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SOUVENIR DE FERDINAND DE LESSEPS ET DU CANAL DE SUEZ SOUVENIR DE FERDINAND DE LESSEPS ET DU CANAL DE SUEZ Bulletin n°4 Novembre 2017

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SOUVENIR DE FERDINAND DE LESSEPS ET DU CANAL DE SUEZ

SOUVENIR DE FERDINAND DE LESSEPS ET DU CANAL DE SUEZ

Bulletin n°4 Novembre 2017

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Conseil d'administration Arnaud RAMIÈRE de FORTANIER président et administrateur Ingénieur général Jean-Philippe BERNARD vice-président et administrateur S.A.R. le prince Hussein TOUSSOUN vice-président et administrateur Ingénieur général Thierry CHAMBOLLE secrétaire général et administrateur Patrick BILLIOUD de NUZILLET trésorier et administrateur Jean-Louis BLANC administrateur Bruno CHAUFFERT-YVART administrateur Philippe JOUTARD administrateur Nivine KHALED administrateur Patrick LECLERCQ, ambassadeur administrateur Armelle LE GOFF administrateur Antoine de LESSEPS administrateur Alain MONOD administrateur Dr. Christian MOREAU administrateur Philippe PEYRAT administrateur Serge PINA administrateur Jean de VOGÜÉ administrateur Dr Ahmed YOUSSEF administrateur Christiane ZIEGLER administrateur

Invitée permanente : Christine ADRIEN, déléguée générale

Comité d'honneur

S.A.S. le prince Pierre d'ARENBERG Comte Ghislain de DIESBACH Ingénieur Mohamed EZZAT ADEL Professeur Hany HELAL Comte Alexandre de LESSEPS

Bureau

Arnaud RAMIÈRE de FORTANIER président Ingénieur général Jean-Philippe BERNARD vice-président S.A.R. le prince Hussein TOUSSOUN vice-président Patrick BILLIOUD de NUZILLET trésorier Ingénieur général Thierry CHAMBOLLE secrétaire général Christine ADRIEN déléguée générale

Invités permanents : Gabriel de BÉRARD, Christian MOREAU et Bruno CHAUFFERT-YVART

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Vie de l'Association

Conseil d'administration

���� Le Conseil d’administration de l’association s’est réuni le 17 mai, sous la présidence d’Arnaud Ramière de Fortanier, dans la salle du Conseil d’administration d’ENGIE à La Défense. Le Conseil a fixé au 8 juin la date de la prochaine Assemblée générale ordinaire de l’association. Elle se tiendra à 17 heures au Cercle de la mer et sera suivie d’un dîner. A cette occasion, Gabriel de Bérard présentera des œuvres de son grand père qui a participé à l’inauguration du canal de Suez en 1869. Le Conseil a approuvé l’ordre du jour de l’AGO, le rapport moral et le rapport financier qui seront présentés lors de l’AGO. En 2016, les recettes de l’association ont été de 256 148 euros et les dépenses de 253 408 euros. Le résultat de 2 740 euros est donc positif. La trésorerie au 31 décembre 2016 atteint de ce fait 51 226 euros. Le budget 2017 qui sera soumis à l’AGO a également été approuvé par le Conseil. ENGIE a imposé à tous ses services une réduction des dépenses de 30%. La subvention d’ENGIE n’a été réduite que de 20% pour l’association. L’association ne disposera plus que d’un bureau au lieu de deux dans la tour T1, que de deux postes informatiques au lieu de trois. Neuf mandats d’administrateurs arrivent à échéance. Trois d’entre eux ont demandé à ne pas se représenter : Karine Rachmann, Gabriel de Bérard, le Contre-Amiral François Bellec. La nomination de quatre nouveaux administrateurs sera proposée à l’AGO : Philippe Peyrat, responsable du mécénat à ENGIE, Serge Pinat, délégué d’ENGIE en Occitanie, Madame le Professeur Nivine Khaled, Conseiller culturel auprès de l’ambassade de la République arabe d’Égypte, le Recteur Philippe Joutard. Une AGE se tiendra avant l’AGO. Une modification des statuts est nécessaire. Pour être en conformité avec les règles du mécénat, l’agrément du Conseil ne doit plus être exigé pour les nouveaux membres. La convention avec le CEAlex a été signée. La vie de l’association a été évoquée. Les enquête orales progressent. Bruno Chauffert-Yvart a rédigé un rapport de mission à la suite de son voyage en Égypte au mois de mars. Dés qu’il aura pris une forme définitive, il sera mis sur le site et figurera dans le Bulletin n°4. Le président a insisté sur l’intérêt qu’il y aurait à diffuser le Bulletin, et en particulier le Bulletin n°2 consacré au colloque de Bordeaux, en dehors des membres de l’association. Un comité scientifique, présidé par Bruno Chauffert-Yvart, va être créé. L’Égypte veut fêter avec éclat les 150 ans du canal de Suez,en 2019. Un voyage en Égypte pourrait être organisé, en 2017, si un nombre suffisant de membres manifestait de l’intérêt.

���� Le Conseil d’administration de l’association s’est réuni le 5 juillet, sous la présidence d’Arnaud Ramière de Fortanier, dans la salle du Comex d’ENGIE à La Défense. L’élection du président et du Bureau n’a pas pu avoir lieu lors d’un Conseil réuni à l’issue de l’AGO. Il est donc nécessaire d’y procéder maintenant.

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Le Conseil approuve la reconduction des dispositions existantes : � Arnaud Ramière de Fortanier, président � Jean-Philippe Bernard, vice-président � SAR le prince Hussein Toussoun, vice-président � Thierry Chambolle, secrétaire général � Patrick Billioud de Nuzillet, trésorier � Christine Adrien, déléguée générale Par ailleurs, trois membres de l’association sont invités permanents aux réunions du Bureau : � Gabriel de Bérard � Christian Moreau, administrateur � Bruno Chauffert-Yvart, administrateur Lors de l’AGO, quatre nouveaux membres sont entrés au Conseil : � Philippe Peyrat, directeur du mécénat ENGIE � Serge Pina, directeur de la région Occitanie ENGIE � Nivine Khaled, conseiller culturel auprès de l’ambassade de la République arabe d’Égypte � Philippe Joutard, ancien recteur des Académies de Besançon et Toulouse Philippe Peyrat intervient pour souligner qu’ENGIE accompagne l’association, que son soutien est pérennisé, sa présence au Conseil en témoigne. Le lien avec l’Égypte est important pour ENGIE et l’association apporte une contribution notable. ENGIE soutient l’exposition prévue à l’IMA en 2018, ainsi que Suez, Saint Gobain et Vinci. ENGIE s’intéresse également à l’exposition prévue à Marseille en 2019. ENGIE se charge d’associer davantage Suez aux activités de l’association. Jean-Philippe Bernard signale qu’une rencontre est prévue avec le directeur du Musée de la Marine. Deux sujets sont à l’ordre du jour : réserver un espace au canal de Suez dans le nouveau Musée de la Marine et voir si le Musée de la Marine peut intervenir dans la conservation des collections de l’association. Le vice-amiral d’escadre Collinet, ancien président du Musée de la Marine, a bien voulu accepter de faciliter cette rencontre. Le fichier des adhérents va être informatisé. Il sera possible de cotiser en ligne. Christine Adrien présente la maquette du nouveau site qui est unanimement appréciée. Des liens sont prévus avec les partenaires de l’association, par exemple France-Égypte. Ces nouvelles dispositions devraient mettre fin à certaines anomalies. Christine Adrien présente aussi un document relatif à l’exposition 2018 à l’IMA. La contribution de notre association à cette exposition est très importante. Elle se fait à titre gratuit. Les enquêtes orales, actuellement en cours, se font dans le cadre de la préparation de l’exposition IMA. En partenariat avec le CNRS, le Centre d'études alexandrines et l'Institut français d'archéologie orientale, elles sont dirigées par le recteur Joutard, dont la compétence est unanimement reconnue en la matière. Vingt interviews ont été réalisées à ce jour, en français et en arabe. L’IMA sélectionnera les interviews qui lui sembleront les plus intéressantes. Le Dr Ahmed Youssef signale qu’il travaille actuellement sur : la traduction en arabe des ordres militaires du général Kléber (après ceux du général Bonaparte), les relations entre le général de Gaulle et l’Égypte. Ce dernier sujet est particulièrement intéressant. Le général de Gaulle est allé trois fois en Égypte pendant la guerre.

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Le prince Hussein Toussoun indique que Monsieur Darwish a été écarté de ses fonctions et que l’amiral Mamish a repris le dossier très important de la future zone industrielle du canal de Suez. Jean-Philippe Bernard signale qu’il a eu l’accord de principe de Son Excellence l’ambassadeur de la Fédération de Russie pour l’organisation d’une exposition consacrée au canal de Suez, à Moscou ou à Saint Petersbourg. Il serait très intéressant de connaître la position d’ENGIE vis à vis de ce projet.

Assemblée générale

���� Les Assemblées générales ordinaire et extraordinaire se sont réunies le 15 juin 2017. Les comptes-rendus vous ont été adressés par courrier.

Déplacements en Égypte

Voyage en Égypte pour les enquêtes orales (3-14 février 2017) ���� Voyage consacré à la collecte d’enquêtes orales dans le but de recueillir les mémoires du

canal de Suez, principalement du côté égyptien que nous connaissons trop mal. Yehia El-Sadr, président des Anciens Ismaïliotes, nous accompagne avec sa voiture du début jusqu’à la fin à Port-Saïd, Alexandrie et au Caire ; il est le fils du premier pilote égyptien au temps de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, qui resta après le départ des Occidentaux et permit ainsi à l’Égypte de prouver au monde qu’elle était capable de gérer par elle-même ce canal de Suez contesté depuis le début, de plus en plus à partir de l’intervention anglaise, et systématiquement par les mouvements nationalistes dès Oraby en 1882, jusqu’à Saad Zaghloul plus tard, et pour finir Gamal Abdel Nasser qui nationalise la Compagnie en 1956. Nous voulions connaître le ressenti égyptien auprès des habitants du canal et non pas seulement par le biais de la tradition politique, journalistique ou universitaire. Nous n’avons pas été déçus. Notre mission s’est déroulée dans deux cadres complémentaires mais distincts : nos archives et l’exposition de l’an prochain à l’Institut du Monde arabe (IMA). Une quinzaine d’enregistrements a été opérée qui constitueront un fonds autonome pour la postérité ; à partir de cela, un ou des films relativement courts seront réalisés dans le cadre de l’exposition de l’IMA qui, après Paris, se transportera au musée d’histoire de Marseille avant de se terminer au Caire, au musée des Civilisations dont nous avons visité le chantier l’an dernier avec le Dr Khaled ElAnany devenu depuis brillant ministre des Antiquités. Une fois démontée, le matériel, notamment audiovisuel, sera remis à l’Autorité du canal de Suez à destination de son musée d’Ismaïlia dont nous n’avons plus beaucoup de nouvelles. Le recteur Philippe Joutard a bien voulu diriger scientifiquement cette vaste opération d’enquêtes orales relativement inhabituelle et pionnière. Ami de longue date, il est le spécialiste en la matière depuis les années 70 où il a soutenu et publié dans la bibliothèque des Histoires de Galimard Les Camisards, histoire d’une sensibilité au passé. Il vient encore récemment de publier un ouvrage Histoire et mémoires, conflits et alliance (Paris, La Découverte, coll. "Ecritures de l'Histoire", 2013, 240 p.) après son livre bien connu chez

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Hachette Ces Voix qui nous viennent du passé. Au début des années 80, il a été le pivot des deux grandes séries de manifestations que j’avais organisées à Marseille dans le sillage d’Edmonde Charles-Roux et à la demande de Gaston Defferre et de Michel Pezet : Rivages des Origines - Archives des Cahiers du Sud, et L’Orient des Provençaux - Marseille et l’Égypte des savants de Bonaparte à l’inauguration du canal de Suez. Deux grands colloques en avaient alors découlé : Andalousies perdues ou la Méditerranée comme lieu de confluence et de métissage culturels (Rivages des origines (Archives des Cahiers du Sud), sous la direction scientifique de Claude Esteban et Philippe Joutard. Archives de la Ville de Marseille, décembre 1981. 366 p.) et L’Imaginaire, créateur d’histoire : L’Égypte de Pharaon au saintsimonisme. Le Miroir égyptien (Éditions du Quai Jeanne Laffitte, Marseille, 1984.282 p. Avec notamment : Nabia Asfahany, "Le Canal de Suez : une vision égyptienne", pp.125-132) . Il a enfin rédigé un article important dans la revue L’Histoire bien dans l’esprit qui nous occupe, sur "Marseille, Porte de l’Orient." J’ai moi-même contribué en 2002 aux "Mélanges" qui ont été publiées en son honneur par l’Université de Provence et le Musée dauphinois, intitulés Méditerranée, Montagne, Mémoire : "La Mémoire du canal de Suez de l’Orient des Provençaux à la nouvelle Bibliothèque d’Alexandrie." Philippe Joutard clôturait par un beau texte, le colloque sur les Andalousies perdues : "En organisant ces rencontres, nous avons fait un pari, le pari que l’Andalousie était beaucoup plus perdue dans notre mémoire que dans la réalité. L’histoire ne nous donne pas la certitude ni dans un sens, ni dans l’autre, alors au moment où nous rendons hommage à une revue qui n’a jamais séparé la création de la réflexion philosophique et historique, pourquoi l’historien ne céderait-il pas la place au créateur et ne dirait-il pas avec Camus : "L’ignorance reconnue, le refus du fanatisme, les bornes du monde et de l’homme, le visage aimé, la beauté enfin, voici le camp où nous rejoindrons les Grecs. D’une certaine manière, le sens de ‘histoire de demain n’est pas celui qu’on croit. Il est dans la lutte entre les artistes et les conquérants, la création et l’inquisition. Malgré le prix que coûteront aux artistes leurs mains vides, on peut espérer leur victoire. Une fois de plus, la philosophie des ténèbres se dissipera au-dessus de la mer éclatante. O pensée de midi, la guerre de Troie aura lieu ! Cette fois encore, les murs terribles de la cité moderne tomberont pour livrer, « âme sereine comme le calme des mers », la beauté d’Hélène." Les enquêtes orales permettent de toucher une autre dimension des mémoires du canal de Suez, à l’intersection de trois mondes. Au fur et à mesure de notre voyage, Philippe Joutard précise sa pensée et sa méthode à côté de la recherche historique, travail distancié, critique, des souvenirs. Une autre tranche du passé, une mémoire avec qui on a un rapport passionnel, affectif, sensible. Elle sélectionne, elle oublie, elle transforme, elle magnifie, elle rejette. C’est d’autant plus important pour un monde qui a disparu, dans le sens donné par Pierre-Jakez Hélias dans Le Cheval d’orgueil. La quête des mémoires revêt une autre forme : c’est le "patrimoine immatériel". Recueil des archives modestes : exemple, une fille de pilote nous a apporté un petit cahier tenu par son père pendant trois décennies ; c’est le genre d’archives qu’on ne peut pas trouver dans les archives officielles. C’est tout ce que les gens peuvent raconter même dans les pays où l’écrit est fort. C’est une vision des choses. Le légendaire est significatif ; l’erreur est toujours significative, c’est une des sources de l’histoire. Les femmes, les modestes, les ouvriers, les techniciens : on leur donne la parole. Même les notables ont d’autres approches. On n’est pas au niveau du jugement. Aussi bien la mémoire française et européenne qu’égyptienne, sur plusieurs générations, avec les

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générations plus jeunes. Les gens du canal ont une très forte personnalité : on parle des "canaliotes". On a vu que les jeunes apprennent la géographie en voyant passer les navires du monde entier, de l’Extrême Orient aux pays scandinaves. Philippe Joutard a succédé pendant dix ans à l’école des Hautes études à Pierre Nora à la tête de son séminaire sur "les Lieux de Mémoire". "Le lieu de Mémoire est une forme de patrimoine". Nous nous sommes installés au Caire dans le vieil hôtel Horus House, rue Ismaïl Mohamed, où nous descendons régulièrement à l’instar du Dr Ahmed Youssef ou même de l’ancien ambassadeur et ami SE Aly Maher El-Sayed. Il est vieillot mais parfaitement propre ; son salon est meublé à l’ancienne dans un style Mittle Europa qui fait penser à Prague, Trieste, Vienne, Sofia et Salonique, cet axe nord-sud auquel je suis sensible qui nous amène à l’Alexandrie et au Caire d’un monde que nous avons perdu. C’est parfaitement ce qu’il nous faut pour évoquer les gens du canal d’avant 1956. Yehia El-Sadr que nous connaissons maintenant depuis longtemps comme principal animateur de ces "anciens Ismaïliotes" égyptiens ayant travaillé et vécu sur le canal avant d’être dispersés par la nationalisation, les guerres et le changement de régime ; ils existent encore en Égypte mais se sont généralement répandus de par le monde, des États-Unis, le Canada et la France jusqu’à l’Australie et la Nouvelle Zélande. S’exprimant admirablement en français, il nous donne un témoignage de première valeur sur la vie quotidienne de son père, un des premiers pilotes égyptiens au temps de la Compagnie universelle et ensuite, de ces pilotes qui ont relevé le défi de Nasser de ne faire fonctionner le canal qu’avec des Égyptiens. La fusion avec les nouveaux arrivants n’a pas été aisée, surtout sous la direction du colonel Younès qui n’était pas loin de les traiter de collaborateurs, plus facile au fur et à mesure que le temps est passé ; il a néanmoins terminé sa carrière au Qatar qui a nommé une drague à son nom, drague qui a été prêtée pour creuser ces derniers temps le nouveau canal de Suez.

Le recteur Philippe Joutard avec Yehia El-Sadr. Raymond Collet à la technique.

Une quinzaine de témoignages ont ainsi été filmés et recueillis en en attendant d’autres. Nos démarches ont commencé à Mounira, au palais de l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO) où nous étions donné rendez-vous avec des universitaires égyptiens signalés par Gilles Gauthier qui les a aussi rencontrés lors de son récent passage avec Jack

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Lang et Claude Mollard ; ils sont en étroite relation avec Sarga Moussa, également comme nous membre du conseil scientifique de l’exposition de l’IMA. Le professeur Emad Abou Ghazi, anglophone, ancien ministre de la culture, est une vieille connaissance, enseignant entre-autre l’archivistique à l’université où il cite toujours mon rapport de l’Unesco sur le système des Archives en Égypte, et Mme Randa Sabry, parfaitement francophone qui se souvient d’avoir assisté à un cours de Philippe Joutard lorsqu’elle était étudiante. Nous décidons de nous tenir mutuellement au courant. Á Port-Saïd, c’est le Dr Moustafa Moussa qui nous donne un des meilleurs témoignages, ayant assisté jeune à la destruction de la statue de Lesseps ; fils d’un agent des arsenaux de Port-Fouad, il parle lui aussi parfaitement le français alors qu’il n’est venu en France que très récemment, témoignage d’une époque révolue où dans les villes du canal tout le monde parlait la langue de Molière. Il représente une figure incontournable de l’Alliance française de Port-Saïd qu’il tient à bout de bras malgré le désengagement généralisé des services de notre ambassade, loyal aux côtés des directeurs et directrices qui se succèdent courageusement, seuls français d’une ville en limite du Sinaï en guerre larvée. Il a fait ses études de vétérinaire à l’université de Minia où, raconte-t-il, il était arrivé sans connaître la différence entre une vache et un bœuf, mais il s’était rattrapé par sa connaissance du monde des poissons. Son dévouement en faveur de la langue française est remarquable. Il a récemment reçu de la part de l’ambassade de France à juste titre les insignes de chevalier dans l’ordre des Palmes académiques. Plus contrasté, le témoignage d’un vieil historien local se présentant en costume, gilet, cravate et canne à pommeau ; il a publié en arabe plusieurs ouvrages sur Port-Saïd. Discours plus convenu et péremptoire sur l’apartheid qui aurait régné sur le canal au temps de la Compagnie, les Français ayant emporté selon lui les restes de la statue de Lesseps. Il a en revanche parlé des fêtes et du feu d’artifice du 14 Juillet en termes enthousiastes ; plusieurs interviewés ont confirmé son témoignage sur ce point peu connu. Exceptionnel, le témoignage que le gouverneur de Port-Saïd, le général Adel El-Ghadban a tenu à nous donner à enregistrer. Fils d’un charpentier de marine, il est né et a vécu sa jeunesse à Ismaïlia dont il nous raconte la vie sociale du point de vue égyptien, beaucoup plus nuancé que notre historien officiel. Son ascension sociale est exemplaire. Prévu pour moins d’une heure, notre rendez-vous en a duré plus de quatre ; commencé dans le salon doré antichambre de son bureau officiel, nous nous sommes transportés avec lui et toute sa protection rapprochée armée, vers le socle de la statue de Ferdinand de Lesseps sur la jetée en bord de mer où une table basse, un bouquet de fleurs et deux fauteuils en rotin nous attendaient ; la mendiante rencontrée le matin avait disparu, de même que l’inscription rouge taguée sur le marbre blanc. Yehia El-Sadr a mené l’entretien en arabe, objet de belles photographies de notre part et aussi du service du protocole du governorat ; mais le vent nuisant à la qualité de l’enregistrement, l’atelier a été transporté sur la terrasse de l’hôtel Restat voisin aussi du socle. On a vu là combien les années noires sont achevées et combien la mémoire du canal de Suez a repris sa dimension dans le temps : le passé n’est plus excommunié. Le général Adel-Ghadban souhaite lui aussi comme ses prédécesseurs remettre la statue en place mais aux côtés de celle d’un fellah à la même échelle pour marquer la contribution des Égyptiens. Ce qui est nouveau dans sa position, c’est qu’il nous demande une expertise pour connaître si le socle et ses fondations sur la jetée sont toujours à même de recevoir une charge de onze tonnes environ ; sans cela il serait en mesure

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d’appeler une grue et de faire immédiatement réinstaller la statue entreposée en face, dans les ateliers de Port-Fouad. Il nous demande de prendre une initiative en ce sens sans délais, au plus vite, au milieu d’un long discours que je ne suis pas toujours très bien sur l’urbanisme de Port-Saïd qui n’est pas présentable en l’état pour les cérémonies de commémoration de l’inauguration de 1879, qui auront lieu en 2019 - dans deux ans - dans le jardin central où auraient été installés les tribune officielles ; il veut faire rénover les façades de cette place qui dateraient de cette époque, ainsi que les vieux immeubles qu’il nous reproche de laisser à l’abandon. Je lui réponds prudemment que des équipes d’architectes de Chaillot travaillent depuis plusieurs années sur ce sujet, que nous avons financé une étude d’un cabinet alexandrin pour préparer la rénovation de l’îlot de l’hôtel National, que Bruno Chauffert-Yvart avait été missionné par l’amiral Fadel pour expertiser l’immeuble aux trois coupoles, mais que nous n’y sommes vraiment pour rien si les démolitions se poursuivent à un rythme inquiétant. Il rétorque à cela que nous sommes plus riches que l’Égypte et que nous avons gagné beaucoup d’argent grâce au canal : vieux dilemme… Derrière nous, plane toujours l’ombre d’ENGIE, de SUEZ et du CAC 40.

Témoignage du gouverneur de Port-Saïd, le général Adel El-Ghadban avec Yehia El Sadr

Il est entendu que je reviendrai à la mi-mars avec Bruno Chauffert-Yvart, inspecteur général de l’architecture et du patrimoine, connu à Versailles, qui donnera un avis autorisé à propos de la résistance du socle et de ses fondations, en relation avec les services techniques locaux ; on pourra alors définir plus précisément en sa présence une mission éventuelle

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ultérieure pour lui quant à la rénovation du centre-ville dans la perspective rapprochée de ces festivités de 2019. Je l’appelle sur le champ par téléphone ; il accepte immédiatement sans hésiter en fixant ses dates du 12 au 16 mars, dévouement admirable de notre nouvel administrateur qui a travaillé à Damas à la belle époque et qui revient de Chine où il a été consulté sur la rénovation d’une ville "coloniale", Nankin je crois ; exactement l’homme de la situation. Son rapport d’expertise sur les anciens bâtiments administratifs destinés au futur musée d’Ismaïlia a été apprécié en son temps à sa juste valeur. Notre ami, Ahmed Aguiba, conseiller spécial de la Marine et ancien consul honoraire, nous rejoint sur la jetée. C’est un de nos interlocuteurs historiques à Port-Saïd. Lorsqu’il avait reçu les insignes de chevalier dans l’ordre national du Mérite, nous étions descendus exprès avec Jean-Paul Calon pour le féliciter à l’ambassade de France.

Ahmed Aguiba, Dr Moustapha Moussa et Philippe Joutard

Hors ce dernier, les entretiens sont filmés dans l’immeuble de l’Alliance française, avenue Gomhoria, artère principale de la vieille ville, ordonnancée sur arcades qui font penser à Turin ou à la rue de Rivoli, avec façade en retour sur balcons en bois. Juste en face, un de ces anciens immeubles vient d’être rasé ! Rose Bernier, la nouvelle jeune directrice, fait preuve d’un ardent dynamisme et met à notre disposition tous ses moyens et réseaux. Raymond Collet, notre photographe-cinéaste est ici accueilli singulièrement : ancien directeur de cette Alliance française à la fin du siècle dernier, le premier à nous y accueillir au temps de Jean-Paul Calon et à inaugurer une tradition ininterrompue de fructueuse collaboration et de souci patrimonial qui a abouti avec Valérie Nicolas à la publication par l’IFAO du premier ouvrage sur l’architecture de Port-Saïd. Depuis, Raymond Collet est une vieille connaissance du CEAlex, autour de Jean-Yves Empereur et de Marie-Dominique Nenna pour lesquels il réalise des films sur leurs activités archéologiques sousmarines ou non, et aussi sur

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l’Alexandrie du XIX° siècle ; récemment, ils sont allés ensemble tourner en Inde. Un professionnel. Nous passons juste une journée à Alexandrie pour faire le point de notre collaboration avec le Centre d’études alexandrines avec lequel nous travaillons déjà sur la numérisation de la presse francophone et allophone du canal. Il est entendu avec Marie-Dominique Nenna que nos enquêtes entrent dans leur domaine scientifique et que, outre les interventions de Raymond Collet, ils mettent à notre disposition leur matériel professionnel ainsi que leur circuit de conservation et de préservation des enregistrements dans leurs laboratoires scientifiques de Lyon et de Grenoble. Notre financement sera assuré via les services comptables de l’Ifao, les ordres de paiements étant signés par Marie-Dominique Nena, actuelle directrice du CEAlex, présidente par ailleurs du Conseil scientifique de l’École française d’Athènes. Support prestigieux dont nous avons un besoin pressant pour préserver l’avenir et le niveau de nos collections audiovisuelles en Égypte. Nous logeons deux nuits dans l’un de leurs appartements de la rue des Ptolémées où j’ai mes habitudes. Repas sur la terrasse, fameuse pour son exposition et aussi pour le carrefour intellectuel que cela représente ; nous y rencontrons une équipe de quatre chercheurs turcs d’Izmir, déjà rencontrés il y a huit ans : continuité appréciable. Réunion générale pour faire le point à mi-temps de notre mission ; Marie-Delphine Martellière se joint à nous pour y associer son programme de numérisation de la presse. Elle a un excellent contact avec le petit groupe de nos jeunes chercheurs : Yasmina Boudhar, Hélène Braeuner, Michaël Lebas, Faten Naeem etc. La présence active de Philippe Joutard aidant, c’est à un véritable séminaire de plus d’une semaine que nous participons, resserrant les liens de notre petite équipe issue d’horizons divers et complémentaires, à laquelle Christine Adrien, notre nouvelle déléguée générale s’est parfaitement intégrée. Nous travaillons désormais la main dans la main et au même rythme avec les anciens Ismaïliotes de Yehia El-Sadr réalisant le rêve de Jean-Paul Calon de rapprochement des mémoires égyptiennes et françaises aux bords du canal de Suez, selon l’intuition des grands fondateurs de la Compagnie "universelle" du canal maritime de Suez, et dans le sens imaginé par les saint-simoniens. Le 9 février après midi, nous participons à la Bibliotheca Alexandrina à l’hommage organisé en la mémoire de l’ancien ambassadeur à Paris Aly Maher El-Sayed (1939-2016) qui nous a quittés très peu de temps après le dernier colloque sur les relations entre la France et l’Égypte dont il a été la cheville ouvrière ; je lui avais alors déjà rendu un hommage appuyé. Aujourd’hui je réitère plus formellement à l’invitation du Dr Ismaïl Serageldin, rappelant son action en faveur de la redécouverte de l’histoire du canal par nos deux nations, la première visite rue d’Astorg, de son temps, de l’ingénieur Ezzat Adel à son homologue français Gérard Worms, les cérémonies à Versailles du centenaire de la mort de Ferdinand de Lesseps dont il avait prononcé un hommage qui a été publié, et enfin en 1997 l’inscription des archives et de la documentation du canal de Suez en France comme à Ismaïlia sur le registre de la Mémoire du Monde de l’Unesco. Je clos mon intervention par une lecture de quelques passages des "Nuits rêvées" de France culture où il répond à Albane Penaranda. Sa conception du rôle d’un ambassadeur est d’être un pont ; à une question sur la francophonie il répond que pour lui il ne s’agit pas de cela, ni de francophilie, mais de "franco-folie". Notre administrateur le Dr Ahmed Youssef prononce lui aussi une allocution où il relate ses rencontres avec Aly Maher qui a facilité sa carrière au temps où il exerçait

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comme journaliste à Al-Ahram rue Marbeuf, ou avec Jean Lacouture dont il présente un enregistrement de la dernière rencontre dans son appartement du quai des Grands Augustins, proche de l’Institut de France. Style éloquent, littéraire et épique sur le thème de la main, la main tendue.

Bibliotheca Alexandrina. 2017. Éloge de SE l’Ambassadeur Aly Maher El-Sayed.

Bel et touchant hommage enfin de ses collaboratrices du Centre d’études francophones de la Bibliotheca, avec une intervention de sa directrice, Marwa El-Sahn. De nombreux témoignages sont venus aussi des représentants diplomatiques de plusieurs pays arabes. Il faut signaler spécialement le président de la Chambre de Commerce franco- égyptienne d’Alexandrie, d’origine iranienne, qui a évoqué leurs rencontres amicales à Téhéran, Le Caire et Paris, soulignant leurs liens avec la Shabanou. Le consul général de France était présent devant nous mais n’a pas souhaité intervenir ; cela a donné à mon intervention un relief particulier au nom de cette France et des Français qu’il aimait tant et qui le lui rendent bien. Réunion de travail avec Marie-Dominique Nenna, nouvelle directrice du CEAlex où elle succède à Jean-Yves Empereur ; elle assure parfaitement la continuité, ayant travaillé avec lui sans discontinuer depuis qu’ils se sont connus à l’école française d’Athènes dont il a été secrétaire général et dont elle préside en ce moment le conseil scientifique ; elle est ancienne élève de de l’école normale supérieure de Sèvres. Nous validons notre accord pour que le CEAlex assure en Égypte le suivi scientifique et technique de notre opération de collecte d’enquêtes orales ; Raymond Collet intervient à ce titre avec le matériel et le suivi professionnel du Centre, notamment pour la conservation et la préservation des mémoires électroniques dans leur centre de Grenoble ; son indemnisation (125 euros la demi-journée) sera versée par notre Association à l’Ifao au Caire et les ordres de paiements seront signés par Marie-Dominique Nenna au titre du CEAlex. Cela nous assure du sérieux et du professionnalisme de nos interventions dans le temps. Prises vue et de son, montage avec sous titrage, indexation et selon le cas, transcription. La création d’un film de synthèse à destination de l’exposition de l’IMA est prévue dans un second temps ; cela fera l’objet d’une

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commande spécifique de l’IMA, en français et en arabe, en accord avec nous. Le CEAlex fera une évaluation des sommes nécessaires pour les traduction et transcription ; ils ont pour cela les personnes compétentes sur place. Le CEAlex ne souhaite pas de globalisation - comme un moment envisagée - avec l’IFAO : ce sont deux dossiers distincts. Budget prévisible 2017 : 6.000 euros pour la collecte, le montage et l’’indexation d’une vingtaine d’enregistrements. Plus l’achat d’un ordinateur dédié à ce travail. Total 12.000 euros avec les frais de déplacement. A suivi une autre réunion avec Catherine Sabry, responsable de l’association Bokrasawa de Marseille, au sujet de la mallette pédagogique "le tapis volant" sur le canal de Suez, élaborée conjointement avec une équipe marseillaise ; elle est susceptible de servir pour l’exposition de l’IMA. Un point est fait avec Marie-Delphine Martellière sur le déroulement du programme de numérisation de la presse francophone et allophone du canal, pour lequel il s’avère nécessaire d’amener régulièrement des collections de France lors de nos prochains déplacements, les autorités égyptiennes n’autorisant pas la reproduction de leurs collections publiques. Une recherche spécifique sera faite dans nos archives au sujet des événements de 1956. Participaient à cette réunion outre le président de notre Association, le recteur Philippe Joutard, responsable scientifique de l’opération des enquêtes orales sur les mémoires du canal de Suez, qui a été en charge de la réforme de l’enseignement primaire dans les cabinets d’Alain Bayrou et de Jack Lang au ministère de l’éducation nationale, Christine Adrien, déléguée générale, et MarieDelphine Martellière, en charge de la presse francophone. Enregistrement exceptionnel au domicile de Eid Saleh EID, ancien pilote de plus de quatre-vingt-treize ans, tout au fond de l’immense rue Port-Saïd, non loin du centre jésuite. Bel appartement meublé en style 1900 avec mobilier chamarré, tapis et des souvenirs partout, dont le portrait d’un de ses ancêtres, keffieh blanc et noir sur la tête. Il y a avec lui toute sa famille, très mobilisée par notre intervention pour eux sans précédents. Il ne s’exprime plus en français qu’il parlait pourtant autrefois couramment. Son grand père venu du Sinaï bien que kosovar d’origine, aurait fait fortune en vendant à Lesseps des chameaux et des couffins. Exactement le genre de témoignage que nous recherchons. Les enregistrements reprennent les jours suivants au Caire, avec en particulier, dans les magnifiques locaux du palais Mounira de l’IFAO, celui de Zakareya Ibrahim, responsable de la formation Tamboura, orchestre plus ethnologique que folklorique de musique traditionnelle des bords du canal de Suez, avec notamment la célèbre Simsimya que j’avais découverte il y a quelques années dans une guinguette en roseaux sur une plage de Port-Fouad ; nous avions subventionné son voyage à Paris où il s’était produit rue d’Ulm, à l’école normale supérieure, à l’initiative de Vincent Billerey, alors stagiaire à l’Alliance de Port-Saïd, qui a poursuivi par l’ENA et que nous avons revus récemment. A l'Opéra du Caire, le 10 février, concert du Groupe Eman Shaker & Friends. Variety of Classical, Jazz, Oldies, Easy Listening, Songs and Music Pieces in English, French, Italian, Spanish and Arabic. A la sortie nous avons pu saluer et féliciter Eman Shaker, piano virtuose, et Ihab Shawy, à la voix d'or. La surprise est venue d'un "Tea for Two" au piano à quatre mains, arrangé par J. Louis Merkur, dédié à notre grand ami Yehia El Sadr qui nous avait invité à cette soirée, hommage public bien mérité pour cet Ismailiotte de grande culture qui a été notre Mentor tout au long de cette semaine mémorable.

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Nous sommes reçus par Jérôme Baconin, conseiller économique, chef du service économique de l’ambassade de France, dans son bel appartement de fonction moderne de Zamalek, 21 rue Sri Lanka. Il nous montre un album retrouvé dans sa famille sur les travaux d’un de ses ancêtres ingénieur des travaux publics sur le canal d’eau douce. Il faisait partie de l’entreprise Paponot dont les archives ont été conservées mais d’après Nicolas Michel, cet album documente une période jusqu’à présent inconnue ("Le camp de l’entreprise Félix Paponot dans l’isthme de Suez" par Bertrand Paponot et Véronique Laurent dans Construire au-delà de la Méditerranée. L’apport des archives d’entreprises européennes (1860-1970) sous la direction de Claudine Piaton, Ezio Godoli et David Peyceré. Introduction par Mercedes Volait. Arles, Honoré Clair éd. In 4°, 235 p. ill. ) .Il est en cours de restauration et de photographe à l’IFAO. Philippe Joutard et Christine Adrien repartent en France le 12 février. Je demeure au Caire pour terminer notre mission à l’IFAO et auprès de notre ambassadeur. Nicolas Michel, directeur des études, est spécialiste du canal d’eau douce qui approvisionne celui de Suez ; ses travaux novateurs font autorité en la matière ("La Compagnie du canal de Suez et l’eau du Nil (1858-1896)", dans L’Isthme et l’Égypte au temps de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez « 1858-1956), Le Caire, IFAO, 2017, pp.273-301. Ill). Je le tiens au courant de l’avancement de notre programme. Pour la première fois depuis bien longtemps, je bénéficie d’une chambre d’hôte sur place. Le déjeuner dans la cour de l’Institut de France voisin est une occasion agréable de rencontrer du monde francophone. J’y assiste à une conférence de Henri Laurens sur "Orient et Occident" (Orients. Conversations avec Rita Bassil el Ramy. CNRS. Paris, 2009, 188 p.) qui fait salle comble. Faten Naeem est rentrée de son séjour en France ; nous pouvons nous rencontrer le dernier jour du mien en Égypte. Après avoir été bibliothécaire avec Philippe Chevrant qui a quitté son poste à l’IFAO, elle est maintenant avec Mathieu Gousse au service des publications où elle reçoit les visiteurs du palais Mounira. Bon connaisseur du patrimoine du canal de Suez où elle nous a plusieurs fois accompagnés, elle a travaillé à Paris sur notre fonds Goby. Elle nous a souvent menés à l’Institut d’Égypte. Elle est maintenant désignée par Claude Mollard et Gilles Gauthier comme coordinatrice en Égypte du projet d’exposition de l’IMA. C’est une amie précieuse. SE André Parant, ambassadeur de France en Égypte me reçoit longuement en présence de Mohamed Bouabdalah, conseiller de coopération et de culture. Avis favorable à la mission d’expertise de Bruno Chauffert-Yvart pour le socle de la statue à Port-Saïd, plus réservé pour une extension éventuelle à l’ensemble de la vieille ville et à la place centrale où auraient lieu les festivités de 2019, en attente d’une invitation plus formelle ; il y faudrait une contribution du côté égyptien. Ils n’ont pas d’échos de leur côté à ces commémorations. Il nous suggère de le prévenir à temps de notre prochain voyage en Égypte pour nous inviter à déjeuner. Excellente ambiance comme à l’accoutumé. Raymond Collet nous remet un premier enregistrement de la série : celui de Yehia El-Sadr. A côté de celui de Jean-Paul Calon déjà interviewé aussi il y a quelques années par le recteur Joutard, cela promet de constituer un corpus de tout premier plan bien dans notre vocation d’organe de mémoire. Il va poursuivre les enregistrements en Égypte avec Yehia El-Sadr ; il continuera avec nous en France où il se rend régulièrement.

Arnaud Ramière de Fortanier Président de l’Association du Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez

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RRRRécapitulatif des enregistrements réalisés par Raymond Collet.écapitulatif des enregistrements réalisés par Raymond Collet.écapitulatif des enregistrements réalisés par Raymond Collet.écapitulatif des enregistrements réalisés par Raymond Collet.

Le Caire, Hôtel Horus, 2017. Dimanche 5 février : Matin : Philippe JOUTARD (FR) Yehia EL SADR (FR) Après-midi : Amr SELIM (FR) Fadia LOUTFI (FR) Amani HAMDI (FR) Nihal EL RIFAÏ (FR)

Port-Saïd, Alliance Française Lundi 6 février : Après-midi : Moustapha MOUSSA (FR) Mardi 7 février : Matin : Sayed KARAWYA (arabe) Moustapha MOUSSA (FR) Moustapha MOUSSA (arabe) Après-midi : Samir MOAWAD (arabe) Mohamed BAYOUD (arabe) Hussein EL SHAMY (arabe)

Port-Saïd, Gouverneur Mercredi 8 février : Matin : Adel AL GHADBAN (arabe)

Alexandrie, appartements Mercredi 8 février : Soirée : Eid Saleh EID (arabe) Jeudi 9 février : Matin : Kamal Abdel FATTAH (arabe)

Le Caire, Hôtel Horus Vendredi 10 février : Matin : Renée BLANDIN (FR) Après-midi : Christiane Ammar GANDROT (FR) Samiha Soliman EID (FR) Samedi 11 février : Après-midi : Yehia el SADR (FR) Yehia el SADR (arabe) Philippe JOUTARD (FR)

Le Caire, IFAO Lundi 13 février : Après-midi : Zakareya IBRAHIM (arabe)

IFAO. 13 février 2017. Enquêtes orales. Zahareya Ibrahim et Yehia El-Sadr.

Raymond Collet à la caméra

���� Compte-rendu de voyage Enquêtes orales 5-13 février 2017 par Christine Adrien.

Dans le cadre de l’exposition "Canal de Suez" qui aura lieu à l’IMA à Paris en 2018 puis à Marseille et au Caire en 2019, l’association du Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du

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canal de Suez procède à la réalisation d’un documentaire pour retracer une partie de la mémoire orale du canal de Suez. La période concernée part du percement du canal en Égypte par la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez (CUCMS) jusqu’aux accords de Camp David en 1977. L’ensemble des images prises, des témoignages oraux de vie alimenteront le fonds d’archives de l’association et seront déposés à Grenoble au CNRS dans le cadre de la convention de coopération scientifique signée entre le Centre d’études Alexandrines "CEAlex", antenne alexandrine du CNRS et l’Association. La tradition orale est ici traitée comme source historique. Ce n’est pas l’histoire des grandes dates ni des grands hommes, c’est l’histoire des gens plus modestes, de ceux qui ont vécu l’histoire, des enfants ou petits enfants qui l’ont entendue. C’est l’histoire formée de ressentis, d’émotions et d’affectif. Le canal de Suez est un lieu de mémoire. Il est aussi une forme de patrimoine immatériel. Ce patrimoine immatériel renseigne la grande histoire par le souvenir des gens, leurs archives personnelles, les multitudes de petits faits vrais, transformés ou faux. Ces travaux sur les mémoires vont permettre une approche des événements difficiles. Nous croiserons ainsi plusieurs mémoires. Les mémoires égyptienne, française, grecque, syro-libanaise, italienne. Les premières enquêtes ont lieu en Égypte du 3 au 12 février 2017. Le groupe de travail se compose de : - Philippe Joutard, président du groupe, ancien professeur à l’université de Provence et à

l’école des Hautes études en sciences sociales. Ancien recteur des académies de Besançon et de Toulouse,

- Arnaud Ramière de Fortanier, président de l’Association - Christine Adrien, déléguée générale de l’Association - Yehia El Sadr, président des anciens ismaïliotes - Raymond Collet, attaché au CEAlex. Un vaste ensemble de catégories socio-professionnelles sera interrogé. Les interviews seront en français et en arabe.

Jeudi 2 février Paris Première réunion préparatoire avec Philippe Joutard, Arnaud Ramière de Fortanier, Christine Adrien, Sarga Moussa chercheur CNRS, Faten Naïm de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, IFAO. Nous présentons notre projet, Sarga Moussa présente ses travaux sur la petite histoire, celle qui n’a pas encore eu la parole, celle des fellahs. Sarga Moussa développe « le fellah » d’Edmond About. Ses travaux sont attendus pour les prochaines réunions du comité scientifique de l’exposition "Canal de Suez, 4000 ans d’histoire à l’IMA".

Vendredi 3 février Paris- Le Caire

Samedi 4 février Le Caire La journée commence par une réunion de travail avec Philippe Joutard, Arnaud Ramière, Christine Adrien, Yehia El Sadr, Raymond Collet. Une première série d’interviews est prévue pour le dimanche 5 février. Yehia El Sadr nous permet d’avancer à la vitesse de l’éclair.

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Suit une réunion à l’IFAO avec Randa Sabry, professeur à l’université du Caire, Inès El Serafi, maître de conférence, le Docteur Abbas Abou Ghazi, ancien ministre de la culture, professeur. Randa Sabry cite Gilles Gauthier (IMA) et insiste pour que nos recherches soient équilibrées entre français et égyptiens. Telles étaient nos intentions. Ahmed Abbou Ghazi nous informe qu’une équipe égyptienne travaille déjà sur ce sujet. Leurs travaux s’orientent plus sur l’expression culturelle au temps du canal, ils seront complémentaires des nôtres. Le 150ème anniversaire de l’inauguration du canal devrait susciter de nouvelles recherches ethno-historiques autour du canal. Inès El Serafi nous donne des contacts pour Port Saïd qui s’avèreront fructueux.

Dimanche 5 février Le Caire Notre première journée d’interviews se passe à l’hôtel Horus qui se révèle un endroit idéal dans son style pension de famille aux airs de mort sur le Nil. Nous allons aisément entre salon et salle à manger avec un service discret, efficace. Le recteur Philippe Joutard mène les interviews en français. Yehia El Sadr les mènera en arabe. Nous ne retracerons pas l’intégralité des propos enregistrés mais certains commentaires destinés à donner envie d’aller plus loin et regarder les "rushs" montés par Raymond Collet. Yehia el Sadr est notre premier interview. Yehia el Sadr est président des anciens ismaïliotes. Parfaitement francophone, il a fait ses études primaires et secondaires à Ismaïlia chez les frères de Ploërmel. Il est un ami de longue date de l’Association et son réseau international d’anciens ismaïliotes nous permet d’entrer en contact avec beaucoup d’égyptiens répartis dans le monde. Le père de Yehia El Sadr a terminé sa carrière en 1956 comme sous-directeur du transit et membre du conseil d’administration de l’autorité du canal de Suez. Il illustre l’égyptianisation de la Compagnie. 1944 - Entrée au service de la Cie du CS comme Pilote stagiaire - Engagement confirmé après 6 mois d'entraînement et passages réussis - Résidence à Port Said , puis à Port Fouad (1946-47 ?) 1948 - Transfert à Port Tewfik - graduation professionelle (navires de tonnage plus élevé) 1954 - Sous-Agent Principal à Port Tewfik 1955 - Agent Principal à Port Tewfik 1956 - Transfert à Ismailia :Sous-Directeur du Transit ( avec l'Autorité du CS ) 1965 - Directeur du Transit et Membre du Conseil d'Administration 1972 - Retraite 1972 - 1979 - 1er Directeur du Port d'Abu Dhabi ( Mina Zayed )

En 2014, Yehia El Sadr a vu revenir le souvenir de son père du port d’Abu Dabi lorsqu’une drague portant son nom a creusé, élargi et doublé le nouveau canal. L’Égypte avait alors loué des engins dans tout le Moyen Orient. Yehia El Sadr insiste sur la notion de continuité-rupture 1956 / 1967 qui nous guidera pour le reste de nos interviews.

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1956 implique une continuité malgré la nationalisation du mois de juillet. Les égyptiens voient arriver de nouvelles personnes sur le canal sans changement de rythme de vie. Les français et les anglais sont partis, on les regrette mais la vie reste identique. Les égyptiens sont aux commandes du canal dans la continuité. Les grecs restent à la demande de l’Égypte pour leur maîtrise de la signalisation. L’arrivée de nouvelles nationalités d’Europe de l’Est ne pose pas de problème. L’agression tripartite du mois d’octobre laisse un souvenir cuisant des anglais à Port Saïd qui ont beaucoup bombardé et détruit. Les français à Port Fouad ont été moins agressifs. Les égyptiens ont très vite fait la différence entre la décision politique du gouvernement de Guy Mollet et les français résidents du canal. Ils restent attachés à la France. 1967 voit la guerre des 6 jours et marque une rupture avec un canal fermé à la navigation pour 8 ans, un changement radical de vie, de perceptions et de politique. Les populations sont évacuées des villes. Les pilotes partent travailler dans le Golfe ou en Algérie. Il faudra attendre le 6 octobre 1973 pour l’honneur retrouvé d’un peuple, 1975 pour la réouverture du canal.

Amr SELIM, notre agent de voyage qui nous choie depuis de nombreuses années est notre ami. Il nous apprend que son arrière grand-père, chamelier du Sinaï a fourni la Compagnie en chameaux, pelles et pioches dès ses débuts en 1859. Quelle surprise ! L’histoire de l’Égypte est si naturellement et intimement liée à celle du canal qu’Amr n’avait pas jugé la sienne suffisamment extraordinaire pour nous la raconter. Elle est pourtant digne d’un conte des mille et une nuits et c’est dans l’interview d’ Eid Saleh Eid à Alexandrie que nous la raconterons.

Fadia LOUFTI, Amany HAMDI, Nihal El RIFAÏ, femmes de pilotes gardent comme Yehia et Amr un souvenir ému de leur vie à Port Tewfick, Ismaïlia et Port Saïd. Vie de rêve, sans accroc et très gâtée.

Amany Hamdy nous apporte le cahier de son père pilote qui notait toutes ses traversées dans les plus grands détails. Ce cahier très précieux est un document unique. Il nous transcrit une multitude de petits faits vrais. Les interviews sont en français, français sans faute appris en Égypte dans les écoles chrétiennes. Nous ne trouvons que sympathie, un fort attachement à la France, 1956 semble avoir glissé sur eux. Le canal a créé une identité et ceux qui y ont vécu se sont appelés "canaliotes". En voyant passer les navires sur le canal, les gens du canal prenaient le sens du monde. De Port Saïd à Suez, les canaliotes ont appris la géographie par l’identité des bateaux, rêvé sur leurs destinations. Par les pilotes, Ils ont recueilli des témoignages de vie quotidienne du monde entier. Les pilotes partageaient la vie des équipages, leurs coutumes, leurs fêtes, leurs traditions culinaires et recueillaient des nouvelles qu’ils rapportaient à leurs familles. Le canal unit ceux qui y ont vécu. Il y a une identité gestuelle et vestimentaire. Les canaliotes sont soudés entre eux.

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Comme nous le dit Philippe Joutard, n’oublions pas que la première étape du "tour du monde en quatre-vingts jours" est Suez. Des pharaons jusqu’à aujourd’hui, nous vivons un vieux rêve de l’humanité, le canal est un sujet d’éternité.

Questions posées. - Ce qui vous a amené au Canal. - Votre famille et le Canal. La venue de vos parents ou grands parents sur le canal. Y a-t-

il un esprit du Canal. Vous sentez-vous proche des autres villes du canal, d’Égypte. - 1956. 1967. Comment percevez-vous la France à travers les événements de 56 alors

que vous êtes francophone, francophile. Percevez-vous ces événements comme une trahison. Continuité. Rupture.

- Comment les communautés vivaient elles. Se mélangeaient-elles. Les relations des enfants à l’école. En dehors de l’école. Le cosmopolitisme sur le canal. L’arrivée de nouvelles communautés après 56.

- Dans 2 ans, on commémore les 150 ans de l’inauguration du canal. Qu’en pensez-vous. En entendez-vous parler autour de vous. En positif. En négatif.

- Y a-t-il un esprit du canal, vous sentez-vous proche des autres villes du canal. - Français langue du monde. Anglais langue commerciale. - Avez-vous des documents historiques chez vous. Des photos. Des journaux. - Ségrégation sociale, ségrégation raciale, musique canaliote, cuisine canaliote, le canal

lieu d’ascension sociale, l’égyptianisation de la Compagnie. Les réponses à ces questions sont dans les interviews. Nous ne pouvons tout relater par écrit.

Lundi 6 février Port Saïd Port Saïd Nous logeons à l’hôtel Port Saïd. Notre premier rendez-vous est à l’Alliance française avec Flore Bernier, directrice, le Docteur Moustapha Moussa, chef d’entreprise, trésorier, pilier et mécène de l’Alliance, Mégane Moulin, stagiaire, Philippe Joutard, Arnaud Ramière, Christine Adrien, Yehia El Sadr, Raymond Collet.

Mégane Moulin, Flore Bernier et Christine Adrien

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Docteur Moustafa MOUSSA, trésorier de l’Alliance française est interviewé en français par Philippe Joutard. Les grands-parents du Docteur Moustafa Moussa travaillaient dans le ravitaillement des bateaux arrivant à Port Saïd. Ils étaient très satisfaits de leurs conditions de vie. Sa famille et lui-même étaient fiers du canal, fiers d’appartenir à une société cosmopolite où chacun se surpassait pour montrer le meilleur de lui-même, l’excellence de son pays. Grecs, syro-libanais, maltais se cotoyaient ainsi chaque jour dans les mêmes lieux de vie. Les immeubles bruissaient de ce mélange de sociétés. Les 5 frères et sœurs du Docteur Moustapha Moussa sont allés dans des écoles privées chrétiennes. Il n’y avait pas de différence de traitement entre les élèves, pas de prosélytisme catholique. Les fêtes religieuses et civiles des uns et des autres se partageaient. Ils se souvient que la Compagnie savait encourager ses ouvriers. Le docteur Moustafa garde un souvenir de bonne entente, politesse, hiérarchie respectée, respect des uns envers les autres. Il n’ a pas vécu de tensions entre les nationalités, pas de différence entre les salaires, il suppose que la différence était néanmoins dans les primes. Sa famille qui a beaucoup souffert de 1956 puis de 1967 a vu partir avec peine les français. Les salaires ont alors diminué. En 1956, la maison du Docteur Moustafa Moussa a été brûlée par les anglais. Les anglais ont alors sorti brusquement les habitants de la maison accusés de résistance puis l’ont bombardée. L’intégralité de la mémoire de la famille du Docteur Moustapha Moussa a été détruite et volée par les anglais. Le Docteur a également assisté à la chute de la statue de Ferdinand de Lesseps. 1967, c’était 6 ans de guerre de résistance, des usines fermées, une faillite économique jusqu’en 1973. Le 6 octobre 1973, le Docteur Moustafa Moussa fut l’un des premiers à traverser le canal, c’est l’honneur retrouvé de l’Égypte. L’histoire du canal de Suez, c’est la vie, l’ oxygène de l’Égypte. Toutes les classes sociales travaillent sur ou pour le canal. Le canal, c’est aussi l’apprentissage de l’altérité. Le Docteur Moustafa Moussa tient à témoigner de son attachement à la France : "Je suis à l’Alliance et je travaille bénévolement parce que c’est mon enfance. C’est la France, ses valeurs. C’est aussi en souvenir de frère Bruno qui m’a beaucoup aidé en 56, a soulagé mes peines, m’a consolé de voir ma maison brûlée par les anglais. C’est lui qui m’a remis en selle. C’est une nostalgie des moments heureux que j’essaie de transmettre."

Mardi 7 février Port Saïd Visite du lieu où se trouvait la maison du Docteur Moustafa Moussa bombardée par un char anglais. Le Docteur Moussa possède les photos de ce char et de son pilote. On pourrait même retrouver les auteurs du méfait. Les 5 entretiens sont tous en arabe et il faut attendre une transcription par le CEAlex. Yehia El Sadr mène ces interviews. Sans comprendre , nous vivons très agréablement cette journée bercés par nos perceptions auditives de la langue arabe. Pas une seconde nous nous ennuyons.

Docteur Dia El Din Hassan EL KHADY . Interview en arabe.

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Le Docteur El Khady a participé à la conception du Port Saïd military museum, a vécu dans un quartier européen. Il est président de la commission du patrimoine de Port Saïd. Le Docteur El Khady dénonce une ségrégation avec un jardin réservé aux cadres supérieurs européens de la Compagnie. Nous faisons alors un parallèle avec la France de l’ époque et le monde d’aujourd’hui. Nous retenons que le Docteur El Khady aimait participer aux fêtes du 14 juillet. L’ensemble de la population venait sur les berges du canal pour assister aux réjouissances avec jeux nautiques, joutes et feu d’artifice. En 1956, la politique a séparé les amitiés, le temps peut les faire se retrouver.

Docteur Sayed KARAWYA, entrepreneur en construction. Interview en arabe.

Docteur Moustafa MOUSSA, nouvel interview en arabe par Yehia El Sadr.

A l’alliance française, rencontre d’une équipe d’architectes alexandrins. Ils viennent d’Alexandrie à Port Saïd pour rechercher l’emplacement des 3 tentes de l’inauguration avec le projet d’une commémoration de cette inauguration à Port Saïd en 2019.

Docteur Samir MOAWAD, contact d’Inès el Serafi. Interview en arabe. M. Samir Moawad a écrit plusieurs livres sur l’histoire de Port Saïd et représente une identité forte de la ville. Il a écrit sur les différentes communautés et leur façon de vivre. Il a écrit l’histoire populaire, également sur le cosmopolitisme.

Ingénieur Mohamed BAYOUD est également interrogé par Yehia el Sadr en arabe. Passionné d’histoire, il a créé un site sur l’histoire de Port Saïd. Tout est en arabe et nous n’en n’avons pas la compréhension. Il faut attendre les traductions. www.portsaidhistory.com

Hussein EL SHAMY, beau-père de Flore Bernier, interview en arabe, il faut attendre les traductions.

Mercredi 8 février Port Saïd -Alexandrie

Le gouverneur de Port Saïd le Général Adel AL GHADBAN. L’entretien est censé durer 20 mn, le gouverneur nous gardera 4h 30. Le gouverneur est né sur le canal. Il est fils de charpentier. Nous venons l’interviewer. Les questions que nous lui avons soumises portent sur ses souvenirs d’adolescence. Très vite, la conversation s’oriente autour de la statue de Ferdinand de Lesseps et de la restauration de son socle. Le Général semble avoir reçu l’ordre de restaurer Port Saïd pour fêter dignement en 2019 le 150è anniversaire de l’inauguration du canal. Il semble pressé. Nous parlons de la restauration du socle, le gouverneur souhaite que nous financions les travaux. Arnaud Ramière appelle alors Bruno Chauffert Yvart qui accepte de venir courant mars avec Hugues de Bazelaire pour expertiser ce socle. Yehia El Sadr interviewera le gouverneur en plein soleil au pied du socle. Le projet de remise en place de la statue dont nous parlons depuis si longtemps a des chances d’aboutir. S’il voit le jour, il sera accompagné de la création de la statue d’un fellah, aussi grande que celle de Ferdinand. On ne parle plus d’un ancien projet représentant le président Nasser rendant le canal aux égyptiens.

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Départ pour Alexandrie. Nous logerons 2 nuits au CEAlex.

M. Eid Saleh EID. Malgré notre arrivée très tardive, nous sommes très touchés par l’accueil de M.Eid qui nous attend pour une interview avec toute sa famille : ses enfants et petits enfants. M. Eid a passé son « bachot » en français mais n’a pas parlé français depuis sa jeunesse. L’ entretien est en arabe. L’histoire de sa famille est digne d’un contes des mille et une nuits. La famille de M. Eid Saleh Eid est une famille de chameliers dont l’histoire est intimement liée à celle du canal. Il est l’oncle d’Amr Selim dont nous avons parlé plus tôt. La famille Eid vient des Balkans et s’est installée dans le Sinaï avec l’arrivée de Mehmet Ali. L’arrière grand-père de M. Eid Saleh Eid a fourni plus de 2000 chameaux sans compter pelles, pioches et couffins à Ferdinand de Lesseps. Fidèle à sa vocation d’origine, une branche de la famille EID a crée en 1950 Arab contractors, aujourd’hui principale société de BTP du Moyen Orient. M. Eid Saleh Eid, ingénieur, en était le directeur général pour la ville d’Alexandrie. C’est Arab contractors qui a creusé en 2015 le nouveau canal. Les affaires prospères de l’arrière grand-père de M. Eid Saleh Eid à l’époque de Ferdinand de Lesseps l’ ont conduit à remplir plusieurs jarres de pièces d’or dont une cachée dans le jardin de sa grande maison. A la recherche de la jarre perdue… a conduit bon nombre d’enfants et petits enfants à chercher ce trésor en vain… Cette jarre existait-elle ? Contraints de déménager, la maison fut vendue et détruite. Quelle ne fut pas la surprise d’une heureuse pelleteuse d’Arab contractors de trouver une jarre remplie de pièces d’or ! M. Eid Saleh Eid garde un très bon souvenir des français du canal et particulièrement de Monsieur Douin.

Jeudi 9 février Alexandrie

Kamal Abdel FATTAH, ancien pilote, Interview en arabe. CEAlex, Centre d’études alexandrines. Réunion avec Marie Dominique Nenna sa directrice, Marie-Delphine Martellière, Philippe Joutard, Arnaud Ramière, Christine Adrien, Raymond Collet. 1/ la dimension pédagogique de l’exposition IMA et la présentation de la mallette de Bokra Sawa, "demain ensemble", association pour la sensibilisation des enjeux et sujets méditerranéens pour la jeunesse méditerranéenne dans un cadre d’éducation extra scolaire. Cette mallette pédagogique "le tapis volant à la découverte de la mer Rouge" est un jeu de société créé par Catherine Sabry de l’association "Bokra Sawa". Ce jeu a 4 ateliers ou thèmes différents : - Les aventuriers du canal de Suez - Un rêve devient réalité - Biodiversité des deux mers - Pollution. Nous jouons tous et proposons un 5e atelier : le canal de Suez, grand lieu d’innovation du 19è siècle. Pourquoi pas proposer la création de ce 5e atelier à Julien Solé, polytechnicien, fils de Robert Solé.

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Il faudra alors : - Définir la problématique de l’atelier scientifique en faisant une synthèse de l’innovation

technologique. - Montrer le lien entre la technique, la société et l’économie. - Contacter Eric Favey, inspecteur général de l’école primaire, sensible aux questions

extra scolaire, - Contacter M. Attali, IPR Histoire géographie, - Prendre un rendez-vous avec l’IMA pour Catherine Sabry - Breveter le jeu. - Penser à une participation aux prochains rendez-vous de Blois avec Francis Chevrier. Pour l’exposition de Paris, nous gardons les 4 ateliers et n’introduirons le 5e qu’à Marseille spécialisée dans l’innovation. Nous gagnons ainsi un an. 2/ La presse francophone dans l’exposition avec Marie-Delphine Martellière Le CEAlex a étudié et numérisé pour l’Association "le Bosphore égyptien" de Port Saïd de 1883 jusqu’en 1893. Il manque à Marie-Delphine Martellière le premier numéro de ce journal. Pour l’exposition, nous pourrions proposer à l’IMA l’accès à 1 quotidien et 1 bulletin francophones relatant le canal en 1956. Cette presse peut être proposée sur des écrans tactiles. Le CEAlex peut également proposer à l’IMA une mini section sur la communication de la Compagnie. Il faut pour cela chercher le premier texte de la Compagnie s’adressant aux souscripteurs + une sélection de 1956. Il faut chercher le côté rêve d’orient dans la communication du canal sans oublier son rêve économique et trouver à Roubaix les dossiers de presse de la Compagnie autour de 1956. 3/ Le contrat de numérisation entre l’Association et le CEAlex. L’association renouvelle pour 2017 son contrat de numérisation de la presse francophone du canal pour la somme de 2000 €.

Jeudi 9 février après-midi Bibliotheca Alexandrina

L’après-midi est consacré à l’hommage en mémoire de S.E M Aly Maher EL SAYED. Bel hommage à cet ambassadeur fou de France, les discours émouvants sont pour la plupart en français. Arnaud Ramière est le seul intervenant français. Il développera son intervention dans son compte-rendu.

Vendredi 10 février Alexandrie- Le Caire Interviews au Caire, Hôtel Horus

Madame BLANDIN, française et professeur de français a épousé un officier de marine égyptien, capitaine au long cours, engagé au canal en 1954. La mère de son mari, ancienne élève du couvent des oiseaux était turque. Le français était la langue de la famille, l’anglais la langue commerciale. M. et Mme Blandin habitaient Port Tewfick. Madame Blandin rappelle une époque bénie malgré les accrocs politiques. La vie au canal était la vie d’un état dans l’état.

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Les berges du canal se rappellent encore les pique nique de Mme Blandin dans les stations du canal, souvent celle de Genefa au nord de Port Tewfick. Les familles de tous horizons s’y rendaient, les notables se joignaient aux familles. Gouverneurs, chefs de police et autres. Vie facile, de rêve. La vie après le travail se passait aussi dans des clubs et centres de loisirs. Certains étaient réservés aux ouvriers, d’autres aux employés, d’autres à la direction. Chacun, trouvait cette situation normale. On ne pensait ni ne ressentait de notion de ségrégation. La situation était comparable en France. Les écoles ont aussi laissé de merveilleux souvenirs : La mère de Dieu, Saint Marc, le Sacré Cœur. Rappel de 1956 et cette triple agression incomprise. Mme Blandin rappelle la menace de Nehru de se retirer du Commonwealth. Les français deviennent mal vus alors qu’ils étaient adorés. Tout était français, on ne parlait quasiment pas anglais. Le ressentiment vis-à-vis des français n’a néanmoins pas duré car les égyptiens ont très vite distingué la France, les français et leurs hommes politiques. L’élite égyptienne très ouverte est alors francophile. Les égyptiens rejetaient les anglais ségrégationnistes. Zamalek était interdit aux égyptiens. Après la nationalisation, 19 nationalités sont arrivées au canal : yougoslaves, russes, américains, italiens. On parle anglais.

Raymond Collet et Renée Blandin

Mme Christiane Ammar GANDROT garde un souvenir émerveillé de sa vie sur le canal et confirme les dires de Mme Blandin. On apprend ensuite que son mari égyptien a participé à la réunion de préparation de la nationalisation. Mme Amar Gandrot attendait son mari ce soir là pour aller dîner. Son mari est rentré très tard et lui a annoncé la nouvelle de la nationalisation pour le lendemain. Mme Amar Gandrot était un peu intimidée, elle n’a pas assez parlé. Nous devrons la réinterviewer. Mme Amar Gandrot nous demande de contacter M. Jacques Witwoet, fils d’un pilote hollandais habitant Paris. Il a épousé une française, Nicole Roux. M. Witvoet contacté accepte de témoigner.

Samiha Soliman EID, tante d’Amr Selim. Professeur d’anglais par les hasards de la vie, parlant un français d’académicien, Samia Soliman EID est ancienne élève des sœurs d’Ismaïlia. Elle appartient à la famille EID, toujours cette grande famille de chameliers venant du Sinaï, fournisseurs de Ferdinand de Lesseps.

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Son père, médecin gynécologue à Ismaïlia est un député élu en 1937 face aux frères musulmans. Il ne travaille pas pour la Compagnie mais bénéficie des avantages des salariés de la Compagnie en Égypte et notamment l’accès à l’éducation française. Samiha Soliman AIT rappelle la vie rêvée d’Ismaïlia. Samiha se souvient du passage de la Comédie Française tous les ans sur le canal. Nous ferons des recherches à Paris. Samiha représente l’excellence de l’éducation et de la culture française sur le canal. Elle s’exprime sans faute, sans accent avec des nuances de vocabulaire parfaitement maîtrisées. Sa culture transparaît immédiatement, elle en a fait un deuxième métier, bien mis à mal depuis quelques années par l’abandon de l’Égypte par les touristes français. Samiha a ressenti quelquefois sa différence du fait d’être égyptienne et ne semble pas en tenir pas rigueur à ses anciennes camarades.

Nouvel interview de Yehia EL SADR qui peut servir de conclusion à ce premier compte-rendu d’enquêtes orales. Cette semaine a apporté des réponses à bon nombre de questions. La plupart des personnes interviewées en français ont réalisé avoir vécu dans une société cosmopolite un moment charnière de l’histoire situé sur une charnière de la géographie sur fond de rapport privilégié entre français et égyptiens. C’est aujourd’hui une nostalgie partagée. 1956 n’a pas créé de rancœur. Les français bombardent, les parachutistes sautent mais l’Égypte n’a pas le temps de conserver d’ animosité vis-à-vis de la France car tout s’est passé très vite. La rethorique officielle n’a pas vraiment touché les égyptiens. Les hostilités se sont calmées très vite à la différence de l’animosité ressentie envers les anglais et leur statut d’occupant. Nous rencontrons à l’hôtel Horus une équipe qui tourne un documentaire sur les routes commerciales entre le 7è et le 15è siècle en Afrique sub saharienne.

C’est ici que le séjour de Christine Adrien et Philippe Joutard s’achève.

Arnaud Ramière rencontrera le lendemain à l’IFAO ZAHAREYA Ibrahim de l’ensemble "TAMBOURA"

Nos prochaines interviews : Au Caire : le groupe de musique Tamboura, des religieuses enseignantes, Labib Ghobrial, fils d’ouvrier canaliote, l'ingénieur Ezzat Adel, un des premiers présidents de la nouvelle Suez Canal Authority faisant partie du trio préparant avec le président Nasser la nationalisation, un cuisinier. A Paris : M. Witvoet, chirurgien, fils de pilote, l’Ambassadeur Nicoullaud, enfant du canal, Pierre Somma, ingénieur, fils du chef des gares 133 et 146, M. Paul Harent, président de l’association Timsah, M. Bougeret, d’une famille du canal depuis son percement, Geneviève Favreau, Xavier Rognon fille et fils d’ingénieur. En Europe ou en France : Claude Farid, Wagdi Habashi, le frère Paul de Ploërmel, les communautsé grecque, syro libanaise et italienne.

A Paris le 14 mars 2017, Christine ADRIEN

Déléguée générale

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Commémorations

Cérémonies de commémoration du 8 mai 1945 (10 et 12 mai 2017) ���� Discours de Patrick Billioud de Nuzillet au Landy, Saint-Denis (10 mai 2017)

De l’appel du 18 juin 1940 à la victoire du 8 mai 1945De l’appel du 18 juin 1940 à la victoire du 8 mai 1945De l’appel du 18 juin 1940 à la victoire du 8 mai 1945De l’appel du 18 juin 1940 à la victoire du 8 mai 1945

La longue marche vers la Reconquête, la Renaissance, la Restauration de l’honneur et la Résurrection de la FranceLa longue marche vers la Reconquête, la Renaissance, la Restauration de l’honneur et la Résurrection de la FranceLa longue marche vers la Reconquête, la Renaissance, la Restauration de l’honneur et la Résurrection de la FranceLa longue marche vers la Reconquête, la Renaissance, la Restauration de l’honneur et la Résurrection de la France

1940194019401940

3 juillet 1940 Drame de Mers El-Kébir où une escadre française fut bombardée à l’ancre par la Royal Navy.

14 juillet 1940 Défilé à Ismaïlia, en Égypte, d’un détachement de l’escadre française d’Alexandrie, avec à sa tête, Honoré d’Estienne d’Orves. Celui-ci sera ex-filtré, avec plusieurs compagnons, quelques jours plus tard, avec l’aide de Suez, et rejoindra Londres, via la Palestine et la Syrie.

Septembre 1940 Essai de ralliement à la France Libre de Dakar, capitale de l’Afrique Occidentale Française.

11 novembre 1940 Des étudiants manifestent à Paris, place de l’Etoile, devant la tombe du soldat inconnu.

1941194119411941

2 mars 1941 Prise par Leclerc de l’oasis de Koufra, en Libye, occupé par une garnison italienne. Face à ses hommes qui avaient réussi pour la première fois depuis l’armistice de juin 1940 à ramener la victoire sous les plis du drapeau, Leclerc s’adresse à eux : "Jurez de ne déposer les armes que le jour où nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la Cathédrale de Strasbourg". C’est le serment de Koufra.

Juillet 1941 Affrontement franço-français en Syrie.

29 août 1941 Le capitaine de frégate Honoré d’Estienne d’Orves est fusillé au Mont-Valérien.

1942194219421942

27 mai-11 juin 1942 Durant 16 jours, 3.700 hommes de la 1ère brigade française libre de Koenig résistent à Bir Hakeim, en Libye, aux assauts des forces allemandes et italiennes, permettant la réorganisation des forces britanniques à El-Alamein et bloquant l’Africakorps dont le but était de prendre Alexandrie et le Canal de Suez. Le 11 juin, la 1ère brigade française libre rompt l’encerclement lors d’une attaque nocturne, qui prend de court les troupes de Rommel.

Août 1942 Echec du débarquement de troupes canadiennes à Dieppe. Cet exemple douloureux servira pour le débarquement en Normandie de juin 1944.

Eté 1942 Les forces françaises libres et la Résistance intérieure française sont unifiées autour du Général de Gaulle pour ne former qu’une seule France combattante aux côtés des Alliés.

23 octobre 1942 Victoire des troupes britanniques de Montgomery contre les forces germano-italiennes de Rommel à El-Alamein, en Égypte, grâce à l’appui des troupes françaises et aux conséquences de la défense de Bir Hakeim de juin 1942. Les troupes de Rommel se replient en Tunisie.

8 novembre 1942 Débarquement des Alliés en Afrique du Nord (Maroc et Algérie) sous le commandement d’Eisenhower (Opération Torch).

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11 novembre 1942 Franchissement de la ligne de démarcation et envahissement de la zone libre de la France par les troupes allemandes.

27 novembre 1942 Sabordage dramatique de la flotte française à Toulon.

1943194319431943

14 au 21 janvier 1943 Roosevelt et Churchill se retrouvent dans un palace à Casablanca "l’Anfa Hôtel". Les généraux de Gaulle et Giraud sont présents. Les Alliés y définissent leur stratégie pour la fin de la guerre.

Trois missions opérationnelles sont lancées :

- sécuriser les lignes transatlantiques afin que les convois à destination de la Grande-Bretagne traversent l’océan sans encombre,

- obtenir la suprématie aérienne au-dessus de l’Europe Occidentale et Centrale afin que le Royaume-Uni serve de rampe de lancement à l’invasion du continent et de plate-forme pour la destruction systématique par voie aérienne du IIIème Reich,

- prendre pied sur les rivages tenus par l’ennemi afin de porter le fer au cœur de l’Europe.

Juillet 1943 Libération de la Sicile (Opération Husky).

8 juillet 1943 Décès de Jean Moulin, arrêté sur dénonciation, dans le train qui l’emmène en Allemagne.

27 août 1943 Décès de l’aviateur René Mouchotte, du groupe de chasse Alsace, abattu en combat aérien au-dessus de la France.

Octobre 1943 Libération de la Corse.

Novembre 1943 Débarquement des Alliés en Italie.

1944194419441944

22 mars 1944 Suicide du résistant Pierre Brossolette, alors qu’il est interrogé et torturé par la Gestapo, pour éviter d’avoir à parler.

Dans la cour d’honneur du lycée Janson-de-Sailly, à Paris, dont il fut l’élève, une plaque à sa mémoire porte la devise : "Sa bouche s’est tue, son exemple nous parle, son sacrifice nous commande".

Son fils, Claude Pierre-Brossolette, ancien Secrétaire Général de la Présidence de la République sous Valéry Giscard d’Estaing, a été Administrateur et Président du Comité d’Audit de Suez après la fusion avec la Lyonnaise des Eaux.

Sa petite-fille, Sylvie Pierre-Brossolette, journaliste réputée et directrice littéraire, est aujourd’hui membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel "C.S.A.".

Printemps 1944 Défense héroïque du maquis des Glières en Haute-Savoie.

Mai 1944 Victoire du corps expéditionnaire français de Juin à Garigliano qui ouvre la route de Rome aux Alliés.

5 juin 1944 "Il fait chaud à Suez … les dés sont sur le tapis". C’est le message qui annonce à la Résistance française le débarquement en Normandie (Opération Overlord).

6 juin 1944 Les vagues de la liberté débarquent en Normandie pour libérer la France et l’Europe de l’Ouest.

Juin 1944 Entrée de l’armée d’Afrique de Juin dans Rome après la percée du Mont Cassino. Cette armée composée de français venus de tous les coins de France, d’Outre-Mer et de l’Empire défilent dans la ville éternelle avec les troupes africaines (spahis et tabors marocains, spahis et zouaves algériens, tirailleurs tunisiens et sénégalais).

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Juillet 1944 Défense héroïque du maquis du Vercors, forteresse naturelle aux pieds des Alpes, pour empêcher les troupes allemandes de rejoindre le front de Normandie.

20 juillet 1944 Tentative d’attentat contre Hitler par des officiers allemands (Opération Walkyrie).

31 juillet 1944 Disparition d’Antoine de Saint-Exupéry, l’auteur du Petit Prince, dans le ciel de Provence.

1er août 1944 Débarquement de la 2ème division blindée de Leclerc en Normandie, sur la plage d’Utah Beach.

15 août 1944 "Nancy a le torticolis" est le message qui annonce à la Résistance française le débarquement en Provence (Opération Anvil-Dragoon). L’opération, complémentaire de celle de Normandie, avait pour objectif de retenir les forces allemandes dans le Sud, de les prendre en tenaille, de conquérir deux ports, Marseille et Toulon, de les transformer en bases logistiques et de remonter la vallée du Rhône. En font partie, les troupes de de Lattre qui deviendront la 1ère armée française et qui a un chant propre, le célèbre "C’est nous les Africains".

Fin août 1944 Libération de Toulon et de Marseille, porte de la France vers son Empire colonial. Quand le drapeau français est hissé au sommet de Notre-Dame de la Garde, une clameur monte de la ville toute entière. Marseille sait que la Bonne- Mère est délivrée. Le 24 août au soir, alors que Paris s’est soulevé, l’armée de de Lattre atteint les rives du Rhône et de la Durance.

24 août 1944 Libération de Paris par la 2ème division blindée de Leclerc.

3 septembre 1944 Libération de Lyon par la 1ère division française libre de Diego Brosset, fer de lance de l’armée de de Lattre. Le drapeau français est hissé au sommet de la Basilique Notre-Dame de Fourvière.

23 novembre 1944 Libération de Strasbourg. Le drapeau français est hissé au sommet de la Cathédrale de Strasbourg. Le serment de Koufra est tenu.

1945194519451945

Avril 1945 Franchissement du Rhin par l’armée de de Lattre qui lance ses troupes vers le Danube.

4 mai 1945 Leclerc entre à Berchtesgaden, le nid d’aigle d’Hitler.

7 mai 1945 à Reims ( sans la France ) et…

8 mai 1945 …à Berlin ( avec la France, représentée par de Lattre ) capitulation allemande.

24 octobre 1945 La France intègre, comme membre permanent, le Conseil de Sécurité de l’ONU, qualité réservée aux 5 vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.

Patrick Billioud de Nuzillet Ancien Directeur et Secrétaire du Conseil de Suez

Trésorier de l’Association Lesseps-Suez

���� Discours d'Arnaud Ramière de Fortanier à La Défense (12 mai 2017)

Cérémonie de commémoration de la Victoire de 1945Cérémonie de commémoration de la Victoire de 1945Cérémonie de commémoration de la Victoire de 1945Cérémonie de commémoration de la Victoire de 1945

Madame le Directeur général, Mesdames et Messieurs les représentants des associations d’anciens combattants et victimes de guerre du groupe ENGIE Mesdames et Messieurs les représentants syndicaux Cher Jean Villeret, cher Jean Balazuc,

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Chers amis du Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez, Je suis invité à prendre la parole au nom des anciens combattants de Suez, anciens de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez jusqu’en 1956, de la Compagnie financière de Suez par la suite, de Suez, Suez Environnement, GDF-SUEZ, composante importante d’ENGIE enfin maintenant. Tout à l’heure un hommage spécial sera rendu au Landy devant les plaques revêtues de tous les noms de nos anciens morts pour la France ceux de Suez à côté de ceux de Gaz de France. Les événements que nous commémorons peuvent paraître lointains ; nous sommes ici pour marquer bien fort leur souvenir demeuré vivant dans leur entreprise comme il l’est dans leurs familles. Orphelin victime de guerre, pupille de la Nation, je représente cette génération d’enfants qui ont été privés de leurs parents, marqués à vie, qui ont été éduqués d’une certaine manière, qui ne peuvent pas oublier eux non plus. Nous commémorons aujourd’hui le sacrifice de nos prédécesseurs qui avaient vingt ans, qui ont donné leur vie pour un idéal, broyés par une machine aveugle. Nous devons nous en souvenir, nous avons à le transmettre aussi pour construire un monde meilleur. Le général de Gaulle nous a laissé ses Mémoire de Guerre, Mémoire d‘Espoir. 8 mai 1945. Signature de la reddition allemande et fin officielle de la Seconde Guerre mondiale qui a vu s’entredéchirer des nations dites civilisées ; la barbarie nazie est anéantie, mais les conflits se poursuivent hélas en Afrique et en Orient, l’horreur continue à Hiroshima et à Nagasaki, l’Indochine ne tarde pas à s’embraser. Aujourd’hui encore, a-t-on bien tiré les leçons de ces deux dernières guerres ? 1939 n’a pas éclaté dans un ciel serein : les accords de Munich n’ont fait que reculer une issue fatale : au sud, à nos frontières pyrénéennes, une guerre prémonitoire vient de s’achever dans le sang, les larmes et les émigrés : Pablo Picasso immortalise le bombardement de Guernica par la Légion Condor. Ce sont Les Grands cimetières sous la lune de Georges Bernanos, Pour qui sonne le glas d’Ernest Hemingway, mais aussi L’Espoir d’André Malraux. Les artistes sont engagés, on les retrouve sur le sol français envahi, meurtri. Répondant à l’appel du général de Gaulle, refusant un État français imposé par l’occupant et une armistice indigne, des Français libres continuent la lutte à Londres. René Cassin est un de leurs symboles. Blessé de la guerre de 1914, juriste, professeur de droit à la faculté de Paris, après un voyage au Moyen-Orient en 1930, il comprend le danger nazi, il dénonce le danger que représente le IIIème Reich pour l’Europe et pour le monde. Dès les 17 juin 1939 il décide de passer à Londres ; le 24 juin, il embarque à Saint-Jean-de-Luz sur le transport de troupes l’Ettrick. Le 29 il se présente au général de Gaulle qui le charge de rédiger l’accord avec les autorités britanniques pour maintenir le caractère purement français de l’armée de la France libre. Il sera le responsable juridique de la France Libre. Il entame en 1941 une tournée de trois mois au Proche-Orient et en Afrique équatoriale française. Il préside à partir de 1942 l’Alliance israélite universelle et siège à l’assemblée consultative d’Alger dès novembre 1943. Rédacteur en 1946 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à Paris par l’Assemblée générale des Nations unie, il se voit décerner le Prix Nobel de la Paix en octobre 1968. Le titre de son ouvrage résume ce destin : Des hommes partis de rien. Le Réveil de la France abattue Oui, la France était bien à Londres en 1940-1945. Elle était aussi en France, mais dans la clandestinité, au maquis, en prison, dans les camps de concentration, sous la torture ou au peloton d’exécution. Jean Moulin en est le symbole. Il a été le "Carnot de la Résistance" qui a remonté l’armée française, pour reprendre l’expression d’André Malraux au Panthéon. C’est grâce à lui et à ses compagnons, c’est grâce à leurs sacrifices c’est avec eux, que sont préparées les grandes réformes civiles et économiques de la France libérée : les grands groupes d’EDF et de GDF y ont leurs racines, le vote des femmes aussi. Souvenons-nous en. La France se trouve aussi alors dans son Empire : les Nouvelles-Hébrides -l’actuel Vanuatu- se rallient le 20 juillet 1940, le Tchad, le 26 août ; le Cameroun le 27 août ; l’Afrique équatoriale français -l’AEF- le 29 août à l’exception du Gabon rallié au mois de novembre ; Tahiti et l’ensemble des établissements français d’Océanie le 2 septembre. Suivent les Établissements français de l’Inde le 9 septembre puis, le 23 septembre, la Nouvelle-Calédonie. Cet immense domaine maritime réparti tout autour de la planète représente un territoire immense ; Suez en est le centre vital ; il est administré par un Conseil de défense de l’Empire qui compte parmi ses membres René Cassin. Les échecs ne manquent pas : ainsi en septembre 1940 devant Dakar ; plus tard, la reprise de Damas aux forces de l’État français sera dramatique. On ne parle presque pas, ou souvent pas du tout, du comportement de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez au sein de ce conflit, alors que le ravitaillement de nos armées par la Mer Rouge est stratégique, que les armées

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de Rommel menacent sur la frontière libyenne et que les aérodromes syriens sont ouverts aux bombardiers allemands. Il fut exemplaire. Dès le 20 juin 1940 des télégrammes identiques sont diffusés en direction du président Lebrun à Bordeaux, au général Weygand, au généraux Mittelhausser à Beyrouth, Legentilhomme à Djibouti, Noguès au Maroc : même si la France doit être envahie, la lutte de l’Empire français doit continuer aux côtés de nos alliés britanniques. Le 24 juillet 1940 est fondé le Comité national français d’Égypte présidé par le baron de Benoist, agent supérieur de la Compagnie de Suez, aux côtés, déjà, du colonel de Larminat. C’est à Ismaïlia enfin qu’est créé toujours au mois de juillet 1940, le 1er bataillon d’infanterie de marine constitué de militaires venus du Liban ou de Chypre, ainsi que d’une compagnie commandée par le lieutenant de vaisseaux Honoré d’Estienne d’Orves, avec des "déserteurs" de la Force X de l’amiral Godfroy désarmée dans la baie d’Alexandrie et demeurée fidèle à Vichy. Le 25 août 1940, cette unité reçoit des mains du baron de Benoist le premier drapeau de la France libre. Les ateliers généraux de Port-Fouad deviennent, au témoignage du contre-amiral Lucas ancien chef du transit à la Compagnie universelle, un véritable arsenal militaire au profit de l’amirauté britannique : "De juillet 1940 à octobre 1943 l’activité en temps de paix fut triplée. Quatre-vingt-dix pour cent du travail étaient consacrés à des buts de guerre". Cet effort de guerre mène au sacrifice suprême : Honoré d’Estienne d’Orves, premier résistant, premier fusillé non loin d’ici, au Mont-Valérien le 29 août 1941. Le commandant Mantelet, capitaine-pilote, meurt à son poste lorsque son navire le Président Doumer coule pavillon haut dans l’Atlantique. Le capitaine René Gufflet, ingénieur polytechnicien, artilleur de la Première brigade française libre, est tué à Birakheim le 11 août 1942. D’autres sont victimes des bombardements aveugles italiens et allemands sur les villes du canal. Mais ils demeurent fidèles à leur poste. Plus dramatique est le sort du colonel Génin qui est tué dans un affrontement fratricide devant Damas ; il avait mené depuis le Congo une colonne qui avait traversé l’Afrique d’ouest en est, libéré Kartoum et l’Érythrée, avant de reconstituer ses forces à Ismaïlia, le long du canal de Suez. Condisciple du capitaine de Hautecloque à l’École de Guerre, il avait traversé le Sahara à dos de chameau pour rejoindre le futur général de Larminat à Brazzaville alors que le futur maréchal Leclerc s’aventurait vers Koufra et Birakheim. Tel est l’héritage que nous ont légué nos anciens ; il est impressionnant ; grâce à eux, nous sommes ce que nous sommes. Ferdinand de Lesseps avait inventé la notion de société de service public aux petits porteurs, inspiré par l’idéal saint-simonien d’amitié universelle favorisée par les innovations technologiques et les nouvelles voies de communication, canaux et chemins de fer ; sa compagnie universelle répondait à une certaine analyse de la mondialisation ; la problématique demeure ; puisse l’innovation, le dévouement, l’intelligence, la science et l’esprit de sacrifice inspirer nos initiatives dans un esprit de paix et de fraternité universelle. L’esprit de Suez, c’est cela. Écoutons pour finir André Malraux au Panthéon devant les cendres de Jean Moulin : "Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique et les combats d’Alsace, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle - nos frères dans l’ordre de la nuit… Commémorant l’anniversaire de la Libération de Paris, je disais : "écoute ce soir, jeunesse de mon pays, ces cloches d’anniversaire qui sonneront comme celles d’il y a quatorze ans : elles vont sonner pour toi".

Arnaud Ramière de Fortanier, président de l’Association du Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez.

Conservateur général du Patrimoine (h)

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Cérémonie de commémoration du 8 mai 1945 à T1

Conférence Conférence de M. Mounir Abd El Nour (14 mars 2017)

���� Le 14 mars denier, devant les membres de France-Égypte, M. Mounir Abd El Nour a donné une conférence dont vous trouverez le texte ci-dessous.

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Mounir Abdel Nour, ancien ministre égyptien du Commerce et de l’Industrie.

Cher ami et Ambassadeur Patrick Leclercq Messieurs les Ambassadeurs, Chers amis, Mesdames et Messieurs, Permettez moi tout d'abord de remercier Patrick Leclercq qui en m'invitant me donne le plaisir d'être avec vous, celui de revoir des amis que je n'ai pas vu depuis longue date et le plaisir de parler de l'Égypte, un pays que nous aimons tous ici présent, chacun à sa façon, et autour duquel nous nous réunissons. En m'invitant, croyant me faciliter la tâche, Patrick m'a donné la liberté de choisir mon sujet... En fait, il m'a compliqué la vie car j'ai longtemps hésité, et jusqu'à mon arrivée à Paris, la semaine dernière, je n'avais pas décidé de quoi j'allais vous parler. C'est en contactant mes amis , Français ou Égyptiens vivant en France, que j'ai choisi le sujet, car tous sans exception ont exprimé leur inquiétude sur la situation économique de l'Égypte, et tous m'ont demandé quand est ce que ça va l'améliorer ? J'ai même été accosté dans la rue par un Égyptien qui est venu me poser cette même question qui semble revenir en refrain: quand est ce que la situation va s'améliorer? J'ai donc décidé d'essayer d'y répondre, et de décrire la situation telle que je l'ai vue de près et même vécue au lendemain de la révolution du 30 juin entre 2013 et 2015 puisque j'ai été partiellement responsable de la gestion économique en tant que Ministre du Commerce et de l'Industrie et pour quelques mois Ministre de l'Investissement en plus. Je parlerai aussi des efforts fournis pour redresser la situation et surtout des espoirs d'avenir. Pour commencer, je ferai rapidement un retour en arrière pour mettre les choses dans leur contexte. - Entre 2004 et 2008, l'économie Egyptienne alors gérée par un groupe de jeunes réformateurs était sur la voie d'une croissance soutenue, supérieure à 5%, en ligne avec les autres pays émergents. Elle avait même atteint 7% en 2007. - Malheureusement, la crise économique mondiale de 2008 est venue arrêter tout cela et a remis en cause les perspectives de croissance de l'économie Egyptienne, comme d'ailleurs celles d'un grand nombre d'autres pays. - Plus encore, elle a mis en évidence le manque d'inclusivité de cette croissance, et l'énorme écart qui s'était creusé entre les riches et les classes défavorisées. Les uns habitant les compounds ou les "gated communities" au milieu de pelouses verdoyantes ou de terrains de golf, alors que les autres occupaient les bidons villes qui se multipliaient autour du Caire et d'Alexandrie. En effet, la priorité de la politique economique était de maximiser le taux de croissance sans se soucier réellement d'une distribution équitable du produit de cette croissance. Je soulignerai à titre d'exemple que la somme allouée aux subventions des carburants, qui par définition profitent essentiellement aux riches, était supérieure à la somme des dépenses publiques allouées à la santé et à l'éducation. - De plus, L'économie était incapable de créer suffisamment d'emplois pour une main d'œuvre croissante, le taux de chômage, surtout auprès des jeunes diplômés, augmentait fortement. - La mauvaise distribution des revenus ainsi que le chômage des jeunes furent sans aucun doute parmi les facteurs déterminants de la révolution du 25 Janvier 2011. Je vous rappellerais que les jeunes qui manifestaient place Tahrir scandaient des slogans qui réclamaient la liberté mais surtout du pain et la justice sociale.

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Les turbulences politiques qui ont suivi ont aggravé nos problèmes économiques. Les Gouvernements successifs entre Février 2011 et Août 2012, dans l'espoir de calmer la rue, ont augmenté les dépenses publiques ce qui a eu comme conséquence directe l'augmentation considérable du déficit budgétaire qui a atteint 11% du PIB pour l'année financière 2011/2012. D'autre part, les investissements étrangers qui avaient varié entre 8 et 12 Milliards de Dollars annuellement, ainsi que les recettes touristiques qui avaient atteint 12,5 Milliards de Dollars en 2010, se sont effondrés. Ce retournement des flux de capitaux et de revenus a eu un effet négatif sur la Balance des Paiements qui a enregistré un déficit de 10 Milliards de Dollars en 2010/2011 et de 11 Milliards de Dollars en 2011/2012, alors qu'elle avait enregistré un surplus de 3,36 Milliards de Dollars au cours de l'année financière 2009/2010. Le taux de croissance de l'économie est tombé à 2,5% au cours des années 2011 et 2012 soit une croissance zéro par tête d'habitant entraînant une augmentation encore plus grande du taux de chômage. L'élection de Mohamed Morsi à la Présidence de la Republique en Juin 2012 et la formation du Gouvernement des Frères Musulmans en Août de la même Année n'ont pas arrangé les choses au contraire. En Juin 2013 le déficit budgétaire avait atteint 13.5% du PIB! Pour les raisons que vous connaissez, au-delà de la situation économique qui se dégradait, le peuple s'est soulevé une seconde fois. Les Gouvernements qui ont été formé à la suite du 30 Juin 2013 présidés d'abord par un brillant économiste Dr. Hazem Biblawi suivi de l'infatigable Ibrahim Mahlab avaient pour objectif economique de faire face au triple déficit de l'économie Égyptienne: le déficit de croissance, le déficit budgétaire et le déficit extérieur. Une stratégie de développement a été élaborée pour rétablir les grands équilibres économiques du pays et créer un modèle de croissance inclusive bénéficiant à l'ensemble de la population. Cette stratégie reposait sur trois pilier: Tout d'abord, la mise en œuvre d'importantes réformes fiscales afin de ramener le déficit public à un niveau soutenable, l'objectif étant de retrouver un excédent primaire dès l'année fiscale 2016/2017, et de réduire la dette publique à 85% du PIB en 2019 sachant que celle ci se montait en 2013 à près de 96% du PIB. Cet effort de consolidation fiscale devait se faire à travers des mesures visant d'une part l'augmentation des recettes publiques, comme l'introduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l'imposition de taxes supplémentaires sur les plus riches et sur le gain en capital et l'élargissement de l'assiette fiscale; Et d'autre part, une forte réduction des dépenses budgétaires à travers la réforme des subventions énergétiques dont l'objectif était d'augmenter le prix de vente de l'électricité et des carburants au consommateur au niveau du coût de production en cinq ans, en plus d'un meilleur contrôle de la masse salariale du secteur public. Le second pilier de la stratégie portait sur l'application de politiques de soutien à la croissance pour créer une économie plus productive dans laquelle le secteur privé pourrait jouer son rôle. À cette fin, la stratégie prévoyait la mise en place de réformes du cadre réglementaire et législatif pour améliorer le climat des affaires et favoriser l'investissement privé. Une nouvelle loi régissant l'investissement était au cœur de ces réformes et avait pour but de lutter contre les barrières administratives. La stratégie prévoyait aussi le lancement de grands projets d'infrastructure permettant de catalyser l'investissement privé, de réduire les coûts économiques, d'améliorer les conditions de vie de la population et surtout de faire redémarrer la machine productive. Le troisième pilier de la stratégie avait pour but de développer des filets de sécurité sociales efficaces visant à faciliter l'accès aux services de santé et d'éducation, de relever leur niveau et de soutenir les classes les plus défavorisées qui souffriraient suite à la réduction des subventions. Malheureusement le calendrier politique n'a pas permis aux deux Gouvernements de mettre cette ambitieuse stratégie en totale application. Car de Juillet 2013 à Décembre 2015 la scène politique a été occupée d'abord par le débat autour de la nouvelle constitution et par le référendum tenu le 14 et 15 Février 2014 pour l'approuver. Ensuite, par des élections présidentielles le 26 et 28 Mai 2014, suivies par des élections parlementaires qui ont eu lieu entre le 17 Octobre et le 2 Décembre 2015. Il était donc difficile, voire même impossible, d'effectuer des réformes structurelles aussi profondes qu'escomptées en l'absence d'un parlement élu. Malgré cela, le Gouvernement a eu le mérite de faire les premiers pas et de prendre les premières mesures de la réforme économique.

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Au début de 2014 il augmente le prix des carburants et de l'électricité conformément au plan établi, il est incapable cependant de faire la seconde augmentation prévue pour 2015. Il élabore une loi régissant la fonction publique et des lois fiscales introduisant les nouvelles taxes mais le Président de la République refuse de les signer en l'absence du Parlement. La Banque Centrale dévalue la Livre Égyptienne qui est largement surévaluée, une surévaluation qui pèse lourdement sur la compétitivité des produits égyptiens et sur la balance commerciale. Mais la dévaluation n'est que de 5% au grand dam de certains. D'autre part, l'aide financière massive reçue des pays Arabes du Golfe, l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Koweit, permet au Gouvernement d'entamer un programme de relance de l'économie et d'exécuter un grand nombre d'importants projets d'infrastructure. Je mentionnerai trois de ces projets vu, à mon sens, leur importance. Le premier concerne l'énergie électrique dont les capacités théoriques de production limitées à 29.000 megawatts étaient insuffisantes pour subvenir aux besoins industriels et domestiques du pays. Je vous rappellerais que les ruptures de courant électrique durant les dernières semaines de la présidence de Morsi ont été des éléments qui ont poussé les Égyptiens à descendre dans la rue. Le Gouvernement a donc tracé un plan énergétique pour couvrir les besoins grandissant de l'économie et en assurer la sécurité basé sur trois axe s: D'abord, sur le développement d'un mix énergétique diversifié pour profiter pleinement des ressources disponibles notamment du potentiel solaire et éolien. Ensuite sur des incitations crédibles pour attirer la participation du secteur privé et construire un secteur énergétique financièrement viable. Finalement, sur la définition claire et simple des rôles du régulateur et des opérateurs pour amorcer la transition vers un marché libéralisé de l'électricité. C'est ainsi que le Gouvernement fait adopter une loi qui régit les énergies renouvelables, une loi sur l'électricité qui définit les rôles des acteurs publics et privés dans ce secteur, émet les tarifs de feed-in soit les prix d'achat des énergies électriques produites. D'autre part, le Gouvernement signe des contrats de fourniture et de financement pour augmenter la capacité de production en un premier temps de 14.400 megawatts pour atteindre une capacité totale de 43.000 megawatts. Un projet qui sera exécuté en 18 mois. Le second de ces grands projets concerne la construction d'un réseau routier couvrant 4400 kilomètres, qui ajoutent au réseau existant près de 10% de sa capacité, et ouvrent des perspectives de développement régional à l'est et à l'ouest de la vallée du Nil en reliant la Haute Égypte au littoral de la Mer Rouge d'un côté et aux Oasis de l'autre côté. Encore une fois la rapidité de l'exécution de ce projet est impressionnante. Finalement, un programme de construction de 656.000 logements sociaux dans 22 villes dont évidemment Le Caire et Alexandrie, mais aussi les capitales de Gouvernorats en Basse et Haute Égypte. Le coût de ce projet est estimé à 97 milliards de Livres Égyptiennes soit à peu près 5,5 milliards de Dollars. À ce jour près de 50.000 logements ont été livrés et 300.000 logements sont en cours de construction. Mais comme je le disais, en l'absence du Parlement, les Gouvernements successifs entre Juillet 2013 et Décembre 2015 ont été incapable d'exécuter pleinement le programme de réforme. En plus, les projets ambitieux d'infrastructures initiés par le Président de la Republique, et le souci de les exécuter le plus rapidement possible pour mettre fin à la situation (ressentie) de crise ont entraîné une augmentation importante des dépenses publiques. Le déficit budgétaire atteint 11.5% du PIB au cours de l'année financière se terminant le 30 Juin 2015. Pour financer ce déficit, le Gouvernement a été obligé de s'emprunter auprès des banques commerciales Égyptiennes puisque les investisseurs étrangers qui par le passé finançaient le déficit en achetant des bons du trésor avaient disparu. Arrivés à la limite des capacités des banques commerciales, le Gouvernement a eu recours à la Banque Centrale. Ce qui veut dire que la BCE a créé de l'argent sans contrepartie, en d'autre termes, en utilisant une métaphore, a imprimé des billets de banque entraînant nécessairement l'augmentation du taux d'inflation et la diminution de la valeur réelle de la Livre Égyptienne par rapport aux autres devises soit son taux.

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Ces déficits ont entraîné l'économie Égyptienne dans un cercle vicieux infernal, puisque leur financement menaient à de plus grands déficits encore à cause du poids du service de la dette et de la dévaluation de la monnaie. Le déficit budgétaire pour l'année se terminant le 30 Juin 2016 augmenta encore une fois pour atteindre 12,2%. La dette publique dépassât le seuil des 100% de PIB. Parallèlement, le déficit extérieur augmentait en raison de la baisse des revenus. Les revenus touristiques étaient tombés à 6 Milliards de Dollars, ceux de Canal de Suez avaient diminué de 5.3% en raison de la baisse du Commerce International, même les transferts des Égyptiens expatriés ou travaillant à l'étranger avaient diminué. Une seconde dévaluation du taux de change officiel de la Livre de 13% en Mars n'eut d'autre effet que celui d'augmenter le taux de change du Dollar sur le marché noir. L'écart entre le deux taux se creusait encore plus. La situation se dégradait, les réserves en devises étrangères auprès de la BCE sont tombées couvrant à peine 3 mois d'importation ! Il fallait recourir au Fonds Monétaire International. En fait, en Février 2011, au lendemain de la révolution, le Conseil des Forces armées s'était opposé à accepter l'offre du FMI de venir en aide à l'Égypte. En 2012, Mohamed Morsi et son Gouvernement ont longtemps hésité mais ont fini par refuser aussi. En 2013 et 2014, le Gouvernement a résisté aux pressions des pays arabes bailleurs de fonds qui lui demandaient de coopérer avec le FMI pour regagner la confiance des marchés financiers. Tous craignaient de devoir se plier aux conditions draconiennes que le FMI imposerait à l'Égypte. En Juillet 2016 le Gouvernement a entamé des négociations avec le FMI qui a posé trois conditions préalables à la signature d'un accord. 1- l'imposition de nouvelles taxes et surtout la taxe sur la valeur ajoutée. Le projet de loi qui était prêt depuis bien longtemps fut approuvé par le Parlement au mois d'Aout. 2- obtenir des financements extérieurs à hauteurs de 5 Milliards de Dollars pour combler les lacunes de financement, "financing gap", condition qui a été remplie suite à des crédits obtenus de la Banque Mondiale, de la Banque Africaine de Développement, des Émirats Arabes Unis et d'un accord de swap avec la Chine. 3- la libéralisation du taux de change de la Livre Égyptienne, qui fut décidée par la Banque Centrale d'Égypte le 3 Novembre. Le taux officiel du Dolla fut fixé à 13,50 Livres soit une dévaluation de 52%. Le même jour le Gouvernement annonçait la hausse des prix de l'électricité et des carburants. Les conditions préalables remplies, le conseil exécutif du FMI annonçait le 11 Novembre 2016 son accord à soutenir le programme de réforme économique Égyptien en accordant à l'Égypte un crédit de 12 millards de Dollars. Dans le communiqué de presse, Madame Christine Lagarde se réfère au programme de réforme du Gouvernement Égyptien établi en 2014 dont l'objectif est la réduction des déficits extérieur et budgétaire, de la dette publique, et du taux d'inflation pour le ramener à un chiffre, la reconstitution des réserves internationales, le retour de la confiance des investisseurs et la croissance du secteur privé. Je n'ai pas besoin de vous dire que la dévaluation de la Livre suivi de la hausse des prix de l'électricité et des carburants le même jour a eu un effet de choc ! Et c'est un choc qui à mon avis va prendre du temps à être absorbé, tout simplement parce qu'il touche aussi bien les consommateurs que les producteurs. Je pense que tout au long de l'année 2017, consommateurs et producteurs seront à la recherche d'un nouveau point d'équilibre financier. Les ménages , de tout niveau d'ailleurs, devront revoir leur mode de consommation en fonction du coût de la vie qui augmente à vue d'œil puisqu'au mois de Janvier 2017 le taux d'inflation atteint 30% c'est à dire que la moyenne des prix au mois de Janvier 2017 est supérieure à celle de Janvier 2016 de 30%, et que le taux d'inflation de Janvier 2017 par rapport au mois précédent est de 4%. Les producteurs pour leur part devront revoir le prix de leurs produits à la hausse et même peut être réduire leur production suite à la baisse de la demande. La situation n'est pas facile, mais il faut espérer que toutes ces difficultés ne sont que momentanées car le nouveau taux de change devrait permettre d'améliorer la compétitivité externe de l'Égypte, de développer les exportations et le tourisme, d'attirer des investissements étrangers et de réduire les importations. Il devrait permettre également à la BCE de reconstituer ses réserves internationales et de regagner la confiance des places financières.

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En effet, déjà en Janvier 2017 soit deux mois après la libéralisation du taux de change, l'Égypte réussi à placer sur les marchés financiers une émission obligataire de 4 milliards de Dollars, remboursables à des échéances de 5, 10 et 30 ans, qui est sur-souscrite à plus de trois fois sa valeur. Une preuve de regain de confiance. Les investisseurs étrangers retournent pour acheter des bons de trésor égyptiens. Au cours du seul mois de Janvier ils achètent pour une valeur totale de 630 millions de Dollars. Le 9 février ils couvrent 98% de la valeur des bons de trésor mis en vente pour une valeur totale de 13 milliards de Livres Égyptienne soit à peu près 750 millions de Dollars. Il retournent en force acheter des actions sur la Bourse du Caire, l'indice boursier principal le EGX 30 hausse de 55% en trois mois. Les réserves atteignent fin Janvier 26,4 milliards de Dollars, leur plus haut niveau depuis 2011. Finalement à la mis Février le taux de change du Dollars tombe au-dessous de 16 Livres alors qu'il avait atteint 20 Livres à la mi Janvier. As-t-on réussi à renverser la tendance et créer un cercle vertueux ? Sommes nous sorti de l'auberge ? Pas encore mais nous sommes sur la bonne voie. Pas encore parce que l'année 2007 continuera à être difficile, voire même très difficile. Les prix de l'électricité et des carburants devront augmenter une fois de plus, probablement au mois de Juillet, et de nouvelles taxes seront imposées. Pas encore, parce que nous ne sortirons pas de l'auberge avant que ne se confirment les grands espoirs de l'Égypte c'est à dire que le tourisme reprenne et retrouve les chiffres de 2010 et au delà, que les exportations se développent et que les investissements étrangers affluent. En ce qui concerne le tourisme je suis personnellement optimiste. Je pense qu'avec un peu d'effort et une gestion intelligente le mouvement pourra reprendre rapidement. Déjà cet hiver il y a eu une grande amélioration grâce à un afflux de touristes asiatiques, Chinois, Japonais, Indiens et autres, le résultat d'une politique de diversification de marchés que j'avais prôné lorsque j'étais au tourisme. Il est fort probable aussi que dans le courant des semaines prochaines les Gouvernements Russe et Britannique permettent le retour de leurs touristes en Égypte et la reprise des vols réguliers et charters vers Sharm El Sheikh, Hurghada, Luxor et Aswan au départ de leurs principales villes. Comme je le mentionnais, en 2010 près de 15 millions de touristes avaient visité l'Égypte, avaient passé 147 millions de nuitées et généré un revenu de 12,5 milliards de Dollars. À terme, l'Égypte devrait être capable, son infrastructure le permettant, de recevoir plus de 20 Millions de touristes et s'attendre à des revenus de 20 Milliards de Dollars annuellement, mais il faudra évidemment fournir d'énormes efforts pour relever le niveau des services touristiques, diversifier les produits et les marchés et libéraliser les cieux pour permettre aux charters et aux low cost de desservir les aéroports Égyptiens ( casser le monopole de la société d'aviation nationale Egyptair). Quant aux exportations, l'Égypte espère pouvoir augmenter considérablement ses exportations non pétrolières à court terme de 25% pour atteindre 24 Milliards de Dollars en prenant avantage sur le gain en compétitivité dû à la dévaluation de la Livre, mais surtout sur les accords de libre échange signés avec plusieurs blocs économiques : les pays Arabes, la Turquie, l'Union Européenne, la zone de libre échange de l'Est de l'Afrique et bientôt la zone de libre échange Euro-Asiatique. Comme vous le savez, les principales exportations Égyptiennes non pétrolières comprennent les fruits et légumes, les produits agro-alimentaires, les textiles et le prêt à porter, les produits chimiques et les engrais, les matériaux de construction, les équipements ménagers, le cuir et les produits de cuir, les meubles, etc. Mais le grand pari de l'Égypte c'est le gaz naturel. La découverte de "Zohr", dans les eaux territoriales Égyptiennes, le plus grand champ de gaz naturel dans l'Est de la Méditerranée avec des réserves estimées à 850 Milliards de mètres Cube, soit 30 Trillion de pieds cube constitue un des grands espoirs pour redresser la situation economique de l'Égypte. La production de ce champ de gaz est prévue pour la fin de l'année 2017. Selon les estimations ce champ doublera la production totale Égyptienne de gaz naturel en 2018, à laquelle viendra s'ajouter une production de 3 Milliards de pieds cube par jour en 2019. En 2019 l'Égypte redeviendra un pays exportateur de gaz puisque selon les projections elle pourra disposer de 29% de la production de ce champ après avoir satisfait la demande locale. À partir de cette production de gaz naturel l'Égypte pourra aussi développer son industrie pétrochimique.

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Mais la grande ambition de l'Égypte dans ce domaine est de devenir le hub, le centre de liquéfaction de gaz naturel et d'exportation des productions gazières de l'Est de la Méditerranée c'est à dire d'Israel (le champ de Léviathan), de Chypre, de Grèce et du Liban, l'Égypte ayant déjà une capacité de liquéfaction de gaz d'à peu près 20 Millions de tonnes de LNG par an. Pour les investissements, je ne vais pas répéter ce que vous savez déjà, et qui en l'occurrence est absolument correcte, c'est à dire que l'Égypte a une main d'œuvre qualifiée et relativement bon marché, que la situation géographique à la croisée de trois continents et les accords de libre échange avec plusieurs blocs économiques permettent à un producteur à partir de l'Égypte d'atteindre plus de 2 Milliards de consommateurs sans être assujetti à des barrières douanières ouà des quotas, etc. Mais je porterai tout simplement quelques éclaircissements sur deux grands projets de développement régionaux sur lesquels reposent à long terme des espoirs de croissance qui devraient être capables d'attirer l'intérêt des investisseurs étrangers. Le premier de ces projets concerne le développement de la zone économique spéciale de Canal de Suez, une Zone de 461 Kilomètres carrés autour du Canal de Suez qui comprend 6 ports, 3 surla Méditerranée et 3 sur la Mer Rouge et qui a pour vocation d'attirer des investisseurs afin de devenir un centre international de logistique et de transbordement donnant accès aux marchés de la région, mais aussi une zone industrielle pour créer des chaînes de valeur et des centres technologiques de recherche et de production. Les investissements requis pour le développement des infrastructures de cette zone qui comprend des routes, des chemins de fer, quatre tunnels reliant les deux rives du Canal de Suez et des projets pour assurer l'approvisionnement en eau et en énergies, sont estimés à 21 Milliards de Dollars. L'achèvement des travaux de développement est prévu pour 2030. Une grande partie des routes a déjà été construite, les tunnels sont en cours de construction, et les travaux d'approvisionnement en eau et énergies pour les zones de Kantara et Sokhna sont pratiquement terminés. C'est pourquoi ces deux centres ont déjà attiré des investisseurs. Sokhna a attiré des industries lourdes : des aciéries, des usines de pétrochimie, etc. À ce jour 96 projets sont soit en production soit en cours de construction. À titre d'exemple, je mentionnerai un gros investissement chinois pour la production de fibre de verre essentiellement destinée à l'exportation. L'Égypte grâce à ce projet est devenu le troisième exportateur mondiale de fibre de verre après la Chine et les USA. Qantara par contre à attiré des industries légères, une grande partie d'entre elles dans le secteur de l'agroalimentaire en raison de la proximité des terres agricoles. Parallèlement le développement des ports notamment celui de l'est de Port Said et de Sokhna sont en cours. Le second projet de développement régional est celui du triangle d'or, une zone géographique de 9000 Kilomètres carrés située entre la vallée du Nil au niveau de Kena à l'ouest et la Mer Rouge à l'Est entre les ports de Safaga et de Kosseir, réputée pour ses richesses minières inexploitées et pour les opportunités de développement industriel. Pour le moment seul sont exploitées dans cette région des mines de phosphate exporté vers l'Inde, et la fameuse mine d'or de Sokary, une des dix plus grandes mines d'or du monde. L'activité industrielle se limite à deux cimenteries, une sucrerie à partir de la canne à sucre cultivée dans la vallée du Nil, une usine de papier à partir de bagasse, et de petites production de jus de fruits et de mélasse. L'agriculture se distingue en plus des cultures traditionnelles par la culture des plantes médicinales dont la valeur des exportations annuelles est estimée à près de 100 Millions de Dollars. Une étude approfondie de la région entreprise par la société italienne "D'Appolonia" a confirmé l'existence de bien plus grandes réserves de phosphate et d'or, en plus des mines de zinc, de minéraux lourds tel que le tantalum et le titanium, et des carrières de granite, de marbre, de calcaire et de gypsum. L'étude confirme aussi l'existence de mines de fer et de cuivre. L'étude met l'accent aussi sur les opportunités de développement industriel et en particulier sur la production d'engrais chimiques phosphatés et d'acide phosphorique, sur l'agro industrie, le traitement du marbre et du granite et la production de matériaux de construction. L'étude souligne d'autre part la possibilité d'amender près de 32000 feddans, à peu près 15000 hectares de terre désertique, en plus du développement de la chaîne de valeur des plantes médicinales cultivées dans cette région. Un plan détaillé a été établi qui prévoit un investissement sur une période de 30 ans d'une valeur totale de 18 Milliards de Dollars afin de créer un pôle de croissance qui pourrait avoir à terme un impact positif sur le PIB estimé à 0,5% annuellement et sur la Balance des paiements de 4,2%. Tout comme la zone economique du Canal de Suez, le triangle d'or bénéficiera d'exemptions fiscales et douanières et devrait pouvoir attirer des investisseurs étrangers dans les secteurs mentionnés. Voilà, pour résumer je vous dirai que depuis 50 ans notre consommation a été supérieure à notre production, nos importations supérieures à nos exportations, et nos dépenses supérieures à nos revenus. Il fallait bien payer la note un

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jour, c'est ce que nous sommes entrain de faire. C'est dure, mais je suis confiant que nous sommes sur la bonne voie pour pouvoir prendre avantage des opportunités et jouir des richesses inexploitées du pays. Je suis personnellement optimiste, je crois que le tourisme reprendra et que les exportations augmenteront plus tôt qu'on ne le pense, et j'espère que le Gouvernement ne commettra pas trop d'erreurs et qu'il continuera à gérer l'économie avec la rigueur nécessaire pour que les marchés financiers confirment leur confiance dans l'avenir de l'économie Égyptienne. Je regrette d'avoir été trop long, mais j'espère avoir réussi à vous communiquer mon optimisme. Merci en tous cas de m'avoir écouté.

"Evremond de Bérard (1824-1881), dessinateur-peintre voyageur", conférence de Gabriel de Bérard (15 juin 2017)

���� A l'issue de l'assemblée générale, Gabriel de Bérard a donné une conférence sur Evremond de Bérard.

I Aperçu biographique Evremond de Bérard est né à Sainte-Anne, en Guadeloupe le 30 juin 1824. En 1843, alors âgé de 19 ans il est admis à suivre les cours d’Edouard Picot, prestigieux atelier, pendant trois ans. En 1848 Evremond de Bérard est nommé dessinateur de la Station Navale de l’Océan Indien. Au moment où la plupart des peintres, ultérieurement appelés "orientalistes", se limitent à voyager en Espagne, Afrique du Nord, en Turquie et en Égypte, le premier périple d’Evremond de Bérard, jeune et intrépide voyageur, dure près de trois ans et il parcourt l’Océan Indien à bord du transport "L’Oise", sur la corvette "L’Artémise" et sur la frégate "La Reine Blanche". Il visite La Réunion, l’Ile Maurice, Madagascar, les Comores, Zanzibar et l’Inde où il séjourne longuement en se rendant à Calcutta, Chandernagor, Pondichéry, etc. A l’aller, ou au retour de ce premier périple, il visite également le Sénégal, Gorée, les Iles Canaries, les Açores, le Brésil et Gibraltar. En 1850 il épouse à la Réunion Céleste, Caroline Selhausen. Leur fils Gabriel, naît le 5 mai 1851 et est baptisé à la Guadeloupe en 1852. De 1853 à 1857, il réside à la Guadeloupe et visite et dessine les baies, paysages et forêts des Antilles. En 1859, Evremond de Bérard est admis à la société Impériale Zoologique du Jardin des Plantes, sous proposition de M. Geoffroy de Saint-Hilaire. En 1860, Edouard Chartron lance "Le Tour du Monde" Evremond de Bérard y collabore dès le premier numéro jusqu’en 1880. En 1867, il peint deux tableaux à l’occasion de la visite en France du Sultan Abdulaziz dont nous parlerons dans quelques instants. En 1869, Evremond de Bérard visite l’Égypte, assiste à l’inauguration du canal de Suez et réalise à cette occasion une série de dessins, aquarelles et tableaux remarquables. En 1870 il est élu à la Société de Géographie sous proposition de MM Guillaume Rey et Charles Maunoir. Il réalise les quatre panneaux de la Salle de Minéralogie du Jardin des Plantes, représentant les Volcans de l’Ile Maurice, de la Guadeloupe et de l’Auvergne. En 1877, le ministère des Beaux-Arts, le charge d’une mission dans l’Inde qui va durer près de trois ans. A son retour, gravement malade, il meurt à Paris le 25 janvier 1881. La vente de

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son atelier a lieu cher Drouot le 19 avril et 250 dessins, aquarelles et tableaux sont disperses. Evremond de Bérard expose aux Salons de Paris de 1852-1861-1866-1872 et 1880.

II Découverte En 1945 nous habitons à Madrid : enfants, nous jouons souvent dans une grande pièce de débarras : un jour nous ouvrons des malles en cuir et chanvre, oubliées , souvenirs du séjour de nos grands-parents aux Philippines malles nommées en tagalog "tampipis" dont je suis les voyages sur une mappemonde. Nous découvrons plusieurs centaines de dessins et aquarelles de l’Inde, de l’Égypte, des Antilles, qui dormaient là depuis 1909. Ces dessins, ces gravures m’ont permis, enfant, de voyager en rêves ! Je découvre en même temps quelques exemplaires de L’Illustration, du Tour du Monde et du Monde Illustré. La lecture du courrier du tzar, Michel Strogoff, sur une mappemonde, me donne l’illusion de suivre les périples d’Evremond de Bérard. Je réalise rétrospectivement la chance rare d’avoir découvert l’œuvre dormante d’Evremond de Bérard. "Etonnants voyageurs, quelles nobles histoires nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers …"

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III Visite du sultan Abdülaziz en France en 1867 Alors que je m’apprêtais à donner à l’éditeur les dernières épreuves de l’ouvrage en préparation, l’un de mes proches amis découvrit au Musée Maritime d’Istanbul deux beaux tableaux de la visite en France du Sultan Abdülaziz invité par Napoléon III à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1867 Les responsables du Musée d’Istanbul ont souligné l’importance historique de ces deux tableaux car ils représentent le premier voyage à l’étranger du Sultan. C’est à la suite de ce séjour que le Sultan décida de créer l’école de Galatasaray. Deux ans après l’Impératrice Eugénie fut reçu splendidement à Istanbul avant de se rendre en Égypte pour inaugurer le canal de Suez !

IV Inauguration de Canal de Suez Après la réception royale à Istanbul organisée par le Sultan Abdülaziz, l’Impératrice se rendit en Égypte.

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Evremond de Bérard était présent et suivit le parcours officiel pendant un mois avec d’autres artistes français: Berchère, Fromentin , de Tournemine, Gérome et Riou mais aussi Théophile Gautier et Prosper Mérimée. Nous possédons peu d’informations sur ce séjour, exception faite d’une centaine de dessins et aquarelles assez remarquables par leur précision et leur beauté. V Décès et vente de son atelier chez Drouot "Son dernier voyage dans l’Inde avait été particulièrement pénible et périlleux. Profondément atteint dans sa santé, il survécut à peine deux années. Il n’avait pas cinquante-sept ans quand il succomba le 25 janvier 1881, des suites de ses dernières fatigues et dans toute la force de son talent resté à peu près inconnu". Ernest Chesneau Le mardi 19 et le mercredi 20 avril 1881 furent dispersés chez Drouot 64 tableaux, 155 aquarelles et 23 dessins. Le catalogue retrouvé au Louvre constitue un document important pour retrouver les œuvres de mon intrépide ancêtre afin de rendre hommage a posteriori à ce dessinateur et aquarelliste exceptionnel.

Conférence de Pierre Le Roux (28 septembre 2017)

���� La Mairie du VIIe arrondissement a accueilli une conférence de notre adhérents Pierre Le Roux : "Du triomphe de Suez au scandale de Panama, que s'est-il passé ?"

Conférence d'Eric Boulte (11 octobre 2017)

���� Suite à son récent voyage, Eric Boulte a prononcé, au Cercle de la mer, une conférence sur Panama.

Projection du film Ferdinand de Lesseps et débat au Centre culturel égyptien (date à fixer)

���� Un débat sera organisé au Centre culturel égyptien à l'occasin de la projection du film Ferdinand de Lesseps. Il sera animé par Arnaud Ramière de Fortanier, en collaboration avec Les Amis de Napoléon III.

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Publication Présentation de l'ouvrage Presses allophones de Méditerranée (16 mai 2017)

���� Le 16 mai, au Centre culturel égyptien de Paris, Jean-Yves Empereur et Marie-Delphine Martellière ont présenté le livre Presses allophones de Méditerranée publié par le Centre d’Etudes Alexandrines. Ce livre est une œuvre collective qui concerne la presse francophone d’Égypte, la presse italophone et la presse hellénophone d’Égypte, et plus généralement la presse francophone en Méditerranée. Sont évoqués également, la presse italophone en Tunisie et les journaux publiés en anglais à Alger. Il s’agit donc d’un travail considérable qui couvre une très large période. Notre association est particulièrement concernée par la presse francophone du canal dont elle finance la numérisation. La réunion était présidée par le Professeur Nivine Khaled, Conseiller culturel. Notre association était représentée par Arnaud Ramière de Fortanier et Jean-Philippe Bernard

Jean-Yves Empereur, Arnaud Ramière de Fortanier, Mme le Professeur Nivine Khaled, Conseiller culturel auprès de l’ambassade de la République arabe d’Égypte et Mme le Professeur Ghada

Abdelbary, Attaché culturel auprès de l’ambassade de la République arabe d’Égypte.

Archives & patrimoine Présentation du film sur Saqqara (6 juin 2017) ���� Projection du film "Les secrets du Trésor de Saqqara" suivi d'un débat de Christiane Ziegler,

directeur honoraire du Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre et administratrice de notre Association.

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Mariott. Gezira Palace : une demeure aussi belle que son histoire… Article de Marie Grillot paru dans Égypte actualités (6 septembre 2017) ���� L'inauguration du canal de Suez est prévue pour fin 1869… Le khédive Ismaïl Pacha

souhaite que cet événement historique marque les mémoires et demeure auréolé de sa gloire. Il déborde d'idées grandioses pour accueillir et divertir les têtes couronnées qui se retrouveront en novembre, principalement au Caire, de même que les membres influents de l'intelligentsia, du monde des arts et des lettres (plus de 1000 invitations seront lancées !). Dès 1867, de nombreux aménagements et constructions sont entrepris afin de faciliter leurs déplacements et leur accueil. Une route reliant Alexandrie au Caire, une autre reliant le Caire aux Pyramides (plantée d'arbres en 8 jours par 25.000 fellahs !), la construction d'un opéra, la rénovation de Mena House, son pavillon de chasse de Gizeh, les projets s'ajoutent aux projets et l'argent coule à flots pour les réaliser. Au cœur du Caire, à Zamalek, dans l'ile de Gezira, le khédive souhaite édifier une somptueuse demeure. Ce sera le "Gezira Palace". Pour construire le plus beau des palais, il constitue une équipe d'excellents praticiens : architectes, ébénistes, designer, paysagiste… Formés aux quatre coins de l'Europe, ils sont parmi les meilleurs dans leur discipline. Parmi les plus connus, les architectes, Julius Franz (un autrichien qui sera élevé au rang de Bey sous le nom de Franz Bey), Schmidt, De Curel Del Rosso (qui a construit le Palais Abdine), le designer allemand Carl Wilhelm Valentin von Diebitsch et l'italien Pietro Avoscani qui mettra en œuvre le magnifique escalier d'honneur en marbre de Carrare. Ce palais qu'il veut dans le style néoclassique qu'il affectionne, se déclinera en plusieurs bâtiments, l'un pour lui, l'un pour son harem, et l'un pour ses prestigieux invités. Un luxe incroyable est déployé, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur… D'une grande élégance et d'une finesse de dentelle, de magnifiques portiques à arcades lui confèrent cette touche si particulière qui, immédiatement, l'identifie. "Les arcades ont été constituées de pièces de fer moulées dans les usines Lauchhaniiner à Dresde, d'où elles ont été expédiées en pièces numérotées, puis assemblées sur place par les travailleurs allemands

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venus exprès pour cela en Égypte. Von Diebitsch, qui était fasciné par l'art oriental, avait passé six mois à Grenade pour y étudier l'Alhambra et ses arches de fer typiques de l'architecture mauresque andalouse." Dans les jardins, le paysagiste français Gustave Delchevalerie plante et sème à profusion des essences rares et mentionne souvent "une allée d'albizzia si denses qu'il était impossible de voir le soleil à travers". Kiosques, fontaines, tout réjouit l'œil et semble parfaitement à sa place. Un rocher attire tout particulièrement l'attention par son originale conception : en effet, sous Rock Hill "où l'eau tombe en cascade, des passages convergent vers un pavillon central avec fauteuils et bancs en bois". L'aménagement intérieur du palais est également aux mains de Carl von Diebitsch. "Il en a conçu la décoration et imaginé le mobilier, alors que tentures et divers aménagements intérieurs et meubles ont été importés principalement de France." Stucs dorés, bois précieux côtoient les matériaux et objets les plus beaux et les plus rares : tapisserie d'Aubusson, tableaux, mosaïques de Florence et de Toscane... Un luxe inouï, partout, partout où se pose le regard. A-t-il vocation à éblouir une personne en particulier ? Se pourrait-il qu'il soit déployé pour séduire l'impératrice des Français ? C'est bien ce qui est communément rapporté. En 1867, le khédive s'est rendu à Paris pour l'Exposition universelle et il n'est, semble-t-il, pas resté indifférent au charme de la belle Eugénie, épouse de l'empereur Napoléon III. Il l'attend avec empressement et souhaite que tout soit parfait. Pendant les festivités de novembre, elle logera, avec sa suite, au Gezira Palace. Le journal français "L'illustration" décrit avec émerveillement les appartements spécialement préparés pour elle : "La chambre de l'impératrice est de style XV avec toute la richesse et le luxe de notre époque. Le lit en métal doré, entièrement garni de satin bleu et d'un revêtement de dentelles, est protégé d'une moustiquaire de gaze blanche. Au milieu de la pièce une statue en argent du prince impérial (fils unique de l'impératrice) ainsi que le buste de l'empereur. Un peu plus loin se trouve la salle de bains. Quelle richesse ! Elle est dans le style Louis XIV agrémentée de quelques décorations turques et arabes. Le plafond, les rideaux et les revêtements de porte sont de satin bleu alors que dans les toilettes il est d'un satin rose très agréable à l'œil. Chaque meuble est une merveille de luxe et de finesse d'exécution." Le khédive a-t-il souhaité reproduire, pour elle, le luxe et la décoration des Tuileries ou celui de l'Hôtel du Palais de Biarritz où elle aimait se rendre comme on peut le lire parfois ? Ce qui est certain, c'est qu'Eugénie conservera un souvenir émerveillé de son séjour dans ce palais. Le khédive y recevra par la suite les hôtes de prestige de passage en Égypte. Il servira également de lieu de réception pour de grandes fêtes et certains mariages de la famille régnante. Ainsi le mariage de son fils durera 40 jours ! Après l’exil du souverain en 1879, le palace est confisqué par l'État, puis acheté par l’"Egyptian Hotel Company". Les premiers propriétaires privés en seront Paul "Pavlos" Draneht Pasha, un grec qui fit fortune en Égypte (tour à tour présenté comme chimiste, responsable des chemins de fer, puis directeur des théâtres jouissant d'un salaire colossal) et le commandant Ernesto Emanuele Oblieght, de nationalité hongroise, qui devait sa fortune à l'installation du funiculaire du Vésuve. En 1892, ils fonderont la Société du Domaine de Ghezireh, qui en 1897 fusionnera avec l’Egyptian Hotel Company.

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Pendant la Première Guerre mondiale, le palace est transformé en hôpital. En 1919, après avoir cédé par ailleurs une partie des jardins, l'hôtel est vendu à Habib Lotfallah, un riche syrien installé au Caire. Il devient alors le "Palais Lotfallah" et reste dans la famille pendant plus de 40 ans. Après la Révolution de 1952, il est mis sous séquestre, puis transformé en un hôtel: l'”Omar Khayyam". Enfin, dans les années 70, il devient la propriété de Marriott International qui en entreprend la restauration, lui rend son charme d'autrefois et lui adjoint un service et des prestations exceptionnels qui en font l'hôtel le plus étoilé du Caire. "Ismael folly", un palais des mille et une nuits conçu par un khédive pour impressionner une impératrice, un palais somptueux devenu un hôtel cinq étoiles… Décidément, la riche histoire du Gezira Palace lui confère un rang incomparable !

Source : https://www.facebook.com/EgyptActus/posts/1606111256130688

Sources

Trevor Mostyn, “Egypt's Belle Epoque: Cairo and the Age of the Hedonists”, 1989 https://books.google.fr/books… Nezar AlSayyad, “Cairo”, 2011 https://books.google.fr/books… http://travel.marriott.com/…/historic-cairo-palace-hotel-i…/ http://grandhotelsegypt.com/?p=1397 http://www.egy.com/zamalek/99-10-14.php http://www.marriott.com/…/caieg-cairo-marriott-hotel-and-om… http://www.independent.co.uk/…/the-complete-guide-to-travel…

Attribution du prix Goby à Hélène Braeuner

���� Le prix Goby de l'Institut de France-Académie des Inscriptions et Belles Lettres a été décerné cette année à Hélène Braeuner, membre de notre association, pour sa thèse sur Les représentations du canal de Suez (XVe-XXe siècles) : esthétiques et politiques d'une vision, soutenue en 2015 à l'université de Strasbourg sous la direction de Christine Peltre. Une publication est en préparation pour 2018.

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Visite du Pavillon des Indes et du musée Roybet Fould (12 octobre 2017) ���� La sortie du 12 octobre a permis à quelques membres de notre association de découvrir le

Musée Roybet Fould et le Pavillon des Indes. Situés au deux extrémités du Parc de Bécon (Courbevoie), ces deux bâtiments subsistent, au contraire du Château de Bécon, aujourd'hui disparu et placé au centre du parc, dominant la Seine et l'Ile de la Jatte. Cet élégant édifice de style italien fut la demeure de George Stirbey, fils du prince de Valachie, qui adopta, en l'épousant, les deux filles de la veuve du fils du ministre de Napoléon III, Achille Fould. Puis il hébergea, à la fin de sa vie, Jean-Baptiste Carpeaux, dont le Musée conserve une magnifique ébauche en plâtre du Triomphe de Flore du Palais du Louvre. Toutes les deux devinrent artistes peintres. L'une, Consuelo, à l'origine du Musée municipal par une donation, y établit son atelier - accolé au Pavillon de la Suède et de la Norvège de l'Exposition Universelle de 1878, remonté à cet endroit. Elle fut l'élève d'Antoine Vollon puis de Léon Commere. L'autre, Achille Valérie Fould, dite Georges Achille-Fould, élève de Ferdinand Roybet fit du Pavillon, en quelque sorte cadeau du Prince de Galles à la France dans le cadre de cette même exposition, son propre atelier. Toutes ces personnes illustrent, chacune avec son propre talent, la période qui suivit l'inauguration du Canal de Suez. La tête de la Statue de la Liberté fut présentée au public en 1878. La vie en Égypte, à cette époque, a également été rapidement évoquée, grâce à l'album : L'Égypte et la Nubie, œuvre du photographe Emile Béchard qui, de 1870 à 1880, vécut en Égypte et fut récompensé à l'Exposition par une Médaille d'Or.

Olivier Marnet

Projets Conférence

���� Le mardi 12 décembre, notre Association organise une soirée amicale au Cercle de la mer. Cette soirée débutera par une conférence de Philippe Joutard, ancien professeur à l'université de Provence et à l'Ecole des Hautes études en sciences sociales, ancien recteur des académies de Besançon et de Toulouse. Le thème de cette soirée : "La vie au canal de Suez jusqu'en 1956".

Cette même soirée, Gabriel de Bérard présentera l'ouvrage sur les œuvres d'Evremond de Bérard "Evremond de Bérard (1824-1881), peintre voyageur". La préface a été rédigée par Arnaud Ramière de Fortanier et le chapitre sur l'Égypte est présenté par Hélène Braeuner, docteur en histoire de l'art, membre de notre Association et lauréate du prix Goby 2017 de l'Institut de France. Le chapitre sur l'Inde est présenté par Amina Taha-Hussein Okada, conservateur général du musée national des arts asiatiques - Guimet, et membre de notre Association.

Un dîner vous est proposé à partir de 19h30.

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"Les dirigeants de l’Association adressent leurs plus vifs remerciements à toutes celles et à tous ceux qui ont contribué à la rédaction des textes

et à la réalisation de ce bulletin."

Directeur de la publication : Gabriel de Bérard Rédacteur en chef : Jean-Philippe Bernard

Maquette (conception et réalisation) : Juliette Gallois.

Photo de couverture : Pont d'Al Kantara vu depuis le bâtiment de commandement et de ravitaillement (BCR) Var de la Marine nationale.

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Association du souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez Association loi 1er juillet 1901

C/O ENGIE 1 Place Samuel de Champlain

Case courrier A2421 92930 Paris La Défense CEDEX

France Tél. (+33) 01 56 65 55 05 - [email protected]

Site internet : http://www.lessepssuez.org