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États, échanges nucléaires et prolifération De l’importation à l’exportation de matières et technologies nucléaires militaires Thèse Saëd’Nhir Irving Lewis Doctorat en science politique Philosophiæ doctor (Ph.D.) Québec, Canada © Saëd’Nhir Irving Lewis, 2013

États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

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États, échanges nucléaires et prolifération De l’importation à l’exportation de matières et technologies

nucléaires militaires

Thèse

Saëd’Nhir Irving Lewis

Doctorat en science politique Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Saëd’Nhir Irving Lewis, 2013

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Résumé Cette recherche fournit une explication à propos du passage des États, de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires dans le but de participer à l’accumulation de la connaissance sur les déterminants de la prolifération nucléaire analysés à partir de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude dans la littérature spécialisée. Pour ce faire, une analyse empirique d’un modèle théorique a été menée.

Selon ce modèle dénommé théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux et basé sur une reconceptualisation des concepts de l’opportunité et de la volonté, le passage des États, de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires, est motivé par des facteurs politiques et économiques et est favorisé par des facteurs culturels alors que les facteurs institutionnels et normatifs semblent n’avoir aucun effet sur son occurrence.

Le test empirique du modèle a été effectué à partir d’observations relatives aux transactions nucléaires militaires interétatiques bilatérales entre 1945 et 2010. Les données ont été analysées par le biais de deux méthodes, l’analyse quali-quantitative comparée (Qualitative Comparative Analysis) et l’analyse de processus (Process-tracing), afin de donner plus de robustesse aux résultats. Ces résultats confirment les hypothèses du modèle : les affinités identitaires de l’État fournisseur avec l’État récipiendaire, sa volonté de contenir un État menaçant commun avec l’État récipiendaire et son désir de tirer profit financièrement de son expertise nucléaire sont tous trois facteurs explicatifs de la variation du passage de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires alors que la participation de l’un ou l’autre des États au régime international de non-prolifération ne semble pas être un frein à l’occurrence du phénomène.

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Remerciements Je voudrais remercier sincèrement ma directrice de thèse, la Professeure Anessa L. Kimball pour son aide, son soutien, et sa compréhension tout au long de mes années de doctorat à l’Université Laval. C’était simplement la directrice de recherche dont j’avais besoin. Je suis aussi redevable au Professeur Gérard Hervouet grâce à qui j’ai pu bénéficier, à travers le Programme Paix et sécurité internationales, du soutien financier nécessaire à la présentation de mes recherches lors de différentes manifestations scientifiques.

Mes remerciements vont également aux autres membres du jury qui ont accepté de participer à l’évaluation de cette thèse : les Professeurs Yan Cimon, Jonathan Paquin et Julian Schofield.

À tous ceux qui étaient convaincus, bien avant moi-même, que je pouvais y arriver, vous avez été une très grande source de motivation. Merci.

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Table des matières Résumé ............................................................................................................................................... iii Remerciements ..................................................................................................................................... v

Table des matières ............................................................................................................................. vii Liste des tableaux .............................................................................................................................. xiii Liste des figures .................................................................................................................................. xv

Chapitre 1: L’introduction ..................................................................................................................... 1

1. La présentation du phénomène. ............................................................................................. 1

1.1. La mise en contexte. ........................................................................................................ 1

1.2. Les questions de recherche. ............................................................................................ 4

2. L’explication du phénomène. .................................................................................................. 4

2.1. Les recherches portant sur les conséquences de la prolifération nucléaire. .................... 5

2.2. Les recherches portant sur les causes de la prolifération nucléaire. ................................ 7

3. Le programme de recherche. ................................................................................................ 11

3.1. L’originalité de la recherche. .......................................................................................... 11

3.2. L’argument en bref. ........................................................................................................ 12

3.3. La démarche proposée. ................................................................................................. 13

Chapitre 2 : Le modèle théorique ....................................................................................................... 15

1. L’originalité du modèle théorique. ......................................................................................... 15

2. L’opportunité et la volonté comme une base théorique pour la construction d’un cadre analytique. ..................................................................................................................................... 18

2.1. La conceptualisation de l’ « opportunité » et de la « volonté » dans la littérature classique originelle. ................................................................................................................................... 18

2.2. La conceptualisation de l’ « opportunité » et de la « volonté » dans la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux. ........................................................................... 19

2.2.1. La définition de l’opportunité. ................................................................................. 20

2.2.2. La définition de la volonté. ..................................................................................... 21

3. Les propositions théoriques. ................................................................................................. 23

3.1. Les propositions associées à l’opportunité. ................................................................... 23

3.1.1. L’argument constructiviste. La rencontre de l’offre et de la demande : les affinités identitaires et le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. ............................................................................................................. 23

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3.1.2. L’argument institutionnaliste et normatif. Les limites de la coopération : les failles du régime international de non-prolifération et le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. ...................................................................... 29

3.2. Les propositions associées à la volonté. ........................................................................ 38

3.2.1. L’argument néo (réaliste). Les impératifs stratégiques : l’endiguement et l’équilibre des puissances et le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. ............................................................................................................. 39

3.2.2. L’argument (néo) libéral. Les impératifs économiques : le bien-être et le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. ...................... 42

Chapitre 3 : Le design de recherche .................................................................................................. 45

1. La stratégie générale de recherche. ..................................................................................... 45

1.1. L’univers empirique. ....................................................................................................... 45

1.1.1. Les programmes nucléaires militaires depuis le début de l’ère nucléaire............... 45

1.1.2. Les transferts nucléaires militaires entre États depuis le début de l’ère nucléaire. 62

1.1.2.1. L’assistance nucléaire sensible de Kroenig (2009a; 2010). .............................. 62

1.1.2.2. Les transferts nucléaires hypothétiques............................................................ 67

1.2. Les méthodes d’analyse des données. ............................................................................... 75

1.2.1. L’analyse quali-quantitative comparée: l’analyse booléenne. ................................. 75

1.2.2. L’analyse de processus. ......................................................................................... 81

2. Les définitions opérationnelles des variables. ....................................................................... 82

2.1. La variable dépendante (le résultat) et sa mesure. ........................................................ 82

2.2. Les variables explicatives (les conditions) et leurs mesures. ......................................... 85

2.2.1. Les conditions associées à l’opportunité. ............................................................... 85

2.2.1.1. La condition identitaire: l’affinité idéologique. .................................................... 85

2.2.1.2. La condition institutionnelle et normative: l’adhésion au Traité de non-prolifération. ...................................................................................................................... 87

2.2.2. Les conditions associées à la volonté. ................................................................... 87

2.2.2.1. La condition stratégique: l’État menaçant commun. ......................................... 87

2.2.2.2. La condition économique: le niveau de développement économique. .............. 89

2.3. Les variables explicatives additionnelles (conditions additionnelles) et leurs mesures. 90

2.3.1. L’affinité religieuse. ............................................................................................ 91

2.3.2. Le type de régime politique: le régime démocratique. ........................................ 92

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2.3.3. L’appartenance au Groupe des fournisseurs nucléaires. ................................... 92

2.3.4. L’alliance militaire. .............................................................................................. 93

2.3.5. L’Alliance avec un État nucléaire. ...................................................................... 93

2.3.6. La possession d’armes nucléaires. .................................................................... 94

2.3.7. La puissance relative. ........................................................................................ 95

2.3.8. Le statut de grande puissance. .......................................................................... 95

2.3.9. La contiguïté géographique. .............................................................................. 95

2.3.10. Les relations diplomatiques. .............................................................................. 96

2.3.11. Les transferts d’armements conventionnels. ..................................................... 96

2.3.12. L’ouverture économique. ................................................................................... 97

2.3.13. L’interdépendance commerciale. ....................................................................... 98

Chapitre 4 : Le test booléen du modèle théorique ........................................................................... 101

1. La table de vérité. ............................................................................................................... 101

2. L’équation booléenne et sa minimisation. ........................................................................... 121

2.1. La minimisation des configurations [1] (avec exclusion des cas logiques). .................. 121

2.2. La minimisation des configurations [0] (avec exclusion des cas logiques). .................. 122

2.3. La minimisation des configurations [1] (avec inclusion des cas logiques). ................... 123

2.4. La minimisation des configurations [0] (avec inclusion des cas logiques). ................... 124

3. L’interprétation des résultats. .............................................................................................. 125

3.1. L’interprétation des formules avec un résultat [1]......................................................... 125

3.2. L’interprétation des formules avec un résultat [0]......................................................... 128

3.3. L’explication des cas positifs impliqués dans les configurations contradictoires à l’aide de la formule [1]. ........................................................................................................................... 133

3.3.1. Le cas Israël-Afrique du Sud. ............................................................................... 133

3.3.2. Les cas Chine-Iran, Corée du Nord-Syrie, Pakistan-Corée du Nord et Pakistan-Lybie. 143

3.4. Effet des variables conditions additionnelles sur les résultats...................................... 162

3.4.1. La variable identitaire. .......................................................................................... 162

3.4.2. Les variables institutionnelles et normatives. ....................................................... 162

3.4.3. Les variables stratégiques. .................................................................................. 169

3.4.4. Les variables économiques. ................................................................................ 174

Chapitre 5 : Les études de cas ........................................................................................................ 179

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1. Les transferts nucléaires de la Chine au Pakistan et à l’Iran. .............................................. 179

1.1. La Chine comme fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. ......... 180

1.2. Le Pakistan comme récipiendaire de matières et technologies nucléaires militaires. .. 181

1.3. L’Iran comme récipiendaire de matières et technologies nucléaires militaires. ............ 191

1.4. L’explication analytique : les cas sino-pakistanais et sino-iraniens à l’épreuve de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux. ............................................ 199

1.4.1. Les affinités identitaires et l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran. 199

1.4.1.1. La relation sino-pakistanaise ou l’amitié à toute épreuve. ............................... 199

1.4.1.2. La relation sino-iranienne ou la rencontre de deux grandes civilisations. ....... 206

1.4.2. La participation au régime international de non-prolifération et l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran. ..................................................................................... 211

1.4.2.1. Les débuts de la coopération et la remise en cause de la légitimité du régime de non-prolifération. ............................................................................................................. 211

1.4.2.2. La poursuite de la coopération et la mise en lumière du design problématique du régime de non-prolifération. ....................................................................................... 215

1.4.3. Les stratégies d’équilibrage et l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran. 218

1.4.3.1. La volonté de contenir l’Inde. .......................................................................... 218

1.4.3.2. La volonté de contenir les États-Unis ............................................................. 223

1.4.4. Les considérations économiques et l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran. ............................................................................................................................ 231

1.4.5. Conclusion. .......................................................................................................... 244

2. Les transferts nucléaires du Pakistan à l’Iran. ..................................................................... 246

2.1. Le Pakistan comme fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. ..... 246

2.2. L’explication analytique : le cas pakistano-iranien à l’épreuve de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux. ......................................................................... 247

2.2.1. Une vue d’ensemble de la coopération nucléaire Pakistan-Iran. .......................... 248

2.2.1.1. La mise en place de la coopération (1987-1990). ........................................... 248

2.2.1.2. La mise en œuvre de la coopération (1991-1999). ......................................... 250

2.2.2. Les affinités identitaires et l’assistance nucléaire du Pakistan à l’Iran. ................ 251

2.2.3. La participation au régime de non-prolifération et l’assistance nucléaire du Pakistan à l’Iran. 256

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2.2.4. La stratégie d’équilibrage et l’assistance nucléaire du Pakistan à l’Iran. .............. 260

2.2.5. Les considérations économiques et l’assistance nucléaire du Pakistan à l’Iran... 271

2.2.6. Conclusion. .......................................................................................................... 279

Chapitre 6 : La conclusion ............................................................................................................... 283

1. Retour sur l’objet de la recherche. ...................................................................................... 283

2. Limites de la recherche. ...................................................................................................... 287

3. Contributions de la recherche et pistes de recherche futures. ............................................ 290

Bibliographie .................................................................................................................................... 295

Annexe ............................................................................................................................................ 315

Annexe 3.1. Tableau récapitulatif des dyades d’étude..................................................................... 315

Annexe 4.1. Tableau récapitulatif des données empiriques dichotomisées. .................................... 328

Annexe 4.2. Diagramme de Venn 4.2.A, 4.2.B, 4.3.A, 4.3.B. ........................................................... 339

Annexe 4.3. Diagramme de Venn 4.2.A.R, 4.2.B.R, 4.3.A.R, 4.3.B.R. ............................................ 341

Annexe 4.4. Formules [0] et dyades associées. .............................................................................. 343

Annexe 4.5. Effets des variables conditions additionnelles sur les résultats. Formules [1] et dyades associées. ........................................................................................................................................ 349

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Liste des tableaux Tableau 1.1. Nouvelle littérature sur l’approche fournisseur-centrée (supply-side approach) des causes de la prolifération nucléaire. .................................................................................................. 10 Tableau 3.1. Activités nucléaires militaires étatiques, 1945-2005. Différences entre Jo et Gartzke (2007) et Singh et Way (2004) et Müller et Schmidt (2010) ............................................................... 49 Tableau 3.2. Activités nucléaires militaires étatiques, 1945-2005 (Müller & Schmidt, 2010) ............. 50 Tableau 3.3. Programmes nucléaires militaires, 1945-2000 (Bleek, 2010) ........................................ 53 Tableau 3.4. Activités nucléaires militaires étatiques, 1945-2005. Différences entre Müller et Schmidt (2010) et Bleek (2010) ....................................................................................................................... 60 Tableau 3.5. Fournisseurs potentiels de matières et technologies nucléaires militaires, 1945-2010. 63 Tableau 3.6. Récipiendaires potentiels de matières et technologies nucléaires militaires, 1945-2010. 65 Tableau 3.7. De l’importation à l’exportation. Les échanges bilatéraux de matières et technologies nucléaires militaires, 1945-2010 ........................................................................................................ 71 Tableau 3.8. Récapitulatif des variables d’étude ............................................................................... 99 Tableau 4.2.A. Table de vérité (Syrie incluse et ECODEVA) ........................................................... 105 Tableau 4.2.B. Table de vérité (Syrie incluse et ECODEVB) ........................................................... 106 Tableau 4.3.A. Table de vérité (Syrie exclue et ECODEVA) ............................................................ 107 Tableau 4.3.B. Table de vérité (Syrie exclue et ECODEVB) ............................................................ 108 Tableau 4.2.A.R. Table de vérité 4.2.A révisée ............................................................................... 115 Tableau 4.2.B.R. Table de vérité 4.2.B révisée ............................................................................... 116 Tableau 4.3.A.R. Table de vérité 4.3.A révisée ............................................................................... 117 Tableau 4.3.B.R. Table de vérité 4.3.B révisée ............................................................................... 118 Tableau 4.4. Cas suspects de coopération nucléaire ...................................................................... 152 Tableau 4.5. Table de vérité (Modèle 4.2.A) .................................................................................... 159 Tableau 4.6. Table de vérité (Modèle 4.2.B) .................................................................................... 160 Tableau 5.1. Les deux voies possibles pour fabriquer la bombe ..................................................... 183 Tableau 5.2. Coopération nucléaire sino-pakistanaise .................................................................... 189 Tableau 5.3. Coopération nucléaire sino-iranienne ......................................................................... 195 Tableau 5.4. Coopération sino-pakistanaise dans le domaine du nucléaire civile ........................... 237 Tableau 5.5. Coopération sino-iranienne dans le domaine des hydrocarbures, 2006-2010 ............ 241

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Tableau 5.6. Importations chinoises de pétrole brut, 2009-2010...................................................... 243 Tableau 5.7. Sanctions économiques américaines contre le Pakistan, 1979-1990 .......................... 274 Tableau 5.8. Sanctions économiques américaines contre le Pakistan, 1990-1998 .......................... 275 Tableau 5.9. Sanctions économiques américaines contre le Pakistan, 1998-2001 .......................... 276 Tableau 5.10. Présence et absence des variables d’étude dans les trois cas d’étude ..................... 280

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Liste des figures Figure 1.1. Évolution de la prolifération nucléaire, 1945-2015 ............................................................. 2 Figure 2.1. Logique du modèle théorique ......................................................................................... 22 Figure 4.1. Seuil de dichotomisation de la variable IDEOL (Syrie incluse) ...................................... 109 Figure 4.2. Seuil de dichotomisation de la variable IDEOL (Syrie exclue) ....................................... 111 Figure 4.3. Seuil de dichotomisation de la variable ECODEVB (Syrie incluse ou exclue) ............... 111 Figure 5.1. Les deux voies possibles pour fabriquer la bombe, A. Q. Khan ..................................... 187 Figure 5.2. Production et consommation de pétrole de la Chine, 1990-2010 .................................. 239 Figure 5.3. Production et consommation de gaz de la Chine, 2000-2011 ........................................ 239 Figure 5.4. Aide américaine au Pakistan, 1948-2010 ...................................................................... 265 Figure 5.5. Flux commerciaux entre le Pakistan et l’Iran, 1947-1999 .............................................. 278

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Chapitre 1: L’introduction Without comparisons to make, the mind does not know how to proceed.

Alexis de Tocqueville.

Ce chapitre introduit la recherche. Premièrement, il présente le phénomène empirique à l’étude en le mettant en contexte et en exposant les questions de recherche. Deuxièmement, il explique le phénomène à la lumière de la littérature actuelle. Troisièmement, il aborde le programme de recherche en montrant l’originalité de la recherche, en résumant l’argument de la recherche et en décrivant le plan de la recherche.

1. La présentation du phénomène.

1.1. La mise en contexte. Les craintes d’une prochaine cascade de prolifération — qui verrait des États s’engager, les uns à la suite des autres, dans des programmes nucléaires militaires pour répondre à un éventuel dilemme de sécurité posé par d’autres États — sont aujourd’hui très vives notamment à cause des ambitions nucléaires nord-coréenne et iranienne. Certes, cette tendance à percevoir la diffusion des armes nucléaires en termes d’automaticité et de contagion n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire1. Mais il semble que le monde soit à nouveau proche d’un point de basculement qui pourrait inaugurer une ère de prolifération nucléaire épidémique; et cette thèse des dominos n’est pas seulement circonscrite à quelque pays ou cercle politique/professionnel, elle est aussi partagée par un nombre de plus en plus croissant d’observateurs, de chercheurs et d’analystes pour ne citer que ceux-là (Potter & Mukhatzhanova, 2010 : 2).

1 Dès la conception de l’arme atomique, la question de la possibilité d’une prolifération universelle fut déjà posée. En 1963, la vision cauchemardesque, du Président américain John Kennedy, d’un monde constitué de 15 à 25 puissances nucléaires à la fin des années 1960 donna l’impulsion à la recherche d’un cadre normatif régulant la possession de l’arme nucléaire avec notamment la négociation du Traité de non-prolifération (TNP) en 1968. Aujourd’hui, cinq États sont officiellement dotés de la bombe (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France et Chine), quatre officieusement (Israël, Inde, Pakistan et Corée du Nord) alors que trois autres sont (ou ont été) soupçonnés de frapper aux portes du club nucléaire (Iran, Syrie, Myanmar). Comme le montre la figure 1.1, depuis le premier test nucléaire des États-Unis en 1945 jusqu’à celui de la Corée du Nord en 2006, le phénomène a connu une évolution relativement stable mais lente. La dizaine d’États qui entreprennent des activités nucléaires militaires représentent moins de 6% des États membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU).

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Figure 1.1. Évolution de la prolifération nucléaire, 1945-20152.

Le fait que cette hypothétique nouvelle vague de prolifération en chaîne puisse être accélérée par des coopérations entre États disposant déjà de l’expertise nucléaire et États aspirant à la bombe est donc, en toute logique, un motif de préoccupation majeure. En effet, les échanges nucléaires3 peuvent permettre aux États proliférants de surmonter plusieurs défis techniques et stratégiques associés à leur quête de la bombe. En bénéficiant des plans de technologies aussi compliquées et sophistiquées que celles qui entrent en ligne de compte dans la fabrication des armes nucléaires, les scientifiques de ces États peuvent brûler les étapes du design pour se consacrer davantage à la réplication de modèles qui ont déjà fait leur preuve dans un autre programme nucléaire. Les transferts nucléaires peuvent aussi permettre à l’État récipiendaire de réduire la quantité des essais et erreurs caractéristiques de tout programme nucléaire; encore plus lorsque ses scientifiques sont

2 Tirée de Müller & Schmidt (2010 : 125). 3 Les termes transferts nucléaires, échanges nucléaires, transactions nucléaires, assistance nucléaire et coopération nucléaire sont utilisés de manière interchangeable dans cette recherche.

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inexpérimentés. Les États fournisseurs peuvent également construire et faire fonctionner des installations nucléaires pour le compte des États récipiendaires. Ainsi, ces derniers bénéficient des connaissances tacites acquises par les scientifiques d’États nucléaires plus avancés technologiquement. Les candidats à la prolifération peuvent aussi réduire les coûts de leur programme nucléaire en choisissant l’option de la coopération nucléaire d’autant qu’une aventure nucléaire sans assistance extérieure peut s’avérer très onéreuse. En définitive, les coopérations nucléaires peuvent permettre aux États récipiendaires de disposer de capacités nucléaires latentes dans des délais relativement courts sans éveiller les soupçons de la communauté internationale, avant que celle-ci ne soit éventuellement confrontée au fait accompli (Kroenig, 2009b : 164-166).

D’ailleurs, l’histoire des relations internationales a montré que ce type de transactions a contribué au développement des programmes nucléaires de nombreux États proliférants et favorisé l’accession de certains d’entre eux au statut d’États dotés d’armes nucléaires (EDAN). Par exemple, le Royaume-Uni (1943-1946) a bénéficié de l’assistance nucléaire des États-Unis et est devenu un EDAN en 1952, la Chine (1958-1960) a bénéficié de l’assistance nucléaire de l’Union soviétique et est devenue un EDAN en 1964, et Israël (1959-1965) a bénéficié de l’assistance nucléaire de la France pour enfin réussir à fabriquer son premier engin nucléaire en 1967.

De même, le Pakistan (1974-1986) a bénéficié de l’assistance nucléaire de la France et de la Chine et est devenu un EDAN de facto en 1998. Entre 1987 et 2003, ce pays a, par l’intermédiaire d’Abdul Qaader Khan4, approvisionné l’Iran (1987-1999), la Corée du Nord (1997-2002) et la Libye (1997-2003) en différents types de matières et technologies nucléaires militaires; entre autres, des centrifugeuses, de l’hexafluorure d’uranium nécessaire à la production d’uranium hautement enrichi, et des plans d’armes nucléaires. Ce qui a fait penser à des chercheurs qu’une nouvelle ère de la prolifération voyait le jour : des États en développement voyaient ouverte la voie vers un nouveau moyen de nucléarisation; ils s’affranchissaient des procédés classiques d’approvisionnement auprès de ceux qui en étaient déjà dotés, pour s’approvisionner directement entre eux (Braun & Chyba, 2004; Montgomery, 2005).

4 Scientifique pakistanais et « père de la bombe pakistanaise », il a été au cœur, entre 1987 et 2003, d’un réseau international de trafics de matières et technologies nucléaires destinés à assister des pays aspirant à la bombe, dans leur quête, et qui d’ailleurs, a permis, à ses débuts, au Pakistan, d’obtenir l’arme nucléaire. Ses activités ont été détaillées, entre autres, par Corera (2006) et Tertrais (2010). Nous y reviendrons dans les chapitres 4 et 5.

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1.2. Les questions de recherche. Si les trois premiers exemples offrent le portrait, certes intéressant, de puissances nucléaires établies partageant leurs secrets nucléaires avec d’autres États en quête de la bombe, les exemples suivants offrent un panorama beaucoup plus complexe de la coopération nucléaire : celui d’États ayant fait l’objet d’une assistance nucléaire et qui, à leur tour en offrent à d’autres États. D’où les deux interrogations suivantes : 1) pourquoi des États ayant acquis, dans le cadre de leur programme nucléaire militaire, des matières et technologies nucléaires militaires en fournissent à leur tour à d’autres États alors que certains d’entre eux ne le font pas ? Et, 2) pourquoi ces États fournissent-ils des matières et technologies nucléaires militaires à tel État plutôt qu’à tel autre?

Ces deux questionnements sont d’autant plus pertinents qu’il existe dans l’histoire de la prolifération nucléaire, des États qui, bien qu’ayant fait l’objet d’assistance nucléaire dans le cadre d’un programme militaire supposé ou réel, n’ont jamais apporté, à leur tour, une quelconque aide dans ce sens à quelque État que ce soit. Par exemple, le Japon (1971-1974) et l’Égypte (1980-1982) ont tous reçu des technologies de retraitement du plutonium de la France sans jamais, à leur tour, en transférer à quelque autre État que ce soit. De même, le Brésil (1979-1994) a bénéficié de l’expertise nucléaire de l’Allemagne sans en offrir à quelque État qui en avait besoin. Parallèlement, la Chine qui a reçu des technologies d’enrichissement de l’uranium et du retraitement du plutonium et des plans d’armes de l’Union soviétique, en à, à son tour, transféré au Pakistan. Mais elle ne s’est pas engagée dans une telle coopération avec la Corée du Nord (Wit, Poneman, & Gallucci, 2004). De même, aucun échange nucléaire militaire n’a eu lieu entre elle et l’Indonésie (Cornejo, 2000) et l’Égypte (Weissman & Krosney, 1983). Tous ces pays avaient pourtant eu des ambitions nucléaires militaires dans les années 1960.

Une telle variation dans l’univers des échanges nucléaires militaires bilatéraux méritant qu’on s’y attarde de manière approfondie, nous avons donc décidé de l’étudier en espérant combler une lacune majeure de l’abondante littérature sur les questions de prolifération nucléaire.

2. L’explication du phénomène. Les recherches en matière de prolifération peuvent globalement être réparties en deux catégories distinctes : 1) celles traitant des causes du phénomène (Campbell, Einhorn, & Reiss, 2004; Hymans, 2006a; Quester, 1973; Sagan 1996/1997; Solingen, 1994 ; 1998 ; 2007) et 2) celles traitant de ses

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conséquences (Sagan & Waltz, 1995). À leur tour, les travaux portant sur les conséquences peuvent être classés en deux groupes distincts : 1) le groupe des analyses optimistes selon lesquelles la prolifération aurait des effets bénéfiques pour le système international (Waltz, 1979; 1995) et 2) le groupe des analyses pessimistes selon lesquelles la prolifération rendrait le système international instable et le monde dangereux (Sagan, 1993; Sagan, 1995; Blair 1993; Miller, 1993). Quant aux études portant sur les causes, elles adoptent, elles aussi, deux approches différentes pour traiter du sujet : 1) la première, qu’on peut qualifier de « demande-centrée » (demand-side approach) essaye de trouver les raisons qui président à la nucléarisation et à l’abandon des programmes nucléaires (Kegley, 1980; Meyer, 1984; Lavoy, 1993; Sagan, 1996/1997; Grillot & Long, 2000; Paul, 2000; Singh & Way, 2004; Hymans, 2006a; Solingen, 2007; Jo & Gartzke, 2007); et 2) la deuxième qu’on peut qualifier de « fournisseur-centrée » (supply-side approach) se focalise sur les États disposant de l’expertise nucléaire et capables d’assister les candidats à la prolifération dans leur quête de la bombe (Kroenig, 2009a; 2009b; 2010; Fuhrmann, 2008; 2009a; 2009b; 2012). Si la première approche domine nettement la littérature sur les causes de la prolifération, les chercheurs du domaine commencent juste par s’intéresser à la deuxième approche dans laquelle s’inscrit notre recherche. En somme, l’état de la recherche sur les déterminants de la prolifération montre qu’on en sait maintenant suffisamment sur le pourquoi de la prolifération mais très peu sur le comment du phénomène (Gartzke & Kroenig, 2009 : 152). C’est la raison pour laquelle nous nous engageons à contribuer au développement de cette perspective de recherche en nous penchant sur le comment

de la prolifération nucléaire, et en l’occurrence ici, comment les États passent de récipiendaire à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires.

2.1. Les recherches portant sur les conséquences de la prolifération nucléaire.

Les recherches sur les conséquences de la prolifération ont exploré plusieurs questions qui ont permis de faire avancer nos connaissances sur la thématique. Deux parmi elles ont particulièrement nourri les réflexions des chercheurs : 1) dans quelle mesure les armes nucléaires influencent-elles le comportement des États lors d’une crise; et 2) quels sont les effets de la prolifération nucléaire sur la stabilité du système international. Si un certain consensus se dégage des différents résultats issus des travaux traitant de la première question, à savoir que la crainte de représailles nucléaires de la part des États disposant d’armes nucléaires serait de nature à empêcher tout usage de la force militaire contre eux (Achen & Snidal, 1989; Brodie, 1946; Jervis, 1989; Knorr, 1962; Powell, 1990,

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Schelling, 1960 ; 1966), les avis restent partagés sur la réponse à la deuxième question. D’un côté, on a ceux qui sont considérés comme des « optimistes » pour qui la prolifération des armes nucléaires conduirait à une grande stabilité du système international, convaincus du bon fonctionnement de la dissuasion nucléaire (Bueno de Mesquita & Riker, 1982; Mearsheimer, 1990 ; 1993, Waltz, 1979 ; 1995). De l’autre côté, ceux qui sont considérés comme des « pessimistes » pour qui la prolifération nucléaire au contraire favoriserait l’instabilité du système international car, la possession d’armes nucléaires par un plus grand nombre d’États augmente les risques de guerres préventives, de crises, d’accidents nucléaires et de terrorisme nucléaire (Blair, 1994; Feaver, 1993; Sagan, 1993 ; 1995; Thayer, 1994). En toute logique, lorsqu’intervient le débat sur la faisabilité d’un monde exempt d’armes nucléaires5, les rôles s’inversent, les premiers devenant pessimistes et les seconds optimistes. Lorsque le plus célèbre représentant de l’école optimiste affirme que « those who like peace should love nuclear weapons » parce que « they are the only weapons ever invented that work decisively against their own use » et donc, « those who advocate a zero option argue, in effect, that we should eliminate the causes of the extensive peace the nuclear world has enjoyed » (Waltz, 2010), la réplique du représentant le plus influent de l’école pessimiste ne se fait pas

attendre : « nuclear weapons have not been the best things since sliced bread […] Living with

nuclear weapons was a perilous necessity in the past. It should not be repeated ». Il ajoute:

« Disarmament critics today are like those medieval [european] mapmakers, fearing that we are

entering unknown territory fraught with hidden nuclear monsters. But these dragons are fantasies » (Sagan, 2010)6.

Mais finalement, il semble que ces deux écoles se soient focalisées sur les effets agrégés de la prolifération (bons ou mauvais pour les systèmes régionaux et internationaux) et en ont oublié les effets différentiels (différents effets sur différents types d’États : bons pour certains, mauvais pour d’autres et vice-versa). Or, le risque posé par la prolifération dépendrait de la capacité de projection

5 Ce débat a été ranimé par la publication de deux articles, en 2007 et 2008, dans le Wall Street Journal, par ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « Bande des Quatre », c’est-à-dire quatre personnalités marquantes de la vie politique américaine, qui appelaient alors à la réalisation d’un « monde libre d’armes nucléaires » et définissaient les étapes pour y parvenir. Voir George P. Shultz, William J. Perry, Henry A. Kissinger et Sam Nunn, « A World Free of Nuclear Weapons », Wall Street Journal, 4 Janvier 2007 ; et George P. Shultz, William J. Perry, Henry A. Kissinger et Sam Nunn, « Toward A Nuclear Free World », Wall Street Journal, 15 Janvier 2008. 6 Ces échanges entre Kenneth Waltz et Scott Sagan, sur la question d’un monde sans armes nucléaires, ont eu lieu dans les colonnes de la revue The National Interest (septembre/octobre 2010). Le numéro spécial intitulé « The Great Debate : Nuclear Zero Prophecies » est disponible à l’adresse suivante : http://nationalinterest.org/greatdebate/nuclear-option-3949.

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des forces militaires conventionnelles. En effet, le phénomène représenterait un plus grand danger pour les États ayant la capacité de projeter leur puissance militaire conventionnelle sur un État nucléaire potentiel qu’il ne le serait pour les États ne disposant pas de cette capacité : d’un côté, il limiterait la liberté d’action militaire du premier groupe d’États, et de l’autre côté, il pourrait même (parfois) avoir des effets bénéfiques sur l’environnement stratégique du second groupe d’États (Kroenig, 2009c).

2.2. Les recherches portant sur les causes de la prolifération nucléaire.

Les travaux portant sur les causes de la prolifération ont longtemps été dominés par l’étude des motivations qui sous-tendent le démarrage et l’arrêt des programmes nucléaires des États (approche demande-centrée). Dans un article fondateur, Scott Sagan (1996/1997) en a identifié trois qui lui ont permis de construire trois modèles théoriques explicatifs de la quête de la bombe : 1) la volonté pour un État de se prémunir d’une agression externe dans un système international anarchique où le dilemme de sécurité tient une place importante (modèle sécuritaire); 2) l’existence, dans cet État, d’acteurs internes qui encouragent ou découragent les gouvernements dans la quête de la bombe, les armes nucléaires étant perçues comme des instruments politiques permettant aux leaders et aux dirigeants de consolider leurs intérêts bureaucratiques et politiques (modèle bureaucratique) ; et 3) le prestige international associé à la possession des armes nucléaires (modèle normatif). L’auteur rappelle toutefois que ces trois facteurs ne doivent être compris comme exclusifs entre eux, son analyse mettant, avec justesse, l’accent sur leur complémentarité, à des degrés divers, dans différents cas7. Cet aspect multi-causal de la prolifération est également mis en exergue par les travaux d’Etel Solingen (1994 ; 1998 ; 2007) qui a, entre autres, souligné le rôle joué par les coalitions politiques domestiques et leurs stratégies de développement économiques ; et de Jacques Hymans (2006a) qui a mis en lumière l’influence des facteurs psychologiques, dans la nucléarisation d’un pays.

Pour ce dernier, très peu de leaders nationaux sont prêts à prendre la décision, à la fois risquée et « révolutionnaire » de fabriquer et déployer des armes nucléaires ; ce qui expliquerait qu’il y ait, à ce jour, si peu d’États dotés de l’arme nucléaire. Hymans donne ainsi un certain crédit au « réalisme 7 Toutefois, cette etude a démontré: « A strongest support for the security model, although […] domestic interests and prestige concerns are "sufficient, but not necessary" conditions for proliferation in a limited number of cases » (Montgomery & Sagan, 2009 : 305).

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mesuré » (prudential realism) formulé par T.V. Paul (2000) pour expliquer la décision des États de renoncer aux armes nucléaires8. Donc, pense-t-il, la décision de proliférer est intimement liée à la conception de l’identité nationale définie comme « l’idée que se fait un individu de l’identité la Nation : ce pour quoi elle existe et sa place sur la scène internationale » (Hymans, 2006a : 8-11). Dans cette perspective, la présence au pouvoir d’un homme politique « nationaliste d’opposition » sujet à deux émotions combinées, à savoir la peur et l’orgueil, créerait une forte inclination en faveur de la bombe. En somme, un tel « nationaliste d’opposition », ayant à la fois une vision extrêmement hostile du monde qui l’entoure et convaincu de la supériorité de son pays par rapport aux autres, pourrait choisir l’option de la nucléarisation pour peu que les conditions techniques et stratégiques soient réunies (Hymans, 2006a : 35-36).

Selon Etel Solingen (1994 ; 2007), il existerait dans de nombreux États, une tension entre ceux qui militent pour une société ouverte au monde et ceux qui voudraient rester fermés au monde. C’est ainsi que les tenants de la première approche ont tendance à rejeter toute acquisition d’armes nucléaires alors que les tenants de la deuxième approche sont plus enclins à la favoriser. Pour elle, plus que des changements au sein de l’environnement sécuritaire externe, ce sont ceux au sein des coalitions politiques internes qui auraient plus d’impact sur les décisions nucléaires d’un pays.

Ces deux auteurs, en se focalisant sur les niveaux d’analyse individuel (Hymans, 2006a) et interne (Solingen, 1994 ; 2007) pour expliquer les causes de la prolifération nucléaire ont largement contribué au développement d’une perspective théorique idéaliste de ce champ de recherche, et selon laquelle « states obtain nuclear weapons because they learn to stop worrying and love the bomb »; leurs tenants considérant : « The key variable that determines the incidence of prolifération

[is] state perceptions of the bomb’s utility and of its symbolism ». Une grille de lecture qui se distance

de la perspective théorique réaliste selon laquelle « states acquire nuclear weapons because their security demands it », comme l’illustre le modèle sécuritaire de Scott Sagan (1996/1997), et dont les

8 Le « prudential realism » de T.V Paul se distingue du « hard realism » (réalisme offensif) et est un mixte entre le réalisme et le libéralisme. Il est basé sur la reconnaissance fondamentale par les États d’une interdépendance sécuritaire entre eux, qu’ils soient alliés ou adversaires. Ainsi, les choix nucléaires d’un pays sont « determined largely by the level and type of security threats that it faces and the nature of the interactions or conflict with its key adversaries and allies in its immediate geo-strategic environment » (Paul, 2000 : 4) : les États (qui ne sont pas de grandes puissances) les plus susceptibles de renoncer aux armes nucléaires sont ceux situés dans des zones à faibles ou moyens taux de conflits alors que les États les plus susceptibles d’acquérir des capacités nucléaires ont tendance à se situer dans des zones à forts taux de conflits. Ces derniers sont aussi ceux qui sont engagés dans des conflits de longue durée et des rivalités durables.

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partisans considèrent que l’anarchie caractéristique du système international et le dilemme de sécurité favorisent la recherche de telles armes, seules susceptibles de garantir une dissuasion efficace et crédible (Hymans, 2006b : 455).

Récemment, une nouvelle génération de jeunes chercheurs a réinvesti le champ d’étude des causes de la prolifération en posant les bases de la recherche sur les déterminants du phénomène mais cette fois-ci vus du côté des fournisseurs (approche fournisseur-centrée) non sans avoir souligné : « Whether states want nuclear weapons is irrelevant if they are unable to acquire them » (Gartzke & Kroenig, 2009 : 152). Ainsi Matthew Fhurmann a-t-il cherché à analyser les tenants et les aboutissants des transactions de biens à double-usage entre les États (2008), à déterminer les motivations qui président à une coopération nucléaire civile entre eux (2009a), et finalement à examiner la relation entre accords nucléaires civils et prolifération nucléaire (2009b). Tandis que, de son côté, Matthew Kroenig, s’est attaché à expliquer les raisons qui poussent les États à offrir de l’assistance nucléaire sensible (2009a ; 2010) et à examiner la relation entre assistance nucléaire sensible et prolifération (2009b).

Selon Fuhrmann (2008), les États cherchant à maximiser leurs gains issus du commerce de biens à double-usage promouvront des exportations vers des pays où existent des garanties de sécurité et par conséquent les restreindront vers ceux où existent des risques sécuritaires. Il s’agit donc pour les États exportateurs de tirer les bénéfices de leurs activités tout en minimisant les éventuels effets secondaires néfastes qui se résument en la probabilité soit pour un État de détourner les technologies à double-usage à des fins militaires soit de les réexporter vers un États tiers, avec le risque que ce dernier en fasse de même (Fuhrmann, 2008 : 634). Ce qui serait de nature à favoriser la prolifération nucléaire. Car, comme l’auteur l’a démontré dans une étude subséquente, il existerait un lien causal entre assistance nucléaire civile et prolifération : en recevant de l’assistance dans le cadre des utilisations pacifiques du nucléaire, la probabilité que les États s’engagent dans les applications militaires de l’atome augmente fortement dans le temps — les coûts d’une telle aventure étant désormais réduits et les leaders devenant confiants de fabriquer avec succès la bombe — surtout si leur environnement sécuritaire et stratégique se détériore. Une découverte révolutionnaire qui va à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle les États développent des armes nucléaires lorsqu’ils en ressentent la nécessité et non lorsqu’ils disposent de la capacité de le faire (Fuhrmann, 2009b).

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Mais pourquoi les États s’engagent-ils dans une coopération nucléaire civile si celle-ci risque d’être à l’origine de la prolifération peut-on alors légitimement se demander ? Pire encore, pourquoi fournissent-ils de l’assistance nucléaire sensible à des États non-nucléaires, contribuant ainsi à cette prolifération ? Fuhrmann (2009a) répond au premier questionnement en donnant trois raisons stratégiques : 1) renforcer leurs alliances ; 2) renforcer leurs relations avec les ennemis de leurs ennemis ; 3) renforcer les relations bilatérales avec les autres États démocratiques (Fuhrmann, 2009a : 183-184). Kroenig (2009a; 2010) répond au deuxième en partant d’une simple logique basée sur les effets différentiels de la prolifération nucléaire: « The spread of nuclear proliferation is more threatening for relatively powerful states than it is for relatively weak states » (Kroenig, 2009a : 113). Par conséquent : 1) un État plus puissant serait moins enclin à fournir de l’assistance nucléaire sensible à un État moins puissant; 2) le fait de partager un ennemi commun incite à fournir de l’assistance nucléaire sensible; 3) les États qui dépendent d’une superpuissance seront moins susceptibles de fournir de l’assistance nucléaire sensible (Kroenig, 2009a : 114). Finalement, l’auteur établit, à son tour, un lien causal entre assistance nucléaire sensible et prolifération : les États qui reçoivent de l’assistance nucléaire sensible de la part des États nucléaires avancés sont plus susceptibles que d’autres États qui ne font pas l’objet de tels transferts, d’acquérir des armes nucléaires (2009b : 176).

Tableau 1.1. Nouvelle littérature sur l’approche fournisseur-centrée (supply-side approach) des causes de la prolifération nucléaire.

Matthew Kroenig Matthew Fuhrmann

Kroenig, M. 2009a. Exporting the Bomb: Why States Provide Sensitive Nuclear Assistance. American

Political Science Review 103 (1): 113-133.

Fuhrmann, M. 2008. Exporting Mass Destruction? The Determinants of Dual-Use Trade. Journal of

Peace Research 45 (5): 633-652.

Kroenig, M. 2009b. Importing the Bomb: Nuclear Assistance and Nuclear Proliferation. Journal of

Conflict Resolution 53 (2):161-180.

Fuhrmann, M. 2009a. Taking a Walk on the Supply Side: The Determinants of Civilian Nuclear Cooperation. Journal of Conflict Resolution 53 (2): 181-208.

Kroenig, M. 2009c. Beyond Optimism and Pessimism: The Differential Effects of Nuclear

Fuhrmann, M. 2009b. Spreading Temptation: Proliferation and Peaceful Nuclear Cooperation

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Proliferation. Managing the Atom Working Paper 2009-14. Harvard Kennedy School. Harvard University.

Agreements. International Security 34 (1): 7-41.

Kroenig, M. 2010. Exporting the Bomb. Technology

Transfer and the Spread of Nuclear Weapons. Ithaca: Cornell University Press.

Matthew Fuhrmann. 2012. Atomic Assistance: How

Atoms for Peace Become Atoms for War. Ithaca: Cornell University Press.

3. Le programme de recherche.

3.1. L’originalité de la recherche. Malgré tous leurs apports à l’avancement de nos connaissances concernant les causes de la prolifération nucléaire, ces recherches n’ont pas répondu à toutes les questions que peuvent susciter les échanges nucléaires entre les États. Si Fuhrmann (2008 ; 2009a ; 2009b) étudie la coopération nucléaire civile et Kroenig (2009a ; 2010) l’assistance nucléaire sensible (sensitive nuclear

assistance), aucun des auteurs n’investit réellement le domaine des échanges nucléaires militaires dans toute sa richesse; tâche à laquelle nous nous attelons pour notre part. En fait, l’assistance nucléaire sensible de Kroenig est beaucoup trop restrictive pour prendre en compte toute la diversité des transactions nucléaires militaires entre les États et l’assistance nucléaire civile de Fuhrmann se situe nettement, par définition, hors du domaine des échanges nucléaires militaires entre les États.

En définitive, même si notre étude se situe dans le même courant de recherche et partage le même objectif global que les travaux ci-dessus mentionnés, à savoir le développement de l’approche fournisseur-centrée des recherches sur la prolifération nucléaire, elle s’en distance, toutefois, sur au moins deux points fondamentaux : l’objet de la recherche et la méthode de la recherche. Premièrement, si Fuhrmann analyse respectivement les licences d’exportation de biens à double par les États-Unis entre 1991 et 2001 (Fuhrmann, 2008 : 639), tous les accords bilatéraux de coopération nucléaire civile entre les États de 1945 à 2000 (Fuhrmann, 2009a : 18 ; 2009b : 11 ) ; et Kroenig étudie tous les cas d’assistance nucléaire sensible au sein du système international entre 1951 et 2000 (Kroenig, 2009a : 117), nous nous focalisons, pour notre part, sur une catégorie particulière d’États, à savoir des États ayant reçu des matières et technologies nucléaires militaires et qui en fournissent à leur tour, à d’autres États entre 1945 et 2010 ; le tout en partant du postulat

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selon lequel c’est ce type d’États qui devraient susciter des motifs de préoccupation en matière de prolifération à l’heure du quatrième âge nucléaire (Levite, 2009)9.

Deuxièmement, si les travaux de ces deux auteurs participent à la revitalisation des recherches empiriques quantitatives sur les déterminants de la prolifération nucléaire, après les travaux pionniers de Kegley (1980) et Meyer (1984), et ceux plus récents de Singh & Way (2004) et Jo & Gartzke (2007)10, notre étude poursuit un autre objectif novateur : celui d’introduire dans cet univers de recherche la méthode configurationnelle comparative (Configurational Comparative Analysis ou encore Qualitative Comparative Analysis)11 suivant ainsi une proposition de Montgomery & Sagan (2009 : 313) qui, après avoir constaté les insuffisances des méthodes statistiques dans la production de résultats valides sur le sujet, ont alors pensé : « Perhaps something such as qualitative comparative analysis which […] explore complex interactions between different variables in data sets with a low number of observations, might be more appropriate than traditional statistical analysis »12. La prolifération nucléaire étant un phénomène assez rare, donc le nombre de cas à l’étude assez limité, l’utilisation de cette méthode comparative est particulièrement pertinente pour en analyser les causes.

3.2. L’argument en bref. Dans un système international anarchique — défini comme l’absence d’autorité centrale qui régisse les relations entre États souverains et capable d’imposer sa volonté légale sur ces derniers — mis de l’avant par le paradigme réaliste des relations internationales, alors que tout laisse croire que des 9 Levite (2009) distingue quatre âges nucléaires : 1) le premier âge (1945-1967) qui a commencé avec la naissance des armes nucléaires et s’est achevé à l’aube du Sommet de Glassboro sur la maîtrise des armements stratégiques entre les États-Unis et l’URSS; 2) le deuxième (1968-1992) qui a commencé avec la signature du TNP et s’est achevé, entre autres, avec l’adhésion de la France et de la Chine au Traité; 3) le troisième âge (1993-2010?) dans laquelle nous visons en ce moment et qui est marqué par divers évènements dont l’accession de l’Inde et du Pakistan au statut nucléaire; 3) et finalement le quatrième âge qui devrait émerger avec, entre autres, un Iran nucléaire suivi d’une cascade de prolifération au Moyen-Orient. 10 Montgomery et Sagan (2009) distinguent trois différentes vagues de travaux quantitatifs sur les causes de la prolifération : 1) la première vague est représentée par Kegley (1980) et Meyer (1984); 2) la deuxième vague par Singh & Way (2004) et Jo & Gartzke (2007); 3) et la troisième vague par Fuhrmann (2008; 2009a; 2009b) et Kroenig (2009a; 2009b). Plus récemment, deux autres études quantitatives ont été publiées sur les causes de la prolifération : il s’agit de Müller & Schmidt (2010) et de Bleek (2010). Nous évoquerons chacune de ces études au cours de notre travail. 11 D’ailleurs, à notre connaissance, seulement trois travaux publiés, ont utilisé cette méthode dans le champ d’étude des relations internationales. Il s’agit de: Wickham-Crowley, Timothy. 1991. Guerrillas and Revolutions in Latin America: A Comparative Study of Insurgents and Regimes since 1956. Princeton: Princeton University Press; Drezner, Daniel. 1999. The sanctions paradox: economic statecraft and international relations. Cambridge: Cambridge University Press; et, Chan, Steve. 2003. Explaining War Termination: A Boolean Analysis of Causes. Journal of Peace Research 40 (1): 49-66. 12 Nous reviendrons sur ces insuffisances dans le chapitre 3 consacré à la méthodologie.

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États ayant acquis des secrets nécessaires à la fabrication de l’arme la plus puissante qui ait jamais été inventée par l’homme, les garderont jalousement pour eux, non seulement à cause des avantages associés à sa possession mais aussi et surtout en raison des inconvénients potentiels qui pourraient résulter de son éventuelle obtention par un ennemi; et que le risque que l’ami d’aujourd’hui devienne l’ennemi de demain n’est jamais à écarter (Grieco, 1988; Mearsheimer, 1990), c’est au comportement contraire que l’histoire de la coopération nucléaire interétatique nous a quelques fois habitués.

A priori donc, on pourrait qualifier un tel comportement de partage de matières et technologies nucléaires militaires d’irrationnel. Mais paradoxalement nous pensons tout le contraire en postulant que malgré tout, la rationalité continue de guider le comportement des États lorsqu’ils opèrent le passage de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires13. En fournissant des matières et technologies nucléaires militaires à d’autres États après en avoir eux-mêmes reçu auparavant, et en ciblant tel receveur plutôt que tel autre, nous postulons que les États continuent d’être motivés par la maximation de leurs gains relatifs et absolus. Et nous avançons l’argument suivant : les États passeront de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires si ce passage peut servir leurs intérêts stratégiques de limitation de la puissance d’un État menaçant et leurs intérêts économiques de maximisation de leurs profits financiers; ils cibleront à leur tour, tel récipiendaire plutôt que tel autre en fonction des affinités identitaires qu’ils entretiennent avec lui et de la capacité de ce dernier à permettre la réalisation des objectifs visés, le tout en s’affranchissant des contraintes imposées par le régime international de non-prolifération censé empêcher ce type de coopération.

3.3. La démarche proposée. La recherche propose une explication théorique et un test empirique de la coopération nucléaire entre des États qui avaient, eux-mêmes, fait l’objet antérieurement d’une assistance nucléaire, et des États qui aspirent à fabriquer des armes nucléaires; contribuant ainsi à l’enrichissement de la littérature bourgeonnante sur les déterminants de la prolifération nucléaire vus du côté des fournisseurs, alors que de nombreuses recherches se sont, pendant longtemps, focalisées sur le problème vu du côté des demandeurs. Le modèle théorique éclectique élaboré pour expliquer le 13 Notre utilisation du terme rationalité, conforme à celle des chercheurs de l’école du choix rationnel, repose sur une définition instrumentale du concept : les États agissent en fonction de ce qu’ils croient servir le mieux leurs intérêts, peu importe la manière dont ils les définissent (Bueno de Mesquita, 2000 : 42).

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phénomène empirique est basé sur une reconceptualisation de l’opportunité et de la volonté (Starr, 1978). Il combine des arguments du constructivisme, du (néo) libéralisme et du (néo) réalisme en Théorie des Relations internationales. Le modèle est présenté, dans les détails, dans le chapitre 2.

Le test empirique du modèle théorique est effectué par le biais de deux techniques méthodologiques pour assurer la robustesse des résultats : l’analyse booléenne (Ragin, 1987; 2000, Rihoux & Ragin, 2009) et l’analyse de processus (George & Bennett, 2005). La première méthode permet de dégager les différentes combinaisons de facteurs causaux déterminant le passage d’un État de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Le chapitre 4 présente les résultats issus des analyses empiriques effectuées grâce à cette méthode, et leurs interprétations. La deuxième méthode permet de mieux se focaliser sur des cas empiriques de transition, palliant ainsi les limites de la première, en décrivant le « comment » des combinaisons causales qui expliquent le passage d’un État de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Le chapitre 5 fournit une explication détaillée, dans le contexte de l’histoire, d’un petit nombre de cas à la lumière des propositions théoriques en mettant en lumière les mécanismes causaux qui ont lié les variables indépendantes à la variable dépendante.

Mais avant, le chapitre 3 présente le design de recherche : il explique la stratégie générale de recherche qui a été utilisée pour tester les hypothèses de recherche et présente les définitions opérationnelles des variables qui font partie de ces hypothèses de recherche. Enfin, les conclusions de la recherche et leurs implications scientifiques et sociales sont exposées dans le chapitre 6.

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Chapitre 2 : Le modèle théorique Ce chapitre présente le modèle théorique utilisé pour répondre aux deux questions de recherche qui ont été formulées dans le chapitre introductif. Le chapitre est structuré en trois parties. La première partie met en lumière l’aspect novateur du modèle théorique. La deuxième partie présente les concepts de l’opportunité et de la volonté, autour desquels s’articule le modèle : d’une part, nous présentons la conceptualisation des deux termes dans la littérature classique originelle, et d’autre part, nous exposons leur reconceptualisation dans notre modèle théorique. La troisième partie présente les quatre hypothèses de recherche.

1. L’originalité du modèle théorique. Le modèle théorique que nous proposons combine les approches demande-centrée et fournisseur-centrée — participant ainsi au décloisonnement de ces deux agendas de recherche — pour expliquer comment les États passent de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires; et ce, dans le sillage d’une récente recommandation de Scott Sagan (2010 : 99) : « […] There should be more integrated studies of supply and demand for nuclear weapons. Instead of thinking about these two "sides" of nuclear proliferation as separate issues, we need to recognize, and therefore, study, the potentiel for complex connections between supply and demand ».

Ce modèle théorique interactif des échanges nucléaires bilatéraux s’articule autour de la reformulation de la « triade écologique » de Sprout et Sprout (1965; 1968) par Most et Starr (1989) à l’aide de deux concepts : l’opportunité (opportunity) et la volonté (willingness). Deux éléments fondamentaux président à la qualification interactive du modèle théorique14 : 1) la nécessaire interaction entre l’opportunité et la volonté et 2) la nette mise de la focale — en conformité avec nos deux questions de recherche (pourquoi des États ayant acquis, dans le cadre de leur programme nucléaire militaire, des matières et technologies nucléaires militaires en fournissent à leur tour à d’autres États alors que certains d’entre eux ne le font pas ? Et pourquoi ces États fournissent-ils des matières et technologies nucléaires militaires à tel État plutôt qu’à tel autre?) — autant sur l’offreur de matières et technologies nucléaires militaires que sur le demandeur.

14 Il faut également noter que la dénomination « théorie interactive » proposée ne nous est pas venue ex nihilo. Entre autres, dans le domaine des sciences sociales, Graetz, M., J. Reinganum et L. Wilde (1986) proposaient eux aussi, par exemple, une "interactive theory of law enforcement" pour analyser la "tax (non) compliance" et qui conçoit « the noncompliance problem as an interactive system » (Reinganum & Wilde, 1986 : 2).

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Car, d’une part, nous postulons que les échanges nucléaires militaires résultent de la dynamique entre l’occasion (ou l’opportunité) qui s’offre de passer de récipiendaire à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires et la volonté de saisir cette dernière pour atteindre ses objectifs. Et d’autre part, alors que la seule théorie concurrente, celle de Kroenig (2009a; 2010) sur l’assistance nucléaire sensible, semble mettre beaucoup plus l’accent sur l’offreur et sa capacité de projection militaire conventionnelle pour expliquer la coopération nucléaire (sensible) entre les États, notre modèle théorique, en plus de rendre compte des objectifs visés par l’offreur, lorsqu’il s’engage dans une transaction nucléaire avec un demandeur, met également en lumière, l’importance des facteurs relationnels entre les deux, partant de la simple logique suivant laquelle c’est la nécessaire rencontre entre l’offre et la demande qui rend la coopération possible. C’est fondamentalement là que réside toute l’originalité de ce cadre théorique qui, soulignons-le, devrait être le premier modèle explicatif du passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

En combinant les arguments de plusieurs écoles de pensée en Relations internationales (en l’occurrence le constructivisme15, le (néo) réalisme et le (néo) libéralisme) pour expliquer le phénomène du passage de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires, nous entendons aussi participer à la mise en valeur de l’éclectisme analytique16, et par là même occasion privilégier la perspective de recherche puzzle-driven ou problem-driven par opposition à la perspective paradigm-driven ou theory-driven, dans ce champ disciplinaire en général, et dans les études sur la prolifération nucléaire en particulier. Une telle approche a été défendue, par exemple, depuis de longues années, par T.V. Paul, l’un de ses spécialistes les plus reconnus : « A comprehensive understanding of nuclear choices should draw theoretical insights from realism and liberalism, while developing a new approach to explaining states’ choices in an international system in transition » (Paul, 2000 : 11). Le chercheur précise: « This attempt to marry realist and liberal insights is prone to criticism from adherents of one perspective or the other. However, […] the realist/liberal divide has slowed the advancement of knowledge in international relations. Scholarly efforts to "prove" one or the other correct have often obscured diverse political

15 Le constructivisme invoqué ici est le constructivisme conventionnel, dominant, modéré et mince, incarné par Alexander Wendt (1999) et axé, en priorité, sur l’impact de la structure idéelle sur la définition, par les États, de leurs intérêts nationaux. Ce constructivisme holiste, idéaliste et stato-centriste est, selon les termes de Smith (2001 : 44), finalement « assez près de l’aide néolibérale du programme rationaliste ». 16 Pour reprendre T.V. Paul (2009 : 217), « "analytical eclecticism" means borrowing explanatory variables and causal logic from two or more distinct traditions or approaches in order to gain greater purchase on the cases or issues areas that scholars want to analyze ».

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phenomena that requires more nuanced and context-dependant explanations » (Paul, 2000 : 160). Dans sa célèbre revue de littérature sur les causes de la guerre et les conditions de la paix, Jack Levy (1998 : 144-145) avait déjà fait la même remarque:

[…] The paradigmatic debate between realism and liberalism has […] detracts from the important task of systematically integrating key components from each approach into a more complete and powerful theory […]. As a field, international relations needs to shift its attention from the level of paradigms to the level of theories, focus on constructing theories and testing them against the empirical evidence, and leave the question of whether a particular approach fits into a liberal or realist framework to the intellectual historians.

De plus, dans cette recherche, l’ontologie matérialiste de ces deux écoles de pensée est mariée à l’ontologie idéaliste du constructivisme même si notre épistémologie est résolument positiviste17. Ce que nous ne sommes pas les premiers à faire dans la discipline. Par exemple, pour créer sa « complex polarity theory » destinée à expliquer la structure du système international contemporain et son évolution possible, Barry Buzan (2004) avait jugé nécessaire de combiner les concepts néoréaliste de la polarité et constructiviste de l’identité sans pour autant avoir eu besoin de justifier, outre mesure, cette démarche : « I make no apology for combining material and social theory. My stance is one of basic theoretical pluralism. I am not wedded to any one approach as containing "the truth" and I am attracted by any approach that seems to offer disciplined and systematic insight into how the international system works. I see no reason why one cannot examine the interplay of different approaches in a disciplined manner » (Buzan, 2004 : ix). Ce faisant, la théorie interactive des échanges nucléaires bilatéraux ayant vocation à expliquer le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires devra-t-elle être envisagée comme une théorie intermédiaire et non une grande théorie.

17 Nous nous situons ainsi dans la même perspective que celle d’Alexander Wendt lorsqu’il affirmait dans sa Théorie sociale de la politique internationale : « Epistemologically, I have sided with positivists » (Wendt, 1999 : 90).

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2. L’opportunité et la volonté comme une base théorique pour la construction d’un cadre analytique.

2.1. La conceptualisation de l’ « opportunité » et de la « volonté » dans la littérature classique originelle.

Au milieu des années 1960, dans une contribution majeure au débat sur la relation entre « géographie » et « politique », Harold Hance Sprout et Margaret Tuttle Sprout18 introduisent le concept de « triade écologique ». La triade est formée par 1) une entité (« environed unit »), 2) son environnement, et 3) la relation entre l’entité et l’environnement, laquelle est toujours le résultat de la combinaison des propriétés de l’entité avec les conditions environnantes (Sprout & Sprout, 1965; 1968). Selon ce concept, les chercheurs étudiant les relations internationales ou ceux analysant la politique étrangère devraient donc, dans leur démarche, être guidés par une « logique de trois en un » : 1) les processus des choix politiques au sein d’une entité, 2) la nature de cet environnement, et 3) les interactions entre l’entité et l’environnement (Sprout & Sprout, 1968 : 11-21 ; Starr, 1992 : 3)19.

À la fin des années 1970, Harvey Starr reformule la triade écologique à l’aide de deux concepts, l’opportunité (opportunity), d’une part, et la volonté (willingness), d’autre part, pour en faire un cadre analytique susceptible d’expliquer les causes et les corrélats de la guerre (Starr, 1978)20. Il définit simplement l’opportunité comme « la possibilité d’interaction entre entités »21 (Starr, 1978 :368) suivant ainsi la position possibiliste des Sprouts (1965 ; 1968). En fait, ce sont les différentes possibilités qui s’offrent à toute entité au sein de tout environnement (Most & Starr, 1989 : 23). En réalité, « c’est autant les possibilités qui existent dans le système international à n’importe quel

18 Les époux Sprout ont publié de nombreux travaux sur la géopolitique et les relations internationales. Selon William Fox, ils peuvent être considérés comme parmi les politologues américains qui ont le plus influencé la pensée géopolitique pendant la période 1930-1970 (Fox, 1985 : 27). 19 Voici la justification de la logique: «The ecological triad calls for the study of both entity and environment, and most importantly, how the two are related. [...] Decision makers or small groups [...] are surrounded by factors that structure the nature of the decision, the options available, the consequences, costs, and benefits of those options [...]. This can be captured only by looking at all three parts of the ecological triad » (Most & Starr 1989 : 29). 20 C’est là la naissance de tout un programme de recherche qui génèrera plusieurs travaux de Harvey Starr individuellement ou en collaboration avec d’autres chercheurs. Ainsi, est publié entre autres, en 1989, en collaboration avec Benjamin Most, un ouvrage intitulé Inquiry, Logic and International Politics, consacré à la construction méthodologique du cadre analytique formé par ces deux concepts. En 1991, en collaboration avec Randolph Siverson, le cadre analytique est mobilisé pour étudier le phénomène de la diffusion de la guerre dans un ouvrage intitulé The Diffusion of War: A Study of Opportunity and Willingness. 21 « Opportunity may simply be understood as the possibility of interaction between entities or behavioral units of some kind » (Starr, 1978 : 368).

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moment de l’histoire (technologie, idéologie, religion, inventions sociales à l’instar de nouvelles formes de gouvernement) que la manière dont elles y sont distribuées » (Siverson & Starr, 1990 : 49). Quant à la volonté, elle représente l’ensemble « des processus et activités qui conduisent les hommes à se prévaloir de la possibilité d’aller en guerre ». Elle fait référence « aux motivations et buts des décideurs politiques, et les processus décisionnels qui les conduit à privilégier la guerre comme alternative plutôt que la "non-guerre"» (Starr, 1978 : 364-365)22. En somme, c’est le « choix (et le processus de choix) relié à la sélection d’une option de comportement parmi un ensemble d’alternatives » (Most & Starr, 1989 : 23). Il s’agit « des calculs d’avantage et désavantage, de coût et bénéfice, considérés tant aux niveaux inconscients que conscients, des décideurs » (Siverson & Starr, 1990 : 49). Finalement, c’est par le truchement de la volonté que les décideurs reconnaissent les opportunités qui s’offrent à eux ; les traduisant alors en alternatives qui, pesées et sous-pesées, conduisent aux choix finaux.

2.2. La conceptualisation de l’ « opportunité » et de la « volonté » dans la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux.

L’opportunité et la volonté peuvent être envisagées de deux manières différentes : d’une part, comme des concepts organisateurs (ordering concepts) dans la mesure où ils permettent de « construire des catégories dans lesquelles nous pouvons classer des études et leurs résultats » (Starr, 1978 : 365); et d’autre part, comme une base théorique pour la construction d’un cadre analytique23. Tout comme l’étude pionnière d’Harvey Starr, c’est dans cette deuxième logique que s’inscrit notre recherche. En ce sens, l’opportunité et la volonté et l’interaction entre les deux, sont considérées comme la base de ce que nous appelons "la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux" qui permet d’expliquer comment les États passent de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires.

22 « Willingness is concerned with the processes and activities that lead men to avail themselves of the opportunities to go to war. In essence, willingness deals with the motivations and goals of policy makers, and the decision making processes that lead them to choose the "war" alternative rather than "no war"» (Starr, 1978 : 364-365). 23 L’auteur explique: « At another level opportunity and willingness become the pre-theoretical basis for a conceptual framework concerning correlates and causes of war. At this level we are beginning to develop an explanation of what conditions are necessary for the occurrence of war and the possible relationships among conditions and variables. In sum, the ideas of opportunity and willingness are pre-theoretical in that they represent concepts preliminary to a full theory of war » (Starr, 1978 : 365).

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Jo et Gartzke (2007) ont été les premiers à utiliser le cadre analytique formé par l’opportunité et la volonté pour expliquer les déterminants de la prolifération nucléaire vus du côté des demandeurs en analysant l’effet des conditions domestiques et internationales sur les décisions des États de poursuivre des programmes de production d’armes nucléaires pour finalement parvenir à les posséder. Notre recherche, est à notre connaissance, la première à utiliser ce cadre conceptuel pour étudier les déterminants de la prolifération nucléaire, cette fois-ci, vus du côté des fournisseurs, en analysant les conditions dans lesquelles des États ayant reçu de l’assistance nucléaire militaire, en offrent à leur tour à d’autres États. Cependant, la conceptualisation et l’opérationnalisation des deux termes demeurent un défi intellectuel tant elles diffèrent d’une étude à une autre et d’un chercheur à un autre. Prenant acte de cette absence de consensus sur le sujet, tout en gardant à l’esprit les acquis des travaux ayant utilisés ces deux concepts, et guidés par le souci de clarté et de précision en matière de conceptualisation (Sartori, 2009 [1984]), nous proposons nos propres définitions.

2.2.1. La définition de l’opportunité. Dong-Joon Jo et Erik Gartzke (2007) associent « la capacité de fabriquer des armes nucléaires » à l’opportunité pour un État de proliférer. Ils distinguent trois catégories d’opportunité : 1) la disponibilité d’un ensemble de technologies (le savoir) relatifs à la manufacture des armes nucléaires; 2) la possibilité d’obtenir des matières fissiles; et 3) le pouvoir économique (Jo & Gartzke, 2007 : 168-169). Nous épousons l’idée de « la capacité de fabriquer des armes nucléaires » qui, dans notre cas à nous, devient « la capacité d’exporter des armes nucléaires ». Cette capacité suppose : 1) la maîtrise du cycle du combustible, 2) l’atteinte du seuil nucléaire ou 3) la possession d’armes nucléaires par l’État fournisseur. Mais nous ne la privilégions pas dans notre conceptualisation de l’opportunité. Et pour cause, ce n’est pas parce qu’un État dispose de la « capacité d’exporter » qu’il le fera automatiquement. Tout comme, ce n’est pas parce qu’un État dispose de la « capacité de fabriquer » qu’il construira automatiquement la bombe. Plutôt, l’idée nous a permis de constituer notre univers empirique. Nous y reviendrons dans le chapitre 3 consacré à la méthodologie.

Dans la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux, nous concevons l’opportunité comme la présence, au sein d’un environnement international favorable (1), d’un pays voulant acquérir des matières et technologies nucléaires militaires, dans le cadre d’un programme de fabrication d’armes nucléaires, et avec qui, pour le pays fournisseur, des échanges sont possibles (2). Le fait que les échanges soient possibles est un aspect fondamental dans la mesure où des

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échanges peuvent être plausibles sans être possibles. Des échanges possibles impliquent que les intérêts des deux parties soient susceptibles d’être satisfaits dans ce type particulier de coopération. La logique qui sous-tend cette conceptualisation de l’opportunité est simple : pour qu’un État Y ayant reçu, d’un État X, des matières et technologies nucléaires, dans le cadre d’un programme militaire, ayant maîtrisé le cycle du combustible, ayant atteint le seuil nucléaire ou ayant fabriqué des armes nucléaires, puisse à son tour les exporter, il faut qu’il y ait, dans le système international, au moins un autre État Z désireux d’acquérir ces dernières, et à qui le premier pourrait porter assistance. Les deux pays devraient avoir des affinités particulières, être unis par des liens particuliers. Finalement, nous entendons par "environnement international favorable", un système international anarchique dans lequel, des États souverains, peuvent s’affranchir des contraintes mises en place pour encadrer ce type de coopération, en l’occurrence les contraintes du régime international de non-prolifération.

2.2.2. La définition de la volonté. Pour Dong-Joon Jo et Erik Gartzke (2007), la volonté fait référence à un ensemble de facteurs conduisant au désir de posséder des armes nucléaires : « les conditions domestiques et géopolitiques qui influencent la décision de rechercher des armes nucléaires » relèvent ainsi de la volonté (Jo & Gartzke, 2007 : 168). Reprenant les trois modèles théoriques (sécuritaire, bureaucratique et normatif) élaborés par Scott Sagan (1996/1997) pour expliquer les raisons qui sous-tendent la recherche de la bombe, ils identifient quatre facteurs motivant la décision de proliférer : 1) la sécurité internationale (dissuasion nucléaire); 2) les considérations de politique intérieure (des ambitions nucléaires pour détourner l’attention des difficultés domestiques et la corrélation entre le type de régime politique et la quête de la bombe); 3) les contraintes normatives (TNP); et 4) le statut que confère la possession des armes nucléaires (influence, prestige).

Dans la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux, le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires est supposé être guidé par la motivation de réaliser des gains relatifs et absolus. Fournir une assistance nucléaire, après en avoir fait l’objet, est avant tout un choix, une décision politique, avec tous les avantages et les inconvénients, les coûts et les bénéfices qui y sont associés. Cette recherche considère donc l’État qui opère un tel passage comme un acteur unitaire et rationnel désireux de maximiser ses bénéfices et de diminuer, le plus possible, ses coûts (Gilpin, 1981). Dans un tel contexte, la volonté renvoie aux objectifs poursuivis par l’État fournisseur lorsqu’il décide de s’engager dans des échanges nucléaires

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militaires avec l’État récipiendaire. Il faut donc que ce dernier, de par ses caractéristiques particulières, puisse lui permettre d’atteindre les buts qui motivent son action pour qu’une coopération nucléaire soit possible entre eux. C’est donc l’interaction entre l’opportunité et la volonté qui donne lieu à une coopération nucléaire entre deux pays. C’est cette interaction qui permet d’expliquer les raisons pour lesquelles un État fournisseur Y s’engage dans une transaction nucléaire avec un État récipiendaire Z1 plutôt qu’avec un autre État Z2. C’est là, comme évoqué plus haut, la prémisse fondamentale de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux.

En réalité, c’est l’enchevêtrement de plusieurs facteurs/conditions au sein du couple opportunité/volonté qui permet à ce passage d’avoir lieu. Et selon nous, ledit passage s’explique par le fait que les États qui l’effectuent y voient un moyen de satisfaire leurs intérêts politiques et économiques dans le système international. L’opportunité et la volonté sont ainsi des conditions nécessaires pour le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies militaires nucléaires (figure 2.1)24. Mais ce ne sont pas forcément des conditions suffisantes (Gartzke, 1998 : 9)25. En tous les cas, cette thèse, par l’une des deux méthodes qui est utilisée pour tester le modèle théorique, à savoir la méthode booléenne, et qui est particulièrement adaptée à la recherche des conditions nécessaires et suffisantes, permet de clarifier aussi bien les conditions nécessaires que les conditions suffisantes au passage de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires.

Figure 2.1. Logique du modèle théorique.

24 Comme le font remarquer Cioffi-Revilla et Starr (1995 : 449): « Analytically, willingness and opportunity are causally necessary for political behavior to occur ». 25 Comme le rappelle Gartzke (1998 : 9): « Most and Starr (1989) seem to imply that opportunity and willingness are sufficient conditions for international conflict. This cannot be correct. […] In the international arena, states that are able to demonstrate willingness to use force often obtain their goals without actually needing to use violence. Sufficient conditions or conflict require that states are willing and able to use force while at least one state believes that its opponent lacks either capacity or resolve ».

Opportunité Coopération nucléaire Volonté

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3. Les propositions théoriques. Le modèle théorique est articulé autour de quatre propositions : deux sont associées à l’opportunité (les arguments constructiviste et institutionnel et normatif) et deux autres à la volonté (les arguments (néo) réaliste et (néo) libéral).

3.1. Les propositions associées à l’opportunité. Quelles sont les « différentes possibilités » qui s’offrent à un État, au sein du système international, de passer de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires ? Nous postulons que la présence, dans l’environnement international, d’un autre État désireux d’acquérir des armes nucléaires avec lequel l’État offreur a des affinités identitaires, et la difficulté du régime international de non-prolifération régulant les rapports entre les États, dans le domaine de coopération concerné — difficulté qui résulte de son design problématique et de son caractère discriminatoire —, à les contraindre à agir selon les normes qu’il a mises en place, sont deux facteurs pouvant favoriser la décision de passer de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

3.1.1. L’argument constructiviste. La rencontre de l’offre et de la demande : les affinités identitaires et le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

Des affinités identitaires avec un autre État demandeur d’armes nucléaires sont susceptibles de favoriser le passage d’un État, de récipiendaire, à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Au sein de la Théorie des Relations internationales, c’est le constructivisme qui accorde une importance particulière à l’identité comme variable indépendante dans l’étude des rapports interétatiques26. Selon les tenants de ce courant de pensée, « l’identité est la clé qui permet de

26 Toutefois, entre autres, des auteurs réalistes comme John Mearsheimer et Stephen Walt qui ont souvent rejeté les facteurs identitaires n’ont pas hésité, à la veille de l’intervention militaire de 2003, à invoquer l’argument culturaliste, du moins implicitement, pour tenter d’expliquer pourquoi il n’y avait pas eu d’échanges d’armes de destruction massive entre l’Irak et Al Qaïda. En effet, dans un texte publié dans le New York Times, les deux auteurs affirment notamment: « Given the deep antipathy between fundamentalists like Osama Bin Laden and secular rulers like Saddam Hussein, the lack of evidence linking them is not surprising. But even if American pressure brings these unlikely bedfellows together, Mr. Hussein is not going to give Al Qaeda weapons of mass destruction ». Ils insinuent ainsi que des identités culturelles en conflit (le régime séculaire de Saddam Hussein versus l’islamisme fondamentaliste d’Al-Qaïda) rendaient improbable cette coopération en dépit du fait que les deux entités partageaient un ennemi commun, à savoir les États-Unis. Voir John

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comprendre le comportement des États » (Macleod & O’Meara, 2007 : 188). Cette identité est définie comme « la forme particulière d’existence sociale des différents agents—comprise comme un processus continu (intersubjectif et contesté) de définition, par les agents eux-mêmes, d’une triple image collective : de soi, de soi en relation avec son environnement et de la différence entre soi et les autres agents » (Macleod & O’Meara, 2007 : 205).

Plus simplement, pour Alexander Wendt, dont c’est le constructivisme que nous empruntons dans notre théorie, deux types d’idées composent l’identité : celles portées par soi et celles portées par les autres; en d’autres termes, l’identité possède une structure interne et une structure externe. Et puisque le caractère de la relation entre ces deux structures est sujet à des variations, il existerait en fait plusieurs sortes d’identités. Il en distingue principalement quatre dont les définitions peuvent évoluer : 1) l’identité personnelle ou de corps (corporate identity), 2) l’identité de type (type identity), 3) l’identité de rôle (role identity) et 4) l’identité collective (collective identity) (Wendt, 1999 : 224).

L’identité de corps renvoie à la structure auto-organisée qui différentie l’acteur, en l’occurrence ici l’État27, des autres entités sociales. Si cette identité existe en tant que telle, les trois autres sont façonnées par les interactions que l’État entretient avec les autres États. Ainsi, l’identité de type fait référence aux caractéristiques spécifiques qui sont partagées avec d’autres États de telle sorte qu’on puisse les classer par type (démocraties, autocraties). L’identité de rôle n’existe qu’en relation avec les autres États ; elle découle de la position occupée — celle-ci résulte de la perception des autres États — sur l’échiquier international (État hégémonique, État satellite). L’identité collective a trait à l’identification qui est généralement spécifique à certains enjeux et donc rarement totale car chaque unité du Nous conserve son Moi qui peut entretenir des relations avec un autre acteur en dehors du Nous. Ainsi construite à partir des identités de type et de rôle, elle résulte de l’assimilation de l’identité de l’État et de celle d’autres États dans une identité commune de telle sorte que chacun des acteurs se considère comme un élément d’une communauté (identité commune fondée sur l’appartenance à la Oummah pour les États musulmans) et agit en conséquence, c’est-à-dire de manière plus altruiste mais tout autant rationnelle à la différence que le fondement sur lequel repose le calcul des intérêts est le « groupe » (Wendt, 1999 : 224-230).

Mearsheimer et Stephen Walt, « Keeping Saddam Hussein in a Box », New York Times, 2 février 2003. http://www.nytimes.com/2003/02/02/opinion/keeping-saddam-hussein-in-a-box.html?pagewanted=all&src=pm 27 Rappelons que le constructivisme d’Alexander Wendt est stato-centré; l’État constitue son unité fondamentale d’analyse (Wendt, 1999 : 8-9).

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Deux propos tenus par le Général Zia-ul-Haq, un ancien président du Pakistan, pour justifier le programme nucléaire pakistanais, illustrent bien cette conception wendtienne de l’identité collective. En 1980, il déclarait: « China, India, the USSR, and Israel in the Middle East possess the atomic arm. No Muslim country has any. If Pakistan had such a weapon, it would reinforce the power of the Muslim world » (Weissman & Krosny, 1981 : 161). En 1986, il affirmait encore: « In fact, if the Islamic world possessed this technology, it means that 900 million Muslims possess advanced technology […] It is our right to obtain the technology. And when we acquire this technology, the entire Islamic world will possess it with us » (Sciolino, 1998 : 4). Comme le Remarque Sohail H. Hashmi (2004 : 337-338): « As part of its general resort to religion, for legitimacy, the government of Zia-ul-Haq encouraged the grand illusion that Pakistan’s nuclear program was indeed serving not narrow national interests but the greater good of the entire Muslim nation or umma ». En somme, l’identité collective repose sur la conviction partagée par deux ou plusieurs États d’appartenir à un ensemble possédant des intérêts communs.

En réalité, tous les quatre types d’identités impliquent des intérêts. Si les États agissent sur la base des intérêts nationaux tels qu’ils les perçoivent, ces intérêts dépendent de leurs identités. Les identités se réfèrent à ce que les acteurs sont. Les intérêts se réfèrent à ce que les acteurs veulent : « Without interests identities have no motivational force, without identities interests have no direction.

Identities belong to the belief side of the intentional equation (desire + belief = action) […] while

interests belong to the desire side » (Wendt, 1999 : 231). Ainsi, les identités et les intérêts émergent donc dans un processus interactif. Les intérêts des États sont de deux types : objectifs et subjectifs. Les premiers sont des besoins ou des impératifs fonctionnels qui doivent être satisfaits afin que l’identité de l’acteur soit reproduite. Les deuxièmes sont des croyances que les acteurs ont sur comment satisfaire leurs besoins identitaires ; ce sont des désirs, des motivations, des préférences dans le langage des rationalistes28 (Wendt, 1999 : 231-232).

Ces motivations peuvent être diverses. Mais les besoins identitaires des États, leurs intérêts nationaux, qui peuvent être interprétés de différentes manières, sont au nombre de quatre : la survie physique (la survie du complexe État/société), l’autonomie (la capacité du complexe État/société à exercer son contrôle sur la distribution des ressources et sur le choix de son gouvernement), le bien-

28 Ce sont ces motivations, politiques et économiques, qui forment la volonté dans notre modèle théorique. Nous les traitons dans la section suivante.

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être économique (le maintien du mode de production au sein de la société et la préservation des ressources nationales) et la valorisation collective de soi (le besoin du groupe de vivre en harmonie avec lui-même, pour le respect ou le statut). Des contraintes extérieures peuvent nécessiter que l’un des intérêts soit priorisé par rapport aux autres mais en définitive, ils nécessitent d’être tous les quatre défendus afin d’assurer la sécurité de l’État (Wendt, 1999 : 233-238).

Se pose alors la question de savoir si ces intérêts nationaux font des États des acteurs "réalistes", c’est-à-dire en quête de puissance ou de sécurité et de bien-être ; et partant de là, des acteurs égoïstes?

Pas radicalement. Certes, il est vrai que l’histoire des relations internationales a démontré que les États sont quelques fois, pour ne pas dire la plupart du temps, égoïstes. Mais l’égoïsme n’est pas une propriété intrinsèque des États. Il est une forme d’intérêt, un intérêt subjectif ou en d’autres termes une croyance sur la manière de satisfaire un besoin. De ce fait, il implique une absence d’identification avec l’autre, une absence d’identité collective: « The distinction between Self and

Other is total, such that the latter has no intrinsic value for the former […] Self-interest is not an

intrinsic property of actors […] but a contingent belief about how to meet needs that gets activated in

relation to specific situations and Others » (Wendt, 1999 : 240). Et puisque les États arrivent à former des identités collectives, ils sont donc capables de remettre en cause cette frontière entre le Je et l’Autrui, de dépasser cet égoïsme, il faut le dire, est culturellement constitué. La culture faisant référence à des idées internationalement partagées par les acteurs :

Common knowledge concerns actors’ beliefs about each other’s rationality, stratégies, preferences, and beliefs, as well as about states of the external world. These beliefs need not to be true, just believed to be true. Knowledge of a proposition P is "common" to a group G if the members of G all believe that P, believe that the members of G believe that P, believe that the members of G believe that the members of G believe that P, and so on (Wendt, 1999 : 159-160).

Il existerait en réalité trois types de culture avec des logiques et des tendances différentes qui, au niveau systémique, façonnent les identités et les intérêts des États29 : 1) la culture hobbesienne lorsque les États se conçoivent les uns des autres comme des ennemis ; 2) la culture lockéenne

29 Wendt reconnaît qu’une partie importante des identités et des intérêts des États est déterminée plus à l’interne qu’à l’externe. Cependant, comme sa théorie est systémique, il insiste logiquement sur l’aspect holiste plutôt qu’individualiste de la formation des identités et des intérêts des États. Wendt s’intéressant au fonctionnement du système international et non à la construction de ses différents éléments, il prend pour acquis l’existence des États (Wendt, 1999 : 246).

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lorsque les États se conçoivent les uns les autres comme des rivaux ; et 3) la culture kantienne lorsque les États se conçoivent les uns les autres comme des amis30. Si ces trois cultures sont des idéaux-types, elles auraient cependant existé à différentes époques et dans différents environnements au cours de l’histoire. Elles pourraient donc continuer d’exister dans des systèmes sous-régionaux ou dans le système international. Et elles pourraient éventuellement être affectées par des cultures domestiques ou transnationales même si c’est la vision systémique qui prime dans la théorie wendtienne : « This means that even if states’s domestic cultures have little in common

[…] the states system could still have one culture that affected the behavior of its elements » (Wendt,

1999 : 257)31.

Deux précisions cependant : non seulement la culture et ses différentes manifestations (règles, normes, institutions, idéologies, coutume, lois) sont analytiquement neutres en ce qui concerne la coopération et le conflit mais aussi, la culture du système international est fondée sur la structure des rôles lesquels sont des propriétés du système et non des acteurs. Premièrement, la culture peut donc être conflictuelle ou coopérative. Les différentes logiques d’anarchie ne sont pas fonction des degrés d’intériorisation de la culture : « Hobbesian logics can be generated by deeply shared ideas, and Kantian logics by only weakly shared ones. Each logic of anarchy is multiply realizable: the same effect can be reached through different causes » (Wendt, 1999 : 254). Ce sont les idées partagées, qu’elles soient coopératives ou conflictuelles, qui structurent la violence entre les États. Ainsi, par exemple, 500 armes nucléaires britanniques sont moins menaçantes pour les États-Unis que 5 armes nucléaires nord-coréennes à cause de la différence de sens qui est donnée par les États-Unis aux forces nucléaires des deux pays (Wendt, 1999 : 255). Deuxièmement, l’un des aspects fondamentaux de toute forme de culture est la structure de son rôle c’est-à-dire la configuration des positions du sujet que les idées partagées rendent intelligibles à leurs tenants. En l’occurrence, dans chacune des trois logiques d’anarchie, il existerait une position : l’ennemi pour l’anarchie hobbesienne, le rival pour l’anarchie lockéenne et l’ami pour l’anarchie kantienne. L’auteur fait remarquer: « All three positions constitute social structures, insofar as they are based on

30 Wendt reconnaissant que le système international est anarchique et que la structure de ce système international est sa culture, les trois types de cultures identifiées sont donc trois cultures différentes de l’anarchie (Wendt, 1999 : 246-249). 31 Cette perspective du constructivisme wendtien a été critiquée par de nombreux auteurs. Henry Nau, par exemple, a défini l’identité suivant deux dimensions, libérale (interne) et sociale (externe) : « The liberal or internal dimension captures the relative priority citizens assign to ideological, cultural, ethnic, religious, and other factors in establishing the rules for the legitimate use of force at home. The external dimension captures the history and experience of associations among countries that influence their inclination to use force against one another » (Nau, 2002 : 10).

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representations of the Other in terms of which the posture of the Self is defined » (Wendt, 1999 : 260).

La posture d’ennemi est constituée par une représentation d’un autre État comme un acteur qui ne reconnaît pas le droit d’exister comme entité indépendante à un État et qui, en conséquence, ne restreint pas de sa propre initiative la violence dont il fait preuve à son égard. La posture de rival, elle, reconnaît le droit d’exister d’un État mais peut occasionner le recours à la violence à son encontre dans le but de changer son attitude ou sa propriété. Les deux postures impliquent des actions agressives mais celles de la première sont illimitées alors que celles de la deuxième sont limitées (Wendt, 1999 : 260-261). La posture d’ami est caractérisée par des attentes partagées des États vis-à-vis du respect de deux règles indépendantes mais nécessaires circonscrites au domaine de la sécurité nationale: 1) le non recours à la force ; ce qui implique que les différends soient résolus de façon pacifique sans utilisation ou menace d’utilisation de la force et 2) l’aide mutuelle ; ce qui implique qu’ils combattent ensemble lorsque la sécurité de l’un d’eux est menacée par un État tiers.

Remarque importante, l’amitié en tant que structure de rôle est qualitativement différente de l’alliance en ce sens que, contrairement aux alliés qui n’envisagent pas leur relation comme définitive, les amis espèrent que celle-ci pourra durer longtemps (Wendt, 1999 : 298-299). Ces deux règles de l’amitié sont respectivement à la base de deux logiques systémiques de sécurité: la communauté de sécurité (pluralistic security community) et la sécurité collective (collective security):

One way to think about the difference between a pluralistic security community and a collective security system is that the former concerns disputes within a group [there is real assurance that the members of that community will not fight each other physically, but will settle their disputes in some other ways], while the latter concerns disputes between a group and outsiders [when the security of any one member of the system is threatened by aggression all members are supposed to come to its defense even if their own individual security is not at stake] (Wendt, 1999 : 299-300).

Le passage de l’anarchie lockéenne à l’anarchie kantienne, le changement culturel, et la construction de l’identité collective qui y est associée résulte de la combinaison de l’une des trois variables suivantes (des causes efficaces) : 1) l’interdépendance, 2) la communauté de destin et 3) l’homogénéisation des cultures, à une quatrième variable (une cause permissive): l’autocontrôle (Wendt, 1999 : 343-363). Ce passage dépend bien évidemment du degré d’intériorisation des cultures (ou des normes qui les constituent) par les États : plus l’intériorisation des normes culturelles

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est forte, plus elle affecte l’identité et les intérêts des États32. Nous ne nous y attarderons pas plus que ça, cette recherche n’ayant pas pour objectif d’investiguer, dans les détails, les processus sociaux de formation des identités collectives qui sont à la base du comportement des États sur la scène internationale33.

En somme, puisque les États ont une identité collective qui va de pair avec leurs intérêts, que les identités et les intérêts sont façonnés par la culture internationale laquelle, lorsque kantienne, repose sur l’idée d’aide mutuelle et que les déterminants de la prolifération vus du côté des États demandeurs ont mis de l’avant l’importance de la variable sécuritaire dans la quête des armes nucléaires, comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent34, nous avançons la proposition selon laquelle des affinités identitaires pourraient favoriser la coopération nucléaire entre deux États35.

Proposition 1 : Le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies

nucléaires militaires, pourrait être favorisé par des affinités identitaires avec un État récipiendaire.

3.1.2. L’argument institutionnaliste et normatif. Les limites de la coopération : les failles du régime international de non-prolifération et le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

Des contraintes institutionnelles et normatives sont censées défavoriser le passage d’un État, de récipiendaire, à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Selon les institutionnalistes néolibéraux, malgré l’anarchie caractéristique du système international, la coopération entre les États est possible (Keohane, 1984); et ce, même en l’absence d’une puissance 32 Sur les trois degrés d’intériorisation des normes que l’auteur distingue, voir Wendt (1999 : 266-278). 33 Sur la formation des identités collectives et les changements structurels, voir notamment Wendt (1994 : 384-396) et Wendt (1999 : 313-369). 34 Certaines recherches de cette approche ont d’ailleurs montré aussi que les expériences historiques et les mythes, les croyances religieuses, les identités, les idéologies avaient une influence sur les décisions des États en matière nucléaire (Sagan, 2000, Hymans, 2006). 35 Thomas Lindemann (2004 : 831-832) illustre ce phénomène identitaire par ces propos : « Des enquêtes psychologiques confortent l’hypothèse que les identités collectives les plus rudimentaires produisent des comportements coopératifs à l’intérieur de l’endogroupe. Même des catégorisations sociales arbitraires, comme la répartition des individus en deux groupes en fonction de leur préférence pour l’art moderne ou traditionnel, conduisent les individus à favoriser systématiquement leurs « semblables ». Tout se passe comme si les individus sont plus tolérants et empathiques envers ceux qu’ils perçoivent comme proches et indifférents envers ceux qu’ils jugent dissemblables ». Il y a des siècles déjà, Aristote (1934 : 1371) affirmait dans sa Rhetoric and Nichomachean Ethics que les gens « aimaient ceux qui leur ressemblaient » de même que Platon (1968 : 837) notait aussi dans son Phaedrus que « la similarité engendre l’amitié ».

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hégémonique capable de l’imposer contrairement à ce que pensent les tenants de la thèse de la stabilité hégémonique comme Grieco (1988; 1993)36. Cette coopération peut se traduire notamment par l’établissement de régimes internationaux définis comme « un ensemble d’anticipations communes, de règles et de régulations, de plans, d’accords et d’engagement […] qui sont acceptés par un groupe de pays » (Ruggie, 1975 : 570) ou un ensemble de « normes, règles et procédures qui gouvernent l’interdépendance dans différents domaines » (Keohane & Nye, 1998 : 19) ou encore «un ensemble de principes, normes, règles et procédures de décision autour desquels les attentes des acteurs convergent de manière implicite ou explicite dans un domaine donné des relations internationales » (Krasner, 1982 : 186).

En instaurant ces régimes, les États sont fondamentalement guidés par leur rationalité: « A state does not typically cooperate out of altruism or empathy with the plight of others nor for the sake of pursuing what they conceive as international interest. They seek wealth and security for their own people, as search for power as a means to these ends » (Keohane, 1984 : 10). Ils visent plusieurs objectifs destinés à modifier leurs comportements réciproques : la limitation des coûts de transaction entre eux ; la création d’une structure qui favorise des négociations ordonnées ; l’établissement de liens entre différents enjeux; la circulation de l’information, et surtout d’une information de meilleure qualité ; les échanges réguliers entre eux; le respect des règles et la réputation ; et la promotion du principe de réciprocité généralisé (Keohane, 1984 : 97).

Le régime international de non-prolifération mis en place pour prévenir et contrôler la prolifération des armes nucléaires, partant du principe que cette dernière était susceptible de miner la stabilité du système international, et que ses membres ne devraient pas agir de telle façon à la faciliter (Keohane, 1984 : 57-58), répond à cette logique. Il est composé du TNP qui constitue sa clé de voûte, sa « pierre angulaire ». Résultat d’une décennie de négociations depuis la présentation d’un projet de résolution irlandais reconnaissant le danger inhérent à la prolifération nucléaire à l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), il est finalement signé le 1er juillet 1968 et ratifié le 5 mars 1970. De ce fait, il est le plus ancien des traités de maîtrise des armements37. Conformément

36 Selon Robert Keohane (1984), même si dans certains cas la présence d’une puissance hégémonique peut-être bénéfique à l’émergence de la coopération internationale, elle n’en est pas une condition essentielle. Certes, la puissance hégémonique peut jouer un certain rôle dans la mise en place de la coopération. Mais cette dernière peut aussi lui survivre. 37 Les accords SALT1 (1972) et SALT2 (1979) furent les premiers accords de limitation des armements conclus par les États-Unis et l’Union soviétique. Pendant la guerre froide, sont signés le Traité ABM (1972) et le Traité FNI (1987). À la

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à son article VIII.3, les États parties se réunissent tous les cinq ans pour évaluer son fonctionnement dans le cadre d’une conférence d’examen. Initialement conclu pour une période de vingt-cinq ans, il est prorogé indéfiniment à la conférence d’examen de 1995. Avec ses 190 États membres, le TNP se rapproche de l’universalité dont jouit la Charte des Nations Unies et ses 193 États membres38. Mais trois pays disposant d’armes nucléaires ont refusé d’y adhérer : il s’agit de l’Inde, du Pakistan et d’Israël. En outre, un seul pays s’y est retiré depuis sa création : la Corée du Nord, le 10 janvier 2003.

Le régime est complété par les accords de garantie de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et son protocole additionnel. L’Agence est vue comme le « bras armé » du TNP. En effet, comme ce dernier, en tant que traité de première génération, ne contient aucune mesure de vérification directe et ne possède ni organe exécutif, ni secrétariat, c’est l’AIEA, forum intergouvernemental scientifique et technique, qui s’occupe de le mettre (partiellement) en œuvre.

La naissance de cette dernière est à rechercher dans le plan « Atoms for Peace » présenté le 8 décembre 1953 devant l’AGNU par le Président américain Dwight Eisenhower qui proposait de créer une banque mondiale de matières fissiles sous la forme d’une agence internationale. L’agence devait également être chargée de faciliter l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire. Si le principe de banque de matières fissiles n’a jamais vu le jour, la naissance de l’AIEA fut entérinée le 23 octobre 1956 par l’adoption de son statut avec pour mission de promouvoir l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire et d’assurer la sécurité nucléaire. D’où un travail fondé sur trois piliers : 1) le transfert de technologies à travers lequel l’Agence promeut l’amélioration de la connaissance scientifique du nucléaire ainsi que sa mise en œuvre dans les domaines de la médecine, de l’agriculture, des ressources aquatiques et de la gestion des déchets nucléaires; 2) la sécurité et sûreté nucléaires qui a permis entre autres, à l’AIEA d’élaborer des conventions internationales contraignantes et de lignes directrices pour le renforcement de la sûreté nucléaire (protection physique du matériel nucléaire et des installations nucléaires). Elle propose également son expertise aux pays désireux d’avoir une évaluation de leur niveau de protection; 3) le contrôle de la non-prolifération, au travers des normes de garanties et selon lequel l’Agence est responsable du contrôle de l’obligation des États non dotés d’armes nucléaires (ENDAN) de ne pas se procurer d’arme nucléaire. C’est donc pour lui permettre fin de la guerre froide sont signés les Traités START 1 (1991) et START 2 (1993). En avril 2010 a été signé un nouveau traité START entre les deux pays. 38 Chiffres arrêtés au 10 janvier 2013.

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de jouer ce rôle d’inspection, que les nouveaux pays signataires du TNP doivent négocier avec elle un accord de garanties généralisées (INFCIRC/153) datant de 1971 auquel, depuis 1997, ils peuvent ajouter un protocole additionnel (INFCIRC/540) qui renforce les inspections auxquelles ils sont soumis.

Le régime de non-prolifération englobe aussi le Groupe des fournisseurs nucléaires (GFN). Anciennement connu sous le nom de « Club de Londres », le GFN a été créé en 1975 pour réglementer les transferts d’articles nucléaires entre ses États membres et les ENDAN. Ses directives sont notifiées par l’AIEA et deviennent donc contraignantes39. En clair, le régime international de non-prolifération associe une norme à des principes (coopération pacifique, transparence), des règles et des procédures (celles des accords de garanties et du protocole additionnel de l’AIEA et des directives du GFN).

Mais pour qu’un régime international puisse induire des changements de comportements, c’est-à-dire qu’une grande majorité de ses membres se conforme aux règles qu’il a établis (compliance) et que son effectivité soit ainsi renforcée (effectiveness)40, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Par exemple, il faudrait que le design du régime soit très bien pensé par ses concepteurs; le tout en partant du principe que les États ne violent pas leurs engagements internationaux de manière préméditée et délibérée (Mitchell, 1993; 1994; Chayes & Chayes, 1993; 1995; Koremenos, Lipson &

39 Il faut noter que le Traité de limitation des essais nucléaires, le Traité d’interdiction des essais nucléaires, le Régime de contrôle des technologies missiles, le Comité Zangger et l’Arrangement Wassenaar font aussi partie du régime international de non-prolifération nucléaire. Pour plus de détails voir l’inventaire des différentes organisations et régimes de non-prolifération établi par le Center for Nonproliferation Studies à cette adresse : http://cns.miis.edu/inventory/index.htm 40 L’effectivité d’un régime international est définie ainsi : « Regime effectiveness comprises two overlapping ideas. First, a regime is effective to the extent that its members abide its norms and rules (this attribute of regimes is sometimes referred to as “regime strength”). Second, a regime is effective to the extent that it achieves certain objectives or fulfills certain purposes. The most fundamental and most widely discussed of these purpose is the enhancement of the ability of states to cooperate in the issue area ». Avec la robustesse, ce sont les deux aspects fondamentaux qui permettent de juger de la pertinence d’un régime international. La robustesse est définie comme suit: « Regime robustness (resilience) refers to the “staying power” of international institutions in the face of exogenous challenges and to the extent to which prior institutional choice constrain collective decisions and behavior in latter periods, i.e. to the extent to which “institutional history matters”». Les deux dimensions sont conceptuellement indépendantes même si elles peuvent être empiriquement corrélées, les données concernant l’effectivité pouvant être pertinentes (même si non suffisantes) pour déterminer le niveau de robustesse du régime étudié (Hasenclever, Mayer & Rittberger, 1997 : 2-3). Il est important de distinguer la conformité d’avec l’effectivité. Toutefois, il existe une certaine relation entre les deux variables: « Treaties are ordinarily intended to induce behavior that is expected to ameliorate the problem to which they are directed, so […] compliance may be a fair first approximation surrogate for effectiveness» (Chayes & Chayes, 1993 : 178).

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Snidal, 2001)41. Entre autres, l’ambigüité et l’indétermination du langage du traité autour duquel le régime s’articule est une des causes possibles de non-conformité : « Well-designed treaties have better chance of being effective and ensuring that participating states observe their obligations. Indeterminacy can produce expansive interpretations leading to deviations, including cheating or violation of the treaty norms » (Sitaraman, 2009 : 37)42. Il faudrait aussi par exemple que le régime soit perçu comme légitime (Franck, 1990; Hurd, 1999) : « Given the underdeveloped character of enforcement procedures at the international level, it is hard to elicit compliance on an ongoing basis from actors that do not accept a regime’s prohibitions and requirements as fair and legitimate » (Young, 2011 : 19855). La légitimité, ici, est l’acceptation des règles parce qu’elles sont vues comme justes et équitables :

Legitimacy […] refers to the normative belief by an actor that a rule or institution ought to be obeyed. It is a subjective quality, relational between actor and institution, and defined by the actor’s perception of the institution. The actor’s perception may come from the substance of the rule or from the procedure or source by which it was constituted. Such a perception affects behavior because it is internalized by the actor and helps to define how the actor sees its interests (Hurd, 1999 : 381).

La légitimité n’exclue donc pas que les États restent attachés à la satisfaction de leurs intérêts dans la coopération comme le pensent les institutionnalistes néolibéraux et que la prise en compte de ceux-ci est essentielle pour encourager la conformité avec les règles du jeu (Hurd, 1999 : 386). D’ailleurs, l’accord fondateur d’un régime international, finalement signé et présenté pour ratification, est supposé être le compromis final résultant d’intenses négociations sur la prise en compte des intérêts des différents acteurs (Chayes & Chayes, 1993 : 183). En ce qui concerne le régime international de non-prolifération, le compromis, le "grand bargain", à la base de l’adoption du TNP, repose sur un lien triangulaire: 1) la non-prolifération nucléaire vérifiée – 2) le désarmement nucléaire – 3) les applications pacifiques de l’énergie nucléaire. En d’autres termes, il s’agissait de veiller à ce que le nombre d’EDAN soit plafonné aux cinq pays qui ont fait exploser un dispositif nucléaire avant le 1er janvier 1967 (articles I et II); veiller à ce que les États qui renonçaient à l’option nucléaire

41 En fait un tel cas de figure, mis en avant par le paradigme réaliste des relations internationales, n’est pas totalement à écarter, notamment lorsque les circonstances ayant présidé au compromis à la base de la négociation du traité changent de manière significative. Cependant, ce type de situations est souvent anticipé par les négociateurs comme l’illustre la présence, dans les textes, de dispositions sur les amendements et le retrait (Chayes & Chayes, 1993 : 187). 42 En réalité, il existerait trois causes principales de non-conformité (noncompliance) envers les règles : l’ambigüité et l’indétermination du langage du traité, les limitations sur la capacité des parties à honorer leurs obligations et la dimension temporelle des changements socio-économiques prévus par les traités de réglementation (Chayes & Chayes, 1993 : 188)

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puissent encore coopérer pour mettre en valeur le potentiel pacifique de l’énergie nucléaire et avoir accès à l’utilisation pacifique de cette énergie sous la supervision de l’AIEA (articles III, IV et V); et veiller à ce que les EDAN négocient pour mettre fin à la course aux armements et éliminer finalement les armes nucléaires (article VI). La coopération n’était donc possible que parce que les États étaient d’accord sur ces trois principes même si certains d’entre eux étaient plus intéressés par l’un ou l’autre des piliers.

Selon la définition de Ian Hurd (1999), la légitimité en tant que concept normatif comporterait donc deux dimensions: une dimension substantive axée autour du contenu final de la règle et une dimension procédurale associée au processus par lequel cette règle a été conclue. Mais ces deux types de légitimité peuvent être facilement confondus avec les intérêts des États; ces derniers pouvant caractériser une règle comme légitime lorsque son contenu sert leur intérêt ou lorsque le processus par lequel elle a été adoptée leur attribue un poids disproportionné. Pour Nina Rathbun (2006), le principe d’égalité souveraine (sovereign equality) permet de faire la part des choses et sert de référence pour évaluer les deux aspects de la légitimité. Il a deux facettes: l’universalité et la non-discrimination. En d’autres termes, pour assurer sa légitimité, un régime devrait garantir l’égalité dans la participation et la prise de décision pour tous ses membres et ne pas opérer de discrimination entre eux en termes de droits et d’obligations (Rathbun, 2006 : 228).

Or, si le TNP établi les mêmes obligations pour les États qui possèdent des armes nucléaires et ceux qui n’en disposent pas, il opère une discrimination entre eux. Ainsi, les EDAN sont légalement autorisés à conserver leurs armes nucléaires (tout en continuant à poursuivre de bonne foi des

négociations en vue de les éliminer) alors que les ENDAN se voient interdits d’acquérir ces armes. Une fixation de la géographie nucléaire qui avait suscité d’énormes reactions lors de la négociation

du traité : « It [the treaty] was criticized from its inception by important holdouts, such as Argentina,

Brazil and India. When the NPT was discussed in the UN General Assembly on 22 May 1968, Argentine ambassador Jose Maria Ruda explained that his country would not join the treaty because it legitimized the ‘disarmament of the unarmed’ » (Carranza, 2006 : 489).

Les EDAN ne doivent transférer, ni directement ni indirectement, des armes nucléaires ou aider, ni inciter d’aucune façon un ENDAN, à les fabriquer ou les acquérir (article I). Réciproquement, les ENDAN ne doivent accepter ni directement ni indirectement, le transfert d’armes nucléaires, ne doivent les fabriquer ni les acquérir de quelque autre manière ; et ne doivent rechercher ni recevoir

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une aide quelconque pour leur fabrication (Article II). Les ENDAN sont aussi obligés, en vertu du TNP, d’accepter des garanties généralisées (INFCIRC/153) de l’AIEA en vue d’empêcher que l’énergie nucléaire ne soit détournée de ses utilisations pacifiques vers des armes nucléaires, et dont les modalités d’application porteront sur toutes les matières et installations nucléaires des pays et

pas seulement celles qu’ils ont reçues du fait de leur adhésion à l’Agence (article III.1). Or, selon son statut, le mandat de l’AIEA est de s’assurer uniquement que l’assistance nucléaire fournie par elle-

même ou à sa demande ou sous sa direction ou sous son contrôle ne soit pas utilisée de manière à servir à des fins militaires (article II). L’Agence ne devrait donc pas s’intéresser aux transferts nucléaires dans lesquels elle n’est pas impliquée.

De leur côté, les EDAN sont bien évidemment exemptés de ces accords de garanties généralisées (l’article III.1 ne s’applique pas à eux) même s’ils ont négocié avec l’Agence des « accords de soumission volontaire » permettant à celle-ci de contrôler certaines de leurs installations nucléaires civiles afin de s’assurer qu’elles ne sont pas utilisées pour des objectifs militaires. Ce qui, dans le fond, ne change pas grand-chose puisque, compte tenu leur statut d’EDAN, ils sont autorisés à disposer de programmes nucléaires militaires. D’ailleurs, selon lesdits accords, tous les programmes déclarés comme militaire par les EDAN ne peuvent être inspectés par l’AIEA : « These additional voluntary agreements serve only to strengthen claims of nondiscrimination and strengthen the legitimacy of the regime. They have no other functional purpose » (Rathbun, 2006 : 233).

De même, le pilier du désarmement avait pour objectif de réduire le caractère discriminant du pilier la non-prolifération des ENDAN, et ainsi renforcer la légitimité du TNP en laissant envisager la perspective de la fin du droit des EDAN à posséder ce qu’il interdit. D’ailleurs, l’histoire des négociations du traité révèle que le projet de texte sur lequel les États-Unis et l’URSS s’étaient entendus ne comportait pas d’engagement sur le désarmement nucléaire car à l’époque de la guerre froide, la non-prolifération, notamment en Europe, constituait la préoccupation principale des deux protagonistes. Il a fallu que la clause de désarmement soit rajoutée à la demande de quelques puissances moyennes en l’occurrence l’Allemagne, le Brésil, le Canada, l’Italie et la Suède. Mais après juste cinq ans de vie du traité, à la veille de sa première conférence de révision, il apparaissait clair qu’il allait être plus que difficile à faire respecter: « It was felt that the most notable shortcomings in the present operation of the Treaty clearly result from the failure of the nuclear-weapon parties to

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carry out its provisions and to fulfill obligations undertaken by them at the time of its negotiation » (Marks, 1975 : 1).

Le pilier des applications pacifiques de l’atome semble en apparence discriminatoire à l’égard des EDAN lorsqu’il oblige chaque partie à prendre des mesures appropriées pour s’assurer que les avantages pouvant en découler « soient accessibles sur une base non discriminatoire » aux seuls ENDAN (article V). Mais en même temps, il réaffirme le « droit inaliénable de toutes les parties », donc aussi bien les EDAN que les ENDAN, au développement de la recherche, de la production et de l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, « sans discrimination » (article IV). La discrimination entre les deux catégories d’États demeure et elle est problématique :

The discrimination between those states that have and those that do not have nuclear weapons is the major factor reducing the legitimacy of the treaty. This type of discrimination cannot be justified as promoting another important principle […] In fact, the NPT is the only treaty dealing with WMD that discriminates in this way. The Chemical Weapons Convention and the Biological Weapons Convention both require all parties to eliminate all existing stockpiles and pledge not to acquire any new banned weapons (Rathbun, 2006 : 233).

S’agissant des ambigüités du langage du TNP, les formulations des deux articles du pilier de la non-prolifération laissent penser que le traité n’interdit pas expressément aux EDAN de coopérer entre eux en matière d’armements nucléaires de même qu’il reste muet sur la possibilité que les ENDAN s’assistent mutuellement dans une éventuelle quête d’armes nucléaires. Ce qui est une porte ouverte à d’éventuelles dérives; tout ce qui n’est pas interdit par un texte juridique étant normalement autorisé. Ensuite, ces deux dispositions restent silencieuses sur les transferts éventuels d’armes nucléaires des EDAN vers des États alliés, notamment en temps de guerre43.

Concernant le pilier des applications pacifiques de l’énergie nucléaire (terme que le traité ne définit pas exactement), la distinction entre les technologies nucléaires civiles et militaires a toujours été problématique, compte tenu de la double vocation de la plupart des filières nucléaires; et il était donc évident qu’elle le serait davantage avec les avancées technologiques (Garvey, 2007 : 344). Par 43 Par exemple, lors de la conférence de prorogation de 1995, le Mexique avait posé deux questions pertinentes à ce sujet : 1) le déploiement d’armes nucléaires américaines et britanniques sur les territoires d’autres membres de l’OTAN, avec transfert éventuel du contrôle en temps de guerre, constitue-t-il une violation des articles I et II du traité ? 2) la fourniture de composants et de technologies nucléaires au Royaume-Uni en vertu de l’accord de défense mutuelle Etats-Unis/Royaume-Uni est-elle un transfert nucléaire en violation de l’article I? De nombreux États non-alignés estimèrent, avec le Mexique, que ces transferts étaient incompatibles avec les obligations découlant du traité. Toutefois, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et plusieurs membres de l’OTAN réfutèrent cet argument.

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conséquent, l’équilibre complexe entre l’interdiction des applications militaires de l’atome la promotion de leurs applications civiles s’avérait, dès les débuts de l’histoire nucléaire, difficile à maintenir :

Unfortunately, the NPT has one giant loophole. Article IV gives each nonnuclear weapon state the “inalienable right’’ to pursue nuclear energy for the generation of power. This entitles such states to enrich natural uranium (0.7 percent U-235) to fuel grade (~3 percent U-235). From there it is a short step to weapon-grade highly enriched uranium (HEU: over 90 percent U-235). Similarly, a power reactor produces neutrons that are indifferent to their ultimate use. They can breed plutonium, generate power, or both (Reed & Stillman, 2009 : 144).

De plus, cette aporie est exacerbée par la possibilité laissée aux États de se retirer du traité si des évènements extraordinaires, en rapport avec son objet compromettaient leurs intérêts suprêmes (article X) : « Le TNP est ainsi, à la lettre, un instrument très permissif. Il autorise un État à se doter d’installations à vocation civile, puis de se retirer du traité et de développer des applications militaires très rapidement » (Tertrais, 2005 : 49). Toutefois, il faut savoir que le droit de retrait était aussi une des conditions nécessaires à l’adoption du traité. Il avait été exigé, lors des négociations, par quelques pays industriels importants qui avaient l’intention d’y adhérer (Dunn, 2009 : 166).

Enfin, pour ce qui est du pilier du désarmement, rien n’indiquerait dans son interprétation, l’existence d’un quelconque engagement des EDAN à abolir leurs armes nucléaires. Selon ces États, la clause oblige toutes les parties au Traité à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives 1) à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée; 2) et au désarmement nucléaire; 3) et sur un traité de désarmement général et complet; aucun des trois enjeux n’étant priorisé de manière légale ou matérielle (Tertrais, 2010 : 126). Donc, en acceptant de poursuivre des négociations, les EDAN ne s’engageaient pas forcément à conclure un accord sur le désarmement si on convient qu’il est impossible de prédire la nature exacte et les résultats de telles négociations. De plus, il n’existe, en droit international, aucun consensus sur la définition à donner à l’expression « de bonne foi » (Sagan, 2009 : 203-205). Les ENDAN, eux, espéraient autre chose:

The intent of the non-nuclear parties was not simply good-faith negotiations on measures to end the nuclear arms race, as has sometimes been argued by U.S. officials. Results were expected. In that regard, as argued by two participants in the original negotiations, one American and one Russian, ‘‘The three such measures most often mentioned in the negotiating history and in the parties’ 1968 agreement on an

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agenda to implement Article VI were a ban on nuclear testing; a cut-off in the production of fissionable materials for nuclear weapons; and a prohibition on the use of nuclear weapons’’ (Dunn, 2009 : 160)44.

En somme, le caractère discriminant du régime de non-prolifération, lequel est une singularité exceptionnelle en droit international, associé à son design imprécis qui alimente des interprétations diverses de certaines règles fondamentales, constituaient, dès les origines, une porte ouverte à la non-conformité, donc à la prolifération. Or, si on part du principe que les États ne sont pas toujours extrêmement contraints par les régimes internationaux, comme le soulignent les institutionnalistes néolibéraux (Keohane, 1989), il apparaissait dès lors évident que l’effectivité du régime de non-prolifération dépendrait encore plus largement de la manière dont les États agiraient en son sein.

Proposition 2 : Le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies

nucléaires militaires, pourrait ne pas être défavorisé par sa participation ou celle de l’État

récipiendaire, au régime international de non-prolifération.

3.2. Les propositions associées à la volonté. Quelles sont les motivations d’un État lorsqu’il s’engage dans une coopération nucléaire militaire avec un autre État? Quelles sont les intentions de cet État en optant pour un tel comportement plutôt que pour le comportement contraire? Quels sont les objectifs poursuivis par l’État en décidant de faire un tel choix politique? A priori, deux types d’objectifs pourraient guider un État qui s’engage dans des échanges nucléaires militaires avec un autre État : des objectifs stratégiques de politique étrangère d’une part, et des objectifs économiques de politique intérieure, d’autre part, si on considère, suivant l’approche demande-centrée des recherches sur les causes de la prolifération, que la décision de rechercher ou non des armes nucléaires devrait être replacée dans le cadre plus large des politiques étrangère et intérieure d’un État (Reiss, 1988). Une idée qui, transposée dans le cadre de cette recherche, pousse à affirmer que la décision d’exporter des armes nucléaires repose autant sur des considérations externes qu’internes. De ce fait, nous avançons que la volonté de contenir un État menaçant dans l’espoir d’instaurer un équilibre des puissances relève des objectifs stratégiques de politique étrangère, et que la volonté de tirer profit financièrement de son expertise nucléaire relève des objectifs de politique intérieure d’un État, lorsqu’il décide de passer de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. 44 Lewis Dunn a participé aux négociations du TNP pour le compte de la délégation américaine. Le négociateur russe était Roland Timerbaev.

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3.2.1. L’argument néo (réaliste). Les impératifs stratégiques : l’endiguement et l’équilibre des puissances et le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

Selon les (néo) réalistes, l’état d’anarchie du système international a pour conséquence que les États ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour assurer leur sécurité (self-help)45. Les États se méfiant mutuellement de leurs capacités, des motifs stratégiques pourraient donc expliquer le passage d’un État de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. En fournissant des matières et technologies nucléaires à un autre État, après en avoir reçu, un État pourrait être guidé par la volonté de contenir les aspirations de puissance d’un État menaçant et par la même occasion y voir un moyen d’instaurer un équilibre des puissances au niveau régional ou global.

L’équilibre des puissances, concept central du paradigme réaliste en Théorie des Relations internationales, est certainement celui qui a le plus fait l’objet de débats entre les chercheurs de la discipline (Wohlforth et al., 2007 : 155; Eilstrup-Sangiovanni, 2009 : 347)46. Comme l’a fait remarquer Jack Levy (2004 : 29): « While the balance of power concept is one of the most prominent ideas in the theory and practice of international relations, it is also one of the most ambiguous and intractable ones ». Il n’est donc pas étonnant qu’il existe autant de versions de la théorie de l’équilibre des puissances que d’interprétations du concept: « There is not a single theory of balance of power but a variety of theories with different scope conditions, which yield differing — and often contradictory — predictions about both individual state behavior and systemic outcomes » (Eilstrup-Sangiovanni, 2009 : 349)47.

Cependant, dans sa conception traditionnelle, le noyau dur de la théorie peut s’énoncer ainsi: parce que les États, en tant qu’unités indépendantes, dans les systèmes internationaux anarchiques, ont intérêt à maximiser leurs chances de survie (sécurité) à long terme, ils s’assureront de prévenir l’émergence de concentrations trop dangereuses de puissance (hégémonie) en renforçant leurs

45 Les attaques préventives contre des installations nucléaires comme celles menées par Israël à Osirak, en Irak, en 1981, et à Dair Alzour, en Syrie, en 2007, illustrent très bien ce principe d’action du système anarchique. 46 On comprend d’ailleurs la fascination des chercheurs pour ce concept central de l’étude des relations internationales dans la mesure il permet d’expliquer « whether and under what conditions the competitive behavior of states leads to some sort of equilibrium » (Wohlforth et al., 2007 : 156). 47 Kenneth Waltz (1979 : 117) lui-même avait reconnu le caractère pluriel de la théorie de l’équilibre des puissances : « If there is any distinctively political theory of international politics, balance-of-power theory is it. And yet one cannot find a statement of the theory that is generally accepted ».

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propres capacités (équilibrage interne), en associant leurs capacités à celles d’autres États dans des alliances (équilibrage externe), ou en adoptant les pratiques avérées d’acquisition de puissance de l’hégémon en devenir (émulation) (Wohlforth et al., 2007 : 157). Dans sa revue de littérature sur les différentes utilisations du concept et les théories qui en découlent, Jack Levy (2004:37) confirmait: «Nearly all balance of power theorists, despite their many disagreements, would accept the idea that hegemonies do not form in multistate systems because perceived threats of hegemony over the system generate balancing behavior by other leading states in the system » (Levy, 2004 : 37). C’est effectivement le cas des réalistes classiques comme Hans Morgenthau (1960). C’est aussi le cas des néoréalistes comme Kenneth Waltz (1979) et Stephen Walt (1987).

Sauf que Walt (1987) pense aussi que ce sont les intentions, non pas la seule concentration de la puissance, comme l’imagine Waltz (1979), qui ont un rôle prépondérant dans l’explication de la stratégie d’équilibrage direct (hard balancing). D’où une tentative de raffinement de la théorie de l’équilibre des puissances de ce dernier en une théorie de l’équilibre des menaces fondée sur quatre critères de l’évaluation de la menace : la distribution de la puissance, la proximité géographique, les capacités offensives et les intentions agressives. Ce qui a pour conséquence de montrer que les dynamiques de l’équilibrage sont supposées s’observer autant au niveau systémique (global) qu’au niveau sous-systémique (régional). Alors que dans la première dimension, l’émergence d’une puissance hégémonique est le motif de préoccupation majeur des États, dans la deuxième dimension, ce sont les aspirations de puissance d’un État régional qui sont sources de problèmes pour ses voisins (Paul, 2004 : 6-7). D’ailleurs, l’équilibrage direct ne s’opérerait, de nos jours, quoique dans sa version diluée, qu’au niveau régional, notamment dans des régions très conflictuelles : le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et l’Asie de l’Est; là où les rivalités interétatiques sont toujours très prononcées (Paul, 2004 : 14).

Car, dans sa conception contemporaine, c’est-à-dire depuis la fin de la guerre froide et la consécration des États-Unis comme la seule superpuissance d’un système international unipolaire48,

48 Le débat entourant la structure du système international moderne, depuis que la fin de la guerre froide a sonné le glas de la bipolarité incarnée par les États-Unis et l’Union soviétique, a accouché de nombreuses thèses. Mais la thèse unipolaire selon laquelle le système international actuel est dominé par les États-Unis a un certain crédit : « The system is unambiguously unipolar. The United States enjoys a much larger margin of superiority over the next most powerful state or, indeed, all other great powers combined than any leading state in the last two centuries. Moreover, the United States is the first leading state in modern international history with decisive preponderance in all the underlying components of power: economic, military, technological, and geopolitical » (Wohlforth, 1999 : 8). Une décennie après le constat de Wohlforth, la suprématie américaine semble encore réelle comme le reconnaît Robert Jervis (2009 : 188) : « To say that

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l’équilibrage serait davantage indirect (soft balancing); consistant en la formation de coalitions non offensives tacites afin de neutraliser la puissance émergente ou potentiellement menaçante (Paul, 2004 : 14)49. Dans ce cas, les moyens d’actions consisteraient par exemple en le refus de laisser utiliser son territoire pour le besoin des opérations militaires, le recours à des organisations internationales pour retarder ou entraver des actions militaires et la création ou l’extension de blocs commerciaux (Pape, 2005 : 36-37).

Mais si l’objectif visé peine à être rempli et que les intentions de la puissante dominante deviennent de plus en plus agressives, comme le laissaient penser les premières applications de la Doctrine Bush de guerre préventive, l’équilibrage indirect pourrait se transformer en équilibrage direct avec comme action possible le transfert de technologies militaires vers ses adversaires identifiés comme en témoigne l’assistance russe au programme nucléaire iranien (Pape, 2005 : 41-42).

[…] Soft balancing could establish the basis for actual hard balancing against the United States. Perhaps the most likely step toward hard balancing would be for major states to encourage and support transfers of military technology to U.S. opponents. Russia is already providing civilian nuclear technology to Iran, a state that U.S. intelligence believes is pursuing nuclear weapons. Such support is likely to continue, and major powers may facilitate this by blocking U.S. steps to put pressure on Moscow. […] In the long run, soft balancing could also shift relative power between major powers and the United States and lay the groundwork to enable hard balancing if the major powers come to believe this is necessary (Pape, 2005 : 42-43).

En somme, l’équilibrage, qu’il soit direct ou indirect vise à contenir la puissance d’un État menaçant. Pour le fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, le fait que l’État menaçant soit partagé avec le récipiendaire potentiel diminue sa sensibilité aux gains relatifs (Grieco, 1993). C’est notamment la logique qui aurait sous-tendu la coopération nucléaire entre la France et Israël dans les années 1960. En fournissant des matières et technologies nucléaires militaires à Israël, entre 1959 et 1965, la France aurait voulu contenir les aspirations de puissance militaire de l’Égypte au Moyen-Orient (Cohen, 1998; Kroenig, 2009a; 2010). Pour la France, Israël était certainement un récipiendaire idéal de son aide nucléaire dans la mesure où l’État hébreux et l’Égypte étaient tous les

the world is now unipolar is neither to praise American power, let alone its leadership, nor to accuse the United States of having established a worldwide empire. It is to state a fact ». 49 Il existe une troisième forme d’équilibrage dite asymétrique qui est dirigée contre les acteurs non-étatiques: «Asymmetric balancing refers to efforts by nation-states to balance and contain indirect threats posed by subnational actors such as terrorist groups that do not have the ability to challenge key states using conventional military capabilities or strategies […] and efforts by subnational actors and their state sponsors to challenge and weaken established states using asymmetric means such as terrorism » (Paul, 2004 : 16-17).

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deux, à cette époque-là, des ennemis (le traité de paix israélo-égyptien sera seulement signé en 1979) et que Le Caire, soutenu par Moscou, menaçait les intérêts français au Moyen Orient.

De même, il semblerait bien que la coopération nucléaire entre la Chine et le Pakistan, dès le début des années 1980, ait été envisagée par Pékin comme un moyen d’imposer des coûts stratégiques à New Delhi en "l’équilibrant" militairement et politiquement : « China wants to limit India’s power capabilities to South Asia and thereby constrain New Delhi’s aspirations to become a major power in Asia. India’s emergence as peer-competitor in Asia would upset China’s predominant position in the region […] Regional and global balance of power and containment considerations are behind these Chinese calculations » (Paul, 2003 : 2-4). Pour la Chine, le Pakistan était certainement un récipiendaire idéal de son aide nucléaire dans la mesure où New Delhi et Islamabad étaient tous les deux des ennemis. À travers le « pouvoir égalisateur de l’atome », la Chine créait une sorte d’équilibre des puissances au niveau de la région asiatique50.

Proposition 3 : Le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies

nucléaires militaires, pourrait être motivé par la volonté de contenir la puissance d’un autre État

menaçant commun avec l’État récipiendaire.

3.2.2. L’argument (néo) libéral. Les impératifs économiques : le bien-être et le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

Alors que chez les (néo) réalistes, la sécurité guide fondamentalement le comportement étatique, chez les néo (libéraux), l’économie a une importance tout aussi égale comme domaine d’action des États (Keohane, 1984 : 66; Keohane & Nye, 1993 : 5). Les États cherchant aussi bien à maximiser leur sécurité que leur prospérité dans leur quête de puissance, des motifs économiques pourraient donc expliquer le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. En fournissant des matières et technologies nucléaires à un autre État, après en avoir reçu, un État pourrait être guidé par la volonté de tirer profit financièrement de son expertise nucléaire. Cette hypothèse, qui n’est pas nouvelle, est régulièrement avancée dans les cercles politiques, académiques et journalistiques, sans toutefois avoir fait l’objet de test empirique systématique (Dunn, 1977; Dunn, 1982; Potter, 1990). Selon Lewis Dunn (1977 : 110-111), les 50 Sur la doctrine du pouvoir égalisateur de l’atome, voir Gallois, P. 1960. Stratégie de l’âge nucléaire. Paris: Calmann-Lévy.182-184.

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pressions économiques qui pourraient pousser les nouveaux membres du club nucléaire à transférer des matières et technologies nucléaires à des candidats potentiels à la nucléarisation sont de trois sortes : 1) la réduction des coûts financiers associés à leurs propres programmes nucléaires ou l’investissement dans des programmes plus ambitieux; et 2) l’accès à des ressources vitales51; et 3) la poursuite d’avantages commerciaux divers.

Plus récemment, les difficultés économiques de la Corée du Nord, illustrées par son niveau de développement économique assez bas et son faible taux de croissance économique ont poussé certains chercheurs à penser que ce pays avait des raisons suffisantes pour se lancer dans la dissémination de ses matières et technologies nucléaires et balistiques dans le seul but de gagner des liquidités alors que les contrefaçons de devises et les trafics de stupéfiants orchestrées par l’État sont en hausse constante depuis le milieu des années 1990 (Horowitz, 2004/2005; Chestnut, 2007)52.

Dans cette perspective, une éventuelle coopération avec l’Iran avait commencé par susciter beaucoup d’inquiétudes (Fitzpatrick, 2006; Hecker & Liou, 2007; Chestnut, 2007) alors que la Russie, un autre pays disposant de capacités d’exportations de biens nucléaires, assistait déjà la république islamique — dont elle suspectait pourtant les véritables intentions nucléaires — en attirant indirectement l’attention sur les profits financiers qu’elle espérait retirer de ses ventes : « What could Russia have brought onto world markets? We only had one strength: our scientific and technical potential. Our only chance was broad cooperation in the sphere of peaceful nuclear energy »53. L’enthousiasme du ministre russe était d’autant plus justifiée que le montant en jeu était élevé (un milliard de dollars) et que les Iraniens étaient prêts à payer une partie importante en espèces (80%): « This hard currency was to feed an entire chain of Russian nuclear institutions, providing significant

51 Par exemple, l’auteur imaginait l’Inde dans cette position: « For instance, given growing balance of payments deficits, the high cost of oil, and the impact of both upon Indian economic development objectives, a future Indian government might well reverse present policy and use India’s nuclear expertise as a "service good" to be traded for oil with one or another Arab country » (Dunn, 1977 : 110-111). 52 Les activités criminelles, coordonnées par un certain Bureau 39, rapporteraient annuellement environ 100 millions de dollars au régime nord-coréen, à peu près l’équivalent des revenus issus des ventes d’armes (Chestnut, 2007 : 92-93). 53 Propos tenus par Viktor Mikhailov, ministre russe de l’énergie atomique et ardant défenseur de la coopération nucléaire avec l’Iran (Orlov & Vinnikov, 2005 : 51).

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assistance to a nuclear industry shocked by the breakup of the Soviet Union and the ensuing economic chaos of the early 1990s in Russia » (Orlov & Vinnikov, 2005 : 51)54.

Par ailleurs, certaines recherches de l’approche demande-centrée des causes la prolifération ont montré que la volonté de ne pas hypothéquer des investissements et perdre les bénéfices liés au commerce international et à l’insertion dans l’économie internationale ont expliqué pourquoi des États se sont, tout au long de l’histoire, interdits de rechercher des armes nucléaires (Paul, 2000; Solingen, 2007). Dans le même sillage, on pourrait également penser que l’isolement économique, contrairement à une parfaite insertion dans le système économique international, serait de nature à encourager des États à monnayer leur expertise nucléaire.

Proposition 4 : Le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies

nucléaires militaires, pourrait être motivé par le désir de tirer profit financièrement de son expertise

nucléaire.

Ce chapire était consacré aux aspects théoriques de la recherche. Premièrement, nous avons montré que le modèle théorique mis en place pour répondre à nos questions de recherche était original dans la mesure où il envisageait la coopération nucléaire entre deux États comme la nécessaire rencontre entre l’offre et la demande de prolifération. Deuxièmement, nous avons clarifié notre conception de l’opportunité et de la volonté, autour desquels ce modèle était articulé, après avoir exposé la conceptualisation classique des deux termes. Troisièmement, nous avons avancé nos quatre propositions théoriques : la première met en avant les liens identitaires entre le fournisseur et le récipiendaire ; la deuxième relativise l’impact de leur participation au régime de non-prolifération sur la coopération nucléaire ; la troisième met en lumière le souci d’équilibrage qui guide l’attititude du fournisseur; la quatrième attire l’attention sur les aspects financiers de la coopération nucléaire. Dans le chapitre qui suit, nous présentons la démarche méthodologique qui a été retenue pour tester le modèle théorique.

54 De plus, les perspectives financières semblaient s’annoncer encore plus reluisantes pour la Russie: « Boosters of these deals claim that the total value of the long-term relationship could exceed $8 billion and involve orders for more than 300 Russian companies. Moreover, significant numbers of high-technology jobs — many located in politically crucial and economically strapped regions of Russia — are involved (Brooks & Wohlforth, 2005 : 88-89).

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Chapitre 3 : Le design de recherche Ce chapitre présente l’approche méthodologique qui a été choisie pour tester les hypothèses de recherche avec des données empiriques. Le chapitre est structuré en deux parties. La première partie présente la stratégie générale de recherche qui a été utilisée pour tester les hypothèses de recherche. D’une part, elle explique la démarche de constitution de l’univers empirique et de la construction de la base de données utilisée pour les analyses empiriques. D’autre part, elle présente les méthodes d’analyse des données. La deuxième partie présente les définitions opérationnelles des variables qui font partie des hypothèses de recherche.

1. La stratégie générale de recherche.

1.1. L’univers empirique. L’univers empirique couvre la période 1945-201055. L’unité d’analyse est la transaction nucléaire militaire dyadique effective ou hypothétique. L’ensemble de données est constitué des fournisseurs de matières et technologies militaires nucléaires ayant, eux-mêmes, fait l’objet de ce type d’assistance auparavant, et de leurs récipiendaires potentiels au sein du système international. La collecte de données s’est faite en deux étapes : La première étape a consisté à déterminer tous les cas d’activités nucléaires militaires entre 1945 et 2010. La deuxième étape a consisté à déterminer tous les cas de transferts de matières et technologies nucléaires militaires entre les différents États qui ont entrepris des activités nucléaires.

1.1.1. Les programmes nucléaires militaires depuis le début de l’ère nucléaire.

Pour déterminer tous les cas d’activités nucléaires militaires entre 1945 et 2010, nous nous sommes servis de deux ensembles de données récentes compilées par Müller et Schmidt (2010) et Bleek (2010) qui eux-mêmes se sont basés sur des données assemblées par Singh et Way (2004) et Jo et Gartzke (2007). L’ensemble de données de Müller et Schmidt (2010) liste tous les États ayant entrepris des activités nucléaires militaires entre 1945 et 2005 (tableaux 3.1 et 3.2) et celle de Bleek

55 1945 a été choisi tout simplement parce que c’est à cette date, plus précisément le 16 juillet que les États-Unis sont devenus la première puissance nucléaire après avoir réalisé le premier essai atomique dans une zone désertique du Nouveau-Mexique, faisant ainsi rentrer le monde dans l’ère nucléaire. Même s’il faut le remarquer, 1949, avec la première explosion d’une arme nucléaire soviétique est considérée comme la « date de naissance de la prolifération nucléaire » (Labbé, 2000 : 570).

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(2010) liste tous les États ayant entrepris des activités nucléaires militaires entre 1945 et 2000 (tableau 3.3). En se basant sur la littérature secondaire, des recherches supplémentaires ont été menées pour déterminer les éventuels cas d’activités nucléaires militaire entre 2000-2005 et 2010. Seulement deux cas ont été enregistrés : il s’agit de la Syrie et du Myanmar. La Syrie figure dans la base de données de Müller et Schmidt (2010) qui notent toutefois que les activités nucléaires de ce pays ont été stoppées par l’intervention militaire d’Israël en 2007, alors que le Myanmar y est absent. Les deux pays ne figurent pas dans la base de données de Bleek (2010). Nous y reviendrons.

Dans leur étude, Singh et Way (2004) distinguent conceptuellement quatre niveaux dans les activités de prolifération nucléaire des États; et ce, suivant un continuum : 1) aucun intérêt notable dans les armes nucléaires, 2) une exploration sérieuse de l’option nucléaire, 3) le lancement d’un programme nucléaire, 4) l’acquisition des armes nucléaires. Le premier stade est démontré par: « Political authorization to explore the option or by linking research to defense agencies that would oversee any potential weapons development » (Singh & Way, 2004 : 867). Le passage au deuxième stade est caractérisé par: « Additional further steps aimed at acquiring nuclear weapons, such as a political decision by cabinet-level officials, movement toward weaponization, or development of single-use, dedicated technology » (Singh & Way, 2004 : 866).

Dans leur étude, Jo et Gartzke (2007), classent les activités de prolifération en trois catégories : 1) aucune activité, 2) un programme actif de développement des armes nucléaires, 3) la possession des armes nucléaires. La détermination du début et de la fin d’un programme nucléaire militaire repose sur la définition suivante: « We regard the year in which the highest decision maker in a given state authorized a nuclear weapons program as the year in which the state first possesses a nuclear weapons program. Similarly, we assume that the year in which the highest decision maker terminated an existing nuclear weapons program is effectively the final year of the program »56. Pour les deux auteurs, les activités nucléaires incluent: « Nuclear reactor construction or purchase, uranium milling or enrichment plant construction, and plutonium reprocessing facility construction, but exclude small nuclear research reactor construction or purchase intended (and used) for basic nuclear research

56 Voir “Codebook and Data Notes for Determinants of Nuclear Weapons Proliferation”, p.1.

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»57. Des choix méthodologiques qui ont été vivement critiqués, autant par Montgomery et Sagan (2009) que par Müller et Schmidt (2010) et Bleek (2010).

Dans leurs critiques de l’opérationnalisation de la variable « statut nucléaire » des États par Jo et Gartzke (2007), Müller et Schmidt (2010) évoquent, à la suite de Levite (2002/2003), cinq problèmes : 1) le secret entourant les activités nucléaires, 2) les activités nucléaires ne commencent pas nécessairement au niveau des hauts dirigeants mais peuvent être initiées par des hauts gradés militaires, des experts nucléaires et des bureaucrates, 3) le comportement des hauts dirigeants à l’égard des activités nucléaires est souvent plus permissif que déterminant, 4) les activités significatives peuvent être entreprises dès l’initiation de l’aventure nucléaire plutôt qu’au stade de la poursuite déterminée du programme nucléaire comme le prouvent les cas suédois et argentin, 5) l’ambigüité nucléaire convient fréquemment mieux aux besoins politiques et psychologiques des dirigeants qu’une décision claire. Elle a même l’avantage de satisfaire autant les promoteurs que les opposants de l’option nucléaire: les deuxièmes peuvent se faire dire qu’aucune décision en faveur des armes nucléaires n’a été prise alors que les premiers peuvent entretenir l’espoir que leurs activités nucléaires auront toujours cours. De plus, il existe plusieurs méthodes de prolifération : les États peuvent essayer d’acheter la bombe (l’Australie sous le Premier ministre Robert Menzies), ils peuvent essayer de la fabriquer avec l’aide d’un partenaire plus avancé (l’Allemagne et l’Italie en 1957-1958), ils peuvent essayer de démarrer leurs programmes nucléaires en achetant la technologie, l’expertise et les matériels à l’étranger (Iran, Irak), se lancer dans l’aventure nucléaire sans stratégie définie (Libye), avec de nombreuses diversions (Nigéria), ou à un niveau très élevé de sophistication (Égypte).

Par ailleurs, des ambitions militaires pourraient guider un programme nucléaire dès ses débuts avant d’être révélés au reste du monde plus tard. Les dirigeants pourraient poursuivre une politique de « l’option » plutôt qu’une politique de fabrication d’armes nucléaires, comme ce fut le cas du Shah d’Iran. Alternativement, ils pourraient poursuivre une stratégie de permissivité en laissant aux scientifiques ambitieux le soin du développement de l’option sans se mouiller afin de pouvoir se prévaloir d’un éventuel déni auprès du reste du monde, des forces de l’opposition à l’intérieur, ou d’eux-mêmes comme cela a pu être le cas des Premiers ministres sud-africain (Voster en 1971-1974) et indien (Nehru). Les dirigeants pourraient aussi poursuivre l’option nucléaire sans stratégie

57 Ibid., p. 2.

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véritable en pensant à l’éventualité que la situation sécuritaire de leurs pays se détériore ou qu’un État rival se lance dans l’aventure nucléaire comme ce fut le cas de l’Espagne et du Chili (Müller & Schmidt, 2010 : 131-132).

Pour toutes ces raisons, Müller et Schmidt (2010) pensent que: « It is hard to determine precisely where nuclear activities stand on the way from “no interest” to “full-fledged weapons” » (Müller & Schmidt, 2010 : 132). En ce qui concerne la détermination des différents stades de nucléarisation des États par Singh et Way (2004), Müller et Schmidt (2010) observent qu’il est tout autant difficile de faire la distinction entre « l’exploration » et « le programme ». Et pour cause, les activités qui sont supposées indiquer l’existence d’un programme nucléaire sont virtuellement impossibles à détecter sans que le programme soit complètement documenté soit par les historiens (États-Unis et Royaume-Uni) soit par l’AIEA (Afrique du Sud, Irak, Libye). Par exemple, les différentes étapes qui mènent vers la fabrication des armes (« steps toward weaponization ») incluent des activités qui sont par nature secrètes et qui ne sont normalement révélées qu’une fois le programme terminé (Müller & Schmidt, 2010 : 132).

Par conséquent, Müller et Schmidt (2010) pensent que les choix de design opérés par Singh et Way (2004) et Jo et Gartzke (2007) sont avant tout guidés par la méthode plutôt qu’adaptés au champ d’étude de la prolifération/non-prolifération avec ses contraintes en matière de données. Ils proposent alors un design de recherche plus simple mais beaucoup plus robuste face aux limitations des données. Tous les stades de prolifération au-delà de « l’absence d’activités nucléaires » sont regroupés en une seule catégorie, « les activités nucléaires militaires » (« nuclear weapons activities »), qui englobe donc les trois autres phases de la prolifération nucléaire chez Singh et Way (2004) à savoir : « l’exploration », « le programme » et « la possession des armes »58. Tous les cas d’activités nucléaires militaires sont classés par période de cinq ans. Müller et Schmidt (2010) ont ainsi identifié 37 États qui ont entrepris des activités nucléaires depuis le début de l’ère nucléaire en 1945. Parmi ces pays, 10 ont encore aujourd’hui, des programmes nucléaires en cours : il s’agit de la Chine, de la France, de l’Inde, de l’Iran, d’Israël, de la Corée du Nord, du Pakistan, de la Russie, du Royaume-Uni et des États-Unis.

58 La logique ayant guide un tel choix méthodologique s’exprime ainsi: «This decision derives from the notion that moving from “no interest” into “doing something” is a grave step, and that our knowledge about this step is for many cases better than for the movement between the other ones» (Müller & Schmidt, 2010 : 133).

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Comme le notent les auteurs, il est particulièrement frappant de constater que des cas de programmes nucléaires très documentés sont pourtant absents des ensembles de données de Singh et Way (2004) et Jo et Gartzke (2007) à l’instar du Canada, qui a été impliqué dans le Projet Manhattan, de l’Égypte, de l’Indonésie pour ne citer que ces pays. Le fait que la Lybie ne fasse pas partie de la liste de Jo et Gartzke (2007) laisse planer des doutes sur la rigueur avec laquelle leurs données ont été collectées d’autant que ce pays a fait les gros titres de toutes les presses du monde en 2003 avec la mise au jour du réseau clandestin de prolifération nucléaire d’A. Q. Khan, par le truchement duquel, il s’est approvisionné en matières et technologies nucléaires, et par son renoncement consécutif aux armes de destruction massive incluant les armes nucléaires (Müller & Schmidt, 2010 : 133-135).

Malgré tous les points positifs qu’on peut noter dans la démarche de Müller et Schmidt (2010) pour la constitution de leur base de données, la critique majeure qu’on peut formuler à leur encontre est le flou entourant les critères sur lesquels ils se sont basés pour déterminer les programmes nucléaires des États depuis le début de l’ère nucléaire. Ils affirment : « We pull together all types of behavior beyond “no nuclear activities” in a single category, “nuclear activities” which includes Singh/Way’s “exploration” “program” and “weapon possession” phases » (Müller & Schmidt, 2010 : 133). Mais leur “all types of behavior” est particulièrement problématique dès lors qu’on décide de s’intéresser au niveau de sophistication de différents types de programmes nucléaires.

Tableau 3.1. Activités nucléaires militaires étatiques, 1945-2005. Différences entre Jo et Gartzke (2007) et Singh et Way (2004) et Müller et Schmidt (2010).

États ayant entrepris des activités nucléaires militaires selon Jo et Gartzke (2007)

États manquant dans la liste de Jo et Gartzke (2007) selon Müller et Schmidt (2010)

États ayant entrepris des activités nucléaires militaires selon Singh et Way (2004)

États manquant dans la liste de Singh et Way (2004) selon Muller et Schmidt (2010)

Afrique du Sud

Pakistan

Allemagne

Argentine

Allemagne

Australie

Canada

Chili

Afrique du Sud

Algérie

Argentine

Australie

Allemagne

Canada

Chili

Égypte

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Brésil

Chine

Corée du Nord

Corée du Sud

États-Unis

France

Inde

Irak

Iran

Israël

Japon

Roumanie

Royaume-Uni

Suède

Taiwan

URSS/Russie

Yougoslavie

Égypte

Espagne

Indonésie

Italie

Japon

Libye

Nigéria

Norvège

Suisse

Syrie

Brésil

Chine

Corée du Sud

États-Unis

France

Inde

Irak

Iran

Israël

Libye

Pakistan

Roumanie

Royaume-Uni

Suède

Suisse

Taiwan

URSS/Russie

Yougoslavie

Espagne

Indonésie

Italie

Japon

Nigéria

Norvège

Syrie

Tableau 3.2. Activités nucléaires militaires étatiques, 1945-2005 (Müller & Schmidt, 2010).

Période Début des activités nucléaires Fin des activités nucléaires

1945 États-Unis, Royaume-Uni, Canada, URSS/Russie

1946-1950 Inde, Suède Canada

1951-1955 Argentine, Chine, Israël, France, Yougoslavie, Norvège, Égypte

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1956-1960 Australie, Brésil, Allemagne, Italie, Suisse

1961-1965

Chili, Indonésie, Pakistan Norvège

1966-1970 Corée du Sud, Taiwan, Japon Allemagne, Suède, Indonésie, Italie

1971-1975 Irak, Iran, Afrique du Sud, Espagne Australie, Japon

1976-1980 Nigéria, Corée du Nord Égypte, Suisse

1981-1985 Roumanie, Libye

1986-1990 Algérie Yougoslavie, Taiwan, Roumanie, Espagne, Corée du Sud

1991-1995 Kazakhstan, Ukraine, Biélorussie Algérie, Argentine, Irak, Chili, Kazakhstan, Ukraine, Biélorussie, Nigéria, Afrique du Sud

1996-2000 Syrie Brésil

2001-2005 Libye

Partant du constat que le codage de la variable dépendante « prolifération nucléaire » de Singh et Way (2004) et Jo et Gartzke (2007) peut être amélioré, Bleek (2010) a compilé une nouvelle base de données qui entend, en même temps, pallier les limites de celles de ses quatre collègues qui, selon lui, se sont appuyés sur trop peu de sources, des sources dont la fiabilité laisse à désirer, et n’ont pas été transparents dans leurs décisions de codage même si cette dernière remarque est à relativiser dans le cas de Jo et Gartzke (2007); car, contrairement à Singh et Way (2004), ils ont accompagné leur étude d’un codebook. Le fait que ces derniers aient ignoré par exemple, les activités nucléaires de l’Égypte, de l’Allemagne, de l’Indonésie, de l’Italie, du Japon, et de la Norvège est particulièrement préoccupant quand on sait que d’autres études ont adopté leur base de données sans même la critiquer. Sa collecte de données a reposé sur des sources multiples de très grande qualité et ses décisions de codage ont été discutées dans un codebook59.

59 Nous n’avons cependant pas pu avoir accès à ce codebook malgré les nombreuses demandes effectuées auprès de Philippe Bleek.

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Bleek (2010) adopte la classification en quatre catégories de nucléarisation de Singh et Way (2004). Il suit l’approche des deux auteurs concernant le codage de « l’exploration » (« explicit political authorization to explore a nuclear weapons option or formal linking of atomic research to defense agencies ») même s’il code de nombreux cas différemment. S’il fait remarquer que cette variable est certainement la plus compliquée à coder60, ce qui a peut-être justifié le choix de Jo et Gartzke (2007) de ne pas l’inclure dans leur échelle de nucléarisation des États, il attire néanmoins l’attention sur son utilité; de nombreux États s’étant modestement intéressés à l’arme nucléaire en l’explorant sans toutefois poursuivre sa quête. La « poursuite » est codée d’après les définitions de Singh et Way (2004) et Jo et Gartzke (2007) jugées similaires : la preuve que les chefs d’États ont autorisé la poursuite d’un programme nucléaire avec pour objectif l’acquisition de l’arme nucléaire. Puisqu’une telle information n’est pas toujours disponible, l’auteur a aussi considéré des preuves circonstancielles. « L’acquisition » a lieu l’année où les États ont accès pour la première fois à des dispositifs nucléaires explosifs; ce qui se matérialise généralement par un test nucléaire même s’il faut noter, par exemple, que l’Inde a effectué son premier test nucléaire sans avoir acquis les armes nucléaires, et que l’Afrique du Sud, Israël et le Pakistan ont acquis les armes nucléaires sans avoir effectué de test, ou avant d’en effectuer61. Au final, Bleek (2010) a identifié 29 États ayant exploré l’option nucléaire depuis 1945. Parmi ces États, 16 ont poursuivi des programmes nucléaires et 10 ont finalement acquis des armes nucléaires.

Comme tout exercice de codage, celui de Bleek comporte aussi des limites. Celles-ci devraient cependant être replacées dans le cadre plus général des limites inhérentes au codage des données destinées à des analyses quantitatives. Comme le note l’auteur, il est important pour le chercheur de comprendre que ce type de codage ne peut tout révéler, même s’il permet déjà de saisir une grande part du comportement proliférant des États, ne serait-ce qu’à cause des trop nombreuses possibilités d’activités secrètes comme démontré par Levite (2002/2003) et repris par Müller et Schmidt (2010) dans leurs critiques des décisions de codage de Jo et Gartzke et de Singh et Way (2004).

60 Les propos de l’auteur: « Exploration is both the least clearly defined and hardest to ascertain category of proliferation behavior » (Bleek, 2010 : 168). 61 Néanmoins, certaines sources font état d’un test nucléaire secret conjoint conduit par Israël et l’Afrique du Sud en 1979.

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Tableau 3.3. Programmes nucléaires militaires, 1945-2000 (Bleek, 2010).

États Exploration Poursuite Acquisition États-Unis Russie Royaume-Uni France Chine Israël Afrique du Sud Pakistan Inde Corée du Nord Yougoslavie Brésil Corée du Sud Libye Iran Irak Allemagne

1939- 1942- 1940- 1945- 1956- 1949- 1969-1991 1972- 1948- 1962- 1949-1962, 1974-1987 1966-1990 1970-1975 1970-2003 1974-1979, 1984- 1976-1991 1939-1945

1942- 1943- 1941- 1954- 1956- 1955- 1974-1991 1972- 1964-1966,1972-1975, 1980- 1980- 1953-1962, 1982-1987 1975-1990 1970-1975 1970-2003 1989- 1976-1991

1945- 1949- 1952- 1960- 1964- 1967 1979-1991 1987- 1987- 2006-

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Allemagne (Ouest) Japon Suède Suisse Norvège Égypte Italie Australie Indonésie Taiwan Argentine62 Roumanie Algérie

1957-1958 1941-1945, 1967-1970 1945-1970 1945-1969 1947-1962 1955-1980 1955-1958 1956-1973 1964-1967 1967-1976, 1987-1988 1978-1990 1978-1989 1983-1991

Puisque que les « activités nucléaires militaires » de Müller et Schmidt (2010) englobent « l’exploration, la poursuite et l’acquisition des armes nucléaires » de Bleek (2010), on remarque qu’il y a une différence de 8 cas de programmes nucléaires entre les deux bases de données, tous ces cas se retrouvant dans la liste de Müller et Schmidt (2010). Ce sont : la Biélorussie, le Canada, le Chili, l’Espagne, le Kazakhstan, le Nigéria, l’Ukraine et la Syrie (tableau 3.4). Si Müller et Schmidt (2010) n’ont pas spécifié les critères qui leur ont permis de constituer leurs univers empirique, ils ont cependant révélé les sources sur lesquelles ils se basés, notamment en ce qui concerne les cas

62 Pour Hymans (2001 : 153-185; 2012 : 3), par exemple, l’Argentine n’a jamais eu de projet nucléaire à vocation militaire. Pour Hymans (2012 : 4), le test nucléaire de la Corée du Nord de 2006 n’avait pas réussi. C’est, au contraire, celui de 2009 qui la fait rentrer dans le club nucléaire.

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manquants chez Singh et Way (2004) et Jo et Gartzke (2007). S’ils n’ont fourni aucune explication sur la prise en compte des activités nucléaires de la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine, il semble qu’ils se soient fondés sur le fait que ces pays ont hérité des arsenaux nucléaires de l’ex-URSS après la dislocation de celle-ci. Or, ces pays ne peuvent en aucune manière être considérés comme des proliférateurs parce qu’ils n’ont jamais eu à prendre de décision sur l’initiation d’un quelconque programme nucléaire. Les cas du Chili et du Nigéria sont certainement les plus problématiques. Les activités nucléaires du Chili n’ont jamais été documentées par aucune étude sérieuse63 et celles du Nigéria ont seulement été discutées dans un manuscrit non publié64. Le cas de la Syrie est de plus en plus documenté mais il demeure encore une énigme pour beaucoup de chercheurs65.

Les activités nucléaires suspectes de la Syrie

Des informations sur un probable programme nucléaire clandestin syrien ont commencé par émerger après que les forces aériennes israéliennes aient lancé, le 6 septembre 2007, une attaque sur une installation située dans l’est du pays, sur les rives de l’Euphrate, et qui sera plus tard identifiée comme le site de Dair Alzour (Dair al Zour ou Dar az Zwar, ou même al-Kibar du nom d’une localité voisine). Le 24 avril 2008, les services de renseignement américains révèlent66 que l’installation détruite était un réacteur nucléaire construit avec l’assistance de la Corée du Nord dès 2001 même si la coopération nucléaire entre les deux pays a probablement débuté en 1997. Le réacteur syrien de Dair Alzour qui était sur le point d’être opérationnel, lorsqu’il a été détruit, était du même modèle que le réacteur nord-coréen de Yongbyon qui produit le plutonium destiné au programme nucléaire de ce pays. Selon les informations divulguées par la Central Intelligence Agency (CIA), ledit réacteur n’était pas configuré pour produire de l’électricité et était mal adapté aux activités classiques de recherches en matière d’énergie nucléaire; ce qui laisse penser qu’il a apparemment été construit pour produire 63 Les auteurs se basent ainsi sur des preuves circonstancielles pour inclure ce cas dans leur liste. Ils font remarquer que le Chili était sous l’emprise d’une dictature et était impliqué dans un long conflit territorial avec l’Argentine qui a failli dégénérer en guerre à la fin des années 1970. De plus, le pays disposait d’un véritable programme de recherche nucléaire (Müller & Schmidt, 2010 : 134). 64 Il s’agit de Adibe, Clement Eme. 1997. Nigeria: The Domestic Basis of a Proactive Non-Nuclear Policy, Paper prepared for presentation at the workshop on The Domestic Roots of Proactivist Non-Nuclear Policy: A New Approach to Non-Proliferation, held at the Rockefeller Study and Converence Center, Bellagio, Italy 29 Sept-3 Oct., 1997. 65 En se basant sur Spector et Berman (2010 : 100-130), Hymans (2012 : 4-5) par exemple, l’inclus dans sa liste des pays ayant eu des projets nucléaires militaires. 66 Voir notamment Office of Director of National Intelligence, « Background Briefing with Senior U.S. Officials on Syria’s Covert Nuclear Reactor and North Korea’s Involvement », 24 avril 2008, http://dni.gov/interviews/20080424_interview.pdf et la présentation vidéo, en deux parties, de la CIA sur le site de partage de vidéos, YouTube : partie 1: http://www.youtube.com/watch?v=4ah6RmcewUM; partie 2: http://www.youtube.com/watch?v=A9HL3NVLZyo&feature=relmfu

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du plutonium nécessaire à la fabrication d’armes nucléaires. De plus, la Syrie a consenti des efforts significatifs pour empêcher la découverte de l’installation. Après le raid aérien israélien, elle a rasé les ruines et retourné la terre sur plusieurs mètres de profondeur. Le 10 octobre 2007, elle a détruit les vestiges de l’installation par le biais d’une démolition contrôlée (Shire, 2010: 280-281; Spector & Berman, 2010: 100-101).

Malgré tout, il semble que la CIA n’ait trouvé ni d’usine destinée à la fabrication de l’uranium nécessaire à l’alimentation du réacteur ni identifié de source alternative destinée à assurer cette fonction67. Ce qui soulève des questions sur l’état d’avancement du projet68. De plus, l’Agence a affirmé ne pas avoir identifié d’usine de retraitement qui aurait eu pour fonction d’extraire le plutonium provenant du réacteur de Dair Alzour. Or, une telle installation est essentielle dans un programme de fabrication des armes nucléaires. Par conséquent, elle ne peut garantir que la Syrie poursuit un programme nucléaire militaire (Spector & Berman, 2010 : 101). Mais comme le font remarquer les deux auteurs, si on part du principe que la Syrie a envisagé de développer un programme nucléaire clandestin, plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour tenter de clarifier le flou qui entoure les deux énigmes de ce dossier à savoir l’alimentation du réacteur en combustible et l’extraction du plutonium créé dans le combustible usé. On peut penser par exemple que les installations additionnelles nécessaires à la production du plutonium ont été construites en Syrie ou sont en cours de construction mais n’ont pas été découvertes. On peut également imaginer que la Corée du Nord allait fournir le combustible nécessaire au démarrage des activités du réacteur de Dair Alzour — en l’occurrence le combustible originellement destiné à être utilisé dans son réacteur — et que l’installation devant produire le combustible additionnel serait secrètement construite en Syrie. Peut-être aussi que l’usine de retraitement du plutonium serait construite plus tard en Syrie tout comme la Corée du Nord a attendu la mise en service de son réacteur de Yongbyon avant de mettre en place une telle installation (Spector & Berman, 2010 : 102-103).

Dans les 8 rapports que l’AIEA a produits sur le dossier nucléaire syrien entre novembre 2008 (date du premier rapport) et septembre 2010 (date du dernier rapport), le refus de la Syrie de coopérer pleinement et efficacement (demande d’informations ou accès étendu à des installations) avec ses inspecteurs est une information récurrente. De plus, des échantillons environnementaux prélevés sur 67 Cette information a été obtenue par Leonard Spector et Deborah Berman lors d’une interview confidentielle réalisée à Washington en 2008. 68 Il faut souligner que selon la CIA, le réacteur devait être opérationnel en août 2007 (Shire, 2010 : 280-281).

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le site du réacteur, en juin 2008, ont révélé la présence de particules d’uranium « anthropogénique », un uranium qui a été traité chimiquement et qui selon l’Agence est incompatible isotopiquement avec les matières nucléaires déclarées par la Syrie dans le cadre de ses recherches dans le domaine nucléaire. D’autres prélèvements effectués en août 2008 ont également mis au jour des particules d’uranium d’un type qui n’avait alors jamais été déclaré par la Syrie. Toutes choses qui laissent au moins supposer des activités nucléaires non déclarées à l’AIEA (Shire, 2010 : 281-282).

Tout aussi énigmatique est le cas du Myanmar qui ne figure dans aucune des deux bases de données citées alors qu’on pouvait, par exemple, penser que la logique qui a guidé l’inclusion de la Syrie dans la liste de Müller et Schmidt (2010) aurait pu justifier également l’inclusion du Myanmar dans leur ensemble de données.

Les activités nucléaires suspectes du Myanmar

Jacqueline Shire a résumé les difficultés qui entourent l’examen des activités nucléaires du Myanmar: « The problem is compounded by Myanmar’s lack of transparency with the IAEA, by the very small number of journalists, scholars, and experts who make a close study of the country, in particular its missile and nuclear programs, and also by a degree of misinformation that takes root in the analysis and can be difficult to separate from little that is well sourced and credible » (Shire, 2010 : 288).

Les aspirations nucléaires civiles du Myanmar sont claires et légitimes69. En signant avec la Russie un accord de coopération nucléaire visant « la construction d’un Centre d’études nucléaires doté d’un réacteur de recherche à eau légère d'une capacité de 10 MW dont le combustible nucléaire sera enrichi à 20% en uranium 235 », le Myanmar se lançait officiellement, le 15 mai 2007, dans un programme nucléaire à vocation civile70. Selon les termes du communiqué de presse diffusé à la suite de l’entente entre les deux pays, le Centre permettra au Myanmar d’effectuer un vaste éventail de recherches dans le domaine de la physique nucléaire et des biotechnologies, d’étudier les

69 Voir notamment Lewis, I. 2010a. Ambitions nucléaires du Myanmar et implications internationales : une analyse prospective. Revue Défense Nationale 735 : 97-106. 70 Il faut noter que c’est en 2000 que le Myanmar annonça déjà son intention de se procurer un réacteur nucléaire de conception russe dont la construction devait débuter en 2003. Cependant, faute de moyens financiers suffisants, il semble que la transaction n’ait pu être finalisée. Mais les premiers pas du pays dans la technologie nucléaire datent déjà de 1956 avec la création d’une Division de l’énergie atomique au sein de l’Institut birman de recherche appliquée même s’il faudra attendre 1997 pour voir naître, au sein du Ministère de la Science et de la Technologie, un Département de l’énergie atomique.

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propriétés des matériaux et de produire une large gamme de médicaments: « Il comprendra un laboratoire d’analyse de production d’isotopes ainsi qu’une unité de traitement des déchets nucléaires et prévoira des moyens d’enfouissement des résidus radioactifs... [Son] activité contribuera au développement économique et social du pays […] et il sera placé sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique »71. L’entente prévoit aussi la formation de 300 à 350 spécialistes du Myanmar dans les universités de Russie, et qui travailleront probablement pour le futur Centre72.

Toutefois, la véritable finalité d’un tel programme est un sujet de débat. D’autant que l’argument officiel selon lequel il serait principalement destiné à la production d’isotopes médicaux est pour le moins assez bancal: pourquoi se lancer dans un programme nucléaire onéreux alors que lesdits isotopes peuvent être acquis dans d’autres pays de la région à un coût nettement moindre pour un pays figurant sur la liste onusienne des États les plus pauvres de la planète ? Pourquoi investir dans un réacteur nucléaire pour des raisons médicales quand on consacre 40 % du budget national au domaine militaire et seulement 3% à la santé et l’éducation ? Par ailleurs, les autorités en place n’ont-ils pas presque rayé de leurs objectifs l’option de l’énergie nucléaire jugée peu respectueuse de l’environnement préférant à la place explorer d’autres sources d’énergies alternatives ?73

Partant de là, de nombreux observateurs ont soupçonné la volonté du Conseil d’État pour la paix et le développement (State Peace and Development Council - SPDC), l’organe qui dirigeait le Myanmar, de vouloir à terme développer des armes nucléaires sous le couvert d’un programme nucléaire civil. Ces suspicions sont renforcées par la visite mystérieuse de deux scientifiques nucléaires pakistanais (Suleiman Asad et Muhammed Ali Mukhtar) dans le pays, en 200174, et les récents rapprochements avec la Corée du Nord75. Nous y reviendrons.

71 Voir « Podpisano Mezhpravitelstvennoe Soglashenie o Sotrudnichestve Mezhdu Rossiei i Soyuzom Myanma » [An Intergovernmental Agreement on Cooperation between Russia and the Union of Myanmar Has Been Signed], RosAtom Press Service, 15 mai 2007. http://www.rosatom.ru/news/4667_15.05.2007. 72 À la fin 2010, aucun réacteur n’avait été encore construit. En juin 2012, le nouveau gouvernement, par la voix du Lieutenant-Général Hla Min, le ministre de la défense, a affirmé avoir renoncé à toute activité nucléaire. S’il a reconnu que l’ancien gouvernement avait entrepris des recherches dans le domaine, il a toutefois insisté sur le fait que celles-ci n’avaient pas des visées militaires. http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-18309879. 73 Il faut noter que l’électricité actuellement produite par le Myanmar dérive de trois principales sources : hydraulique 54%; gaz naturel 40%; hydrocarbure 6%. Le pays regorge d’ailleurs de réserves en gaz naturel. Voir International Intitute for Strategic Studies (IISS) 2009. Preventing Nuclear Dangers in Southeast Asia and Australasia. Sussex: Hastings Print. 74 Dans le même ordre d’idées, il semblerait que le scientifique pakistanais A. Q. Khan aurait, au cours d’une visite au Myanmar, rencontré des officiers de hauts rangs de l’armée, probablement pour discuter nucléaire. De même, en 2007,

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À en croire une enquête conduite pendant deux ans à la frontière avec la Thaïlande par Desmond Ball et Phil Thornton, respectivement professeur d’études stratégiques à l’Australian National

University et journaliste indépendant basé en Thaïlande, auprès de deux déserteurs du régime en prenant les précautions d’usage, une installation nucléaire clandestine destinée à fabriquer des bombes serait déjà opérationnelle au Myanmar76. Selon leurs témoignages, un réacteur secret construit à Naung Laing, dans le Nord du pays, avec l’assistance de la Corée du Nord, pourrait produire au moins une bombe annuellement dès 201477. Pour l’un des deux déserteurs, ancien officier de haut rang envoyé en Russie pour y étudier l’ingénierie, et qui devait finalement faire partie d’un contingent de 1000 personnes qui participeraient à la nucléarisation du pays, il n’y a pas de doute: il existe bel et bien au Myanmar un programme nucléaire militaire clandestin sous le nom de code « Projet UF6 », et piloté par le Général Maung Aye, considéré comme le numéro deux du régime, à l’époque.

Les révélations les plus récentes, mais aussi les plus détaillées, sur les activités nucléaires du Myanmar ont été faites par un déserteur nommé Sai Thein Win, ancien commandant de l’armée nationale très informé sur « les programmes militaires spéciaux ». Dans son analyse des informations données par l’homme, et publiée dans un rapport pour la Democratic Voice of Burma, Robert Kelley, un ancien officiel de l’AIEA, conclut: « There are so many and they are so consistent with other information […] that they lead to a high degree of confidence that Myanmar is pursuing nuclear technology » (Kelley & Fowler, 2010).

Selon Andrew Selth, spécialiste du Myanmar et chercheur au Griffith Asia Institute de l’Université de Griffith, en Australie, plus que tout autre pays de la sous-région sud-est-asiatique, le Myanmar est probablement le seul à avoir des raisons stratégiques de vouloir obtenir la bombe. Pour le chercheur, les changements significatifs de l’environnement stratégique du Myanmar, ces vingt dernières un agent des services secrets iraniens ayant pour pseudonyme « Mushavi » aurait visité le pays pour y partager avec les membres du SPDC des connaissances en matières nucléaires et balistique. Voir Bertil Lintner, « Burma Nuclear Temptation », Yale Global Online, 3 décembre 2008. 75 Ce n’est qu’en avril 2007 que les liens diplomatiques entre les deux pays seront formellement rétablis après plus de 20 ans de rupture. En effet, leurs relations ont été rompues en 1983 après qu’un attentat à la bombe fomenté par la Corée du Nord, lors de la visite au Myanmar du président sud-coréen, Chun Doo-hwan, eut occasionné la mort, entre autres, de dix-sept membres de sa délégation incluant quatre de ses ministres. 76 Voir « Burma’s nuclear secrets », Sydney Morning Herald, 1er aôut 2009 et Desmond Ball & Phil Thornton, « Burma’s Nuclear Bomb Alive and Ticking », Bangkok Post, 2 août 2009. 77 Le Myanmar dispose officiellement de cinq sites d’uranium localisés à Magway, Taungdwingyi, Kyaukphygon, Kyauksin et Paongpyin. Cependant, d’autres sites secrets ont été souvent mentionnés ces dernières années notamment à Moehnyin et à Moulmein.

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années, ont affecté les calculs stratégiques de ses dirigeants; ce qui les a poussé à réfléchir à de nouvelles orientations en matière de politique de sécurité (Selth, 2007 : 14). C’est ainsi que la modernisation des forces armées ainsi que l’acquisition d’une capacité de dissuasion crédible, entre autres, ont été encouragées. Car, la crainte d’une intervention étrangère, qu’elle soit mené par une coalition sous l’égide de l’ONU, ou les États-Unis et leurs alliés, surtout au temps de l’administration Bush, lorsque le changement de régime était le leitmotiv, ont toujours été présente au sein du SPDC. Et malgré toute la sophistication qu’ils ont eu l’intention d’imprimer à leurs armées, les Généraux du SPDC le savent, ils ne pourraient jamais rivaliser conventionnellement avec la puissance militaire américaine. Peut-être alors que depuis l’intervention militaire en Irak, en 2003, la volonté d’acquérir l’arme nucléaire qui est la seule à offrir cette capacité de dissuasion crédible tant recherchée a-t-elle commencé par traverser leurs têtes. Surtout qu’un autre pays de l’ « Axe du mal », la Corée du Nord, a montré que la possession d’une telle arme pouvait servir de monnaie d’échange dans les négociations avec la communauté internationale en général et Washington en particulier. D’ailleurs, certains généraux du SPDC seraient fascinés par la capacité de la Corée du Nord à tenir tête aux États-Unis et espèreraient donc se retrouver dans la même position78.

En définitive, il y a des raisons valables de considérer que la Syrie et le Myanmar ont au moins « exploré » l’option nucléaire si on fait référence à la première des trois catégories de Bleek (2010).

Tableau 3.4. Activités nucléaires militaires étatiques, 1945-2005. Différences entre Müller et Schmidt (2010) et Bleek (2010).

Programmes nucléaires chez Müller et Schmidt (2010)

Programmes nucléaires chez Bleek (2010)

Programmes nucléaires de Mülller et Schmidt (2010) absents dans la liste de Bleek (2010)

Afrique du Sud

Algérie

France

Argentine

Afrique du Sud

Algérie

Allemagne

Argentine

Biélorussie

Canada

Chili

Espagne

78 Voir Bertil Lintner, « Myanmar and North Korea share a tunnel vision », Asia Times Online, 19 juillet 2006.

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Australie

Biélorussie

Brésil

Canada

Chili

Chine

Corée du Nord

Corée du Sud

Égypte

France

Espagne

États-Unis

Inde

Indonésie

Irak

Iran

Israël

France

Japon

Kazakhstan

Libye

Nigéria

Norvège

Pakistan

Roumanie

Australie

Brésil

Chine

Corée du Nord

Corée du Sud

Égypte

États-Unis

France

Inde

Indonésie

Irak

Iran

Israël

France

Japon

Libye

Norvège

Pakistan

Roumanie

Royaume-Uni

Russie

Suède

Suisse

Taiwan

Yougoslavie

Kazakhstan

Nigéria

Ukraine

Syrie

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France

Russie

Suède

Suisse

Syrie

Taiwan

Ukraine

Yougoslavie

1.1.2. Les transferts nucléaires militaires entre États depuis le début de l’ère nucléaire.

Pour déterminer tous les cas de transferts de matières et technologies nucléaires militaires entre les différents États qui ont entrepris des activités nucléaires depuis le début de l’ère nucléaire, nous nous sommes servis de la base de données sur les cas d’ « assistance nucléaire sensible », couvrant la période 1945-2000, élaborée par Kroenig (2009a; 2010)79. En se basant sur des sources secondaires, des recherches supplémentaires ont été entreprises pour déterminer les éventuels cas de transferts nucléaires entre 2000 et 2010. Seulement deux cas potentiels ont été découverts: la coopération nucléaire entre la Corée du Nord et la Syrie et la coopération nucléaire entre la Corée du Nord et le Myanmar. Nous discutons ces cas un peu plus bas.

1.1.2.1. L’assistance nucléaire sensible de Kroenig (2009a; 2010).

Pour construire sa base de données, l’auteur a défini l’« assistance nucléaire sensible » ainsi: « The state-sponsored transfer of the key materials and technologies necessary for the construction of a nuclear weapons arsenal to a nonnuclear weapon state ». Celle-ci prend trois formes : 1) le design et la construction des armes nucléaires, 2) le transfert de quantités significatives de matières fissiles et

79 Un ensemble de données sur les cas de transferts nucléaires civils couvrant la période 1950-2000 a été récemment constitué par Fuhrmann (2009b). Notre recherche ne s’intéressant qu’au cas de transferts nucléaires militaires, elle ne nous a donc été d’aucune utilité.

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3) l’assistance dans la construction d’installations d’enrichissement de l’uranium et de retraitement du plutonium pouvant servir à la production de matières fissiles (Kroenig, 2009a : 117-118). Par cette définition, Kroenig entendait prendre seulement en compte des cas de transferts qui permettraient aux récipiendaires de faire des progrès notables dans leur quête de la bombe.

Or, nous pensons que le fait de se limiter seulement à ces trois types de transfert ne permet pas de cerner toute la richesse du phénomène de la coopération nucléaire militaire, donc du transfert des matières et technologies nucléaires militaires. En optant pour une définition moins « restrictive » de l’assistance nucléaire, nous espérions augmenter le nombre de cas. Ce qui est méthodologiquement recommandé pour parvenir à des résultats valides. Nous avons opté pour tous les types de transfert entre les États.

Suivant la définition de Kroenig (2009a : 117), nous avons considéré un État comme fournisseur potentiel de matières et technologies nucléaires militaires à partir du moment où il a mis en place une installation fonctionnelle d’enrichissement d’uranium ou de retraitement du plutonium. Il va sans dire qu’avant d’y parvenir, cet État a au moins dû explorer l’option nucléaire. Selon l’auteur, entre 1945-2000, 19 États ont réussi une telle performance (Kroenig, 2009a : 118). Dans sa liste, deux États qui n’ont jamais exploré l’option nucléaire, la Belgique et les Pays-Bas, sont considérés comme fournisseurs potentiels. Nous les supprimons de notre ensemble de donnés. De même, nous n’incluons pas l’Argentine parce qu’elle devient fournisseur (1969) avant d’avoir exploré l’option nucléaire (1978-1990). Entre 2000-2010, nous avons identifié un seul État qui a franchi cette étape d’un programme nucléaire : il s’agit de l’Iran. En effet, le 9 avril 2006, le Président Ahmadinéjad annonçait au monde entier que son pays maîtrisait désormais la technologie de l’enrichissement de l’uranium. Depuis, chaque année, à la même date, est célébrée une journée nationale du nucléaire dans ce pays. Le tableau 3.5 liste les fournisseurs potentiels de matières et technologies nucléaires militaires.

Tableau 3.5. Fournisseurs potentiels de matières et technologies nucléaires militaires, 1945-2010.

États fournisseurs (1945-2000) États fournisseurs (2000-2010)

Afrique du Sud (1977) Iran (2006)

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Allemagne (1969)

Argentine (1969)

Belgique (1966)

Brésil (1988)

Chine (1964)

Corée du Nord (1993)

États-Unis (1945)

France (1958)

Inde (1964)

Israël (1966)

Italie (1970)

Japon (1977)

Norvège (1961)

Pakistan (1986)

Pays-Bas (1971)

Royaume-Uni (1951)

URSS/Russie (1949)

Yougoslavie/Serbie (1966)

Partant de notre postulat selon lequel l’offre répond toujours à une demande, un ensemble spécifique de récipiendaires potentiels de matières et technologies nucléaires militaires, susceptibles d’être assistés a été constitué. Une première option était de considérer comme récipiendaires potentiels des États, qui, à un moment donné de leur histoire, ont exploré l’option nucléaire. Les États qui ont déjà fabriqué l’arme nucléaire ou mis fin à leurs programmes nucléaires ne sont pas considérés. Ainsi, par exemple, selon cette stratégie de constitution de l’univers empirique, la Chine qui ne peut être considérée comme fournisseur nucléaire qu’à partir de 1964 (date à laquelle elle a commencé par enrichir de l’uranium), ne pourra constituer de dyade avec le Vanuatu qui n’a jamais exploré l’option nucléaire au cours de son histoire de même qu’elle ne pourra en constituer avec la France

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(qui avait déjà acquis l’arme nucléaire en 1960, soit bien avant que la Chine ne puisse être considérée comme fournisseur).

Ce choix s’oppose à celui, beaucoup plus critiquable, de Kroenig (2009a : 117) qui a considéré l’ensemble des autres États du système international comme des récipiendaires potentiels80. Cette première option a permis la constitution d’une population de 96 cas81. Une deuxième option était de considérer comme récipiendaires potentiels, des États qui ont exploré l’option nucléaire mais qui ont aussi poursuivi un programme nucléaire dénotant de leur ferme volonté d’acquérir des armes nucléaires. C’est celle que nous avons retenu. Elle a l’avantage de permettre de résoudre un problème méthodologique important dans les recherches en science politique, à savoir l’endogénéité, en éliminant certaines causes qui auraient pu affecter la quête des armes nucléaires et ainsi expliquer l’absence d’assistance nucléaire entre des fournisseurs et ces récipiendaires potentiels82. Cette deuxième option a permis la constitution d’une population de 56 cas. Le tableau 3.6 liste les récipiendaires potentiels de matières et technologies nucléaires militaires.

Tableau 3.6. Récipiendaires potentiels de matières et technologies nucléaires militaires, 1945-2010.

États récipiendaires (1945-2000)83 États récipiendaires (2000-2010)

Afrique du Sud (1969-1991)

Algérie (1983-1991)

Syrie (2000/2001-2007)

Myanmar (2007-2010) ?

80 C’est ce que font d’ailleurs notamment Fuhrmann et Kroenig dans tous leurs modèles statistiques. Cependant, un tel choix est susceptible de conduire à des résultats biaisés d’autant que se retrouvent dans un échantillon sur les échanges nucléaires, des dizaines d’États qui n’ont jamais été intéressés par une aventure nucléaire (Montgomery & Sagan, 2009). Comme le remarque Montgomery (2010 : 5): « In these analyses, even states that have no nuclear program are included in their models of nuclear acquisition. Yet states can’t acquire weapons without first pursuing them and it seems unlikely that states won’t pursue nuclear weapons without first exploring the option first, even if only for a short period of time ». 81 Une telle taille de population cadre très mal avec les objectifs de l’analyse booléenne que nous utilisons comme première méthode pour faire notre test empirique même s’il n’est pas impossible de faire appel à ce type de méthode pour l’étude de grandes populations (Drass & Spencer, 1987; Atsushi, Yonetani & Kenji, 2006; Ragin & Bradshaw, 1991; Amoroso & Ragin, 1992; Miethe & Drass, 1999). Les auteurs cités étudient respectivement 129, 159, 1936, 2964 et 5755 cas. Nous y reviendrons. 82 L’endogénéité survient lorsque, dans un modèle causal donné, une ou plusieurs variables endogènes (variables causées par d’autres variables dans le modèle; ou une variable corrélée avec le terme d’erreur) sont traitées comme exogènes (variables qui ne sont pas causées par d’autres variables). 83 Les États-Unis ne peuvent être considérés comme récipiendaires potentiels dans la mesure où l’étude commence en 1945, date à laquelle ils étaient déjà une puissance nucléaire. Les États-Unis ont exploré l’option nucléaire en 1939.

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Allemagne (1939-1945/1957-1958)

Argentine (1978-1990)

Australie (1956-1973)

Brésil (1966-1990)

Chine (1956-1964)

Corée du Nord (1962-2006)

Corée du Sud (1970-1975)

Égypte (1955-1980)

France (1945-1960)

Inde (1948-1987)

Indonésie (1964-1967)

Irak (1976-1991)

Iran (1974-2010)

Israël (1949-1967)

Japon (1941-1945/1967-1970)

Libye (1970-2003)

Norvège (1947-1962)

Pakistan (1972-1987)

Roumanie (1978-1989)

Royaume-Uni (1940-1952)

Russie (1942-1949)

Suède (1945-1970)

Suisse (1945-1969)

Taiwan (1967-1976/1987-1988)

Yougoslavie (1949-1962/1974-1987)

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1.1.2.2. Les transferts nucléaires hypothétiques.

La littérature secondaire et des preuves circonstancielles permettent d’éclaircir les cas de transferts nucléaires entre la Corée du Nord et la Syrie et le Myanmar.

La coopération nucléaire Corée du Nord-Syrie

Dans la vidéo de présentation sur le dossier nucléaire syrien après le raid aérien israélien de 2007, une photo de la CIA montre le responsable nord-coréen de l’usine de fabrication de combustible nucléaire du site de Yongbyon aux côtés du responsable syrien de la Commission à l’énergie atomique. Une autre photo montre le même homme lors d’une rencontre des pourparlers à six sur le dossier nucléaire nord-coréen. Selon la CIA, seule la Corée du Nord a construit le type de réacteur nucléaire de Dair al Azour au cours des 35 dernières années. Selon Jacqueline Shire: « North Korea appears to have been involved in nearly every facet of the project, including procurement, design, and construction […] North Korean officials traveled to Syria after the attack and are believed to have assisted in damage assessment. There are unconfirmed reports that North Korean technicians were killed in the attack » (Shire, 2010 : 282). De même, il existerait une coopération entre l’Iran et la Corée du Nord pour fournir des technologies missiles à la Syrie (Shire, 2010 : 284).

La coopération entre les trois pays, dans le domaine nucléaire, a été résumée, en 2008, par ces lignes de l’hebdomadaire allemand, Der Spiegel, qui s’est basé sur des rapports de services secrets non cités: « North Korean, Syrian and Iranian scientists were working side by side to build a reactor to produce weapons-grade plutonium. Sources say that the Iranians were using the facility as a “reserve site” and had intended sending the material back to Tehran. While the Iranians had made great progress in the development of uranium, it is alleged that they required the help of the North Korean experts when it came to plutonium technology »84. Toutefois, il n’y aurait aucune preuve permettant de confirmer une implication possible de l’Iran dans la construction du réacteur nucléaire de la Syrie, à en croire un ancien officiel du gouvernement américain rencontré par Jacqueline Shire (Shire, 2010 : 284).

84 « Syria turning toward the West? Assad’s risky nuclear game », Der Spiegel, 23 juin 2008. http://www.spiegel.de/international/world/syria-turning-toward-the-west-assad-s-risky-nuclear-game-a-561409.html

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Selon Leonard Spector et Deborah Berman, l’été 2000 apparaît comme une date charnière dans l’analyse de la coopération nucléaire entre la Corée du Nord et la Syrie. En effet, des négociations nucléaires entre les régimes syrien et nord-coréen auraient commencé sous le règne d’Hafez al-Asad avant sa mort en juin 2000, alors que c’est sous la présidence de son fils, Bashar al-Asad, arrivé à la tête de l’État en juillet 2000, que le projet du réacteur nucléaire a été lancé. Selon le Yedio’t Aharomot, un journal israélien, les bases de l’accord ont été établies avant la disparition d’al-Asad père, et les arrangements conclues dès l’accession au pouvoir d’al-Asad fils85. Le test, en septembre 2000, d’un Scud-D, missile de 700 km de portée, de fabrication nord-coréenne, capable de délivrer une charge nucléaire, indiquerait que la coopération stratégique entre les deux pays a été intensifiée au cours de l’été 2000. En définitive, les deux auteurs pensent que la décision de développer des armes nucléaires a été prise par al-Asad père entre 1997-2000; la décision de construire le réacteur nucléaire de Dair Alzour a été prise juste avant son décès mais que l’accord a été finalisée en été 2000 par al-Asad fils (Spector & Berman, 2010 : 102-103). Partant de là, on peut considérer que la Syrie a poursuivi un programme nucléaire pendant la période 2000-2007. Selon des prédictions de Singh et Way (2004) sur les déterminants de la prolifération nucléaire, la Syrie aurait dû explorer l’option nucléaire à de nombreuses périodes dans son histoire (Singh & Way, 2004 : 880).

La coopération nucléaire Corée du Nord-Myanmar

Il semblerait que le Myanmar ait approché la Corée du Nord pour la construction de ses installations nucléaires après qu’un premier accord avec la Russie ait échoué en 2003. A en croire la source à l’origine de l’information, des techniciens nord-coréens auraient ainsi été aperçus en activité à Myothit, à proximité de l’endroit où le réacteur nucléaire russe était censé être implanté. Plus récemment, en 2009, une compagnie nord-coréenne, la Namchongang Trading Co., connue pour ses activités commerciales en matière de biens et technologies nucléaires, aurait vendu au Myanmar des équipements susceptibles d’utilisation dans un programme nucléaire86. La même année, des enquêteurs japonais auraient procédé à l’arrestation de deux de leurs ressortissants et d’un Nord-coréen qui tentaient d’acheminer au Myanmar, via la Malaisie, un magnétomètre utilisé dans la fabrication des missiles balistiques, et la marine américaine aurait aussi empêché un cargo nord-

85 Ronen Bergman & Ronen Solomon, « Al-Asad’s Atom Program », Yedio’t Aharomot, 8 avril 2008. 86 Jay Solomon, «Tests Point to Spread of Weapons Trade », Wall Street Journal, 29 mai 2009.

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coréen, le Kam Nam 1, suspecté de transporter du matériel nucléaire et des missiles de longue portée, de livrer sa marchandise au pays.

En visite, en juillet 2009, en Thaïlande à l’occasion du Forum régional de l'Association des Nations d'Asie du Sud-est sur la sécurité, la Secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, déclarait : « We know that there are also growing concerns about military co-operation between North Korea and Burma, which we take very seriously. We worry about the transfer of nuclear technology and other dangerous weapons »87. Malgré tout, ces faits sont loin de confirmer l’hypothèse selon laquelle le SPDC voulait la bombe et a trouvé en la Corée du Nord un fournisseur potentiel88. Contrairement au cas syrien, beaucoup trop d’incertitudes entourent encore le cas du Myanmar. Pour cette raison, nous avons décidé de ne pas l’inclure dans notre univers empirique.

En définitive, les différents cas de coopération nucléaire ont permis de mettre au jour deux groupes de transactions: les transactions entre des fournisseurs F1 et les récipiendaires R1 et les transactions entre les fournisseurs F2 (R1) et les récipiendaires R2. Suivant la logique qui guide cette recherche, à savoir, le passage de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires, nos cas d’étude se limitent aux transactions F2 (R1) → R2. Nous avons ainsi identifié 7 F2 qui vont constituer des dyades avec des R2 ayant poursuivi un programme nucléaire après avoir exploré l’option nucléaire. Finalement, l’Iran, devenu F2 en 2006, ne pouvait éventuellement porter son assistance à aucun pays puisqu’au cours de la période 2006-2010, il n’existait aucun R2, hormis le Myanmar que nous avons écarté de la liste des candidats. Le tableau 3.7 dresse un portrait global du passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. L’annexe 3.1 offre un panorama complet des dyades qui constituent la population étudiée.

87 Tim Johnston, « Clinton Highlights Danger of North Korea-Myanmar Alliance », Financial Times, 22 juillet 2009. 88 Pour certains analystes, la coopération entre ces deux pays, qui remonte d’ailleurs aux années 1940 et le récent commerce d’armes entre eux, n’impliquent pas nécessairement que le Myanmar est engagé dans une aventure nucléaire militaire. Voir Andrew Selth, « Burma and North Korea: Smoke or Fire? », Policy Analysis, No. 47, The Australian Strategic Policy Institute, Canberra, 24 août 2009 et Andrew Selth, « Burma and North Korea: Conventional Allies or Nuclear Partners? », Griffith Asia Institute Regional Outlook, Vol. 22, Griffith University, Brisbane, 2009.

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Tableau 3.7. De l’importation à l’exportation. Les échanges bilatéraux de matières et technologies nucléaires militaires, 1945-2010.

Fournisseur F1 Type de transfert entre F1 et R1

Périodes de transferts entre

F1 et R1

Fournisseur potentiel F2 (Récipiendaire

R1)

Type de transfert entre F2 et R2

Période de transferts entre

F2 et R2

Récipiendaire R2 Résultat

U R.S.S/Russie Retraitement du plutonium,

enrichissement de l’uranium

1958-1960 Chine89 Retraitement du plutonium,

enrichissement de l’uranium, plans de têtes

nucléaires

1981-1983/1984-1986

Pakistan 1

Retraitement du plutonium

1986-1991 Algérie 1

Retraitement du plutonium,

enrichissement de l’uranium

1984, 1987, 1989, 1995

Iran90 1

France Retraitement du plutonium, plans de

têtes nucléaires

1959-1965 Israël Technologies missiles, Tritium, coopération

scientifique

1977-1980 Afrique du Sud 1

Allemagne/Israël Technologies missiles, Tritium

1977-1991 Afrique du Sud 0

89 La Chine aurait aussi transféré des matières et technologies nucléaires à l’Argentine, au Brésil, à l’Afrique du Sud et à l’Inde. Mais nous ne prenons pas en compte ces cas car ces transactions ont été effectuées par des « intermédiaires commerciaux » qui n’informaient pas toujours le gouvernement chinois (Medeiros, 2007 : 50). Les Chinois n’ont pas non plus aidé les Nord-Coréens (Wit, Poneman, & Gallucci, 2004). 90 La Russie a aussi construit le réacteur iranien de Bushehr. Sous la pression des États-Unis, elle a renoncé à construire une installation d’enrichissement de l’uranium.

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France Retraitement du plutonium

1971-1974 Japon 0

France/Chine Retraitement du plutonium,

enrichissement de l’uranium, plans de

têtes nucléaires

1974-1982/1981-1983

et 1983-1996

Pakistan91 Retraitement du plutonium,

enrichissement de l’uranium

1987-1999 Iran 1

Retraitement du plutonium,

enrichissement de l’uranium, hexafluorure

d’uranium, plans de têtes nucléaires

1997- 2003 Libye92 1

Retraitement du plutonium,

enrichissement de l’uranium

1997-2002 Corée du Nord 1

France Retraitement du plutonium

1975 Taïwan93

Italie Retraitement du plutonium

1976-1978 Irak94

Allemagne Retraitement du 1979-1994 Brésil95 0

91 Le Pakistan a proposé son assistance nucléaire à l’Irak dans les années 1990. Mais il semble que l’Irak n’ait pas donné suite à l’offre craignant un piège des États-Unis. 92 L’Argentine a accepté de fournir la Lybie en technologie de retraitement du plutonium en 1985. Mais la transaction n’a pas eu lieu du fait de pressions américaines. 93 Taiwan n’est pas un fournisseur potentiel. 94 L’Irak aurait aussi reçu des technologies nucléaires de la Chine, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la Yougoslavie. L’Irak n’est pas un fournisseur potentiel.

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plutonium, enrichissement de

l’uranium

France

Retraitement du plutonium

1980-1982 Égypte96

Pakistan Retraitement du plutonium,

enrichissement de l’uranium

1997-2002 Corée du Nord97 Retraitement du plutonium, plan de têtes

nucléaires?

2001-2007 Syrie 1

URSS/Russie Réacteurs de

recherche, formation scientifique

1956-1967

Enrichissement de l’uranium, assistance

technique

2009-2010

Myanmar

?

95 Le Brésil a fourni de l’uranium à l’Irak à diverses périodes. Tout comme la France et le Niger. Mais depuis 1988 où le Brésil est considéré comme fournisseur nucléaire, il n’a pas assisté l’Irak. En décembre 1989-janvier 1990, l’Irak voulait se procurer de l’uranium faiblement enrichi du Brésil. Mais le pays aurait refusé de s’engager dans un tel échange. 96 L’Égypte n’est pas un fournisseur potentiel. 97 Des sources ont, pendant quelques temps, évoqué un transfert d’hexafluorure d’uranium de la Corée du Nord vers la Libye (2000).

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1.2. Les méthodes d’analyse des données. Cette recherche privilégie la multi-méthode. Plus précisément, deux techniques méthodologiques y sont utilisées de manière complémentaire : l’analyse booléenne (Ragin, 1987; 2000, Rihoux & Ragin, 2009) qui permet de dégager les différentes combinaisons de facteurs causaux déterminant l’occurrence du phénomène empirique à l’étude et l’analyse de processus (George & Bennett, 2005) qui permet d’identifier les mécanismes causaux liant les variables indépendantes à la variable dépendante.

1.2.1. L’analyse quali-quantitative comparée: l’analyse booléenne. Nous avons opté pour l’analyse quali-quantitative comparée (AQQC)98, relativement peu utilisée dans le champ des Relations internationales pour deux raisons. D’une part, nous voulions dépasser la « stérilisante opposition entre les approches qualitatives et quantitatives » (De Meur & Rihoux, 2002b : 278) dans la conduite d’une recherche empirique, persuadés que « les mots seuls battent les nombres seuls. Les mots avec les nombres battent les mots seuls. Et les nombres prennent sens […] au sein de la théorie verbale » (Sartori, 1976 : 318-319). D’autre part, nous avions voulu saisir la perche tendue par Alexander Montgomery et Scott Sagan qui avaient appelé les chercheurs du domaine à contribuer au développement de notre compréhension des causes de la prolifération en entreprenant des recherches utilisant cette méthode (Montgomery & Sagan, 2009).

En fait, l’AQQC est à la fois une approche et un ensemble de techniques. Comme approche, elle est une manière d’envisager la confrontation—ou plutôt le dialogue entre la théorie et les données (les idées et les faits), ou encore la causalité dans les phénomènes complexes, particulièrement 1) lorsque la population à étudier est intermédiaire (« N intermédiaire »), en général 30-50 voire 60 cas, pas assez petite pour être prise en compte par l’analyse qualitative qui privilégie l’étude des « petits N » (1 à 3-4 cas, en tout cas moins de 10 cas) et pas assez grande pour l’être par l’analyse quantitative qui s’avère efficace dans l’étude des « Grands N » (plus de 50-100 cas), et 2) lorsque le nombre de variables explicatives potentielles est limité99. L’AQQC apparaît donc fondamentalement

98 AQQC est l’acronyme français de QCA (Qualitative Comparative Analysis). 99 Toutefois, il est important de préciser qu’il n’existe pas de limite absolue en termes de nombre de cas et de variables pour pouvoir s’engager dans l’AQQC. Mais une stratégie parcimonieuse en termes de nombre de cas analysés et de variables prises en considération est juste préférable parce qu’il devient de plus en plus difficile de prendre en compte toutes les spécificités et les propriétés de chaque cas, au fur et à mesure que le nombre de cas augmente (Ragin, 1987 :

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comme une via media tracée il y a un demi-siècle déjà, entre une approche qui opte pour l’observation d’un nombre élevé de cas, de manière superficielle soit l’analyse statistique, et une autre à l’inverse, qui considère un faible nombre de cas qui sont examinés de manière plus intensive, soit l’analyse qualitative (Rihoux, 2008 : 35), par l’ouvrage fondateur de Charles Ragin intitulé "The

Comparative Method. Moving Beyond Qualitative and Quantitive Strategies" dans lequel l’auteur se proposait « d’intégrer les meilleures caractéristiques de l’approche par les cas (case-oriented) avec les meilleurs caractéristiques de l’approche par les variables (variable-oriented) » (Ragin, 1987 : 84) via sa Qualitative Comparative Analysis.

En offrant la possibilité de s’investir dans le « no man’s land des petites populations », cette « zone intermédiaire » entre « quelques cas » et « beaucoup de cas » (De Meur & Rihoux, 2002b : 283), l’AQQC permet déjà d’éviter le biais particulariste, c’est-à-dire la quasi-impossibilité de produire des généralisations, associé à l’analyse qualitative100. En revanche, si elle ne permet pas de formuler des théories universelles (« grand theories »), elle permet toutefois de formuler des théories de portée moyenne (« middle range theories ») offrant ainsi la possibilité d’une « généralisation historique limitée » (« limited historical generalization ») (Ragin, 1987 : 31). De plus, la démarche de comparaison qui y est mise en œuvre à travers l’opération d’une « observation contrôlée » permet un rapprochement avec le design expérimental, ce qui favorise la réplicabilité des analyses, elle-même permettant de faire avancer la connaissance scientifique (Popper, 1963). Et plus important encore, cette conception de la causalité qui laisse place à la complexité si caractéristique de la méthode permet d’éviter des écueils majeurs de l’analyse quantitative induites, entre autres, par l’introduction d’hypothèses parfois trop simplificatrices qui « ne déchiffrent pas la complexité causale, mais évacuent plutôt les éléments troublants de celle-ci » (Ragin, 1987 : 32)101.

51). Or, l’utilisation de l’AQQC exige du chercheur qu’il connaisse suffisamment chacun de ses cas individuellement et qu’il choisisse des variables explicatives potentielles qui « fassent sens » théoriquement (De Meur & Rihoux, 2002 : 289). 100 Les critiques sur l’étude de cas comme design de recherche sont nombreuses et ont été formulées par plusieurs auteurs comme Lijphart (1971), il y a très longtemps, et King, Keohane et Verba (1994), plus récemment. Elles se résument en : théories trop « molles » et non généralisables, sélection biaisée des cas, design de recherche informel, non-réfléchi et faible plus-value empirique (trop de variables pour trop peu de cas), conclusions subjectives, non-réplicabilité (Rihoux, 2008 : 35). 101 L’une des critiques les plus virulentes formulées à l’encontre des techniques statistiques est qu’elles évacuent des cas « aberrants » ou « déviants ». Or, l’AQQC les traite non pas comme une exception à sa théorie, mais comme un phénomène insoupçonné jusqu’alors, qui recevra sa propre explication (Becker, 1998 : 193). Comme dans une étude centrée sur les cas, « ces déviations sont identifiées et comprises comme historiquement singulières » (Ragin, 1996 : 391).

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En effet, le chercheur qui s’engage dans l’utilisation de l’AQQC doit « débuter en supposant l’existence d’une complexité causale maximale, et puis prendre d’assaut cette complexité » (Ragin, 1987 : x) car d’ailleurs, en sciences humaines et sociales, on observe très souvent que « l’occurrence d’un phénomène peut résulter de déterminants différents, et également qu’un même déterminant potentiel peut occasionner ou ne pas occasionner un phénomène, en fonction de l’interférence d’autres variables internes ou externes » (De Meur & Rihoux, 2004 : 286). Ainsi, son objectif consistera alors à ne pas « dégager un modèle unique de causalité […] mais de déterminer le nombre et la nature des différents modèles de causalité qui sont à l’œuvre dans des cas comparables » (Ragin, 1987 : 167).

En somme, puisque c’est une combinaison de conditions qui produit un phénomène politique et que plusieurs combinaisons différentes de conditions peuvent produire le même phénomène, l’AQQC rejette tout postulat de monocausalité ou de « causalité permanente » pour privilégier la « causalité conjoncturelle multiple » (« multiple conjonctural causation ») (Ragin, 1987 : 55; 121-122). Comme le fait remarquer Steve Chan qui est probablement l’un des pionniers dans l’utilisation de l’AQQC en Relations internationals: « Perhaps the most important advantage of the Boolean approach is that it addresses explicitly the idea that there can be multiple causal mechanisms producing the same outcome. That is, the same outcome can result from different combinations of factors » (Chan, 2003 : 58). Car, en effet, l’AQQC est l’héritière de la méthode des similitudes et des différences (Mill, 1843) qu’elle formalise et étend par l’utilisation de quelques règles simples d’algèbre booléenne, c’est-à-dire de logique pur. Mais au fil des années, elle s’est enrichie de plusieurs techniques. Aujourd’hui on en distingue fondamentalement trois: crisp-set QCA (csQCA), multi value QCA (mvQCA) et fuzzy set

QCA (fsQCA).

Cette thèse se propose d’utiliser la technique classique, la csQCA ou l’analyse booléenne qui se conduit en trois grands temps: la phase de la production de la table de vérité, la phase de l’analyse de cette table de vérité et la phase de l’évaluation des résultats (Ragin & Rihoux, 2004 : 6). Pour ce faire, on détermine d’abord l’ensemble des cas (positifs et négatifs) à considérer dans la recherche. Ensuite, on définit une variable résultat (variable dépendante), qui dans notre étude est le passage de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires, et des variables

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conditions (variables indépendantes)102. Pour chacun des cas, chaque condition et chaque résultat reçoit soit la valeur (1) (valeur « positive», « grande », « présence », « vrai »…) soit la valeur (0) (la valeur « négative », « petite », « absence », « faux »…) soit éventuellement la valeur (-) qui est la convention pour indiquer une valeur manquante ou douteuse. Par convention également, on représente la valeur (1) d’une variable par des lettres majuscules, et la valeur (0) par des lettres minuscules.

En effet, l’une des caractéristiques de la méthode booléenne est qu’elle ne peut traiter que des variables binaires; contrairement à ce qui est le cas dans une analyse statistique, il n’y a ni valeur moyenne, ni variance autour de la moyenne. Ce qui peut être considéré aussi comme sa limite majeure puisque, dans le cas de variables d’intervalle ou ordinales, la dichotomisation s’accompagne d’une importante perte d’information (Bollen, Entwistle & Alderson, 1993; Goldthorpe, 1997). Mais, s’il est permis de le souligner, il faut savoir que la dichotomisation est une forme de simplification qui est tout à fait légitime dans le cadre d’une démarche scientifique empirique, qu’elle soit qualitative ou quantitative (King, Keohane & Verba, 1994 : 42)103. Si elle fait perdre de l’information sur les variations à l’intérieur des variables explicatives, elle n’enlève rien de la complexité des interactions entre les différentes dimensions du phénomène étudié (Becker 1998 : 186). En définitive, à travers la dichotomisation, l’analyse booléenne pousse le chercheur à la transparence dans la conduite de sa recherche. Malgré tout, il est possible pour le chercheur de s’engager dans la trichotomisation de certaines de variables indépendantes104, ce qui le ferait basculer dans l’utilisation de la mvQCA. Il n’existe aucune interdiction quant à l’utilisation de la mvQCA pour certaines variables conditions quand on est engagé dans l’utilisation de la csQCA (Cronqvist, 2005; Cronqvist & Berg-Schlosser, 2009).

Ce mouvement de va-et-vient entre les faits et les idées, les données et la théorie conduit à la production d’une table des configurations ou « table de vérité » (truth table) par le logiciel fsQCA

102 En fait, en AQQC, on préfère parler de variables conditions que de variables indépendantes au sens statistique, comme facteurs explicatifs potentiels. 103 Sur le site du réseau des chercheurs utilisant l’AQQC, quelques conseils sont fournis pour améliorer la dichotomisation des variables conditions : http://www.compasss.org/pages/resources/bestpractices.html#3. 104 Idéalement, il est conseillé d’utiliser seulement trois ou quatre valeurs par variables condition (en tous les cas, il est déconseillé d’en utiliser plus de cinq) et d’assurer ainsi une prépondérance des variables conditions dichotomiques: http://www.compasss.org/pages/resources/bestpractices.html#7; http://www.compasss.org/pages/resources/bestpractices.html#8.

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(2.0) ou Tosmana (1.3.2)105. Chaque configuration est donc une combinaison donnée de valeurs de conditions et d’une valeur de résultat106. Puisque, dans notre recherche, nous avons construit 4 variables conditions principales correspondant à nos quatre hypothèses, nous nous attendons à avoir une table de vérité avec 16 configurations qualitativement distinctes et logiquement possibles (24)107. Cette table de configuration nous donnera trois types d’information : 1) les configurations [1], c’est-à-dire celles dont le résultat prend la valeur (1); 2) les configurations [0], c’est-à-dire celles dans lesquelles le résultat prend la valeur (0); et 3) les éventuelles configurations contradictoires présentant les mêmes valeurs de conditions mais dans lesquelles le résultat prend tantôt l’une des deux valeurs (contradictions logiques). Il s’agira dès lors de lever les contradictions en faisant appel, par exemple, à des variables conditions additionnelles: « L’examen attentif des cas qui ont les mêmes valeurs sur les variables causales mais témoignent de résultats différents sur la variable dépendante sert de base à la sélection de variables causales additionnelles » (Ragin, 1996 : 396)108. Ainsi, avons-nous construit plusieurs variables causales additionnelles pour faire face à cette éventualité. Le tableau 3.8 (figurant à la fin de ce chapitre) dresse la liste de toutes les variables mobilisées dans le cadre de la recherche.

Finalement, on aboutit à la procédure de minimisation booléenne qui doit être négociée avec prudence par le chercheur puisqu’il s’agit de trouver le juste milieu entre le respect de la complexité et le souci de parcimonie. Celle-ci consiste en la « la réduction, par le biais d’algorithmes booléens, d’une expression longue et complexe (correspondant à une série de configurations) en une expression plus "courte", logiquement minimale » du type Z = A*b + B*C109 (Rihoux, 2004 : 12) ou du type A {1} * B {0} + B {1} * C {1} → Z {1} selon la convention adoptée par le logiciel Tosmana

105 En effet, pour tirer le maximum d’avantage de la méthode booléenne, nous avons à notre disposition deux logiciels gratuits: 1) fsQCA 2.0 Ragin, Charles C./Drass, Kriss A./Davey, Sean (2006): Fuzzy- Set/Qualitative Comparative Analysis 2.0. Tucson, Arizona: Department of Sociology, University of Arizona, téléchargeable à l’adresse: http://www.u.arizona.edu/~cragin/fsQCA/software.shtml; et, 2) Tosmana: Cronqvist, Lasse (2006): Tosmana - Tool for Small-N Analysis [SE Version 1.3.2]. Marburg: University of Marburg, téléchargeable à l’adresse : http://www.tosmana.net/index.php/download. 106 Dans une analyse quantitative, la causalité est établie à partir des co-variances entre les variables dépendantes et indépendantes. Dans une analyse booléenne, on cherche à comprendre quelles combinaisons de conditions sont associées à un résultat positif ou « présent », et quelles combinaisons sont associées à un résultat négatif ou « absent ». 107 Le nombre de combinaisons causales est déterminé par 2k où k représente le nombre de conditions causales. 108 Par ailleurs, différentes autres stratégies visant à résoudre les configurations contradictoires sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.compasss.org/pages/resources/bestpractices.html#5. 109 Dans cette équation, Z représente le résultat. A, b, B, C représentent les conditions. * représente l’opérateur de multiplication booléenne correspondant au "ET" logique, et + représente l’opérateur d’addition booléenne correspondant au "OU" logique. A*b et B*C représentent les implicants premiers. Les éléments essentiels de la logique booléenne sont clairement présentés dans Ragin (1987 : 103-163).

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(Rihoux & De Meur, 2009). Cette formule pourra dès lors se prêter à l’interprétation en effectuant un retour vers les cas et/ou la théorie, en fonction de l’objectif de recherche (Rihoux, 2003 : 354)110.

Au cours de la procédure de minimisation, il est conseillé de faire intervenir des cas logiques, c’est-à-dire des combinaisons logiques de conditions causales qui n’ont pas été observées dans les cas analysés, par le biais du logiciel qui leur attribue des valeurs résultat (formulant ainsi des « hypothèses simplificatrices » sélectionnées pour qu’elles ne soient jamais en contradiction avec les cas observés). L’avantage d’une telle démarche est qu’elle permet d’obtenir une formule minimale plus parcimonieuse111. Il faut le noter, les cas logiques n’induisent rien et ne font, en aucun cas, mentir les cas effectivement observés. Par exemple, lorsqu’il avait énoncé que « tous les hommes sont mortels », Socrate avait recours, ne serait-ce qu’inconsciemment, aux cas logiques. Pour le démontrer, De Meur et Rihoux (2002 : 127-128) proposent de considérer deux variables dichotomiques traversant le monde terrestre : la variable « humain versus non humain » et la variable exprimant la pilosité « pourvu de poil versus dépourvu de poil ». Ces deux variables divisent le monde terrestre en quatre ensembles : 1) l’ensemble « humain ET pouvu de poils » avec l’humanité toute entière; 2) l’ensemble « non humain ET pourvu de poils » avec une diversité d’êtres (chat, chenille) et d’objets (velours); 3) l’ensemble « non humain ET dépourvu de poils » avec également une variété d’êtres (anguille) et d’objets (marbre); 4) et l’ensemble « humain ET dépourvu de poils » qui est vide. Ce dernier ensemble vide pourrait représenter un cas logique (non observé) pour le chercheur engagé dans une AQQC. Si Socrate s’était interdit de recourir à ce cas logique, il aurait affirmé que « tous les hommes poilus sont mortels ».

En définitive, l’objectif caché derrière de toutes ces manipulations est la recherche des conditions nécessaires et suffisantes qui produisent le phénomène politique qui est l’objet de la recherche. Une

110 La réinterrogation plus qualitative des cas, permet, entre autres, de pallier l’une des limites majeures de l’AQQC à savoir la non-prise en compte de la temporalité. 111 Mais de nombreux auteurs ont souligné les inconvénients d’une telle manipulation: non seulement elle pousse le chercheur à s’engager dans « une démarche imaginative qui tiendra le plus souvent, vers la production d’une formule certes séduisante en apparence mais en fait invérifiable » (Markoff, 1990 : 179) mais en même temps elle l’emmène à prendre en considération non pas des cas logiques qui pourraient exister dans la réalité (ce qui n’est pas un problème en soi) mais des cas logiques qui ne pourraient pas exister dans la réalité (ce qui est dangereux) (Romme, 1995 : 325). Toutefois, faut-il le souligner, le chercheur a seulement recours à des cas logiques de manière ponctuelle lors de la procédure de minimisation et pas lors de l’élaboration de la table des configurations (De Meur & Rihoux, 2002 : 124). Finalement, il est nécessaire pour toute bonne recherche scientifique de dépasser l’étape de la description de phénomènes observés pour franchir celle de l’inférence qui peut être descriptive (utilisation d’observations réelles pour progresser dans la connaissance de phénomènes non observés) ou causale (progression dans la compréhension des effets de causalité, au-delà des phénomènes observés) comme le recommandent King, Keohane et Verba (1994 : 8).

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condition ou une cause est dite nécessaire lorsque sa présence est requise pour que le phénomène empirique soit observé. Logiquement, l’absence de cette cause empêche l’occurrence du phénomène empirique. Une condition ou une cause est dite suffisante lorsque sa présence produit inévitablement le résultat attendu. Par exemple, dans la formule Z = A*b + B*C, aucune cause n’est nécessaire ou suffisante à l’occurrence de Z. Dans une formule du type Z = A*B + B*C, la cause B est nécessaire mais non suffisante à l’occurrence de Z. Dans une formule du type Z = A*B, les causes A et B sont toutes les deux nécessaires mais non suffisantes à l’occurrence de Z. Dans une formule du type Z = A + B*c, la cause A est suffisante mais non nécessaire à l’occurrence de Z. Enfin, dans une formule du type Z = A, la cause A est à la fois nécessaire et suffisante pour l’occurrence de Z (Ragin, 1987 : 100).

1.2.2. L’analyse de processus. En optant pour l’analyse de processus comme deuxième technique méthodologique, notre objectif est surtout de combler une lacune majeure de l’analyse booléenne (et ce faisant donner plus de robustesse aux résultats issus de notre recherche) en décrivant le « comment » des combinaisons causales qui expliquent le passage de récipiendaire à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires. Car, tout comme les méthodes quantitatives n’expliquent jamais la causalité des phénomènes observés, « les méthodes logiques ne fournissent pas, en tant que telles, un exposé des véritables processus à l’œuvre » (Goldthorpe, 1997 : 14) dans ces phénomènes112.

Nous nous appuyons ainsi sur des recommandations formulées par Alexander George et Andrew Bennett: « There is an alternative that compensates for the limits of both statistical and comparative case analyses: within-case analysis […] Indeed, our position is that within-case analysis is essential to such studies and can significantly ameliorate the limitations of Mill’s methods » (George & Bennett, 2005 : 179). Car, en effet, l’analyse de processus vise à évaluer au sein d’un même cas des processus causaux: « The process-tracing method attempts to identify the intervening causal process

112 En même temps, tout comme l’analyse booléenne est sensible à chaque cas considéré individuellement en attribuant « un poids égal à toutes les combinaisons de conditions qui mènent à l’explication du résultat, qu’elles aient été observées pour une vingtaine de cas ou pour un cas » (De Meur & Rihoux, 2002 : 130), l’analyse de processus est «particulary useful for obtaining an explanation for deviant cases, those that have outcomes not predicted or explained adequately by existing theories ». Ce qui fait que son utilisation permet aussi de pallier l’une des plus grandes faiblesses de l’analyse statistique: le non-traitement des cas déviants. De plus, tout comme l’analyse booléenne, son objectif est de formuler (et le cas échéant de tester) des propositions théoriques de moyenne portée qui évitent l’écueil des « atheoretical descriptive narratives » sans basculer à l’inverse dans des propositions théoriques prétendant découvrir des « universal law of human behavior that hold across all times and places» (George & Bennett, 2005 : 207).

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— the causal chain and causal mechanism — between independent variable (variables) and the outcome of the dependant variable » (George & Bennett, 2005 : 206)113.

En fait, il existe quatre différents types d’analyse de processus: 1) la narration détaillée (detailed

narrative) qui est la description historique d’un événement ou d’un phénomène, sans l’utilisation explicite de théories ou de variables explicatives; 2) l’utilisation d’hypothèses et de généralisations (use of hypotheses and generalizations) dans laquelle la narration est accompagnée d’hypothèses causales explicites et qui peut, dans sa version aboutie, déboucher sur la formulation de généralisations; 3) l’explication analytique (analytic explanation) qui, combinant les deux premiers types, intègre la narration historique dans un cadre analytique construit à partir de propositions théoriques; et 4) l’explication plus générale (more general explanation) dans laquelle le chercheur formule plus une explication générale qu’il ne trace de manière détaillée le processus causal (George & Bennett, 2005 : 210-211).

Dans cette recherche, nous choisissons d’utiliser l’explication analytique qui permet de décrire, en s’appuyant sur des faits historiques, le passage de récipiendaires à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires, dans le cadre analytique délimité par le modèle théorique interactif des échanges nucléaires bilatéraux que nous avons construit à partir de la reconceptualisation de l’opportunité et de la volonté. La démonstration sera faite en ayant à l’esprit l’articulation temporelle. À cette fin, nous avons choisi d’étudier les coopérations nucléaires entre la Chine, le Pakistan et l’Iran. Comme le montre le tableau 3.7, le Pakistan et l’Iran ont été deux clients principaux de la Chine. Ces deux pays ont également coopéré entre eux.

2. Les définitions opérationnelles des variables.

2.1. La variable dépendante (le résultat) et sa mesure. Dans cette recherche, la variable dépendante ou le résultat, pour rester fidèle au langage utilisé en analyse booléenne, est le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Avant d’expliciter sa mesure, il est important de définir les différents termes qui la composent :

113 Le process-tracing est une technique méthodologique particulièrement intéressante pour tester une théorie comme le notent George et Bennett (2005 : 207): « Process-tracing is an indispensable tool for theory testing and theory development not only because it generates numerous observations within a case, but because these observations must be linked in particular ways to constitute an explanation of the case ».

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Matières et technologies nucléaires militaires: Ce sont l’ensemble des matières et technologies permettant à un État récipiendaire de mettre en place un programme nucléaire militaire destiné à fabriquer des armes nucléaires telles que listées par le Groupe des fournisseurs nucléaires (Guidelines for Nuclear Transfers, INFCIRC/254, Part 1)114. De ce fait, celles entrant dans le cadre de la mise en œuvre d’un programme nucléaire civil en sont exclues même s’il faut le remarquer, dans ce domaine, la plupart des biens sont à double usage. De manière opérationnelle, dans le cadre de cette recherche, six types de transferts ont été pris en compte:

Les matières fissiles: ce sont l’uranium 235 hautement enrichi (plus de 20%) et le plutonium 239;

Les installations nucléaires: ce sont les installations nécessaires à la production des matières fissiles (installations d’enrichissement de l’uranium, usines de retraitement du plutonium);

Les plans de têtes nucléaires: ce sont des schémas montrant comment fabriquer les armes.

L’assistance technique : elle englobe la formation scientifique des ingénieurs et des métallurgistes, le savoir-faire, les données techniques, les diagrammes, les modèles, les formules…

La sureté et la sécurité des arsenaux nucléaires: il s’agit ici de tous les échanges qui permettent de sécuriser et de rendre plus fiable les arsenaux nucléaires.

Les technologies missiles: ce sont l’ensemble des composants permettant de fabriquer des missiles balistiques. Cependant, il faut noter que leur prise en compte n’a pas été automatique. En fait, c’est lorsqu’il y a eu un doute sur le caractère militaire des matières et technologies nucléaires incluses dans des transactions (biens à double-usage) qu’on a regardé si ces dernières se sont effectuées en même temps qu’un, ont précédé ou succédé

114 Le document évoqué est disponible en ligne: http://www.nuclearsuppliersgroup.org/Leng/02-guide.htm. Guidelines for Nuclear Transfers (INFCIRC/254, Part 1) Voici sa description: «The first set of NSG Guidelines governs the export of items that are especially designed or prepared for nuclear use. These include: (i) nuclear material; (ii) nuclear reactors and equipment therefor; (iii) non-nuclear material for reactors; (iv) plant and equipment for the reprocessing, enrichment and conversion of nuclear material and for fuel fabrication and heavy water production; and (v) technology associated with each of the above items ».

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un échange de technologies missiles115. Cette démarche repose sur une idée simple: l’arme nucléaire est avant tout un système d’armes. La tête nucléaire n’est d’aucune utilité sans un moyen d’emport notamment les missiles balistiques et vice-versa.

Récipiendaire de matières et technologies nucléaires militaires: Tout État non nucléaire qui, dans le cadre d’un programme nucléaire militaire, reçoit de la part d’un autre État, des matières et technologies nucléaires.

Fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires: Tout État qui fournit à un autre État ne disposant pas d’armes nucléaires, des matières et technologies nucléaires militaires.

La variable dépendante COOPNUC est dichotomique. Elle mesure si un État Y ayant reçu des matières et technologies nucléaires militaires d’un autre État X en fournit à son tour à un État Z. Cependant, coder le passage de récipiendaire à fournisseur dichotomiquement peut être difficile compte tenu du fait que cette transition peut être soit « réelle » donc matérialisable soit « virtuelle », donc non-matérialisable. La transition est réelle si une transaction quelconque a été finalisée entre le nouveau fournisseur et le nouveau récipiendaire. La transition est virtuelle lorsque le nouveau fournisseur a accepté de s’engager dans une transaction mais que cette dernière n’a finalement pas eu lieu pour quelque raison que soit116. L’argument qui sous-tend cette idée est qu’il y a eu passage de récipiendaire à fournisseur dès lors qu’il y a eu volonté et intention manifeste de se lancer dans une transaction donnée indépendamment du résultat final. Cependant, dans cette recherche, nous avons décidé de prendre uniquement en compte les cas de transition « réelle ». Celles-ci sont codées 1. Les cas de transition « virtuelle » aussi bien que les cas de non-transition sont codés 0117.

115 Ce qui fait que la coopération nucléaire entre Israël et l’Afrique du Sud peut être prise en compte dans la constitution de l’univers empirique puisque celle-ci a reposé sur les transferts de tritium et de technologies missiles. En effet, le tritium est une matière thermonucléaire. Il peut donc être utilisé dans les têtes à fission dopée et les têtes thermonucléaires. Or, Kroenig (2009a; 2010) n’en tient pas compte arguant que: « Although tritium can be used to transform a basic fission weapon into a higher-yield, “boosted” nuclear weapon, it cannot help a nonnuclear weapon state cross the nuclear threshold » (Kroenig, 2009a : 129). De plus, les missiles qui ont supposément été échangés entre Israël et l’Afrique du Sud sont des missiles capables de porter des charges nucléaires : le système d’armes Jericho (Liberman, 2004). Nous y reviendrons dans le chapitre 4. 116 Par exemple, le Pakistan aurait proposé, en 1990, de fournir à l’Irak et à la Syrie, de la technologie de l’enrichissement de l’uranium mais les transferts n’ont jamais eu lieu (Montgomery, 2005 : 173). 117 De plus, nous considérons les cas de coopération nucléaire extensive qui s’inscrivent dans la durée plutôt que des transactions spécifiques et ponctuelles.

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2.2. Les variables explicatives (les conditions) et leurs mesures.

Un certain nombre de conditions, autant associées au concept d’opportunité qu’à celui de la volonté, ci-dessus explicités, seront utilisées pour tester les hypothèses formulées. L’affinité idéologique entre l’État fournisseur et l’État récipiendaire sera utilisée pour tester la proposition 1 du modèle théorique. Selon cette proposition, des affinités identitaires entre le fournisseur et le récipiendaire devraient favoriser la coopération nucléaire. L’adhésion de l’État fournisseur ou de l’État récipiendaire au TNP sera utilisée pour tester la proposition 2 du modèle théorique. Selon cette proposition, la participation du fournisseur ou du récipiendaire au régime de non-prolifération ne devrait pas défavoriser la coopération nucléaire. Ces deux premières variables sont donc associées au concept d’opportunité. L’État rival commun à l’État fournisseur et à l’État récipiendaire sera utilisé pour tester la proposition 3. Selon cette proposition, la volonté de contenir un État menaçant commun au fournisseur et au récipiendaire devrait motiver l’assistance nucléaire. Le niveau de développement de l’État fournisseur, de même que l’ouverture économique de ce dernier et l’interdépendance commerciale entre lui et l’État récipiendaire, variables proxys, seront utilisés pour tester la proposition 4. Selon cette proposition, le désir de tirer profit financièrement de l’expertise nucléaire devrait justifier l’assistance nucléaire. Ces deux dernières variables sont donc associées au concept de volonté.

2.2.1. Les conditions associées à l’opportunité.

2.2.1.1. La condition identitaire: l’affinité idéologique.

Avec la variable IDEOL, il s’agit de déterminer dichotomiquement si les deux États engagés dans des échanges nucléaires ont des affinités identitaires pendant la période de leur coopération. Puisque les identités étatiques se construisent et se manifestent au niveau systémique, par le biais des interactions entre eux, et qu’il existe une relation de co-constitution entre ces identités et leurs manifestations (croyances intersubjectives), l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), où les États ont l’occasion d’exprimer librement leurs idéologies118 — en l’occurrence ici leurs visions

118 Le terme "idéologie" fait l’objet de beaucoup d’interprétations en sciences sociales et il n’existe certainement pas de définition unanimement acceptée du concept. Comme le note Gerring (1997 : 958-959) dans un travail intitulé “Ideology: A Definitional Analysis”: « Few concepts in the social science lexicon have occasioned so much discussion, so much disagreement, and so much self-conscious discussion of the disagreement, as “ideology” ». Ici, le concept est envisagé dans son acception la plus simple: « A set of closely-related beliefs or ideas, or even attitudes, characteristic of a group or community » (Plamenatz, 1970 : 15). Ce qui cadre avec ce constat de Gerring (1977 : 961): « Others have fled from ideology to worldview, attitude, symbol, myth, value, philosophy, rhetoric, culture, and various combinations of these core

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partagées des affaires internationales —, est certainement l’environnement idéal pour mesurer les affinités identitaires entre les États.

Cette variable est donc mesurée à partir de l’Affinity of Nations Index qui reflète la similarité des préférences étatiques (reflet des identités étatiques) sur la base des votes des dyades à l’Assemblée générale des Nations Unies: «This [Affinity of Nations Index] can be seen as tapping revealed preferences, where more similar voting records indicate states with more compatible views on key issues » (Gartzke & Glenditsch, 2006 : 67)119. Dans le cadre de cette étude, nous avons utilisé la dernière version en date de la base de données de Strezhnev et Voeten qui couvre la période 1946-2011120, et qui a été constituée à partir des votes ayant eu lieu sur les sujets suivants: le conflit palestinien (19%), les armes nucléaires et les matériels nucléaires (13%), le contrôle des armements et le désarmement (16%), le colonialisme (18%), les droits de l’homme (17%) et le développement économique (9%). L’index d’affinité constitue des valeurs sur une échelle d’intervalle [-1,1] pour tous les pays membres de l’ONU. Mais nous avons fait le choix d’utiliser la variable « agree2un » qui est l’index de similarité de vote. Cet index qui constitue des valeurs sur une échelle [0,1] est égal au total du nombre de votes où les deux États d’une dyade ont été en accord divisé par le nombre total de votes joints. L’index a été généré sur la base de deux catégories de données: 1 = vote en faveur; 0 = vote en défaveur. Nous avons choisi la médiane comme seuil de dichotomisation. La coupure à la médiane (median split) est une technique traditionnelle de transformation des variables continues en variables catégorielles dichotomiques121. Les valeurs au-dessus de la médiane sont codées 1. Les valeurs en dessous sont codées 0.

terms (often qualified by “system” or “political” ». Comme le soulignent Hall, Lumley et McLennan (1977 : 46), Gramsci, par exemple, reconnaissait utiliser des termes équivalents comme “philosophies”, “conceptions of the world”, “systems of thought”, “forms of consciousness”, comme substituts au terme "idéologie". 119 Les votes à l’AGNU ont été utilisées depuis les années 1950 pour mesurer à quel point les États avaient des intérêts communs en matière de politique internationale. Erik Voeten (2000 : 185-186) justifie cet outil de mesure: « Although some see voting in the UNGA as largely symbolic, it is the only forum in which a large number of states meet and vote on a regular basis on issues concerning the international community. Even if the UNGA is seen as ‘‘merely a passive arena for the political interaction of member states’’, studying this interaction over a long period of time and across different issue areas should reveal changes in the behavior of states […] Analyzing voting behavior in the UNGA is in some ways problematic, but it is one of the best ways to systematically explore the questions that the current debate about the structure of […] global politics tends to address in an ad hoc fashion ». 120 Anton Strezhnev; Erik Voeten, 2012-06, "United Nations General Assembly Voting Data", http://hdl.handle.net/1902.1/12379 UNF:5:iiB+pKXYsW9xMMP2wfY1oQ== V3 [Version] 121 La coupure à la médiane a été adoptée pour la dichotomisation de toutes les variables continues, dans le cadre de cette recherche.

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2.2.1.2. La condition institutionnelle et normative: l’adhésion au Traité de non-prolifération.

Il s’agit, avec la variable ADHTNP, de déterminer si l’adhésion au régime international de non-prolifération affecte ou non le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Il existe une raison très simple de considérer l’adhésion au TNP pour déterminer si la participation des États au régime international de non-prolifération affecte la coopération nucléaire : le TNP est la pierre angulaire de ce régime. Nous considérons l’adhésion aussi bien du fournisseur que du récipiendaire pour déterminer le score final attribué à cette variable. Si l’un des deux États était membre du TNP pendant la période de coopération, la variable ADHTNP est codée 1. Si tous les deux n’en sont pas membres, alors la variable est codée 0. Les données sont issues de la base que maintient l’Office des Nations Unies pour le Désarmement sur l’adhésion des États au TNP depuis sa signature en 1968122. Dans le cadre de cette étude, nous considérons la date de ratification plutôt que la date de signature par l’État.

2.2.2. Les conditions associées à la volonté.

2.2.2.1. La condition stratégique: l’État menaçant commun.

Avec la variable RIVAL, il s’agit de déterminer dichotomiquement si l’État fournisseur et l’État récipiendaire ont fait face à un État menaçant commun au cours de la période de leur coopération nucléaire. Il existe trois principales conceptualisations de la rivalité entre États, qui ont donné naissance à trois mesures du concept: Thompson (2001), Hewitt (2005) et Klein, Diehl et Goertz (2006). La mesure de la rivalité chez Klein, Diehl et Goertz (2006) est basée sur l’occurrence des disputes militaires interétatiques (militarized interstate disputes) (Jones, Bremer & Singer, 1996). Les auteurs considèrent deux États dans une dyade comme rivaux s’ils se sont engagés dans au moins trois MIDs tout au long de la période 1816-2001.

Contrairement à eux, la mesure de la rivalité chez Hewitt (2005) est basée, non pas sur l’occurrence, mais sur la densité des crises interétatiques, telle que définie par l’International Crisis Behavior (ICB) project (Brecher & Wilkenfeld, 1997). Parce que la définition des crises de l’ICB ne nécessite pas explicitement la menace d’utilisation ou l’utilisation de la force, cette conceptualisation de la rivalité rejoint quelque peu, du moins par le fait qu’elle n’apporte pas caution à l’argument selon lequel les

122 http://disarmament.un.org/treaties/t/npt

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relations entre rivaux doivent être ouvertement militarisées, celle de Thompson (2001). Car, chez ce dernier, la mesure de la rivalité est basée sur la perception de l’hostilité chez les acteurs étatiques. Selon l’auteur, ce qu’il qualifie de rivalité stratégique existe dès lors que deux États se perçoivent mutuellement comme des compétiteurs et s’identifient perpétuellement comme ennemis (Thompson, 2001 : 560). Comme le font remarquer Conrad et Souva (2011 : 2): « Rivalries […] are not synonymous with militarized disputes. A militarized interstate dispute (MID) is an episode of isolated conflict, but a rivalry is a sustained hostile relationship ». Cette definition de la rivalité a encore été réaffirmée récemment: « Relationships between two states in which the antagonistic decision-makers perceive each other as competitors who see their adversaries as threatening enemies » (Ganguly & Thompson, 2011 : 1). Les deux auteurs précisent:

In this approach, the identification and timing of rivalries is based on exploring decision-maker and analysts’ discussions of who constitute a given state’s primary competitive enemies. Enemy status requires some level of threat perception. Competitive status requires some rough equivalency in capability, but that does not preclude exceptions to the rule when stronger states perceive weaker states "not knowing their place" or weaker states behaving as if they were stronger than they actually were (Ganguly & Thompson, 2011 : 211).

Puisque cette définition est particulièrement adaptée au caractère relationnel de notre modèle théorique, c’est cette mesure de la rivalité que nous avons retenue pour cette étude. Les données sont codées à partir du Handbook of International Rivalries : 1494-2010 (Thompson & Dreyer, 2012). Cette base de données mise à jour identifie près de 200 rivalités ayant occasionné 80% des guerres interétatiques au cours des deux derniers siècles.

Par ailleurs, on peut aussi penser que l’État menaçant commun peut ne pas être forcément un rival commun mais juste un ennemi commun. Car, la définition de la rivalité selon Thompson et Dreyer (2012) est basée sur la prise en compte à la fois du statut d’«ennemi» et du statut de «compétiteur». Nous avons donc créée également une variable ENNEMI afin de tester la proposition 3. Les données sont issues à la fois de la base de Thompson et Dreyer (2012) — un rival étant forcément un ennemi alors que le contraire n’est pas si évident — mais aussi de sources secondaires à l’instar de Geldenhuys (2004) qui documente les comportements étatiques déviants sur la scène internationale à travers notamment les concepts d’États parias et d’États voyous.

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2.2.2.2. La condition économique: le niveau de développement économique.

Avec la variable ECODEVA, il s’agit de déterminer dichotomiquement le niveau de développement économique (niveau de développement économique élevé versus niveau de développement économique faible) du pays fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires pendant la période de coopération effective ou hypothétique avec le pays récipiendaire potentiel. Les pays faiblement développés sont codés 0. Les pays fortement développés sont codés 1. Pour coder cette variable, nous nous sommes basés sur trois sources concordantes: les données de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International et des Nations Unies.

Le principal indicateur de mesure de développement utilisé par la Banque mondiale pour classer les économies mondiales est le Revenu National Brut (RNB), anciennement Produit National Brut (PNB). Sur la base du RNB/habitant en dollars courants 2008, l’institution distingue: 1) les économies à faible revenu (≤ 975) ; 2) les économies à revenu moyen (subdivisées elles-mêmes en revenu moyen inférieur (≥ 976 ≤ 3855) et revenu moyen supérieur (≥ 3856 ≤ 11905); et 3) les économies à haut revenu (≥11906). Le World Development Report (WDR) publié depuis 1978 permet de retracer les États qui font partie des différentes catégories123. Les deux premières catégories correspondent à notre catégorie « niveau de développement économique faible ». La troisième catégorie correspond à notre catégorie « niveau de développement économique élevé ».

Les principaux indicateurs de mesure de développement utilisés par le Fonds Monétaire International (FMI) sont: 1) le niveau de revenu per capita; 2) la diversification des exportations—sachant toutefois que les pays exportateurs de pétrole qui ont un niveau de revenu per capita élevé ne sont pas automatiquement classés dans la catégorie des économies avancées parce qu’environ 70% de leurs exportations englobe les exportations de produits pétroliers; 3) le degré d’intégration dans le système financier international. Sur cette base, le FMI distingue deux/trois types d’économies : les économies avancées et les économies émergentes et en développement. Le World Economic Outlook (WEO) database124 couvrant la période 1980-2010 fournit des données sur ces différentes économies. Le Word Economic Outlook Report publié depuis 1993 permet de retracer les États qui font partie de l’une ou l’autre des deux catégories. La catégorie « économies avancées » du FMI correspond à

123 Le WRD est accessible à cette adresse: http://wdronline.worldbank.org/worldbank/p/developmentdatabase 124 Le WEO est accessible à cette adresse: http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2010/02/weodata/index.aspx

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notre catégorie « niveau de développement économique élevé ». Les catégories « économies émergentes et en développement » correspondent à notre catégorie « niveau de développement économique faible ».

Le principal indicateur de mesure de développement des Nations Unies, en l’occurrence celui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) est l’indice de développement humain (IDH) qui fait « la synthèse des indicateurs d’espérance de vie, de niveau d’études et de revenu »125. Cet indicateur composite « établit un minimum et un maximum pour chaque dimension, appelés balises, et indique ensuite la situation de chaque pays par rapport à ces dernières (dont la valeur varie entre 0 et 1) ». Les données couvrent la période 1980-2010. Il existe quatre catégories d’indice: très élevé, élevé, moyen et bas. Selon le PNUD, les pays développés sont ceux qui ont un indice de développement supérieur ou égal à 0.8. Nous considérons que les deux premières catégories sont associées à notre catégorie « niveau de développement économique élevé » et les deux autres à la catégorie « niveau de développement économique faible ».

Puisqu’il est admis que la capacité d’un État à exporter et importer des biens est directement reliée à son Produit Intérieur Brut (PIB) (Anderson, 1979; Deardorff, 1998), nous avons aussi créé la variable ECODEVB pour déterminer le niveau de développement économique de l’État fournisseur en prenant en compte le PIB per capita (Sasikumar & Way, 2009 : 73-74). Les données proviennent de la base de données PWT 7.0126 qui fournit les informations pour tous les pays (189) entre 1950 et 2010. Nous avons utilisé les chiffres en dollars courants 2005. Le seuil de dichotomisation de cette variable est la médiane. Toutes les valeurs du PIB per capita supérieures à la médiane sont codées 1. Toutes les valeurs inférieures sont codées 0.

2.3. Les variables explicatives additionnelles (conditions additionnelles) et leurs mesures.

Il y a probablement des conditions, autres que celles envisagées plus haut, qui pourraient expliquer le passage de récipiendaire à fournisseurs de matières et technologies nucléaires militaires. Nous avons donc construit plusieurs conditions additionnelles qui devraient permettre aussi de lever les

125 L’IDH est accessible à cette adresse: http://hdr.undp.org/fr/statistiques/idh/ 126 Alan Heston, Robert Summers & Bettina Aten, Penn World Table Version 7.0, Center for International Comparisons of Production, Income and Prices at the University of Pennsylvania, May 2011, http://pwt.econ.upenn.edu/php_site/pwt70/pwt70_form.php

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éventuelles contradictions logiques issues de l’utilisation de l’analyse booléenne. Ces conditions sont à la fois identitaires, institutionnelles et normatives, stratégiques et économiques.

2.3.1. L’affinité religieuse.

La religion est communément vue par les constructivistes comme un aspect de la culture. Selon eux, il faut rechercher l’essence-même de l’État dans son identité. Or, cette dernière dérive de sa culture (Wendt, 1992). La variable RELIG permet de déterminer dichotomiquement si les deux États engagés dans des transactions nucléaires partagent le même profil religieux démographique lors de leur coopération nucléaire. Dans ce cas, la variable est codée 1. Dans le cas contraire elle est codée 0. Pour garantir la fiabilité des mesures, les données sont issues de quatre sources différentes que nous avons croisées: la CIA World Factbook127, le Religion and State Project (Association of Religion Data Archives)128, la World Religion Database et la World Christian Encyclopedia (Barett, 1982; Barett, 2001).

La CIA World Factbook liste, en pourcentages, les adhérents, dans chaque pays, aux huit religions les plus populaires à savoir le Bouddhisme, le Catholicisme, le Confucianisme, l’Hindouisme, le Judaïsme, l’Islam, l’Orthodoxie et le Protestantisme. Le Religion and State Project donne les mêmes informations129. Il se base sur plusieurs sources parmi lesquelles la World Christian Database130 et le U.S. State Department’s International Religious Freedom report131. La World Religion Database132 contient des statistiques détaillées sur les affiliations religieuses dans chaque pays du monde de 1900 à nos jours. Cette base de données distingue jusqu’à 18 catégories religieuses : Agnostics, Atheists, Baha’is, Buddhists, Chinese folk-religionists, Christians, Confucianists, Daoists, Ethnoreligionists, Hindus, Jains, Jews, Muslims, New religionists, Shintoists, Sikhs, Spiritists, Zoroastrians. Mais dans le cadre de cette recherche, nous nous intéressons plus aux grands ensembles qu’aux différentes subtilités qui y résident. Ainsi, par exemple, nous considérons le Christianisme comme un profil religieux même si cette religion comporte trois différentes confessions

127 https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/fields/2122.html# 128 http://www.thearda.com/ras/ 129 Plus précisément: « The RAS dataset measures the extent of government involvement in religion (GIR) or the lack thereof for 175 states on a yearly basis between 1990 and 2002. Official GIR measures the official relationship between religion and state. This includes whether the state has an official religion and if not, the exact nature of the government's relationship with the various religions that exist within its borders ». 130 La World Christian Database est une section de la World Religion Database. 131 http://www.state.gov/j/drl/irf/rpt/index.htm 132 http://www.worldreligiondatabase.org/wrd_default.asp

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à savoir le Catholicisme, le Protestantisme et l’Orthodoxie. Par exemple, le profil religieux de l’Argentine est codé Christianisme de même que celui de la Roumanie et de la Suède alors que le premier pays est catholique à 92%, le second orthodoxe à 87%, et le troisième luthérien à 87%133. De même, nous considérons l’Islam comme profil religieux même si certains États sont à majorité sunnites et d’autres chiites. Ainsi le profil religieux de l’Iran est codé Islam (89-92% de chiites; 7-9% de sunnites) de même que celui de la Libye (97% de sunnites; 1.9% de musulmans ibadhi). Nos catégories de religion sont celles définies dans Ellingsen (2000): « Ethnic Witches’ Brew Data Set: Linguistic, Religious and Ethnic Fragmentation, 1945-1994 »134. Dérivant de trois sources (CIA World

Factbook, Britannica Book of the Year et Demographic Yearbook), cette base de données est composée de neuf types de religion: Animisme, Athéisme, Bouddhisme (catégorie dans laquelle l’auteur a inclus le Taoïsme et le Confucianisme), Hindouisme, Islam, Judaïsme, Christianisme, Shintoïsme, Syncrétisme.

2.3.2. Le type de régime politique: le régime démocratique.

Il s’agit de déterminer dichotomiquement si les deux États engagés dans des transactions nucléaires partagent le même type de régime politique, en l’occurrence le régime démocratique, pendant la période de leur coopération nucléaire effective ou hypothétique. Dans ce cas, la variable DEMOC est codée 1. Dans le cas contraire, elle est codée 0. Le score d’un pays est le score moyen au cours de la période concernée. Les données sont issues du Polity IV Project qui couvre la période 1800-2010 avec un seuil fixé à 7 selon la pratique en vigueur (Reiter, 2001)135.

2.3.3. L’appartenance au Groupe des fournisseurs nucléaires.

Avec la variable GFN, il s’agit de déterminer dichotomiquement l’impact de l’appartenance de l’État fournisseur au GFN dans les transactions nucléaires avec l’État récipiendaire, pendant la période de coopération. Le site du GFN liste les pays membres du club mais n’offre aucune information sur les différentes dates d’adhésion. Les données ont été compilées à partir des comptes rendus des 133 Comme le font remarquer avec justesse Gartzke et Gleditsch (2006 : 60): « Positing that Catholics and Orthodox constitute irreconcilable groups, rather than sharing a Christian identity, seems to be based on recent conflict in the Balkans rather than the theological differences between the Orthodox and the Catholic churches, which are largely unintelligible to most adherents ». Ils ajoutent: « To avoid ex post ergo propter hoc reasoning, difference must be defined on the basis of ex ante characteristic » (Gartzke & Gleditsch, 2006 : 61). 134 Ethnic Composition Data, Center for the Study of Civil War, The Peace Research Institute Oslo, http://www.prio.no/CSCW/Datasets/Economic-and-Socio-Demographic/Ethnic-Composition-Data/ 135 Polity IV Project, Political Regime Characteristics and Transitions, 1800-2010, http://www.systemicpeace.org/inscr/inscr.htm

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réunions du GFN dans lesquels figure cette information sur les nouveaux adhérents136, de l’Inventory

of International Nonproliferation Organizations & Regimes (James Martin Center for Nonproliferation

Studies)137 et du Nuclear Threat Initiative138.

2.3.4. L’alliance militaire.

La volonté de renforcer les capacités militaires d’un allié pourrait expliquer pourquoi des États décident d’offrir des matières et technologies nucléaires militaires après en avoir eux-mêmes reçu. En effet, les alliances sont l’un des moyens dont disposent les États pour endiguer leurs rivaux et établir un équilibre des puissances. Or, les deux principales études qui existent sur les déterminants de la prolifération vus du côté des fournisseurs ont produit des résultats divergents sur la question. Matthew Fuhrmann a démontré statistiquement que: « Suppliers are more likely to export nuclear technology to their military allies than to non-allies» (Fuhrmann, 2009a : 188). Or, Matthew Kroenig, quant à lui, pense que: « Providing sensitive nuclear assistance to an allied state may be a better means of losing an ally than of creating a strong and reliable Partner […] Not only are states not more likely to provide sensitive nuclear assistance to an allied state, there is no recorded instance of such an act » (Kroenig, 2010 : 46).

La variable ALL permet de voir dans quelle mesure les alliances entre États affectent le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. La version 3.03 du Correlates of War Formal Alliance Data (Gibler & Sarkees, 2004) a été utilisée pour déterminer si les États sont des alliés militaires ou non au moment où ils s’engagent dans des échanges nucléaires. Les auteurs de cette base de données distinguent trois types de relation d’alliance : 1) l’existence d’un pacte de défense, 2) d’un pacte de neutralité ou de non-agression ou 3) d’une entente. La base de données couvre la période 1816-2000. L’une ou l’autre de ces trois types d’alliance est prise en compte dans le codage de la variable.

2.3.5. L’Alliance avec un État nucléaire.

Le fait qu’un État fournisseur dépende, pour sa sécurité, des garanties offertes par un État allié nucléaire est susceptible d’influencer son comportement sur la scène internationale. Par exemple, il semble que la décision du Japon et de la Corée du Sud de ne pas développer des armes nucléaires, 136 http://www.nuclearsuppliersgroup.org/Leng/05-pubblic.htm 137 http://cns.miis.edu/inventory/ 138 http://www.nti.org/treaties-and-regimes/treaties/

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alors qu’ils en sont largement capables, a été motivée, entre autres, par la dissuasion étendue des États-Unis dont ils bénéficient (Manzarr, 1995 : 27). ALLNUC permet de déterminer dichotomiquement si le fait d’être indirectement couvert par le parapluie nucléaire d’un État plus puissant affecte la coopération nucléaire. Pour ce faire, nous nous basons sur la liste des États ayant acquis des armes nucléaires depuis le début de l’ère nucléaire de Bleek (2010) qui figure dans le tableau 3.3 et de la version 3.03 du Correlates of War Formal Alliance Data (Gibler & Sarkees, 2004) tout en considérant uniquement, dans ce cas-ci, le « pacte de défense » comme type d’alliance.

2.3.6. La possession d’armes nucléaires.

On peut supposer que le fait qu’un État possède lui-même des armes nucléaires pourrait jouer un rôle important dans sa décision de fournir à des candidats à la prolifération des matières et technologies nucléaires militaires pour au moins deux raisons: 1) la première qu’on peut qualifier de stratégique s’explique par le fait que, dans un système international anarchique marqué par le self-

help, les États ne sont jamais parfaitement sûrs du comportement des autres États, l’ami d’hier pouvant rapidement devenir l’ennemi de demain; ce qui veut dire que l’État récipiendaire pourrait, à un moment donné, menacer son ancien fournisseur avec ses armes nucléaires. Or, si ce dernier possédait également de telles armes, le scénario pourrait ne pas se produire notamment à cause de la dissuasion; 2) la deuxième raison qu’on peut qualifier de technologique repose sur l’idée selon laquelle les États qui ont eux-mêmes fabriqué la bombe seraient plus à même d’aider d’autres États à en faire autant. Ce qui ne serait pas forcément le cas pour des États n’ayant pas franchi cette étape de leur programme nucléaire militaire (Kroenig, 2009a : 120).

Nous avons créé la variable ARMNUC pour voir si la possession, par un État fournisseur, d’armes nucléaires, affecte le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Il est relativement facile de déterminer, entre 1945 et 2010, quels États ont réussi à fabriquer des armes nucléaires. Nous nous sommes fiés à la liste établie par Bleek (2010) qui figure dans le tableau 3.3. Nous avons considéré que la Corée du Nord est entrée dans le club nucléaire en 2006 même si certains chercheurs pensent que le test nucléaire de cette année-là a échoué et que c’est plutôt celui de 2009 qui consacre le pays comme État nucléaire (Hymans, 2012 : 4).

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2.3.7. La puissance relative.

La puissance est un aspect très important des relations internationales. On peut penser par exemple que les fournisseurs qui sont plus puissants que les récipiendaires seraient plus susceptibles de fournir une assistance nucléaire que les fournisseurs qui sont moins puissants. Pour déterminer l’impact de la puissance relative sur la coopération nucléaire, nous avons comparé les capacités nationales moyennes des deux membres d’une dyade pendant la période de coopération. Lorsque la puissance relative de l’État fournisseur est supérieure à celle de l’État récipiendaire, la variable PUISSREL est codée 1. Dans le cas contraire, elle est codée 0. Pour ce faire, nous nous sommes servis du Composite Index of National Capability (CINC) du COW Project dont la dernière version couvre la période 1816-2007139.

2.3.8. Le statut de grande puissance.

La prise en compte de la variable GRPUISS est basée sur le postulat selon lequel les grandes puissances agissent de manière différente des autres États du système international car ils ont des objectifs globaux. En se basant sur les données du COW Project, un État fournisseur est codé 1 s’il est qualifié comme une puissance majeure et 0 dans le cas contraire. Selon la base de données « Interstate system, 1816-2011 »140, les États-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni et la Russie disposent de ce statut depuis 1945 ; l’Allemagne et le Japon depuis 1991.

2.3.9. La contiguïté géographique.

La prise en compte de cette variable est basée sur le postulat selon lequel la géographie influence les rapports interétatiques. La contiguïté géographique et la proximité peuvent rendre les conflits plus probables de même qu’elles peuvent faciliter la coopération. L’éloignement, du fait qu’elle rend les contacts moins fréquents peut avoir l’effet inverse (Stinnet, Tir, Schafer, Diehl, & Gochman, 2002). On peut, par exemple, penser que les États fournisseurs potentiels soient particulièrement plus réticents à assister des États récipiendaires potentiels qui sont géographiquement plus proche d’eux que des États plus éloignés. Ou aussi le contraire. Les données proviennent de la version 3.1 de la base de données « Direct Contiguity Data, 1816-2006 » du COW Project141. Nous avons créé deux variables pour déterminer l’impact de la géographie sur les transferts nucléaires interétatiques: la

139 Correlates of War Project. 2011. National Material Capability, v4.0. Online, http://correlatesofwar.org 140 Correlates of War Project. 2011. State System Membership List, v2011. Online, http://correlatesofwar.org 141 Correlates of War Project. 2006. Direct Contiguity Data, 1816-2006, v3.1. Online, http://correlatesofwar.org

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première, CONTIG, mesure simplement la proximité entre les membres d’une dyade en considérant n’importe laquelle des 5 types de contiguïté listés par les auteurs: 1) la séparation par une frontière terrestre ou une rivière ; 2) la séparation par au plus 12 miles d’eau ; 3) la séparation par au plus 24 miles d’eau ; 4) la séparation par au plus 150 miles d’eau ; 5) la séparation par au plus 400 miles d’eau. Si les deux États sont proches, elle est codée 1. Dans le cas contraire, elle est codée 0. La deuxième variable, CONTIG+ resserre la proximité pour la limiter à une frontière terrestre ou un cours d’eau (type 1).

2.3.10. Les relations diplomatiques.

Les relations diplomatiques sont une forme d’indicateur de l’état des rapports entre deux États. On peut penser que les États qui ont des relations diplomatiques sont des États qui coopèrent plus qu’autrement. Pour mesurer l’influence des relations diplomatiques sur la coopération nucléaire, nous avons créé deux variables: la première, RELDIPLO, mesure simplement si les deux membres d’une dyade entretiennent des rapports diplomatiques. Elle est codée 1 si tel est le cas. Elle est codée 0 dans le cas contraire. La deuxième RELDIPLO+ mesure le degré d’importance de ces relations diplomatiques en s’attardant sur la qualité des représentants diplomatiques de part et d’autre. Elle est codée 1 si les deux États sont représentés réciproquement par un ambassadeur. Elle est codée 0 dans le cas contraire. En effet, la base de donnée utilisée, la version 2006.1 du « Diplomatic Exchange, 1816-2005 »142 du COW Project, distingue 3 niveaux de représentation diplomatique: 1) la représentation par un chargé d’affaires; 2) la représentation par un ministre (plénipotentiaire, résident); et 3) la représentation par un ambassadeur.

2.3.11. Les transferts d’armements conventionnels.

On peut penser que la coopération dans le domaine des armements non conventionnels comme le nucléaire peut être favorisé par une coopération préalable dans le domaine des armements conventionnels. Pour déterminer l’impact de cette variable sur les transferts nucléaires militaires, nous avons créé la variable COOPCONV. Elle est codée 1 si les deux membres d’une dyade se sont déjà échangés quelque type d’arme conventionnelle que ce soit avant ou pendant la période de coopération possible. Dans le cas contraire, elle est codée 0. Les données sont issues du SIPRI

Arms transferts Database qui collecte des informations sur les transferts d’armes conventionnelles

142 Bayer, Reşat. 2006. Diplomatic Exchange Data set, v2006.1. Online, http://correlatesofwar.org

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entre les États depuis 1950143. À en croire Laurance (1992) et Sanjian (1999), compte tenu de l’opacité qui caractérise ce domaine, cette base de données et une bonne approximation des flux de commerce d’armes qui sont observables dans la réalité.

2.3.12. L’ouverture économique.

La variable ECOOUVA permet de mesurer dichotomiquement l’ouverture économique des États fournisseurs. Les données sont donc issues de Wacziarg et Welch (2008) qui ont mis à jour la base de données classique de Sachs et Warner (1995) sur l’ouverture des pays au commerce international, couvrant la période 1950-1992, pour l’étendre à 2000. Les États ouverts sont codés 1. Les États fermés sont codés 0. Des recherches supplémentaires ont été effectuées pour couvrir, lorsque ce fut nécessaire, la période 2000-2010 en se basant sur les cinq critères proposés par les auteurs pour catégoriser un État comme fermé au commerce international : 1) l’existence d’un office de commercialisation des exportations, 2) une économie socialiste, 3) une moyenne des droits de douane pour la période supérieure à 40 %, 4) une proportion de marchandises soumises à des barrières non tarifaires supérieure à 40%, 5) une prime sur le marché noir en monnaie locale supérieure à 20 %. Un État est fermé dès lors qu’une seule des cinq conditions est remplie (Wacziarg & Welch, 2008 : 192). La principale difficulté a été le codage de la Chine. Wacziarg et Welch (2008) considèrent le pays comme fermé jusqu’en 2000. Puisque l’économie chinoise est demeurée socialiste jusqu’en 2010, on peut, rien qu’en se basant sur ce seul critère, valablement penser que son statut n’a pas changé durant la période 2000-2010. Or, la Chine a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en novembre 2001. Ce qui fait qu’on peut considérer qu’elle a amorcé un processus de libéralisation à partir de 2002. À partir de cette année, nous avons donc considéré la Chine comme ouverte au commerce international même si l’adhésion à l’OMC n’est que le résultat d’une œuvre entamée dès la fin des années 1970 par Deng Xiapoing.

Avec la variable ECOOUVB, nous avons procédé à un codage alternatif basé sur l’une des mesures de l’ouverture au commerce international les plus utilisés dans la littérature en sciences politique et économique, à savoir le ratio Imports + Exports /PIB. Les données proviennent du PWT 7.0144. Le

143 http://www.sipri.org/databases/armstransfers 144 Alan Heston, Robert Summers, & Bettina Aten, Penn World Table Version 7.0, Center for International Comparisons of Production, Income and Prices at the University of Pennsylvania, May 2011, http://pwt.econ.upenn.edu/php_site/pwt70/pwt70_form.php

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seuil de dichotomisation retenu est la valeur de la médiane. Les valeurs supérieures à cette dernière sont codées 1. Les valeurs inférieures sont codées 0.

2.3.13. L’interdépendance commerciale.

La prise en compte de cette variable dans notre étude est basée sur l’hypothèse selon laquelle les États qui sont liés économiquement auraient davantage de raison de coopérer dans le domaine nucléaire que les États qui ne le sont pas. Il existe dans la littérature, fondamentalement deux manières d’opérationnaliser l’interdépendance commerciale: la première traite l’interdépendance comme la proportion du commerce bilatéral dans le commerce total d’un État, et sert donc à mesurer l’importance politique d’une relation commerciale donnée par rapport au commerce de l’État avec ses autres partenaires (Barbieri, 1996). La deuxième traite l’interdépendance comme le ratio du commerce bilatéral dans le produit intérieur brut de l’État et sert donc à mesurer la part de l’économie de l’État qui est dévolue à une relation commerciale dyadique particulière; ce qui suggère la dépendance commerciale de l’État sur la relation économique bilatérale (Oneal & Russett, 1997). Toutefois, il semble que la première approche ne soit pas une très bonne mesure de l’indépendance économique puisqu’elle ne permet pas réellement de saisir l’importance économique, et donc politique, du commerce bilatéral d’un État. Ce que permet, en revanche, la deuxième approche (Gartzke & Li, 2003; Oneal, 2003). C’est donc pourquoi nous utilisons la deuxième mesure. La variable DEPCOMM est ainsi codée à partir de la formule suivante: DEPCOMMF2R2 = IMPORTSF2R2 + EXPORTSF2R2/PIBF2 = COMMERCEF2R2/PIBF2. Les données sur le commerce bilatéral proviennent de la base de données sur les flux commerciaux entre les États du COW Project et qui couvre la période 1870-2009145. Les données sur le PIB des États proviennent de la base PWT 7.0146. Le seuil de dichotomisation est la valeur de la médiane. Les valeurs supérieures à la médiane sont codées 1. Les valeurs inférieures à celle-ci sont codées 0.

Par ailleurs, nous avons aussi créé une variable IMPORTSF2 afin de tirer des enseignements sur les importations des fournisseurs en provenance des récipiendaires dans le cadre du test de notre hypothèse économique. Le seuil de dichotomisation est toujours la médiane. 145 Voir Barbieri, Katherine & Omar Keshk. 2012. Correlates of War Project Trade Data Set Codebook, Version 3.0. Online, http://correlatesofwar.org et Barbieri, Katherine, Omar Keshk, & Brian Pollins. 2009. Trading data: Evaluating our Assumptions and Coding Rules. Conflict Management and Peace Science. 26 (5): 471-491. 146 Alan Heston, Robert Summers, & Bettina Aten, Penn World Table Version 7.0, Center for International Comparisons of Production, Income and Prices at the University of Pennsylvania, May 2011, http://pwt.econ.upenn.edu/php_site/pwt70/pwt70_form.php

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Tableau 3.8. Récapitulatif des variables d’étude.

Variable Nom Abréviation

Résultat Coopération nucléaire COOPNUC

Conditions explicatives

Idéologie commune IDEOL

Adhésion au TNP ADHTNP

Rival commun RIVAL

Ennemi commun ENNEMI

Économie développée ECODEVA

ECODEVB

Conditions explicatives additionnelles

Religion commune RELIG

Démocratie DEMOC

Appartenance au GFN GFN

Alliance militaire ALL

Alliance avec un État nucléaire ALLNUC

Possession d’armes nucléaires ARMNUC

Puissance relative PUISSREL

Grande puissance GRPUISS

Contiguïté géographique CONTIG

CONTIG+

Relations diplomatiques RELDIPLO

RELDIPLO+

Coopération militaire conventionnelle

COOPCONV

Ouverture économique ECOOUVA

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ECOOUVB

Interdépendance commerciale IMPORTSF2

DEPCOMM

Ce chapitre était consacré aux aspects méthodologiques de la recherche. Premièrement, nous avons expliqué notre stratégie générale de recherche en clarifiant les différentes étapes de la constitution de notre univers empirique et en précisant les deux procédés méthodologiques par lesquels nous entendions tester nos hypothèses de recherche. En définitive, notre population est constituée de 56 cas que nous étudierons par le biais de l’analyse booléenne et de l’analyse de processus. Cette population est réduite à 51 cas lorsque la Syrie n’est pas considérée comme un récipiendaire potentiel de matières et technologies nucléaires militaires. Deuxièmement, nous nous sommes focalisés sur l’opérationnalisation des variables de la recherche. Une vingtaine de variables (tableau 3.8) ont fait l’objet de cet exercice. Passons maintenant à la présentation et à l’analyse des résultats issus de la méthode booléenne qui fait l’objet du chapitre 4.

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Chapitre 4 : Le test booléen du modèle théorique Ce chapitre est consacré aux résultats des analyses empiriques effectués grâce à la méthode booléenne qui permet de traiter plusieurs différentes combinaisons de variables explicatives comme étant les causes du phénomène empirique qui fait l’objet de l’étude. En effet, cette technique méthodologique permet d’identifier plusieurs différentes combinaisons de facteurs, chacune desquelles est suffisante pour un résultat. Car, la procédure de minimisation booléenne, à travers laquelle les combinaisons causales sont réduites, élimine les causes nécessaires potentielles parmi les cas qui partagent le même résultat. Par conséquent, les combinaisons causales finales sont envisagées comme suffisantes pour l’occurrence du résultat (Mahoney, 2003 : 343).

Le chapitre est divisé en trois parties. Dans la première partie, nous présentons la table de vérité et éclairons sur les choix de résolution des configurations contradictoires. Dans la deuxième partie, nous présentons les résultats de l’analyse booléenne effectuée à l’aide de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux. Dans la troisième partie, nous interprétons les résultats de l’analyse booléenne.

1. La table de vérité. La première étape de l’analyse booléenne est la dichotomisation des données d’étude (annexe 4.1). La deuxième étape est la construction de la table de vérité qui, comme nous l’avons fait remarquer dans le chapitre méthodologique, n’est autre qu’une table des configurations; une configuration étant une combinaison des conditions associées au résultat.

Nous avons construit quatre tables de vérité. La première inclut la Syrie comme R2 et utilise la variable économique ECODEVA (tableau 4.2.A). La deuxième inclut la Syrie comme R2 et utilise la variable économique ECODEVB (tableau 4.2.B). La troisième exclut la Syrie comme R2 et utilise la variable économique ECODEVA (tableau 4.3.A). La quatrième exclut la Syrie et utilise la variable économique ECODEVB (tableau 4.3.B)147. Chaque table de vérité a été reproduite visuellement par le biais d’un diagramme de Venn148. Rappelons-le, nous avons choisi la médiane comme seuil de

147 Les tables de vérité 4.3.A et 4.3.B excluant la Syrie comme R2 sont construites pour rester rigoureusement en adéquation avec la base de données de Bleek (2010) que nous avons utilisée pour déterminer les R2, et dans laquelle ce pays ne figurait pas, même si nous avons démontré qu’on pouvait l’y inclure (chapitre 3). 148 Le diagramme de Venn est un schéma ensembliste des configurations produites par la table de vérité. Nous avons donc quatre diagrammes de Venn (diagrammes de Venn 4.2.A, 4.2.B, 4.3.A, et 4.3.B) qui correspondent aux quatre

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dichotomisation des variables exprimées en données non ordinales (chapitre 3). Le seuil de dichotomisation de la variable IDEOL dans les tableaux 4.2.A et 4.2.B est 0.81 (figure 4.1) et 0.79 dans les tableaux 4.3.A et 4.3.B (figure 4.2). Le seuil de dichotomisation de la variable ECODEVB dans les tableaux 4.2.B et 4.3.B est 5705.36 (figure 4.3). Comme on peut le constater, les informations que révèlent les deux types de tableau (avec inclusion ou exclusion de la Syrie) sont pratiquement les mêmes.

Comme il fallait s’y attendre, les quatre tables de vérité ont généré trois types de configuration : les configurations [1], les configurations [0] et les configurations [C]. En fait, pour produire la table de vérité, le logiciel d’analyse a opéré en quatre étapes (De Meur & Rihoux, 2002 : 54):

Premièrement, il a regroupé en une configuration unique tous les cas identiques, à la fois pour les conditions (bien déterminées par 0 ou 1) et pour le résultat (1,0) (configurations [1] et configurations [0] dans les quatre tableaux);

Deuxièmement, il a regroupé les cas identiques pour les conditions mais contradictoires pour le résultat (les deux configurations [C] dans chacun des quatre tableaux);

Troisièmement, il a dédoublé en 2 configurations les cas comportant une condition manquante ou douteuse149. C’est ainsi, par exemple, que le cas ISR-PRK est dédoublé en /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/ et /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ qui se retrouvent chacun dans deux configurations différentes (tableau 4.2.A) car nous n’avons pas pu assigner, de manière rigoureuse, les valeurs 0 ou 1 à la variable ADHTNP dans le cas de cette dyade. En effet, Israël n’a jamais adhéré au TNP. Mais la Corée du Nord y a adhéré en 1985 et s’en est retirée en 2003. Or, la période de coopération hypothétique entre les deux pays est 1980-2006. Il était donc difficile de considérer, de manière irréfutable, la Corée du Nord soit comme membre soit comme non membre du traité au cours de cette période.

Quatrièmement, il a ajouté des configurations correspondant aux cas logiques c’est-à dire des cas non observés. Ce sont les zones blanches dans les quatre diagrammes de Venn 4.2.A, 4.2.B, 4.3.A, et 4.3.B (annexe 4.2).

tables de vérité (tableaux 4.2.A, 4.2.B, 4.3.A et 4.3.B). Ces quatre diagrammes de Venn figurent dans les annexes (annexe 4.2). 149 Lors de ce processus, le logiciel d’analyse ajoute les nouvelles configurations ainsi obtenues, sous réserve de ne pas créer artificiellement de contradiction avec des cas réels.

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Comme suggéré par Rihoux et De Meur (2009 : 45), nous avons procédé à quelques vérifications pour nous assurer de la qualité des tables de vérité : 1) elles contiennent aussi bien des cas positifs que des cas négatifs; 2) elle ne contiennent pas de configurations contre-intuitives (des configurations dans lesquelles soit toutes les conditions 0 conduisent à un résultat [1] soit toutes les conditions 1 conduisent à un résultat [0]); 3) il existe une diversité dans l’ensemble des conditions (des conditions n’affichent pas exactement les mêmes valeurs à travers tous les cas); et 4) il existe assez de variation pour chaque condition (au moins 1/3 de chacune des valeurs).

À partir de là, nous pouvons nous risquer à une première synthèse des informations que les tables de vérité nous révèlent. La table de vérité 4.2.A montre seulement les configurations correspondant au 56 cas observés qu’elle a transformés en 11 configurations. Parmi elles, 2 configurations distinctes avec un résultat [1] correspondent respectivement aux dyades Chine-Pakistan (CHN-PAK) et Pakistan-Iran (PAK-IRN), soit 2 cas. Nous notons aussi la présence de 2 configurations contradictoires, celles avec un résultat [C], qui correspondent respectivement à 11 et 16 cas soit 27 cas sur 56. Toutes les autres configurations ont un résultat [0]. Elles correspondent à 27 cas. La table 4.2.B, quant à elle, a transformé les 56 cas observés en 10 configurations dont 2 configurations contradictoires qui correspondent respectivement à 6 et 9 cas soit 15 cas sur 56. Tout comme la table 4.2.A, elle affiche 2 configurations différentes avec un résultat [1] et qui correspondent aux mêmes 2 cas soit les dyades Chine-Pakistan (CHN-PAK) et Pakistan-Iran (PAK-IRN). Toutes les autres configurations ont un résultat [0]. Elles correspondent à 39 cas.

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Tableau 4.2.A. Table de vérité (Syrie incluse et ECODEVA).

IDEOL ADHTNP RIVAL ECODEVA COOPNUC DYADE

0 0 0 0 C SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF

0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/

1 1 0 0 C BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR

1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/

1 0 1 0 1 CHN-PAK

0 1 1 0 0 ISR-IRQ, /ISR-IRN (ECODEVA:0)/, /ISR-LIB (ECODEVA:0)/

0 1 1 1 0 ISR-SYR, /ISR-IRN (ECODEVA:1)/, /ISR-LIB (ECODEVA:1)/

0 1 0 1 0 JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/

1 1 0 1 0 JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK

1 1 1 0 1 PAK-IRN

0 0 0 1 0 /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/

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Tableau 4.2.B. Table de vérité (Syrie incluse et ECODEVB).

IDEOL ADHTNP RIVAL ECODEVB COOPNUC DYADE

0 0 0 0 0 SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF

0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG

0 0 0 1 C BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK

1 1 0 1 0 BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK

1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/

1 1 0 0 C CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR

1 0 1 0 1 CHN-PAK

0 1 1 1 0 ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB, ISR-SYR

0 1 0 1 0 ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/

1 1 1 0 1 PAK-IRN

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107

Tableau 4.3.A. Table de vérité (Syrie exclue et ECODEVA).

IDEOL ADHTNP RIVAL ECODEVA COOPNUC DYADE

0 0 0 0 C SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF

0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/

1 1 0 0 C BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB

1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/

1 0 1 0 1 CHN-PAK

0 1 1 0 0 ISR-IRQ, /ISR-IRN (ECODEVA:0)/, /ISR-LIB (ECODEVA:0)/

0 1 0 1 0 JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/

1 1 0 1 0 JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK

1 1 1 0 1 PAK-IRN

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108

0 0 0 1 0 /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/

0 1 1 1 0 /ISR-IRN (ECODEVA:1)/, /ISR-LIB (ECODEVA:1)/

Tableau 4.3.B. Table de vérité (Syrie exclue et ECODEVB).

IDEOL ADHTNP RIVAL ECODEVB COOPNUC DYADE

0 0 0 0 0 SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF

0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG

0 0 0 1 C BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK

1 1 0 1 0 BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEVB:1)/

1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/

1 1 0 0 C CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB

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1 0 1 0 1 CHN-PAK

0 1 1 1 0 ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB

0 1 0 1 0 ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/

1 1 1 0 1 PAK-IRN

Figure 4.1. Seuil de dichotomisation de la variable IDEOL (Syrie incluse).

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111

Figure 4.2. Seuil de dichotomisation de la variable IDEOL (Syrie exclue).

Figure 4.3. Seuil de dichotomisation de la variable ECODEVB (Syrie incluse ou exclue).

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112

La table de vérité 4.3.A montre les configurations correspondant aux 51 cas observés qu’elle a transformés en 11 configurations. Parmi ces configurations, 2 avec un résultat [1] correspondent à 2 cas : Chine-Pakistan (CHN-PAK) et Pakistan-Iran (PAK-IRN). La table contient également 2 configurations contradictoires qui correspondent respectivement à 11 et 13 cas soit 24 cas au total; ce qui paraît tout à fait normal puisqu’avec la suppression de la Syrie comme R2, les cas Chine-Syrie, Corée du Nord-Syrie et Pakistan-Syrie (CHN-SYR, PRK-SYR et PAK-SYR) ont disparu. Toutes les autres configurations ont un résultat [0]. Elles correspondent à 25 cas. La table 4.3.B, quant à elle, a transformé les 51 cas observés en 10 configurations dont 2 configurations contradictoires qui correspondent respectivement à 6 et 7 cas soit 13 cas. Tout comme la table 4.3.A, elle affiche 2 configurations différentes avec un résultat [1], et qui correspondent aux mêmes 2 cas : Chine-Pakistan (CHN-PAK) et Pakistan-Iran (PAK-IRN). Toutes les autres configurations ont un résultat [0]. Elles correspondent à 36 cas.

La troisième étape de l’analyse booléenne consiste en la résolution des configurations contradictoires. Pour ce faire, Rihoux et De Meur (2009 : 48-50) proposent 8 pistes qui doivent, bien évidemment, être toutes justifiées empiriquement ou théoriquement :

1. La première, certainement la plus simple, consiste à ajouter, une à une, sous peine de tomber dans l’individualisation des explications de chaque cas particulier, de nouvelles conditions au modèle théorique initial. Car, plus le modèle théorique est complexe du fait d’un grand nombre de conditions qui y figurent, moins les contradictions apparaissent dans la table de vérité ; chaque condition additionnelle apportant une source supplémentaire de différenciation entre les cas.

2. La deuxième consiste à supprimer une ou plusieurs condition(s) du modèle théorique pour la ou les remplacer par une ou d’autres condition(s).

3. La troisième consiste à réexaminer la manière dont les conditions sont opérationnalisées, les contradictions survenant le plus souvent lorsque, par exemple, soit le seuil de dichotomisation est mal ajusté soit la qualité des données laisse à désirer.

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113

4. La quatrième consiste à reconsidérer la variable résultat en elle-même. Une définition trop large de celle-ci étant susceptible de donner lieu à des contradictions, il est possible d’en résoudre plusieurs en resserrant sa définition.

5. La cinquième consiste à réexaminer de manière plus qualitative et plus minutieuse les cas impliqués dans chaque configuration contradictoire spécifique.

6. La sixième consiste à reconsidérer la sélection des cas. Ainsi, par exemple, un cas « limite » peut-il être exclu de l’analyse s’il est à l’origine de la contradiction.

7. La septième consiste à recoder toutes les configurations contradictoires en [0] quant à la valeur de la variable résultat. Cette solution pousse le logiciel à traiter les configurations contradictoires comme « incertaines » et à proposer moins de configurations minimisables en échange de plus de cohérence dans la relation cas/résultat.

8. La huitième consiste, dans une logique probabiliste, en l’utilisation d’un critère de fréquence pour « orienter » le résultat. Si, par exemple, une configuration contradictoire conduit à résultat [1] pour la majorité des cas alors qu’elle conduit à un résultat [0] pour un seul cas, on peut considérer que le chemin de vérité le plus fréquent, en l’occurrence celui parcouru ici par le plus de cas, détermine le résultat. On pourra donc considérer que ce dernier a la valeur [1] pour tous les cas.

9. Finalement, si aucune de ces stratégies ou la combinaison de plusieurs d’entre elles ne résout les configurations contradictoires, des cas devront être supprimés de la procédure de minimisation. Dans un tel cas de figure, le chercheur qui souhaite nécessairement utiliser la csQCA plutôt qu’éventuellement les autres variantes de l’AQCC (mvQCA, fsQCA) ou même d’autres techniques qualitatives ou quantitatives, a le choix entre supprimer ces cas de sa base de données ou les conserver quitte à les interpréter séparément selon une approche plus historique.

Dans le cadre de notre étude, les cinq premières stratégies de résolution des configurations contradictoires n’ont pas permis de résoudre, de manière efficace les deux configurations

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contradictoires150. Considérons la table 4.2.A. Dans la première configuration contradictoire qui comporte 11 cas, 1 seul cas, soit la dyade Israël-Afrique du Sud (ISR-SAF), affiche la valeur [1] au niveau du résultat alors que les 10 autre cas affichent la valeur [0]. Suivant la stratégie n°8, nous avons considéré que cette configuration contradictoire prend la valeur [0] au niveau du résultat. Le même raisonnement est valable pour les tables 4.2.B (1/6), 4.3.A (1/11) et 4.3.B (1/6). Nous reviendrons, plus tard, sur les spécificités de la coopération nucléaire entre Israël et l’Afrique du Sud. Dans la deuxième configuration contradictoire de la même table 4.2.A, qui implique 16 cas, 4 cas affichent la valeur [1] au niveau du résultat; il s’agit des dyades Chine-Iran, Corée du Nord-Syrie, Pakistan-Corée du Nord et Pakistan-Libye (CHIN-IRN, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-LIB), alors que les 11 autres cas affichent la valeur [0]. Suivant la stratégie n°7, nous avons recodé cette configuration en [0] quant à la valeur résultat. Nous reviendrons également, plus tard, sur les différents cas impliqués dans cette configuration particulièrement riche d’enseignements. Le même raisonnement a été appliqué aux tables 4.2.B (3/9), 4.3.A (3/13) et 4.3.B (3/7).

Ces opérations nous ont permis d’obtenir quatre tables de vérité révisées, ne comportant plus de configurations contradictoires (tableaux 4.2.A.R, 4.2.B.R, 4.3.A.R et 4.3.B.R) et qui vont permettre au logiciel d’analyse de données de présenter les résultats. Les quatre tables de vérité ont été également reproduites dans des diagrammes de Venn (diagrammes de Venn 4.2.A.R, 4.2.B.R, 4.3.A.R et 4.3.B.R)151.

150 En réalité, la première stratégie marche. Mais nous voulions éviter, autant faire que se peut, de complexifier notre modèle théorique. 151 Ces quatre diagrammes de Venn figurent aussi dans les annexes (annexe 4.3.).

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Tableau 4.2.A.R. Table de vérité 4.2.A révisée.

IDEOL ADHTNP RIVAL ECODEVA COOPNUC DYADE

0 0 0 0 0 SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/

0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/

1 1 0 0 0 BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/

1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/

1 0 1 0 1 CHN-PAK

0 1 1 0 0 ISR-IRQ, /ISR-IRN (ECODEVA:0)/, /ISR-LIB (ECODEV:0)/

0 1 1 1 0 ISR-SYR, /ISR-IRN (ECODEVA:1)/, /ISR-LIB (ECODEVA:1)/

0 1 0 1 0 JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/

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1 1 0 1 0 JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK

1 1 1 0 1 PAK-IRN

0 0 0 1 0 /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/

Tableau 4.2.B.R. Table de vérité 4.2.B révisée.

IDEOL ADHTNP RIVAL ECODEVB COOPNUC DYADE

0 0 0 0 0 SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF

0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG

0 0 0 1 0 BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/

1 1 0 1 0 BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK

1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK(ADHTNP:0)/

1 1 0 0 0 CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR

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1 0 1 0 1 CHN-PAK

0 1 1 1 0 ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB, ISR-SYR

0 1 0 1 0 ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/

1 1 1 0 1 PAK-IRN

Tableau 4.3.A.R. Table de vérité 4.3.A révisée.

IDEOL ADHTNP RIVAL ECODEVA COOPNUC DYADE

0 0 0 0 0 SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/

0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/

1 1 0 0 0 BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/

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1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/

1 0 1 0 1 CHN-PAK

0 1 1 0 0 ISR-IRQ, /ISR-IRN (ECODEVA:0)/, /ISR-LIB (ECODEVA:0)/

0 1 0 1 0 JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/

1 1 0 1 0 JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK

1 1 1 0 1 PAK-IRN

0 0 0 1 0 /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/

0 1 1 1 0 /ISR-IRN (ECODEVA:1)/, /ISR-LIB(ECODEVA:1)/

Tableau 4.3.B.R. Table de vérité 4.3.B révisée.

IDEOL ADHTNP RIVAL ECODEVB COOPNUC DYADE

0 0 0 0 0 SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF

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0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG

0 0 0 1 0 BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/

1 1 0 1 0 BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEVB:1)/

1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/

1 1 0 0 0 CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/, /PRK-IRN (ECODEVB:0)/, /PRK-LIB (ECODEVB:0)/

1 0 1 0 1 CHN-PAK

0 1 1 1 0 ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB

0 1 0 1 0 ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/

1 1 1 0 1 PAK-IRN

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2. L’équation booléenne et sa minimisation. La quatrième étape de l’analyse booléenne est la minimisation de l’équation booléenne. Nous présentons respectivement les minimisations des configurations [1] et [0] avec et sans les cas logiques [R]. La prise en compte des cas logiques, c’est-à-dire des cas non-observés empiriquement, au sujet desquels le logiciel d’analyse pose des hypothèses simplificatrices, permet normalement la production d’une formule plus parcimonieuse.

Comme le montrent les diagrammes de Venn 4.2.A.R, 4.2.B.R, 4.3.A.R et 4.3.B.R (annexe 4.3), ces cas logiques sont représentés par les cases en blanc. Dans les quatre cas de figure (modèles 4.2.A.R, 4.2.B.R, 4.3.A.R et 4.3.B.R), nous avons un potentiel de 16 configurations (24). Dans les modèles 4.2.A.R et 4.3.A.R, 11 configurations correspondent à des cas empiriquement observés. Dans les modèles 4.2.B.R et 4.3.B.R, 10 configurations correspondent à des cas empiriquement observés. Par conséquent, les 5 et 6 configurations logiques respectives constituent un ensemble de cas potentiels qui peuvent éventuellement être utilisés par le logiciel d’analyse pour produire une formule minimale plus parcimonieuse.

2.1. La minimisation des configurations [1] (avec exclusion des cas logiques).

Cette procédure de minimisation donne les quatre formules suivantes :

Formule 4.2.A [1]: IDEOL {1} * RIVAL {1} * ECODEVA {0} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

Formule 4.2.B [1]: IDEOL {1} * RIVAL {1} * ECODEVB {0} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

Formule 4.3.A [1]: IDEOL {1} * RIVAL {1} * ECODEVA {0} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

Formule 4.3.B [1] : IDEOL {1} * RIVAL {1} * ECODEVB {0} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

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122

2.2. La minimisation des configurations [0] (avec exclusion des cas logiques).

Cette procédure de minimisation donne les quatre formules suivantes152 :

Formule 4.2.A [0] : RIVAL {0} * ECODEVA {0} + IDEOL {0} * RIVAL {0} + ADHTNP {1} * RIVAL {0} + IDEOL {0} * ADHTNP {1} → COOPNUC {0}

OU (suivant les principes de la logique booléenne)

Formule 4.2.A [0] : RIVAL {0} * ECODEVA {0}IDEOL {0} + ADHTNP {1} * �RIVAL {0}

IDEOL {0}

→ COOPNUC {0}

Formule 4.2.B [0] : IDEOL {0} * RIVAL {0} + RIVAL {0} * ECODEVB {0} + ADHTNP {1} * RIVAL {0} + IDEOL {0} * ADHTNP {1} * ECODEVB {1} → COOPNUC {0}

OU

Formule 4.2.B [0] : RIVAL {0} * � IDEOL {0}ECODEVB {0} +

ADHTNP {1} * � RIVAL {0}IDEOL { 0} ∗ ECODEVB {1} → COOPNUC {0}

Formule 4.3.A [0] : RIVAL {0} * ECODEVA {0} + IDEOL {0} * RIVAL {0} + ADHTNP {1} * RIVAL {0} + IDEOL {0} * ADHTNP {1} → COOPNUC {0}.

OU

Formule 4.3.A [0] : RIVAL {0} * �ECODEVA {0}IDEOL {0} + ADHTNP {1} * �RIVAL {0}

IDEOL {0}

→ COOPNUC {0}

152 Les tableaux récapitulatifs des quatre formules ainsi que les différentes dyades qui correspondent à chacun des termes qui les composent figurent dans les annexes (annexe 4.4).

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123

Formule 4.3.B [0] : IDEOL {0} * RIVAL {0} + RIVAL {0} * ECODEVB {0} + ADHTNP {1} * RIVAL {0} + IDEOL {0} * ADHTNP {1} * ECODEVB {1} → COOPNUC {0}

OU

Formule 4.3.B [0] : RIVAL {0} * � IDEOL {0}ECODEVB {0} +

ADHTNP {1} * � RIVAL {0}IDEOL {0} ∗ ECODEVB {1}→ COOPNUC {0}

2.3. La minimisation des configurations [1] (avec inclusion des cas logiques).

Cette procédure de minimisation donne les formules suivantes :

Formule 4.2.A [1]: IDEOL {1} * RIVAL {1} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

Formule 4.2.B [1]: IDEOL {1} * RIVAL {1} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

RIVAL {1} * ECODEVB {0} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

Formule 4.3.A [1]: IDEOL {1} * RIVAL {1} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

Formule 4.3.B [1]: IDEOL {1} * RIVAL {1} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

RIVAL {1} * ECODEVB {0} → COOPNUC {1}

(CHN-PAK + PAK-IRN)

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124

Pour produire la première formule parcimonieuse (IDEOL {1} * RIVAL {1} → COOPNUC {1}), le logiciel a posé deux hypothèses simplificatrices: IDEOL {1} * ADHTNP {0} * RIVAL {1} * ECODEVA {1} + IDEOL {1} * ADHTNP {1} * RIVAL {1} * ECODEVA {1}. Ces cas logiques peuvent être observés dans les différents diagrammes de Venn 4.2.A.R, 4.3.A.R, 4.2.B.R et 4.3.B.R (annexe 4.3). Ce sont les deux cas [R] adjacents aux deux cas [1] (1011; 1111). De même, pour produire la deuxième formule parcimonieuse (RIVAL {1} * ECODEVB {0} → COOPNUC {1}), le logiciel a posé les deux hypothèses simplificatrices suivantes : 1) IDEOL {0} * ADHTNP {0} * RIVAL {1} * ECODEVB {0}; et 2) IDEOL {0} * ADHTNP {1} * RIVAL {1} * ECODEVB {0}. Également, ces cas logiques peuvent être observés dans les différents diagrammes de Venn 4.2.A.R, 4.3.A.R, 4.2.B.R et 4.3.B.R (annexe 4.3). Ce sont les deux cas [R] situés de part et d’autre de l’axe horizontale ADHTNP, dans la partie gauche des diagrammes, délimitée par l’axe vertical IDEOL153.

2.4. La minimisation des configurations [0] (avec inclusion des cas logiques).

Cette procédure de minimisation donne les quatre formules suivantes :

Formule 4.2.A [0]: IDEOL {0} + RIVAL {0} → COOPNUC {0}

Formule 4.2.B [0]: IDEOL {0} + RIVAL {0} → COOPNUC {0}

RIVAL {0} + ECODEVB {1} → COOPNUC {0}

Formule 4.3.A [0]: IDEOL {0} + RIVAL {0} → COOPNUC {0}

Formule 4.3.B [0]: IDEOL {0} + RIVAL {0} → COOPNUC {0}

RIVAL {0} + ECODEVB {1} → COOPNUC {0}

Pour produire la première formule parcimonieuse (IDEOL {0} + RIVAL {0} → COOPNUC {0}), le logiciel a posé trois hypothèses simplificatrices dans les modèles 4.2.A.R et 4.3.A.R: 1) IDEOL {0} * ADHTNP {0} * RIVAL {1} * ECODEVA {0}; 2) IDEOL {0} * ADHTNP {0} * RIVAL {1} * ECODEVA {1}; et 3) IDEOL {1} * ADHTNP {0} * RIVAL {0} * ECODEVA {1}. Il en a rajouté une quatrième dans les modèles 4.2.B.R et 4.3.B.R : 4) IDEOL {0} * ADHTNP {1} * RIVAL {1} * ECODEVB {0}. Et pour 153 Rihoux et De Meur (2009 : 61) suggèrent de reporter les hypothèses simplificatrices pour garantir la transparence des analyses.

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produire la deuxième formule parcimonieuse (RIVAL {0} + ECODEVB {1} → COOPNUC {0}), le logiciel a également posé quatre hypothèses simplificatrices : 1) IDEOL {0} * ADHTNP {0} * RIVAL {1} * ECODEVB {1}; 2) IDEOL {1} * ADHTNP {0} * RIVAL {0} * ECODEVB {1}, 3) IDEOL {1} * ADHTNP {0} * RIVAL {1} * ECODEVB {1}; et 4) IDEOL {1} * ADHTNP {1} * RIVAL {1} * ECODEVB {1}.

3. L’interprétation des résultats. La sixième et dernière phase de l’analyse booléenne est l’interprétation des résultats. Nous interprétons d’une part les formules avec un résultat [1] (sans ou avec inclusion des cas logiques) et d’autre part les formules avec un résultat [0] (sans ou avec inclusion des cas logiques).

3.1. L’interprétation des formules avec un résultat [1]. Dans les quatre modèles, les formules avec un résultat [1] (sans inclusion de cas logiques) sont identiques de telle sorte qu’on peut dégager une formule [1] générale :

Formule [1] : IDEOL {1} * RIVAL {1} * ECODEVA {0}154 → COOPNUC {1}

Cette formule [1] se lit comme suit : il y a coopération nucléaire entre deux États (COOPNUC {1}) lorsque ceux-ci partagent une idéologie commune (IDEOL {1}) ET un rival commun (RIVAL {1}) ET que le niveau de développement économique de l’État fournisseur est faible (ECODEVA {0}).

Avec l’inclusion des cas logiques dans les quatre modèles, le logiciel d’analyse produit des formules plus parcimonieuses. Les formules 4.2.A [1] et 4.3.B [1] sont identiques. Elles indiquent qu’il y a coopération nucléaire entre deux États (COOPNUC {1}) lorsque ceux-ci partagent une idéologie commune (IDEOL {1}) ET ont un rival commun (RIVAL {1}). Les formules 4.2.B [1] et 4.3.B [1] sont également identiques. Par contre, elles indiquent qu’il y a coopération nucléaire entre deux États (COOPNUC {1}) SOIT lorsque ceux-ci partagent une idéologie commune (IDEOL {1}) ET un rival commun (RIVAL {1}) SOIT lorsqu’ils partagent un rival commun (RIVAL {1}) ET que le niveau de développement économique de l’État fournisseur est faible (ECODEVB {0}).

Ces résultats indiquent que l’adhésion ou non, d’un ou des deux États, au TNP n’a aucune incidence sur leur coopération nucléaire. En fait, en se basant sur les quatre tables de vérité, on constate que,

154 ECODEV A {0} peut être remplacée par ECODEVB {0}.

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pour produire la formule [1], le logiciel d’analyse a minimisé la formule suivante : IDEOL {1} * ADHTNP {0} * RIVAL {1} * ECODEVA {0} + IDEOL {1} * ADHTNP {1} * RIVAL {1} * ECODEVA {0} → COOPNUC {1}. La présence ou l’absence de la condition ADHTNP n’affectant pas le résultat final (COOPNUC {1}), cette dernière a été simplement ignorée, selon le principe de la logique booléenne.

Dans les deux cas de coopération nucléaire qui illustrent ces deux formules, ces conditions sont remplies comme l’illustrent les données empiriques. Dans le cas de la dyade Chine-Pakistan, la variable IDEOL affiche une valeur de 0.97 sur la période 1971155-1987 pour un index d’affinité de 0.94. Ainsi, pendant la période de coopération possible, soit la période pendant laquelle le Pakistan poursuivait un programme nucléaire à vocation militaire (1972-1987), les deux pays ont voté dans le même sens, à l’AGNU, à 97%. Sur toute la période 1971-2010, la variable affiche une valeur de 0.98 pour un index d’affinité de 0.97. Dans le cas de la dyade Pakistan-Iran, la variable IDEOL affiche une valeur de 0.97 sur toute la période 1947-2010, soit de la création de l’État pakistanais jusqu’à la fin de la période d’étude, pour un score d’affinité de 0.94. En ce qui concerne la période 1947-1986, soit celle ayant précédé leur première transaction nucléaire, ce chiffre est de 0.95 pour un score de 0.91. Tout au long de la période de coopération (1987-2010), la valeur de la variable est de 0.98 pour un index d’affinité de 0.97. Tous ces chiffres sont très largement supérieurs au seuil de dichotomisation retenu (0.81) et très proche de la valeur maximale de la variable (1). Ce qui montre que les États impliqués dans chacune de ces deux dyades partagent très fortement une idéologie commune.

Au cours de leur histoire récente, la Chine et le Pakistan ont eu un véritable rival commun qui est l’Inde. La rivalité Chine-Inde a commencé en 1948 et était toujours en cours en 2010. La rivalité Pakistan-Inde a commencé en 1947 et était également toujours en cours en 2010. Le Pakistan et l’Iran ont un véritable rival commun qui est l’Afghanistan. Ce pays entretient une rivalité avec le Pakistan depuis 1946 et avec l’Iran depuis 1996. Cependant, comme nous allons le démontrer dans le chapitre 5, le Pakistan n’a pas assisté l’Iran dans le but de contenir une quelconque menace afghane. Plutôt, la volonté d’imposer des coûts stratégiques aux États-Unis a, en partie, justifié la coopération nucléaire entre les deux pays.

Enfin, au moment où ils décident de se lancer dans le commerce des matières et technologies nucléaires militaires, en tant que fournisseurs, ni la Chine ni le Pakistan n’étaient des économies

155 Rappelons que c’est seulement en 1971 que la République populaire de Chine accède à l’ONU.

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développées. D’ailleurs, en 2010, ils figuraient encore dans les catégories « économies à revenu moyen » (Chine) et « économies à faible revenu » (Pakistan) de la Banque mondiale (WDR, 2010) et « pays en développement » du FMI (WEO, 2010). Par contre, si l’IDH du Pakistan reste toujours bas (1980-2010), celui de la Chine est passé de bas (1980-1995) à moyen (1995-2010). De là à déduire directement que ces deux pays se sont lancés dans l’exportation de biens et technologies nucléaires militaires parce qu’ils étaient tous les deux des pays en développement, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Ce que révèle, avant tout, le résultat de l’analyse booléenne, c’est un portrait. Même l’analyse de la croissance économique des pays fournisseurs ne permet véritablement ni de confirmer ni d’infirmer la proposition selon laquelle ils se seraient engagés dans un commerce nucléaire avec les pays récipiendaires pour gagner des liquidités.

Prenons le cas de la Chine. En 1972-1976, soit du début du programme nucléaire pakistanais à la conclusion d’un accord de coopération nucléaire secret avec les Chinois, la croissance économique moyenne de la Chine était de 4.22%. Ce qui est relativement faible par rapport à la celle de 1982-1989, soit du début de l’ère de modernisation de l’économie chinoise, après la consolidation du pouvoir par Deng Xiaoping, jusqu’à la date de poursuite du programme nucléaire iranien, qui était de 10.5%. On peut donc penser que la faible croissance économique de la première période a justifié, en partie, l’offre d’une assistance nucléaire au Pakistan; et partant de là, douter que l’offre de l’assistance nucléaire à l’Iran ait reposé sur des considérations économiques156. Mais c’est ignorer que l’Iran avait quelque chose à offrir à la Chine en échange de son aide et que même la fulgurante croissance à deux chiffres de l’économie de cette dernière ne pouvait garantir, en l’occurrence la sécurité des approvisionnements en hydrocarbures. Nous y reviendrons dans le chapitre 5 consacré aux études de cas. Preuve que l’adhésion ou non, d’un ou des deux États, au TNP n’a aucune conséquence sur la coopération nucléaire, ni la Chine ni le Pakistan n’était membre du traité lorsqu’ils commencent leur coopération nucléaire dans les années 1980 alors que l’Iran l’était lorsqu’elle a commencé par bénéficier de l’assistance nucléaire des deux pays dès le milieu de cette même décennie.

156 Toutes les données sur la croissance économique utilisées dans ce chapitre 4 et dans le chapitre 5 proviennent de la base de données de la Banque mondiale sur les indicateurs économiques de développement accessible à cette adresse : www.data.worldbank.org

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3.2. L’interprétation des formules avec un résultat [0]. Les quatre formules avec un résultat [0] sans inclusion des cas logiques peuvent être regroupées en

deux formules (Formule [0]X et Formule [0]Y) puisque les formules 4.2.A et 4.3.A sont identiques de

même que les formules 4.2.B et 4.3.B sont pareilles.

Formule [0]X : RIVAL {0} * �ECODEVA {0}IDEOL {0} + ADHTNP {1} * �RIVAL {0}

IDEOL {0}

→ COOPNUC {0}

La formule [0]X composée de quatre termes se lit comme suit : il n’y a pas coopération nucléaire entre deux pays (COOPNUC {0}) : 1) lorsque ceux-ci n’ont pas un rival commun (RIVAL {0}) ET que l’économie de l’État fournisseur est peu développée (ECODEVA {0}) OU 2) lorsque ceux-ci n’ont pas un rival commun (RIVAL {0}) ET qu’ils ne partagent pas une idéologie commune (IDEOL {0}) OU 3) lorsque l’un des deux États a adhéré au TNP (ADHTNP {1}) ET que les deux n’ont pas un rival commun (RIVAL {0}) OU 4) lorsque l’un des deux États a adhéré au TNP (ADHTNP {1}) ET qu’ils ne partagent pas une idéologie commune IDEOL {0}. Avec l’inclusion des cas logiques, la formule [0]X

indique qu’il n’y a pas coopération nucléaire entre deux États (COOPNUC {0}) simplement lorsque ceux-ci ne partagent pas une idéologie commune (IDEOL {0}) OU lorsqu’ils n’ont pas un rival commun (RIVAL {0}).

Formule [0]Y : RIVAL {0} * � IDEOL {0}ECODEVB {0} +

ADHTNP {1} * � RIVAL {0}IDEOL {0} ∗ ECODEVB {1}→ COOPNUC {0}

La formule [0]Y également composée de quatre termes se lit comme suit : il n’y a pas coopération nucléaire entre deux pays (COOPNUC {0}) : 1) lorsque ceux-ci n’ont pas un rival commun (RIVAL {0}) ET qu’ils ne partagent pas une idéologie commune (IDEOL {0}) OU 2) lorsque ceux-ci n’ont pas un rival commun (RIVAL {0}) ET que le niveau de développement économique de l’État fournisseur est faible (ECODEVB {0}) OU 3) lorsque l’un des deux États a adhéré au TNP (ADHTNP {1}) ET que les deux n’ont pas un rival commun (RIVAL {0}) OU 4) lorsque l’un des deux États a adhéré au TNP (ADHTNP {1}) ET qu’ils ne partagent pas une idéologie commune IDEOL {0} ET que le niveau de

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développement économique de l’État fournisseur est élevé (ECODEVB {1}). Les deux expressions mettent en évidence les facteurs RIVAL {0} et ADHTNP {1} comme communs au cas négatifs. Avec l’inclusion des cas logiques, la formule [0]Y propose, quant à elle, une alternative à la formule [0]X en indiquant qu’il n’y a pas également coopération nucléaire entre deux États (COOPNUC {0}) lorsque ceux-ci n’ont pas un rival commun RIVAL {0} OU lorsque que le niveau de développement économique de l’État fournisseur est élevé (ECODEVB {1}).

Les deux premiers termes des deux formules [0]X et [0]Y permettent d’expliquer, par exemple, l’absence de coopération nucléaire entre l’Afrique du Sud en tant que fournisseur nucléaire et sept de ses huit récipiendaires potentiels à savoir, le Brésil, l’Inde, le Pakistan, l’Irak, l’Iran, la Libye et la Yougoslavie. Le niveau de développement économique de l’Afrique du Sud était faible au cours de la période hypothétique de coopération avec ces différents États (1977-1991) même si la moyenne de son PIB (5588.73) était relativement proche de la valeur du seuil de dichotomisation (5705.35). Et l’Afrique du Sud ne partageait pas, et n’avait pas, avec eux, une idéologie commune et un rival commun. Les données sur les votes de l’Afrique du Sud à l’AGNU ne sont pas disponibles pendant la période concernée, le représentant sud-africain ayant été exclu de l’organe au plus fort de la période de l’apartheid. Néanmoins, toutes les valeurs de la variable IDEOL, dans chacune des dyades, pendant la période 1946-1974, sont, et de très loin, inférieures à la valeur du seuil de dichotomisation (0.81) : la moyenne la plus élevée est recensée dans la dyade SAF-BRA (0.66) et la plus faible dans la dyade SAF-YUG (0.26). Au cours de cette période, l’index d’affinité de l’Afrique du Sud et du Brésil était de 0.33 et celui de l’Afrique du Sud et de la Yougoslavie était de -0.46. La prise en compte des données au-delà de la période de coopération (1946-2010) confirme la tendance (0.79/0.42). L’Afrique du Sud a entretenu des rivalités avec l’Angola (1975-1988), la Zambie (1965-1991), le Mozambique (1976-1991) et le Zimbabwe (1980-1992); aucun de ces pays n’était un rival commun avec aucun de ses récipiendaires potentiels.

Les deux termes suivants des deux formules [0]X et [0]Y permettent d’expliquer, entre autres, l’absence de coopération nucléaire entre le Japon, en tant que fournisseur nucléaire et nombre de ses récipiendaires potentiels à savoir l’Afrique du Sud, la Corée du Nord, l’Inde, l’Irak, la Libye, la Syrie, la Yougoslavie. Sur le plan idéologique, le Japon n’a pas une très forte affinité avec ces pays. Si la valeur de la variable IDEOL dans la dyade JPN-LIB (0.79) est la plus proche de celle du seuil de dichotomisation (0.81), elle reste néanmoins assez éloignée des valeurs enregistrées dans les cas

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de coopération avérée, et qui sont comprises entre 0.95 et 0.98. On le voit plus nettement avec l’index d’affinité qui, dans ce cas-ci, est 0.59 alors qu’il est largement au-dessus de 0.90 dans les cas positifs.

Le Japon n’a pas non plus de rival commun avec eux. En réalité, dès 1996, débute le deuxième acte de la rivalité entre le Japon et la Chine alors que le premier acte était circonscrit à la période 1873-1945 (Thompson & Dreyer, 2012 : 185). Or, la Chine est un rival historique de l’Inde (depuis 1948). Si le Japon et l’Inde ont désormais ce pays comme rival commun, ce n’était pas le cas durant leur période de coopération possible (1980-1987). De plus, le niveau de développement économique du Japon était très élevé au cours de la période de coopération hypothétique avec lesdits États. Au cours de la période 1977-1991, celle pendant laquelle la coopération avec l’Afrique du Sud (1977-1991), l’Inde (1980-1987), l’Irak (1977-1991) et la Yougoslavie (1982-1987) était possible, le PIB moyen du Japon était de 21803 soit près de quatre fois la valeur du seuil de dichotomisation établi à 5705.35. Pendant la période 2000-2007 au cours de laquelle le Japon aurait pu aider la Syrie dans sa quête de la bombe, ce PIB moyen était de 30763.68. En fait, le Japon n’avait simplement aucun intérêt économique à tirer de la vente de ses technologies nucléaires à ces États. Par ailleurs, le Japon et tous ces pays étaient membres du TNP. Le Japon a ratifié le traité en 1976.

En effet, alors que les formules [1] ont révélé que l’adhésion ou non au TNP n’a aucune influence sur la coopération nucléaire, les formules [0] montrent que l’adhésion au traité conjuguée à l’absence de rival commun, d’idéologie commune et à la présence d’une économie développée chez l’État fournisseur, peut être un frein à la coopération nucléaire. Une illustration parfaite donc des propos de William Potter (2010 : 74) : « The NPT alone cannot and does not prevent proliferation ». Ainsi, la présence de la variable ADHTNP (ADHTNP {1}) dans les formules [0] ne saurait donc être interprétée comme une confirmation de l’argument institutionnaliste et normatif sur l’effet contraignant du régime de non-prolifération sur ses membres. En effet, de nombreuses recherches de l’approche demandée-centrée de la prolifération nucléaire ont mis en évidence l’effet marginal de l’adhésion des États au TNP sur leurs décisions nucléaires. Si Dong-Joon Jo et Erik Gartzke (2007 : 179) ont trouvé que l’adhésion au TNP diminue la probabilité d’avoir des programmes nucléaires, ils ont toutefois précisé, avec raison d’ailleurs, que ce résultat n’implique pas nécessairement que le changement des préférences des États est attribuable au TNP en tant que régime. D’autant que, dans leur étude, la relation entre l’effet systémique du traité — mesuré par le ratio États membres du TNP/nombre

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total d’États du système international — et les programmes nucléaires des États n’était pas statistiquement significative. Ce qui, pour eux, remettait en question, en tout cas dans le contexte du TNP et de la prolifération nucléaire, les explications idéationnelles basées sur l’effet transformationnel des accords internationaux au niveau systémique (Finnemore & Sikkink, 1998; Wendt, 1995).

Dans la même veine, Etel Solingen (2007 : 261-267), dans son étude des logiques nucléaires dans neuf États d’Asie de l’Est (Japon, Corée du Sud, Corée du Nord, Taiwan) et du Moyen-Orient (Iraq, Iran, Israël, Libye, Égypte), a découvert que le choix de la majorité des États de rester non nucléaires avait été fait bien avant, plus qu’il n’était une conséquence de, leur décision de ratifier le TNP : c’est notamment le cas du Japon, de la Corée du Sud et de Taiwan. Et le TNP n’a pas empêché l’Iran, l’Irak, la Libye et la Corée du Nord de rechercher des armes nucléaires après leur adhésion. Selon l’auteure, des considérations plus pragmatiques, de nature politique et économique, précèdent les considérations normatives dans les décisions nucléaires des États (Solingen, 2007 : 294). En ce qui concerne justement le Japon et sa renonciation aux armes nucléaires, les facteurs explicatifs de cette décision seraient au nombre de trois : 1) une aversion de la population aux armes nucléaires due aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki (1945) et aux débris radioactifs générés par les essais américains de bombes à hydrogène sur l’atoll de Bikini, dans les îles Marshall (1954); 2) des barrières juridiques à la nucléarisation tels que l’article IX de la constitution de 1947 qui interdit le recours à la guerre ainsi qu’à la menace ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux avec pour conséquence la renonciation à la mise en place de tout potentiel de guerre157 et l’article II de la loi sur l’énergie atomique (1955) qui stipule que « la recherche, le développement et l’utilisation de l’énergie atomique doivent être limités à des buts pacifiques »158; 3) le souci de ne pas mettre en péril le processus de normalisation de ses relations politiques et

157 L’article IX de la constitution japonaise du 3 mai 1947 se lit comme suit : « Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l’ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu’à la menace ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l’État ne sera pas reconnu ». Remarquons aussi qu’en 1988, un autre État fournisseur potentiel, en l’occurrence le Brésil, qui n’a fourni de matières et technologies nucléaires militaires à aucun État récipiendaire potentiel, a inscrit dans sa nouvelle constitution un article ne réduisant les applications de l’atome qu’au domaine civil. L’article 21 (XXIII) (a) de la constitution brésilienne du 5 octobre 1988 se lit comme suit : « Toute activité nucléaire sur le territoire national n’est admise qu’à des fins pacifiques et est soumise à l’approbation du Congrès national ». Or, le Brésil ne ratifie le TNP seulement que dix ans après l’adoption de cette constitution, soit en 1998. Dans ces deux cas, le choix de la non-prolifération précédait l’adhésion au TNP. 158 Cité dans Solingen (2007 : 68).

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économiques post-deuxième guerre mondiale avec ses adversaires du passé désormais partenaires régionaux (Corée du Sud, Chine) ainsi qu’avec d’autres États partenaires (États-Unis, Canada, Australie, Grande-Bretagne, France…) (Solingen, 2007 : 66-79). Ces résultats semblent donner du

crédit à l’une des critiques les plus virulentes formulées à l’encontre du TNP : « If the NPT […]

prevented proliferation, one should be able to name at least one specific country that would have

sought nuclear weapons […] but refrained from doing so, or was stopped, because of [the] treaty.

None comes to my mind » (Betts, 2000 : 69)159.

Pour Jacques Hymans (2006 : 6) si le TNP, en tant que régime, avait joué un rôle aussi significatif dans la décision des États de ne pas acquérir des armes nucléaires, on se serait attendu à une prolifération beaucoup plus significative avant son émergence en tant que traité presqu’universel. Ce qui n’est évidemment pas le cas (voir notamment figure 1.1). Selon lui, le succès apparent du TNP dans la maîtrise de la prolifération peut être expliqué simplement par ce fait : « Few state leaders have desired the things it prohibits » (Hymans, 2006 : 7). Dans le sillage de l’argumentation contrefactuelle, même réflexion de la part de Solingen (2007 : 31) sur l’effectivité du traité : « Would more states have opted for nuclear weapons had the NPT never been concluded? Not necessarily

[…] ». En somme, ces recherches ont montré que le pouvoir explicatif de l’adhésion au TNP doit

être, au mieux, fortement relativisé en matière de choix nucléaires. Nos formules [0] apportent de l’eau au moulin de cette argumentation : l’adhésion au TNP est certainement une condition nécessaire à la non-prolifération, mais assurément pas une condition suffisante.

En définitive, l’inclusion ou l’exclusion de la Syrie comme R2 n’affecte pas les résultats de l’analyse. Par contre, en préférant la variable ECODEVB à la variable ECODEVA, le logiciel d’analyse met plus en évidence la présence d’une économie développée comme un frein à la coopération nucléaire. Les hypothèses simplificatrices générées par le logiciel pour produire les différentes formules parcimonieuses ne sont pas contradictoires; c’est-à-dire que les mêmes cas logiques (les mêmes combinaisons de conditions) n’ont pas été utilisées à la fois pour minimiser les configurations [1] et les configurations [0]. Puisqu’il n’existe donc pas d’intersection entre ces différents cas logiques, nous pouvons considérer ces formules minimales comme valides (Rihoux & De Meur, 2009 : 63-65).

159 Cité dans Solingen (2007 : 14).

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3.3. L’explication des cas positifs impliqués dans les configurations contradictoires à l’aide de la formule [1].

Rappelons qu’il y avait, dans les quatre modèles, 2 configurations contradictoires, impliquant une multitude de cas, que nous avons résolues en leur attribuant la valeur [0] au niveau du résultat alors que 5 cas avaient en réalité la valeur [1] selon notre codage (voir tableaux 4.2.A, 4.2.B, 4.3.B et 4.3.B). Nous tenterons donc d’expliquer ces cas positifs à l’aide de la formule [1], en d’autres termes, à la lumière de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux. Il s’agit de : Israël-Afrique du Sud; Chine-Iran, Corée du Nord-Syrie, Pakistan-Corée du Nord, et Pakistan-Libye (ISR-SAF, CHN-IRN, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-LIB).

3.3.1. Le cas Israël-Afrique du Sud. Concernant la dyade Israël-Afrique du Sud, la combinaison de conditions à laquelle elle était associée dans les modèles 4.2.A et 4.3.A est la suivante : IDEOL {0} * ADHTNP {0} * RIVAL {0} * ECODEVA {0}. Dans les modèles 4.2.B et 4.3.B, cette combinaison de conditions était la suivante : IDEOL {0} * ADHTNP {0} * RIVAL {0} * ECODEVB {1}. Si l’absence de la variable ADHTNP n’est pas un problème en soit, la formule [1] ayant montré que la présence ou l’absence de cette variable n’avait aucune incidence sur le résultat, l’absence des variables IDEOL et RIVAL dans les quatre modèles et la présence de la variable ECODEVB dans les modèles 4.2.B et 4.3.B sont assez troublantes pour qu’on explique pourquoi il y a eu coopération nucléaire entre ces deux pays.

En effet, les données empiriques utilisées montrent que durant la période 1948-1974, soit de la formation de l’État d’Israël à la date de la poursuite d’un programme nucléaire militaire par l’Afrique du Sud, les deux pays n’ont voté dans le même sens à l’AGNU qu’à 68% pour un score d’affinité de 0.36160. Selon Thompson et Dreyer (2012), Israël a eu, et a, comme rivaux les États suivants : la Jordanie (1948-1994), l’Égypte (1948-), la Syrie (1948-) et l’Iran (1979-). Quant à l’Afrique du Sud, elle a entretenu des rivalités avec la Zambie (1965-1991), l’Angola (1975-1988), le Mozambique (1976-1991) et le Zimbabwe (1980-1992). Les deux États n’ont donc eu aucun rival commun au cours de leur histoire. En 1977-1980, soit la période la coopération entre les deux pays, Israël était classé dans les catégories « économies à revenus moyens » et « pays en développement »

160 Les données de la période 1974-1991, soit la période pendant laquelle l’Afrique du Sud poursuivait un programme nucléaire, ne sont pas disponibles pour confirmer ou infirmer cette tendance car le représentant sud-africain avait été exclu de l’AGNU.

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respectivement par la Banque mondiale et le FMI; ce qui explique la condition ECODEVA {0}. Pendant la même période, son PIB moyen était de 16044.24; donc largement au-dessus de la médiane (5705.35) que nous avons choisi comme seuil de dichotomisation de la variable ECODEVB. Ce qui explique donc la présence de cette dernière (ECODEVB {1}).

D’une part, il est intéressant de remarquer que de tous nos cas positifs, c’est certainement le cas le plus sujet à controverse, en tous cas en ce qui concerne la nature et l’étendue de la coopération, de telle sorte qu’un codage négatif de la variable dépendante pouvait valablement se justifier; ce qui aurait eu pour effet de ne pas engendrer une telle contradiction dans les résultats produits par le logiciel d’analyse. Car, si selon certains chercheurs, la collaboration entre les deux pays a été très étroite en matière nucléaire (Spector, 1990 : 269-274; Reed & Stillman, 2006 : 170-185), pour d’autres en revanche, elle aurait davantage concerné le domaine balistique (Howlett & Simpson, 1993; Liberman, 2004). Et ce ne sont pas ces propos de F.W. de Klerk qui permettent une avancée dans la résolution de l’énigme: « At no time did South Africa acquire nuclear weapons technology or materials from another country, or cooperated with another country in this regard » (Liberman, 2004 : 7). D’autre part, nous pensons, malgré tout, qu’il est possible de tenter une explication de cette coopération nucléaire à l’aide de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux.

Les relations entre Israël et l’Afrique du Sud remontent à très longtemps, dès le début du vingtième siècle. Après avoir été parmi les trente trois États qui ont voté, le 29 novembre 1947, en faveur de la résolution 181 de l’AGNU qui prévoyait le partage de la Palestine en un État juif et un État arabe, l’Afrique du Sud a été l’un des premiers pays à reconnaître l’État hébreux après sa création en 1948; et son premier ministre, Daniel Malan, qui a décrit la fondation de l’État d’Israel comme « le plus grand événement dans l’histoire moderne », est devenu le premier chef de gouvernement à visiter Jerusalem en 1953. Ce dernier, venu au pouvoir en 1948 à la faveur des élections gagnées par le Parti national, a notamment mis en place la politique de l’apartheid.

Le rapprochement entre les deux États a été donc suffisamment intriguant pour susciter l’attention de nombreux analystes et chercheurs qui, après l’avoir étudié, l’ont, dans une grande majorité, résumé ainsi : « The Israeli-South African relations have been portrayed as possessing a unique and special

quality, one which differentiates it from other bilaterl relationships. The basis of this relationship […]

is a communality of interests and a shared ideology » (Peters, 1992 : 147).

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La profonde amitié entre le général Jan Christiaan Smuts, premier ministre sud-africain (1919-1924/1939-1948) et pro-sioniste, et Chaim Weizmann, premier président israélien (1949-1952) et figure de proue du mouvement sioniste, a été un important catalyseur de ce rapprochement et de la cooperation entre les deux États dans la mesure où les deux leaders affichaient une convergence de vues sur la situation respective de leurs deux pays : l’Afrique du Sud qui devait contenir les Noirs et Israël qui devait faire face à l’hostilité des Arabes (Osia, 1981 : 14-21; Adams, 1984 : 3-18). À ce propos, voici ce qu’écrit James Adams (1984 : 4) :

Smuts found in Weizmann everything that his nation admired in the Zionists […] Weizmann also believed that the Zionists were pioneers who could bring civilization to a desolation region, something every South African felt he was doing for the African continent. There was an additional, albeit negative, factor which naturally bound the two men : Smuts had little sympathy for the Arab cause. The Arabs, in his view, were merely an extension of the very people against whom his own followers had fought in the course of their expansion northwards from the Cape. […] Finally, as a fervent Christian, Smuts […] believed that the Jews had been treated disgracefully throughout history. He felt strongly that the Diaspora was a crime that it was every Christian’s duty to correct. It was natural that he should fight hard for the Zionists, believing as he did that only the establishment of a State of Israel would atone for what he saw as the continuing crime against the Jewish people.

Car, en effet, Smuts a joué un très grand role dans l’adoption de la Déclaration Balfour de 1917 dans laquelle le Royaume-Uni se déclarait en faveur de l’établissement, en Palestine, d’un foyer national juif, de même qu’il a usé de toute son influence, toutes les fois où ce fut nécessaire, pour empêcher que ledit engagement ne soit remis en question. Après sa mort, en 1950, ces mots que Joseph Sprinzak, ancien premier ministre israélien, a prononcés, sont plus éloquents que toute autre forme de discours sur la place qu’il occupe dans l’histoire d’Israël : « General Smuts is written on the map of Israel and in the heart of our nation » (Adams, 1984 : 5).

Mais au-delà de l’amitié entre Jan Smuts et Chaim Weizmann, le rapprochement entre Israël et l’Afrique du Sud a aussi bénéficié, dans une large mesure, de l’apport intellectuel et financier des Juifs sud-africains qui constituaient les plus ardents partisans du concept d’Eretz Israel (Terre d’Israël) au sein de la diaspora juive (Adams, 1984 : 7)161. Le tout, bien évidemment, avec la bénédiction de nombreux leaders Afrikaners qui voyaient en la création d’Israël l’accomplissement

161 Il faut remarquer que déjà en 1948, il y avait 118 000 juifs en Afrique du Sud; lesquels formaient le plus fort taux de Sionistes dans la population juive de n’importe quel autre pays dans le monde. De plus, leur contribution aux fonds sionistes était la seconde plus importante au monde après celle des Sionistes des États-Unis (Adams, 1984 : 7).

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des prophéties de l’Ancien Testamen et admiraient le combat des Juifs pour le maintien de leur identité raciale. Inversément, ces Juifs sud-africains semblaient, pour leur part, fascinés par les Afrikaners et leur politique de « développement séparé » comme l’llustrent ces propos de l’un d’entre eux, cités par Osia (1981 : 19) : « [The Afrikaners are] a brave people and we could not but note in them certain tenacities and identities of purpose similar to our own. We also deeply valued their attitude to Israel ».

Par conséquent, pour Kunirum Osia (1981), l’un des premiers universitaires à étudier les liens entre Israël et l’Afrique du Sud, cette relation bilatérale qui a donné naissance à une perception commune du monde autour des deux pays, peut donc être fondamentalement expliquée par le fait que le sionisme qui prône l’existence d’un centre spirituel, territorial ou étatique peuplé par les Juifs, en Israël, a des similitudes avec l’apartheid qui a fondé le rattachement territorial au statut racial de l’individu en Afrique du Sud (Osia, 1981 : 15)162. Un argument également défendu plutard par, entre autres, Ali Mazrui (1983), qui, dans un travail assez cité sur le sujet, note : « The situational similarity [between South Africa and Israel] has its roots in a prior ideological congruence between zionism and apartheid. The sense of isolation which Israel now shares with South Africa is a consequence of parallel efforts to implement culturally separatist ideologies at the wrong time in history » (Mazrui, 1983 : 74).

Plus récemment, dans son étude comparative des deux idéologies, Amneh Badran (2010 : 26-40) a identifié huit similarités entre le sionisme israélien et l’apartheid sud-africain: les deux sont fondées sur le colonialisme et le racisme; la discrimination par la loi et la politique; dans les deux cas, la séparation est vue comme la solution; l’oppression est vue comme le moyen de contrôle; l’endoctrinement de la société est très développé; les deux États sont devenus très militarisés et ils ont imposé leur statut de puissance hégémonique régionale. L’auteur résume le comportement hégémonique de l’État d’Israël comme suit: « Israel has sought to shape and control the behaviour of other Middle Eastern states, and has implemented different strategies, including direct military intervention, direct threats, coercive demands, indirect personal manoeuvring, verbal persuasion and economic inducement. It has built itself into a strong hegemonic power, and at present it is the fourth

162 D’ailleurs, ce parrallèle entre le sionisme et l’apartheid avait déjà été clairement reconnu par des leaders politiques comme Hendrik Werwoerd, ancien premier ministre sud-africain (1958-1966) et grand architecte de l’apartheid qui, dans une déclaration, datant de 1961, avait affirmé : « [The Jews ] took Israel from the Arabs after the Arabs lived there for a thousand years. In that I agree with them, Israel, like South Africa, is an apartheid state » (Osia, 1981 : 16).

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largest nuclear power and the fifth largest arms producer in the world » (Badran, 2010 : 36). Quant aux velléités hégémoniques de l’Afrique du Sud, elles se sont manifestées par ses interférences politiques et militaires dans les pays voisins : en Namibie, au Mozambique et en Angola.

La similarité entre les deux idéologies semble être confirmée par l’analyse des données empiriques durant la période post-apartheid. Car, entre 1994 et 2010 soit de l’année des premières élections multiraciales en Afrique du Sud et l’élection de Nelson Mandela comme président ayant conduit à la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, à l’année limite de notre étude empirique, la valeur moyenne de la variable IDEOL est passée à 0.25 pour un score d’affinité négatif de -0.47. Alors qu’elle était de 0.68 pendant la période 1948-1974. Ce qui donne une différence moyenne conséquente de 0.43. Par ailleurs, nous avons analysé minutieusement les variations de cette variable dans toutes les dyades constituées par Israël (1966-2010) en tant que fournisseur potentiel et les autres États poursuivant un programme nucléaire militaire qui constituaient des récipiendaires potentiels de son assistance nucléaire : le Brésil (1975-1990); la Corée du Nord (1980-2006); la Corée du Sud (1970-1975) ; l’Inde (1972-1975/1980-1987); l’Irak (19766-1991); l’Iran (1989-2010); la Libye (1970-2003); le Pakistan (1972-1987); et la Yougoslavie (1982-1987). Les résultats montrent qu’aucune des valeurs moyennes de la variable dans lesdites dyades n’est supérieure ou même égale à 0.68163. Ce qui place la dyade Israël-Afrique du Sud au premier rang, en ce qui concerne l’affinité idéologique, de l’ensemble des 9 dyades. Par conséquent, certes l’affinité idéologique entre Israël et l’Afrique du Sud n’était pas aussi forte que celle recensée dans les autres cas positifs (Chine-Pakistan, Chine-Iran et Pakistan-Iran). Mais les données empiriques nous montrent que parmi tous les États avec lesquels Israël était susceptible de s’engager dans des échanges nucléaires, c’est seulement avec l’Afrique du Sud qu’il était le plus proche idéologiquement.

Sur le plan de la rivalité, sans forcément partager un rival commun, avant ou au cours de la période de leur coopération, Israël et l’Afrique du Sud pensaient faire face à la même menace et au même ennemi : le communisme et l’URSS (Paul, 2000 : 115; Paul, 2000 : 138). De ce point de vue, 1973-1974 apparaît comme un tournant dans le rapprochement des deux pays. En Israël, la guerre du Kippour (6 octobre-24 octobre 1973) a permis à Meir-Dayan164 de se rendre compte que l’arsenal nucléaire, constitué de quelques bombes A, dont dispose leur pays depuis 1967, n’a pas été en 163 Les valeurs moyennes de la variable dans les différentes dyades sont : ISR-BRA (0.46); ISR-PRK (0.10); ISR-ROK (0.44); ISR-IND (0.57/0.33); ISR-IRQ (0.38); ISR-IRN (0.29); ISR-LIB (0.37); ISR-PAK (0.50); ISR-YUG (0.37). 164 Il s’agit de Golda Meir, premier ministre (1969-1974), et de Moshe Dayan, ministre de la défense (1967-1974).

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mesure de dissuader leurs voisins arabes de les attaquer : il fallait donc acquérir des armes nucléaires tactiques, en l’occurrence des bombes à neutron. En Afrique du Sud, en même temps que la situation politique intérieure se détériorait avec pour effet la condamnation de l’apartheid à l’échelle internationale — comme en témoigne le vote, à l’AGNU, sur une initiative de l’URSS, le 30 novembre 1973, de la résolution 3068 identifiant cette politique comme « un crime contre l’humanité »165 —, le leadership politique changeait au Portugal avec pour conséquence des insurrections dans les anciennes colonies du Mozambique et de l’Angola; des pays qui supportaient la cause de la majorité noire sud-africaine. Pour répondre à ces évènements, le gouvernement de John Vorster166 décida de réorienter ses activités nucléaires scientifiques dont les origines remontent aux années 1950 vers des applications militaires (Reed & Stillman, 2006 : 170-172). En novembre 1974, les deux pays signent un accord secret de coopération stratégique et de défense mutuelle lors d’une rencontre entre Shimon Peres167 et John Vorster, à Genève:

The details have never been published, but we believe Peres agreed to supply nuclear technology to the beleaguered South African state: that is, elementary nuclear weapon design and materials production advice. In exchange, South Africa would supply the Israelis with uranium ore and access to the wide-open spaces of the Kalahari Desert and/or the South Atlantic for the purpose of nuclear testing. The products of this partnership would be a standard uranium-based, gun-type A-bomb for South Africa and a family of boosted, generic H-bombs, and a specific neutron bomb for Israel (Reed & Stillman, 2006 : 172-173).

Mais il semble que l’accord de coopération incluait également la fourniture par Israël de missiles Jericho-1168 à l’Afrique du Sud et le développement conjoint de missiles balistiques à longue portée. Ce que confirme un mémorandum déclassifié du 21 mars 1975 adressé au Commandant général des forces de défenses sud-africaines. Si le document fait référence à l’acquisition du « système d’arme Jericho » — dont le seul fabricant mondial n’est autre qu’Israël — il envisage néanmoins deux

165 Il est intéressant de remarquer qu’Israël, entre autres, n’a pas voté en faveur de la résolution qui a débouché sur l’adoption, l’ouverture à signature et à ratification d’une Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. Pour plus de détails sur la convention, voir : http://untreaty.un.org/cod/avl/ha/cspca/cspca.html. D’ailleurs, l’AGNU ne tardera pas à associer formellement l’apartheid au sionisme lorsqu’il considère, dans sa résolution 3379 (1975), « que le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale » après avoir déjà condamné « l’alliance impie entre le racisme sud-africain et le sionisme » dans la résolution 3153 (1973). Sur les comparaisons des votes à l’AGNU entre Israël et l’Afrique du Sud, voir Geldenhuys, D. 1990. Isolated States. A Comparative Analysis. Cambridge : Cambridge University Press. 166 Premier ministre de l’Afrique du Sud (1966-1978). 167 Yitzak Rabin a succédé à Golda Meir comme premier ministre d’Israël (1974-1977). Shimon Peres a remplacé Moshe Dayan à la défense (1974-1977). 168 Le missile Jericho a été déployé pour la première fois au début des années 1970, lorsque la Syrie, l’Égypte, et d’autres États arabes ont commencé par recevoir des missiles SCUD soviétiques (Steinberg, 1994 : 237).

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possibilités quant à la provenance des têtes nucléaires sensées l’armer : « acquis ailleurs » (certainement en Israël) ou fabriqués localement (Liberman, 2004 : 2). En tous les cas, l’accord de coopération avait suscité beaucoup d’espoir côté israélien comme l’illustrent ces propos de Shimon Peres, dans une lettre datée du 22 novembre 1974, adressée à Eschel Rhoodie, alors Secrétaire sud-africain à l’Information (1972-1977) :

[…] A vitally important cooperation between our two countries has been initiated. This cooperation is based not only on common interests and on the determination to resist equally our enemies, but also on the unshakeable foundations of our common hatred of injustice […] I am convinced that the new links which you have helped to forge […] will develop into a close identity of aspirations and interests which will turn out to be of longstanding benefit to both our countries (Rhoodie, 1983 : 117).

D’ailleurs, en avril 1976, Peres invite Vorster en Israël, après s’être rendu lui-même en Afrique du Sud, un mois auparavant. Au menu des discussions figurait non seulement l’achat d’armes et de technologies de défense israéliennes pour le compte des forces de défenses sud-africaines mais aussi la fourniture de « yellow cake » (minerai d’uranium purifié et concentré) par l’Afrique du Sud à Israël et la confirmation de l’utilisation, par ce dernier, du Désert du Kalahari ou des espaces adjacents de l’Océan atlantique pour les besoins de ses essais nucléaires. De plus, Israël aurait envisagé la production d’isotopes de tritium, de deutérium et de lithium pour le compte des deux pays. La même année, l’URSS envisage, entre autres, une intervention chirurgicale pour mettre fin au programme nucléaire de l’Afrique du Sud. Mais les États-Unis refusent d’y participer. Il faut dire que dès novembre 1975, le gouvernement marxiste d’Angola dirigé par le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) et soutenu par l’URSS était menacé par une large offensive de l’Afrique du Sud qui appuyait l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) soutenu par les États-Unis. Mais avec l’intervention militaire de Cuba, agissant pour le compte de son allié soviétique, en Angola, l’offensive de l’UNITA est arrêtée. Le soutien apporté au Mozambique, à la Zambie et l’entraînement offert aux membres du Congrès national africain en Rhodésie par Cuba augmentent le dilemme de sécurité de l’Afrique du Sud qui se mit à craindre de plus en plus une invasion soviétique de son territoire comme l’explique T.V. Paul (2000 : 115) : « The rulers believed that the Soviet Union was bent on destroying South Africa’s racially based political system of apartheid […] P.W. Botha, a former defence minister, and Admiral Bierman, commandant-general of the South African Defence Forces, believed that such an assault was inevitable and that South Africa had no allies to withstand a Communist onslaught ». Ce que confirme aussi Peter Liberman (2004 :

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16): « The main scenario that preoccupied strategists was an attack by Soviet-backed Angolan and Cuban troops on the Angolan-Namibian border, or a Soviet-backed invasion of South Africa from Mozambique. A South African nuclear capability was intended to deter such threats from materializing […] ».

L’ancien président sud-africain, F.W de Klerk (1989-1994), a lui-même reconnu le rôle joué par menace soviétique dans la nucléarisation de son pays :

According to de Klerk, the weapons were built to provide « a limited nuclear deterrent capability » necessitated by « a Soviet expansionist threat in Southern Africa, as well as prevailing uncertainty concerning the designs of the Warsaw Pact members. The buildup of the Cuban forces in Angola reinforced the perception that a deterrent was necessary—as did South Africa’s relative international isolation and the fact that it could not rely on outside assistance, should it be attacked » (Liberman, 2001 : 59).

Dès 1977, la coopération avec Israël s’accélère avec l’importation de 30 grammes de tritium en échange de 50 tonnes de « yellow cake » de même que des préparatifs pour des tests scientifiques nucléaires — il ne s’agissait pas de test d’un dispositif nucléaire, l’Afrique du Sud n’ayant pas encore réussi à produire, cette année-là, une quantité significative de matière fissile nécessaire à la fabrication d’une arme nucléaire — s’intensifiaient dans le désert du Kalahari (Reed & Stillman, 2006 : 175). L’une des rares confirmations, côté israélien, de la menace commune à laquelle les deux États ont fait face et qui a justifié, entre autres, leur coopération nucléaire date aussi de cette année 1977. Il s’agit des propos du Général de division Avraham Tamir cités par Liberman (2004 : 10):

In the same way that we would describe the existential dangers facing Israel due to the Soviet Union’s involvement and control over Arab states, they also talked about the Soviet footholds around South Africa. Their conclusion was identical to ours: to defend against these dangers it was necessary to develop an extremely potent offensive capability, including nuclear capability. Obviously we had deep cooperation with them in all spheres […].

Mais la suite des propos d’Avraham Tamir apporte également de l’eau au moulin des motivations économiques qui ont guidé l’implication d’Israël dans des échanges nucléaires avec l’Afrique du Sud: « We were looking for a country that could invest enough in our projects so that they could be pursued independently. That [cooperation] increased hugely with South Africa after the fall of the Shah of Iran. Shimon Peres was the progenitor of this conception, which eventually covered a great

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many areas » (Liberman 2004 : 10). En effet, les références aux « coût considérable » que représente l’acquisition des missiles Jericho, dans le mémorandum de 1975169, de même que l’analyse de la coopération entre les deux pays, dans le domaine des armements conventionnels, confirment l’hypothèse de la volonté israélienne de réaliser des gains financiers dans l’initiation de sa coopération nucléaire avec l’Afrique du Sud.

Le fait qu’Israël ait, de toute évidence, vu dans son rapprochement avec l’Afrique du Sud un moyen de fidéliser un nouveau client et de garantir un partenaire fiable en ce qui concerne l’exportation et le développement de ses missiles est, somme toute, compatible avec sa stratégie, dans ce domaine. Ainsi, au cours de ces années 1970, alors que la coopération avec l’Iran du Shah — important marché d’exportations d’armes et de technologies israéliennes — dans le cadre du coûteux projet de développement du missile Jericho-1, était compromise par la situation politique interne de ce pays, celle avec l’Afrique du Sud, dont les ambitions nucléaires militaires étaient connues des leaders politiques israéliens apparaissait comme une excellente alternative pour Israël (Steinberg, 1994 : 235-253). Liberman (2004 : 12-13) résume l’approche sud-africaine d’Israël: « Selling sophisticated weapon systems or technology could have compensated Israel for its development costs. By dangling a nuclear transfer option, even disingenuously, Israel could have enticed South Africa into buying the Jericho missile or other weapon systems and technology »170.

Car, effectivement, Israël avait également l’intention de s’imposer comme un fournisseur majeur de l’Afrique du Sud dans le domaine des armements conventionnels comme le prouve la teneur des discussions entre les deux parties lors des rencontres de 1976. Alors qu’au cours de la période 1950-1976, les ventes d’armes israéliennes à l’Afrique du Sud étaient simplement inexistantes — la France (2611), le Royaume-Uni (1686) et les États-Unis (387) se sont principalement partagés les 6 milliards de dollars (5673) d’achats sud-africains effectués auprès de 8 fournisseurs —, celles-ci étaient estimées à 145 millions de dollars en 1977 sur un total de 549 millions; ce qui plaçait Israël

169 À cet effet, Peter Liberman (2004 : 22) est plutôt clair: « By nothing the costliness of the weapons, the 1975 memorandum suggests this [export profits] was a significant incentive for Israel ». 170 S’il est désormais évident que l’Afrique du Sud n’a pas acheté de missiles Jericho-1, probablement à cause de leur coût trop élevé, la coopération balistique entre les deux pays a été très bénéfique pour chaque partie : elle aurait permis à Israël de moderniser ses missiles Jericho-2 et à l’Afrique du Sud de développer ses propres missiles RSA-2 et RSA-3. Pour plus de détails sur les programmes balistiques des deux pays et leur collaboration dans le domaine, voir les pages qui leurs sont consacrées dans la base de données du Nuclear Threat Initiative aux adresses suivantes : http://www.nti.org/country-profiles/israel/delivery-systems/ et http://www.nti.org/country-profiles/south-africa/delivery-systems/

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directement au 2ème rang des fournisseurs de l’Afrique du Sud derrière la France avec 337 millions171. Cette année-là, l’Afrique du Sud était simplement le premier client d’Israël très loin derrière Singapour avec ses 32 millions d’achat. En 1977, Israël a vendu pour 207 millions d’armes à 10 pays.

Le vote de la résolution 418 (1977) du 4 novembre 1977 par laquelle le Conseil de sécurité décide que tous les États « cesseront immédiatement toute livraison à l’Afrique du Sud d’armes et de matériel connexe de tous types, y compris la vente ou le transfert d’armes et de munitions, de véhicules et de matériel militaires, d’équipement de police paramilitaire et de pièces détachées pour les articles susmentionnés, et qu’ils cesseront également la livraison de tous types d’équipement et de fourniture et l’octroi de licences pour la fabrication ou l’entretien desdits articles » de même qu’ils « s’abstiendront de toute coopération avec l’Afrique du Sud concernant la fabrication et l’élaboration d’armes nucléaires »172 va rendre l’Afrique du Sud totalement dépendante d’Israël dans ses approvisionnements.

En effet, pendant la période 1978-1991, Israël vend pour presque 700 millions d’armes (676) à l’Afrique du Sud qui en acheté pour près d’un milliard 500 millions (1495) auprès de 10 pays; ce qui le place au premier rang des fournisseurs de ce pays devant l’Allemagne (233) et la France (185). Pour Israël, l’Afrique du Sud représentait le deuxième marché d’exportation d’armes conventionnelles derrière le très lucratif marché taiwanais (836)173. Dès 1994, est mis fin au régime de l’apartheid. Il est intéressant de remarquer que durant la période 1995-2010, sur l’ensemble des 10 fournisseurs de l’Afrique du Sud, Israël ne figure qu’en 9ème position avec seulement 11 millions de dollars de vente, devant les Pays-Bas et ses 5 millions de vente, sur un total d’importations de près de trois milliards (2791). En définitive, l’analyse de la situation économique d’Israël dans les années 1970-1980 permet également de soutenir l’hypothèse des motivations économiques ayant présidé à la coopération nucléaire avec l’Afrique du Sud. En 1973/1974-1977 soit du début du rapprochement

171 Toutes les données sur la coopération entre les États en matière d’armements conventionnels utilisées dans ce chapitre sont issues de la base de données du SIPRI sur les transferts d’armement disponible à cette adresse : http://www.sipri.org/databases/armstransfers. Les chiffres entre parenthèses sont en millions de dollars américains (dollars constants 1990). 172 La résolution 418 (1977) sera, par la suite, renforcée par la résolution 421 (1977) qui met en place un mécanisme approprié pour examiner les progrès accomplis dans l’application de ses mesures. Les deux textes sont disponibles à cette adresse : http://www.un.org/french/documents/sc/res/1977/cs77.htm 173 Il est toutefois à noter que Taiwan ne devient un client d’Israël qu’en 1980, soit l’année de la fin théorique de la coopération nucléaire israélo-sud-africaine (1977-1980). En 1978-1991, Israël a vendu pour 3 milliards de dollars (3099) d’armes à 32 pays.

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entre les deux États à l’accélération de la coopération nucléaire bilatérale, la croissance économique d’Israël était en moyenne de 3% (2.9). Or, pendant la période 1948-1972, elle était de 10% (9.5%).

En conclusion, des motivations politico-stratégiques et économiques ont guidé la coopération nucléaire (et balistique) entre Israël et l’Afrique du Sud comme l’admet Steinberg (1994 : 237) : « In general, Israeli exports of military technology and weapons are driven by a combination of security and economic requirements. Israel is an extremely small country, with very limited resources, and threats to security and national survival are primary considerations ». Les affinités idéologiques entre les deux pays ont également favorisé cette coopération.

3.3.2. Les cas Chine-Iran, Corée du Nord-Syrie, Pakistan-Corée du Nord et Pakistan-Lybie.

Concernant les dyades Chine-Iran, Corée du Nord-Syrie, Pakistan-Corée du Nord, et Pakistan-Libye, la combinaison de conditions à laquelle elles étaient associées dans les quatre modèles est la suivante : IDEOL {1} * ADHTNP {1} * RIVAL {0} * ECODEVA {0}174. Si la présence de la variable ADHTNP n’est pas un problème en soit, la formule [1] ayant montré que la présence ou l’absence de cette variable n’a aucune incidence sur le résultat, l’absence de la variable RIVAL est, à première vue, assez troublante pour qu’on explique pourquoi il y a eu coopérations nucléaires dans ces quatre cas.

Dans le cas de la dyade Chine-Iran, la variable IDEOL affiche une valeur exceptionnelle de 0.99 pour un index d’affinité de 0.98 sur la période 1989-2010 soit la période de coopération effective entre les deux États. Sur toute la période 1971-2010, cette valeur est de 0.97 pour un index d’affinité de 0.94. La Chine et l’Iran ont eu un rival commun qui était la Russie. La rivalité Chine-Russie a eu lieu en 1816-1949 et en 1958-1989. Quant à la rivalité Iran-Russie, elle s’est déroulée en 1816-1828. Pendant la période de leur coopération (1989-2010), ce pays n’était donc plus leur rival. Ce qui explique la présence de ce cas dans cette configuration. Un codage alternatif, ne limitant pas la rivalité à la période de coopération, mais la replaçant dans un contexte plus historique aurait permis la présence de cette variable, et par conséquent, l’exclusion de ce cas de la configuration contradictoire. Cependant, la manipulation n’aurait rien changé à la réalité des choses : à savoir que la Chine et l’Iran perçoivent les États-Unis comme une véritable menace qui a justifié, entre autres,

174 ECODEVA {0} peut donc aussi être remplacée par ECODEVB {0}.

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leur collaboration dans le domaine nucléaire. Selon Thompson et Dreyer (2012), les États-Unis ont été (1949-1978) et sont (1996-) un rival pour la Chine même si, théoriquement, ils ne l’ont jamais été et ne le sont d’ailleurs pas pour l’Iran. En revanche ce pays constitue un ennemi pour l’Iran depuis 1979 (Parsi, 2007). Nous analysons la coopération nucléaire entre la Chine et l’Iran plus largement dans le chapitre 5.

Dans le cas de la dyade Corée du Nord-Syrie, la variable IDEOL affiche une valeur de 0.98 pour un index d’affinité de 0.97 sur la période 2000-2007 soit la période de coopération entre les deux États. Sur la période 1991-2007, cette valeur est de 0.97. Sur la période 2008-2010, la valeur de la variable IDEOL est de 0.96; ce qui veut dire que la fin de la coopération nucléaire entre eux n’a pas altéré leur affinité idéologique. Les deux pays n’ont jamais partagé aucun rival commun tout au long de leur histoire moderne. Depuis 1948, la Corée du Nord a un seul rival qui est la Corée du Sud. Quant à la Syrie, elle a entretenu et entretien des rivalités avec les pays suivants : l’Égypte (1961-1990), l’Irak (1946-), la Jordanie (1946-) et Israël (1948-).

Dans le cas de la dyade Pakistan-Corée du Nord, la variable IDEOL affiche une valeur de 0.98 pour un index d’affinité de 0.96 sur la période 1997-2002, soit la période de coopération effective entre les deux États. Sur toute la période 1991175-2002 (2010), de même que sur la période 2003-2010, cette valeur est restée la même. Les États rivaux du Pakistan sont connus : l’Inde et l’Afghanistan depuis 1947. Le seul État rival de la Corée du Nord est la Corée du Sud depuis 1948. Les deux États n’ont donc aucun État rival commun à eux.

Dans le cas de la dyade Pakistan-Libye, la variable IDEOL affiche une valeur de 0.98 pour un index d’affinité de 0.96 sur la période 1997-2001, soit la période de coopération effective entre les deux pays. Sur toute la période 1956176-2001 (2010), la valeur de cette variable est de 0.96. Au cours de son histoire moderne, la Libye a eu comme rivaux le Soudan (1974-1985), l’Égypte (1973-1992) et le Tchad (1966-1994). Aucun de ces pays n’ayant été en rivalité avec le Pakistan.

Malgré le fait que la Corée du Nord et la Syrie (2000-2007), le Pakistan et la Corée du Nord (1997-2002) et le Pakistan et la Libye (1997-2001) ne partageaient pas un rival commun au cours de leur période de coopération respective, tous ces États pensaient faire face au même ennemi et à la

175 Année à partir de laquelle les données sont disponibles pour cette dyade. 176 Année à partir de laquelle les données sont disponibles pour cette dyade.

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même menace : les États-Unis et la primauté de leur puissance sur la scène internationale. La preuve, en 2002, tous ces pays faisaient partie d’une liste d’État voyous — ainsi définis parce que, entre autres, ils soutiennent le terrorisme et recherchent des armes de destruction massive — établie par l’administration Bush; la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak constituant même, à eux trois, un « axe du mal ». En réalité, cette labélisation de l’ennemi remonte à 1979 avec la constitution, pour la première fois, par le Département d’État, d’une liste d’États soutenant le terrorisme international. En 1985, le Président Ronald Reagan nomme expressément l’Iran, la Libye et la Corée du Nord, entre autres, comme faisant partie de cette catégorie d’États dont les attaques ne seraient pas tolérées par les États-Unis. Dans les années 1990, en affichant ses ambitions expansionnistes avec l’invasion du Koweït (août 1990) et en conduisant différents types de programmes d’armes de destruction massive, l’Irak est ajoutée à ce groupe d’États. Pour l’administration Clinton, qui a confirmé cette liste, il est de la responsabilité des États-Unis de contenir et de neutraliser ces États au comportement agressif et défiant comme l’explique Anthony Lake (1994 : 46), assistant du président pour les questions de sécurité : « We seek to contain the influence of these states, sometimes by isolation, sometimes through pressure, sometimes by diplomatic and economic measures ». Le Pakistan et la Syrie, même s’ils faisaient implicitement partie de cette catégorie d’États, n’étaient pas toujours ciblés publiquement parce que les États-Unis voulaient s’assurer de leur soutien dans la mise en œuvre de leur politique étrangère—le premier pays dans le cadre de la stratégie en Afghanistan, le deuxième pays dans le cadre du processus de paix israélo-arabe (Geldenhuys, 2004 : 326).

Deon Geldenhuys (2004 : 320) précise: « Althought omitted from America’s list of rogue countries in the 1990s, Syria was an eminently deserving candidate for inclusion. Charges levelled by the US suggest that Damascus met the principal criteria for a place in America’s black book ». D’une part, la Syrie a été incluse dans la liste du Département d’État des pays soutenant le terrorisme depuis 1979. D’autre part, la Syrie a souvent été accusée par les États-Unis de posséder des armes de destruction massive — notamment des armes chimiques — et de disposer des capacités de production d’armes biologiques177. Avec la fin de la guerre froide — donc de la stabilité bipolaire — et le basculement du système international dans l’ère unipolaire, c’est donc logiquement que le dilemme de sécurité de la 177 La même réflexion peut être appliquée au Pakistan. D’ailleurs, Le Pakistan figurait dans la liste des 7 États voyous publiés par l’administration Bush le 16 septembre 2001 après les attentats terroristes de New York avant d’en être retirée suite à sa collaboration dans la guerre en Afghanistan. Nous reviendrons sur la complexité des relations pakistano-américaines dans le chapitre 5.

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Syrie, qui se sentait déjà stratégiquement vulnérable depuis sa création, s’accroît : la disparition de la protection implicite de l’URSS associée à la peur d’un encerclement des États-Unis, constituaient des raisons suffisantes pour justifier la poursuite d’un programme nucléaire militaire. À ce propos, Spector et Berman (2010 : 106) expliquent:

After the collapse of the Soviet Union, U.S. presence and influence in the Middle East grew, such that […] the senior Asad perceived Washington as a threat to Syrian interests in the region. With the Gulf Arab states increasingly under the protection of Washington, Iraq defeated by a U.S.-led coalition in the 1991 Gulf war, U.S.-sponsored peace talks dominating headlines in the Middle East and the lack of another great power in the region to balance Washington’s influence, Syria found itself virtually encircled by unsympathetic forces.

De son côté, la Corée du Nord qui se sentait déjà aussi menacée par les États-Unis depuis les années 1950 et la guerre de Corée a, depuis 2002, et la doctrine de guerre préventive de l’administration Bush, eu une raison supplémentaire de penser qu’elle serait la prochaine cible d’une nouvelle intervention militaire américaine — après l’Irak, un des trois autres État de l’ « axe du mal » — au nom de la protection des intérêts de ce pays et de sa volonté résolue de maintenir la paix à l’échelle internationale. D’autant qu’en 1994, les États-Unis avaient déjà envisagé l’option des frappes chirurgicales contre les installations nucléaires de la Corée du Nord. Leon Sigal (2011 : 65) résume le sentiment d’insécurité des Nord-coréens:

North Korea has been unusually explicit about why it sought to acquire nuclear weapons—insecurity. The prime reason for that insecurity is the United States and what Pyongyang calls US « hostile policy ». No country has been the target of more US nuclear threats than North Korea—at least seven since 1945. Even when the United States did not expressly menace the DPRK, the US military presence in the region posed an existential nuclear threat.

En s’engageant dans des échanges nucléaires avec la Syrie, la Corée du Nord s’offrait l’occasion d’imposer des coûts stratégiques directs et indirects aux États-Unis : directement, les États-Unis seraient obligés de composer avec un État nucléaire arabe dans une région volatile où leurs intérêts stratégiques et économiques sont nombreux. Indirectement, un État nucléaire de plus dans le système international — synonyme d’une menace supplémentaire à la paix et à la sécurité mondiales — pourrait compliquer les objectifs globaux des États-Unis en tant qu’hégémon soucieux de préserver le statu quo. Accessoirement, une telle stratégie de dissémination des matières et technologies nucléaires avait aussi pour avantage de permettre aux Nord-coréens de disposer d’un

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levier dans les négociations, qui se déroulent depuis 1994, avec les Américains sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne (Malik, 2011 : 252). Plusieurs déclarations de leaders politiques nord-coréens laissent ainsi penser que leurs actions en matière nucléaire étaient conditionnées par le comportement des États-Unis à leur égard :

In 2005 […] Vice Foreign Minister Kim Gye-gwan had warned, “[The United States] should consider the danger that we could transfer nuclear weapons to terrorists, that we have the ability to do so”. Kim said the regime had no plans to transfer but would not rule it out “if the United States drives [us] into a corner”. James Kelly, the U.S. State Department’s assistant secretary for East Asian and Pacific Affairs, testified in July 2004 that a similar threat had been made during trilateral talks in April 2003 (Chestnut, 2007 : 99-100).

Sauf que la Corée du Nord est aussi un État rationnel comme le laissent penser la suite des propos de l’auteure: « Because a transfer’s perceived risks and benefits will vary according to the customer’s identity, the DPRK is more likely to transfer nuclear materials or components to another state than to a criminal or terrorist organization. Collaborative arrangements with a state offer more long-term political benefits, as well as more tangible resources such as economic aid » (Chestnut, 2007 : 103).

Pendant la période de la coopération nucléaire entre la Corée du Nord et la Syrie (2000-2007), Pyongyang était classé dans la catégorie « économie à faible revenu » par la Banque mondiale (WDR, 2000-2007); ce qui explique la condition ECODEVA {0}. Malheureusement, il n’existe pas de données sur le PIB de ce pays. Mais on imagine que ce PIB moyen aurait été largement en dessous de la médiane (5705.35) que nous avons choisie comme seuil de dichotomisation de la variable ECODEVB, la Corée du Nord étant unanimement considéré comme l’une des économies les plus pauvres du monde. Ce qui expliquerait donc l’absence de cette dernière (ECODEVB {0}).

En s’engageant dans la construction d’un réacteur nucléaire pour le compte de la Syrie, la Corée du Nord avait aussi l’occasion de gagner des liquidités qui participeraient à deux objectifs différents mais reliés. D’une part, les gains financiers issus d’une telle coopération pourraient participer à soulager une économie rigide, staliniste et centralisée, à croissance négative, et qui croule sous le poids d’un budget de défense impressionnant. Il est difficile d’avoir des informations fiables sur les dépenses militaires de la Corée du Nord, le pays étant l’un des plus fermé au monde. Mais certaines estimations existent. En 2009, le budget de défense de la Corée du Nord a atteint 9 milliards de dollars, soit 15 fois plus que le montant officiel déclaré de 570 millions. Globalement, les dépenses

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militaires de la Corée du Nord représentent entre 15% et 20% de son PIB178. Comparativement, les dépenses militaires de la Corée du Sud représentent entre 2.5% et 2.8% de son PIB (2000-2009)179.

D’autre part, les profits issus de l’assistance nucléaire à la Syrie pourraient permettre à la Corée du Nord d’amortir les coûts que nécessitent le développement ou l’entretien de son arsenal nucléaire qu’elle considère comme une garantie de survie. Évoquant les motivations économiques qui ont guidé la coopération nucléaire entre la Corée du Nord et la Syrie, dès la fin des années 1990, le directeur de la CIA, Michael Hayden, déclarait en 2008 : « North Korea asks only two things of its customers: first, can they pay, and second, can they keep a secret. Thanks to some outstanding intelligence work, we were able last year to spoil a big secret, a project that could have provided Syria with plutonium for nuclear weapons »180.

Les transferts nucléaires entre le Pakistan, la Corée du Nord et la Libye participaient certainement aussi de la même logique d’imposition des coûts stratégiques aux États-Unis comme le fait remarquer Gordon Corera (2006 : 78-79): « It may also have appeared, briefly, in Pakistan’s national interest for more countries to have bombs, thereby making it more acceptable and reducing the power of the United States and the pressure on Pakistan and its nuclear weapon program ». Car, malgré les rapprochements de convenance entre les deux pays depuis la création de l’État pakistanais en 1948, il a toujours existé une certaine inimitié entre Washington et Islamabad (Levy & Scott-Clark, 2008).

De son côté, la Libye a, depuis 1969 et l’accession au pouvoir de Mouammar Kadhafi, toujours été un ennemi déclaré des États-Unis; la démonisation de ce dernier ayant atteint son point culminant lors des années Reagan avec cette caricature désormais célèbre de l’homme : « The mad dog of the Middle East » (Geldenhuys, 2004 : 147). Il y a eu de nombreuses tensions militaires entre les deux pays comme par exemple, en 1986, lorsque les États-Unis bombardent des cibles libyennes à Tripoli et Benghazi (incluant la résidence de Khadafi lui-même) au cours d’une attaque éclair en guise de

178 Selon la CIA, le PIB per capita de la Corée du Nord était de 1800$ en 2010 (195ème rang mondial). Elle connaissait également une croissance économique négative : -0.4%. Voir CIA World Factbook, « North Korea », https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/kn.html 179 Selon la CIA, le PIB per capita de la Corée du Sud était de 31100$ en 2010 (40ème rang mondial). Elle connaissait également une croissance économique positive : 6.3%. Voir CIA World Factbook, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ks.html 180 Michael Hayden, Remarks at the Los Angeles World Affairs Council, 16 septembre 2008. https://www.cia.gov/news-information/speeches-testimony/speeches-testimony-archive-2008/directors-remarks-at-lawac.html

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représailles contre une « action terroriste » libyenne dans une discothèque de Berlin-Ouest fréquentée par des soldats américains. De même, en 1988, l’administration Reagan avait envisagé des frappes militaires contre les installations libyennes d’armes chimiques à Rabta, en dehors de Tripoli. Ces propos de Geldenhuys (2004 : 157) suffisent à illustrer, côté libyen, l’animosité entre les deux pays :

The US was, predictably, Libya’s least liked Western power. […] Apart from denouncing the US as ‘barbaric’, ‘savage’ and ‘arrogant’, Qaddafi portrayed America as ‘an imperialist country which does not like our policy and want to colonize the world and us, rather it wants to enslave us and we reject that categorically’. He was equally categorical in declaring, in 1984, that ‘there is absolutely no possibility whatsoever of reaching an understanding with a mad country afflicted with arrogance, the madness of power’. Instead, US power had to be confronted ‘with a determination of steel’. America, he added, ‘is an arch enemy of [Libya].

Pendant la période de la coopération nucléaire entre le Pakistan et la Corée du Nord et la Libye (1997-2001/2002), Islamabad était classé dans les catégories « économies à faibles revenus » et « pays en développement » respectivement par la Banque mondiale (WDR, 1997-2002) et le FMI (WEO, 1997-2002); ce qui explique la condition ECODEVA {0}. Au cours de la même période, son PIB moyen se situait autour de 1754.09 $; donc largement en dessous de la médiane (5705.35) que nous avons choisi comme seuil de dichotomisation de la variable ECODEVB. Ce qui explique donc l’absence de cette dernière (ECODEVB {0}).

Une telle situation économique laisse penser que le Pakistan avait des raisons suffisantes de vouloir monnayer son expertise dans le domaine nucléaire en s’engageant dans des transactions avec la Corée du Nord et la Libye. De plus, au cours de ces années de coopération avec les deux pays, le Pakistan était sous le coup des sanctions économiques américaines consécutives à l’application de l’amendement Glenn (1994) qui avait été invoqué en réaction à ses essais nucléaires du 28 mai 1998; alors même que le précédent régime de sanction appliqué conformément à l’amendement Pressler (1985) avait déjà mis l’économie de ce pays à mal comme le font remarquer Morrow et Carriere (1999 : 10) : « When the Glenn Amendment sanctions were imposed, the Pakistani economy was extremely vulnerable to the loss of support from the IMF and other IFIs […]. On the eve of Pakistan’s nuclear test, the economy was already only limping along ».

En avril 1998, soit le mois précédent les tests nucléaires, les réserves de change du Pakistan se chiffraient à 1.4 milliards de dollars, soit approximativement le montant nécessaire à 90 jours

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d’importations. De plus, le Pakistan avait besoin d’environ 2 milliards de dollars d’entrée nette cette année-là pour éviter la perte de ses réserves ou la diminution de ses importations. Les sanctions américaines associées à celles du Fond monétaire international, de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement et d’autres bailleurs de fonds (en l’occurrence le Japon qui était le premier donateur du Pakistan et un partenaire commercial important, l’Allemagne, l’Australie, le Canada, le Danemark et la Suisse) ont asphyxié l’économie pakistanaise déjà vulnérable.

En 1997-2002, la croissance économique du Pakistan était en moyenne de 2.7% : « We never expected to have that serious impact of the sanctions against Pakistan » expliquera le ministre des finances pakistanais de l’époque, Ishaq Dar181. Selon lui, les sanctions auraient coûté, au Pakistan, 1.5 milliards annuellement en prêts préférentiels et aides, et 2.5 milliards de dollars en investissements et transferts de fonds étrangers. D’autres répercussions comme la perte de valeur de 4 milliards de dollars du marché de change de Karachi (Karachi Stock Exchange), l’affaiblissement de la roupie pakistanaise et l’inflation (Ahmed, 1999 : 199) ont certainement achevé de convaincre le Pakistan d’exporter ses technologies vers la Corée du Nord et la Libye afin de gagner des liquidités, ou au pire des cas, de ne pas être obligé d’en dépenser pour ses besoins stratégiques. Comme le rapporte Pervez Hoodbooy, l’idée a clairement été avancée dans certains cercles pakistanais : « ‘If the US imposes sanctions, and the economy collapses, why not sell our bomb and prevent economic collapse?’ »182.

Dans le cas nord-coréen, le troc « nucléaire » (capacité d’enrichissement d’uranium, hexafluorure d’uranium, plans d’arme) contre « balistique » (missiles Nodong) a ainsi permis au Pakistan de ne pas débourser de l’argent pour disposer de vecteurs sans lesquels les armes nucléaires qu’il a fabriquées n’auraient aucune valeur stratégique. Les besoins du Pakistan étaient identifiés: « Having developed the bomb, Pakistan needed missiles to deliver them. North Korea was willing to supply them, for a price »183. L’arrangement entre les deux pays était simple: « With no means of paying, Pakistan offered Pyongyang a uranium enrichment plant in lieu » (Levy & Scott-Clark, 2008 : 256). La question de la solvabilité du Pakistan avait déjà été évoquée dès la fin de la période de coopération entre les deux pays par Gaurav Kampani (2002 : 109) : 181 « Pak economic performance remains dismal », Xinhua News Agency, 11 juin 1999. Cité dans Morrow et Carriere (1999 : 11-12). 182 Cité dans « A.Q. Khan, godfather of the ‘Islamic bomb’: hero or proliferator? », AFP, 30 janvier 2004. http://www.spacewar.com/2004/040130110728.yxbeuoad.html 183 Pervez Hoodbhoy, « The Nuclear Noose Around Pakistan’s Neck », Washington Post, 1er février 2004.

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[…] Thanks to the poor performance of Pakistan’s economy as well as the termination of U.S. economic and military aid, Islamabad’s ability to make large cash payments for military purchases was limited. Throughout the 1990s, Pakistan sought economic bailouts from the IMF. Thus, it is highly doubtful that Pakistan could have paid for its missile acquisition from North Korea entirely in cash […].

Même si la valeur monétaire exacte des « Nodong » nord-coréens est inconnue, selon les estimations de l’auteur, le Pakistan aurait, par ce type d’échanges avec la Corée du Nord, évité de dépenser jusqu’à 3 milliards de dollars pour s’approvisionner en de tels missiles renommés en « Ghauri »184. Considérant que le Pakistan a reçu 12-25 missiles et partant du principe que l’Arabie Saoudite a payé 3 milliards de dollars pour acquérir 36-40 missiles balistiques CSS-2 chinois à la fin des années 1980, l’auteur en a déduit que la transaction pakistano-nord-coréenne, qui incluait certainement aussi des transferts de technologies ou de licence de production, reposait sur une somme équivalente. Par ailleurs, compte tenu du caractère clandestin de tels échanges et de la rareté des missiles balistiques à moyenne portée sur le marché international, le prix annoncé aurait pu être nettement plus élevé (Kampani, 2002 : 109).

Dans le cas libyen, certains chercheurs estiment le coût des transactions nucléaires à 100 millions de dollars (Corera, 2006 : 120). Cependant toutes les enquêtes effectuées à ce jour n’ont pas permis de chiffrer avec précision à combien se sont élevés les différents transferts. Si un tel montant, replacé dans le cadre des revenus et des dépenses d’un État, peut paraître dérisoire, il représente en revanche un important gain pour un pays comme le Pakistan qui, rappelons-le, a dû avoir recours à l’aide financière extérieure, entre autres, de la Libye, pour mener à bien son programme nucléaire.

Finalement, la présence de la variable ADHTNP (ADHTNP {1}) dans les quatre cas permet, comme évoqué plus haut, de relativiser l’effet du TNP sur ses adhérents; les contraintes que le régime est supposé imposer sur ses membres n’ayant pas empêché ceux-ci de se lancer dans des transactions nucléaires à usage militaire entre eux. La coopération nucléaire militaire entre la Chine et l’Iran a eu lieu alors que les deux pays étaient membres du TNP : la Chine a adhéré au traité le 9 mars 1992 et l’Iran l’a ratifié le 2 février 1970. La Syrie était membre du TNP — elle l’a ratifié le 24 septembre 1969 — lorsqu’elle a reçu l’assistance nucléaire militaire de la Corée du Nord qui y a adhéré le 12 décembre 1985 avant de s’en retirer le 10 janvier 2003. Cette dernière était donc membre du traité

184 Le Pakistan procéda au premier tir du missile Ghauri d’une portée de 1500 kilomètres le 6 avril 1998. Le 14 avril 1999, le Ghauri-2 d’une portée de 2000 km, toujours un dérivé du Nodong, fut à son tour testé.

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lorsqu’elle s’est engagée dans des échanges nucléaires avec le Pakistan, lequel a transféré des matières et technologies nucléaires militaires à la Libye qui avait ratifié l’accord depuis le 26 mai 1975.

Dans cette deuxième configuration contradictoire, apparaissent également 12 autres dyades (en considérant le modèle 4.2.A). Parmi elles, figurent 7 cas suspects de coopération nucléaire que nous avons, pour notre part, considérés comme des cas négatifs : Chine-Irak, Chine-Libye, Chine-Syrie, Corée du Nord-Iran, Corée du Nord-Libye, Pakistan-Irak, et Pakistan-Syrie (CHN-IRQ, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PAK-IRQ, PAK-SYR) (tableau 4.4). Il est intéressant de remarquer que dans tous ces cas, les fournisseurs et les récipiendaires avaient également les États-Unis comme ennemi commun.

Tableau 4.4. Cas suspects de coopération nucléaire.

Dyades Coopération nucléaire

CHN-IRQ En 1989, des informations ont circulé selon lesquelles la Chine aidait l’Irak à fabriquer des aimants sophistiqués utilisés dans la stabilisation des centrifugeuses; le même type de matériel qu’elle aurait, entre autres, déjà fourni au Pakistan. De plus, en 1990, il semblerait que la Chine ait accepté de vendre 7 tonnes de lithium hybride, à l’Irak. Toutefois, on n’a jamais su si ce matériel a été livré (Milhollin & White, 1991).

CHN-LIB En 1981, l’URSS avait accepté de construire une installation nucléaire sous le contrôle de l’AIEA à Tajura, en Libye : la Tajura Nuclear Research Facility (TNRF). Dans l’optique de son programme nucléaire militaire, la Libye y aurait cependant entrepris des expériences illégales de conversion d’uranium. Selon l’AIEA, « un État nucléaire » dont le nom n’a jamais été révélé aurait aidé la Libye à effectuer de telles expériences. Si ce n’est la Russie elle-même, cet État pourrait être la Chine, à en croire des propos de David Albright, directeur de l’Institute for Science and International Security (Fiorill, 2004). En effet, lors des révélations qui ont suivi la découverte de ses activités nucléaires clandestines, en 2004, la Lybie a admis avoir reçu, au milieu des années 1980, de la part d’un État fournisseur, une installation-pilote de conversion d’uranium en kit fabriquée sur mesure. Après avoir fait parvenir à cet « État nucléaire » plusieurs

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kilogrammes de minerai d’uranium afin qu’ils puissent être transformés, elle a reçu en retour plusieurs composés d’uranium divers ainsi que 39 kilogrammes d’hexafluorure d’uranium. Alors qu’elle était membre du TNP, la Lybie n’avait pourtant notifié aucune de ces transactions à l’AIEA. Cette dernière n’a non plus été informée d’aucun de ces transferts par l’« État nucléaire » en question (Nuclear Threat Initiative, 2011).

CHN-SYR Au cours de la décennie 1990, certains officiels américains et israéliens ont spéculé sur une éventuelle coopération entre la Chine et la Syrie (IISS, 2008 : 73).

PRK-IRN Un certain flou entoure les relations entre la Corée du Nord et l’Iran en matière nucléaire. Selon des informations non vérifiées ayant circulé dans la presse, en 2007, la Corée du Nord aurait accepté de fournir son assistance au programme nucléaire iranien alors que la coopération entre les deux pays dans les domaines conventionnel et balistique n’est plus à démontrer. Dans le domaine conventionnel, l’Iran est le principal client de la Corée du Nord avec un volume d’échanges estimé à 1507 (en millions de dollars constants 1995) sur un total de 2161 durant la période 1950-2010 soit 70% du volume total des ventes réalisées avec 14 acheteurs. Dans le domaine balistique, la coopération entre les deux pays est devenue publique en 1998 lorsque la parenté des deux missiles, iranien Shehab 3, et nord-coréen Nodong, est devenue évidente (Delpech, 2006 : 83). Pour ce qui est du nucléaire : des discussions auraient eu lieu entre les deux pays concernant le développement conjoint de têtes nucléaires; la Corée du Nord aurait vendu à l’Iran plusieurs kilos d’un élément essentiel à la fabrication d’hexafluorure d’uranium; des experts nucléaires nord-coréens auraient offert aux scientifiques iraniens des cours sur des sujets nucléaires sensibles en Iran de même que des travaux communs se seraient déroulés sur une unité clandestine d’enrichissement située entre Isfahan et Chiraz (Delpech, 2006 : 84-85). Pyongyang aurait aussi accepté de partager à Téhéran toutes les données sur son test nucléaire d’octobre 2006. Dans cette perspective, des scientifiques iraniens auraient été invités en Corée du Nord pour y étudier les résultats du test nucléaire souterrain (Coughlin, 2007). Dans un entretien accordé au Council on Foreign Relations, en décembre 2010, Jeffrey Lewis, directeur du East Asia Nonproliferation Program au James Martin Center

on Nonproliferation Studies, donnait son point de vue sur le type de coopération

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nucléaire qui existe entre la Corée du Nord et l’Iran et sur la possibilité que la Corée du Nord puisse aider l’Iran dans son programme d’enrichissement de l’uranium :

We really don’t know the precise nature of the cooperation. We know that they were both customers of the Khan network [run by Pakistani nuclear scientist A. Q. Khan], and that they have collaborated on ballistic missiles, but we don’t have a lot of visibility into what kind of nuclear cooperation there might be between them. Which is not the same thing as saying it doesn’t exist, just that we don’t know. […] The centrifuge design that the North Koreans got from Pakistan is very similar to the one that the Iranians got, and so, just as the two countries’ ballistic programs are based on common designs and can involve common work, you can easily imagine the same thing for the centrifuge program. The other thing that’s important is that the most illicit nuclear programs depend heavily on procurement networks, and there’s no reason to think that North Korea might not use Iran’s procurement network or vice versa. So there’s a lot of opportunity for collaboration, just so far we haven’t found the evidence of it yet (Bajoria, 2010).

En août 2011, la Süddeutsche Zeitung (Journal de l'Allemagne du Sud), l’un des trois plus grands quotidiens allemands d’information, a rapporté que la Corée du Nord aurait fourni à l’Iran un programme informatique dénommé « Monte Carlo N-Particle Extended » (MCNPX 2.6.0.), particulièrement utile dans la réaction en chaîne, au cours du printemps. Le programme, qui ferait partie d’un ensemble de commandes pour lesquels l’Iran aurait payé plus de 100 millions de dollars, fait l’objet d’une restriction d’exportation. Une délégation d’experts nord-coréens se serait même rendue en Iran pour former 20 spécialistes iraniens du ministère de la défense au fonctionnement du programme. Le 25 juillet 2012, l’agence de presse japonaise Kyodo News annonçait que les deux pays se sont engagés à renforcer leur collaboration sur des « projets stratégiques » bilatéraux dans les domaines nucléaire et balistique. Le 1er septembre 2012, à l’issue d’un sommet des non-alignés organisé par l’Iran, à Téhéran, ils signent un accord de coopération scientifique et technologique qui prévoit des échanges d’équipes scientifiques et des transferts de technologie dans les secteurs de l’information et de l’énergie. Selon Mahmoud Ahmadinejad, la visite de Kim Yong Nam, représentant spécial de Kim Jong-un, et numéro deux du régime nord-coréen, en Iran, pourrait avoir un grand impact sur le renforcement des relations bilatérales non seulement en élargissant la coopération entre l’Iran et la Corée du Nord mais aussi en

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stimulant « le front anti-hégémonique ». De son côté, l’Ayatollah Ali Khamenei aurait rappelé à Kim Jong-un que leurs deux pays avaient « des ennemis communs ».

PRK-LIB Il semblerait que la Corée du Nord ait transféré de l’hexafluorure d’uranium à la Lybie, par l’intermédiaire du Pakistan, dans le cadre de son programme nucléaire (Chestnut, 2007 : 100-101).

PAK-IRQ Le Pakistan aurait proposé, en 1990, d’assister l’Irak dans sa quête de la bombe. Mais il semble que Saddam Hussein, craignant un piège américain, aurait décliné l’offre (Montgomery, 2005 : 173).

PAK-SYR Le Pakistan aurait, par l’intermédiaire d’A. Q Khan, fournit à la Syrie des informations et des équipements nucléaires (Tertrais, 2004 : 15-51). La Syrie qui ne nie pas s’être faite proposée une offre de coopération nucléaire par le Pakistan, a, toutefois, en 2007, par la voix de son président Bachar Al-Assad, publiquement affirmé l’avoir rejetée.

Reste les 5 autres cas de la configuration contradictoire à savoir : Brésil-Corée du Nord, Brésil-Irak, Brésil-Iran, Brésil-Libye, et Chine-Yougoslavie (BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-YUG). D’une part, il n’y a pas eu, à notre connaissance, de soupçons de coopération nucléaire militaire dans les différents cas. D’autre part, le Brésil n’avait pas d’ennemi commun avec la Corée du Nord, l’Irak, l’Iran ou la Libye. Si les États-Unis l’étaient pour chacun de ces pays, ils ne le représentaient pas pour le Brésil en 1988-1990. De même, la Chine n’avait pas un ennemi commun avec la Yougoslavie en 1982-1987. D’ailleurs, en considérant le modèle 4.2.B, les dyades impliquant le Brésil comme F2 disparaissent de la configuration contradictoire et passent dans une configuration [0] (tableau 4.2.B); et en considérant le modèle 4.3.B, c’est en plus les dyades Chine-Syrie (CHN-SYR) et Pakistan-Syrie (PAK-SYR) qui sont éliminées de l’univers empirique. Ce qui a le mérite de régler les questions de l’hypothétique coopération nucléaire et de l’ennemi commun dans ces différents cas.

Au vu de ces explications, nous pouvons tenter une autre révision de notre modèle booléen. Nous avons choisi les modèles 4.2.A et 4.2.B. Nous avons attribué la valeur [1] quant au résultat aux 7 cas suspects de coopération. Nous avons considéré, comme expliqué précédemment, que le PIB de la

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Corée du Nord était inférieur à notre valeur seuil (5705.35). Nous avons remplacé la variable RIVAL par la variable ENNEMI codée selon la définition classique de ce concept en Relations internationales : « A state considers another state as an actual or potential enemy to the extent that it perceives the latter’s intentions or actions as threatening the focal state’s interests. These expectations may be based on a history of conflict or on anticipation of future hostility » (Maoz, Terris, Kuperman & Talmud, 2007 : 101). Car, en effet, la définition de la rivalité selon Thompson et Dreyer (2012) est basée sur la prise en compte à la fois du statut d’« ennemi » et de « compétiteur »:

Interstate rivalries encompass situations in which two states categorize each other as threatening competitors in international politics. The degree of threat is sufficient for both sides to perceive the other side as an enemy. However, the two states are also likely to belong roughly to the same capability class or category […]. Threatening competitors, enemy identification, and roughly similar capabilities thus are three definitional requirements [we] use to identify whether a rivalry is operative (Thompson & Dreyer, 2012 : 1).

Or, par exemple, si la Chine, d’un côté, peut être valablement considérée comme un compétiteur et un ennemi des États-Unis, la Corée du Nord, de l’autre côté, ne peut rivaliser avec la puissance américaine à cause de l’asymétrie dans les capacités matérielles des deux pays comme le précisent les auteurs: « The United States and North Korea are not rivals. U.S. military, technological, and economic capabilities are vastly superior to anything North Korea can muster. In this respect, North Korea views the United States as a superior and threatening enemy » (Thompson & Dreyer, 2012 : 2). Le même raisonnement s’applique aux autres États ennemis des États-Unis identifiés (le Pakistan, l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Libye). Partant de là, le logiciel d’analyse nous a produit deux tables de vérité exemptes de contradiction (tableaux 4.5 et 4.6)185 et les formules avec les résultats [1] et [0] suivantes :

Modèle 4.2.A.

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVA {0} → COOPNUC {1}

(CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK

SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + CHN PAK)

185 En fait, nous avons continué d’attribuer la valeur [0] au niveau du résultat à la dyade ISR-SAF.

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Formule [0] : ENNEMI {0} * ECODEVA {0} + IDEOL {0} * ENNEMI {0} +

ADHTNP {1} * ENNEMI {0} + IDEOL {0} * ADHTNP {1} → COOPNUC {0}

ENNEMI {0} * �ECODEVA {0}IDEOL {0} + ADHTNP {1} * �ENNEMI {0}

IDEOL {0} → COOPNUC {0}

Avec l’inclusion des cas logiques, le logiciel d’analyse fournit ces formules [1] et [0] :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} → COOPNUC {1}

Formule [0] : IDEOL {0} + ENNEMI {0} → COOPNUC {0}

Modèle 4.2.B

Formule [1]: IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} → COOPNUC {1}

(CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK

SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + CHN PAK)

Formule [0]: IDEOL {0} * ENNEMI {0} + ENNEMI {0} * ECODEVB {0} + ADHTNP {1} * ENNEMI {0} + IDEOL {0} * ADHTNP {1} * ECODEVB {1} → COOPNUC {0}

ENNEMI {0} * � IDEOL {0}ECODEVB {0} + ADHTNP {1} * � ENNEMI {0}

IDEOL {0} ∗ ECODEVB {1}

→ COOPNUC {0}

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Avec l’inclusion des cas logiques, le logiciel d’analyse fournit les deux types de formules [1] et [0] suivantes :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} → COOPNUC {1}

ENNEMI {1} * ECODEVB {0} → COOPNUC {1}

Formule [0] : IDEOL {0} + ENNEMI {0} → COOPNUC {0}

ENNEMI {0} + ECODEVB {1} → COOPNUC {0}

Nous constatons que ces formules basées sur la prise en compte de la variable ENNEMI sont exactement les mêmes que les formules basées sur la prise en compte de la variable RIVAL. Sur le plan théorique, ces résultats montrent que les États n’ont pas forcément besoin de faire face à un rival commun pour s’échanger des matières et technologies nucléaires militaires; le seul fait d’avoir un ennemi commun identifié suffit pour les motiver à coopérer en matière nucléaire. Sur le plan méthodologique, les résultats démontrent clairement que notre stratégie de résolution des configurations contradictoires n’a pas affecté négativement notre test empirique. Nous allons maintenant évaluer l’effet des variables conditions additionnelles sur les résultats en nous basant sur ces deux modèles186.

186 Le tableau récapitulatif des différentes formules [1] avec les dyades qui correspondent aux termes qui les composent figure dans les annexes (annexe 4.5).

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Tableau 4.5. Table de vérité (Modèle 4.2.A).

IDEOL ADHTNP ENNEMI ECODEVA COOPNUC DYADE

0 0 0 0 0 SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/

0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/

1 1 0 0 0 BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-YUG, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/

1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/

1 1 1 0 1 CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR

1 0 1 0 1 CHN-PAK

0 1 1 0 0 ISR-IRQ, /ISR-IRN (ECODEVA:0)/, /ISR-LIB (ECODEVA:0)/

0 1 1 1 0 ISR-SYR, /ISR-IRN (ECODEVA:1)/, /ISR-LIB (ECODEVA:1)/

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0 1 0 1 0 JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/

1 1 0 1 0 JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK

0 0 0 1 0 /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/

Tableau 4.6. Table de vérité (Modèle 4.2.B).

IDEOL ADHTNP ENNEMI ECODEVB COOPNUC DYADE

0 0 0 0 0 SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF

0 1 0 0 0 SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG

0 0 0 1 0 BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/

1 1 0 1 0 BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK

1 0 0 0 0 CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/

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1 1 1 0 1 CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR

1 0 1 0 1 CHN-PAK

1 1 0 0 0 CHN-YUG, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/

0 1 1 1 0 ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB, ISR-SYR

0 1 0 1 0 ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/

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3.4. Effet des variables conditions additionnelles sur les résultats.

3.4.1. La variable identitaire. L’inclusion de la variable RELIG dans les deux modèles donne le résultat suivant :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB187 {0} * � RELIG {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Cette formule [1] montre que le partage d’une religion commune n’a globalement aucune incidence sur la coopération nucléaire entre deux pays. En effet, dans presque 70% des cas de coopération nucléaire réelle et suspecte (9/13) les États ne partageaient pas une religion commune. Ainsi, la Chine qui est de tradition taoïste et bouddhiste a échangé des matières et technologies nucléaires militaires avec des pays dont l’Islam est la religion officielle; par exemple, l’Iran (98% de musulmans) et le Pakistan (97% de musulmans). De même, la Corée du Nord qui est traditionnellement bouddhiste et confucianiste a coopéré en matière nucléaire avec des pays dont l’Islam est la religion officielle; par exemple la Syrie (93% de musulmans). Si le Pakistan, État musulman a échangé des matières et technologies nucléaires militaires avec des pays dont l’Islam est la religion officielle, il s’est néanmoins engagé aussi dans des transactions nucléaires avec la Corée du Nord. Par ailleurs, Israël, État juif (75.6% juif, 16.9% musulmans) a coopéré avec l’Afrique du Sud qui est majoritaire chrétienne (81.6%). Toutefois, ce résultat n’infirme en rien l’hypothèse selon laquelle la religion est une source d’identité et participe à la construction idéologique des États comme nous allons le voir dans l’analyse plus détaillée de la coopération pakistano-iranienne. Finalement, la formule [1] montre que les trois conditions IDEOL {1}, ENNEMI {1} et ECODEVB {0} sont des conditions nécessaires mais non suffisantes — puisqu’elles doivent être associées à la condition RELIG {0} OU à la condition ADHTNP {1} — au passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matière et technologies nucléaires militaires.

3.4.2. Les variables institutionnelles et normatives. L’inclusion de la variable DEMOC dans les deux modèles donne le résultat suivant :

187 Évidemment, l’utilisation de la variable ECODEVA ou de la variable ECODEVB n’a aucune incidence sur les résultats.

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Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * DEMOC {0} → COOPNUC {1}

En effet, dans les 13 cas de coopération nucléaire, les dyades n’étaient pas des démocraties. Considérons les deux principaux cas de coopération avérée. Pendant leur période de coopération ni la Chine ni le Pakistan ni l’Iran n’avait un régime démocratique. En 1977-1987, soit la période de coopération sino-pakistanaise, la Chine avait un score autocratique de -7 et un score démocratique de 0. Le Pakistan, de son côté avait un score autocratique de -7 (1977-1984) et -4 (1985-1987) pour un score démocratique de 0 pendant toute la période. En 1989-2010, soit la période de la coopération sino-iranienne, les scores de la Chine restent inchangés. Les scores de l’Iran ont connu des fluctuations mais ils confirment tous le caractère autocratique du régime en place à Téhéran : -6 en 1989-1996; 3 en 1997-2003 (score positif, certes, mais qui reste largement inférieur à la valeur standard 7); -6 en 2004-2008 et -7 en 2009-2010. En fait, il est même possible de faire une analogie entre les régimes politiques de la Chine et de l’Iran. Dans les deux pays, les pouvoirs judiciaire et législatif ne sont pas strictement séparés d’un exécutif où se concentre l’essentiel du pouvoir étatique. Plus encore, c’est entre les mains d’un individu en particulier que se retrouvent les rênes du pouvoir : en Chine, il s’agit du Président, également Secrétaire général du Parti communiste (PCC) — qui reste au pouvoir depuis 1949 sans qu’aucune alternative ne puisse le supplanter; l’ensemble des élections étant organisées et dirigées par lui et l’éventail des choix politiques étant restreint à sa guise — et Président de la Commission militaire centrale ; en Iran, il s’agit du Gardien de la révolution islamique, premier personnage de l’État, dont la nature et l’étendue des pouvoirs poussent à l’assimiler à un dictateur (Barnes et Bigham, 2006 : 6)188.

Politiquement, la Constitution iranienne du 3 décembre 1979, révisée en 1989, organise une architecture complexe qui combine souveraineté populaire et volonté divine à travers le principe du velayat e faqih (« gouvernement du docte religieux » ou « souveraineté du jurisconsulte islamique »). Il en résulte un système politique particulier où les institutions issues du suffrage universel (Président, Parlement) sont systématiquement encadrées et contrôlées par des instances religieuses (Guide, Conseil des gardiens de la Révolution189, Conseil de discernement de l’intérêt du régime) qui sont toujours prééminentes. Dans les faits, ce système revient à accorder à tous les niveaux du pouvoir une capacité de blocage quasiment sans appel à des clercs élus ou nommés 188 Les attributions et les pouvoirs du Guide sont énoncés dans le 110ème Principe de la Constitution iranienne. 189 Il est par exemple intéressant de savoir que c’est le Conseil des Gardiens de la Révolution qui supervise les élections en Iran.

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pour leurs compétences religieuses et non sur un programme politique comme c’est le cas dans un système politique démocratique. Ainsi, tout texte adopté par le parlement (le Majlis), est soumis au contrôle du Conseil des Gardiens —12 membres nommés pour moitié par le Guide (religieux) et pour l’autre moitié par le pouvoir judiciaire (juristes) — qui en vérifie la conformité avec la Constitution et la loi religieuse. Seuls les six religieux du Conseil peuvent apprécier, à la majorité, la conformité d’un texte avec la chariah; le vote de quatre clercs suffit donc à bloquer tout le système législatif.

Dans cet ensemble très complexe, le poids du Guide — nommé à vie par une Assemblée d’experts — est le plus écrasant et démesuré. Le Président élu est certes le deuxième personnage le plus influent de l’État, mais il n’est pas responsable de la politique étrangère — même s’il préside le Conseil de sécurité nationale — ; ses responsabilités se concentrant principalement sur les questions économiques et sociales. À tout moment, ce dernier peut être limogé par le Guide.

En 1987 (1989)-1999, soit la période de coopération pakistano-iranienne, le Pakistan a connu une alternance de régimes autocratiques (1986-1987/1999-2010)190 et démocratiques (1988-1998)191. Toutefois, la période de démocratie n’en était pas vraiment une. Et pour cause, depuis la création de l’État pakistanais, en 1947, la démocratie peine juste à trouver ses marques, à s’enraciner dans le paysage politique et les mentalités (Guillard, 2005 : 59).

En 1987, soit la date de début de la coopération entre les deux pays, le Pakistan était dirigé par le Général Mohammad Zia ul-Haq (1977-1988). À son arrivée au pouvoir, à la faveur d’un coup d’État qui l’a vu renverser le Gouvernement civil élu de Zulkifar Ali Bhutto (1973-1977), qui l’avait nommé Chef d’État-major en 1976, et qui sera ensuite condamné à mort en 1979, Zia impose la loi martiale au Pakistan. Durant son régime autoritaire, il suspend la constitution démocratique pendant près de sept années sur les dix qu’il a passées au pouvoir et promeut de nombreuses réformes visant à accroître la portée du droit islamique dans l’ordre juridique pakistanais (Cohen, 2002 : 109). En 1977, il déclarait : « Le Pakistan, qui a été créé au nom de l’Islam, pourra survivre seulement s’il reste fidèle à l’Islam. Pour cette raison, je considère que l’introduction d’un système islamique est la condition préalable à l’existence de notre pays » (Di Martino, 2010 : 77). Il se considérait d’ailleurs comme un « soldat de l’Islam » qui avait pour « mission de purifier le Pakistan » (Haqqani, 2005 : 133).

190 En 1999, le score autocratique du Pakistan était de -6. 191 Le score démocratique du Pakistan était de 8 en 1988-1996, et de 7 en 1997-1998.

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Après son assassinat en 1988, dans des conditions encore nébuleuses, la démocratie est rétablie au Pakistan (1988-1998) avec l’élection, la même année, de Benazir Bhutto, fille de Zulkifar Ali Bhutto qui devient Premier ministre (1988-1990/1993-1996). Mais au Pakistan, le fait que les militaires ne soient pas au pouvoir ne signifie pas nécessairement qu’ils en sont écartés : « For the time when it [the military] has not been ruling directly, it has continued to control vital policy areas from behind the scene » (Khan, 2006 : 61). Ainsi, lorsque Benazir Bhutto devient Premier ministre, pour pouvoir exercer son rôle dans les meilleures conditions, elle a dû donner l’assurance de ne pas interférer dans le programme nucléaire pakistanais et dans les affaires internes de l’armée qui continuait donc d’être l’organe le plus influent de l’État (Hussain et Hussain, 1993 : 39). En témoigne ses propos, lorsqu’elle a essayé, une fois, de s’intéresser à l’avenir du programme nucléaire pakistanais : « I asked the army chief and he said, ‘It’s got nothing to do with me. It’s the president’. I asked President Ishaq Khan, and he said, ‘There’s no need for you to know’ »192.

Alors que les services de renseignement pakistanais (Inter-Services Intelligence — ISI193) ont échoué à ne pas la faire élire malgré leur soutien au forces politiques conservatrices dans leur bataille électorale contre son parti, le Parti du peuple pakistanais (PPP), Benazir Bhutto sera très vite écartée du pouvoir (août 1990) par le Président Ghulam Ishaq Khan (un protégé du Général Zia-ul-Haq dont il a été le ministre des finances en 1977-1985 avant d’être président du Sénat en 1985-1988) avec l’aide du Général Aslam Beg194 suite à des accusations de corruption, d’incompétence et de népotisme après seulement 18 mois d’exercice. Elle sera remplacée par Nawaz Sharif de la Ligue musulmane du Pakistan — le parti conservateur ayant servi de véhicule à la création du Pakistan — qui, contrairement à elle, était un allié du président Ishaq Khan et des militaires195. Les services de renseignement investissent d’ailleurs 60 millions de roupies dans la campagne électorale de ce dernier196. Toutefois, ce dernier subira aussi le même sort que son prédécesseur. Après deux ans 192 Cité dans Douglas et Collins (2007 : 164). 193 En réalité, les services de renseignement pakistanais se composent de deux branches principales : l’Intelligence Bureau (IB) qui relève du Ministère de l’Intérieur et l’Inter-Services Intelligence (ISI) qui relève du Ministère de la Défense. Si l’ISI est placé de jure sous l’autorité du Premier ministre, il est toutefois de facto contrôlé par le Chef d’État-Major des armées (Guillard, 2005 : 84). 194 Voici cependant ce qu’écrit Ahmed (1999 : 189) à propos de cette éviction : « In August 1989, Beg dismissed Bhutto and set up a shadow military government ». 195 En témoigne cette tentative de Nawaz Sharif d’imposer la loi islamique comme référence morale et légale suprême lors de son deuxième mandat suivant ainsi le pas de Zia-ul-Haq qui avait initié l’islamisation de la société dans les années 1980. Dans son autobiographie, Benazir Bhutto qualifie d’ailleurs Nawaz Sharif de « dauphin politique » de Zia-ul-Haq (Bhutto, 2008 : 553). 196 Pour plus de détails sur la campagne électorale de 1990 et le limogeage du gouvernement de Benazir Bhutto, voir Bhutto (2008 : 560-561).

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d’exercice, Nawaz Sharif sera aussi évincé par le président Ishaq Khan pour les mêmes motifs de que Benazir Bhutto. Voici ce qu’écrit Singh (2009 : 116) à propos de Ishaq Khan: « Ghulam Ishaq, the protégé of Zia was also responsible of virtually institutionalizing the role of the army to gain its leverage, at the cost of elected governments and democracy ». Le retour au gouvernement de Benazir Bhutto pour un second mandat (1993-1996) fut aussi bref (la durée du mandat étant de cinq ans) malgré le fait qu’elle et Farooq Legahri, le nouveau président (1993-1997), étaient tous les deux membres du PPP. Elle a de nouveau été évincée, cette fois-ci, par le président qu’elle avait choisi. Suite à une victoire écrasante aux élections, Nawaz Sharif revient au gouvernement en 1997. Mais son deuxième mandat (1997-1999) se termine par un coup d’État du Général Pervez Musharraf (1999-2008) qui marque nouveau un retour du Pakistan à un régime autocratique197.

Au cours de toutes ces années de démocratie, la politique nucléaire pakistanaise continuait de relever de l’establishment militaire. Les deux premiers ministres civiles n’avaient simplement pas les coudées franches pour revendiquer ou s’opposer à quoi ce soit comme ça peut être le cas dans tout régime démocratique: « Both ruled with the limitations on the exercise of their powers as a result of the continuous preponderance of the military in the country affairs » (Khan, 2006 : 63). Et pour cause, entre autres, le 8ème amendement introduit par le Général Zia-ul-Haq dans la 4ème constitution du pays (1985) établit un exécutif dominé par le président198. Ce qui a favorisé l’éviction des deux premiers ministres. Dans ces conditions politiques tumultueuses, les transactions nucléaires entre le Pakistan et l’Iran ont pu s’opérer sans véritable contrôle gouvernemental. De toutes les façons, comme le remarque Ahmed (1999 : 191): « Conscious of their vulnerability, all elected governments and their political opponents supported the military’s preferences in all sensitive areas, including the nuclear weapons program »199.

Par ailleurs, les deux partis politiques des deux premiers ministres ne fonctionnaient pas véritablement comme c’est le cas dans dans les démocraties: «The world party is often used to

197 Depuis sa création, la présence politique des militaires au Pakistan s’est manifestée au travers de quatre généraux : Ayub Khan (1958-1969); Yahya Khan (1969-1971); Zia-ul-Haq (1977-1988) et Pervez Musharraf (1999-2008). Entre 1947 (indépendance) et 1999 (coup d’État de Pervez Musharraf), soit 52 ans, les militaires ont été au pouvoir, au Pakistan, pendant 26 ans. 198 C’est seulement en 1998 que cet amendement sera abrogé par Nawaz Sharif. 199 C’est peut-être dans ce context qu’il faut replacer ces propos de A. Q Khan qui a affirmé avoir eu le soutien de Benazir Bhutto dans ses activités: « She [Benazir Bhutto] has always supported us [at the Khan Research Laboratory] and provide us with every possible patronage and financial support to carry on with our invaluable work for our beloved country » (Reed & Stillman, 2009 : 254).

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describe these political organizations, but the Pakistan People’s Party (PPP), the Pakistan Muslim League (PML), and other such organizations should more accurately be viewed as the personal property of the founders. These syndicates are financed corruptly by the controlling families. That control usually travels with the leader into exile. The party’s assets are willed on to successors, and there is little actual democracy within the ranks » (Reed & Stillman, 2009 : 254).

En somme, les résultats de cette étude apportent de l’eau au moulin de l’argument selon lequel le type de régime politique des États affecte leur comportement sur les questions nucléaires (Solingen, 1994; Singh & Way, 2004; Jo & Gartzke, 2007). Singh et Way (2004 : 876) ont montré que le régime démocratique accroît les chances d’acquisition des armes nucléaires de 95%. Une tendance que confirment Jo et Gartzke (2007 : 179) pour qui les démocraties sont plus susceptibles que les autocraties d’acquérir des armes nucléaires même s’il n’y a aucune différence entre les deux types de régime politique quant à l’initiation d’un programme nucléaire. Et pour cause, soit les démocraties sont plus vulnérables aux pressions nationales (Jo & Gartzke, 2007 : 170); et dans bien des cas elles auraient tendance à se plier à la volonté des populations nationalistes dans le but de renforcer leur popularité et ainsi conserver le pouvoir (Singh et Way, 2004 : 864), soit elles utilisent la prolifération nucléaire comme une diversion pour des raisons politiques internes (Jo & Gartzke, 2007 : 189).

Dans cette étude, il n’y a pas eu d’échanges de matières et technologies nucléaires militaires entre les dyades démocratiques même si ça a été le cas entre les dyades “mixtes” à l’instar de la dyade Israël-Afrique du Sud200. Ce portrait est le miroir de l’observation empirique qui a été à la base de la théorie de la paix démocratique à savoir l’absence ou, du moins, la rareté de la guerre entre des démocraties mais une attitude plus belliqueuse de celles-ci dans leurs interactions avec les autocraties (Dixon, 1993). Il faut donc croire que l’absence de coopération nucléaire militaire entre démocraties mais la présence de ce type de coopération entre démocraties et autocraties201 de même qu’entre ces dernières entre elles, s’expliquent par au moins un des arguments phares du courant interactionniste de la théorie de la paix démocratique : les démocraties sont enclins à utiliser et à respecter les principes du droit international dans leurs relations mutuelles (Slaughter, 1995,

200 En 1977-1980, Israël avait un score démocratique de 9 alors que celui de l’Afrique du Sud était de 4. 201 Matthew Fuhrmann (2008 :645) a toutefois découvert que les démocraties s’échangent plus de bien nucléaires à double usage entre eux qu’ils n’en échangent avec les non-démocraties mais en étudiant spécifiquement les exportations nucléaires des États-Unis : « Democratic states receive 193% more dual-use exports from the United States than non-democratic states » (Fuhrmann, 2008 : 645).

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Simmons, 1998)202. Ce qui implique, en matière nucléaire, le respect des dispositions du TNP et notamment des articles I et II relatifs aux transferts nucléaires. Scott Sagan (2011 : 238) a fait remarquer qu’aucun État non nucléaire démocratique n’a jamais triché par rapport à ses engagements vis-à-vis du TNP; aucun État de ce type n’a jamais démarré un programme nucléaire secret après avoir ratifié le traité: les démocraties qui ont initié, abandonné ou complété un programme nucléaire l’ont fait soit avant l’entrée en vigueur du TNP soit en restant en dehors du TNP203. Ces observations associées à nos résultats confirment que les démocraties ont eu, au cours de l’histoire, une attitude différente par rapport à la prolifération. Toutefois, il reste encore à déterminer comment le type de régime politique influence concrètement les décisions nucléaires. À ce jour, aucune étude ne s’est penchée sur le sujet (Sagan, 2011 : 239).

L’inclusion de la variable GFN dans les deux modèles donne le résultat suivant :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * � GFN {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

La formule laisse penser que l’adhésion de l’État fournisseur au Groupe des fournisseurs nucléaires défavorise son implication dans une coopération nucléaire militaire avec un État demandeur. Parallèlement, l’adhésion de l’un ou des deux États au TNP favorise les transactions nucléaires à caractère militaire entre eux. Un résultat qui va à l’encontre de celui de Kroenig (2009a; 2010) qui a constaté une relation statistique positive entre l’adhésion au GFN et l’assistance nucléaire. À première vue, les États fournisseurs respectent les règles du Groupe et ce régime semble être effectif de par les contraintes normatives qu’il impose à ses membres. Ce qui semble ne pas être le cas du TNP. Toutefois, cette interprétation mérite d’être fortement nuancée.

Des sept États fournisseurs qui constituent des dyades avec des États récipiendaires potentiels, dans notre univers empirique, seul le Japon était membre du GFN depuis sa création en 1975. Et ce pays s’est toujours conformé aux règles de bonne conduite du Groupe. Parmi les six autres États, la Chine n’y adhère qu’en 2004, de telle sorte que la majorité de ses transactions nucléaires avec les autres États se sont effectuées au cours de la période pendant laquelle elle n’était pas membre du

202 Parallèlement, les autocraties sont connues pour avoir un très faible record de conformité avec leurs engagements internationaux. 203 D’ailleurs, en matière de coopération nucléaire, dans le seul cas impliquant une démocratie que nous avons enregistré (Israël-Afrique du Sud), les transferts se sont effectués en dehors du TNP.

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régime. Comme nous allons le montrer dans l’étude de cas de la coopération nucléaire sino-pakistanaise, dans le prochain chapitre, même l’adhésion de la Chine au club ne l’a pas empêché de fournir des biens à double-usage au Pakistan dans des conditions pour le moins nébuleuses.

En 1995, dans un article très critique sur les causes de la prolifération et l’utilité du régime international de non-prolifération, Bradley Thayer (1995 : 502) était assez sceptique sur la capacité du GFN à contrôler les exportations nucléaires : « There are many suppliers of nuclear weapons technologies, including the "second tier suppliers", the nuclear and non-nuclear states such as Brazil, China, Israel, India, Pakistan, and Taiwan, for a coordinated effort to prevent exports, like the effort sponsored by the Nuclear Suppliers Group, to succeed ». Près de deux décennies après ses propos, hormis la Chine et le Brésil, tous les autres États cités ne sont toujours pas membres du Groupe. À chaque session plénière annuelle du Groupe, ce sujet de l’élargissement significatif à d’autres États exportateurs de biens nucléaires suscite de nombreux débats entre ceux qui y sont favorables et ceux qui ne le sont pas. Mais les avancées restent très timides.

3.4.3. Les variables stratégiques. L’inclusion respective des variables ALL et ALLNUC dans les deux modèles donne le

résultat suivant :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * ALL {0} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �ALLNUC {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Ainsi l’existence d’une alliance militaire entre un État fournisseur et un État récipiendaire ne favorise pas forcément leur coopération de même le fait que l’État fournisseur soit un allié d’un État nucléaire ne l’empêche pas de s’engager dans une coopération avec un État demandeur quelconque. Si Matthew Fuhrmann (2009a : 188) a trouvé que les États fournisseurs sont plus susceptibles d’exporter des technologies nucléaires civiles à leurs alliés militaires plutôt qu’aux États non-alliés, nous avons découvert, tout comme Matthew Kroenig (2010 : 46), qu’il n’y a simplement jamais eu de coopération nucléaire militaire entre des alliés unis par un pacte de défense. La Chine et la Corée du Nord ont signé, en 1961, un pacte de défense toujours en vigueur aujourd’hui. Mais les deux pays n’ont pas coopéré dans le cadre de leurs programmes nucléaires respectifs (Witt, Poneman, &

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Gallucci, 2004). Par ailleurs, si le Brésil et le Japon, alliés militaires des États-Unis, ne se sont engagés dans aucune transaction nucléaire militaire avec quelque État que ce soit, l’alliance militaire entre la Chine et la Corée du Nord n’a pas empêché cette dernière d’assister la Syrie dans le cadre du programme nucléaire de cette dernière. Par conséquent les hypothèses selon lesquelles la coopération nucléaire militaire est un moyen de renforcer une alliance et que les décisions, en matière d’exportations nucléaires militaires, d’un État fournisseur sont susceptibles d’être influencées par le fait qu’il bénéficie indirectement du parapluie nucléaire d’un allié ne trouvent pas de confirmation dans notre étude.

Etel Solingen (2007 : 25) a montré que les garanties de sécurité offertes par les États-Unis au Japon n’expliquent pas adéquatement la décision du Japon de s’abstenir d’acquérir des armes nucléaires. Plus généralement, elle a démontré que les engagements sécuritaires des États-Unis et de l’URSS envers leurs États clients (la Corée du Nord, l’Iraq, Israël, et le Pakistan) n’ont pas conduit ces États à renoncer à la fabrication des armes nucléaires. De même, l’absence de garanties sécuritaires n’a joué aucun rôle dans la remise en cause des ambitions nucléaires de l’Égypte (1971), de la Libye (2003), de l’Afrique du Sud, de l’Argentine ou du Brésil. Du point de vue des fournisseurs, notre étude tend à confirmer ces résultats.

L’inclusion respective des variables ARMNUC, GRPUISS et PUISSREL dans les deux modèles donne le résultat suivant :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * ARMNUC {1} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �GRPUISS {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �PUISSREL {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Dans tous les cas de coopération nucléaire, l’État fournisseur disposait d’armes nucléaires (ARMNUC {1}) pendant la période de coopération avec l’État récipiendaire potentiel même si, dans au moins deux cas, il n’avait pas effectué de test nucléaire avant les transactions nucléaires : 1) la Corée du Nord n’effectue son premier test nucléaire qu’en 2006 mais a commencé son assistance nucléaire à la Syrie dès 2000; et 2) le Pakistan n’effectue ses premiers tests nucléaires qu’en 1998,

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bien après avoir commencé sa coopération nucléaire avec l’Iran (1987), la Corée du Nord et la Libye (1997). Toutefois, il faut savoir que ces deux pays pouvaient déjà être considérés comme États nucléaires avant qu’ils effectuent des tests officiels. Car, outre le test nucléaire, l’accumulation d’une quantité significative de matière fissile (QS) est le second indicateur de mesure de l’acquisition d’une capacité nucléaire par un État (Hymans, 2010). Selon cette conceptualisation du statut nucléaire d’un État, dont les tenants mettent en avant qu’elle permet d’éviter la surprise stratégique, et qui part du principe selon lequel, d’un point de vue purement technologique, l’explosion d’un dispositif nucléaire n’est pas strictement nécessaire à la fabrication des armes, la Corée du Nord était déjà nucléaire bien avant 1992 (Hymans, 2010 : 162) ou en tout cas dès 1994 (Dunn, 2009 : 156) et le Pakistan depuis 1987 (Dunn, 2009 : 156; Sasikumar & Way, 2009 : 100)204.

On peut donc penser, en prenant pour acquis le caractère anarchique du système international, que les États fournisseurs ne s’engagent dans une coopération nucléaire que lorsqu’ils se considèrent déjà capables de dissuader une éventuelle attaque nucléaire de l’ami d’hier susceptible de devenir l’ennemi de demain (on considère ici la QS) ou tout au moins lorsqu’ils sont assurés de pouvoir être en mesure de le faire avant que l’éventuelle menace ne se concrétise (on considère ici le test nucléaire). Dans notre univers empirique, aucune transaction nucléaire militaire n’a été enregistrée entre un État fournisseur qui n’a jamais fabriqué d’armes nucléaires ou qui s’est juste contenté de rester au seuil nucléaire et des États récipiendaires potentiels : le Brésil n’a jamais fabriqué d’armes nucléaires et n’a jamais non plus assisté aucun État dans son programme nucléaire; le Japon considéré comme un « État du seuil » n’a jamais assisté aucun autre État dans sa quête de la bombe. L’Afrique du Sud est le seul État fournisseur potentiel ayant fabriqué des armes nucléaires — dans ce cas-ci encore le pays n’a pas effectué de test nucléaire — à ne pas avoir coopéré avec un État récipiendaire potentiel. Mais c’est également le seul État, de toute l’histoire de la prolifération, à avoir renoncé à ses armes nucléaires en démantelant son programme nucléaire militaire. En définitive, ces résultats infirment l’hypothèse selon laquelle les États nucléaires seraient moins enclins à assister des États non nucléaires dans le but de limiter l’accès au « club nucléaire » pour des raisons de sécurité.

Le fait que la condition « grande puissance » soit présente (GRPUISS {1}) dans l’un des deux termes de la formule est à interpréter avec beaucoup de précautions compte tenu du fait que dans notre

204 Israël aussi n’a pas effectué de test nucléaire officiel. Mais il est considéré comme un État nucléaire depuis 1967.

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univers empirique, seule la Chine et le Japon jouissaient de ce statut. La seule conclusion valable à tirer du résultat issu de l’inclusion de cette variable dans les deux modèles est la mise en évidence, encore une fois, des trois conditions IDEOL {1}, ENNEMI {1} et ECODEVB {0} comme nécessaires au passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matière et technologies nucléaires militaires; tout comme c’est le cas avec l’inclusion de la condition « puissance relative », à la différence que la présence de cette dernière (PUISSREL {1}) dans l’un des deux termes de la formule est beaucoup plus riche d’enseignement. En effet, dans 11 des 13 cas de coopération nucléaire avérée et suspecte, soit 85%, l’État fournisseur était beaucoup plus puissant que l’État récipiendaire. De même, la puissance relative d’Israël était supérieure à celle de l’Afrique du Sud au moment de leur coopération nucléaire. Seules les puissances relatives de la Corée du Nord et du Pakistan par rapport à l’Iran et l’Irak, respectivement, étaient inférieures pendant la période de leur coopération nucléaire. Et encore, les différences étaient minimes205. Si nous prenons en considération seulement les cas de coopération réelle, le ratio est de 100%.

Ce résultat contredit totalement la relation négative entre puissance relative et assistance nucléaire sensible découverte par Kroenig (2009a : 122) et tend plutôt à confirmer l’hypothèse contraire selon laquelle les États plus puissants serait plus enclins à partager leur savoir nucléaire compte tenu du fait qu’ils peuvent mieux dissuader une probable attaque (nucléaire) de leur ancien client. Bien évidemment, nos deux mesures de la variable « puissance relative » sont différentes. Pour déterminer l’impact de la puissance relative sur la coopération nucléaire, nous avons simplement comparé les capacités nationales moyennes des deux membres d’une dyade pendant la période de coopération alors que Kroenig, qui part du postulat selon lequel la capacité d’un État à projeter sa puissance sur un autre État dépend de la distance géographique entre les deux, procède ainsi : « Relative power, a supplier state’s ability to project power over a potential recipient, is measured as the capability of the supplier state, discounted by distance from the supplier to the potential recipient state, minus the capability of the potential recipient state » (Kroenig, 2009a : 120). Malgré tout, nous avons aussi constaté, pour notre part, que la distance géographique entre le fournisseur et le récipiendaire n’avait aucune incidence sur la coopération nucléaire.

205 Voici les différents CINC des deux dyades : Corée du Nord/Iran : 0,011573867/0,01233266; Pakistan/Irak : 0,01027755/0,010457.

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L’inclusion de la variable CONTIG ou CONTIG+ dans les deux modèles donne le résultat suivant :

Formule [1] : IDEOL {1} * ADHTNP {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * CONTIG {0} + IDEOL {1} * ADHTNP {0} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * CONTIG {1} → COOPNUC {1}

La présence ou l’absence des conditions CONTIG (ou CONTIG+) et ADHTNP n’affecte pas le résultat. Ces deux variables peuvent donc être ignorées selon la logique de minimisation booléenne. Ce qui donne la formule suivante : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} → COOPNUC {1}. C’était notre formule de départ; la formule de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux. Encore une fois, nous avons la preuve que l’adhésion ou non du fournisseur ou du récipiendaire au TNP n’a aucune incidence sur la coopération nucléaire. En incluant simultanément les deux variables PUISSREL et CONTIG (ou CONTIG+) dans les deux modèles, selon la logique de Kroenig (2009a : 120) nous avons la formule ci-dessous qui confirme que la proximité ou l’éloignement géographique n’affecte en rien la coopération nucléaire, et la relation positive entre cette dernière et la puissance relative.

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0}* PUISSREL {1} → COOPNUC {1}.

La théorie stratégique de la prolifération nucléaire de Mathew Kroenig (2009a; 2010) trouve ainsi ses limites ici.

L’inclusion respective de la variable RELDIPLO ou RELDIPLO+ et de la variable COOPCONV dans les deux modèles donne les résultats suivants :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * RELDIPLO (+) {1} → COOPNUC {1}.

Ce résultat est conforme aux prédictions théoriques selon lesquelles les États qui ont des rapports diplomatiques coopèrent entre eux.

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �COOPCONV {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Dans 10 des 13 cas de coopération nucléaire avérée et suspecte, soit 77%, l’État fournisseur coopérait dans le domaine des armements conventionnels avec l’État récipiendaire. Seules les

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dyades Pakistan-Irak, Pakistan-Libye, et Pakistan-Corée du Nord n’étaient pas engagées dans un commerce d’armes conventionnelles avant leur période de coopération nucléaire206. En considérant juste les cas de coopération avérée, le ratio est de 100%.

3.4.4. Les variables économiques. Pour donner plus de robustesse à notre hypothèse économique, nous avons testé l’effet de deux autres variables sur les deux modèles : ECOOUVA (ECOOUVB) et DEPCOMM.

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVA {0} * �ECOOUVA {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * � ADHTNP {1}ECOOUVB {0} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �DEPCOMM {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

L’absence de la condition ECOOUVA (ECOOUV {0}) ou de la condition ECOUUVB (ECOOUVB {0}) dans l’un des deux termes de la formule [1] confirme l’hypothèse selon laquelle l’ouverture de plus en plus prononcée de l’économie d’un État fournisseur décourage son implication dans une coopération nucléaire militaire (Solingen, 2007; Müller & Schmidt, 2010). La présence de la condition DEPCOMM (DEPCOMM {1}) dans l’un des deux termes de la formule [1] confirme l’hypothèse selon laquelle les États fournisseurs coopèrent avec les États avec lesquels ils entretiennent des relations commerciales étroites. Parmi nos cas de coopération nucléaire avérée, les fournisseurs étaient dépendants commercialement des récipiendaires dans les dyades Chine-Iran, Chine-Pakistan, Pakistan-Iran, et Israël-Afrique du Sud. Seule la dyade Pakistan-Libye ne connaissait pas une relation de dépendance économique. Malheureusement, l’absence de données économiques sur la Corée du Nord ne permet pas de se prononcer sur le cas Pakistan-Corée du Nord.

L’inclusion de la variable IMPORTSF2 dans les modèles donne le résultat suivant qui soutient l’argument économique :

206 Toutefois, l’Irak a été le client du Pakistan après leur période de coopération nucléaire. Dès 2004, les deux États signent un contrat de 31 millions de dollars.

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Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �IMPORTS F2 {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Parmi nos cas de coopération nucléaire avérée, les importations des fournisseurs en provenance des récipiendaires étaient beaucoup plus significatives dans les dyades Chine-Iran, Pakistan-Iran, Chine-Pakistan, et Israël-Afrique du Sud que dans les autres dyades. Avec un seuil établi à 20.28, les importations de la Chine en provenance de l’Iran étaient par exemple de 3909.02. L’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan reposait également sur des considérations économiques. Nous y reviendrons dans l’étude de ce cas au chapitre 5.

En somme, ces résultats montrent empiriquement l’importance des motifs économiques dans la coopération nucléaire. Théoriquement, nous nous attendions à ce que les États fournisseurs qui ont un faible niveau de développement économique, sont moins ouverts au commerce international et sont dépendants du commerce avec les États demandeurs coopèrent en matière nucléaire. C’est effectivement le cas. Puisque les variables économiques sont ordinales, nous avons refait les tests en utilisant la mvQCA qui a pour avantage d’éviter la perte des informations éventuellement dues à l’utilisation de la csQCA par la possibilité d’assigner plusieurs seuils aux variables (voir chapitre 3). Les résultats demeurent exactement les mêmes. Ce qui confirme la robustesse de nos résultats de recherche.

Ce premier chapitre empirique était consacré au test quali-quantitatif de notre modèle théorique. Premièrement, nous avons construit quatre tables de vérité à partir desquels l’analyse empirique est effectuée. Ces tables de vérité résultent de la prise en compte ou non de la Syrie en tant que récipiendaire potentiel et du choix entre deux types de codage de notre variable économique principale à savoir le niveau de développement de l’État fournisseur. Deuxièmement, nous avons présenté les équations booléennes produites par le logiciel d’analyse à partir des tables de vérité; il s’agit des équations expliquant à la fois la présence et l’absence de la variable dépendante, en l’occurrence la coopération nucléaire. Troisièmement, nous avons confronté les équations booléennes à différents cas d’étude et évalué l’effet de nombreuses autres variables sur les résultats afin de garantir la robustesse de ces deniers. Ce dernier exercice était particulièrement instructif en ce qui concerne le comportement de notre variable institutionnelle et normative à savoir l’adhésion au traité de non-prolifération.

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Le test empirique initial a révélé que la présence ou l’absence de cette variable n’affectait pas l’occurrence du phénomène étudié. Les tests additionnels ont mis en lumière la présence de la variable dans certaines formules [1] alors qu’on se serait attendu au résultat contraire, c’est-à-dire que la variable soit absente dans ce type de formule et présente dans les formules [0]. Ces résultats indiquent que soit le régime de non-prolifération est ineffectif en ce sens que ses règles n’ont pas d’impact sur ses membres soit que ces derniers ne s’y conforment pas — parce qu’ils ne les ont pas internalisés ou parce qu’ils ont délibérément décidé de les violer — soit les deux à la fois.

En tout état de cause, ils montrent la fragilité du régime telle qu’illustrée, entre autres, par la coopération entre la Corée du Nord et la Syrie : la Corée du Nord a non seulement ouvertement violé le traité dont elle était membre en se lançant dans un programme nucléaire mais aussi, elle l’a dénoncé dès qu’elle l’a estimé nécessaire, devenant ainsi le premier pays à le faire; et ce, sans aucune sanction notable de la part des autres participants du régime. Plus, elle s’est engagée dans des transactions nucléaires militaires avec la Syrie, un autre État membre qui, en signant le traité avait renoncé à fabriquer des armes nucléaires.

Tout comme l’exemple syrien, l’exemple iranien montre que les États ont plus avantage à rester membre du TNP tout en poursuivant un programme nucléaire militaire qu’à le quitter notamment parce que le maintien de leur adhésion leur permet de dissimuler leurs véritables intentions nucléaires (Dunn, 2009 : 148). En profitant de leur droit inaliénable aux usages pacifiques de l’atome, ils peuvent ainsi s’échanger entre eux des technologies à double usage tout en fustigeant les suspicions de prolifération à leur égard (Dunn, 2009 : 159).

De nouvelles recherches sont toutefois nécessaires pour mieux comprendre la dynamique entre adhésion au TNP et choix nucléaires. Plus concrètement, il serait intéressant de mieux comprendre pourquoi les États adhèrent au traité comme l’explique Scott Sagan (2011 : 239) :

We know very little about why different governments joined the NPT and how their interests and interpretations have shaped the patterns of their compliance behavior. There are likely to be some states who joined the NPT to cement a nonproliferation bargain with regional rivals; some cheater states that joined while already having or planning covert nuclear weapons programs; and many more states that joined hoping membership would increase civilian nuclear technology transfer to them. There are likely to be even more states that joined the NPT as a part of joining the world order and have no intention of ever developing a civilian nuclear energy infrastructure, much less nuclear weapons […].

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L’inclusion des différentes variables conditions additionnelles dans les différents modèles a aussi révélé que l’idéologie commune, le rival commun (ou l’ennemi commun) et le faible niveau de développement économique de l’État fournisseur étaient des conditions nécessaires au passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. En dépassant le stade strictement empirique, donc de la description pure et simple, pour franchir le stade de l’inférence causale comme l’indiquent King, Keohane et Verba (1994); et ce, par la prise en compte des cas logiquement non observés dans la réalité, dans l’analyse, l’idéologie commune ET l’ennemi commun; l’ennemi commun Et le faible niveau de développement économique de l’État fournisseur apparaissent comme des conditions suffisantes au passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

Les résultats des tests empiriques ont donc illustré l’aspect multi-causal du passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Ces résultats montrent que la coopération nucléaire entre les États dans le domaine militaire est un phénomène complexe qui gagnerait à être mieux appréhendé par un modèle théorique qui suppose l’acceptation de la complexité, donc un modèle éclectique; et une technique méthodologique qui prend d’assaut cette complexité, donc une méthode configurationnelle. Ainsi, aidés par la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux et l’analyse booléenne, nous avons pu mettre en lumière, de manière systématique, l’importance des facteurs culturels et économiques dans l’explication de la coopération nucléaire militaire. Ces facteurs ont été respectivement ignorés et minorés par la principale recherche sur le sujet dans la littérature actuelle (Kroenig, 2009a; 2010). Nous avons aussi pu confirmer l’importance des facteurs politico-stratégiques dans l’explication de la coopération nucléaire militaire à l’instar des deux principales recherches empiriques sur l’approche fournisseur-centrée des causes de la prolifération nucléaire (Kroenig, 2009a; 2010; Fuhrmann, 2012).

Passons maintenant au deuxième chapitre empirique qui s’attarde sur l’explication détaillée des échanges nucléaires entre la Chine, le Pakistan et l’Iran. Étudier, de manière plus approfondie, les coopérations nucléaires entre ces trois pays est pertinent pour au moins deux raisons : la première est que cette démarche permet de mieux comprendre la dynamique de la prolifération dans les deux principaux cas qui illustrent le mieux les formules [1] produites par le logiciel d’analyse booléenne, en l’occurrence les cas Chine-Pakistan et Pakistan-Iran; et la deuxième est que la démarche offre l’occasion d’éclairer, sous un autre angle, la question nucléaire iranienne, à l’heure où la crise qui

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oppose l’Iran et la communauté internationale au sujet de son programme nucléaire est à son paroxysme, en retraçant le chemin de prolifération parcouru par ce pays qui a été à la fois le client de la Chine et du Pakistan.

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Chapitre 5 : Les études de cas Ce chapitre est consacré à un test plus qualitatif de notre modèle théorique grâce à l’analyse de processus qui permet d’identifier les mécanismes causaux qui lient les variables explicatives au résultat du phénomène empirique qui fait l’objet de l’étude (George & Bennett, 2005 : 205-232). James Mahoney (2003 : 362-363) fait remarquer qu’il existe dans la littérature actuelle en Sciences sociales, deux types d’utilisation du process-tracing : d’une part, la technique méthodologique est utilisée par le chercheur pour éliminer des facteurs causaux que les différentes techniques d’analyse transversale (cross-case analysis) n’ont pas pu éliminer (Skocpol, 1979); et d’autre part, elle est utilisée pour appuyer les explications avancées par le chercheur (Collier & Collier, 1991).

C’est ce deuxième type d’utilisation du process-tracing, à savoir l’explication analytique, qui est fait dans le cadre de cette thèse. Nous avions déjà, dans le chapitre précédent, testé notre modèle théorique sur une multitude de cas. Nous nous focalisons, dans ce chapitre-ci, sur l’explication détaillée, dans le contexte de l’histoire, d’un petit nombre de cas à la lumière de nos principales propositions théoriques. Celles-ci sont au nombre de quatre : selon la première proposition, des affinités identitaires entre le fournisseur et le récipiendaire devraient favoriser la coopération nucléaire; selon la deuxième proposition, la participation de l’un ou des deux États au régime de non-prolifération ne devrait pas être un frein à cette coopération; selon la troisième proposition, la volonté de contenir un État menaçant commun motiverait l’assistance nucléaire; et enfin selon la quatrième proposition, le désir de tirer profit financièrement de l’expertise nucléaire justifierait les transferts nucléaires.

Le chapitre est divisé en deux grandes parties : la première est consacrée à l’étude de l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran. La deuxième est consacrée à l’étude de la coopération nucléaire entre le Pakistan et l’Iran.

1. Les transferts nucléaires de la Chine au Pakistan et à l’Iran.

Cette première partie étudie le passage de la Chine, de récipiendaire, à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires au Pakistan et à l’Iran. Premièrement, nous montrons comment la Chine a acquis la capacité à exporter des biens et équipements nucléaires. Deuxièmement, nous exposons les contours du programme nucléaire du Pakistan et montrons l’apport de la Chine à son

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avancement. Troisièmement, nous retraçons les ambitions nucléaires de l’Iran et résumons la contribution de la Chine à son programme nucléaire controversé. Quatrièmement, nous procédons à l’explication analytique de ces deux types de coopération nucléaire à la lumière de notre modèle théorique.

1.1. La Chine comme fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

Tirant les leçons de son intervention, aux côtés de la Corée du Nord, dans la guerre de Corée (1950-1953) au cours de laquelle les États-Unis ont explicitement menacé d’utiliser des armes nucléaires contre elle, et de la crise taïwanaise (1954-1955) au cours de laquelle elle a pris conscience de l’incertitude du parapluie nucléaire soviétique, la Chine commence par explorer l’option nucléaire en 1956207. En réalité, c’est dès le 15 janvier 1955 que les membres du Bureau politique du Parti communiste chinois (PCC), réunis par Mao Zedong, pour qui la bombe n’était manifestement plus un « tigre de papier » face à la supériorité de la « guerre populaire », prirent la décision de démarrer un programme d’armement nucléaire sous le nom de code 02208. En 1957, l’Institut chinois de l’énergie atomique est mis en place et la même année, le 15 octobre, la Chine signe avec l’URSS un accord secret de coopération nucléaire qui ne sera révélé qu’en 1963. Cet accord sur les « nouvelles technologies de défense » prévoyait la livraison par les Soviétiques, d’un prototype d’une bombe nucléaire et de missiles ainsi que les données techniques s’y rapportant, aux Chinois. Mais le 20 juin 1959, l’URSS fait formellement savoir à la Chine qu’elle ne lui transférera ni le prototype en question ni le matériel nucléaire. Une décision qui s’inscrivait dans le cadre des « initiatives prises par Khrouchtchev, à partir du mois de janvier 1958, en faveur de la réduction des tensions Est-Ouest » (Fouquoire-Brillet, 1999 : 16).

Malgré tout, entre 1955-1960, soit la période de coopération effective entre les deux pays, les Chinois ont bénéficié de l’expertise des scientifique nucléaires soviétiques (environ 260 scientifiques nucléaires chinois ont été formés en URSS et approximativement le même nombre de scientifiques nucléaires soviétiques ont participé à l’effort nucléaire chinois) et reçu des plans, et des composants essentiels pour l’installation d’enrichissement d’uranium par diffusion gazeuse de Lanzhou et de

207 Selon Bleek (2010) à qui nous empruntons l’ensemble de données sur l’exploration de l’option nucléaire, la poursuite d’un programme nucléaire et l’acquisition des armes nucléaires. 208 Lewis et Litai (1988 : 38-39) et Reed et Stillman (2009 : 93) évoquent la date du 15 janvier 1955 comme la date de décision de lancement d’un programme nucléaire militaire par Mao Zedong.

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l’usine de retraitement du plutonium de Jiuquan. Avec le retrait des derniers experts soviétiques du territoire chinois le 23 août 1963, la coopération nucléaire scientifique et technique entre les deux pays prenait fin. En réalité, Moscou avait déjà annoncé à Pékin la suspension de son assistance nucléaire le 20 juin 1959. Toutefois, la Chine poursuivit son aventure nucléaire jusqu’à l’obtention, le 20 août 1964, d’une première bombe de 22 kilotonnes — soit l’équivalent de la bombe américaine lancée sur Hiroshima — qui sera finalement testée avec succès le 16 octobre 1964 sur la base de Lop Nor située dans la province du Xinjiang209.

Avec son entrée dans le club nucléaire en 1964 — ce qui confirme sa maîtrise du cycle du combustible — la Chine est devenue un fournisseur potentiel de matières et technologies nucléaires militaires. Par sa coopération extensive avec le Pakistan et l’Iran, elle est passée, selon notre définition, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

1.2. Le Pakistan comme récipiendaire de matières et technologies nucléaires militaires.

Le Pakistan a exploré l’option nucléaire et décidé en même temps de poursuivre un programme nucléaire à vocation militaire à partir de 1972. En 1987, il était déjà supposé avoir acquis la bombe même s’il ne fera des tests nucléaires qu’en 1998 en réponse aux essais nucléaires effectués par sa rivale l’Inde la même année. Car, le programme nucléaire militaire pakistanais210 a été fondamentalement lancé en réaction à la menace sécuritaire posée par l’Inde.

En effet, si le programme nucléaire du Pakistan, commencé dans les années 1960 avec l’aide du programme américain « Atomes pour la paix » qui a mené à la mise en place du premier institut pakistanais de la science nucléaire et de la technologie (PINSTECH) en 1962211, avait des objectifs

209 Pour plus de détails sur l’histoire du programme nucléaire de la Chine et par ricochet de la coopération sino-soviétique, voir Lewis, J. & X. Litai. 1988. China Builds the Bomb. Stanford, California: Stanford University Press. Pour un résumé succinct, voir Reed, T. & D. Stillman. 2009. Nuclear Express. A Political History of the Bomb and Its Proliferation. Minneapolis: Zenith Press. 84-112. 210 Pour plus de détails sur l’histoire du programme nucléaire du Pakistan, voir International Institute for Strategic Studies (IISS). 2007. Nuclear Black Markets: Pakistan, A. Q. Khan and the Rise of Proliferation Network. Sussex: Hastings Print.15-41; Levy, A. & C. Scott-Clark. 2008. Deception: Pakistan, the United States, and the Secret Trade in Nuclear Weapons. New York: Walker & Company; Tertrais, B. 2009. Le marché noir de la bombe. Enquête sur la prolifération nucléaire. Paris : Buchet/Chastel. 29-64. 211 Il faut noter toutefois que, déjà en 1956, est créée la Commission pakistanaise à l’énergie atomique (PAEC) pour former les scientifiques nucléaires et mettre en place un réacteur de recherche. En 1963, ce réacteur de recherche de 5MW (PARR-1) sera installé à Rawalpindi. Il sera opérationnel en 1965. En 1965, le Canada fournit un réacteur nucléaire à eau lourde de 137 MW qui sera installé à Karachi—Karachi Nuclear Power Plant (KANUPP) et placé sous le contrôle total de l’AIEA. KANUPP sera opérationnel en octobre 1972 (Rais, 1985 : 466).

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purement civils, la décision d’acquérir des armes nucléaires a été consécutive à la défaite humiliante face à l’Inde dans le cadre du conflit militaire ayant opposé les deux pays en décembre 1971 et qui a abouti à la sécession de la partie orientale de son territoire (aujourd’hui le Bangladesh).

Alors que dans les années 1960, les militaires pakistanais pensaient que les armes conventionnelles étaient suffisantes pour assurer la sécurité de leur pays face à la menace indienne, même après les deux conflits ayant opposé les deux pays, après la défaite sanglante de 1971, ils ont toutefois dû se rendre à l’évidence que les armes nucléaires étaient désormais le seul moyen de faire face à la suprématie militaire conventionnelle de l’Inde.

C’est dans un tel contexte qu’en mars 1972, Zulkifar Ali Bhutto (Z. A. Bhutto), alors président et administrateur de la loi martiale (1971-1973), appuyé par l’establishment militaire et la bureaucratie civile, lance un programme nucléaire à vocation militaire dont la pertinence sera renforcée en mai 1974 par « l’explosion nucléaire pacifique » de l’Inde. Comme le font remarquer Ganguly et Hagerty (2005 : 123) cités par Narang (2009 : 47): « The core aim of Pakistan’s nuclear weapons program is to prevent a repetition of 1971 […] to deter an Indian attack that might reduce Pakistan’s size even further, or perhaps even put the country out of existence entirely ».

Pour doter le Pakistan de la bombe, Z. A. Bhutto, désormais premier ministre (1973-1977), nomme Munir Ahmed Khan (M.A. Khan), diplômé de l’Illinois Institute of Technology (1958) et qui venait de passer plusieurs années à l’Argone National Laboratory — le centre d’origine des recherches nucléaires américaines — et à l’AIEA, à la tête du PAEC (1972-1991). Entre les deux moyens principaux de nucléarisation qui existent (tableau 5.1, figure 5.1), M. A. Khan choisit la filière du plutonium dont il est d’ailleurs spécialiste (IISS, 2007 : 17; Reed & Stillman, 2009 : 246-247).

Son idée était alors « d’acquérir les moyens de produire du plutonium de qualité militaire sous couvert d’un programme civil, en utilisant le combustible irradié dans le réacteur électronucléaire de Karachi » (Tertrais, 2009 : 37). Dès lors, M. A. Khan va mettre en place un réseau d’approvisionnement clandestin pour se procurer des différentes matières et technologies nécessaires à la mise en place de l’installation de retraitement du combustible nucléaire requise pour fabriquer les armes nucléaires.

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Tableau 5.1. Les deux voies possibles pour fabriquer la bombe.

La filière de l’uranium La filière du plutonium

L’uranium à l’état naturel est composé de deux types d’isotopes d’uranium : l’isotope 235 (U-235) et l’isotope 238 (U-238). Toutefois, seul l’isotope 235 est fissile. Or l’uranium naturel ne continent que 0.7% d’U-235 pour 99.3% d’U-238. Il faut donc l’enrichir, en séparant les deux isotopes pour pouvoir disposer du concentré d’U-235 nécessaire au type d’application de l’atome envisagé : dans le cadre des applications civiles, l’uranium n’a besoin que d’être enrichi à 3% alors que dans le cadre des applications militaires, l’uranium a besoin d’être enrichi jusqu’à 99%.

En réalité, le processus d’enrichissement de l’uranium vient après un processus préalable dit de conversion de l’uranium. D’une part, le minerai d’uranium, une fois extrait des mines, est purifié et concentré en une pâte de couleur jaune (« yellow cake ») composée de 80% d’oxyde d’uranium (UO2) directement sur les sites. D’autre part, l’UO2 subit des transformations chimiques qui vont permettre d’obtenir du tétrafluorure d’uranium (UF4) et de l’hexafluorure d’uranium (UF6). C’est finalement ce gaz, l’UF6, qui sera enrichi pour permettre la réaction de fission nucléaire.

Le plutonium n’existe pas à l’état naturel. Il apparaît par transmutation de l’isotope U-238 sous l’effet d’un bombardement de neutrons. Il s’obtient par traitement de barres de combustible irradié dans certains types de réacteur nucléaire. Un processus de séparation à l’aide de bains chimiques permet de séparer les différentes matières qui composent le combustible irradié.

Pour produire du plutonium de qualité militaire (Pu-239), la matière est traitée à l’aide d’un réacteur dit « à graphite-gaz » (comme le réacteur nord-coréen de Yongbyon) ou « à eau lourde » c’est-à-dire une eau dans laquelle la proportion d’atomes d’hydrogène lourd, ou deutérium, est plus élevée que la valeur normale (comme les réacteurs nucléaires pakistanais de Khushab et iranien d’Arak) dont le combustible est l’uranium naturel non enrichi. On procède ensuite à la séparation du plutonium dans une installation de retraitement du combustible nucléaire. Le graphite ou l’eau lourde servent de modérateur dans les centrales nucléaires en ralentissant les flux de neutrons, ce qui permet d’accroître les chances de fission. En fait, ce procédé a également été utilisé par les Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la Chine, la France, l’Inde et Israël.

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L’enrichissement de l’uranium

Il existe six méthodes d’enrichissement de l’uranium :

1. La séparation par électromagnétisme ou « procédé par calutrons — CALifornia University, cycloTRON » (utilisée par les États-Unis dans le cadre du projet Manhattan mais aussi clandestinement par l’Irak et certainement testée également par l’Iran — elle est très peu rentable) ;

2. La diffusion gazeuse (utilisée par les États-Unis, la Russie, la France et la Chine — elle exige des installations industrielles très importantes et très gourmandes en énergie électrique) ;

3. Les procédés aérodynamiques (utilisés par l’Afrique du Sud) ;

4. La séparation par laser (discrète et peu coûteuse mais avec de nombreuses difficultés techniques et peu efficace pour de grandes quantités de matières) ;

5. La séparation par échange chimique (un procédé développé par le Japon permettrait d’obtenir de l’uranium enrichi à 90%) ;

6. L’ultracentrifugation (utilisée par le Pakistan à Kahuta et l’Iran à Natanz, elle est plus discrète et moins coûteuse en énergie). Cette méthode consiste en l’introduction d’UF6 dans des centrifugeuses — machines cylindriques à la fois simples mais dont la fabrication requiert un usinage de haute précision — installées en « cascade » qui séparent l’une après l’autre, les deux isotopes d’uranium.

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Toutefois, après l’« explosion nucléaire pacifique » indien, la communauté internationale alors inquiète d’un effet d’entraînement décida de tout faire pour qu’Islamabad ne suive pas l’exemple de New Dehli. Ainsi, le Canada refusa de fournir le combustible, l’eau lourde ou les pièces de rechange pour le fonctionnement continu de la centrale nucléaire de Karachi (KANUPP). Les États-Unis poussèrent l’Allemagne à arrêter la construction d’une usine de production d’eau lourde et la France, une usine de retraitement du plutonium dans le pays en 1978, en même temps qu’ils renforcèrent les contrôles sur la diffusion des technologies sensibles. C’est notamment à cette époque que fut créé le GFN, initié par les États-Unis, avec l’URSS, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, le Japon et le Canada. Un nouveau contexte international qui rendait difficile, voire impossible, la mise en œuvre des plans initiaux de la PAEC et de son directeur M. A. Khan. Mais alors que la voie du retraitement du plutonium se fermait dorénavant à lui dans sa quête de la bombe, le Pakistan va désormais s’orienter vers la filière de l’enrichissement de l’uranium pour concrétiser ses ambitions nucléaires, le tout grâce à A. Q. Khan (A. Q. Khan).

Parti du Pakistan en 1961, pour poursuivre ses études en Europe, A. Q. Khan étudia brièvement en Allemagne à la Technische Universität de Berlin-Ouest, passa son Master en ingénierie métallurgique à la Technische Hogeschool à Delft, aux Pays-Bas, et obtint finalement son doctorat en métallurgie à l’Université Catholique de Louvain en Belgique en 1971212. De mai 1972 à décembre 1975, Khan travailla pour un laboratoire de recherche sur la physique dynamique, le Fysisch Dynamisch Onderzoekslaboratorium (FDO), une filiale du Verenigde Machinefabrieken (VMF) et un sous-traitant majeur de la compagnie Ultra-Centrifuge Nederland (UCN), elle-même partenaire du consortium anglo-germano-néerlandais d’enrichissement de l’uranium, URENCO, basé à Anselmo aux Pays-Bas.

En décembre 1975, après un voyage au Pakistan, il ne retournera plus travailler. Il y restera pour soutenir l’effort nucléaire national, à la demande de Z. A. Bhutto, même s’il faut dire que c’est Khan lui-même qui, déjà en 1974, lui avait écrit pour offrir son expertise et ses services à son pays. 1974, il faut le rappeler est la date du premier essai nucléaire indien. À son départ de la FDO où il avait accès à des dossiers ultraconfidentiels et à du matériel sensible, il emportera des plans volés de

212 Sur sa biographie, voir notamment SUBLETTE Carey, « Dr. Abdul Qadeer Khan », Nuclear Weapons Archive, 2 janvier 2002. http://nuclearweaponarchive.org/Pakistan/AQKhan.html et Corera, G. 2006. Shopping for bombs: nuclear proliferation, global security and the rise and fall of the A. Q. Khan network. London: Oxford and University Press.

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centrifugeuses et, plus important encore, une liste d’une centaine de sociétés qui fournissaient des composants nécessaires à leur fabrication. Dès son arrivée au Pakistan, A. Q. Khan commença par travailler au sein de la PAEC de M. A. Khan.

L’approche de Khan consistait à acquérir des bouts et des morceaux de matériel et de technologies d’enrichissement de l’uranium par ultracentrifugation provenant de petites entreprises occidentales et dont certains ne figuraient pas sur la liste des exportations soumises à restriction du GFN. L’idée était de les assembler pour parvenir enfin à la maîtrise du cycle du combustible, le tout au Pakistan et par des Pakistanais ; en somme, une production endogène. Une véritable filière clandestine d’approvisionnement sera ainsi mise en place et les transactions seront facilitées par le fait que Khan connaissait toutes les entreprises opérant dans le secteur et que celles-ci voulaient faire des affaires, qu’il avait un carnet d’adresses étonnamment fourni et parlait plusieurs langues. À ce propos, A. Q. Khan déclarera plus tard : « Mon long séjour en Europe et ma grande connaissance de différents pays et de leurs entreprises de production furent des atouts » (Clary, 2004 : 37).

Le 31 juillet 1976, à l’issue de conflits récurrents opposant M. A. Khan et A. Q. Khan, Z. A. Bhutto décida de donner plus d’autonomie à A. Q. Khan dans le contrôle du programme pakistanais d’enrichissement de l’uranium — formellement lancé le 15 février 1975 par M. A. Khan sous le nom de code Projet 706 — à travers la création d’un laboratoire de recherches (Engineering Research

Laboratory—ERL), près de Kahuta, et dont l’objectif exclusif était le développement endogène des capacités de l’enrichissement de l’uranium. A. Q. Khan ne dépendait désormais que de Z. A. Bhutto. À partir de ce moment-là, les deux structures rivales travailleront en compétition pendant longtemps puisque la PAEC poursuivra malgré tous ses efforts nucléaires dans la filière du plutonium. Mais c’est ERL qui permettra au Pakistan d’enrichir de l’uranium pour la première fois, le 4 avril 1978, dans l’usine d’enrichissement de Kahuta. L’installation devient autonome en 1980 et commence à tourner à plein régime en 1981.

Une avancée qui poussera le Président pakistanais de l’époque, Zia ul-Haq, à rebaptiser ERL en KRL (Khan Research Laboratories) le 1er mai 1981. À partir de ce moment, A. Q. Khan devait rendre compte de ses travaux directement au Président. En même temps que les compétences de A. Q. Khan évoluaient (jusqu’à la fabrication d’un engin nucléaire) son expertise s’élargissait également (il faut rappeler qu’il n’était que métallurgiste). Ainsi, alors qu’à ses débuts, KRL a été en charge uniquement de l’enrichissement de l’hexafluorure d’uranium gazeux — le reste du processus

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nucléaire, de l’extraction minière à la gazéification jusqu’à la fabrication des armes, étant sous le contrôle de la PAEC — son rôle a évolué jusqu’à couvrir le développement des véhicules de livraison des engins nucléaires en même temps que son implication dans la fabrication et l’assemblage d’un engin nucléaire augmentait. Selon A. Q. Khan, c’est le Président Zia-ul-Haq lui-même qui lui aurait demandé, en 1982, de travailler jusqu’au bout sur la fabrication d’un engin nucléaire. Ce qui signifiait que KRL, en plus de l’enrichissement de l’uranium, devrait s’occuper de dessiner la bombe, de développer le mécanisme de détente, de convertir l’uranium enrichi en gaz métal, de travailler sur l’essentiel de l’engin et de l’assembler.

Figure 5.1. Les deux voies possibles pour fabriquer la bombe, A. Q. Khan213.

C’est d’ailleurs cette année-là, 1982, que s’intensifie la coopération avec la Chine avec le transfert par cette dernière au Pakistan du design complet d’une bombe accompagnée de la matière fissile pour la fabriquer. Si cette coopération a commencé en 1974 avec des échanges de scientifiques nucléaires et a été formalisée en 1976 par un accord secret, il semble néanmoins qu’elle se soit limitée, jusqu’en 1980 à des activités visant à assurer le fonctionnement du réacteur nucléaire à eau lourde KANUPP-1 (Ahmed, 1999 : 186; Garver, 2001 : 329-330). Ce que confirment Reed et Stillman 213 Le schéma a été mis en annexe d’un article publié par A. Q. Khan en 1997 et intitulé : « Propaganda Against Pakistan’s Peaceful Nuclear Programme » (Tertrais, 2009 : 216-217).

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(2009 : 249): « In 1982, […] China began to assist Pakistani scientists with nuclear weapon design, material production, and the construction of nuclear infrastructure ». Une assistance sensible qui permettra au Pakistan de gagner du temps dans sa quête de la bombe puisque dès 1987, le pays était supposé déjà être nucléaire. Plus précisément, les plans détaillés de la bombe chinoise ont grandement simplifié la tâche des scientifiques nucléaires pakistanais dans la confection de leurs armes nucléaires: « These designs would have significantly accelerated Pakistan’s march toward nuclearization, as Pakistani scientists could conduct cold tests — testing the physics package without fissile material — with near certainty that a fully assembled device would work when enough uranium had been enriched to weapons-grade level » (Narang, 2009 : 48).

Le 26 mai 1990, la Chine teste secrètement, pour le compte du Pakistan, une première bombe (un dérivé du CHIC-4 chinois dont elle a fourni elle-même les plans 8 ans plus tôt) sur le site de Lop Nur où elle effectuait elle-même son premier essai nucléaire plus de trente ans plus tôt (Reed & Stillman, 2009 : 252). Lorsque l’Inde effectue ses premiers essais nucléaires (11 mai 1998), il n’aura fallu que deux semaines et trois jours au Pakistan pour riposter (28 mai 1998): « The prompt and pre-announced Pakistani response to the Indian test makes it clear that the gadget tested on May 28, 1998, was a carefully engineered device in which the Pakistani had great confidence » (Reed & Stillman, 2009 : 253).

Toutefois, la coopération nucléaire sino-pakistanaise ne s’est pas arrêtée après les essais nucléaires. Elle s’est poursuivie sous différentes formes jusqu’en 2010 (tableaux 5.2 et 5.3). Malgré tout, il est difficile de retracer exhaustivement tous les transferts qui ont fait l’objet de cette coopération : « China has been the most important state contributor to the Pakistani nuclear program, though the extent of its assistance is difficult to assess. Nuclear cooperation with China is one of the most closely held state secrets in Pakistan » (IISS, 2007:25). Toutefois, l’ampleur de la coopération entre les deux pays est telle que Gary Milhollin, directeur du Wisconsin Project on Nuclear Arms

Control, n’a pas hésité à affirmer: « If you substract China’s help from the Pakistani nuclear program, there is no Pakistani nuclear program »214.

214 Cité dans Malik (2011 : 237-238).

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Tableau 5.2. Coopération nucléaire sino-pakistanaise215.

Transferts effectués avant 1996 Transferts effectués après 1996

- En 1982, la Chine fournit au Pakistan 15 tonnes d’hexafluorure d’uranium (UF6) nécessaire à la production d’uranium hautement enrichi ; 50 kg d’uranium hautement enrichi (une quantité suffisante pour la fabrication de deux bombes) et un plan détaillé d’une bombe déjà testée par la Chine en 1966 (CHIC-4).

- En 1990, la Chine teste, sur son site nucléaire de Lop Nur, pour le compte du Pakistan, la toute première bombe de ce dernier.

- En 1992, la Chine commence la construction, pour le compte du Pakistan, d’une centrale nucléaire à Chashma qui deviendra opérationnelle en 2001 (CHASNUPP-1).

- En 1994, la Chine assiste le Pakistan dans la construction d’un réacteur nucléaire plutonigène non déclaré à Khushab.

- En 1996, la Chine (en l’occurrence la China Nuclear Energy Industry Corporation, une filiale de la China National Nuclear Corporation elle-même une compagnie étatique) vend au Pakistan (KRL) 5000 aimants circulaires. L’aimant circulaire est un bien nucléaire à double-usage pouvant notamment être utilisé pour fixer des centrifugeuses destinées à enrichir de l’uranium.

- En 1996, la Chine (China Nuclear Energy Industry Corporation) fournit au Pakistan un four industriel spécial et des équipements de diagnostic associés, destinés à des installations nucléaires non déclarées. Opéré sous haute température, le four industriel spécial permet le moulage de l’uranium ou du plutonium. Les officiels chinois avaient notamment prévu de soumettre de la documentation facilitée quant au destinataire final des items. En septembre de la même année, des techniciens chinois se préparaient à installer l’équipement à double-usage. Il semble qu’il était destiné à être utilisé pour le fonctionnement d’un réacteur nucléaire devant être finalisé dès avril 1998 à Khushab.

- En 1998, bien après les essais nucléaires de mai, des contacts entre des entités chinoises et pakistanaises auraient continué, toujours dans le cadre du programme nucléaire du Pakistan.

- En 2003, des contacts entre la Chine et le Pakistan auraient continué malgré la promesse chinoise de 1996 de ne plus assister les activités

215 Les données figurant dans ce tableau ont été assemblées à partir de plusieurs sources concordantes : Wisconsin Project on Nuclear Arms Control; Nuclear Threat Initiative; Khan, S. A. 2012. China and Proliferation of Weapons of Mass Destruction and Missiles: Policy Issues. CRS Report for Congress. Congressional Research Service.

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nucléaires pakistanaises non déclarées.

- En 2004 (24 février), lors d’une audition devant les membres du Sénat, le Directeur du renseignement militaire américain, le Vice-Amiral Lowell Jacoby, affirme que des entités chinoises « demeurent impliquées dans les programmes nucléaires et balistiques pakistanais et iraniens » quoique « dans certains cas », ces entités sont impliqués sans que le gouvernement chinois en ait connaissance. Des propos qui laissent penser que, dans d’autres cas, le gouvernement chinois était au courant de l’implication de ces entités.

- En 2004 (mai), la Chine s’engage à construire, pour le compte du Pakistan, un deuxième réacteur nucléaire à Chashma (CHASNUPP-2).

- En 2010 (juin), la Chine et le Pakistan s’entendent sur la construction de deux autres réacteurs à Chashma (CHASNUPP-3 et CHASNUPP-4) dans le cadre d’un accord signé en 2003. En novembre de la même année, la Chine planifiait construire un cinquième réacteur au Pakistan (CHASNUPP-5).

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1.3. L’Iran comme récipiendaire de matières et technologies nucléaires militaires.

L’Iran a exploré l’option nucléaire d’une part, en 1974-1979, et d’autre part, à partir de 1984. Dès 1989, il a décidé de poursuivre un programme nucléaire à vocation militaire.

- L’exploration de l’option nucléaire : 1974-1979/1984-

Le programme nucléaire iranien est lancé dans les années 1950 par Mohamed Reza Shah avec la signature d’un accord de coopération avec les États-Unis (1957), dans le cadre du programme « Atomes pour la Paix ». En 1959, est créé le Centre de recherche nucléaire de Téhéran (Teheran

Nuclear Research Center—TNRC). Dès 1967, un premier réacteur nucléaire de recherche de 5MW fourni par les États-Unis est opérationnel. En 1974 est mise en place l’Organisation de l’Énergie Atomique d’Iran (OEAI) avec pour ambition la construction 23 centrales nucléaires à l’horizon 2000, la mise en place d’une installation d’enrichissement de l’uranium et d’une usine de retraitement216. Si ce programme nucléaire avait tout d’un programme civil, il semble néanmoins que les ambitions du Chah étaient aussi militaires comme en témoignent la mise en place par ses soins d’un groupe secret censé travailler sur le design d’une arme nucléaire (Spector, 1987 : 50) et sa réponse à une question sur sa volonté d’acquérir la bombe à cette époque : « Without a doubt and sooner than one would think » (Cahn, 1975 : 199)217.

Avec la révolution islamique de 1979, les ambitions nucléaires iraniennes connaissent un coup d’arrêt provisoire; l’Ayatollah Khomeiny considérait alors qu’un programme nucléaire était contraire à l’Islam et qualifiait l’entreprise du Shah de « work of the devil ». Parallèlement, son conseiller, l’Ayatollah Muhammad Beheshti affirmait: « It is our duty to build the atomic bomb for the Islamic Republic Party » (Spector & Smith, 1990 : 208).

En tous les cas, tous les projets en cours tels que la construction de deux réacteurs nucléaires à Bushehr (Bushehr-1 et Bushehr-2) par l’Allemagne sont suspendus. Toutefois, en 1984, il semble

216 Les projets nucléaires iraniens sont actuellement conduits dans le cadre des activités de l’OEAI. L’organisation est au cœur du réseau d’approvisionnement nucléaire de l’Iran et agit sous le couvert de nombreuses sociétés-écrans pour contourner les sanctions internationales. L’OEAI est d’ailleurs visée par les sanctions unilatérales américaines et multilatérales onusiennes. 217 Sur les projets nucléaires du Shah, voir notamment Cahn, A. H. 1975. Determinants of the Nuclear Option: The Case of Iran. In Onkar S. M. & A. Schulz (eds.). Nuclear Proliferation and the Near-Nuclear Countries. Cambridge : Ballinger. 185-204.

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que le Guide suprême iranien changea de position sur la question nucléaire et décida de poursuivre l’exploration de l’option nucléaire. Cette année-là, est ouvert le Centre de technologie nucléaire d’Isfahan (Esfahan Nuclear Technology Center—ENTEC) où les scientifiques iraniens commencent par effectuer des expériences nucléaires. L’Iran entreprend alors de finaliser la construction de la centrale nucléaire de Bushehr (Bushehr Nuclear Power Plant—BNPP) qui avait fait l’objet, lors de la guerre Irak-Iran (1980-1988) de multiples attaques de l’aviation irakienne218. L’Allemagne, sous la pression des États-Unis, n’était plus disposée à poursuivre la coopération avec l’Iran. L’Argentine qui devait fournir à l’Iran un réacteur de recherche se rétracte également, sous la pression des États-Unis (1988). La France, auprès de laquelle l’Iran — qui avait contribué pour 1 milliard de dollars à la construction de l’usine d’enrichissement d’EURODIF — avait cherché à obtenir de l’uranium faiblement enrichi, refuse de s’engager dans un tel transfert. Pour poursuivre son aventure nucléaire l’Iran devait donc rechercher d’autres partenaires plus disposés à l’assister.

- La poursuite d’un programme nucléaire : 1989-

Avec la fin de la guerre Iran-Irak (juillet 1988), la disparition de l’Ayatollah Khomeiny (juin 1989) dont les vues sur le nucléaire étaient, malgré tout ambivalentes, et l’élection, en juillet 1989, de Hashemi Rafsandjani, fervent partisan du nucléaire, l’Iran décide de consacrer davantage de ressources à son programme nucléaire réactivé quelques années auparavant. En 1990 et 1992 respectivement, l’Iran signe formellement des accords de coopération nucléaire avec la Chine et la Russie. Mais dès 1989, la Chine acceptait déjà de former les scientifiques nucléaires iraniens. Entre 1989 et 2010, la coopération sino-iranienne donne lieu à de nombreux transferts nucléaires même si certaines transactions négociées n’ont jamais pu être concrétisées (tableau 5.3).

Pendant cette période, « un grand nombre d’experts nucléaires chinois ont séjourné sur le sol iranien et les inspecteurs internationaux [de l’AIEA] ont révélé que leur arrivée était souvent précédée du départ précipité de scientifiques et techniciens chinois, qui disparaissent des sites inspectés pour la durée de leur présence » (Delpech, 2006 : 58). En fait, selon Reed et Stillman (2009 : 329): « Since 1991, China has been assisting the raw materials side of the Iranian nuclear weapons program with the shipment of uranium (from world sources), advice on the mining of uranium within Iran at Saghad,

218 Entre 1984 et 1988, les Irakiens ont bombardé à huit reprises les deux unités du site, endommageant les chantiers de construction dont l’activité était déjà suspendue.

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instructions on the design of an ore-to-hexafluoruide conversion facility at Eshfahan, and construction of an EMIS enrichment facility at Karaj ».

En janvier 1995, la Russie prend le relais de l’Allemagne dans la finalisation de la construction de la centrale nucléaire de Bushehr (Bushehr-1)219. Elle s’engage également dans la construction de trois réacteurs nucléaires additionnels sur le même site tout en offrant secrètement à l’Iran de lui fournir un plus grand réacteur de recherche, une installation de conversion d’UF6 en combustible pour les réacteurs et une usine d’enrichissement par centrifugation gazeuse. Si ces derniers transferts clandestins ont été officiellement suspendus suite à une entente entre les Présidents américain, Bill Clinton, et russe, Boris Yeltsin, il semble en revanche que des entités russes aient assisté les Iraniens sur des aspects sensibles du cycle du combustible et dans la construction d’un réacteur nucléaire à eau lourde de 40 MW à Arak.

L’existence de cette installation nucléaire à eau lourde, à Arak, de même que celle d’une usine d’enrichissement de l’uranium, à Natanz; deux sites jusqu’alors inconnus et non déclarés, seront révélées au grand public, le 14 août 2002, par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), un groupe dissident iranien basé en France220. Dès lors s’engage un véritable bras de fer entre l’Iran et la communauté internationale pour mettre fin à ses activités nucléaires. L’Iran défend son « droit inaliénable » à développer un programme nucléaire civil garanti par le TNP (article IV). Mais l’Occident (en l’occurrence l’Europe et les États-Unis) le soupçonnent de chercher, par ce biais, à se doter de la bombe : d’abord parce que ce programme « pacifique » a été entouré du plus grand secret pendant une vingtaine d’années (1985-2002) et n’a été alors révélé que par l’opposition en exil; ensuite parce que les ambitions iraniennes dans le domaine du cycle du combustible n’ont aucune justification économique du fait que le fonctionnement de l’unique réacteur du pays — Bushehr-1 — est garanti par la Russie, pour toute sa durée de vie (environ 30 ans) et ne peut, de toutes les façons, qu’être alimenté en combustible russe; enfin parce que la collaboration avec les inspecteurs de l’AIEA n’est pas toujours franche en ce qui concerne certaines activités nucléaires entreprises sur certains sites (Delpech, 2006 : 14-15).

219 Il n’existe actuellement pas de projet pour finir le réacteur Bushehr-2. 220 Ces deux installations illustrent les deux voies possibles pour la nucléarisation : les réacteurs à eau lourde, comme celle d’Arak, sont fortement plutonigènes et donc très utiles si l’on poursuit la voie du plutonium pour fabriquer des armes nucléaires à condition d’y ajouter une usine dotée de capacités de retraitement des déchets plutonigènes; et l’usine d’enrichissement de Natanz qui devait abriter, à terme, 50 000 centrifugeuses, oriente vers la filière de l’uranium (tableau 5.1).

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En août 2003, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni (UE-3) agissant au nom de l’Union européenne (UE) proposent à l’Iran des négociations sur ce programme nucléaire devenu très préoccupant. Les deux parties parviennent à un accord qui voit l’Iran accepter de signer et d’appliquer le protocole additionnel aux accords de garanties généralisées de l’AIEA (INFCIRC/540) permettant des inspections plus renforcées de ses activités nucléaires.

Pour rétablir la confiance, en novembre 2004, l’Iran accepte de suspendre temporairement et volontairement son programme d’enrichissement d’uranium bien que celui-ci ne fut pas stricto sensu en violation du TNP auquel il a adhéré en 1970. Mais en août 2005, l’Iran annonce formellement à l’AIEA son intention de reprendre ses travaux sur la conversion d’uranium à l’usine d’Ispahan même si les activités d’enrichissement de l’uranium demeurent officiellement suspendues.

L’UE-3 fait alors pression sur l’AIEA pour qu’elle transfert le dossier nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité. Désormais saisi de l’affaire, le Conseil de sécurité exige, le 28 mars 2006, que l’Iran cesse ses activités d’enrichissement d’uranium et lui impose une date limite fixée au 28 avril. En réaction, l’Iran renonce à appliquer le protocole additionnel signé en décembre 2003. Plus, le 11 avril 2006, le nouveau président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, élu en juin 2005, annonce que son pays a enrichi pour la première fois de l’uranium à 3.5% qui permet de produire du combustible nucléaire, grâce à une cascade de 164 centrifugeuses.

Menacée de sanctions diplomatiques et économiques, l’Iran n’acceptera pour autant pas de renoncer à l’enrichissement de l’uranium comme demandé par les Occidentaux221. Fin 2010, les négociations entre les deux parties sont toujours en cours alors que l’Iran annonce sa première production de concentré d’uranium (« yellowcake »). L’année est aussi marquée par la mise en route de la centrale de Bushehr (21 août)222.

221 Entre 2006 et 2010, quatre trains de sanctions ont été votés contre l’Iran : il s’agit des résolutions 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2010). Elles sont accessibles à cette adresse : http://www.un.org/fr/documents/scres.shtml 222 Il faut toutefois savoir que la date d’opération commerciale du réacteur dont la capacité maximale est de 1000MW est fixée au 30 juillet 2012. http://www.iaea.org/PRIS/CountryStatistics/ReactorDetails.aspx?current=310

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Tableau 5.3. Coopération nucléaire sino-iranienne223.

Transferts annulés Transferts effectifs La promesse de 1997

- En 1990 et 1991, respectivement, la Chine accepte de fournir à l’Iran un réacteur de 27MW et un autre de 27 KW. Mais ces transferts n’ont pu avoir lieu suite à des pressions américaines.

- En 1992, la Chine accepte de fournir deux réacteurs de 300 MW à l’Iran qui devaient être installés à Qinshan. Mais en 1995, la Chine annule le transfert des réacteurs de 300 MW à la suite d’autres pressions des Etats-Unis.

- En 1991, la Chine (Nuclear Energy Industry Corporation) a envisagé la construction d’une installation de conversion

- En 1989, les Chinois travaillent dans les mines d’uranium de Yazd (Saghand), découvertes en 1985 et dont les réserves sont estimées à 5000 tonnes224, pour y extraire du minerai.

- En 1989-1991, la Chine accepte de former les scientifiques nucléaires iraniens.

- En 1991, la Chine fournit à l’Iran 1.8 tonnes d’uranium naturel sous différentes formes (1000 kg d’UF6, 400 kg d’UF4 et 400 kg d’UO2) stocké sur le site du CRNT.

- En 1992, la Chine fournit à l’Iran des technologies nucléaires diverses.

- En 1994, la Chine fournit du TBP à l’Iran.

- En 1994, la Chine fournit à l’Iran un laser à vapeur de cuivre.

- En 1995, les techniciens chinois ont construit un calutron (un système de

- En 1991, la Chine devait construire une installation de conversion de l’uranium métal en gaz d’uranium à Isfahan. Mais elle y renonce sous la pression des États-Unis en 1997. Toutefois, elle fournit la même année les plans détaillés du projet qui permettront à l’Iran de démarrer les travaux en 1999. En 2000, l’Iran informe l’AIEA du projet.

- En 1997, à la veille du sommet sino-américain d’octobre, le ministre chinois des affaires étrangères, Qian Qichen, remit une lettre secrète à la Secrétaire d’État, Madeleine Albright, dans laquelle la Chine promettait de ne pas s’engager dans de nouveaux projets nucléaires en Iran après la construction d’un petit réacteur de recherche et d’une fabrique de revêtements de zirconium destinés à envelopper les barres de combustibles nucléaires dans des réacteurs. Toutes choses qui, les Américains le reconnaissaient, ne constituaient pas un risque de prolifération nucléaire.

223 Les données figurant dans ce tableau ont été assemblées à partir de plusieurs sources concordantes : Wisconsin Project on Nuclear Arms Control; Nuclear Threat Initiative; Khan, S. A. 2012. China and Proliferation of Weapons of Mass Destruction and Missiles: Policy Issues. CRS Report for Congress. Congressional Research Service. 224 Il faut remarquer que 1000 tonnes de minerai donnent environ 1.5 tonnes de «yellow cake».

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de l’uranium en hexafluorure d’uranium près d’Isfahan. Mais la Chine a annulé le projet en 1997.

séparation d’isotope électromagnétique) pour enrichir de l’uranium à l’installation nucléaire de Karaj.

- En 1995, la Chine a vendu à l’Iran un réacteur de recherche Tokamak implanté à Téhéran, utilisant du béryllium et du tritium, et qui permet de faire des tests utiles pour l’arme thermonucléaire.

- En 2002, le Conseil national de la résistance révèle que des experts chinois ont travaillé dans une installation d’enrichissement de l’uranium par centrifugeuse près d’Isfahan.

- En 2003 (novembre), un rapport des services de renseignements américains fait état de la continuité « d’interactions préoccupantes » entre la Chine et l’Iran au cours de la première moitié de l’année.

- En 2004 (24 février), lors d’une audition devant les membres du Sénat, le Directeur du renseignement militaire américain, le Vice-Amiral Lowell Jacoby, affirme que des entités chinoises « demeurent impliquées dans les programmes nucléaires et balistiques pakistanais et iraniens » quoique « dans certains cas », ces entités sont impliqués sans que le gouvernement chinois en ait connaissance. Des propos qui laissent penser que dans d’autres cas, le

- En 1998, après la signature par le Président Clinton des certifications nécessaires à la mise en œuvre de l’accord de coopération nucléaire bilatéral sino-américain de 1985, comme promis, lors du sommet de 1997, il semble que la Chine (China Nuclear Energy Industry Corporation) ait entamé des négociations avec l’Iran (Isfahan Nuclear Research Center) pour un « approvisionnement continu » de centaines de tonnes d’acide fluorhydrique anhydre (AHF), le tout en falsifiant les documents sur les destinataires finaux des matières. Cette matière chimique peut être utilisée pour produire de l’hexafluorure d’uranium (UF6) utilisée dans les installations de conversion de l’uranium. C’est aussi un précurseur du gaz sarin (une arme chimique). La transaction fut annulée suite à des pressions américaines.

- En 1999, la Chine (China Non-metallic Minerals Industrial Import/Export Corporation) a relancé les négociations avec l’Iran (AEOI) concernant la construction d’une usine de production de graphite—le graphite est utilisé comme modérateur dans des réacteurs.

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gouvernement chinois était au courant de l’implication de ces entités.

- En 2006, il a été révélé que l’Iran a utilisé de l’hexafluorure d’uranium (UF6) provenant de la Chine pour accélérer son programme d’enrichissement de l’uranium.

- En 2007-2010, de nombreuses compagnies chinoises ont exporté des biens nucléaires sensibles à l’Iran. Difficile de ne pas penser que le gouvernement chinois a certainement fermé les yeux sur certaines transactions alors que le dossier nucléaire iranien faisait l’objet d’intenses débats à l’AIEA et à l’ONU225.

225 Sur la nature des différents transferts nucléaires entre 2007 et 2010, voir Khan, S. A. 2012. China and Proliferation of Weapons of Mass Destruction and Missiles: Policy Issues. CRS Report for Congress. Congressional Research Service.

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1.4. L’explication analytique : les cas sino-pakistanais et sino-iraniens à l’épreuve de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux.

L’explication analytique consiste à exposer les mécanismes causaux qui ont lié les facteurs identifiés dans nos propositions théoriques à notre phénomène empirique.

1.4.1. Les affinités identitaires et l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran.

Dans notre première proposition théorique, nous avions avancé que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait être favorisé par des affinités identitaires avec un État récipiendaire. Le test booléen de notre modèle théorique a confirmé cette proposition en révélant qu’une affinité idéologique existait entre les États dans tous les cas de coopération nucléaire. Pendant leur période de coopération respective, une très forte affinité idéologique a ainsi été enregistrée entre le Pakistan et la Chine (1972-1987), et entre cette dernière et l’Iran (1989-2010). En replaçant leurs rapprochements dans le contexte de l’histoire, voyons comment les identités collectives construites à partir des identités de type et de rôle de chacun des trois États et façonnées par une culture kantienne partagée, ont participé à la définition de leurs intérêts; et donc encouragé les transferts nucléaires.

1.4.1.1. La relation sino-pakistanaise ou l’amitié à toute épreuve.

Paradoxalement, l’amitié sino-pakistanaise est née au plus fort de la guerre froide lorsque les deux pays étaient dans des camps opposés226. En 1950, plus précisément le 4 janvier, le Pakistan a été le troisième pays en général et le premier pays musulman en particulier, à reconnaître la République populaire de Chine (RPC) alors même que les États-Unis, alliés du Pakistan à l’époque, lui refusaient cette reconnaissance au détriment de la République de Chine (Taiwan)227. Le 21 mai 1951, les deux pays établissent des relations diplomatiques formelles. Mais peu après, le Pakistan rejoint les deux

226 Pour un historique détaillé de la relation sino-pakistanaise jusqu’en 1980, voir Vertzberger, Y. 1983. The Enduring Entente: Sino-Pakistani Relations, 1960-1980. Washington: Praeger Publishers. Pour un résumé, voir Garver. J. 2001. Protracted Contest: Sino-Indian Rivalry in the Twentieth Century. Seattle and London: University of Washington Press. 187-215. 227 Le 1er octobre 1949, après plusieurs années de guerre civile entre les gouvernements nationaliste et communistes, le président du Comité central du Parti communiste chinois, Mao Zedong, proclame la République populaire de Chine à Beijing.

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organisations militaires majeures — la Central Treaty Organization (CENTO) et la Southeast Asia

Treaty Organization (SEATO)228 — initiées par les États-Unis et destinées à contenir la menace communiste posée par l’URSS et son allié principal, la RPC, dans la région.

Pour autant, la Chine ne s’offusqua pas publiquement du comportement du Pakistan qu’elle considérait comme une mesure purement défensive — même si elle le fit en coulisse —; se contentant de diriger principalement ses attaques à propos desdites organisations contre les États-Unis. La Chine considérait même le Pakistan comme un lien vital entre la SEATO et la CENTO à cause de sa position géographique. Sa participation à ces deux alliances était donc vue comme une importante plus-value stratégique-militaire: « The weakening of Pakistani links with these alliances could thus be considered of value to China’s defense, as it would limit the ability of the West to contain and encircle China along its southern flank » (Vertzberger, 1983 : 28). D’ailleurs, à l’occasion de deux rencontres privées, lors de la conférence de Bandung en avril 1955, Mohammed Ali Bogra, le premier ministre pakistanais, avait assuré à son homologue chinois, Zhou Enlai, que le Pakistan ne participerait à aucune action agressive des États-Unis contre la Chine (Garver, 2001 : 191). En réalité, le Pakistan avait adhéré à ces deux alliances pour garantir sa sécurité face à l’Inde. C’est donc en toute logique que l’alignement du vote pakistanais, pendant ces années 1950, sur celui des États-Unis qui rejetaient l’admission de la Chine à l’ONU n’a pas empêché les deux pays de

développer leurs relations229. Niloufer Mahdi (1986 : 61) précise ainsi: « […] The Chinese

apppreciated the constraints placed on a small country, striving to protect itself and, being entirely pragmatic, they understood the compromises that a such nation has to make ». Parallèlement, l’URSS, pourtant alliée de la Chine avait réagi vigoureusement à la participation du Pakistan à la SEATO et à la CENTO en apportant son soutien sans équivoque à l’Inde; allant même jusqu’à qualifier le pays d’entité non naturelle (Mahdi, 1986 : 62).

228 Le Pacte de Bagdad a été signé le 24 février 1955 par l'Irak, la Turquie, le Pakistan, l’Iran et le Royaume-Uni. Les États-Unis rejoignent le comité militaire de l’alliance en 1958. Le pacte sera rebaptisé CENTO après le retrait irakien le 24 mars 1959. La CENTO fut dissoute en 1979. Elle a été conçue comme le prolongement de la SEATO qui été créée le 8 septembre 1954, dans le cadre du pacte de défense collective de l’Asie du Sud-Est. La SEATO fut dissoute le 30 juin 1977. 229 Plus clairement, jusqu’en 1954, le Pakistan a soutenu l’admission de la Chine à l’ONU de même que l’attribution d’un siège permanent au Conseil de sécurité. Cependant, entre 1954 et 1962, il a voté pour que la décision soit prise à la majorité des 2/3. Dès 1963, il a révisé sa position consistant désormais à favoriser l’admission par le vote d’une majorité simple.

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En 1962, la relation sino-pakistanaise connaît un tournant décisif suite au bref conflit sino-indien déclenché par la Chine après une série d’incidents frontaliers avec l’Inde. Du côté pakistanais, le rapprochement avec la Chine devenait nécessaire pour contrebalancer l’Inde puisque les États-Unis, sans prendre la peine d’informer leur allié pakistanais, avaient décidé d’équiper militairement l’ennemi indien afin que celui-ci puisse faire face à la menace chinoise : « It was that single event which sparked off a reassessment among policy makers […] for a need of an opening to the People’s Republic of China as a counterweight to India » (Hussain & Hussain, 1993 : 35). Du côté chinois, avoir le Pakistan comme allié était tout aussi payant dans sa stratégie anti-indienne : « It made sense to befriend Pakistan because it gave China a suitable stick to belabor India » (Guruswamy, 2011 : 125).

John Garver (2001 : 188) résume bien la dynamique stratégique qui sous-tend la coopération entre les deux pays et sur laquelle nous reviendrons dans la confrontation de ce cas d’étude à notre argument stratégique :

Militarily, a strategic partnership between China and Pakistan presents India with a two-front threat in the event of a confrontation with either. A strong Pakistan, independent of and hostile to India, severely constrains India’s ability to concentrate its forces against Pakistan in the event of a China-India war. Conversely, a militarily potent China aligned with Pakistan constrains India’s ability to concentrate its forces against Pakistan in the event of war.

En 1963, la Chine et le Pakistan signent non seulement leur premier accord commercial mais aussi un accord territorial important dans lequel le Pakistan cède à la Chine la vallée du Shaksgam dans le cadre du différend frontalier opposant les deux pays au sujet des territoires du nord chinois. Pour Yaacov Vertzberger (1983 : 15), cet accord marque le point de décollage des relations entre les deux pays comme le confirment ces propos du Général Ayub Khan, alors président du Pakistan, qu’il cite: « This agreement on border demarcation was the first step in the evolution of relations between Pakistan and China. Its sole purpose was to eliminate a possible cause of conflict in the future. But as a result of this agreement, the Chinese began to have trust in us and we also felt that if one was frank and straightforward, one could do honest business with them ».

En éliminant une source majeure de conflits potentiels entre eux par cet accord, les Chinois et les Pakistanais ont donc concrètement posé les fondations de la culture anarchique kantienne qui allait dorénavant structurer leurs relations bilatérales dans le domaine sécuritaire; ils s’assuraient

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réciproquement que les différends éventuels entre leurs deux pays se règleraient de manière pacifique conformément à la première règle d’une structure de rôle d’amitié (Wendt, 1999 : 298-299). Dans le même temps, ils s’affichaient tous les deux hobbesiens vis-à-vis de l’Inde. L’accord frontalier sino-pakistanais, il faut le noter, était signé seulement trois mois (2 mars 1963) après la fin du conflit frontalier sino-indien (20 novembre 1962). Le 17 juillet 1963, Z. A. Bhutto déclarait à l’assemblée nationale pakistanaise : « In the event of war with India, Pakistan would not be alone. Pakistan would be helped by the most powerful nation in Asia » (Deepak, 2006 : 131). On a ici, une illustration parfaite de la deuxième règle d’une structure de rôle d’amitié : que les États amis s’attendent à combattre ensemble si la sécurité de l’un d’eux est menacée par un État tiers (Wendt, 1999 : 299).

Mais aussi, l’accord était une manière, pour les Pakistanais, de montrer aux Américains, leur mécontentement par rapport à la nouvelle politique indienne de ces derniers suite au conflit de 1962. Et le message a plutôt été très mal reçu à Washington comme le précisent Mushahid Hussain et Akmal Hussain (1993 : 35) :

In November 1963, when Foreign Minister Bhutto went to Washington to represent Pakistan at the funeral of President John Kennedy, the new occupant of the White House, President Lyndon, told Bhutto what he thought of Pakistan’s “growing flirtation” with China which was then a major American obsession in Asia. Lyndon Johnson bluntly told Bhutto: “I do not care what my daughter does with her boyfriend behind my back, but I will be damned if she does something right in front of my own eyes”. The message from Washington was that the United States was not going to tolerate Pakistan seeking a relationship with China at a time when the Americans were expending all their energies in Asia to “counter Chinese expansionism”.

Car, il faut le dire, Z. A Bhutto a été l’architecte du rapprochement sino-pakistanais alors que jusque-là, la politique étrangère pakistanaise s’articulait essentiellement autour de l’idée de l’alignement avec l’Ouest et de celle du rejet du communisme. Yaacov Vertzberger (1983 : 12) résume la vision de Z. A. Bhutto en ces termes: « Bhutto’s approach tended to be ideological, anti-Western (in particular anti-American), and strongly nationalistic. He was a vigorous opponent of Pakistan’s ever-growing dependency on the West, was Third-World oriented, and was a strong supporter of an increased emphasis on Pakistan’s Islamic identity ». Pour Z. A. Bhutto, la principale menace à l’indépendance du Pakistan était sa dépendance vis-à-vis des États-Unis; une dépendance qui, selon lui, était un nouveau type de colonialisme : une subjugation par des moyens pacifiques (Bhutto,

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1969 : 10-11)230. Il fallait donc s’en affranchir. Et pour ce faire, il fallait réintégrer la grande famille des États du tiers-monde que le Pakistan a quelque peu délaissée et au sein de laquelle la Chine était perçue comme un symbole de résistance à l’influence des États-Unis. C’est encore Yaacov Vertzberger (1983 : 23-24) qui nous résume bien cette affinité tiers-mondiste entre la Chine et le Pakistan et qui a occasionné leur rapprochement :

Years of identification with the West had seriously undermined Pakistan’s standing in the Third World, where it was considered a mere puppet of the West. Ties with China could help rid it of this stigma. In those years, a close relationship with China was considered by the Third World countries as a symbol of independence from U.S. influence in foreign policy. This was a particularly important consideration in light of India’s special standing in the Afro-Asian community. China succeeded in establishing a role for Pakistan in this community—something the Pakistanis had wanted since the 1950s but had been unable to obtain previously.

Quant à l’identité islamique pakistanaise, elle ne constituait pas vraiment un obstacle au resserrement des liens sino-pakistanais; au contraire. D’une part, parce que les leaders pakistanais ne s’inquiétaient pas vraiment de l’expansion du communisme dans leur pays comme l’explique Chaudri Mohammed Ali, premier ministre du Pakistan en 1955-1956: « Left to itself, communism cannot thrive in Pakistan. It had no chance as a rival to the Islamic ideology » (Levi, 1962 : 211). D’autre part, parce qu’il existe des similitudes entre les idéologies islamique et communiste comme l’explique toujours Levi (1962 : 211-212) :

There are some features in the practice, if not in the theory, of Islam and Communism possessing similarities (at least outwardly), which could be quite appealing to a Muslim lacking sophistication or familiarity with Islamic ideology. Both creeds, for example, are concerned with life on earth. Islam and Communism therefore deal with economic existence and its control by the state. Both have scorn for the rich. Both aim at a classless society and the equalization of wealth, though by different methods. Both are critical of aspects of capitalism and the institution of inheritance. Both advocate certain forms of communalism and collectivism. Social reforms, land reforms, economic justice are prominent tenets of Islam and favorite topics of Communist propaganda. The Communist and the Islamic world represent a community of strong believers, attractive to people obtaining an intense psychological satisfaction from membership in such

230 Ces idées ont été largement détaillées dans Bhutto, Z. 1969. The Myth of Independence. London: Oxford University Press. Z. A. Bhutto affirmera plus tard avoir été fortement influencé intellectuellement par ses lectures de Karl Marx dont il a reçu plus jeune, le Manisfeste du parti communiste, en cadeau d’anniversaire de la part de son père. Même chose à propos de ses lectures des biographies de Napoléon. À propos de l’apport de ces deux personnages historiques à sa construction intellectuelle, il dira dans son ouvrage If I am Assassinated (1979): « From Napoleon, I learnt the politics of power and from Marx, I learnt the politics of poverty » (Cité dans Hussain & Hussain, 1993 : 127).

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groups. Muslims and Communists are imbued with a pronounced sense of the righteousness of their convictions and possessed by a missionary spirit. Finally, in spite of the democratic aspects of the ideal Islamic polity, historically the Muslim world has known few liberal and many autocratic states.

Mohan Malik (2011 : 167-168) abonde dans le même sens lorsqu’il évoque la vision du monde binaire — « eux versus nous » — propre aux deux idéologies même si ses propos considèrent, à tort, le Pakistan comme un État islamiste. Ce qu’il reconnaît tout en faisant remarquer que le Pakistan s’est construit une image d’un État qui a défait une superpuissance, en l’occurrence l’URSS en Afghanistan, par le biais de méthodes djihadistes, donc islamistes.

Ideologically, China — an atheist state ruled by the Communist Party — and Pakistan — an Islamic state — do not seem to have much in common. However, their beliefs systems share some striking commonalties. Much like other global ideologies, Islamists divide the world into two regions: the world of believers, Dar-ul Islam, or the House of Islam, and Dar-ul Harb, or the House of Infidels and non-believers containing all territories ruled by non-Muslims, against whom no-holds-barred jihad (holy war) is to be waged by the believers (the true followers of Islam) who are destined to dominate and to rule over the non-believers. In their purest form, both Communist and Islamic ideologies yearn for a utopia. The Islamist division of the world into two blocs is similar to the one made by the followers of other totalitarian ideologies — Communism and Fascism — which ruled out peaceful coexistence with other belief systems. Such concepts promote the idea of “us versus them” and generate hostility, enmity, and a permanent state of war. Interestingly, this concept of continuous struggle (jihad) against non-believers bears remarkable resemblance to Chairman Mao’s concept of permanent revolution against his perceived enemies — rightists and capitalists — during the tumultuous Cultural Revolution (1967-1976) in China.

Par ailleurs, l’auteur trouve une similitude entre le nationalisme chinois, dans sa forme mettant en exergue la supériorité raciale des Han231, et l’islamisation, c’est-à-dire la supériorité de l’Islam sur toutes les autres religions, dans lesquelles les masses des deux pays ont longtemps été moulées, et fait également remarquer qu’au niveau idéationnel, les Chinois et les Pakistanais partagent une « psychologie double » faite de « victimisation et de domination ». D’un côté, les deux pays appréhendent l’agenda caché de l’Inde; le Pakistan par rapport à la question de la partition, la Chine par rapport à la question du Tibet. De l’autre, tout comme les Chinois rêvent de restaurer le statut d’Empire du milieu de leur pays, les Pakistanais, eux, rêvent aussi de restaurer l’Empire Mughal sur tout le sous-continent (Malik, 2011 : 167-168). On voit bien ici comment les identités de types de

231 Les Han constituent près de 92% de la nation chinoise qu’ils continuent d’incarner à côté des « populations des frontières » : Mongols, Musulmans, Mandchous et Tibétains.

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chacun des deux pays participent à la définition de leurs intérêts objectifs respectifs; lesquelles s’amalgament dans une identité collective sino-pakistanaise. Ces intérêts objectifs respectifs, les Chinois et les Pakistanais croient pouvoir les atteindre en faisant notamment front commun contre l’Inde; ce qui constitue l’un de leurs intérêts subjectifs à tous les deux. Sans cet intérêt subjectif commun, leur survie physique, leur autonomie, leur bien-être économique et leur valorisation collective d’eux-mêmes pourraient ne pas être assurés (Wendt, 1999 : 233-238).

Les deux premiers tests de la nouvelle amitié sino-pakistanaise surviennent en 1965 (conflit au Cachemire) et 1971 (conflit ayant conduit à la sécession du Bangladesh). Logiquement, la Chine apporte son soutien politique et diplomatique, économique et militaire au Pakistan. Après l’essai nucléaire indien de 1974, la coopération bilatérale se prolonge et débouche sur l’assistance nucléaire. Nous l’avons évoqué plus haut. La coopération concerne aussi l’assistance balistique pour n’évoquer que l’aspect sécuritaire de celle-ci.

Certes, la relation entre les deux pays a connu quelques épisodes de froid, quelques circonstances difficiles comme pendant la période de la révolution culturelle chinoise (1966-1969) au cours de laquelle la Chine s’est repliée sur elle-même, mais les deux pays se sont assurés de tout mettre en œuvre pour éviter que leurs liens ne se rompent : l’amitié sino-pakistanaise a résisté à l’épreuve du temps (Guruswamy, 2011 : 130). En août 1998, à la suite des essais nucléaires indiens et pakistanais, le Chef d’État-major des armées pakistanaises, le Général Jehangir Karamat, s’est rendu en Chine pour une visite de dix jours sur invitation de son homologue chinois, le Général Fu Quanyou. Au cours de ce séjour, le vice-président de la Commission militaire centrale chinoise, le General Zhang Wannian, a souligné publiquement cette caractéristique principale de la relation bilatérale : la résistance à l’épreuve du temps. Le temps, un facteur important de la formation des identités collectives (Wendt, 1994 : 417-418).

En novembre 2006, les propos prononcés par le Président chinois, Hu Jintao, lors d’une visite au Pakistan, résument encore aujourd’hui la nature et l’état de cette « relation spéciale » : « We can give up gold but we cannot give up our friendship with Pakistan […]. Pakistan and China’s relationship is higher than the Himalayas, deeper than the Indian Ocean and sweeter than

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honey »232. Peu importe que cela soit vrai ou pas, l’essentiel étant que les deux parties pensent que chacune d’elle pense que cela est vrai (Wendt, 1999 : 159-160). Or, les Pakistanais partagent cette conception de leur relation avec les Chinois. Pour preuve, dès le début des années 1960, malgré les pressions américaines, ils ont été clairs sur le fait qu’ils ne renonceraient pas à leur amitié naissante avec les Chinois. Une position qui, bien évidemment, enchanta ces derniers (Mahdi, 1986 : 64). En définitive, cette déclaration montre que les deux parties inscrivent la relation bilatérale dans le long terme, comme ce devrait être le cas dans une structure de rôle d’amitié caractéristique de la culture kantienne; la relation entre alliés, elle, n’étant pas normalement supposée s’inscrire dans la durée (Wendt, 1999 : 298-299). D’ailleurs, la Chine et le Pakistan n’ont jamais signé de traité d’alliance formel (Gibler & Sarkees, 2004).

1.4.1.2. La relation sino-iranienne ou la rencontre de deux grandes civilisations.

Contrairement au Pakistan, ce n’est qu’en août 1971 que l’Iran reconnaît le gouvernement de Pékin comme l’unique représentant légitime de toute la Chine. Car, l’alliance politique formée dès 1950 par la nouvelle République populaire de Chine et l’Union soviétique était mal perçue par le Shah d’Iran alors inconditionnel allié des États-Unis. Or, il a fallu attendre avril 1971 pour que la Chine mette en place une nouvelle politique extérieure qui a comme axes le refus de l’hégémonie soviétique et le rapprochement avec les États-Unis. Ce n’est donc probablement qu’après avoir reçu l’aval des États-Unis que l’Iran du Shah décide enfin d’établir des relations diplomatiques avec la Chine; il faut le rappeler, Henry Kissinger effectuait son voyage secret destiné à rapprocher Washington et Pékin en juillet 1971.

Cependant, les relations sino-iraniennes remontent à beaucoup plus loin, notamment à l’époque de la Route de la Soie, voie commerciale mythique reliant les pays du Moyen-Orient à la Chine impériale233. D’ailleurs, dans leurs discours respectifs, les leaders chinois et iraniens ne manquent aucune occasion de rappeler que la Chine et l’Iran sont deux civilisations et puissances asiatiques anciennes de même qu’ils s’évertuent à souligner que leurs deux pays ont, pendant longtemps subi

232 Cités dans Malik (2011 : 165). L’auteur qui assimile la « relation spéciale » sino-pakistanaise à celle entre les États-Unis et le Royaume-Uni ou encore celle entre les États-Unis et Israël fait toutefois remarquer que celle-ci est unique dans les relations internationales d’après-seconde guerre mondiale. Car, les États-Unis n’ont jamais partagé leurs technologies nucléaires et balistiques avec le Royaume-Uni ou Israël (Malik, 2011 : 192). 233 Pour une étude complète des liens historiques entre la Chine et l’Iran, voir Garver, J. 2006. China and Iran: Ancient Partners in a Post-imperial World. Seattle: University of Washington Press.

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les agressions, l’oppression et l’humiliation de l’Occident. Car effectivement, la Perse et la Chine ont tous les deux étés victimes de l’impérialisme et du colonialisme occidental auxquels elles se sont vaillamment opposées. La pénétration occidentale dans les deux empires a eu des conséquences similaires : en Perse, la partie occidentale est devenue la sphère d’influence de la Russie et la partie orientale celle de la Grande-Bretagne; la Chine quant à elle a été sous le joug d’une demi-douzaine de puissances occidentales et du Japon qui marchait dans les pas de l’Occident. Au final, les deux empires ont été dépouillés de certains de leurs territoires. L’Iran a perdu l’Azerbaïdjan, l’Arménie et le Daguestan au profit de la Russie. La Chine a perdu Hong Kong au profit des Britanniques, Taïwan au profit des Japonais, le Versant Nord du fleuve Amour au profit des Russes, le Vietnam au profit de la France et la Corée au profit du Japon. Les deux pays ont connu des périodes d’humiliation extrême qui ont contribué, chez eux, à la naissance d’un profond ressentiment à l’encontre des Occidentaux. En Chine, les massacres atroces perpétrés par les Japonais dans les années 1930 et 1940 et en Iran, le règne de Mohammad Reza Pahlavi (1941-1979) synonyme d’asservissement du pays par les États-Unis, ont été traumatiques.

En analysant cette rhétorique articulée autour de la grandeur puis de la décadence via l’humiliation, John Garver (2006 : 3-4) en est arrivé à la conclusion qu’elle est comme une sorte de lien affectif qui joue un rôle important dans la relation bilatérale :

In thinking through this problem, I concluded that this civilizational solidarity constitutes a sort of spirit of Sino-Iranian relations, a worldview and state of mind used to frame relationships. Civilizational rhetoric functions as symbols used to evoke underlying value-laden beliefs related to the modern histories of the two nations. The spirit of Sino-Iranian relations arises, I believe, from the fact that both were among the most accomplished, powerful, and durable kingdoms created by humankind since the beginning of urban settlement—and that these rich and proud kingdoms were brought low and stripped of their earlier High status by Western powers during the modern era. At least, this is the belief shared by Iranian and Chinese nationalist narratives. […] I believe this rhetoric provides symbol reflecting and liked to belief systems that in turn trigger certain emotional and normative responses. For both China and Iran, this rhetoric is linked to beliefs about what happened over the past several centuries, along with corollary resentments, hatreds, and sympathies for others. What is involved is the construction of self and group identity—belief about who one is, what one aspires to, and about whom others are and their aspirations.

Cette croyance partagée à propos d’une histoire commune conduit naturellement les deux pays à considérer l’ordre international actuel mise en place et toujours dominé par les puissances occidentales comme injuste et destiné à être remplacé par un nouvel ordre qui rendrait justice à leur

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statut intrinsèque de grande puissance. Ceci était déjà vrai sous Mao Zedong et Deng Xiaoping en Chine; ça l’était également en Iran avant la révolution islamique de 1979 de même que ça le redeviendra très rapidement dès 1989, après la mort de Khomeiny qui était, lui, beaucoup plus focalisé sur les questions religieuses234 (Garver, 2006 : 11). Puisque chacun des deux pays possède, et que chacun d’eux reconnaît que l’autre possède, des capacités supérieures à celles des autres États, dans sa région, et qu’ils sont tous les deux sujets à la menace hégémonique américaine à laquelle ils sont opposés, c’est donc naturellement qu’ils renforcent leur coopération dès cette année-là, notamment dans le domaine militaire (donc nucléaire).

La visite de mai 1989 d’Ali Khamenei à Pékin — la première d’un Chef d’État iranien en Chine — qui représentait le début de cette coopération militaire a été l’occasion pour Deng Xiaoping (alors président de la Commission militaire centrale) de rassurer les Iraniens que les Chinois étaient déterminés à poursuivre, avec eux, leurs relations amicales tout en rappelant les affinités tiers-mondistes des deux pays. L’attachement à la coopération entre États du tiers-monde pour faire face aux puissances impérialistes n’était d’ailleurs pas une nouveauté dans le discours chinois. Et il a contribué à favoriser l’attitude positive de l’Iran envers la Chine.

Dès les années 1950, la Chine qui se considérait comme le leader naturel et le protecteur des pays du tiers-monde s’opposait avec véhémence à la légitimité d’une norme contre la prolifération nucléaire et pensait que tout État souverain avait le droit de posséder des armes nucléaires. Ce qui aurait pour conséquence de briser le monopole des superpuissances en la matière et de diminuer leur puissance sur la scène internationale comme l’explique Jones (1998 : 49) :

During the years of isolation from the West [1950s-1960s], China’s posture rhetorically favored nuclear weapons proliferation, particularly in the Third World, as a rallying point for anti-imperialism. Through the 1970s, China’s policy was not to oppose nuclear proliferation, which it still saw as limiting U.S. and Soviet power. After China began to open to the West in the 1970s, its rhetorical position gradually shifted to one opposing nuclear proliferation, explicitly so after 1983.

Mais en réalité ce changement dans la rhétorique chinoise n’était pas un changement de vision des relations internationales. Plutôt, l’objectif de la Chine était de conclure un accord de coopération

234 D’ailleurs, le Shah d’Iran n’avait jamais caché ses rêves de résurrection de la gloire passée de son pays en caressant l’espoir qu’il redevienne la grande puissance qu’il a jadis été comme le note Trita Parsi (2007 : 40) : « Washington was well aware of the Shah’s aspiration for imperial grandeur and found Iran’s motivation legitimate even though its ambitions often clashed with those of Washington ».

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nucléaire avec les États-Unis afin de bénéficier de l’expertise américaine dans la modernisation de son programme nucléaire civile. Les négociations pour un tel accord avaient commencé en 1981. L’accord sera finalement signé en 1984. Gordon Corera (2006 : 45) fait d’ailleurs remarquer que la posture nucléaire chinoise était demeurée la même durant cette époque : « From 1970s to the 1980s, China was keen to see more nuclear powers in the world ». Ce que confirment Reed et Stillman (2009 : 328): « During the Deng years, 1981-1989, China became highly supportive of nuclear proliferation into the Thirld World ».

En juin 1985, lorsque Hashemi Rafsandjani, alors président de l’Assemblée nationale, se rend à Pékin — soit la première visite d’un responsable politique de haut niveau iranien en Chine, et que les deux pays signent secrètement un accord de coopération nucléaire civile, l’accent était déjà mis sur les expériences similaires de l’Iran et de la Chine en tant que victimes de l’impérialisme et du colonialisme et sur la responsabilité des grandes puissances dans la persistance des tensions entre les pays du tiers-monde et à laquelle il fallait faire face (Djalili, 1986 : 154). On voit donc comment les identités de type et de rôle des deux pays se sont amalgamées dans une identité collective à partir de laquelle émerge un intérêt subjectif commun : faire front commun face à l’Occident qui tente de les empêcher de retrouver leur grandeur passée. Or, un tel statut est pour ces deux pays, synonyme de survie physique, d’autonomie, de bien-être économique et de valorisation collective (Wendt, 1999 : 233-238). Comme le remarque John Calabrese (2006 : 3): «These references [to the ancient past relationship] should not be dismissed as empty rhetoric, for they are indicative of the way that in China as well as in Iran, history and culture inform present-day conceptions of both nations their view of their own power and status in the world […] The determination to kindle their relationship with each other, therefore, reflects a common desire to recreate the past, not just commemorate it ».

Ainsi, autant dans la relation sino-pakistanaise que dans la relation sino-iranienne sont présents, dans les discours, l’appartenance des pays à l’ensemble tiers-mondiste qui tente de s’affirmer face à l’ensemble occidental qui l’en empêche, et le statut de « victime » d’agressions passées; dans le cas du Pakistan, l’État en cause est l’Inde, dans le cas de l’Iran, ce sont les États-Unis et la Russie, et dans le cas de la Chine, de nombreuses puissances occidentales de même que le Japon. Alors que dans la relation sino-pakistanaise, les deux pays appréhendent l’agenda caché de l’Inde, dans la relation sino-iranienne, les deux pays s’inquiètent de l’hégémonie des États-Unis; la Chine est fondamentalement préoccupée par la suprématie des États-Unis au Moyen-Orient et leur hégémonie

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globale, l’Iran est particulièrement anxieuse par rapport à la présence des États-Unis dans Golfe persique qu’il considère comme sa sphère d’influence.

L’émergence d’une culture anarchique kantienne entre la Chine et l’Iran a été favorisée par le fait que, contrairement à d’autres grandes puissances comme la Russie et le Royaume-Uni, la Chine n’a jamais eu d’ambitions territoriales en Iran (Harold & Nader, 2012 : 5). Ce qui, comme dans le cas du Pakistan, éliminait un motif majeur de tensions entre les deux pays. Puisque les Chinois semblent guidés, dans leurs relations, par les principes de respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, de non-agression mutuelle, de non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures et de coexistence pacifique235, et que les Iraniens sont fondamentalement attachés à leur indépendance et à leur souveraineté territoriale, les deux pays espèrent donc implicitement régler leurs différends de manière pacifique même si cette croyance peut ne pas être à cent pour cent certaine (Wendt, 1999 : 299-300).

Il est intéressant de remarquer que, comme c’est le cas avec le Pakistan, la Chine n’a jamais signé de traité bilatéral d’alliance militaire avec l’Iran. Cependant, aussi bien le Pakistan que l’Iran disposent actuellement du statut d’observateur (qui a été refusé aux États-Unis) — prélude à celui de membre à part entière — au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS)236 dont la nature, selon certains auteurs, pourraient évoluer à terme, jusqu’à devenir une véritable alliance de sécurité à l’image de l’Alliance atlantique; et ce, malgré les dénégations récurrentes de son acteur majeur, la Chine. Les différents rapprochements entre l’OSC et l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), une alliance politico-militaire237, favoriseraient cette dynamique dont la conséquence logique serait l’adoption d’une clause d’assistance militaire (Haas, 2008). Ce qui veut dire qu’une agression éventuelle contre le Pakistan et l’Iran déclencherait une réponse automatique de la Chine par le biais du SCO dès lors que ces deux pays en seraient membres. La mise en place 235 Avec l’égalité et les avantages réciproques, ce sont les cinq principes traditionnels de la politique étrangère chinoise depuis le début des années 1950. 236 L’OCS a été créée à Shanghai les 14-15 juin 2001. Elle compte actuellement six États membres qui sont également les membres fondateurs : le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Chine, la Russie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Ses objectifs affichés sont : le renforcement de la confiance mutuelle et des relations de bon voisinage; la facilitation de la coopération dans les domaines politiques, économiques et commerciaux, scientifiques et techniques, culturels et éducatifs, ainsi que dans les domaines de l’énergie, des transports, du tourisme et de l’environnement ; la sauvegarde de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales ; la création d’un nouvel ordre politique et économique international, plus juste et démocratique. 237 L’OTSC a été créée en 2002 sur la base du Traité de sécurité collective de Tachkent signé en mai 1992 et entré en vigueur le 20 avril 1994. Elle regroupe actuellement la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazkhstan, le Kirghiztan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan.

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d’un tel système de sécurité collective qui regroupe les trois pays s’inscrirait dans la logique du maintien d’une culture anarchique kantienne partagée; comme c’est déjà le cas avec les pays membres de l’OTAN.

1.4.2. La participation au régime international de non-prolifération et l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran.

Dans notre deuxième proposition théorique, nous avions avancé que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait ne pas être défavorisé par sa participation ou celle de l’État récipiendaire, au régime international de non-prolifération. Le test booléen de notre modèle théorique a confirmé cette proposition en révélant que l’adhésion ou non d’un ou des deux États au TNP n’avait pas empêché la coopération nucléaire. La Chine et le Pakistan n’étaient pas membres du TNP lorsqu’ils commencent leur coopération nucléaire dans les années 1970. Parallèlement, l’Iran était membre du traité dès le début de sa coopération nucléaire avec la Chine dans les années 1980. L’accession de la Chine au TNP dans les années 1990 ne l’a pas découragée dans son assistance nucléaire au Pakistan et à l’Iran jusqu’en 2010. Examinons comment le caractère discriminant et les imprécisions du régime international de non-prolifération ont été exploités dans les deux cas d’assistance nucléaire suivant deux périodes, avant puis après l’adhésion de la Chine au TNP, afin de mieux appréhender les variations du comportement de cet État.

1.4.2.1. Les débuts de la coopération et la remise en cause de la légitimité du régime de non-prolifération.

En Chine, la période 1950-1990 a été très fortement marquée par une remise en cause de la légitimité de la norme de la non-prolifération. Comme nous l’avons clarifié dans notre modèle théorique, le concept de légitimité est mieux évalué à l’aune du concept de non-discrimination : pour qu’une règle, une norme ou institution soit perçue comme légitime, elle ne devrait opérer aucune discrimination entre les acteurs, en termes de droit et d’obligations. Or, le TNP est fondamentalement discriminatoire en termes de droits entre les EDAN et les ENDAN. C’est sur cette base que la Chine a formulé ses critiques les plus vives à l’encontre des efforts internationaux de non-prolifération à l’époque.

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Guidés par leur conception du rôle stabilisateur des armes nucléaires en relations internationales, les Chinois pensaient que TNP était une « conspiration » destinée à maintenir le monopole nucléaire des États-Unis et de l’URSS sur la scène internationale comme le résume Evan Medeiros (2007 : 33) : « From the 1950s to the early 1980s, China was highly critical of global nonproliferation efforts. Chinese leaders claimed those efforts were unbalanced and discriminatory, a means fort states with nuclear weapons to ensure their military superiority at the expense of the security of China and other nations ». Par conséquent, ils refusaient de participer au régime de non-prolifération et défendaient même le droit de tous les pays souverains à se nucléariser; ce qui aurait d’ailleurs pour conséquence de favoriser le désarmement.

Mais au milieu des années 1980, l’attitude chinoise vis-à-vis de la non-prolifération changea. D’un rejet total du principe, elle passe à son soutien même si elle refuse toujours de signer le TNP. Cette relative évolution de la position chinoise se manifeste de la manière suivante: « It is represented by repeated official disavowals of any encouragement or support to threshold (or would-be) weapons states; entry into the International Atomic Energy Agency (IAEA); acceptance of most international rules governing nuclear exports, including the requirement of IAEA safeguards on all nuclear exports; and apparent discontinuation of its controversial nuclear assistance programs » (Potter, 1990 : 250).

En effet, le 1er janvier 1984, la Chine devient officiellement membre de l’AIEA238. Ce qui l’emmène à adopter une nouvelle politique d’exportations nucléaires fondée sur trois obligations : 1) que toutes ses exportations soient destinées à des usages pacifiques; 2) qu’aucune d’entre elles ne soit transférée par la suite à des États tiers sans son accord; 3) et qu’elles soient toutes placées sous le contrôle de l’AIEA. Malgré tout, elle n’hésite pas à exporter vers l’Argentine et le Brésil — des pays avec lesquels elle signe des accords de coopération en 1985 — de même que vers l’Afrique du Sud et l’Inde, des matières, technologies et équipements qui n’étaient pas couverts par le système de garanties de l’AIEA; leur permettant ainsi de les détourner à des fins militaires. Car, à cette époque, tous ces pays étaient embarqués dans des programmes nucléaires militaires (tableaux 3.1, 3.2, 3.3).

En somme, une attitude en totale contradiction avec ses nouveaux engagements vis-à-vis de la non-prolifération. Des engagements qu’elle a, elle-même, rappelés, malgré son opposition au TNP, le 10 janvier 1984, lors de la première visite du Premier ministre Zhao Ziyang (1980-1987) aux États-Unis :

238 En fait, c’est dès le 11 octobre 1983 déjà qu’elle devient le 112ème membre de l’Agence.

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« We are critical of the discriminatory treaty on the non-proliferation, but we do not advocate or encourage nuclear proliferation. We do not engage in nuclear proliferation ourselves, nor do we help other countries to develop nuclear weapons » (Jones, 1998 : 57). Des engagements qu’elle a encore réitérés le 18 janvier 1985, lorsque le Vice-premier ministre, Li Peng, déclarait: « I wish to reiterate that China has no intention, either at the present or in the future, to help non-nuclear countries develop nuclear weapons » (Potter, 1990 : 255).

Or, après les transferts effectués pour le compte du Pakistan en 1982 (tableau 5.2), une délégation de scientifiques chinois visitait l’usine d’enrichissement de l’uranium de Kahuta (une des principales installations du programme nucléaire du pays) en 1984-1985. D’ailleurs, pendant toutes ces années 1980, la coopération nucléaire militaire entre la Chine et le Pakistan n’a jamais cessé. Plus, au cours de cette période, la Chine s’était engagée dans une coopération nucléaire clandestine avec l’Algérie (1983-1991) — ce qui implique que l’AIEA n’était pas informée des transactions bilatérales — alimentant ainsi les soupçons sur la véritable finalité du programme nucléaire de ce pays239. C’est également au cours de cette décennie 1980, plus précisément en 1989, que commence l’assistance nucléaire sensible à l’Iran même si un protocole de coopération était signé dès 1985. Selon cette entente qui comprenait la fourniture de matériels et d’équipements et la formation, les différents échanges entre les deux pays devaient être couverts par le système de garanties de l’AIEA. Ce qui n’a pas toujours été le cas alors que l’Iran également membre de l’Agence, dans son cas depuis 1957, avait, par ailleurs, signé et ratifié le TNP respectivement en 1968 et 1970.

En dépit de toutes les assurances internationales, la Chine ne se sentait pas particulièrement concernée par la norme de la non-prolifération qu’elle considérait toujours comme illégitime; et ce, malgré son adhésion à l’AIEA. En réalité, elle était beaucoup plus motivée par ses objectifs électronucléaires d’autant que le plan de modernisation économique et industriel de Deng Xiaoping impliquait forcément un développement de ses ressources énergétiques. Or, pour les réaliser, elle devait faire appel à l’expertise des pays fournisseurs occidentaux de technologies et d’équipements nucléaires dont notamment les États-Unis avec qui elle entre en négociations dès 1983 en vue de conclure un accord de coopération nucléaire civile qui ne sera signé qu’en 1985 (23 juillet)240.

239 Cette coopération était structurée autour de la construction du réacteur nucléaire de Es-Salam. Pour une vue d’ensemble du programme nucléaire algérien : http://www.nti.org/country-profiles/algeria/ 240 Lors de sa visite à Pékin, en avril 1984, le Président Reagan annonçait déjà un protocole d’accord.

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C’est donc dans ce contexte qu’elle « s’est vue contrainte de clarifier sa position à l’égard de la prolifération nucléaire et, par voie de conséquence, de préciser les règles qu’elle entendait appliquer dans son commerce nucléaire extérieur » (Courteix, 1986 : 667). Comme on peut le constater, les déclarations sur la non-prolifération des leaders chinois coïncident avec la période des négociations sino-américaines alors que, suite à la mise au jour, par les services de renseignement américains, de la présence des experts chinois dans les installations nucléaires pakistanaises, le Président Ronald Reagan avait ajourné la signature de l’accord, paraphé en avril 1984, jusqu’en juillet 1985241.

De son côté, le Pakistan a toujours défini sa posture à l’égard du TNP en fonction du « facteur indien » en conditionnant son accession au traité à l’adhésion simultanée de son voisin et rival. Pour Islamabad, l’ « explosion nucléaire pacifique » de 1974, qui n’était rien d’autre qu’un test nucléaire, avait simplement signé l’arrêt de mort du TNP: « Pakistan refuses to participate in the first NPT Review Conference in 1975 (althought not a signatory, it still could participate as an observer) citing the Treaty’s inability to prevent India from building nuclear weapons. Pakistan perceived the NPT as a ‘toothless’ treaty » (Chakma, 2008 : 85-86). Comme nous l’avons montré précédemment, cet épisode constitue un des tournants majeurs de l’histoire de la nucléarisation du Pakistan. Si tout comme les Indiens, les Pakistanais n’ont pas manqué de dénoncer le caractère discriminant du TNP dès les débuts de sa négociation dans les années 1960, dès la fin des années 1970, ils ne rateront aucune occasion de souligner cet état de fait alors qu’ils faisaient l’objet de nombreuses pressions occidentales par rapport à leur programme nucléaire: « Pakistan began to highlight the ‘discriminatory’ character of the NPT, implying that the imbalance in obligations and responsabilities between NWS and NNWS was not acceptable » (Chakma, 2008 : 87).

En somme, durant cette première période qui couvre la coopération nucléaire intensive entre la Chine et le Pakistan, le régime de non-prolifération était perçu comme illégitime par les deux acteurs qui ont refusé d’y participer à cause du caractère discriminant du TNP. Leur adhésion à l’AIEA n’a, pour autant, pas affecté cette croyance normative qui sera toujours présente au cours des décennies 1990 et 2000, même si la Chine adhère au TNP.

241 L’accord de coopération nucléaire entre les deux pays sera finalement approuvé par le Congrès américain en décembre 1985.

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1.4.2.2. La poursuite de la coopération et la mise en lumière du design problématique du régime de non-prolifération.

La période 1990-2010 est marquée par l’adhésion de la Chine au TNP mais aussi par la continuation de son assistance nucléaire au Pakistan et à l’Iran. Comme nous l’avons expliqué dans notre modèle théorique, l’ambigüité et l’indétermination du langage du TNP qui peuvent justifier des interprétations diverses et variées de certaines de ses clauses essentielles constituent une porte ouverte au comportement proliférant. Les exportations de biens nucléaires à double-usage (des matières et technologies qui peuvent à la fois servir dans des programmes civiles et militaires), de la Chine à ses deux clients au cours de cette période, l’ont illustré.

En mars 1992, la Chine adhère donc au TNP. Un revirement de position qui illustre certes un début d’acceptation de la norme de non-prolifération mais qui ne saurait être interprété comme un changement de perception par rapport à la question de la légitimité de celle-ci. Pour preuve, il aura fallu attendre que les Américains menacent de révoquer leur statut de la nation la plus favorisée s’ils ne limitaient voire ne mettaient pas fin à leur coopération nucléaire avec les Iraniens pour que les Chinois acceptent de renoncer officiellement, en 1997, à presque tous les projets nucléaires importants dans lesquels ils s’étaient engagés auprès de leur client (tableau 5.3)242. Officieusement, par contre, ils continueront d’être impliqués dans les efforts nucléaires de ce pays243 comme en témoignent la mise à disposition, cette même année 1997, des plans de construction de l’installation de conversion de l’uranium d’Isfahan alors que le projet avait été annulé, et les cas de transactions enregistrés en 2000-2010 (tableau 5.3).

Toutefois, arguant que les appels américains à une cessation définitive des transactions nucléaires avec l’Iran allaient à l’encontre des principes du TNP qui autorisait la coopération nucléaire civile entre les États parties, la Chine décida d’aller au terme d’autres contrats. Puisque ces derniers couvraient la livraison d’équipements à double-usage, les deux États pouvaient exploiter le silence du traité sur les biens nucléaires dont les exportations devraient être contrôlées (Medeiros, 2007 :

242 Il est intéressant de remarquer que les États-Unis avaient également conditionné la mise en œuvre de l’accord de coopération nucléaire de 1985 à l’adhésion de la Chine au TNP. 243 Voici ce qu’écrit Marie-Hélène Labbé (1995 : 131) à propos de l’attitude chinoise : « Le comportement chinois n’a en fait jamais varié : les ventes de technologies sensibles se poursuivent et sont d’abord niées, si possible jusqu’à la livraison. Puis la Chine, devant l’évidence, reconnaît ses ventes tout en affirmant l’usage civil des technologies nucléaires […]. Si les pressions s’intensifient au sujet d’un contrat découvert trop tôt, la Chine s’engage à interrompre les livraisons […] et expédie des composants permettant à l’acheteur de produire lui-même les armements commandés ».

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54). La Chine pouvait donc continuer de justifier sa coopération avec l’Iran auprès des États-Unis par le fait qu’ils avaient tous les deux des interprétations différentes du texte : elle mettait plus l’accent sur le droit des États non nucléaires membres du traité à accéder aux applications pacifiques de l’atome alors que les États-Unis, eux, attiraient beaucoup plus l’attention sur le détournement de l’assistance nucléaire pacifique à des fins militaires notamment parce qu’ils perçoivent l’Iran comme un État préoccupant qui soutient le terrorisme, recherche des armes de destruction massive et qui constitue donc une menace pour la sécurité internationale.

Au cours de la période 1990-2010, la Chine a également poursuivi sa coopération nucléaire avec le Pakistan : dans les années 1990, elle y a exporté des biens à double-usage destinés au fonctionnement des installations faisant partie du complexe de production de matières fissiles du programme nucléaire militaire pakistanais de même que ses scientifiques ont partagé avec leurs homologues pakistanais des informations sensibles ayant pour objet l’amélioration de la conception des armes nucléaires; dans les années 2000, elle y a construit des réacteurs nucléaires dans des conditions nébuleuses.

Au milieu de la décennie 1990, trois projets de la Chine, au Pakistan, ont attisé les inquiétudes sur le respect de ses engagements en matière de non-prolifération : 1) l’assistance dans la construction d’un réacteur de production de plutonium de 50-70 MW sur le site de Khushab qui n’a jamais été sous le contrôle et les garanties de l’AIEA, et la fourniture d’équipements à double usage destinée à cette installation; 2) l’assistance dans la construction d’une usine de retraitement de combustible nucléaire à Chashma et la construction d’un réacteur nucléaire de 300 MW sur le même site; 3) la fourniture de 5000 aimants spéciaux fabriqués sur mesure et destinés à la stabilisation des centrifugeuses du laboratoire de recherche de Kahuta (tableau 5.2).

Le réacteur de Khushab constituait une source potentielle de combustible nucléaire plutonigène usagé. Opéré en association avec l’usine de retraitement de Chashma, le Pakistan disposait alors d’une source additionnelle de production de plutonium. Si le réacteur nucléaire de Chashma, destiné à produire de l’électricité et placé sous le contrôle de l’AIEA, ne constituait pas en lui-même un risque de prolifération, il semble néanmoins que sa construction ait pu servir de couverture à celle de l’usine de retraitement du même lieu et à l’avancement d’autres projets nucléaires plus suspects. Quant aux aimants spéciaux, si leur exportation n’est pas interdite, le fait qu’ils aient été spécialement fabriqués pour être utilisés sur des centrifugeuses à gaz permettant d’enrichir de l’uranium et surtout qu’ils

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aient été destinés à la principale source d’uranium hautement enrichi du programme nucléaire militaire pakistanais ont soulevé des inquiétudes sur le respect, par la Chine de ses obligations en tant que membre du TNP (Medeiros, 2007 : 65-67). Certes, on peut penser que cette attitude de la Chine au cours des années 1990 était justifiée par le fait qu’elle n’était pas membre du GFN. Toutefois, une telle hypothèse révèle vite ses limites quand elle est confrontée à la réalité des transactions nucléaires entre Pékin et Islamabad au cours de la décennie suivante.

Au cours des années 2000, la Chine et le Pakistan s’engagent dans plusieurs projets de construction de réacteurs nucléaires (tableau 5.4.). Si on exclut la construction du réacteur CHASNUPP-2 dont le contrat a été signé en 2000, soit avant l’adhésion de la Chine au GFN en 2004, les conditions dans lesquelles s’opère la coopération nucléaire civile avec le Pakistan invitent à relativiser l’effet des institutions et des normes de non-prolifération sur leurs participants. En effet, en septembre 2010, la Chine confirme ce qui était alors une rumeur, à savoir la construction, pour le compte du Pakistan, des réacteurs CHASNUPP-3 et CHASNUPP-4. Si ces installations à usage pacifique devraient être placées sous le contrôle de l’AIEA, ce qui est conforme aux dispositions du TNP, leur construction viole toutefois l’embargo du GFN sur l’exportation des équipements nucléaires à destination du Pakistan alors que la Chine s’était engagée, lors de son adhésion au club, à ne plus livrer de réacteurs à ce pays. Mais selon la Chine, ces deux contrats auraient été négociés en 2003 suite à des ententes qui avaient eu lieu dans les années 1980. Partant de là, le Groupe a été obligé de considérer cette coopération comme un « fait accompli » non sans que les États-Unis aient longtemps rejeté l’argument chinois : «The deal raises questions about the capacity of the Nuclear Suppliers Group, and particularly its ability to hold its member states accountable for their export commitments, given that the Sino-Pakistani deal was presented to the NSG as a fait accompli » (Joshi, 2011). Alors qu’elle aurait pu faire appel au jugement de l’institution en demandant que les contrats avec le Pakistan fassent l’objet d’une exception dans les règles normalement applicables aux exportations nucléaires, la Chine a choisi de court-circuiter le GFN comme l’explique Ashley Tellis (2010 : 5)

Knowing full well that Pakistan’s poor nonproliferation record and its continuing reluctance to come clean on the activities of A. Q. Khan and his cohort will prevent the NSG from granting Pakistan any waiver from the full-scope safeguards requirement, Beijing appears committed to persisting with the course of action it has adopted thus far: namely, to attempt consummating various nuclear trades with Pakistan secretly if it

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believes it can get away with such dealings because of either diffidence or contrivance on the part of the international community.

En somme, au cours de cette deuxième période, la participation de la Chine au régime de non-prolifération — par ailleurs encouragée par les avantages politiques et économiques qui en découlaient dans ses relations avec les États-Unis — ne l’a pas empêchée de continuer à assister l’Iran et le Pakistan puisqu’elle a su exploiter les failles de ses différentes composantes comme le résume T.V Paul (2003 : 1): « Since the late 1990s, evidence suggests that China has […] found loopholes in the regimes that it has joined that have enabled it to continue its proliferation links with Pakistan ». La défense d’une coopération nucléaire avec l’Iran n’était pas anodine: « Exporters are aware of the dual-use dilemma; they are not naïve about the possible connection between peaceful and military nuclear programs » (Fuhrmann, 2012 : 37).

1.4.3. Les stratégies d’équilibrage et l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran.

Dans notre troisième proposition théorique, nous avions avancé que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait être motivé par la volonté de contenir la puissance d’un autre État menaçant commun avec l’État récipiendaire. Le test booléen de notre modèle théorique a confirmé cette proposition en révélant la présence d’un rival ou d’un ennemi commun aux deux États dans tous les cas de coopération nucléaire. Dans le cas de la coopération sino-pakistanaise, le rival commun était l’Inde. Dans le cas de la coopération sino-iranienne, l’ennemi commun était les États-Unis. Voyons, en retraçant les sources historiques et géopolitiques des tensions entre la Chine et ces deux États menaçants, comment, par son assistance nucléaire, elle voulait leur imposer des coûts stratégiques.

1.4.3.1. La volonté de contenir l’Inde.

Depuis 1947, le Pakistan entretient une rivalité stratégique avec l’Inde dont la facette majeure est la lutte persistante pour le contrôle du Cachemire (Thompson & Dreyer, 2012 : 218) comme l’illustrent leurs affrontements en 1965 (deuxième guerre indo-pakistanaise) et 1999 (conflit de Kargil). De plus, en 1971, les deux pays entrent en guerre lorsque les troupes indiennes apportèrent leur soutien au mouvement de sécession au Pakistan oriental qui débouchera sur la dislocation du pays avec la

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création du Bengladesh (troisième guerre indo-pakistanaise)244. Parallèlement, depuis 1948, la Chine entretient une rivalité stratégique avec l’Inde; un pays avec lequel elle partage plus de 3500 km de frontières contestées qui ont fait l’objet de multiples crises, dont un conflit armé en 1962.

Dans son étude de la rivalité sino-indienne, Mohan Malik (2011 : 71)245 pense que les perceptions des leaders chinois à l’égard de l’Inde ont été influencées par la rébellion tibétaine et l’exil subséquent du Dalaï Lama en Inde en 1959, les réclamations territoriales chinoises, et la victoire de la Chine lors du conflit frontalier de 1962. Le soutien de la Chine au Pakistan lors des conflits indo-pakistanais de 1965 et 1971 n’a fait qu’exacerber les tensions entre la Chine et l’Inde. En réalité, pour les Chinois, le conflit de 1962 était la conséquence logique de la politique tibétaine de l’Inde qui voyait en le contrôle de ce territoire un moyen de dominer l’Asie du Sud et de garantir sa sécurité comme le précise John Garver (2005 : 89-90).

Nehru aspired and worked consistently throughout the 1950s to turn Tibet into a ‘buffer zone’ […] Nehru imbibed British imperialist ideology, and believed that India should dominate neighboring countries […] Congress Party leaders [entertained] aspirations that India should lead and organize the Indian Ocean region […] The ‘decisive factor’ in the deterioration of Sino-Indian relations was Nehru’s policy of ‘protecting’ the Tibetan ‘splittists’ after the Lhasa rebellion of March 1959.

Or, les Chinois, eux aussi, avaient les mêmes aspirations que les Indiens comme l’indiquent ces propos résumant les enjeux de cette rivalité:

At stake are issues of position in their overlapping ‘sphere of influence’ in southern Asia (including the Himalayan region and the Tibetan plateau), Southeast Asia, parts of Central Asia, and increasingly the Indian Ocean region, as well as fundamental national security issues that have emerged as a consequence of the contest between these two states for power and influence in these regions (Pardesi, 2011 : 79).

En défaisant l’Inde en 1962, la Chine portait un coup sévère aux rêves de grandeur asiatique et tiers-mondiste de l’Inde tout en se positionnant comme la véritable puissance régionale. En même temps, elle était activement engagée dans un programme nucléaire militaire qui va déboucher sur son acquisition de la bombe en 1964. Mais dès 1974, avec son « explosion nucléaire pacifique », l’Inde lançait également un signal fort sur son savoir-faire nucléaire. Car, après avoir échoué dans sa quête

244 La première guerre indo-pakistanaise est celle de 1947. 245 Voir Malik, M. 2011. China and India: Great Power Rivals. Boulder, Colorado: FirstForumPress. Pour une autre étude approfondie de la rivalité sino-indienne depuis ses débuts, voir Garver, J. 2001. Protracted Contest: Sino-Indian Rivalry in the Twentieth Century. Seattle and London: University of Washington Press.

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de la protection nucléaire des États-Unis et du Royaume-Uni suite à l’entrée de sa rivale dans le club nucléaire, cette dernière entreprit de poursuivre activement un programme nucléaire national (1964-1966) que la guerre de 1971 avec le Pakistan, désormais soutenu par la Chine, va rendre nécessaire. En témoigne la décision de Gandhi d’autoriser, en octobre 1972, les scientifiques indiens à se préparer pour un test nucléaire (Paul, 2000 : 127). Comme nous l’avons souligné, le conflit de 1971 représentait également, pour le Pakistan, un tournant majeur dans l’exploration de l’option nucléaire qui sera décidée par Z. A. Bhutto en mars 1972. L’« explosion nucléaire pacifique » de 1974 n’aura fait que renforcer la volonté pakistanaise dans sa quête de la bombe. Car, c’est juste après l’essai indien que la Chine et le Pakistan ont commencé par envisager une coopération nucléaire.

Selon Aziz Ahmed, ministre pakistanais des affaires étrangères à l’époque (1973-1977), la Chine aurait même offert, cette année-là, sa protection au Pakistan246. En 1976, est déjà signé un accord secret de coopération entre les deux pays dont Z. A. Bhutto dira plus tard qu’il est peut-être sa plus grande réussite, et sa contribution la plus importante à la survie de son peuple et de la nation pakistanaise (Bhutto, 1979 : 248). Strobe Talbott (1999 : 115) confirme cette lecture des évènements: « Largely in reaction to developments in India, Pakistan had already concluded that it, too, must have nuclear weapons. It sought and received help from China […] ». Et à Mohan Guruswamy (2011 : 125) de justifier: « […] Pakistan had only one enemy, on which its energies were and are still fully focused. China, given, its rivalry and tensions with India, was a natural ally for Pakistan ». Ainsi, pour la Chine, un Pakistan nucléaire représentait un moyen idéal de contenir sa rivale l’Inde. En s’engageant dans une coopération nucléaire militaire soutenue avec le Pakistan, la Chine imposait ainsi des coûts stratégiques importants à l’Inde dans la réalisation de ses projets hégémoniques en Asie du Sud (Thompson & Dreyer, 2012 : 217). T. V. Paul (2003 : 2-4) explique les motivations chinoises de manière plus détaillée :

[…] Beijing’s motivations in transferring nuclear and missile materials and technology to Pakistan derived largely from Chinese concerns about the regional balance of power and are part of a Chinese effort to pursue a strategy of containment in its enduring rivalry with India. […] China wants to limit India’s power capabilities to South Asia and thereby constrain New Delhi’s aspirations to become a major power in Asia. India’s emergence as peer-competitor in Asia would upset China’s predominant position in the region […]. By helping to continue the India-Pakistan rivalry, China has also sought to

246 « Chinese Pledge to Pakistan over Nuclear Threat », Times, 27 juin 1974.

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keep India limited to regional power status and prevent its recognition as a major power. Regional and global balance of power and containment considerations are behind these Chinese calculations.

Cette explication des déterminants de la coopération nucléaire sino-pakistanaise est aussi partagée par John Garver (2001 : 327) qui ajoute à son analyse un autre avantage que pourrait tirer la Chine d’un Pakistan nucléaire : celui de ne pas à avoir à faire le difficile choix d’intervenir militairement auprès de son allié en cas de nouveau conflit avec l’Inde après les guerres de 1965 et 1971.

By helping Pakistan acquire nuclear weapons, China was righting the balance of power in South Asia, which seemed to be developing dangerously to China’s disadvantage. A nuclearized Pakistan might also reduce the danger that China itself would have to choose between going to war with India to uphold Pakistan’s independence or watching passively while Pakistan was subordinated to India […]. Support for Pakistan’s nuclear program averted such a choice by diminishing the likelihood that India would opt for a decisive war against Pakistan.

Evan Medeiros (2007 : 52) qui ne rejette pas cette vision de la coopération sino-pakistanaise rajoute quant à lui, le facteur soviétique dans l’équation. Car, il faut le savoir, l’Inde était un allié de l’URSS et avait bénéficié de son soutien lors de la guerre de 1971 avec le Pakistan. Or, à l’époque, la Chine entretenait également une rivalité stratégique avec l’URSS (1958-1989) et était fondamentalement opposée à l’hégémonie soviétique :

China sought to arm Pakistan to balance Indian power and to limit the expansion of Soviet regional influence. Providing such strategic assistance substantially improved the security and ensured the sovereignty of perhaps China’s closest and most longstanding quasi-ally. India would be forced to deal with Pakistan in perpetuity as sovereign and independent nuclear power. In addition, nuclear weapons helped Pakistan to frustrate India’s efforts to establish hegemony over South Asia and to prevent Indian-Soviet encirclement of China.

Donc, comme toute unité indépendante du système international anarchique, la Chine avait pour objectif principal de maximiser ses chances de survie. Pour cela, elle devait s’assurer de prévenir, dans sa région, l’émergence d’un État hégémonique dont le potentiel de puissance peut être tel qu’elle se retrouve en position de subordination par rapport à lui. En renforçant ses capacités internes par l’acquisition d’une force nucléaire (équilibrage interne) et en aidant le Pakistan, rival principal de l’Inde, à neutraliser la puissance nucléaire de cette dernière (équilibrage externe), la Chine s’assurait de créer un équilibre des puissances en Asie.

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Avec la fin de la guerre froide, le monde bipolaire a laissé la place à un monde unipolaire avec les États-Unis dans le rôle de puissance hégémonique. Un nouvel ordre international que n’a cessé encore de critiquer la Chine après avoir longtemps dénoncé la double hégémonie soviéto-américaine. Afin de contrebalancer la puissance américaine à l’ère de l’unipolarité, la Chine a mis en place plusieurs stratégies (Schweller & Pu, 2011). Pour ce qui a rapport avec cette recherche, l’assistance nucléaire et le soutien diplomatique à l’Iran dans le cadre de la gestion de la crise qui oppose ce pays à l’Occident sur les véritables finalités du programme nucléaire en font partie — nous le démontrons dans la prochaine section — tout comme la vente de réacteurs nucléaires civiles CHASNUPP-3 et CHASNUPP-4 au Pakistan.

En effet, il y a des raisons de penser que l’accord de 2010 entre la Chine et le Pakistan sur la construction de ces réacteurs est une réponse à l’accord de coopération nucléaire de 2008 entre les États-Unis et l’Inde, un pays qui, comme le Pakistan, n’est pas membre du TNP et ne soumet pas toutes ses installations nucléaires aux contrôles de l’AIEA. D’autant que le Pakistan n’a cessé de réclamer, après l’annonce officielle de cette coopération avec sa rivale, en 2005, un traitement similaire, en évoquant non seulement ses besoins énergétiques mais aussi la nécessité d’un équilibre stratégique en Asie du sud. Dans un communiqué de presse publié en août 2007, la National Command Authority, organe de décision suprême sur les questions nucléaires et balistiques, et qui contrôle les programmes nucléaires et balistiques pakistanais, s’inquiétait des implications de cet accord : « The US–India Nuclear Agreement would have implications on strategic stability as it would enable India to produce significant quantities of fissile material and nuclear weapons from unsafeguarded nuclear reactors »247. Également, dans une lettre adressée aux membres de l’AIEA et du GFN en juillet 2008, le Pakistan prévenait la communauté internationale des risques d’une course aux armements entre New Delhi et Islamabad qu’entraînerait la mise en œuvre de l’accord. Malgré tout, Islamabad se heurtait au refus de Washington. Dans un câble Wikileaks datant de 2006, des propos entre deux officiels chinois et américains ont révélé que les rumeurs sur la construction de ces deux réacteurs nucléaires étaient infondées et que cette nouvelle coopération violerait de toutes les façons les engagements de la Chine en tant que membre du GFN248. La confirmation finale, par la Chine, de l’accord de 2010 et sa justification par l’évocation de 247 « Press release by Inter-Services Public Relations, No. 318/2007 », 1er août 2007, www.ispr.gov.pk/Archive&Press/Aug2007/2-Aug- 2007.htm. 248 Voir Sachin Parashar. 2011. « China still supplying N-reactors to Pak: Wikileaks ». The Times of India. 7 juin; « 2006: Islamabad, Beijing had differing views on Sino-Pak nuclear cooperation. Wikileaks diplomatic cable ». Dawn. 3 juin 2011.

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l’accord de 2008 laissent penser que le revirement chinois était motivé par des raisons stratégiques comme le précise Joshi (2011) : « China’s motivations in undertaking the deal relate […] to Beijing’s regional balance of power and strategic stability priorities ». Une attitude qui s’inscrit dans la droite ligne de la logique de la politique chinoise de maintien de la parité entre le Pakistan et l’Inde en Asie du Sud (Malik, 2011 : 95). Mais aussi, un comportement qui participe de la stratégie chinoise d’imposition de coûts (‘cost-imposing’ strategy) aux États-Unis sans les confronter directement (Scweller & Pu, 2011 : 48-49).

1.4.3.2. La volonté de contenir les États-Unis

En 1816-1949 et à nouveau en 1958-1989, la Chine a été en rivalité stratégique avec la Russie. Entre 1816 et 1828, l’Iran a entretenu une rivalité stratégique avec la Russie. En effet, avant le Traité de Vienne, les deux pays se sont engagés dans un conflit militaire qui, avec la signature du Traité de Gulistan (1813), a vu l’Iran céder à la Russie, la Géorgie. Un deuxième conflit militaire entre les deux pays qui s’est soldé par une nouvelle victoire de la Russie et la signature du Traité de Turkmanchai (1828) qui lui fait gagner de nouveaux territoires aux dépends de l’Iran met fin à la rivalité (Thompson & Dreyer, 2012 : 180).

Cependant, il ne semble pas que la Chine ait assisté l’Iran dans son programme nucléaire pour contenir principalement la Russie. Quoiqu’avec l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, la Chine commençait par s’inquiéter sérieusement de l’influence grandissante de l’URSS en Asie : « The Chinese believe that the Soviet invasion of, and presence in, Afghanistan is part of a carefully planned step-by-step scheme for world hegemony. According to China’s view, the next three Soviet targets in its southward drive are Pakistan, Iran, and Thailand » (Vertzberger, 1983 : 63). D’ailleurs, l’Iran, qui vivait la revolution islamique, était aussi préoccupé par les projets stratégiques de l’URSS: « Teheran fears that Moscow would take advantage of the political disorder in Iran in order to achieve its long-term goal of reaching the warm waters of the Persian Gulf » (Parsi, 2007 : 93).

Par contre, il y a de très fortes raisons de penser que la Chine s’est engagée dans une coopération nucléaire avec l’Iran dans le but de contenir les États-Unis dans la région du Moyen-Orient. La Chine a entretenu en 1949-1972, et entretient depuis 1996, une rivalité stratégique avec les États-Unis. Si pendant la période 1972-1996, les relations entre les deux pays étaient davantage fondées sur une logique de partenariat plutôt que de rivalité, il n’empêche que l’hostilité qui existe entre eux n’a jamais

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vraiment disparu. Les États-Unis constituent également un véritable ennemi pour l’Iran depuis 1979 même si l’inimitié entre les deux pays remonte aux années 1950 avec le coup d’État contre Mossadegh249. Depuis 2001, les résultats d’un sondage annuel sur les affaires internationales effectué par Gallup révèlent que la Chine et l’Iran figurent parmi les plus grands ennemis des États-Unis250.

Lorsque la République populaire de Chine fut proclamée le 1er octobre 1949 par Mao Zedong, elle est aussitôt reconnue par l’URSS alors que les États-Unis continuaient de considérer le gouvernement nationaliste de Tchang Kaï-chek, défait par les communistes dans la guerre civile de 1946-1949 et désormais installé à Taïwan, comme l’unique représentant de la Chine. Il faut dire qu’en pleine guerre froide, l’avènement d’un gouvernement communiste dans le pays le plus peuplé du monde et soutenu par Moscou était une source d’inquiétude majeure pour Washington. Dans un contexte de bipolarité, il apparaissait logique pour les Chinois de s’aligner du côté des Soviétiques pour bénéficier de leur protection face à ceux qui représentaient pour eux une plus grande menace : les Américains. Ces derniers ont, à leur tour, interprété le choix des Chinois comme une nouvelle manifestation des velléités expansionnistes soviétiques.

La guerre de Corée (1950-1953) qui a vu l’intervention des Chinois aux côtés des Nord-coréens, non seulement pour prévenir la défaite de ces derniers mais aussi pour empêcher le positionnement des troupes américaines, elles-mêmes entrées dans le conflit pour venir en aide aux Sud-coréens, à leur frontière, a contribué à renforcer la rivalité naissante entre les deux pays. La première crise du détroit de Taïwan (1954-1955) au cours de laquelle les États-Unis se sont engagés à défendre l’île par tous les moyens, y compris par l’utilisation d’armes nucléaires contre la Chine continentale, attisa cette rivalité de même que l’implication des deux pays dans le conflit vietnamien l’alimenta: alors que les États-Unis voyaient le Nord-Vietnam comme servant la cause de l’expansionnisme communiste pro-chinois en Asie du Sud-est, la Chine, de con côté, percevait l’intervention américaine dans la sous-région comme une nouvelle menace militaire à laquelle elle devait faire face.

L’asymétrie dans les capacités militaires des deux pays encouragea la Chine à lancer son propre programme nucléaire comme nous l’avons expliqué en début de chapitre. La volonté irréductible des

249 Nous traitons de la relation irano-américaine dans l’étude de la coopération pakistano-iranienne. 250 Pour plus de détails sur les résultats de ce sondage à travers les années, voir : http://www.gallup.com/poll/152786/americans-rate-iran-top-enemy.aspx

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Chinois d’acquérir des armes nucléaires qu’ils contrôleraient eux-mêmes porta un coup dur aux relations sino-soviétiques qui sont définitivement rompues en 1964. La tension était d’autant plus grande entre les deux pays que l’URSS envisagea même, cette année-là, des frappes préventives contre les installations nucléaires chinoises avant d’y renoncer car les États-Unis s’étaient montrés très réticents face à de telles opérations (Thompson & Dreyer, 2012 : 195-196). Il faut dire qu’à cette époque était amorcée la phase de détente de la guerre froide (1962-1973).

Puisque les Chinois considéraient désormais les Soviétiques comme leur adversaire principal alors que les Américains leur apparaissaient beaucoup moins menaçant à court terme, et que ces derniers étaient déterminés à parvenir à un règlement de la question vietnamienne de même qu’à faire avancer leurs négociations bilatérales avec les Soviétiques en matière de maîtrise des armements, c’est donc logiquement qu’ils entament un processus de rapprochement qui sera matérialisé par la visite de Nixon à Pékin en février 1972 et la signature du « communiqué de Shanghai » rétablissant des relations diplomatiques partielles, qui deviendront complètes en janvier 1979251. Mais ce jeu diplomatico-stratégique triangulaire transformé, pendant un temps, en une quasi-alliance implicite, dirigée contre l’URSS, faite de consultations militaires et d’efforts conjoints contre l’influence soviétique en Asie ne signifiait pas forcément la naissance d’une véritable amitié sino-américaine comme l’expliquent Thompson et Dreyer (2012 : 196) : « The de-escalation of Chinese-U.S. hostility was very much a matter of mutual convenience. Both sides needed the other side for Soviet reasons. Consequently, and with the advantage of hindsight, it should not have been too surprising when the de-escalation did not outlast by much the collapse of the Soviet Union ».

En effet, avec la fin de la guerre froide depuis 1985-1989, la Chine et les États-Unis n’avaient dorénavant plus d’ennemi commun. La répression brutale des mobilisations étudiantes sur la place Tiananmen entre avril et juin 1989 complique les relations entre les deux pays, les États-Unis ne se voyant pas être « ami » avec un État qui foule aux pieds les droits de l’homme de manière si violente. Alors qu’en février 1989, la proportion d’opinions « favorables » au sujet de la Chine dans l’opinion publique américaine était de 72%, en août 1989, cette proportion chute à 31% (Balme & Sabbagh, 2008 : 23). Les sanctions politiques et économiques américaines consécutives aux évènements de Tiananmen occasionnent chez les Chinois un sentiment anti-américain qui sera symbolisé plus tard

251 Juste trois mois après la visite de Nixon en Chine, les États-Unis et l’URSS signent le premier accord sur la limitation des armements SALT1.

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par la publication d’un ouvrage intitulé China Can Say No, au ton nationaliste et fortement anti-américain, et devenu très rapidement un bestseller252. Rappelons-le, 1989, c’est cette année-là que commence la coopération nucléaire avec l’Iran.

Pendant ce temps, l’économie chinoise enregistre une croissance extraordinaire suite à la politique de réforme et d’ouverture mise en place par Deng Xiaoping dès 1978. En 1978-1992, le taux de croissance économique de la Chine se chiffre en moyenne à 9.5%. En 1992-1995, il passe à 10.2%. Au cours des décennies 1980 et 1990, la Chine est alors le pays dont la croissance économique est la plus rapide au monde. Déjà, en 1992, les prévisions du World Bank Report tablaient sur un PIB chinois supérieur au PIB américain à partir de 2020 si le pays maintenait le rythme de sa croissance économique. Dès lors, la Chine était vue comme le futur compétiteur des États-Unis sur la scène internationale. D’autant plus que les tenants de cette vision pensaient que la fulgurante croissance économique chinoise allait rapidement se traduire par une augmentation de sa puissance militaire253. C’est sur cette base qu’émerge, en 1993, aux États-Unis, la problématique la « menace chinoise »254 qui sera alimentée par le système politique socialiste autoritaire de la Chine (un régime dictatorial étant une menace pour la paix régionale et mondiale) et les exemples historiques d’émergence et de décadence des puissances internationales (la Grande Bretagne, l’Allemagne et la France aux 18ème et 19ème siècles, les États-Unis, le Japon et l’URSS au 20ème siècle) (Yee & Storey, 2002 : 2-6).

En 1995-1996, les relations stratégiques entre les deux pays se dégradent lorsque la Chine tente d’intimider Taïwan, par des manœuvres militaires navales et des tirs de missiles dans ses eaux territoriales, dans la perspective des élections présidentielles. En réponse, les États-Unis, qui s’étaient engagés à protéger l’île indépendantiste, déploient une imposante flotte militaire, considérée comme la plus importante depuis la guerre du Vietnam, dans l’est de la mer de Chine. Les deux pays

252 Voir Song Qiang, Zhang Zangzang, Qiao Bian, Tang Zhengyu, et Gu Qingsheng, China Can Say No (Zhongguok eyi shuo bu), Beijing : Zhonghua Gongshang Lianhe Chubanshe, 1996. La même année, de nombreux autres ouvrages tout comme celui-ci sont publiés et invitent la Chine à adopter une stratégie de contre-endiguement et à se préparer pour une longue résistance è l’hégémonie américaine, politiquement, économiquement et culturellement. Il s’agit de: Peng Zhiqian, Yang Mingjie et Xu Deren, Why China Says No (Zhongguo weishenme shuobu), Beijing : Xinshijie chubanshe, 1996; Song Qiang, Zhang Zangzang, Qiao Bian, Tang Zhengyu and Gu Qingsheng, China Can Still Say No (Zhongguo haishineng shuobu), Beijing : Zhonghua gongshang lianhe chubanshe, 1996; Jia Qingguo, China Not Only Say No (Zhongguo bujinjin shuobu), Beijing : Zhonghua gongshang lianhe chubanshe, 1996. 253 D’ailleurs, en 2010, le budget militaire chinois (76.4 milliards de $ soit 5.7% du PIB) est le deuxième plus important mondial derrière celui des États-Unis (692.8 milliards de $ soit 14% du PIB) (The Military Balance, 2011 : 33). 254 Sur la menace chinoise, voir, entre autres, Storey, A. & H. Yee. 2002. The China Threat: Perceptions, Myth and Reality. London: Routledge.

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étaient proches de l’escalade militaire même si celle-ci fut évitée. Ce qu’il est convenu d’appeler la troisième crise du détroit de Taïwan inaugure la deuxième période de la rivalité sino-américaine même si, comme nous l’avons souligné, pendant la période 1972-1996, l’hostilité entre les deux pays a été juste mise en veilleuse. En même temps que la rivalité est ranimée avec les États-Unis, est amorcé un rapprochement avec la Russie; une nouvelle association de circonstances.

Si en 1997-1998, la volonté de vivre ensemble dictée par les considérations économiques l’emporte, les problèmes et les méfiances demeurent et les relations se tendent à nouveau à l’occasion de deux incidents militaires successifs : le bombardement, en mai 1999, par l’aviation américaine, de l’ambassade de Chine à Belgrade et un incident aérien entre un avion-espion américain et une patrouille de chasse chinoise en mer de Chine du Sud — un espace dont la Chine cherche, depuis des années, à en faire une nouvelle zone de non-intrusion américaine dans la région limitrophe — en avril 2001.

En réalité, ce nouveau chapitre dans la rivalité est marqué par de nombreux intérêts convergents et d’autres conflictuels comme l’explique Thompson et Dreyer (2012 : 198) :

The U.S.-Chinese rivalry is characterized by considerable ambivalence in the sense that both sides require some level of sustained economic cooperation from the other side for the smooth functioning of their interdependent economies. China needs U.S. investment and technology. The United States needs continued financial support for its debts. As a consequence, the two states talk as if they are not in a rivalry while engaging in rivalrous behavior […]. The U.S. constraint in terms of its dependence on Chinese money to support the national debt not only continues but has become more acute in terms of not only the U.S. outlay on military expenditures but also in terms of the world economic recession of 2008-2009. The Chinese also seem aware that it is far too premature to explicitly challenge the United States militarily.

Car, effectivement, la Chine est consciente qu’elle ne peut s’engager dans une stratégie de confrontation directe contre les États-Unis que la fin de la guerre froide, avec la dislocation de l’URSS dès 1990, a consacrés comme l’unique superpuissance mondiale même si sa politique extérieure repose désormais sur le refus d’un monde unipolaire au profit d’un monde multipolaire255 dans lequel elle et d’autres puissances pourraient jouer un rôle majeur. Or, l’Iran n’a jamais caché

255 Le système multipolaire est caractérisé par la présence de plusieurs pôles de concentration de la puissance. Selon George Modelski (1975), un système multipolaire se caractérise par un nombre de puissances supérieur à 2 et inférieur à 10, et par le fait qu’en son sein, aucune puissance ne domine véritablement les autres; ou le système deviendrait unipolaire et la puissance ne serait pas concentrée entre deux acteurs; ou le système deviendrait bipolaire.

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ses ambitions de puissance, du moins à l’échelle du Moyen-Orient où il entend assumer le rôle de leadership comme le précise Trita Parsi (2007 : 39) : « Regional primacy has been the norm rather than the exception for Iran throughout its three-thousand-year history […] In the minds of the Iranians, their country was the natural hegemon in the Persian Gulf; the weakness of Iran’s neighbors disqualified them from legitimately aspiring to that position ». Et tout comme la Chine, l’Iran s’inquiétait aussi de la suprématie américaine dans le contexte international post-guerre froide : « [...] The fall of the Soviet Union created both defensive fears and offensive opportunities for Iran. Both suggest that the United States would be unrestrained in throwing its weight around in the Persian Gulf or the Middle East more broadly, and this was a threat to Iran » (Pollack, 2004 : 253).

À défaut de pouvoir résister à la puissance conventionnelle des États-Unis, la possession d’armes nucléaires devenait l’ultime garantie de sécurité pour l’Iran: « Iran’s logic for accelerating its nuclear weapons program was very straightforward: if you want to pursue a policy that runs contrary to the vital interests of the United States, you must be able to deter an American invasion, and the only sure way to do that is to have a nuclear arsenal » (Pollack, 2004 : 259). Comme le précisent Harold et Nader (2012 : 8): « A functioning nuclear weapons capability could allow Iran to significantly affect the balance of power in the Persian Gulf by potentially neutralizing the U.S. conventional military superiority, dissuading the Gulf Cooperation Council from hosting U.S. forces, and potentially establishing Iran as the “hegemon” of the Persian Gulf ».

Les Chinois et les Iraniens avaient donc un motif sérieux de coopération. L’assistance nucléaire à l’Iran participait de la mise en œuvre de la stratégie d’influence de la Chine au Moyen-Orient, et qui visait à faire contrepoids à la puissance américaine comme l’explique T. V. Paul (2003 : 3) :

The supply of nuclear and missile technology to countries in regions where China would have very little influence otherwise is part of this policy [of global power status]. China has especially been keen to use nuclear and missile supply as leverage against the United States, particularly in the Middle East. The expectations in Beijing seem to be that the supply of these materials to Middle Eastern countries will increase Chinese influence and reduce the effectiveness of US policies in the region.

Une analyse que partage également John Garver (2006 : 159-160) à travers ces propos:

It is significant that Beijing saw U.S. hegemonism on the offensive in the Gulf, striving to bring that region under U.S. domination. From Beijing’s perspective, the United States had seized the opportunity of the Iran-Iraq War to expand its position in the Gulf and corral the Arab Gulf states into the U.S. camp. Then in the “unbalanced” post-Cold War

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period, it struck at Iraq in 1991 to teach it a lesson, thereby further strengthening U.S. position. Iran, as well as Iraq, was a target of U.S. hegemony a la dual containment. Under such circumstances, should the government of Iran decide that nuclear weapons were necessary to check U.S. aggression, would China not be sympathetic? Would China’s interests in foiling U.S. ambition to dominate the Persian Gulf not be served by Iranian acquisition of nuclear weapons? This is a surmise, but it seems more plausible to me than the alternate notion that China’s leaders would not have examined the implications of nuclear assistance to Iran and the linkage between that assistance and what they perceived as U.S. hegemonist policies in the Gulf.

Evan Medeiros (2007 : 64) adopte également la même clé de lecture quand il affirme:

In strategic terms, China’s close relationship with Iran gave it a foothold in Middle East Affairs; China has long sought to cultivate Iran as a strong actor and Chinese partner in the region. China’s relations with Iran were also a source of leverage with the United States. China’s leaders were well aware of the acute U.S. sensitivities to Iran, especially to its military capabilities. And China often exploited those sensitivities to generate leverage in U.S.-China dealings.

Thérèse Delpech (2006 : 57-58), quant à elle, fait remarquer qu’un Iran nucléaire pourrait aussi servir les objectifs taïwanais de la Chine :

Sur le long terme, l’Iran pourrait être un acteur inattendu dans un conflit éventuel entre la Chine et les États-Unis au sujet de Taïwan, surtout si Téhéran était alors doté d’une arme nucléaire : les deux pays auront un intérêt commun à avoir une capacité de dissuasion au Moyen-Orient mais aussi à contrôler les lignes de communication maritimes entre le Moyen-Orient et l’Asie. Pour l’heure, maintenir un problème délicat pour les États-Unis très à l’ouest de la Chine sert les intérêts de cette dernière. À l’est, il y a la Corée du Nord qui sert ce même objectif […]. En cas de conflit entre la Chine et Taïwan par exemple, l’Iran pourrait jouer un rôle important de soutien à Pékin au Moyen-Orient, comme le pourrait également le Pakistan.

Si depuis 1995, la Chine n’a plus officiellement transféré des matières et technologies nucléaires militaires sensibles à l’Iran, il n’empêche qu’elle n’a jamais cessé de soutenir indirectement le programme nucléaire de ce pays non seulement par des transferts de matériel à double-usage mais aussi en fermant les yeux sur les cargaisons de composants balistiques qui transitent par son territoire vers l’Iran en provenance de la Corée du Nord. Plus important, elle a régulièrement soutenu l’Iran dans le cadre des négociations internationales sur la finalité réelle de son programme nucléaire contre les États-Unis et les autres pays du camp occidental. En fait, dans la gestion de la crise nucléaire iranienne, Pékin a pour objectif de limiter la capacité de Washington à imposer son agenda aux autres acteurs du système international par le jeu diplomatico-stratégique. En ce sens, les efforts

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déployés, entre 2004 et 2006, lors des débats à l’AIEA pour empêcher le Conseil de sécurité des Nations Unies de se saisir du dossier, comme le souhaitaient les États-Unis; et l’opposition, depuis 2006, au sein de l’organe, aux différents projets de résolutions initiés par Washington pour renforcer les sanctions contre Téhéran, illustrent bien la pratique chinoise du soft balancing (Cui, 2004 : 241-251).

Puisque la mise en œuvre d’une telle stratégie nécessite une alliance d’acteurs partageant les mêmes intérêts, c’est donc naturellement que le chemin de la Chine rencontre celui de la Russie avec qui elle est engagée dans un partenariat stratégique depuis 1996 et est liée par un traité d’amitié et de coopération signé le 16 juillet 2001256, aux côtés de qui elle s’est engagée contre l’intervention américaine en Irak, en 2003 et dont l’objectif post-guerre froide est aussi de promouvoir un système multipolaire de relations internationales. Au Conseil de sécurité des Nations Unies, les deux pays sont les principaux soutiens de l’Iran dans sa lutte contre le camp occidental décidé à lui faire renoncer à ses ambitions nucléaires à coup de sanctions politiques et économiques.

Si pour les Chinois, les sanctions sont contestables en droit international puisque, en tant qu’État signataire du TNP, l’Iran a droit aux applications pacifiques de l’atome, il s’agit aussi pour eux d’éviter une radicalisation de la position iranienne qui pourrait déteindre sur la stabilité du pays et du Moyen-Orient où ils ont énormément investit ces dernières années. La dernière chose dont ils ont besoin pour combler leur retard économique et technologique par rapport aux États-Unis (équilibrage interne). Car, la Chine a toujours considéré qu’un système international stable était nécessaire à son « développement pacifique » amorcé dès la fin des années 1970.

Parallèlement, la Chine est consciente de la nécessité de ne pas hypothéquer sa relation avec les États-Unis, d’ailleurs son premier partenaire commercial et avec qui le volume des échanges est passé de 170 milliards de dollars en 2005 à 300 milliards de dollars en 2010. Aussi montre-t-elle quelques fois des signes d’ouverture. Le 4 février 2006, elle a finalement voté en faveur du transfert du dossier nucléaire devant le Conseil de sécurité et aussi des quatre trains de sanctions (résolutions 1737 du 23 décembre 2006, 1747 du 24 mars 2007, 1803 du 3 mars 2008 et 1929 du 10 juin 2010) dont fait actuellement l’objet l’Iran, non sans avoir, à chaque fois, fortement bataillé pour les

256 Il s’agissait du premier traité d’amitié conclu entre Moscou et Pékin depuis le Traité sino-soviétique d’amitié, d’alliance et d’assistance mutuelle de 1950 conclu pour une période de trente ans et resté en vigueur pendant toute la durée de la rivalité sino-soviétique.

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édulcorer afin que les mesures ne l’empêchent de continuer à commercer avec la république islamique : les Chinois et les Américains n’ont pas les mêmes intérêts en jeu en Iran, ces derniers ayant cessé d’y investir depuis de nombreuses années. Par ailleurs, l’adoption de sanctions minimales par opposition aux sanctions sévères, concorde parfaitement avec la logique du soft

balancing qui vise, lors d’actions diplomatiques, à obtenir des résultats contraires aux préférences de l’hégémon (Lewis, 2010b : 38). En effet, comme l’explique John Garver (2006 : 98), l’utilisation de la carte iranienne dans les rapports sino-américains peut-être à double-tranchant pour la Chine :

Iran was a card that had to be played very carefully against Washington. If used carefully, China’ support of Iran could push Washington toward greater cooperation with China. But if overplayed, it could convince Washington that Beijing was seeking to support and arm the world’s anti U.S. forces, acting as a « peer competitor », if only a covert one. Once Washington reached this conclusion, there could be a strong reaction and potentially the adoption of a genuine containment policy that would undermine China’s post-1978 development drive.

En somme, à l’ère de l’unipolarité où il est très risqué, avant que d’en être capable, de contester directement la suprématie sans précédent des États-Unis sur la scène internationale (équilibrage direct), les États challengers qui se sentent menacés par l’hégémon ont davantage recours à des stratégies indirectes de la limitation de sa puissance (équilibrage indirect). Les différentes manifestations de l’assistance nucléaire de la Chine à l’Iran l’illustrent. Puisque la Chine est favorable à une structure multipolaire du système international qui servirait mieux ses intérêts que la structure unipolaire, l’émergence de l’Iran comme pôle régional capable de dissuader les États-Unis au Moyen-Orient était un moyen idéal pour favoriser le retour à un équilibre des puissances au niveau global.

1.4.4. Les considérations économiques et l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran.

Dans notre quatrième proposition théorique, nous avions avancé que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait être motivé par le désir de tirer profit financièrement de son expertise nucléaire. Le test booléen de notre modèle théorique a confirmé cette proposition de trois manières différentes : 1) dans tous les cas de coopération nucléaire avérée, le niveau de développement économique de l’État fournisseur était assez faible pour le pousser à monnayer son expertise nucléaire ; 2) dans tous les cas de coopération nucléaire avérée, l’État fournisseur était assez isolé économiquement pour ne pas être

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réticent à gagner des liquidités en échange de ses transferts nucléaires ; 3) dans une très grande majorité de cas de coopération nucléaire avérée, l’État fournisseur était dépendant du commerce avec l’État récipiendaire. Au cours de ses quatre décennies de coopération nucléaire avec le Pakistan et l’Iran (1970-2010), la Chine a cumulé toutes ces trois caractéristiques. Voyons maintenant ce qu’avait réellement à gagner la Chine, en apportant son aide aux programmes nucléaires pakistanais et iranien, en prenant pour acquis, comme mentionné dans notre modèle théorique, que les États fournisseurs peuvent, par un tel comportement, vouloir : 1) réduire les coûts associés à leurs propres programmes nucléaires ou investir dans des programmes plus ambitieux ; 2) accéder à des ressources vitales ; 3) rechercher des bénéfices commerciaux variés (Dunn, 1977 ; 1982).

Au cours des années 1980, le principal objectif de Deng Xiaoping était la modernisation économique de la Chine ; ce qui impliquait également la modernisation de son programme nucléaire civil. Puisque les sommes d’argent qu’il fallait y consacrer étaient énormes, il n’est pas illogique de penser que la vente de matières et technologies nucléaires à des États tiers comme le Brésil, l’Algérie et l’Argentine était, dans une certaine mesure, destinée à permettre de gagner des liquidités qui permettraient de compenser les coûts défrayés comme l’admet Evan Medeiros (2007 : 50) : « China’s nuclear industry in the 1980s had significant financial incentives to export its goods and services. China’s initial foray into nuclear trade was motivated by the industry’s need to generate foreign currency. The profits earned from exports were used to compensate for dwindling government subsidies and to facilitate the military-to-civilian conversion in the nuclear industry ». Cette motivation financière était d’autant plus forte que l’industrie nucléaire chinoise n’a pas hésité, entre 1982 et 1987, à vendre à l’Inde, un pays rival, de l’eau lourde (130 à 150 tonnes) sans restriction quant à son utilisation257 : « China’s strong financial motive for exporting nuclear materials was especially evident in its willingness to sell nuclear fuel to strategic competitors » (Medeiros, 2007 : 39).

Partant de là, il y a des raisons de penser que les exportations nucléaires militaires chinoises en direction du Pakistan et de l’Iran n’étaient pas seulement motivées par des raisons stratégiques et que des raisons économiques entraient également en ligne de compte dans les calculs de la Chine. S’il apparaît, de prime abord, difficile de mettre en lumière les aspects financiers de ces deux types

257 D’ailleurs, il semble que cette eau lourde ait été utilisée dans les réacteurs qui ont produit du plutonium pour le programme nucléaire militaire indien.

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de coopération, notamment à cause du secret qui entoure les différentes transactions, et donc de la difficulté d’avoir accès à des données chiffrées fiables, il est en revanche possible de les mettre en évidence à partir de ce que le Pakistan et l’Iran avaient à offrir à la Chine, en retour de son assistance nucléaire. Car, il est difficile de penser que, dans les deux cas, l’altruisme ait présidé au comportement chinois.

Par exemple, dans le cadre de sa coopération nucléaire avec le Pakistan, il semble que la Chine ait beaucoup appris sur le plan technique. Les échanges techniques entre les scientifiques nucléaires des deux pays, dans le cadre des activités de l’usine d’enrichissement de l’uranium de Kahuta, auraient permis aux Chinois de comprendre les procédés pakistanais d’enrichissement de l’uranium par ultracentrifugation et de maîtriser la métallurgie de l’uranium. Ces connaissances auraient été ensuite mises à contribution du programme nucléaire chinois, alors essentiellement basé sur la méthode d’enrichissement par diffusion gazeuse, moins sophistiquée et moins efficace d’autant que très gourmande en énergie électrique (tableau 5.1). Plus, il semble que le Pakistan ait livré à la Chine non seulement les schémas de ses centrifugeuses mais aussi une usine entière de centrifugation à usage civile qui aurait été montée à Hanzhong, au centre du pays (Tertrais, 2009 : 56).

Ainsi, en profitant de leur coopération avec les Pakistanais pour moderniser leur infrastructure nucléaire, les Chinois réalisaient des gains financiers importants étant donné les investissements en ressources que nécessite le fonctionnement d’installations vétustes. Le premier facteur économique mentionné pour justifier la coopération nucléaire trouve donc confirmation ici (Dunn, 1977).

John Garver (2001 : 332-333) pense que des motivations économiques n’entraient pas en ligne de compte dans l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan. Car, selon lui, les origines de cette assistance remontent au milieu des années 1970, donc sous l’ère maoïste et non sous celle dengiste : « When China began supporting Pakistan’s nuclear weapons program, there were no autonomous, profit-seeking enterprises in China, and there were no economic incentives to export nuclear technology. Such incentives emerged only with Deng Xiaoping’s post-1978 reforms » (Garver, 2001 : 332). Sauf que son argumentation peut être remis en cause à la lumière des faits empiriques pour au moins deux raisons.

Premièrement, comme le montre le tableau 5.2, les véritables transferts de matières et technologies de la Chine vers le Pakistan ne commencent qu’en 1982, soit quatre ans après le lancement du plan

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de modernisation économique de Deng Xiaoping. Certes, l’accord de coopération nucléaire secret qui a sous-tendu les transferts nucléaires entre les deux pays a été signé en 1976258. Mais durant toute la décennie 1970, les efforts de nucléarisation pakistanais s’articulaient principalement autour des filières clandestines européennes et américaines mises en place par M. A. Khan et A. Q. Khan comme nous l’avons mis en lumière dans la section consacrée au Pakistan comme récipiendaire potentiel de matières et technologies nucléaires militaires. John Garver (2001 : 328), lui-même, le reconnaît: « […] Pakistan’s efforts to acquire nuclear technology and know-how focused during the 1970s not on China but on Western Europe and North America […] in West Germany, the Netherlands, France, Switzerland, Britain, and the United States »259. La seule trace de transaction effective entre la Chine et le Pakistan évoquée par l’auteur avant les transferts de 1982 est la livraison, en 1979, d’hexafluorure d’uranium dans le cadre de tests ayant rapport avec le fonctionnement des centrifugeuses (Garver, 2001 : 329). Encore une fois, cette livraison tombait dans la période post-maoïste au cours de laquelle les motivations économiques pouvaient difficilement être remises en cause comme il l’affirme de nouveau : « As China’s economy was marketized and decentralized […] assistance to Pakistan’s nuclear program served their [Chinese] interests very well […] they profited by participating in Pakistan’s program » (Garver, 2001 : 333).

Deuxièmement, et c’est implicite dans les propos de Garver cités précédemment, même si le désir de réaliser des profits financiers n’était pas présent au début de la coopération, rien ne permet de contredire le fait qu’il n’ait pas motivé la poursuite des transferts. Finalement, ces propos de John Garver (2001 : 323-324) illustrent le fait que côté Pakistanais, on était prêt à payer ses différents fournisseurs nucléaires, y compris la Chine, persuadés que la technologie nucléaire ne pouvait être donnée gratuitement sans rien en retour : « […] Shortly after Pakistan’s decision to begin a crash, covert nuclear program, Prime Minister Bhutto visited a number of countries, where he attemped to rally support for that effort. From wealthy Islamic countries he attempted, apparently with some

258 Cet accord fut donc signé lors des dernières heures du régime de Mao Zedong au cours desquelles l’économie était en stagnation. Rien ne permet alors d’infirmer l’hypothèse selon laquelle, face à cette situation, Mao lui-même ait pu entrevoir, pour son pays, quelques perspectives de rentrée d’argent. D’ailleurs, en 1976, les données empiriques indiquent une croissance économique négative pour la Chine, soit -1.6%. 259 Par ailleurs, entre 1976 — lorsque le Premier ministre Zhou Enlai (8 janvier) et le Président Mao Zedong (9 septembre) meurent — et 1978 — lorsque Deng Xiaoping accède au pouvoir, des luttes de pouvoir internes divisaient les élites politiques chinoises (conservateurs contre réformistes) de telle sorte qu’il est difficile que des échanges nucléaires aient pu avoir lieu pendant cette période. De plus, c’est seulement à partir de 1981 que Deng Xiaoping consolidera sa victoire sur les nostalgiques du maoïsme.

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success, to get funding. The last country on Bhutto’s early 1972 itinerary was China, which he visited from January 31 through February 2 ».

Contrairement au cas sino-pakistanais où John Garver (2001) essaye, avec très peu de succès, de réfuter l’hypothèse des motivations financières, celle-ci ne souffre, pour l’auteur, d’aucune ambigüité dans le cas sino-iranien d’autant qu’après les événements de Tiananmen, en 1989, les investissements directs étrangers ont drastiquement chuté en Chine :

What motivated China’s support for Iran’s nuclear programs? Desire to earn profits and foreign currency clearly inspired both China’s politically influential nuclear industry and the central state organs issuing directives to that industry. Evidence […] indicates that China’s nuclear industry saw nuclear exports as an excellent profit-earning opportunity. […] When China’s top leaders thought about China’s nuclear exports during the nineteen years after 1978, they saw those exports as among China’s few High-technology, High-value-added exports, generating hefty revenues that went to modernize China’s large but archaic nuclear energy industry so that it could contribute to easing a crucial developmental bottleneck (Garver, 2006 : 158-159).

Selon ces propos, les exportations nucléaires vers l’Iran étaient donc envisagées comme un moyen de gérer des revenus destinés à être réinvestis dans des programmes nucléaires chinois plus ambitieux. Comme ce fut le cas avec le Pakistan. Par ailleurs, en coopérant avec le Pakistan et l’Iran dans le domaine nucléaire, la Chine se garantissait de nouveaux marchés économiques et un accès à des ressources vitales. Avec le Pakistan, elle disposait désormais d’un marché d’exportations de ses réacteurs nucléaires civiles. Avec l’Iran, elle s’assurait d’une source d’approvisionnement énergétique fiable et vitale. Les trois facteurs économiques pouvant justifier une assistance nucléaire sont donc présents dans ses deux cas (Dunn, 1977; 1982).

En effet, depuis qu’elle y a construit en 1993, un réacteur nucléaire (CHASNUPP-1) — le premier exemple mondial d’une coopération Sud-Sud dans le domaine de l’énergie nucléaire260—, le Pakistan est devenu un futur récipiendaire de l’assistance nucléaire civile de la Chine (tableau 5.4) avec qui il est lié par un accord de coopération dans le domaine, signé dès 1986, initialement conclu pour trente ans mais renouvelé automatiquement chaque cinq ans par les deux parties à moins d’être dénoncé. Comme la Chine envisage d’être un gros joueur dans le commerce nucléaire internationale, à l’avenir, le Pakistan continuera d’être pour elle un marché potentiel important pour

260 Voir la description de ce partenariat sur le site de la Commission pakistanaise à l’énergie atomique (PAEC) : http://www.paec.gov.pk/chasnupp1/about.htm

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deux raisons : d’une part, parce que la part du nucléaire dans la production de l’électricité au Pakistan continuera de grimper alors qu’elle n’est que de 3.77% en 2011, selon l’AIEA261 ; et d’autre part, parce qu’il est évident que si le Pakistan ne peut s’approvisionner nulle part ailleurs, en raison des restrictions internationales dont il fait toujours l’objet, il n’aura d’autre choix que de se contenter de la Chine comme fournisseur qui sortira donc largement gagnante de cette association alors qu’elle bénéficie déjà de son partenariat commercial avec le Pakistan dont elle est le premier fournisseur comme le remarque Mohan Guruswamy (2011 : 129), « China has become one of Pakistan’s top five sources of imports […]. Bilateral trade reached about $7 billion in 2008. The balance, however, is tipped in favor of China due to far fewer Chinese imports of Pakistani goods […]. Under the five-year program launched in 2006 to strengthen economic relations, existing trade is to be enhanced to $15 billion by 2012 ».

En ce qui concerne la coopération sino-iranienne, l’importance du facteur énergétique, en l’occurrence les hydrocarbures (pétrole et gaz), n’a vraisemblablement pas échappé aux Chinois qui ont d’ailleurs longtemps reconnu son rôle dans la détermination de la puissance d’un État comme le résume succinctement John Garver (2006 : 28): « […] By strengthening Iran’s position in the Gulf, Beijing would hobble the U.S. drive for unipolar hegemony and make it more likely that oil would be available to China under special conditions ».

261 Voir la base de données Power Reactor Information System développée par l’AIEA sur les réacteurs nucléaires dans le monde: http://www.iaea.org/pris/CountryStatistics/CountryDetails.aspx?current=PK

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Tableau 5.4. Coopération sino-pakistanaise dans le domaine du nucléaire civile262.

Réacteurs nucléaires

Type Localisation géographique

Capacité nette

Capacité maximale

Date de début de construction

Date de mise en service commerciale

Fournisseur Coût

CHASNUPP-1 REP263 Kundian, Punjab 300MW 325MW 1er août 1993 15 septembre 2000 Chine

--

CHASNUPP-2 REP Kundian, Punjab 300MW 325MW 28 décembre 2005

20 mai 2011 860 millions $

CHASNUPP-3 REP Kundian, Punjab 315MW 340MW 28 avril 2009 1er décembre 2016

Chine

1.912 milliards $

CHASNUPP-4

CHASNUPP-5

REP

REP

Kundian, Punjab 315MW

1000MW?

340MW 2011 1er octobre 2017

KANUPP-1 RELP264

Karachi, Sindh 125MW 137MW 1er août 1966 7 décembre 1972 Canada 428 millions $

KANUPP-2 REP Karachi, Sindh 1000MW -- -- --

Chine

--

KANUPP-3 REP Karashi, Sindh 1000MW -- -- --

262 Tableau réalisé à partir des données de la base sur les réacteurs nucléaires de l’AIEA (Power Reactor Information System—PRIS) http://www.iaea.org/pris/ 263 Le réacteur à eau pressurisée ou REP (PWR pour pressurized water reactor en Anglais) est la filière de réacteurs nucléaires la plus répandue dans le monde. Les REP utilisent de l’eau ordinaire, appelée aussi eau légère. 264 Le réacteur à eau lourde pressurisée ou RELP (PHWR pour pressurised heavy water reactor en Anglais) est un réacteur nucléaire qui utilise de l’uranium naturel comme combustible et de l’eau lourde comme caloporteur. Les premiers PHWR furent les réacteurs CANDU, de conception canadienne. 46 réacteurs PHWR sont encore en fonctionnement ou en rénovation dans le monde au 31 décembre 2010.

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En effet, dès 1978, la Chine est consciente que sa longue marche vers la modernisation économique rimerait avec une consommation de plus en plus accrue d’hydrocarbures (figures 5.2 et 5.3) qui devrait avoir pour conséquence une dépendance de plus en plus grande envers les principaux producteurs mondiaux en général et ceux du Moyen-Orient en particulier265. La preuve, cette année-là, la consommation de pétrole était de 91.1 millions de tonnes pour 437.7 millions de tonnes en 2010 et la consommation de gaz naturel était de 13.7 milliards de mètre cube pour 107.6 milliards de mètre cube en 2010266. Or, en 1980, l’Iran détient la troisième réserve mondiale prouvée de pétrole avec 58 300 millions de barils derrière le Koweït (67 900) et l’Arabie Saoudite (168 000) et la première réserve mondiale prouvée de gaz naturel avec 14.1 trillions de mètre cube. En 2010, ces chiffres sont, pour l’Iran, de 151 200 (soit 10% des réserves mondiales) juste derrière l’Arabie Saoudite (264 500) en ce qui concerne le pétrole, et de 33.1 juste derrière la Russie (44.4) en ce qui concerne le gaz naturel.

En réalité, si les réserves de pétrole et de gaz sont combinées et que les réserves de gaz naturel sont converties en barils équivalent pétrole (bep), l’Arabie Saoudite possèderait 302.5 bep (1ère) contre 301.7 bep pour l’Iran (2ème) et 198 bep (3ème) pour la Russie. On constate donc que les ressources de l’Iran sont presqu’équivalentes à celles de l’Arabie Saoudite et très loin devant celles de la Russie. Le potentiel futur de l’Iran en matière d’hydrocarbures est d’autant plus impressionnant que le taux d’extraction est relativement bas par rapport à la quantité de ressources disponibles. Ce qui augure de belles perspectives en matière de capacité de production ; l’Iran pourrait produire davantage qu’il ne fait actuellement267 alors même qu’il est déjà le deuxième producteur de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) avec 3.7 millions de barils/jour.

265 En 1990, la Chine importait 39% de son pétrole brut du Moyen-Orient. En 2010, elle en importait 46%. 266 Sauf indication contraire, toutes les données utilisées dans cette analyse sur les relations entre la Chine et l’Iran en matière d’énergie sont issues de la base de données statistiques de BP sur les énergies dans le monde depuis 1965 et disponible à cette adresse : http://www.bp.com/sectiongenericarticle800.do?categoryId=9037130&contentId=7068669 267 À en croire les propos d’un ancien ministre iranien du pétrole, Masoud Mirkazemi (2009-2011), l’Iran devrait investir 200 milliards de dollars dans les années à venir pour développer son secteur énergétique. Voir « Chinese firms dominate Iran oil exhibition », AFP, 15 avril 2011.

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Figure 5.2. Production et consommation de pétrole de la Chine, 1990-2010.

Figure 5.3. Production et consommation de gaz de la Chine, 2000-2011.

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C’est donc naturellement que la Chine va faire de l’Iran l’une de ses principales sources d’approvisionnement énergétique. Alors que jusqu’en 1987, les importations chinoises de pétrole brute iranien étaient inexistantes, dès 1988, elles sont de 9 987 tonnes pour un prix de 1 637 790 dollars et passent rapidement à 266 215 tonnes pour un prix de 34 500 619 dollars en 1989, soit l’année du début de la coopération nucléaire entre les deux pays. En 1990, ce chiffre est de 301 240 tonnes pour 39 534 000 dollars. En 2001, lors de la cérémonie du trentième anniversaire de l’ouverture des relations diplomatiques entre les deux pays au cours de laquelle la qualité des relations politiques et le développement du commerce bilatéral ont été soulignés par les deux parties, l’Iran était devenu le premier fournisseur de pétrole brut de la Chine devant l’Arabie Saoudite268. Toutes choses qui valent cette remarque de Reed et Stillman (2009 : 328): « China has catered to the nuclear ambitions of the Iranian ayatollahs in a blatant attempt to secure an ongoing supply of oil ».

En fait, la Chine ne se contente pas d’importer les hydrocarbures iraniens. Elle s’attache également à investir dans leur développement augmentant ses chances de garantir ses approvisionnements. De ce point de vue, l’année 2004 donne des enseignements intéressants sur les ambitions énergétiques chinoises en Iran. En mars 2004, les deux pays signent un contrat record de 20 milliards de dollars pour l’importation de 110 millions de tonnes de gaz sur une période de 25 ans à partir de 2008. En octobre 2004, ils signent un contrat plus important encore de 70-100 milliards de dollars pour l’importation de 250 à 270 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié sur une période de 30 ans tout en s’engageant à construire la raffinerie qui va le produire à Bandar Abbas (au bord du Golfe persique dans la province d’Hormozgan). Au terme de cet accord, la Chine se voyait aussi octroyer une part de 51% dans le développement du gisement pétrolier de Yadavaran (dans la province du Khouzistan proche de la frontière irakienne), dont les réserves sont estimées à 18.3 milliards de barils de pétrole (avec une capacité de production pouvant aller jusqu’à 300 000 barils/jour) et 11 250 millions de tonnes de gaz. En échange, elle obtenait le droit d’acheter 150 000 barils de pétrole brut par jour. Au même moment, à l’AIEA où le dossier nucléaire faisait l’objet de discussions houleuses, les Chinois déployaient tous leurs efforts pour empêcher les Américains de le transférer au Conseil de sécurité.

268 Mais dès 2003, l’Arabie Saoudite supplante de nouveau l’Iran en tant que premier fournisseur de la Chine jusqu’en 2006.

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En 2006-2010, de nombreux autres contrats ont été signés par les deux parties (tableau 5.5). Tous ces accords ont été conclus pendant que l’Iran était sous l’emprise de sanctions votées par le Conseil de sécurité. Le message politique lancé par les Chinois aux Occidentaux en général et aux Américains en particulier, semblait sans équivoque : les sanctions économiques et financières contre l’Iran ne les détourneraient pas de leurs intérêts énergétiques. D’ailleurs, les propos tenus par l’ambassadeur d’Iran en Chine, Fereydun Verdinezhad, au sujet du contrat de Yadavaran penchent en faveur de cette lecture des évènements: « […] The importance of this agreement is mostly its situational aspects and effects, especially since it was signed under conditions when the government of China says [it ignores] the rules and regulations imposed by certain countries, such as the D’Amato law [of the United States] embargoing Iran »269.

Tableau 5.5. Coopération sino-iranienne dans le domaine des hydrocarbures, 2006-2010270.

Dates Projet Coût271 Objectif

Juin 2006 Exploration et développement de gisements de pétrole (Garmsar)

20 millions

--

Juillet 2006 Expansion de la raffinerie d’Arak. Le projet implique aussi le Japon

959 millions

250 000 barils/jour

Décembre 2006

Développement du gisement de gaz de North Pars et importations de gaz

16 milliards

3.6 milliards cubic feet/jour

Janvier 2009

Développement de la partie nord du champ pétrolier d’Azadegan

1.7 milliards

75 000 barils/jours

Juin 2009 Développement de de la Phase 11 du gisement de gaz de South Pars

4.7 milliards

11500 millions de tonnes (soit 63% des réserves nationales iraniennes) de réserves prouvées

Août 2009 Construction de la raffinerie Abadan

6 milliards

269 Propos cités dans Garver (2006 : 271-272). 270 Tableau réalisé à partir de plusieurs sources: Katzman, K. 2012. Iran Sanctions. CRS Report. Congressional Research Service. http://www.fas.org/sgp/crs/mideast/RS20871.pdf; Van Kemenade, W. 2009. Iran’s Relations with China and the West: Cooperation and Confrontation in Asia, Netherlands Institute of International Relations, Clingendael Diplomacy Papers No. 24. 271 Tous les prix sont en dollars américains.

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En définitive, tout comme dans le cas du Pakistan avec les centrales nucléaires, si l’Iran ne peut exporter et développer librement ses hydrocarbures, générateurs de 70% de ses revenus, en raison des sanctions économiques dont elle fait l’objet pour la contraindre à arrêter son programme nucléaire, elle se verrait de plus en plus dépendante d’un seul acheteur et investisseur, en l’occurrence la Chine. En 1996, sous l’Administration Clinton est entré en vigueur le Iran-Libya

Sanctions Act (ILSA), devenu l’Iran Sanction Act (ISA) qui interdit tout investissement étranger, d’entités et de personnes, d’au moins 20 millions de dollars en une année, dans le développement des secteurs pétroliers et gaziers en Iran, sous peine de représailles des États-Unis272. En 2000, les États-Unis évoquent l’ISA pour essayer de dissuader le Japon, à qui l’Iran avait accordé sa préférence — le Japon a longtemps été le premier importateur du pétrole iranien — dans le développement d’un des plus importants gisements de pétrole au monde (26 milliards de barils) découvert à Azadegan, dans le sud-ouest du pays, d’embarquer dans le projet estimé à 2.8 milliards de dollars. Suite à de nombreuses hésitations, le Japon décide finalement, en février 2004, de s’y investir non sans avoir attendu que l’Iran signe le protocole additionnel aux accords de garanties de l’AIEA (qui permet des inspections plus poussées de ses installations nucléaires) en décembre 2003. Finalement, il décide de se retirer définitivement en 2006. Entre temps, la Chine était très disposée à remplacer le Japon. D’ailleurs, c’est elle qui se verra attribuer, en janvier 2009, un contrat de 1.7 milliards pour le développement de la partie nord du même gisement pétrolier et destinée à produire 75 000 barils/jours pendant 4 ans; avec la possibilité de poursuivre la phase II du même projet.

Malgré toutes ces belles opportunités en Iran, la Chine, certainement échaudée par l’épisode irakien de son histoire énergétique au Moyen Orient273, continue de maintenir voire de développer ses relations énergétiques avec les autres producteurs de la région, notamment l’Arabie Saoudite qui figure en première position. Une sorte d’interdépendance dans le domaine, marquée par des investissements conséquents dans leurs infrastructures énergétiques réciproques, commence même à se créer entre Pékin et Riyad. Alors qu’en 2000, la Chine importait 11% de son pétrole de l’Arabie

272 Pour plus de détails sur l’ISA et sur les sanctions américaines à l’encontre de l’Iran, voir Katzman, K. 2012. Iran Sanctions. CRS Report. Congressional Research Service. http://www.fas.org/sgp/crs/mideast/RS20871.pdf. 273 En effet, lorsqu’elle devient importatrice nette de produits pétroliers en 1993 et de pétrole brut en 1996, la Chine se tourna logiquement vers le Moyen-Orient pour s’approvisionner non seulement parce que la région détient les premières réserves prouvées de la planète (57%) et qu’elle est le premier producteur mondial (24.357.000 barils/jour soit 30% de la production mondiale) mais aussi parce que l’or noir qui y est extrait est le moins cher à produire au monde tout comme il est également, à l’exception de celui produit en Asie du Sud-Est, le moins cher à transporter vers le marché chinois. L’Irak tout seul s’était ainsi retrouvé à lui fournir 13% de sa production domestique jusqu’à l’intervention américaine de 2003 ou elle se rendit certainement compte des conséquences de mettre tous ses œufs dans le même panier.

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Saoudite, ce chiffre est passé à 21% en 2005 et pourrait même atteindre 50% dans les prochaines années. En 2010, l’Arabie Saoudite était le premier fournisseur mondial de pétrole de la Chine loin devant l’Iran qui était le troisième (tableau 5.6).

Tableau 5.6. Importations chinoises de pétrole brut, 2009-2010274.

Sources Quantité (milliers de barils/jour) Différence

2009 2010

Arabie Saoudite 839 893 54

Angola 644 788 144

Iran 463 426 -37

Oman 233 317 84

Russie 306 284 -22

Soudan 244 252 8

Iraq 143 225 82

Koweït 142 197 55

Kazakhstan 120 184 64

Brésil - 151 -

Libye 127 148 21

Venezuela 105 - -

Autres 711 922 211

274 Tableau réalisé à partir des données issues de Harold, S. & A. Nader. 2012. China and Iran. Economic, Political, and Military Relations. Occasional Paper 351. RAND Center for Middle East Public Policy. Rand Corporation. Selon les estimations de la CIA World Factbook, la Chine aurait consommé 8.2 millions de barils de pétrole/jour en 2010. Elle aurait importé 4.3 millions de barils/jour, soit 52% de sa consommation. https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ch.html

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En somme, les faits empiriques montrent que le désir de la Chine de sécuriser ses approvisionnements énergétiques a joué un rôle important dans l’initiation et la poursuite de son assistance nucléaire à l’Iran. Le comportement chinois n’est toutefois pas une nouveauté dans l’histoire de la coopération nucléaire. Dans le domaine civil, le Brésil, la France et l’Italie ont notamment offert leur assistance nucléaire à l’Irak, au cours des années 1970 et 1980, dans l’espoir de sécuriser leurs importations de pétrole (Fuhrmann, 2012).

1.4.5. Conclusion. L’analyse empirique des coopérations sino-pakistanaise et sino-iranienne avait pour objectif de montrer comment l’offre de prolifération chinoise a rencontré les demandes de prolifération pakistanaise et iranienne et vice-versa en illustrant les mécanismes causaux qui ont lié les affinités identitaires, la participation au régime de non-prolifération, la survie physique et les pressions économiques à l’assistance nucléaire militaire. Le processus qui a vu la Chine, passer de récipiendaire, à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires s’est donc déroulé suivant un enchevêtrement de plusieurs facteurs. Nous avons précisé dans notre modèle théorique que, pour un État, c’est par le truchement de la volonté (les motivations et buts de l’acteur étatique) qu’est reconnue l’opportunité (les différentes possibilités) qui s’offre à lui d’adopter un comportement politique particulier plutôt que tel autre. Nous avons aussi considéré les États comme des acteurs rationnels fondamentalement préoccupés par la satisfaction de leurs intérêts sécuritaires et économiques.

Au cours des années 1950, la guerre de Corée et la crise taïwanaise ont rappelé à la Chine la réalité du système international anarchique dans laquelle elle évoluait : un système synonyme d’état de guerre permanent et caractérisé par la lutte pour la survie. En se nucléarisant dès 1964 pour neutraliser le dilemme de sécurité posé par les États-Unis et l’URSS, elle déclenchait logiquement un cycle d’action-réaction par lequel la volonté de l’Inde de se doter des armes nucléaires pour lui répondre était à son tour perçue par le Pakistan comme une menace (Herz, 1950 ; Jervis, 1978, Sagan, 1996/1997). En tant qu’unité indépendante de ce système anarchique, réfractaire à la toute idée de domination d’un acteur sur l’autre, son but sécuritaire principal sera d’empêcher l’Inde, qui représente pour elle un compétiteur et un ennemi, de se retrouver en position d’imposer son agenda dans la région asiatique. Dans la réalisation de ce projet, le Pakistan représentait une opportunité majeure à saisir. Ce pays était l’ennemi de son ennemi depuis la fin des années 1940 ; son identité

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convergeait de plus en plus avec la sienne suite à un processus d’interactions enclenché dès le début des années 1950 avec sa reconnaissance par lui en tant qu’entité politique souveraine ; il avait acquis, par la mise en place de réseaux clandestins d’approvisionnements de technologies nucléaires, dans les années 1970, une expertise dans l’enrichissement de l’uranium par ultracentrifugation qui pouvait lui être bénéfique pour son propre programme nucléaire de même qu’il pouvait représenter sur le long terme un marché commercial potentiel.

Car, la survie physique et l’assurance d’une puissance relative sur la scène internationale passe également, pour les États, par un développement économique conséquent. C’est donc logiquement que la satisfaction des intérêts économiques définis par la Chine dès le milieu des années 1970 ne sera pas sacrifiée sur l’autel de la norme de non-prolifération très vite perçue comme illégitime ; tellement illégitime qu’elle n’a pas pu décourager le comportement proliférant. Les intérêts politiques et économiques étaient suffisamment importants et liés pour que la Chine ait constamment essayé de trouver le juste équilibre entre la poursuite de sa coopération nucléaire avec le Pakistan pour équilibrer l’Inde et la volonté de ne pas hypothéquer les avantages liés à la conclusion d’un accord de coopération nucléaire avec les États-Unis dans les années 1980.

Mais aussi, tout simplement, un des objectifs globaux de la Chine à l’époque, était de ne pas mettre en péril le processus de normalisation de ses relations avec les États-Unis alors que les dernières heures de la bipolarité ont envoyé un signal fort sur la structure du système international en redéfinition : un système unipolaire avec à sa tête un État tellement fort qu’il allait être difficile à contenir suivant la logique traditionnelle de l’équilibrage direct. Le souvenir d’un passé douloureux articulé autour de la domination par les puissances occidentales étant toujours très présent chez les leaders chinois, la volonté de ces derniers de ne pas voir l’histoire se répéter ne souffrait d’aucune ambigüité. Puisque cette expérience et cette espérance étaient aussi partagées par un État qui était en inimitié avec la superpuissance du moment ; que cet État représentait pour eux une garantie stable d’approvisionnement en pétrole et en gaz nécessaires pour assurer la survie physique et économique, assister le programme nucléaire de cet État s’imposait naturellement. La participation, dès le début des années 1990, à un régime de non-prolifération basé sur un traité imprécis n’allait pas constituer un obstacle majeur à la réalisation de ce projet. Plus, le respect de ses règles pouvait être une carte à jouer dans la satisfaction des intérêts économiques comme ce fut le cas, au milieu des années 1990, avec la renonciation, par la Chine, à certaines transactions nucléaires avec l’Iran,

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en échange du maintien de la clause de la nation la plus favorisée dans son commerce avec les États-Unis.

2. Les transferts nucléaires du Pakistan à l’Iran. Cette deuxième partie étudie le passage du Pakistan, de récipiendaire, à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires à l’Iran. Premièrement, nous clarifions la capacité du Pakistan à exporter des biens et technologies nucléaires militaires. Deuxièmement, nous procédons à l’explication analytique de ce cas à la lumière de notre modèle théorique.

2.1. Le Pakistan comme fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

Dans le cadre de son programme nucléaire militaire, le Pakistan a bénéficié de l’assistance de la Chine comme nous l’avons déjà montré. Avec son entrée dans le club nucléaire en 1987, même si des essais nucléaires officiels seront seulement effectués en 1998, le Pakistan est devenu un fournisseur potentiel de matières et technologies nucléaires militaires. En effet, en mars 1987, le Général Zia-ul-Haq, alors président de la république déclarait publiquement : « You can write today that Pakistan can build a bomb whenever it wishes. Once you have acquired the technology, which Pakistan has, you can do whatever you like ». Des propos alors corroborés par les États-Unis à la fin de la même année : « Pakistan had produced enough fissionable weapons-grade uranium for four to six atomic bombs » (Narang, 1999 : 48-49)275.

Par sa coopération extensive avec l’Iran, la Corée du Nord et la Libye, entre 1987 et 2002, le Pakistan est passé de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Cette transition paraissait plus que probable pour de nombreux chercheurs vues les conditions difficiles dans lesquelles le Pakistan a réussi à maîtriser la technologie de l’enrichissement de l’uranium (embargos sur les exportations nucléaires de la part des pays fournisseurs) et les motivations ayant présidé au programme nucléaire pakistanais (sécurité, prestige, profits) (Jones, 1990 : 221; Weissman & Krosney, 1981 : 29).

275 En 1981, le même Général Zia-ul-Haq rassurait (ironiquement sans doute) Ronald Reagan qui s’inquiétait du programme nucléaire pakistanais : « We can hardly make a bycycle, how can we think of making a bomb » (Hussain & Hussain, 1993 : 137).

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Un homme, A. Q. Khan, a joué un rôle crucial dans les activités nucléaires du Pakistan. Si, comme nous l’avons montré dans l’étude du cas sino-pakistanais, il a activement participé à la nucléarisation du Pakistan, comme on pourra le remarquer dans l’analyse qui suit, il a également été au cœur des transactions nucléaires avec l’Iran de sorte qu’on peut valablement se poser la question : la coopération nucléaire avec l’Iran était-elle une stratégie délibérée de l’État pakistanais ou relevait-elle de l’initiative personnelle d’A. Q. Khan?

Ces deux grilles d’analyse des exportations nucléaires pakistanaises vers l’Iran, la Corée du Nord et la Libye existent dans la littérature actuelle sur le sujet sans qu’aucune d’entre elle se soit pour autant imposée. Dans le cadre de cette étude, nous avons opté pour le premier mode de traitement de la question même si nous ne réfutons pas l’idée selon laquelle les ambitions personnelles d’A. Q. Khan aient été, à un moment donné, en conflit avec celles de l’État pakistanais. Nous considérons donc que la coopération nucléaire pakistano-iranienne s’est faite au niveau étatique avec A. Q. Khan comme intermédiaire. À ce propos, voici les explications de Pervez Hoodbhoy, professeur de physique nucléaire à l’Université Quaid-e-Azam du Pakistan:

Since its inception, Pakistan’s nuclear program has been squarely under army supervision. A multi-tiered security system was headed by a lieutenant general (now, two) with all nuclear installations and personnel kept under the tightest possible surveillance […]. In such an extreme security environment, it would be amazing to miss the travel abroad of senior scientists, engineers and administrators, their meetings with foreign nationals, and the transport and transfer of classified technical documents and components, if not whole centrifuges. While individual gain may have been part of the motivation, the substantial cause lies elsewhere. From the inception of the bomb program, Pakistan’s establishment has sought to turn its nuclear ambitions and success into larger gains276.

2.2. L’explication analytique : le cas pakistano-iranien à l’épreuve de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux.

L’explication analytique du cas pakistano-iranien consiste à exposer les mécanismes causaux qui ont lié les facteurs identifiés dans nos propositions théoriques à notre phénomène empirique. Pour ce faire, il importe d’abord de dresser un portrait de la coopération nucléaire bilatérale.

276 Pervez Hoodbhoy, «The Nuclear Noose Around Pakistan’s Neck », Washington Post, 1er février 2004.

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2.2.1. Une vue d’ensemble de la coopération nucléaire Pakistan-Iran.

Analytiquement, la coopération nucléaire pakistano-iranienne peut être délimitée en deux grandes phases correspondant à deux périodes : la première, qui correspond à la mise en place de la coopération (1987-1990) et la deuxième, qui correspond à sa mise en œuvre (1991-1999).

2.2.1.1. La mise en place de la coopération (1987-1990).

En 1987, les présidents des deux commissions à l’énergie atomique des deux pays signent un accord de coopération nucléaire technique dans le cadre duquel s’est effectuée la formation d’au moins six scientifiques nucléaires iraniens à l’Institut pakistanais de la science nucléaire et de la technologie (PINSTECH)277. Vue la sensibilité du domaine en question, il paraît très peu probable que l’accord n’ait pas été formellement autorisé par le Général Zia-ul-Haq, alors président du Pakistan à l’époque (1978-1988). Celui-ci aurait même carrément donné son feu vert à la demande iranienne d’une coopération nucléaire avec le Pakistan. Cependant, il aurait recommandé aux responsables en charge du dossier que celle-ci ne se limite qu’au domaine civil par crainte d’attirer l’attention sur le programme nucléaire militaire clandestin pakistanais qui faisait déjà face à de nombreuses pressions occidentales, notamment américaines. En réalité, les contacts entre les deux pays avaient commencé un an plus tôt.

En 1986, A. Q. Khan se serait rendu en Iran afin d’y voir les dommages causés par les bombardements iraquiens sur le réacteur nucléaire de Bushehr. Mais la visite de Bushehr était un prétexte. A. Q. Khan était venu en Iran pour venter aux Iraniens les mérites de la technique d’enrichissement de l’uranium par centrifugeuse que le Pakistan utilisait déjà dans le cadre de son programme nucléaire, et à laquelle l’Iran avait déjà commencé par s’intéresser en 1985278 (Tertrais, 2009 : 67-68). Lors d’une rencontre à Dubaï, en 1987, A. Q. Khan offre aux Iraniens une assistance nucléaire en cinq points dont le coût pouvait atteindre des centaines de millions de dollars :

- Des schémas, descriptions, et spécifications pour la fabrication de centrifugeuses;

277 Il semble toutefois que dès 1975, le Pakistan aurait envoyé une équipe de chercheurs en Iran étudier le programme nucléaire de ce pays (Potter, 1990 : 231). 278 La visite de Khan en Iran s’était effectuée le même mois (février 1986) que le voyage du Président iranien, Ali Khamenei (qui deviendra plus tard Guide suprême), au Pakistan et destiné à renforcer la coopération entre les deux pays.

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- Une ou deux centrifugeuses désassemblée(s) en guise de prototype(s);

- Des matériels suffisants pour la fabrication de 2000 centrifugeuses;

- Des plans détaillés et des calculs pour la mise en place d’une installation complète d’enrichissement d’uranium, incluant une large gamme de système d’exploitation;

- L’équipement de commande électrique et les capacités de reconversion et de moulage de l’uranium (qui peuvent être utilisés pour des composants d’armes nucléaires).

Mais il semble que l’offre comprenait aussi:

- Des schémas de composants et des assemblages de centrifugeuses P-1;

- Des documents techniques décrivant la fabrication, l’assemblage et les procédures opérationnelles;

- Des diagrammes de cascades de centrifugeuses de recherche;

- Un exemple de design de six cascades de 168 machines chacune279.

Toutefois, les Iraniens auraient juste opté pour l’achat de centrifugeuses P-1, préférant s’approvisionner, pour le reste des équipements, chez d’autres fournisseurs par le biais de leur propre réseau clandestin d’approvisionnement, par ailleurs très bien structuré et organisé280. Les premières centrifugeuses P-1 seront livrées en 1989.

En 1988-1989, la coopération entre les deux pays connaît une nouvelle dynamique avec les décès respectifs du Général Zia-ul-Haq (1988) et de l’Ayatollah Khomeini (1989). Au Pakistan, Benazir Bhutto est élue Premier ministre et le Général Mirza Aslam Beg devient Chef d’État-Major des armées. Après avoir assumé l’intérim de la présidence pendant quelques temps, Ghulam Ishaq Khan281 est élu président de la république. À cette époque, de sérieuses discussions ont lieu entre les deux États à propos du partage du savoir-faire pakistanais. Elles se sont poursuivies avec 279 Il est intéressant de remarquer que l’usine pilote iranienne de Natanz comporte actuellement six cascades de 164 machines chacune. 280 Sur la structure et l’organisation, à l’interne, du réseau clandestin iranien d’approvisionnement en équipements nucléaires, voir Boureston & Russell (2009 : 34-38). 281 Si A. Q. Khan est considéré comme le « père de la bombe pakistanaise », Ishaq Khan est, quant à lui, vu par les Pakistanais comme le « grand-père de la bombe pakistanaise ».

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l’arrivée, au poste de Premier ministre, de Nawaz Sharif (novembre 1990) qui, contrairement à Benazir Bhutto, était un allié du président Ishaq Khan et des militaires.

2.2.1.2. La mise en œuvre de la coopération (1991-1999).

En 1991, un nouvel accord aurait été conclu entre le Général Asif Nawaz (successeur du Général Beg au poste de Chef d’État-Major des armées) pour la partie pakistanaise, et le Président Hashemi Rafsanjani282 et le Général Mohsen Rezai, Chef des Gardiens de la révolution, pour la partie iranienne ; lequel accord impliquait le transfert de la technologie nucléaire du Pakistan à l’Iran en échange de son pétrole. On voit que les considérations économiques étaient présentes dès les débuts de la coopération. Nous y reviendrons. Mais selon certaines sources, cet accord n’a pu être mise en œuvre. Toutefois, les discussions entre les deux pays continuèrent par l’intermédiaire d’A. Q. Khan. Si on ne sait pas si des directives claires ont été données à l’homme pour formellement assister l’Iran, on sait en revanche que ses différents contacts avec les Iraniens étaient connus de l’establishment politique et militaire pakistanais. Même les plus proches collaborateurs de Benazir Bhutto, en l’occurrence son conseiller à la sécurité, le Général Imtiaz Ali, et son secrétaire militaire, Zulkifar Ali, encouragèrent les rencontres avec les Iraniens. D’ailleurs, la première ministre elle-même semblait être au courant des discussions nucléaires pendant ses deux mandats (1988-1990/1993-1996) puisqu’elle reconnaît s’être entretenue sur le sujet avec le Président Hashemi Rafsajani en 1989283.

En 1993-1994, de nouveaux transferts ont eu lieu entre le Pakistan et l’Iran. Ils comprennent la livraison de nouvelles centrifugeuses P-1 et des composants pour 500 centrifugeuses P-1. Le contrat de 1993-1994 comportait aussi la mise à disposition de schémas de centrifugeuses beaucoup plus sophistiquées, les centrifugeuses P-2. Mais les détails précis de cette transaction sont inconnus: « The total amount of money Iran paid and to whom it went is unknown. Whether Iran obtained more than the 500 unassembled centrifuges it admitted to receiving is also unknown » (IISS, 2007 : 70).

282 Hashemi Rafsandjani a été le Président du parlement iranien en 1980-1989 et Président de la république en 1989-1997. Il est même vu comme l’un des maîtres d’œuvre de l’effort nucléaire iranien. 283 En septembre 2012, A. Q. Khan affirme avoir reçu l’ordre de Benazir Bhutto pour assister deux pays. S’il ne mentionne pas expressément ces deux pays, il est clair que l’Iran en fait partie vue que l’Iran fut le premier pays à avoir reçu l’assistance nucléaire du Pakistan, et que la période de cette assistance coïncide avec les périodes pendant lesquelles Bhutto était première ministre : «The then-prime minister Benazir Bhutto summoned me and named two countries which were to be assisted ». Voir « Father of Pakistani nuclear program says was ordered to leak secrets by Benazir Bhutto », 15 septembre 2012. http://www.haaretz.com/news/world/father-of-pakistani-nuclear-program-says-was-ordered-to-leak-secrets-by-benazir-bhutto-1.465191.

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Les contacts entre les deux parties se sont poursuivis comme en témoigne leurs 13 rencontres entre 1994 et 1999. Au cours de cette période, des centrifugeuses P-2 auraient été livrées aux Iraniens. En l’occurrence, en 1997, l’Iran aurait reçu trois centrifugeuses P-2 en guise de modèle pour la construction par ses soins d’une plus grande quantité de ces machines alors qu’elle avait jugé la performance des centrifugeuses P-1 faible.

2.2.2. Les affinités identitaires et l’assistance nucléaire du Pakistan à l’Iran.

Dans la première proposition de notre modèle théorique, nous avions avancé que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait être favorisé par des affinités identitaires avec un État récipiendaire. Le test booléen du modèle théorique a confirmé cette proposition en révélant qu’une affinité idéologique existait entre les États dans tous les cas de coopération nucléaire. Pendant leur période de coopération respective, une très forte affinité idéologique a ainsi été enregistrée entre le Pakistan et l’Iran. Les conditions du rapprochement entre les deux pays montrent comment leurs identités collectives construites à partir de leurs identités de type et de rôle, elles-mêmes façonnées par une culture kantienne partagée, a participé à la définition de leurs intérêts ; et donc encouragé les transferts nucléaires.

En effet, le Pakistan et l’Iran sont unis par des liens culturels et religieux historiques284. En 1947, l’Iran fut le premier pays à reconnaître l’indépendance du nouvel État pakistanais sur la base de l’héritage commun et des relations historiques entre l’Iran et les musulmans de l’Asie du sud. Car, dans les faits, le Pakistan a été créé pour offrir une terre aux musulmans; d’abord aux musulmans indiens minoritaires de l’Inde britannique qu’il visait à protéger de l’intolérance et le sectarisme hindou, ensuite aux musulmans d’ailleurs vivant sous le joug. Le pays fut simplement conçu comme « une “locomotive” politique et idéologique du monde musulman » (Cohen, 2002 : 109). Comme le précise Shaikh (2002 : 46): « As the first ideologically defined Muslim state of the twentieth century, Pakistan has always been aware of its special place in the history of the modem Islamic world ».

Il n’est donc pas étonnant de constater par exemple que, sur les sept États en développement avec lesquels le Pakistan a signé des accords de coopération nucléaire en 1960-1990, cinq sont des pays

284 Ainsi peut-on lire sur le site de l’ambassade du Pakistan en Iran: « Ties between Iran and Pakistan are deeply-rooted in history and are nourished by a common religion and cultural affinity » http://www.mofa.gov.pk/iran/contents.aspx?type=statements&id=2

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musulmans : l’Indonésie, la Malaysia, la Libye, le Niger et la Turquie. Les deux autres États sont la Chine et l’Argentine. Sauf que l’Argentine n’était pas un partenaire actif (Jones, 1990 : 224). Mieux, parmi les trois principales motivations qui ont présidé à la recherche des armes nucléaires par le Pakistan, l’objectif idéologique, qui consistait à apparaître comme la première puissance nucléaire islamique avec pour ambition d’assumer le leadership politique du monde musulman, était tout aussi important que les deux autres objectifs stratégiques, à savoir la volonté de mettre en place une force de dissuasion face à l’Inde désignée comme la principale menace à la sécurité du pays, et celle de se positionner comme une force régionale à côté de la rivale orientale (Shanikh, 2002 : 31).

C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il faut replacer ces propos de Z. A. Bhutto, quatrième président de la république (1971-1973) et neuvième premier ministre (1973-1977), et maître d’œuvre du programme nucléaire pakistanais : « We know that Israel and South Africa have full nuclear capability. The Christian, Jewish and Hindu civilizations have this capability. The communist powers also possess it. Only the Islamic civilization was without it, but that position was about to change » (Bhutto, 1979 : 138). Même son de cloche de la part du Général Zia-ul-Haq, sixième président de la république (1978-1988) qui va encore plus loin que son prédécesseur : « China, India, the USSR, and Israel in the Middle East possess the atomic arm. No Muslim country has any. If Pakistanis had such a weapon, it would reinforce the power of the Muslim world » (Weissman & Krosny, 1981 : 161). Et de continuer: « In fact, if the Islamic world possessed this technology, it means that 900 million Muslims possess advanced technology […]. It is our right to obtain the technology. And when we acquire this technology, the entire Islamic world will possess it with us » (Sciolino, 1998 : 4).

Le Général Zia-ul-Haq n’a jamais caché sa volonté de partager la technologie nucléaire pakistanaise avec d’autres pays musulmans: « We should acquire and share nuclear technology with the entire Islamic world » (Reed & Stillman, 2009 : 266). Sohail H. Hashmi résume très bien les choses: « As part of its general resort to religion, for legitimacy, the government of Zia-ul-Haq encouraged the grand illusion that Pakistan’s nuclear program was indeed serving not narrow national interests but the greater good of the entire Muslim nation or umma » (Hashmi, 2004 : 337-338). Marie-Hélène Labbé (1995 : 66-67) abonde dans le même sens quand elle affirme:

Là où l’Inde visait à exercer son influence sur l’ensemble du tiers-monde, le Pakistan a recherché le leadership du sous-ensemble islamique des pays du tiers-monde en étant le premier pays musulman à détenir l’arme nucléaire. La Pakistan estimait que non seulement seules les nations disposant d’armes nucléaires étaient véritablement

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souveraines, mais encore que seules les civilisations les possédant avaient une dimension mondiale. C’est pourquoi, puisqu’aucun pays d’Islam ne le détenait, le Pakistan attendait de l’arme une place privilégiée parmi les nations musulmanes essayant de former entre elles un marché commun.

Comme le laissent penser ses propos, le Général Zia-ul-Haq était particulièrement très enthousiaste à l’idée de renforcer l’identité islamique pakistanaise en coopération avec d’autres États musulmans. Dans cette perspective son successeur, le Général Mirza Aslam Beg avait lancé l’idée d’une alliance stratégique Pakistan-Afghanistan-Iran (Turquie) dans le but de défier l’Occident : « Both General Zia ul Haq […] and the succeeding Chief of Army Staff, General Mirza Aslam Beg […] subscribed to a pan-Islamic vision. Possessed by the idea of "strategic defiance" of the US, and of turning Pakistan’s nuclear capability to its full strategic and financial advantage, Beg in particular wanted strong defence ties with Iran »285. Nizamani (2000 : 114) résume: « Islamic nationalism becomes the ultimate arbiter of differentiation between foes and friends in the security discourse conducted in the name of Pakistani national interests ».

C’est donc sur cette base que va s’opérer la coopération nucléaire entre le Pakistan et l’Iran. L’Ayatollah Mohammed Behesti, l’un des plus proches conseiller de l’Ayatollah Khomeiny, n’avait-il pas dit aussi : « Il est de notre devoir de fabriquer l’arme atomique pour la république islamique […] Notre civilisation est en danger et nous devons l’avoir » (Spector, 1990 : 208). Dans la même veine, Sayed Ayatollah Mohajerani, ancien vice-président iranien, déclarait lors d’une conférence islamique à Téhéran, en 1992: «The Muslims, must cooperate to produce an atomic bomb, regardless of UN efforts to prevent proliferation » (Hoodbhoy, 1993 : 43).

Au cours de son interrogatoire en 2004, après son arrestation, A. Q. avait même certifié aux enquêteurs que le Général Beg lui avait recommandé avec insistance de partager la technologie nucléaire pakistanaise avec l’Iran286. A. Q. Khan confessera aussi l’avoir fait dans un objectif panislamique alors qu’il était lui-même aussi fermement opposé au contrôle occidental des technologies nucléaires et, par la même occasion, hostile à ses efforts visant à contrer le développement du monde musulman. En 1984, il donnait déjà le ton:

By forming an exclusive club, they [Western powers] are monopolizing the transfer of nuclear technology to energy starved Third World countries under the pretext of

285 Voir Pervez Hoodbhoy, « For God and Profit », Newsline, Karachi, février 2004. 286 Voir « Beg’s Advice to Iran: Scare the enemy », The News, 14 mai 2006.

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containment of nuclear weapons or non-proliferation. The control or restriction is relative; when it relates to Israel, India, South Africa, Brazil and Argentina, all out assistance is provided at government level and no stories or leakages are provided to the national or international press. The situation is different when it concerns the Islamic countries. The worldwide propaganda organized by the Western lobby in general, and the Jewish lobby in particular, against Pakistan, Libya and Iraq has put to shame the campaign carried out against Hitler in war days. Why this hypocrisy and double standard with us? The answer is simple. The crusade is still on287.

À la même époque, A. Q. Khan avait aussi affirmé: « If Iran succeeds in acquiring nuclear technology, we will be a strong bloc in the region to encounter international pressure […] Iran’s nuclear capability will neutralize Israel’s power »288. Un discours qui rejoignait forcément les préoccupations de l’Iran, opposé à Israël — l’Iran considère que le fondement de l’État israélien, une entité fabriquée, n’est pas légitime et prône la création d’un véritable État binational et non l’édification de deux entités séparées — mais un discours qui n’était pas fondamentalement une nouveauté dans la rhétorique idéologique pakistanaise.

Car, il faut savoir que le Pakistan envisageait aussi son programme nucléaire comme un rempart contre le sionisme et un symbole de défiance contre les États-Unis: « Pakistan’s nuclear hawks see the country’s nuclear program not only as an effective deterrent against Hindu India, but a shield to protect the Muslim world against Zionist Israel » (Nizamani, 2000 : 99). D’ailleurs, sous le régime militaire du Général Zia-ul-Haq (1977-1988), l’opposition américaine au programme pakistanais était souvent analysée comme une "conspiration sioniste", une campagne anti-Pakistan orchestrée par le lobby israélien en Occident; "l’hostilité internationale sioniste" contre le Pakistan se manifestait dans les colonnes du quotidien "pro-juif New York Times" et sur les écrans de la chaîne de télévision "CBS sous influence sioniste"289. Au milieu des années 1980, Rasul Rais (1985 : 461-462) résumait l’état d’esprit des Pakistanais:

There is a common feeling among the political and bureaucratic elites in Pakistan about latent hostility on the part of the Western powers toward the Islamic countries. It is generally perceived that the Christian West would not allow the Islamic countries to emerge independent, self-reliant and powerful enough to pursue an effective role in world politics. It is generally argued that the proponents of nuclear proliferation, while

287 Abdul Qadeer Khan, « An Analysis of Propaganda against Pakistan’s Peaceful Nuclear Programme », The Muslim, 16 mars 1984. 288 Dean Nelson, « A. Q. Khan boasts of helping Iran’s nuclear programm », The Telegraph, 16 septembre 2009. 289 Voir Qutubudin Aziz, « International Zionism and Pakistan’s Nuclear Program », Dawn, 18 août 1979.

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acquiescing to the nuclear capabilities of India and Israel, have tended to discriminate against Pakistan.

Si la coopération avec l’Iran, débutée en 1987, s’est faite dans un tel climat idéologique, dans les années 1990, la rhétorique idéologique pakistanaise n’a pas fondamentalement changé malgré le changement de gouvernement avec l’arrivée au pouvoir, à la faveur des élections de 1988, de Benazir Bhutto comme l’explique Nizamani (2000 : 106-107).

The continuing pressure against Pakistan’s nuclear program and threats to put Pakistan on the list of countries supporting terrorism militated public opinion against the United States. The myth of a tripartite Indo-Jewish-American informal alliance against potentially nuclear Islamic Pakistan was gaining credibility. Now Pakistan’s nuclear program was not only a shield against expansionist India, but a symbol of the iron will of the Muslim world to resist the U.S.-Jewish—led march of the new world order.

Ce schéma de pensée est aussi le même que celui développé en Iran où les États-Unis, le "Grand Satan" doivent être tenus en respect, et l’État d’Israël, le "Petit Satan", doit être éliminé des pages de l’histoire290. Même si le sentiment anti-israélien des Iraniens était également présent depuis l’époque du Chah, depuis la révolution islamique de 1979, l’État juif est considéré comme une menace idéologique pour l’islam politique notamment parce que l’Iran avait désormais pour objectif de promouvoir les intérêts du monde musulman, à savoir l’indépendance vis-à-vis des grandes puissances, la prise en compte de la difficile situation du peuple palestinien et l’accès et le contrôle des sites sacrés à Jérusalem (Parsi, 2007 : 100). Des tâches morales qui ont d’ailleurs été inscrites dans la constitution de la nouvelle république islamique, qui s’engage ainsi clairement à défendre les droits de tous les peuples musulmans et contre toutes les forces belligérantes dans les territoires islamiques (chapitre 10, article 152). Pour ce faire, l’Iran a même déjà émis l’idée de la création d’une armée islamique pour chasser Israël des territoires arabes occupés. Certes, il y a déjà eu — et il y a certainement encore — une certaine forme de coopération entre les deux pays, notamment à travers l’achat d’armes comme ce fut le cas lors de la guerre Iran-Irak, mais leurs différents contacts ne remettent pas en cause la perception qu’à l’Iran d’Israël comme l’a expliqué Shmuel Bar de l’Institute

of Policy and Strategy d’Herzliya (Israël) à Trita Parsi (2007 : 109): « In the Iranian worldview, you can do business with Satan himself, but Satan always remains Satan ».

290 Pour plus de détails sur les subtilités de la relation triangulaire États-Unis-Israël-Iran, voir Parsi, T. 2007. Treacherous Alliance: The Secret Dealings of Israel, Iran, and the U.S. New Haven: Yale University Press.

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En somme, « l’islamité » comme identité de type a structuré le rapport à l’étranger au Pakistan et en Iran et a contribué à leur rejet de l’Occident en général et des États-Unis (et d’Israël) en particulier ; ce qui, en retour, a participé à la définition de leur identité de rôle sur la scène internationale. Logiquement donc, l’identité collective commune qui en est issue a donné naissance à un intérêt subjectif commun : faire front commun face à cet Occident qui tente de les empêcher d’exister, d’être autonome, de garantir leur bien-être économique et de se valoriser collectivement par le biais des différentes applications de l’atome (Wendt, 1999 : 233-238). Dès lors, la coopération nucléaire trouvait ses justifications. Comme le remarquent Carolyn Warner et Stephen Walker (2011 : 115-119).

a country’s religious heritage affect its overall orientation toward foreign policy and which countries are its more likely allies and enemies […] countries of the same religion may have a significant level of ideological affinity. States with the same religion or religious heritage see that they have a common cultural bond, which fosters a common identity that mitigates the “us versus them” dynamic of the international system […] a common religion heritage may […] foster alliances [and] lead to peaceful, collaborative, or cooperative foreign policies.

2.2.3. La participation au régime de non-prolifération et l’assistance nucléaire du Pakistan à l’Iran.

Dans la deuxième proposition de notre modèle théorique, nous avions avancé que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait ne pas être défavorisé par sa participation ou celle de l’État récipiendaire, au régime international de non-prolifération. Le test booléen du modèle théorique a confirmé cette proposition en révélant que l’adhésion ou non d’un ou des deux États au TNP n’avait pas empêché la coopération nucléaire. Le Pakistan n’était pas membre du TNP lorsqu’il commence sa coopération nucléaire avec l’Iran à la fin des années 1980 alors que ce dernier avait ratifié le traité dès 1970. Les deux pays se rejoignent toutefois dans la dénonciation sans équivoque du caractère discriminant du régime. L’Iran, de son côté, manipule ses imprécisions à l’avantage de son programme nucléaire controversé.

La posture du Pakistan à l’égard du régime international de non-prolifération a toujours été fondée sur ses préoccupations sécuritaires comme nous l’avons illustré dans l’étude de la coopération sino-pakistanaise. C’est ainsi que dès les débuts des négociations du TNP, il s’est insurgé contre l’absence de garanties négatives de sécurité qui empêcheraient l’utilisation, par les puissances

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nucléaires, d’armes nucléaires contre les États membres non dotés291, et que, entre 1972-1987 (1998), soit la période pendant laquelle il recherchait les armes nucléaires mais ne les avait pas encore, il a toujours conditionné son adhésion au Traité à celle réciproque de l’Inde qui, rappelons-le, constitue la principale menace à sa sécurité (Rais, 1985 : 464)292. Depuis 1998 et son entrée de

facto dans le club nucléaire, la posture pakistanaise a logiquement évolué pour inclure la reconnaissance de son nouveau statut nucléaire. Ainsi, le Pakistan se dit-il prêt à accéder au TNP en tant qu’État doté d’armes nucléaires (Nayyar, 2008 : 5). Une manœuvre qui consiste à attirer une fois encore l’attention sur le caractère discriminant du traité en pointant du doigt son article IX qui ne considère un État comme doté d’armes nucléaires que lorsqu’il a « a fabriqué et a fait exploser une arme nucléaire ou un autre dispositif nucléaire explosif avant le 1er janvier 1967 ».

Puisqu’il n’était ni membre du TNP ni membre du GFN, le Pakistan ne violait particulièrement aucune règle de non-prolifération. Ce qui semble confirmer l’argument des institutionnalistes selon lequel les États qui ne sont pas membres du régime de non-prolifération ont plus tendance à exporter des technologies nucléaires que les États qui en sont membres, même si le comportement du Pakistan infirme l’argument des normativistes selon lequel la présence d’une norme de non-prolifération décourage les exportations de technologies nucléaires militaires. Cependant, on ne peut pas en dire autant de l’Iran qui, lui, avait ratifié le TNP depuis 1970 mais s’est quand même affranchi de ses obligations envers le traité en s’engageant dans des activités nucléaires suspectes et qui incluent bien évidemment sa coopération nucléaire militaire avec la Chine et le Pakistan. Selon l’AIEA, ces violations incluent, en ce qui concerne les transactions qui font l’objet de cette étude293 :

- les importations d’uranium : l’Iran n’a pas déclaré ses importations de différentes formes d’uranium (1000 kg de UF6, 400 kg de UF4 et 400 kg de UO2) de la Chine en 1991.

291 Pour répondre à cette revendication encore formulée par la majorité des États non nucléaires, les Etats nucléaires ont pris des engagements à plusieurs reprises et à plusieurs niveaux, notamment par le biais de déclarations unilatérales, dont a pris acte le Conseil de sécurité (résolution 984 de 1995). Cependant, ces garanties négatives de sécurité ne font toujours pas l’objet d’un document international juridiquement contraignant. Ce que réclament de plus en plus les ENDAN. 292 Il est intéressant de remarquer que le Pakistan et l’Inde sont membres de l’AIEA depuis 1957. L’adhésion à l’AIEA était requise pour pouvoir bénéficier des applications pacifiques de l’atome dans le cadre du programme américain « Atomes pour la paix ». L’Iran est membre de l’AIEA depuis 1959. 293 Toutes les informations concernant le programme nucléaire iranien et les violations des engagements internationaux de l’Iran sont disponibles sur le site de l’AIEA à cette adresse : http://www.iaea.org/newscenter/focus/iaeairan/iaea_reports.shtml

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- la conversion de l’uranium : l’Iran n’a pas déclaré avoir utilisé une partie de ces matières dans des emplacements également non déclarés pour tester certains éléments du processus de conversion de l’installation de conversion d’uranium (ICU) d’Isfahan (c’est-à-dire la dissolution de l’uranium, la purification en colonnes pulsées et la production d’uranium métal).

- l’enrichissement de l’uranium par centrifugation gazeuse : l’Iran n’a pas déclaré qu’il a utilisé 1.9 kg de l’UF6 importé pour tester les centrifugeuses P1 fournies par le Pakistan ; des tests qui ont eu lieu dans les ateliers de la Kalaye Electric Company294 (société de Téhéran appartenant à l’Organisation iranienne de l’énergie atomique), où il dit avoir introduit de l’UF6 dans une centrifugeuse pour la première fois en 1999 et des matières d’alimentation dans plusieurs centrifugeuses (jusqu’à 19) en 2002. C’est seulement en janvier 2004 et après une demande de renseignements complémentaires que l’Iran a, pour la première fois reconnu, qu’il avait reçu, en 1994-1995, du Pakistan, des schémas de centrifugeuses P-2.

Pour de nombreux experts, il est donc difficile de ne pas croire que l’Iran recherche des armes nucléaires: « The fact these facilities and a great deal of other activity had not been declared to the IAEA made it clear that they were for military purposes; there was no other plausible reason for having concealed them » (Pollack, 2004 : 363). Accusé par la communauté internationale de vouloir la bombe en raison de ce manque de transparence, l’Iran a, depuis le début des révélations sur ses activités suspectes, en 2002, choisi de retourner l’accusation en se présentant comme une victime de l’illégitime politique de non-prolifération des puissances occidentales. Comme le Pakistan dans les années 1970-1980, il se rattache au sentiment généralisé chez les pays du Sud, d’être l’objet d’humiliation de la part de l’Occident. De plus, la posture iranienne s’accompagne d’un certain attachement au TNP, et qui justifie le fait que le pays, malgré toutes les raisons qu’il a de le faire, ne veut pas se retirer du traité. Une position qui rejoint encore celle du Pakistan qui, en 1995, a notamment indiqué qu’à défaut d’être favorable au TNP, il favorisait, malgré tout, sa prorogation illimitée (Mazari, 1995 : 653).

294 L’usine d’enrichissement de l’uranium Kalaye Electric située à Natanz près d’Isfahan et dont l’existence a été révélée en août 2002 est un motif de préoccupation majeure pour la communauté internationale. Ce complexe, dont la construction a débuté en 2001, est entré en service à l’automne 2003 avant d’être arrêté fin 2004 suite aux négociations avec l’Union européenne. En partie enterré, il est, à terme, supposé abriter 50 000 centrifugeuses de type P-1 et P-2 d’origine pakistanaise.

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Le « droit inaliénable » des ENDAN à bénéficier de la technologie nucléaire pacifique (article IV) devient ainsi le point focal autour duquel s’articule la critique iranienne du caractère discriminant du TNP comme en témoignent ces propos d’Ali Asghar Soltanieh, représentant permanent de l’Iran aux Nations Unies, lors de la première session du comité préparatoire de la 8ème conférence d’examen du TNP :

It is unacceptable that some countries tend to limit the access to peaceful nuclear technology to an exclusive club of technologically advanced States under the pretext of non-proliferation. This attitude is in clear violation of the letter and spirit of the Treaty and destroys the fundamental balance, which exists between the rights and obligations in the Treaty. The Treaty itself clearly rejects this attempt in its Article IV by emphasizing that “nothing in the Treaty shall be interpreted as affecting the inalienable right of all Parties to the Treaty to develop research, produce and use nuclear energy for peaceful purposes without discrimination”. The involvement of other international organizations even the United Nations Security Council cannot be justified to impose limitations against the peaceful use of nuclear energy in contravention with the clear statutory obligations well established by the NPT and the IAEA Statute. This attitude would only undermine the credibility of the international organizations, which have been created to assist nations to realize their legitimate aspirations295.

L’Iran rejoint ainsi la position du Pakistan selon laquelle les Occidentaux, sous couvert du TNP, ont pour objectif d’empêcher le développement du monde musulman (Nizamanni, 2000 : 111). Il est toutefois difficile de ne pas voir en la posture iranienne de rappel constant de la nature pacifique de son programme en vertu des droits qui découlent de sa participation au régime de non-prolifération, une tentative d’exploitation des failles de ce dernier. Au-delà de son manquement à ses obligations de transparence en tant que membre du régime, toutes les activités conduites par l’Iran ne sont pas forcément des violations caractérisées du TNP. Ce qui met en lumière un véritable problème d’interprétation des dispositions du traité. Alors que les Occidentaux questionnent la véritable nature des activités nucléaires iraniennes sous le prisme des normes et des principes du régime, l’Iran et ses défenseurs, notamment la Chine, mettent la focale sur les règles et les procédures. L’Iran considère ainsi qu’il est de son droit d’enrichir de l’uranium en vertu de l’article IV. Mais pour les Occidentaux qui se basent sur une interprétation plus large des articles I et II, le renoncement des Iraniens à l’enrichissement n’est pas contradictoire avec le fameux article IV s’il leur est garanti,

295 Voir Statement by Dr. AIi Asghar Soltanieh, Ambassador and Permanent Representative of the Islamic Republic of Iran to the United Nations and Other International Organizations, Vienna to the First Session of the Preparatory Committee for the 2010 NPT Review Conference. http://www.un.org/NPT2010/statements/Iran_01_05_pm_final_version.pdf

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comme suggéré lors des négociations sur le dossier nucléaire, un approvisionnement en combustible nucléaire.

La volonté persistante de l’Iran de défendre la production de son propre combustible est donc interprétée comme une démarche s’inscrivant dans un processus clair de nucléarisation : « As North Korea has done and Iran is trying to do, a country can take every step but the last toward acquiring a nuclear weapon without violating the NPT and then simply withdraw from the treaty at that last moment—or not withdraw, leaving the rest of the world knowing that it is merely “one screwdriver turn” away from having a nuclear weapon yet still technically within the terms of the NPT » (Pollack, 2004 : 409).

En somme, tout comme le Pakistan, l’Iran trouve le TNP discriminant. Mais contrairement au Pakistan, l’Iran l’a signé et ratifié. S’il faut replacer cette participation de l’Iran au régime de non-prolifération dans le contexte des rapports entre les États-Unis et le Shah qui ne pouvait rien leur refuser, il n’empêche qu’après la chute de ce dernier, et depuis la décision de poursuivre le programme nucléaire dès la fin des années 1980, le pays a choisi de rester membre du TNP — malgré quelques menaces de retrait par-ci par-là — tout en exploitant ses ambigüités.

2.2.4. La stratégie d’équilibrage et l’assistance nucléaire du Pakistan à l’Iran.

Dans la troisième proposition de notre modèle théorique, nous avions avancé que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait être motivé par la volonté de contenir la puissance d’un autre État menaçant commun avec l’État récipiendaire. Le test booléen du modèle théorique a confirmé cette proposition en révélant la présence d’un rival ou d’un ennemi commun aux deux États dans tous les cas de coopération nucléaire. Depuis 1947, le Pakistan entretient une rivalité stratégique avec l’Afghanistan, motivée par la révision du statu quo territorial en ce qui concerne la frontière entre les deux pays. En 1816-1937 puis de nouveau en 1996-2001, l’Iran a été en rivalité avec l’Afghanistan. Des contestations territoriales sont aussi à la base de cette rivalité même si, pendant la deuxième période de la rivalité, des motivations idéologiques s’en sont mêlées (Thompson & Dreyer, 2012 : 205). Si l’Afghanistan constitue un rival commun pour le Pakistan et l’Iran, il est toutefois très difficile de considérer qu’Islamabad s’est engagé dans une coopération nucléaire avec Téhéran pour contenir ce pays qui

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ne représente, malgré tout, pas une menace majeure pour eux. Comme dans le cas de la coopération nucléaire entre la Chine et l’Iran, les États-Unis apparaissent comme un véritable ennemi commun pour le Pakistan et l’Iran. À partir des sources historiques et géopolitiques des tensions entre les deux pays, expliquons comment le Pakistan voulait imposer des coûts stratégiques aux États-Unis, en apportant son aide à la nucléarisation de l’Iran.

- La relation pakistano-américaine : une relation complexe.

Dès son indépendance en 1947, le Pakistan a dû s’allier aux États-Unis pour survivre sur le plan militaire et économique. Mushahid Hussain et Akmal Hussain (1993 : 29-30) résument les raisons de ce rapprochement ainsi :

Pakistan’s pursuit of a policy of intimacy with the United States was determined by a combination of circumstances, including insecurity generated by fear and distrust of a larger and stronger neighbor — India — which in the view of Pakistani policy makers had not reconciled itself to the existence of the country. The Indian attitude was certainly the initial impulse that determined Pakistan’s desire for a close military and political connection with Washington. This, in turn, was reinforced by the political and ideological proclivities of Pakistan’s decision makers whose Westernized ethos was more compatible with the emerging worldview of Washington during the height of the Cold War.

En 1954, les deux pays signent un accord de défense mutuelle (Mutual Defence Assistance

Agreement) et le Pakistan adhère à la SEATO. En 1955, il rejoint la CENTO. En 1959, le Pakistan et les États-Unis signent un deuxième accord de coopération militaire qui est toujours en vigueur à la fin 2010. La même année, les États-Unis installent des équipements de surveillance et de communication sur le territoire pakistanais, à Peshawar. En retour, le Pakistan commence à recevoir l’aide économique et militaire tant espérée (figure 5.4). En 1961, le Général Ayub Khan, alors président du Pakistan, déclarait même devant le Congrès américain que le Pakistan était « l’allié le plus allié des États-Unis » (the most allied ally of the United States) (Hussain & Hussain, 1993 : 35). À cette époque, l’implication du Pakistan aux côtés des États-Unis dans la guerre contre l’expansion de la menace communiste en Asie, alors que l’Inde a opté pour une politique de non-alignement, était sans faille.

Toutefois, au cours de cette décennie 1960, la coopération entre les deux pays va se détériorer très rapidement, notamment du fait que, sans consulter le Pakistan, les États-Unis décidèrent, dès 1962,

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de fournir à l’Inde, sa rivale, des équipements militaires afin qu’elle puisse faire face à la Chine dans le cadre du conflit frontalier qui oppose les deux pays. Le Pakistan commence alors par se rapprocher de la Chine. Nous l’avions évoqué plus haut en traitant des relations sino-pakistanaises. Le 6 septembre 1965, lorsque les Indiens attaquent les Pakistanais à Lahore, les propos arrogants et teintés de suffisances de l’ambassadeur américain à l’endroit du Président pakistanais illustrent l’état de dégradation de la relation bilatérale : « The Indians have got you by the throat, Mr. President, haven’t they? » (Hussain & Hussain, 1993 : 36). Plus, avant le déclenchement du conflit indo-pakistanais, il semble que les États-Unis aient tenté de renverser le gouvernement du Général Ayub Khan. Mais l’associé de ce dernier, le Général Azam Khan, qui a été approché pour fomenter le coup d’État, aurait refusé de jouer le jeu.

Malgré tous ces évènements, la coopération est brièvement ranimée en 1970-1971 lorsque le Pakistan aide les États-Unis à se rapprocher diplomatiquement de la Chine en facilitant, en juillet 1971, la visite secrète d’Henry Kissinger — alors conseiller pour les affaires de sécurité nationale auprès du Président américain Richard Nixon — à Pékin; une visite qui a ouvert la voie au sommet sino-américain de 1972 entre Nixon et Mao Zedong, lequel a conduit à la normalisation des relations entre les deux pays. Mais le fait que les États-Unis n’aient pas soutenu le Pakistan durant la guerre de 1971 alors que l’Inde a reçu le soutien moral et militaire de ses alliés soviétiques de même que les nombreux efforts déployés par les Américains au cours de cette décennie, et même plus tard, pour empêcher le Pakistan d’acquérir des armes nucléaires, ont contribué à jeter un froid sur la relation bilatérale qui va timidement se resserrer au cours des années 1980 et des années 2000 principalement pour des motifs stratégiques.

En effet, dès 1976, les États-Unis votent de nombreuses lois anti-prolifération destinées à empêcher le Pakistan de poursuivre son programme nucléaire militaire entamé en 1972. Ces lois incluent l’amendement Symington (1976) qui interdit aux États-Unis d’aider tout État important des technologies d’enrichissement de l’uranium sans accepter les garanties de sécurité de l’AIEA296; l’amendement Glenn (1977) qui requiert la suspension de l’aide américaine au Pakistan au cas où ce 296 L’amendement Symington (1976) trouve son origine dans les inquiétudes américaines de prolifération horizontale alors que la Libye était suspectée de rechercher des armes nucléaires, que l’Inde venait de procéder à un essai nucléaire (1974) et que le Pakistan dont les ressources technologiques et économiques sont connues pour être limitées s’était engagé dans l’achat d’une installation de retraitement du plutonium auprès de la France (1976). Les États-Unis ont appelé le Pakistan et la France à annuler la transaction. La France a fini par succomber aux pressions américaines et a annulé le contrat en 1977. Z. A. Bhutto affirmera plus tard dans ses mémoires: « Pakistan was on the threshold of full nuclear capability. All we needed was the nuclear reprocessing plant » (Bhutto, 1979 : 137-138).

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dernier recevrait ou ferait exploser un dispositif nucléaire; l’amendement Solarz (1985) qui interdit l’aide américaine à tout État non-nucléaire qui exporte illégalement des matériels nucléaires destinés à être utilisés pour faire exploser un dispositif nucléaire; l’amendement Pressler (1985) qui conditionne l’aide des États-Unis au Pakistan à la certification du Président que ce dernier ne possède pas de dispositif nucléaire.

Seuls les impératifs stratégiques de la guerre froide les obligeront à abandonner temporairement leurs objectifs de non-prolifération en recherchant la coopération avec le Pakistan pour faire face à l’invasion soviétique de l’Afghanistan297. L’administration Reagan a donc intentionnellement fermé les yeux sur le développement rapide du programme nucléaire pakistanais alors même que les services de renseignements américains avaient découvert en 1983-1984 que la Chine avait fourni au Pakistan un dispositif à base d’uranium à faible rendement basé sur les informations que celle-ci avait acquises suite à sa 4ème série de tests nucléaires en 1964 (Ahmed, 1999 : 187). Dans un memo daté du 26 décembre 1979, Zbigniew Brzezinski, Conseiller à la sécurité nationale du Président Jimmy Carter était clair : « [Pakistan’s support] will require more guarantees to it, more arms aid, and, alas, a decision that our security policy cannot be dictated by our nonproliferation policy » (Coll, 2004 : 21-23).

Mais avec la découverte de l’état d’avancement du programme nucléaire irakien suite à la guerre du golfe, en 1991, et les soupçons d’activités proliférantes d’autres États comme l’Iran, la Libye et la Corée du Nord, la pression américaine s’intensifie de nouveau sur le Pakistan — qui a même été menacé d’être désignée comme État voyou aux côtés des trois autres pays — dont le programme nucléaire dépendait largement des exportations de technologies occidentales comme le précise Strobe Talbott (1999 : 115) : « While India’s nuclear-weapons and ballistic-missile programs were well established and largely indigenous, Pakistan was trying to come from behind and therefore relied on equipment and technologies acquired abroad. During this period [1990s], the United States and others were trying to halt proliferation by penalizing countries trafficking in dangerous material. Therefore Pakistan was more vulnerable than India to U.S. sanctions ». Ce qui a contribué à attiser un profond ressentiment du Pakistan vis-à-vis des États-Unis. D’autant que les Pakistanais voyaient

297 Le Pakistan s’était alors vu promettre une aide économique et militaire de 3.2 milliards de dollars sur une période de six ans (1981-1987/1988).

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les sanctions à leur encontre comme une injustice, une sorte de deux poids deux mesures de la part des Américains :

The United States […] is accused by Pakistan of applying discriminatory policies in pursuit of its non-proliferation objectives. The charge goes back to 1974 when many Pakistanis reacted with disbelief at the United States decision not only to refrain from imposing sanctions on India in retaliation for its testing of a “peaceful” nuclear device, but actually to approve an increase in economic aid to India within less than a month of the Indian detonation. The view that Pakistan was being unjustly singled out for punishment by the United States was reinforced by US non-proliferation laws in the I970s, which Pakistani policy-makers and public alike believed were specifically targeted at their country and used to justify sanctions against it in 1978 and 1979 […] The strongly held view in Pakistan is that sanctions should have been imposed only on the country that started the nuclear race in the subcontinent and posed a threat to the region (Shaikh, 2002 : 34).

Un tournant majeur dans les relations pakistano-américaines a lieu au début des années 1980. Alors que le Pakistan faisait face à une décennie de contraintes internationales, les États-Unis lui ont proposé d’assouplir leurs lois anti-prolifération en échange d’un rôle majeur aux avants postes de la guerre afghano-soviétique. Cependant, un an seulement après le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, les États-Unis ont durci leurs sanctions envers le Pakistan avec l’entrée en vigueur de l’amendement Pressler en 1990 alors que le Président n’avait pu certifier que le pays ne possédait pas de dispositif nucléaire : « These sanctions […] marked a turning-point in US-Pakistan relations, confirming Pakistan’s misgivings about the trustworthiness of the United States and generating anger among many Pakistanis at what they regarded as evidence of US ingratitude »298 (Shaikh, 2002 : 35).

Malgré le « traitement spécial » dont le Pakistan a bénéficié de la part des États-Unis suite à sa coopération dans le cadre de la politique américaine en Afghanistan, en réponse aux attentats du 11 septembre 2001, le sentiment anti-américain des Pakistanais n’a pour autant pas disparu. Au contraire, la population pakistanaise continue d’avoir une opinion très négative des États-Unis. La majorité est persuadée qu’on ne peut compter sur les Américains pour agir de manière responsable sur la scène internationale et qu’ils ont une trop grande influence sur leur pays. La présence militaire des États-Unis dans la région est perçue comme une menace pour le Pakistan. D’ailleurs, les

298 Les plus grandes sanctions contre le Pakistan ont été appliquées, par les États-Unis, dans le cadre de cette loi comme nous le montrons dans la section consacrée aux considérations économiques sur lesquelles s’est basée l’assistance nucléaire à l’Iran.

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Pakistanais pensent que la coopération sécuritaire entre les deux pays a très peu bénéficié au Pakistan. Et plus important, les Pakistanais pensent que l’objectif des Américains est d’affaiblir et de diviser le monde musulman (Fair, Ramasay & Kull, 2008 : 18-20).

Des propos peu diplomatiques d’un officiel pakistanais dans une entrevue récente confirment cette animosité envers les États-Unis: « There is so much animosity that perhaps the Americans are the most hated people in the minds of the people in Pakistan »299. Pour Wajid Shamsul Hasan, Haut-Commissaire pakistanais en Grande-Bretagne, dans l’éventualité d’une intervention militaire américaine en Iran pour mettre fin au programme nucléaire controversé de ce pays, Islamabad a non seulement assuré Téhéran que son territoire ne servirait pas de base de lancement pour les opérations mais aussi qu’il lui apporterait son soutien si Israël l’attaquait, évoquant, entre autres, la population chiite pakistanaise qui ne verrait pas d’un bon œil le scénario contraire. Il est intéressant de noter dans ces propos la référence à une action classique de l’équilibrage indirect à savoir le refus de l’utilisation de son territoire pour les besoins des opérations militaires de la puissance menaçante (Pape, 2005 : 36-37) et l’allusion aux affinités identitaires entre l’Iran et le Pakistan.

Figure 5.4. Aide américaine au Pakistan, 1948-2010300.

299 Stephen Moyes, « Attack on the drones », 8 février 2012. http://www.thesun.co.uk/sol/homepage/news/4115452/Pakistan-blasts-lethal-US-drone-attacks.html 300 Figure tirée de Epstein, S., A. Kronstadt. 2012. Pakistan: US Foreign Assistance. CRS Report for Congress. Congressional Research Service. http://www.fas.org/sgp/crs/row/R41856.pdf

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Interprétation de la figure 5.4.

En 1962 (a), l’aide américaine au Pakistan atteint son pic. Au cours de cette période, le Pakistan était un allié de l’Occident et avait signé deux pactes de défense. En 1981 (b), est négociée l’aide économique et militaire de 3.2 milliards de dollars sur une période de six ans (1981-1987/1988). L’amendement Pressler (c) est voté mais n’a aucun impact sur l’aide jusqu’en 1989 (d) où celle-ci est suspendue avec le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan. Après 2001 (e), l’aide reprend dans un contexte de lutte contre le terrorisme.

- La relation irano-américaine : une relation problématique.

La relation irano-américaine est une relation tumultueuse à bien des égards comme le sous-entendent ces propos de Kenneth Pollack (2004 : xxx) : « The United States has some very important problems with the Iranians and they have some very important problem with us ». Avant la révolution islamique de 1979, les États-Unis, tout comme Israël, étaient des alliés de l’Iran comme en témoignent leurs différentes coopérations militaires et économiques (Miglietta, 2002 : 35-104; Parsi, 2007 : 19-28; Thompson & Dreyer, 2010 : 154). Mais avec la fin du régime du Shah, la dynamique des relations entre ces trois pays s’inversa. Selon Kenneth Pollack (2004 : 172), si le coup d’État de 1953 est le moment déterminant de la relation bilatérale pour les Iraniens, c’est en revanche la crise des otages de 1979-1981 qui est le moment déterminant de la relation pour les Américains.

En effet, en 1951, Mohammad Mossadegh, nationaliste farouche arrive à la tête du gouvernement de l’Iran de Mohammed Reza Chah Pahlavi avec la ferme intention de chasser les compagnies étrangères du pays. Dans cette perspective, il rejette une offre de l’Anglo-Iranian Oil Company de partager par moitié les profits tirés de l’exploitation du pétrole et fait voter la nationalisation des puits iraniens et l’expropriation de la compagnie. Les rapports entre le roi, à la solde des Occidentaux, et son premier ministre, soutenu par la population, se détériorent. Après une menace de coup d’État militaire, un projet d’assassinat de Mossadegh, monté par le Chah, des militaires et des ministres, échoue en mars 1953, de même qu’une tentative d’arrestation n’aboutit pas non plus le 16 août 1953. Finalement, un coup d’État dans les règles, organisé par le Général Fazlollah Zahedi avec le

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soutien de la Grande-Bretagne (MI6) et des États-Unis (CIA), sous le nom de code « Opération Ajax », a lieu le 19 août 1953301. Cet épisode de la vie politique iranienne a beaucoup marqué les Iraniens qui se souviennent, à tort ou à raison, de Mossadegh comme l’homme qui a osé résister à l’Occident, qui a défié le despotisme. Il a contribué à attiser leur haine envers les États-Unis comme l’explique encore Kenneth Pollack (2004 : 68):

[…] The popular iranian version of history portrays Mossaddeq as a wildly popular prime minister forging a new, democratic Iran fully in command of its own destiny, who was overthrown by American agents to prevent Iran from achieving political and economic freedom. The event itself was a source of tremendous anger against the United States for Iranians, who assumed that the United States had been responsible for the coup long before actual evidence to that effect began to surface. It completed Iranian disillusionment with the image of the United States as a grand, munificent benefactor of Iran. After the coup, and more and more as the tragic-mythic version of the coup spread, Iranians increasingly believed that the United States was a malevolent power that had replaced the British as the insidious force controlling Iran’s destiny and preventing it from achieving its rightful stature and prosperity.

Pendant la période 1950-1970, un ensemble de conditions politiques et économiques contribuent à précipiter l’Iran au bord d’une révolution qui occasionne la chute du Chah et l’arrivée au pouvoir, le 11 février 1979, de l’Ayatollah Khomeiny, profondément anti-américain. Logiquement, s’amorce une violente rhétorique contre les États-Unis — où le Chah a trouvé refuge dès le 22 octobre — que l’Iran décrit comme le « Grand Satan » et une nation d’ « infidèles ». Avec la prise de 53 otages à l’ambassade américaine par quelques 300 étudiants iraniens islamistes, en novembre 1979, et qui a duré 444 jours302, le processus de dégradation de la relation entre les deux pays est amorcé. Si les motivations ayant guidé cette action sont nombreuses, la volonté de se venger du coup d’État de 1953 en faisait résolument partie comme en témoigne ces propos de Massoumeh Ebtekar, la porte-parole des étudiants : « We were determined to take a stand against past and possibility future humiliation by the United States » (Ebtekar & Reed, 2000 : 44). Ce que confirme un autre leader étudiant qui explique l’objectif visé: « To teach the American government and the CIA a lesson, so it will keep its hands off other countries, and particulary Iran! » (Ebtekar & Reed, 2000 : 69).

Du côté des Américains, la prise d’otage a été vécue comme une attaque injustifiée qui, aujourd’hui encore, reste gravée dans les mémoires: « it is America’s great underlying grievance against Iran,

301 Suite à cette affaire, l’Anglo-Iranian Oil Company retrouve ses biens et devient la British Petrolium. Les compagnies pétrolières américaines, autour de la Standard Oil, font leur entrée sur le marché iranien. 302 La libération des otages est intervenue le 20 janvier 1980.

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and as such, it has been the “elephant in the living room” of US policy toward Iran ever since […] the residual anger that so many Americans feel toward Iran for those 444 days has colored every decision made about Iran ever since » (Pollack, 2004 : 172). Et de continuer: « […] The experience of the hostage crisis had convinced most American policy makers that the Iranians were either irrational or emotionally unbalanced because of the revolution and that therefore no good would come from a relationship of any kind » (Pollack, 2004 : 182). L’administration Carter réagit immédiatement à la crise en annonçant l’arrêt des importations américaines de pétrole et le gel des avoirs iraniens (12 milliards de dollars) quoique ce fût seulement le 7 avril 1980 que sont officiellement prononcées des sanctions contre l’Iran et la rupture des relations diplomatiques303.

Le soutien des États-Unis à l’Irak, avec qui les relations diplomatiques sont rétablies en mars 1985 après 8 ans d’interruption, lors de la Guerre Iran-Irak qui éclate le 22 septembre 1980, principalement par antipathie pour l’Iran, exacerbe les tensions entre les deux pays304. L’hostilité entre les deux pays était telle que les États-Unis ne soumirent même pas Saddam Hussein à des sanctions lorsqu’il utilisa des armes chimiques contre les troupes iraniennes. Les Iraniens avaient le sentiment que le monde entier était contre eux: « When “Iran was being attacked with chemical weapons, all of the [treaties with Iran] that people had signed turned out to be meaningless. [The Iranians] concluded that they couldn’t rely on anybody outside themselves” » explique Gary Sick, ancien membre du Conseil national de sécurité sous les administrations Carter et Reagan, interviewé par Trita Parsi (2004 : 101).

Paradoxalement, l’affaire Iran-Contra, la vente des armes américaines à l’Iran en 1986 pour financer les Contras au Nicaragua, a contribué à élargir le fossé entre les deux pays. L’affaire a été présentée par les Iraniens comme une victoire; ils venaient de jeter le trouble dans le camp occidental en montrant comment les Américains, qui avaient déjà apporté leur soutien militaire et logistique à l’Irak en dépit de leur position officielle de neutralité durant la guerre, n’étaient pas crédibles. Aux États-Unis, l’image de l’administration Reagan est ternie aux yeux de l’opinion publique pour avoir entrepris

303 En réalité, les Américains avaient appris, les 12 et 14 novembre 1979, que les Iraniens planifiaient annoncer l’arrêt des exportations de pétrole vers les États-Unis et le rapatriement de leurs avoirs dans les banques américaines. Ils ont donc réagi avant (Pollack, 2004 : 164). Plus de détails sur les sanctions américaines contre l’Iran peuvent être obtenus à cette adresse : http://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Programs/pages/iran.aspx 304 Outre l’aide financière (dès 1983, l’Irak reçoit 400 millions de dollars d’aide des États-Unis; 513 millions en 1984 et 652 millions en 1987) et technologique, la coopération entre les services de renseignements des deux pays a permis à l’Irak de bénéficier d’informations précieuses sur la localisation des troupes iraniennes et leurs opérations; ce qui a été décisif lors de ce conflit (Pollack, 2004 : 208).

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une action en contradiction totale avec la politique de fermeté officiellement affichée à l’égard de l’Iran. L’engagement naval des États-Unis aux côtés du Koweït en juillet 1987, lorsqu’ils placent les navires pétroliers de ce pays sous pavillon américain, est considéré par l’Iran comme une agression militaire. C’est cette année-là, il faut le rappeler, que les premières négociations nucléaires avec le Pakistan ont lieu.

Le 4 juin 1989, l’Ayatollah Khamenei remplace l’Ayatollah Khomeyni après le décès de ce dernier305. Le 28 juillet, 1989, Hashemi Rafsandjani est élu président puis réélu jusqu’au 2 août 1997. Il sera succédé par Mohammed Khatami (1997-2005). Malgré tout, l’anti-américanisme est demeuré une constante dans la politique étrangère iranienne ; et ce, tout au long de la décennie 1990 comme en témoignent ces propos du nouveau Guide de la révolution islamique : « In March 1990, he [Khamenei] gave a speech in which he blamed all ‘arrogant powers’, with ‘the satanic and demonic American power’ at their head, for ‘leading humanity toward decandence and mocking and ridiculing all spiritual values’. In another speech that month, he described the United States as ‘the embodiment of the Devil and corruption’ » (Pollack, 2004 : 252).

À la même époque, la relation pakistano-américaine connaît un tournant majeur comme nous l’avons montré plus haut: «The new Iranian leadership had arrived just as Pakistan’s relationship with the US had begun to nosedive following the end of the joint Afghan campaign » (Corera, 2006 : 67). L’opportunité d’un rapprochement entre le Pakistan et l’Iran ne pouvait pas mieux se présenter pour la poursuite de leur collaboration nucléaire. Surtout qu’avec la chute de l’URSS et le basculement du monde dans l’ère unipolaire, la menace américaine devenait de plus en plus préoccupante pour un Iran incapable de rivaliser avec son ennemi juré sur le plan conventionnel. Nous l’avons fait remarquer en traitant de la coopération sino-iranienne.

La qualification de l’Iran comme un “backlash state” et un “rogue state” et son inscription, dès 1993, dans Patterns of Global Terrorism, par l’administration Clinton, comme “the most dangerous state sponsor of terrorism” — à cause de son soutien au Hamas et au Hezbollah — et dès 2002, par l’administration Bush comme un État de l’ “Axis of Evil” aux côtés de l’Irak et de la Corée du Nord illustre le climat d’hostilité qui règne entre les deux pays. Cette dernière labellisation de leurs pays a profondément choqué les Iraniens et conforté, à l’interne, les conservateurs purs et durs qui ont 305 Fin 2010, soit la fin de notre période d’étude, Ali Khamenei est toujours le Guide suprême de la République islamique d’Iran.

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toujours vu d’un très mauvais œil les tentatives de rapprochement avec les États-Unis — à l’instar du soutien apporté aux Américains pour se débarrasser des talibans en Afghanistan en 2001 — initiés par les réformistes avec le Président Khatami à leur tête : « ‘Axis of Evil’ was a fiasco for the Khatami government. That was used by the hard-liners, who said: if you give in, if you help from a position of weakness, then you get negative results » a ainsi expliqué à Trita Parsi, Farideh Fahri, un spécialiste de l’Iran à l’Université d’Hawaii (Parsi, 2007 : 235).

Lorsqu’en janvier 1995, l’Iran signe avec la Russie le contrat visant la construction du réacteur nucléaire de Bushehr, les États-Unis s’inquiètent des risques de détournement des utilisations pacifiques de cette installation à des fins militaires. Dès lors, ils consacrent de nombreux efforts pour empêcher que la coopération entre les deux pays se concrétise de même qu’ils mettent tout en œuvre pour que la Chine annule ses transactions nucléaires en cours avec l’Iran (tableau 5.3). Nous nous y sommes longuement attardés lors de l’analyse de la coopération sino-iranienne. Depuis les révélations sur le programme nucléaire iranien en 2002, les États-Unis se sont engagés unilatéralement et multilatéralement dans de nombreuses sanctions contre l’Iran. Tout comme ce fut le cas avec le Pakistan.

En somme, « Washington qui avait initié la rupture des relations à la suite de la crise des otages, a développé à l’endroit de Téhéran une politique hostile axée sur quatre points reprochant à l’Iran : 1) la recherche des armes de destruction massive ; 2) son appui au terrorisme international ; 3) le sabotage du processus de paix israélo-arabe ; et 4) le non-respect des droits de l’homme » (Hassan-Yari & Dizboni, 2009 : 71). Or, nombreux sont les stratèges de la Maison-Blanche qui pensent de plus en plus que les États-Unis pourraient bénéficier d’un Iran fort qui agirait comme un État tampon contre les velléités énergétiques de la Chine dans le Golfe persique et le bassin caspien (Parsi, 2007 : 20). Mais face à la main tendue de Barack Obama, dès son élection, pour mettre terme aux trois décennies d’hostilité mutuelle afin d’ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre les deux pays, l’Ayatollah Khamenei, que citent Houchang Hassan-Yari et Ali Dizboni (2009 : 76-77), s’est demandé comment le peuple iranien pourrait oublier l’hostilité américaine :

S’il y a des changements, dites-nous, votre hostilité a-t-elle pris fin ? Les avoirs iraniens sont-ils débloqués ? Les sanctions levées ? La propagande négative stoppée ? La défense inconditionnelle du régime sioniste terminée ? Car le changement qui n’est que prétendu est une tromperie, et non une nouvelle démarche. Il faut montrer le véritable changement avec des mesures pratiques. Les responsables américains doivent savoir

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qu’ils ne peuvent pas nous leurrer ou apeurer [...] Comme nous n’avons pas d’expérience avec le nouveau président américain et son gouvernement, nous fonderons notre jugement sur leurs actions.

À la lumière de la haine de l’Iran vis-à-vis d’Israël, seul État au Moyen-Orient à posséder une capacité nucléaire militaire et qui bénéficie d’un soutien inconditionnel des États-Unis, on peut se dire aussi que l’ennemi commun qui a justifié la coopération nucléaire entre le Pakistan et l’Iran est Israël. Toutefois, cet argument n’est pas très solide. Non seulement Israël ne constitue pas un véritable ennemi pour le Pakistan malgré les quelques tentatives de rapprochement entre l’Inde et Israël mais aussi, il semble que les Iraniens soient persuadés qu’ils n’ont pas besoin d’armes nucléaires pour faire face à la menace israélienne qu’ils peuvent contenir par d’autres moyens comme le démontre la confrontation Israël-Hezbollah à l’été 2006 : « From the government’s perspective, weapons of mass destruction would not constitute a deterrence against Israel. We have other deterrences that work better » a ainsi affirmé Javad Zarif, ambassadeur iranien aux Nations Unies, à Trita Parsi (2007 : 269). Ce qui ne semble effectivement pas être le cas face à la menace américaine : «The only threat against which Iran lacks an effective deterrence is the United States » (Parsi, 2007 : 296). Comme le précise Stephen Walt (2009 : 101): « It is likely that efforts by Iran [...] to gain nuclear weapons are inspired in part by the desire to deter a U.S. attack or deflect U.S. pressure ».

En définitive, les États-Unis apparaissent comme une véritable menace commune pour le Pakistan et l’Iran. En apportant son assistance nucléaire à l’Iran avec qui il partage le même ennemi commun, le Pakistan a donc vraisemblablement voulu imposer des coûts stratégiques aux États-Unis que la fin de la guerre froide a consacré comme l’unique superpuissance du système international (Corera, 2006 : 73-79). C’est dans ce cadre qu’il faut aussi situer ces propos de Stephen Walt (2009 : 101):

[…] Part of the motivation behind A. Q. Khan successful effort to spread nuclear technology was a desire to constrain American power and that Khan objective was shared by prominent Pakistani officials […] Mirza Aslam Beg, former chief of staff of the Pakistani army reportedly believed that the global spread of nuclear weapons would hasten the arrival of a multipolar world, and facilitate the formation of an alliance of “strategic defiance” linking Pakistan, Iran and China.

2.2.5. Les considérations économiques et l’assistance nucléaire du Pakistan à l’Iran.

Dans la quatrième proposition de notre modèle théorique, nous avions avancé que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait être

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motivé par le désir de tirer profit financièrement de son expertise nucléaire. Le test booléen du modèle théorique a confirmé cette proposition en révélant l’occurrence de notre phénomène empirique dans les dyades où le niveau de développement économique de l’État fournisseur était faible ; où l’économie de ce dernier était fermée ; et où cet État était dépendant du commerce avec l’État récipiendaire. Au cours de sa coopération avec l’Iran, le Pakistan cumulait toutes ces caractéristiques. Essayons maintenant de voir quelles pressions économiques ont véritablement poussé le Pakistan à monnayer son assistance nucléaire, entre la réduction des coûts associés à son propre programme nucléaire, l’accès à des ressources vitales et les avantages commerciaux divers.

L’initiation et la concrétisation du programme nucléaire pakistanais a nécessité de nombreuses sources de financement extérieur ; le pays n’avait simplement pas les capacités économiques nécessaires à la réalisation d’un tel projet306. Rappelons ces propos devenus célèbre de Z. A. Bhutto prononcés en 1974 suite à l’ « explosion nucléaire pacifique » indien : « If India builds the bomb, we will eat grass and leaves for a thousand years, even go hungry, but we will get one of our own ». Nous avions aussi mentionné cette fameuse tournée de Z. A. Bhutto dans de nombreux pays islamiques riches, et destinée à les rallier à l’effort nucléaire du Pakistan dès le début des années 1970 (Garver, 2001 : 323-324).

Entre autres, le Pakistan aurait reçu jusqu’à 300 millions de dollars de la Libye dont 100 millions étaient destinés à l’acquisition de l’usine de retraitement que la France avait accepté de lui fournir en 1976. Les contributions de l’Iran et de quelques États arabes, dont certainement l’Arabie Saoudite, se chiffreraient à 450 millions de dollars (Potter, 1990 : 230-231). L’Iran aurait également mis à la disposition du Pakistan plus de 800 millions de dollars de crédits et de liquidités entre 1974 et 1976 pour l’aider à faire face à l’augmentation des prix du pétrole et à financer divers projets (Tahir-Kheli, 1977 : 480). D’autres sources évoquent une aide libyenne de 100 à 500 millions de dollars (IISS, 2007 : 76). En tout état de cause, la Libye aurait financé extensivement le programme d’enrichissement d’uranium du Pakistan (Potter, 1990 : 232). Dans les années 1990, la Banque pakistanaise de crédit et de commerce international (BCCI) aurait conservé des millions de dollars

306 Le Pakistan est encore aujourd’hui sous perfusion financière internationale et dépend énormément de l’aide des États-Unis. En 2010, les États-Unis étaient le premier fournisseur de l’assistance économique étrangère au Pakistan (56%) devant le Japon (11%) et l’Allemagne (5%). Le Pakistan est le troisième récipiendaire de l’aide américaine dans le monde après Israël et l’Égypte.

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mis à la disposition du Pakistan par des États arabes pour le compte de son programme nucléaire. Une fois la technologie nucléaire maîtrisée, certains de ces contributeurs tentés par l’aventure nucléaire pensaient que le Pakistan allait, en retour, les aider à acquérir la bombe ou tout au moins leur garantir une protection nucléaire. Réciproquement, les leaders pakistanais ne doutaient pas des avantages économiques qui pourraient résulter de leur accession au statut d’État nucléaire : « Some cherish the fond hope that if Pakistan explicitly demonstrates its nuclear capability through a test explosion, oil money will pour into the country » (Hoodbhoy, 1995 : 7).

Comme nous l’avons déjà expliqué, pendant que le Pakistan développait son programme nucléaire, il était sous le coup de nombreuses sanctions économiques de la part des États-Unis. L’analyse de ces sanctions suivant une délimitation en trois périodes historiques (1979-1990; 1990-1998; 1998-2001) montre que le Pakistan avait des raisons suffisantes de monnayer son savoir-faire nucléaire en coopérant avec l’Iran mais aussi la Libye et la Corée du Nord307.

- La poursuite des aides et la guerre d’Afghanistan (1979-1990).

En 1979, les amendements Symington (1976) et Glenn (1977) sont, pour la première fois, invoqués par l’administration Carter pour mettre fin à l’aide économique et militaire des États-Unis au Pakistan, en réaction à son programme d’enrichissement de l’uranium. Car, cette année-là, les États-Unis découvrirent que le Pakistan s’approvisionnait, à travers des réseaux clandestins, en technologies nucléaires en Europe (Pays-Bas, Allemagne de l’Ouest) et en Amérique (États-Unis). Cependant, non seulement ces sanctions n’avaient pas mis fin aux dons et aux prêts des institutions financières internationales mais aussi, elles n’avaient pas supprimé l’aide alimentaire. Ce qui fait qu’elles ont eu un impact très limité, voire quasi-nul, sur l’économie pakistanaise au cours de cette période. D’autant que, pendant presque toute la décennie 1980, les sanctions ont été mises en veilleuses pour des raisons stratégiques, l’objectif pour les États-Unis, pendant cette période étant de s’assurer le soutien du Pakistan face à la menace communiste en Afghanistan.

Même l’annonce, dès février 1984, par A. Q. Khan que son pays avait réussi à produire de l’uranium enrichi, ce que confirmera le Général Zia-ul-Haq, et le vote par le Congrès de l’amendement Pressler

307 Toutes les données évoquées et figurant dans les différents tableaux sur les sanctions économiques ont été compilées à partir de la base de données de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) sur l’assistance étrangère américaine : « U.S. Overseas Loans and Grants ». http://gbk.eads.usaidallnet.gov/data/detailed.html. Les montants sont exprimés en millions de dollars américains.

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(1985) en réaction à cette nouvelle donne, de même que les informations des services secrets américains selon lesquelles le Pakistan avait acquis dès 1986 assez de matières fissiles pour fabriquer une arme nucléaire et avait également testé certains composants de son dispositif nucléaire, n’ont pas empêché les Présidents Reagan et Bush de fournir la certification dont avait besoin le Congrès pour poursuivre l’aide américaine pendant toute la moitié de la décennie (1985-1989) (tableau 5.7).

Tableau 5.7. Sanctions économiques américaines contre le Pakistan, 1979-1990.

Année Assistance économique Assistance économique

(USAID)

Assistance militaire

1979 128,81 23,31 1,2

1980 137,53 0 0

1981 164,16 0 0

1982 400,6 200,07 1,2

1983 534,18 383,29 499,77

1984 568,05 415,84 555,9

1985 607,26 447,53 583,53

1986 623,56 460,91 545,82

1987 599,07 469,53 534,54

1988 769,14 635 430,69

1989 559,72 421,27 367,06

- La suppression des aides et la coopération avec l’Iran (1990-1998).

Après le retrait des forces soviétiques d’Afghanistan en 1989, le Président Bush refusa d’accorder, en septembre 1990, la certification requise par le Congrès. En conséquence, toute l’aide économique et militaire américaine au Pakistan, négociée en 1987 (donc à l’échéance de la période d’aide de 1981-1987) pour une période 4 ans, soit une somme de 4.52 milliards de dollars, fut supprimée du

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budget de la nouvelle année financière (octobre 1990). L’impact des sanctions américaines sur l’économie pakistanaise en application de l’amendement Pressler pendant la décennie 1990 a été plus significatif que pendant la décennie 1980 (tableau 5.8) même si ces sanctions ne se sont pas étendues aux prêts et dons de la part des institutions financières internationales. C’est notamment au cours de cette période qu’est mise en œuvre la coopération nucléaire entre le Pakistan et l’Iran.

Tableau 5.8. Sanctions économiques américaines contre le Pakistan, 1990-1998.

Année Assistance économique Assistance économique

(USAID)

Assistance militaire

1990 548,07 422,37 283,44

1991 149,59 141,78 0

1992 27,14 0,57 7,2

1993 74,19 7,98 0

1994 68,43 0 0

1995 23,13 10,1 0

1996 22,79 0 0

1997 57,17 0 0

- La diminution des aides et les essais nucléaires (1998-2001).

Après les tests nucléaires de 1998, le Pakistan (et l’Inde) se retrouve encore sous le coup des sanctions des États-Unis dans le cadre de l’amendement Glenn (1994) et de l’amendement Symington (1976). Même si l’amendement Brownback (1998) permet au Président Clinton d’alléger les sanctions économiques contre les deux pays, le Pakistan ne recevra pas beaucoup d’argent pendant cette période-là (tableau 5.9). C’est au cours de cette période notamment que le Pakistan fournit de l’assistance nucléaire à la Corée du Nord et à la Libye (1997-2002)308. En revanche, à partir de 2001, l’aide américaine commence par augmenter. Après les attentats du 11 septembre 2001, cette aide monte jusqu’à 7.76 milliards ; la realpolitik ayant repris ses droits. 308 Nous avons mis en lumière les aspects économiques de ces deux cas de coopération dans le chapitre 4.

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Tableau 5.9. Sanctions économiques américaines contre le Pakistan, 1998-2001.

Année Assistance économique Assistance économique

(USAID)

Assistance militaire

1998 36,32 0 0

1999 102,14 6,72 0,22

2000 45,72 0 0

2001 228,02 0,54 0

Les données du tableau 5.8 montrent que le Pakistan avait toutes les raisons de monnayer son expertise nucléaire avec l’Iran afin de faire face à ses difficultés économiques et de continuer de développer son arsenal. Le pays, déjà sous-développé et privé de l’aide économique américaine qui était siphonné au profit de la nucléarisation se retrouvait dans une situation catastrophique. Au cours de cette période 1990-1997, la moyenne de la croissance économique pakistanaise s’établissait à 4,1%. Pendant la période de transferts de centrifugeuses (1993-1995), elle était de 3,4%. Or, en 1980-1989, le Pakistan expérimentait une croissance économique de 7%. Face aux conséquences des sanctions économiques, les États-Unis étaient conscients que le Pakistan pouvait se tourner vers l’Iran pour renflouer les caisses de l’État. À ce propos, Richard Haas mettait en garde:

One of the reasons that I am more concerned in the case of Pakistan about the impact of economic sanctions is I do not want Pakistan to increasingly have to turn to the Irans of the world to remain solvent. I do not want to alienate and isolate them more than they already are, and make that their lifeline, so that you have a kind of ‘‘Pariahs International’’ that Pakistan ultimately joins. They are already too close to Iran and North Korea. So I do not want us to do things that necessarily reinforce those bonds309.

Le partage de la technologie nucléaire avec l’Iran pouvait, à tous points de vue, être bénéfique financièrement pour le Pakistan (Tertrais, 2009 : 68). Car, en effet, l’Iran était disposé à payer entre 4 milliards (selon les affirmations de Benazir Bhutto) et 6 milliards voire 10 milliards (selon les propos du Général Beg) pour une assistance nucléaire pakistanaise vers la fin des années 1980. C’est 309 Voir Crisis in South Asia: India's nuclear tests; Pakistan's nuclear tests; India and Pakistan: what next?, Hearing before the sub-committee on Near Eastern and South Asian Affairs of the Committee on Foreign Relations, United States Senate, One Hundred Fifth Congress (Second Session), 13 May & 3 June, 13 July 1998, pp. 89-90. http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CHRG-105shrg48627/pdf/CHRG-105shrg48627.pdf

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probablement sur cette base, qu’en janvier 1990, le Général Beg avait menacé les États-Unis de coopérer avec l’Iran en matière nucléaire si le Pakistan était coupé de l’assistance économique américaine (IISS, 2007 : 69-70). Les propos du Général Beg ont été confirmés par deux autres membres de la classe politique pakistanaise. D’une part, Chaudry Nisar Ali Khan, député à l’Assemblée nationale (1990-1993) sous la bannière de la Ligue musulmane de Nawaz Sharif qui était alors le ministre du pétrole et des ressources naturelles — Chaudry Nisar Ali Khan fera plus tard (1997-1999) partie du cabinet de Nawaz Sharif lorsque celui-ci deviendra premier ministre pour la deuxième fois — affirma avoir entendu du Général Beg : « Iran is willing to give whatever it takes, $6 billion, $10 billion. We can sell the Bomb to Iran at any price »310. D’autre part, Ishaq Dar, aujourd’hui sénateur (2003-) et précédemment ministre du commerce (1997-1999) et des finances (1998-1999), également membre de la Ligue musulmane du Pakistan affirma que Beg avait demandé au gouvernement de transférer la technologie nucléaire pakistanaise à l’Iran pour la somme de 12 milliards de dollars mais que le premier ministre Nawaz Sharif avait refusé311. En février 1990, lors d’un voyage à Téhéran, le Général Beg aurait offert aux Iraniens l’expertise nucléaire pakistanaise en échange de leur pétrole (Coll, 2004 : 221). Selon d’autres sources, c’est au printemps 1991 que le Général Beg aurait proposé à l’Iran « une offre globale — y compris des plans d’armes — permettant à l’Iran d’accéder en quelques années à l’arme nucléaire, pour un montant faramineux, évalué entre 10 et 12 milliards de dollars » (Tertrais, 2009 : 72).

Si on ne sait pas à combien s’est finalement élevée financièrement la coopération nucléaire entre les deux pays312, hormis les sommes dérisoires qui ont été payées à des intermédiaires313, ni comment les différentes transactions ont été réglées, l’analyse de leur coopération commerciale bilatérale montre une augmentation des échanges commerciaux au profit du Pakistan au cours de la période 1987-1999 (figure 5.5). En effet, alors que la moyenne des importations pakistanaises en provenance de l’Iran se chiffrait à 22.61 pour la période 1948-1986, elle grimpe à 151.73 au cours de la période 1987-1999. Il est intéressant de remarquer que durant cette période la moyenne des importations 310 Voir Kathy Gannon, « Explosive Secrets from Pakistan », Los Angeles Times, 30 janvier 2004. 311 Shaukat Paracha, « Beg asked Nawaz to give nuclear technology to a ‘friend’, says Ishaq Dar », Daily Times, 25 décembre 2003. 312 Le fait que les sommes transitaient par une multitude de comptes bancaires brouille les pistes quant au destinataire final. Par exemple, une partie d’un payement de l’achat de centrifugeuses aurait eu comme destinataire final un mystérieux dentiste d’Islamabad dont le compte bancaire était domicilié à la BCCI; banque qui a été longtemps utilisée par le gouvernement pakistanais pour payer ses fournisseurs nucléaires. Le dentiste aurait ensuite redonné l’argent à des officiels militaires pakistanais (Douglas & Collins, 2007 : 161). 313 Par exemple, les Iraniens auraient payé entre 3 millions et 10 millions de dollars pour les équipements nucléaires achetés en 1987.

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iraniennes en provenance du Pakistan était seulement de 70.03 soit plus de deux fois moins que celles des importations pakistanaises. Si on considère seulement la période 1989-1999, soit celle pendant laquelle l’Iran poursuivait son programme nucléaire et que le Pakistan l’assistait, ce chiffre monte à 158.50. En 1994-1997, soit la période de livraison extensive de centrifugeuses P-1 et P-2 à l’Iran, le flux des importations pakistanaises en provenance de l’Iran se chiffre à 198.07. En 1994-1996, soit la période au cours de laquelle certains experts jugent que la coopération nucléaire entre les deux pays était à son maximum (Clary, 2005 : 40-42), le chiffre est de 194.83. En 1996-1997, soit la période pendant laquelle l’Iran aurait reçu de nouvelles centrifugeuses en remplacement de celles précédemment fournies et dont les performances laissaient à désirer, les chiffres s’élevaient respectivement à 267.08 et 207.82; ce qui constitue un record. En 1998-1999, les livraisons étaient terminées même si des contacts avaient toujours lieu entre les deux parties sous forme de conseils techniques. Au cours de ces deux années, le flux des importations du Pakistan en provenance de l’Iran chute et s’établit respectivement à 92.32 et 81.21. Parallèlement, le flux des importations de l’Iran en provenance du Pakistan est nul314.

Figure 5.5. Flux commerciaux entre le Pakistan et l’Iran, 1947-1999.

314 Tous les calculs sur les flux commerciaux entre les eux pays ont été effectués à partir des données compilées par Barbieri, K & O, Keshk. 2012. Correlates of War Project Trade Data Set Codebook, Version 3.0. Online: http://correlatesofwar.org. Ils sont exprimés en millions de dollars.

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Toutes ces variations dans les flux commerciaux entre les deux pays suggèrent que même si l’Iran n’a pas pu payer le Pakistan en liquidités pour son assistance nucléaire, il a certainement dû le faire d’une autre manière, en lui faisant notamment bénéficier d’avantages commerciaux divers. D’ailleurs, ce ne sera pas la première fois que Téhéran procède ainsi dans ses différentes transactions internationales en matière d’armement. Par exemple, en 1980-1988, soit la période de la première guerre du Golfe, l’Iran aurait acheté pour 500 millions de dollars d’armes et d’équipements militaires auprès d’Israël. Les deux pays se seraient toutefois entendus pour que le payement puisse se faire sous forme d’approvisionnement d’Israël en pétrole iranien (Parsi, 2007 : 107).

2.2.6. Conclusion. L’analyse empirique de la coopération nucléaire entre le Pakistan et l’Iran avait pour objectif de montrer comment l’offre de prolifération pakistanaise a rencontré la demande de prolifération iranienne et vice-versa en illustrant les mécanismes causaux qui ont lié les affinités identitaires, les failles du régime de non-prolifération, l’imposition de coûts stratégiques et les pressions économiques, à l’assistance nucléaire militaire. Plusieurs facteurs ont ainsi été à l’œuvre dans le processus qui a vu le Pakistan, passer de récipiendaire, à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

La volonté d’imposer des coûts stratégiques aux États-Unis avec qui les relations devenaient de plus en plus tendues au fur et à mesure que le programme nucléaire pakistanais avançait, était tellement forte que le Pakistan était même prêt à élargir son alliance de « défiance stratégique » à un État rival, en l’occurrence l’Afghanistan. En tant que membre potentiel de cette alliance tripartite de « défiance stratégique », l’Iran avait la spécificité de partager une identité commune islamique avec le Pakistan et de nourrir une animosité profonde envers les États-Unis; ce qui allait favoriser leur rapprochement. Il est intéressant de remarquer que si, aujourd’hui, les officiels pakistanais laissent entendre qu’ils n’autoriseraient pas les États-Unis à se servir de leur territoire en cas d’intervention militaire en Iran et qu’ils apporteraient leur soutien aux Iraniens face à une attaque israélienne, dans le passé, le Chah d’Iran avait déjà aussi envisagé de participer à la défense de l’intégrité territoriale du Pakistan au cas où celle-ci serait menacée (Tahir-Kheli, 1977 : 479). Autant d’actions caractéristiques d’une structure de rôle d’amitié (Wendt, 1999 : 299).

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Mais aussi, l’Iran constituait une opportunité pour le Pakistan de faire face à ses difficultés économiques consécutives aux sanctions imposées par les États-Unis dans le but d’empêcher sa nucléarisation. En assistant, dès les premières heures de l’unipolarité, un pays qui avait pris la décision de se doter d’armes nucléaires suite à la guerre avec l’Irak au cours de laquelle sa survie avait été mise à l’épreuve grâce au soutien des États-Unis, le Pakistan avait l’occasion de concrétiser ses ambitions politiques et économiques comme le résume Pervez Hoodbhoy : « Both General Zia ul Haq […] and General Mirza Aslam Beg […] subscribed to a pan-Islamic vision. Possessed by the idea of strategic defiance of the US, and of turning Pakistan’s nuclear capability to its full strategic and financial advantage, Beg in particular wanted strong defence ties with Iran »315.

En conclusion générale de ce chapitre, le tableau 5.10 offre un portrait de la présence ou de l’absence de chacune des variables utilisées dans cette recherche dans les différents cas d’étude. En ce qui concerne les variables explicatives principales, la seule différence entre les trois cas se situe au niveau de la participation des États au régime de non-prolifération pour le même résultat final. Une remarque toutefois, la présence d’un rival est observable dans deux cas sur trois (Chine-Iran et Pakistan-Iran) alors que la cooperation nucléaire était plus destinée à contraindre l’État ennemi commun plutôt que l’État rival commun. En ce qui concerne les variables explicatives additionnelles, deux différences notables se dégagent du tableau: premièremement, dans un seul cas sur trois, une même religion est partagée par les deux États, et deuxièmement, dans deux cas sur trois, les deux États étaient éloignés géograhiquement.

Tableau 5.10. Présence et absence des variables d’étude dans les trois cas d’étude.

Variables Cas

Type Nom Abréviation Chine-Pakistan

Chine-Iran

Pakistan-Iran

Résultat Coopération nucléaire COOPNUC Oui Oui Oui

Conditions explicatives

Idéologie commune IDEOL Oui Oui Oui

Adhésion au TNP ADHTNP Non Oui Oui

Rival commun RIVAL Oui Oui Oui

315 Pervez Hoodbhoy, « For God and Profit », Newsline, Karachi, février 2004.

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Ennemi commun ENNEMI Oui Oui Oui

Économie développée ECODEVA Non Non Non

ECODEVB Non Non Non

Conditions explicatives additionnelles

Religion commune RELIG Non Non Oui

Démocratie DEMOC Non Non Non

Appartenance au GFN GFN Non Oui Non

Alliance militaire ALL Non Non Non

Alliance avec un État nucléaire

ALLNUC Non Non Non

Possession d’armes nucléaires

ARMNUC Oui Oui Oui

Puissance relative PUISSREL Oui Oui Oui

Grande puissance GRPUISS Oui Oui Non

Contiguïté géographique

CONTIG Oui Non Non

CONTIG+ Oui Non Non

Relations diplomatiques RELDIPLO Oui Oui Oui

RELDIPLO+ Oui Oui Oui

Coopération militaire conventionnelle

COOPCONV Oui Oui Oui

Ouverture économique ECOOUVA Non Non Non

ECOOUVB Non Non Non

Interdépendance commerciale

DEPCOMM Oui Oui Oui

IMPORTS F2 Oui Oui Oui

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Chapitre 6 : La conclusion Ce chapitre présente les conclusions de la recherche. Premièrement, il revient sur l’objet de la recherche. Deuxièmement, il présente les limites théoriques et méthodologiques de la recherche. Troisièmement, il expose les contributions scientifiques et sociales de la recherche et propose des pistes de recherche futures.

1. Retour sur l’objet de la recherche. À la base de cette recherche se trouve un puzzle : la coopération entre des États dans un domaine aussi sensible que le nucléaire militaire alors que le caractère anarchique du système international devrait décourager ce type de comportement. Partant du postulat que les prochains candidats au club nucléaire devraient, pour parvenir à leurs fins, être assistés par des États qui ont eux-mêmes fait l’objet antérieurement d’une assistance nucléaire, cette recherche a clarifié les conditions dans lesquelles un État passe de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

La recherche a consisté à répondre, de manière systématique et empirique, à deux questions qui avaient, jusque-là, été occultées par les chercheurs spécialisés dans l’étude de la prolifération nucléaire : pourquoi des États ayant acquis, dans le cadre de leur programme nucléaire militaire, des matières et technologies nucléaires militaires, en fournissent à leur tour à d’autres États alors que certains d’entre eux ne le font pas? Pourquoi ces États fournissent-ils des matières et technologies nucléaires militaires à tel État plutôt qu’à tel autre? L’argument développé autour de la rationalité des États est que ce comportement des États est fondamentalement motivé par des raisons politiques et économiques sans que les considérations institutionnelles et normatives aient quelque impact que ce soit dans les choix des décideurs: les États s’engagent dans ce type de transactions pour équilibrer la puissance d’un État qui leur paraît menaçant et pour tirer des avantages financiers de leur savoir-faire nucléaire, peu importe qu’ils participent ou non au régime international de non-prolifération censé les empêcher de proliférer.

La discrimination dans le choix des récipiendaires potentiels de l’assistance nucléaire repose autant sur des considérations stratégiques et économiques que culturelles : si l’État récipiendaire potentiel doit être le rival ou l’ennemi de l’État menaçant, suivant la logique de l’ennemi de mon ennemi est mon ami, et posséder des biens susceptibles de soulager les pressions économiques auxquelles fait

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face l’État fournisseur, pour justifier que ce dernier lui offre son assistance nucléaire, le fait que les deux États soient unis par des liens identitaires assez forts favorise la mise en place de la coopération.

C’est en ce sens que le modèle théorique élaboré pour effectuer cette recherche a mis l’accent autant sur l’État fournisseur que sur l’État récipiendaire dans l’explication de la coopération nucléaire. Selon la théorie interactive des échanges nucléaire militaires bilatéraux, la coopération nucléaire naît de la rencontre entre l’offre et la demande de prolifération. Articulée autour de l’adaptation de deux concepts classiques des Relations internationales, en l’occurrence l’opportunité et la volonté, à l’objet d’étude, cette théorie éclectique repose sur quatre propositions : 1) la proposition constructiviste suggère que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait être favorisé par des affinités identitaires avec un État récipiendaire; 2) la proposition institutionnaliste et normative suggère que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait ne pas être défavorisé par sa participation ou celle de l’État récipiendaire, au régime international de non-prolifération; 3) la proposition (néo) réaliste suggère que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait être motivé par la volonté de contenir la puissance d’un autre État menaçant commun avec l’État récipiendaire; 4) la proposition (néo) libérale suggère que le passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires, pourrait être motivé par le désir de tirer profit financièrement de son expertise nucléaire.

Dans le modèle théorique, l’opportunité fait référence aux différentes possibilités qui s’offrent à un État, de passer de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires au sein du système international. D’une part, l’opportunité implique l’existence d’un État récipiendaire potentiel qui puisse être assisté par l’État fournisseur potentiel et avec lequel il est uni par des liens particuliers. D’autre part, l’opportunité suppose que l’un ou l’autre des deux États puisse ne pas être contraint par le régime international de non-prolifération. Les deux premières propositions théoriques sont rattachées à l’opportunité.

Dans le modèle théorique, la volonté fait référence aux motivations qui conduisent un État à passer de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires plutôt qu’à adopter le comportement contraire. Premièrement, la volonté suppose que la satisfaction d’un intérêt politique

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soit envisagée par l’État fournisseur. Deuxièmement, la volonté suppose que la satisfaction d’un intérêt économique soit envisagée par l’État fournisseur. Les deux propositions suivantes sont rattachées à la volonté. L’interaction entre l’opportunité et la volonté déclenche la coopération nucléaire entre l’État fournisseur potentiel et l’État récipiendaire potentiel.

Le modèle théorique a été testé par le biais de deux méthodes pour assurer la robustesse des résultats: une méthode quali-quantitative, à savoir l’analyse booléenne, et une méthode purement qualitative, à savoir l’analyse de processus et plus précisément l’explication analytique historique. L’analyse booléenne a permis de déterminer, dans un grand nombre de cas, les différentes configurations de conditions qui ont été associées à l’occurrence du phénomène à l’étude. L’explication analytique historique a permis de détailler, dans un nombre très restreint de cas, les mécanismes causaux qui ont lié les variables indépendantes à la variable dépendante. Les résultats des analyses empiriques ont confirmé les différents arguments du modèle théorique et donc l’argument général de cette étude. Les résultats issus de l’analyse transversale de 56 cas positifs et négatifs de coopération nucléaire entre 1945 et 2010, grâce à la méthode booléenne, ont en effet révélé que le passage d’un État de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires a lieu lorsque trois conditions sont réunies: lorsque l’État fournisseur a des affinités idéologiques avec l’État récipiendaire, qu’il partage avec lui un rival ou un ennemi commun et que son niveau de développement économique est faible. Ces trois conditions sont des conditions nécessaires mais toutefois, non suffisantes à l’occurrence du phénomène empirique.

Comme le prédisait le modèle théorique, les tests empiriques ont confirmé que l’adhésion de l’un ou des deux États au TNP n’avait aucune incidence sur la mise en place et la mise en œuvre d’une coopération nucléaire militaire entre eux. En matière institutionnelle et normative, les résultats issus de l’analyse booléenne ont aussi révélé que tous les cas de coopération nucléaire impliquaient des dyades autocratiques. En matière stratégique, les tests booléens ont indiqué que la proximité ou l’éloignement, géographiques, entre l’État fournisseur et l’État récipiendaire n’influençait pas la coopération nucléaire alors que la supériorité de la puissance de l’État fournisseur relativement à celle de l’État récipiendaire apparaissait comme un facteur déterminant. En outre, ces tests empiriques ont aussi révélé que dans tous les cas de coopération nucléaire, l’État fournisseur possédait des armes nucléaires. Dans deux cas seulement il ne les avait pas encore testés avant le début des transactions nucléaires. Mais il avait accumulé une quantité significative de matière fissile

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qui pouvait attester de sa capacité nucléaire d’autant que sur le plan technologique, un test nucléaire n’est pas forcément nécessaire à la fabrication d’armes nucléaires. En matière économique, l’isolement économique de l’État fournisseur et sa dépendance au commerce avec l’État récipiendaire ont également expliqué la coopération nucléaire.

L’étude de 3 cas de coopération nucléaire, en l’occurrence l’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan et à l’Iran et l’assistance nucléaire du Pakistan à l’Iran, a permis de mieux se rendre compte des motivations économiques qui ont présidé à la coopération nucléaire. Dans le cas sino-pakistanais, la coopération nucléaire militaire a, par exemple, permis à la Chine de mettre les connaissances techniques acquises en matière d’enrichissement d’uranium, au cours de sa collaboration avec le Pakistan, au profit de la modernisation de son propre programme nucléaire, et de garantir un marché d’exportations de ses centrales nucléaires. Dans le cas sino-iranien, l’assistance nucléaire a fondamentalement permis à la Chine de garantir un approvisionnement stable en hydrocarbures (pétrole et gaz). Le pétrole iranien a été également convoité par le Pakistan dans l’initiation de sa coopération avec ce pays. Les données empiriques indiquent aussi que le Pakistan a, de toute évidence, bénéficié de nombreux avantages commerciaux dans sa coopération nucléaire avec l’Iran.

L’étude du cas sino-pakistanais a montré que l’assistance nucléaire a été envisagée par la Chine comme un moyen d’équilibrer la puissance de l’Inde, rival commun des deux États, en Asie du sud, afin de prévenir son émergence en tant que puissance régionale. La coopération sino-iranienne a servi à imposer des coûts stratégiques aux États-Unis, ennemi commun des deux États, et superpuissance mondiale depuis la fin de la guerre froide, afin de limiter sa marge de manœuvre au Moyen-Orient et sur la scène internationale. Le même objectif a guidé le Pakistan qui a considéré que son assistance nucléaire à l’Iran (et à d’autres pays) participerait à la formation d’une structure multipolaire du système international.

Les études de cas ont également montré comment le caractère discriminant du TNP et les imprécisions de son langage ont été subtilement exploités au bénéfice du comportement proliférant dans les 3 cas de coopération nucléaire. Si pendant sa coopération nucléaire avec le Pakistan, la Chine a constamment évoqué l’illégitimité de la norme de non-prolifération pour ne pas participer au régime de non-prolifération et ainsi se voir imposer ses contraintes en matière de transferts nucléaires, au cours de sa coopération nucléaire avec l’Iran, elle a su profiter de ses failles, entre

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autres, son silence sur les types d’équipements nucléaires dont les exportations devraient être contrôlées, alors qu’elle participait désormais aux efforts de non-prolifération. De leur côté, le Pakistan et l’Iran se sont également affirmés dans la dénonciation sans équivoque du caractère discriminant du régime. Pour l’Iran dont les véritables intentions nucléaires continuent de faire l’objet d’intenses débats au niveau international, le droit inaliénable des États non nucléaires à bénéficier des applications pacifiques de l’atome, conformément aux dispositions du TNP, est devenu la ligne directrice de son combat pour la poursuite de son programme nucléaire.

Enfin, les études de cas ont illustré à quel point les liens socio-culturels et historiques ont favorisé le rapprochement des trois États sur le plan nucléaire. Ces liens, qui ont forgé les identités de type et de rôle de chacun de ces États, ont été à la base de la formation de leurs identités collectives; lesquelles façonnées par une culture kantienne partagée, ont participé à la définition de leurs intérêts et donc encouragé les transferts nucléaires. Puisque chez tous ces États, les intérêts objectifs se résumaient en la survie physique, l’autonomie, le bien-être économique et la valorisation collective, les intérêts subjectifs consistaient donc à identifier des actions qui leur permettraient de reproduire leurs identités. Alors que dans le cas sino-pakistanais, l’intérêt subjectif commun consistait à faire front commun contre l’Inde, dans les cas sino-iranien et pakistano-iranien, cet intérêt subjectif commun consistait à s’opposer aux États-Unis.

2. Limites de la recherche. Comme c’est le cas dans toute recherche scientifique, les conclusions de notre étude sont tributaires du raisonnement et de la méthodologie qui la sous-tendent. Le modèle théorique élaboré pour mener la recherche peut certainement être remis en question. L’appareil méthodologique peut tout aussi bien être critiqué.

Dans les définitions des concepts fondateurs du modèle théorique, l’opportunité et la volonté, nous avons adopté une approche « minimale » de la conceptualisation qui a pour objectif de satisfaire, d’abord et avant tout, aux critères de clarté et de précision (Sartori, 2009 [1984]). Cette approche de la conceptualisation peut être dépassée et donc, les définitions de ces deux concepts peuvent être retravaillées et améliorées, par exemple, suivant les « trois niveaux » de Gary Goertz : « We can dissect and analyze concepts by (1) how many levels they have, (2) how many dimensions each levels has, and (3) what is the substantive content of each of the dimensions at each level » (Goertz,

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2006 : 6). L’approche pragmatique (problem-driven) qui a guidé l’élaboration du modèle théorique éclectique sur lequel est basé cette recherche peut soulever des questions de la part des partisans de l’approche paradigmatique (theory-driven) des théories des relations internationales, beaucoup plus portée sur des questions épistémologiques, ontologiques et normatives que sur l’explication ou la compréhension concrète du phénomène à l’étude (Sil & Katzenstein, 2005).

L’opérationnalisation de certaines hypothèses peut aussi susciter des interrogations. Particulièrement, l’opérationnalisation de l’hypothèse économique a été un exercice difficile. Puisqu’il était difficile voire impossible, compte tenu de la nature de l’objet d’étude, d’avoir accès à des données fiables qui puissent attester des motivations économiques qui ont été à la base de la coopération nucléaire entre les pays, nous avons eu recours à l’usage de « proxys ». Ces « proxys » sont des variables mesurables indirectement reliées à notre variable d’intérêt qui elle, était difficilement mesurable. Concrètement, il s’agissait de mesurer le désir de l’État fournisseur de tirer

profit financièrement de son expertise nucléaire. Partant du postulat que les États qui rencontraient des difficultés économiques avaient plus de raisons que les États dont les économies étaient relativement prospères de vouloir monnayer leur savoir-faire nucléaire, et que la capacité d’un État à exporter et importer des biens était directement reliée à son PIB, nous avons opté pour le niveau de

développement économique de l’État fournisseur comme variable proxy de notre variable indépendante.

Ensuite, partant du postulat que l’isolement économique était néfaste pour les États qui aspirent autant à la sécurité qu’au bien-être économique, et que des États ont déjà renoncé à leurs ambitions nucléaires pour ne pas remettre en cause leur insertion dans l’économie internationale, nous avons aussi opté pour l’ouverture économique de l’État fournisseur comme variable proxy de notre variable indépendante dans des tests empiriques additionnels. Enfin, partant du postulat que les États, qui restent préoccupés par leur bien-être économique, sont forcément attachés à leurs relations commerciales, nous avons également choisi la dépendance commerciale de l’État fournisseur envers l’État récipiendaire comme variable proxy de notre variable indépendante.

En somme, pour notre défense, il faut savoir que l’utilisation de variables proxys dont on connaît le lien avec la variable d’intérêt est une pratique courante dans les recherches en Sciences sociales lorsque l’observation de la variable d’intérêt devient difficile voire impossible, faute de données. Dans les recherches en matière de prolifération nucléaire, l’utilisation de variables proxys est

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presqu’inévitable dès lors qu’on dépasse les études de cas simples pour s’engager dans des études de cas multiples, puisque le secret entourant les activités nucléaires des États est un défi à la collecte de nombreuses données. Par conséquent, les questions méthodologiques d’opérationnalisation et de mesure feront toujours l’objet de débats dans le domaine d’étude: « It is certainly true that operationalization and measurement are very difficult issues in the study of proliferation, and it would be impossible to resolve them to everyone’s satisfaction » (Hymans, 2010 : 30). En s’attardant, toutefois, à l’étude plus qualitative d’un petit nombre de cas, comme cela a été fait dans cette recherche, les tests d’hypothèses effectués par le biais de variables proxys peuvent s’avérer beaucoup plus convaincants.

Suite au processus de constitution de notre univers empirique, nous avions fait un choix entre deux principaux échantillons: d’une part, un échantillon constitué des États fournisseurs potentiels et des États récipiendaires potentiels qui ont juste exploré l’option nucléaire, et d’autre part, un échantillon constitué des États fournisseurs potentiels et des États récipiendaires potentiels qui ont, non

seulement exploré l’option nucléaire, mais également poursuivi un programme nucléaire. Nous avons opté pour le second cas de figure qui a débouché sur la constitution d’une population de 56 cas là où le premier cas de figure aurait permis l’étude d’une population de 96 cas (annexe 3.1). Nous avons justifié notre choix par le fait que la poursuite d’un programme nucléaire dénotait de la ferme volonté de l’État récipiendaire potentiel de se nucléariser, ce qui permettait donc d’avoir une population fiable face à laquelle le potentiel explicatif de notre modèle théorique pouvait être valablement évalué, et ce; d’autant que la technique méthodologique utilisée est mieux adaptée à l’étude des populations moyennes.

Mais le choix d’une population plus grande pouvait tout aussi ben être justifié. Car, l’analyse booléenne peut être également utilisée dans l’étude d’un grand nombre de cas (Drass & Spencer, 1987; Atsushi, Yonetani & Kenji, 2006; Ragin & Bradshaw, 1991; Amoroso & Ragin, 1992; Miethe & Drass, 1999). De plus, une augmentation des unités d’observations dans une recherche accroît la validité de ses résultats (King, Keohane & Verba, 1994). Avec une soixantaine voire une centaine de cas, la recherche pouvait donc tout aussi bien être menée par le biais d’une méthode statistique qui aurait pu permettre de savoir laquelle de nos différentes variables indépendantes expliquait le plus notre variable dépendante même s’il faut le rappeler, le but de notre étude est de déterminer les différentes combinaisons de conditions qui expliquent le passage de récipiendaires à fournisseurs de

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matières et technologies nucléaires militaires : les objectifs que permettent d’atteindre les deux méthodes sont différents, tout comme les résultats qu’elles produisent (Grofman & Schneider, 2009 : 663)316.

3. Contributions de la recherche et pistes de recherche futures.

Les contributions de cette recherche sont à situer aussi bien dans le domaine scientifique que dans le domaine social. Sur le plan scientifique, les apports de cette recherche sont à la fois théoriques et méthodologiques.

La coopération nucléaire entre les États dans le domaine militaire est un phénomène rare mais complexe. Pour saisir cette complexité, nous avons élaboré un modèle théorique éclectique et fait appel à une méthode qui offre l’avantage de prendre d’assaut la complexité des phénomènes sociaux. L’approche paradigmatique adoptée par la principale étude empirique systématique actuelle sur les déterminants des transferts de technologies nucléaires entre les États, articulée autour des propositions de l’école réaliste des relations internationales, a conduit à des conclusions de recherche ne mettant en avant que les aspects politico-stratégiques de l’assistance nucléaire (Kroenig, 2009a; 2010). Se basant sur les préceptes théoriques de l’équilibre des puissances et de la dissuasion, la théorie stratégique de la prolifération nucléaire (strategic theory of nuclear proliferation) de cet auteur met la focale sur la capacité de projection militaire des États fournisseurs contre les États récipiendaires en postulant que les États sont plus enclins à fournir une assistance nucléaire sensible à des États contre lesquels ils ne disposent pas d’une capacité de projection de puissance.

L’approche pragmatique adoptée par notre recherche, en l’occurrence l’éclectisme analytique, articulée autour de la combinaison d’arguments des traditions réaliste, libérale et constructiviste des relations internationales, pour en faire un modèle théorique unifié, a permis non seulement de confirmer les facteurs politiques explicatifs de la coopération nucléaire mais aussi de mettre en lumière l’importance des facteurs économiques minorés par cette étude et les facteurs culturels totalement ignorés par elle. Quoique, notre recherche n’a pas pu apporter un support empirique total à cette théorie stratégique de la prolifération nucléaire en ce sens qu’elle a réfuté un de ses

316 Comme le fait remarquer Drezner (1999 : 239): « The Boolean approach to determining causality is based upon the premise that outcomes have multiple causal mechanisms. The [problem with] statistical approach is that it assumes that causality is additive; variable x1 explains 5 percent of the variance, variable x2 explains 10 percent, etc ».

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arguments principaux, à savoir la relation négative entre puissance relative et assistance nucléaire sensible (Kroenig, 2009a; 2010). En dépit de ces apports, il nous semble toutefois important que des recherches futures se penchent davantage sur la clarification du rôle des facteurs institutionnels et normatifs dans l’explication de la coopération nucléaire. On ne sait toujours pas comment fonctionnent concrètement le régime de non-prolifération et sa pierre angulaire le Traité de non-prolifération. On ne sait pas non plus comment le type de régime politique influence concrètement les décisions nucléaires des États (Sagan, 2011).

L’utilisation de l’analyse quali-quatitative et plus précisément de l’analyse booléenne est également une contribution majeure de notre recherche. Car, dans le domaine des études de prolifération, les études de cas simple et les études statistiques dominent la littérature (Montgomery & Sagan, 2009). L’analyse booléenne n’avait, jusque-là, jamais été adoptée par les chercheurs. Par le biais de cette méthode, cette recherche a pu montrer que la coopération nucléaire était un phénomène multi-causal; et donc s’expliquait par une combinaison de causes.

Globalement, cette étude a contribué à l’avancement de nos connaissances sur les déterminants de la prolifération nucléaire vus du côté des fournisseurs alors que, pendant longtemps, les recherches se sont focalisées sur les causes du phénomène, vues du côté des demandeurs. Elle compte désormais parmi les rares recherches à analyser systématiquement les causes de la coopération nucléaire interétatique en mettant la focale sur les États fournisseurs (Kroenig, 2010; Fuhrmann, 2012). Malgré tout, le potentiel de développement de l’approche centrée sur les fournisseurs reste encore à exploiter. Les recherches futures pourraient continuer, dans la même veine que nous, de distinguer les types de fournisseurs nucléaires pour analyser les motivations qui justifient leurs actions. Notre recherche s’est focalisée sur les échanges nucléaires à caractère militaire entre des États fournisseurs qui avaient fait eux-mêmes, auparavant, l’objet d’une assistance nucléaire, et des États récipiendaires potentiels qui recherchaient des armes nucléaires. Cette recherche est à situer dans la grande famille des recherches sur la prolifération horizontale, c’est-à-dire l’extension de la technologie nucléaire vers des États non dotés d’armes nucléaires.

Une recherche qui étudie les causes de l’assistance nucléaire d’États nucléaires à d’autres États possédant déjà un arsenal nucléaire pourrait grandement participer à l’enrichissement de la littérature sur l’approche fournisseur-centrée. Entre 1945 et 2012, il y a eu au moins deux cas réellement prouvés de coopération nucléaire militaire entre des États qui disposent déjà d’armes

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nucléaires. Dans les années 1950 et encore dans les années 1960, les États-Unis ont fourni de l’assistance nucléaire au Royaume-Uni317 et à la France318 après que ces deux pays aient fabriqué des armes nucléaires. Plus récemment, après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, les États-Unis se sont également engagés dans une importante coopération nucléaire avec le Pakistan, dont on a vu, dans la présente étude, qu’il possède des armes nucléaires depuis au moins la fin des années 1990, même si les contours de cette assistance demeurent encore flous319. À ce jour, aucune analyse systématique, comparative n’existe sur les déterminants de ces trois différents types d’assistance nucléaire militaire. Les raisons qui ont poussé les États-Unis à coopérer avec le Royaume-Uni, la France et le Pakistan ne sont certainement pas les mêmes qui ont poussé la Chine à le faire avec le Pakistan et l’Iran. Une telle étude à laquelle l’auteur de cette thèse a déjà commencé par s’intéresser se situerait dans la famille des recherches sur la prolifération verticale, c’est-à-dire le développement de nouvelles armes nucléaires ou l’amélioration des arsenaux nucléaires existants par les États dotés d’armes nucléaires.

La rareté du phénomène de l’assistance nucléaire militaire ne préfigure en rien de sa disparition définitive. Sur le plan social, cette recherche peut donc être utile aux décideurs dans leurs plans d’actions de lutte contre la prolifération nucléaire. En prévenant la diffusion des matières et technologies nucléaires militaires entre les États, ils limitent le nombre de candidats à la prolifération; l’assistance nucléaire facilitant l’acquisition de la bombe. À l’exception de quelques États industrialisés qui disposent déjà du savoir-faire pour fabriquer des armes nucléaires (par exemple l’Allemagne, le Canada, la Corée du Sud et le Japon), la plupart des États qui auront des projets nucléaires militaires dans les prochaines années devront pouvoir compter sur un ou plusieurs États fournisseurs pour concrétiser leurs ambitions.

317 Cinquante ans après l’accord de défense mutuelle (1958) entre les deux pays, une publication du Center for Strategic and International Studies, particulièrement instructive, a notamment fait le point sur cette coopération nucléaire inédite. Voir Mackby, J. & P. Cornish. 2008. U.S.-UK nuclear cooperation after 50 years. Washington, DC: Center for Strategic and International Studies Press. 318 De récents documents déclassifiés permettent de mieux comprendre les conditions dans lesquelles s’est effectuée la coopération nucléaire entre les deux pays. Voir William Burr, « US Secret Assistance to the French Nuclear Program, 1969-1975: From ‘Fourth Country’ to Strategic Partner », Nuclear proliferation international history project, Wilson Center. http://stage-wilson.p2technology.com/publication/us-secret-assistance-to-the-french-nuclear-program-1969-1975-fourth-country-to-strategic. 319 Voir notamment Kerr, P. & N. Bett Nikitin. 2013. Pakistan nuclear weapons: proliferation and security issues. CRS Report for Congress. Congressionnal Research Service.

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En prévenant les transferts nucléaires militaires bilatéraux, les États contribuent aussi à la réalisation du désarmement nucléaire, qui connaît un nouveau souffle depuis quelques années (Ogilvie-White & Santoro, 2012)320. Il est évident que l’avènement d’un monde sans armes nucléaires sera d’autant plus facilité que le club des États nucléaires n’accueillera pas de nouveaux membres. En prévenant les transactions nucléaires militaires entre États, les États qui sont soucieux de la non-prolifération empêchent également les acteurs non étatiques d’avoir un accès plus facile à ces matières et technologies; ce qui réduit les risques de terrorisme nucléaire, considéré comme la plus grande menace à la paix et à la sécurité internationale à laquelle la communauté internationale devrait faire face dans les années à venir (Allison, 2004; Fergusson & Potter, 2004)321.

La collecte de nos données empiriques a révélé que l’Iran est un État fournisseur potentiel de matières et technologies nucléaires depuis 2006. Il se sent toujours menacé par les États-Unis. Les sanctions dont il fait l’objet de la part des États-Unis et de l’Europe pour arrêter son programme nucléaire ont des impacts conséquents sur son économie322. Mais il a déjà été démontré empiriquement que les sanctions sont moins susceptibles d’être effectifs entre des États adversaires plutôt qu’entre des États alliés (Drezner, 1999). L’Iran ne se sent pas particulièrement contraint par la norme de non-prolifération dont il questionne, de manière récurrente, la légitimité. Quelques conditions sont déjà remplies pour l’emmener à coopérer avec un État récipiendaire potentiel. La Syrie était un candidat idéal avant le coup porté à ses ambitions nucléaires par Israël en 2007. Elle entretient, depuis trente ans, des relations très étroites avec l’Iran, qui ont participé au resserrement de leurs liens identitaires (Ehteshami & Hinnebusch, 1997; Goodarzi, 2006)323. Elle pouvait soulager

320 En avril 2009, le Président américain, Barack Obama, a notamment embrassé l’idée d’un monde sans armes nucléaires dans un discours historique à Prague. Voir Office of the Press Secretary, “Remarks by President Barack Obama”, Prague, Czech Republic, April, 5, 2009. http://www.whitehouse.gov/the_press_office/Remarks-By-President-Barack-Obama-In-Prague-As-Delivered/. 321 Les inquiétudes que soulève un tel scénario sont palpables dans le discours de Prague de Barack Obama : « We must ensure that terrorists never acquire a nuclear weapon. This is the most immediate and extreme threat to global security. One terrorist with one nuclear weapon could unleash massive destruction ». Ces inquietudes sont d’autant plus justifiables qu’Oussama Ben Laden déclarait déjà le 11 janvier 1999 qu’il « ne considère pas comme un crime de chercher à acquérir des armes nucléaires, chimiques et biologiques ». Au contraire, cet effort représenterait pour lui un « devoir religieux » que ses combattants devraient accomplir (Mccloud & Osborne, 2001). 322 Le régime de sanctions a fait perdre à l’Iran 50% des revenus issus de ses exportations de pétrole et 70% de la valeur de sa monnaie. Voir Trita Parsi, « The ball is in Iran’s court », The Diplomat, 28 février 2013. http://thediplomat.com/2013/03/01/the-ball-is-in-irans-court/. 323 Dans un entretien récent sur l’implication de l’Iran dans la crise syrienne consécutive aux soulèvements populaires de mars 2011, le Chef d’État-major des armées iraniennes a notamment déclaré : « Syria is a friendly nation and remains in the frontline of the resistance. We provide ideological and moral support ». Voir « “Iranian Chief of Staff: We provide ideological and moral support” ». http://www.irandailybrief.com/2012/05/30/iranian-chief-of-staff-we-provide-syria-with-ideological-and-moral-support/.

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les pressions économiques auxquelles l’Iran fait actuellement face. Tout comme l’Iran, elle nourrit une animosité très forte envers les États-Unis (et Israël)324. Mais au moment du dépôt final de cette thèse, l’Iran n’avait pas encore accumulé une quantité significative de matière fissile qui pouvait attester de sa capacité nucléaire. Le pays n’avait pas non plus effectué de test nucléaire encore. Or, comme l’a montré cette recherche, un État fournisseur ne s’engage dans une coopération nucléaire militaire que soit lorsqu’il s’estime déjà prêt à dissuader une future attaque nucléaire de l’État récipiendaire, soit lorsqu’il pense être sur le point de faire face à une telle menace avant qu’elle ne se concrétise.

En définitive, si effectivement le monde basculait à l’ère du quatrième âge nucléaire consécutivement à la nucléarisation de l’Iran (Levite, 2009) et aux demandes de prolifération qui pourraient en résulter (Potter & Mukhatzhanova, 2010), les éventuelles coopérations qu’engendrerait cette nouvelle dynamique de la course aux armements nucléaires constitueront de nouveaux tests empiriques intéressants du modèle théorique explicatif des échanges nucléaires militaires bilatéraux qui a été élaboré dans cette étude.

324 En juin 2006, les ministres de la défense des deux pays ont notamment signé un protocole secret de défense mutuelle « contre les menaces communes » que constituent les États-Unis et Israël.

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Page 331: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

315

Annexe

Annexe 3.1. Tableau récapitulatif des dyades d’étude. F1 F2AB. F2 R2AB. R2 EXPLORATION DYADECODE DYADEAB. R2 POURSUITE

Israël

(1966-2010)

SAF Afrique du Sud

(1977-1991)

ALG Algérie

(1983-1991)

560615 SAF-ALG

ARG Argentine

(1978-1990)

560160 SAF-ARG

BRA Brésil

(1966-1990)

560140 SAF-BRA Brésil

(1975-1990)

PRK Corée du Nord

(1962-2006)

560731 SAF-PRK Corée du Nord

(1980-2006)

EGY Égypte

(1955-1980)

560651 SAF-EGY

IND Inde

(1948-1987)

560750 SAF-IND Inde

(1964-1966/1972-1975/1980-1987)

Page 332: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

316

IRQ Irak

(1976-1991)

560645 SAF-IRQ Irak

(1976-1991)

IRN Iran

(1974-2010)

560630 SAF-IRN Iran

(1989-2010)

LIB Libye

(1970-2003)

560620 SAF-LIB Libye

(1970-2003)

PAK Pakistan

(1972-1987)

560770 SAF-PAK Pakistan

(1972-1987)

ROM Roumanie

(1978-1989)

560360 SAF-ROM

TAW Taiwan

(1967-1976/1987-1988)

560713 SAF-TAW

YUG Yougoslavie

(1949-1962/1974-1987)

560345 SAF-YUG Yougoslavie

(1953-1962/1982-1987)

Italie BRA Brésil SAF Afrique du Sud 140560 BRA-SAF Afrique du Sud

Page 333: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

317

(1970-2010) (1988-1990) (1969-1991) (1974-1991)

ALG Algérie

(1983-1991)

140615 BRA-ALG

ARG Argentine

(1978-1990)

140160 BRA-ARG

PRK Corée du Nord

(1962-2006)

140731 BRA-PRK Corée du Nord

(1980-2006)

IRQ Irak

(1976-1991)

140645 BRA-IRQ Irak

(1976-1991)

IRN Iran

(1974-2010)

140630 BRA-IRN Iran

(1989-2010)

LIB Libye

(1970-2003)

140620 BRA-LIB Libye

(1970-2003)

URSS/Russie

(1949-2010)

CHN Chine

(1964-2010)

SAF Afrique du Sud

(1969-1991)

710560 CHN-SAF Afrique du Sud

(1974-1991)

Page 334: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

318

ALG Algérie

(1983-1991)

710615 CHN-ALG

ARG Argentine

(1978-1990)

710160 CHN-ARG

AUL Australie

(1956-1973)

710900 CHN-AUL

BRA Brésil

(1966-1990)

710140 CHN-BRA Brésil

(1975-1990)

PRK Corée du Nord

(1962-2006)

710731 CHN-PRK Corée du Nord

(1980-2006)

ROK Corée du Sud

(1970-1975)

710732 CHN-ROK Corée du Sud

(1970-1975)

EGY Égypte

(1955-1980)

710651 CHN-EGY

IND Inde

(1948-1987)

710750 CHN-IND Inde

(1964-1966/1972-1975/1980-1987)

Page 335: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

319

INS Indonésie

(1964-1967)

710850 CHN-INS

IRQ Irak

(1976-1991)

710645 CHN-IRQ Irak

(1976-1991)

IRN Iran

(1974-2010)

710630 CHN-IRN Iran

(1989-2010)

ISR Israël

(1949-1967)

710666 CHN-ISR Israel

(1955-1967)

JPN Japon

(1941-1945/1967-1970)

710740 CHN-JPN

LIB Libye

(1970-2003)

710620 CHN-LIB Libye

(1970-2003)

MYA Myanmar

(2007-2010)

710775 CHN-MYA

PAK Pakistan

(1972-1987)

710770 CHN-PAK Pakistan

(1972-1987)

Page 336: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

320

ROM Roumanie

(1978-1989)

710360 CHN-ROM

SWD Suède

(1945-1970)

710380 CHN-SWD

SWZ Suisse

(1945-1969)

710225 CHN-SWZ

SYR Syrie

(2000-2007)

710652 CHN-SYR

TAW Taiwan

(1967-1976/1987-1988)

710713 CHN-TAW

YUG Yougoslavie

(1949-1962/1974-1987)

710345 CHN-YUG Yougoslavie

(1953-1962/1982-1987)

Pakistan

(1986-2010)

PRK Corée du Nord

(1993-2010)

IRN Iran

(1974-2010)

731630 PRK-IRN Iran

(1989-2010)

LIB Libye 731620 PRK-LIB Libye

Page 337: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

321

(1970-2003) (1970-2003)

MYA Myanmar

(2007-2010)

731775 PRK-MYA

SYR Syrie

(2000-2007)

731652 PRK-SYR

Russie/Pakistan

(1986-2010)

IRN Iran

(2006-2010)

MYA Myanmar

(2007-2010)

630775 IRN-MYA

France

(1958-2010)

ISR Israël

(1966-2010)

SAF Afrique du Sud

(1969-1991)

666560 ISR-SAF Afrique du Sud

(1974-1991)

ALG Algérie

(1983-1991)

666615 ISR-ALG

ARG Argentine

(1978-1990)

666160 ISR-ARG

AUL Australie

(1956-1973)

666900 ISR-AUL

BRA Brésil 666140 ISR-BRA Brésil

Page 338: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

322

(1966-1990) (1975-1990)

PRK Corée du Nord

(1962-2006)

666731 ISR-PRK Corée du Nord

(1980-2006)

ROK Corée du Sud

(1970-1975)

666732 ISR-ROK Corée du Sud

(1970-1975)

EGY Égypte

(1955-1980)

666651 ISR-EGY

IND Inde

(1948-1987)

666750 ISR-IND Inde

(1964-1966/1972-1975/1980-1987)

IRQ Irak

(1976-1991)

666645 ISR-IRQ Irak

(1976-1991)

IRN Iran

(1974-2010)

666630 ISR-IRN Iran

(1989-2010)

JPN Japon

(1941-1945/1967-1970)

666740 ISR-JPN

Page 339: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

323

LIB Libye

(1970-2003)

666620 ISR-LIB Libye

(1970-2003)

MYA Myanmar

(2007-2010)

666775 ISR-MYA

PAK Pakistan

(1972-1987)

666770 ISR-PAK Pakistan

(1972-1987)

ROM Roumanie

(1978-1989)

666360 ISR-ROM

SWD Suède

(1945-1970)

666380 ISR-SWD

SWZ Suisse

(1945-1969)

666225 ISR-SWZ

SYR Syrie

(2000-2007)

666652 ISR-SYR

TAW Taiwan

(1967-1976/1987-1988)

666713 ISR-TAW

Page 340: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

324

YUG Yougoslavie

(1949-1962/1974-1987)

666345 ISR-YUG Yougoslavie

(1953-1962/1982-1987)

France

(1958-2010)

JPN Japon

(1977-2010)

SAF Afrique du Sud

(1969-1991)

740560 JPN-SAF Afrique du Sud

(1974-1991)

ALG Algérie

(1983-1991)

740615 JPN-ALG

ARG Argentine

(1978-1990)

740160 JPN-ARG

BRA Brésil

(1966-1990)

740140 JPN-BRA Brésil

(1975-1990)

PRK Corée du Nord

(1962-2006)

740731 JPN-PRK Corée du Nord

(1980-2006)

EGY Égypte

(1955-1980)

740651 JPN-EGY

IND Inde

(1948-1987)

740750 JPN-IND Inde

(1964-1966/1972-1975/1980-

Page 341: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

325

1987)

IRQ Irak

(1976-1991)

740645 JPN-IRQ Irak

(1976-1991)

IRN Iran

(1974-2010)

740630 JPN-IRN Iran

(1989-2010)

LIB Libye

(1970-2003)

740620 JPN-LIB Libye

(1970-2003)

MYA Myanmar

(2007-2010)

740775 JPN-MYA

PAK Pakistan

(1972-1987)

740770 JPN-PAK Pakistan

(1972-1987)

ROM Roumanie

(1978-1989)

740360 JPN-ROM

SYR Syrie

(2000-2007)

740652 JPN-SYR

TAW Taiwan

(1967-1976/1987-

740713 JPN-TAW

Page 342: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

326

1988)

YUG Yougoslavie

(1949-1962/1974-1987)

740345 JPN-YUG Yougoslavie

(1953-1962/1982-1987)

Chine

(1964-2010)

PAK Pakistan

(1986-2010)

SAF Afrique du Sud

(1969-1991)

770560 PAK-SAF Afrique du Sud

(1974-1991)

ALG Algérie

(1983-1991)

770615 PAK-ALG

ARG Argentine

(1978-1990)

770160 PAK-ARG

BRA Brésil

(1966-1990)

770140 PAK-BRA Brésil

(1975-1990)

PRK Corée du Nord

(1962-2006)

770731 PAK-PRK Corée du Nord

(1980-2006)

IRQ Irak

(1976-1991)

770645 PAK-IRQ Irak

(1976-1991)

IRN Iran 770630 PAK-IRN Iran

Page 343: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

327

(1974-2010) (1989-2010)

LIB Libye

(1970-2003)

770620 PAK-LIB Libye

(1970-2003)

MYA Myanmar

(2007-2010)

770775 PAK-MYA

ROM Roumanie

(1978-1989)

770360 PAK-ROM

SYR Syrie

(2000-2007)

770652 PAK-SYR

TAW Taiwan

(1967-1976/1987-1988)

770713 PAK-TAW

Page 344: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

328

Annexe 4.1. Tableau récapitulatif des données empiriques dichotomisées. DYADE IDEOL ADH

TNP RIVAL ENNEMI ECODEVA ECODEVB RELIG DEMOC GFN ALL ALL

NUC ARMNUC

COOPNUC

SAF-BRA

0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0

SAF-PRK

1 - 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

SAF-IND

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

SAF-IRQ

0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

SAF-IRN

0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

SAF-LIB

0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

SAF-PAK

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

SAF-YUG

0 1 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0

BRA-SAF

0 0 0 0 0 1 1 0 0 0 1 0 0

Page 345: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

329

BRA-PRK

1 1 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0 0

BRA-IRQ

1 1 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0 0

BRA-IRN

1 1 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0 0

BRA-LIB

1 1 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0 0

CHN-SAF

1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

CHN-BRA

1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

CHN-PRK

1 - 0 0 0 0 1 0 0 1 0 1 0

CHN-ROK

1 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0

CHN-IND

1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

CHN-IRQ

1 1 0 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1

CHN-IRN

1 1 0 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1

Page 346: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

330

CHN-ISR

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

CHN-LIB

1 1 0 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1

CHN-PAK

1 0 1 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1

CHN-SYR

1 1 0 1 0 0 0 0 - 0 0 1 1

CHN-YUG

1 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

PRK-IRN

1 1 0 1 0 - 0 0 0 0 1 1 1

PRK-LIB

1 1 0 1 0 - 0 0 0 0 1 1 1

PRK-SYR

1 1 0 1 0 - 0 0 0 0 1 1 1

ISR-SAF

0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 1

ISR-BRA

0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0

ISR-PRK

0 - 0 0 - 1 0 0 0 0 0 1 0

Page 347: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

331

ISR-ROK

0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0

ISR- IND

0 0 0 0 0 1 0 1 0 0 0 1 0

ISR-IRQ

0 1 1 1 0 1 0 0 0 0 0 1 0

ISR- IRN

0 1 1 1 - 1 0 0 0 0 0 1 0

ISR- LIB

0 1 1 1 - 1 0 0 0 0 0 1 0

ISR-PAK

0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0

ISR-SYR

0 1 1 1 1 1 0 0 0 0 0 1 0

ISR-YUG

0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0

JPN-SAF

0 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 0 0

JPN-BRA

1 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 0 0

JPN-PRK

0 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 0 0

Page 348: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

332

JPN-IND

0 1 0 0 1 1 0 1 1 0 1 0 0

JPN-IRQ

0 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 0 0

JPN-IRN

1 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 0 0

JPN- LIB

0 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 0 0

JPN-PAK

1 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 0 0

JPN-SYR

0 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 0 0

JPN-YUG

0 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 0 0

PAK-SAF

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

PAK-BRA

1 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 1 0

PAK-PRK

1 1 0 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1

PAK-IRQ

1 1 0 1 0 0 1 0 0 0 0 1 1

Page 349: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

333

PAK-IRN

1 1 1 1 0 0 1 0 0 0 0 1 1

PAK-LIB

1 1 0 1 0 0 1 0 0 0 0 1 1

PAK-SYR

1 1 0 1 0 0 1 0 0 0 0 1 1

DYADE GRPUISS PUISSREL

CONTIG

CONTIG+

RELDIPLO

RELDIPLO+

COOPCONV

ECOOUVA ECOOUVB IMPORTSF2

DEPCOMM

COOPNUC

SAF-BRA

0 0 0 0 1 1 0 0 1 1 1 0

SAF-PRK

0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0

SAF-IND

0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0

SAF-IRQ

0 0 0 0 0 0 1 0 1 0 0 0

SAF-IRN

0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0

SAF-LIB

0 1 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0

Page 350: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

334

SAF-PAK

0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0

SAF-YUG

0 1 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0

BRA-SAF

0 1 0 0 1 0 0 0 0 1 1 0

BRA-PRK

0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

BRA-IRQ

0 1 0 0 1 1 1 0 0 1 1 0

BRA-IRN

0 1 0 0 1 1 1 0 0 1 1 0

BRA-LIB

0 1 0 0 1 0 1 0 0 0 0 0

CHN-SAF

1 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

CHN-BRA

1 1 0 0 1 1 0 0 0 1 1 0

CHN-PRK

1 1 1 1 1 1 1 0 0 1 1 0

CHN-ROK

1 1 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Page 351: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

335

CHN-IND

1 1 1 1 1 1 0 0 0 1 1 0

CHN-IRQ

1 1 0 0 1 1 1 0 0 1 1 1

CHN-IRN

1 1 0 0 1 1 1 0 1 1 1 1

CHN-ISR

1 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

CHN-LIB

1 1 0 0 1 1 1 0 0 1 1 1

CHN-PAK

1 1 1 1 1 1 1 0 0 1 1 1

CHN-SYR

1 1 0 0 1 1 1 1 1 0 1 1

CHN-YUG

1 1 0 0 1 1 0 0 0 1 1 0

PRK-IRN

0 0 0 0 1 1 1 0 - 0 - 1

PRK-LIB

0 1 0 0 1 1 1 0 - 0 - 1

PRK-SYR

0 1 0 0 1 1 1 0 - - - 1

Page 352: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

336

ISR-SAF

0 0 0 0 1 1 1 0 1 1 1 1

ISR-BRA

0 0 0 0 1 1 1 - 1 1 0 0

ISR-PRK

0 0 0 0 0 0 0 - 1 0 - 0

ISR-ROK

0 0 0 0 1 0 0 0 1 0 0 0

ISR-IND

0 0 0 0 0 0 1 0 1 0 0 0

ISR-IRQ

0 0 0 0 0 0 0 - 1 0 - 0

ISR-IRN

0 0 0 0 0 0 1 1 1 0 0 0

ISR-LIB 0 1 0 0 0 0 0 - 1 - - 0

ISR-PAK

0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0

ISR-SYR

0 0 1 1 0 0 0 1 1 0 - 0

ISR-YUG

0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 0 0

Page 353: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

337

JPN-SAF

0 1 0 0 0 0 0 1 0 1 1 0

JPN-BRA

0 1 0 0 1 1 1 1 0 1 1 0

JPN-PRK

- 1 1 0 0 0 0 1 0 1 1 0

JPN-IND

0 0 0 0 1 1 0 1 0 1 1 0

JPN-IRQ

0 1 0 0 1 1 0 1 0 1 1 0

JPN-IRN

1 1 0 0 1 1 1 1 0 1 1 0

JPN-LIB

- 1 0 0 1 1 0 1 0 1 0 0

JPN-PAK

0 1 0 0 1 1 0 1 0 1 1 0

JPN-SYR

1 1 0 0 1 1 0 1 0 1 0 0

JPN-YUG

0 1 0 0 1 1 0 1 0 1 0 0

PAK-SAF

0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Page 354: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

338

PAK-BRA

0 0 0 0 1 1 0 0 1 1 1 0

PAK-PRK

0 1 0 0 1 1 0 0 1 0 0 1

PAK-IRQ

0 0 0 0 1 1 0 0 0 0 0 1

PAK-IRN

0 1 0 0 1 1 1 0 1 1 1 1

PAK-LIB

0 1 0 0 1 1 0 0 1 0 0 1

PAK-SYR

0 1 0 0 1 1 1 1 0 0 1 1

Page 355: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

339

Annexe 4.2. Diagramme de Venn 4.2.A, 4.2.B, 4.3.A, 4.3.B.

Diagramme de Venn 4.2.A

Diagramme de Venn 4.2.B.

Page 356: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

340

Diagramme de Venn 4.3.A

Diagramme de Venn 4.3.B

Page 357: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

341

Annexe 4.3. Diagramme de Venn 4.2.A.R, 4.2.B.R, 4.3.A.R, 4.3.B.R.

Diagramme de Venn 4.2.A.R

Diagramme de Venn 4.2.B.R

Page 358: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

342

Diagramme de Venn 4.3.A.R

Diagramme de Venn 4.3.B.R

Page 359: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

343

Annexe 4.4. Formules [0] et dyades associées.

Formule 4.2.A.R [0] (sans inclusion de cas logiques) et cas correspondants

Terme Cas correspondants

RIVAL {0} * ECODEVA {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/ + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/ + CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/)

IDEOL {0} * RIVAL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/ +SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ + /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/)

ADHTNP {1} * RIVAL {0}

(SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/ + JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ + JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK)

IDEOL {0}* ADHTNP {1} (SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + ISR-IRQ, /ISR-IRN (ECODEVA:0)/, /ISR-LIB (ECODEVA:0)/ + ISR-SYR, /ISR-IRN (ECODEVA:1)/, /ISR-LIB (ECODEVA:1)/ + JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/)

Page 360: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

344

Formule 4.2.A.R [0] (avec inclusion de cas logiques) et cas correspondants

Terme Cas correspondants

IDEOL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PR (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/ + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + ISR-IRQ /ISR-IRN (ECODEVA:0)/ , /ISR-LIB (ECODEVA:0)/ + ISR-SYR, /ISR-IRN (ECODEVA:1)/, /ISR-LIB (ECODEVA:1)/ + JPN-SAF, JPNPRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ + /ISR-PRK (ADHTNP:0 (ECODEVA:1)/)

RIVAL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/ + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/ + CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/ + JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ + JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK + /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/)

Formule 4.2.B.R [0] (sans inclusion de cas logiques) et cas correspondants

Terme Cas correspondants

IDEOL {0} * RIVAL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF+SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB,SAF-YUG+BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0) / + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/)

RIVAL {0} * ECODEVB {0} (SAF-BRA, SAF-IND ,SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK,CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/ + CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/, /PRK-IRN(ECODEVB:0)/, /PRK-LIB

Page 361: États, échanges nucléaires et prolifération · de l’approche fournisseur-centrée. Une tâche à laquelle ne s’était alors penchée, de manière systématique, aucune étude

345

(ECODEVB:0)/, /PRK-SYR (ECODEVB:0)/)

ADHTNP {1} * RIVAL {0} (SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEVB:1)/, /PRK-SYR (ECODEVB:1)/ + CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/, /PRK-IRN (ECODEVB:0)/, /PRK-LIB (ECODEVB:0)/, /PRK-SYR (ECODEVB:0)/ + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/)

IDEOL {0} * ADHTNP {1} * ECODEVB {1} (ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB, ISR-SYR + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/)

Formule 4.2.B. R [0] (avec inclusion de cas logiques) et cas correspondants

Terme Cas correspondants

IDEOL {0} + RIVAL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/ + ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB, ISR-SYR + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/) (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEVB:1)/, /PRK-SYR (ECODEVB:1)/ + CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/ + CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/, /PRK-IRN (ECODEVB:0)/, /PRK-LIB (ECODEVB:0)/, /PRK-SYR (ECODEVB:0)/ + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/)

RIVAL {0} + ECODEVB {1} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEVB:1)/, /PRK-SYR (ECODEVB:1)/ +

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346

CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/ + CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/, /PRK-IRN (ECODEVB:0)/, /PRK-LIB (ECODEVB:0)/, /PRK-SYR (ECODEVB:0)/ + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/) (BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEVB:1)/, /PRK-SYR (ECODEVB:1)/ + ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB, ISR-SYR + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-SYR, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/)

Formule 4.3.A.R [0] (sans inclusion de cas logiques) et cas correspondants

Terme Cas correspondants

RIVAL {0} * ECODEVA {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/ + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/ + CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/)

IDEOL {0} * RIVAL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/ + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ + /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/)

ADHTNP {1} * RIVAL {0} (SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/ + JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ + JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK)

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347

IDEOL {0} * ADHTNP {1} (SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + ISR-IRQ, /ISR-IRN (ECODEVA:0)/, /ISR-LIB (ECODEVA:0)/ + JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ + /ISR-IRN (ECODEVA:1)/, /ISR-LIB (ECODEVA:1)/)

Formule 4.3.A.R [0] (avec inclusion de cas logiques) et cas correspondants

Terme Cas correspondants

IDEOL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/ + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + ISR-IRQ, /ISR-IRN (ECODEVA:0)/, /ISR-LIB (ECODEVA:0)/ + JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ + /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/ + /ISR-IRN (ECODEVA:1)/, /ISR-LIB (ECODEVA:1)/)

RIVAL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, BRA-SAF, CHN-ISR, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, PAK-SAF, /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:0)/ + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG, ISR-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PRK-IRN, PRK-LIB, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/ + CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/ + JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1) (ECODEVA:1)/ + JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK + /ISR-PRK (ADHTNP:0) (ECODEVA:1)/)

Formule 4.3.B.R [0] (sans inclusion de cas logiques) et cas correspondants

Terme Cas correspondants

IDEOL {0} * RIVAL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/ + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR PRK (ADHTNP:1)/)

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RIVAL {0} * ECODEVB {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/ + CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/, /PRK-IRN (ECODEVB:0)/, /PRK-LIB (ECODEVB:0)/)

RIVAL {0} * ECODEVB {0} (SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEVB:1)/ + CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/, /PRK-IRN (ECODEVB:0)/, /PRK LIB (ECODEVB:0)/ + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/)

IDEOL {0} * ADHTNP {1} * ECODEVB {1} (ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/)

Formule 4.3.B.R [0] (avec inclusion de cas logiques) et cas correspondants

Terme Cas correspondants

IDEOL {0} + RIVAL {0} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/ + ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/) (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEV:1)/ + CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/ + CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/, /PRK-IRN (ECODEVB:0)/, /PRK-LIB (ECODEVB:0)/ + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/)

RIVAL {0} + ECODEVB {1} (SAF-BRA, SAF-IND, SAF-PAK, CHN-ISR, PAK-SAF + SAF-IRQ, SAF-IRN, SAF-LIB, SAF-YUG + BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB,

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JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEVB:1)/ + CHN-SAF, CHN-BRA, CHN-ROK, CHN-IND, PAK-BRA, /SAF-PRK (ADHTNP:0)/, /CHN-PRK (ADHTNP:0)/ + CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-YUG, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /SAF-PRK (ADHTNP:1)/, /CHN-PRK (ADHTNP:1)/, /PRK-IRN (ECODEVB:0)/, /PRK-LIB (ECODEVB:0)/ + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/) (BRA-SAF, ISR-SAF, ISR-BRA, ISR-ROK, ISR-IND, ISR-PAK, /ISR-PRK (ADHTNP:0)/ + BRA-PRK, BRA-IRQ, BRA-IRN, BRA-LIB, JPN-BRA, JPN-IRN, JPN-PAK, /PRK-IRN (ECODEVB:1)/, /PRK-LIB (ECODEVB:1)/ + ISR-IRQ, ISR-IRN, ISR-LIB + ISR-YUG, JPN-SAF, JPN-PRK, JPN-IND, JPN-IRQ, JPN-LIB, JPN-YUG, /ISR-PRK (ADHTNP:1)/)

Annexe 4.5. Effets des variables conditions additionnelles sur les résultats. Formules [1] et dyades associées. Formules [1] Cas correspondants

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * � RELIG {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-

LIB, PRK-SYR, PAK-PRK + CHN-PAK) (CHN-IRQ, CHN-IRN,CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK + PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * DEMOC {0} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + CHN-PAK)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * � GFN {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR,

PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR +CHN-PAK) (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + CHN-SYR)

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350

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * ALL {0} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + CHN-PAK)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �ALLNUC {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PAK-PRK, PAK-

IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + CHN-PAK) (CHN-IRQ, CHN-IRN ,CHN-LIB, CHN-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * ARMNUC {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + CHN-PAK)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �GRPUISS {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR + CHN-PAK) (CHN-

IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR + PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �PUISSREL {1}ADHTNP {1} → COOPNUC (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-LIB, PRK-

SYR, PAK-PRK, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + CHN-PAK) (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + PRK-IRN, PAK-IRQ)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0}* PUISSREL {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + PRK-IRN, PAK-IRQ) (CHN-PAK)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * RELDIPLO (+) {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB, PAK-SYR + CHN-PAK)

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351

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �COOPCONV {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-

LIB, PRK-SYR, PAK-IRN, PAK-SYR + CHN-PAK) (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-IRN, PAK-SYR + PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVA {0} * �ECOOUVA {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR,

PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB + CHN-PAK) (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-IRN, PAK-LIB + CHN-SYR, PAK-SYR)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * � ADHTNP {1}ECOOUVB {0} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-LIB, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-IRQ,

PAK-SYR + CHN-IRN, CHN-SYR, PAK-PRK, PAK-IRN, PAK-LIB) (CHN-IRQ, CHN-LIB, PRK-IRN, PRK-LIB, PRK-SYR, PAK-IRQ, PAK-SYR + CHN-PAK)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �DEPCOMM {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PAK-IRN, PAK-

SYR, /PRK-IRN (DEPCOMM:1)/, /PRK-LIB (DEPCOMM:1)/, /PRK-SYR (DEPCOMM:1)/ + CHN-PAK) (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, CHN-SYR, PAK-IRN, PAK-SYR, /PRK-IRN (DEPCOMM:1)/, /PRK-LIB (DEPCOMM:1)/, /PRK-SYR (DEPCOMM:1)/ + PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, /PRK-IRN (DEPCOMM:0)/, /PRK-LIB (DEPCOMM:0)/, /PRK-SYR (DEPCOMM:0)/)

IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �IMPORTS F2 {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1} (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, PAK-IRN, /PRK-SYR

(IMPORTSF2:1)/ + CHN-PAK) (CHN-IRQ, CHN-IRN, CHN-LIB, PAK-IRN, /PRK-SYR (IMPORTSF2:1)/ + CHN-SYR, PRK-IRN, PRK-LIB, PAK-PRK, PAK-IRQ, PAK-LIB, PAK-SYR, /PRK-SYR (IMPORTSF2:0)/)