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  • CONTROVER ESS dossier112

    Le concept dGE DORarabo-andalou : MYTHE ou RALIT ?

    Ruth Toldano-Attias

    Il est communment admis que lge dor arabo-andalou dsigne lpoque de lAndalousie musulmane du Xe au XIIe sicle1, autrementdit la priode du Califat omeyyade de Cordoue (929) qui comprend le sud delEspagne avec Malaga, Grenade, Cordoue, Sville. Cette priode court jusqu laprise de pouvoir par les Almohades, en 1147, qui dtrnent la dynastie almoravidequi gouverne depuis 1055. Aujourdhui, on estime que lAndalousie mdivale futle berceau dune des plus brillantes civilisations de lpoque o Juifs, Chrtienset Musulmans vivaient en bonne harmonie, dans un climat de tolrance o lessciences et les arts taient florissants et o ils changeaient leurs savoirs. Endautres termes, les diffrents habitants de lAndalousie auraient vcu en symbiosedans cette rgion du monde. Le terme symbiose signifie littralement, avecvie , dans milieu o chacun des lments vit et crot de manire avanta-geuse2 et o aucun lment ne tire profit aux dpends des autres.Compte tenu de la dfinition du concept de symbiose, il convient dexaminer laralit historique et de dterminer dans quelle mesure, il y a adquation entrele mot et la chose . En dautres termes, est-ce que la symbiose entre les troisgroupes humains en prsence a bien fonctionn tant dans le domaine poli-tique que culturel ?Linvasion arabe du Maghreb dure cinq ans, de 698 703. En 711, dbute laconqute de lEspagne par les Arabo-Berbres : Tarik envahit lEspagne. Les

    Docteur en chirurgie dentaire

    et en sociologie.

  • Juifs du Maroc et dEspagne participent cette conqute. Ceux dEspagneaccueillent bien les conqurants pour chapper loppression des Wisigoths3.La dhimma est institue et en 720 mais ce statut discriminatoire est durci parle Calife dOrient, Omar ben Abdelmalik au dbut du VIIIe sicle. En 750, leCalifat ommeyade Bagdad est renvers par la dynastie abbasside. En 762,une rupture sopre entre le Califat dOrient et le Califat dOccident ; le CalifatAbbasside est transfr Bagdad. LEspagne musulmane se spare de lEm-pire arabe dOrient et devient le Califat Omeyyade. En 929, en Espagne, leprince omeyyade se proclame Calife de Cordoue.

    La thse de lge dor arabo-andalou

    Comment les historiens juifs ont-ils pu accrditer cette thse ?Presque tous les historiens juifs appartenant au courant de la Science duJudasme (Wissenschaft der Juddentum/WdJ) au XIXe et au dbut du XXe sicle,en Allemagne puis en Europe occidentale, voquent lAge dor arabo-andaloucomme priode de rfrence de la coexistence entre les Juifs et les Musulmans.Les intellectuels de la WdJ sont les hritiers des Lumires juives allemandes ouHaskala4 et sont anims des mmes idaux qui traverseront toute lidologie delmancipation des Juifs dAllemagne. Le modle spharade largement diffusds le XVIIIe sicle par la Haskala simpose eux car, dans limaginaire social alle-mand, le Judasme antique et le Judasme spharade mdival bnficiaientde prjugs positifs et valorisants. Dans la construction de lhistoire juivemoderne, les images et reprsentations de lAndalousie mdivale ont t recon-duites par les intellectuels juifs allemands avec un parti pris tel que toutesleurs productions littraires portent limpact du paradigme spharade . Chezles auteurs de la WdJ, le paradigme ne fonctionne que parce que les Juifs spha-rades ont particip au pouvoir politique en Andalousie avec grandezza. Deplus, il semble se confirmer quen Europe, lunivers spharade fut surinvesti danslimaginaire collectif parce que Juifs et non-Juifs voyaient voluer quelquesdescendants du Judasme ibrique Amsterdam, Paris, Londres, Hambourg ouAltona, et constataient que, plus ou moins sculariss, ils sintgraient plusou moins bien dans la socit civile. Mais ce paradigme fonctionne commeune idologie europenne dans la lutte pour lmancipation politique des JuifsdAllemagne au XIXe sicle.Nanmoins, il convient de sinterroger sur la validit du modle spharadechoisi par les savants juifs allemands de la Science du Judasme au XIXe sicle.Il ne fait pas de doute que ces derniers ont surinvesti lunivers intellectuel duJudasme espagnol mdival et survalu le modle spharade dune rencontre

    Ruth Toldano-Attias CONTROVER ESS 113

  • entre deux cultures diffrentes, selon eux, russie ; ils ont mythifi lAge dorarabo-andalou qui joue donc le rle de paradigme. Le parallle recherch pour-rait se rsumer ainsi : la rencontre idalise entre Juifs et Arabes en Espagne auMoyen Age serait une image de la rencontre souhaite entre Juifs et Allemands,tout aussi idalise.Luc Brisson5, montre dans quelle mesure il existe une similitude entre mytheet paradigme et comment le mythe fonctionne dautant plus efficacement dansun groupe humain parce quil investit plus facilement le domaine social que lapense rationnelle : Le mythe est investi dune efficacit dautant plus grandequil vhicule un savoir de base partag par tous les membres dune collectivit,ce qui en fait un redoutable instrument de persuasion (), le mythe joue [alors]le rle de paradigme6 . En dautres termes, le modle spharade sapparente un mythe, qui relve de lordre du vraisemblable et non de la vrit. Donc apprcier avec circonspection.Mais le mythe spharade est reconduit par un grand nombre dhistoriens juifsdu dbut du XXe sicle appartenant ce courant. Chez A. Sachar7, on retrouvetous les strotypes et images convenues du bonheur des Juifs de lge dordans lEspagne musulmane , lpoque des Ommeyades, les figures clas-siques du panthon spharade tandis que lauteur dclare que lheureuseunion des cultures hbraque et musulmane produisit une renaissance en lit-trature et en philosophie, comme dans la science et la religion8 . Son dis-cours concernant cette priode est laudatif.Un autre historien juif, Goiten9, reste partisan de la thse de la symbiose judo-arabe, bien quelle soit controverse. Il souligne que, depuis le XIXe sicle, cesont les historiens juifs qui ont soulign avec le plus de conviction laspectfavorable de la situation des Juifs ou des Chrtiens dans le moyen-ge musul-man . Mais il prcise en note10 que les recherches postrieures de certainshistoriens au dbut du XXe sicle ont abouti des conclusions diffrentes. Mais,comme un grand nombre dhistoriens, il considre que la situation des Juifs sestbeaucoup amliore avec la conqute arabe dans la mesure o les nouveauxgouvernants les ont soustraits lexclusion sociale et la perscution de lEglisedominante. Ils ont donc, logiquement, assist les conqurants musulmans Par ailleurs, en ce qui concerne lEspagne sous domination musulmane, un desplus grands historiens juifs nappartenant pas la WdJ, Itzhak Baer11, et dontle discours historique semble tre une rfutation du modle spharade, sin-terroge sur les raisons qui pouvaient pousser des princes ou des rois recou-rir aux services de personnalits juives. Il explique que ces Etats se caractrisaientpar la prsence leur tte dun monarque absolu ou autocrate qui se sentaitmenac par une population inamicale et qui va alors attirer son service des

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  • Juifs les perptuels trangers parce quil pouvait compter sur leur sou-tien loyal dans la scurisation de son rgime. Cest ainsi que les Juifs quiavaient acquis dans les Principauts andalouses le talent politique et la techniquede ladministration publique, apportrent ultrieurement, leurs talents et leurexprience dans les cours des princes chrtiens du Nord. Ce phnomne, avecdes formes varies, se manifesta maintes fois dans lhistoire de lEurope chr-tienne12. Selon lhistorien, les Juifs de cour se sentaient investis dune missionde protection et de sauvetage de la communaut juive dans son ensemble, aucas o des problmes politiques graves mettraient sa vie en danger. Leur fonc-tion auprs du monarque tait dtermine par la mission de solidarit enversleurs frres plus vulnrables, et le rseau de solidarit lintrieur des com-munauts restait intact. En dehors de leurs fonctions politiques, ils restaientproches de leurs coreligionnaires ; pieux et pratiquants, ils produisaient desuvres intellectuelles de bonne facture et accomplissaient leur mission politiqueavec comptence et efficacit. De manire gnrale, crit-il, le destin descommunauts juives tait troitement attach aux fortunes politiques de ces cour-tisans juifs dont lascension personnelle ou la chute amenait avec lui la prospritou la ruine de leur communaut13 . Ainsi, les gouvernants trangers de tousrangs taient capables dutiliser les Juifs leurs propres fins personnelles.Cela, en retour, ouvrait aux Juifs les portes de la socit extrieure dans laquelleil ne leur tait pas possible de gagner, pour eux-mmes, des positions socialeset conomiques importantes. Certains devinrent prteurs professionnels,dautres, les serviteurs loyaux des princes fodaux, collecteurs de taxes oumdecins de la Cour14 . Dans la cour de Cordoue sous le rgne du calife Abd-er-Rahman III (912-961), Hasda Ibn Shaprut fut la premire personnalitjuive en Espagne dont la vie et luvre sont connues et qui tait presque leseul support de la population juive opprime, parpille dun bout lautre dupays15. Dans le royaume de Grenade, Shmuel Ibn Nagrela16 fut lhomme dtatjuif le plus important de son poque. Pendant trente ans de guerre ininter-rompue, il conduisit les affaires intrieures et les affaires extrieures duroyaume. En mme temps, il fut un rudit rabbinique distingu et une autoritdans la Halakha. (). Il a occup une position unique parmi les potes hbraquesen Espagne. Le rcit de son ascension fut donn par Abraham Ibn Daud, lhis-torien juif espagnol du XIIe sicle () Shmuel se considrait comme dsign parla Providence pour faire [du royaume] de Grenade, le dfenseur de son peuplequi avait t opprim dans les tats voisins17 .Pourquoi un Juif de cour doit-il rechercher la faveur du prince pour protger etdfendre sa communaut ? Sa mission principale envers les Juifs consiste demander au Prince de rparer les injustices dont ils sont victimes. Il convient

    Ruth Toldano-Attias CONTROVER ESS 115

  • de garder lesprit que dans tous les pays conquis, le statut discriminatoire etunilatral de la dhimma18 est appliqu aux non-musulmans appartenant aux peuples du Livre , Juifs et chrtiens. Et certaines clauses de ce statut lesexposent larbitraire. Les dhimmis ou protgs paient un impt, la djizziyaen change de la vie sauve. Les autres contraintes consistent porter des habitset des signes distinctifs ; interdiction de monter cheval et de porter une arme,etc. Dautres clauses sont humiliantes et destins les maintenir en situationdinfriorit sociale et juridique. Le tmoignage dun dhimmi nest pas recevabledans un tribunal islamique ; cette clause discriminatoire les expose larbi-traire de juges ou de plaignants mal intentionns et implique un certain nombredexactions ou de fausses accusations contre eux. Les extorsions de fonds ou lesvols contre les dhimmis restent souvent impunis. Si un dhimmi est assassinpar un musulman, ce dernier nest pas condamn ; il se rachte en payant le prix du sang . Or, si un dhimmi tue un musulman, il est condamn mort.Ainsi, il est facile de constater que la Loi musulmane ou Charia domine lascne politique aux dpens des autres groupes issus des religions monothistes.La dhimma peut tre applique de manire plus ou moins svre mais lesprincipales clauses sont valides dans tout le monde musulman. Bref, la jus-tice nest pas la mme pour tous. Or, la justice est le fondement politique de toutesles socits. De sorte quil devient difficile dvoquer un contexte de symbiosepolitique, mme dans lAndalousie du Moyen-ge o, sans doute, certainescontraintes de la dhimma devaient tre plus ou moins ignores mais les clausesimportantes concernant limposition de la djizzya et le tmoignage irrecevabledes dhimmis sont videmment appliques ainsi que dautres contraintes dis-criminantes.Mais si lon voque souvent lAndalousie des trois religions de lEspagnemdivale, il est difficile de trouver des documents concernant les chrtiensconquis et soumis galement au statut discriminatoire de la dhimma. Quesont-ils devenus ? Peu dtudes leurs ont t consacres ; il semble mme quece soit un champ dtude assez rcent.

    Les Mozarabes ou chrtiens dAndalousie sous domination musulmaneContrairement aux conqurants musulmans et aux Juifs, ils ne reprsentent pasune minorit dmographique. Ils appartiennent la majorit de la populationdu pays et, comme tels, ils sont appels, mouwallidn/natifs . Or, ils ne sem-blent pas jouer un rle significatif dans lEspagne mdivale andalouse. Si lon serfre un article19, les chrtiens continuent peupler villes et campagnes touten tant soumis comme dhimmis. () Ils apparaissent dsormais uniquement dansle rle de serviteurs zls dun califat qui se veut universel. () [mais]

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  • al-Andalus sest vid de ses minorits autochtones la suite des mesures dexpulsionet de dportation entreprises par les Almoravides20, paracheves par les Almo-hades21 . Il ne semble pas que les Chrtiens soient tout fait laise dans cettergion conquise, malgr la tolrance relative des premiers conqurants. Bienquils constituent une part importante de la population, il semble quils ne par-ticipent pas la mmoire arabo-andalouse . Certains Mozarabes migrent demanire dlibre, dautres seront expulss ou dports.Cest ce confirme une tude de Vincent Lagardre22 parue en 1988. Selon lui, la confrontation islam almoravide christianisme mozarabe est un aspectmal connu de lhistoire dAl Andalus et du Maghrib al Aqsa. () Ds le IXe sicle,des Mozarabes dal-Andalus senfuirent vers les terres chrtiennes du nord,Asturies, Catalogne, Languedoc. Ces mouvements migratoires se poursuivi-rent par -coups dans les sicles suivants. Beaucoup de chrtiens furent, plu-sieurs reprises, dports en terre marocaine, notamment de Malaga en 1106, dela rgion grenadine en 1126, de diverses zones dal-Andalus en 1138 et vers1170. Le lien entre ces dportations et les guerres contre les royaumes chr-tiens dEspagne se peroit clairement, dautant mieux par les contacts tablis vers1120-1125 entre les Mozarabes grenadins et le roi dAragon, Alphonse lebatailleur23 .Dans une tude trs rcente, Pascal Buresi24 montre comment la mentalit decroisade sinstalle lentement dans lesprit de la reconqute chrtienne. Ilexplique que la conqute de Tolde constitue un moment fondamental danslhistoire de la Reconquista par Alphonse VI de Castille-Lon en 108525 .Bien que sa dynastie soit issue de la ligne asturienne, il considre quelle est comme une hritire des rois wisigotiques. () La russite de cette croisade,en dpit du dpart des Francs, donna une rsonance nationale cet vnementqui assurait la grandeur perdue et la prise en main des destines de la Pnin-sule par ses propres monarques. [Il considrait que] la libration des territoiresoccups par les Sarrazins tait une mission divine26 . Lvolution de laf-frontement entre musulmans et chrtiens prend lallure dune guerre end-mique dans laquelle les positions se durcissent de part et dautre et o les com-bats sont dautant plus acharns en raison du caractre religieux de la guerre.Du ct chrtien, prcise-t-il, en conclusion, lide de croisade se dveloppe faceau gihad raviv par les souverains almoravides. Lavance chrtienne se traduitpar la fuite et lexil des musulmans alors que les dirigeants almoravides puis almo-hades, prennent des mesures contre les Mozarabes, dplacs en Afrique duNord : les Chrtiens disparaissent dAl-Andalus et les Juifs sont lobjet, dun ctcomme de lautre de la frontire, de mesures discriminatoires. Cette volutionest acheve vers le milieu du XIIe sicle27 .

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  • Si le statut discriminatoire de la dhimma a concern Juifs et chrtiens mozarabes,leur position ne prsente pas de grandes similitudes : les Juifs restent uneminorit religieuse prise dans un conflit dordre hgmonique qui met tou-jours en jeu leur pronostic vital, tandis que les Chrtiens font partie de la majo-rit de la population et peuvent participer la reconqute de leurs territoires afinreprendre le contrle politique de leur pays. Toutefois, les conditions de possibilitdune coexistence pacifique entre les trois groupes qui peuplent lAndalousiemdivale ne semblent pas runies pour que lon puisse parler de manirepertinente dune symbiose dordre politique. Est-ce que ces conditions taientrunies dans le domaine culturel ?

    Quelles sont contributions culturelles des Juifs et des Chrtiens danslAndalousie arabe de lAge dor ? Symbiose culturelle ?Si la contribution des Juifs la culture arabo-andalouse est une ralit, ilconvient de prciser que les uvres philosophiques les plus importantes,notamment celles de Ibn Gabirol (Fons Vitae) et de Mamonide (Guide des per-plexes) ainsi que celles des potes ont t crites en arabe, dans la langue domi-nante de lpoque. En outre, est-il besoin de prciser que le pote et philosopheYehouda Halvi (XIe sicle) quitta lAndalousie, excd dtre pris entre lemarteau et lenclume dans la guerre interminable entre chrtiens et musul-mans. Quant Mamonide, cit inlassablement comme la figure emblma-tique de lAndalousie multiculturelle des trois religions, il dut ds lge de neufans, senfuir avec sa famille la hte cause de la perscution almohade. Aprsun court passage Fez (Maroc) quil dut fuir pour les mmes raisons, il passale reste de sa vie en Egypte o il trouva refuge aprs une escale en Galile.

    Les lieux de la symbiose culturelle : influences de lislam dans la posie, la grammaireet la philosophie juivesLhistorien Goten28 est catgorique, la posie hbraque mdivale fut influencepar la posie arabe : il considre que la plus parfaite expression de la symbiosejudo-arabe, ce nest pas dans la littrature juive en langue arabe quon la trouvemais dans la posie hbraque cre dans les pays musulmans et particulire-ment en Espagne29 . Selon lui, les Juifs finirent par imiter les pieux musulmansqui consacraient leur vie la posie. La potique hbraque prit alors ses quar-tiers de noblesse dans une langue rnove, pure, sur le modle de la langue dela Bible. Les potes juifs ont emprunt aux potes arabes les procds rhto-riques, la versification et la mtrique. Limbrication tait si forte que certainspotes clbres ont compos des pices comportant des strophes en hbreu et enarabe. La posie au Moyen-ge avait une fonction sociale tant dans les communauts

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  • juives que dans la socit environnante. Elle tait mme utilise par les puis-sants en guise de publicit . Mais la critique sociale, satirique et politique sy expri-mait avec dautant plus de force que le talent du pote pouvait le permettre.Cependant, Goten dclare que la posie judo-espagnole [est le produit] de la civi-lisation arabe On nest pas surpris que luvre thorique principale sur la po-sie hbraque, [lArt potique] ouvrage du grand Mose ibn Ezra ait t crite enarabe. () La contribution essentielle de la littrature arabe au dveloppementde la posie hbraque, cest en effet, plus que des modles et des formes, lespritqui a parcouru toute la civilisation islamique et qui a permis aux Juifs de poursuivre, lintrieur de cette civilisation, une vie spirituelle originale, intense et harmo-nieuse30 . Toutefois, les thmes les plus frquents de la posie juive espagnole criteen hbreu sont dordre religieux et exprimaient une forme de romantisme reli-gieux original . Les plus grands potes de cette poque furent incontestable-ment Salomon ibn Gabirol, Mose ibn Ezra et Yehuda Halvi auxquels il convientdadjoindre Samuel haNaguid, Abraham ibn Ezra et Al-Harizi31. La posie religieusedes Juifs dEspagne, ajoute Goiten, La posie judo-espagnole a atteint sonsommet avec un cycle de pomes, les Sionides, composs par Ydouda Halvi32 .

    Les effets de la symbiose sur les murs et les arts33

    Concernant les murs, linfluence arabe sur la condition des femmes sembleincontestable mais, justement dans ce cas, le terme de symbiose constitue uneantinomie car les femmes ne trouvent pas davantages tre exclues socialement,domines, prives dinstruction ni subir la polygamie, etc. Mme dans lecontexte antique, les femmes ont suffisamment fait entendre leurs rcrimina-tions34 pour que lon se doute quil y avait l un problme social. Aprs laconqute arabe de lAfrique du Nord et de lEspagne, la voix des femmes sestteinte dans toute cette aire gographique. Lexclusion des femmes des lieux dusavoir a t affirme par le grand Mamonide, symbole illusoire de la symbiosejudo-arabe, dans le Livre de la Connaissance35.Le domaine des arts semble tre le lieu, non pas dune symbiose, mais duneinfluence arabe vidente. En dehors de la liturgie juive, les emprunts lamusique arabe sont prpondrants tant pour la musique savante que pour lesmlodies populaires. Mme les posies hbraques taient chantes sur lesmlodies de chansons populaires arabes. Comme lIslam a reconduit linterditde la reprsentation figure du corps et du visage humains dans la peintureet dans la sculpture, lexpression artistique arabe se reporta sur les arts scrip-turaires avec la stylisation de larabesque. Les Juifs sen inspirrent et, partirdu Xe sicle, se dvelopprent les dcorations des caractres hbraques. Danslartisanat, les Juifs purent sexprimer : lorfvrerie tait une spcialit juive avant

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  • lIslam , elle le resta dans tous les pays arabes o ils vivaient tant donn quele travail des mtaux tait interdit dans la religion musulmane. Dautres mtierstaient pratiqus tels le tissage, les broderies, la passementerie.Quant la contribution mozarabe la culture arabo-andalouse, [elle] nendemeure pas moins modeste36 . La langue arabe est de plus en plus prati-que par les Mozarabes tandis que la langue latine apparat comme unemblme de distinction privilgi du christianisme en terre dIslam ibrique.Il est vrai que les Mozarabes se sont toujours dfinis comme des Latins37 mme quand cette langue devenait peu familire.Une tude38 plus rcente montre comment, dans la Cordoue mozarabe duIXe sicle, lcole de lAbb Esprendieu, qui deviendra pape plus tard, cul-tivait le latin et les arts libraux, achetait de prcieux manuscrits de Virgile,Horace ou Porphyre et stimule ltude des uvres des philosophes grecs .Lauteur met laccent sur les travaux de Paul Alvaro de Cordoue qui souligne lentente difficile des musulmans et des chrtiens, [semploya, entreautres], dfendre la foi dans la situation difficile du Califat de Cordoue et restaurer les lettres latines des coles mozarabes et la formation huma-niste des chrtiens39 .Si la culture arabo-andalouse a bien influenc la culture juive, il ne semble pasque ce soit le cas de la culture mozarabe. Mais il semble difficile de reconduirele concept de symbiose entre les trois groupes sociaux qui peuplaient lAndalousiemdivale sous domination arabe. Le concept dge dor arabo-andalou quiimplique la symbiose entre les trois religions monothistes semble relever plu-tt du mythe que de la ralit historique. Il nest pas impossible quil ait fonc-tionn correctement pendant de courtes priodes grce la personnalit posi-tive dun monarque. Mais, dune manire gnrale, entre chrtiens etmusulmans, lpoque ntait pas lapaisement et limprgnation du fanatismereligieux trop forte pour laisser suffisamment de place la tolrance religieuse.Toutefois, depuis le dbut du XXIe sicle, cest tantt la validit du concept dgedor de la tolrance multiculturelle, tantt la validit du mythe, qui sont recon-duites des fins idologiques.Pour conclure, il semble important de mettre laccent sur les manipulations ido-logiques extrmistes contemporaines du concept dge dor arabo-andalou.De prime abord, il convient de rejeter catgoriquement la manipulation gros-sire opre par les groupes no-nazis sur le concept de lAge dor arabo-andalou . Pour eux, il sagit dune fable laquelle il ne faut pas se fier et il nesaurait tre question de concevoir une ventuelle possibilit dentente entrediffrentes cultures ou civilisations.

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  • Dans un tout autre registre, la position inverse considre que lge dor arabo-andalou serait une ralit historique qui pourrait servir de modle une poli-tique multi-culturelle aujourdhui.Par ailleurs, cest ce modle mythique de symbiose judo-arabe de lge dor arabo-andalou qui sert dargument idologique au courant post-colonial qui sim-plique dans les ngociations isralo-palestiniennes, pour promouvoir un Etat bi-national et le retour des rfugis palestiniens de 1948 (ce qui, a posteriori,quivaudrait la disparition de facto de lEtat dIsral), tout en ignorant lescauses de la disparition des communauts juives dans le monde arabo-musul-man et le scandale du statut discriminatoire de la dhimma qui les a opprimsdurant des sicles.Aussi convient-il de nutiliser ces concepts quavec la plus grande circonspection,beaucoup de prcautions et de prudence et ne pas les galvauder des finsidologiques. Est-ce que les Juifs ont t plus heureux en terres musulmanesquen terres chrtiennes ? Cela ne doit avoir aucune interfrence sur les pro-blmes contemporains. La coexistence pacifique entre deux peuples devrait sergler sur des accords politiques & la reconnaissance mutuelle et non sur deshypothses historiques, souvent dformes ou dissimules par lidologie quiest une ample draperie selon la formule de Paul Veyne40.

    notes

    1. Selon Anna Maria Lopez Alvarez, conservatrice du Muse sfarade Tolde in article lExpress.fr

    du 19/12/2007.

    2. Dfinition donne par le dictionnaire Le Petit Larousse grand format, 1997, p. 978.

    3. En 652, nouvelles perscutions religieuses en Espagne. Contraints nouveau de quitter

    lEspagne, les Juifs sexilent au Maroc. Les Juifs dEspagne rgnrent alors le Judasme marocain

    encore primitif et ignorant les apports du Talmud. En 681, les Arabes conquirent le Maroc. On

    observe la fin des traverses Espagne-Maroc dues aux perscutions des Wisigoths.

    4. Haskala : mouvement des Lumires juives allemandes au XVIIIe sicle dont le promoteur fut le

    philosophe juif allemand, contemporain de Kant, Mose Mendelshonn.

    5. Luc Brisson, directeur de recherches au CNRS, auteur de Mythe et philosophie chez Platon,

    (thse 1985).

    6. Brisson Luc, Introduction la philosophie du mythe -I- Sauver les mythes, p. 42, Vrin 1996.

    7. Abraham Sachar, Histoire des Juifs, (1930), Flammarion, 5e dition 1973, traduite de lAnglais

    par Benot Braun.

    8. Sachar, ibid, p. 200-217.

    Ruth Toldano-Attias CONTROVER ESS 121

  • 9. Goten D. Salomon, Juifs et Arabes, Editions de Minuit, 1957.

    10. Goiten, Juifs et Arabes, ibid, note 1 p. 60 : citons pour illustrer la premire tendance, le clas-

    sique Dogme et Loi de lIslam de Goldziher, traduction franaise, Paris 1920 ; et pour la tendance

    oppose, un article du Jewish Forum (1946, p28-33) o Cecil Roth affirme que lIslam a t aussi

    intolrant que nimporte quelle religion et que les Arabes ne lont cd personne en matire de

    xnophobie .

    11. Baer Itzhak, A History of the Jews in Christian Spain, traduction amricaine 1961, The Jewish

    Publication Society if America. (Premire dition en Hbreu : Toldot HaYehudim biSefarad

    haNotzrit, Am Oved, Tel Aviv 1945).

    12. Baer, A History, ibid, p. 32.

    13. Baer Itzhak, ibid, p. 31.

    14. Baer Itzhak, ibid, p. 30.

    15. Baer, Ibid, p. 30.

    16. Shmuel ibn Nagrela, dit Ha-Naguid ( Celui qui dirige ) est appel de Malaga Grenade

    par lmir Zir Habbus de Grenade (1025). Il dirige ladministration, la diplomatie et les armes ber-

    bres du royaume partir de 1027 sous le rgne dHabbus, puis de son fils Badis (vers 1030). Il

    remporte les victoires de Lorca et de Ronda sur le royaume de Sville.

    17. Baer, ibid, p. 32-33.

    18. La Dhimma, tablie par le Pacte dOmar au huitime sicle, est linstitution thologico-poli-

    tique par laquelle les pays dIslam traduisent, dans le domaine socio-politique, lexclusion socia-

    le des non-musulmans appartenant aux religions rvles, les peuples du Livre ou Ahl-el-Kitab,

    Juifs, Chrtiens et aux Zoroastriens. Selon Alfred Morabia le principe de base de la dhimma est

    que les protgs (ou dhimmis) doivent accepter de se soumettre aux lois de la Umma ou

    nation islamique. () Do la formulation de normes internes unilatrales, valables seulement

    pour une communaut musulmane dans ses rapports avec les autres () et en recherchant ses

    seuls intrts . Voir Alfred Morabia, Le Gihad dans lIslam mdival, Albin Michel. Histoire.

    1993, p. 260. cf. ci-dessous, 2e partie, I,B,4. Voir galement louvrage de Bat Yor, Le Dhimmi,

    Edition Anthropos, 1980. Ou encore, Hammer-Purgstall : Ordonnances gyptiennes sur les cou-

    tumes des Juifs et des Chrtiens au commencement du XIVe sicle . in le Journal Asiatique, Avril

    1855, p. 393-396, (dbut : 1822).

    19. Les Mozarabes et lidentit andalouse , article paru sur le site Internet de lENS, la cl des

    langues, cf http://cle.ens-Ish.fr/07814969/0/fiche___page libre, p. 1.

    20. Almoravides (1055-1140) : ce sont des nomades sahariens, des moines-soldats guerriers (mara-

    bout) mens par leur chef Youssef ben Tachfine.

    21. Almohades (1147-1237).

    22. Vincent Lagardre, Communauts mozarabes et pouvoir almoravide en 519 H/1125 en

    Andalus , in Studia Isalmica 1988, Maisonneuve et Larose. Voir sur le site internet : jstor.org,

    entre mozarabes .

    23. Vincent Lagardre, ibid.

    CONTROVER ESS dossier122

  • 24. Pascal Buresi, historien, CNRS, La frontire entre Chrtient et Islam dans la pninsule ib-

    rique, Publibook 2004. cf. http://books-google.fr

    25. Pascal Buresi, ibid, p. 291.

    26. Pascal Buresi, ibid, p. 294.

    27. Pascal Buresi, ibid, p. 309.

    28. Goten D. Salomon, Juifs et Arabes, Editions de Minuit, 1957.

    29. Goiten, ibid, p. 164.

    30. Goiten, ibid, p. 165 et p. 178.

    31. Al-Harizi, pote du XIIe sicle, auteur du Tahkemoni, adaptation dune uvre potique conno-

    tation sociale, le Makamah arabe crit par le pote de Bassorah, Hariri. cf Goiten, ibid p. 173.

    32. Goiten, ibid, p. 176-177.

    33. Goiten, ibid, p. 218-239.

    34. cf les rcriminations des femmes dans le livre des Proverbes sont audibles.

    35. Mamonide, Le Livre de la Connaissance, PUF-Quadrige, p172-173.

    36. Les Mozarabes et lidentit andalouse , ibid, p. 3.

    37. Les Mozarabes et lidentit andalouse , ibid, p. 2.

    38. Sous la direction de Jean-Claude Polet et Claude Pichois, Le Moyen-ge, de lOural

    lAtlantique. Littratures de lEurope occidentale, Ed. De Boeck Universit, 1993.

    39. Le Moyen-ge, de lOural lAtlantique, ibid, p. 644.

    40. Paul Veyne, (1971), Points-Seuil H226, p.399, 1996.

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