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X-40-26 1 Mobiliser les talents par le leadership éthique GIGNAC Marie-Félicité . 1 Pourquoi parler d’éthique ? Léthique fait peur 1 : les managers craignent quelle ne leur impose un cadre rigide, désuet et trop conceptuel, inadapté aux conditions du marché actuel on est à lheure des solutions rapides, efficaces et concrètes. Quant aux employés, la plupart sont sceptiques quant à une démarche éthique entreprise dans une organisation sans authenticité les scandales et le capitalisme à lextrême ny sont pas étrangers. Léthique est pourtant au cœur de la mobilisation des talents, de la création de valeur et des saines pratiques de gestion de toute entreprise. Si elle implique la réflexion, elle est le fondement de la culture de lentreprise, de ce qui définit et solutionne lhumain dans lorganisation. ’’’’ Lorsquune entreprise se dote dune démarche éthique ouverte, elle implique les employés et les gestionnaires par un dialogue vivant et stimule lalignement des comportements de tous les acteurs de lorganisation : de la direction générale aux employés sur le terrain. Léthique 1 Villemure René, « Pour éviter le code sans éthique », Effectif, volume 18, n o 1, janvier/février/mars 2015.

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Mobiliser les talents par le leadership éthique

GIGNAC Marie-Félicité –.

1 Pourquoi parler d’éthique ? L’éthique fait peur1 : les managers craignent qu’elle ne leur impose un cadre rigide, désuet et trop conceptuel, inadapté aux conditions du marché actuel – on est à l’heure des solutions rapides, efficaces et concrètes. Quant aux employés, la plupart sont sceptiques quant à une démarche éthique entreprise dans une organisation sans authenticité – les scandales et le capitalisme à l’extrême n’y sont pas étrangers.

L’éthique est pourtant au cœur de la mobilisation des talents, de la création de valeur et des saines pratiques de gestion de toute entreprise. Si elle implique la réflexion, elle est le fondement de la culture de l’entreprise, de ce qui définit et solutionne l’humain dans l’organisation. ’ ’

’’’’ Lorsqu’une entreprise se dote d’une démarche éthique ouverte, elle implique les employés et les gestionnaires par un dialogue vivant et stimule l’alignement des comportements de tous les acteurs de l’organisation : de la direction générale aux employés sur le terrain. L’éthique

1 Villemure René, « Pour éviter le code sans éthique », Effectif, volume 18, no 1, janvier/février/mars 2015.

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devient alors un levier puissant de mobilisation et d’intégration du changement2. C’est un outil concret pour clarifier les attentes dans un monde qui semble parfois chaotique.

C’est donc une réflexion qui doit rester vivante et se renouveler constamment en fonction du contexte, de l’histoire de l’organisation mais également de sa vision, de sa stratégie et de ses objectifs organisationnels. On doit alors se tourner vers le développement du leadership éthique de l’entreprise pour être capable de nourrir la démarche et la réflexion et de permettre à l’éthique de devenir un outil de gestion efficace : un moyen concret qui rehausse l’agilité organisationnelle notamment par une prise de décision simplifiée et rapide.

Être capable aujourd’hui de mobiliser ses talents par un leadership éthique, dans le contexte de nos économies du savoir, devient un ingrédient essentiel du succès commercial de toute organisation. L’éthique peut donc être considérée comme un investissement qui permet à une organisation de prendre une position distinctive sur son marché, de se démarquer de ses concurrents et de mobiliser par l’intégrité et l’authenticité de sa culture les meilleurs talents possibles dans son marché. L’éthique crée la pérennité et la prospérité d’une organisation.

1.1 Qu’est-ce le leadership éthique ?

Le leadership éthique pourrait se définir comme étant la capacité d’un individu à inspirer confiance et respect par son intégrité dans l’action, son sens des responsabilités et la qualité de son jugement dans sa prise de décision.

La Figure 1.1 présente un modèle de prise de décision éthique développé par Diane Girard3, qui fait valoir l’importance de la réflexion éthique dans chaque décision organisationnelle.

2 L’étape 8 du modèle de changement de Kotter est d’ancrer les changements dans la culture de l’organisation, notamment en y alignant les valeurs organisationnelles et par le développement du leadership (Kotter John P., Leading change, Harvard Business School Press, 1996, p. 21). 3 Modèle de prise de décision éthique de Diane Girard, consultante en éthique organisationnelle et professionnelle. « Quelques outils indispensables en éthique professionnelle », présentation faite au 92e Congrès de l’OIFQ, 12 septembre 2013.

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Figure 1.1 Modèle de prise de décision éthique Lyse Langlois définit le leadership éthique comme étant « une pratique sociale qui intègre la réflexion et l’action » au cœur de laquelle se trouve « l’exercice du jugement professionnel basé sur trois dimensions éthiques : la justice, la sollicitude et la critique4. »

Le leadership éthique ne se limite pas aux managers : tous les employés d’une organisation peuvent démontrer un comportement de leader éthique. Il est toutefois essentiel que la direction générale de l’entreprise et les managers soient des modèles de leadership éthique auprès des autres employés, et ce afin d’aligner les comportements souhaités et de créer un climat de confiance.

Le leadership éthique exige certaines conditions pour se développer au sein d’une organisation : courage et authenticité du manager, volonté d’améliorer et de transformer l’organisation, l’existence d’une culture éthique dans l’organisation, et de saines pratiques de gestion.

4 « Le leadership éthique : vecteur d’intégrité professionnelle », présentation au 22e congrès de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, 18 octobre 2012. Lyse Langlois est professeure au département des relations industrielles de l’université Laval et chercheure au Centre interuniversitaire sur la mondialisation du travail (CRIMT) et a l’Institut d’éthique appliquée (IDEA).

PDE

Valeurs en tension

Conséquences possibles (+ et - ; C,

M, et LT) sur les parties prenantes

Principes moraux et droits de la personne et juste et équitable

Lois et politiques organisationnelles

Préserverla confiance/les relations

(attente des PP)

Mission de l’organisation

et contexte

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1.2 Liens entre le leadership éthique et le Servant Leader

Le lien essentiel entre le leadership éthique et le Servant Leader5 se situe au niveau de la confiance dans les talents, les compétences, les capacités et les attitudes et le désir de développer de manière respectueuse et éthique les talents dans l’intérêt du bien commun et de l’organisation. Le Servant Leader, pour Robert K. Greenleaf6, c’est celui qui « réunit toutes les conditions favorisant l’épanouissement et la réalisation de son équipe, allant jusqu’à revoir l’organisation de l’entreprise en tant que telle7. »

La confiance portée dans les compétences des collaborateurs et l’investissement dans le bien-être et le développement des talents sont au cœur de la philosophie du Servant Leader, dont les six grands principes sont :

– de donner confiance aux collaborateurs et de les faire grandir ;

– d’être humble ;

– d’être authentique ;

– d’accepter l’autre tel qu’il est ;

– de donner le cap ;

– de savoir se mettre au service des besoins des autres.

1.3 Comment évolue le leadership éthique aujourd’hui ?

Aujourd’hui, le leadership éthique se renouvelle autour de l’authenticité des managers, de leur capacité à créer un climat de confiance et de collaboration tout en donnant un sens au travail dans un contexte économique turbulent.

En effet, les attentes des jeunes talents performants et créatifs et le contexte global dans lequel les organisations doivent performer mettent la pression sur la création d’écosystèmes de production souples, basés sur des relations de confiance authentiques favorisant la collaboration et l’innovation.

Cette approche permet aux organisations de se créer des réseaux de partenaires résilients et agiles, capables de s’adapter très rapidement aux turbulences globales que nous vivons.

Ces écosystèmes ne peuvent fonctionner que sur la base de la confiance et du leadership éthique puisqu’ils sont la plupart du temps virtuels, libres et fluides. Ces partenariats d’affaires durables

5 Le concept de Servant Leader inverse les valeurs en mettant le manager au service de son équipe afin de l’aider a remplir ses objectifs. Voir a ce sujet l’article « Servant leadership: a review and synthesis » écrit par D. Van Dierendonck dans Journal of Management, 37(4), juillet 2011, p. 1228-1261 et résumé par Christine Rivenq, professeure a l’EDHEC Business School : http://chaires.edhec.com/chaire-leadership-et-competences-manageriales/expertises/servant-leadership-179218.kjsp 6 Fondateur du Greenleaf Center for Servant Leadership : http://greenleaf.org 7 Greenleaf Robert K, Servant as leader essays, 2008.

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sont fondés sur des relations respectueuses, authentiques et éthiques. Ils ne peuvent pas être gérés par une série de règles et de codes de conduite sur lesquels on discipline les membres. Ils se construisent sur des valeurs partagées, qui créent la cohérence et la cohésion du groupe.

2 Mobilisation des talents et leadership éthique Le lien entre le leadership éthique, le Servant Leader et la mobilisation se fait de plus en plus clair. En effet, cette année la compagnie AON-Hewitt, un chef de file en mobilisation des employés sur le plan mondial, a adopté le modèle du Servant Leader comme levier de mobilisation organisationnel et a créé un outil d’évaluation des personnalités (Adept 158) basé sur six dimensions au travail : opérationnelle, orienté résultats, équipe, émotions, liens sociaux et capacités adaptatives. AON a ainsi redessiné ses programmes de leadership (Engaging Leaders) autour de ce modèle. Cette décision fut prise suite à une étude exhaustive de plus de 2 ans sur les comportements et les pratiques de gestion des dirigeants provenant d’organisations à travers le monde ayant un très haut taux de mobilisation de leurs employés aujourd’hui.

2.1 Liens entre mobilisation et leadership éthique

La mobilisation des talents est un sujet qui ne cesse de préoccuper les managers et leurs organisations. Il semble que ce soit un idéal à atteindre pour maintenir sa productivité et sa compétitivité organisationnelle mais la recette magique pour réussir semble changer continuellement en fonction des nouveaux contextes et des défis organisationnels.

Intuitivement, mettre en lien l’éthique et la mobilisation semble bien loin des résultats commerciaux et opérationnels concrets que tout manager efficace souhaite obtenir. La littérature, les nombreuses et récentes études sur la mobilisation et l’exemple d’AON-Hewitt semblent toutefois établir un lien plus direct qu’il n’y paraît.

En effet, la motivation traditionnelle des employés par la carotte et le bâton ne semble plus avoir l’effet désiré sur nos chers talents. Bien au contraire, d’après Daniel H. Pink.9, cette méthode semble cumuler les effets pervers : destruction de la motivation intrinsèque, diminution de la performance organisationnelle et individuelle, blocage de la créativité, dilution des bons comportements innés, renforcement des comportements non-éthiques, dépendance rigide des talents au système et accentuation de la vision à court terme de l’organisation.

Le leadership éthique vient au contraire stimuler une motivation plus profonde chez l’individu, soit le besoin d’autonomie, le besoin de compétence et le besoin de donner un sens profond à son travail. Cette motivation est plus durable, en plus d’être intrinsèque, peu coûteuse et très efficace au niveau de la productivité, l’agilité et l’efficacité des talents d’une organisation.

8 Adept-15 : test de personnalité adaptive de Aon-Hewitt ; voir www.aon.com/human-capital-consulting/consulting/assessment-and-selection-adept-15.jsp et https://www.youtube.com/watch?v=yy62iNEa5D0 9 Pink Daniel H., Drive: the surprising truth about what motivates us, Riverhead Books, 2009.

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En effet, toujours d’après les observations de Lyse Langlois10, les bénéfices d’un leadership éthique dans l’organisation sont tangibles : confiance et engagement au travail, augmentation des conduites éthiques, diminution des comportements douteux, émergence d’une plus grande maturité organisationnelle et d’une plus grande cohérence par l’instauration d’une culture éthique et amélioration des relations au travail par une autonomie responsable et un pouvoir habilitant.

Ainsi le leadership éthique se marie parfaitement aux leviers de la mobilisation des talents en favorisant l’autonomie, la compétence et le sens profond du travail. Le manager éthique fait appel à l’initiative et à la responsabilité de ses employés plutôt qu’à leur obéissance aveugle et mise ainsi sur leurs talents en adoptant un style de gestion conscientisé qui rend ainsi l’organisation plus humaine, inspirée et durable.

2.2 Créer un climat de confiance

Il est clair que si l’on souhaite manager les talents et non plus des compétences clés, des comportements, des employés obéissants aveuglément aux ordres des managers, et que l’on souhaite faciliter l’intelligence intuitive et naturelle de l’organisation11, il faut miser sur la confiance mutuelle entre les talents et les managers.

Le talent doit avant tout se sentir accueilli au sein de l’organisation (tel qu’illustré par Michel Tremblay dans son modèle de mobilisation12) en favorisant les conditions psychologiques positives grâce au niveau de confiance, de soutien, de justice et de reconnaissance ressentis par le talent et grâce à son pouvoir de se réaliser dans l’action.

La confiance est ainsi au cœur du modèle de mobilisation conçu par Michel Tremblay (Figure 2.1).

10 Ibid. 11 Auger Marine, Et si vous rendiez votre entreprise intelligente ?, AFNOR Éditions, 2013. 12 Tremblay Michel, Wills Thierry. « La mobilisation des ressources humaines : une stratégie de rassemblement des énergies de chacun pour le bien de tous », Revue Gestion, vol. 30, no2 (été 2005), p. 37-49.

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Figure 2.1 Modèle de mobilisation (Source : mémoire de Marjolaine Thibault-Gervais, HEC-Montréal, 2013)

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Il s’agit dans ce modèle d’une confiance appuyée par la certitude d’être dans la meilleure organisation possible pour exercer ses talents et ses forces uniques, ce qui induit une culture du leadership éthique authentique où le manager désirant se mettre au service de son équipe (tel le Leader Servant) mobilisera ses talents.

Les bénéfices essentiels du leadership éthique ou Servant Leadership sont d’offrir aux talents un climat de travail idéal pour se réaliser, en reconnaissant la valeur intrinsèque des individus et en se fondant sur des relations de confiance mutuelle basées sur le respect13.

Les talents, sachant qu’ils pourront s’épanouir librement et ainsi contribuer voire se dépasser en réalisant leur plein potentiel seront loyaux et mobilisés. Ils permettront alors à l’entreprise de se distinguer en exprimant leur créativité, en misant sur leurs forces naturelles et en créant ainsi une valeur économique tangible par l’innovation.

2.3 Le leadership éthique : un prérequis à l’innovation ?

Un leader éthique ou Servant Leader qui se préoccupe du bien-être et de l’avenir de son organisation et des talents qui la composent va forcément s’intéresser au futur de l’organisation et vouloir offrir la possibilité à ses talents de s’épanouir et de se réaliser pleinement. Comme nous le dit Jim Selman14, l’innovation et le leadership sont liés car les leaders créent le futur et sont donc forcément des innovateurs.

L’importance de la culture au sein de l’organisation pour amener l’innovation au quotidien et le rôle central que joue le manager est la clé pour créer et maintenir un écosystème favorable à l’innovation.

C’est bien ce que Marine Auger nous dit lorsqu’elle écrit : « les entreprises les plus rentables dans un environnement de forte concurrence sont celles qui disposent d’une culture forte. […] La culture est le levier sur lequel les entreprises doivent désormais orienter le développement de leur agilité15.»

En effet, selon l’étude annuelle16 de Booz & Company, dépenser plus en R&D n’entraîne pas toujours les résultats désirés ! Les facteurs les plus déterminants pour une performance accrue sont l’alignement stratégique et une culture qui favorise l’innovation.

13 Rivenq Christine, http://chaires.edhec.com/chaire-leadership-et-competences-manageriales/expertises/servant-leadership-179218.kjsp. 14 Selman Jim, « Leadership and Innovation: Relating to Circumstances and Change », The Innovation Journal: The Public Sector Innovation Journal, Volume 7 (3), 2002, article 5. 15 Auger Marine, « Rendre l’organisation intelligente : changement de paradigmes culturel, organisationnel, communicationnel, managérial », conférence du 12 mars 2015, Aliter Conseil. 16 www.strategyand.pwc.com/media/file/Strategyand_2013-Global-Innovation-1000-Study-Navigating-the-Digital-Future_Media-Report.pdf

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Sylvie Geneau17, fondatrice de CRÉnO-Innovation, nous confirme également qu’il ne peut y avoir de source plus critique de réussite ou d’échec que la culture d’une entreprise : elle l’emporte sur la stratégie et le leadership.

La culture est une des 5 composantes du modèle de Sylvie Geneau (Figure 2.2).

Figure 2.2 Modèle de l’organisation innovante

Sylvie Geneau définit la culture comme étant les principaux traits qui caractérisent l’organisation et auxquels s’identifient tous les gens qui en font partie ou qui la côtoient. C’est l’essence même de toute entreprise ; son ADN, un reflet de son âme.

La culture permet de transposer la vision et la mission de l’organisation dans le quotidien et définit les comportements attendus tant à l’intérieur de l’organisation que ceux attendus par les

17 Geneau, Sylvie, Façonner son organisation pour maximiser ses capacités d’innover, Cercle des leaders de l’innovation, 7 mai 2015.

Les 5 composantesde l'organisation innovante

Créativité Innovation Création de valeursFuzzy front end of innovation

Alignementstratégique :

ancrer la créativité et l’innovation dans

les stratégies de l’entreprise et dans

son modèle organisationnel

Culture :

l’arrimer, la façonner,

communiquerles valeurs et

les comportementsassociés

Leadership :

recruter les talents, aligner les attentes,

développer les pratiques de

gestion, gérer les contextes

Capacitésorganisationnelles :

la structure, les savoir-faire,

techniques, outils, processus

Collaboration :

s’ouvrir à l’externe, développer le réseau et les

approches CO

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parties prenantes externes, elle offre un cadre de référence commun aux actions qui favorise l’adhésion et a un effet rassembleur, cohésif.

En gardant la perspective de l’innovation en tête, on pourrait dire que le leadership éthique permet de construire, de faire vivre, de renouveler et de maintenir l’âme et la culture d’une organisation.

Le leader éthique favorise naturellement l’émergence du potentiel des talents, des idées, de la créativité et de l’innovation en créant la cohérence et la confiance qui permettent la collaboration et l’autonomie des talents nécessaires a l’innovation. Le leadership éthique du manager transforme la culture de l’entreprise en une forme favorisant l’innovation et l’agilité en tissant les liens de confiance des employés avec l’organisation.

On peut donc dire que si l’on souhaite créer une organisation innovante, il faut développer des leaders éthiques qui créeront la culture nécessaire pour aider ses talents à exécuter la stratégie, la vision et la mission au quotidien et ainsi contribuer à accélérer la croissance de l’organisation.

3 Comment développer le leadership éthique ? Il ne suffit pas d’animer un atelier sur les valeurs et le code d’éthique de l’entreprise pour en développer le leadership éthique. C’est certes un bon début, mais ce n’est certainement pas assez. Le leadership éthique va se développer avant tout par la volonté, l’attitude, les actions personnelles et authentiques des managers, voire par l’expérience du leadership éthique qu’ils font vivre à leurs équipes.

Les talents pourront ainsi modeler les comportements mais surtout se sentir bien au sein d’une équipe dirigée avec intégrité et justice. Il y aura donc plusieurs étapes à franchir pour développer le leadership éthique de son organisation :

– définir ce qu’est le leadership éthique concrètement dans son contexte organisationnel ;

– mesurer les comportements actuels et permettre aux managers de prendre conscience de leur impact au sein de leurs équipes ;

– identifier les forces naturelles éthiques existantes chez les leaders, les faire émerger, les reconnaître et les amener à s’épanouir dans l’action.

3.1 Définition du leadership souhaité

Une organisation qui souhaite faire émerger le leadership éthique en son sein doit réfléchir aux forces éthiques inhérentes à son positionnement stratégique, à son histoire et aux actions, comportements et priorités qui ont tissé ses liens sociaux au fil du temps. Cette réflexion va servir de base pour bâtir une définition propre du leadership éthique, qui va agir comme un idéal à atteindre, un modèle à reproduire et un objectif de développement organisationnel.

Il fauta que l’entreprise mette en place les systèmes de reconnaissance et de gestion de la performance, de la relève et du recrutement adéquats pour soutenir la vision du leadership éthique souhaité et, par la suite, concevoir une stratégie de développement du leadership adéquate.

3.2 Mesure des comportements actuels

La première étape du développement d’un leader éthique est de le mettre dans une situation où il peut prendre conscience de la complexité du monde dans lequel il vit, de l’ampleur de la prise de décision éthique dans son contexte et l’amener à réaliser qu’il existe d’autres perceptions du monde et d’autres modes d’action que les siens.

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Une fois la prise de conscience faite, il sera alors possible pour le leader d’ouvrir son esprit pour atteindre un nouveau niveau de conscience et vivre l’expérience du leadership éthique avec un sens de l’engagement, de l’intégrité et de la responsabilité à la hauteur des attentes de son équipe et de son organisation.

Cette prise de conscience du leader passe par l’écoute de ses employés : il doit comprendre l’état de leurs perceptions et leurs attentes. Cependant, la plupart des managers n’ont pas la distance nécessaire et le temps de réflexion pour aller chercher cette information seuls. Le partenaire d’affaires ressources humaines peut grandement aider le manager dans cette démarche de conscientisation. Il existe aussi des outils pertinents et efficaces pour faciliter cette prise de conscience : outils 360, évaluations de profil de personnalité tel que le nouvel outil d’Aon-Hewitt, Adept-15, sondage maison confidentiel qui pose les bonnes questions…

L’important est de mettre l’individu devant des faits et de l’accompagner dans la lecture et l’interprétation de son évaluation par un coach, une personne de confiance, un mentor afin qu’ils puissent en toute confiance établir un plan de développement misant sur les forces éthiques du leader et minimiser son empreinte éthique négative. Cette étape est primordiale avant d’entamer toute forme d’activités de développement.

3.3 Développer les forces éthiques de ses leaders

L’approche de développement du leadership éthique ne peut pas se contenter de suivre les traces traditionnelles et classiques du développement du leadership. Puisqu’il s’agit d’une prise de conscience et d’une transformation du mode de pensée, il faut véritablement permettre au leader de désapprendre, de discerner puis de progresser, dans un mode de développement vertical18.

Le développement durable du leadership éthique chez l’individu n’est possible que si la culture du leadership éthique est développée parallèlement pour l’ensemble de l’organisation. L’organisation devra mesurer sa maturité organisationnelle pour cibler des dimensions éthiques et culturelles à développer.

John McGuire et Gary Rhodes19, décrivent 7 phases favorisant le développement transversal au niveau individuel et organisationnel :

– partage de points de vue ;

– prise de conscience et réflexion ;

– exposition volontaire des faits et constats ;

– ouverture et accroissement de l’engagement éthique ;

– transition vers de nouveaux comportements (essais-erreurs) ;

– mise en action de décisions éthiques et élaboration de systèmes favorisant l’éthique ;

18 Petrie Nick, « Développement du leadership : les tendances de demain », Center for Creative Leadership : www.ccl.org/leadership/pdf/research/futureTrendsFrench.pdf 19 Transforming your leadership culture, John Wiley, 2009

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– transformation du leadership éthique et de la culture.

Le défi est de faciliter le développement vertical en respectant les volontés et les capacités individuelles et le rythme organisationnel. Si la direction générale et les cadres y croient et déploient une réelle volonté pour y arriver, cela est tout à fait possible.

Ensuite, une fois que la phase de conscientisation est amorcée, autant au niveau organisationnel qu’individuel, on peut entamer des activités de développement qui devraient se faire dans un cadre social (mentorat, coaching, discussion et réflexion avec ses collègues et ses managers…). C’est ainsi que la culture éthique se crée, en ayant un dialogue authentique et franc et en amenant des discussions sur des sujets concrets, actuels, d’affaires requérant une prise de décision éthique.

Les principales forces des leaders éthiques sont les mêmes que ceux du Servant Leader qui est centré autour du fait de diriger pour servir sans recherche le pouvoir pour le pouvoir. Ce comportement implique de la détermination, de la compétence, une connexion à ses collaborateurs, une autonomie, ainsi que des intentions et un comportement éthiques et une certaine aptitude à comprendre les comportements de différents points de vue, permettant ainsi une évaluation juste des situations.

Développer ces forces chez nos leaders requiert de la créativité et de l’innovation car cet ensemble de capacités complexes se développe par la socialisation, par exemple, avec la discussion et le coaching. Cela demande une belle culture du dialogue, de la communication authentique, de la disponibilité ainsi qu’une proximité avec la direction générale.

4 Deux exemples d’entreprises qui se sont engagées dans cette démarche

4.1 Honeywell

Honeywell, une entreprise globale leader en technologie et manufacturière, de 40 milliards de dollars US en revenus annuels, a été classée dans le Top 10 des entreprises les plus éthiques au monde en 2010, 2011 et 2012 – ce n’est pas un hasard.

Très performante, l’entreprise a établi une corrélation directe entre son niveau de qualité, d’amélioration continue et d’innovation de ses produits et les comportements éthiques des employés et des gestionnaires. L’éthique est devenue une priorité organisationnelle, une fondation solide sur laquelle il est possible d’appuyer tout le reste de la stratégie de croissance et de positionnement de l’entreprise – et qui est a l’origine de la place très enviable qu’elle occupe dans son marché aujourd’hui.

Comment Honeywell s’y est-elle pris ? Président de Honeywell depuis 2002, David Côté a compris l’importance de créer la culture qui permettrait de propulser Honeywell parmi les premiers. Il a en effet été reconnu depuis non seulement pour son succès financier et commercial, mais également pour ses valeurs et son implication dans la communauté. En 2014, il a été sélectionné pour le prix Horatio Alger Award qui reconnaît les leaders impliqués dans la communauté et qui ont contribué de manière remarquable par l’honnêteté, le travail, la persévérance et la résilience dans l’adversité. En 2013, il a été nommé CEO de l’année par Chief Executive, et reconnu également par Barron’s comme l’un des meilleurs CEO au monde. En 2007, il a reçu le prix de responsabilité social corporatif de la Foreign Policy Association. Son implication dans la communauté et son engagement envers le développement du leadership éthique de son entreprise était un bon début, mais ce n’était certainement pas suffisant pour rallier une entreprise mondiale de plus de 131 000 employés.

Honeywell a mis en place un set de valeurs et un code d’éthique qui est appliqué et respecté par tous les employés de l’entreprise. Il est revu annuellement et chaque employé doit s’engager à le

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respecter : chacun est ainsi fortement responsabilisé dans cette démarche. Ce code éthique protège notamment l’anonymat d’un employé qui viendrait dénoncer une faute commise par un collègue ou un manager.

L’éthique est la fondation de tous les programmes et systèmes internes de qualité et la base de tous les modèles d’amélioration continue de l’entreprise.

Par ailleurs, l’éthique fait partie des caractéristiques recherchés chez les managers d’Honeywell. Elle fait partie des critères de sélection pour les postes à haute responsabilité, est un critère pour l’identification des hauts potentiels et fait partie intégrante de la gestion de la performance.

Les managers doivent se faire évaluer par leurs employés et leurs collègues en plus de leurs superviseurs (évaluations 360). On leur attribue, en plus de superviseurs, des mentors qui leur permettent de se développer tant sur le plan individuel que stratégique, opérationnel ou personnel et au niveau du leadership éthique.

L’entreprise a un taux de mobilisation des employés très élevé et, depuis quelques années, mesure le niveau de culture et de maturité éthique sur le plan organisationnel avec le Capability Maturity Model Integration.

C’est ainsi que l’entreprise se démarque par des employés dévoués, qui permettent par leur dépassement quotidien de propulser l’entreprise parmi les premières tout en offrant un service et des produits d’une qualité irréprochable.

4.2 Aéroports de Montréal (ADM)

Aéroports de Montréal est une société à but non lucratif et sans capital-actions qui gère notamment, depuis plus de 20 ans, l’aéroport international Montréal-Trudeau récemment classé parmi les 100 meilleurs aéroports au monde dans le sondage World Airline Rating and Airport Rating. ADM a toujours positionné l'intégrité et ses valeurs au cœur de sa culture et de sa vision. Depuis 2012, ADM a entrepris de renouveler son engagement en matière d’éthique en se dotant notamment d’un code d’éthique conçu de manière collaborative avec les employés et les managers. Cet exercice a permis de rafraîchir la définition du leadership éthique et de faire évoluer la culture organisationnelle vers une réalité quotidienne actuelle et en fonction d’une vision commune du futur de l’aéroport.

Pierre Gagnon, vice-président Affaires juridiques et secrétaire corporatif de la société, a même reçu un Prix de Réalisation exceptionnelle dans le cadre des Prix ZSA20 des Conseillers juridiques du Québec en 2014.

James Cherry, président-directeur général d’ADM, a commenté ainsi la réalisation de M. Gagnon : « Constamment en quête d’excellence, Pierre mérite bien cet honneur. Cette distinction reconnaît non seulement son remarquable travail chez ADM, mais aussi l’ensemble de ses réalisations au cours de sa carrière de même que son engagement dans la communauté juridique et auprès de diverses causes sociales. »

20 Prix ZSA, ZSA est une société privée qui délivre a travers le prix ZSA une sorte d’oscar pour les meilleurs conseillers juridique de l’année

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Pierre Gagnon a personnellement formé tous les managers d’ADM en 2014 ainsi que tous les employés en 2015, créant ainsi un dialogue ouvert sur l’éthique et les comportements attendus dans le contexte et les réalités concrètes de l’organisation.

Au même moment, ADM s’est doté d’un comité éthique et d’une plateforme permettant la dénonciation de comportements non-éthiques qui protège la confidentialité des employés. Il s’agit d’un moyen préventif et éducatif de promouvoir le leadership éthique puisque l’intégrité est priorisée depuis sa fondation et une façon de favoriser la transparence tout en protégeant la confidentialité. En effet, ADM encourage la proximité de la direction générale et des managers avec les employés et multiplie les approches pour faciliter la communication et aplanir l’organisation : sur les questions d’éthique mais également pour l’innovation et l’amélioration de la performance organisationnelle.

Le leadership éthique est intégré à la gestion de la performance, aux programmes de développement du leadership et dans les programmes de reconnaissance des employés et de la communauté aéroportuaire.

Bien que l’éthique et l’innovation semblent être des sujets complètement distincts, chez ADM ces sujets sont au contraire très liés car en misant sur une culture de transparence, de respect et d’intégrité, les employés se sentent en confiance et désirent naturellement participer d’avantage par leurs idées et leurs compétences à améliorer l’organisation et ainsi contribuer à son succès.

Le leadership éthique reste vivant chez ADM, en impliquant la direction générale dans le coaching et le mentorat des managers. Cette proximité et cet encadrement visent à rendre la culture et le modèle de gestion très concret pour les managers.

En discutant des questions d’actualité, le comité d’éthique garde une approche actuelle et vivante qui permet de prévenir plutôt que d’imposer des mesures disciplinaires parfois démotivantes. Impliquer les employés permet de créer avec eux règles et culture.

5 Conclusion : leadership éthique, oui, et après ? Les organisations qui réussissent à mobiliser leurs talents en vivant leurs valeurs atteignent des résultats fabuleux, un peu comme le décrit David S. Cohen21 dans sa formule du summum de la réussite mesurée par l’intégrité de l’entreprise, les résultats d’affaires et l’indice de mobilisation des talents :

Équation éthique : Valeurs × Vision × Leadership × Exécution = Réussite durable

Pour Lyse Langlois22, le leadership éthique appelle à l’initiative et a la responsabilité plutôt qu’a l’obéissance. Il représente un puissant levier de transformation reposant sur le savoir-être (intégrité) et un meilleur vivre ensemble (collaboration). Lorsqu’il peut se déployer, il intègre un style de gestion conscientisé qui sert à bâtir une organisation plus humaine, inspirée et durable.

21 Cohen David S., Inside the box: leading with corporate values to drive sustained business successs, Jossey-Bass, 2006. 22 Ibid.

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Nos talents sont libres de choisir une entreprise où la culture leur permet de se réaliser : c’est justement ce qu’offre le leadership éthique.