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Cet exposé fait le 1er mars 1984 au L.E.S.T. d'Aix-en-Provence au nom de l'association Subjiciel , et paru dans les Actes du séminaire d'Informatique pour les Sciences de l'Homme et de la Société organisé par le L.I.S.H. (futur G.R.T.C), a une importance double : – C'est la première communication en public sur ce qui deviendra l'Analyse des Logiques Subjectives, qui n'avait alors pas reçu de nom ; – Et tout en reprenant des thèses formulées en 1981 dans Groupe, individu, sujet , il préfigure le texte beaucoup plus élaboré Métaphore et connaissance , écrit en 1990. Subjectivité et Sciences Humaines Jean-Jacques Pinto (préparé en collaboration avec Françoise Soublin) ================== Mon exposé développera les points suivants : d'abord quelques remarques sur la démarche des sciences humaines, surtout à propos de la notion de TOTALITÉ, ensuite une interrogation sur ce que présuppose cette notion, puis la manière dont nous rattachons la persistance de cette notion à ce que nous appelons IDENTIFICATION et FANTASME. ceci nous conduira à présenter les hypothèses de travail de l'association SUBJICIEL , qui cherche leur confirmation ou leur réfutation dans des simulations utilisant l'informatique, enfin nous parlerons des conséquences d'une éventuelle confirmation de ces hypothèses sur ce qu'on peut penser des raisonnements en sciences humaines et sur les critères de scientificité qu'on peut proposer à la fois pour celle-ci et pour les sciences exactes. I) Une description non exhaustive des énoncés tenus en sciences humaines rencontre en général : des RAISONNEMENTS d'allure LOGIQUE et des ÉNONCÉS figurés (figures de rhétorique), principalement MÉTAPHORIQUES. Ces deux types d'énoncés se juxtaposent et s'intriquent.

Subjectivité et Sciences Humaines (Exposé au L.E.S.T., Aix-en-Provence)

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Cet exposé fait le 1er mars 1984 au L.E.S.T. d'Aix-en-Provence au nom de l'association Subjiciel, et paru dans les Actes du séminaire d'Informatique pour les Sciences de l'Homme et de la Société organisé par le L.I.S.H. (futur G.R.T.C), a une importance double : – C'est la première communication en public sur ce qui deviendra l'Analyse des Logiques Subjectives, qui n'avait alors pas reçu de nom ; – Et tout en reprenant des thèses formulées en 1981 dans Groupe, individu, sujet, il préfigure le texte beaucoup plus élaboré Métaphore et connaissance, écrit en 1990. ================== Mon exposé développera les points suivants : • d'abord quelques remarques sur la démarche des sciences humaines, surtout à propos de la notion de TOTALITÉ, • ensuite une interrogation sur ce que présuppose cette notion, • puis la manière dont nous rattachons la persistance de cette notion à ce que nous appelons IDENTIFICATION et FANTASME. • ceci nous conduira à présenter les hypothèses de travail de l'association SUBJICIEL, qui cherche leur confirmation ou leur réfutation dans des simulations utilisant l'informatique, • enfin nous parlerons des conséquences d'une éventuelle confirmation de ces hypothèses sur ce qu'on peut penser des raisonnements en sciences humaines et sur les critères de scientificité qu'on peut proposer à la fois pour celle-ci et pour les sciences exactes. (cet exposé a été préparé en collaboration avec Françoise Soublin)

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  • Cet expos fait le 1er mars 1984 au L.E.S.T. d'Aix-en-Provence au nom de l'association Subjiciel,et paru dans les Actes du sminaire d'Informatique pour les Sciences de l'Homme et de la Socit organispar le L.I.S.H. (futur G.R.T.C), a une importance double :

    C'est la premire communication en public sur ce qui deviendra l'Analyse des LogiquesSubjectives, qui n'avait alors pas reu de nom ;

    Et tout en reprenant des thses formules en 1981 dans Groupe, individu, sujet, il prfigure letexte beaucoup plus labor Mtaphore et connaissance, crit en 1990.

    Subjectivit et Sciences HumainesJean-Jacques Pinto

    (prpar en collaboration avec Franoise Soublin)==================

    Mon expos dveloppera les points suivants :

    d'abord quelques remarques sur la dmarche des sciences humaines, surtout propos de lanotion de TOTALIT,

    ensuite une interrogation sur ce que prsuppose cette notion,

    puis la manire dont nous rattachons la persistance de cette notion ce que nous appelons

    IDENTIFICATION et FANTASME.

    ceci nous conduira prsenter les hypothses de travail de l'association SUBJICIEL, quicherche leur confirmation ou leur rfutation dans des simulations utilisant l'informatique,

    enfin nous parlerons des consquences d'une ventuelle confirmation de ces hypothses surce qu'on peut penser des raisonnements en sciences humaines et sur les critres de

    scientificit qu'on peut proposer la fois pour celle-ci et pour les sciences exactes.

    I) Une description non exhaustive des noncs tenus en sciences humaines rencontre en gnral :

    des RAISONNEMENTS d'allure LOGIQUE

    et des NONCS figurs (figures de rhtorique), principalement MTAPHORIQUES.

    Ces deux types d'noncs se juxtaposent et s'intriquent.

  • 1) Les raisonnements portent d'une part sur des TOTALITS ou des ENTITS, d'autre part

    sur des PARAMTRES.

    Les TOTALITS peuvent renvoyer un rfrent perceptible (le corps, l'inuividu biologique)ou une abstraction (la socit, l'entreprise). Elles peuvent tre reprises de la langue

    courante ou cres de toutes pices.

    Les PARAMTRES, quant eux, sont mesurables, quantifiables. Ils qualifient le plus souventdes ENTITS ou des RELATlONS ENTRE DES ENTITS. Par exemple en conomie :

    r indice k : revenu du consommateur k

    q indice k : quantit de biens produite par le producteur k

    N indice zro : population active, etc...

    Les RAISONNEMENTS effectus sur ces totalits et paramtres font appel la logique formelle.

    aux oprations ensemblistes (inclusion, exclusion, intersection, runion, relation d'ordre, etc...) Ils

    peuvent aussi prendre une forme dialectique ou tre de type probabiliste. Ils s'illustrent de graphes. de

    courbes. de schmas, de tableaux etc...

    2) Les NONCS MTAPHORIQUES prsent :

    Dans l'exemple suivant :

    "Les LIMITES l'INFORMATION amplifient l'INERTIE des grandes ORGANISATIONS. et

    expliquent pourquoi elles sont de plus en plus BLOQUES, suscitant dans nos SOCITS diverses

    TENSIONS, appelant a la DVIANCE",

    on relve des mtaphores telles que LIMITES, INERTIE, BLOQUES, TENSIONS, qui portent

    sur des totalits ou entits telles que INFORMATION, ORGANISATION, SOCIT etc...

    De faon plus gnrale, quelles sortes de mtaphores pouvons-nous rencontrer ?

    Considrons les noms des totalits donnant lieu a mtaphore comme les noms de LISTES de

    PRDICATS que nous supposerons le plus lmentaires possible.

    Premire constatation : il y a des mtaphores que nous dirons MOTIVES. dans la mesure o

    IL EXISTE AU MOINS UN PRDICAT COMMUN AUX DEUX LISTES CONSIDRES. Dans l'exemple

    pascalien "l'homme est un roseau, si l'on peut substituer roseau "homme", c'est que le prdicat "faible"

    est commun aux listes "homme" et "roseau".

    D'autres mtaphores seront dites IMMOTIVES quand L'UNE DES DEUX LISTES EST VIDE

    AU DPART. La mtaphore dclare alors possible l'attribution d'un prdicat de la liste non vide la liste

    vide. Par exemple dire "il a l'esprit vif" consiste a prendre dans la liste "corps" le prdicat "vif", et

    l'attribuer a la liste vide "esprit".

    partir de ces deux exemples, il vient l'ide de constituer une chelle continue. avec un

    paramtre N qui est le nombre de prdicats considrs dans une comparaison entre deux listes.

  • Quand N = 0 ou 1, il y a, comme on l'a vu, possibilit de mtaphore (motive ou immotive).

    Quand N est maximum, c'est--dire gal au nombre des prdicats communs aux deux listes. il y aun type de comparaison que nous nommerons COGNITIVE (en distinguant ce terme du terme

    SCIENTIFIQUE, que nous commenterons plus loin).

    Par exemple. la prise en compte de tous les prdicats de "homme" et de "roseau" aboutit a

    l'nonc que ni les noms de ces totalits, ni leurs rfrents prsums ne sont substituables: un

    homme n'est pas un roseau, un roseau n'est pas un homme.

    Reste la gamme de toutes les valeurs comprises entre N = 1 et N maximum: entre l'affirmation

    mtaphorique de l'identit ("l'homme est un roseau"), et sa ngation cognitive ("l'homme n'est

    pas un roseau"), on trouve une zone o la prise en compte d'un certain nombre de traits

    communs deux ou plusieurs listes permet l'apparition de classifications, de taxinomies.

    On va dire par exemple qu'un ensemble de traits regroups sous l'adjectif "vivant" est commun

    "homme" et "roseau", qu'ils sont tous les deux des tres vivants. On prcisera ensuite que

    "homme" contient une srie de traits "animal" diffrente de la srie de traits "vgtal" rencontre

    dans la liste "roseau".

    Le domaine o N varie entre 1 et N maximum permet donc la constitution de classes, de

    hirarchies, d'arborescences, avec une vraisemblance et une plausibilit variable, qui donneront lieu

    tractations, voire polmiques entre partisans de classifications diffrentes. On en trouve un certain

    nombre d'exemples en sciences humaines.

    ce niveau, un glissement subreptice, le plus souvent involontaire, est possible du raisonnement

    la mtaphore : lorsque deux listes non vides ont dj de nombreux traits communs, il est frquent

    qu'on suppose l'existence d'autres prdicats communs dans la zone restante des deux listes. On va donc

    imaginer entre ces deux listes une identit plus profonde que celle que rvlerait une comparaison

    COGNITIVE (celle qui prend en compte tous les prdicats communs aux deux listes). On est l dans la

    mtaphore MOTIVE.

    D'autre part l'indistinction entre totalits renvoyant un rfrent perceptible et totalits cres de

    toutes pices rend possible ceraines mtaphores IMMOTIVES (celles qui transfrent des prdicats de la

    liste non vide dans la liste vide). C'est le cas dans les noncs du genre naissance, vie et mort des

    entreprises , socit bloque , inertie des organisations , etc"...

    II) Examinons prsent les prsupposs de la notion de totalit et pourquoi nous aurions

    tendance lui dnier tout caractre scientifique.

    Dcrire ces prsupposs est une chose ardue, qui va contre l'intuition.

    On peut dire que d'une part affirmer lUNIT SPATIALE d'une totalit mme pendant un instant

    trs bref est une ngation du fait que la notion d'espace-temps interdit toute SIMULTANIT de points

    spatialement voisins : il n'y a pas d'espace sans temps, affirmer l'existence spatiale d'un tout unifi

    revient nier le temps.

    D'autre part la notion dune totalit dote cette fois-ci d'une certaine PERMANENCE suppose

    valide l'opration nomme SECTION DE PRDICAT, dont voici la description :

  • Si un SUJET (le ciel) je runis par la COPULE (le verbe "tre") divers PRDICATS (bleu, gris,

    couvert, dcouvert), la section de prdicat consiste affirmer que l'nonc "le ciel est" a un sens, donc

    dire que si je sectionne les prdicats "inessentiels", "accessoires", il demeure un noyau indissoluble de

    prdicats qui constituent l'TRE du ciel, et qui font que le ciel sera toujours le ciel , qu'il soit bleu,

    gris, couvert ou dcouvert.

    Cette opration fontionne dans toute taxinomie : en zoologie. un chat reste un chat, qu'il ait le poil

    long ou court, noir ou d une autre couleur.

    On peut se demander si en sciences humaines l'HOMME ne reste pas TOUJOURS l'HOMME.

    On voit ainsi apparatre une corrlation entre la notion de TOTALIT et celle d'IDENTIT :

    l'identit du ciel lui-mme, c'est la constance suppose de son "tre" au travers des accidents de son

    "devenir" (si on dsigne par "devenir" les prdicats qui changent).

    Or c'est le propre des noncs scientifiques que de pratiquer ce que j'appellerai la "VALSE DES

    PRDICATS". Au lieu de chercher la constance dans la cohsion spatiale d'une liste de prdicats, on

    cherche un SEMBLANT DE CONSTANCE, toujours rfutable dans les lois qui rgissent le

    fonctionnement de paramtres non rattachs des totalits.

    Si donc, au terme de cette argumentation peine bauche, et que nous savons contestable, nous

    tenons la notion de totalit pour une fiction, il convient prsent de nous demander :

    III) Pourquoi cette fiction se rpte et insiste dans les noncs en langue naturelle. et en

    particulier dans les sciences humaines.

    Nous avons parl d'une corrlation entre TOTALIT et IDENTIT.

    Appelons IDENTIFICATION l'opration VERBALE qui consiste affirmer qu'il existe du mme,

    de l'identique.

    Dcrivons ce qui se passe lorsqu'une telle opration a lieu a propos d'un enfant*, d'un organisme

    encore non parlant de l'espce humaine.

    Trs schmatiquement, cette identification peut se dcrire en trois temps :

    Premier temps : du fait qu'un ou des porte-paroles appels parents parlent l'enfant en

    attendant que celui-ci en fasse autant, la parole se met fonctionner chez l'enfant, et ce sans qu'il se

    dsigne encore dans l'nonc.

    Deuxime temps : comme en cho au fait que le discours parental le dsigne comme un tout.

    une entit, par exemple en lui donnant un nom propre, l'enfant commence a se prendre pour quelqu'un.

    se dsigner par son prnom ou par des pronoms personnels, qui sont, du point de vue grammatical, des

    shifters ou EMBRAYEURS (Jakobson) constituant dans l'nonc un indice de l'nonciation.

  • Alors que la parole parlait pour ainsi dire d'elle-mme travers l'enfant, elle se voit prsent

    dsigner un auteur dans le quelqu'un suppos exister derrire le "je" ou le "moi".

    Cet tre suppos l'enfant n'est encore qu'un ENSEMBLE VIDE, vide de prdicats. Il va se

    remplir peu peu de dterminations, de traits diffrentiels apports par le discours parental, avec pour

    consquence que l'enfant pourra dire ou se dire "je suis comme ceci et pas comme cela".

    Ceci constituera le troisime temps de l'identification, o l'enfant rpte le jugement parental

    qui l'identifie comme quelqu'un de particulier, avec ses traits de caractre, sa personnalit, voire sa

    trajectoire vitale.

    Nous faisons l'hypothse que c'est partir de la deuxime identification quapparat la possibilit

    d'affirmer l'existence de ces totalits abstraites qui, comme le Moi, sont des ensembles vides, "remplis"

    par des mtaphores immotives.

    Un commentaire plus pouss de la troisime identification nous permettra de prciser ce que

    nous entendons par FANTASME.

    Un dterminisme trop complexe pour tre abord ici fait que l'enfant est l'objet d'un commentaire

    trs variable dans le discours parental.

    Il semble qu'on puisse dcrire une TRANSFORMATION PRONOMINALE ou rflchie des

    noncs parentaux transformation qui rend compte du fait que l'enfant SE parlera et parlera les OBJETS

    qu'il rencontre dans les termes mmes o on l'a parl LUI.

    Pour ne citer que les deux cas extrmes, l'nonc parental "cet enfant me convient je le garde" se

    transformera chez l'enfant en un "je me garde, je ne me dpense pas". l'inverse, l'nonc "cet enfant me

    fait horreur, je voudrais le dtruire, briser son unit" se transformera en un "je m'clate" ou "je me

    dfonce" valoris par l'enfant, qui mconnat que c'est l la jouissance du parent, et non la sienne, qu'il

    exprime (dans tout ce qui suit, remplacer mentalement "srie " et " srie + " par " srie A " et " srie B ").

    De tout le vocabulaire apport par le fonctionnement cognitif du langage, l'enfant peut extraire

    des traits galement prsents dans les verbes que nous avons cits, ce qui va aboutir la constitution de

    deux de termes : une srie CONSERVATION, INTGRIT, STABILIT, dite par nous SRIE +, et une

    srie DESTRUCTION, CHANGEMENT, LOIGNEMENT, DISPARITION, dite par nous SRIE .

    Nous appelons FANTASME tout nonc grammatical mettant enjeu, propos d'une totalit

    suppose, un fonctionnement mtaphorique du vocabulaire constituant ces sries.

    Ainsi LA SUPPOSITION DE TOTALIT EST UNE CONDITION NCESSAIRE ET SUFFISANTE

    POUR LA PRODUCTION D'NONCS FANTASMATIQUES.

    Ceux-ci permettent de figurer comme perceptibles, notamment par la vue, le fonctionnement soit

    d'entits cres de toutes pices, soit de phnomnes dont la nature VERBALE n'est pas reconnue. C'est

    ainsi que naissent ces fictions que sont la pense, le psychisme, les facults dcrites en psychologie, et la

    quasi-totalit du vocabulaire de la psychanalyse.

  • Deux fictions engendres par la parole et prsentant un caractre de totalit persistent contre vents et

    mares, et dans le parler courant, et dans les noncs en Sciences humaines : ce sont L'INDIVIDU et LE

    GROUPE.

    IV) Ceci nous conduit prsenter les hypothses de recherche de SUBJICIEL.

    1) Nous cherchons dcrire ce que nous appelons SUBJECTIVIT, terme qui devrait se

    substituer la classique opposition individuel/collectif.

    Cette SUBJECTIVIT, faite de parole, s'organise pour une part en DISCOURS, qui sont eux-

    mmes des combinaisons des SRIES + et prcdemment dcrites. Ces sries sont des listes de termes

    que nous baptiserons pour le moment ATOMES (nous assumons galement cette mtaphore

    mendlvienne dans le terme MOLCULE, que nous dcrirons plus loin).

    a) Les ATOMES constitutifs des sries + et (nos futures " srie B " et " srie A ") sont des signifiants

    pseudo-lmentaires qui dcrivent des perceptions physiques. Pseudo-lmentaires, car, comme nous

    l'avons vu, ils sont en fait des relais de propositions plus complexes issues des noncs parentaux.

    Ils sont par dfinition NON-MTAPHORIQUES, et ne qualifient pas des proprits abstraites

    (non perceptibles). Ce sont par exemple les couples d'adjectifs CHAUD et FROID, LOURD et LGER,

    OUVERT et FERM, etc...

    Dans son fonctionnement mtaphorique, la langue rpartit ces atomes de faon

    DICHOTOMIQUE, rduisant les paradigmes arborescents du fonctionnement cognitif deux sries

    seulement, opposes terme terme.

    Par exemple. l'quivalence constatable des noncs "c'est de l'eau" et "c'est du vent" montre que le

    paradigme des tats de la matire (solide/liquide/visqueux/liquide/pulvrulent/gazeux) se rduit dans

    ses valeurs mtaphoriques l'opposition fluide/non fluide. De mme le paradigme des adjectifs de

    couleur se rduit l'opposition color/sans couleur, ce dernier terme incluant, cot de l'incolore, les

    adjectifs "blanc", "noir" et "gris".

    La constatation de ces dichotomies a pu tre faite par des esprits fort loigns de nos hypothses.

    C'est ainsi qu'un article paru dans les actes du congrs de l'AFCET en 1979 et intitul "le systme

    et les personnes : essai d'analyse d'un malentendu" tente de dcrire les rsonances du mot SYSTME

    chez l'homme de la rue. L'auteur constate :

    Dans le langage courant on dira qu'un systme est ARTIFICIEL. Un chien, une rivire, le

    boulanger, un amant, a VIT. La perception des impts. l'ordinateur du service du personnel, le

    financement des dsquilibres dans la CEE, c'est RAIDE, MORT, MCANIQUE, MTALLIQUE.

    Quand on dit de quelqu'un qu'il est un technocrate l'esprit de systme, on entend par l qu'il a

    perdu l'HUMANIT en lui, qu'il n'a plus de CHALEUR des sentiments, d'OUVERTURE de la

    comprhension. On dit aujourd'hui qu'il est devenu un ROBOT.

  • Ainsi, par sa RIGIDIT. par sa FORCE COERCITIVE, par son INHUMANIT, par son

    IMPERMABILIT, le systme tend nous CONTRAINDRE. ll porte atteinte a notre LIBERT.

    Autant celle-ci est OUVERTE sur le VARI, sur l'INCONNU, l'IMPRVISIBLE, autant elle est du

    domaine du SOUPLE, de l'LASTIQUE, du TlDE, du TENDRE, autant il est ANGULEUX,

    GOMTRIQUE. DUR. Contre la VIE. contre nous. contre notre CUR, contre l'OUVERTURE

    de l'esprit : voila bien des dfauts pour le systme, et justifie l'hostilit son gard .

    Les sries + et (sries B et A) que nous dcrivons existent comme l'tat natif dans cet exemple.

    b) Parlons prsent des MOLCULES.

    Tout signifiant complexe, ou MOLCULE, est potentiellement utilisable dans une expression

    mtaphorique.

    On peut dcrire pour chaque molcule sa "composition atomique". Ceci permet de constater que

    certaines molcules, de composition presque homogne. seront employes sans ambigut comme se

    rattachant l'une ou l'autre srie d'atomes, tandis que d'autres contenant dans leur liste des atomes des

    deux sries, devront tre claires par le contexte.

    Par exemple dans "c'est de l'eau, c'est du vent", le trait "fluide" est mis en valeur dans le mot eau,

    qui mtaphorise donc ici l'inconsistance, l'insaisissabilit, la non identit soi-mme caractristiques de

    la srie ici dvalorise.

    l'inverse. si je dis de quelqu'un "il ne boit que de l'eau", la neutralisation par le verbe "boire" du

    trait "fluide", puisqu'on compare deux liquides, fait merger l'opposition entre la srie INSIPIDE,

    INCOLORE, INODORE pour l'eau, et la srie GOTEUX COLOR PARFUM pour le vin, ce qui fait

    passer "eau" dans la srie +, ici dvalorise.

    Les sries d'atomes (sries + et , nos futures sries B et A) et les molcules qui s'y rattachent

    contextuellement permettent de constituer, par leurs diverses combinaisons, des DISCOURS, que nous

    n'avons pas le temps de dcrire ici de faon dtaille

    2) Exposons prsent un certain nombre d'hypothses qui dcoulent de notre description en termes de

    sries et discours des noncs en langue naturelle.

    a) Toute perception, tout vnement peut tre comment de deux manires ( au minimum)

    Par exemple, mourir pourra se dire y passer ou y rester, tre saoul se dira tre bourr ou

    tre pt . On peut ainsi constituer des listes de termes parallles qui remettent en question les

    synonymies traditionnelles, puisque dans un dialogue deux expressions synonymes en apparence

    peuvent jouer des roles compltement diffrents, et modifier la marche mme du dialogue du fait de leur

    appartenance des sries opposes. Ceci n'est pas sans voquer la figure rhtorique nomme

    PARADIASTOLE.

    b) lnversement, les atomes et molcules d'une mme srie sont potentiellement quivalents dans

    les expressions mtaphoriques mme s'ils ne sont pas synonymes pas substituables au niveau cognitif.

  • Ainsi, un concert de rock A BALANCE, A CHAUFFE, A DMNAGE, ces TROIS termes

    n'ayant pourtant aucune quivalence du point de vue cognitif.

    Deux corollaires :

    Lorsqu'un atome ou une molcule ne sont pas utiliss mtaphoriquement par une langue

    donne. ils peuvent l'avoir t dans ce te mme langue une autre poque, ou l'tre actuellement dans

    une autre langue. Par exemple "je suis bleu" n'est pas utilis en franais. alors que l'anglais dit "l am blue"

    (j'ai le cafard), et l'allemand "Ich bin blau" (je suis rond ou bourr), triste et rond appartenant tous deux

    la srie +.

    L'emploi mtaphorique d'une molcule devient assez vite indpendant de sa justification

    tymologique : s'il est exact que l'expression a dcoiffe est imprte du vocavuaire des motards, qui

    valorisent ainsi une moto trs rapide, c'est le trait DSORDRE qui va la placer dans la srie +, et la

    rendre dsormais quivalente "a balance" "a chauffe" a dmnage, dans le contexte pourtant

    diffrent d'un jugement de valeur musical.

    Cependant cette quivalence potentielle des atomes et molcules d'une mme srie est en gnral

    limite, dans les locutions, par une exigence de cohrence cognitive qui permet "briser la glace" et

    interdit "brler la glace", bien que "briser" et "brler" soient dans la mme srie.

    Ces hypothses et quelques autres se prtent a un traitement informatique dbouchant sur une

    SIMULATION de certains noncs en langue naturelle.

    Une conclusion partielle est qu'il existe des UNIVERSAUX de la subjectivit permettant une

    certaine prvisibilit de la mtaphore.

    D'autre part 1e LOCUTEUR que nous dcrivons comme PORTE-PAROLE d'un discours n'est plus

    NI LE LOCUTEUR INDIVIDUEL de la PSYCHOLOGIE, NI LE LOCUTEUR UNIVERSEL de la

    LINGUISTIQUE.

    IV) Au terme de cet expos, nous sommes conduits remettre en question l'emploi de la

    notion de TOTALIT en sciences humaines, non seulement en tant qu'elle est est le support

    d'noncs mtaphoriques que nous rattachons au FANTASME, mais galement en tant qu'elle invalide

    des raisonnements dont la logique peut tre irrprochable, mais dont les objets n'ont aucune pertinence,

    d'o des impasses possibles dans la mathmatisation des sciences dites humaines.

    Nous tenterons de proposer des critres de scientificit qui soient communs au sciences dites

    exactes et aux sciences dites humaines (que nous rebaptiserions volontiers SCIENCES DE LA

    SUBJECTIVIT).

    1) Nous dirons scientifique l'criture mathmatise de relations entre paramtres quantifiables d'un type

    bien prcis.

    La supposition de totalit disparait au passage. ce que pourraient illustrer des aphorismes tels que "rien

    n'est tout" ou "la science est un oubli de la question de l'tre".

  • Un PARAMTRE est une lettre laquelle on peut associer un nombre REL, la diffrence d'une

    totalit laquelle on n'associe qu'un nombre ENTIER.

    Les noms des paramtres sont davantage des ADJECTIFS SUBSTANTIVS nommant des

    proprits dont la nature conventionnelle est assume. que de vrais SUBSTANTIFS nommant ou

    qualifiant des totalits (par exemple les pseudo-paramtres cits en dbut d'expos).

    Ces paramtres sont PROVISOIRES, rfutables, ils se priment et sont remplacs

    priodiquement. Les nouveaux paramtres remplacent donc, et surtout SUPPRIMENT les anciens: en

    physique par exemple le paramtre "longueur d'onde" abolit l'ancienne dichotomie "visible/invisible",

    alors qu'en termes de totalits on chercherait, par une totalit nouvellement cre, expliquer de faon

    causale le fonctionnement des anciennes totalits qu'on laisserait subsister comme telles.

    L'criture des paramtres sous forme de lettres permet leur fonctionnement non mtaphorique.

    Ils n'voquent plus aucune perception, sont dpourvus de sens, dfient l'intuition.

    2) propos de CAUSALIT nous dirons que les nonces scientifiques sont DTERMINISTES, mais

    NON CAUSALISTES PUISQUE c'est TOTALISER des paramtres que de prtendre individualiser des

    "causes" et des "'effets".

    On dira plutt que la configuration des paramtres l'instant t DTERMINE la configuration des

    paramtres l'instant t + 1, mais ne la CAUSE pas.

    Il ne s'agit plus d'EXPLIQUER, mais de DCRIRE une succession temporelle, une squence

    d'vnements la "syntaxe du rel".

    3) Quant aux lois qui rgissent les relations entre paramtres, elles sont dpourvues de sens, elles sont

    DLOCALISES ET TRANSTEMPORELLES (du moins jusqu' leur rfutation), on peut les appliquer

    des portions de l'espace-temps dfinies arbitrairement et ne respectant plus aucun redcoupage perceptif

    ou intuitif (par exemple les quations de la Relativit).

    La recherche, difficile certes, de tels paramtres et de telles lois, s'aidant ventuellement

    d'heuristiques de dmtaphorisation des noncs augmenterait, pensons-nous, la pertinence des

    raisonnements dans les sciences dites humaines.