranhão, avec Sam Luiz de Maran­hao pour capitales l ) . Quel territoire l'ordonnance royale assignait-elle au nouvel Etat de Maranhão?

1. L'écrivain portugais Symão Estacio da Sylveira dit, en 1624, dans le passage cité ci-dessus, page 100: « S a Majesté (le roi d'Espagne et de Portugal) a délimité (demarcado) le gouvernement (governacão) de Maranhão depuis Ceará, qui se trouve par 3 degrés 1/3 du côté du sud, jusqu'à la dernière borne frontière du Brésil 2 ) , par 2 degrés du côté du nord et dans cette étendue il y a environ 400 lieues de littoral jusqu'au fleuve de Vicente Yañes Pinçon....» « A partir de ce point, le littoral suit la direction de l'est, 1/4 sud-est 3 ) ».

2. L'auteur espagnol Guadalaxara dans son Historia Pontifical (1630) s'est, dans le susdit passage, page 102, rallié à l'opinion de Sylveira touchant la délimitation du Maranhão : « à partir de Ceará qui se trouve par 3 degrés et 1 / 3 du côté du sud, si l'on ne se trompe pas, jusqu'à la dernière borne frontière du Brésil par 2 degrés du côté du nord, étendue dans laquelle il y a environ 400 lieues de littoral jusqu'au fleuve de Vicente Jañes Pinzon...»

3. Bento Maciel Parente, dans le mémoire qu'il remit au roi d'Espagne vers l'année 1630, parle du «gobierno » ou « estado de Marañon » alors existant. Il en décrit la superficie comme suit : « L e gouvernement de Marañon commençant à la Capitainerie de Ceará, et se terminant au Rio de Vicente Pinçon, compte 380 lieues de côte sous

1) M. B . I, page 77, R . F . , page 35. 2 ) L e Brésil pris, non comme Estado, mais dans son ensemble. 3 ) Supposé en arrière du point terminal.

112

Page 121: Sentence du conseil fédéral Suisse

113

l'Equinoxiale depuis 3 ° sud jusqu'au 3° nord, cette côte

ayant la direction de l'ouest 1/4 N. O.» 1 ) .

Cette délimitation de l'Estado de Marañon est conforme,

dans son ensemble, à celle de Sylveira ; elle en diffère

dans les détails en ce que Parente au lieu de « environ

400 lieues » précise en disant « 380 lieues », qu'il place

le Vincent Pinçon par 3 degrés au lieu de 2, et qu'il

retranche 1/3 de degré des 3 1/3 degrés par lesquels Sylveira

place Ceará. Ces divergences sont importantes, parce que

Parente connaissait l'ouvrage de Sylveira et le cite dans

son mémoire 2 ) ; elles sont voulues et ont été probablement

introduites à titre de corrections.

Il résulte :

a) du rapport de Sylveira, de 1624, que l'Estado de

Maranhão a été délimité par le roi alors régnant d'Espagne

et de Portugal ;

b) des trois rapports que, selon cette délimitation,

l'Estado de Maranhão avait une étendue de côtes d'environ

400 lieues (380 selon Parente), à partir de Ceará (3 1/3 ° lati­

tude sud, 3° selon Parente) jusqu'à la frontière septen­

trionale de l'Espagne et du Portugal sur le fleuve Vincent

Pinçon (2 ° latitude nord, 3 ° selon Parente) ;

c) que par conséquent le roi a expressément déclaré

que ce fleuve était le cours d'eau frontière.

1) « E l gobierno del Marañon empeçando en la Capitania del Cearà y acabando en el rio de Vicente Pinçon, tiene trecientas y ochenta leguas de costa por baxo de la Equinocial desde trez grados a la parte del Sur, hasta trez a la del Norte, corre la costa Oeste, quarta al Noroeste ».

Une ligne plus bas, le territoire de ce « gobierno » est appelé « este Estado », M. B . II, page 16.

2 ) L a terre.... est fertile en produits alimentaires, ce dont le capitaine Simào Estacio a fait une description qui a été imprimée, M. B . II, page 11 ; ci-dessous, page 115, note 1.

8

Page 122: Sentence du conseil fédéral Suisse

1 1 4

1) « Mémoire présenté au Roi d'Espagne par Bento Maciel Parente en 1627 ou entre les années 1627-1632 ». C'est ainsi que le mémoire est intitulé dans M. B . II, qui, pages 9-15, en donne une traduction française, suivie, pages 16-20, du texte espagnol. Nous utilisons la traduction fran­çaise, tout en tenant compte du texte espagnol original.

2 ) Soit l 'Estado del Maranõn. 3 ) Orthographe espagnole.

Les contrées pour la conquête desquelles les capitaines portugais-brésiliens combattaient ces années-là contre les Anglais et les Hollandais appartenaient donc à l'Estado de Maranhão.

Lorsqu'il s'agit d'organiser l'Estado, on procéda tout naturellement comme on l'avait fait pour d'autres pays conquis par les Espagnols-Portugais ; on le partagea en capitaineries qui furent dévolues aux braves capitaines portugais-brésiliens, à titre d'encouragement ou de récom­pense ; en même temps on assurait la propriété du pays à la couronne.

C'est le plan que recommandait de suivre le capitaine Bento Maciel Parente qui, dans les vingt premières années du X V I I e siècle, avait pris part aux combats livrés dans le territoire de l'Amazone. Il est probable que c'est durant un séjour qu'il fit à Madrid en 1627 ou 1628 qu'il remit au roi le mémoire mentionné ci-dessus 1 ) . Il y explique : « Pour conserver et augmenter la conquête et les terres du Ma-rañon 2 ) et les Indiens que le capitaine major Benito Maciel Pariente 3 ) y a réduits, les choses suivantes sont nécessaires et convenables : les terres de cette conquête doivent se répartir par Capitaineries, et être données à des personnes riches et respectables, afin que chacun à l'envi cherche à peupler, fortifier et mettre à profit la terre. »

Après avoir indiqué l'étendue de tout l'Estado de Manranhão (Marañon) comme il est dit plus haut, Parente

Page 123: Sentence du conseil fédéral Suisse

propose de le diviser en diverses capitaineries. Il fait observer tout d'abord que deux des capitaineries à constituer devront être réservées à la Couronne, celles du Marañon et du fleuve des Amazones, qui sont les plus importantes : « le Marañon parce qu'il est déjà peuplé et le fleuve des Amazones parce qu'il est conquis, et parce que ce sont les deux plus grands ports de cet Etat ; et ayant en considération tout ce qu'on peut espérer de chacune de ces Capitaineries par la grande étendue navigable de ses fleuves, particulièrement celui des Ama­zones ou véritable Marañon, lequel pénètre l'Amérique et peut ouvrir la porte aux richesses du Pérou et à tout ce qu'il reste encore dans ce nouveau monde à découvrir et à conquérir. » Puis il énumère les diverses capitaineries, à partir du territoire frontière dans la direction de l'Estado du Brésil :

1. La capitainerie de Ceará, qui commencera au Jagua-ribi pour finir au Mondohytuba, cinquante lieues de côte ; le port et le château de Ceará se trouvent au milieu de la capitainerie.

2. La capitainerie de Jurucoaquara qui commencera au Mondohytuba pour finir au Paraoasú, cinquante lieues de côte, le port de las Tortugas se trouve presque au milieu de la capitainerie.

3. La capitainerie du Marañon 2 ) avec ses îles, qui commencera au Paraoasú pour finir à la pointe de Tapuy-tapera 3 ) , plus de cinquante lieues de côte ; il s'y trouve l'île de Todos los Santos avec la ville de Sam Luiz, qui peut avoir 500 habitants, tant soldats que civils, et qui

1) Jericoacoara ou Buraco de Tartarugas. 2) Maranhão. 3) Aujourd'hui Alcantara.

115

Page 124: Sentence du conseil fédéral Suisse

possède trois couvents (de capucins, de carmes et de jésuites). L e « capitaine Simon Estacio » a donné des produits de cette contrée une description qui a été imprimée 1).

4. La capitainerie de Cumá qui commencera à la pointe Tapuytapera pour finir au Pindohytuba, quarante lieues de côte avec deux bons ports.

5. La capitainerie de Cayté 2) qui commencera au Pindo­hytuba pour finir à l 'Acotyperú, quarante lieues de côte ; il s'y trouve un établissement fondé par Francisco Coelho de Carvalho sur l'Oatacapuhic ; le port a peu d'étendue.

6 . La capitainerie de P a r á 3 ) qui commencera à l 'Aco­typerû et, par la pointe de Separará 4 ) « remontera l'embou­chure du Para, et suivra le premier bras de ce fleuve du côté de l'est » jusqu'à la première chute du fleuve des los Tocantines, dans la province de ce nom ; trente lieues de côte de l 'Acotyperû jusqu'à la pointe de Separará ; la chute est à cent cinquante lieues de la mer, ou un peu moins. Malgré le peu de développement de la côte, la capitainerie est aussi grande que les autres, car « comme on le verra sur la carte », elle va s'élargissant à mesure qu'on remonte le fleuve 5 ) . Dans cette capitainerie se trouve

1) Voir ci-dessus, page 112, note 2. 2) Aujourd'hui Roajança. 3) C'est la capitainerie de l 'Amazone que, selon Parente, il importe

de réserver à la couronne. E l l e lui fut en effet attribuée, ainsi que

l'autre qu'avait désignée Parente (avec Maranhão, n° 3), par acte du 13

avril 1633 ; conf. la donation à Parente, M. B . II, page 22 ; M. B . II, page 14, note, donne par erreur la date du 13 août.

4) Cap Tijoca. 6 ) « A la Capitania del Cayté se sigue la Capitania del Parti, que

empeçarâ en el dicho rio Acotyperû, y por la punta del Separará cor-

tarâ por la boca del P a r a arriba, y por el primer braço deste Rio de la

parte de Leste yra cortando hasta el primer salto del rio y Provincia de

los Tocantines, que dista del mar ciento y cincoenta léguas, ò poco menos:

116

Page 125: Sentence du conseil fédéral Suisse

la ville de Belem avec le fort de Presepio 1) fort que Bento Maciel a fait construire et qui vaut plusieurs mil­liers de ducats, quoi qu'il en ait coûté moins de 400 au trésor royal.

7. « Depuis la pointe de Separará sous la ligne Equi-

noxiale et sur la rive orientale du fleuve, en allant vers

le nord-ouest jusqu'au cabo del Norte, se trouve l'embou­

chure (la boca) du fleuve des Amazones, le vrai Marañon,

et il y a quatre-vingts lieues toutes d'eau douce, et dans cet

Archipel se trouvent de nombreuses îles peuplées de beau­

coup de sauvages, lesquelles îles peuvent se répartir en

quatre Capitaineries 2 ) » :

a) La première comprendrait les îles de los Juanes s ) ,

de los Aruans, Mapuas, Inhengahybas de Parijó.

b) L a seconde, les îles situées entre les bras Pará et

les bras Pacajá ; elle aurait 20 lieues de largeur et 40 de

profondeur, y compris les petites îles avoisinantes.

c) L a troisième, l'île située entre le bras Pacajá et le

bras Parnahyba 4 ) ; elle aurait 20 lieues de largeur et 40

de profondeur.

la q u a l Capitania tiene por costa hasta la punta del Separará treinta leguas, y va-se ensanchando por el Rio arriba, con que viene a quedar tan grande como las otras, como en el Mappa se verá. »

1) Fort , est-il dit en outre : « dont les murs sont en terre mêlée de chaux, les portes en pierre de taille et chaux, les trois bastions ont chacun leur cave, le tout fortifié à la moderne. »

2 ) « De la punta del Separará, que está en la linea Equinocial, de la parte de Leste del Rio, corriendo Noroeste, hasta el cabo del Norte, es la boca del rio de las Amaçonas, verdadero Marañon, y ay oitienta leguas todas de agoa dulce, y dentro deste Archipielago ay muchas Islas pobla­das de muchos Gentiles, las quales Islas se pueden repartir en quatro Capitanias. »

3 ) Marajó. 4 ) Aujourd'hui Xingú.

117

Page 126: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 1 1 8

d) L a quatrième, l'île entre le Parnahyba et « el gran canal de las Amaçonas», avec les îles qui viennent après celle-ci du côté du « gran canal » et du côté « del Norte » ; la capitainerie aurait 12 lieues de largeur et 40 de longueur.

8. «De l'autre côté du fleuve «en el cabo del Norte», la côte se dirige vers l'ouest, jusqu'au rio de Vicente Pinçon à la hauteur de trois degrés au nord de la ligne 1): il y aura environ quarante lieues de côte entre le grand canal et la démarcation entre le Portugal et l ' E s p a g n e . Ici on peut établir une autre capitainerie: pays de montagnes, de plaines et de terres noyées, propre à l'élevage du bétail, et où le tabac et le coton viennent bien ; et cette capitai­nerie pourra s'étendre en remontant le fleuve, jusqu'à l'em­bouchure du fleuve des Amazones et à la Province des Tapuyosús, comprenant aussi les Provinces des Tucuyús et des Mariguins, ce qui lui donne environ deux cents lieues en remontant le fleuve » 2 ) .

B . M. Parente recommande ensuite d'appliquer à toutes les localités indiennes (los pueblos de Indios) des capitai­neries le système des commanderies (Encomiendas) « selon l'usage des Indes », de manière qu'un tiers des revenus

1) L a traduction française de M. B . II, page 13, dit par erreur en­viron trois degrés ; le texte espagnol est : « en altura de trez grados » ; conf. R. F . , page 36.

2 ) L e texte espagnol est ainsi conçu : « D e la otra parte del R io en el cabo del Norte, corre la costa a Loeste hasta el rio de Vicente Pinçon, en altura de tres grados de la linea al Norte : habrá cosa de quarenta leguas por costa entre el gran canal y la demarcacion entre Portugal y Castilla. Aqui se puede hacer otra Capitania. T ie r ra de sierras, campos, y lagadizos, buena para ganados, dá bien tabaco, y coton, y puede se es­tender por el Rio arriba, hasta la boca del rio de las Amaçonas, y Pro­vincia de los Tapuyosús, comprehendiendo tambien las Provincias de los Tucuyús y Mariguins, en que habrá cerca de docientas leguas por el Rio arriba. »

Page 127: Sentence du conseil fédéral Suisse

119

soit attribué à l'Eglise, un tiers au « Commendador » et un

tiers à la Couronne, « et avec ces ressources on pourra

peupler les lieux en question, y maintenir les garnisons et

fortifications nécessaires sans tirer rien, ou en tirant très

peu de chose du Trésor Royal, et il y aura de l'argent et

des hommes pour continuer à conquérir, peupler et fortifier

en remontant ce grand fleuve jusqu'à Potosi ». L'Amazone,

étant la voie la plus facile, la plus sûre et la plus courte,

servira à transporter les trésors de la tierra firme ; il

serait utile d'organiser un service régulier de navigation

entre l'Espagne et ce littoral. Il faudrait que la mère-patrie

envoyât des colons, pris, par exemple, dans les îles Ter-

ceiras qui sont très peuplées ; ces colons fonderaient une

ville 1) (ciudad) sur la rive gauche de l'Amazone, sur le

Ginipapo 2) « pour encourager la population et les Indiens

réduits et empêcher qu'ils ne soient portés à faire du com­

merce avec les Hollandais, et que ces derniers n'y retour­

nent comme ils ont tenté de le faire après qu'ils ont été

chassés». Il est nécessaire de faire accompagner les colons

de moines de tous les ordres « pour catéchiser les Indiens

qui seront attirés aux missions». Les Indiens «délivrés du

pouvoir de leurs ennemis quand ceux-ci les gardent pour

les manger», sont selon les lois de S. M. «vraiment des

esclaves » (verdaderamente cautivos), mais pour éviter le

dépeuplement, il importe de ne pas les éloigner de leur

patrie, sinon « ils périssent tous comme des poissons qu'on

aurait retirés de l 'eau».

Les renseignements et les propositions les plus impor­

tants que contient l'exposé de Parente sont:

1) E n 1639, de Acuña a constaté qu'en cet endroit existait un fort

construit par Parente, M. B . II, page 66. 2 ) Aujourd'hui le Parú.

Page 128: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 120

1. L'« Estado del Marañon» a 380 lieues de côte à par tir de Ceará (3° latitude méridionale) jusqu'au Vicente Pinçon (3° latitude septentrionale).

2. L'« Estado » est divisé en capitaineries, dont chacune comprend une partie des 380 lieues de côte. 80 lieues comp­tées de la Punta del Separará jusqu'au Cabo del Norte sont attribuées aux quatre capitaineries des îles de l'archi­pel de l'Amazone, les 300 autres lieues aux sept capitaine­ries restantes.

3. L e s capitaineries doivent avoir une importance à peu près égale; aussi chacune des sept comprend-elle un développement de côtes long de 40 à 50 lieues (un partage rigoureusement égal donnerait : 300 : 7 = 42.9 lieues) ; pour la capitainerie de Para, qui n'a que 30 lieues de côte, ce qui constitue un amoindrissement sensible, il est expressé­ment dit que la différence sera compensée par la plus grande étendue de son territoire vers l'intérieur.

4. Il n'est tenu compte dans l'étendue de la côte assignée à chaque capitainerie que du littoral maritime, non des rives des fleuves ; la capitainerie de Para , est-il remarqué, « commencera à l 'Acotyperú » et « aura 30 lieues de côte jusqu'à la punta del Separará ». De là, elle remonte par la « boca » et le bras de Para, et cette étendue est spéciale­ment évaluée à environ 150 lieues.

5. Il faut donc calculer les dernières 40 lieues de côte jusqu'au Vincent Pinçon le long du littoral maritime à partir du cabo del Norte et non du « gran canal » de l'Ama­zone. Parente dit qu'elles s'étendent entre le gran canal et le Vincent Pinçon, il ne dit pas qu'elles vont du gran canal

jusqu'au Vincent Pinçon. A quoi il faut ajouter que les 40 lieues doivent rejoindre les 80 lieues des quatre capi­taineries des îles. Or ces 80 lieues vont de la punta del Separará jusqu'au cabo del Norte et par conséquent les

Page 129: Sentence du conseil fédéral Suisse

40 lieues qui suivent vont du Cabo del Norte jusqu'au Vincent Pinçon 1).

6. Parente fait du Vincent Pinçon la frontière de l'Es­tado del Maranhão, de la capitainerie de l'Estado qu'il propose de créer au nord-ouest, et la démarcation déjà existante du Portugal et de la Castille. Parente connaissait l'ouvrage de Symão Estacio Sylveira, qu'il cite dans son mémoire, et il savait fort bien ce que cet auteur avait dit du Vincent Pinçon et de la borne-frontière de Charles-Quint qui se trouve sur le bord de ce fleuve.

7. Parente renvoie à la carte (el Mappa), sur laquelle on peut contrôler certaines données fournies par le mémoire.

8. A l'exception de quelques parties situées au sud-ouest de l'Estado, l'administration, la colonisation par des Européens et l'exploitation du territoire sont encore à créer, d'après le mémoire.

Parente n'a pas manqué, dans ce mémoire, de faire ressortir ses propres mérites. Ils lui valurent, ainsi que les services qu'il avait rendus dans les combats, soutenus contre les Hollandais dans l'Estado du Brésil et du Maranhão, plus d'une récompense : le roi lui conféra des lettres de noblesse, lui accorda une pension annuelle de 2000 reis et lui donna des terres sur l'Amazone 2 ) . Surtout, il ne fut pas oublié lorsque Philippe I V créa effectivement dans l'Estado de Maranhão les capitaineries proposées par Parente. Une ordonnance royale du 13 avril 1633 organisa en premier lieu les deux

1) L'allégation de R . F . , page 38: «Ces quarante lieues doivent donc être calculées à partir du Vincent Pinson en doublant le cap de Nord jusqu'au commencement du Grand Canal » qui se base presque uniquement sur les mots « en el cabo del Norte » séparés de leur contexte, n'est donc pas soutenable.

2 ) Mentionné dans l'introduction aux Lettres Royales du 14 juin 1637, M. B . II, pp. 21, 22.

121

Page 130: Sentence du conseil fédéral Suisse

122

capitaineries de Maranhão et de Para, réservées à la cou­

ronne 1). Puis, Alvaro de Souza reçut la capitainerie de

Caité 2 ) . En 1637, par lettres royales du 26 octobre, il fut

fait donation à Feliciano Coelho de Carvalho de la capi­

tainerie de Carnuta 3 ) , en 1639, par lettres royales du

15 mars, à Francisco de Albuquerque Coelho de Carvalho,

de la capitainerie de Cummá 4 ) .

Auparavant, soit le 14 juin 1637, Bento Maciel Parente

avait reçu, sur sa demande, la capitainerie du Cap de

Nord (capitania do cabo do Norte). Voici quelques passages

des lettres royales relatives à cette donation 5) :

« . . . Attendu que le Conseil du Trésor , après avoir pris

1) M. B . II , pp. 22, 23. 2 ) Ibidem, page 23. 3 ) R . B . II, page 41, dit: «Ce document se trouve enregistré dans

le Livre 35 e , f° 95 et suiv. de la Chancellerie de Filippe III, Archives de Tor re do Tombo » . L e s lettres royales parlent en ces termes de la donation d'une capitainerie antérieurement faite à B . M. Parente : ...e yuntamente fyz merce a Bento Maciel Parente da Capitania das terras que yasem no Cabo do Norte com os Rios que dentro nellas estiverem que tem pella costa do mar, trinta te quarenta legoas de distrito que se contào do dito cabo tte o Rio de Vicente pinçon onde entra a repartição das Indias do Reyno de Castella e pella terra dentro Rio das amasonas arriba da parte do canal que vaj sahir ao Mar oitenta para cem legoas atte o Rio dos tapajusus... ». L e Père Pfeil reproduit ce passage dans son Compendio et indique comme source: Archivo da Rea l Farenda do Para , Correa 55 do livro 2.

4 ) R . B . II, page 41, qui renvoie aux « Archives de Tor re do Tombo » à Lisbonne.

6 ) L e s Let t res royales du 14 juin 1637 sont reproduites intégrale­ment en portugais, avec une traduction française incomplète, dans M. B . II, pp. 25-34, (texte portugais certifié conforme à l'original enregistré qui se trouve aux « Archives de Tor re do Tombo » à Lisbonne, Livre 34e de la Chancellerie de D. Philippe III, fol. 2 et suiv.), pp. 21-25, (traduction française). Conf. Silva II, pp. 428-440; R . B . II, pp. 39, 40, 224 ; M. F . I, page 203.

Page 131: Sentence du conseil fédéral Suisse

tous les renseignements nécessaires et entendu le rapport de son Procureur, a attribué au susdit Bento Maciel la Capitainerie du Cap de Nord, dont l'étendue sur la côte de la mer est de 30 à 40 lieues, comptées à partir du susdit Cap jusqu'au Rio de Vicente Pinçon, ou commence la démarcation des Indes du Royaume de Castille, et vers l'intérieur, eu remontant l'Amazone, du côté du canal qui va à la mer, de 80 à 100 lieues jusqu'au Rio des Tapu-jusus 1 ) , laquelle Capitainerie n'est pas une de celles que j'ai réservées à ma Couronne, ni de celles que j 'a i données à d'autres, il m'a plu, de cette façon, de lui faire don de la susdite Capitainerie du Cap de Nord et j 'a i ordonné qu'on lui délivrât des Lettres de cette donation, qu'elles fussent pareilles à celles qui ont été délivrées dernièrement à Alvaro de Souza, concernant une autre Capitainerie dont j 'a i fait don à celui-ci dans ce même E t a t . . . et considérant combien il importe au service de Dieu, à mon service, et au bien général de mes Royaumes, de mes Seigneuries et de mes sujets, que mes côtes maritimes et mes territoires du Brésil, du Maranhão et du Pará soient mieux peuplés qu'ils ne l'ont été jusqu'à présent, non seulement pour y faire célébrer le culte divin et mieux répandre notre sainte foi catholique, en appelant et convertissant à notre foi les indigènes infidèles et idolâtres, mais encore ayant en vue les grands avantages qu'en retireront mes Royaumes et Seigneuries, et mes sujets, il m'a plu de diviser ces terri­toires en Capitaineries, et de les établir de manière à attribuer à chacune un certain nombre de lieues, dans

1) « . . . a capitania do cabo do norte que tem pella costa do mar trinta te quarenta legoas de distrito que se contào do dito cabo ate o Rio de vicente pinçon onde entra a repartiçào das jnndias do Reino de cas­tella e pella terra dentro Rio das amasonas ariba da parte do canal que vai sair ao mar oitenta pera cem legoas ate o Rio dos tapujusus . . . ».

123

Page 132: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 124

1) . . . das terras que jazem no cabo do norte où os Rios que dentro que nellas estiuerem que tem pella costa do mar trinta te quarenta legoas de distrito que se contào do dito cabo ate o Rio de vicente picon aonde entra a reparticào das jndias do Reino de castella e pella terra dentro Rio das amazonas ariba da parte do canal que vaj sair ao mar oitenta para sem legoas ate o Rio dos tapujusos, con declaracão que nas partes referidas por onde acabarem as trinta e sinco te quarenta legoas de costa de sua capitania se parAo marcos de pedra. E estes marcos correrAo via recta pello sertAo dentro».

l'intention de les accorder aux personnes auxquelles il me

plairait.

C'est pourquoi:

Ayant en estime les services que m'a rendus Bento Maciel Parente, espérant de lui qu'il m'en rendra encore d'autres, et trouvant plaisir à lui accorder des faveurs pour l'en récompenser;

Usant de mon pouvoir royal et absolu, et en parfaite connaissance de cause, j e trouve bon et il me plaît de lui faire, comme je le fais par ces présentes Lettres, donation irrévocable entre vifs, valable dorénavant pour toujours, avec le droit de transmission héréditaire (de juro e herdade), pour lui, ses enfants, petits enfants héritiers et successeurs qui viendront après lui, tant descendants directs que colla­téraux, ainsi qu'il sera spécifié ci-dessous, des Terres1) qui gisent au Cap de Nord avec les rivières qui se trouvent sur ces terres lesquelles ont de côte sur la mer de 30 ci 40 lieues d'étendue comptées depuis ce cap jusqu'au Rio de Vicente Piçon (sic), où commence le département des Indes du Royaume de Castille, et vers l'intérieur en remontant le Rio des Amazones du côté du canal qui débouche à la mer, de 80 à 100 lieues jusqu'au Rio dos Tapujusus déclarant que dans les régions (partes) indiquées, là où se termineront les 35 à 40 lieues de côtes de sa Capi-

Page 133: Sentence du conseil fédéral Suisse

125

tainerie, des bornes frontières en pierre seront placées. Et ces bornes seront placées en ligne droite vers l'inté­rieur l ) :

Et, en outre, appartiendront au susdit Bento Maciel Parente et à ses successeurs, les îles qu'il y aura jusqu'à dix lieues au large devant la démarcation des 35 à 40 lieues de côtes de sa Capitainerie, largeur qui doit être mesurée en ligne droite et prolongée vers l'intérieur et la terre ferme, de la manière déclarée, jusqu'au Rio Tapu-jusus, et de là encore aussi loin qu'il sera possible de pénétrer et fera partie de mes conquêtes, et de ces terres, îles et rivières, avec les démarcations indiquées, je lui fais donation et je lui accorde le droit de transmission hérédi­taire pour toujours, comme il a été dit. Et je veux, et il me plaît, que le susdit Bento Maciel et tous ceux de ses héritiers et successeurs qui hériteront des susdites terres, ou qui lui succéderont, aient les titres de Gouverneurs et Capitaines Généraux des susdites terres . . .

En outre je déclare que je lui fais cette grâce non seulement comme Roi et Seigneur de ces Royaumes, mais encore comme Gouverneur et Administrateur perpétuel, que je suis, de l'Ordre de Chevalerie de la Maîtrise de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et par ces présentes Lettres je donne pouvoir et autorité au susdit Bento Maciel pour que, par lui-même ou par quiconque il lui plaira, il puisse prendre, et prenne, possession réelle, corporelle et effective des terres de la susdite Capitainerie et du susdit Gouver­nement. »

1) L a traduction de cette phrase n'est pas absolument exacte. L e texte original dit : « E t ces bornes doivent courir via recta (en ligne droite) vers l'intérieur. Mathématiquement, il s'en suit que selon toute apparence la ligne frontière serait perpendiculaire à la ligne du littoral.

Page 134: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 1 2 6

En vertu de cette donation, Bento Maciel Parente prit

possession, le 30 mai 1639, de la capitainerie du Cap de

Nord, ce dont procès-verbal officiel fut dressé

Voici les faits qui découlent de la donation consignée

dans les «Let t res royales» du 14 juin 1637:

1. Le roi Philippe reconnaît le fleuve Vincent Pinçon

comme constituant la frontière entre les deux royaumes,

la couronne d'Espagne et la couronne de Portugal.

2. Il ordonne de placer une borne-frontière sur le

Vincent Pinçon.

3. L a capitainerie de Bento Maciel Parente appartient

à l 'Estado de Maranhão et fait partie du domaine de la

Couronne de Portugal.

Cette capitainerie est délimitée comme suit : le Vincent

Pinçon la limite au nord, les 30 à 40 lieues qui vont

du Cabo de Norte jusqu'au Vincent Pinçon forment la

frontière côtière, l'Amazone est la frontière méridionale,

en remontant de 80 à 100 lieues « da parte do canal » jus­

qu'au Rio dos Tapajusûs.

En 1640, le Portugal se sépara de l'Espagne par la

force des armes. L e nouveau roi de Portugal, Jean I V ,

prit possession dit territoire portugais dans le Brésil tel que

l'avait délimité le dernier roi d'Espagne et de Portugal,

y Compris par conséquent la rive septentrionale de l'Ama­

zone jusqu'au Vincent Pinçon; il ratifia, entre autres, l'or-

1) «Cette donation est enregistrée au Livre 2 d des Registres Royaux de la susdite ville de Belem, du folio 131 au folio 136, ainsi que le procès-verbal de la prise de possession de cette capitainerie par le donataire Bento Maciel Parente le 30e jour du mois de mai de l'année 1639, lequel procès-verbal est enregistré dans le même livre au folio 164 », d'après la réponse portugaise de 1698, R . B . II, page 224 ; Conf. M. F . II, page 21.

Page 135: Sentence du conseil fédéral Suisse

ganisation de la capitainerie du Cabo do Norte 1 ) . L 'Es ­

pagne, bien qu'elle fût alors en guerre avec le Portugal,

ne contesta pas la légitimité de l'occupation portugaise

et reconnut expressément, dans le traité de paix de 1668,

que les frontières entre l'Espagne et le Portugal devaient

être maintenues telles qu'elles existaient avant la guerre 2 ) .

Mais, avant 1640 déjà, les Hollandais s'étaient emparés

de toute la rive septentrionale de l'Estado du Brésil. En

1641, ils pénétrèrent dans l'Estado de Maranhão et prirent

Sam Luiz, où ils firent prisonnier Bento Maciel Parente qu'ils

emmenèrent. Parente mourut la même année au Rio Grande

do Norte, tandis qu'on le conduisait à Moritzstadt (Per-

nambuco), la capitale du Brésil hollandais. La capitainerie

du Cabo do Norte passa à son fils, qui s'appelait Bento

Maciel comme lui ; la donation fut confirmée par les lettres

patentes du 9 juillet 1645, dont il a été parlé. L e troisième

seigneur de la capitainerie fut Vital Maciel Parente, qui

mourut sans laisser de successeur ; la capitainerie fit alors

retour à l'Etat de Portugal 3 ) .

Même la capitainerie du Cabo do Norte se trouva

de nouveau menacée par les Hollandais, à ce que relatent

deux lettres adressées les 1 e r janvier et 20 août 1647 au

roi de Portugal par Sebastião de Lucena de Azevedo 4 ) .

Dans la première, Azevedo rapporte qu'un de ses officiers

s'empara sur le territoire de l'embouchure de l'Amazone

1) M. B . 1, page 95 et R . B . II, page 41, où il est dit que les «Let t res royales du 9 juillet 1645 », du roi Jean I V de Portugal repro­duisent intégralement la concession de 1637 et qu'elles se trouvent à Lisbonne aux « Archs. de Torre do Tombo, Liv. 1 e r de la Chanc. de D. João I V , f° 280 e suiv. »

2) M. B . I, page 86. 3 ) M. B . I, page 95. 4 ) R . B . II, pp. 69 et suiv., I V , pp. 13-20, V , nos 1 et 2.

1 2 7

Page 136: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 1 2 8 —

d'un corsaire hollandais qui, disait-on, attendait de Hollande

300 hommes d'infanterie et d'artillerie. Les Hollandais

étaient en train de construire un fort « aux lacs de Mari-

cary sur la rivière appelée des Amazones». Azevedo y

alla lui-même par un chemin difficile, coupé de cours

d'eau, que seuls les Indiens connaissaient. Il vainquit les

ennemis, s'empara «du fortin où ils étaient». L a rencontre

eut lieu sous la latitude de 3°30 ' , d'après la hauteur du

soleil 1) ; c'était « le point le plus éloigné où soient arrivés

les Portugais». L e 20 août 1647, Azevedo annonça que 8

navires hollandais étaient arrivés au mois de mai et avaient

attaqué Curupá ; ils furent découragés, n'ayant pas trouvé

le corsaire « que j 'avais pris et chassé du Cap du Nord,

où il était fortifié », ce qui fit échapper les Portugais à un

grand danger.

Les Hollandais n'étaient plus à craindre ni dans la

capitainerie du Cap du Nord, ni dans le reste du Brési l ;

dès 1654, ils avaient complètement évacué le Brésil.

En revanche, le conflit avec les Français était proche.

c) Actes de possession faits par la France

et concessions françaises.

1.

L'exposé général de la politique coloniale française

a montré que la F rance ne pouvait pas intervenir dans la

Guyane avant 1660.

L e s premières entreprises tentées par les Français au

X V I e siècle ont été mentionnées ci-dessus, pages 71 et sui-

1) Il est impossible de conclure avec R . B . II , pp. 69 et 70, en se basant sur cette donnée incertaine que ce poste était « entre T r è s Boccas et la pointe Cassiporé, peut-être sur la rivière de ce nom ».

Page 137: Sentence du conseil fédéral Suisse

vantes ; il n'y a pas à y revenir ici. Une fois, il est vrai, la

France parut disposée à agir 1), alors qu'en 1602, René Marée,

sieur de Montbarrot, reçut de Henri IV une concession

comme « lieutenant-général pour le Roi en America Peruana »

(Lettres patentes du 8 mai 1602); il prit pour associé La

Ravardière qui en 1604 fit en Guyane un voyage de décou­

verte. En 1605, le roi renouvela la concession, nommant

en même temps L a Ravardière « lieutenant-général du Roi

ès contrées de l'Amérique, depuis la rivière des Amazones

jusques à l'Isle de la Trinité » ; mais ce n'était pas là une

concession proprement dite, encore moins la prise de posses­

sion effective d'un territoire déterminé. Le 10 octobre 1610,

La Ravardière se fit donner une autre concession pour le

littoral qui est au sud de l'équateur; François de Rezilli,

Nicolas de Harlay de Sancy et lui furent nommés « lieute­

nants-généraux du Roi aux Indes Occidentales et terres

du Brésil ». L a Ravardière, en 1612, fonda la ville de Saint-

Louis de Maranhão, mais en 1615 déjà son entreprise

échouait. Plus tard (Lettres patentes du 27 novembre 1624)

Louis XIII , renouvelant la concession précédente, nomma

La Ravardière et Lourdières « lieutenants-généraux du Roi

ès pays de l'Amérique depuis la rivière des Amazones

jusques à l'Isle de la Trinité » ; il n'est pas rapporté toute­

fois que cette concession ait jamais été suivie d'un acte

d'exécution quelconque. Dans son mémoire (M. B . I, pp. 86-87),

1) Conf. M. B . I, pp. 70-73, 86 et suiv., 98 et suiv. M. F . I, pp. 152-154, R . F . pp. 50-52. Les parties sont d'accord sur les faits essentiels relatés ci-dessus. Toutefois, c'est M. F . I, page 152, seul qui mentionne encore la concession du 8 mai 1602, plus deux autorisations de 1609 et 1610, accordées par Montbarrot pour découvrir le pays, de l'Amazone à l'île de la Trinité. L e texte des diverses lettres patentes n'ayant pas été com­muniqué à l'arbitre par les parties, il lui est impossible de déterminer exactement le rapport que ces concessions ont entre elles.

9

129

Page 138: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 130

le Brésil, invoquant le « Calendar of State Papers, Colo­

nial Series » et les documents des Archives de la Com­

pagnie hollandaise des Indes occidentales, prétend que,

durant les dix premières années du X V I I e siècle, les Por­

tugais ont bien rencontré dans le bassin de l'Amazone des

Hollandais, des Anglais et des Irlandais, mais pas de Fran­

çais 1 ) . L a France (M. F . I, pp. 152 et suiv., R. F. , pp. 50

et suiv.) est dans l'impossibilité d'opposer à cette allégation

d'autres faits que ceux mentionnés ci-dessus, savoir les

concessions accordées à L a Ravardière et à ses associés,

ainsi que leurs entreprises; mais cela ne prouve pas que

la F rance ait occupé la Guyane.

En 1626, les diverses compagnies françaises commen­

cèrent à prendre pied sur la côte de Guyane en même

temps que les premiers essais de colonisation avaient lieu

sur le Sinnamarie 2 ) . Une de ces concessions royales com-

missionnant une entreprise de ce genre est connue, c'est

celle par laquelle, en 1638, le cardinal de Richelieu, au nom

de Louis XI I I , autorise J acob Bontemps et ses compa­

gnons 3) : « que les associez et autres continueront la colo­

nie par eux commencée en l'isle qui est à l'entrée de la

riviere de Cayene et clans la riviere de Maronin en l'Amé­

rique vers le Cap de Nord, et s'establiront s'ils le peuvent

1) M. B . I, pp. 86 et suiv. Dans le « Certificat » que L a Ravardière remit le 8 décembre 1615 au « Commandant en chef Alexandre de Moura » au fort Saint-Louis de Maranhão, on lit : « j e dis que la Rivière appelée Gran Para , sur cette côte, est une des barres et des bouches de celle qu'on appelle l 'Amazone et que ni sur l'une, ni sur l'autre il n'y a aucun fort, ni aucune garnison de soldats, ni résidents d'aucune partie de l 'Europe », R . B . II, pp. 25 et suiv.

2 ) Vo i r ci-dessus, page 77. 3) D'après la réplique française de février 1699, M. F . II, pp. 37, 38 ;

conf. M. F . I, page 6.

Page 139: Sentence du conseil fédéral Suisse

en autres terres, rivieres et isles non habitées par aucun prince chrestien, les plus commodes qu'ils pourront choisir pour le commerce depuis la rivière d'Orenoque icelle com­prise, jusques a la riviere des Amasones, icelle comprise, qui est depuis le trois cent dixième degré de longitude jusques au trois cent trentième et dans les terres si avant qu'ils se pourront étendre, et ez isles qui sont depuis le premier degré de latitude du costé du nord jusques au troisième degré, et si les dites terres, isles et rivieres ou partie d'icelles se trouvaient occupées par Princes Chres-tiens, se pourront établir avec eux, s'ils le peuvent com­modement ».

Les « Lettres patentes » de Louis X I V , de septembre 1651, nous renseignent officiellement sur le sort qu'eut cette concession. Ces lettres révoquent la concession Bon-temps, que les bénéficiaires n'ont pas su exploiter « en telle sorte que les pays, terres et isles du Cap de Nord, sont depuis longtemps et à présent dénués de tous Habi­tants François » 1). L'abbé Louis de l'isle Mariuault et Estienne le Roux chevalier, sieur de Royuille, reçurent alors la concession de la « Terre ferme du Cap de Nord en l'Amérique, depuis la Riuiere des Amazones, icelle comprise, jusques à la Riuiere d'Orenoque, icelle pareille­ment comprise ».

La société à laquelle fut octroyée cette concession se mit à l'œuvre en 1651, mais sans aucun succès; des 500 personnes environ qu'en 1652 elle avait débarquées à Cayenne, il ne restait l'année suivante que quelques mal­heureux qui acceptèrent l'offre d'un navire anglais de les

1) R . B . II, page 82. L e texte est emprunté à la « Bibl. nat. de Paris. Département des Manuscrits, Vol . in-folio. S. F . 303 »

131

Page 140: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 132

transporter à Surinam 1). En 1656, Cayenne abandonnée

tomba au pouvoir des Hollandais.

Dès 1663, Colbert chercha à changer le système

jusqu'alors suivi, en procédant comme il est dit plus haut,

page 78. L a « Compagnie de la France Equinoctiale » fut

fondée; sa concession avait pour frontières l'Amazone et

l'Orénoque ; Lefebvre de la Bar re qui en était le lieutenant-

général avait reçu les pleins pouvoirs pour « commander

en ladite qualité, tant aux peuples de ladite terre de l 'Amé­

rique ou France équinoxialle qu'à tous nos sujets ou estran-

gers, ecclésiastiques, nobles, gens de guerre et autres de

quelque condition qu'ils soient, estant audit pays » 2 ) .

L 'année suivante déjà la Compagnie de la F rance

Equinoxiale fut réunie à la grande Compagnie des Indes

Occidentales à laquelle fut expressément attribué entre

autres le territoire situé entre l'Amazone et l'Orénoque.

L e 15 mai 1664. La Barre prit Cayenne aux Hollandais.

Après un séjour de treize mois à Cayenne, il retourna en

France et publia, toujours en sa qualité de lieutenant-général

de la Guyane, une étude sur la Guyane française, intitulée :

« Description de la France Eqvinoctiale, cy-devant appellee

Guyanne et par les Espagnols, El Dorado, Nouvellement

remise sous l'obéissance du Roy, par le Sieur L e Febvre

de la Barre , son Lieutenant General dans ce Païs. Avec

la Carte d'iceluy faite et présentée à Sa Majesté par ledit

Sieur De L a Barre . Paris 1666 3 )» .

1) M. B . I, page 103. Rouillé, dans son mémoire de 1698, donne la même date pour l'arrivée et le même chiffre pour les nouveaux débar­qués, mais il ne dit rien de leur sort ultérieur, M. F . II, page 2.

2 ) M. F . I, page 7, R. F . , page 5b, d'après les Archives coloniales B 3 , 1671, fol. 103 à 106 et fol. 106, verso à 109.

3 ) R . B . II, pp. 95 et suiv. reproduit le titre et quelques passages du document.

Page 141: Sentence du conseil fédéral Suisse

La Barre désigne « L a France Equinoctiale » comme

« cette Coste de Terre ferme, qui commence sous la Ligne

à la pointe du Nord de l'embouchure de la grande Riuiere

des Amazones et court premierement au Nord, quart de

Nordest, jusqu'au Cap de Nord, puis Nord-Nordotiest

jusqu'au Cap d'Orange, de là jusqu'à l'embouchure de la

Riuiere de Marony Nordotiest quart à l'Ouest, et depuis

celle de Marony jusqu'à celle de l'Orinoque Oüest,

Nordotiest et quart de Nordotiest ; le tout contenant à peu

près trois cents lieues Françoises de coste, coupée d'vn

nombre presque infiny de Riuieres, qui fournissent vne

commodité tres-grande à ceux qui habitent et qui vou­

draient cy-apres peupler cette vaste étendue de Païs, à

qui nous ne donnerons point de bornes dans les Terres ».

L a Barre décrit l'étendue du territoire conformément

aux données des concessions antérieures, bien que celles-ci

n'eussent pas été suivies d'exécution ; la remarque par

laquelle il termine laisse entrevoir une future possession

illimitée.

Il donne de l'état réel du pays l'aperçu suivant : « Pour

en faire vne exacte Description nous la diuiserons en trois

Parties. La premiere contiendra toutes les Terres qui sont

depuis la Ligne, jusqu'au Cap d'Orange : L a seconde, celles

qui forment la Coste depuis ce Cap jusqu'à la Riuiere de

Marony ; Et la troisième, celles qui sont depuis cette Riuiere

jusqu'à celles de l'Orenoque: Lesquelles trois Parties l'on

pourra proprement appeller du nom de ceux qui les habitent ;

sçauoir, la premiere, Indienne à cause que toutes ces Terres

ne sont occupées que par des Indiens ; la seconde, Fran­

çoise, parce que les François sont à present Maistres de

toute la Coste, et y ont étably des Habitations considé­

rables, auec des Forts pour s'y maintenir ; la troisiéme,

Anglicane et Belgique, parce que les Anglois et Flamans

133

Page 142: Sentence du conseil fédéral Suisse

y ont diuerses Habitations, et en sont comme les Maistres

et Seigneurs.

L a Guyanne Indienne, qui contient enuiron quatre-vingts

lieues Françoises, est vn Païs fort bas et inondé vers les

Costes Maritimes, et depuis l'embouchure des Amazones

jusq'au Cap de Nord, qui est presque inconnu aux François ;

depuis lequel jusqu'au Cap d'Orange, quoy que le Pa ï s

soit de mesme nature, et que l'on ne voye sur ses Riuages

aucune Te r r e releuée, ny Montagne, mais seulement des

Arbres comme plantez dans la Mer, et diuerses coupures

de Ruisseaux et Riuieres, qui ne produisent d'autre aspect

que l'objet d'vn Païs noyé ; l'on ne laisse pas d'auoir vne

plus grande connoissance de ces Terres , parce que les

Barques Françoises, Angloises, et Holandoises y vont

souent traitter du Lamentin ou V a c h e de Mer, que les

Aracarets ou Palicours qui habitent cette Coste, leur traittent

après les auoir harponez dans les Ruisseaux et Marais qui

composent la meilleur partie de la Te r r e qu'ils habitent.

Nous connoissons dans cette Coste les Riuieres d'Ari-

cary, Vnimamary, et Cassipouro ; dans les deux premieres

desquelles la Mer monte en barre de sept, huit à neuf

brasses à pic, auec vn péril extraordinaire des Bastimens

qui y seroient entrez et ne se seroient pas mis à couuert

de ladite barre, ou derriere quelque Isle (dont il y en a

plusieurs) ou dans quelques ances, où les Nauires et Bar­

ques demeurent à sec, apres que la Mer s'est retirée. L e

peu de Te r r e propre à estre cultiuée, et la mauuaise qualité

de l'air de cette Coste, la rend inhabitable aux Européens,

qui y sont presque tous malades dans leurs Vaisseaux et

Barques, lors que par la durée de leur traitte ils sont

obligez d'y faire vn faire séjour considerable. »

E t plus loin : « Les Yaos Indiens y ont vne Habitation

plus belle et mieux cultiuée, que l'on ne pourroit attendre

1 3 4

Page 143: Sentence du conseil fédéral Suisse

135

du soin barbare de ces gens-là qui y sont au nombre

d'enuiron trente-cinq ou quarante. Ils sont si anciens Habi-

tans de ces Costes, que ie connois et ay parlé plusieurs

fois à vn Anacaïoury, petit-fils d'un Anacaïoury que

Jean Mocquet dit auoir veu en 1604, Roy de ce Païs. En

quoy il erre, ces Peuples n'ayans point de Roys, mais des

Chefs dans chacune Famille, comme cet Anacaïoury l'estoit

alors de celle auec laquelle Mocquet negotia. »

Parlant ensuite de la Riviere d'Yapoco : « Nous n'auons

pas encore connoissance de cette Riuiere plus loin que

trois ou quatre lieuës haut dans les Terres ; mais elle est

nauigeable, et auant qu'il soit un an, l'on en sera plus

instruit. A vne lieue, et le long de la Coste, est la Mon­

tagne de Comaribo . . . . L a Riuiere d'Aprouague . . . est

éloignée de huit lieues d'Yapoco . . . L'on peut à la

Riuiere de Marony mettre les bornes de la Guyanne Fran­

çoise, et le commencement de l'Anglicanne, puis que les

Anglois ont fait vn petit For t sur cette Riuiere, où ils ont

mis quelque Canon, et tiennent quinze ou vingt hommes

ordinairement. »

Quant aux Portugais, L a Barre en signale quelques-

uns qui sont établis sur la rive septentrionale de l'Ama­

zone. Il rapporte que les Indiens Aricarets ont eu avec les

Portugais « qui habitent le Fort Stierro, assis à la Bande

du Nord de la Riuiere des Amazones » un conflit à la

suite duquel une partie des Indiens est allée se fixer sur

les bords du fleuve de Cayenne.

Selon cet exposé du gouverneur, la Guyane française

s'étendait donc du Cap d'Orange au Maroni. Jusqu'en 1666,

les Français n'avaient exploré le Yapoco que trois à quatre

lieues en amont. L e pays situé au delà du Cap d'Orange

dans la direction de l'Amazone leur paraissait inhabitable

pour des Européens. L e Cap de Nord leur était « presque

Page 144: Sentence du conseil fédéral Suisse

inconnu » ; ils connaissaient bien sur le littoral les fleuves

« d'Aricary, Vnimamary et Cassipouro », et avec leurs

barques ils allaient, comme les Anglais et les Hollandais,

au pays des « Aracarets ou Palicours, qui habitent cette

Coste » pour faire la pêche du « Lamentain ou Vache de-

Mer ». Pa r crainte des Portugais qui étaient établis sur la

rive gauche septentrionale de l'Amazone, les Indiens étaient

allés se fixer sur la rivière de Cayenne.

Toutefois, à cette époque, l'occupation française était

loin d'être définitive. Pendant l 'absence de L a Barre ,

Cayenne fut prise en octobre 1667 par un amiral anglais;

la France était, en effet, l'alliée de la Hollande dans

la guerre que cet état soutint contre l 'Angleterre. A

la nouvelle de la paix de Bréda, Cayenne fut rendue

aux Français, en décembre 1667, mais elle avait été rava­

gée et toutes ses fortifications détruites L a colonie n'eut

pas le temps de se relever de ses désastres, entraînée

qu'elle fut en 1674 dans la ruine de la grande Compagnie

des Indes occidentales et dans la guerre qui, dès 1672, eut

lieu entre la F rance et les Pays-Bas. Cette fois les Hollan­

dais envahirent la Guyane française et, à la fin de 1674,

ils avaient repris Cayenne ; en 1675, les Etats Généraux

décidèrent qu'il serait créé un nouveau poste sur l 'Oyapoc 2 ) ,

une ville fortifiée à laquelle fut donné le nom de ville

d'Orange 3). A la fin de 1676, l'amiral français d'Estrées

reprit aux Hollandais Cayenne, en 1677 le fort sur l 'Oyapoc

fut occupé par les Français 4 ) . L e traité de paix de Nimè-

gue de 1678 assit enfin cette possession jusqu'alors si chan-

1) M. B . I, page 106, note 1. 2 ) Dès 1627, il existait un poste hollandais sur la rive gauche de

l'Oyapoc. (Voir ci-dessus, page 106). 3 ) M. B . I, page 107. 4 ) M. B . I, pp. 108, 109.

136

Page 145: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 137

geante. Le chevalier de Lezu de La Barre, frère du pré­

cédent, fut nommé gouverneur ; il avait pour aide-major

Pierre-Eléonor de la Ville de Ferrolles, qui fut plus tard

créé marquis de Ferrolles et succéda en 1690 à de La

Barre.

2 .

C'est alors que commencent les conflits avec les Por­tugais.

En 1666 déjà, le gouverneur Lefebvre de La Barre

avait parlé de barques françaises, anglaises et hollandaises

qui allaient souvent faire la pêche dans la Guyane indienne,

sur le territoire du Cap d'Orange, vers l'embouchure de

l'Amazone, sur la rive septentrionale duquel existait alors

déjà, à Macapa, la place fortifiée portugaise. Depuis 1679,

les incursions des négociants et pêcheurs français devinrent

de plus en plus fréquentes ; venant de Cayenne, ils passaient

l'Oyapoc pour pénétrer dans la « Guyane indienne » 1).

Les autorités portugaises, s'inquiétant de ces expédi­

tions successives, prirent des mesures pour défendre leur

territoire. L e 2 septembre 1684, le roi de Portugal avait

donné l'ordre au gouverneur-général du Maranhão de rendre

compte de la convenance qu'il pourrait y avoir « à fonder

un bourg ou forteresse au Cap du Nord et de l'intérêt

que l'on trouve, ou que l'on pourrait trouver, dans les

terres situées de ce côté, de la nature des Indiens qui

les habitent et de la distance qu'il y a entre la dernière

habitation et ledit Cap, et s'il était utile de fonder ledit

bourg ou forteresse, comment on le pourrait faire sans

l ) Voi r ci-dessous, pp. 180 et 182, le passage du mémoire de Fer­rolles, de 1698.

Page 146: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 1 3 8

porter ombrage aux étrangers, et surtout aux Français

qui habitent Cayenne et font le commerce dans ledit

Cap 1) ».

L e gouverneur-général Gomes Fre i re de Andrada ré­

pondit le 15 octobre 1685 2 ) : « L e Cap du Nord est une

borne qui se trouve à côté de la Rivière de Vicente Pinson,

près de Cayenne, par où l'on a fait la démarcation de ce

qui appartenait aux Portugais et aux Espagnols 3), et tout

ce qui se trouve entre ladite borne et Pa rá est appelé Cap

du Nord Les terres de cette partie du pays ne pro­

duisent rien dont on puisse espérer du profit ; elles sont

très peuplées d'Indiens et riches en plantes alimentaires,

quoique le sol soit marécageux. Jusqu'à Cayenne il n'y a

aucun établissement d'étrangers, ces baies n'étant d'ailleurs

pas accessibles aux navires, à cause de la violence des

courants que les indigènes appellent Upororocas.

C'est en terre ferme, à l'endroit nommé Torrego, que

l'on peut bâtir une forteresse destinée à mieux défendre

cette région contre l'intrusion des étrangers ; en cet en­

droit, il y en eut jadis une autre bâtie par des Anglais, et

qui fut prise par les armes de Votre Majesté, du temps

1) R . B . II, page 127, I V , page 35, cité dans la réponse du gouver­neur-général.

2 ) R . B . II, pp. 127 et suiv., pp. 35 et suiv. Tex te de la lettre qui se trouve à la Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. du Cons. Ultram o , Liasse n» 1028.

3 ) L e traité dit Tratado de Justilicacão, conclu en 1681 entre le Por­tugal et l 'Espagne (le protocole des délibérations des délégués chargés de déterminer la frontière de la Plata) avait fixé la démarcation au Cabo do Norte, d'après ce que dit le P . Pfeil dans son Compendio, ci-dessous visé. L e P . Pfeil exprimait la crainte que la F rance n'en tirât avantage pour augmenter ses possessions de Cayenne. E n adoptant l'emplacement proposé, on conjurait ce danger, car non seulement le Vincent Pinçon était relié à la frontière, mais encore on insistait sur ce qu'il était proche de Cayenne.

Page 147: Sentence du conseil fédéral Suisse

139

ou Francisco Coelho de Carvalho gouvernait cet Etat. L e

climat est insalubre. C'est ce pays qui produit tout le Cacao

qui vient au Para, d'où il est éloigné douze ou treize

journées.

La plus forte raison que l'on trouve pour l'utilité d'une

forteresse en cet endroit, c'est que déjà les Français com­

mencent à y venir, séduisant les Indiens et leur achetant

des esclaves, et s'emparant peu à peu du Fleuve des Ama­

zones, ainsi que Votre Majesté le verra par la pétition

des Capucins à la Municipalité da Pará qui sera présentée

à Votre Majesté en même temps que cette lettre ; et comme

le pays est habité par la plus grande et la plus belliqueuse

des tribus d'Indiens, celle des Tucujûs, ceux qui l'auront

de leur côté réussiront en toutes leurs entreprises, car

sans l'appui des Indiens on ne pourra pas s'emparer de

nos terres, de même que sans eux nous ne pourrons pas

nous défendre.

Sur la pointe des Iles de Janúyanes, en face de la

Rivière de Araguary, terre noyée à la marée haute, bien

pourvue de gibier et de poisson, et très saine, on peut

aussi bâtir un fort, car aucun des canots qui viennent de

Cayenne dans nos terres ne pourront y entrer sans être

vus dudit fort. Cette pointe se trouve à onze journées de

Pará et un peu moins loin de Cayenne.

Aucune de ces fortifications ne peut raisonnablement

éveiller les susceptibilités des Français de Cayenne, attendu

qu'elles seraient situées dans les terres de Votre Majesté,

et qu'ils ne pourraient pas craindre que nous en profitions

pour nous emparer de leur ville, qui ne nous apporterait

aucun des avantages qu'ils en tirent ; mais ce sujet mérite

d'être mûrement étudié, car le dessein de ces gens devient

de plus en plus visible et je ne sais même si ce ne sera

pas déjà trop tard quand nous voudrons les en empêcher ».

Page 148: Sentence du conseil fédéral Suisse

140

L e gouverneur-général portugais n'attachait pas grande

valeur au territoire portugais du Cap du Nord, mais il

reconnaissait que sans cette barrière, les Français seraient

bientôt sur les bords de l'Amazone. C'est pourquoi il pro­

posait de construire un fort sur le Torrego 1 ) et un autre

sur l 'Araguary.

L e Conseil des ministres recommanda au roi de prendre

la proposition en considération « pour défendre nos terres

et en interdire l'entrée aux nations étrangères » 2 ) .

L e 24 février 1686, le roi ordonna au gouverneur-

général 3 ) ; « de faire bâtir une forteresse sur la terre ferme,

à l'endroit nommé Torrego, où les Anglais en ont eu une,

que nos armes leur ont enlevée, et de rechercher en même

temps l'amitié des Indiens Tucujús, qui habitent ces parages,

en employant à cette fin les Pères de St. Antoine, qui ont

acquis du prestige et de l'influence sur eux. »

En ce temps-là, le gouverneur-général et le gouverneur

de Cayenne avaient échangé des lettres « sur l'entrée et le

commerce que les sujets du roi T rè s Chrétien cherchent

à établir dans les terres de cet Etat qui sont du côté du

Nord ». L e gouverneur-général adressa, le 23 août 1686,

un rapport au roi 4 ) , qui répondit en date du 21 décem­

bre 1686 6 ) : « Il m'a paru bon de vous dire, que la mesure,

prise par vous, de renvoyer à leur Gouverneur les prison-

1) R . B . II, page 128, note 2, fait observer : « L a rivière que les Anglais nommaient Taurege : le Maracapucú, à l'ouest de Macapá. »

2 ) Ibidem, page 130. 3) M. B . I, page 114, note 1, R . B . II, page 131, d'après Rivara,

Catalogo dos Manuscriptos de Bibliotheca Publica Eborense, Lisboa 1850, t. I, page 66 ; conf. Si lva, II, page 78.

4 ) M. B . I, pp. 115 et suiv., R . B . II , page 132, cité dans la réponse du roi.

6 ) M. B. I, pp. 114 et suiv., R. B . II, page 132, Bibl. Nationale de Rio de Janeiro, Ms. 878, fol. 56, 57.

Page 149: Sentence du conseil fédéral Suisse

141

niers français a été fort sage, comme toutes celles de votre

gouvernement. Et attendu que les moyens les plus efficaces

pour empêcher le projet des français sont ceux que votre

lettre contient, vous tâcherez de les laisser si bien disposés,

qu'Artur de Sá de Menezes, qui va vous succéder, les

puisse mettre à exécution. »

Et la réponse du gouverneur étant revenue sur la con­

struction de forts destinés à protéger le domaine de la

couronne de Portugal, le roi lui ordonne de choisir pour

ce fort, qu'il avait été auparavant déjà autorisé à bâtir,

l'emplacement qui lui paraîtrait le plus convenable ; puis le

roi continue : « Vous pourrez même faire construire, non

pas une forteresse seulement, mais encore toutes celles

que vous jugerez nécessaires, tant pour assujettir les sau­

vages du côté du nord, que vous aurez soin de persuader

par les cadeaux auxquels ils sont sensibles, que pour

mettre obstacle à toute nation qui entrerait dans les

terres de ma couronne sans les conditions requises pour

le faire. »

Le roi charge Antonio de Albuquerque Coelho, capi­

taine-major et gouverneur de Para 1 ) , de diriger la construc­

tion du fort.

Le roi écrit en outre : « Vous aurez recours, en même

temps, aux Missionnaires Franciscains de St. Antoine qui

ont des Missions au Cap du Nord, et à ceux des Pères de

la Compagnie de Jésus, qui seraient les plus aptes à ce

service, les prévenant en mon nom de ce qu'ils doivent

faire à fin de maintenir la loyauté et l'obéissance des Indiens

des Missions et d'arriver à assurer la paix et l'amitié avec

ceux des gentils qui n'ont pas encore été soumis... ; j ' a i

ordonné aux Pères de la Compagnie de Jésus d'établir une

1) Conf. Silva, I, pp. 24 et 28.

Page 150: Sentence du conseil fédéral Suisse

1 4 2

nouvelle Mission au Cap du Nord et vous les trouverez

dans la disposition habituelle à leur zèle dans les matières

du service de Dieu, notre seigneur, et du mien. Et pour

que les uns et les autres agissent sans se disputer leurs

juridictions, vous prendrez soin de séparer leurs résidences

et leurs Missions par des distances telles qu'ils n'aient point

à avoir de doutes sur ce qui revient aux uns et aux autres

pour la conservation des sauvages et pour le bien de

l'Etat ».

Ensuite de cet ordre, on commença à bâtir plusieurs

forts, dont l'un, sur la rive gauche de l 'Araguary, se

trouvait terminé à la fin de décembre 1687 l ) .

Antonio de Albuquerque, qui avait été chargé de la

construction du fort, entreprit en 1687 une expédition

dans les terres du Cap du Nord; conformément à 1'«ordre»

du roi, le gouverneur-général Gomes Freire de Andrada

lui enjoignit 2) :

« de passer à l'autre rive du fleuve des Amazones, en

compagnie de l'ingénieur de cet Etat, des soldats et d'autres

personnes pouvant servir de guides, et choisis à cet effet ;

de pénétrer dans l'intérieur du Cap du Nord en liant

commerce avec quelques tribus de Gentils, de celles qui

se trouvent en dehors de notre influence : d'aller voir et

examiner les emplacements où furent les forts de Torrego,

de Cumaú et de Mayacary, tous gagnés par les armes

portugaises 3 ) , et s'il en résultait que quelques-uns se trou­

vassent dans des positions favorables pour empêcher les

étrangers de venir trafiquer dans cet Etat, de faire dresser

1) M. B . I, page 122, note 2, R . B . II, page 138, note 15. 2 ) R . B . II, page 134. 3 ) Tor rego fut pris aux Anglais en 1629 par Pedro Teixeira, Cumaú

en 1632 par F . Coelho de Carvalho et Mayacary en 1646 aux Hollandais par Lucena de Azevedo. Conf. supra, pp. 108 et suiv.

Page 151: Sentence du conseil fédéral Suisse

143 —

1) M. B . I, pp. 91 et suiv., 118 et suiv., R . B . II, pp. 133 et suiv., I V , pp. 43 et suiv., d'après la Bibl. Xat. de Lisbonne, Arch. du Cons o

Ultram o , Liasse n° 1031.

par ledit ingénieur, des plans pour les relever ou les bâtir

à nouveau, tout en cherchant d'autres positions meilleures,

s'il s'en trouvait...».

Le 19 juillet 1687, de Albuquerque adressa au roi un

rapport ainsi conçu l ) :

. . .«Faisant ma route par des endroits d'où l'on peut

bien examiner et signaler les entrées les plus importantes

dudit fleuve des Amazones, j 'entrai dans la rivière d'Ara-

guary voisine de la pointe dudit Cap du Nord, laquelle je

n'ai pu doubler vu le péril de la navigation sur cette côte

qui ne se fait qu'à de certaines saisons. Des régions où

cette rivière prend sa source, ayant appris mon arrivée,

descendirent à ma rencontre quantité d'Indiens, de la nom­

breuse tribu des Maruanuns qui habite cet intérieur, les­

quels j 'ai fait aussitôt entretenir de ce qui convenait au

service de Dieu et de Votre Majesté, et, montrant leur

contentement, ils exprimèrent leur grand désir d'être chré­

tiens, en demandant de leur donner immédiatement un

missionnaire, ce qui n'était pas en mon pouvoir vu que je

n'avais avec moi que le Père Antonio Pereira, de la Com­

pagnie de Jésus, et son compagnon, lesquels devaient

continuer le voyage avec moi ; mais je les ai contentés

avec la promesse que bientôt ils obtiendraient ce qu'ils

désiraient.

Sur cette dite rivière, j 'ai appris que huit Français

faisaient séparément le trafic d'esclaves dans le fleuve des

Amazones, aux îles des Aroans, où les Religieux Capucins

ont leur mission : et les envoyant chercher, on n'en trouva

que trois avec quelques esclaves qu'ils avaient déjà ache-

Page 152: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 1 4 4

tés, et j 'a i appris que, poursuivant leur commerce, les

autres étaient passés dans l'intérieur des Tocujuz, à peu

de distance du fort de Gurupá. Et après leur arrivée, j 'a i

fait part au Gouverneur de l'Etat des circonstances où je

les rencontrai, continuant cependant à pénétrer dans la

rivière et les lacs de Mayacary, où vivent plusieurs autres

tribus de gentils dont j 'a i fait convoquer les chefs au vil­

lage situé au milieu d'un grand lac nommé Camonixary.

Les ayant entretenus de la façon que j ' a i dit, ils accueil­

lirent avec empressement mes propositions et exprimèrent

le désir d'être admis à la conversion de la Foi et à notre

amitié, laissant entendre combien les contrariaient les rela­

tions avec les Français qui fréquemment parcouraient ces

régions et passaient devant leur village qui se trouve sur

la route qu'ils prennent habituellement pour aller au dit

fleuve des Amazones.

Sur ces mêmes lacs, j ' a i fait la rencontre d'un canot

avec d'autres Français venant de Cayenne, pourvus de

quantité d'outils et autres marchandises pour le commerce

d'esclaves, qui est le but de leurs incursions, et porteurs

d'un permis par écrit de leur gouverneur, Pierre Ferrolle,

lesquels, malgré leur répugnance, bientôt vaincue, se

rendirent en bonne paix. Après quoi, les traitant avec

modération, tout en leur faisant de sévères remontrances

sur leur hardiesse d'entrer ainsi dans les terres de Votre

Majesté, et les avertissant de bien prendre garde de ne

pas être de nouveau rencontrés dans ces parages, ou dans

d'autres qui nous appartiennent, et cela sous peine d'être

différemment traités, je les ai fait aussitôt retourner avec

une lettre pour leur gouverneur, dont une copie sera pré­

sentée à Votre Majesté avec celle-ci. Pour ce qui est des

rameurs qui les transportaient, lesquels étaient des Indiens

de la Rivière de Vicente Pinson (endroit où, disent les

Page 153: Sentence du conseil fédéral Suisse

145

anciens, fut placée la borne de la limite de cette Couronne),

je les réprimandai en leur déclarant qu'ils n'étaient pas

vassaux desdits Français, mais de Votre Majesté, et que

comme tels ils seraient châtiés si de nouveau ils s'employaient

à ramer pour eux (les Français) ou à les guider vers ces

régions, avec d'autres raisons convenables à notre but, ce

à quoi ils se soumirent, en disant qu'ils le feraient savoir

à leurs Chefs. Et ils ont promis de ne plus accompagner

lesdits Français, pour lesquels cette entrée ne sera pas

facile, si lesdits Indiens ne leur portent quelque aide; car

on ne permet pas aux Indiens de Cayenne de les accom­

pagner jusque là. A ces dits rameurs j 'a i fait aussitôt dis­

tribuer quelques cadeaux, qu'ils apprécièrent beaucoup,

signe pour tous de fidèle amitié, que seuls la crainte ou

l'intérêt entretiennent chez eux.

Et voyant que la baisse des eaux rendait difficile le

passage de mes canots et m'empêchait de poursuivre mon

voyage à travers l'intérieur du pays jusqu'au point de la

côte où fut ladite forteresse de Mayacary, je me suis décidé

à retourner, laissant audit village Camonixari le mission­

naire qui m'accompagnait, plus nécessaire à cet endroit

vu les demandes des gentils, lesquels se mirent aussitôt,

et en toute diligence, à bâtir une église et la maison pour

ledit missionnaire.

Il est certain, Sire, que, si cet ordre de Votre Majesté

était arrivé plus tôt, ma mission aurait été terminée, car ce

passage n'est ouvert que du mois de janvier à celui de mai.

Dans tous ces parages, je n'ai trouvé aucun emplace­

ment qui fût avantageux pour l'établissement de forts, et

seulement au confluent de la rivière Mayacary, qui se jette

clans l 'Araguary (par où sortent tous les Français qui

viennent de Cayenne à travers lesdits lacs), j ' a i ordonné

au capitaine du génie de dresser le plan d'un blockhaus,

10

Page 154: Sentence du conseil fédéral Suisse

146

et pour le moment on a commencé à y en bâtir un, en forme de vigie, qu'on pourra rendre plus important pour empêcher l'entrée desdits Français , ce qui serait faisable très facilement. Et quoique le pays soit marécageux, on y a l'avantage du voisinage des Indiens Maruanuns pour le ravitaillement de la garnison ; et ce blockhaus ne pourra pas être enlevé par lesdits Français , lesquels parcourant cette région des lacs sur de petits canots, seraient aisément repoussés.

Ayant accompli ces choses et visité ces parages de la Rivière d'Araguary et des lacs de Mayacary, et fait connaissance avec tous ces Indiens, j ' a i dépensé avec eux force cadeaux, ce qui était nécessaire pour qu'ils fussent satisfaits de notre commerce . . . E t au retour, en remontant le fleuve des Amazones du côté du Cap du Nord, nous n'avons pas vu d'endroit propre à être fortifié, ni de terre ferme, si ce n'est l'ancien emplacement dudit fort de Cumaú; et, quoique je n'en aie pas trouvé de vestige, l'endroit m'a paru très favorable et les terres bonnes pour être habitées. Il y a aussi le voisinage de quelques Indiens et celui du pays des Tocujuz, tribu très étendue, d'où lesdits Français emportent le plus grand nombre d'esclaves. »

Ce rapport démontre:

1° que c'est sur l'ordre du roi et selon les instructions du gouverneur-général de Maranhão, donc officiellement, qu'Antonio de Albuquerque, gouverneur de Para, entreprit en 1687 son expédition sur la rive septentrionale de l'Ama­zone ;

2° qu'il pénétra dans l'intérieur du pays jusqu'aux lacs de Mayacary, mais dut renoncer à aller plus loin, la saison étant trop avancée;

3° qu'il traita le pays comme une dépendance de la cou­ronne de Portugal et en conséquence a) fit prisonniers les

Page 155: Sentence du conseil fédéral Suisse

147

Français qu'il y trouva, les expulsa et chercha à rendre

impossible à l'avenir toute intrusion des Français dans la

contrée ; b) rappela sévèrement aux indigènes leurs devoirs

de sujets, laissa chez eux des missions et commença à y

construire des forts ;

4° que, se basant sur le témoignage de personnes âgées, il

considérait le fleuve Vincent Pinçon comme la frontière

septentrionale de la Guyane portugaise ; aussi rappelait-il

à leurs devoirs de sujets les indiens qui, habitant sur les

bords du fleuve, avaient servi de rameurs aux Français de

Cayenne pour les amener aux lacs de Mayacary;

5° que, selon lui, la rivière de Vincent Pinçon se trouvait

entre Cayenne et les lacs de Mayacary.

La Guyane des Indiens indépendants, telle que la con­

cevait La Barre, n'existait pas pour les autorités portu­

gaises; on put le constater lors de la rencontre de quelques

Français avec l'expédition du gouverneur Albuquerque,

en 1687.

3.

A cette époque, les publications du P. De Souza

Ferreira et du P. Aloysio Conrado Pfeil vinrent étayer la

conception portugaise revendiquant pour le Portugal la

contrée au nord de l'Amazone jusqu'au Vincent Pinçon.

Joâo De Souza Ferreira, prêtre de l'Ordre de St. Pierre,

résida pendant de longues années à Belem de Para ; vers

1685, il rédigea un « Noticiario Maranhense», dont le ma­

nuscrit a été conservé 1 ) . Il y donne les indications ci-après :

1) R . B . II, page 123, cite d'après la copie de la Bibl. Nat. de Lis­bonne, Manuscrit, Cod. n° 467 (B . 6, 19); il existe, dit R . B. , une seconde copie à la Bibl. d'Evora. Voi r un passage de l'ouvrage, ibidem, pp. 123

Page 156: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 148 —

et suiv., I V , pp. 31-33. L e s notes du P . de Souza ont été utilisées pour la rédaction de la duplique du Portugal de 1699, R . B . II, page 320, note 73.

« De l'embouchure du Pará » il y a 70 lieues jusqu'au « Cap

du Nord » (ainsi nommé parce que c'est la pointe de terre

que le fleuve des Amazones avance de l'autre côté sur la

mer par 2 degrés 40 minutes Nord), telle est la « largeur de

l'embouchure du fleuve»; «vers le Couchant, en doublant

ce Cap autrement nommé de los Humos, à 40 lieues der­

rière lui se trouve le ryo de Vicente Pinçào, par un autre

nom dit aussi ryo Fresco , et les indigènes dans leur langue

le nomment Quachipurú, où d'après le bon accord des

deux couronnes, se termine la frontière du Brésil pour

cette partie du Nord et commence celle des Indes Occi­

dentales, et d'où, en longeant la côte à vue de terre, il y

a 60 lieues jusqu'à Cayenne, par 4 degrés».

Ensuite il parle des expéditions des Anglais, des Hol­

landais et des Français ayant pour but « la célèbre Cayenne,

si disputée, plutôt à cause de ses dépendances de la terre

ferme voisine, que par la valeur de l'île même qui n'est

pas grande». Il continue en ces termes: « La multiplicité

des prétendants à cette côte a fait disparaître une borne,

qui avait été plantée à l'embouchure de la rivière de Vicente

Pinção, ayant les Armes de Castille sculptées sur la face

qui regardait au couchant, et sur celle qui était tournée

vers l'Orient les Armes de Portugal, ainsi qu'en témoignent

les explorateurs encore vivants qui ont vu et touché ladite

borne apportée de Portugal et érigée par le deuxième

Gouverneur de l'Etat, Bento Maciel Parente, lequel prit

possession de cette Capitainerie du Cap du Nord, en vertu

de la donation que lui en fit S a Majesté Sérénissime

Philippe I V , signée de sa royale main, le 14 juin 1637,

Page 157: Sentence du conseil fédéral Suisse

quand il régnait en Portugal et gouvernait les terres de

ce Royaume par l'intermédiaire de Bureaux et de Ministres

portugais; ainsi qu'en fait foi le Livre du Registre des

Douanes de Para, indiquant les originaux en Portugal

dans le Livre XII I d'India e Mina, et dans ceux des

Finances.». . .

L e P. Souza Ferreira, renvoie aux documents offi­

ciels, ce qui prouve qu'il connaissait fort bien la donation

faite à Parente; il suivait avec attention les entreprises

des Hollandais, des Anglais et des Français en Guyane.

Il ne donne pas une description proprement dite de la côte,

se bornant à en mentionner les points principaux, le Cap

du Nord, le Vincent Pinçon et Cayenne. Voici les plus

importantes de ces indications:

1° Il évalue à 40 lieues la distance du Cap du Nord

(2° 40' N) au Vincent Pinçon, à 60 lieues la distance entre

le Vincent Pinçon et Cayenne (au delà de 4°).

2° Il admet que le ryo Vicente Pinção s'appelle aussi

ryo Fresco et ne serait autre que le Quachipurú des

indigènes.

3° Il affirme que Bento Maciel Parente a placé à

l'embouchure du Vincent Pinçon une borne-frontière appor­

tée du Portugal et portant sculptées les armes de Castille

et du Portugal; cette borne aurait toutefois disparu, mais

il invoque le témoignage de « conquistadores » encore

vivants qui l'avaient vue et touchée.

En 1693, le P. Souza Ferreira écrivit l' « America

Abbreviada 1) », dont le manuscrit a été également con-

1) America Abbreviada, suas noticias e de seus naturaes e em par-

ticular da Maranhão, pelo P. João de Sousa Ferreira, Presbytero da

Ordem de S. Pedro, natural da Vi l la da Ponte; R. B . II, pp. 157 et

suiv., I V , 39 et suiv., Bibl. d'Evora, Cod. C X V I , 1-8, 1 vol., 185 et suiv.,

reproduisent des passages du manuscrit.

149

Page 158: Sentence du conseil fédéral Suisse

1 5 0

servé. Il y répète une partie de ses informations anté­rieures; l'histoire de la borne-frontière est modifiée. Deux nouvelles bornes viennent s'ajouter à celle que Parente avait placée sur le Vincent Pinçon: « L à furent plantées deux bornes de marbre, l'une au Levant avec les Armes du Portugal, l'autre au Couchant avec les Armes de Castille, suivant les ordres de S a Majesté Charles-Quint et de S a Majesté le Roy Dom Jean I I I . . . Par suite de la multiplicité des prétendants à la possession de cette côte du Cap du Nord, ont disparu non seulement les premières bornes, mais encore la deuxième, plantée au Levant du Ryo Vicente P inçon . . . »

La nouvelle version est empruntée à 1' « Historia Pon­tifical, 5. part., liv. 9, cap. 5, let. D » c'est-à-dire à l'exposé historique du carme Guadalaxara (1630), exposé mentionné ci-dessus, page 101 ; Guadalaxara l'avait trouvée dans la « Relacào » de Sylveira (1624), dont il est question à la page 100 mais, grâce à une interprétation erronée du texte, de l'unique borne-frontière de Charles-Quint signalée par Sylveira, il en avait fait deux 1).

Souza Ferre i ra expose ensuite : « Dans le mémoire explicatif de ce traité (se. de l'inutile

et inappliqué Traité du Sacramento de 1681) on a argu­menté avec les Fleuves des Amazones et de L a Plata per accidens de la grandeur, mais on a en même temps déclaré les points précis et définis, sans qu'il soit besoin de déter-

1) Comparez entre eux les deux passages de Guadalaxara et Syl­veira, ci-dessus pp. 102, note 2, et 101, note 1 ; le texte de Guadalaxara, emprunté à Souza Ferre i ra , reproduit presque mot à mot, le texte de Sylveira. Toutefois, Guadalaxara a pris « l'un » et « l'autre » côté du pa-drAo dont parle Sylveira, pour «l 'un» et «l 'autre» côté du fleuve, ce qui donne deux bornes-frontières au lieu d'une seule et unique, une borne sur chaque rive du fleuve.

Page 159: Sentence du conseil fédéral Suisse

miner tous ceux de la partie du Nord où la limite est

déjà hors de question et reconnue par le Roy Catholique

lui-même.

Les Portugais y ont toujours exercé leur droit, non

seulement en délogeant par de fréquents combats les Hol­

landais des différents endroits où ils s'étaient introduits sur

cette côte . . . , mais encore en soumettant les indigènes en

plusieurs expéditions, dont les chefs reçurent des Gouver­

neurs les cédules et provisions pour gouverner et exercer

le commendement sur ces peuples au moyen d'un com­

merce familier et quotidien au temporel comme au spirituel.

Les Missionnaires de la Compagnie de Jésus y résident et

enseignent depuis plus de soixante ans, et il y a peu de

temps encore, les gentils (par haine de leur doctrine, sur­

tout parce qu'elle leur interdit d'avoir plusieurs femmes

selon leur coutume) en ont martyrisé deux qui enseignaient

sur la côte de cette Capitainerie et Cap du Nord, en les

assommant avec des massues aux lacs de Aragoary 1)» et

les attachant ensuite à des arbres. L'un deux était le

P. Antonio P e r e i r a . . . et son compagnon le P. Bernardo

Gomes . . . L a même entreprise est poursuivie par les Reli­

gieux de l'ordre des Capucins de Saint Antoine dans les

peuplades des Aroans et les nations qui habitent ces côtes

et barre du Cap du Nord.

Chose non moins importante fut la grande dépense

faite avec ces gentils, pour les tenir en bonne paix, par

le Donataire et son fils Vital Maciel Parente, dont sont

encore grevés leurs hér i t ie rs . . . Et quand même le Portu­

gal n'aurait pas le titre, il lui suffirait de son droit acquis

1) Albuquerque, ainsi qu'il le mentionne dans son rapport (voir ci-dessus, page 144). les avait laissés là lors de son expédition de 1687. Il faut qu'ils aient été mis à mort dans le courant de la même année, ainsi qu'il résulte du rapport de Ferrolles, de 1688.

151

Page 160: Sentence du conseil fédéral Suisse

152 -

avec possession pendant soixante-dix ans, dont il jouit

maintenant, tant de ladite Capitainerie du Cap du Nord

que de tout le fleuve des Amazones, ses terres et versants

des eaux de l'une et l'autre rive depuis le Ryo de Vicente

Pinçon jusqu'à la nation des Cambebas et confluent du

Ryo do Ouro, dont le 26 août 1639, Pedro Teixeira . . . prit

possession au nom de la Couronne de Portugal. »

C'est ainsi que le P. Souza Ferreira considère comme

établie la domination du Portugal sur le territoire du

Cap du Nord jusqu'au fleuve de Vincent Pinçon: par la

délimitation ordonnée par le roi d'Espagne Philippe I V ,

par l 'exercice de certains droits de souveraineté, par l'or­

ganisation d'une administration civile et ecclésiastique, par

les dépenses faites au profit du pays et par une possession

effective de 70 ans.

Dès 1680, le P. Aloysio Conrado Pfeil consacra une

vingtaine d'années à rassembler des matériaux relatifs aux

droits du Portugal sur le territoire de l'Amazone et à écrire

l'exposé de ces droits.

L e P. Pfeil 1)né en 1638 à Constance, membre de

la Compagnie de Jésus depuis 1676, envoyé en 1679 dans

la province du Maranhão, à Para , était missionnaire dans

la Capitainerie du Cap du Nord; en 1682, il porta à la

connaissance des Indiens de ce pays la loi du roi de Por­

tugal qui interdisait de les réduire en esclavage 2 ) . En 1683,

1) R . B . II, pp. 108 et suiv. donne la plus grande partie de ces notes biographiques.

2 ) «En l'année 1682 le Roi notre Maître ordonna au Père Pedro Luiz, supérieur des missions, et au Pè re Aloisio Conrado, tous les deux de la Compagnie de Jésus, d'entrer dans l'intérieur de ce pays sans dépasser les limites des possessions de la Couronne de Portugal. L e but, dans lequel ils ont été envoyés outre celui d'aller prêcher l 'Evangile, fut de publier parmi ces Indiens la loi que S a Majesté (que Dieu l'ait en sa garde) venait de promulguer, prohibant l 'esclavage des Indiens », R . B . II, p. 237.

Page 161: Sentence du conseil fédéral Suisse

153

le roi de Portugal lui ordonna de mettre ses notes au net 1) ;

en 1688, il se trouvait encore dans une mission « au nord

de l'Araguary ». Il fut ensuite durant plusieurs années pro­

fesseur de mathématiques au collège de Para, écrivit une

« Relation » que le Portugal utilisa dans sa duplique de

1699 ; le 1 e r avril 1700, il envoya, sur l'ordre du roi, au

gouvernement portugais son « Compendio » sur la question

des frontières du territoire de l'Amazone, fut appelé en

1701 par le roi Pedro III à Lisbonne et mourut pendant la

traversée 2 ) .

Parmi les écrits du P. Pfeil, le « Compendio » a été

conservé ; il a pour titre en français : « Résumé des raisons

et des arguments les plus importants qui prouvent évidem­

ment que la Capitainerie appelée du Nord, située à l'entrée

de l'embouchure du Fleuve des Amazones, appartient légi­

timement à la Couronne de Portugal, et que le Roi de

France n'a et n'a jamais eu un droit sur elle, ni sur le

Para, ni sur le Maranhão non plus».

L'original de l'écrit existe, l'authenticité en est par

conséquent incontestable, comme il est hors de doute que

l'auteur est bien le P. Pfeil 3 ) . .

1) Rapporté par le P. Pfeil dans la préface du Compendio, R .

B . II, page 372. 2 ) « Missionnaire au Cap du Nord, appelé en Portugal par le Roi

Dom Pedro et décédé pendant la traversée ». Note ajoutée à la copie du

Compendio conservée à la Bibl. Nat. de Lisbonne (Collection Pomballina,

n° 687, page 193), R . B . II, page 372. 3 ) L e « Compendio » est conservé à la Bibliothèque du Roi de

Portugal, au palais d'Ajuda, Lisbonne, dans un volume in-folio Mis­

cellanea; il porte le t i tre: «Papéis juridicos e politicos ». Ce ma­

nuscrit, lit-on dans la préface, a été mis au net par le copiste ordinaire

du P. Pfeil, « lequel (copiste) allègue des raisons de santé pour ne pas

continuer la copie commencée du livre » et par le sergent-major José

Velho de Azevedo ; la préface est signée de l'auteur, qui a ajouté au-

Page 162: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 154

L a préface mentionne un ouvrage plus complet (tout le livre) auquel le même auteur aurait travaillé pendant vingt années ; une note qui se trouve à la fin de la préface annonce que le « Sommaire » du livre sera joint au Com­pendio et le « Sumario » des trois parties du livre se trouve en effet joint à l'original du Compendio.

Ce « Sumario » lui aussi est donc authentique ; il in­dique quel fut le contenu du grand ouvrage du P. Pfeil. Une partie de cet ouvrage a été conservée en une copie ;

il est intitulé: « Anotaçam », etc. 1 ) «Remarques sur les frontières du Brésil avec une détermination de la ligne, tirée d'un pôle à l'autre, qui divise les terres occi­dentales du Portugal et de Castille » etc. ; sur le titre est mentionné comme auteur : « P. Aloysio Conrado Pfeil, da Companhia de Jesu, Germano e Missionario do Maranhão ».

Outre le texte de la première partie de l'Anotaçam, cette copie contient de nouveau le Sumario de cette partie.

Il est par là établi que le Compendio aussi bien que les Anotaçam sont authentiques et ont pour auteur le P. Pfeil. Dans la préface du Compendio, le P. Pfeil fait observer que les Anotaçam ont été écrites au jour le jour ; elles n'ont peut-être jamais été mises complètement au net. C'est pourquoi les « brouillons des Anotaçam » ont été conservés.

Voici les raisons qui démontrent que ces brouillons, trouvés en pages détachées dans un volume de la Biblio­thèque d'Ajuda 2 ) , ont pour auteur le P. Pfeil :

dessous de sa signature neuf lignes de sa main; R . B . II, pp. 371-375; I V , pp. 143-146 et le fac-similé de la dernière partie de la préface dans R . B . V .

1) Voi r le titre dans R . B . II, page 107. L a copie se trouve à la Bibl. Royale d'Ajuda à Lisbonne.

2 ) R . B . II , page 107. Une partie de ces brouillons a été reproduite

en photographie dans R . B . V , n° 3. Dans R . B . I V , pp. 21-29, se

Page 163: Sentence du conseil fédéral Suisse

1. Leur auteur était arrivé dans le pays en 1679, il était missionnaire dans le territoire de l'embouchure de l'Amazone, il connaissait un agent de Parente, il avait des nouvelles de Cayenne et suivait l'expansion française dans le pays, etc. ; tout cela s'applique au P. Pfeil.

2. Ces brouillons traitent des mêmes sujets que le Compendio et l'Anotaçam : de la frontière du Vincent Pinçon, du traité de 1681, dont ils parlent dans les mêmes termes dédaigneux que le Compendio, du Cap Humos qui, d'après les notices aussi bien que le Compendio, doit se trouver sur la rive droite de l'Amazone, à proximité du Tapajoz.

3. Leur rédacteur a à sa disposition les ouvrages scientifiques consultés par l'auteur du Compendio et des Anotaçam ; non seulement Laet, Harcourt, d'Avity, etc., mais encore des livres beaucoup plus rares : celui de Riccioli et les tables du jésuite Aigenler, d'Ingolstadt, qui, d'après le Compendio, avait été le condisciple de Pfeil à Ingolstadt et dont la « Table géographique » avait été en­voyée par Pfeil en Portugal en même temps que le Com­pendio 1).

4. L'argument décisif est : toute une partie des brouil­lons (fol. 108 et 109) contient un exposé correspondant aux rubriques du Sumario (chap. I de la Parte segunda) et tout un passage est absolument identique. Il est dit dans le Sumario : « Parte Segunda. Contem a resoluçao conforme os solennes e jurados contratos antigos » les mêmes mots se retrouvent dans les brouillons, fol. 104.

trouve une reproduction partielle du texte original, mais qui n'est pas partout exacte ; R . B . II, pp. 109 et suiv., donne une traduction incom­plète. R . B . n'établit que d'une manière incomplète que l'auteur est le P . Pfeil.

1) Conf. R . B . II, page 373.

155

Page 164: Sentence du conseil fédéral Suisse

1 5 6

Il existe donc trois œuvres du P. Pfeil :

1. le « Compendio » complet 1) ;

2. le livre des « Anotaçam », incomplet 2 ) ;

3. des brouillons des Anotaçam 3 ) .

Voici quelques extraits de ces brouillons :

L a largeur de l'estuaire de l'Amazone du « Cabo do

Norte proprio » jusqu'à Vigia est d'environ 60 lieues espa­

gnoles, le Cabo do Norte se trouve par la latitude de

2° 52', longitude 334° 36' (fol. 106 recto). L'î le de Cayenne

est par 4° 37' de latitude, 330° 35' de longitude ; il est donné

des indications sur l'étendue et la position de cette île

(fol. 106 verso); un croquis de l'île est dessiné au haut de

la marge de la page.

Aux pages 106 (verso) à 109 (recto), le P. Pfeil examine

de près la question du « Rio Pinçon ».

Il signale le commencement de cet exposé par une

note marginale folio 106 (recto) écrite en gros caractères :

« Incipit Pinçon Ver t e folium Já que o Pinçon ».

«Puisque la rivière Pinçon —ainsi commence ce passage

— est la limite certaine de la Couronne du Portugal, et

que cela est méconnu, on doit expliquer en détail sa nature

et plus encore au Roi son Maître, car il importe qu'il ait

presque sous les yeux cette rivière, qui lui est soumise et

1) Un passage dans R . B . II, pp. 371 et suiv., IV, pp. 143 et suiv. Conf. ci-dessus, page 23.

2) R . B . II , page 107. L e texte que le Brés i l ne reproduit pas eût eu peut-être de l'importance pour élucider la question de savoir comment le Vincent Pinçon est devenu le fleuve frontière entre les possessions portugaises et espagnoles.

3 ) Comme il est dit ci-dessus, en reproduction photographique (R. B. V, n° 3), transcrits (ibidem, I V , pp. 21 et suiv.) avec une traduction française de certains passages (ibidem II , pp. 109 et suiv.).

Page 165: Sentence du conseil fédéral Suisse

remplit les conditions requises pour être la limite des terres

du Portugal du côté du Nord »

Puis il énumère plusieurs « cosmographes ou pilotes

de différentes nations » qui ont étudié et décrit cette ri­

vière : « Laet, d'Avity, Harcourt, Moquet, Samuto, Linschot,

Ralegh, Knivet, Candish, Kemnys, etc. » et continue en ces

termes : «J'ajoute peu de particularités nouvelles que je

possède d'après des renseignements sûrs obtenus des Fran­

çais de Cayenne qui constamment la traversent » 2 ) .

La rivière porte le nom de l'espagnol Vicente Yañez

Pinçon, dont le P. Pfeil dit par erreur qu'il accompagna

Christophe Colomb dans son troisième voyage, celui de

1499, et que lors de cette expédition, au cours de laquelle il

découvrit « lo rio Wiapoc », il aurait longé la côte vers le sud.

Les géographes donnent au « Rio Pinçon » divers noms

empruntés aux dialectes des Indiens, « mais c'est toujours

la même rivière » (mas sempre he mesmo) que Harcourt

appelle « Wiapoc », Moquet « Yapóc », ou d'Avity, d'après

les cartes françaises « Vaiabógo », « communément et mieux

on dit Oyapóc, qui veut dire la même chose que Oyapucú ou

grand Oya, pour le distinguer de Oya min, ou petit Oya,

la rivière de la Terra firme plus voisine de l'île de Cayana

et que (je crois) Riccioli tient pour la même rivière nommée

de Cayána 3 )» .

1) « J á que o Rio Pinçon he certo limite da Coroa Portugal, e o mesmo ser desconhecido se deve ao leitor a mendo explicar sua consti-tuiçam, e mto mais a E l Rey seu senhor importa que o veja quasi di antes (?) dos olhos o seu subdito que he muy capaz de ser limite das terras de Portugal pelo Norte », R. B . I V , page 23, conf, ibidem II, page 110.

2 ) « Poucas são as particularidades que acrescentado tenho mesmo das seguras informações dos de Cayena Francezes que continuamente o passão », R . B . I V , page 23, conf. ibidem II, page 110.

3) Communemente melhor corre Oyapóc, que quer dizer o mesmo que Oyapucú ou Oya grande, à distincção de Oya mir ou pequeño, Rio

157

Page 166: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 1 5 8

« Tous les cosmographes donnent à cette rivière de

Vincent Pinçon une latitude nord d'au moins 2 degrés ».

«J'ai trouvé seulement, dit l'auteur, le P. Simâo Vasconcellos,

qui, s'étant trompé, dans sa Chronologie, page PS, le place

sous l'équateur, comme aussi le Cabo do Norte, ce qui

est une erreur très grave et intolérable 1).»

Puis sont énumérées les diverses latitudes sous lesquelles

quelques auteurs ont placé le Vincent Pinçon : Riccioli 2° 40'

latitude nord, Barnicio 3° 40', Langren 3" 30', Laet 4° 30',

d'Avity 4°, Aigenler 3° 40'. C'est la détermination d'Aigenler

qu'adopte le P. Pfeil « parce qu'il a comparé autant qu'il

était possible, comme j ' a i comparé moi-même, les meilleures

cartes » ; il admet donc la latitude de 3° 40' et prend pour

longitude 325° 13'.

Plus loin, le P. Pfeil indique la distance à laquelle se

trouve le Vincent Pinçon des points principaux du litto­

ral : « en voyageant le long de la côte » (itinerando pela

costa), il y a 48 lieues espagnoles, 70 lieues françaises du

Vincent Pinçon au Cabo do Norte, « selon ce que m'ont

assuré les Cayennais » (segundo os Cayenenses me affir-

marâo). L e méridien du Vincent Pinçon est éloigné du mé-

de T e r r a firme mais proximo a Ilha Cayána, c que (creo) o Ricciolio tem por o mesmo Rio dito Cavana », fol. 108 verso ; R. B. II, page 113, IV , page 25.

l ) « Comtudo a este Rio de Vicente Pinçon pöem todos os cosmo-graphos em latitud pa o Norte e ao menos em dous graos. Somente achei o Padre Simão Vesconcellos enganado que na sua Chronologia pag. 18 o mete debaixo da linea Equinocial, como tambem o Cabo do Norte ; que he erro gravissimo e intoleravel », fol. 108 verso ; R. B . II. page 114, IV, page 26. L'histoire, ici citée, de la Compagnie de Jésus de l'Etat du Brésil, par le P. Simão Vasconcellos, de 1663, (R. B. II, page 114, note 10) est mentionnée aussi dans le Compendio, où le P . Pfeil reproche à son collègue de nommer « injustamente » la rivière Vincent Pinçon, un « Riacho de Pinçon ».

Page 167: Sentence du conseil fédéral Suisse

ridien du Cabo do Norte de 2° 50' ; Laet ne donne pas la

distance, mais il place le Cap de Nord par 1° 50', ce qui

est plus favorable au Portugal (que fica mais favoravel a

Portugal). En ligne droite, le Vincent Pinçon est à 1° 11'

de Cayenne ; en naviguant, à 22 lieues espagnoles, à 30

lieues françaises. La distance de Para est de 5° et d'envi­

ron 10'. La distance de l'île de Saint-Antam (une des Iles

du Cap Vert) est de 24° ou 420 lieues, ce que les plénipo­

tentiaires auraient dû insérer dans le Tratado da justifi-

cacâo l ) .

« Depuis deux siècles déjà, cette rivière de Pinçon en

elle-même est célèbre pour tous les géographes des rois,

(Laet, p. ex.), parce qu'elle fait partie comme frontière de la

fameuse ligne du pape Alexandre 2 ) . » Après la rivière Aper

Wacque, elle est certainement la plus importante et la plus

renommée de toutes les rivières de la province Guaiana

ou Guiana, d'après Laet. Vient ensuite la description de­

là rivière, empruntée pour la grande partie à Laet, à ce

que dit le P. Pfeil.

Quelques cartes placent la source du Vincent Pinçon

non loin de celles des rivières Arawary, Macapà, Mahy et

Anaguaripucu. « Mais le Pinçon reste exclu de la commu­

nication avec le fleuve des Amazones et d'autres (Laet I,

17, etc.), et il le fuit au contraire en se dirigeant vers l'oc-

1) Ces plénipotentiaires ont siégé du 10 novembre 1681 au 22 jan­vier 1682 (Koch-Schöll, 1. c. III, page 218) ; la note a donc été écrite posté­rieurement à cette date.

2 ) «Já por dous secolos agora de sy este rio de Pinçon he celebre a todos Geographos dos Reys Grandes (por ventura Laet) tambem em razão de ser elle por divisorio limite da famosa linea do Papa Alexandre », photographie du fol. 108 verso. L a transcription dans R . B. I V , page 27, et avec elle la traduction dans R. B . II, page 116, contiennent des erreurs. En particulier les mots « dous secolos» de l'original, ne sont pas reproduits.

159

Page 168: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 160 —

cident. » Il reçoit sur sa rive méridionale la rivière Arwy.

16 lieues avant son embouchure, il forme une cataracte.

Son embouchure mesure environ une lieue de largeur ;

embarrassée de nombreux rochers, elle n'est pas navigable

pour les grandes embarcations.

« Mais il se jette dans la mer en formant une belle

baie de 4 lieues de large et son eau douce se perd entre

les deux célèbres promontoires du Mont d'Argent et du Cap

d'Orange, lesquels se trouvent à environ huit ou neuf lieues

l'un de l'autre vers la haute mer 1).»

Enfin, il est question (fol. 117, recto et verso) de la do­

nation faite à Parente ; la distance entre le Cap du Nord

et le Vincent Pinçon est évaluée, d'après cet acte, à en­

viron 40 lieues espagnoles ou portugaises.

Dans cet exposé du P. Pfeil, il y a lieu de relever les

points principaux que voici :

1. L'auteur met toute l'insistance possible à signaler le

Vincent Pinçon comme étant à la fois l'ancienne frontière

adoptée par la démarcation d'Alexandre V I et la frontière

naturelle de l 'Espagne et du Portugal dans la Guyane. Le

fait qu'il admet de façon erronée que la rivière était connue

depuis deux siècles, à l'origine par conséquent, comme le

cours d'eau frontière, ne marque que mieux sa tendance

à placer cette frontière hors conteste. Cette préoccupation

procède de la ligne politique alors suivie, aussi bien que

sa demande au roi «d'avoir la rivière sous les yeux», de

même que l'ordre donné par le souverain au P. Pfeil de

mettre ses notes au net.

1) « Porem desagua no mar em hua fermosa enseada formando hua baya larga de 4 legoas, e perde a agua doce entre dous famosos promon­torios do Mont-Argent e do Cabo d'Orange distantes entre (et non sobre, comme dit la Transcription dans R . B . I V , page 28), sy quasi 8 ou 9 le­goas no alto mar» , R . B . I V , page 28 ; conf. ibidem II, page 118.

Page 169: Sentence du conseil fédéral Suisse

2. Il identifie le Vincent Pinçon et l'Oyapoc : a) en ce

qu'il accorde la même valeur aux diverses dénominations,

disant que Vincent Pinçon, Oyapoc et les variantes de ce

nom désignent tous le même cours d'eau; b) par une des­

cription du Vincent Pinçon qui est la description de l'Oya­

poc du Cap d'Orange.

3. Lui-même n'a pas exploré le Vincent Pinçon soit

Oyapoc, sa description est faite essentiellement d'après les

renseignements fournis par de Laet. Il a vécu toutefois

avec les indigènes habitant la rive nord de l'Amazone, il a

eu personnellement des rapports avec un agent de la fa­

mille Parente et a pu par conséquent apprendre ce que

savaient du pays les explorateurs portugais ; il a reçu enfin

des renseignements sur le fleuve par les Français de

Cayenne qui le « passaient » constamment et qui lui ont

indiqué les distances de Cayenne au Vincent Pinçon, de là

jusqu'au Cap de Nord, savoir 22 (soit 30) lieues pour le

premier parcours, 48 (soit 70) lieues pour le second.

4. Pour le P. Pfeil, la position du Vincent Pinçon est

fixée par l'assimilation de ce cours d'eau avec l'Oyapoc

du Cap d'Orange et par la détermination des distances

qui le séparent de Cayenne, d'une part, du Cap de Nord,

de l'autre.

Les données du P. Pfeil s'écartent de celles du P.

Souza Ferreira sur deux points : Souza Ferre i ra voit dans

le Vincent Pinçon le Rio Fresco et le Quachipurú des

Indiens, tandis que pour le P. Pfeil le Vincent Pinçon

est l 'Oyapoc; Pfeil met le Vincent Pinçon à 22 (soit 30)

lieues de Cayenne, tandis que Souza évalue la distance à

60*lieues.

La distance qui selon le P. Pfeil sépare de Cayenne son Vincent Pinçon du Cap d'Orange est certainement

11

161

Page 170: Sentence du conseil fédéral Suisse

exacte *), tandis que celle de 60 lieues adoptée par le P.

Souza Ferreira ne l'est pas, même si l'on part de son

Vincent Pinçon soit Cassipour.

Quant à l'identification que le P. Souza Ferre i ra établit

entre le Vincent Pinçon et le Rio Fresco , il y a lieu de

remarquer que le P. Pfeil assimile aussi son Vincent Pinçon

du Cap d'Orange au Rio Fresco 2 ) . Enfin, le P. Souza

Ferre i ra est seul à rattacher le Vincent Pinçon au Cassi­

pour; s'il eût eu raison, on aurait dû chercher les bornes-

frontière sur le bord de ce cours d'eau aussi, ce qui n'a

jamais eu lieu. Les autorités portugaises se sont ralliées

à l'opinion du P. Pfeil, ainsi que l'ont montré les événe­

ments ultérieurs; elles considérèrent le Vincent Pinçon et

l 'Oyapoc du Cap d'Orange comme un seul et même fleuve.

Au surplus, le P. Souza Fer re i ra et le P. Pfeil étaient

d'accord pour affirmer les droits du Portugal sur le terri­

toire jusqu'au Vincent Pinçon. Ils ont fourni des armes

scientifiques aux autorités portugaises pour les aider à

repousser effectivement les prétentions françaises.

5.

De la Bar re , alors gouverneur français de Cayenne,

ne laissa pas sans réponse les mesures de défense prises

par les Portugais. En 1688, il envoya de Ferrolles sur les

1) E l l e concorde avec les données fournies plus tard par Fer ro l les ; voir ci-dessous, pp. 174, 181.

2 ) Il dit dans le « Compendio » : « Concorda neste limite Pinçon o gravissimo Pedro Nuñez Portuguez, Cosmographo del rey D . Sebastiam, que o chama Rio Fresco. »

« Un éminent écrivain, Pedro Nuñez, cosmographe du roi D. Sébas­tien, admet aussi cette frontière du Vincent Pinçon, qu'il appelle Rio Fresco. »

— 1 6 2 —

Page 171: Sentence du conseil fédéral Suisse

bords de l'Amazone pour sommer les Portugais « d'aban­donner les forts qu'ils venaient de bâtir sur la rive gauche de ce fleuve, attendu que toute la rive septentrionale de l'Amazone appartenait de droit à Sa Majesté Très Chré­tienne 1) ».

Le rapport de Ferrolles sur son expédition aux postes portugais sur l'Araguary (1688) a fait, entre les rédacteurs des mémoires français et brésiliens, l'objet d'une vive con­troverse qui porte sur un point très précis : Le texte du rapport de Ferrolles, reproduit par le Brésil, mentionne « la rivière du Cap d'Orange, appellée par les Portugais rivière de Vincent Pinson et par les Français Oyapoc ». Les mé­moires français déclarent que ce passage est « une addition au texte original 2 ) » et que « cette identification (du Vin­cent Pinçon et de l'Oyapoc) a purement et simplement pour base une interpolation 3) ».

L e Brésil répond par des explications sur les textes 4 ) ; il maintient l'authenticité du passage contesté et reproche de son côté au mémoire français d'avoir « omis la partie essentielle » 6 ) du rapport de Ferrolles.

11 résulte ce qui suit des pièces imprimées produites jusqu'à la fin de 1899 :

L a France parlait d'un mémoire de Ferrolles (a), le Brésil d'un autre mémoire (b) qu'il attribuait à Ferrolles.

a) L e rapport qu'invoque la France est reproduit dans M. F . II, pp. 155 et suiv., d'après une copie conservée aux

1) M. F . I, pp. 163, 164, d'après « les Archives des Colonies, t. L X I I I », et M. B . I, page 123, également d'après les « Archives (françaises) du Ministère de la Marine et des Colonies»; conf. toutefois ci-dessous, pp. 163 et suiv.

2 ) M. F . II, page 158. 3 ) R . F . , page 68. 4 ) R . B . II, pp. 143-151. 5 ) R. B . II, page 147.

163

Page 172: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 164

Archives nationales, K. 1232, n° 54. L'adresse en es t : « à Monsieur et Madame de Seignelay, le 22 septembre 1688 ».

Ce n'est donc pas la reproduction d'un « texte origi­nal », comme le prétend M. F . II, page 158: l'adresse ôte au rapport le caractère d'une pièce officielle; à en juger d'après ce texte, c'est une lettre particulière.

b) Quant au rapport qu'invoque le Brésil, le premier mémoire brésilien (M. B . I, page 122) dit qu'il est conservé aux « Archives du ministère de la Marine et des Colonies à Paris » ; le mémoire le qualifie de « rapport officiel de de Ferrole », « revêtu de la signature autographe de ce personnage » 1). En 1840, le vicomte de Santarem a fait du document original un extrait qu'il a communiqué en juillet 1852 2 ) à da Silva, l'auteur de l'ouvrage : « L 'Oyapoc et l'Amazone ». L e premier mémoire du Brésil l'a emprunté à cet ouvrage 3 ) .

C'est la France qui a fourni la meilleure justification des assertions du Brésil. Dans son premier mémoire (M. F . I, pp. 163 et 164), elle a publié plusieurs passages d'un rapport sur l'expédition de Ferrolles, passages qu'elle dit être textuellement cités et empruntés, d'après deux notes qui sont au bas de la page 164, aux «Archives des Colonies, t. L X I I I ». Or, les passages cités sont entière­ment conformes au rapport invoqué par le Brésil, rapport que le mémoire français se trouve ainsi confirmer. Seul le passage qui mentionne la « rivière du Cap d'Orange » manquait clans la reproduction que M. F . I donne de la

1 ) M. B . I, pp. 122-123. 2 ) Si lva, II , page 82 (§§ 1954 et suiv.). L a communication a été faite

à Silva, à ce qu'il affirme : « à condition que j e n'en ferais aucun usage pendant sa vie ».

3 ) M. B . II, pp. 122-123.

Page 173: Sentence du conseil fédéral Suisse

165

pièce 1), et c'est à cette lacune que le Brésil fait allusion lorsqu'il allègue que « le Mémoire français a omis la partie essentielle ». Pour plus de clarté, voici les deux textes en regard l'un de l'autre :

Texte du passage cité par

le Brésil. M. B . I, pp. 123-124.

(Le Gouverneur de la Bar­re envoya de Ferrolles dans l'Amazone pour sommer les Portugais)

d'abandonner les forts qu'ils venaient de bâtir sur la rive gauche de ce fleuve, attendu que toute la rive septentrionale de l'Amazone appartenait de droit à S a Majesté Très-Chrétienne.

Ferrolle partit de l'Ouya, sur un brigantin et deux piro­gues; il explora l'Approuage, l'Oyapoc et le Cassipour ; laissa son brigantin à l'em­bouchure du Cassipour, et continua à longer la côte avec les deux pirogues. Ar­rivé au Mayacaré, il pénétra, par cette rivière dans le lac Macary ; traversa les sava­nes noyées ; et toujours em­barqué, parvint, à la fin du

Texte du mémoire français.

M. F . I, pp. 163-164.

(Le Gouverneur de la Bar­re envoya de Ferrolles dans l'Amazone pour sommer les Portugais)

d'abandonner les forts qu'ils venaient de bâtir sur la rive gauche de ce fleuve, attendu que toute la rive septentrionale de l'Amazone appartenait de droit à S a Majesté Très Crétienne....

Ferrolles partit de l'Ouya sur un brigantin et deux piro­gues, explora l'Approuage, l'Oyapoc et le Cassipour ; laissa son brigantin à l'em­bouchure du Cassipour, et continua à longer la côte avec les deux pirogues » *).

*) Archives des Colonies, t. L X I I I .

1) M. F . I, page 158 ; R. F , pp. 67, 68.

Page 174: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 1 6 6

mois, à la forteresse portu­

gaise de l 'Araguary, qu'il

trouva située sur la pointe

occidentale de l'embouchure

de la rivière Batabouto,

affluent de la rive gauche de

l 'Araguary, et garnie de

vingt-cinq soldats et de trois

petits canons de fonte.

Il fit sa sommation au

commandant portugais. Et le

commandant portugais lui

répondit que : En vertu d'une

donation faite à Bento Maciel

Parente, les limites des pos­

sessions portugaises étaient

à la rivière du Cap d'Orange,

appellée par les Portugais ri­

vière de Vincent Pinson, et

par les Français Oyapoc.

Ferrolle le menaça de ve­

nir le déloger de force, s'il

ne prenait pas le parti de

décamper volontairement; et

il lui remit une lettre de L a

Bar re pour le Capitào Mór

du Para.

Notre agent le « menaça

de venir le déloger de force,

s'il ne prenait pas le parti de

décamper volontairement ; et

il lui remit une lettre de L a

Bar re pour le Capitào mor

du Para...»

Dans les deux textes, le premier et le dernier passage

sont identiques. Cette concordance absolue frappe d'autant

plus que le texte brésilien n'est qu'un extrait ; elle est pour

donner entière confiance dans l'authenticité du texte inté­

gral de l'extrait.

Page 175: Sentence du conseil fédéral Suisse

Après le passage initial, conforme au texte de la France, le Brésil donne la suite du récit de Ferrolles ; cette suite, très naturelle, ne s'écarte sur aucun point important du rapport de Ferrolles, du 22 septembre 1).

Après le passage initial, conforme au texte du Brésil, l'exposé de la France interrompt la narration ; il y a là une lacune. Et cette lacune est remplie par une citation de l'histoire de la Guyane, d'Artur 2 ) , qui relate, sans qu'on puisse s'en rapporter entièrement à son dire, que de Ferrolles ne serait pas allé en personne jusqu'au fort portugais sur l'Araguary, mais y aurait envoyé un Indien avec une lettre pour le commandant du fort ; ce qui serait en contradiction même avec le rapport de Ferrolles pro­duit par la France 3).

A la lacune ainsi remplie succède une phrase qui est, elle aussi, empruntée au rapport invoqué par le Brésil et qui, comme le passage initial, est absolument conforme au texte brésilien.

Dans ces circonstances, force a été d'admettre que le passage intermédiaire du texte brésilien, le passage qui comprend l'extrait incriminé par la France, a la même authenticité que les passages initial et final.

Cela étant, on aurait pu baser la constatation des faits de la cause sur l'extrait donné par le Brésil. Le passage contesté par la France n'est pas une interpolation, car il ne fait nullement partie du rapport du 22 septembre invoqué par cette puissance.

Sur la demande de l'arbitre, l'Ambassade de France à Berne, par note du 21 mai 1900, a fourni les éclaircisse­ments ci-après :

1) Conf. M. F . II, page 157. 2 ) Conf. M. F . I, page 164, note 2. 3 ) M. F . II, page 157.

167

Page 176: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 168 —

1. Quant au rapport de Ferrolles, du 22 septembre 1688, produit par la France, on constate : L'original de ce rapport n'existe plus. « On se trouve donc en pré­sence de deux copies contemporaines de ce document. La première dans le registre Correspondance générale, t. II, Guyane aux Archives des Colonies se trouve dans ce registre à la suite d'un long « Extrait d'une lettre de M. de la Barre , Gouverneur de Cayenne, escrite à M. le M. de Seignelay le 4 Octobre 1688 ».

« Les deux lettres, dont l'analyse et la copie ont été faites en même temps, sont à la place que devraient chro­nologiquement occuper les originaux dans ce volume II de la Correspondance générale de la Guyane embrassant la période de 1685 à 1691. On peut donc dire en présence de cette copie, qu'elle a été prise directement sur l'original et qu'elle offre une garantie complète d'authenticité. »

« L a seconde copie (Archives Nationales, K 1232, Nr. 54) provient des papiers du père Léonard . . . Le s erreurs de cette copie ne consistent que dans une mauvaise lecture de l'entête et de quelques chiffres ou noms sans portée. L'erreur de l'entête est d'avoir lu M. et Me de Seignelay au lieu de « M. le M. de Seignelay ». Tous les termes de la lettre sont absolument conformes au texte de la pièce con­servée au Ministère des Colonies, notamment dans le pas­sage relatif à la rivière Vincent Pinson, et c'est bien là le rapport officiel de Ferrol les sur sa mission à l 'Araguary. »

« Si le Mémoire Français a donné cette pièce d'après la copie des Archives Nationales, cela paraissait indiffé­rent, l'authenticité de la pièce ne faisant aucun doute et

1) D'après la reproduction photographique de cette copie, celle-ci se trouve aux Archives du Ministère des Colonies. Correspondance générale de la Guyane française, vol. 2, C. 14, fol. 44, seq.

Page 177: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 169 —

les termes mêmes de la lettre étant identiques dans les deux. On ne songeait pas dès lors à s'attacher à une cri­tique de texte. »

A cette communication, le gouvernement français avait joint une reproduction photographique et une transcription de la première copie.

Ces diverses pièces permettent de constater: L e texte du rapport de Ferrolles du 22 septembre 1688;

le texte de la seconde copie que reproduit M. F . II, contient beaucoup d'erreurs, mais concorde en général avec la première copie. L e texte bien meilleur de la première copie permet maintenant de corriger ces erreurs, aussi bien que de combler quelques lacunes. Les erreurs (une comparaison attentive en a fait découvrir plus de cinquante) portent non pas seulement sur des détails, mais plus d'une fois sur des points importants.

Tout d'abord l'en-tête est inexact; il ne porte pas Mon­sieur et Madame de Seignelay, mais M. le M. de Seignelay. Grâce à cette rectification, le caractère officiel du rapport est hors conteste ; on peut qualifier d'officiel le rapport du 22 septembre.

Puis, en mettant constamment le chiffre 2 à la place du chiffre 1, la copie de M. F . II a embrouillé toute la chro­nologie du voyage de Ferrolles, qu'il n'est possible de reconstituer qu'après coup.

Enfin, la comparaison avec la première copie fait dis­paraître l 'Ouyaproque, dont la France voulait faire un cours d'eau spécial 1 ) en se basant exclusivement sur une faute qui se trouve dans la copie reproduite par M. F . II ; l'Ouya-poque de la première copie le remplace.

1) Conf. M. F . I, page 47 ; R . F . , page 68.

Page 178: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 170 —

Si M. F . II, au lieu de la seconde copie défectueuse, eût reproduit la première qui contient beaucoup moins d'erreurs, bien des confusions eussent été évitées. L'arbitre y aurait probablement gagné qu'on lui eût produit, avec le rapport de Ferrolles, la pièce qui le précède, soit l'« Extrait d'une lettre de M. de la Barre, gouverneur de Cayenne à M. Sei­gnelay », du 4 octobre 1688. La charge élevée que rem­plissait alors de la Bar re donnerait de l'importance à son rapport.

2. Quant au rapport qu'invoque le Brésil et que cite aussi M. F . I, pp. 163 et suiv., il est dit :

« C'est par erreur que le Mémoire Français s'est référé (p. 164, note 1) au tome L X I I I des Archives des Colonies, pour ce qui concerne le voyage de Ferrol les à l 'Araguary. L e rédacteur travaillait sur des notes réunies par divers employés, et l'inexactitude vient de ce que le volume L X I I I a été plus particulièrement consulté. Mais il ne renferme rien sur le voyage de Ferrolles en 1688. »

L a note de la France ne s'explique pas sur la prove­nance des deux passages de M. F . I : « d'abandonner — pirogues » et « Notre agent — Para », laissant de la sorte aussi douteux avant qu'après le point de savoir à quoi est due la concordance de ces passages avec le rapport auquel se réfère le Brésil. Vra i est-il que le rapport bré­silien ne peut plus s'appuyer sur la déclaration de M. F . I, pp. 163 et suiv., disant que le rapport n'existait pas dans le tome L X I I I des Archives des Colonies. Il faut bien pourtant que les rédacteurs de M. F . I aient trouvé ces deux passages quelque part. Mais comme le Brésil est, lui également, dans l'impossibilité de désigner la provenance exacte, indispensable à connaître, du rapport auquel il se réfère, ce rapport ne peut être utilisé comme moyen de preuve.

Page 179: Sentence du conseil fédéral Suisse

171 —

Aussi l'arbitre est-il réduit à se servir du rapport de

Ferrolles du 22 septembre 1688, dont il résulte :

L e 13 mai 1688, de Ferrolles partit du fleuve Ouya

« qui ferme du costé de l'est nostre isle » (Cayenne), avec

un brigantin et deux pirogues, montés par 36 Français et

autant d'Indiens. Après avoir fait 6 lieues, il arriva à la

rivière de Caux : « le lendemain 14 je suis venu mouiller

vis-à-vis la rivière d'Aprouage », 4 lieues de Caux. « Le

15, après avoir fait 10 lieues, je me rendis à Ouyapoque.

L'embouchure de cette rivière est aussi establie nord et

sud et a une lieüe de large. Il y a deux passages à l'est

et à l'ouest de 2 brasses en rangeant la terre. A 4 lieues

de là du costé de l'ouest estoit le fort des Holandois. L a

rivière s'y estrecit tout d'un coup en faisant un coude et

qui done lieu d'une tres bone defense contre les bastimens

qui voudroient y passer. A 8 lieues plus hault on y voit

le Sault lequel est une des plus curieuses choses de l'Amé­

rique. C'est une rivière de demie lietie de large, dont le

cours impétueux est arresté par un banc de roches et

semblant s'enfler de colère tombe par cascade avec une

rapidité affreuse à l'espace d'une portée de fuzil de large,

formant au dessous, plus de 300 pas de long, des ondes

aussi grosses qu'une pleine mer. Dans ce lieu je rencontré

un pirogue d'Indiens, nommez Carannes, qui ramenoient

deux traiteurs françois de quatre vingt à cent lieues de là,

où leurs camarades n'avoient encore jamais esté. Ils m'as­

surèrent avoir traversé plusieurs cantons de pays de dix

à douze lieues de longueur où il n'y avoit pas d'autres

arbres que des cacaotiers et avoir trouvé une rivière na­

vigable qui court au Sud dans celle des Amazones. Cela

estant, on pourrait par ceste route, avec moins de danger

que par le Cap de Nord, aller où les Portugais vont cher­

cher le bois de canelle crabe. J e trouvé les terres de cette

Page 180: Sentence du conseil fédéral Suisse

rivière bien meilleures que celles de Cayenne et très pro­

pres pour des sucreries, ses deux bords estant terres fermes

et point marescageux comme dans les autres de la coste.

Si la navigation en est empeschée par le Sault, on peut

facilement y remedier par un canal qu'on peut faire à

l'ouest à peu de frais ; les gros vaisseaux pourraient venir

mouiller à l'embouscheure, et, quoyque de basse mer ils

touchent, ils n'y souffrent pas, d'autant que la vase y est

si molle qu'ils peuvent siller dessus estant à la voile. L a

mer n'y est jamais grosse, parce que le Cap d'Orange et

la Montagne d'Argent, y form(a)nt une grande baye, font

qu'elle y est toujours belle. Dans cette baye, il s'y descharge

deux autres rivières. L a plus petite, à l'ouest, se nomme

Machourou, et l'autre, du costé de l'est, Coresicribo. »

L e 20 mai il partit de l 'Oyapoc. « L e 20 e j ' en suis party

et je ne suis arrivé que le 3 e de juillet l ) à Cassipoudre,

quoyqu'il n'y ait que 20 lieues, à cause du mauvais tems,

des vents et marées tousjours contraires. C'est une rivière

qui ne passe que par des Savannes, et par conséquent

inhabitable. Son emboucheure a une demie lietie de large

et est establie sud quart sud est et nord quart d'ouest.

Depuis cette rivière jusqu'à celle de Larahouori y a 20

lieues au dela du Cap de Nord où l'on compte prez de

80 lieues. Tout ce que les cartes nomment rivières,

ce ne sont que des esgoux de Savannes ou petits lacs

qui contiennent cette longueur, où l'on peut naviguer

pendant 8 mois de l'année dans de petits canots pour

croiser la coste, qui, jusqu'à Caracapoury est fort dan­

gereuse à cause des batures causées par les hauts fonds

et les bancs de sable. » Les indigènes de cette contrée

(Palicours. Aracans, Arouanais et Mayées) le reçurent très

1) Erreur , lire juin.

172

Page 181: Sentence du conseil fédéral Suisse

bien et acceptèrent avec joie les présents qu'il leur fit «de

la part du Roy et de Monsieur de la Barre » et lui deman­

dèrent de les protéger contre les Portugais « qu'ils appré­

hendent tellement que ceux qui en sont les moins esloignez

ont quitté depuis peu leurs càrbets pour se cacher dans

de petits islets ». « Je laissay, » continue Ferrolles, « chez

eux mon brigantin et m'embarquay dans des pirogues pour

avancer outre, et aprez avoir costoyé la coste jusq(u)à la

rivière de Mayacary, je monté dedans pour gagner les

savannes et arrivay le 25 e au lac d'Amocary » l ) . Des jé­

suites portugais, qui s'étaient établis sur l'une des îles de

ce lac, avaient été massacrés l'année précédente par des

Indiens «nommés Maprouanes et Marones». Autrefois les

Hollandais s'y livraient à la pêche, ce que « nos Français »

peuvent faire aussi « tant pour leur subsistance que pour

en débiter aux Isles Antiles ».

Après avoir traversé les savanes avec de grandes

difficultés, il arriva, le 27 juin, dans la rivière Batabouto

qui se jette dans le Larahouary, sur la rive occidentale

duquel il a son embouchure. Là se trouve le fort portugais

de Saint-Antoine « construit depuis un an » avec une gar­

nison de 25 Portugais et 60 « Indiens Arianes ».

Ferrolles parvint à ce fort le 28 juin. Les Portugais

tirèrent deux coups de canon d'alarme, mais laissèrent

débarquer Ferrolles sur sa déclaration qu'il voulait parler

au commandant ; ce dernier le reçut, sans toutefois le lais­

ser entrer dans le fort. Et le rapport continue en ces

termes :

« Il me demanda ensuite ce que j'estois venu faire. J e

dis que j'estois venu savoir pourquoy ils s'establissoient

sur les terres du Roy qui estoient séparées des leurs par

l ) Macary dans le rapport auquel se réfère le Brésil .

173

Page 182: Sentence du conseil fédéral Suisse

174 —

le fleuve des Amazones. Ce qui l'estonna, disant que le

capitaine major de Para avoit encore des ordres de cons­

truire des forts plus prez de nous, et que les terres du

Roy son maistre s'estendoient jusqu'à la rivière Pinson, que

nous appelons Ouyapoque 1 ) , en vertu d'une commission

donnée en faveur d'un Gouverneur de Para par Philippe

second 2 ) , roy d'Espagne et de Portugal, où la concession

de toutes ces terres estoit portée, et de plus m'allegua que

les Superieurs generaux des ordres religieux de Portugal

inceroient dans les obediances de leurs missionnaires la

permission de prescher la foy chez les Indiens de tous ces

cantons, en me donnant coppie de celle d'un Père Jésuite

qui estoit present.

J e luy respondis que ce n'estoit pas là des tittres va­

lables auprez des nostres et que je leur signifiois de la part

de M r de la Barre , mon gouverneur, de se préparer à se

retirer au delà des Amazones ; autrement que nous em-

ployerions à la suite nos forces pour les chasser et qu'en

attendant des ordres de F rance sur cette affaire, qu'ils

eussent à ne pas troubler le negoce de nos traiteurs comme

ils avoient fait l'année dernière. » De Ferrolles écrivit à ce

sujet une lettre au Gouverneur de Para et la remit au

commandant « lequel ne m'aida pas moins à avoir des

vivres pour mon retour. J e permis dans ce lieu, pour faire

voir nos droits, à neuf François d'aller traiter chez tous

les Indiens en deçà des Amazones....

L e premier juillet je suis party de l 'Arahouary. Les

bastiments n'y sçauroient entrer à cause de la quantité de

bancs qui sont au devant et qui continuent jusqu'au Cap

de Nord et mesme au dessous, où je mis pied à terre.

1) Ouyaproque dans la seconde copie. 2) Philippe I V .

Page 183: Sentence du conseil fédéral Suisse

C'est le Cap d'une isle qui a 20 lieues de tour 1) nommée

par les Indiens Caracapoury, elle est separée de la terre

ferme par un bras des Amazones d'une lietie de large,

elle est toute en marais et savannes. Les pirogues ne pas­

sent par là qu'en petite marée, à cause que dans les

grandes la barre y est tellement rude que de gros basti-

mens ne s'en pourroient sauver. Le 7 j 'arrivay chez les

Indiens où j 'avois laissé mon brigantin, et, aprez y avoir

fait des vivres, je me rendis à Cayenne le unziesme du

courant. »

Les données les plus remarquables de ce rapport sont :

1. La distance de l'Ouya, la première rivière sur le

côté est de Cayenne, jusqu'à « l'Ouyapoque » est de 20

lieues.

2. Ferrolles resta du 15 au 20 mai sur l'Ouyapoque,

dont il reconnut l'embouchure, le cours jusqu'à la cataracte

et les rives ; sur les renseignements que lui donnent deux

« traiteurs français » qui revenaient de l'intérieur « où leurs

camarades n'avoient jamais esté », il étudie le moyen de

surmonter l'obstacle que la cataracte oppose à la naviga­

tion de la rivière, pour pénétrer dans l'intérieur jusqu'à

une autre rivière navigable qui coule au sud de l'Amazone

et, évitant ainsi la voie dangereuse autour du Cap du Nord,

arriver « où les Portugais vont chercher le bois de canelle

crabe ».

3. Il décrit cet Ouyapoque comme étant la rivière qui

se trouve au Cap d'Orange ; le rapport ne connaît pas

d'autre cours d'eau de ce nom.

4. L a distance de l'Ouyapoque au « Cassipoudre» est

de 20 lieues (Ferrolles est resté du 20 mai au 3 juin pour

les parcourir, à cause il est vrai « du mauvais tems, des

1) Dans la seconde copie, il y a terre.

175

Page 184: Sentence du conseil fédéral Suisse

vents et marées toujours contraires »). L'autre indication

« depuis cette riviere jusqu'à celle de Larahouori (l'Ara-

houary) y a 20 lieues au dela du Cap de Nord où l'on

compte prez de 80 lieues » paraît sujette à caution.

5. Les Indiens de la région du « Cassipoudre », chez

lesquels il laisse sa brigantine pour aller, sur des pirogvies,

longer la côte et arriver jusqu'au Mayacary, ont peur des

Portugais et les Indiens qui sont sur les bords du lac

Amocary, où il arriva en remontant le Mayacary, ont l'année

précédente,, tué des jésuites portugais qui s'étaient établis

là. 11 offre des présents aux Indiens.

6. L e 3 juin, Ferrolles est sur le « Cassipoudre », le 25

juin sur le lac Amocary et après le passage difficile des

savanes, il pénètre le 27 juin dans le Batabouto ; le 28 juin,

il arriva jusqu'au confluent de cette rivière dans le « Lara-

houary », soit jusqu'au point où, à « son confluent sur la

rive ouest » était situé le « For t de Saint-Antoine » construit

« depuis une année » par les Portugais, distant de l'Amazone

de cinq lieues.

7. L e commandant portugais est « étonné » (« ce qui

l'estonna ») d'apprendre de Ferrolles que les possessions

françaises s'étendent jusqu'à l'Amazone, que son fort par

conséquent se trouve « sur les terres du Roy » (de France) .

8. De Ferrolles interprète la réponse du commandant portugais dans ce sens : L e « capitaine major » de Para a en outre l'ordre de son gouvernement de construire des forts « plus prez de nous » donc sur des points plus rap­prochés du territoire français que ne l'est le fort Saint-Antoine.

l ) L'interprétation de R . F . , page 68, qui prétend que par les mots « plus près de nous » le commandant portugais entendait l'endroit même où il» se trouve, ne se concilie pas avec le contexte.

176

Page 185: Sentence du conseil fédéral Suisse

9. Il interprète la seconde réponse du commandant

portugais en ce sens : L e territoire portugais s'étend

« jusqu'à la rivière Pinson, que nous appelons Ouyapo-

que ». Or, la rivière que « nous (Français) appelons Ouya-

poque », Ferrolles l'a indiquée comme étant la rivière

du Cap d'Orange. A ce qu'a compris Ferrolles, le com­

mandant portugais identifie le Vincent Pinçon et l'Oyapoc

du Cap d'Orange et Ferrolles lui-même admet cette iden­

tification.

10. Le commandant portugais rattache cette délimita­

tion à la donation faite à Parente.

11. Ferrolles proteste contre la conception portugaise

qui veut étendre le territoire portugais jusqu'au Vincent

Pinçon, l'Oyapoc du Cap d'Orange ; c'est l'Amazone qui

constitue la frontière et, conformément aux ordres du

Gouverneur de Cayenne, il exige que les Portugais se

retirent sur la rive droite du fleuve, abandonnant la rive

gauche et qu'en tout cas, en attendant de nouveaux ordres,

les marchands français qui pénètrent jusqu'à l'Amazone,

ne soient pas inquiétés par les Portugais. Il remet au com­

mandant du fort portugais une lettre qu'il écrit à ce sujet

au Gouverneur de Para.

12. Pour garantir les droits de la France sur la rive

gauche de l'Amazone, Ferrolles autorise sur place neuf

Français à faire le commerce sur toutes les terres indiennes

de la rive gauche de l'Amazone.

13. Ferrolles revient par le Cap de Nord. L e Cap de

Nord est le cap de l'île que les Indiens appellent Caraca-

poury ; cette île est séparée du continent par un bras de

l'Amazone large d'une lieue ; le « tour » de l'île est de

20 lieues.

14. De Caracapoury au Cassipour la côte est très dan­

gereuse ; quant aux rivières que les cartes indiquent sur 12

1 7 7

Page 186: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 178 -

1) M. F . I, page 164, mentionne d'après Artur, 1. c , une seconde sommation de 1694 ordonnant d'évacuer le fort Macapà et qui ne fut pas davantage suivie d'effet.

2 ) Conf. ci-dessous, page 180, M. B . I, page 127. 3 ) M. B . I, page 129 (Let t re de Albuquerque, de 1691); M. F . II, pp. 122

et suiv. (Let tre de Ferrol les du 1er juillet 1697 relative au P . de la Mousse et à cinq autres Français) . L'allégation de Froger, 1698 (R. B . II, pp. 192 et 193) : « L e s portugais.... font cruellement massacrer ceux qui auparavant y alloient en toute seureté », paraît empreinte d'exagération. Ferrol les ne mentionne rien de pareil. L'enquête faite par le Portugal, en 1696 et 1697, au sujet du meurtre de quatre França is sur les bords du Yar i , n'est pas à l'abri de toute critique; R. B . II, pp. 167-173. Conf. la réponse portugaise de 1698, ci-dessous, page 204 et l 'article 5 du traité provi­sionnel du 4 mai 1700.

4 ) M. B . II, pp. 37, 38.

cette côte, « ce ne sont que des esgoux de Savannes ou

petits lacs ».

15. Pour aller de l 'Araguary chez les Indiens auxquels

il avait laissé sa brigantine, Ferrolles resta du 1 e r au 7

juillet et jusqu'au 11 juillet pour rentrer de là à Cayenne.

6.

Les Portugais n'obtempérèrent pas à la « Sommation»

que leur avait faite la France d'avoir à évacuer le territoire

de la rive septentrionale de l'Amazone 1 ) . Ils gardèrent le

fort de Saint-Antoine et, pour assurer la sécurité de leurs pos­

sessions, construisirent deux forteresses, Macapà (Cumaú) et

Paru 2 ) . Après comme avant, ils interdirent aux Français

l 'accès de ce territoire, firent prisonniers et renvoyèrent en

général à Cayenne ceux qu'ils y trouvaient 3 ) . Mais comme

de leur côté les autorités de Cayenne n'en continuaient pas

moins à autoriser des Français à pénétrer dans le territoire

de l'Amazone, notamment à y faire le commerce 4 ) , Ferrolles,

Gouverneur de Cayenne depuis 1690 et Antonio de Albu-

Page 187: Sentence du conseil fédéral Suisse

179

querque, alors Gouverneur de Maranhão, semblent avoir

continué à échanger des lettres dans lesquelles ils faisaient

valoir leurs réclamations et prétentions réciproques

Convaincu que les Portugais ne consentiraient pas à ad­

mettre de bonne grâce la légitimité des prétentions de la

France sur l'Amazone, Ferrolles fit ses préparatifs pour les

y contraindre. Il projeta de faire construire une route de

l'Ouia au Paru. Il pensait descendre le Parú 2 ) pour atteindre

les forts portugais sur l'Amazone. Ayant reçu de Louis X I V

l'ordre d'agir 3 ) , il attaqua les postes portugais. Parti de

Cayenne le 20 mai 1697, il s'empara le 31 mai des forts Cumaú

ou Macapá 4 ) , fit prendre et détruire par un détachement le

fort Parú 5 ) , laissa dans le fort Cumaú une petite garnison

française de 50 hommes environ 6) et rentra à Cayenne

avec le reste de sa troupe. Mais les Français n'occupèrent

1) Voir ci-dessous, page 181. Cette correspondance n'a pas été com­muniquée à l'arbitre.

2) Froger, « Relation d'un voyage fait en 1695... » 1re éd., Paris 1698, extrait publié par R. B . II, pp. 193, 194 : « Monsieur de Feroles a fait commencer un chemin pour aller par terre à cette Rivière (sc. de Ama­zones) et prétend les (sc. les Portugais) en chasser; elle nous appartient... On verra par la carte de ce gouvernement (que j ' a y reformée sur les Mémoires de Monsieur de Feroles pour envoyer en Cour) le chemin qu'on a fait pour les en chasser. Ce chemin commence à la Rivière d'Ouïa, et doit se rendre à celle de Parou, qu'on descendra ensuite avec des canots ».

3 ) ...« S a Majesté, Elle a donné des ordres pour les (sc. Portugais) en chasser, s'ils refusent de se retirer » (instruction française donnée à Rouillé, du 28 juillet 1697), M. F . I, page 10, d'après les Affaires étran­gères, Portugal, Supplément, t. X X X I ; M. F . I, page 165; M. B . I, page 130 ; R. B . II, page 179. Conf. les mises en demeure des années 1687 et 1688, M. F . I, pp. 162 et 163.

4 ) Pour la détermination des dates, voir R. B . II, page 175, note au bas de la page.

5 ) R . B . II, page 176. 6 ) Ibidem, pp. 178, 183.

Page 188: Sentence du conseil fédéral Suisse

180

Cumaû que durant 40 jours ; des soldats portugais, au nom­bre de 1.60, et 150 Indiens 1 ) survinrent et reprirent le fort, le 10 juillet, après un siège de plusieurs jours 2 ) .

Ferrolles avait échoué dans sa tentative de chasser les Portugais de vive force ; il ne la renouvela pas.

L e Gouvernement français recourut alors à la voie diplomatique pour régler « l'affaire de la rivière des Ama­zones » ; c'était la dénomination officielle. Dans son « Mé­moire concernant la possession de la Guyanne par les François », écrit et signé à Cayenne le 20 juin 1698, Fer ­rolles expose le point de vue français comme suit 3 ) :

« Il y a plus de cent ans que les François ont commencé à faire commerce avec les Indiens qui habitent dans la Guyanne tant ceux de la Coste qui présente à la Mer, que ceux qui habitent le long du rivage Septentrional de la Rivière d'Orenoc».

En 1596, un anglais Laurent Keyniss, dans la relation rapportée par Laet, dit tenir des indigènes « que les François avoient accoutumé d'y recuillir une certaine espèce de Bois du Brésil ». Jean Mocquet, qui voyagea dans la contrée en 1604, rapporte qu'ils y continuent leur commerce; bientôt après, ils commencèrent à s'y établir. En 1633, plusieurs marchands de Normandie formèrent une Compagnie et obtinrent de Louis XI I I des Lettres patentes leur octroyant

1) R . B . II, page 178, note 6. 2 ) Ibidem, pp. 175, 324. L a duplique du Portugal de 1699, parle d'une

« reprise immédiate ». — Il n'est pas question du fort sur l 'Araguary à l'occasion de la seconde expédition que fit Ferro l les en 1697. L e rapport, daté de 1706 seulement (R. B . II, page 176, note 2), ne constitue pas une preuve suffisante.

3 ) D'après une copie conservée à la Bibl. Nationale de Paris , Sec ­tion des Manuscrits, Collection Clairambault, Ms. 1016, pp. 512, 513, reproduite dans M. B . II, pp. 35-39, et à nouveau, mais partiellement, dans R . B . II, pp. 195-198.

Page 189: Sentence du conseil fédéral Suisse

le monopole du commerce dans les pays entre l'Amazone

et l'Orénoque qui « n'estoient occupez par aucun autre

Prince Chrestien ». La Compagnie s'appelait Compagnie du

Cap de Nord. Elle s'établit « à Macapa l ) , où les Portugais

ont trouvé quatre pièces de canon et plusieurs boulets et

baies de mousquet, cette circonstance me fut confirmée non

seulement par les Indiens des Amasones, mais encore par

le Commandant de Macapa, lorsque je fus le prendre ».

Les Portugais n'ont construit les forts de Macapá qu'en

1688, et le fort de Paru que cinq années plus tard

« par jalousie » « de ce que les Indiens Maitres et na­

turels de ces païs-là nous préféraient à eux ». Auparavant

« ils n'avaient aucun establissement en deçà de la rivière

des Amasones, ils n'y venoient que pour r e c i l l i r le Cacao,

le bois de Crabe et la Vanille dans la saison ».

Macapá dépend du Cap du Nord « qui s'estend jusques

là » et, selon les Portugais eux-mêmes, les environs de

Macapa appartiennent aux «Ter res du Cap du Nord».

l ) Ici, Ferrolles commet une erreur, qu'il reproduit dans sa carte

qu'en 1696, il envoya au gouvernement français, et où le For t Makaba

(Macapa) est mentionné comme « Fort portugais pris aux Français »,

M. F . I, page 315, note 2. Ce que nous savons du pays et de l'entre­

prise de 1633 ne concorde pas avec cette information. L e silence gardé

à ce sujet par tous les rapports français antérieurs (dont toute une série

est énumérée dans R . B . II, page 257, note 29), surtout par le rapport de

la Barre, nous confirme dans notre opinion. D'ailleurs, fait capital, en

1632 Macapa était un fort anglais, qui fut pris par les Portugais dans

la nuit du 9 juillet 1632. (M. B . I, page 82.)

Aussi faut-il considérer comme sans portée l'objection de R . F . ,

page 52, selon laquelle il aurait été dit à Ferrolles par M. de Gennes,

qui le tenait d'un sieur Robin, « que ce fort avait été bâti par le père de

ce dernier, l'un des associés de l'ancienne Compagnie du Cap de Nord » ;

il est de moindre importance encore que cette assertion erronée ait été

reprise par la réplique française de 1699, qui l'a empruntée à Ferrolles

précisément.

181

Page 190: Sentence du conseil fédéral Suisse

182 —

Macapâ ne peut donc pas être « des dépendences du fort

de Coroupa », parce qu'il y a entre les deux le fleuve de

l'Amazone.

De 1679 à 1684, Ferrolles a, en qualité de Commandant

en chef de la Colonie de Cayenne, « toujours donné des pas­

seports aux françois pour aller traitter sur la rivière des

Amasones de nostre Costé. Ils ont toujours fait paisible­

ment leur commerce jusqu'à la rivière d 'Yary 30 lieues

par de là Macapa, sans que les Portugais se soient avisés

de s'y opposer. Ce ne fut qu'en 1686 qu'ils commencèrent

à arrester nos François ».

Ferrolles continue en ces te rmes : «J 'a i envoyé en

cour l'Original des Lettres que le Sr D'Albuquerque capi­

taine général du Maranhom m'a escrites sur ce sujet, et

mes responses, dans lesquelles je lui ay fait connoitre, qu'il

se trompoit pour les limittes qu'il marquoit entre la F rance

et le Portugal prenant un Ouyapoc pour l'autre, car il y

en a deux. L'un est dans la Guyanne au deçà du Cap de

Nord à quinze lieues de nos habitations de Cayenne.

L'autre est une Isle assez grande au milieu de la rivière

des Amasones, qui a toujours été prise pour borne 1). L e s

1) Il est question de cette île « Ouyapoc » dans une lettre de F e r ­rolles au « Ministre de la Marine et des Colonies » de 1694, où il est dit: « La rivière (se. des Amazones) est éloignée de l'île de Cayenne de 70 lieues ; son embouchure est remplie d'ilets où les Indiens sont habi­tués ; le plus grand est nommé Ouiapoc (Oyapok, M. B . II, page 38, note 4) et situé à moitié chemin ou environ du cap de Nord à Para : il doit faire la séparation des dépendances de France et de Portugal. L'en­trée pour des vaisseaux n'y est encore connue que du côté du Brésil, du notre il semble que ce ne soit que des bancs de sable », M. F . I, page 46, d'après les « Archives du Ministère des Colonies », de même dans M. B . II, page 38, note 4 et R. B . II, page 180, note 9 (toutefois la dernière phrase ne se trouve que dans M. B . et R. B . et non dans M. F . ) . E n 1699, le 14 mai, les « principaux et les plus anciens habitants de Cayenne

Page 191: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 183 —

ayant fait le commerce dans la rivière des Amazones » confirment à Fer -rolles, « que de temps immémorial et par tradition continuelle ils savent certainement par eux et leurs auteurs, comme ils l'assurent, qu'il y a dans le milieu de l'embouchure de la rivière des Amazones une île beau­coup plus grande que celle de Cayenne, que les Portugais, les Indiens Arouas habitants de cette î le, les Français, les autres voisins et aussi les Gabilis sous la domination du Roi, ont toujours nommée Hyapoc... et les naturels de la dite contrée d'Hyapoc de la rivière des Amazones ont de tout temps sans difficulté eu commerce avec les habitants de Cayenne et les Indiens qui en dépendent », M. B . I, page 137, d'après un document cité par Avesac, Considérations géographiques sur l'histoire du Brésil, Paris, 1857, pp. 130, 131 ; de même, mais sans indiquer la provenance, M. F . I, pp. 46, 47, 334, R . F . , pp. 76, 77.

rivières de la Guyanne qui donnent leurs noms aux en­

droits qu'elles arrosent sont Ouyapoc, La Raoury, Merioubo,

Macàpa, Yarj , Parou, Orobotiy, Couroupatcoua, et autres

plus petites dont pas une ne s'appelle du nom de Vincent

Pinson, que le S r d'Albuquerque marque néantmoins pour

bornes vers notre Ouyapoc. C'est une rivière et un nom

que personne ne nous a appris que Luy. Les Cartes géo­

graphiques nj les Indiens d'icy ne la connoissent point ».

Il conclut : Si les terres doivent appartenir à qui les a

possédées le premier, « toutte la Province de Maranham »

appartient à la France. Car aujourd'hui encore le fort de

la ville de Maraignon s'appelle fort Saint-Louis ; les Por­

tugais l'ont en 1615, en pleine paix, pris à la Ravardière,

qu'ils ont longtemps gardé prisonnier à Lisbonne, sans lui

avoir jamais payé de dédommagement. Et antérieurement

déjà le capitaine Riffaud avait là un établissement; d'après

le « Mercure français » Monsieur de Razilly y avait été

également et des capucins avaient commencé à y établir

une mission chez les Indiens. « Que s'il faut une possession

centenaire pour avoir droit de prescription les Portugais

ne l'ont pas encore pour s'attribuer le Maraignon. Ils

Page 192: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 184 —

doivent donc encore bien moins s'attribuer le Pays de la

Guyanne et les Ter res qui sont en deçà de l'Amazone sur

la partie occidentale et septentrionale de ce fleuve. »

d) Les négociations de Lisbonne, de 1698 et 1699, et le

traité provisionnel du 4 mars 1700.

1.

A l'époque où le roi de Portugal ordonnait la cons­

truction de forts destinés à défendre la rive gauche et le

territoire de l'Amazone contre les incursions des Français,

Ferrolles reçut de Saignelay, le 4 août 1687, la lettre ci-

après :

« J e vois encore par ce que vous m'écrivez que les

Portugais font aussi des entreprises du costé de la rivière

des Amazones et qu'il y a dans les terres qui appartien­

nent au Roy des bois de cannelle et de gérofle. Vous

devez faire tout ce qui vous sera possible et par toutes voies

pour les empescher de continuer, et m'envoyer des procès-

verbaux de ce que vous découvrirez, afin d'en pouvoir

demander réparation au roi de Portugal 1).»

Cette demande de réparation ne se fit pas longtemps

attendre. Quatre marchands français de Cayenne ayant

été faits prisonniers du côté de l'Amazone par les Portugais,

Louis X I V donna l'ordre, le 21 mai 1688, à son ambassa­

deur à Lisbonne d'adresser à la Cour de Portugal des

plaintes au sujet « de cette violence », de réclamer la mise

en liberté immédiate des Français , ainsi qu'une indemnité

pour les dédommager de leurs pertes ; l 'ambassadeur

1) M. F . I, page 162, d'après les Archives de la Marine, B 7 , t. LVI1I , fol. 68.

Page 193: Sentence du conseil fédéral Suisse

185 —

devait exiger en outre que « pareille chose » n'arrivât plus

à l'avenir, sinon « Sa Majesté ne pourrait pas s'empêcher

de se servir des moyens qu'elle a en mains pour faire

rendre justice à ses sujets si on la leur refusait». En même

temps, l'ambassadeur recevait un mémoire, « qui explique

le droit de Sa Majesté sur cette partie de l'Amérique par

les établissements et le commerce que les Français y ont

fait successivement depuis l'année 1596» 1 ) ; il avait à se

servir de cette pièce dans les négociations avec le gou­

vernement portugais.

Ce mémoire de 1688 2) est le premier de toute une

série de mémoires français qui jouent un rôle dans cette

phase du conflit. Tous ont un fond commun et commencent

par la même phrase stéréotypée : « Il y a plus de cent ans

que les Français ont commencé», etc. Les extraits du mé­

moire de Ferrolles, de 1698, reproduits ci-dessus, pages 179

et suivantes, indiquent clairement d'où provient cette coïn-

1) M. F . I, page 163, Archives de la Marine B 7 , t. LVI I I , loi. 171;

R. F . , page 83. 2 ) Il a paru dans la «Collection et Correspondances de Mémoires

officielles sur l'administration des Colonies et notamment sur la Guiane

française et hollandaise », par V. P. Malouet. ancien administrateur des

Colonies et de la Marine, Paris, An X , t. I, pp. 111-118. Il débute en

ces termes : « Il y a plus de cent ans que les Français ont commencé de

faire le commerce avec les Indiens de la Guiane.... Jean Mocquet dans

sa relation rapporte », etc. (R. B . II, page 155, note 4). Malouet a trouvé

le mémoire aux Archives de l'administration des Colonies, même dans le

« portefeuille de Cayenne » (R. F . , page 89), ce qui, nonobstant les arguments

contraires de R. F . , prouve que Ferrolles est bien l'auteur du document;

Ferrolles à cette époque n'était nullement « un fonctionnaire de second

rang » (R. F . , page 90) ; ne dit-il pas lui-même avoir été depuis 1679 déjà

commandant en chef de la colonie (de Cayenne) ; d'ailleurs R . F . I, page

162, réfute les assertions de R. F . , en se référant à une correspondance

échangée directement entre Ferrolles et le Ministre Seignelay ; conf. en

outre R . B . II, pp. 237 et 23S.

Page 194: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 1 8 6 —

cidence. L e dernier mémoire commence exactement comme

le premier, de 1688, et cette identité se retrouve dans un

grand nombre de passages qui se suivent, d'où l'on est

amené à conclure qu'ils ont le même auteur, Ferrolles,

ou que celui-ci avait sous les yeux en 1698 un mé­

moire de son gouvernement. Cette dernière hypothèse n'est

guère plausible, car Ferrolles n'eût certes pas une fois de­

plus écrit à son gouvernement ce que ce dernier avait

déjà dit dans les mêmes termes. On se représente très

bien par contre que Ferrolles en 1698 se soit servi de son

mémoire de 1688 pour rédiger le second document, qu'il

l'ait même suivi de près une partie durant. Le mémoire

remis en 1688 à l'ambassadeur de France auprès de la

Cour de Portugal était donc, selon toute apparence, rédigé

intégralement, ou tout au moins en partie, d'après des ren­

seignements fournis par Ferrolles.

Jusqu'en 1697, tant que dura la grande guerre en Europe, l'affaire resta en suspens.

2 .

C'est pendant l'année de la paix de Ryswyck que la

France s'occupa plus activement de la question de l'Ama­

zone: en Guyane, au mois de mai 1697, Ferrolles entre­

prend son expédition militaire; en Europe, le 28 juillet,

le président Pierre Rouillé, ambassadeur de Louis X I V à

Lisbonne, reçoit les instructions ci-après :

« Comme les Portugais... ont passé la rivière des Ama­

zones et se sont établis en différents endroits de la côte

du nord de cette rivière qui appartient à S a Majesté, Elle

a donné ses ordres pour les en chasser, s'ils refusent de­

se retirer. Comme les ministres de Portugal pourront peut-

Page 195: Sentence du conseil fédéral Suisse

être lui (se. Rouillé) en faire des plaintes, quand la chose

sera exécutée, il peut leur dire en attendant les ordres de

Sa Majesté, que les Français sont de temps immémorial

les maîtres du continent qui est entre la rivière des Ama­

zones et celle de Surinam » 1)•

A la nouvelle de l'échec de l'expédition militaire en

Guyane, le gouvernement français changea d'attitude ; le

11 décembre 1697, Rouillé, à qui le gouvernement portugais

avait marqué son mécontentement du coup de main de

Ferrolles, recevait des instructions précises 2 ) , qui ne men­

tionnent que succinctement l'expédition de Ferrolles contre

les forts portugais et son résultat, avec cette remarque :

« le peu de succès de cette expédition a apparemment em-

pesché qu'on ne vous en ayt fait des plaintes plus vives».

Quant à l'expédition avortée, il est déclaré que « S a

Majesté veut bien ne point approuver l'action du sieur de

Ferrolles » et l'ambassadeur reçoit l'ordre « qu'à cette occa­

sion vous renouvelliez au Roy de Portugal les désirs sin­

cères qu'elle (S. M. Louis X I V ) a de vivre toujours avec luy

dans la bonne intelligence qu'il y a eu jusqu'à présent

entre les deux couronnes ».

Mais l'ambassadeur doit en même temps faire observer

au Roi de Portugal qu'il s'agit d'une « invasion » des Por­

tugais dans « des quartiers... ayant esté découverts par les

François, et qu'ils y ayent eu des establissements longtemps

avant que les Portugais ayent estendu leurs colonies jus-

ques là », même que « dans les règles de la justice » les

1 ) M. F . I, page 10, Affaires étrangères, Portugal, Supplément, t. X X X I .

2 ) M. F . II, pp. 121 et suiv. Lettre de Pontchartrain au président Rouillé, du 11 décembre 1697 (1698 est une faute d'impression), Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I , fol. 5 8 ; conf. M. F . I, pp. 11, 166; R . B . II, pp. 185 et suiv.

187

Page 196: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 1 8 8 -

Portugais ne devraient même pas conserver « le Mara-

gnon », dont le principal fort s'appelle encore Saint-Louis,

du nom que lui avaient donné les Français qui l'ont construit.

Mais l'ambassadeur n'avait ordre d'exposer tout cela

aux Ministres du Roi de Portugal que pour leur « faire

voir que ce serait au Roy de France à se plaindre de

l'injustice de leurs prétentions » et après avoir engagé la

négociation, il lui était recommandé de stipuler «que la

rivière des Amazones serve de borne aux deux nations et

que les Portugais laissent aux François la possession libre

de la partie occidentale de ses bords ». L e mémoire, joint

aux instructions, devait servir à démontrer le droit qu'avait

le Roi de France à émettre cette prétention ; au besoin, on

pouvait lui fournir encore « quelques preuves » en faisant

rechercher les concessions invoquées dans le mémoire. «Il

serait bien important pour le maintien et l'augmentation

de la colonie de Cayenne que vostre négociation pust avoir

ce succès ».

Comme il n'était pas à prévoir que les Portugais ne

feraient aucune difficulté à accepter la frontière de l'Ama­

zone, Rouillé n'avait d'abord pas à en parler; il devait s'en

tenir aux établissements français sur l'Amazone et dans le

Maragnon, attendre les objections des Portugais, y répondre

pour enfin tâcher d'insinuer aux Portugais « de chercher

quelques ajustements par lesquels on puisse, en terminant

la discussion du passé, éviter pour- l'avenir les occasions

d'en faire naistre de nouvelles ».

Il a été exposé ci-dessus, page 184, qu'en 1688 la France

avait remis à son ambassadeur à Lisbonne un premier

mémoire dont l'auteur était vraisemblablement Ferrolles,

Page 197: Sentence du conseil fédéral Suisse

189

qui en avait reproduit des passages dans son nouveau

mémoire de 1698. Il fut fait en 1697 comme en 1688; l'am­

bassadeur reçut avec ses instructions un mémoire intitulé :

Mémoire contenant les droits de la France sur les pays scitues à l'ouest de la riviere des Amazones. Ce mémoire

contenait la justification des prétentions de la France ; il

n'était pas dit dans l'instruction du 11 décembre 1697 qu'il

dût être remis au gouvernement portugais. Rouillé n'en a pas

moins, ensuite de nouvelles instructions probablement, remis

un mémoire en janvier 1698 L a France prétend que c'est

celui qui accompagnait les instructions de Rouillé 2 ) ; elle

l'a publié comme tel dans le recueil des documents à

l'appui de son premier mémoire 3).

L e Brésil affirme en revanche que le gouvernement

portugais n'a pas eu connaissance de ce document et

allègue comme preuve que le mémoire contient un long

passage (c'est, en effet, toute la seconde moitié de la pièce)

que la réponse, d'ailleurs très complète, du gouvernement

portugais passe complètement sous silence. Le Brésil en

conclut avec raison que ce passage n'existait pas dans le

mémoire remis par Rouillé 4 ) . Il n'en reste pas moins qu'un

mémoire a été remis ; le fait que le Portugal y a répondu

suffit à le démontrer.

R. B . II, page 199, allègue que lors de la reproduction

du mémoire dans M. F . II, pp. 1 et suiv., une pièce s'est

substituée à une autre", erreur provenant de la presqu'iden-

tité des textes. Selon R. B. , 1. c., un texte, concordant avec

M Conf. M. F . I, page 13, note 2. 2) M. F . I, page 11. 3) M. F . II, pp. 1 et suiv. L e document, est-il dit, se trouve aux Ar­

chives des Affaires étrangères, Correspondance de Portugal, t. X X X I I I , fol. 300.

4 ) R . B . II, pp. 200, 201.

Page 198: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 190

M. F . Il, pp. 1 et suiv., est conservé à la « Bibliothèque Nationale de Paris, Collection Clairambault, Manuscrits, n° 1016, p. 635 et suivantes » et le même texte se trouve aussi probablement quelque part aux Archives du Minis­tère des Affaires Etrangères, mais pas à l'endroit indiqué par M. F. H, page 1; R. B. , 1. c dit: « L e Mémoire remis par le Président Rouillé en 1698 au Gouvernement Portu­gais ne peut pas être.... une copie de la minute originale conservée aux Archives des Affaires Etrangères, à Paris, t. X X X I I I de la Correspondance de Portugal ». Ce qui revient à dire que M. F . II, page 1, indique exactement l'endroit où est conservé le « Mémoire remis », mais qu'à cet endroit (Archives des Affaires Etrangères, Portugal, t. X X X I I I , fol. 300) ne se trouve pas le texte reproduit par M. F . II, pp. .1 et suiv.

R. B . II, page 200, prétend ensuite qu'il a été possible de « reconstituer » le texte du « Mémoire remis ». Charles Meyniard qui, en 1896, aurait comparé ce texte avec le pre­mier mémoire de 1688, aurait déclaré qu'à l'exception de certains passages qu'il reproduisit, les deux documents concordaient 1).

On peut, par conséquent, admettre que, pour opérer la « reconstitution », on a simplement inséré dans le texte du mémoire de 1688, transcrit dans Malouet (1. c , conf. ci-dessus, page 185, note 2), les modifications signalées par Meyniard. De l'exposé de R. B . II, page 200, on est amené à conclure que le texte produit, ibidem, pp. 201 et suiv., par le Brésil, est le texte, reconstitué selon la méthode indiquée, du « Mémoire remis ». Il n'est pas fourni de jus­tification à l'appui de l'authenticité de ce texte, mais l'ar-

1) M. Charles Meyniard, L a question du contesté franco-brésilien (suite) dans L a Marine Française, Paris, 10 septembre 1896, pp. 211 et 212.

Page 199: Sentence du conseil fédéral Suisse

bitre et le gouvernement français sont invités à le faire collationner avec la minute originale déposée aux Archives des Affaires Etrangères à Paris (ibidem, page 201).

11 n'a pas été procédé à cette comparaison des textes. Il faut constater toutefois que le texte de R. B . II, pp. 201 et suiv., ne peut pas avoir été reconstitué à l'aide unique­ment du mémoire de 1688 et des modifications signalées par Meyniard. Car à côté de celles-ci, il en renferme un certain nombre d'autres, toutes étrangères au mémoire de 1688 1)

En conséquence, il ne peut pas être tenu compte du texte de R. B. Il, pp. 201 et suiv.

L'authenticité du texte de M. F., pp. 1 et suiv., a été contestée par le Brésil et ne peut en aucun cas faire foi dans sa seconde partie (page 4, ligne 9: « Ils ne peuvent pas alléguer. . .» jusqu'à la fin « sont establis avant eux »).

il ne reste plus, dans ces circonstances, a) qu'à prendre connaissance de cette seconde partie, ou b) pour établir les faits, qu'à utiliser la première partie, comme étant relati­vement digne de foi (M. F . II, pp. 1-4, ligne 8, du haut de la page, jusqu'à : « de cette colonie françoise »).

a) Dans la seconde partie (M. F . II, pp. 4 et suiv.), il est exposé :

Les Portugais ne peuvent invoquer contre la France la bulle d'Alexandre VI , attendu que cette bulle règle unique­ment le partage entre le Portugal et l'Espagne. Les autres

1) Ainsi le mémoire de 1688, dans la première phrase déjà dit : « .... commerce avec les Indiens de la Guiane ou des pays situés entre la rivière des Amazones et celle d'Orénoc » (Malouet, 1. c. I, page 111) tandis que R . B . II, page 201, relate : « .... commerce avec les peuples scituez à l'Ouest ou a la gauche de la riviere des Amazones ». Immédiatement après, dans le premier texte, on lit « Laët », dans le second «Jean de Laet d'Anvers », dans le premier « Sauvages », dans le second «Indiens», etc., etc.

191

Page 200: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 192

princes chrétiens n'y sont point mentionnés et n'en ont pas

tenu compte ; « quoyque catholiques » les rois de France

et d'Angleterre n'ont point cessé d'envoyer des expéditions

pour découvrir et habiter les pays qui n'étaient pas occu­

pés par les Castillans et les Portugais. Il n'y avait rien là

de contraire au véritable sens de la bulle, sinon les papes

n'eussent pas érigé d'évêché, ni autorisé des missions « dans

la nouvelle F r a n c e » .

Si les Espagnols et les Portugais venaient à ne pas

accepter cette interprétation, il n'y aurait jamais de paix

en Amérique, car les Français, pas plus que les Anglais,

les Hollandais et les Danois ne sont disposés à abandon­

ner ce qu'ils y possèdent. « Il est donc évident que le

droit et la possession sont entièrement du costé des Fran­

çois. »

Les Français seraient d'ailleurs en droit de demander

réparation des injures que les Portugais leur ont faites,

malgré l'amitié qui a toujours existé entre les deux Royau­

mes. Il y a plus de 140 ans que les Portugais ont com­

mencé à exercer des actes de violence au Brésil « dont près de

la moitié nous devrait appartenir » ; ils ont, en 1558, détruit

à main armée la colonie de Villegagnon; en 15S4, ils ont

chassé les colons français de Paraiba, puis de la capi­

tainerie de Tamarica où existe encore un « Porto dos Fran-

ceses» , puis vers 1601, du gouvernement de Rio Grande et

enfin de Maragnon, où Riffault avait fondé une colonie

en 1604. Cette colonie, Ravardière la dirigea depuis 1612,

jusqu'à ce que, en 1615, le For t Saint-Louis eut été pris

par les Portugais et Ravardière et le sieur des Vaux emme­

nés prisonniers à Lisbonne.

Ainsi ce n'est point aux Portugais, mais à la France

à demander raison des hostilités exercées en pleine paix,

et « comme les Français estoient establis en divers endroits

Page 201: Sentence du conseil fédéral Suisse

193 —

du Brésil avant les Portugais», la France peut «demander la restitution de tous ces pays » ; car « la force et la vio­lence, surtout en pleine paix, ne peuvent donner aucun droit » ; toutefois, en considération de la bonne amitié qui a toujours subsisté entre les deux pays, la France se con­tentera « qu'ils nous cèdent ce qu'ils occupent sur le rivage occidental de la rivière des Amazones, où les François sont establis avant eux ».

b) La première partie du mémoire (M. F . II, pp. 1-4) débute en ces termes :

« Il y a plus de cent ans que les François ont com­mencé à faire commerce avec les peuples scituez à l'ouest ou a la gauche de la riviere des Amazones ou de Mara-gnan. »

L . Keymis, qui était dans le pays en 1596, dans sa relation rapportée par J . de Laet, dit que les Français avaient l'habitude de charger une espèce de bois du Brésil 1).

Jean Moquet qui fit un voyage dans ce pays avec Ra-vardière en 1604, rapporte de quelle manière ils firent com­merce avec les Indiens « de la riviere d'Yapoco, scituée entre l'isle de Cayenne et la riviere des Amazones » 2 ) . Moquet raconte également que Ravardière avait déjà fait auparavant un voyage dans ce pays, « depuis ce temps la les François continuerent a y faire commerce, et commen­cerent bientost après, a y habiter » 3 ) .

] ) D'après R. B . II, page 201, note 2, Keymis et Laet ne parlent pas de «la rive gauche de l 'Amazone», mais de la rivière de Cawo, à l'ouest de l'Oyapoc.

2) On lit dans le mémoire de 1688 (Malonet, 1. c , page 111): «de la rivière d'Yapoco, située à quatre degrés et demi de la l igne».

3) L e passage entier «Jean Moquet... y habiter» est condensé dans le mémoire de Ferrolles de juin 1698 en cette phrase: «Jean Moquet ra-

13

Page 202: Sentence du conseil fédéral Suisse

1 9 4 -

En 1624 quelques marchands de Rouen y envoyèrent

une colonie 2 ) qui s'établit « sur les bords de la riviere de

Sinamary à 30 lieues à l'ouest de Cayenne » 3 ) . En 1628,

le capitaine Hautespine conduisit « une nouvelle colonie 4 ) »

sur la rivière Conanama « à 5 lieues à l'ouest de Sina­

mary ». En 1630, le capitaine L e Grand y mena 50 hommes

le capitaine Gregoire « quelques autres » 5 ) en 1633.

Dans la même année 1633, des marchands normands

formèrent une Compagnie et obtinrent des Lettres patentes

de Louis X I I I et du cardinal de Richelieu « pour faire seuls

le commerce de ces pays qui n'estoient pas occupez par

aucun autre prince chrestien, et dont les bornes furent

marquées dans ces lettres par les rivieres des Amazones

et d'Orenoc. Mesme cette compagnie fut nommée la com­

pagnie du Cap de Nord, qui est celuy qui borne l'embou-

porte aussy dans sa relation du voyage qu'il fit en 1604 dans les mesmes païs que les François y continuoient leur commerce et commencèrent bientost après à s'y establir ».

1) Mémoire de 1688 : 1626 au lieu de 1624. 2 ) Mémoire de 1688 (Maloue t , 1. c , page 112) parle non pas seule­

ment d'une colonie, mais «d'une colonie de 26 hommes». 3 ) On lit dans le mémoire de 1688 {Malouet, 1. c , page 112): «...Si-

namari, qui entre dans la mer par cinq degrés et demi de latitude.» L'in­dication de la latitude n'est plus indiquée, pas plus qu'elle ne l'est pour le Yapoco, parce qu'il existait sur ces données une incertitude; en effet, il y avait une contradiction entre Ferrolles qui, en 1688, plaçait le Y a ­poco par 1/2° latitude nord, et son aide, Froger , dont la carte de 1698, indique pour le Yapoco une latitude de 2 ° . L a modification apportée au texte de ces deux passages montre le peu d'importance que les Français eux-mêmes attachaient à la détermination des latitudes.

4 ) « Une nouvelle colonie de quatorze hommes » dans le mémoire de 1688.

5 ) Ces renseignements sur des faits postérieurs à 1624 manquent dans le mémoire de Ferrolles de juin 1698. L e mémoire de 1688 au lieu de «quelques autres» dit: 66.

Page 203: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 195 —

chure de la riviere des Amazones du costé gauche ou du

Nord » 1 ) .

En 1638, le cardinal de Richelieu confirma la conces­

sion de 1633, avec la mention expresse « que les associez

de cette compagnie continueroient les colonies commencées

à l'entrée de la rivière de Cayenne et dans la riviere de

Marony vers le Cap de Nord ».

En 1643, il se constitua une « Compagnie plus forte »

avec de nouvelles concessions « et ou s'intéressèrent beaucoup

de gens de qualité » ; elle envoya « pour gouverneur le

Sieur Poncet de Bretigny avec 300 hommes pour y habiter ».

Ayant appris que la colonie « estoit fort en desordre »,

le sieur de Royville, « avec diverses personnes de conside­

ration», entreprit de la rétablir (1651); ces personnages

obtinrent une nouvelle concession du roi et envoyèrent

sur deux grands navires près de 500 hommes, « qui, le

28 juillet 1652, mouillèrent à l'isle de Madère, dont le gou­

verneur les regala beaucoup de rafraichissements, quoy

qu'il n'ignorât pas le sujet de leur voyage ».

En 1664, le roi fonda une « Compagnie des Indes oc­

cidentales, a qui il accorda la propriété de toutes les isles

et de tous les pays habitez par les François dans l'Ame­

rique Meridionale ». Elle donna mission au sieur de la

Barre « de prendre possession de Cayenne » 2 ) . De la Barre

y laissa pour gouverneur le chevalier de Lezy, son frère.

1) L e mémoire de Ferrolles de juin 1698 contient également ce pas­sage, hormis toutefois l'adjonction «qui est celuy... Nord». Mais à partir de là, il abandonne le texte du mémoire antérieur pour passer à des ex­plications relatives au fort de Macapá et destinées à justilier l'attaque qu'il avait entreprise l'année précédente contre Macapá. — Dans le mé­moire de 1688, il est dit en premier lieu: «pour faire seuls le commerce et la navigation de ces pays-là», puis: «par les rivières des Amazones du côté gauche ou du nord» ; la fin manque (Malonet, 1. c , page 112).

2 ) L e mémoire de 1688 ajoute: «et des pays voisins».

Page 204: Sentence du conseil fédéral Suisse

196

«Depuis ce temps là (1664), les François sont toujours

demeurez en possession sans aucun trouble, si ce n'est

que l'isle de Cayenne fut pillée par les Anglois en 1667 et

prise par les Hollandois pendant la première guerre (en

1674, pendant la première guerre, commencée en 1672 par

Louis X I V , contre les Hollandais) mais elle fut reprise

sur eux l'année suivante par le Maréchal d'Estrées» (1676,

donc deux ans après), et la possession française fut con­

firmée par le traité de paix de Nimègue (1678).»

«Pendant un si grand nombre d'années, les François

ont exercé tous les actes de véritables et légitimes pos­

sesseurs » : faisant le commerce avec les Indiens des envi­

rons, chassant dans le pays, péchant sur toutes les côtes

et même dans la rivière des Amazones « sans aucune op­

position », ils ont construit des forts à l'ouest et à l'est de

Cayenne «jusqu'à Camaribo 1), pres du Cap d'Orange».

Ils ont défendu cette colonie contre les Anglais et les

Hollandais; partant de tous les points de la côte, ils ont

voyagé, et les Pères Grillet et Bechamel, jésuites français,

ont pénétré, au sud de Cayenne, à plus de cent lieues dans

la contrée, jusque chez les peuples « qui habitent à l'oiiest

du Cap de Nord, et ou jamais aucun Portugais n'avait

mis le pied 2 ) . Enfin les François ont fait des cartes fort

exactes de ces pays et des costes depuis la riviere des

Amazones jusqu'à celle de Marony».

Et pour résumer, le mémoire constate qu'il existe

« une possession de plus de cent ans », une « habitation

actuele et continuée de plus de soixante et dix ans » ;

1) Camaribo (Comaribo) est sur la rive gauche de l'Oyapoc. 2 ) R. B. II, page 207, note 25, explique, en se basant sur leur Journal

de Voyage , que ces deux jésuites aussi sont restés sur la rive gauche de l'Oyapoc

Page 205: Sentence du conseil fédéral Suisse

« l'habitation » se fonde sur plusieurs concessions royales, qui n'ont jamais soulevé de réclamations de la part des Portugais. Quant aux Portugais, ils n'ont jamais paru « sur ces costes » au nord de l'Amazone 1 ) . Par conséquent, «on ne comprend pas sur quel fondement ils ont entrepris de s'establir sur la coste occidentale de la riviere des Ama­zones, qui a toujours esté comprise dans les bornes de-cette colonie françoise».

4.

Le gouvernement portugais envoya sa réponse en juin 1698, au plus tard. Elle est intitulée: « Réponse au Mémoire présenté par le tres excellent seigneur ambas­sadeur du Roy Très Chrestien, touchant le droit que la France pretend avoir sur les terres occidentales de la riviere des Amasones 1) ». Comme les archives portugaises

1) Dans le texte portugais aussi bien que dans la traduction fran­çaise de M. F . II, page 6 et page 18, se trouve ajoutée la date de « 1698»; dans la reproduction de la traduction française que donne R . B . II, page 217, I V , page 61, il est même dit, d'une manière encore plus précise: «mai 1698 ».

Mais M. F . I, pp. 11-13, assigne lui-même une autre date à la réponse du Portugal, celle de 1699. Ce mémoire expose ce qui suit : « Sur l'instance de notre ambassadeur, il fallut bien se résoudre à examiner nos droits et nos griefs. Mais la Cour de Lisbonne y mit aussi peu d'empressement ou, pour mieux dire, autant de mauvais vouloir qu'elle le put, répondant à nos réclamations qu'elle préparait un mémoire. Cette préparation fut longue: le mémoire vit enfin tardivement le jour; il ne parvint à Versailles qu'au commencement de 1699. D'ailleurs la réponse du Portugal a pris date certaine, par le fait de son insertion dans le volume 34 de la correspondance de Portugal, volume coté, relié aux armes du marquis de Torcy et portant le millésime de 1699 et 1700 ; dans ce volume, le mémoire portugais correspond au folio 310. »

Selon la France, la réponse du Portugal se trouve toutefois dans le volume 33, fol. 326, de la correspondance de Portugal (Archives des

197

Page 206: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 198

n'en possèdent pas le texte authentique, le Brésil renonça

à publier la réponse. L a France par contre en a reproduit

le texte portugais original ainsi que la traduction française,

pas partout exacte, tirés des Archives des Affaires Etran­

gères (Correspondance de Portugal, tome X X X I I I ) repro­

duit par M. F . II, pp. 6 et suiv., où l'a pris R. B. II, pp. 217

et suiv., I V , pp. 61 et suiv.

L a première partie de la réponse donne un exposé

des actes de possession accomplis par les Portugais dans

le territoire contesté : L e roi J ean III a fait don de la ca­

pitainerie de Maragnon à João de Barros, qui, en 1539,

envoya une flotte avec 900 hommes ; ils se maintinrent

dans la contrée longtemps, bien qu'une partie des hommes

eussent perdu la vie à la suite d'un naufrage près de l'île Sam

Luiz. En 1614, le gouverneur de « l'Estado do Brazil », à qui

tout le Maranhão « qu'on en a depuis séparé » était alors en-

encore soumis, y expédia Jeronimo de Albuquerque avec une

petite troupe ; la même année, de Albuquerque construisit, à

proximité de l'île Sam Luiz, un petit fort, Santa Maria, en un

Affaires étrangères) et date de 1698. Or la note ci-dessus affirme l'exis­tence d'une réponse du Portugal de 1699, réponse qui se trouve dans le volume 34; d'où l'on peut conclure qu'elle est la seconde réponse du Portugal (la duplique).

Un renseignement fourni par Rouillé dans une lettre du 2 septembre 1698 servira à fixer la date de la réponse du Portugal : L e Portugal a répondu par un mémoire que Rouillé a envoyé à Par is il y a trois mois, R. B . I I , page 243, d'après la « Bibl . Nat. de Paris, Manuscrits, collection Clairambault, 1005 (Mel. 234), pp. 919 à 929». L a réponse du Portugal a donc été remise à Rouillé au plus tard en juin 1698.

L 'er reur provient de l'adjonction, dans la traduction française des mots «Janvier 1699», alors que le texte portugais original dit «un mé­moire non daté non signé » ; conf. M. B . III , pp. 138, 185.

Il semble d'ailleurs qu'il y a une autre erreur dans l'indication des folios ; en 1855, on prétend que la réponse se trouve : vol. n° 33, fol. 305 (texte portugais original), fol. 295 (traduction française), M. B . III, pp. 138,139).

Page 207: Sentence du conseil fédéral Suisse

199 —

lieu appelé Buraco das Tartarugos. « Et, comme en ce même

temps les Sieurs de Labardier et de Rauly, avec le Baron

de Sansi, étoient entrés dans cette île pour se mettre à cou­

vert du mauvais temps, ainsi qu'il est amplement rapporté

dans la relation imprimée du Père Claude d'Abbeville,

capucin, et qu'ils essayèrent de chasser les Portugais dudit

fort, et il y eut guerre entre eux, jusqu'à ce qu'une armée

navale, commandée par Alexandre de Moura, arriva avec

des renforts aux Portugais, et les Français furent obligés

d'abandonner l'île et le fort Sam Luiz qu'ils avaient bâti,

comme on le voit par les capitulations signés le deux no­

vembre 1615. » L a même année, Alexandre de Moura

envoya le capitaine Caldeira de Castello-Branco dans la

région de Para, avec ordre de se rendre maître de la

contrée jusqu'au Rio de Vicente Pinson, ou Oyapoc, du

nom que lui donnent les indigènes. Ce territoire se trou­

vait alors occupé par des Hollandais et des Anglais qui

y avaient construit plusieurs forts et factoreries. Cas­

tello-Branco s'acquitta de sa mission de 1615 à 1617, en

fondant la ville de Belem de Para et en prenant des forts

hollandais «à l'entrée de cette embouchure». En 1618, le

capitaine-major Bento Maciel Parente lui succéda, qui « prit

aux Hollandais les îles de Joannes, Aroans et Genecù,

situées à l'embouchure du fleuve des Amazones, près de

la terre ferme du Cap du Nord». Il leur prit aussi Gorupá,

qu'ils occupaient depuis plus de 12 années, repoussa une

invasion qu'ils tentèrent en 1624 et fonda à cet endroit

« une bourgade ». Dans les années qui suivirent, Maciel Pa­

rente s'avança vers le Cap du Nord, soumettant les indigènes

aux Portugais par des traités ou par la force des armes, et

chassant les Anglais et les Hollandais des forts et habitations

qu'ils avaient « sur ces rivières et sur la côte » (por aquelles

rios e costa). En 1629, il fit prendre par le capitaine Pedro

Page 208: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 200 —

Teixeira le fort occupé par les Anglais sur la rivière de

Torrego et que les Portugais ont appelé par la suite fort

Desterro. L'année suivante, Teixeira prit encore aux Anglais

les forteresses de la rivière de Felipe et du port de

Camaû (près de Macapá), ainsi qu'un fort sur le lac de

Mayacari, « et enfin dans les années suivantes, il dégagea

la côte du Cap de Nord, que quelques auteurs appellent

Cap de Humos, en chassant jusqu'à la Rivière de Vincente

Pinson ou de Oyapoca les Hollandais et les Anglais, les

deux seules nations qui, clandestinement ou par violence,

avaient occupé ces territoires ».

Les Portugais occupèrent la plupart de ces forts,

jusqu'à ce que la côte fut débarrassée des ennemis et les

Indiens « de ces parages » soumis, ce qui permit de démolir

les forteresses, «comme l'attestent encore leurs ruines».

La raison pour laquelle les Portugais n'ont pas dépassé

l 'Oyàpoca ou Vincente Pinson, comme l'appellent les Espa­

gnols, ou Rio Fresco , selon quelques cartes et descriptions de

voyage, est que Philippe I V , par une ordonnance du 13 avril

1633, avait divisé l'Estado de Maranhão en capitaineries, dont

une, la capitainerie du Cap de Nord fut donnée, en 1637, à

Bento Maciel Parente, pour lui et ses descendants; les

lettres de donation délimitaient expressément les terres de

30 à 40 lieues le long de la côte, depuis le Cap de Nord

jusqu'à la rivière de Vincente Pinson, « où se trouvait la

frontière des Indes d'Espagne » (« adonde entrava a repar-

ticào das Indias de Castella »). V e r s l'intérieur, la donation

comprenait un grand nombre de lieues et le Rio de T o -

cujus, et de là en avant autant que pourrait comprendre

la « conquista ». Cette donation est enregistrée au livre

second des registres royaux de la ville de Belem, fol. 131 à

136; dans le même livre, fol. 164, se trouve le procès-verbal

de la prise de possession par Bento Maciel Parente du 30 mai

Page 209: Sentence du conseil fédéral Suisse

201

1639. Cette capitainerie fut délimitée par des bornes qu'on

voyait, il y a quelques années encore, à la rivière de

Oyapoca ou Vinsente Pinson. Ces bornes portaient les

armes d'Espagne sur la face tournée du côté du territoire

espagnol et les armes du Portugal sur la face tournée du

côté du Brésil, « et il est certain qu'elles ont été enlevées

soit par les Indiens, soit par quelqu'une des nations d'Europe

qui ont occupé Cayenne ». Parente et après lui son fils

Vital Maciel ont défendu avec succès ce territoire contre

les ennemis de la couronne de Portugal « en soumettant

les Indiens à son obéissance, tant par l'influence des

Missionnaires que par la force des armes. Il établit le

chef-lieu de cette capitainerie à Curupatuba, lieu où il

fonda une habitation, résidence des Missionnaires de la

Compagnie de Jésus. Il fit toute sorte d'actes de posses­

sion et de seigneurie ». Vital Maciel étant mort sans laisser

d'héritiers, la capitainerie fit retour à la couronne de

Portugal.

Dans sa seconde partie, la réponse du Portugal, après

avoir fait observer que ce sont là des actes de possession

qui, pendant plus de 70 ans, ont établi la domination por­

tugaise, passe à l'examen des prétentions et des arguments

du mémoire français. Elle relève tout d'abord:

La France allègue qu'en 1604 déjà, des Français fai­

saient, sur les bords de l'Oyapoc, le commerce avec les

Indiens. L e Portugal ne cloute pas que des Français aillent

commercer à la rivière d'Oyapoc, ou de Vincente Pinson ou

Rio Fresco, qui sépare l'Inde espagnole du Brésil; il ne

conteste pas davantage que l'île de Cayenne appartienne

aux Français « par une possession de cent ans » ou « par

quelqu'autre principe plus moderne ». En effet, le territoire

que les Portugais ont conquis, défendu et qu'ils possèdent,

se trouve entre la rivière d'Oyapoc et le fleuve des Ama-

Page 210: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 0 2 —

zones. L e mémoire de la F rance n'a opposé à cette pré­tention aucun argument valable.

Les clauses des concessions octroyées par Louis X I I I en 1633 et 1638 démontrent clairement que d'autres « princes chrétiens » avaient déjà occupé des terres entre l'Amazone et la rivière de Cayenne, ce qui ne pouvait viser d'autres princes que ceux d'Espagne et de Portugal, dont les droits étaient expressément réservés dans les concessions. D'autre part, on n'a pas entendu dire que les Français aient jamais eu une colonie ou un comptoir depuis la rivière d'Oyapoc jusqu'à l'Amazone. En outre, les concessions autorisaient les marchands à faire le commerce dans un pays limité, compris entre 33/4° et 4 3 /4° de latitude nord 1) ; or, comme le Cap de Nord se trouve par deux degrés et le Vincente Pinson ou Oyapoc tout juste par trois degrés, il est évident que Louis XI I I a entendu exclure le territoire qui va du Cap du Nord jusqu'au Vincente Pinson ou Oyapoc. Lorsque la concession parle du Cap du Nord, c'est donc « dans un sens général et improprement », puisqu'en 1633, il n'y avait pas encore de colonie française à Cayenne et qu'à cette époque il n'y avait pas sur ces côtes d'autre cap plus connu.

L e mémoire français attache quelque importance à l'ac­cueil bienveillant que le gouverneur portugais de Madère fit aux Français qui, en 1652, se rendaient dans la Guyane, cela bien qu'il connût le but de leur expédition. Selon la Réponse du Brésil, le fait qu'il savait à quoi s'en tenir ne devait pas empêcher le gouverneur d'accorder aux émigrants l'hospi­talité qu'il est de tradition de donner aux Français dans

1) L e texte authentique de ces concessions n'a pas été produit. L'affirmation ci-dessus est empruntée à « l 'Hydrographie » du P . G. Four-nier S. J . de 1643, liv. 6, chap. 29, page 352.

Page 211: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 0 3 —

les ports portugais, d'autant qu'il savait combien il y a de

place pour les Français entre Oyapoc et Cayenne et

« que cette étendue de terre a la dénomination de Cap

du Nord aussi bien que celle qui est entre cette rivière et

le fleuve des Amazones ».

Il est d'ailleurs hors de doute que cette Compagnie

de 1652 n'a pas établi « ses hommes sur les terres en

litige ».

Quant aux entreprises de la Barre et de la Compa­

gnie des Indes occidentales dont s'occupe ensuite le

mémoire, il est à remarquer que jamais la Compagnie

n'est parvenue au Cap du Nord et que la Barre n'a jamais

pris possession des terres en question ; même les Anglais

et les Hollandais qui, à cette époque, ont deux fois occupé

Cayenne (les premiers en 1667, les seconds en 1674), n'ont

jamais dépassé le Vincente Pinson ou Oyapoc qui forme la

frontière des possessions de Cayenne.

Des cartes et d'anciens routiers montrent que le Vin­

cente Pinson ou Oyapoc (soit son embouchure) était appelé

Port des Navires portugais (porto de navios Portuguezes)

et les Indiens peuvent encore aujourd'hui affirmer qu'il s'y

trouvait des bornes-frontière.

Ce que le mémoire de la France dit des forts construits

à l'ouest et à l'est de Cayenne jusqu'à Comarimbo dans

le voisinage du Cap d'Orange, de la défense du territoire

contre les Anglais et les Hollandais, ne peut se rapporter

qu'au territoire de Cayenne qui n'était pas plus vaste qu'en

1638, lorsque les Espagnols le perdirent ; entre l'Oyapoc

et l'Amazone, les Français n'ont pas livré de combats aux

Anglais et aux Hollandais. Que les Français, comme l'af­

firme le mémoire, aient fait le commerce avec les indi­

gènes, qu'ils aient chassé et pêché jusque sur les bords

de l'Amazone, que leurs missionnaires aient voyagé dans

Page 212: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 0 4 —

ces contrées, rien de tout cela n'implique des actes de pos­

session. Si les Français ont fait le commerce, chassé et

pêché dans le territoire portugais, c'était à l'insu des Por­

tugais, clandestinement, d'une manière passagère ; on com­

prend qu'il soit impossible de surveiller tous ces vastes terri­

toires, « surtout les pays de l'Amérique et des Indes (qui)

se maintiennent sous la domination de leurs souverains par

l'obéissance des indigènes, indépendamment de la présence

des conquérants, car s'il fallait avoir dans chaque village

des gentils une colonie ou une garnison, toute la popula­

tion de l'Europe ne suffirait pas pour occuper une seule

de ces régions ». La présence de Français n'implique pas

de leur part une possession, sinon aucun prince ne possé­

derait ses états en sûreté ; il suffirait d'envoyer deux jésuites

français voyager à travers un pays, pour qu'il pût être

déclaré possession française. Pour ce qui est des cartes,

chacun est libre d'en faire faire, surtout secrètement ; elles

ne constituent aucun titre de propriété sur le pays qu'elles

représentent.

Il est de fait que les Portugais ont toujours conservé

la propriété et la possession des terres du Cap du Nord

depuis le Vincente Pinson jusqu'à l'Amazone ; en ce qui

concerne les missions, il en a toujours été entretenu sur

les deux rives de l'Amazone ; il s'en trouve actuellement

au Cap du Nord où elles ont pénétré et ont toujours été

depuis que B. M. Parente a pris possession de cette capi­

tainerie ; la mission de Saint-Antoine y passe tous les ans,

venant des îles contigües à la terre ferme, pour aller

exercer son ministère à la rivière d'Araguary ; cette

mission a été longtemps établie sur la rivière Aguirù,

près du Cap du Nord, sous la protection d'une forteresse

dont on voit encore les ruines sur une colline de terre

rouge.

Page 213: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 0 5

La réponse portugaise reprend ensuite la justification

de la possession par le Portugal et réfute les allégations

du mémoire de la France, selon lequel les Portugais n'ont

jamais paru sur la rive nord de l'Amazone et ne se sont

jamais plaints de l'occupation, par les Français, de tout le

territoire jusqu'à l'Amazone. Le Portugal ne se soucie pas

des terres qui sont de l'autre côté de la rivière de Vincente

Pinson ; mais celles qui s'étendent du Vincente Pinson ou

Oyapoc jusqu'à l'Amazone appartiennent au Portugal ; les

Portugais y entretiennent des factoreries de cacao dans

lesquelles ils résident ordinairement, trafiquent avec les

Indiens qu'ils traitent comme des vassaux qui reconnais­

sent la couronne de Portugal à laquelle ils prêtent obéis­

sance « et dont ils ont reçu parfois les punitions ou les

récompenses méritées » ; on n'en trouverait pas un qui

contredise cette « vérité ».

C'est parce qu'ils étaient mal renseignés par les gou­

verneurs de Cayenne que les Français ont prétendu que

les Portugais ne s'étaient jamais plaints des incursions

françaises. Avant que le maréchal d'Estrées eut repris

Cayenne (1676), les Français n'avaient jamais pénétré dans

ces parages ; deux ou trois années plus tard, le comman­

dant de Gorupá empêcha des Français de passer devant

sa forteresse, et quand, en 1682, le roi de Portugal fit pro­

clamer dans l'intérieur du pays par les jésuites Pedro Luiz

(Gonzalvi) et Aloyxio Conrrado (Pfeil) la loi qui interdisait

de réduire les Indiens en esclavage, les deux pères ren­

contrèrent cinq Français auxquels ils reprochèrent d'avoir

pénétré sur territoire portugais ; ils les renvoyèrent à

Cayenne où ils se plaignirent du commerce d'esclaves que

les Français faisaient sur territoire portugais. En 1685, le

gouverneur de Maragnon dut, pour des faits analogues,

adresser des réclamations à Cayenne.

Page 214: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 0 6

De même, c'est sur des informations erronées que

repose l'allégation qu'avant les Portugais les Français

auraient occupé le Maranhão. Si la F rance entend rattacher

de grandes provinces à son insignifiante Cayenne, quelles

devront être les dépendances d'un Estado « qui compte des

villes, des bourgs, des villages et un grand nombre de

vassaux, dans lequel il y a des plantations, des comptoirs

sur les terres des Indiens, le tout peuplé de plus de 7000

habitants, qui sont maîtres de la plus grande partie du

fleuve des Amazones, dont les Indiens vont commercer

à Pa rá et y recevoir les brevets et les commissions poul­

ies emplois qu'ils exercent dans leurs villages ; et ces

Indiens voyagent sur les rivières avec les Portugais, font

commerce avec eux, se mettent à leur service, et établis­

sent dans leurs terres des factoreries de girofle et d'autres

drogues que le pays produit 1 )».

Quand la nation française voudra acquérir à la cou­

ronne de F rance de nouveaux sujets et de nouvelles pro­

vinces, il lui reste entre l 'Oyapoc ou Vincente Pinson, qui

est situé par 2 degrés 50 minutes de latitude nord et

Cayenne, assez de place pour bien des années : environ

60 lieues de côte avec quelques ports et les vastes régions

vers les déserts de l'intérieur.

5.

Cette réponse du Portugal fut remise à Lisbonne à l'am­

bassadeur de F rance Rouillé, qui la communiqua au gouver­

nement français au plus tard au commencement de juin 1698.

Après quelque temps, ne recevant pas de communi­

cation de son gouvernement « sur l'affaire de la rivière

1) R . B . II , page 240 ; M. F . II, page 30 (sans divergences notables).

Page 215: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 0 7

des Amazones », il s'enquit des causes de ce silence. L e 2 septembre 1698, il écrivait à Monsieur de la Combe 1) :

« Permetés-moy de vous demander la raison du silence qu'on garde sur l'affaire de la rivière des Amazones, je l'ay entamée, j ' ay parlé, j ' a y donné des Mémoires, on y a répondu icy par un Mémoire qu'on m'a donné que j ' ay envoie il y a trois mois depuis ce temps là on ne m'a pas écrit un mot sur ce sujet, soit qu'on ait trouvé les défenses des Portugais bonnes et qu'il n'y ait pas de répli­ques, soit que par raison de ménagement on veille dissi­muler quant à présent, convenés que je dois estre instruit du parti qu'on veut prendre ; ce qui est certain est que cette Cour regarde comme un désistement tacite l'inaction dans laquelle ils me voient sur cette affaire depuis qu'ils m'ont doné leurs raisons par écrit, je croi M. de Ferole plus sensible que moy, sur l'article, car où il est il connoist mieux que je ne sais icy l'importance de terminer hono­rablement ce diferent. »

Nous ne connaissons pas la réponse que reçut Rouillé ; mais il lui fut envoyé, le 4 février 1699 2 ) , la Réplique à la Réponse faite au Mémoire présenté par l'ambassa­deur de France en Portugal touchant les droits du Roy très Chrétien sur les Terres situées au nord de la riviere des Amasones 3).

Le gouvernement français n'était pas disposé à laisser de côté la question de l'Amazone ; encore moins admit-il

1) R. B . II, page 243, Bibl. Nat. de Paris, Manuscrit, Collection Clairambault, 1005 (Mel. 234), pp. 919 à 929.

2 ) Conf. M. F . I, page 13, notes 3 et 4, avec renvoi aux Affaires étrangères, Portugal, X X X I I I , fol. 287, 336.

3) M. F . II, pp. 31 et suiv., Archives des Affaires étrangères, Cor­respondance de Portugal, t. X X X I I I , fol. 336, reproduit également par R. B . II, pp. 245 et suiv.

Page 216: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 0 8 —

comme concluantes les preuves alléguées par la réponse

du Portugal.

En premier lieu, la réplique résume comme suit les

renseignements fournis par la réponse portugaise sur les

premiers actes de possession effectués dans le Brésil :

« Pour etablir le droit des Portugais sur la province

ou capitainie de Maragnon, on allegue que le Roy de Por­

tugal Jean 3e en fit donation en 1539 a Jean de Barros,

lequel y envoya des troupes, qui y firent naufrage, et

neantmoins s'y établirent, et s'y maintinrent durant quel­

ques années. Que depuis ce temps la ce pays etoit demeuré

abandonné, jusques a ce que, en 1614, on y envoya Jerome

d'Albuquerque qui s'y établit, et chassa les François de

l'Isle de Saint Louis, qu'ils occupoient alors, y estant de-

cendus par hasard pour se mettre a couvert du mauvois

temps. »

Puis la réplique française donne en ces termes la dé­

finition du droit d'occupation, « que suivant l'usage de

touttes les nations de l 'Europe la donation qui n'est pas

suivie de la possession actuelle et non interrompue, si ce

n'est pour fort peu de temps, ne donne aucun droit. Ces

pays esloignez sont estimez abandonez, et ils appartien­

nent au premier qui les occuppe, autrement il s'en suivroit

qu'un prince auroit droit sur tous les pays dont il auroit

accordé la concession et ou il auroit envoyé faire descente

et planter ses armes, sans se mettre en peine de les faire

habiter ; ce qui seroit assurément injuste et contre la pra­

tique de tous les peuples ». L e Portugal n'a qu'à se rap­

peler un fait qui s'est passé sur le territoire en litige :

Charles-Quint avait, en 1549, donné à Francisco de Orellana

une concession concernant les terres de l'Amazone, d'où

Orellana se retira par la suite. Si donc la concession doit

faire loi, le Portugal est obligé de reconnaître la légitime

Page 217: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 0 9 —

possession de l'Espagne sur l'Amazone ; or, les Portugais,

pas plus que les Français, ne sont disposés à admettre

ce droit.

La réplique compare alors entre elles les prétentions

du Portugal et de la France sur le Maranhão :

« L a possession des Portugais se réduit à l'établissement

commencé en 1614 par Jerome d'Albuquerque et continué

jusques a présent. Cette possession seroit legitime, si son

origine n'estoit vicieuse et insoutenable. » Les droits de

la France, en revanche, découlent du voyage que fit, en

1594, Riffault au Maranhão, où il laissa de Vaux; après le

retour de celui-ci en France, Henri IV, en 1608, envoya au

Brésil de la Ravardière, dont le premier séjour dans le pays

ne fut que de six mois; le 12 juillet 1612, il revint et avec

ses compagnons, mouilla à la « baye de Maragnon » et « peu

de jours apres ils planterent une grande croix et travaille­

rent a construire le Fort de Saint Louis, ou ils mirent

vingt-deux pieces de canon ». En 1613, il envoya sur les

bords de l'Amazone le capitaine Pra qui était arrivé de

France avec 6 capucins et 300 hommes ; au retour de son

voyage qui avait duré neuf mois, Pra trouva le fort de

Saint Louis au pouvoir des Portugais ; en 1619 il était à

Lisbonne.

Tout cela prouve que la possession de Maranhão par

la France dura un grand nombre d'années et était bien

établie, tandis que la possession portugaise repose sur un

acte de violence ; mais si la possession portugaise du Ma-

ranhão est « injuste et violente », il est certain « que tout ce

qui s'en est ensuivy est aussy défectueux et ne peut donner

aucun titre legitime ». Or l'occupation violente du Maran-

hão a permis aux Portugais de pénétrer jusqu'à l'Amazone.

Par conséquent, cette occupation aussi est injuste et les Por­

tugais ne sont pas fondés, déjà pour cette seule raison, à 14

Page 218: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 1 0 —

« disputer aux François le rivage septentrional de cette

riviere ».

La réplique continue :

L e Portugal invoque les luttes qu'il a soutenues contre

les Anglais et les Hollandais, auxquels il a pris les forts

construits sur les deux rives de l'Amazone. En outre, dit-il,

Philippe IV , en 1637, « partagea cette partie de l'Amerique

par la riviere de Vincent Pinson autrement appelée Yapoco 1)

entre les Portugais et les Castillans », et fit donation à

B . M. Parente de la capitainerie du Nord « qui s'estend

30 ou 40 lieues le long de la coste jusques au Cap de Vin­

cent Pinson» 2 ) , etc. A quoi l'on répond:

1° C'est l'occupation violente du Maragnon qui a amené

aussi ces actes de violence.

2° Les entreprises que les Portugais ont faites contre

les Anglais et les Hollandais peuvent avoir été légitimes

puisqu'ils étaient en guerre avec eux, «mais il n'en est pas

de mesme des François qu'ils ont aussi attaquez contre

toutte justice » et qui s'étaient établis sur la rivière des

Amazones longtemps avant eux ; preuves en soient la cons­

truction du fort de Macapa par les Français et le récit du

P. Acuña et du P. Manuel Rodriguez, qui relate que les

Français établis sur la rivière de Tocantins chargeaient

leurs vaisseaux uniquement de terre 3).

1) L a Réponse du Portugal dit c l 'Oyapoc». L e Gouvernement fran­çais ne fait par conséquence pas de différence entre l 'Oyapoc et l 'Yapoco.

2 ) L a Réponse du Portugal ne parle pas du Cap de V . P., il n'y est question que de la rivière de Vincent Pinzon.

3) «P . d'Acuña (num. 81) et P . Manuel Rodriguez (livre 2, chap. 13) en parlant de la riviere des Tocantins, disent que les François s'y estoient establis en ces termes : Ninguno ha conocido su caudal, sino solo el Frances , que quando poblara sus costas cargara naos de sola la tierra que de sus orillas sacaba, etc. », M. F . II, pp. 35 et suiv., R . B. II, page 258, note 30.

Page 219: Sentence du conseil fédéral Suisse

3° et 4°. Les guerres contre les Anglais, les Hollan­

dais et les Français « ne donnent aucun droit, si elles ne

sont pas suivies d'une possession véritable, continue et ac­

tuelle », pas plus que la concession de Philippe I V et la

prise de possession de Parente « n'ayant pas esté suivie

de la possession ou habitation actuelle ».

En outre, on n'a « jamais veu vers la riviere d'Yapoco

les armes du Roy de Portugal ny du Roy d'Espagne;...

les pierres qu'on dit avoir esté elevées pres de la par

Maciel Parente y avoient esté mises par les François pour

couvrir le corps d'un Jesuite françois mort en travaillant

a la conversion des Indiens, afin d'empescher les bestes

sauvages de le deterrer, et que le pere L a Mousse, jesuite

françois allant à Macapa en 1697 avec le Sieur de Ferolles

le fit chercher pour le transporter a Cayenne, quoy qu'inu­

tilement, ayant esté consommé par la chaleur et par l'hu­

midité du pays ».

5° Quand il y aurait eu une possession exercée par le

Portugal depuis 1639, elle n'en serait pas moins «injuste»,

puisque le droit de possession de la France est antérieur;

les Français y habitaient et négociaient au X V I e siècle

déjà, et, en 1633 et 1638, le roi Louis XII I octroya des

concessions, confirmées en 1640 et 1643, qui ne comprenaient

pas un degré de latitude seulement, comme le dit le P.

Fournier, un compilateur inexact ; au contraire, la conces­

sion de 1638 va depuis le 310 e degré de longitude jusqu'au

330 e et du 1 e r jusqu'au 3e degré de latitude nord.

6° L a frontière fixée par Philippe I V au Vincent Pin­

son ou Yapoco n'a pas seulement été déterminée injuste­

ment, elle est encore « imaginaire et sans fondement puis­

qu'on n'a pu trouver aucune carte ny géographe qui donne

à cette riviere le nom de Vincent Pinson, et que Laet qui

rapporte tout ce que les autheurs de differentes nations en

211

Page 220: Sentence du conseil fédéral Suisse

ont dit n'en fait aucune mention. A l'égard du nom d'Ya-poco, le gouverneur de Cayenne soustient que ce n'est qu'une équivoque et qu'il y a une isle de ce nom assez grande au milieu de la riviere des Amazones, et qui peut servir de borne 1) d'autant plus que les Portugais ne se sont jamais establis depuis le Cap de Nord jusques a Cayenne » 2 ) .

Ce n'est qu'à partir de 1686 que les Portugais ont commencé « a troubler la possession des François », d'une part en faisant prisonniers et en conduisant à Para des Français qui se livraient à la pêche sur l'Amazone ou négo­ciaient avec les Indiens, ce qu'ils ont répété trois fois depuis, d'autre part lorsqu'en 1686 ils «bastirent le fort de Saint Antoine sur la riviere d'Arouary ou d'Alaouarry ». Le fort ayant été détruit l'année suivante «par les marées ou la barre de riviere des Amazones », ils transportèrent leur habitation «sur les ruines du fort de Macapa qu'ils réta­blirent ». Les Portugais prétendent en outre qu'ils faisaient le commerce sur les deux rives de l'Amazone. Il vaut mieux garder le silence à ce sujet, car ce commerce con­siste à enlever des Indiens libres pour les réduire en esclavage.

L a Réplique conclut ainsi : L a frontière de l'Amazone est la seule possible. L a division que propose le Portugal « par la riviere d'Yapoco est inutile et insuffisante, parce que cette riviere vient du midy et a sa source a la hau-

1) Conf. ci-dessus, page 181, note 1. 2) Vo i l à qui démontre que le gouvernement français avait tait

sienne l'opinion de Fer ro l les ; Vincent Pinçon et Yapoco sont identiques: l'un est une riviere imaginaire, puisqu'il n'y a pas de carte ou de géo­graphe « qui donne à cette riviere le nom de Vincent Pinson » et l'autre « n'est qu'une equivoque ». Une île Yapoco qui est au milieu de l 'Ama­zone peut servir de frontière.

212

Page 221: Sentence du conseil fédéral Suisse

teur ou latitude du Cap de Nord, et quand on seroit ar­rivé a l'endroit ou elle prend naissance, il faudroit chercher, et convenir d'autres bornes, ce qui seroit impossible en ce pays la, et exposeroit les deux nations a de continuelles guerres ».

Aussi la France espère-t-elle que le roi de Portugal donnera ordre à ses sujets de ne plus troubler les Fran­çais « dans une possession aussy ancienne et aussy bien fondée que celle qu'ils ont sur les terres situées au nord de la riviere des Amazones ». Ce serait le moyen de ter­miner tous différends au sujet du Maranhão et d'autres lieux que les Portugais ont pris aux Français, par la force, en temps de paix.

6.

Voici l'ordre chronologique dans lequel ces divers mémoires ont été échangés :

L a France a remis son premier mémoire au mois de janvier 1698; le Portugal répondit au commencement de juin 1698 au plus tard ; la réplique de la France a été envoyée à l'ambassade de France à Lisbonne au mois de février 1699 ; la duplique du Portugal pouvait donc être attendue dans le courant de l'année 1699.

Aujourd'hui, la France allègue qu'il paraît bien que les Portugais ont travaillé à un projet de duplique, mais qu'il est certain que cette duplique ne fut jamais remise à l'am­bassadeur de France, qu'elle n'a jamais été communiquée par ce dernier au gouvernement français et qu'elle n'existe pas dans les Archives françaises 1 ) .

Cette opinion n'est guère soutenable.

1) R. F . , pp. 86 et 87.

2 1 3

Page 222: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 214 —

1) M. B. III, page 96.

Lors des négociations qui eurent lieu entre le Brésil et la France en 1855, le plénipotentiaire français, baron His de Butenval disait qu'il n'existe dans les Archives des Affaires étrangères que deux mémoires du Cabinet portu­gais l ) relatifs au débat; mais enfin, il y avait deux mémoires. Or, le premier mémoire de la France, à la page 13, con­state qu'il existe dans les Archives des Affaires étrangères une réponse du Portugal, de 1699, qui a été insérée dans le volume X X X I V , folio 310, de la Correspondance du Por­tugal; cette réponse est probablement une autre pièce que celle qui figure dans le volume X X X I I I .

L 'examen de la question, telle qu'elle est élucidée par les documents visés par la France, conduit donc à la con­clusion que la duplique du Portugal existe, ignorée, dans le volume X X X I V de la Correspondance du Portugal, qu'elle a par conséquent été non seulement rédigée, mais encore remise au gouvernement français.

Les Archives de l'état du Portugal ne possèdent le texte ni de la duplique, ni des autres mémoires qui ont été échangés. En revanche, deux copies de la duplique sont conservées, l'une à la Bibliothèque publique d'Evora (ma­nuscrit coté C. V , 1-5), l'autre à la Bibliothèque publique nationale de Lisbonne (manuscrit n° 2767, fonds ancien K. 2, 2). Celle-ci fait partie d'une collection de documents, réunie par Gaetano de Lima, qui fut secrétaire des plé­nipotentiaires portugais au Congrès d'Utrecht.

Le texte de la duplique, reconstitué d'après les deux copies, a été reproduit dans la R. B . II, pages 277-322 et I V , pages 79-130, sous le titre : Réponse à la réplique de l ' A m ­bassadeur de France.

Il faut bien l'utiliser, à défaut de l'original ; ce n'est

Page 223: Sentence du conseil fédéral Suisse

apparemment pas une pièce falsifiée, mais une copie, plus ou

moins exacte, de l'original. A supposer môme que celui-ci

n'ait pas été remis officiellement au gouvernement français,

la copie n'en refléterait pas moins les arguments que le

gouvernement portugais entendait opposer à la réplique

de la France.

Il y a lieu par conséquent de tenir compte ici de ce

document pour établir les faits de la cause.

La duplique portugaise examine, en premier lieu, la

question du Maranhão dans tout son ensemble, posant en

fait « que les Portugais se sont réintégrés à juste titre dans

la possession de l'île de Saint-Louis du Maranhão, que les

Français avaient voulu leur usurper ».

La réplique de la France, dit-elle ensuite, admettant

que c'est à bon droit que les Portugais ont chassé les Hol­

landais et les Anglais de ce territoire, elle doit admettre

aussi la légitimité de la possession portugaise, car c'est avec

ces deux nations uniquement que le Portugal avait alors

affaire et non avec les Français qui « n'y avaient ni pro­

priété ni possession ».

A l'argument de la réplique française « que la posses­

sion prise par Bento Maciel Parente des terres du Cap du

Nord ne fut pas suivie et continuée par une habitation

actuelle », la duplique répond que la possession « fut tou­

jours conservée au moyen de plusieurs forteresses et éta­

blissements (habitations) », savoir par les forts «de Cumaú,

Araguari, Rio Negro et du Torrego, autrement nommé

du Desterro, sans en compter d'autres, ni différentes fac­

toreries, conquises sur les Anglais et les Hollandais, ainsi

qu'en témoigne le Cosmographe João Teixeira, qui les pré­

sente dans la carte de la riviere des Amazones de sa

Description du Brésil, ce qui, au besoin, pourrait être

montré sur un grand nombre d'autres cartes anciennes ».

2 1 5

Page 224: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 1 6

Les établissements (habitations) « sont ceux qu'en plu­sieurs villages, fondés depuis plus de soixante cinq ans, possèdent, dans toute l'étendue des mêmes terres, les Pères de la Compagnie et les Capucins de Saint-Antoine et de la Pitié, villages soumis au domaine et aux lois de la Cou­ronne de Portugal, comme aussi ceux que possèdent encore dans l'intérieur, du même côté du Nord, les dits Pères de la Compagnie, les religieux de la Merci et les Carmes », à quoi les Français ne sauraient opposer que le commerce que quelques Français, munis de passeports de Cayenne avaient coutume de faire « dans les terres en litige » ; plu­sieurs de ces Français, dans les dernières années, furent tués par les Indiens auxquels ils voulaient faire violence. L'existence de l'établissement de Corupatuba, le fait que d'autres villages indiens qui sont sur la riviere Genipape 1), sont soumis aux Portugais, fournissent la meilleure preuve qu'on puisse donner en faveur de la solidité de la domi­nation portugaise sur ce pays.

En revanche le Portugal reconnaît « qu'on n'a jamais trouvé les Portugais de l'autre côté de la Rivière Oja-poc 2 ) , mais cela parce qu'ils ont toujours observé l'ordre d'après lequel le Portugal ne cherche qu'à conserver la propriété des terres dont il est maître ; ils ont respecté la division de ces terres que l 'Empereur Charles V a prescrite, par la Rivière de Vincent Pinçon, en y faisant placer les armes des deux Couronnes en regard des pays qui leur appartenaient, ainsi que le rapporte, d'a­près les relations de Portugal, de France et de Hol­lande, le Père Marcos déjà cité, au chap. 5 e , p. 243, à la

1) Genipape ou Paru ; Corupatuba, d'après la carte du P. Fritz sur

la rive gauche de l 'Amazone, au-dessus de l'embouchure du Paru. 2 ) Oyapoc dans la copie d'Fvora.

Page 225: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 1 7 —

lettre A 1 ) , et ainsi que l'affirme le capitaine Simão Estacio da Silveira à la première page de sa relation citée ci-dessus 2 ) , laquelle fut imprimée en l'année de 1624, treize ans avant la donation, faite en 1637, par le Roy Philippe I V audit Bento Maciel Parente; et on en conclut que les Por­tugais occupent et entendent conserver les terres qui appar­tiennent à leur Couronne et ne prétendent pas à celles qui peuvent appartenir à d'autres Princes ».

La réplique de la France voit dans ces bornes-fron­tières des pierres apportées par des Français pour couvrir le corps d'un missionnaire ; mais « ni la date citée, ni la forme de ces pierres n'indiquent qu'il en puisse être, ainsi. La date, parce qu'il est impossible de se rappeler exacte­ment ce qu'il en fut de ce cadavre depuis l'an 1637, où lesdites terres furent délimitées par ordre de Philippe IV . . . jusqu'en 1697 3), époque à laquelle M. de Ferrolles 4 ) est allé chercher ces restes ; la forme, parce que les pierres de ladite démarcation avaient et ont encore les Armes des Rois de Portugal et de Castille. On est plutôt convaincu que les pierres qui servirent à couvrir le cadavre seraient quelques-unes de celles prises dans les bornes-frontières qui manquent». Daniel la Penher 5 ) , missionnaire français, dans une lettre qu'il adressait à un missionnaire portugais appartenant au même ordre, et comme lui d'origine alle­mande, le P. Aloisio Conrado 6 ) , reconnaît l'existence de ces

1) P. Marcos de Guadalaxara, Historia Pontificale (voir ci-dessus,

pp. 102 et 112). 2 ) Vo i r ci-dessus, pp. 101 et 111. 3) R . B . II, page 312, indique 1692 au lieu de 1697 ; conf. R . B . I V ,

page 111. 4 ) L a copie de Lisbonne porte Seroles.

Lapinier selon la copie de Lisbonne. 6 ) Pfeil.

Page 226: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 1 8

bornes-frontières, « lettre dans laquelle il indiquait l'emplace­ment de l'une de ces bornes, ce que l'on voit dans la R e ­lation faite par ledit Père Aloisio Conrado et qu'on pro­duira s'il le faut 1) ».

Les concessions françaises n'ont aucune portée en l'espèce, à cause d'abord de la condition expresse sous laquelle elles ont été données, que les terres ne seraient pas déjà occupées par quelque autre prince et parce qu'en­suite «aucune n'a été rendue effective». Peu importe que la Compagnie s'appelât «Compagnie du Cap du Nord», « cette Compagnie ne pouvant pas exister au Cap du Nord qui appartient aux sujets de la Couronne de Portugal ». Les Français n'ont réussi à occuper définitivement l'île de Cayenne qu'en 1670 ; ils n'avaient pas de possessions ailleurs et l'on ne saurait notamment prétendre qu'ils aient fondé depuis des colonies «dans les terres du Cap du Nord».

L a réplique française déclare «imaginaire» la délimi­tation par la Rivière de Vincent Pinçon, parce que Laet n'a pas mentionné cette riviere et « qu'on ne peut trouver aucune carte, ni aucun géographe qui donne à cette riviere le nom de Vincent Pinçon ».

A quoi le Portugal répond : « il nous a paru nécessaire de montrer le bien fondé de cette division à l'aide des auteurs, des cartes et des géographes qui s'en occupent et en parlent, et à l'aide des cartes, auteurs et géographes qui font mention de ladite riviere en employant le nom de Vincent Pinçon et Oyapoc ou Oviapoc, ce qui revient au

même »2).

En premier lieu la détermination de la frontière du

1) Vo i r ci-dessus, page 15/ . 2 ) L a note 71 au texte R . B . II , page 318, dit à ce sujet : « Dans

l'original, il y avait probablement Wiapoc , comme plus loin ».

Page 227: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 1 9

Vincent Pinçon ou Oyapoc est « juste et légitimement faite » :

« La justice de ladite division se consta te . . . par le droit que les rois de Portugal et de Castille avaient de la faire en leur qualité de confinants et de premiers découvreurs et occupants qu'ils maintenaient être des dites terres. » Puis, le Portugal et l'Espagnol ont le droit de procéder à ce par­tage en vertu de la bulle du pape Alexandre V I qui a établi la ligne de démarcation de 1493 (par suite d'une erreur 1497 dans la duplique). Enfin, se basant sur cette démar­cation, ils avaient par le traité de 1529 (traité de Saragosse) conclu des arrangements valables au sujet de la frontière des Moluques, et cette délimitation devait être étendue à l'Amérique du Sud, attendu que la convention stipulait qu'au­cune des parties ne pouvait pénétrer dans la démarcation de l'autre. « Il en découle clairement que ladite dernière divi­sion que les rois de Castille et de Portugal ont faite quant aux terres situées au Cap du Nord de la riviere des Ama­zones, qu'elle ait eu lieu avant ou après ledit contrat, fut en tout cas juste et légitimement faite et ordonnée avant le contrat par l'Empereur Charles V , ayant été confirmée, après le contrat, par cet empereur et par Philippe IV , car elle fut mise à exécution et observée. »

La frontière du Vincent Pinçon n'était et n'est en-second lieu pas imaginaire :

« Auteurs qui parlent de cette riviere et la designent sous le nom de Vincent Pinçon » : « le Père Manoel Rod-riguez, livre I e r , page 15, fl. 149 ; le Père Marcos de Gua-dalaxara, . . . dans la 5 e partie de l'Historia Pontifical, livre 9, chap. 5, page 243, litt. D ; Solors, livre I e r , chap. 6, n° 59; Simào Estacio da Silveira, à la première page de sa Rela­tion ; le capitaine Francisco Teixeira de Moraes, dans la I r e partie de ses Relations Historiques, chap. 3 ; le Père

Page 228: Sentence du conseil fédéral Suisse

220

Simão de Vasconcellos, dans son livre des Notices du

Brésil, page 14, n° 16 et ad finem, et page 18, n° 21 ; le Père

Alonso d'Ovalle, dans sa Description du Chili, chap. 7,

page 118, lequel dit que Vincent Pinçon ou Vicente Annes

Pinçon, comme d'autres le nomment, après avoir pénétré

dans la riviere des Amazones, poursuivit sa route vers

Par(ia), ce que dit également Solors déjà cité, et qu'il

trouva une autre riviere moins grande, dont il prit pos­

session; d'où l'on peut conclure que ce fut celle-ci et qu'elle

a pris le nom de son premier découvreur 1) ; le Père Joào

de Souza Ferreira, dans son Noticiario Maranhense, chap. 4,

où il nous apprend qu'au Maranhão vivaient, dans le temps

où il écrivait, plusieurs personnes qui avaient vu et touché

la borne avec les Armes du Portugal mise à ladite Rivière

de Vincent Pinçon, et, au fol. 5, il cite plusieurs auteurs

et cartes qui font passer ladite division par le Cap de

Humos, qui est celui du Nord, et par le Rio Fresco qui est

celui du Vincent Pinçon. Cette même démarcation a été

adoptée par Jeronimo Girava Tarragonez en son Traité

de Cosmographie, livre 2, page 110, où il donne le nom de

Cap de Humos au Cap du Nord. Et mieux que tous, le

grand Reinel 2 ) , dans sa Carte générale de l'Amérique,

présente les terres et les limites de Castille et de Portugal

avec les pavillons des deux Couronnes, et signale distinc­

tement le méridien de la ligne de démarcation des terres

respectives, plaçant la limite à l'embouchure du Rio Fresco,

qui dans sa carte est la même riviere que le Vincent

1) Ici le cours d'eau mentionné dans le texte, mal compris, de Pier re Martyr, apparaît donc comme étant le Vincent Pinçon.

2) Cartographe portugais (né aux environs de 1505), au service de l 'Espagne depuis 1522. Auteur d'une carte qui est à Munich (Hof und Staatsbibliothek), Kretschmer, Tafel I X , 2. Conf. Ruge, Petermanns Mit­teilungen, Ergänzungsband, 23, page 37.

Page 229: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 221 —

Pinçon à la seule différence du nom, car qu'il s'agisse d'un nom ou d'autre, c'est toujours le cours d'eau où l'on a placé la borne et par où ladite division a été faite.»

Au nombre des « géographes et cartes », qui « parlent spécialement de cette riviere, en lui donnant le nom de Vincent Pinçon » il y a lieu de citer : « Gerard Mercator qui, dans la première Carte générale de l'Amérique, de sa Fabrique du Monde, donne à cette riviere le nom de Vin­cent Pinçon, et qui, dans sa description de la province de Guyane, présente cette même riviere sous le nom de Wia-poc ou Yapoc 1), au Nord du fleuve des Amazones », ainsi que les Hollandais Frédéric Wit et Jean Blaew ; sur la carte d'Abraham Ortelius, le cours d'eau porte le nom de Vin­cent Pinçon, de même sur la carte de João Teixeira, « cos­mographe du Royaume de Portugal ».

« Il s'ensuit donc que l'objection de l'Ambassadeur, provenant aussi de ce qu'il n'y avait pas de carte ni de géographe donnant à la riviere Yapoc 1) le nom de Vin­cent Pinçon, ne peut plus subsister. »

L'ambassadeur « ne pourra pas non plus soutenir que ce nom de Yapoc 1) est celui d'une île située au milieu du fleuve des Amazones, car, outre ce qui a été dit, toutes les îles de ce fleuve se trouvent placées dans les cartes avec leurs noms particuliers, et celui de Yapoc l ) ne se trouve sur aucune île, ainsi que le dit Ambassadeur pour­rait le voir sur les cartes que les cosmographes français Sanson et Duval ont composées.

Il peut encore moins soutenir que l'île en question doive servir de limite entre les deux Couronnes, puisqu'elle n'existe pas. »

Répondant enfin à la dernière objection de la réplique

1) Oyapoc dans la copie d'Evora.

Page 230: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 2 2 —

française, d'après laquelle la frontière du Yapoc l ) serait

«inutile et insuffisante», parce que cette riviere, qui vient

du midi, a sa source à la hauteur du Cap du Nord et qu'on

ne pourrait, sans se heurter à d'inextricables difficultés, dé­

terminer la suite de la frontière à partir de la source, La

duplique portugaise dit: Si la frontière de l 'Oyapoc ou

Vincent Pinçon fut « utile et suffisante » pour séparer les

terres du Portugal d'avec celles de l 'Espagne, pourquoi

ne le seraitelle pas pour délimiter les possessions fran­

çaises des possessions portugaises ?

7.

L a duplique portugaise est signée du Conseiller d'Etat

Roque Monteiro Paim et porte la date du 30 juillet 1699.

Mais une lettre de Rouillé à son gouvernement, d'août

1699 2 ) , citée M. F . I, page 14, ne concorde pas avec cette

date. En effet, Rouillé y dit que le gouvernement portu­

gais s'excuse de n'avoir pas encore donné de réponse, parce

qu'il avait fallu du temps pour travailler à un deuxième

mémoire, qu'on lui remettrait bientôt. Il est permis de croire

que la duplique du Portugal était terminée le 30 juillet,

mais que l'expédition n'en a été faite et remise à Rouillé

que quelques jours plus tard.

Quoi qu'il en soit, dans le courant de l'automne de

1699, la France considéra l 'échange des mémoires comme

clos et estima le moment propice pour obtenir une solu­

tion, favorable à ses vues, de la question de l'Amazone.

1) Oyapoc dans la copie d'Evora. 2 ) M. F . I, page 14, qui renvoie aux « Affaires étrangères, Portugal,

t. X X X I V , fol. 98 » ; le texte exact de la lettre et la date du jour ne sont pas communiqués.

Page 231: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 2 3

Rouillé demanda d'abord que la question fut réglée dans des conférences avec les représentants du gouverne­ment portugais, conférences en vue desquelles, le 23 sep­tembre, il recevait de son roi pour instruction : S a Majesté « vous ordonne de déclarer au roi de Portugal que, s'il ne prend cette voie, en sorte que la discussion puisse être finie dans le cours du reste de cette année, Elle s'est dé­terminée de se servir des moyens que Dieu lui a mis en mains pour se faire raison de toutes les entreprises des Portugais » 1 ) .

Les conférences commencèrent à la fin de septembre. On ignore comment furent soutenues de vive voix les thèses contenues dans les mémoires et quels arguments nouveaux furent invoqués 2 ) . Il est probable que Rouillé, sans s'arrêter

1) M. F . I, page 15, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I , fol. 246; conf. M. F . I, page 166.

2 ) L e mémoire du comte Ericeira, du 28 septembre 1699 d'une part, les « Instructions du Gouvernement Français au Gouverneur de Cayenne, 2 septembre 1699 » d'autre part, établissent que les parties se sont pré­occupées, en vue de ces conférences, de rassembler de nouvelles preuves à l'appui de leurs prétentions. — R . B . II, page 336, donne l'extrait que voici du mémoire d'Ericeira : « Les plus grands Géographes, tels que Sanson, Duval, Coroneli, De Fer , Villemont, Baudrant, Roube et Lacroix, ainsi que tous les autres, ne nient pas que ces Capitaineries ne nous appar­tiennent, et nul n'attribue à la France sur ces côtes autre chose que l'île de Cayenne, qui se trouve par 5 degrés de latitude septentrionale. Plusieurs de ces Géographes font aussi mention du fleuve de Vincent Pinçon (A. Ortelius, Novus Orbis, Mercator, Atlas, et alii), et tous lui donnent le nom de Wiapouco, car c'est le même fleuve, comme on le voit clairement par les latitudes (Sanson, Carte de l 'Amérique, Paris 1679; Coroneli, Globe terrestre, Venise 1688).. .». M. B . I, page 135 et R . B . II , pp. 333 et suiv. communiquent un sommaire des « Instructions au gouverneur de Cayenne », d'après Santarém, Quadro Elementar, etc., Paris 1844 : « on lui ordonne de s'informer dans le plus grand détail des titres qu'avaient les Français pour pouvoir naviguer sur l'Amazone, afin que l'on pût les opposer aux Portugais, qui disputaient à la France le

Page 232: Sentence du conseil fédéral Suisse

224 —

à développer longuement lu question de droit, se sera plutôt attaché à exposer la revendication par la France de la rive gauche de l 'Amazone; tout au moins adresse-t-il le 30 septembre à Louis X I V un rapport où on lit entre autres qu'il avait demandé, « que le roi de Portugal vou­lût bien déclarer purement et simplement s'il entendait continuer l'usurpation faite par ses sujets au delà de la riviere des Amazones du côté de Cayenne ou en faire raison à votre Majesté » 1 ) . M. F . I, page 15, explique, en se fondant sur les documents déposés aux archives fran­çaises, que, peu après le commencement de la conférence, le premier des négociateurs portugais, le duc de Cadaval, lui fit entrevoir la possibilité d'obtenir la démolition des forts construits sur l'Amazone, mais que l'on ne pouvait entrer en négociation sur la conclusion d'un traité avant que le représentant de la France fût muni d'un pouvoir spécial. « Ce pouvoir étant arrivé 2 ) , Rouillé s'empressa de l'exhiber à Cadaval. Il le prévenait en même temps de la détermi­nation de sa Majesté très chrétienne de ne vouloir plus entendre à aucun accommodement, si l'affaire n'était ter-

droit de naviguer sur ce fleuve, prétendant réduire des limites à l'Oyapoc». L'Instruction, est-il dit, se trouve aux « Archives du Ministère de la Marine, à Paris , vol. Documents historiques de la Guyana, 1664 à 1716». R . F . , pp. 75 et suiv., 331, prétend il est vrai que cette instruction du 2 septembre 1699 est une «pièce supposée», par la raison qu'à cette date il a bien été adressé une dépêche à Ferrol les , mais que cette dépêche avait un tout autre contenu (Archives coloniales, B . 21, année 1699, fol. 155; A. M. le marquis de Ferrol les , Versai l les , le 2 septembre 1699). Or cela ne prouve pas que l'Instruction soit une pièce supposée : d'abord, dans ces deux ci­tations, l'adresse n'est pas absolument la même, ensuite, il se peut fort bien que l'Instruction existe, mais qu'il y ait une erreur dans l'indication de la date du jour (2 septembre).

1) R . F . pp. 87, 88, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I V , fol. 125. 2 ) L e pouvoir est du 25 octobre 1699, M. F . II, page 41.

Page 233: Sentence du conseil fédéral Suisse

minée dès la fin de cette année et d'agir aussi puissam­ment après ce terme expiré qu'elle avait été de temps à s'y résoudre » 1). L e pouvoir de Rouillé désignait comme objet du litige : « la possession des terres scituées aux en­virons de la riviere des Amazones» 2 ) , tandis que le pou­voir des représentants du Portugal mentionnait : « les terres situées entre la Colonie de Cayenne et la riviere des Ama­zones et taisant partie du Maragnon » ; Rouillé protesta contre ces termes et demanda la suppression de cette ex­pression, attendu que la France aurait pu dire avec plus de raison de ce pays, « faisant partie de la Colonie de Cayenne » et qu'elle ne l'avait pas fait, Il reçut du Por­tugal une réponse qui ne préjudiciait pas à la conclusion du traité 3).

Toutefois, à la fin de 1699, les conférences n'avaient pas encore abouti. «Pressés de plus en plus par Rouillé», les négociateurs portugais proposèrent enfin « de faire un traité provisionel, par lequel on conviendrait que les forts seraient rasés et que la question du fond demeurerait in­décise jusqu'à ce qu'elle fût plus éclaircie de part et d'autre » 4 ) .

Rouillé reçut de son gouvernement l'autorisation de signer le traité proposé par le Portugal, moyennant quelques changements. Il n'y en eut qu'un seul 5) qu'il ne put faire admettre, c'était la modification du terme fixé pour trancher définitivement le différend (conf. art. 9 du traité). « Sur

l ) M F . I, pp. 15-l6, «Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I V » . 2) M. F . II, page 41. 3) Rapport de Rouillé du 17 novembre 1699, M. F . I, page 16, « Af­

faires étrangères, Portugal, t. X X X I V ». L e s pleins pouvoirs des négocia­teurs portugais portent d'après M. B . I, page 141, la date du 21 novembre

4 ) M. F . I, pp. 16-17, sans autre indication de la provenance. 5 ) Conf. M. F . I, pp. 32 et suiv.

15

225

Page 234: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 226 —

tous les autres points, il s'obstina et l'emporta : pour arri­ver à ce résultat, il feignit de rompre 1), ne consentit à renoncer qu'à la demande personnelle du roi Dom Pedro et ne se résolut à signer qu'après avoir eu satisfaction sur presque toute la ligne » 2 ) .

Rouillé a relaté dans le compte-rendu de son ambassade à quels moyens il dut recourir pour en arriver là : « . . . Le Roi . . . m'envoya des ordres pour les commandants de quelques-uns de ses vaisseaux, qui étaient pour lors dans la riviere de Lisbonne, de courir sur les vaisseaux portu­gais dès que je leur demanderai de faire. J e pris soin de faire savoir au roi de Portugal que j 'avais cet ordre entre les mains et je le déterminai par là à en finir, non pas décisivement, mais d'une manière qui commençait à donner au roi la satisfaction qu'il desirait » 3). L e gouvernement français exprima à Rouillé sa vive gratitude pour la façon dont les négociations avaient été dirigées et menées à bien et lui manda le 20 janvier 1700 déjà qu'il pouvait se vanter « d'avoir tiré la France de grands embarras en donnant aux affaires une tournure qui n'obligeât pas (la France) à se tourmenter encore cette année au sujet de la question de la riviere des Amazones » 4 ) .

1) Conf. M. F . I , pp. 37 et 38, selon lequel Rouillé aurait, à cause de l 'article 4 du traité, menacé de rompre les négociations ; le Portugal céda et Rouillé écrivit à son gouvernement: « J ' a i fait convenir que les Français de Cayenne pourront s'étendre jusqu'à la riviere des Amazones et fait déclarer qu'elle termine les terres en question ».

2 ) M. F . I, page 17. 3 ) M. F . I, page 18, Affaires étrangères, Portugal, t. X L , fol. 414. 4 ) R . B . II , page 340, extrait de la lettre du Comte de Pontchartrain,

Ministre de la Marine de France , à l 'Ambassadeur Rouillé. Conf. en outre R . B . II, page 363, Extra i t d'une lettre de Pontchartrain, du 1er avril 1700.

Page 235: Sentence du conseil fédéral Suisse

8.

L e traité fut conclu le 4 mars 1700 entre Pedro II et

Louis X I V . Il fut rédigé en portugais et ensuite traduit en

français 1).

Le traité introduit tout d'abord la question:

Quelques contestations se sont élevées entre les sujets

du Roi de France et ceux du Roi de Portugal « au sujet

des Terres du Cap de Nord situées entre Cayenne et la

riviere des Amazones » et les motifs de discorde se sont

renouvelés à l'occasion de la construction et du rétablis­

sement des forts d'Araguary et de Comaú ou «Massapá» 2 ) .

Pour arriver à une entente, les deux gouvernements

ont commencé par échanger des mémoires, puis l'ambas­

sadeur de France Rouillé a demandé des conférences qui

lui ont été accordées ; on y a examiné les points litigieux

à l'aide des « auctores, mappas e cartas, que tratavào da

adquisicão e divisão das ditas terras ». Et comme on estima

1 ) Une première traduction, qui n'avait pas été trouvée entièrement correcte, fut rectifiée sur la demande du Portugal; la traduction française rectifiée et une autre traduction récemment faite d'après le texte portu­gais original, R. B . II, pp. 344 et suiv. ; le texte portugais original (voir aussi R. B . I V , pp. 135-141) et la traduction française rectifiée, M. F . II, pp. 42 et suiv. ; dans M. B . II, pp. 42 et suiv., le texte portugais original et la première traduction non corrigée. Nous possédons par conséquent : 1. L e texte portugais (Archives des Affaires étrangères, à Paris. — Ori­ginal scellé) ; 2. la traduction française non corrigée (Ministère de la Ma­rine, à Paris, légalisée par la note: « Collationnée», signée Phelypeaux) ; 3. la traduction française corrigée (Archives des Affaires étrangères, Corresp. de Portugal, t. X X X V , fol. 36) ; 4. une traduction française exacte nouvellement faite par le Brésil.

Dans tous les cas où il y aura quelques divergences entre les docu­ments, nous nous en tiendrons au texte portugais qui est le texte original.

2 ) Orthographe du texte portugais, Macapa dans la traduction fran­çaise non corrigée.

227

Page 236: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 228

que des négociations aussi importantes exigeaient des pou­

voirs spéciaux, la France donna les siens à son ambas­

sadeur Rouillé, le Portugal à Dom Nuno Alvares Pereira,

Duque de Cadaval 1 ) , à Roque Monteiro Paim, à Gomes

Fre i re de Andrada, et à Mendo de Foyos Pereira.

Lés conférences n'aboutirent pas relativement à la pos­

session « des terres du Cap de Nord situées entre Cayenne

et la riviere des Amazones », les plénipotentiaires des deux

états n'ayant de part et d'autre pas voulu se départir de

leur droit. Et comme il parut nécessaire de chercher de

« nouvelles informations et de nouveaux documents, outre

ceux qui avaient déjà été produits et examinés », on a

dressé un projet de «Tra i t é provisionnel et suspensif afin

d'éviter, jusqu'à la décision du droit des deux Cou­

ronnes, toutes les occasions qui pourraient troubler et

mettre la discorde entre les sujets de l'une et de l'autre

Couronne » 2 ) .

Le texte du traité fut « com maduro accordo e sincero

animo » arrêté comme suit :

« Article 1 e r . L e Roy de Portugal fera evacüer et de-

1) L e titre de Duque de Cadaval manque dans les traductions fran­çaises aussi bien que dans le texte portugais de M. F . II, page 43, et de R . B . I V , page 136 ; il ne se trouve par conséquent que dans le texte portugais de M. B . II, page 44, mais il est évidemment exact.

2 ) L a traduction française corrigée dit : « il a été proposé un projet de Trai té provisionel et de suspension, pour avoir lieu jusqu'à la decision du droit des deux Couronnes, et empescher jusques la toutes les occasions qui pouroient troubler et mettre la discorde... ». L e texte portugais porte: « se passou a hum Projecto de Tratado Provisional c suspensivo, para que em quanto se nào determinava decisivamente o direito das ditas Coroas, se pudessem evitar todos os motivos que podião causar aquella discordia e pertubação. . . ». D'après le texte français, le traité provisoire doit rester en vigueur jusqu'à la décision définitive, tandis que le texte portugais original ne stipule rien au sujet de la durée de la validité du traité.

Page 237: Sentence du conseil fédéral Suisse

molir les forts d'Araguary, et de Cumau ou Macapa 1 ) ,

retirer les garnisons et généralement tout ee qu'il y a

dedans, aussy bien que les villages des Indiens qui se sont

établis pour le service et l'usage desdits forts 2 ) , et ce dans

le terme de six mois du jour de l'eschange des ratifications

du present Traité, et en cas qu'il y ayt d'autres forts dans

l'étendue des terres qui s'étendent depuis lesdits forts par

le rivage de la Riviere des Amazones vers le Cap de Nord

et le long de la coste de la mer jusqu'à l'embouchure de

la Riviere d'Oyapoc dite de Vincent Pinçon, ils seront

pareillement demolis comme ceux d'Araguary, et de Cumau,

ou Macapa dont la demolition est convenue en termes

expres 3).

1) Massapa dans le texte portugais. 2 ) Texte portugais : as aldeias de Indios que os accompanhão e se

tormarão para o serviço e uso das ditos fortes ». L e texte portugais et la traduction française non corrigée marquent d'une manière plus précise que les habitations des Indiens étaient voisines des forts. (« Habitations d'Indiens, qui sont proches des d. forts. »)

3) Les textes ne concordent pas sur la délimitation du territoire contesté :

1. L e texte portugais de M. B . II, page 46, dit : « e achando se mais alguns fortes pela margem do rio das Amazonas para o cabo do Norte e costa de mar até a foz do rio Ojapoc ou de Vicente Pinson, se demolirào igualmente com os de Araguary e de Comaû ou Massapá que por seus nomes proprios se mandarào demolir ».

2. L e texte portugais dans M. F . II, page 44, et dans R . B . I V , page 137, de même que da Silva, II, page 443, portait : e achandose mais alguns fortes no districto das terras que correm dos ditos

fortes pela margem.. .» 3. L a traduction française non corrigée dans M. B . II, page 47, dit:

« et en cas qu'il y ait d'autres forts dans l'estendue de Terres depuis lesd. forts jusques à la riviere...».

4. L a traduction française corrigée est reproduite dans le texte ci-dessus.

L e n° 1 contient une omission, due au copiste ou à l'imprimeur, le n° 3 une modification du sens.

229

Page 238: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 3 0

Article 2e. Les François et les Portugais ne pouront

occuper lesdits forts ny en elever de nouveaux clans les

mémes endroits ny en quelqu'autre que ce soit dans l'eten­

due des terres marquées dans l'article precedent dont la

possession demeure indecise entre les deux Couronnes, les

uns ny les autres ne pourront non plus y faire aucune

habitation ny y establir aucun comptoir de quelque qualité

que ce soit jusqu'à ce qu'il soit décidé entre les deux Roys

a qui demeurera de justice et de droit la veritable et

actuelle possession desdites terres.

Article 3 e . Toutes les habitations et nations d'Indiens

qui se trouveront dans l'etendue desdites terres demeure­

ront pendant le tems de la suspension convenue dans le

méme etat ou elles sont a present sans pouvoir etre pre­

tendues ny soumises de part ny d'autre, et sans qu'on

puisse de part ny d'autre y faire commerce d'esclaves,

mais elles seront secourues par les Missionnaires qui y

assisteront, les instruiront et maintiendront dans la foy, et

au deffaut d'aucun d'eux, ceux qui manqueront seront rem­

placés par d'autres de la méme nation, et en cas qu'il se

trouve qu'on ayt chassé desdites habitations quelques Mis­

sionnaires françois qui y fussent etablis pour en prendre

soin, ils y seront retablis dans le meme etat qu'ils se trou­

veront avoir eté.

Article 4 e . Le s François pouront entrer dans lesdites

terres dont par les articles 1 et 2 du present Trai té la

possession demeure suspendue entre les deux Couronnes

jusqu'au bord de la Riviere des Amazones (qui s'étend) 1 )

1) L e texte portugais ajoute après Amazonas, les mots « que corre » (traduction brésilienne nouvelle : qui s'étend ; de même M. F . II , page 50, note à l 'article 4), qui manquent dans les traductions françaises, celle qui n'a pas été corrigée et celle qui l'a été ; d'après le texte original

Page 239: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 3 1 —

depuis la situation desdits forts d'Araguary et de Cumaü ou Macapa vers le Cap de Nord et coste de la mer, et les Portugais pouront faire de méme jusqu'au bord de la Riviere d'Oyapoc ou Vincent Pinçon qui s'etend vers l'em­bouchure de ladite Riviere et la coste de la mer ; l'entrée des François etant par lesdites terres qui sont du costé de Cayenne et non par autres, et les Portugais par celles qui sont le long de la Riviere des Amazones et non par autres, et tant les uns que les autres se contiendront respective­ment entre les bords desdites Rivieres cy dessus declarées qui font les bornes et les limites des terres qui demeurent indecises entre les deux Couronnes.

Article 9 e . De la part de l'une et de l'autre Couronne on recherchera et on fera venir jusqu'à la fin de l'année prochaine 1701 tous les titres et enseignements alegués dans les conferences pour servir à l'entier eclaircissement de la possession qui par le Traité demeure indecise entre les deux Couronnes, et les pouvoirs donnés par les deux Roys demeureront dans leur force pour dans ledit temps et jusqu'a la fin de l'année 1701 le different dont est ques­tion etre terminé definitivement.

Article 10 e. E t comme ce traité est seulement provi-sionel et suspensif, iceluy ny aucune des clauses condi­tions et expressions y contenues, ne donneront aucun droit de part ny d'autre pour la jouissance et propriété desdites terres qui par ledit Traité demeurent en suspend et en quelque tems que ce soit on ne pourra se prevaloir de

portugais le fleuve des Amazones coule dans la direction du Cap de Nord.

A l'article 4, ainsi que dans tout le traité, le texte portugais a Ojapoc, le texte français Oyapoc.

Page 240: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 3 2

part ny d'autre de ce qu'il contient pour la décision du

diferend 1 ) . »

Voici les principales constatations de fait résultant du

traité, et qui diffèrent de quelques-unes des conclusions de

M. F . I, pages 21 et suivantes :

1° L'expression générale, deux fois employée dans

l'introduction, sous laquelle les parties désignent le terri­

toire contesté, est: « L e s terres du cap de Nord, situées

entre Cayenne et la Rivière des Amazones».

2° L e territoire contesté est situé entre l'Oyapoc ou

Vincent Pinçon et l'Amazone ; ce sont les cours d'eau « que

fazem o termo, raia, e limite das terras, que ficão ha dita

suspensào da posse de ambas as Coroas 2 )» (article 4).

3° L 'Oyapoc et le Vincent Pinçon sont identiques.

Cette identité est exprimée par les art. 1 et 4 du texte

portugais, qui fait foi: «Rio de Ojapoc 3) ou de Vicente

Pinson ».

4° Il est dit, quant au territoire contesté, « que la pos­

session demeure indécise entre les deux Couronnes »

(article 2).

1) L e texte portugais qui fait foi dit (au lieu de «pour la etc.») « quando esta materia se houver de dcterminar decisivamente ».

L e texte français dit : L e traité n'emporte aucun accord sur le fond.

L e texte portugais, plus précis, prévoit que lorsqu'il s'agira de prendre une décision définitive, aucune des parties ne pourra se prévaloir du traité.

2 ) Dans la traduction remise par le Brési l : « qui font les termes les frontières et les limites des terres dont la possession reste indécise entre les deux Couronnes ». Fa i t caractéristique, pour mieux faire ressor­tir le mot «frontière», on l'a encadré de deux synonymes.

3 ) L a traduction française a constamment suivi l'orthographe adoptée par Ferrol les et F roge r qui écrivent le nom avec y. E l l e met l'y, bien que cette lettre ne figure pas dans le texte portugais original. Dans sa correspondance avec Rouillé, le ministre français écrit : « riviere d'Yapoco», M. F . I, page 27, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I , fol. 312.

Page 241: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 233 —

1) L e projet de traité proposé par le Portugal ne mentionnait que la démolition des forts Araguary et Macapa ; Rouillé demanda cette ad­jonction «pour éviter l'équivoque des noms», M. F . I, pp. 32, 33, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I V , fol. 176. 216.

2 ) Voi r ci-dessus, page 226, note 1.

5° En conséquence, le fort portugais sur l'Araguary,

le fort de Curnaú ou de Macapa seront démantelés et

évacués, les villages indiens du voisinage démolis, puis 1 )

il sera fait de même des forts portugais qui pourraient se

trouver « dans l'étendue des terres qui s'etendent depuis

lesdits forts par le rivage de la Riviere des Amazones

vers le Cap de Nord et le long de la coste de la mer

jusqu'a l'embouchure de la Riviere d'Oyapoc ou de Vin­

cent Pinçon » (article 1). La construction de nouveaux forts,

l'installation de nouveaux établissements en général sont

interdites aux Portugais et aux Français dans l'étendue

des terres contestées, jusqu'à ce que la question de droit

soit tranchée.

6° Par contre, pourront pénétrer dans tout le territoire

contesté, en venant de leurs possessions réciproques : les

Français «jusqu'au bord de la Riviere des Amazones qui

s'étend depuis la situation des dits forts d'Araguary et de

Cumaú ou Macapa vers le Cap de Nord et coste de la mer »,

les Portugais « jusqu'au bord de la Riviere d'Oyapoc ou Vin­

cent Pinçon qui s'étend vers l'embouchure de ladite Ri­

viere et la coste de la mer 2)» (article 4).

Page 242: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 3 4

II. Depuis 1700 jusqu'à la conclusion du

Traité d'Utrecht, 11 avril Î7Î3.

1.

Dans ses Memorias particulares 1 ) , Jo sé da Cunha Brochado, alors ministre du Portugal à Paris, exprime en ces termes son mécontentement au sujet du traité de 1700: « Nos Plénipotentiaires se sont donc réunis avec celui de France , et ils ont fait d'emblée tout ce que le Français a voulu. Ils ont promis de démolir les forts, de retirer les missionnaires des villages indiens, de se désister de la possession et de l'habitation des terres qui vont de la rive septentrionale (de l'Amazone) au Vincent Pinson, ce qui est un grand espace de terre».

En exécution du traité, le gouverneur général du Ma-ranhão, Antonio de Albuquerque, reçut de son gouver­nement l'ordre de démolir les forts désignés dans l'acte diplomatique 2 ) . L e gouvernement portugais ne put tirer aucun avantage de l'avis que de Albuquerque lui adressait de Sam Luiz do Maranhão le 12 février 1700, savoir que quatre Hollandais de Surinam «située sur la côte du Cap du Nord, au delà de Cayenne», lui avaient rapporté «que leur Gouverneur s'offrait à nous aider contre les Français, ayant appris que ceux-ci étaient en guerre avec nous dans ces Provinces; et que s'ils avaient su que le Gouverneur

1 ) D'après une copie, qui se trouve à la Bibliothèque Nationale de Rio de Janeiro, citée par da Si lva II, page 103.

2 ) M. F . I, page 45, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X I , fol. 338, et R . B . I I , pp. 359 et suiv.

Page 243: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 3 5

de Cayenne était venu prendre la forteresse de Macapa au

temps qu'il en était parti, ils auraient pu s'emparer de

Cayenne, car il l'avait laissée presque sans garnison 1 )» .

L'affaire de la succession d'Espagne se compliquait

chaque jour davantage, mais elle n'était pas encore deve­

nue menaçante au point d'obliger la France à faire au

Portugal dans la question de la Guyane des concessions

qui dépassassent les stipulations du traité de paix de 1700.

La France s'était mise d'accord avec les deux grandes

puissances maritimes sur un projet de partage de la succes­

sion d'Espagne, avec l'Angleterre par le traité du 13 mars,

avec la Hollande par le traité du 25 mars 1700, de sorte

qu'il ne resta plus au Portugal qu'à conclure avec la

France, le 18 juillet, soit le 27 septembre 1700, un traité

d'alliance reposant sur les mêmes bases.

Mais après la mort de Charles II, roi d'Espagne, sur­

venue le 1 e r novembre 1700, la France abandonna cette com­

binaison. Pendant que Louis X I V convenait du partage de

la succession d'Espagne avec l'Angleterre, la Hollande et

le Portugal, sa diplomatie avait traité avec Charles II : Les

états espagnols devaient, selon le désir de ce prince, rester

réunis, sans aucun partage, et toute sa succession être

dévolue à Philippe, le petit-fils de Louis X I V . Les négo­

ciations réussirent à Madrid, et Charles II laissa un testa­

ment qui désignait Philippe comme héritier de tout le

royaume d'Espagne.

L a succession fut acceptée par Louis X I V au nom de

son petit-fils, et par là tous les traités basés sur le partage

l ) De Albuquerque avait si peu de confiance dans les Français que provisoirement, il retint les quatre Hollandais, les soupçonnant d'être des espions français « car ils pourraient bien venir de Cayenne sous déguise­ment pour voir nos domaines», R . B . II, pp. 365 et suiv., « Bibl. Nat. de Lisbonne, Arch. du Cons. Ultram., liasse n° 604 ».

Page 244: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 3 6 —

et passés avec l'Angleterre, la Hollande et le Portugal devenaient sans effet; la situation était modifiée du tout au tout.

Il n'échappa pas au Portugal que le nouvel état des choses créait à la France de graves difficultés, qu'il consti­tuait même un grand danger pour elle; un con f l i t avec l'empe­reur Léopold, les intérêts de l 'Angleterre et de la Hollande détachés de ceux de la France, voilà qui donnait à l'amitié ou à l'hostilité du Portugal à l'égard de la France une toute autre importance qu'auparavant. Effectivement, la France fit sans tarder des propositions d'alliance au Portugal. Au printemps de 1701, le Portugal entra dans ces vues, mais entre autres conditions, il exigeait que la France admettrait comme légitimes les prétentions portugaises relatives à la question de la Guyane. Dans son projet de traité, le Por­tugal avait inséré un article 15 ainsi conçu: «Sa Majesté très chrétienne se désiste et renonce à toute prétention des terres du Cap du Nord confinant à la riviere des Ama­sones et n'empêche que la couronne de Portugal les pos­sède toutes jusqu'à la riviere de Vincent Pinson autrement dit de Oyapoc, la division des terres appartenantes à la couronne de Portugal demeurant faite par la riviere de Vincent Pinson, comme elle l'a toujours été et ce nonobs­tant le traité provisoire fait entre les deux Cours 1 )».

L e Portugal revendiquait par conséquent la propriété incontestée des «terres du Cap de Nord confinant à la riviere des Amazones», désignait le territoire d'une ma­nière encore plus précise en indiquant outre l'Amazone

1) M. F . I, page 48, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X V , fol. 353. Dans le traité définitif, un nouvel article X V , réglant la question de

la Guyane a remplacé cet article X V du Projet de traité. L a remarque de R . F . , page 125, que l'article X V serait devenu l'article V I du traité définitif, n'est pas tout à fait exacte, comme il sera démontré ci-après.

Page 245: Sentence du conseil fédéral Suisse

comme frontière méridionale, « la riviere de Vincent Pinson autrement dit de Oyapoc » comme frontière septentrionale, le Vincent Pinson qui aurait «toujours» servi de limite; il assignait par conséquent à ce territoire le pays qui s'étend entre l'Amazone et l'Oyapoc et déclarait que toute cette contrée lui appartenait.

Le gouvernement portugais notifia à Rouillé, l'am­bassadeur de France à Lisbonne, qu'il attachait la plus grande importance à cet article 15, « que l'article que S a Majesté portugaise avait le plus à cœur était celui des terres du Cap de Nord 1 )».

Malgré cela et bien que la situation générale fût difficile, le négociateur français ne se montra pas accom­modant; il assura que tout ce qu'il pouvait faire était de consentir une prorogation du traité provisionnel de l'année précédente « et qu'absolument je ne passerais pas outre 2 ) » ; aussi opposa-t-il à l'article 15 du projet portugais son propre article 15, portant « que le traité provisionnel conclu l'année dernière au sujet des terres du Cap de Nord sera converti en traité définitif 3 ) ».

Par une dépêche du 4 avril 1701, Louis X I V approuva la conduite de son ambassadeur et accepta tous les articles du projet portugais, sauf l'article 15, disant: «Il n'est pas juste qu'en vertu de cette alliance j'abandonne au roi de Portugal des droits dont il n'est nullement question dans l'affaire présente ». Il maintint l'article 15 proposé par Rouillé et écarta l'article 15 du projet du Portugal 4 ) .

1) M. F . I, page 49, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X V , fol. 267. 2 ) Ibidem. 3) Dépêche de Louis X I V à Rouillé du 4 avril 1701, M. F . 1, pp. 50 ,

51, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X V , fol. 254. 4 ) M. F . I, pp. 50, 51, Affaires étrangères, 1. c.

237

Page 246: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 3 8 —

Rouillé obtint gain de cause auprès des autorités por­

tugaises pour son article 15; le 18 mai, le duc de Cadaval

lui mandait: « L e Roi mon maî t re . . . a accepté l'article

touchant le Maragnon, le traité provisionnel fait entre Leurs

Majestés sur les différends passés demeurant définitif 1 ) » .

L e 18 juin 1701, le traité fut signé 2 ) , en même temps

qu'une autre convention conclue entre le Portugal et le

nouveau roi d'Espagne, Philippe V .

Par ce traité entre le Portugal et la F rance «Tratado

de alliansa e garantia de testamento de Dom Carlos

segundo », le roi de Portugal s'engageait à reconnaître

Philippe V dans tous les états du royaume d'Espagne et

à fermer les ports portugais à tous les ennemis de Phi­

lippe V ; le roi de France , de son côté, s'engageait à prêter

aide et assistance au royaume de Portugal et à ses pos­

sessions d'outre-mer « con o numero de tropas e navios

necessarios para a sua defensa », pour écarter et prévenir

1 ) M. F . I, pp. 49, 50, Affaires étrangères, Portugal, t. X X X V , fol. 329 ; au même endroit (fol. 295) une instruction à Rouillé du 24 mai 1701, de laquelle il semble résulter qu'au besoin la F rance aurait accepté la proposition du Portugal ; on y lit : « Quant à la cession absolue des terres du Cap du Nord, vous ne la devez point faire pour une simple neutralité ».

2 ) L e texte portugais du traité en son entier (20 articles) est repro­duit par de Castro, Colleçao de Tratados II, pp. 128 et suiv., d'après les documents qui sont au ministère des Affaires étrangères à Lisbonne.

L e texte portugais du traité incomplet (.les articles 6—14 manquent et l 'article 15 est devenu l'article 6) dans M. F . II, pp. 53 et suiv., « Ar­chives des Affaires étrangères. — Original scellé ».

L o r s des négociations de janvier 1856, M. B . III, pp. 204 et 205, conf. M. F . I, page 50, le baron de Butenval produisit une traduction incomplète de l 'article 6 de la seconde rédaction (c'est-à-dire l 'article 15 de la première rédaction). M. B . II, page 54, donne une traduction fran­çaise de ce même article d'après le texte portugais de de Castro. Conf. Si lva I, page 44, II, pp. 105 et suiv. ; M. B . I, page 199.

E n conséquence le texte portugais doit seul faire foi.

Page 247: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 3 9 —

tout acte d'hostilité, si la guerre venait à être déclarée à

cause de la succession d'Espagne.

Le traité comprenait 20 articles; l'article 15 traite du

territoire contesté sur l'Amazone. Cet article 15 avait donc

gardé sa place 1 ) . Mais on convint d'en tenir quelques-uns

secrets, parce qu'ils eussent pu susciter des réclamations

de la part des Anglais et des Hollandais 2).

C'est ainsi que le traité reçut une nouvelle rédaction 3 ) ,

où les articles 6 à 14 furent supprimés et les articles 15

à 20 devinrent les articles 6 à 11.

L'article 15 (première rédaction), soit l'article 6 (seconde

rédaction), est ainsi conçu :

« Para faser cessar toda a causa de controversia entre

os vassalos da Coroa de França e Portugal, entre os quaes

Suas Magestades querem que haja a mesma boa corres-

pondencia e amisade que ha entre as duas Coroas, a qual

não permitte que se deixe subsistir occasiÒo alguma de

differença e de menos boa intelligencia que possa faser

conceber a seus inimigos alguma esperança mal fundada,

querem Suas Magestades que o Tratado Provisional con-

clùido aos quatro de Marco do anno passado de mil e

setecentos sobre a posse das terras do Cabo do Norte

confinante com o Rio das Amazonas seja e fique daqui

em diante como Tratado definitivo e perpetuo para sempre ».

Dans la traduction, l'article est ainsi conçu : « Pour faire

cesser toute cause de désaccord entre les sujets de la cou­

ronne de France 4) et ceux de la couronne de Portugal,

entre lesquels Leurs Majestés tiennent à ce qu'il y ait la

4) Texte de de Castro, 1. c. 2) Schäfer, Geschichte von Portugal, V , page 35, note 2. 3 ) Texte de M. F . II, pp. 53 et suiv. 4 ) « de France » manque dans la traduction produite par M. B . II,

page 54.

Page 248: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 4 0

même bonne entente et la même amitié qui existe entre les deux couronnes, laquelle ne permet pas de laisser sub­sister 1 ) aucune occasion de différend et de mésintelligence qui puisse inspirer à leurs ennemis quelque espoir mal fondé: Leurs Majestés veulent que le traité provisionnel conclu le 4 mars de l'année précédente 1700 sur la pos­session des terres du Cap de Nord, confinant à la riviere des Amazones, soit et demeure désormais comme traité dé­finitif et perpétuel à toujours ».

L'article 15, soit 0 du traité du 18 juin 1701, se borne à faire du traité provisoire du 4 mars 1700 un traité défi­nitif. Les clauses demeuraient les mêmes; ainsi rien ne fut changé à la délimitation et à la désignation du territoire contesté, indiquée par le traité de 1700. Les deux traités ont exactement le même objet. Dans l'article 15 de son projet, le Portugal avait, une fois de plus, déterminé l'éten­due et les frontières du territoire contesté, telles que les in­diquait le traité de 1700, à quoi la France n'avait fait aucune objection; même, dans la brève définition qu'elle donnait de ce territoire dans son article 15, elle empruntait les termes de l'article 15 portugais « terras do Cabo do Norte confinante com o Rio das Amazonas », laissant de côté toute description des frontières, puisque le traité de 1700 les indiquait intégralement 2 ) .

2 .

Peu de temps après la conclusion du traité d'alliance du 18 mai 1701, par lequel le Portugal avait cédé devant la

1) Au lieu de «subsister», M. B . II, page 54, dit: «se produire». 2) C'est ainsi que se termine la contestation entre les parties au

sujet du « confinant », conf. Silva, II, page 108, M. F . I, pp. 51 et 52.

Page 249: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 241

puissance de la France, la situation générale se modifia au

préjudice de Louis X I V . Depuis le mois de mai, l'Autriche

menait contre la France une campagne victorieuse en Italie ;

en septembre 1701, l'Autriche, l'Angleterre et la Hollande

conclurent un traité d'alliance et au commencement de mai

1702, la reine Anne d'Angleterre, continuant la politique de

son beau-frère Guillaume, déclara la guerre à Louis X I V ;

la Hollande se joignit à elle.

Pendant quelque temps, le gouvernement portugais

chercha à obtenir la neutralité à laquelle il avait renoncé

dans le traité avec la France, mais les puissances mari­

times lui offraient leur alliance à des conditions favo­

rables. La cour portugaise mit, pour en finir, la France à

l'épreuve et, forte du traité de 1701, réclama le secours

d'une flotte française capable de défendre le Portugal et

ses colonies. Et quand la France dut reconnaître qu'elle

était impuissante à fournir cette aide, le Portugal reprit

sa liberté d'action. En octobre 1702, Rouillé manda de

Lisbonne que les résultats de ses travaux, qui avaient duré

des années, étaient mis à néant; il écrivait à son gouver­

nement que la ligue avec le Portugal devait être consi­

dérée comme expirée 1 ) . A la même époque, l'Angleterre

envoyait pour la seconde fois son négociateur Methwen à

Lisbonne. En mai 1703, les puissances avaient réussi à

gagner entièrement le Portugal à leur cause. L e 16 mai

1703, le traité d'alliance entre l'Empereur, l'Angleterre, les

Pays-Bas et le roi de Portugal fut signé à Lisbonne.

Au nombre des avantages que le traité apportait au

Portugal — cession du territoire contesté sur le L a Plata

et d'une série de villes jusqu'alors espagnoles, Badajoz,

1) Schäfer, 1. c , pp. 37 et suiv., d'après les documents réunis par Santarém.

16

Page 250: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 242 —

Valencia, etc., toutes expressément dénommées 1) — il y a lieu de mentionner spécialement la garantie par les puissances alliées des prétentions portugaises dans la Guyane. Cette garantie était stipulée dans l'article 22, ainsi conçu 2 ) :

«Eodem modo etiam pax fieri non poterit cum.Rege Christianissimo, nisi ipse cedat quocumque jure quod habere intendit 3 ) in Regiones ad Promontorium Boreale vulgo Caput de Norte pertinentes, et ad ditionem Status Maranonii spectantes, jacentesque inter fluvios Amazonium et Vincentis Pinsonis, non obstante quolibet Foedere sive provisionali sive decisivo inter Sacram Regiam Majestatem Lusitaniae et ipsum Regem Christianissimum inito super possessione jureque dictarum Regionum. »

Il va sans dire que, par ce traité, le Portugal ne se fai­sait pas garantir moins que ce qu'il avait jusqu'alors récla­mé de la France. Si donc le fleuve devant servir de frontière septentrionale porte ici le nom de «Vincentis Pinsonis», il est clair que le Portugal entendait désigner le même cours d'eau que dans ses négociations et traités avec la France , il appelait «Vincent Pinçon ou Oyapoc ». Dans ses pour­parlers avec les puissances maritimes et l'Autriche, le Por­tugal se servait du terme qui lui était familier ; il n'avait pas de motif pour y ajouter la dénomination sous laquelle les Français désignaient le même fleuve. L a définition du territoire « Regiones ad Promontorium Boreale vulgo Caput de Norte pertinentes », est, contrairement aux assertions

1 ) Conf. Silva I, page 45, § 222 ; M. B . T, page 201. 2 ) M. F . II, page 57 (texte latin et portugais de l'article X X I I « d'après

J . F . B . de Castro, Colleção de tratados. . . t. II, page 1 7 6 » ) ; M. B . II, page 56 (texte latin). Conf. en outre M. F . I, page 53, M. B . I, page 200.

3 ) M. F . I, page 53, cite : « contendit ».

Page 251: Sentence du conseil fédéral Suisse

de M. F . I, pages 54 et 55, la traduetion fidèle de « Terres

du Cap de Nord», des traités de 1700 et de 1701.

L e fait que le traité de 1703 renvoie expressément aux

traités de 1700 et de 1701 prouve que tous les trois avaient

le même objet.

3.

L a conclusion du traité d'alliance du 16 mai 1703 n'a­

mena pas immédiatement la rupture complète entre le Por­

tugal et la France. L'archiduc Charles, le candidat au trône

espagnol, élu par la Grande Alliance, n'était pas encore

entré en Espagne ; ce n'est qu'après son arrivée que le

Portugal devait, aux termes du traité, se prononcer ouverte­

ment et jusque-là on tint le traité secret. L'ambassadeur

Rouillé connut bientôt, il est vrai, l'existence du traité et il

abandonna son poste de Lisbonne. On lui donna toutefois

un successeur dans la personne de Chateauneuf, qui cher­

cha à reprendre les négociations.

En 1704 seulement, le Portugal prit ouvertement parti.

Lorsqu'en mars de cette année, l'archiduc Charles entra à

Lisbonne, il fut reçu en qualité de roi d'Espagne - et

l'ambassadeur de France sollicita son audience de congé.

En mai 1704, le roi Pedro déclara la guerre et en 1705 il

entra en campagne. Il mourut à la fin de 1706, laissant le

gouvernement à son fils Joâo V

Lorsqu'en 1709, Louis X I V s'adressa en premier lieu

à la Hollande en vue de la conclusion d'un traité de

paix, les prétentions du Portugal devinrent immédiatement

l'objet des négociations. A la Haye, le président Rouillé,

l'ancien ambassadeur à Lisbonne et le marquis de Torcy,

1) Schäfer, 1. c , pp. 40 et suiv., 211 et suiv.

243

Page 252: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 244 —

ministre des affaires étrangères, représentaient la France,

tandis qu'au nom de la partie adverse Marlborough et

même le prince Eugène s'occupaient de la question de

l'Amazone l ) . C'est ainsi qu'au nombre des 40 articles pré­

liminaires que Marlborough et le prince Eugène avaient

rédigés avec le concours du Grand Pensionnaire de Hol­

lande Heinsius et qu'ils soumirent le 27 mai 1709 aux pléni­

potentiaires français, un article, l'article 20, était consacré

au litige pendant entre le Portugal et la France. Cet

article 20 stipulait: «A l'égard du roi de Portugal, S a Ma­

jesté T rès Chrétienne consentira qu'il jouisse de tous les

avantages établis en sa faveur par les traités faits entre

lui et ses Alliés 2 ) . »

On demandait par conséquent à la France de recon­

naître comme valables les clauses du traité du 16 mai 1703,

c'est-à-dire d'admettre la revendication par le Portugal du

territoire qu'avaient pour objet les traités passés en 1700

et 1701 entre le Portugal et la France .

Louis X I V ne souleva pas de difficultés au sujet de

cette affaire secondaire et au cours des négociations «qu'en

1710 3) dirigèrent le maréchal d'Uxelles et l'abbé de Poli-

gnac, il accepta formellement l'article 20.

Mais presque immédiatement après, la politique géné­

rale subit un profond changement. En Angleterre, lord

Bolingbroke, le chef principal du parti favorable à la

France , devint secrétaire d'état, et dès le commencement

de 1711, il avait ouvert avec la cour de France des négo­

ciations secrètes qui furent continuées jusqu'à la signature

1) Schiifer, 1. c , page 212. 2 ) M. B . I, page 201, Silva I, page 47. 3) Silva I, page 48.

Page 253: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 245 —

des préliminaires du 8 octobre 1711 1), sans que l'Angleterre

se préoccupât beaucoup de ses alliés.

Les préliminaires contenaient en premier lieu une pièce

qui relatait les réclamations de l'Angleterre avec les

réponses de Louis X I V sur chaque point 2 ) , puis une

seconde, réclamée spécialement par l'Angleterre et relative

au duc de Savoie. L'Angleterre, dans les préliminaires,

faisait donc valoir tout d'abord ses réclamations et celles

du duc de Savoie.

Un troisième document contenait : « Les articles pro­

posés par la France pour parvenir à la paix générale 3 ) ».

L e gouvernement anglais avait par conséquent laissé à la

France le soin de formuler les clauses préliminaires qu'elle

entendait proposer aux puissances, hormis l'Angleterre et

la Savoie ; l'article 3 de cette proposition française stipu­

lait : « Tous les princes et états engagés dans cette guerre

obtiendront une satisfaction raisonnable dans le traité de

paix qui se fera » 4).

A l'exception du troisième document, les articles préli-

1) M. F . I, page 56, donne la date du 27 septembre. Le rapport officiel français dans le manuscrit Mortem., Schlosser, Geschichte des 18. Jahrhunderts, I, page 100, note 47, dit le 8 octobre. Koch-Schöll, 1. c. II, page 79, indique comme date le 8 octobre.

2 ) Dans le texte reproduit par Koch-Schöll, 1. c , pp. 79 et suiv., d'après Lamberty et les « actes et mémoires d'Utrecht », les seules récla­mations de l 'Angleterre sont énumérées ; Schlosser, 1. c , manuscrit Mor­tem., en revanche dit expressément : « L e premier écrit sur deux colonnes contenait d'un côté les conditions que demandait l 'Angleterre, de l'autre, les réponses du roi» .

3) Manuscrit Mortem., 1. c. 4) Koch-Schöll, 1. c , page 81. Un article V I I cité dans M. F . I,

page 56, sans indication de provenance, s'exprime dans le même sens : « . . . on y discuterait de bonne foi et à l'amiable toutes les prétentions des princes et Etats engagés dans la guerre, et qu'on ne négligerait rien pour les régler et terminer à la satisfaction des parties intéressées.»

Page 254: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 246 —

minaires furent tenus secrets à l'égard des Etats généraux

des Pays-Bas 1), bien que, jusqu'à l'année précédente, ceux-

ci eussent eu connaissance de toutes les négociations.

L'Angleterre se contenta de demander aux Etats généraux

s'ils étaient disposés à prendre part à la discussion d'un

traité de paix et, comme ils ne dissimulèrent pas leur sur­

prise, l 'Angleterre donna l'assurance qu'on imposerait à la

France les conditions prévues par les traités antérieurs

conclus par les alliés 2 ) . Les Etats généraux, là-dessus, con­

sentirent à prendre part à un congrès de paix qui devait

s'ouvrir à Utrecht le 12 janvier 1712 3 ) .

Une fois les négociations ainsi engagées, le Portugal fut

mis au courant, et, le 20 novembre 1711 4 ) , la reine Anne

faisait savoir au roi du Portugal que, d'accord avec les

Etats généraux, le congrès de paix s'ouvrirait à Utrecht le

12 janvier pour examiner les propositions de la France. L e

Portugal était invité à envoyer des ministres plénipoten­

tiaires ; on ne doutait pas de son consentement, puisqu'il

s'agissait d'établir « une Paix solide et dans laquelle chaque

Allié puisse trouver sa satisfaction raisonnable ».

1) Koch-Schöll fait la même constatation, en donnant quelques

détails, 1. c , page 81. L e s « articles proposés par la F rance » ont été

toutefois communiqués, ainsi qu'il résulte de la lettre de la reine Anne,

du 20 novembre 1711 : «lesquelles offres ont esté communiquées à tous

les dits Alliez . . . », R . B . II, page 377. 2) Koch-Schöll, 1. c , pp. 81, 82. 3 ) Conf. le passage de la lettre de la reine Anne du 20 novembre

1711, R . B . II, page 377 : « . . . les Eta ts Généraux ayant là dessus declaré

qu'il sont portez et prets à entrer en negociation d'une Pa ix bonne et

generale, et à se joindre à Nous pour convier les Puissances engagées

avec Nous dans la presente Guerre d'envoyer leurs Ministres et Pleni­

potentiaires au Congrès . . . ». 4 ) R . B . II, pp. 377 et suiv., Public Record Office, London. S ta te

Papers, Foreign Various, Portugal V , 42.

Page 255: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 247 —

La lettre était de nature à éveiller les appréhen­

sions du Portugal, car elle ne faisait aucune mention des

engagements que l'Angleterre et les autres Alliés avaient

pris envers lui par traité en prévision de la conclusion de

la paix.

Aussi le Portugal prit-il soin de rappeler ses enga­

gements au gouvernement anglais. Un mémorandum du

ministre de Portugal à Londres, Dom Luis da Cunha 1), en

date du 14 décembre 1711, priait la reine Anne de faire

figurer les prétentions du Portugal 2 ) dans les instructions

qui devaient être remises aux plénipotentiaires anglais. Les

réclamations faisaient l'objet de huit articles, dont le cin­

quième et le sixième avaient trait à la question de la

Guyane.

L'article V était ainsi conçu :

« Pour ce qui regarde le Roy de France, ce Prince

devra aussi ceder au Roy de Portugal, moyennant le vigou­

reux office de Votre Majesté, le Droit qu'il pretend avoir

sur les Terres du Cap du Nord situées entre la Rivière

des Amazones et celle de Vincent Pinson, afin que le Roy

de Portugal et ses successeurs en jouissent à jamais,

nonobstant quelque Traité Provisionel fait entre les deux

Couronnes.

. . . . Votre Majesté, par le Traité de cette heureuse Alliance s'est obligée de porter le Roy de France à faire ladite cession dans l'Article 22 e du même Traité. »

1) Il laut rappeler ici, pour éviter une confusion, que ce Dom Luis da Cunha était second ministre plénipotentiaire du Portugal au congrès d'Utrecht et qu'à l'époque de ce congrès José da Cunha Brochado était ministre du Portugal à Londres.

2) R . B . II, pp. 379 et suiv., Public Record Office, London, State and Treaty Papers. Portugal n° 26; conf. M. B . T. page 203, II, page 57.

Page 256: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 248 —

Ce ne sont pas, lit-on ensuite dans le mémorandum,

des « nouveaux avantages que Vot re Majesté aye promis

au Roy de Portugal pour entrer dans son Alliance ; mais

seulement des Dedomagements auxquels Votre Majesté

s'est obligée, puisque le Roy de Portugal quittoit celle du

R o y de France et du Duc d'Anjou qui lui assuroient ces

memes avantages ; de sorte qu'il y va de l'honneur et de

l'interest de Vot re Majesté de bonifier au Roy mon Maître

les conditions qu'il aimera mieux recevoir de la main de

Vot re Majesté que de celles de ses Ennemis ».

Il faut ici poser en fait que, au commencement de

ces négociations, le Portugal réclamait le même territoire

qu'avaient pour objet les traités de 1703, de 1701 et de

1700, qu'en particulier « la Rivière de Vincent Pinson » du

mémorandum est identique au « fluvius Vincentis Pin-

sonis » du traité de 1703 et à la « riviere d'Oiapoc ou

de Vincent Pinçon (« riviere d'Oyapoc dite de Vincent

Pinzon ») du traité de 1700 et par conséquent du traité de

1701 aussi.

La démarche de l'envoyé extraordinaire à Londres

fut appuyée par une lettre personnelle du roi Joâo à la

reine d'Angleterre, du 4 janvier 1712 l ) , lettre dans laquelle

le roi exprimait l'espoir « que vous prendrez tant de part

à mes interès comme j 'aurois pris aux votres dans un

pareil cas ».

L e congrès s'ouvrit le 29 janvier 1712. L e Portugal y

envoya comme plénipotentiaires le comte de Tarouca et

Dom Luis da Cunha, jusqu'alors son ministre à Londres.

L a France était représentée par le marquis d'Uxelles,

maréchal de France, l'abbé de Polignac et le sieur Mesna-

1) R . B . II, pp. 383 et suiv., P. Record Office, London, State Papers, Foreign Various, Portugal V . 42, n° 27.

Page 257: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 249 —

ger, l'Angleterre par l'évêque de Bristol (John Robinson, Lord Privy Seal) et lord Strafford 1).

Les deux plénipotentiaires du Portugal n'ayant pas assisté aux premières séances du congrès, — Tarouca, le premier plénipotentiaire, n'y fut introduit que le 12 février, da Cunha, le second plénipotentiaire, que le 5 avril — les plénipotentiaires anglais furent chargés de la défense des intérêts portugais. En janvier 1712, da Cunha remit à ces fins à l'évêque de Bristol un mémorandum qui exposait les réclamations du Portugal. Celle relative à la question de la Guyane était formulée en ces termes 2 ) : «On demande, quant à la France, la cession des terres appelées du Cap du Nord, situées entre les Rivières des Amazones et de Vincent Pinson, et appartenantes à l'Etat du Maragnan, dont le Portugal a toujours été en possession, et sur les­quelles on a fait dans l'année 1700 un Traité provisionnel, à l'occasion de quelques contestations qui y étaient surve­nues, par suite duquel Traité les Portugais ont démoli les forts qu'ils y avaient bâtis. On demande aussi que la France cède tout le droit qu'elle prétend avoir sur les dites terres du Cap du Nord ainsi que sur tout autre pays du domaine du Portugal ».

A Utrecht, on vit immédiatement les avantages que la France avait retirés de ses stipulations préliminaires avec l'Angleterre. Procédant comme elle l'avait fait lors des préliminaires, la France soumit le 11 février 1712 des pro­positions générales à toutes les puissances intéressées ; elles avaient pour titre: «Exposition spécifiée des offres de la France pour la paix générale 3)», et stipulaient au sujet du

1) Su r la position prise par le Portugal au congrès d'Utrecht en

général, conf. Silva I, page 51, § 248. 2) R . B . II, pp. 385 et suiv., M. B . I, pp. 203, 204, II, page 58. 3) Koch-SchOll, 1. c , pp. 84 et suiv. ; M. B . I, page 204.

Page 258: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 250

Portugal : « Les choses sur le Portugal seront rétablies et

demeureront sur le même pied en Europe qu'elles étaient

avant la présente guerre, tant à l'égard de la France que

de l 'Espagne ; et quant aux domaines de l'Amérique, s'il y a

quelques différends à régler, on tâchera d'en convenir à

l'amiable 1 ) ».

Rien ne restait donc debout de tous les arrangements

jusqu'alors intervenus, la question de la Guyane se pré­

sentait entière.

Ainsi que l'Angleterre, lors de la discussion des pré­

liminaires anglo-français, avait formulé ses prétentions dans

un document distinct ne traitant que des affaires d'Angle­

terre et avait opposé ses réclamations aux propositions de

la France «pour la paix générale », chaque puissance alliée

dut maintenant libeller les siennes dans des documents dis­

tincts et opposés à « l'Exposition spécifiée » de la France . Il

n'y a pas action commune des puissances contre la France ;

chacun des alliés lui oppose ses «demandes spécifiques 2)».

D'avance, la France avait divisé et isolé ses adversaires.

L e Portugal dut à son tour produire ses «Demandes

spécifiques » 3). Il le fit le 5 mars 1712. En ce qui concerne

la succession d'Espagne 4 ) , ces demandes (signées de J . comte

Tarouca) restaient sur le terrain du traité d'alliance de

1703; car avec ce traité à la main, le Portugal entendait

obtenir à son profit, contre l 'Espagne, une rectification de

frontière.

1) M. B . I, pp. 204 et suiv. 2) Koch-Schöll, 1. c , pp. 86 et suiv. 3) M. B . I, page 205, II , page 59 et R . B . II, pp. 387 et suiv. (Extrai t

des textes latin et français ; « Imprimé à Utrecht en 1712 ») ; M. F . II , pp. 58 et suiv. (texte latin du document entier « d'après les Actes. Mé­moires . . . Concernant la paix d'Utrecht. 1714, t. I, page 326 »).

4 ) Art . 1 dans M. F . II. page 58.

Page 259: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 251 —

« Quod sibi, cœterisque

Lusitaniæ regibus cedatur a

Gallià in perpetuum quod-

eumque jus, quod habere

intendit in Regiones ad Pro­

montorium Boreale vulgo

Caput do Norte pertinentes

et ad ditionem Status Mara-

nonii spectantes, jacentesque

inter fluvios Amasonum et

Vincentis Pinsonis, non ob­

stante quolibet fœdere, sivè

Provisionali sivè Decisivo

inito super possessione jure-

que dictarum Regionum ; quin

etiam quodcumque aliud jus,

quod eadem Gallia habere

intenderit in cœteras Monar­

ch i e Lusitanae ditiones.»

« Que la France lui cède,

et à tous les Roys de Por­

tugal après lui pour toujours,

tout le droit qu'elle prétend

avoir sur les terres appelées

communément du Cap de

Nord, appartenantes à l'Etat

du Maragnan, et situées entre

les Rivières des Amazones et

de Vincent Pinson, nonobstant

tout Traité Provisionnel ou

Décisif qu'on peut avoir fait

sur la possession et sur le

droit desdites terres ; aussi

bien que tout autre droit que

la France pourrait avoir sur

les autres Domaines de la

Monarchie de Portugal.»

Bien qu'elle se fût d'avance mise d'accord avec la

France 1 ) , l'Angleterre aussi déposa des «Demandes spéci­

fiques». Mais comme il n'y était pas question de la suc­

cession d'Espagne, que par conséquent l'Angleterre aban­

donnait les intérêts autrichiens, l'Autriche et même le Por­

tugal 2) marquèrent quelque mécontentement. De plus, tous

les alliés de l'Angleterre devaient se contenter d'une « satis­

faction juste et équitable » ou d'une « satisfaction raison-

1) Koch-Schöll, 1. c , page 92. 2) Ibidem, page 93.

Les revendications du Portugal relatives à la Guyane

étaient formulées comme suit :

Page 260: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 252 —

nable », vagues formules consignées dans les préliminaires

anglo-français et dans la lettre de la reine Anne 1 ) .

Tout cela montrait que la grande alliance n'existait

plus en réalité, que chacun des alliés poursuivait ses intérêts

particuliers, ce qui assurait à la France une position plus

forte vis-à-vis de puissances ainsi isolées.

C'est sous de tels auspices que commencèrent les

délibérations sur les propositions générales de la France

et les « Demandes spécifiques » des autres puissances; mal

engagées, elles subirent plusieurs arrêts et même en août,

de la part de la France, une suspension complète.

Comme le congrès semblait devoir faillir à sa mission,

la conclusion de la paix fut de nouveau complètement

subordonnée aux arrangements à intervenir entre la France

et l'Angleterre. Les lettres et les courriers se succédaient

sans cesse entre les deux cours qui projetaient d'obliger

les autres puissances à acquiescer aux conventions franco-

anglaises ou de conclure une paix spéciale entre la France

et l'Angleterre. En juillet, on était si près de s'entendre

que les troupes anglaises qui étaient en Belgique reçurent

l'ordre de se séparer du gros des alliés, laissant ainsi aux

Français la prédominance sur le théâtre de la guerre; le

19 août 1712, un armistice fut conclu entre l'Angleterre

et la France . Les négociations continuèrent sans interrup­

tion, l'Angleterre s'assurant les avantages auxquels elle

tenait. Vers la fin de l'année, le secrétaire d'état Boling-

broke se rendit en personne à Versailles, pour terminer

l'affaire sur place.

Dans l'intervalle, cette procédure avait depuis long­temps abouti, à l'égard des autres puissances, aux résul­tats attendus. En septembre 1712, la Hollande et même

1) Conf. supra, pp. 244, 245.

Page 261: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 5 3

l'empereur, pour ses états non-allemands, avaient conclu

un armistice; le 7 novembre 1712, le Portugal en fit autant

avec l'Espagne et la France. Tous, sauf l'empereur, recon­

naissaient que si l'on voulait avoir la paix, il fallait traiter

sur la base de l'arrangement anglo-français, et sous la

direction de l'Angleterre.

C'est ainsi qu'en janvier 1713, les négociations purent

être reprises à Utrecht avec la perspective d'arriver bien­

tôt à une solution.

Le Portugal spécialement avait, en juillet 1712 déjà,

abandonné le terrain sur lequel il s'était placé pour formuler

ses demandes spécifiques, c'est-à-dire la succession de l'Au­

triche au trône d'Espagne; il avait à craindre en effet d'être

abandonné par l'Angleterre, de ne pas être soutenu par

l'Autriche et d'être laissé ainsi sans défense contre la

France et l'Espagne. C'est dans ce sens qu'au congrès

les plénipotentiaires portugais, dans un mémoire du 22

juillet 1712, avaient exposé la situation à l'évêque de Bristol.

L e même jour le plénipotentiaire anglais en référait à

Bolingbroke 1) : L e Portugal désire une prompte solution,

d'une manière ou d'une autre ; ses plénipotentiaires ont les

pouvoirs les plus étendus de leur souverain, ils peuvent les

remplir à leur gré, pourvu qu'ils « corne to some resolution

and not run the danger of beeing abandon'd by both sides ».

Les plénipotentiaires lui (à l'évêque de Bristol) ont confié

leurs réclamations pour les transmettre aux représen­

tants de la France et demandent une réponse dans les

dix jours. Il (l'évêque) leur a déjà fait observer qu'ils

devaient s'attendre à voir réduire leurs prétentions dans

une notable mesure ; et effectivement, quand il communiqua

1) R . B . II, page 393, Record Office, London, Treaty Papers, Foreign Office, vol. 96 et 103.

Page 262: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 5 4 —

ces réclamations aux plénipotentiaires français, ils semblè­

rent surpris qu'elles comprissent un nombre de villes si

considérable, dont il n'avait pas été question auparavant et

que jamais, déclarèrent-ils positivement, les Espagnols ne

céderaient 1).

L e s plénipotentiaires portugais réclamaient en ce qui

concerne la Guyane :

« On demande à l'égard de la France la cession des

Ter res appellées du Cap du Nord, situées entre les Rivieres

des Amazones et de Vincent Pinson, et appartenantes à

l'Etat du Maragnan dont le Portugal a été toujours en

possession et sur lesquelles on a fait un Trai té Provisionel

l'année 1701, a l'occasion de quelques disputes qui y etoient

survenues, et par la les Portugais raserent les Forts qu'ils

y avoient bâtis.

On demande aussi que la France cede tout le Droit

qu'elle prétend avoir tant sur lesdites terres du Cap du Nord

que sur tout autre pays du Domaine du Portugal 2 ) . . . . »

On réclame donc expressément pour frontière septen­

trionale le Vincent Pinson, qu'en renvoyant au traité de

1700 (non de 1701) on assimile à l 'Oyapoc ou Vincent

Pinson.

En juillet 1712, le Portugal désirait une prompte solu­

tion. En l'attendant, il pourvoit momentanément à sa sécu-

1) T e l est le sens de ces diverses phrases : « I told them they may certainly expect considerable retrenchments, and I could only hope that an answer may be given. Upon communicating these demands to the French Ministers, they seem'd surpris'd to find so many Towns demanded that they heard of before, and were very positive the Spaniards will never yield them ». L'opinion de M. F . I, page 60, selon laquelle « re­trenchments » viserait les revendications du Portugal en Guyane, n'est pas fondée, puisqu'il s'agit expressément de demandes que le Portugal veut faire valoir envers l ' E s p a g n e .

2 ) M. F . II, page 59 ; R . B . II, page 395.

Page 263: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 5 5 —

rité et conclut l'armistice du 7 novembre 1712. Si, pour l'obtenir, il avait eu besoin de l'aide de l'Angleterre 1 ) , pour avoir une paix acceptable il lui fallut tout l'appui de cette puissance. Le 6 décembre 1712, le roi João écrivait à la reine Anne 2 ) que son «dessin étant. . . de suivre ses très pru­dents sentiments en la negociation de la Paix », il attendait de sa véritable amitié que l'Angleterre ne conclurait pas la paix, avant que celle du Portugal fût assurée; aussi mettait-il entre les mains de la reine ses prétentions sur les places frontières espagnoles.

Manifestement, les prétentions du Portugal visaient en première ligne ces places frontières en Espagne ; les ter­ritoires frontières sur le La Plata et le fleuve des Ama­zones ne venaient qu'en second lieu.

Les Records du Foreign Office contiennent un projet de traité, également du 6 décembre 1712, entre le Por­tugal et la France, qui doit être un document officiel portugais, sans que toutefois sa provenance immédiate soit indiquée ; on ne sait s'il est dû au gouvernement de Lis­bonne ou aux plénipotentiaires portugais à Utrecht. Il est intitulé : Certains articles qui pourront estre inserés dans un traité entre les Roys de France et de Portugal, duquel la Reyne et le Roy d'Espagne pourront estre garands.

L'article 1 e r de ce document décrit en ces termes le territoire revendiqué par le Portugal :

« Le Roy de Portugal demeurera en possession des Forts d'Aragary et de Camau ou Massapa aussi bien que de Villages d'Indiens et en g e n e r a l de tous les autres

1) R. B . II, page 397. 2 ) R . B . II , pp. 397 et suiv., Record Office, London, Foreign

Office, Treaty Papers, n° 111.

Page 264: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 5 6 —

Forts, Villages, Habitations, Comptoirs et Terres situées depuis les dits Forts par les bords de la Riviere des Amazones vers le Cap du Nord et les Costes de la Mer jusques à l'embouchure de la Riviere d'Ojapoc ou de Vincent Pinson, qui sont déclarées par le present Traité lui appartenir en propre avec tout ce qui en dépend 1).»

Toutes les clauses du traité de 1700 devaient être ainsi modifiées au profit du Portugal, et, de même qu'à cette époque, la frontière maritime était décrite comme allant des forts Macapa et Araguary le long du fleuve des Ama­zones dans la direction du Cap du Nord, puis de là le long du littoral de la mer jusqu'à l'embouchure de l'Ojapoc ou Vincent Pinson.

Il y a lieu de constater que : Jusqu'en décembre 1712, les prétentions du Portugal portaient en première ligne sur les places frontières espagnoles, donc sur un territoire situé en Europe, en seconde ligne sur un territoire amé­ricain, cela : A l'égard de l'Espagne, sur la rive gauche du La Plata, à l'égard de la France, sur la rive gauche de l'Amazone. Dans le projet de traité du 6 décembre, le Portugal réclamait expressément l'Ojapoc ou Vincent Pin­son comme frontière nord de ce dernier territoire.

Et à la même époque la France savait exactement quel fleuve le Portugal entendait par l'Ojapoc ou Vincent Pinson. L e 26 décembre 1712 en effet, Louis X I V écrivait à ses plénipotentiaires au congrès d'Utrecht 2 ) :

«Je veux bien entrer dans la discussion de celles (les demandes) du Roy de Portugal s'il réduit toutes ses pré­tentions a partager avec moy le pays contesté entre la

1) R . В . II, pp. 399 et suiv., Foreign Office Records, Portugal, n° 2/ 2 ) R . В . II, pp. 403 et suiv., Foreign Office Records, Trea ty Papers

112 E .

Page 265: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 5 7 —

Rivière des Amazones et celle d'Oyapoco, mais comme ce partage ne peut se faire avant la paix, vous pouvez con­venir qu'il sera fait soit à Paris soit à Lisbonne soit sur les lieux mesmes dans le terme d'un an a compter du jour de l'exchange des ratifications de la paix ou plustost s'il est possible.

Qu'en attendant, le Traité Provisionel fait a Lisbonne aura lieu, et qu'enfin la condition fondamentale du par­tage que les Portugais proposent sera de laisser a mes sujets la liberté de la navigation sur la riviere des Ama­zones. »

Voici la situation : En décembre 1712, les Portugais demandent le terri­

toire qui s'étend entre le fleuve des Amazones et « l'Oja-poc*) ou Vincent Pinson».

Le même mois, Louis X I V dit : Les Portugais récla­ment le pays entre l'Amazone et « l'Oyapoco » ; cas échéant, nous le partagerons.

Pour désigner le cours d'eau que les Portugais appel­lent « Ojapoc ou Vincent Pinson », Louis X I V dit : « L 'Oya­poco ». Il admet par conséquent que « l'Ojapoc ou Vincent Pinson » des Portugais est le même cours d'eau que « l'Oya­poco » des Français.

Or, « l'Oyapoco » ou « Oyapoc » des Français est la riviere à laquelle Ferrolles déjà donnait ce nom, qu'il a explorée, décrite et que Froger a indiquée dans sa carte.

En décembre 1712, Louis X I V et les Portugais étaient encore d'accord sur ce point, comme l'avaient été au­paravant Ferrolles et le commandant portugais du fort de l'Araguary.

1) Ojapoc aussi dans le texte portugais du traité provisionnel de 1700, Oyapoc dans la traduction française. Voi r ci-dessus, page 230, note.

17

Page 266: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 5 8

L a France ne consentait au partage du territoire con­testé que sous deux conditions :

Premièrement, le Portugal devait renoncer à la recti­fication de frontière (la « barrière ») qu'il réclamait sur terri­toire européen.

Deuxièmement, la France devait avoir la libre navi­gation sur l'Amazone.

L e Portugal avait jusque-là maintenu ses propres pré­tentions, mais par la lettre du roi, du, 6 décembre, il avait presque abdiqué le droit de trancher de son chef ; quant à la rectification de la frontière entre l 'Espagne et le Por­tugal, en Europe notamment, il s'en était remis à la reine Anne: « Qu'Elle les regle comme Elle le trouvera à propos 1)».

Si le gouvernement anglais avait voulu n'avoir aucun égard pour le Portugal, il eût pu, au nom de cette puis­sance, accepter d'emblée la première des conditions posées par la France . Mais on n'entendait pas en user de la sorte, car — les déclarations des hommes d'état anglais en fournissent la preuve 2 ) — l'entière confiance avec laquelle le roi s'en était rapporté à l 'Angleterre avait produit à Londres une bonne impression ; on y avait de la bienveil­lance pour le Portugal.

Mais ce que l 'Angleterre ne fit pas, le Portugal le fit lui-même. L e 3 janvier 1713, les plénipotentiaires anglais au congrès d'Utrecht mandaient à lord Bolingbroke 3) :

Les plénipotentiaires portugais ont remis la copie d'une lettre du roi, du 6 décembre, en déclarant en même temps

1) R . B . II , page 398. 2) Ainsi, les plénipotentiaires anglais écrivent au secrétaire d'état

anglais, c'est-à-dire que des hommes d'état anglais correspondent entre eux en ces termes : « W e heartily wish to success may be to the content of Portugal. » R . B . II, page 410.

3) R . B . II , pp. 409 et suiv., Foreign Office Records, Treaty Papers, n° 97.

Page 267: Sentence du conseil fédéral Suisse

259 —

que, pour éviter des difficultés au sujet de leurs réclama­tions, ils se départiraient de toutes, hormis de celle relative au Brésil (« T o render their demands more easy, they had orders to tell us, that excepting their interests in Brasile they could depart from all the rest ») ; en Europe, ils con­voitent le port de Vigo, et deux autres, ou même une seule autre localité.

C'était faire un grand pas dans la voie des conces­sions ; la première des conditions formulées par Louis X I V se trouvait, à peu de chose près, remplie.

Mais le Portugal se trompait s'il croyait par là atteindre au but. Dans leur rapport à Bolingbroke, du 3 janvier 1713, rapport ci-dessus cité, les plénipotentiaires anglais ajoutaient:

Lorsque les plénipotentiaires français prirent connais­sance des propositions du Portugal, ils qualifièrent le reste des prétentions concernant l'Europe de « chimerical », « de-clar'd they had no orders to dispose of one inch of Ground belonging to Spain », et renvoyèrent les plénipotentiaires portugais «aux ministres espagnols». Quant aux prétentions visant l'Amérique, voici ce qu'il en était dit :

« As to the difference about the country lying between the river of Amazons and the French settlements to the northward of it which by the Treaty made between France and Portugal, before the beginning of this war was not to be possessed by either side, till a farther agreement should be made ; the French Ministers continue to insist that the said Provisional Article be made definitive, and that no settlements be made in that district by either party, and we do not yet percieve they will go farther. »

C'est dans la soirée du 2 janvier l ) qu'eut lieu à Utrecht

1) Les plénipotentiaires anglais disent le 3 janvier « we spoke with

the French Ministers last night », R . B . II, page 410.

Page 268: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 6 0 —

cette entrevue entre les plénipotentiaires anglais et fran­çais ; la lettre de Louis X I V à ses plénipotentiaires est datée de Versailles, le 26 décembre, et selon une note placée en tête de la copie du Foreign Office, elle a été « receue » à Utrecht le 31 décembre 1).

Si l'on en peut conclure que dans la soirée du 2 janvier les plénipotentiaires français à Utrecht avaient la lettre de leur roi, ils n'en reste pas moins qu'ils n'opposèrent pas, aux concessions que voulaient faire les Portugais, toutes celles que comportait l'instruction de leur souverain. Ils ne soufflèrent mot du partage du territoire contesté, éventua­lité admise par Louis X I V . Forts du traité provisionnel de 1700, ils demandaient que cet acte fût de nouveau déclaré définitif. Aussi ne parlèrent-ils pas de la liberté de la navi­gation sur l'Amazone, bien qu'elle fût mentionnée par le roi dans sa lettre, comme «condition fondamentale du partage».

D'ailleurs, le rapport sur l'entrevue du 2 janvier a de l'importance aussi parce qu'on voit pour la première fois les hommes d'état anglais au congrès d'Utrecht se prononcer de leur chef sur la délimitation du territoire contesté ; pour eux, c'est le pays entre l'Amazone et les établissements français au nord du fleuve «French settlements to the northward of it » ; pour eux, le fleuve des Amazones constitue la frontière méridionale, la frontière du nord passe auprès du « seule­ment » français qui est le plus au sud. En d'autres termes, aussi loin qu'au nord de l'Amazone il n'existe pas encore d'établissement français, aussi loin s'étend le territoire con­testé.

Et les plénipotentiaires anglais disent du territoire ainsi délimité que c'est le même territoire qu'a pour objet le traité provisionnel de 1700.

1) R . B . II, page 403.

Page 269: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 261 —

Le 11 janvier 1713, les plénipotentiaires français à Utrecht

qui avaient envoyé à leur gouvernement un rapport 1 ) sur

les conférences qu'ils avaient eues avec les Portugais « tou­

chant l'Isle de Cayenne et la Province de la Guyane »,

reçurent une instruction du comte de Pontchartrain, le

ministre de la marine 2). Le ministre se réfère à des

mémoires qu'il avait mis à la disposition des plénipoten­

tiaires et qui, sous le titre de « France Equinoctiale » 3 ) , expli­

quaient que le fleuve des Amazones forme la frontière 4 ) .

Avant toute chose, les plénipotentiaires devaient chercher

à obtenir l'acquiescement des Portugais à cette thèse, c'est-

à-dire l'acceptation de leur part de la frontière de l'Ama­

zone. Si les pourparlers échouaient sur ce point, les pléni­

potentiaires avaient à maintenir, « que les François auront

la liberté entière de la Nauigation dans la Riuiere des

Amazones ». A cette condition, le traité provisionnel de

1700 pouvait rester en vigueur jusqu'à ce que les com­

missaires du roi de France et du roi de Portugal, réunis

à Paris, Lisbonne ou Cayenne, fussent convenus « défi­

nitivement des Limites de la Province de la Guyanne». Si

dans le délai d'une année dès la conclusion de la paix, la

frontière n'était pas ainsi déterminée, l'Amazone devait

servir de limite.

1) Ce rapport n'a pas été communiqué à l'arbitre. 2 ) R . B . II, pp. 413 et suiv., Foreign Office Records, Treaty Papers,

111 D. 3 ) Lors de l'expédition de la Ravardière, on entendait par là un

territoire au sud de l'Amazone (Silva I, page 8, § 34); de la Barre se sert de cette dénomination pour désigner le territoire qui va de l'Ama­zone à l'Orénoque (R. B . II, pp. 95 et suiv.) ; Froger parle du « Gouverne­ment de Cayenne, que quelques-uns nomment autrement France Equi-noxiale » (R. B . II, page 193, A . B . I, n° 85).

4 ) La thèse de Ferrolles qui se fonde sur les concessions françaises; conf. supra, pp. 179 et suiv.

Page 270: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 6 2 —

L a ligne de conduite suivie par la diplomatie française engagea Bolingbroke à écrire, le 19 janvier 1713, ce qui suit à Prior, ministre d'Angleterre en France 1) :

« Nous ne pouvons pas arriver à la conviction que la conduite des Français soit droite ou sage ; ils semblent nous presser de conclure, pour avoir d'autres états à leur merci et, en même temps, ils chicanent avec nous au sujet de l'article capital de tout notre traité et cherchent à mettre à néant un arrangement conclu, renouvelé et ratifié. »

S'il ne dépendait que de lui, Bolingbroke, la France devrait immédiatement conclure un traité qui donnât satis­faction à l'Angleterre et en même temps se déclarer prête à faire la paix avec les autres puissances, sur des bases équitables, avec le Portugal entre autres sur la base « of our proposition».

Une dépêche de lord Bolingbroke au duc de Shrews-bury, ambassadeur d'Angleterre à la cour de France , montre en quoi consistait à cette époque la « proposition d'Angle­terre ». Cette dépêche est également du 19 janvier 2 ) .

On y lit 3 ) : Sans vouloir exprimer « too particularly »

1) R . B . II, pp. 415 et suiv., Fore ign Oftice, London, Trea ty Papers, M* Prior 's loose Papers, n° 90 . . . « W e cannot persuade ourselves here, that the French act either fairly or wisely ; they seem to press us to con­clude, that they may have others at their mercy, and at the same time they chicane with us concerning the most essential article of all our Treaty, and endeavour to elude an agreement made, repeated and con­firmed. »

2 ) R . B . II, pp. 417 et suiv., reproduit quelques passages de la dé­pêche, Record Office, London, Foreign Office, Trea ty Papers , n° 90, pp. 614—616; en partie, avec quelques divergences, M. F . II, pp. 60, 61

3) Voici le texte de ce passage : «The Queen would have your Grace , without showing Monsieur de Torcy too particularly how low the King of Portugal sinks in his demands, let that Minister know, that the preten­tions of this (le texte de R . B . dit par erreur his, M. F . Il a le terme exact this) Ally, to whom Her Majestie is under stronger engagements

Page 271: Sentence du conseil fédéral Suisse

au ministre de Torcy combien le roi de Portugal rabat de

ses prétentions, l'ambassadeur devra faire comprendre au

ministre que les revendications de cet allié « envers le­

quel la reine a contracté des engagements plus forts qu'en­

vers aucun autre » ne retarderont pas la conclusion de

la paix.

Il doit faire connaître en même temps ce que la reine exige-

Elle réclame « tout au moins que les traités provisionnels 1)

deviennent définitifs au profit du Portugal et elle compte

que la France et l'Espagne prendront des engagements

spéciaux pour garantir les possessions portugaises dans

toutes les parties du monde ; la reine se charge de faire

observer ces engagements ».

La stipulation qui veut que les traités provisionnels

soient rendus définitifs au profit du Portugal, n'est pas

très claire 2 ) ; Bolingbroke tâtonnait encore, en même temps

qu'il était sollicité par José da Cunha Brochado, le ministre

du Portugal à Londres, qui de tout temps avait exprimé

son mécontentement au sujet du traité de 1700 3).

C'est Brochado qui fit que Bolingbroke envoya sa

dépêche à Shrewsbury. Le même jour en effet — Boling-

by treaty than almost to any other, shall not retard the conclusion of the Peace, your Grace will at the same time say, that the Queen will require at least the Provisional Treaties to be made delinitive in his fa­vour, and that she will expect particular engagements from France and Spain for the security of his dominions in all parts of the world, of which engagements she will become guarantee . . . »

1) C'est le traité passé avec la France au sujet des terres de l 'Ama­zone et le traité avec l 'Espagne relatif au territoire du L a Plata; R . B. II, page 420.

2» Conf. M. F . I, page 59, où, pour expliquer cette dépêche de Bo­lingbroke du 19 janvier 1713, on renvoie au rapport de l'évêque de Bristol et à des pièces qu'y avaient jointes les plénipotentiaires portugais à Utrecht, du 22 juillet 1712 ; mais ce renvoi n'élucide pas le texte de la dépêche.

3 ) Voi r ci-dessus, page 234.

2 6 3

Page 272: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 6 4 —

broke le relate dans sa dépêche — il lui avait représenté une fois de plus que son roi avait confié à la reine d'An­gleterre sa propre défense et celle de ses intérêts, ainsi qu'il le savait bien ; que dans les circonstances présentes, la reine ne pouvait pas faire pour le roi de Portugal tout ce qu'elle eût voulu, mais qu'il espérait obtenir une fron­tière (some Barrier) ou à défaut, un acte de garantie. «Il fit allusion à la démolition de Badajoz et semblait désirer V igo plus qu'il n'espérait l'obtenir. Puis il en vint à parler de ces traités provisionnels, au sujet desquels il avait déjà remis des extraits à lord Dartmouth » 1 ) .

Bolingbroke joignit à sa dépêche une copie de ces «extrai ts» de Brochado, qui donnent par erreur au traité la date de 1699 2 ) . L e territoire, contesté, de l'Amazone y est délimité comme suit : « that district of country, on the coast of Brazil, situate(d) between the River Yapoco and the Cape North of the River of Amazone inclusive. »

Brochado s'efforça d'inculquer aux hommes d'état anglais les clauses du traité provisionnel, dont il fit une fois de plus la paraphrase (extrait du traité provision­nel, sur les terres de Maragnan) 3 ) ; il remit cette pièce à titre de mémorandum, le 23 janvier, à lord Bolingbroke, qui l'envoya aux plénipotentiaires anglais au congrès d'Ut-recht 4). L e territoire contesté y est défini de nouveau 5 ) :

1) R . B . I l , page 418 : « After which he let himself in to speak of those Provisional Treaties, extracts whereof he had put into my Lord Dartmouth's hands » . . .

2) Tex te dans R . B . II, page 420. 3 ) D e nouveau avec la fausse date de 1699. 4) L e mémorandum a comme note : « Rec 'd from Lord Bolingbroke,

March. 11th 1712/13.» s ) R . B . II, pp. 423 et suiv.. Public Record Office, London, Trea ty

Papers, Utrecht, n° 112.

Page 273: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 2 6 5

«Terres qu'il (sc. le roi de Portugal) possedoit, situées depuis

la Riviere appellée Yapoco jusques au Cap du Nort de la

Riviere des Amazones inclusive. »

En même temps, Brochado expliquait combien ce traité

provisionnel était préjudiciable au Portugal 1) : « Par cet

accord provisionel le Roy de Portugal fut obligé de faire

sortir ces Sujets des dites Terres, de depeupler les Bourgs,

qu'il y avoit fait bâtir depuis la première decouverte du

Brazil, de demolir les Forts sur le rivage de la Riviere

des Amazones du coté du Nort, et d'abandonner entière­

ment tout ce Païs la, au grand prejudice de son ancien

Domaine, avec si peu de seureté pour le reste du Mara-

gnan. »

Il était, selon lui, impossible d'asseoir un traité définitif

sur une convention de cette nature. Aussi fait-il observer,

ainsi que rapporte Bolingbroke le 19 janvier, que changer

le traité provisionnel en un traité définitif « serait la source

de nouvelles querelles 2 ) . »

Le 24 janvier 1713, Brochado récapitula les derniers

événements dans un rapport qu'il adressa au secrétaire

d'état du Portugal, Diogo de Mendonça Corte-Real 3). Il

1) R . B . II, page 424. 2 ) R . B . II, page 420 : « B y the alliance between France, Spain and

Portugal, to guarantee the succession according to the will of Charles II, it was proposed that these Provisional Treaties should be definitive, but Bruchearde observes, that this would be the source of fresh disputes. »

3) R . B . II, pp. 425 et suiv., reproduit le rapport, qu'il accompagne de nombreuses remarques relatives au texte. Il mentionne: «Trois copies manuscrites : Deux à la Bibliothèque du Roi de Portugal, au Pa­lais d'Ajuda ; . . . 3e copie à la Bibliothèque de l'Académie Royale des Sciences de Lisbonne » . . . M. F . II, pp. 63 et suiv., reproduit une partie de la dernière copie du rapport.

M. F . I, pp. 62 et suiv., se sert de cette reproduction-là.

Or voici ce qui en est du document imprimé dans M. F . II, pp. 63 et suiv. : Il porte une date erronée, celle du 14 février, ce qui provient

Page 274: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 6 6 —

reproduit son « extrait » des traités provisionnels (avec de

nouveau la fausse date de 1699) et désigne derechef le ter­

ritoire contesté de l'Amazone en ces termes : « Ter ras ci-

tuadas entre o Rio Yapozo, e o Cabo do Norte do Rio das

Almazonas, inclusivamente » ; puis, vient le tableau des

conséquences fâcheuses qu'a eues le traité provisoire des­

tiné à régler la question de l'Amazone, traité que l'auteur

qualifie de «violento acordo », accord forcé; pour terminer

il revient à l'appréciation qu'il avait consignée à la fin de

son «extrait» au sujet de la conversion du traité provi­

soire en traité définitif. Elle est ainsi conçue dans la tra­

duction française que donne R. B . II, pages 428 et suivantes 1) ;

de ce qu'il est formé de deux documents, savoir de deux rapports, dont l'un a été fait le 24 janvier et l'autre le 14 février. L'ensemble du texte, composé de deux documents, a reçu la date du second de ceux-ci. L e texte du premier document va jusqu'à « tanta diferença », celui du second commence par « Tambem o mesmo », 1. c , page 64.

D e plus, en transcrivant le premier document le copiste a par mé-garde écrit «ao» au lieu de «do» et mis devant son « ao » une vir­gule qui n'existe pas dans l'original ; il écrit : « terras cituadas entre o Rio Japozo e o Cabo do Norte, ao Rio das Almazonas inclusivamente », au lieu de « terras cituadas entro o Rio Yapozo e o Cabo do Norte do Rio das Almazonas inclusivamente », R . B . II, page 426, V , fac-simile n° X I V . L'authenticité du texte original de ce passage est établie par la comparaison des trois manuscrits dont R . B . II, page 425, prouve l'existence (qui ne présentent guère d'autre particularité remarquable que les diffé­rences d'orthographe Yapozo ou Yapouco), et aussi par l'emploi du terme dont se sert Brochado dans ses extraits des 19 et 23 janvier.

L e texte erroné de ce passage est ainsi traduit dans M. F . II , page 63 : « Ter res situées depuis le R io Japozo et le Cap du Nord, jusqu'au Rio des Amazones, inclusivement». F t dans M. F . I, page 6 2 : « Te r re s si­tuées entre le Rio japozo et le Cap du Nord, depuis le R io des Ama­zones inclusivement». L e « ao » = «jusqu'au» copié par mégarde, est à la fin devenu « depuis le ». L e s déductions que M. F . I, pp. 62 et suiv., développe et qui ont cette erreur de copie pour point de départ, ne sau­raient dès lors être prises en considération.

1) Manque dans le texte de M. F . II, page 63.

Page 275: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 267 —

«J'ai terminé en disant que dans la dernière Alliance que nous avons faite avec la France et l'Espagne 1 ) , il fut sti­pulé que ces deux Traités, quoique provisionnels et tem­poraires, seraient réputés définitifs et perpétuels, mais qu'on voyait bien quels étaient l'inconvénient et la contrariété de les transformer en définitifs, ce qui rendrait la chose impraticable, et amènerait de nouvelles disputes et de nou­velles querelles, comme, dans une autre lettre, je l'ai déjà dit à Votre Grâce. »

A la fin de son rapport, Brochado relate en ces termes son impression au sujet de la ligne de conduite suivie par le gouvernement anglais dans la question de la Guyane:

« D'après ce que j'entends de ces Ministres, ils préten­dent que les Français abandonnent totalement ces terres-là, pour les éloigner du voisinage du Brésil, mais avec tant d'égard pour la Cour de France, qu'ils veulent montrer que cette crainte qu'ils ont vient toute de nous, sur quoi j 'ai écrit à nos Ministres, pour qu'ils montrent à ceux de France la raison qu'ont les Anglais pour nous soutenir dans ces demandes, alors qu'ils traitent les autres en d'autres termes et avec tant de différence 2 ) . »

Voici le tableau général qu'offrait la situation à Lon­dres vers la fin de janvier 1713 :

Le gouvernement anglais s'en tient encore au pro­gramme insuffisamment clair : « Les traités provisionnels doivent être convertis en traités définitifs au profit du Portugal ». C'est en ces termes que la tendance à ne pas laisser en tout cas le Portugal s'en aller les mains vides trouve son expression.

] ) Il s'agit du traité d'alliance de 1701, conf. ci-dessus, pp. 238 et suiv. 2) R . B . II, page 429; la traduction de M. F . II, pp. 63 et suiv., n'est

pas entièrement conforme à celle-ci.

Page 276: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 6 8 —

Le représentant du Portugal à Londres s'attache à bien faire ressortir aux yeux du gouvernement anglais les inconvénients du traité provisionnel, pour empêcher qu'il ne soit converti en traité définitif.

Les informations qu'il a recueillies lui donnent à croire que le point de vue du gouvernement anglais est celui-ci: L 'Angleterre n'entend pas que les Français s'approchent du Brésil et demande par conséquent que la France évacue complètement le territoire contesté ; mais elle cherche à cacher ses propres appréhensions, car, en se donnant l'air de se montrer des plus accommodantes envers la France, elle veut faire passer le Portugal pour l'auteur de toutes les difficultés.

On voit par là que l 'Angle terre a des intérêts propres à poursuivre en Guyane.

Peu de jours après que Brochado eût fait son rap­port, cette préoccupation se manifesta avec toute l'évidence possible, cela le jour où fut soulevée la question du partage, entre la France et le Portugal, du territoire contesté. Con­formément à leurs instructions, les plénipotentiaires français déclarèrent que Louis X I V subordonnait son consentement au partage à une condition sine qua non, la liberté de la navigation sur l'Amazone pour les Français. Cette condi­tion imprime dorénavant une direction précise à la politique anglaise.

Sous aucun prétexte, l 'Angleterre n'entendait laisser aux Français le chemin le meilleur et le plus commode pour pénétrer dans l'intérieur de l'Amérique du Sud. Il lui appartient à ce moment de défendre ouvertement ses inté­rêts et ses intérêts sont entièrement ceux du Portugal. 11 s'agit de tenir les Français loin de l'Amazone et, pour cela, d'assurer au Portugal sur ce fleuve la position la plus solide et la plus étendue possible.

Page 277: Sentence du conseil fédéral Suisse

C'est ainsi que l'acte qui fit connaître la condition posée

par la France décida de la marche des négociations.

Cet acte n'est autre que la conférence tenue par les

plénipotentiaires à Utrecht le 9 février 1718 l ) .

4.

Les plénipotentiaires portugais, français et anglais

prirent part à la conférence du 9 février. Chacun des gou­

vernements reçut de ses représentants un rapport sur la

conférence. 11 a été produit : un rapport des plénipoten­

tiaires portugais, soit leur dépêche, du 14 février, au

secrétaire d'état Mendonça Corte-Real, avec un passage

des mémoires de Dom Luis da Cunha, relatif à la confé­

rence ; un passage, relatif à la conférence, de la dépêche

adressée par les plénipotentiaires français à Louis X I V le

10 février; enfin, un passage d'une dépêche adressée par

les plénipotentiaires anglais à Bolingbroke le 10 février.

Tous ces documents, avec l'indication de leur prove­

nance, ont été reproduits dans R. B . II, pages 431 et sui­

vantes (les documents portugais traduits ; le texte original

se trouve dans R. B . IV, pages 147-154). Un passage du

rapport que les plénipotentiaires français ont adressé au

roi est transcrit dans M. F . II, pages 61 et suivantes 2 ) .

L e rapport le plus complet est celui des plénipoten­

tiaires portugais. L'arbitre le prendra pour guide, tout en

le contrôlant et le complétant au moyen des données em­

pruntées aux documents français. L'extrait très court de

la dépêche anglaise suivra.

1) M. B I, pp. 206 et suiv.; R . F . , page 128, dit par erreur que la conférence eut lieu « au mois de mars 1712 ».

2) Voir aussi M. F . I, pp. 60 et suiv., R . F . , pp. 128 et suiv., M. B . I, pp. 206-210; Silva II, pp. 136 et suiv.

2 6 9

Page 278: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 7 0 —

Les plénipotentiaires portugais avaient désiré une conférence — à ce qu'on lit du moins dans le rapport français — ; elle eut lieu sans retard, à cause du prochain départ de l'abbé de Polignac 1 ) ; les plénipotentiaires se réunirent chez les ministres anglais, « ainsi que le font maintenant tous les Ministres lorsqu'ils ont à négocier avec ceux de France » 2 ) .

L e but immédiat de la conférence était le renouvelle­ment de l'armistice.

Mais ce n'était pas là le seul, ni même le principal objet des délibérations ; les plénipotentiaires portugais rap­portent 3 ) : « La raison que nous eûmes de nous tenir sur nos gardes fut la crainte que, en échange du nouvel Armistice, ils voulussent obtenir la permission de navi­guer sur le fleuve des Amasones, ce qu'ils recherchent avec un ardent désir, comme nous avons pu le voir au cours de cette même conférence. » Il s'était, en effet, écoulé assez de temps depuis le 26 décembre pour qu'il eût pu percer quelque chose de la « condition fondamentale » de Louis X I V .

Mais l'attention des sphères politiques portugaises avait

1) L e s plénipotentiaires français : Nous eûmes le mesme jour (9 février) une conférence avec les Portugais ; ils l'avoient désirée pour dire qu'ils l'avoient eue, M. F . II, page 61, R. B . II, page 443. — L e s plénipotentiaires portugais: L e Maréchal d'Uxelles déclara non seulement qu'il serait disposé à conclure un nouveau traité (d'armistice), mais qu'il aurait été heureux de le conclure le lendemain, jour auquel, ayant à écrire à son Maître, il pourrait lui adresser ce traité ; et comme le départ de l 'Abbé de Polignac était prochain, car il avait été appelé à Paris pour y recevoir le chapeau de Cardinal, nous convînmes de nous réunir chez les Ministres d'Angleterre, R . B . II, page 432. Conf. Mémoires da Cunha, R . B . II , page 438.

2 ) R . B . II, page 432. 3 ) Ibidem.

Page 279: Sentence du conseil fédéral Suisse

depuis longtemps été attirée sur le danger qu'il y avait à

laisser les Français devenir maîtres de la navigation sur

l'Amazone. Brochado notamment avait, pendant son séjour

à Paris (1700), lors des négociations franco-portugaises, étudié

la question de l'Amazone et consulté entre autres un mé­

moire qu'un missionnaire jésuite, le P. Acuña, avait remis au

gouvernement de Philippe I V peu après la séparation du

Portugal et de l'Espagne (1641). Ce rapport signalait le péril

que la possession, par le Portugal, du fleuve des Amazones

faisait courir à l'Amérique espagnole. Brochado concluait en

disant que ce que les Espagnols redoutaient de la part des

Portugais, Portugais et Espagnols ont à le redouter aujour­

d'hui de la part de la France 1 ) . Les plénipotentiaires por­

tugais à Utrecht connaissaient aussi l'ouvrage d'Acuña, ils

s'en étaient servis, avant la conférence du 9 février déjà,

pour mettre les plénipotentiaires anglais en garde contre

les projets des Français, mais « mal renseignés sur les

choses de cette partie de l'Amérique », les Anglais ne leur

prêtèrent que peu d'attention. Les Portugais avaient même

parlé déjà de l'affaire avec les Français 2 ) .

A la conférence du 9 février, les plénipotentiaires

français réclamèrent instamment la libre navigation sur le

fleuve des Amazones 3).

On passa de la question de l'armistice à une grande

discussion « au sujet des Terres du Cap du Nord qui con­

finent avec le Maranhão » ; la dépêche des plénipotentiaires

portugais remarque à ce sujet : «l'Abbé de Polignac s'y est

1) Voi r les deux rapports de Brochado du 14 février 1713, R . B . II, pp. 451-455.

2 ) Mémoires da Cunha, R . B . II, pp. 437 et suiv. 3 ) Les plénipotentiaires français : L a première chose que nous de­

mandames fut la liberté de la navigation pour les sujets de Vostre Majesté dans la riviere des Amazones, M. F . II, page 62, R . B . II, page 444.

271

Page 280: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 7 2 —

efforcé de soutenir sa cause en alléguant des faits notoire­

ment controuvés, et en se servant d'un grand nombre d'ar­

guments sophistiques» 1), un reproche que les plénipoten­

tiaires français ont incontinent renvoyé à leurs collègues

du Portugal: «Il n'y eut ni sens ni raison dans tout ce

qu'ils dirent», lit-on dans leur rapport 2 ) .

Il résulte des renseignements un peu plus détaillés que

fournit sur ce point Dom Luis da Cunha que Polignac se

servait des données documentaires contenues dans les mé­

moires de 1698 et 1699. Luis da Cunha écrit en effet au

sujet de la discussion concernant « l'affaire des Ter res de

Maranhão » : « Polignac voulut montrer que la possession

que nous avions eue des dites terres avait été prise par

violence, parce que la propriété en avait appartenu à S a

Majesté Très-Chrétienne par la préférence que lui donnait

la découverte, ce qu'il croyait prouver par certains docu­

ments ou lettres de concession ou d'incorporation, que le

Cardinal de Richelieu avait accordés à des marchands, en

donnant à la compagnie le nom de Compagnie du Cap du

Nord 3).»

Comme la discussion générale se prolongeait beau­

coup, le plénipotentiaire anglais, lord Strafford 4 ) y mit fin.

Jusqu'alors les plénipotentiaires anglais — la dépêche des

Portugais le leur reproche avaient « plutôt fait l'office

de médiateurs que celui de bons alliés, quoique nous leur

eussions rappelé qu'ils étaient tenus de s'intéresser à cette

affaire, parce qu'ils nous avoient promis la restitution des

1) R . B . II, pp. 432 et suiv. 2) M. F . II , page 61 ; R . B . II, page 443. 3) R . B . II, pp. 438 et suiv. 4) D'après les mémoires de da Cunha, ibidem, page 439 ; la dépêche

des plénipotentiaires portugais se sert de l'expression générale : « L e s Anglais », ibidem, page 433.

Page 281: Sentence du conseil fédéral Suisse

dites terres» l ) . Leur intervention donna à la discussion une tournure décisive. Strafford posa au maréchal d'Uxelles cette question : « Si l'on ne pourrait trouver quelque moyen d'accommodement. »

D'Uxelles répondit : « que l'expédient serait de par­tager entre les deux Couronnes le territoire en question, pourvu que l'entrée et la navigation du fleuve des Ama­zones fussent libres aux Français» 2).

C'était la «condition fondamentale» de Louis X I V . La France ne consent au partage du territoire en litige que si la libre navigation de l'Amazone est garantie aux Fran­çais. Le rapport des plénipotentiaires français, du 10 fé­vrier, établit que cette proposition fut faite après mûre réflexion.

Leur rapport est ainsi conçu 3) : « La premiere chose que nous demandames fut la

liberté de la navigation pour les sujets de Vostre Majesté dans la riviere des Amazones. Ils ne voulurent jamais y consentir. Ils dirent que cette pretention interessoit toutes les nations de l'Europe. Les Anglais ne les desapprouve­rent pas 4 ) , et ils proposerent ou de n'en point parler du tout, ou de convenir seulement que cette navigation se feroit comme par le passé, après que les Portugais eurent asseuré qu'elle ne s'estoit jamais faite au moins de leur consentement ; cela nous fit encore plus insister à pretendre

1) R . B . II, page 433. 2 ) Dépêche des plénipotentiaires portugais, ibidem, page 433. D'après

les mémoires de da Cunha (ibidem, page 439) ce serait Polignac qui au­rait le premier mis en avant l'idée d'un partage : « A ce moment, l 'Abbé de Polignac parla d'un partage des terres en l i t ige . . .»

3) M. F . II, pp. 61 et suiv. ; R . B . II, page 444. 4) Cette première impression au sujet de l'attitude des Anglais s'ac­

centua encore, ainsi que la suite du rapport le montre immédiatement.

18

273

Page 282: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 7 4

que la liberté en fust clairement stipulée, afin qu'il n'y eut plus d'équivoque ni de disputes à l'avenir.

Quant au pays contesté entre ce fleuve et celuy d'Oya­poco 1) nous offrîmes ou de nous en tenir au Traité pro-visionel ou de le changer en definitif, ou de partager ega­lement le terrain, ou de renvoyer l'affaire à des Commis­saires qui la decideroient après la paix, à Paris, à Lisbonne, sur les lieux, ou à Londres par la mediation de la Reyne d'Angleterre. De toutes ces alternatives, ils n'accepterent que celle du partage, mais à condition qu'il se fist avant la paix. Nous primes les cartes, nous mesurames le pays, mais ils n'en voulurent jamais ceder que le quart 2 ) , et se reserverent toujours, non seulement la plus grande partie des costes jusqu'au Cap de Nort, mais encore tous les bords de la riviere des Amazones, jusqu'au fort le plus rea dé, qu'ils avoient avant 1700 3).»

L e rapport des plénipotentiaires portugais, pour être moins exact, fait mieux connaître les détails de la discus­sion que soulevèrent les propositions de la France.

1) L'étendue du territoire en litige ne donne lieu à aucune discussion ; les Français nomment ici « Oyapoco », la riviere que les Portugais ont en vue ; leur riviere frontière « Oyapoco » est aussi la riviere frontière pour les Portugais.

2 ) L e sens qui se présente le premier à l'esprit est : un quart de tout le territoire contesté, mais il est fort possible qu'il y en ait un autre plus juste : les Français parlaient d'une démarcation « entre trois degrés et demi...» (dépêche portugaise, R . B . I I , page 434). L e s Portugais voulaient accorder 3 3 / 4 degrés ; nous aurions là le «quar t» constituant la concession des Portugais.

3 ) L e s côtes du territoire en litige sont ici aussi divisées clairement

en littoral maritime et en bords des cours d'eau ; elles sont mesurées

toutefois en sens inverse, non plus comme c'était jusqu'alors le cas, à

partir de l 'Amazone, mais à partir de l'Oyapoc, direction toute naturelle

pour les Français qui voyaient et mesuraient en venant de Cayenne.

Page 283: Sentence du conseil fédéral Suisse

L'idée d'un partage plut «grandement» aux Anglais, tandis que la liberté de navigation sur l'Amazone ne leur agréait pas du tout. Aussi proposèrent-ils de traiter en premier lieu la question du partage, à quoi les Portugais acquiescèrent ; ils avaient bien l'impression 1) d'être aban­donnés par les Anglais, mais ils agirent ainsi, dit leur dépêche, «pour nous conformer à l'opinion des Anglais 2 )».

La perplexité des Portugais avait plus d'une cause. Les Français leur avaient montré leurs instructions «dont nous avons admiré la rédaction minutieuse ainsi que les documents et les cartes qui les accompagnaient 3 ) » ; ils cons­tatèrent donc immédiatement que les Français étaient bien outillés, tandis qu'eux-mêmes n'avaient que des matériaux très insuffisants; ils avaient bien pu prendre connaissance par José da Cunha Brochado de documents relatifs aux négociations de 1700 et réclamé des pièces à leur gouverne­ment, mais, comme s'exprime leur dépêche « quoique de L a Haye, le 29 juillet 1710, moi le Comte de Tarouca, je vous aie demandé des documents, aucun autre que le Traité Provisionnel ne nous est parvenu de Lisbonne 4 ) ». Il est évident que les plénipotentiaires n'avaient pas été mis au courant des données géographiques fournies par Manoel Pimentel, le «Cosmographo Mor» du royaume portugais, qui venaient d'être publiées en 1712 5 ) . Car d'après ces «Positions géographiques de la côte de la Guyane» la lati­tude du «Rio Oyapoc ou de Vicente Pinson» est de 4° 06 '

1 ) Mémoires da Cunha, R . B . II, page 439 : « comme les Anglais nous abandonnèrent ».

2 ) R . B . II, page 434. 3 ) R . B . II, page 433. 4 ) R . B . II, page 434. 5) R. B . II, pp. 405 et suiv., M. B . I, pp. 210 et suiv., d'après Silva II,

pp. 131 et suiv.

275

Page 284: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 7 6 —

nord; ce fut pour les plénipotentiaires portugais chose nouvelle que la carte produite par les Français , carte sur laquelle une ligne, qui coupait le territoire en litige presque par le milieu 1 ) , et qui par conséquent était à une distance notable de l 'Oyapoc ou Vincent Pinçon au sud, restait sous la latitude de 3 8 /4 0 . Aussi, ne connaissant pas les tables de Pimentel, les plénipotentiaires portugais tenaient-ils pour «plus exacte» que la carte française, leur propre carte 2 ) qui donnait au Vincent Pinçon la latitude de 3 3 / 4 ° ; sans s'entourer d'autres informations, ils agirent en conséquence.

Au cours de la discussion, les Français firent état d'un document que le Portugal même leur avait livré : la réponse qu'en 1698, le Portugal avait donnée au mémoire français de la même année. Ils y puisèrent un argument qui ne laissa pas d'embarrasser les Portugais. Admettant que le Vincent Pinçon ou Oyapoc était situé par 3 degrés de latitude, la réponse avait mis à profit les indications du jésuite Four-nier d'après lesquelles les concessions de Louis XI I I , de 1633 et 1638, comprenaient uniquement le territoire situé entre 3 3 / 4 ° et 3/4 ° de latitude nord ; par conséquent, argu­mentait la réponse, la France de Louis XI I I s'arrêtait au nord de l'Oyapoc ou Vincent Pinçon 3 ) . L a France avait alors repoussé ces allégations du Portugal en déclarant que le P. Fournier était un compilateur inexact 4 ) . Mais, en cette situation nouvelle, elle utilisa cet ouvrage ; l'abbé de Poli-

' ) « L e s trois degrés et trois quarts coupent presque par le milieu les terres en litige», dépêche des plénipotentiaires, R. B . II, page 434. «Coupait par le milieu», Mémoire da Cunha, ibidem, page 440.

-) R . B . II, page 440, texte et note 9. Dans une des copies des mé­moires la carte est dite « la nôtre » (a nossa), dans l'autre « carte géné­rale » (a geral) ».

3 ) Vo i r supra, pp. 202 et suiv. 4 ) Voi r supra, page 211.

Page 285: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 7 7 —

gnac produisit la carte mentionnée ci-dessus d'après laquelle « les trois degrés et trois quarts coupent presque par le milieu les terres en litige », d'où il tirait la conclusion : Etant admis que la ligne de 3 3 /4 passe par le milieu du territoire en litige, le Portugal par sa réponse se trouve avoir re­connu la légitimité des prétentions de la France sur la moitié du contesté, puisque lui-même fait partir la conces­sion française de 3 3 / 4 °; «de sorte que », disent les plénipoten­tiaires portugais, « cette ancienne réponse de notre Cour a fourni aux Français un nouvel argument pour prétendre à la possession des terres qui, d'après la démarcation de leur carte, se trouvent entre trois degrés et demi et la Rivière de Vincent Pinson 1) ».

A ce moment les plénipotentiaires portugais firent une déclaration qui rompait avec tous les errements suivis jus­qu'alors par la politique du Portugal en l'affaire : Nous sommes prêts à partager, mais à la condition que la solu­tion ne soit pas renvoyée après la conclusion de la paix, qu'il ne soit pas recouru à des commissaires qui seraient, au besoin, envoyés sur les lieux; il faut dès à présent fixer la frontière sur la base des 33/4 degrés mentionnés dans les Lettres patentes octroyées par Louis XI I I à la Compagnie du Cap du [Nord : les terres qui de cette ligne de 3 3 / 4 ° s'étendent vers Cayenne appartiennent à la France, celles qui s'étendent de la même ligne vers le fleuve des Ama­zones appartiennent au Portugal. Les plénipotentiaires por­tugais disent à ce sujet dans leur rapport :

«N'approuvant pas l'expédient suggéré par les Français, que ce fût au moyen de Commissaires, afin d'éviter de

1) R . B . II, page 434. — 3 1 / 2 ° et non 3 3 / 4 ° , dans le but probablement d'obtenir la moitié exacte, au lieu de la moitié approximative, du terri­toire à partager.

Page 286: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 7 8 —

grands embarras et des retards, nous avons proposé que la dite division et démarcation fût réglée par les degrés men­tionnés dans les Lettres patentes de la dite Compagnie du Cap du Nord, à savoir que les terres qui vont de trois degrés trois quarts vers Cayenne demeurassent aux Français, et que celles qui vont des mêmes degrés vers le Fleuve des Amazones et le Cap du Nord fussent du domaine de Por­tugal 1) »

Qu'est-ce qui avait déterminé les plénipotentiaires portu­gais à faire cette concession?

Les mémoires de da Cunha donnent la réponse à cette question : « Comme la carte générale, que nous esti­mions être plus exacte, place par trois degrés et trois quarts, la riviere de Vincent Pinson, qui désigne 2) nos limites, nous étions d'accord pour régler le partage de cette manière3). »

Les Portugais avaient donc la certitude que leur Vin­cent Pinson était situé par 3 3 / 4 ° , ils ne voulaient pas autre chose que la frontière Vincent Pinson ; aussi pouvaient-ils facilement concéder la frontière par 33/4°.

Mais alors les plénipotentiaires français combattirent ce projet de démarcation. Ils soulevèrent des difficultés et à la fin, le maréchal d'Uxelles « irrité selon son habi­tude » déclara « qu'il était inutile de continuer à se rompre la tête à propos de ce partage, si les Français n'avaient pas, comme auparavant, l'usage du fleuve» 4 ) ; «le point principal consistait à savoir, si les Français auraient ou

l ) R. B . II, pp. 434 et suiv. 2) Conf. R. F . , page 129, où se trouve la remarque que « désigna »

doit être traduit par «désigne» et non par «signale» comme le font M B . I, page 213, et R. B . II, page 440.

3 ) R . B . II, page 440. 4) Mémoires de da Cunha, R. B . II, page 441.

Page 287: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 7 9 —

non la libre entrée et la libre navigation du fleuve des

Amazones » 1 ) .

C'est ainsi que la question du partage fut éliminée par les

plénipotentiaires français eux-mêmes ; on passa à la discus­

sion de la « condition fondamentale » de Louis X I V , la libre

navigation de l'Amazone. Les plénipotentiaires portugais

avaient cette fois l'appui des ministres anglais et ils décla­

rèrent nettement : « que nous ne pouvions nullement consentir

à une pareille prétention » 2 ) . En effet, lord Strafford intervint

personnellement dans le débat: «Polignac a voulu montrer

que les Français avaient été dans la jouissance de cette

navigation, ce qu'il a cherché à prouver par le même

Traité Provisionnel ; mais, voyant son manque de raison,

Lord Strafford lui dit qu'il tombait en contradiction mani­

feste, car si le Roi de France dans les Instructions qui

venaient d'être montrées ordonnait à ses Plénipotentiaires

de demander la liberté de navigation et d'insister sur ce

point, il était notoire qu'ils n'avait jamais réussi à avoir

cette jouissance» 3 ) . Ensuite de cette intervention des An­

glais, qui ajoutèrent qu'ils feraient rapport à leur gouver­

nement au sujet du désaccord des parties sur ce point 4 ) ,

le maréchal d'Uxelles proposa : « que nous laissions cette

affaire à la décision de la Reine» 5 ) . Mais quand il vit

l'empressement des Portugais à accepter cette proposition,

1) Dépêche des plénipotentiaires portugais, R . B . II, page 435. 2) R. B . II, page 435. 3 ) Dépêche des Portugais, ibidem, page 435. de même Mémoires de

da Cunha, ibidem, page 441. 4) Mémoires de da Cunha : « Strafford répliqua que . . . il était certain

qu'ils (les Français) n'avaient pas eu une possession antérieure, et que dans ce sens il prétendait rendre compte à sa Cour, attendu que nous (Français et Portugais) n'étions pas d'accord sur les faits >, R . B . II, page 441.

s ) R . B . II, page 435.

Page 288: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 280 —

il dit encore que la question devait être ajournée jus­

qu'après la conclusion de la paix. Les Portugais s'opposèrent

à tout ajournement et demandèrent que les contestations

fussent intégralement liquidées avant de signer la paix 1 ) ,

insistant pour que la démarcation fût tracée immédiatement

d'après le degré de latitude et non d'après une mensura­

tion faite sur place, qui donnerait lieu à de nouvelles que­

relles; ils répétèrent: «Que nous accepterions la décision

de la Reine » 2 ) .

Dans le rapport qu'ils adressèrent à leur gouverne­

ment sur ces faits se trouve en outre cette mention : «Car

nous croyions bien que sur cette affaire les Anglais se

trouveront sincèrement d'accord avec nous»; ils relatent

de plus qu'après la conférence lord Strafford leur dit qu'il

écrivait à son gouvernement, «en lui donnant nos raisons

fondées sur la justice de la cause et sur la promesse de

la Reine », et lui signalerait en même temps le danger que

ferait courir aux intérêts du commerce anglais l'octroi aux

Français de la libre navigation de l'Amazone 3).

En effet la dépêche adressée par les plénipotentiaires

anglais à leur gouvernement le 10 février, dit en termes

concis 4 ) :

1) R . B . I l , page 435 : « Nous ne voulions pas de différends après la conclusion de la paix. »

2 ) Ibidem. : 3) Ibidem, page 436. V r a i est-il que les plénipotentiaires portugais

ajoutent : « S' i l avait voulu se prononcer aussi clairement pendant la conférence, il aurait peut-être pu faire avancer de quelque manière notre intérêt. » D a Cunha, dans ses mémoires, donne à entendre que, malgré ce résultat, les Portugais étaient loin d'être rassurés, ibidem, pp. 441 et suiv.

4 ) « In a conference yesterday the French stood very stiffly upon the liberty of their Navigation in the River of Amazones . . . W e held with the Portuguese, taking it to be as much the Interest of England as Por ­tugal that nothing be innovated in that particular », R . B . II, page 443.

Page 289: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 281 —

« Dans une conférence qui a eu lieu hier, les Français ont demandé avec insistance la libre navigation de l'Ama­zone . . . Nous avons tenu le parti des Portugais estimant qu'il est dans l'intérêt de l'Angleterre comme du Portugal, que rien ne soit innové sur ce point. »

La conférence du 9 février n'aboutit donc à aucun des résultats désirés par les plénipotentiaires français touchant la libre navigation de l'Amazone et le partage du territoire en litige ; leur rapport le constate en ces termes : « Après avoir bien disputé, nous ne conclûmes rien 1).»

En revanche, les délibérations jettent beaucoup de lumière sur l'état où se trouvait alors l'affaire et il importe de retenir les points ci-après qui ressortent manifestement des rapports des plénipotentiaires :

1° Les plénipotentiaires français et portugais avaient en vue un seul et même territoire contesté, un seul et même cours d'eau qui devait constituer la frontière septentrionale du territoire, cours d'eau que les Français appelaient Oyapoc, les Portugais Vincent Pinçon; l'Oyapoc des Français et le Vincent Pinçon des Portugais sont un seul et même cours d'eau « Oyapoc ».

2° L a dénomination « terres en litige » dont se servent les Portugais et mieux encore, les termes dans lesquels est formulée l'offre des Français — touchant le « pays contesté entre ce fleuve (des Amazones) et celui d'Oyapoco », ils veulent «tenir au Traité provisionnel » ou consentir à un partage — désignant le territoire en litige qu'il s'agit de partager comme identique avec le territoire qui fait l'objet du traité provisionnel de 1700; d'où il suit qu'à la confé­rence par l'Oyapoco les Français, par le Vincent Pinçon les Portugais, entendaient le même cours d'eau que d'un com-

1) M. F . II, page 62 et R. B . II, page 445.

Page 290: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 2 8 2 —

mun accord Français et Portugais appelaient Oyapoc*) ou Vincent Pinson dans le traité de 1700 (article 4). En d'autres termes, l 'Oyapoc ou Vincent Pinson des Français et des Portugais (1700), l 'Oyapoco des Français (1713), le Vincent Pinson des Portugais (1713) sont identiques. En 1713 comme en 1700, les deux parties désignent sous ces noms le même cours d'eau, qu'elles placent en un même lieu comme cours d'eau frontière du territoire litigieux dont elles ont la même conception.

3° Les plénipotentiaires portugais plaçaient ce cours d'eau par 33/4° de latitude nord, les Français par plus de 4° en se basant sur leur carte qui différait de celle des Portugais; leurs 33/4° en effet coupaient le «territoire en litige » presque par le milieu ; le cours d'eau frontière au nord devait donc, dans leur opinion, être vers le nord à une distance notable de 33/4°, ou du milieu du territoire en litige.

4° Dans la conférence, les Portugais revendiquaient les terres allant de 33/4°" jusqu'à l'Amazone; ils plaçaient par 3 3/4° leur Vincent Pinson, le cours d'eau frontière; ils avaient donc en vue le Vincent Pinson comme étant le cours d'eau qui coule par 3 3 /

4 ° - Or, ces 3 3 / 4 ° faisaient plus de 4°, d'après le calcul de la partie française ; les Portugais revendiquaient en conséquence le territoire au delà de 4° jusqu'à l'Amazone.

5° Selon les plénipotentiaires français, les Portugais réclamaient, même en cas de partage du territoire en litige, tout le bord occidental de l'Amazone et la plus grande partie du littoral maritime entre le Cap du Nord et la ri vière constituant la frontière septentrionale.

L a conférence du 9 février ne fournit pas que des éclaircissements; elle a abouti à une solution importante.

1) Orthographe portugaise Ojapoc, orthographe française Oyapoc.

Page 291: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 8 3

Les déclarations faites par les plénipotentiaires français au sujet de la « condition fondamentale » exigée par leur roi dictèrent aux Anglais leur ligne de conduite, et l'atti­tude de l'Angleterre décida à Utrecht du sort du litige pendant entre la France et le Portugal.

5.

Après la conférence du 9 février, Louis X I V confirma une fois de plus à ses plénipotentiaires, les instructions qu'ils avaient reçues pour la conférence. Avec une lettre du roi du 13 février, il leur fut adressé un «Sommaire des conditions de la Paix Générale », qui, au chapitre « Portu­gal », expose en ces termes le point de vue auquel se plaçait la France :

« Le Roy consent à convertir en Traité definitif le Traité provisionnel conclu a Lisbonne en l'année 1700 pour sus­pendre alors les contestations formées entre les François et les Portugais. Sa Majesté et le Roy de Portugal nom­meront des Commissaires soit a Paris, soit a Lisbonne, soit dans l'Amérique Méridionale pour convenir du partage du pays situé entre la riviere des Amazones et celle d'Oya-poco, à condition qu'il sera estably pour fondement du Traité que la Navigation sur la riviere des Amazones sera libre aux François» 1 ) .

En se référant au « Traité provisionnel » qu'il s'agit de convertir en un traité définitif, ce document établit de nou­veau que les négociations de 1713 avaient le même but que le traité de 1700, que les deux parties, en 1713 comme en 1700, avaient en vue le même territoire contesté, que la détermination de la frontière restait la même, que, par con-

1) R. B . II. pp. 447 et suiv., Record Office, London, Foreign Office, Treaty Papers, 112 D.

Page 292: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 8 4 —

séquent, le «Sommaire » de 1713 par le cours d'eau qui

devait former la frontière septentrionale, par l'« Oyapoco »

entendait le même cours d'eau que le «Trai té provisionnel»

de 1700 appelait « Oyapoc ou Vincent Pinson » ; en d'autres

termes, le cours d'eau nommé « Oyapoc ou Vincent Pinson »

par les Portugais et les Français en 1700, n'est autre que

le cours d'eau qu'en 1713 Louis XXV nomme « Oyapoco ».

Peu de jours après l'envoi du «Sommaire» , Louis X I V

put se convaincre qu'il ne réussirait pas à faire agréer

son « fondement du Traité », la libre navigation de l'Ama­

zone pour les Français.

Le 14 février 1713, le ministre du Portugal à Londres,

da Cunha Brochado, écrivait à Lisbonne au secrétaire d'état

Mendonça Corte-Real 1 ) : « Lord Bolingbroke m'a dit.. . que

quoique les Français à Utrecht eussent déclaré qu'ils vou­

laient la navigation de la Rivière des Amazones, je pouvais

être sûr qu'ils ne l'obtiendraient pas, et que, ici même, la

Reine l'avait déclaré ainsi au I )uc d'Aumont et avait ordonné

que la même déclaration fût faite au Roi de France par

le Duc de Shrewsbury, que cette affaire était de l'intérêt

commun de toute l'Europe et qu'elle ne s'en désistera pas,

parce que, d'après les informations qu'elle avait, l'entrée

des Français dans cette Rivière pouvait les rendre maîtres

non seulement du Brésil, mais du Pérou. »

L'intérêt commun de l'Europe exige qu'on éloigne les

Français de l'Amazone, telles étaient la conviction et la

décision du gouvernement anglais. Brochado estimait que

c'était en grande partie à ses efforts que ce résultat était

l ) R . B . II , pp. 449 et suiv.. publie la lettre de da Cunha Brochado, en portugais avec une traduction française. M. F . II, pp. 63 et suiv., repro­duit la seconde moitié du document composée de deux parties distinctes. L e s traductions que les parties ont produites de ces lettres ne concordent pas entièrement.

Page 293: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 8 5 —

dû. il fait rapport ensuite sur les événements postérieurs à la lettre que, le 6 décembre 1712 le roi de Portugal avait écrite à la reine d'Angleterre et aux conférences qu'il avait eues avec les ministres anglais: « Les ministres d'ici... s'appliquent avec toute activité à réparer les fautes qu'ils ont commises au commencement de cette malheureuse né­gociation» 2 ) . Il ne fonde pas de trop grandes espérances sur leur pouvoir; il a plus de confiance dans leur bonne volonté dont ils ont donné des preuves une fois qu'ils furent fixés sur l'importance de la question de l'accès de l'Ama­zone, au sujet de laquelle il leur a donné les renseignements qu'il avait réunis à Paris au temps de la conclusion du « Traité provisionnel » 3) de Lisbonne.

Dans cette lettre du 14 février, Brochado relatait avoir transmis le même jour aux plénipotentiaires portugais à Utrecht des communications circonstanciées 4). Il invitait le comte de Tarouca à ne pas négocier plus longtemps avec les Français « en ce qui concerne le Maranhão » : « V . Excel­lence ne doit pas entrer en matière avec les Français, soit en discutant la propriété, soit en faisant une concession quelconque. . . Après les extraits, que j 'a i remis de nos traités du Maranhão . . . cette négociation a été entièrement placée entre les mains de la Reine, qu i . . . parle et s'occupe de cette affaire, et avec grand intérêt pour celle de Maranh­ão, qui est le seul sujet sur lequel ces Ministres se mon­trent fermes, en déclarant qu'il leur faut que les Français renoncent absolument à ces terres. »

1) Voi r ci-dessus, page 255. 2) R. B . II, page 451, M. F . II, page 64. 3) Conf, supra page 271. 4 ) R . B . II, pp. 453 et suiv., donne en portugais, avec une traduction

française, un passage de cette lettre adressée au comte de Tarouca, British Museum, London, Mss. Add. 20, 819.

Page 294: Sentence du conseil fédéral Suisse

Brochado parle ici de l'Estado Maranhão, y compris le territoire en litige, auquel, selon lui, le gouvernement an­glais exige que la France renonce complètement.

Il ne manque pas d'expliquer au comte de Tarouca aussi les services qu'il a rendus dans l'affaire ; il lui expose qu'il a détruit la « prétendue autorité de deux livres de voyage faits par deux pauvres capucins » 1) et rappelle que lors des négociations de 1700: «j 'a i suggéré à notre Cour que le Pape ou le Roi Guillaume pourrait être notre ar­bitre»; il marque quelque mécontentement à l'égard de la diplomatie portugaise d'alors : « mais nos Ministres se sont montrés si pressés qu'il n'ont rien voulu attendre».

Dans les lettres qu'il envoyait tant à Lisbonne qu'à Utrecht, Brochado n'avait rien exagéré touchant la ligne de conduite que l'Angleterre entendait suivre désormais.

Trois jours plus tard déjà, soit le 17 février, le gou­vernement anglais adressait à la France son ultimatum.

L'ambassadeur d'Angleterre à la cour de France, le due de Shrewsbury, fut chargé de remettre cet ultimatum. Lord Bolingbroke lui écrivit le 17 février 2 ) :

La conduite de S a Majesté paraîtra droite et cohérente (fair and uniform) à tout le monde, tandis que celle de la cour de F rance aura un aspect tout contraire, si la France ne se prête pas sans délai à conclure la paix avec l'Angle-

1) Ce sont la relation du voyage de P. Claude d'Abbeville « qui lit imprimer sa relation en 1613 à Paris , chez François Huby » et celle du P . d'Yves d'Evreux «compagnon du père Claude», dont la «Suite de l'histoire des choses plus memorables avenues en Maragnon es années 1613 et 1 6 1 4 . . . fut imprimée chez le mesme François Huby en 1615 ». L a réplique de Rouillé de 1699, M. F . II, pp. 33 et 34, fait état de ces relations.

2 ) R . B . Il, pp. 457 et suiv., Foreign Office, London, Treaty Papers, n° 91.

286

Page 295: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 8 7

terre et accepte les ouvertures que Shrewsbury est chargé de lui faire, soit dans une conférence avec les ministres français, soit par un mémoire présenté au ministre de Torcy ou par ces deux moyens :

La reine a jusqu'ici différé l'ouverture du Parlement dans l'espoir que les quelques difficultés (these few diffi­culties) qui n'ont pas encore reçu leur solution, soit dans le traité de paix et de commerce entre la Grande-Bretagne et la France, soit dans la discussion des intérêts des alliés de l'Angleterre, seront bientôt aplanies. S a Majesté demande que les contestations pendantes entre l'Angleterre et ses alliés d'un part, et la France d'autre part, soient tranchées en conformité des documents joints à sa déclaration (n" 1 et n° 2). Ces documents seront remis « comme l'ultimatum de la Reine aux Français » (as the Queen's Ultimatum to the French).

Quant au Portugal, Bolingbroke dit avoir quelque raison de croire que la demande faite en faveur de cette puis­sance sera très peu goûtée à la cour de France (will go very hardly down at the French Court) et cependant, il n'y a rien de plus raisonnable pour la France que de con­sentir à ce que la reine propose. Le Portugal 1) avait le

-

1) « Portugal was entitled to demand a considerable Barrier , and whatever contempt the French Ministers may think fitt to treat the Por­tuguese with, yet they ought to pay respect to this pretension, since it was become Her Majesty's pretension by the engagements she entered into when she made the Treaty of 1703. This Barr ier is at once given up, and in lieu thereof a promissary security only is demanded of France and Spain. Now since the Portuguese do consent to accept of this secu­rity, in lieu of that which they had stipulated for themselves, and since the Queen's honour is concerned not to oblidge them to part with the one without making the other effectual to them ; it is to be considered, that in Europe no attempt can be made upon the Nation, which the Crown

Page 296: Sentence du conseil fédéral Suisse

droit de demander une barrière considérable (a considerable

Barrier) défendant son territoire en Europe contre l 'Espagne

et, quel que soit le dédain avec lequel les ministres fran­

çais ont cru devoir traiter les Portugais, ils n'en doivent

pas moins respecter cette prétention qui a pour base le

traité de 1703 et que la reine a faite sienne par les enga­

gements qu'elle a pris vis-à-vis du Portugal. Le Portugal

a renoncé à cette barrière par gain de paix et se conten­

tera de la promesse de la France et de l 'Espagne de res­

pecter sa sécurité ; l 'Angleterre veillera à l'exécution de

cet engagement. De fait, aucune attaque ne pourrait en

Europe être dirigée contre le Portugal sans que l'Angle­

terre ne la repoussât immédiatement.

of Great Britain will not be almost as much at hand to oppose, as F rance or Spain can be to carry it on ; but in Brazil the case is not the same. T h e French have there slided themselves into the neighbourhood of the Portuguese, they are every day starting new pretensions and making new encroachments upon them ; the Queen is at a distance, and those feeble illgoverned Colonies may be overrun, before the news of their being attacked will arrive in London. Nothing, therefore, can be more just than tor the Queen to expect that, in consideration of what she yields (for that expression may be properly used) in Europe, France should yield something in America. Far ther the navigation of the River of the Amazons cannot but give umbrage even to the Spanyards. W h o e v e r is informed of the freshest accounts which have come from those parts, and of the latest discoverys which have been made, will easily perceive what reasons the Spanyards must have for their appre­hensions. In short, my Lord, the source of the River must belong to the Spanyards and the mouth of it to the Por tuguese; and neither the French, nor the English, nor any other Nation, must have an avenue open into that Countrey. I am almost ashamed to have used so many words upon this subject, when I consider that I am arguing against an Advantage purely notional, when I am not proving that the French ought to give up what they have had an actual possession of, but am barely desiring them to forego that which they never enjoy'd but in idea », R . B . I I , p. 460—462.

2 8 8

Page 297: Sentence du conseil fédéral Suisse

289

« Mais l) au Brésil le cas n'est pas le même. Les Français s'y sont glissés dans le voisinage des Portugais, ils avancent tous les jours de nouvelles prétentions et y font de nouveaux empiétements ; la Reine est loin, et ces Colonies, faibles et mal gouvernées, peuvent être envahies avant que la nouvelle en arrive à Londres. Rien ne peut donc être plus juste de la part de la Reine que, eu égard à ce qu'Elle cède (expression qui est bien employée ici) en Europe, la France cède quelque chose en Amérique. En outre, la navigation de la Rivière des Amazones ne sau­rait laisser de donner de l'ombrage même aux Espagnols. Quiconque est informé des dernières nouvelles arrivées de ces régions et des plus récentes découvertes qui y ont été faites, comprendra facilement les raisons sur lesquelles les Espagnols doivent fonder leurs appréhensions 2 ) . Enfin, my Lord, il faut que la source de la riviere appartienne aux Espagnols et son embouchure aux Portugais ; et ni les Français, ni les Anglais, ni aucune autre nation ne doivent avoir une avenue ouverte sur ce pays. Je suis presque honteux d'avoir insisté si longuement sur ce sujet, quand

je considère que je discute un avantage purement ima­ginaire, lorsque je n'ai pas à prouver que les Français doivent renoncer à une chose dont ils aient eu la posses­sion effective, mais simplement à ce dont ils n'ont jamais eu la jouissance que par l'idée. »

Le premier document 3 ) accompagnant cette lettre était : № 1. Mémorial of the Queen's last resolutions upon the

différences in the Treaty of Peace and Commerce, between

Her Majesty and the most Christian Ring, et le deuxième :

1) R . B . II, page 461. 2) Visiblement inspiré par la thèse de Brochado. 3) R . B . II, pp. 465, 466.

19

Page 298: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 9 0 —

№ 2. Memorial of the differences relating to the in-terests of the Allies, and others, with the Queen's ultimate resolution upon each h e a d 1).

Ce deuxième mémoire oppose « The Queen's Pro­posais » aux propositions de la France concernant le Por­tugal et ainsi conçues : « L e Roi Très-Chrétien offre de convertir le Trai té provisionnel conclu entre la France et le Portugal en Traité définitif, sous reserve 2 ) de la navigation du fleuve des Amazones, laquelle appartiendra en commun aux deux nations». « T h e Queen's Proposais» 3 ) stipulent:

« L e Portugal, dans l'intérêt de la paix et par déférence pour la Reine, ayant consenti à renoncer à la barrière 4 ) à laquelle il avait droit de s'attendre d'après leur Traité, S a Majesté se voit dans l'obligation d'insister en sa faveur pour que la France et l 'Espagne, dans les termes les plus forts et les plus clairs, s'engagent à ne pas inquiéter 5 ) les possessions du Portugal, ni de lui donner aucun trouble, sous n'importe quel prétexte, soit en Europe, soit aux Indes Occidentales ou dans toute autre partie du monde. Que les dures vexations imposées au Portugal par la France dans le Trai té Provisionnel (dont une copie est envoyée avec le présent document de même qu'un exposé de la question tel qu'il a été donné par le Ministre de Portugal ici) soient complètement levées 6) ; que, dans ce but, la Reine insiste

l ) T e x t e anglais et traduction française, M. F . I, page 64 ; II, pp. 65, 66 ; R . B . II , page 466. L e s traductions produites par les parties pré­sentent quelques divergences entre elles.

2) « Reserving » selon R . B . II , page 466, tandis que par erreur, M. F . I, page 64, II , page 66, porte « referring » d'où « se référant ».

3 ) M. F . I, pp. 64, 65, II , 65, 66, R . B . II , pp. 466, 467. 4 ) M. F . I, page 64 : « limite » ; texte anglais : barrier. 5) M. F . , 1. c. : « à ne point molester » ; texte anglais : not to molest. 6) M. F . , 1. c. : « Que les charges imposées. . . . soient entièrement abo­

l i e s» ; texte anglais: That the hardships imposed shall be wholly removed.

Page 299: Sentence du conseil fédéral Suisse

291 —

pour que la France renonce à toutes ses prétentions à la

liberté de la navigation du fleuve des Amazones ; qu'il soit

entendu pour l'avenir que tant le côté nord que le côté sud

de ce fleuve appartiennent aux Portugais 1) ; qu'ils rentre­

ront dans la possession du pays que, par le traité ci-dessus

mentionné, ils furent forcés d'abandonner ; que le susdit

Traité sera rendu définitif de telle sorte que le droit sur la

région, tenu en suspens, soit entièrement laissé, et reste pour

toujours 2 ) , à la Couronne de Portugal, et que les limites

soient clairement et distinctement établies 3 ) dans un Traité

entre la France et le Portugal, de sorte qu'il ne soit laissé

de place pour aucune contestation dans l'avenir à ce sujet.

A tout cela la Reine promet de donner sa garantie. »

Pour bien faire ressortir la portée de cette déclaration,

il en faut énumérer les points principaux dans un ordre

systématique :

1. En Europe, le Portugal renonce à la barrière contre

l'Espagne, qu'il est en droit de revendiquer en vertu du

traité conclu par les alliés en 1703 ; il se contente d'un

engagement exprès et solennel (in the strongest and clearest

terms) par lequel la France et l'Espagne déclareront ne vou­

loir inquiéter ses possessions dans aucune partie du monde.

2. Le traité qu'il s'agit de conclure se rattache au traité

provisionnel de 1700. On entend exprimer par là que l'objet

1) M. F . , L e : « Que la rive septentrionale aussi bien que la rive méridionale de cette riviere soient considérées à l'avenir comme appar­tenant aux Portugais » ; texte anglais : that the north as well as the south side of that River shall to the future be understood to belong to the Portuguese.

2 ) M. F . , l. c. : « Que les droits sur la région jusque là réservée soient entièrement abandonnés et demeurent pour toujours» ; texte anglais: that the right of the Country thereby kept in suspense shall be entirely given up and remain for ever.

3 ) M. F . , l. c. : « définies » ; texte anglais : settled.

Page 300: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 9 2 —

du traité reste le même qu'en 1700. 11 est déclaré à cet

égard :

a) les « hardships » l ) , les vexations et les duretés que

le traité provisionnel a fait subir au Portugal, cessent ;

b) les Portugais « rentrent dans la possession du pays

que par le traité ci-dessus mentionné, ils lurent forcés d'a­

bandonner » (shall enter again into the possession of the

country which by the above mentioned Trea ty they were

obliged to abandon) ;

c) « le droit sur le pays tenu en suspens sera entière­

ment laissé (par la France) et reste pour toujours à la

Couronne de Portugal » (the right of the country thereby

kept in suspense shall by entirely given up and remain for

ever to the Crown of Portugal) ;

d) « les limites seront clairement et distinctement éta­

blies dans un traité entre la France et le Portugal, de

sorte qu'il ne soit laissé de place pour aucune contestation

dans l'avenir à ce sujet » (the boundaries shall be so clearly

and distinctly settled in a Trea ty between France and

Portugal that no room may be left for any future dispute

upon this head).

3. Il est décidé en outre :

a) « L a France renonce à toutes ses prétentions à la

liberté de la navigation du fleuve des Amazones » (France

shall depart from all pretentions to a freedom of naviga­

tion in the River of the Amazons).

b) « 11 est entendu pour l'avenir que tant le côté nord

que le côté sud de l'Amazone appartiennent aux Portugais »

(the north as well as the south side of that River shall for

the future be understood to belong tho the Portuguese).

1) L e mot a un sens plus étendu que le terme « vexations » même renforcé du qualificatif « dures ».

Page 301: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 9 3

c) (Ne se trouve pas dans le mémoire, mais dans la

dépêche de Bolingbroke, voir ci-dessus, page 289.) L a source

de l'Amazone doit appartenir aux Espagnols et son embou­

chure aux Portugais, à l'exclusion de toute autre nation

(the source of the River must belong to the Spaniards and

the mouth of it to the Portuguese ; and neither the French,

nor the English, nor any other Nation, must have an avenue

open into that Country).

Voici les clauses essentielles 1) :

1. La libre navigation de l'Amazone n'est pas garantie

aux Français.

2. L e bord septentrional et le bord méridional de l'Ama­

zone appartiennent au Portugal, ce qui comprend la navi­

gation du fleuve.

3. Un traité devra délimiter clairement et d'une manière

qui ne laisse place à aucune contestation le territoire jus­

qu'alors contesté, désormais propriété du Portugal.

1) On remarquera en quels termes l'ambassadeur de France à Lon­dres, le duc d'Aumont, exposait dans sa dépêche au roi du 2 mars 1713 les revendications de l 'Angleterre (M. F . I, pp. 65 et suiv.. Affaires étran­gères, Angleterre, t. C C X L I V , fol. 42) : « L a Reine étant à portée de soutenir la garantie de Portugal, il n'est plus question que de chercher une plus grande précaution pour la sûreté du Brésil et en ce cas on n'oste rien à la France. Mais il faut qu'elle se départe de deux choses à l'égard de sa prétention de la libre navigation de la riviere des Ama­zones. Il faut qu'elle en laisse la source aux Espagnols et l'embouchure aux Portugais. L 'Angleterre entrera dans la même stipulation que la France à cet égard. Il faut également laisser aux Portugais la coste de cette riviere, tant du côté du nord que du côté du sud, et que le pays dont il y avait un accord provisionnel soit cédé définitivement aux Por­tugais. » Toutes les revendications essentielles de l 'Angleterre sont indi­quées et comme telles aussi bien la revendication de « la propriété exclu­sive de l'embouchure du fleuve des Amazones » pour le Portugal (M. F . I, page 66), que celle visant « le pays dont il y avait un accord provisionnel soit cédé définitivement aux Portugais ».

Page 302: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 9 4 —

6.

L'ultimatum de l'Angleterre décida du sort de la suite des débats sur l'affaire du Portugal. Deux points princi­paux restaient à liquider: il fallait en premier lieu, faire accepter par la France les demandes formulées par l'Angle­terre le 17 février, en second lieu, donner au nouveau traité portugais sa forme définitive et une sanction sur la base des revendications admises.

L'une de ces négociations se poursuivait à Versail les, l'autre à Utrecht.

L e soin de mener à bien la première incombait à l'am­bassadeur d'Angleterre, le duc de Shrewsbury, à qui lord Bolingbroke avait remis l'ultimatum du 17 février. Shrews­bury ne notifia pas tout de suite l'ultimatum officiellement au gouvernement de Louis X I V ; il conféra préalablement avec de Torcy , le ministre français des affaires étrangères ; de là vient que les demandes de l 'Angleterre reçurent, le

6 mars 1713, une rédaction 1) dont les termes ont été vrai­semblablement arrêtés par Shrewsbury et de Torcy . Le 7 mars, le gouvernement français envoya ces demandes à ses plénipotentiaires à Utrecht 2 ) , tandis que Shrewsbury, de son côté, se conformant aux instructions de Boling-

1) M. F . I, page 67, II, pp. 67 et suiv. Dans le second mémoire, l'ulti­matum anglais est désigné sous le titre de « Mémoire de la reine de la Grande-Bretagne (mars 1713) » ; le document se trouve aux Archives des Affaires étrangères, Corresp. d'Angleterre, t. C C X L I V , fol. 49 ; reproduit également sous le titre : « Dernières propositions de la Reine Anne » dans R . B . II, pp. 479 et suiv., d'après la copie d. d. « Versai l les , le 7 mars 1713 », Public Record Office, London Foreign Office, Trea ty Papers, n°91 .

2) M. F . II, page 67 : « Remis le 6 e mars par M. le duc de Shrews­bury. Envoyé à MM. les Plénipotentiaires, le 7 e mars 1713 », Affaires étrangères, 1. c , t. C C X L T , fol. 49.

Page 303: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 9 5 -

broke 1), les adressait aux plénipotentiaires anglais, avec une

dépêche ainsi conçue 2 ) : « Upon the Directions which I re­

ceived from the Queen of the 17 t h and 18 t h February O. S.

by which her Majesty explained her ultimate resolutions on

the points which remain unsettled in the General Plan of

Peace as well in relation to her own interests as to those

of her Allyes, I have conferred with Mounsieur Torcy, and

for help of his memory, as well as to avoid any mistake

which may happen in a matter of so great importance, I

gave him a paper containing every point in which Her

Majesty demands satisfaction, a copy of which paper I

send your Exellencies enclosed. »

L'ultimatum de l'Angleterre, dans la teneur qu'il avait

reçue le 6 mars, stipulait quant au Portugal 3 ) :

« Comme la Reine est bien asseurée de la part du Roy

de Portugal, que ce Prince est dans le dessein 4 ) de signer

la Paix en même tems que Sa Majesté, pourveu qu'il ait

une satisfaction entière sur les points suivants :

Elle insiste :

Que la France et l'Espagne s'engageront en termes

formels et clairs, a ne point inquieter les Domaines, Terri­

toires, ni les sujets du Roy de Portugal, soit en Europe,

ou dans les Indes, sous quelque pretexte qu'il puisse être.

Que les Traités faits par provision avec le Roy de Por­

tugal, seront convertis en Traité définitif, dans lequel sera

1) R. B . H, page 484 : « I give you the earliest notice, as I am advised from the Lord Bolingbroke to do . . . » d'après la dépêche de Shrewsbury du 7 mars 1713.

2) Dépêche de Shrewsbury aux plénipotentiaires anglais à Utrecht du 7 mars 1713, R. B . II, pp. 483-485, Foreign Office, London, Treaty Papers, n° 91, Paris Letters 1712 à 1713.

3 ) M. F . II, page 68 ; R . B . II, page 480. 4 ) R . B . II, page 480 : dessin.

Page 304: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 9 6 —

aussi stipulé et accordé: Que pour mieux asseurer aux

Portugais la paisible jouissance de leurs Colonies en

Amerique, les Français desisteront de toute pretension

à la liberté de la navigation sur la Riviere des Ama­

zones, et que le rivage de cette Riviere, tant du côté

septentrional que meridional, appartiendra desormais aux

Portugais.

Comme aussi qu'ils rentreront dans la possession des

Pa ï s qu'ils étoient obligés de quitter en vertu du Trai té pro-

visionel, pour en jouir des à present, sans y être en aucune

maniere inquietés de la part des François.

Que les limites entre les possessions des Portugais

establies (comme il est cy dessus enoncé) et celles que les

François pourroient avoir sur les mêmes côtes, seront

reglées et determineez de telle maniere que de prevenir

tout sujet de dispute qui y puisse naître à l'avenir.

En consideration de ces articles accordez, et de la

satisfaction que le Roy de Portugal pretend de la part de

l 'Espagne a l'égard de la Colonie du Sacrement, et de ce

qui reste à liquider entre ces deux Couronnes sur quelques

dettes de l'Assiento, dont on ne disconvient pas : Sa Majesté

Portugaise desistera de toute pretension à l'égard de la

Barr iere sur quelques places qui soient sur le continent de

l 'Espagne et la Reine deviendra garante des conditions de

Pa ix entre la France, l 'Espagne et le Portugal. »

Les « Queen's Proposais » du 17 février ont subi dans

leur teneur du 6 mars des modifications notables :

1 . Tout en mentionnant que le roi de Portugal est dis­

posé à conclure la paix sur la base des conditions qui lui

sont soumises, l'acte ne dit plus, comme le faisaient les

« Proposais », qu'il agit par déférence « to the Queen » ; en

revanche, il n'est plus question des engagements de la

reine envers le Portugal.

Page 305: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 9 7

2. Le Portugal renonce à la « barrière » à l'égard de

l'Espagne, par la raison, entre autres, qu'il a été donné

suite à ses réclamations relatives à la Colonie du Sacre­

ment, etc. ; c'est une adjonction au texte du 17 février.

3. Il n'est fait aucune mention des « hardships » qu'en­

gendra le traité provisionnel de 1700 ; la note, entre

parenthèse dans les « Proposais », relative à la copie du

traité provisionnel et à l'exposé de la question par le

ministre da Cunha Brochado joints au document, est sup­

primée. Ces passages sont remplacés par une phrase:

« Que les Traités faits par provision avec le Roy de Por­

tugal seront convertis en Traité définitif », qui dans les

« Proposais » figure presque en dernier lieu.

4. A la clause par laquelle la France renonce à la libre

navigation de l'Amazone, on donne pour motif, au lieu de

la suppression des «hardships», qu'il en est fait ainsi « pour

mieux asseurer aux Portugais la paisible jouissance de

leurs Colonies en Amerique » ; et cette adjonction s'ap­

plique aussi à l'attribution au Portugal des deux rives de

l'Amazone.

5. L e territoire qu'il s'agit de délimiter est désigné en

termes plus précis : « les limites entre les possessions des

Portugais establies (comme il est cy dessus enoncé) 1) et

celles que les François pourroient avoir sur les mêmes

côtes ».

Le fait que l'ultimatum, dans le texte qu'il a reçu le

6 mars, mentionne les possessions que pourrait avoir la

France, témoigne manifestement de la part que la France

a prise à cette rédaction; on n'entendait pas par là modi-

1) « Cy dessus», on mentionne comme possession portugaise: les deux rives méridionale et septentrionale de l'Amazone en général et en particulier le territoire évacué en vertu du traité provisionnel.

Page 306: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 2 9 8 —

fier les «Proposais» du 17 février à l'égard de la France sur la question de la délimitation du territoire contesté.

Ces modifications apportées au texte des « Proposais » n'ont pas trait à la substance même de cet acte, car le 6 mars les demandes essentielles de l'Angleterre étaient toujours les suivantes :

1. La France renonce à toute prétention relativement à la libre navigation de l'Amazone.

2. Les deux rives, méridionale et septentrionale, de ce fleuve appartiennent au Portugal.

3. Au Portugal appartient notamment le territoire évacué en vertu du traité provisionnel.

4. Du côté des possessions françaises, la frontière devra être déterminée de manière à écarter tout conflit à l'avenir.

L e 7 mars, Louis X I V joignit à l'ultimatum anglais une lettre, adressée à ses plénipotentiaires à Utrecht, dans laquelle il acceptait expressément les revendications de l 'Angleterre 1 ) . Il annonce l'envoi de la ratification du traité de suspension d'armes conclu avec le Portugal, en ajoutant toutefois qu'il a lieu de croire que la paix avec cette puis­sance sera bientôt faite « toute difficulté sur ce sujet estant levée par le consentement que j'ay donné aux dernieres propositions que le Duc de Shrewsbury m'a faites suivant les ordres qu'il en a receus de la Reyne de la Grande Bretagne ».

11 écrit au sujet des demandes formulées par la reine Anne en faveur du Portugal : « Quoyque les Portugais n'ayent ni raison ni prétexte de prétendre ce qu'Elle demande pour eux, je veux bien cependant l'accorder

1) R . B . II , pp. 487 et suiv., Foreign Office, London, Treatv Papers n° 112, D.

Page 307: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 9 9 —

plutost que de retarder la conclusion de la paix. » Et il donne en conséquence pour instruction à ses plénipoten­tiaires : «Ainsy vous ne f e r e z nulle difficulté de signer les articles qui regarderont le Portugal de la manière que la Reyne de la Grande Bretagne le demande, et qu'il est porté par l'extrait que je vous envoye ».

Par là commence l'acte final du congrès d'Utrecht. Les plénipotentiaires français connaissaient, par ces

communications du 7 mars, l'état de la contestation entre le Portugal et la France et la ligne de conduite qu'ils avaient à suivre leur avait été tracée.

D'autre part, les plénipotentiaires anglais avaient reçu de leur gouvernement des nouvelles et des instructions qui, en les mettant au courant des événements survenus depuis la conférence du 9 février, leur permettaient de prendre position en toute connaissance de cause. Lord Boling-broke avait, le 17 février, répondu à leur rapport du 10 du même mois l ) : qu'ils avaient eu bien raison de se joindre aux Portugais pour repousser les nouvelles demandes (innovations) des Français. L a reine ne peut pas accorder aux Français la libre navigation de l'Amazone. « Aucune de leurs prétentions — écrivait Bolingbroke — sur le littoral du Brésil ne peut être admise non plus, attendu qu'elles ne leur sont d'aucune utilité ni d'aucun avantage à présent et ne visent qu'à servir de base à toutes les tentatives qu'ils pourraient trouver l'occasion de faire plus tard, ou à des motifs pour provoquer des démêlés avec le Portugal toutes fois qu'il leur conviendra d'en avoir 2 ) ».

1) R. B . II, pp. 471 et suiv., Public Record Office, London, Treaty Papers, Utrecht, n» 109; la date de la réponse (10 février) est inexacte.

2 ) « Neither are any of their pretentions on the coast of Brazil to be admitted, which are of no use or advantage to them at present, but are only aim'd at to serve as a foundation to any attempts they may find

Page 308: Sentence du conseil fédéral Suisse

L e 20 février 1), il leur avait envoyé une copie des

«Proposals» du 17 février, en leur recommandant de les tenir

pour des instructions auxquelles ils auraient à se conformer

sitôt qu'ils en auraient reçu l'avis du due de Shrewsbury.

Cet avis leur parvint, ainsi qu'il est dit ci-dessus (pages

294, 295), le 7 mars. «C'est avec une grande satisfaction»,

écrivait le duc de Shrewsbury, « que je mande à Vot re

Excellence que Monsieur de T o r c y a soumis toute l'affaire

au Roi, son Maître, que Sa Majesté en a délibéré ce matin

avec le Conseil des Ministres et qu'Elle a déclaré accepter

entièrement chaque clause 2 ) . » Cela étant, les plénipoten­

tiaires pouvaient signer le traité sans autre délai et il était

probable que le Portugal, ainsi que la Hollande et la

Savoie, signeraient également. Il est vrai, continuait Shrews­

bury, qu'immédiatement après s'être décidé, le roi s'était

plaint de l'injustice commise à son égard sur deux points,

dont l'un concernait la libre navigation de l 'Amazone;

aussi le roi s'était-il réservé de les soumettre 3 ) à nouveau

à la reine pour pouvoir, entre la signature et la ratifica­

tion du traité de paix, insérer dans cet acte les modifi­

cations qu'il espérait obtenir 4 ) .

opportunity to make hereafter or for a pretence to quarrel with Portugal whenever it shall be to their purpose to do it », R . B . II, page 473.

1) R . B . II, pp. 475 et suiv. Public Record Office, London, Treaty Papers, Utrecht, n° 109.

2) R . B . II, page 4S4. 3 ) L e passage complet est : . . . . « this King consents that they (sc.

two points) shall be submitted to the Queen, reserving to himself the liberty of laying before her Majesty the justice of these his pretensions, that in case she may think fitt to recede in any part from what he esteems rigourous in these two Articles they may be explained or allowed between the signing and the ratifying of the Peace », R . B . II, pp. 484, 485.

4) Dans ses « Réflexions sur; le Tra i té de Paix . . . . conclu à Utrecht », R . B . II, page 522, de Lima premier secrétaire des plénipotentiaires por-

3 0 0

Page 309: Sentence du conseil fédéral Suisse

301

La dépêche de Shrewsbury, du 7 mars, parvint à Utrecht le 11 mars, en même temps que des nouvelles de Londres

Les plénipotentiaires portugais eurent connaissance immédiatement des informations reçues par les plénipoten­tiaires anglais ; depuis la conférence du 9 février, la bien­veillance de l'évêque de Bristol et de lord Strafford leur était acquise 2 ) . Le jour même de l'arrivée de la dépêche, les plénipotentiaires anglais convoquèrent leurs collègues portugais à une conférence où ils leur communiquèrent les nouvelles de Londres et de Paris, en ajoutant que Bro-chado leur ferait probablement rapport directement de Londres, mais qu'il ne savait pas encore ce qui s'était passé à Paris.

Cela permit aux plénipotentiaires portugais de donner avis à leur gouvernement 3 ) que la reine avait adressé à Louis X I V un ultimatum 4 ) dans lequel il était demandé pour le Portugal :

tugais, rapporte dans le même sens : « . . . . que si, avant la notification, le Roi convainquait la Reine de son droit à cette navigation, l'article fût corrigé . . . . »

1) M. F . I, page 69 ; II, pp. 70, 71 ; M. B . I, page 215. 2) Voi r la dépêche des plénipotentiaires anglais à Bolingbroke, du

28 février 1713, R. B . II, page 477, Foreign Office, London, Treaty Papers, n° 97.

3) De Tarouca et Luis da Cunha au secrétaire d'état portugais Mendonça Corte-Real, M. F . Il , pp. 70-72, R . B . II, pp. 489 et suiv., I V , pp. 155 et suiv.

4) C'est l'ultimatum en sa teneur du 6 mars, ainsi qu'il résulte de sa reproduction dans le rapport des Portugais et de l'indication précise fournie par les plénipotentiaires français en date du 13 mars: «Les Pléni­potentiaires d'Angleterre ont parlé à ceux de Portugal pour les porter à conclure avec nous suivant ce qui est porté dans le mémoire envoyé par le duc de Shrewsbury », R. B . II, page 493. Bien que les plénipo­tentiaires anglais eussent les « Proposais » du 17 février, ils ne les ont pas

Page 310: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 0 2 —

« Que le traité provisionnel du Maranhão ne demeure­rait pas définitif dans la forme que les François le propo­saient, mais qu'ils se désisteraient dans les termes les plus forts de la prétention d'entrer dans le fleuve des Amazones, sans avoir plus de liberté ou de possession que ce qu'ils avaient auparavant.

Que les terres de l'une et de l'autre partie du fleuve demeureraient dans la possession du Portugal, et que nous pourrions conserver les terres contestées et relever les forts qui avaient été démolis. »

Ils sont à même de rapporter que : « L e Roi de France a accordé les susdites prétentions», et d'ajouter: « Pour ce qui touche les prétentions en Amérique, nous sommes satisfaits dans la partie principale qui était l'affaire avec la France ».

Considérant toutefois que « ce qui nous est assuré au Brésil revient trop cher en vue de ce que nous renon­çons à acquérir sur nos frontières » (la barrière contre l 'Espagne en Europe), les plénipotentiaires n'entendent pas hâter la conclusion de la paix ; ils écrivent : « Nous ne risquons rien par le délai, parce que les Anglais ne se départiront pas de l'ardeur qu'ils ont montrée dans la ques­tion du xMaranhão, vu qu'ils agissent dans leur intérêt pro­pre ». Peut-être aussi « les accidents qui peuvent survenir » augmenteront-ils les chances en faveur de l'obtention de la barrière.

L'attitude de l'Angleterre et les résultats dus à son intervention avaient rassuré les plénipotentiaires portugais, chez qui le découragement fit place à la confiance.

communiqués aux Portugais. L e 11 mars, ceux-ci apprirent pour la pre­mière fois ce qu'il en était de l'ultimatum, ainsi que le démontre leur rapport.

Page 311: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 0 3

En tergiversant, sous prétexte de n'avoir pas reçu d'instructions 1 ) , ils comptaient gagner davantage. Mais ils se virent contraints de ne pas ajourner plus longtemps la rédaction du projet de traité 2 ) . Le 17 mars, ils promettaient à l'évêque de Bristol de lui remettre au premier jour un projet de traité de paix entre la France et le Portugal qui serait conforme aux clauses de l'ultimatum de Shrewsbury et n'y ajouterait rien 3).

Malgré cela, les plénipotentiaires portugais auraient bien voulu introduire dans le traité la question de la « barrière » et d'autres encore, mais les Français protestèrent contre toute mention des affaires espagnoles. Et lorsque les Por­tugais revinrent à la charge auprès des plénipotentiaires anglais, ceux-ci se bornèrent à déclarer que la conclusion de la paix dépendait de la renonciation à la Barrière, que les Portugais avaient à rédiger leur projet selon ce plan et que « ce devait être pour la nuit même. » Dom Luis da Cunha qui raconte le fait dans ses mémoires, ajoute : « Il nous fallut travailler toute la nuit, non pas pour combiner les matières des articles, car nous les avions assez examinés entre nous, mais pour les placer dans l'ordre convenable et dans les deux langues portugaise et française 4).

Cela se passait dans la nuit du 19 au 20 mars. Le 20 mars au matin, le projet était prêt ; il fut remis dans la

1) R . B . II, pp. 493 et suiv. 2 ) Ainsi que les Portugais, les autres alliés de l 'Angleterre avaient

à préparer les projets de traité de paix qu'ils devaient soumettre à la France. Luis da Cunha écrit dans ses mémoires (R. B . II, page 497, note) : « A ce moment, les Plénipotentiaires des Alliés travaillaient aux minutes de leurs traités ».

3 ) Dépêche de l'évêque de Bristol au gouvernement, du 17 mars 1713,

R . B . II, page 494, Record Office, London, Treaty Papers, Utrecht, n° 97. 4 ) R . B . II, page 497, note.

Page 312: Sentence du conseil fédéral Suisse

journée à lord Strafford qui le transmit aux plénipoten­tiaires français ; ceux-ci l'envoyèrent à la cour de France l ) . Da Cunha dans ses mémoires explique cette hâte par la nécessité où l'on fut de permettre au maréchal d'Uxelles, qui n'entendait prendre aucune responsabilité, d'écrire au marquis de To rcy 2 ) .

Le projet rédigé en cette seule nuit-là est devenu le traité de paix, sans avoir, pour ainsi dire, subi de modi­

fication.

Les constatations ci-après se dégagent du projet de traité 3) :

1° Le projet a été rédigé par les plénipotentiaires portugais uniquement et cela dans le texte portugais aussi bien que dans le texte français.

Aussi l'orthographe des noms propres est-elle portu­gaise ; c'est Massapa et non Macapa, Japoc au lieu d'Oyapoc. De l'Oiapoc ou Ojapoc des Portugais, que mentionne le traité provisionnel, on a retranché l'O, qu'on prenait peut-être pour l'article en portugais. Ainsi on obtenait un Japoc ou Yapoc, comme le nommait Brochado, par exemple, qui, au fait de toute la question, était assez écouté des plénipotentiaires portugais pour que ceux-ci aient adopté son orthographe.

De là vient aussi que le Vincent Pinçon, dénomination usitée chez les Portugais, figure là où l'on veut parler de l 'Oyapoc ou Vincent Pinçon.

1) Communication des plénipotentiaires portugais à leur gouverne­ment, en date du 24 mars, R . B . I l , page 497 (avec une copie du projet) et des plénipotentiaires anglais à Bolingbroke, du 21 mars, ibidem, page 495.

2 ) R . B . I I , page 497, note. 3 ) L e s art. 8-13 du projet, avec les observations des plénipotentiaires

portugais sont reproduits, en français et en portugais, par M. F . Il, pp. 73 et suiv., Archives du comte de Tarouca « d'après l'exemplaire de la Bibliothèque Nationale de Lisbonne », et dans M. B . II, pp. 499 et suiv., I V , pp. 163 et suiv.

3 0 4

Page 313: Sentence du conseil fédéral Suisse

2 ° Abstraction faite des sept premiers articles, qui n'ont pas de rapport avec le présent litige, les dispositions du projet sont empruntées à l'ultimatum de Shrewsbury, à celui de Bolingbroke 1) indirectement ; elles ont pour objet :

a) Le territoire dont disposait le traité provisionnel de 1700. L'article 8 stipule que les « terres appellées du Cap du Nord et situées entre le rio 2 ) des Amazones et celui de Japoc ou Vicente Pinson 3)» sera la propriété in­contestée du Portugal. On n'a donc pas jugé nécessaire de déterminer les frontières du territoire jusqu'alors litigieux autrement que par les cours d'eau frontière des Amazones et du Japoc ou Vicente Pinson 4). L'article 9 dispose qu'en vertu de l'article 8, sur le territoire compris entre les fron-

1) C'est ce que mandaient aussi, le 21 mars, les plénipotentiaires anglais à lord Bolingbroke : « The Portuguese have given us their Project agreably in the main to the contents of the Duke of Shrewsburys Memorial », R. B . II, page 495.

2 ) R . B . II, page 500 : L a Rivière. 3) R . B . II, page 500 : Vicente Pinçon ; texte portugais de R . B . I V ,

page 164 : Vicente Pinçon. 4 ) Art. 8 Afin de prévenir toute occasion de discorde qu'il pourrait

y avoir entre les sujets des deux couronnes, S a Majesté Très Chrétienne se désistera pour toujours, comme elle se désiste présentement par ce traité dans les termes les plus efficaces et les plus solennels et avec toutes les clauses qui sont requises de droit, comme si elles étaient insé­rées ici, tant en son nom qu'en celui de ses descendants, successeurs et héritiers, de tout droit quelconque qu'elle prétend avoir ou peut prétendre à la propriété des terres appelées du Cap du Nord et situées entre le rio des Amazones et celui de Japoc ou Vicente Pinson, sans réserver ou retenir aucune portion desdites terres, afin qu'elle[s] soient désormais pos­sédées par S a Majesté Portugaise, ses descendants, successeurs et héri­tiers avec tous les droits de souveraineté, de pouvoir absolu et d'entier domaine, comme faisant partie de ses États et qu'elles lui demeurent à perpétuité sans que S a Majesté Portugaise, ses descendants, successeurs et héritiers puissent jamais être troublés dans ladite possession par S a Majesté Très Chrétienne, ni par ses descendants, successeurs et héritiers.

20

305

Page 314: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 0 6 —

tières ainsi mentionnées, les forts portugais dont le traité provisionnel avait demandé la destruction 1) seraient rétablis et qu'il en pourrait être élevé d'autres.

En renvoyant au traité provisionnel, déclaré nul, on entend que le projet a pour objet le territoire dont dis­posait ce traité et que le cours d'eau frontière que cet acte mentionne n'est autre que le Japoc ou Vicente Pinson du projet.

b) Des matières dont le traité provisionnel ne s'oc­cupe pas. Conformément à l'ultimatum, le projet dispose aux articles 10 et 11 2 ) :

L e bord méridional et le bord septentrional du fleuve des Amazones appartiennent au Portugal, et

L a libre navigation de l'Amazone est interdite aux Français .

1) Art . 9. E n conséquence de l 'article précédent, S a Majesté Por­tugaise pourra faire rebâtir les forts d 'Araguari et de Camau ou Mas-sapa aussi bien que les autres qui ont été démolis en exécution d'un traité provisionnel fait à Lisbonne, le 4 mars 1700, entre S a Majesté T r è s Chrétienne et le Seigneur Ro i D . Pedro II de glorieuse mémoire, lequel traité provisionnel reste nul et de nulle vigueur en vertu de celui-ci, comme aussi il sera libre à S a Majesté Portugaise d'élever les autres forts qu'il lui paraîtra bon et de les pourvoir de tout ce qui sera néces­saire pour la défense desdites terres.

2) Art . 10. S a Majesté T rès Chrétienne reconnaît par le présent traité que les deux bords de la riviere des Amazones, tant le méridional que le septentrional, appartiennent en toute propriété, domaine et souveraineté à S a Majesté Portugaise, ce pourquoi elle promet que ni elle, ni ses descendants, successeurs et héritiers ne prétendront jamais user de la navigation de ladite riviere sous quelque prétexte que ce soit.

Ar t . 11. D e la même manière que S a Majesté T r è s Chrétienne se désiste en son nom et en celui de ses descendants, successeurs et héri­tiers de la prétention de naviguer sur la riviere des Amazones, elle se désiste également de tout droit quel qu'il soit et de toute action qu'elle peut avoir sur quelqu'autre domaine de S a Majesté Portugaise en Amé­rique ou dans tout autre partie du monde.

Page 315: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 307 -

c) Conformément à l'ultimatum, les articles 12 et 13 du

projet prévoient des mesures 1) destinées à garantir la pos­

session accordée au Portugal 2 ) .

Sous la forme d'observations en marge des divers

articles, les plénipotentiaires portugais avaient ajouté un

commentaire du projet à l'exemplaire qu'ils adressèrent le

24 mars à leur gouvernement 3 ) .

Ils remarquent quant aux articles 8 et 9 (touchant la

renonciation de la part de la France au territoire contesté

du traité provisionnel et la construction de forts portugais) :

« Nous espérons que, dans ce 8 m e article et dans le suivant,

on n'a oublié aucune des clauses qui peuvent lui donner

plus de force et de validité».

1) Art . 12. E t comme il est à craindre qu'il y ait de nouvelles dis­sensions entre les sujets des deux couronnes, si les habitants de Cayenne entreprenaient d'aller commercer dans le Maranhão et dans l'embouchure de la riviere des Amazones, S a Majesté Très Chrétienne promet pour elle, ses descendants, successeurs et héritiers de ne point consentir que lesdits habitants de Cayenne, ni aucun autre de ses sujets commercent dans les endroits susmentionnés, ou dans d'autres quelconques du Brésil, comme aussi il leur est absolument interdit de passer la riviere de Vincent Pinson pour faire commerce et acheter des esclaves dans les terres du Cap du Nord.

Art . 13. S a Majesté Très Chrétienne promet aussi en son nom et en celui de ses descendants, successeurs et héritiers, d'empêcher que dans toutes les terres qui en vertu de ce traité demeurent dans la possession incontestable de la Couronne de Portugal, il n'entre des missionnaires français ou autres quelconques sous sa protection, la direction spirituelle de ces peuples restant entièrement aux missionnaires portugais ou envoyés de Portugal.

2 ) Les Anglais, ainsi que l'événement l'a prouvé tôt après, n'enten­daient pas se contenter de l'interdiction faite aux Français de commercer dans l'ensemble du territoire brésilien. Les Portugais s'étaient mépris, en exprimant, comme ils le firent dans leur annotation à l'article 7, l'espoir de pouvoir faire adopter cette prohibition : « pello grande horror e eiume que os Ingleses tem mostrado a França sobre as couzas do Brazil ».

3) Conf. R. B . II, page 499.

Page 316: Sentence du conseil fédéral Suisse

308 —

Ils attachaient une grande importance au maintien sans changement de l'article 10 (concernant l'attribution au Por­tugal des deux rives de l'Amazone et l'interdiction faite aux Français de l 'accès du fleuve). Ils savaient probablement que Louis X I V reviendrait à la charge auprès de la reine au sujet de cette question-là et faisaient observer : « Il serait bon que cet article passât sous la forme dans laquelle il est, mais nous craignons qu'il n'y ait dispute à son sujet, parce que, encore que les Français nous cèdent 1) le domaine dudit bord septentrional, peut-être tâcheront-ils qu'on fasse à présent une distinction : qu'ils nous cèdent ledit bord depuis l'embouchure de ladite riviere jusqu'à nos derniers forts, mais qu'en amont de ce point l'usage de la riviere leur sera libre, dans le cas où, par la province de Guyane ou par un autre endroit, ils pourraient communiquer avec elle. »

L a question de la frontière intérieure se pose ici, sous une forme purement hypothétique, il est vrai, puisqu'on fait allusion à un danger qui pourrait surgir : les plénipoten­tiaires portugais redoutent qu'on décide en principe qu'entre le cours supérieur espagnol et le cours inférieur portugais, on ne réserve à la libre navigation la partie du fleuve demeurée sans maître ; cette appréhension a pour cause l'éventualité possible que les Français quelque jour « par la province de Guyane ou par un autre endroit » ne par­viennent à ce tronçon du fleuve resté libre.

Il n'était pas besoin, en 1713, de tracer la frontière le long du cours moyen de l'Amazone, les Français n'a­vaient alors aucune possession réelle dans ces pays ; il

1) C'est à dessein qu'on a évité dans le traité le ternie « céder », ainsi que le montre une remarque de Lima au sujet de l'article 8, R . B . II, page 518.

Page 317: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 309 —

suffit, pour le prouver, de rappeler l'observation de B o ­lingbroke au sujet du défaut de toute « possession effective » sur l'Amazone l ) .

Quant à la dernière clause de l'article 12: «Il leur (aux Français) est absolument interdit de passer la riviere de Vincent Pinson pour faire commerce et acheter des esclaves clans les terres du Cap du Nord », les plénipoten­tiaires portugais font observer : « Ce fut là l'occasion des disputes au sujet desquelles se fit le Traité Provisionnel de 1700. »

Cette annotation rappelle clairement toute la nomencla­ture usitée pour le cours d'eau frontière : la riviere qui pour de la Barre devait servir de limite du côté de sa « Guyane des Indiens», la riviere signalée et décrite par de Ferrolles en opposition à l'île Hyapoc, le cours d'eau frontière du traité provisionnel de 1700, du traité d'alliance de 1703 et du projet de traité de 1713 — c'est toujours le même cours d'eau, sous les mêmes dénominations communes : Vincent Pinçon, soit Oyapoc, soit Oyapoc ou Vincent Pinçon, soit Japoc ou Vincent Pinçon.

Les plénipotentiaires français, portugais et anglais eurent plusieurs conférences au sujet de ce projet de traité entre le Portugal et la France ; la première eut lieu le 25 mars 2). Les plénipotentiaires français ne présentèrent pas seulement leurs observations personnelles, mais encore celles qui leur avaient été communiquées de Versailles par leur gouvernement 3). Il y a lieu de retenir à ce sujet ce qui suit :

1) Voir ci-dessus, page 287, note 1, et page 289. 2 ) R . B . II, page 4 % , communication des plénipotentiaires anglais à

lord Bolingbroke, Record Office, Foreign Office, Treaty Papers, Utrecht, n° 97.

3) R . B . II, pp. ,520, 523, 524, d'après les Réflexions de Lima.

Page 318: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 310 —

Sur quelques points, les termes français employés dans

le projet furent critiqués ; Luis da Cunha dit à cet égard dans

ses mémoires 1) : « Comme c'étaient nous autres qui com­

posions le traité, Menager voulut paraître un grand ministre

en élevant des doutes sur les mots, dans l'impossibilité de

le faire désormais sur les choses. Nous n'avons jamais

cherché à éclaircir, si les Français avaient jugé qu'il leur

seyait mieux de nous charger de la rédaction des articles

pour qu'il leur restât la prérogative de les co r r ige r . . . ;

mais comme l'un des originaux était en français, la juste

crainte de manquer à la gravité, à la clarté et à la cor­

rection des termes requis dans les traités, nous obligeait à

nous servir de certaines expressions qui donnaient lieu aux

dites remarques » . . .

Il fut donc tenu compte des observations de Mesnager

et c'est ce qui explique les différences entre le style du

traité de paix et celui du projet.

Les articles 8, 10 et 12 du projet soulevèrent des

objections plus sérieuses.

Dom Luiz Caetano de Lima, premier secrétaire de

légation du Portugal au Congrès d'Utrecht, fournit, sur les

débats que souleva l'article 8, des renseignements dans ses

« Réflexions sur le Trai té de Pa ix entre la Couronne de

France , d'une part, et la Couronne de Portugal, de l'autre,

conclu à Utrecht le 11 avril 1713 2 ) ». Il re la te : « L e s Fran­

çais ont beaucoup insisté pour limiter le désistement des

terres du Cap du Nord, disant que, d'après leur démarca­

tion, elles avaient toujours commencé d'un côté de la R i -

1) R . B . II, page 498. 2 ) R . B . II, pp. 517 et suiv., les reproduit en partie, avec la date du

9 avril 1713. L'original portugais des « Memorias » de L ima , dont sont tirées les « Réflexions », se trouve à la Bibliothèque Nationale de Lis ­bonne, Manuscrit n° 2767, Ancien fonds, K . 2. 2.

Page 319: Sentence du conseil fédéral Suisse

vière de Vincent Pinson ou Japoc et continué par la ligne qui se termine à la Rivière des Amazones en passant par le For t de Camaú. Ils alléguaient que cela avait été con­venu dans le Trai té Provisionnel ; et que leurs dernières instructions leur ordonnaient, ou leur disaient qu'il était important d'insister pour que cette limitation fût ajoutée au présent article. Les Ministres de Portugal persistèrent à n'admettre aucune limitation, et s'en excusèrent en disant que ce point avait été réglé entre le Roi de France et la Reine d'Angleterre. » Les plénipotentiaires portugais n'en­tendaient par conséquent concéder aucune « limitation » du « désistement des terres du Cap du Nord » et s'en tinrent simplement à la teneur de l'article 8.

Outre les renseignements de Lima, il existe au sujet de la discussion que souleva l'article 10 une dépêche des plénipotentiaires portugais au secrétaire d'état Diogo de Mendonça Corte-Real 1 ) . Dans leurs annotations rela­tives à l'article 10, les plénipotentiaires avaient prévu ce qui se passerait ; ils rapportent : « La grande contesta­tion a été sur l'Article 10, les Français prétendant que dans la cession indéfinie qu'ils nous font des deux rives 2 ) du Rio des Amazones, on posât une limite ; car il serait possible qu'une fois dépassée 3 ) l'étendue des Ter res du Cap du Nord, en amont du fleuve, ils eussent des villages 4 ) sur la même rive septentrionale ; et que nous fermions, si nous le voulions, l'entrée de la Rivière, mais que nous ne les em­pêchions pas, à une si grande distance de nos posses-

1) C'est la dépêche du 15 avril 1713, qui a communiqué officiellement la conclusion du traité de paix du 11 avri l ; elle est reproduite en partie dans R. B . II , pp. 509 et suiv., I V , pp. 169-172, et M. F . II , pp. 84 et suiv.

2 ) M. F . II, page 84 : bords ; texte portugais : margens. 3) M. F . II , page 84 : déterminée ; texte portugais : acabada. 4 ) M. F . II , page 84 : colonies ; texte portugais : povoaçôes.

3 1 1

Page 320: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 1 2

sions 1 ) , de naviguer dans les embarcations construites dans lesdits villages 2 ) . »

Selon ce rapport officiel des plénipotentiaires portugais, les Français , comme l'avait annoncé l'annotation marginale, n'ont pas parlé d'établissements sur l 'Amazone qu'ils pos­sédassent déjà, ils se sont contentés de dire qu'il « serait possible qu'une fois . . . ils eussent » des établissements.

L e s « Réflexions » de Lima 3 ) font la même constata­tion : « Les Français cherchèrent à introduire un terme dans la cession indéfinie des deux rives de l'Amazone, et une exception, pour avoir les terres qui bordent le cours supé­rieur de cette riviere au delà des possessions portugaises, vers le Nord, alléguant qu'il se pourrait, qu'ils y eussent quelques villages ». L a demande des plénipotentiaires fran­çais leur était dictée par une instruction qu'ils avaient en mains ; car « dans les observations qu'ils ont reçues de V e r ­sailles, il était dit que, quoique l'on eût promis de céder au Portugal les deux côtés de la Rivière des Amazones, il est à croire qu'on a p r é t e n d u excepter ce qui est le long des habitations Françaises du costé Septentrional qui doit appartenir aux Français, sans néantmoins pouvoir des­cendre la riviere 4)».

Ces « Observations » n'ont pas été communiquées à l'arbitre dans leur teneur intégrale 5 ) . Il est constant toute-

1) M. F . II, page cS5 : domaines; texte portugais: Dominios. 2 ) M. F . I l , page 84 : colonies ; texte portugais : povoações. 3) R . B . II , page 520. 4 ) Réflexions de Urna , R . B . II , page 520. 5 ) M. F . I, page 72, d'après « Affaires étrangères, Hollande, Négo­

ciations d'Utrecht, 3e partie, » explique que, le 27 mars, les plénipotentiaires français, tout en reconnaissant au Portugal la propriété des deux rives du fleuve, auraient désiré en excepter « ce qui est le long de nos habitations du côté septentrional qui doit appartenir aux Français , sans toutefois pouvoir

Page 321: Sentence du conseil fédéral Suisse

fois qu'en 1713, il n'y avait pas d'établissements français (colonies) sur l'Amazone, d'où il faut conclure que les « Observations » de Versailles ne réclamaient pas une clause exceptionnelle en faveur d'établissements français existants; la faculté devait plutôt être laissée aux Fran­çais de s'établir une fois ou l'autre sur le cours intermé­diaire de l'Amazone.

La demande des plénipotentiaires français ne fut pas accueillie. Les Portugais « se sont toujours refusés ferme­ment à admettre aucune limitation, alléguant que le Roi Très-Chrétien avait formellement promis à la Reine d'An­gleterre que les deux côtés de la Rivière des Amazones, tant le côté septentrional que le méridional, resteraient aux Portugais 1). »

Comme les plénipotentiaires portugais interprétaient l'ultimatum de l'Angleterre en ce sens qu'il fallait aussi déterminer dans une certaine mesure la frontière intérieure, ils cherchèrent une démarcation passant par l'Amazone, le Vincent Pinçon et le Rio Negro, mais ne purent y par­venir à cause de la défectuosité des cartes et « persistèrent à vouloir ces terres indéfiniment par les deux bords 2 ) . » Sur ce point encore, ils s'en tinrent simplement à l'article 10

descendre la riviere ». Bien que cette citation, surtout si on la rapproche

du passage de Lima reproduit dans le texte, donne quelques indications

sur la teneur des Observations de Versail les, elle ne prouve pas pour

autant qu'il existât en 1713 des établissements français sur l 'Amazone. 1) Réflexions de Lima, R . B . II, page 520. 2 ) Voici le passage entier dans les Réflexions de Lima : « L e s mêmes

ministres (portugais) voulurent bien également établir quelques limites, comme le disait la Reine dans l'ultimatum mentionné, faisant la démar­cation de ces terres par les trois rivieres des Amazones, de Vincent Pinson et du Rio Negro ; mais n'ayant point de cartes à l'échelle et avec la clarté nécessaire, ils persistèrent à vouloir ces terres indéfiniment par les deux bords », R . B . II, page 521.

3 1 3

Page 322: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 1 4 —

du projet et le firent adopter. Il s'en suit qu'il doit seul

faire règle.

Dans l'article 12 du projet, ainsi que clans l'article 7,

les Portugais, entre autres clauses, avaient inséré la défense

faite aux Français de trafiquer dans le Brésil en général.

L a discussion de cet article, que combattirent également

les Anglais, eut pour résultat que la clause, en tant qu'elle

impliquait une mesure générale, fut retirée et qu'avec les

restrictions qui y furent apportées, elle interdit aux Por­

tugais aussi de faire le commerce à Cayenne 1).

Sur tous les points principaux, le projet de traité de

paix présenté par le Portugal l'avait emporté dans la dis­

cussion. Grâce à l'aide que l'ultimatum de l'Angleterre

avait prêtée au Portugal, les modifications que réclamaient

les plénipotentiaires français ne furent pas admises.

Aussi les plénipotentiaires français acceptèrent-ils le

traité de paix, comme Louis X I V avait accepté l'ultimatum.

Ils le signèrent le 11 avril 1713, en même temps que les pléni­

potentiaires portugais et en présence des plénipotentiaires

anglais 2 ) , mais firent consigner au protocole la réserve

formulée par leur roi 3 ) : « Leurs Excel lences Messieurs les

Ambassadeurs Extraordinaires de S a Majesté T r è s Chré­

tienne ont déclaré en signant la paix entre le Roy leur

Maître et S a Majesté le R o y de Portugal, qu'en cas qu'avant

l 'échange des ratifications, on aurait convaincu S a Majesté

la Reine de la Grande Bretagne, et qu'elle l'ayt trouvé

juste et convenable de faire quelque changement en ce qui

regarde la navigation dans les parties supérieures de la

1) R . B . II, pp. 523 et suiv. 2 ) Dépêche des plénipotentiaires anglais à Bol ingbroke du 14 avril 1713,

R . B . I I , page 508. 3 ) R . B . II, page 507 ; conf. M. F . T, page 74.

Page 323: Sentence du conseil fédéral Suisse

Rivière des Amazones, on se reserve à en faire dans un

article séparé ».

Les plénipotentiaires portugais répondirent par cette

déclaration : « Qu'ils ne prenaient pas connaissance de cette

matière qui ne regardait que la Reine d'Angleterre ». Et

les plénipotentiaires anglais conseillèrent aux Portugais

« de ne faire aucun cas des prolixités du Maréchal d'Uxelles,

parce que, s'il protestait que son Maître tâcherait de con­

vaincre la Reine, ils étaient certains que la Reine ne se

laisserait pas convaincre » 1).

C'est ce qui arriva ; à Londres on ne tint aucun compte

de cette réserve, et le traité de paix signé fut ratifié par

la France tel qu'il était.

Les articles 8 et suivants, importants en l'espèce, sont

ainsi conçus 2 ) :

8. Afin de prevenir toute occasion de discorde qui pou-

roit naitre entre les sujets de la Couronne de France et

ceux de la Couronne de Portugal, S a Majesté tres Chres-

tienne se désistera pour toujours, comme elle se desiste

des a present par ce Traité clans les termes les plus forts,

et les plus autentiques, et avec toutes les clauses requises,

comme si elles étoient inserées icy, tant en son nom, qu'en

celuy de ses hoirs, successeurs et heritiers, de tous droits

et pretentions qu'elle peut ou pourra pretendre sur 3 ) la

1) D'après les Réflexions de Lima, R. B . II, page 522, de même rapport des plénipotentiaires portugais du 15 avril 1713, R . B . II, page 514; conf. la dépèche des plénipotentiaires anglais à Bolingbroke, du 14 avril 1713, R . B . I l , page 50S.

2) L e s textes, portugais et français, tous deux authentiques, de l 'acte entier dans M. B . II, pp. 62 et suiv., le texte français d'après l'original de Paris dans M. F . II, pp. 78 et suiv., est reproduit ici.

3 ) L e projet du 20 mars dit : « de tout droit quelconque qu'elle pré­tend on peut prétendre à avoir ».

3 1 5

Page 324: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 1 6 —

proprietté des terres appellées du Cap du Nord, et situées entre la riviere des Amazones, et celle de Japoc , ou de Vincent 1 ) Pinson, sans se reserver ou retenir aucune por­tion desdites terres, afin qu'elles soient desormais possedées par Sa Majesté Portugaise, ses hoirs, successeurs, et heri­tiers avec tous les droits de souveraineté, d'absolue puis­sance, et d'entier domaine, comme faisant partie de ses Etats, et qu'elles luy demeurent à perpetuité, sans que Sadite Majesté Portugaise, ses hoirs, successeurs et heri­tiers puissent jamais estre troublés dans ladite possession par Sa Majesté tres Chrestienne ny par ses hoirs, succes­seurs et heritiers.

9. En consequence de l'article precedent, Sa Majesté Portugaise pourra faire rebastir les forts d'Arguari 2) et de Camau ou Massapa, aussy bien que tous les autres qui ont esté demolis, en execution du Trai té provisionnel fait a Lisbonne le 4 mars 1700 entre Sa Majesté tres Chrestienne et Sa Majesté Portugaise Pierre 2 d de glorieuse memoire ; ledit Trai té provisionel restant nul et de nulle vigueur, en vertu de celuy-cy. Comme aussy il sera libre a Sa Majesté Portugaise de faire bastir dans les terres mentionnées au precedent article autant de nouveaux forts qu'elle trouvera a propos, et de les pourvoir de tout ce qui sera necessaire pour la deffence desdites Ter res .

10. Sa Majesté tres Chrestienne reconnoist par le pre­sent Tra i té que les deux bords de la riviere des Amazones, tant le meridional que le septentrional, appartiennent en toute proprieté, domaine et souveraineté a S a Majesté Por­tugaise, et promet tant pour elle que pour tous ses hoirs, successeurs et heritiers, de ne former jamais aucune pre-

1) Proje t : « ou Vicente ». 2) M. B . II, 1. c. : Araguari .

Page 325: Sentence du conseil fédéral Suisse

tention sur la navigation et l'usage de ladite riviere 1) sous

quelque prétexte que ce soit.

1 1 . De la mesme maniere que Sa Majesté tres Chres-

tienne se depart en son nom, et en celuy de ses hoirs,

successeurs et heritiers de toute pretention sur la naviga­

tion et l'usage de la 2 ) riviere des Amazones, elle se desiste

de tout droit qu'elle pourroit avoir 3 ) sur quelque autre

domaine de S a Majesté Portugaise, tant en Amerique que

dans toute autre partie du monde.

12. E t comme il est a craindre qu'il n'y ayt de nou­

velles dissensions, entre les sujets de la couronne de France

et les sujets de la Couronne de Portugal, a l'occasion du

commerce que les habitants de Cayenne pouroient entre­

prendre de faire dans le Maragnan, et dans l'embouchure

de la riviere des Amazones, S a Majesté tres Chrestienne

promet, tant pour elle que pour tous ses hoirs, successeurs

et héritiers, de ne point consentir que lesdits habitants de

Cayenne, ni aucuns autres sujets de Sadite Majesté, aillent

commercer dans les endroits susmentionnez 4 ) , et qu'il leur

sera absolument deffendu de passer la riviere de Vincent

Pinson, pour negocier et pour achetter des esclaves dans

les terres du Cap du Nord. Comme aussy S a Majesté Por­

tugaise promet tant pour elle, que pour ses hoirs, succes­

seurs et heritiers qu'aucuns de ses sujets n'iront commercer

à Cayenne 5 ) .

1) P ro j e t : «promet que ne prétendront jamais user de la navi­gation de ladite riviere ».

2) P ro je t : «prétention de naviguer sur l a » . 3) Projet : « de tout droit quel qu'il soit et de toute action qu'elle

peut avoir ». 4 ) L e projet ajoutait : « ou dans d'autres quelconques du Brésil ». 5 ) L a dernière phrase : « Comme aussy. . . Cayenne » manquait dans

le projet.

317

Page 326: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 318 -

13. Sa Majesté tres Chrestienne promet aussy en son nom, et en celuy de ses hoirs, successeurs et héritiers, d'empescher qu'il n'y ait des Missionaires françois, ou autres sous sa protection, dans toutes lesdites terres, censées appar­tenir incontestablement par ce Tra i té a la Couronne de Portugal, la direction spirituelle de ces peuples restant en­tierement entre les mains des Missionaires portugais, ou de ceux que l'on y envoyera de Portugal.

14. S a Majesté tres Chrestienne et S a Majesté Portu­gaise, n'ayant rien tant a cœur que le prompt accomplisse­ment de ce Trai té , d'où s'ensuit le repos de leurs sujets, on est convenu qu'il aura toute sa force et vigueur immé­diatement apres la publication de la paix.

15. S'il arrivoit par quelque accident (a ce que Dieu ne plaise) qu'il y eut quelque interruption d'amitié, ou quelque rupture entre la Couronne de F rance et la Couronne de Portugal, on accordera toujours le terme de six mois aux sujets de part et d'autre, apres ladite rupture, pour vendre ou transporter tous leurs effets, et autres biens, et retirer leurs personnes ou bon leur semblera.

16. E t parce que la tres haute, tres excelente et tres puissante Princesse la Reine de la Grande Bretagne offre d'estre garente de l'entiere execution de ce Trai té , de sa validité et de sa durée, Sa Majesté tres Chrestienne et S a Majesté Portugaise acceptent la susdite garantie, dans toute sa force et vigueur, pour tous et chacun des presens articles.

L e s articles du traité d'Utrecht sont conformes au pro­jet du 20 mars ; les constatations faites au sujet du projet s'appliquent par conséquent à l'acte définitif et l'on peut répéter, avec de légères modifications, ce qui a été établi au sujet du premier :

1. Quant à la forme, il faut retenir que le texte portugais, aussi bien que le texte français, sont l 'œuvre des plénipoten-

Page 327: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 319 —

tiaires portugais, que par conséquent, ici encore les noms et leur orthographe sont ceux dont se servaient les Portugais.

Pour l'authenticité, les deux textes sont équivalents. 2. Quant au fond, il importe de s'attacher en premier lieu

aux dispositions qui concernent le territoire au sujet duquel le traité provisionnel de 1700 contient des dispositions.

L'article 8 stipule au sujet de ce territoire : Ces terres appartiennent au Portugal, et ses frontières sont désignées : « terres appellées du Cap du Nord et situées entre la riviere des Amazones, et celle de Japoc, ou de Vincent Pinson ».

Ces cours d'eaux sont les mêmes que ceux mentionnés dans le traité provisionnel, puisqu'en 1713 il s'agissait du même territoire qu'en 1700 ; le fait que l'article 9 se réfère au traité provisionnel, les clauses de l'ultimatum, les phases diverses qu'ont subies les négociations depuis 1700, ne sau­raient laisser aucun doute à cet égard.

L e Japoc ou Vincent Pinson du traité d'Utrecht est par conséquent le même cours d'eau, coulant à la même place que l 'Oyapoc ou Vincent Pinson du traité provision­nel, que l'Ouyapoque de Ferrolles.

3. Quant au dispositif, deux clauses sont immédiatement connexes avec les conditions posées par l'ultimatum :

a) La rive nord et la rive sud du fleuve des Amazones appartiennent au Portugal (article 10).

b) La libre navigation de l'Amazone est interdite aux Français (articles 10 et 11).

Au cours de la discussion de l'article, les plénipoten­tiaires français ont cherché à obtenir une modification de ces dispositions pour assurer aux Français la libre navigation du fleuve en amont des dernières possessions effectives des Portugais, cela au cas où il eût existé des établisse­ments français sur le cours supérieur du fleuve. Cette ten­tative échoua; le traité de paix adopta la teneur du projet.

Page 328: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 2 0 -

Mais les Portugais de leur côté en vinrent pendant les

délibérations à vouloir modifier leur projet, en précisant

la notion « bord septentrional », ce qui eût fixé une frontière

intérieure précise. Ils renoncèrent à leur dessein et l'on en

resta aux articles 8 et 10.

4. Les articles 12, 13 et suivants prévoient des mesures

destinées à garantir la possession portugaise conformément

à l'ultimatum et, abstraction faite d'une seule disposition, au

projet.

7.

Avec le traité de paix d'Utrecht, du 11 avril 1713, les

Portugais gagnaient plus qu'ils ne demandaient à l'origine.

Jusqu'à la conférence du 9 février, il ne s'agissait pour

eux que du territoire du traité provisionnel ; dès ce jour

la question s'élargit; l'intervention de l 'Angleterre la fit

trancher au profit exclusif du Portugal; sa double demande,

principale et accessoire, lui fut adjugée. Outre que le traité

de paix lui attribuait non seulement le territoire contesté du

traité provisionnel, mais encore et d'une manière générale

le bord septentrional et méridional de l'Amazone, il inter­

disait expressément aux França is de naviguer sur ce fleuve.

Au nord du Brésil, le Portugal eut en partage la rive

nord de l'Amazone, au sud la rive nord du L a Plata.

Aussi les plénipotentiaires portugais étaient-ils en droit

de témoigner leur satisfaction comme ils le firent par leur

dépêche du 15 avril 1713 au secrétaire d'état à Lisbonne 1) :

« L e Trai té que nous remettons à Vo t re Grâce nous laisse le

grand plaisir de croire . . . que la cause de S a Majesté, que

Dieu garde, a été bien servie », et de définir en ces termes

explicites et instructifs l 'avantage que remportait le Portugal :

« Tout ce que nous prétendions de la France à l'égard du

1) L a dépêche souvent mentionnée dans R . B . II , pp. 509 et suiv.

Page 329: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 2 1 —

Maranhão était le désistement des Ter res du Cap du Nord,

et on n'esperait pas, d'abord, plus que celles où se trou­

vaient les forts d'Araguary et de Camaû; mais à présent,

elles nous sont cédées sans aucune restriction, et au con­

traire avec la grande augmentation qu'on nous donne en

propriété tout le bord septentrional du Rio des Amazones ;

et en verité, si nous voulons tenter le commerce par cette

riviere . . . , nous pouvons juger d'une extrême importance

que cette porte sur le Pérou soit affranchie, laquelle le Roi

de France reconnaît nous appartenir, et nous la lui avons

fermée, quoique nous n'eussions d'ordres ni pour l'une ni

pour l'autre circonstance. »

Ce passage résume toute l'histoire des intérêts du

Portugal dès 1700: il s'agissait d'abord de réoccuper le

territoire évacué, sur lequel les Portugais avaient construit

des forts ; en second lieu, il fallait obtenir la possession

incontestée du territoire litigieux, entre l'Amazone et l 'Oya-

poc ou Vincent Pinçon; en troisième et quatrième lieu, il

importait aux plénipotentiaires portugais de constater l'avan­

tage résultant de la conférence du 9 février. Sans qu'ils

eussent contribué à ce résultat, par le seul effet de l'ulti­

matum de l'Angleterre, le traité de paix d'Utrecht concède

aux Portugais les deux bords de l'Amazone et interdit aux

Français la navigation du fleuve

1) L a teneur de la dépêche portugaise du 15 avril 1713, aussi bien que les diverses phases qu'ont suivies les négociations du traité d'Utrecht ne permettent pas d'atténuer, comme le fait R . B . II , pp. 510 et 511, notes 3 et 5, la portée de l'ultimatum et des clauses du traité qui en découlent ; on ne saurait davantage admettre la conclusion que M. F . I, page 76, dégage de cette dépêche : « que tout ce qui est au delà et derrière ces forts (sc. Araguary et Cumau), tout ce qui en amont excède le bord sep­tentrional (sc. de l 'Amazone) est demeuré aux Français » ; car, abstraction faite des termes du traité d'Utrecht, il serait indispensable, pour que

21

Page 330: Sentence du conseil fédéral Suisse

322

L e gouvernement de Lisbonne prit connaissance avec

satisfaction des clauses du traité de paix. L e 10 mai, le

secrétaire d'état Diogo de Mendonça Corte-Real exprima

aux plénipotentiaires à Utrecht, le comte de Tarouca et

Dom Luis da Cunha la « satisfaction » du roi pour la

« grande prudence et habileté » dont ils avaient fait preuve

pendant les négociations et leur fit savoir que « S a Majesté

l'a ratifié (le traité) immédiatement, parce qu'Elle a trouvé

qu'il était conclu conformément à ses ordres royaux 1 ) » .

L a ratification du traité de paix par le roi J ean V est

datée de Lisbonne du 9 mai 1713. Louis X I V l'avait ratifié

à Versai l les le 18 avril déjà 2 ) , sans dire mot de sa récla­

mation auprès de la reine d'Angleterre.

L e 31 mai 1713, eut lieu à Utrecht 3 ) l 'échange des rati­

fications, sans qu'aucune réserve fût formulée après que la

réclamation de Louis X I V , présentée à la reine Anne à

Londres le 13 avril par l 'ambassadeur de France , duc

d'Aumont, fut restée sans résultat 4).

cette thèse fût justifiée, qu'en 1713 la F r a n c e eût effectivement occupé les contrées en question.

1) R . В . II , pp. 526 et suiv., M. F . II , page 87. L e 25 avril déjà, Mendonça, en accusant réception des articles du traité aux plénipotentiaires à Utrecht, mandait : « S a Majesté a trouvé qu'ils étaient faits avec cette habileté avec laquelle V o s Seigneuries ont coutume d'agir toujours », R . В . II , page 526.

2 ) L e s deux ratifications dans le texte M. В . II , pp. 76 et suiv. 3 ) R . В . II , page 508. 4 ) M. F . I, page 74, se référant à une dépêche du roi du 13 avril et

à deux dépêches du duc d'Aumont des 13 et 15 mai 1713 (Affaires étran­gères , Angleterre , t. C C X L V I I I , fol. 356, et t. C C X L V ) : . . . . le duc d'Aumont dut annoncer à sa Cour l 'échec de ses démarches : « Quelque tour spécieux que j ' a i e pu donner à la demande de la liberté de la navi­gation sur la riviere des Amazones, écrit-il, ce n'est point une raison pour obliger la Re ine à changer de sentiment ou à se départir de ce qui vient d 'être stipulé ».

Page 331: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 2 3

III. L'histoire du litige depuis 1713.

1.

1. Quelque faibles que fussent les chances d'apaisement offertes par le traité franco-portugais de 1713, les relations des deux puissances commencèrent par être assez amicales. L e Portugal avait besoin des bons offices de Louis X I V pour arriver à une solution avec l 'Espagne. L e gouverne­ment français de son côté parlait, en 1714, dans l'instruc­tion qu'il remettait à son ambassadeur auprès de la cour de Portugal du « penchant ordinaire à la bien traiter (sc. la couronne de Portugal) » et attribuait son acquiescement aux articles 8-13 du traité d'Utrecht surtout à « un effet de l'an­cienne affection de Sa Majesté pour la maison royale de Portugal et pour la nation » 1 ) .

Mais c'était sur place, au lieu même du litige dans l'Amérique du Sud, qu'il fallut éprouver jusqu'où irait ce désir de maintenir la paix et l'amitié et de se conformer aux clauses du traité d'Utrecht.

Quant aux Portugais, il était tout naturel qu'ils tinssent à la stricte observation du traité d'Utrecht qui leur avait assuré un vaste empire brésilien.

D'autre part, la colonie française de la Guyane était dans une triste situation à la fin de la guerre. Jusqu'aux trèves de 1712, la mère-patrie avait été dans la pres-

1) Mémoire pour servir d'instruction au Sieur Abbé de Mornay, du

22 mars 1714, R . B . II, pp. 8 et suiv. En revanche — lit-on un peu plus

loin dans l'instruction — les Portugais étaient « traités (par leurs nou­

veaux alliés) dans leur propre continent, comme ils traiteraient eux-mêmes les nègres».

Page 332: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 324 —

qu'impossibilité de rien faire pour elle. On peut sous ce rapport en croire le tableau que donne de la situation Artur, l'auteur de « l'Histoire des Colonies françaises de la Guiane » (manuscrit) :

« La faiblesse de la colonie française et de la garnison, mal recrutée comme on pense bien, et la misère dans laquelle on languissait à Cayenne nous empêchait de rien tenter contre ces voisins, qui, de leur part, maîtres du païs au Nord de l'Amazone et des terres du Cap Nord et con-séquemment de la navigation de l'Amazone où les França is ne pouvaient plus pénétrer, se tenaient tranquilles dans les terres qu'ils avaient occupées et qui leur furent cédées définitivement par le traité l ) . » Aussi la paix comportait-elle un grand avantage pour les Français de la Guyane égale­ment; Pontchartrain, le ministre de la marine, écrivait sans plus attendre, en avril 1713 2), à Lefebvre d'Albon, «ordon­nateur de la Guyane » : L e traité sera ratifié dans quelques jours ; que d'Albon annonce « cette bonne nouvelle » à Cayenne, « elle doit y causer bien de la joye » 3 ) .

E t par lettre du 19 décembre 1714, le ministre mandait à d'Albon le désir du roi, « que vous teniez ponctuellement la main » à l'exécution du traité et que tous actes soient évités, « qui fussent contraires au traitté de paix » 4 ) .

1 ) R . B . I I I , pp. 1 et suiv. 2 ) Ce passage constitue la première partie de la pièce n° X L I I

dans M. F . II , pp. 123 et suiv. Conf. ci-dessus, page 22, lettre a. L e texte contient un grand nombre de lacunes, même à quelques

endroits qui eussent eu de l 'importance pour la constatation des faits. Ainsi « S a Mté désire que vous m e t t i . . . . en usage pour faire occuper 1 . . . . qui sépare les terres des F rança i s de celles des Portugais », ibidem, page 124.

3 ) M. F . I I , page 172, considère cette « joie » comme inexplicable si la frontière eût été reculée jusqu'à l 'Oyapoc du Cap d'Orange, mais cette opinion ne saurait se concilier avec les faits.

4 ) M. F . II , page 124.

Page 333: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 2 5 —

M M. F . II, page 124. M. F . I, pp. 176 et 177, en conclut que le ministre n'a pas admis que la frontière fût l'Oyapoc du Cap d'Orange, puisqu'il prévoit que les « habitants de Cayenne » ne pourront pas occuper les terres trop éloignées. On en pourrait tout aussi bien tirer la conclusion inverse, savoir que le terrain à occuper était très rapproché, puisque c'était les habitants de Cayenne qui devaient l'occuper tout d'abord.

2. Toutefois le texte, incomplet, de la lettre du 19 dé­cembre 1714 relate déjà des symptômes fâcheux.

D'Albon avait fait savoir au gouvernement qu'après la conclusion de la paix, des Indiens Arouas avaient pris sur territoire portugais une pirogue qu'ils cherchèrent à vendre sur terre française. D'Albon, par respect du traité de paix, leur avait interdit d'en rien faire, mais les avait consolés par des présents et engagés à venir s'établir sur territoire français. L e ministre, dans sa lettre, applaudit à la con­duite de d'Albon, en l'invitant à persévérer dans cette voie : « Sa Majesté a approuvé que pour consoler les Indiens de ce refus vous leur ayez fait les présens dont vous m'avez informé, et que vous les ayes excités à venir s'établir dans les terres de la colonie, il faut continuer à les y engager aussi bien que les Palicours et autres » ; si l'occupation de certaines localités (les noms manquent dans le texte incomplet) « ne se peut point faire par les habitants de Cayenne il faut les faire occuper par les na . . . . Indiennes qui se retireront sur nos ter . . . . cela méritte toute votre attention » 1).

C'est ainsi qu'immédiatement après la conclusion de la paix, on songe à des mesures qui devaient avoir pour con­séquence de troubler à nouveau une situation qui venait d'être réglée, de battre en brèche la délimitation des terri­toires strictement arrêtée par le traité et, grâce à l'immi­gration des Indiens, de rendre les frontières indécises.

Peu après, un nouveau pas fut fait dans cette voie.

Page 334: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 2 6 —

L'article 12 du traité d'Utrecht prohibait tout commerce dans l'Amérique du Sud entre les possessions françaises et portugaises limitrophes. Du moment qu'aucune des deux parties n'avait plus le droit de mettre le pied sur le territoire de l'autre, le danger des collisions se trouvait fort diminué et tout prétexte à des revendications de territoire supprimé. Or, la F rance voyait dans cette interdiction une entrave dont elle cherchait à se défaire.

L e 20 juin 1720, le gouverneur portugais du Maranhão, Bernardo Pereira de Berredo, adressa au gouvernement à Lisbonne une lettre qu'il avait reçue du gouverneur de Cayenne, Claude d'Orvilliers. L e messager, lit-on en tête de cette missive aura à donner avis au gouverneur por­tugais, « que le Roy mon Maître (sur la demande que je luy en ay fait) approuve que votre Colonie et celle de Cayenne se visitent et commercent ensemble ».

C'était faire table rase de l'article 12 du traité de 1713 2 ) . Tout ce que sait le gouverneur français, c'est que ces relations commerciales constitueront « un bien pour les deux Colonies », et comme il a lieu de croire qu'on le sou­haite du côté de Para , il est ravi du plaisir que la décision du roi de F rance causera au gouverneur portugais.

« Tous vos Messieurs seront les très bien venus à Cayenne » ; il leur suffira d'un passe-port du gouverneur por­tugais ou de son remplaçant; et de même «il n'ira aucun Français dans votre Colonie, que je ne le sache, si cela

1) Reproduite (sans indication de date) dans R . B . III , pp. 26 et suiv. 2 ) L ' a r t i c le 12 du traité d'Utrecht stipulait : « S a Majesté tres Chres-

tienne promet, tant pour elle que pour tous ses hoirs, successeurs et heritiers, de ne point consentir que lesdits habitants de Cayenne, ni au­cuns autres sujets de Sadite Majesté, aillent commercer dans les endroits susmentionnez et qu'il leur sera absolument deffendu de passer la riviere de Vincent Pinson, pour negocier . . . »

Page 335: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 2 7

vous sera agréable, et aucuns n'iront sans ma permission. S'il vous convenoit et à vos habitans, lon pourroit prendre un rendez-vous, comme a Coanany, ou a quelque autre endroit plus commode pour les deux nations, ou lon se trouveroit au temps marqué, et lon pourroit convenir du prix des Indiens, du Tabac etc., egalement des toiles de notre part. Si, Monsieur, vous aviez besoin de quelque chose de Paris, faites moy l'honneur de me le mander. . .»

E t plus loin: «Il y a quelquns de nos Indiens, qui ont de leurs familles parmy vos Indiens, ce sont jens libres, qui reclament leurs familles; je vous suplie d'ordoner. que s'ils veulent revenir, il leurs soit libre; j 'en feray toujours autant de mon coté ».

L e rapport suivant que fit au roi le « Conseil d'Outre-Mer » 1) montre l'accueil que cette lettre reçut à Lisbonne :

La France propose à notre gouverneur à Para de créer des relations commerciales entre les deux contrées; notre gouverneur ne voudrait sous aucun prétexte accorder une permission générale. Mais il consentirait à ce qu'une seule chaloupe vînt par an de Cayenne à Para et qu'il en allât une autre de Para à Cayenne. L e Conseil estime en revanche que de l'ouverture de tout commerce de ce genre, il «pourrait résulter pour la Couronne de Portugal des dommages i r réparables , . . . attendu que la Nation Française est si orgueilleuse et ambitieuse de dominer et d'élargir les domaines de son souverain». C'est pourquoi « il a semblé au Conseil que, ayant égard à cela, il conviendrait de répondre au Gouverneur du Maranhão qu'en aucune façon

1) R . B . III , pp. 23 et suiv., donne une traduction française du rap­port, ibidem I V , pp. 179 et suiv., se trouve le texte portugais, Bibliothèque Nationale de Lisbonne, Archives du Conselho Ultramarino, Liasse 861, original. Au document est jointe la lettre de « Dorvilliers », dont un passage est reproduit ci-dessus.

Page 336: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 2 8 —

il ne doit consentir à ce qu'il y ait de pareilles relations de commerce : car, outre qu'il est défendu par nos lois de les entretenir avec les étrangers dans nos possessions, il se trouve encore que cette interdiction a été également stipulée au Trai té conclu avec la Couronne de France à la Pa ix signée à Utrecht ». Il convient d'informer le gouver­neur qu'il a à veiller à la stricte observation du traité et à exécuter les ordres de Sa Majesté qui sont: « qu'en aucune façon on n'ait de commerce ».

3. Il n'a pas été établi comment le gouverneur B. Per-reira de Berredo a suivi les instructions que lui donnait son gouvernement en 1720. Deux ans plus tard il était rem­placé par J o à o da Maya da Gama, à qui d'Orvilliers écrivit le 30 janvier 1723 1): « Ayant entendu dire qu'il y a beau­coup de chevaux dans votre Capitainerie, j'ai résolu d'en­voyer ce navire pour savoir si cela est certain, ainsi que pour apprendre s'il vous sera agréable que ceux qui en ont dans cette Capitainerie en vendent à notre colonie de Cayenne qui est obligée de s'en fournir chez les Anglais. »

L e P. Chrysostomus fut chargé de ce message. Mais Maya da Gama n'accueillit pas ces ouvertures; il ne se rendit pas plus aux motifs invoqués par le gouverneur qu'à ceux que développa oralement le P. Chrysostomus. S e fondant sur le traité et les ordres exprès qu'il avait reçus de son roi, il repoussa catégoriquement ces propositions, répondant 2 ) au gouverneur de Cayenne le 12 avril 1723:

1) R . B . I I I , pp. 35 et suiv., retraduction française de la traduction portugaise. L e texte de cette dernière, faite à P a r a en 1723, ibidem I V , pp. 183 et suiv., Bibliothèque Nationale de Lisbonne, Archives du Con-selho Ultramarino, L iasse n° 1052.

2 ) L a réponse, Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. du cons. Ult ramarino, Liasse n° 1052, en traduction française, R . B . III , pp. 37 et suiv., texte portugais, ibidem, I V , pp. 185 et suiv.

Page 337: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 2 9 —

«Je regrette vivement que, oublieuse d'un solennel Traité de Paix et d'Amitié entre S a Majesté Très-Chrétienne et S a Majesté Portugaise L e Roi Mon Maître, que Dieu garde, et contre le stipulé et déterminé au Chapitre 12 dudit Traité, Vot re Seigneurie envoie un vaisseau, si petit qu'il soit, rempli de marchandises, pour trafiquer et faire du commerce dans les Capitaineries de ce Gouvernement Général, dont je suis chargé, croyant quе, avec un aveugle oubli de mes devoirs, je voudrais contribuer par mon consentement à la violation d'un Traité, fait, stipulé et contracté entre L L . MM. les Rois nos Maîtres, sans une résolution juridique et expresse de leur part, discutée et traitée entre Leurs Ma­jestés par leurs Ministres, déclarant nul le dit Article 12 du Traité d'Utrecht que, de la part du Roi mon Maître, je défendrai et ferai observer religieusement dans tout cet Etat ; et je prie Votre Seigneurie de faire observer de même, au nom du Roi Son Maître, ledit Trai té et très spé­cialement son Article 12, ne permettant ni le consentant que des administrés, sujets de Sa Majesté Très-Chrétienne, viennent trafiquer sur les domaines de S a Majesté Portu­gaise, que Dieu garde, ni qu'ils traversent la riviere de Vincent Pinçon pour venir de ce côté-ci, ce qui leur est absolument défendu, ainsi que le déclare expressément ledit Article 12, et si Votre Seigneurie permet le contraire, je proteste auprès d'Elle contre l'inobservance du traité et toutes les conséquences qui pourraient résulter de sa vio­lation.

Outre ledit Traité, j 'a i des ordres exprès du Roi mon Maître par lesquels il défend le commerce avec toutes les nations, m'imposant les peines les plus graves si je le permets ou y consens . . . E t je suis obligé à défendre inviolablement les lois du Roi mon Maître et à les défendre même au prix de ma vie. »

Page 338: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 3 0 —

A la fin de sa lettre, Maya da Gama parle encore de

la « fuite de quelques esclaves » et propose au gouverneur

de Cayenne : « Si Vo t r e Seigneurie veut que nous nous

livrions réciproquement les blancs et les noirs qui s'en­

fuiraient d'une partie à l'autre, Vot re Seigneurie s'y enga­

geant, j ' en ferai autant de mon côté. »

Ces incidents prouvent que les autorités françaises de

Cayenne, d'accord avec leur gouvernement, n'ont pas tardé

à vouloir éluder l'article 12 du traité d'Utrecht, tandis que

les Portugais s'en tenaient énergiquement à toutes les clauses

de l'acte diplomatique. L e Portugal put se convaincre qu'il

était nécessaire de s'occuper davantage du territoire, autre­

fois contesté, maintenant rattaché à son domaine, d'en

assurer la défense par la construction de forts et une coloni­

sation toujours plus dense 1 ) et aussi de vérifier sur place

la frontière que le traité d'Utrecht assignait à ses posses­

sions du côté de Cayenne.

2.

1. C'est ainsi que, en 1723, le gouverneur général da

Maya da Gama se trouva en présence de diverses questions

auxquelles il a été fait allusion à plusieurs reprises dans

cet exposé. Qu'avait fait le Portugal pour explorer, peupler,

administrer et délimiter le territoire autrefois contesté?

1) Conf. les Instructions d'Amaral de 1723, R . B . III, page 57 : « E t que . . . en allant ou en revenant de l'expédition pour laquelle il partait, il eût à voir la position et le fort de Macapâ et le Cap du Nord, voyant si dans l'un ou l'autre de ces endroits il y aurait un emplacement conve­nable pour la construction d'un fort, position qui fût balayée par le vent, et ayant de la terre ferme pour la culture des plantes potagères et des céréales ; et s'il possédait un port commode ayant un bon fond pour la sûreté des navires . . . » ; en outre, ci-dessous, pp. 345, 362, 370.

Page 339: Sentence du conseil fédéral Suisse

Des pièces versées au débat découle cette constatation:

Ce qu'avait fait le Portugal n'était pas suffisant.

L a lecture du mémoire de Parente (vers 1630) laisse

l'impression que la colonisation de l'Estado do Maranhão,

dans les contrées du nord-ouest, n'en était qu'à ses débuts;

le P. de Acuña constata quelque progrès en 1639. Après

la mort de B . M. Parente, Sebastian de Lucena de Azevedo

entreprit, en 1646, une expédition dans les territoires situés

au nord de l'Amazone et détruisit un poste hollandais

établi depuis peu. Rien ne prouve qu'on ait tenté davantage

pour coloniser ce pays. Il en faut croire une description

que faisait, en 1662, de l'Estado un auteur portugais: la

capitainerie de Bento Maciel « n'est pas peuplée, faute de

monde; elle n'a qu'un comptoir, où l'on fait le commerce

avec les indigènes » 1) ; ce qu'on doit, il est vrai, rapprocher

de l'observation de la Barre 2 ) , qui disait le pays inhabi­

table pour les Européens.

Ce n'est qu'une fois les Français définitivement établis

à Cayenne (1676) qu'on s'occupa un peu plus des terres du

Cap du Nord; l'apparition de marchands français dans la

capitainerie éveilla chez les autorités de Para la crainte de

voir des étrangers se fixer dans le pays. En 1687, Albuquerque

fit son expédition dans le but d'asseoir l'occupation portu­

gaise; quelques forts furent construits, des missions créées,

en même temps qu'on réunissait des matériaux géogra­

phiques et diplomatiques sur lesquels on pût étayer les droits

du Portugal ; et si, d'après le rapport de Ferrolles, de 1688,

les Indiens de Cassipour redoutaient les Portugais, cela

prouve que la domination du Portugal n'avait pas passé

sans laisser des traces. Mais ce n'était pas encore là une

1) Cité par M. F . I, page 308, note 2. 2 ) Vo i r ci-dessus, page 133.

331

Page 340: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 3 2 —

1) Voir ci-dessus, page 137. 2) R. B. III, page 135.

colonisation ni même une exploration, car, d'une part, les ressources manquaient et, d'autre part , la considération dominante était celle qu'en 1685 le gouverneur général de Andrada avait exprimée en ces te rmes : « L e s terres de cette partie du pays ne produisent rien dont on puisse espérer du profit 1 ) .»

Sous l'empire du traité de 1700, on renonça simplement à ce qu'on avait, et, pendant la période des guerres qui commença en 1703, il n'est pas fait mention de nouveaux établissements portugais.

Depuis le traité d'Utrecht, disait Maya, on a fait beau­coup trop peu pour le territoire attribué au Portugal ; il se plaignait encore en 1727, dans son rapport au roi 2), des « négligences antérieures, de ceux qui ont omis de faire avancer l'occupation sur ces parages, de sorte que l'on ne savait rien ici (à Para ) de ce qui s'y passait, car les flot­tilles que mon prédécesseur appellait des gardes-côtes ne dépassaient pas la bouche de Macapá qu'on nommait ici Cap du Nord, sans savoir où se trouvait celui-ci, qui était si éloigné de ladite pointe. »

En 1723, Maya da Gama entendait faire mieux. Il fallait maintenir les possessions acquises en vertu du traité d'Ut-recht et avant tout les explorer exactement. L e plus pres­sant était la reconnaissance de la frontière.

C'est encore sur ce point-là qu'on était le mieux rensei­gné. On savait par des cartes et des descriptions quel était le cours d'eau Oyapoc-Vincent-Pinçon ; il restait à le voir sur place, puis à en déterminer officiellement la situation.

Certaines délimitations auxquelles on procède de nos jours dans l'Afrique centrale et dans quelques parties de l 'Amé-

Page 341: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 3 3 —

rique du Nord peuvent servir d'éléments de comparaison, en ce qu'on dispose là de contrées qui ne sont pas encore exactement connues in natura des deux parties ou de l'une d'elles, mais dont on trace la limite exacte sur la carte ; avec cette différence qu'en l'espèce les connaissances car­tographiques s'appuyaient sur une tradition historique et que les données effectives étaient plus abondantes, grâce au va-et-vient des individus qui passaient la frontière Oyapoc-Vincent-Pinçon.

La tradition historique enseignait que la frontière était depuis longtemps tracée et déterminée aussi in natura. Il ne restait donc plus qu'à retrouver l'ancienne délimitation. On peut suivre dans une certaine mesure la genèse de cette tradition :

Déjà des témoins entendus au procès de Colomb font mention des bornes-frontières (mujones de tierra) placées par Vicente Yañez Pinzon en 1500, au cours de son voyage de découverte ; on se souvenait de V . Y. Pinzon comme ayant sur cette côte indiqué la frontière entre l 'Espagne et le Portugal.

A cette tradition vint s'en substituer une autre selon laquelle Charles-Quint avait donné l'ordre de placer la borne-frontière sur la riviere de Vincent Pinçon, avec l'écus-son espagnol d'un côté, l'écusson portugais de l'autre. Cette borne-frontière, dont aucun témoignage contemporain ne fait mention, apparaît pour la première fois dans le «Relação» de Estacio da Sylveira, de 1624; et, tôt après, en 1630, le rapport de Sylveira est embrouillé par une méprise du P. Guadalaxara, qui fait dire à Sylveira que Charles-Quint avait placé une borne-frontière sur chaque rive du cours d'eau 1).

l ) Vo i r ci-dessus, pp. 101-103, 150.

Page 342: Sentence du conseil fédéral Suisse

334 —

L e mémoire de Parente (vers 1630) montre que l'auteur avait sous les yeux le rapport de Sylveira, qu'il connaissait par conséquent l'histoire de la borne-frontière, selon la première version, celle de la borne unique de Charles-Quint. Il y avait là de quoi l'inciter à rétablir l'ancienne délimi­tation à laquelle se rattachait le nom du grand empereur et qui, en 1637, se confondit avec la frontière de sa propre-capitainerie.

De plus, la concession donnée à Parente par le roi d'Espagne et de Portugal (1637) portait en termes exprès que des bornes-frontières seraient placées sur le Vincent Pinçon 1 ) . Enfin, en 1639, Parente prend solennellement possession de sa capitainerie 2 ) ; outre qu'il satisfaisait à sa mission, son intérêt lui commandait de marquer effective­ment la frontière au Vincent Pinçon.

Il y a lieu, par conséquent, d'admettre que la donation faite à Parente a fourni l'occasion de placer une borne-frontière sur le Vincent Pinçon et que celle-ci a été effec­tivement érigée. Pour mettre en doute que l'ordre du roi soit resté sans exécution, il faudrait justifier que la borne-frontière n'a pas été placée; or, rien de pareil n'a été établi, tandis que la preuve contraire, basée sur la tradi­tion, a été rapportée. Cette tradition s'est établie parmi la première génération après Parente et dans des sphères qui étaient en relation avec la famille de ce dernier. L e P. Souza Ferreira , qui a vécu longtemps à Para , parlait, en 1685, d'une « borne plantée à l 'embouchure de la riviere de Vicen te Pinçâo», qui, apportée du Portugal, placée par B . M. Parente, avait été vue et touchée par des explora-

1 ) Voir ci-dessus, page 125 : « Des bornes-frontières en pierre seront placées. E t ces bornes seront placées en ligne droite vers l'intérieur. »

2 ) Voir ci-dessus, page 125.

Page 343: Sentence du conseil fédéral Suisse

teurs encore vivants, mais avait disparu par suite « de

la multiplicité des prétendants à cette côte 1) ». En 1685, il

connaissait par conséquent la tradition locale de la délimi­

tation opérée par Parente ; dans son rapport de 1698, il

élargit cette tradition en y ajoutant (remarque empruntée

à Guadalaxara) que Charles-Quint déjà avait placé une

-borne-frontière sur chacune des rives du Vincent Pinçon ;

sa conclusion est que non seulement les anciennes bornes-

frontières, mais aussi celles de Parente, que des témoins

encore vivants ont vues et touchées « ont disparu par suite

de la multiplicité des prétendants à la possession de cette

côte du Cap du Nord » 2 ) .

Il existait donc une double tradition à la fin du X V I I e

siècle : des bornes-frontières avaient été placées sur l'ordre

de Charles-Quint, une délimitation avait été opérée par

B . M. Parente. La première avait un caractère légendaire,

la seconde un caractère très net d'authenticité.

C'est pourquoi les mémoires échangés entre le Portugal

et la France en 1698 et 1699 les relatent toutes les deux. La

réponse du Portugal au mémoire français de 1698 ne parle

que des bornes-frontières dont B . M. Parente avait marqué

sa capitainerie 3 ) : « Cette capitainerie a été démarquée et

délimitée par des bornes en pierre qu'on voyait il y a quelques

années encore à la Rivière de Oyapoca ou Vinsente Pinson,

ayant sur la face du côté des Indes les Armes d'Espagne, et

sur celle du côté du Brésil les Armes du Portugal ; et il est

certain qu'elles ont été enlevées soit par les Indiens, soit

par quelqu'une des nations d'Europe qui ont occupé Cayenne.»

L e rédacteur de la réplique française (1699) semble avoir

1) Vo i r ci-dessus, page 148. 2) Vo i r ci-dessus, page 150. 3 ) Vo i r ci-dessus, page 200.

335

Page 344: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 3 6

pensé à toutes les deux, à la borne-frontière de Charles-Quint et à la délimitation de Parente : « on n'a jamais veu (dit-il) vers la riviere d 'Yapoco les armes du R o y de Portu­gal, ny du Roy d'Espagne », et, quant aux pierres que Maciel Parente aurait érigées « pres de la », elles ont « été mises par les François pour couvrir le corps d'un Jesuite françois» 1 ) .

En 1699 le Portugal répond 2 ) quant à la borne-frontière de Charles-Quint : que le P. Guadalaxara et de Estacio da Silveira en font mention, le premier « d'après les relations de Portugal, de F rance et de Hollande » ; et pour établir l 'existence de la délimitation de Parente, il s'en réfère à un témoin français, Daniel la Penher (Lapinier), jésuite fran­çais, originaire d'Allemagne, qui, dans une lettre au P. Pfeil «indiquait l'emplacement de l'une de ces bornes» ; il Se croyait fondé à dire que les pierres dont on avait couvert un corps « seraient quelques-unes de celles prises dans les bornes-frontières qui manquent».

Pour la France , il s'agissait alors de pierres tombales qu'on avait prises pour des bornes-frontières ; elle n'en reconnaissait pas moins qu'il avait existé, sous forme de pierres, des objets qui avaient prêté à cette confusion.

Les allégations du Portugal démontrent que cette puis­sance maintient la tradition des bornes-frontières de Charles-Quint, qu'elle considère comme établie l'érection de ces bornes par Parente, mais ne savait pas ce qu'il en était advenu.

Te l était vers 1700 l'état de la question des bornes-fron­tières ; rien n'est venu prouver qu'une enquête ait eu lieu depuis à ce sujet. Mais lorsqu'en 1723, il devint nécessaire de déterminer la frontière, les anciennes bornes reprirent

1) Voir ci-dessus, page 210. 2 ) V o i r ci-dessus, page 216.

Page 345: Sentence du conseil fédéral Suisse

une importance spéciale. L'expédition que da Maya da Gama envoya, au printemps de 1723, sur les bords du « Vicente Pinson, chamado Yapoco », sous la direction du capitaine João Paes do Amaral, avait surtout pour tâche de les rechercher sur place.

2. Les parties ont communiqué à l'arbitre deux docu­ments relatifs à cette expédition :

L'un est un procès-verbal de l'interrogatoire de témoins entendus au sujet de l'expédition, par devant le «Juiz de justificações » tenu, sur l'ordre du gouverneur, à Belem do Gram-Para. Il est reproduit dans M. F . II (n° L I V ) , pages 159 et suivantes (en traduction française) sous le titre : « Procès-verbal extrait des archives publiques de la ville de Belem do Para ». M. F . I, page 340, indieme que ce texte est em­prunté à l'ouvrage : « L 'Eta t de P a r a . . . . Paris, Lahure, 1897»; il ne contient toutefois, outre l'introduction, que le rapport même de da Maya da Gama. R. B . I V , pages 195 et suivantes (texte portugais), III, pages 49 et suivantes (tra­duction française), d'après un « Manuscrit à la Bibliothèque Nationale de Rio de Janeiro, Cod. C C L X V I I I , 17 à 56 », donne un texte plus complet, comprenant le rapport du gou­verneur ainsi que les dépositions du capitaine Joâo Paes do Amaral et du sergent Antonio Freire de Mendonça

L'autre document est l'itinéraire d'Amaral. M. F . II (n° L V ) , pages 166 et suivantes, en reproduit le texte portu­gais sous le titre : « Roteiro da Costa da Araguary até o Rio de Vicente Pinzon pelo nome de terra de Guayapoco, que mandou fazer o Capitão commandante Joâo Rodriguez do Amaral, por ordem do general o Capitào general do Estado Joâo da Maya da Gama, indo o dixo Capitão commandante

1) Ce texte non plus ne reproduit pas intégralement le procès-verbal ; voir R . B . III , page 61 ; ci-dessous, page 347.

22

— 3 3 7 —

Page 346: Sentence du conseil fédéral Suisse

a reconhecer a paragem onde estavão os marcos das terras de Portugal ».

Selon M. F . II, page 166, note, le texte est emprunté à l'ouvrage : « Brazil Reino e Brazil Imperio », du D r Mello-Moraes, Rio de Janeiro , 1871, t. I, pages 149 à 151, en note.

L e Brési l a pris le texte de ce document, dont l'original n'a pas pu être retrouvé, dans une ancienne copie contem­poraine, qui selon R. B . III, page 41, provient des archives de Para et se trouve actuellement à la « Bibliothèque Na­tionale de Rio, Ms. C C X L V I , 17 à 3 4 » . Il donne le fac-similé photographique de son texte dans R. B . V , n° 8, la reproduction du texte portugais dans R. B . I V , pages 189 et suivantes, et la traduction française dans R. H. III, pages 41 et suivantes.

L e Brésil affirme l'authenticité des deux documents. L a F rance ne conteste pas celle du procès-verbal de

l'interrogatoire des témoins; M. F . I, page 306, invoque au contraire cette pièce comme « un document officiel portugais, qui sera reproduit parmi les annexes (n° LTV) » ; M. F . I, page 340, dit (« cet acte officiel », ibidem, page 342) : « Il vient, heu­reusement, d'être publié, ou du moins d'être rendu acces­sible, grâce à son insertion dans un ouvrage intitulé : l ' E t a t de Para, auquel les noms et les fonctions de ses auteurs prêtent un caractère semi-officiel. On ne nous en donne, il est vrai, qu'une traduction française ; la pièce, toutefois, est reproduite in extenso, depuis le préambule jusqu'aux signatures finales ». En publiant le texte portugais, tout en complétant la pièce incomplète produite par la France , le Brésil a levé le seul doute qui pouvait rester au sujet de l'authenticité du document.

Quant au second document, le « Roteiro », la F r a n c e n'en considère que la première partie comme authentique; pour elle, le reste est « un récit arrangé » (M. F . II, page 164);

— 338 —

Page 347: Sentence du conseil fédéral Suisse

elle dit, 1. e. II, page 165 : « L e titre, ainsi que les détails de la première partie, jusqu'au Counani, se rapportent pro­bablement aux renseignements fournis en 1723 par Amaral. La deuxième partie a été ajoutée pour les besoins de la cause. Elle est en contradiction sur plusieurs points essen­tiels avec les circonstances. »

Cette manière de voir, outre qu'elle est en contradic­tion avec la teneur du document, n'est pas soutenable poul­ies motifs que voici : Il a été produit deux copies du « Ro-teiro », contenues l'une dans M. F . II, 1. c , l'autre dans R. B . , 1. c. Toutes les deux renferment aussi bien la partie incontestée du « Roteiro » que la partie contestée par la France, et cette seconde partie ne peut donc pas avoir été rédigée après seulement que les copies aient été faites. De plus, les deux copies sont indépendantes 1) l'une de l'autre, en ce sens que l'une n'est pas la copie de l'autre, mais qu'elles ont dû être faites d'après un troisième document au moins, servant de modèle ; il faudrait par conséquent que le « récit arrangé » se fût trouvé déjà dans le modèle ; il faudrait même qu'il existât déjà lorsque Maya da Gama, en 1727, envoya Francisco de Mello Palheta sur les bords du Vincent Pinçon et lui remit, en même temps qu'une ins­truction, une copie du « Roteiro » d'Amaral. Ce Roteiro de 1727 allait en effet « jusqu'à la riviere de Vincent Pin­çon 2 ) », mais à teneur de la même instruction, pour da Maya da Gama, le Vincent Pinçon était au delà du Cassi-poré, dans la direction de Cayenne 3 ) ; l'exemplaire de 1727

1) A côté de nombreuses autres divergences dans le texte, il en existe une dans le nom d 'Amaral : Une des copies porte: «João Rodri­guez do Amaral » (M. F . II, page 166), l'autre : « João Paiz do Amara l » (R . B . I V , page 189).

2 ) R . B . III, page 107. 3) Ibidem.

3 3 9

Page 348: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 4 0

comprenait donc la partie déjà située vers le Couanani. D e

tout cela il résulte que le Roteiro, tel qu'il a été produit,

doit être pris en considération.

Les arguments que M. F . II tire de son contenu seront

examinés ci-dessous.

3. Il résulte d'abord de l'interrogatoire des témoins :

L' « Ordonnance » du gouverneur da Maya da Gama,

du 12 juillet 1723, portait :

L e Gouverneur ayant trouvé « au sujet des terres du

Cap du Nord » des ordonnances de S a Majesté qu'elle avait

prescrit à mon prédécesseur de s'informer et vérifier si

des bornes-frontières avaient été placées sur la ligne de

partage des domaines de S a dite Majesté et de ceux de la

Couronne de France , et si les vassaux de cette dernière,

contrairement au Trai té signé à Utrecht, dépassaient ces

bornes et pénétraient sur notre territoire », et la réponse

de son prédécesseur lui ayant paru « insuffisante, étant

donné l'importance de la matière et les instructions qu'au

sujet de cette réponse j 'avais apportées avec m o i . . . il m'a.

paru convenable de faire une enquête exacte sur ce sujet,

et, bien que j ' y ai apporté le plus grand soin, je n'ai pu

trouver de personne âgée ou jeune ayant vu les bornes

dont il est question, ou ayant connaissance qu'elles aient

été placées, ni sachant à quel endroit se trouve la riviere

de Vincent Pinson, nommée Yapoco dans les cartes fran­

çaises et Uayapoco par les indigènes ; et voulant éclaircir

une question si importante, j ' en ai chargé le capitaine J o ã o

Paes do Amaral, officier très brave, très prudent, actif et

dévoué au service du Roi » . . . .

Amaral partit avec trois chaloupes de guerre « garnies

d'infanterie », doubla la « pointe de Macapa que quelques

ignorants appelaient Cap du Nord » ; « à grand' peine » et

au péril de sa vie, il doubla le « vrai cap du Nord » ; trois

Page 349: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 4 1 —

ou quatre fois les chaloupes furent près de sombrer à

cause du « mascaret » et « par la force des courants qui

s'entrecroisaient à travers tous les bas-fonds et les canaux

de cet endroit ».

Après avoir surmonté toutes les difficultés, Amaral

arriva à la riviere Guanany 1). Il croyait « d'après ce que

lui disait un des guides », se trouver déjà à la riviere de

Vicente Pinson ; il parla de cette riviere aux indigènes qui

l'informèrent que plusieurs Français se trouvaient sur une

riviere plus petite, appelée Guairapo 2), qu'il avait déjà

passée. Il revint sur ses pas pour les chercher, les trouva

et leur demanda ce qu'ils faisaient « sur les terres et domaines

de S a Majesté ». Ils répondirent qu'ils étaient venus acheter

des perroquets et autres animaux, qu'ils n'étaient pas venus

par mer et en suivant la côte « qui appartient à la couronne

de Portugal, mais qu'ils avaient pénétré par la riviere de

Vicente Pinson nommée Yapoco 3), et ensuite par terre

allant de village en village, parmi les Indiens leurs amis 4 )» .

Amaral leur intima l'ordre de partir sur le champ et de

s'en retourner dans leurs territoires « sous peine d'être

emmenés prisonniers » ; ils s'en allèrent 5 ) . Plus tard, des

Indiens déclarèrent qu'ils étaient des marchands d'esclaves

1) M. F . II, page 160: Guanani ; dans le Roteiro, M. F . II, page 168: Goanane ; R . B . I V , page 191 : Goanani.

2 ) M. F . , 1. c.: Guairapa, dans le Rote i ro : Vairapu. 3 ) Dans la déposition d'Amarai : « Rio de Vicente Pinson chamado

Yapoco ou Guaiapucú », R . B . I V , page 200. 4 ) Dans la déposition d'Amarai, plus précise : « Pelos Indios seus

Compadres os quaes sâo dos nossos dominios » (parmi les Indiens leurs amis, lesquels habitent nos possessions), R . B . III, page 5 8 ; I V , page 200; de même selon Mendonza : « que sâo dos destrictos d'esta Corôa », R . B . IV, page 202.

5 ) Dans la déposition d'Amarai avec l'adjonction : Su r ces entrefaites les Indiens qui les accompagnaient, prirent la fuite, R . B . III , page 58.

Page 350: Sentence du conseil fédéral Suisse

qui aidaient Guaimâ, le chef rebelle des Aroans, et qu'ils l'incitaient à manquer d'obéissance envers le roi de Portugal.

« E t le susdit capitaine, en observant heureusement mes instructions, ce qui lui fit courir des dangers et lui causa des fatigues et des misères, atteignit effective­ment le véritable Rio de Vicente Pinson (e seguindo com effeito o dito Capitào o regimento que lhe dei, passando perigos, trabalhos, e descomodos 1) ; entrou com effeito no verdadeiro Rio de Vicente Pinson). 11 chercha les bornes en question à l'embouchure de la riviere et au-dessus ; il ne les trouva pas, non plus qu'un terrain assez solide sur lequel elles eussent pu tenir (e fazendo dilligencia na boca. d'elle, e dentro desta para poder descobrir os ditos marcos ; os não achou, nem terra firme en que pudessem estar). Voyan t au delà de la riviere quelques élévations de terrain, il fit tous ses efforts et mit tout le soin nécessaire pour découvrir les bornes et il eut enfin la bonne fortune de voir son travail et son zèle couronnés de succès » (e vendo que se descobria da outra parte alguma terra alta, fez toda a dilligencia, e pôz todo o cuidado por descobrir os ditos marcos até que teve a fortuna de lograr o effeitto do seu trabalho e dilligencia).

« Faisant l'ascension d'une montagne presque taillée à pie ou présentant une pente raide jusqu'au milieu, qu'ils gravirent avec peine en se tenant aux racines des arbres,

1) L e s mots : passando perigos, trabalhos e descomodos, manquent dans la traduction française de M. F . II, page 160, ainsi que dans R. B . III, page 53, alors qu'ils figurent dans R. B . IV, page 198. Mais le passage est d'une telle importance, que si M. F . I, pp. 340 et suiv., II, page 164, l'eût connu, il n'aurait pas probablement émis la thèse du retour immé­diat d 'Amaral de Guanany ; car cette thèse part du fait que, d'après le rapport ci-dessus, Amaral serait « immédiatement » arrivé au Vincent Pin­çon. L e passage exclut cet «immédiatement».

— 342 —

Page 351: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 4 3 —

ils trouvèrent depuis le milieu jusqu'au sommet une pente

plus douce ; arrivés au sommet de cette montagne, ils trou­

vèrent une pierre de roche naturelle, laquelle avait été taillée

presque en forme de carré, ayant un peu plus de trois

palmos 1) de long et de large, qui était coupée sur les côtés

et se trouvait hors de terre d'un peu plus d'un palmo ; et

sur cette pierre (n'ella), ils ont trouvé sculptées des armes

qui, d'un côté, ressemblaient à celles du Portugal, car on

y voyait les cinq plaies ou « Reaes Quinas » 2 ) , et de l'autre

côté des tours et un lion ; et autour de cette pierre, il s'en

trouvait d'autres, dressées comme témoins ou gardes de

cette borne; et l'une de celles qui se trouvaient du côté

des « Quinas » de Portugal présentait une croix comme

celle de l'Ordre du Christ, ce qui semblait prouver infaillible­

ment que c'était la borne signalant la ligne de séparation

entre les domaines du Portugal et de Castille, qu'elle y ait

été placée l ' an . . . sous l'empereur Charles V , comme ra­

content les « Historias », ou en 1637, sous Philippe, lorsqu'il

a fait don à Bento Maciel Parente de la Capitainerie du

Cabo do Norte 3 ) . »

1) L e «palmo » ou «la paume de la main» égale, en mesure portu­gaise, 0.217 m.

2 ) L e s cinq « écussons » sur fond d'argent des armes portugaises. 3) « Sobindo a hum monte quazi talhado a pique até o meio, ou com

pouca escarpa, e sobindo pegados a raizes com trabalho acharào do meio para cima mais facil a sobida, e chegando ao cume do tal monte acharào huma pedia, e rocha natural, e nesta talhado um quaze quadro de lar­gura, e comprimento de pouco mais de tres palmos, cortado pelas bandas e fora de terra pouco mais de palmo, e n'ella acharào escolpidas humas armas que paressem ser de huma parte as de Portugal, vendo-se ainda as cinco Chagas ou Reaes Quinas, e da outra hums Castellos com hum Leào, e roda d'esta pedra se achavào outras levantadas como testemunhas ou guardas do mesmo marco, e huma das que f icava para a parte das quinas de Portugal, mostrava huma cruz como habitto de Christo o que

Page 352: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 4 4 —

Dans l'intérêt de son roi, pour préserver le territoire

portugais et pour éviter des contestations qui pourraient

s'élever entre la F r a n c e et le Portugal, le gouverneur da

Maya da Gama jugea utile que les faits ci-dessus « soient

établis d'une façon authentique » et ordonna à l'Ouvidor

Geral (au docteur Premier Juge) « de faire dresser procès-

verbal des témoignages de tous ceux qui ont vu les susdits

Français , de leur faire raconter l'endroit où ils les ont ren­

contrés, ce qu'ils ont entendu dire aux Indiens, et aussi ce

qui est relatif à l'entrée dans la riviere de Vicente Pinson,

à l'ascension de la susdite montagne, à la borne-frontière,

aux marques (sinaes) qu'ils y ont examinées, au côté de la

riviere où elle se trouve, car, par cette borne, il est prouvé

que toute l'embouchure de la riviere Vicente Pinson appar­

tient à la Couronne portugaise et fait partie des domaines

de S a Majesté » . . .

Conformément à l'ordre du gouverneur général, il est

procédé à l'enquête ; le capitaine J o ã o Paes do Amaral est

entendu le premier, le 18 juillet 1723. Il dépose 1) :

. . . . L e 17 mars de cette année, il est parti de Belem

do Gram-Para en qualité de commandant de la « flotille

parecia justificar infalivelmente ser alli o marco da devizào dos dominios

de Portugal e de Castella, ou fosse posto no anno de . . . pelo Imperador

Carlos Quinto, como dizem as Historias, ou no anno de mil seis centos

trinta e sette por Fillipe, quando deo a Capitania do Cabo do Norte a

Bento Maciel Parente. »

L a traduction française de ce passage dans M. F . II, page 161,

R . B . I I I , pp. 54 et suiv. n'est pas correcte (elle concorde à l'exception

des mots « peu d'escarpement », dans M. F . , « une pente raide », dans

R . B . ) , de sorte que R . B . I I I ne donne pas la traduction exacte du texte

portugais de R . B . I V . 1) M. F . II ne contient pas les dépositions qui vont suivre ; elles se

trouvent dans R . B . I V , pp. 199 et suiv. (texte portugais), R . B . III , pp. 56

et suiv. (traduction française).

Page 353: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 341

garde-côte » алее trois chaloupes armées en guerre « por­

tant de l'infanterie ». Selon les instructions qu'il avait

reçues, il devait examiner de la manière la plus exacte

et la plus minutieuse tous les « igarapés et rivieres qui se

jetent dans la mer sur cette côte qu'il longerait jusqu'à

ce qu'il pût entrer dans l'embouchure de la riviere de

Vicente Pinson appelée Yapoco ; et là, il examinerait et

explorerait de tous les côtés la dite riviere, les endroits

et les points où furent posées les bornes-frontières qui

séparent les possessions de Sa Majesté des possessions de

la France . . . »

Ayant plusieurs fois risqué sa vie, il arriva « le long

du rivage jusqu'à Macapá et au Cap du Nord » et de là

jusqu'au Guanany; puis, étant revenu sur ses pas, il eut sa

rencontre avec les Français (« ils n'étaient que deux ») sur

les bords du Guairapo, incident qu'il rapporte presque dans

les mêmes termes que le gouverneur; il apprit des détails

au sujet du commerce d'esclaves que pratiquaient les Fran­

çais, avec l'aide du «rebel le» Guaimá, le chef des Aroans ;

celui-ci incite les Aroans « à faillir à l'obéissance due à

S a Majesté », et les Aroans sont « instigateurs de désordres

sur toute la côte jusqu'au Cap du Nord et au voisinage

de Cayenne ».

Après être entré « dans la vraie riviere de Vicente

Pinson » et avoir vainement cherché les « bornes-frontières »

à son embouchure, « ayant vu et découvert de l'autre côté

de hautes montagnes, il y alla, quoique cela fût contre les

ordres qu'il portait, parce qu'on supposait qu'elles faisaient

partie des domaines de la France (on s'assura ensuite qu'il

n'en était rien, mais que, au contraire, toutes les bouches

et les passes de la riviere de Vicente Pinson font partie

de nos possessions) ».

Page 354: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 4 6 —

Il fit l'ascension avec une partie de ses soldats. Ils trouvèrent «huma pedra et rocha natural 1 ) do comprimento de tres palmos, e fora da terra pouco mais de hum», avec les armes du Portugal et de l 'Espagne. (Ce sont presque les termes mêmes dont se servait Maya da Gama ; il est ajouté au rapport qu'Amaral a emporté « a copia » de ces armes qu'il remit au gouverneur.)

Après Amaral, ce fut le sergent Antonio Freire de Mendonça qui déposa :

Il est arrivé à la riviere Guanany avec l'expédition d'Amaral, après avoir, en courant de grands dangers, passé Macapa et le Cap du Nord ; sur la foi des guides, Amaral se croyait déjà parvenu sur les bords du Vincent Pinçon, mais après avoir consulté quelques indigènes, il apprit « où il se trouvait», et qu'il y avait des Français sur le Guairapo qu'il venait de passer. Ils rebroussèrent chemin et « le jour suivant » rencontrèrent deux Français à l'endroit désigné. L e témoin raconte l'entrevue comme Amaral et Maya da Gama. L e s França is aident le rebelle Guaimá, le chef des Aroans, les Aroans, bien que « natifs des possessions de cette couronne », ont déjà attaqué parfois des villages près de Belem do Para .

L e témoin déclare en outre que « passant la riviere Guanany, ils arrivèrent à celle de Vincent Pinçon » (que passando o sobredito rio Guanany, chegarão ao de V i ­cente Pinson), où l'on a vérifié que toutes ses bouches appartiennent à la couronne de Portugal, ainsi qu'il résulte

1) Il est possible qu'il y ait ici une lacune dans le texte, qu'on pourrait remplir par les termes correspondants qui se trouvent dans le rapport du gouverneur. Un rocher « long de trois palmos » et « s'élevant au-dessus du sol d'un peu plus d'un palmo » ne se conçoit guère. D u moment que la longueur est indiquée, il semble que la largeur devrait l 'être aussi.

Page 355: Sentence du conseil fédéral Suisse

de la découverte des « marcos », qu'il raconte comme

Amaral.

Outre ces témoins, on entendit encore un second ser­gent, cinq soldats et deux Indiens, dont R. B . ne reproduit pas les dépositions, attendu qu'elles sont sur les points essen­tiels conformes aux précédentes.

4. Le Roteiro d'Amaral contient les indications les plus détaillées qui aient été fournies au sujet d'une expédition sur le littoral du contesté ; il renseigne sur la direction des diverses parties du rivage, leurs distances, la configu­ration de la mer, l'aspect des côtes, la végétation, les acci­dents de terrain, etc., sur les fleuves qui se jettent dans l'Océan le long de la côte, les habitants du pays. Pour apprécier la valeur du Roteiro, il faut poser en fait qu'il n'entend pas être une description de voyage, un récit d'aventures de voyageurs, mais un simple itinéraire, un indicateur des chemins et des localités (Annexes, planche n° 4). Il y a lieu de retenir surtout :

L e « Roteiro » part de la « ponta de A r a g u a r i . . . cette pointe d'Araguari forme une anse au Nord-Ouest et dans cette anse, venant du Sud-Ouest, se jette la riviere d'Ara-guari » ; il mentionne plus loin une « ponta ao Norte, . . . esta ponta hé o Cabo do Norte», puis «a outra ponta 1) grossa ao Norte . . . laquelle forme une sorte d'anse où . . . se jette un igarapé nommé Orapumaça », puis entre autres le « rio Igarapepucá », le « igarapé de Mayacary », dont il est dit: «on trouve un bon chenal à son embouchure, qui est à environ dix lieues du parcours », puis le « igarapé Vairapu » (le Guairapo du procès-verbal de l'interrogatoire des témoins). On note ici une nombreuse peuplade indienne

1) E t non « parte », comme le dit M. F . II, page 166.

347

Page 356: Sentence du conseil fédéral Suisse

de la tribu des Aricurasés 1 ) ; la rencontre des França is est

relatée d'une manière concise: « Ic i nous avons parlé à

des Français ». Viennent ensuite le « igarapé Uruatury »

et le « rio Goanani » 2 ) .

Le Roteiro ne mentionne pas le voyage aller et retour

du Vairapu au Goanani; le plan général du récit excluait

toute double indication de la même distance parcourue;

ces indications réitérées auraient été de nature à apporter

la confusion dans la mensuration du littoral; en outre, la

partie narrative proprement dite est ramenée à ses traits

essentiels. Du Goanani, le Roteiro continue dans la direc­

tion du nord-ouest, pour conduire au Vincent Pinçon.

Pour M. P. Il, page 164, c'est là un motif qui prouve

à l'évidence que le « Roteiro » est un « récit arrangé ; il

interprète comme suit le procès-verbal de l'enquête : L 'ex­

pédition n'est pas revenue du Vairapu au Goanani et n'a

pas repris ensuite la direction du nord-ouest; au contraire,

pour parvenir au Vincent Pinçon, elle a rebroussé chemin

depuis le Vairapu pour se diliger au sud-est et a trouvé

le Vincent Pinçon à l 'Araguary. Tout d'abord, cette opinion

ne se concilie pas avec la mention contenue dans l'ordon­

nance du gouverneur da Maya da Gama, d'après laquelle

Amarai et les siens n'ont atteint le Vincent Pinçon qu'après

avoir été sur les bords du Vairapu, et avoir surmonté des

« perigos, trabalhos et descomodos ». De plus, les França is

qui, sur les bords du Vairapu, déclarèrent être venus du

Vincent Pinçon ou Yapoco, n'étaient certainement pas ar­

rivés de l 'Araguary et Amarai eût encore moins pu leur

donner l'ordre d'y retourner. E t Amarai qui, à l'aller, avait

passé l 'Araguary et le connaissait exactement, ne l'a pas pris

1) M. F . II, pp. 167, 168: Bricurarez . 2 ) Goanane, dans le texte de M. F . II , page 168.

348

Page 357: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 349 —

pour le Vincent Pinçon ; si la thèse de M. F . était fondée,

Amaral eût dû à l'évidence déclarer, qu'il n'avait pas trouvé

de Vincent Pinçon, mais seulement les bornes-frontières sur

l 'Araguary. D'ailleurs, le sergent Antonio Frei re de Men-

donça dit expressément dans sa déposition : « que passando

o sobredito rio Guanany, chegarão ao de Vicente Pinson »,

en d'autres termes, du Vairapu, dans la direction du nord-

ouest, l'expédition est revenue sur les bords du Guanani,

qu'elle a passé ensuite pour arriver au Vincent Pinçon.

Enfin, il importe de relever que les diverses montagnes

et chaînes de montagne signalées près du Vincent Pinçon,

en particulier la haute montagne escarpée, où Amaral dit

avoir trouvé les bornes, n'existent pas près de l 'Araguary;

en revanche, des montagnes de cet aspect caractérisent

rembouchure de l 'Oyapoc.

Il résulte de tout cela que le procès-verbal et le Roteiro

s'accordent pour affirmer que du Guanani le voyage a

continué vers le nord-ouest ; c'est donc à tort qu'on con­

clut, d'une prétendue contradiction entre les deux documents,

à la non-authenticité du Roteiro.

Quant à la « pointe de la riviere Goanani » il est dit :

« On reconnaîtra facilement cette riviere parce que, à envi­

ron deux lieues avant d'y arriver, on voit vers le Sud-Ouest

une petite montagne ou morne à l'intérieur du pays, assez

élevée et allant du Nord-Ouest au Sud-Est, ce qui est le

meilleur signalement, car la côte est couverte de végétation

rabougrie, de bambous et la terre est noyée 1 ) . » Du Gua­

nani, le Roteiro conduit d'abord au « grande rio chamado

Caxipurú », du Caxipurú à la « ponta chamada Camarupy ».

Plus loin (ou en face), au nord-ouest, se trouve un « monte

alto », distant de trois à quatre lieues de la rive de la ponta

1) L e Mont Mayé actuel, conf. ci-dessus, page 44.

Page 358: Sentence du conseil fédéral Suisse

Camarupy. Entre la montagne et la baie s'étend la « boca

do rio ou bahya de Vicente Pinson....... Pour entrer dans

cette riviere, on prend la direction de Sud-Sud-Ouest .

Elle est large et profonde ; je ferai remarquer que ses rives

d'un côté et de l'autre sont très basses et s'écartent à 40

ou 50 brasses à marée b a s s e . . . la partie de Sud-Est est

marécageuse ».

En amont, « un bas-fond près de l'île » partage la

riviere en deux bras, dont les indigènes et les França is

ont fait deux rivieres ; ils appellent celui qui se trouve à

main gauche « Curupi », l'autre « Guyapoco ».

Au confluent du Guyapoco et du Curupi (donc en face

de l'extrémité du bas-fond sur le côté nord de la riviere)

« il y a une montagne élevée et par de là, la côte se dirige

à l'ouest-nord-ouest, présentant quatre chaînes de mon­

tagnes élevées qui s'avancent vers l'intérieur » (E na entrada

deste rio ou braço Guayapoco esta hum monte alto e delle

corre a costa para Oes-Noroeste coatro Se r ras 1) altas que

vão pela terra dentro).

« E t en venant vers l'embouchure de cette riviere ou

baie, il y a une autre montagne 2) élevée au nord-ouest, sur

le sommet de laquelle se trouvent les bornes-frontières du

Portugal 3 ) » (E vindo sahindo para a boca desto rio ou

1) T e r r a s dans le texte de M. F . I I , page 170. 2 ) C'est manifestement la montagne indiquée auparavant comme

située en face de la « ponta Camarupy ». 3 ) M. F . II , page 164, fait observer : « l'objet essentiel du voyage, la

reconnaissance des marques de frontières, est raconté tout autrement dans les deux textes » (Procès-verbal et Rotei ro) . Mais, d'une manière géné­rale, le Rotei ro ne raconte pas et ne pouvait pas raconter, ainsi qu'il en a été fait la remarque. Amaral se borne à reconnaître le lieu où sont les bornes-frontières. D e ce que le Roteiro ne pouvait pas faire le récit des circonstances dans lesquelles ces bornes ont été trouvées, il n'est pas

350

Page 359: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 3 5 1 —

Baya está outre- monte alto que demora ao Noroeste onde em cima estão os marcos de Portugal). De cette montagne vers le sud-ouest, on voit trois chaînes de montagnes ; de là, la côte s'étend vers Cayenne dans la direction de l'est-nord-ouest. « Cette terre est nommée du mont Camaripú. » (Chamase a esta terra do oiteiro Camaripú).

« C'est le Rio de Vicente Pinson lequel, les Français nous l'ont dit, sépare les terres du roi de Portugal, notre maître, de celles de la France, et de cette pointe de la montagne, dont j'ai parlé, on compte 24 lieues jusqu'à Cayenne. » (Este hé o Rio de Vicente Pinson que os Fran-cezes nos disserâo se dividião as terras de el Rei nosso Senhor de Portugal com Franca, e desta ponta ao monte que tenho dito são 24 legoas a Cayana.)

A la fin, cette remarque : «J 'a i fini ce routier le 12 mai 1723. »

5. C'est à bon droit que M. F . II, page 164, qualifie de « si importante pour l'interprétation du Traité d'Utrecht », la question des bornes-frontières qui firent l'objet de l'expé­dition d'Amarai. Mais cette expédition, importante pour l'interprétation du traité d'Utrecht, ne l'est pas uniquement en ce qui concerne la question des bornes-frontières; elle l'est pour la question de la frontière tout entière. A ce point de vue, les principaux renseignements que le rapport fournit au sujet de l'expédition sont les suivants :

a) Quant à la question de la frontière en général, le procès-verbal montre que le gouverneur da Maya da Gama, le capitaine Amarai et ses compagnons de voyage tenaient l 'Oyapoc du Cap d'Orange pour le «Japoc ou Vincent Pinson» du traité d'Utrecht: Sur le Guairapo, Amarai, ses

admissible de tirer la conclusion : « l'opération est présentée comme n'ayant offert aucune difficulté ». Il n'y a pas d'antinomie entre les rapports.

Page 360: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 5 2

compagnons et les França i s qu'ils rencontrèrent étaient d'accord pour reconnaître qu'ils se trouvaient sur terre portugaise ; au dire de ces Français , le Vincent Pinçon est entre Cayenne et le Guairapo ; au dire de ces mêmes Français , sur le même trajet se trouvait «la côte des. pos­sessions de la Couronne de Portugal» (costa dos dominios da Corôa Portugueza) ; des terres même au nord du Guairapo appartiennent par conséquent au Portugal. Ama­ral et ses compagnons arrivèrent ensuite au Vincent Pinçon, après avoir continué leur route dans la direction du nord-ouest au delà du Counani ] ) « exposés à des périls, des fatigues et des misères », et ils reconnurent enfin le « rio de Vicente Pinson chamado Yapoco », soit « verdadeiro Rio de Vicente Pinson » clans la riviere auprès de laquelle se trouvaient « terra alta », « serras altas » et une mon­tagne spécialement décrite, haute et escarpée (« monte quazi talhado a pique », «monte a l to») , élévations qui le long de cette côte entre l 'Amazone et Cayenne se rencontrent pour la première fois au bord de l 'Oyapoç.

L e s indications du « Roteiro » établissent avec encore plus de précision et d'exactitude que, pour Amaral, l 'Oyapoc du Cap d'Orange était le même cours d'eau que celui désigné par le traité d'Utrecht comme frontière, sous le nom de «Japoc ou Vincent Pinson » : à l'embouchure, la « ponta chamada Camarupy » (Cap d'Orange) pour bordure au sud-est; un « monte alto » (Mont d'Argent), pour bordure au nord-ouest ; entre les deux, l 'embouchure : « Esta hé a boca do rio ou bahya de Vicente Pinson », et cette riviere (d'après

1) Lorsqu'i ls arrivèrent pour la première fois sur les bords du Cou­nani, Amara l crut, d'après le renseignement erroné donné par un des guides, que c'était déjà (jâ) le Vincent Pinçon, d'où resuite que le véri­table Vincent Pinçon était encore plus au nord.

Page 361: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 5 3 -

un de ces bras) s'appelle « Guyapoco ». Sur sa rive nord se trouvent, outre un « outro monte alto », « serras altas » et la «terra do oiteiro Camaripú» le long de la côte qui, de l'est au nord-ouest, s'étend vers Cayenne. Sur le sommet d'un « monte alto » (Mont d'Argent) est la borne-frontière du Portugal. Ce sont « les Français qui nous on dit » que cette riviere forme la frontière. De la montagne où est plantée la borne-frontière, on compte 24 lieues jusqu'à Cayenne.

Cela impliquait que les Français considéraient bien la riviere Oyapoc du Cap d'Orange comme la frontière ; mais la frontière ne s'arrête pas au cours d'eau, elle le dépasse pour aller jusqu'au sommet du « monte alto » où se trouve la borne-frontière; toute l'embouchure de l'Oyapoc est par conséquent portugaise.

C'est ainsi que le Portugal entra le premier dans la voie qui devait conduire à la violation du traité d'Utrecht. Amaral outrepassa l'ordre qu'il avait reçu, ce dont était cause la borne-frontière sur le « monte alto ».

b) Aucune des parties ne conteste qu'Amaral ait trouvé une borne-frontière; la France reconnaît en effet qu'il en a trouvé une, seulement c'était, selon elle, sur le bord non de l 'Oyapoc du Cap d'Orange, mais de l 'Araguary. M. F . I, page 177, dit : « C'est, en effet, en 1723 qu'un des succes­seurs de da Cunha envoie Paes do Amaral reconnaître le Vincent Pinzon et rechercher les bornes de Bento Maciel, et il les trouve à l'Araguary»; ibidem, page 308: « le pilier recherché par Paëz do Amaral fut précisément retrouvé par lui sur le bord de l 'Araguary » ; et M. F . II, pages 164 et suivantes, relève « l'accent plus véridique » du procès-verbal, à cause du récit de la découverte de la borne, mais en conclut qu'en 1723, cette trouvaille n'a pas pu avoir lieu sur le Mont d'Argent; si l'on veut que la borne ait été trouvée sur ce mont-là, il faut admettre que le rapport si

23

Page 362: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 354 -

exact consigné clans le procès-verbal n'est qu'un « long men­

songe » (« ou cette description n'est qu'on long mensonge, ou

il s'agit d'une autre montagne que la montagne d'Argent

et d'une autre riviere que celle qui la baigne »).

Cette déduction de M. F . tend donc uniquement à éta­

blir que la borne-frontière se trouvait, non sur l 'Oyapoc

du Cap d'Orange, mais sur l 'Araguary; M. F . admet que

la borne a été trouvée. Or, une étude attentive du procès-

verbal de l'audition des témoins amène à la conviction que

la borne n'a pas été trouvée sur le bord de l 'Araguary, car

l 'Araguary fut le point de départ et non le but et le point

d'arrivée de l'expédition d'Amaral. Ce n'est pas au pre­

mier, mais au second de ces points que la borne a été

découverte.

Voici les considérations qui militent en faveur de la

découverte, effectuée au printemps de 1723, de la borne-

frontière sur le bord de l 'Oyapoc du Cap d'Orange :

aa) la conclusion, tirée des événements antérieurs, que

rien ne permet de clouter que Parente avait placé une

borne-frontière ;

bb) les dépositions, reçues sous la foi du serment, des

personnes qui ont assisté à la découverte;

cc) les renseignements exacts et circonstanciés que

fournit le rapport sur la découverte même;

dd) la description exacte des armes sculptées sur la

borne principale ;

ee) la mention de la sculpture d'une croix « comme celle de l'Ordre du Christ » sur une des pierres plus petites (des « levantadas como testemunhas ou guardas »), ce qui correspond à la stipulation de la donation royale faite à Parente, selon laquelle le roi Philippe I V procédait à la donation en qualité aussi de Commandeur de l'Ordre du Christ ;

Page 363: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 5 5 —

ff) la mention du fait qu'Amaral apporta à Belem et remit au gouverneur une des copies qu'il avait dessinées des armes trouvées;

gg) le fait que la borne-frontière a été trouvée sur la montagne et non pas sur une rive basse, où une pierre de cette nature n'eût pu rester longtemps ;

hh) le fait que le procès-verbal relatif à la découverte de la borne-frontière a été envoyé à Lisbonne en expédi­tion authentique, voir R. B . III, pages 56, 129; ci-dessous, page 383 ;

ii) le fait que le Roteiro confirma la découverte de la borne-frontière ;

kk) le fait que le précédent gouverneur, Berredo, qui, en 1723, était encore au Brésil, annonça la découverte de la borne-frontière comme effectuée 1)

On ne saurait opposer à cette démonstration ni la rela­tion par laquelle, en 1685, Souza Fereira rapportait que les bornes-frontières avaient disparu par suite des intempéries, ni le fait que les mémoires portugais de 1698 et 1699 parais­saient adopter cette opinion; car ni Souza Fereira ni les auteurs des mémoires n'ont procédé sur place à une enquête ; en outre, le témoignage du P. la Penher ne saurait être écarté du débat. Vra i est-il toutefois que la description de la borne-frontière n'est pas exactement la même dans le rapport de da Maya da Gama, d'une part, et dans les dépositions d'Amarai et du sergent Mendonça, d'autre part.

Ce défaut de concordance provient peut-être d'une erreur due au copiste.

Si l'on prend pour base la description de da Maya da Gama, l'idée la plus naturelle qu'on a de la borne-frontière

1) Silva II, page 287, cite les mots de Berredo : « Cette borne . . . a été retrouvée, en 1723, par Joào Paes do Amarai . »

Voir en outre ci-dessous, page 363.

Page 364: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 5 6 —

retrouvée est celle-ci: sur un côté de la pierre (pedra), un carré avait été taillé et dans ce carré les armes du Portugal étaient sculptées, sur l'autre côté, dans un carré semblable, les armes d'Espagne. Pour arriver à une reconstitution complète, il ne faudrait pas qu'il ne fût fait mention, comme c'est le cas, que d'un seul carré .

D'après les dépositions d'Amaral et de Mendonça, telles qu'elles ont été conservées, c'est en revanche la pierre même qui est le carré ; elle aurait donc été taillée en forme quadrangulaire. Mais cette pierre est de dimensions si modestes qu'elle n'aurait pas pu servir de padrão ni porter sculptées toutes les figures des armoiries.

Quoi qu'il en soit, on était alors à Para au clair sur ce point : la frontière du traité d'Utrecht était à l 'Oyapoc du Cap d'Orange et il avait été officiellement constaté qu'il existait toujours à cet endroit une ancienne borne-frontière.

Dans le courant de 1723 encore, il y eut un échange de vues entre le gouverneur français de Cayenne et le gouverneur portugais de Para au sujet de la délimitation du contesté.

3.

L e P. Chrysostomus avait apporté au gouverneur d'Or-villiers la lettre du 12 avril 1723, par laquelle da Maya da Gama faisait savoir qu'à aucune condition et d'aucune ma­nière il ne pouvait admettre que des relations commerciales s'établissent entre les deux colonies, française et portugaise, l'article 12 du traité d'Utrecht et les ordres exprès du roi s'y opposant.

L e 30 mai 1723 1 ) , le gouverneur français 2 ) répondit :

1) M F . I, pp. 178 et suiv., mentionne le rapport de d'Orvilliers à son gouvernement, du 27 juin 1723, dans lequel il fait part de ses négo­ciations avec le gouverneur portugais. L e s données que M. F . reproduit

Page 365: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 5 7 —

« Il n'y a rien de plus juste et qui soit mieux de notre devoir que de mettre à exécution le Traité fait par nos Souverains à Utrecht. »

En conséquence: «J'interdis et défends absolument aux Français de traverser l'Oyapock suivant ce qui est contenu et déclaré aux Articles 8 et 12 : — S a Majesté T rès Chres-tienne se désistera . . . . de tous droits et prétentions . . . . sur la propriété des terres appelées du Cap du Nord, et situées entre la riviere des Amazones et celle de Oyapock, ou Vin­cent Pinson.»

« Pa r ce traité, toutes les Terres du Cap du Nord sont au Roy de Portugal et celles du Cap d'Orange au Roy mon Maître, lesquelles ne commencent, je crois, qu'au Cachipou. Si, comme on me le fait espérer, Vot re Sei­gneurie vient l'année prochaine à l'Oyapock, je m'y trou­verai et nous ferons d'accord la démarcation des limites de nos Gouvernements. »

Il veut écrire à la cour de France, afin que les deux gouvernements s'entendent sur le point de savoir si « un commerce de bœufs et autres animaux » ne peut s'établir entre les colonies.

Il est d'accord pour convenir d'un arrangement au sujet de l'extradition réciproque des esclaves fugitifs ; il

d'après ce rapport établissent l'authenticité de la lettre du 30 mai, en ce qu'elles concordent en partie avec le contenu de celle-ci et n'apportent d'ailleurs rien qui soit en contradiction avec cette pièce. E l les en disent moins que la lettre, en ce qu'elles ne mentionnent pas la reconnaissance de la frontière de l'Oyapoc, elles présupposent toutefois qu'elle a eu lieu, à quoi elles ajoutent même l'indication de la latitude du Cap d'Orange et du Cap du Nord. Voi r ci-dessous, page 362, note.

2) L a traduction portugaise, faite à Para , de la lettre de d'Orvilliers est reproduite dans R . B . I V , pp. 205 et suiv., d'après la Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. du Cons. Ultramarino, Liasse n° 1052 ; en retraduction française, ibidem III, pp. 63 et suiv.

Page 366: Sentence du conseil fédéral Suisse

statue sur nombre de cas de même nature, à la satisfac­tion, croit-il, du gouverneur portugais. Il répond aux plaintes que, de tout temps, les Portugais faisaient entendre au sujet du commerce d'esclaves pratiqué par des França i s sur territoire portugais, par une contre-plainte : « On me dit que beaucoup de Portugais se rendent aux terres du Roi mon Maître pour acheter des Indiens esclaves et des pro­duits qu'on trouve sur lesdites terres. »

Cette lettre montrait où, en 1723, le gouverneur fran­çais de Cayenne plaçait la frontière du traité d'Utrecht ; d'Orvilliers défendait à ses administrés de passer l 'Oya-pock, c'est-à-dire d'aller sur territoire portugais. Ce devait être un cours d'eau déterminé, évidemment connu, sinon la défense n'aurait eu aucun sens. E t puisque c'était pour se conformer au traité d'Utrecht, ainsi qu'il le disait expressé­ment, que d'Orvilliers interdisait de passer cette frontière sur l 'Oyapock, il faut que, dans son opinion, cet Oyapock et le « J apoc ou Vincent Pinson » du traité d'Utrecht fussent identiques ; c'est pourquoi il l'appelle, non pas Japoc, mais «Oyapock ou Vincent Pinson». Quel était cet « O y a p o c k » connu de tous les França is de Cayenne ? C'était, depuis la B a r r e et Ferrol les , l 'Oyapoc du Cap d'Orange. D'emblée, il était évident que d'Orvilliers n'en entendait pas d'autre, mais ce qui le démontrait encore mieux, c'est qu'il ratta­chait la riviere-frontière Oyapock au Cap d'Orange et au Cassipour.

D'Orvilliers reconnaissait bien que l 'Oyapcck du Cap d'Orange était la frontière adoptée par le traité d'Utrecht, et défendait de le passer, mais son opinion personnelle « (je crois) » était : il faut en réalité faire rentrer dans la démar­cation française tout le territoire de l'embouchure de l 'Oyapock, même celui qui est au sud, comme terres dépendant du Cap d'Orange, terres dont la frontière natu-

3 5 8

Page 367: Sentence du conseil fédéral Suisse

relie est le cours d'eau important le plus rapproché, le Cassipour.

C'est ainsi que, tout en admettant l 'Oyapoc du Cap d'Orange comme constituant la frontière adoptée par le traité d'Utrecht, d'Orvilliers en arriva à déplacer cette frontière sur un certain espace vers le sud-est.

Il reçut du gouverneur portugais da Maya da Gama une réponse, datée du 4 août 1723 1), disant :

« J e suis heureux . . . que Vot re Seigneurie comprenne, combien il est de notre devoir d'exécuter fidèlement les stipulations du Traité conclu à Utrecht entre nos Souverains, et que Votre Seigneurie aie expressément défendu à ses Français de dépasser la riviere Japouco, qui n'est autre que la riviere de Vicente Pinçon. »

Il se voyait néanmoins obligé de se plaindre de ce que, nonobstant cette défense, on avait trouvé trois Français sur une petite riviere qui se trouve en deçà du rio Guarapo 2 ) « très loin du Rio de Vicente Pinçon, dans les terres appar­tenant aux domaines du Roi mon Maître » ; « ainsi qu'il résulte du procès-verbal et enquête que j'en ai fait faire pour servir en tout temps ».

Dans le cas où, à l'avenir, « d'autres Français seraient rencontrés dans les mêmes parages, je les ferais arrêter, et Votre Seigneurie pourra traiter de même mes Portu­gais, s'ils venaient à dépasser le Cap Comaribô, qui se trouve du côté de Votre Seigneurie, au delà du Rio de

1) Tex te portugais Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Conselho Ultra-marino, Liasse n° 1052, reproduit par R . B . I V , pp. 209 et suiv. ; traduc­tion française dans R . B . III , pp. 67 et suiv.

2 ) D'après la déposition de da Maya da Gama recueillie dans le procès-verbal, le Guarapo même était l'igarapé, la petite riviere ; en outre, d'après le procès-verbal, il s'agissait non de trois, mais de deux Français seulement.

359

Page 368: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 6 0 -

Vincent Pinçon, parce que, à son embouchure vers l'Ouest on a posC les bornes qui limitent les possessions du Roi mon Maître, ces bornes ayant été posées sur l'ordre de l 'Empereur Charles Quint et puis sur celui de Philippe I V en 1639, le 30 Mai, jour auquel le Capitaine Major Bento Maciel prit possession des dites terres, et l'on doit par con­séquent entendre que les territoires dit Roi Très-Chrétien commencent à la dite pointe appelée Comaribô, qui se trouve à l'Ouest de la riviere de Vicente Pinçon et non pas au Cap d'Orange, comme le dit Votre Seigneurie, attendu que celui-ci se trouve à l'Est, et que toute l'embou­chure de la riviere de Vicente Pinçon, laquelle est et forme la limite des deux territoires, appartient au Roi mou Maître, comme il est déclaré par le susdit traité ».

L e gouverneur portugais prend occasion de la plainte de d'Orvilliers rapportant que des Portugais pénètrent sur le territoire français, pour se prononcer sur la question de la frontière intérieure : « Quant à la nouvelle mentionnée par Votre Seigneurie, que beaucoup de Portugais se ren­dent par l'Amazone dans le territoire du Roi Très-Chrétien, pour faire la traite des Indiens, et pour acheter des dro­gues ou des fruits, qui se trouvent dans ces terres, ces nouvelles sont fausses et dénuées de fondement ; car un tel voyage serait impraticable, non seulement à cause du grand éloignement et des difficultés du terrain dans l'inté­rieur, mais aussi parce qu'il n'y a pas de riviere que depuis l ' A m a z o n e on puisse remonter pour arriver aux posses­sions de la Couronne de France. »...

D'ailleurs, il demande que les França is de Cayenne cessent de venir en aide à Guaimâ et aux autres Aroans insurgés auxquels ils fournissent de la poudre et donnent asile ; il serait content que les deux gouvernements « puissent autoriser quelque commerce entre nos colonies », mais, à

Page 369: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 6 1 —

défaut d'un tel accord, il est obligé de faire exécuter dans

le Brésil la loi portugaise qui interdit absolument tout

commerce avec les nations étrangères ; il entend main­

tenir si strictement l'interdiction de tout accès du terri­

toire portugais qu'il prie le gouverneur français « de ne

pas m'envoyer des embarcations » ; « si Vot re Seigneurie a

un avis quelconque à me faire parvenir, elle peut le faire

par un soldat qui pourra m'apporter sur une petite embar­

cation les lettres et en remporter d'autres avec lui, mais

pas autre chose. »

Dans cette lettre, da Maya da Gama s'explique avec

une complète clarté sur la question la plus importante pour

l'arbitre, celle de la frontière du «Japoc ou Vincent Pin­

son ». Se fondant sur la délimitation fixée par le traité

d'Utrecht et fort des résultats obtenus par l'exploration

d'Amaral, il prétend que la riviere frontière est le Vin­

cent Pinçon, qui a son embouchure entre le Cap d'Orange

et le Cap Comaribô. Mais comme l'ancienne borne-fron­

tière se trouve sur la montagne qui est sur la rive nord

de la riviere, les deux rives, tout le territoire de l'embou­

chure, appartiennent au Portugal. L e territoire français

ne commence qu'à partir de la montagne où est la borne-

frontière, avec la « pointe de Comaribô », non, par con­

séquent, au Cap d'Orange ; il ne dit mot du Cassipour,

le considérant tout naturellement comme un cours d'eau

portugais.

Da Maya da Gama affirme en ce qui concerne la fron­

tière intérieure : Il n'y a pas d'affluent de l'Amazone par

lequel on puisse arriver sur le territoire de la France . Il

est par conséquent d'avis que tout le réseau fluvial du bas

Amazone appartient au Portugal.

A teneur de leurs lettres, le gouverneur français et le

gouverneur portugais étaient donc d'accord en 1723 pour

Page 370: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 6 2 —

admettre que la riviere frontière du traité d'Utrecht, « J a p o c

ou Vincent Pinson » est l 'Oyapoc du Cap d'Orange.

Entre eux, il n'existait qu'une divergence : chacun

d'eux revendiquait pour son pays le territoire entier de

l 'embouchure de l 'Oyapoc ; d'Orvilliers opposait au terri­

toire portugais du Cap du Nord un territoire français

du Cap d'Orange, traversait l 'Oyapoc et n'entendait s'ar­

rêter qu'au Cassipour ; da Maya da Gama suivait l'an­

cienne démarcation, réelle ou supposée, passant par le

Mont d'Argent, et arrivait ainsi sur la rive septentrionale

de l 'Oyapoc.

Tous deux dépassaient la frontière d'Utrecht et tous

deux n'en restaient pas moins à la frontière d'Utrecht.

L 'accord ne subsista pas longtemps ; la F rance ne

tarda pas à élargir notablement sa prétention.

4.

1. On voyait à Cayenne dans l'expédition d'Amaral,

rat tachée à la déclaration faite par le gouverneur portu­

gais au sujet de la frontière, une tentative d'occupation

opérée par le Portugal sur la rive gauche de l 'Oyapoc. A

cela vint s'ajouter que da Maya da Gama « ayant fait faire

cette année (1723) un établissement assez près d'Oyapoc

par les terres », annonça que l'année suivante il viendrait

en personne sur l 'Oyapoc « où il prétend faire un établisse­

ment », et où il désirait se rencontrer avec le gouverneur

de Cayenne « pour régler les limites ». On constata à

Cayenne que, par des mesures de cette nature « cette

nation devient voisine de bien près de Cayenne 1 ) » .

1) D'après le rapport de d'Orvilliers du 27 juin 1723, M. F . I, pp. 178 et suiv.

Page 371: Sentence du conseil fédéral Suisse

L e capitaine des Roses qui avait porté à Pa ra la lettre

de d'Orvilliers, du 30 mai 1723, revint avec la nouvelle

qu'Amaral avait planté sur la « montagne de Lucas » « un

poteau avec les armes du Portugal ». D'Orvilliers ne vou­

lut pas le croire, mais il ordonna d'enlever la borne en

tout cas 1 ) .

Plus tard, il s'est plaint lui-même au gouverneur por­

tugais d'un officier portugais qui « a osé » mettre sur la

« Montagne d'Argent » les armes du roi de Portugal 2 ) , fait

que da Maya da Gama dans le rapport qu'il a adressé à

son gouvernement le 25 septembre 1727, qualifia d'inven­

tion et de mensonge, attendu qu'Amaral avait retrouvé

les anciennes bornes, qu'il n'en avait pas érigé de nou­

velles 3 ) .

Des écrivains français contemporains maintenaient

qu'en 1723 les Portugais avaient non seulement placé une

1) D'après le rapport de d'Orvilliers du 28 mars 1724, M. F . I, pp. 179 et suiv., « Archives du Ministère des colonies, Limites de Cayenne avec les Portugais » : « L e sieur des Roses, capitaine à Cayenne, qu'il avait envoyé à Para , lui a rapporté, qu'un officier envoyé par le général por­tugais avait fait planter un poteau avec les armes du Portugal à la mon­tagne de Lucas, qui est au N. O. de la riviere (l'Oyapoc) ; il ne le croit pas, mais si l'officier portugais avait été assez imprudent pour l'avoir fait, il a donné ordre au sieur Capron, qu'il a envoyé dans le Camopy, de faire couper le poteau. Il demande des ordres pour en faire planter un aux armes du Roy ; il est de conséquence qu'il les reçoive et qu'il lui soit prescrit ce qu'il doit faire. » — Si l'officier était chargé de détruire le poteau au cours de son expédition sur le Camopy (affluent de la rive gauche de l'Oyapoc), la borne se trouvait non sur l 'Araguary, mais précisément sur l'Oyapoc du Cap d'Orange.

2) Dans les lettres de d'Orvilliers du 20 août 1726 (R B . III , pp. 85 et suiv.) et du 4 mai 1727 (ibidem, page 112). «J 'a i des motifs de me plaindre », est-il dit dans la première de ces lettres, « d'un des officiers portugais de Vot re Seigneurie, qui a osé mettre les Armes du Roi de Portugal à la Montagne d'Argent. »

3 ) R . B . III , pp. 131 et suiv. ; voir ci-dessous, page 384.

363

Page 372: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 6 4 —

borne-frontière sur la rive septentrionale de l 'Oyapoc, mais

encore gravé les armes du Portugal dans le roc ; sur

l'ordre du gouverneur d'Orvilliers, le poteau fut abattu et

les pierres jetées à la mer 1).

Mais les actes même d'occupation accomplis par la

F r a n c e sur l 'Oyapoc étaient plus importants que la destruc­

tion de bornes-frontières portugaises. En relatant qu'il avait

ordonné de détruire la borne-frontière portugaise, d'Orvil­

liers demanda à son gouvernement l'autorisation d'en faire

planter une aux armes du roi de F rance 2 ) . Et, en 1724,

on commença la construction d'un poste fortifié français

sur la rive septentrionale de l 'Oyapoc.

1) Conf. K. B . III , pp. 73 et suiv. Pierre Barrère, . . . ci-devant Méde­

cin-Botaniste du Roi dans l'Isle de Cayenne, Ext ra i t de la « Nouvelle Rela­

tion de la F r a n c e Equinoxiale », Paris 1743, pp. 28 et 29 : « L e s Por tuga i s . . .

se sont avisés de venir en 1723 faire un abaty à Ouyapok, où ils ont

érigé sur un poteau, les Armes du roi de Portugal , et les ont même gra­

vées sur des rochers. »

De Milhau, « Histoire de L' is le de Cayenne et Province de Guianne »...

1732 (R. B . III , page 74, imprimé par erreur 1723), Manuscrit, 3 vol.,

Bibl . du Museum d'Histoire Naturelle à Par is , 476, t. I, pp. 71 et 73 : « On

avait même planté une Borne où estoient gravées les Armes du R o y de

Portugal . . . Mais feu M. D'Orvil l iers . . . la fit enlever. »

Dr Artur, « Histoire des colonies françaises de la Guyane », Bib l .

Nat. de Paris , Manuscrit, Nouv. Acq . fr. 2571, page 4 1 4 : « E n 1726 (par

erreur au lieu de 1723) . . . les Portugais, instruits de l'établissement des

Français à Oyapoc, s'avisèrent d'envoyer une pirogue armée planter un

poteau aux Armes de Portugal sur la Montagne d 'Argent ou Quomaripo,

qui fait la pointe nord de l 'embouchure de l 'Oyapoc pour en prendre

aussy possession. S u r la nouvelle qu'on en eut à Cayenne, M. Dunezat

reçut l 'ordre d'aller abattre ce poteau. 11 s'y transporta par terre, l'abattit,

et fit en même temps rouler à la mer des quartiers de roche sur lesquels

les Por tugais avoient aussi g ravé les Armes de Portugal, et dont ils

avoient aussi entouré le pied de leur poteau. » — Il est à remarquer que

ces écrivains parlent de l 'Oyapoc du cap d'Orange. 2 ) V o i r le rapport ci-dessus de d'Orvilliers du 28 mars 1724, M. F . I,

page 179.

Page 373: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 6 5 —

Toutefois, il ne suffisait pas d'assurer la défense de la

ligne de l 'Oyapoc. Grâce aux relations entretenues à Cayenne

avec des peuplades indiennes établies au sud de l'Oyapoc,

la domination française franchit cette riviere. Immédiate­

ment après la paix d'Utrecht, le gouvernement avait recom­

mandé aux autorités de Cayenne d'entretenir des rela­

tions de cette nature. L'expédition d'Amaral avait révélé

que, quelqu'exagérés que fussent les récits des Indiens

habitant sur les bords du Guairapo, il régnait une cer­

taine agitation parmi les Indiens de ces contrées ; on cons­

tatait des mouvements hostiles aux Portugais, auxquels l'in­

fluence de Cayenne n'était pas étrangère 1 ) .

D'année en année, on voit se préciser davantage le

désir de régler la question des frontières de manière à

laisser se développer la sphère d'influence de la France .

On ne tarda pas à donner des motifs à l'appui de cette

politique.

1) A en croire un « Routier » portugais anonyme reproduit par R . B . III, pp. 91 et suiv., I V , pp. 219 et suiv., avec la date «vers 1727» («Voyage du Cap du Nord »), il y avait à cette époque sur le Cassipour (Rio Ocosi-perú) « un village d'esclaves marrons ayant appartenu à des habitants du Pa ra et beaucoup d'Indiens évadés des Missions des Religieux de la Con­ception et de St . Antoine, et de celles des Pères de la Compagnie de Jésus, lesquels Indiens, quoique se trouvant ici dans nos domaines, don­nent obéissance à Cayenne et commercent avec les Français ». Cet écrit ne saurait être utilisé pour la constatation des laits de la cause, vu l'in­certitude de sa date et de sa provenance (« Bibliothèque Municipale de Porto, Manuscrit »). S ' i l était authentique, il fournirait l'explication la plus simple du désir de d'Orvilliers qui voulait la frontière du Cassipour. Dans le même Routier, il est dit des « gentils de la nation des Aricurarez » sur « l 'igarapé de Maraipo » (un jour de distance du Rio Guanani), qu'ils « pen­chent plutôt pour les Français que pour les Portugais ». L e rédacteur connaît en outre le Rio de Vicente Picam ou Hiapouco, la riviere « d'où l'on voit trois monts que les Indiens appelent Comaripû et les Français Montagne d'Argent ; en entrant dans la riviere il y a un fort aux Fran­çais . . . à main droite ».

Page 374: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 6 6 —

2. L e 20 août 1726, le gouverneur d'Orvilliers écrivit à da Maya da Gama *) une lettre qu'il fit porter de nouveau par le capitaine des Roses . Cette lettre dit au sujet de l'affaire de la frontière: « J e d o n n e . . . . pouvoir au dit des Roses pour établir nos bornes : et quoique la Baie de Vin­cent Pinson. soit plus au Sud que la Rivière de Cachipour, je conviendrai, pour le Roi mon Maître, que nos limites soient à la riviere de Cachipour. Cette riviere ne dépend nullement des terres dites du Cap du Nord qui sont celles que le Roi a cédées par le dernier Traité au Roi de Por­tugal ; mais comme la Rivière de Vincent Pinson, autre­ment nommée Ojapoc, est petite, je crois que le Roi ne désapprouvera pas que nous placions la limite à la Rivière de Cachipour, qui est une grande riviere. »

Cette ouverture impliquait un changement d'opinion complet chez d'Orvilliers. Il est vrai que sa conclusion se rapprochait de celle de 1723: les deux Puissances s'arrê­teront au Cassipour. Mais il arrivait à cette conclusion à l'aide de prémisses totalement nouvelles. Autrefois il était dit: l 'Oyapoc du Cap d'Orange est la riviere frontière, il est identique avec le J a p o c ou Vincent Pinson du traité d'Ut­recht; toutefois, il faut attribuer à la F rance le territoire de l 'embouchure de l 'Oyapoc, parce que le Cap d'Orange appartient à cette puissance et que, « je crois », on peut considérer le Cassipour comme la frontière des terres du Cap d'Orange. Alors, il ne restait plus que la conclusion, fort modifiée, et l 'argumentation dans son ensemble consis-

1) L a traduction portugaise de la lettre « faite à Pará , certifiée con­forme par le P . Bucarel l i (Louis Marie) , de la Compagnie de Jésus , le 11 septembre 1727, et envoyée au Conseil d'Outre-mer, à L isbonne» , Bibl . Nat. de Lisbonne, Archivo do Conselho Ultramarino, Liasse n° 1052, reproduite par R . B . I V , pp. 213 et suiv., la retraduction française dans R . B . III , pp. 83 et suiv.

Page 375: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 367 —

tait en ceci : « la riviere de Japoc ou de Vincent Pinson » n'est pas identique avec l'Oyapoc du Cap d'Orange ; la pre­mière dénomination, Japoc, est éliminée, « la riviere » est éliminée aussi, reste: «Vincent Pinson». Auprès du «Vin­cent Pinson » se trouve une « Baye ». La frontière s'appelle en conséquence « Baye de Vincent Pinson ». La Baye est située « plus au sud que la Rivière de Cachi pour », et la frontière par conséquent est aussi « plus au sud que la Rivière de Cachipour ». Mais comme la « Baye » - ou plutôt la « Rivière de Vincent Pinson, autrement nommée Ojapoc », en laquelle subitement la « Baye » se transforme de nouveau — est petite, d'Orvilliers estime que le roi de France n'aura rien à objecter à ce qu'on place la frontière à une grande riviere plus au nord, qui est le « Cachipour ».

Selon la nouvelle conception de d'Orvilliers, c'était donc en quelque sorte par la faveur du roi de France que la frontière du Cachipour devait être donnée aux Portugais; la même frontière jusqu'à laquelle, en 1723, il avait hésité à se risquer.

On n'en met que plus d'âpreté à vouloir faire respecter cette frontière. « On m'a affirmé », continue-t-il dans sa lettre, « comme chose certaine que des Portugais s'étaient établis à Cachipour. Pourvu que cela soit du côté du Sud de la dite riviere, jusqu'à ce que les ordres du Roi mon maître arrivent, je ne mettrai à cela aucun empêchement. Mais si qui que ce soit allait demeurer au Nord ou au Nord-Ouest de cette riviere, je ne pourrais faire autrement que de les en faire c h a s s e r . . . ».

Outre la lettre adressée au gouverneur portugais, d'Or­villiers remit à des Roses des Instructions l ) qui l'autori-

1) R . B . I V , pp. 216 et suiv. (traduction portugaise), ibidem, III, pp. 86 et suiv. (retraduction française). Des Roses avait ordre de com-

Page 376: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 6 8 —

saient à négocier, au nom du gouverneur français et selon les ouvertures faites au gouverneur portugais « au sujet des limites entre le Roi de France et le Roi de Portugal». « Il fera remarquer à M. le Général que la riviere de Cachipour est celle qui doit servir de limite. II demandera une carte portugaise et fera remarquer que la Baie du Vincent Pinçon se trouve au delà du Cachipour ; par conséquent que c'est l 'emplacement de leurs limites. 11 fera considérer à Monsieur le Général que, par le dernier Tra i té de Paix, le Roi mon Maître cède au Roi de Portugal les terres dites du Cap du Nord que, d'après ce Trai té , il aurait été juste qu'on s'arrêtât aux terres qui sont en face des îles du Cap du Nord, mais que, pour éviter tout diffé­rend, je m'arrêterai à la riviere qui est au Nord de la Ba ie du Vincent Pinçon, j e m'arrêterai même au Cachipour.

Si ledit Général veut signer cet accord, je l'enverrai au Roi mon Maître, comme il l 'enverra de son côté au Roi son Maître, pour le faire approuver » . . .

Mais ces propositions de d'Orvilliers ne furent pas com­muniquées à temps au gouvernement portugais ; des Roses n'arriva pas à P a r a et la lettre du 20 août 1726, qu'il était chargé de remettre, ne parvint qu'après coup (postérieure­ment au 4 mai 1727) en mains du gouverneur portugais 1).

Ce retard était dû aux circonstances que voici : Un fonctionnaire français de la colonie, le sieur Dage ,

détaché à proximité de Cayenne, avait été assassiné par

muniquer également ces instructions au gouverneur portugais (R. B . III , page 86).

1) A sa lettre du 4 mai 1727, d'Orvilliers joignit la copie de celle du 20 août 1726, non parvenue au destinataire, avec les instructions pour des Roses; R. B . I II , page 114: « J e vous adresse ci-joint copie de la lettre que j'avais envoyée à Votre Seigneurie par l'intermédiaire du Sieur des Roses, l'officier qui commandait cette chaloupe, et j'y joins aussi les instructions que je lui avais données. »

Page 377: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 6 9 —

ses esclaves, en même temps que sa femme, son nour­risson et un administrateur. Les assassins s'étaient enfuis, emmenant un petit enfant, dans la direction de l'Amazone, à ce qu'apprit d'Orvilliers. « Cette noire action crie ven­geance », écrivait celui-ci dans la lettre du 20 août 1726, adressée à da Maya da Gama, à qui il annonça en même temps que des Roses, le porteur de la missive, avait l'ordre de poursuivre les fugitifs dans son voyage à Para et de demander leur extradition « s'ils sont allés du côté de la résidence de Vot re Seigneurie ; . . . chose que je suis per­suadé que Vot re Seigneurie ne lui refusera pas, puisque ce crime regarde toutes les colonies en général et que toutes les têtes couronnées y sont intéressées » ] ) . Pour poursuivre les meurtriers, il avait été adjoint au sieur des Roses un sous-lieutenant, un sergent et quelques soldats. « Il s'informera », prescrivait l'instruction, « auprès de tous les Indiens qu'il rencontrera en route, d'ici au Pará, s'ils ont appris que lesdits assassins aient été sur quelque riviere... Si sur ces rivieres il n'y a point de nouvelles de ces gens, il ira jusqu'au Pará » 2 ) .

C'était de la part de l'autorité française un empiètement sur les droits de souveraineté du Portugal ; l 'excuse en était dans l'horreur du crime commis.

L a colonie portugaise professait une certaine méfiance à l'égard de ces expéditions des Français ; aussi le sieur des Roses y fut-il très mal accueilli. A la station des « Pères Missionnaires de Touaré » 3 ) , on lui refusa un guide pour

1) R . B . III , page 84. 2 ) R. B. III, page 87. 3 ) C'est ainsi que l'écrit d'Orvilliers le 4 mai 1727 (R. B. III , page 114);

ou Taueré selon da Maya da Gama (R. B . III , page 96) ; il s'agit du Toheré, un petit affluent de l 'Amazone, qui a son embouchure entre le J a r y et le Paru. (R. B . III , page 96, note 2.)

24

Page 378: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 370 —

1) Conf. R . B . III , page 96, note 2, et page 114. 2 ) « Regimento que ha de guardar o Sargento-Mór Francisco de

Mello Pa lhe ta », Bib l . Nat. de Lisbonne, Arch , do Cons. Ultramarino, Liasse n° 1032, texte portugais R . B . I V , pp. 229 et suiv.; la traduction française, R . B . I I I , page 101, prête à équivoque.

P a r a ; il dut rebrousser chemin, fit naufrage en route et

périt 1 ) .

Cela causa une grande exaspération à Cayenne, alors

qu'en même temps le gouverneur portugais de Para , qui

ne connaissait pas ou ne connaissait qu'incomplètement les

motifs de l'expédition de des Roses , était irrité de ce nou­

vel empiètement des França is sur le territoire portugais.

3. Au commencement de 1727, Maya da Gama décida

d'envoyer une autre expédition portugaise vers le nord

pour se renseigner sur la situation dans le Contesté, opérer

une nouvelle reconnaissance sur l 'Oyapoc et faire remettre

une lettre de plaintes au gouverneur de Cayenne. Il en

confia le commandement au major Francisco de Mello

Palheta, à qui il remit une instruction.

a) Cette instruction 2 ) , datée de Belem do Para le 20 fé­

vrier 1727, stipule:

Une ordonnance royale a décidé que tous les ans

quelques chaloupes armées en guerre aillent croiser « à la

côte du Nord », pour savoir si des França is violent la

frontière, et dernièrement le roi a expressément ordonné

la surveillance et la défense de ses domaines situés, de

notre côté, à l 'embouchure de la riviere de Vicente Pinçon,

appelée Japoco , sur laquelle riviere de l'autre côté se

trouvent les bornes . . .

En outre, il est devenu nécessaire de châtier les Indiens

Aroans, qui ont attaqué des sujets de S a Majesté.

Ensuite : « le bruit a couru ici que les França is ont

enlevé, ou avaient l'intention d'enlever lesdites Bornes et

Page 379: Sentence du conseil fédéral Suisse

3 7 1 —

de bâtir des forts ou fortifications à l'embouchure de ladite riviere ou sur les domaines de S a Majesté, et d'autres disent sur les terres qui leur appartiennent au delà de la riviere de Vicente Pinçon, ce qu'il faudra éclaircir, pour empêcher qu'ils ne passent en deçà de ladite riviere. »

Là-dessus est arrivée la dernière nouvelle, « qu'ils sont entrés dans la riviere des Amazones à la poursuite de quelques-uns de leurs esclaves qui se sont enfuis de ce côté-ci ».

De là cette expédition : F . de Mello Palheta con­duira quatre chaloupes, il prendra le P. Bernardino au Tajapurú et il se renseignera auprès de lui pour savoir s'il vaut mieux châtier d'abord l'insurgé Guaimá et ses hommes, ou aller à la « riviere de Vicente Pinçon », il consultera sur la même affaire le « P. Joâo, commissario da Con-ceicão que esta na ilha defronte do Macapâ ». D'après les renseignements que possède le gouverneur, il semble « qu'il faut d'abord faire le voyage à la riviere de Vicente Pin­çon ». Mais, auparavant, Mello demandera « s'il y a des Français dans l'intérieur sur la riviere des Amazones et s'il en trouve, il les mettra en état d'arrestation. Car à teneur du traité d'Utrecht, dont les articles applicables sont rappelés à Mello, « la possession et le domaine de toutes lesdites terres depuis ladite riviere de Vicente Pin­çon, ou Japoco, qui est une seule riviere » appartiennent au Portugal (posse e dominio de todas as ditas terras desde o dito rio de Vicente Pinçon, ou Japoco, que hé o mesmo).

De Macapa, il a ordre d'aller à l 'Araguary « et aux autres cours d'eau du Cap du Nord », « et lorsqu'il les aura dépassés, il cherchera la riviere de Vicente Pinçon, entrant, s'il lui semble bon, en allant ou en revenant, dans la riviere Guanany et dans le Caxipurú, qui se trouve

Page 380: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 372 —

avant la riviere de Vicente Pinçon, prenant grand soin

d'éviter le mascaret, les bas fonds, les courants de toutes

les pointes et les terres du Cap du N o r d . . . » .

Pour qu'il connaisse la route qu'il doit suivre, il lui

sera remis « un Routier de la Côte d'Araguari jusqu'à la

riviere de Vicente Pinçon, lequel a été dressé par mes

ordres par le capitaine J o â o Paes ».

« Il s 'assurera partout si les Français , en contravention

de ce qui est stipulé au Chapitre 12 du Trai té d'Utrecht,

entrent et trafiquent sur toutes ces terres, situées en deça

de la riviere de Vicente Pinçon....»

« Entrant dans la riviere de Vicente Pinçon appelée

Japoco, où sont les bornes, il les examinera de nouveau

pour voir s'ils ont modifié les marques, car elles ont été

faites dans la roche même au sommet de la montagne qui

se trouve à main droite en entrant dans ladite riviere. » Ici

« dans la même riviere » il devait attendre avec toute sa

flottille et pendant qu'un officier (Joâo da Matta ou Joseph

Mendes) porterait la lettre au gouverneur à Cayenne, s'as­

surer s'il y avait des indigènes près de la riviere, « et il

s'informera, si les França is y ont 1 ) un établissement».

En revenant, il châtiera les Aroans et les Mexiannas,

peuplades rebelles.

Il appert de l'instruction que le 20 février 1727 l'opinion

de da Maya de Gama était toujours que le «Japoc ou Vincent

Pinson » du traité d'Utrecht était l 'Oyapoc du Cap d'Orange,

avec, sur la rive gauche, la montagne qui portait les bornes-

frontières. En venant du Cap du Nord, il faut passer le

Cassipour pour arriver au « Vincent Pinson ». Da Maya da

1) L a traduction française de R . B . III , page 108, dit par erreur «ont vu» . L e texte portugais es t : « sahendo se os Francezes tem nelle povoação», R . B . I V , page 234.

Page 381: Sentence du conseil fédéral Suisse

Gama conteste ensuite qu'on doive séparer le « J apoc » du

« Vincent Pinson » ; le Japoco et le Vicente Pinçon, dit-il,

sont une seule et même riviere (hé o mesmo).

b) Il n'existe que des informations incomplètes sur la

marche et la durée de l'expédition. Des vigies françaises

constatèrent sa présence sur l 'Oyapoc du Cap d'Orange,

où, conformément à l'instruction qu'elle avait reçue, elle

procédait à ses recherches sur la riviere de «Vicente Pinçon

appelée Japoco » et devait attendre le navire envoyé à

Cayenne. Lefebvre d'Albon écrivait à ce sujet le 15 juin 1727

au comte de Maurepas : ] ) . . . « Les Portugais de leur côté nous

chicannent et le Gouverneur de Para envoia le mois passé

sur notre côte neuf pirogues montées de 200 hommes, tant

Indiens pour Équipage, que soldats, pour, à ce qu'ils disent,

châtier les Indiens. Ils mouillèrent devant notre nouvel

Établissement d'Oyapok, d'où le Commandant de la flotte

détacha une Pirogue avec deux officiers et un père Recolet,

pour remettre ès mains de M. Dorvilliers une Lettre du

Gouverneur de Para. »

Ce rapport aussi montre que la riviere de «Vicente

Pinçon, appelée Japoco » que da Maya avait en vue, était

réellement l'Oyapoc du Cap d'Orange.

Les renseignements fournis par les membres mêmes

de l'expédition se trouvent dans le procès-verbal de l'au­

dition des témoins qui, à cette occasion, ont procédé à une

nouvelle inspection des bornes 2 ) . Plusieurs des personnes

1) M. F . II, pp. 125 et suiv. («Archives de Cayenne»). Reproduit par R . B . III, pp. 125 et suiv.

2 ) « Procès-verbal de l'examen fait aux pierres du sommet de la Mon­tagne d'Argent par le Major F . de Mello Palheta et sa suite. Vayapouco iOyapoc), 13 mai 1727 », d'après la « Copie annexée à la dépêche du 1 e r octobre 1793 du Capitaine-Général de Pará , D. Francisco de Souza Coutinho, d'après l'original au secrétariat du Gouvernement de Pará .

373

Page 382: Sentence du conseil fédéral Suisse

qui y assistèrent avaient pris part à la découverte des

pierres faite par l'expédition d'Amaral; en outre, un sous-

lieutenant français et deux soldats de Cayenne étaient pré­

sents. Il fut constaté :

Qu'on chercha les pierres sur le même Mont d'Argent,

où Amaral disait les avoir t rouvées;

que « étant arrivés à cet endroit, le dit commandant a

vu les pierres ainsi que d'autres » ;

que les anciens compagnons d'Amaral, à la question

« si c'étaient bien là les mêmes pierres qu'ils avaient trouvées

portant les Armes Royales », répondirent tous : « que c'étaient

les mêmes pierres qu'ils avaient vues avec les mêmes

dessins ».

Les sculptures « de chacune de ces pierres » furent

dessinées sur papier, ainsi que les signes tracés sur les

« petites pierres brutes naturelles qui étaient dans le même

endroit ».

c) L a lettre que da Maya da Gama fit porter à Cayenne

au gouverneur français d'Orvilliers, par l'expédition de

Mello Palheta, était datée du 20 février 1727 1). Ce dont le

gouverneur portugais se plaignait le plus dans cette lettre,

c'était de l'affaire des Roses : . . . « une chaloupe, montée par

un officier et des soldats, est entrée par la Rivière des

Amazones jusqu'aux villages du Taue ré à la poursuite de

quelques esclaves évadés, ou sous ce prétexte . . . violant de

cette façon ledit Trai té (d 'Utrecht) . . . , d'où il aurait pu et

il peut encore s'ensuivre une rupture entre les deux Cou-

Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Cons. Ultramarino, Liasse 479 A », texte portugais, R . B . I V , pp. 245 et suiv., traduction française, R . B . I I I , pp. 121 et suiv.

1) Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Conselho Ultramarino, L iasse n° 1052, texte portugais reproduit par R . B . I V , pp. 223 et suiv., traduc­tion française R . B . III , pp. 95 et suiv.

3 7 4

Page 383: Sentence du conseil fédéral Suisse

ronnes, parce que, lorsque cette nouvelle m'est parvenue, j ' a i envoyé mes gens à leur recherche, et s'ils les avaient trouvés, il n'y a pas de doute qu'il y aurait eu entre eux lutte et combat, car ces Français avaient pénétré dans les domaines du Roi mon Maître, où ils n'ont ni droit ni pou­voir d'entrer ni de faire des arrestations, même si c'étaient des esclaves en fuite ». D'Orvilliers aurait dû lui demander d'arrêter et de livrer les esclaves fugitifs, « en m'envoyant un ou deux soldats dans une petite barque ainsi que je le fais pour remettre la présente ». Il ne se considérait d'ail­leurs comme tenu de ce faire que si le gouverneur français de son côté avait agi de même à l'égard des esclaves réfu­giés sur territoire français. Da Maya da Gaina mettait donc en question l'obligation même d'extrader, à cause du défaut de réciprocité.

Il proteste ensuite énergiquement contre les violations de frontières jusqu'alors commises par des Français. Lui-même s'est toujours strictement conformé au traité : « Mes cha­loupes de guerre n'ont jamais dépassé la Rivière de Vicente Pinçon », jamais il n'a toléré « que mes ressortissants, sous aucun prétexte, passassent au delà de la Rivière de Vicente Pinçon et arrivassent plus loin que les bornes-frontières (marcos) ». Pa r contre, « tant Vot re Seigneurie que ses administrés agissent en contravention de tout ce qui y a été stipulé, Vot re Seigneurie en le permettant, et ses admi­nistrés en entrant par les rivieres et en circulant sur les terres du Roi mon Maître. Dans ces conditions j e suis obligé à envoyer mes chaloupes de guerre jusqu'à la Rivière de Vicente Pinçon et d'expédier de là à Votre Seigneurie, par un petit canot la présente lettre dans laquelle je la requiers, de ma propre part et de celle du Roi mon Maître, d'observer sincèrement et religieusement ledit Traité, em­pêchant ses sujets de traverser ladite Rivière de Vicente

375

Page 384: Sentence du conseil fédéral Suisse

Pinçon pour entrer de ce côté-ci dans les rivieres, les barres et les terres du Roi mon Maître, et je proteste contre la violation dudit Trai té , parce que tous ceux qui dorénavant seront trouvés sur lesdits domaines seront par mon ordre faits prisonniers et envoyés au Roi mon Maître, pour qu'il le fasse savoir au Roi Très-Chrétien et que celui-ci com­mande à Vo t re Seigneurie de faire réparation pour la vio­lation dudit Trai té , ayant agi en complète contravention de ce qui y est stipulé ; et, en attendant, je défendrai de toutes mes forces les domaines du Roi mon Maître et je châtierai quiconque voudrait s'en emparer. »

Au fond, cette lettre constituait le refus de livrer les esclaves aussi longtemps que la F r a n c e ne remplirait pas de son côté ses obligations à cet égard; elle revendiquait catégoriquement la frontière du « Japoc ou Vincent Pin­eau du traité d'Utrecht à l'Oyapoc du Cap d'Orange.

Rien qu'en ce qui concernait la question de la frontière, cette lettre devait soulever une vive opposition à Cayenne, depuis que la théorie de la baie de Vicente Pinson y était admise.

De plus, les termes dans lesquels elle était conçue étaient si absolus qu'elle devait jeter de l'huile sur le feu, à un mo­ment où les esprits étaient déjà fort excités à Cayenne.

4. L e gouverneur français répondit sur le même ton, accentuant aussi ses prétentions. D'Orvilliers écrivit le 4 mai 1727 à da Maya da Gama 1) :

Il a reçu la lettre de da Maya « dont j 'a i été très peu satisfait . . . Il semble que dans sa lettre V o t r e Seigneurie

l ) Bibl . Nat. de Lisbonne , Arch . do Cons. Ultramarino, Liasse n° 1052. Traduction en portugais faite à P a r á et certifiée conforme, le 11 septembre 1727, par le Pè re Louis-Marie Bucarel l i de la Compagnie de Jésus , reproduit par R . B . I V , pp. 237 et suiv., retraduction française, R . B . III , pp. 111 et suiv.

376

Page 385: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 377 —

use de menaces. » Il demande « quelques explications » sur

ce que da Maya a voulu dire en parlant de « châtier » ; il

ne veut pas envoyer immédiatement à son gouvernement,

en France, la lettre de da Maya, « pour vous laisser le

temps d'y réfléchir. . . mais de grâce, n'usez pas de termes

qui pourraient en quoi que ce soit ressembler à des me­

naces . . . Peut-être Votre Seigneurie m'apprendra-t-elle à

faire la guerre », et ainsi de suite.

Quant aux divergences sur la question même, d'Orvilliers

s'explique comme suit :

Il dit au sujet des esclaves dont il avait demandé l'extra­

dition, de ces assassins, que « même pendant une guerre,

j 'aurais eu le droit de vous réclamer les gens de cette

espèce. Et si Vot re Seigneurie ne les livre pas, elle en

recevra l'ordre du Roi son Maître ».

En ce qui concerne la frontière « je désire faire toucher

du doigt à Vot re Seigneurie que ceux qui ont violé ce traité,

ce sont les Portugais, et que Votre Seigneurie elle-même

le viole aujourd'hui, attendu que . . . un officier portugais a

été assez mal avisé pour venir en cachette à la Montagne

d'Argent et pour y placer les Armes du Roi de Portugal » ;

mais cette montagne se trouve « à plus de trois lieues au

Nord-Ouest de notre riviere de l 'Oyapoc ». En 1723, l'officier

portugais qui est venu au Cachipour, où il a rencontré deux

soldats français, a également commis une violation de fron­

tière.

« . . . . E t si Votre Seigneurie était venue à Oyapoc

comme elle me l'avait mandé par le Père Joâo Chrysostome,

j ' y serais aussi allé et nous aurions déterminé nos fron­

tières. Mais Vot re Seigneurie n'y est pas venue ».

Et si da Maya s'était bien renseigné, il aurait appris

« qu'il n'a jamais existé de riviere du nom de Vicente Pinson

dans toutes ces contrées, et que la riviere d'Ojapoc, autre-

Page 386: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 378

ment dite Vicente Pinson, à supposer qu'elle existe, se trouve dans l'Amazone.»

«Que Vo t re Seigneurie se renseigne auprès des gens âgés de P a r á ; ils lui diront où se trouve cette riviere-là. Qu'elle examine ses cartes géographiques, et elle verra que la Ba ie de Vicen te Pinson est vis-à-vis du Cap du Nord. L e Pè re capucin de V o t r e Seigneurie est d'accord avec nous sur tous ces points. L e traité de paix stipule que le Roi de F r a n c e cède au Roi de Portugal les terres ap­pelées du Cap du 1 ) Nord. Quelle connexion ont-elles les terres du Cap d'Orange avec celles du Nord et du Nord-Ouest, qui se trouvent à un degré de latitude septentrionale, alors que le Cap d'Orange est sous le quatrième degré?

Il est donc nécessaire, Monsieur, de fixer nos fron­tières . . . .

Pour en finir, il s'agit, Monsieur, de t racer la frontière, et. jusqu'à ce que cela soit fait, que les Portugais ne re­montent pas plus haut que la baie de Vicente Pinson qui se trouve à l'Ouest du Cap du 1 ) Nord, ni que les França is dépassent Cachipour, terre du Cap d'Orange 2 ) ; ni que les Portugais s'allient avec les Indiens qui habitent les terres du Roi mon Maître. J ' a i entendu dire que les gens de V o t r e Seigneurie ont donné la chasse à quelques Indiens Palicours qui ont de tout temps habité le Cachipour. J e prie V o t r e Seigneurie de faire le nécessaire pour que cela ne se renouvelle pas 3 ) .

1) Dans la traduction française de R. B . III, page 113, « Cap Nord », dans le texte portugais « Cabo do Norte », R . B . IV, page 239.

2 ) R. B . III, page 115, traduit « Cachipour où finit le Cap d'Orange »; dans le texte portugais « Cachipur, terra do Cabo d'Orange », R. B. IV, page .240.

3) Ici apparaît de nouveau la connexité qui existe, pour l'autorité de Cayenne, entre la question de la frontière et ses relations avec les Indiens établis sur le Cassipour.

Page 387: Sentence du conseil fédéral Suisse

379

D'après l'article 10 du Trai té d'Utrecht, les deux rives

du fleuve des Amazones appartiennent au Roi de Portugal.

Il ne s'agit que de savoir où se trouve la riviere de Vicente

Pinson. L a baie est connue ; la riviere doit s'y déverser »

(A bahia he conhecida; o rio deve estar nessa bahia) 1).

En résumé, d'Orvilliers prétend que :

aa) Il n'a jamais existé de riviere du nom de Vicente

Pinson.

bb) L a riviere « d'Ojapoc autrement dite de Vicente

Pinson » se trouve, à supposer qu'elle existe, dans l'Amazone.

cc) Il existe une « Baie de Vicente Pinson » « vis-à-vis

du Cap du Nord ». La baie est connue; la riviere doit être

dans cette baie.

dd) Au roi de Portugal appartiennent « les terres appe­

lées du Cap du Nord ». Les « terres du Cap d'Orange »

n'ont pas de connexion avec celles-là.

Au lieu d'une délimitation, il y en a trois: en premier lieu la riviere d'Ojapoc, autrement dite de

Vicente Pinson dans l'Amazone forme la frontière « à sup­

poser que cette riviere existe » ;

en second lieu, « la Baie de Vicente Pinson » près du

Cap du Nord « où doit être la riviere », forme la frontière ;

en troisième lieu, « les terres du Cap d'Orange » appar­

tiennent à la France et vraisemblablement le Cassipour

forme la frontière.

Voilà qui explique l'incertitude qui caractérise la con­

clusion provisoire :

Les Français ne devront pas dépasser le Cassipour,

les Portugais ne pas aller au delà de la « baie de Vicente

Pinson ». L e territoire intermédiaire est une sorte de terri­

toire neutre. Mais du coup, la « riviere Ojapoc autrement

1) L a traduction littérale est: « l a riviere doit être dans cette baie»

Page 388: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 380 —

1) M. F . I I , page 125. 2) Une note empruntée par M. F . I, page 180, aux Archives du

Ministère des colonies, montre qu'à la cour, on désirait être exactement renseigné sur l'administration de d'Orvilliers et qu'on enjoignit à ce fonc­tionnaire « que cependant il soutînt les droits de S . M. et qu'il envoyât des mémoires concernant les établissements qu'il avait proposé de faire ».

3 ) M. F . I I , pp. 125 et suiv., « Archives de Cayenne » ; d'après ce texte, R . B . I I I , pp. 125 et suiv.

dite de Vicente Pinson dans l 'Amazone » disparaît de

nouveau.

5. Dans sa missive, d'Orvilliers annonçait « la copie de

ma lettre sera expédiée à la Cour de F rance », et Lefebvre

d'Albon relate que d'Orvilliers envoya à la cour 1 ) la lettre

de da Maya da Gama, du 20 février 1727, traduite en

français, le gouverneur portugais n'ayant apparemment pas

mis à profit le délai qui lui avait été accordé pour retirer

ses griefs.

L e gouvernement français a donc été mis au courant,

par cette correspondance déjà, du conflit de frontières qui

avait éclaté 2 ) .

En outre, Lefebvre d'Albon écrivit à ce sujet au comte

de Maurepas le 15 juin 1727 3):

Pa r la lettre du gouverneur portugais « V . G. verra

avec un stile un peu menaçant et fanfaron des prétentions

tout à fait opposées aux notres. Il n'est que de consulter

le traité d'Utreck, pour connoitre les mieux fondés.

Dans l'Article 8 il est dit que les terres appellées du

Cap du Nort situées entre la Rivière des Amazones et celle

d'Oyapok ou de Vincent Pinson appartiendront au R o y de

Portugal, il s'agit de démontrer où est située cette dernière

Rivière ; c'est à l'endroit où je la marque dans la carte

hollandoise ci-jointe. S i V . G. veut se faire représenter la

Carte Géographique de la Rivière des Amazones dressée

Page 389: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 381

par Defer sur des mémoires Portugois, elle y est bien

marquée la baye de Vincent Pinson; et le père Récolet

dont j 'ai parlé ci-dessus en convint devant l'officier com­

mandant la de Pirogue (qui partit de l 'Oyapoc avec la

lettre ad re s sée à d'Orvilliers) ; il en parloit savament, puis­

qu'il est missionnaire en ce quartier là. Il est constament

vrai que jamais à Cayenne on n'a oui parler que notre

Oyapok 1 ) ni autre Rivière en deça du Cap de Nord ait

porté le nom de Vincent Pinson, si ce n'est celle que je citte.

Il est tout évident que les terres appellées du Cap de

Nord ne peuvent raisonnablement s'étendre en deça de la

grande Isle où est situé ce cap, et que la pointe Septen­

trionale de cette Isle doit être censée faire le véritable point

de démarcation; cela se confirme encore par l'Article 10 e

où il est uniquement dit que les deux bords de la Rivière

des Amazones seront reconnus apartenir au Roi de Por­

tugal ; à quoi bon cette seconde explication ? elle auroit été

tout à fait inutile, si la côte de la mer en deça des terres

Cap de Nord et les terres du Cap d'Orange, dont il n'est

pas parlé, lui eussent aussi dû apartenir, outre que l'ar­

ticle 8 e , avec cette spécification expresse du nom de Vin­

cent Pinson, pour ne point confondre plusieurs Oyapok,

s'explique de manière à conclure que le bord Septentrional

de l'Isle borne les terres du Cap de Nord à la baye Vin­

cent P i n s o n . . . .

M. Dorvilliers a aussi l'honneur de vous en écrire et

souhaiterions en voir bientôt la décision, elle est importante

pour le repos des Indiens sujets du Roi 2 ) . Ils sont cruelle-

1) L a vérité est qu'à Cayenne les Français disaient exclusivement Oyapoc, comme les Portugais de leur côté disaient Vincent Pinçon.

2 ) Une fois de plus, on invoque les relations entretenues avec les Indiens du Contesté comme un motif pour réclamer le déplacement de la frontière.

Page 390: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 382

ment molestés par les Portugois, qui leur courent sus à

main armée, et aussi pour prévenir telle action qui pourroit

naitre de leur part contre nos traiteurs françois. »

Cette pièce s'inspire de la conception de d'Orvilliers,

quelque peu modifiée et élargie. D'Albon préconise avec

plus de force la frontière de la « baye de Vincent Pinson »,

la seule possible, et son argumentation est celle-ci : ni « notre

Oyapok », ni aucun autre cours d'eau en deça du Cap du

Nord (vers Cayenne) n'ont jamais porté ce nom. Mais il

existe une « baye de Vincent Pinson » sur certaines cartes.

Cette baie est située près du Cap du Nord. L e Cap du

Nord convient d'ailleurs comme frontière pour d'autres

raisons encore : le traité d'Utrecht attribue au roi de Por­

tugal les « t e r r e s appellées du Cap du Nort» , et ces

termes ne sauraient viser un territoire qui s'étend bien au

delà du Cap du Nord, puisque le traité n'a cédé au Por­

tugal que « les deux bords de la Rivière des Amazones ».

En conséquence, la frontière est évidemment « la pointe

Septentrionale » de la grande île du Cap du Nord « à la

baye de Vincent Pinson » et la « spécification expresse du

nom de Vincent Pinson » a eu lieu « pour ne point con­

fondre plusieurs Oyapok ».

Certes, il ne suffisait pas de mentionner « plusieurs Oyapok » pour prouver qu'ils existaient ; en outre, Lefebvre d'Albon n'avait pas vu que la clause du traité d'Utrecht relative aux bords de l'Amazone n'avait rien de commun avec la délimitation du Contesté; mais avant tout le cours d'eau qui devait être identique avec la baie n'était pas encore trouvé.

6. D'Orvilliers, ainsi que d'Albon, relève que le père

capucin portugais qui était venu de l 'Oyapoc à Cayenne

apporter la lettre de da Maya da Gama avait compris

la nouvelle thèse de la F r a n c e au sujet de la délimi-

Page 391: Sentence du conseil fédéral Suisse

tation. Néanmoins, les autorités de Para ne la compri­rent pas.

L e gouverneur da Maya da Gaina s'expliqua sur ce point dans un rapport général détaillé que, le 25 sep­tembre 1727, il envoya de Belem do Para à son gouver­nement 1).

Da Maya da Gama y récapitulait les événements des dernières années :

En 1723, l'expédition qu'il avait envoyée a eu le bon­heur « de découvrir les Bornes à l'embouchure du Vicente Pinsson » 2 ) , fait sur lequel un « document authentique » a été remis au gouvernement. Déjà alors, il ne cessait d'in­sister dans ses rapports sur les dangers de la pénétration des Français « dans les domaines de Vo t re Majesté » ; il a réclamé des « Ingénieurs, des armes, des munitions, de l'ar­tillerie et des soldats » et proposé de construire un fort portugais sur le Vicente Pinsson. « Si le fort avait été bâti sur la riviere de Vicente Pinsson, les Français ne se seraient pas emparés maintenant de cette position. » Bien qu'à teneur du traité d'Utrecht, les terres de cette riviere vers Cayenne leur reviennent « néanmoins, les bornes étant de l'autre côté, nous aurions pu le construire facilement ». Mais comme il n'a rien reçu, pas même « des ordres de Vot re Majesté », il décline la responsabilité « de tout ce qui pourrait s'en­suivre à l'avenir », montrant toutefois qu'il a fait tout ce qui était possible avec les moyens insuffisants dont il usait : « j ' a i disposé de mon mieux la flotille de garde-côtes . . . je fis partir le commandant Francisco de Mello

1) Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Cons. Ultramarino, Liasse n° 1052,

publié en extrait par R . B . I V , pp. 247 et suiv. (texte portugais), R . B . III ,

pp. 129 et suiv. (traduction française). 2 ) C'est ainsi que le nom est écrit dans le texte portugais.

383

Page 392: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 8 4 —

Palheta . . . jusqu'à la riviere de Vicente Pinsson », d'où ce commandant devait envoyer une lettre de da Maya au gouverneur français à Cayenne. « Ce commandant arriva, en effet, jusqu'à ladite riviere de Vicente Pinsson ou Vaya -pouco, comme ils l'appellent, et il apprit qu'en amont on avait élevé un fort, et ayant demandé la permission, qui lui fut accordée, l'officier vit qu'on était en train de bâtir une forteresse de terre et de fascines, ou de terre battue, sur une pointe de la même riviere du côté de Cayenne » . . . De là il envoya un « adjudant pour porter ma lettre au Gouverneur de Cayenne, lequel se montra très courroucé, inventant et disant que, dans l'année 1723, j 'avais envoyé le Capitaine J o ã o Paes mettre des Bornes sur les terres du Roi son maître et y apposer les Armes Royales de Portugal, voulant par ce mensonge étendre les domaines du Roi de France et nier le bonheur que nous avons eu de les découvrir par les renseignements qui nous avaient été fournis par un de ses propres Français ; et ledit Gou­verneur affirma que la riviere de Vicente Pinsson était ici en dedans de la riviere des Amazones » . . . .

L e gouverneur français s'était montré irrité de la lettre de da Maya et avait envoyé une réponse que da Maya joignit à son rapport « lettre qu'il convient de voir et appré­cier, de même que celle que je lui ai écrite, pour se rendre compte de l'orgueil de ce Français , et que la ligue dans laquelle se trouve son Roi avec l 'Angleterre et la Hollande 1) les encourage dans cette fierté et dans leurs prétentions à étendre leurs domaines, prétentions qui ont été motivées par notre incurie et le manque de décision de Vo t re Ma­jesté, . . . car si on avait construit la forteresse sur le point

1) C'était l'époque des alliances éphémères entre les puissances, de 1714 à 1735.

Page 393: Sentence du conseil fédéral Suisse

que j'indiquais de ladite riviere, nous ne trouverions pas

maintenant la place occupée . . .

Tout ce que déclare ledit Français dans sa lettre est

faux, et pour la raison apparente qu'il veut faire droit à

son Roi et étendre ses domaines, car pour ce qui concerne

les Bornes, j 'ai répondu plus haut, et quant à la riviere

qu'il appelle Caxipu, elle est bien en deçà de la riviere de

Vicente Pinsson ; et il dit aussi qu'il n'y a jamais eu de

riviere de Vicente Pinsson, qu'il n'y en a jamais eu, et que

la riviere d'Ojapouco, autrement dite Vicente Pinsson, se

trouve dans l'Amazone.

Ou ce Français est fou et mal intentionné, ou il croit

que je le suis, car même les cartes françaises placent leur

riviere Japouco dans l'endroit où les bornes furent trouvées

et quoique sur leurs cartes ils aient mis au Cap du Nord,

et de leur côté, une Baie de Vicente Pinçon, ils l'ont fait

exprès et par fourberie, dans l'intention de prouver que là

était la riviere de Vicente Pinsson. »

« Pour détruire tout cet édifice de fausseté » il faut

considérer que « tous les anciens écrivains » l ) disent que

Charles-Quint avait fait mettre « les Bornes à l'embouchure

de la riviere de Vicente Pinsson qui est au delà du Cap

du Nord », et du Cap du Nord jusqu'à la riviere où les

bornes-frontières ont été découvertes, il n'y a « pas d'autre

grande riviere que celle-là » et ce n'est qu'à son embou­

chure que se trouve « cette montagne ».

Après avoir déclaré que le Vicente Pinsson est sur

l'Amazone, le gouverneur français dit que ses ressortissants

ne dépasseront pas le Caxipur, « comme s'il nous faisait

la grâce de nous laisser ce qui est en deçà de cette riviere

jusqu'à celle des Amazones».

1) Il entend Silveira (1624) et Guadalaxara (1630).

25

385

Page 394: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 3 8 6 —

« E t il en est de même de tout ce qu'il dit à ce sujet,

dans le seul but d'étendre leurs domaines, et pour tirer

profit de ces terres et des Indiens qui les habitent. » . . .

« Quant à moi, si j ' a i occasion de répondre au Fran­

çais, j e le ferai sans démonstration de rupture, mais de

façon qu'il comprenne qu'on ne craint pas ses menaces, et

que s'il venait poser ses Bornes au Para , j ' i rais les mettre

à Cayenne » ; ce ne serait pas la première fois qu'il se bat­

trait avec un général français.

« Enfin, j e déclare à V o t r e Majesté que ce Grand Para

et cette riviere des Amazones forment le domaine de V o t r e

Majesté, qui est sans forces comme sans défenses et que

c'est celui qui en a le plus besoin, tant à cause du mauvais

voisinage des Français , qui est le pire, que de celui des

Hollandais et des Espagnols ; avec ces derniers nous nous

entendrions m i e u x . . . . Le s França is dépensent largement

et, poussés par leur ambition, ils ne regardent pas à la

dépense qu'ils font, quelque grande qu'elle soit.

. . . S i ce rapport n'est pas écouté, je déclare à Vo t re

Majesté même, que je ne puis pas prendre la responsabilité

des suites de cet oubli, quoique j 'at tende à toute heure l'ar­

rivée de mon successeur pour me voir déchargé de ces

responsabilités. »

5.

L e 14 avril 1728, Alexandre de Souza Fre i re , le nou­

veau gouverneur qui avait remplacé da Maya da Gama,

arriva à S a m Luiz de Maranhão ; en octobre 1728, il était

à P a r a 1). L a même année, d'Orvilliers qui avait obtenu une

1) D'après Baena, Compendio das eras da Provincia do Para , cité par R . B . III, page 140, note.

Page 395: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 387 —

1) R . B . III , page 156, texte et note. 2 ) L a lettre fait mention de « l'avis que vous me donniés de votre pro­

chain départ pour la F rance », ce qui en fixe approximativement la date.

E l l e a dû être écrite encore en 1728. L e texte (en traduction française)

est reproduit par M. F . II, pp. 126 et suiv. (Archives du Ministère des

Colonies, Guyane, t. X L I I I , f. 132 ; dans M. F . I, page 184, on cite

t. L X I I I ) . L a lettre porte là la date de « Belem de Para , 12 novembre

1729 ». M. F . I, page 184, la cite en renvoyant à cette reproduction ; il

lui donne la date du « 12 novembre 1727 ». L e s deux dates sont évidem­

ment fausses ; celle mentionnée au commencement de la lettre, le «13 août»,

comme jour de l 'arrivée de Fre i re dans son gouvernement ne correspond

pas au 14 avril indiqué ci-dessus d'après Baena. L e document, tel qu'il a

été produit, n'offre donc pas toutes les garanties voulues. R . B . III ,

pp. 139 et suiv., le reproduit d'après M. F . II . 3 ) Il a été communiqué à l'arbitre la traduction française, faite à

Cayenne, d'une lettre dont l'original était écrit en portugais ou peut-être

en portugais et en latin (de même qu'une lettre postérieure de Souza

Freire , voir R . B . III, page 175). Dans ces conditions, une erreur a pu

facilement se glisser dans la traduction. Conf. R . B . III, page 165.

congé rentra en France où il mourut au commencement de 1729

1. Manifestement le nouveau gouverneur portugais s'ef­força de rétablir des rapports amicaux avec l'autorité fran­çaise, s'il en faut croire une lettre qu'il aurait adressée à d'Orvilliers, peu avant le départ de celui-ci pour la France 2 ) .

Après les formules de politesse, de Souza Fre i re aurait écrit dans cette lettre : « J e suis si convaincu de la solli-ditté de vos raisons sur la division de nos limittes que je trouve fort étrange que quelqu'un ait voulu formé la moindre difficulté sur cette matière 3)».

De Souza Fre i re s'explique immédiatement sur ce point : « L a riviere de Vincent Pinson » du traité d'Utrecht, doit être et rester la frontière, ainsi en ont décidé nos sou­verains ; « et je le souhaitte moy mesme tout comme vous. . . mais il est nécessaire d'observer que la riviere est notre point de démarcation » ; de même que, vers Cayenne, le

Page 396: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 388 -

bord de cette riviere appartient à la France , de même

l'autre bord, vers Macapa, appartient au Portugal, «de sorte

qu'en toute la distance depuis le bord de la riviere Vincent

Pinson jusqu'à Macapa le Roy mon ma î t r e . . . peut élever

des for teresses . . .

Mon Capitaine garde coste Francisque de Mellopaillent 1 )

porte dans ses instructions les ordres qu'il doit suivre

spécialement sur cette démarcation, voyant qu'il ne reste

aucun doutte entre vous et moy » . . .

2. Une lettre de Paul Lefebvre d'Albon à Alexandre

de Souza Fre i re , datée de Cayenne du 10 ou 11 août 1729 2 ) ,

est la première explication connue qu'ait fournie l'autorité

française au nouveau gouverneur de l 'Estado de Maranhão.

D'Albon écrit : On ne peut que se féliciter des deux parts « persuadé que nous allons voir renaître cette dési­rable correspondance, qui semblait en train de se déranger par l'entetement mal fondé de M. votre prédécesseur au sujet de nos véritables 3 ) limites ». Un mémoire relatif à la contestation qu'il avait envoyé à son gouvernement, a été probablement communiqué à l 'ambassadeur du Portugal à Paris, en même temps qu'une carte « non suspecte » tirée d'un « flambeau de mer » hollandais.

« J e voudrais en avoir une pareille à vous envoier, vous y verriés nomement marquée au fond de la baye

l ) Francisco de Mello Palheta . 2) Reproduit par M. F . II, pp. 128 et suiv., d'après les « Archives

de Cayenne» , avec la date du 11 août 1729; reproduit par R . B . III, pp. 143 et suiv., avec en regard le texte de M. F . II, d'après la « Col-leção de Manuscriptos », annexée à une dépêche en 1793 par le gouver­neur Dom F . de Souza Coutinho de P a r a (Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Cons. Ultramarino, L iasse n° 479 A ) , avec la date du 10 août 1729.

L e s deux textes ne concordent pas sur tous les points. 3) « Véri tables » manque dans le texte de R . B .

Page 397: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 8 9 —

1) R . B . : comme.

Vincent Pinson, près de l'embouchure du canal, qui par

derrière les terres du Cap de Nort communique à la riviere

des Amazones, une riviere nommée Japok. Notre carte

française dressée en 1702 sur les mémoires du R. P. Por­

tugais Dacuna, Rodriguez et d'Herrera marque et confine

les terres du Cap de Nord par la baye Vincent Pinson et

le R. P. Bernardin, Recollet, missionnaire en ce quartier là,

venu ici il y a deux ans avec le même Sieur François

Xavier ne put en sa présence disconvenir de ces vérités.

Il est donc incontestable suivant le sens naturel du

8e article du traité d'Utrecht que la dite baye Vincent

Pinson qui confine les terres du Cap de Nort et toute la

côte en deça appartiennent à la France. J e pourrais appuier

mon dire par un raisonnement plus étendu, mais j 'espère

qu'il n'en sera pas besoin, car selon votre gracieuse lettre,

nous voions avec grand plaisir cette difficulté presque 1 )

applanie. »

Plus loin, d'Albon reconnaît volontiers que des Indiens

du Cap du Nord ont trouvé asile dans la colonie de

Cayenne ; les Français traitent les Indiens en hommes

libres, tandis que les Indiens redoutent les Portugais.

11 y a deux choses nouvelles dans ces allégations de

d'Albon : en premier lieu, il attribue à une source por­

tugaise l'indication de la baye de Vincent Pinson qui figure

sur la carte de de l'Isle — ce qui n'est pas exact ; en

second lieu, la riviere « qui doit être dans la baie » est

trouvée ; c'est un Japok du « flambeau de mer » hollandais

- ce qui n'est pas établi davantage, attendu que la carte

du « flambeau de la mer » de Claes J . Voogt , publiée par

J . van Keulen, n'a, pas plus qu'une des cartes de l'atlas de

Pieter Goos, de baye de Vincent Pinson, ou de Japok au

Page 398: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 390 —

Cap du Nord, mais, presque dans le même territoire, uni­

quement un Rio Warypoco , le Iwaripoco de Keymis.

3. D e Charanville, gouverneur français ad interim, écri­

vit en même temps que d'Albon (le 10 août 1729) 1) de

Cayenne à Alexandre de Souza Fre i re 2 ) .

Il avise le gouverneur portugais de la mort de M. d'Or-

villiers et de la nomination de son successeur en la per­

sonne de M. de la Mirande. Il revient en ces termes sur

le conflit entre d'Orvilliers et da Maya da Gama : « s'il eut

vecu . . . il eut sçu faire differance entre vous et votre pré­

décesseur qui n'avoit jamais gardé avec luy aucune regle,

je ne dis pas de politesse, mais encore d'egards, et bien­

seances, que les personnes de condition se doivent ».

Charanville expose, quant à l'affaire des « limites » : « il

falloit. . . être peu instruit ou fort prevenu pour prétandre

etendre ceux de Portugal jusqu'à notre riviere d'Ouyapoc,

ou nous avons commencé de nous établir ». On n'avait

qu'à je ter les yeux sur la carte et sur les articles 8 et 9

du traité d'Utrecht « pour dissiper cette vision ». S i telle

avait été l'intention des parties contractantes, elles auraient

mentionné non seulement les « terres du Cap du Nord,

mais encore celles du Cap d'Orange ».

Puis, la lettre relate que « quelques Arrouans et Ma-

rones sont venus d'eux memes de temps près qu'immemorial

s'etablir dans les terres de la Domination Françoise , en

quoy ils n'ont suivi que leur arbitre » ; elle s'occupe ensuite

de l'extradition réciproque des fugitifs, se plaint de ce que

1) S i c R . B . I I I , page 162, confirmé ibidem, page 171 ; d'après R . F . II , page 139: «du 12 août» .

2 ) « Copie annexée à la dépêche du ler octobre 1793 du Capitaine-Généra l du Pa rá , D . Franc isco de Souza Coutinho, Bibl . Nat. de L i s ­bonne, Arch . do Cons. Ultramarino, Liasse n° 479 A », reproduite par R . B . III , pp. 155 et suiv.

Page 399: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 391

les assassins du sieur Dage, dont il a été souvent question, n'aient pas encore été livrés et de ce que « plusieurs (canots) de Portugais sont à Cachipour à dessain d'emmener les Palicours et d'autres Indiens de nos terres l ) ; . . . on a de plus trouvé un de nos Soldats mort dans un Canot aban­donné des Indiens ».

«Pour obvier, Monsieur», ainsi conclut la lettre, « à tous inconvéniants d'équivoque et méprises ou prétandues cauzes d'ignorance, il me paroit qu'il seroit a propos que des deputés intelligents et judicieux munis de part et d'autres de pouvoirs suffisants allassent de concert recon-noitre et marquer les bornes des deux dominations, c'est de quoy vous pourrés convenir avec Mr. notre nouveau Gouverneur. »

4. L e gouverneur portugais répondit en novembre 1729 2 ) à la lettre de Charanville; tout en affirmant sa grande sympathie pour les Français, il repousse de la manière la plus catégorique les prétentions émises par l'autorité colo­niale de Cayenne en ce qui concerne la délimitation : « L e principe de la contestation naît de la riviere que vous voulez appeler riviere de Vincent Pinson, laquelle a tou­jours été celle sur les bords de laquelle la France a fait ériger une forteresse, que je vois par les cartes est le

1) Cette expédition portugaise (1729) sur le Cachipour serait inexpli­cable si, en 1728, le gouverneur portugais avait réellement partagé l'opinion de d'Orvilliers, de d'Albon et de Charanville quant à la frontière.

2) M. F . II, pp. 135 et suiv., Archives du Ministère des colonies, Guyane, t. L X I I I , fol. 119, sous le t i t re: "Traduction de la réponse du Gouverneur du Para . Belem de Grand-Para, 1er novembre 1729 ». Cette lettre est la réponse à celle de Charanville, du 10 août. Comme dans une lettre postérieure, Charanville dit qu'il a été répondu le 17 novembre à sa lettre du 10 août, ou bien cette indication est inexacte, ou bien il faut changer la date de la lettre dont il s'agit en celle du 17 novembre. R . B . III , pp. 163 et suiv., reproduit un extrait de la pièce d'après le texte de M. F . I I .

Page 400: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 392 —

dernier terme de la navigation dans la partie duquelle la

F r a n c e ait une forteresse ; l 'autre frontière suivant le même

traité d'Utrech doit aussi, de nécessité, être celle du Por­

tugal ».

5. Charanville, de son côté, s'en tint à son argumen­

tation; il l'élargit même par une explication nouvelle au

sujet de la riviere « qui doit être dans la baie », et qui fait

l'objet d'une lettre qu'il adressa à A. de Souza Fre i re

le 16 février 1730 1): « J e prétends me renfermer dans le

traité d'Utrech parce que je vous l'ai écrit, si Ouyapoc ou

nous sommes établis eut du être le point de démarcation

on eut pas manqué d'énoncer 2 ) que le Roy mon maître

abandonnoit au Roy de Portugal, non seulement les terres

du Cap Nord, mais encore celles du Cap d'Orange . . .

On n'a qu'à jetter les yeux sur les flambeaux hollandais

et la carte faite sur les mémoires d'Herrera et des Pères

d'Acunha, et Rodrigués, que nous avons très fidelle pour

être convaincu de la vérité. On fit voir cette carte au

R . P. Bernardin, religieux de Saint-Antoine 3) qui était icy

avec Francisque Xav ie r Botero, au premier voiage qu'il y fit.

J 'é tois present quand ce missionnaire, qui avoit demeuré

longtemps dans une mission voisine du Cap de Nord, re­

connut sur cette carte la baie de Vincent Pinson et au

même lieu une petite riviere nommé Yapoc par moins de

deux degrés de latitude, au lieu que notre riviere d'Ouyapoc

est une grande riviere environ 4 ) les quatre, qui ne fut

1) M. F . II, pp. 139 et suiv., Archives du Ministère des colonies, Guyane, t. L X I I I , fol. 122; R . B . III , pp. 171 et suiv. en reproduit des passages d'après « la copie de l 'original » annexée à la dépêche, plusieurs fois mentionnée, du 1er octobre 1793. L e s textes de M. F . II et de R . B . I I I ne concordent pas exactement.

2) Dans R . B . I I I : d'énoncer dans ledit traitté. 3 ) R . B . I I I : de S t . Antoine de Pade. 4 ) R . B . I I I : par les quatre.

Page 401: Sentence du conseil fédéral Suisse

jamais nommé Vincent Pinson. C'est que nous fîmes remar­

quer au sus dit R. P., aussi bien que cette petite riviere,

dans l'enfoncement du Cap de Nord, qui entre dans ses

terres, s'écrit Yapoc, et celle ou nous sommes actuellement

Wyapoc sur les flambeaux et cartes hollandaises par un

double \ Y familier aux nations du Nord et que, selon notre

dialecte, nous prononçons ou. J e vous prie de faire vous

même cette observation. De la on a formé équivoque, soit

faute de lumières, ou par avidité d'établir des droits obscurs

qu'on ne peut maintenir sans surprendre la religion de

nos monarques. Plus de 40 lieues de côte font un objet

important » . . .

Charanville affirme par conséquent que sur les « flam­

beaux hollandais » et sur la carte de de l'Isle la baie de

Vincent Pinson figure par 2° de latitude nord, avec la

petite riviere Yapoc. C'est la riviere de J apoc ou de Vin­

cent Pinson du traité d'Utrecht. Ce petit Yapoc n'a rien

de commun avec notre Ouyapoc (l'Ouyapoc français) qui

est par 4° de latitude nord.

6. Cette lettre de Charanville était conçue en termes

amicaux. Mais l'irritation reprit quand Charanville dut

constater que A. de Souza Frei re refusait, aussi bien que

da Maya da Gama l'avait fait autrefois, de se rendre aux

arguments de la France et qu'il se contentait de répondre

par de belles paroles touchant la question de l'extradition.

Dans une lettre qu'il adressa le 27 mars 1730 1) au

gouverneur portugais, Charanville rapporte que selon une

information sûre qu'il a reçue, les Portugais ont envoyé un

certain nombre d'embarcations sur le Mayacaré,où ils veulent

fonder un établissement, ce qui, dit-il, cadre mal avec les

1) M. F . II, pp. 146 et suiv., Archives du Ministère des colonies, Cor­respondance générale, t. X I V , fol. 185; reproduit partiellement par R . B . III , pp. 177 et suiv.

393

Page 402: Sentence du conseil fédéral Suisse

assurances d'amitié jusqu'alors données par l'autorité por­tugaise. « Vous ne pouvez ignorer qu'elles sont nos pré­tentions puisque vous reconnoissez par votre même lettre que la differente position de nos limites fait le sujet de la contestation, nous prétendons qu'ils sont à la petite riviere d'Japoc, dans la baie de Vincent Pinson, ce qui est d'autant plus évident qu'on ne trouve ce nom en nul autre endroit sur les cartes . Vous voulez qu'ils soient à notre Ouyapoc »...

« Quelque puissent être nos droits », il était équitable et prudent « de ne rien entreprendre de part et d'autre dans toute l'étendue contestée jusqu'à cette respectable détermi­nation que nous attendons ». Au lieu de cela, les Portugais, d'après les renseignements reçus, auraient commis une lourde faute. « Ce seroit vouloir faire la loi à une nation bien plus accoutumée à la donner qu'à la recevoir. Pour peu qu'on ait envie de rompre la bonne intelligence, c'est le moyen le plus infaillible.... S i vous ne contenez pas vos gens, et qu'ils continuent d'entreprendre au dela de la baie de Vin­cent Pinson ... les représsailles suivront de près ».. . .

7. A la même époque, les deux autorités locales entre­tenaient avec leurs gouvernements une correspondance au sujet des questions litigieuses.

D'Albon adressait à M. de Maurepas, ministre de la marine, une copie de la lettre qu'il avait envoyée en août 1729 au gouverneur de Para , et y ajoutait cette observation: « toujours est-il important à notre commun repos de déter­miner solidement le point fixe de nos limites, que je marque au Gouverneur de Pa ra suivant l'article 8 du traité d'Utrecht, devoir être inclusivement pour nous la baye de Vincent Pinson, que confine et qu'on peut raisonnablement dire être les terres du Cap de Nort 1 ) . »

1) M. F . II, page 134, reproduit par R . B . III , page lb7.

394

Page 403: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 9 5 —

L e 21 mars 1730, d'Albon mandait au ministre 1 ) : «Les

premières lettres de ce Gouverneur (de Souza Freire) sem-

bloient incliner du costé de la raison, celles cy (deux lettres

reçues en février 1730) parlent un tout autre langage. »

Charanville y avait « fait une ample réponse », mais lui-

même croyant « que c'est chose assez inutile », s'était borné

à peu de mots.

L a présomption que le soldat français assassiné « près

de la riviere de Cassipour», l'avait été par des Portugais,

ne s'est pas confirmée ; les auteurs du crime sont des Indiens.

Auparavant déjà, les Indiens avaient tué un soldat français.

« Quoiqu'il . . . . convienne de ménager les Indiens, cependant

une seconde impunité pouroit tirer a conséquence. »

Dans une lettre qu'il adressait au ministre le 2 avril

1730 2 ) , Charanville était plus explicite au sujet de la question

de la frontière :

« Les Portugais et nous convenons du principe incon­

testable que suivant le traité d'Utrecht la riviere de Vincent

Pinçon est le point de démarcation, mais nos conséquences

différent de plus de 50 lieues de côte, objet important peut

être plus qu'on ne se l'imagine en F r a n c e ; ils ont envoiés

les raisons sur lesquelles ils se fondent, nous en avons fait

autant, nos souverains ont peut-être déjà prononcé nous

ignorons comment; de là nait une apprehension raisonnable

de faire quelque pas de clerc. »

Si les bornes doivent être déterminées par les deux sou­

verains « où elles doivent être à la riviere d'Yapoc, dans la

baie de Vincent Pinson, nom sur lequel on a formé équi-

1) M. F . II , pp. 144 et suiv., Archives du Ministère des colonies,

Correspondance générale, t. X I V , fol. 336. 2 ) M. F . II, pp. 148 et suiv., Archives du Ministère des colonies,

Correspondance générale, t. X I V , fol. 177, reproduit par R . B . III, pp. 181

et suiv.

Page 404: Sentence du conseil fédéral Suisse

voque pour surprendre la F r a n c e en l'attribuant ensuite à

notre riviere Ouyapoc », il serait important de créer un

« établissement solide » au Mayacaré ou peut-être directe­

ment à la frontière. Mais lui-même ne dispose pas des moyens

nécessaires : « S'il falloit équiper deux canots comme ils

doivent l 'être en guerre on ne le pourroit pas faute de

voiles, cordages, pierriers, mitrailles et bien d'autres choses.

L a meilleure volonté devient cependant inutile sans le pou­

voir. »

8. L e s documents versés au débat ne permettent pas

de suivre plus loin les négociations qui, jusqu'en 1732, conti­

nuèrent entre l'autorité de Cayenne et le gouvernement

français. Celui-ci ne prit pas de décision, aucun arrangement

n'étant intervenu avec le Portugal. On en resta à Cayenne

à la revendication de la frontière à la baie de Vincent

Pinçon; même, en 1732, d'Albon se plaignit auprès du

ministre de la marine d'officiers français qui ne s'étaient

pas arrêtés à cette frontière, ce dont les Portugais auraient

pu se prévaloir. Passant au delà du Cap du Nord, ces

officiers avaient remonté l 'Amazone sur un parcours de

près de 30 lieues et s'étaient arrêtés dans diverses missions

portugaises 1).

L e 30 septembre 1732, Maurepas manda au gouverneur

de Lamirande, le successeur de Charanville, au sujet des

négociations concernant la délimitation 2 ) : « J e suis persuadé

que ce sera inutilement, mais, quoi qu'il en soit, il ne faut

rien négliger qui puisse être contraire aux intérêts de S. M.

et à ceux de la colonie, et se souvenir que le Cap de Nord

est la principale limite. »

1) Le t t re d'Albon au comte de Maurepas, du 23 juin 1732, M. F . II ,

pp. 151 et suiv., Archives de Cayenne. 2 ) M. F . I, page 192.

3 9 6

Page 405: Sentence du conseil fédéral Suisse

9. En considérant comme vaine toute tentative de faire

adopter par le Portugal l'opinion alors dominante à Cayenne,

Maurepas se conformait aux circonstances. Et pourtant le

gouvernement portugais, à ce qu'on peut savoir, dans ses

instructions au gouverneur général du Maranhão, ne prenait

pas position à l'égard de prétentions précises formulées par

l'autorité de Cayenne; il se borne à faire au gouverneur

une recommandation générale 1) : « Ne perdez pas de vue

que les limites entre cette côte et celle de France de ce

côté sont à la Rivière de Vincent Pinson, autrement dite

Hoyapoc. » Et l'on put voir une concession dans l'offre faite

par le gouverneur général José da Serra , qui depuis deux

mois avait succédé à de Souza Freire, d'abandonner provi­

soirement la frontière de l'Oyapoc du Cap d'Orange; il

écrivait le 15 octobre 1732, au gouverneur français de Ca­

yenne 2 ) : « Tant qu'on n'aura pas pris là-dessus une décision

finale à Lisbonne et à Paris, abstenons-nous l'un et l'autre

d'entrer dans les terres du Cap du Nord ; c'est-à-dire vous

ne ferez pas venir vos gens du Cachipour au Cap du

Nord, et je ne ferai pas aller les miens du Cap du Nord

au Cachipour. »

Mais une année après son entrée en fonctions, le gou­

verneur parlait sur un tout autre ton. L e 2 novembre 1733

il exposait par lettre au gouverneur français 3) :

1) « L e Roi de Portugal, par son Conseil d'Outre-Mer, au Gouver­neur général de Maranhão, Lisbonne, 10 janvier 1730 », Bibl . Nat. de Rio de Janeiro, Provisões do Cons. Ultramarino, Cod. G M X L I V , 60—34, R . B . III, pp. 169 et suiv., I V , 255 et suiv.

2 ) Silva, I, page 78, cité par M. F . I, page 193. 3 ) « L e Gouverneur Général du Maranhão, José da Serra , au Gouver­

neur de la Guyane Française. Belem do Pará , 2 novembre 1733 », annexe à la dépêche du 1er octobre 1793, Bibl . Nat. de Lisbonne, Arch. do Cons. Ultramarino, Liasse n° 479 A, R . B . III , pp. 193 et suiv. (traduction fran­çaise), R . B . IV , pp. 257 et suiv. (texte portugais).

397

Page 406: Sentence du conseil fédéral Suisse

Une lettre écrite par de Lamirande, en date du 8 juin 1732, à son prédécesseur de Souza lui a appris: « que vous lui rappelez le devoir d'observer le Tra i té d'Utrecht, et qu'à l'imitation de vos prédécesseurs, vous prétendez en même temps maintenir la limite équivoque de la Baie de Vicen te Pinçon pour 1) la riviere du même nom ou J a p o c (Bahia de Vicente Pinçon pelo Rio do mesme nome ou de Japoc) , comme si aux articles 8 et 12 il était parlé une seule fois du mot baie pour marquer la limite entre les deux domaines, et comme si ce n'était pas toujours par le mot riviere que cette limite est dés ignée . . . N'est-ce pas se moquer des Gouverneurs du P a r a que de leur dire que, sur trois ou quatre Cartes marines, vous avez montré à M. Manoel 2 ) que la Baie de Vicente Pinçon était au Cap du Nord ? E t que, d'après le Tra i té d'Utrecht, elle appar­tient à S a Majesté Très-Chrétienne ? E t que votre frontière se trouve à ladite baie ?

Qui est-ce qui doute que la baie de Vicente Pinçon soit au Cap du Nord ? M a i s . . . ni aux articles cités, 8 et 12, ni en aucune partie du Trai té d'Utrecht, vous ne pou­vez montrer que le mot baie soit écrit.

Pour prouver votre système vous auriez à montrer qu'au Cap du Nord se trouve la riviere de Vicente Pinçon ou de V y a p o o c ; parce que alors j e comprendrais que c'est avec sincérité que vous voulez traiter avec les Gouverneurs du Pará » . . .

Il avait fait appeler un nommé Jolivet, venu de Cayenne dans une chaloupe et lui avait demandé de lui expliquer « où, dans le Flambeau hollandais, il y avait au Cap du

1) L a traduction de R . B . III , page 195, n'est pas exacte : pour celle de la Rivière , etc.

2 ) Un envoyé de Souza F re i r e auprès du gouverneur de Cayenne.

398

Page 407: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 3 9 9 —

Nord une riviere de Vicente Pinçon ». Jolivet prétendit que les Portuguais ne savaient pas lire « à cause de certaines diphtongues... Mais le pauvre pilote n'a pu me montrer où, au Cap du Nord, était cet Yapock ou riviere de Vicente Pinçon, et il serait impossible de maintenir que l'igarapé (petite riviere) Waripoc, qui débouche du côté du Sud-Est, avec trois ou quatre autres, dans l'anse ou la barre d'Ara-guary, en face de Machary, soit, comme le prétend M. Dalbon, le vrai Yapooc ou Pinçon dont parle le Trai té d'Utrecht et qui est indiqué dans le même Flambeau hol­landais sous le nom de R . Wayapooc qui débouche près du fort de Yapooc, sur le Cap d'Orange ». D'Albon et d'Orvilliers auraient pu demander au marquis d'Uxelles pourquoi ce cap n'était pas mentionné dans le traité.

« Cessez donc, vous et M. d'Orvilliers, de vous extasier sur les 40 lieues de côte que la France nous a cédées sous ce nom spécieux de terres du Cap du Nord, parce que nous savons, nous autres, les Gouverneurs du Pará que ces merveilleuses 40 lieues de côte ne contiennent pas un seul arpent de terre, mais qu'elles sont toutes inondées et ne servent à la France et au Portugal que de barrières pour séparer une nation de l'autre, et à préserver la Com­pagnie du Pará de la ruine qu'elle redoute à cause de l'introduction de la contrebande . . . »

« En voilà assez pour cette fois sur l 'Yapooc et la

sincérité. » J o s é da Se r r a acceptait par conséquent la baie de Vin­

cent Pinson au Cap du Nord et la considérait comme généralement connue. Il s'exprimait d'ailleurs sur un ton de moquerie à l'égard de l'argumentation française, l'appe­lant le « système » de d'Albon et d'Orvilliers, et maintenait la frontière de l 'Oyapoc du Cap d'Orange. C'est ainsi que se termina entre les deux autorités locales, la discussion

Page 408: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 400 —

sur la thèse plaçant la frontière à une baie de Vincent Pinçon ; il ne semble pas qu'à cette époque elle soit de­venue l'objet de négociations entre les deux gouvernements.

6.

Si la diplomatie tarda à faire sienne la théorie de la baie, les auteurs français même mirent quelque temps à l'adopter.

En 1730, le P. Labat publia un récit de voyage où il traitait aussi la question de Cayenne 1 ) . L e P. Laba t utilise des lettres du P. Lombard, supérieur général des missions des Jésuites dans la Guyane França ise ; on lit dans l'une d'elles, datée de Cayenne, du 13 août 1726 : « L e gouver­nement de Cayenne s'étend depuis la riviere de Maroni jusqu'à celle d'Yapok » ; un des affluents de ce Yapok s'appelle le Camopi 2 ) . Il est question de l'établissement que les França is sont en train de créer à l 'embouchure du Yapok ; il est dit « en revenant de là à Cayenne on trouve la riviere d'Aprouak ». L e P. Lombard désigne par conséquent l 'Oyapoc du Cap d'Orange comme cours d'eau frontière. E t le P. Laba t dit, d'accord avec lui : « Notre borne du côté de l 'Est est donc à présent le Cap d'Orange 3 ) . »

En 1732, Brusen La Martinière (Le Grand Dictionnaire Géographique et Critique) place la frontière à l 'Oyapoc du Cap d'Orange ( Y a p o c o . . . près du Cap d'Orange) :

1) « V o y a g e du Chevalier Des Marchais en Guinée, Isles voisines et à Cayenne, fait en 1725, 1726 et 1727 . . . P a r le R . P è r e Laba t , de l 'Ordre des F r è r e s P r ê c h e u r s . . . Pa r i s 1730, 4 vols, in 1 2 » , passages reproduits par R . B . I I I , pp. 185 et suiv.

2 ) R . B . III , pp. 81 et 82. Conf. R . F . , pp. 342 et suiv. 3) R . B . III , page 188.

Page 409: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 0 1

« Tout ce qui est au Midi du Cap du Nord jusqu'à la source de la Rivière d Japoco a été cédé aux Portugais 1). »

En 1743, Pierre Barrère déclare dans la «Nouvelle Relation de la France Equinoctiale » . . . « L e gouvernement de la Guyane se voit resserré aujourd'hui entre Marony et Ouyapok », et cette dernière riviere a son embouchure au Cap d'Orange 2 ) .

En 1757, l'abbé Prévost remarque dans son « Histoire Générale des Voyages » . . . « Laissant la discussion des droits à ceux qui se les attribuent, on peut dire que le Gouvernement de Cayenne est aujourd'hui resserré entre le Marony et l'Ouyapok », et cet Ouyapok est désigné aupa­ravant comme la riviere qui coule près du Cap d'Orange 3 ) .

En 1771, le « Dictionnaire de Trevoux » imprime : « L a Guiane Françoise, qu'on nomme aussi France equi­noctiale, contient environ 80 lieues, en commençant au Cap d'Orange 4). »

En 1780, Raynal écrit dans son « Histoire Philosophique des Etablissemens dans les deux Indes » 5 ) : « Les Hollan-dois, en s'établissant au Nord, et les Portugais au Midi, ont resserré les François entre la riviere de Marony et celle de Vincent Pinçon ou d'Oyapock. » D'après une des cartes de Bonne qui accompagnent le texte, cet Oyapock est « sous le C. d'Orange » 6).

1) R . B . III , page 191. Conf. R . F . , pp. 345 et suiv. 2) R . B . III , pp. 207 et suiv. Conf. R . F . , pp. 346 et suiv. 3) R . B . III , page 231. Conf. R . F . , page 349. 4 ) R . B . III, page 243. Conf. R . F . , pp. 349, 350. 5) R . B . III, page 275. 6) R . B . III, page 276 : sur une seconde carte de Bonne, figure au

Cap d'Orange : « Baye et Fleuve d'Oyapock », au Canal de Maracá : « B . et R . de Vincent Pinçon, selon M. de la Condamine » ; sur une troisième et de nouveau au Cap d 'Orange: « R . d'Oyapok ou de Vincent Pinçon». Dans un passage de Raynal il est question aussi des « deux rivieres ».

26

Page 410: Sentence du conseil fédéral Suisse

402

De 1799 à 1800, J. Peuchet 1) publia dans le «Diction­naire Universel de la Géographie Commerciale », un article « Guianne » commençant par ces phrases : « Cette grande province, que nous avions acquise les premiers, est aujour­d'hui comme partagée et soumise à plusieurs puissances maritimes de l 'Europe, et la F r a n c e n'en occupe que la plus petite partie. L e Gouvernement de la Guianne est resserré entre Marony et O u y - A p o k . . . »

Jusqu'en 1800 un groupe d'auteurs français donna, con­formément à l'opinion de Peuchet, l 'Oyapoc du Cap d'Orange pour frontière à la Guyane française.

D'autres auteurs français de la même époque, tout en adoptant la baie de Vincent Pinçon, séparaient le Vincent Pinçon du traité d'Utrecht du Japoc , mais en maintenant comme frontière l 'Oyapoc du Cap d'Orange.

En 1732, de Milhau publia son « Histoire de L'isle de Cayenne et Prouince de Guianne » 2 ) . Il savait « qu'il y a au Cap de Nord une B a y e de uincente pinson, comme on peut le uoir dans les anciennes cartes. L e s modernes ayant été asses ignorans, pour placer une seconde B a y e de meme nom a Ouiapok, les portugais ont uoulu profiter de cette Beuüe, ils ont prétendu que c'étoit cette seconde Baye , et non la première qui deuoit être la Borne, et la séparation de leurs terres d'auec les notres » . . . . (Tome I, pages 73 et suivantes.) Il n'en déclare pas moins : « Notre Borne du côté de l 'Est est donc apresent le Cap d'Orange » (Tome I, page 71).

Conf. R . F . , pp. 352, 353. Rayna l se classe par là dans le second groupe d'auteurs dont il est question ci-dessus.

1 ) R . B . III , page 301. 2 ) D 'après le Manuscrit qui se trouve à la Bibl . du Muséum d'Histoire

Naturelle, Par i s 1732, 3 volumes in-8, cité par R . B . III , pp. 189 et suiv. Conf. R . F . , pp. 344 et suiv.

Page 411: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 0 3 —

En 1745, La Condamine publia à Paris sa « Relation abrégée d'un voyage fait dans l'intérieur de l'Amérique Méridionale » . . . 1). A l'issue de son exploration de l'Ama-

1) T e l est le titre de cet ouvrage cité dans R . B . III , page 213, note.

« L a dissertation de L a Condamine, lue à l 'Académie des sciences en

1745 » (mentionnée par M. F . I, page 200), n'est autre que cet ouvrage.

R . B . III, pp. 213 et suiv. (traduction française), I V , pp. 271 et suiv.

(texte portugais), reproduit un extrait d'un manuscrit du P. Bento de Fonseca, jésuite de la Province du Maranhão et Pará , avec la « Relation »

de L a Condamine: «Maranhão conquistado a Jesus Christo e à Corôa

de Portugal pelos Religiosos da Companhia de Jesus » « vers 1757 » ; Bibl.

d'Evora, Cod. CXV/2-14 . a. n° 1). Il résulte de ces pièces:

L e P . Fonseca défend la thèse du Portugal contre L a Condamine,

à qui il reproche d'avoir, « par amour pour son pays », je té de l'obscurité

sur les véritables limites « entre P a r á et Cayenne », et d'essayer à cet

effet « de confondre la véritable Rivière de Vincent Pinçon avec une baie

formée par la Rivière Araguary ».

L a Condamine, qui entretenait une correspondance avec Fonseca,

aurait, après la publication, 1749, des Annaes Historicos do Maranhão

de Berredo, écrit à Fonseca pour lui demander de lui envoyer l'ouvrage

ou tout au moins le passage dans lequel, croyait-il, Berredo avait contesté

ce qu'il avait affirmé dans sa Relation. Fonseca aurait répondu que

Berredo, mort avant que la « Relation » de L a Condamine fût connue,

n'avait donc pas pu répondre à ses observations. Mais en lieu et place

de Berredo, Fonseca voulut opposer à la thèse de la « Relation » :

1o « L e véritable Oyapoc étant . . . incontestablement reconnu, il est

évident que ce cours d'eau est la même riviere qui, sous un autre nom,

est appelé Rivière de Vincent Pinzon » ;

2° L a borne-frontière de Charles-Quint est sur l'Oyapoc ;

3° L a Donation à B . M. Parente mentionnant une étendue de terres

de 35 à 40 lieues du Cap du Nord au Vincent Pinzon et comme, d'après

l'observation de L a Condamine, le Cap du Nord est par 1o 5 1 ' et l 'Oyapoc

par 4 ° 15 ' , « ce sera, à peu de chose près, la même distance de 40 lieues » ;

4° Dans la baie que L a Condamine dit avoir été l'embouchure du

Vincent Pinzon, la côte est, à cause de la pororoca « innavigable aux

grandes embarcations, ce qui n'est pas le cas de la Rivière Oyapoc ou

de Vincent Pinzon ».

Convaincu par ces raisons, L a Condamine aurait reconnu « qu'il

avait été moins bien renseigné sur ce qu'il avait écrit dans sa Relation, et admit, comme étant véritables, les raisons dudit Père , dans une lettre

Page 412: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 404 —

zone, il était allé de Para à Cayenne. L e trajet dura du

29 décembre 1743 au 26 février 1744, ce qui lui permit de

faire un grand nombre d'observations. « Pendant ce long-

trajet », dit M. F . I, pages 346 et suivantes, « il continua de

lever la côte et d'observer les latitudes. Il reconnut notam­

ment l 'embouchure méridionale de l 'Araguary, qu'il appelle

la grande bouche, et en face de laquelle se trouve une île

qu'il nomma île de la Pénitence, en mémoire de douze jours

qu'il fut forcé d'y passer en attendant que la fin des marées

de pleine lune permît de doubler le Cap de Nord. Il releva

la latitude du cap de Nord (d'après lui 1 ° 51 ' N.) avec

d'autant plus de soin qu'il resta pendant sept jours échoué

sur un banc de vase en vue de ce cap. Enfin, dit-il, quel­

ques lieues à l'Ouest du Banc des sept jours et par la

même hauteur, je rencontrai une autre bouche de l 'Arawari,

aujourd'hui fermée par les sables. Cette bouche et le profond

et large canal qui y conduit en venant du Nord, entre le

continent du cap de Nord et les isles qui couvrent ce cap,

sont la riviere et la baye de Vincent Pinçon. »

L a Condamine divisait par conséquent l 'embouchure

de l 'Araguary en deux bras, l'un au sud « la grande bouche »,

le second plus au nord « une autre bouche », « aujourd'hui

fermée par les sables » ; ce dernier, avec le canal qui est

entre le Cap du Nord et les îles qui couvrent ce Cap,

qui peut-être pourra être trouvée en original parmi les papiers du P . Ben to da Fonseca ».

L a frontière le long du littoral est donc déterminée, la frontière intérieure l'est par conséquent aussi: « L e s limites des deux Couronnes étant admises comme sûres et incontestées sur la côte de la mer, et ladite riviere servant de frontière à l'intérieur, on doit t racer par elle une ligne dans la direction de l'Ouest, vers les monts ou chaînes du Paru , dont les versants du Sud appartiendront ainsi au Portugal et ceux du Nord aux Colonies de Cayenne, à la F r ance , et de Surinam, à la Hollande. » Conf. R . F . , pp. 347 et suiv.

Page 413: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 405 —

est la riviere et la baie de Vincent Pinçon. Les Portugais

ont à dessein réuni et confondu cette véritable riviere et

cette véritable baie de Vincent Pinçon avec l 'Oyapoc du

Cap d'Orange: « L e s Portugais de P a r a » , continue L a

Condamine, « ont eu leurs raisons pour les confondre avec

la riviere d'Oyapoc, dont l'embouchure, sous le Cap d'Orange,

est par 4° 15 ' de latitude Nord.»

L a théorie de L a Condamine concordait avec celle qui

avait cours à Cayenne, en ce que toutes deux plaçaient

une baie de Vincent Pinçon au Cap du Nord; elles diffé­

raient en ce que, à Cayenne, on cherchait en outre un

Japoc dans le Waripoco, tandis que L a Condamine se con­

tentait de rattacher à la baie de Vincent Pinçon une rivière

de Vincent Pinçon représentée, à ses yeux, par un bras

nord ensablé de l 'Araguary.

L a Condamine estime également que l 'Oyapoc du Cap

d'Orange n'a rien de commun avec cette « baye » et « ri­vière » de Vincent Pinçon du Cap du Nord 1); il dit expres­

sément :

« L'article du Traité d'Utrecht, qui paraît ne faire de

l 'Oyapoc et de la riviere de Pinçon qu'une seule et même

riviere, n'empêche pas qu'elles ne soient en effet à plus de

50 lieues l'une de l'autre. Ce fait ne sera contesté par aucun

de ceux qui auront consulté les anciennes cartes et lu les

auteurs originaux qui ont écrit de l'Amérique avant l'éta­

blissement des Portugais au Brésil 2 ) . »

Ainsi que l'avait fait Milhau, L a Condamine laissait sub­

sister la frontière à l 'Oyapoc du Cap d'Orange, comme

étant celle désignée par le traité d'Utrecht. Il écrivit en

1) Vo i r M. F . I, pp. 347 et suiv., A . F . , nos 23 et 24, pour la repro­

duction cartographique de la théorie de L a Condamine par d'Anville. 2 ) Cité par M. B . I, page 229.

Page 414: Sentence du conseil fédéral Suisse

4 0 6 —

1757 pour la Grande Encyclopédie de Diderot et d'Alem-bert l 'article « Guiane », dans lequel on lit 1) :

« L e s Géographes donnent aujourd'hui ce nom à tout le pays qui s'étend le long des côtes de l'Amérique Méri­dionale, entre l'Orinoque et l 'Amazone. On peut le diviser du nom de ses possesseurs d'orient en occident, en Guiane portugaise, Guiane françoise, Guiane hollandoise, et Guiane espagnole. L a Guiane portugaise, que la F rance a cédée à la couronne de Portugal par la paix d'Utrecht, s'étend depuis la rive septentrionale et occidentale de l'Amazone jusqu'à la riviere d'Yapoco, que les França i s de Cayenne nomment Oyapoc, et qui fut mal-à-propos confondue alors avec la riviere de Vincent Pinçon, qui est beaucoup plus au Sud. L a Guiane françoise, ou la F r a n c e équinoxiale, qui est la colonie de Cayenne, embrasse l 'espace compris entre la riviere d'Oyapoc et celle de Marawini, que l'on nomme à Cayenne Marauni ou Maroni 2 ) . »

En 1782, Robert, Géographe ordinaire du Roi, adopta la théorie de L a Condamine ; il reproduisit textuellement tout le passage ci-dessus, à partir des mots « L a Guiane portugaise », jusqu'à la fin, dans un article « Guiane », qui parut dans l' « Encyclopédie Méthodique » de Panckouke 3).

En 1783, Edme Mentelle écrivait, d'après Raynal, dans son ouvrage « Choix de Lectures Géographiques et Histo­riques » . . . 4 ) , au sujet de la Guyane française : « L e s Hol-

1) Reproduit par R . B . III, pp. 229 et suiv. 2 ) R . F . I, page 348, déclare sans valeur cette assertion de L a Con­

damine : « un article de dictionnaire, article sommaire, hâtivement fait ou copié, qui porte bien le nom de L a Condamine, mais qui a pu échapper à son attention ou à celle du secrétaire qui l'a rédigé ». Ces allégations, dénuées de preuve, ne sont pas soutenables.

3 ) B . B . III , pp. 277 et suiv., R . F . , page 354. 4 ) R . B . I I I , pp. 285 et suiv. ; conf. R . F . , pp. 354 et suiv.

Page 415: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 407 —

landois, en s'établissant à l'Ouest, et les Portugais au Midi, ont resserré les Français entre la riviere de Marony et celle d'Oyapock » ; il déclare en outre, d'après des rensei­gnements reçus de Cayenne 1) : s'il est dit dans Raynal « entre la riviere de Maroni et celle de Vincent Pinçon ou Oyapock », cela est dû à une confusion : « On confond ici la riviere de Vincent Pinçon avec l'Oyapock, quoiqu'il y ait très-loin de l'une à l'autre. »

Au mois de décembre 1797, le géographe Nicolas Buache publia ses « Considérations géographiques sur la Guiane Française, concernant ses limites méridionales » 2 ) . On y lit :

« L'erreur que je me propose de rectifier ici, est d'avoir confondu la riviere d'Oyapok, située à la côte de Guiane par 4° 15 ' de latitude Nord, avec une autre riviere de même nom, que l'on appeloit aussi riviere de Vincent Pin­son, située au-delà de l'équateur. »

Aussi les Portugais n'ont-ils « véritablement aucun droit» sur le territoire jusqu'à l'Oyapok (par 4° 15'). «Mal­gré le Trai té d'Utrecht. qui leur en a assuré la possession, et qui l'a en quelque sorte légitimée, cette possession . . . n'en a pas moins été considérée comme une usurpation »

Même cet auteur, qui dénie catégoriquement aux Por­tugais tout droit sur le pays jusqu'à l'Oyapok, reconnaît sans ambages : le traité d'Utrecht leur a assuré la pos­session de cette contrée 3).

1) Où son frère Simon Mentelle resta depuis 1763 ; de 1778 à sa mort (1799) il occupa la fonction de « garde du dépôt des cartes et plans de la colonie » ; R . B . III , page 288, R . F . , pp. 354 et suiv.

2 ) Cité d'après « t. III des Mémoires de l'Institut National des Sciences et Ar t s », Par is 1801, par R . B . III, pp. 297 et suiv. ; conf. R. F . , pp. 358 et suiv.

3 ) Buache étudiait la question depuis nombre d'années. En 1777, l'ambassadeur d'Espagne auprès de la cour de France , le comte de Aranda le trouva occupé à la confection d'une carte de la Guyane et à écha-

Page 416: Sentence du conseil fédéral Suisse

408

7.

Depuis 1733, les négociations au sujet de la question

de la frontière restèrent en suspens entre l'autorité de

Cayenne et celle de Pa ra ; toutes les deux maintenaient leurs

prétentions, sans que, de part et d'autre, on fît de grands

efforts pour les mettre à exécution.

M. F . I, page 196, parle, il est vrai, d'une « série d'in­

cursions jusqu'ici peu connues », entreprises par les Portu­

gais « sur les pays compris entre l 'Amazone et l 'Oyapoc » :

« Au moyen des affluents du grand fleuve, ils tentent de

faire pénétrer lentement leur influence chez les populations

de l'intérieur et d'attirer sur les rives de l'Amazone toutes

les peuplades qui ne sont pas fixées sur le littoral. Celles

qui résistent sont ou déplacées ou complètement anéanties. »

Outre ces expéditions à main armée, pour lesquelles les

Portugais se servent moins de leurs propres soldats que

d'Indiens qui ont accepté leur domination, « une incursion

de missionnaires portugais à Cachipour » a eu lieu, ce dont

deux agents français, Dunezat et Lemoine, se plaignirent

au gouverneur de Cayenne le 1 e r février 1755. « Un mémoire

rédigé vers 1745 et copié dans les recueils de Turgot, énu-

mère longuement les incursions des Portugais dans le terri­

toire intermédiaire 1 ) . » En 1753, Lemoine mandait au mi-

fauder des arguments en faveur de l'hypothèse de la baie de Vincent Pinçon. Aranda rapporte qu'à ses objections, Buache aurait répondu: « que j ' ava i s raison, mais que vu la nécessité de présenter une Car te telle qu'il la voulait produire, il fallait s 'accrocher à la moindre chose », R . B . I I I , page 266, d'après une dépêche d'Aranda, du 20 juillet 1777, au comte de Floridablanca, Archives de Simancas, Secre ta r ia de Estado, Liasse 7417, fol. 9, texte espagnol dans R . B . I V , pp. 286 et suiv., traduction française R . B . III , pp. 259 et suiv.

1) M. F . I, page 198 : « Mémoire des irruptions des Portugais du P a r a sur les terres de la Guïane dépendantes de la F r a n c e et l 'extrait

Page 417: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 0 9 —

nistre des Colonies: « Je ne doute pas que Monseigneur

soit exactement informé lorsque les Portugais font incur­

sion sur nos terres. J e ne suis informé de ces événements

que par des indiscrétions, puisque je ne puis pas douter

que le secret sur ces choses ne soit recommandé à mon

é g a r d . . . Ces entreprises de la part des Portugais me

paraissent mériter une attention particulière. Ce sont des

actes de souveraineté d'un prince étranger sur les terres

du Roy ; le silence peut non pas donner un droit, mais

rendre le règlement des bornes plus difficile à discuter.

Nous sommes en état d'anéantir ces entreprises. A quoi

doivent servir les troupes ; la représaille est facile ; présen­

tons nous ; leurs indiens feront les trois quarts de l'opéra­

tion ; leur désertion est certaine . . . Si l'on souffre si patiem­

ment leurs entreprises, ils exigeront bientôt la riviere même

d'Oyapock. Usons-en comme les Portugais. Nos prétentions

s'étendent jusqu'au cap Nord. Si les Portugais s'échappent

au delà, passons-le aussi. S'ils enlèvent les Indiens sur les

terres du Roy, ils ont des précautions à prendre : nos Indiens

se défendent tant qu'ils peuvent, les leurs ne cherchent que

la liberté ; armons les Indiens de la frontière ; mettons-les

en état de se défendre 1 ) . »

Mais le gouvernement ne donna pas l'ordre d'agir :

« Pa r une lettre du 28 novembre 1754, le ministre, écrivant

au gouverneur de la Guyane, reconnaît la nécessité de

rappeler les Portugais au respect de la vraie limite et

invite ce fonctionnaire à préparer un mémoire sur ce sujet 2).»

de ce qu'on a pu tirer de la relation ou journal verbal des voïageurs qui ont été dans le haut des terres et des rivieres », à la Bibl. Nat., mss. fr., n» 6235, pp. 13-18.

1) M. F . I, pp. 198 et suiv., Archives des Colonies, t. L X I V . 2) M. F . I, page 199, Bibl . Nat., ms. fr. 1750, fol. 8.

Page 418: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 1 0

Pour le surplus on se contentait à Cayenne de témoi­

gner par quelques autorisations qu'on n'admettait pas les

prétentions portugaises : En 1754, un voyageur français,

Lavaud, se rendait, avec la permission du gouverneur, « au

Macari et au Carapapory, et en explorait les bords». « En

1753, un nommé L a Jeunesse qui habitait le poste d'Oyapoc,

était muni d'une permission de pêche au delà de Counani.

Quelques années a p r è s , . . . Godin obtenait de même des

autorités de Cayenne le droit de faire la pêche du lamantin

au Mayacaré et il retournait encore, toujours avec une per­

mission identique, en 1764 et 1765 1 ) . »

Il est probable qu'on eût déployé plus d'énergie si la

situation générale de la colonie de Cayenne avait été

meilleure. Voic i le tableau qu'en faisait Malouet dans un

« rappor t» qu'en 1776, il adressait à son gouvernement 2 ) :

. . . « Dès le commencement de nos établissemens en Amé­

rique, tout concouroit à fixer à la Martinique et à Saint-

Domingue les armateurs et les colons, tandis que l'espoir

incertain de pénétrer par la riviere des Amazones dans le

Pérou, appeloit quelques aventuriers dans la Guiane. Lors­

que des tentatives inutiles, et plus encore, le traité d'Utrecht,

nous firent renoncer à toute liaison fructueuse avec les

Portugais et les Espagnols, les França i s habitués dans

cette partie de l'Amérique, y restèrent avec la même disette

de moyens pour accroî t re leur culture. L e défaut de com­

munication, d'instruction et de commerce, perpétua leur

langueur. Avec moins de secours et de connoissances que

les autres colons, ils cultivèrent plus mal : leur industrie

découragée n'éprouva plus d'accroissement; et toutes ces

1) M. F . , pp. 199 et suiv., d'après Moreau Saint-Méry, F . 21, lettre

du 15 septembre 1753, et d'après Froidevaux-Godin, page 52. 2) Malouet, Collection de Mémoires, 1. c. I, pp. 65 et suiv.

Page 419: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 1 1 —

causes agissant l'une sur l'autre, il en résulta pauvreté,

paresse, ignorance, éloignement absolu du commerce na­

tional. »

Mais, dès 1763, on paraît vouloir passer de l'indiffé­

rence à l'action.

Il est vrai que deux grandes entreprises de colonisation

échouèrent totalement; néanmoins, vers 1775, on projette

de mettre à exécution un plan combiné par le baron de

Bessner : 20,000 nègres, venus en fugitifs de la colonie hollan­

daise de Surinam, et 100,000 Indiens environ, devaient être

réunis dans la colonie, où ils auraient été organisés en un

état sur le modèle de celui créé par les jésuites au Para­

guay, à l'aide des nombreux ex-jésuites expulsés par le

gouvernement portugais.

Malouet, chargé d'examiner les voies et moyens de

réaliser ce projet et d'établir l'ordre dans la colonie de

Cayenne, fut envoyé, muni de pouvoirs spéciaux du rqi, à

Cayenne où il arriva en octobre 1776.

Avant de partir, il avait, dans un « rapport » au gouver­

nement, recommandé la création de missions avec le con­

cours de jésuites portugais 1). Peu après son arrivée, une

de ces missions fut créée à la baie de Vincent-Pinson :

1) Malouet, 1. c. pp. 81 et suiv. : « D e tous les prêtres à employer à

une semblable mission, il n'y en auroit pas de plus capables que quel­

ques-uns des ex-jésuites qui ont été chassés du Maragnon par les Portugais,

et qui sont actuellement retirés en Italie. L'habitude de vivre avec les

Indiens, le grand crédit qu'ils avoient parmi eux, et la haine qu'ils ont

conçue contre les Portugais, nous rendroient ces missionnaires infiniment

utiles. »

Dans l'introduction à sa « Collection de Mémoires », Malouet dit

(page 21) : « D e tous les projets du baron de Bessner, j e n'avois repoussé

avec inflexibilité que les essais dispendieux; mais j 'avois consenti à em­

mener quelques missionnaires pour tenter dans la baie de Vincent-Pinson,

l'établissement d'une mission et d'une pêche du lamantin » . . .

Page 420: Sentence du conseil fédéral Suisse

« les villages (des Indiens) les plus nombreux sont du côté

de la baie de Vincent-Pinson » ; on y envoya « deux prêtres,

des ouvriers, des marchandises de traîte, et un poste com­

mandé par un sergent, aux ordres des missionnaires » 1).

Outre son « rappor t» , Malouet avait adressé, en 1776,

au gouvernement un mémoire sur l'affaire de la frontière 2 ) .

Il expose dans ce document :

« L a trop longue indifférence du Gouvernement pour

les possessions de la Guiane, occasionne depuis cinquante

ans un progrès d'usurpation de la part des Portugais et

des Hollandais. Si S a Majesté ne détermine incontestable­

ment ses droits sur cette partie du continent, il est très-

vraisemblable que les établissemens de nos voisins se

multiplieront à notre détriment, et opposeront les plus

grands obstacles à la prospérité des nôtres. Il est notoire

que les Portugais ont reculé de cinquante lieues au-delà

du Cap du Nord leurs bornes prétendues, et qu'ils y ont

établi des postes et des missions, à la faveur desquels ils

enlèvent les Indiens établis dans notre territoire, et nous

ferment toutes les avenues du Rio-Negro, dont la navigation

seroit pour nous si importante. Cette portion de côte

usurpée par eux est d'ailleurs très-précieuse par la faculté

que nous aurions d'y établir la pêche du lamantin . . .

E t comme il pourroit être dangereux de paroître douter

de la" légitimité de nos droits, on croit que le préambule

nécessaire à toute négociation, seroit de déclarer à la Cour

1) Malouet, 1. c. pp. 47 et suiv. (Notes.) Malouet fait un tableau intéressant de l 'échec des pratiques des missionnaires et de la conduite des Indiens. — C'est le 28 septembre 1776 que le ministre de Sar t ine donna à MM. de Fiedmond (gouverneur) et Malouet l'ordre de construire le poste (aux environs de la baie de Vincent Pinçon), M. F . I, page 203, Archives de la Guyane; conf. R . F . , page 152.

2) Malouet, 1. c. (« Cayenne, Limites »), pp. 107 et suiv., reproduit dans R . B . III , pp. 249 et suiv.

412

Page 421: Sentence du conseil fédéral Suisse

de Portugal que le Roi, aux termes du traité d'Utrecht, a ordonné l'établissement d'un poste dans la baie de Vincent Pinçon, d'où S a Majesté se propose de faire tirer une ligne droite de l 'Est à l'Ouest pour la fixation des limites. Il est alors certain que plusieurs postes et missions portugaises se trouveront enclavés dans nos terres, et il seroit bien intéressant d'y retenir les Indiens qui y sont habitués. L'établissement de ce premier poste doit donc être confié à des missionnaires intelligens, accompagnés de quelques soldats, et doit suivre de près la déclaration qui en sera faite à la Cour de Portugal et à son gouverneur du Para . Il n'est pas vraisemblable que celui-ci oppose la force ouverte avant d'avoir reçu des ordres de sa Cour, qui seront au moins suspendus par la négociation, surtout dans la position où se trouve actuellement le Roi de Portugal. Mais si, contre toute probabilité, le gouverneur du Para faisoit enlever nos missionnaires, il semble que les circons­tances actuelles seroient bien favorables pour avoir raison d'une infraction aussi manifeste au Trai té d'Utrecht.

Indépendamment de la pêche du lamantin, et de l'aug­mentation de terres que cet arrangement nous assure, il nous ouvre la traite des bestiaux au Para; et, par Rio-Négro, la navigation interlope sur le fleuve des Amazones. Ces différentes vues réunies à la nécessité de soutenir dignement les droits de la couronne, suffiront, sans doute, pour fixer l'attention du conseil sur un objet aussi impor­tant. »

Cette proposition tendait à faire trancher à la fois la question de la frontière extérieure et de la frontière inté­rieure ; la frontière extérieure sera au poste à créer «dans la baie de Vincent Pinçon » ; la frontière intérieure sera formée par une ligne droite tirée de ce point de la côte, de l'est à l'ouest ; cette frontière intérieure ouvre à la France

413

Page 422: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 1 4 —

« par Rio-Négro, la navigation interlope sur le fleuve des

Amazones ».

Malouet fait entrer en ligne de compte que « plusieurs

postes et missions portugaises se trouveront enclavées dans

nos terres » ; c'est dire que la future limite ne correspondra

pas exactement à la possession réelle. Mais, spéculant sur

les difficultés politiques dans lesquelles le Portugal était

alors engagé avec l 'Espagne, il comptait qu'elles le met­

traient dans l'impossibilité de résister.

L e gouvernement français adopta l'idée de Malouet.

L e 16 mai 1781, un ordre royal fut donné et transmis par

le ministre de la marine, le maréchal de Castries, au gou­

verneur de la Guyane française, de Fiedmond ; la dépêche

du ministre est ainsi conçue 1) :

« V o u s savez que le traité d'Utrecht a fixé les limites

de la Guyane française et de la Guyane portugaise à la

baie de Vincent Pinçon, à quinze lieues de l'embouchure de

la riviere des Amazones par les 2 d. Nord. Cependant, les

Portugais ont étendu leurs limites bien au delà de cette

ligne et, pour faire cesser cet empiètement, M. de Sart ine

avait marqué à MM. de Fiedmond et Malouet, le 28 septembre

1776, d'établir un poste aux environs de la même baie de

Vincent Pinçon 2 ) . Cette dépêche est restée sans réponse

et, sur le compte que j ' a i rendu au roi des différents mé­

moires qui m'ont été remis à ce sujet, S a Majesté m'a chargé

de vous faire connaître ses intentions.

11 sera formé un poste sur la rive gauche de la Rivière

de Vincent Pinçon, après qu'il aura été vérifié que cette

riviere se trouve vers le deuxième degré Nord ou au moins

1) M. F . I, page 203, en cite quelques passages ; elle se trouve plus

complète dans R . F . , pp. 153 et suiv., Archives de la Guyane. 2) V o i r ci-dessus, page 412, note 1.

Page 423: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 415 —

qu'elle est distante de quinze lieues portugaises de l'embou­chure de la riviere des Amazones. Cette reconnaissance faite, on pourra occuper les deux îles qui se trouvent devant la baie de Vincent Pinçon ou seulement la plus grande qui est dans toute son étendue vis-à-vis du territoire français....

Il n'est pas à présumer que les Portugais s'opposent à un établissement sur des limites qui ont été fixées par le traité d'Utrecht, mais il serait possible que la ligne à tirer du point indiqué donnât lieu par la suite à des difficultés. Pour prévenir tout sujet de discussion à cet égard et faci­liter les arrangements qui devront être pris avec la Cour de Portugal, vous ferez dresser, le plus promptement qu'il vous sera possible, une carte de la ligne de démarcation qui doit exister d'après la teneur du traité d'Utrecht. Cette ligne devra courir, parallèlement à la riviere des Amazones, à quinze lieues de distance de la rive gauche de cette riviere à partir de l'embouchure de celle de Vincent Pinçon. Ce­pendant les ingénieurs qui seront chargés de cette opé­ration devront s 'écarter de la parallèle prescrite autant de fois qu'ils pourront lui substituer des points plus remar­quables, tels que des chaînes de montagnes, des lacs, ruis­seaux, etc »

Plus tard, il est arrivé à Malouet de se plaindre de ce que tout ce qu'il avait fait dans les affaires de la Guyane avait été en pure perte. « Ces faits, ces résultats, mes comptes rendus, et la solennité, la sanction qu'ils avoient obtenues, tout cela s'est enseveli dans mon porte-feuille 1). »

L'ordre donné par le roi le 16 mai 1781 resta également sans exécution. L e 15 décembre 1781, Fiedmond fut rem­placé par le baron de Bessner 2 ) . Celui-ci avait ses idées par-

1) Malouet, 1.c. I, Introduction, page 27. 2) M. F . I, page 203.

Page 424: Sentence du conseil fédéral Suisse

ticulières sur la délimitation. Il les exposa dans un mémoire

de mai 1783 1) :

« L e s limites de la Guyane Française n'ont pas encore

été clairement reconnues d'aucun côté. . . . Il serait possible

qu'en fouillant dans les dépôts et archives on trouvât des

titres à ajouter à celui que la Pa ix d'Utrecht nous fournit,

mais comme les différends entre Souverains ne se jugent

pas à un tribunal, que leurs droits respectifs les règlent

ordinairement moins que la convenance et d'autres considé­

rations, il m'a semblé qu'il valoit mieux s'occuper à examiner

ce qui pourroit nous convenir davantage que de perdre du

tems à la recherche de nos droits : celle que j ' a i faite dans

les vieux documens de la Colonie a été infructueuse.

Il a déjà été remarqué que, tant par l'énoncé du Trai té

d'Utrecht, que par les Cartes Portugaises, il paroit incon­

testable que notre point de separation avec Pa ra a été placé

à l'endroit que nous appelons B a y e de Vincent Pinson;

mais ce point reconnu réciproquement sur le bord de la

mer, comment déterminer la direction de la ligne qui devra

separer la Guyane Française de la Portugaise dans l'inte­

rieur des terres ? En suivant la riviere de Vincent Pinson,

jusqu'à sa source, on parviendra à peine à 8 ou 10 lieues

de la côte. A cette très petite distance, il faudra déjà avoir

recours à une ligne en quelque sorte idéale, que dans la

plus grande partie de son étendue rien ne fera connoitre

sur le terrain, et qui, par consequent, exposera sans cesse

l ) R . B . III , pp. 279 et suiv., en publie des « Extrai ts » dont la pro­venance est indiquée comme suit : « L e Mémoire, dont nous allons citer quelques extraits, fut communiqué en 1797 au Ministre du Portugal à Par is , Antonio de Araujo de Azevedo, par le Ministre des Relat ions Extér ieures du Directoire, Charles Delacroix. L a copie envoyée à Lisbonne par le Ministre du Portugal est conservée aux Archives du Ministère des Affaires étrangères. »

416

Page 425: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 1 7

aux inconveniens qu'on cherche à prevenir par un règle­

ment de limites.

Il n'y a qu'un moyen pour obvier aux difficultés sans

nombre qui naitroient de l'execution litterale du traité : ce

seroit que la Cour de Portugal voulut nous faire une légère

concession sur le bord de la mer, contre une concession

plus importante que nous pourrions lui rendre d'un autre

côté, et consentir à reculer sa borne sur la côte jusqu'à la

riviere d'Arrowary. Cette cession apparente ne lui occasion-

neroit aucune privation, et fourniroit aux deux Nations une

borne reconnoissable qui assureroit leur tranquilité réci­

proque. ...

Si nous devions partir de la source du Vincent Pinson,

pour de là continuer notre ligne, nous serions en droit

d'exiger qu'elle s'éloignât nulle part davantage du fleuve

des Amazones, puisque l'objet du traité n'a été que d'ac­

corder aux Portugais la navigation exclusive du fleuve, et

que, dans cette vue seulement, il leur a été cédé la pro­

priété du bord occidental que nous possédions alors. Notre

ligne, en suivant cette direction, passeroit nécessairement

par beaucoup d'endroits qu'il seroit très incommode aux

Portugais de perdre, quoiqu'ils n'y auroient pas d'établisse­

ments formés. S'ils consentoient au contraire à faire passer

les limites par Arrowary, nous pourrions convenir de tirer

de sa source une ligne vers celle d'Oyapock, en faisant

passer derriere et au dessus de toutes les rivieres et ruis­

seaux qui auroient leur cours vers l'Amazone, n'importe à

quelle distance....

S i la Cour de Portugal persistoit absolument à ne pas

vouloir changer la borne de Vincent Pinson, alors, et dans

le cas où il conviendroit de prendre un parti sur nos limites,

avant d'avoir reçu de nouveaux renseignements géogra­

phiques, on pourroit faire partir la ligne de séparation de 27

Page 426: Sentence du conseil fédéral Suisse

la source de cette riviere dernière, jusques vers celle d'Oya-

pock, dans la direction indiquée pour l 'Arrowary ; mais sans

rien stipuler au dela, et remettre à prononcer sur la pro­

longation ultérieure de nos limites, que nous soyons plus

instruits sur ce qui concerne cette partie.

Nos bornes reconnues d'un côté jusqu'à la source

d'Oyapock, tandis que de l'autre nous pouvons nous éten­

dre sans opposition jusqu'à celle du Marony, il sembleroit

indiqué de tirer une ligne de la source de l'une de ces

rivieres à l'autre, pour achever de renfermer la Guyane

française entre quatre bornes distinctes, et possibles à

vérifier lors de quelques difficultés . . . »

C'est dans le môme mémoire probablement que le

baron Bessner donnait au gouvernement ces renseigne­

ments au sujet de nouveaux établissements français 1) :

« L e s ordres de la Cour relativement à Vincent Pinzon

ont été exécutés autant que les difficultés inséparables de

tous les nouveaux établissements que le grand éloignement

des secours a fort augmentées en cette occasion ont pu le

permettre. Il y existe (au Macaré) un poste militaire qui

constate votre propriété par la possession, et qui protège,

en outre, les missions du Macary et du Counani où, depuis

son établissement, le nombre des Indiens a fort augmenté.

Ci-devant les Portugais ne se contentaient pas de pour­

suivre ceux qui s'acheminaient vers nous ; ils venaient les

enlever sur notre territoire qu'ils affectaient de ne pas

connaître. L 'ar r ivée de nos troupes a empêché leur déta­

chement de continuer leurs courses en deça de nos limites. »

Dans une lettre du 14 septembre 1783 2 ) le maréchal

de Castries approuva les mesures prises par Bessner au

1) M. F . I, pp. 203 et suiv., Archives des Colonies. 2) Cité dans M. F . I, page 204, Archives de la Guyane.

418

Page 427: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 419 —

sujet de l'établissement du «poste de Vincent Pinzon » ; il

recommanda d'ailleurs au gouverneur « de vous tenir stric­

tement à ce qui vous en est prescrit par ma dépêche du

16 mai 1781. Vous devez vous borner actuellement à bien

déterminer les points qui doivent servir de limites et m'en

rendre compte, afin que l'on puisse traiter en connaissance

de cause avec la Cour du Portugal, en cas qu'elle fasse

des réclamations».

En 1785, Daniel Lescallier fut nommé ordonnateur en

Guyane ; l'instruction l ) royale, du 6 juin, qui lui fut remise,

tout en confirmant l'ordre du 16 mai 1781, portait: « L e traité

d'Utrecht a fixé les limites de la Guyane française et de

la Guyane portugaise à la baie de Vincent Pinzon, laquelle

est à 15 lieues de l'embouchure de la riviere des Ama­

zones par les deux degrés de latitude Nord. Les Portu­

gais ayant étendu leurs limites bien au-delà de cette ligne,

S. M. a ordonné, au mois de mai 1781, l'établissement d'un

poste sur la rive gauche de la riviere de Vincent Pinzon,

afin d'exercer ses droits sur cette partie. Cet établissement

n'a pas encore été suivi d'aucune réclamation de la cour

de Portugal, mais il reste à déterminer la ligne qui doit

partir de ce point pour fixer les limites jusqu'à la riviere

du Rio Negro. Les sieurs de Bessner et Lescall ier se con­

formeront aux intentions du Roi qui ont été manifestées à

ce sujet aux administrateurs par des ordres particuliers du

1) « Mémoire du Roy pour servir d'instruction au sieur baron de Bessner, gouverneur de la Guyane française et au sieur Lescallier, commissaire de la marine, ordonnateur en la même colonie », sans indi­cation de provenance, cité par M. F . I, pp. 204 et suiv. Malouet s'est trompé en écrivant que Bessner était mort un an après être entré en fonctions en Guyane (Maloue t , 1. c , Introduction, page 42) ; la date de cette instruction prouve qu'il vivait encore en 1785 ; il est mort avant la fin de cette année-là.

Page 428: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 420 -

16 mai 1781 et du 14 octobre 1783 1 ) , et ils rendront compte

de leurs opérations au Secré ta i re d'Etat de la Marine et

des Colonies. »

Le 27 décembre 1785, Lescal l ier écrivit au ministre 2 ) :

« L e régime prohibitif des Portugais ne laisse aucun moyen

de communication utile avec eux, à moins qu'on ne puisse

mettre en exécution les ordres que vous avez donnés rela­

tivement à la fixation des limites avec cette nation par

votre dépêche du 16 mai 1781, sur quoi nous vous donnons

nos idées dans notre mémoire. »

R. B . III, pages 291 et suivantes, communique quelques

passages d'un document qui pourrait bien être ce mémoire 3).

Il est intitulé : « Mémoire sur l'état actuel de la colonie de

Cayenne et Guyane Française au premier Janvier 1786, par

MM. Fitz Maurice et Lescal l ier ». Ces deux fonctionnaires

s'expriment comme suit touchant la question de la frontière :

« L e Trai té d'Utrecht a fixé les limites de la Guyane Fran­

çaise avec la Guyane Portugaise à la B a y e et Rivière de

Vincent Pinçon, laquelle est à 15 lieues de l'embouchure

de la Rivière des Amazones par les deux degrés de lati­

tude Nord.

L e s Portugais ont longtemps contesté ces limites, et

ont prétendu (non sans quelque fondement) que la B a y e et

Rivière d'Oyapock étoit la même que l'on a cru désigner

par le nom de Vincent Pinçon, nom qui n'est aucunement

1) Il s'agit vraisemblablement de la lettre du 14 septembre 1783, voir ci-dessus page 418.

2) M. F . I, pp. 206 et suiv., Archives de la Guyane. 3) L a provenance du document est indiquée en ces termes (R . B . III ,

page 291) : « Archives du Ministère des Affaires E t rangères à Lisbonne. C'est une des copies envoyées en 1797 par le Ministre de Portugal en F r a n c e , Antonio de Araujo de Azevedo ». Quant à Fi tz Maurice il est remarqué (ibidem) : « C'était peut-être le Gouverneur de la Colonie. »

Page 429: Sentence du conseil fédéral Suisse

4 2 1 —

connu dans le pays que par l'usage que nous avons tiré

de cet Article du Traité d'Utrecht. Quoi qu'il en soit, nous

sommes en possession, et sans aucune difficulté, à présent,

avec les Portugais, du terrain qui s'étend jusqu'à la bande

du Nord de l'Isle dite du Cap Nord, et la rive gauche d'une

riviere nommée Carapapourri, où nous avons un poste

établi depuis l'année 1782 » . . .

Il y a lieu de retenir que les rédacteurs de ce mémoire

placent la frontière adoptée par le traité d'Utrecht à la

« B a y e et Rivière de Vincent Pinçon » ; quoique cette fron­

tière soit contestée, les Français sont en possession du

territoire litigieux. Mais en ce qui concerne la frontière

intérieure, la « Ligne de M. de Castries », M. F . I, page 206,

pose en fait « que la fameuse ligne de démarcation que

demandait le gouvernement français ne fut, au témoignage

de Lescallier lui-même, jamais t racée».

Les pièces au dossier ne fournissent aucun éclaircisse­

ment sur le point de savoir si, et cas échéant sous quelle

forme, la France a revendiqué auprès du gouvernement

portugais la frontière de la « B a y e et Rivière de Vincent

Pinçon», ainsi que la «ligne de M. de Castries» 1 ) .

8.

1. En expulsant l'ordre des jésuites du territoire por­

tugais et en dissolvant du même coup les missions des

1) A supposer que la déclaration du duc d'Aiguillon à M. de Boyenes (du 7 novembre 1772) : « Il me semble que nous ne sommes nullement fondés à proposer au Portugal de donner aux limites de ses possessions une restriction qui ne se trouve point aux termes du Tra i t é» , soit exacte et ait été portée à la connaissance du gouvernement portugais, celui-ci en devait conclure que la F rance n'avait rien à objecter à l'in­terprétation donnée par le Portugal au traité d'Utrecht ; conf. R. B . III , pp. 245 et suiv.

Page 430: Sentence du conseil fédéral Suisse

—- 422 —

jésuites dans l 'Estado do Maranhão (1759), le gouverne­

ment portugais se privait d'un auxiliaire qui lui avait rendu

de grands services, en contribuant à assurer sa souverai­

neté sur ses colonies. En outre, dans l'Amérique du Sud,

des conflits de frontières et des négociations de paix avec

l 'Espagne avaient absorbé presque toute sa sollicitude

depuis des années. Toutefois, à cette occasion aussi, la

question de l'Amazone avait son importance. L e traité de

paix de Madrid (1750) avait posé en principe, ainsi qu'il a

été expliqué ci-dessus dans l'aperçu historique général 1 ) ,

que là où des bassins de rivieres forment la frontière, les

territoires sont déterminés par les chaînes de montagnes

dont les eaux se jettent dans le fleuve principal. En ce qui

concerne le bassin de l'Amazone, il y faut faire rentrer,

par conséquent, comme territoire portugais tout le pays

qui, de la Cordillère frontière, située entre l'Amazone et

l 'Orénoque, descend vers l 'Amazone.

Un auteur portugais contemporain, le P. Bento da Fon-

seca, qui possédait des renseignements dignes de foi au sujet

des clauses du traité de paix de 1750 2 ) , interpréta comme

suit la disposition du traité fixant la frontière du bassin de

l 'Amazone : . . . « on remontera jusqu'au sommet des monts

par où se fait le partage des eaux, et les versants du Nord

et le bassin du fleuve Orinoco appartiendront à l 'Espagne,

1) V o i r ci-dessus, pp. 66 et suiv. 2) Ext ra i t d'un manuscrit (Apontamentos para a Chronica da Com-

panhia de Jesus no Estado do Maranhão) du P. Bento da Fonseca, de la Bib l . Nat. de Lisbonne, Ms. n° 4516, ancien fonds P . 6, 27, R . B . III ,

pp. 209 et suiv. (traduction française); R . B . I V , pp. 267 et suiv. (texte

portugais).

Fonseca dit, 1. c , pp. 210 et suiv.: « Nous avons appris de la bouche

de l 'auteur même de ce Tra i t é , lequel est Alexandre de Gusmào, membre

du Conseil d'Outre-Mer et homme très instruit, que les limites du Tra i té ,

pour la partie du Fleuve des Amazones sont comme il suit» . . .

Page 431: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 2 3

et les versants du Sud et le bassin de l'Amazone seront

au Portugal. »

Et de là, il décrit la frontière vers l'est de la manière

ci-après :

« De ce sommet, on suivra vers l 'Est la ligne de faîte

des monts, et les versants du Sud seront au Portugal et

ceux du Nord seront à l 'Espagne, à la Hollande et à la

France , jusqu'à ce que l'on arrive, à l'Est, à la Rivière

Yapoco ou de Vincent Pinçon, qui sépare nos domaines et

le rivage de la mer de ceux de F rance 1 ) . »

2. Dès le début de la Révolution française, on vit une

fois de plus que le Portugal n'entendait nullement renoncer

à la frontière de l'Oyapoc du Cap d'Orange.

Au printemps de 1791, le gouverneur de Para, Dom

Francisco de Souza Coutinho, fit les préparatifs d'une expé­

dition qui devait aller jusqu'à l 'Oyapoc 2 ) .

Sur quoi Benoist 3 ) , gouverneur par intérim, manda de

Cayenne : « L e 20 du mois dernier (mois de mai), j ' a i été

prévenu qu'un détachement de Portugais de la colonie du

Pa ra s'était porté à notre mission du Macary en deçà du

Cap du Nord et avait annoncé aux Indiens qui y sont qu'ils

allaient sous peu venir en force s'y établir, les mettre sous

la domination portugaise et s'étendre jusqu'à la riviere

1) R . B . III , page 212. M. F . I, pp. 94 et suiv., commentant les sti­pulations par lesquelles le Portugal et l 'Espagne garantissaient leurs frontières réciproques dans l'article 25 du traité de 1750 et l'article 3 du traité de Pardo (1778). dit que les « margens de huma e outra banda » ne sont qu'« une simple lisière de territoire de l'un et de l'autre bord » ; cette interprétation n'est pas soutenable. A lui seul le texte intégral de ladite disposition la détruit. Conf. le texte de l'article dans M. F . II, pp. 88 et suiv., R . B . III , pp. 223 et suiv.

2 ) M. B . I, page 235. 3 ) M. F . I, pp. 207 et suiv., Archives des Colonies, t. L X I V .

Page 432: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 424 —

d'Oyapock qu'ils prétendent être leurs limites, malgré les

établissements de culture que nous y avons. . . J ' a i cru de­

voir faire partir, le 25 du même mois, un officier avec

huit hommes seulement, pour que, dans le cas où les Por­

tugais seraient établis au Macary, réclamer ce territoire

comme appartenant à la France, et attendre à cette mis­

sion réponse à la lettre que j ' a i écrite à ce sujet au gou­

verneur du P a r a 1). Si , au contraire, cet officier ne trouvait

point les Portugais établis dans cette partie du territoire

de la Guyane française, il y prendrait poste avec son petit

détachement que j 'augmenterai autant que j 'en aurai les

moyens» . . . Le s réclamations du gouverneur français, aussi

bien que les mesures qu'il prit, restèrent sans résultat.

« E n 1792», dit M. F . I, page 208, «nous étions amenés à

évacuer le poste de Macari 2 ) , et, à leur tour, les Portugais

créaient trois postes: l'un à l'entrée de la grande crique

1) L a lettre, datée du 25 mai 1791, se trouve aux archives du minis­tère des Colonies, Guyane, t. L X I V , M. F . II , pp. 153 et suiv. On y lit: « S u r l'avis qui nous est survenu que des détachements de votre colonie s'étaient portés jusques dans les établissements d'Indiens du Mayacaray qui, par les traités d'Utrecht, est du territoire français, l'on est bien loin de croire que ce soit avec autorisation de V o t r e Excel lence . . .

S' i l y avait diversité d'opinion entre la colonie du P a r a et celle de Cayenne sur nos limites, ce serait à nos souverains, d'après les observa­tions de V o t r e Exce l lence et les miennes, à les déterminer, ces limites étant assez désignées, dans le traité d'Utrecht, par la riviere de Vincent Pinson, latitude de 2 D. 20 m., malgré que l'on y ait confondu cette riviere avec celle d'Oyapock sur la latitude de 4° 10' où nous avons des éta­blissements de culture . . .

Pour que l'on ne puisse avoir le moindre soupçon que nous voulions dans ce temps de paix entre la F r a n c e et le Por tugal nous opposer par la force aux établissements que l'on voudrait surement sans votre aveu former au Mayacaray, j e n'y envoie seulement qu'un officier avec huit hommes pour réclamer à l 'amiable ce territoire f rançais . . .»

2 ) L a lettre ci-dessus du gouverneur, du 25 mai 1791, appelle le poste « Mayacaray ».

Page 433: Sentence du conseil fédéral Suisse

4 2 5 —

de l 'Araguary; le second à l'embouchure de cette rivière;

le troisième à l'embouchure du Sucuruju, tout près du cap

de Nord 1 ) . Ils allèrent même plus loin. En 1794, une escadre

de cinq petits bâtiments armés en guerre poussa jusqu'à

l 'Oyapoc du cap d'Orange et détruisit un établissement

assez considérable qu'un habitant de Cayenne avait créé

dans l'Ouassa. »

L e chef de cette expédition portugaise, « le lieutenant

Azevedo», adressa au commandant des forts de l'Oyapoc,

qu'il qualifiait de «gardien des limites », une sommation par

laquelle il l'invitait « à lui remettre les déserteurs et les

esclaves qui avaient cherché asile sur notre territoire ». Mais

comme il n'y avait là ni commandant, ni soldats, la popula­

tion civile de la localité répondit « que nos limites (du terri­

toire français) étaient à la baie de Vincent Pinzon et non à

l 'Oyapoc » et que la sommation serait transmise à Cayenne.

Les Portugais construisirent alors sur la rive droite de

l 'Oyapoc le « For t de Nossa Senhora da Conceiçâo », sur

lequel ils plantèrent le drapeau portugais 2 ) ; leur comman­

dant aurait même prétendu, comme l'avait fait autrefois da

Maya da Gama, que les possessions portugaises allaient

jusqu'à la Montagne d'Argent, en invoquant « un traité ou

un accord de date postérieure au traité d'Utrecht 3) ».

Ce sont les dernières revendications de frontières qui,

de part et d'autre, aient été formulées sur place avant l'ex­

piration du X V I I I e siècle.

1) M. B . I, page 235, indique comme suit la position des trois forts portugais (de 1791) : « L e premier sur la rive gauche du Furo Grande de l 'Araguary, les deux autres sur la rive Nord du confluent de cette riviere et sur la rive Nord du Sucuruju. »

2 ) M. F . I, page 209. 3 ) D'après un renseignement donné par l'ingénieur Mentelle dans un

mémoire de 1796, M. F . I, pp. 209 et suiv., Archives des Colonies, t. L X I V .

Page 434: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 426 —

Peu après, les puissances ont cherché à régler la question

par une série de traités de paix et de conventions.

9.

1. Le traité de Paris du 10 août 1 1797. Ce «Tra i té de paix

et d'amitié entre S a Majesté T r è s Fidèle la Reine de Por­

tugal et la République Française » 2 ) , stipule au sujet de la

frontière de la Guyane:

Art. 6. S a Majesté T r è s Fidèle reconnaît par le présent

Tra i té que toutes les terres situées au Nord des limites

ci après désignées entre les possessions des deux Puissances

contractantes appartiennent en toute propriété et souve­

raineté à la République Française , renonçant en tant que

le besoin serait, tant pour Elle que pour ses successeurs

et ayans cause, à tous les droits qu'Elle pourrait prétendre

sur lesdites terres à quelque titre que ce soit et nommé­

ment en vertu de l'article 8 du Tra i té conclu à Utrecht le

11 avril 1713: réciproquement la République Française re­

connaît que toutes les terres situées au sud de ladite ligne

appartiennent à S a Majesté T r è s Fidèle en conformité du

même Tra i té d'Utrecht.

Art. 7. L e s limites entre les deux Guyanes Française et

Portugaise seront déterminées par la Rivière appelée par

les Portugais Calcuenne 3) et par les Français de Vincent

1) M. F . II, page 90, contient une faute d'impression : « avril», au lieu d'août.

2 ) Archives des Affaires étrangères, Original scellé, reproduit par M. F . II, pp. 90 et suiv. Reproduit également par M. B . II, pp. 81 et suivi, qui ajoute les « Articles secrets signés à Paris , le 20 août 1797 (3 F r u c ­tidor, A n V ) , manquant dans M. F . II, 1. c ; la provenance de ce texte n'est pas indiquée. M. B . I, pp. 236 et suiv., et R. B . III, pp. 293 et suiv., reproduisent à part les «Clauses relatives à la Guyane».

3 ) M. F . II, page 92: Calcuene.

Page 435: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 427 —

Pinson, qui se jette dans l'Océan au-dessus du Cap Nord

environ à deux degrés et demi de latitude septentrionale.

Elles suivront ladite Rivière jusqu'à sa source, ensuite une

ligne droite tirée depuis ladite source vers l'Ouest jusqu'au

Rio Branco.

Art. 8. Les embouchures ainsi que le cours entier de

ladite Rivière Calcuenne ou de Vincent Pinson appartien­

dront en toute propriété et souveraineté à la République

Française, sans toutefois que les sujets de S a Majesté T rès

Fidèle établis dans les environs, au midi de ladite Rivière,

puissent être empêchés d'user librement et sans être assu-

jetis à aucuns droits, de son embouchure, de son cours, et

de ses eaux.

Art. 9. Les sujets de S a Majesté T rès Fidèle qui se

trouveraient établis au nord de la ligne de frontière ci-

dessus désignée seront libres d'y demeurer en se soumettant

aux loix de la République, ou de se retirer en transportant

leurs biens meubles et aliénant les terrains qu'ils justifieraient

leur appartenir. L a faculté de se retirer en disposant de

leurs biens meubles et immeubles est réciproquement ré­

servée aux Français qui pourraient se trouver établis au

midi de ladite ligne de frontière. L 'exerc ice de ladite faculté

est borné 1) pour les uns et pour les autres à deux années,

à compter de l'échange des ratifications du présent Traité.

L e traité fut conclu et signé par les négociateurs pléni­

potentiaires Monsieur le Chevalier Antoine d'Araujo d'Aze-

vedo pour le Portugal, le Citoyen Charles Delacroix pour la

République Française « à Paris, le 10 août 1797 (23 thermi­

dor, an V 2 ) de la République Française une et indivisible)».

1) M. B . II, page 84 : donné. 2 ) An X dans le texte de M. F . II, page 95, est une faute d'im­

pression.

Page 436: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 428 —

« C e traité fut confirmé par le Directoire le 11 août 1797 ; approuvé par le Conseil des Cinq-Cents, le 15 août ; par le Conseil des Anciens, le 12 septembre; et publié dans le Moniteur, avec la ratification du Directoire, le 14 sep­tembre (28 Fructidor An V ) . Il n'a pas été ratifié par le Portugal et fut déclaré non avenu par arrêté du Directoire en date du 5 Brumaire An VI (26 octobre 1797) 1). »

Aux termes de ce traité, la frontière est constituée par le cours d'eau que les Portugais appellent Calcuenne, les França is Vincent Pinson 2 ) , qui se jette dans l'Océan au-dessus du Cap Nord par 2 ½ ° de latitude nord environ. La frontière suivra ce cours d'eau jusqu'à sa source, d'où elle continuera en ligne droite vers l'ouest jusqu'au Rio Branco .

L e renvoi au traité d'Utrecht est fort caractéristique : le Portugal renonce à toute prétention sur les terres attri­buées à la France ; il n'entend faire découler de l'article 8

1) M. B . I, pp. 236 et suiv., note, reproduit par M. B . I I , page 81, note. L e texte de l'« A r r ê t é » du 28 octobre 1797, se trouve dans M. B . Il , page 88.

2 ) M. F . I, page 98, commente en ces termes le traité de 1797: «Il est une première observation à fa i re : c'est que l 'Oyapoc est délibérément écarté. D'autre part, on voit varier une fois de plus le synonyme du Vincent Pinson. Cette dernière dénomination ne change pas pour les França i s qui continuent à appeler de ce nom la riviere qu'ils acceptent comme frontière. L e s Portugais essaient au contraire de faire admettre que le Vincent Pinson est l 'équivalent de la riviere Calcuenne, et ils y réussissent, g râce à notre inadvertance . . . . L a riviere, qui répondait à ce mot de Calcuenne est évidemment le cours d'eau qui porte le nom de Calsoène ou plus habituellement aujourd'hui celui de Carsevenne » . . . . Il y a lieu de remarquer à cet égard qu'en admettant l'identification du Vincent Pinçon et du Calcuenne, la F rance aussi modifiait la thèse qu'elle avait jusqu'alors défendue. Mais il est exact que cette identification fut l 'œuvre des Portugais, ainsi que l'indique d'ailleurs R . B . I, page 182: « Il est des cartes manuscrites portugaises, de la fin du siècle dernier et du commencement du nôtre, qui donnent au Calçoene le nom de Vincent Pinçon comme dans le T ra i t é de 1797. »

Page 437: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 2 9 —

du traité aucun droit à son profit sur ces terres ; la France

de son côté déclare que les terres situées au sud de la

ligne appartiennent au Portugal, « en conformité » du traité

d'Utrecht. Il n'est pas dit un mot du Japoc ou Oyapoc.

2. Le Traité de Badajoz du 6 juin 1801. Ce «Tra i té de paix

entre le Premier Consul de la République Française et

S. A. R. le Prince Régent du Royaume de Portugal et des

Algarves » 1) fut conclu par les plénipotentiaires, le citoyen

Lucien Bonaparte, pour la France , S. E . Monsieur Louis

Pinto de Souza Coutinho, pour le Portugal. Il stipule au

sujet de la frontière de la Guyane :

Art. 4 e . Le s limites entre les deux Guyanes seront dé­

terminés à l'avenir par le Rio Arawari qui se jette dans

l'Océan, au-dessous du Cap Nord, près de l'isle Neuve et

de l'isle de la Pénitence, environ à un degré et un tiers

de latitude septentrionale : ces limites suivront le Rio Ara­

wari depuis son embouchure la plus éloignée du Cap Nord

jusques à sa source, et ensuite une ligne droite tirée de

cette source jusques au Rio Branco vers l'ouest.

Art. 5 e . En conséquence la rive septentrionale du Rio

Arawari depuis sa dernière embouchure jusques à sa source

et les terres qui se trouvent au Nord de la ligne des limites

fixée ci-dessus, appartiendront en toute souveraineté au

peuple français. L a rive méridionale de la dite riviere

à partir de la même embouchure et toutes les terres au

Sud de la dite ligne des limites appartiendront à S. A. R.

— L a navigation de la Rivière dans tout son cours sera

commune aux deux nations.

1) M. F . II , pp. 95 et suiv., Archives des Affaires étrangères. — Original scellé. L e texte dans M. B . II, pp. 89 et suiv., sans indication de provenance ; les « Conditions secrètes » de la même date dans M. B . II, page 92.

L e s articles 4 et 5 ci-dessus sont reproduits par M. B . I, pp. 238 et suiv.

Page 438: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 430

Ce traité ne se référait pas au traité d'Utrecht; il ne

mentionnait ni le J a p o c ni le Vincent Pinçon ; il fixait une

délimitation indépendante de toute convention antérieure ;

il partait de la proposition faite autrefois par le baron

Bessner tendant à obtenir du Portugal qu'il reculerait « sa

borne sur la côte jusqu'à la riviere d 'Arrowary » 1 ) .

1) E n 1798, durant cette période où aucun traité n'était en vigueur, le ministre de la marine de Portugal avait écrit au gouverneur de P a r a : « L 'expér ience du peu de succès qu'ont eu jusqu'à présent les França i s pour former et consolider leurs établissements à Cayenne donne quelques espérances qu'ils ne seront pas plus heureux dans l 'avenir; le point im­portant est que, de notre part, il y ait toujours le zèle discret et ce prudent patriotisme qui est nécessaire pour susciter habilement des obstacles à leurs projets ambitieux, sans apparence de violence ou de mauvais vouloir » (M. F . I, page 211, « Document cité dans le mémoire de Baëna »).

S i le Por tugal escomptait une certaine indifférence de la F r a n c e à l'endroit de l'affaire de la Guyane, il se trompait. L'ancien « ordon­nateur à Cayenne » Lescallier fit paraître, en 1798, un « Exposé des moyens de mettre en valeur et d'administrer la Guyane » (Paris, an V I ) , où il dit au sujet du traité de 1797: « Avec quelle surprise n'a-t-on pas dû voir dans un traité, heureusement resté sans effet, les négociateurs portugais surprendre par une singulière astuce la bonne foi des nôtres, assimiler au nom de Vincent Pinson celui de Carsuene, qui n'existe pas dans les précédents traités, qui est celui d'une riviere très distincte et bien connue pour n'avoir rien de commun avec celle de Vincent Pinson ? » (Cité par M. F . I, page 101.)

E t Malouet, en 1802, jugea nécessaire de ramener à leur juste pro­portion les évaluations exagérées auxquelles on taxait la valeur de la Guyane; il dit dans la Collection de Mémoires, 1. c , I, page 4, note: « Dans le rapport du dernier traité de paix entre la F r a n c e et le Portugal, à l 'occasion des limites de la Guiane, cette colonie est pré­sentée comme un objet d'espérance pour la nation et le gouvernement. Un ouvrage publié, il y a trois ans, par ordre du Directoire, annonce la même opinion et des vues ultérieures. Enfin, il vient de paraître tout à l 'heure un Nouveau plan de république à établir dans les mon­tagnes de la Guiane. »

C'est dans ces conditions que fut conclu le traité du 6 juin 1801. L e baron Bessner avait reconnu autrefois que les clauses du traité d'Ut-recht ne pouvaient se concilier avec son projet de l 'Araguary ; à son

Page 439: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 3 1 —

Pas plus que le précédent, ce traité ne fut validé.

« L e chef du Gouvernement français (le Premier Consul)

refusa de le ratifier » 1 ) . Il fut « annulé expressément par le

Manifeste du Prince Regent de Portugal et du Brésil, daté

de Rio de Janeiro le 1 e r mai 1808, et par l'Article Addi­

tionnel n° 3 au Traité de Paris du 30 mai 1814 » 2 ) .

3. Le traité de Madrid du 29 septembre 1801 (« Trai té de paix

entre là République Française et le Royaume de Portugal»)

fut conclu par le citoyen Lucien Bonaparte, plénipotentiaire

du « Premier Consul de la République Française, au nom

du Peuple Français » et S. E . Monsieur Cyprien Ribeiro

Freire, plénipotentiaire de « Son Altesse Royale, le Prince

régent du Royaume de Portugal et des Algarves » 3 ) ; il

stipulait au sujet de la frontière de la Guyane :

Art. 4 e . Le s limites entre les deux Guyanes Française

et Portugaise seront déterminées à l'avenir par la Rivière

Carapanatuba qui se jette dans l'Amazone à environ un

tiers de degré de l'Equateur, latitude septentrionale, au-

dessus du fort Macapa. Ces limites suivront le cours de la

riviere jusqu'à sa source, d'où elles se porteront vers la

exemple, les parties contractantes renoncèrent le 6 juin 1801 à se prévaloir de l'autorité du traité d'Utrecht. C'est pourquoi l'allégation de M. F . I, page 102, est sans fondement: « C'était bien en effet comme conséquence et comme interprétation du traité (de 1713) que la France obligeait le Portugal à lui reconnaître cette limite. »

1) M. F . I, page 102. 2 ) M. B . I, pp. 238 et suiv., note ; de nouveau dans M. B . II , page 89,

note. 3 ) « Fa i t double à Madrid le sept vendémiaire, an dix de la Répu­

blique Française (le vingt-neuf septembre dix-huit cent un) ». M. F . II, pp. 98 et suiv., reproduit le texte du traité, d'après les Archives des Affaires étrangères — Original scellé ; M. B . II , pp. 93 et suiv., égale­ment, sans indication de provenance, avec un « Article additionnel » du même jour, ibidem, page 96.

Article 4 dans M. B . I, pp. 239 et suiv.

Page 440: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 3 2

grande chaîne de montagnes qui fait le partage des eaux:

elles suivront les inflexions de cette chaîne jusqu'au point

où elle se rapproche le plus du Rio Branco vers le deu­

xième degré et un tiers nord de l 'Équateur.

Cette disposition, qui déplaçait la frontière maritime

encore plus vers le sud, ne se référait pas davantage au

traité d'Utrecht.

Le traité de Madrid, du 29 septembre 1801, fut, il est

vrai, ratifié : « L e s ratifications de ce traité furent échan­

gées à Madrid le 19 octobre 1801 »

Mais en même temps le plénipotentiaire français, Lucien

Bonaparte, déclara au nom de son gouvernement qu'en

conformité d'un « article secret du traité préliminaire de

paix signé à Londres entre la F rance et la Grande-Bre­

tagne », du 1 e r octobre 1801 2 ) : «l'effet de l'article quatre

du traité de Madrid est modifié ; en conséquence, le Ministre

1.) M. B . II, page 93, note. 2 ) D'après les «Préliminaires de Londres» ( 1 e r octobre 1801), Archives

des Affaires étrangères. — Original scellé, « Art icle V I . L e s territoires et possessions de S a Majesté T r è s Fidèle seront aussi maintenus dans leur intégrité», y compris l'« Art ic le secre t» connexe avec lui, reproduit dans le texte français et anglais par M. F . II , page 101. L ' « Ar t ic le secret» est ainsi conçu : « Il est entendu entre les Par t ies contractantes que par l'ar­ticle 6 concernant le Portugal il n'est point mis obstacle soit aux arran-gemens qui ont eu lieu entre les Cours de Madrid et de Lisbonne pour la rectification de leurs Front iè res en Europe, soit à ceux qui pourront être arretés entre les Gouvernemens de F r a n c e et de Por tugal pour la délimitation de leurs Terr i toi res dans la Guyane, bien entendu que cette délimitation n'excédera pas celle qui a été arrêtée par le Tra i t é signé à Badajoz le 6 de juin dernier entre les Ministres de F r a n c e et de Portugal et communiqué par le Plénipotentiaire François à Londres par sa note du 18 du même mois . . . »

M. B . I l , pp. 97 et suiv., ne reproduit que le texte français. L o r s de ces négociations avec l 'Angleterre , on ne s'est pas davantage référé au traité d'Utrecht.

Page 441: Sentence du conseil fédéral Suisse

- 433 —

Plénipotentiaire soussigné est autorisé à déclarer, comme

il le fait clans la présente, que malgré l 'échange des rati­

fications du Trai té de Madrid, les limites de la Guyane

seront fixées comme dans les articles du Traité de

Bada joz . . .» 1).

L e gouvernement français abandonna donc immédiate­

ment la démarcation fixée par l'article 4 du traité de

Madrid pour déclarer en vigueur les articles 4 et 5 du

traité de Badajoz.

L e traité de Madrid tout entier, ainsi que le traité de

Badajoz, furent expressément annulés par le manifeste du

prince régent du Portugal et du Brésil, daté de Rio de

Janeiro le 1 e r mai 1808, et par l'Article Additionnel n° 3 au

traité de Paris, du 30 mai 1814 2).

4. Le traité d'Amiens du 27 mars 1802 3 ) , conclu entre la

France , l 'Espagne, la République Batave d'une part, et

l 'Angleterre d'autre part, stipulait en ce qui concerne la

frontière de la Guyane :

Art. 7. Les Territoires et Possessions de S a Majesté

Très-Fidèle sont maintenus dans leur intégrité, tels qu'ils

étoient avant la guerre : cependant les limites des Guyanes

1) L e texte de la « Déclaration relative à l'exécution du Traité de Madrid, spécialement ratifiée par le Premier Consul», (datée « Madrid, le vingt-sept vendémiaire de l'an dix de la République Française », signé : « L . Bonaparte ») est reproduit d'après les Archives des Affaires étran­gères, Corresp. de Portugal, t. C X X I I , fol. 400, dans M. F . II, pp. 102 et suiv.

2 ) M. B. I, page 240, note, de nouveau dans M. B . II, page 93. 3 ) « Traité d'Amiens (25 — faute d'impression au lieu de 27 — mars

1802) », Archives des Affaires étrangères — Original scellé, reproduit en partie (Introduction, article 7, clause finale), texte français et anglais, par M. F . II, pp. 104 et suiv.; M. B . II, n° 17, pp. 99 et suiv., donne le texte français seul, mais complet, sans indication de provenance.

M. B . I, pp. 240 et suiv., reproduit le texte français de l'article 7.

28

Page 442: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 434 —

Françoise et Portugaise sont fixées à la Rivière d'Arawari,

qui se jette dans l'Océan, au-dessus 1) du Cap Nord, près

de l'isle Neuve et de l'isle de la Pénitence, environ à un

degré un tiers de latitude septentrionale. Ces limites sui­

vront la Rivière d'Arawari, depuis son embouchure la plus

éloignée du Cap Nord, jusqu'à sa source, et ensuite une

ligne droite tirée de cette source, jusqu'au Rio Branco

vers l'ouest.

En conséquence la Rive Septentrionale de la Rivière

d'Arawari, depuis sa dernière embouchure jusqu'à sa source,

et les terres qui se trouvent au Nord de la ligne des limites

fixées ci-dessus, appartiendront en toute souveraineté à la

République françoise.

L a Rive Méridionale de la dite Rivière, à partir de la

même embouchure, et toutes les Te r re s , au sud de la dite

ligne des limites, appartiendront à S a Majesté Très-Fidèle .

L a navigation de la Rivière d'Arawari, dans tout son

cours, sera commune aux deux nations 2 ) .

L e traité d'Amiens confirmait par conséquent la délimi­tation fixée par « l 'Article secret » additionnel à l'article V I des « Préliminaires de Londres », du 1 e r octobre 1801, et des articles 4 et 5 du traité de Badajoz.

1) Note dans M. F . II , page 105 : « Pour au-dessous. Cf. le texte anglais du même traité et le texte français du traité de Badajoz. » L e texte anglais dit : below.

2 ) L e s plénipotentiaires qui signèrent ce « Tra i t é définitif Fa i t à

Amiens le six Germinal an Dix de la République françoise, le vingt-sept

mars mille-huit-cent-deux », étaient : Joseph Bonaparte (le citoyen Joseph

Bonaparte , Conseiller d'Etat), nommé par « L e Premier Consul de la

République Françoise , au nom du Peuple François » ; Cornwallis (le

Marquis de Cornwallis), nommé par « S a Majesté le Roy du Royaume

Uni de la Grande Bre tagne et d'Irlande » ; J. Nicolas de Asara, nommé

par « S a Majesté le Ro i d 'Espagne et des Indes » ; et R. J . Schimmel-penninck, nommé par le « Gouvernement d 'Etat de la République Ba tave ».

Page 443: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 435 —

A ce traité, qui disposait pourtant de ses droits, le

Portugal n'avait pas été partie contractante. Il n'a fait, par

la suite, aucun acte d'accession. L e traité a été annulé par

ceux de 1814 et de 1815

Il y a lieu de constater au sujet de tous ces traités

passés en 1801 et 1802:

a) Aucun d'eux ne se réfère au traité d'Utrecht pour

fixer la frontière de la Guyane française et de la Guyane

portugaise 2 ) .

b) L e traité de Badajoz n'a pas été ratifié par le premier

consul et il a été annulé expressément en 1808 par le prince

régent du Portugal.

c) L'article 4 du traité de Madrid a été écarté par le

premier consul au moment même de la ratification.

d) Le traité d'Amiens a été conclu sans le Portugal et

le Portugal n'y a pas adhéré par la suite 3).

1) M. B . II, page 99, note, où il est dit : « L e Portugal n'était pas

représenté au Congrès d'Amiens et s'abstint de faire acte d'accession.

C'est pourquoi il (sc. le traité d'Amiens) ne figure pas dans le Recueil

des Tra i tés de Portugal publié par Borges de Cast ro», et M. B . I,

page 242, note, avec cette citation de E. Rouard de Card, professeur à

l 'Université de Toulouse, dans la Revue Gén. de Droit International

Public, 1897, page 287 : « Il convient de remarquer que le Tra i té d'Amiens

ne pouvait, en dehors d'une accession formelle, être obligatoire pour le

Portugal qui ne figurait pas au nombre des parties contractantes et qui

par la suite s'abstint de faire acte d'adhésion. » 2 ) Vo i r à ce sujet l 'allégation non fondée de M. F . I, page 105 :

« C'est l 'Araguary qui représente la formule d'exécution de l 'acte de 1713,

sur laquelle les deux Eta t s s'accordèrent tout d'abord et finalement. » 3 ) Lord Hawkesbury, plénipotentiaire anglais lors de la conclusion

des préliminaires du 1 e r octobre 1801, dit dans une note du 22 septembre

1801 : « Comme le Gouvernement français insiste sur ce que les limites

de la Guyane s'étendent jusqu'à la riviere d'Arawary et que le prince-régent de Portugal y a adhéré, S a Majesté y consentira pourvu que

l'intégrité des Eta t s de S a Majesté T r è s Fidèle en Europe et ailleurs soit

Page 444: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 436

e) Tous ces traités ont été annulés par ceux de 1814 et

de 1815.

1 0 .

En 1807, le général Junot, sur l'ordre de l'empereur

Napoléon, occupa le Portugal et la cour de Portugal émigra

au Brésil . Le prince régent du Portugal et du Brésil publia

à Rio de Janeiro, le 1 e r mai 1808, un manifeste 1 ) , dans lequel

il annonçait :

« Son Altesse Royale rompt toute communication avec

la F rance .. . . et Elle autorise ses sujets à faire la guerre

sur mer et sur terre aux sujets de l 'Empereur des Fran­

çais. Son Altesse Royale déclare nuls et d'aucune valeur

tous les traités que l 'Empereur des Français l'a forcée de

conclure, et particulièrement ceux de Badajoz et de Madrid

de 1801, et celui de Neutralité de 1804. . . Son Altesse Roya le

ne déposera les armes que d'accord avec S a Majesté Bri­

tannique, son ancien et fidèle allié » . . .

En effet, le Brésil s'empara de la Guyane française,

« que Napoléon avait laissée dépourvue de soldats ». « En

vain — dit M. F . I, page 213, du gouverneur alors en fonc­

tion à Cayenne — Vic to r Hugues essaya-t-il d'organiser

la résistance avec les éléments locaux dont il disposait ; il

n'avait pas le moyen de lutter efficacement avec 593 hommes

garantie à tous égards », M. F . I, page 103, Affaires étrangères, Angle­terre, t. D L X X X X V , fol. 355.

L e fait rapporté par Hawkesbury ne constitue pas un acte d'adhésion de la part du prince régent. Il résulte d'ailleurs de cette note (contraire­ment à l'assertion de M. F . I, ibidem et page 105), que c'était la F r a n c e et non pas l 'Angleterre qui insistait pour faire adopter la frontière de l 'Araguary.

1) Borges de Castro, Colleçào dos Tratados de Portugal , 1. c. I V , pp. 274 et suiv., reproduit partiellement par M. B . II, pp. 109 et suiv.

Page 445: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 437

contre une armée portugaise secondée par les Anglais, et, le 12 janvier 1809, il capitula dans Cayenne. »

L e 19 février 1810, le prince régent conclut avec l'An­gleterre un traité l ) dont l'article 2 (des articles secrets) obligeait l 'Angleterre à user, lorsque la paix générale serait négociée, de toute son influence en faveur du Portugal « pour obtenir le rétablissement des anciennes limites de l'Amérique Portugaise, du côté de Cayenne, conformément à l'interprétation que le Portugal a constamment donnée aux stipulations du Traité d'Utrecht ».

Après la chute de l'empereur Napoléon et dès l'avè­nement de Louis X V I I I , au printemps de 1814, on s'occupa de rétablir la paix générale prévue à ce traité.

Comme au temps du traité d'Utrecht, le Portugal avait pour lui l 'Angleterre qui s'était engagée à soutenir, le moment venu, l'interprétation portugaise de cet acte diplo­matique.

Quelle solution l'œuvre pacificatrice donna-t-elle à la délimitation de la Guyane française et de la Guyane por­tugaise ?

1. Le traité de Paris du 30 mai 1814 2) stipulait:

Article dixième. Son Altesse Royale le Prince R é ­gent de Portugal et des Algarves, en conséquence d'arran-gemens pris avec ses alliés, et pour l'exécution de l'article huit, s 'engage à restituer à S a Majesté T r è s Chrétienne, dans le délai ci-après fixé, la Guyane Française, telle

1) « Tra i té de Rio de Janei ro du 19 février 1810 entre le Portugal et la Grande-Bretagne », d'après de Castro, 1. c., I V , M. B . II, page 111.

2 ) « Tra i té de Par is » (30 mai 1814), Archives des Affaires étrangères — Original scellé, reproduit partiellement (texte français) par M. F . II , pp. 107 et suiv.; extraits des textes français et portugais dans M. B . II, pp. 112 et suiv.

Page 446: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 438

qu'elle existait au premier janvier mil sept cent quatre vingt

douze.

L'effet de la stipulation ci-dessus étant de faire revivre

la contestation existante à cette époque, au sujet des limites,

il est convenu que cette contestation sera terminée par un

arrangement amiable entre les deux Cours, sous la média­

tion de S a Majesté Britannique.

Article additionnel secret. - Quoique les traités, con­

ventions et actes conclus entre les deux Puissances anté­

rieurement à la guerre soient annullés de fait par l'état de

guerre, les hautes parties contractantes ont jugé néanmoins

à propos de déclarer encore expressément que lesdits

traités, conventions et actes, notamment les traités signés

à Badajoz et à Madrid en 1801, et la convention signée à

Lisbonne en 1804, sont nuls et comme non avenus, en tant

qu'ils concernent la F r a n c e et le Portugal, et que les deux

couronnes renoncent mutuellement à tout droit et se déga­

gent de toute obligation qui pourrait en résulter.

C'était ajourner la solution même et réserver un accom­

modement futur. Cette décision ne satisfit pas le prince

régent du Portugal et du Brésil , ni son plénipotentiaire,

Dom Domingos Antonio de Souza Cottinho, comte de

Funchal. L e prince régent ne ratifia pas le traité 1), que

son plénipotentiaire ne signa que le 11 juin 2 ) , en même

temps qu'il remettait aux plénipotentiaires français ainsi

qu'à tous les plénipotentiaires des alliés une déclaration

conçue en ces termes 3 ) : « Tout en prenant en considération

l'impossibilité de consulter son Gouvernement et de retarder

1) M. B . II , page 112, note. 2 ) Ibidem. 3 ) M. B . I I , page 113, note, d'après De Clercq, Recuei l des Tra i tés

de la F r ance , t. II , pp. 427 et suiv.

Page 447: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 3 9 —

indéfiniment une œuvre aussi salutaire que la conclusion

de la paix avec la France , il n'entendait cependant pas,

par l'insertion de l'article 10, se désister au nom de sa

Cour de la limite de l 'Oyapock, c'est à dire du fleuve dont

l'embouchure dans l 'Océan se trouve située entre le 4 e et

le 5 e degré de latitude septentrionale entre les deux Guyanes

Portugaise et Française, limite qui lui a été prescrite par

ses instructions d'une manière absolue, sans interprétation

ni modification aucune, soit comme droit légitime reconnu

par le Trai té d'Utrecht, soit comme un dédommagement

pour les réclamations du Portugal contre la France . » Du

moment que le traité de Paris du 30 mai 1814 ne précisait

pas, le Portugal protesta immédiatement de ses droits sur

la frontière de l 'Oyapoc qu'il plaçait par 4° et 5° latitude

nord, en conformité du traité d'Utrecht. L e congrès de

Vienne devait, semblait-il, trancher le litige.

2. Au congrès de Vienne, l 'Angleterre et le Portugal con­

vinrent, par un traité du 22 janvier 1815 1 ) : L e prince régent

de Portugal prendra les mesures nécessaires pour rendre

immédiatement effectif l'article 10 du traité de Paris, « which

provides for the restitution of the French Guyana to his

Most Christian Majesty », moyennant quoi l 'Angleterre pro­

met « to employ His mediation.. . , to procure an early and

friendly arrangement of the dispute subsisting between the

Prince Regent of Portugal and His Most Christian Majesty

on the subject of the frontier of Their respective posses­

sions in that quarter, as regulated by the 8 t h Article of the

Trea ty of Utrecht. »

1) « Tra i té de Vienne entre l 'Angleterre et le Portugal » (22 janvier 1815), d'après J . F. B. de Castro, Colleção dos Tratados, 1. c., V , page 26, dans M. F . II, pp. 111 et suiv. (texte portugais et anglais); traduction française M. B . II , page 115.

Page 448: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 4 0 —

3. L e 17 janvier 1815, les plénipotentiaires portugais

au congrès de Vienne avaient formulé une note verbale 1)

dans laquelle ils déclaraient: Induits en erreur par le géo-

graphe Frei tz (P. Fritz), les négociateurs du traité d'Utrecht

ont rédigé l'article 8 de manière qu'il a été possible de

confondre l 'Oyapock avec le Vincent Pinson. « De là toutes

ces contestations de limites connues entre le Portugal et

la F r a n c e ; . . . i l ne s'agit à présent que de terminer la

question des limites du côté de l 'Oyapock, en sorte que

tout doute sur l'interprétation du Tra i té d'Utrecht soit à

jamais levé, et que l 'Oyapock, du point où il reçoit les

eaux du Camopi jusqu'à son embouchure, sépare le terri­

toire français d'avec celui qui appartient au Portugal » . . .

Ils ajoutaient à titre d'explication et pour corroborer

leur revendication de la frontière de l 'Oyapoc :

« L a base du Tra i té de Paris est le statu quo de 1792 » ;

cette année-là, la F r a n c e n'avait pas d'« établissement » sur

la rive droite de l 'Oyapoc.

Sur la base du traité d'Utrecht peut seul être contesté

« le territoire situé entre les deux rivieres de Vincent Pin­

son et de l 'Oyapock : puisque la contestation vient de ce

que l'on a pris à cette époque ces deux rivieres pour une

seule riviere ».

Mais « l 'Oyapock est beaucoup plus considérable que

le Vincent Pinson, et par conséquent il serait plus conve­

nable, par cela même, de le prendre pour limite ».

Enfin, au moment où le Portugal est prêt à rendre

Cayenne à la France , il est juste et modéré « que les limites

en soient fixées une fois pour toutes, comme le Portugal

l ) « Note verbale des Plénipotentiaires portugais à Vienne (17 janvier 1815), Archives des Affaires étrangères, Correspondance de Portugal , t. C X X V I I I , fol. 135, reproduit dans M. F . II , pp. 110 et suiv.

Page 449: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 4 1 —

l'a toujours entendu et réclamé depuis le Trai té d'Utrecht,

c'est-à-dire à la riviere d'Oyapock, en la remontant jusqu'à

son confluent avec le Camopi ».

Dans une note verbale qu'ils remirent à Talleyrand

le 16 février 1815, les plénipotentiaires portugais exposaient

une fois de plus leur thèse des deux cours d'eau et leur

revendication de la frontière de l'Oyapoe :

« L a contestation selon le traité d'Utrecht, qui sert de

base au présent arrangement, ne comprend que l'espace

de pays qui se trouve entre les deux rivieres de Vincent

Pinson et d'Oyapock; et par la ligne qu'ils ont tracée, les

Plénipotentiaires offrent à la France sur la rive gauche

de l 'Oyapock un territoire plus étendu que celui qu'ils

prennent sur la droite. Cet arrangement aurait encore

l 'avantage de laisser aux deux nations la navigation libre

et commune de l 'Oyapock. »

Pour les plénipotentiaires portugais, il existait par con­

séquent une riviere Oyapock et une autre riviere Vincent

Pinson qui, à ce qu'ils croyaient, avaient été confondues en

un seul et même cours d'eau par l'article 8 du traité d'Ut­

recht. Mais celui des deux qu'il faut adopter, à teneur de ce

traité, est l 'Oyapock et non le Vincent Pinson.

En 1797 déjà, pour les plénipotentiaires portugais chargés

de négocier le traité de Paris, le Vincent Pinson n'était

autre que le Calçoene 2 ) . Les deux points de vue différaient

1) « Note verbale des Plénipotentiaires portugais à Vienne (16 février 1815) », Archives des Affaires étrangères, Corresp. de Portugal, t. C X X V I I 1 , fol. 153, M. F . II , pp. 112 et suiv. Vo i r au sujet de cette note verbale et de la précédente M. F . I, pp. 114 et suiv.

A la note était jointe « une carte manuscritte des bords septentrio­naux de la riviere des Amazones » sur laquelle une ligne rouge figurait la frontière proposée; en outre, comme pièce de comparaison, « la carte anglaise de Faden ».

2) Conf. R . B . I, pp. 182 et suiv.; ci-dessus, pp. 426 et suiv.

Page 450: Sentence du conseil fédéral Suisse

442 —

en ce sens qu'en 1797, les Portugais se seraient contentés

du Vincent Pinson = Calçoene, sans concéder toutefois

que ce fût le cours d'eau désigné par l'article 8 du traité

d'Utrecht, tandis qu'après, ils réclamaient l 'Oyapock, ce qui,

disaient-ils, était l'interprétation probablement la plus exacte,

en tous cas la plus équitable, de l'article 8 du traité d'Ut­

recht. L 'erreur que commirent les Portugais en créant le

second cours d'eau, le Vincent Pinson, influa sur l'acte final

du congrès de Vienne.

4. L'acte final du congrès de Vienne, du 9 juin 1815 1 ) . Cet

« instrument général » comprenant « les dispositions d'un

intérêt majeur et permanent», signé au congrès de Vienne,

par les plénipotentiaires de l'Autriche, de la France , de

l 'Angleterre, du Portugal, de la Prusse, de la Russie et de

la Suède disposait au sujet de la frontière franco-portu­

gaise dans la Guyane :

Art. 106. Afin de lever les difficultés qui se sont oppo­

sées, de la part S. A. R. le Pr ince Régent du Royaume de

Portugal et de celui du Brésil , à la ratification du Tra i té

signé, le 30 mai 1814, entre le Portugal et la F rance , il est

arrêté que la stipulation contenue clans l'article 10 dudit

Trai té , et toutes celles qui pourraient y avoir rapport, res­

teront sans effet, et qu'il y sera substitué, d'accord avec

toutes les Puissances, les dispositions énoncées dans l'article

nouveau, lesquelles seront seules considérées comme va­

lables. Au moyen de cette substitution, toutes les autres

clauses du susdit Tra i té de Par is seront maintenues et re-

1) « A c t e final du Congrès de Vienne (9 juin 1815)», M. F . II, page 113 (texte des articles 106 et 107), M. B . II , pp. 119 et suiv. (Introduction, art. 106, 107, 121 et signatures.)

P a r notes des 11 et 12 mai 1815, les plénipotentiaires du Portugal et de la F r a n c e s'étaient mis d'accord pour accepter les articles 106 et 107, M. B . II , pp. 116 et suiv.

Page 451: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 4 3 —

gardées comme mutuellement obligatoires pour les deux Cours.

Art. 107. S. A. R. le Prince Régent du Royaume de Portugal et de celui du Brésil, pour manifester d'une manière incontestable sa considération particulière pour S. M. T . C , s 'engage à restituer à Sadite Majesté la Guyane française jusqu'à la riviere d'Oyapock, dont l'embouchure est située entre le quatrième et le cinquième degré de latitude sep­tentrionale, limite que le Portugal a toujours considérée comme celle qui avait été fixée par le Trai té d'Utrecht.

L'époque de la remise de cette colonie à S. M. T . C. sera déterminée, dès que les circonstances le permettront, par une convention particulière entre les deux Cours ; et l'on procédera à l'amiable, aussitôt que faire se pourra, à la fixation définitive des limites des Guyanes portugaise et française, conformément au sens précis de l'article 8 du Trai té d'Utrecht.

A la clause du traité du 30 mai 1814, stipulant la res­titution de la Guyane française « telle qu'elle existait au 1er janvier 1792», vient se substituer celle-ci: L e prince régent du Portugal et du Brésil rendra la Guyane française jusqu'à la riviere d'Oyapock (entre 4° et 5° latitude nord), frontière que le Portugal a toujours considérée comme celle qui avait été adoptée par le traité d'Utrecht.

L 'ac te final ne tranche pas la question de savoir si elle est réellement la frontière fixée par le traité d'Utrecht. L 'ac te stipule au contraire que les deux puissances inté­ressées concluront, dès que faire se pourra, « une con­vention particulière » sur la restitution de Cayenne à la F rance et procèderont « à l'amiable » à la délimitation dé­finitive « conformément au sens précis de l'article 8 du Trai té d'Utrecht».

Page 452: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 444 —

L'ac te final ne statuant pas à l'égard des territoires

qui, au sud de l 'Oyapoc, s'étendent jusqu'au Vincent Pinson

auquel on donnait alors cette situation, Tal leyrand s'em­

parait du fait pour dire dans son rapport au comte Jaucourt ,

ministre des affaires étrangères, en date du 16 mai 1815 1):

« V o u s remarquerez, Monsieur le Comte, que ces deux

articles (sc. 106 et 107) diffèrent plus par la forme que

par le fond de celui du traité de Paris (du 80 mai 1814).

L e Portugal s 'engage à remettre ce qu'il ne conteste pas.

Sur ce qu'il conteste, nous ne faisons aucune concession. »

L e litige, loin d'être tranché, restait ouvert 2 ) .

Postérieurement à l 'acte final, le Portugal occupa durant

deux ans encore la Guyane française qu'il avait conquise

en 1809, puis, en 1817, fut conclue la «convention parti­

culière » prévue par l'acte final.

5. La convention de Paris du 28 août 1817 («Convention entre

S a Majesté le Roi de F rance et de Navarre et S a Majesté le Roi

du Royaume-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves ») 3 ) ,

stipulait:

Art. 1 e r . S a Majesté T r è s Fidèle étant animée du désir

de mettre à exécution l'article 107 de l'acte du Congrès de

Vienne, s 'engage à remettre à S a Majesté T r è s Chrétienne

dans le délai de trois mois, ou plus tôt si faire se peut, la

Guyane française jusqu'à la riviere d'Oyapock, dont l'em­

bouchure est située entre le quatrième et le cinquième

degré de latitude septentrionale et jusqu'au trois cent vingt

deuxième degré de longitude à l 'Est de l'île de Fe r , par le

1) M. F . I, page 112, Affaires étrangères, Congrès de Vienne. 2 ) Conf. M. F . I, page 113. 3 ) Archives des Affaires étrangères — Original scellé, reproduit dans

M. F . II , pp. 114 et suiv.; M. B . II , pp. 122 et suiv. (sans indication de la provenance du texte).

Page 453: Sentence du conseil fédéral Suisse

445 —

parallèle de deux degrés vingt-quatre minutes de latitude

septentrionale.

Art. 2. On procédera immédiatement des deux parts

à la nomination et à l'envoi de Commissaires pour fixer défi­

nitivement les limites des Guyanes française et portugaise,

conformément au sens précis de l'article V I I I du traité d'Ut­

recht et aux stipulations de l'acte du Congrès de Vienne.

Lesdits Commissaires devront terminer leur travail dans le

délai d'un an, au plus tard, à dater du jour de leur réunion

à la Guyane. Si, à l'expiration de ce terme d'un an, lesdits

Commissaires respectifs ne parvenaient pas à s'accorder,

les deux hautes Parties contractantes procéderaient à

l'amiable à un autre arrangement sous la médiation de la

Grande-Bretagne, et toujours conformément au sens précis

de l'article VI I I du traité d'Utrecht, conclu sous la garantie

de cette puissance.

Ce traité entendait ne trancher définitivement qu'au

sujet de la restitution de la Guyane française (article 1).

Il mentionnait, lui aussi, le « sens précis de l'article V I I I

du traité d'Utrecht», mais sans le fixer; cette fois encore,

la question demeurait ouverte jusqu'à ce que la frontière

eût été définitivement tracée par des commissaires qui

devaient être nommés « immédiatement ».

1 1 .

En exécution de la convention de 1817, le Portugal

restitua la Guyane française jusqu'à l 'Oyapoc, mais la

nomination, par les deux parties, de commissaires chargés

de fixer définitivement les limites 1) « conformément au

1) M. F . I, page 218, dit, il est vrai: « L e Gouvernement français fut le seul à désigner ses commissaires», sans fournir toutefois la preuve de son dire. M. F . I, page 118, ne donne pas ce renseignement; et dans

Page 454: Sentence du conseil fédéral Suisse

4 4 6 —

sens précis de l'article VIII du traité d 'Utrecht», n'eut

pas lieu.

C'est ainsi qu'en 1822, le Brésil devenu indépendant,

mais non encore reconnu par les puissances européennes,

et affaibli par des luttes intestines, succéda au Portugal

à un moment où le litige touchant la fixation de la fron­

tière était toujours pendant.

La question était toutefois simplifiée dans une certaine

mesure ; la F rance avait accepté la restitution de son terri­

toire jusqu'à l 'Oyapoc du Cap d'Orange, les deux puissances

s'en remettant à des commissaires pour le règlement ulté­

rieur, et au cas où ceux-ci, dans le délai d'un an, ne par­

viendraient pas à s 'accorder, l 'Angleterre devait intervenir

comme puissance médiatrice.

Or, les commissaires chargés de fixer définitivement la

frontière ne furent pas désignés, il ne fut pas fait appel à

l'intervention de l 'Angleterre, de sorte que l'on put croire

que, de part et d'autre, on s'en tiendrait à l'état de choses

provisoire.

Mais en 1824, le ministre de la marine française, par

lettre du 3 mars, attira l'attention de son collègue, le

ministre des affaires étrangères, sur ce que « dans une

le mémorandum anglais de 1839, on l i t : But no such Commissioners have yet been appointed, R . B . III, page 322.

Un « rapport du 22 février 1822 » émané du gouvernement français donne à ce sujet ces seuls renseignements: «Cette dernière disposition (concernant un règlement définitif) n'a point encore été exécutée, et le Portugal continue de prétendre à tout le territoire situé sur la rive droite de l'Oyapoc, tandis qu'une portion considérable de ce territoire, surtout vers les bords du fleuve, est peuplée de França i s et régie par l'adminis­tration française, ainsi que cela avait lieu avant 1792», Archives des Colonies, t. L X I V . L e ministre Vi l l è le recommanda aux représentants de la F r a n c e au congrès de Vé rone (lettre du 27 juin 1822), « de demander que le Por tugal fût invité par le Congrès à règler enfin la question des limites», M. F . I, page 219.

Page 455: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 4 7 —

constitution dernièrement rendue publique » de l'état du

Brésil (non encore reconnu par la France) « le gouverne­

ment actuel du Brésil , continuant à cet égard les préten­

tions du gouvernement portugais a . . . indiqué l 'Oyapock

comme la limite des Etats brésiliens du côté de la Guyane

française ». L e ministre français voyait là une tentative du

Brésil de traiter le litige toujours pendant comme tranché

en faveur des prétentions brésiliennes. Aussi insista-t-il

auprès de son collègue : « Une rectification sur ce point

est du plus haut intérêt » 1 ) .

D'après une citation de M. F . I, page 118 2 ) , la « rectifi­

cation » consista probablement dans un ordre qu'à cette

époque (vers 1824), le gouvernement français donna au

gouverneur de la Guyane « de prendre possession des

limites assignées par le traité d'Amiens qu'il considérait

avec raison 3 ) comme résumant de la manière la plus équi­

table le sens du traité d'Utrecht».

E t M. F . I, 1. c , continue : « Si l'effet de cette résolu­

tion se trouva alors suspendu, on fut bien obligé un peu

plus tard, à bout de patience et d'efforts, d'en arriver à la

voie de la coaction ».

Il est incontestable que le gouvernement français, s'em-

parant du fait que la délimitation définitive prévue par les

traités de 1815 et de 1817 n'avait pas encore eu lieu, protesta

contre l'occupation de la rive droite de l 'Oyapoc par le Brésil,

qui depuis le 25 août 1825 avait été reconnu par la France 4 ) .

l ) M. F . I, page 220, Archives des Affaires étrangères, Brési l , t. V I . 2) Sans indiction de la provenance. 3 ) L e « traité d'Amiens » ne se réfère pas à l 'article 8 du traité

d'Utrecht, ainsi qu'il a été déjà remarqué ; en outre, il ne fut pas validé, conf. ci-dessus, pp. 434 et 435.

4) M. F . I, pp. 221 et suiv., publie une série d'informations sur cette époque, d'après les Archives des Colonies, t. L X I V . Il s'en dégage

Page 456: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 4 8 —

Même en 1836, la démarcation n'avait pas encore été effectuée, ce qui n'avait rien d'étonnant, étant donnée la situation politique où se trouvait alors l'état du Brésil et spécialement la province de Pa ra ; « les révolutions s'y succédèrent jusqu'en 1835 »

C'est la F r a n c e qui prit alors possession du contesté ; le 29 août 1836, de Choisy, gouverneur de la Guyane fran­çaise, écrivit au président de la province brésilienne de P a r a 2 ) :

«J ' a i l'honneur de prévenir V o t r e Excel lence que, con­formément aux ordres de mon Gouvernement, j ' a i pris possession des limites légales de la Guyane, dans le Sud, en vertu du Traité d'Amiens ».

L e président de Para , le général Soares de Andréa, répondit le 18 octobre 1836 3 ) :

« Bien que j 'eusse déjà appris qu'il existait quelques forces françaises à Vincent Pinçon 4) ou sur le lac d'Amapá, il me paraissait impossible que ce fût en vertu d'un ordre ministériel », et il terminait en ces termes un long exposé de l'histoire du litige depuis le commencement du siècle : « Ayant, autant qu'il m'est possible de le faire, démontré avec quelle injustice le Gouvernement França is a ordonné

que le Brés i l prenait des dispositions en vue d'occuper effectivement la

rive droite de l 'Oyapoc, que le gouverneur français (1828) estimait que

cette rive droite était la limite « par le traité de 1815 », que le ministre

rectifia cette opinion : « la démarcation reste à fixer », et que le gouver­

neur reçut l 'ordre « qu'il ne faudrait pas hésiter à les repousser », si les

Brésil iens voulaient « réellement » s'emparer de la rive droite de l'Oyapoc. 1 ) M. F . I, page 226. 2 ) M. B . II , page 124. 3) M. B . II, pp. 125 et suiv. 4) Conf. M. B . II, page 125, note 1 : « L e nom d'un poste français

établi en 1783 sur le lac Maca ry (voir C. da Si lva , §§ 538 à 577) et évacué

quelques années après (ouvrage cité, §§ 603 à 606). »

Page 457: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 4 9 —

à V o t r e Excellence l'occupation d'une position quelconque au Sud de l 'Oyapoc, je dois, comme première autorité de cette Province, et au nom de mon Souverain, sommer Vo t re Excel lence d'ordonner aux troupes qui s'y trouvent de se retirer, laissant à nos cabinets respectifs la décision amiable de cette importante question, dans le sens de la justice, et comme l'a décidé le Traité de Vienne ».

L e gouverneur de Cayenne n'était pas seul à avoir reçu des instructions ; le 20 février 1836, le ministre de la marine avait donné au commandant de la goélette la Béarnaise, le lieutenant de vaisseau Penaud, des ordres ainsi conçus :

« Il importe de mettre le territoire que nous considé­rons comme français à l'abri de toute invasion . . . Dans cet état de choses, ayant à déterminer le lieu le plus con­venable pour l'établissement d'un poste avancé vers le Brésil , il est naturel de porter d'abord les yeux sur la limite la plus éloignée à laquelle la F rance puisse se croire autorisée à prétendre d'après les divers traités qui ont eu lieu. Or cette limite est la rive gauche de l'embouchure la plus méridionale de l 'Arawary (traité d'Amiens) » ] ) .

L e gouvernement brésilien s'alarma de cette affaire, autant que l'avait fait le président de la province de Para . En septembre 1836 déjà, Mouttinho, qui représentait le Brésil à Paris, demanda au duc de Broglie « quelques explica­tions sur la nouvelle très répandue, que . . . le Ministre de la marine avait ordonné l'occupation du territoire en litige . . . » 2 ) , à quoi de Broglie répondit : « que le Ministre de l'a marine s'était borné à ordonner l'établissement d'un poste provisoire sur la rive droite de l 'Oyapoc pour y protéger quelques « ménageries » et préserver les posses-

1) M. F . I, page 226. 2 ) M. F . I, page 227, Archives des Colonies, t. L X I V .

29

Page 458: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 450 —

sions françaises du contact des sanglantes commotions dont

la province du P a r a était devenue le théâtre »

L e gouvernement brésilien ne fut pas rassuré par cette

déclaration; l 'agent consulaire français à Pa ra écrivait le

30 août 1837 au ministre de la marine: « L e Président du

P a r a a offert lui-même au Gouvernement brésilien de se

mettre en route de sa personne pour faire la conquête de

Cayenne » 2 ) .

L e duc de Broglie se borna à déclarer, « que l'occu­

pation du territoire en litige ne devait pas empêcher le

règlement des limites » ; mais, en 1838, Mouttinho n'enten­

dait consentir à des négociations que « lorsque le poste

français sera enfin supprimé » 3 ) .

Dès 1838, l 'Angleterre fit auprès du gouvernement

français des « démarches amicales » dans le but d'aplanir

le conflit; auparavant la canonnière « Racehorse », sous le

commandement du capitaine Harris, avait été chargée d'aller

en reconnaissance sur le littoral du contesté 4 ) .

1 ) M. F . I, page 227. 2 ) Ibidem, page 228. 3 ) Ibidem, page 228. 4) R . B . III , pp. 308 et suiv., donne des passages du « Report » du

Captain Harr is « on the Post occupied by the French to the Southward of the R ive r Oyapok » ; l'indication complète de la provenance faisant défaut, ces extraits ne sauraient constituer une preuve sans réplique. Aussi peut-on se contenter de retenir ce qu'il y est dit du fort Saint-Louis à l 'Oyapoc : « F o r t S t . Louis had for many years fallen to decay and was no longer used as a military station »; qu'il est fait mention de « some buildings », en amont sur la rive droite, alors en construction et signalés par Harr is comme devant être un futur poste militaire, puis que « both Brazil ians and French agree in saying that there is no F rench Military Post to Southward of Mapa, nor any on the coast between Mapa and the Oyapok »; enfin, l'opinion que Harris résume en ces termes: « T h e great river Oyapok, mentioned in the Trea ty of Vienna , forms a palpable and not to be evaded frontier for both nations».

Page 459: Sentence du conseil fédéral Suisse

L e 11 décembre 1838, l'ambassadeur d'Angleterre à

Paris, lord Granville, reçut pour instruction de son gou­

vernement de représenter au comte Molé, président du

conseil des ministres, que les dispositions des traités de

1815 et de 1817 « appear sufficiently precise to preclude all

disputes . . . T h e Island Maracá and the L a k e Amapá, the

occupation of which by the French forms the subject of

complaint on the part of Brazil, beeing 3 degrees to the

South of the Oyapock, plainly belong to Brazil and are

beyond the limits of French Guyana » l ) .

L e comte Molé répondit qu'il ne connaissait pas l'af­

faire suffisamment « and treated it as of no great impor­

tance ».

En 1839, lord Granville remit un « mémorandum » au

gouvernement français 2 ) .

Il contenait «a concise statement of the question»,

posant en fait tout d'abord que « no claim or pretention

can now be founded upon the Trea ty of Amiens», avec

la conclusion : « That France, as one of the parties of the

T r e a t y of Vienna, consented to accept as a spontaneous

1) « Precis of Instructions and communications to the British Em­bassy in Par is relative to the alleged occupations of Brazilian Terr i tory by a French F o r c e » , reproduit dans R . B . III , pp. 310 et suiv. (traduction française et texte anglais). L a provenance de la pièce est indiquée à la fin du texte : « Pour copie conforme (Signé) Bento da Si lva Lisboa » avec la note au bas (page 314) : « Si lva L i sboa , Baron de Cayrú , était à cette époque Directeur-Général au Ministère des Affaires Etrangères du Brési l . Une copie du texte anglais, remis par le Ministre d'Angleterre à Rio de Janeiro au Ministre des Affaires Etrangères , fut envoyée à la Légat ion du Brés i l à Londres. Notre traduction française est faite d'après cette copie authentique, conservée aux Archives de la Légation, et dont nous donnons ci-après le texte original anglais».

2 ) Reproduit dans R . B . III , pp. 317 et suiv., sans indication de la provenance (traduction française et texte anglais). L'analyse ci-dessus de la pièce est sommaire; les conclusions seules sont citées.

451

Page 460: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 452 —

concession on the part of Portugal, the River Oyapock as part of the boundary between French and Portuguese Guyana; and agreed to negotiate upon this basis for the final settlement of the rest of the boundary ; that France confirmed her acceptance of this basis by her separate Trea ty with Portugal in 1817; and that all the Parties to the Congress Trea ty of 1815, F r a n c e included, are bound to respect this agreement , until a definitive settlement between F r a n c e and Portugal, as contemplated in the Trea ty of 1815, shall have been concluded ».

L a thèse de l 'ambassadeur d'Angleterre était donc celle-ci : l 'Oyapoc est la frontière, la France est tenue de l 'accepter jusqu'à ce que la démarcation ait été définitive­ment fixée ainsi que le prévoient les traités.

L e gouvernement français tint compte des réclamations du Brésil et des « démarches amicales » de l 'Angleterre en évacuant le 10 juillet 1840 le poste militaire sur l'Amapá

Cette évacuation fut toutefois subordonnée à la con­dition qu'il serait fait un nouvel essai en vue de résoudre le litige une fois pour toutes.

En même temps que, le 24 avril 1840, le gouvernement français faisait savoir officiellement 2 ) , par son ambassadeur au Brésil, le baron Forth-Rouen, au ministre des affaires étrangères du Brésil , «que le détachement de troupes françaises qui a continué à occuper jusqu'à présent le poste de Mapa, serait retiré », il déclarait que l'évacuation aurait lieu « aussitôt que les commissaires des deux Puissances qui, suivant les dispositions des traités, doivent être nommés pour travailler à la démarcation définitive des limites des deux Guyanes, se trouveraient réunis au lieu de leur desti-

1) M. B . I, page 43. 2) Ext ra i t s de la Note du 24 avril 1840, M. B . II, pp. 127 et suiv.

Page 461: Sentence du conseil fédéral Suisse

nation». L a France prenait de son côté l 'engagement de s'occuper immédiatement de la nomination de « commis­saires démareateurs » et ne doutait pas que le Brésil ne prît les mêmes dispositions.

L e â juin 1840, le ministre des affaires étrangères du Brésil répondit 1) : « L e Gouvernemeut Impérial a résolu de nommer ses Commissaires démareateurs et il les enverra au Pará . . . pour se réunir à ceux de la F rance sur le lieu que l'on déterminera par un accord ultérieur».

L e Brésil désigna en effet ses commissaires 2 ) . Une « Note de M. Guizot, Ministre des affaires étrangères, à M. le baron Forth-Rouen, Ministre de F rance à Rio de Janeiro 3) », du 5 juillet 1841, expose les raisons qui enga­gèrent la F rance à ne pas nommer les siens : « j 'a i à vous parler aujourd'hui des motifs qui nous font regarder cette nomination comme inutile, parce que, dans notre opinion, la réunion de commissaires français et brésiliens serait peu propre à conduire à un résultat complet et définitif ».

Il ne s'agit pas en effet «d'un travail ordinaire de dé­marcation, suite naturelle d'une négociation où la limite qui doit séparer deux territoires a été convenue en principe, pour être réalisée ensuite sur le terrain». C'est sur le principe même selon lequel la démarcation doit se faire qu'on n'est pas d'accord. Donc : « avant que la question soit arrivée à des termes aussi simples, il faut d'abord s'entendre sur l'interprétation de l'article 8 du traité d'Utrecht et déterminer une base de délimitation ; il faut,

1) Extra i ts de la réponse du Ministre des Affaires Et rangères du Brési l , Aureliano Coutinho, M. B . II, pp. 128 et suiv.

2 ) M. F . I, pp. 228, 229. 3) M. F . II , pp. 115 et suiv., Archives des Affaires étrangères, Cor-

resp. de Brési l , t. X X , reproduit aussi par M. B . II , pp. 129 et suiv. ; conf. ci-dessus, pp. 17 et suiv.

453

Page 462: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 454 —

ce qui ne peut se faire que par une négociation entre les deux Cabinets, vider d'abord la question des traités et dé­finir les droits respectifs avant d'arriver à l'application pratique de ces mômes droits. »

Ou bien le gouvernement brésilien entend donner pouvoir à ses commissaires de trancher aussi la question de principe, ce qui serait la cause de nombreux inconvé­nients ; ainsi, les commissaires seraient obligés de demander des instructions à leur gouvernement et « il paraît peu né­cessaire de réunir à deux mille lieues de F rance des com­missaires spéciaux pour régler ce que les deux cabinets peuvent déterminer, par une entente directe, beaucoup mieux et plus sûrement que des négociateurs improvisés » ;

Ou bien ces commissaires auraient pour seule mission d'opérer comme « simples démarcateurs » ; « que pour­raient-ils faire . . . . si nul principe, nul système de déli­mitation n'était établi d 'avance?»

« Dès lors, Monsieur le Baron, il a paru au Gouver­nement du Roi qu'il serait à la fois plus logique et plus expéditif de commencer par ouvrir une négociation dans le but de se mettre préalablement d'accord sur l'inter­prétation du traité d'Utrecht» . . . .

L'évacuation du fort de Mapa (Amapâ) ayant eu lieu « avant toute réunion possible des commissaires », « la ques­tion des limites, dégagée de l'incident de Mapa, reste entière ».

Jusqu'à ce qu'un accord soit intervenu «sur l'objet principal du li t ige», «le statu quo actuel, en ce qui con­cerne l'inoccupation du poste de Mapa sera strictement maintenu »

1) M. B . I, page 43, fait observer quant à cette note de Guizot et à une « Réponse du Ministre des Affaires E t rangères du Brési l en date du 18 décembre 1841» : . . . « E n 1841, par un échange de notes à Rio de

Page 463: Sentence du conseil fédéral Suisse

L a France déclarait par conséquent qu'il s'agissait de deux choses: une interprétation de l'article 8 du traité d'Utrecht, une démarcation à faire en conformité de cette interprétation.

L'interprétation doit précéder le travail des commis­saires démarcateurs.

12.

En décembre 1841, le Brésil adhéra au principe de la note de Guizot et donna à son ministre à Paris, Araujo Ribeiro, les instructions et les pouvoirs nécessaires « pour entrer en pourparlers avec les représentants de la F rance » 1)

«Cette conversation», lit-on dans M. F . I, page 119, « qui ne fut du reste pas poussée à fond, n'eut d'autre résultat que de faire constater une fois de plus le désaccord, sans même préparer les moyens de le résoudre.»

Ce n'est qu'en 1855 que, sur la proposition du Brésil 2 ) , les négociations furent reprises.

L e Brésil se fit représenter 3) par le vicomte do Uru­guay, « Envoyé Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire en mission spéciale du Brésil à Par i s» .

Il écrivit le 15 juin 1.855 au comte Walewski, ministre des affaires étrangères de l'empereur Napoléon III, une

Janeiro , il a été convenu de maintenir le statu quo actuel en ce qui concerne l'inoccupation du poste de Mapâ. Cet arrangement de 1841 a amené la neutralisation de la partie du territoire contesté située entre l'Oyapoc et l 'Amapá Pequeno, où se trouvait le poste évacué. ».

1) M. F . I, page 119; M. B. III, page 5; la note à laquelle M. B . donne la date du 18 décembre, est datée du 17 décembre dans M. F . , 1. c.

2 ) M. F . I, page 232. 3) M. B. III : « Mission spéciale du Vicomte do Uruguay à Par is

(1855-1856 , avec cette remarque préalable: - Les documents réunis dans ce volume ont déjà été imprimés à Rio de Janeiro, en 1857,... et présentés aux deux Chambres du Par lement . . . »

455

Page 464: Sentence du conseil fédéral Suisse

456 -

lettre accompagnant un «mémoire» 1), « dans lequel », disait la lettre, «j'ai exposé le plus brièvement possible les pré­tentions de mon Gouvernement, relativement à la délimi­tation entre le Brési l et la Guyane França i se , et les raisons sur lesquelles il les fonde. — Ainsi exposées par écrit et étant examinées, on pourra plus facilement s'en­tendre».

L e comte Walewski répondit le 5 juillet 1855 2 ) : Une étude attentive du mémoire l'a convaincu que la question « ne peut être utilement discutée au moyen d'un simple échange de communications écrites. J e compte donc prendre prochainement les ordres de S a Majesté Impériale pour le choix d'un plénipotentiaire français qui sera chargé de suivre cette négociation avec vous, suivant la forme usitée, et par conférences dont il sera tenu un protocole. Néanmoins, en attendant que je vous fasse connaître la décision de l 'Empereur, je prendrai la liberté de recommander à votre attention le Mémoire ci-joint 3 ) , qui contient sur l'objet du litige des observations préliminaires dont vous apprécierez la portée ».

P a r lettre du 4 août 1855 4), le ministre des affaires étrangères de F rance manda au vicomte do Uruguay:

« S a Majesté Impériale a pensé qu'il était à propos de confier à un plénipotentiaire spécial la mission de traiter a v e c vous l'importante question de la délimitation de la

1) L e mémoire est reproduit dans M. B . III, pp. 4 et suiv. Il n'y a pas lieu d'examiner le contenu des pièces échangées ni les délibérations des conférences qui suivirent. L'objet de ces débats est pris en considé­ration dans la présente sentence.

2) M. B . III, pp. 21 et suiv. 3 ) M. B . III, pp. 23 et suiv., sous le titre : « Limites de la Guyane.

Réponse préliminaire au mémoire de M. le Vicomte de l'Uruguay joint à sa lettre particulière au Ministre, du 28 juin 1855. »

4 ) M. B . III, page 28.

Page 465: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 457 —

Guyane, et a fait choix à cet effet de M. His de Butenval, ancien ministre à la cour du Brésil, conseiller d'Etat en service ordinaire. En l'informant de cette décision, je l'invite à se mettre en rapport avec vous, afin d'entrer le plus tôt possible en négociation sur l'affaire dont les deux gouvernements ont également à cœur la bonne et complète solution. »

L e 30 août 1855 s'ouvrit la première conférence ; le procès-verbal constate à ce sujet:

« Aujourd'hui, 30 août 1855, MM. les Plénipotentiaires du Brésil et de F rance se sont réunis à l'hôtel des Affaires Étrangères , à Par is , à l'effet d'ouvrir les conférences relatives à la délimitation des Guyanes Française et Bré ­silienne.

M. le vicomte de l'Uruguay . . . Plénipotentiaire de S a Majesté l 'Empereur du Brésil,

Et M. le baron His de Butenval . . . Plénipotentiaire de S a Majesté l 'Empereur des Français . »

L e débat portait sur la question entière du litige, non pas seulement sur l'interprétation de l'article 8 du traité d'Utrecht.

Quinze conférences eurent lieu, la dernière le 1 e r juil­let 1856.

M. F . I, pages 119 et suivantes, en consigne les résul­tats en ces termes :

« S e cantonnant tout d'abord dans sa thèse extrême, le Brésil avait commencé par demander dans un mémoire que la limite longeât la riviere Oyapoc, située entre le 4 e

et le 5 e degré de latitude septentrionale, puis, à partir de l'endroit où cette riviere se divise, l 'embranchement ou l'affluent le plus considérable par le volume de ses eaux en temps sec et ce jusqu'à la source de cet embranche­ment ou affluent. En ce qui concerne la limite entre l'est

Page 466: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 458 —

et l'ouest, le Brésil proposait de ne pas conserver comme telle le parallèle établi provisoirement par la Convention de 1817 et de convenir qu'elle continuerait de la source de l'affluent principal de l 'Oyapoc par les Cordillères, chaînes de montagnes ou terrains plus élevés qui forment la ligne de partage entre les eaux qui vont à la riviere des Amazones et celles qui vont à la Guyane française et à l 'Océan.

Puis, se relâchant de ses exigences, au moment de conclure, le plénipotentiaire brésilien, dans la séance du 22 janvier 1856, offrit, à titre de transaction, de prendre pour frontière la crête des terres les plus élevées qui dé­terminent la division des eaux entre l 'Oyapoc et le Cassi-poure. Sur l'objection que la limite devait être nécessaire­ment un cours d'eau, séance tenante et immédiatement après, il offrait de porter la frontière jusqu'à la rive gauche du Cassipoure. L a limite eût été ainsi fixée à 3° 5 1 ' 15" .

Cette proposition n'ayant pas été acceptée, le Brésil , progressant toujours dans ses concessions, proposa suc­cessivement, le 27 mai 1<s56, au cours de la même séance, d'abord l'embouchure de la riviere Conani, à 2° 50' , en faisant remarquer qu'elle correspondait à peu près à la latitude dont il avait été question dans les négociations de 1700, et enfin le Calsoène ou Carsevenne, à 2° 30 ' environ.

Aucune de ces offres ne fut acceptée par la F rance . S a prétention constante et primordiale, affirmée par M. de Butenval, avait été de réclamer «comme la limite (et cela indépendamment de toute détermination de latitude, indé­pendamment de toute appellation actuelle d'Ararouari, Carapaporis, etc.) le premier grand cours d'eau après l'Amazone, en remontant vers le nord». Amenée à définir plus rigoureusement ses demandes, elle déclara qu'elle ne saurait «accepter ni reconnaître d'autre limite, du côté de

Page 467: Sentence du conseil fédéral Suisse

— 4 5 9 —

la mer, que le fleuve de Vincent Pinson, c'est-à-dire le cours d'eau qui se jette dans la baie de ce nom, à moins de 2° au nord de l'Équateur, et qui est aujourd'hui connu sous le nom de Carapapouri ou de branche nord de l'A-roviari, la navigation de cette branche devant désormais être commune aux deux nations et la rive gauche devant appartenir à la F r a n c e » . Contre cette solution, le plénipo­tentiaire brésilien fit valoir que le Carapaporis, jadis fleuve important, avait été obstrué par les sables et n'était plus maintenant qu'un cours d'eau intérieur, sans issue dans la mer, que la vraie embouchure de l 'Araguary était à 1° 20 ' environ, qu'une fois à l 'œuvre on y placerait la limite et qu'on retirerait ainsi au Brésil une partie des terres du cap du Nord, qu'on avait pourtant entendu céder au Portugal sans aucune réserve, attendu que, disait M. de l 'Uruguay, « la côte qui se trouve entre la riviere des Amazones et 2° 3 0 ' forme ce que le traité appelle terres du cap du Nord » . . .

Dans un désir de conciliation, et pour rassurer le Brésil sur les conséquences du tracé proposé par nous, le pléni­potentiaire français fut autorisé à stipuler expressément que les terres adjacentes au cap de Nord appartiendraient au Brésil et que la limite future serait ainsi tracée : « le canal de Carapaporis séparant l'île de Maraca des terres adjacentes au cap du Nord, puis la branche nord du fleuve Arouari, si cette branche est libre ou, dans le cas où cette branche serait aujourd'hui obstruée, le premier cours d'eau suivant en remontant vers le Nord et se jetant sous le nom de « Mannaie » ou de « riviere de Carapaporis » à 1 0 4 5 ' environ de latitude nord. »

Le plénipotentiaire français prévenait d'ailleurs qu'il évitait à dessein de se prononcer sur des appellations dont l'exactitude avait été mise en doute et qu'il s'attachait seule-

Page 468: Sentence du conseil fédéral Suisse

4 6 0 —

ment à préciser la situation du cours d'eau éventuellement

désigné.

Le Calsoène étant la dernière concession qu'il était auto­

risé à faire, le vicomte de l 'Uruguay ne put pas accepter

la proposition française ; ne croyant même pas pouvoir la

discuter, il préféra « ne pas la repousser directement et

définitivement au nom de son Gouvernement qui n'en a pas

eu connaissance. Cette proposition, ajouta-t-il, sera écrite

dans le protocole, et elle sera portée avec ce protocole à

la connaissance de son Gouvernement ». Il ne perdait pas

d'ailleurs l 'espérance « que l'on puisse trouver le moyen de

terminer la question à l'amiable ». Quant à la limite de l'est

à l'ouest, il s'abstint de l'examiner, parce qu'il avait été

reconnu « qu'il n'était pas possible de s'occuper de la limite

intérieure avant d'avoir arrêté le point de départ, c'est-à-dire

avant d'avoir arrêté la limite de la côte ».

L e s protocoles de 1856 et particulièrement les quatre

derniers montrent qu'on fut alors très près de s'entendre.

Au moment de conclure, le Brési l abandonna assez facile­

ment sa prétention à l 'Oyapoc pour arriver, de concession

en concession, à proposer le Carsevenne, à la latitude

de 2° 30' .

L a France , tout en posant comme principe que le pre­

mier cours d'eau important après l'Amazone, en remontant

vers le nord, devait être choisi pour frontière, la F r a n c e

avait consenti à admettre comme limite un cours d'eau se

jetant dans le canal de Carapaporis, à 1° 45 ' . On n'était

donc plus séparé que par un intervalle de 45 ' , par consé­

quent beaucoup moins d'un degré . . . . Le s conférences ne

furent malheureusement pas reprises, malgré les désirs

exprimés par les deux plénipotentiaires dans le protocole

final, et cette tentative intéressante de conciliation resta

Page 469: Sentence du conseil fédéral Suisse

4 6 1

Après les conférences de 1855 et de 1856, les négocia­

tions au sujet du Contesté furent suspendues durant bien

des années, jusqu'à la conclusion du traité d'arbitrage du

10 avril 1897, en vertu duquel la présente sentence est

rendue, il n'y a à noter dans l'intervalle que la « Décla­

ration entre la F rance et le Brésil concernant les malfai­

teurs réfugiés du territoire de l 'Oyapock » du 28 juin 1862 1).

Cette Déclaration a été mise en vigueur « en attendant

que le litige pendant au sujet du territoire d'Oyapock soit

amicalement résolu entre la France et le Brésil » ; elle

termine par cette réserve : « cette Déclaration ne préjugeant

rien d'ailleurs quant à la solution à intervenir dans la

question de limites encore pendante».

1) Archives des Affaires étrangères. — Original, reproduit dans M. F . II, pp. 117 et suiv. ; M. B . II, pp. 132 et suiv. (texte français et portugais).