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Soupe de concombre et petites contrariétés Cédric T OTÉE Elan Sud Roman

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Soupede concombre

et petites contrariétés

Cédric TOTÉE

Elan Sud

Roman

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© Elan Sud 2015Dépôt légal juin 2015ISBN : 978-2-911137-39-6Composition : Elan SudPhoto de couverture : © Guillaume Flament

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Elan Sud

R o m a n

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Esprit parfait, corps parfait, vie parfaite.Il ne manquait pas grand-chose à mon existence

pour rendre fou de jalousie le plus ascète desmoines bouddhistes. L’image n’est pas choisie auhasard. Sans faire de détours ni tourner autour dupot, le Nirvana était mon quotidien. Ni plus nimoins. L’esprit parfait, j’en étais pourvu depuis manaissance. Facile. Idem pour le corps parfait.1,85 m de muscles, un indice de masse corporellefrôlant l’excellence, mon organisme était unmerveilleux outil que je n’omettais pas pour autantd’entretenir en lui administrant la dose d’exercicephysique nécessaire à son épanouissement. Quant àla vie parfaite… Pas besoin d’attendre d’avoir lacinquantaine ou une Rolex pour faire le bilan dema vie. Tout ce que j’avais jadis désiré, je l’avaisobtenu. Tout ce que je désirais, je l’obtenais.

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Toujours. Un super boulot, une voiture, unappartement, une femme et un chat sympas, quedemander de plus? Ma vie était insolente deréussite, presque trop parfois. À la limite del’indécence. Mais qu’y avait-il d’indécent dans laperfection, après tout ? Rien ne servait d’allercontre les décisions de Dame Nature. J’étais autop, un point c’est tout.

La trentaine bien entamée, mais pas trop. Unefemme belle et intelligente, mais pas trop. C’étaitimportant, je me devais de garder le leadershipdans le couple. La joliesse passe encore, bien qu’ilsoit difficile de comparer objectivement lescritères de beauté d’un homme et d’une femme.On ne joue pas dans la même catégorie, de cepoint de vue là. Pour le reste, en revanche… Laculture, l’éducation et l’intelligence en généraln’ont pas de sexe. J’avais trouvé chez ma douceMarie, mon épouse, tous les paramètres mepermettant de vivre en couple au quotidien sanssubir le moindre ombrage cérébral. Elle n’étaittoutefois pas la caricature type de la blondeécervelée. Déjà, elle était brune. Ensuite, il mefallait un minimum. Aimante, attentionnée, douceet calme, elle possédait le bagage neuronalsuffisant pour me mettre en valeur sans jamais troptirer la couverture à elle. Une rampe de lancement,

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en quelque sorte. Un faire-valoir qui avait le bongoût d’exister sous les traits d’une magnifiquejeune femme de vingt-cinq ans avec des formespartout où il le fallait. Et, surtout, rien là où il nefallait pas. Des yeux verts, en amandeévidemment, et une peau satinée sur des traits finset légers venaient compléter le tableau. En plus detout cela, elle possédait l’avantage non négligeabled’avoir eu le coup de foudre pour moi au premierregard. Pratique et rapide. À l’époque, le plusdifficile étant fait, le reste n’avait été que broutilleset bavardages. Un bouquet de fleurs par-ci, deuxou trois restos par-là, et hop ! Emballé, c’est pesé !Si elle avait eu une petite fortune personnelle, laperfection faite femme n’aurait pas été loin. Jepouvais bien lui pardonner ce petit défaut. Tout lemonde n’a pas la chance d’avoir des parents richeset morts, le top. Cela faisait maintenant cinq ansqu’elle était en admiration et, le mot est faible,folle de moi. En restant lucide, comment aurait-ilpu en être autrement? Je ne pouvais pas luttercontre mon instinct et paraître banalement…quelconque ! La pauvre, finalement, elle nepouvait faire autrement que de m’aimer.

Je suis Pierre Legallec – avec deux l, commeune hirondelle – et je suis à l’aube de ma trente-troisième année. Mon existence est une belle

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mécanique qui ronronne telle une horloge suisse,ma vie est huilée comme un culturiste. Mais leplus beau et parfait des mécanismes peut segripper sous l’effet d’un simple, minuscule,ridicule et insignifiant grain de sable. C’estimportant le sable.

Mon grand-père disait d’ailleurs toujours à cesujet que… Que disait-il déjà?

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Dans cette vie idyllique, la seule chose impor-tante à mes yeux, c’était mon travail. Ce qui fait unhomme et marque une grosse partie de sa person-nalité. En dehors de son lit, c’est le lieu où l’onpasse le plus de temps. En omettant la caisse enbois qui nous sert d’ultime demeure pendant unebonne partie de l’éternité, bien entendu. Jen’échappais pas à la règle. Pire, mon emploi étaittout pour moi. Il me sustentait et satisfaisait mesbesoins primaires. Il en assouvissait d’autres,moins vitaux, mais tout aussi primordiaux. Lanourriture cérébrale, par exemple. Il faisait tournermon cerveau, connectait mes neurones etabreuvait mon ego. Il me donnait un statut, unrôle, une importance aux yeux des autres et iljustifiait mon existence en me donnant une raisonde me lever le matin et de continuer à avancer dans

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la vie. Enfin, et surtout, il me permettait d’accéderà ce qu’il y avait de plus important dans notresacro-sainte société : l’argent. L’argent, toujoursl’argent. Plus que le statut social, il donnait accèsà tous les possibles. Si j’avais trouvé les pointsévoqués précédemment dans un emploi bénévole,jamais je n’aurais pu exercer en me passant dunerf de la guerre, de l’argent sonnant ettrébuchant. Ce qui permettait d’acheter, deconsommer, de posséder. J’ai, donc je suis !Comme disait… qui disait ça, déjà?

Pour parvenir au Graal de la société deconsommation, mon quotidien était immuable :

7 h : je n’ai jamais vraiment été du matin.J’aimais dire que je ne me réveillais pas, maisplutôt que je sortais d’un profond coma. Unevigilance amoindrie et le tonus musculaire d’unepomme de terre trop cuite résumaient assez bienl’état qui était le mien au saut du lit. L’expressionn’était d’ailleurs pas la meilleure, une désincarcé-ration lente et douloureuse était beaucoup plusjuste pour illustrer ce qui se passait tous les matinsdans ma chambre. Mon humeur à cet instant précisétait proche de celle d’un ours après des moisd’hibernation. Mon haleine aussi. Capable de tuerle premier être vivant croisant mon chemin.Afin d’éviter un homicide aussi impromptu

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qu’involontaire – et pour s’abstenir du moindreproblème de couple – ma chère, douce et tendreMarie avait décidé après moult expériences dedécaler son heure d’éveil de trois bons quartsd’heure. Cela lui permettait donc chaque matin deme rencontrer une fois la phase «préhistorique»quittée. Marie faisait partie de cette tranche de lapopulation qui s’éveille instantanément chaquejour dès le commencement des prémices dupremier bip du réveil. Fraîche comme si elle venaitd’oublier en une nanoseconde la nuit précédente etla huitaine d’heures passées à ronfler. Le style àparler aussitôt, entamer des discussionsinterrompues la veille et, affront suprême, être debonne humeur. Autant dire, pour moi, la pireespèce matinale qui puisse exister.

Après l’évacuation de la literie, un stadecritique s’installait. Critique car un seul regardanodin – ou, pire encore, un sourire – pouvaitdéclencher le début des hostilités : une guerrematrimondiale.

Quoi, qu’est-ce qu’il y a?Typiquement le style de phrase qui me venait à

l’esprit à ce moment-là.Euh… rien !Typiquement le style de phrase que je recevais

en réponse.Mais ce rien était déjà trop.

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Je le savais, au fond, qu’il n’y avait rien. Mais,à cet instant, je ne pouvais prendre le moindreregard pour autre chose que pour une agression.Le décalage horaire que s’imposait ma compagneétait donc des plus judicieux. Il me permettait dem’extirper du lit conjugal et de me traîner plus oumoins facilement jusqu’à la salle de bain et sadouche salvatrice. Après avoir échappé de justesseà la noyade, je manquais régulièrement dem’égorger en me rasant ou de m’enfoncer uncoton-tige dans l’oreille jusqu’au cortex. Toutesces petites frayeurs participaient intégralement auprocessus de réveil qui faisait qu’en sortant de lasalle de bain je recommençais à être fréquentable.Lavé, rasé, parfumé, déodorantisé et lavéles-dentisé, ça allait déjà mieux. J’arrivais même,parfois, à lâcher un petit baiser à Marie lorsqu’ilm’arrivait de la croiser à ce moment-là. Jen’appréciais pourtant pas spécialement ceséchanges de fluides buccaux, surtout de bon matinavec une personne non lavée, je n’y voyais mêmeaucun intérêt. Mais, en dehors de toutes considé-rations hygiéniques et dentaires, cela semblait luifaire plaisir, alors… C’était ça la vie de couple, ilfallait savoir faire des efforts et des concessions.Bien que l’utilité et le sens de ces gestesd’affection restaient à prouver. Lavoisier, un garsqui jouait à en perdre la tête avec des éprouvettes

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au XVIIIe siècle, avait dit : Rien ne se perd, rien nese crée, tout se transforme. Si j’interprétais le pèreAntoine, devais-je en déduire que le dépôt gluantde ma bave propre sur la joue sale de macompagne entraînait chez elle un changementd’humeur l’amenant à un plaisir certain? Cesinterrogations m’interpellaient chaque matinjusqu’à un point précis : la cuisine.

7 h 45 : quasiment le meilleur moment de lajournée. La dose de caféine bienfaitrice.C8H10N4O2, comme disent poétiquement leschimistes. C’est surtout un alcaloïde aux vertusstimulantes. Et moi, j’adore être stimulé. Je mestimulais d’ailleurs tout au long de la journée, avecdu café. Le café, ce n’est pas à prendre à la légère,c’est précis, pointu. Je considérais sa préparationcomme une science, voire un art. Plus la durée decontact du café avec l’eau est importante et plusl’extraction de la caféine est grande. Moulu plusfin, cela augmente la surface de contact entre lecafé et l’eau pour conduire à un taux de caféineplus élevé. Sans même parler de la pression. Ah!La pression ! La dosette préconditionnée en papierque je plaçais chaque jour dans la machine n’avaitpas l’air de se rendre compte de tout ceci.J’adorais ce moment où, seul, je préparais etbuvais mon café du matin. Ce petit instant de

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grâce, de calme et de volupté faisait que ladégustation m’aidait à passer le cap ultime duréveil. Un semblant de petit-déj’avalé sur le poucefinissait de me décider à partir. Prévenir Marie demon départ et lui parler une dernière fois neservait à rien, elle savait où j’allais et quand jepartais. La petite demi-heure de trajet en voitureétait vraiment nécessaire pour entrer complè-tement et définitivement dans la vie des éveillés,des autres, ceux qu’on appelait les gens. La voixde l’animateur radio m’habituait progressivementet me préparait à supporter celle de mescongénères. La concentration inhérente à laconduite mettait mon corps et mon esprit en ordrede fonctionnement pour affronter la journée àsuivre. Les avertisseurs sonores qui saluaient monpassage à chaque carrefour aussi. C’était un fait,les autres ne savaient pas conduire.

8 h 30 : arrivée au travail. En dehors de Marie,c’était là que je commençais à croiser d’autresspécimens d’homo sapiens sapiens. J’occultaisvolontairement les conducteurs qui m’accompa-gnaient dans les embouteillages. En France, unêtre humain dans sa voiture n’en est plus vraimentun. Le premier à vraiment envahir mon champvisuel était Machin, le garde-barrière. Je n’avaisjamais compris le sens et le rôle de cette personne

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dans l’entreprise. Garder la barrière d’une entréeréservée au personnel, actionnée automatiquementpar une machinerie simplissime, contrôlée par desbadges d’accès ultra sécurisés… L’utilité de cetemploi m’échappait au même titre que le prénomdu type. L’entreprise cherchait sans doute à formerun futur champion de sudoku ou un expert en motsfléchés. Les heures à tuer étaient nombreuses dansla guérite. Peut-être qu’une explication logiquen’existait pas, autant ne pas la chercher. PourMachin, je me contentais donc d’un signe de lamain, de loin. L’indifférence et le mépris n’empê-chaient pas la politesse, question d’éducation. Lanature ne l’ayant pas doté du matériel intellectuelsuffisant pour soutenir une conversation digne dece nom, cela ne servait à rien de la provoquer et del’entamer. Je n’avais aucun intérêt à l’humilier àchaque phrase. Maintenir une fausse ententecordiale entre collègues était plus important. Plusimportant et plus utile.

Je passais ensuite devant les bureaux despersonnels administratifs. Là, en revanche, jem’autorisais un petit stop. La petite Julie de lacompta, vingt ans. Vingt ans et toutes ses dents. Ce n’étaient pourtant pas ses plombages et autresappendices dentaires qui attiraient mon attention.Avec ses mensurations de rêve, elle possédait unvisage plus qu’harmonieux qui méritait amplement

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d’être honoré d’une ou deux bises chaque matin.Robert, le gars de l’entretien, imageait cela assezfroidement : Elle a les yeux qui sentent le… Ladécence ne l’arrêtait pas forcément. C’était ainsiqu’il résumait avec un certain flegme le physiquede Julie et d’à peu près tous les êtres humains d’unsexe différent du sien. Un peu court et réducteurcertes, mais tellement juste pour Julie, finalement.Un poète, ce Robert. Dommage pourtant que sesréférences cinématographiques se soient limitéesaux comédies franchouillardes. Il devait encore sedemander dans quelle équipe de foot jouait WoodyAllen. Mais c’était vrai qu’elle n’était pas mal,cette Julie, et je me disais d’ailleurs chaque jourqu’elle ne dirait pas non. Mais non. Il fallait que jereste digne de moi-même : marié et fidèle. Tant pispour Julie, elle ne saurait jamais à côté de quoi ellepassait. Je n’allais quand même pas foutre en l’airla place confortable qui était la mienne. Çadéfinissait bien Marie. Confortable. Confortable etsécurisante. Elle qui me disait souvent avare decompliments, elle ne savait juste pas écouter.

Venaient ensuite les saluts hiérarchiques. Cen’était pas l’armée, mais l’industrie pharma-ceutique possédait certaines similitudes avec lagrande muette. Ah oui ! J’ai oublié de préciser queje travaillais au sein d’un grand laboratoirepharmaceutique. Je m’étais astreint, chaque matin,

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la mission de saluer mes supérieurs hiérarchiques.À tout seigneur tout honneur : je commençais parle directeur du site. Puis venait Gérard, son adjointresponsable de la paye. Le premier avait le droit devie ou de mort sur ma carrière, mes promotions etmon avancement. Le deuxième coupait le gâteau.Le gâteau des primes. Ce gâteau était identique tousles ans, mais comme c’était ce bon Gérard qui tenaitle couteau et décidait de la taille des parts, celafaisait de lui un personnage avec qui il étaitjudicieux de rester en bons termes. Deux bonjoursqui ne me coûtaient rien et pouvaient rapporter gros.

Quelques poignées de mains faussementchaleureuses et plusieurs sourires forcés étaientles maux nécessaires pour pouvoir entamertranquillement mes journées professionnelles.Entre les personnes croisées au hasard et cellesdont je ne pouvais géographiquement éviter lecontact physique, il me fallait une bonne demi-heure pour arriver enfin à mon bureau. Monbureau, mon antre devrais-je dire. Un morceau deterritoire protégé où tout le brouhaha inhérent autravail des autres ne m’atteignait pas. Le bonheuraurait été entier si la présence obligatoire d’untéléphone et sa sonnerie stridente ne venaientperturber l’endroit et sa quiétude. Sans parler duva-et-vient incessant des sous-fifres que jechapeautais – pour ne pas dire chaperonnais.

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Épuisant, énervant, mais impossible à éviter.J’étais responsable du département recherche etdéveloppement. Surprenant, pour quelqu’und’aussi brillant que moi. J’aurais grandementmérité ma place au sein du prestigieux directoiredu laboratoire. Une question de temps, sûrement.À moins que le ministre de la Santé n’ait besoind’un coup de main, un jour?

Quel était mon rôle? Pas facile à expliquer aucommun des mortels. Souvent, les gens nem’interrogeaient pas plus que ça, comme si le faitd’énoncer la fonction expliquait le déroulement demes journées de travail. Un bidasse américainavait dit un jour : Des moutons dirigés par un lionsont plus redoutables que des lions dirigés par unâne. Ceci résumait assez bien ma philosophieprofessionnelle. Autant dire tout de suite que je neme situais pas du côté des moutons et encoremoins des ânes. Le fonctionnement des servicesde recherche au sein d’un laboratoire pharmaceu-tique – s’il me passionnait – restait inaccessibleà des personnes scientifiquement déficientes, soitenviron 99% de la population. Heureusement,d’ailleurs. Je ne m’étais pas tapé presque dix ansd’études acharnées pour que mon boulot soitaccessible et compréhensible par le premierBidochon venu. Moi qui avais pratiquement apprisle fond et la forme de toutes choses scientifiques,

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je ne pouvais décemment pas être compris parl’abruti qui s’était arrêté aux identités, aussiremarquables fussent-elles. Il ne fallait donc paschercher à comprendre. Tout au plus se dire que jedirigeais, que c’était moi le pilote. J’étais en hautd’une pyramide dont les chercheurs constituaientla base et le reste de la population la poussièredessous. Les nouvelles molécules découvertes parles premiers sauvaient d’ailleurs des vies chez cesderniers. Enfin, si le service commercial étaitd’accord. Pour peu que le département communi-cation imagine une bonne stratégie et définisse unbon marché cible…

Alors, parfois, certaines nouvelles moléculespouvaient sauver certaines vies.

Je gérais donc le plus gros trésor d’unlaboratoire pharmaceutique, ce qui constituait sonavenir, l’innovation et la recherche. Publicité etcorruption mises à part. À ce titre, je centralisaistoutes les données produites au sein de monservice. Rien ne m’échappait. L’entreprise mepayait pour que chaque molécule et médicamentinventé en son sein reste confidentiel. Confidentielet surtout sa propriété, business is business. Pourgarantir cette confidentialité, il fallait donc évitertout espionnage industriel et s’assurer d’une hautesécurité. La manipulation des différents systèmeset serveurs informatiques s’effectuait d’ailleurs

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comme la prise de température d’un gorille, avecprécaution. Je travaillais toujours seul. Moins derisque. J’étais ainsi certain que la tâche étaittoujours parfaitement réalisée. J’étais la seulepersonne en qui je pouvais avoir confiance à100%. J’étais le gardien du temple, celui sans quitoute cette belle planète pouvait irrémédiablementcesser de tourner. Mais, parfois, la terre n’est pasassez ronde…

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Cet ouvrage a été publié avec le soutien duConseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur

dans le cadre duPrix Première Chance à l’écriture*

Organisé par l’associationExpressions Littéraires Universelles

http://www.elansud.fr/elu/Prix.htm

* décerné à un auteur encore non édité par un jury composé deprofessionnels de la chaîne du livre (Elan Sud, auteurs, journalistes,libraires, bibliothécaires et professeurs) et de lycéens (lycée del’Arc à Orange).

Partenaires

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Éditions Elan Sud233 rue de Rome - 84100 Orange

http://www.elansud.frhttp://www.elansud.infoComposition : Elan Sud

Impression : Laballery - 58502 Clamecy cedexN° d’impression :

Dépôt légal : juin 2015ISBN : 978-2-911137-39-6

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Prix : 16€

ISBN: 978-2-911137-39-6www.elansud.fr/totee

«Sur quelque préférence, une estime se fonde,

Et c’est n’estimer rien, qu’estimer tout le monde.»(Le Misanthrope, Alceste, acte I, scène I, vers 57-58, Molière)

Misanthrope des temps modernes, PierreLegallec a une passion pour les poignées deporte, les 95D, et lui-même. Sa vie est à sonimage, parfaite. Mais tout le monde a sesfailles…

Écrit dans un style décapant, nous pourrionsdétester le personnage que nous présentel’auteur. Pourtant, ce Pierre, c’est vous, c’estnous, passant sous silence, notre vie durant, cespetits signes qui pourraient tout changer.

Lauréat 2015 du Prix Première Chance àl’écriture, Cédric Totée, ingénieur enrecherche et formation à l’Écolenationale supérieure de chimie deMontpellier, s’adonne à l’écriture enmaniant sa plume avec l’humour qui lecaractérise.

Soupe de concombreet petites contrariétés