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Yaakov Sharett à l’âge de 18 ans, alors soldat au sein de la Brigade juive (avec l’aimable autorisation de Yaakov Sharett) Yaakov Sharett : « Je ne voulais plus rien avoir à faire avec cette occupation » Par Sarah Helm Dans un long entretien pour Middle East Eye, le fils d’un des fondateurs d’Israël dit regretter la colonisation du Néguev dans les années 1940 – et l’ensemble du projet sioniste. « Je m’appelle Yaakov Sharett. J’ai 92 ans. Il se trouve que je suis le fils de mon père, ce dont je ne suis pas responsable. C’est comme ça.» Yaakov émet un petit rire et, sous son bonnet, lève les yeux vers une photo de son père – le regard fier en col et cravate – accrochée au mur de son bureau à Tel Aviv. Moshé Sharett a été l’un des pères fondateurs d’Israël, son premier ministre des Affaires étrangères et son deuxième Premier ministre de 1954 à 1955. Mais je ne suis pas venue pour parler du père de Yaakov. Je suis venue avec des photos d’un puits qui se trouvait autrefois dans un village arabe appelé Abu Yahiya, situé dans la région du Néguev, dans ce qui est maintenant le sud d’Israël. Au cours de recherches dans un livre, j’ai récemment découvert le puits et appris quelque chose sur l’histoire du village d’Abu Yahiya. J’ai entendu dire que les Palestiniens qui y vivaient autrefois en avaient été expulsés pendant la guerre de 1948 qui a entraîné la création d’Israël. J’ai aussi entendu dire que des pionniers sionistes qui avaient établi un avant- poste près du village avant la guerre de 1948 puisaient de l’eau dans le puits des Arabes. Parmi eux se trouvait un jeune soldat répondant au nom de Yaakov Sharett. Je suis donc venue voir Yaakov dans l’espoir qu’il puisse partager ses souvenirs du puits, des villageois et des événements de 1948.

Yaakov Sharett : « Je ne voulais plus rien avoir à faire

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YaakovSharettàl’âgede18ans,alorssoldatauseindelaBrigadejuive(avecl’aimable

autorisationdeYaakovSharett)

YaakovSharett:«Jenevoulaisplusrienavoiràfaireaveccetteoccupation»

ParSarahHelm

DansunlongentretienpourMiddleEastEye,lefilsd’undesfondateursd’IsraëlditregretterlacolonisationduNéguevdanslesannées1940–etl’ensembledu

projetsioniste.«Jem’appelleYaakovSharett.J’ai92ans. Il se trouveque je suis lefils de mon père, ce dont je nesuis pas responsable. C’estcommeça.»

Yaakovémetunpetitrireet,sousson bonnet, lève les yeux versunephotodesonpère–leregardfierencoletcravate–accrochéeaumurdesonbureauàTelAviv.Moshé Sharett a été l’un des

pères fondateurs d’Israël, son premierministre des Affaires étrangères et sondeuxièmePremierministrede1954à1955.

MaisjenesuispasvenuepourparlerdupèredeYaakov.Jesuisvenueavecdesphotos d’un puits qui se trouvait autrefois dans un village arabe appelé AbuYahiya, situé dans la région du Néguev, dans ce qui est maintenant le sudd’Israël.

Aucoursderecherchesdansunlivre,j’airécemmentdécouvertlepuitsetapprisquelque chose sur l’histoire du village d’Abu Yahiya. J’ai entendu dire que lesPalestiniensquiyvivaientautrefoisenavaientétéexpulséspendantlaguerrede1948quiaentraînélacréationd’Israël.

J’ai aussi entendudirequedespionniers sionistesqui avaientétabli unavant-posteprèsduvillageavantlaguerrede1948puisaientdel’eaudanslepuitsdesArabes. Parmi eux se trouvait un jeune soldat répondant au nom de YaakovSharett. Je suis donc venue voir Yaakov dans l’espoir qu’il puisse partager sessouvenirsdupuits,desvillageoisetdesévénementsde1948.

UnkibboutzdanslenordduNéguev,àl’été1946(AFP)

En 1946, deux ans avant la guerre arabo-israélienne, Yaakov et un groupe decamarades se sont installés dans la régiond’Abu Yahiya pour aider àmener àbienl’unedesexpropriationsdeterreslesplusépoustouflantesréaliséesparlessionistes.

Le jeune soldat Sharett fut nommémukhtar– ou chef – d’undesonze avant-postes juifsétablis furtivementdans leNéguev. L’objectifétaitde s’assurerunancrage juif pour qu’Israël puisse s’emparer de la zone stratégique lorsque laguerreéclaterait.

Desébauchesdeplansdepartitionavaientdésigné leNéguev–où lesArabesétaientlargementplusnombreuxquelesjuifs–commefaisantpartied’unÉtatarabe,maislesstratègesjuifsétaientdéterminésàsel’approprier.

L’opération dite des«onze points» a été unénorme succès et aucours de la guerre, lesArabes ont étépratiquement touschassés,puisleNéguevaété déclaré partied’Israël.

Les audacieux pionniersimpliqués ont été

honorés d’y avoir participé. Au départ, ces souvenirs semblent enthousiasmerYaakovSharett.

«Noussommespartisavecdufiletdespoteauxetnousavonssuivilesentieràtravers lewadi [litde rivièreasséchée]deBeer-Sheva», sesouvient-il. J’ouvreunordinateurportablepourmontrerdesphotosdupuitsarabe,devenuunsitetouristiqueisraélien.

Cequirestedupuitsd’AbuYahiya,restauréettransforméensitetouristiqueisraélienparl’autoritéfoncièreisraélienne

(MEE/SarahHelm)

«Oui», confieYaakov,étonné.«Jeleconnais.Je connaissais AbuYahiya. Un hommebien.UnBédouingrandet maigre au visagesympathique. Il m’avendu de l’eau. Elleétaitdélicieuse.»

Jeme demande ce quiest arrivé auxvillageois. Il s’arrête. «Quand la guerre estarrivée, les Arabes ontfui–ilsontétéchassés.

Jenem’ensouvienspasvraiment»,explique-t-il,s’arrêtantdenouveau.

« Je suis revenu après et la zone était pratiquement vide. Vide ! À part… »,poursuit-ilenportantdenouveausonregardsurlaphotodupuits.

« Vous savez, ce gentil monsieur était toujours là après. Il m’a demandé del’aide.Ilétaittrèsmalenpoint,trèsmaladeetàpeinecapabledemarcher,toutseul.Touslesautresétaientpartis.»

MaisYaakovn’apasapportésonaide.«Jen’airiendit.Celam’affligevraiment.Parcequ’ilétaitmonami»,reconnaît-il.

Yaakovsembleclairementpeiné.«Jeregretteamèrementtoutcela.Quepuis-jedire?»

Etaufildequecequidevaitêtreuncourtentretien,ildevientclairqueYaakovSharett regrette non seulement l’aventure dans le Néguev, mais aussil’ensembleduprojetsioniste.

Del’UkraineàlaPalestine

Remontantlecoursdel’histoire,Yaakovsembleparfoisdavantageseconfesserquedonneruneinterview.

Lapublicationd’uneéditionanglaiseabrégéedujournal

personneldeMoshéSharettaétécélébréedébutjanvier

(MEE/SarahHelm)

Après la guerre de 1948 et la création d’Israël, Yaakov a étudié le russe auxÉtats-Unis et a ensuite été affecté comme diplomate à l’ambassade d’Israël àMoscou, avant d’être expulsé de Russie, accusé d’être « un propagandistesionisteetunespiondelaCIA».

LespenséesdeYaakov,quimentionne souventau coursdenotre interview lerôle central de son père dans la création d’Israël, ont manifestement étéaffûtées par les années qu’il a passées à éditer les écrits de Moshe Sharett.Commentant l’éditionenhébreuetenhuitvolumesdes journaux, lequotidienisraéliendecentre-gaucheHaaretza indiquéqu’ilétait«difficiledesurestimerleurimportancepourl’étudedel’histoired’Israël».

Début janvier, la publication de l’édition anglaise abrégée, également traduitepar Yaakov, intitulée My Struggle for Peace (1953-1956), a été célébrée auxArchivessionistescentralesdeJérusalem.«C’est lesommetde l’œuvredemavie»,affirmeYaakov.

À son retour en Israël, il a travaillé commejournaliste et après avoir pris sa retraite, il aconsacré les dernières années de sa vie à lacréation de la Moshe Sharett Heritage Society,quiœuvre à la publication de documents et dejournaux intimes deMoshé Sharett – dont unesection en anglais. Les journaux personnels deSharett ont reçu un accueil très positif, uncritiquelesayantnotammentclassés«parmilesmeilleursjournauxpolitiquesjamaispubliés».

Cetravailaégalementrenduladouleursuscitéepar ses conclusionsd’autantplusprofondequ’ila désormais désavoué la validité d’une grandepartiede« l’œuvrede lavie»desonpère–et

commejel’apprends,decelledesongrand-pèreaussi.

Songrand-père, JacobShertok– lenomd’originede la famille–aété l’undespremiers sionistes àmettre le pied enPalestine après avoir quitté en 1882 samaisonàKherson,enUkraine,àlasuitedespogromsrusses.

«Ilavaitcerêvedelabourerlaterre.Lagrandeidéesionisteétaitderetourneràla terre et d’abandonner les activités superficielles des juifs qui s’étaientéloignésdelaterre»,raconte-t-il.

« Ils pensaient que, petit à petit, plus de juifs immigreraient jusqu’à ce qu’ilsdeviennent majoritaires et puissent exiger un État, qu’ils appelaient alors“patrie”pourévitertoutecontroverse.»

Jedemandecequelegrand-pèredeYaakovpensaitqu’ilarriveraitauxArabes,quireprésentaientalorsenviron97%delapopulation,contre2à3%dejuifs.

« Je crois qu’il pensait que plus il y aurait de juifs, plus ils apporteraient laprospéritéetpluslesArabesseraientheureux.Ilsn’avaientpascomprisquelesgens ne vivent pas que de l’argent. Il fallait que nous soyons la puissancedominante,maislesArabesallaients’yhabituer»,répond-il.

Esquissantunsourirenostalgique,ilajoute:«Ehbien,soitilsyontcru,soitilsont voulu y croire. La génération demon grand-père était une génération derêveurs. S’ils avaient été réalistes, ils ne seraient pas venus en Palestine enpremier lieu. Il n’a jamais été possible pour une minorité de remplacer unemajorité qui a vécu sur cette terre pendant des centaines d’années. Cela nepourraitjamaisfonctionner»,dit-il.

Quatreansplustard,Jacobaregrettéd’êtrevenuetestretournéenRussie,nonpas à cause de l’hostilité des Palestiniens – le nombre de juifs était encoreminime–maisparcequ’ilnepouvaitpasgagnersavieici.

BeaucoupdestoutpremierscolonsenPalestineonttrouvéletravaildelaterrebeaucoupplusdurqu’ilsne l’avaient jamais imaginéetsontsouventretournésen Russie en désespoir de cause.Mais en 1902, après de nouveaux pogroms,JacobSharettestrevenu,cettefoisavecunefamilledont faisaitpartieMoshé,alorsâgéde8ans.

LesPalestiniensétaient encore–pour laplupart – accueillants envers les juifscar lamenacedusionismedemeuraitfloue.UnmembredelaprospèrefamilleHusseini, parti à l’étranger, a même proposé au grand-père de Yaakov de luilouersamaisondanslevillaged’EinSiniya,aujourd’huienCisjordanieoccupée.

MoshéSharett,assisàgauchedupremierPremierministreisraélienDavidBenGourionencompagniedu

premiergouvernementisraélienen1949(Wikicommons)

Pendant deux ans, le grand-père Shertok y a vécu comme un notable arabetandis que ses enfants fréquentaient une école palestinienne. « Mon pèregardaitdesmoutons,apprenaitl’arabeetvivaitgénéralementcommeunArabe»,raconteYaakov.

Unétatd’espritdeminorité

Maisleprojetdessionistesétaitdevivrecommedesjuifs,sibienquelafamillen’a pas tardé à s’installer dans le centre juif de Tel Aviv alors en pleineexpansion, tandis que Moshé a rapidement entrepris de parfaire toutes sescompétences – notamment en étudiant le droit ottoman à Istanbul – afin defaireavancerleprojetsioniste.

GrâceàladéclarationBalfouren1917,quiapromisunepatriejuiveenPalestineet inauguré la domination coloniale britannique, le projet d’un État juif à partentièresemblaitdésormaisréalisableetaucoursdesdeuxdécenniessuivantes,Moshé Sharett a contribué à sa conception, devenant un membre clé del’Agencejuive,legouvernementendevenirdel’État.

Au centre de ce projetrésidait la création d’unemajorité juive etl’appropriation d’autant deterres que possible, une finenvuedelaquelleSharettacollaboré étroitement avecsonalliéDavidBenGourion.L’immigration a rapidementaugmentéetdesterresontétéachetées,généralementà des propriétaires arabesabsents.

Le rythme du changement a provoqué la révolte palestinienne de 1936,brutalementécraséeparlesBritanniques.Àlalumièredecetterévolte,lefuturPremierministren’a-t-iljamaisremisenquestionlafaisabilitédecetÉtatjuif?

«Monpèreetlesautrespensaientencorequela

plupartdesArabesvendraientleurhonneurnationalpourla

nourriturequenousleurdonnerions»

«Non»,répondYaakov.Lesdirigeantsétaient«encorepleinsdejustificationsquant à leurs idées sur le sionisme.Vousdevez vous rappeler qu’ils pensaienttousentantquejuifsetsedisaientqu’ilsavaientétésoumispardesmajoritésdanslespaysoùilsavaientvécu.

«Monpèredisaitceci:“Partoutoùilyauneminorité,chacundesesmembresa un bâton et un sac à dos dans sonarmoire.”Psychologiquement,ilserendaitcompte qu’un mauvais jour viendrait etqu’il devrait partir. La priorité a donctoujoursétédecréerunemajoritéetdesedébarrasser à jamais de cet état d’espritdeminorité.

«Monpèreetlesautrespensaientencoreque laplupartdesArabes vendraient leurhonneurnationalpour lanourriturequenousleurdonnerions.C’étaitunbeaurêve,maisaudétrimentdesautres.Etquiconquen’étaitpasd’accordétaituntraître.»

Unvolontairedevenumukhtar

Au début des années 1940, le jeune adolescent Yaakov ne remettait pas enquestionlavisiondesonpère.Bienaucontraire.

«JedoisdirequelorsquejefaisaispartieduMouvementdejeunessesioniste,on faisait le tour des villages arabes à pied, on voyait un village arabe et onapprenaitsonnomhébreu,commedanslaBible»,poursuit-il.«Onsentaitalorsqueletempsnel’avaitpasséparédenous.Jen’aijamaisétéreligieux,maisc’estcequel’onressentait.»

En1939, laSecondeGuerremondialeavaitéclatéetdenombreux jeunes juifsenPalestineavaientrejointlaBrigadejuivedel’arméebritanniquedéployéeenEurope.LaBrigadejuiveétaituneidéedupèredeYaakov,etdèsqu’ilfutassezâgé,Yaakovs’estportévolontaire,s’engageanten1944àl’âgede17ans.Maisquelquesmoisplustard–enavril1945–,laguerreaprisfinetilétaittroptardpourqueYaakovpuisseservir.

De retour en Palestine, ces jeunes soldats juifs qui avaient servi en Europefaisaientpartiedeceuxquiétaientdésormaisrecrutéspourcombattreaucours

YaakovSharett,alorsâgéde22ans,à

Hatzerim,dansleNéguev(avec

l’aimableautorisationdeYaakovSharett)

de ce quebeaucoup se doutaient qu’elle constituerait la nouvelle étape : unenouvelle guerre en Palestine pour créer un État d’Israël. Yaakov – qui n’avaitmanifestementpasencorecommencéàvoirquelesionismesedéveloppait«audétrimentdesautres»–aacceptévolontiersd’apportersapierreàl’édifice.

Désormaisâgéde19ans, ilaétéchoisipourofficierentantquemukhtar–ouchef de village – juif dans un avant-poste quasi-militaire dans le Néguev, unterritoirearideàpeinecoloniséparlesjuifs.

«Jenepensaispasbeaucoupàlapolitiqueàl’époque.Construirecettecolonieétaitlittéralementnotrerêve»,reconnaît-il.

SonépouseRenanousarejoints.Perchéesuruntabouret,elleacquiesced’unhochementdetête.RenaSharettétaitelle aussi une sioniste enthousiaste qui revendiquait leNégueven1946.

Avant1948, leNéguev comprenait ledistrict administratifbritannique de Beer-Sheva (Bir al-Sabaa en arabe) et ledistrictdeGaza,quiconstituaientensemble lamoitiéde laterre de Palestine. Bordant la mer Morte et le golfed’Aqaba,ceterritoiredisposaitd’unaccèsvitalàl’eau.

Sans surprise, les sionistes, qui n’avaient réussi à acheterque6%desterrespalestiniennes jusqu’alors,étaientdoncdéterminésàs’enemparer.

Cependant, étant donnéqu’environ 250 000Arabes vivaient dans 247 villagesduNéguev,contreenviron500juifsdanstroispetitsavant-postes,unnouveauplandepartitionanglo-américainrépartissaitlaPalestinemandataireentrejuifsetArabesetattribuaitlarégionduNéguevàunfuturÉtatpalestinien.

Une interdiction des nouvelles colonies prononcée par les Britanniques avaitégalement entravé les efforts délivrés par les sionistes pourmodifier le statuquo. Les Arabes s’étaient toujours opposés à tout projet dépeignant lesPalestiniens comme « une majorité autochtone vivant sur son sol ancestral,transforméedu jourau lendemainenuneminoritésousdominationétrangère»,commel’arésumél’historienpalestinienWalidKhalidi.

Mais à la fin de l’année 1946, avec un nouveau plan de partition desNationsuniesenpréparation,lesdirigeantssionistessavaientquec’étaitmaintenantoujamaispourleNéguev.

Maintenantoujamais

Leplandes«onzepoints»adoncétélancé.Lesnouvellescoloniesallaientnonseulementrenforcerlaprésencejuive,maiségalementservirdebasesmilitaireslorsquelaguerre–devenueinévitable–éclaterait.

Tout devait être fait en secret en raison de l’interdiction britannique et il futdécidé d’ériger les avant-postes dans la nuit du 5 octobre, juste après YomKippour. « Les Britanniques ne se seraient jamais attendus à ce que les juifs

fassent une telle chose la nuit suivant YomKippour»,sesouvientYaakov.

« Jemesouviensdumomentoùnousavonsdécouvert notre coin de terre au sommetd’unecollinearide.Ilfaisaitencorenuit,maisnous avons réussi à planter les poteaux etnousnoussommesviteretrouvésàl’intérieurdenotreclôture.Aupetitmatin,descamionssont arrivés avec une caserne préfabriquée.C’était un sacréexploit.Nous avons travaillé

commedesfous.Ah!Jenel’oublieraijamais.»

Depuis leurclôture, lescolonsn’ont toutd’abordpasvud’Arabes,mais ilsontensuiteaperçu les tentesduvillaged’AbuYahiyaetquelques«huttes sales»,commeYaakovlesdécrit.

Ilsontrapidementdemandédel’eauauxArabes.«Jecollectaisl’eaupournotrecoloniedans cepuits tous les joursavecmoncamion ; c’est commeçaque jesuisdevenuamiavecAbuYahiya»,explique-t-il.

Avecsesvaguesnotionsd’arabe, ilaaussibavardéavecd’autrespersonnes:«Ilsaimaientparler.C’étaitquandj’avaisdutravailàfaire»,raconte-t-ilenriant.«Jenepensepasqu’ilsétaientheureuxdenotreprésence,mais ilsétaientenpaixavecnous.Iln’yavaitpasd’inimitié.»

«Nousvivonsparl’épée[…]commesinousétionsforcésdefaired’Israëlunesortede

citadellefaceauxenvahisseurs,maisjene

pensepasqu’ilsoitpossibledevivreparl’épéepour

toujours»

Unautrechefarabelocalveillaitàleursécuritéenéchanged’unpetitpaiement.«C’étaitunesorted’accordquenousavionsaveclui.Ilfaisaitofficedegardienetchaquemois,ils’approchaitdenotreclôtureetrestaitassislàsansbouger–ilressemblait à un petit tas de vêtements », se souvient Yaakov, esquissant unlargesourire.

« Il attendait son paiement, je lui serrais lamain et lui faisais signer avec sonpouceunesortedereçuquejeremettaisauxautoritésàTelAviv,lesquellesmedonnaient alors de l’argent pour la fois suivante. C’était ma seule véritableresponsabilité en tant que mukhtar », affirme Yaakov, ajoutant que tout lemondesavaitqu’iln’avaitobtenucerôledechefqueparcequ’ilétait lefilsdesonpère.

Devenu une personnalité politique de premier plan,Moshé Sharett avait uneréputation de modéré et, à ce titre, était vu d’un mauvais œil par certainsadeptesdelalignedureauseindel’armée.

Lesnouveauxavant-postesdudésertduNéguevontétéconçusengrandepartiecomme des centres de collecte de renseignements sur les Arabes et Yaakovpense que c’est probablement à cause de son père qu’il suscitait lui aussi laméfianceetqu’il était exclupar ceuxquiétaientenvoyésà l’avant-postepourélaborerdesplansmilitaires.

« Au lieu de cela, j’ai vraiment servi d’homme à tout faire » – il conduisait,collectait de l’eau, achetait du carburant à Gaza ou à Beer-Sheva. Il semblenostalgique de la liberté que lui offrait ce paysage aride, même si les colonsrentraienttoujoursàl’intérieurdeleurclôturelanuit.

Il a connud’autresvillagesarabes, commeBurayr,«quia toujoursétéhostilepourjenesaisquelleraison»;laplupartétaienttoutefoisamicaux,notammentun village appelé Huj. « Je passais souvent par Huj et je connaissais bien levillage.»

Pendant la guerre de 1948, les habitants deHuj ont conclu avec les autoritésjuivesunaccordécritlesautorisantàrester,maisilsontétéchasséscommeleshabitants des 247 autres villages de la région, principalement vers Gaza. LesPalestiniensontdécritcesexpulsionscommeleurNakba,ou«catastrophe».

Je demande à Yaakov ses souvenirs de l’exode arabe de mai 1948. Il étaittoutefois absent à l’époque car le frère de Rena avait été tué au cours decombatsplusàl’estetlecoupleétaitdoncpartirejoindresafamille.

Je dis à Yaakov que j’ai rencontré des survivants du clan Abu Yahiya, qui ontracontéavoirétéconduitspardessoldats juifsdans lewadideBeer-Sheva,oùleshommesontétéséparésdesfemmesetcertainsontétéabattus,tandisquelesautresontétéexpulsés.

«Jenem’ensouvienspasvraiment»,avoueYaakov.Maisencreusantdanssamémoire, il se rappellesoudaind’autresatrocités,notamment lesévénementsde Burayr, le village hostile où, enmai 1948, il y a eu unmassacre au coursduquel entre 70 et 100 villageois ont été tués, selon les survivants et deshistorienspalestiniens.

«UndenosgarçonsaaidéàprendreBurayr.Jemesouviensqu’iladitqu’àsonarrivée,lesArabesavaientdéjàpresquetousfuietqu’ilaouvertlaported’unemaisonoù il a vuun vieil homme, alors il l’a tué. Il a pris plaisir à l’abattre »,raconte-t-il.

AumomentdelaprisedeBeer-Shevaenoctobre1948,Yaakovétaitretournéàsonavant-postevoisin,quiportaitmaintenantlenomhébreudeHatzerim.

«J’aiapprisquenosgarçonsavaientmenél’arméejusqu’àlaville»,précise-t-il.«Nousconnaissionstrèsbienlarégionetnouspouvionslesguideràtraversleswadi.»

Après la chute de Beer-Sheva, Yaakov y a emmené ses camarades en camionpour jeter un coup d’œil : « C’était vide, totalement vide. » La totalité de lapopulation, soit environ 5 000 personnes, avait été expulsée et conduite versGazadansdescamions.

J’aientendudirequ’ilyavaitbeaucoupdepillages.«Oui»,concède-t-il.«Nousavonsprisdeschosesdansplusieursmaisonsvides.Nousavonspriscequenouspouvions – desmeubles, des radios, des ustensiles. Pas pour nous,mais pouraider le kibboutz. Après tout, Beer-Sheva était vide et n’appartenait plus àpersonne.»

Qu’enpensait-il ?«Encoreune fois, jedois avouerque jene réfléchissaispasbeaucoupà l’époque.Nousétions fiersd’occuperBeer-Sheva.Mêmesi jedoisdirequenousavionstantd’amislà-basavant.»

Yaakovaffirmenepassesouvenirs’ila lui-mêmepillé :« Je l’aiprobablementfait. J’étais l’und’entreeux.Nousétions trèsheureux.Sionneprenaitpas leschoses,quelqu’und’autreleferait.Onnesesentaitpasobligédelesrendre.Ilsnerevenaientpas.»

Qu’enpensait-il ? Il s’arrête.«Nousn’ypensionspasà l’époque.En fait,monpèreadit qu’ils ne reviendraientpas.Monpèreétait unhommemoral. Jenecroispasqu’ilaitcontribuéàdonnerl’ordred’expulserlesArabes.BenGourionyacontribué.PasSharett.Maisill’aacceptécommeunfait.Jepensequ’ilsavaitquequelquechosen’allaitpas,maisilnes’yestpasopposé»,explique-t-il.

«Aprèslaguerre,monpèreadonnéuneconférenceetaditqu’ilnesavaitpaspourquoiunhommedevaitvivredeuxansàl’écartdansunvillage[enréférenceàsonenfanceàEinSiniya]pourserendrecomptequelesArabessontdesêtreshumains. C’est le genre dephrase qui ne sortirait de la bouched’aucun autredirigeantjuif…c’étaitmonpère.»

Puis,commes’ilseconfessaitaussiaunomdesonpère,Yaakovajoute:«Maisjedoisêtre franc,monpèreavaitdeschosescruellesàdire sur les réfugiés. Ilétaitcontreleurretour,ilétaitd’accordavecBenGourionsurcepoint.»

MoshéDayanétaitbienpluscruelqueSharett.Nomméaprèslaguerrecommechef de cabinet par David Ben Gourion, le premier Premier ministre d’Israël,Dayan avait pour tâche de retenir les réfugiés du Néguev et tant d’autrespersonnes«enfermées»derrièreleslignesd’armisticedeGaza.

En1956,unréfugiédeGazaatuéuncolonisraélien,RoiRotberg,etaucoursdeses funérailles, Dayan a prononcé un célèbre éloge funèbre exhortant lesIsraéliensàaccepterunefoispourtoutesquelesArabesnevivraientjamaisenpaixàleurscôtés.Ilenaexpliquélaraison:lesArabesavaientétéexpulsésdeleursmaisonsquiétaientdésormaishabitéespardesjuifs.

MoshéDayanprononcel’élogefunèbredeRoiRotbergaukibboutzNahalOz,enavril1956

(Twitter/@ProvMagazine)

MaisDayanaexhortélesjuifsàrépondrenonpasencherchantun compromis, mais enregardant « directement lahainequiconsumeetremplitlaviedesArabesquiviventautourde nous [et en étantconstamment] prêts et armés,dursettenaces».

Ce discours a profondémentmarqué Yaakov Sharett. « J’aidit que c’était un discours

fasciste.Ildisaitauxgensdevivreparl’épée»,sesouvient-il.MoshéSharett,quiétaitministre des Affaires étrangères à l’époque, prônait le compromis par lebiaisd’unediplomatie,raisonpourlaquelleilétaitqualifiéde«faible».

Mais cen’estqu’en1967, lorsqu’il a commencéà travailler comme journalistepour le journal centriste israélien Maariv, que Yaakov a perdu sa foi dans lesionisme.

«Ilsétaientlamajorité»

Lors de la guerre israélo-arabede1967, Israël s’est emparédeplus de terres,cette fois en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza, où uneoccupationmilitaire a été imposée auxPalestiniensqui n’avaient pas fui cettefois.

EnvisiteenCisjordanie,SharettaobservélesvisagesstupéfaitsmaisréfractairesdesArabesets’estsentiunefoisdeplus«malàl’aise»,enparticulierlorsqu’ils’est rendu dans le village d’Ein Siniya, l’ancien village de sa famille, dont sonpèrealorsdécédéparlaitavectantd’affection.C’estlàqu’enfant,Moshégardaitdes moutons et avait appris « que les Arabes [étaient] des êtres humains »,commel’aditplustardMoshéSharettdansundiscours.

«Lesvillageoissubissaient lepremierchocde l’occupation. Ilssavaientque lesjuifs étaient désormais la puissance dominante, mais ils nemontraient aucunsentimentdehaine.C’étaientdesgenssimples.Etjemesouviensqueplusieurs

habitants se sont rassemblés autour de nous et nous ont souri en me disantqu’ilssesouvenaientdemafamilleetde lamaisondans laquellenotre famillevivait.Nousnoussommesdoncsourietjesuisparti.Jen’ysuispasretourné.Jen’aimaispascetteoccupationet jenevoulaispasyallerentantquemaître»,confie-t-il.

«Avez-vousentenduparlerdu ‘’tireret pleurer’’ ? », demande-t-il enesquissant de nouveau un sourirenostalgique. Il explique que cetteexpression faisait référence auxIsraéliens qui, après avoir combattuenCisjordanieen1967,avaientéprouvédelahontemaisacceptélesrésultats.

« Mais je ne voulais plus rien avoir à faire avec cette occupation. C’était mafaçondenepasm’identifieràelle.Ellemedéprimait,j’enavaishonte.»

Lesvisagesdesvillageoisd’EinSiniyarévélaientautrechose:«J’aivudanscetairdedéfiqu’ilsavaientencoreunétatd’espritdemajorité.Monpèredisaitquela guerre créait toujours des vagues de réfugiés. Mais il ne voyait pas qued’habitude,ceuxquifuyaientétaientlaminorité.En1948,ilsétaientlamajorité,alorsilsn’abandonnerontjamais.C’estnotreproblème.

«Mais ilm’a falludesannéespourcomprendrecequ’était laNakbaetque laNakba n’a pas commencé en 1967 mais en 1948. Il faut que nous lecomprenions.»

Renas’immiscedanslaconversation.«En1948,c’étaitsoiteux,soitnous.Unequestiondevieoudemort.Elleétaitlà,ladifférence»,affirme-t-elle.

«Noussommesendésaccordsurcepoint»,concèdeYaakov.«Monépouseaperdusonfrèreen1948.Ellevoitleschosesdifféremment.»

«Jepartiraisdemain»

Désormaisâgé,Yaakovremonteencoreplusloindansletempsenexaminantlesproblèmesdusionismedepuisletoutdébut.

«Nousnoussommessourietjesuisparti.Jen’ysuispasretourné.Jen’aimaispascetteoccupationetjenevoulaispasyallerentantquemaître»

«Maintenant,à [92]ans, jemerendscompteque l’histoireacommencéavecl’idée même du sionisme, qui était une idée utopique. Elle était destinée àsauverdes vies juives,mais auprix d’unenationd’occupantsqui habitaient laPalestineàcetteépoque.Leconflitétaitinévitabledèsledébut.»

Je lui demande s’il se décrit comme un antisioniste. « Je ne suis pas unantisioniste,maisjenesuispassioniste»,dit-ilensetournantversRena,peut-êtreaucasoùelledésapprouverait–sonépouseadesopinionsmoinsradicales.

Sur le mur, à côté de la photo de son père, se trouvent des photos de leursenfantsetpetits-enfants;deuxdespetites-fillesdeYaakovontémigréauxÉtats-Unis.«Jen’aipaspeurdedirequejesuisheureuxqu’ellessoientlà-basetpasici»,affirme-t-il.

Je lui demande s’il a « un sac àdosetunbâton»prêtsàl’emploipour les rejoindre. Après tout,avecsesopinions,Yaakov fait lui-même désormais partie d’uneminorité – une petite minorité –vivantparmiunemajoritédejuifsdedroiteicienIsraël.

Et en plus d’être « enfermé »idéologiquement, il l’est aussi physiquement. Il explique qu’il peut à peine sedéplacer en Israël aujourd’hui. Il refused’aller à Jérusalem,qui a selon lui étéprisepardesjuifsreligieuxultra-orthodoxes.

« C’est l’une des catastrophes les plus terribles. Quand on était jeunes, onpensait que la religion allait disparaître. » Il ne souhaite plus jamais retournerdans sonNéguev bien-aimé parce qu’il a été colonisé il y a longtemps par denouvellesgénérationsdejuifs«quin’ontaucuneempathiepourlesArabes».

YaakovSharettaujourd’hui(avecl’aimableautorisationdeYaakovSharett)

S’ilpeutencore«respirer»àTelAvivets’ilaimefairedestoursàtoutevitesseenscooter,ilaffirmequemêmeici,ilal’impressiondevivredansune«bulle».

Ilglousseunenouvellefois.

« Je l’appelle la bulle Haaretz »,ajoute-t-ilenexpliquantqu’ilfaitréférence à un groupe degauchistes qui lisent le journallibéral Haaretz. « Mais lesmembresdececlann’ontaucunlien entre eux, si ce n’est ce

quotidienquiexprimeplusoumoinsnotreopinion.C’est ledernierbastion.Etcelam’affligevraiment…C’estvraiquejenemesenspaschezmoiici.»

Yaakovpensetoujoursàpartir.Sid’autresmembresdesafamillelesuivaient,illeferait.

« Regardez. Lorsque vous m’amenez à y réfléchir, je me dis que je partiraisdemain.Desmilliersdepersonnespartentdéjà,laplupartontdeuxpasseports.Nous avons le pire gouvernement que nous ayons jamais eu avec BibiNetanyahou»,soutient-il.

« Nous vivons par l’épée, comme Dayan l’a suggéré… comme si nous étionsforcésdefaired’Israëlunesortedecitadelle faceauxenvahisseurs,mais jenepensepasqu’ilsoitpossibledevivreparl’épéepourtoujours.»

Jeluidemandecommentilvoitl’avenirpourlesPalestiniens.

«Quepuis-jedire ?Celam’afflige vraiment. Et jen’aipaspeurdedireque letraitement réservé aux Palestiniens aujourd’hui est digne des nazis. Nousn’avonspasdechambresàgaz,biensûr,maislamentalitéestlamême.C’estdelahaineraciale.Ilssonttraitéscommedessous-hommes»,affirme-t-il.

Yaakovestbienconscientquemêmes’ilestjuif,ilseraaccuséd’«antisémitisme»endisantdetelleschoses,maisilestimequ’Israëlest«unÉtatcriminel».

«Jesaisquepouravoirditça, ilsmequalifierontdejuifantisémite.Maisjenepeuxpasautomatiquementsoutenirmonpays,qu’ilaittortouraison.EtIsraëlne doit pas être à l’abri des critiques. Il est crucial de voir la différence entre

«Jen’aipaspeurdedirequeletraitementréservéauxPalestiniensaujourd’huiestdignedesnazis.Nous

n’avonspasdechambresàgaz,biensûr,maislamentalitéestlamême.C’estdelahaineraciale.Ilssonttraitéscomme

dessous-hommes»

l’antisémitisme et la critique d’Israël. Pour être honnête, je suis ébahi de voircomment,en2019,lemondeextérieuracceptelapropagandeisraélienne.Jenesaisvraimentpaspourquoiilsl’acceptent»,argumente-t-il.

«Etsouvenez-vousquelebutmêmedusionismeétaitdelibérerlesjuifsdelamalédiction de l’antisémitisme en leur donnant leur propre État. Maisaujourd’hui, l’État juif, par son propre comportement criminel, est l’une descauseslesplusgravesdecettemalédiction.»

Queprédit-ilpourl’Étatjuif?«Jevaisvousdirequelleestmaprédiction.Jen’aipaspeurdeledire.Quandlemomentviendra–etilpourraitvenirdemain–,ilyaura une conflagration, peut-être avec le Hezbollah… une grande catastrophesousuneformeouuneautrequidétruiradesmilliersdefoyersjuifs.

« Et nous bombarderons Beyrouth, mais priver les Libanais de leurs foyersn’aiderapaslejuifquiperdsonfoyeretsafamille,donclesgensneverrontplusaucuneraisonderesterici.TouslesIsraéliensrationnelsdevrontalorspartir.

«Celanedoitpas forcémentêtre leHezbollah.Lacatastrophepourraitêtre laforte domination de notre propre droite. Toutes les lois promulguées par laKnesset aujourd’hui sont des lois fascistes. Je n’ai pas de solution. IsraëldeviendraunÉtatparia»,déplore-t-il.

Je lui suggère que l’Amérique et lesEuropéens ne traiteront sûrementjamais Israël comme un État paria,mais Yaakov n’est pas de cet avis : «Leur soutienest surtoutdûà la hontede l’Holocauste. Mais ces sentimentsde culpabilité faibliront au sein desprochainesgénérations»,estime-t-il.

JedemandeàYaakovcequesonpèreauraitdits’ilavaitentendutoutcela.Renareconnaîtqu’ellen’ajamaisentenduYaakovparlerdelasorteavant.Sesyeuxseperdentsoussonbonnet.

« Jepensequemonpèreseraitcontraintd’êtred’accordavecmoi. Ilestrestésionistejusqu’àlafin,maisjepensequ’ils’estrenducomptequequelquechose

«Souvenez-vousquelebutmêmedusionismeétaitdelibérerlesjuifsdelamalédictiondel’antisémitismeenleurdonnantleurpropreÉtat.

Maisaujourd’hui,l’Étatjuif,parsonproprecomportementcriminel,estl’unedescauseslesplusgravesde

cettemalédiction»

n’allaitpas.Parfois,jemedisqu’ilétaittropmoralpourêtreenpaixaveccequisepasseici»,pense-t-il.

«Maisilestdécevantqu’ilnesoitpasarrivéàlaconclusionquesonfilsafaite.Jeneluienveuxpaspourça.Ilabulesionismedanslelaitdesamère.S’ilavaitvécujusqu’àmonâge–j’ai92ans,ilestmortà71ans–,peut-êtreaurait-ilvuleschosescommemoi.Jenesaispas.»

Jeme lève pour partir et je reprendsmon ordinateur portable, qui affiche denouveau la photo du puits d’Abu Yahiya. Notre entretien a été hanté nonseulementparMoshéSharett,maisaussipar l’imagedece«Bédouingrandetmaigreauvisagesympathique»queYaakovavupourladernièrefoisaffligéetseul.

« Je dois dire que l’image de ce gentilmonsieurme vient parfois à l’esprit »,confieYaakov,quimeraccompagnejusqu’àlarue.Agrippantsonscooter,ilmefaitsigneavecentrainavantdes’enfoncerdansletraficdeTelAviv.

My Struggle for Peace: TheDiary ofMoshe Sharett, 1953–1956 est publié parIndiana University Press. Sarah Helm est une ancienne correspondante auMoyen-Orient et rédactrice diplomatique de The Independent. Elle anotammentécritALife InSecrets:VeraAtkinsandtheLostAgentsofSOEet IfThisIsaWoman.

Traduitdel’anglais(original)parVECTranslation.