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YaakovSharettàl’âgede18ans,alorssoldatauseindelaBrigadejuive(avecl’aimable

autorisationdeYaakovSharett)

YaakovSharett:«Jenevoulaisplusrienavoiràfaireaveccetteoccupation»

ParSarahHelm

DansunlongentretienpourMiddleEastEye,lefilsd’undesfondateursd’IsraëlditregretterlacolonisationduNéguevdanslesannées1940–etl’ensembledu

projetsioniste.«Jem’appelleYaakovSharett.J’ai92ans. Il se trouveque je suis lefils de mon père, ce dont je nesuis pas responsable. C’estcommeça.»

Yaakovémetunpetitrireet,sousson bonnet, lève les yeux versunephotodesonpère–leregardfierencoletcravate–accrochéeaumurdesonbureauàTelAviv.Moshé Sharett a été l’un des

pères fondateurs d’Israël, son premierministre des Affaires étrangères et sondeuxièmePremierministrede1954à1955.

MaisjenesuispasvenuepourparlerdupèredeYaakov.Jesuisvenueavecdesphotos d’un puits qui se trouvait autrefois dans un village arabe appelé AbuYahiya, situé dans la région du Néguev, dans ce qui est maintenant le sudd’Israël.

Aucoursderecherchesdansunlivre,j’airécemmentdécouvertlepuitsetapprisquelque chose sur l’histoire du village d’Abu Yahiya. J’ai entendu dire que lesPalestiniensquiyvivaientautrefoisenavaientétéexpulséspendantlaguerrede1948quiaentraînélacréationd’Israël.

J’ai aussi entendudirequedespionniers sionistesqui avaientétabli unavant-posteprèsduvillageavantlaguerrede1948puisaientdel’eaudanslepuitsdesArabes. Parmi eux se trouvait un jeune soldat répondant au nom de YaakovSharett. Je suis donc venue voir Yaakov dans l’espoir qu’il puisse partager sessouvenirsdupuits,desvillageoisetdesévénementsde1948.

UnkibboutzdanslenordduNéguev,àl’été1946(AFP)

En 1946, deux ans avant la guerre arabo-israélienne, Yaakov et un groupe decamarades se sont installés dans la régiond’Abu Yahiya pour aider àmener àbienl’unedesexpropriationsdeterreslesplusépoustouflantesréaliséesparlessionistes.

Le jeune soldat Sharett fut nommémukhtar– ou chef – d’undesonze avant-postes juifsétablis furtivementdans leNéguev. L’objectifétaitde s’assurerunancrage juif pour qu’Israël puisse s’emparer de la zone stratégique lorsque laguerreéclaterait.

Desébauchesdeplansdepartitionavaientdésigné leNéguev–où lesArabesétaientlargementplusnombreuxquelesjuifs–commefaisantpartied’unÉtatarabe,maislesstratègesjuifsétaientdéterminésàsel’approprier.

L’opération dite des«onze points» a été unénorme succès et aucours de la guerre, lesArabes ont étépratiquement touschassés,puisleNéguevaété déclaré partied’Israël.

Les audacieux pionniersimpliqués ont été

honorés d’y avoir participé. Au départ, ces souvenirs semblent enthousiasmerYaakovSharett.

«Noussommespartisavecdufiletdespoteauxetnousavonssuivilesentieràtravers lewadi [litde rivièreasséchée]deBeer-Sheva», sesouvient-il. J’ouvreunordinateurportablepourmontrerdesphotosdupuitsarabe,devenuunsitetouristiqueisraélien.

Cequirestedupuitsd’AbuYahiya,restauréettransforméensitetouristiqueisraélienparl’autoritéfoncièreisraélienne

(MEE/SarahHelm)

«Oui», confieYaakov,étonné.«Jeleconnais.Je connaissais AbuYahiya. Un hommebien.UnBédouingrandet maigre au visagesympathique. Il m’avendu de l’eau. Elleétaitdélicieuse.»

Jeme demande ce quiest arrivé auxvillageois. Il s’arrête. «Quand la guerre estarrivée, les Arabes ontfui–ilsontétéchassés.

Jenem’ensouvienspasvraiment»,explique-t-il,s’arrêtantdenouveau.

« Je suis revenu après et la zone était pratiquement vide. Vide ! À part… »,poursuit-ilenportantdenouveausonregardsurlaphotodupuits.

« Vous savez, ce gentil monsieur était toujours là après. Il m’a demandé del’aide.Ilétaittrèsmalenpoint,trèsmaladeetàpeinecapabledemarcher,toutseul.Touslesautresétaientpartis.»

MaisYaakovn’apasapportésonaide.«Jen’airiendit.Celam’affligevraiment.Parcequ’ilétaitmonami»,reconnaît-il.

Yaakovsembleclairementpeiné.«Jeregretteamèrementtoutcela.Quepuis-jedire?»

Etaufildequecequidevaitêtreuncourtentretien,ildevientclairqueYaakovSharett regrette non seulement l’aventure dans le Néguev, mais aussil’ensembleduprojetsioniste.

Del’UkraineàlaPalestine

Remontantlecoursdel’histoire,Yaakovsembleparfoisdavantageseconfesserquedonneruneinterview.

Lapublicationd’uneéditionanglaiseabrégéedujournal

personneldeMoshéSharettaétécélébréedébutjanvier

(MEE/SarahHelm)

Après la guerre de 1948 et la création d’Israël, Yaakov a étudié le russe auxÉtats-Unis et a ensuite été affecté comme diplomate à l’ambassade d’Israël àMoscou, avant d’être expulsé de Russie, accusé d’être « un propagandistesionisteetunespiondelaCIA».

LespenséesdeYaakov,quimentionne souventau coursdenotre interview lerôle central de son père dans la création d’Israël, ont manifestement étéaffûtées par les années qu’il a passées à éditer les écrits de Moshe Sharett.Commentant l’éditionenhébreuetenhuitvolumesdes journaux, lequotidienisraéliendecentre-gaucheHaaretza indiquéqu’ilétait«difficiledesurestimerleurimportancepourl’étudedel’histoired’Israël».

Début janvier, la publication de l’édition anglaise abrégée, également traduitepar Yaakov, intitulée My Struggle for Peace (1953-1956), a été célébrée auxArchivessionistescentralesdeJérusalem.«C’est lesommetde l’œuvredemavie»,affirmeYaakov.

À son retour en Israël, il a travaillé commejournaliste et après avoir pris sa retraite, il aconsacré les dernières années de sa vie à lacréation de la Moshe Sharett Heritage Society,quiœuvre à la publication de documents et dejournaux intimes deMoshé Sharett – dont unesection en anglais. Les journaux personnels deSharett ont reçu un accueil très positif, uncritiquelesayantnotammentclassés«parmilesmeilleursjournauxpolitiquesjamaispubliés».

Cetravailaégalementrenduladouleursuscitéepar ses conclusionsd’autantplusprofondequ’ila désormais désavoué la validité d’une grandepartiede« l’œuvrede lavie»desonpère–et

commejel’apprends,decelledesongrand-pèreaussi.

Songrand-père, JacobShertok– lenomd’originede la famille–aété l’undespremiers sionistes àmettre le pied enPalestine après avoir quitté en 1882 samaisonàKherson,enUkraine,àlasuitedespogromsrusses.

«Ilavaitcerêvedelabourerlaterre.Lagrandeidéesionisteétaitderetourneràla terre et d’abandonner les activités superficielles des juifs qui s’étaientéloignésdelaterre»,raconte-t-il.

« Ils pensaient que, petit à petit, plus de juifs immigreraient jusqu’à ce qu’ilsdeviennent majoritaires et puissent exiger un État, qu’ils appelaient alors“patrie”pourévitertoutecontroverse.»

Jedemandecequelegrand-pèredeYaakovpensaitqu’ilarriveraitauxArabes,quireprésentaientalorsenviron97%delapopulation,contre2à3%dejuifs.

« Je crois qu’il pensait que plus il y aurait de juifs, plus ils apporteraient laprospéritéetpluslesArabesseraientheureux.Ilsn’avaientpascomprisquelesgens ne vivent pas que de l’argent. Il fallait que nous soyons la puissancedominante,maislesArabesallaients’yhabituer»,répond-il.

Esquissantunsourirenostalgique,ilajoute:«Ehbien,soitilsyontcru,soitilsont voulu y croire. La génération demon grand-père était une génération derêveurs. S’ils avaient été réalistes, ils ne seraient pas venus en Palestine enpremier lieu. Il n’a jamais été possible pour une minorité de remplacer unemajorité qui a vécu sur cette terre pendant des centaines d’années. Cela nepourraitjamaisfonctionner»,dit-il.

Quatreansplustard,Jacobaregrettéd’êtrevenuetestretournéenRussie,nonpas à cause de l’hostilité des Palestiniens – le nombre de juifs était encoreminime–maisparcequ’ilnepouvaitpasgagnersavieici.

BeaucoupdestoutpremierscolonsenPalestineonttrouvéletravaildelaterrebeaucoupplusdurqu’ilsne l’avaient jamais imaginéetsontsouventretournésen Russie en désespoir de cause.Mais en 1902, après de nouveaux pogroms,JacobSharettestrevenu,cettefoisavecunefamilledont faisaitpartieMoshé,alorsâgéde8ans.

LesPalestiniensétaient encore–pour laplupart – accueillants envers les juifscar lamenacedusionismedemeuraitfloue.UnmembredelaprospèrefamilleHusseini, parti à l’étranger, a même proposé au grand-père de Yaakov de luilouersamaisondanslevillaged’EinSiniya,aujourd’huienCisjordanieoccupée.

MoshéSharett,assisàgauchedupremierPremierministreisraélienDavidBenGourionencompagniedu

premiergouvernementisraélienen1949(Wikicommons)

Pendant deux ans, le grand-père Shertok y a vécu comme un notable arabetandis que ses enfants fréquentaient une école palestinienne. « Mon pèregardaitdesmoutons,apprenaitl’arabeetvivaitgénéralementcommeunArabe»,raconteYaakov.

Unétatd’espritdeminorité

Maisleprojetdessionistesétaitdevivrecommedesjuifs,sibienquelafamillen’a pas tardé à s’installer dans le centre juif de Tel Aviv alors en pleineexpansion, tandis que Moshé a rapidement entrepris de parfaire toutes sescompétences – notamment en étudiant le droit ottoman à Istanbul – afin defaireavancerleprojetsioniste.

GrâceàladéclarationBalfouren1917,quiapromisunepatriejuiveenPalestineet inauguré la domination coloniale britannique, le projet d’un État juif à partentièresemblaitdésormaisréalisableetaucoursdesdeuxdécenniessuivantes,Moshé Sharett a contribué à sa conception, devenant un membre clé del’Agencejuive,legouvernementendevenirdel’État.

Au centre de ce projetrésidait la création d’unemajorité juive etl’appropriation d’autant deterres que possible, une finenvuedelaquelleSharettacollaboré étroitement avecsonalliéDavidBenGourion.L’immigration a rapidementaugmentéetdesterresontétéachetées,généralementà des propriétaires arabesabsents.

Le rythme du changement a provoqué la révolte palestinienne de 1936,brutalementécraséeparlesBritanniques.Àlalumièredecetterévolte,lefuturPremierministren’a-t-iljamaisremisenquestionlafaisabilitédecetÉtatjuif?

«Monpèreetlesautrespensaientencorequela

plupartdesArabesvendraientleurhonneurnationalpourla

nourriturequenousleurdonnerions»

«Non»,répondYaakov.Lesdirigeantsétaient«encorepleinsdejustificationsquant à leurs idées sur le sionisme.Vousdevez vous rappeler qu’ils pensaienttousentantquejuifsetsedisaientqu’ilsavaientétésoumispardesmajoritésdanslespaysoùilsavaientvécu.

«Monpèredisaitceci:“Partoutoùilyauneminorité,chacundesesmembresa un bâton et un sac à dos dans sonarmoire.”Psychologiquement,ilserendaitcompte qu’un mauvais jour viendrait etqu’il devrait partir. La priorité a donctoujoursétédecréerunemajoritéetdesedébarrasser à jamais de cet état d’espritdeminorité.

«Monpèreetlesautrespensaientencoreque laplupartdesArabes vendraient leurhonneurnationalpour lanourriturequenousleurdonnerions.C’étaitunbeaurêve,maisaudétrimentdesautres.Etquiconquen’étaitpasd’accordétaituntraître.»

Unvolontairedevenumukhtar

Au début des années 1940, le jeune adolescent Yaakov ne remettait pas enquestionlavisiondesonpère.Bienaucontraire.

«JedoisdirequelorsquejefaisaispartieduMouvementdejeunessesioniste,on faisait le tour des villages arabes à pied, on voyait un village arabe et onapprenaitsonnomhébreu,commedanslaBible»,poursuit-il.«Onsentaitalorsqueletempsnel’avaitpasséparédenous.Jen’aijamaisétéreligieux,maisc’estcequel’onressentait.»

En1939, laSecondeGuerremondialeavaitéclatéetdenombreux jeunes juifsenPalestineavaientrejointlaBrigadejuivedel’arméebritanniquedéployéeenEurope.LaBrigadejuiveétaituneidéedupèredeYaakov,etdèsqu’ilfutassezâgé,Yaakovs’estportévolontaire,s’engageanten1944àl’âgede17ans.Maisquelquesmoisplustard–enavril1945–,laguerreaprisfinetilétaittroptardpourqueYaakovpuisseservir.

De retour en Palestine, ces jeunes soldats juifs qui avaient servi en Europefaisaientpartiedeceuxquiétaientdésormaisrecrutéspourcombattreaucours

YaakovSharett,alorsâgéde22ans,à

Hatzerim,dansleNéguev(avec

l’aimableautorisationdeYaakovSharett)

de ce quebeaucoup se doutaient qu’elle constituerait la nouvelle étape : unenouvelle guerre en Palestine pour créer un État d’Israël. Yaakov – qui n’avaitmanifestementpasencorecommencéàvoirquelesionismesedéveloppait«audétrimentdesautres»–aacceptévolontiersd’apportersapierreàl’édifice.

Désormaisâgéde19ans, ilaétéchoisipourofficierentantquemukhtar–ouchef de village – juif dans un avant-poste quasi-militaire dans le Néguev, unterritoirearideàpeinecoloniséparlesjuifs.

«Jenepensaispasbeaucoupàlapolitiqueàl’époque.Construirecettecolonieétaitlittéralementnotrerêve»,reconnaît-il.

SonépouseRenanousarejoints.Perchéesuruntabouret,elleacquiesced’unhochementdetête.RenaSharettétaitelle aussi une sioniste enthousiaste qui revendiquait leNégueven1946.

Avant1948, leNéguev comprenait ledistrict administratifbritannique de Beer-Sheva (Bir al-Sabaa en arabe) et ledistrictdeGaza,quiconstituaientensemble lamoitiéde laterre de Palestine. Bordant la mer Morte et le golfed’Aqaba,ceterritoiredisposaitd’unaccèsvitalàl’eau.

Sans surprise, les sionistes, qui n’avaient réussi à acheterque6%desterrespalestiniennes jusqu’alors,étaientdoncdéterminésàs’enemparer.

Cependant, étant donnéqu’environ 250 000Arabes vivaient dans 247 villagesduNéguev,contreenviron500juifsdanstroispetitsavant-postes,unnouveauplandepartitionanglo-américainrépartissaitlaPalestinemandataireentrejuifsetArabesetattribuaitlarégionduNéguevàunfuturÉtatpalestinien.

Une interdiction des nouvelles colonies prononcée par les Britanniques avaitégalement entravé les efforts délivrés par les sionistes pourmodifier le statuquo. Les Arabes s’étaient toujours opposés à tout projet dépeignant lesPalestiniens comme « une majorité autochtone vivant sur son sol ancestral,transforméedu jourau lendemainenuneminoritésousdominationétrangère»,commel’arésumél’historienpalestinienWalidKhalidi.

Mais à la fin de l’année 1946, avec un nouveau plan de partition desNationsuniesenpréparation,lesdirigeantssionistessavaientquec’étaitmaintenantoujamaispourleNéguev.

Maintenantoujamais

Leplandes«onzepoints»adoncétélancé.Lesnouvellescoloniesallaientnonseulementrenforcerlaprésencejuive,maiségalementservirdebasesmilitaireslorsquelaguerre–devenueinévitable–éclaterait.

Tout devait être fait en secret en raison de l’interdiction britannique et il futdécidé d’ériger les avant-postes dans la nuit du 5 octobre, juste après YomKippour. « Les Britanniques ne se seraient jamais attendus à ce que les juifs

fassent une telle chose la nuit suivant YomKippour»,sesouvientYaakov.

« Jemesouviensdumomentoùnousavonsdécouvert notre coin de terre au sommetd’unecollinearide.Ilfaisaitencorenuit,maisnous avons réussi à planter les poteaux etnousnoussommesviteretrouvésàl’intérieurdenotreclôture.Aupetitmatin,descamionssont arrivés avec une caserne préfabriquée.C’était un sacréexploit.Nous avons travaillé

commedesfous.Ah!Jenel’oublieraijamais.»

Depuis leurclôture, lescolonsn’ont toutd’abordpasvud’Arabes,mais ilsontensuiteaperçu les tentesduvillaged’AbuYahiyaetquelques«huttes sales»,commeYaakovlesdécrit.

Ilsontrapidementdemandédel’eauauxArabes.«Jecollectaisl’eaupournotrecoloniedans cepuits tous les joursavecmoncamion ; c’est commeçaque jesuisdevenuamiavecAbuYahiya»,explique-t-il.

Avecsesvaguesnotionsd’arabe, ilaaussibavardéavecd’autrespersonnes:«Ilsaimaientparler.C’étaitquandj’avaisdutravailàfaire»,raconte-t-ilenriant.«Jenepensepasqu’ilsétaientheureuxdenotreprésence,mais ilsétaientenpaixavecnous.Iln’yavaitpasd’inimitié.»

«Nousvivonsparl’épée[…]commesinousétionsforcésdefaired’Israëlunesortede

citadellefaceauxenvahisseurs,maisjene

pensepasqu’ilsoitpossibledevivreparl’épéepour

toujours»

Unautrechefarabelocalveillaitàleursécuritéenéchanged’unpetitpaiement.«C’étaitunesorted’accordquenousavionsaveclui.Ilfaisaitofficedegardienetchaquemois,ils’approchaitdenotreclôtureetrestaitassislàsansbouger–ilressemblait à un petit tas de vêtements », se souvient Yaakov, esquissant unlargesourire.

« Il attendait son paiement, je lui serrais lamain et lui faisais signer avec sonpouceunesortedereçuquejeremettaisauxautoritésàTelAviv,lesquellesmedonnaient alors de l’argent pour la fois suivante. C’était ma seule véritableresponsabilité en tant que mukhtar », affirme Yaakov, ajoutant que tout lemondesavaitqu’iln’avaitobtenucerôledechefqueparcequ’ilétait lefilsdesonpère.

Devenu une personnalité politique de premier plan,Moshé Sharett avait uneréputation de modéré et, à ce titre, était vu d’un mauvais œil par certainsadeptesdelalignedureauseindel’armée.

Lesnouveauxavant-postesdudésertduNéguevontétéconçusengrandepartiecomme des centres de collecte de renseignements sur les Arabes et Yaakovpense que c’est probablement à cause de son père qu’il suscitait lui aussi laméfianceetqu’il était exclupar ceuxquiétaientenvoyésà l’avant-postepourélaborerdesplansmilitaires.

« Au lieu de cela, j’ai vraiment servi d’homme à tout faire » – il conduisait,collectait de l’eau, achetait du carburant à Gaza ou à Beer-Sheva. Il semblenostalgique de la liberté que lui offrait ce paysage aride, même si les colonsrentraienttoujoursàl’intérieurdeleurclôturelanuit.

Il a connud’autresvillagesarabes, commeBurayr,«quia toujoursétéhostilepourjenesaisquelleraison»;laplupartétaienttoutefoisamicaux,notammentun village appelé Huj. « Je passais souvent par Huj et je connaissais bien levillage.»

Pendant la guerre de 1948, les habitants deHuj ont conclu avec les autoritésjuivesunaccordécritlesautorisantàrester,maisilsontétéchasséscommeleshabitants des 247 autres villages de la région, principalement vers Gaza. LesPalestiniensontdécritcesexpulsionscommeleurNakba,ou«catastrophe».

Je demande à Yaakov ses souvenirs de l’exode arabe de mai 1948. Il étaittoutefois absent à l’époque car le frère de Rena avait été tué au cours decombatsplusàl’estetlecoupleétaitdoncpartirejoindresafamille.

Je dis à Yaakov que j’ai rencontré des survivants du clan Abu Yahiya, qui ontracontéavoirétéconduitspardessoldats juifsdans lewadideBeer-Sheva,oùleshommesontétéséparésdesfemmesetcertainsontétéabattus,tandisquelesautresontétéexpulsés.

«Jenem’ensouvienspasvraiment»,avoueYaakov.Maisencreusantdanssamémoire, il se rappellesoudaind’autresatrocités,notamment lesévénementsde Burayr, le village hostile où, enmai 1948, il y a eu unmassacre au coursduquel entre 70 et 100 villageois ont été tués, selon les survivants et deshistorienspalestiniens.

«UndenosgarçonsaaidéàprendreBurayr.Jemesouviensqu’iladitqu’àsonarrivée,lesArabesavaientdéjàpresquetousfuietqu’ilaouvertlaported’unemaisonoù il a vuun vieil homme, alors il l’a tué. Il a pris plaisir à l’abattre »,raconte-t-il.

AumomentdelaprisedeBeer-Shevaenoctobre1948,Yaakovétaitretournéàsonavant-postevoisin,quiportaitmaintenantlenomhébreudeHatzerim.

«J’aiapprisquenosgarçonsavaientmenél’arméejusqu’àlaville»,précise-t-il.«Nousconnaissionstrèsbienlarégionetnouspouvionslesguideràtraversleswadi.»

Après la chute de Beer-Sheva, Yaakov y a emmené ses camarades en camionpour jeter un coup d’œil : « C’était vide, totalement vide. » La totalité de lapopulation, soit environ 5 000 personnes, avait été expulsée et conduite versGazadansdescamions.

J’aientendudirequ’ilyavaitbeaucoupdepillages.«Oui»,concède-t-il.«Nousavonsprisdeschosesdansplusieursmaisonsvides.Nousavonspriscequenouspouvions – desmeubles, des radios, des ustensiles. Pas pour nous,mais pouraider le kibboutz. Après tout, Beer-Sheva était vide et n’appartenait plus àpersonne.»

Qu’enpensait-il ?«Encoreune fois, jedois avouerque jene réfléchissaispasbeaucoupà l’époque.Nousétions fiersd’occuperBeer-Sheva.Mêmesi jedoisdirequenousavionstantd’amislà-basavant.»

Yaakovaffirmenepassesouvenirs’ila lui-mêmepillé :« Je l’aiprobablementfait. J’étais l’und’entreeux.Nousétions trèsheureux.Sionneprenaitpas leschoses,quelqu’und’autreleferait.Onnesesentaitpasobligédelesrendre.Ilsnerevenaientpas.»

Qu’enpensait-il ? Il s’arrête.«Nousn’ypensionspasà l’époque.En fait,monpèreadit qu’ils ne reviendraientpas.Monpèreétait unhommemoral. Jenecroispasqu’ilaitcontribuéàdonnerl’ordred’expulserlesArabes.BenGourionyacontribué.PasSharett.Maisill’aacceptécommeunfait.Jepensequ’ilsavaitquequelquechosen’allaitpas,maisilnes’yestpasopposé»,explique-t-il.

«Aprèslaguerre,monpèreadonnéuneconférenceetaditqu’ilnesavaitpaspourquoiunhommedevaitvivredeuxansàl’écartdansunvillage[enréférenceàsonenfanceàEinSiniya]pourserendrecomptequelesArabessontdesêtreshumains. C’est le genre dephrase qui ne sortirait de la bouched’aucun autredirigeantjuif…c’étaitmonpère.»

Puis,commes’ilseconfessaitaussiaunomdesonpère,Yaakovajoute:«Maisjedoisêtre franc,monpèreavaitdeschosescruellesàdire sur les réfugiés. Ilétaitcontreleurretour,ilétaitd’accordavecBenGourionsurcepoint.»

MoshéDayanétaitbienpluscruelqueSharett.Nomméaprèslaguerrecommechef de cabinet par David Ben Gourion, le premier Premier ministre d’Israël,Dayan avait pour tâche de retenir les réfugiés du Néguev et tant d’autrespersonnes«enfermées»derrièreleslignesd’armisticedeGaza.

En1956,unréfugiédeGazaatuéuncolonisraélien,RoiRotberg,etaucoursdeses funérailles, Dayan a prononcé un célèbre éloge funèbre exhortant lesIsraéliensàaccepterunefoispourtoutesquelesArabesnevivraientjamaisenpaixàleurscôtés.Ilenaexpliquélaraison:lesArabesavaientétéexpulsésdeleursmaisonsquiétaientdésormaishabitéespardesjuifs.

MoshéDayanprononcel’élogefunèbredeRoiRotbergaukibboutzNahalOz,enavril1956

(Twitter/@ProvMagazine)

MaisDayanaexhortélesjuifsàrépondrenonpasencherchantun compromis, mais enregardant « directement lahainequiconsumeetremplitlaviedesArabesquiviventautourde nous [et en étantconstamment] prêts et armés,dursettenaces».

Ce discours a profondémentmarqué Yaakov Sharett. « J’aidit que c’était un discours

fasciste.Ildisaitauxgensdevivreparl’épée»,sesouvient-il.MoshéSharett,quiétaitministre des Affaires étrangères à l’époque, prônait le compromis par lebiaisd’unediplomatie,raisonpourlaquelleilétaitqualifiéde«faible».

Mais cen’estqu’en1967, lorsqu’il a commencéà travailler comme journalistepour le journal centriste israélien Maariv, que Yaakov a perdu sa foi dans lesionisme.

«Ilsétaientlamajorité»

Lors de la guerre israélo-arabede1967, Israël s’est emparédeplus de terres,cette fois en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza, où uneoccupationmilitaire a été imposée auxPalestiniensqui n’avaient pas fui cettefois.

EnvisiteenCisjordanie,SharettaobservélesvisagesstupéfaitsmaisréfractairesdesArabesets’estsentiunefoisdeplus«malàl’aise»,enparticulierlorsqu’ils’est rendu dans le village d’Ein Siniya, l’ancien village de sa famille, dont sonpèrealorsdécédéparlaitavectantd’affection.C’estlàqu’enfant,Moshégardaitdes moutons et avait appris « que les Arabes [étaient] des êtres humains »,commel’aditplustardMoshéSharettdansundiscours.

«Lesvillageoissubissaient lepremierchocde l’occupation. Ilssavaientque lesjuifs étaient désormais la puissance dominante, mais ils nemontraient aucunsentimentdehaine.C’étaientdesgenssimples.Etjemesouviensqueplusieurs

habitants se sont rassemblés autour de nous et nous ont souri en me disantqu’ilssesouvenaientdemafamilleetde lamaisondans laquellenotre famillevivait.Nousnoussommesdoncsourietjesuisparti.Jen’ysuispasretourné.Jen’aimaispascetteoccupationet jenevoulaispasyallerentantquemaître»,confie-t-il.

«Avez-vousentenduparlerdu ‘’tireret pleurer’’ ? », demande-t-il enesquissant de nouveau un sourirenostalgique. Il explique que cetteexpression faisait référence auxIsraéliens qui, après avoir combattuenCisjordanieen1967,avaientéprouvédelahontemaisacceptélesrésultats.

« Mais je ne voulais plus rien avoir à faire avec cette occupation. C’était mafaçondenepasm’identifieràelle.Ellemedéprimait,j’enavaishonte.»

Lesvisagesdesvillageoisd’EinSiniyarévélaientautrechose:«J’aivudanscetairdedéfiqu’ilsavaientencoreunétatd’espritdemajorité.Monpèredisaitquela guerre créait toujours des vagues de réfugiés. Mais il ne voyait pas qued’habitude,ceuxquifuyaientétaientlaminorité.En1948,ilsétaientlamajorité,alorsilsn’abandonnerontjamais.C’estnotreproblème.

«Mais ilm’a falludesannéespourcomprendrecequ’était laNakbaetque laNakba n’a pas commencé en 1967 mais en 1948. Il faut que nous lecomprenions.»

Renas’immiscedanslaconversation.«En1948,c’étaitsoiteux,soitnous.Unequestiondevieoudemort.Elleétaitlà,ladifférence»,affirme-t-elle.

«Noussommesendésaccordsurcepoint»,concèdeYaakov.«Monépouseaperdusonfrèreen1948.Ellevoitleschosesdifféremment.»

«Jepartiraisdemain»

Désormaisâgé,Yaakovremonteencoreplusloindansletempsenexaminantlesproblèmesdusionismedepuisletoutdébut.

«Nousnoussommessourietjesuisparti.Jen’ysuispasretourné.Jen’aimaispascetteoccupationetjenevoulaispasyallerentantquemaître»

«Maintenant,à [92]ans, jemerendscompteque l’histoireacommencéavecl’idée même du sionisme, qui était une idée utopique. Elle était destinée àsauverdes vies juives,mais auprix d’unenationd’occupantsqui habitaient laPalestineàcetteépoque.Leconflitétaitinévitabledèsledébut.»

Je lui demande s’il se décrit comme un antisioniste. « Je ne suis pas unantisioniste,maisjenesuispassioniste»,dit-ilensetournantversRena,peut-êtreaucasoùelledésapprouverait–sonépouseadesopinionsmoinsradicales.

Sur le mur, à côté de la photo de son père, se trouvent des photos de leursenfantsetpetits-enfants;deuxdespetites-fillesdeYaakovontémigréauxÉtats-Unis.«Jen’aipaspeurdedirequejesuisheureuxqu’ellessoientlà-basetpasici»,affirme-t-il.

Je lui demande s’il a « un sac àdosetunbâton»prêtsàl’emploipour les rejoindre. Après tout,avecsesopinions,Yaakov fait lui-même désormais partie d’uneminorité – une petite minorité –vivantparmiunemajoritédejuifsdedroiteicienIsraël.

Et en plus d’être « enfermé »idéologiquement, il l’est aussi physiquement. Il explique qu’il peut à peine sedéplacer en Israël aujourd’hui. Il refused’aller à Jérusalem,qui a selon lui étéprisepardesjuifsreligieuxultra-orthodoxes.

« C’est l’une des catastrophes les plus terribles. Quand on était jeunes, onpensait que la religion allait disparaître. » Il ne souhaite plus jamais retournerdans sonNéguev bien-aimé parce qu’il a été colonisé il y a longtemps par denouvellesgénérationsdejuifs«quin’ontaucuneempathiepourlesArabes».

YaakovSharettaujourd’hui(avecl’aimableautorisationdeYaakovSharett)

S’ilpeutencore«respirer»àTelAvivets’ilaimefairedestoursàtoutevitesseenscooter,ilaffirmequemêmeici,ilal’impressiondevivredansune«bulle».

Ilglousseunenouvellefois.

« Je l’appelle la bulle Haaretz »,ajoute-t-ilenexpliquantqu’ilfaitréférence à un groupe degauchistes qui lisent le journallibéral Haaretz. « Mais lesmembresdececlann’ontaucunlien entre eux, si ce n’est ce

quotidienquiexprimeplusoumoinsnotreopinion.C’est ledernierbastion.Etcelam’affligevraiment…C’estvraiquejenemesenspaschezmoiici.»

Yaakovpensetoujoursàpartir.Sid’autresmembresdesafamillelesuivaient,illeferait.

« Regardez. Lorsque vous m’amenez à y réfléchir, je me dis que je partiraisdemain.Desmilliersdepersonnespartentdéjà,laplupartontdeuxpasseports.Nous avons le pire gouvernement que nous ayons jamais eu avec BibiNetanyahou»,soutient-il.

« Nous vivons par l’épée, comme Dayan l’a suggéré… comme si nous étionsforcésdefaired’Israëlunesortedecitadelle faceauxenvahisseurs,mais jenepensepasqu’ilsoitpossibledevivreparl’épéepourtoujours.»

Jeluidemandecommentilvoitl’avenirpourlesPalestiniens.

«Quepuis-jedire ?Celam’afflige vraiment. Et jen’aipaspeurdedireque letraitement réservé aux Palestiniens aujourd’hui est digne des nazis. Nousn’avonspasdechambresàgaz,biensûr,maislamentalitéestlamême.C’estdelahaineraciale.Ilssonttraitéscommedessous-hommes»,affirme-t-il.

Yaakovestbienconscientquemêmes’ilestjuif,ilseraaccuséd’«antisémitisme»endisantdetelleschoses,maisilestimequ’Israëlest«unÉtatcriminel».

«Jesaisquepouravoirditça, ilsmequalifierontdejuifantisémite.Maisjenepeuxpasautomatiquementsoutenirmonpays,qu’ilaittortouraison.EtIsraëlne doit pas être à l’abri des critiques. Il est crucial de voir la différence entre

«Jen’aipaspeurdedirequeletraitementréservéauxPalestiniensaujourd’huiestdignedesnazis.Nous

n’avonspasdechambresàgaz,biensûr,maislamentalitéestlamême.C’estdelahaineraciale.Ilssonttraitéscomme

dessous-hommes»

l’antisémitisme et la critique d’Israël. Pour être honnête, je suis ébahi de voircomment,en2019,lemondeextérieuracceptelapropagandeisraélienne.Jenesaisvraimentpaspourquoiilsl’acceptent»,argumente-t-il.

«Etsouvenez-vousquelebutmêmedusionismeétaitdelibérerlesjuifsdelamalédiction de l’antisémitisme en leur donnant leur propre État. Maisaujourd’hui, l’État juif, par son propre comportement criminel, est l’une descauseslesplusgravesdecettemalédiction.»

Queprédit-ilpourl’Étatjuif?«Jevaisvousdirequelleestmaprédiction.Jen’aipaspeurdeledire.Quandlemomentviendra–etilpourraitvenirdemain–,ilyaura une conflagration, peut-être avec le Hezbollah… une grande catastrophesousuneformeouuneautrequidétruiradesmilliersdefoyersjuifs.

« Et nous bombarderons Beyrouth, mais priver les Libanais de leurs foyersn’aiderapaslejuifquiperdsonfoyeretsafamille,donclesgensneverrontplusaucuneraisonderesterici.TouslesIsraéliensrationnelsdevrontalorspartir.

«Celanedoitpas forcémentêtre leHezbollah.Lacatastrophepourraitêtre laforte domination de notre propre droite. Toutes les lois promulguées par laKnesset aujourd’hui sont des lois fascistes. Je n’ai pas de solution. IsraëldeviendraunÉtatparia»,déplore-t-il.

Je lui suggère que l’Amérique et lesEuropéens ne traiteront sûrementjamais Israël comme un État paria,mais Yaakov n’est pas de cet avis : «Leur soutienest surtoutdûà la hontede l’Holocauste. Mais ces sentimentsde culpabilité faibliront au sein desprochainesgénérations»,estime-t-il.

JedemandeàYaakovcequesonpèreauraitdits’ilavaitentendutoutcela.Renareconnaîtqu’ellen’ajamaisentenduYaakovparlerdelasorteavant.Sesyeuxseperdentsoussonbonnet.

« Jepensequemonpèreseraitcontraintd’êtred’accordavecmoi. Ilestrestésionistejusqu’àlafin,maisjepensequ’ils’estrenducomptequequelquechose

«Souvenez-vousquelebutmêmedusionismeétaitdelibérerlesjuifsdelamalédictiondel’antisémitismeenleurdonnantleurpropreÉtat.

Maisaujourd’hui,l’Étatjuif,parsonproprecomportementcriminel,estl’unedescauseslesplusgravesde

cettemalédiction»

n’allaitpas.Parfois,jemedisqu’ilétaittropmoralpourêtreenpaixaveccequisepasseici»,pense-t-il.

«Maisilestdécevantqu’ilnesoitpasarrivéàlaconclusionquesonfilsafaite.Jeneluienveuxpaspourça.Ilabulesionismedanslelaitdesamère.S’ilavaitvécujusqu’àmonâge–j’ai92ans,ilestmortà71ans–,peut-êtreaurait-ilvuleschosescommemoi.Jenesaispas.»

Jeme lève pour partir et je reprendsmon ordinateur portable, qui affiche denouveau la photo du puits d’Abu Yahiya. Notre entretien a été hanté nonseulementparMoshéSharett,maisaussipar l’imagedece«Bédouingrandetmaigreauvisagesympathique»queYaakovavupourladernièrefoisaffligéetseul.

« Je dois dire que l’image de ce gentilmonsieurme vient parfois à l’esprit »,confieYaakov,quimeraccompagnejusqu’àlarue.Agrippantsonscooter,ilmefaitsigneavecentrainavantdes’enfoncerdansletraficdeTelAviv.

My Struggle for Peace: TheDiary ofMoshe Sharett, 1953–1956 est publié parIndiana University Press. Sarah Helm est une ancienne correspondante auMoyen-Orient et rédactrice diplomatique de The Independent. Elle anotammentécritALife InSecrets:VeraAtkinsandtheLostAgentsofSOEet IfThisIsaWoman.

Traduitdel’anglais(original)parVECTranslation.