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70 � 11/3/2010
R
Tahar Rahimacteur de l’année
C’est un doublé inédit et exceptionnel.
César du meilleur espoir et du meilleur
acteur pour son rôle dans Un prophète,
de Jacques Audiard, le voici propulsé,
en un film, comme une valeur plus que sûre
du cinéma français. A L’Express Styles,
nous avions prévu, sans attendre le palmarès,
de lui consacrer la couverture de ce numéro
Spécial Homme, bluffés par l’intensité
et la justesse de sa prestation. Le comédien
de 28 ans, qui s’est prêté au jeu de la série
de mode, nous parle de ses débuts
avec lucidité et sensibilité.photos : ralph mecke pour l’express styles
stylisme : nathalie blanchard
R e n c o n t r e
11/3/2010 � 71
Cardigan en coton
et soie, Burberry
Prorsum, 550 €.
Gilet gris
en cachemire,
Hermès, 650 €.
Débardeur en lin,
3.1 Phillip Lim,
145 €.
72 � 11/3/2010
Quand on l’a rencontré pour lapremière fois, dans un café àMontmartre, personne ne s’estretourné sur ce petit gabaritemmitouflé dans sa parka.C’était avant la soirée du 27 fé-vrier, où la France entière l’avu saluer le courage de sa mère
et monter par deux fois sur la scène du Châtelet cher-cher sa compression dorée. Deux césars pour sonrôle dans Un prophète, de Jacques Audiard, couronnépar neuf récompenses. Propulsé au cœur d’un filmqui dynamite les mécanismes des castings ordinaires,il a donné corps avec une puissance de jeu incroya-ble à Malik El Djebena, petite frappe illettrée méta-morphosée en caïd. « Il fallait une double apparition,celle d’un acteur et celle d’un héros », dit Jacques Au-diard. Un héros très discret dans sa façon d’aborderson métier de comédien, avec la conscience du tra-vail bien fait et une énergie à déplacer les murs. Lespieds sur terre et le sourire dans les étoiles.Dans la foulée des Césars, comment vous sentez-vous ?� Je suis fou de joie et, en même temps, ça me faitpeur de porter ça sur mes épaules. Je suis très re-mué. La plénitude, je ne l’ai ressentie qu’au momentde monter sur scène. J’espère surtout que ces prixencourageront les réalisateurs à prendre des risquesavec des acteurs quasi inconnus.Depuis des mois, on vous parle d’Un prophète. Etes-vousrapidement sorti de ce rôle ?� On a tourné sept semaines, jusqu’à mi-décem-bre 2008, et j’ai mis environ deux mois à me déta-cher de certains traits d’humeur du personnage.Mon cheminement de pensée avait changé. J’avaisdu mal avec la foule et j’étais plus dur avec mon entourage. Je devais certainement avoir moins detact et plus d’exigences.Jacques Audiard vous a révélé. Qu’avez-vous envie de luidire aujourd’hui ?� De continuer de nous faire rêver ! Je ne le remer-cierai jamais assez de m’avoir fait grandir et de m’avoirdonné la chance de pouvoir m’investir dans ce quej’aime. Et je voudrais saluer la personne, qui est aumoins égale à l’artiste, sinon plus. J’ai un profondrespect pour Jacques et beaucoup d’amour pour lui.Avec Niels Arestrup, ce sont des êtres rares.La chose la plus importante qu’il vous ait apprise ?� De m’inspirer le moins possible des modèles decinéma existants et de tracer ma propre voie. On avoulu composer un personnage qui ne ressemblepas à ce qu’on a pu voir avant. Même si c’est unhéritage qui nous habite tous, j’essaie de gardercette ligne de conduite.
Justement, quel est le cinéma qui vous touche le plus ?� Le cinéma américain des années 1970 est pourmoi le meilleur : les films de Jerry Schatzberg, commeL’Epouvantail, ceux de Scorsese, de Coppola, deDe Palma, en particulier Blow Out. Ils ont captéun truc historique qui ne vieillit pas. Taxi Driver etRaging Bull sont des films parfaits. J’adore aussitout le romantisme populaire français de l’entre-deux-guerres, les grands films avec Gabin, Lino Ventura, Paul Meurisse, ceux de Julien Duvivier, deJean Grémillon, de Marcel Carné. Par la lumière etles décors, ils ont réussi à transmettre l’humeurd’une époque. J’ai eu un vrai coup de cœur en voyantLe jour se lève, que je trouve d’une grande modernité.A quel âge l’envie de jouer vous a-t-elle pris ?� Je n’ai jamais eu de révélation. Adolescent, j’étaisamoureux du dispositif du cinéma plus que de l’art.Ma vie était ennuyeuse et je passais mon tempsdans les salles. J’y allais quatre à cinq fois par semaine, jusqu’à me donner mal à la tête en regar-dant trois films d’affilée… A 14 ans, on veut du mouvement. J’avais besoin d’un espace où m’éman-ciper et je ne le trouvais pas ailleurs. Belfort est uneville de 50 000 habitants et il n’y a pas grand-choseà faire, une fois qu’on a fini les cours : le dernier buss’arrête à 19h45 et, après, la ville dort. C’est l’imagequi m’a permis de m’évader. Plus tard, j’ai com-mencé à m’intéresser vraiment à ce que je voyais etle virus s’est déclenché.Que s’est-il passé entre le moment où vous avez quittéBelfort et le premier docu-fiction de Cyril Mennegun, Tahar
l’étudiant, inspiré de votre quotidien ?� J’ai fait une fac de sport à Strasbourg en 2000.J’avais reçu un dossier à la maison qui confirmaitmon inscription alors que je ne l’avais jamais rem-pli ! Sans doute une erreur administrative, mais j’ysuis allé… J’étais en spécialité natation et, au boutd’un an, je m’ennuyais ferme. J’ai réfléchi à une fi-lière qui me donnerait un peu plus de confort.Comme j’ai un bac scientifique, j’ai commencé desétudes de maths et d’informatique à Marseille et j’aiarrêté au bout de deux mois. Là, je me suis dit qu’ilfallait vraiment que je suive mes envies. Ma sœurm’encourageait à obtenir une licence, par sécurité,et je l’ai décrochée en section cinéma à Montpellier.Mon envie de jouer ne m’a pas lâché et je suis montésac au dos à Paris en septembre 2005.Comment se sont passés vos débuts de comédien ?� J’étais conscient des difficultés de ce métier et jem’étais donné dix ans avant de penser à chercher ailleurs. Pour payer mes cours et ma chambre, j’avaisdeux boulots. Le week-end, je travaillais en boîtede nuit et, la semaine, je gravais des logiciels ���
11/3/2010 � 73
Costume en soie
chinée, Balenciaga
par Nicolas Ghesquière,
1 945 €. Chemise
en popeline de coton,
Melinda Gloss, 140 €.
74 � 11/3/2010
et ne peuvent se séparer, doublée d’une histoired’amour impossible. Le croisement entre deuxclasses sociales et deux univers opposés, à un mo-ment charnière de leur vie. Le film décrit ce qui sepasse entre eux, ce que les autres ne voient pas.Raconter une liaison selon un schéma ressassé – tout va bien, les problèmes apparaissent, on ren-contre un amant puis c’est la rupture… – ne m’in-téressait pas. Là, c’est atypique et ça me plaît.Vous reconnaissez un seul tabou dans le jeu, la nudité.� On verra mon corps, puisqu’il y a des scènesd’amour, mais j’ai beaucoup de gêne avec la nudité.Me déshabiller pour la scène d’entrée dans la pri-son d’Un prophète a été très difficile, même si j’avaisconscience que c’était un viol de l’intimité qui servaitle propos. Mon éducation a bien sûr une influence.Je ne fais pas ce métier pour me torturer, mais pourme dépasser. Dans quelques années, j’y arriveraipeut-être, mais pour l’instant c’est très dur pour moi.C’est formidable et aussi violent de se retrouver propulséau milieu des sollicitations de ce métier. Comment vousêtes-vous protégé ?� C’est vrai que j’ai eu un démarrage costaud ! Ledanger serait de prendre le pouvoir qu’on vousdonne – les cadeaux, l’argent pour venir dans unesoirée, toutes ces choses bidon… – et d’en deveniresclave. J’ai une famille et des amis très clairs avecça, qui me permettront toujours de voir mon pro-pre reflet dans leurs yeux. Je ne suis pas dupe desmoments exceptionnels que je vis ! D’être un an-goissé me protège aussi. C’est dans ma nature dene pas savoir recevoir les compliments, sans douteun mécanisme de défense. Le jour où vous y croyez,c’est le début de la fin ! Il y a assez de gens qui sesont brûlé les ailes.Cannes, les Césars, les Oscars… comment réagit votrefamille ?� Je n’aurais pas osé imaginer une entrée commeça dans le cinéma et eux, encore moins. Du coup, àtravers leur regard, j’ai encore plus conscience durêve que je vis.Vous avez un appétit de jeu hors normes, comme ledit Jacques Audiard ?� J’essaie de donner toujours plus que ce que j’ai,sinon je suis mal et ça me rend dingue. J’ai pleuréune fois sur le tournage d’Un prophète, je n’avais pasréussi une scène et j’ai pété les plombs ! J’ai besoind’apprendre à me connaître. Je suis en constructionpar rapport à beaucoup de choses. La force du jeud’acteur, c’est de dépasser ses propres limites, onne sait pas jusqu’où ça peut vous entraîner. Quandje tourne, je me sens vivre. �
Propos recueillis par Anne-Laure Quilleriet
informatiques. Le patron avait vu le docu-fictionTahar l’étudiant, que j’avais préparé en licence et ilm’a accordé des facilités pour suivre mes cours decomédie. J’ai rencontré un agent, pas mal couru lescastings et j’ai décroché mi-2006 un rôle dans la sériede Canal + La Commune, écrite par Abdel Raouf Dafri[coscénariste d’Un prophète]. J’ai joué en 2008 authéâtre, en commençant les essais pour le film deJacques Audiard. Je l’avais croisé pendant un trajeten voiture, un jour où il était passé sur le tournagede La Commune. On s’est juste dit bonjour, je ne vou-lais surtout pas la jouer « j’adore ce que vous faites ».On s’est revus le jour de la projection, et il m’a dit deschoses très encourageantes. A partir de ce moment,j’ai senti que j’avais des chances de passer le casting.Les essais étaient rudes, il fallait s’accrocher. Aujour -d’hui, je comprends pourquoi Jacques Audiard m’afait autant galérer. Je voulais ce rôle et j’ai donnétout ce que j’avais pour saisir ma chance. Mais le vraitravail a commencé quand il m’a dit oui.Avez-vous reçu beaucoup de scénarios depuis Un prophète ?� Avec mes voyages pour le film, je n’ai pas pu leslire tous ! Ça m’a fait plaisir de recevoir des projetsaussi variés, dont certains en cours : The Eagle of theNinth, de Kevin Macdonald, Chienne, du ChinoisLou Ye, et Des hommes libres, d’Ismaël Ferroukhi,que je vais tourner cet été. C’est encourageant de sedire qu’on ne me voit pas que d’une couleur.Le cinéma français a longtemps catégorisé les acteurs d’ori-gine maghrébine : est-ce valable pour votre génération ?� J’ai conscience de tous ces clichés accumulés, maisje n’en ai pas fait l’expérience dans mes rôles. Dèsle départ, mon agent m’a envoyé sur des projets va-riés. Les choses avancent et c’est plus que légitime.Sur un plan plus personnel, j’ai du mal avec les gensqui fantasment votre parcours, sous prétexte que vousvenez d’un milieu ouvrier et que vous avez grandidans une famille nombreuse d’origine algérienne.Parlez-nous de votre premier tournage après Un prophète ?� Kevin Macdonald, le réalisateur du Dernier Roid’Ecosse, m’a fait passer des essais sans avoir vu lefilm de Jacques Audiard. J’ai un petit rôle, celui d’unprince gaélique maquillé d’argile et habillé de peauxde bête. C’était une expérience déstabilisante, carje suis arrivé en Ecosse en novembre au milieu del’aventure, avec peu de temps de préparation. Jen’ai eu que six heures de coaching en gaéliqueancien, dont je n’avais jamais entendu la sonorité !C’était intéressant de se retrouver en périphérie,après avoir été au centre.Vous enchaînez fin mars à Paris sur le prochain film deLou Ye, le réalisateur d’Une jeunesse chinoise.� C’est l’histoire de deux corps qui se rencontrent
���
PLUS DE QUESTIONS À TAHAR RAHIM SUR WWW.LEXPRESS.FR
11/3/2010 � 75
Trench en gabardine
de coton gansé
en trompe-l’œil,
Marc Jacobs, 1 095 €.
Polo en piqué de coton,
The Kooples, 75 €.
Pantalon droit en soie
pied-de-poule,
Prada, 390 €.
Lunettes en acétate,
Paul & Joe, 185 €.
76 � 11/3/2010 11/3/2010 � 77
Cardigan en cachemire, Ralph Lauren
Black Label, 890 €. Chemise en popeline
de coton, Daniel Hechter, 123 €.
Pantalon en soie chinée, Trussardi 1911,
389 €. Ceinture en cuir gras, Uniqlo +J,
29,90 €. Derbys en cuir, IKKS, 175 €.
78 � 11/3/2010
Veste droite en lin et soie, Yves Saint Laurent, 1 495 €.
Pull en coton, American Vintage, 70 €. Pantalon droit
en coton, Maison Martin Margiela, Ligne 10, 280 €.
Coiffure/maquillage :
Terry Saxon c/o Jed Root
Assistante styliste :
Caroline Khayatt
Assistants photographes :
Clément Mahjoub et
Antoine Lippens
11/3/2010 � 79
Veste droite en laine,
Smalto, 2 000 €.
Chemise en popeline
de coton, Paul Smith,
260 €. Cravate en satin
de soie, Sandro, 55 €.
Carnet d’adresses page 121