Suzanne Pairault Infirmière 13 La Fille Du Grand Patron 1977

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JEUNES FILLES EN BLANC * N 13LA FILLE DU GRAND PATRONpar Suzanne PAIRAULT

* Tu ne veux pas dire qu'Evelyne est la fille du professeur Max Lefranc, le clbre chirurgien ? Eh bien, si, justement ! Cette nouvelle stupfie les infirmires de la clinique Saint-Sauveur, dans la banlieue parisienne. Evelyne, simple, discrte, efficace, est donc la propre fille de ce grand patron aussi rput pour sa comptence que pour ses colres redoutables....Cela explique-t-il le succs d'Evelyne ses examens, sa rserve vis- vis du personnel de la clinique, et surtout la sympathie que lui tmoigne Georges Mesnil, un des internes du service ?Face la jalousie de ses camarades, Evelyne aurait du mal supporter le secret douloureux qui la ronge, si elle n'tait pas soutenue par l'amour de son mtier et l'amiti de Georges Mesnil.

Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. Salle des urgences 1976

13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

14. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

16. La promesse de Francine 1979 (Francine)

17. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)18. Florence fait un diagnostic1981 19. Florence et l'trange pidmie 198120. Florence et l'infirmire sans pass198221. Florence s'en va et revient198322. Florence et les frres ennemis 198423. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

13. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

15. La promesse de Francine 1979 (Francine)

16. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)

Srie Florence

1. Salle des urgences 1976

2. Florence fait un diagnostic1981 3. Florence et l'trange pidmie 19814. Florence et l'infirmire sans pass19825. Florence s'en va et revient19836. Florence et les frres ennemis 19847. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre alphabtiqueJeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. Dora garde un secret 1974 (Dora)

3. Florence et les frres ennemis 1984 (Florence)4. Florence et l'trange pidmie 1981 (Florence)5. Florence et l'infirmire sans pass1982 (Florence)6. Florence fait un diagnostic1981 (Florence)7. Florence s'en va et revient1983 (Florence)8. Infirmire bord 1970 (Juliette)

9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

11. La Grande preuve de Florence1985 (Florence)12. La promesse de Francine 1979 (Francine)

13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

14. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)15. Le lit no 13 1974 (Genevive)

16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

20. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

21. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

22. Salle des urgences 1976 (Florence)

23. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

SUZANNE PAIRAULT

LA FILLE DU GRAND PATRONILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

1

Allons, madame Florent; je suis sre que vous avez faim ce matin. Il faut manger, voyons! Au moins quelques cuilleres!La malade serra les lvres et jeta Pauline un regard hostile. C'tait une femme ge quatre-vingt-trois ans , entre quelques jours plus tt la clinique Saint-Sauveur, dans la banlieue parisienne, avec une fracture du col du fmur. L'intervention s'tait bien passe ; on avait remont l'opre du service de ranimation dans une chambre l'tage. Il ne lui restait plus qu' reprendre des forces. Mais elle refusait obstinment toute nourriture.L'infirmire insistait, lui tendant une cuillere de tapioca.Regardez... c'est bon... bien sucr. Avant votre opration vous m'avez dit que vous aimiez les choses sucres...Toujours le mme regard ttu, un peu moqueur. L'air de dire : J'ai dcid que je ne mangerais pas, et je suis la plus forte ! Bella, l'aide-soignante, une jeune Noirevigoureuse, l'air veill, suivait la scne avec attention.Rien faire, tu n'y arriveras pas! dit-elle au bout d'un moment.Pauline posa le bol sur la table de nuit et poussa un soupir.Mais il faut pourtant qu'elle mange! fit-elle d'une voix dcourage. Si elle tait un peu raisonnable, la fin du mois Hamel la laisserait rentrer chez elle. Bella haussa les paules :On ne peut pourtant pas la forcer... Il va falloir encore la nourrir la sonde, dit Pauline mi-voix. a non plus, a ne sera pas facile. Mais puisqu'il n'y a pas d'autre moyen... Elle va se dbattre, comme hier soir. La veille, en effet, quand on avait voulu lui introduire dans le nez la sonde gastrique, la vieille dame s'tait dmene comme un beau diable. La sonde, ce n'tait pas agrable, bien sr... Mais maintenant qu'elle pouvait manger normalement, pourquoi s'obstinait-elle?Elle cherche tout simplement nous faire enrager, maugra la jeune Noire. Chut! chut!... De toute faon, on n'y peut rien. Tu restes ici une minute, Bella? Je reviens. Pauline se dirigea vers la salle de soins et elle prpara la bouillie protides, glucides, vitamines avec laquelle on pratiquait l'alimentation artificielle. Puis elle revint dans la chambre de Mme Florent.Maintenant, dit-elle, il faut que je trouve quelqu'un pour m'aider. Tu peux aller me chercher une infirmire, Bella? Hier soir, Georges tait l, ce qui m'a bien rendu service. Bien sr, dclara Bella, c'est un homme. Avec les hommes, les malades n'osent pas rechigner de la mme faon. Tu n'as qu' l'attendre. Je voudrais avoir fini avant la visite. Non, je vais voir si je trouve quelqu'un. Dans la salle de soins, deux infirmires taient occupes prparer comme tous les matins, pour chaque malade, les mdicaments de la journe. Botes et flacons s'alignaient sur la table; il fallait consulter les fiches, compter les gouttes, rpartir glules et comprims. Le travail tait d'autant plus dlicat que toute erreur risquait d'avoir des consquences graves.Je vous drange..., commena Pauline. Attends, dit l'une d'elles, je vais avoir fini. Vingt-huit, vingt-neuf, trente, voil... Le pauvre, il va faire la grimace : cest affreusement amer. Je lui donnerai un morceau de sucre pour faire passer le got.L'autre infirmire releva la tte et sourit Pauline. Elle tait toute jeune, trs mince dans sa blouse bien

ajuste, sa lgre coiffe blanche pose droit sur une masse de cheveux noirs coups court. Sous cette toison sombre, le petit visage volontaire paraissait trs clair, les yeux gris trs lumineux.Tu as besoin de quelque chose, Pauline? demanda-t-elle. Toujours la vieille dame du 17, rpondit celle-ci. Elle va bien, mais elle fait la mauvaise tte : impossible de lui faire avaler une cuillere de tapioca! Il va falloir lui remettre la sonde. Bonne chance! railla la premire, Bernadette, une petite blonde au visage ros de poupe. Dj, hier soir, a n'a pas march tout seul. Sans Georges, je me demande comment j'y serais arrive. Aujourd'hui aussi, j'ai besoin d'aide. Est-ce qu'une de vous deux peut venir?Bernadette secoua la tte.Ce n'est pas possible pour l'instant, ma pauvre Pauline. Je suis dj en retard : il faut que j'aille faire ma tourne de thermomtres et distribuer les mdicaments. Un peu plus tard, si tu veux. Plus tard...Pauline semblait contrarie. A ce moment, l'autre jeune fille prit la parole.Ecoute, Pauline, si tu peux attendre cinq minutes, je viendrai t'aider. Je vais faire ma distribution en vitesse.Un moment aprs, en effet, elle tait de retour.Voil... c'est fait! Le malade du 15, l'avocat, tait un peu du que je ne reste pas un moment bavarder comme tous les matins. Mais je lui ai promis de revenir. Je trouve que ces cinq minutes-l font partie du traitement. Ce n'est pas votre avis? Bien sr que si, dit Pauline, tu as raison. Tu es d'autant plus gentille de venir m'aider, Evelyne. Alors allons-y!Elles entrrent dans la chambre 17 et Pauline commena installer son matriel prs du lit de Mme Florent. Celle-ci la suivait des yeux avec une expression mi-effraye, mi-malicieuse. Evelyne fit signe sa camarade de s'approcher de la fentre, o elles pouvaient parler sans tre entendues.Si on pouvait lui viter cette sonde... chuchota-t-elle. Pour cela, il faudrait qu'elle mange! J'ai tout essay : la gentillesse, l'intimidation, rien n'y fait. Et je veux absolument qu'elle ait djeun avant l'arrive du patron! Oui, je comprends... Cependant, Evelyne hsitait encore.Si tu peux la dcider, toi, dit Pauline, toujours voix basse. Tu veux que je te laisse un moment avec elle? a ne t'ennuie pas? Au contraire, a me rendra service! J'irai inscrire tes tempratures pendant ce temps-l, si tu veux. D'accord.Reste seule avec la malade, Evelyne alla tranquillement s'asseoir son chevet. La vieille dame la regardait d'un air souponneux : que voulait-elle, cette inconnue? La forcer manger ?Lui enfoncer cet horrible tuyau dans la gorge ? De toute faon, c'tait une ennemie ; il fallait la traiter comme telle.Evelyne prit la main de la malade rcalcitrante. Celle-ci fit un geste pour la retirer; la jeune infirmire n'insista pas.Excusez-moi, dit-elle, je voulais seulement regarder votre bague. Jamais je n'en avais vu de pareille! Je suis curieuse, c'est mon grand dfaut. La vieille dame jeta un coup d'il sa bague. C'tait en effet un bijou original, en or massif, incrust d'arabesques en mail bleu.Cela vient d'Orient, je pense? continua la jeune fille. Vous devez y tenir beaucoup? Je suppose que vous auriez aim la garder durant votre opration...La malade serra contre sa poitrine la main qui portait la bague, comme si elle craignait qu'on ne voult lui prendre le bijou. Mais son regard s'tait un peu adouci.Vous tes alle en Orient? demanda Evelyne.La vieille dame ft signe que non, mais elle semblait manifester un certain intrt.J'aimerais tant visiter ces pays! poursuivit la jeune infirmire. Qui sait? peut-tre un jour...Cette fois, la malade tourna la tte et dsigna du menton sa table de chevet.Ouvrez le tiroir, dit-elle.Sa voix, quoique encore un peu faible, tait bien timbre. Une voix de convalescente , pensa Evelyne. Ce refus de manger tait un caprice pur et simple ; il ne fallait pas y cder.Elle ouvrit le tiroir; au-dessus de divers papiers se trouvait la photo d'une jeune femme vtue de blanc, dans un paysage de roches et de palmiers. A sa vue, le visage de la vieille dame s'claira.Votre fille, peut-tre? questionna Evelyne.La malade inclina la tte et regarda longuement la photo. Son expression avait chang : la mauvaise humeur faisait place la tendresse.Elle est l-bas, avec son mari... Ils reviendront l'anne prochaine. Evelyne la laissa regarder l'image un moment, puis la reprit avec autorit et la remit dans le tiroir.Il faut la ranger, dclara-t-elle, si vous ne voulez pas qu'elle se salisse. Nous la reprendrons quand vous aurez djeun. La vieille dame jeta un coup d'il vers la sonde qui lui rappelait les mauvais souvenirs de la veille au soir : l'introduction du tube, le liquide qui n'en finissait pas de couler. Fallait-il vraiment subir de nouveau ce supplice? Mais Evelyne prenait sur la table le bol qui venait d'tre repouss avec tant d'nergie.L, dit-elle, c'est tide maintenant, ce sera plus facile avaler. Elle parlait avec assurance, comme s'il n'avait jamais t question d'autre chose que de ce tapioca. La malade la regarda d'un air hsitant. Ce n'tait pas cette infirmire-ci, aprs tout, qu'elle avait refus le potage ; elle pouvait peut-tre le prendre sans avoir l'air de cder.Quand Evelyne approcha la cuiller, elle entrouvrit les lvres.Ce n'tait pas trop mauvais, reconnut-elle quand elle eut fini. Un moment plus tard, Evelyne alla retrouver Bernadette et Pauline. Elle tait un peu gne d'annoncer Pauline qu'elle avait russi l o celle-ci avait chou. La jeune fille lui en voudrait peut-tre... Mais Pauline tait surtout soulage que le potage et enfin disparu.

Comment as-tu fait? demanda-t-elle. Nous avons parl; elle m'a montr la photo de sa fille. Je crois qu'elle commenait avoir faim, mais qu'elle ne voulait pas l'avouer. Quand Evelyne sortit de la pice, les deux autres la suivirent des yeux.Qu'est-ce que tu en penses, toi? questionna Pauline brle-pourpoint.Bernadette rflchit un instant.Elle est srement trs bonne infirmire. Gentille aussi, toujours prte rendre service. C'est vrai : j'ai bien vu que a ne l'arrangeait pas, tout l'heure, de venir m'aider. Et pourtant elle l'a propos tout de suite. Oui, elle est vraiment trs sympa. Et pourtant... Je sais ce que tu veux dire : on a l'impression de ne pas la connatre. En tout cas elle ne se lie pas facilement! C'est peut-tre de la timidit? Ou de l'orgueil... Comment savoir? En tout cas, les malades l'aiment bien, les mdecins aussi...Pauline sourit.Parmi les mdecins, il y en a mme un qui semble l'aimer beaucoup ! Tu n'as pas remarqu que le Viking vient toujours rder autour de la salle de soins quand elle s'y trouve?Bernadette n'eut pas le temps de rpondre. Des pas rsonnaient dans le couloir : c'tait le patron, M. Hamel, qui venait faire la visite, suivi de ses deux internes. La surveillante, Mlle Salvi, trs imposante dans sa tenue immacule, fermait la marche.Le patron de la clinique tait un homme de petite taille, sec et nerveux. En salle d'opration, il passait pour exigeant; les infirmires qui l'assistaient tremblaient en sa prsence. Mais ds qu'il avait enlev son masque de chirurgien il se transformait : avec les malades, il se montrait gai, enjou, trouvant toujours le mot pour rire.Alors, matre, demandait-il l'avocat du 15, pas trop douloureuse, cette paule? Encore un peu, mais cela va mieux. Parfait... Seulement, une autre fois,n'essayez pas de passer par une fentre ; laissez cela vos clients les cambrioleurs! Arriv la chambre 17, il questionna : Elle a fini par manger? Mesnil me dit qu'hier soir elle vous a jou toute une comdie.Heureusement que toutes nos malades n'ont pas son mauvais caractre! Ce matin, monsieur, elle a pris un grand bol de tapioca. C'est vous qui l'avez dcide, Pauline? Bravo! Ce n'est pas moi, c'est Evelyne, avoua Pauline un peu contrecur. Evelyne! rpta M. Hamel. Dcidment, elle a l'art et la manire, cette petite!C'tait aussi l'avis de Mlle Salvi. Aprs la visite, elle flicita la jeune fille.Vous avez tout ce qu'il faut pour faire une infirmire parfaite, mon petit. De la rigueur dans le travail, du tact vis--vis des malades... De l'imagination aussi, car il en faut...Evelyne sourit ; on voyait que le compliment la touchait.J'aime beaucoup ce mtier, mademoiselle, dit-elle.Mlle Salvi venait de sortir quand le docteur Georges Mesnil apparut son tour. C'tait le premier interne du service: un grand gaillard au visage hl. Ses cheveux trs blonds et ses yeux bleus lui avaient valu son surnom de Viking. Bonjour, Evelyne ! Je ne te drange pas ? Pas du tout! Pour une fois, je ne viens pas te parler de travail. Je voulais te demander si tu tais de garde mardi soir. Elle haussa les sourcils.Moi? Non... pourquoi? Parce que j'organise une petite soire. Oh! Tout fait entre amis, rien d'extraordinaire. Je voulais te demander si tu pouvais venir ? La jeune fille se raidit lgrement.Je suis dsole, Georges. Mais en ce moment je ne sors pas. Je prpare mon examen complmentaire et je travaille beaucoup. C'est dans moins de quinze jours, tu sais! Ecoute, pour une fois... a ne se terminera pas tard, nous devons tous nous lever de bonne heure. Vraiment, tu ne veux pas? Je t'assure que j'ai trop de travail, Georges. Tu ne m'en veux pas? Non, je ne t'en veux pas; je regrette, c'est tout.Il s'loigna, visiblement du. A voir le regard dont Evelyne suivait le jeune interne, on avait l'impression qu'elle regrettait, elle aussi.

2Une sonnerie tinta doucement ; au tableau du couloir un voyant bleu s'alluma. Evelyne se dirigea vers le bureau de la surveillante.Mlle Salvi, l'couteur la main, parlait au tlphone. Elle fit signe la jeune fille d'approcher.Oui, disait-elle, oui... Tout sera prt, comptez sur nous.Elle raccrocha et se tourna vers Evelyne.C'est une urgence, dit-elle. Pritonite, semble-t-il. Il faut prvoir un enveloppement de glace. Je ne sais si M. Hamel voudra oprer immdiatement. Vous l'avez fait prvenir, mademoiselle? Le mdecin l'a appel lui-mme. Si j'ai bien compris, le malade est un grand industriel trs connu. Je vais lui donner la chambre 12.Evelyne sourit. La chambre 12 faisait partie de son service. C'tait une preuve de confiance que Mlle Salvi lui donnait l.Je voudrais vous demander aussi..., reprit la surveillante. Vous deviez partir six heures, n'est-ce pas? Oui, mademoiselle. Vous serait-il possible de nous donner deux heures de plus? Si vraiment c'est une pritonite, j'aimerais que vous restiez auprs du malade jusqu' ce que j'aie obtenu une garde particulire. Vous voudriez que je passe la nuit? La surveillante protesta.Non, non, pas question. J'aurai une garde, certainement, mais il se peut qu'elle ne puisse pas venir avant huit heures. Ma pauvre Evelyne ! C'est bien souvent que nous vous demandons ce genre de service! Vous tes sre que vous pouvez rester?Evelyne fit signe que oui. Vous voulez sans doute prvenir vos parents que vous rentrerez plus tard ? Vous pouvez tlphoner de mon bureau, sans passer par le standard. Ce n'est pas la peine, mademoiselle, on ne m'attend pas. Ne vous inquitez pas, je resterai jusqu' l'arrive de la garde. Merci, mon petit.Evelyne alla aussitt s'occuper de la chambre. Dans le couloir elle rencontra Bella. Viens avec moi, Bella, nous allons avoir une urgence au 12. On va oprer ce soir? On ne sait pas encore. Hamel va sans doute revenir. Alors c'est grave? Pour la chambre, ne t'en fais pas, tout est prt.On pouvait compter sur Bella. Ensemble elles ouvrirent la fentre, rabattirent les draps du lit de faon pouvoir coucher aussitt le malade. Tu sais qui c'est, Evelyne? Un homme d'un certain ge, probablement. J'espre qu'il sera moins empoisonnant que Mme Florent. Celle-l, vraiment... Enfin, depuis qu'elle mange, a va mieux. Mais tu as une de ces patiences! On est bien oblige d'tre patiente dans ce mtier! rpliqua Evelyne.Bella se mit rire. De toutes les infirmires, Evelyne tait sa prfre. Elle ne vous regardait pas de haut sous prtexte qu'elle avait des diplmes. Bella en aurait un jour, des diplmes ! Elle travaillait le soir pour entrer l'cole. Elle avait son ambition, elle aussi.On entendit au-dehors le bruit d'une sirne. Evelyne se dirigea vers la fentre et jeta un coup d'il dans la cour. Une ambulance s'arrta devant la porte de la clinique. Un infirmier sauta terre, ouvrit la portire arrire et saisit une extrmit du brancard. Le second infirmier, qui avait voyag l'intrieur avec le malade, empoigna l'autre bout.Evelyne essaya de voir le visage de l'arrivant. Tout coup elle sursauta et rentra vivement l'intrieur de la chambre.Il a l'air mal en point, le pauvre! dclara Bella qui s'tait approche galement. Tu as vu comme il est ple? Une pritonite, c'est grave, murmura Evelyne.Bella eut l'impression que la voix de la jeune infirmire tremblait un peu. Elle se retourna, surprise.Qu'est-ce qu'il y a? demanda-t-elle, Tu es malade, Evelyne? Mais non, Bella, pourquoi?La voix s'tait dj raffermie. Evelyne referma la fentre, alla ouvrir la porte et se plaa prs du lit. Des pas s'approchrent dans le couloir ; Mlle Salvi apparut, suivie des brancardiers et du docteur Mesnil.Les infirmiers firent doucement glisser le malade sur le lit. C'tait un homme d'une cinquantaine d'annes, aux cheveux grisonnants. Il avait le visage convuls de souffrance; ses yeux taient ferms, il gmissait faiblement.Georges Mesnil s'avana et palpa l'abdomen norme, tendu craquer.Prends-lui sa temprature buccale, Evelyne, s'il te plat, dit-il la jeune fille.Elle obit : le thermomtre marquait 399. II faudra oprer ? demanda-t-elle. Le patron dcidera; il sera ici dans un moment. Pour l'instant, il faut prparer la salle d'opration. Fais-lui un enveloppement glac en attendant. Evelyne voyait bien que Georges tait inquiet. Aide de Bella, elle fit aussitt le ncessaire. L'enveloppement de glace soulagea le malade, dont les traits se dtendirent lgrement. II va somnoler , dit le jeune interne.Il sortit, suivi de Mlle Salvi. Evelyne resta au pied du lit, les yeux fixs sur l'homme allong. Elle semblait plus mue que ne l'est gnralement une infirmire, habitue dissimuler ses impressions.

M. Hamel arriva bientt et examina le malade. Quand il sortit de la chambre avec Mesnil, Evelyne les suivit.Si je pouvais savoir comment cela a commenc... murmura le patron en hochant la tte. Mais il tait seul : sa femme est en voyage avec les enfants... On l'a prvenue ? Il s'y est oppos. Le dbut de la maladie pourrait avoir de l'importance? Bien sr, Mesnil. Avec un pritoine, dans cet tat, impossible de discerner l'origine. S'il s'agit d'une appendicite, j'oprerai chaud. Si c'est une vsicule, il vaut mieux attendre... Rien faire avant de voir comment cela volue.C'est vous, Evelyne, qui vous occupez de lui? demanda-t-il la jeune fille.

Jusqu' huit heures, oui, monsieur. On a fait demander une garde pour la nuit. C'est bien. Si la temprature monte, prvenez-moi tout de suite. Je viendrai si c'est ncessaire. Il n'y a pas de risque immdiat ? demanda Evelyne. Je ne pense pas. De toute faon, vous tes ici cette nuit, vous, Mesnil, n'est-ce pas?Il s'loigna de son pas nerveux, qui faisait craquer le linolum du couloir. Evelyne rentra dans la chambre ; un moment plus tard Georges Mesnil y entrait son tour. Il jeta un coup d'il sur le malade.Je pense qu'avec la glace il passera une nuit assez tranquille, dit-il. L'important, ce sera la temprature de demain matin. Ou tout ira bien, ou il faudra intervenir sans attendre...Il s'interrompit.Mais qu'est-ce qu'il y a, Evelyne? Tu ne le quittes pas des yeux; on dirait que quelque chose t'inquite ? Je crois beaucoup au flair des infirmires, moi, tu sais. Tu as remarqu un dtail qui nous chappe? Moi? Oh, non, rien du tout... Et pourtant tu n'es pas tranquille, je le vois bien. Tu crois qu'il est vraiment plus mal que nous ne le pensons? Mais non. Aprs ce que le patron vient de dire... Alors il y a autre chose... Tu as l'air, je ne dirais pas angoisse, mais contrarie, mal l'aise. Tu n'as pas d'ennuis dans le service, par hasard? Oh, pas du tout. Georges Mesnil hsita. Alors, demain ? Il s'loigna. Evelyne resta encore un moment debout, immobile. Puis elle s'assit dans un fauteuil et attendit l'arrive de la garde de nuit.Le lendemain matin, elle devait prendre son service huit heures. A peine eut-elle revtu sa blouse et sa coiffe qu'elle se dirigea vers la chambre 12. Devant la porte, elle s'arrta un instant et prta l'oreille. Elle n'y percevait aucun bruit.Sans doute la garde l'avait-elle entendue approcher, car elle ouvrit aussitt la porte.Comment va-t-il? demanda Evelyne. Nettement mieux : la temprature est tombe 38. Il va falloir refaire l'enveloppement; voulez-vous que je vous aide avant de partir? Il dort? interrogea Evelyne. Non, il est bien veill. Il dit qu'il souffre encore, mais beaucoup moins. Vous savez ce que c'est que ces infections aigus : quand a tourne du bon ct... Alors, pour l'enveloppement, je reste ? Je... je vais demander au docteur Mesnil. dit Evelyne. Il faut srement en refaire un, dclara la garde avec autorit. Tant que la fivre n'est pas compltement tombe... Vous n'tes pas de cet avis? Si, certainement. Alors, faisons-le tout de suite. Allez chercher ce qu'il faut, je vous attends. Evelyne se dirigea vers la salle de soins, o se trouvait le matriel ncessaire. Au fond du couloir elle aperut Bella, souriante comme toujours.

Alors, Evelyne, bien dormi? Oui, merci. On ne dirait pas, tu as les yeux au milieu de la figure! A vrai dire, je me suis endormie assez tard. Dis-moi, Bella, tu ne voudrais pas me rendre un service? Bien sr! rpondit la jeune Noire. De quoi s'agit-il? Il faut refaire l'enveloppement du 12. Pourrais-tu le faire avec la garde de nuit, pendant que je descends la pharmacie ? Je me demande si la pharmacie est dj ouverte. C'est trs press? Oui, c'est press. C'est pour le 12?Evelyne secoua la tte sans rpondre. Bella n'insista pas, mais regarda la jeune infirmire avec tonnement.J'y vais, dit-elle.Avant de tourner l'angle du couloir, Bella jeta un regard en arrire. Evelyne ne se dirigeait pas vers l'escalier qui descendait la pharmacie, mais rentrait tout droit dans le bureau.Un moment plus tard, le docteur Mesnil vint l'y rejoindre.Je crois que notre malade du 12 a pris le bon tournant, dit-il gaiement. Tu as vu comme il a chang depuis hier? On ne dirait pas le mme homme! J'ai vu que tu avais refait l'enveloppement, c'est trs bien. A mon avis le patron va le faire ter aujourd'hui. Tu crois qu'il voudra oprer tout de suite? demanda Evelyne. Je ne crois pas. Mais je pense qu'il viendra de bonne heure ; nous ferons la visite plus tt que de coutume. Tiens, justement, le voil. Toute l'quipe se rassembla autour du docteur Hamel. Avec Mesnil, il y avait Granval, le second interne, puis deux stagiaires plus jeunes. Mlle Salvi, Evelyne, Bernadette et Pauline fermaient la marche.La visite, c'tait quelque chose d'important. Les jeunes gens guettaient sur le visage du patron une raction significative. Pour eux un sourire, un froncement de sourcils, un lger pincement de la lvre avaient un sens bien prcis.Dans la chambre 17, Hamel plaisanta un peu son opr de quelques jours.Alors on se dcide enfin vouloir gurir, madame Florent? L'apptit revient grands pas? N'exagrez pas, ou bien l'conomat fera faillite ! Je pourrai avoir du poulet aujourd'hui, monsieur? demanda la malade. Bien sr : une bonne aile de poulet, avec des lgumes, du fromage, un petit dessert...Evelyne, son calepin la main, notait les instructions du mdecin. Le groupe passa dans une autre chambre et arriva enfin au 12.M. Hamel poussa la porte et entra, suivi de l'quipe. Il jeta sur la feuille fixe au pie