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Université Libre de Bruxelles Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire Faculté des Sciences Master en Sciences et Gestion de l'Environnement Étude de l’évolution de la gestion forestière en Bolivie et du développement d’un mécanisme alternatif à REDD. Mémoire de Fin d'Etudes présenté par GILTZ, Daniel en vue de l'obtention du grade académique de Master en Sciences et Gestion de l'Environnement Finalité Gestion de l’Environnement ENVI5G-M Année Académique : 2015-2016 Directeur : Prof. Paul Jacobs

Étude de l’évolution de la gestion forestière en Bolivie et dumem-envi.ulb.ac.be/Memoires_en_pdf/MFE_15_16/MFE_Giltz_15_16.pdf · Conjunto de Mitigación y Adaptación para el

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Université Libre de Bruxelles

Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire

Faculté des Sciences

Master en Sciences et Gestion de l'Environnement

Étude de l’évolution de la gestion forestière en Bolivie et du

développement d’un mécanisme alternatif à REDD.

Mémoire de Fin d'Etudes présenté par

GILTZ, Daniel

en vue de l'obtention du grade académique de

Master en Sciences et Gestion de l'Environnement

Finalité Gestion de l’Environnement ENVI5G-M

Année Académique : 2015-2016

Directeur : Prof. Paul Jacobs

2

J’aimerais remercier les nombreuses personnes qui m’ont aidé

à produire ce travail.

Tout d’abord mon promoteur, Prof. Paul Jacobs, que je

remercie pour sa disponibilité et pour le temps qu’il a consacré

à la relecture des différents chapitres, ainsi que pour ses

remarques et conseils judicieux.

Je remercie également le Dr. Lykke E. Andersen, Jorge Avila et

Michael Blendinger pour les entretiens enrichissants qu’ils

m’ont accordés lors de mon séjour en Bolivie.

Un grand merci à ma famille pour le support qu’elle m’a

apporté durant ce projet.

3

RÉSUMÉ.

Ce travail vise à analyser et interpréter le contexte dans lequel la gestion forestière a évolué en

Bolivie au cours des deux dernières décennies pour résulter dans la création du Mecanismo

Conjunto de Mitigación y Adaptación para el Manejo Integral y Sustentable de los Bosques y la

Madre Tierra, un mécanisme national de promotion de la gestion durable des forêts comme

solution au changement climatique. Celui-ci est présenté par le gouvernement bolivien comme

leur alternative au mécanisme REDD des Nations Unies.

Le mécontentement au sein du peuple bolivien face aux politiques néolibérales du

gouvernement dans les années 1990 et les années 2000 a mené à l’élection en 2005 du premier

président amérindien de Bolivie, Evo Morales. Dans son discours, il défend les droits des

autochtones et leur vision bio-centrique du monde et du rapport à la Nature, et les consacrent

dans la nouvelle constitution du pays. Cela a un impact important sur le cadre légal et

institutionnel de la gestion forestière en Bolivie. Les nouvelles lois, institutions et programmes

visent à réguler et promouvoir un modèle de développement agricole et forestier en accord avec

l’environnement et les valeurs traditionnelles autochtones.

Dans la pratique, des résultats positifs peuvent déjà être observés quant à l’harmonisation et à

l’implémentation de ces initiatives, mais de nombreuses contradictions dans les mesures

politiques du gouvernement persistent. On peut y distinguer des conflits d’intérêts issus de

l’opposition entre la promotion d’un nouveau modèle sociétal en accord avec les valeurs

autochtones et la conception persistante du développement économique basée sur le modèle

capitaliste néolibéral.

On retrouve une opposition similaire entre le Mécanisme Conjoint bolivien, basé sur une

approche holistique de la forêt, et le mécanisme REDD, issue d’une réflexion mercantile des

services éco-systémiques. Les critiques émises par la Bolivie envers REDD tiennent de la

marchandisation de la Nature, de la souveraineté nationale et de la responsabilité historique des

pays développés dans le changement climatique.

Somme toute, le Mécanisme Conjoint, à l’image du programme politique d’Evo Morales, est

remarquable par la place qu’il donne aux droits des autochtones et de la Nature.

Indépendamment des problèmes d’implémentation, il replace la considération de ces droits au

centre du débat, plutôt que d’y voir des aspects secondaires, et exige de s’y confronter.

Le dernier mandat présidentiel d’Evo Morales arrivant à terme en 2018, on découvrira si la

vision qu’il incarne continuera à résonner au sein de la société bolivienne. Une société qui

cherche son identité entre tradition et modernité.

4

TABLE DES MATIÈRES .

Résumé. .................................................................................................................................................................................. 3

Liste des abréviations. ..................................................................................................................................................... 6

Liste des illustrations. ...................................................................................................................................................... 7

I. Introduction. ............................................................................................................................................................... 8

II. Analyse descriptive. ................................................................................................................................................. 9

A. La déforestation. .................................................................................................................................................. 9

A.1. Le lien avec le changement climatique. ............................................................................................ 9

A.2. L’ampleur de la déforestation. .............................................................................................................. 9

A.3. Les causes de la déforestation. .......................................................................................................... 10

A.4. Les enjeux de la déforestation. .......................................................................................................... 13

B. Le mécanisme international REDD(+) et le programme UN-REDD des Nations Unies. ...... 14

B.1. Définition. ................................................................................................................................................... 14

B.2. Historique. ................................................................................................................................................. 14

B.3. Le contenu .................................................................................................................................................. 15

B.4. Les acteurs. ................................................................................................................................................ 15

B.5. Le financement. ........................................................................................................................................ 16

B.6. Critiques. ..................................................................................................................................................... 17

B.7. La Bolivie et le programme UN-REDD : un historique............................................................. 18

C. La Bolivie et son contexte national............................................................................................................ 20

C.1. La Géographie. .......................................................................................................................................... 20

C.2. Moteurs de la déforestation en Bolivie. ......................................................................................... 22

C.3. Le contexte historique et culturel. ................................................................................................... 25

C.4. La situation socioéconomique. .......................................................................................................... 28

C.5. La politique de la coca. .......................................................................................................................... 29

C.6. La crise du TIPNIS. .................................................................................................................................. 31

D. L’évolution de la gestion forestière en Bolivie. .................................................................................... 32

D.1. Le changement de paradigme. ........................................................................................................... 32

D.2. Le Plan National du Développement. .............................................................................................. 32

D.3. La révolution rurale, agraire et forestière. ................................................................................... 33

D.4. Le plan de développement du secteur agricole. ......................................................................... 34

D.5. La structure politique. ........................................................................................................................... 35

D.6. Le cadre légal de la gestion des forêts en Bolivie. ..................................................................... 37

D.7. Principales initiatives dans l’évolution de la gestion forestière en Bolivie. ................... 45

D.8. Le Mécanisme Conjoint d’Atténuation et d’Adaptation pour la Gestion Durable des Forêts et de la Terre-Mère. ................................................................................................................................ 50

III. Discussion. ................................................................................................................................................................ 57

A. Discussion du programme bolivien par rapport au programme international des Nations Unies. ............................................................................................................................................................................... 57

5

A.1. La marchandisation de la Nature. .................................................................................................... 57

A.2. La stratégie politique d’Evo Morales. ............................................................................................. 58

A.1. Souveraineté du pays et centralisation du pouvoir. ................................................................. 58

A.2. Les avantages de REDD. ....................................................................................................................... 59

A.3. Mécanisme Conjoint ou REDD. .......................................................................................................... 60

B. Discussion du programme bolivien par rapport au contexte national. ..................................... 62

B.1. Le cadre légal et institutionnel. ......................................................................................................... 62

B.2. Les autres acteurs. .................................................................................................................................. 65

B.3. Les priorités du gouvernement. ........................................................................................................ 66

IV. Conclusion. ............................................................................................................................................................... 68

V. Bibliographie. .......................................................................................................................................................... 71

VI. Annexes. .................................................................................................................................................................... 76

6

LISTE DES ABRÉVIATIONS .

ABT Autoridad de Fiscalización y Control Social de Bosques y Tierras (Bolivie)

APMT Autoridad Plurinacional de la Madre Tierra (Bolivie)

CIRAD Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (France)

CNAPE Conseil National de Production Écologique (Bolivie)

COP Conference of the Parties

CRIAR Creacion de Iniciativas Alimentarias Rurales (Bolivie)

EMAPA Empresa de Apoyo a la Producción de Alimentos (Bolivie)

EMPODERAR Emprendimientos Organizados para el Desarrollo Rural Autogestionario (Bolivie)

FAO Food and Agriculture Organization of the United Nations

FCPF Forest Carbon Partnership Facility (Banque Mondiale)

FES Fonction Economique et Sociale

GINI Indice synthétique d'inégalités de revenus

INESAD Instituto de Estudios Avanzados en Desarrollo (Bolivie)

INIAF Instituto Nacional de Innovación Agropecuaria y Forestal (Bolivie)

INRA Instituto Nacional de Reforma Agraria (Bolivie)

MCMA Mecanismo Conjunto de Mitigación y Adaptación para el Manejo Integral y Sustentable de los Bosques y la Madre Tierra (Bolivie)

MDRyT Ministerio de Desarrollo Rural y Tierras (Bolivie)

MMAyA Ministerio de Medio Ambiente y Agua (Bolivie)

MNR Movimiento Nacionalista Revolucionario (Bolivie)

MVR Acronyme pour Mesures, Vérifications et Rapport (REDD)

NIFC International Climate and Forest Initiative (Norvège)

ONG Organisation non-gouvernementale

PGIBT Plan de Gestión Integral de los Bosques y Tierra (Bolivie)

PIB Produit intérieur brut

Plus Plan Uso de Suelos (Bolivie)

REDD Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation

SENASAG Servicio Nacional de Sanidad Animal e Inocuidad Alimentaria (Bolivie)

SERNAP le Servicio Nacional de Áreas Protegidas (Bolivie)

SIF Superintendencia Forestal (Bolivie)

SNAP Système National des Aires Protégés (Bolivie)

TCO Territoires Communautaires d'Origine (Bolivie)

TIOC Territoires Autochtones Ruraux (Bolivie)

7

TPFT Tierras de Producción Forestal Permanente(Bolivie)

UNDP United Nations Development Programme

UNEP United Nations Environment Programme

UNFCCC United Nations Framework Convention on Climate Change

UNODC United Nations Office on Drugs and Crime

UN-REDD United Nations Programme on Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation

USAID United States Agency for International Development

LISTE DES ILLUSTRATIONS.

Illustration 1: Carte de la Bolivie. Source : www.mapsoftheworld.com ....................................................... 20

Illustration 2: Relief de la Bolivie. Source : http://www.boliviabella.com/geography.html ................ 21

Illustration 3: Évolution de la déforestation en Bolivie. Source : Killeen T. J. et al. (2008). .................. 22

Illustration 4: Départements autonomistes en Bolivie. Source : https://echogeo.revues.org/5593 . 27

Tableau 1: Mesures et leurs effets sur la profitabilité de l'agriculture et de la forêt. ............................. 25

Tableau 2: Différentes catégories de terres agricoles et forestières en Bolivie. ........................................ 40

Tableau 3: Comparaison de REDD et du Mécanisme Conjoint. ....................................................................... 60

Graphique 1: Évolution de la déforestation par groupe d’acteurs. Source : Killeen et al. (2008) ...... 24

8

I. INTRODUCTION.

La montée au pouvoir d’Evo Morales en Bolivie n’est certainement pas passée inaperçue et en

particulier pour toute personne qui s’intéresse aux politiques environnementales et aux

négociations internationales sur le changement climatique. Premier président amérindien du

pays, sa révolution socialiste est basée sur la reconnaissance des droits de la majorité

autochtone et la redistribution équitable des richesses naturelles, mais se définit également par

son opposition aux politiques néolibérales. La reconnaissance des modes de vie traditionnels des

autochtones et de leur rapport sacré à la Nature redéfinit également le rapport aux ressources

naturelles et en particulier à la forêt, source de vie et de culte pour ceux-ci.

Ce changement de paradigme ne fut pas sans conséquence pour les négociations internationales

sur le changement climatique. La Bolivie, l’un des premiers pays à avoir coopéré à l’élaboration

de REDD, l’initiative collaborative des Nations Unies visant à promouvoir la réduction des

émissions de CO2 issues de la déforestation et de la dégradation des forêts, se prononce

officiellement contre celui-ci en 2010. Le gouvernement bolivien reproche au mécanisme d’être

un moyen pour les pays occidentaux de déplacer le poids de leurs pollutions sur les économies

des pays en voie de développement. En accord avec une vision bio-centrique du monde, le

gouvernement bolivien s’oppose à la marchandisation des fonctions environnementales des

forêts et élabore sa propre alternative à REDD pour la promotion de la gestion durable de celles-

ci : Le Mécanisme Conjoint d’Atténuation et d’Adaptation pour la Gestion Durable des Forêts et

de la Terre-Mère.

Étant donné la déforestation rapide des forêts tropicales, l’importance du combat contre le

changement climatique et le relatif manque de progrès pour adresser ces problèmes, l’analyse

des potentialités d’une approche alternative peut fournir des leçons précieuses pour l’avenir des

débats.

La question à laquelle nous tenterons donc de répondre est:

Dans quel cadre politique, économique et social, le programme bolivien de gestion

forestière s’est-il développé et dans quelle mesure le Mécanisme Conjoint est-il une

alternative au programme des Nations Unies UN-REDD pour répondre à la déforestation

des forêts tropicales et au changement climatique?

Pour cela nous allons procéder à une étude qualitative basée sur l’analyse de la documentation

scientifique, des documents et communiqués officiels, des articles de presses, des observations

directes et des entretiens non-directifs sur place en Bolivie.

La triangulation de ces différentes sources d’information et l’approche multidisciplinaire

permettra une réflexion holistique sur la question.

9

II. ANALYSE DESCRIPTIVE.

A. LA DÉFORESTATION .

A.1. LE LI EN AV EC LE CHAN GEME NT CLI MATIQ UE .

Les forêts assument un rôle clé dans l’assainissement et le refroidissement de l’atmosphère.

Elles absorbent et stockent le carbone présent dans l’atmosphère et contribuent à la formation

de nuages qui reflètent les rayons du soleil. Les arbres rejetant du carbone lors de leur

décomposition, les forêts ne présentent toutefois un bilan carbone positif que s’il y a un

renouvellement des arbres qui permet de maintenir le processus de capture du carbone. Dans ce

cas on la décrit comme puits de carbone. En cas de gestion non-durable, de déboisement par le

feu ou par coupes à blancs, le bilan carbone de celles-ci est négatif. Les forêts jouent également

un rôle dans le cycle de l’eau, la provision d’eau douce, la prévention de l’érosion des sols, la

résilience des écosystèmes et le maintien de la biodiversité. Elles contribuent ainsi au maintien

de la température et des conditions de vie sur Terre.

Longtemps sous-estimée, la déforestation actuelle contribuerait à hauteur de 20% à 25%1 aux

émissions mondiales de gaz à effet de serre et serait donc un des principaux moteurs du

réchauffement climatique. Dans les pays du Sud, il s’agirait même de la cause principale.

Pour l’humain, les forêts assurent également des fonctions sociales, économiques et culturelles.

Selon la FAO2, environ 1,6 milliards de personnes tireraient leurs moyens d’existences des

forêts. Le bois comme source d’énergie représente entre 7% et 9% de l’énergie consommée dans

le monde. Elle est d’autant plus importante dans les pays du Sud où le bois représente dans

beaucoup de cas la première source d’énergie.

À différents degrés, la forêt joue également un rôle central dans la vie sociale et culturelle de

beaucoup de communautés qu’elle abrite ou côtoie. En plus d’être source de nourriture et de

matériaux, elle héberge mythes et divinités, façonne les traditions et est lieu de rites ou de

recueillement.

A.2. L’A MP LEUR DE LA DÉFOREST ATIO N .

Selon un rapport3 commandé par la FAO, la perte nette, c’est à dire après nouvelles plantations

et régénération, a baissé de 7,3 à 3,3 millions d’hectares par année entre les années 1990s et la

période 2010-2015. Toutefois il faut souligner que la qualité des superficies reboisées n’est pas

1 Centre Tricontinentale, Alternatives Sud Vol. 15-2008/3 « Déforestation. Points de vue du Sud », Editions Syllepse, 213p. 2 FAO (2015), « Forests and poverty reduction. », Organisation des Nation Unies pour l’alimentation et l’agriculture, paru le 15 mai 2015. http://www.fao.org/forestry/livelihoods/en/ 3 Keenan et al. (2015), « Dynamics of global forest area: Results from the FAO Global Forest Resources Assessment 2015. », Science to Sustain the world’s forests Vol.352, Elsevier.

10

prise en compte. Une monoculture est sur le même pied d’égalité qu’une forêt primaire pour ce

calcul, bien que dans la réalité les bénéfices de ces deux types de couverts forestiers soient bien

différents. Du point de vue de la répartition géographique, c’est surtout dans les bassins

forestiers intertropicaux que les couverts forestiers reculent à grande vitesse et plus

particulièrement dans l’Amazonie, l’Afrique centrale et la zone Malaisie-Indonésie. Dans le nord,

les forêts boréales et tempérées, après avoir été fortement réduites ces derniers siècles, ont

tendance à regagner du terrain ces dernières années. Un autre problème non reflété dans ces

changements est la dégradation des forêts existantes.

A.3. LES C AUS ES DE LA DÉFOREST ATIO N .

A.3.1 . L’AGR I CU LT U RE .

Le moteur le plus actif de la déforestation est sans équivoque l’agriculture. Vivrière ou

d’exportation, son expansion serait responsable de plus de la moitié des déboisements4.

Toutefois, l’impact de l’agriculture de subsistance ne peut pas être considéré sans prendre en

compte le facteur de la pauvreté. La technique sur brûlis, utilisée par les petits paysans pour

libérer de nouvelles parcelles, n’est pas néfaste si elle est appliquée de façon raisonnable. Elle

sert même à rétablir la fertilité des sols par la friche. Elle est toutefois l’une des principales

responsables de la déforestation lorsque les petits paysans manquent de supports et de

perspectives. C’est lorsque les petits paysans font face à un contexte défavorable en matière

d’accès à la terre, de droits fonciers, d’infrastructures, de politique agraire, etc. que leur activité

devient prédatrice vis-à-vis du couvert forestier.

A.3.2 . L’AGRO - I N D UST RIE .

L’expansion de l’agro-industrie n’est pas sans reste lorsqu’il s’agit d’identifier les

comportements les plus prédateurs sur les forêts. Elle préconise une approche mécanique de

l’agriculture avec pour but une maximisation des profits en réalisant des économies d’échelles.

Ceci se traduit par la conversion de larges surfaces de forêts en monocultures homogènes. Ces

cultures à haute rentabilité, par leur manque de biodiversité, et par le fait qu’il s’agit souvent de

plantes non-autochtones importées, sont gourmandes en eau et pesticides. Ce type de pratique

peut contribuer à l’épuisement des sols, des réserves d’eau, à la contamination des nappes

phréatiques et à une baisse substantielle de la diversité biologique, portant atteinte aux

équilibres naturels. À côté des monocultures, on observe également la conversion des forêts en

pâturages pour satisfaire la demande grandissante en viande bovine, et dont les effets sont

similaires.

4 FAO (2007), « Situation des forêts du monde 2007 », Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, Rome. http://www.fao.org

11

Sur le plan social, ce type de pratiques suppose une concentration des droits fonciers entre les

mains de grandes sociétés, au détriment du monde rural qui dépend de ces terres. Expulsées ou

laissées en marge, les populations locales sont souvent forcées de choisir entre émigrer ou

œuvrer pour ces sociétés dans des conditions sociales aléatoires en matière de salaire et de

sécurité. Les plantes utilisées étant principalement des matières premières vouées à

l’exportation, cette pratique érode la sécurité alimentaire de la région d’implantation.

Basé sur les préceptes du libre-échange, le modèle agro-industriel présuppose l’intégration du

pays d’implantation au marché global. Les populations et les circuits locaux se retrouvent

exposés à la fluctuation des prix des produits agricoles entrainée par la spéculation, les cours du

pétrole et la demande accrue des pays émergents, face à laquelle ils sont moins bien armés que

les grands groupes de l’agro-industrie.

Les petits paysans doivent faire face aux produits importés, souvent subventionnés s’il s’agit de

produits venant des pays développés, qui les mettent dans une situation de concurrence

déloyale.

Là où le cadre légal et politique le permet par laxisme ou corruptibilité des instances au pouvoir,

des grandes sociétés vont implémenter leur modèle industriel de maximisation des profits sans

en payer les externalités négatives infligées aux populations locales et à l’environnement.

A.3.3 . L’E XTR A CTIO N DE BOIS D E F E U E T DE BOI S RO N DS .

L’exploitation ligneuse non-durable des forêts est également à blâmer pour la dégradation des

forêts et le déboisement. La récolte de bois de feu par les populations locales pour la cuisson et

le chauffage est de loin le poste principal de consommation des ressources ligneuses dans les

pays en voie de développement. Les quantités prélevées par ramassage ou abatage dépassent

souvent les quotas annuels autorisés dans la plupart de ces pays. Plus qu’un problème technique

ou démographique, il s’agit là surtout d’un problème socioéconomique. Le bois étant un

combustible bon marché voir gratuit et relativement disponible, il se retrouve être la seule

option pour les populations pauvres et les amène malgré eux à participer activement à la

disparition des forêts. La lutte contre la pauvreté devient donc une condition préalable à la

gestion durable des forêts.

L’autre principale cause d’extraction ligneuse est l’approvisionnement du marché mondial en

bois à des fins manufacturières. Bien que les principaux producteurs soient les pays occidentaux,

c’est dans les pays tropicaux que l’abatage abusif et illégal mène à une surexploitation des forêts.

En cause, l’absence de plans d’exploitation et de contrôles, les dommages collatéraux de

l’abatage sélectif d’essences rares, la construction anarchique de routes d’accès, etc. ne

permettent pas une gestion durable des forêts. Globalement, un tiers de la production sur le

12

marché mondial est d’origine illégale, et cette part a tendance à croître5. Les dynamiques qui

sous-tendent ces pratiques sont complexes et varient selon les régions.

Dans certains cas, partant d’une bonne intention, l’implémentation de nouvelles régulations

contraignantes par certains gouvernements a poussé dans l’illégalité les petits producteurs qui

n’ont pas les moyens pour se mettre aux nouvelles normes exigées. L’introduction de ces

exigences dans les pays en développement sans prendre en considération les petits producteurs

et les populations locales mène à une concentration du secteur aux mains de grandes

entreprises. Celles-ci visant principalement l’approvisionnement du marché international,

l’approvisionnement local se rabat sur des filières marginalisées et informelles qui peuvent

causer d’importants dégâts environnementaux.

On observe dans d’autres cas, que lorsque des politiques de développement de l’industrie

nationale du bois ont mené à une surcapacité de transformation des grumes, le coût trop élevé,

du point de vue social et politique, du désinvestissement entraîne une surexploitation des

ressources ligneuses afin de maintenir l’activité.

Un haut degré de corruption et d’implications personnelles des représentants politiques mine

davantage toute tentative de régulation de l’exploitation forestière vers une gestion durable.

A.3.4 . LE S A UT RE S CA USE S .

Outre l’agriculture et l’exploitation ligneuse, d’autres usages du sol rongent le couvert forestier.

On peut bien entendu citer l’urbanisation galopante et les grands projets d’infrastructure comme

la construction de barrages, mais aussi les intrusions plus ciblées, liées à la prospection minière

et pétrolière, l’implantation touristique et industrielle dans les forêts. Nombreux sont les

exemples où des grandes sociétés s’implantent dans des régions peu développées au détriment

des écosystèmes et des populations locales. Toutefois, plus que l’implantation même, c’est la

construction de routes d’accès qui souvent condamne à terme la forêt. Celles-ci permettent aux

occupants sans titres, spéculateurs et autres opportunistes d’accéder au cœur de la forêt pour la

pilier de l’intérieur.

Pollutions et incendies forment également une menace pour les forêts. Pour les incendies, la

moitié peuvent être liés à l’activité agricole, et notamment la culture sur brûlis pour libérer des

parcelles de culture ou de pâturage. L’autre moitié, accidentelle, résulte du cycle vicieux du

déboisement qui entraîne la sécheresse des sols et la diminution des pluies, qui à leur tour

mènent à des feux de forêts qui contribuent eux-mêmes au déboisement.

Des pluies acides à la diffusion des ravageurs, les pollutions multiples contribuent également à la

dégradation du couvert forestier et puisent leur source dans le modèle productiviste dominant.

5 Centre Tricontinentale, Alternatives Sud Vol. 15-2008/3 « Déforestation. Points de vue du Sud », Editions Syllepse, 213p.

13

A.4. LES EN JEUX DE LA DÉFOREST ATIO N .

Le combat de la déforestation nécessite l’implémentation de politiques nationales et

internationales cohérentes dans le domaine de la gestion durable des forêts. La formulation de

ces politiques soulève toutefois de nombreuses questions.

Commençons par celle de la souveraineté.

Les forêts fournissent des biens et services publics locaux, nationaux et mondiaux, comme le

maintien de la biodiversité et l’atténuation des changements climatiques. Quelle serait le niveau

de gestion à préconiser ? Certains courants plutôt en faveur de la conservation militent pour une

gestion centralisée au niveau planétaire, par peur de voir des pays dilapider leurs ressources

naturelles sur le marché mondial. En face, les défenseurs des peuples autochtones et paysans

clament que les communautés locales sont le mieux à même de gérer ces forêts dont elles

dépendent. Entre les deux on retrouve des intérêts nationaux d’états centralisés, qui souvent

placent les intérêts économiques au-dessus des questions sociales et environnementales, et

entretiennent des liens plus ou moins étroits avec l’agro-industrie et les grands producteurs.

Proche de cette problématique se pose également la question de la forme de gestion la plus

efficace : publique ou privée ? Ici encore deux camps s’affrontent. D’un côté ceux qui soutiennent

que le propriétaire privé aura plus d’incitants à gérer sa forêt de façon durable, tout en fermant

les yeux sur les comportements prédateurs des grands concessionnaires forestiers. De l’autre

ceux qui défendent que seule une gestion publique peut garantir une gestion durable et inclusive

des forêts, tout en doutant de la capacité réelle d’intervention de nombreux gouvernements.

Sur l’échiquier mondial on retrouve des pays occidentaux qui préconisent une gestion intégrée

au niveau mondial des ressources forestières et l’introduction de normes à cet effet. Celles-ci

étant relativement contraignantes pour les pays en développement, ceux-ci accusent les pays

occidentaux, qui ont déjà détruit une majeure partie de leurs forêts par le passé, d’hypocrisie, de

vouloir mettre main basse sur leurs ressources et de freiner leur propre développement

économique.

La lutte contre la déforestation va de pair avec le combat contre les inégalités, les défis

énergétiques et climatiques, et la sécurité alimentaire. Les politiques à mettre en place, tant au

niveau local que global, doivent être cohérentes entre elles et prendre ces relations complexes

en compte.

14

B. LE MÉCANISME INTERNATIONAL REDD(+) ET LE PROGRAMME

UN-REDD DES NATIONS UNIES .

B.1. DÉFINI TION 6.

Le programme UN-REDD (United Nations Programme on Reducing Emissions from Deforestation

and Forest Degradation) est l’initiative collaborative des Nations Unies visant à promouvoir la

Réduction des Émissions (de CO2) issues de la Déforestation et de la Dégradation des forêts

(REDD) dans les pays en voie de développement. Le programme a été lancé en 2008 et s’appuie

sur la coopération et l’expertise technique de l’Organisation des Nations Unies pour

l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), du Programme des Nations Unies pour le Développement

(UNDP) et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP). Le programme UN-

REDD appuie les processus REDD+ nationaux et promeut la participation engagée et informée de

toutes les parties prenantes, y compris les populations indigènes et les communautés

dépendantes de la forêt, dans l’implémentation nationale et internationale de REDD+.

B.2. H ISTORI QUE .

REDD, le mécanisme qui sous-tend le programme, fut abordé pour la première fois en 2005 à la

11ième session de la Conference of the Parties to the Convention (COP), la conférence annuelle

mondiale sur le climat et l’environnement. C’est la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Costa Rica,

représentants la Coalition for Rainforest Nations, une coalition des pays tropicaux dont la Bolivie

fait également partie, qui présentèrent le document „Reducing Emissions from Deforestation in

Developing Countries: Approaches to Stimulate Action” aux autres parties de la Convention-Cadre

des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC/UNFCCC7) et du Protocole de Kyoto.

Le but de ce document était de remettre la réduction de gaz à effet de serre émis par la

déforestation et la dégradation des forêts tropicales par une gestion durable de celles-ci à

l’agenda. L’aspect de gestion durable avait été abandonné durant les négociations du protocole

de Kyoto pour se limiter aux efforts de non-déboisement et de reboisement. Le document

appelle à la création d’un mécanisme qui permette aux pays en développement d’implémenter

une gestion durable des forêts sur leur territoire avec l’appui des pays développés.

C’est lors de la COP 13 à Bali en 2007 que l’initiative gagna considérablement en attention et que

les premières décisions furent prises. REDD devint REDD+, par la prise en compte de la

conservation et de l’augmentation des stocks de carbone piégés par les forêts, et un premier

appel à projets fut lancé. Il s’en suivi la création d’une série de programmes dont le programme

6 Traduction libre par le mémorant depuis l’anglais de la définition disponible sur le site Internet du programme: http://www.un-redd.org/. 7 United Nations Framework Convention on Climate Change.

15

UN-REDD, le Forest Carbon Partnership Facility (FCPF) de la Banque Mondiale, la Norwegian

International Climate and Forest Initiative (NICFI), etc.

Lors des COP 15, 16 et 17, de nouvelles décisions furent prises pour définir plus précisément la

méthodologie concernant le contrôle national des forêts. Les exigences en matière de mesures,

rapports et vérifications furent explicitées et les pays encouragés à développer des programmes

nationaux REDD+. Les ‘sauvegardes’ furent introduites pour éviter que les programmes

nationaux n’entrainent des effets négatifs sur les populations et l’environnement au niveau local.

En 2013, avec le ‘Cadre de Varsovie pour REDD+’ produit par la COP 19 et qui amène encore des

précisions sur différents aspects du mécanisme, le cadre général de l’implémentation de REDD+

est complet.

B.3. LE CONT EN U

REDD+ est un mécanisme de compensation financière à destination des pays en voie de

développement dont les efforts de réduction des gaz à effet de serre par la gestion durable des

forêts sont vérifiés. Ces efforts peuvent avoir lieu dans 5 domaines d’action :

Réduire les émissions dues à la déforestation.

Réduire les émissions dues à la dégradation des forêts sur pied.

La conservation des stocks de carbone séquestré dans les forêts.

La gestion durable des forêts.

L’augmentation des stocks de carbone séquestré dans les forêts.

REDD+ fournit les lignes directrices selon lesquelles ces actions devraient s’effectuer, mais

établit peu de contraintes quant à l’implémentation nationale. Ceci relève de la souveraineté de

chaque pays. Il explicite toutefois les résultats qu’il récompense et la forme et le contenu des

rapports à remettre pour être candidat. Les exigences quant aux rapports servent à rendre ceux-

ci comparables et révisables par la Convention.

Le programme UN-REDD a pour but d’assister les pays en voie de développement dans la

préparation à l’implémentation de REDD+ par l’aide financière mais également par le transfert

de savoir et l’appui logistique. L’accent est mis sur la participation des populations locales dans

l’implémentation du mécanisme et du respect de leur bien-être et de leur environnement. En

retour, le programme sert aussi à collecter les observations sur le terrain afin d’alimenter le

dialogue international.

B.4. LES A CT EUR S .

Les institutions internationales comme les Nations Unies ou la Banque Mondiale ont mis

sur pied des programmes et des fonds visant à aider les états à implémenter REDD+.

Elles conseillent également les états dans l’élaboration du mécanisme.

16

Les états sont présents dans les discussions autour de l’élaboration du mécanisme

REDD+, notamment aux Conférences des Parties annuelles mais également dans d’autres

forums. Ils sont aussi responsables de l’implémentation de REDD+ sur leurs territoires et

de leurs participations au mécanisme. Certains pays développés ont mis en place des

fonds et des programmes pour aider les pays en développement à acquérir les capacités

nécessaires pour participer au mécanisme. Citons par exemple la Norvège avec leur

International Climate and Forest Initiative.

Certaines entreprises participent déjà volontairement à la mise en place du mécanisme

REDD+, isolément ou sous forme de groupement sectoriel. Ceci leurs permet, outre

d’entretenir une bonne image, de s’adapter rapidement aux évolutions du mécanisme et

de participer dans les discussions sectorielles d’implémentation de celui-ci au niveau

national ou régional.

Les organisations non-gouvernementales sont principalement actives sur le terrain dans

les pays en voie de développement. Elles appuient techniquement les autorités et

populations locales dans la préparation et l’implémentation de REDD+. Elles servent

aussi de relais entre les populations locales, les autorités nationales et les programmes

internationaux.

L’implication des populations locales a été établie comme un facteur clé dans la réussite

du mécanisme. Celles-ci doivent prendre part à l’élaboration et l’implémentation des

programmes nationaux et régionaux. Elles doivent être formées à la remise des rapports

et avoir les moyens de signaler les problèmes observés.

B.5. LE FI NANCEMEN T .

Alors que les exigences en matière de mesures, rapports et vérifications sont relativement

avancées dans leurs définitions et que l’implémentation de ces outils a débuté, le mécanisme

purement financier définitif est en cours de construction et prévu pour 2020. Deux systèmes de

financement sont envisageables, l’un basé sur des fonds et l’autre sur le marché.

Le financement par les fonds se base sur l’octroi de subventions par une institution publique ou

privée dans le cadre d’accords bilatéraux pour appuyer un programme national ou un projet

spécifique avec, la plupart du temps, une condition de résultat qualitatif ou quantitatif.

L’approche par le marché repose sur l’autorégulation via le jeu de l’offre et de la demande de

crédits-carbone. De façon similaire au Clean Development Mechanism instauré par le Protocol de

Kyoto, les pays ou acteurs qui démontrent des résultats positifs en matière de gestion de leurs

forêts et de séquestration de carbone recevraient des crédits-carbone. Ces acteurs pourraient

alors les revendre aux pollueurs, pays ou entreprises, qui en ont besoin pour compenser leurs

émissions, ou les conserver pour compenser leurs propres émissions. Pour absorber ces crédits-

carbone supplémentaires, les pays développés devraient toutefois accepter de réduire

17

davantage leurs quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Le risque avec cette solution basée

sur le marché est que celui-ci soit inondé de crédits-carbone, ce qui diminuerait leurs prix au

point que les projets REDD+ ne soit plus une solution économiquement viable. Dans un article8

paru en 2011, Arild Vatn et Paul Vedeld démontrent également qu’une solution basée sur le

marché serait la moins efficiente financièrement à cause des coûts de transaction relativement

élevés et aurait du mal à produire des externalités positives sur la protection de la biodiversité

ou sur la réduction de la pauvreté.

Depuis la COP 17 tenue à Durban en 2011, l’UNFCCC semble suivre la piste du financement du

mécanisme REDD+ par un fond international. Celui-ci serait dirigé par le Green Climate Fund,

lui-même sous la tutelle temporaire de la Banque Mondiale, qui a été lancé un an auparavant

mais qui n’est pas encore opérationnel. Les négociations doivent encore résoudre des problèmes

liés à la collecte des fonds, au rôle du secteur privé et à la distribution des pouvoirs.

La création d’incitants financiers pour amener les acteurs privés à investir directement dans

REDD+ est un des défis rencontrés dans l’élaboration du mécanisme. La plupart des entreprises

qui ont investi dans REDD+ à l’heure actuelle, l’ont fait volontairement pour afficher un rôle de

pionnier sur la question climatique dans leurs secteurs et pour atteindre leurs objectifs en

matière de responsabilité sociale de l’entreprise. Une des pistes discutées pour attirer des fonds

privés, et en particulier les fonds de pension, serait la création de bonds verts garantis par les

états.

Le type de financement dépend également de la phase dans laquelle le pays se trouve. Les

résultats des phases de préparation étant difficilement quantifiable, la majorité du financement

provient de fonds publics. Les autres formes de financement basées sur des fonds privés posent

souvent la condition de résultat et sont donc davantage présents lorsque les programmes

nationaux sont en place et émettent des rapports quantifiés.

En 2014, le financement était composé à 90% de fonds publics. Ceci s’explique par le fait que les

pays sont pour la plupart en phase d’implémentation des systèmes MRV (Mesure, Rapport et

Vérification) pour se préparer pour REDD+. Les financements accordés sont donc ex-ante, avant

tout résultat. Il s’agit souvent d’accords bilatéraux entre pays qui se sont engagés à contribuer à

la réalisation de REDD+.

B.6. CRITIQ UES .

Le mécanisme REDD+ fait face à de nombreuses critiques dans son élaboration et dans son

implémentation.

8 Vatn, Arild and Paul Vedeld. Getting Ready! A Study of National Governance Structures for REDD+. Noragric Report No. 59 (April 2011) Norwegian University of Life Sciences (UMB).

18

Déjà lors des négociations de Bali en 2007 (COP 13), le groupement de peuples autochtones

International Indigenous Peoples Forum on Climate Change exprima ses craintes vis-à-vis du

mécanisme. Il y voit un risque grave de violation des droits des peuples autochtones, de leur

accès à la terre et aux ressources naturelles, d’expropriations et d’évictions forcées, mais aussi la

répression des techniques traditionnelles, la destruction de la biodiversité et la création de

conflits sociaux.

Face à différentes inquiétudes exprimées lors des COPs concernant le détournement du

mécanisme REDD+, l’UNFCCC a instauré des ‘sauvegardes’ pour y répondre. Celles-ci sont des

principes que les états sont encouragés à appliquer et à promouvoir. Elles adressent des

problèmes tels que la conversion des forêts en monocultures, la transparence du processus, le

respect et l’inclusion des populations autochtones, etc. . Le fait que leur application ne soit pas

rendue obligatoire pour les pays est un reproche émis à leur encontre.

L’UNFCCC ne donne pas de définition claire de la forêt ni de la dégradation des forêts. Ceci laisse

la porte ouverte aux interprétations qui favorisent les intérêts commerciaux au détriment des

intérêts environnementaux. Les conséquences peuvent être, entre autres, la conversion de forêts

primaires en monoculture ou les coupes sélectives dans des forêts intactes.

L’inclusion et le respect effectifs des populations autochtones sont également questionnés.

L’UNFCCC les encourage dans ses sauvegardes mais ne prévoit pas de cadre contraignant pour

les pays. Les problèmes tels que le manque de représentation des peuples dépendants de la forêt

dans le système politique, le manque de mise en vigueur d’un cadre légal adéquat, le manque

d’information, la corruption et la manipulation, le besoin de réforme de la politique forestière et

de l’accès à la terre sont des éléments qui entravent une participation adéquate des populations

autochtones et une distribution équitable des revenus vers celles-ci.

Des voix s’élèvent pour décrire le mécanisme comme un outil du capitalisme vert, soumettant les

forêts et les populations qui en dépendent au dictat des pays développés et des spéculateurs des

marchés.

Ces problèmes ont été soulevés et cités par différents pays, dont le Panama et la Bolivie, comme

les raisons de leur retrait des négociations.

B.7. LA BO LIVI E ET LE P ROGRAMM E UN-REDD : U N HIS TORIQ UE .

En 2005, la Bolivie faisait partie de la Coalition for Rainforest Nations qui proposa un

mécanisme de marché pour la conservation des forêts.

En 2008 la Bolivie soumit sa candidature pour un financement de lancement rapide par

l’UN-REDD à travers le Forest Carbon Partnership Facility.

C’est en décembre de la même année, peu avant la COP14 à Poznań, que la position du

gouvernement vis-à-vis du programme REDD se mit à changer. Dans une lettre ouverte,

19

le président Evo Morales s’opposa en effet aux solutions basées sur des mécanismes de

marché pour répondre aux changements climatiques.

Toutefois, sur fond de réalignement politique, la Bolivie resta d’abord engagée avec

REDD+ et soumis en 2009 l’ébauche de son document UNREDD National Joint

Programme. Celui-ci fut accepté en mars 2010 avec une allocation de 4,7 millions de

dollars US.

Un événement majeur fut toutefois la World People’s Conference on Climate Change and

the Rights of Mother Earth en Avril 2010, qui eut lieu à Tiquipaya en Bolivie et dont le

gouvernement du pays hôte embrassa pleinement la conclusion qui fut de condamner les

mécanismes mercantilistes comme REDD, qui violent la souveraineté des populations et

leur droit au consentement informé, préalable et libre, tout comme la souveraineté des

états, les droits, usages et coutumes des peuples et les Droits de la Nature.

Le président Evo Morales réitéra la position de son gouvernement dans une lettre qu’il

adressa aux peuples autochtones du monde, en octobre 2010, mais signa toutefois la

dernière version en date de l’UN-REDD National Joint Programme.

En Novembre 2010, à la COP 16 tenue à Cancun, des 195 pays présents, la Bolivie fut le

seul à ne pas signer la déclaration finale.

En Janvier 2011, le premier versement de 1 millions de dollars US fut approuvé pour

appuyer les efforts REDD de la Bolivie.

En Octobre 2011, lors de la 7ième réunion du Policy Board de l’UNREDD, le gouvernement

bolivien demanda la modification de son National Joint Programme pour l’aligner avec sa

position vis-à-vis de REDD+, mettant fin à l’ambiguïté naissante.

En Décembre 2011, à la COP 17 tenue à Durban, le gouvernement bolivien présenta une

ébauche de son alternative à REDD+, le Mecanismo Conjunto de Mitigación y Adaptación

para el Manejo Integral y Sustentable de los Bosques y la Madre Tierra9(MCMA ou

Mécanisme Conjoint), basé sur des mécanismes non-marchands.

La dernière version publique en date du Mécanisme Conjoint est publiée en 2012.

En mars 2012, lors de la 8ième réunion du Policy Board de l’UN-REDD, la Bolivie demanda

à ce que les fonds libérés soient redirigés pour soutenir le Mécanisme Conjoint.

Différents projets sont en négociations pour être intégrés au Mécanisme Conjoint, dont

d’anciens projets REDD+. À l’heure actuelle, le Mécanisme Conjoint n’est pas encore

opérationnel. Il est en cours d’élaboration par l’APMT, l’autorité bolivienne en charge.

9 Mécanisme conjoint d’atténuation et d’adaptation pour la gestion durable des forêts et de la Terre Mère.

20

C. LA BOLIVIE ET SON CONTEXTE NATIONAL .

ILLUSTRATION 1: CARTE DE LA BOLIVIE . SOURCE : WWW.MAPSOFTHEWORLD.COM

C.1. LA GÉOGR AP HI E .

La Bolivie possède une diversité biologique et topographique remarquable. Entre les Andes qui

culminent à 6000 mètres au-dessus du niveau de la mer et les plaines de l’Amazonie qui ne

s’élèvent plus qu’à 200 mètres, on retrouve une variété impressionnante de climats et de

paysages.

Cette diversité a pour conséquence de doter la Bolivie d’une riche variété d’écosystèmes et

d’espèces animales et végétales, et place le pays parmi les 10 pays au monde possédant le plus

de biodiversité.

On peut découper le pays en trois grandes régions ;

L’altiplano au sud-ouest, caractérisé par un paysage aride et rocailleux. Il s’agit du

plateau qui s’étend entre les cordillères des Andes orientales et occidentales. À plus de

4000 mètres d’altitude, les températures peuvent chuter au-dessous de 0°C.

Les zones de transition entre les Andes et les terres basses sur le pourtour extérieur de

la cordillère, comprenant les régions fertiles autours de Sucre, Tarija, Cochabamba et les

21

Yungas au nord de La Paz. Ces zones vallonnées présentent un climat tempéré et doux

tout au long de l’année et sont propices à l’agriculture.

Les terres basses à l’est et au nord. Celles-ci présentent des températures plus élevées et

généralement une humidité et des précipitations plus importantes. Exception faite de la

région du Gran Chaco au sud-est qui est composée de brousses et est relativement sèche

et chaude. À l’est de Santa Cruz, le Gran Chiquitania présente un paysage de savane. Au

nord, le bassin amazonien est composé de marais et de forêts tropicales.

Illustration 2: Relief de la Bolivie. Source : http://www.boliviabella.com/geography.html

L’altiplano ne présente que peu d’intérêt dans un travail sur la gestion forestière car on n’y

trouve pas de forêt. Les hautes terres de la zone de transition sont intéressantes du point de vue

politique car, outre le fait que ces régions abritent historiquement une majorité de la population

bolivienne, il s’agit aussi des régions productrices de feuilles de Coca. C’est dans les terres

basses, et surtout dans les départements de Santa Cruz à l’est et de Pando et Beni au nord, que la

frontière agricole s’étend rapidement et que la déforestation est la plus importante.

En Bolivie, la forêt couvre environ 45 millions d’hectares, soit 40% du territoire. 80% des forêts

se trouvent dans les terres basses et c’est dans ces régions que le taux de déforestation est le

plus alarmant. Pour la période entre 2000 et 2010, la superficie déboisée s’élève à 1,82 millions

d’hectares. Avec 76%, la majeure partie de cette déforestation a eu lieu dans le département de

Santa Cruz pour la conversion de forêts en terres arables (voir illustration 3). En matière

d’agriculture, on retrouve dans ce département une importante part de monocultures dont

celles du soja principalement. Celles-ci sont par nature fortement intensives ; l’utilisation de

machines lourdes et d’intrants chimiques entraine de fortes pressions sur les sols, et pousse les

agriculteurs à s’accaparer de nouvelles terres pour soutenir leurs taux de production.

22

La Bolivie possède plus de 12 millions d’hectares de forêts protégées au sein de réserves

naturelles. La déforestation accumulée au sein de ces surfaces est inférieure à 2%. Ceci est

toutefois davantage la conséquence du caractère isolé de ces forêts, de la faible densité

démographique et du manque d’infrastructure routière que de l’efficacité des mesures de

protections.

ILLUSTRATION 3: ÉVOLUTION DE LA DÉFORESTATION EN BOLIVIE. SOURCE : KILLEEN T. J. ET AL . (2008).

LCC signifie land cover change en anglais et représente les zones déboisées.

C.2. MOTEUR S DE LA DÉFOR ES TATION EN BO LIVI E .

C.2.1. L’AGR I CU LT U RE .

En Bolivie, à l’image de la planète entière, la première cause de déforestation, légale et illégale,

est l’expansion de la frontière agricole. Depuis la moitié du 20ième siècle jusqu’en 2004, les

paysans des terres basses boliviennes ont réduit la couverture boisée de 3,5 millions

d’hectares10.

10 Killeen T. J., A. Guerra, M. Calzada, L. Correa, V. Calderon, L. Soria, B. Quezada, and M. K. Steininger (2008), « Total historical land-use change in eastern Bolivia: Who, where, when, and how much? », Ecology and Society 13(1): 36.

23

Les bénéfices nets générés par des terres agricoles sont en moyenne trois fois plus élevés pour le

propriétaire que ce qu’il pourrait tirer de terres boisées. Toutefois ce ratio peut varier

grandement selon la localisation des terres en fonction de critères tels que la qualité du sol, la

pente du terrain, la densité de population et la distance aux places de marché par exemple.

C.2.2. L’É LE V AGE .

Un autre moteur important de la déforestation est l’expansion de l’élevage, qui est responsable

pour la perte de 0,5 millions d’hectares sur la même période précitée pour l’agriculture. Bien

qu’à l’hectare les pâturages ne soient pas plus rentables que les forêts, l’élevage présente

d’autres avantages pour le propriétaire. Au vu de l’abondance des terres mais du manque de

main d’œuvre et d’infrastructure dans les régions reculées et frontalières, investir dans l’élevage

est un choix pertinent pour le paysan car un troupeau demande moins de temps et d’efforts que

le travail de la terre. Une famille rurale bolivienne type consiste en un couple d’adultes, les

enfants ayant déménagés en ville. Un couple de paysans peut gérer seul un troupeau pouvant

dépasser les 1000 têtes. Le troupeau assure son propre transport et peut marcher jusqu’aux

places de marché. Le retour sur investissement est intéressant au vu de la reproduction

naturelle des bêtes. Celles-ci peuvent aussi être vendues à tout moment de l’année et générer

une rentrée d’argent continue, contrairement à l’agriculture plus saisonnière. De plus, du point

de vue socioculturel, l’élevage est considéré comme une activité plus prestigieuse que le travail

de la terre.

C.2.3. LA SÉ C UR ITÉ F ON CIÈ RE .

Une autre raison qui soutient l’expansion des pâturages est la sécurité foncière. En effet, les

réformes foncières en Bolivie ont implémenté un mécanisme qui prévoit la restitution à l’état

des titres fonciers si le propriétaire ne peut pas démontrer que les terres remplissent une

fonction socioéconomique. Le nombre de têtes par superficie de pâturage faisant partie du calcul

utilisé, cette loi, dont le but est de garantir une redistribution équitable des terres, a encouragé

en partie les propriétaires à protéger leurs avoirs terriens par l’élevage.

C.2.4. LE S A CTE U RS .

Dans un article scientifique paru en 200811, Killeen et al. proposent une analyse des principaux

acteurs responsables de la déforestation dans les terres basses de Bolivie. Ceux-ci sont

regroupés en dix catégories basées sur des critères d’appartenance communautaire ou

professionnelle.

11 Ibid.

24

Selon les observations menées, ce sont les paysans autochtones des Andes, ayant migrés vers les

terres basses, qui tiennent le palmarès du nombre d’hectares déboisés par année sur la période

1976-2004. Ils sont suivis par les agro-industriels et les éleveurs de bovins. Cette situation

pourrait toutefois avoir changé ces dernières années à cause de l’expansion des plantations de

soja en Bolivie, qui se trouvent pour la majorité aux mains d’investisseurs étrangers. Les raisons

de l’attrait de la Bolivie pour le développement des plantations de soja, et les investissements

agricoles en général, sont d’abord que le coût du diesel est 3 fois plus bas et les prix moyens des

terres rurales est 10 fois plus bas en Bolivie que dans les pays voisins comme le Brésil et

l’Argentine. Ensuite, le cadre socioéconomique du monde rural bolivien est favorable à

l’investissement. En effet, beaucoup de propriétaires terriens boliviens sont fortement

contraints en matière de fonds propres, d’accès au crédit et de main d’œuvre. Ils n’ont pas les

moyens de s’engager dans une exploitation agricole à grande échelle. Pour nombre de ces

propriétaires, déboiser ces terres et les louer aux investisseurs qui viendront y implanter leur

activité de production de soja ou autre, représente un choix rentable. La vente du bois couvrant

les frais de déboisement, les revenus de la location des terres sont un profit net pour eux.

GRAPHIQUE 1: ÉVOLUTION DE LA DÉFORESTATION PAR GROUPE D’ACTEURS. SOURCE : KILLEEN ET AL. (2008)

C.2.5. LE S ME SU RE S P O LI TIQ UE S INF LUE N ÇA NT LA DÉ F O RE ST AT ION .

Toute politique vis-à-vis de la gestion forestière ou de l’agriculture aura un effet sur le taux de

déforestation, en particulier dans les régions où la différence entre le bénéfice tiré de la forêt et

celui tiré de l’agriculture est faible.

25

L’INESAD, Institute for Advanced Development Studies, un organisme de recherche bolivien, a

établi un tableau12 de toutes les mesures qui peuvent potentiellement affecter le taux de

profitabilité des terres agricoles et forestières en Bolivie.

TABLEAU 1: MESURES ET LEURS EFFETS SUR LA PROFITABILITÉ DE L 'AGRICULTURE ET DE LA FORÊT.

Effets sur la profitabilité de l’agriculture : Effets sur la profitabilité de la forêt :

Positif Construction de routes

Carburants subsidiés

Engrais subsidiés

Prix élevé des denrées alimentaires

Développement du marché pour les

produits agricoles

Immigration de la main d’œuvre

Concession des terres

Crédits aux agriculteurs

Assurances agricoles gratuites

Elimination de la fièvre aphteuse

Introduction de cultures améliorées

Promotion de l’exportation

Investissements directs étrangers

dans le secteur agricole.

Aides financières à la conservation

(ex : COMSERBO)

Support financiers aux activités

forestières

Support financiers pour la

certification de produits forestiers

Développement du marché pour les

produits et services forestiers,

incluant l’éco-tourisme

Construction de routes

Investissements directs étrangers

dans le secteur forestier

Protection contre les feux de forêts

Négatif Taxes sur la déforestation

Permis de déforestation

Amendes pour la déforestation

illégale

Taxes sur la production agricole

Taxes sur les carburants

Opportunités de travail hors secteur

agricole

Régulations de l’abatage

Feux de forêts

C.3. LE CONT EX T E HI STO RI QUE ET CULTUR EL .

La Bolivie est une société multiethnique possédant une diversité culturelle remarquable. Avec

60% de la population descendant de peuples autochtones, la Bolivie est le pays d’Amérique du

Sud avec le plus haut taux d’autochtones. 36 groupes ethniques ont été recensés et reconnus.

Avec environ 30% d’autochtones Quechua et 25% d’autochtones Aymará, ces deux groupes

forment la majorité et sont principalement localisés dans les hautes terres. Les autres groupes se

trouvent surtout dans les terres basses. Les Mestizos, les métisses avec des origines autochtones

12 Andersen Lykke E. (2013), « The drivers, causes and actors of deforestation in Bolivia. », Sintesis n°8 June 2013, INESAD.

26

et espagnoles mélangées, représentent aussi une part substantielle de la population bolivienne

(environ 30%).

Aujourd’hui environ 95% de la population se déclare de religion catholique, bien que dans la

pratique celle-ci soit largement enrichie de croyances autochtones. Celles-ci sont de nature

animiste et font références à des dieux et esprits de la Nature, dont l’origine remonte aux Incas

et bien avant. La représentation spirituelle de la Terre-Mère, Pachamama, est sans nul doute la

plus vénérée et la plus populaire.

Le premier mouvement d’indépendance en Amérique du Sud face à la Couronne espagnole

émergea en Bolivie en 1809. Ironiquement, le pays est toutefois le dernier à l’avoir obtenue en

1825, après la défaite des loyalistes face à Simon Bolivar et Antonio José de Sucre. Le pays était

dès lors placé sous un régime relativement autoritaire à la tête duquel les militaires et les

oligarques civils alternèrent jusqu’à la révolution de 1952.

Après 12 ans au pouvoir le parti révolutionnaire MNR ne fut toutefois pas capable d’augmenter

significativement le niveau de vie des boliviens, et le pays plongea dans une période de coups

militaires et de dictatures.

Les années 1990 sont marquées par la privatisation des sociétés d’état et l’afflux

d’investissements étrangers, initiée par le président Gonzalo ‘Goni’ Sánchez de Lozada. La

croissance du mécontentement de la population face aux mesures d’éradication de la Coca

appuyées par le gouvernement US, l’augmentation du prix du pétrole, les pénuries en eau et la

récession finirent par pousser le président vers la sortie. Son successeur, Carlos Mesa, incapable

d’apaiser la situation connut le même sort en 2005. C’est alors que le premier président

autochtone et ancien cocalero13, Evo Morales, fut élu avec 54% des votes.

L’élection d’Evo Morales entraîna la transformation vers un nouvel état dit ‘plurinational’ et la

rédaction d’une nouvelle constitution. Celle-ci reconnaît les populations autochtones, restées

jusque là sur la touche dans le paysage politique bien qu’elles constituent une majorité de la

population, et leurs accordent davantage de droits. À l’image du président, de nombreuses

personnes hautement placées dans les sphères politiques sont maintenant d’origine autochtone.

Cela développe un sentiment de fierté qui tend à renverser doucement l’apathie politique

présente jusque là au sein des communautés autochtones. Evo Morales a depuis ses débuts

souligné l’importance des origines ethniques dans l’identité bolivienne, mais certains lui

reprochent d’avoir trop rapidement embrassé la cause autochtone pour des raisons politiques et

de polariser encore davantage le pays autour des différences raciales et sociales. Il favoriserait

les populations autochtones par rapport aux autres, dont les métisses d’origine espagnole.

13 Producteur de Coca.

27

Bien que le pouvoir politique se mette à migrer vers la majorité autochtone, le pouvoir

économique reste pour le moment toujours aux mains d’une élite. Le mécontentement des riches

propriétaires terriens, principalement basés à Santa Cruz, la capitale économique du pays, face

aux réformes du gouvernement central de La Paz se fait ressentir à travers des menaces de

sécession de la part des départements riches de la Media Luna (incluant Tarija, Santa Cruz, Béni

et Pando).

ILLUSTRATION 4: DÉPARTEMENTS AUTONOMISTES EN BOLIVIE . SOURCE : HTTPS://ECHOGEO.REVUES.ORG/5593

Dans ses relations avec les pays voisins la Bolivie a été tour a tour en guerre avec chacun d’eux

depuis le 19ième siècle, hormis avec le Pérou, son allié historique d’héritage Quechua commun.

Aujourd’hui, la Bolivie n’a plus de conflit ouvert avec ses voisins, excepté la réclamation auprès

du Chili d’un accès à la mer qu’elle a perdu en 1884 lors de la Guerre du Pacifique.

Durant toute la seconde moitié du 20ième siècle, la scène politique bolivienne a vu des ingérences

récurrentes des intérêts des États-Unis dans leurs affaires nationales. Comme pour d’autres pays

d’Amérique du Sud riches en ressources naturelles, surtout pétrolifères et minières, la Bolivie

représentait pour les États-Unis un enjeu économique stratégique.

Dans le cadre de la guerre contre la drogue, les mesures d’éradications des champs de coca

devenant de plus en plus intrusives et violentes, le mécontentement de la population touchée

s’ajouta aux autres éléments qui entrainèrent la chute du gouvernement de ‘Goni’ Sánchez de

28

Lozanda. Une fois Evo Morales au pouvoir, les relations se détériorèrent et le président ordonna

en 2008 l’expulsion de l’ambassadeur américain en Bolivie, Philip Goldberg, et l’expulsion de

l’USAID, l’agence américaine pour le développement international, en 2013.

Après son élection, Evo Morales s’empressa d’aller resserrer les liens avec d’autres

gouvernements socialistes comme celui d’Hugo Chavez au Venezuela, de ‘Lula’ da Silva au Brésil

et de Fidel Castro à Cuba.

C.4. LA SIT UATION S OCI OÉCONOMIQ UE .

Affichant une population de 10,8 millions d’habitants en 2015, ce qui représente une densité de

9,83 hab./km², la Bolivie est un pays relativement peu dense. En comparaison, pour une

population plus ou moins égale, la Belgique a une densité de 368 hab./km². Historiquement, la

majorité de la population se concentrait dans les hauts-plateaux andins. Ce n’est que dans un

passé proche que la colonisation des plaines amazoniennes et du Chiquitania s’est accélérée. Les

plus grandes villes de Bolivie en nombre de citoyens sont, dans l’ordre, Santa Cruz, El Alto

(faisant anciennement partie de La Paz), et La Paz.

L’économie bolivienne repose principalement sur l’exportation de matières premières. Le gaz

naturel en première place, puis le soja, mais également les produits finis qui en découlent, le

pétrole brut, le zinc et l’étain représentent les principaux produits d’exportation. La Bolivie est

également assise sur la plus grande réserve mondiale de lithium, non-exploitée pour le moment.

Cette focalisation historique sur l’exploitation des ressources naturelles, qui a enrichi de

nombreux gouvernements boliviens, a eu pour effet que les autres secteurs ont été relativement

délaissés et que l’économie et le marché nationale ne se sont guère développés. Les frais se font

au niveau de la société bolivienne qui présente un index GINI de 48.1 en 2013, faisant de la

Bolivie le 23ème pays au monde le plus inégal en matière de distribution des revenus. En 2014,

39.3% des boliviens vivent sous le seuil de pauvreté national. Une analyse dynamique de ces

deux indicateurs montre toutefois une légère amélioration depuis 2009. On peut discuter la

construction et l’interprétation de ce type d’indicateurs, mais on peut toutefois s’accorder sur le

fait que la Bolivie fait toujours face à des problèmes importants de pauvreté au sein de sa

population et qu’il existe un encore clivage important en matière de revenus entre la majorité

des boliviens et une élite nantie. Aux vues de la richesse des réserves en pétrole, gaz naturel, et

minerais dont regorge le sous-sol bolivien, et qui représentent une importante source de devises

pour le gouvernement, on peut se demander à quelle vitesse cette situation va changer. À ceci

s’ajoute aussi la vague récente de nationalisation d’entreprises en Bolivie qui entraîne une

réticence des investisseurs étrangers à apporter des capitaux et à développer des activités dans

le pays.

L’importance des exportations pour la Bolivie entraîne aussi une dépendance de son économie

par rapport à celles des pays voisins. Le ralentissement actuel de l’économie au Brésil et en

29

Argentine, couplée à une déflation de leurs monnaies face au Boliviano, affecte négativement la

balance extérieure de la Bolivie en réduisant les exportations, moins demandées au Brésil et en

Argentine, et augmente les importations en provenance de ces pays, moins chères à présent.

En 2012, 33,5% de la population bolivienne dépendait de la Terre. La production agricole

représentait 12,4% du PIB en 2011. L’exploitation forestière correspondait à seulement 2,7% du

PIB en 2008. Bien que les années de collecte de ces données diffèrent, celles-ci nous donnent

tout de même un ordre de grandeur de la relative importance de ces deux secteurs. Ce rapport

nous indique que le secteur agricole a une importance économique plus grande que le secteur

forestier. De plus, il faut ajouter qu’une partie de la production agricole de subsistance n’est pas

reflétée dans le PIB. Selon l’Institut National Statistique bolivien, 31,77% de la population du

pays tirait son revenu de l’exploitation agricole, de l’élevage ou de la chasse en 2009, contre

0,28% de l’exploitation forestière ou de la pêche. Ces différences d’importance économique

entre ces secteurs se traduisent dans les politiques de conversion des terres. Rajoutons toutefois

qu’entre 1999 et 2009, le nombre de personnes dont le revenu dépend du secteur agricole, de

l’élevage ou de la chasse a diminué de 8%. Ce qui, au vue de la croissance démographique,

pourrait indiquer une concentration de la production agricole et une mécanisation de celle-ci.

Bien que la sécurité et l’autosuffisance alimentaire soit un but affiché de la politique du

gouvernement d’Evo Morales, l’import de denrées alimentaires, après avoir baissé entre 2007 et

2010, a augmenté à nouveau depuis 2010. Les prix aussi ont augmentés depuis la crise

financière de 2008. Pour contrecarrer cette tendance, le gouvernement a pris des mesures de

soutien à la production agricole nationale depuis 2012 et qui se sont reflétés dans une

augmentation de la surface agricole.

Au niveau de la propriété foncière, il est à noter que malgré le programme d’assainissement et

d’allocation des terres en cours depuis 1996 suite à la loi 1715 INRA, et qui a pour but de

promouvoir un accès équitable à la terre, en particulier pour les paysans les plus pauvres et les

populations autochtones, 20% des propriétaires terriens possèdent toujours 70% des terres.

C.5. LA PO LITIQ UE D E LA CO CA .

La coca, un arbuste dont les feuilles vertes possèdent des vertus médicinales, est cultivée en

Bolivie depuis des siècles. Sa culture remonte à environ 5000 ans et son utilisation est bien

ancrée dans les traditions et l’identité culturelle bolivienne. Ayant des propriétés stimulantes

similaires au café, on l’utilise pour combattre la fatigue, la faim et la mal d’altitude, ce qui s’avère

particulièrement utile dans les hauts-plateaux andins. Les feuilles sont traditionnellement

consommées de deux manières ; elles sont chiquées ou alors infusées en tisane. La coca est

également utilisée dans les rites ancestraux et sert de donations aux entités spirituelles comme

Pachamama. Aujourd’hui la Bolivie est considérée comme le troisième plus gros producteur de

coca, après la Colombie et le Pérou.

30

Le souci avec la coca est qu’elle sert aussi à la production de cocaïne, une drogue récréative

fortement appréciée. L’augmentation de la demande aux États-Unis et en Europe dans les années

1970 a rapidement développé un réseau de production et de trafic depuis la Colombie, le Pérou

et la Bolivie. Les mesures gouvernementales de répression et d’éradication des champs de coca

en Bolivie ont commencées dans les années 1980 et ont été appuyées par les États-Unis dans le

cadre de leur War on Drugs.

Toutes les productions de coca ne sont pas destinées au marché de la cocaïne. Historiquement, la

coca cultivée dans les Yungas, une région au Nord de La Paz, sert majoritairement à alimenter le

marché légal de coca pour la mastication, l’infusion et les produits pharmaceutiques. La

production y est donc autorisée, contrôlée et soumise à des quotas correspondant à la

consommation traditionnelle. La production issue du Chapare, une région située entre

Cochabamba et Santa Cruz, est par contre plus problématique car une grande partie des récoltes

part dans les réseaux illégaux. Selon les chiffres de l’UNODC, l’Office des Nations Unies pour le

Contrôle de la Drogue, 93% de la production des Yungas, contre seulement 10% de la production

du Chapare est vendue légalement. La région du Chapare fut donc historiquement la région la

plus touchée par les opérations d’éradications menées par l’armée bolivienne et les services

américains, et devint le théâtre d’affrontements, parfois très violents, opposant les cocaleros aux

forces gouvernementales. Le pouvoir des cocaleros, qui ont fait preuve d’une capacité

remarquable à s’organiser, a cru au point de devenir une réelle force politique. Après la chute du

gouvernement de ‘Goni’ Sánchez de Lozanda et Carlos Mesa, c’est d’ailleurs l’ancien président du

syndicat des cocaleros et ancien cocalero lui-même, Evo Morales, qui a été élu à la tête du pays.

La politique d’Evo Morales envers la production de coca est différente de celle de ses

prédécesseurs. Il lance la campagne ‘Coca Sí, Cocaina No’, qui est basée sur une politique de

contrôle sociale de la production à travers un dialogue direct avec les producteurs et la

population, et dont le but est de développer les utilisations légales de la coca pour contrer la

production de cocaïne. Les opérations d’éradications, qui se font à présent en concertation avec

la population, ont nettement diminué et la DEA, le service américain anti-drogue, a été expulsée

du pays. Le gouvernement a également mis sur pied des programmes d’incitation à cultiver des

alternatives à la coca à destination des paysans producteurs. Actuellement 12 000 hectares de

plantation sont autorisés dans les Yungas, et 8 000 hectares sont en négociation dans le Chapare.

Avec une superficie totale de plantations, légales et illégales, estimée à 20 400 hectares en 2014,

soit la superficie la plus faible depuis 2002, avec une tendance à la baisse, la politique du

gouvernement d’Evo Morales semble porter ses fruits. Elle a d’ailleurs été qualifiée de réussite

par l’ONUDC qui parle maintenant du ‘modèle bolivien’. La Bolivie a également réussi à obtenir

en 2013 une clause dans la Convention de Vienne, qui définit la réglementation en matière de

31

stupéfiants pour les Nations Unies, qui légalise l’utilisation de coca à des fins traditionnelles sur

son territoire.

Les revenus tirés de la production de coca, et en particulier à destination de la fabrication de

cocaïne, restent toutefois nettement supérieurs à toute autre plantation. L’arbuste de coca peut

pousser sur des sols relativement pauvres, présente une longévité exceptionnelle, offre 5 à 6

récoltes annuelles et les feuilles séchées peuvent être stockées facilement avec peu de risque de

pourriture. La coca continue donc à représenter pour les paysans pauvres une option lucrative

pour sortir de la misère.

D’autres effets négatifs de la production de coca sur la société, en plus de l’argent généré par le

trafic illégal et donc non taxé, sont la substitution de la production de nourriture par la

production de coca, l’exode des hauts-plateaux andins vers les terres basses, entrainant une

pénurie de travailleurs dans les hauts-plateaux et une croissance démographique dans les terres

basses, et la violence liée à ce secteur. La migration des paysans cocaleros en quête de nouvelles

terres représente une pression sur l’environnement et un danger pour les réserves naturelles. Le

conflit en 2012 autour de la construction d’une route à travers le Territoire Indigène et Parc

National Isiboro-Sécure (TIPNIS), en est un exemple. Bien que l’agenda officiel de cette route

était de fournir un accès plus rapide entre Cochabamba et San Ignacio de Moxos, celle-ci aurait

permis aux producteurs de coca, favorables au projet, d’accéder au centre du parc et d’y

déployer des plantations illégales.

C.6. LA CRIS E DU TIPNIS.

Le Territoire Indigène et Parc National Isiboro-Sécure (TIPNIS) est un parc naturel situé entre

Cochabamba et San Ignacio de Moxos. En 2011, le gouvernement prévoit de construire une route

qui le traverse pour relier les deux villes. Cette route s’inscrit dans un plan transnational de

couloir Atlantique-Pacifique entre le Brésil et le Chili. La décision du gouvernement a été prise

sans consultation préalable des populations locales. Pour protester, des centaines d’indiens de la

région ont entamé une marche vers La Paz. Cette marche fut toutefois interrompue à Yucomo, où

des défenseurs du projet, dont la plupart semblaient être des cultivateurs de coca qui y voyaient

l’opportunité d’accéder aux terres du parc pour étendre leurs cultures, ont bloqué l’avancée et

permis à la police de réprimer le mouvement. La violence des répressions a toutefois déclenché

une vague de sympathie pour les indiens et leur cause, qui a résulté dans des manifestations et

grèves nationales. Le 21 octobre 2011, le président fut obligé d’entériner le projet,

provisoirement du moins. Cette crise aura eu pour effet de désolidariser une partie de la base

électorale d’Evo Morales et de remettre en cause la conviction de son discours en faveur des

droits des autochtones. Elle incarne la contradiction à laquelle fait face la société bolivienne

entre souhait de développement économique et protection du mode de vie traditionnel et de

l’environnement.

32

D. L’ÉVOLUTION DE LA GESTI ON FORESTIÈRE EN BOLIVIE .

D.1. LE CHAN GEMENT DE P ARADI GME .

À la tête du MAS-IPSP, le Movimiento al Socialismo-Instrumento Politico para la Soberanía de los

Pueblos, l’ancien cocalero Evo Morales devient le premier président autochtone de Bolivie en

décembre 2005. Durant sa campagne, Evo Morales promit d’améliorer la redistribution des

richesses et de renforcer le rôle de l’État comme acteur central du changement. Une raison de

son élection fut le rejet par la population de l’idéologie néolibérale imposée sous la pression

internationale, et notamment du Fond Monétaire International, après la crise de la dette dans les

années 1980 et perpétuée jusque là par les gouvernements de droites qui se sont succédés. Les

programmes d’adaptation mis en place sous leur tutelle ont permis d’endiguer l’hyperinflation,

mais ont eu des répercussions négatives importantes sur la population. La privatisation de

nombreux pants du système publique et les réformes du Droit du travail a mené à une

précarisation des ouvriers. Les coupes drastiques dans les aides sociales ont également aggravé

la situation des couches sociales les plus pauvres. Les premières vagues de protestation se

formèrent durant les années 1990, mais c’est au début du nouveau millénaire qu’elles gagnèrent

en ampleur et notamment à travers deux événements majeurs : la Guerra del Agua et la Guerra

del Gas. La première « guerre » fut un blocage de la ville de Cochabamba par les manifestants qui

s’opposèrent à la privatisation de la gestion publique de l’eau. La seconde fut un mouvement

national pour la nationalisation de l’extraction des ressources gazifières, et une redistribution

plus équitable des revenus de celle-ci, qui entraina, après des heurts violents entre la population

et l’armée, le retrait de deux présidents, ‘Goni’ Sanchez Lozanda et Carlos Mesa, et culmina dans

l’élection du premier président autochtone, Evo Morales. Celui-ci promit une restructuration du

pays et une révolution culturelle et économique basée sur une participation populaire, une

redistribution juste des richesses, une protection de la nature et une reconnaissance des valeurs

et droits des autochtones.

D.2. LE PLAN NATION AL DU DÉV ELOP PEMEN T .

Le gouvernement actuel veut promouvoir, tout au moins dans sa rhétorique, un système

diamétralement opposé au système capitaliste néolibéral. Il introduit dans son Plan Nacional de

Desarrollo le concept de Vivir Bien comme vision fondamentale de développement. Ce nouveau

paradigme doit permettre de réussir là où le modèle capitaliste a échoué, c’est à dire réussir à

éliminer la pauvreté et l’inégalité, pour que chaque Bolivien puisse vivre dignement. De plus, la

création d’une société plurinationale doit permettre la participation de toutes les couches de la

population dans les décisions politiques et permettre une reconnaissance des valeurs

autochtones traditionnelles. Au niveau du modèle économique, le gouvernement Morales

souhaite se différencier par une diversification des acteurs et des formes de production et

33

souhaite atténuer la dépendance économique vis-à-vis des exportations de ressources primaires.

La problématique de la gestion forestière est adressée dans les chapitres 1, l’élaboration du

concept de Vivir Bien, et 4, le modèle de production, du Plan et discutent le rapport à la nature.

L’État bolivien y joue un rôle central dans la gestion et la protection de l’environnement. Il doit

entre autres prévenir une surexploitation des ressources naturelles, encourager une

participation populaire dans l’utilisation durable de celle-ci et revivifier les savoirs autochtones

traditionnels.

D.3. LA R ÉVO LUTION R UR ALE , AGR AI RE ET FOR ESTI ÈR E .

On retrouve également dans le Plan National de Développement l’élaboration de la Revolución

Rural, Agraria y Forestal. Celle-ci affiche trois finalités qui sont la sécurité et souveraineté

alimentaire, la croissance de la part du revenu des secteurs agricoles et forestiers dans ceux de

la population et la promotion d’une exploitation durable des ressources naturelles. Les

principales institutions chargées de mener cette révolution sont :

L’INIAF, l’Instituto Nacional de Innovación Agropecuaria y Forestal, chargé de la

recherche et de la transmission de savoir.

L’INRA, l’Instituto Nacional de Reforma Agraria, chargé de la redistribution territoriale.

Le SERNAP, le Servicio Nacional de Áreas Protegidas, chargé de la gestion des réserves

naturelles.

Le SENASAG, le Servicio Nacional de Sanidad Animal e Inocuidad Alimentaria, chargé de

l’hygiène et de la sécurité alimentaire.

Concernant la gestion forestière, le document insiste sur le fait qu’à côté de l’Etat, les

populations paysannes et autochtones ont également un rôle clé à jouer dans la gestion et

l’exploitation durable des forêts. Le potentiel de la certification de durabilité des produits

extraits de la forêt pour le marché national et international y est aussi abordé. Finalement, au

vue de l’importance du déboisement occasionné directement ou indirectement par les activités

d’extraction peu contrôlées de ces dernières décennies, l’importance de mesure de reboisement,

de gestion durable et de prévention contre les feux de forêts est souligné.

Dans le chapitre Bolivia Agroecológica: En equilibrio con la Madre Tierra du programme du

gouvernement sont mentionnés quatre facteurs dont la réussite de la révolution agraire

dépendrait:

L’accès et les droits à la terre. Ce point est élaboré plus en détail plus loin dans ce travail.

L’implémentation d’un nouveau modèle alimentaire et de production. Ce modèle doit

contribuer à la souveraineté alimentaire et doit être implémenté via deux programmes.

CRIAR, Creación de Iniciativas Alimentarias Rurales, est focalisé sur les petites

communautés autochtones et rurales, et la promotion de l’autosuffisance alimentaire.

34

EMPODERAR, Emprendimientos Organizados para el Desarrollo Rural Autogestionario,

qui soutient les initiatives économiques dans le secteur agraire et forestier. De plus, le

nouveau modèle promeut aussi l’utilisation de techniques écologiques dans la

production agricole et forestière.

La création de revenus et de surplus issus de l’activité agraire et forestière.

Le cadre légal et juridique permettant l’implémentation sans contraintes des

programmes et mesures

D.4. LE P LAN DE DÉV ELO PP EMENT DU S ECT EUR AGR ICO LE .

Le Plan del Sector Desarrollo Agropecuario reprend les grandes lignes du Plan National du

Développement et les concrétise pour le secteur agraire. Il souligne l’importance du secteur au

niveau national et international, et détaille le coût et l’implémentation de diverses stratégies et

programmes.

Le programme EMPODERAR, entres autres, y est à nouveau mentionné dans le contexte de

l’utilisation durable des terres par les petits paysans, notamment via l’agroforesterie. À côté de

la réhabilitation des savoirs et techniques anciennes et de la promotion d’une agriculture

écologique, le texte énonce également la mécanisation et la technologie comme moyen

d’augmenter la production. Il planifie également l’implémentation d’une assurance contre les

mauvaises récoltes à destination des petits paysans. Environ 60 millions de dollars US devraient

être mis à disposition pour réaliser ce programme. L’indicateur de suivi choisi est le revenu des

paysans participants au programme, qui était prévu d’augmenter de 45% sur la période 2010-

2015. Dans l’évaluation officielle du programme, le ministère en charge estime que celui-ci

aurait déjà augmenté de plus de 100% en 2013.

Le programme Fomento a la Producción Ecológica/Orgánica, avec un peu moins de 13 millions

de dollars US de budget, a pour vocation de promouvoir l’agriculture biologique. Sur la période

2010-2015, le but fut de certifier « bio » 3500 hectares et d’en avoir 7500 autres en cours de

conversion. Dans l’évaluation intermédiaire de fin 2013, respectivement 70% et 87% de ces

deux objectifs furent déjà atteint.

Le programme Manejo y Uso Sostenible del Suelo, avec un budget d’un peu moins de 12 millions

de dollars US, a pour domaine d’application la prévention de l’érosion des terres agricoles et

forestières, et la réhabilitation des terres érodées. Le but étant de réduire la superficie dégradée

de 15% et d’augmenter la superficie gérée de façon durable de 20%. Aucune donnée sur la

réalisation de ces objectifs ne fut collectée pour l’évaluation intermédiaire du programme.

Notons encore dans le domaine de la gestion forestière, la promotion de l’utilisation durable des

forêts par la diversification et la promotion des produits non-ligneux et services fournis par la

forêt. Un peu moins de 4 millions de dollars US avaient été alloués à cet objectif. Selon le rapport

de 2013, seulement 1 projet sur 5 a été implémenté jusque là.

35

D.5. LA ST RUCTUR E PO LITIQ U E .

D.5.1. LA D IS TR IBU TIO N HO RI Z ONTA LE DE S COMP É TE N C E S .

Différents ministères possèdent des compétences qui impactent la gestion forestière en Bolivie.

Il est a noté que les récents changements de dénominations, tout en conservant les anciennes

dans certains documents, rendent l’attribution des compétences difficiles.

Les 2 principaux ministères ayant une influence importante sur la gestion des forêts sont le

Ministerio de Desarrollo Rural y Tierras14 (MDRyT) et le Ministerio de Medio Ambiente y Agua15

(MMAyA).

Le MDRyT est l’entité étatique responsable du développement durable des activités agricoles et

forestières. Il est composé de 3 vice-ministères qui sont le Vice-Ministère des Terres, le Vice-

Ministère du Développement Rurale et Agricole et le Vice-Ministère du Coca et du

Développement Intégré. Il est intéressant de remarquer que le secteur de la coca possède une

unité dédiée et reflète l’importance politique de ce secteur controversé. Alors que les vice-

ministères sont responsables de la planification et de la coordination, se sont les différentes

directions subalternes qui endossent les responsabilités opérationnelles. Pour l’implémentation

effective des plans, lois et programmes, les directions sont divisées à leur tour en unités. Par

exemple, l’INRA, l’autorité compétente en matière de gestion foncière, et le CNAPE, le Conseil

National de Production Écologique, tout deux présentés plus loin dans ce document, sont sous la

tutelle du MDRyT. Le CNAPE a la particularité d’être autonome du point de vue administratif et

de se composer de représentants du secteur privé, public et du gouvernement. De plus, la Loi16

prévoit non seulement un représentant du MDRyT, mais également un représentant du

Ministerio de Planificación del Desarrollo, du Ministerio de Producción y Microempresa et du

Ministerio de Relaciones Exteriores y Cultos, ce qui témoigne du chevauchement des compétences

des différents ministères sur certains domaines.

Le MMAyA est lui aussi composé de trois vice-ministères: Le Vice-Ministère de l’Eau Potable et

du Sanitaire de Base, le Vice-Ministère des Ressources Hydriques et de l’Irrigation et le Vice-

Ministère de l’Environnement, Biodiversité, Changements Climatiques et de Gestion et

Développement Forestier. Le dernier vice-ministère énuméré est certainement le plus important

pour la gestion forestière, et plus particulièrement la Dirección General de Gestión y Desarrollo

Forestal qui lui est subordonnée. Le MMAyA a également sous sa tutelle la Autoridad

Plurinacional de la Madre Tierra, entité autonome, qui opère notamment à travers le Mecanismo

14 Ministère du Développement Rurale et des Terres (= du Foncier). 15 Ministère de l’Environnement et des Eaux. 16 Par la Ley 3525 de Regulación y Promoción Agropecuaria y Forestal no Maderable Ecológica de 2011.

36

Conjunto de Mitigación y Adaptación para el Manejo Integral y Sustentable de los Bosques y la

Madre Tierra.

Rédigé sous la supervision du Ministerio de Planificación del Desarrollo, le Plan del Sector

Desarrollo Agropecuario souligne que la coordination entre les programmes des deux ministères

décrits plus haut doit être renforcée.

D.5.2. LA D IS TR IBU TIO N VE RTI C ALE DE S COMP É T E N CE S .

La nouvelle constitution de 2009 étend le processus de décentralisation initié par la Ley 1654 de

Descentralización Administrativa en 1995 et définit les Departamentos, Provincias, Municipios et

Autonomías Indígenas Originario Campesinas 17 comme des entités autonomes. Elles sont

autonomes du point de vue de leur gestion administrative et financière, mais également du point

de vue législatif, exécutif et fiscal dans leurs domaines de juridiction et de compétences. Ces

gouvernements locaux ne sont pas hiérarchisés entre eux et tiennent tous le même rang

constitutionnel. Leur composition est directement votée par leurs citoyens, avec toutefois des

sièges réservés aux représentants autochtones au niveau des départements et municipalités.

Une entité supplémentaire est la Región, qui voit le jour lorsqu’un ou plusieurs départements,

dans le cas d’un chevauchement géographique, souhaitent déléguer certaines compétences

spécifiques dans la gestion d’une région présentant des caractéristiques homogènes.

Les autonomies autochtones rurales se discernent des autres entités car elles représentent la

reconnaissance du droit constitutionnel à l’autodétermination des peuples autochtones. Elles

possèdent des compétences exclusives qui leur donnent le droit de définir et de maintenir des

systèmes politiques, juridiques, économiques et culturels propres en leur sein. De plus, la

constitution leurs garantit, sur leurs territoires, le droit de gestion et d’exploitation exclusif des

ressources naturelles renouvelables, de la consultation en cas d’exploitation de ressources

naturelles non-renouvelables, ainsi que de la participation aux bénéfices de l’exploitation des

ressources naturelles.

La constitution discerne entre les compétences privatives, exclusives, partagées et communes de

l’État central :

Les compétences privatives sont du ressort de l’État uniquement et comprennent, entre

autres, la sûreté de l’État, la politique d’immigration, le système monétaire, le commerce

extérieur, la politique économique et la stratégie nationale de protection de

l’Environnement.

Les compétences exclusives sont celles dont l’État a la responsabilité législative mais

peut déléguer la réglementation et l’exécutif aux autonomies. Celles-ci comprennent les

17 Les départements, provinces, municipalités et autonomies autochtones rurales.

37

politiques générales de la biodiversité et de la protection de l’environnement, les

régimes généraux pour les sols, forêts et ressources forestières, la politique forestière,

etc.

Les compétences partagées sont celles dont l’État a la responsabilité législative mais

dont la réglementation et l’exécutif sont pris en charge par les entités autonomes. Il s’agit

des politiques de gestion agricole et de l’élevage, de la pêche et de la chasse, la

préservation des sols et forêts, etc.

Les compétences communes sont celles dont le cadre législatif est défini par l’État

central, mais dont la législation détaillée, ainsi que la réglementation et l’exécution sont

de la responsabilité des entités autonomes. On y trouve par exemple l’électrification

urbaine ou même la réglementation des jeux de hasard.

D.6. LE CADR E LÉGAL DE LA GESTI ON DES FO R ÊT S EN BOLIVI E .

D.6.1. LE S DROIT S DE LA NA TU RE .

C’est dans la nouvelle Constitution Politique de l’État bolivien de 2009 que le Droit à un

environnement naturel intègre pour les individus et les êtres vivants fait sa première apparition

sous la forme de la Ley 1333 del Medio Ambiente. Cette loi s’appuie sur le concept de

développement durable tel que défini dans le rapport Brundtland et souligne que l’intégrité

écologique de l’environnement, ainsi que la protection de la biodiversité et la reconnaissance du

savoir autochtone traditionnel, représentent les fondements pour le développement et la

prospérité du peuple bolivien.

C’est dans ce cadre qu’a vu le jour le Tribunal Agroambiental dont la juridiction couvre aussi bien

les thèmes environnementaux qu’agricole et forestier, et reconnait ainsi l’interdépendance entre

ceux-ci. Il est toutefois intéressant de noter que les ressources naturelles non-renouvelables,

telles que les hydrocarbures et les minerais, ne font pas partie de la juridiction de ce tribunal, et

souligne une certaine contradiction entre protection de l’environnement et industrialisation

inhérente à la politique de développement économique du pays.

a) Loi 071 des Droits de la Terre -Mère.

En 2010, basé sur les valeurs des peuples autochtones andins, la nature se voit octroyer ses

propres droits par la Ley 071 de Derechos de la Madre Tierra. Notons que la Bolivie n’est

toutefois pas le premier pays à faire cela, mais l’Equateur, qui ratifia une loi similaire en 2008. La

loi 071 accorde à la Nature, aussi appelée Terre-Mère ou Pachamama, sept droits :

Le droit à la vie

Le droit à la diversité de la vie

Le droit à l’eau et au maintien du cycle de l’eau

38

Le droit à l’air pur

Le droit à l’équilibre naturel

Le droit à la régénération des systèmes vivants

Le droit à la vie sans contamination

Ses droits se basent sur différents principes dont l’inter-culturalité, comprenant la réhabilitation

des savoirs autochtones traditionnels, le principe de bien commun et la non-marchandisation

des services éco-systémiques, et impliquent des devoirs de protection de la nature pour l’État

bolivien et ses citoyens. Ce texte, en attribuant à la nature des droits similaires à ceux accordés

aux humains, veut promouvoir un nationalisme des ressources et s’opposer à une

marchandisation des services rendu par la nature, tel que le stockage du carbone par exemple.

D’ailleurs le document réfère aux « fonctions environnementales » et non aux « services

environnementaux ». Le terme « service » impliquant une proximité avec le concept des services

du monde marchand et pour lesquels on peut négocier un prix.

Selon la constitution, le principe de Vivir Bien est présenté comme un des principes

fondamentaux du nouvel État Plurinational de Bolivie, et doit permettre de garantir le bien-être

de tous et non pas l’enrichissement de certaines élites. Le peuple bolivien est défini comme le

propriétaire des ressources naturelles du pays, et l’État a le devoir de les gérer dans l’intérêt

public. L’État assume ainsi un rôle central dans l’économie du pays. Il prend le contrôle des

ressources stratégiques et veille à l’exploitation efficiente de celles-ci. L’industrialisation est

citée à plusieurs reprises à cet effet comme solution pour exploiter efficacement les ressources

naturelles et combattre la pauvreté, ce qui fait d’elle un élément central de la politique de

développement du pays mais doit se faire dans le respect de l’environnement. Comme dans le

cas présenté plus haut de la juridiction des tribunaux agro-environnementaux, on peut

reconnaitre une tension entre la rhétorique bio-centrique du Vivir Bien et les efforts de

développement utilitariste anthropocentrique.

b) Loi-cadre 300 de la Terre -Mère et du développement intégral

pour le Bien-Vivre.

En 2012, la réglementation bolivienne relative au Droit de la nature évoluera vers la nouvelle

Ley 300 Marco de la Madre Tierra y Desarrollo Integral para Vivir Bien. Celle-ci reprend les

concepts de la constitution et de la Ley de Derechos de la Madre Tierra, et les détaille davantage.

Elle introduit des lois, normes et sanctions relatives à l’application des droits de la Nature, et

présente des programmes et projets qui servent d’exemples. Une approche holistique du

développement est définie comme la voie vers le bien-être de tous et reprend des concepts

comme la consommation durable, la production éco-responsable ou la répartition équitable de

l’accès aux ressources et aux revenus.

39

Dans le domaine agricole, la maximisation de la productivité par unité de surface est présentée

comme la solution face à l’expansion du front agraire. Les techniques agricoles écologiques, de

diversification et de rotation au niveau de la petite paysannerie sont mises en avant.

L’interdiction de la production agricole pour les agro-carburants et la réglementation des

intrants chimiques apparaissent également dans le document. Au niveau des forêts, la

conversion illégale de celles-ci à d’autres fins est sévèrement condamnée. Uniquement les

projets dits d’intérêt commun, ce qui n’exclut pas une exploitation privée, sont acceptés.

Pour garantir l’implémentation de cette loi-cadre, plusieurs institutions voient le jour :

Le Fondo Plurinacional de la Madre Tierra ; le mécanisme de financement des

programmes et projets tombant sous la loi-cadre.

L’Autoridad Plurinacional de la Madre Tierra (APMT), l’instance administrative

responsable de l’élaboration, l’implémentation et le suivi des programmes et qui

supervise le fond précité.

Le Consejo Plurinacional para Vivir Bien en Armonía y Equilibrio con la Madre Tierra,

chargé d’élaborer les programmes dans le cadre de la loi-cadre.

L’Autoridad Plurinacional de la Madre Tierra est une institution autonome du point de vue de la

gestion et du financement, mais qui tombe néanmoins sous la tutelle du Ministère de

l’Environnement et des Eaux (MMAyA). En plus du fond plurinational de la Terre-Mère, elle

opère selon trois autres mécanismes supplémentaires, dont le premier est celui qui impacte la

gestion forestière :

Le Mecanismo Conjunto de Mitigación y Adaptación para el Manejo Integral y Sustentable

de los Bosques y la Madre Tierra. Son objectif est l’atténuation et l’adaptation au

changement climatique par la gestion durable des terres agricoles et forestières.

Le Mecanismo de Mitigación para Vivir Bien. Son objectif est l’atténuation du changement

climatique par des initiatives dans d’autres secteurs comme l’industrie énergétique et la

construction.

Le Mecanismo de Adaptación para Vivir Bien. Son objectif est l’adaptation au changement

climatique par des initiatives dans le domaine de l’approvisionnement en eau potable

par exemple.

D.6.2. LE S LOI S RÉ G IS SA NT LE S E CTE UR AG RI COLE E T F O RE ST IE R .

La constitution de 2009 fournit le cadre général, à l’intérieur duquel différentes lois viennent

réglementer plus en détail les aspects liés au secteur agricole et forestier. On observe qu’elle

résout théoriquement le conflit entre la protection de l’environnement et l’exploitation des

ressources naturelles pour le développement économique du pays, en insistant sur la production

et la commercialisation de produits écologiques. Elle souligne également l’impératif de la

40

sécurité et de la souveraineté alimentaire en combinaison avec la promotion de la petite

paysannerie et des techniques autochtones. L’industrialisation reste toutefois une des solutions

citées pour le développement rural.

Les lois présentées par la suite permettent de mieux cerner le cadre légal dans lequel la gestion

forestière s’inscrit en Bolivie.

a) La propriété foncière.

La propriété foncière en Bolivie est régulée par la Ley 1715 del Instituto Nacional de Reforma

Agraria18 (INRA) de 1996. Elle définit le système d’inventorisation du territoire et de

redistribution des terres.

L’objectif de cette loi est de vérifier la conformité des titres de propriété foncière existants et

d’attribuer les terres encore disponible. Les propriétaires terriens doivent prouver qu’ils ont

acquis les terres de manière légale. Dans le cas des moyennes et grandes propriétés, c'est-à-dire

de plus de 500 ha, la loi demande que la función económica social (FES) soit remplie, faute de

quoi le terrain peut être rétrocédé au peuple bolivien via l’État. Les propriétaires doivent donc

aussi prouver que leurs terres remplissent une fonction économique et sociale, c’est-à-dire

qu’elles sont exploitées à des fins économiques qui bénéficient au public et gérées de façon

durable.

Par rapport à la loi précédente sur la propriété foncière de 1953, la loi INRA de 1996 reconnait

la propriété collective sous la forme des Tierras Comunitarias de Origen, qui devinrent ensuite

les Tierras Indígena Originario Campesinos, et des Propiedades Comunarias. Cette nouveauté

renforce la reconnaissance et le droit des communautés autochtones.

La loi prévoit différentes catégories de terres agricoles et forestières :

TABLEAU 2: DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE TERRES AGRICOLES ET FORESTIÈRES EN BOLIVIE.

Type de propriété

Nom Description

Privée Petite (<500 ha) Propriété exploitée par le propriétaire et sa famille. Il n’y a pas de taxe foncière due et ces terres peuvent être vendues.

Moyenne (500-2500 ha) Présence d’ouvriers et de machines sur l’exploitation. Celle-ci produit en première ligne pour le marché. Existence d’une taxe foncière à payer et ces terres peuvent être louées ou vendues. Nécessité de remplir une FES (Fonction socioéconomique).

18 La Loi 1715 de l’Institut National de la Réforme Agraire.

41

Entreprise (>2500 ha) Présence d’ouvriers et de machines sur l’exploitation ainsi que d’investissements importants. Celle-ci produit en première ligne selon la demande du marché. Existence d’une taxe foncière à payer et ces terres peuvent être louées ou vendues. Nécessité de remplir une FES (Fonction socioéconomique).

Collective TIOC (Territoires autochtones ruraux) et TCO (Terres communautaires d’origine)

Appartenant à des nations et des peuples autochtones. Il n’y a pas de taxe foncière due mais ces terres ne peuvent pas être vendues.

Propriétés communes Appartenant aux petits agriculteurs avec accès collectif aux terres et forêts. Il n’y a pas de taxe foncière due mais ces terres ne peuvent pas être vendues.

Étatique Aires protégées Dans le cadre du système national des aires protégées (SNAP), administré par le Service national pour les aires protégées (SERNAP). Une partie se superposent aux TIOC’s.

Les droits à l’autorisation temporaire d’utilisation

Les zones forestières livrées en vertu des accords de l'utilisation temporaire par des personnes physiques ou morales.

L’échéance initiale du processus était prévue pour 2006, mais par faute d’avancement et de

financement, il a été reconduit une première fois jusqu’en 2013, où l’avancement s’élevait à 40%,

puis une seconde fois jusqu’en 2017. En 2015, le progrès annoncé s’élevait à plus de 70%.

La loi 3545 de reconduction précise également différents éléments tel que l’objet de la función

económica social et que la déforestation illégale ne représente pas une forme de gestion durable

de la terre et ne remplit pas la fonction économique et sociale. Une modification plus

intéressante est que par rapport à la loi de 1996, qui définissait le peuple bolivien dans son

entièreté comme bénéficiaire des terres rétrocédées, via le rôle d’agent de l’État, ces terres sont

maintenant réattribuées prioritairement aux peuples autochtones.

b) La gestion des forêts.

La Ley 1700 Forestal19 de 1996 représente une rupture avec la loi précédente de 1974 et

l’inégalité d’accès aux ressources forestières que celle-ci appuyait. En n’accordant des

concessions qu’aux entreprises du bois, elle soutenait un modèle abusif d’exploitation des

ressources forestières ne bénéficiant qu’à une élite.

La loi 1700 de 1996 a vu le jour au cours d’un processus incluant pour la première fois des

représentants de la société civile et a eu pour résultat d’inclure les populations autochtones

19 La Loi forestière 1700.

42

reconnues et les associations locales forestières dans les utilisateurs légaux des forêts. Ces

dernières sont dans les faits des groupements légalisés d’anciens exploitants illégaux qui ont à

présent le droit d’opérer de manière contrôlée sur les terres municipales.

Chaque utilisateur, peut importe sa catégorie, doit avoir un plan de gestion forestière développé

par un professionnel du secteur et approuvé par les autorités compétentes pour commencer à

opérer.

Cette loi apporta également des changements au système de taxation. Précédemment la taxe

redevable était calculée sur base du volume de bois extrait, ce qui eut comme conséquence que

quelques grandes entreprises du bois s’approprièrent des grandes superficies boisées pour en

extraire les bois les plus précieux sans incitants à gérer la forêt de manière responsable et

durable. Le nouveau système se base sur une redevance annuelle d’un dollars US par hectare de

terrain pour l’extraction ligneuse et 0,3 dollars US dans le cas d’une extraction de produits

forestiers non-ligneux (Noix, caoutchouc, etc.).

La classification des forêts fut également mise à jour. On retrouve à présent :

les terres protégées,

les terres de production forestière permanente (Tierras de Producción Forestal

Permanente TPFP), qui sont exploitables avec un plan de gestion forestière,

les terres boisées appropriées pour d’autres utilisations, et qui peuvent donc être

déboisées,

les terres à réhabiliter,

les terres à classifier qui sont protégées en attendant.

Bien avant la nouvelle constitution de 2009 et les points de vue bio-centriques qu’elle a apporté,

apparaissaient déjà dans la loi forestière de 1996 les concepts de développement durable et de

gestion socialement et écologiquement responsable des forêts. Ceci peut être attribué à

l’influence du Sommet de la Terre tenu en 1992 à Rio.

Du point de vue institutionnelle, cette loi entraina la création de la Superintendencia Forestal

(SIF) qui se transforma en 2009 en Autoridad de Fiscalización y Control Social de Bosques y

Tierras (ABT). Le domaine de compétence de cette nouvelle institution inclut à la fois les

secteurs forestiers et agricoles. Son rôle est de veiller à l’application des lois relatives à ces deux

secteurs d’activités et de sanctionner les infractions. Elle gère également le Fondo Nacional de

Desarrollo Forestal (FONABOSQUE), la manne financière qui sert à l’implémentation et

l’entretien des programmes de développement forestier. Elle dépend du ministère du

Développement Rural et du Territoire, mais, tout comme l’Autoridad Plurinacional de la Madre

Tierra présentée précédemment, est autonome du point de vue administratif et financier. Elle se

finance en partie elle-même par la perception des amendes, mais dépend fortement de l’appui

financier fourni par des fonds de coopération internationale.

43

c) La promotion des techniques de gestion écologiquement

responsable .

La Ley 3525 de Regulación y Promoción Agropecuaria y Forestal no Maderable Ecológica 20de

2011 a pour but de développer la production écologiquement responsable dans l’agriculture et

les produits de la forêt non-ligneux, comme les fruits ou le miel par exemple. Ce type de pratique

y est considéré comme nécessaire au bien-être de tous, tout comme pour la sécurité et la

souveraineté alimentaire du pays. La loi décrit la classification des produits écologiques et

introduit un label national de qualité. Le cadre normatif se base sur les règlementations

existantes, mais également sur les savoirs et techniques autochtones traditionnels. Elle crée

également une entité, le Consejo Nacional de Producción Ecológica (CNAPE), responsable de

lancer des initiatives dans le but de promouvoir des techniques écologique, et d’inciter les

départements et municipalités à intégrer de tels projets dans leurs plans de développement

régional.

d) La sécurité et la souveraineté alimentaire.

La Ley 144 de la Revolución Productiva Comunitaria Agropecuaria 21de 2011 a pour mission de

mener le secteur agricole vers un système de production communautaire qui reconnait la

pluralité des acteurs concernés et l’importance de la préservation des ressources naturelles, et

cela dans le but de garantir la sécurité alimentaire et le Vivir Bien de toute la population

bolivienne. Elle est basée sur 8 principes fondamentaux qui appellent au bien-être pour tous, à la

transparence et à la durabilité. Dans l’article 13, la loi défend l’utilisation de semences locales

contre la bio-piraterie et le monopole des transnationales semencières. Elle soutient également

la biodiversité et le savoir autochtone comme base pour une souveraineté alimentaire nationale.

De plus elle engendre la création de deux outils financiers pour permettre d’appliquer cette

vision. L’un, le Seguro Agrario Universal, est une assurance pour les agriculteurs en cas de

mauvaise récolte due à un phénomène naturel externe. L’autre, le Fondo Creditico Comunitario,

est un fond destiné à donner accès aux crédits à taux avantageux aux petits paysans. La loi

entraina également la mise sur pied de l’Empresa de Apoyo a la Producción de Alimentos

(EMAPA), une entreprise publique qui a pour mission de stabiliser le marché agricole national et

d’appuyer petits et grands agriculteurs dans la production alimentaire.

20 La Loi 3525 de régulation et promotion de la production écologique dans le secteur agricole et forestier non-ligneux. 21 La Loi 144 de la révolution agricole productive communautaire.

44

e) La participation populaire .

La Ley 1551 de Participación Popular22 de 1994 pose le cadre général de la participation de la

société civile. Elle fut adoptée suite à la pression de la part des populations autochtones pour

prendre part au processus politique et décisionnel du pays.

Au cours de l’élaboration de la nouvelle constitution de 2009, ce cadre a été renforcé et les droits

de participation ont été étendus. Les 3 catégories principales de droits consistent en l’accès à

l’information, la participation aux décisions et politiques, et la participation à l’implémentation

et au contrôle. La constitution impose que l’information demandée par la population soit

complète, objective, juste et mise à disposition dans les délais. Dans le cas d’un projet

d’exploitation de ressources naturelles, les populations locales ont droit à une consultation

préalable, et ceci à travers leurs propres institutions s’il s’agit de peuples autochtones. La

constitution garantit également sous le principe du contrôle social et populaire, la participation

de la société civile à l’élaboration des lois et programmes politiques collectifs. Dans le cas de

l’exploitation des ressources naturelles, elle prévoit explicitement que les populations

concernées doivent participer aux politiques des secteurs en question et que leur

implémentation doit se faire par des entités composées de représentants gouvernementaux et

civils.

La participation civile est également appuyée par le processus de décentralisation initié par la

nouvelle constitution. Celui-ci accorde davantage de pouvoir et d’autonomie aux municipalités

du point de vue politique et financier. La loi reconnait les communautés paysannes et

autochtones comme organisation de base, et créé le concept de Organizaciones Territoriales de

Base (OTBs). Ces unités ont entre autres le droit d’initier, de participer et de contrôler les

initiatives liées à leur environnement direct et au développement de celui-ci.

D’autres lois incluent des clauses relatives à la participation civile. La loi forestière 1700 par

exemple inclut le droit pour chaque individu à l’information nécessaire et suffisante pour lancer

une initiative ou déposer si nécessaire une plainte auprès des autorités compétentes. Ces

dernières ont le devoir d’informer la population des différentes procédures administratives en

cours comme l’attribution de concession ou l’élaboration de plan de développement. La loi 144

de la révolution agricole productive communautaire stipule de son côté que la participation des

populations autochtones, interculturelles et afro-boliviennes à tout les niveaux politiques doit

être garantie, et ceci en respectant leurs normes culturelles, leurs structures propres et leurs

visions du monde.

Un outil juridique intéressant dans ce contexte est l’Acción Popular introduit par la Ley 27 del

Tribunal Constitucional Plurinacional23 de 2010. Celui-ci permet à un individu ou à un

22 La Loi 1551 de participation populaire.

45

représentant d’une collectivité d’intenter une action en justice contre un individu, une

collectivité ou une autorité dans le cas d’une infraction envers des droits collectifs

fondamentaux. Ces derniers englobent par exemple la santé, la sécurité et l’environnement. Une

particularité de l’Acción Popular est qu’elle ne doit pas remonter les différents niveaux

judiciaires, mais peut directement être déposée, par écrit et selon une structure prédéfinie,

auprès du Ministerio Público y la Defensoría del Pueblo, qui la transmettra au Tribunal

Constitucional Plurinacional. Elle sera traitée comme une plainte constitutionnelle. Le seul cas où

une telle action ne peut être intentée est quand le président déclare l’état d’urgence.

D.7. PRIN CIP ALES I NITI ATIV ES DANS L ’ÉVOLUTIO N DE LA GESTI ON

FOR ESTI ÈRE EN BOLI VI E .

D.7.1. LE P ROGR A MME BOLFOR.

Le Bolivia Sustainable Forest Management Project, connu sous l’acronyme BOLFOR, fut une

coopération entre la société américaine de conservation The Nature Conservancy (TNC), la

société bolivienne de conservation Fundación Amigos de la Naturaleza (FAN), l’agence de

coopération internationale américaine USAID et le gouvernement bolivien pour endiguer la

déforestation due à l’expansion des cultures de soja, de l’élevage et à l’augmentation de la

migration interne vers les terres basses. Le programme BOLFOR I vit le jour en 1993 et fut

reconduit, sous l’appellation BOLFOR II, de 2003 à 2008. L’objectif du projet fut de préserver la

biodiversité présente dans les forêts bolivienne en endiguant l’exploitation anarchique de celles-

ci. Pour y arriver, les différents leviers utilisés furent la formation des populations locales et des

entreprises du secteur à l’exploitation durable des forêts et à la création de revenus

complémentaires tirés de celles-ci, le conseil auprès des différentes instances gouvernementales

en matière de normes et de régulations du secteur forestier et la promotion auprès des

entreprises du bois de la certification volontaire FSC. Dans le rapport final24 du projet BOLFOR I,

les auteurs soulignent que la caractéristique la plus importante dans la réussite du projet fut

qu’il ne soit pas lié à une institution en particulier, mais qu’il était libre de coopérer avec les

acteurs publiques et privés ; les gouvernements à différents niveaux, les industries, les

entreprises, les universités et les communautés locales. Le projet est décrit comme un succès

avec 4,5 millions d’hectares qui dorénavant ne peuvent être utilisés que pour l’exploitation

durable, l’écotourisme ou la conservation. Les leçons tirées de ce projet ont également permis

d’établir des bonnes pratiques en matière d’appui à la conversion vers des systèmes de gestion

forestière durable et la protection de la biodiversité en Bolivie.

23 La Loi 27 du Tribunal Constitutionnel Plurinational. 24Preston Pattie S. et al. (2004), « Bolivia Sustainable Forest Management - BOLFOR Final Report. », Chemonics International Inc.

46

D.7.2. LE P ROJE T P A RC NA TIO N AL NOE L KE MP F F ME R C A DO .

Le Parc National Noel Kempff Mercado se situe dans le nord-est de la Bolivie et du département

de Santa Cruz, à la frontière du Brésil. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2000, il

couvre 1,5 millions d’hectares composés de différents paysages dont des forêts de conifères, des

forêts de feuillus, des savanes et des zones humides. Il a été fondé en 1988 et tient son nom d’un

biologiste bolivien réputé qui reconnut l’importance de la biodiversité de cette région et lança

une campagne pour sa préservation. Malheureusement celui-ci fut abattu par des

narcotrafiquants durant une visite de cette zone en 1986.

Le parc a la particularité d’avoir joué le rôle de puits à carbone dans le premier projet de

compensation de gaz à effets de serres par la préservation de forêts. Lancée sous le Clean

Development Mechanism du Protocole de Kyoto, l’initiative deviendra par après le premier

projet-pilote du mécanisme REDD. Les résultats de son implémentation sont toutefois

controversés et ont marqué le cours des négociations politiques qui ont suivi sur

l’implémentation de REDD en Bolivie et l’élaboration du mécanisme en général.

En 1996, la société américaine de conservation The Nature Conservancy (TNC), la société

bolivienne de conservation Fundación Amigos de la Naturaleza (FAN) et trois partenaires

industriels, British Petroleum, American Electric Power et Pacificorp, lancèrent le Noel Kempff

Climate Action Project. L’ambition de celui-ci était de convaincre le gouvernement Bolivien de

doubler la superficie du parc par le rachat des concessions forestières limitrophes et d’en bannir

les activités de déboisement et de dégradation des forêts. Cela devait permettre de séquestrer

assez de carbone pour compenser pendant 30 ans les émissions des trois partenaires industriels

qui ont financé le projet et de démontrer l’utilisation des forêts comme puits de carbone

vérifiable à cette fin.

La Bolivie présente des caractéristiques qui firent du pays un excellent candidat pour le

développement d’un tel schéma de compensation carbone: une couverture forestière

importante, un taux de déforestation élevé et des coûts d’opportunités relativement bas pour

contrer cette déforestation. Le gouvernement bolivien de l’époque était également favorable aux

investissements étrangers et à l’aide internationale. Le projet fut la première application d’un

mécanisme REDD avant même que les standards actuels de REDD n’existent. Il servit donc de

laboratoire pour l’élaboration de ceux-ci.

Le projet est toutefois sujet à controverses et en particulier depuis la publication d’un rapport

par l’ONG internationale Greenpeace25. Selon un des co-auteurs, l’objectif du rapport est de

25 Densham A., Czebiniak R., Kessler D. and Skar R. (2009), « Carbon Scam: Noel Kempff Climate Action Project and the Push for Sub-national Forest Offsets. », Greenpeace.

47

combattre l’idée que les industriels puissent continuer à polluer impunément tant qu’ils

investissent dans des parcs naturels et autres projets similaires dans les pays en développement.

Différentes critiques sont émises à l’encontre du projet et de ses résultats.

La première est liée au phénomène de fuites, ou leakage en anglais, qui consiste au déplacement

de la pression vers une autre zone. Le rapport soutient que suite à l’introduction du parc, la

déforestation en-dehors de celle-ci, et même au niveau national, a augmenté. Le bilan carbone du

projet au niveau global serait donc nul par le déplacement des émissions vers d’autres régions.

Le phénomène de fuites est bien connu et discuté dans les négociations autour du mécanisme

REDD. Elles surviennent quand l’échelle spatiale d’intervention est inférieure à l’échelle globale

du problème ciblé26. Les détracteurs du projet clament l’inefficacité des projets régionaux isolés

et plaident pour l’implémentation de programmes et législations au niveau national.

La quantification des stocks de carbone séquestré par le parc est également discutée. Ceux-ci

seraient selon de nouveaux calculs jusqu’à 90% inférieurs aux chiffres initialement avancés. Cela

peut s’expliquer par une amélioration continue des techniques de calcul, comme par une

mauvaise foi de certains responsables pour promouvoir le projet. Quoi qu’il en soit, les

incertitudes liées aux calculs de stockage de carbone dans les forêts est une faiblesse dont les

opposants à ce type de projet se servent pour l’invalider.

À ce problème de calcul s’ajoute celui de la permanence, c’est-à-dire que les stocks calculés de

carbone séquestré ne sont valables que s’il n’y a pas d’altération de la forêt dans le temps.

Le rapport de Greenpeace questionne également la nature additionnelle des résultats émis par le

projet du parc. Une nouvelle loi émise en 1996 par le gouvernement bolivien, et qui réforme la

gestion forestière, aurait réduit la superficie des concessions forestières de 75%. Il serait donc

difficile de différencier et de mesurer les résultats qui incombent uniquement à

l’implémentation du parc.

Pour garantir l’intégrité du parc, des rangers furent engagés et entrainés pour sa surveillance et

des programmes furent lancés pour initier les populations locales à l’éco-tourisme afin de leur

offrir une source alternative de revenus. Des interviews menées au sein de ces populations

montrent toutefois que ces programmes n’ont pas tenu leurs engagements, résultant dans une

situation où ces populations se retrouvent privées de leurs terres coutumières et de leur moyen

de subsistance sans d’autres alternatives.

Le rapport dénonce aussi, et peut-être avant toute chose, à travers ce projet l’attitude des

grandes entreprises dans le débat sur le climat et les accuse d’essayer de le manipuler à renfort

massif de lobbying. Elles tentent d’éviter les réglementations qui se profilent dans ce domaine en

implémentant des projets isolés qui les fournissent en compensation carbone peu chère. Ainsi

26 Angelsen, A. (éd.) (2009), « Faire progresser la REDD : Enjeux, options et répercussions. », CIFOR, 206p.

48

elles se donnent une bonne image, tout en ne faisant que très peu pour réduire leurs véritables

émissions de carbone dans l’atmosphère. Les auteurs craignent que des projets comme celui du

parc Noel Kempff Mercado ne viennent éroder la confiance dans le développement de solutions

internationales au changement climatique.

Ces différentes critiques, en mettant l’accent sur l’impact pour les populations autochtones et

sur l’impunité des grandes industries occidentales à continuer à polluer, ont été reprises dans le

discours politique du président bolivien Evo Morales et de son gouvernement pour justifier leur

opposition au mécanisme REDD.

D.7.3. LE P ROGR A MME COMSERBO.

Le programme Compensation for Forest Conservation and Integrated Management of Pando,

COMSERBO, est un programme d’incitation à la gestion forestière durable par les communautés

rurales dans l’Amazonie bolivienne. Il a été développé par l’organisation américaine de

conservation The Nature Conservancy (TNC) avec le support du gouvernement norvégien, de la

coopération internationale allemande (GIZ), de l’organisation des Nations Unies pour

l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’organisation non-gouvernementale bolivienne

Fundación Amigos de la Naturaleza (FAN). De plus, les gouvernements départementaux et

municipaux des premiers projets pilotes ont également alloué une partie de leur budget à

l’implémentation de ceux-ci. Les trois premiers projets pilotes ont été lancés fin de l’année 2011

dans le département de Pando au nord de la Bolivie. En effet, c’est lors d’une visite en Équateur

organisée par le TNC que le gouverneur de la région de Pando, Dr. Luis Adolfo Flores Roberts,

découvrit le programme équatorien Socio Bosque. Celui-ci fut impressionné par les résultats et

appuya le programme COMSERBO qui avait pour objectif de développer un schéma similaire en

Bolivie.

Le programme a pour but de porter assistance aux communautés défavorisées, plutôt qu’aux

communautés ou individus possédant assez de ressources pour entretenir une activité agricole

commerciale. Lors du processus de sélection, ce sont les communautés qui dépendent d’une

agriculture de subsistance et dont les terres sont classifiées pour l’agroforesterie selon les plans

cadastraux PLUS (Plan Uso de Suelos) qui ont la priorité. Les trois communautés pilotes ont

également en commun qu’a côté de leur activité agricole de subsistance elles exploitent la forêt

pour en tirer quelques revenus supplémentaires. Les essences nobles, la noix du Brésil et le

caoutchouc sont les principaux produits qu’elles extraient de la forêt pour les vendre sur les

marchés voisins. Ceci souligne une autre spécificité du programme ; celui-ci recherche en

premier lieu à soutenir, améliorer et rendre durable les pratiques déjà utilisées par les

communautés en leur apportant un soutien technique d’abord, et ceci afin de les dissuader

d’adopter de nouvelles pratiques plus néfastes à la forêt telle que l’élevage bovin.

49

Sous ce programme, les gouvernements locaux fournissent deux types d’incitants aux

communautés adhérentes ; Tout d’abord une assistance technique pour aider à la planification

de l’utilisation des terres, la mise en œuvre du plan et l’éducation à de nouvelles techniques,

ensuite un support financier direct aux investissements selon les priorités des communautés.

Les communautés peuvent choisir d’attribuer les terres à trois activités ; la conservation

permanente, l’extraction de produits non-ligneux ou l’extraction de produits ligneux, dans un

plan d’une durée de 20 ans. Le support financier direct se fait selon la combinaison choisie et les

superficies engagées. Afin de soutenir en première ligne les petits propriétaires et les

communautés paysannes, les montants octroyés sont dégressifs à partir de 10.000 hectares. Le

support financier direct reste toutefois relativement modeste car le levier principal est

l’assistance technique pour aider les communautés à rendre leurs activités existantes plus

rentables et durables.

COMSERBO a été développé à la lumière du changement de positionnement du gouvernement

bolivien survenu en 2010 vis-à-vis des mécanismes basés sur le marché. Il s’agit d’un mécanisme

de « commande et contrôle »27, qui reprend certains outils des mécanismes de paiements pour

services environnementaux, sans toutefois appuyer une marchandisation de la nature et évitant

de s’en remettre aux forces du marché pour équilibrer les rapports de forces. Il a pour vocation

d’inclure et de responsabiliser les communautés locales, car ce sont elles qui sont le plus

impactées par la compétition qui oppose développement et conservation.

Le principal défi que rencontre le programme est d’ordre du financement continu. En matière de

responsabilité, la rentrée en vigueur de la nouvelle constitution contredit certains points des lois

existantes, créant ainsi un flou juridique qui amène les acteurs gouvernementaux à prendre

beaucoup de précautions. La Ley Forestal prévoit que les rentrées liées à l’activité d’exploitation

forestière soient partiellement réutilisées pour des efforts de gestion et de réhabilitation des

forêts. Cependant, la loi anti-corruption Ley Marcelo Quiroga Santa Cruz interdit que des fonds

soient transmis directement à des personnes physiques ou juridiques, limitant ainsi la

possibilité pour les gouvernements locaux de fournir des incitants financiers directs aux

communautés.

La mesure des progrès représente également un problème auquel fait face le programme. Pour

le surmonter, l’éducation des communautés aux différents rapports à remettre est cruciale. Le

budget étant relativement restreint, et la formation d’auditeurs professionnels coûteuse, le

programme s’appuie sur l’aide logistique des universités boliviennes. La définition même des

instruments de mesures du progrès socioéconomiques reste néanmoins difficile étant donné la

subjectivité du concept de bien-être lié à celui-ci. Pour ce qui est de la surveillance des forêts,

27 Le mécanisme est dirigé par une autorité qui centralise le contrôle en son sein.

50

COMSERBO peut avoir recours au projet de surveillance Sistema Nacional de Información y

Monitoreo de Bosques qui a pour but de réconcilier les données satellites et les recensements sur

le terrain.

Le potentiel d’expansion du programme dépend de la résolution des défis cités plus haut. Il doit

également être capable de proposer un schéma d’incitants suffisamment flexible pour être

adapté à d’autres régions où les rapports sociaux et économiques peuvent variés fortement.

Dans certaines régions où le coût d’opportunité est important par rapport à l’exploitation

forestière, par exemple dans les régions de plantations de coca, il sera particulièrement difficile

de définir des incitants assez puissants pour amener les paysans à renoncer au déboisement lié à

l’expansion de leur activité.

Le programme fut d’ailleurs proposé comme modèle au Mécanisme Conjoint, présenté dans le

chapitre suivant, et fut inscrit dans ce-dernier fin 2013.

D.8. LE MÉCANI S ME CON JOI NT D ’AT TÉNUATIO N ET D ’ADAP TATION

POUR LA GES TION DUR ABLE DES FOR ÊTS ET DE LA TERR E-MÈR E .

D.8.1. IN TRO D U CTIO N .

En 2012, le gouvernement bolivien dévoile la première ébauche28 de son Mecanismo Conjunto de

Mitigación y Adaptación para el Manejo Integral y Sustentable de los Bosques y la Madre Tierra29

(MCMA). Celui-ci parait dans le sillage de la nouvelle Loi-cadre 300 de la Terre-Mère et du

Développement Intégral pour le Bien-Vivre. Le MCMA, ou Mécanisme Conjoint, est la

concrétisation des déclarations faites par la Bolivie aux sommets internationaux précédents,

notamment sous la forme du plan Vida Sustentable del Bosque présenté à la COP 17, concernant

son rejet de la marchandisation de la nature et des mécanismes de marché du carbone. Les 5

principes qui sous-tendent ce plan sont :

Le rejet de la marchandisation des fonctions environnementales, incluant le rejet du

terme « services éco-systémiques ».

Gestion durable et intégrale de la forêt en s’appuyant sur les techniques traditionnelles

et la production locale.

Promotion des fonctions économiques, sociales, environnementales et culturelles des

forêts.

Complémentarité des droits, obligations et devoirs liés aux forêts avec une attention

particulière aux droits des populations autochtones et de la Terre-Mère.

28 Une traduction du document officiel se trouve en Annexe 1. 29 Mécanisme Conjoint d’Atténuation et d’Adaptation pour la Gestion Durable des Forêts et de la Terre Mère.

51

Reconnaissance du double rôle de la forêt dans l’atténuation et l’adaptation aux

changements climatiques.

Cette vision fut largement supportée par une majorité d’autres pays en voie de développement

et la décision 2/CP.17 l’intégra dans les résultats du sommet. Le Mécanisme Conjoint qui en

résulte est présenté comme l’alternative bolivienne au schéma REDD+.

D.8.2. FON DE ME N TS D U MÉ C AN IS ME CON JOI NT .

Dans ses fondements, tels que décrit dans le dernier document en date de 2012, le Mécanisme

Conjoint estime que la gestion intégrée et durable des forêts a un impact direct sur l’atténuation,

tout comme sur l’adaptation aux changements climatiques. Les deux aspects doivent être

compris comme inséparables et indissolubles. Cela contraste avec les deux autres mécanismes

qui ont également vu le jour avec la Loi-cadre 300 de la Terre-Mère et du Développement

Intégral pour le Bien-Vivre et qui séparent les deux aspects. L’un se concentre sur l’atténuation

avec des initiatives dans le domaine de l’industrie (non-forestière) et de l’énergie par exemple,

l’autre sur l’adaptation avec comme intérêts principaux la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau

potable.

Pour arriver à ces fins, le Mécanisme Conjoint stipule que les incitations à l’utilisation durable

des forêts ne sont pas suffisantes et qu’il faut une mobilisation et une coordination efficace de

différents processus30:

Des conditions institutionnelles appropriées pour assurer des droits fonciers clairs et

sécurisés aux propriétaires forestiers (avec la régularisation de la propriété agricole et

forestier), ainsi que de réels progrès en matière de décentralisation et d'autonomie dans

la gouvernance des forêts.

La mise en œuvre de méthodes de gestion des terres qui se réfère au zonage, à

l’ordonnance et à la planification de l'espace selon l'aptitude des terres et la dynamique

de contrôle territorial.

La coordination des objectifs communs entre les acteurs publics et privés afin de

coordonner les efforts communs, à différents niveaux territoriaux, de lutte contre la

déforestation et la dégradation des forêts.

Les interventions et actions publiques coordonnées dans l’implémentation d’un large

éventail d'instruments avec des options de réglementation et d’incitation pour

promouvoir la gestion intégrée et durable des forêts et des systèmes du vivant.

30 Traduit par l’auteur depuis le document officiel Mecanismo conjunto de mitigación y adaptación para el manejo integral y sustentable de los bosques y la Madre Tierra, Estado Plurinacional de Bolivia, La Paz, 2012. Voir Annexe 1.

52

Combiner l'agriculture et les forêts dans les visions de gestion du paysage afin de

promouvoir une utilisation des terres plus optimale, la construction de systèmes de

production agricole et forestière plus durables, et d'assurer la fourniture d'eau et

d'autres services environnementaux.

Des efforts soutenus de transfert de financement et de technologie pour renforcer les

processus de réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour améliorer la

résilience des écosystèmes et des populations au changement climatique.

D.8.3. PRI N CIP E DU MÉ CA NI S M E CONJOI NT .

Le Mécanisme Conjoint fonctionne comme une instance de coordination et d’articulation à

travers la construction de réseaux, horizontaux et verticaux, dans les domaines publiques et

privés. Ceci sera atteint par :

L’adhésion des initiatives en cours et la récupération des efforts et des investissements

financiers qui ont eu lieu en Bolivie au cours des quinze dernières années. Le projet

COMSERBO, décrit plus haut, a été intégré au Mécanisme Conjoint par exemple.

L’articulation des efforts publics de gestion durable des forêts, comprenant les

instruments de régulation, de contrôle, de promotion, d’évaluation et de surveillance.

la coordination des objectifs des acteurs locaux par rapport aux indicateurs communs

d’atténuation et d'adaptation au changement climatique, par la participation des entités

publiques locales, des populations locales et des utilisateurs de la forêt.

l'articulation des actions nationales au niveau central, départemental, municipal et local,

avec les efforts internationaux de l’UNFCCC relatifs à l'atténuation et l'adaptation au

changement climatique.

D’autre part, le Mécanisme Conjoint ne remplace pas sur le plan opérationnel les mandats

juridiques que les entités publiques détiennent dans différents domaines, y compris les

gouvernements autonomes départementaux, municipaux et locaux. Il garantit leur coordination

rendant possible le développement des efforts conjoints et l'apprentissage collectif.

D.8.4. FON CT ION NE ME N T D U MÉ CA NI SME CO NJO IN T .

Le Mécanisme Conjoint est basé sur trois composantes qui présentent une certaine séquence et

s’influencent mutuellement:

La planification et concertation.

La planification et concertation va permettre de déterminer les différentes utilisations des terres

et construire une ligne de référence vis-à-vis du développement des processus conjoints

d’atténuation et d'adaptation au changement climatique.

53

Ce processus permet la concertation d’objectifs communs liés à la réalisation d'indicateurs

communs pour l’atténuation et l'adaptation au changement climatique, avec la participation de

tous les acteurs publics et privés de compétence territoriale. Les objectifs globaux sont le

résultat d’une articulation des objectifs de niveau territorial plus petits (communal ou

propriétaires individuels), qui vont être sujet au suivi et à l'évaluation de la performance au

niveau local.

Concrètement, les communautés souhaitant participer volontairement au Mécanisme Conjoint

vont remplir leur PGIBT (Plan de Gestión Integral de los Bosques y Tierra) avec l’appui de l’ABT,

pour ensuite le soumettre à l’APMT pour validation. Si le plan est accepté par l’APMT, la

communauté aura accès aux aides offertes par le Mécanisme Conjoint.

Le cadre opérationnel d’action.

Le cadre opérationnel d’action est défini par un processus d’identification et d’évaluation lors de

la planification.

Une première phase consiste à clarifier l'articulation des droits, des obligations et des devoirs

qui vont former le cadre réglementaire et les engagements des parties prenantes publiques et

privées par rapport aux mesures d'atténuation et d'adaptation au changement climatique.

La seconde phase est l’identification des instruments de régulation, de contrôle et de promotion

de la gestion globale et durable des forêts. La régulation et le contrôle s’effectue principalement

à travers des amendes et sanctions. Les outils de promotions peuvent par contre prendre de

nombreuses formes : légales par l’octroi de titres de propriétés ou d’usufruit ; de soutien

financier par des transferts conditionnels public-public ou public-privé, ou par un accès

préférentiel au crédit ; d’assistance technique et de transfert de savoir ; de défense de l’intégrité

territoriale ; de renforcement de l’autonomie par l’autorégulation et le contrôle social ; de

développement de l'infrastructure sociale et productive et de l’accès aux services de base ; de

développement des filières de production en articulation avec les marchés nationaux et

internationaux ; de développement de compétences organisationnelles, de gestions locales et

d’échanges comme processus d'apprentissage ; et de renforcement des systèmes d'éducation

appropriés au contexte territorial.

La troisième phase est le transfert conditionnel de ressources financières et technologique aux

acteurs publics et privés, visant à atteindre les objectifs communs d'atténuation et d'adaptation.

Aucun détail supplémentaire concernant la nature des aides ou les critères de sélection n’est

donné à cet égard dans le document officiel de 2012. Comme nous le verrons plus loin, ceux-ci

sont en cours d’élaboration.

54

Le suivi des indicateurs conjoints d’atténuation et d’adaptation.

Une traçabilité effective des résultats du mécanisme passe par une surveillance de la

performance des indicateurs conjoints d’atténuation et d'adaptation. Ces indicateurs sont

appelés indicateurs conjoints car ils mesurent les impacts directs et simultanés à la fois de

l'atténuation et de l'adaptation. Ceux-ci sont en cours d’élaboration et seront les mêmes pour

tout les projets. Il est prévu de développer une classification basée sur trois couleurs: rouge,

jaune et vert. Dans cette catégorisation, les entités de couleur rouge correspondent aux entités

avec les pires performances au niveau des indicateurs conjoints d'atténuation et d'adaptation, et,

au contraire, celles de couleur verte font référence aux entités qui ont atteint une meilleure

performance dans ces indicateurs.

Le système de surveillance de la performance sera rapporté à deux niveaux: Un rapport national

qui constituera un agrégat de l'information nationale sur les indicateurs et qui peut être

rapporté volontairement sur les scènes internationales de négociation sur le changement

climatique ; et des rapports locaux par unité d'intervention qui constitueront des comptes

rendus plus détaillés et plus larges des indicateurs dans l'unité d'intervention et qui permettra

de surveiller les progrès dans la réalisation des objectifs communs au niveau local.

D.8.5. RÉ D U CT ION DE L A DÉ F O R E STA TIO N ?

Le but premier du Mécanisme Conjoint est de promouvoir les ententes locales sur le type de

développement désiré pour une région donnée, incluant la répartition des bénéfices. Ensuite il

vise à implémenter une combinaison d’incitants, positifs ou négatifs, pour parvenir à réaliser ces

ententes. Il permettra à des entités territoriales de différentes tailles d’enregistrer des plans de

gestion holistique du sol et des forêts pour contrôler la déforestation sauvage en échange d’une

variété d’appuis financiers et non-financiers conditionnels.

Ce mécanisme promeut la réalisation des accords locaux sur le développement, ce qui n’inclut

pas obligatoirement une réduction du déboisement. En effet, dans la majorité des régions

habitées, l’agriculture assure une meilleure sécurité alimentaire et des revenus plus élevés que

les forêts. Considérant l’estimation que 80% de la déforestation en Bolivie est illégale, l’objectif

est toutefois d’assurer un processus de déboisement et de conversion des terres planifié et

contrôlé, et une gestion durable des forêts. De cette manière les communautés locales pourront

bénéficier en même temps de l’agriculture et des forêts, ce qui diversifiera les moyens de

subsistance et permettra une plus grande résilience de celles-ci.

Le taux de déforestation global pourrait toutefois diminuer dans le cas où chaque communauté

engagée arriverait à identifier et combattre le déboisement représentant un danger pour sa

survie dans son ensemble. Les risques locaux de contamination des eaux, d’inondations ou de

55

feux de forêts pourraient représenter des raisons pour lesquelles une communauté locale se

prononce contre une activité de déboisement particulière.

D.8.6. DÉ P LOIE ME NT D U MÉ C A NIS ME CON JO IN T .

Le déploiement du mécanisme aura lieu dans le cadre d'un processus modulaire basée sur une

priorisation des types de forêt des différentes régions topographiques du pays et des types de

propriété foncière de ces forêts. Cela signifie également qu’il sera conçu par étapes pour la mise

en œuvre progressive dans des zones géographiques particulières et pour des problèmes

spécifiques. Cela est dû à l'hétérogénéité des problèmes forestiers dans le pays et la nécessité

d'adapter le développement du Mécanisme Conjoint à des contextes sociopolitiques et

économiques différents. Trois étapes ont été identifiées :

Premier module: Renforcement des expériences réussies dans les basses terres de la

Bolivie et démarrage d'une intervention territorialisée en Amazonie bolivienne.

(département de Pando, le nord de La Paz et l’ouest de Beni).

Deuxième module: L'expansion de l'intervention avec approche territoriale aux régions

du Chiquitania et du Chaco (département de Santa Cruz, l’est de Beni et les parties

orientales de Tarija et Chuquisaca).

Troisième module: L’extension de l'intervention avec approche territoriale dans les

régions andines (Les autres régions situées dans la Cordillère orientale comme les

Yungas).

Le déploiement de Mécanisme Conjoint suivra également une logique verticale de la base vers le

haut en matière de scènes sociopolitiques:

Dans un premier temps le mécanisme conjoint donne la priorité aux interventions sur la

scène municipale et dans les autonomies autochtones rurales (TIOCs).

Dans un deuxième temps, une articulation à plus grande échelle avec la possibilité

d'atteindre de plus grands impacts sur des scènes comme les départements ou les

macro-régions vient s’ajouter à l'étape précédente.

Il n’est pas précisé si ces deux processus de déploiement, géographique et sociopolitique,

fonctionneront en parallèle ou de manière séquentielle.

D.8.7. RÉ S UL TAT S DU MÉ CA NI S ME CON JOI NT .

Le Mécanisme Conjoint fonctionnant par intégration des projets, les résultats dépendent de

l’agrégation des performances locales de ceux-ci. L’intégration des projets est en cours. Comme

énoncé plus haut le programme COMSERBO en fait partie. On retrouve également d’autres

projets d’organisation non-gouvernementale comme le projet TAKANA de la Wildlife

Conservancy Agency, qui travaille avec les populations autochtones à proximité du parc national

56

Madidi dans le nord du département de La Paz pour les aider à mettre en place des activités

économiques communautaires qui protègent les ressources naturelles, ou le Noel Kempff Climate

Action Project déjà décrit plus haut, mais avec une approche holistique plutôt que sur le carbone.

Des programmes étatiques de gestion durable des forêts et de gestion de l’eau, dont certains

sont cités en exemple dans le document de 2012, sont également prévus d’être intégrés au

mécanisme.

Il existe peu d’information concernant l’avancement du développement et du déploiement du

mécanisme. Dans les programmes opérationnels annuels de l’APMT, le déploiement du

Mécanisme Conjoint est un objectif stratégique. Dans celui de 2014, on peut voir un budget de

1,8 millions de bolivianos attribué à des objectifs de finalisation de la stratégie, du guide

d’intégration des projets et du développement de la capacité technique de l’autorité. En 2015, le

budget passe à 0,8 millions de bolivianos et couvre des activités de consolidation de la stratégie

d’intégration, de déploiement de plateformes territoriales régionales et d’embauche de 30

personnes. Alors qu’en 2014, l’intégration des programmes se concentrait sur les départements

de Pando, Santa Cruz et le nord le La Paz, c’est à dire dans les plaines, en 2015 on retrouve

également un objectif d’élaboration d’un projet pilote dans les hautes terres.

Il semblerait que le financement du Mécanisme Conjoint pose le plus de questions. Pour son

élaboration, l’APMT se repose principalement sur le programme de coopération danois

Dinamarca. Celui-ci fournit les 1,8 millions de bolivianos en 2014, et un total de 1,2 millions de

bolivianos en 2015. Le financement de l’ABT, responsable du déploiement opérationnel du

Mécanisme Conjoint sur le terrain, semble plus critique. Le dernier rapport disponible sur leur

site date de 2014 et souligne le manque de personnel pour adresser adéquatement la charge de

travail. La composition du fond du Mécanisme Conjoint qui servira à appuyer financièrement les

projets n’est pas encore décidée mais sera probablement alimenté par une partie des taxes

perçues sur les exploitations forestières.

57

III. DISCUSSION.

A. DISCUSSION DU PROGRAMME BOLIVIEN PAR RAPPORT AU

PROGRAMME INTERNATIONAL DES NATIONS UNIES .

A.1. LA M AR CHAN DIS ATION DE LA NAT UR E .

L’aspect de marchandisation de la Nature et le manque de reconnaissance des droits et

traditions autochtones furent les principaux motifs énoncés par le président bolivien lorsqu’il

s’opposa au mécanisme REDD des Nations Unies.

L’argument de la marchandisation de la Nature est sujet à débat dans les milieux académiques et

politiques. Le concept de marchandisation de la Nature provient du domaine de l’économie

environnementale et il gagne en attention depuis les années 1980 avec l’ascension de

l’hégémonie néolibérale sur l’économie mondiale. La question centrale est de savoir si l’on peut,

ou même devrait, mettre un prix sur la Nature pour mieux la protéger. Une fois une valeur

monétaire attribuée, la ressource ou le service environnemental devient échangeable sur le

marché comme tout autre produit.

Ce concept rencontre une myriade de critiques dont d’abord celles d’ordre philosophique et

éthique. On retrouve l’opposition entre la vision utilitariste qui met la Nature au service de

l’Homme et celle qui considère la Nature comme ayant ses propres droits à l’existence. Du point

de vue éthique, la difficulté à modéliser l’importance culturelle et sociale de la Nature peut

mener à la destruction des relations et identité des communautés qui en dépendent. De plus les

marchés garantissent rarement une distribution équitable et renforceraient les inégalités

existantes. La marchandisation nécessite la propriété privée pourtant certaines ressources

naturelles doivent rester accessible à tous.

D’un point de vue de la mise en pratique, la complexité et l’hétérogénéité de la Nature rendent la

démarcation et divisibilité des ressources et services environnementaux difficile. Pourtant s’il

n’est pas possible de définir des limites du bien ou du service, il est difficile de fixer le vrai prix.

De plus certaines ressources sont rares et uniques, leur valeur est donc incommensurable. La

marchandisation de la nature entraine la simplification de la complexité naturelle par besoin

d’homogénéisation et ne rend plus compte de l’ensemble des relations qui forment les services

environnementaux. La définition du prix est donc toujours arbitraire et ne rend pas la vraie

valeur de la ressource ou du service. Un autre danger est que les lois du marché surclassent

toutes autres préoccupations et que la maximisation des profits par les agents n’amène des

résultats contraires à l’intention initiale.

Les voix en faveur de la marchandisation se basent sur l’argument d’urgence de la situation, de

l’impuissance face aux forces du marché et du besoin important de financement. Certains

58

dénoncent que le rejet catégorique de la marchandisation de la nature joue en faveur des

industriels et gouvernements qui ne souhaitent pas voir de prix apposé aux ressources

naturelles pour pouvoir continuer à les extraire à bas coûts. Pour eux, il est urgent d’instaurer

les paiements pour services éco-systémiques dans un cadre réglementé.

A.2. LA ST RAT ÉGI E PO LITIQ U E D ’EVO MO RALES .

La condamnation de la marchandisation de la Nature par le gouvernement Morales ne surprend

pas lorsqu’on considère l’histoire récente de la Bolivie et le soulèvement de la population contre

les politiques néolibérales des gouvernements précédents. Les dernières décennies ont été

marquées par l’intervention américaine contre la coca, le processus de privatisation des services

publics et la distribution inégale des revenus générés par l’extraction des ressources naturelles.

Cette situation a d’ailleurs culminés en de nombreux affrontements entre la population et les

forces gouvernementales. Le peuple bolivien, dont 60% environ sont autochtones, a donc été

séduit par le discours qui promettait de se débarrasser du modèle économique capitaliste

néolibéral et d’instaurer un système de redistribution des ressources plus juste. Le mécanisme

REDD, décrié comme permettant à qui sait payer de continuer à polluer, fait partie du modèle à

combattre.

De plus, le discours d’Evo Morales sur le front socialiste d’Amérique Latine, le combat contre le

changement climatique et la défense des peuples autochtones lui assure aussi un appui politique

et populaire au-delà des frontières de son pays.

A.1. SOUV ER AIN ET É DU P AY S ET CEN TR ALIS ATION DU PO UVOI R .

L’abandon de la coopération avec REDD peut également s’expliquer par un souci de

souveraineté de l’Etat bolivien dans la gestion de son territoire ainsi que d’une maîtrise du

développement économique du pays. L’implémentation de projets forestiers, REDD ou autres,

influe sur l’utilisation des terres et donc sur l’activité économique. Le Mécanisme Conjoint

permet au gouvernement de centraliser l’information quant aux projets et donc de mieux les

contrôler. Les critères d’acceptation au Mécanisme Conjoint permettent également d’influencer

la finalité des projets et d’assurer qu’ils soient en ligne avec le programme politique.

Pour éviter les effets de fuites observés sur certains projets pilotes, la communauté

internationale appuie que REDD ne soit pas seulement implémenter par projets locaux mais que

les mesures soient prises au niveau national. Il y a donc là une interférence avec la politique du

gouvernement qui est probablement vue d’un mauvais œil.

Dans ses messages politiques, Evo Morales annonce, sous différentes façons, qu’il souhaite

développer le pays tout en respectant la Nature (et les peuples autochtones). On peut traduire

cela comme la gestion durable des forêts, mais qui sous-entend tout de même une exploitation

de celles-ci, plutôt que des efforts de conservations. Il ne peut être blâmé de vouloir développer

59

son pays riches en ressources qui ont longtemps été exploitées par des pouvoirs étrangers. Le

passé des projets REDD en Bolivie, et notamment le projet du parc naturel Noel Kempff, sont

surtout des exemples de conservation.

Le Mécanisme Conjoint pourrait également être une tentative de centralisation du financement.

Un schéma REDD prévoit un financement direct des acteurs locaux, individus ou communautés,

pour leurs efforts. Une articulation nationale via le Mécanisme Conjoint permettrait au

gouvernement bolivien de garder le contrôle et d’assurer soi-même la redistribution des fonds.

Cette mesure pourrait servir à éviter que des grands propriétaires terriens enregistrent leurs

forêts et reçoivent directement les financements. Des exemples se sont déjà présentés où des

forêts ont laissé place à des monocultures sous la conduite d’un projet REDD, rapportant

doublement aux propriétaires.

A.2. LES AV ANT AGES DE REDD.

Un des avantages de REDD est son champ d’action international. Le problème du réchauffement

climatique est un problème planétaire. La résolution de celui-ci ne peut être atteinte que par une

coopération internationale. Si ce n’est pas le cas, on risque des effets de fuites dans les mesures

contre la déforestation. La forêt sera coupée là où la réglementation est la moins contraignante.

On ne peut pas accuser le gouvernement Morales de ne pas se soucier du changement

climatique. Le combat de celui-ci fait partie intégrale du discours politique pour le Vivir Bien.

Evo Morales reproche toutefois au mécanisme REDD d’être un outil soumis aux intérêts

économiques des pays développés et leur permettant de continuer à polluer sans ménagement.

Le poids de leur responsabilité historique en matière de pollution ainsi que de leurs émissions

actuelles et futures serait transférée sur les économies des pays en voie de développement via ce

mécanisme.

On peut toutefois questionner le choix de ne plus coopérer du tout avec le programme UN-REDD.

Cette coopération amène d’autres avantages comme le transfert de savoir et de technologies

dont la Bolivie peut bénéficier. Dans la première phase de préparation, la mise en place des

systèmes MVR (mesures, vérifications et rapports) bénéficient tout autant au gouvernement

bolivien dans l’implémentation de ses propres programmes forestiers. L’accès au financement

est un autre avantage du programme UN-REDD, quoique dans sa première phase, celui-ci

consiste principalement en des fonds libérés par des pays donateurs dans des accords

bilatéraux. Bien que la Bolivie se soit retirée du programme UN-REDD, elle bénéficie encore de

ce type d’appui. Le programme danois Dinamarca appuie notamment l’implémentation du

Mécanisme Conjoint.

Le gouvernement bolivien semble souhaiter que cela continue comme cela, plutôt que de

basculer vers un système de marché de crédits-carbone ou des fonds conditionnés sur des

résultats trop restrictifs en matière de conservation des forêts que REDD pourrait amener.

60

On pourrait spéculer sur la durée de cette trêve de coopération. Peut-être que si une entente sur

REDD entre les pays donateurs amène un resserrement des conditions d’accès aux fonds, la

Bolivie n’aura-t-elle pas le choix que de reprendre les négociations.

A.3. MÉCANIS ME CO NJOIN T OU REDD.

Les critiques émises à l’encontre de REDD par la Bolivie ne sont pas propres au gouvernement

bolivien et proviennent de nombreuses sources de par le monde. Il s’agit de problèmes dont les

parties de l’UNFCCC sont conscientes et qui sont discutés dans l’élaboration du mécanisme

REDD. Une partie des faiblesses auxquelles REDD tente de répondre peuvent être reprochées à

leur tour au Mécanisme Conjoint. Comparons les deux mécanismes sur quelques points:

TABLEAU 3: COMPARAISON DE REDD ET DU MÉCANISME CONJOINT.

REDD Mécanisme Conjoint

L’échelle est globale, ce qui a son sens dans le

combat contre le changement climatique. Il

s’agit d’un problème transfrontalier.

À moins que le pays ne compense ses propres

émissions de CO2, l’échelle nationale ne

permet pas d’éviter les fuites et devrait donc

être moins effective au niveau global du

problème du changement climatique.

On se focalise uniquement sur les émissions

de CO2. Cela permet de délimiter un facteur et

de faciliter son évaluation.

L’approche se veut holistique. Toutes les

fonctions de la Nature doivent être

considérées. En pratique cela n’est pas

réalisable. Si une évaluation doit être faite, son

étendue sera forcément arbitraire.

L’évaluation des stocks de carbone sert à

l’échange direct ou indirect sur le marché

mondial dans des schémas de compensation.

Cela devrait également faciliter la levée de

fonds pour financer les projets.

Une évaluation plus large des fonctions prend

également en compte des bénéfices locaux qui

ne suscitent pas l’intérêt d’acteurs étrangers.

Cela peut rendre le financement par ceux-ci

plus difficile.

Le mécanisme est supervisé par une autorité

composée des différentes nations

participantes. Cela est sensé lui conféré

davantage de neutralité. Dans la réalité, le

poids économique des pays joue toutefois un

rôle non négligeable dans les négociations.

Le mécanisme est supervisé par une autorité

nationale indépendante. L’indépendance

effective de cette autorité vis-à-vis d’intérêts

politiques ou économiques peut toutefois être

mise en doute.

61

Les deux mécanismes peuvent être décris comme les produits de deux idéologies qui s’opposent.

Les deux mécanismes sont légitimes dans le cadre où ils ont vu le jour. REDD trouve sons sens

dans un monde globalisé dominé par la logique du marché. Au niveau national de la Bolivie, qui a

récemment opéré un tournant socialiste et qui s’oppose à la logique néolibérale, le Mécanisme

Conjoint en est le résultat légitime. Dans les deux cas il s’agit de trouver un équilibre entre les

intérêts économiques et les intérêts écologiques à l’échelle donnée.

Ils peuvent également être considérés comme le résultat d’un bras de fer politique entre pays du

Sud, riches en ressources naturelles et qui aspirent au développement économique et à

l’autodétermination, et pays développés qui souhaitent maintenir leur activité économique et

l’accès aux ressources naturelles nécessaires à cet effet.

Quant à savoir lequel affichera les meilleurs résultats en matière de déforestation évitée et

d’atténuation au changement climatique, on ne peut que spéculer. L’obtention des résultats

escomptés dépendra surtout de la capacité à palier les déficits de chacun des mécanismes.

La réussite de l’alternative bolivienne à REDD, le Mécanisme Conjoint, et l’évolution de la gestion

forestière en générale sur son territoire dépendent d’un certains nombres de facteurs propres à

la situation du pays. Des facteurs qui définissent un schéma de tensions et conflits à différents

niveaux. Ceux-ci vont être discutés dans la partie qui suit.

62

B. DISCUSSION DU PROGRAMME BOLIVIEN PAR RAPPORT AU

CONTEXTE NATIONAL .

B.1. LE CADR E LÉGAL ET IN S TIT UTION NEL .

B.1.1. LE CA D RE LÉ G AL .

Prenons tout d’abord le cadre légal en Bolivie. Celui-ci a évolué considérablement sous l’ère

d’Evo Morales pour légiférer largement sur l’utilisation des ressources naturelles et les rapports

à entretenir avec la Nature dans le respect des traditions. Ces lois-cadres sont pour la plupart

relativement génériques afin de laisser un degré de flexibilité pour l’adaptation aux réalités

régionales et locales. On peut aussi supposer que la translation d’un modèle de société basé sur

une vision bio-centrique, bien que puisant ses sources dans les traditions, dans la réalité

d’aujourd’hui soit relativement étrangère au législateur moderne et représente un exercice

fastidieux. Le désavantage toutefois est un champ d’interprétation large qui permet aussi de

détourner la loi de son objectif initial ou de s’extraire de son champ d’application.

La multiplication des lois-cadres peuvent aussi amener des contradictions entre elles et vis-à-vis

des lois déjà en place comme la Loi Forestière ou la Loi INRA. Certaines lois-cadres apparaissent

même contradictoires en elle-même lorsqu’elles défendent le Vivir Bien et en même temps le

modèle agricole intensif par exemple. Même dans le cas où il n’y aurait pas de mauvaises

intentions de la part des acteurs, cette situation peut amener une confusion qui paralyse les

actions favorables à une gestion durable des forêts et une réduction de la déforestation illégale.

L’alignement des lois est crucial pour garantir l’effectivité de celles-ci et éviter un gaspillage de

ressources qui auraient pu bénéficier au renforcement des lois existantes.

B.1.2. LA P A RTI C IP AT ION CI VI L E .

La participation des populations locales et l’habilitation des communautés forestières dans

l’élaboration, l’implémentation et la réalisation de mesures effectives contre la déforestation

sont reconnues généralement comme des facteurs clés. Le gouvernement bolivien se joint au

constat et a implémenté une série de droits voués à garantir cela. Le défi réside toutefois dans la

mise en pratique de ces droits. Différents exemples nous montrent que le droit à la consultation

préalable n’est pas toujours respecté. Le cas du conflit du TIPNIS en est une démonstration aux

répercussions importantes sur la coalition politique du gouvernement avec les communautés

autochtones.

La diffusion d’information concernant les réglementations en vigueur et les initiatives vers les

communautés locales semble également être un problème. Cela peut-être dû à un manque de

ressources financières et humaines tout comme à une négligence ou une rétention volontaire.

Des cas de rétention d’information ont notamment été signalés dans des régions où le

63

gouvernement local est dans l’opposition et ne supporte pas les initiatives du gouvernement

central par exemple. D’un autre côté, le manque d’éducation des populations rurales peut être

un facteur contraignant dans la compréhension et la traduction des initiatives. Ceux-ci s’en

remettent alors aux décisions de quelques-uns, créant seulement l’illusion d’un processus

démocratique.

La possibilité du recours à l’Acción Popular, qui doit servir à faire remonter les infractions aux

droits constitutionnels, y compris celles vis-à-vis des forêts et de la Nature, semble être ignoré

d’une grande partie de la population ou est confondu avec le Control Social qui permet à chacun

d’avoir une vue sur les dépenses financières des entités gouvernementales. L’utilisation effective

de l’Acción Popular peut toutefois être questionnée. Avoir recours à une Acción Popular envers

une collectivité peut s’apparenter à un suicide social pour un individu.

On observe également un fossé entre la loi et son application dans la réalité lorsqu’il s’agit du

droit à la participation. L’évolution dans l’élaboration du Mécanisme Conjoint en est un

exemple :

La proposition Vida Sustentable del Bosque, remise à la COP 17, a été créée de façon participative

à la suite de workshops régionaux de juin à octobre 2011. La Loi-cadre 300 qui suivi est le

résultat de deux ans de négociations avec les mouvements sociaux du Pacto de Unidad, une

alliance des principaux mouvements sociaux (ouvriers, paysans, autochtones et des femmes) du

pays. La première ébauche du Mécanisme Conjoint a aussi été réalisée avec les contributions des

mêmes mouvements sociaux à travers des workshops tenus en 2012. Par contre pour

l’élaboration en détail du Mécanisme Conjoint, l’APMT fait appel à quelques acteurs

institutionnels mais ne procède pas à une consultation des communautés forestières, ni

n’implémente un processus de construction participative. Cela peut être expliqué par un manque

de fonds mais aussi par le schisme politique engendré par le conflit du TIPNIS, qui a rendu la

consultation difficile. Quoi qu’il en soit, les communautés qui dépendent le plus des forêts ne

sont pas incluses dans le processus d’élaboration du mécanisme dont ils seront sujets, et ce bien

que le mécanisme est prévu pour leurs donner plus d’autonomie.

B.1.3. LE S I NST IT UT ION S P OLI T IQ UE S .

La nouvelle constitution et l’évolution du cadre légal ont mené à la création de nouvelles

institutions et au remaniement des anciennes. À l’image des lois qui les habilitent, les

institutions impliquées dans la gestion forestière et l’implémentation du Mécanisme Conjoint

présentent également des chevauchements de compétences qui peuvent créer des confusions et

des conflits internes. Citons par exemple l’implication de l’INRA et du SERNAP dans les questions

territoriales des parcs naturels, ou de l’INRA et de l’ABT dans celles des forêts.

64

La coordination entre les différentes entités est donc primordiale pour garantir le

fonctionnement du mécanisme et une utilisation optimale des ressources. Toutefois le niveau de

coordination entre les institutions va aussi dépendre des stratégies propres à chacune et qui

peuvent se retrouver en compétition. Ces changements institutionnels, s’inscrivant dans un

remaniement à plus long terme, peuvent saper momentanément les efforts et les ressources.

Une certaine période d’adaptation sera sûrement nécessaire pour normaliser la situation.

Le progrès des initiatives dépend aussi de la conviction et du pouvoir de ceux qui les défendent

sur la scène politique. Dans le cas du projet COMSERBO par exemple, c’est l’enthousiasme suscité

par le projet équatorien auprès du gouverneur du département de Pando qui a

considérablement aidé à son implémentation. Dans le cas du Mécanisme Conjoint, le départ de

l’APMT des deux artisans du mécanisme, René Oreliana et Diego Pacheco, s’avère selon

certaines sources comme décisif. Ceux-ci ont été promut à des postes ministériels. Depuis lors, le

progrès sur l’implémentation du mécanisme aurait considérablement ralenti.

B.1.1. CORR UP TIO N E T F A VOR IT IS ME .

Outre la mauvaise conception des lois ou le manque de budget pour leur application, deux autres

facteurs importants qui sabotent le progrès de la gestion durable des forêts et de la réduction de

la déforestation sont la corruption et le favoritisme politique. Comme dans d’autres pays où

règne une grande pauvreté parmi la population et une importante inégalité, la corruption est

fortement répandue, et ceci à tout les niveaux31. Des cas de corruptions auraient été observés

par exemple dans le processus de redistribution des terres par l’INRA ou concernant les

rapports sur l’utilisation des forêts rédigés par l’ABT. Le favoritisme politique est également

rapporté comme menant à des traitements de faveurs et à l’attribution de postes clés pour les

individus pro-gouvernementaux. L’efficacité des solutions est mise en péril lorsque les règles et

sanctions ne sont pas appliquées de façon univoque. L’efficacité des institutions est mise en péril

lorsque l’appartenance politique prime sur la capacité et le savoir technique dans le domaine.

Le climat sécuritaire du pays fait qu’exposer ce genre d’irrégularités au grand jour n’est pas sans

danger. En plus d’interférer avec le déploiement effectif d’initiatives visant à améliorer la gestion

forestière et réduire la déforestation illégale, ces problèmes érodent également la confiance des

populations dans celles-ci.

Le gouvernement Morales a entreprit depuis sa prise de pouvoir une série de mesures pour

réduire la corruption au sein des institutions publiques et la perception de la situation par la

population semble s’améliorer. La réussite des programmes forestiers dépendra notamment de

la capacité du gouvernement à continuer sur cette voie pour maintenir la confiance.

31 L’ONG Transparency International a donné un score de 34% à la Bolivie en 2015 (O étant très transparent et 100 étant très corrompu). http://www.transparency.org/country/#BOL

65

B.2. LES AUTR ES ACT EUR S .

B.2.1. LE S SY N DI C ATS O UV RIE R S .

Le pouvoir des mouvements sociaux n’est pas à sous-estimer. La Bolivie est un pays dont

l’histoire contemporaine a montré la capacité des citoyens à s’organiser et cette organisation se

fait historiquement sous la forme de syndicats. C’est à ce niveau-là que le pouvoir de décision

populaire est le plus fort. Dans le cas de la gestion forestière, les initiatives tendent toutefois à se

concentrer sur les communautés (les OTBs). On peut donc se demander si ce changement de

levier ne pourrait pas nuire à l’implémentation des mesures de gestion forestière.

B.2.2. LE S ORG AN IS ATIO NS NO N -GOU VE RNE ME NTA LE S E T LE S U NI VE RSI TÉ S .

Un autre groupe d’acteurs importants représentant la société civile sont les organisations non-

gouvernementales. Les approches de celles-ci varient au cas par cas, mais on peut toutefois

avancer qu’elles ont tendance à travailler avec une multitude d’acteurs publiques et privés et

qu’elles ont souvent le rôle d’intermédiaire. Bon nombre d’ONG, notamment celles citées dans ce

travail, ont accumulé une expérience considérable en Bolivie et ont une bonne vision des réalités

du terrain. Une coordination préalable entre les ONG et les programmes gouvernementaux est

donc une condition préalable à une bonne implémentation des projets. Ceci afin d’éviter de

compromettre les progrès faits par les ONG, mais aussi pour faire profiter leur expérience aux

programmes gouvernementaux. Il faut toutefois remarquer que les opérations de certaines ONG

peuvent créer des situations de dépendance lorsque celles-ci ne confient pas assez de

responsabilités aux populations locales ou mettent en place des schémas dépendants de

techniques, financements ou marchés extérieurs. Dans ce cas, des initiatives gouvernementales

comme le Mécanisme Conjoint peuvent palier ces déficits par le partage d’expérience, les aides

financières et le support continu, sous la prémisse de la pérennité du mécanisme.

Les universités jouent également un rôle important en Bolivie dans l’implémentation des projets

sur le terrain et les activités de recensement. La possibilité d’avoir recours à la main d’œuvre

éduquée universitaire est d’autant plus importante lorsque les financements sont difficiles. Il y a

également moins de risque de voir le savoir-faire quitter le pays qu’avec des ONG et

professionnels étrangers.

B.2.3. L’OP P OSIT ION P O LIT IQUE DE S G RA N DS P ROP RIÉ TA IRE S TE R RIE NS .

L’opposition sur le plan politique entre le gouvernement central de La Paz, dirigé par un

président autochtone populaire, et les gouvernements régionaux de l’est du pays, favorables aux

grands propriétaires terriens, peut entraver l’implémentation des programmes forestiers

gouvernementaux. Parmi les départements autonomistes, dits de la Media Luna, c‘est en

particulier celui de Santa Cruz, capitale économique du pays, qui se trouve le plus en conflit avec

66

l’État central. Les mesures pro-populaires de redistributions des terres de la loi INRA ne plaisent

pas aux grands propriétaires terriens qui risquent de voir leurs terrains, et en particulier ceux

qui servent à la spéculation et ne remplissent donc pas une fonction économique et sociale

(FES), saisis par l’État. Cette élite patronale étant majoritairement métisse, elle se sent lésée par

l’attribution de droits territoriaux favorables aux populations autochtones et accuse Evo Morales

de despotisme ethnocentrique. La désescalade de cette situation conflictuelle est important pour

l’implémentation efficace du Mécanisme Conjoint car ces régions sont les plus boisées, et

affichent également le plus haut taux de déforestation. Les régions de l’Amazonie au nord (Beni

et Pando) dont une majorité de la population est autochtone, semblent plus enclin à coopérer,

car beaucoup de projets forestiers du gouvernement et d’ONG se concentrent sur cette région.

Cela est probablement aussi dû à la faible densité de population, majoritairement autochtone, et

le manque relatif de développement économique. Le coût des projets forestiers est donc

relativement moindre pour des résultats plus importants. L’effort principal réside donc dans le

département de Santa Cruz, où les grandes monocultures intensives prédominent. Plus qu’une

question ethnique, le conflit avec la classe dirigeante de l’est du pays est davantage une lutte

pour le contrôle des ressources.

B.3. LES PRIO RIT ÉS DU GO UV ER N EMENT .

B.3.1. LA SÉ C UR ITÉ A LI ME N TA I RE .

La sécurité et souveraineté alimentaire, Seguridad alimentaria con Soberanía, a été érigée au

rang de priorité par le gouvernement Morales. Un bon nombre de lois présentées ici et qui

forment le cadre légal de la gestion agricole et forestière en Bolivie sont pourvues de clauses qui

permettent de les outrepasser au nom des intérêts du pays. Malgré le discours du Vivir Bien,

l’agriculture de subsistance semble recevoir moins de support que l’industrie agro-alimentaire.

Cela peut-être dû au fait que cette forme d’agriculture à petite échelle est difficilement recensée,

n’apparait pas dans les statistiques et est donc moins facilement contrôlable par un

gouvernement central. On pourrait aussi penser à l’augmentation démographique dans les villes,

qui doivent être livrées en aliments.

Ainsi beaucoup de mesures de support au secteur agro-alimentaire peuvent se justifier par la

sécurité alimentaire. Les subsides au diesel par exemple favorisent les cultures intensives

mécanisées. Les programmes de supports à la production de maïs, riz, soja, etc. vont également

bénéficier aux grands producteurs. Ces mesures peuvent avoir un impact négatif sur les forêts, si

celles-ci doivent laisser place à ces monocultures intensives, et les résultats des programmes de

gestion forestière en seront affectés.

67

B.3.2. LA CO C A .

Un autre facteur qui menace les forêts, et qui témoigne de la bipolarité du gouvernement

Morales, est la culture, légale et illégale, du coca. Celle-ci offre des revenus plus élevés aux petits

paysans qui délaissent alors les cultures vivrières. La culture illégale du coca menace également

directement les parcs naturels dans lesquels les paysans en manque de terres s’étendent.

Toutefois les syndicats de cocaleros représentent un acteur puissant et organisé sur la scène

politique. Evo Morales est lui-même ancien cocalero. Le gouvernement a pris des mesures

importantes pour endiguer et contrôler le phénomène d’expansion de ces cultures, en légitimant

et promouvant l’utilisation traditionnelle de la coca. On peut toutefois questionner la pérennité

et l’impact de ses mesures si la situation économique venait à se dégrader. Un autre effet négatif

de la culture illégale du coca est que les paysans qui s’y adonnent sont plus réticents à coopérer

sur des projets de gestion durable des forêts.

B.3.3. LA DÉ P E N DA N CE A UX E X P ORTA TIO NS .

Un élément qui joue en défaveur de la préservation des forêts dans la politique économique du

gouvernement bolivien est sa faible contribution au PIB national. La Bolivie est en premier lieu

un exportateur de ressources naturelles non-renouvelables comme les hydrocarbures et les

minerais. Deux autres produits d’exportation sont le soja et le sucre. Ceux-ci sont toutefois

cultivés de façon industrielle et soutiennent la déforestation. Quant à la coca, son exportation

étant illégale, il est difficile d’estimer les quantités en jeu et il n’est pas comptabilisé dans le

calcul du PIB.

L’attrait du marché extérieur, le manque d’industrie de transformation locale et des contrats

d’exportation ont pour effet pervers que malgré la richesse en ressources du pays, sa population

soit contrainte à importer un bon nombre de biens de base. Le gaz par exemple, étant

majoritairement exporté, les populations urbaines doivent importés du gaz en bonbonnes et les

populations rurales se tournent vers le bois comme source de combustible, aggravant le

déboisement illégal.

L’importance des secteurs extractifs sur les revenus de l’État conditionne l’importance qu’on

leur porte et celle donnée à la gestion des forêts. Des mesures récentes comme l’autorisation de

prospection minière et gazifière dans les parcs nationaux en témoignent. L’expansion des

produits agricoles d’exportation comme le soja, mais également le café, le cacao et la noix du

Brésil, qui érodent le couvert forestier rendent l’implémentation d’une gestion durable des

forêts de plus en plus nécessaire mais également difficile.

68

IV. CONCLUSION.

L’analyse des fondements qui opposent le mécanisme REDD au Mécanisme Conjoint, ainsi que

du contexte dans lequel ce dernier a évolué, permet de mieux cerner les enjeux politiques,

économiques et sociaux auxquels fait face la gestion forestière en Bolivie.

Le Mécanisme Conjoint est issu d’un discours noble du point de vue éthique. Il met l’accent sur la

défense des droits de la Nature et des peuples autochtones qui en dépendent. Le concept de Vivir

Bien et une certaine sobriété heureuse qui en découle sont le modèle sociétal encouragé. Il

s’oppose au concept de marchandisation de la Nature.

Le mécanisme REDD est quant à lui inscrit dans une démarche économique. Il utilise les

payements pour services éco-systémiques pour compenser les émissions de dioxyde de carbone.

Son discours est davantage axé sur la mise en pratique effective, ressentie comme urgente, d’une

solution mondiale contre le changement climatique.

REDD, qui est l’acronyme de Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation, est,

comme son nom l’indique, focalisé principalement sur le combat contre la déforestation et la

dégradation des forêts (tropicales principalement) pour atténuer les effets du changement

climatique.

Le Mécanisme Conjoint affiche les mêmes ambitions, mais en insistant davantage sur l’aspect de

gestion durable des forêts dans le but de permettre l’épanouissement de la société bolivienne. Il

ne promet pas un arrêt net de la déforestation, mais un processus contrôlé pour garantir un

niveau de vie satisfaisant à la population en accord avec l’environnement.

Ces aspirations sont aussi prises en compte dans les négociations internationales autour de

REDD, et ont d’ailleurs mené à l’évolution REDD+ du mécanisme. On remarque toutefois qu’au

plus le champ d’application, autant géographique que par rapport aux aspects traités, s’élargit,

au plus complexe devient son articulation et plus difficile la recherche d’un consensus. Sur ce

point, le Mécanisme Conjoint, avec son étendue nationale, présente un certain avantage.

Dans l’élaboration des deux mécanismes, la contradiction entre préservation de la Nature et

croissance économique est au centre du débat. Que ce soit dans les discussions internationales

autour de REDD, ou dans les raisons qui ont vu la naissance du Mécanisme Conjoint, l’intérêt

économique de chaque pays est l’argument qui domine.

Il est manifeste que le retrait de la Bolivie du programme UN-REDD et de son opposition à REDD

résulte d’un bras de fer politique entre pays du Nord et pays du Sud à ce sujet. La Bolivie

reproche aux pays développés de vouloir se défaire de leur responsabilité historique dans le

changement climatique en transférant le poids sur les économies des pays en voie de

développement via des schémas de compensation carbone. Finalement, chaque partie souhaite

maintenir ou améliorer sa position sur l’échiquier économique mondial.

69

De manière plus concrète, les résultats du Mécanisme Conjoint sur la déforestation, et donc

indirectement sur le changement climatique, dépendront certainement de la volonté des

politiques à se pencher sur les principaux secteurs qui l’entraîne : L’agriculture intensive,

majoritairement sous forme de monoculture, et l’élevage extensif, principalement de bovins. La

traduction de cette volonté devrait résulter dans l’élaboration au sein du Mécanisme Conjoint de

critères de sélection et de financement de projets qui ont pour but d’adresser les problèmes qui

sous-tendent l’expansion de ces secteurs. Ceux-ci sont d’ordre technique, économique et social.

Les solutions iraient de la promotion de techniques agricoles durables à celle de sources

alternatives de revenus, en passant par l’éducation aux droits et devoirs relatifs à la gestion

forestière.

Le progrès passera également par un renforcement du cadre légal et institutionnel pour garantir

la pérennité des efforts. Celui-ci comprend la gestion forestière mais également d’autres

domaines ayant un impact direct sur celle-ci comme l’agriculture, l’extraction minière et

d’hydrocarbures, la gestion foncière et le développement rural. Comme discuté dans ce travail,

bien que des progrès remarquables puissent être observés depuis le changement politique

induit par Evo Morales, des efforts au niveau de l’harmonisation des mesures et compétences

comme de leur application sont encore nécessaires. La disponibilité de ressources financières

adéquates joue un rôle important et semble à l’heure actuelle trop faible pour garantir

l’implémentation effective des mesures prises.

La corruption joue certes un rôle, mais l’allocation des budgets est avant tout déterminée par les

priorités du gouvernement. Celui-ci fait face à différents dilemmes qui tirent leurs origines de

situations comme l’opposition politique des départements de l’est et du nord, gouvernés par les

intérêts des grands propriétaires terriens, le souhait de l’intégration continental et la

dépendance vis-à-vis de l’exportation de matières premières pour assurer les revenus de l’État.

Les réponses du gouvernement, comme les tentatives de centralisation du pouvoir et la

promotion de l’extraction des ressources naturelles non-renouvelables, sont en conflit avec la

promesse de plus d’autonomie, régionale et locale, et du respect des droits des autochtones et de

la Nature.

Le combat contre la pauvreté et la sécurité alimentaire sont des arguments utilisés pour

défendre les mesures qui vont à l’encontre du discours politique officiel et du Vivir Bien. Elles

sont également une preuve que le gouvernement lui-même n’a pas encore su intégrer

complètement le nouveau paradigme loué dans son discours, et que la conception prédominante

du développement se base encore sur le modèle capitaliste néolibéral.

Ces contradictions ne sont pas propres au gouvernement, mais sont le reflet du schisme qui se

manifeste à travers toute la société bolivienne. Le pays, situé au cœur de l’Amérique du Sud,

70

n’est pas isolé des influences externes du monde globalisé. À la vision spirituelle traditionnelle

s’oppose la pensée rationnelle.

D’un autre côté il est compréhensible qu’un tel changement prenne du temps. La transposition

du discours en réalité dépendra de la capacité du gouvernement, et de la société bolivienne en

général, à dépasser ses contradictions.

Somme toute, le Mécanisme Conjoint, à l’image du programme politique d’Evo Morales axé sur le

Vivir Bien, est remarquable par la place qu’il donne aux droits des autochtones et de la Nature.

Indépendamment des problèmes d’implémentation, il replace la considération de ces droits au

centre du débat, plutôt que d’y voir des aspects secondaires, et exige de s’y confronter. Quelle

qu’en soit l’issue, de nombreuses leçons pourront en être tirées et notamment pour la gestion

des forêts.

Un dernier facteur qui pourrait se révéler décisif pour l’avenir du programme politique de la

Bolivie, y compris la gestion forestière et le Mécanisme Conjoint, mais sur lequel on ne peut que

spéculer, est le terme du troisième et, logiquement, dernier mandat présidentiel d’Evo Morales

en 2018. Sa personnalité ayant été sans nul doute un facteur central dans l’évolution politique

actuelle de la Bolivie, on peut se demander si la vision qu’il incarne continuera à résonner au

sein de la société bolivienne. Une société partagée entre protection des communs et logique du

marché, qui cherche son identité entre tradition et modernité.

71

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75

Entretiens:

Dr. Lykke E. Andersen, économiste et directrice de l’INESAD (La Paz, le 23 mars 2016).

Michael Blendinger, biologiste et guide du parc national Amboró (Samaipata, le 4 avril 2016).

Jorge Ávila, directeur de la Cámara Forestal de Bolivia (Santa Cruz, le 7 avril 2016).

76

VI. ANNEXES.

Annexe 1 : Document de travail – Traduction par le mémorant depuis l’espagnol

du document officiel paru en août 2012 “Mecanismo Conjunto de Mitigación y

Adaptación para el Manejo Integral y Sustentable de los Bosques y la Madre

Tierra.”.

État plurinational de Bolivie

Ministère des Affaires étrangères

Ministère de l'Environnement et de l'Eau

Ministère de l'environnement, la biodiversité, les changements climatiques et la gestion et le développement forestier.

Mécanisme Conjoint d’Atténuation et d'Adaptation pour la Gestion

Intégrée et Durable des Forêts et de la Terre-Mère.

Aout 2012

La Paz, Bolivia.

1. Les forêts en Bolivie.

En vertu de la Constitution de l'Etat, la Bolivie est un Etat unitaire sociale de droit plurinational

communautaire, libre, indépendant, souverain, démocratique, interculturel, décentralisé et

autonome, qui garantit l'autodétermination des nations et des peuples autochtones indigènes

paysans en préservant l'unité du pays (art. 1). Ce cadre reconnaît le niveau central de l'État et est

constitué d’administrations départementales autonomes, municipalités et communautés

indigènes paysannes autonomes avec des compétences de natures différentes, dont certaines

sont réservés et exclusives à un niveau et certaines pour lesquelles sont partagés les fonctions

de législation, règlementation et exécution.

La politique de la biodiversité et de l'environnement est de la compétence exclusive du niveau

de l'Etat central et est une compétence exclusive de la politique forestière et du système général

des sols, des forêts et zones boisées dont la législation se situe au niveau de l'Etat central et les

fonctions de réglementation et d'exécution peuvent être déléguées aux autorités régionales

autonomes (gouvernements départementaux, municipalités et communautés indigènes

paysannes autonomes). Il est également de la compétence exclusive de ce niveau, le

développement et l'application de la politique des zones protégées du pays et en coordination

avec les gouvernements autonomes le cas échéant, peuvent leur transférer la gestion des aires

protégées relevant de leurs juridictions.

77

Il est une compétence concurrente entre l'Etat central et les gouvernements autonomes, la

préservation, la conservation et la contribution à la protection de l'environnement et de la faune,

le maintient de l'équilibre écologique et le contrôle de la pollution de l'environnement et de la

conservation des sols, des forêts et des zones boisées. Cependant, les gouvernements paysans

indigènes ont compétence sur la gestion et l'utilisation durable conformément à la Constitution.

Les gouvernements autonomes à leur tour ont compétence exclusive sur l'utilisation des terres,

en coordination avec les gouvernements municipaux et les communautés indigènes paysannes

autonomes.

La Bolivie occupe le sixième rang en matière d'extension des forêts tropicales dans le monde, et

le quinzième en matière de couverture forestière et est l'un des pays avec le plus de diversité au

monde. Les différentes formations trouvées en Bolivie sont classés dans les zones

biogéographiques suivantes: Amazonie, llanuras (plaines) (Beni), Tucuman bolivien, Chiquitanía,

Pantanal (marais), Puna (montagne), yungas.

Environ 80% des terres forestières du pays sont dans les plaines, et les 20% restants sont des

terres forestières dispersées dans les régions montagneuses et les vallées où il subsiste encore

de la végétation primaire. La superficie forestière a été estimée à 45 millions d'hectares fin de

l'année 2011 (40% du pays). De ce total, environ 41,2 millions d'hectares sont classés comme

terres de production forestière permanente (TPFP), dont 28,1 millions d'hectares sont destinés

à une utilisation forestière sans restriction et 2,3 millions d'hectares avec restriction, et le reste

78

se trouve dans les aires protégées qui font partie du système national des aires protégées

(SNAP).

Les forêts ont plusieurs fonctions et, par conséquent, ont un rôle stratégique non seulement

pour le développement économique durable et le bien-être de la population locale mais aussi

pour la fourniture continue des fonctions environnementales et des processus naturels. Ces

caractéristiques sont importantes dans les deux régions tropicales et subtropicales de notre

pays, où les forêts sont abondantes et dans les vallées et les hautes terres où les forêts sont

rares. Ainsi, les forêts fournissent des moyens de subsistance pour un nombre varié

d'utilisateurs locaux (communautés autochtones, communautés agricoles, les petits agriculteurs

et les utilisateurs locaux de la forêt) et font partie intégrante du territoire qui rend possible le

développement social et culturel des peuples habitant la forêt ou autour. Enfin, les forêts jouent

un rôle important non seulement dans l'atténuation du changement climatique, mais

contribuent aussi de manière significative à l'adaptation des populations aux effets locaux des

changements climatiques. Les forêts sont distribuées sous différentes formes de propriété et de

types d'utilisation, selon les détails suivants:

Type de

propriété

Nom Description

Collectif TIOC (Territoires des

indigènes autochtones

paysans)

Appartenant à des nations et des peuples

autochtones indigènes.

79

Propriétés de Comunarias Appartenant aux petits agriculteurs avec

accès collectif aux terres et forêts.

Privé Petit Les producteurs qui font différentes

utilisations des terres et forêts et qui ont

l'accès et la propriété individuelle des terres

et des forêts.

Moyenne

Entreprise

Etat Aires protégées Dans le cadre du système national des aires

protégées (SNAP), administré par le Service

national pour les aires protégées (SERNAP).

Une partie se superposent aux TIOC’s.

Les droits à l’autorisation

temporaire d’utilisation

Les zones forestières livrées en vertu des

accords de l'utilisation temporaire pour les

personnes physiques ou morales.

En Bolivie, un processus de régularisation de la propriété agricole (connue comme

l'assainissement de la terre) est en cours depuis 1996, mis en œuvre par l'Institut National de la

Réforme Agraire (INRA), sous lequel est appliquée la loi régularisant la propriété des terres et

forêts, dont l’avancement s’étend à environ la moitié du pays, principalement dans les basses

terres. Dans le cadre de la régularisation de la propriété foncière, environ la moitié des forêts ont

été définis sous différentes formes de propriété et de droits. En outre, les progrès dans la

régularisation des terrains titrés à la fin de 2010 reflète une structure foncière avec une

importance significative de TIOC’s et de propriétés communes.

La déforestation totale accumulée en Bolivie est approximativement de 7 millions d'hectares. Le

taux de déforestation a accéléré depuis la seconde moitié des années 80, quand une importante

expansion de la frontière agricole liée à la croissance des cultures agro-industrielles dans les

basses terres du pays se produisit. La superficie déboisée annuellement est restée à des niveaux

élevés entre 2000 et 2008 (environ 300 000 hectares par an), après quoi il a diminué depuis

80

2009. Ceci est partiellement dû aux efforts de surveillance et de contrôle qui sont effectuée par

l'Autorité de supervision et contrôle social des Forêts et des Terres (ABT). Toutefois, des efforts

supplémentaires sont nécessaires pour freiner la déforestation à long terme.

2. La proposition de la Bolivie: "Vida Sustentable del Bosque"

En 2010, la Bolivie convoque et accueille la « Conférence populaire mondiale sur les

changements climatiques et les droits de la Terre-Mère » (Tiquipaya, Avril 2010), où plus de

30.000 représentants de gouvernements, d'organisations sociales, les nations et les peuples du

monde se rencontrent. En ce qui concerne les forêts, lors de cette conférence fut déclaré ce qui

suit: "Nous condamnons les mécanismes de marché tels que REDD (Réduction des émissions

issues de la déforestation et de la dégradation des forêts) et ses versions + et ++, qui violent la

souveraineté des peuples et de leur droit au consentement libre, préalable et éclairé et de la

souveraineté des Etats-nations, et viole les droits et coutumes des peuples et les droits de la

nature ".

81

En Octobre de la même année (2010), le Président de l'État plurinational de Bolivie, Evo

Morales, a envoyé une lettre aux peuples autochtones du monde intitulée «La nature, les forêts

et les peuples autochtones nous ne sommes pas à vendre", qui stipule que " ... il est essentiel que

tous les pays du monde travaillent ensemble pour éviter la déforestation et la dégradation des

forêts et la jungle. Il est une obligation des pays développés, et fait partie de leur dette

climatique et environnementale, de contribuer financièrement à la préservation des forêts, mais

pas à travers leur commercialisation. Il ya plusieurs façons de soutenir et de financer les pays en

développement, les peuples autochtones et les communautés locales qui contribuent à la

préservation des forêts ". Cette même année, à la suite des mandats de la Conférence mondiale

des Peuples de Tiquipaya, la Bolivie rejette les accords de la COP16 à Cancún et exprime son

opposition aux processus de marchandisation des fonctions environnementales, y compris

REDD +.

En 2011, la Bolivie a fait de vastes consultations avec les organisations sociales et les membres

de la base en ce qui concerne la construction d'une alternative à REDD +. Ces consultations ont

abouti à la formulation de la proposition intitulée «Vida Sustentable del Bosque» fondé sur les

principes suivants:

Pas de marchandisation des fonctions environnementales des forêts.

La gestion intégrée et durable des forêts (y compris la terre, l'eau et la biodiversité) en

mettant l'accent sur les pratiques de production locales et traditionnelles.

Promotion des multiples fonctions des forêts: économiques, sociales, environnementales

et culturelles.

Complémentarité des droits, obligations et responsabilités pour la gestion des forêts, en

insistant sur les droits des peuples autochtones et les droits de la Terre-Mère.

Reconnaissance du double rôle des forêts dans l'atténuation et l'adaptation au

changement climatique.

Cette proposition appuie le principe de la non-commercialisation des fonctions

environnementales des forêts et l'importance de la récupération d'une vision holistique et

intégrée de la forêt qui maintient les nations et les peuples autochtones indigènes, des

communautés interculturelles et afro-boliviennes, et de l'importance de développer des visions

et des actions qui supportent la gestion forestière globale et durable comme base pour des

actions conjointes d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

82

Dessin réalisé lors d'un atelier avec la Confédération des peuples indigènes de Bolivie (CIDOB)

dans le cadre de la consultation et de la formulation de la proposition bolivienne sur le

mécanisme conjoint d'atténuation et d'adaptation pour gestion intégrée et durable des forêts et

de la Terre-Mère.

La construction collective de la proposition bolivienne confirme la position de rejet de la

commercialisation proposé des fonctions environnementales de la forêt, il renforce la

participation des organisations sociales et des membres de la base à la formulation de

propositions nationales et internationales, et intègre la demande des populations autochtones,

des communautés agro-extractive et autres communautés rurales en Bolivie faite depuis plus de

15 ans d’avancer dans la construction d'une gestion globale et durable des forêts, une position

qui a été appuyée par plusieurs entités publiques et privées liées à la question des forêts, le

développement durable et la conservation.

Le projet "Vie durable des forêts" a été présenté par la délégation bolivienne à la COP17 en

Afrique du Sud. Cette proposition reçu le soutien de la majorité des pays du monde, démontrant

que la proposition a comblé une lacune importante dans les négociations internationales sur le

changement climatique puisque l'objectif du groupe de travail sur les forêts "approches

politiques et les incitations positives sur les questions relatives à la réduction des émissions

dues à la déforestation et la dégradation des forêts dans les pays en développement; et le rôle de

la conservation, la gestion durable des forêts et l'amélioration du stockage de carbone par les

forêts dans les pays en développement " visait principalement à soutenir les engagements de

réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays développés dans le cadre de leurs

actions visant à atténuer le changement climatique avec la participation des pays en

développement par la création de marchés mondiaux du carbone.

En conséquence, la décision 2/CP.17 de l'Afrique du Sud dans le cadre du groupe de travail sur

les forêts a récupéré dans sa totalité l’approche "Vie durable des forêts", présenté par la Bolivie

et prévoit ce qui suit: " Notons que les approches qui ne sont pas fondées sur le marché, telles que

83

des approches conjointes d’atténuation et d’adaptation pour la gestion forestière globale et

durable comme alternative de non-marché qui soutient et renforce la gouvernance, la mise en

œuvre des garanties mentionnées au paragraphe 2 (C-E) de l'annexe I de la décision 1 / CP.1632, et

les multiples fonctions des forêts, pourraient être développées ".

Ceci est une proposition ambitieuse qui ne se limite pas à faire progresser la construction d'un

mécanisme concret de promotion du rôle des forêts dans l'atténuation et l'adaptation au

changement climatique dans le contexte de la Convention cadre des Nations Unies (CCNUCC),

mais qui a également été conçu dans le but de faire progresser la mise en œuvre de la suggestion

de la Déclaration de Rio + 20 "L'avenir que nous voulons" (Juin 2012) qui a appelé à la mise en

œuvre urgente d’un "instrument juridique non contraignant dans tous les types de forêts ", ainsi

que la Déclaration ministérielle du débat de haut niveau de la neuvième session du forum sur les

forêts des Nations Unies, qui se concentre sur les actions à mettre en œuvre pour la gestion

durable des forêts. En outre, cette proposition vise à faire progresser la synergie proposée par la

décision VIII / 30 de la Convention sur la diversité biologique, en matière de synergies entre la

conservation de la biodiversité et l'atténuation et l'adaptation au changement climatique, aussi

bien que les buts Aichi n ° 5 , 7, 11, 14 et 15, relatifs aux forêts et adoptés par la dernière

Conférence des Parties de la CBD.

L'État plurinational de Bolivie, sur base de ces accords et les suggestions des négociations

internationales sur les forêts, le changement climatique et la biodiversité, a relevé le défi de

mettre en œuvre la proposition de cette approche et le mécanisme sous le nom de "Mécanisme

conjoint d’atténuation et d'adaptation pour la gestion intégrée et durable des forêts et de la Terre-

Mère" pour donner effet dans la pratique un moyen d'avancer dans la mise en œuvre -de

manière intégrée et indissolubles- des objectifs d’atténuation et d'adaptation au changement

climatique en même temps, mais dans le cadre d'une proposition de non-marchandisation des

forêts et de promotion de la gestion intégrée et durable des forêts, en synergie avec la protection

et la gestion durable des autres composants de la Terre-Mère (terre, eau, forêts et la

biodiversité) et le développement de systèmes de production durables.

32 c) Respect des connaissances et des droits des peuples autochtones et des membres des communautés locales, en tenant compte des obligations internationales pertinentes et des situations et législations nationales, et notant que l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; FCCC / CP / 2010/7 / Add.1 GE.11-60553 29; d) La participation pleine et effective des parties prenantes, y compris les peuples autochtones et les communautés locales dans les actions visées aux paragraphes 70 et 72 de la présente décision; e) La compatibilité de ces mesures avec la conservation des forêts naturelles et la diversité biologique, assurant que ce qui est indiqué au paragraphe 70 de cette décision ne soit pas utilisé pour la conversion des forêts naturelles, mais plutôt utilisé pour inciter à la protection et à la conservation des forêts naturelles et les services dérivés des écosystèmes et de renforcer les autres avantages sociaux et environnementaux (en tenant compte de la nécessité comme moyens de subsistance des peuples autochtones et des communautés locales et leur interdépendance avec forêts dans la plupart des pays, reflétées dans la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et la Journée internationale de la Terre Mère).

84

Ce document contient la conception préliminaire de ce mécanisme conjoint. Il a bénéficié de la

participation active d’entités publiques et privées boliviennes, y compris le ministère bolivien

des Affaires étrangères, le ministère de l'Environnement et des Eaux, l’administration de

surveillance et de contrôle social des forêts et des terres (ABT), l'Institut national de l'innovation

agraire et forestière (INIAF), le Service national pour les aires protégées (SERNAP), ainsi que des

organisations des nations et peuples indigènes paysans et des communautés interculturelles,

des ONG et des institutions de recherche nationales et internationales, ainsi que d'universitaires

de renom du pays et de l'étranger. Une équipe de la foresterie a été constituée pour concevoir

cette proposition avec des représentants de toutes les entités mentionnées.

3. Les fondements d'un mécanisme conjoint d’atténuation et d'adaptation

Il est maintenant largement reconnu que les forêts ont un double rôle dans l'atténuation et

l'adaptation au changement climatique. Il est également nécessaire de penser à une double

adaptation au changement climatique: des forêts et des gens qui vivent dans les forêts.

L'approche de mécanisme estime que la gestion intégrée et durable des forêts a un impact direct

sur les processus d’atténuation et d'adaptation au changement climatique qui à son tour doit

être compris comme des aspects inséparables et indissolubles. C'est-à-dire:

Les actions de gestion intégrée et durable pourraient aider à promouvoir les processus

de gestion des terres, à renforcer l'administration locale des forêts, à stimuler les

pratiques locales de gestion des forêts, la protection les forêts, à renforcer les moyens de

subsistance locaux, créant ainsi les meilleures conditions pour minimiser les risques et la

vulnérabilité des écosystèmes et des populations locales aux changements climatiques et

saisir les opportunités, avec des implications importantes pour l'adaptation.

Une des principales fonctions des forêts est l'atténuation du changement climatique par

le biais du rôle environnemental qu'elles jouent par rapport à l'absorption de dioxyde de

carbone; cependant, seulement à travers l'adaptation des forêts et des personnes vivant

dans les forêts, peuvent être générer des processus durables dans le temps assurant

l'atténuation du changement climatique.

L’atténuation climatique est le résultat d'une bonne adaptation des écosystèmes et des

populations au changement climatique.

4. Le Mécanisme conjoint en Bolivie

Objectif et champ d'application du mécanisme conjoint

Le Mécanisme conjoint d'atténuation et d'adaptation par la gestion intégrée et durable des forêts

et de la Terre-Mère vise à pour but de progresser efficacement dans l'atténuation et l'adaptation

au changement climatique par la gestion intégrée et l'utilisation durable des forêts et des

systèmes vivants de la Terre-Mère, favorisant la conservation et la restauration des systèmes

vivants, la gestion, la conservation et la protection de la biodiversité, facilitant la transition vers

l'utilisation optimale de la terre à travers le développement de systèmes de production plus

durables qui réduisent la déforestation et la dégradation des forêts.

85

La Terre-Mère

La Terre-Mère est un sujet, source vivante, sacrée, féconde et fertile de la vie dans la vision du

monde des nations et peuples indigènes paysans, des communautés interculturelles et des afro-

boliviens. La Terre-Mère alimente et est la maison qui contient, soutient et reproduit toutes les

êtres vivants, les écosystèmes, la biodiversité, les sociétés organiques et les individus qui la

composent. C’est un système vivant et dynamique composée d'une communauté unique,

indivisible et autorégulée de la vie et des êtres vivants, entre-liés, interdépendants et

complémentaires, partageant un destin commun.

Projet de loi de la Terre-Mère et développement intégral du Vivre Bien

Etat plurinational de Bolivie

Le Mécanisme conjoint considère les forêts dans une perspective holistique des systèmes de vie

où les différentes composantes de la nature (eau, terres et forêts) interagissent. Par conséquent,

il se manifeste la nécessité de progresser dans la gestion intégrée et durable des les forêts, ainsi

que la nécessité de coordonner la gestion et l'utilisation des forêts avec le développement des

systèmes de production agricole, d’élevage, halieutique et forestières, notamment en tenant

compte de l'interaction complexe entre les forêts, l'agriculture et l'approvisionnement en eau.

Gestion intégrée et durable des forêts et de la Terre-Mère

C’est l'ensemble des actions et des décisions sur les forêts et les systèmes vivants de la Terre-

Mère, qui vise à maintenir l'intégrité structurale et écosystémique des interactions entre la terre,

l'eau et les forêts et l'amélioration de leur valeur économique et sociale comme source de

produits et de fonctions environnementales pour répondre aux exigences de la société actuelle

et future. Ces actions englobent utilisations multiples des forêts et des systèmes vivants de la

Terre-Mère et commencent à reconnaître la possibilité d'utilisation de la terre sans affecter la

matrice générale: la forêt. La gestion intégrée et durable des forêts et des systèmes vivants de la

Terre-Mère comprend une variété de dimensions y compris la dimension des ressources

forestières, la diversité biologique des forêts, la santé et la vitalité des forêts, les fonctions de

production, de protection, socioéconomiques et culturelles et un cadre juridique, institutionnel

et politique. Il estime également que la gestion durable des paysages inclut la promotion des

systèmes de production agricole, d'élevage, halieutiques et forestière, et leur combinaison

durable.

Le Mécanisme conjoint d'atténuation et d'adaptation au changement climatique avance dans la

construction d'une structure institutionnelle et d'action qui récupère les efforts et les

investissements financiers qui ont eu lieu en Bolivie au cours des quinze dernières années et qui

ont aboutis à différentes expériences réussies de gestion intégrée et durable des forêts. La

principale force du mécanisme conjoint réside dans l’articulation -d’où une approche simultanée

86

pour atténuer et s'adapter au changement climatique- des différentes expériences locales qui, à

partir de multiples arrangements institutionnels (public, privé et communautaire), ont été

développées en Bolivie pour faire avancer la gestion et l'utilisation durable de la forêt. Comme

expliqué ci-dessous, cela se fera de manière ordonnée et systématique par une attribution des

initiatives de manière intégrée et durable au mécanisme.

Dans le cadre de ces efforts visant à coordonner les interventions publiques et les actions

publiques dans le pays, le mécanisme a l'intention d'organiser dans cette nouvelle vision

d'autres efforts publics très importants pour la réalisation de ses objectifs tels que : la

consolidation de la propriété foncière, la décentralisation de la gestion des forêts et des autres

ressources naturelles, le zonage de l’utilisation des terres et la planification de la gestion

territoriale, la recherche et l'innovation de la production agricole et forestière, la

réglementation, la surveillance, l'inspection et de contrôle de la gestion des sols et les forêts, et

les zones protégées. Ces processus en cours seront harmonisés avec les efforts visant à

promouvoir la gestion intégrée et durable des forêts.

Enfin, le respect des droits des nations et peuples autochtones et le renforcement de leur

capacité d'autogouvernement qui se traduit par des décisions de les laisser gérer leurs propres

territoires sont au cœur de cette proposition. Il est important de renforcer la capacité

institutionnelle de ces nations et peuples locaux et indigènes et leur capacité à gérer la forêt, en

conjonction avec leurs perspectives locales, pour mettre en œuvre différentes options sociales et

économiques pour la gestion des utilisations multiples des forêts.

Le Mécanisme conjoint comme une articulation de processus

Le Mécanisme conjoint suppose que pour obtenir une réduction effective de la déforestation et

la dégradation, les incitations à l'utilisation durable des forêts ne sont pas suffisantes, mais il est

nécessaire d’avoir une coordination efficace et de mobiliser un ensemble de processus, à savoir :

Des conditions institutionnelles appropriées pour assurer des droits fonciers clairs et

sécurisés aux propriétaires forestiers (avec la régularisation de la propriété agricole et

forestier), ainsi que de réels progrès en matière de décentralisation et d'autonomie dans

la gouvernance des forêts.

La mise en œuvre de méthodes de gestion des terres qui se réfère au zonage, à

l’ordonnance et à la planification de l'espace selon l'aptitude des terres et la dynamique

de contrôle territorial.

Coordination des objectifs communs entre les acteurs publics et privés afin de

coordonner les efforts communs, à différents niveaux territoriaux, de lutte contre la

déforestation et la dégradation des forêts.

Les interventions et actions publiques coordonnées dans l’implémentation d’un large

éventail d'instruments avec des options de réglementation et d’incitations pour

promouvoir la gestion intégrée et durable des forêts et des systèmes du vivant.

Combiner l'agriculture et les forêts dans les visions de gestion du paysage afin de

promouvoir une utilisation des terres plus optimale, la construction de systèmes de

87

production agricole / forestier plus durables, et d'assurer la fourniture d'eau et d'autres

services environnementaux.

Des efforts soutenus de transfert de financement et de technologie pour renforcer

les processus de réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour améliorer la

résilience des écosystèmes et des populations au changement climatique.

Dans ce cadre, le Mécanisme est un instrument efficace pour traiter les causes qui conduisent à

la déforestation et à la dégradation des forêts, pour promouvoir des processus soutenables dans

le temps d’atténuation et d'adaptation aux changement climatique, pour la réalisation de

bénéfices connexes significatifs dans la réduction de la pauvreté, pour le renforcement de la

subsistance et de la conservation/restauration des forêts et des systèmes du vivant de la Terre-

Mère.

Cadre institutionnel du mécanisme conjoint

L'approche non-mercantile pour l’atténuation et l'adaptation au changement climatique

désignée en Bolivie par "Vida Sustentable del Bosque" s’est traduit dans l'État plurinational de

Bolivie par le projet de création de trois entités articulées entre elles, selon les détails suivants:

i. Entité plurinationale de justice climatique.

ii. Mécanisme conjoint d'atténuation et d'adaptation par la gestion intégrée et durable

des forêts et de la Terre-Mère (ou Mécanisme conjoint).

iii. Fond plurinational pour la justice climatique.

En proposant la constitution de ces trois entités, l'État plurinational de Bolivie manifeste

l'importance stratégique de combattre les implications du changement climatique dans le cadre

de la réalisation des objectifs nationaux de Bien Vivre en harmonie et en équilibre avec la Terre-

Mère.

Entité plurinationale de justice climatique

Elle dépend du ministère de l'Environnement et de l'Eau, responsable de la formulation de

politiques, de planification, de gestion politique, technique, méthodologique et des

connaissances liées au changement climatique, ainsi que du développement et de la mise en

œuvre de stratégies, plans, programmes et projets en relation avec les processus et les

dynamiques d’atténuation et d'adaptation au changement climatique à travers des mécanismes

techniques et financiers qui sont mentionnés ci-dessous.

Mécanisme conjoint d'atténuation et d'adaptation par la gestion intégrée et durable des

forêts et de la Terre-Mère

Ce mécanisme technique détient les fonctions d'amélioration de la gestion des terres pour

réduire la déforestation et la dégradation des forêts, de promouvoir une utilisation plus optimale

des sols et des systèmes de production durables, et d'aller vers l'utilisation durable des

composantes de la Terre-Mère (l'eau, la terre ,les forêts et la biodiversité) préservant leurs

fonctions environnementales, avec des objectifs simultanés d’atténuation et d'adaptation au

88

changement climatique. les Actions concernées seront l'harmonisation des politiques de

développement, la conservation et le changement climatique; promouvoir les efforts conjoints

entre le gouvernement, la communauté et les acteurs privés avec des objectifs et/ou des buts

communs d’atténuation et d'adaptation au changement climatique; et à cette fin développer un

système articulé de mise en œuvre des instruments de réglementation, de contrôle, de

promotion, d'évaluation et de suivi de la gestion intégrée et durable des forêts et de la Terre-

Mère. Dans ce contexte, un processus d'affiliation des expériences locales de gestion de la forêt

globale et durable au mécanisme va être développé, le renforçant dans le cadre d'une approche

pour l’atténuation et l'adaptation au changement climatique

Fond plurinational pour la justice climatique

Ce mécanisme financier à pour fonction de canaliser, de gérer et d’attribuer de manière efficace,

transparentes, rapide et financièrement viable des ressources financières publiques nouvelles,

prévisibles, supplémentaires et soutenues dans le temps (le Fond Vert étant une source

majeure) pour soutenir la réalisation des plans, programmes, projets, initiatives, actions et des

activités conjointes d’atténuation et d’adaptation au changement climatique établis dans le cadre

du «Mécanisme conjoint d'atténuation et d'adaptation pour la gestion intégrée et durable des

forêts et de la Terre-Mère».

Les ressources financières sont transférés pour exécution directe à des entités publiques, aux

gouvernements autonomes (départements et municipalités), aux organisations communautaires

et aux acteurs privés sous réserve d’application concertée à des objectifs d’atténuation et

d'adaptation au changement climatique dans le cadre de la gestion intégrée et la durable des

forêts et de la Terre-Mère et de promotion de l’implémentation intégrée d’instruments de

réglementation, de contrôle, de promotion, d'évaluation et de suivi de l'exécution.

Le Mécanisme conjoint comme un réseau d’articulation et de coordination

Le mécanisme conjoint fonctionne dans la pratique comme une instance de coordination et

d'articulation à travers la construction de réseaux (horizontaux et verticaux) institutionnels et

sociaux dans différents domaines, promouvant les aspects suivants:

Adhésion des initiatives en cours de gestion intégrée et durable des forêts et des

systèmes du vivant de la Terre-Mère au mécanisme conjoint. Dans le pays existe une

série d'expériences d’entités publiques, communautaires, privées et de leur combinaison,

par rapport à la gestion intégrée et durable dans lequel il est nécessaire de renforcer

l’approche pour l’atténuation et l'adaptation au changement climatique.

Articulation des efforts publics (y compris les instruments de régulation, de

contrôle, de promotion, d'évaluation et de surveillance) à la gestion intégrée et

durable des forêts et des systèmes du vivant de la Terre-Mère, dont en premier lieu

au niveau de l'Etat central puis des gouvernements autonomes (départementaux,

municipaux et communauté indigène paysanne).

89

Favorise l'articulation et la coordination des objectifs communs des acteurs locaux

par rapport à des indicateurs communs d’atténuation et d'adaptation au changement

climatique, y compris la participation des entités publiques locales, des populations

locales et des utilisateurs de la forêt, comprenant les acteurs productifs locaux qui ont la

propriété gère des ressources naturelles.

Plate-forme institutionnelle pour l'articulation des actions nationales, non

seulement au niveau central mais aussi aux niveaux départementaux, municipaux

et locaux, avec les efforts internationaux de la CCNUCC relatifs à l'atténuation et

l'adaptation au changement climatique.

D’autre part, dans le cadre des efforts publics conjoints du niveau central de l'Etat, le mécanisme

conjoint ne remplace pas sur le plan opérationnel les mandats juridiques que les entités

publiques détiennent dans différents domaines, y compris les gouvernements autonomes

départementaux, municipaux et indigènes paysans, mais il garantit leur coordination rendant

possible le développement des efforts conjoints et l'apprentissage collectif. Dans ce contexte, il

est prévu de réaliser une synergie efficace des efforts des institutions publiques, privées et

communautaires sur les questions de la gestion intégrée et durable des forêts en mettant

l'accent sur l'atténuation et l'adaptation.

Les rôles potentiels des organismes publics, communautaires et privés dans le

Mécanisme conjoint

Entité Rôles dans le mécanisme

Banque centrale de Bolivie En collaboration avec le Fond plurinational pour la justice climatique, responsable de l'administration, l'acheminement et l'affectation des ressources financières destinées à la gestion intégrée et durable des forêts et de la Terre-Mère.

Autorité de surveillance et de contrôle social

des forêts et des terres-ABT

Appui à la formulation de plans d'approche territoriale / gestion durable des forêts avec une approche d'adaptation et d'atténuation.

Affectation (certification) des initiatives de gestion durable et intégrée de la forêt

Supervision et contrôle de la gestion juridique de la forêt

Ministère de l'environnement, de la

biodiversité, des changements climatiques et

de la gestion et du développement forestier

(VMA)

Coordination avec la politique environnementale, la biodiversité et la gestion et le développement forestier.

Coordination avec d'autres politiques économiques et sectoriels avec influence sur la gestion de composants de la Terre-Mère (appelées ressources naturelles).

Service national des aires protégées-SERNAP Affectation des expériences des aires protégées au mécanisme.

Appui à la gestion des zones protégées.

Institut national de l'innovation agricole et Action d'innovation et de transfert de technologie en se concentrant sur l'atténuation et l'adaptation au changement

90

forestière -INIAF climatique pour le développement de systèmes de production durables.

Assistance technique et recherche agricole et forestière avec des approches globales d'atténuation et d'adaptation.

Entités territoriales autonomes Processus départementaux/municipaux et des communautés indigènes paysannes de gestion des terres.

Coordination des objectifs communs d'intervention impliquant diverses perspectives des parties prenantes

Mise en œuvre des actions conjointes pour l’atténuation et l'adaptation au changement climatique.

Communautés Participation dans les processus de gestion des terres et de coordination des objectifs communs.

Développement et mise en œuvre d'actions conjointes visant à l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.

ONG Soutien technique logistique dans les processus de gestion du territoire.

Soutien dans le suivi et la mise en œuvre des projets.

Soutien dans la mise en œuvre des réseaux de surveillance et d'apprentissage basés sur les expériences réalisées.

5. Fonctionnement du mécanisme conjoint

Le mécanisme conjoint développe ses interventions dans le cadre des processus de gestion

territoriale avec les autorités régionales autonomes (gouvernement départemental, municipal

ou l'autonomie indigène paysanne) et les Territoires indigènes paysans (TIOC). Dans ces

scénarios, il favorise une coordination efficace entre les acteurs publics et privés sur des

objectifs et/ou buts communs en matière d'indicateurs conjoints d’atténuation et d'adaptation

au changement climatique (y compris la déforestation et la dégradation des forêts) par la

promotion de la gestion intégrée et durable des forêts et de la Terre-Mère. Cette promotion sera

atteinte grâce à la mise en œuvre d'un schéma intégré d’instruments (réglementation, contrôle,

promotion, évaluation et suivi) d’après les critères de conditionnalité qui ont été convenus entre

les acteurs.

La mise en œuvre du mécanisme nécessite de prendre en compte l'évaluation des conditions de

gouvernance locale qui fournissent le contexte nécessaire pour assurer le maximum d'impact de

celui-ci. À son tour le fonctionnement du Mécanisme conjoint est basé sur l'intégration de trois

91

composantes: la planification et concertation, le cadre opérationnel d'action, le monitorage

d'indicateurs communs et l'évaluation de la performance.

Il convient également de noter que la mise en œuvre du mécanisme -dans le contexte bolivien-

est basée sur un processus d'assignation des initiatives de gestion intégrée et durable des forêts

et des systèmes du vivant de la Terre Mère. Une évaluation de la portée des objectifs et/ou des

objectifs d'atténuation et d'adaptation est également établie dans le contexte d'une évaluation de

la performance.

Conditions de gouvernance locale

Une bonne implémentation du Mécanisme conjoint tient à la bonne gouvernance des forêts. Le

mécanisme ne peut pas avoir l'impact attendu s’il n’est pas appliqué dans un contexte

institutionnel de sécurité juridique quant aux droits fonciers agricoles et forestiers, de processus

autonomes clairs pour la gestion des forêts et des écosystèmes, ainsi que de développement de

capacités techniques, organisationnelles et institutionnelles locales pour la gestion des forêts.

Ainsi, les conditions les plus importants à considérer sont:

Les droits de propriété (individuels et collectifs) sur les terres et forêts.

Le développement de processus autonomes au niveau régional, municipal et indigène

paysan.

Le développement des capacités techniques et administratives pour la gestion

territoriale.

Si ces conditions ne sont pas remplies au le début de mise en œuvre du mécanisme conjoint, il

est nécessaire de veillez au cours du processus pour appuyer la gestion intégrée et durable des

forêts et le respect de la Terre Mère à ce que ces conditions de gouvernance locale soient

assurées.

Composantes du mécanisme conjoint

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Le Mécanisme conjoint est basée sur trois composantes:

i. Planification et concertation

ii. Cadre opérationnel d’action

iii. Suivi des indicateurs conjoints d’atténuation et d'adaptation

Planification et concertation

Cela commence par l'élaboration de plans de gestion des terres au niveau des gouvernements

autonomes (ou des plans de subsistance pour le cas de certaines communautés autochtones)

afin de déterminer les différentes utilisations des terres et construire une ligne de référence vis-

à-vis du développement des processus conjoints d’atténuation et d'adaptation au changement

climatique.

À son tour, ce processus permet la concertation d’objectifs et/ou buts communs liés à la

réalisation d'indicateurs communs pour l’atténuation et l'adaptation au changement climatique,

avec la participation de tous les acteurs publics et privés de compétence territoriale

(gouvernement autonome ou TIOC). Les objectifs globaux sont à leur tour le résultat d’une

articulation des objectifs de niveau territorial plus petits (communal ou propriétaires

individuels). Ceux-ci sont à leur tour à la base des actions de suivi et d'évaluation de la

performance au niveau local.

Cadre opérationnel d’action

93

Dans le cadre de l’exercice précédent se sont formulés les initiatives d’appui à la gestion intégrée

et durable des forêts et de la Terre-Mère avec un accent sur l’atténuation et l'adaptation au

changement climatique. Pour cela, trois procédés sont considérés:

Le premier processus est lié à l'identification et l'articulation des droits, des obligations

et des devoirs par rapport à la gestion intégrée et durable des forêts et de la Terre-Mère.

Il s’agit des engagements des parties prenantes publiques et privées par rapport à la

Terre-Mère dans la perspective d'atténuation et d'adaptation au changement climatique.

Le second processus est lié à l'identification et l'articulation effective des instruments de

régulation, de contrôle et de promotion de la gestion globale et durable des forêts et de la

Terre-Mère.

Le troisième processus est lié au transfert conditionnel de ressources financières et

technologique aux acteurs publics et privés, visant à atteindre les objectifs et/ou buts

communs d'atténuation et d'adaptation.

Instruments de régulation et de contrôle

Peines, sanctions et amendes liées aux mauvaises pratiques. Imposer des amendes

efficaces pour le défrichement illégal ou la mauvaise gestion des forêts.

Supervision et contrôle. Sanctions à l'utilisation non-planifiée et non-soutenable des

forêts et zones à vocation forestière.

Expulsion du mécanisme en cas de non-respect des engagements.

Instruments de promotion

Légal. L’octroi des droits de propriété et l'accès à l'utilisation des produits et services des

forêts.

Soutien financier. Sous la forme de transferts conditionnels publics-publics ou publics-

privés (remboursables et non-remboursables) pour la mise en œuvre de programmes ou

de projets communautaires et de l’accès préférentiel conditionnel aux lignes de crédit

pour les particuliers.

Assistance technique, développement technologique et innovation. Grâce à des processus

d'assistance technique et de services pour la gestion complète et diversifiée des produits

forestiers, et de l'accès facilité à l'information et aux fournitures nécessaires pour la mise

en œuvre de systèmes de production durables.

Défense du territoire. Promotion de l'intégrité territoriale et contrôle de l'utilisation

illégale de produits et services par des tiers sur des biens attitrés, à travers le

renforcement des stratégies de contrôle territorial local et la coordination efficace avec

les organes de contrôle et de supervision.

Renforcement du contrôle social et de l'autorégulation. Faciliter les initiatives locales

articulées avec les systèmes régionaux et nationaux en place pour la gestion des forêts.

Priorisation des développements de l'infrastructure sociale et productive et accès aux

services de base. Encouragement des secteurs à promouvoir les interventions intégrées

visant à favoriser l'accès aux services de base et les conditions d'infrastructure pour la

production.

Gestion et développement des filières de production en articulation avec les marchés

nationaux et internationaux. Promotion de la recherche de marchés nationaux et

internationaux favorables aux produits provenant de la gestion durable des forêts et

promotion de ceux-ci par les canaux officiels.

94

Renforcement organisationnel. Via le développement de compétences organisationnelles

et de gestion locales, et la promotion d’échanges et de processus d'apprentissage.

Le renforcement des systèmes d'éducation appropriés au contexte territorial.

L'articulation de ces instruments permettra de progresser sur les engagements locaux pour la

conservation et la restauration des systèmes du vivant, l'entretien et la protection des fonctions

écologiques des forêts et de la Terre-Mère et l'amélioration ou le changement des systèmes de

production agricoles et d'élevage vers des systèmes plus durables.

Suivi des indicateurs conjoints d’atténuation et d'adaptation

Une traçabilité effectif des résultats du mécanisme passe par une surveillance intégrée de la

performance des indicateurs conjoints d’atténuation et d'adaptation dans le cadre d'un système

plurinational de surveillance complète des forêts avec un rôle important des organisations de

surveillance local. Ces indicateurs sont appelés indicateurs conjoints car ils mesurent les impacts

directs et simultanés à la fois de l'atténuation et de l'adaptation à travers la réduction de la

vulnérabilité des forêts et des systèmes du vivant de la Terre Mère et des personnes vivant dans

les forêts. Une liste préliminaire des indicateurs conjoints d'atténuation et d'adaptation est

présentée ci-dessous.

Liste préliminaire des variables pour la construction d'indicateurs conjoints pour

l’atténuation et l’adaptation au changement climatique

Zone Variables

La gestion des risques Présence de feux de forêt

La production durable La production alimentaire durable

Le développement intégral des moyens de

subsistance

Impact sur la santé humaine

Protection et conservation des fonctions

environnementales de la forêt

Disponibilité de l'eau

Changements visibles dans la biodiversité

Changements dans l'utilisation des sols

Autogestion Les capacités institutionnelles pour la gestion

locale des forêts

Le système de surveillance sera rapporté en deux niveaux:

Rapport national. Constitue un agrégat de l'information nationale sur les indicateurs, qui

peut être rapporté volontairement sur les scènes internationales de négociation sur le

changement climatique et autres.

95

Rapports locaux par unité d'intervention. Constitue un compte rendu plus détaillé et plus

large des indicateurs dans l'unité d'intervention qui permet de surveiller les progrès

dans la réalisation des objectifs communs au niveau local.

Évaluation de la performance

Dans le cadre du mécanisme se développe une évaluation de la performance des entités

territoriales autonomes (gouvernements départementaux, administrations municipales et

autonomies indigène paysanne). Initialement, il est prévu de développer une classification basée

sur trois couleurs: rouge, jaune et vert. Dans cette catégorisation, les entités de couleur rouge

correspondent aux entités avec les pires performances au niveau des indicateurs conjoints

d'atténuation et d'adaptation, et, au contraire, celles de couleur verte font référence aux entités

qui ont atteint une meilleure performance dans ces indicateurs. Ceci permettra de guider les

processus de planification et d’actions opérationnelles du Mécanisme conjoint.

6. Mode d'intervention

Les unités territoriales d'intervention fournisseuses et productrices de services

Le mécanisme a comme scène d’intervention la juridiction des gouvernements autonomes

(départementales, municipales et autonomies indigènes paysannes) et des territoires indigènes

paysans (TIOC). Ensuite, en fonction du processus d'affectation des initiatives, et dans le cadre

du processus modulaire présenté, s’effectue le processus de construction des unités territoriales

d'intervention.

Dans un premier temps le mécanisme conjoint donne la priorité aux interventions sur la

scène municipale et des autonomies indigènes paysannes (ou TIOC)

Dans un deuxième temps, vient s’ajouter à l'étape précédente une articulation à plus

grande échelle avec la possibilité d'atteindre de plus grands impacts sur des scènes

comme les départements ou les macro-régions.

Dans le cadre du processus d'intervention du mécanisme conjoint, les entités territoriales

autonomes (gouvernements départementaux, municipaux et autonomies indigènes paysannes),

les communautés et le privé exercent un double rôle: comme unités de production et de

fourniture du système intégré d'instruments (régulation, contrôle, promotion, évaluation et

surveillance) pour soutenir la gestion forestière intégrée et durable. Autrement dit, le

mécanisme renforce les multiples arrangements institutionnels qui existent au niveau local et

pour laquelle une de ces entités peut devenir une entité fournisseuse ou productrice de services.

Par exemple, une municipalité peut devenir l'unité fournisseuse des services, et, en même temps,

le gouvernement municipal peut offrir des services du mécanisme, c’est-à-dire, agir comme unité

de production des services du mécanisme conjoint. Dans ce cas, il y aurait une relation directe

dans une seule unité entre la fourniture et la production de services. Cependant, la production

de services pourrait aussi être à charge d'un TIOC, d’une communauté ou d’un offrant privé. En

96

ce sens, le mécanisme favorise également une logique importante de coproduction de services

entre les différentes entités à différents niveaux.

Intervention modulaire et régionalisée

Le mécanisme conjoint sera élaboré sur la base d'un système modulaire. Cela signifie qu’il sera

conçu par étapes pour la mise en œuvre progressive dans des zones géographiques particulières

et pour des problèmes spécifiques. Cela est dû à l'hétérogénéité des problèmes forestiers dans le

pays et la nécessité d'adapter le développement du Mécanisme conjoint à des conditions souples

de contexte sociopolitique et économique. Le développement du mécanisme aura lieu dans le

cadre d'un processus modulaire basée sur une priorisation des types de forêts dans les

écorégions du pays et des types de propriété foncière de ses forêts. À cet égard, nous avons

identifié les trois modules suivants pour mise en œuvre potentielle du mécanisme, à savoir:

Premier module: L’identification et le renforcement des expériences réussies en matière

de gestion intégrée et durable des forêts et de la Terre-Mère dans les basses terres de la

Bolivie et le démarrage d'une intervention territorialisée en Amazonie bolivienne

(département de Pando et au nord de La Paz).

Deuxième module: L'expansion de l'intervention avec approche territoriale aux

écorégions du Brasileno-Paranaense et Chaquena.

Troisième module: L’extension de l'intervention avec approche territoriale dans les

régions andines (sous-régions Puna et Yungas).

Affiliation des initiatives

Le mécanisme est basé sur le renforcement des expériences en cours liés à la gestion intégrée et

durable des forêts et des systèmes du vivant de la Terre-Mère. Grâce au processus d'affiliation

sont enregistrés et renforcés les programmes, projets et actions existants dans la gestion globale

et durable des forêts, élaborés par un ensemble d’arrangements institutionnels: publiques,

privées et/ou communautaires.

Le processus d’affiliation envisage -dans le cadre du premier module- l’enregistrement des

expériences réussies en matière de gestion intégrée et durable des forêts sur base d'une

annonce publique nationale.

Potentielles expériences pour l’affiliation au mécanisme durant le premier module

Détail des expériences

Expériences dans les aires protégées Comprendre les initiatives de gestion

diversifiée des forêts en zones protégées avec

la participation des communautés qui les

habitent.

Expériences dans les territoires indigènes

paysans (TIOC) et les communautés

Comprendre les expériences de gestion des

produits forestiers ligneux et non ligneux avec

97

des visions d’utilisation durable des forêts

avec ou sans processus de gestion des terres.

Expériences de conservation des fonctions

environnementales des forêts et gestion des

ressources hydriques

Comprendre les initiatives d’accords locaux

dans le cadre de la protection des forêts en

lien avec leurs rôles prépondérant dans le

cycle de l’eau.

Transfert de connaissances.

Une fois mis en place les unités de fournissement et de production des services, ainsi que

l’ensemble des mesures visant à soutenir la gestion intégrée et durable des forêts et de la Terre-

Mère, les transferts conditionnels de ressources financières et technologiques se réaliseront par

la mise en œuvre de ces actions, sous réserve de la réalisation des objectifs et/ou buts concertés

de manière commune dans le cadre des indicateurs conjoints de l'atténuation et de l'adaptation

au changement climatique.

Expériences pour leurs affiliations au mécanisme conjoint d’atténuation et d'adaptation

au changement climatique

Expériences de gestion intégré et durable dans les aires protégées

1. Gestion globale du cacao amazonien et gestion des lézards dans le TIPNIS

Département: Beni

Zone protégée: Parc national Territorio Indígena Isiboro Sécure (TIPNIS)

Acteurs cacao natif: 20 communautés avec 170 familles

Acteurs lézards: 31 communautés et 549 familles

La gestion globale du cacao natif a commencé en 2004 et vise à améliorer la gestion de la culture

créole de cacao dans les communautés autochtones du TIPNIS et à développer sa

commercialisation dans le cadre d’une production biologique. Dans ce contexte, il a été possible

d'améliorer le système de production de cacao natif tout en maintenant la diversité génétique de

l'espèce et en soutenant la conservation de la diversité de l'écosystème (174 hectares, dont au

moins 77 hectares répondent aux pratiques de gestion intégrés). Jusqu'en 2011 l’Association a

vendu un total de 5.777 arrobes (~8,5 tonnes) de cacao natif.

En ce qui concerne le lézard, la conservation et la gestion de cette espèce a été rendu possible en

assurant la protection, le contrôle, la surveillance, la récupération et la gestion durable de celle-

98

ci. Jusqu'en 2010 ont été vendues 6456 cuirs et vestes en lézard. La commercialisation des peaux

de lézards a, jusqu'en 2010, généré un revenu brut d'environ 1.085.000 Bs. (~145.626 €) en

fonctions de la quantité, de la qualité et des prix respectifs.

2. Production de miel organique de la réserve de Tariquia

Département: Tarija

Zone de protection: Réserve nationale de la faune et la flore Tariquía (RNFFT)

Acteurs: 20 communautés avec 88 familles

Il jette les bases d'un système de production et de commercialisation du miel organique et

d'autres produits de l’apiculture du RNFF Tariquía, durable en matière économiques, socio-

organisationnel et technique, compatible avec la préservation de la zone protégée et en générant

des bénéfices pour les populations locales. Il dispose d'une organisation de la production et de la

commercialisation et a développé un modèle paysan de gestion de l'apiculture dans le RNFFT. En

2010, il avait installé 680 ruches dont 420 étaient en production. En 2009-2010, les partenaires

ont réalisé une production de 11.000 kilos environ.

3. Conservation et utilisation du caoutchouc dans la réserve Manuripi

Département: Pando

Zone de protection: Réserve de la vie forestière amazonienne Manuripi (RVSAM)

Acteurs: 6 communautés et 76 familles.

Expérience lancé en 2009 pour développer et renforcer les capacités techniques et

organisationnelles des agriculteurs dans la Réserve Manuripi, pour l'extraction du latex de

caoutchouc naturel, la transformation primaire, le stockage et la commercialisation des caillots

de caoutchouc; et promouvoir le développement socio-économique des communautés rurales et

de la conservation de la biodiversité dans la zone protégée. À ce jour, on retrouve un total de 135

parcelles de caoutchouc, dont 113 sont géo-référencées, avec un montant total de 11.462 arbres

et une moyenne de 85 arbres/parcelle. La production mondiale a atteint 8,5 tonnes de

caoutchouc sec. Le succès d’ASGOMA, qui a réussi à obtenir dans un court laps de temps un

produit de qualité et une commercialisation avec des marges bénéficiaires, a réveillé l'intérêt des

autres membres de la communauté pour développer une telle activité.

4. La production de café "MADIDI"

Département: La Paz

Zone protégée: Parc National Madidi

Acteurs: 16 communautés, 182 membres et 16 coopératives

99

Expérience lancé en 2004 pour promouvoir l'utilisation et la conservation de la biodiversité du

Parc National et de ses zones tampons, avec la production de café biologique de haute qualité.

L'objectif principal est le développement, la maintenance et le contrôle des normes de qualité les

plus élevées dans toutes les phases de la production. En 2010, 17.000 kg de Café Oro Verde ont

été vendus. Environ la moitié de ce montant est dû à de clients en Bolivie, et l'autre moitié vient

directement des marchés étrangers. Les revenus des agriculteurs en coopératives se sont

améliorés de façon significative, tandis que dans de nombreux cas, leur activité principale est

restée la gestion de café. Depuis la zone de production spécifique de 300 ha a été augmentée de

plus de 90 hectares de nouvelles plantations.

Expérience de conservation des fonctions environnementales des forêts et gestion des

ressources hydriques

La Bolivie a promu un nouveau mécanisme fondé sur des instruments non-monétaires de

promotion de la conservation des fonctions environnementales des forêts. Grâce à son succès

dans la gestion des ressources en eau et de la gestion durable et intégrée des forêts, en harmonie

et en équilibre avec la nature, cette initiative a été reproduite dans d'autres pays de la région

andine tel que l'Equateur, le Pérou et la Colombie. Ce mécanisme est formé par les accords de

réciprocité pour l'eau (ARA) ou les accords supplémentaires avec la Terre-Mère. Ce mécanisme

vise à promouvoir des accords volontaires entre les populations pour préserver ou renforcer les

fonctions environnementales de ces écosystèmes et à son tour améliorer les moyens d'existence

des populations locales.

Dans le cadre de ces processus d’usage locale de l'eau, une institution a été établie par le

gouvernement municipal du lieu, de coopératives de l'eau, les associations d'irrigation et

d'autres organisations de la société civile. Cette institution aide les petits agriculteurs en aval à

participer à des projets respectueux de la nature tels que l'apiculture et la production de fruits. Il

s’agit d’incitations complémentaires à l'effort fait par les citoyens à préserver notre patrimoine

naturel pour le bénéfice de soi et des autres. Ainsi, les utilisateurs de l'eau dans le bassin

inférieur ont volontairement apporté une contribution sur leurs factures de l'eau en fonction de

leur consommation, dont l'argent va à un fonds local, géré par une institution locale, comme

l'Entité de fournisseur de service de l'eau (EPSA). Cette instance est chargée de promouvoir des

accords volontaires de conservation et d'utilisation durable et intégrée des forêts de sorte que

soit maintenu le flux d’eau en qualité et quantité.

Il existe 22 initiatives complémentaires de travail avec la Terre-Mère. Les municipales sont:

Pampagrande, Saipina, Comarapa, Moro Moro, Pucara, Vallegrande, Mairana, Postrervalle,

Samaipata, El Torno, Buenavista, Cabezas et Gutierrez. En 2011, plus de 400 familles pauvres des

vallées andines ont reçu des ruches, des fruits, des polytubes et autres aides au développement

100

d'une valeur de plus de 1 million de Bolivianos, dont 765.000 Bs. proviennent des autorités

locales et du public, et en retour, les agriculteurs pauvres protègent volontairement plus de

11.000 hectares de forêt critiques pour la fourniture d'eau pour l'irrigation et l'usage

domestique.

L'expérience et les résultats de ces accords ont montré que la conservation des fonctions

environnementales de l'eau fournis par les forêts dans un bassin haut conserve indirectement de

manière intégrale les autres fonctions et produits forestiers, assurant une coexistence pacifique

en harmonie avec la nature, et améliore à la fois les moyens et la qualité de vie des populations

locales.