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43e congres SFSCMF
Recu le :8 juin 2007Accepte le :15 juin 2007
Sequelles des fenteslabioalveolopalatovelaires en mission
*Auteur correspondant.e-mail : [email protected]
0035-1768/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous10.1016/j.stomax.2007.06.009 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007
humanitaire. Analyse et prise en charge
Sequels of labial-alveolar-velopalatine clefts observed
in charity missions. Analysis and management
J. Saboye1,*, A.-R. Chancholle2
154, allees des Demoiselles, 31000 Toulouse, France220, avenue Frizac, 31000 Toulouse, France
Summary
A lot of children with cleft lip and palate are not operated in the
developing world, due to a lack of surgeons, hospitals, or simply
because the condition is not considered as a priority. Charity mis-
sions give the opportunity to repair these malformations. Non-
operated cleft lip and palate are the first problem, but our surgery
may cause growth disturbances and sometimes a second operation
is needed, more difficult than the first one in mission conditions.
Repairing a cleft palate needs to be adapted to the type of cleft but
also to the age of the child, a velopalatine pharyngoplasty can be
performed in some cases.
© 2007 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Cleft lip, Cleft palate, Medical missions, Sequels
droits reserves.;108:369-377
Resume
Un grand nombre d’enfants porteurs de fentes labiopalatines ne
sont pas operes dans les pays en voie de developpement, faute
de chirurgiens, de structures et de volonte parfois. Les missions
humanitaires permettent a beaucoup d’entre eux d’obtenir cette
reparation tant attendue. Les sequelles observees ici sont d’abord
celles de fentes non operees, puis celles de notre chirurgie qui au
mieux va intercepter, voire modifier l’evolution spontanee de la
croissance faciale, et parfois necessiter une reintervention, plus
difficile en conditions de mission. Le traitement des fentes palati-
nes doit etre adapte au type de fente et a l’age de l’enfant, une
palatovelopharyngoplastie en un temps sera proposee dans cer-
tains cas.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.
Mots cles : Fente labiale, Fente palatine, Mission humanitaire,Sequelles
Introduction
L’escalier s’ouvrait sur un vaste couloir occupe par une
foule de femmes, d’hommes et d’enfants dont le soudain
silence, a notre arrivee, dit l’attente. Tous, au moins 150,
venaient pour etre operes ou faire operer leurs enfants de
« becs de lievre », dirent les infirmieres. Nous n’avions
jamais vu autant de fentes de toutes formes, autant de
patients de tous ages si desireux d’etre operes. A l’instant,
pour repondre aux supplications de ces regards, nous
fumes prets a tout faire malgre les risques annonces par
le mediocre etat general des patients, la precarite du mate-
riel, des salles d’operations et d’hospitalisations [1]. Des les
premieres consultations, deux observations s’imposerent :
que, faute de traitement, les desordres de la face s’aggra-
vaient avec l’age : eversion du grand fragment maxillaire
pour les fentes unilaterales, procidence du premaxillaire
pour les bilaterales, exteriorisations dentaires, troubles de
la parole dont la rhinolalie s’alourdissait progressivement
de troubles articulatoires et de grimaces faciales, enfin,
l’attitude crispee des adolescents et des adultes exprimait
la gene physique et la honte ; que certains consultants deja
operes mais decus par l’operation demandaient une correc-
tion de leurs sequelles. Celles-ci sont donc toujours mal
supportees, en pays pauvres comme en pays riches [2-6],
et tous ceux qui en souffrent, fussent-ils les plus demunis,
aspirent au meilleur resultat et ne se satisfont pas d’essais
369
Figure 1. Enfant de huit ans, fente labiopalatine unilaterale totalegauche.
J. Saboye, A.-R. Chancholle Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:369-377
operatoires malhabiles. C’est leur droit, mais il faut le dire
puisque c’est parfois oublie. Qu’entendons-nous, dans le
contexte de « missions humanitaires », par « sequelles » ?
Sequelles, sequi : suivre, ce qui s’ensuit des fentes labiopa-
latines. Littre observe qu’une nuance familiere de mepris
sous-tend le terme de « sequelle ». Nous nous gardons de
retenir ici ce sens pejoratif : nous ne meprisons ni ce qui a
ete fait pour ces enfants, fut-ce maladroit, ni le fait de ne
pas les traiter. Geste ou abstention therapeutiques doivent
etre apprecies en fonction du contexte social, du moment
et des possibilites de l’action. Plutot que de les critiquer,
essayons de les ameliorer. Nous envisagerons les sequelles
des fentes non traitees avant d’examiner les sequelles du
traitement. En effet, le terme de « sequelles », en medecine,
s’applique habituellement a ce qui reste de la maladie
apres traitement, lorsque l’on ne peut plus l’ameliorer. En
matiere de dysmorphies congenitales, nous entendrons ici
egalement par « sequelles » l’etat de la lesion et du sujet,
lorsque la maladie non traitee a epuise et stabilise son evo-
lution.
Sequelles des fentes labiopalatinesnon traitees
Nous devons les examiner parce que nous semblons avoir
oublie que les asymetries de la levre et du nez, les troubles
de la croissance maxillaire, le voile incompetent ne sont pas
toujours temoins a charge contre le chirurgien et contre
une chirurgie jugee hativement trop precoce ou trop agres-
sive. Dans la genese des troubles observes apres traite-
ment, l’evolution naturelle de la fente non traitee peut
jouer et joue un role non negligeable. Savoir ce qui revient
a cette evolution spontanee permet de distinguer ce qui
revient a la nature meme de la fente et ce qui est secon-
daire a nos traitements, donc savoir ce que nous pouvons
ameliorer et ce qui ne peut l’etre. Le constat de ces sequel-
les naturelles n’est possible qu’au tiers-monde ou les soins
des fentes sont negliges parce qu’ils n’y sont pas de pre-
miere necessite. Voila au moins un point ou nous recevons
la-bas un enseignement qui nous manque ici. Que nous
apprennent-ils ?
� Au visage — visum, ce qui se voit — la fente enleve son
apparence humaine du fait de la dislocation de la levre
superieure, l’eversion de ses teguments et surtout de ses
muqueuses, la distorsion du septum et des cartilages alai-
res du nez (fig. 1), mais surtout en raison de la separation
anterieure des deux cavites buccale et nasale qui est un
caractere anatomique fondamental, une chreode de
l’espece humaine. Les denominations animales des premie-
370
res descriptions des fentes labiopalatines temoignent bien
de cette etrangete. C’est pour cette raison que toute inter-
vention qui retablit la separation bucconasale anterieure
redonne deja au visage son aspect humain, les defauts resi-
duels fussent-ils mal acceptes ;
� la fente maxillaire, qui est une sorte de pseudarthrose
congenitale, ouvre les boucles musculoaponevrotiques
velopharyngofaciales dont les dystopies accentuent pro-
gressivement les deformations osseuses et cartilagineuses.
Bien que la langue soit anatomiquement normale, ses dys-
praxies, qui resultent du defaut de ses appuis palatins habi-
tuels, accentuent celles-ci ; la discontinuite de la sangle
periostee anterieure ne lui permet pas de participer a une
croissance osseuse normale et a un modelage maxilloman-
dibulaire harmonieux. L’evolution spontanee, aggrave-t-elle
les sequelles de la fente maxillaire ? L’exteriorisation du
grand fragment maxillaire dans les cas unilateraux, du pre-
maxillaire dans les cas bilateraux, les incisives projetees en
avant a l’instar des lagomorphes, animaux qui ont une
fente labiale superieure mediane dont le type est le lievre
que l’on evoque aussitot devant un enfant non opere d’une
fente labiale (fig. 2) ;
� la parole est troublee par une rhinolalie ouverte, des
troubles articulatoires majeurs, une grimace faciale tradui-
sant une hypertonie perinasale qui essaie de contenir la
fuite nasale des phonemes. Ces troubles de la parole for-
cent l’attention et rappellent la dysmorphie meme lorsque
la fente labiale a ete corrigee. Toutefois, ces enfants et
adultes du tiers-monde peuvent parfois parler de facon
paradoxalement comprehensible ! Comment et pourquoi ?
Peut-etre parce que la-bas, pour survivre, il faut se faire
comprendre. Cette necessite, cette forte volonte d’integra-
Figure 2. Enfant de 12 ans, fente labiopalatine bilaterale totale.
Figure 3. Adulte opere avec sequelles, defaut de reparation musculairelabiale et de position de l’aile narinaire.
Sequelles des fentes labioalveolopalatovelaires en mission humanitaire. Analyse et prise en charge
tion sociale apprend parfois a suppleer partiellement
l’incompetence velopharyngee [7]. Certes, mieux vaut
reconstruire la fente palatine. Mais, la lecon a retenir c’est
que notre meilleure intervention ne saurait se passer de la
volonte du patient de se faire entendre, ni du soutien com-
prehensif de l’entourage, alors qu’en nos pays, le patient et
sa famille attendent parfois tout de l’operation et de
l’orthophonie, dans une exigence passive de perfection qui
reste vaine… parce que passive. Cette evolution naturelle
qui s’ensuit des fentes faciales non traitees constitue leur
premiere sequelle, majeure. Que la persistance a long
terme de la discontinuite faciale soit en elle-meme des
plus nocives, que la reconstitution de la continuite faciale
soit une urgence, voila ce que nous apprenons de l’observa-
tion de ces patients du tiers-monde. Nous connaissions les
connexions des echarpes musculaires faciales avec
l’ensemble des chaınes musculaires de tout le corps,
jusqu’aux plantes des pieds, et que l’anomalie des muscles
faciaux ne permet pas l’eutonie de la posture corporelle.
Cela nous est demontre ici par l’attitude guindee et l’hyper-
tonie globale des patients et confirme que les dystonies qui
en resultent peuvent etre graves et le retentissent sur
l’equilibre physique et psychique du sujet.
Sequelles des fentes labiopalatinestraitees
Elles sont tres differentes suivant que le chirurgien soit
rompu a ces interventions (l’experience est definie par le
traitement d’au moins 40 cas nouveaux par an) ou qu’elles
sont realisees par des chirurgiens sans experience. Il n’y a
pas de chirurgie des fentes sans sequelles mais celles lais-
sees par les uns peuvent etre ameliorees sans difficultes
majeures, ne faisant pas de geste irreversible, alors qu’il
n’en est pas de meme des sequelles des autres [8, 9].
Les sequelles des apprentis des fentes sont lourdes
Qui sont ces operateurs ? Ce sont des autochtones ou des
etrangers de passage novices en matiere de traitement des
fentes, fussent-ils operateurs confirmes en d’autres matie-
res, et voulant s’y exercer ou rendre service.
Les sequelles labionasales sont toujours un peu les memes :
levre courte et bridee ou vide de muscle, plancher nasal
ouvert dans le vestibule ou enlise dans la fente maxillaire
et bloquant la deviation du nez (fig. 3). Parfois, elles peu-
vent etre caricaturales lorsque la fente labiale bilaterale
ne pouvant etre fermee en avant du premaxillaire, cela
par insuffisance de dissections laterales, le chirurgien
suture le muscle orbiculaire en arriere du premaxillaire
(fig. 4) ! Elles sont d’autant plus regrettables qu’elles
seraient moindres pour peu que l’on se preoccupe de traiter
les lesions profondes, quoiqu’invisibles, et non pas seule-
ment les lesions superficielles visibles, il s’agit en fait sou-
vent d’un defaut de dissection, auquel s’ajoute une erreur
dans la construction des elements anatomiques. Ces
sequelles seraient moindres egalement, si etaient utilisees
371
Figure 4. Enfant de 13 ans, opere avec sequelles : suture labiale de fentebilaterale en arriere du bourgeon premaxillaire !
J. Saboye, A.-R. Chancholle Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:369-377
des techniques facilement corrigees par une intervention
secondaire. Le Millard [10] en est le meilleur exemple, ses
imperfections pouvant etre corrigees par un simple Z ou
par sa reprise complete en utilisant les premieres cicatrices.
Des techniques plus sophistiquees, par exemple le Le Mesu-
rier ou le Tennisson, sont tres difficiles a corriger secondai-
rement lorsqu’elles ont ete mal maıtrisees.
Or, si la technique labiale du Millard est presque facile, avec
un bon livre et une pratique operatoire de base, le temps
nasal du Millard est difficile pour un debutant qui n’a pas
aide souvent un operateur familier de cette technique. Bad
results of surgery are results of bad surgery (McLaughlin,
Presbyterian, New York City). Ces sequelles, que l’on ne
revient pas souvent constater, le novice les excuse en
arguant que : « de toute facon c’est toujours mieux que si
l’on n’avait rien fait ». C’est une grossiere erreur dont souf-
frent d’abord les patients et leurs familles d’autant plus
cruellement que ces sequelles ne peuvent etre reprises la-
bas comme elles le sont ici, et qu’en patissent aussi les pra-
ticiens locaux qui n’apprennent alors qu’a mal faire.
Ces sequelles posent aussi le probleme de leur reprise chi-
rurgicale. Est-il licite d’occuper une mission, forcement limi-
tee dans le temps a reoperer ces patients alors que d’autres
n’ont encore beneficie d’aucune chirurgie ? Les sequelles
palatines, fistules ou desunions partielles, voiles courts et
sclereux, et l’incompetence velopharyngee qui s’ensuit,
sont tres frequentes chez celui qu’une main secourable et
372
avertie n’assiste pas ; elles constituent une difficulte
majeure de la chirurgie secondaire, fut-ce pour l’expert.
Il faut une longue experience pour que les manœuvres
palatines deviennent prudentes et efficaces. Les petites fis-
tules palatines anterieures retro-incisivaires sont aussi tres
frequentes la-bas (elles ne sont pas exceptionnelles en nos
pays, bien que rarement avouees), mais elles sont plus faci-
les a corriger pour peu que l’on revoie ces patients et que
l’on ait le temps de les reprendre. Plus encore que la tech-
nique chirurgicale, l’indication therapeutique des fentes
palatines est le plus difficile de ce qui nous attend la-bas.
Les sequelles maxillaires et dentaires, hypotrophie maxil-
laire et promandibulie qui en resultent souvent, premaxil-
laire procident verrouille en avant par le retrecissement
molaire transversal, desordres dentaires, sont a peu pres
semblables entre toutes les mains, debutantes ou confir-
mees. Personne n’a ici les moyens de les pallier ou de les
corriger : greffes periostees, osseuses, osteotomies sont
trop dangereuses par la duree des anesthesies toujours pre-
caires et l’orthodontie n’est pas disponible. Il faut observer
que ces sequelles de la croissance maxillodentaire sont peu
remarquees par les patients surtout preoccupes de l’appa-
rence de la levre et du nez et qui, habitant souvent loin de
l’hopital, n’y reviennent pas facilement en consultation. Les
dents trop visiblement disgracieuses sont le plus souvent
extraites. Ceux qui n’ont pas une experience longue et per-
sonnelle des fentes n’ont pas de place dans le tiers-monde,
sauf peut-etre pour aider des professionnels qui leur en
montreront les difficultes et les pieges plus facilement
qu’ils ne peuvent le faire en nos pays, mais a condition
d’en proscrire tous « travaux pratiques ».
Sequelles des operateurs professionnels
Lorsque ce sont des chirurgiens professionnels des fentes
qui operent, leurs sequelles sont, en pays de mission, pres-
que semblables. La qualite de leur resultat est celle de
l’intervention reduite a ses seuls moyens, sans les amelio-
rations qu’apportent les orthodontistes et les orthophonis-
tes aux patients de nos pays. Les sequelles labionasales
sont les memes que celles que nous observons en Europe
ou aux Etats-Unis, temps labionasal ou la malformation ini-
tiale et l’habilete de l’operateur trouvent leurs limites : la
perfection n’est pas de ce monde. Les asymetries labiales,
les deviations nasales du septum et des cartilages alaires, le
manque d’etoffe du prolabium et de la columelle sont peu
marquees. On peut retrouver des insuffisances de volume
dans la levre rouge (fig. 5), des asymetries de position du
pied de l’aile narinaire (fig. 6), des cicatrices hypertrophi-
ques parfois (fig. 7). Lorsque les conditions anesthesiques
Figure 5. Enfant de cinq ans, aspects pre- (a) et post- (b) operatoires. Defaut de volume dans la partie mediane de la levre rouge.
Figure 6. Enfant de quatre ans, aspects pre- (a) et post- (b) operatoires. Defauts de hauteur de la levre et de position de l’aile narinaire.
Sequelles des fentes labioalveolopalatovelaires en mission humanitaire. Analyse et prise en charge
sont suffisantes (la bonne qualite de la ventilation limite le
saignement qui ne permettrait pas une dissection precise)
les voutes sont etanches et les voiles competents. La res-
semblance des resultats des professionnels n’est pas sur-
prenante puisque leur formation, aux Etats-Unis ou en
Europe, est actuellement quasi commune, utilisant souvent
les memes techniques. Pour notre part, nous restons fideles
au Millard [11]. Les sequelles maxillodentaires sont differen-
tes en pays de mission et dans nos pays. En France, en
Europe, le sens transversal molaire est le plus souvent
conserve alors que la dimension anteroposterieure du
maxillaire est parfois insuffisante. Ce defaut necessite
orthodontie et parfois distraction maxillaire precoce ou
osteotomie de Le Fort I. En pays de mission, une operation
bien faite, avant dix ans, expose au meme trouble de crois-
sance et les resultats osseux sont a peu pres semblables,
quelle que soit l’experience des operateurs. La meme ope-
ration mais plus tardive, apres 10–12 ans, est, en revanche,
batie sur un maxillaire dont la croissance est quasi normale
et stable dans le sens anteroposterieur, sans la retromaxil-
lie observee chez les plus jeunes. Mais, l’operation se
heurte dans les cas unilateraux a une extreme procidence
du grand fragment et des incisives definitives, et dans les
cas bilateraux a une etroitesse majeure des secteurs canins
et molaires (13–18/23–28), a une verticalisation des lames
palatines, a une projection extreme du premaxillaire asso-
ciee a une hypotrophie du prolabiun et de la columelle
nasale. Les dystopies maxillodentaires resteront figees par
373
Figure 7. Enfant de cinq ans, aspects pre- (a) et post- (b) operatoires. Cicatrice hypertrophique.
J. Saboye, A.-R. Chancholle Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:369-377
une croissance anteroposterieure excessive. Les defauts des
parties molles labionasales seront passibles d’une interven-
tion complementaire reportee a la mission suivante. La
technique d’Abbe-Estlander, en deux temps operatoires,
est rarement realisable en raison de la difficulte a faire
revenir ces patients et de la priorite des cas qui n’ont pas
ete operes. Lors de notre premiere mission, des incisives
procidentes ont ete avulsees sans anesthesie, par des infir-
miers, la veille de l’intervention et sans nous en prevenir,
pour nous faciliter la fermeture labiale, dirent-ils ! Il faut
remarquer que les chirurgiens occidentaux firent long-
temps de meme lors des debuts de la chirurgie des
« dents de lievres » qui valurent leur premiere denomina-
tion aux fentes labiopalatines, et obligeaient a une ferme-
ture labiale sous tension. Les sequelles velopalatines, pho-
natoires sont importantes et des plus instructives. Pendant
nos deux premieres missions nous avons reconstruit le
palais de tous les patients qui se presentaient. A notre troi-
sieme sejour nous avons controle nos operes et nous nous
sommes apercus que nos resultats n’etaient pas aussi regu-
liers que ceux obtenus chez nous avec les memes interven-
tions faites entre quatre et six mois [11]. Bons chez les
enfants jusqu’a six ans (avec la technique de Veau-Wardill
enseignee a Oxford), nos resultats etaient mediocres chez
les enfants de 6 a 12 ans dont plus de 50 % conservaient
une incompetence velopharyngee, et mauvais au-dela de
12 ans, tous conservant une incompetence velopharyngee.
Nous avons alors traite ces incompetences residuelles par
la pharyngoplastie d’Orticochea [12]. Mais, en 1999, nous
avons constate que cette pharyngoplastie secondaire, qui
chez nous corrigeait la majeure partie de l’incompetence
374
velopharyngee de nos patients, n’ameliorait la-bas que les
plus jeunes, jusqu’a dix ans environ, mais pas ceux de plus
de 12 ans, et d’autant moins que la pharyngoplastie secon-
daire etait pratiquee plus longtemps apres la veloplastie.
Miguel Orticochea nous expliqua alors ces echecs en nous
faisant remarquer que la prononciation emise par un velo-
pharynx incompetent et par un velopharynx normal, etait
aussi differente que celle d’une langue maternelle et
d’une langue etrangere. « Or, peu de gens, nous dit-il,
sont capables d’apprendre tardivement une langue
etrangere ». L’age avait donc une grande importance dans
le resultat de la veloplastie. Il en avait aussi dans le resultat
d’une pharyngoplastie faite trop longtemps apres le temps
velaire. Cette observation et le fait qu’il etait difficile de
revoir des patients deja operes nous firent penser qu’il
etait souhaitable de faire la pharyngoplastie en meme
temps que la reconstruction velaire. Historiquement, la
velopharyngoplastie primaire avait ete realisee en Europe
a une epoque ou les resultats de la reconstruction primaire
du voile etaient insuffisants, avec plus de 20 % de phona-
tions defectueuses. Faute de savoir ameliorer les resultats
de la reconstruction velopalatine, il avait paru logique d’en
prevenir les sequelles probables en faisant dans le meme
temps operatoire la veloplastie et la pharyngoplastie.
Cette intervention avait pourtant le grave inconvenient de
modifier un pharynx intact dont la perturbation etait
d’autant plus lourde que la pharyngoplastie alors pratiquee
etait du type Rosenthal ou Sanvenero-Rosselli (lambeau
pharynge median a pedicule superieur ou inferieur) dont
l’intention initiale etait de « myotiser » le voile incompe-
tent mais au prix d’une synechie velopharyngee peu favo-
Sequelles des fentes labioalveolopalatovelaires en mission humanitaire. Analyse et prise en charge
rable a l’indispensable souplesse du sphincter velopha-
rynge. Cet inconvenient s’avera plus grave encore lorsque
nous apprımes que tout obstacle pharynge pouvait induire
une apnee du sommeil et une hypertension arterielle
secondaire, avec ou sans ronchopathie. Un tel risque ne
contre-indiquait-il pas un tel geste, surtout dans des pays
ou la surveillance des resultats operatoires a distance etait
aleatoire ? Enfin, cette intervention en un temps etait plus
« lourde » que chaque temps fait separement. Quoi qu’il en
soit, la velopharyngoplastie primaire a pedicule posterieur
fut progressivement abandonnee dans nos pays, en raison
des progres de la veloplastie, sa precocite vers l’age de qua-
tre mois, la meilleure liberation musculaire type Kriens,
associee a une orthophonie plus physiologique precedee
d’une education du prelangage (Irene Maurette), mais
aussi en raison de l’invention par Miguel Orticochea de sa
sphincteroplastie pharyngee precoce. Ces progres, facilites
par les conditions d’exercice des pays medicalement deve-
loppes, restent inapplicables en pays defavorises. La solu-
tion nous parut donc etre une velopharyngoplastie primaire
modifiee [13] associant dans le meme temps operatoire la
reconstruction velaire et pharyngee.
Protocole operatoire : anesthesies generale et locale asso-
ciees (lignocaıne a 1 % adrenalinee au 200 000e), intuba-
tion par tube arme et ouvre-bouche de Dott, patient en
decubitus dorsal sans proclivite, la tete en simple
hyperextension :
� une sphincteroplastie pharyngee suivant la technique
exacte d’Orticochea, geste facilite par le jour excellent
donne par la fente velaire sur le pharynx qui permet de
construire un sphincter proximal a hauteur de l’arc ante-
rieur de l’atlas ou de la jonction atloaxoıdienne. Des amyg-
dales palatines peu volumineuses sont reclinees en dehors.
Des amygdales palatines volumineuses sont enlevees en
sous-muqueux. Nous avons ainsi un excellent acces aux
piliers posterieurs et aux muscles pharyngostaphylins
transposes sur la paroi pharyngee posterieure pour cons-
truire la partie posterieure du sphincter ;
� une reconstruction velopalatine type Langenbeck : pas de
dissection profonde des plans laterovelaires, pas de rugina-
tion du plancher nasal, deux incisions laterales courtes aux
bords lateraux de la voute palatine osseuse permettant un
decollement perioste quasi exsangue, sans section des arte-
res palatines, fracture des crochets pterygoıdiens liberant
lateralement les muscles velaires sans dissection aponevro-
tique ou pharyngee, incisions des bords medians de la
voute et du voile ; suture en deux plans buccal et nasal de
la voute, sutures velaires en trois plans — muqueux nasal,
musculaire, muqueux buccal — tampons de surgicel sur les
zones cruentees laissees par les deux incisions lateropalati-
nes. L’intervention, peu hemorragique, n’excede pas 1 h 30.
L’anesthesie n’est arretee qu’apres certitude de l’hemos-
tase. Les saignements postoperatoires ne sont pas rares et
l’equipe ne doit pas quitter l’hopital sans etre sure de
l’hemostase. Un fil de traction translingual peut etre place
et maintenu jusqu’au reveil complet. De 2000 a 2007, nous
avons realise cette intervention 45 fois avec des resultats
constamment satisfaisants, que nous ne chiffrons pas en
phonation de types I, II et III, classification qui n’a pour
nous aucun sens et a laquelle nous preferons deux classes
pratiques :
○ sans fuite nasale, donc comprehensible ;
○ avec fuite nasale persistante, 5 % de nos cas.
Cette intervention primaire est faite desormais pour tout
patient presentant une fente velaire ou velopalatine non
operee, age de plus de six ans, sans limite superieure
d’age. Nous la pratiquons egalement chez les patients
deja operes du voile mais qui presentent une rhinolalie
ouverte avec un voile de mauvaise qualite, sclereux et
tendu, fistulise ou avec un voile presentant sur la ligne
mediane une fine ligne bleutee montrant que persiste,
sous une suture muqueuse continue, une division muscu-
laire sous-muqueuse. Dans quelques cas l’aspect du voile
reconstruit est de bonne qualite, souple, avec un releve-
ment actif a l’emission du phoneme [a] qui temoigne de
la continuite musculaire, mais s’appuyant insuffisamment
sur un grand pharynx, congenital ou par exces de
croissance : c’est en effet la tension equilibree du sphincter
velopharynge normal qui harmonise la croissance regionale.
Celle-ci est dereglee par la fente velaire qui libere une crois-
sance pharyngee excessive rendant le voile incompetent,
fut-il de bonne qualite. Nous pratiquons alors une pharyn-
goplastie d’Orticochea isolee, anesthesie generale et locale
associee, duree 40 minutes. Dans toutes ces eventualites, la
veloplastie seule sera presque incapable d’assurer la com-
petence velopharyngee. Nous avons verifie d’ailleurs le
meme effet nocif d’une intervention velaire tardive, en
France, chez les enfants immigres ou adoptes arrivant
deja ages et non traites, et chez lesquels nous pratiquons
de meme une velopharyngoplastie des l’age de dix ans et
au-dela.
En mission, avant de faire une pharyngoplastie devant les
mauvais resultats de la veloplastie isolee chez de grands
enfants ou des adultes, nous avions renonce a operer les
fentes velaires d’enfants de plus de dix ans. Nous nous
apercumes rapidement que ce refus etait injuste parce
que l’age instituait alors une nouvelle discrimination, refus
des plus difficiles devant des parents qui supplient que leur
375
J. Saboye, A.-R. Chancholle Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:369-377
enfant soit opere. Pour ces patients, la velopharyngoplastie
fut une operation de sauvetage qui, devant ses heureux
resultats, devint la regle apres dix ans.
Le tiers-monde nous pose trois problemes
� Les chirurgiens autochtones, fussent-ils des plasticiens
formes et competents, operent peu de fentes, consacrant
la majeure partie de leur activite a la chirurgie esthetique,
suivant en cela l’exemple de nombreux maıtres des pays
« developpes » ou ils ont ete entraınes. Il nous a ete diffi-
cile, voire impossible, de former des chirurgiens qui se
consacrent durablement au traitement des fentes labiopa-
latines [14], et cela malgre notre perseverance : 12 missions
au Mali, huit aux Philippines, et revenant operer chaque
fois dans le meme hopital au Mali comme aux
Philippines ;
� les desordres dentaires ne sont pas corriges dans le tiers-
monde, faute d’orthodontistes. Si ce que nous croyons de
l’utilite de l’orthodontie dans le traitement des fentes
labiopalatines est vrai, alors c’est un scandale de ne pouvoir
en faire beneficier tous les enfants du monde. Rappelons ce
que disait N.H. Antia : « a quoi servent la connaissance et le
savoir-faire s’ils ne peuvent servir a ceux qui en ont
besoin ? « Nous devons donc organiser une sorte d’
« orthodontistes du monde » cherchant pour les pauvres du
tiers-monde les moyens simples et accessibles d’une bonne
et efficace orthodontie, meme si elle n’aboutit pas a l’
« excellence » pronee et recherchee en nos pays ; Si nous
n’adherons pas a cette conception de l’orthodontie, c’est
que nous acceptons l’idee qu’elle n’est pas indispensable
au traitement des fentes labiopalatines. Tot ou tard l’ortho-
dontie sera donc jugee superflue, un luxe en quelque sorte ;
� les otites seromuqueuses [15, 16] ne sont habituellement
ni diagnostiquees ni traitees… faute d’ORL formes ou dispo-
nibles. Nous avons ete accompagnes, pendant une mission,
par un des otologistes de notre equipe toulousaine (Dr
Franck Braun) qui a mis en place un partenariat avec une
equipe locale. Les observations de F. Braun ont montre que
la frequence des otites seromuqueuses est la meme la-bas
qu’en Europe et aux Etats-Unis ;
� pour les patients presentant une fente velopalatine que
nous ne pouvons pas operer faute de temps ou a cause de
tissus buccaux et/ou pharynges inflammatoires, il est pos-
sible de mettre en place un obturateur prothetique palatin
[17, 18]. Certes, l’obturateur est abandonne dans nos pays,
mais il peut rendre ici de grands services, permettant de
soulager ceux qui ne peuvent etre operes, d’attendre une
intervention palatine et, pendant ce delai, d’eviter une par-
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tie des fuites nasales phonatoires et des passages alimen-
taires. L’obturateur entretient une activite musculaire velo-
pharyngobuccale moins dystonique que celle observee en
l’absence de tout traitement. Associe a la fermeture labiale,
faite au besoin sous anesthesie locale, l’obturateur est une
etape entre l’abstention therapeutique et l’intervention
ideale. Harper et Peterson [17], de l’universite de l’Iowa, evo-
quent son usage aux Philippines et, quand nous les interro-
geames a ce sujet, ils nous repondirent : « Regarding your
questions of obturators, we actually have a dentist that tra-
vel with the Operation Smile group who performs extrac-
tions as well as building obturators for palatal closure. Gene-
rally speaking, those that are fitted with an obturator are
significantly older and the chances of successful surgery in
a larger opening are much less likely, not great news to
you. So we are at an advantage in having someone who
basically builds obturators on the spot. The sophistication
of this is not great and in fact it works amazingly well ».
Risques auxquels exposele professionnalisme dans le tiers-monde.Deux risques majeurs peuvent genereraccidents et sequelles
D’abord, il y a la tentation de faire la-bas ce que l’on sait
faire chez soi dans des conditions ideales de securite anes-
thesique. Risque vital d’une reanimation qui ne suit pas et
ne peut suivre, faute de moyens.
Ensuite, il y a la tentation d’operer le plus grand nombre
possible de patients. Ce risque n’est pas theorique : l’ONG
qui finance la mission veut montrer a ses bailleurs que leur
argent a ete bien employe. Et puis, les patients sont la, en
grand nombre, suppliant d’etre operes. Comment ne pas
repondre ? Nous connaissons la terrible tristesse de refuser
ce dernier enfant que la mere pousse vers nous, le jour du
depart. Mais qui en traitera le saignement tardif, l’infection,
toujours possibles, quand nous serons loin ? Decidons avant
le depart de ne pas trop en faire a un patient. Ou meme de
ne pas en faire trop peu a un patient… pour operer plus de
patients.
Conclusion
Le traitement d’une fente laisse une difformite residuelle et
la restitution ad integrum, c’est-a-dire un visage en tout
banal, est exceptionnellement obtenue par nos traite-
ments. Certes les sequelles sont souvent minimes, mais
un examen attentif verra toujours le defaut. Souvenons-
Sequelles des fentes labioalveolopalatovelaires en mission humanitaire. Analyse et prise en charge
nous que les seules sequelles sont celles dont se plaignent
le patient, sa famille ou l’entourage. Le patient se plaint
toujours de ce qu’il voit de son visage, dans son miroir,
mais de son apparence ou de sa parole il souffrira moins
si l’attention veille a ne pas blesser. C’est l’exigence d’une
societe plus sourcilleuse envers le corps qu’envers l’esprit
qui designe les sequelles. Les patients et les familles des
pays pauvres nous l’apprennent.
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Pour en savoir plus :
Avant tout depart en mission, lecture indispensable
de deux livres :
L’action humanitaire, Guillaume d’Andlau, PUF, Paris 1998.
Medecine humanitaire, Jacques Lebas, Florence Veber,
Gilles Brucker, Flammarion, 1994.
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