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L ' organisation du sur les chantiers de tra va i I terrassement Le cas du percement de l'isthme de Suez 1 ... Causeries brouettiques (suite) 2 ... Nathalie Montel Brouettes du xiif siècle. LE CANAL DE SUEZ : la concrétisation d'une idée déjà très ancienne Le chantier de percement du canal de Suez (1859-1869) est, au milieu duxix e siècle, un chantier d'une ampleur sans précédent. En plein désert, il s'agit, en effet, non seulement de percer un canal maritime qui relie la mer Rouge à la Méditerranée, mais aussi de construire un port à chacune des extrémités, de creuser concurremment à ce canal principal un canal dérivé du Nil qui permette d'alimenter les chantiers en eau douce, et enfin d'établir des villes et des campements destinés à accueillir les nombreux travailleurs. En 1847, Paul Adrien Bourdalouë 3 avait démontré, à la suite d'une opération de nivellement très méticuleuse, que la différence de niveau entre les deux mers à mettre en communication était faible, environ 0,80 mètre 4 . Avec ce résultat et le choix collectif et circonspect, fait en décembre 1857, d'opter pour un tracé direct à travers l'isthme de Suez 5 s'évanouissaient les principales difficultés d'ordre strictement technique de cette entreprise 6 . Il n'était plus question ni d'écluses ni de barrer le Nil. Le percement de l'isthme de Suez, ce rêve caressé par les plus grands, de Darius à Napoléon, en passant par Louis XIV, se résumait alors à l'extraction, sur cent soixante kilomètres de long, d'un peu moins de quatre-vingts millions de mètres cubes de terre,

sur les chantiers de terrassement - Institut de l

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L ' organisation du

sur les chantiers de

tra va i I

terrassement

Le cas du percement de

l'isthme de Suez 1 ...

Causeries brouettiques

(suite) 2 . . .

Nathalie Montel Brouettes du xiif siècle.

LE CANAL DE SUEZ : la concrétisation d'une idée déjà très ancienne

Le chantier de percement du canal de Suez (1859-1869) est, au milieu dux ix e siècle, un chantier d 'une ampleur sans précédent.

En plein désert, il s'agit, en effet, non seulement de percer un canal mari t ime qui relie la mer Rouge à la Méditerranée, mais aussi de

construire un port à chacune des extrémités, de creuser concurremment à ce canal principal un canal dérivé du Nil qui permette

d'alimenter les chantiers en eau douce, et enfin d'établir des villes et des campements destinés à accueillir les nombreux travailleurs.

En 1847, Paul Adrien Bourdalouë 3 avait démontré , à la suite d 'une opération de nivellement très méticuleuse, que la différence

de niveau entre les deux mers à mettre en communicat ion était faible, environ 0,80 mètre 4 .

Avec ce résultat et le choix collectif et circonspect, fait en décembre 1857, d 'opter pour un tracé direct à travers l ' isthme de Suez 5

s'évanouissaient les principales difficultés d 'ordre strictement technique de cette entreprise 6 . Il n'était plus question ni d'écluses ni de

barrer le Nil . Le percement de l ' isthme de Suez, ce rêve caressé par les plus grands, de Darius à Napoléon, en passant par Louis XIV,

se résumait alors à l 'extraction, sur cent soixante kilomètres de long, d 'un peu moins de quatre-vingts millions de mètres cubes de terre,

composée en grande majorité de sable et d'argile.

Une idée du volume de déblais à extraire nous est suggérée

par Alexandre Lavalley 7, un des entrepreneurs choisis pour exécu­

ter ces travaux et un des premiers protagonistes du chantier :

« Notre production mensuelle a atteint deux millions de mètres-

cubes [...] si on versait sur les boulevards nos déblais d 'un mois, on

les remplirait jusqu'à la hauteur du faîte des maisons sur plus de

3 kilomètres, c'est-à-dire depuis la Madeleine jusqu'au Château

d'Eau. O u pour employer une comparaison pour vous Messieurs,

peut-être plus frappante : cette quantité de déblais équivaut à celle

de 60 à 70 kilomètres de chemin de fer à deux voies en pays

moyennement accidenté 8 . »

Cependant , pour relativiser l 'apparente simplicité du tra­

vail à entreprendre, il faut se rappeler qu 'au début du second

Empire la machine a très peu investi le secteur des travaux publics

et que l'utilisation de la vapeur reste exceptionnelle 9 . Le génie

civil est encore essentiellement affaire de main-d 'œuvre, et dans

le cas des terrassements, de manœuvres, de pelles et de brouettes.

L ' importance du volume des terrassements à exécuter, pour

ouvrir ce canal à la circulation des bateaux de l 'époque 1 0 , exigeait,

on peut en faire l 'hypothèse, que soit présent sur les chantiers un

nombre considérable de terrassiers guidés par une formidable

organisation du travail. C'est précisément cette question de

l'organisation du travail sur les chantiers que nous nous propo­

sons d'examiner de plus près ici.

Néanmoins, avant de nous rendre en Egypte, il importe de

rappeler quel était, en matière d'organisation du travail, l'état des

connaissances théoriques et empiriques de l'ingénieur français qui

s'embarquait pour la grande aventure des chantiers de l'isthme n .

LES SCIENCES DE L'INGÉNIEUR ET LE TERRASSEMENT

Vauban, un précurseur de Taylor

« Q u ' o n ne dise pas qu'il s'agit d 'un instrument secondaire.

Elle a largement facilité, et très largement, l 'agriculture et les

grands travaux d'utilité publique. Bien plus, elle est restée, jusqu'à

nos jours, beaucoup plus que d'autres, un instrument indispen­

sable que l'on voit dans toutes les campagnes, que l'on rencontre

sur tous les chantiers 1 2 . » Derrière cette description se cache, on

l'aura peut-être deviné, la brouette. Abusivement attribuée pen­

dant longtemps à Pascal, l ' invention de la brouette est d'origine

chinoise et remonte au m c siècle 1 3 . Elle aurait été utilisée en

France dès le xm c siècle 1 4 .

L'exécution des travaux de terrassement, qui comprend

no tamment le transport des terres d 'un point à un autre, a su très

tôt tirer parti de cet instrument. Nous ne disposons pas d'infor­

mations suffisantes pour nous faire une idée plus précise de l'usage

qui a pu être fait de la brouette sur les chantiers de terrassement

jusqu'au xvii c siècle, en particulier là où les mouvements de terre

étaient les plus importants, c'est-à-dire à l'occasion des creusements

des canaux ou des travaux militaires de fortification. Mais il est

probable que l'usage de cet ins t rument condit ionnait déjà l'orga­

nisation du travail sur les chantiers.

Avec les travaux de fortification et les officiers du génie

militaire auxquels ils sont confiés, les chantiers de terrassement

vont devenir, à la fin du xvn e siècle, le théâtre des premières ten­

tatives de rationalisation du travail.

Vauban est le premier à s'intéresser de très près aux détails

des travaux exécutés sur les chantiers de fortification. Guidé par

un souci d 'économie - les fortifications coûtaient cher à l 'Etat -

il entreprend en effet l 'étude des montants des salaires versés aux

soldats terrassiers, et, ce faisant, est amené à identifier et à évaluer

les tâches des ouvriers sur les chantiers. Dans sa critique du

Règlement fait en Alsace pour le prix que les entrepreneurs devaient

payer aux soldats employés au transport et maniement des terres de

fortification des places de Sa Majesté, publiée en 1688, Vauban

écrit : « Ainsi, si le prix de la charge est fixée à 12 sols par toise et

q u ' u n h o m m e de moyenne force puisse lever 2 toises en un jour,

comme l'expérience nous apprend que cela se peut faire dans tous

les terrains marécageux et de prairie [...] un seul h o m m e gagnera

alors 24 sols. » En définitive, désireux de fixer des prix, il se

retrouve sur les chantiers à mesurer des temps, des volumes et des

distances, à évaluer des forces, à établir des moyennes.

Cette démarche qui consiste à observer et à analyser le

travail dans le but de déterminer et de retenir les procédés les

moins coûteux, nous est aujourd'hui familière ; elle ne l'était pas

du tout à l 'époque. O n peut y voir la manifestation précoce d 'une

forme de rationalité qui se développera au XIX e siècle, une rationalité

régie avant tout par une logique économique.

Par ailleurs, on ne peut manquer de rapprocher ce type

d'observation portant sur l ' homme au travail, de celles qui, au

tout début de notre siècle, ont été à la base du taylorisme et des

méthodes d'organisation, dites scientifiques, du travail, échafaudées

à sa suite. Les deux cent dix-neuf années qui séparent la parution

du Règlement... de celle des Etudes sur Vorganisation du travail dans

les usines, de Frederik W . Taylor, mont ren t à quel point Vauban

fait figure de précurseur.

Sur les traces de Vauban, tout au long du XVIII e siècle et de

la première moitié du xix c siècle, les observations et les études sur

les chantiers de terrassement vont se poursuivre. Elles corroborent,

remettent en cause, actualisent ou affinent les résultats de cette

première étude 1 5 sur la puissance musculaire de l 'homme, le

temps d'exécution des différentes tâches et les rétributions à

accorder à l'ouvrier.

Quand les Ponts et Chaussées prennent le relais du génie militaire...

L'analyse des tâches du chantier s'étend aussi à d'autres

types de travaux du domaine de la construction. A ces occasions,

on voit se réitérer l'utilisation, sur le lieu de travail, d 'un instru­

ment de mesure du temps. Ainsi, en 1750, on assiste, avec Bélidor

par exemple, au chronométrage de l 'enfoncement des pilotis : « Il

faut donc, pour enfoncer un pilot de 16 pieds de fiche dans un

terrain tel qu 'on le suppose ici, trois heures cinq minutes et trente-

quatre secondes 1 6 . . . »

Cette attention particulière portée au travail, à l'analyse des

opérations élémentaires qui le composent, est reprise et poussée

encore plus loin par Jean-Rodolphe Perronet dans son étude,

aujourd'hui fameuse, du travail de l'épinglier dans les fabriques de

Laigle 1 7 . Mais le célèbre fondateur de l'Ecole des ponts et

chaussées met également à profit son intérêt pour les analyses du

travail (intérêt et démarche qui lui étaient peut-être inspirés par

sa grande familiarité du raisonnement mathématique et sa pratique

de l'analyse mathématique) dans son propre secteur d'activité 1 8 .

Il s'appliquait en effet, sur la base des observations qu'il pouvait

faire des procédés de travail des ouvriers sur les chantiers, à

concevoir au m o m e n t des devis l 'organisation des travaux à

mettre en œuvre. Le nombre d'ouvriers à mobiliser pour telle ou

telle tâche, le temps nécessaire à l 'exécution de chacune d'elle, les

temps de travail maximaux supportés par les ouvriers, la nature et

le nombre des machines à mettre en œuvre étaient des paramètres

qui entraient en ligne de compte dans l 'estimation du coût total

des opérations à conduire 1 9 .

Parce qu'elle est également l ' instrument de mesure du

volume de terres qu'elle charrie, la brouette est au cœur des

procédés d'organisation du travail conçus pour les chantiers de

terrassement. A la fin du xvinc siècle, des expériences du même

type cont inuent à être menées, et le travail du terrassier est

explicitement décomposé en deux opérations élémentaires : d 'une

part la fouille, dont le temps d'exécution dépend de la nature du

terrain, et d 'autre part le roulage, qui est fonction de la pente à

suivre. Des relais de rouleurs sont organisés pour que chacun des

hommes ne pousse la brouette que sur une certaine distance fixée

par avance afin d 'optimiser la vitesse d'exécution des travaux, en

évitant no tamment les pertes de temps :« L'expérience de Soissons

fait voir que le temps employé pour remplir une brouette chargée

de la vingt-neuvième partie d 'un mètre cube est le même que celui

qui est employé par un rouleur pour mener cette brouette à

69 ,50 m. O n aura donc pour le relais correspondant à cette espèce

de brouette, la moitié de 69,50 m ou 34,75 m 2 0 . »

Des résultats moyens sont proposés aux praticiens afin

qu'ils puissent organiser au mieux les travaux dont ils ont la charge

et en estimer le prix : « Il a été reconnu que 2 hommes à la fouille

peuvent enlever et charger dans la brouette 3 toises cubes de terre

ordinaire par jour et q u ' u n h o m m e peut aussi les rouller dans le

même tems à 15 toises de distance, si c'est en plaine ; et à 10 toises

si c'est une rampe de 5 à 6 pouces par toise. 2 1 . »

Au tournant des xvm e et XIX e siècles, c'est au tour des ingé­

nieurs des Ponts et Chaussées d 'entreprendre et de développer

leurs propres expériences sur les capacités et la résistance de

l ' homme au travail sur les chantiers. Les résultats de Jean-

Baptiste Anselin, Louis Boistard, Emiland Gauthey, Aimable

Hageau, Morisot et Charles Mina rd deviennent alors, avec ceux

du génie militaire, les références reprises par les aide-mémoire

destinés aux ingénieurs.

La modélisation des résultats de l'expérience

Aux alentours de 1820, une nouvelle étape est franchie. Des

théorisations sous forme de mises en formules des résultats

expérimentaux se font jour. Les descriptions littéraires cèdent la

place à des équations contenant d 'une part des paramètres liés à

la nature du sol et d 'autre part des inconnues, qui sont générale­

men t les prix à payer aux terrassiers. En outre, des avertissements

méthodologiques les accompagnent. Relatifs aux limites de vali­

dité de ces résultats issus de la modélisation, ils invitent à la

prudence quant à l 'utilisation des formules proposées. La généra­

lisation à partir de quelques cas particuliers, le peu d' informations

recueillies conjointement aux résultats sur les conditions locales

d'exécution des travaux, la non-prise en compte du volume total

des terrassements à réaliser comme élément déterminant le choix

de méthodes à appliquer, le calcul des prix totaux par une simple

addition des prix élémentaires sont autant de travers passés mis en

évidence et que l 'on s'efforce de corriger 2 2 .

En 1834, date du mémoire du lieutenant-colonel du génie

Picot, ayant trait aux travaux réalisés sous sa direction à Dunkerque,

la formulation du problème posé par les terrassements at teint une

maturi té certaine : « L'étude du terrassement à la brouet te con­

dui t à l 'examen de cette question. Quelles sont les quantités de

travail du chargeur et des rouleurs pour des terrassiers de force

moyenne travaillant à la tâche, et c o m m e n t faut-il répartir les

ouvriers d 'un atelier pour que le travail définitif soit un maximum,

ou que le prix du terrassement soit u n minimum ? » L'utilisation

de concepts mathémat iques et physiques, soulignés par nous,

laisse percevoir le désir caressé par les officiers du génie de voir les

sciences venir au secours des problèmes concrets posés par

l 'organisation du travail sur le chantier. Au-delà des formules

empiriques, c'est donc une théorie, élaborée à partir de concepts

scientifiques, qui est recherchée.

L'apparition de la notion de travail ou la réponse de la science

O n le comprend aujourd'hui , depuis Vauban, c'est après

une not ion économique mais également mécanique que courent

les expérimentateurs : celle du travail.

A la fin de XVIII e siècle, les expériences effectuées sur les

chantiers de terrassement ne sont plus que des cas particuliers d 'un

ensemble plus large d'expériences menées par le monde scientifique.

A titre d'exemple, à cette époque, Charles Augustin Coulomb

(passé à la postérité pour ses travaux sur l'électricité) planche sur le

problème posé par une personne devant monter du bois à brûler

dans un immeuble d'habitation : quelle doit-être la taille optimale

de la charge transportée à chaque voyage pour que le maximum de

bois soit remonté dans une seule journée ? Pour tenter de répondre

à cette question, Coulomb adopte une démarche double. Il cherche,

assis devant sa table de travail, à mettre au point et à résoudre une

équation appropriée à ce problème particulier, et concurremment,

il consigne, chronomètre dans une main et crayon dans l'autre, les

résultats d'expériences pratiques ; installé dans la cage d'escalier de

son immeuble, il mesure les performances du porteur chargé de

monter du bois dans son appar tement 2 3 . . .

« Les recherches théoriques et expérimentales de Daniel

Bernouilly, Euler, Borda, D e Parcieux, Coulomb, Carnot , Bélidor,

Smeaton, ont eu généralement pour objet d'apprécier l 'action des

divers moteurs, et d 'apprendre à la régler de manière à satisfaire

aux conditions de m a x i m u m . . . 2 4 . » Dans les discours des scien­

tifiques de cette époque, l ' homme est un de ces « divers moteurs »,

au même titre que le cheval, le vent, les chutes d'eau ou la chaleur

employée dans les machines à vapeur, et, de la même façon, ses

performances, la plupart des scientifiques en sont convaincus,

relèvent de lois qui restent à établir. En 1829, l ' ingénieur des

Ponts et Chaussées Coriolis, connu aujourd'hui pour la force à

laquelle il a laissé son nom, propose une synthèse des recherches

théoriques et pratiques en cours 2 5 , et il baptise « travail », le

produit d 'une force par le déplacement de son point d'application :

« Je désigne par le n o m de travail la quanti té qu 'on appelle assez

c o m m u n é m e n t puissance mécanique, quanti té d'action ou effet

dynamique 2 6 . » L'application pratique de ce nouveau concept au

travail de l ' homme donne des résultats pour le moins surprenants,

comme l'attestent les courts extraits suivants : « Ainsi, à fatigue

égale au bout de la journée, l ' homme, avec les muscles des jambes,

produi t plus de travail qu'avec ceux des bras... et en agissant avec

ses jambes, il produi t le plus de travail possible, lorsque les

mouvements n 'on t pas plus de rapidité que dans la marche

ordinaire [...] le poids que l ' homme peut porter pour produire le

plus de travail, non compris l'élévation de son corps est égal à ce

poids multiplié par 0,597 2 7 . »

Quel a été le retentissement de ces considérations théori­

ques sur la prat ique des travaux ? Les modélisations élaborées à

partir des résultats de l'expérience, décrites plus haut, étaient-elles

réellement mises en pratique ou restaient-elles les paramètres

d 'une méthode commode pour établir les devis ? O n rejoint avec

ces questions le problème plus général de l'évaluation des interval­

les qui séparent la pratique et les modèles théorique d 'une part, la

pratique et les modèles empiriques de l 'autre.

S'il semble clair, à la lecture des propositions faites par la

science, qu 'en dépit d 'une forte demande les relations entre la

théorie et la pratique furent quasiment inexistantes à cette épo­

que, il n'est pas aussi facile de conclure dans le second cas. Par

ailleurs, le peu d'intérêt porté jusqu'à présent aux pratiques de

chantier nous place dans une situation où, faute d 'un nombre

suffisant d'observations, il ne nous est pas encore possible d 'ap­

porter une réponse catégorique. Néanmoins , la diffusion de ces

savoirs et de ces modèles empiriques à travers la littérature

spécialisée et les premiers indices que nous avons pu recueillir à ce

jour tendent à montrer que la planification, telle qu'elle était

conçue au m o m e n t des devis, avait de réels effets sur la prat ique

du chantier. Le cas particulier des chantiers du percement de

l ' isthme de Suez, développé plus loin, apportera de nouveaux

éléments d'appréciation de la question.

ET L'HOMME DANS CETTE HISTOIRE ? C o m m e le souligne Eugène Ferguson à propos des expé­

riences réalisées à la fin du siècle des Lumières, « la notion même

d 'homme-machine était à la base de tous les travaux effectués par

ces chercheurs 2 8 . » L ' h o m m e des chantiers n'est qu 'un cas par­

ticulier, assimilé par certains à une machine à qui on demande

régularité et précision, par d'autres à une source d'énergie en

concurrence avec la force animale ou la vapeur. Il est même à

l'origine d 'une unité de mesure de la nature de la terre 2 9 . T o u t au

long du XIXE siècle, et en dépit de l 'apparition puis de la diffusion

des doctrines socialistes en France, le statut du manœuvre n'évolue

pas, et la question de la condit ion ouvrière sur les chantiers est

passée sous silence. Le monde des travaux publics, le corps des

Ponts et Chaussées en tête, se révèle très peu sensible à ces

questions, refusant n o t a m m e n t de se laisser séduire par les chants

des sirènes saint-simoniennes 3 0 . Il faudra attendre 1883 pour lire,

sous la p lume de l 'ingénieur des Ponts et Chaussées H . de

Lagrené : « En parcourant nos Annales des Ponts et Chaussées, si

riches en documents techniques et scientifiques sur toutes les

matières qui intéressent les travaux publics, on peut s 'étonner de

n 'y rencontrer aucune étude ni même aucun renseignement sur la

situation physique et morale des ouvriers de nos grands chantiers.

Le dernier de nos manœuvres n'est cependant pas simplement un

inst rument de travail soumis à la loi de l'offre et de la demande et

représenté par un certain prix de location comme un moteur

quelconque 3 1 . » Q u ' o n ne s'y t rompe toutefois pas : cette prise de

conscience restera isolée dans l'histoire de la littérature des

Annales des Ponts et Chaussées.

A ce stade, o n est en dro i t de se d e m a n d e r si l ' in t roduct ion

et la généralisation de la définit ion d u travail, concept de la

physique, à l ' h o m m e , n ' o n t pas aussi, dans une certaine mesure,

cont r ibué à réduire les représentat ions, les débats et les valeurs

que le te rme recouvre de façon plus générale. Le travail de

l ' h o m m e , r amené au résultat d ' u n calcul, n 'a-t-i l pas eu p o u r

conséquence de faire disparaître l ' individu derrière l'effet méca­

n ique qu' i l p r o d u i t 3 2 ?

Prisonniers, soldats et assujettis à la corvée constituent longtemps la main-d'œuvre des travaux publics

Mais qui étaient exactement ces hommes chargés d'exécuter

les travaux de terrassement ? D e manière plus générale, où allait-

on chercher la main-d 'œuvre à employer aux travaux publics ?

Dans la première moitié du xix e siècle, la main-d 'œuvre

occupée aux travaux publics est constituée, suivant les cas, de

manœuvres locaux, saisonniers agricoles temporai rement dispo­

nibles, de prisonniers, condamnés de droit c o m m u n , déserteurs

ou prisonniers de guerre 3 3 , ou encore de soldats. A ces trois

origines, il faut ajouter, dans le cas particulier de la construction

et de l 'entretien des routes, la prestation, sœur de la corvée 3 4 . Sur

un même chantier, on pouvait rencontrer des ouvriers de diffé­

rents statuts.

La main-d 'œuvre militaire est mise à contr ibut ion au canal

de l 'Ourcq (1803) et à l'exécution des routes de Bretagne (1835)

no tamment . A l'occasion de la surveillance de ces travaux effec­

tués en Bretagne, l ' ingénieur des Ponts et Chaussées Charles

Collignon entreprend de calculer le coût et la rentabilité de la

main-d 'œuvre militaire effectivement employée et les compare à

ceux d'hypothétiques travailleurs libres qui auraient été occupés

aux mêmes travaux. Ses résultats, net tement en faveur de la main-

d 'œuvre libre 3 5 , on t pour conséquence principale de ne plus

solliciter, à de rares exceptions près, de main-d 'œuvre militaire

pour les travaux publics 3 6 .

De façon analogue, l 'emploi des condamnés, le temps des

guerres passées, se fait plus rare jusqu'à ne plus se rencontrer que

dans les travaux portuaires, la proximité des bagnes rendant plus

avantageux l 'emploi du travail gratuit des forçats.

En conclusion donc, dans la seconde partie du XIXE siècle en

France, l'exécution des travaux publics est désormais affaire d'ouvriers

libres et d'entrepreneurs. De plus, si les ouvriers d'art (maçons,

forgerons, charpentiers, mécaniciens, etc.) restent souvent attachés

à l'entreprise qui les emploie, les terrassiers sont en revanche recrutés

au sein des populations locales, pour la durée des travaux.

Les descendants des bâtisseurs de pyramides creusent le canal de Suez

En Egypte, à cette même époque, la situation est différente

puisque depuis l 'Antiquité se perpétue le système de la corvée.

Assimilable à un impôt en nature, la corvée a été instituée à

l'origine pour répondre aux problèmes posés par les crues pério­

diques du Nil . Les fellahs, ou paysans égyptiens, qui en sont

redevables, entret iennent donc, année après année et à la façon de

leurs ancêtres, le réseau hydraulique mis en place pour canaliser

les eaux du Nil . Au service tout d 'abord des travaux d'intérêt

général, la pratique de la corvée a progressivement été étendue à

tous les travaux publics et même à certains travaux privés.

Quelques souverains d'Egypte ne se sont d'ailleurs pas privés

d'abuser de cette obligation faite au fellah de fournir gratuitement

à l 'Etat u n certain nombre de journées de travail. Q u a n d , entre

1818 et 1821 , est creusé le canal Mahmoud ieh , destiné à relier

Alexandrie au Nil et au Caire, 320 000 ouvriers sont mobilisés.

En temps ordinaire, c'est-à-dire quand il n 'y a pas de travaux

exceptionnels, on évalue à 400 000 le nombre des fellahs qui, dans

la première moitié du XIXe siècle, sont sollicités chaque année pour

l'exécution des travaux 5 7 .

Jusqu 'en 1880, chaque village est collectivement responsa­

ble de l ' impôt destiné aux travaux publics et doit fournir chaque

année un certain quota d 'hommes 3 8 . La charge incombant au

village, proportionnelle à sa populat ion, est répartie par le chef de

village, ou cheikh, entre ses membres . Les fellahs désignés se

rendent sur les chantiers, accompagnés de leur cheikh. Femmes

et enfants suivent parfois. De 1833 à 1838, sur les premiers

chantiers du barrage du delta du Nil , on voit s imul tanément

jusqu'à 40 000 ouvriers à l 'œuvre.

Aux alentours de 1850, les conditions dans lesquelles

travaillent les hommes assujettis à la corvée n 'on t guère évolué et

rappellent encore celles dans lesquelles leurs ancêtres opéraient.

Sur les chantiers où travaillent les fellahs, le gouvernement

égyptien ne se préoccupe ni de leurs logements, ni de leur santé.

Sur certains chantiers cependant, de la nourri ture, principalement

des biscuits, leur fut fournie, mais cette pratique demeure excep­

tionnelle 3 9 . Dans ces conditions, on n'est guère surpris d'apprendre

que ces grands travaux devenaient quelquefois les tombeaux de

ceux qui les exécutaient, et qu 'en creusant des canaux, ce sont

leurs propres tombes que beaucoup creusaient. Plusieurs con­

temporains rapportent, à ce sujet, que lors de la construction de

la ligne de chemin de fer reliant Le Caire à Suez, inaugurée à la fin

de l 'année 1858, 10 000 fellahs moururen t en une seule journée,

faute d'avoir été ravitaillés à temps en eau.

Pour le percement de l ' isthme de Suez, il avait été décidé,

pour des raisons à la fois politiques et diplomatiques 4 0 , que les

quatre cinquièmes de la main d 'œuvre seraient de nationalité

égyptienne, et que celle-ci serait fournie à la Compagnie univer­

selle du canal mari t ime de Suez 4 1 au gré des besoins par le gou­

vernement égyptien. En signant cet accord, le vice-roi d'Egypte,

Mohammed-Sa ïd 4 2 , avait évidemment dans l'idée de faire appel

à la corvée pour honorer son engagement. Ce sont donc des

contingents de la corvée qui, à partir d'avril 1861, se rendent sur

les chantiers du canal de Suez, d 'abord pour creuser le canal d'eau

douce et ensuite pour percer le seuil d'El Guisr, principal obstacle

du tracé du canal marit ime, à une altitude d'environ 19 mètres au-

dessus du niveau de la mer. Mais l'envoi de main-d 'œuvre sur les

chantiers de l ' isthme de Suez vint à être réduit à partir de janvier

1863, date de l'accession au trône d'Egypte d ' I smaï l 4 3 , avant d'être

totalement et définitivement suspendu au mois de mai 1864.

L'opposition anglaise, non dissimulée, à l'égard de la réalisation

de ce canal n'est certes pas étrangère à ce revirement d 'at t i tude de

la part du gouvernement égyptien. La Compagnie , pour mener

ses travaux à bon terme, eut alors recours à des machines mises au

point pour la circonstance. Elle du t également se résoudre à

embaucher des travailleurs libres à des salaires beaucoup plus

élevés que ceux qu'elle attribuait auparavant aux ouvriers de la

corvée 4 4 . Des Marocains, des Smyrniotes, des Grecs, des Autri­

chiens, des Calabrais, des Piémontais, des Syriens, des Français et

des Egyptiens (travailleurs libres) formèrent alors la populat ion

cosmopolite des chantiers.

Ci-dessous : Le recours massif à la mécanisation sur le chantier du canal de Suez a

marqué l'histoire générale de l'évolution des travaux publics. Cl. Association du

souvenir de F. de Lesseps et du canal de Suez.

Mais à partir de ce m o m e n t là, c'est une nouvelle histoire

qui commença pour les chantiers de l ' isthme de Suez, et une

nouvelle organisation des chantiers fut mise en place, centrée cette

fois sur l'activité des machines. Au-delà de l'histoire particulière

du chantier du canal de Suez, ce recours massif à la mécanisation,

jusque-là sans précédent, a marqué l'histoire générale de l'évolution

des travaux publics en introduisant l'ère de la machine et de la

vapeur sur les chantiers.

Les dimensions exceptionnelles de ce chantier ont sans

aucun doute largement contr ibué à ce bouleversement, fortement

épaulé, il ne faut néanmoins pas l'oublier, par le contexte techni­

que de l 'époque (progrès de la sidérurgie, multiplication des

machines à vapeur, etc.), et le territoire égyptien, une fois de plus

dans l'histoire, s'est trouvé être le théâtre de travaux colossaux. D e

fait, ce pays a offert un terrain d 'expérimentation sans équivalent

dans leur propre pays, aux techniques françaises, leur permet tant

no t amment d'être testées à une autre échelle.

DE LA THÉORIE À LA PRATIQUE

Quand on essaye de faire voler les brouettes, ou les déconvenues d'un transfert de technique

Forts des savoirs théoriques et empiriques évoqués plus haut,

les ingénieurs et chefs de chantier recrutés par la Compagnie en

France arrivent dans l'isthme de Suez, à partir du début de l'année

1859. Les estimations de l'avant-projet, réalisées en 1855 par deux

ingénieurs français au service du gouvernement égyptien, Adolphe

Linant de Bellefonds et Eugène M o u g e l 4 5 , tablent sur l'emploi de

20 000 à 30 000 ouvriers de la corvée pendant six ans, le rendement

de chacun étant évalué d'expérience à 1,5 mètre cube par jour.

La période des premières installations passée, l 'heure est

donc venue d 'examiner de plus près les procédés à met t re en

œuvre pour organiser au mieux ces travaux et sur tout tirer le

meilleur part i de la ma in -d 'œuvre mise à la disposition de la

Compagn ie . S'inspirant des pratiques qui on t cours en France,

les ingénieurs projet tent alors de franchir le seuil d 'El Guisr grâce

à l 'utilisation, dans des combinaisons inédites, des outils usuels :

brouettes, pelles, cordes, poulies, plans inclinés, madriers et

locomobiles. Le dispositif arrêté sur le papier prévoit deux

périodes successives : la première comprend les terrassements à

exécuter à sec, et la seconde les excavations à réaliser sous l'eau

ou dragages. La première période est elle-même décomposée en

trois étapes : une première, correspondant à l 'extraction de la

t ranche de terrain superficielle (sur une profondeur de 3 mètres)

pour laquelle doivent être mise en œuvre les « brouettes volan­

tes » ou « appareils Balland », une seconde étape relative à une

t ranche de terrain de 6 mètres d'épaisseur, à effectuer au moyen

de la « brouet te à la corde », et enfin l 'achèvement du creusement

à sec, soit la dernière t ranche qui , elle, nécessite l 'emploi d 'une

« grande toile sans fin de t ransport » (les illustrations de la page

suivante permet ten t de rendre compte plus précisément des

modes de fonc t ionnement de ces divers appareils et installa­

tions). Ces procédés d o n t l ' ingéniosité n 'a rien à envier aux

meilleurs systèmes employés ou t re -Manche sont reproduits

dans plusieurs périodiques destinés aux ingénieurs de travaux

publics 4 6 . Mais ce que ces revues omet ten t de préciser (peut-être

l 'ignorent-elles, et on est en droi t de leur reprocher ce m a n q u e

d ' informations) , c'est que ces engins n ' o n t en définitive pas été

utilisés sur les chantiers de Suez. Pourquoi ? L'explication, dans

son é tonnante simplicité, nous suggère l 'ampleur des difficultés

inhérentes à la réalisation de travaux à l 'étranger et sur tout donne

à médi ter sur l'écart qui , dans ce domaine peut-être plus que

dans d'autres, sépare la concept ion d u travail de sa prat ique

effective. Les méthodes évoquées ci-dessus s 'appuient sur l 'emploi

et la connaissance implicite d 'un outil : la brouet te . D ' u n usage

banalisé en Europe dans les travaux de l 'agriculture et du génie

civil, on l'a déjà vu plus haut , ce petit véhicule, c'est là que réside

la surprise, ne s'était pas arrêté en Egypte. En outre, et de

nombreux ingénieurs et chefs de chantiers firent l 'expérience à

leurs frais, l 'acclimatation de cet ins t rument semblait impossi­

ble. D e nombreuses tentatives effectuées en vue de faire utiliser

la brouet te par les fellahs se soldèrent en effet par des échecs :

« Sur nos chantiers du bassin, les Arabes commençaien t au bout

de trois ans seulement à employer de façon courante le pic, la

pelle, la truelle, la ho t te à mort ier ; la brouet te a plusieurs fois été

essayée mais sans succès à ce jour 4 7 . » M ê m e son de cloche sur

les chantiers du canal de Suez, où les chefs de chantiers se

résolvent à laisser les fellahs utiliser leurs façons de faire habituel­

les et leurs outils traditionnels : le fass et la couffe. Sans que cela

fournisse une explication suffisante, on peut toutefois préciser

que le peu de temps que chacun de ces ouvriers passait sur les

chantiers de l ' isthme de Suez (un peu moins d ' un mois) coupait

court à toute velléité d'envisager l 'apprentissage des nouveaux

outils. Les fellahs avaient l 'habitude d 'ameubl i r la terre avec un

fass, espèce de houe ou pioche assez large, au manche court , et

de la transporter au moyen d 'une couffe ou couffin, panier tressé

en tiges de palmier. Tels furent donc les outils rudimentaires qui

servirent à extraire les premiers millions de mètres cubes sur les

chantiers du percement du canal de Suez.

Pour expliquer ce refus d'utiliser la brouette, phénomène

qui peut être observé aujourd'hui encore dans certains pays,

d 'aucuns avancent l 'argument du prix de l'outil, équivalent, dans

le cas du chantier de Suez, à un salaire de quinze jours environ

pour le fellah. Ce dernier craindrait de l 'endommager et de se voir

facturer les dégâts. Cette explication, par la rationalité de nature

exclusivement économique à laquelle elle recourt, n'est pas tota­

lement convaincante. La clef de ce mystère est sans doute davantage

à rechercher dans la direction que nous indique André Georges

Haudricourt , au détour d 'une lettre personnelle à Charles Par­

rain : « [...] le problème de la brouette est intéressant, elle est

venue chez nous par le N o r d : brouette < berwe, zng.barrow [...]

Le problème est de voir pourquoi elle ne s'est pas rapidement

répandue vers le Sud. Je crois donc pour l 'instant que la brouette

a été introduite dans le nord de l 'Europe comme la fraction de la

nouvelle technique métallurgique. C'est que la brouette est un

véhicule à moteur humain , son usage fait partie de ce que

M . Mauss appelle les techniques du corps, c'est-à-dire des habi­

tudes musculaires. Les habitudes musculaires et les habitudes

mentales sont les plus tenaces. Elles ne peuvent se modifier qu 'à

la faveur d 'une modification d'ensemble 4 8 . »

L'organisation du travail sur les chantiers du percement de l'isthme de Suez, avant l'arrivée des machines

Si les techniciens français n 'on t p u imposer sur ce chantier

leurs outils, leurs engins et leurs techniques, ils y on t néanmoins

exporté une organisation du travail, qui passait no tamment par

une préparation du travail à réaliser. Les choses se déroulaient de

la façon suivante.

S E U I L D E L G U I S R

COUPES TRANSVERSALES REPRESENTANT LES MODES DE TERRASSEMENT AFFECTES AUX DIFFERENTES PROFONDEURS DE TERRAIN.

ÉCHELLE DE (0,0025 p. m.)

F ICI Ri | . I i l è re se i t 4e la I" traieie 11 ««jea 4e II ir t ie l te u l u l e .

FIGURE 1 I i l è f e a e i l 4e la 2"" iruche a «eje i 4e la fcreieUe à la e«r4e.

Tï̂ acb* ^"««e * la corde

[h CaUe finTVuitutt mtour de J« pouto k. attaché pur utu desex extrémités « la brouette pleine, et tiré :-:<•:. autre, &vtï>émti4 gw l̂e* <few.r wwwr* r«̂ 'jt»»«d<iH/ta Arottirtlc w<fc.

FKilRE 3, Knlèvemeat 4e la 3°' tranche ai majen 4a plan iacliié.

Extrait du Journal de l'isthme de Suez, n° 114, mars 1861, p. 89.

Chaque mois lunaire, des contingents, certains en prove­

nance de la Haute-Egypte (parfois de points aussi éloignés que la

première cataracte), arrivent sur les chantiers par leurs propres

moyens ou en utilisant les lignes de chemin de fer existantes (le

gouvernement les autorise à voyager gratuitement sur tout le

réseau pour se rendre sur les chantiers de l ' isthme de Suez). Au

même momen t , d'autres partent, et c'est donc à 50 000 qu 'on

peut évaluer le nombre des fellahs soustraits ces mois-là aux

travaux de l'agriculture. Que l que soit leur provenance, ils sont

tous regroupés en un même lieu (il s'agit d 'abord de la station de

chemin de fer d'Awebed, puis ce lieu de ralliement change avec la

progression des travaux). Là, un employé de la Compagnie les

attend, qui, après avoir constitué des escouades ou équipes d 'une

dizaine de travailleurs, les dirige chacune vers son lieu de travail,

en fonction des besoins. Arrivés à destination, les fellahs sont pris

en charge par un chef de chantier qui leur fournit des outils et

désigne à chaque escouade la tâche qui lui est assignée. Chaque

chantier a préalablement été préparé par ce chef de chantier : il a

divisé le travail à exécuter en petits ateliers de déblais, correspondant

chacun à la tâche à effectuer par une escouade. Chacune de ces

tâches est délimitée au sol et balisée par deux piquets, et les

tronçons se succèdent. La tâche d 'un atelier est évaluée en tenant

compte de la nature de la terre, de la pénibilité et de la difficulté

du travail (en fonction de la profondeur des excavations à réaliser

et de la longueur des transports à effectuer), et sur la base d 'une

escouade travaillant pendant une vingtaine de jours. En tête de

chaque atelier, on trouve une inscription en arabe indiquant le

cube total des terres à extraire et le prix alloué pour la tâche.

Le système du travail à la tâche est donc substitué à la

méthode des journées dues, appliquée d'ordinaire pour la corvée.

Autre différence, qui a fait dire à certains qu 'on n'avait pas ici

réellement affaire à la corvée, les travailleurs sont payés. A la suite

d 'un accord passé entre la Compagnie et le gouvernement égyptien,

il a en effet été décidé que les ouvriers de la corvée seraient

rémunérés et que la Compagnie veillerait à leur nourri ture, à leur

santé et à leur logement.

La Compagnie , durant les premières années, assume seule

la charge des approvisionnements de toute nature indispensables

au chantier, et no t ammen t des vivres. Au m o m e n t où le gou­

vernement égyptien prête le concours mensuel de 20 000 ouvriers

fellahs, une organisation spéciale est devenue nécessaire pour

assurer le service des approvisionnements et des transports. D e là,

la création d 'une intendance générale ayant pour mission de

pourvoir à l'achat et à la continuelle arrivée de vivres et d'outils au

milieu des travailleurs. U n intendant militaire français, connu

pour de longs services en Algérie et en Crimée est désigné comme

répondant aux exigences de la situation. Les vivres (lentilles, riz,

dates, oignons, huile, mais aussi et surtout biscuits) sont achemi­

nées sur les différents points à dos de chameaux. C'est par milliers

de kilogrammes que l 'on compte les biscuits transportés chaque

mois au seuil d'El Guisr.

Le travail achevé, arrive le m o m e n t de la paye. La somme

d'argent à verser à chaque escouade s'obtient à partir du salaire

correspondant au travail effectivement réalisé (calculé sur la base

des relevés des chefs de chantier) auquel on soustrait, le cas

échéant, le mon tan t des dettes contractées dans les magasins de la

Compagnie . Le versement de la paye est un m o m e n t privilégié qui

obéit à des règles et à un cérémonial bien rodé : « Il y avait cinq

mille hommes sur cinq longues lignes et réunis par pelotons de

dix. Tous étaient accroupis à terre et chaque groupe avait été invité

par les drogmans à choisir un h o m m e pour recevoir la paye des dix

ouvriers du groupe. Le payeur, accompagné de deux agents

comme témoins, d 'un porteur de sacs de monnaie , de deux cawas

et d 'un drogman, parcourait les lignes et remettait successivement

au receveur choisi sa paye et celle de ses neufs camarades, sous

forme d 'un certain nombre de pièces d 'or et de l 'appoint voulu.

Les deux témoins vérifiaient et pointaient sur leurs carnets, et le

drogman expliquait bien aux hommes qu 'on leur donnai t telle

somme en telles pièces de monnaie, ce qui faisait tant par ouvrier,

qu'ils avaient à prendre sur la somme remise par le groupe. Une

fois le payeur passé, le groupe se levait, pour aller plus loin faire le

partage, prendre ses effets et se préparer au d é p a r t 4 9 . »

Q u a n t aux logements de ces milliers de travailleurs, bien

que des baraquements aient été initialement prévus, ce sont en

définitive des tentes et des abris construits à la hâte, au moyen

d'argile et de roseaux, qui servent à abriter les fellahs, quand ils ne

dorment pas à la belle étoile. D e façon générale, les conditions

matérielles faites aux fellahs sur les chantiers du canal de Suez, sans

être réellement satisfaisantes, sont néanmoins les meilleures qu'ils

aient connues jusque-là.

O n le voit à travers ces quelques exemples pratiques, c'est

par leurs talents d'organisateurs, plus que par des innovations

spectaculaires, que, dans la première période des chantiers du

canal de Suez, les ingénieurs et chefs de chantiers européens

présents ont pu faire preuve de leur efficacité et d 'un certain

savoir-faire qu'ils empruntaient d'ailleurs largement aux prati­

ques militaires.

Dans cette recherche sur l 'organisation du travail sur les

chantiers du XIX e siècle, la brouette a croisé notre chemin et nos

investigations plus d 'une fois. Elle a guidé notre cheminement à

l 'intérieur de trois domaines très distincts - ceux de la théorie, de

l 'empirisme et de la prat ique - don t les liens restent, dans chaque

cas particulier, à déterminer. En outre, cet outil en apparence très

anodin s'est révélé être, par son usage, un facteur dé terminant

dans le processus, en tamé dès Vauban, de rationalisation de

l 'organisation du travail sur les chantiers de France, avant de

constituer, lors du percement de l ' isthme de Suez, la pierre

d 'achoppement d u transfert en Egypte de ces pratiques. Assuré­

ment , son exemple est révélateur des liens qui unissent une

société et ses outils.

Ci-contre : Un aspect du chantier n° 5 au milieu du seuil d'El-Guisr. Extrait du Monde illustré, 1862.

Ci-dessous : Le chantier du canal d'eau douce. CL Archives de la Compagniefinancière

de Suez.

Notes

1. Cet article s'appuie sur des recherches en cours, réalisées dans le cadre d'une thèse sur le Chantier de percement de l'isthme de Suez

2. Ce sous titre reprend une partie de l'intitulé de l'ouvrage du marquis de Camarasa, qui, in extenso, est tout un programme (Causeries brouettiques. Notes, croquis, schémas, dessins pour un traité historique, bibliographique, étymologique, philologique, théorique, comparatif, technique, politique, artistique, critique, sportif, touristique et pittoresque de la brouette, Madrid, 1925), mais dont le contenu est en revanche plutôt décevant.

3. Paul Adrien Bourdalouë (1798-1868) est conducteur des Ponts et Chaussées. Sa carrière l'amène à se spécialiser dans les travaux de nivellement, technique dont il perfectionne les instruments et les méthodes. La précision des résultats s'en trouve considérablement accrue. En 1847, Paulin Talabot fait appel à lui pour diriger la mission de nivellement de l'isthme de Suez. Le succès de l'opération le désignera pour doter la France d'un réseau de nivellement de précision, dont les résultats sont publiés en 1864.

4. Ce résultat fit grand bruit dans la communauté scientifique de l'époque, non seulement parce qu'il s'attaquait à une croyance populaire admise depuis fort longtemps, mais surtout parce que cette thèse avait été confirmée par les résultats d'une étude entreprise lors de l'expédition de Bonaparte en Egypte. En dénonçant l'inexactitude des résultats et des conclusions de l'ingénieur des Ponts et Chaussées Jacques-Marie Lepère, Paul Adrien Bourdalouë, malgré lui, jetait le discrédit sur la prestigieuse expédition d'Egypte tout entière.

5. Les saint-simoniens, débarqués en Egypte en 1833, à la suite de Prosper Enfantin, se portaient en faveur d'un tracé plus « égyptien » pour ce canal. Ils proposaient en effet de réaliser un canal qui relierait Alexandrie à Suez, en traversant le delta du Nil. Ce choix plus politique que technique aurait permis de redonner à la ville du Caire le rôle de plaque tournante des échanges entre l'Orient et l'Occident, rôle qu'elle avait autrefois, en devenant notamment l'entrepôt du commerce des Indes avec l'Europe, et de hisser Alexandrie au niveau des tout

premiers ports de la Méditerranée. Une commission scientifique rassemblant des ingénieurs de différents pays européens fut constituée pour donner un avis technique sur les différents projets concurrents. Leur choix se porta, en accord avec la volonté du pacha d'Egypte, sur un canal direct traversant l'isthme de Suez : un canal, donc, en marge du territoire égyptien.

6. Le premier à proposer un tracé direct pour ce canal est Adolphe Linant de Bellefonds( 1799-1883). Français, ancien élève de la marine, il arrive en Egypte en 1818, en qualité de dessinateur d'une mission scientifique. Il reste dans le pays et entre au service du gouvernement égyptien en 1830. Ayant gravi peu à peu les échelons de la hiérarchie administrative, il termine sa carrière en qualité de ministre des Travaux publics d'Egypte.

7. Alexandre Lavalley est un ingénieur peu ordinaire, puisque, à sa sortie de l'Ecole polytechnique, en 1840, et bien que son rang de classement lui permette d'entrer dans un corps d'Etat, il choisit de démissionner pour se rendre en Angleterre et se faire embaucher comme conducteur d'engin. Cette double formation théorique et pratique fera de lui un ingénieur de tout premier plan, reconnu comme tel par tous.

8. A. Lavalley, Troisième Communication à la Société des Ingénieurs civils, 27 novembre 1868.

9. Les ingénieurs français continuent à se rendre en Angleterre pour prendre connaissance et admirer l'utilisation qui est faite, outre-Manche, des machines à vapeur.

10. Les dimensions retenues pour satisfaire au gabarit des bateaux de l'époque était, dans l'avant-projet, de 100 mètres de largeur au plan d'eau au sud des lacs Amers et de 80 mètres dans la partie du canal située au-dessus de ces lacs, pour 44 mètres au plafond et 8 mètres de profondeur. Par souci d'économie, la Compagnie universelle du canal de Suez réduisit ces premières largeurs à respec­tivement 80 mètres et 58 mètres au plan d'eau, pour 22 mètres au plafond. Le second Empire voit se développer la navigation à vapeur et, par conséquent, des bateaux dont les dimensions sont de plus en plus importantes (le stockage du combustible requiert de la place). C'est pour ces bateaux qu'est conçu le canal, mais très vite ses dimensions s'avéreront insuffisantes, et on sera amené à élargir et à approfondir le canal ( 1876). Ce scénario se reproduira à plusieurs reprises dans l'histoire, le canal cherchant à permettre le passage des navires qui n'en finissent pas de grossir...

11. La surveillance des travaux du percement de l'isthme de Suez incombe au personnel de la Compagnie Universelle du canal maritime de Suez. Pour cela, elle embauche de nombreux ingénieurs, diplômés des écoles d'arts et métiers, de l'Ecole centrale des arts et manufactures, de l'Ecole polytechnique, de l'Ecole nationale des ponts et chaussées ou d'écoles étrangères.

12. B. Gille, « Petites questions et grands problèmes : la brouette », la Recherche en histoire des sciences, Seuil, coll. « Point Sciences », Paris, 1983, p. 79.

13. J. Needham, la Science chinoise et l'Occident, Seuil, coll. «Points Sciences », 1973, p. 26.

14. Voir article de B. Gille cité ci-dessus.

15. Les archives du génie militaire de Vincennes conservent certains des rapports auxquels ont donné lieu les observations faites par les officiers du génie au cours du X V I I I e siècle.

16. Bélidor, Architecture hydraulique, t. III, Paris, 1750, p. 112.

17. Explication de lafaçon dont on réduit lefil de laiton à différentes grosseurs, dans la ville de Laigle, en Normandie, 1739, et Description de la façon dont on fabrique des épingles à Laigle, 1740.

18. Compte rendu n°5 : « Perronet, précurseur de Taylor », Annales des Ponts et Chaussées, mémoires, 1927-1, pp. 95-98.

19. J.-R.Perronet, Devis des ouvrages à faire pour la construction du pont LouisXVI, 1788.

20. L'expérience, faite à Soissons par les capitaines Paret et Vaillant, a lieu le 8 septembre 1817. Elle est rapportée dans un article, intitulé « Observations sur les terrassemens », écrit par M. Vaillant, officier supérieur du génie, d'abord paru dans le Mémorial du génie, et repris dans les Annales des Ponts et Chausséesen 1833.

21. Observations sur la manière la plus exacte et la plus équitable que Von doit suivre pour fixer le prix des terres à payer au soldat travaillant à l'atelier, 1794.

22. En 1835 notamment une voix s'élève. C'est celle de l'ingénieur Louis Vicat (1786-1861) : « Quelques ingénieurs ont pensé qu'il était possible de former

des sous-détails de toutes espèces d'ouvrages, en combinant convenablement les éléments de temps employé à en parfaire des quantités déterminées ; c'est une erreur, car il existe une foule de circonstances qui échappent à toutes les prévisions, et qu'on ne saurait introduire dans ces éléments. Il est donc des prix comme de certains phénomènes qu'aucunes formules ne peuvent fidèlement représenter ; que faire alors ? Recueillir des observations et les classer méthodiquement... », dans « Expériences sur la main-d'œuvre et les faux frais dépendants du service des Ponts et Chaussées », Annales des Ponts et Chaussées, 1835, p.34.

23. E. Ferguson,« L'homme-machine », Histoire des machines,¥>e\\n, Paris, pp. 163-164.

24. Baron de Prony, Girard et Navier, Rapport fait à l'Académie des sciences, sur un ouvrage intituléDu calcul de l'effet des machines, Paris, le 8 juin 1829, p. 1.

25. En s'appuyant notamment sur les travaux des ingénieurs et mathéma­ticiens Augustin Cauchy (1789-1857) et Victor Poncelet (1788-1867).

26. Coriolis, Du calcul de l'effet des machines ou considérations sur l'emploi des moteurs et sur leur évaluation, pour servir l'introduction à l'étude spéciale des Machines, 1829. Il précise : « Ce mot de travail vient si naturellement dans le sens où je l'emploie, que sans qu'il ait été ni proposé, ni reconnu comme expression technique, cependant il a été employé accidentellement par M.Navier... et par M. de Prony. » La paternité de la désignation reviendrait donc plutôt à Claude Navier (1785-1836). Le travail, expression des « actions exercées par les moteurs sur les machines » et le « principe de la conservation des forces vives » établi par Lagrange forment désormais le noyau théorique de la « science des machines ».

27. Ibidem, p. 196.

28. E. Ferguson, op. cit., p. 168.

29. En effet, « le rapport du nombre des hommes employés à la fouille, piocheurs et chargeurs, à celui des rouleurs qui parcourent le premier relais est le nombre par lequel on désigne la nature de la terre ; ainsi, par exemple, si un homme suffit pour charger une brouette pendant qu'un autre parcourt un relais horizontal de 30 mètres, on dit que la terre est à un homme ; si un homme ne suffit pas, et que, par exemple, pour deux rouleurs au premier relais, il faille un piocheur et deux chargeurs, la terre est à un homme et demi ; la terre peut-être à deux, trois, etc. hommes », peut-on lire dans les manuels spécialisés.

30. Cette situation est d'autant plus paradoxale que l'on connaît la place importante tenue par les travaux publics dans les doctrines des disciples de Saint-Simon.

31. H. de Lagrené, « Etude sur la situation physique et morale des ouvriers des grands chantiers », Annales des Ponts et Chaussées, 1883, pp. 315-345. Plus d'un siècle après, cette remarque garde son actualité et toute sa pertinence.

32. Au X I X e siècle, la science économique en pleine expansion s'empare également de ce mot. Mais ce n'est pas la seule ; d'autres disciplines, telle la médecine, partagent également cet intérêt. Les raisons de ce centre d'intérêt commun et la nature des relations existantes entre ces différentes approches restent à étudier.

33. En 1811, un décret de Napoléon généralise et organise l'emploi des prisonniers de guerre aux travaux publics.

34. Supprimée en 1787, la corvée réapparaît en 1836 sous la forme de la prestation mais, cette fois, ne concerne plus que les voies de communication secondaires.

35. Collignon, « Emploi des troupes aux travaux des routes stratégiques », Annales des Ponts et Chaussées, 1840, pp. 1-35.

36. Ces exceptions concernent avant tout les pays colonisés, où les soldats gardaient certains travaux de génie civil dans leurs attributions. La colonisation de l'Algérie, commencée en 1830, fait largement appel à ce type de main-d'œuvre. On peut noter également, à partir de cet exemple, le rôle que commencent à jouer les calculs économiques et leur impact sur les choix et décisions intéressant le domaine des travaux publics.

37. Pour une population totale qui avoisinait les trois millions d'habitants en 1840, et quatre millions en 1861.

38. G. Baer, Continuity and Change in Egyptian Rural Society, 1805-1882, l'Egypte au xnf siècle, CNRS, Paris, 1982, p. 238

39. C'est notamment le cas sur les chantiers de construction de la ligne de chemin de fer du Caire à Suez. Ce fait est rapporté notamment par Paul Merruau dans l'Egypte contemporaine (1840-1857), Paris, 1858, p. 122.

40. Le gouvernement égyptien redoutait, avec cette opération, les prémices d'une colonisation de son territoire. Le gouvernement ottoman, pour sa part, craignait qu'une puissance étrangère ne favorise l'accès à l'indépendance de sa province qu'était l'Egypte. Enfin, la diplomatie anglaise, quant à elle, voyait d'un mauvais œil la France asseoir par cette manœuvre son influence dans cette contrée. Tous étaient donc d'accord pour que la main-d'œuvre requise pour ces travaux soit en grande majorité égyptienne.

41. Pour des raisons de commodité, nous désignerons simplement par « Compagnie », dans ce qui va suivre, la Compagnie universelle du canal maritime de Suez.

42. Saïd Pacha Mohammed (1822-1863) est vice-roi d'Egypte de 1854 à 1863.

43. Ismaïl Pacha (1830-1895) succède à Saïd et gouverne jusqu'en 1879. Il inaugure le canal de Suez.

44. Les détails des dispositions qu'on prévoyait d'appliquer à l'emploi des ouvriers indigènes sont contenus dans le décret du 20 juillet 1856. La Compagnie s'était engagée à leur accorder des salaires égaux à ceux qu'ils auraient gagnés en Egypte, pour un travail équivalent.

45. Dieudonné Eugène Mougel (1808-1890) est ingénieur des Ponts et Chausséesen France. Il se rend en Egypte pour la première fois en 1838, répondant à une demande du vice-roi d'Egypte qui était à la recherche d'un ingénieur pour réaliser le bassin de radoub d'Alexandrie. En 1847, il est chargé des travaux du barrage du delta du Nil. Embauché par la Compagnie du canal maritime de Suez, il dirige ensuite jusqu'à la fin de l'année 1861 les travaux de percement du canal de Suez.

46. Notamment dans Nouvelles Annales de la construction, janvier 1862, pp. 6-12, et dans A. Debauve, Procédés et matériaux de construction, tome 1,1894, pp. 200-202.

47. Ainsi s'exprime André Stoecklin, ingénieur français chargé de diriger les travaux de construction du bassin de radoub de Suez, pour le compte du gouvernement égyptien, en 1867, dans Notice sur le bassin de radoub de Suez, Bordeaux, p. 64.

48. A. G. Haudricourt, la Technologie, science humaine — Recherches d'histoire et d'ethnologie des techniques, éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 1987, pp. 310-311, extraits d'une lettre à Charles Parrain du 22 octobre 1936.

49. O. Ritt, Histoire de l'isthme de Suez, Hachette, Paris, 1869, p. 227.