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Tu enfanteras dans la douleur, enquête sur les violences obstétricales en
Belgique sous forme d'un podcast
Auteur : Gerday, Anne
Promoteur(s) : Vanesse, Marc
Faculté : Faculté de Philosophie et Lettres
Diplôme : Master en journalisme, à finalité spécialisée en investigation multimédia
Année académique : 2018-2019
URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/7634
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mentionnées ci-dessus. Toute utilisation non explicitement autorisée ci-avant (telle que par exemple, la modification du
document ou son résumé) nécessite l'autorisation préalable et expresse des auteurs ou de leurs ayants droit.
Université de Liège
Faculté de Philosophie et Lettres
Département Médias, Culture et Communication
Tu enfanteras dans la douleur Enquête sur les violences obstétricales en Belgique, sous forme d’un podcast
Mémoire présenté par Gerday Anne
en vue de l’obtention du grade de
Master en journalisme
Année académique 2018/2019
1
2
Remerciements
Je remercie chaleureusement le promoteur de ce mémoire, Marc Vanesse,
ainsi que son assistant, Boris Krywicki, pour leurs conseils avisés et leur patience.
Merci également à Sandrine Soyez et Estelle Falzone pour leur aide
précieuse lors de la relecture.
Enfin, merci à Stéphanie, Aurore et Laura pour la confiance qu’elles m’ont
accordée en acceptant de partager leur histoire difficile avec une inconnue.
3
Sommaire
Avertissement 5
Introduction 6
Chapitre 1 : pourquoi une enquête ? 8
Chapitre 2 : méthodologie et appropriation des dix étapes d’une enquête 12
Chapitre 3 : le format 38
Chapitre 4: objectifs visés par l’enquête 48
Conclusion 58
Bibliographie 59
Annexes 63
4
Avertissement
Le thème de l’accouchement est abordé dans ce travail. Dans un souci de
lisibilité, les personnes qui accouchent sont désignées de façon féminine. La
sexualité et le genre étant deux concepts distincts, il arrive cependant que des
personnes s’identifiant au genre masculin, ou des personnes non-binaires par
exemple, soient engagées dans un processus d’enfantement. Ces personnes sont
également susceptibles d’être touchées par les violences obstétricales.
Les compagnons ou compagnes des femmes qui accouchent sont aussi
touchés par ces violences de façon collatérale. Encore une fois, dans un souci de
lisibilité et de fluidité, cette question ne sera pas mise en avant dans ces pages.
Enfin, une analyse plus poussée sur les discriminations liées à l’origine
ethnique, l’orientation sexuelle, la classe sociale ou les croyances philosophiques ou
religieuses lors du processus de l’enfantement mériterait également d’être menée.
L’ouvrage Les brutes en blanc de Martin Winckler (Flammarion, 2016), propose des
pistes de réflexion liées à ces discriminations particulières dans le milieu médical.
5
Introduction
« Il dit à la femme : J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu
enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera
sur toi.» Cet extrait bien connu de la Bible a probablement façonné la 1
représentation de l’accouchement de beaucoup de femmes. Dans la croyance
populaire occidentale, un accouchement est douloureux et dangereux . Les femmes 2
ne seraient pas capables de mettre leurs enfants au monde sans l’aide de
gynécologues, de la péridurale, de la césarienne et de tout l’attirail qu’une salle
d’accouchement aseptisée contient. Bien que l’obstétrique sauve encore aujourd’hui
de nombreuses vies, la médicalisation à outrance en blesse beaucoup d’autres de
façon inutile. Mais la voix de ces femmes victimes de violences obstétricales ne
porte pas encore assez loin pour qu’une prise de conscience globale, aussi bien du
corps médical que de la population en général, n’opère. « Favoriser la
communication, l’échange, par la mise en diffusion et la mise en perspective de
l’information, telle est la mission profonde du journalisme » . Là où le peuple est 3
lésé, le journaliste d’investigation regarde, analyse, puis met en lumière. Il a un rôle
social : l’information qu’il donne est censée permettre à chacun de « mieux vivre »
dans les différents aspects de son existence . 4
La méthodologie de cette enquête se base sur « les dix étapes d’une
enquête », enseignées lors du cours de journalisme d’investigation donné par Marc
Vanesse lors de la première année de Master. En plus des notions apprises pendant
le cursus de journalisme, des ouvrages sur le journalisme, l’enquête, le podcast et le
journalisme constructif ont été mobilisés.
1 Genèse 3.16, version de la bible de Louis Segond, 1910 2 « Les représentations à base de peurs de la grossesse et de l’accouchement génèrent une hypermédicalisation au détriment de l’accouchement physiologique », apprendreàéduquer.fr [en ligne] https://apprendreaeduquer.fr/peur-accouchement-physiologique/?fbclid=IwAR1GE4r-m08Dzqq8VC59fnc5CnDS1WPhRxMFOPWgshh0nIU-XO4ooY1Sv_Q 3 Yves Agnès, Manuel du journaliste d’investigation, Paris, La découverte, 2015, p.11 4 Ibid.
6
L’objectif de cette enquête est de donner un nouveau moyen au public de
découvrir et de comprendre les violences obstétricales, plus particulièrement en
Belgique francophone. Une fois ce concept compris dans sa globalité, il sera plus
facile pour une femme ou un couple de naviguer à travers le processus
d’enfantement en évitant les pièges qui mènent à la violence. Pour un soignant, quel
que soit son domaine d’expertise, ce genre de travail journalistique peut aider à
prendre conscience de gestes violents qu’il ou elle pourrait poser contre sa volonté,
dans le sens ou les violences obstétricales sont intériorisées par le monde médical,
et que la première étape vers une médecine respectueuse est la prise de
conscience.
Nous verrons dans un premier temps comment la décision de réaliser une
enquête a été prise, puis comment celle-ci s’est déroulée. Nous verrons ensuite
comment le format radiophonique et le podcast ont été choisis. Les objectifs de cette
enquête seront enfin exposés.
7
Chapitre 1 : pourquoi une enquête ?
Pourquoi réaliser une enquête ? Il s’agit de la forme la plus difficile, la plus
aboutie du journalisme. C’est celle qui prendra le plus de temps, le plus d’implication
personnelle, et qui mobilise le savoir-faire de plusieurs autres genres journalistiques
comme l’interview et le reportage par exemple. L’enquête est un contre-pouvoir, qui
permet d’attirer l’attention sur des phénomènes, des actes, qui lèsent une partie de
la population, que ce soit une seule personne, ou comme ici, hypothétiquement la
moitié de la population (bien que toutes les femmes ne sont pas engagées dans un
processus d’enfantement au cours de leur vie). Mark Lee Hunter, journaliste
d’investigation français, propose aux journalistes avant qu’ils ne s’engagent dans ce
travail ardu de se poser certaines questions : « Combien de souffrance résulte de la
situation ? Y’a-t-il des victimes ? Leur douleur aurait-t-elle pu être évitée ?
Pouvons-nous montrer comment ?» . Les violences obstétricales ont des retombées 5
graves sur la santé physique des femmes qui en sont victimes, que ce soient des
problèmes d’incontinence suite à une épisiotomie, des douleurs abdominales suite à
une césarienne ou encore des lésions qui résultent d’une pression abdominale,
geste d’ailleurs interdit en Belgique mais qui continue d’être pratiqué, comme Laura
le rapporte dans son témoignage : « Il faut savoir aussi que la sage-femme me
poussait sur le ventre, j’ai appris après que c’était interdit » . Les conséquences sur 6
la santé mentale sont également importantes et représentent parfois de véritables
traumatismes. Ces conséquences se traduisent par exemple par une perte de
confiance en soi, une peur du monde médical, la difficulté de tisser des liens avec le
nouveau-né, et peuvent aller jusqu’à des cas de dépression. Stéphanie, par
exemple, a éprouvé des difficultés à tisser un lien avec son premier enfant lors des
premiers mois qui ont suivi l’accouchement. Elle a ressenti beaucoup de tristesse et
un sentiment de culpabilité. Elle en a parlé à son médecin, qui a remis la faute sur le
5 Mark Lee Hunter; Nils Hanson; Rana Sabbagh; Luuk Sengers; Drew Sullivan; Pia Thordsen, L’enquête par hypothèse : manuel du journaliste d’investigation [en ligne]. Unesco/ARIJ, 2009. <http://portal.unesco.org/ci/fr/ev.php-URL_ID=29032&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html>. 6 Voir annexe « Retranscription Laura »
8
blues post-partum : « Ça a été très souffrant, j’étais vraiment paumée. J’avais
l’impression d'être nulle et c’était dur. Il a fallu du temps pour m’en remettre et mon
deuxième accouchement m’a permis de faire le deuil, de me réparer. Ça a prit deux
ans avant que je ne puisse en parler sans en pleurer, sans me sentir mal et
coupable » . 7
Les retombées des violences obstétricales touchent également les
nouveau-nés. Par exemple, l’utilisation de forceps au moment de l’accouchement
peut conduire à une déformation du crâne de l’enfant, comme cela a été le cas pour
le premier bébé de Stéphanie (voir annexe «retranscription Stéphanie»). Un autre
exemple est l’utilisation de l’oxytocine, une hormone de synthèse injectée à plus de
60% des femmes en travail afin d’accélérer l’expulsion, qui décuple les risques de
souffrance fœtale (manque d'oxygénation du fœtus) . 8
Il existe plusieurs courants, plusieurs façons de définir une enquête
journalistique. Un de ces courants considère que la révélation est indispensable.
Yves Agnès, dans son livre Manuel de journalisme, reprend la définition du Petit
Robert du terme « enquête ». Il s’agit d’une « recherche méthodique reposant sur
des questions et témoignages ». Selon lui, « toute enquête suppose une découverte
d’informations nouvelles, pas ou peu connues, parfois dissimulées » . 9
Un autre courant constate que la grande majorité des données nécessaires à
une enquête sont en libre accès. Dans son ouvrage L’enquête par hypothèse :
manuel du journaliste d’investigation, Mark Lee Hunter consacre une grande
importance aux sources ouvertes, qu’il qualifie même de « source de grande
puissance » . 10
7 Voir annexe « Retranscription Stéphanie » 8 Marie-Hélène Lahaye, Accouchement, les femmes méritent mieux, Paris, Michalon, 2018 9 Yves Agnès, Manuel du journaliste d’investigation, Paris, La découverte, 2015 10 Mark Lee Hunter; Nils Hanson; Rana Sabbagh; Luuk Sengers; Drew Sullivan; Pia Thordsen, L’enquête par hypothèse : manuel du journaliste d’investigation [en ligne]. Unesco/ARIJ, 2009. <http://portal.unesco.org/ci/fr/ev.php-URL_ID=29032&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html>.
9
Les sources ouvertes, c’est-à-dire les sources en accès libre, comme les
articles de presse, les études ou recherches scientifiques, ont été très utiles pour
cette enquête. La découverte d’informations nouvelles réside avant tout dans les
témoignages des femmes interrogées et dans l’expertise combinée des différents
spécialistes interrogés. Enfin, la synthèse de tous les éléments récoltés, condensés
en environ une heure quart d’audio, apporte un nouveau regard journalistique sur ce
sujet.
Cette enquête est un mélange de deux catégories d’enquête exposées lors
du cours de Marc Vanesse, «Investigation journalistique» : le questionnement sur un
phénomène de société et l’approfondissement d’une actualité récurrente.
- Le questionnement sur un phénomène de société :
Les violences obstétricales sont un phénomène de société plutôt méconnu du
grand public. Lorsque j’ai commencé ce travail et que j’en parlais autour de moi,
presque personne ne savait ce que c’était. Souvent, ces personnes sont étonnées
que cela se produise en Belgique. Il arrive souvent qu’on me demande en quoi cela
consiste exactement, et lorsque je parlais d’épisiotomie non consentie par exemple,
ou du fait que certains hôpitaux empêchent les femmes d’adopter des positions
confortables ou de manger lorsqu’elles accouchent, on me regardait avec un air
d’indignation. Cela pourrait venir du fait que c’est un sujet encore assez peu traité
par les médias : une recherche sur Gopress avec les mots « violences obstétricales»
donne un total de 41 articles pertinents pour la France et la Belgique.
Ce sujet concerne tout le monde. Nous sommes presque tous nés dans un
hôpital. Nous connaissons tous une femme qui a accouché, L’accouchement est un
sujet universel. Pour visibiliser cette problématique, des plateformes se sont mises
en place en Belgique et en France au cours de ces dernières années. Par exemple,
la Plateforme pour une naissance respectée a vu le jour à Bruxelles en 2014. Suite 11
à un cycle cinématographique sur les droits reproductifs, cette plateforme est née
11 http://www.naissancerespectee.be/
10
comme l’expression de la volonté de citoyennes, de mères et de militantes, de
mettre en avant la difficulté de faire entendre les besoins des femmes pendant leur
accouchement, ainsi que de défendre leurs droits et leurs intérêts. En France, le
CIANE est un collectif formé d’associations françaises de parents et d’usagers de 12
la santé concernés par les questions relatives à la grossesse, à l’accouchement et
aux premiers jours de la vie, créé en 2003.
Mais certaines questions restent à creuser. Pourquoi ces violences ont-elles
lieu ? Dans quel contexte ? Quelle est la nature de ces violences ? Ce travail tente
de répondre à ces questionnements, dans une logique d’enquête, afin que ce
phénomène de société soit plus accessible au grand public.
- L’approfondissement d’une actualité récurrente :
Les violences obstétricales ont fait l’objet d’un traitement médiatique par les
journaux français et belges, comme vu plus haut dans ce travail. Cependant, ces
sujets font plus rarement l’objet d’un traitement en profondeur ou ne s’attardent que
sur un seul aspect des violences obstétricales. Sur les 41 articles trouvés sur
Gopress par exemple, seulement la moitié (22 en tout) comportent plus de 3.500
signes, espaces compris. Bien sûr, le site Gopress ne permets pas de comptabiliser
les sujets radiophoniques et télévisés. Mais les violences obstétricales sont un sujet
très complexe, des livres entiers en font l’objet. Un traitement journalistique en
approfondi, qui s’intéresse à toutes les parties concernées (aussi bien victimes que
gynécologues) permettrait une synthèse de ce sujet, mais aussi un moyen plus
rapide pour le grand public de le comprendre dans sa globalité.
12 https://ciane.net/
11
Chapitre 2 : méthodologie et appropriation des dix
étapes d’une enquête
Les dix étapes d’une enquête sont enseignées dans le cadre du cours de
Marc Vanesse, « Investigation journalistique », dispensé en première année du
Master en journalisme. Elles ont également fait l’objet d’un article intitulé « Le
journalisme d’investigation et l’accélérateur de particules informatives » . Ces dix 13
étapes sont une méthodologie propre à toute enquête, même si chaque enquête est
particulière et que ces étapes peuvent être adaptées. Cette méthodologie de base a
été utilisée pour ce travail d’enquête.
Le choix du sujet et de l’angle
Les violences obstétricales et gynécologiques sont de plus en plus traitées
par les médias belges et français. Ce sujet tabou dans notre société a profité d’une
vague d’attention durant l’été 2017, lorsque plusieurs journaux francophones se sont
emparés de cette problématique et l’ont mis en lumière pour le grand public . 14
Marie-Hélène Lahaye, juriste et autrice du livre Accouchement, les femmes méritent
mieux, qualifie même cette date de « tournant historique dans la prise de conscience
de la réalité des violences obstétricales, ces maltraitances infligées aux femmes qui
accouchent » . De nombreux articles sont donc à la disposition du grand public sur 15
Internet. Lorsqu’il recherche les mots « violences obstétricales » sur Google,
l'internaute trouve des articles de la RTBF accompagnant des extraits d'émissions
qui traitent du sujet. Le dernier article Web date du 9 février 2019 . Il est 16
13 Marc Vanesse, « Le journalisme d’investigation et l’accélérateur de particules informatives », Les cahiers de la documentation, juin 2011, p.5-10 14 Marie-Hélène Lahaye, « L’été historique où les violences obstétricales se sont imposées dans les médias », LeMonde.fr, [en ligne] http://marieaccouchela.blog.lemonde.fr/2017/08/18/lete-historique-ou-les-violences-obstetricales-ont-fait-le-buzz/, 27/9/2016. 15 Ibid. 16 Amélie Bruers, « Violences obstétricales: et si la solution, c'était de prendre le temps? », RTBF.be, [en ligne]
12
accompagné d’une vidéo extraite du journal de 13h, où le journaliste Quentin Warlop
interviewe Michèle Warnimont, Sage-femme en Chef de la maison de naissance le
Cocon, dont nous reparlerons plus loin dans ce travail.
Une des raisons qui expliquerait l'intérêt pour ce sujet est l’avancée
progressive des valeurs féministes qui se répandent en Europe, notamment par le
biais de la pop culture et du marketing . En effet, le mot « féminisme » est de moins 17
en moins tabou, et est de plus en plus repris comme un argument de vente,
phénomène aussi appelé « feminism washing » . Une autre raison est l’avancée 18
d’Internet. Comme le précise Mélanie Déchalotte dans Le livre noir de la
gynécologie, une série d’évènements se sont enchaînés et ont délié les langues.
D’abord en 2014, la sage-femme Agnès Ledig publie un article sur son blog sur « le
point du mari » (acte qui consiste à recoudre une épisiotomie plus serrée, ce qui
donnerait plus de plaisir au conjoint lors de la pénétration), ce qui génère de vives
réactions dans la presse et les réseaux sociaux. La même année, le hashtag « Paye
Ton Utérus » est lancé par une étudiante sur Twitter. Il est utilisé par plus de 7.000
femmes en 24 heures, qui racontent les problèmes rencontrés avec leurs
gynécologues. On peut également citer le Tumblr « Je n’ai pas consenti », lancé par
Marie-Hélène Lahaye, Béatrice Krammerer et Anne-Charlotte Husson en 2015. Sur
celui-ci figure une tribune qui a pour but d’interpeller le public, les médecins et le
gouvernement sur la question du consentement dans le milieu de la médecine. Elle
est accompagnée d’une pétition contre les touchers vaginaux et rectaux non
consentis . Cependant, les termes « violences gynécologiques et obstétricales » ont 19
émergés en France et en Belgique récemment (plus précisément en 2015), et leur
utilisation est originaire des pays d’Amérique Latine puis des pays Anglos-saxons . 20
https://www.rtbf.be/info/societe/detail_violences-obstetricales-et-si-la-solution-c-etait-le-temps?id=10141325, 9/2/2019. 17Arièle Bonte, « Féminisme : pourquoi ce mot fait-il tant peur ? », RTL.be, [en ligne] https://www.rtl.fr/girls/identites/feminisme-pourquoi-ce-mot-fait-il-tant-peur-7797025331, 4/3/2019 18 Mathilde Largepret, « Consommer féministe pour la bonne cause ? », femme-plurielle.be, [en ligne], https://www.femmes-plurielles.be/consommer-feministe-pour-la-bonne-cause/, 4/2/2019 19 https://jenaipasconsenti.tumblr.com/petition 20 Danielle Bousquet, Geneviève Couraud, Margaux Collet, « Les actes sexistes durant le suivi gynécologiqe et obstétrica l», Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2018, p.66
13
Ce sujet a attiré notre attention pour la première fois en 2015, lorsque le
scandale sur les touchers vaginaux non-consentis a éclaté en France . Cette 21
polémique concernait des touchers vaginaux et rectaux effectués par des étudiants
en médecine sur des patientes sous anesthésie générale pour diverses opérations.
Un rapport commandé par Marisol Touraine, l’ancienne ministre de la santé
française, révélait que 33% des étudiants de premier cycle en médecine avaient déjà
pratiqué des touchers non consentis. Cette affaire a beaucoup choqué la France et
la Belgique, jusqu’à remonter aux oreilles du gouvernement français : Marisol
Touraine s’est dite choquée par ces pratiques. Elle a commandé le rapport à
Jean-Pierre Vinel, le président de la Conférence des doyens des facultés de
médecine, et a lancé trois actions visant à faire cesser ces pratiques illégales : une
mission d’inspection dans les établissements, une instruction adressée aux
directeurs d’établissement pour leur rappeler leurs obligations légales (dont la
demande de consentement avant un toucher), et enfin l’apprentissage par simulation
pour les étudiants en médecine . 22
Plus récemment, en juillet 2018, le site Konbini.fr a réalisé des interviews en
face caméra de femmes victimes de violences gynécologiques . Ces témoignages 23
poignants ont motivé la réalisation de cette enquête.
Un autre phénomène entre en compte dans le choix de ce sujet, il s’agit de ce
que Mark Lee Hunter appelle « le syndrome de la jambe cassée » : on ne se rend 24
21Aude Lorriaux, « On apprend encore aux futurs gynécos à toucher les patientes endormies sans leur consentement », Slate.fr, [en ligne] http://www.slate.fr/story/170400/gynecologues-probleme-consentement-apprentissage-externes-medecine-touchers-vaginaux-rectaux?fbclid=IwAR0itFD8Ckq0O3WoSZ-h05m67Fc69j0BZydICCJopoVnP_xRZXIM745S3OQ, 27/11/2018. 22 Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Communiqué de presse, « Touchers vaginaux et rectaux sans consentement sur patient(e)s endormi(e)s : Marisol TOURAINE reçoit le rapport des doyens de médecine et réaffirme « l’extrême fermeté » de l’Etat face à des pratiques « inacceptables », 27/10/2015 23 KONBINI, « Violences gynécologiques : des témoignages glaçants », Youtube.com, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=akWaafmqNmk, 19/7/2018. 24 Mark Lee Hunter; Nils Hanson; Rana Sabbagh; Luuk Sengers; Drew Sullivan; Pia Thordsen, L’enquête par hypothèse : manuel du journaliste d’investigation [en ligne]. Unesco/ARIJ, 2009, p.10 <http://portal.unesco.org/ci/fr/ev.php-URL_ID=29032&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html>.
14
pas compte du nombre de personnes qui boitent avant d’avoir la jambe dans le
plâtre. Autrement dit, « nous ne remarquons pas certains phénomènes à moins que
nous y soyons déjà sensibilisés. Permettez ainsi à vos passions existantes de vous
sensibiliser aux histoires que personne d’autre ne semble prendre au sérieux » . En 25
tant que femme, lors d’une consultation gynécologique, il arrive d’être mal à l’aise
vis-à-vis du médecin. Les consultations sont en général expédiées, certaines
informations sont floues ou données à demi-mot, certains maux ne sont pas pris au
sérieux. Selon la théorie de Mark Lee Hunter, j’avais la jambe cassée, ce qui m’a
permis de me rendre compte que beaucoup de femmes l’avaient aussi. Mon genre a
d’ailleurs été un atout lors de cette enquête à plusieurs reprises, lors des entretiens
surtout. Certaines femmes ont osé me confier des choses très personnelles, comme
Laura qui m’a avoué que sa vie intime était toujours très difficile un an après son
accouchement (voir annexe « Retranscription Laura »). Si elle avait eu un homme
qu’elle ne connaissait pas en face d’elle, elle n’aurait peut-être pas osé se dévoiler
de la sorte.
Le milieu médical m’intéresse beaucoup, et j’ai d’ailleurs réalisé ma première
enquête à propos du harcèlement des stagiaires en infirmerie dans les hôpitaux. Il
incarne un monde à part, régi par ses propres règles et sa propre hiérarchie. Nous
passons tous par l'hôpital à un moment de notre vie, ce qui rend cet univers à la fois
intriguant et familier. Le domaine de la santé regorge de sujets qui peuvent faire
l’objet d’enquête. Le but ne serait pas de révéler à tout prix un scandale, mais
surtout « de mettre en lumière des données et des modes de fonctionnement
méconnus du public ». La cause féministe m’intéresse également depuis plusieurs 26
années et je me suis rapidement rendu compte, au cours de mes recherches, que
les violences obstétricales lui sont intrinsèquement liées.
Le thème de la santé n’a pas toujours été abordé par les journalistes.
Autrefois, on parlait de « journalisme médical », car la santé se résumait à la
25 Ibid. 26 Sylvie Sargueil, Rubrique santé, manuel de traitement de l’information, Paris, CFPJ Éditions, 2008, p.71
15
médecine. Aujourd’hui, le concept de la santé a bien évolué et l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) la définit comme ceci : « La santé est un état de
complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une
absence de maladie ou d’infirmité. » Le journalisme « santé » englobe donc tout ce 27
qui a trait au bien-être en général et plus seulement à la médecine. Un tournant a eu
lieu à la fin des années 1980, lorsque des enquêtes politico-sanitaires se sont
enchaînées. La confiance aveugle du public dans la médecine en a pris un coup.
Une de ces enquêtes, et certainement la plus célèbre, est l’affaire du sang
contaminé. Elle a été réalisée par la journaliste française Anne-Marie Casteret, du
magazine L'evénement du jeudi, en 1991. La journaliste a révélé que les autorités de
santé française avaient sciemment laissé en circulation des poches de sang
contaminées par le virus du Sida, qui a été transfusé à des milliers de personnes.
Depuis une trentaine d’années, et sous l’impulsion de l’OMS, la santé publique est
aujourd’hui un enjeu qui s’est mondialisé et le journaliste santé est devenu un
véritable agent de la santé publique. 28
Au départ, cette enquête devait aborder les violences obstétricales et
gynécologiques en France et en Belgique. Je voulais rassembler témoignages,
reportages et avis d’experts. L’angle s’est petit à petit affiné, comme expliqué dans
le point suivant.
Affinement de l’angle
Un des objectifs était d’abord de comparer les pratiques entre la France et la
Belgique. Je voulais rencontrer des femmes et des experts français, car le système
de soin est légèrement différent de celui de notre pays. Une de mes interlocutrices,
Marie-Hélène Lahaye, me l’a d’ailleurs confirmé. Elle est l’autrice du livre
Accouchement, les femmes méritent mieux (Michalon, 2016). Lors de l’interview, je
lui ai demandé si les femmes en Belgique étaient bien traitées dans les hôpitaux par
rapport à nos voisins. Elle a répondu ceci :
27 https://www.who.int/fr/about/who-we-are/constitution 28 Sylvie Sargueil, Rubrique santé, manuel de traitement de l’information, Paris, CFPJ Éditions, 2008
16
Quand on compare la Belgique et la France, on constate qu’en France, on se plaint beaucoup du manque de respect des soignants, des médecins très dominateurs, avec un point de vue surplombant. Ils ne laissent pas beaucoup de liberté aux femmes, il y a un côté très dur chez les Français. Chez nous, les gens sont globalement plus gentils, il y a moins cette idée que le médecin est quelqu’un de supérieur et les relations soignant/patient sont plus douces. Mais d’un autre côté, il y a plus d’actes médicaux. C’est un paradoxe en Belgique . 29
Une comparaison entre la France et la Belgique aurait été intéressante, mais
cela aurait été une enquête différente. Cela m’amenait vers un autre sujet, plus
sociologique et culturel, qui aurait été moins en phase avec ce que je voulais faire,
c’est-à-dire une enquête. Au cours des études de journalisme à l’Université de
Liège, il est enseigné aux étudiants que «plus l’angle sera large, plus il suscitera une
approche générale aux contours flous, peu passionnante pour le lecteur. Plus il sera
étroit, plus il suscitera l’intérêt par son originalité» . 30
J’ai donc rapidement décidé de me concentrer sur la Belgique francophone.
J’ai choisi de ne pas me limiter à Liège car les violences obstétricales sont un
phénomène global. Mes interlocuteurs viennent de Bruxelles et de Wallonie (Brabant
wallon, Liège et Mons). Le taux d’épisiotomie - violence obstétricale courante, qui
consiste en une incision du périnée qui a pour but d’éviter la déchirure de celui-ci et
de faire sortir le bébé plus rapidement - est encore plus élevé en Flandre : on y
compte 54% d’épisiotomies, pour 45% en Wallonie et 36% à Bruxelles. Il aurait été 31
intéressant de comparer la Wallonie, Bruxelles, et la Flandre mais la barrière de la
langue, surtout pour le format radio, m’a obligée à me concentrer sur la région
francophone. De plus, cela aurait encore une fois été un angle trop large pour cette
enquête.
Un second affinement de l’angle initial était nécessaire, pour des raisons
différentes. Je me suis d’abord intéressée aux violences gynécologiques et
obstétricales. Ces deux pratiques sont intrinsèquement liées : elles touchent toutes
les deux aux appareils reproducteurs des femmes. En France, le rapport du Haut
29 Voir annexe « Retranscription Marie-Hélène Lahaye » 30 Marc Vanesse, « Le journalisme d’investigation et l’accélérateur de particules informatives », Les cahiers de la documentation, juin 2011, pp.5-10 31 Marie-Hélène Lahaye, Accouchement, les femmes méritent mieux, Paris, Michalon, 2018, p.147
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Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes concernant les actes sexistes
durant le suivi gynécologique et obstétrical, aussi appelé « rapport Schiappa » (du
nom de la secrétaire d’État française chargée de l’Égalité entre les femmes et les
hommes qui a commandé ce rapport) , définit ces deux pratiques médicales comme
ceci :
La gynécologie a pour objet le diagnostic et le traitement des maladies de l’appareil génital et du sein (maladie de l’utérus, de l’ovaire, du sein, maladies sexuellement transmises), le dépistage des cancers gynécologiques par des frottis et des mammographies en collaboration avec des radiologues, la prise en charge du traitement de la stérilité, la régulation des naissances (contraception ou IVG) et le traitement des troubles de la ménopause. L’obstétrique est la surveillance du déroulement de la grossesse et de l’accouchement. 32
Ce même rapport définit les violences obstétricales et gynécologiques comme ceci :
Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical sont des gestes, propos, pratiques et comportements exercés ou omis par un.e ou plusieurs membres du personnel soignant sur une patiente au cours du suivi gynécologique et obstétrical et qui s’inscrivent dans l’histoire de la médecine gynécologique et obstétricale, traversée par la volonté de contrôler le corps des femmes (sexualité et capacité à enfanter). Ils sont le fait de soignant.e.s — de toutes spécialités — femmes et hommes, qui n’ont pas forcément l’intention d’être maltraitant.e.s. Ils peuvent prendre des formes très diverses, des plus anodines en apparence aux plus graves. 33
Les violences gynécologiques prennent place dans les cabinets des
gynécologues, alors que les violences obstétricales se déroulent surtout dans les
salles d’accouchement, donc dans des hôpitaux principalement. Elles se traduisent
de différentes manières, avec des gestes médicaux propres à chacune de ces
spécialisations. Mais elles ont une origine commune : les dogmes sexistes qui
touchent les femmes, plus particulièrement lorsque celles-ci sont en position de
faiblesse. Les violences obstétricales, en plus d’être des violences sexistes, sont
également institutionnelles. Les hôpitaux ont des protocoles à suivre, des horaires et
un budget à respecter. Lorsque ces obligations deviennent plus importantes que le
bien-être des patients en général, cela mène à de la violence institutionnelle.
Marie-Hélène Lahaye a donné un exemple très concret lors de notre entretien :
32 Danielle Bousquet, Geneviève Couraud, Margaux Collet, « Les actes sexistes durant le suivi gynécologiqe et obstétrical », Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2018, p.3 33 Ibid.
18
Les violences obstétricales, ce sont deux types de violence. Les violences institutionnelles sont produites par des institutions, toutes produisent de la violence, que ce soient les orphelinats, les prisons ou les hôpitaux. À partir du moment où les règles priment, il y a de la violence. Il y a un exemple dans la littérature, c’est celui d’une vieille femme hospitalisée qui a l’habitude de prendre son thé à 9 heures le soir. Elle demande de l’eau chaude et on lui refuse, alors qu’il y en a et que ça ne coûterait rien. Mais on lui dit que si tout le monde commençait à demander de l’eau chaude, on ne s’en sortirait plus. C’est typiquement de la violence, car ça ne coûte rien, mais la préservation des règles prime sur les besoins fondamentaux. 34
Il n’existe pas d’enquête publique qualitative ou quantitative concernant le
ressenti des femmes lors de leurs consultations gynécologiques, que ce soit en
France ou en Belgique. Ce problème a été rencontré par Marie Hélène Lahaye lors
de la rédaction de son ouvrage. Publié en juin 2018, le « rapport Schiappa »,
consacré aux actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical, insiste
d’ailleurs sur la nécessité d’une enquête publique :
Au terme des auditions et des recherches effectuées par le HCE, il apparait qu’il n’existe pas d’enquête de santé publique spécifique au suivi gynécologique des femmes, aussi bien sur sa régularité que sur la satisfaction des patientes quant à l’information reçue et au recueil du consentement (pour les palpations mammaires ou les examens vaginaux notamment). C’est pourquoi le Haut Conseil recommande la réalisation de la première enquête de santé publique, quantitative et qualitative, dédiée sur le sujet. 35
Ce rapport confirme pourtant que beaucoup de femmes ont été victimes
d’actes sexistes lors de consultations gynécologiques (ainsi qu’obstétricales),
notamment par la collecte de différents témoignages. Il avance aussi certaines
causes qui expliqueraient pourquoi cette branche de la médecine est aussi touchée
par les actes sexistes :
- La multiplicité d’occasions en comparaison avec d’autres suivis médicaux (le HCE estime
qu’en moyenne, une femme va avoir 50 consultations gynécologiques et obstétricales au cours de sa vie)
- Cette spécialité médicale qui vise à accompagner les femmes dans la maîtrise de leur fécondité, échoue parfois à reconnaitre leur pleine autonomie
- L’insuffisante prise en compte du caractère particulièrement intime de ces consultations. - Aujourd’hui, et en dépit de l’augmentation importante de la part des femmes dans le secteur
médical, le sexisme y est encore très présent - Les actes sexistes dans le suivi gynécologique et obstétrical sont encore largement impunis 36
34 Voir annexe « Retranscription Marie-Hélène Lahaye » 35 Danielle Bousquet, Geneviève Couraud, Margaux Collet, « Les actes sexistes durant le suivi gynécologiqe et obstétrica l», Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2018, p.66 36 Ibid., p.5
19
Cependant, en recherchant des personnes qui accepteraient de témoigner
par rapport aux violences gynécologiques, je me suis heurtée à un mur : très peu ont
réagi. Pour expliquer cette difficulté à accepter de témoigner, l’hypothèse est que
ces violences sont plus banalisées. Le plus souvent, on a affaire à des violences
morales et verbales, à des réflexions sexistes, infantilisantes et/ou grossophobes.
Les femmes et la société en général ont tendance à minimiser l’impact du
harcèlement moral par rapport aux agressions physiques. On peut faire le parallèle
avec une autre forme de violence sexiste, comme le harcèlement de rue. Selon une
étude de l’organisation belge Vie Féminine, 98% des femmes ont déjà été touchées
par le harcèlement de rue. 50% ont déjà subi du harcèlement physique dans 37
l’espace public, que ce soit des attouchements sexuels ou d’autres formes de
violence. Pourtant, très peu de plaintes sont déposées. Lors d’une recherche sur 38
internet, ces violences sont représentées par les médias le plus souvent dans le cas
d’agressions physiques qui sont plus « visuelles ». On peut par exemple citer la
photo très médiatisée de deux jeunes femmes avec le visage ensanglanté dans un
bus londonien suite à une agression sexiste et homophobe , ou encore la vidéo 39
d’une jeune française qui a reçu un coup de poing dans la rue en plein jour. Ces 40
images violentes sont fortement médiatisées, car choquantes et visuelles. Elles
mettent des images sur ce qui se passe. Par contre, réaliser un sujet sur des
agressions verbales se montre plus compliqué. Il existe toutes sortes d’interviews et
de témoignages à ce sujet, mais ils sont moins relayés. Si on prend par exemple
deux vidéos de la chaîne Youtube de Brut (média en ligne français, dont
l’information est principalement sous forme de vidéos explicatives sur les
37 Vie féminine, « Le sexisme dans l’espace public », 2016, p.10 [en ligne] http://engrenageinfernal.be/wp-content/uploads/2016/10/Etude-Sexisme-web.pdf 38 Louise Vanderkelen, « 98% des femmes victimes de harcèlement de rue », LaLibre.be, 2017, [en ligne]https://www.lalibre.be/belgique/98-des-femmes-victimes-de-harcelement-de-rue-58b845e7cd708ea6c0efb33d 39 AFP, « Agression d’un couple de femmes dans un bus londonien, les suspects libérés sous caution », Rtbf.be, 2019, [en ligne] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_agression-d-un-couple-de-femmes-dans-un-bus-londonien-les-suspects-liberes-sous-caution?id=10242075 40 Konbini, « Vidéo : en pleine rue, une femme se fait frapper après avoir répondu à l’homme qui la harcelait », Konbini.fr, 2019, [en ligne] https://www.konbini.com/fr/tendances-2/femme-frapper-video-pleine-rue-harcelement/
20
réseaux-sociaux), une sur les violences verbales et une sur les violences physiques,
on voit que la première totalise moins de 3.000 vues sur Youtube , et la deuxième 41
presque 60.000 . À force de recevoir et de consommer des articles et vidéos 42
montrant un tel niveau de violence, une expérience comme une agression verbale
peut sembler moins grave, moins importante, ce qui peut amener à une minimisation
de ce problème, et donc potentiellement empêcher une femme de témoigner auprès
d’un journaliste ou de porter plainte. S’ajoute à cela la plus grande fréquence de ce
genre de violence, car toutes les agressions sexistes dans les lieux publics ne
mènent pas à de la violence physique. C’est le cas aussi pour les violences
gynécologiques, qui ont plus de risque de se manifester étant donné le plus grand
nombre de consultations gynécologiques qu’obstétricales : selon une estimation du
Haut Conseil à l’Égalité, en France, « en l’absence de pathologie, une femme suivra
donc en moyenne près de 50 consultations gynécologiques entre ses 15 et 45 ans 43
». Dans ces chiffres sont comprises les consultations gynécologiques de contrôle (le
plus souvent pour un renouvellement de contraception), les consultations
obstétricales, et les éventuelles consultations pour une interruption volontaire de
grossesse. Les consultations gynécologiques représentent à elles-seules trente
consultations. De la même façon qu’une insulte ou qu’un regard insistant dans la rue
paraît presque normal aux femmes, un ou une gynécologue qui ferait une remarque
déplacée ne choque plus outre mesure si on y est habituée depuis la puberté. Cette
fréquence peut amener à une acclimatation et à une acceptation des violences
verbales, aussi bien pour le harcèlement de rue que pour les violences
gynécologiques verbales.
J’ai néanmoins réalisé une interview concernant les violences gynécologiques
avant de décider d’abandonner cette thématique au profit des violences
obstétricales. Le premier contact avec la jeune femme qui a accepté d’être
interviewée manifeste pourtant les doutes qu’elle avait concernant la légitimité de
41Brut, « Harcèlement de rue : des milliers de témoignages recueillis par le blog Paye Ta Shnek », Youtube.com, 2018, https://www.youtube.com/watch?v=FQz7k0zFm1Q&t=2s 42 Brut, « Frappée au visage dans la rue, elle a décidé de publier la vidéo de son agression », Youtube.com, 2018, https://www.youtube.com/watch?v=F_lpzgqClRo&t=11s 43 Danielle Bousquet, Geneviève Couraud, Margaux Collet, «Les actes sexistes durant le suivi gynécologiqe et obstétrical», Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2018, p.24
21
son témoignage. Elle m’a contactée à la suite d’un appel à témoignages que j’avais
publié sur Facebook. Celui-ci se présentait comme ceci : « Je réalise un mémoire
sur les violences obstétricales et gynécologiques et je suis à la recherche de
femmes qui seraient d'accord pour témoigner. Que ce soit une remarque déplacée,
un geste qui vous a mis mal à l'aise, etc., aucun témoignage n'est anodin ! Vous
pouvez me contacter par message pour en discuter. » Ce à quoi elle a répondu en
commentaire : « Qu’entends-tu par “déplacée” exactement ? ». Je lui ai expliqué que
cela pouvait être une remarque sexiste par exemple. Nous nous sommes
entretenues par messages privés. Elle a d’abord tenu à expliquer par écrit son
expérience avant une rencontre potentielle, afin de s’assurer que celle-ci pouvait
être intéressante pour ce travail. Nous nous sommes finalement rencontrées pour
une interview, mais avant que je n’allume l’enregistreur, elle a plusieurs fois exprimé
son hésitation : elle estimait que son histoire n’était pas assez importante. Voici une
partie de son témoignage :
Chez mon ancienne gynécologue, quand elle avait un stagiaire, on me demandait si ça me gênait. Là, pas. Ils étaient trois : elle et deux stagiaires. Elle ne m’a pas présentée. Il n’y avait pas de rideaux dans le cabinet. Elle m’a juste dit : « Voilà, tu peux t’asseoir et ouvrir les jambes». Je l’ai fait. Je n’avais jamais eu le spéculum avant. Quand je l’ai vu, j’ai ouvert grand les yeux et j’ai stressé. Elle m’a engueulée, elle m’a prise de haut. Je lui ai expliqué, mais elle m’a dit que si c’était pour faire ça je pouvais partir. Je me suis rhabillée et elle ne m’a plus parlé. Elle m’a donné une nouvelle pilule et m’a dit de ne plus revenir. [...] On voyait qu’elle n’avait pas envie d’être là, qu’on la faisait chier. Je ne suis plus allée chez la gynécologue pendant trois ans. J’avais envie de pleurer, elle me prenait pour un enfant, comme si j’étais débile. Je me suis sentie honteuse. 44
Le témoignage de cette jeune femme est représentatif du genre de violences
gynécologiques que je voulais traiter dans cette enquête. Malheureusement, c’est le
seul témoignage de ce genre que j’ai récolté. Huit femmes ont répondu à mon appel
à témoin. Sur ces huit potentiels témoignages, seul celui ci-dessus concerne des
violences gynécologiques. Pendant un temps, j’ai continué à chercher des
témoignages de ce genre, par le bouche à oreille ou par l’intermédiaire d’institutions
comme un planning familial par exemple. Mes recherches n’ont pas abouti. J’avais le
choix de pousser ces recherches et d’insister sur les violences gynécologiques, ou
de me concentrer sur les violences obstétricales. Enquêter sur ces deux sujets
44 Entretien avec Tizianna, le 27 février 2019
22
s’avérait presqu’impossible en quelques mois, tant pour cette difficulté à trouver des
témoignages que par la complexité de ces deux sujets. J’ai donc préféré me
concentrer sur les violences obstétricales, car c’est un sujet très riche et j’avais déjà
beaucoup de contacts dans cette branche.
In fine, j’ai réalisé une enquête portant sur les violences obstétricales en
Belgique francophone, en format audio. Le but de cette enquête consiste à mettre en
avant le témoignage de femmes, de comprendre les conséquences de ces
violences, ainsi que leurs causes par le biais d’interviews d’experts. Enfin, des pistes
de solutions viendront compléter cette enquête.
Les recherches préparatoires et la documentation
La violence obstétricale est un sujet qui concerne la santé et la médecine.
Une documentation préalable est nécessaire pour tout type d’enquête, mais
peut-être encore plus pour un sujet de santé. Avant d’interviewer qui que ce soit, il
faut comprendre le jargon qui entoure cette pratique, comprendre ses enjeux et
impératifs, et balayer toutes les idées reçues et stéréotypes qui peuvent entourer un
sujet de santé . Sans ces connaissances préalables, les journalistes peuvent 45
commettre des impairs et propager des fake news. C’est pourquoi une
documentation scientifique et médicale a été nécessaire à la préparation de
l’enquête.
Suite à l’emballement médiatique de 2017 qui a mis en lumière les violences
obstétricales (voir p.13), plusieurs ouvrages ont fait leur apparition les mois suivants.
Ces ouvrages ont été très utiles dans le travail de recherche qui a précédé l’enquête
à proprement parler. Ce sujet est très vaste et une compréhension globale était
nécessaire avant les différentes interviews prévues. Le premier livre consulté et sans
doute le plus important pour ce travail, est celui de Marie-Hélène Lahaye,
Accouchement, les femmes méritent mieux, publié en janvier 2018 aux éditions
Michalon. Il a déjà été cité plusieurs fois, sans doute car c’est le plus complet sur la
45 Sylvie Sargueil, Rubrique santé, manuel de traitement de l’information, Paris, CFPJ Éditions, 2008
23
question. Il a aussi mené à l’interview avec l’autrice, qui a amené des précisions
historiques et scientifiques au podcast. Ce livre a rapidement été choisi, car il est
décrit comme une référence dans la matière : il a reçu une grande couverture presse
et est très complet. Le fait que son autrice soit belge a aussi été bénéfique, car elle
prend souvent des exemples belges et décrit notre propre système de santé, même
si des comparaisons avec la France sont fréquentes.
Le second ouvrage étudié est Les brutes en blanc, de Martin Winckler, sorti
en octobre 2016 chez Flammarion. Cet essai concerne les maltraitances médicales
en France, et donne une idée plus précise du monde médical, que ce soit au niveau
de sa hiérarchie, de son apprentissage ou encore de ses règles tacites. Il a permis
une compréhension plus pointue sur la façon dont le monde hospitalier peut blesser
ses patients au lieu de les soigner. Il a cependant été plus difficile à mobiliser au
cours de ce travail, car malgré certaines similitudes, le système hospitalier français
et la mentalité des médecins sont assez différents de la Belgique. Mais Martin
Winckler reste une référence en matière d’analyse du monde médical et de ses
travers.
Le Livre noir de la gynécologie de Mélanie Déchalotte, sorti en octobre 2017
aux éditions First, est également un ouvrage important par son exhaustivité. Il a
succédé à un podcast radio en quatre épisodes sur France Culture, intitulé « La
relation soignant-soigné ». Il contient beaucoup de témoignages différents, ce qui a
permis une compréhension globale des différentes violences obstétricales et
gynécologiques, ainsi que de leurs conséquences sur les femmes.
Ces trois ouvrages forment la base de la documentation médicale de ce
mémoire, même si d’autres livres ont été utilisés, notamment L’accouchement est
politique, de Laetitia Négrié et Béatrice Cascales. Ils ont permis une première entrée
en la matière et ont été utiles tout au long de l’enquête, notamment comme
ressources scientifiques, car chacun amène des précisions quant aux gestes
pratiqués, que ce soit la nature de ceux-ci, leur nécessité (et surtout leur inutilité), ou
encore leur statistiques d’utilisation.
24
Le recours au carnet d’adresse
La quatrième étape concerne le recours au carnet d’adresses, qui a été
important. La plupart des interlocuteurs interrogés se connaissent, souvent parce
qu’ils ont travaillé ensemble lors de conférences par exemple. Le sujet des violences
obstétricales les a amenés à se rencontrer, et un cercle de spécialistes s’est formé
en Belgique. Une fois rentrée dans ce cercle, il était plus facile de convaincre ceux
qui en font partie de se laisser interviewer. Souvent, lors de la prise de contact ou
juste avant l’interview, la question « Qui avez-vous déjà rencontré avant de
m’interviewer ? » revenait. À la fin de l’interview, une fois la relation de confiance
bien établie, je demandais à mon tour « Connaissez-vous quelqu’un qui pourrait
m’aider ? ». C’est ainsi que le carnet d’adresses s’est créé. C’est ce qu’Yves Agnès
appelle « la réaction en chaîne » , courante pour une enquête. Pour ce qui est des 46
victimes, les trois personnes interrogées ont été trouvées par le bouche à oreille, soit
par l’intermédiaire de mon entourage, soit par l’intermédiaire de la gynécologue
Magali Eykerman, qui m’a dirigée vers sa patiente Laura.
L’immersion et le travail de terrain
À part les nombreux entretiens, le terrain consiste avant tout en la journée
passée à la maison de naissance le Cocon, à l’hôpital Erasme. J’y ai rencontré une
gynécologue qui a permis l’enregistrement de plusieurs de ses consultations : une
avec des parents pour une consultation postnatale et deux consultations prénatales.
Lors de ces consultations, une attitude discrète de ma part était adoptée, afin de
faire oublier ma présence. J’essayais aussi de repérer tous les petits bruits qui
pourraient habiller mon montage et faire entrer l’auditeur dans l’ambiance du cabinet
de consultation.
46 Yves Agnès, Manuel de journalisme, Paris, La découverte, p.306
25
Lorsqu’une patiente refusait l’enregistrement de son rendez-vous, j’en
profitais pour enregistrer des bruits d’hôpital, comme le bourdonnement de
machines, ou pour interviewer plus rapidement des mamans dans la salle d’attente,
en leur demandant la raison pour laquelle elles ont choisi le Cocon par exemple. Ce
terrain a permis une familiarisation avec le métier de sage-femme et de comprendre
concrètement la nature de leur travail avant et après l’accouchement. La journée
s’est terminée par l’interview de Michèle Warnimont, la Sage-Femme en Cheffe, qui
a apporté un regard intéressant sur la question par sa grande expérience comme
sage-femme hospitalière puis par sa prise de conscience des violences
obstétricales, et par sa position de cheffe d’une structure où la bienveillance est au
cœur des pratiques.
Le contournement des résistances et de l’hostilité du terrain
Durant cette enquête, il s'est avéré particulièrement difficile d'obtenir l'avis du
corps médical. La gynécologue anonyme a été la plus difficile à convaincre. Il a fallu
réitérer mes appels et e-mails avant d’avoir un lieu et une heure de rendez-vous.
Durant l’interview en elle-même, elle semblait dérangée par mes questions. C’est le
cas aussi pour la sage-femme du CHU, qui n’a pas accepté tout de suite non plus, et
qui était assez tendue pendant notre entretien. Les autres contacts étaient, en
général, plus faciles à convaincre. Cette méfiance vis-à-vis des journalistes de la
part du corps médical est courante, car il est arrivé plusieurs fois que des médecins,
suite à la médiatisation d’une erreur ou d’une pratique illégale qu’ils auraient
commise par exemple, se retrouvent devant un tribunal. Cela a été le cas en France
avec l’affaire Vincent Humbert en 2006 . Le docteur Frédéric Chaussoy avait pris la 47
responsabilité de l'arrêt des soins et de l’injection létale sur le jeune homme
paraplégique et dans le coma depuis plusieurs mois. Cet acte légal en Belgique ne
47 Morgane Rubetti, « Vincent Humbert, l’homme qui a relancé le débat sur la fin de vie », lefigaro.fr, 05/08/2018, [en ligne], https://www.europe1.fr/societe/vincent-humbert-le-combat-dune-mere-3726611
26
l’est toujours pas en France, et suite à une forte médiatisation de cette affaire, le
Docteur Chaussoy et la mère de Vincent Humbert ont été mis en examen. 48
Une autre raison pour laquelle les médecins sont parfois réticents à accorder
une interview est directement liée au sujet choisi. Depuis le début de la médiatisation
des violences obstétricales, certains médecins ont eu l’impression que les
journalistes ciblaient toute la profession et accusaient les gynécologues en général.
Ils ont eu l’impression d’être désignés comme « les méchants de l’histoire», des
personnes mal intentionnées ou peu compétentes. Ces attaques ont été dures à
entendre pour les sages-femmes et les gynécologues en particulier, qui sont souvent
des personnes passionnées et investies dans leur profession, comme le soulignait la
gynécologue Magali Eykerman lors de notre entretien. Afin d’obtenir une interview, il
a fallu les rassurer sur le souci de mettre en avant leur propre point de vue dans
l’enquête. Ce n’est pas pour autant qu’il faut excuser les gestes abusifs commis. La
naïveté ne fait pas bon ménage avec ce sujet, et les situations de violence existent
et peuvent être évitées. Une remise en question personnelle de chaque soignant est
nécessaire, car si les gestes violents ne sont probablement pas effectués dans le but
de nuire, le résultat est le même : des femmes souffrent de ces gestes. Mais la
situation est plus compliquée qu’une simple opposition qui correspondrait aux
méchants gynécologues contre les parturientes. Cette nuance est importante, et il
était important de la souligner lors de la création des podcasts.
Sur le terrain en lui-même, c’est-à-dire dans l’hôpital, le corps médical n’était
pas hostile, mais débordé. Déranger les sages-femmes et gynécologues pendant
leur travail pour obtenir une interview s’est avéré difficile. Il a fallu s’armer de
patience, ce qui a fini par payer. L’hostilité est surtout venue d’une patiente, qui a
d’abord accepté d’être enregistrée lors d’un monitoring (moment où on écoute le
cœur du bébé), puis qui a changé d’avis et a tenu à l’effacement immédiat du fichier.
48 Sylvie Sargueil, Rubrique santé, manuel de traitement de l’information, Paris, CFPJ Éditions, 2008, p.29
27
Heureusement, une sage-femme témoin de la scène m’a appelée plus tard, lors
d’une autre consultation, pour que je puisse enregistrer ce son.
Les violences obstétricales sont un sujet sensible et les journalistes qui vont
dans les hôpitaux pour des reportages doivent faire attention à ne pas tomber dans
le voyeurisme. Trouver l’équilibre entre la recherche de matière sur le terrain et le
respect de la vie privée des patientes s’est révélé plutôt difficile. Certains
enregistrements de consultations n’ont pas été utilisés lors du montage, car les
sujets abordés étaient parfois trop personnels. Par exemple, une jeune maman qui
attendait son troisième enfant a terminé sa séance en larmes, car cette grossesse
n’était pas prévue. Cet enregistrement n’a pas été utilisé, car le sujet était trop
éloigné des violences obstétricales.
La collation minutieuse des faits : sélection des interlocuteurs et techniques
d’interview
Les premières intervenantes à avoir été interviewées sont les femmes qui ont
été victimes de violences obstétricales. Pour trouver ces témoignages, l’utilisation du
bouche-à-oreille, des réseaux sociaux et du carnet d’adresses a été très utiles. La
première à avoir été interviewée est Stéphanie, contact clé trouvé par le
bouche-à-oreille. La deuxième est Aurore, qui a répondu à mon appel à
témoignages lancé sur les réseaux sociaux. La dernière est venue plus tardivement,
c’est Laura (prénom d’emprunt), que la gynécologue Magali Eykerman a contactée
elle-même suite à ma demande. D’autres femmes auraient pu être interviewées plus
tôt dans l’enquête, mais les problèmes qu’elles avaient rencontrés lors de leur
accouchement étaient soit trop similaires aux deux premiers témoignages, soit pas
assez représentatifs des violences obstétricales : par exemple, une des potentielles
personnes à être interviewée a subi des moqueries et des pressions lors d’un
examen prénatal en particulier. Pour trouver Laura, il a fallu attendre et prendre le
risque de décliner quelques propositions. Certaines femmes ont aussi changé d’avis.
Après un premier contact qui servait à expliquer la nature de cette enquête,
certaines se sont montrées hésitantes à livrer leur histoire, sans nécessairement
28
expliquer pourquoi elles ne voulaient plus témoigner. C’est arrivé trois fois lors de la
recherche d’interlocutrices.
Les cours de journalisme donnés à l’Université de Liège n’abordent pas en
détails les différentes techniques d’interview. Celles-ci constituent pourtant la base
de ce travail, puisque les podcasts sont en grande majorité un enchaînement
d’entretiens. Pour que ces entretiens se déroulent de façon professionnelle, un
mode opératoire a été mis en place sur base de deux manuels de journalisme : celui
d’Yves Agnès, publié aux éditions La Découverte, ainsi que le livre de Mark Lee
Hunter, L’enquête par hypothèse : manuel du journaliste d’investigation, disponible
gratuitement sur Internet et soutenu par l’Unesco.
Le Manuel du journalisme d’Yves Agnès est un ouvrage connu et utilisé avant
l’entreprise de cette enquête puisqu’il était une des lectures obligatoires du travail de
fin de cycle réalisé en fin de troisième bachelier, qui portait sur les pratiques du
journalisme et sur le rôle que le journalisme d’investigation a dans la société
d’aujourd’hui. Ce livre reprend les différents formats journalistiques, dont l’interview.
Cet ouvrage concerne le journalisme écrit, mais les conseils donnés par l’auteur
sont, pour la plupart, applicables à l’interview enregistrée. Ces conseils ont donc été
appliqués lors des interviews. Yves Agnès recommande par exemple de « savoir
rebondir à un propos en s’évadant de la trame initiale » , chose qui n’est pas aisée 49
au début de l'apprentissage journalistique, puisqu’il faut savoir en même temps
rester très attentif aux propos de l’interviewé, tout en préparant mentalement la
question suivante. Il conseille aussi de « pousser l’interlocuteur aussi loin que
possible » , tirer le plus d’informations possibles de la personne qui se trouve 50
devant le micro. Pour ce faire, il propose trois attitudes à adopter en fonction de la
personnalité de l’interviewé : le flatter dans le sens du poil, le provoquer pour qu’il
réagisse ou le contourner avec des questions inattendues. Avec ces trois approches
en tête avant l’interview, le journaliste s’adapte en fonction du comportement de la
personne dont il attend des informations importantes pour son travail. Souvent, un
49 Yves Agnès, Manuel du journaliste d’investigation, Paris, La découverte, 2015, p.282 50 Ibid.
29
mélange de ces approches, qui change au cours de l’interview, était la solution
choisie. Pour les spécialistes et les auteurs interrogés, une attitude de respect et de
« flatterie » était la solution la plus adéquate. Ces personnes étaient, en effet,
disposées à donner toutes les informations dont ils disposaient, car leur propre
volonté est de faire avancer le problème des violences obstétricales. Pour la
sage-femme Elisa, par exemple, l’attitude était d’abord à la flatterie, puis passait par
le contournement, pour enfin en venir à la confrontation (voir annexe
« Retranscription Elisa »). Pour les victimes, par contre, une quatrième attitude a été
dégagée : celle de l’ouverture. En montrant aussi bien par les mots que par le
langage corporel que nous sommes dans une attitude d’écoute et de
compréhension, en faisant comprendre à la personne « je suis là pour recevoir votre
témoignage, sans vous juger, et je vous respecte », l’interlocuteur se sent plus à
l’aise pour livrer son récit. Il faut cependant rester attentif à ne pas tomber dans un
piège : que les émotions prennent le pas et que la distance nécessaire entre
l’interviewé et le journaliste pour une relation professionnelle ne soit plus respectée.
Il peut être difficile de retenir son émotion lorsqu’une personne craque en plein
entretien. Il faut trouver ce juste milieu entre le respect et l’empathie, et le
professionnalisme attendu.
La mobilisation du manuel de journalisme de Mark Lee Hunter est venue plus
tard dans l’avancement de l’enquête, car il a été conseillé par un professeur suite à
une relecture de ce travail. Ce manuel s’est avéré être une ressource très utile, car il
offre un guide pour naviguer à travers les différentes étapes d’une enquête.
La première étape, après avoir trouvé les personnes utiles à cette enquête,
est de prendre contact. Presqu’à chaque fois, cela se faisait par téléphone, car ce
moyen est très souvent plus rapide et efficace qu’un email. Mais lorsqu’un numéro
de téléphone manque, une adresse email peut s’avérer très pratique. Avant de
rencontrer les interlocuteurs, quelques recherches sont nécessaires. Par exemple,
avant de rencontrer Magali Eykerman, j’ai lu un article du Vif dans lequel elle
30
intervenait . Lorsque j’ai mentionné cet article, son ton a changé et elle est devenue 51
plus animée, ses émotions sont devenues plus visibles, car elle n’était pas satisfaite
du traitement de la journaliste du Vif. C’est aussi un très bon moyen de montrer à
ses interlocuteurs qu’on sait de quoi on parle, qu’on s’est préparé avant l’entretien,
et que donc cet entretien est important pour nous. Cela se fait aussi ressentir par la
préparation de questions pertinentes, qui est l’étape suivante.
Pour ce qui est des questions posées aux femmes victimes de violences
obstétricales, les questions préparées sont plus ou moins identiques, mêmes si
certaines questions plus précises se sont naturellement ajoutées pendant les
entretiens.
Pour les autres interlocuteurs, aucun canevas n’était possible, car ils sont
tous trop différents, que ce soit par leurs qualifications ou ce qu’ils pouvaient amener
comme contribution à l’enquête. Quelques consignes ont pu être appliquées
cependant. Pour commencer, les premières questions restaient neutres, afin
d’établir une discussion et rentrer progressivement dans le sujet. Pour le monde
médical, souvent, la première question concernait le parcours professionnel des
interlocuteurs, car cela leur permettait de d’abord parler d’eux et de leur vécu, avant
d'entamer des sujets qui les mettraient peut-être mal à l’aise. Cette attitude est
recommandée par Yves Agnès, afin de « “chauffer” son interlocuteur » . 52
Quelques recommandations pour les entretiens avec des médecins (ici, des
gynécologues en particulier, à part pour le docteur Lossignol) sont données par
Sylvie Sargueil, dans son livre Rubrique santé, manuel de traitement de
l’information. Son premier conseil est de rester le plus disponible possible et de s’y
prendre à l’avance lorsqu’il s’agit de prendre rendez-vous pour une interview avec
un médecin, car ceux-ci sont des personnes souvent très occupées :
51 Mélanie Geelkens, « La bienveillance obstétricale est née, mais quelle est-elle ? », levif.be, 01/12/2018, [en ligne], https://www.levif.be/actualite/positif/la-bienveillance-obstetricale-est-nee-mais-quelle-est-elle/article-normal-1057291.html 52 Yves Agnès, Manuel de journalisme, Paris, La découverte, 2015, p.282
31
Il est rare qu’un médecin soit sensible à l’urgence d’un bouclage, puisqu’il n’est pas là question de vie ou de mort. C’est pourquoi, quand on doit interviewer un médecin, chaque fois que cela est possible, ne pas s’y prendre au dernier moment, ne pas lui mettre la pression en lui parlant “d’urgence”, car il risque fort d’envoyer l’interviewer voir ailleurs s’il y a urgence ! 53
L’autrice insiste également sur la préparation minutieuse des questions et sur
le rejet de toute naïveté de la part du journaliste, car c’est, selon elle, « le meilleur
moyen de se faire “rouler dans la farine” » . Étant donné que la santé est un 54
domaine très spécialisé, l’interviewer doit montrer qu’il maîtrise son sujet et doit aller
à l’essentiel. Lors de l’interview de la gynécologue anonyme, la préparation et la
documentation se sont révélées cruciales, par exemple lorsque le sujet de la
cascade d’interventions était abordé. L’interlocutrice a demandé un exemple de
cascade d’interventions, comme si celle-ci n’était pas un vrai concept. La cascade
d’interventions consiste en un enchaînement d’actes médicaux superflus, induits par
un premier geste médical. On retrouve des cascades d’interventions dans d’autres
branches que l’obstétrique, et ce phénomène a été prouvé par plusieurs études . 55
J’ai donné l’exemple de l’injection d’ocytocine qui a pour but d'accélérer les
contractions mais qui augmente la douleur, ce qui oblige souvent les femmes à
recourir à une péridurale mais qui induit une immobilisation, ce qui peut encore
ralentir l’avancement du bébé. Le gynécologue peut alors avoir recours à des
forceps ou une ventouse et pratiquer une épisiotomie, ou il décide de pratiquer une
césarienne . La mobilisation lors de l’interview de ce phénomène d’interventions en 56
cascade a permis de montrer à l’interlocutrice la connaissance de concepts
médicaux précis, et l’a « obligée » à donner son avis et répondre à la question.
Les lieux de rencontre étaient, en général, déterminés par les interlocuteurs,
dans le souci que ceux-ci soient le plus à l’aise possible. Dans la plupart des cas,
cela se déroulait à leur domicile ou sur leur lieu de travail, ce qui permettait une
meilleure prise de son. Pour deux rencontres cependant, cela s’est déroulé dans un
café, ce qui a rendu la prise de son plus difficile.
53 Sylvie Sargueil, Rubrique santé, manuel de traitement de l’information, Paris, CFPJ Éditions, 2008, p.29 54 Ibid. 55 Marie-Hélène Lahaye, Accouchement, les femmes méritent mieux,Paris, Michalon, 2018 56 Ibid. p.38
32
La confrontation et la vérification
Après avoir rencontré des femmes victimes de violences obstétricales,
plusieurs entretiens avec des membres du personnel de santé ont été organisés.
Deux gynécologues, trois sages-femmes et un médecin ont été interviewés. Parfois,
le sujet des violences obstétricales les mettait mal à l’aise. C’était notamment le cas
de la sage-femme hospitalière liégeoise Elisa (nom d’emprunt), qui estimait n’avoir
jamais assisté à de la violence obstétricale sur son lieu de travail :
Dans le cas des violences obstétricales, je pense que ça dépend vraiment de trop de facteurs. C’est-à-dire que si on a cinq femmes dans des chambres l’une à côté de l’autre et qu’on fait la même chose chez les cinq, elles auront chacune leur propre ressenti. Il y a beaucoup de facteurs qui jouent, tout le monde est différent, le contact avec un soignant dans ce cadre ça rentre tellement dans l’intimité que c’est compliqué. Chaque personne le perçoit tellement différemment… Personnellement, je n’ai jamais assisté à une véritable violence, mais comme moi je l’ai ressenti. 57
Pour la gynécologue de Laura, la confrontation n’a pas pu avoir lieu, car
comme dit dans le premier épisode, elle n’a pas souhaité être interviewée, peut-être
par manque de temps. La vérification des propos récoltés lors d’entretiens s’est faite
par la lecture des ouvrages évoqués lors du point « Les recherches préparatoires et
la documentation ».
La structure de l’enquête et son sens nouveau
La structure des épisodes s’est dégagée petit à petit lors de l’enquête.
Plusieurs options se proposaient. Au tout début des recherches, avant l’affinement
de l’angle vers les violences obstétricales uniquement, la première idée était de faire
un premier épisode sur les violences gynécologiques, puis un autre sur les violences
obstétricales, pour finir avec un troisième qui se tournerait vers les solutions
proposées. De cette première structure est restée la volonté de terminer le récit avec
des solutions, abordées plus tard dans ce travail. Une fois l’affinement de l’angle
57 Voir annexe « Retranscription Elisa »
33
réalisé, d’autres idées de structures sont venues, notamment l’idée d’articuler les
épisodes autour de thèmes. Mais le sujet étant tellement vaste et complexe, cette
structure ne permettait pas une compréhension du phénomène dans sa globalité.
Enfin, le choix s’est porté sur une structure qui s’articule autour des récits des
victimes. Chaque épisode comporte un long témoignage, ce qui permet à l’auditeur
une connexion avec chaque femme et son récit et qui favorise son attention. Des
interviews de spécialistes viennent ensuite nourrir la réflexion de l’auditeur.
La structure sous forme de série a été choisie dès le début de ce travail.
Inhérente aux podcasts, les séries permettent de structurer le travail et rendent
l’écoute pour les auditeurs plus facile, puisqu’ils peuvent faire des pauses. Les
auditeurs peuvent aussi décider de passer un épisode ou d’en écouter juste un sur
le thème qui les intéresse le plus par exemple. Les séries sont aussi possibles au
format télévisé ou écrit, et selon Yves Agnès, « [les séries] nécessitent un angle
principal et des sous-angles pour chacun des articles de la série.» Les sous-angles 58
se sont dégagés en fonction des récits des femmes victimes de violences
obstétricales. Le récit de Laura rassemblait le plus de violences différentes, qu’elles
soient verbales ou physiques. Son témoignage pour commencer le premier épisode
permettait d’introduire le concept des violences obstétricales en général, car il
semblait important que l’auditeur ait une compréhension globale de ce phénomène
avant d’avancer plus loin dans les explications. Avec le récit de Stéphanie, il était
facile de faire le lien avec la maison de naissance le Cocon puisqu’elle en parlait
dans son interview. Elle a accouché trois fois, et si le premier accouchement s’est
mal déroulé, le second était plus respecté, et le troisième, même s’il a dû se dérouler
à l'hôpital puisqu’il s’agissait d’une grossesse gémellaire, s’est très bien passé. Cette
évolution positive (qui n’a cependant pas été retenue dans le podcast final) amorçait
également des propositions de solutions. Il en a découlé le troisième épisode, plus
axé sur le journalisme constructif. Le second épisode a été le plus difficile à
construire, puisqu’il s’articule autour du récit d’Aurore. Son histoire est la plus
particulière, puisqu’elle a subi énormément de discriminations par rapport à son
choix de ne pas recourir à l’interruption médicale de grossesse. Son témoignage
58 Yves Agnès, Manuel de journalisme, Paris, La découverte, 2015, p.300
34
était donc difficile à lier avec des interventions d’experts étant donné la particularité
de son cas. Mais il était important de malgré tout lui donner une place dans ce
mémoire, car son témoignage apporte quelque chose de différent : il montre que les
violences obstétricales prennent de multiples formes. Il en résulte un épisode plus
court, mais comme nous le verrons plus loin dans ce travail, le format podcast est
très malléable.
La narration et la mise en forme du récit investigatif
Pour un podcast, la mise en forme correspond au moment du montage et de
la rédaction de la voix-off. Cette étape, lors de la réalisation du premier travail de 12
minutes, s’est révélée plutôt aisée, puisque seulement quelques interviews avaient
été réalisées et que l’angle et la longueur étaient plus restreints. Au moment du
montage des épisodes du podcast, par contre, la tâche était plus ardue. Lors d’une
enquête, le journaliste collecte énormément de matière par la documentation, le
travail de terrain et les entretiens. Il faut ensuite assembler cette matière, tel un
énorme puzzle. Parmi ces pièces de puzzle, il faut savoir déterminer lesquelles ne
seront pas utilisées, mais aussi dans quel ordre monter les pièces choisies. Il est
important de faire un premier tri, qui s’effectue en général lors de la retranscription
des interviews et donc du dérushage. Il faut garder les meilleurs moments des
interviews, lorsqu’une information clé est donnée par exemple. Certains handicaps
propres à l’enquête sont à surmonter. Yves Agnès en donne quelques-uns dans son
Manuel de journalisme et propose des solutions pour surmonter ces handicaps. La
longueur, l’abondance des informations, la complexité et la technicité sont les quatre
handicaps qu’il relève. Afin de les surmonter, il donne plusieurs étapes par
lesquelles il faut passer afin de dégager un contenu de qualité et qui intéressera le
lecteur (dans ce cas-ci, l’auditeur, mais ces conseils restent d’application pour le
format audio). Le premier conseil est de « sélectionner impitoyablement dans les
faits recueillis pour ne retenir que les meilleurs » . Pour certains propos, cela 59
semble évident. Ce sont en général les phrases qui marquent pendant l’interview en
elle-même. C’est aussi un conseil qu’Aline Wavreille avait donné lors de la formation
59 Yves Agnès, Manuel de journalisme, Paris, La découverte, 2015, p.310
35
à l’AJP : après une interview, les éléments qui reviennent directement en mémoire
sont en général ceux qu’il faudra garder dans le montage final. Mais pour certains
éléments, il est parfois difficile de déterminer si ceux-ci sont nécessaires à la
compréhension du sujet.
Le deuxième conseil d’Yves Agnès concerne l’organisation des informations.
Il faut suivre une logique et faire en sorte de rendre le récit le plus compréhensible
possible. Le troisième conseil, qui a été largement rappelé par les professeurs lors
des études de journalisme, est de « mettre de l’humain » dans le récit, c’est-à-dire 60
ne pas se focaliser sur des données statistiques ou autres informations abstraites,
mais bien mettre en avant le vécu des personnes qui sont touchées par l’enquête,
afin que l’auditeur puisse s’identifier et mettre des visages et des lieux sur ce qu’il lit,
ou dans ce cas sur ce qu’il entend. Cette enquête aborde un sujet très humain, il n’a
donc pas été très compliqué de favoriser les récits humains par rapport aux récits
scientifiques, même si ceux-ci sont indispensables également.
Enfin, le quatrième conseil concerne l’habillage de l’enquête, qu’il ne faut
surtout pas négliger. Dans le cadre d’une enquête écrite, l’habillage concerne, entre
autres, les titres, intertitres, encadrés, les attaques et les chutes. Pour un podcast,
l’habillage concerne aussi le titre, l’attaque et la chute, mais aussi et surtout
l’habillage sonore, c’est-à-dire tous les sons qui accompagnent le terrain et
l’interview, mais aussi la musique. Dans certains podcasts, on retrouve aussi des
extraits de films par exemple. La musique utilisée dans cette enquête provient du
site Free Music Archive , car même si les podcasts ne seront pas publiés, respecter 61
les droits d’auteurs (comme on le ferait pour une illustration d’un article de presse)
fait partie des obligations de n’importe quel journaliste. De plus, ce site offre une
large variété de musique, dont une catégorie sans chant. La plupart de l’habillage
sonore provient de la journée de terrain au Cocon.
60 Yves Agnès, Manuel du journaliste d’investigation, Paris, La découverte, 2015, p.310 61 http://freemusicarchive.org/
36
Le titre Tu enfanteras dans la douleur, tiré de la genèse, appuie sur le fait que
les femmes souffrent pendant l’accouchement, mais pas nécessairement pour des
causes naturelles. C’était déjà le titre du premier reportage long format rendu dans le
cadre du cours de Frédéric Moray, « Pratique du reportage radiophonique »,
enseigné en deuxième année de Master en journalisme. Entre temps, un
documentaire d’Arte réalisé par Ovidie (journaliste et réalisatrice française) sur le
même sujet est sorti. Ce documentaire télévisé porte le même titre. Étant donné que
ce podcast ne sera pas publié, ce titre est resté. Bien sûr, s’il avait été réalisé pour
un média, il aurait été changé.
La défense et la légitimation du travail journalistique
Cette étape concerne moins cette enquête, puisque celle-ci ne sera pas
publiée. Néanmoins, toutes les notes et les enregistrements ont été conservés sur
plusieurs supports, afin d’éviter la perte de ceux-ci. Une écoute attentive a été
effectuée par plusieurs personnes avant que la version finale ne soit soumise. La
prise en compte des différentes remarques émises par ces personnes a permis une
amélioration du produit fini, simplement par le montage, en coupant ou en ajoutant
certaines informations, et en faisant quelques modifications dans la voix-off.
37
Chapitre 3 : le format
Pourquoi le format audio ?
Une fois le sujet trouvé, je me suis interrogée sur le type de format qui lui
conviendrait le mieux. Plusieurs articles existent déjà dans la presse francophone,
comme vu plus haut dans ce travail. De plus, je voulais être sûre de faire
transparaître l’émotion des témoignages, et l’écrit me semblait être un format trop
froid pour cela. J’ai une affinité pour le format vidéo, mais ce dispositif aurait
engendré trop de difficultés. En effet, certains de mes interlocuteurs veulent rester
anonymes et les autorisations pour filmer dans des structures hospitalières sont
compliquées à obtenir, car il faut obligatoirement passer par la direction des
hôpitaux. De plus, ce sujet n’est pas très visuel puisqu’il comprend beaucoup
d’interviews et peu de terrain.
Je me suis souvenue de l’intervention d’un journaliste du journal Le Poiscaille
lors d’un cours de premier bachelier, « Question d’actualité ». Il était venu présenter
ce journal ainsi qu’un reportage qu’il avait réalisé en collaboration avec une
dessinatrice. Ils avaient montré aux étudiants quelques planches de leur travail sur
les licenciés de l’usine Arcelor Mittal. Ce format m’avait tout de suite plu. Je me suis
donc lancée à la recherche d’un ou d’une étudiante en illustration, qui pourrait mettre
en forme ce mémoire. J’avais déjà une idée du type de dessin que je voulais : un
style plutôt « féminin », ludique, mais qui permette aussi des schémas et la
représentation de certains ustensiles gynécologiques par exemple. Mon inspiration
venait d’un magazine en particulier : la Revue Dessinée. Ce trimestriel français
propose des reportages et des enquêtes dessinées, créés par des binômes
38
d’artistes et de journalistes . J’avais aussi une piste de scénario et des idées de 62
façon de raconter ce travail, en mélangeant témoignages, graphiques, schémas et
reconstitutions. La bande dessinée permet de matérialiser des événements qui se
sont déjà produits, mais aussi de montrer certaines scènes qui pourraient s’avérer
trop crues en vidéo.
Malheureusement, après deux mois de recherches, je n’ai pas trouvé
d’illustrateur. J’ai dû réagir, car le temps avançait et je n’avais réalisé que deux
interviews. Cette absence de format me ralentissait. J’ai alors pensé au format radio.
J’ai une affinité pour ce format aussi : j’ai commencé à faire de la radio en deuxième
bachelier, à 48FM, avec l’émission Why Generation. J’ai également créé en 2018
l’émission Lucide, toujours sur 48FM. J’avais enregistré les deux interviews que
j’avais déjà réalisées, je n’ai donc pas perdu cette matière précieuse. Une fois ce
choix pris, j’ai pu m’investir plus intensément dans mes recherches et mes prises de
rendez-vous. Mais surtout, le cours de Frédéric Moray m’a confirmé que le
traitement radiophonique convenait pour cette enquête. Dans le cadre du cours
« Pratique du reportage radiophonique », il était demandé de réaliser un long format
de maximum douze minutes sur le sujet de notre choix. J’ai proposé le sujet de ce
mémoire, qui a été accepté et encouragé par le professeur.
La journaliste Sylvie Sargueil résume bien en quoi la radio est un média
approprié pour traiter de sujets de santé : « La radio est un excellent média pour le
reportage santé. Moins intrusive qu’une caméra, mais plus vivante que le papier, elle
permet de préserver la vie privée des interviewés et le secret médical, tout en
favorisant une grande proximité avec l’auditeur» . Elle insiste également sur sa 63
grande disponibilité, car la radio est un média qui demande moins d’effort
intellectuel, qui est gratuit, et qui peut être consommé tout en s’adonnant à d’autres
activités, comme conduire ou cuisiner par exemple.
62 https://www.larevuedessinee.fr/ 63 Sylvie Sargueil, Rubrique santé, manuel de traitement de l’information, Paris, CFPJ Éditions, 2008, p. 89
39
Une fois ce format choisi, j’ai aussi décidé de m’inscrire à un cours de
l’Association des Journalistes Professionels, donné par Aline Wavreille et Miguel
Allo, deux journalistes de la RTBF. Ce cours d’une journée reprenait les bases de la
prise de son, du montage et de la narration. Ils m’ont apporté une connaissance
technique qui malheureusement n’est pas toujours complète à l’Université. Ils m’ont
également donné beaucoup de conseils concernant mon enquête.
Les autorisations d’enregistrer uniquement le son dans des institutions
comme les hôpitaux sont aussi plus faciles à obtenir. Par exemple, lorsque je me
suis rendue au Cocon pour plusieurs interviews et pour récolter des sons
d’ambiance, une simple demande par e-mail à la directrice de la communication de
l'hôpital Erasme a suffit. Elle a même précisé dans sa réponse que « Les documents
à signer sont nécessaires dans les cas où les patients sont reconnaissables (quand
il s'agit de reportage tv ou photo donc). Ici, comme c'est radio, ce n'est pas
nécessaire. Il faut toutefois, si des patientes sont interviewées, avoir leur accord » . 64
Ce premier travail de douze minutes m’a permis de me lancer dans la
réalisation à proprement parler de cette enquête. Cette première deadline m’a
poussée à m’organiser. Je voulais absolument faire une sortie sur le terrain, dans un
hôpital. Mais pour cela, je devais établir le contact avec une personne de confiance,
une sage-femme ou un gynécologue qui accepterait que je le suive quelques
heures. J’ai donc commencé mes recherches. Une exposition sur l’histoire de la
naissance avait lieu à l’Université de Bruxelles ce printemps. J’ai contacté
l’organisatrice de cette exposition, qui m’a donné deux numéros de téléphone. Le
premier était celui d’une gynécologue qui exerce à Erasme. Je lui ai sonné une
première fois, mais elle était d’abord plutôt méfiante. Lorsque je lui ai dit que je
voulais parler de violences obstétricales, j’ai senti que je la dérangeais. Mais j’ai fini
par la convaincre de me rencontrer, en lui assurant que je voulais aussi donner l’avis
et le ressenti du corps médical par rapport à cette thématique. Elle a proposé que
nous nous rejoignions à l’exposition, puis que nous allions nous installer à une
terrasse. Je savais que ce ne serait pas l’idéal pour l’enregistrement, mais vu sa
64 Voir annexe 14
40
réticence à me rencontrer, j’ai préféré la suivre. Et effectivement, l’enregistrement
n’est pas de très bonne qualité malheureusement. J’ai finalement décidé de ne pas
l’utiliser à cause de la mauvaise qualité de prise de son.
Le second numéro que l’organisatrice m’a donné s’est révélé encore plus
utile. Il s’agit du numéro de Michèle Warnimont, la Sage-femme en Chef de la
maison de naissance Le Cocon. J’ai dû gagner sa confiance aussi, d’abord en la
rencontrant lors d’une conférence à Bruxelles où elle m’avait invitée. Cet événement
s’est révélé être une mine d’or pour avancer dans cette enquête. Le sujet de la
conférence était « Découvrir le partenariat Femme/Sage-femme », organisée par la
Plateforme citoyenne pour une naissance respectée. J’ai pu y rencontrer une
première fois Marie-Hélène Lahaye, mais aussi l’anthropologue du genre Paola
Hidalgo, ainsi qu’Estelle Di Zenzo, la vice-présidente de l’Union Professionnelle des
Sages-femmes Belges.
Après cette première rencontre avec Michèle Warnimont, je l’ai contactée une
deuxième fois pour lui demander une interview, ainsi que pour passer quelques
heures au Cocon. Ce terrain me semblait parfait, car Michèle Warnimont était là pour
me laisser enregistrer tout ce qui m’était utile. Cela me permit aussi de montrer une
facette de l'hôpital qu’on ne connaît pas, qui est plus originale que n’importe quelle
autre maternité. Plutôt que d'amener les auditeurs dans n’importe quel hôpital
classique, la configuration particulière du Cocon me permettait de mettre en avant
que la configuration classique d’une maternité n’était pas parfaitement adaptée pour
tout le monde. Je trouvais cette opposition intéressante.
Le long format m’a également initiée au montage de plus longue durée. Au
cours de mes études, j’ai monté des sujets radios, mais la plupart étaient destinés
au journal du matin sur 48FM. Ces sujets ne faisaient en général pas plus d’une
minute. La structure du sujet n’est donc pas la même et j’ai dû apprendre à organiser
mes idées et rendre le long format intéressant jusqu’au bout. C’était également
l’occasion pour moi de changer de logiciel de montage. Nos professeurs nous ont
initiés au logiciel Audacity, gratuit et pratique pour monter un petit sujet. Mais il
41
n’était plus assez performant pour un montage plus soigné et plus long. L’autre
option était donc Reaper, qui m’a été conseillé par Miguel Allo lors de la formation de
l’AJP. Ce logiciel est recommandé par beaucoup de professionnels de la radio , 65
notamment pour son ergonomie et sa fluidité. Cette première prise en main m’a donc
préparée pour le montage des trois épisodes du podcast.
Enfin, j’ai également pu m’exercer à écrire et enregistrer une voix-off plus
conséquente que celles que j’avais pu réaliser auparavant. Je me suis rendu compte
que la voix-off devait faire le lien entre les différents intervenants et sujets abordés.
J’ai décidé d’assumer complètement cette voix-off et de ne pas essayer de la rendre
la plus courte possible, car je pense que cela amène une certaine intimité et
complicité qui colle bien aux problématiques que j’aborde. J’ai décidé de guider les
auditeurs, car j’ai beaucoup d’interlocuteurs, souvent dans des ambiances sonores
différentes, et la voix off est le moyen le plus simple de faire le lien entre ces
ambiances sans perdre l’attention des auditeurs.
Ce premier jet m’a permis de me rendre compte des erreurs à éviter,
notamment dans la construction du sujet ou dans la voix-off. J’avais bien sûr déjà
réalisé des reportages radio au cours de mes études, mais jamais de cette façon.
Avec ce premier travail, je voyais plus clairement vers où je voulais aller, quoi
raconter et comment le raconter. Les commentaires de mon professeur m’ont
beaucoup aidé, et m’ont permis d’avancer avec plus de confiance. Miguel Allo et
Aline Wavreille m’ont également apporté un second avis et des conseils encore plus
précis. Ils m’avaient proposé d’écouter mon long format une fois terminé. Leur retour
s’est avéré très utile et détaillé : ils m’ont, entre autres, conseillé de bien articuler lors
de l’enregistrement de la voix et de la rendre plus simple et facilement
compréhensible pour l’auditeur, notamment au niveau du contexte qui entoure
l’interview et de l’identité de l’interviewé.
65 Audioblog d’Arte Radio, « Montage audio, quel logiciel choisir ? », [en ligne], https://audioblog.arteradio.com/article/135717/montage-audio-quel-logiciel-choisir
42
Le podcast
Le podcast, aussi appelé balado par les québécois, est un format jeune : il a
été créé en 2004 par les américains Dave Winer et Adam Curry. Le premier est un
développeur, le second était animateur sur MTV. Le mot podcast est un mélange
entre Ipod, le célèbre baladeur d’Apple, et broadcasting, qui veut dire diffusion. Leur
volonté était de trouver un moyen de faciliter la transmission et la réception de
fichiers audios et vidéos. Ils ont conçu un logiciel capable d’organiser ces fichiers
directement sur un baladeur Ipod. Cela a ensuite été diffusé par les bloggeurs qui
ont largement exploité les podcasts . 66
Selon l’Oxford Dictionnary, qui a intégré ce terme en 2005, le podcast se
définit comme ceci : « enregistrement numérique d’une émission de radio ou d’un
programme similaire rendu disponible au téléchargement sur Internet en vue de le
mettre sur un lecteur MP3». Il existe deux sortes de podcasts : les émissions 67
diffusées par des chaînes de radio, qu’on peut ensuite télécharger sur Internet afin
de les écouter ultérieurement, et les podcasts dit “natifs”, destinés uniquement à la
diffusion sur Internet.
Le podcast est avant tout rendu possible par la rencontre entre plusieurs
technologies : internet et son débit qui a énormément augmenté dans le courant des
années 2000, ainsi que la démocratisation de l’Ipod. Au départ, les médias ont vu
ces avancées technologiques comme des moyens de diversifier les formats, de
rajeunir leur identité . Aujourd’hui, l’adaptabilité au Web est devenue indispensable 68
pour ceux-ci, sous peine de devenir obsolètes et de perdre leur audimat. Cette
évolution reste compliquée pour les médias écrits, qui cherchent encore la bonne
66 Camille Brachet, « L’appropriation d’internet par les médias “non informatisés”: le cas des podcasts », Communication & langages, vol. 161, no. 3, 2009, pp. 21-32. 67 Oxford English Dictionnary, Oed.fr, [en ligne] https://www.oed.com/viewdictionaryentry/Entry/273003 68 Camille Brachet, « L’appropriation d’internet par les médias “non informatisés”: le cas des podcasts », Communication & langages, vol. 161, no. 3, 2009, pp. 21-32.
43
formule pour être rentables et attractifs. Mais pour la radio, la transition semble se
faire plus facilement, en tout cas pour les grosses chaînes comme Europe 1, dont
les chiffres d’audience sont en hausse . La raison est à chercher au point de vue 69
économique : un journal papier coûte de l’argent, quelques euros dépensés chez un
libraire. Mais écouter la radio, une fois le dispositif acheté, est gratuit, comme pour
internet. Presque tout le monde possède aujourd’hui un ordinateur (ou en tout cas a
accès à un ordinateur) et un téléphone portable qui fait office de baladeur. L’avancée
d’internet ne peut donc qu’aider les audiences des chaînes de radio.
Les podcasts connaissent un boom de popularité ces dernières années.
Europe 1 a par exemple partagé des chiffres très encourageants : ils recensent 14,5
millions de téléchargements sur le mois de janvier 2018, soit une augmentation de
10% par rapport à l’année précédente. France Culture voit également ses chiffres 70
augmenter : 22 millions de podcasts sont téléchargés par mois en 2018 . On voit 71
également naître des plateformes indépendantes qui créent et distribuent des
podcasts, comme Binge Audio, créé en 2015, ou encore Nouvelles Écoutes, créé en
2016. Le podcast est donc en vogue et convainc beaucoup d’auditeurs.
Concrètement, il existe quelques caractéristiques qui différencient les
podcasts des émissions radiodiffusées. La première est la flexibilité dans le temps :
La déconnexion de la programmation dans le temps est une différence capitale avec la radio et la télévision. Alors que ces dernières diffusent des programmes dans des plages horaires définies, le podcasting se libère de cette contrainte spatiotemporelle. En effet, l’un des gros avantages des podcasts est de ne plus avoir à entrer dans un format de durée (par exemple le 52 minutes pour les reportages). On peut faire un podcast de 8 minutes sur un thème et puis un autre qui dure une heure. 72
69 Europe 1, « Record pour les podcasts Europe 1 : 14,5 millions de téléchargements en janvier ! », Europe1.fr, [en ligne] https://www.europe1.fr/evenements/record-pour-les-podcasts-europe-1-145-millions-de-telechargements-en-janvier-3572078 12/2/2018 70 Ibid. 71France Culture, « Nouveaux records pour France culture ! », Franceculture.fr, [en ligne] https://www.franceculture.fr/medias/nouveaux-records-pour-france-culture 15/1/2019 72 Franck Dumesnil, « Les podcasts, écouter, s’abonner, créer », Groupe Eyrolle, 2006, p.7
44
Cette flexibilité est bien sûr très intéressante pour les journalistes. Elle est
souvent inhérente à internet : par exemple, lors de mon stage au journal Le Soir,
lorsque j’écrivais des articles destinés au site internet, je n’avais aucune limite de
signes. Les frontières s’élargissent, et plutôt que de devoir raccourcir un article (ou
au contraire, faire du remplissage), le format se met au service du sujet. C’est ce
qu’on retrouve très souvent chez les podcasts. Par exemple, le celebre podcast
Serial, réalisé par la journaliste Sarah Koenig, a des épisodes qui varient entre 30 et
plus de 60 minutes, en fonction des sujets abordés.
La seconde caractéristique propre au podcast est son mode d’écoute.
Comme ce n’est pas un média linéaire comme la radio, l’auditeur doit faire un choix.
Il ne doit plus seulement décider de la chaîne qu’il va écouter, mais dquelle
émission, quel épisode, quel thème l’intéresse. Ce plus grand niveau d’engagement
fidélise l’auditeur. Une étude d’Edison Research publiée en avril 2019 a analysé le
comportement d’écoute des auditeurs de podcasts. En voici quelques conclusions :
une des raisons pour laquelle les auditeurs apprécient les podcasts est leur
portabilité. Il existe en effet plusieurs plateformes gratuites, comme l’application
d’Apple, qui permettent de télécharger des épisodes afin de les écouter plus tard,
dans la voiture par exemple. Les auditeurs écoutent des podcasts dans le but
d’apprendre de nouvelles choses ainsi que pour se divertir. Ils apprécient les
contenus plus longs et plus approfondis. Ce serait même une des qualités les plus
appréciées des podcasts par les auditeurs. 73
Inspirations et influences de podcasts existants
Le format podcast n’est pas abordé lors du cursus en journalisme de
l’Université de Liège. Cependant, ce format emprunte beaucoup de codes propres
au journalisme radio, qui est abordé lors du cours de premier Master enseigné par
François Louis, « Pratique professionnelle de la radio », ainsi qu’au cours de
73 Edison Research and Triton Digital, « The Podcast Consumer 2019 », [en ligne] http://www.edisonresearch.com/wp-content/uploads/2019/04/Edison-Research-Podcast-Consumer-2019.pdf, 2019
45
deuxième Master enseigné par Frédéric Moray, « Pratique du reportage
radiophonique ». Ces deux cours sont la base de l’enseignement radiophonique des
étudiants en Master journalisme, et apportent les concepts théoriques et pratiques
nécessaires à une pratique professionnelle de la radio. C’est pourquoi, pour ce
travail, les concepts appris lors de ces deux cours ont été mobilisés le plus possible.
Cependant, ces cours n’ont pas pour vocation de faire de tous les étudiants des
réalisateurs de podcast, des preneurs de son, ni des monteurs professionnels. Pour
s’approcher le plus possible d’un podcast professionnel, il a fallu consommer des
podcasts du même genre que ceux réalisés pour ce mémoire, afin d’approfondir
cette connaissance radiophonique.
Parmis les podcasts dont a été tirée une certaine inspiration pour la
réalisation de ce travail, Un podcast à soi, d’Arte Radio et réalisé par Charlotte
Bienaimé, est celui qui a joué le plus grand rôle. Chaque mois, Charlotte Bienaimé
inspecte le prisme du féminisme sous une facette différente : la grossophobie, le
sport, l’activisme ou la sexualité par exemple. Elle mêle témoignages et interviews
d’experts, entrecoupés d’ambiances sonores et d’extraits de livres mis en voix. De
ce podcast sont inspirées la structure et la voix-off de Tu enfanteras dans la douleur.
Une autre source d’inspiration est le podcast Les braqueurs, de la journaliste
d’investigation Pascale Pascariello, disponible sur Arte Radio également. Elle a
interviewé trois anciens braqueurs qui se livrent complètement et qui racontent leur
passé mouvementé. Pas besoin de voix-off, la place est laissée à la voix de ces trois
hommes, qui guident les auditeurs dans leur récit. Ce qui est intéressant ici est cette
place laissée au témoignage qui porte l’auditeur. C’est aussi ce podcast qui inspirera
la structure de Tu enfanteras dans la douleur : des épisodes qui se construisent
autour des témoignages et qui prennent même le nom de ces personnes dont
l’histoire se révèle. L’aspect humain est ce qui fonctionne le mieux pour accrocher
l’auditeur dès les premières secondes d’écoute, et construire chacun des épisodes
autour d’un témoignage et d’une personne permet de mettre en avant cet aspect
humain.
46
Enfin, le podcast de Louie Media Émotions, de Adeline Pojzman-Pontay, a
suscité une réflexion par rapport au rythme de la voix off et du montage. La
journaliste adopte un ton plutôt familier et très rythmé lors de ses interventions, ce
qui permet de garder l’attention de l’auditeur. Par certains effets de montage comme
l'enchevêtrement de sa voix avec celles de ses intervenants, elle donne un côté très
rythmé à ses épisodes.
En plus d’inspirer la création de Tu enfanteras dans la douleur, ces podcasts
ont confirmé que les violences obstétricales sont un sujet qui se prête bien au
traitement radiophonique. Les témoignages dans ces trois podcasts sont souvent
très touchants, l’émotion dans la voix des intervenants permet à l’auditeur de
s’identifier aux protagonistes. Étant donné que les podcasts n’ont pas d’impératifs de
temps, certaines interviews sont assez longues. Le risque que l’auditeur décroche
après quelques minutes est, bien sûr, à prendre en compte lors du montage. Mais
c’est le seul impératif à prendre en compte : la forme est entièrement au service du
contenu. C’est aussi un bon moyen de donner beaucoup d’informations, de creuser
un sujet. Conduire un travail de longue haleine pour ne pas pouvoir livrer toutes les
informations durement récoltées peut s’avérer frustrant pour un journaliste. Dans Tu
enfanteras dans la douleur, il a fallu laisser de côté certaines explications, soit pour
un souci de clarté et de construction, soit pour essayer de ne pas perdre l’attention
de l’auditeur. Ce format offre néanmoins la liberté aux journalistes de livrer un récit
complet.
47
Chapitre 4: objectifs visés par l’enquête
Les trois épisodes de cette enquête ne seront pas publiés, mais ils ont étés
conçus sans en prendre compte. Les objectifs visés sont multiples, et ont été pensés
dans une logique de journalisme constructif.
Le journalisme constructif, aussi appelé journalisme de solution, est une
forme de journalisme qui tente de donner des solutions au public et de mettre en
avant des récits positifs. Cette pratique récente découle du « journalisme public » , 74
apparu à la fin des années 1980 aux États-Unis. Un des principaux initiateurs de ce
mouvement, Jay Rosen, professeur au département de journalisme de l'université de
New York, a établi quatre principes clés que les « journalistes publics » doivent
suivre. Il estime que si ces quatre principes sont respectés, « les journalistes
pourront regagner la confiance du public » et « rétablir les liens constructifs avec les
citoyens » : 75
- Les lecteurs des journaux sont a priori des citoyens actifs (c’est-à-dire prêts à s’engager, si
on les sollicite, dans la vie publique) et non pas de simples spectateurs passifs -voire des victimes- de l’actualité quotidienne ;
- La presse peut aider les citoyens à régler certains problèmes plutôt que de les inciter -consciemment ou non- à la passivité ou au désengagement ;
- contrairement à leur inclination naturelle à mettre de l’huile sur le feu, les médias doivent davantage contribuer à une amélioration de la qualité et de l’utilité des débats publics ;
- les entreprises de presse ont, d’une façon générale, un rôle déterminant à jouer dans la vie publique . 76
74 Pauline Amiel, « Le journalisme de solutions, symptôme des mutations de l’identité professionnelle des localiers », Questions de communication, vol. 32, no. 2, 2017, pp. 307-324. 75 Thierry Watine, « Le modèle du “Journalisme public” », Hermès, La Revue, vol. 35, no. 1, 2003, pp. 231-239. 76 Ibid.
48
Le journalisme public a été un mouvement qui s’est répandu aux États-Unis,
qui répondait à une véritable nécessité. Ce mouvement répondait à plusieurs crises,
notamment un grand désengagement politique de la population ainsi que la perte de
confiance des citoyens dans la presse . 77
Le « journalisme de solution » ou « journalisme constructif » découle du
« journalisme public » et apparaît dans les années 1990 aux États-Unis. Le
journalisme public et le journalisme de solution ont en commun la volonté de se
tourner vers les préoccupations des citoyens . Mais le journalisme de solution va 78
plus loin que le journalisme public, en proposant à ses lecteurs des solutions
concrètes, comme Susan Benesch le souligne dans The rise of solution journalism : En tant que journalistes, on écrit souvent à propos des problèmes sociaux, puis laissons les
autres institutions, comme les gouvernements, s’inquiéter des solutions. Mais ces dernières années, le « journalisme de solution » - rapporter les efforts qui résolvent des problèmes sociaux particuliers - a fleuri dans les organisations à travers le pays. Comme l’indique cette évolution simultanée, ce n’est pas juste un effort financé par une fondation ou un département de marketing d’une entreprise. De plus en plus de journalistes sont enthousiasmés par les histoires de solution. Deviennent-ils mous, ou ont-ils mis le doigt sur quelque chose ? 79
Malgré l’évolution du journalisme constructif et sa popularité en augmentation
dans les grands médias tels que la RTBF , certains pièges restent à éviter. Une 80
journaliste interrogée par Sylvia Falcinelli dans l’article « Ras-le-bol de l’info qui
déprime: parler des solutions, c’est encore du journalisme ? », identifie deux erreurs
à éviter lorsqu’on fait du journalisme constructif :
De son côté, Isabelle Veyrat-Masson identifie deux dangers dans la vision optimiste inhérente
au journalisme constructif. « Il y a le danger d’être du côté de l’ordre établi avec le message suivant : on fait ce qu’on peut, le gouvernement fait ce qu’il peut, ce n’est pas la peine de critiquer ». Et l’autre danger, « c’est de donner l’impression que tout peut se résoudre à l’échelle individuelle alors que les problèmes sont plus larges, que des solutions globales sont nécessaires » . 81
77 Ibid. 78 Pauline Amiel, « Le journalisme de solutions, symptôme des mutations de l’identité professionnelle des localiers », Questions de communication, vol. 32, no. 2, 2017, pp. 307-324 79 Susan Benesch, "The rise of solutions journalism." Columbia Journalism Review, vol. 36, no. 6, 1998, p. 36 (nous traduisons) 80 Sylvia Falcinelli, « Ras-le-bol de l’info qui déprime: parler des solutions, c’est encore du journalisme? », rtbf.be, ,https://www.rtbf.be/info/inside/detail_ras-le-bol-de-l-info-qui-deprime-parler-des-solutions-c-est-encore-du-journalisme?id=10217117 81 Ibid.
49
Afin de contourner ces deux dangers, un vrai travail critique a été réalisé lors
des deux premiers épisodes. Ici, les solutions ne sont amenées qu’à la fin, afin que
l’auditeur puisse identifier les causes et les conséquences des violences
obstétricales. Les solutions sont données à l’échelle individuelle, mais le problème
doit être résolu par les autorités compétentes. Marie-Hélène Lahaye a d’ailleurs
rejoint le parti Ecolo et siège au conseil communal de Saint-Gilles. Elle a la volonté
de porter ses revendications liées aux violences obstétricales au cœur de la
politique, afin de faire avancer les choses concrètement.
Sensibiliser et informer
L’objectif premier est de donner un nouveau moyen au public de comprendre
les violences obstétricales et de les en informer. Plusieurs fois durant les entretiens,
les experts se sont accordés à dire qu’une des causes des violences obstétricales
est la mauvaise information des patientes. Bien sûr, une grande partie de
l’information devrait venir du corps médical lui-même, lorsque celui-ci s'apprête à
poser un geste de soin. Mais certains professionnels ne prennent pas le temps
d’expliquer les enjeux d’un geste médical, donc le consentement ne peut pas être
libre et éclairé, comme le stipule la loi Kouchner en France, ou la loi sur le droit du
patient de 2002 en Belgique. Ce travail n’a pas la vocation de remplacer les
explications médicales qu’un ou une gynécologue doit donner avant de pratiquer un
geste comme une épisiotomie ou une césarienne par exemple. Cependant, il peut
donner des outils afin de mieux se préparer à une éventuelle grossesse et à
comprendre l’enjeu de chacun de ces gestes.
Le traitement de l’information santé relève de la responsabilité de la presse.
En plus de transmettre de l’information comme un sujet sur la politique ou sur
l’économie le fait, l’information sur la santé transmet un savoir au public. Certains
journalistes dédaignent ce genre « d’information service », qui pourtant est
bénéfique pour le public. Il ne faut cependant pas oublier de vérifier ses sources et
de vulgariser le sujet, comme cela serait fait dans un autre genre journalistique . 82
82 Sylvie Sargueil, Rubrique santé, manuel de traitement de l’information, Paris, CFPJ Éditions, 2008
50
La vulgarisation est d’ailleurs un des enjeux du journalisme santé. Pour faire
passer un message et informer correctement les auditeurs, jeter des ponts entres les
scientifiques et le public est une nécessité et un exercice journalistique parfois
compliqué. La vulgarisation commence dès l’interview, surtout en radio et en
télévision, car il faut veiller à ce que les propos des médecins restent
compréhensibles. En presse écrite, expliquer et rendre plus clairs certains concepts
est toujours possible lors de la rédaction d’un article. En radio, les propos sont
rapportés directement. Heureusement, la plupart des intervenants rencontrés sont
restés attentifs à rendre leurs explications claires. La vulgarisation a surtout été
opérée lors de la rédaction des voix-offs. Lors de la vulgarisation, il a fallu trouver un
équilibre entre la justesse scientifique et la simplicité. Sans cette vulgarisation, les
risques sont de perdre l’attention de l’auditeur, ainsi que de rapporter des
informations incomplètes ou erronées . 83
Donner des solutions
Ce travail a été pensé dans une logique de journalisme constructif, avec
certaines pistes de solutions qui sont données surtout à la fin du troisième épisode.
Afin de donner ces solutions, il a fallu d’abord identifier les facteurs qui causent des
violences obstétricales, essayer de comprendre leurs diverses origines. Les dogmes
sexistes et la violence institutionnelle ont déjà été évoqués plus haut. Ici, il s’agit
d’identifier concrètement le contexte et les actes qui favorisent ces violences, afin de
pouvoir trouver des solutions concrètes également.
La formation des jeunes médecins est évoquée plusieurs fois lors des
entretiens, car il s’est avéré que cette formation ne mettait pas assez en avant
certains concepts comme la bienveillance ou le consentement. Le système
d’éducation des médecins a plusieurs fois été remis en cause, aussi bien par les
experts que par les médecins eux-mêmes. Dans son livre Les brutes en blanc,
Martin Winckler analyse cette formation et comment elle engendre de la maltraitance
83 Ibid.
51
médicale. La façon dont les études sont organisées ne met pas en avant une
possible remise en question des « maîtres », car les étudiants en ont souvent peur.
Autrement dit, en France et en Belgique, les étudiants doivent ingérer énormément
de matière, de théorie, avec un système d’évaluation basé sur des questionnaires à
choix multiples. Puis, ils effectuent des stages en milieu hospitalier où ils doivent
reproduire les gestes des professionnels, sans la possibilité de les questionner, et où
in fine, ils reproduisent des gestes violents. La réflexion n’est pas encouragée, et
une évolution devient donc compliquée. L’anthropologue Paola Hidalgo a également
souligné lors de son entretien qu’aucune formation au genre, au racisme ou aux
droits humains n’est prévue dans le cursus des médecins. Il faut repenser la façon
dont les futurs médecins apprennent leur pratique et sont formés, afin de résoudre le
problème à sa racine. Bien sûr, cette solution n’est pas à la portée d’un auditeur
lambda. Mais l’évoquer permet de comprendre que les violences obstétricales ne
sont pas une fatalité, et qu’une amélioration est possible.
Le manque de communication et d’informations données par le corps médical
avant, pendant et après l’accouchement, est un problèmes qui est également
souvent revenu lors des entretiens des victimes et des sages-femmes, comme
souligné plus haut dans la partie «Informer et sensibiliser». Les patients peuvent être
intimidés par les professionnels de la santé, par leur « aura ». Ce concept d’« aura »
est développé par Martin Winckler :
[...], le soignant est depuis toujours investi d’une fonction sociale reconnue. Il est pour ainsi dire nimbé d’une « aura » particulière. [...] C’est une construction mentale dont nous n’avons pas toujours conscience, tissée par les émotions. Quand il s’agit d’un soignant, elle est faite de reconnaissance et d’admiration, d’apaisement et, parfois, de crainte. 84
Les patients peuvent avoir peur de les déranger ou de gaspiller leur temps,
et donc cela peut sembler normal qu’un gynécologue n’explique pas en détail tel ou
tel phénomène lié à la santé. Comprendre ce qui nous arrive ou ce qui peut nous
arriver est pourtant crucial, car cela peut faire la différence dans la perception d’un
patient d’un geste médical. Cela peut surtout impacter le raisonnement d’un patient
84 Martin Winckler, Les brutes en blanc, Paris, Flammarion, 2016, pp. 26-27
52
dans la délivrance de son consentement, car celui-ci doit être donné de manière
libre et informée selon la loi. En France, c’est la loi du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades et à la qualité du système de santé, dites « loi Kouchner », qui
prévaut. En Belgique, la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient définit le
consentement libre et éclairé comme ceci :
Avant d’entamer un traitement, le praticien doit obtenir le consentement libre et éclairé du patient à celui-ci. Cela implique que le praticien doit avoir clairement informé le patient des caractéristiques de l’intervention envisagé, à savoir :
- le but de l’intervention, le degré d’urgence, la durée, les effets secondaires, les risques, le suivi, etc.
- le coût financier (honoraires, tickets modérateurs, suppléments, etc. - les alternatives éventuelles 85
Demander des précisions sur un geste médical à son gynécologue est à la
portée de tous et il faut encourager les patients à le faire. Si après avoir posé des
questions, un médecin reste évasif, alors le patient peut changer de médecin ou
rechercher les informations manquantes lui-même. Cependant, cela reste possible
lors des consultations prénatales ou postnatales. Pendant l’accouchement en
lui-même, face à des sages-femmes ou gynécologues silencieux, la patiente est
impuissante. C’est pourquoi il faut avant tout encourager le corps médical à délivrer
des explications claires et complètes à leurs patients. Cela peut se faire par
l’enseignement et la sensibilisation de ceux-ci. Il faut également encourager les
femmes enceintes à s’informer pendant leur grossesse.
Un autre gros problème, et même le cœur des violences obstétricales, est la
surmédicalisation de l’accouchement en milieu hospitalier, qui se traduit, entre
autres, par les injections d’hormones afin d’accélérer le travail, l’utilisation de forceps
ou de ventouses dans le même but, ou encore des épisiotomies, consenties ou non.
Pour éviter cette surmédicalisation, certaines femmes enceintes optent pour
l’accouchement à domicile. Ce phénomène reste très marginal en Belgique :
85 Service public fédéral, belgium.be, « Quels sont les droits du patient ? », [en ligne], https://www.health.belgium.be/fr/sante/prenez-soin-de-vous/themes-pour-les-patients/droits-des-patients/quels-sont-les-droits-du
53
seulement 1% des femmes accouchent chez elles . Pourtant, ces accouchements 86
sont beaucoup moins chers , et selon plusieurs études, les risques pour les mères 87
et les enfants ne sont pas plus grands comparés aux accouchements à l’hôpital :
Il semble de plus en plus évident que l'impatience et l'accès facile à de nombreuses
procédures médicales à l'hôpital peuvent conduire à une augmentation des niveaux d'intervention qui, à leur tour, peuvent conduire à de nouvelles interventions et, enfin, à des complications inutiles. Lors d'un accouchement planifié à domicile, assisté par une sage-femme expérimentée avec la collaboration d'un soutien médical au cas où le transfert serait nécessaire, ces inconvénients sont évités tout en conservant le bénéfice de l'accès à une intervention médicale lorsque cela est nécessaire. Des études observationnelles de plus en plus fiables suggèrent que l'accouchement planifié à l'hôpital n'est pas plus sûr que l'accouchement planifié à domicile assisté par une sage-femme expérimentée avec la collaboration d'un soutien médical, mais peut conduire à un plus grand nombre d'interventions et à davantage de complications . 88
Aux Pays-Bas, pays limitrophe de la Belgique, l’accouchement à domicile est
beaucoup plus répandu, même si une diminution des accouchements à domicile a
été relevée, 17% des femmes enceintes ont accouché chez elles en 2016 . Alors 89
pourquoi si peu de futures mères optent pour cette option en Belgique ? Selon
Marie-Hélène Lahaye, deux raisons l’expliquent :
Il y a deux choses [qui expliquent pourquoi les accouchements à domicile restent rares en Belgique] : l’histoire et l’ignorance. L’accouchement fait peur car dans l’histoire il y a un fort taux de mortalité maternelle. Enfin, forte oui et non, car quand je fais des conférences, je demande aux gens : sur cent femmes qui accouchent, combien meurent au XVIIIe siècle, à leur avis. C’est étonnant de voir les réponses, on me répond 40, 30, 10. En fait, c’est beaucoup moins que ce qu’on ne pense. Ce n’est pas beaucoup, mais en même temps c’est énorme, aujourd’hui c’est une sur 10.000. C’est intéressant de voir cette disproportion. Ensuite, il faut se demander de quoi elles mourraient. Et là, on ne sait pas. Moi-même j’ai dû faire beaucoup de recherches pour essayer de comprendre les vraies causes de mortalité de ces femmes. Et en fait, ce n’est pas du tout lié à l’accouchement en lui-même, c’est surtout lié à l’infection, à la fièvre puerpérale. Les femmes accouchaient le lundi, tout se passe bien, puis le jeudi elles ont de fortes fièvres et elles meurent le dimanche d’une infection généralisée. C’était de ça que les gens mourraient en général. Maintenant on a des antibiotiques et c’est résolu. Et c’est grâce à ça qu’on peut faire des césariennes. Le petit pourcentage d’accouchements problématiques est résolu par les antibiotiques et la césarienne qui ne tue plus les femmes. Avant, les césariennes tuaient énormément de femmes, mais ce qui les tuait ce n’était pas l’opération en elle-même mais les infections qui suivaient l’opération. Si on supprime la fièvre puerpérale et qu’on peut faire des césariennes,
86Rédaction RTBF, « Question de l’auditeur : accoucher à domicile », Rtbf.be, 2011, [en ligne] https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_question-de-l-auditeur-accoucher-a-domicile?id=5828813 87 Alice T’kint, « Accoucher pour 0€, c’est possible », lavenir.net, 2012, [en ligne] https://www.lavenir.net/cnt/dmf20120711_00180771 88 Ole Olsen, Jette A. Clausen, «Bénéfices et risques de l'accouchement planifié à l'hôpital comparé à l'accouchement planifié à domicile pour les femmes enceintes à faible risque», Cochrane, 2013 89 Paul de Reu « L’accouchement à domicile aux Pays-Bas », Marie-France Morel éd., Naître à la maison. D’hier à aujourd’hui. ERES, 2016, pp. 259-268.
54
il n’y a plus ou quasi plus de mortalité. Et les quelques femmes qui meurent encore aujourd’hui, les derniers rapports montrent que ce sont des morts évitables. Elles se sont produites notamment à cause d’hémorragies de la délivrance, qui sont causées le plus souvent par une cascade d’interventions : l’ocytocine augmente les risques d’hémorragie de la délivrance par exemple, mais on continue à en donner de façon massive. C’est pareil pour les déclenchements. C’est bizarre qu’on ne cherche pas en amont à limiter cette hémorragie. Si on revient à l’accouchement à domicile, si on a résolu les problèmes d’infection et qu’on exclut les femmes à risque qu’on peut identifier, les risques deviennent minimes. Si jamais il y a un problème, on n’est plus du tout dans la même situation qu’il y a cent ans. Maintenant, s’il y a un problème, on va à l'hôpital et c’est tout. Il y 15% de transfert, car parfois ça ne progresse plus, ou la femme a besoin d’une péridural, mais ce ne sont même pas des urgences en général. Du coup, oui, il y a beaucoup moins de risques. En termes de non-mortalité, les taux sont les mêmes pour les accouchements à domicile ou à l’hôpital, mais à la maison il y a moins de risques de violences inutiles. En fait, les femmes aujourd’hui ne risquent plus de mourir, le principal risque, c’est de subir des violences obstétricales . 90
C’est donc une peur irrationnelle de l’accouchement et cette fausse idée de
sécurité à l’hôpital qui freinent encore de nombreuses femmes à se tourner vers un
accouchement à domicile. Ici, la solution semble évidente : il faut informer les
femmes et la population en général sur les vrais risques d’un accouchement, et les
rassurer sur le fait que l’accouchement est moins dangereux que ce qu’on ne pense
lorsqu’il se déroule de manière respectée. Le sujet de l’accouchement à domicile est
abordé dans ce podcast par l’intermédiaire de l’interview de Natasja. Elle a
accouché de son troisième enfant à domicile il y a cinq ans. Cette expérience a été
pour elle très positive et lui a permis de se reconstruire et de reprendre confiance en
son corps après son deuxième accouchement, quatre ans plus tôt. Ce deuxième
accouchement s’était déroulé à l’hôpital, où Natasja a subi des violences
obstétricales. Sa gynécologue l’a par exemple obligée à se mettre dans la position
gynécologique, c’est-à-dire sur le dos. Cette position n’aide pas du tout à l’expulsion
des nouveau-nés et est même la position la plus inconfortable . Natasja était déjà 91
en train d’accoucher dans la position qui lui convenait et qui lui empêchait d’avoir
mal. Elle a aussi subi une épisiotomie non consentie douloureuse. Suite à cet
accouchement, elle a fait le choix d’accoucher à domicile pour son troisième enfant.
Elle décrit cette expérience comme magique, mais apporte la nuance nécessaire en
rappelant que cela ne convient pas nécessairement à tout le monde : il faut
connaître son corps et sa résistance à la douleur (étant donné qu’une péridurale
90 Entretien avec Marie-Hélène Lahaye, le 15 mai 2019 91 Marie-Hélène Lahaye, Accouchement, les femmes méritent mieux,Paris, Michalon, 2018, p.168
55
n’est pas possible à domicile), ne pas être trop stressée et apeurée par
l’accouchement, et avoir une grossesse normale, c’est-à-dire sans aucune
contre-indication comme un bébé qui se présenterait par le siège ou une grossesse
gémellaire par exemple. Cette interlocutrice s’est révélée être ce qu’on appelle dans
le jargon journalistique « un bon client », puisqu’en plus d’avoir accouché à domicile,
son choix était motivé par un accouchement difficile. Elle s’exprimait très bien, de
façon claire et posée, et décrivait parfaitement tous les enjeux qui entourent
l’accouchement à domicile. Son témoignage a permis d’appuyer cette solution, qui,
comme Marie-Hélène Lahaye le précisait, ne comporte pas plus de risques et n’est
pas envisagée par la plupart des femmes en grande partie à cause d’a priori.
La mise en avant des structures qui prônent l’accouchement physiologique
tout en garantissant une grande sécurité pour les parturientes ainsi que pour les
nouveau-nés a été pensée dans une logique de journalisme constructif également.
Les maisons de naissance sont des lieux gérés par des sages-femmes, qui en
général proposent un accompagnement global, c’est-à-dire un accompagnement
personnalisé sur toute la période de la grossesse, de l’accouchement, et jusqu’aux
premiers mois de l’enfant. Seules les femmes ne présentant aucun risque durant
leur grossesse peuvent y accoucher, comme c’est le cas pour l’accouchement à
domicile. Cependant, il n’existe que huit maisons de naissance en Belgique.
En France, la situation est plus grave : il n’existe que neuf maisons de
naissance, pour une superficie de territoire plus de vingt fois supérieure à la
Belgique et une population six fois supérieure. La mise en fonction de ces maisons
de naissance n’a été autorisée qu’en 2017, suite à une loi sur l’expérimentation des
maisons de naissance adoptée en 2013 . Toutes ces maisons de naissance sont 92
obligatoirement liées à un hôpital, ce qui favorise un taux de transfert plus élevé : «
(...), pour un profil similaire de parturientes et avec des résultats néonataux
comparables, il y a deux fois plus de transferts vers la maternité dans le cas du gîte
de naissance intra-hospitalier que dans le cas de maisons de naissance
92 Marie-Hélène Lahaye, Accouchement, les femmes méritent mieux, Paris, Michalon, 2018, p.249
56
indépendantes» . Pour ce qui est des accouchements à domicile en France, il est 93
également plus difficile pour les futures mères de trouver une sage-femme pour les
accompagner. L’assurance des sages-femmes françaises libérales s’élève à 25.000
€ par an, alors qu’en Belgique cette assurance ne coûte que 1.000 € par an . 94
Autrement dit, le gouvernement français ne favorise pas l’émancipation des femmes
enceintes vers un accouchement plus physiologique et moins médicalisé.
D’autres pays européens, comme par exemple l’Allemagne, qui compte déjà
120 maisons de naissance, sont encore plus avancés que la Belgique. Mais ce n’est
pas le pays le plus en retard en ce qui concerne l’accessibilité des maisons de
naissance et des accouchements à domicile. Il faut donc continuer à mettre en avant
ces solutions qui souffrent encore de certains a priori dans notre société.
93 Ibid., p.250 94 Ibid.
57
Conclusion
Ce mémoire avait pour ambition de proposer une nouvelle façon de
comprendre les enjeux des violences obstétricales, par le moyen d’un podcast. Il a
été déterminé qu’une enquête était légitime pour traiter ce sujet vaste et méconnu.
Les connaissances acquises pendant le cursus de journalisme proposé par
l’Université de Liège ont été mises en œuvre le plus précisément possible. Les
particularités de ce travail ont néanmoins motivé des recherches personnelles plus
approfondies, notamment sur le sujet des podcasts et de la réalisation de ceux-ci.
Après plusieurs mois de travail, il en résulte un podcast en trois épisodes, du nom de
Tu enfanteras dans la douleur.
Ces trois épisodes pourraient être complétés par plusieurs autres volets, tant
le sujet est riche. Il aurait pu par exemple s’intéresser aux violences gynécologiques,
ou encore aux discriminations liées à l’origine ethnique des parturientes. L’histoire
de l’obstétrique est également un sujet qui mériterait d’être traité, car la construction
de cette discipline impacte encore aujourd’hui la façon dont les femmes sont traitées
dans une salle d’accouchement.
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Bibliographie Ouvrages
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Articles scientifiques
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- Franck Dumesnil, « Les podcasts, écouter, s’abonner, créer », Groupe Eyrolle, 2006
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- Marc Vanesse, « Le journalisme d’investigation et l’accélérateur de particules
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- Arièle Bonte, « Féminisme : pourquoi ce mot fait-il tant peur ? », RTL.be, [en
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- Amélie Bruers, « Violences obstétricales : et si la solution, c'était de prendre le temps? », RTBF.be, [en ligne] https://www.rtbf.be/info/societe/detail_violences-obstetricales-et-si-la-solution-c-etait-le-temps?id=10141325, 9/2/2019
- Europe 1, « Record pour les podcasts Europe 1 : 14,5 millions de
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- « Les représentations à base de peurs de la grossesse et de l’accouchement génèrent une hypermédicalisation au détriment de l’accouchement physiologique », apprendreàéduquer.fr [en ligne] https://apprendreaeduquer.fr/peur-accouchement-physiologique/?fbclid=IwAR1GE4r-m08Dzqq8VC59fnc5CnDS1WPhRxMFOPWgshh0nIU-XO4ooY1Sv_Q
Autres
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- Danielle Bousquet, Geneviève Couraud, Margaux Collet, « Les actes sexistes
durant le suivi gynécologiqe et obstétrical », Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2018
- Brut, « Harcèlement de rue : des milliers de témoignages recueillis par le blog
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- Brut, « Frappée au visage dans la rue, elle a décidé de publier la vidéo de son
agression », Youtube.com, 2018, https://www.youtube.com/watch?v=F_lpzgqClRo&t=11s
- Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes,
Communiqué de presse, « Touchers vaginaux et rectaux sans consentement sur patient(e)s endormi(e)s : Marisol TOURAINE reçoit le rapport des doyens de médecine et réaffirme “l’extrême fermeté” de l’État face à des pratiques “inacceptables” », 27/10/2015
- Konbini, « Violences gynécologiques : des témoignages glaçants »,
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Entretiens
Entretien avec Stéphanie, le 04 janvier 2019
Entretien avec Aurore, le 26 février 2019
Entretien avec Tizianna, le 27 février 2019
Entretien avec Elisa, le 27 février 2019
Entretien avec Michèle Warnimont, le 15 mars 2019
Entretien avec une gynécologue anonyme, le 30 mars 2019
Entretien avec Paola Hidalgo, le 15 mai 2019
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Entretien avec Dominique Lossignol, 12 juin 2019
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Entretien avec Magali Eykerman, le 12 juillet 2019
Entretien avec Natasja, le 31 juillet 2019
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