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THOIS CONf ES DE FIAUBERl': LA QUÊl'E DE L'UNITÉ
by
Christopher Gascon
A thesis
submitted ta
The Faculty of Graduate Studies and Research
McGill University
In partial fulfilment of the requirements
for the degree of
M:lster of Arts
IJepartment of French Lanyuaye and Li terature
July, 199,0
,( , , RESUME
Les Trois Contes de Flaubert représentent une énigme littéraire
que la critique n'a pas encore su résoudre. Le dénouement mystique de
chacun des (:ontes, si éloigné du vide existentiel auquel aboutissent
les grands romans, mntre successivement une issue similaire à laquelle
on parvient à la suite de cheminements différents en apparence. Nombre
de cri tiques n'ont vu dans les Trois Contes, qu'un effort vers une
perfection artistiqu~1 et que la "sainteté" n'était pas un motif
suffisamment solide fOur lier ensemble les Trois Contes. Il semblerait
donc que ces textes soient entièrement autonomes et indépendants les
uns des autres.
Dans ce tr avail , nous nous pencherons sur le déveloPJ?Elment
indi viduel des personnages de façon à retracer le cheminement qui mène
à l' afOthoose mystique marquant la fin de chaque conte, et à voir
quelle est la nature de ce salut. Par la sui te, cela nous permettra de
constater '-lue l'ordre qui règne dans ces trois textes n'est pas un
effet du hasard ou d 1 un simple caprice, mais bien le fruit d'une
orgar.isation qui indique que les Trois Contes sont intim::ment liés
entre eux.
1 ABSrrRACl'
b'laubert's Trois Contes have long been a literary enigma lJefure
which cri tics have stwnbled. Unlike the major novels of l"laubert,
these COntes offer a rore optimistic view of the wor hi. 'l'hough edch
story unfolds different~y, the heroes find similar salvations tIlruugh
metauorphosis. In sorne instances this has been referai to as sanctity,
whi~e in other cases, it was not deemed a p:>Werful enouyh rotif to link
Trois COntes toyether.
The study at hand will strive to show, by analysin<j the
development of their }l8rsonali ty, how each C'haracter self-rediizes ar1Ù
finds sa~ vat ion . As we proyress throuyh the three texts, it will
become apparent that a sequence was intended for the redder ta follow,
and that the order in which the texts were published is cdiJi tdL.
1
(
l Nl'NODlK .. 'TION
Les Trois Contes de Flaubert, s'ils sont "troi8 chefs-d'oeuvre
absolus et par fai ts Il ( 1 ), ne cessent pa,s pour autant de constituer une
éniyme sur le plan littéraire. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'affirmer
llue ces textes sont e..ncore incompris, mais plutôt que l'uni té du
recueil n'en a pas encore été véri tablement démontrée. " Flaubert,
n'est pas un horrune à compartiment. Tout chez lui communique" (2), comme
l'affume J.P.Richard. Il est donc étonnant que trois textes d~ lui,
publiés ensemble, puissent iJéiraître encore au Jourd 'hui si fragmentés et
dénués d'un sens unique. Ces trois contes, si trans~~rffilts lorsqu'ils
sont lus séparément, deviennent tout à coup obscurs dès lors que l'on
cherche à les lire COirune un ensemble cohérent. Selon Per Nykrog, qui
s'est livré à une analyse structurelle des Trois Contes, les critiques
préoccupés depuis lonytemps de cette question de leur unité ne semblent
pas avoir trouvé autre chose que l' hypothèse d'un effort vers la
perfection artistique(3). On sait déJà que tout le travail d'écrivain
de r'laubert tend vers la maîtrise absolue de l'écriture; il le
rappelle souvent lui-même dans sa CorresfX:>ndance. c'est ainsi que
certdins, dont Jane Fletcher, ont abordé les 'J'rois Contes, qui les
<..."Ompare à l'ensemble de l'oeuvre pour établir cOllunent ils s' y insèrent.
Selon elle, les Trois Contes représentent un micr<xx>sme de l'oeuvre
entier. D' autres, corrune Michel 'Iburni€r, n'ont pas manqué de noter
1. 'l'héodore de Banville, cité dans Oeuvres de Flaubert, Bibliothèque de la Pléiade, tome II, p. 585.
2. Jean-Pierre RiChard, Littérature et Sensation, (Éditions du Seuil, 1954) p. 134.
3. Per Nykrog, "Les Trois Conees dans l'évolution de la structure chez Fldubert, (Romantisme, no. 6, Flanuna.rion, 1973) p. 61.
-'
que ChaCW1 des trois textes se rapportait dans sa chr0noloyi~ à L'un
des grands romans: "Un Coeur simple" à Madame Uovar i..: la" LL-'<jt.md~ de
13aint Julien l' Hospitalier" à La. Tentat.ion de Saint Antoine: "llén.x.ilds"
à SalanunbÔ. Mais cette constatation est-elle vrdiment Sdt is tclis<lIlll~?
on p::>urrai t aJouter par ailleurs que l' orùre Je rédact ion des conles
est représentati f d'une tendance propre à 1" Laubert: cette cl. l tenklllce
constante entre le l>résent et le p:lssé où il puise tour d lour ses
sUJets. POurtêlflt, cette idée ne nous renseigne yuère dùvdllLc\lje sur les
Trois Contes en tant qu'oeuvre autonome, et ne fait que les dssorLir ~u
reste de 1;:: production fldubertienlle. Ce qui impJrlè par-dessus tout,
c'est de trouver un fil conducteur LlU1 se déroule à trdvers ces trois
textes, ce qui nous permettrait d'en faire Wle lecture L'Ollt inue pLutôt
qu'un déchiffrement frd~mentaire. Que les 'l'rols Contes soient
indissociables du reste de l'oeuvre, celd est indéniable. Si l'on se
contente d'en faire une analyse thématique, conune le proi-Ose '1' .A.
Unwin, on verra qu'un examen sorrunairE:.' suffit j;X)ur y reconnaître des
trai ts typiquement flaubertiens (4) • Nais là encore, le my::;tÈ!re Jes
Trois Contes demeure entier. Bien entendu, il est possible de
retrouver dans chacun des contes la marque de l'auteur, se::; procédés
théma.tiques et techniques qui font l'essence même ùe son écriture.
Heconnaître que les Trois Contes sont de lui, qu' 11 Y atteint 1 e l:iOlUmet
de son art, ne répond pas à la question que plusieurs se sont po::;ée ct
à laquelle, finalement, bien peu ont réuss1 à réj;X)ndre vrauœnt. lJes
4. TilIothy Contes" ,
A. Unwin, "La présence de Flaubert clans (Les Amis de Flaubert, décembre 197U) p. 14.
- 2 -
les 'rrois
(
analyses structurelles corrune celle de Per Nykrog ou des approches
thématiques comme celles de Victor Brornbert, de T.A. Unwin et de J.P.
Richard n'ont fXlS réussi à eXfOser une uni té linéaire d'un conte à
l'autre.
'rrès souvent, les analyses thématiques confinent à une lecture
psychanalytique de l'oeuvre, et l'on commence à chercher dans le texte
les intentions de l'auteur plutôt qu'un système de correspondances qui
Inettrai t en lumière la structure même du conte. Faute de trouver dans
lp.s Trois Contes des récurrences thématiques, la plupart des critiques
se sont Jusqu'à présellL rabattus sur ce que Frederic J.:trneson appelle un
lIotif idéolO:Jique: la sainteté. Certes, la "sainteté" joue ici un
grand rôle, et l'extase mystique qui couronne en quelque sorte chacun
des contes est un ind i ce révélateur. Victor Brornbert insiste beaucoup
sur le fait que la sainteté est un thème imfOrtant pour la compréhen-
sion de l'ensemble de l'oeuvre ùe Flaubert, qu'il s'agisse de Saint
AntOine ou des Trois Contes, puisque les héros, tourmentés par leurs
propres faiblesses, ne peuvent que rêver d'une fuite impossible,
toujours en proie à une aSiJiration vers l'infini. C'est ce désir, et
cette insatisfaction oui s'ensuit, ajoutés à une condamnation
iJerpétuelle de soi, qui l'y conduit(5). Pour T.A. Unwin également, la
réponse se trouve là: "Le fil coooucteur se trouv~ bien sûr dans la
sainteté" . (b) U y voit les sentiments qui caractérisent, dans une
iJerspective tour à tour différente, les Trois Contes. Chacun d'eux
~. Victor Brombert, The Navels of Flaubert: A Study of Themes and Techniques, (Princeton University Press, N.': " 1966) J:? 232.
6. Unwin, p. 14.
- 3 -
exprime la tensio'1 entre fanatisme et lucidité, dévouement et
détachement, entre deux manières de voir la réalité(7). POurt<-Ult,
vroposer d'établir un lien entre les trois cOlltes sur Ulle coïncidence
de leur dénouement ne constitue pas une raison sutLisante }X)ur y
affirmer la présence d'un fil conducteur. II reste encore ~1 voi r le
cheminement particulier qui finit !:Xlr mener chacwl des tlérm; à ulle
afOtnéose . 0,1 peut d'abord y voir une prO:1ression par,lllèle; ou
encore, si l'on met en lumière les nüments-clés, 1,Jeut-on relever 1d
marque d'un procédé similaire qui pourrdit constituer uTle belse de
relation entre les personnages et, donc, entre les contes eux-mêmes..'
Cependant, on ne trouve pas dans 'l'rois 0:>ntes un schéukl ou une
construction yui permette de les lier sur Wl plan structurdl. Situés à
des époques distinctes, chacun se dérouldnt dans un mi 1 ieu soclal
différent, les Contes n 'otfrent d'abord aUCWle pnse à qui veut y
trouver des rapports trilatéraux.
Ce qu'il faut faire avant tout, c'est ct' écarter ces trois lextes
du reste de l'oeuvre pour mieux voir cOHunent ils remplissent une
fonction en td!lt que récits autonomes. Pour I;eld, il faudrd VUlr Les
Trois Contes non pas séparément, ce qui nous ramenerait à les aSSOCler
aux romans, mais 'plutôt d'envisager les trois ensemble, IJlOlJdlement,
en regard l'un de l'autre, de façon à les vou CO,TUne indisS<JClctbles.
S'il faut en croire Flauoert lUl-même, les 'l'rois Contes sont
essentiellement liés par le simple fait qL.' il tenait ct les putJLler
ensemble, à leur donner le titre générique qui les en(j lO!)e; et il
7. id., p.14.
- 4 -
r
voulait aussi les encadrer par un "carré long" (H), en couverture pour
les contenir. Pourquoi avoir autant insisté sur ce détail?
Um~ lecture synoptique des trois contes n'est certes pas aisée.
Flauoèrt, qui avait le don d'''ahurir'' la critique et qui s'en
amuStüt(9), semble avoir J.Xlsé là une énigme totalement déroutante, et
c'est sans doute flOur cela que la cri tl.que a })référé, le plus souvent,
étudier cette oeuvre en volets, indépendants et autonomes.
Si l'on envisage les Trois Contes dans Wle perspective
globalisante, le premier indice thématique qui saute aux yeux est
effectivement celui de la sainteté. L'intérêt que FlaUbert fXJrte à
l'Histoire et à la religion, afflrme Jane Bancroft, vient du fait qu'il
envü,agealt l'artiste et le créateur comme une sorte de saint
IIDderne( 10) . Cette idée a été appruiondie par (1irljaret Tillet qui
L.'ompare les exi'jences de l'ascétisme, corrune l'entend Flaubert, au
dévouement total de l'artiste(ll). Il faut ici prendre garde à ne pas
considérer l'oeuvre dans l'éclairage de la psychdnaljse, ce contre quoi
Unwin nous prévient; 11 demande par ailleurs si vouloir faire une
H. J:o'laubert Il' emploie Jamëüs le roc>t rectangle dans sa cor resfXJndance et recourt toujours à cette périphrase incohérente. Tiré de R. IJebray-Genette, "Flaubert: Science el.. écriture", (Revue d'Histoire Littéraire de la France, no. 415, juillet/octobre 1981) p. 50.
«). Let tre à Madame Roger des Genet tes du 3U mai 1877. Tirée des Oeuvres de FLaubert, Bibl iothèque de la Pléiade, tome II, p. 690.
10. Jëll1e Bancroft, "J:o'lallb8rt' s Légende de Saint Julien: The Duality of the Artist-Saint", (L'Esprit Créateur, vol.l, Spring 1970) p. 75.
11. Voir Maryaret Tillet, "An Approach to Hércrlié\s" (.i:"rench Studies, vol. XXI, Janvier 1967) p. 24-31.
- 5 -
psychdnalyse des rrorts n'est pas tenter l'imfOssible(l2).
le plus sûr que nous ayons fX)ur l.'OflIldître la pensée de r'lduOer L, mis d
part sa production même, est bien entendu sa corresp.Jl1ddI1Ce, où iL
confidi t ses pensées les Vlus intimes. Plusieurs leLtre:;; IlllUS
permettent d' établlr Sdns équivoyue deti liens entre ce '-IUl relève Je Sd
psyché et ses proiJres personllayes. il a décrIt cl plUSleUrti cejJrises
son métier en termes passionnels: "Je mène Ulle Vie âvre, déserte de
toute Joie extérieure et où Je n' di rien .t-'Our me retenlr yU' une eS1-Jèce
de raye permanente, qui pleure quelqueEc>ls J' lIniJul SSelnce, lluis yUl esl
continuelle. J' a~me !l'On travail d'un dJIDUr idnêlt ly'ue eL perverL l,
conune un ascète le cilice qui IUl <Jratte le ventre". ( l3) un n!~OIUld î t
là la r-Xission sacrificielle de l'arListej lIlai s veut -011 dire qu'ull
mysticisme esthét~que dû au seul rapprochement de La sdlllteté tisse
vraiment un lien organique entre les TrOIS Contes: Celct ne sellllJle ~Alti
plausible, ou du roins ne fait yuère yu'eftleurer id surLice des
choses. Certes, on voi t clairement dans cet te descr lpt ion de so l
l'automate qu'est devenu Félicité qm, à force de subtr les lnJustices
des nommes, n'évrouve plus que très vayuement ses Sel1Sd t 101lS, SeU IS
pouvoir les par tdyer j Julien, qUI dOIt tout cü:>alldolllle r et
continuellement résister au seul plaisir yu' il évrouve, celui de tuer
des aninaux; et laokanann, à qui l'on a tout enlevé eL clu'on ct rédUit ,:.
l'implacable soli tude du cachot souterrain. Ma.is si l'on trouve là des
12. unwin, !? 13.
13. Lettre à Louise Colet, le 24 avril (Édition Rencontre) vol. 6, ~. 259.
- 6 -
1~?2, Correti.l..onùance,
--------------------------------------------~ ---
1 exemples des rigueurs de l'existence, cela ne saurait encore suffire
lx>ur lier profondément ces trois textes. Conune l'a re1nar':lué Ivti.cnel
Uutor, avec d' dutres, il reste yue, mêrre si cela les fdi t se r~ssembler
dd.ns leur propre Jéroulerrent, ils ne s'en rattachent .f?Cis moins au reste
de l'oeuvre. on retrouverd ilisément le même vrocédé dans tous les
rOllldIls de l"laubert: l'accumulation et la déperdition systémat1ques,
ce IlDùvemellt cycliyue yui aboulit inévitablement à l'anéant1ssement de
tout. Aucun des héros fLaubertiens n'y éChdppe. En fait, il ne s'agit
plus vrdiment d'ur. prœéJ.é, IraiS d'une vision qU1 imvrègne l'oeuvre
ent 1er. 'l'out conune les héros des romans, ceux des Tro1s Contes sont
victimes de ce ':lue Jules de Gaultier définit comme le bovarysme:
"cette facult~ de se concevoir aJtre que l'on esti mai s yui réside
bien davantaye dans l'impu1ssance de concevoir llue l'on soit quoi que
Faute de ~uvoir donner un sens à la matière même du
nonde, tous ces personnages la regarde se défiler. I::n C'ela non plus,
les héros des 'l'rOlS Cont~s ne diftèrent vas les uns des autres, ni de
ceux des <jranùs rOlllaJ _s.
On ne semble f..-tis trouver ddl1s la structure formelle des indices
'-:lui permettrdient Li' associer les contes les uns aux autres, ou même
certdins qUi les distingueraient du reste de l'oeuvre. Cependant, on
re lève dans leur fin une a trosphère tout à fait nouvelle. Contraire-
lnent au "pessimisme absolu des oeuvres antérieures" (l5) il semble
f Latter ici un optimisme qui se traduit dans l'extase mystique à
14. Cité in J.P. Richard, p. 148.
15. Michel Tournier, Introduction aux Trois Contes, Folio, p. 8.
- 7 -
1 laquelle accède finalement chacun des héros. Cette divergence par
rapport au reste de l'oeuvre nous amène à envisager les c'Ontes dans Ulle
perspective distincte.
carla Peterson a signalé que Flaubert avait voulu indiquer l' wüté
de ces tex.tes en les publiant ensemble sous le titre: 'l'rois Cailles.
Ce titre générique mérite-t-il une attent.ion particulière'" I::n
réunissant ces contes sous un seul et même titre qui les déSigne, sans
apprêt, Flaubert les liait de fa~on neutre, mais incontourUdbLe. lJalls
une lettre à son OOi teur, 11 note que "le titre est très IIlduvai::J et
sans aucun galbe ... ", ma.i sil Y tenai t quand même. Et iL ajoute:
Il ••• il n' y u pas de filets encadrants les noms des contes. Ne pas
oublier que, sur la couverture, il faut un carré long L ••• J pour
enfermer les titres deD trois contes." (lb) Corrunent ne pas .l;J8nser que
ces trois tex.tes sont liés puisque sur la couver ture même du recuei L,
les titres respectifs doivent apparaître encadrés d'un même filet. Par
ailleurs, il Y a un autre indice d'unité qui a fait couLer bedUCOUp
d'encre, et c'est sans doute celui sur l€y'uel il a été le pLus
difficile de faire l'unanimité, probablement parce qu'il est le plus
flagrant et sûrement le plus gênant: l'ordre même ùe la publication,
qui diffère de celui de la rédaction. On sait que ~laubert,
exténué par l:louvard et Pécuchet et dérrorallsé pa.r id faillite
Cornmanville corrunencera, lors d'un séjour à Concarneau en comp:1ynie
de Georges Pouchet, à écrire la "Légende ùe saint .Julien
l'HoSpitalier", "uniquement pour LsJ 'occuper
16. .Lettre à Georyes C'harpentier, avril H377 , (~ition Rencontre), vol. 16, p. 331.
- 8 -
, a
Corres(YJndance,
(
(
chose, pour voir s' [il] peue encore faire une phrase •.. Il (17) Pendant
qu'il rédige cette hi.stoire qui "n'est rien du tout, [à laquelle il]
n'attache aucune importance" (18), l'idée lui vient de faire "Un COeur
simple", où il révélera sa nature tendl:t'j et ensuite, il pense à la
"vacherie d' Hérode" pour "Hérodias". (19) Mais que dire de l'inversion
dans la publication? Maryaret Tillet voit dans ce renversement un
retrait proyressif de l'auteur vis-à-vis du lecteur. W.J.Beck ajoute à
cette hypothèse que Flaubert, toujours attiré vers l'idéal, inverse
l'ordre chronologique des contes et fuit les valeurs bourgeoises de son
époque en passant par le r.t:>yen-Age, pour finalement se retrouver dans
l'Antiquité. Certes, on connaît bien la passion qu'a Flaubert pour les
temps anci ens . Sa correspondance déborde d'insultes pour ses
oontemporains qu'il voulait fuir par tous les noyens. Ce "polycarpe"
du dix-neuvièlOO siècle était fasciné par l' histoire ancienne. Ses
écri ts de jeunesse ainsi que SalanunbÔ et "Hérodias" en ténoignent.
Mais ce remaniement ne semble avoir de sens que pour signi fier le
dégoût de Flaubert J:JOur son siècle. Là encore, nous esquivons la vraie
question en tirant une conclusion rapide et qui n'est en rien
révélatrice. Il faut plutôt se pencher sur les Trois Contes pour en
faire jaillir la substance intrinsèque. Dans son article "Trinity in
Flaubert' s 'l'rois Conter;" carla Peterson a exposé quelques hypothèses
17. Lettre à Mme. Roger des Genettes du 3 octobre 1875. Tirée des Oeuvres de Flaubert, Bibliothèque de la Pléiade, tome II, p. 682.
18. Lettre à Edmond Laporte, 2 octobre, 1875, Correspondance, (Édition Rencontre), vol. 15, p. 388.
19. Lettre à Mme Roger des Genettes, fin avril 1876. Tirée des Oeuvres de Flaubert, Bibliothèque de la Pléiade, tome II, p. 684.
- 9 -
.-. très intéressantes qui rattachent l'ouvrage à la théor ie théol09ique ùe
Joachim de F'lora(20). CE:tte hypothèse divise le Lemps historiqut! en
trois époques: celle du père (dvant l'ère chrétienne), où règnent la
peur et l'esclavage; celle du fils (qui va du début ùe l'ère
chrétienne au Moyen-Age), où la fidélité, la discipline et la
soumission filiale prédominent; et finalement, du t>t:>yen-Age au temps
présent, l'époque du Saint-Esprit où dominent la contemplation, l' alOClur
et la liberté. De plus, Joachim de Flora indique que ces époques ne
sont pas absolument distinctes l'une de l'autre. Les événements
propres à chacune se voient préfigurés dans la précédente, ce qui lX)rte
à croire qu'elles ne font que se répéter. Par ai lleurs, puisque les
trois "personnes" de la Trinité sont éyales et semblables en nature et
en fonction, il faut voir dans les rrrois Contes, où l'on associe "Un
Coeur simple" au Saint-Bsprit, "Saint Julien" au l"ils, et "Hérodids" au
père, une sorte de cycle historique continu, vision typiquement
flaubertienne. Cette approche a permis à carla Peterson de voir d,llls
les contes un procédé éducatif, répétitif mais non proyressif. il
semblerait que ce soit là, justement, que se trouve l'axe sur lequel
repose le lien des Trois Contes. Ailleurs, il est à toutes fins
pratiques indiscernable. Inciderrunent, Michael Issacharoft, dans une
étude détaillée de la structure des Trois Contes, bùggèrt! que, vus sous
cet angle, on ne peut qu'en faire une lecture non linéairt!.
20. Voir carla Peter son, "The Trinit y in Flaubert's Trois Contes: Deconstructing History", (French Forum, vol. a, no.3, Bept. 19~3)
t - 10 -
1 Par contre, en abordant les contes p3.r leur aspect mystique, et en
considérant l'état de grâce qui semble hablter différemment chacun des
héros, on ne peut manquer de voir un rapprochement. Puisque la simple
notion de "sainteté" ne saurait suffire, il faudra retracer le
cheminement individuel des trois héros pour voir de quelle façon chacun
arrive à son a{X>théose finale. Ce tracé prend la forme d'une éducati.on
personnelle dont les traits apparents sont différents, mais dont
l'aboutissement est similaire, tout comme les trois "personnes" de la
Trini té sont égal8s en nature et en fonction, quoiqu'elles puissent
prendre des formes distinctes.
Cet te étude a donc pour but d'examiner dans les Trois Contes de
flaubert ce qui marque le cheminement intérieur de chacun des héros,
pour voir pourquoi et corrunent cette évolution conduit finalement à
l'extase mystique. Il s'agira surtout de s'en tenir au développement
psychique des persormages. Pour cela, il m'a semblé utile de me baser
sur le processus d'individuation selon Carl Gustav Jung pour faire res-
sortir les éléments formateurs chez l' individu. L'âme, selon lui, est
en péril à lIoins que certaines conditions soient remplies, et ce sont
ces conditions qu'il nous paraît intéressant d'explorer ici(2l). Une
21 • "Nous ne possédons aucune physique de l' âm.2 ~ nous ne sommes même pas capables d'observer ni de juger l'âme d'un point archirnédique extérieur: nous ne connaissons donc d'elle rien d'objectif, et d'ailleurs tout ce que nous connaissons de l'âme, c'est précisément elle-même: et pourtant elle est notre immédiate expérience de vie et d'existence. Elle est à elle-même l'unique et inuuédiate expérience et la condition sine qua non de la réalité subJecti ve du nonde en général. Elle crée des symboles qui ont pour base l' drchétype inconscient et dont la figure naissante surgit des représentations acquises par la conscience." carl Gustav Jung, Métanor ses de l'âme et ses s les, (Librairie de l'universite, Geneve, 1967 p. 386.
- 11 -
1
--------------------------------.
indi viduation réussie dépend de l'équilibre psychique que maintient
chaque individu entre Ron pôle conscient et son pôle incollschmt,
assurant que l'un et l'autre participent activement à sa vie. Ce n 'l~st
liue de cette façon que l'individu peut se réaliser pleinement. Le
développement de la personnalit& est un processus dctif, de id
naissance jusqu'à la IlOrt et, à travers celui-ci, tout indlvidu est
confronté à la tâche d'assurer son évolution. L'individuation de
chacun n'est pas forcément la même, tout comme les symboles qui, selon
Jung, peuvent prendre une multitude de formes pour désigner la même
chose. Ce procédé n'est pas rigide, et seul importe son
acco'11plissement. Ce n'est qu'après avoir sui vi le développerr.,"·nt de
chacun des héros qu' H nous sera .fX)ssible d'envisager une continuité à
travers des contes qui nous proposent un protil divisé et partdgé de
trois approches différentes.
En général, la personnalité se forme en deux temps; d'aoord en
passant par le pôle inconscient, quand l'on apprend sans savoir CI:! que
l'on apprend, ensuite, par le pôle conscient, celui du rationneL. Ce
qui importe .fX>ur chacun des héros, c'est d'dtteindre ce que Jung nonune
le IIlvbi", c'est-à-dire la prise de conscience, ce qui, seLon Geor<.:Je
lvbskos, est une entreprise hasardeuse en soi (21) • Pour l'atteindre,
l'individu doit parfois lutter, lJëlrfois se laisser aller, mais il doit
avant tout permettre ci ses fÔles conscient et inconscient
21. William J. Berg, Michel Grimaud, Ge(x<.:Je r-bskos, Saint Oe<iiiJUS, (Ithaca and London, Cornell University Press, 19~2), p. 115. (Traduction libre)
- 12 -
1
1
d'agir l'un sur l'autre, sans tenter de réprimer l'inconscient, ce qui
le retiendrait dans un état de dépendance, ni trop valoriser le côté
conscient, ce qui ferait de lui un être "dé-naturé". la découverte du
"t-bi Il se si tue dans la connaissance et l'acceptation sans condition de
ces deux pôles. Ce n'est qu'ainsi que l' indi vidu peut obtenir son
salut, salut yui jusqu'ici n'a été vu, dans les Trois Contes, que dans
la dimension de la sainteté.
Chacun des Trois COntes est représentatif d'un stade de l'indivi-
duation. Le premier, "Un Coeur simple", conune sa douceur et sa naîveté
l'indiquent, est celui de l'enfance. Le thème de l'enfant, selon Jung,
est représentatif de l'aspect infantile de l'âme collective(22). Nous
verrons, par le biais de ce conte, conunent le pôle inconscient
prédomine et pourquoi Félicité en est prisonnière.
Le second, la "Légende de saint Julien l' Hospitalier", est
l'expression du cycle complet de l' indi viduation. !.bus y trouverons
une très brève esquisse de l'enfance, immédiatement suivie de l'adoles-
cence, \tOment de lutte et de rébellion qui signifie la rupture et
l'indépendance. Puis, après avoir vaincu les forces de l'inconscient
et retrouvé l'harmonie initiale de l'enfance, Julien aura accompli son
individudtion.
Le dernier conte, "Hérodias", est celui de la maturité, incarnée
J?ëlr Iaokanann. Nous verrons ici les pôles conscient et inconscient
22. carl Gustav Jung, "Contribution à la psychologie de l'archétype de l'enfant", Introduction à l'essence de la m hol ie, (Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1968 p. 118.
- 13 -
... , s'affronter en tant qu'éléments sociaux . Le pôle conschmt est
représenté par tous les persOfmages avides de fOuvoir et Je valeurs
matérielles, tandis que les forces de l' inconscient rap~llent à
l'ordre ces âmes en voie de perdition.
Il nous a semblé préférable d' ëUOOrcer cette étude ,par le deuxième
conte, "saint Julien", puisque celui-ci offre la possibilité d'exposer
les divers éléments du processus d'individuation permettant ainsi une
économie d'explication pour les deux autres contes. Cette analyse nous
penœttra de IOC>ntrer la parenté d'un conte à l'autre, et cOllunent les
trois stades successifs, enfance, adolescence et llldturité, sont
présents et indissociables dans cette oeuvre triple.
- 14 -
( CHAPITIlli PruMlER
LA LillU'1DE DE SAINT JULIEN LI HOSPITALIER:
, RUPTURE l!.--r' RECONCILIATION
LA PHASE INCONSCIl!:NTl!:
Dans la "Légende de saint Julien lll:bspitalier", Flaubert met en
place, dès le début du conte, la dichotomie qui régira la vie de
Julien. Nombre de critiques n 1 ont pas manqué de remarquer les rôles
symboliques que jouent le basilic et 11 héliotrope au l'byen-Age: le
premier signi fie la cruauté et le second représente 11 inspiration
divine( l) . Fdouard Maynial ajoute que ce sont là deux aspects du
devenir de Julien. En suivant pas à pas son pan .. 'Ours, qui semble bien
pré-destiné, il sera possible de voir comment se trace son destin
personnel qui, par la suite, le mènera à son apothéose finale. Son
sort llentraîne tout dlabord vers llaccomplissement d'une tâche
héroïque et souvent tragique (2) . Cette tâche se précise dans le
processus par lequel les ténèbres de 11 inconscience seront vaincues
pour déboucher sur 11 identi té individuelle: la victoire espérée et
attendue de la conscience sur llinconscient.
le premier indice du combat à venir, corrune 11 a relevé Raym:mde
Debray-Genette, est celui de llemplacement même du château des parents
l. Jane Bancroft, p. 8O-t:3l.
2. George Moskos, p. 185. (Traduction libre)
de Julien: sur la pente d'une colline. Entre ciel et terr~, endroit
passablement inusité pour une telle construction: " ... il n'y aura füur
Julien qu'à sortir du chciteau, glisser la pente, la mauvaise, mais
aussi dans le sens le plus naturel, pour aboutir à la descente aux
enfers." (3) Cette desce.lte est toujours celle qui précède la rellollté~
tinale du héros qui met fin à son initiation et lui permet de devenir
pleinement un individu. C'est cela même que Jung appelle l'indiviùua-
tion. Nous savons par ailleurs que la vi~ de Julien n'est pas ré<.Ji~
par les lois de la causalité, mais que tous ses actes et les évén~mellts
sont des signes indéfinissables des stades successi fs qui doivent le
mener au paradis(4). Il faut donc voir chaque étape comme étant une
partie intégrante d'un cheminement inévitable.
Pour Jung, les symboles du "Tout", c'est-à-dire le &>i, ce qui est
à tou~e fin pratique le but ultime du processus d'individuation,
apparaissent souvent au début du processus(5). IJans "saint JulLen", ce
symbole est déjà en place dans l'architecture même du château où les
quatre tours d'angle nous permettent de déceler ld représentation d'lil
mandala. Le mandala, conune l'explique Jun<;3, est le "symbole du centre,
du but et du Soi, en tant que tot.alité psychique; dutoreprésentdtion
3. Raynonde lJebray-Genette, "Saint Julien: forme sim~le, fOrIOO
savante", (t-létanorphose du récit: Autour de Flaubert, &:litions du Seuil, 1988) p. 140.
4. uina Sherzer, "Narrative Fiyures in La Légende de saint .Julien l'tbspitalier" (Genre, vol. VIl, U, ~1arch 1974) iJ. 513.
5. Jung, "Contribution à la psychologie ... ", p. 123.
- 16 -
(
(
d'un processus psychic.!ue de centrage de la personnalité, production
d'un centre nouveau de celle-ci. Un mandala s'exprime symboliquement.
par un cercle, un carré ou la quaternité, en un dispositif symétrique
du nombre de yuatre et de ses multiples" (b) • Jun'::J ajoute: "COlrune
l'expérience le nontre, les mandalas apparaissent souvent dans les
situations de trouble, de désorientation et de perJ?lexité(7). Or
en ce lieu où l' "on vivait en paix depuis si longtemps" (8), "quelque
chose devait bientôt arriver."(9) En effet, le château est d'abord un
lieu de paix et de sérénité où règnent l'ordre et le calme. "L •.• J la
herse ne s'abaissait pluSi les fossés étaient pleins d'eau(lO)i
l ... J et l'archer qui tout au long du jour se promenai t sur la
courtine, dès que le soleil brillait trop fort rentrait dans
l'échauguette, et s'endormait corrune un roine."lU)
L'univers dans lequel apparaît Julien est ainsi dorulé pour que le
nouveau-né pénètre dans l' harIOC>nie la plus complète. C'est là un monde
qui devrai t convenir parfdi tement à Julien, dans la première phase de
b. Carl Gustav Jung, M3. Vie, (Éditions Gallimard, 196b) p. 459.
7 . id., p. 459.
8. Gustave Flaubert, Trois Contes, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, (Éditions Gallimard, 1952) tome II, p. 623. (TOutes nos références renvoient à cette édition).
':L John Fletcher, "A l.'ritical Commentary on Flaubert' s Trois Contes", (St. Martin's Press, M3.c Millan, N.Y. 1968) p. 56.
10. Pierre M3.rc de Biasi, dans son édi tion des Trois Contes, (Garnier Flanmarion 19~6) p. 140, attire l'attention sur le fait qu'il y a ici une erreur de copiste qui s'est perpétuée, et ':lue Flaubert avait écrit: "les fossés étaient pleins d'herbes".
11. Trois Contes, p. 623.
- 17 -
l
sa vie, c'est-à-dire son étape pré-consciente, où débute ld forl\\dtioll
de sa personnalité, un lronde par tai tement protéyé: ct 1 abord par SOli
père, le justicier envelopIJé de sa pelisse de rendrù et qui Jette Uli
regard paternaliste sur tout le ronde (dans son rôle de Justicier, Le
chef de famille n'est pas loin de suyyérer l' iIllèI.<Je de Uieu le père);
ensuite, par sa mère, avec SOIl air sérieux et sail "dOlIlt-'stique rdllyé
corrune l'intérieur d'un m:mastère" (12) . La mère est une dévole qui, "à
force de prier Dieu .•. "(13), obtient la grâce d'enfanter un fils.
La naissance "miraculeuse" de Julien fait de lui le Uieu-enfant et
l'enfant-héros, "l'approchant tantôt d'Wle cilvinl.té entantlne, tantôl
du héros juvénile"l14). Jung explique que ces deux types ont en COlllmWl
une naissance merveilleuse. "Le dieu est un être surndturel pur; le
héros possède une nature humaine, mais iJOussée Jusqu'à la llmite ùu
surnaturel L ••• J" (lS) • t:n eftet, la vie de Jullen, dès Sd plus terure
enfance, IIDI'.tre bien y,u' il ne saurait être un \1Wndlll ordilldin~.
D'abord, il ressemble à un "petit Jésus"tlb), et SPS dents poussent
sans même qu'il .fJleure. Par la suite, il échappera plus de vinyt LOlS
à la rrort, il sera rejeté lXI-r l'abîme et épargné p:ir les f li1llU{~S. Ue
plus, il y a les prédictions faites à ses parents: "H.éJOUls-tOl ô
œrel t.·m fils sera un saintl"; et, "Ahl ahl ton filsl ... beducoup de
12. id., p. 624.
13. id., p. 624.
14. Jung, "Contribution à la psychologie ... ", p. 124.
15. id., p. 124.
16. 'l'rois Contes, p. 626.
- 18 -
{
san~L .. beaucoup de ~loire1. .. toujours heureux 1 la famille d'un
empereur. Il (17) La première prédiction qui fait de Julien un saint en
puissance et la seconde qui fai t de lui un ~uerrier ~lorieux puis un
empereur 1 illustrent tout à fait la théorie de Jung. De plus, "les
égards infinis"(18) des f-6.rents fOur leur fils qu'ils respectent "corrune
maryué de Uieu" (19) nous donnent l' imfJression d'un enfant di vin qui,
sans cesser d'être un enfant comme les autres, relève d'un caractère de
mysticlsme que l'on corrunence à sou~onner dès le départ. Toute
l'enfance de Julien, c'est-à-dire le stade pré-conscient de sa vie, se
déroule sans plus d'explication. A peine ses dents . nt-elles poussé
que l'on apprend que Julien a sept ans: l'âge de ralson. ,Jusque là, il
vi t dans un ronùe clos, hermétique, où il n' y a pas de question sans
réponse, puiSqu'll se trouve dans ~e que Jung ap~~lle la première forme
de l'enfant, stade totalell~nt inconscient le plus souvent. Pour ainsi
dire, Julien ne participe alors pas activement à la vie.
17. id. , p. 025.
18. id. , p. 025.
l~. id. , p. 025.
- 19 -
"LI enfant" siynifie quelque chose qui yrandit à 11 inùélJènddllce.
Il ne peut devenir sans se ùétacher de 1Iori9ine."(20) Pour que .Jullen
puisse devenir cet être qui ne dépend ,lJlus de la }>rotectioll otterle au
sein du foye.:-, il doit absolument le quitter. Ce besoin est !l1d.lli teste
chez 11 individu alors que le pôle conscient, celui qui choisi t et
décide, prend le parti de suivre le parcours qui serd le sien }>ropre.
Quand 11 individu apprend et retient certaines choses plutôt Liue
dl autres, en fait il choisit et ainsi collunence la Eorllldtion ùe sa
personnali té.
Après la phase pré-consciente, Julien J:knètre dans le Ilünùe de 1.1
conscience où il lui faut apprendre. Cl es t une étape ceue; la le lx.>ur
lui, et clest ici qui il corrunence à slafflrmee en tant qu' lnLiiviLiu. Sa
mère lui enseiyne le cnant, E't yrâce à. son père il sait oientôt "tout
ce qui concerne les destriers." (21) Son éducation se (dit sur
plusieurs plans, de 11 Écriture sainte à la f luriculture, la , a
connaissance du monde extérieur d' d}>rès les réci ts Lies avelltur ll~rs et
leurs ,Périples, ainsi qu'à llaide des souvenirs Lie yuerre du bOll
châtelain: "Julien, qui les écoutdit, en pJussaü des
cris." (22) Ceci confirre au père la prédictlOn qui lui d été tr.1l te.
Cependant, la vocdtion de Julien nlest !Jds encoee très claire, et
20. Jung, "Contribution à la pSYChologie ... ", p. 12H.
21. Trois Contes, p. 626
22. id., 1? 626.
- 2U -
--,----------------------------------------------------
l'influence de sa mère le fX)usse à la générosité et à la bonté: "Mais
le soir, au sortir de l'angélus, ql1and il passait entre les pauvres
inclinés, il puisait dans son escarcelle avec tant de modestie et d'un
aic si noble que sa mère comptait bien le voir par la suite
archevêque."l23) Tant \.fue Julien sera sous l' autori té de ses parents,
il ne i-XJurra falce autrement que de leur l..umplaire, n'ayant pas encore
li'initiative ,Personnelle puisque, en quelque socte, il n'est encore
qu'un silll}Jle prolongement de ses parents.
wes désirs personnels de ,ruHen ne se manifestent que lorsqu'il
est seul, yu' il fait face au rronde et doit répcndre à ses propres
intercoyations. C'est alors seulement qu' 11 conunencc à agir. En tant
\.fU' indivIdu, Julien doit accéder à sa pro.tJre ,Personnalité, llui lui
I~rmettra de s'identitier, de se distinguer. Cette personnalité, il ne
peut l'acquérir tilllt qu'il sera sous l'emprise de ses parents. Il est
imfXxtant de mettre une certaine distance entre eux et lui-même et de
s'en libérer. Très tôt, des images du désir de libération
apparaissent. Conune l'a remarqué G. MJskos, les noments solitaires
lie Julien sont souvent sui vis de violences meurtrière&. La première
fois, il ferme la porte de l'église pour se retrouver seul avec la
souc is blanche qui l'agace. Il en est troublé et veut la supprimer.
Nous dVOllS ici la source d'un carnage <-lui croît;-a de façon presque
exponel1 tle lle . IJans sa première soli tude, Jul ien donne la oort: "Au
bout lie très longtemps, un museau rose parut, puis la souris toute
entière. 11 frappa un coup léger, et demeura stupéfait devant ce petit
:.U. id., p. b2b.
- 21 -
corps qui ne l:x:>ugeait plus."{24) La stupéfaction de Julioo ne fait
qu'augmenter sa propre curiosité. Cette scène est iuunédiatement suivie
d'une autre tuerie: celle des oisillons. La naïveté de Julien
transparaît encore un peu alors qu'il lui suftit " ... de mettre ùes poi~
dans un roseau creux ... " et d'entier ses Joues f-Our que le!;! bEls t io les
lui pleuvent dessus (~5). .La stupéfaction devient maintendnt de ld
malignité: Il ••• il ne pouvait s'empêcher de rire, heureux de Sd
l\Filice." (2b) Enfin, la séquence suivante annonce qu' i ln' y a plus
chez Julien de naïveté gamine. Le pigeon qu'il abat d'une pierre, et
qu'il doit chercher dans les broussailles pour l'achever de ses propres
mains, rrontre clairement le plaisir que prend Julien à tuer des bêtes:
"Le pigeon, les ailes cassées, palpitait, suspendu dans les branches
d'un troène. La persistance de sa vie irrita l'enfant. li se mit à
l' étran~ler, et les convulsions de l'oiseau faisaient tEttre son coeur,
l'emplissait d'une volupté sauvage et tumultueuse. Au ùernier
raidissement, il se sentit défaillir."{27) Ce passage suyyér dnt un
certain éveil érotique, couune l'a noté G. l'obsKos, n'est pas 101n de
ressembler à un orgasme (propre à la .tJuberté). C'est Wl plaisir
indicible que res~ent Julien, un eftet qUl à prime abOnl peut nous
ldisser perplexe. Cependant, cette scène devient beaucoup .tJlus claire
si l'on reconnaît qu'elle préfiljure la dernière du chdpitre, celle où
les "deux ailes blanches qui voletaient , a la hauteur de
24. id. , p. 627.
25. id. , p. 627.
26. .... id. , p . 627.
... 27. id. , p. 627.
- 22 -
l'esp3.lier" ne sout autre chose que le bonnet de la mère de Julien{2(:j).
Cette séquence, ainsi que celle où Julien manque de tuer son père
lorsqu'il échappe l'épée trop lOl~de, sont des indications précises du
désir inconscient chez Julien de tuer ses parents. A son insu, l'idée
de rupture apparaît très tôt chez lui et de façon particulièrement
violente. Les deux scènes de parricide manqué sont des indications de
cet te condi tion. Au demeurant, le désir profond de Julien est la
solitude. Sous la tutelle de ses parents, il se sent étouffé; c'est
aussi pour cela qu'il préfère chasser seul: "Il préférait Chasser
loin du lronde ... " (29) . Jung dit bien que c'est tout seul q'.le le héros
doit affronter les ténèbres et vaincre les IfOnstres de
l'obscurité(30) .
Au fur et à mesure yue son besoin de solitude grandit, les tueries
déchaînées augmentent. A partir du moment où Julien devient vraiment
solitaire, sa vie familiale se voit transformée. Il commence par
repousser ses parents: d'abord son père, dont il rejette la meute, les
faucons et les di ver s engins de chasse qu'il a reçus de lui, couune de
"COIlumes artifices" (31); puis, sa mère, dont il refuse les étreintes
et les caresses.
Julien est au seuil de la conscience, sans pourtant pouvoir y
accéder encore. Les parents et le château sont des éléments trop
28. id. , p. 633.
29. id. , p. b29.
30. Jung, "Contribution ,
la psychologie ••• ., 126. a , p.
31- Trois Contes, p. 629.
- 23 -
.....
!
puissants pour qu'il puisse s'en détacher si tôt. De plus 1 son
éducation, qui a été confiée au IOC>ine, constitue un obstacle
additionnel. A ce sujet, Jung explique bien que:
l'exercice de la religion,- c'est-à-dire la répéti-tion du récit et la répétition rituelle du fait mythique-, remplissent par conséquent le but de toujouro tenir présent, aux yeux de la conscience, l'image de l'enfance et tout ce qui s'y rattache; le but théolO::Jique en est d'empêcher la rupture des liens qui rattachent aux stipulations originelles. (32)
Il n'est pas étonnant que ce soit le mine qui rappelle Julien
quand il part chasser: " ... et le vieux lOC>ine se penchant à sa lucarne,
avait beau faire des signes fX)ur le rdppeler, Julien ne se retournait
pas. " (33) Le ronde intime de Julien le retient, le bloque en quelque
sorte dans son évolution, et pour qu'il puisse se détinir en tant
qu'individu, il a recours à la chasse solitdire où il se défoule de ce
sentiment oppressant. Notons en passant que le vieux rroine et Julien
"travaillaient ensemble, tout en haut ct' une tourelle à l'é<.:art du
bruit." (34) Dans la tradition chrétienne, au ~yen-Age en particulier,
le sens symbolique des tours était celui d'un lien entre ciel et terre.
Elles sont un mythe ascensionnel (35) . On voit là que le rôle du IToine
est de Il'dintenir Julien dans son état d'enfant inconscient, tout en
32. Jung, "Contribution à la psychologie ... ", p. 12ü.
33. rrrois Contes, p. 629.
34. id., p. 626 .
35. Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, (Éditions Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1ge2) p. 2~l.
- 24 -
1
l'orientant vers un salut prématuré.
Cependant, Jl~ien refuse l'harmonie céleste, et il préfère prendre
le chemin de la conscientisation individuelle. N'ayant que lui-même
conune exemple, cela ne semble encore pouvoir se faire que par la
chasse. La première chasse fantastique, où les images de meurtre
abondent, indiyue bien que Julien est hanté par une obsession. 'route
cette chasse se déroule dans une ooscuri té qui conunence dès qu'il
fauche les pattes au coq de bruyères(36), se plongeant ainsi dans la
nui t de l'inconscient, partie intégrante d'un ri te de passalje et qui,
dans le cas de Julien, marque bien le stade de son développement
psychique.
La chasse, conune tout le conte d'ailleurs, est riche de symboles.
seul Julien est incapable de voir la dimension symbolique de ses actes.
Ses premières victimes, les deux boucs, sont une représentation des
parents:
Comme il n'avait pas ses flèches (car son cheval était resté en arrière) il imagina de descendre jusqu'à eux; à demi courbé, pieds nus, il arriva enfin au premier des roues, et lui enfonça un poignard sous les côtes. Le second, pris de terreur, sauta dans le vide. Julien s'élança pour le frapper, et, glissant du pied droit, tomba sur le cadavre de l'autre, la face au dessus de l'anîme et les deux bras écartés. (37)
La IrOrt du second bouc est assurée à compter du moment où il se
jette dans le vide. Mais cela ne suffit pas pour Julien: le désir de
3b. id., p. 281.
37. 'Prois Contes, p. 630.
- 25 -
...".,..
"LfID.
donner la mort, ou ~lutôt de se débarasser d'une vie qui l'oppresse est
beaucoup plus fort, quoiqu'il agisse encore inconsciemment. IJu resle,
plusieurs éléments de cette scène reparaîtront au IOOment ÙU pcirridde:
les :pieds nus, alors que Julien se déchausse pour entr~r ddllS Sd
chambre; le poignard avec lequel il frappe les coups mortelsi et, après
le meurtre, il s'étend par terre de la même façon: "11 restd pendant
la messe, à plat ventre au milieu de fOrtail les bras en croix, et le
front dans la poussière." ( 38)
Julien est à la recherche d'une libération dont il ne soupçorme
pas lui-même les comfOsantes. c' est cette inconscience qui le rtilld
innocent et qui fait que les bêtes qu'il continue d'abattre le
regardent avec "plein de douceur et de supplication." (J<J) La nùtur~
inconsciente semle comprendre et apprécier ce qui se passe en Julien,
mais lui ne se doute de rien et il poursuit le lIlaSSdcre. Le carnaye
prend fin après qu'il ait abattu le grand cerf noir et sa famille. La
nature, après trop de concessions, exprime son mécontentement dans la
prédiction du cerf: "Maudit! maudit 1 maudit 1 Un jour, coeur féroce tu
assassineras ton père et ta mère l' (40)
Cette chasse corrunence à éveiller la conscience de Julien, mais
très lentement. Après le massacre des cerfs dans le vallon, il n'est
que légèrement étonné: "Julien s'adossa contre un arbre. li
contemplai t d' un oeil œant l' énormi té du massacre, ne comprenant pas
38. id. , p. 643.
39. id. , p. 631.
4ù. id. , p . 632.
- 2b -
( comment il avai t pu le faire." (41) Jean-Pierre Richard note ici que
"s'il s'éveillait à une nouve~le lumière, sans doute pourrait-il
oublier cette horreur, ou du IIDins la considérer conune un épisode
nécessaire et dépassé de son accomplissement."l42) Cependant, Julien
n'a pas encore l'objectivité qui peut sous-tendre la conscience. Il
vit toujours dans un nonde nébuleux et n'est pas encore pleinement
responsable de ses actes. 11 ne peut justement pas en saisir la
siynification, ni surtout le pourquoi. 'l'out lui vient s,fX)l1tanément et
sans réflexion. C'est pour cela qu' il décoche inunooiatement W"le flèche
sur le faon qui tète sa mère, signe d'une dépendance absolue vis-à-vis
des parents, situation dans laquelle se trouve Julien lui-même sans
être encore en mesure de s'en rendre coIIIfJte, et surtout sans savoir
I.;{U' il doit s'en détacher. En tuant le faon, Julien commet, à son insu,
un suicide symbolique, mais cette tendance reparaîtra à quelques
repr ises dans le conte: aussi bien lorsqu'il s'engage dans la trou,Pe
d'aventuriers et s'expose aux attaques de ses ennemis que lorsqu'il
brave l'anîme et se Jette dans les flammes.
Devant le cerf majestueux qui refuse de tomber, Julien recule,
eftrayé. Son allure imposante, réprobatrice et paternelle le terrifie.
L'image du grand cerf et très proche de celle du père de Julien, en
particulier par la barbe et les yeux brÛlants. Par ailleurs, la cloche
qui tinte dans le lointain lors du meurtre du cerf, se reproduira en
41. id., p. b31.
42. Jean-Pierre Richard, p. 173.
« - 27 -
-
la voix du cerf que l'on entend bran~r après le parricid~.
"La prédiction provoque chez Julien un début de prise de
conscience."l42) Cependant, il n'en saisit pas entièrement la J:Ot'tée.
Il ne veut fairE:! autre chose que de pleurer conu\1e un enfant à qui l' Oll
a fait de sévères réprimandes. L'idée, pour lui, est troubl~lte, et il
tente de la rejeter tant bien que lIai: Il Nan l non 1 nOl1l Je ne peux pas
les tuer 1" (43) .La chose lui semble impensable, comme s' il ne pouvai t
le faire à cause des implications que cela pourrdi t entrdîner. On voi t
ici apparaître chez Julien la conscience et la réflexion, et plulôt que
dl agir spontanément, il considère les conséquences jX)ssibles Je ses
actes. Seulement, le désir profond de liberté y,ui l' habite, cette
liberté qui ne s'obtient d'abord que par la rupture fami l ia le, et en
général ~ le départ du héros loin de son foyer pour aftn.Mt,,'r les
obstacles, ce qui traditionnellement représente Wle rupture symLx)lique
de l'union familiale sinon la Ilort des pa.rents, deJ[~ure très vuissant
cians l'esprit de Julien: " •.• puis il son':)eait: 'si je le voulais
pourtant? .• ' et il avait peur que le Diable ne lui en inspirât
l'envie. Il ( 44 ) Ici, le désir que Julien a de tuer ses parents nous
apparaît clairement; non pas, comme l'a suyyéré Sartre, ,par Wl dégoût
de ses parents, mais par un dégoût. de lui-même, puisqu' il lui est
impossible de s'affirmer autrement en tant qu'individu.
42. Jean-Paul Sartre, l'Idiot de la famille, (&litions Gallimard, 1971) p. 2110.
43. Trois Contes, p. 632.
44. id., p.632.
- 2H -
.. \. A son retour au château, Julien est accablé, épuisé mêIre par cette
premièr~ prise de conscience, et son destin, qu'il voit désormais plus
clairement, l'inquiète. Il tente de se réfuyier au sein de l'annur
familial dont il col[unençait à se détacher, ce qui est une tentative
pour oublier, en faisant un retour vers l'inconscience, le monde des
parents. Mais COIlUI\e tous les héros flaubertiens, Julien ne peut
échaplJer à son destin. si tôt ses forces revenues, et malgré qu'il ne
chasse plus, deux accidents se produisent par sa faute, qui mettent en
danyer id vie de ses parents. D'abord son père: "L'épée trop lourde
lui éClmppa des doigts, et en tombant frôla le bon seigneur de si près
que sa houJ:>1?Eùande en fut coupée; Julien crut avoir tué son père, et
s'évanoui t . " ( 4S ) Après cela, Julien se replie dans le monde de
l'enfance, et il cesse de manier les armes. A la place, il choisit un
jeu d'adresse, et pourtant il manque alors de tuer sa mère. Avoir
échappé de justesse au parricide achève d'éveiller sa conscience;
comprenant qu'il lui est impossible de contourner la prédiction, Julien
prend la fuite comme les héros des tragédies grecques, espérant ainsi
pouvoir éluder son destin fatal. (46)
D'habitude, le départ du héros signifie qu'il a rompu ses attaches
avec la famille et qu'il devient le naître de son propre destin. Ce
que l'on appelle communément le parcours initiatiqùe, ce chemin ardu où
le héros doit affronter des adversités multiples, effectuer sa descente
dUX enfers avant de pouvo~r remonter vers la liberté pour enfin mériter
45. id " p. 633.
;1 " ..
46. John Fletcher, p.60.
- 29 -
sa place dans le ronde, ne s' inscri t pas exactement dans la vie de
Julien, sinon de façon très superticielle. Effectivement, il aura à
franchir plusieurs obstacles, affronter une variété d'intempéries, le
feu et la aort. Mais rien de tout cela ne le touche, ni ne le tai t
avancer ddIls son processus d' indi viduation. Sa persûnnal i té n'est ell
rien altérée p3.r les événements, et il ne "gra.llùit" pas. il semble y
avoir une aura autour de Julien qui l'empêche de se tonner, en même
temps qu'elle le protège. Cette aura vient en quelque sorte rempldcer
les parents que Julien a fuis. Rien ne ,l)eut lui arriver: "Plus de
vingt fois on le crut oort. Grâce à la faveur di vine, il en réd1dp~
toujours" (47) .
Cependant, Julien est incapable d'oublier son destin, rien
n' arri ve à l'en distraire. Chaque fois qu'il rencontre un vieillard,
l'image de son ,Père lui revient: "uuand il en voyait un ma.rdlc.Ult
devant lui, il criait pour connaître sa fiyure, collune s'il avait peur
de le tuer par méprise."(48)
Les adversités se multiplient devant lui sans pour autant qu'il
ait à faire d'effort pour les affronter. 11 remporte haut-la-main tous
les défis que lui lance la vie. A la longue, il devient lui-même un
justicier: "Si un ronarque se conduisait trop mal, il arrivait tout à
coup, et lui faisait des reuontrances." (49) En ce sens, il refait le
47. Trois Contes, p. 634.
48. id ., p. 634.
49. id., p. 634.
-30-
,(
~heminement de son père qui, comme on l'a ap~ris dès le début du conte,
"après beaucoup d'aventures, L ••• J avait pris pour fenune une derroiselle
de haut lignage."(50) C'est précisement ce que fera Julien lui-même
qui, après s'être longtemps battu, après avoir remporté une multitude
de victoires, pensant qu'il en est au bout de ses peines, décide de se
ranger dans la vie familiale: "lbnc, il reçut en mariage la fille de
l'empereur, avec un château qu'elle tenait de sa mère ... ". (51) En
imitant le ronde de ses parents, note George M::>skos, Julien tente de
s'assurer qu'il n'a vraiment en lui aucun désir de parricide: "Après
tout, co~nent un fils, dont les habitudes de vie ressenlblent tellement
à celle de ses p3.rents, pourrait-il avoir envie de les tuer."l52) 1-1ais
c'est ~réciseIlU1lent la raison tnur laquelle Julien doit tuer ses
parents: puisqu'il est incapable de mesureL" la dimension symbolique de
la rupture familiale, seule l'exécution de la prOphétie pourra lui
permettre de se libérer. Même après le mariage, sa vie ne cesse d'être
tourmentée. Dans son nouveau château, Julien se trouve en quelque
sorte replongé dans son existence ancienne, celle de son enfance. Il
essaye de se distraire au spectacle de jongleurs et de danseuses que sa
femme fait ven il: , ce qui évoque les jeux de l'enfance. Roger caillois
précise que dans le jeu, l'être humain s'écarte du réel et s'engage
dans une activité libre où il peut limiter les conséquences de ses
gestes, ce qui lui perloot de créer un monde clos où il lui est possible
50. id. , p. b24.
51. id. , p. 635.
52. George l-bskos, p. 99.
- 31 -
1'1 de s'abandonner à l'activité ludique et où il est rnaîtr~ de son d~stin.
Cependant, cette occupation, que tvl. Benveniste appelle une "opération
désocialisante"(53), où l'enJeu est fixé d'avance, n'est pas dcc~ssibLe
à Julien. Cette activité exige avant tout que les p:trticlJ?élIlts se
dissocient du ronde réel et s'isolent dans un système où les l i.mi tes
sont bien choisies et clairement définies. or Julien est incapable ùe
séparer lUl ITOnde de l'autre. Ceci dpparaît alors qu'il s'est senti
Obligé de fuir le château de ses pa.rents: en voulant lIli:illler La
javeline avec les écuyers, le "Jeu" provoque presLiue La l1ürt Je Bd
mère. Bien plus tard encore, lorsque Julien tente de s' éV<lder pdr ld
1JeIlsée dans un ronde rêvé où il serait seul maître de son destin, il ne
peut s'empêcher de se remérrorer les chasses de Sd Jeunesse, qui d'abord
semblaient sans conséquences, et ilrunédiaternent cela se transtornl8 en
lUle obsession de carnage infini où il se voit "cOirune notre vère Adam au
milieu du Paradis, entre toutes les bêtes ... "(S4), et il Lui suffit
alors d' allonl::Jer le bras pour les faire I(ourir. 11 ne s' ayi t donc pas
du tout d'lUl Jeu pour Julien, puisqu'il en éprouve une ~rande crdinte.
Cette crainte lui vient de ce fait qu'il ne peut s'empêcher d'dsscxier
un élément réel au ronde imaginaire qu'il évoque: "Ues princes de ses
amis l'invitèrent à chasser. Il s'y refusa touJours, croyant lJar cette
sorte de pénitence, détourner son ffi:llheuri car il lui semulait Liue ùu
53. M. Benveniste, tiré de Roger Caillois, L' homme et le sacré, (Éditions Gallimard, 1950) p. 210.
54. Trois Contes, p. 635.
- 32 -
meurtre des animaux dépendait le sort de ses parents. Mais il
souffrait de ne pas les voir, et son autre envie devenait
insupfJOrtable • Il (55 )
'l'ant que cette obsession profonde haoitera Julien, il lui sera
iI1lfX)ssible de trouver la paix intér .ieure. Il a tenté, en se mariant,
en s'établissant dans une vie ordonnée, de se créer une image de paix,
une sorte de f'.l'11'oole d' haroonie extérieure, dans l'espoir que cela se
répercuterai t ensuite en lui. Mais, corrune nous l'avons vu plus haut,
Julien est incapable d'accepter une valeur s~rubolique, et bientôt, ses
an':)oisses lon':)temps refoulées reoontent à la surface, quand son besoin
de chdsser devient trop fort: et quand il voi t des animaux rÔder
autour du château, il n'y tient plus.
La seconde chdsse fantastique est le préambule de l' ini tiation
finale de Julien, et préfi':)ure le vrai combat du héros qui lui
permettra de terrasser le oonstre de l'Obscurité !-Our accéder enfin à
la lumière. Tout le passage se déroule, cOlrune il se doit, de nuit,
nuit qui dure d'ailleurs depuis le début de la première chasse, alors
que les pa t tes du coq on été fauchées. Cette nui t s'aChèvera
nomentanément, à la fin de la deuxième chasse, alors qu'à nouveau un
<-'Oq annonce le jour: "Le chant d' un coq vibra dans l'air. lJ' autres y
répondirent; c' étai t le Jour" (5b) • L' impuissan-::e de Julien tout au
long de la chasse, ainsi que sa capi tulation ù~vant une nort inuninente
55. id., p. 636.
Sb. id., p. 641.
- 33 -
(If ••• Il ferma les yeux, attendant sa Ilort") (57), siljnalent le premier-
acquiescement du héros aux forces qui l'environnent: "Un lXJuvoi r
supérieur détruisait sa force; et, fOur s'en retourner chez lui, i.l
rentra dans la forèt." (5t3)
Désormais, .Julien sait qu'il n'est plus invincible, et cette
humilité nouvellement acquise lui permettra finalement de subir U1\l~
épreuve qui comfOrte pour lui un réel dan':jer, et qui constituerd en
tai t son épreuve de ,passage. Inra du retour au châtedu, il pénètre il.
nouveau dans l'obscurité, bien que le Jour soit déjà levé. c'est ici
qu'aura lieu le dernier rite de son .i.nitiation: "Les vitraux <.jdrnls de
plomb oDscurcissaient la pâleur de l'aube. Il (59) lJans cette pénombre,
Julien accomplit finalement la prédiction du grand cerf et il tue ses
parents.
Après ce dernier rite, le héros accède enfin à la lumière. C'est
sa femme qui la lui apporte, mettant ainsi un terme à l'dveu<.jlement
inconscient de JUlien, en l'extrayant du ronde de la nuit et en le
projetant dans la pleine lumière de la conscience: " Le teipage du
meurtre l'avait attirée. D'un lar<.je coup d'oeil, elle comprit tout, et
s'enfuyant d' horreur laissa tomber son flambeau. Il le ["amassa." (60)
57. id., p. 639.
58. id. , p. 639-640.
59. id., p. 641-
60. id. , p. 642.
- 34 -
1 C'est grâce au flambeau que Julien se rendra compte de la portée réelle
de son geste, car il pense jusque-là avoir tué sa fenune et un prétendu
amant. Sartre nous le fait remarquer en notant que Julien croi t voir
le fantôme de sa femme à la porte de sa chambre, et non sa fenune en
~hdir et en ns. La lumière lui dévoilera brusquement la vérité.
Ce n'est qu'en commettant la Faute que Julien peut enfin accéder à
la <.X>nscience et s~ libérer de son inconscient. La rupture,
défini ti ve cet te foi s, permet au héros de trouver son Ivbi,
c'est-à-dire, selon Jung, "que l'éveil de la conscience-ego affaiblit
progressivement le rapport intime de l'enfant à la mère, et permet donc
à la conscience de s'opposer à l'inconscience, ce qui engendre la
différentiation de l'ego et de la mère, permettant aux particularités
individuelles de venir au Jour."(61}
Si l'on considère que le premier chari tre du conte insistait
surtout sur .. l' en tance " de JUlien, c'est-à-dire le temps de
l'inconscience, on peut voir qu'à la fin, lorsque Julien fuit le
château paternel, il n'a pas encore accédé à la conscience, mais qu'il
en reconnaît seulement la condition. Par contre, à la fin du deuxième
chapitre, Julien a totalement quitté le rronde de l'inconscience, et
devient donc un être "in-divise": il atteint son "Je": il peut
désormais dire: "Je suis ooi, maintenant J'existe. Auparavant les
choses m' arri vaient ... Il Maintenant, c'est lui qui les veut (62) .
bl. carl Gustav Jung, 'l'he Archet s and the Collective Unconscious, (Princeton University Press, vol. 9, 1969 , p. 102.
62. carl Gustav Jung, Ma Vie, p. 52.
- 35 -
LE SALUr
Pour accomplir son individuation, l'étape qui lui reste à frdnchir esl
celle d'un ordre plus élevé où, plutôt que de vivre dans une furme
consciente seulement axée sur le "l'bi", c'est-à-dire où l'on choisit
sciemment certaines choses aux dépens d'autres choses, il se iJ'isse
justement de choisir pour accéder à la totalité. Le" l'bi" se définit
par l'opposition du "Je" avec la nature. C'est ce qui lui dOlme sa
puissance et lui permet de se distinguer. En ce sens, le "l'bi" reste
détaché de la nature, ce qui l'empêche d' Y participer entièrement. La
dernière étape de la vie de Julien l'amènera à recréer l' hélrllYJllie
initiale de laquelle il est venu et qu' il a, depuis, oubliée. Ce
taisant, il lui sera possible d'accéder au "Soi". Jung explique (lue le
"Soi" "est une entité "sur-ordonnée" au rvni. Le Soi embrélsse non
seulement la psyché consciente, mais aussi la psyché inconsciente, et
constitue de ce fait une personnalité plus ample[ ... J. Le Soi est
aussi le but de la vie, car il est l'expression la plus complète de ces
combinaisons du destin que l'on appelle un indivictu."(63)
t>our atteindre ce but ultime, .Julien devra une tois de plus
quitter son foyer pour errer seul. 11 laisse derrière lui ses l~rents
rrorts, sa femme et tous ses biens, et jusqu'à ses sélndales(64). La
63. id., p. 462.
64. Pierre 1-1a.rc de Biasi, "Un conte à l'orientale; la tentation de l'Orient dans la "Légende de saint Julien l' Hospitéllier", Romantisme, no.34, 1981, p.64-65. Dans son artic1.e, M. dl.! Biasi note certaines subtilités de Flaubert en approtondisSc1l1t ld signification de quelques éléroonts symboliques. A profOs des sandales, il établit un rapfX)rt avec les sandales d'l!Jllpédocle.
- 36 -
première condition que Julien doit re~lir est de se détacher de son
Ego (Moi/Je), ce qui lui ouvrivra l'accès à un état plus élevé. Encore
une fois, il faudra que Julien fasse son chemin seul, puisqu'"une
conscience supérieure, un savoir qui dépasse le conscient présent, est
équi valent à un isolement lIondial. Il (65) Julien, toujours seul aux
rroments critiques de sa vie (chasses-meurtres des animaux, meurtre des
l.xirents) , s'impose désormais 1. '~xil: .. Il rechercha les solitudes.
Mais le vent apportait à son oreille comnle des râles d'agonie; [ .•• ] et
chaque nuit, en rêve, son par. ricide recommençai t. .. ( 66) Pour Julien la
P' emière tentative pour expier la faut'~ .:>st bien celle de son récit.
car il faut tout d'abord qu'il recornaisse cette faute; et en l'avouant
aux autres, il se l'avoue à lui-même, ce qui lui permettra de
l'accepter 1 et de s'en libérer. Cependant, cet aveu lui attire de
sévères reproches, plutôt que de la sympathie. Sartre affirme:
Au début, Julien s'acharne contre son acte comme s'il pouvait encore se séparer de celui-ci, comne si, en dénonçant son parricide publiquement, il pouvait cesser d'être le parricide. En vain: cette autocritique n'a d'autre effet que d'universaliser son crime en attirant sur lui la réprobation universelle; en fait - mais il ne le sait point -elle lui procure le délaisseloont nécessaire à l'horrible trdvail qu'il doit exercer sur lui-même.(67)
Sartre évalue que ce travail signifiera une autodestruction
systématique, une tentative d'anéantissement personnel. En effet,
05. Jung, "Contribution à la psychologie ••. ", p. 129.
60. Trois Contes, p. 644.
67. Sartre, p. 2110-2111.
- 37 -
cette réprobation servira à Julie.n fOur mieux cimenter sa soli tude.
Cela le force à se tenir à l'écart et à reyarder vivre les ho~nes, les
animaux et la na ture sans s' y mêler. Les" élancemen ts d' élIOC)ur" ( 68)
qu' il éprouve fOur les animaux et la nature sont un premier indi~e de
ce qu'il est en voie de retrouver l'harIrOnie de l'existence, et surtout
de la co-existence. Par contre, ce sentiment n'est pas réciproque de
la part des animaux: "[ ... ] tous à son approche, couraient 'plus loin,
se cdchaient effarés, s'envolaient bien vite. Il (69) La réconciliation
universelle ne peut se faire que progressivement. Julien doit
retrouver la1:orieusement la confiance de la nature. La crainte qu'il
inspire encore est prop:>rtionnelle à la cruauté de ses chasses de
jadis. La
sacrifice.
seule issue qui s'offre à Julien est donc celle du
Il s'en prend à sa propre personne 1X>ur tenter de se
racheter: "Il se fit un cilice avec des pointes de fer. Il ronta sur
les deux genoux toutes les collines ayant une chapelle à leur
sonunet [ ... ] • Sa propre personne lui faisai t tellement horreur
qu'espérant s'en délivrer il l'aventura dans des périls. Il (70) On voit
ici que Julien a pratiquement achevé la dissociation du l-ni qui
maintient l'opposition entre l'individu et le ronde. Au lieu de dire
que Julien s'aventura dans des périls, Flaubert indique bien que Julien
aventura sa personne, son corps, auquel il ne tient plus. Il est prêt
à faire le sacrifice ultime, mais il le fait encore par ~~oïsme, et non
gratui tement. C'est parce qu'il ne peut su~)porter la souffrdllce 4U' il
68. Trois Contes, p. 644.
69. id., p. 644.
70. id., p. 644.
- 38 -
{ fX)rte en lui. La faute n'a pas encore été acceptée, et ses tourments
le hantent toujours. Cependant, les tentatives suicidaires prennent
fin lorsque Julien voit une image dans la fontaine où il veut se jeter:
Il [ ••• J c' étai t son père; et il ne pensa plus à se tuer. Il ( 71 ) L'effort
principal de Julien fX)ur recréer l'harmonie initiale et l'accord
universel s'inscrit ici syrnboliquenent; et, pour la première fois, il
reconnaît la valeur d'un symbole et il sait l'interpréter. Le tout
L~smique implique une participation universelle et osmotique, où il n'y
a plus d' opposi tian, où tout se fond et appartient tout en restant
autonome et détaché. En voyant l'image réfléchie de son pè-re, Julien
est en mesure de reconnaître qu'il est son fils, donc partie
intrisèque, tout en étant lui-même un individu. Il accepte enfin sa
faute. A partir de ce moment, Julien peut se reconnaître en chacun et
reconnaître les autres en lui. Il lui est donc possible de passer le
reste de sa vie au service des autres. En sacrifiant ainsi son
existence, Julien s'oublie et devient un être universel. Les valeurs
matérielles sont désormais pour lui sans importance, puisque tout ce
qu'il souhaite maintenant est de vivre en accord avec le monde. C'est
pour cela qu'il ne dernrulde rien pour ses services de passeur et qu'il
accepte la maigre pi tance qu'on lui donne 1 et les jurons qu'on lui
lance.
la dernière épreuve de Julien consistera à faire traverser le
lépreux. La traversée en elle-même représente un dernier combat, un
dernier rite initiatique. Par sa grande charité d'âme, Julien se lève
au milieu de la nuit pour faire son office. Les éléments sont
71. id., p. 644 .
- 39 -
!
.. _-- ._._--------------------------------....
déchaînés mais tout se calme dès llU' il collunence à passer le t leuve. li
ramasse un honune que, d'habitude, tous prennent soin de fuir: un
lépreux. Le retour est effroyable, alors que la tempête se lève à
nouveau. Pour Julien, il s'agit d'une seconde inltidtioll, d'un ordre
supérieur au premier. Rien ni est gagné d'avance: il doit <"''OllIbattre
et vaincre. Il ne pourra pas se refOser avant d'en avoir fini: "L .•• J
il s'arrêta. Alors le bateau fut emporté à la dé ri ve . MalS,
comprenant qu'il s' agissai t d'une chose considérable, d'un ordn-:l dUlluel
il ne fallait pas désobéir, il reprit ses avirons Il ( /2) • ~:n<...'Ore une
fois, Julien est en quête de lumière. Celle-ci est représentée p:."1r le
falot: ".La petite lanterne brûlait devant lui. Des ois&mx, en
voletant, la cachaient J?êlr intervalles. Il ( 73) ceci indique bieu Llue
pour Julien, rien n'est encore acquis. La lumière lui d1?paraîL, puis
elle est cachée, puis elle apparaît de nouveau et ainsi de suite. Pour
être victorieux, il doit continuer jusqu'au bout le combat.
La dernière scène, dans la cahute, rontre à quel degré le
dénuement de Julien en est aa l 'lé: il donne le peu '-lU' il fXJssède au
lépreux, et dans son élan d'abnégation, il lui cède m~ne son lit. II
ira jusqu'à s'étendre sur lui pour le réchauffer. Sartre a vu dilllS ce
dernier geste une occasion inégalée pour Julien d' dtteindre le fond de
l'abjection. C'est en effet un devoir auquel il ne saurait IJlus se
soustraire. Pour cet ultime acte de dévouement, il se ùéshabi l1e :
"Julien ôta ses vêtements; puis, nu <"'"'OlIUne au Jour de sa rlalSSdI1Ce, se
replaça dans le lit; et il sentait contre sa cuisse la peau du Lépreux,
72. id., p. 647.
73. id., p. 647.
-40-
(
plus froide qu'un serpent et rude conune une lime." (74) On comprend
aisément que Julien soit "nu conune au jour de sa naissance", puisqu'il
s'apprête à subir l'initiation ultime de la pureté. Désormais, Julien
est totalement réconcilié avec les honunes et avec la nature.
L'harnonie la plus complète règne enfin en lui. Il est maintenant
indissociable du TOut. En ce sens, il devient une représentation de
Dieu lui-même.
74. id., p. 648.
- 41 -
- CHAPI'rRt: m:ux
UN COEUR SIMPLE OU L' ENFANŒ Él'~H.NELLE
Co~ne nous venons de le voir, le processus d'individuation, tel que
l'entend carl Jung, est un cheminement personnel qui mène , a
l'accomplissement de la personnalité. Pour cela, il est nécesôdire que
l'être affronte une série d'obstacles variés, qu'il surmonte des
difficultés, qu'il lutte contre les forces de l'inconscient. Ce n'est
qu'après avoir remporté ces combats que le protagoniste deviendra un
individu, c'est-à-dire un être in-divise.
Si l'on considère le cas de r'élicité dans "Un Coeur simple" dans
l'éclairage du processus d'individuation selon Juny, on est frappé par
le fait qu'il ne semble pa.s y avoir chez elle de quête du l'bi, de
développement normal de la personnali lé. Félicité, contrairement à
JUlien, n'est pas un personnage en quête de soi, elle semble n'éprouver
aucun besoin de quitter un état préalable, de se confronter r)u de se
distinguer.
Dès le premier ct~pitre, des indications très précises nous
renseignent sur le personnage. Raynnnde Debray-Genette a noté que ce
chapitre "comprend tout, jusqu'à la nort supposée, par la clôture des
termes: 'pendant un demi-siècle ..• '" (1) Grâce à cela, ail apprend
quelles ont été les préoccupations de Félicité tout au lony de sa vie:
"Pour cent francs pa.r an, elle faisait la cuisine et le ménage,
1. Raynonde Debray-Genette, "les Figures du Récit dans 'Un Coeur simple", (Métarrorphose du Récit: Autour de Flaubert), (&litions ùu Seuil), p. 266.
( cousait, lavait, repassait, savait brider un cheval, engraisser les
volailles, battre le beurre, et resta fidèle à sa maitresse, - qui
cependant n'était pas une personne agréable. Il (2)
Cet élément de la fidéli té est celui qui nous intéresse le plus
ici, car il comporte à lui seul une attitude qui restera constante tout
au long de la vie de Félicité et qui, en quelque sorte, montre comment
elle a été détournée de sa propre individuation. Ce processus, on le
sait, se déclenche lorsqu'un être franchit le seuil de la consciencej
c'est alors que plusieurs conditions se présentent qui doivent être
remplies. Or, conune nous allons le voir, lorsque ces condi tions se
présentent à Félici té, un concours de circonstances fait qu'à chaque
fois le chemin périlleux de l'individuation est contourné et
complètement évité.
Selon Jung, chaque indi vidu est habité par deux pôles très
puissants, qu'il nonune conscience et inconscience. Au départ, l'être
surgit d'un ronde pré-conscient, celui de l'enfance, où il n 'y a pas de
question sans réponse, où l'harmonie règne partoutj et au fur et à
mesure qu'il s'éloigne de ce pôle, il pénètre dans la conscience où
domine la pensée rationnelle et analytique. Le premier obstacle qui
survient lorsque l'individu s'engage sur la voie de l'individuation est
celui d'un déchirement douloureux, mais nécessaire, qui lui permet de
se défaire du lien le plus manifeste avec l'inconscient: ses parents.
Tant que l'être demeure sous l'emprise de ses parents, il lui est
impossible de s'identifier à autre chose qu'à eux, et donc il ne peut
( 2. Trois Contes, p. 591.
...
- 43 -
pas prétendre à l' indi viduali té. Ce n'est qu'après avoir rompu cet te
attache que l'individuation pourra commencer. Alors, l'être se
distinguera des autres, et se définira par opposition aux hommes et à
la nature. Ici COlluuence la quête du (ltbi, quand l' indi vidu est placé
devant des choix à faire. L'étape du choix en est une trp.s import~lte,
puisqu'elle signifie que l'harnonie initiale sc fracture; désormais,
face à quantité de situations, l'individu se voit forcé d'opter pour
une voie au détriment d'une autre, et ce choix délibéré trace le chemin
du destin individuel. Nous verrons aussi en quoi l'impossibilité de
choisir contribue à faire de Félicité "une femme en bois, fonctiormant
d'une manière automatique. II (3)
Ce dont Félicité s'avère incapable, c'est de choisir (la faculté
de choisir appartient à l'être conscient, à celui qui est sorti de
l'inconscience) . Seul un tel être est en mesure de déterminer une
préférence après avoir escompté les avantages et les désavantages d'une
situation donnée. Le choix est propre à l'adulte, non à l'enfant,
puisque ce dernier dépend de ses parents qui choisissent pour lui. En
quelque so.cte, ceci fait de l'enfant un pion que l'on déplace à son
gré. Il en est de même pour Félicité qui, on le voit dès le premier
chapitre, est un automate et n'a donc aucun choix à faire, ne fctisant
rien d'autre que de suivre un chemin tracé d'avance; ce chemin, couuue
on le verra, parsemé d'embûches (qui normalement enclenchent le
processus d'individuation), n'aiguille p:>urtant pas fo'élicité vers une
évolution personnelle à proprement parler. Le début du deuxième
3. id., p . 592.
-44-
( chapitre du conte retrace justement les moments cruciaux de la vie de
Félicité (alors que chez l'individu, la quête de soi et de
l'indépendance est déjà entamée). COnune nous l'avons dit plus haut, la
première étape que doit franchir le héros est celle de la rupture
familiale, ce qui lui permet d'affronter le nvnde pour s' y mesurer.
Dans le cas de Félicité, cotte rupture, trop soudaine, ne découle pas
de sa propre volonté rrais de circonstances imprévues qui la laissent
totalement démunie: "Son père, un maçon, s'était tué en tombant d'un
échaffaudage. Puis, sa mère IIOurut, ses soeurs se disper-
sèrent[ .•• J" (4) • Voilà qu'à un âge précoce, elle semble abandonnée à
elle-même. Mais elle est immédiatement recueillie par une autre
famille, ce qui lui permettra de prolonger son enfance: " ... un fermier
la recueillit et l'employa toute petite à garder les vac..::i.les dans la
campagne. " (5) Elle passer a ainsi d'une famille à une autre sans jamais
éprouver le besoin de s'affranchir. la famille représente en soi le
ooyau de l' inoonscient, ce temps de la vie où l'être est totalement
protégé, où il est tout à fait dépeooant. lorsque le IIOll1ent de se
prendre en charye se présentera, Félicité sera toujours "récupérée" au
sein d'une autre famille. Forcée de quitter la maison du fermier (à
cause d'un vol qu'elle n'a pas commis), elle passe immédiatement dans
une autre famille: "Elle entra dans une autre ferme, y devint fille de
4. id., p. 592.
5. id., p. 592.
- 45 -
1 ba.sse-cour l ... J" (6) . C'est à la sui te de son échec ~ureux qu'elle
quittera ce foyer. L'épisode avec Théodore nous :::;emble particulière-
ment important, puisqu'il se situe de toute évidence à un Ilument
critique de la vie de Félicité: "Un soir du Illois Li' doût (elle dvait
alors dix-hui t ans)" ( 7 ), Félicité rencon tre 'fhéodore. ~n peu de temps
elle s'apprête à faire un pas décisif, à se déclarer autonome et li.bre
de choisi:L' un llari. Cependant, à la dernière minute, celui-ci se
désiste et Félicité, qui se préparait à franchir une première étdpe
dans son individuation, est ùurement ébranlée: "La r~ressioll
déclenchée par refoulement de l'instinct ramène toujours dU pélssé
psychique et aussi ~ <.."Onséquent à la phase de l'enfdllce où les
puissances prépondérantes étaient en apparence et, pour une parL dussi,
les parents. Il (8) lxmc, elle quitte la terme pour se trouver une
nouvelle famille chez qui se réfugier: "La jeune fi lle ne sdvai t paü
grand' chose, mais paraissai t avoir tant de borme volonté et si peu
d'exigences, que Mme Aubain finit par dire:
-Soit, je vous accepte!
:v'élici té, un quart d' heure après, étai tins tallée chez elle." ( 1) ) Ce
chez elle nous laisse entrevoir qu'elle a trouvé un abri perlllclIlcnt,
l'endroit où elle passera le reste de ses Jours et où elle IlDurrd.
6. id., p. 593.
7. id., p. 593.
8. carl Gustav Jung, MétarrDrphoses de l'âme et ses syIlÙX)les, p. 3UH
9. 'frois Contes, p. 594.
- 46 -
Non seulement, du fait de s'installer de nouveau dans une maison,
reste-t-elle captive de l'inconscient, mais à cela vient s'ajouter
quantité d'éléments particuliers , a l'enfance qui augmentent son
sentiment de claustration, et que nous allons tenter d'étudier ici.
On comprend très vite que Félicité est un être qui n'a pas eu une
enfance heureuse. Alors qu'elle est encore toute jeune, sa famille se
désintègre et elle est adoptée, passant successivement d'un foyer à
un autre sans trouver la douceur qui est ,
propre a l'enfance,
puisqu'elle est d'abord employée à garder les vaches, et ensuite elle
devient fille de basse-cour. Dans son troisième l03is, Félicité est
mieux appréciée, et cela semble avoir été presque suffisant comme
atlTOsphère familiale fOur satisfaire à ses besoins: "[ •.. ] corrune elle
plaisait aux patrons, ses camarades la jalousaient." (10) Il faut
su~ser ici que le fait de plaire lui valait un traitement de faveur,
ce qui en général n'est pas assuré aux employés, mais réservé aux
proches. C'est ce qui lui donne la confiar~e nécessaire pour s'engager
dans une relation personnelle qui pourrait la conduire au mariage et à
l'indépendance. Ses camarades (et l'on sent ici la main flaUbertienne
du destin) l'emmènent au bal où semble devoir se forger son avenir. Le
tumulte de la fête l'effraie un peu: "Elle se tenait à l'écart
nodestement, quand un jeune honune d'apparence cossue, et qui fumait sa
10. id.. p. 593.
- 47 -
t pipe les deux coudes sur le tilIDn d'un batmeau, vint l'inviter à Id
danse."(ll) Cet homme lui promettra bientôt le IIUridtje, ce qui lui
permettrai t de fonder sa propre famille; mais lorsqu'elle se retrouve
à nouveau seule, elle est renvoyée dans l'unique étdt qu' elle
connaisse: celui de l'enfance. C'est alonj qu'elle se présente che:t.
Mme Aubain à laquelle elle vouera une tidéli té sans borne.
La question de la fidélité qui a été soulevée tout à l' heure nous
IIDntre combien Félicité éprouve le beS0111 d'être acceptée. Puü;que,
d'une façon générale, elle n'a jamais c....'Onnu yue le retus, son seul
IIDyen de vivre l'enfance qu'elle n'a pas eue sera ùe se faire prenùre
lll1e fois encore au sein d'un foyer. Rapidement, elle se sellt à l'aise
dans cette nouvelle maison où deux enfants, Paul et Viryinie, ont une
place très importante: "Cependant, elle se trouvait heureuse.
douceur du milieu avait fondu Sd tristesse."(l2) Nous allons voir
c....'Onunent l'oubli est, fOur Félicité, ur. facteur déterminant de Sil
condition inconsciente.
Sans tarder, Félicité se plie à la routine de la maison, cOllune si
elle n' avai t jamais fait autre chose 1 comme si elle ne uevai t JélIlI<ÜS
vi vre autrement: "'l'ous les jeudis, des habitués venal.ent faire une
partie de boston. ,b'élicité préparait d' aVélllce les cartes et I.es
chaufferettes." (l3)
11. id. , p. 593.
12. id. , fJ· 594.
13. id. , p • 595.
• "'ït
-48-
Dru1S sa vie, il ne se produit que très peu d'événements
significatifs et il y a peu de ITVments susceptibles d'éveiller sa
conscience. Nous venons d'évoquer la rupture familialê et le premier
aJ[our [MOqué. Par la sui te, il Y aura d'autres événements qui tendront
à éveIller ::id conscience, mais nous pourrons constdter que chaque fois,
elle refusera d'en chercher le sens. Un épisode qui passe p:::>ur le plus
formidable de la vie de Félicité, celui du taureau, la laisse
inJifférente. Quoiqu'elle réagisse de façon extraordinaire, Félicité
demeure tout à fai t iroconsciente de son mérite et ne cherche ,tes à s'en
glod fier: "Cet événement, pendant bien des années, fut un sujet de
conversation à Pont-l'Évêque. Félicité n'en tira aucun oryueil, ne se
doutant même pas qu'elle eût rien fait d' héroïque. " (14) Cet épisode,
qui de prime abord pourrait sembler anodin, ne tarde pas à prendre des
proportions énormes. Notons d'abord que l'influence des animaux sur
Félicité est présente tout au long du conte. Il est bien entendu que
les animaux, éléments de la nature, sont une représentation de
l'inconscient, et donc il n'est pa.s étonnant qu'elle entretienne une
relation privilégiée avec eux. Nous aurons l'occasion de voir cela
plus en détail quand nous en viendrons au fameux perroquet. Par
ailleurs, nous savons déjà que Félicité doit une partie de son
éducation à l'observation des anirna.ux: "Elle n'était pa.s innocente à
la manière des deuoiselles, - les animaux l'avaient instruite"(15) Il
est donc normal qu'en leur compagnie elle se sente à l'aise. Au
IlOment d'affronter le taureau, l'atITVsphère devient floue, nébuleuse.
14. id., p. 597.
15. id., p. 594.
- 49 -
1 On a l'impression qu'il s'agit d' un rêve: "La lune à son premier
quartier éclairai t une partie du ciel, et un broui llard floUdi l l..'ùllune
une écharpe sur les sinuosités de la Toucques." (lb) Les réacLions des
animaux dénotent une sorte d'entente tacite entre eux:
Des boeufs, étendus dU milleu l1u (jazoI1, re'::jardaiellt tranquillement ces quatre personnes passer. Lens 1 a troisième pâture quelques-uns se levèrent, puis se mirenL en rond devant elles. "Ne cr aigne:c. rien 1" di t Fél id té; et, murmurant une sorte de compla1nte, elle flattd sur l'échine celui qui se trouvait le plus ~rès; il tit volteface, les autres l' irnitèrent. (17)
C'est dans la quatrième l~ture que Félicité fait fdce ÛU tauredU
furieux. Le taureau est une représentation symbolique l1u ~re, et qui
vient affronter Félicité cOirune lX)ur la forcer à s' affrdnchir. 1\ pr0I.--Os
des anima.ux terrifiants, Jung dit: "Il arrive qu'une attit-ude par trop
tendre et soumise à l'égard des parents, [ ... ] se compense en rêve par
des anima.ux angoissants, corresiJOndant aux parents." (ltj) IJevant lui,
elle recule d' aoord, lui jetant des mottes de terre, et au IOC>ment de
l'affrontement crucial, acculée contre une Claire-voie, ilL ... J el le
eut le temps de se couler entre deux oarreallXL ... J"(!9). On voit
bien ici, au niveau SymbOlique, la résistance de Félicité , a
16. id., p. ~96.
17. id., p. 596.
18. carl Gustav Jung, Métamorphoses de l'âme et ses symboles, !J. )09
19. Trois Contes, p. 597.
- 50 -
s'engager dans son individuat~on, et d'autant plus qu'elle-même refuse
de reconnaître la valeur de son acte. Le refus, accompagné par l'oubli
est une des conditions qui font que Félicité demeure cantonnée dans
l'enfance. L'épisode suivant est encore une indication de son
"amnésie". Alors que toute la famille se dirige ve _.3 Trouville,
Liébard, qui fait des commentaires sur les gens du voisinage, mentionne
le nom de Mme Lehoussais, personne qui était, jusque là, la cause
irrlirecte de la plus yrande douleur dans la vie de Félicité. Son
absence d'intérêt donne alors l'impression qu'elle a déjà tout oublié:
"Ainsi, au milieu de Toucques, corrune on passait sous les fenêtres
entourées de capucines, il dit, avec un haussement d'épaules: "En
voilà une, Mme Lehoussais, qui au lieu de prendre un jeune honune •.. "
i"élicité n'entendit pas le reste."(20) Cette attitude revient chaque
fois qu'un événement pourrait avoir une signi fication profonde pour
elle. C'est le cas encore une fois quand Madame Aubain, préoccupée par
l'absence de nouvelles de sa fille Virginie, ne se soucie pas de
l'importance que pourrait avoir Victor pour Félicité: "c'était
vraiment extraordinaire l depuis quatre jours, pas de nouvelles l
Pour 4u'elle se consolât par son exemple, Félicité lui dit:
-Moi, Madame, voilà six mois que je n'en ai reçul .••
-De qui donc?
La servante répliqua doucement:
-Mais ... de mon neveul
-Ah votre neveu!
Et, haussant les épaules, Mme Aubain reprit sa promenade, ce qui
20. id., p. 598.
- 51 -
--
.....
voulait dire: "Je n'y pensais pasl ••• Au surplus, je m'en !loque l un
rousse, un gueux, belle affaire1 ..• tandis que 11103 fille •.• sollljez
doncl ••• "
Félicité, bien que nourrie dans la rudesse, fut indiynée contre Madame,
puis oublia. Il (21) A propos de cette scène, Alison r'airlie note ceci:
Si elle[FélicitéJ réfléchit peu sur elle-m~oe, et ne se rend pas compte de son héroïsme dans la scène du taureau, elle n'est aucunement la créature inconsciente que c~rtains couunentateurs ont cru voir; elle ressent une indignation loc.)mentanée devant l'injustice de Mme Aubain et, COlllllle d'autres personnages majeurs de Flaubert, elle connai t le IOOment critique où l'runertume de son existence tout entière l'inonde en un flot de souvenirs précis. (22)
Ce qui est important à retenir dans le cas de Félicité, c'est qU'dU
roment de franchir le seuil de la conscience, elle a une hésitation qui
la fait reculer et, à partir du roment où elle oublie systématiquement,
il est malaisé de penser qu'elle est consciente.
L'oubli, p::>ur Félicité, est une réaction qui se répète
invariablement. Toute conclusion qu'elle risque de tirer J?(Jurrdi t
déclencher une révolte, ce dont elle est bien incapable, puisyue cela
engendrerai t une rupture de l' harlOOnie . Cette harrronie est maintenue
grâce à une attitude d'imitation qui réapparaît constamment cl1ez elle.
Or, l'imitation est un trait propre dUX enfants qui, n'ayant iJas encore
trouvé leur identité personnelle, choisissent un no:ièle, rjénéra.lement
21. Trois Contes, p. 605-606.
22. Alison Fairlie, "La contradiction créatrice", in r;ssais sur Flaubert, (Nizet, 1979), p. 225 .
- 52 -
1
leurs parents, ou encore quelqu'un de leur entourdge, et agissent conune
le IOCldèle: "La conscience enfantine l1ui est vide, explique Jung, doit
naturelleroont croire que toutes les actions déterminantes viennent de
l'extérieur. Les enfants sont incapables de distinguer leurs propres
inst incts de l'influence de la volonté de leurs parents. Il ( 23) Puisque
1-'élicité, à proprement parler, n'a pas eu d'enfance, il n'est pas
étonnant yu'elle veuille fX)ur IOCldèle quelqu'un à qui elle FOurrait, ou
du IOC>ins aurait pu, ressembler. La présence de Virginie lui permet de
se créer une imë\ge d'elle-même, et par ce biais, de vivre son enfance
par procuration. Ce rapprochement est surtout évident à partir du
IOOment où Félicité se met à aller à l'~lise: "La religion, dit Jung,
représente une relation vivante avec les activivés psychiques qui ne
dépendent LXis de la conscience, mais yui se produisent au delà de lui,
dans l'obscurlté de l'arrière plan psychique." (24) c'est donc
l'erxiroit par excellence où pourrdit avoir lieu cette communion
d'esprit. En compagnie de Virginie, Félicité continue de vivre son
enfance: "L ... Jet ùès lors elle imita toutes les pratiques de Virginie,
Jeûnait collune elle, se confessait avec elle. A la fête-Dieu, elles
firent ensemble un reposoir. Il (25) Mais le fait d'imiter les pratiyues
de Vir';:Jinie ne suffisent pas à Félicité: peu à peu, elle devient
elle-même cet te enfant, et ils' o.E;Jère une sorte d' osrose entre elles.
Ceci est appar~nt au ItOment de la première conununion de Vir~inie, alors
yue F~licité habille l'enfant, et 'puis la regarde pendant la
2J. Jung, Métallorphose de l'âme et ses symboles, p. 30!::L
24. Jung, "Contribution à la psychologie ... ", p. 110.
25. 'rrais illntes, p. 601-602.
- 53 -
1
1
procession: "La première communion la tourmentait. "l2b) c'est bien
Félici té 4Ui est tourmentée par la col1Ullwüon, COllUIe si c' étdit d'elle
qu'il s'agissait: "Slle s'a<:Jita pour les souliers, pour le chctpelet,
pour le livre, pour les gants. Avec quel tremblement elle aida sa mère
à l' habi 11er! " ( 27) l'-'élici té semble éprouver le tr dC yui précède
une entrée en scène, alors que tout ce qu'elle a fdit Jusyue-là, c'est
d'accompagner Virginie à l'église où, en général, elle... s'endort:
"uuant aux dogmes, elle n' y comprerldit rien, ne tâcha même lklS de
comprendre. Le curé discourait, les enfants récitaient, elle finissdit
par s'endormir." (28) Au IOC>lUent de la conuuunion Lie VH'::Iinie, Félicité
est trans.f:JOrtée:
Quand ce tut le tour de Virginie, Félicité se pencha VOur la voir; et, avec l'imagination que donnent les vrales tendresses, il lUl sembla qu'elle était elle-même cette enfant; sa figure devenctit La sienne, sa robe l'habillait, son coeur lui bdttait dans la fOitrine; au IlOment d'ouvrir la bouche, en fermant les paupières, elle manyua S'év&louir.(29)
Et si Félici té ne peut pas goûter "les mêmes déllces" lorsyu' el le va
elle-même communier, c'est bien parce qu'elle n'est pas un iali vidu en
propre et yu' elle ne vit que par pro Jectioll.
Après l'épisode de la communion de la petite fiue, survient un
autre événement où la conscience semble IlOmentanément s' éveiiier che~
26. id. , p. 60~.
27. id. , p. 602.
2H. id. , p. 601.
29. id. , p. b02.
- 54 -
a
1
Félicité: la préparation du départ de Virginie. On peut noter en
passant que l'on retrouve ici une si tuation récurrente dans la vie de
Félicité, et qui, bien entendu, est un procooé typiquement flaubertien:
l'accumulation et la déperdition systématiques. Si tôt que Félicité
s'attache à un être, elle le perd. c'est ainsl qu'au moment où
Viryinie part au couvent, elle se sent meurtrie: "Félicité soupirait,
trouvant Madame insensible. Puis elle songea que sa maîtresse,
peut-être, avait raison. Ces choses dépassaient sa compétence." (30)
ilicore une fois, Félicité est au bord de tirer une conclusion ma.is
finalement elle s'en défend et renonce.
Une des scènes les plus importantes, et certainement la plus
évidente, qui confirme le refus de Félicité devant la conscience, est
celle du voyage qu'elle fait pour porter son perroquet à Honfleur. Ce
trajet est tout à fait semblable à un parcours initiatique. Félicité
part de chez elle pour accomplir une tâche. Tout au long du parcours,
elle surIlontera une série d'obstacles, elle accomplira une descente aux
enfers dU terme de laquelle elle sera rudement fouettée, puis elle
remontera cette pente pour se trouver au sommet d'Ecquemauville où elle
envisage enfin son sort:
30. id. ,
3i. id. ,
Arrivée au sonunet d' Ecquemauville, elle a.::~rçut les lwnières d'Honfleur qui scintillaient dans la nuit <""'Ollune une quantité d'étoiles; la mer, plus loin, s'étalait confusément. Alors une faiblesse l'arrêta: et la misère de son enfance, la déception du premier amour, le départ de son neveu, la mort de Virginie, comme les flots d'une marée, revinrent à la fois, et, lui rontanl à la gorge 1 l'étouffaient. (31)
p. 602.
p. b16.
- 55 -
On voit clairement ici que Félicité, après avoir franchi Wle . .
serie
d'obstacles, s'apprête à sortir d~ la nuit de l'inconsdeut iJOur
accéder à la conscience. Mélis derrière ces lumières qui scinti lient et
qui symbolisent la conscience, s'étend la mer, cette yrande force de la
nature et symoole de l'inconscient. Entre les deux, Félicité semble
hésiter, mais les souvenirs et la crainte d' aftronter le Ilonde
l'emportent: elle continuera de vivre ùans son retuye inconscient,
chez Mme Aubain.
Il reste un élément dont il a été question plus tôt et qui est un
,point focal du cont.e: le perroquet. La rap.!:-Ol t très par t iculier entre
Félici té et son oiseau lui n'a rien d'étonnant lorsqu'on mesure à quel
point Félicité a un besoin d'dIIOur qui lui est touJoun> nié. Grâce d.
LDulou, elle connaîtra enfin et pour la première fois Wle relatLOn
anoureuse où un autre dépend d'elle. iDrsyu'il est em .. "Ore ViVé1nt,
l'oiseau est l'objet des attentions les plus minutieuses de la part d~
Félici té, puisqu'elle lui confère tous les attriouts de ceux qu'elle a
aimés et qu'elle a perdus: "LDulou, dans son isolement, étdit preSl!ue
un fils, un anoureux. Il (32) Il devient aussi IY1me Auball1 pui&}ue
Félicité, désormais presque sourde, n'entend que LDuLou yui imite ld
voix de sa maîtresse: ilL ••• Jet, aux cüu1?s de la sonnette, LllJ imitait
Mme Aubain: "r'élicitél la porte! la lx>rtel".(3J) ue plus, le
perroquet et elle s'apparentent par le fait que tous deux répètent
ce qu'ils entendent sans comprendre ce qu'ils disenl. C'est
effectivement ainsi que Félicité apprend le catéchisœ: liCe fut de
l 32. jd., p. 615.
33. id., p. 615.
- 56 -
f
cette manière, , a force de l'entendre, qu'elle ap~rit le
catéchisme,L •.. J"(34).
Une fois le perroyuet IlOrt et empaillé, sa relation avec lui
devient ceUe d'une peti te fille avec sa fX>upée. On note un certain
chanyement d' atti tude chez Félicité lorsqu'il s'agit du perroquet:
quand on tarde à le lui renvoyer du Havre, elle, qui Jusque là s'était
touJours yardée de faire des réflexions désobliyeantes, ~nse: "Ils me
l'auront volél"(35) Ce "ils" accuse le IlOnde entier. (AJoutons que
!o'élici té tient Fabu pour responsable de la mort de Loulou.) Et,
lorsqu'enfin il revient à la maison, elle l'enterme Jalousement dans sa
chambre. Ce sera le plus grand sacrifice de sa vie que de s'en
défaire.
Tout coIrune le l.Jerroquet, Félicité ne cherche pas à connaître la
siynification des choses, ni n'en est capable. L'épisode de l'atlas le
IlOntre bien: "et, Bourais l'invitant à dire ce qui l'elIlbarraSsalt,
elle le pria de lui llOutrer ld maison où demeurait Victor". (36) C'est
cette même incapacité d'abstraction, ainsi que l'a noté Alison Fair lie,
qui fait que Félicité finit par confondre le Saint-Esprit et le
perroquet: Il Elle-même, "incapable d'abstraction", Félicité en vient
donc à voir partout les manifestations du Saint-Es~rit, et à accepter
"l'ordre des choses", quelle que soit leur laideur. Il (37) Cette
34. id., p. 601.
35. id., p. 616.
36 . id., p. 606.
37. Alison Fairlie,"Facettes de la pensée de Flaubert vues à travers les manuscripts d'Un Coeur simple", (Flaubert E il pensiero del suo Secolo, ATl'l del Convegno Internazionale, Messina 19t34) p. 34.
- 57 -
· ....
-
incapacité d'abstraction est la raison p:>ur laquelle l'association
entre Loulou et le Saint-Esprit se développe et s'amplifie, jusqu1à ce
que s'opère le rapfX)rt osnotique auquel croit assister \.<'élicité au
noment de sa nort.
La. scène qui précède la nort de .J:o'élicité est une préparation à
l'envol céleste. la procession qui rerronte ld rue, les chantres, le
• cure: tout le cortège semble arriver exprès pour Féllcité dont les
râles augmentent à mesure que le bruit se rapproche. Le défilé
religieux est ici un messager di vin venu enlever- une sainte des temps
nodernes. Par souci de réel, Flaubert se défend de suggérer qu'il
s'agi t d'une véritable ascension, mëtis l'on devine, grâce à la derllière
vision de Félicité, qu'elle est propulsée au rany des saints.
Au contraire de la plupart des honunes qui cOllunettent la \.<'aute
(rupture des liens familiaux) qui les lance sur le chemin de
l'individuation, Félicité passe toute sa vie dans l'irmocence la plus
complète et se garde bien de prendre quelqu' ini tiati ve. L'enfant, qui
surgit de l'inconscient, est un être partait et qui, une fois confronté
à la conscience, devient fragmentaire et doit tout réapvrendre.
Félicité, elle, refuse de quitter son état premier et donc demeure
l'être qu'elle était à l'origine.
- 58 -
( CHAPITRE TROIS
L'origine, c'est le début, mais c'est aussi la fin. C'est le départ,
mais c'est éyalement l'arrivée. Quitter l'origine, c'est errer un
temps dans un IlDnde de perplexi tés et d'obstacles. Nombreux sont ceux
<.lui s' y perdent. Jung di t de ceux-ci qu'ils sont "dé-racinés" ,
aliénés. Ayant perdu contact avec la dimension psychique la plus
Vrofonde de leur ,Personnalité, ayant .f:X)ur ainsi dire refusé de
reconnaître ce qui n'est pas irnmédiatenent palpable, ils s'en remettent
totdlement à des valeurs plus sûres, du noins en ap.t?êlrence. Cependant,
"toute vie psychiliue se colfi1X)se nécessairement d'un conscient et d'un
inconscient se compensant l' un l'autre. Cet ensemble constitue la
totalité psyChique dont nul élément ne peut disparaître sans dommage
iJOur l' indi v idu • " ( l ) Iles t ddIlgereux 'pour l'" Ame" de pencher de façon
trop marquée vers un pôle ou l'autre, puisque cela entraîne la perte de
l'individu. Une fois que la rupture avec l'inconscient a eu lieu et
que l'individu est lancé sur la voie de la conscience, il ne lui est
plus .f:XJssible de revenir en arrière et de se fixer sur le pôle
inoollscient, ce qui équivaudrait alors à un retour vp.rs l'enfance, mais
non à l' harnunie initiale. Jung explique bien qu'" il faut considérer
la régression conuoo un phénomène inconscient de compensation dont le
contenu, pour atteindre sa pleine efficacité, devrait être rendu
1. Jung, MétélIOC)rphoses de l'âme et ses symtX?les, p. 13.
1 conscient. Il (2) Ceci implique un équilibre entre les ùeux !-Ôles, ,
ou
l'individu puise tour à tour dans le c:onscient puis dans l'inconsdent
pour évoluer. Lonc, une fois le processus enclencné, il faut le mener
à terme. Sinon, on }?eut dire de l' indi viùu yui met en suspens son
individuation pour cause de fixation dam; l'inconsciellt yu' il soullre
d'une sclérose du M::>i. Dans le cas contrdire, c'est-à-dire celui de
l'individu qui entame le processus ct' individuation mais négliye
l'inconscient et ne s'identifie yu'à la (''ül1science ( valeurs
matérielles, concrètes), il court un danyer ù' aliéncttion, voire ùe
névrose. Selon Juny, dans un tel cas "la conscience se voit isolée
dans un rronde de facteurs psychiques et seul un souci extrên~ment
consciencieux peut empêcher que l'on assinule ces derniers et \.lue L'on
s'identifie à eux."(3)
blous trouverons surtout dans "Hérodias", l'exemple de ce yellre
d'individu qui, après avoir rompu les liens qui l'attdchent , a
l'inconscience, estime démesurénent les valeurs temporelles, le L'Ôté
rationnel de l'existence. Ce sont les versonndljes affd.més de !Jouvoir,
et dont le but pnncipal dans la Vle est ct' exen.:er leur dutO( l té et de
s'emparer à tout prix de ce qu'ils désirent. Hérollds, la
manipulatrice qui obtient par tous les rroyens ce '-{u' elle veut, est.
celle yui incarne le mieux cette avidité. tie Joignent à elle le J:Jeuple
et les Juifs et leurs réclarcations. 11 Y aussi, derr 1ère ces
personnayes de premier plan, d'autres qui se faufilent en coulisf:;e et
2. id., ,P. 661.
1 3. id., p. 1.34.
- 6U --
1 dont les apparitions sont svoradiyues, mais toujours significatives.
Il s'agit notallUllent de Phanuel et, bien entendu, de laokanann. Ils
sont la représentation d'un inconscient que l'on tente en vain
d'étouffer, mais qui refait surface périodiquement. L'inconscient
prend toute son importdIlce lorsque Iaokanann débite son llonologue,
tantôt menaçant, tdntôt rassurant. Finalement, il est un personnage
yui se situe entre les deux pôles et qui en est constamment déchiré,
lJëlrce qu'il n'exécute pas lui-même les aller-retours d'un pôle à
l'autre: ils lui sont infligés et il craint d'entreprendre lui-même
son propre t..'Ombat. 11 s'agit d'Hérooe. Tout au lony du conte, Hérode
se trouvera entre deux cdlnps opposés, entre deux forces qui
s' af frontent en lui sans qu' il ai t Jamais le contrôle des événements.
lm tant que rrétrarque, toutes les décisions devraient être les siennes
mais il ~réfère touJours laisser les chOses se faire d'elles-mêmes, ou
encore que quelqu'un d'autre prenne la décision. On ne peut pas dire
d' HérüÙe qu'il a une personnalité bien définie, puisqu'il refuse
constanunent de faire des choix. Il se situe tantôt dans une sorte
d'enfance arrêtée, yui incidenunent n'est pas loin de ressembler à celle
de Félici té dans Il Un Coeur simple", n'étant qu'un pion que d'autres
rnani pulent à leur ':luise; et tantôt dans le ronde adulte où d'autres
dépendent de lui. Cepe..'1dant, il est ici incèpat>le d' assllIner les
res}?Onsabili tés de ses devoirs; le plus souvent, Hérode cherche en
eftet un refu~e du t..ûté de l'inconscient. C'est d'ailleurs pour cela
qu'on le retrouve surtout en compagnie des éléments qui relJrésentent
l' inconscient, puis~u' il n'est jamais à son aise avec ceux du ronde
conscient, et que chaque fois des rralentendus éclatent.
- 61 -
....,
Dans ce conte, tous les personndl:jes incarnent un des !-Ôles, et
d'une façon ou d'une autre font Jouer leur influence sur HéroJe. ~
conte s'ouvre avec Hércrle, et déjà l'on sent Le tiraillemellt dOllt il
est la victime. !.Je son valais qui surplombe La mer, UérOlle œl.jc1n.Je le
.f:Jéiysa':le. On voit dans la description du cndteau Ulle sur-dccull\uLcltioll
d'éléments et d' archi tectures qui, dirait-on, cherchent à s' extrdire ùe
la nature en la dominant. {4)
Des maisons se tassaient contre Sd base, dans le cercle d'un mur qui ondulait SUiVilllt les inégalités du terraini et, pax W1 cnemin en ziyzal:j tailladant le rocher, la ville se reliait à la forteresse, dont les murailles étalent hautes de cent vinl.jt coudées, avec des anl:jles
d ' , nombreux, es creneaux sur le bord, et, ça et la, des tours qui faisaient COllUue des fleurons à cette cour onne de IJierres, suspendue au-dessus de l'abîme. { 5 )
Cependant, HéroJe est attiré par la I1.dture. l!:n td11t que Tétrarque, il
est le maître du châtedu et de ses possessions, mais il court Le risque
de tout perdre et cherche une réfOnse à ses problèmes. L L est très
préoccupé et son eSl-Irit de décislon vacille alors que de nouveùux
éléments suryissent dans sa vie. la l.'Ontuslon ct' Hérwe est clairement
apparente lorsqu'il sort sur sa terrasse: "Un mat in, avant Le Jour, Le
4. P.M. de Hiasi rappelle dans son édition des 'l'rois Contes (Garnier-Flanunarion) que 11achaerous était non seulement une construction militaire, mais aussi un cheE-ct' oeuvre arctütecLur,!l qui allait contre nature: "citernes iné.l?U1Sables a.u /lIIlieu du site le plus terrible, élevées COllUue WI défi dU déserL ardue L ••• J". P. 14~
5. Trois Contes, p. 649 .
- 62 -
Tétrarque Hérode-Antipas vint s'y accouder et regarda. Les rontagnes,
inunédiatement sous lui, conunençaient à découvrir leurs crêtes, pendant
4ue leur l~sse, JUSqU'dU fond des abîmes, était encore dans l'ombre.
Un brouillard flottait, il se déchira, et les contours de la mer l'brte
apparurent." (6) Les éléments de la nature, en particulier la mer,
sont éviderrunent indicatifs de l'inconscient, et selIÙJlent appeler
Hérode. Jung explique bien que l'être doit Il rattacher la vie du };)ëlssé
encore existante en nous à. la vie dans le présent qui menacerait de lui
échapper. Si cela ne se faisait pas, il en résulterait un état de
conscience déraciné, ne disp::>sant plus du sens è' orientation lié au
passé, prêt à succomber sans défense à toutes les suggestionsL •.. ] " ( 7)
De là la faiblesse de cet homme qui, malgré lui, dépend entièrement des
autres.
Nous pourrons constater tout au long du conte que l'attitude
d'Hérode est celle d'un être qui ne sait pas se prendre en charge et
4ui s'en remet constanunent aux autres. Alors que le brouillard se
dissippe, une image apparaît qui explique le dilenune intérieur du
Tétrarque: "et des feux s'éteignant brillaient conune des étincelles au
ras du sol."(ti) c'est ici la lumière de la conscience qui s'éteint
sous ses yeux . La conscience véritable sera toujours pour lui
impossible à atteindre tant qu'il ne se prendra pas vraiment en main.
Elle ne peut donc que scintiller dans le lointain pour l'inciter à se
6 • id.,'p. 649.
7. Jung, "Contribution à la psychologie •.• ", p. 113.
8. Trois Contes, p. 65ü.
- 63 -
1,'\>
déplacer vers elle. Dans ce cas-ci, il s'a'::} i t du camp arabe qui doiL
amener Hérode à prendn~ une décision, mais ce dernier attend les
troupes romaines pour régler son problème à sa place. 'l'Out de sui te
après, un autre élément, inconscient celui-ci, plus })uissant et plus
manifeste, apparaît sous la forme d'une voix qui l'eftraie: "'l'out à
coup, une voix lointaine, co~ne éChappée des profondeurs de la terre,
fit pâlir le Tétrarque." (9) C'est ici une ll\ùt1i festdtion qui nous
permet de saisir la préoccupation d' Hérode face il l'inconscient.
D'atx:>rd, cela semble exagéré: "OÙ est-il? demanda le rrétrdrque."(lO)
Il s'agit bien sûr de Iaokanann. Dès lors et pour 18 reste du conte,
on sent cette présence qui plane sur lout et autour de laque 1 le
gravi tent tous les personnages. Hérode veut cacher Idokalldnn qui 1 en
effet, est l'élément même qui incarne son inconscient. Ll en esl à ce
point effrayé qu'il veut en dissimuler toute trace: "Garde-lei
garde-lel Et ne laisse entrer personnel Ferme bien la portel Couvre
la fosse 1 On ne doit pas même soupçonner qu' ~ l vi t . " ( 11 ) Nous voyons
clairement ici la crainte qu' Hércxle a de vra~ment reconnaître quoi que
ce soit de lui-même. Toute acceptation seralt un pa.s vers son indlvi-
duation, un chemin qu'il se refuse à emprunter. L l préfère sta(jner
dans son état présent 1 et que la vie passe sans prendre ':Jarde à lui.
Ceci est d'autant plus évident au IWInent où Phanuel l'approche pour lui
parler de Iaokanann. Ce discours à dOUble sens est particulièrement
9. id. , p. 650.
10. id. , p. 650.
ll. id. 1 p. 651.
- 64 -
intéressant: "Le Très-Haut envoie par l'IOments un de ses fils.
Iaokanann en est un. si tu l'opprimes, tu seras châtié."(l2) c'est
assez dire que, si Hérode refuse de reconnaître son pôle inconscient,
il sera perdu. Phanuel apparaît ici conune le conseiller d'Hérode, son
guide spirituel. Mais le Tétrarque trouve toujours des excuses:
"e' est lui qui me persécute L s'écria Antipas. 11 a voulu de l'IOi une
action impossible. Depuis ce temps-là il me déchire. [ .•. ) Puisqu'il
m'attaque, Je loe défeoosl"(13) Cependant, Phanuel connaît l'importdIlce
du VÔle inconscient et qu'il faut lui permettre de prendre part à la
vie, sinon il y a danyer de perte de l'âme: "Ses colères ont trop de
violence, répliqua Phanuel . N'importel Il faut le déu vcer . "( 14)
Jung dit bien qU'llil inconscient trop lonytemps refoulé risque de faire
un Jour irruption: "Plus l'attitude de la conscience par rapport à
l'inconscient est faite de refus, plus ce dernier devient
dangereux." (15) Ce que Hérode doit faire, c'est d'intégrer son
inconscient et réaliser en lui la synthèse des deux pôles. En un mot,
poursui vre son processus d' individuation. (16) t.-ais il craint trop de
s'engager dcillS ce combat: "Sa puissance est fortel ... Malgré roi je
l'aime!
-Alors qu'il soit libre?
12. id. , p. 656.
13. id., p. b56.
14. id. , p. 65b.
15. Jung, Métanorphoses de l'âme et ses symboles, p. 491-
lb. id., p. 500.
- 65 -
. .,
.. .......
I.e Tétrarque hocha la tête.
l'inconnu. II (17)
Il craiynai t Hérodias, Malmaei, et
Hérode, de tout.e évidence, a peur de tout. L'inconnu, c'esL
encore évidenunent l'inconscient. Et de l'autre l.ûté se trouvent le
pôle conscient, l' action, les décisions et les resp:.>nsdbi li tés qui sout
incarnées par Hérodias. Quant à Mannaei, tout l."OlIune ~1.ol\\é plu!:3 tdrù,
il ni est qu 1 un des instrument!:3 qui sert Hérodias dans ses fins. t:l1e
est assoiffée de puissance. t:lle a quitté le frère ct' Uérode ljui
n'avait pas de "prétentions au pJuvoir"ll8), et dit elle-même pLus
tard, après avoir comploté contre Al:)ripp3.: "Rien ne me coûtditt Pour
toi n'ai-je pas fait plus? •. J'ai abandormé ma fiLLel"(l9) liéro..ii..ls
refuse catégoriquement les influences de l'inconscient et tente tout
pour les réprimer de façon définitive, contrairement à Hérooe qui n'ose
rien tenter. Nous en avons la première indIcation dvec 1.' dHJêl.ritiofl de
Phanuel: "Mais au fond de la terrasse, à yauche, un Essénien pdruL, en
robe blanche, nu-pieds, l'air stoïque.
précipitait en lev~lt son coutelas.
Hérodias lui cria:
-Tue-le!
-Arrête 1 dit le Tétrarque ll• (20)
Mannaeï, du côté droi t, se
Hérodias, on le voit, ne veut d'aucune façon laisser particil~r Le pôle
17. Trois Contes, p. 657.
18. id. , p. 650.
19. id. , p. 653.
20. id. , p . 653.
- 66 -
inconscient ni à sa vi8, ni à celle d'Hérode. Ayant franchi le seuil
de la conscience, elle r8fuse de créer un équilibre entre les deux
pôles et devient donc, elle aussi, totalement aliénée. Toute
nanifestation de l'inconscient, à travers laokanann ou même Phanuel,
constitue une attaque trop forte qu'elle ne peut pas supporter. Son
seul recours est de tenter d'éliminer l'élément pertubateur ,
puisqu'elle ne peut pas tout simplement l'ignorer. Mais l'inconscient
8st touJours là. "En réalité, dit Jung, on ne se débarasse jama.is
d'une façon légitime des fondement archétypiques, à ooins d'être
disposé à les tr04uer contre une névrose." (21) Étant ct' une nature plus
forte que celle d' Hérode, elle se sent capable de résister aux forces
de l'inconscient, même si elle ne sait pas au Juste de quoi il s'agit:
"Contre des lég~ons elle aurait eu de la bravoure. Mais cette force
iJlus iJernicieuse que les glaives, et qu'on ne pouva~t saisir, était
stupéfidl1te; et elle parcourait la terrasse, blêmie pas sa colère,
manquant de nots pour exprimer ce qui l'étouffait." {22) Hércxiias est
la première à reconnaître les forces de l'inconscient, et c'est bien
pour cela qu'elle veut la mort de Phanuel et de Iaokanann. Puisque les
désirs ct' Hércxilas sont strictement matériels et que les valeurs de
l'inconscient ne sont pas compatibles avec ces désirs, son seul recours
est de o::>nvaincre Hérode, qui hésite, à se débarasser de Iaol<:anann:
"Quant à celui qui remuait le peuple avec des espérances conservées
depuis Néhémias, la meilleure politique était de le supprimer.
21. Jun9, "Contribution à la psycholoyie ... ", p. 113.
22. 'rrois Contes, p. 6~4.
- 67 -
'f
Rien ne pressait, selon le Tétrarque. Iaokanann dangereux'l Allons
donc 1 Il affectait d'en rire."(23)
l'1ais la résistance d' Hérodias n'est pas à toute épreuve. wrsque
les Romains font ouvrir la trappe du cdchot de laokéUlaJ.U1, elle s' y sent
irrémédiablement attirée: "Hérodias l' entendl t à l'autre bout du
p:ilais. Vaincue par une fascination, eUe trdversa la tuule."(24)
Trop lonytemps étouffé, l'inconscient soupire iJrofondéll~nt et s 'ensul t
une kyrielle de reproches.
L'emplacement du cachot de laokanarul ddns la forteresse est
extrêmement siynificatif. Il est dans un trou, un soubassement, de la
même façon que l'inconscient occupe une couche inférieure Je la psyché,
qui se dissimule sous la surfdce visible de l'être. Dans SOI1 dntre,
Iaokanann est conune une bête sauva<:Je, image qui d' dilleurs s· dpp:trente
parfaitement à l'inconsclent:
[ ••• J on vit alors un trou, une fosse énorme que contournai t un escdlier sans rampe; et ceux qui se penchèrent sur le bord aperçurent au fond que lque chose de va<:Jue et d'effrayant. Un être hwrain était couché par terre sous de lon<:Js cheveux se confondant avec les p::>i ls de bête qui garnissaient son dos. Il se leva. Son frollt tOUChalt à une grille horizontalement scellée; et, de temps cl autre, il disparaissait dans les profondeurs de son antre. (:l~)
Ces déplacements, ces aller-retours font inunédiaterent penser rlU fauve
23. id. , p. 654.
24. id. , p. 663.
25. id., p. 063.
- 68 -
en cdge qui se promne sans cesse de lony en lar':le. !Je plus 1 les
descriptions de laokanann sont Chargées d'images de la nature sauvage:
"11 avait une f-€au de charreau autour des reins, et sa tête ressemblait
à celle d' W1 lion. " (26) Et encore, sa voix n'est pas une voix
ordinaIre, mais celle d'un lion, profonde et caverneuse. Iaokanann ne
petrIe pas, il rugit. Son rapport à la nature est entier. Il n'a rien à
craindre <l'elle, et on ne peut pas l'utiliser contre lui: "tÀ1 avait
mis Lies serpents dans sa j?rison: ils étaient norts." (27 ) Il est
lui -même la nature que les horrunes ignorent mai s qui, sans équi vaque,
faIt sentir Sd présence (..'Omme la folrlre: "la voix grossissait, se
ùévelo~lt, roulait avec des déchirements de tonnerre, et, l'écho ùans
la IlOntayne la répétant, elle foudroyai t Machaerous d'éclats
lIlultiples·"t2d)
Au début, c'est le rappel à l'ordre, la promesse d'une calamité
inéVl table fOur ceux qui continuent de refuser l'inconscient et
s'obstinent à ne croire qu'en ce qui est concret: "Malneur à vous,
Pharisi.~ns et sadducéens, race de vipères, outres gonflées, cymbales
retenti ssantes! " (29) Ce qui les attend, c'est l'errdnce, le
déraCInement perpétuel. Conune nous l'avons vu plus tôt, il s'agit ici
d'êtres qui ont depuis trop longtemps oublié leur origine et sont
mëüntenant "dé-racinés": "Le peuple revoyait les jOurs de son exil,
2b. id. , p. 6~4.
27. id. , p. b54.
2tL id. , p. bb5-6bb.
2'.:). id. 1 p. bb3. r .
- 69 -
-,
toutes les catastrophes de son histoire. C'étaient les paroles des
anciens prophètes. Iaokanann les envoyait, conuue de Ijrdl-xis coups,
l'une après l'autre." ( 30) Après les menaces vieIUlf.:!nt les promesses,
p:::>ur ceux qui accepteront de se "repentir", et qui Wle fois encore
oseront reconnaître leur J:i>le inconscient. f.vldeuuuent, dans ce cds-ci,
l'équilibre serait recréé et chacun, puisant tour d tour dans les deux
pôles, serait en voie de retrouver en soi l' narnonie i111tiale. Alors
le discours de Iaokanann s'atténue: "Mais la voix se fit douce,
harnonieuse, chantante. Il annonçait un dftrandüssement, des
splendeurs au ciel, le nouveau-né un bras dans la caverne du dra<jon,
l'or à la place de l'argile, le désert s'épanouisE.-mt cOl1une une
rose."(31)
En tant que prophète, Iaokanann est l'émissaire di vin et donc
incarne l'inconscient. Il faut se rappeler que l'incunscient, selon
J\.ll1g, n'est pas uniquement une caractéristiyue indi vidue lle .
L'inconscient individuel naît d'un inconscient qui est plus vaste et
comprend tous les inconscients personnels, et s' dppel! e dès lors
l'inconscient collectif. Yves Le Lay expl ique bien yuelles en sont les
composantes:
Chacun de nous possède un in<..'Onscient imh viduel . Mais là ne s'arrête pas la richesse de notre psyché. Au-dessous de cet inconscient indi viduelL ... J se trouvent des couches plus profondes et plus di tticilement accessibles: ce sont les couches de l'inconscient archaîyue.
30. id., p. 6b4.
31. id., p. 664.
- 70 -
1 La psyché dépasse alors le psychisme individuel. car cet inconscient a ceci de particulier qu'il n'est pas la prupriété du seul individu: il ne se présente pas avec les traits spéciaux qui caractérisent une personnalité définie. Ses traits sont ceux de l'esJ;èce et se retrouvent, sinon identiques, du noins étonnamment anal()(jues, chez tous les r~présentants de la rdce hwnaine. (32)
Il a Joute pl us 101n yue l'on appelle cet inconscient "collecti t" pour
"bien maryuer 4U' il n'est pas la propriété d'un individu, mais celle
d'une cUllectivité, en ce sens qu'il conserve, chez chdque représentant
de l'espèce, les cdractères généraux et impersonnels de cette même
espèce" . (33) L'bus voyons bien, d'après le dISCOurs de Iaokanann, le
cuntenu universel de son message. Il s'agit d'un rappel à l'ordre qui
cuncerne tout le monde. Si on l'a enfermé, c'est préciseloont parce que
l'on ne veut pas entendre ce qu'il a à dire. Lors,!ue la trappe ,!ui
l'étoufie est hnalernent ouverte, nous assistons à ce que Jung nomme
une "Hruption de l'inconscient". Normalement, ceci crée un danger
pour une conscience yui n' est pas prête à accepter le contenu qui fai t
irrùption.(34) Jung dit bien: "quand se produit une sorte d'irruption
de l'inconscient, il s'agit souvent d'une si tuatlon dans laquelle
l'Inconscient devance le conscient. Ce dernier est de quelque manière
resté en panne et c' est alors l'inconscient qui prend en charye la
marche en avant et la métanorphose dans le temps, mettant fin au temps
32. Yves Le Lay, introduction à Métanorphoses de l'âme et ses symboles de Carl GUstclV Jung, p. 13.
33. Yves Le lay, id., p. 13-14.
34. Jung, Métamorphoses de l'âme et ses symboles, p. 6Sl.
- 71 -
• >
d 1 a~rêt • Il (35) On voit dans Il Hérodias Il qu 1 il Y a lUle cer tdine
stagnation psychique chez la plupart des personnages. L' importdnce que
dorme Hércxiias aux événements qui se passent à Home, préo.:cu~ qu 1 e l h~
est de ses buts persormels, les sacrifices qui elle a faits ou CllC()(e
qu'elle serait prête à faire, maryuent toute son amt.>ltlon et dénotent
son dédain des éléments psychiques. Au profit de valeurs lIldtérielles,
elle est disposée à tout faire, sa plus grdnde crainte étdnt de perdre
Hérode et donc le ~uvoir: Il Elle songeai t aussi que le 'l'étr d ryue,
cédant à l' opinion, s'aviserait peut-êtr8 de la répudier. Alon::i touL
serai t fJ8rdul IJepU1S son enfance, elle nourrissait le rêve d' Wl ':lrand
empire. Il (3b) Ainsi que lia noté UnWl.fl, "si Anti1:JiiS se trouve dU centre
du récit que décrit flaubert, et que laokilllarul se trouve à l'une des
extrélIUtés, Hérodias elle, re!Jrésente l'autre extrême: ldokdlldnn et
Hérodias symbolisent donc les intluences c...'OntrddlctoirC:!s elltre
lesquelles Antipas se sent tiraillé."(37) C'est l'autre versdnt, le
c...'Ôté obscur et repoussé pa.r la conscience dé-raclnée 4ue IdokancUlll
tente d' eXp;Jser . Son discours Si adresse en yénérd l à tous ceux qui
sont présents, et en particuller cl. Hérool.as 4ui l[lcarlle ld conscience
sclérosée. Bien yu' elle déteste laokanann, elle ne peut s'empêcher de
l' écouter. MannaeÏ, couune Hérodias, refuse obstinément l'inconSClent
et veut se défaire de Iaokanillffil. u' ailleurs, l'entêtement de f4.1I1naeï
est tel qu'au lloment de l'exécution du prophète, il choisl t d' lljOOrer
35. id., p. 6Sl.
36. Trois Contes, p. 654-655
37. 'r.A. Unwin, p. 16 •
- 7'2 -
1
1
un signe mystique et accompli t sa tâche fOur plaire à son public: " n
avait apen;u devant la fosse le Grand Ange des sanaritains, tout
couvert d'yeux et brandissant un immense ylaive, rouge et dentelé comme
une tlanune". ( Jtj ) C'eBt HéroJias qui, turieuse, incitera d'aoord
Mannaei à retourner au cdchot. fi La fureur d' Hérodias dégoryea en un
torrent d'injures fOplllacières et sanylantes." l39) Hérooe lui, est une
fois de 'plus empxté lE-r son courant. N'osant pas réagir, d' aoord à
cause de la prophétie qui lui a été faite, prédisant qu'un honune
1l1lf:-OrtdClt HDurrdit ce soir-là, de peur de contrarier HénxUas, et pour
tenir Sd promesse à Salomé, il se voi t décréter contre son yré
l • exécution de laokanann.
Les facteurs qui poussent Hérode à faire assassiner laokanann sont
multiples et dépendent tous des forces du pôle conscient qui, en fin de
compte, sont celles qui l'oppriment vraiment. O'abord, tous les
protayonistes sont réunis lors du testin. Les Pharisiens, les
Sadducéens et le reste du veuple expriment leur opinion et re,p)ussent
toute Clot ion d'une fnrce inconsciente présente pa.rmi eux: "On Y
cdusalt de ldokanann et des gens de son esvèce; Slmon de Gittoï lavait
les péCllés avec du teu. Un certain Jésus .•.
-Le pire de tousi s'écrid faéazar. Quel infâme bateleur 1 "(4ù)
!Je plus, Hérode est flanqué d'un côté par Lucius Vitellius, et de
l'autre p:lr Aulus. Ces deux personnayes, dont nous n'avons pas eu le
3~. 'rrois Contes, p. 677.
39. id. , p. 077.
4ù. id. , 11' 670.
- 73 -
loisir de parler jusqu'ici, incarnent en fait un~ caste bi~l
diftérente. En ~rticulier Aulus, dans Sd ':)oinfrerie et son infilli~
préoccupation de lui-même. Il ne s' a9it plus ici ù' un €:~re en quête de
quoi que ce soit, puisqu'il a tout ce qu'il peut désirer- SeUlS même
avoir à le désirer. Il ne s'identifie qu'à lui-même. II esL lellemellt
imbu de sa personne que tout le reste le laisse totdleu'ellt inùiftérenL.
Jung appelle ce cas: la Persona. "La Persona, dit-il, est le système
d'adaptation ou la manière à travers lesquels on colillllUJuque <ivec le
ronde." t 41) La Persona, c'est le masyue, la façade que présente
l' indi vidu, celle qu l permet aux autres de se taire une ldée ùe 1.:1
personnalité, blen que faussée, puisque l'ind1vldu en question ne s<üt
pas lui-même qui il est. Aulus n'est intéressé ni par le conscient, n1
par l'inconscient, tout cela le lalsscillt l.'01l1plètement trold. Au IJlus,
cela l'ennui~. C'est aVparent a'aoord lors ùu dl::;COUn:, de laoKalldl11l
qu'il est le seul à ne pas avoir entendu. LDrsqu' 11 arr l ve sur les
lieux et trouve Hérode en train de se Justlfier, il balaie toutes ses
raisons d'un revers de la main: "Aulus, qui V!:!lkUt de dormir, r-eparut
à ce lIoment-là. Quand il fut instruit de l' aftaue, li aplJrUuvd le
Tétrarque. On ne devait point se 9êner pour de iXlreilles sottises; et
il riait beaucoup du blâme des prêtres, et (ie ld fureur de
laokanann."(42) Le seul intérêt que susci te IdOkatldlln est le fdl t
qu'il coûte de l'argent à l'effitJir~ romain. C'est d'aIlleurs Hérodids
qui avertit Vitellius: "Tu as tort Iron maître 1 li ordonne dU peuple
41. Jun9, Ma Vie, p. 4bU.
42. 'rroi s Contes, p. 66b.
- 74 -
de refuser ,. A [ J • l lmpJt •... \
Vitellius songea que le prisonnier pouvait
s'enfuir; et cOllune la conduite d'Antipa.s lui semblait douteuse, il
établit des sentinelles aux iJOrtes, le long des murs et dans la
cour." (43)
L'indifférence d'Aulus est flagrante encore lors du festin où il
ne pense qu'à se gaver alors que tous les convives sont engagés dans un
débat ou sont fascinés par l'érotisIOO que projette Salomé. Lui, par
contre, ne pense qu'à rna.nyer, et surtout à se faire vomir. Ses
vomissements sont le signe d'une indiférence et d'un dédain total pour
tout ce qui ne le concerne pas directement. De temps à autre, Flaubert
nous rappelle sa présence, alors qu'autour de lui la controverse règne:
"twlais Aulus était penché au oord du triclinium, le front en sueur, le
viSdge vert, les poings sur l' estoma.c." Même lors de la danse de
Salomé, alors que tous les horrunes "palpitaient de convoitises" {44) ,
Flaubert dit: "Aulus vomissait encore" .(45) Quant à Lucius, qui
aurai t voulu quitter le festin mais a été retenu par Aulus qui se
refusait à abandonner certains plats, il compare Salomé, quintessence
de la sensualité, à "Mnester, le pantomime". (46)
La danse de Salomé n'a pour but que de séduire Hérode et de lui
forcer la main. Salomé, conune nous l'avons vu plus tôt, n'est que
l' instrwœnt d'un plan machiavélique. Cela est d'autant plus évident
43. id. , p. 6b6.
44. id., p. 676.
4:'. id. , p. 675.
46. id. , p. 675. (
- 75 -
lorsqu'elle r-éclame la tête de Iaokanann et ne peut se souvenir de son
nom: "Je veux que tu me donnes, dans un plat, la tête ...
Elle avait oublié le nom, nais reprit en souriant:
-la tête de Iaokanann 1 " (47)
Pour Hérode, c'est le coup de grdce, le déclenchement de l'ultime
décision qu'il n'osait encore prendre. Quand la tête arrive, il ne
veut pas la regarder, trop honteux de sa lâcheté. Vitellius y Jette un
regard indifférent et Aulus, qui une fois de plus s'est endormi, se
trouve face à face avec Iaokanann: "Par l'ouverture de leurti clls, les
prunelles oortes et les prunelles éteintes semblaient se dire quelque
chose. " (48) Les yeux éteints d'Aulus signifient bien qu'il n' y a en
effet aucune vie psychique chez lui, et c'est pour cela que laokanann
n'a d'effet sur lui qu'une fois qu'il est mort. A ce IIDlllent-là
seulement il lui serait possible de reconnaître, grâce à Iaokanann, non
pas son inconscient, mais l'insignifiance de sa vie, quoique cela ne
risquerait pas de le perturber outre mesure. Uuand à Héraie, Laissé
seul avec la tête coupée, on le retrouve dans une position selllblaLJle à
celle du début du conte, accoudé et penseur, dlors qu'il se renù compte
du drame terrible de son erreur.
Après avoir été déchiré d' un côté c.:orrune de l'autre, Hérode a fini
par céder à Hérodias et du coup s'est débarassé à jauais de son
inconscient. Hérode n'a pas su "diminuer pour croître", contrairement
à Iaokanann qui ne craint pas de s'anéantir pour ensuite réapi~raître
47. id., p. 676.
48. id., p. 678.
- 76 -
ailleurs et prendre son envol éternel. Phanuel le comprend, et Hérode
dussi, mais il est désormais trop tard. Il a tué son inconscient et il
est ainsi voué au déracinement perpétuel, à 11 enfer si lion veut,
puisque 11 harrronie intérieure est pour lui à Jamais imfOssible à
atteindre.
1 - 77 -
1
1
Cette étude 'propose donc une lecture des rrrois Contes 1Xlrlui tanl
d'autres possibles. CoHune nous l'avons vu, les critiques qui Ollt
jusqu'à présent aoordé la problématiyue de l' lUÜ té de ces lextes se
sont surtout appuyés sur leur aSJ?ect ap1Xlrelrunent reli':)ieux, el Ollt vile
trouvé conune réponse à leurs interrogations la "sainteté". Cepellùallt,
les contes oftrent beaucoup plus que cela. Une toute récellte cll1<.llyse
de Jean Bellemin-Noël a justement tenté de mettre en lumière un lien ~\
travers les contes à ,t.artir de leur tonalité respectl ve . C'est là en
effet lU.e questlon très importante d'autant que F Lauber l lui -même y
avai t apporté une attention toute 1-1élrticulière, ainsi qu' 11 le fdlSiÜ L
pour chacun de ses ouvrages:
L'histoire, l'aventure d'un roman: ça m'est bien égal. J'ai la pensée, quand Je tais lUl roman, de tenure une coloration, une nuance. Par exemple ddns ITon romall cartnayinois, Je veux: faire quelque chose de rourple. Uans Madame Bovary, je n'ai que l'idée ..le rendre lUl ton, cette couleur ùe uoisissures de l'existence des clol?Ortes. (L)
Pour ce qui est des Trois Contes, on peut se delllilnder ,-!uels tons
Flaubert avait envisagés p::>ur eux. Dans son llvre, Jean l3elLemin-Noël
s'est précisement penché sur cette question et il en a tiré des
"couleurs" qui recoupent varfai tement notre étude.
Au cours de ce travail, nous avons mis en évidence à trdvers les
Trois Contes, les trois âges fondamentaux de l' homme: entdIlce,
1. Cité in Marie-Jeanne Durry, (Librairie Nizet), p. 46.
Inaubert et ses projets inooits,
adolescence et maturité. <...'hacun de ces stades est reflété dans les
contes. Bellemin-Noël a poussé plus loin son analyse en mettant en
parallèle les phases freudiennes d'où découlent, si l'on peut dire, la
couleur qu'il assigne à chaque conte. Pour "Un Coeur simple", il
propose le stdde de l' anali té, des sensations premières qui
appartiennent tout à fait à l'enfance. Pour ce conte, il vojt un ton
brun terreux. (,Juant à "Saint Julien", c'est Wl violet profond qui
ressort selon lui, mettant en évidence les obstacles que l'on affronte
durd!1t l'adolescence, la puberté, soit la gépitalité. Enfin, lors de
la maturité, lorsque finalement arrivffilt la réflexion et l'objectivité,
reste l'oralité qui, dans "Hérooias", prend la couleur d'un orangé
ardent. (2)
Une des <:jrandes réussi tes des Trois Contes vi.ent du fait que
r'laubert cl pu rendre le développement psychologique de ses personnayes
en sup1Jrimant presque toute explication à cet égvrd. Cette économie a
parfois donné l'impression que ces personnages n'avaient pas de vie
psycholO:Jique. Mal.S cela ne saurait être ainsi. Pour s'en rendre
l.'Ompte cevendant, il faut se pencher sur les textes pour en taire
Jaillir l'essence même. Les travaux de carl Jung sont ct' une valeur
inestimable lorsqu'il s'agit d'exposer les composantes de l'évolution
inul.viduelle. ~'n se basant sur une approche si vaste il e&t possible
ùe comprendre certaines attitudes qui dutrement sembleraient
inexplicaoles. Si, dans un premier tem.I:Js, cette approche nous aide à
2. Jean Bellemin-Noël, Le Quatrième conte de Gustave Flaubert, Presses Universitaires de France, 1990.
,'1
- 79 -
." mieux comprendre chacun des personnayes en soi, ddllS un deuXième teulps,
elle nous offre aussi la fOssibilité de mieux sdisir l'oeuvre J'Lille
manière ylobale.
'l'rois COntes, trois couleurs, trois stddes, troü; éldpes. Le Jeu
de la Trinité dans ces oontes a depuis lonytemps intrlyué les crltll-lues
l.iui ont cherché à expl1quer le lien profond entre ces textes. Eu SOl,
ChacW1 des contes, p:tr Sd propre strUL:ture lnterlle, est d'une solidité
inébranlable et ne r~uiert pas la prOX1Inl té des ùeux Llutres !:-Our être
llsiole. Mais La présence Justement des ùeux clutres CO!lteb éveil Le Les
sou1:Xs-'Ons. Cndque IlOt, cllal.iue phrase, cllâque oeuvre esl lIIéllculeuse-
ment a'::jencée. Un écr l vain qui met tai t un SOltl nlcUlldque L-uur dssurer Ld
cohérence interne de son écriture n'a certes l.kl.S iJuoL lé ces trOiS
textes au hasard. !JanS les 'l'rOiS Contes, cette cohérence S'U1SL:rlt
dans la continuité même du processus d'indivH.luation alors l}ue l'on en
découvre les différentes phases.
!Jans "Un Coeur simple" se retrouve tout ce qUi , d
l'enfance. On salt bien désorIlldis l}ue Flaubert lui-même dV,Üt dû
replonger dans son plssé fOur écrire la "non-histoire" ùe Félicité.
Des études -=Jénétll}ues ont retrdL:é l'inspirdtion Lies iJersolllld'j(!S du
conte, même s'il ct été dlffiL:lle de se mettre d'acL:ord sur uClla)(.l~le de
Félicité: s'agit-il de Julie, la fidèle servante des Flauberl, ou
d'une certdine Léonie, ou en.core ct' une syntnèse des deux (j) 1 Peu
importe: ce qu'il ta ut retenir, c'est l}ue l:'lauoert, pour évoyuer les
trai ts typi~es de l'enfance, est obli.'jé Lie reH ... )pter ddus l'.1 sierlue
3. Giovanni Bonaccorso, "L'Influence de l'orient dans I(.:s 'l'UJ1S Contes, (Amis de Flaubert, ~Îi 1977) p. lU.
- HU -
propre et de prendre un "bain de souvenirs" lors de son excursion à
Pont-l' f.vêque en lti7o. Pensons seulement à la scène de l'enterrement
de Viryinle, où Paul conduit sa soeur au cimetière, tout conune l'avait
tdL t Gustave pour Sd soeur carol1ne. La Justesse des sentiments est
extrême, tout au lon<;j du L'ante. l'bus y trouvons une héroïne qui
possédera toute sa vie ld naïveté et la oonté pure de l'enfance. Conune
c'est le cas lX)ur les enfants, les attitudes de Félicité n'appellent
pas vraiment d' expl1cation: elles sont dinsi. Pourquoi alors cette
Jaloul:He yu' elle éprouve lorsque son perroquet lui revient f lnalement 'l
Parce que. Flaubert n'en dit I:la.S plus. Sa chamure est Wl espace très
intime. On y trouve sa collection de rellques auxquelles elle seule
attache de l'lmr-ortance, et c'est un "endroit où elle admettait peu de
IlOnde." (4) Qui durait-elle bien pu y inviter de toute fa~on'? A part
fw1me AuOdln et Les enfants quand ils étaient jeWleS, et Victor, qui
d'autre aurai t pu avoir accès à ce l ieui Félicité n' cl pour dins~ dire
aucune reldtion suffisamment intime pour y être dmenée. !J'ailleurs, la
seule fOlS où elle y re~oit Lies "visiteurs" c'est à ln. tin du conte
dlor~ qu'elle est sur son 11 t de Ilcrt; et déjà son objet le plus
précieux, le perrc..x,{uet, a été "léyué". Nous retrouvons donc i(';l à la
fois toute ld sp:mtanélte de l'enfance et tous ces aspects qui ne
s'expllquent p:ls. Et si, d'une certaine façon, l'enfant est un être
partait, il ne faut pas s'étonner que son salut lui revienne de droit.
Le cas de "Saint Julien" pourrai t à prime abord sembler diftérent,
4. Trois Contes, p. 617.
- 131 -
mais il ne l'est pas vraiment. On sa.i t 4ue ~'laubert dccumule ties Ilütes
depuis vin~t ans, et ce L.'Ont~, s'il ne cta'Oule pas d' expérh!IICeS
vécues, est cependant l'aboutissement de tantdSIl1eS li' ddolescenl.
bëirtre a bien nontré le L..'Ôté "sanyulnalre" de F lduDert et SOI1 ùlJSeSSIù11
inconsciente du parricide. Cette virtudlité s'est lrouvée r~sulLle d<.111S
l'écriture. Ses récits de Jeunesse dbondent en uua,l.jes d' Wle Cl Udulé
surprenante, et dont il ne s'est Janlëils défaIt entièrement, du resle.
bëilaml'oo en est une preuve. "Salnt Julien" est bien pJur duLlllt
l'expression d'un développement complet de L<.1 persülukll ité. L,'dccellt
est placé surtout sur l'adolescence, ,t-Juis4ue c'est Là le lIDlllellt crucidl
de i' existence, quand se détermlne la voie à suivre. L' ell tdtlCe conulle
telle est esqul vée dans "Séllnt Julien" pUlS,!U' II a été essenlle llemenl
,-!uestion que de ce stdue dans "Un COeur simple". Si ce pl. :!mwr conte
rocmtre L..umment le salut peut drr l. ver sctns ':lu 'ùn l' dlt "llIéri té",
c'est-à-dlre en sauv~anldt1t son l.nnocence, le secolld dev Lenl cl Lon"
l'illustratlon du processus à suivre pour ':Jdljner son s,ilut 1Ik.-d'Jré
l'apparition de la conscience. lci, ii nous est dormé de SUIvre l-k-is à
pas le ,processus d'indlVl.Uuatioll qUl déuBr-re dvec ld nctlSSdllce de
l'individu, qui ensuite dépasse l' InCùIlSClent (mort) en ùccéuùnt ct l,\
conscience, puis retrouve l'inconscient (re-illlssdIlce). C'est ulle
quête particullèrement dltLicile et ddflljereuse üt '-lU 'on ne l.leut pd8
né91i~er au ris':lue cl' Y perdre son âme. Par contre, le truHnèJ[v:! conle
nous nontre le sort de ceux qui ont suivi le chemin de la conscience,
qui l'on survalorisé et en sont devenu les prisonniers.
- éj2 -
• Dans "Héroùias", nous trouvons en effet à l' oeuvr~ les forces de t
l'inconscient alors que presque tous les personnages tentent de les
étouffer. l!:lles se manifestent à travers le prophète Iaokanann qui
hurle ses impréCdtions depuis son cachot. (En ce sens, Iaokanann et
r'lauoert ne sont pas loin de se ressembler, alors que le premier lance
ses avertIssements à tous les peuples, et le second "gueule" ses
~hrases à la tête de ses contemporains). Si les deux premiers contes
mntrent <"'OHunent s 'ootient le salut, celui-ci nous prévient contre
l'idée d' iyno.rer la voie de l' indi viduation. Hércxle est un persormage
fXlrta<:lé entre l'une et l'autre possibilités. lJ' un côté, Hérodias le
pousse vers les valeurs purement matérielles, et de 1.' autre,
l'Inconscient réclame son attention. C'est son manque de décision qui
tlnira p:tr le perdre. car celui qui se perd, c'est Hérode, et non
laokanann dont la vie psychique continue alors que celle d'Hérode vient
de s'éteindre.
Nous avons vu l'importance de l'inconscient tout au lon':} des Trois
Contes, et combIen d' ima<jes contribuent à le représenter, En somme,
l'inconscient c' es t la nature, l'uni vers et tout ce qui s' y trouve.
Les anima.ux que tue Julien, avec lesquels s'entend Félicité, la mer,
cette force tantôt calme, tantôt déChaînée, sont des éléments de
l'inconscient inunédiatement reconnaissables. L'honune est aussi une
partie intégrante de ce tout, ma.is s'offre à lui une possibilité, un
défi à relever: l'accès à la conscience. En soi, cela comporte
évidenunent une part de danyer. L'être qui surgit de l'inconscient et
- 83 -
1
qui se lance sur la voie de la conscience se voi t obliyé ù~ r~trouver
son état initial et de maintenir l' équilibre entr~ les pÔles, sinon il
risque de sombrer. Le p:issaye par la conscience lUl d0l1l1erd la
possibillté d'accéder à un état supérieur, c'est d dire dU Soi, COlrul~
nous l'avons vu pour Julien. Par <-.'ontre, pour celui qui, une fOlS
engagé sur la voie de la conscience 1 se scttislai t de cette conùi t ion et
renie l'inconscient, le risque est très yrand. en l'étouffdnt, il
donne la oort à son âme et se voi t condamné à une existenL..'e brève ~t
banale. C'est évidenunent le CdS d' tiéroùe qui, à la f ln du cont~,
laisse couler sur ses Joues les larmes du désespoir. Car la
conscience, c'est le risque. Le risque de gagnèr, le rlsqu~ d~ perdre.
Gagner quoi? lA:! Soi, état supérieur.
Cette approche Jungienne nous aura donc permis Ile mieux sclisir la
dimension psychologique des personnages des Trois Contes d'un côté, ~t
de l' autre aura exp::>sé que, d'un conte à l'autre, on trouve la su i te
ordonnée et logique de la croissance et du cycl~ du développement
hlllllCl in. On L..""OI1IVrend maintenant la raison de l'inversion des titres
lors de la puiJlication originale, et pour,-!uoi ces trois textes devaient
être réunis dans un même filet pour les encadrer. Ceci nous dure.!
permis de vérifier ce qui a amené Flaubert à tdI1t insister sur ces
détails.
Tout autant que les "grands" romans, ces trois textes de F lautx:t l
sont, à proprerœnt parler, inépuisahles; et d' aùtant plus que leur
format bref les enferme dans les limites stricteG, "sphériques" 1
- f34 -
... 1
d~ la perfection formdle obligée. lDnytemps considérés comme une
oeuvre mineure, Maurice Nadeau tient pourtant les Trois COntes pour le
ch~f-d ' oeuvre de Flaubert l "dans l'économie prodigieuse du récit,
l'évocation des personnages et des mondes très particuliers qui
l' habitent. Il (4) On pourrdit certdinement développer encore les
composantes de la personnalité des principaux personnages des Trois
Contes. Nous avons indh!ué ici pour chacun l' essent iel du schéma. de
l' individuation. Félicité, Julien, Hérode et tous les autres nous
apparaissent à cet égard aUSSl riches et aussi complexes, sur ce seul
plan, qu'Emma Bovary ou Frédéric t-breau par exemple, et par là tout
dussi fascinants.
4. t-aurice Nadeau, Gustave Flaubert écrivain, Denoël, 1969, p. 286.
- 85 -
."
...
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