GalleryBooksUndépartementdeSimon&Schuster,Inc.
1230AvenueoftheAmericasNewYork,NY10020
Celivreestunefiction.Touteréférenceàdesévénementshistoriques,despersonnesoudeslieuxréelsseraitutiliséedefaçonfictive.Lesautresnoms,personnages,lieuxetévénements,sontissusdel’imaginationdel’auteur,ettouteressemblanceavecdes
personnagesvivantsouayantexistéseraittotalementfortuite.
Copyright©2015byAnnaToddL’auteurestreprésentéparWattpad.
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondecelivreoudequelquecitationquecesoit,sousn’importequelleforme.Titreoriginal:AfterEverHappy
Premièreédition:GalleryBooks,février2015GALLERYBOOKSetcolophonsontdesmarquesdéposéesdeSimon&Schuster,Inc.
Couverture:©Simon&SchusterUK.Logoinfini:©GrupoPlaneta–ArtDepartment
Pourlaprésenteédition:©2015,HugoetCompagnie
38,rueLaCondamine75017–Paris
www.hugoetcie.fr
OuvragedirigéparIsabelleAntoni
ISBN:9782755621204
CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.
Àtousceuxquin’ontjamaiseuàsebattrepourquelquechoseouquelqu’unenquiilscroient.
SOMMAIRE
Titre
Copyright
Dédicace
Prologue–Hardin
1-Tessa
2-Hardin
3-Tessa
4-Hardin
5-Tessa
6-Tessa
7-Hardin
8-Hardin
9-Tessa
10-Hardin
11-Tessa
12-Hardin
13-Tessa
14-Tessa
15-Hardin
16-Tessa
17-Hardin
18-Hardin
19-Tessa
20-Hardin
21-Tessa
22-Hardin
23-Tessa
24-Hardin
25-Tessa
26-Hardin
27-Hardin
28-Tessa
29-Hardin
30-Tessa
31-Tessa
32-Hardin
33-Hardin
34-Tessa
35-Hardin
36-Tessa
37-Tessa
38-Hardin
39-Tessa
40-Tessa
41-Hardin
42-Tessa
43-Tessa
44-Hardin
45-Tessa
46-Hardin
47-Tessa
48-Hardin
49-Hardin
50-Tessa
51-Hardin
52-Hardin
53-Tessa
54-Tessa
55-Hardin
56-Hardin
57-Tessa
58-Hardin
59-Hardin
60-Tessa
61-Hardin
62-Tessa
63-Tessa
64-Tessa
65-Hardin
66-Tessa
67-Hardin
68-Tessa
69-Tessa
70-Tessa
71-Hardin
72-Tessa
73-Hardin
74-Hardin
75-Tessa
76-Tessa
77-Hardin
78-Tessa
79-Hardin
ÉPILOGUE-Hardin
REMERCIEMENTS
PROLOGUE
Hardin
Toutemavie, jemesuissentiindésirable,voiretotalementdéplacé.Mamèreaessayéde
m’aider, elle a réellement et honnêtement essayé, mais ce n’était pas suffisant, toutsimplement. Elle travaillait trop ; elle dormait le jour parce qu’elle était debout toute lanuit. Trish a fait ce qu’elle a pu,mais un garçon, particulièrement lorsqu’il est largué, abesoind’unpère.
Je savais que Ken Scott était un homme anxieux, un ambitieux mal dégrossi, jamaisattendri ni satisfait de ce que je faisais. Le petit Hardin était pathétique à essayerd’impressionner ce grand mec qui emplissait notre maison merdique de cris et de gestesviolents.Ilauraitbienaiméquecethommefroidnesoitpassonpère.Ilsoupirait,attrapaitun livre sur la table et demandait à sa mère quand allait arriver Christian, le gentilmonsieurquilefaisaitrireenluirécitantdespassagesdevieuxlivres.
MaisHardinScott,cetadultequisebatcontresonaddictionetsacolèretransmisesparcetructoutpourriquiluisertdepère,estfoufurieux.Jemesenstrahi,pauméetencolère,putain.Çan’apasdesens.Cescénariodespèreséchangésà lasaucesitcomdemerdenepeutpass’appliqueràmavie.
Dessouvenirsenfouisrefontsurface.Mamère, le lendemaindu jouroù l’unedemesdissertesaété sélectionnéepourêtre
publiéedanslejournalducoin,balançantdoucementsonélogeautéléphone:«Jevoulaisjustequevoussachiezqu’Hardinestbrillant.Commesonpère.»J’airegardéautourdemoidans le petit salon : l’homme aux cheveux sombres, avachi dans le fauteuil, sansconnaissance, une bouteille d’alcool brun à ses pieds, était tout sauf brillant. J’ai pensé« c’est une putain d’épave » en le voyant remuer dans le fauteuil avant quemamère neraccrochevitefaitletéléphone.
Ilyaeubeaucoupd’incidentscommecelui-ci,bientroppourquejepuisselescompter.J’étaisvraimenttropconettropjeunepourcomprendrepourquoiKenScottétaitsidistantavecmoi, pourquoi il nem’a jamais serré dans ses bras comme les pères demes amis lefaisaient avec leurs fils. Pourquoi il n’a jamais joué au foot avec moi, ne m’a jamais rienapprishormiscommentdevenirunputaind’alcoolo.
Toutçaenpureperte?Est-cequeChristianVanceestréellementmonpère?La pièce tourne autour de moi. Je regarde fixement cet homme qui m’a soi-disant
donnélavie.Jedécèlequelquechosedefamilierdanssonregardvert,danslaformedesamâchoire.Sesmainstremblent lorsqu’ilrepousseunemèchedecheveuxdesonfront,et jem’arrêteenpleinvol…
Jeviensdemerendrecomptequejefaisexactementlemêmegeste.
1
Tessa
–C’estimpossible!
Jeme lèvemaisme rassieds aussitôt sur le banc, l’herbe sousmes pieds s’estmise àtanguer.Leparcestnoirdemondemaintenant:desfamillesavecdesenfantsenbasâge,desballonsetdescadeauxpleinlesbrasmalgréletempsglacial.
Kimberly pose sur moi son regard bleu et brillant mais, à cet instant, concentré etsérieux.
–C’estlavérité.HardinestlefilsdeChristian.–MaisKen…Hardinluiressembletellement.Jemesouviensdelapremièrefoisoùj’airencontréKenScottdansunrestaurant.Tout
de suite, j’avais soupçonnéqu’il était lepèred’Hardin, ses cheveuxnoirset sahaute taillem’avaientfacilementmisesurlapiste.
–Tutrouves?Àpart lacouleurdescheveux, jenevoispastropdepointscommuns.HardinetChristianontlesyeuxdelamêmecouleuretlamêmeformedevisage.
Vraiment ? Je lutte pour me représenter les trois visages. Christian a des fossettescommeHardinetlesmêmesyeux…maisçan’apasdesens.KenScottestlepèred’Hardin.Unpoint,c’esttout.Christianal’airtellementplusjeunequeKen.Jesaisqu’ilsontlemêmeâge,mais l’alcoolismedeKen a pesé lourd sur son apparence. Il est toujours bel homme,maisonvoitbienquel’alcoolluiaphysiquementvoléquelquesannées.
–C’esttellement…J’aidumalàtrouverassezd’airdansmespoumonspourfinirmaphrase.Kimberlymejetteunregardd’excuse.–Jesais.J’avaistellementenviedeteledire...Jedétestetefairedescachotteries,mais
ce n’était pas àmoi de te révéler ce secret. (Elle pose samain sur lamienne et la presse
doucement.)Christianm’aassuréquedèsqueTrishl’yautoriserait,illediraitàHardin.Jerespireungrandcoup.–Je…C’estcequeChristianestentraindefaire?IldittoutàHardinencemoment?
Jedoisleretrouver.Ilva…Impossibled’imaginercommentHardinvaréagirà lanouvelle,particulièrementaprès
avoirsurprisTrishetChristianensemblehiersoir.Çavaêtretroppourlui.–Oui,c’estcequ’ilfait.Trishn’apascomplètementdonnésapermission,maisChristian
aditqu’ellen’étaitpasloindelefaireetquelasituationdevenaitintenable.J’attrape mon téléphone. Je n’arrive pas à croire que Trish ait voulu cacher ça à
Hardin. Je m’attendais à mieux de sa part, mieux en tant que mère, maintenant j’ail’impressionden’avoirjamaisvraimentrencontrécettefemme-là.
La tonalité d’attente du téléphone résonne contre ma joue, et j’entends Kimberlyajouter:
– J’ai dit à Christian qu’il feraitmieux de ne pas vous séparer lorsqu’il annoncera lanouvelle à Hardin, mais Trish lui a recommandé de le faire seul à seul, s’il souhaitait lefaire…
Ellepinceleslèvresetpromènesonregardtoutautourduparcavantdeseconcentrersurleciel.
Lavoixsynthétiqueetmonocordedurépondeurd’Hardinretentitàmonoreille.TandisqueKimberlyserassiedsilencieusement, jecomposeànouveausonnuméromaissansplusdesuccès.J’enfouismontéléphonedansmonsacetmetordslesmains.
–Tupeuxmeconduireàlui,Kimberly?S’ilteplaît?–Oui.Biensûr.Elleselèved’unbondavantd’appelerSmith.Enregardantlepetitgarçonsedirigerversnous,avecsadémarcheempruntéecomme
celled’unmajordomededessinanimé,jeréalisequeSmithestlefilsdeChristian…etdonclefrèred’Hardin.Hardinaunpetitfrère.PuisjememetsàpenseràLandon…Quelimpactcette nouvelle va-t-elle avoir sur eux deux ? Est-ce qu’Hardin va vouloir continuer à lefréquenter maintenant qu’ils n’ont plus de réels liens familiaux ? Et Karen ? Quellesconséquencescelaaura-t-il sur ladoucepâtissière?Etqu’enest-ildeKen,cethommequiessaiecontreventsetmaréesdesefairepardonnerl’effroyableenfancequ’ilainfligéeàungarçon qui n’était pas son fils ? Est-ce qu’il est au courant ? J’ai la tête qui tourne et j’aibesoindevoirHardin.J’aibesoindem’assurerqu’ilsaitquejesuislàpourlui,etquenoustrouveronsunmoyendenousensortirensemble.Jen’arrivepasàimaginercommentilsesentencemoment,ildoitêtreécraséparlesévénements.
–Est-cequeSmithestaucourant?Auboutdequelquessecondesdesilence,Kimberlyrépond:
– On pourrait croire que oui, vu son comportement avec Hardin, mais c’est justeimpossible.
Je suis triste pour Kimberly. Elle doit déjà faire face à l’infidélité de son fiancé, etmaintenant à ça. Lorsque Smith nous rejoint, il s’arrête et nous adresse un regardmystérieux,commes’ilsavaitexactementdequoinousparlions.Cen’estpaspossible,maisàsa manière de marcher devant nous vers la voiture, sans dire un mot, je ne peux quem’interroger.
Lorsque nous traversons Hampstead pour retrouver Hardin et son père, la paniquemontedansmapoitrinequisesoulèveets’abaisse,sesoulèveets’abaisse.
2
Hardin
Lecraquementduboisbrisérésonnedanslebar.
–Hardin,arrête!LavoixdeVancericochesurlesmurs.Un autre fracas de bois cassé précède le bruit du verre qui se brise. Ces sons me
plaisent, ils attisent ma soif de violence. J’ai besoin de démolir des trucs, de faire mal àquelquechose,mêmesicen’estqu’unobjet.
Etc’estcequejefais.Des cris s’élèvent,me sortant dema transe. Je baisse les yeux et découvre dansmes
mains lepiedbriséd’unebellechaise.Jeregardeensuitecesvisages inconnuspaniqués, jen’encherchequ’unparmieux:celuideTessa.Maisellen’estpas làet jesuis tropfurieuxpour savoir si c’est unebonne choseoupas. Elle aurait peur, elle s’inquiéterait pourmoi,paniquée, elle répéterait mon nom à n’en plus finir pour faire taire les cris et leshalètementsquirésonnentàmesoreilles.
Je lâched’uncoup leboutdebois, commes’ilmebrûlait lapeau,et je sensdesbrasautourdemesépaules.
–Sortez-leavantqu’ilsn’appellentlapolice.LavoixdeMikeestplusfortequejenel’aijamaisentendue.–Putain,nemetouchepas!Jemedégagedel’étreintedeVanceetl’assassineduregard,lerougeaveugledéjàma
vue.Ilcrieàquelquescentimètresdemonvisage:–Tuveuxallerenprison?!J’aienviedelefairetomberparterreetdeserrermesmainsautourdesoncou…
Quelquesfemmessemettentàcrier,leurshurlementsm’empêchentdetomberdansletrou noir. Je regarde attentivement ce bar chic, remarque les verres brisés en millemorceaux,lachaiseenmiettes,lesexpressionshorrifiéesdesclientsquines’attendaientpasàêtreconfrontésàuntelcarnage.Dansquelquesinstants,leurémotionsetransformeraencolèrecontremoi,celuiquivientperturberleursichèrepoursuitedubonheur.
Christianmerejointlorsquejepasseentrombedevantl’hôtessepoursortir.–Vadansmavoitureetjetediraitout.Inquietquelesflicspuissentvraimentsepointerd’uninstantàl’autre,jefaiscequ’ilme
dit,mais jene saispas tropquoipenserni tropquoidire.Bienque je l’aie entendude sapropre bouche, je n’arrive pas à saisir la réalité de ce qu’il m’a annoncé. C’est tellementimpossiblequec’enestridicule.
Jem’installesurlesiègepassageraumomentoùilprendplacederrièrelevolant.–Tunepeuxpasêtremonpère,cen’estpaspossible.Çan’aaucunsens,rienn’ade
sens.Je regarde la voiturede locationqui coûteuneblinde et jemedemande si Tessa est
coincéedansceputaindeparcdanslequeljel’ailaissée.–Kimberlyaunevoiture,hein?Vancemeregarde,l’airincrédule.–Biensûrqu’elleaunevoiture.Lerugissementdumoteurdelavoitures’amplifieàmesurequ’ilaccélère.–Jesuisdésoléquetuaiesdécouverttoutçacommeça.Pendantlongtemps,toutétait
arrangéetpuisc’estpartienvrille.Jegardelesilence,sachantpertinemmentquejeperdraislespédalessijel’ouvrais.Mes
doigtss’enfoncentdansmescuisses;lalégèredouleurm’aideàrestercalme.–Jevaistoutt’expliquer,maisilfautquetusoiscompréhensif.D’accord?Iljetteuncoupd’œilversmoietjelisdelapitiédanssesyeux.Jeneveuxpasdeça.–Nemeparlepascommeàunputaindemôme,merde!Vancemeregarde,puisseconcentredenouveausurlaroute.–Tu sais que j’ai grandi avec ton père.D’aussi loin que jeme souvienne, Ken etmoi
avonstoujoursétéamis.–En fait, jene lesavaispas.(Je le regardeméchamment,puis revienssur lepaysage
quidéfile.)Visiblement,jenesaisriensurrien,putain.– Eh bien, c’est vrai. Nous avons grandi un peu comme des frères, nous étions très
proches.–Puistuasbaisésafemme?Ilfautquejel’interrompedanssagentillepetitehistoirepourenfantsage.Les jointuresde sesdoigtsblanchissent tant il serre levolant. Ilme répondpresqu’en
grognant:
– Écoute-moi bien. J’essaie de tout t’expliquer, alors s’il te plaît, laisse-moi parler. (Ilprendunegrande inspirationpour se calmer.)Pour répondreà taquestion,non, cen’estpas comme ça. Tamère et Ken se sontmis à sortir ensemble dès le lycée quand elle estarrivéeàHampstead.C’étaitlaplusjoliefillequej’aiejamaisvue.
Rienqu’enrepensantàlabouchedeVancesurelle,monestomacseretourne.–MaisKenl’atoutdesuiteemballée.Ilspassaientleursjournéesensemble,toutcomme
MaxetDenise.Onformaitungroupetouslescinq,unesortedebande,situveux.Perdudanssespenséesridicules,ilsoupireetlorsqu’ilreprend,savoixestdistante:– Elle était drôle, intelligente et folle de ton père. Putain ! Je ne vais jamais pouvoir
arrêterdel’appelercommeça.(Iltapesesmainssurlevolant,commepourlepousser.)Kenétaitintelligent,trèsbrillant,etquandilestentréavecunand’avanceàl’université,grâceàunebourse,ilatrèsviteététrèsoccupé.Troppoursesoucierd’elle.Ilpassaitdesheuresetdesheuresàlafac.Sanslui,notrepetitgroupes’estretrouvéàtourneràquatreet,entretamèreetmoi,leschosessesontenchaînées…Enfait,messentimentsontvraimentgrandietlessienssontnés.
Vancefaitunepetitepausepourchangerdevoieetaugmenterlaventilation.L’airesttoujourslourdetchargé,monespritsemetàtourbillonner.
–Jel’aitoujoursaimée,ellelesavait,maisellel’aimaitlui,etc’étaitmonmeilleurami.Lesjoursetlesnuitspassant,noussommesdevenus…intimes.Passexuellementàcestade,maisnouscédionstouslesdeuxànossentiments,sanslesretenir.
–Épargne-moilesdétails,putain!Jebloquemespoingscontremescuissesetmeforceànepasdesserrerlesdentspourle
laisserfinir.Ilseconcentresurlaroute.– Ok, ok, c’est bon. Bien, une chose en amenant une autre, notre relation s’est
approfondie au bout d’unmoment. Ken n’avait aucune idée de ce qui se passait.Max etDeniselesuspectaient,maisilsn’enontjamaisparlé.J’aisuppliétamèredelequittercarillanégligeaitvraiment.Jesaisqueçapeutparaîtren’importequoi,maisjel’aimais.
Ilfroncelessourcilsetpoursuit:–Elleétait laseuleéchappatoireàmespulsionsautodestructrices.Kencomptaitpour
moi,maisjen’arrivaispasàvoirplusloinquemonamourpourelle.Jen’aijamaispu.Il pousse un gros soupir et, après quelques instants de silence, je le pousse à
poursuivre.–Et…–Oui…Bon,quandelleaannoncésagrossesse,j’aicruquenousallionspartirtousles
deuxetqu’ellem’épouserait,moiplutôtque lui. Je luiaipromisquesiellemechoisissait,j’arrêteraismesconneriesetquejeseraislàpourelle…pourtoi.
Jesenssonregardsurmoi,maisjerefusedeleluirendre.
–Tamèrepensaitquejen’étaispasassezstablepourelleetjesuisrestélà,muetdansmoncoin,pendantqu’elleetton…etKenannonçaientqu’ilsattendaientunenfantetqu’ilsallaientsemarierlamêmesemaine.
C’est quoi ce bordel ? Je tourne la tête vers lui,mais visiblement, il est perdu dans lepasséetilregardedroitdevantlui.
–Jevoulaiscequ’ilyavaitdemieuxpourelleet jenepouvaispas la traînerdans laboueetmettreàmalsaréputationendisantàKen,ouàn’importequid’autred’ailleurs,lavéritésurcequis’étaitpasséentrenous.Jen’arrêtaispasdemedirequ’ensonforintérieur,ildevaitbiensedouterquecetenfantn’étaitpasdelui.Tamèrem’avaitjuréqu’ilnel’avaitpastouchéedepuisdesmois.
Les épaules de Vance tremblent légèrement quand un frisson le traverse, puis ilreprend:
–JesuisrestécommeuncondansmoncostardàassisteràleurpetitmariagedontKenm’avaitdemandéd’êtreletémoin.Jesavaisqu’ilpourraitluidonnercequej’étaisincapablede lui offrir. Je n’avaismême pas prévu d’aller à la fac. Je passaismon temps à soupireraprès une femmemariée et àmémoriser les pages de vieux romans qui ne deviendraientjamaismonquotidien.Jen’avaisaucunprojet,pasd’argent,etelleavaitbesoindesdeux.
Ilsoupirepouressayerd’échapperàsonsouvenir.Des idées surprenantesme viennent à l’esprit et jeme sens obligé de les lui dire. Je
serremonpoing,puis le relâche,essayantde résister. Jene reconnaispasmavoixqui luidemande:
–Enfait,mamères’estserviede toipours’amuseret t’adégagéparcequetun’avaispasdefric?
Vancelâcheungrossoupiravantderépondreenmejetantuncoupd’œil:– Non, elle ne s’est pas servie de moi. Je sais que ça y ressemble un peu, mais la
situation était vraiment pourrie, et elle devait penser à toi et à ton avenir. J’étais un ratédanstouslessensduterme,unevraiemerde.Riennejouaitenmafaveur.
–Etmaintenant,tuesmillionnaire.Commentpeut-ildéfendremamèreaprèstoutescesconneries?Qu’est-cequinevapas
chezlui?Mais,soudain,untrucchangeenmoietjerepenseàmamèrequiaperdudeuxhommes devenus riches par la suite, tandis qu’elle se crevait à la tâche dans son job etqu’ellerentraitseuledanssapauvrepetitemaison.
Vancehochelatêteetrépond:–Oui,maisiln’yavaitaucunmoyendesavoircommentj’allaistourner.Kenfilaitdroit
etmoipas.Unpointc’esttout.–Jusqu’àcequ’ilsemetteàsebourrerlagueuletouslessoirs.Je recommence à m’échauffer. J’ai l’impression que je ne pourrai jamais échapper à
cette colère queme provoque la douleur de la trahison. J’ai passémon enfance avec un
connardd’alcooliqueenguisedepèrependantqueVancevivaitlabellevie.J’étaissûrdeleconnaître,devraimentleconnaîtredepuissilongtemps.
– C’est à cause d’une autre demes conneries. J’ai traversé une sale période après tanaissance,maisjemesuisinscritàlafacetj’aiaimétamèreàdistance…
–Jusqu’à?–Jusqu’àcequetuaiescinqans.C’étaittonanniversaireetnousétionstouslàpourla
fête.Tuesentréencourantdans la cuisine, réclamant tonpèreenhurlant…(LavoixdeVancesebriseetjeserrelespoings.)Tuserraisunbouquincontretoncœuret,l’espaced’uninstant,j’aioubliéquetunet’adressaispasàmoi.
Monpoings’écrasecontreletableaudebord.–Laisse-moisortirdelacaisse.Jenepeuxplusécouter ça.C’est tropbarré.C’est troppourmoid’apprendre tout ça
d’unseulcoup.Vance ignore mon accès de violence et continue de conduire dans ce quartier
résidentiel.– J’ai pété lesplombs ce jour-là. J’ai exigéque tamère révèle la vérité àKen.Çame
rendaitmalade de ne pas te voir grandir et, à cette époque-là, j’avais déjà tout organisépourpartirenAmérique.Jel’aisuppliéedeveniravecmoi,avectoi,monfils.
Monfils.Monestomacseretourne.Qu’ellerouleoupas,jeferaismieuxdesauterdelavoiture.
Je regarde les jolies petites maisons devant lesquelles nous passons et je me dis que jepréféreraitoujoursunedouleurphysiqueplutôtquederessentirça.
– Mais elle a refusé et elle m’a dit qu’elle avait fait faire des tests et… et que,finalement,tun’étaispasmonfils.
–Quoi?Jememasselestempesduboutdesdoigts.Jem’éclateraisbienlecrânesurletableau
debordsijepensaisqueçapouvaitm’aider.Je fixe mon attention sur lui alors qu’il regarde vite à droite et à gauche. Puis, je
remarquelavitesseàlaquelleilconduitetjemerendscomptequ’ilgrilletouslesfeuxetlesstops,histoiredes’assurerquejenesautepasenroute.
– Elle a paniqué, probablement. Je n’en sais rien. (Il me regarde.) Je savais qu’ellementait,ellel’aadmisdesannéesplustard,ellen’ajamaisfaitfairedetest.Àl’époque,elleétait catégorique. Ellem’avait demandé de laisser tomber etm’avait présenté ses excusespourm’avoirfaitcroirequetuétaismonenfant.
Jemeconcentresurmonpoing.Leserrer,lerelâcher.Serrer,relâcher…–Uneannéeestpasséeavantquenousrecommencionsànousparler…Ilyauntrucbizarredanssavoix.–Tuveuxdirequevousvousêtesremisàbaiser.
Unautregrossoupirs’échappedeseslèvres.– Oui… À chaque rapprochement géographique, nous faisions la même erreur. Ken
travaillaitbeaucoupàl’époque,ilbossaitsursonmasteretellerestaitàlamaisonavectoi.Tum’astoujoursbeaucoupressemblé;quandjevenaischezvous,tuavaistoujours lenezplongédansunbouquin.Jenesaispassi tut’ensouviens,mais jet’apportaistoujoursdeslivres.Jet’aidonnémonexemplairedeGatsbyleMagnifi…
–Stop!L’adoration que j’entends dans sa voix me hérisse, et des souvenirs déformés
embrouillentmonesprit.–Nousavonspoursuivinotrerelationenpointillépendantdesannéesenpensantque
personnene s’endoutait.C’estma faute, jen’ai jamais cesséde l’aimer, jen’ai jamais pu.Quoiquejefasse,ellemehantait.J’aidéménagéprèsdechezeux,surletrottoird’enface.Tonpèresavait.Jenesaispascommentill’adécouvert,maisc’estvitedevenuévidentqu’ilétaitaucourant.
Aprèsuninstantdesilenceetunvirage,ilajoute:–C’estàcetteépoque-làqu’ils’estmisàboire.Jemeredresseetmemetsàfrapperletableaudebord,lesmainsàplat.Ilnesourcille
mêmepas.– Alors, tu m’as laissé avec un père alcoolique qui ne l’est devenu qu’à cause de ta
relationavecmamère?Macolèrerésonnedansl’habitacleetj’aidumalàrespirer.–J’aiessayédelaconvaincre,Hardin.Jeneveuxpasquetuluienveuilles.J’aiessayé
delafairevenirvivreavecmoi,maisellearefusé.Ilpassesamaindanssescheveuxavantdepoursuivre:–Sonproblèmeavecl’alcools’estaggravédesemaineensemaine,maisellenevoulait
toujourspasadmettrequetuétaismonfils,pasmêmeàmoi.Alorsjesuisparti.Jedevaislefaire.
Il s’arrête de parler. Quand je le regarde de nouveau, je le vois cligner des yeuxrapidement. Je tends la main vers la poignée de la porte, mais il accélère et enclencheplusieursfoisleverrouillageautomatiquedesportes.Leclicclicclicretentitdanslavoiture.
Vancereprendd’unevoixsanstimbre:– Je suis parti auxÉtats-Unis et je n’ai plus eude nouvelles de tamère pendant des
années,aucune, jusqu’àcequeKen laquitteenfin.Ellen’avaitpasd’argentet se tuaitautravail. J’avaisdéjà commencéàgagnerpasmald’argent, rienpar rapportàmaintenant,mais assez pour épargner. Je suis revenu ici et je nous ai trouvé unemaison, pour noustrois. Jeme suis occupéd’elle en l’absencedeKen,mais elle est devenuedeplus enplusdistante avecmoi. Il lui a envoyé les papiers du divorce depuis l’endroit où il se cachait,
mais ellene voulait toujourspas s’engager avecmoi.Malgré tout ce que j’avais fait, jenesuffisaispas.
Jeme rappellequ’ilnousavaitaccueillis lorsquemonpèreestparti,mais jen’yavaisjamais vraiment réfléchi. Jen’aurais jamaispenséque c’était parcequ’il avaitune relationavecmamèreouquejepouvaisêtresonfils.
Monopinionsurmamère,déjàbienmalmenée,estenlambeaux.Jeviensdeperdrelepeuderespectquej’avaisencorepourelle.
– Quand elle est retournée vivre dans cette maison, j’ai continué à assumerfinancièrementlaresponsabilitédevousdeux,maisjesuisretournéenAmérique.Etpuis,tamères’estmiseàmerenvoyermeschèquestouslesmoisetellerefusaitderépondreàmesappels,sibienquej’aipenséqu’elleavaittrouvéquelqu’un.
–Cen’étaitpaslecas.Elleajustebossétouslesjourscommeunedingue.J’aieuuneadolescence très solitaire, c’estpourcette raisonque j’aieudesmauvaises
fréquentations.– Je pense qu’elle attendait qu’il revienne à lamaison. (Ilmarqueun temps d’arrêt.)
Mais il ne l’a jamais fait. Son alcoolisme a durédes années jusqu’à ce qu’un jour quelquechose ledécideàs’arrêter.Jene luiaipasparlépendantdesannées,puis ilm’acontactéquandilestarrivéauxÉtats-Unis.Ilétaitsobreetmoi,jevenaisdeperdreRose.Roseétaitla première femme que j’ai pu regarder sans voir le visage de Trish. Elle était la plusadorabledesfemmes,ellemerendaitheureux.Jesavaisquejen’aimerais jamaispersonneautant que ta mère, mais j’étais content avec Rose. Nous étions heureux et nousconstruisionsquelquechoseensemble,maisj’aiétémaudit…elleesttombéemalade.ElleadonnénaissanceàSmithetjel’aiperdue…
Je reste bouche bée. « Smith ». J’ai été trop absorbé par le puzzle complètementdéconnantdemonexistencepourpenseraugamin.Qu’est-cequeçaveutdire?Merde.
–J’aiconsidérécepetitgéniecommemadeuxièmechanced’êtrepère.Aprèslamortdesamère,ilm’afaitrevivre.Toutenluimefaisaitpenseràtoipetitgarçon,ilteressembleaumêmeâge,àpartsescheveuxetsesyeuxplusclairs.
JemerappellequeTessaavaitdit lamêmechosequandnousl’avonsrencontré,maisjenepeuxpasl’admettre.
–C’est…c’estcomplètementbarré.Je ne peux rien dire d’autre.Mon téléphone vibre dansma poche,mais c’est comme
unesensationfantôme,etjen’arrivepasàmerésoudreàprendrel’appel.– Je sais et j’en suisdésolé.Quand tuesvenuhabiterauxÉtats-Unis, j’ai crupouvoir
êtreprochedetoisanspourautantprendrelerôledepère.Jesuisrestéencontactavectamère, je t’ai engagé aux éditions et j’ai essayédeme rapprocher de toi autant que tumelaissaislefaire.J’airenouéavecKen,mêmes’ilyauratoujoursunecertainedosed’hostilitéentrenous.Jecroisqu’ilaeupitiédemoi lorsque j’aiperdumafemme,àcemoment-là il
avait beaucoup changé. Jene voulais queme rapprocherde toi, je prenais tout ce que jepouvais.Jesaisquemaintenanttumehais,maisj’aimeraiscroirequej’airéussiàfaireçaunpetitboutdetemps.
–Tum’asmentitoutemavie.–Jesais.–Toutcommemamèreetmon…commeKen.– Ta mère est toujours dans le déni, dit Vance, cherchant encore à l’excuser. Elle
l’admetàpeine,mêmeàmoi,mêmemaintenant.EtpourKen, ilatoujourseudesdoutes,maistamèrenelesajamaisconfirmés.Jecroisqu’ilessaietoujoursdes’accrocheràlapetitechancequiluirestequetusoissonfils.
Devantl’absurditédecetteidée,jelèvelesyeuxauciel.–T’esen traindemedirequeKenScott est assez conpour croireque je suis son fils
aprèstoutescesannéesquevousavezpasséesàbaiserdanssondos?–Non.Il gare la voiture sur le bas-côté et me regarde avec intensité et sérieux avant de
reprendre:–Kenn’estpascon.Ilgardeespoir.Ilt’aaiméetilt’aimetoujours.Tueslaseuleraison
pour laquelle il a arrêté de boire et est retourné à l’université finir ses études. Même s’ilsavait que c’était une possibilité, il a quand même fait tout ça pour toi. Il regretteamèrementl’enferqu’ilt’afaitsubirenfantettoutcequiestarrivéàtamère.
Je tressaille en voyantdéfiler sousmes yeux les imagesquihantentmes cauchemars,lessoldatsbourrésquinousontfaitçailyasilongtemps.
–S’iln’yajamaiseudetestdefait,commentsais-tuquetuesmonpère?Jen’arrivepasàcroirequejeviensdeluiposercettequestion.– Je le sais. Tu le sais aussi. Tout le monde à toujours remarqué à quel point tu
ressemblesàKen,maisjesaisquec’estmonsangquicouledanstesveines.Neserait-cequeparrapportàsonemploidutempsauxalentoursdetaconception,cen’estpaslogique.Iln’estpaspossiblequetamèresoittombéeenceintedeluiàcetteépoque.
Jemeconcentresurlesarbresdevantmoi,montéléphoneseremetàvibrer.–Pourquoimaintenant?Pourquoimedis-tutoutçamaintenant?Jehausseletonetmapatience,déjàplusquelimitée,estentraindes’évaporer.–Parceque tamèredevientparano.Kenm’aparléd’un truc il y adeux semaines, il
voulaittedemanderdefairedestestssanguinspouraiderKarenetj’enaiparléàtamère…–Destestspourquoifaire?Qu’est-cequeKarenvientfoutrelà-dedans?Vancebaisselesyeuxversmapoche,puisverssonpropretéléphonefixéaumilieudu
tableaudebord.–Tudevraisprendrecetappel.Kimberlyaussim’appelle.Jesecouelatête.Non!J’appelleraiTessadèsquejesortiraidecettevoiture.
– Je suis vraiment désolé pour tout ça. Je ne sais pas à quoi je pensais hier soir enallant chezelle.Ellem’aappeléet j’ai juste… jene saispas. Jedois épouserKimberly. Jel’aimeplusque tout, peut-êtremêmeplusque jen’ai jamais aimé tamère.C’estunautretype d’amour ; c’est réciproque, et elle est tout pourmoi. J’ai fait une énorme erreur deretournervoir tamèreet jevaispassermavieà rattraperça. Jeneseraispas surprisqueKimmequitte.
Oh!Épargne-moilessanglots.–Bahouais,MonsieurdeLaPalice.Tun’auraispasdûessayerdebaisermamèresurle
plandetravaildelacuisine.Ilmejetteunsaleœil.– Elle avait l’air paniquée et elle a dit qu’elle voulait être sûre que son passé serait
derrièreelleavantsonmariage.Pourlesdécisionsnulles,jesuisorfèvreenlamatière.Iltapotelevolantdelavoiture,sahonteestévidente.–Jesuispareil.Jemarmonneçapluspourmoiqu’autrechoseetm’apprêteàouvrirlaportière.Iltend
lamainpourm’interrompre.–Hardin.–Non.Je retiremonbras et sorsde la voiture. J’ai besoinde tempspourdigérer toute cette
merde.Jeviensd’êtrebombardédebientropderéponsesàdesquestionsquejenesavaismêmepasquejedevaismeposer.J’aibesoinderespirer,j’aibesoindemecalmer,j’aibesoindem’éloignerdeluipourretrouvermacopine,maplanchedesalut.
Commeilnebougepassavoiture,jeluidis:–J’aibesoinquetut’éloignesdemoi.Onlesaittouslesdeux.Sonregardmefixeuncourtinstant,puisilapprouveetmelaissesurletrottoir.Jeregardeautourdemoietremarqueunedevanturefamilière,cequiveutdirequeje
suis à deux pas de chezmamère.Mon sang bat àmes oreilles. J’attrapemon téléphonepourappelerTess.J’aibesoind’entendrelesondesavoix,j’aibesoinqu’ellemeramèneàlaréalité.
Je regarde le bâtiment en attendant qu’elle décroche. Mes démons se déchaînent etm’attirent au plus profond des ténèbres dans lesquelles je suis si bien. Leur attractionaugmente dangereusement à chaque sonnerie sans réponse et, tout d’un coup,mes piedsmeportentdel’autrecôtédelarue.
J’enfoncemon téléphone au fond dema poche, j’ouvre la porte et pénètre dans undécorquim’estfamilier,undécordemonpassé.
3
Tessa
Des morceaux de verre crissent sous mes pieds, même si j’essaie de marcher avec
précaution.Toutdumoins,aussicalmementquepossible.QuandMikeaenfinterminédeparleràlapolice, jemedirigeversluietluidemande
sansménagement:–Oùest-il?–IlestpartiavecChristianVance.Le regarddeMike est dépourvude toute émotion.Ce quime calmeunbon coup, je
doisadmettrequeriendetoutçan’estdesafaute.C’estlejourdesonmariage,ettoutestfoutu.Je regardeautourdemoi tous cesmorceauxdebois brisé. J’ignore lesmurmuresdes
badauds trop curieux. J’ai l’estomac retourné, j’essaie juste de garder un minimum decontenance.
–Oùsont-ilsallés?–Jen’ensaisrien.Ilenfouitsatêtedanssesmains.Kimberlymetapesurl’épaule.–Écoute,sionrestedanslecoin,lorsquelapoliceenaurafiniaveceux,ilsvontpeut-
êtrevouloirteparler,àtoiaussi.MonregardvadelaporteàMike.JesorsavecKimberlypouréviterd’attirerl’attention
despolicierssurmoi.–TupeuxessayerderappelerChristian?Jesuisdésolée,j’aibesoindeparleràHardin.–Jevaisessayer.L’air fraisme fait frissonner. Nous traversons le parking pour nous rapprocher de sa
voituredelocation.
Unnœudseformedansmonestomacquandj’aperçoisunautrepolicierentrerdanslebarhuppé. Je suis terrifiée pourHardin, nonpas à causede la policemais parce que j’aipeurdelamanièredontilvasupportertoutçaquandilseraseulavecChristian.
Smithestassiscalmementàl’arrièredelavoiture, j’appuiemescoudessurlecoffreetjefermelesyeux.Kimberlyinterromptmesdivagations:
–Commentça,tunesaispas?Nous,nousallonsletrouver!Elleraccroche.–Qu’est-cequisepasse?Moncœurbatsifortquej’aipeurdenepasentendresaréponse.–HardinestsortidelavoitureetChristianaperdusatrace.Etc’estpresquel’heurede
cesatanémariage.Ellerassemblesescheveuxenqueuedechevalpuisregardeverslaportedubardans
lequelsetrouveMike,toutseul.–C’estundésastre.Je prie silencieusement pour qu’Hardin soit sur le chemin du retour. J’attrape mon
téléphone,etmapaniquebaissed’uncranquand jevois sonnomapparaîtredans la listedes appels en absence. Les mains tremblantes, je recompose le numéro et j’attends.J’attends.Mais je n’obtiens aucune réponse. Je le rappelle encore et encore et, à chaquefois,jetombesursonrépondeur.
4
Hardin
–Whisky-Coca.
J’aboiemacommandeauserveur.Lebarmanchauvemeregardeméchamment,prendunverrevidesurleprésentoiretle
remplit de glace. Dommage, je n’ai pas pensé à inviter Vance. On aurait pu partager unmomentpère-fils!
Putain,c’estvraimentlebordel.–Undoubleplutôt.–Compris,répondlegars,sarcastique.Mes yeux captent la vieille télé sur lemur sur laquelle défile un bandeau en bas de
l’écran.C’estunepubpourune compagnied’assurances et l’imageest celled’unbébéquigazouille.Putain,pourquoichoisissent-ilsdemettredesbébésdanstouteslespubs?Jenelecomprendraijamais.
Sansunmot,lebarmanfaitglissermonverresurleboisdubarjusteaumomentoùlebébéémetunsoncenséêtreencoreplus«adorable»qu’ungazouillis. Jeporte leverreàmeslèvresetlaissemonesprits’échappertrèsloind’ici.
–Pourquoituasrapportédesproduitspourbébéàlamaison?Elleétaitassise sur lebordde labaignoire, les cheveuxattachésenqueuedecheval.
J’avais commencé à m’inquiéter de son obsession pour les enfants, en tout cas, ça yressemblaitfoutrementbien.Elles’estmiseàrigoler.
–Cene sont pas des produits pour bébé. Il y a juste une imaged’un bébé et de sonpèresurleproduit.
–Jenecomprendsvraimentpasenquoic’estattrayant.
J’aienlevél’emballagedukitderasagequetessam’avaitachetéetj’aiexaminélesjouesrebondiesdumiocheenmedemandantquellienpouvaitbienexisterentre
ungnomeetuntrucpourseraser.–Jenecomprendspasnonplus,maisjesuissûrequemettreunephotodebébésurla
boîtedoitaiderlesventes.– Peut-être pour les femmes qui achètent ces merdes pour leur mec. Pas un seul
hommesaind’espritn’auraitattrapécetrucdansunrayondesupermarché.–Si,jesuiscertainequedespèresaussiauraientpul’acheter.–Maisbiensûr.J’ai déchiré l’emballage et posé son contenu devant moi, puis j’ai scruté son regard
danslemiroirfaceàelle.–Unbol?–Oui,c’estpourlacrème.Tuobtiendrasunmeilleurrésultatavecunblaireau.–Etcommentsais-tuça,toi?Je l’ai regardée en levantun sourcil, espérantqu’ellen’ait pas su çad’expérience,de
sonpasséavecNoah.Ellem’arépondudansungrandsourire:–J’airegardésurInternet!–Évidemment.Viensmedonneruncoupdemain,puisquetuasl’aird’êtreexperteen
matièrederasage.MajalousieadisparuetTessam’adonnéunpetitcoupdepied,pourrire.J’avais toujours utilisé un rasoir et de la mousse à raser tout simplement, mais
puisqu’elleavaitvisiblementcherchélebontruc,j’aivoululuifaireplaisir.Et,franchement,cette idée géniale d’elle me rasant le visage était plus qu’excitante. Tessa a souri et s’estlevéepours’approcherdemoi.Elleaprisletubedecrèmeetfaitdelamoussedanslebolentournantleblaireau.Puisellem’atenduletout,unsourireauxlèvres.
–Voilà.–Non,fais-le,toi.Jeluiairenduleblaireauetj’aipassémesbrasautourdesataillepourl’asseoirsurle
borddulavabo.–Allezhop.Unefoisassise,j’aiécartésesjambesetmesuisinstalléaumilieu.Elleapris l’airprudentetconcentréentrempant lepinceaudans lamoussepourme
l’étalersurlajoue.–Jen’aipasenviedesortircesoir,luiai-jedit.J’aitropdeboulot.Ettum’asempêché
debosser.J’aiattrapésesseinsàpleinesmainsetlesaidoucementserrés.Sesmainsonteuunmouvementincontrôlé,mebalançantdelamousseàraserdansle
cou.
–Encoreheureuxquetun’aiespaseulerasoirentrelesmains.–Oui,encoreheureux.Sontonmoqueurs’esttransforméensourirequandelleaattrapél’objetdudélit.Puis,
elles’estmâchouillélalèvreinférieure.–Tuessûrquetuveuxquejelefasse?J’aipeurdetecoupersansfaireexprès.–Arrêtedet’inquiéter.Detoutefaçon,jesuissûrquetuasaussifaitdesrecherchessur
cechapitre-là!Elle m’a tiré la langue comme une gamine et je me suis penché en avant pour
l’embrasseravantqu’ellen’entameleshostilités.Ellen’arienrépondu,c’estbienquej’avaisraison.
–Maissachequesitumecoupes,tuasplutôtintérêtàcourirvite...–Nebougepas,s’ilteplaît.Au début, sa main a un peu tremblé, mais elle a pris de l’assurance en passant
doucement la lame sur ma mâchoire. Me faire raser par Tessa était réconfortant etétonnammentapaisant.
–Tudevraisyallersansmoi.Jen’avaispasenvied’allerdînerchezmonpère,maisTessadevenaitfolleàrestertout
letempsdansl’appartement,alors lorsqueKarenavaitappelépournousinviter,elleavaitsautésurl’occasion.
–Sionnesortpascesoir, jeveuxqu’onreprogrammecedînerpour leweek-end.Tuaurasfinitontravaild’icilà?
–Jecrois…–Alors,appelle-lespourlesprévenir.Jepréparerailedînerquandj’auraiterminéettu
pourrasbosser.Elle a tapoté sousmon nez pourme demander silencieusement de pincermes lèvres
avantdemeraserdoucementautourdelabouche.Lorsqu’elleaeufini,jeluiaiproposé:–Tudevraisfinirlabouteilledevindanslefrigo.Onl’aouvertedepuisplusieursjours,
ilvabientôttournerauvinaigre.–Je…jenesaispas.Jesavaispourquoiellehésitait.J’aiouvertlesyeuxetelleatendulamainderrièreson
dospourouvrirlerobinetethumidifieruneserviette.J’aiappuyémesdoigtssoussonmenton.–Tess.Tupeuxboiredevantmoi.Jenesuispasunalcooliqueenmanque.–Jesais,maisjeneveuxpasquecesoitbizarrepourtoi.Enfait,jen’aipasbesoinde
boireduvin.Situneboispas,jen’enaipasbesoin.–Monproblème,cen’estpasl’alcool.C’estjustequequandjesuisencolère,jeboiset
c’estàcemoment-làqueçasecomplique.
–Jesais.Ellesavait.Elleapassélaserviettechaudesurmonvisage,retirantlesurplusdecrèmeàraser.–Jenesuisqu’unconnardquandjeboispouressayerdegérermesemmerdesmais,ces
dernierstemps,iln’yapaseud’emmerdes,alorsçava.(Mêmemoi,jesavaisquecen’étaitpas gravé dans le marbre.) Je ne veux pas être un de ces nazes comme mon père quiboiventàendevenirplusqueconsetmettentendangerleurentourage.Etpuisquetueslaseulepersonnequicompteàmesyeux,jen’aiplusenviedemepinterlagueulequandtuesdanslesparages.
–Jet’aime.Rompantlàcesiprécieuxmomentetparcequejen’avaispasenviedecreuserlesujet
plus avant, j’ai maté ses courbes perchées sur le lavabo. Elle portait l’un de mes t-shirtsblancsetriend’autrequ’uneculottenoire.
–Jevaispeut-êtredevoirtegarder,maintenantquetusaiscorrectementmeraser.Tusaiscuisiner,tufaisleménage…
–Etmoi,jegagnequoidanscettehistoire?Tuesbordélique,tunem’aidesencuisinequ’une fois par semaine en gros, et encore dans le meilleur des cas, tu es grincheux lematin…
Jel’aifaittaireenmettantmamainentresesjambesetendéplaçantsapetiteculottesurlecôté.Lorsquej’aiglisséundoigtenelle,elleasourietajouté:
–Jeleconcède,tuesdouépouruntruc.–Seulementuntruc?J’aiajoutéunseconddoigtetelleagrognétandisquesatêtepartaitenarrière.
Lamaindubarmans’écrasesurlecomptoirsousmonnez.–Hé!J’aidemandésivousvouliezunautreverre.Mon regard passe du bar à son visage. Je lui tends mon verre, laissant le souvenir
s’estomperàmesurequ’ilmeressert.–Ouais.Unautredouble.La vieille raclure chauve qui tient le bar s’éloigne, et j’entends la voix d’une femme
s’exclamer,surprise:–Hardin?HardinScott?Jeme retourne pour découvrir le visage plus oumoins familier de JudyWelch, une
vieillecopinedemamère.Bon,ex-copine.Visiblement,lesannéesn’ontpasététendresavecelle.
–Ouais.–Putaindemerde!Çafaitquoi…six,septans?Tuestoutseul?Elleposesamainsurmonépauleetsejuchesurletabouretàcôtédumien.–Ouais,c’estçaetoui,jesuislàtoutseul.Mamèrenevapastepourchasser.
Judya le visage tristed’une femmequi a bien tropbu. Ses cheveux sont toujoursdumême platine que quand j’étais adolescent et ses faux seins paraissent trop gros pour safrêle silhouette. Jeme souviensde lapremière foisoùellem’a touché. J’avais l’impressiond’êtreunhommeenbaisantlacopinedemamère.Etmaintenant,enlaregardant,jenelabaiseraispasmêmeaveclabitedubarmanchauve.
Ellemefaitunclind’œil:–Effectivement,tuasgrandi.Leverredevantmoiestvidéenquelquessecondes.–Toujoursaussibavard.Ellemetapotel’épaule,faitunsigneauserveurpourpassercommande,puissetourne
versmoi.–Tueslàpournoyertonchagrin?Desproblèmesdecœur?–Aucundesdeux.Je fais rouler mon verre entre mes doigts, écoutant le bruit des glaçons qui
s’entrechoquent.–Ehbien,moi,jesuislàpournoyertoutçacommeilfaut.Alorstrinquons,toietmoi.Ellecommandedeuxwhiskysaurabais.Surgidemonpassé,lesourirequ’ébaucheJudy
merevientenmémoire.
5
Tessa
Kimberly a débité au téléphone un tel chapelet d’insultes contre Christian qu’elle doit
reprendresonsouffle.Elletendlamainversmonépaule.–Avecunpeudechance,Hardinfait le tourduquartieràpiedpoursevider la tête.
Christianaditqu’illuidonnaitdel’airpourrespirer.Ellegrognepourmontrersadésapprobation.Mais je connaisHardinet je saisqu’ilne se « videpas la tête » en faisantun tourde
quartieràpied.J’essaieencoredelejoindre,maisj’atterrisdirectementsursaboîtevocale.Là,ilacomplètementéteintsontéléphone.
–Tucroisqu’ilauraitpualleraumariage?Jeveuxdire,pourfaireunescène?J’ai envie de dire à Kim qu’il ne ferait pas une chose pareille mais avec le poids de
toutes ces révélations, je ne peux pas nier que c’est une possibilité. Kimberly ajoute avecdelicatesse:
–Jen’arrivepasàcroirequejeviensdedireunechosepareille.Maispeut-êtrequetudevraisveniraumariagequandmême,pourêtresûrequ’ilnel’interrompepas?Enplus,ily a de fortes chances pour qu’il essaie de te retrouver et si personne ne répond à sontéléphone,c’estpeut-êtrelàqu’ilvachercherenpremier.
L’idée qu’Hardin puisse venir faire une scène à l’église me donne la nausée, maiségoïstement, j’espère qu’il y sera, sinon je n’aurai pratiquement aucune chance de leretrouver.Lefaitqu’ilaitéteintsontéléphonem’inquiète.Jenesuispassûrequ’ilaitenviequ’onmettelamainsurlui.
–Bonneidée.Jedevraispeut-êtreattendredevant,ettoiàl’intérieur?Kimberly hoche la tête avec sympathie,mais son visage sedurcit lorsqu’une luxueuse
BMWnoiresegareàcôtédesavoituredelocation.
Christianensort,encostume,ets’approche.–Desnouvelles?IlsepencheversKimberlypourl’embrassersurlajoue,ungesteautomatiquej’imagine,
maisellerecule,empêchantlecontact.Illuimurmure:–Jesuisdésolé.Elle secoue la têteet se tourneversmoi.Moncœursebrisepourelle ;ellenemérite
pasunepareilletrahison.J’imaginequec’estçaletrucaveclestrahisons:sansprévenir,çatombesurceuxquines’yattendentpasnileméritent.ElleregardeChristiandanslesyeux:
–Tessanousaccompagneetellevaguetterl’arrivéed’Hardin.Commeça,pendantquenous serons tous à l’intérieur, elle pourra s’assurer que rien d’autre n’interrompe cettemerveilleusejournée.
Letondesavoixesttrèsclairementvenimeux,maisellerestecalme.Christiansecouelatêteenregardantsafiancée.
–Onnevapasalleràceputaindemariage.Pasaprèstoutecettemerde.–Pourquoipas?– Parce que ça. (Vance désigne l’espace entre nous deux d’un geste de la main.) Et
parcequemesdeuxfilssontplusimportantsquen’importequelmariage,particulièrementcelui-ci. Et je ne m’attends pas à ce que tu puisses rester souriante dans la même piècequ’elle.
Kimberlyal’airsurpris,maisunpeuapaiséeparsesparoles.Jelesobserve,silencieuse.Christian,parlantd’HardinetdeSmithcommedeses« fils»pour lapremièrefois,çam’asecouée. Il y a tant de choses à dire à cet homme, tant de mots haineux que j’aidésespérémentenviedeluibalancerenpleinefigure,mais jesaisquejeneledoispas.Çane servirait à rien et je dois rester concentrée pour localiser Hardin et appréhender lamanièredontilaprislanouvelle.
–Lesgensvontparler.SurtoutSasha…– J’en ai rien à foutre de Sasha, ni de Max ni de quiconque. Qu’ils parlent ! Nous
habitonsàSeattle,pasàHampstead. (Il tend lamainversKim, laprend, et elle se laissefaire.)Réparermeserreursestmaseuleprioritéàprésent.
Lacolèrefroidequejeressenscontreluicommenceàs’émousserunpeu,justeunpeu.–Tun’auraispasdûlaisserHardinsortirdelavoiture.KimberlylaissesamaindanscelledeChristian.– Jenepouvaisvraimentpas l’arrêter.TuconnaisHardin.Etmaceinturede sécurité
s’estcoincée,jenesaispasoùilestallé…bordeldemerde!Kimberlyhochelatêteensigned’assentiment.Jesensquec’estàmontourdeprendrelaparole.– Où pensez-vous qu’il soit allé ? S’il ne vient pas aumariage, où vais-je pouvoir le
chercher?
– Je viensde vérifier lesdeuxbarsqui sontouverts à cetteheure-ci. Juste au casoù.(Son regard s’adoucit quand il se tourne vers moi.) Je sais que je n’aurais pas dû vousséparerquand je luiaiannoncé.C’étaituneénormeerreuret jesaisquec’est toidont ilabesoinencemoment.
IncapabledepenseràquoiquecesoitdeplusoumoinspoliàdireàVance,jefaisjusteunsignedetêteetsorsmontéléphonedemonsacpouressayerde joindreHardinencoreunefois.Jesaisqu’ilaéteintsonportable,maisjedoisessayer.
Pendant que j’appelle, Kimberly et Christian se regardent silencieusement, les yeuxrivés sur le visage de l’autre à chercher un signe. Lorsque je raccroche, il se tourne versmoi:
– Le mariage commence dans vingt minutes. Je peux t’y conduire maintenant, si tuveux.
Kimberlylèvelamainpourl’interrompre:–Jevaislaconduire,moi.PrendsSmithetretourneàl’hôtel.Il tente de s’interposer, mais elle le fait taire d’un regard auquel il choisit sagement
d’obéirensilence.Sesyeuxsontremplisd’inquiétude.–Tureviendrasàl’hôtel,hein?–Évidemment.Jenevaispasquitterlepays.Le visage décomposé de Christian passe de la panique au soulagement et il lâche la
maindeKimberly.–Faisattentionetappelle-moisituasbesoindequoiquecesoit.Tuconnaisl’adresse
del’église,n’est-cepas?–Oui.Donne-moitesclés.Smiths’estendormietjeneveuxpasleréveiller.J’applaudis silencieusement son comportement fier et fort. À sa place, je serais
effondrée.Etlà,jesuiseffondrée.
Moins de dix minutes plus tard, Kimberly me dépose devant une petite église. Laplupart des invités sont déjà à l’intérieur, seuls quelques retardataires traînent sur lesmarchesàl’extérieur.Jem’assiedssurunbancetscrutelaruepourvoirsiHardinneseraitpasentraind’arriver.
De làoù jesuisassise, j’entends lamarchenuptialerésonnerdans l’égliseet j’imagineTrish,danssarobedemariée,s’avancerdanslanefàlarencontredesonfuturépoux.Sonsourireestbrillant,elleestsibelle.
MaislaTrishquej’imaginenecoïncidepasdutoutavecl’imagedelamèrequimentàsonfilsuniquesurl’identitédesonpère.
Les marches se vident, les derniers traînards entrent dans l’église pour voir Trish etMike se marier. Les minutes passent, j’entends pratiquement tout ce qui se passe àl’intérieur.Unedemi-heure plus tard, les invités applaudissent et les fiancés sont déclarésunisparleslienssacrésdumariage,cequejeprendscommelesignaldudépart.Jenesais
pasoù jevaisaller,mais jenepeuxpasresterassiseàattendre.Trishvabientôtsortirdel’égliseetladernièrechosedontj’aibesoin,c’estd’unerencontrefortuiteetgênanteaveclajeunemariée.
Jereprends lecheminquenousavonsempruntépourvenir,enfin jecrois.Jenem’ensouvienspastrèsbien,maiscommejenesaispastropoùaller…JeressorsmontéléphoneetappelleHardin,maissonportableesttoujourséteint.Mabatterieestàmoitiévide,etjeneveuxpasl’useraucasoùHardinessaieraitd’appeler.
Marchant sans but précis dans le quartier, je continuema recherche, regardant dansles restaurants, les bars et tout autre lieu où il pourrait être, jusqu’à ce que le soleil secouchedans leciel londonien.J’auraisdûdemanderàKimberlydemeprêter l’unedesesvoitures de location,mais j’avais dumal à réfléchir quandnous nous sommes séparées etelle a d’autres soucis en tête en cemoment. La voiture d’Hardin est toujours garée chezGabriel,maisjen’aipasledoubledesclés.
Labeauté et la grâced’Hampsteaddiminuentàmesureque jem’approchede l’autrecôtéde la ville.Mespieds sontdouloureuxet l’air printanier se rafraîchitdeplus enplusquandlesoleilsecouche.Jen’auraispasdûmettrecetterobeetcesstupideschaussures.Sij’avaissucommentcettejournéeallaittourner, j’auraisoptépourunsweatetunpantalonconfortableKMJ,etdes tennispour retrouverHardinplus facilement.À l’avenir, si jedoisencorevoyageraveclui,ceseramonuniforme.
Unmomentplus tard, peut-être quemonespritme jouedes toursmais ilme semblebienreconnaître laruedans laquelle jem’aventure.ElleestbordéedepetitesmaisonsquiressemblentàcelledeTrish,saufquequandHardinnousaconduitsici,jemebattaiscontrele sommeil et mes souvenirs ne sont pas fiables. Je suis contente que les rues soientpratiquement désertes, tous les habitants doivent être rentrés chez eux pour la soirée. Sij’avais eu à partager les trottoirs avec des gens qui sortaient des bars, je serais devenueencore plus parano. Jememets presque à pleurer de soulagement quand je reconnais lamaisondeTrishunpeuplus loin. Il faitnuit,mais les lampadairessontallumésetplus jem’approche,plus jesuissûrequec’estbien là.JenesaispassiHardinysera,mais jepriepourque,mêmes’iln’yestpas,laportenesoitpasverrouilléeetquejepuissem’asseoiretboire un verre d’eau. J’ai marché sans but pendant des heures. J’ai eu de la chance detombersurlaseulerueducoinquimesoitd’unequelconqueutilité.
EnapprochantdelamaisondeTrish,uneenseignelumineusedéfraîchiereprésentantunechopedebièreattiremonattention.Lepetitbarestsituéaucoind’uneallée,accoléàune maison. Je frissonne. Ça a dû être difficile pour Trish de rester vivre dans la mêmemaison,siprochedubard’oùleshommesquicherchaientKensontsortis.Unjour,Hardinm’aditqu’ellen’avaitsimplementpaseulesmoyensdedéménager.J’aiétésurpriseparlamanière qu’il a euedehausser les épaules devant ce problème,malheureusement et c’estvicieux,maisl’argentestroi.
Ilestici,j’ensuissûre.Jem’avancejusqu’aupetitpubetquandj’ouvrelaportemétallique, jeréalisequema
tenue est inappropriée. Dans ce genre d’endroit, je vais avoir l’air d’une folle vêtue de lasorte,meschaussuresàlamain,ayantrenoncéàlesgarderauxpiedsilyauneheure.Jeleslaissetomberetlesrenfile,grimaçantdedouleurlorsqueleslanièresglissentsurlapeaudemeschevillesàvif.
Il n’y a pas beaucoup demonde dans le bar et ça neme prend pas bien longtempspouryrepérerHardin. Ilestassisaucomptoir,unverreaux lèvres.Moncœursebrise.Jesavais que je le trouverais comme ça,maismon estime pour lui en prend un sacré coup.J’avaisespérédetoutesmesforcesqu’iln’iraitpasjusqu’ànoyersonchagrindansl’alcool.Jeprendsunegrandeinspirationavantdel’approcheretjetapesursonépaule.
–Hardin.Il pivote sur son tabouret pourme faire face etmon estomac se retourne.De grosses
lignes rouges sang marbrent le blanc de ses yeux. Ses joues aussi sont rouges et l’odeurd’alcoolestsifortequejepourraisquasimentlagoûter.Mabouches’assècheetmesmainsdeviennentmoites.
–Regardezquivoilà!Savoixbafouille.Leverredanssamainestpresquevide,jereculelorsquejedécouvre
devantlui,surlebar,troisverresàshotvidésdeleurcontenu.–Etcommenttum’astrouvé?Il jette la tête en arrière et avale d’une lampée le liquide brun de son verre avant
d’appelerl’hommederrièrelebarpourluidemanderdeluienservirunautre.Jem’avancepourmeplacerfaceàluietqu’ilnepuissepasdétournerleregard.–Bébé,tuvasbien?Jesaisquecen’estpaslecas,maisjenesaispascommentmecomporteravecluitant
quejenesauraipasdansquelétatilestniquelledosed’alcoolilaabsorbée.–Bébé…Son ton est mystérieux, comme s’il pensait à tout autre chose, puis il se reprend
soudainetm’offreunsourireravageur.–Ouais,ouais.Jevaisbien.Assieds-toi.Tuveuxunverre?Prendsunverre…Barman,
unautre!Lebarmanmeregardeetjesecouelatêtepourluifairesignequenon.Hardinn’apas
remarquécetéchange,iltireletabouretàcôtédusienettapotel’assise.Jeregardeautourdemoiavantdegrimperdessus.
–Alors,commentm’as-tutrouvé?Je suis confuse et sur mes gardes. Il est visiblement ivre, mais ce n’est pas ce qui
m’inquiète ; c’est le calmeolympiendans sa voix quinemedit rienqui vaille. Je l’ai déjàentenducommeça,etjamaisriendebonn’enestsorti.
–J’aitournéenrondpendantdesheures,etpuisj’aireconnulamaisondetamèredel’autrecôtédelarue,alorsj’aisu…enfaitoui,j’aisuquejetetrouveraisici.
Jetrembleausouvenirdeshistoiresqu’HardinmeracontaitsurKen,quipassaittoutessessoiréesdanscemêmebar.
–Mapetitedétective.Hardinlèvedoucementlamainpourreplacerunemèchedemescheveuxderrièremon
oreille.Ilnefautpasquejetressaille,malgrél’anxiétéquimegagne.–Est-cequetuveuxmesuivre?J’aienviederetournerànotrehôteletnouspourrons
partirdemainmatin.Juste à cet instant, le barman apporte son verre à Hardin qui regarde l’objet avec
sérieux.–Pasencore.–S’ilteplaît,Hardin.Jesuistellementfatiguéeetjesaisquetul’esaussi.J’essaied’utilisermafaiblessecontrelui.Jemerapproche.–Mespiedsmefontmalettum’asmanqué.Christianaessayédetetrouver,maisila
échoué.Jemarchedepuislongtempsetj’aivraimentenviederetourneràl’hôtel.Avectoi.Jeleconnaissuffisammentpourêtresûrequesijememetsàtropradotersurn’importe
quelsujet,ilvas’emballeretsoncalmes’évaporeraenquelquessecondes.–Iln’apasbeaucoupcherché.J’aicommencéàboiredanslebarenfacedel’endroitoù
ilm’adéposé.Illèvesonverre.Jemepenchecontreluietavantquej’aietrouvéquoidire,ilreprend:–Prendsunverre.J’aiunecopineici,ellevat’offrirunshot.(Ildésignelesverressurle
bar.) On s’est croisés dans un autre établissement de qualité, mais comme on a eul’impressionde revivreun trucdupassé, je l’ai conviéeàme rejoindre ici.Commeaubonvieuxtemps.
Monestomacseretourne.–Copine?–Unevieilleamiedelafamille.D’un mouvement de tête, il désigne une femme aux cheveux platine qui sort des
toilettes.Ellesembleallersurlaquarantaine.Jesuissoulagéequecenesoitpasunejeune,vuqu’Hardinsembleboireavecelledepuisunbonboutde tempsmaintenant.Je tends lamainpourattrapersesdoigts.
–Jepensequ’ondevraitvraimentyaller.Ilreculerapidement.–Judith,jeteprésenteTheresa.–Judy.Ellelecorrigeaumomentoùjeprécisemoi-même:
–Tessa.Heureusedefairevotreconnaissance.JemeforceàsourireetmeretourneversHardin.–Judysavaitquemamèreétaitunegrossepute.–C’estpascequej’aidit.La femme rit. Elle porte des vêtements qui ne sont pas de son âge. Son top est trop
court,sonjeantropserré,elleesttropvieillepourça.–C’estcequ’elleadit.MamèredétesteJudy!L’étrangefemmeluirendsonsourire.–Onsedemandebienpourquoi.Je commence à me sentir comme exclue d’une blague, alors sans y réfléchir, je
demande:–Pourquoi?Hardinluilanceunregardd’avertissementetfaitungestedelamainpoursignifierque
c’estsansimportance,annulantdumêmecoupmaquestion.Jedoisfaireappelàtoutemapatience pour ne pas le faire tomber de son tabouret. Si je ne savais pas qu’il essaie dedissimulersadouleur,c’estexactementcequejeferais.
–Longuehistoire,ma jolie.Quoiqu’ilensoit, tuasune têteàavoirbesoind’unpetitverredetequila.
–Non,çava.Merci.Ladernièrechosedontj’aieenvie,c’estbiend’alcool.Hardins’approchedemoi.–Lâche-toiunpeu,Bébé.Cen’estpastoiquiviensd’apprendrequetoutetavien’est
qu’unputaindemensonge,alorslaissetomberetboisunverreavecmoi.Mon cœur saigne pour lui,mais l’alcool n’est pas une solution. Je dois le faire sortir
d’ici.Maintenant.–Tupréfères lesmargaritasavecde laglacepiléeoudesgrosglaçons?C’estpasun
barchicosici,iln’yapasbeaucoupdechoix.–Putain,j’aiditquejenevoulaisrienboire.Judyécarquillelesyeuxàcetteremarquefleurie,maisreprendvitecontenance.Jesuis
presque aussi surprise qu’elle demon éclat. À côté demoi, Hardin réprime un petit rire,maisjegardemonregardrivésurcettefemmequi,àl’évidence,serégaledesonsecret.
–Ok,çava.Ilfautsedétendre.Elle plonge lesmains dans son énorme sac et en sort un paquet de cigarettes et un
briquet.–Uneclope?Àmagrande surprise, je le voishocher la tête. Judypasse lamainderrièremondos
pourluitendrelacigarettequ’ellevientd’allumer.NomdeDieu,maisc’estquicettebonnefemme?
L’infâmeobjetfumantauxlèvres,Hardintireunelatte.Desvolutesdefumées’élèvententrenous,jecouvremaboucheetmonnezetl’assassineduregard.
–Depuisquandtufumes?–J’aitoujoursfumé.C’estjustequej’avaisarrêtéenarrivantàWCU.Il tire encore sur sa clope. Le bout incandescent de la cigarette me nargue et d’un
geste,jel’attrape,luiretiredelaboucheetlafaittomberdanssonverreàmoitiéplein.–Tutefousdemagueule?Sonregardresterivésursonverredevenuimbuvable.–Onyva.Maintenant!Jedescendsdutabouretenattrapantsamanchepourletirerversmoi.–Non.Onreste.Ilsedégagedemapriseettented’attirerl’attentiondubarman.–Iln’apasenviedepartir.Judy s’interpose d’une toute petite voix. Le sang bout dans mes veines, cette bonne
femme m’horripile. Je plonge mon regard dans le sien, à peine discernable avec tout cemascaraquil’englue.
– Je ne me rappelle pas vous avoir demandé votre opinion. Occupez-vous de vosoignonsettrouvez-vousunautrecompagnondeboisson,parcequenous,nouspartons.
Montonestmontécrescendoetj’aifiniparcrier.ElleregardeHardin,s’attendantàcequ’illadéfendeet,àcetinstant,jesaisislanaturedulienmonstrueuxquilesunit.Cen’estpascommeçaqu’une«amiede la famille »devrait secomporteravec le filsd’unecopinequialamoitiédesonâge.
–J’aiditquejenevoulaispaspartir.J’ai tout essayé, mais il ne m’écoute pas. Ma dernière option, c’est la carte de la
jalousie.C’estuncoupbas,surtoutvusonétat,maisilnemelaissepaslechoix.Jebalaielebarduregard,l’airthéâtral.
– Eh bien, si tu ne veux pas me raccompagner à l’hôtel, il va falloir que je trouvequelqu’unpourlefaire.
Mesyeuxseposentsurl’hommeleplusjeunedupub.Ilestassisàunetableavecdesamis. Jedonnequelques secondes àHardinpour réagir,mais comme il restemuet, jemedirigeversleurtable.
Lamaind’Hardinm’enserrelebrasimmédiatement.–Putaindemerde,jamaisdelavie.Jeme retourne et remarque le tabouret renversé dans sa hâte deme rattraper et la
tentativeridiculementmaladroitedeJudydeleredresser.Jepenchelatêtedecôté.–Alors,ramène-moi.–Jesuisbourré.Commesiçaexcusaittoutecettescène!
– Je sais.Onpeut appelerun taxipournous ramener chezGabriel et je conduirai lavoiturejusqu’àl’hôtel.
Jeprie silencieusementpourquemapetite ruse fonctionne.Hardinplisse les yeuxenmeregardantquelquesinstantsavantdemarmonner,sarcastique:
–Tuastoutprévu,hein?–Non.Maisçanet’apporterariendebonderesterici,alorssoitturèglestanoteettu
meramènes,soitjeparsavecquelqu’und’autre.Ilrelâchesalégèreprisesurmonbrasets’approched’unpas.–Nememenacepas.Moiaussi,jepourraistrèsbienrepartiravecquelqu’und’autre.Lajalousiem’aiguillonne,maisj’ignorelasensation.Ledosdroitetlavoixposée,jelui
lancecedéfi:–Vas-y.RentreavecJudy,alors.Jesaisquetuasdéjàcouchéavecelle.Çasevoit.Ilmeregarde,puissetourneverselleetsourit très légèrement.Jefrémis,maisunpli
vientbarrersonfront.–Cen’étaitpasfranchementgénial.C’estàpeinesijem’ensouviens.Cettemanièred’essayerdemeréconfortermeblesseplusencore.–Alors?Tupréfèresquoi?–Bordeldemerde!Iltitubejusqu’aubarpourréglersanote.J’ail’impressionqu’ilvidesespochessurlecomptoir,quelebarmanenextraitquelques
billets,puisqu’ilfaitglissersaferrailleversJudy.Elleleregarde,puissetourneversmoietseratatineunpeu,commesiellesedégonflaitauniveaudelacolonnevertébrale.
Ensortantdubar,Hardinmeprécise:–Judym’ademandédetedireaurevoir.Cetteremarquemedonneenvied’exploser.–N’osemêmepasmeparlerd’elle!Passantsonbrasautourdemataille,ilmarmonned’unevoixd’ivrogne:–Serais-tujalouseTheresa?Putain,jehaiscetendroit,cebar,cettebaraque.(Ilfaitun
gesteverslapetitemaison,del’autrecôtédelarue.)Oh!Tuveuxsavoiruntrucmarrant?Vanceahabitéici.
Hardindésignelamaisonenbriquesàcôtédubar.Unelumièrediffuseéclairel’étage,unevoitureestgaréedansl’allée.Ilcontinue:
–Jemedemandecequ’ilfaisaitlesoiroùceshommessontvenusdansnotreputaindemaison.
Ilregardeintensémentlesoletsepencheenavant.Avantquejemerendecomptedecequisepasse,ilalevélebrasderrièrelatête,unebriquedanslamain.
–Hardin,non!Jecrieetluiattrapelebras.Labriquetombeparterreetrebonditsurleciment.
–Putain!Ilessaiedelareprendre,maisjem’interpose,cequilefaitexploser.–Etmerde!Alleztousvousfairefoutre,danscetterue!Danscebar!Danscetteputainde
maison!Iltitubeencoreendescendantlarue.–Situneveuxpasmelaisserdétruirecettemaison…Savoixs’étiole.Jeretiremeschaussurespourlesuivredel’autrecôtédelarue,dansle
petitjardindelamaisonoùilapassésonenfance.
6
Tessa
M’efforçant, pieds nus, de suivre Hardin jusqu’à la maison de sa terrible enfance, je
trébucheetundemesgenouxatterrit sur lapelouse,mais je reprendsvitemonéquilibre.J’entendsHardinsedébattreunmomentaveclaserruredelaported’entréepuissemettreàtaperdefrustrationdespoingscontrelebattant.
–Hardin,s’ilteplaît.Rentronsàl’hôtel.Sansrépondre,ilsepenchepourattraperquelquechoseparterre.J’imaginequec’est
un double des clés, mais je réalise mon erreur quand une pierre de la taille d’un poingtraverselaportevitrée.Hardinfaufilesonbrasparletrou,évitantparmiracleleséclatsdeverrehérissés,etdéverrouillelaserrure.
La rue est bien calme, tout semble tranquille. Personne n’a remarqué cet acte devandalismeetaucunelumièrenes’estalluméeaubruitduverrebrisé.Jepriepourquelesjeunesmariés ne passent pas la nuit chezMike, dans lamaison voisine. J’espère qu’ils seseront réservé une chambre dans un chouette hôtel aumoins, vu qu’aucun d’eux n’a lesmoyensdesepayeruneextravagantelunedemiel.
–Hardin!Jemarchesurdesœufssurcecoup-là,ilfautquejefassedemonmieuxpourqu’iln’y
aitpastropderavage,uneerreuretc’estl’omeletteassurée.–Cetteputaindemaisonn’ajamaisrienfaitd’autrequemetorturer.Il trébuche et se rattrapeà l’undes accoudoirsdu canapéavantd’y tomber. J’évalue
rapidement la situation : ouf, la plupart des affaires de Trish ont été emballées dans descartonsoudéjàretiréesdelamaisonenvuedestravauxquivontavoirlieu.
Ilregardelecanapéd’unairsévèreetconcentré,lesmainssurlefront.
–Cecanapé,là…C’estlàqueças’estpassé,tusais.Exactementsurcemêmeputaindecanapé.
Jesavaisqu’iln’avaitpastoutesatête,maislàc’estconfirmé.Jemesouviensqu’ilm’araconté il y a plusieursmois qu’il avait détruit le canapé en question. Il s’était vanté que«cettemerdeavaitétéfacileàdéfoncer».
Jeregardelesofadevantnous,apparemmentneuf,vularigiditédescoussinsetletissusanslamoindretache.J’ail’estomacretourné,autantàcausedusouvenirqu’ilrevitquedelatournurequeprendsonhumeur.
Ilfermelesyeuxuninstant.–Peut-êtrequel’undemesputainsdepèreauraitpupenseràenacheterunnouveau.–Jesuisvraimentdésolée,jesaisquetudoisaffrontertantdechosesaujourd’hui.Matentativedeleréconfortertombeàl’eau.Ilrouvrelesyeuxets’avanceverslacuisine.Jelesuisàquelquespas.–Oùest-elle…Ilmarmonneens’agenouillantdevantleplacardsousl’évier.–Trouvée!Il sort une bouteille d’un alcool transparent. Je ne veux pas savoir à qui elle
appartenait,ouappartient,nicommentelleestarrivéelà.Lafinepelliculedepoussièrequimaculelet-shirtnoird’Hardin, lorsqu’il frottelabouteillecontrelui,mefaitpenserqu’elledoitêtrecachéelàdepuisquelquesmois.
Nesachantpascequ’ilvafaire,jelesuisdansleséjour.J’essaiedésespérémentd’attirersonattentionenmeplantantdevant lui,mais ilrefusedebaisser lesyeuxversmoi,mêmelorsquejeluiparle.
–Jesaisquetuesbouleverséetquetuastouteslesraisonsdumonded’êtreencolère.Mais,s’ilteplaît,est-cequenouspouvonsretourneràl’hôtel?Nouspourronsparlerettupourrasdessoûler.Outupourrasdormir,commetupréfères,maiss’ilteplaît,ilfautqu’onparted’ici.
Hardinmecontourneetseplantedevantlecanapéenlemontrantdudoigt.–Elleétaitlà…Deslarmesmepiquentlesyeux,maisjelesravale.Ilpoursuit:–Etputain,personnen’estvenulesarrêter.Aucundecesconnards.Ilcracheparterreetdévisselebouchondelabouteille.Illaporteàseslèvres,renverse
latêteenarrièreetlaisseleliquides’écoulerdanssagorge.–Stop!Jeme suis rapprochée de lui en criant.Maintenant, je suis prête à lui arracher cette
bouteilledesmainsetà l’explosercontre lecarrelagede lacuisine.N’importequoipourvuqu’il ne la boive pas. Je ne sais pas quelle quantité d’alcool son corps va pouvoir encoresupporteravantqu’ilnetombedanslecoma.
Hardin prend une nouvelle grande gorgée puis s’arrête et s’essuie la bouche et lementon du revers de lamain. Il sourit et, pour la première fois depuis que nous sommesentrésdanscettemaison,ilmeregarde.
–Pourquoi?T’enveux?–Non.Oui!Enfait,oui.–Dommage,Tessie.Iln’yenapasassezpourpartager.L’entendre bafouiller le surnom qu’utilisemon pèreme fait tressaillir. Cette bouteille
doit contenir plus d’un litre d’alcool, quel qu’il soit d’ailleurs, l’étiquette est à moitiéarrachée.Jemedemandedepuiscombiendetempsill’avaitcachéelà.Était-cependantlesonzepiresjoursdemavie?
–Jepariequetuadoresça.Jereculed’unpasetessaiedetrouverunplanB.Mesoptionssontassezlimitéesetje
commenceàavoirunpeupeur.Jesaisqu’ilnemeblesseraitjamais,physiquementparlantdu moins, mais je ne sais pas jusqu’où il peut aller contre lui-même et je ne suis pasémotionnellementpréparéeàsubirunautredesesassauts.JemesuishabituéeauHardinplusoumoinsciviliséque j’ai eu lebonheurdecôtoyer cesderniers temps : sarcastiqueetd’humeur changeante certes,mais dépourvu de haine.Mais là, la lueur dans son regardinjectédesangm’estbientropfamilièreetj’ylisdelaméchanceté.
– Pourquoi est-ce que j’aimerais ça ? Je déteste te voir dans cet état. Je n’ai jamaisvouluquetusouffresdelasorte,Hardin.
Ilritdoucementavantdeleverlabouteilledontilrenverseunepartiesurlescoussinsducanapé.
–Tusavaisquelerhumestl’undesalcoolslesplusinflammables?Monsangnefaitqu’untour.–Hardin,je…–Cettebouteillevateleprouver.C’estsacrémentfort.Ilparled’unevoixbrouillée, lenteeteffrayante,encontinuantàverserl’alcoolsurles
coussins.– Hardin ! Qu’est-ce que tu vas faire ensuite ? Mettre le feu à la maison ? Ça ne
changerarien!D’ungestedédaigneux,ilmefaitsignedepartir.–Tudevraisyaller.Lesenfantsnesontpasadmisici.–Nemeparlepascommeça!Àlafoiscourageuseetlégèrementeffrayée,jemesaisisdelabouteille.Lesnarinesd’Hardins’écartent,etilessaiededétachermesdoigtsdeleurprise.–Lâcheçaimmédiatement!–Non.–Tessa,nemepoussepasàbout.
–Qu’est-cequetuvasfaire,Hardin?Tebattrecontremoipourunebouteilled’alcool?Sesyeuxs’écarquillent, sabouches’ouvredesurpriseetsonregardsepenchesurnos
mainsemmêléescommepourselivreràunebatailledepouces.–Donne-moicettebouteille!J’affirmemon ordre en resserrantma prise. La bouteille est lourde et Hardin neme
facilite pas la tâche,mais unemontée d’adrénalinemedonne toute la force nécessaire. Ilrelâche sa main en bredouillant un juron. Je ne m’attendais pas à ce qu’il cède aussifacilement, et lorsqu’il desserre les doigts, la bouteille m’échappe, tombe par terre et serenversesurl’antiqueparquetdevantnous.
Jem’avancepourlaramasserenluisuggérantlecontraire:–Laisse-laoùelleest.Il l’attrape avant que j’aie le temps de le faire, renverse encore plus d’alcool sur le
canapé puis fait le tour de la pièce en laissant s’écouler un filet de ce rhum inflammablederrièrelui.
– De toute manière, on va démolir cette baraque merdique. Je rends service auxnouveauxproprios.
Ilmeregardeethausselesépaulesd’ungestejoueur.–Aufinal,çaleurreviendramoinscher!Jemedétournelentementd’Hardinetcherchemontéléphonedansmonsacàmain.Le
symbolede labatterieclignote,mais il fautque j’appelle leseulnuméroquipourraitnousvenirenaideàcestade.Montéléphoneenmain,jemeretourneversHardin.
–Lapolicevavenircheztamèresitufaisça,Hardin.Tuserasarrêté.Pourvuquelapersonneàl’autreboutdelalignem’entende!–J’enairienàbattre.Ilparle lesmâchoires serrées. Ilbaisse lesyeuxvers le canapé, son regard traverse le
présentpoursenoyerdanslepassé.–Je l’entendsencorehurler.Sescris ressemblaientàceuxd’unanimalblessé,putain.
Tusaiscequeçafaitàunpetitgarçon,ça?MoncœursaignepourHardin,pourlesdeuxcôtésdesapersonnalité,l’enfantinnocent
quiaétéforcédevoirsamèresefairebattreetvioler,et l’hommeblesséquicroitquesonseulrecoursestdemettrelefeuàlamaisonpoursedébarrasserdecesouvenir.
–Tuneveuxpasallerenprison,si?Oùirais-je,sinon?Tumelaisseraisenrade?Jememoque commede l’anquarantede cequipourraitm’arriver,mais j’espèreque
cetteidéevalefaireréfléchir.Monbeauprincedesténèbresmeregardeuninstant,mesmotssemblentl’avoirsecoué.–Appelleun taxi toutde suite.Va jusqu’auboutde la rue. Je veuxm’assurerque tu
soisloinavantdefairequoiquecesoit.
Savoixestbienplusdistinctequ’ellenedevraitl’êtresil’onpenseàtoutl’alcoolqu’iladanslesang,maistoutcequejepeuxentendre,c’estqu’ilrenonceàsesauverlui-même.
–Jen’aiaucunmoyendepayeruntaxi.Je fais tout un sketch pour lui montrer quemon porte-monnaie n’est rempli que de
dollars.Il ferme les yeux et lance la bouteille contre lemur. Elle s’éclate enmillemorceaux,
mais jecilleàpeine.J’aivuetentenduçabientropdefoiscesseptderniersmoispourenêtreémue.
–Prendsmonputaindeportefeuilleet…Tire.Toi.Putain.D’ungestefluide, il retiresonportefeuillede lapochearrièredeson jeanet le jetteà
mespieds.Jemepenchepourleramasseretl’enfouisdansmonsacàmain.Jesusurre:–Non.J’aibesoinquetum’accompagnes.–Tuestellementparfaite…Tulesais,ça,hein?Il s’avance d’un pas et tend les bras pour prendre mon visage dans le creux de ses
mains. Son contactme fait sursauter, ce qui provoqueunpli soucieux sur sonmagnifiquevisage.
–Tunelesaispas?Quetuesparfaite?Samainestchaudecontremajoueetsonpoucecaressemapommette.Meslèvrestremblent,mais j’essaiedegarderunvisageimpassible.Monregardplongé
danslesien,jerépondscalmement:–Non.Jenesuispasparfaite,Hardin.Personnenel’est.–Tul’es.Tuestropparfaitepourmoi.J’aienviedepleurer.Onenestrevenuslà?–Jenevaispastelaisserfaire.Jesaisquetuesentraindemerepousser.Tuesivreet
tuessaiesdejustifiertoutçaennouscomparant.Maisjesuisaussifoireusequetoi.–Neparlepascommeça.Çan’apasdesens,sortantdecettesijoliebouche.Samainrepoussemescheveuxenarrière.Sonpoucedessinema lèvre inférieureet je
nepeuxm’empêcherderemarquerlecontrasteentresesyeuxquibrûlentd’unesombreetdouloureuserageetladouceurdesadélicatecaresse.
–Jet’aimeetjenevaisnullepart.J’espèretraverserlebrouillarddesonéthylisme.Jesondesonregardàlarecherchede
monHardin.–Sideuxpersonness’aiment,ilnepeutyavoirdefinheureuse 1.Je reconnais immédiatement cette phrase. Je détache mon regard du sien et lui
répondsd’untoncoupant,pourl’interrompre:–NemecitepasHemingway.
Est-cequ’ilcroyaitsincèrementquejenelereconnaîtraispasetnesauraispascequ’ilessaiedefaire?
–Maisc’estvrai,quandmême.Iln’yapasdefinheureuse,paspourmoientoutcas.Jesuisvraimenttropbarré.
–Non,cen’estpasvrai!Tu…Il baisse les mains, les éloigne de mon visage puis se détourne de moi. Son corps
chancelle.–Pourquoitufaisça?Pourquoiessaies-tudetrouverdelalumièreenmoi?Réveille-
toi,Tessa!Iln’yaaucunelumière,putain!Jenesuisrien!Jesuisunemerdecomplètementfoireuse,avecdesparentsàchieretuncerveaumalade!J’aiessayédet’avertir,j’aiessayédeterepousseravantdetedétruire…
Savoixdescendetilmetlamaindanssapoche.JereconnaislebriquetvioletdeJudy,celuiqu’elleavaitsortidanslebar.
Hardinnemeregardepas,ilfaitjaillirlaflamme.–Mesparentsaussisontdétraqués!Monpèreestencurededésintox,merde!Je savais que ça allait arriver. Je savais que la confession de Christian allait amener
Hardinàsonpointderupture.Onnepeutpastoutendurer,etHardinétaitdéjàsifragile.–C’esttadernièrechanced’yalleravantquecettebaraques’envoleenfumée.– Tu n’oserais quand même pas mettre le feu à cette maison alors que je suis à
l’intérieur?Jem’étouffeentremeslarmesetmesmots.Jenemerappellepasàquelmomentjeme
suismiseàpleurer.–Non.Sesbottesfonttellementdebruitlorsqu’iltraverselapièce!J’ailatêtequitourne,mon
cœursaigneetj’aipeurd’avoirperdulesensdesréalités.–Allez,suis-moi.–Donne-moicebriquet.–Viens,s’ilteplaît.Iltendsesdeuxbrasversmoi.Meslarmescoulentlibrementmaintenant.J’essaied’ignorersamanièrefamilièredemedired’approcher,peuimporteladouleur
queçameprocure.Enréalité, j’aienviedecourirdanssesbrasetde l’emmener loind’ici,maisnousnesommespasdansunromandeJaneAustenavecdebonnesintentionsetunefin heureuse.Nous sommes en pleinHemingway, dans lemeilleur des cas, et je vois clairdanssoncomportement.
–Donne-moilebriquet,etnouspourronspartirtouslesdeux.–Tum’aspresquefaitcroirequejepouvaisêtrenormal.Lebriquetesttoujoursdangereusementposésurlapaumedesamain.
– Personne ne l’est ! Personne n’est normal, je ne veux pas que tu le sois. Je t’aimemaintenant,jet’aimetoi.
Enpleurant,jeregardelapièceautourdemoi,puisrevienssurHardin.– Ce n’est pas possible. Personne ne le pourrait ni ne l’a jamais fait. Pas même ma
mère.Lorsquecesmotsquittentseslèvres, lebruitdelaportequis’écrasecontrelemurme
fait sursauter. Je tourne les yeux vers la source de ce bruit et, avec un immensesoulagement, j’aperçois Christian qui déboule dans la maison. Il est à bout de souffle etpaniqué. Il s’arrête net lorsqu’il voit dans quel état est la pièce, pratiquement imbibéed’alcooldusolauplafond.
–Maisqu’est-ceque…Christians’interrompt.Sonregardseposesurlebriquetdanslamaind’Hardin.–J’aientendulesflicsarriversurlaroute.Ondoitpartir,toutdesuite!–Commentas-tu…HardinpromènesonregardentreChristianetmoipuisreprend:–Tul’asappelé?–Biensûrqueoui !Qu’est-cequ’ellepouvait faire?Te laissercramer lamaisonet te
fairearrêter?ChristianhurleetHardinlèvelesbrasenl’air,lebriquettoujoursserrédanssamain.–Sortez,nomdeDieu!Touslesdeux!Christiansetourneversmoi.–Tessa,sorsd’ici.–Non,jenesorspasd’icisanslui.Christiann’apasencoreapprislaleçon?Hardinetmoinedevonspasêtreséparés.– Va-t’en, dit Hardin en s’approchant demoi. (Il passe son pouce sur la roulette du
briquet,faisantnaîtreuneflamme.)Sors-lad’ici.–Mavoitureestgaréeenfacedansl’allée,vas-yetattends-nous.Quand je regardeHardin, je vois qu’il est fasciné par la flamme qu’il a créée et je le
connais assezpour savoir qu’il vaaller jusqu’aubout, que je quitte lapièceounon. Il esttroppartidanssondélirealcooliqueettropbouleversépours’arrêtermaintenant.
Jesensqu’ondéposeuntrousseaudeclésglacéesdansmamain.Christians’approchedemoi:
–Jenevaispaslaisserquoiquecesoitluiarriver.Après une courte bataille intérieure, je serre les doigts autour des clés et sors par la
ported’entréesansregarderenarrière.Jecoursdel’autrecôtédelarueenpriantpourquelessirènesquej’entendsauloinnesedirigentpasversnous.
1.Mortdansl’après-midi,ErnestHemingway.(NdT)
7
Hardin
ÀpeineTessasortie,Vancesemetàagiterlamainetàgueuler:
–Vas-y!Vas-y!Allez,vas-y!Dequoiparle-t-il?Etpuisd’abord,qu’est-cequ’il fout là?JedétesteTessade l’avoir
appelé.Non,ok,c’estpasvrai.Jenepourrai jamais ladétester,maisbordeldemerde, ellem’énerve.
–Personneneveutdetoiici.Mesyeuxmebrûlent.OùestTessa?Est-cequ’elleestpartie?Jecroisbienqueoui,mais
là,jesuispaumé.Quandest-ellevenueici?Est-cequ’elleavraimentétélà,pourcommencer?Jen’ensaisrien.
–Allumelebriquet.–Pourquoi?Tuveuxquejefoutelefeuàlamaison?Lavisiond’uneversionplusjeunedeluiaccoudéeaumanteaudelacheminéedecette
maisonm’envahitl’esprit.Ilétaitentraindemefairelalecture.–Pourquoimefaisait-illalecture?Est-cequej’aiditçaàhautevoix?Jen’enaiaucuneputaind’idée.LeVanced’aujourd’hui
meregardeintensément,attendantquelquechose.–Toutesteserreurss’envoleraientsijepartaismoiaussi.La partie métallique du briquet me brûle à travers les cals de mon pouce, mais je
continuedefairenaîtredesflammes.– Non, je veux que tumettes le feu à lamaison. Peut-être qu’alors tu connaîtras la
paix.J’ail’impressionqu’ilestentraindemegueulerdessus,maisj’aidumalàvoircequise
passe autour de moi, alors mesurer le volume de sa voix… Est-ce qu’il me donne sa
permissionpourfoutrelefeuàcettemerde?Quiaditquej’avaisbesoind’uneputaindepermission?–T’esquipourmedonnerledroitdefaireça?Putain,jet’airiendemandé!Jebaisselaflammesurl’accoudoirducanapéetj’attendsqueçaprenne.J’attendsque
lefeudestructeurs’emparedecetendroit.Riennesepasse.–Jesuisuncas,hein?Maquestions’adresseàl’hommequiprétendêtremonpère.–Çanevapasmarcher.C’estluioupeut-êtremoiquiparle?J’ensaisfoutrementrien.J’attrapeun vieuxmagazineposé sur l’undes cartons et approche la flammede l’un
des coins du papier qui prend feu immédiatement. Je regarde les flammes parcourir lespages une à une et je jette la torche sur le canapé. C’est impressionnant, la vitesse depropagationdufeu, je jurequejepeuxsentirmesputainsdesouvenirss’envolerenfuméeaveccettemerdeenmousse.
Latraînéederhums’embrase.Mesyeuxontdumalàsuivre les flammesquidansentsur le parquet, tremblotant, craquant, produisant la plus réconfortantedesmusiques. Lescouleurs sontbrillantes, un trucdemalade, et elles attaquent sauvagement le restede lapièce.
Par-delàlacacophoniedufeu,Vances’exclame:–Tuessatisfait?Jenesaispas.Tessaneleseraitpas,elleseraittristedesavoirquej’aidétruitlamaison.–Oùest-elle?Jeregardepartoutdanslapièce,toutestflouetremplidefumée.Sielleesticietque
quelquechosevenaitàluiarriver…–Elleestsortie.Elleestàl’abri.Est-cequejepeuxluifaireconfiance?Jeledéteste.Toutestsafaute.Est-cequeTessa
estencorelà?Est-cequ’ilment?Mais là, jeréalisequeTessaest trop intelligentepourça.Elleestdéjàpartie.Loinde
toutça.Loindemadestruction.Etsicethommem’avaitélevé,jeneseraispasdevenucettemauvaisepersonne.Jen’auraispasblessétantdemonde,surtoutpasTessa.Jen’aijamaisvoululuifairedemal,maisc’estcequejefaistoutletemps.
–Oùétais-tu?Quandje luiposecettequestion, j’espèrequelesflammesvontencoregrandir.Petites
comme elles sont, là, la maison ne s’embrasera jamais. J’ai peut-être planqué une autrebouteilleailleurs.J’aidumalàyvoirassezclairpourm’ensouvenir.Lefeunesemblepasassezgros.Lesflammesnesontpasàlahauteurdemarage,j’aibesoindeplus.
–J’étaisàl’hôtelavecKimberly.Allons-yavantquelespompiersarriventouquetuteblesses.
–Non.Oùétais-tucettenuit-là?Lapiècecommenceàtourneretl’airdevientirrespirabledechaleur.Vancesemblevéritablementchoquéets’arrêtepourfairedemi-tour.–Quoi?Jen’étaispasici,Hardin!J’étaisenAmérique.Jen’auraisjamaisrienlaisséde
telarriveràtamère!Mais,Hardin,ilfautqu’onyaille.Pourquoiilcrie?Pourquoipartir?Jeveuxvoircettemerdebrûler.–Ehben,c’estarrivéquandmême.Jedevraisprobablementm’asseoir,maissijedoisrevoircesimagesdansmatête,alors
luiaussi.– Ils l’ont battue jusqu’au sang. Chacun d’eux y est passé, ils l’ont baisée encore et
encoreetencore…J’ai tellement mal dans la poitrine que je m’arracherais volontiers l’intérieur de mes
mains.Toutétaitplus simpleavantque je rencontreTessa.Riennepouvaitme fairemal.Mêmecettemerdenemefaisaitplusmalàcepoint.J’avaisapprisàtoutréprimer,jusqu’àcequ’ellemefasse…ellemefasseressentirdesconneriesquejen’aijamaisvouluéprouver.Etmaintenant,j’ail’impressionquejen’arriveplusàenfouirtoutça.
–Jesuisdésolé!Jesuisdésoléquecesoitarrivé!Jelesenauraisempêchés!Quand je lève lesyeux, jevoisqu’ilpleure.Commentose-t-il pleurer,putain,alorsqu’il
n’a pas eu à voir ça. Il n’a pas eu à en être le témoin chaque fois qu’il fermait les yeux pours’endormir,etçapendantdesannées.
Des flashs de lumière bleue pénètrent par la fenêtre, se réfléchissent sur le moindrebout de verre de la pièce et interfèrent dans mon feu de joie. Les sirènes font un bruitd’enfer,putaindemerde,qu’est-cequeçagueule!
–Sorsd’ici!Tire-toiimmédiatement!Casse-toiparlaportedederrièreetvadansmavoiture!Vas-y!
Sontonestdésespéré.Ilenfaituncinéma,lecon!–Vatefairefoutre!Jetrébuche.Lapiècetournedeplusenplusvite,maintenantquelessirènesmevrillent
lestympans.Avant que je puisse l’arrêter, ses mains se posent sur moi et il pousse mon corps
alcoolisédel’autrecôtédelapièce,puisdanslacuisineetfinalementdehors,parlaportearrière.J’essaiedelerepousser,maismesmusclesrefusentdecoopérer.L’airfraismesaisitetmedonnelevertige.Monculfinitpartombersurleciment.
–Vadansl’alléeetmontedansmavoiture!Jecroisquec’estcequ’ilditavantdedisparaître.
Je fais un gros effort maladroit pour me remettre sur mes pieds et, après quelqueschutes, je tente de rentrer par la porte arrière,mais putain, elle est fermée. À l’intérieur,j’entendspleindevoixcrieretuntrucvibrer.C’estquoicemerdier?
JesorsmontéléphonedemapocheetjevoislenomdeTessas’affichersurl’écran.Soitjeparsàlarecherchedecettevoituredansl’alléeetjememesureàelle,soitjerentredansla maison pour me faire arrêter. Je regarde son visage flou sur l’écran, et la décisions’imposeàmoi.
Même pour sauverma peau, je ne vois pas comment je vais pouvoir traverser la ruesans que les flicsme repèrent.Merde. L’écran demon téléphone se dédouble et tangue,maisj’arriveàcomposerlenumérodeTessa.
–Hardin!Tuvasbien?–Viensmechercherauboutdelarue,devantlecimetière.Jedéverrouillelaporteduvoisinetraccrocheletéléphone.Aumoins,jen’auraipasà
traverserlejardindeMike.Est-cequ’ilaépousémamèreaujourd’hui?Pourlui,j’espèrequenon.LavoixdeTessa
résonne dansma tête : « Tu ne voudrais pas qu’elle soit seule pour toujours. Je sais que tul’aimes,c’esttamèretoutdemême.»Super,maintenantj’aideshallucinationsauditives.
«Jenesuispasparfaite.Personnene l’est»merappellesadoucevoix.Maisbon,elleatort.Tellementtort.Elleestsinaïveetsiparfaite.
Je réussis tant bien que mal à me tenir debout au coin de la rue de ma mère. Lecimetière est derrièremoi, plongédans lenoir. La seule lumière quimeparvient est celledesvoituresdepoliceauloin.LavoiturenoirearrivequelquessecondesplustardetTessase gare juste devantmoi. Jemonte sans dire unmot. La porte est à peine fermée qu’elleappuieàfondsurl’accélérateur.
–Oùdois-jealler?Ellealavoixrauqueetessaied’arrêterdepleurer,maiselleéchouelamentablement.–Jenesaispas…Iln’yapasbeaucoupde…(mespaupièressont lourdes)d’endroits
oùaller.Ilfaitnuitetilesttardetiln’yariend’ouvert…Jefermelesyeuxettoutdisparaît.
Le bruit de sirènesme réveille brutalement Çame fait sursauter etma tête se cogne
contreletoitdelavoiture.Unevoiture?Bordeldeputaindemerde,pourquoisuis-jedansunevoiture?Jeregardede l’autrecôtéetdécouvreTessaassisederrière levolant, lesyeux fermés,
en chiende fusil sur son siège.Elleme faitpenseràunpetit chat endormi. J’ai tellementmalàlatêtequej’ail’impressionqu’ellevaexploser.Putain,j’aiencoretropbu.
Ilfaitjour,lesoleilestcachéderrièrelesnuages,laissantlecielgrisetmorne.L’horlogesurletableaudebordmeditqu’ilseraseptheuresdansdixminutes.Jenereconnaismême
pasleparkingsurlequelnoussommesgarés,etimpossibledemerappelercommentj’aifiniparentrerdanscettecaisse.
Il n’y a plus de sirène ni de voiture de police à présent… J’ai dû rêver.Une douleursourdevrillematempeetlorsquejetiresurmont-shirtpouressuyermonvisage,uneâcreodeurdefuméem’envahitlesnarines.
DebrèvesimagesdecanapéenfeuetdeTessaenlarmespassentdansmonesprit.Jeluttepourleurtrouverunesuitelogique,maisjesuisencoreàmoitiébourré.
Àcôtédemoi,Tessaremuedanssonsommeiletsespaupièrespapillonnentavantdes’ouvrircomplètement.Jenesaispascequ’elleavuhiersoir.Jenesaispascequej’aiditoufait,maisrienqu’àvoirlamanièredontellemeregarde,jeregrettedenepasavoirprisfeumoi-mêmehiersoir…aveclamaison.Desimagesdelamaisondemamèreenflammesmetraversentl’esprit.
–Tessa,je…Jene sais pas quoi lui dire,mon cerveaune fonctionnepas, nimaputaindebouche
d’ailleurs.Les cheveux platine de Judy et Christian me repoussant par la porte arrière de la
maisonviennentajouterquelquespiècesaupuzzle.–Tuvasbien?LavoixdeTessaestdouceetrauqueàlafois.Elleestpresqueaphone.Ellemedemandesijevaisbien?Saquestionmelaisseperplexe,etj’essaied’ensavoirplusendéchiffrantsonvisage.–Euh,ouais?Ettoi?Bon, je neme souviens pas trop de ce qui s’est passé cette nuit… putain, la journée
d’avantnonplus,maisj’ailasensationqu’elledevraitêtreencolèrecontremoi.Sesyeuxmescrutentpourdevinermonhumeur.– J’essaie deme souvenir… Les flics sont arrivés… Lamaison était en feu… (Je fais
défilerlesimagesdansmamémoirecommeellesviennent.)Onestoù,là?Jeregardeparlafenêtrepouressayerdetrouverunindicepournousrepérer.–Onest…euh,jenesaispastrop…Elle regarde droit devant elle à travers le pare-brise. Elle a dû beaucoup crier. Ou
pleurer,oulesdeux,parcequ’ellepeutàpeineparler.– Je ne savais pas où aller quand tu t’es endormi, alors j’ai continué de rouler,mais
j’étaistellementfatiguée.Ilfallaitbienquejem’arrêtequelquepart.Ses yeux sont rouges et bouffis ; des traces de mascara noir sont étalées sous ses
paupières,etseslèvressontsèchesetgercées.Elleestméconnaissable.Toujoursbelle,maisjel’aividée.
Enl’examinant,jevoislemanquedechaleurdanssesjoues,laperted’espoirdanssesyeux,ladisparitiondelajoiedevivredansseslèvrespleines.J’aiprisunejoliefillequivivait
pour les autres, une fille qui trouvait toujours quelque chose de beau et de bon en tout,mêmeenmoi,etj’enaifaitunecoquillevidedontlesyeuxm’observentintensément.
–Jevaisgerber.J’ai à peine le tempsde l’annoncer avant d’ouvrir la portière. Tout lewhisky, tout le
rhumettoutesmeserreursserépandentsurlesolenbéton,etjevomisjusqu’àcequ’ilneresteplusriend’autreenmoiquemaculpabilité.
8
Hardin
Alorsquej’essaiedereprendremonsouffle,lavoixdouceetrauquedeTessameparvient:
–Oùdois-jealler?–Jenesaispas.D’uncôté,j’aienviedeluidiredemonter,touteseule,dansleprochainavionquipart
deLondresmais,d’unautre,moncôtéégoïste, celuiquiestbienplus fort, saitque si ellefaisaitça, jen’arriveraispasàpasser lecapde laprochainenuit sansboireàm’enrendremalade.Encore.Etpourtant,j’aiungoûtdevomidanslaboucheetlagorgeirritéed’avoirévacuésibrutalementtoutl’alcooldemoncorps.
Delaboîteàgants,Tessasortuneservietteenpapieretsemetàm’essuyerlescoinsdela bouche avec ce truc rêche. Elle effleure à peinema peau de ses doigts glacés,mais lecontactmefaitfrémir.
–Tuesgelée.Metslemoteurenmarche.Commejenem’attendspasàcequ’elleobtempère,jem’allongedesoncôtéettourne
moi-même la clé de contact, lançant la ventilation à fond. Au début, l’air qui en sort estfroid,mais ce type de bagnole super chère a deux ou trois gadgets qui permettent à l’airchaudd’envahirrapidementlepetitespace.
– Il faut faire le plein. Je ne sais pas combien de temps j’ai conduit, mais le signalindique que le réservoir est vide, c’est écrit là, sur cet écran, précise-t-elle enmontrant leluxueuxtableaudebord.
Lesondesavoixmetue,etmalgrél’évidence,jeluifaisremarquer.–Tuasperdutavoix.Ellehoche la tête,puis sedétourne.Mesdoigts trouventsonmentonpour la forcerà
meregarder.
– Si tu veux partir, je comprendrai, je ne t’en voudrai pas. Je peux te conduire àl’aéroportimmédiatement.
Ellemeregarde,perplexe.–Turestesici?ÀLondres?Notreaviondécollecesoir,jecroyaisque…Sesderniersmots sont plus chuchotés que prononcés et sa phrase s’achèvedans une
quintede toux. Je chercheunpeud’eauouun truc à boiredans la voiture,mais il n’y arien.
Pourl’aideràs’arrêterdetousser,jeluifrotteledos.–Onbouge;jevaisteconduiredanscettestation-servicedel’autrecôtédelarue.Tu
asbesoind’eauetdequelquechosepourtagorge.J’attendsqu’ellequittelesiègeconducteur,maisellescrutemonvisageavantdemettre
lavoitureenmarcheetdesortirduparking.–Tunepeuxpasconduire,tuestoujoursau-dessusdelalimiteautorisée.Ellemurmurepourpréservercequ’illuirestedevoix.Là,jenepeuxfranchementriendire.Impossiblequ’unesiestedequelquesheuresdans
cette voiturem’ait dessoûlé. J’ai bu assez d’alcool pour faire un black-out sur lamajeurepartiedelanuitet,évidemment,jemesuisramasséunmaldecrânepuissancequatorze.Etjevaiscertainementêtreencorebourrépendanttoutelajournée,ouaumoinslamoitié,jenesaispastrop.Jen’arrivemêmepasàmesouvenirdunombredeverresquej’aibus…
MescomptesvaseuxsontinterrompuslorsqueTessasegaredevantlapompeàessenceets’apprêteàouvrirlaportière.
–J’yvais.Jesorsdelavoitureavantqu’ellepuissedirequoiquecesoit.Il n’y a pas grand monde dans la rue à cette heure matinale, seulement quelques
personnesquipartentbosser.Lorsque Tessa entre dans le petit magasin, mes mains sont pleines de cachets
d’aspirine, debouteilles d’eau et de trucs à grignoter. Je remarque que toutes les têtes setournent pour admirer ma beauté ébouriffée, dans sa robe blanche salie. Le regard deshommesmedonneencorepluslagerbe.
–Pourquoitun’espasrestéedanslavoiture?–Tonportefeuille.Elleagitesousmesyeuxlegrostrucencuirnoir.–Oh!Ellemeletend,disparaîtquelquessecondes,puisretrouvesaplaceàmescôtéslorsque
j’arriveprèsducomptoir.Elletientdanschaquemainungrandgobeletdecaféfumant.Jelâchemapiledecoursesàcôtédelacaisse,puisdébarrassesespetitesmainsdeces
énormesgobelets.–Est-cequetupeuxregarderoùonestsurtontéléphonependantquejepaietoutça?
–Quoi?–Lalocalisationsurtontéléphone,pourqu’onsacheoùonest.Le gros bonhomme derrière la caisse attrape les aspirines, les secoue avant de les
scanner,puisannonce:–Allhallows.C’estlàquevousêtes.IlfaitunpetitsignedetêteàTessaquiluisouritpolimentenretour.–Merci.Elle répond en souriant de plus belle, ce qui fait rougir ce pauvre connard à qui j’ai
enviededire:«Ouais,jesaisqu’elleestbonne.Maintenant,turegardesailleursoujet’arrachelesyeux.Etlaprochainefoisquetufaiscesbruitsdemaladeavecl’aspirinequandj’ailagueuledebois,toncompteestbon.»
Aprèslanuitquejeviensdepasser,j’aibesoind’unbondéfouloir,etputain,jenesuispas d’humeur à supporter ses yeux de clébard rivés sur la poitrine de ma copine à septheuresdumat’.
Jel’auraisprobablementtraînédel’autrecôtéducomptoirsi jen’étaispastotalementconscient du manque d’émotion dans le regard de Tess, mais son sourire las, ses yeuxlourdement cernés de noir et sa robe tachéem’arrachent àmes pensées violentes. Elle ajustel’airtellementperdue,tellementtriste,putain,complètementpaumée.
Qu’est-cequej’aifait?Sonattentionestdétournéeparlaportequis’ouvresurunejeunefemmeetunenfant,
maindanslamain.Jel’observelesregarder,suivantchacundeleursmouvements,d’unpeutropprès si vousvoulezmonavis ; c’est limitemalsain.Quand lapetite fille lève les yeuxverssamère,lalèvreinférieuredeTessatremble.
C’estquoicebordel?C’estparcequej’aifaitunecriseàproposdecequej’aiapprissurmafamille?
L’employéamistousnosachatsdansunsacetl’agitesousmonnezpourattirermonattention.Ondiraitqu’àl’instantoùTessaaarrêtédeleregarder,iladécidéqu’ilpouvaitfairelecon.
JeluiarrachelesacenplastiquedesmainsetmepencheversTessa.–Prête?–Oui,désolée.Pendantquejefaisleplein,jecalculelesconséquencesqu’ilyauraitàfairetomberla
voituredelocationdeVancedanslamer.SinoussommesàAllhallows,lacôteestproche;ceneseraitpassidifficile.
–Àquelledistancesommes-nousdubardeGabriel?C’estlàquenousavonslaissélavoiture.
–Àenvironuneheureetdemi,bouchonscompris.
La voiture coule lentement dans l’océan, coûtant àVance quelques dizaines demilliers delivres;onprenduntaxipourallerchezGabriel,cequiferaquelquescentainesdeplus.Toutçan’estquejustice.
Tessa dépose trois cachets d’aspirine dans ma main, puis fronce les sourcils enregardantsonécranquivientjustedes’allumer.
–Tuveuxparlerd’hiersoir?JeviensderecevoiruntextodeKimberly.Desquestionscommencentàsurgir,desimagesflouesetdeséclatsdevoixdelaveille
affleurent ma zone de conscience… Vance qui m’enferme dehors et qui retourne dans lamaisonenfeu…Tessacontinuedefixersontéléphoneetmoninquiétudeaugmente.
–Iln’estpas…Laquestionn’arrivepasàfranchirlaboulecoincéedansmagorge.Tessameregarde,sesyeuxs’emplissentdelarmes.–Ilestvivant,biensûr,mais…–Maisquoi?Ilestquoi?–Elleditqu’ilaétébrûlé.Une légère mais désagréable douleur essaie de s’insinuer dans les fêlures de ma
carapace.Desfêluresqu’elleacréées.Elles’essuielesyeuxdureversdelamain.–Seulementàunejambe.Kimaditàunejambeetqu’ilseraarrêtédèsqu’ilsortirade
l’hôpital,cequidevraitarriverd’uneminuteàl’autre.–Arrêtépourquoi?Jeconnaisdéjàlaréponseàcettequestion.–Iladitàlapolicequec’estluiquiavaitmislefeuàlamaison.Tessamet son foutu téléphone sousmonnezpour que je puisse lire le longmessage
queKimberlyluiaenvoyépourmoi.Je le lis en entier, sans rien apprendre de nouveau, mais je saisis la panique de
Kimberly.Jemetais.Jen’airienàdire.–Ehbien?–Ehbienquoi?–Tunetefaispasdesoucipourtonpère?Avisantmonregardmeurtrier,ellesereprend:–JeveuxdirepourChristian.Ilestblesséparmafaute.–Iln’auraitmêmepasdûvenir.Tessaal’airhorrifiéeparmanonchalance.–Hardin.Cethommeestvenum’aider,ett’aidertoi.–Tessa,jesais…Maisellemesurprendenlevantlamainpourmefairesignedemetaire.
– Je n’ai pas terminé. En plus, il a endossé la responsabilité de l’incendie que tu ascauséetdanslequelilaétéblessé.Jet’aimeetjesaisquetulehaisencemoment,maisjeteconnais,jeconnaistavraiepersonnalité,alorsarrêtedefairecommesitun’enavaisrienàfoutredecequipeutluiarriver,parcequejesaistrèsbienquecen’estpasvrai.
Une violente quinte de toux ponctue son discours véhément, je la pousse à boire del’eauàlabouteille.
Je prends un moment pour réfléchir à ce qu’elle vient de me dire pendant qu’ellereprend son souffle. Elle a raison, bien sûr qu’elle a raison, mais je ne suis pas prêt àaffronter tout ce qu’elle vient de dire. Putain, je ne suis pas prêt à admettre qu’il a faitquelquechosepourmoi,pasaprèstoutescesannées.Jenesuispasprêtàceque,soudain,il devienneun père pourmoi. Putain, non. Je veux que personne et particulièrement paslui,puissepenserquelescompteurssontàzéro,quequelquepartjevaispardonnertoutesces merdes qu’il a ratées, toutes ces nuits où j’ai entendu mes parents se hurler dessus,toutes ces fois où jeme suis précipité dans les escaliers en entendant la voixd’ivrognedemonpère,etparcequ’ilsavaitetnem’ajamaisrienditpendanttoutcetemps.
Non,jamaisdelavie.Putain,onestloind’êtrequittesetonneleserajamais.– Tu crois que parce qu’il s’est fait une petite brûlure à la jambe et qu’il a choisi de
prendre pour moi auprès des flics, je vais lui pardonner ? Je suis censé lui pardonnercommeçadem’avoirmentipendantvingtetunans?
Mavoixenfleetmesquestionssonnentbienplusfortquejen’enavaisl’intention.–Non,biensûrquenon!J’aipeurqu’ellesepèteunecordevocale,ouuntrucdanslegenre.–Mais je refuse de te laisser balayer tout ça comme si de rien n’était. Il va aller en
prisonpourtoiettutecomportescommesitun’avaismêmepasenviedesavoircommentilva.Peuimportequ’ilsoitunpèreabsentetmenteur,ilt’aimeetilasauvétapeauhiersoir.
Quedelamerde.–Putain,maist’esdequelcôté?Ellesemetàcrier,savoixretentitdanslepetithabitacledelavoiture,cequin’estpas
sanschatouillermamigraine.–Iln’yapasdecôté!Toutlemondeestdetoncôté,Hardin.Tucroisquetuesseul
contrel’humanitétouteentière,maisregardeunpeuautourdetoi.Tum’asmoi,tonpère,tes deux pèresmême, Karen qui t’aime comme un fils et Landon qui t’apprécie bien plusqu’aucundevousdeuxnel’admettrajamais.(Tessasouritunpeuenévoquantsonmeilleurami,maisellecontinuesaleçondemorale.)Kimberlyterentrepeut-êtrededans,maisellesefaitdusoucipourtoi,elleaussi,etSmith.Tueslaseulepersonneaumondequecepetitgarçonaimebien.
Elle prendmesmains entre sesdoigts tremblants et, les yeuxbrillants de larmes,mecaressedoucementlapaumedesespouces.
–C’estvraimentironique:l’hommequivoueaumondeentierunehaineféroce,enestéperdumentaimé.
Deslarmespourmoi,tantdelarmespourmoi.–Bébé.Jel’attiresurmesgenoux.Ellepassesesbrasautourdemoncou.–Tunepensesqu’auxautres.J’enfouismonvisagedanssoncou,essayantdemecacherdanssescheveuxemmêlés.–Acceptelesautres,Hardin.Lavieestbienplussimplecommeça.Elleme gratte le crâne comme elle caresserait un animal domestique…mais putain,
j’adoreça.Jem’enfonceencoreplusloindanssoncou.–Cen’estpassifacile.Magorgeestsisèchequej’ail’impressionqueleseulairquej’arriveàrespirerestcelui
filtréparsonodeur.Unairteintéd’effluvesdefuméeetdefeuquej’aidûfaireentrerdanslavoiture,maistoujoursapaisant.
–Jesais.Ellecontinuedepassersesmainsdansmescheveuxetj’aienviedelacroire.Pourquoi
est-elletoujoursaussicompréhensivealorsquejeneméritepasqu’ellelesoit?Unbruitdeklaxonmefaitsortirdemacachetteetmerappellequenoussommesdans
une station-service. Visiblement, le conducteur du camion derrière nous n’apprécie pasd’attendrelafindenotreconversation.Pasdutout.Tessas’installesurlesiègepassageretbouclesaceinturedesécurité.
Ilmevientl’idéedelaisserlavoiturelàoùelleestjustepourfairechierlemonde,maisj’entends leventredeTessagargouilleret je changed’avis.Quanda-t-ellemangépour ladernièrefois?Sijenepeuxpasm’ensouvenir,c’estqueçafaittroplongtemps.
Jelaisselapompeàessencederrièremoietentresurleparkingdésertdel’autrecôtédelarue,làoùnousavonsdormi.
–Mangequelquechose.Jedéposedanssesmainsdequoifaireunpetitdéjeuner.Jeconduis lavoitureversle
fond du parking, près d’un petit groupe d’arbres, et j’allume le chauffage. C’est leprintemps,mais l’airmatinal est frais et Tessa tremble. Je passemon bras autour de sesépaulesetfaisungestedelamain,commepourluimontrerquejeluioffrelemondesurunplateau.
– On pourrait aller à Haworth, pour voir le coin des sœurs Brontë ? Je pourrais temontrerlesmarais.
Ellemesurprendenéclatantderire.–Quoi?Jelaregarde,interdit,puismordsdansunmuffinàlabanane.
–Aprèslanuitquetuviensdepasser,tuparlesdem’emmenervoirlesmarais?Ellesecouelatêteetattrapesongobeletdecaféfumant.Jehausselesépaules,confus.–Jenesaispas.–C’estloin?Elle semblemoins enthousiaste que je l’aurais cru.Ok, admettonsque si ceweek-end
n’avaitpastournéaucauchemardemerde,elleseraitprobablementbienplusexcitée.Jeluiavais aussi promis de lui faire découvrir Chawton,mais je suis plus dans un état d’esprit«marais»cematin.
–IlfautplusoumoinsquatreheurespouralleràHaworth.–Çafaitbeaucoupderoute…–Jecroyaisquetuvoulaisyaller.–Oui.Jevoisbienqu’ilyaquelquechosedansmasuggestionqui la trouble.Putain,quand
est-cequejenesèmepasletroubledansceregardgris?–Pourquoituteplainsdelarouteàfaire,alors?Jeterminemonmuffinetdéchirel’emballagedusuivant.Elleal’airlégèrementoffensée,maisellemerépondd’unevoixdouceetenrouée:– Je me demande simplement pourquoi tu veux aller jusqu’à Haworth pour voir les
marais. (Elle coince une mèche de cheveux derrière son oreille et prend une grandeinspiration.)Hardin,jeteconnaisassezpourvoirquandtuboudesetquetucherchesàtemettre en retrait.Que tu veuillesm’emmener voir lesmarais qui ont inspiréLesHauts desHurleventplutôtqu’unendroitcitédansunromandeJaneAusten,m’inquiète,plusque jenelesuisdéjà.
Ellevoitclairdansmesconneries.Commentfait-ellepourcomprendreàtouslescoups?–JepensaissimplementquetuvoudraisvoirlesmaraisetlarégiondessœursBrontë.
Etalors?Pour éviter de croiser son regard, je lève les yeux au ciel, ne voulant pas admettre
qu’ellepuisseavoirraison.– Bon, je préférerais faire l’impasse, vraiment. J’ai seulement envie de rentrer à la
maison.Je laisseéchapperungros soupiret luiprends labarredecéréalesqu’elleadans les
mainspourouvrirl’emballage.–Tuasbesoindemanger,ondiraitquetuvastomberdanslespommesd’uninstantà
l’autre.–J’enaibienl’impression.Elleseparleplusàelle-mêmequ’àmoi,visiblement.
Je vais lui fourrer cette putain de barre de céréales dans la bouche,mais elleme laprenddesmainspourmordrededans.
–Tuveuxrentreràlamaisonalors?Lavérité,c’estquejen’osepasluidemanderoùestsamaisonàsesyeux.Ellegrimace
avantdemerépondre:–Oui,tonpèreavaitraison.Londresn’estpascommejel’imaginais.–J’aitoutgâché.Ellenecherchepasàdémentircequejeviensdedireniàleconfirmer.Sonsilenceet
sonregardvidedirigésur lesarbresmepoussentà luirévélerceque jedois luidire.C’estmaintenantoujamais.Alorsjebalance:
–Jecroisquejedevraisrestericiunpetitboutdetemps.LabouchedeTessacessedemastiquer,ellesetourneversmoietfroncelessourcils.–Pourquoi?–Retournerlà-basnerimeàrienpourmoi.–Non,c’estillogiquequeturestesici.Pourquoipenses-tuunechosepareille?Jel’aiblessée,commejem’yattendais,maisai-jevraimentlechoix?–Parcequemonpèren’estpasmonpère,mamèreestunementeuse,une…etmon
père biologique va aller en taule parce que j’aimis le feu à lamaison demamère. C’estaussidébilequ’unemauvaisesériedramatique.(Puisj’essaiedelafaireréagirenironisant.)Tout ce qui nous manque pour en faire un succès, c’est un groupe de pétasses tropmaquilléesdansdesfringuesimmettables.
Sonregardtristescrutelemien.–Jenevoistoujourspaspourquoil’unedecesraisonsteferaitresterici.Ici,siloinde
moi.C’estçaquetuveux?Tuveuxresterloindemoi?Elleaprononcécettedernièrephraseàvoixhautecommepourtestercettehypothèse.–Cen’estpasça…Jecommencemaphrase,maisjebutesurlesmots.Jenesaispascommentmettredes
motssurmesidées.Çaatoujoursétémonplusgrosproblème,merde.–Jemedisjustequesions’éloignequelquetempsl’undel’autre,tupourraisconstater
ceque je t’inflige.Regarde-toi simplement.Tudois faire faceàdesproblèmesauxquels tun’auraisjamaisétéconfrontéesijen’avaispasétélà.
– N’ose même pas faire comme si tu faisais ça pour moi. Tu es dans un tripautodestructeur,unpointc’esttout,etça,c’estlaseulemotivationàtadécision.
C’est vrai.C’est vrai que jem’autodétruis.C’est ce que je fais : je fais dumal auxgens,puis jeme faismal àmoi avant qu’ils neme rendent la pareille.C’est complètement con,maisc’estcommeçaquejesuis.
Fatiguéed’attendrelaréponsequejeneluiferaipas,ellereprend:
–Tu sais quoi ?Trèsbien. Je vais te laissernousblesser tous lesdeuxdans tapetitemissiondesevrageorganis…
Mes mains se posent sur ses hanches et elle se retrouve sur mes genoux avant depouvoir finir saphrase.Tessaessaiede regagner saplace,megriffant lesbrasaupassagelorsquejeveuxl’enempêcher.
–Situneveuxpasêtreavecmoi,alorsnemetouchepas.Pasdesanglot,quedelafureur.Jepeuxgérersonagressivité,maisleslarmes,non.Ça
metue,leslarmes.Etsahargnelesaasséchées.–Arrêtederésister.Je rassemble ses deux poignets dans son dos dans l’une de mes mains. Son regard
assassinm’avertitdesonhumeur.–Tun’aspasledroitdefaireçachaquefoisquetutesensmalpouruneraisonxouy.
Tunepeuxpasdécidertoutseulquejesuistropbienpourtoi!Jel’ignoreetapprochemeslèvresdelacourbedesoncou.Soncorpsestparcourude
soubresauts,maiscettefois-cideplaisiretnondecolère.–Arrête…Sansaucuneconviction,elleessaiedemerefuserl’accèsàsoncorpsparcequ’ellesent
qu’elleledevrait,maisnoussavonstouslesdeuxquec’estcedontnousavonsbesoin.Nousavonsbesoinde cette connexionphysiquequinous emmènedansdes émotionsprofondesquenil’unnil’autrenepouvonsexpliquernirefuser.
–Jet’aime.Tulesais,ça.Jesuçotelatendrepeauàlabasedesoncou,savourant lateinteroséequeprendsa
peauaucontactappuyédemeslèvres.Jecontinueàsuceretmordiller,suffisammentpourcréerunepetitesériedemarquesquineresterontquequelquessecondes.
–Tunetecomportespascommesitum’aimais.Savoixestchargéededésiretsesyeuxsuiventlemouvementdemamainlibresursa
cuissenue.Sarobeestremontéejusqu’àlataille,cequimefaitperdrelaraison.– Toutesmes actions sont guidées parmon amour pour toi.Mêmemes plus grosses
conneries.J’atteinsladentelledesaculotteetelleperdlesoufflelorsquejepasseundoigtsursa
féminitédéjàprêteàm’accueillir.–Tumouillestoujourstellementpourmoi,mêmeencemoment.Je repousse sa culotte sur le côtéet lapénètrededeuxdoigts.Ellegémitetarque le
doscontre levolantde lavoiture.Jesensalors soncorpsse relâcher.Je reculeunpeu lesiègepournousdonnerplusd’espacedanslavoiture.
–Tunepeuxpasmedistraireavec…Je retire mes doigts et les replonge en elle pour arrêter sa phrase avant qu’elle ne
franchisselabarrièredeseslèvres.
–Si,Bébé,jepeuxlefaire.J’approchemabouchedesonoreilleetj’ajoute:–Est-cequetucesserasdetedébattresijelâchetesmains?Ellehochelatête.Àlasecondeoùjeleslibère,sesmainsplongentdansmescheveux.
Sesdoigtssemêlentàmatignasseetj’enprofitepouragrandirl’accèsàsondécolleté.Lablancheurvirginaledesonsoutien-gorgeattisemondésir.Tessa,avecsescheveux
blonds et vêtue de blanc, propose un contraste éclatant avec mes cheveux bruns et mesvêtements sombres. Putain, il y a quelque chose d’érotique dans cette opposition, dansl’encresurmonpoignet,tandisquemesdoigtsdisparaissentencoreenelle,etlablancheurdesacuisselaiteuse,dansl’expressiondesesdouxsoupirsetsesgémissementstandisquejecouveduregardsansaucunehontesonventreetsesseins.
Jemedétournedesapoitrineparfaiteassez longtempspourregardercequi sepassesur leparking.Lesvitressontteintéesmais jeveuxêtresûrquenoussommesencoreseulsdanslecoin.Jedétachesonsoutien-gorged’unemainetralentislemouvementdel’autre.Elleprotesteengémissant ; jeneprendsmêmepas lapeinedecacher le sourire surmonvisage.
–S’ilteplaît.–S’ilteplaît,quoi?Dis-moicequetuveux.Comme toujoursdepuis ledébutdenotre relation, je l’amadoueavecdesmots.Ona
toujoursl’impressionquesielleneprononcepascesmotsàhautevoix,ilsnesontpasréels.Ellenepeutpasmedésirercommemoijelaveux.
Ellereprendmamainetlaremetentresescuissespourquejereprennelàoùj’enétais.–Touche-moi.Elleestchaudeetpalpitanteet,bordel,elleesttrempéededésir,debesoindemoi,et
jel’aimeplusquejenepourraijamaislecomprendre.J’aibesoindeça,j’aibesoinqu’ellemefassepenseràautrechose,qu’ellem’aideàm’échapperdetoutecettemerde,mêmesic’estjustepourunpetitmoment.
Jeluidonnecequ’elleveut,ellegémitmonnomensigned’approbation,ensemordantles lèvres.Sesmainspassent sous lesmiennespourm’attraperà travers le jean. Jebandetellementquec’enestdouloureux,etsescaressesnem’aidentpas.
–Jeveuxtebaiser.Maintenant.Ilfautquejelefasse.Jepassema languesur l’undesesseins.Lesyeuxrévulsés,ellehoche la tête,puis je
suçotel’undesestétonsetpétrisl’autredemamainlibre.–Hard-in…Ses mains ont hâte de me libérer de mon jean et de mon boxer. Je la soulève
suffisamment haut pour qu’elle puisse glisser mes vêtements le long de mes cuisses. Mesdoigtssonttoujoursenfouisenelle,semouvantàunrythmepaisible,justeassezlentementpourlarendrecomplètementfolle.Jelesretireetlesporteàseslèvresgonflées,puisleslui
metsdans labouche.Elle les suce,promenantsa languedoucementdehautenbas,et jegrogneàmontour.Jelesretireviteavantdejouirdecesimplegeste.Jesoulèvesonbassinetl’abaissesurmoi.
Nouspoussonsunmêmesoupirdesoulagement,dansunbesoindésespérédel’autre.–Onnedevraitpasseséparer.Ellemetirelescheveuxjusqu’àcequemabouchesoitaumêmeniveauquelasienne.Peut-ellegoûtermeslâchesadieuxdansmesbaisers?–Onn’apaslechoix.Tessasemetàbougerleshanches.Putaindemerde.Ellesesoulèvedoucement.–Jeneteforceraipasàvouloirdemoi.C’estterminé.Je me mets à paniquer, mais toutes mes réflexions s’envolent en fumée lorsqu’elle
s’abaissesurmoidoucement,puisseretire,etrépètecesmêmesmouvementsinsoutenables.Ellesepencheenavantpourm’embrasser,salanguedirigelamienne,prendlecontrôle.
–J’aienviedetoi,jeluisouffleentredeuxbaisers.Putain,j’aitoujoursenviedetoi.Tulesaisça,non?
Ungrondementsourdm’échappelorsqueseshanchesaccélèrentlacadence.Putaindemerde,ellevametuer.
–Tuesentraindemequitter.Salanguedessinelecontourdemalèvreinférieureetjetendslamainverslajonction
denosdeuxcorpspourpincerduboutdesdoigtssonclitorisgonflé.–Jet’aime.Ce sont les seuls mots que je suis capable de trouver et je la réduis au silence en
pinçantettitillantsonpetitboutondenerfssisensible.–OhmonDieu!Satêteretombesurmonépauleetellepassesesbrasautourdemoncou.Enjouissant,
ellesecontracteautourdemoietsanglotepratiquementcesderniersmots:–Jet’aime.Je jouis juste après, l’emplissant de ma personne jusqu’au bout, littéralement et
métaphoriquement.
Quelquesminutes silencieuses s’écoulent, je garde les yeux fermés tout en la serrantdansmesbras.Noussommestouslesdeuxcouvertsdesueuretlaventilationdelavoiturenousenvoietoujoursautantd’airchaud,maisjeneveuxpasmeséparerd’elle,mêmepourl’éteindre.
Jefinisparluidemander:–Àquoitupenses?Satêteestposéecontremapoitrine.Sarespirationest lenteet régulière.Ellen’ouvre
paslesyeuxmaisrépond:–Quej’aimeraisquetupuissesresteravecmoipourtoujours.
Pourtoujours.Ai-jejamaisvouluautrechose?–Moiaussi.J’aimeraispouvoirluipromettrel’avenirqu’ellemérite.C’est le téléphone de Tessa vibrant contre le tableau de bord qui rompt le silence.
D’instinct,jel’attrapeendéplaçantsoncorpscontrelemien.Jeluitendsl’appareil.–C’estKimberly.
Deux heures plus tard, nous frappons à la porte de la chambre d’hôtel de Kimberly.
Maisquandjevoissatête,j’ail’impressionquenousnoussommestrompésdechambre.Sesyeuxsontgonflésetellen’estmêmepasmaquillée.Je lapréfèrecommeça,mais làelleal’aird’unevraieépave,commesielleavaitpleurétoutesleslarmesdesoncorpsetdeceluidequelqu’und’autre.
–Entrez.Lamatinéeaétélongue.Elleparled’untondépourvudesonaciditénaturelle.TessalaprendimmédiatementdanssesbrasetKimberlysemetàsangloter.Jemesens
incroyablementmalà l’aise,planté làcommeunconsur lepasde laporte,d’autantplusqu’elle n’est pas du genre à aimer être vulnérable en public. J’entre dans la suite etm’éloignedupetitsalonenallantdirectementdanslakitchenette.Jemeverseunetassedecaféetfixelemurjusqu’àcequej’entendelessanglotsdanslapièced’àcôtésetransformerenmurmuresétouffés.Ilvautmieuxquejegardemesdistancespourl’instant.
Unepetitevoixcalmemefaitsursauter.–Est-cequemonpapavarevenir?Enbaissantlesyeux,jevoisquelepetitSmithauxyeuxvertss’estassissurunechaise
enplastique.Jenel’aimêmepasentenduapprocher.Je hausse les épaules et m’installe sur une chaise à côté de la sienne, mon regard
intensémentrivésurlemurd’enface.–Ouais.Jecrois.Putain,jedevraisluidirequelgrandhommeestsonpère…notrepèreenfait…Merde.L’étrange petit bonhomme, genre spécimen de foire, est mon frangin, putain. Je
n’arriveabsolumentpasàmefaireàcetteidée.Quandjetournelatêteverslui,ilprendçapourunsigneetseremetàmeposerdesquestions.
–Kimberlyditqu’iladesproblèmesmaisqu’ilpeuts’ensortiravecdel’argent.Qu’est-cequeçaveutdire?
Samanièredemener sapetite enquêteet sesquestionsminutieusesme fontvenirunsouriremoqueur.
– Il a de bonnes chances, j’en suis sûr. Elle veut juste dire qu’il sera bientôt sortid’affaire.Pourquoinevas-tupasvoirKimberlyetTessa?
Enentendantsonnoms’échapperdemeslèvres,j’ailecœurlourd.
Ilregardedansladirectiondeleursvoix,puism’observeavecsagesse.–Ellessontfurieusescontretoi.SurtoutKimberly,maiselleenveutencoreplusàmon
père,alorsçadevraitallerpourtoi.–Tuapprendrasbientôtquelesfemmessonttoujoursfuribondes.Ilhochelatête.–Saufsiellesmeurent.Commemamaman.J’enrestebouchebéeetleregardedroitdanslesyeux.–Tunedevraispasdiredesconneriespareilles.Lesgensvonttrouverça…bizarre.Ilhausselesépaules,commepourdirequelesgensletrouventdéjàbizarre.Cequiest
vrai,enfinjecrois.–Monpapaestgentil.Iln’estpasméchant.–Ok.Jebaisselesyeuxsurlatablepouréviterdecroisersesyeuxverts.–Ilm’emmènedanspleind’endroitsetmeditdeschosesgentilles.Smithposeunélémentdepetittrainsurlatable.Ilaquoiaveclestrains,cegosse?–Et…Je ravale les sentiments qui accompagnent ses paroles. Pourquoi tourne-t-il en rond à
proposdesonpèremaintenant?–Toiaussi,ilt’emmènerapartoutettediradeschosesgentilles.Jemetourneverslui.–Etpourquoijevoudraisunechosepareille?Jeposelaquestionpourlaforme,maissesyeuxvertsmedisentqu’ilensaitbienplus
quejelecroyais.Smithpenchelatêtesurlecôtéetdéglutitenm’observant.C’estàlafoiscequej’aivu
de plus scientifiquement détaché et de plus puérilement vulnérable chez ce petitphénomène.
–Tuneveuxpasquejesoistonfrère,c’estça?Etmerde !Désespérément, je regardepartoutautourdemoià la recherchedeTessa,
rêvant de la voir débarquer pour voler àma rescousse. Elle, elle saurait exactement quoidire.
Jeleregarde,l’airlepluscalmepossible,maisjesuissûrquejemeplante.–Jen’aijamaisditça.–Tun’aimespasmonpapa.Juste à cet instant, Tessa et Kimberly entrent dans la pièce. Sauvé. Pas besoin de lui
répondre.Dieumerci.–Toutvabien,monchéri?Kimberlyluiébouriffelégèrementsescheveux.
Smithneparlepas.Ilhochelatêteunefois,serecoiffeetreprendsalocomotivepoursortirdelapièce.
9
Tessa
–Prendstadoucheici.Tuasvraimentunesaletête.
Malgréladuretéapparentedesesmots,Kimberlymeleproposegentiment.Hardinesttoujoursassisàtable,sesgrandesmainsautourd’unetassedecafé.Ilm’aà
peineregardéedepuisquejesuisentréedanslakitchenetteoùildiscutaitavecSmith.L’idéedelesvoirpasserdutempsensemblecommedeuxfrèresmeréchauffelecœur.
–Toutesmesaffaires sontdans lavoiturede locationquenousavons laisséeprèsdubar.
Riennemeferaitplusplaisirqu’unedouche,maisjen’airienàmemettre.–Tupeuxm’emprunterdesvêtements,jedoisavoirunjeanKMJ.(Mêmesinoussavons
toutes les deux que je ne rentrerai jamais dedans.) Ou celles de Christian. Il a quelquesshortsetunechemisequetu…
–Ohnon,jamaisdelavie.Jevaischerchertonbordel.Pasquestionquetuportessesfringues.
Hardinselève,lafusillantduregard.Kimberlyouvre labouchepourrépondre,mais la refermeviteavantqu’unmotne lui
échappe. Je la remercie vivement du regard, soulagée qu’une guerre ne se déclenche pasdanslakitchenettedecettesuited’hôtel.
–C’estloind’icichezGabriel?–Dixminutes.Hardintendlamainpourquejeluidonnelesclésdelavoiture.–Tupeuxconduire?J’ai conduit tout le chemin du retour depuis Allhallows car il avait encore bien trop
d’alcooldanslesang,sesyeuxétaienttoujoursvitreux.
–Oui.Fantastique.LasuggestiondeKimberlyquej’empruntelesvêtementsdeChristianafait
passerHardinenuneminutedelamauvaishumeuràl’énervement.–Tuveuxquejet’accompagne?Jepourraisramenernotrevoiturepuisquetuconduis
celledeChristian…Jesuisrapidementinterrompuedansmonélan.–Non.Çaira.Jen’aimepasson ton impatient,mais je tournesept foisma languedansmabouche,
au sens propre, pour m’empêcher de l’envoyer bouler. Je ne sais pas ce qui m’arrive cestemps-ci,maisj’aideplusenplusdemalàmetaire.Çanepeutêtrequ’unebonnechose…peut-êtrepaspourHardin,maispourmoicertainement.
Ilquittelasuitesansdireunmotdeplusnimêmemejeteruncoupd’œil.Jegardelesyeuxrivésaumurpendantde longuesminutesavantque lavoixdeKimberlynemesortedematranse.
–Commentgère-t-iltoutça?–Pasbien.Nousnousasseyons.–Jelevoisbien.Mettrelefeuàunemaisonn’estpeut-êtrepaslamanièrelaplussaine
degérersacolère.Jesensqu’ellenelejugepas,maispouréviterdecroiserleregarddemonamie,jefixe
leboissombredelatable.– Ce n’est pas de sa colère que j’ai peur, mais je sens qu’il se replie sur lui-même à
chaque respiration. C’est puéril et égoïste dema part de t’en parler avec tout ce que tutraversesetlessérieuxennuisdeChristian…
Jedevraisplutôtgardermespenséespourmoi.Kimberlyposesamainsurlamienne.– Tessa. Il n’y a aucune règle qui dise qu’il n’y a qu’une seule personne qui puisse
ressentirde ladouleur àunmomentdonné.Tupassesun salequartd’heure tout autantquemoi.
–Jesais,maisjeneveuxpast’ennuyeravecmesprobl…–Tunem’ennuiespas.Crachelemorceau.Jelaregardeavecl’intentiondemetaire,degardermeslamentationspourmoi,mais
ellesecouelatêtecommesiellepouvaitliredansmespensées.– Il veut rester ici, à Londres, et je sais que si je le laisse faire, notre histoire sera
terminée.Ellesourit.–Vousdeux,vousn’avezpaslamêmedéfinitiondumot«terminé»quenousautres.J’ai enviedeme jeter à son cou et de la serrer dansmes bras pourm’avoir offert un
sourireaussichaleureuxaumilieudel’enfer.
–Jesaisquec’estdifficiledemecroirequandjedisça,vunotre…histoire,maistoutcetrucavecChristianetTrishpourraitsonner leglasdenotrerelationou…lasauver.Jenevoispasd’autresolutionetj’aipeurdesavoirlaquelledesdeuxensortira.
–Tuas tropdepression sur les épaules,Tessa.Vide ton sac avecmoi. Il fautque tuparles, encore et encore. De toute façon, rien de ce que tu me diras ne changera monopinionsurtoi.Enbonneconnasseégoïstequejesuis, j’aibesoind’entendrelesproblèmesdesautrespouréviterdepenserauxmiensaujourd’hui.
Je nem’attends pas à ce que Kimberly change d’avis. Alors, j’ouvre les vannes et lesmotsdéferlentenunvasteflotchaotique.
–Hardinveut rester àLondres. Il veut rester ici etme renvoyeràSeattle, commeunpoidsmort dont il voudrait se débarrasser. Comme il le fait chaque fois qu’il est blessé, ils’éloignedemoi,etlà,pousséàbout,ilamislefeuàlamaisonsansaucunremords.Jesaisqu’il est en colère et je ne lui dirai jamais ça, mais il ne fait qu’empirer sa situation. S’ilvoulaitsimplementaffrontersacolèreetadmettrequ’ila ledroitdesouffrir,admettrequequelqu’und’autrequelui-mêmeoumoicomptedanscemonde,ilpourraits’ensortir.Ilmerend folle, parce qu’il me dit qu’il ne peut pas vivre sans moi et qu’il préférerait mourirplutôt que de me perdre, mais dès que ça devient un peu difficile, que fait-il ? Il merepousse.Maisjenevaispasrenonceràlui.Jesuisbientropengagéepourçamaintenant.Pourtant, je suis tellement fatiguée d’avoir à me battre que je me mets à imaginer cequ’aurait étémavie sans lui. (Je lève les yeuxversKimberly.)Maisquand je commenceàl’envisager,jem’effondrededouleur.
J’attrape la tassedecaféàmoitiévidesur la tableet laboisd’une traite.Mavoixestmoinsrauquequ’ilyaquelquesheures,maismatiraden’arrangepasdutoutmonmaldegorge.Jepoursuis:
– Je ne comprends pas pourquoi, après tout ce temps, après tous ces tumultes, jepréfèreencorefairetoutça(j’agitelamaincommepourfaireletourdelapièced’ungestedramatique)plutôtquevivresanslui.Lespiresmomentsavecluinesontriencomparésauxmeilleurs.Jenesaispassijedélireousijesuisfolle.Peut-êtrelesdeux.Maisjel’aimeplusquemoi-même,plusque jene l’aurais crupossible, et jeveux justequ’il soitheureux.Paspourmoimaispourlui.Jeveuxqu’ilregardedanslemiroiretsesourie,pasqu’ilfroncelessourcils. J’ai besoin qu’il ne se voie pas enmonstre. J’ai besoin qu’il se regarde vraiment,parceques’iln’arrivepasàsedébarrasserdeson imagedeméchantde l’histoire,çava ledétruire et il neme restera que des cendres. Pitié, ne lui dis rien de tout ça. À lui ou àChristian. J’avais juste besoin de laisser sortir tout ça, parce que j’ai l’impression de menoyer,j’aidumalàresteràlasurface,surtoutquandjedoisnageràcontre-courantpourlesauver,luiplutôtquemoi.
Mavoixcraquesurcesderniersmotset je finisparêtreemportéedansunequintedetoux.Kimberlysouritetouvrelabouchepourprendrelaparole,maisjetendsundoigtpour
luidemanderdesetaire.Jem’éclaircislagorge.–J’aiencoredestrucsàdire.Enplusdetoutça,jesuisalléechezlemédecinpourme
faire…prescrirelapilule.J’aichuchotélederniermot.Kimberlyfaitdesonmieuxpournepasrire,maiséchoue
lamentablement.–Pasbesoindemurmurer,mabiche,exprime-toi!–Bien. Jeme suis fait prescrire la pilule et lemédecinm’a rapidement examinée. En
deuxmots,iladitquemoncoldel’utérusétaitpetit,pluspetitquelamoyenne,etilveutquejereviennepourpasserdestests,maisilaparléd’infertilité.
Dansleregardbleudemonamie,jelisdelasympathie.– Ma sœur a le même problème, ils appellent ça une « incompétence cervicale », je
crois.Quelhorribleterme:incompétence.Ondiraitquelevagins’esttapéunzéroenmaths,quec’estunavocatmerdiqueouuntrucdanslegenre.
LatentativedeblaguedeKimberlyetlefaitqu’elleconnaisseunepersonneatteintedumêmeproblèmequeceluidontjepourraisêtreatteintemeredonnentlemoral,unpeu.
–Etelleadesenfants?Jeregrettemaquestionquandjevoissonvisageserefermer.–Jenepensepasquetuveuillesquejeteparled’elleencemoment.Jepourraist’en
parleruneautrefois.–Raconte-moi.Cen’estsansdoutepas lemoment idéalpourentendrecettehistoire,mais jenepeux
pasm’enempêcher.–S’ilteplaît.Kimberlyprendunegrandeinspirationetentamesonrécit:–Elleaeudumalàtomberenceinte,çaluiaprisdesannées.C’étaitterriblepourelle.
Ilsontessayétouslestraitementspourlafertilité, toutcequetupeuxtrouversurGoogle,sonmarietellel’ontessayé.
–Et?Je la presse de continuer, en l’interrompant grossièrement, ça me fait penser à nos
échangesavecHardin.J’espèrequ’ilest sur lecheminduretour.Danscetétat,Hardinnedoitpasêtrelivréseulàsesdémons.
–Ehbien,elleaenfinréussiàtomberenceinteetcefutleplusbeaujourdesavie.Kimberly détourne le regard et je devine qu’elle ment, ou qu’elle laisse de côté un
morceaudel’histoirepourm’épargner.–Ques’est-ilpassé?Quelâgealebébémaintenant?Kimberlyserresesmainsl’unecontrel’autreetmeregardedroitdanslesyeux.–Elleafaitunefaussecoucheauquatrièmemois.Maisça,c’estcequi luiestarrivéà
elle.Nesoispasbouleverséeparsonhistoire.Siçasetrouve,tun’aspaslemêmeproblème.
Etsic’étaitlecas,leschosespourraientévoluerdifféremmentpourtoi.–J’aicommel’impression,justeunesensation,quejenepourraipastomberenceinte.À
l’instantoùlemédecinaparléd’infertilité,çam’aparuêtreuneévidence.– Tu n’en sais rien. Et sans vouloirmettre de l’huile sur le feu, jeme permets de te
rappelerqu’Hardinneveutpasd’enfantdetoutefaçon,non?Mêmeaveclapetiteflèchequ’ellevientdemeplanterdanslecœur,jemesensmieux
d’avoirvidémonsac.–Non,iln’enveutpas.Ilneveutpasd’enfantnisemarieravecmoi.–Tuespèreslefairechangerd’avis?–Oui,malheureusement,j’essayais.J’étaispratiquementcertainequ’illeferait.Pastout
desuite,évidemment,maisdansquelquesannées.Jepensaisquepeut-être,quandilseraitun peu plus vieux et quand nous aurions tous les deux terminé nos études, il changeraitéventuellementd’avis.Maismaintenant,çamesembleencoreplusirréalistequ’avant.
D’embarras,jesensmesjouesrougir.Jen’arrivepasàcroirequejeprononcecesmotsàhautevoix.
– Je sais que c’est ridicule de s’inquiéter de ne pas avoir d’enfant à mon âge, maisd’aussi loinque jemesouvienne, j’ai toujoursvouluêtremère.Jenesaispassic’estparcequemesparentsétaientloind’êtreàlahauteur,maisj’aitoujourseucetteenvie,cebesoinde maternité. Pas seulement mère, mais très bonne mère, une maman qui aimeraitinconditionnellement sesenfants.Quine les jugerait jamaisni les rabaisserait.Quine leurmettraitjamaislapressionnileshumilierait.Quin’essaieraitjamaisdelesfaireentrerdanslemouled’uneversionamélioréed’elle-même.
Au début, en parlant de ça, j’avais l’impression d’être folle, mais Kimberly approuvetout ceque jedisd’un signede tête, cequime faitpenserque jene suispeut-êtrepas laseuleàavoirunetelleconceptiondeschoses.
–Jepenseque jepourraisêtreunebonnemèresionm’endonnait lachanceet,à laseule idéedevoirunepetite fillebruneauxyeuxgris courirdans lesbrasd’Hardin, j’ai lecœurquifond.Parfois,j’imaginelascène.Jesaisquec’estidiot,maisjelesimagineassislà,touslesdeux,avecleurscheveuxbouclésemmêlés.
Cetteimageinsenséemefaitrire,cetteimagequej’aiconjuréebienplussouventquelanormale.
–Illuiferaitlalectureetlaporteraitsursesépaules,etellelemèneraitparleboutdunez.
Jemeforceàsourire,essayantd’effacercedouxtableaudemonesprit.–Mais ilneveutpasde çaetmaintenantqu’il saitqueChristianest sonpère, je sais
qu’ilnelevoudrajamais.En repoussantmes cheveuxde lamain, je suis surpriseetpasqu’unpeu fièred’avoir
réussiàsortirtoutçasansverseruneseulelarme.
10
Hardin
«J’aimeraisqueturestesavecmoipourtoujours.»
C’est ce queTessa adit, serrée contremon cœur.Et c’est ce que je voulais entendre.C’estcequej’aibesoind’entendre,pourtoujours.
Mais pourquoi voudrait-elle demoi pour l’éternité ? À quoi ça pourrait bien ressembler ?Tessaetmoi,danslaquarantaine,sansenfant,sansmariage.Justenousdeux?
Çaseraitparfaitpourmoi.Ceseraitmêmemonidéald’avenirabsolu,mais jesaisqueçaneseraitpasassezpourelle.Nousavonseucetteconversationdetropnombreusesfoiset je sais qu’elle sera la première à céder, ce ne sera certainement pasmoi. Pour être unconnard de qualité, il faut être le plus têtu. Et elle renoncerait à avoir des enfants et unmariagepourmoi.
Enplus,quelgenredepèrepourrais-jebienêtre?Àchier.Jeseraisàchier.Ça,c’estplusquecertain.Jenepeuxmêmepasimaginerlachosesansenrire.C’estridicule,neserait-cequed’ypenser.Aussidéconnantquepuisseêtrecevoyage, ilm’aaussipermisd’ouvrir lesyeuxsurmarelationavecTessa.J’aitoujoursessayédelaprévenir,essayédel’empêcherdeplongeravecmoi,maisjamaisassezfort.Sijesuishonnête,jesaisquej’auraisdûcarrémentla repousser pour ne pas lui nuire. Par égoïsme, je n’ai jamais pu le faire. Mais, enimaginant ce que serait sa vie avecmoi, je n’ai pas d’autre choix. Ce voyage a éclairci lebrouillard romantique qui engluait mon esprit et, miraculeusement, j’ai l’opportunité dem’en sortir facilement. Jepeux la renvoyerenAmériquepourqu’elle remette savie sur lebonchemin.
L’avenirdeTessaàmescôtésn’estqu’untrounoir,solitaire.Jepourraisobtenirtoutceque je veux d’elle : de l’amour et de la tendresse pour toujours, mais elle se sentiraitincomplèteetchaqueannéeellem’envoudraitunpeuplusde lapriverdecequ’elleveut
réellement.Jeferaismieuxdechoisirlecheminlepluscourtetd’arrêterdeluifaireperdresontemps.
Quand j’arrive chezGabriel, je jette rapidement le sacdeTessa sur le siègearrièreetretourne à l’hôtel de Kimberly. J’ai besoin d’un plan, un putain de plan auquelme tenir.Elleesttroptêtueetbeaucouptropamoureusepourlâcherl’affairefacilement.
C’estsonproblème.Ellefaitpartiedesêtresquidonnentsanscompteret,envéritéc’estcruelmaisc’estvrai, lesgenscommeellesontdesproies facilespourdesgenscommemoiquiprennenttoujoursplus,jusqu’àcequ’ilneresteplusrien.C’estcequej’aifaitdepuisledébutdenotrerelationetcequejeferaitoujours.
Elleessaierademeconvaincreducontraire, jesaisqu’ellevaessayer.Ellediraque lemariagen’aaucuneimportance,maisellesementiraitàelle-mêmepourmegarder.Çaendit long sur moi. Ça veut dire que je l’ai manipulée pour qu’elle m’aimeinconditionnellement.Surlecheminduretour,lemasochistequiestenmoisemetàdouterdesonamour.
Est-ce qu’elle m’aime autant qu’elle le dit ou a-t-elle développé une addiction à mapersonne?Ilyaunegrandedifférence,etpluselleacceptedemerdesdemapart,plusj’ail’impressionque c’estuneaddiction, le frissonde l’attentedemaprochaine conneriepourpouvoirêtreprésenteetmerattraper.
C’estça:elledoitmevoircommeunprojet,quelqu’unqu’ellepeutréparer.Nousavonsdéjàeucetteconversationplusd’unefois,maiselleatoujoursrefusédel’admettre.
Jefouilledansmamémoirepourretrouverunediscussionenparticulieret jefinisparentrouverune,flottantparmilesdécombresdemoncerveauencorealcoolisé.
C’était justeaprès ledépartdemamèrepourLondresaprèsNoël,etTessaavait levéunregardinquietversmoi:
–Hardin?–Ouais?–Est-cequetupourrasm’aideràdémontercesapinquandtuaurasfinidetravailler?Enfait,unstylocoincéentrelesdents,jenebossaispas,j’écrivais,maisellenelesavait
pas.Nous avions euune longueet intéressante journée. Je l’avais surprise au retourd’undéjeuneraveccepetitcondeTrevor,alorsjel’avaisallongéesursonbureaupourlabaiserfollement.
–Ouais,dansdeuxminutes.J’aiplanqué lespages,depeurqu’ellene les trouveen faisant leménage, etme suis
levépourl’aideràrangerlepetitsapinqu’elleavaitinstalléavecmamère.–Surquoitutravailles,d’ailleurs?C’estbien?Elleatendulamainpourattraperleclasseurdéfoncéqu’ellemereprochaitsanscesse
delaissertraînerpartout.Lestracesdecaféetdestyloquimaculaientlacouverturedecuirlarendaientfolle.
–Rien.Je le lui ai arraché desmains avant qu’elle puisse l’ouvrir. Visiblement surprise et un
peublessée,elleaesquisséunmouvementderecul.–Désolée.Ungrandpliabarrésonbeaufrontet j’ai jeté leclasseursur lecanapé,puis je luiai
prislesmains.– Je ne faisais que demander, je ne voulais pasmettre le nez dans tes affaires ni te
fâcher.Putain,j’étaisuntelconnard.Etjelesuistoujours.–C’estbon,arrêtejustedefoutrelebordeldansmesaffairesdeboulot.Jen’aipas…Je n’ai pas réussi à trouver d’excuse, parce que je ne l’avais jamais empêchée par le
passé.Chaque foisque je tombais surunmanuscritque je savaisqu’elleapprécierait, je lepartageaisavecelle.Elleadoraitquejeluifasselecoupetlà,jevenaisdel’enempêcher.
–Ok.Elle s’est détournée de moi et a commencé à retirer les décorations de l’abominable
sapin.Je l’ai regardée de dos pendant quelquesminutes enme demandant pourquoi j’étais
tellement en rogne. Si elle avait lu ce que j’écrivais, comment se serait-elle sentie ?Est-cequ’elleauraitaimé?Ouaurait-elleétédégoûtéepourensuitepiquerunecrise?Jenesavaispaset jene le sais toujourspas, raisonpour laquelleellen’a toujoursaucune idéeencoreaujourd’huidecequis’estpassé.
–Ok?C’esttoutcequetuasàdire?Voulantlancerunedispute, jel’aicherchée.C’esttoujoursmieuxdes’affronterquede
s’ignorer;mieuxvautlescrisquelesilence.Sansseretourner,ellem’arépondu:–Jenemettraipluslenezdanstesaffaires.Jenesavaispasqueçatefâcheraittant.–Je…J’aieudumalà trouveruneexcusepour lancer ladispute.Puis j’aiattaqué,droitau
but:–Sais-tuseulementpourquoituesavecmoi?Aprèstoutcequis’estpassé,est-ceque
c’estledramequitebranche?– Quoi ? (Elle s’est retournée, une boule décorative à la main.) Pourquoi veux-tu
démarrercettedispute?Jet’aiditquejenetoucheraiplusàtesaffaires.–Jenedémarrepasdedispute.J’ai justeenviedesavoir,parcequ’ondiraitquetues
accroaudrameetauxcatastrophesplusquetout.Jesavaisquecen’étaitpasjustededireunechosepareille,maisjel’aiditquandmême.
J’étaisdanscetétatd’espritetjevoulaisqu’elleysoitaussi.
Elle s’est approchée demoi, laissant tomber la décoration de Noël dans une boîte àcôtédusapin.
– Tu sais que ce n’est pas vrai. Je t’aime,même quand tu essaies de provoquer unedispute. Je déteste le drame, tu le sais. Je t’aime pour toi et rien que pour toi, fin de ladiscussion.
Elles’estmisesurlapointedespiedspourm’embrassersurlajoueetjel’aiprisedansmesbras.
–Pourquoitum’aimes,alors?Jenefaisrienpourtoi.La scène que j’avais faite chez Vance un peu plus tôt dans la journée était encore
fraîchedansmonesprit.Elleaprisunegrandeinspirationpoursecalmeretareposélatêtecontremapoitrine.–Pourça…(Elleatapotésonindexsurmoncœur.)C’estpourça.Maintenant,arrête
d’essayerdetedisputeravecmoi.J’aiunedissertationàécrireetcesapinneserangerapastoutseul.
Elleétaitsidouceavecmoi,sicompréhensive,mêmequandjeneleméritaispas.–Jet’aime.Caché dans ses cheveux, lesmains posées sur ses hanches, je l’ai soulevée entremes
bras. Elle s’est lovée contre moi et a enserré ma taille de ses jambes pendant que je laportaisverslecanapé.
–Jet’aime,pourtoujours.Nedoutejamaisdemoi,jet’aimeraitoujours.Seslèvrescontrelesmiennes,savoixsevoulaitrassurante.Je l’ai doucement déshabillée, savourant chacune de ses courbes sexy. J’ai aimé la
manièredontsesyeuxsesontécarquillésquandj’aidéroulélepréservatifsurmoi.L’après-midi même, je l’avais baisée alors qu’elle avait ses règles et ça l’avait stressée, mais sapoitrine bougeait rapidement et elle faisait de petits mouvements incontrôlés quand j’aicommencé à me caresser devant elle. Des soupirs impatients et des petits gémissementsm’ont suffi pour arrêter de la titiller. Jeme suis lentement enfoncé entre ses cuisses. Ellemouillait tellement, elle était si étroite que jeme suis perdu en elle et jen’arrive toujourspasàmerappelercommentcefoutusapinafiniparêtrerangé.
Jefaisçatropsouventcesdernierstemps,m’attardersurlessouvenirsheureuxpassésàsescôtés.Mesmainstremblent.J’agrippelevolantpourmedécollerdecespensées,desesgémissements, de ses petits cris qui s’éloignent à mesure que je me force à revenir à laréalité.
Je profite des quelques kilomètres d’embouteillages loin de Tessa. J’ai besoin deconsolidermonplanpourm’assurerqu’ellemettesonculdanscetavioncesoir.C’estunvolde nuit, il ne partira pas avant neuf heures, elle va avoir le temps d’arriver àHeathrow.Kimberly l’y emmènera, je le sais. J’ai encore la migraine, l’alcool quitte doucement mon
corps,maisjemesensencoreunpeuéméché.Pasassezpournepaspouvoirconduire,maisjen’aipasencoretoutematête.
–Hardin!La voix est familièremais étouffée parma vitre, que je baisse rapidement. À chaque
coinderue,unêtresurgidemonpassém’appelleparmonprénom.–Putaindemerde!C’estàmontourdem’exclamer,carmonvieuxpoteMarkestlà,danslabagnoleàcôté
delamienne.Sicen’estpasunsigneenvoyédesdieux,jenesaispascequec’est.–Gare-toi!hurle-t-il,avecungrandsourire.JegarelacaissedeVancesurunparkingdevantunglacieretils’arrêtesurlaplaceà
côté. Il émerge d’une bagnole merdique avant que je n’aie le temps de bouger, et seprécipitepourouvrirmaportièreenmetapantl’épaule.
–T’esderetourettunem’asriendit?Etputaindis-moi,turoulesencaissedelocationoutut’esfaitdufricderrièremondos?
Jelèvelesyeuxaucielavantderépondre:–Longuehistoire,maisc’estunelocation.–T’esderetourpourdebonouquoi?Ses cheveux bruns sont coupés court maintenant, mais ses yeux sont toujours aussi
vitreux.–Ouais,jesuisderetourpourrester.Le dire rend tout ça plus concret. Je reste ici et elle repart, aussi simple que ça. Il
étudiemonvisage.–Putain,ilssontoù,tespiercings?Tulesasvirés?–Ouais,ilsmefaisaientchier.Jehausse lesépaules,mais j’examine sonvisage.Quand il tourne la tête,unéclatde
lumières’accrocheauxpetitscabochonsmétalliquessoussalèvreinférieure.Lecon!– Putain, Scott, t’as vraiment changé de tête. C’est dingue. Ça fait quoi, deux,
trois ans ? Remarque, ça fait dix ans que je suis défoncé, alors ce n’est pas comme si jepouvaiscompter!
Il rit et enfonce sesmains dans ses poches pour en extraire un paquet de clopes. Jedéclinesapropositionlorsqu’ilm’enproposeune,cequimevautunsourcilinterrogateur.
–Quoi?T’asvirérespectable?–Non,j’aijustepasenviedefumer,putain.Ilritcommetoujoursquandj’aicetypederéactiondirecte.Ilatoujoursétéleleaderde
notrepetitgroupededélinquants,plusvieuxquemoid’unan,suffisammentpourquejeleprenne en exemple et que je veuille devenir comme lui. C’est pour ça que quandunmecencoreplusvieuxrépondantaunomdeJamess’estajoutéaugroupeetqueluietMarkont
commencéleurspetitsjeux,j’aisautésurl’occasion.Jen’avaisrienàfoutredeleurmanièredetraiterlesfemmes,mêmequandilslesfilmaientsansleurconsentement.
–T’esdevenuunpetittoutou,c’estça?Ilsemarre,sacigarettealluméeentrelesdents.–Vatefairefoutre.T’esdéfoncé?Je savais qu’il serait encore comme ça, toujours défoncé et scotché dans son plus bel
âge,àbaiseràcouillesrabattuesetànaviguerdanslesparadisartificiels.–Nan,maisjesorsd’unesoiréeplutôtintense,enrevanche.Ilsourit,àl’évidencefierdesesactivitésnocturnes.–Tuvasoù?Tucrèchescheztamère?Enentendantparlerdelamaisondemamère,j’aicommeunpointaucœur.J’yaimis
lefeu.Pourdevrai.Jesensencorelafuméebrûlantesurmesjouesetjerevoislesflammesaveuglantesavaler lesmurs, lorsque j’ai regardé lascèneavantdemonterenvoitureavecTessa.
–Non,jenavigueentreplusieurspiaules.–Oh,jevois.Enfait,non,ilnevoitpas.– Si tu as besoin d’un canapé, tu peux venir chez moi. Je suis en coloc avec James
maintenant…Çalebotteraitdetevoirsichangé.Toutaméricaniséettout.Là, j’entends nettement la voix de Tessa dansma tête,me supplier de ne pas suivre
cettepentesifamilièreetsifacile,mais j’ignoresesprotestationsetacquiesceenregardantMark.
–Enfait,j’aibesoind’unservice.–Jepeuxtetrouvertoutcedonttuasbesoin…Jamesdealemaintenant!Ilparaîttoutfier!Jelèvelesyeuxauciel.–C’est pas ce que je veuxdire.Tupourraisme suivre jusqu’àmonhôtel pour que je
lâcheuntruc,puismeconduirechezGabrielpourquejerécupèremacaisse?Jevaisdevoirallongerlecontratdelocation,sic’estpossible.Jechoisisd’ignorerqu’un
appartemententieretunevoiturem’attendentdansl’ÉtatdeWashington.Jetrouveraiunesolutionàtoutcemerdierplustard.
– Après, tu viens chez moi ? (Il marque un temps d’arrêt.) Attends, à qui tu vasbalancertesmerdes?
Mêmedéfoncé,iln’apasloupécedétail.Iln’estpasquestionquejeparledeTessaàMark.Putain,vraimentpasquestion.–Justeàunemeufcommeça.CemensongesurlanaturedemarelationavecTessamebrûlelagorge,maisjedoisla
protégerdetoutça.Ilretourneàsavoitureets’arrêteuninstantavantdemonterdedans.
–Elleestbonne?Jepeuxattendredehorssituasbesoindetirerencoreuncoup.Oupeut-êtrequ’ellemelaisserait…
Jevoisrougeetjedoisprendreplusieursinspirationspourmecalmer.– Non. Putain, non. Pas question. Tu restes dans ta bagnole. Je ne vais même pas
entrer.Iln’apasl’airconvaincu.–Sérieux.Situsorsdetaputaindecaisseetquetul’approches…–Putain,mec,cool!Jevaisresterdansmacaisse!Illèvelesmainsenl’aircommesij’étaisunflic.Ilenritencorequandilsortduparking
etmesuitsurlaroute.
11
Tessa
Je m’approche de mon téléphone que j’ai mis à charger et vérifie que je n’ai pas de
nouveaumessage.–Çafaitplusd’uneheurequ’ilestparti.J’essaiedelerappeler.–Ilprendcertainementsontemps.Kimberlyessaiedemeréconforter,maisjevoisbienledoutedanssonregard.–Ilnerépondpas.S’ilestretournédanscebar…Jemelèveetarpentelapiècedelongenlarge.–Ilvacertainementarriverd’uneminuteàl’autre.Elle ouvre la porte pour jeter un coup d’œil, regarde à droite, à gauche, puis à ses
pieds. Elle m’appelle calmement, mais quelque chose ne va pas dans le ton de sa voix.Quelquechosenevapas.
–Quoi?Qu’est-cequisepassemaintenant?Est-cequ’Hardinestdanslecouloir?JemeprécipiteversKimberly,pliéeendeuxquiattrape…mavalise.Lapeurs’emparedemoiet j’entombeàgenoux.JesensàpeineKimberlym’entourer
desesbrasquandj’ouvrelapocheavantdemonbagage.Ilyaunbilletd’avion,unseulbilletd’avion.Àcôté,letrousseaud’Hardinaveclesclés
desavoitureetdel’appartement,toujoursattachées.Jel’avaissentivenir.Jesavaisqu’ilallaitserepliersurluidèsqu’ilenauraitl’occasion.
Hardin ne peut pas gérer un trauma émotionnel de cette ampleur, il n’en est juste pascapable.J’auraispu, j’auraisdûêtreprêteàça,alorspourquoicebilletd’avionpèse-t-il silourddansmamainetpourquoimoncœurest-ilenflammes?Jelehais,iln’auraitpasdûm’infligerçaaussibrusquementet sous lecoupde lacolère,et jemehaisdem’être laissé
surprendre.Jedevraisêtreunedureàcuiremaintenant;jedevraisramasserlesmiettesdedignitéquime restent etme tenirdroite. Jedevraisprendre ce satané ticket, attrapermavalise etme tirer de Londres à vitesse grand V. C’est ce que toute femme qui se respecteferait.Simple,non?Jegardecette idéeentête,maismesgenouxploientsousmoietmesmains tremblantes surmon visage cachentmon embarras tandis que jeme brise enmillemorceauxpourcethomme,encoreunefois.
–Cen’estqu’ungroscon.Kimberlyl’insulte,commesijenesavaispasdéjàquec’estunconnard.–Tusaisqu’ilvarevenir,commeàchaquefois.Ellem’embrasse.Jelaregardeetdiscernedelacolèredansleregardmenaçantdemon
amiesiprotectrice.Jemedégagedoucementdesonétreinte.–Jevaisbien.Çava.Toutvabien.Jemerépètecesmotscommeunmantra,pluspourmoi-mêmequepourKim.–Non,tunevaspasbien.Elle remet une mèche rebelle de mes cheveux derrière mon oreille. J’ai un flash
d’Hardinfaisantlemêmegesteetjerecule.–J’aibesoindeprendreunedouche.Etc’estlàquejeperdslespédales.
Non,pascassée.Jenesuispascassée, jesuisvaincue.Cequejeressensàcet instant,
c’estunepuredéfaite.J’aipassédesmoisetdesmoisàmebattrecontrel’inévitable,ànagercontreuncourantquiétaittropfortpourquejel’affrontetouteseuleet,maintenant,ilm’aemportéeetiln’yaaucuncanotdesauvetageàl’horizon.
–Tessa?Tessa,çava?Kimberlycriedel’autrecôtédelaportedelasalledebains.–Çava.Ces deuxmots à peine articulés sont aussi faibles que je le suis. Je neme sens plus
aucuneforce,jepeuxjusteessayerdecacherunpeumafaiblesse.L’eauest froidemaintenant, elle l’estdepuis quelquesminutes…peut-êtremêmeune
heure.Jen’aiaucuneidéedutempsquej’aipupasserlà-dedans,accroupieparterredansla
douche, les genoux serrés contre ma poitrine sous le jet d’eau froide. C’était presquedouloureuxilyaquelquesinstants,maismoncorpss’estinsensibilisédepuisqueKimberlyatentéquelquesvérificationsinquiètes.
–Il fautquetusortesdecettedouche.N’imaginepasquejenepourraispascasser laporte.
Je ne doute pas une seule seconde qu’elle le ferait. J’ai déjà ignoré cette menaceplusieursfois,maiscettefois-ci,jetendslamainpouréteindrel’eau.Maisbon,jen’enquitte
paspourautantmonrefuge.Semblant satisfaite de ne plus entendre l’eau couler, je n’entends plus Kimberly
pendant un petit bout de temps.Mais lorsqu’elle recommence à cogner des poings sur laporte,jeluirépondsquejevaissortir.
Quandj’arriveàmelever,mesjambesflageolentetmescheveuxsontpresquesecs.Je fouille dansmon sac et enfilemécaniquementmon jean, une jambe après l’autre.
Puis je lèvemesbrasau-dessusdelatêtepourenfilerunt-shirt.J’ai l’impressiond’êtreunrobotet,enessuyantlabuéedumiroird’ungestedelamain,jem’aperçoisquej’enaiaussil’air.
Combiendefoisvais-jedevoirfaireça?Jeposelaquestionàmonrefletdanslemiroir.Non,combiendefoisvais-jelelaissermefaireça?Làestlavraiequestion.–Plusjamais.Je réponds à l’étrangère qui me regarde. Je vais le trouver, une dernière fois et
seulementpoursafamille.JeleferaipartirdeLondresenletirantparlapeauduculetjeferaicequej’auraisdûfairedepuislongtemps.
12
Hardin
–Putain,Scott!Regarde-toi!Ondiraitunmammouth!
Jamesselèveducanapéets’approchedemoi.C’estvrai.ComparéàMarketlui,jesuisimmense,putain.
–Tufaisquoi,maintenant,deuxmètresoubien?LesyeuxdeJamessontvitreuxetinjectésdesang.Putain,ilestàpeinetreizeheures.–Unmètrequatre-vingt-douze.Je corrige son estimation et reçois pour la peine lemêmeaccueil amical que celui de
Mark,unemainfermesurmonépaule.–Putain,c’estgénial!Fautfairecirculerquet’esderetour.Toutlemondeestencore
là,mec.Jamessefrottelesmainsl’unecontrel’autre,commes’ilcomplotaituntrucénorme,je
neveuxmêmepassavoircequeçapourraitêtre.Est-cequeTessaadéjàtrouvélavalisequej’aiposéderrièrelaporte?Qu’ena-t-ellepensé?
A-t-ellepleuré?Oua-t-elledéjàdépassécestade?Putain, une chose est sûre, c’est que je ne veux pas connaître la réponse à cette
question.Jen’auraispasvouluvoirsatêtequandelleaouvert laporte.Jeneveuxmêmepaspenser à ce qu’elle a pu ressentir quand elle n’a vuqu’unbillet fourrédans la pocheavantdelavalisedontj’airetirétousmesvêtements,quej’aijetéssurlesiègearrièredemavoituredelocation.
Je la connais suffisamment pour savoir qu’elle va s’attendre à ce que je lui fassemesadieux.Ellevaessayerdemechercherencoreavantd’abandonner.Mais,aprèscederniereffort,ellerenoncera.Ellen’aurapaslechoixcarelleneserajamaiscapabledemetrouveravantsonvolet,dèsdemain,elleseraloindemoi.
–Mec!Markparlefortetagitesamaindevantmonvisage.–Putain,tuscotchessurquoi,oubien?–Désolé.Et puis soudain, je pense à un truc : et si Tessa se perdait dans Londres en me
cherchant?Qu’est-cequejeferais?Toutcequejepeux?Markpassesonbrasautourdemoietmefaitrevenirdanslaconversation.Jamesetlui
sedemandentquiilsvontinviter.Ilsfontunelisteavecpleindenomsquejeconnais,plusquelques inconnus. Ils se mettent à passer des appels pour organiser une fête en pleinaprès-midi,aboyantdeshorairesetdesnomsd’alcool.
Jereculepourallerdanslacuisineàlarecherched’unverred’eau,observantvraimentl’appartementpourlapremièrefoisdepuisquej’aifranchilepasdelaporte.Putain,c’estlebordel. Ça ressemble à la fraternité tous les samedis et les dimanches matin. Notreappartementn’a jamaisétécommeça,enfinpasquandTessaétaitdans lecoindumoins.Lesplansdetravailn’étaientjamaisjonchésdecartonsdepizzaetlestablesencombréesdebouteillesdebièreetdebang.
Jerégresseet,putain,j’ensuisconscient.Enparlantdebang,jen’aimêmepasbesoinderegarderMarketJamespoursavoirce
qu’ils font. J’entends le bruit des bulles dans l’eau, puis l’odeur particulière de la beuhenvahitlapièce.
En bonmaso, je sorsmon téléphone dema poche et le remets enmarche. C’estmaphotopréféréedeTessquime sertde fondd’écran.Celledumoment.Maphotopréféréechangetouteslessemaines,putain,maiscelle-cifriselaperfection.Sescheveuxblondssontlâchés, étalés sur ses épaules, et la lumière tombe sur elle, la faisant rayonner. Un vraisourire s’épanouit sur son visage et ses yeux sont fermés, son nez plissé de lamanière laplusadorablequisoit.Ellesefoutaitdemagueule,m’engueulaitmême,deluiavoirmislamainauculdevantKimberlyetj’aiprislaphotoaumomentoùelleaexploséderirequandjeluiexpliquaistouteslescochonneriesquejepourraisluifairedevantsadétestablecopine.
Jeretournedansleséjour,Jamesm’arracheletéléphonedesmains.–Mec,jesaispascequetuprends,maisj’enveux!Jereprendsmonportableassezvitepourqu’iln’aitpasletempsdevoirlaphoto.–Onestchatouilleux?Jamessefoutdemagueulequandjechangelefondd’écran.Pasbesoindedonnerdes
idéesàcettebandedecons.–J’aiinvitéJanine,ditMarkenriantavecJames.–Jenesaispaspourquoivousvousmarreztouslesdeux.C’esttafrangine.(Jedésigne
Mark,puisjemontreJames.)Ettul’asbaiséeaussi.
Cen’estpascommesi c’étaitunesurprise.La sœurdeMarkabaisé tous lespotesdesonpetitfrère,toutlemondelesait.
–Vatefairefoutre,mec!Jamesreprendunetaffedanslebangetmelepasse.Putain, Tessame tuerait. Elle serait si déçue. Elle n’apprécie pas que je boive, alors
fumerdel’herbe…–Tutiresoutufaistourner,mepresseMark.–Si Janinevient, tuvasenavoirbesoin.Elleest toujoursaussibonne,putain,medit
James,cequi luivautunregardassassinde lapartdeMarketunbeléclatderiredemapart.
Les heures passent comme ça, à fumer, dire des conneries, boire, dire des conneries,fumeret,sansquejem’enrendecompte,l’appartestblindédemonde,ycomprislafilleenquestion.
13
Tessa
Peut-être que je n’ai pas grand-chose,mais ilme reste un peu de fierté et je préférerais
fairefaceàHardinetavoircetteconversationenprivé.Jesaisexactementcequ’ilvafaire.Ilvamedirequejesuistropbienpourluietqu’ilnem’apporteriendebon.Ilvameblesseravecsesmotsetj’essaieraideleconvaincreducontraire.
Kimberly doit penser que je suis bête de le pourchasser après qu’il m’a rejetée sifroidement,maisjel’aimeetc’estcequ’onfaitquandonaimequelqu’un.Onsebatpourluietonluicourtaprèsquandonsaitqu’ilenabesoin.Onl’aideàsebattrecontrelui-mêmeetonn’abandonnejamais,mêmequandiljettel’éponge.
–Jevaisbien.Si je le trouveetque tum’accompagnes, ilvase sentiracculéetçaneferaqu’empirerleschoses,dis-jeàKimberlypourlasecondefois.
–Soisprudente,s’ilteplaît.Jeneveuxpasavoiràtuercegamin,maisaupointoùonenest,ilnefautjurerderien.(Ellemefaitunpetitsourire.)Attends,encoreunechose.
Kimberly lève un doigt et se précipite vers la table basse aumilieu de la pièce. Ellefouilledanssonsac,puismefaitsigned’approcher.
Fidèleàelle-même,Kimberlymepasseuncoupdegloss transparent sur les lèvresetmetenduntubedemascara.Ellesouritdetoutessesdentsavantdeprécisersapensée:
–Tuneveuxpasavoirunesaletête,non?Malgréladouleurquis’estinstalléedurablementdansmapoitrine,jesourisdevantses
efforts pour m’aider à avoir l’air présentable. Évidemment, pour elle, ça fait partie del’équation.
Dixminutesplustard,mesjouesnesontplusrougesd’avoirtantpleuré.Mesyeuxsontmoinsgonflésgrâceaucorrecteurdeteintetunpeudepoudre.Mescheveuxsontbrossésetparaissentpresquecoiffésengrossesboucles.Avecunsoupir,Kimberlya lâché l’affaireauboutdequelquesminutesendisantque le style« retourde laplage»était toutcequi sefaisaitdemieuxencemoment.Jenemerappellepasl’avoirvuemefairechangerdet-shirtpourenfilerundébardeuretunpetitgilet rosepoudrédechezKarlMarcJohn,maisellem’afaitsortirdemonlookdezombieenunlapsdetempsremarquablementcourt.
–Tumeprometsd’appelersituasbesoindemoi?Tupeuxêtresûrequejeviendraiàtarescousse.
Jehoche la têtepour luimontrerque j’ai compris, sachant trèsbienqu’ellen’hésiterapas. Elle me serre deux fois dans ses bras avant de me donner les clés de la voiture delocationdeChristianqu’Hardinalaisséedansleparking.
Lorsquejemontedanslavoiture,jebranchemontéléphonedanslechargeuretouvrelafenêtreengrand.LavoituresentHardin,etlesgobeletsdecafédecematinsontencorecoincésdans leursupport,merappelantqu’ilm’a fait l’amour ici, ilyaquelquesheuresàpeine.C’étaient sesadieux. Jeme rends comptemaintenantqu’unepartiedemoienétaitconsciente,sansvouloir l’accepter.Jenevoulaispasadmettrequeladéfaiteaffleuraità lasurface,prêteàm’engloutir.Iln’estpaspossiblequ’ilsoitdéjàpratiquementdix-septheures.J’aimoinsdedeuxheurespourletrouveretleconvaincrederentreràlamaisonavecmoi.L’embarquementdoit avoir lieuà vingtheures trente,maisnousdevrons être à l’aéroportunpeuavantdix-neufheurespouravoirletempsdepasserlescontrôlesdesécurité.
Vais-jerentreràlamaisontouteseule?Je me regarde dans le rétroviseur, c’est bien la même fille qui a dû se décoller du
carrelagedelasalledebains.J’ail’abominableimpressionquejeseraitouteseuleàborddecetavion,etjel’accepte.
Jeneconnaisqu’unendroitoùjepourrais letrouverets’iln’estpaslà, jen’aiaucuneidéedecequejepourraisbienfaire.Jemets lavoitureenmarche,maismarqueuntempsd’arrêt, lamain sur le levier de vitesse. Je ne peuxpas conduire en errant dans Londres,sansargentetsansbut.
Désespérée et inquiète, j’essaie de le rappeler et je fonds presque en larmes de joielorsqu’ildécroche.
–Allôôô,c’estqui?C’estunevoixmasculinequejeneconnaispas.Je vérifie sur le téléphonepourm’assurer que j’ai composé le bonnuméro,mais c’est
bien le nom d’Hardin qui apparaît. L’homme reprend en parlant plus fort et en étirantencoresesmots:
–Allôôôôôô.–Euh…salut.Est-cequ’Hardinestlà?
J’aiunnœuddansl’estomac;c’estsûr,cemec-làn’estpasunebonnenouvelle,mêmesijen’aiaucuneidéedequiilest.
Desriresetdenombreusesvoixformentunbrouhahaenarrière-plan,dontplusd’uneestféminine.
–Scottest…disposépourl’instant.Disposé?Qu’est-cequeracontecemec?–Indisposé…espècedecon.OhmonDieu!C’estbienunevoixdefemmequivientdegueulerça.–Oùest-il?Jesensbienquej’aiétémisesurhaut-parleur,lessonsontchangé.–Ilestoccupé.–Quic’est?Tuviensàlafête?C’estpourçaquetuasappelé?J’aimebientonaccent
américain,chérie,etsituesunecopinedeScott…Une fête ? À dix-sept heures ? Aussi tôt ? J’essaie de me concentrer sur cette
information inutile plutôt que sur lamultitudede voix féminines qui résonnent dansmontéléphoneetsurlefaitqu’Hardinsoit«occupé».
–Ouais.(Maboucherépondavantdedemandersonavisàmoncerveau.)Tupeuxmeredonnerl’adresse?
Mavoixtremble,maisilsnesemblentpass’enrendrecompte.L’hommequiaréponduautéléphonemedonneuneadresseetjelarentrevitedansle
GPSdemontéléphone.Jedois leredémarrerdeuxfoiset jedemandeautypederépéter,mais il le faitdebonnegrâceetmedemandedemedépêcherensevantantqu’ilyaplusd’alcoolàcettefêtequejen’enaijamaisvudemavie.
Vingt minutes plus tard, je me gare sur un petit parking à côté d’un immeuble en
briques délabré. Les fenêtres sont hautes et toutes semblent être recouvertes de ce quisemble être du scotch blanc, voire même des sacs poubelle. Il y a beaucoup de voituresgarées ; la BMWquim’a conduite ici détonne franchement. La seule voiture qui pourraits’en approcher est celle d’Hardin. Elle est tout devant, bloquée, ce qui veut dire qu’il estgaréicidepuispluslongtempsquebeaucoupd’autresvisiteurs.
Lorsque j’atteins la porte de l’immeuble, je prends une grande inspiration pourrassemblermes forces. L’inconnu au téléphone a dit que la fête était au deuxième étage,deuxièmeporteàgauche.L’immeuble, assez louche,ne semblepasassezhautpouravoirdeux étages, mais en grimpant les escaliers, je vois bien qu’il n’en est rien. Des voixtonitruantesetl’odeurâcredelamarijuanam’assaillentavantmêmequej’atteignelepalierdupremierétage.
Plus j’y réfléchis,plus jemedemandepourquoiHardinserait ici.Pourquoiviendrait-ildansunendroitpareilpourfairefaceàsesproblèmes?Arrivéeausecondétage,j’ailecœurquibatlachamadeetl’estomacretournéderéfléchirtousazimutsàcequipourraitbiensepasserderrièrecetteporteendommagéeetcouvertedegraffitisquiportelenumérodeux.
Jesecouelatêtepourécartermesdoutes.Pourquoisuis-jeaussiparanoetnerveuse?Nousparlonsd’Hardin,monHardin.Même fouet replié sur lui-même,àpartmediredeschoses très cruelles, il ne ferait rien volontairement pour me blesser. Il traverse unemauvaisepasseavectoussesproblèmesdefamilleetilajustebesoinquejefasseunpasenavantetleramèneàlamaisonavecmoi.Jemefaisdesfilmspourrien.
Laportes’ouvre justequand j’arriveetungars,plutôt jeune, toutdenoirvêtu,passedevantmoisanss’arrêterni fermer laportederrière lui.Desvolutesdefumées’échappentdans le couloir, je doism’empêcher demettremamain devant la bouche et le nez pourrespirer.
Etjem’arrêtenetquandjecomprendscequejevois.Scandalisée de voir une fille àmoitié nue assise par terre, je regarde tout autour et
remarquequetoutlemondeestdénudé.Unjeunebarbus’adresseàunefilledécolorée:–Enlèvelehaut!Elle lève les yeux au cielmais sedébarrassede son top, n’étant plus vêtue qued’’un
soutien-gorgeetd’unepetiteculotte.Enobservant la scèneunpeumieux, jemerendscomptequ’ils jouentàunesortede
jeu de cartes qui implique que l’on retire ses vêtements. Je préfère ça quemes premièresconclusionshâtives.Moncerveauestallétroploin,enfinjusteunpeu.
Jesuis légèrementsoulagéequ’Hardinne fassepaspartiedecegroupede joueursdecartesdeplusenplusdénudé,maisj’aibeauscruterlapiècesurpeuplée,jenelevoispas.
–Turentresoutusors?Jeregardeautourdemoipoursavoird’oùs’échappecettevoix.–Fermelaportederrièretoietentre.Onseconnaît,Bambi?Il rigole doucement ; jeme déplace nerveusement, sentant ses yeux injectés de sang
parcourir mon corps et s’arrêter un peu trop longtemps surma poitrine pour n’être riend’autrequevulgaire.Jen’aimepaslesurnomqu’ilm’adonné,maisjen’arrivepasàtrouverle moyen de lui dire mon vrai nom. Au son de sa voix, je suis sûre que c’est lui qui adécrochéquandj’aiappeléHardintoutàl’heure.
Jesecouelatête;touteparolesembles’êtredissoutesurmalangue.–Mark.Ilveutm’attraperlamain,cequimefaitfaireunbondenarrière.Mark…Je reconnais immédiatement ce nom, qu’Hardin évoquait dans sa lettre et dans les
histoires qu’ilm’a racontées sur lui. Il a l’air relativement sympa,mais je sais à quoim’en
tenir.Jesaiscequ’ilafaitàtoutescesfilles.–Onestchezmoi,là.Quit’ainvitée?Au début, j’ai l’impression qu’il est en colère à cause de la question,mais son visage
n’est que pure bravade. Son accent est très marqué et il est plutôt mignon. Un peueffrayant,maisséduisant.
Ses cheveux bruns sont relevés devant et sa barbe est en bataille, mais toutefoissoignée,formantcequ’Hardinappelleun«lookdegrosconnarddehipsterdemerde»,moije le trouvemignon. Il n’a pasde tatouage sur les bras,mais deuxpiercings apparaissentsoussalèvreinférieure.
–Je…Euh…Jeluttepourreprendrelecontrôledemonsystèmenerveux.Ilritencoreetattrapemamain.–Ehbien,Bambi,onvatetrouverunverrepourt’aideràtedétendre.Tumefousles
jetons.Ilm’entraînedanslacuisineet,franchement,jemedemandesiaumoinsHardinestici.
Peut-être qu’il a lâché la voiture ici avec son téléphone et qu’il est allé ailleurs. Peut-êtremême qu’il est dans la voiture. Pourquoi n’ai-jemême pas regardé ? Je devrais peut-êtredescendrepourvérifier;ilétaitsifatigué,ilpourraitsimplementfairelasieste…
Etlà,d’uncoup,jeperdslesouffle.Si quelqu’un me demandait comment je me sens, je ne suis pas sûre de ce que je
pourrais dire. En fait, il n’y a pas de réponse. Dans le lot, je mettrais de la douleur, duchagrinetdurejet,maisenmêmetempsj’ail’impressiond’êtreanesthésiée.Jenesensrienettoutàlafois,jen’aijamaisrienressentidepire.
Hardin est appuyé contre le comptoir de la cuisine, un joint entre les lèvres et unebouteilledanslamain.Maiscen’estpasçaquifaitcesserlesbattementsdemoncœur.Cequime coupe le souffle, c’est la vision de cette femme assise derrière lui, les jambes nuesenlacéesautourdesoncorpscommesic’étaitlachoselaplusnaturelledumonde.
–Scott!Passe-moilavodka,merde!ManouvellecopineBambi,iciprésente,abesoind’unverre.
Lesyeuxrougisd’HardinsetournentversMark,accompagnésd’unsouriremauvais,unair sombre que je ne lui avais encore jamais vu. Quand son regard passe deMark àmoipourdécouvrirquiestBambi,jevoissespupillesdilatéess’agrandirencoreunpeuplus,etl’expressionsiduredesonvisagedisparaîtinstantanément.
–Qu’est-ceque…Qu’est-ceque…Ilcherchesesmots.Sesyeuxsuiventlacourbedemonbrasets’écarquillentencoreun
peuplusquandilaperçoit lamaindeMarksurlamienne.Unepurerages’emparedelui.Jeretiremamain.
–Vousvousconnaisseztouslesdeux?
Je ne réponds pas à Mark, mais fronce les sourcils en regardant la femme dont lesjambesencerclenttoujourslatailled’Hardin.Iln’atoujoursfaitaucunmouvementpoursedétacherd’elle.Elleneportequ’unepetiteculotteetunt-shirt.Unt-shirtnoirtoutsimple.
Hardinportesonpullnoir,maisjenevoispasl’habituelcoldet-shirtunpeudélavéendessous. La fille, qui qu’elle soit, n’est pas consciente de la tension, elle est concentréeexclusivement sur le joint qu’elle vient de prendre de la bouche d’Hardin. Elle en vientmêmeàm’offrirunsourire,unsouriredegourdeinconscienteetdéfoncée.
Tout ça me rend muette. Abasourdie de pouvoir même un instant imaginer que jeconnaislapersonneenfacedemoi.Jenesuispasenmesuredeparler,mêmesij’enavaisenvie.Jesaisqu’Hardinestdanslesténèbresencemoment,maislevoircommeça,drogué,ivreetavecuneautrefemme,c’esttroppourmoi.Putaindebordeldemerde,c’esttropetjenepensequ’àunechose:partirleplusloinpossible.
–Jevaisprendreçapourunoui.Markprendlabouteilledevodkadelamaind’Hardin.Hardin n’a rien vu non plus. Ilme regarde simplement comme si j’étais un fantôme,
commeunsouvenirdéjàoubliéqu’ilnes’attendaitpasàrevoir.Jetournelestalonsetmefraieunpassagedanslafoulesurlechemindelasortiede
l’enfer. Lorsque j’arrive à atteindre le palier, je m’adosse au mur et me laisse glisser parterre, le souffle trop court pour continuer. Mes oreilles sifflent et le poids de ces cinqdernièresminutes s’écrase surmoi. Je ne sais pas comment je vais réussir à sortir de cetimmeuble.
Envain,jetendsl’oreillepourentendrelebruitdebottess’écrasantcontrelesmarchesdel’escalier,maischaqueminutedesilencemeblesseplusquelaprécédente. Iln’amêmepasessayédemerattraper.Ilm’alaisséeledécouvrirdanscetétatsanssedonnerlapeinedemepoursuivrepourmeproposeruneexplication.
Je n’ai plus de larmes à verser pour lui, pas aujourd’hui, mais je m’aperçois quesangloter sans larmes est bien plus douloureux et impossible à contrôler. Après tout ça,aprèstoutescesdisputesettouscesrires,aprèstoutcetempspasséensemble,c’estcommeçaqu’ilchoisitdemettrefinànotrehistoire?C’estcommeçaqu’ilmejette?Ilasipeuderespect pour moi qu’il va se défoncer et laisser une autre femme le toucher, porter sesvêtementsaprèsavoirfaitDieusaitquoiavecelle?
Ilnefautpasquejemelivreàcetteidée,çameparalyserait.Jesaiscequej’aivu,maissavoiretacceptersontdeuxchosesbiendifférentes.
Je suis hyper douéepour lui trouver des excuses. J’aimaîtrisé cette compétence en ytravaillantdelongsmoisdepuisledébutdenotrerelationetj’aiétéonnepeutplusloyaleenverscesexcuses.Maislà,iln’yenaplus.Mêmel’épreuvequ’estlatrahisondesamèreetde Christian ne lui donne pas le droit deme blesser comme ça. Je ne lui ai rien fait qui
puissejustifierpareilacte.Maseuleerreuraétéd’essayerd’êtrelàpourluietdesupportersacolèredéplacéependantbientroplongtemps.
Plus je reste assise dans cet escalier désert, plus l’humiliation et la douleur setransforment en rage. Une putain de colère lourde, impitoyable et dominatrice. C’estterminé, je ne veux plus lui trouver d’excuses. Je ne le laisserai plus me faire subir desmerdespareillesetjenelaisseraipaspasserçaavecdesimplesdiscoursetunepromessedechangement.
Non.Putain,non.Jenepartiraipassansuneengueulade.Jerefusedem’enallerenlelaissantcroireque
c’est normal de traiter les gens comme ça. À l’évidence, il n’a aucun égard ni pour lui nipour moi à l’heure actuelle. Des idées pleines de rage m’emplissent la tête. Je ne peuxempêchermes pieds de remonter cet escaliermerdiquepour retourner dans la tanière del’enfer.
Je pousse la porte assez violemment pour qu’elle rebondisse sur quelqu’un et jeretrouve le chemin de la cuisine. Ma colère connaît un certain regain quand je retrouveHardinexactementaumêmeendroitavecexactement lamêmesalope toujoursattachéeàsondos,entraind’expliqueràMark:
–Personnemec.C’estjusteunefillecommeça…J’aidumalàvoirclairementtantjesuisencolère.Avantqu’ilnecomprennecequise
passe, j’attrape labouteilledevodkadesmainsd’Hardinet labalancecontre lemur.Elleexploseenmillemorceauxetprovoqueunsilencegénéral.Jemesenscommedétachéedemoncorps;j’observeuneversiondemoi-mêmeenrogne,uneprovocatricequiperdl’esprit,maisjenepeuxpasl’arrêter.
–Putain,Bambi,t’aspétéunplomb?JemetourneversMarkethurle:–Jem’appelleTessa!Hardin ferme les yeux et je l’observe, attendant qu’il prenne la parole, qu’il dise
quelquechose,n’importequoi.–Ehbien,Tessa,tun’avaispasàpéterlabouteilledevodka.Markest sarcastiquemais tropdéfoncépourne serait-ceque se soucierdubazarque
j’aimis,apparemmentsonseulproblème,c’estlapertedel’alcool.–J’aiapprisàéclaterdesbouteillesaveclemaître.J’assassineHardinduregard.–Nemedispasquetuavaisunecopine,maintenant.JepromènemonregardentreMarketlapétasseagglutinéeàluiquivientdeparler.Il
y a une ressemblance évidente… et j’ai lu cette lettre bien trop de fois pour ignorer sonidentité.
–FaisconfianceàScottpour inviterchezmoiuneAméricaineavecunpet’aucasquequibalancedesbouteillesetfoutlamerde.
Markal’airclairementamusé,maisHardins’avance.–Commencepas.Jegardeunvisageimpassible.J’ai lesoufflecourt,entrecoupédegrandesinspirations
paniquées,maismonvisageestunmasque,uneillusionvidedetouteémotion.Commelui.–C’estquicettemeuf?Mark questionneHardin comme si je n’étais pas là. Hardinm’évince de l’échange en
répondant:–Jetel’aidéjàdit.Iln’amêmepas lescouillesdemeregarderenmerabaissantplusbasque terredans
unepiècepleinedemonde.Maisj’enaiassez.Jecrie:–Non,maisc’estquoitonproblème,putaindebordeldemerde!Tucroisquetupeux
venirprendre tonshootdeperversion iciet fumerdes joints toute la journéepouroubliertesproblèmes?
Je sais que je me comporte comme une folle furieusemais, pour une fois, je n’en aistrictementrienàfoutredecequ’onpensedemoi.Jeneluidonnemêmepasletempsderépondre.
–T’es tellementégoïste !Tucroisqueme repousseret te renfermer sur toi, c’estbonpourmoi?Tusaisparfaitementcommentçasepassequandtufaisça!Tun’arriveraspasàtenir sansmoi, tu vas redevenirmisérable etmoi aussi. Tume faismal enmeblessant etpourtant,jeteretrouvecommeça?
–Tunesaismêmepasdequoituparles.Savoixestsourdeetintimidante.–Ahoui?Elleportetont-shirt,putain!Jehurleenregardantlagrossesalopequisauteduplandetravailentirantsurlebas
du t-shirt d’Hardin pour se couvrir les cuisses. Elle est bien plus petite quemoi, on diraitqu’elleporteune robe tropgrande.L’image resteragravéedansmamémoire jusqu’àmondernierjour,brûlantedelaragedecetinstantdepurehargne…
Le puzzle est assemblé. Tout me paraît logiquemaintenant. Il y a quelques heures,j’avaisdesidéessurl’amouretsurlefaitdenejamaisrenoncerquisontbienloindecequeje pense en cemoment. J’avais tort depuis le début.Quand on aime quelqu’un, on ne lelaissepasnousdétruire,onnelelaissepasnoustraînerdanslaboue.Onessaiedel’aider,de lesauver, jusqu’aumomentoùcetamournefonctionneplusquedansunsens,et làsioncontinue,c’estqu’oneststupide.
Sijel’aimais,jenelelaisseraispasmedétruire,si?
J’ai tout essayé encore et encore avecHardin. Je lui ai donné dernière chance aprèsdernièrechanceet,cettefois-ci,j’aicruquetoutiraitbien.J’aivraimentcruqueçapourraitmarcher. Je pensais que si je l’aimais suffisamment, si j’essayais encore un peu plus, çapourraitmarcheretquenouspourrionsêtreheureux.Maisilinterromptmesréflexions.
–Qu’est-cequetufouslà?–Quoi?Tucroyaisquej’allaistelaissert’entirercommeunlâche?Derrière la souffrance, ma colère se met à bouillonner. Son départ me terrifie, mais
j’accepte presque cette décision puisqu’elle s’impose àmoi. Ces sept derniersmois, j’ai étéaffaiblieparlesmotsd’Hardinetlecycledesesrejets,maismaintenantjevoisnotrerelationinstablepourcequ’elleest.
Inévitable.Ça a toujours été inévitable et j’ai dumal à croire qu’ilm’a fallu tout ce temps pour
l’accepter.– Jevais tedonnerunedernière chancedepartir etde revenirà lamaisonavecmoi
maintenant,maissijefranchisleseuildecetteportesanstoi,ceseraterminé.Sonsilenceetlepetitairsatisfaitdesonregardintoxiquémettentlefeuauxpoudres.–C’estbiencequejepensais.Jenecriemêmeplus.Çanesertàrien.Iln’écoutepas.Iln’ajamaisécoutéd’ailleurs.–Tusaisquoi?Tupeuxtoutgarder,tupeuxboireetfumerjusqu’àencrever…(Jefais
un pas vers lui m’arrêtant à quelques pas.) Mais tu n’auras jamais rien d’autre. Alorsprofites-enbien,tantqueçadure.
–Jenevaispasmegêner.Unefoisdeplusilmelacèrel’âme.–Alors,sic’estpastacopine…Marks’adresseàHardin,merappelantquenousnesommespasseulsdanscettepièce.–Jenesuislacopinedepersonne.Monattitude semble avoir stimuléMark ; son sourire grandit et sesmains sedirigent
verslebasdemondosdansunetentativededétournementversleséjour.–Bien,c’estrégléalors.–Baslespattes!HardinpousseMarkdesesdeuxmains,pasassezfortpourlefairetomber,maisassez
pourl’éloignerdemoi.–Dehors,toutdesuite!Hardin passe devant lui pour sortir de l’appartement. Je le suis dans le couloir et
claquelaportederrièremoi.Ilsetirelescheveux,l’humeurdeplusenplusmassacrante.–C’étaitquoiceboxon?Merde!– Tu parles de quoi ? Que je temette le nez dans ton caca ? Tu crois que tu peux
simplementbalancerunbilletd’avionetun trousseaudeclésdansunevalisepourque je
parte?Jetapesursapoitrineenlerepoussantcontrelemur.J’envienspresqueàm’excuser,
j’en viens presque àme sentir coupable de le pousser,mais quand je plongemon regarddans ses pupilles dilatées, toute trace de remords s’efface. Il empeste, il pue l’herbe et labeuverie;ilneresterienduHardinquej’aime.
– Putain, je suis tellement complètement paumé en cemoment que je n’arrive pas àréfléchir. Et encoremoins à pouvoir te donner une putain d’explication pour la millièmefois,merde!
Il hurle et frappe son poing contre lemur en plâtre demauvaise qualité. J’ai été letémoindecettescènebientropsouvent.Celle-ciseraladernière.
–Tun’asmêmepasessayé!Etjen’airienfaitdemal!– Il te faut quoi d’autre, Tessa ? Il faut que je te le dise en quelle langue ? Tire-toi.
Retourned’oùtuviens, làoùest taplace!Tun’asrienàfoutre icid’abord,tun’espas labienvenue.
Quand il arrive au dernier mot, sa voix est neutre, voire douce. Désintéressée, enfinpresque.
J’aiperdutoutecombativité.–Tuescontent?Tuasgagné,Hardin.Tuasencoregagné.Commed’habitude,non?Ilseretourneetajouteenmeregardantdroitdanslesyeux:–Tusaisçamieuxquequiconque,tunecroispas?
14
Tessa
Jenesaispascomment,maisjesuisarrivéeàHeathrowàl’heure.
Kimberlym’aserréedanssesbrasenguised’aurevoirlorsqu’ellem’adéposée,enfinjecrois. Jeme souviens de Smithm’observant simplement, comme s’il calculait une parfaiteinconnue.
Et me voilà assise dans l’avion, à côté d’un siège vide, l’esprit et le cœur tout aussivides.Difficiledeplus se tromper surHardin, çamontreque lesgensnepeuvent changerques’ilsledésirent,peuimportentleseffortsfournisparl’autre.Pourchanger,ilfautqu’ilsleveuillentaussifortquel’autre,sinoniln’yapasd’espoir.
Ilestimpossibledechangerdespersonnesquiontl’espritarrêtésurleurpersonnalité.On ne peut pas les soutenir pour résister à leurs pires inclinations, et on ne peut pas lesaimerpourcompenserlahainequ’ilsontd’eux-mêmes.
C’estuncombatperdud’avanceet je suis,après toutce temps,enfinprêteàdéposerlesarmes.
15
Hardin
LavoixdeJamesrebonditdansmonoreilleetsonpiednumefrottelajoue.
–Mec!Lève-toi.Carlavabientôtarriverettucampesdanslaseulesalledebains.–Vatefairefoutre!Jegrogneetrefermelesyeux.Sijepouvaisbouger,cequejeferais,ceseraitplutôtun
trucgenreluipéterlesdoigtsdepied.–Scott,dégage,putain.Tupeuxsquatterlecanapé,maistuesunconnarddegéantet
j’aienviedepisseretaussidemelaverlesdents.Il appuie sesdoigtsdepied contremon front et j’essaiedem’asseoir. J’ai l’impression
quemoncorpspèseunetonneetquemagorgeetmesyeuxsontenfeu.Jameshurle:–Ilestvivant!–Fermetaputaindegueule!Jemebouchelesoreillesetvaismeréfugierdanslesalon.Desbouteillesdebièrevides
etdesgobeletsrougessontbalancésdansunsacpoubelleparuneJanineàmoitiéàpoiletunMarksurexcité.
–Alors,ilétaitcommentcecarrelagedesalledebains?Markmetoise,unecigaretteentrelesdents.–Tropbien.Jelèvelesyeuxaucieletm’effondresurlecanapé.– Putain, t’étais vraiment une épave. C’est quand que tu as bu comme ça pour la
dernièrefois?–Jesaispas.Jemefrotte les tempesetJaninemetendungobelet.Je faisunsignedetêtepour le
refuser,maisellel’approchedeplusprès.
–Cen’estquedel’eau.–C’estbon.J’aipasenviedefairemonconnardavecelle,maisputain,qu’est-cequ’elleestchiante!
Markcontinue.– T’étais tellement barré. J’ai cru que l’Américaine… Elle s’appelle comment au fait,
Trisha?(J’ailecœurquibatcommeuntaréenentendantsonnom,mêmesicen’estpaslebon.)J’aicruqu’elleallaitretournerl’appart!Unepetitenanabienagressive.
DesimagesdeTessaquimecriedessus,jetteunebouteillecontrelemuretmeplantelà,envahissentbrutalementmamémoire.Lepoidsde ladouleurdesonregardm’enfonceunpeuplusprofondémentdanslecanapéetj’ail’impressionquejevaisencoregerber.
C’estcequ’ilyavaitdemieuxàfaire.C’estvrai.Janinelèvelesyeuxauciel.–Petite?Jenediraispasçacommeça.–J’imaginequetunetefouspasdesagueule.Mon ton est froid malgré mon irrépressible envie de lui balancer le verre d’eau en
pleinefigure.SiJaninecroitqu’ellepeutapprocherlabeautédeTessa,c’estqu’elleasnifféencoreplusdecokequejenelecrois.
–Ellen’estpasaussimincequemoi.Fais ta langue de pute encore une fois, Janine, et je réduis en lambeaux la misérable
confiancequetuasentoi.–Machèresœur,sansvouloirtevexer,cettemeufétaitvraimentbonne,bienplusque
toi.C’estprobablementpourçaqu’Hardinesttellementamouuuureux.–Amoureux?S’ilteplaît!Ill’adégagéehiersoir.Janineremuelecouteaudanslaplaie.–Jenesuispas…Jen’arrivemêmepasfinirlaphrased’unevoixcalme.–Meparlezplusd’elle.Jenedéconnepas.Janinemarmonneun truc inaudible etMark semarre envidantun cendrierdansun
sac poubelle. Je pose la tête sur le coussin derrièremoi et ferme les yeux. Je ne vais paspouvoirdessoûler.Jamais.Passijeveuxqueladouleurs’enaille,passijedoisresterassisici,commeuncon,aveccetroudanslapoitrine.
Jemesensnerveuxetimpatient,j’ailagerbe,jesuiscrevé,onnefaitpaspiremélange.–Ellearrivedansvingtminutes!J’ouvrelesyeuxetjevoisJamesdéjàhabillé,tournantenronddanslepetitséjour.–Onsait.Tagueule.Onpasseparlàunefoisparmois.Janines’allumeunjointetjetendslamainpourl’attraperdèsqu’elleexhalelafumée.
Jedoism’auto-médicamenter ; jenevoispasd’autrepossibilitépourun lâchecommemoi,toutjustecapabledetraînerdansuncoinetdeseplanquerdeladouleurlancinanted’avoirsavieentièrearrachée.
La première latte me fait tousser. La brûlure sèche de l’excès d’herbe a envahi mespoumons. À ma troisième latte, la douleur diminue, l’anesthésie prend le relais. Pastotalementcommeçaledevrait,maisj’ysuispresque.Jevaisretrouvermonétatd’origine.
–Passe-moiçaaussi.JetendslamainverslabouteillequetientJanine.–Iln’estpasencoremidi.–Jenet’aipasdemandél’heurenilamétéo.Jet’aidemandélavodka.Jeluiarrachelabouteilledesmainsetellesoupire,exaspérée.–Alorstuasabandonnélafac?Markfaitdespetitsrondsdefumée.–Non…Merde.–Jenesaispas.Jenesuispasencoreallésiloin.J’avaleunebonnelampéed’alcool,accueillantlabrûlurequiserpentedansmoncorps
vide.Putain,jenesaispascequejevaisfaireaveclafac.Ilnemerestequ’undemi-semestrepourfinir.J’ai rendumesdissertesetdéjàditque jeneparticiperaispasàcetteputaindecérémonie à la con. J’ai aussi un appartement avec tout mon bordel à l’intérieur et unecaissegaréeàl’aéroportdeSeattle.
–Janine,vavoirs’ilyaencoredelavaisselledansl’évier.–Non,c’esttoujoursmoiquimetapelavaisselle,merde…–Jet’inviteàdéjeuner.Jesaisquetun’aspasdefric.LapropositiondeMarkmarche,ellenouslaissetranquillesdansleséjour.J’entends James bouger des trucs dans sa chambre, on a l’impression qu’il refait la
déco.–C’estquicetteCarla?– C’est la copine de James. Elle est vraiment cool en fait,mais elle est un peu snob.
C’estpaslegenrepétasseouconnasse,maisc’estpastropsontruc,toutça.(Markdésigned’ungestel’appartementpourri.)Elleestenfacdemédecineetsesparentsontdupognonettout.
–Alorsqu’est-cequ’ellefoutavecJames,elledéconneouquoi?–Jevousentends,bandedeconnards!Jamesgueuledepuissachambre.Markrigolemaintenant,bienplusquemoi.–Jenesaispas,maisilfaitsafiotteetilrentreenmodepaniquechaquefoisqu’ellese
pointe.EllevitenÉcosse,alorsc’estgenreunefoisparmois,maisc’esttoujourspareil.Ilest
toujoursentraind’essayerdel’impressionner.C’estpourçaqu’ils’estinscritàlafac,mêmes’iladéjàfoirédeuxpartiels.
–Etc’estpourçaqu’ilbaisetasœurtoutletemps?Je hausse un sourcil en posant la question. James n’a jamais été du genre fidèle,
putain,çac’estsûr.Ilpasselatêtedansl’embrasuredelaportepoursedéfendre:– Je ne vois Carla qu’une fois parmois et ça fait des semaines que je n’ai pas baisé
Janine!Maintenant,arrêtezdevousoccuperdemesoignons,sinonjevousdégagetouslesdeuxàcoupsdepieddanslecul!
–C’estbon!Vateraserlescouilles,ouuntrucdanslegenre.Markmepasse le joint. Il tapote l’étiquette de la bouteille de vodkaposée entremes
jambes.– Écoute Scott, je ne suis pas du genre à entrer dans ces conneries de drames
amoureux,maistunetrompespersonneavectonpetitjeuàlacon.–Jenejoueàaucunjeu.–Maisbiensûr !Toutceque jevois, c’estque tu tepointes iciàLondresaprès t’être
barré pendant trois ans, sans parler de cettemeuf que tu as ramenée. Et tu te pintes lagueule.Etenplus,jecroisquetut’espétélamain.
Sesyeuxvontdemonvisageàlabouteilleenpassantparlejoint.– C’est pas tes oignons. Depuis quand ça te fait quelque chose de voir quelqu’un se
ramasserunecuite?Tut’enprendsuneparjour.Markmefaitdeplusenpluschieravecsonbesoinsoudaindefourrersonnezdansma
vie. J’ignore son commentaire surmamain qui, c’est vrai, est en train de virer au vert etviolet.Maiscemurdeplâtreàlacontoutpourrinepeutpasm’avoirpétélamain.
–Faispaslecon,tupeuxconsommertoutcequetuveux.Jenemerappelaispasquetuétaisaussisusceptible;tun’enavaisrienàbattrederienavant.
–Jenesuispassusceptible,tufaistoutunfromagedequedalle.Cettemeufest justedans lamême fac quemoi enAmérique. Je l’ai baisée. Elle voulait voir l’Angleterre, alorselleapayénosbilletspourveniricietjel’aiencorebaiséesurlesterresdenotresouverainelaReine.Findel’histoire.
Je prends une nouvelle bonne gorgée de vodka pour noyer toutes les saloperies quisortentdemabouche.
Markn’atoujourspasl’airconvaincu.–Maisbiensûr!Illèvelesyeuxauciel,unesalehabitudedemerdequ’ilachopéedesasœur.Ilm’emmerde, jeme tournepour le regarderetavantmêmedeparler, je sens labile
remonterdansmagorge.–Bon,quandjel’airencontrée,elleétaitviergeetjel’aibaiséepourgagnerunpariqui
m’avaluunbonpaquetdepognon,alorsnon,jenesuispassusceptible.Ellen’estrienpour
moi…Cette fois-ci, jenepeuxpas ravaler. Jemetsmamain surmaboucheet foncevers la
salledebainsoùjemefaisengueulerparJamesd’avoirgerbépartout.
16
Tessa
–Cetruc,c’estcommeunpetitordinateurportable.
J’appuie sur une icône de mon nouveau gadget. Ce nouvel iPhone a plus defonctionnalitésqu’unordinateur.Jepasseundoigtsurlegrandécranenappuyantsurlespetits carrés. En actionnant la petite caméra, j’ai un sursaut de recul : une imagedemoisous un angle peu flatteur me fait une grimace. Je l’éteins vite, puis appuie sur l’icôneSafari.D’instinct,j’entreunerecherchesurGoogle.Cetéléphoneesttellementbizarre.C’estassezperturbant,maisj’aihâted’apprendreàmanœuvrerlabête.Jenel’aiquedepuisdixminutes,jen’aimêmepasencorequittélemagasin.Toutlemondeal’airdes’enservirtropfacilement,tapotantetglissantlesdoigtssurl’écrangéant;maisilyatellementdechoix.Tropenfait.
Mais bon, je me dis que c’est cool d’avoir autant de choix pour m’occuper. Ce trucpourrait me divertir pendant des heures, peut-être même des jours. Je parcours lesdifférentschoixmusicauxet suis stupéfaited’avoiràportéededoigtune listedechansonssansfin.
–Voussouhaitezquejevousaideàtransférervoscontactsetdossierspersonnelsdansvotrenouveautéléphone?
J’avaisoubliélaprésencedelajeunefillederrièrelecomptoiretcelledeLandon,tantj’étaiscaptivéeetoccupéeàessayerdeprendreenmainmonnouveaujouet.
–Euh,nonmerci.–Vousêtessûre?Çaneprendraqu’uneseconde.Elle insiste, le regard surpris et chargé d’eye-liner, tout enmâchouillant un chewing-
gum.–Jemesouviensdetouslesnumérosdontj’aibesoin.
EllehausselesépaulesetfixeLandonduregard.–J’aibesoindutien,Landon.Celui demamère et celui de Noah ont toujours été les seuls quim’étaient vraiment
nécessaires. Aujourd’hui, il me faut un nouveau départ. Mon nouveau smartphone, toutbeau tout neuf avec ces quelques numérosmémorisés,m’y aidera. Autant j’avais toujoursrefusé d’investir dans un nouveau téléphone, autant je suis contente de l’avoir faitmaintenant. C’est étonnamment rafraîchissant de repartir à zéro : pas de contact, pas dephoto,rien.
Landonm’aideàentrersescoordonnéesetnousquittonslemagasin.–Jetemontreraicommentretrouvertamusique.Detoutefaçon,c’estplusfacilesurcet
appareil.Landon est tout sourires, en entrant sur l’autoroute. Nous revenons du centre
commercial où j’ai dû dépenser beaucoup d’argent pour me refaire une garde-robesuffisantepourtenirunesemaine.
Une rupture nette, voilà ce qu’il me faut. Aucun souvenir, pas de nostalgie enparcourant,imageaprèsimage,unalbumphoto.Jenesaisnioùallerniquoifaire,maiscedontjesuissûre,c’estquem’accrocheràquelquechosequinem’ajamaisappartenunemeblesseraquedavantage.
Aucoursdudéjeuner,jedemandeàLandon:–Tusaiscommentvamonpère?– Ken a appelé pour prendre des nouvelles samedi et ils lui ont dit que Richard
s’adaptait.Lespremiersjoursvontêtrelespires.Landontendlamainpourpiquerquelquesfritesdansmonassiette.–Tusaisquandjepourrailuirendrevisite?Si toutcequimerestec’estmonpère,que jenevoyaisplus jusqu’aumoisdernier,et
Landon,jeveuxresteraussiproched’euxquepossible.–Jenesaispastrop,maisjedemanderaiquandnousrentreronsàlamaison.Landonmeregarde.Sansm’enrendrecompte,jem’agrippeàmonnouveautéléphone
commeàunebouéeenleserrantcontremoncœur.Sesyeuxdébordentdesympathie.–Jesaisqueçanefaitqu’unjour,maisas-turéfléchiàmapropositionpourNewYork?–Oui,unpeu.J’attends d’avoir parlé à Kimberly et Christian avant de prendre une décision. J’ai eu
des nouvelles ce matin et elle m’a annoncé qu’ils rentraient d’Angleterre jeudi. J’essaietoujoursd’assimilerlefaitquenousnesommesquemardi.J’aivraimentl’impressionquecafaitplusdedeuxjoursquej’aiquittéLondres.
Monesprits’envoleverslui:qu’est-ilentraindefaire…ouavecquitraîne-t-il?Est-cequ’il touchecettemorueencemoment?Est-cequ’elleporteencoresont-shirt?Pourquoi
suis-jeentraindemetorturerenpensantàlui?J’aiévitédefaireçacesderniersjoursetlà,jevoissesyeuxvertsinjectésdesangetjesensleboutdesesdoigtsmecaresserlajoue.
Enfouillantdansmavaliseàl’aéroportdeChicago,jesuistombéesurunt-shirtnoiretsale, j’en ai été à la fois blessée et pathétiquement soulagée. J’étais partie pour cherchermonchargeurdetéléphoneetj’aiterminépartrouversonderniercoupbas.Peuimportelenombrede fois où j’ai essayé, je n’ai jamais pume lever pour le jeter dans la poubelle laplusproche. Impossible.Du coup, je l’ai remis au fonddemavalise et je l’ai enterré sousmespropresvêtements.
Tu parles d’une rupture nette…mais jem’accorde cette petite faveur, c’est tellementdur. Mon univers s’est trouvé tellement déchiré, piétiné, et je suis seule à ramasser lesmorceaux…
Non.Commejel’aidécidédansl’avion,jenedoispasmelaisserpasalleràdepareillesidées. Elles nememèneront nulle part.M’apitoyer surmon sort ne fera qu’envenimer lasituation.
– Jepenchedeplus enpluspourNewYork,mais j’ai besoind’unpeuplusde tempspourprendremadécision.
–Bien.(Sonsourireestcontagieux.)Ilnousfaudraitpartirdanstroissemainesenviron,àlafindusemestre.
–Jel’espère.Je soupire, souhaitant désespérément que le temps passe plus vite. Uneminute, une
heure,unjour,unesemaine,unmois,n’importequelleunitédetempsquipasseestbonneàprendreàcestade.
Et c’est le cas, le temps passe et, bizarrement, jeme retrouve à suivre sa course. Leproblème,c’estquejen’aipasencoredécidésic’étaitunebonnechose,oupas.
17
Hardin
Quand j’ouvre la porte d’entrée de l’appartement, je suis surpris de voir toutes les
ampoules allumées. Ce n’est pas le genre de Tessa. Elle est très stricte pour contrôler lesdépensesd’électricité.
–Tess,jesuisrentré.Tueslà?Jesensl’odeurdudînerdanslefour,etnotrepetitestéréodiffuseunemusiquedouce.Je jettemonclasseuretmescléssur la tableetparsàsarecherche.Jeremarquevite
que la porte de la chambre est légèrement entrouverte, puis j’entends des voix qui ensortent,couvrantlamusiquedanslecouloir.Àl’instantoùj’entendssavoix,j’ouvrelaporteengranddansungestedecolère.
–Qu’est-cequec’estquecebordel?Moncrirésonnedanstoutelapièce.–Hardin?Qu’est-cequetufaislà?Commesij’interrompaisquelquechose,Tessatireledessusdelitsursoncorpsnu,un
légersourireauxlèvres.–Cequejefaisici?Qu’est-cequ’ilfoutlà,lui?D’undoigtaccusateur,jedésigneZedquis’extirpedulitpourserhabiller.Tessa continue deme fusiller du regard comme si j’étais une grossemerde posée sur
notrelit.– Tune peuxplus venir ici,Hardin.C’est la troisième fois cemois-ci. (Elle soupire et
baisselavoix.)Tuasrecommencéàboire?Elleposecettequestionsuruntonmêlédesympathieetd’irritation.Zed passe devant le lit et s’interpose entre nous d’eux d’un geste protecteur, il laisse
planersonbrassurson…sonventrearrondi.
Non…–Est-cequetu?Tues…?Toietlui?Lesquestionsm’étouffent.Ellesoupireencore,resserrantlacouvertureautourdesoncorps.–Hardin,onadéjàabordélesujetdenombreusesfois.Tun’habitesplusicidepuis…je
nesaisplustrop,maisjecroisqueçafaitunpeuplusdedeuxans.SontonfactueletlamanièredontellechercheZedduregardpourl’aideràgérermon
intrusionmesontcomplètementétrangers.Jesuisconfus,j’enperdslesouffleetm’effondreàgenouxdevanteux.Puisjesensune
mainsurmonépaule.–Désolé,maisilfautquetuyailles.Tulabouleverses.LavoixdeZedsemoquedoucementdemoi.–Tunepeuxpasmefaireça.Je la supplie en tendant lamain vers son ventrede femmeenceinte.Çanepeut pas
êtrevrai.Çan’estpaspossible.–C’esttafaute.Jesuisdésolée,Hardin,maistoutesttafaute.Zed lui caresse le bras pour la calmer et un sentiment de rage s’empare demoi. Je
fouilledansmespochespourtrouvermonbriquet.Aucundesdeuxnes’enrendcompte,ilsrestent juste collés l’un à l’autre tandis quemonpouce roule sur lemécanisme. La petiteflammeestunebonneamiemaintenant, je l’approchedes rideaux.Mesyeuxse fermentàl’instantoùlevisagedeTessas’illuminedesflammesrageusesquidévorentlapièce.
–Hardin!Le visage de Mark est la première chose que je vois quand j’ouvre les yeux. Je le
repousse et dégage du canapé fissa enme cassant la gueule par terre enmode paniquetotale.
Tessaétait…etj’étais…– Putain mec, tu faisais un rêve de malade. (Mark secoue la tête.) Ça va ? Tu es
trempé.Jeclignedesyeuxplusieursfoisetpasselamaindansmescheveuxtrempésdesueur.
Mamainme fait unmal de chien. Jeme disais que les bleus disparaîtraient rapidement,maisilssontencorelà.
–Çava?–Je...Il faut que jeme tire de là. Il faut que jeme casse ou fasse un truc, n’importe quoi.
L’imagedelapièceenfeuestgravéedansmamémoire.–Prendsçaetrendors-toi,ilestquatreheuredumat’.Ilfaittomberuncachetdansmamaincouvertedesueur.Jehochelatête,incapabledeparler.J’avalelecachetonsansrienetmerallongesurle
canapé.Aprèsunderniercoupd’œil,Markrepartdanssachambreet,demapoche,jesorsmontéléphonepourregarderlaphotodeTessa.
Avantdepouvoirm’enempêcher,mondoigteffleurel’icônepourl’appeler.Jesaisquejenedevraispas,maissijepouvaisentendresavoixneserait-cequ’unefois,peut-êtrequejepourraisdormirenpaix.
«Lenuméroquevousavezcomposén’estpasenserviceactuellement…»m’annoncefroidementunevoixsynthétiqueenregistrée.
Quoi?Jeregardemonécranetjerecommence.Mêmemessage.Encoreetencore.Ellenepeutpasavoirchangédenuméro.Elleneferaitpasça…
«Lenuméroque…»J’entendslemessagepourladixièmefois.Tessaachangédenumérodetéléphone.Unnouveaunuméropours’assurerquejene
puissepaslajoindre.Quand jeme rendors,plusieursheuresplus tard, je faisencoreun rêve. Il commence
commed’habitude, jerentrecheznous,dansnotreappartement,maiscette fois-ci, iln’yapersonneàlamaison.
18
Hardin
–Tunem’aspaslaisséfinircequej’aicommencédimanche.
Janine s’appuie sur moi, la tête posée sur mon épaule. Je bouge un peu pourm’éloignerd’elle,maiselleprendçapourlesignequ’onpeuts’allongersurlecanapé,etserapproche.
–C’estbon.Jelarepoussepourlacentièmefoisdepuisquatrejours.Çafaitvraimentquatrejours?Putain.Ilfaudraitqueletempspasseplusvite,sinonjenesaispascommentjevaissurvivre.–Ilfautquetutedétendes.Jepeuxt’aiderpourça.Ellepassesesdoigtssurlapeaunuedemondos.Çafaitplusieursjoursquejeneme
suispaslavéetquejen’aipasportéunt-shirt.Jen’aipaspumerésoudreàremettrecettemerdeaprèsqueJaninel’aportée.Ilportaitsonodeur,pascelledemonamour.
Putain,Tessa.Jedevienstaré.Jesensquelesjointsquitenaientmonespritàpeuprèsdroitsontentraindes’écarterlesunsdesautres,jusqu’aupointderupture.
C’estcequi sepassechaque foisque jedessoûle :Tessas’infiltremalicieusementdansmon cerveau. Le cauchemar qui m’a torturé hier soir me nargue encore. Je ne lui feraisjamais de mal, pas physiquement. Je l’aime. Je l’aimais. Putain, je l’aime encore et jel’aimeraitoujours,maisiln’yaquedallequejepuisseyfaire.
Jenepeuxpasmebattretouslesjourspourêtreparfaitpourelle.Jenesuispasceluiqu’illuifautetceneserajamaislecas.
–J’aibesoind’unverre.Janineselèvelangoureusementducanapépourallerdanslacuisine,maisquandune
autreimageinopportunedeTessas’incrustedansmatête,jeluigueule:
–Dépêche-toi!Ellerevientavecunebouteilledewhiskydanslesmains,maiss’arrêteetmeregarde:–C’estàmoiquetuparles,là?Situveuxjouerlesenfoirés,aumoinsfaisensorteque
jeneleregrettepas.Jen’aipasquittécetappartementdepuisquej’ysuisarrivé,pasmêmepourdescendre
chercher des fringues propres dans ma voiture de location. James, interrompant là mespensées,annonceenentrantdansleséjour:
– Je pense toujours que tamain est cassée, Carla sait de quoi elle parle. Tu devraisalleràl’hôpital.
–Non,c’estbon.Je serre le poing puis étire mes doigts pour le prouver. Mais la douleur me fait
grimacer,avecquelquesjuronspouraccompagnerletout.Jesaisqu’elleestcassée.Jen’aijustepasenviede lamontrer.Ça faitquatre joursque jeme soignemaintenant,quelquesjourssupplémentairesnevontpasmetuer.
– Ça ne va jamais guérir si tu ne fais rien. Vas-y vite fait et quand tu reviendras, tupourrasavoirunebouteillepourtoitoutseul,insisteJames.
James le connard me manque. Le James qui baisait les filles et montraitl’enregistrementàleurmecuneheureaprès.CepetitcondeJamesquis’inquiètepourmasantéme fait royalement chier. Et Janine surenchérit en cachant la bouteille derrière sondos.
–Ouais,ilaraison,Hardin.–Putain,vousfaiteschier.Enmarmonnant,jechopemesclés,monportableetmetire.J’attrapeunt-shirtsurle
siègearrièredemacaisseetl’enfileavantd’alleràl’hosto.Lasalled’attentedesurgencesestsurpeupléedegaminsbruyantset jemeretrouveà
devoirm’asseoirsur leseulsiège libre,àcôtéd’unSDFgeignardquis’est fait roulersur lepiedparunevoiture.
–Çafaitcombiendetempsquetupoireautes?Jeluidemandeçaalorsqu’ilpuelespoubelles,maisjenepeuxriendireparcequ’ilya
de bonnes chances que j’empeste encore plus que lui. Il me rappelle Richard, je medemande comment il se sort de sa cure de désintox. Le père de Tessa est en cure dedésintoxicationetjemeretrouveàmenoyerdansl’alcool,m’enfumerlecerveaud’herbeetà pimenter le tout avec une pilule de temps en temps, grâce à Mark. Le monde est simerveilleux.
–Deuxheures.–Putaindemerde.Jeronchonnepluspourmoiquepourautrechoseetfixelemur.J’auraisdûsavoirqu’il
nefallaitpasveniriciàvingtheures.
Unedemi-heureplus tard,onappellemonnouveaupoteclodo,cequimepermetderespirerdenouveauparlenez.Unhommeentredanslecouloirenbafouillant:
–Mafiancéeestentraind’accoucher.Ilestvêtud’unechemisebienrepasséeetd’unpantalondetoile. Ilaunetêtequime
ditquelquechose,bizarrement.Quandunepetitebrunetrèsenceintepassedevant lui, jem’enfoncesurmonsiègeen
plastique. Bien sûr, il fallait que ça arrive. Il fallait que je vienne encore bourréme faireexaminerunemain casséepile aumomentoùelle est sur lepointd’accoucher et arriveàl’hôpital.
–Vouspouveznousaider?Elleabesoind’unfauteuilroulant!Elleaperduleseauxilyavingtminutesetsescontractionssontespacéesdeseulementcinqminutes!
Ses conneries de tourner en rond commeun lion en cage rendent les autres patientsdanslasalled’attentenerveux,maislafilleenceinteéclatederiretoutsimplementetserrelamaindesonhommedanslessiennes.Maisbon,çac’estduNatalietoutcraché.
–Çava,jepeuxmarcher.Toutvabien.Natalie explique à l’infirmière que son fiancé, Elijah, panique plus que nécessaire. Il
continue à faire des allers-retours, mais elle reste calme, presque comme une hôtessed’accueil,etj’enrigoledepuismonsiège.C’estlàqu’ellemerepèreetvoitquejel’observe.
Ungrandsourireilluminesonvisage:–Hardin!Quellecoïncidence!C’estçalecôtéradieuxdesfemmesenceintesdonttoutlemondeparle?–Salut.J’évitederegarderverslatêtedesonmec.–J’espèrequetuvasbien.Elles’approchedemoitandisqu’ilparleàl’infirmière.–J’airencontrétaTessal’autrejour.Elleestlà,avectoi?Natalieregardeautourd’elle.Ellenedevraitpasgenrehurleràlamortdedouleur?–Non,elle,euh…Jetentedetrouveruneexplicationmaisjusteàcemoment-là,uneautreinfirmièresort
dubureaudesadmissionsetannonce:–Mademoiselle,noussommesprêtsàvousaccueillir.–Oh,tuentendsça?C’estl’heuredugrandshow.C’étaitsympadetevoir,Hardin!Natalieseretourne,puisregardepar-dessussonépauleetmefaitunpetitsigne.Jemeposesurmoncul,labouchegrandeouverte.Çadoitêtreunemauvaiseblaguevenueduciel.Jenepeuxpasm’empêcherd’êtreun
peu content pour elle ; je n’ai pas complètement détruit son existence… Elle est là,
souriante, folle amoureuse, prête à donner naissance à son premier enfant, tandis que jesuisicitoutseuldansunesalled’attenteblindée,quejepueetquejesuisblessé.
JemesuisfaitrattraperparleKarma.
19
Tessa
–Merci de m’avoir suivie jusqu’ici. Je veux juste déposer la voiture et prendre mes
dernièresaffaires.Landonrestepenchéàlaportièredesavoiture.J’ai eu un doute sur la voiture. Devais-je la laisser ou pas ? Je ne voulais pas
l’abandonner chez Ken parce que j’avais peur de ce qu’Har… il…me dirait ou ferait, s’ilrefaisait éventuellement surface. Le parking de notre immeuble est une bien meilleureoption;c’estunbeauquartier,danslequellapolicepassesouvent,etjenepensepasqu’onpuisseleuréchappersiontentedel’abîmeroulavoler.
–Tuessûrequetuneveuxpasquejemonteavectoi?Jepourraist’aideràportertesaffaires.
– Non, je vais y aller seule. Je n’ai pas grand-chose de toute façon. Je ne vais fairequ’unvoyage,merci.
Cen’estquepurevérité,maislavéritévraie,c’estquejeveuxjustefairemesadieuxànotreancienappartementtouteseule.Sanspersonne:c’estplussimplecommeça.
Dansl’entréedel’immeuble,j’essaiederefoulerlesvieuxsouvenirs.Jenedoispenseràrien : des espaces blancs et des fleurs blanches et de la moquette blanche et des mursblancs.Jenepensepasàlui.Seulementàdestrucsblancs,desfleurs,desmurs,paslui.
Mais bon, mon esprit a d’autres idées pour moi et, doucement, les murs blancs seretrouvent striés de noir, lamoquette souillée de taches de peinture noire et les fleurs sefanentetpourrissent,laissantdesreliquatsnoirsquis’envolent.
Je ne suis ici que pour récupérer quelques affaires, un carton de vêtements, monclasseur pour les cours. C’est tout. L’affaire me prendra cinq minutes tout au plus. Cinqminutesnesuffisentpaspoursefaireaspirerparlesténèbres.
Ça fait quatre joursmaintenant, et je suis de plus en plus forte. C’est plus facile derespirer à chaque seconde qui passe sans lui. Revenir ici, dans cet appartement, pourraitporteruncoupterribleàmesprogrès,maisj’aibesoindefranchircecapsijeveuxpasseràautrechoseetnejamaisregarderenarrière.JeparspourNewYork.
Je vais renoncer au semestre d’été à la fac que je prévoyais de faire, etm’appropriercettevillequivadevenirlamienne,aumoinspourquelquesannées.Quandj’yserai,jen’enpartiraipasavantd’avoir terminé la fac.Si jemefais transférerdansuneautreuniversité,mondossieruniversitaireenseraentaché,alorsjedoisresteraumêmeendroitjusqu’àlafin.Etcetendroit,ceseraNewYorkCity.L’idéeesteffrayanteetmamèreneserapascontente,maiscettedécisionnelaconcernepas.C’estmonchoix,etjeprendsenfindesdécisionsenmebasantseulementsurmesbesoinsetenpensantàmonavenir.Monpèresortiradesonprogramme de désintoxication quand je serai installée et si c’est possible, j’adorerais qu’ilnousrendevisiteLandonetmoi.
Je commence à paniquer rien qu’en pensant àmonmanque de préparation pour cedéménagement,maisLandonvam’aideràréglerlesderniersdétails;nousavonspassélesdeux dernières journées à envoyer des candidatures pour tout un tas de boursesuniversitaires.Kenm’arédigéetenvoyéunelettrederecommandationetKarenm’aaidéeàchercherunjobàtempspartielsurGoogle.Sophiaaussiétaitlàtouslesjours,àmedonnerdestuyauxsurlesmeilleurscoinsdelavilleetàm’avertirdesdangersqu’ilyaàvivredansunevilledecettetaille.Elleaétégentilleetaproposédeparleràsonpatronpourm’aiderà trouver un boulot d’hôtesse d’accueil dans le restaurant dans lequel elle-même vatravailler.
Ken,KarenetLandonm’ontrecommandédesimplementdemanderàêtremutéedansla nouvelle branche des Éditions Vance qui va ouvrir dans les prochainsmois. Ilme seraimpossibledevivreàNewYorksansunesourcederevenus,maisc’esttoutaussiimpossiblede trouver un stage rémunéré avant d’avoir décroché mon diplôme universitaire. Je n’aitoujourspasparléàKimberlydemondéménagement,mais ellea tropde chosesà réglerelle-mêmeencemoment;enplus,ilsviennentjustederentrerdeLondresetc’estàpeinesij’aieudesesnouvelles, seulementunpetit textode tempsen temps,maisellem’apromisd’appelerdèsqueleschosesseserontcalmées.
Enenfonçantma clédans la serruredenotre appartement, je suis frappéepar l’idéequejemesuismiseàhaïrcetendroitdepuisladernièrefoisquej’ysuisvenue.J’aidumalàcroirequeje l’aitantaimé.Enentrant, jevoisquela lumièreduséjourestrestéeallumée,c’est tellement lui de partir en voyage à l’autre bout dumonde en laissant une ampouleallumée.
Au fond, ça ne fait qu’une semaine. Apprécier le temps est difficile lorsqu’on est enenfer.
Je vais directement dans la chambre pour récupérer le classeur pour lequel je suisvenue.Aucuneraisonde fairedurerçaplusquenécessaire. Iln’estpas sur l’étagèreoù jepensais l’avoir laissé, ce qui m’oblige à fouiller dans les piles de papiers d’Hardin. Il l’aprobablementfourrédansunearmoireenessayantderangerlapièceenbazar.
La vieille boîte à chaussures est toujours sur l’étagère et ma curiosité l’emporte. Jel’attrapeetm’assiedsentailleurparterre.J’enlèvelecouvercleetleposeàcôtédemoi.Laboîte est pleine de feuilles couvertes d’une écriture manuscrite recto verso sur des lignesinégales.Jeremarqueensuitequecertainesfeuillessontimpriméesetjechoisisdelirecelles-ci.
Vousmepercez le cœur !Nemeditespasqu’il est trop tard !Quecesprécieuxsentimentssont perdus pour toujours. Jem’offre à vousavecun cœurqui vousappartient encore plus quelorsquevousl’avezbriséilyahuitans.Neditespasquel’hommeoublieplustôtquelafemme,quesonamourmeurtplusvite.Jen’aijamaisaiméquevous1.
Je reconnais immédiatement les mots de Jane Austen. Je parcours quelques pages,repérantdescitationsde-ci,desmensongesde-là,alorsjepréfèremetournerversl’unedespagesmanuscrites.
Ce jour-là, le cinquième, est celui où le poids s’est installé dans ma poitrine. Un rappelconstantdecequej’avaisfaitettrèscertainementperdu.J’auraisdûl’appelercejour-làquandjeregardaissesphotos.Est-cequ’elleaussirestebloquéesurlesphotosdemoi?Ellen’enaqu’uneseuleet,combledel’ironie,jemeprendsàregretterdenepasl’avoirlaisséeenprendreplus.C’estau cinquième jour que j’ai explosé mon téléphone contre le mur en espérant le détruirecomplètement,maisjen’airéussiqu’àpéterl’écran.C’estaucinquièmejourquejemesuismisàespérer comme unmalade qu’elle m’appelle. Si elle m’appelle, alors ça ira, tout ira bien. Onprésenteratouslesdeuxdesexcusesetjerentreraiàlamaison.
Enlisantleparagraphepourlasecondefois,mesyeuxsontpleinsdelarmes.Pourquoi jeme tortureen lisant ça? Ildoit avoir écrit ce truc il y a longtemps, juste
après son retour de Londres la dernière fois. Il a complètement changé d’avis, il ne veutplusrienavoiràfaireavecmoiet,enfindecompte,çameva.Jen’aipaslechoix.Jevaislireunautreparagrapheetjeremettrailecouverclesurlaboîteàchaussures.Justeunseul.Jemeleprometsàmoi-même.
Lesixièmejour,jemesuisréveilléaveclesyeuxenflésetinjectésdesang.Jen’arrivaispasàcroireque j’avaisperdu lespédales la veille. Lepoids surmapoitrine était encoreplus lourdàporteretj’avaisdumalàyvoirclair.Pourquoisuis-jeunetellemerde?Pourquoiai-jecontinuéàlatraitercommeunemerde?Elleestlapremièrepersonneàavoirétécapabledemevoir,de
voirenmoi,levraimoi,etjel’aitraitéecommedelamerde.J’airejetétouteresponsabilitésurellealorsqu’enfait,c’estmafaute.Çaatoujoursétémafaute.Mêmequandjesemblaisnerienfaire demal. J’ai été grossier avec elle quand elle a essayé deme parler. Je lui ai crié dessusquandellem’amismesconneriessouslenezetjen’aipasarrêtédeluimentir.Ellem’atoujourstoutpardonné.Jepouvaistoujourscomptersurelleetc’estpeut-êtrepourçaquejel’aitraitéedecettemanière,parcequejesavaisquejelepouvais.J’aidéfoncémontéléphonesousletalondemabottelesixièmejour.
Çayest.Jenepeuxplusrienliresansperdrelepeudeforcequej’airécupéréedepuisquejel’ailaisséàLondres.Jejettelespagesdanslaboîteetfermelecouvercled’ungrandcoup.Des larmes inopportunes jaillissentdemesyeuxet jen’arrivepasàpartird’iciassezvite.Jepréfèreencoreappelerleserviceadministratifpourobtenirunduplicatadetousmespapiersquederesteruneminutedeplusdanscetappartement.
Jelaisselaboîteàchaussuresparterre,làoùelleest,etreparsdanslasalledebainspourvérifierquemonmaquillagen’apascouléavantderedescendrefaire faceàLandon.J’ouvrelaporte,j’allumelalumièreetjepousseuncridesurprisequandmonpiedseprenddansquelquechose.
Quelqu’un…Monsangnefaitqu’untouretj’essaiedemeconcentrersurlecorpsparterredansla
salledebains.Cen’estpaspossible.MonDieu,pitié,faitesquecenesoitpas…Monregardseconcentrepourdécouvrirquelamoitiédemaprièreaétéentendue.Ce
n’estpaslegarçonquim’aquittéequiestallongéparterreàmespieds.C’estmonpère,avecuneseringueplantéedanslebrasetlevisagedépourvudetoute
couleur.Lamoitiéducauchemar.
1.Persuasion,JaneAusten,ChapitreXXIII,traductionLetorsay,LibrairieHachette,1882,Paris.
20
Hardin
Leslunettesdumédecingrassouilletsontperchéesauboutdesonnezetjepeuxliredans
ses yeux le fond de sa pensée. J’imagine qu’il est toujours énervé dem’avoir vu péter uncâblequandilm’ademandépourladixièmefoissij’étaissûrd’avoircognéunmur.Jesaiscequ’ilpense,maisilpeutallersefairefoutre.
–Vousavezunefracturedumétacarpe.–Etenclair,çadonnequoi?Je marmonne. Je suis pratiquement calmé, mais j’en ai toujours ras-le-bol de ses
questions à la con et de ses regards en biais. À travailler dans l’un des gros hôpitaux deLondres, il a certainement vu des cas pires que le mien, mais il me regarde toujours detraverschaquefoisqu’ilenal’occasion.
–C’estca-ssé.Votremainestcasséeet ilva falloirporterunplâtrependantquelquessemaines. Je vais vous faire une ordonnance pour vous donner quelque chose contre ladouleur,maisilvafalloirattendre,attendrequelesosseressoudentensemble.
Jene saispascequiest leplus risible : l’idéed’avoirunplâtreouqu’ilpuissepenserque j’ai besoin d’aide pour dominer la douleur. Il n’y a rien qu’un pharmacien puissemedonnerpourm’aideràgérercettesouffrance.Àmoinsqu’ilsaientuneblondealtruisteauxyeuxbleugrisenstock,ilsn’ontrienquipuissemeconvenir.
Une heure plus tard, ma main et mon poignet sont couverts d’un gros plâtre. J’aiessayédenepasmefoutredelagueuleduvieuxbonhommequandilm’ademandéquellecouleurjevoulais.Jemesouviensquequandj’étaispetit,jevoulaisavoirunplâtrepourquetousmesamispuissentsignerleurnomdessusetyfassentdesdessinsstupidesaumarqueurindélébile ;dommageque jen’aiepaseud’amisavantde trouvermaplaceentreMarketJames.
Ilsontchangé, ilsnesontpluscommelorsqu’ilsétaientados.Enfin,Markesttoujoursunconnardaucerveaugrilléparl’abusdesaloperies.Riennepourrachangerça.Maisleschangementsdansleurpersonnalitésontassezflagrants.Jamessefaitmenerparleboutdunez par une étudiante en médecine, ce à quoi je ne me serais jamais attendu. Mark esttoujoursun taréquivitdansunmondedépourvudeconséquences,mais il s’estadouci, ilest plus calme et à l’aise avec lui-même. Quelque part, au cours de ces trois dernièresannées, ilsont tous lesdeuxperducetteduretéqui lesprotégeait commeunecouverture.Non, comme un bouclier. Je ne sais pas ce qui a provoqué ce changement, mais vu masituationactuelle,jeneleprendspasdegaietédecœur.Jem’attendaisàrevoirlesmêmesenfoirésqu’ilyatroisans,maiscesgars-làsontauxabonnésabsents.
Oui, ilsseshootenttoujoursplusqu’ilesthumainementpossibledelesupporter,maiscenesontpaslesmêmesdélinquantsmalveillantsquej’ailaissésàLondresenpartant.
–Passezparlapharmacieavantdepartir.Lemédecinme faitunbrefmouvementde têtepourme saluer etme laisse tout seul
danslasalled’examen.–Putain.Je tape sur la surface rigide de ce plâtre à la con. C’est lamerde. Est-ce que je vais
pouvoirconduire?Écrire?Putain,non.Jen’aipasbesoind’écriredetoutefaçon.Jedoisarrêtercesconneriestout
de suite, ça a assez duré ; mon cerveau dessoûlé n’arrête pas de me jouer des tours, yinsinuant des idées et des souvenirs quand je suis trop distrait pour les garder à bonnedistance.
LadéesseduKarman’arrêtepasdemerenvoyerpleindetrucsàlagueuleet,fidèleàsaréputationdebonnegrossesalope,ellecontinueàsefoutredemoi.Lorsquejesorsmonportabledemapoche,jevoislenomdeLandonapparaîtresurl’écran.J’ignorel’appeletjefourrecettemerdeaufonddemapoche.
Putain,j’aivraimentfoutulebordel.
21
Tessa
–Ellevarestercombiendetempscommeça?
Landoninterrogequelqu’un,quelquepartàcôtédemoi.Toussecomportentcommesijenepouvaispaslesentendre,commesijen’étaismême
pas là, mais ça m’est égal. Je ne veux pas être ici et c’est agréable d’être présente maispourtantinvisible.
Karenréponddoucementàsonfils.–Jenesaispas,chéri.Elleestenétatdechoc.Enétatdechoc?Maisnon.–J’auraisdûmonteravecelle!Landonsanglote.SijepouvaisdétournerleregarddumurcouleurblanccassédusalondesScott,jesais
quejeleverraisdanslesbrasdesamère.–Elleest restée touteseuleavecunmortpendantpresqueuneheure.J’aicruqu’elle
rassemblaitsesaffaireset faisaitsesadieux,mais je l’ai laisséetouteseuleavecuncadavrependantuneheure!
Landon pleure tellement, je devrais le consoler, c’est ce que je devrais faire, et je leferaissijelepouvais.
–Oh!Landon.Karenaussipleure.Toutlemondesemblepleurersaufmoi.Qu’est-cequinevapaschezmoi?–Cen’estpastafaute.Tunepouvaispassavoirqu’ilseraitlà;tunepouvaispassavoir
qu’ilavaitrenoncéàsacure.
À un moment donné, entre quelques murmures chuchotés et plusieurs doucestentativesdemefairebougerdemaplaceparterre,lesoleils’estcouchéetlestentativessesont espacées, jusqu’à ce qu’ils abandonnent complètement et me laissent seule dansl’immensepièce,lesgenouxpresséscontremapoitrineetlesyeuxrivéssurlemurd’enface,sansjamaischangerdeposition.
Entre lesbribesdeconversationet lesordresdonnéspar lespompierset lespoliciers,j’aiapprisquemonpèreétaitmort.Jel’aisudèsquejel’aivu,puisj’enaiétésûrequandjel’ai touché. Ilsont rendu lanouvelleofficielle. Il estmortde sapropremain, enpoussantune seringue dans sa veine. Les sachets d’héroïne trouvés dans la poche de son jeanparlaientd’eux-mêmes,onconnaissaitsonprogrammepourleweek-end.Sonvisageétaitsipâle qu’il était complètement blanc et,maintenant, l’image que j’ai en tête est celui d’unmasque, pas d’un visage humain. Il était tout seul dans l’appartement quand ça s’estproduit, il étaitmortdepuisdesheuresquand je suis tombéesur soncorps.Savie,enfuiequand l’héroïne est sortie de la seringue,me conduit à haïr encore plus cet appartementinfernal.
C’estexactementça.Cetappartementétaitunenfercachéderrièreunmurdebriquesetdesbibliothèques, il l’aétédès l’instantoùj’ysuisentrée.Cessatanésdétailscharmantscachaient tous les démons de mon existence, qui me sont revenus en pleine figure. Si jen’avaisjamaisfranchileseuildecetteporte,mavieseraitencoreentière.
J’auraisgardémavertu;jenel’auraispasdonnéeàunhommequinem’aimeraitpasassezpourrester.
J’auraisgardémamère;ellen’apasgrand-chosedelafigurematernelle,maiselleestlaseulefamillequimerestemaintenant.
J’aurais gardé un endroit où vivre et je n’aurais jamais renoué avec mon père pourtrouversoncorpssansviesurlecarrelagedelasalledebainsàpeinedeuxmoisplustard.
Je vois très bien quelle direction prennent mes sombres pensées, là où ellesm’entraînent,mais je n’ai plus la force de les combattre. Jeme suis battue pour quelquechose,pourcequejecroyaisêtretout,pendantbientroplongtemps,et jenepeuxpluslefaire.
–Est-cequ’elleaunpeudormi?LavoixdeKenestgraveetprudente.Le soleil s’est levémaintenantet jen’arrivepasà trouver la réponseà laquestionde
Ken.Est-cequej’aidormi?Jenemerappellepasm’êtreendormieniréveillée,maisilnemesemblepaspossiblequej’aiepasséunenuitentièreàfixercemurblanc.
–Jenesaispas,ellen’apasbeaucoupbougédepuishiersoir.
Latristessecontenuedanslavoixdemonmeilleuramiestprofondeetdouloureuse.–Samèreaappeléilyauneheure.Hardint’a-t-ilrépondu?Cenom,sortantdelabouchedeKen,m’auraitsimplementtuée…sijen’étaispasdéjà
morte.–Non, il ne répond pas àmes appels et j’ai fait le numéro que tum’as donné pour
joindreTrish,maisellenerépondpasellenonplus.Jepensequ’elleesttoujoursenlunedemiel.Jenesaispasquoifaire,elleestsi…
–Jesais.Elleajustebesoindetemps,l’expérienceadûlatraumatiser.J’essaietoujoursdecomprendrecommentçaapuarriveretpourquoijen’aipasétéinforméqu’ilavaitquittélaclinique.J’avaisdonnédesordrestrèsstrictsetpasmald’argentpourqu’ilsm’appellentsiquoiquecesoitseproduisait.
JeveuxdireàKenetLandond’arrêterdeseblâmerpour leserreursdemonpère.Siunepersonneest fautive,c’estbienmoi. Jen’aurais jamaisdûalleràLondres. J’auraisdûrester ici pour le surveiller. Au lieu de ça, j’étais à l’autre bout du monde, à essayer desurvivre àunautredeuil, etRichardYoung combattait, puisperdait la bataille contre sespropresdémons,toutseul.
LavoixdeKarenmeréveille,oumesortdematranse,plutôt.Peuimporte.–Tessa,s’ilteplaît,boisunpeud’eau.Çavafairedeuxjours,machérie.Tamamanva
venirtechercher,moncœur.J’espèrequeçavaaller.La personne que je considère le plus comme ma vraie mère me cajole doucement,
essayantdepercermabulle.J’essaiedehocherlatête,maismoncorpsneveutpasobéir.Jenesaispascequineva
paschezmoi,maisàl’intérieurjecrieetpersonnenepeutm’entendre.Peut-être que je suis en état de choc, après tout. Ce n’est pas si mal comme état.
J’aimeraisbienrestericiaussilongtempsquepossible.Çafaitmoinsmal.
22
Hardin
L’appartement est encore blindé de monde. J’en suis à mon deuxième verre et à mon
premier joint. La brûlure constante de l’alcool sur ma langue et la fumée dans mespoumons commencent àm’atteindre.Si rester sobrene faisait pas simal, jene toucheraisplusàcesmerdes.
–Çafaitdeuxjours,etcettesaloperiemegrattedéjà.J’essaiedemeplaindreàquiconqueveutbienm’entendre.–C’estnaze,mec,maislaprochainefois,tuneferaspasdetroudanslemur,ok?Markaunsouriresarcastique.–Biensûrquesi.JamesetJaninemevannentdeconcert.Janinetendlamainversmoi.–Donne-moiuneautredetespilulescontreladouleur.Cetteconnassede junkieadéjàconsommé lamoitiédemaréserveenmoinsdedeux
jours.Nonpasque j’enaiequoiquecesoità foutre, jen’enaipasbesoinetunechoseestcertaine, jeme tape complètement de ce qu’elle prend. Au début, j’ai cru que les cachetsm’aideraient à planer un peu plus que les saloperies de James, mais en fait non. Ils mefatiguent, ce qui me fait dormir, ce qui me fait avoir des cauchemars, ce qui me faitsystématiquementpenseràelle.
Jelèvelesyeuxauciel.–Jevaistoutestelesfiler.Je vais chercher les cachetons dans la chambre de Mark, sous une petite pile de
fringues.Çavabientôt faireunesemaineet jen’ai changédevêtementsqu’uneseule fois.Avant qu’elle se tire, Carla, la gonzesse emmerdante avec le complexe du sauveur, a
raccommodé les trous demon jean avec du fil et une aiguille. Je l’aurais bien engueuléecommedupoissonpourri,maisJamesm’auraitbottéleculsij’avaisfaitça.
–Allô?Iciletéléphoned’HardinScott.J’entendslavoixhautperchéedeJanines’échapperduséjour.Putain!J’ailaissémontéléphonesurlatable.Commejeneréagispasimmédiatement,j’entendsJaninepoursuivreavecinsolence:–MonsieurScottestoccupépourl’instant,puis-jedemanderquichercheàlejoindre?–Passe-moicetéléphone,toutdesuite.Endeuxtemps troismouvements, jesuisdans lapièceet luibalance lescachetspour
qu’ellelâchel’appareil.J’essaie de rester calme quand elle les laisse tomber par terre, me fait un doigt
d’honneuretcontinuedeparler.Putain,j’enaimarredesesconneries.– Oooooh, Landon, c’est chaud bouillant comme petit nom ça, et tu es américain.
J’adorelesAméricains…Sansgrandesubtilité,jeluiarracheletéléphonedesmainsetlecolleàmonoreille.– Qu’est-ce que tu veux, Landon ? Tu ne crois pas que si j’avais envie de te parler,
j’auraisréponduaux…jenesaisplustropauxtrentedernièresfoisoùtuasappelé?–Tusaisquoi,Hardin?Vatefairefoutre!Tun’esqu’unconnardégoïste, j’auraisdû
savoir qu’il y avait mieux à faire que de t’appeler. Elle s’en sortira sans toi, commed’habitude.
Ilraccroche.Sesortirdequoi?Dequoiilparle,merde?Est-cequejen’aipasenviedelesavoir?Ok, personne n’y croit. Bien sûr que j’ai envie de savoir, putain. Je le rappelle
immédiatement et navigue entre plusieurs personnes pour trouver un peu de calme etd’intimité dans l’entrée. Je sens une vague de panique monter, et mon esprit maladeconcocte déjà le pire des scénarios possibles. Quand Janine se faufile dans le couloir,visiblementpourm’espionner, je vaisdirect vers lavoiturede locationque jen’ai toujourspasrendue.
–Quoi?LetondeLandonpourmerépondreestcassant…–Dequoituparles?Qu’est-cequis’estpassé?(Ellevabien,hein?Çanepeutpasêtre
autrechose.)Landon,dis-moiqu’ellevabien.Jen’aipaslapatienced’encaissersonmutisme.–C’estRichard,ilestmort.C’estbienloindeceàquoijem’attendais.Jelesensàtraverslebrouillarddanslequel
jenage.J’aicettesensationdedeuilquim’aiguillonneet,putain,jedétesteça.Jenedevraispasleressentir,jeleconnaissaismêmepascetoxico…cemec.
–OùestTessa?
C’estpourçaqueLandonm’aappeléaussisouvent.Paspourmefairelamoraled’avoirquittéTessa,maispourmefairesavoirquesonpèreétaitmort.
–Elleestici,àlamaison,maissamèreestenroutepourvenirlachercher.Elleestenétatdechoc,jecrois;ellen’apasditunmotdepuisqu’ellel’atrouvé.
Ladernièrepartiedesaphrasemefaittournerlatêteetmedonneenviedeserrermonpoingcontremapoitrine.
–Commentça,ellel’atrouvé?C’estquoicemerdier?–Ouais.La voix de Landon se brise à l’autre bout de la ligne téléphonique et je l’entends
pleurer.Etçanemefaitpasautantchierqued’habitude.–Putain!Pourquoiest-cequ’untrucpareilestarrivé?Commentest-cequeçaapuarriverjusteaprès
quejel’airenvoyéechezelle?–Oùétait-elle,oùétaitlecorps?– Dans votre appartement. Elle y est allée pour récupérer ses dernières affaires et
déposertavoiture.Bien sûr,même après tout ça etmême avec lamanière dont je l’ai traitée, elle a été
assezprévenantepourpenseràmavoiture.Jemeforceàprononcercesmotsqu’àlafoisjeveuxetneveuxpasdire:–Passe-lamoi,jevaisluiparler.J’aienvied’entendrelesondesavoix;j’aitouchélefond,jemesuisendormilesdeux
dernières nuits en écoutant le message automatique me rappelant qu’elle a changé denuméro.
–Tunem’aspasentendu,Hardin?(Landonestexaspéré.)Ellen’apasditunmotnibougécesdeuxderniersjours,saufpourallerauxtoilettesetencore,jen’ensuismêmepassûr.Jenel’aipasvuebougerdutout.Elleneboitrien,nemangeriennonplus.
Toutescesconneriesquejerepousse,quej’essaied’ignorer,mesubmergentetmefontcouler. Je me contrefous des répercussions, je me tape que le dernier cheveu de santémentalequime restedisparaisse : j’aibesoinde luiparler. J’arriveprèsde lavoitureet jemontededans.Jesaisimmédiatementcequejedoisfaire,c’esttrèsclair.
–Posesimplementletéléphonecontresonoreille.Fais-moiconfiance,c’esttout.PourvuqueLandonm’écoute. Jedémarre lavoiture,priant silencieusementpourque
qui que ce soit là-haut fasse en sorte que je ne me fasse pas arrêter sur le chemin del’aéroport.
–J’aipeurquesiellet’entend,toutempire.Jemets lehaut-parleurdutéléphoneetaugmente levolumeaumaximum,et jepose
monportablesurletableaudebord.–Putain,Landon!
Je tape mon plâtre contre le volant. C’est assez dur comme ça de conduire avec ceputaindetruc.
–Poseletéléphonecontresonoreille,maintenant,s’ilteplaît.J’essaie de garder une voix calme et contrôlée endépit du cyclone quime ravagede
l’intérieur.–Bien,maisnedisrienquilabouleverse.Elleenadéjàassezbavécommeça.–Nemeparlepascommesitulaconnaissaismieuxquemoi!Ma colère contre mon beau-frère-qui-sait-tout a atteint un nouveau sommet et j’en
quittemafilesurlarouteenluigueulantdessus.–Peut-êtrepas,maistusaisquoi?Jesaisquetuesungroscondeluiavoirfaitsubir
Dieusaitquoiencore.Ettusaisquoid’autre?Situn’étaispasaussiégoïste,tuauraisétéiciavecelleetelleneseraitpasdanscetétatàl’heureactuelle.Oh!etunedernièrechose…
– Assez ! (Je tape encore mon plâtre contre le volant.) Putain, pose simplement letéléphone contre son oreille. Que tu joues au con ne va pas faire avancer le problème.Alors,tumelapassesautéléphoneetfissa!
UnmomentdesilenceprécèdelavoixdeLandonquiparledoucement:–Tessa?Tum’entends?Biensûrqueoui.(Ilritàmoitié.J’entendslatristessedanssa
voixtandisqu’ill’amadoue.)Hardinestautéléphoneetil…Unedoucepsalmodies’infiltredans lehaut-parleuret jemepenchevers le téléphone
pouressayerdemieuxentendre.C’estquoiça?Lechantcontinuequelquessecondes,basettroublant,etjemetsunlongmomentpourcomprendrequec’estlavoixdeTessaquirépètesanscesselemêmemot:
–Non,non,non, (elle répète sansdiscontinuerni ralentir)non,non,non,non,non,non…
Cequirestedemoncœurexploseentropdepiècespourpouvoirlescompter.–Non,pitié,non!Oh,monDieu!Maintenantellecrie.–C’estbon,c’estbon.Tun’aspasbesoindeluiparler…Ilraccrocheetjerappelle,sachantquepersonnenevamerépondre.
23
Tessa
–Jevaistesoulevermaintenant.
C’estunevoixbienconnue,quejen’aipasentenduedepuistroplongtemps,quiessaiedemeréconforter.
Desbrasvigoureuxmesoulèventdusoletm’enveloppentcommeuneenfant.J’enfouismonvisagedans le coudeNoah, jeme love contre sapoitrine robuste et je
fermelesyeux.Lavoixdemamèreestlà,elleaussi.Jenelavoispas,maisjepeuxl’entendre.–Qu’est-cequ’illuiarrive?Pourquoineparle-t-ellepas?Kenessaiedelarassurer.–Elleestjusteenétatdechoc.Ellevabientôts’ensort…–Ehbien,quesuis-jecenséefaired’ellesiellenem’adressemêmepaslaparole?Noah,capabledegérermamèreaucœurdepierrecommepersonne,ditdoucement:– Carol, elle a découvert le corps de son père il y a quelques jours. Ayez un peu
d’indulgencepourelle.Jen’aijamaisétéaussisoulagéed’êtredanslesbrasdeNoahdetoutemavie.Autant j’aime Landon et je suis reconnaissante envers sa famille, autant j’ai besoin
d’être emportée loin de cettemaison. J’ai besoin de quelqu’un commemon plus vieil amimaintenant.Quelqu’unquimeconnaissaitavant.
Jedeviensfolle,jesaisquec’estvrai.Monespritnefonctionnepascommeilledevraitdepuisquemonpiedestentréencontactavecletrèsrigideettrèsimmobilecorpsdemonpère. Je n’ai pas été capable de détacher une seule pensée rationnelle de mon cerveaudepuisquej’aicriésonnomet l’aisecouési fortquesamâchoires’estouverte,puisquelaseringueestsortiedesonbras,atterrissantsurlecarrelageenproduisantunpetitbruitsec
qui résonne encore dans mon esprit en panne. Un petit bruit tout simple. Un petit bruitabsolumentabominable.
J’aisentiquelquechoseserompreenmoiquandlamaindemonpères’estdégagéedelamienne,dansunspasmemusculaireinvolontairedontlasignificationm’échappeencore.Je dois décider si ce spasme a vraiment existé ou si ma tête a créé un faux sentimentd’espoir.Unespoirquis’estviteévaporéquandj’airevérifiésonpoulspournerientrouver,etquemonregardaplongédanssonregardmort.
LemouvementdespasdeNoahquim’aideàtraverserlamaisonmebercecalmement.Landondemandedoucement:
–J’appellerai sur son téléphonepourprendredesesnouvellesdansquelquesheures.Est-cequevouspourriezrépondrepourquejesachecommentelleva?
Je veux savoir comment va Landon ; j’espère qu’il n’a pas vu ce que j’ai eu sous lesyeux,jen’arrivepasàm’ensouvenir.
Jesaisque je tenais la têtedemonpèreentremesmainset jepenseque jecriais,ouquejepleurais,voirelesdeux,quandj’aientenduLandonentrerdansl’appartement.Jemesouviens qu’il m’a un peu brusquée pour que je laisse partir l’homme que je commençaisseulement à connaître, mais après ça, mon esprit saute directement au moment oùl’ambulanceestarrivéeettouts’effacejusqu’àcequejemeretrouveassiseparterredanslamaisondesScott.
–Promis.Noahouvrelaportedelamoustiquaire.De froides gouttes de pluie s’écrasent surmon visage, chassant plusieurs journées de
larmesetdesaleté.–Toutvabien.Onrentreàlamaisonmaintenant,toutvabiensepasser.LesmainsdeNoah repoussentdemon frontmescheveux trempésdepluie. Jegarde
lesyeuxfermésetreposemajouecontresapoitrine;sonbattementpuissantmerappellelemomentoùj’aicollémonoreillecontrelapoitrinedemonpèrepourydéceler,envain,unpoulsoulesigned’unerespiration.
–Toutvabien.Toutcommeaubonvieuxtemps, lorsqu’ilvenaitàmarescoussequand lesaddictions
demonpèrefaisaientdesravages.Mais là, il n’y a pas de serre pour se cacher, pas cette fois-ci. Là, il n’y a que les
ténèbresetpasd’échappatoireenvue.–Onrentreàlamaisonmaintenant.Noahm’installedanslavoiture,ilestvraimentadorable,maisilnesaitpasquejen’ai
plusdemaison?
Les aiguilles de l’horloge bougent si lentement. Plus je les regarde, plus elles se
moquent de moi, ralentissant chaque mouvement. Mon ancienne chambre est tellementgrande, j’auraispu jurerquec’étaitune toutepetitepièce,mais là, j’ai l’impressionqu’elleesténorme.C’estpeut-êtremoiquimesenspetite?Jemesenslégèreaussi,pluslégèrequeladernièrefoisquej’aidormidanscelit.J’ail’impressionquejepourraispartirenvoletantet que personne ne s’en rendrait compte. Mes idées ne sont pas normales, j’en suisconsciente.Noahme le répète chaque fois qu’il essaie demeparler pourme faire revenirparmilesvivants.Ilestlàencemoment; ilnem’apasquittéedepuisquejesuisallongéedanscelit.Dieuseulsaitcombiendetempsçafait.
– Tout va s’arranger, Tessa. Le temps guérit tout. Tu te souviens, c’est ce que disaittoujoursnotrepasteur.
LeregardbleudeNoahestinquietpourmoi.Jehochelatête,muette,etfixel’horlogemoqueuseaccrochéeaumur.Noahétaleavecunefourchettelanourrituretoujoursintactedansmonassiettedepuis
quelquesheures.–Tamèrevavenirpour te fairemanger tondîner. Ilest tardet tun’aspas touchéà
tondéjeuner.Jejetteuncoupd’œilverslafenêtrepourremarquerquelanuits’estinstallée.Quand
lesoleila-t-ildisparu?Etpourquoinem’a-t-ilpaspriseaveclui?LesdoucesmainsdeNoahrassemblentlesmiennes,puisilmedemandedeleregarder.–Avalequelquesbouchéespourqu’elletelaissetranquille.Je tends lamain vers l’assiette, jene veuxpas rendre les choses encoreplusdifficiles
pourlui,sachantqu’ilnefaitqu’obéirauxordresdemamère.Jeportelepainrassisàmeslèvresetessaiederéprimerlanauséequim’assailleenmastiquantlaviandecaoutchouteusedemondéjeuner.Jecompteletempsqu’ilmefautpourdéglutircinqbouchéesetlesavaleavecl’eauàtempératureambiantequitrônesurmatabledechevetdepuiscematin.Noahmeproposequelquesgrainsderaisin.
–J’aifini.J’aibesoindefermerlesyeux.Jerepoussedoucementl’assiette.Neserait-cequevoirlanourrituremedonneenviede
vomir.Jem’allonge en serrantmesgenoux contremapoitrine.Noah, fidèle à lui-même,me
rappelle le jouroùnousnousétionsmisdanslepétrinpournousêtre lancédesgrainsderaisinàlafigurependantlamesse,undimanchequandnousavionsdouzeans.
–Jecroisquec’estnotreplusgrandactederebellion.Lesondesondouxrirem’endortimmédiatement.
–Vousnerentrerezpasdanscettemaison.Ladernièrechosedontnousavonsbesoin,
c’est bien que vous lui fassiez piquer une crise. Elle dort pour la première fois depuis
plusieursjours.C’estlavoixdemamèrequirésonnequelquepartauboutducouloir.Àquiparle-t-elle ? Jenedorspas,non? Jem’appuie surmesépauleset le sangme
monteà la tête. Je suis fatiguée, si fatiguée.Noahest là,dansmon lit d’enfant avecmoi.Toutsemblefamilier,lelit,lescheveuxblondsendésordresurlatêtedeNoah.Jemesensdifférentepourtant,pasàmaplaceetdésorientée.
–Jenesuispaslàpourluifairedumal,Carol.Vousdevriezlesavoirdepuisletemps.–Tu…Maismamèreestbrusquementinterrompue.–Vousdevriezsavoiraussiquejen’enaitoujoursrienàfoutredecequevousdites.La porte de ma chambre s’ouvre et la dernière personne que je pensais voir passe
devantmamère,furieuse.LebrasdeNoahestlourdsurmoi,ilmecloueaulit.Ilresserresonétreinteautourde
matailledanssonsommeiletmagorgemebrûlelorsquejedécouvreHardin.Sesyeuxvertssontfurieuxdenousdécouvrircommeça.Iltraverselapièceendeuxgrandesenjambéeset,d’ungrandgeste,arrachelebrasdeNoahdemoncorps.
–Qu’est-ceque…Noah se réveille en sursaut et bondit sur ses pieds.QuandHardin refait un pas vers
moi, jemeprécipitede l’autre côtédu lit etmondosheurte lemur,durement.Assez fortpourmecouperlesouffle,maisj’essaietoutdemêmedeluiéchapper.Jetousseetleregardd’Hardins’adoucit.
Pourquoiest-illà?Ilnepeutpasêtreprésent.Jeneveuxpasdeluiici.Ilm’afaitassezdemalcommeçaetiln’apasledroitdesepointericipourramasserlesmiettes.
–Merde!Tuvasbien?Son bras tatoué se tend versmoi et je fais la première chose qui traversemon esprit
tordu:jecrie.
24
Hardin
Ses cris emplissent mes oreilles, ma poitrine vide et mes poumons, jusqu’à ce qu’ils se
réfugientdansunendroitque jenecroyaisplusatteignable.Unendroitqu’elleseulepeutatteindreetlepourratoujours.
–Qu’est-cequetufouslà?Noah se lève d’un bond et s’interpose entre le petit lit et moi comme un putain de
chevalieràl’armureétincelantepourlaprotéger,laprotéger…demoi?Ellecrietoujours,pourquoicrie-t-elle?–Tessa,s’ilteplaît…Jenesuispastropsûrdecequejeluidemande,maissescrissemuentenquintesde
toux qui se transforment à leur tour en sanglots, puis ses sanglots deviennent des bruitsd’étranglement que jenepeux tout simplementpas supporter. J’avanced’unpasprudentverselle,jusqu’àcequ’ellereprennesonsouffle.
Sonregardhantéesttoujoursrivésurmoi,m’incendiant,creusantuntrouqu’elleseulepeutremplir.
–Tess,est-cequetuacceptesdelevoir?Ilmefautrassemblertoutcequ’ilmerestedeself-controlpouracceptersaprésenceici,
etça,c’estuncoupdetrop.–Allezluichercherdel’eau!Samèresemblem’ignorer.Puis,aussiincroyablequeçapuisseparaître,latêtedeTessabouged’uncôtéàl’autre,
refusantmaprésence.Cegestepoussesonpseudo-protecteuràleverlamainversmoietàmebalancer:–Elleneveutpasdetoiici.
–Ellenesaitpascequ’elleveut!Regarde-la!JelèvelesbrasaucieletsensimmédiatementlesonglesmanucurésdeCarolseplanter
dansmonbras.Ellehallucine sévère si elle croit que je vaisbougerd’ici.Ellen’a toujourspas intégréqu’ellenepeutpasm’éloignerdeTessa? Iln’yaquemoiquipuisse faireça–oui,c’estuneputaind’idéeàlaconquemêmemoijenepeuxpassuivre.
Noahsepencheunpeuversmoi:–Elleneveutpastevoir,tuferaismieuxdepartir.J’en ai rien à battre que ce môme semble avoir grandi et chopé quelques kilos de
musclesdepuisladernièrefoisquejel’aivu.Iln’estrienpourmoi.Ilvabientôtapprendrepourquoilesgensn’osentpass’immiscerentreTessaetmoi.Ilssaventqueçan’envautpaslapeineetluiaussilesaurabientôt.
–Jeresteici.JemetourneversTessa.Elletousseencoreetpersonnenesembles’ensoucier.Jehurle
danslapetitepièceoùmavoixricochedemurenmur:–Putain,quelqu’unvaluichercherdel’eau,merde!?Tessagémitetserresesgenouxcontresapoitrine.Jesaisqu’ellesouffreetquejenedevraispasêtrelà,maisjesaisaussiquesamèreet
Noah ne seront jamais capables de vraiment être là pour elle. Je connais Tessa, mieuxqu’eux deux réunis etmoi, je ne l’ai jamais vue dans cet état ; je suis certain qu’ils n’ontaucune idée de quoi faire avec elle dans cet état.Derrièremoi, Carol annonced’une voixcalmeetmenaçante:
–Jevaisappelerlapolicesituneparspas,Hardin.Jenesaispascequetuluiasfaitcette fois-ci,mais j’enaiassezet taplacen’estpas ici.Çan’a jamaisété le caset çane leserajamais.
J’ignorelesdeuxintrusetm’assiedsaucoindulitd’enfantdeTessa.Àma grande horreur, elle recule encore, cette fois en s’aidant de sesmains, jusqu’à
tomber par terre de l’autre côté du lit. Jeme lève immédiatement et la prends dansmesbras,maislesonqu’elleproduitlorsquemapeauentreencontactaveclasienneestencorepirequelescrishorrifiésqu’ellepoussaitilyaquelquesminutesencore.Audébut,jenesaispas trop quoi faire, mais après quelques secondes sans fin comme ça, elle émet un sonétrangléentreses lèvresgercées.Son«dégage»metransperce lecœur.Sespetitesmainsfrappentmapoitrine,cherchantàmegrifferpouréchapperàmonétreinte.C’estdifficiledelaréconfortercommeçaavecmonplâtre.J’aipeurdeluifairemaletc’estbienladernièrechosequejeveux.
Autantçametuedelavoirsidésespéréequ’elleveuilles’éloignerdemoi,autantjesuiscontentdelavoirréagirtoutcourt.CetteTessamuetteétaitbienpireet,plutôtquedemegueulerdessuscommeelleestentraindelefaireàl’instant,samèredevraitmeremercierd’avoirréussiàfairesortirsafilledecettephasededeuil.
–Dégage!Noahprotestederrièremoi.LamaindeTessarebonditcontremonplâtreetellehurle
encore:–Jetehais!Sesmotsm’incendient,maisjecontienssoncorpsquisedébatentremesbras.LavoixprofondedeNoahs’insinueentrelescrisdeTessa:–Tufaistoutempirer!Puisellesetaitànouveau…etfaitlapirechosequ’ellepuisseinfligeràmoncœur.Ses
mainssedégagentdemonétreinte,c’estplusdurdelatenird’unemainquedesurvivreàl’enfer,puis…elletendlesbrasversNoah.
TessasetourneversNoahpourqu’illuivienneenaidecarellenepeutpassupportermonregard.
Jelalâcheimmédiatementetelleseprécipiteverslui.D’unbras,ilenserresatailleetposel’autreàlabasedesanuque,lapressantcontresapoitrine.Mafureurluttecontremaraisonet je fais toutmonpossiblepourgardermon calmemêmeenvoyant sesmains surelle.Sijetoucheàunseulcheveudecepeigne-cul,ellemehaïraencoreplus.Sijenefaisrien,jevaisdevenirtarérienqu’enlesregardant.
Putain, pourquoi je suis venu, déjà ? J’aurais dû rester très loin d’ici, comme je l’avaisprévu.Maintenantquejesuislà,ilsembleraitquejen’arrivepasàfairebougermesputainsdepiedsalorsque ses crisne fontquem’inciterà resterdans lesparages. Jenepeuxpasgagneretperdreenmêmetemps,etçamedéglinguecomplètement.
–Fais-lepartir.TessasanglotedanslecoudeNoah.L’abominable douleur deme faire jeter s’infiltre dansmes veines,m’immobilisant sur
placequelquessecondes.Noahsetourneversmoi,mesuppliantsilencieusementdelapluspoliedesmanièresdequitterlapièce.Levoirdanslapositiondeceluiquilaréconfortemefoutlagerbe;l’unedemesplusgrandescraintesvientdemerevenirenpleinegueule,maisjenepeuxpasmepermettredepensercommeça.Jedoispenseràelle.Seulementàcequ’ilyademieuxpourelle.Jereculegauchement,meruantsur lapoignéedeporte.Une foissortidelapetitepièce,jem’adosseàlaportepourreprendremonsouffle.Commentnotreviecommunea-t-ellepupartirenvrilleaussirapidement?
Jemeretrouvedans lacuisinedeCarolàmeservirunverred’eau.J’enchieunpeu,puisquejenepeuxutiliserqu’unemainetçameprendvachementdetempspourchoperunverre,leremplir,fermerlerobinet,letoutavecunebonnefemmequisoupirederrièremoi,emmerdantebiencommeilfaut.
Jemetournepour lui faire face,m’attendantàcequ’ellemedisequ’elleaappelé lesflics.Commeellem’assassineduregardensilence,jecommence:
–J’enairienàbattredevosconneriesencemoment.Allez-y,appelezlesflicsoufaitescequevousvoulez,maisjerestedanscebleddemerdejusqu’àcequ’ellemeparle.
Jeboisunegorgéed’eauettraverselacuisinepourmeplanterdevantelle.LavoixdeCarolestdure.
–Commentes-tuarrivéici?TuétaisàLondres.–J’aiprisuntrucquis’appelleunavion,voilàcomment.–Ce n’est pas parce que tu as pris un vol de l’autre bout de la planète et que tu te
pointesavantquelesoleiln’aiteuletempsdeseleverquetaplaceestàsescôtés.Elleaététrèsclaire.Pourquoinelaquittes-tupas?Tunefaisquelablesser,etjenevaispasresteràteregarderluiinfligerçapluslongtemps.
–Jen’aipasbesoindevotreapprobation.–Ellen’apasbesoindetoi.Carolsesaisitduverreentremesmainscommesic’étaitunflinguechargé.Ellelepose
brusquementsurleplandetravail.–Jesaisquevousnem’aimezpas,maisjel’aime.Jefaisdeserreurs,putain,bientrop
deconneriesmême,mais,Carol,sivouspensezque jevais la laisseravecvousaprèsavoirvucequ’elleavuetfaitcetteterribleexpérience,vousêtesencoreplusdinguequecequejecroyais.
Justepourl’emmerder,jereprendsunverred’eau.–Ellevasurmonterça.Elles’interromptuneminuteetquelquechoseenellesemblesefêler.Ellereprend,en
parlantfort,tropfort:–Lesgensmeurentetellesurmonteracetteépreuve!J’espèrequeTessan’apaspuentendrelaremarqueglacialedesamère.– Vous êtes sérieuse ? Putain, c’est votre fille et c’était votre mari… (Je baisse
sévèrementletonsurlemot«mari»,merappelantqu’ilsn’étaientpaslégalementmariés.)Ellesouffreetvousvouscomportezenconnassesanscœur.C’estexactementpourçaquejene la laisserai pas ici avec vous. Landon n’aurait pas dû vous laisser l’emmener, pourcommencer!
Carolpenchelatêtesurlecôtédansungested’indignationavantderépondre:–Melaisser?C’estmafille.Leverredansmamaintrembleetdel’eauentombeparterre.–Peut-êtrequevousdevriezvouscomportercommesic’étaitlecasetessayerd’êtrelà
pourelle!–Êtrelàpourelle?Quiestlàpourmoi?Savoiximpassibledérailleetc’estunchocdevoircettefemme,quejecroyaisfaitede
pierre, s’effondrerdevantmoiet se tenirauplande travailpournepas tomberpar terre.
Sonvisageeststriédelarmes,roulantsurlescouchesdemaquillage,qu’ellesadéjàétaléesalorsqu’iln’estquecinqheuresdumatin.
– Je n’ai pas vu cet homme pendant des années… Il nous a quittées ! Ilm’a quittéeaprèsm’avoirfaitdestasdepromessesd’unebellevie!
Elle crieenbalayantdu reversde lamaindespotsblindésd’ustensilesdecuisinequifinissentparterre.
– Ilamenti. Ilm’amentiet ila laisséTessaderrière lui, iladétruit toutemavie !Jen’aijamaispuneserait-cequeregarderunautrehommeaprèsRichardYoung,etilnousaquittées!
Quand elle attrapemes épaules et enfouit sa tête contrema poitrine, en pleurant etcriant, l’espaced’un instant, je vois qu’elle ressemble tellement à la fille que j’aimeque jen’arrivepasàmerésoudreàlarepousser.Nesachantquefaire,jepasseunbrasderrièresesépaulesetrestesilencieux.Entredeuxsanglotsetlavoixhonteuse,ellecontinue:
– J’en étais venue à l’espérer, j’ai espéré qu’il meure. Longtemps je l’ai attendu,longtempsjemesuisditqu’ilallaitrevenirpournous.Pendantdesannées,jemesuismentiàmoi-mêmeetmaintenantqu’ilestmort,jenepeuxmêmeplusfaireça.
Nousrestonsunlongmomentdanscetteposition:ellepleurant,affaléecontremoi,merépétant de plusieursmanières qu’elle se hait de se sentir soulagée qu’il soitmort. Je nepeuxpas trouverdemotspourréconfortercette femme,maispour lapremière foisdepuisquejel’airencontrée,jediscernelafemmebriséecachéederrièrelemasque.
25
Tessa
Pendantquelquesminutes,Noahresteassisàmescôtéspuisilselève,s’étireetannonce:
–Jevaistechercherquelquechoseàboire.Ilfautaussiquetumanges.De mes poings, j’agrippe son t-shirt et je secoue la tête, le suppliant de ne pas me
laissertouteseule.Ilsoupire.–Tuvastombermaladesitunemangespasrapidementquelquechose.Jesaisquej’aigagnélabataille.Noahn’ajamaissucampersursespositions.Mangerouboiresontbienlesdernièreschosesdontj’aienvie.Jeneveuxqu’uneseule
chose:qu’ilparteetnereviennejamais.–JecroisquetamèreestentraindepasserunsacrésavonàHardin.Noahessaiedesouriremaiséchouelamentablement.Jel’entendscrieretquelquechosetombeparterreàl’autreboutdelamaison,maisje
refuse queNoahme laisse seule dans cette pièce. S’ilm’abandonnait, Hardin reviendrait.C’est son truc, il s’attaque aux gens quand ils sont au plus bas, au plus faible.Particulièrementmoi.J’aiétéfaibledepuislejouroùjel’airencontré.Jereposelatêtesurmon oreiller et bloque tout le reste : les cris demamère et la voix grave avec ce putaind’accent,quiluirenvoielapareille,etmêmelesmurmuresderéconfortdeNoahdansmonoreille.
Je ferme les yeux et me laisse dériver entre cauchemars et réalité, me demandantlequelestlepire.
Lorsquejemeréveille,lesoleilbrillederrièrelesrideauxtropfinspunaisésautourdesfenêtres. J’ai mal à la tête, ma bouche est sèche et je suis seule dans ma chambre. Les
basketsdeNoahsontpar terreetaprèsquelques instantsdedouceconfusion, lepoidsdecettedernièrejournéemecoupelesouffle.J’enfouismatêteentremesmains.
Ilétaitlà.Ilétaitlà,maisNoahetmamèrem’ontaidée…–Tessa.J’entendssavoixm’appeler,mesurprenantdansmespensées.Je veux croire que c’est un fantôme, mais je sais que ce n’est pas le cas. Je sens sa
présence àmes côtés. Je refuse de le regarder.Pourquoi est-il ici ? Pourquoi pense-t-il qu’ilpeutmejeter,puismereprendrequandçaluichante?C’estterminé,çan’arriveraplus.Jelesaidéjàperdus,luietmonpère,jen’aipasbesoinqueçarecommence.
–Sorsd’ici.Lesoleildisparaîtderrièredesnuages.Mêmelesoleilneveutpass’approcherdelui.Quandjesenslelitbougersoussonpoids,jerestefermeetessaiederéprimerlefrisson
quimeparcourt.–Boisunpeud’eau.Unverrefraisentreencontactavecledosdemamain,maisjelerepousse.Jenecille
mêmepasquandjel’entendstomberparterre.–Tess,regarde-moi.Ses mains sont sur les miennes, glacées, je ne les reconnais pas. Je recule d’un
mouvementbrusque.Mêmesijecrèved’enviedegrimpersursesgenouxetlelaissermeréconforter,jenele
faispas.Jeneleferaiplusjamais.Mêmedansmatête,commeencemoment.Jesaisquejenelelaisseraiplusjamaism’atteindre.Jenepeuxpaslefaireetjeneleferaipas.
–Tiens.Hardinmetendunautreverre,qu’ilavaitposésurlatabledechevet.Celui-cin’estpas
aussifroid.Jel’attraped’instinct.Jenesaispaspourquoi,maissonnomrésonnedansmatête.Je
nevoulaispasentendresonnom,pasdansmapropre tête, le seulendroitoù jepeuxmeréfugier.
–Tuvasboireunpeud’eau.Je reste silencieuse devant son exigence et porte le verre à mes lèvres. Je n’ai pas
l’énergiesuffisantepourrefuserdel’eaupardépitetjesuisplusqu’assoiffée.Jedescendsleverreenquelquessecondes,leregardtoujoursrivéaumurd’enface.
–Jesaisquetuesencolèrecontremoi,maisjeveuxjusteêtrelàpourtoi.Toutcequisortdesaboucheestmensonge,çal’atoujoursétéetçaleseratoujours.Je
renifle,commepourmarquerlecoup,maisjerestesilencieuse.–Lamanièredonttuasréagihiersoir…Lafaçondonttuascrié…Tessa,jen’aijamais
ressentiunepareilledouleur…–Arrête!
Jel’interrompsd’untonsec.Jesenssonregardsurmoi,maisjerefusedeleregarder.Mavoixme sembleétrangèreet je commenceàmedemander si je suisbienéveilléeou sij’expérimenteunnouveaucauchemar.
–Jeveuxjusteêtrecertainquetun’aspaspeurdemoi.C’estlecas,hein?–Toutnetournepasautourdetoi.C’esttoutcequej’arriveàdire.Etc’estvrai,absolumentvrai.Ilaessayédes’approprier
madouleur,pour la fairesienne,maisonparlede lamortdemonpèreet jenepeuxpassubirdechagrinsupplémentaire.
–Putain.Ilsoupireetjesaisexactementqu’ilestentraindepassersesmainsdanssescheveux.–Jesais.Cen’estpascequejevoulaisdire.Jem’inquiètepourtoi.Je ferme lesyeuxet j’entendsuncoupdetonnerreau loin. Il s’inquiètepourmoi?S’il
s’inquiétaitvraiment,peut-êtrequ’iln’auraitpasdûmerenvoyerenAmérique touteseule.Je regrette d’être rentrée à la maison, j’aurais aimé que quelque chose m’arrive sur lecheminduretour,pourqueluiaitàfairesondeuildemoi.
Mais bon, il ne voudrait certainement pas en arriver là. Il serait trop occupé à seshooterpourplaner.Ilnes’enrendraitmêmepascompte.
–Cen’estpastoi,ça,Bébé.Enl’entendantutilisercemauditsurnom,jesecouelatête.Ilpoursuit:–Ilfautquetuenparles,detoutcetrucavectonpère.Tutesentirasmieux.Il parle trop fort et lapluie s’abat avec fracas contre le toit. J’aimerais bienqu’elle le
transperceetquelatempêtequifaitragedehorsm’emporteavecelle.Qui est cette personne assise à côté de moi ? Une chose est sûre, c’est que je ne le
connaispasetqu’ilnesaitpasdequoiilparle.Jedevraisparlerdemonpère?Pourquiilseprend,cecon,à s’incruster iciet fairecommes’il se souciaitdemoi, commes’ilpouvaitm’aider?Jen’aipasbesoind’aide.J’aibesoindesilence.
–Jeneveuxpasdetoiici.–Maissi,tuveux.Tuesjusteencolèrecontremoiparcequej’aifaitleconetquej’ai
toutfaitfoirer.Ladouleurquejedevraisresentirn’estpluslà,iln’yaplusrien.Pasmêmequandmon
espritm’envoiedesimagesdesamainsurmacuissequandnoussommesenvoiture,deseslèvresquieffleurentlesmiennes,demesdoigtsquiseperdentdanssesépaischeveux.Rien.
Je ne ressens rien quand ces agréables souvenirs sont remplacés par des images depoingsquis’écrasentsurduplâtreetdefemmequiportesont-shirt.Ilacouchéavecelleilyaquelquesjoursàpeine.Rien.Jenesensrienetc’esttellementbondenefinalementriensentir,d’enfinpouvoircontrôlermesémotions.Enfixantcemur,jemerendscomptequejen’aipasàsubirdesensationquejen’aipasenvied’éprouver.Jen’aipasàmesouvenirde
chosesquejeveuxoublier.Toutpeutdisparaîtreet jenelaisseraiplusjamaismamémoiremeparalyser.
–Non.Commejen’expliquepasmonrefus, ilessaiedemetoucherdenouveau.Jenebouge
pas.J’aiencoreenviedecrier,maisjememordsl’intérieurdelajouepournepasluidonnersatisfaction.Lesoulagementapaisantquejeressenssimplementlorsqu’ilposesamainsurlamienneprouveàquelpoint je suis faible, justeaprèsavoirbalisé le cheminde laparfaiteinsensibilité.
–JesuisdésolépourRichard,jesaiscomment…–Non.(Jeretiremamain.)Non,cen’estpasàtoidefaireça.Tun’aspasledroitdete
pointer ici lagueuleenfarinéeetdeprétendrem’aideralorsquec’est toiquimeblesses leplus.Jenetelerediraipas.Sorsd’ici.
Je sais que je parle d’une voix atone, aussi peu convaincante que je me sens vide àl’intérieur.
J’aimalà lagorged’avoir tantparlé ; jeneveuxplusouvrir labouche.Jeveux justequ’ilparteetqu’onme laisse toute seule.Ànouveau je concentremon regard sur lemur,empêchantmon esprit deme narguer avec des images du cadavre demon père. Tout seliguecontremoi,meravagelacervelleetmenacemadernièrepetiteparcelledebonsens.Je porte le deuil de deux personnes à présent, et je suis déchirée en milliers de petitsmorceaux.
La souffrancen’a pas lamoindre oncede bonté : la souffrance veut sa part de chairpurulente, morceau par morceau. Elle ne sera pas satisfaite avant qu’il ne reste que lesquelettedelapersonnequevousétiez.Labrûluredelatrahisonetlapiqûredurejetfontmal,maisriennedépasseladouleurdesesentirvide.Riennepeutfaireplusmalquedeneplusressentirdedouleur,etc’estabsolumentillogiquetoutenétantparfaitementlogiqueàlafois.Làc’estsûr:jesuisdevenuecomplètementtarée.
Etenfait,çanemedérangepasplusqueça.–Tuveuxquej’ailletechercherquelquechoseàmanger?Est-cequ’ilnem’apasentendue?Est-cequ’ilnecomprendpasquejeneveuxpasdeluiici?
C’estimpossible,ilnepeutpasavoiréchappéauchaosquisecouemonesprit.Commejenerépondspas,ilinsiste:
–Tessa.Ilfautquej’arriveàl’éloignerdemoi.Jeneveuxpascroisersonregard,jeneveuxpas
l’entendremefairedespromessesqu’ilne tiendrapas laprochaine foisqu’ilaura lahainedelui-même.
Magorgeestenfeu,ellemefaittellementmal,mais jehurlepourfairevenirlaseulepersonnequisesoucievraimentdemoi:
–Noah!
Dèsqu’ilm’entend,ilseprécipitedansmachambre,semblantvouloirincarnerlaforcedelanaturequivaenfindégagerl’inamovibleHardindemachambreàcoucher,etdemavie.NoahestdeboutdevantmoietregardeHardinsurquijejetteenfinuncoupd’œil.
–Jet’aiprévenu:siellem’appelle,c’estterminé.Passant instantanémentde ladouceur à la rage,Hardin fusilleNoahdu regard et je
saisqu’ilessaiederéfrénersontempéramentdefeu.Ilyauntrucsursamain…unplâtre?Jejetteencoreuncoupd’œiletdécouvrebeletbienunplâtrenoirquirecouvresamainetsonpoignet.
–Entendons-nousbien.(HardintoiseNoah.)J’essaiedenepaslabouleverseretc’estlaseuleraisonpourlaquellejen’aipasbrisétaputaindenuque.Alors,nemecherchepas.
Dansmonesprittoutcassé,jevoislatêtedemonpèretomberenarrièreetsamâchoires’ouvrir.Jeveuxjuste lesilence.Jeveuxdusilencedansmesoreilleset j’enaibesoindansmatête.
J’aideshaut-le-cœur lorsqueles imagessemultiplient,que leursvoixdeviennentplusfortes, etmon corpsme supplie de laisser faire, de simplement tout laisser sortir demonestomac.Leproblème,c’estqu’iln’yariendedans,quedel’eau,alorsl’aciditédelabilemebrûleencoreplusquandjevomissurmonvieuxdessusdelit.
–Putain.Tire-toidelà,merde!Hardin pousse Noah d’une main sur la poitrine, qui en trébuche en arrière, se
rattrapantauchambranledelaporte.–Toi,tutecasses!Onneveutpasdetoiici!NoahseprécipiteversHardinpourlepousser.Aucund’entreeuxneremarquequejemelèvedemonlit,puisquej’essuiemonvomi
d’unreversdemanche.Parcequ’ilssonttouslesdeuxprisonniersdeleurcolèreetdeleurinfinie « loyauté » enversmoi, je sors de la pièce, remonte le couloir etm’échappe de lamaisonsansqu’aucundesdeuxneleremarque.
26
Hardin
–Vatefairefoutre!
Mon plâtre entre en collision avec lamâchoire deNoah qui, sous le coup, recule encrachantdusang.
Il ne s’en arrête pas pour autant, revient à la charge etme fait tomber par terre engueulant:
–Espècedefilsdepute!J’inversenospositionsetprends ledessus.Si jenem’arrêtepasmaintenant,Tessava
mehaïrencoreplusqu’elle le faitdéjà. Jenepeuxpasencaisserce trouducul,maiselletientàluietsijel’abîme,ellenemelepardonnerajamais.J’arriveàmereleveretàmettreunpeudedistanceentremoietcerugbymanenherbe.
–Tessa…Je commence la phrase enme retournant vers le lit et là,mon estomac fait unbond
quand jedécouvrequ’il est vide. La seulemarquede saprésenceestune tachehumideàl’endroitoùelleavomi.
Sans un regard pour Noah, je pars à sa recherche dans le couloir en l’appelant.Commentai-jepuêtreaussidébile?Quandest-cequejevaisarrêterdedéconnercommeça?
–Oùest-elle?Noahestderrièremoi,mesuivantsoudaincommeunchiotabandonné.Carolesttoujoursendormiesurlecanapé.Ellen’apasbougédelàoùjel’aiallongée
hiersoiraprèsqu’elles’estendormiedansmesbras.Cettefemmepeutmehaïrcommeelleveut,jenepouvaispasluirefuserleréconfortdontelleavaitbesoin.
Àma grandehorreur, je vois que lamoustiquaire est ouverte et qu’elle bat contre laporte,fouettéeparleventdel’orage.Deuxvoituressontgaréesdansl’allée:celledeNoah
et celle deCarol. La course en taxi quim’a amené de l’aéroport à ici valait bien ses centdollars,j’auraisperdutellementdetempsàallerjusquechezKenpourrécupérermacaisse.Aumoins,Tessan’apasessayédesetirerenprenantlevolant.
–Seschaussuressontlà.Noahrécupèrel’undesfragilessouliersdeTessaetlebalanceparterre.Une trace de sang s’étale sur sonmenton, et ses yeux bleus ont pris une expression
sauvage et pleine d’inquiétude. Tessa se promène toute seule en pleinmilieu d’un orageparcequej’ailaissémonegodemerdeprendreledessus.
Noahdisparaîtuneminute, jeparcours lepaysageduregard,essayantde la repérer.Lorsqu’il revient de la chambre, il tient son sac à main à bout de bras. Elle n’a pas dechaussure,pasd’argentetpasdetéléphone.Ellen’apaspupartirbienloin,nousnenoussommes pas battus plus d’une minute, grand max. Comment ai-je pu me laisser medétournerd’elle?
–Jevaisprendremavoitureetfaireletourduquartier.Noah,déjàsurleseuildelaporte,extirpesesclésdelapochedesonjean.Là,ilaunavantage.Ilagrandidanscetterue,ilconnaîtcetendroit,moipas.Après un coup d’œil dans le séjour, je me rends dans la cuisine. Je regarde par la
fenêtreet réaliseque c’estmoiqui aiunavantage,pas lui. Je suis surprisqu’iln’y aitpaspensé tout seul. C’est peut-être un autochtone, mais je connais ma Tessa et je saisexactementoùelleest.
Il pleut toujoursdes cordes, lapluie formedes rideauxd’eau continus. Je sorspar laporte arrière et traverse le carré de pelouse à grandes enjambées pour rejoindre la petiteserredanslecoindujardin,cachéederrièreungrouped’arbresquisebalancent.Laportemétalliqueestentrouverte,preuvequemoninstinctétaitlebon.
Je retrouveTessa blottie par terre, le jeanmaculé et les pieds nus couverts de boue.Elle serre sesgenouxcontre sapoitrineet sebouche lesoreillesdesesmains tremblantes.Cettevisionmebriselecœur,lavoirainsiréduiteàunecoquille,elled’habitudesiforte.
Des rangées de pots pleins de terre sont alignées dans ce réduit qui sert de jardind’hiver ; à l’évidence, personne n’est venu ici depuis que Tessa a quitté la maison. Leplafondestpercé,laissantlapluies’infiltrerde-ci,de-là.
Jenedisrien,maisjeneveuxpaslasurprendre.J’espèrequ’elleaentendulebruitdemes bottes dans la boue. En baissant les yeux, je m’aperçois qu’en fait, il n’y a pas deplancher, ce qui explique la boue. Je me penche vers elle pour la forcer à me regarder,retirantsesmainsdesesoreilles.Ellesedébatcommeunanimalauxaboisetsaréactionmefaittressaillir,maisjegardemesmainssurlessiennes.
Elle enfonce ses doigts dans la terre et m’éloigne avec de grands mouvements dejambes. À l’instant où je relâche ses poignets, ses mains retrouvent immédiatement sesoreillesetunterriblegémissements’échappedeseslèvrespleines.
Ensebalançantdoucementd’avantenarrière,ellesuppliedoucement:–J’aibesoindecalme.J’ai tellement de choses à lui dire, tellement de mots à lui jeter en pleine figure en
espérant qu’elle m’écoute et sorte de sa tanière secrète, mais un regard à ses yeuxdésespérésmefaittoutoublier.
Si elle a besoin de calme, c’est ce que je vais lui donner. Putain, à ce stade, je luidonneraistoutetn’importequoi,dumomentqu’ellenemeforcepasàpartir.
Alors, je m’approche d’elle et nous restons assis par terre dans la boue de la vieilleserre. Cette serre qui lui servait à se cacher de son père, cette serre qui lui permetmaintenantdesecacherdumondeentier,desecacherdemoi.
Nous restons assis là, sous la pluie battante qui s’écrase contre le toit de verre.Nousrestons assis là, pendant que ses gémissements se muent en doux sanglots et qu’elle seremetàfixerl’espacevidedevantelle.Nousrestonsassislà,ensilence,mesmainscouvrentsespetitsdoigts;eux-mêmes,sursesoreilles,bloquentlebruitautourdenous,luidonnantlesilencedontelleabesoin.
27
Hardin
Assisparterre,àécouterlefracasdel’impitoyabletempêtequifaitragedehors,jenepeux
m’empêcherde fairedescomparaisonsavec l’ouragandemerdesque j’aiprovoquéesdansmavie.Jesuisunconnard,leplusgros,lepireputaindepetitcondelaTerre.
Tessas’estcalméeilyaquelquesminutesàpeine;soncorpss’estpenchéverslemienetelles’estautoriséeàsereposercontremoi,histoired’avoirunsupportphysique.Sesyeuxgonfléssontfermésetelles’estendormiemalgrélebrouhahadelapluiebattantcontrelesfragilesverrières.
Espérant ne pas la réveiller, je me déplace légèrement pour mettre sa tête sur mesgenoux. Il faut que je la fasse sortir d’ici, loinde la pluie, loinde la boue,mais je sais cequ’ellevafairequandelleouvriralesyeux.Ellevamerejeter,medirequ’elleneveutpasdemoiiciet,putain,jenesuispasprêtàentendreànouveaucesmots.
Jelesméritetous,tousetmêmeplusencore,maisçanechangerienaufaitquejesuisun gros lâche et que je veux profiter du silence tant que ça dure. Il n’y a qu’ici, dans ladouce quiétude de cette serre, que je peux prétendre être quelqu’un d’autre. Je peux,l’espaced’uninstant,prétendrequejesuisNoah.Bon,uneversionmoinschiantedecemec,mais si j’avais été lui, les choses auraient été différentes. Tout serait différent aujourd’hui.J’auraisétécapabledegagnerlesfaveursdeTessadèsledébutavecdesmotsdoux,plutôtqu’aveccejeuàlacon.J’auraisétécapabledelafairerireplutôtquepleurer.Ellem’auraitaccordéuneconfiancetotaleetdéfinitive,et jen’auraispasdémolicetteconfiancepour laréduireenpoussièreet laregarders’envolerdans levent.Je l’auraissavouréeetpeut-êtremêmequej’auraispuenêtredigne.
MaisjenesuispasNoah.JesuisHardin.EtêtreHardin,çaneveutriendire.
Si je n’avais pas autant de problèmes qui luttent dansma tête, j’aurais pu la rendreheureuse. J’auraispu luimontrer lebon côtéde la vie, tout commeelle l’a faitpourmoi.Maisnon,enfindecompte,elleestassise là,briséeet totalementdéglinguée.Sapeauestmaculéedebouenoirâtre,laterresursesmainsacommencéàsécher,etsonvisage,mêmeendormi,estbarréd’unpli sur le front.Sescheveuxsontmouillésparendroits, secsetenpaquetsàd’autres.Jecommenceàmedemandersielles’estchangéedepuisqu’elleaquittéLondres.Jenel’auraisjamaisrenvoyéeicisij’avaisneserait-cequ’imaginéqu’elleauraitputrouverlecadavredesonpèrechezmoi.
PenseraupèredeTessaetàsamortmemetaucombledelaconfusion.D’instinct, jebalaierais bien cette pensé, commeunnon-événement survenu à unmarginal qui a grillétropvitesesdernièrescartouches,maisl’idéedeneplusjamaislerevoirpèselourdsurmapoitrine. Je ne l’ai pas connu bien longtemps et je le tolérais à peine, mais c’étaitrelativementcooldel’avoirdanslesparages.J’aidumalàl’admettre,maisjel’aimaisbien,plus ou moins. Il était lourd et, putain, ça m’emmerdait qu’il vide toutes mes boîtes decéréales, mais j’adorais un truc dans samanière d’aimer Tessa et aussi son point de vueoptimistesurlavie,mêmesilasienneétaitvraimentàchier.
Ironiquement,dèsqu’ilaeuquelquechose,plutôtquelqu’unpourquiçavaillelapeinedevivre,ilestparti.Commes’iln’avaitpaspusupporterautantdebonté.Mesyeuxbrûlentdenepouvoirlibérercettesorted’émotion,duchagrinpeut-être.Duchagrind’avoirperduun homme que je connaissais à peine, que je supportais à peine, du chagrin à l’idée deperdreunpèreque jepensaisvoirenKen,duchagrinpourTessa,que je suisen traindeperdre aussi avec peut-être un tout petit espoir qu’elle se remette et qu’elle ne soit pasperduepourtoujours.
Des larmes égoïstes se mêlent aux gouttes de pluie qui tombent de mes cheveuxtrempésetjebaisselatête,m’empêchantdecéderàlatentationd’enfouirmonvisagedanssoncouenquêtederéconfort.Jeneméritepasd’êtreréconfortéparelle, jeneméritepasd’êtreréconfortéparquiquecesoit.
Cequejemérite,c’estd’êtreassislàetdepleurercommeunpitoyableconnard,danslesilenceetladésolation,mesamislesplussincèresetlesplusanciens.
Lessanglotspathétiquesquis’échappentdemeslèvresseperdentdanslefracasdelapluie et je suisheureuxque cette filleque j’adore soit endormie, incapabledemevoirmedécomposersansquejepuisseyfairegrand-chose.
Cesontmesactesquiontmenéàtouteslesconneriesquinousarriventencemoment,toutes,mêmelamortdeRichard.Sijen’avaispasacceptéd’emmenerTessaenAngleterre,riendetoutçaneseraitarrivé.Onnageraitdanslebonheurcomplet,plusfortquejamais,comme la semainedernière.Putain, ça ne fait que ça ? Si peude jours se sont écoulés et,pourtant,j’ail’impressionqueçafaitdesannéesquejenel’aipastouchée,tenuedansmes
bras,sentisoncœurbattrecontrelapaumedemamainquisurvolecettezone,prèsdesapoitrine,voulantlatoucher,maiseffrayéàl’idéedelaréveiller.
Si jepouvais justelatoucherrienqu’unefois, justesentir lebattementrégulierdesoncœur, lemien en serait calmé. Çam’aiderait à sortir de ce cataclysme dans lequel je suistombé, ça m’aiderait à arrêter ces larmes dégoûtantes qui roulent sur mes joues et çamettraitfinauxviolentshaut-le-cœurquimesecouentlapoitrine.
–Tessa!La voix gravedeNoahdéchire le rideaudepluie, puis un coupde tonnerre résonne
comme un point d’exclamation. Je m’essuie le visage furieusement, espérant disparaîtredansl’airfraisduprintempsavantqu’ilnedébouleici.
–Tessa!Ilestjustedevantlaserre.Je le sais. Je serre les dents en espérant qu’il ne crie pas son nom une fois de plus,
parceques’illaréveille,je…–Dieumerci!J’auraisdûsavoirqu’elleviendraitici!Ilentreprécipitamment,visiblementsoulagé.–Putain,tuvasfermertagueule?Ellevientjustedes’endormir.Jebalancecesmotsàmi-voix,maisdurement,puisbaisselesyeuxsurlecorpsendormi
deTessa.J’auraisvraimentsouhaitéquecenesoitpas luiquimedécouvrecommeça, lesyeuxinjectésdesangetlesjouesrouges,preuvesflagrantesdemacrisedelarmes.
Putain,etenplusjenepeuxmêmepasdétesterceconnardquifaitattentiondenepasmeregarderpouréviterdem’embarrasser.Quelquepart,çamedonneenvied’encorepluslehaïr,desavoirqu’ilestrésolumentbon.
–Elle…Noahpromènesonregardàl’intérieurdelaserreboueusepuisrevientsurTessaavant
dereprendre:–J’auraisdûsavoirqu’elleétaitlà.Ellevenaittoujoursici…Ilrepousselamècheblondedesonfrontetmesurprendensedirigeantverslaporte,
annonçantd’untonlas:–Jeseraidanslamaison.Puis, les épaules voûtées, il sort sans faire plusde bruit qu’en fermant la portede la
moustiquaire.
28
Tessa
Çafaituneheurequ’ilmeharcèle,m’observantdanslemiroir,meregardantmemaquiller
etbouclermescheveux,metripotantàlamoindreoccasion.Hardinronchonnepourlasecondefois:–Tess,Bébé,jet’aime,maisilfautquetutemagnes,sinononvaêtreenretardànotre
proprefête.–Jesais,maisjeveuxêtreprésentable.Toutlemondeseralà.Je lui fais un petit sourire d’excuse, sachant qu’il ne restera pas aussi grincheux bien
longtempset, secrètement, j’aimecette expressiondésagréable sur sonvisage. J’aimecettefossettesursajouedroitequandilfroncelessourcilsd’unairgrognon.
–Présentable?Tuvasêtrelecentredel’attentiondetoutlemonde.Ondiraitqu’ilestjaloux.–C’estpourquoicettesoirée,aufait?Jepasseunefinecouchedeglosssurmeslèvres.Jen’arrivepasàmerappelercequise
passe.Jesaisseulementqu’ilyadel’excitationdansl’airetquenousallonsêtreenretardsijenefinispasdemepréparerrapidement.
Lessolidesbrasd’Hardinm’encerclentlatailleet,àcetinstant-là,jemesouviensd’uncoup de ce que tout le monde va célébrer. Cette idée est tellement atroce que j’en faistomberletubedeglossdanslelavaboetquejelaisseéchapperunpetitcriaumomentoùHardinmurmure:
–L’enterrementdetonpère.Jemehisseenpositionassisepourmeretrouverdanslesbrasd’Hardin;aussitôt,jeme
détachedelui.–Qu’est-cequ’ilya?Qu’est-cequis’estpassé?
Hardinestlà,justeàcôtédemoi,etmesjambesétaientemmêléesaveclessiennes.Jen’aurais pas dû m’endormir ; pourquoi j’ai fait ça ? Je ne me rappelle même pas m’êtreassoupie. La dernière chose dont je me souvienne, ce sont les mains chaudes d’Hardinrecouvrantmesoreilles.
–Rien.Jeneparlepas,jegeins.J’ailagorgeenfeuetjeregardeautourdemoi,letempsque
moncerveauremettelespendulesàl’heure.–Ilfautquejeboive.Je me frotte la nuque et tente de me lever. En trébuchant, je baisse les yeux vers
Hardin.Sonvisageestferméetsesyeuxsontrouges.–Tuasrêvédequelquechose?Levidereprendsaplace,justesousmonsternum,auplusprofonddemoi.–Assieds-toi.Iltendlamainversmoi,maissesdoigtsmeprocurentunesensationdebrûluresurla
peau,alorsjem’éloigne.–Non,s’ilteplaît.Je le supplie doucement. L’adorable Hardin tout grognon demon rêve n’était qu’un
songeinutile.Maintenant,jedoisfairefaceàceHardin-là,celuiquin’arrêtepasdereveniràlachargepourensuitemedégager.Jesaispourquoiilfaitça,maisçaneveutpasdirequej’aieenviedem’enpréoccuper,maintenant.
Ensignededéfaite,ilbaisselatêteetlaissesesmainstomberparterrepours’aideràselever.Songenous’enfonceunpeudanslaboue,jedétourneleregardquandilserattrapeàlabarre.
–Jenesaispasquoifaire.–Iln’yarienàfaire.Enmurmurant, j’essaie de rassemblermes forces pour dire àmes jambes deme faire
sortird’icietaffronterlapluieincessante.J’ai parcouru la moitié du jardin quand je l’entends derrière moi. Il reste à bonne
distance, cedont je lui suis reconnaissante. J’ai besoind’espace, loinde lui. J’ai besoindetempspourréfléchiretrespirer,etj’aibesoinqu’ilnesoitpaslà.
J’ouvre laportearrièrede lamaison.Labouecolle immédiatementautapiset j’aiunmouvement de recul quand je pense à la réaction que va avoir ma mère. Plutôt qued’attendre ses récriminations, jeme déshabille etme retrouve en sous-vêtements, laissantmes habits en un petit tas boueux sous le porche arrière ; je fais demonmieux pourmerincerlespiedssouslapluieavantd’entamerlapénibletraverséeducarrelageimpeccable.Chacundemespasfaituncouinementetjetressaillelorsquelaportearrières’ouvreencoreetquelesbottesboueusesd’Hardinlaissentdebellestracesparterre.
Est-cetellementridiculedes’inquiéterdelaboue?Detoutcequim’encombrel’esprit,labouesemble laplustriviale, laplus insignifiante.Jeregretteces joursoùseule lasaletéétaitunproblème.
Unevoixpercelebrouillarddemaconversationavecmoi-même.–Tessa?Tum’entends?Jeclignedesyeuxet les lèvesurNoahquiestdans l’entrée, tout trempéet lespieds-
nus.–Désolée,non,jen’aipasentendu.Ilhochegentimentlatête.–Cen’estrien.Tuvasbien?Tuveuxprendreunedouche?Jerépondsd’unsignede têteet ilentredans la salledebainspour fairecouler l’eau
chaude.Lebruitdeladouchem’attire,maislavoixdured’Hardinm’arrête.–Ilnevapast’aideràprendretadouche.Je ne réponds rien. Pas l’énergie. Évidemment que non, pourquoi ferait-il une chose
pareille?Hardinpassedevantmoi,laissantunetraînéedebouederrièrelui.–Désolé,maisçanevapassepassercommeça.Monespritsedéconnectedemoncorps,oupeut-êtreenai-jejustel’impression,maisje
nepeuxm’empêcherderirequand jevois lebazaret lasaletéqu’il laissederrière lui.Passeulement dans lamaison demamère,mais partout où il passe, il salit tout.Mêmemoi.C’estmoiqu’ilaleplussalie.
IldisparaîtdanslasalledebainsetditàNoah:–Elleestàmoitiéàpoilettuluifaiscoulerunedouche.Putain,non,quoi.Tunevas
pasrestericipendantqu’elleselave.Non,jamaisdelavie.–J’essaiejustededonneruncoupdemainettufaistoutunfromagede…Jepassedevantcesdeuxgrincheuxetentredanslasalledebains.–Sortez,touslesdeux.(Mavoixrésonnecommecelled’unrobot.)Allezvousdisputer
ailleurs.Je les fais sortir de lapièce et ferme laporte.En verrouillant la serrure, je priepour
qu’Hardinn’ajoutepascettefineporteàlalistedesesdégradations.Enfindéshabillée,jemeglissesousl’eauquejetrouvebrûlante,sibrûlantecontremon
dos.Jesuissale,recouvertedeboue,etjedétesteça.Jedétestevoirlaterreincrustéesousmesonglesetdansmescheveux.Mêmeenmefrictionnantviolemmentlapeau, jen’arrivepasàmenettoyeretçaaussi,jedéteste.
29
Hardin
–Elleétaitdéshabillée,jen’ypouvaisrien.Avectoutcequisepasse,tut’inquiètesquejela
voienue?LejugementquejeperçoisdanslavoixdeNoahmedonneenviedel’étrangleravecma
mainvalide.–Cen’estpasque…(Jeprendsunegrandeinspiration.)C’estpaspourça.C’esttoutungrostasdeconneriesmerdiquesdontjenevaispasluiparler.Jeposemes
mains sur mes genoux, puis essaie de les mettre dans mes poches avant de me rendrecomptequec’estimpossibleavecunplâtre.Unpeugêné,jelesreposesurmesgenoux,l’unesurl’autre.
– Jene saispas cequi s’estpasséentrevousdeux,mais tunepeuxpasm’envouloird’avoir envie de lui venir en aide. Je la connais depuis toujours et je ne l’ai jamais vuecommeça.
Noahsecouelatêtededésapprobation.–Jeneparleraipasdeçaavectoi.Toietmoinesommespasdanslamêmeéquipe,là.Ilsoupire.–Nousn’avonspasàêtrerivauxnonplus.Jeveuxcequ’ilyademieuxpourelleettu
devrais vouloir lamême chose. Je ne suis pas unemenace pour toi, je ne suis pas assezstupidepourcroirequ’ellemechoisiraitmoiplutôtque toi.Jesuispasséàautrechose.Jel’aimetoujours,parceque,bon,jel’aimeraitoujours,maispascommetul’aimestoi.
Jeseraissansdoutecapabled’entendrecequ’ilyaderrièresesmotssijenel’avaispasprofondémentméprisé ceshuit derniersmois. Je reste silencieux, adossé aumur face à lasalledebainsenattendantquelebruitdeladouches’arrête.
–Vousavezencorerompu,c’estça?
Là, il fourresonnezoùçane leregardepas. Ilnesaitvraimentpasquandfermersagueule.
–Clairement,oui.Jefermelesyeuxetlaissematêteretomberenarrière.–Jeneveuxpasmemêlerdecequineme regardepas,mais j’espèreque tuvasme
parlerdeRichardetmedirecommentils’estretrouvéchezvous.Jenecomprendspas.– Il squattaitchezmoidepuisqueTessaétaitpartiepourSeattle. Iln’avaitnullepart
oùaller,alorsj’aiacceptéqu’ilresteavecmoi.QuandnoussommespartispourLondres,ilétaitcenséallerencurededésintox’,alorsimaginelechocdeledécouvrirraidemortsurlecarrelagedelasalledebains.
Laportes’ouvreetTessapassedevantnoussanss’arrêter,seulementenveloppéed’uneserviette.Noahnel’ajamaisvuenue,niaucunautrehommeet,égoïstement,j’aimeraisqueçarestecommeça.Jesaisquejenedevraispasm’inquiéterdeconneriesdecegenre,maisjenepeuxpasm’enempêcher.
Jeparsenquêted’eaudanslacuisineet jeprofitedusilencelorsquej’entendslavoixtimidedeCarolmedemander:
–Hardin,est-cequejepeuxteparleruninstant?Rienque le tonde savoixm’embrouille,et c’estàpeine si ellevientdecommencerà
parler.–Euh,ouais.Je me recule un peu pour mettre une distance de sécurité entre nous. Lorsque je
m’arrête,jesuisdéjàadosséaumurdelapetitecuisine.Ellealevisageferméetjesaisquec’esttoutaussibizarrepourellequepourmoi.–Jevoulaisjusteteparlerd’hiersoir.Je détache mon regard du sien pour me concentrer sur mes pieds. Je ne sais pas
comment ça va se passer, mais elle a déjà refait son chignon et nettoyé les traces demaquillagequis’étalaientsoussesyeuxhiersoir.
–Jenesaispascequim’apris.Jen’aurais jamaisdûmecomportercommeça faceàtoi.C’étaitincroyablementstupideetje…
–C’estbon.Jel’interrompsenespérantqu’elles’arrêtelà.–Non,vraiment,cen’estpasbon.Jeveuxquetucomprennesbienquerienn’achangé
ici.Jesouhaitetoujoursquetunet’approchespasdemafille.Jelaregardedroitdanslesyeux.Commesi jepouvaism’attendreàautrechosedesa
part!–J’aimeraispouvoirdirequejevaisvousécouter,maisenfait,non.Jesaisquevousne
m’appréciezpas.(Jefaisunepauseetnepeuxpasl’empêcherderiredemoneuphémisme.)
Vousmedétestezet je le comprends,maisvous savezque jeme fouscomplètementdecequevouspouvezbienpenser.Jevousledisleplusgentimentpossible.C’estjustecommeça.
Ellemeprendaudépourvuenriantavecmoi.Toutcommelemien,sonriregraveestteintédesouffrance.
– Tu es vraiment comme lui, tu t’adresses à moi comme il parlait à mes parents.Richardnonplusnes’est jamaisvraimentsouciédeceque lesgenspensaientde lui,maisvoisunpeuoùçal’amené.
–Jenesuispascommelui.Maréponseest sèche.J’essaievraimentd’êtreaussigentilquepossibleavecelle,mais
elle ne m’aide pas. Tessa est restée tellement longtemps sous la douche et ça me prendtoutemonénergiedenepasallervoircommentelleva,d’autantplusqueNoahestlà.
–Ilfautquetuessaiesdevoirçademonpointdevue,Hardin.J’aivécucemêmetyped’expérience,j’aiétédansunerelationtoxiqueetjesaiscommentçasetermine.JeneveuxpasqueTessaait à subir çaet, si tu l’aimais comme tu leprétends, tune levoudraispasnonplus.(Ellemeregarde,semblantattendreuneréactiondemapart,puiscontinue.)Jeveuxcequ’ilyademieuxpourelle.Crois-moisituveux,maisj’aitoujoursélevéTessapourqu’ellenedépendepasd’unhomme,commemoi,etregarde-lamaintenant.Elleadix-neufansetelleestréduiteaunéantchaquefoisquetudécidesdelaquitter…
–Je…Ellelèvelamainetsoupire.–Laisse-moi finir.Je l’aienviée,en fait.C’estpathétique,mais je l’enviaisd’uncertain
côté,detevoirrevenirchaquefoisalorsqueRichardnel’a jamaisfaitpourmoi.Maisplustulaquittais,plusjemerendaiscomptequevoustermineriezcommenous,parcequemêmesitureviens,tunerestesjamais.Situveuxqu’ellefinissecommemoi,seuleetaigrie,alorscontinuecommeçaetjet’assurequec’estexactementcequ’ilvaluiarriver.
Jedéteste l’imagequeCarol ademoi,mais jedétesteplus encorede savoirqu’elle araison.JequitteTessarégulièrement,c’estvrai,etmêmesijereviensàchaquefois,j’attendsqu’ellesoitbienpourlaquitterànouveau.
–C’està toidevoir.Tues laseulepersonnequ’ellesembleécouter,etmafille t’aimetroppourvoirsonproprebien.
Jesaisquec’estvrai,ellem’aimeetc’estparcequ’ellem’aimequenousnefinironspascommesesparents.
– Tu ne peux pas lui donner ce dont elle a besoin. Tu ne fais que l’empêcher derencontrerlapersonnequilepourra.
Jenel’entendsplus,toutcequej’entends,c’estlaportedelachambredeTessaquiseferme.
–Vousverrez,Carol,vousverrezbien…
Jeprendsunverresurl’étagèreetleremplispourTessa.Jemedisquejepeuxchangercecycleinfernaletprouveràtousqu’ilsonttort,etd’abordàmoi-même.Jesaisquejepeuxlefaire.
30
Tessa
Après cette douche, jeme sens légèrementmoins folle, ou peut-être est-ce lamini-sieste
danslaserre,oupeut-êtrelesilencequej’aifinalementréussiàobtenir.Jenesaispastroppourquoi,maisj’arriveàvoirlemondeavecplusdeclarté,enfinjusteunpeu,etçam’aideàne pas me sentir complètement dingue. Ça me laisse aussi espérer que chaque jourm’apporteraunpeuplusdeclairvoyanceetdepaix.
–J’entre.Hardinaouvertlaporteavantmêmequej’aieeuletempsderépondre.Jemecouvrelapoitrined’unt-shirtetm’assiedssurlelit.–Jet’aiapportédel’eau.Ilposeunverrepleinsurlapetitetabledechevetetprendplacedel’autrecôtédulit.J’avais préparé tout un speech sous la douche,maismaintenant qu’il est en face de
moi,jenem’ensouvienspas.–Merci.Voilà,c’esttoutcequej’arriveàdire.–Tutesensmieux?Ilestsursesgardes.Jedoisavoirl’airsifragile,sifaibleàsesyeux.Jeleressensaussi.
Je devraisme sentir vaincue et en colère et triste et désorientée et paumée. Le truc, c’estqu’iln’yatoujoursrien.Jeressensunprofondvideenmoietjem’yhabitueunpeuplusàchaqueminutequipasse.
Chaqueminute sous la douche, à mesure que l’eau refroidissait, j’ai regardé tout çasous un angle nouveau. Je réfléchissais àma vie et à ce qu’elle était devenue, cet abîmenoir, ce vide absolu, et jeme suis penchée surmahaine totale de cette sensation ; et j’aitrouvélasolutionidéale,maislà,jen’arrivepasàdémêlerlesmotsquisebousculentdans
ma tête pour en faire une véritable phrase. Ça doit être ce qui se passe quand on perdl’esprit.
–J’espèrequec’estlecas.Ilespèrequec’estlecasdequoi…?–Quetutesensmieux.Il répond à la question que je n’ai pas exprimée. Je déteste qu’il soit directement
branchéàmoncerveau,qu’il sacheexactement ceque j’éprouveet ceque jepensemêmequandjel’ignore.
Jehausselesépaulesetmeconcentredenouveausurlemur.–C’estlecas,plusoumoins.C’estplus facilederegarder lemurque levertbrillantdesesyeux,cevertque j’étais
terrifiéedeperdre.Jemesouviensque,quandnousétionsaulitensemble,j’espéraisgarderces yeuxprès demoi uneheurede plus, une semaine, peut-êtremêmeun autremois. Jepriaispourqu’ilchanged’avisetveuilledemoipourtoujours,commemoijeledésirais.Jeneveuxplusavoiràsubirça,jeneveuxplusmelaisseremporterparledésespoirquandils’agit de lui. Je veux rester ici seule avec mon vide, être satisfaite du calme et peut-êtrequ’unjour,jedeviendraiquelqu’und’autre,cettepersonnequejepensaisdeveniravantdecommencerlafac.Sij’aidelachance,jepourrairedevenirlafillequej’étaisavantdequitterlamaison.
Maisbon,cettefilleestpartiedepuislongtemps.Elleaprisunallersimplepourl’enferetelleestassiselà,àseconsumerlentement.
– Je veux que tu saches à quel point je suis désolé pour tout ça, Tessa. J’aurais dûrevenir ici avec toi. Je n’aurais pas dû rompre à cause de mes problèmes. J’aurais dû telaisserêtrelàpourmoicommejeveuxl’êtrepourtoimaintenant.Maintenant,jesaiscequetudoisressentiràconstammentessayerdem’aideralorsquejeterepoussaissanscesse.
Pastropsûredesavoirquoidire,jeluiréponds:–Hardin…–Non,Tessa, laisse-moiparler.Jeteprometsquecette fois-ci,ceseradifférent.Jene
recommenceraiplus jamais.Jesuisdésoléqu’ilait falluque tonpèremeurepourme fairecomprendre à quel point j’avais besoin de toi, mais je nem’enfuirai plus jamais, je ne tenégligeraiplusjamais,jenemefermeraiplusjamaisauxautres,jetelejure.
Le désespoir dans sa voixm’est bien trop familier. Je l’ai déjà entendu dire lamêmechosesurlemêmetonbientropsouvent,bientrop.
–Jenepeuxpas.Jesuisdésolée,Hardin,maisvraiment,jenepeuxplus.Dansunmouvementdepanique,ilserapprochedemoiettombeàgenoux,salissantla
moquette.–Tunepeuxplusfairequoi?Jesaisqueçavaprendredutemps,mais jesuisprêtà
attendrequetusortesdetoutça,detaphasededeuil.Jesuisprêtàtout,jedisbienàtout.
–Cen’estpaspossible,nousn’avonsjamaisréussiàlefaire.Letondemavoixestdenouveaumonocorde.J’ail’impressionqueTessa-Le-Robotest
là pourunboutde temps. Jen’ai pas assezd’énergie pourmettrede l’émotiondansmesparoles.
–Onpourraitsemarier…Il semble surpris par ses propres mots, mais ne les reprend pas. Ses longs doigts
s’enroulentautourdemespoignetsetilpoursuit:–Tessa,onpourrait semarier.Je t’épouseraidemainsi tuesd’accord.Jeporteraiun
smokingettoutlebordel.Cesmotsquej’aivouluentendrecommeunehystérique,cesmotsquej’aitantattendus
ontenfinfranchilabarrièredeseslèvres,maisjenepeuxpaslesgoûter.Jelesaitrèsbienentendus,parfaitementmême,maisjeneressensrien.
–Non.Jesecouelatête.Cequiaugmentesondésespoir.–J’aidel’argent,bienplusqu’iln’enfautpourpayerunmariage,Tessa,etonpourrait
lefaireoùtuveux.Tupourraisavoirlarobelapluschère,cellequetuveux,etdesfleurs,jenemeplaindraipas!
Ilparletrèsfortmaintenantetsavoixrésonnedanstoutelapièce.–Làn’estpaslaquestion,cen’estpasça.J’aimeraispouvoirgravercesmotsdansmoncœuretaussi lesondesavoix,unevoix
comme s’il était paniqué, excité même, et les emmener avec moi dans le passé. Dans unpasséoùjen’auraispasvuàquelpointcetterelationestdestructrice,quandj’auraisdonnén’importequoipourl’entendremedirecesmots.
–C’estquoialors?Jesaisquec’estcequetuveux,Tessa,tumel’asrépétésisouvent.Jepeuxvoirderrièresonregardlabataillequ’ilestentraindemenercontrelui-même
etjeregrettedenerienpouvoirdirepourallégersessouffrances,maiscen’estpaspossible.–Jen’aiplusrien,Hardin.Jen’aiplusrienàtedonner.Tuasdéjàtoutprisetjesuis
désolée,maisilneresterien.Le vide en moi s’agrandit encore, aspirant tout mon être, et je n’ai jamais été aussi
heureusedeneplusrienressentir.Sijepouvaiséprouverlamoindresensation,ceseraitunesouffrancequimetuerait.
Çametueraitcertainement,etj’aidécidéilyaquelquesinstantsàpeinequejevoulaisvivre. Je ne suis pas fière des sombres pensées qui ont traversémon esprit dans la serre,maisjesuiscontentequ’ellesaientétébrèves,etfièredelesavoirsurmontéesensuite,seule,recroquevilléedanslebacdedouche,sousl’eaufroide,quandl’eauchaudeafaitdéfaut.
–Jeneveuxrienteprendre.Jeveuxtedonnerexactementtoutcequetuveux!Il suffoqueetcebruitest siperturbantque j’acceptepresque toutcequ’ilmepropose
justepourneplusavoiràl’entendre.
–Épouse-moi,Tess.S’ilteplaît,épouse-moietjetejurequejeneferaiplusjamaisriende semblable. Nous pourrions être ensemble pour toujours, nous pourrions être mari etfemme.Jesaisquetuestropbienpourmoietjesaisquetuméritesmieux,etmaintenantjesaisquetoietmoi,noussommesdifférents.Nousnesommespascommetesparentsoulesmiens,noussommescommepersonned’autreetonpeutyarriver,merde.D’accord?Ilfautjustequetum’écoutesencoreunefois…
–Regarde-nous.Regardecequejesuisdevenue.Jeneveuxplusdecettevie.–Non,non,non.Maissi,tuveux!Laisse-moimerattraper.Ilselèveetarpentelapiècedelongenlargeentirantsescheveuxd’unemain.–Hardin,s’ilteplaît,calme-toi.Jesuisdésoléepourtoutcequejet’aifaitetsurtout,je
suisdésoléed’avoir compliqué tavieetdésoléepour lesdisputes incessantes,mais tudoissavoirque çane fonctionnerapas. J’ai cru…(je réprimeunpitoyable sourire) j’ai cruquenouspourrionsnousensortir.J’aicruquenotreamourétaitdeceuxqu’ontrouvedanslesromans,unamoursifort,sirapideetsirésistantqu’ilauraitpusurvivreàn’importequoietj’aicrupouvoirysurvivreaussipourenconterl’histoire.
–Oui,c’estpossible,onpeutsurvivre.Ils’étrangle.Jenepeuxpasleregarderparcequejesaiscequejeverrai.–Mais,Hardin,jeneveuxpasysurvivre.Jeveuxvivre.Mes mots doivent atteindre son cerveau parce qu’il cesse de marcher et de tirer ses
cheveux.–Jenepeuxpastelaisserpartircommeça.Tulesais.Jeterevienstoujours,tusavais
queçaallaitarriver.JeseraisrevenudeLondresunjoureton…–Jenepeuxpaspassermavieàt’attendreetceseraitégoïstedemapartdeteforcerà
passertavieàmefuir,ànousfuir.Mais jenageencoreenpleine confusionparceque jeneme rappellepasavoir eude
tellespensées ; toutesmespenséesont toujoursété tournéesversHardinetversceque jepourraisfairepourqu’ilsesentemieux,pourlefairerester.Jenesaispasd’oùviennentcesidéesetcesmots,mais jenepeuxpas ignorer lasensationdedéterminationque j’éprouveenlesprononçant.
–Jenepeuxpasvivresanstoi.Il a déjà déclaré ça un million de fois et, pourtant, il fait tout ce qu’il peut pour
m’éloignerdelui,pourmegarderàbonnedistance.– Si, tu peux. Tu seras plus heureux et moins déchiré intérieurement. Ce sera plus
facile,tul’asdittoi-même.Je lepensevraiment. Ilseraplusheureuxsansmoi,sansnosperpétuellesruptures. Il
pourra se concentrer sur lui-même et sur sa colère envers ses deux pères et, un jour, ilpourraêtreheureux.Jel’aimeassezpourvouloirqu’ilsoitheureux,mêmesicen’estpasàmescôtés.
Ilserrelespoings,lesapprochedesonfrontetmerépond,lesdentsserrées:–Non!Je l’aime. J’aimerai toujours cet homme, mais je suis à bout. Je ne peux plus être
nourrie de son feu quand il revient incessamment à la charge,muni de seauxd’eau pourl’éteindreàchaquefois.
–Nousnoussommestellementbattus,jepensequ’ilesttempsqueçacesse.–Non!Non!Desyeux, il fouille lapièceet jesaiscequ’ilvafaireavantmêmequ’ilnetermineson
geste.C’estpourçaquejenesuispassurpriselorsquelapetitelampevoleàtraverslapièceetsebrisecontre lemur.Jenebougepas.Jenecillemêmepas.J’enai trop l’habitudeetc’estexactementpourcetteraisonquejefaisça.
Je ne peux pas le réconforter. Ce n’est pas possible. Je ne peux même pas meréconfortermoi-mêmeet jenemefaispasassezconfiancepourpassermesbrasautourdesesépaulesetluimurmurerdespromessesàl’oreille.
–C’estcequetuvoulais,tutesouviens?Reveniràça,Hardin.Rappelle-toisimplementpourquoi tu ne voulais plus de moi. Rappelle-toi pourquoi tu m’as renvoyée seule enAmérique.
–Jenepeuxpasvivresanstoi,j’aibesoindetoidansmavie.J’aibesoindetoidansmavie.J’aibesoindetoi.Dansmavie.
C’estcommeunepsalmodie.–Jepeuxtoujoursêtreprésente,maispluscommeça.–Tumesuggèressérieusementderesteramis?Sontonestmauvais.Sespupillessedilatentd’unecolèrenoireaupointquelevertde
sesyeuxaquasimentdisparu.Avantquejenepuisserépondre,ilpoursuit:– Nous ne pourrons jamais devenir amis après tout ce que nous avons vécu. Je ne
pourraijamaisêtredanslamêmepiècequetoisansêtreavectoi.Tuestoutpourmoiettuveuxm’insulterensuggérantd’êtreamis?Tunelepensespasvraiment.Tum’aimes,Tessa.(Ilplongesonregarddanslemien.)Tun’aspaslechoix.Tunem’aimespas?
Le rien qui m’habite commence à s’effriter et je me bats pour le garder intact. Si jecommenceàavoirdessensations,çamemettraàterre.
–Si.C’étaitjusteunsouffle.Ilseremetàgenouxdevantmoi.–Jet’aime,Hardin,maisnousnepouvonsplusnousfairesubirdetelleschoses.Je ne veux pas me disputer avec lui et je ne veux pas le blesser, mais il récolte la
monnaiedesapièce.Je luiaurais toutdonné.Merde, je luiai toutdonnéet iln’enapasvoulu.Quandças’estcorséetqu’iladûcombattresesdémonsintérieurs,ils’estavéréqu’ilnem’aimaitpasassez.Ilarenoncé,àchaquefois.
–Commentvais-jesurvivresanstoi?
Etmaintenant,ilpleure,là,sousmonnez,etjeravalemespropreslarmesainsiquelagrossebouledeculpabilitéquimeserrelagorge.
–Cen’estpaspossible.Jen’yarriveraipas.Tunepeuxpas toutmettreà lapoubelleparcequetupassesunsalequartd’heure.Laisse-moiêtrelàpourtoi,nemerepoussepas.
Une fois encore, mon esprit se détache de mon corps et je ris. Ce n’est pas un rireamusé ; c’est un rire triste et cassé par l’ironie de ses paroles. Ilme demande de faire lamêmechosequemoietilnes’enrendmêmepascompte.
–C’estcequejet’aisuppliédefairedepuisquejet’airencontré.Je lui dis çadoucementpour lui rafraîchir lamémoire. Je l’aime et je ne veuxpas le
blesser,mais il fautque jemette finà ce cycleunebonne foispour toutes.Si jene le faispas,jenem’ensortiraipasvivante.
–Jesais.Satêtetombesurmesgenouxetsoncorpsestparcourudetremblementscontremoi.–Jesuisdésolé!Jesuisdésolé!Ilesthystériqueetmonvide intérieurs’enfuit tropvitepourque jepuisse l’arrêter.Je
ne veux pas ressentir ça, je ne veux pas le sentir pleurer contrema cuisse àme faire despromesses et m’offrir tout ce que j’ai attendu d’entendre depuis ce qui semble être uneéternité.
–Onvas’ensortir.Quandtusortirasdecettephase,toutirabien.Jecroisquec’estcequ’ildit,maisjen’ensuispassûre.Jenepeuxpasluidemanderde
répéter, parce que je ne pourrais pas le supporter. C’est ce que je déteste entre nous, jedétesteque,quoiqu’ilmefassesubir,jetrouveunmoyendem’accuserdesessouffrances.
J’aperçoisunmouvementprèsde laporte et je faisun signede têteàNoahpour luifairesavoirquejevaisbien.
Jenevaispasbien,mais ça faitunboutde tempsquec’est commeça.Ladifférence,c’estque jeneressenspas lebesoind’allerbien.LeregarddeNoahseportesur la lampebriséeetilal’airinquiet,maisjehocheencorelatête,lesuppliantsilencieusementdepartirpourmelaisservivrecetinstant.Cedernierinstantàsentirlecorpsd’Hardincontrelemien,àsentirsatêtesurmescuisses,àmémoriserlesvolutesd’encrenoiresursesbras.
–Jesuisdésoléedenepasavoirréussiàteréparer.Jecaressedoucementsescheveuxmouillés.–Moiaussi.Ilpleure,appuyécontremajambe.
31
Tessa
–Maman,quivapayerpourl’enterrement?
Je ne veux pas paraître insensible ou malpolie, mais tous mes grands-parents sontmortsetmesparentsétaienttouslesdeuxenfantsuniques.Jesaisquemamèren’apaslesmoyensdepayerunenterrement,particulièrementpourmonpère,et jem’inquiètequ’elleenaitprislachargejustepourprouveràsesamisàl’églisequ’ellelepeut.
Jene veuxpas porter cette robenoire qu’ellem’a achetée, je ne veuxpasmettre cestalonsnoirsqu’ellen’asûrementpaslesmoyensdepayeretsurtout,jeneveuxpasvoirlecorpsdemonpèreêtremisenterre.
Ma mère hésite ; le tube de rouge à lèvres dans sa main s’immobilise à quelquesmillimètresdesaboucheetellemeregardedroitdanslesyeuxàtraverslemiroir.
–Jenesaispas.Incrédule, jeme tourne vers elle. Enfin, si je pouvais rassembler assezd’énergie pour
être incrédule, c’est ce que je ressentirais. Peut-être est-ce plus une forme de curiositémorne.
–Tunesaispas?Jel’observe.Sesyeuxsontgonflés,preuvequ’elleaprislanouvelledecettemortplus
durementqu’ellenel’admettrajamais.–Nousn’avonspasbesoindediscuterdecesquestionstriviales,Theresa.Commesiellemeréprimandait,ellemetfinàlaconversationensortantduséjour.Jehochelatêtepourmarquermonaccord;jeneveuxpasmedisputeravecelle.Pas
aujourd’hui.Lajournéevaêtreassezdurecommeça.Jemesenségoïsteetunpeutorduede ne pas réussir à comprendre ce qui lui a passé par la tête quand il a poussé cetteseringuedanssaveine.Jesaisqu’ilétaitdroguéetqu’ilnefaisaitquerépéterungestequ’il
apassédesannéesàfaire,maisjenepeuxtoujourspascomprendrepourquoiilafaitunechosepareille,sachantlegesteéminemmentfatal.
Ces trois derniers jours, depuis que j’ai vu Hardin, j’ai commencé à recouvrer mesesprits.Pascomplètementet jesuisunpeuterrifiéeà l’idéedeneplus jamaisredevenir lamêmepersonne.
IllogechezlesPorterdepuiscejour-là.Pourmoi,pourMonsieuretMadamePorter,lasurprise a été immense, j’en suis certaine. Ils n’ont certainement pas beaucoup côtoyé degensquin’ontpasdecartesdemembreaucountryclubducoin.
J’auraisadorévoir latêtedeMadamePorterquandNoaharamenéHardinchezeux.Je n’arrive pas à m’imaginer Noah et Hardin sur la même longueur d’onde, ne serait-cequ’un peu, alors j’imagine à quel point il a dû être blessé par mon rejet, pour accepterl’hospitalitédeNoah.
Lepoidssilourddudeuilquejeporteesttoujourslà,cachédanslesreplisdemonvideintérieur. Je le sens pousser les murs, essayer désespérément de me détruire en meprécipitant du haut d’une falaise. Après la crise d’Hardin, j’étais terrifiée à l’idée que ladouleurm’emporte,maisjesuissoulagée.C’estl’inversequis’estproduit.
C’est assez étrange, il est si proche de cettemaison, et pourtant il n’a pas essayé devenir. J’ai besoin d’espace et d’habitude, il n’est pas très doué pour ça.Mais bon, je n’aijamaisvouluçaavant.Enfin,pascommeça.Lorsquej’entendsquelqu’unfrapperàlaportedelamaison,jemedépêched’ajustermoncollantnoiretdevérifiermonapparencedanslemiroirunedernièrefois.
Jem’approche pour examinermes yeux. Il y a quelque chose de différent dansmonregard,mais jenesaispas tropquoi…Ila l’airplusdur?Plus triste ? Jene suispas sûre,maisilsvontbienavecmapathétiquetentativedesourire.Sijen’étaispasàmoitiéfolle,jemesoucieraisdavantagedemonchangementd’apparence.
–Theresa!Mamèrem’appelle,excédée,justeaumomentoùj’arrivedansl’entrée.Au son de sa voix, jem’attends à voirHardin. Ilm’a donné l’espace dont j’ai besoin,
mêmesic’estmoiquileluiaidemandé,maisjemedoutaisbienqu’ilviendraitaujourd’hui,pour l’enterrement demon père. Quand jeme tourne, je reste figée sur place. C’est unesurprise,plutôtagréable,dedécouvrirZedenpersonnesurlepasdelaporte.
Nosregardssecroisent, ila l’airpeusûrde lui,maisquand jesensmes lèvres formerunsourire,sonvisagesefendpourmerépondred’ungrandsourire,cesourireque j’aime,celuioùsalangueseglisseentresesdentsetsesyeuxbrillent.
Jel’inviteàentreretmesbrass’accrochentàsoncou.–Quefais-tuici?Ilmeserreàsontourdanssesbras,unpeutrop,et je faisminedetousserpourqu’il
merelâche.Ilsourit.
–Désolé,çafaitlongtemps.Il rit, et mon humeur en est instantanément allégée. Je n’ai pas pensé à lui depuis
longtempsetjeculpabilisepresquedenepasavoirvusonvisagedansmesdivagationsdesdernièressemaines,mais jesuiscontentequ’ilsoit là.Levoir icimerappellequelemondenes’estpasarrêtédepuisquemondeuilacommencé.
Mesdeuils…Jeneveuxmêmepasm’avoueràmoi-mêmelequeldesdeuxaétélepluslourdàporter.
–Effectivement.Etpuismerevientàl’esprit laraisonpourlaquellej’aimisdeladistanceentreZedet
moi,alorsj’interrompslànossalutations,etjeregardeavecprudencederrièrelui,del’autrecôtédelaported’entrée.Jen’aiaucunementbesoind’unebagarresurlegazonparfaitdujardindemamère.
–Hardinestici.Enfin,pasicidanslamaison,maisunpeuplusbasdanslarue.–Jesais.Zedn’apasl’airdutoutintimidémalgréleurcontentieux.–Vraiment?Ma mère m’adresse un regard interrogateur, puis disparaît dans la cuisine pour me
laisser seule avec Zed. Je commence seulement à réaliser que Zed est là. Je ne l’ai pasappelé, comment peut-il être au courant pour mon père ? Je suppose que c’est plus oumoins possible que la nouvelle se soit retrouvée sur Internet, mais même si c’était ça,commentZedpourrait-ilêtreaucourant?
–Ilm’aappelé.Àcesmots,jerelèvebrusquementlatêtepourleregarderdanslesyeux.–C’estluiquim’aditdevenirtevoir.Jen’aipasréussiàtejoindrepartéléphone,alors
j’aidûluifaireconfiance.Jenesaispas tropquoidireenentendantça, je le regardeensilenceenessayantde
comprendreoùestlepiègederrièretoutça.–Çanet’embêtepas,hein?(Iltendlamainmaiss’arrêtejusteavantdemetoucher.)
Çanet’embêtepasquejesoisvenu,hein?Jepeuxyallersic’esttroppourtoi.Ilajusteditquetuavaisbesoind’unamietj’aisuqueçadevaitêtregravepourqu’ilm’appelle,moi.
Zedfinitsaphraseenriantlégèrement,maisjesaisqu’ilestsérieux.PourquoiHardinl’a-t-ilappelélui,plutôtqueLandon?Enréalité,Landonestenroutepour
veniricidetoutefaçon,alorspourquoiHardindemanderait-ilàZeddevenirmevoir?Je ne peux pasm’empêcher de croire qu’il y a un piège, comme siHardinme testait
d’unecertainemanière. Jedétestecette idée, l’idéequ’ilme fasseunechosepareilleencemoment,maisilafaitbienpireetilyatoujoursuneraisonderrièresesactes.Ilyatoujoursunanglecaché,uncalculsavantderrièresamanièredem’aborder.
Sademandeenmariagem’aplusblesséequ’autrechose.Ilm’arefusétoutechancedememarierdepuisledébutdenotrerelationpournemeleproposerquedeuxfois,deuxfoisoù il a cherché à obtenir quelque chose de moi. La première fois, il était trop ivre poursavoir ce qu’il disait et la seconde, c’était une tentative pourme faire rester. Si jem’étaisréveilléeà sescôtés le lendemainmatin, ilaurait retiré sademandeenmariagecomme ladernièrefois.Commetoujours.Iln’ajamaisrienfaitd’autrequereniersespromessesdepuisque je l’ai rencontré, et il y apire qued’être avecquelqu’unquine croit pas aumariage,c’estd’êtreavecquelqu’unquinem’épouseraitquepourgagnerunebataille,pasparcequ’ilveutvraimentêtremonmari.
Jedoismesouvenirdeça,sinonjevaisencoreentretenirdesidéesridicules.Cesidéesquipénètrentmonesprit,mefaisantimaginerHardinensmoking.L’imagemefaitrireetlesmokingsetransformebienviteenjeanetbottes,mêmelejourdesonmariage,maisjecroisqueçanemedérangeraitpasplusqueça.
Çanem’auraitpasplusdérangé.Ilfautquej’arrêtedefantasmer,çanem’aidepasànepas perdre la boule. Une autre image s’infiltre pourtant. Cette fois-ci, Hardin rigole, unverredevinà lamain…et je remarqueunanneauargentéà sonannulaire. Il rit fort, etrejettelatêteenarrièred’unemanièresiséduisante.
Jelarepousse.Son sourire se fige, et l’image revient, renversant son vin sur son t-shirt blanc. Il
insisterait probablement pour porter du blanc, plutôt que du noir pour prendre lestraditions à rebours, histoire de se faire plaisir et d’horrifier ma mère. Il repousseraitdoucementmesmainslorsquej’essaieraisdefairedisparaîtrelatacheavecuneserviette.Ildiraitun trucdugenre : « J’auraisdû savoirqu’ilne fallaitpasmettredeblanc,de toutefaçon. » Puis, il rirait et porterait mes doigts à ses lèvres pour en embrasser la pulpedoucement. Son regard s’arrêterait surmon alliance et un sourire de fierté gagnerait sonvisage.
–Toutvabien?Zedbriselàmapitoyablerêverie.–Ouais.Je secoue la têtepourmedébarrasserde l’imageparfaited’Hardinme souriant, et je
m’approchedeZed.–Jesuisdésolée,jesuisunpeuàcôtédelaplaqueencemoment.–Pasdeproblème.Çam’inquiéteraitsicen’étaitpaslecas.Ilpasseunbrasréconfortantautourdemesépaules.Quand j’y pense, je ne devrais pas être surprise que Zed soit venu jusqu’ici pourme
soutenir.Plusj’yréfléchis,plusj’aidesouvenirs.Ilatoujoursétélà,mêmequandjen’aipaseubesoindesonsoutien.Ilatoujoursétédanslepaysage,dansl’ombred’Hardin.
32
Hardin
Putain,Noahestvraimentchiant.JenesaispascommentTessaapu lesupportertoutes
cesannées.Jecommenceàcroirequ’elleseplanquaitdanslaserrepourluiéchapperàlui,pasàRichard.
Jenelablâmeraispaspourça,jesuistentédefairelamêmechoseencemoment.Ilestassisdanslecanapédel’énormesalondesesparents.– Je pense que tu n’aurais pas dû appeler ce type. Je ne l’aime vraiment pas. Je ne
t’aimepastoinonplus,maisilestencorepirequetoi.–Ferme-la.Jeronchonneetmeremetsàfixercecoussintoutbizarresurlegiga-fauteuilpompeux
quej’aifaitmien,cesderniersjours.–Jedisça...Jenecomprendspaspourquoitul’asappelésitulehaisàcepoint.Ilnesaitpasfermersagueule.Jedétestecebleddemerdequin’apasd’hôtelàtrente
bornesàlaronde.–Parceque…(jepousseunsoupirexaspéré)parcequ’ellene lehaitpas.Elle lui fait
même confiance, alors qu’elle ne le devrait pas, et elle a besoin de ce type d’ami en cemoment,puisqu’elleneveutpasmevoir.
–Etmoialors?EtLandon?Noah décapsule une cannette de soda en faisant un grand bruit. Même sa manière
d’ouvrirunecannetteestodieuse.Jenepeuxpasluidirequemavéritableangoisse,c’estqu’elleretournedanssesbrasà
lui, Noah, qu’elle préfère cette relation sans histoire, plutôt que de me redonner unechance.QuantàLandon,bon,jenel’admettraijamais,maisc’estmoiquiaiunpeubesoin
deluientantqu’ami.Jen’enaiaucunet j’aigenrebesoindelui,d’unecertainefaçon.Unpeu.
Beaucoup.Bond’accord,putain,j’aivraimentbesoindeluietTessamiseàpart,jen’aipersonned’autre.Or, Tessa, c’est à peine si je l’ai, alors je ne veux pas le perdre lui nonplus.
– Je ne comprends toujours pas. S’il l’aime bien, pourquoi veux-tu le voir tournerautourd’elle?Àl’évidence,tuesdugenrejalouxettusaismieuxquequiconquecommentpiquerlacopinedequelqu’und’autre.
–Ah!ah!Je lève les yeux au ciel et regarde par les luxueuses portes-fenêtres qui ouvrent la
façadeavantdelamaison.LamaisondesPorterestlaplusgrandedelarue,probablementlaplusgrossebaraquedecefoutubled.Jeneveuxpasqu’ilsefassedefaussesidées.Jeledéteste toujours,cecon,et jene le laissem’approcherqueparcequ’il fautque jedonneàTessadel’espace,sanstropm’éloignerd’elle.
–Qu’est-cequetuenasàfoutredetoutefaçon?Pourquoitujoueslesgentilsavecmoid’unseulcoup?Jesaisquetumeméprises,toutcommemoijetedéteste.
Je le regarde, vêtu de son cardigan demerde et de sesmocassinsmarron à la con,brillantscommelecrâned’unvieuxchauve.
–Tunecomptespaspourmoi.Cellequicompte,c’estTessa.Jeveuxjustequ’ellesoitheureuse. Il m’a fallu pas mal de temps pour accepter ce qui s’est passé entre nous, jem’étaissibienhabituéàsaprésence.C’étaitconfortableetj’étaisdisposéàcequeçadure,alors je ne pouvais pas comprendre ce qu’elle trouvait à unepersonne comme toi. Jen’aipascomprisetenfait,jenecomprendstoujourspas,maisjevoisàquelpointelleachangédepuisqu’ellet’arencontré.Pasenmal,c’estvraimentunchangementpositif.(Ilmesourit.)Enfin,sionfaitabstractiondecettedernièresemaine,évidemment.
Comment peut-il penser une chose pareille ? Je n’ai fait que la blesser et la détruiredepuisquej’aidébarquédanssavie.
–Bon…(Jemedandinedanslefauteuil,pasfranchementàl’aise.)Trêvedeconneries,jenevaispasdevenirtonpote.Maismercidenepasteconduireenconnard.
Jemelèvepourallerdanslacuisined’oùjepeuxentendrelamèredeNoahutiliserlemixeur. Jepourrais rester ici. Franchement, çam’éclatede la voir chercher sesmots et segratterlecouduboutdesongleschaquefoisquejemeretrouvedanslamêmepiècequ’elle.
–Laissemamèretranquille,oùjetemetsàlaporte.Sontonmoqueurmefaitpresquerire.Putain,siTessanememanquaitpasautant,jerigoleraismêmeaveccepeigne-cul.–Tuvasàl’enterrement,hein?Tupeuxveniravecnoussituveux,onpartdansune
heureenviron.Jem’arrêtenet,hausselesépaules,puistrituremonplâtre.
–Non,jenepensepasquecesoitunebonneidée.–Pourquoipas?C’esttoiquiaspayé.Tuétaissonami,plusoumoins.Jecroisquetu
devraisyaller.–Arrêted’enparleretsouviens-toicequejet’aiditàproposdeça.Tunedispasque
j’aipayécesconneries.(Montonsefaitmenaçant.)Alorsputain,laramènepas.Noahlèvesesyeuxbleusàlaconetjesorsdelapiècepourtorturersamèreetarrêter
decogitersurZedquidoitêtreencemomentdanslamêmemaisonqueTessa.Maisputain,àquoijepensais?
33
Hardin
Je n’arrive pas à me souvenir de la dernière fois où j’ai assisté à un enterrement. En y
réfléchissantbien,jesuisàpeuprèssûrquejen’enaijamaisvu.Quand lamèredemamèreestmorte, jen’ai tout simplementpas euenvied’y aller.
J’avaisdescoupsàboireetunesoiréequejenepouvaispasrater.Jen’aijamaisressentilebesoindefairemesadieuxàcettefemmequejeconnaissaisàpeine.Laseulechosequejesavaisdecettevieillepeau,c’estqu’ellen’enavaitrienàfoutredemagueule.C’estàpeinesi elle pouvait encaisser ma mère, alors pourquoi perdre mon temps assis sur un bancd’église,àprétendreêtretristeàcaused’undécèsquinemetouchaitpasdutout?
Pourtant,desannéesplustard,jemeretrouveaufondd’unepetiteégliseàpleurerlamortdupèredeTessa.Tessa,Carol,Zedetcequisembleêtrelamoitiédecetteputaindecongrégation squattent les premiers rangs. Il n’y a que moi et une vieille qui ne saitcertainementpasoùelleest,j’ensuissûr,assisaudernierrang.
ZedestassisàcôtédeTessa,samèredel’autre.Jeneregrettepasdel’avoirappelé…Enfinsi,mais jenepeuxpas ignorer l’ombrede
viequisemblel’avoiraniméedepuisqu’ils’estpointéaujourd’hui.ElleneressembletoujourspasàmaTessa,maiselleestsurleboncheminetsiceconnardestlaclépourfairerenaîtresalumière,ehbien,putain,allons-ygaiment.
J’ai fait beaucoup de trucs tordus dans ma vie, beaucoup. Je le sais, Tessa le sait,putain,toutlemondedanscetteégliseestprobablementaucourantgrâceàsamère,maisjevaistoutarrangerpourelle.Rienàfoutred’avoiràfaireamendehonorabledetouteslescasseroles que je me traîne de mon passé ou de mon présent, ce qui compte, c’est deraccommodercequiaétécasséavecelle.
Je l’ai brisée… elle a dit qu’elle n’a pas réussi àme réparer… qu’elle ne sera jamaiscapabledelefaire.Maiscen’estpasellequim’aabîmé.Ellem’aguérieetpendantqu’ellemesoignait,jebrisaissabelleâmeenbientropdemorceaux.Sijerésume,àmoitoutseul,je l’ai brisée, brisé son esprit brillant, tout en étant égoïstement rafistolé par ses soins.Cequ’ilyadeplusdéconnantdanscemassacre,c’estquejerefusaisdevoiràquelpointjelablessais,àquelpointj’aiétouffésalumière.Jelesavais,jel’aitoujourssu,maisjen’enavaisrienàfoutre, jen’aicomprisquequandc’était troptard.Quandellem’arejetéunebonnefois pour toutes, là, j’ai pigé. Ça m’est tombé dessus comme un mur de briques que jen’auraispaspuéviter,mêmesij’avaisessayé.
Ilafalluquesonpèredécèdepourquejevoieàquelpointmonplanpourl’éloignerdemoi était complètement con. Si j’y avais réfléchi, vraiment réfléchi, j’aurais compris à quelpointc’étaitdébile.Ellemevoulait,moi.Tessam’atoujoursaiméplusqueje leméritaisetcommentl’ai-jeremerciée?Jel’aipousséeetrepousséejusqu’àcequ’ellen’enpuisseplusdemesconneries.Maintenant,elleneveutplusdemoi,elleneveutplusmedésireretilfautquejetrouveunmoyendeluirappeleràquelpointellem’aime.
Là,jesuisassisaufonddel’égliseàregarderZedpassersonbrassursonépauleetserapprocherd’elle.Jenepeuxmêmepasdétournerlesyeux.Jesuiscoincé,obligéd’assisterà ça. Peut-être que je me punis, peut-être pas, mais de toute manière, je ne peux pasm’empêcherdelamater,lavoyantsepencherversluietluimurmureruntrucàl’oreille.Lafaçondontsonexpressionsoucieuselacalme,c’estbizarre,ellesoupire,puisilluisourit.
Quelqu’unseglisseàmescôtés,interrompantmomentanémentmatorture.–Onestpresqueenretard…Hardin,pourquoies-tuassisaufond?Landon.Monpère…Kenestassisàcôtédelui,tandisqueKarenprendladécisionde
marcherjusqu’auxpremiersrangsdelapetiteéglisepours’approcherdeTessa.–Vouspouvezyalleraussisivousvoulez.Lespremiersrangssontréservésauxproches
quisontimportantspourTessa.Je me plains en jetant un coup d’œil à la rangée de personnes que je ne peux pas
encaisser,deCarolàNoah.Et ça inclutTessa. Je l’aime,mais jenepeuxpas supporterd’être aussi proched’elle
alorsqueZedlaréconforte.Ilnelaconnaîtpascommejelaconnais.Ilneméritepasd’êtreassisàcôtéd’elleencemoment.
Landonmeréconforte.–Arrêtetesbêtises.Biensûrqu’ellepeuttesupporter.C’estl’enterrementdesonpère,
essaiedetesouvenirdeça.Jesurprendsmonpère…putain…Ken,jesurprendsKenentraindem’observer.Il n’est même pas mon père. Je le savais. Ça fait une semaine que je le sais, mais
maintenantquejelevois,faceàmoi,c’estcommesijeledécouvraisànouveau.Jedevraisleluidiremaintenant,jedevraisconfirmersesdoutesetsimplementluidirelavéritésurma
mèreetVance.Jedevrais luidire là,maintenant, toutdesuite,et lui fairesentir lamêmedéceptionquemoi.Mais est-ceque j’étaisdéçu, au fond? Jen’en suispas certain ; j’étaisfurieux.Jesuistoujoursencolère,maisjenesuispasalléplusloin.
–Commenttutesens,fils?Commepourappuyer sonpropos, sonbraspassederrièreLandonet samainsepose
surmonépaule.Toutbalancer.Jedevraistoutluibalancer.–Çava.Je hausse les épaules en me demandant pourquoi ma bouche ne veut pas coopérer
avecmatête,justepourtoutluidire.Commejeledistoujours,lemalheuraimeavoirdelacompagnieetjesuisaussimalheureuxqu’onpeutl’être.
–Jesuisdésolépourtoutça,j’auraisdûappelerlacliniqueplussouvent.Jeteprometsquej’avaisprisdesnouvelles,Hardin.Jel’aifait,jenesavaispasqu’ils’étaitenfui,jenel’aisuquequandc’étaittroptard.Jesuisdésolé.
La déception dans le regard de Ken me force à fermer ma gueule sans l’embarquerdansmaviréededésespoir.Ilajoute:
–Jesuisdésolédetoujourstedécevoir.Monregardcroiselesienetjehochelatête,jedécideàcetinstantqu’iln’apasbesoin
desavoir.Pasmaintenant.Alorsjerépondscalmement:–Cen’estpastafaute.JesenssoudainleregarddeTessasurmoi,m’appelantmêmeàunetelledistance.Sa
tête est tournée vers moi et le bras de Zed n’est plus sur son épaule. Elle me regardeattentivement, comme je le faisais, j’agrippe le banc de bois de toutes mes forces et jem’empêchedetraverserl’égliseencourantpourmeprécipiterverselle.
–D’unemanièreoud’uneautre,jesuisdésolé.Ken retire samaindemon épaule. Ses yeuxmarron sont brillants de larmes, comme
ceuxdeLandon.–C’estbon.Jemarmonne,toujoursfocalisésurleregardgrisquisoutientlemien.–Vas-y,elleabesoindetoi.J’ignoreladouceremarquedeLandon,j’attendsqu’ellemedonneunesortedesignal,
n’importequelpetitfragmentd’émotionquimemontreraitqu’elleabesoindemoi.Jeseraisalorsàsescôtésenunéclair.
Leprêtremonte sur l’estrade et elle sedétournedemoi sansm’inviter à l’approcher,sanslemoindresignequ’ellemevoyaitmêmetoutcourt.
Mais avant que je puissem’apitoyer surmon sort, Karen fait un sourire à Zed qui sedécaled’uneplaceetlalaisses’installeràcôtédeTessa.
34
Tessa
Je fais un sourire de faux-cul à un étranger anonyme puis je passe au suivant, le
remerciantdesaprésence.L’enterrementaétérapide;apparemment,cetteéglisenevoyaitpasd’untrèsbonœil lacélébrationdelavied’undrogué.Quelquesmotscrispés,deuxoutroisfauxcompliments,etl’affaireaétépliée.
Plus que quelques personnes ; encore quelques émotions forcées pour présenter sescondoléances et des remerciements simulés. Si j’entends encore une fois dire à quel pointmonpèreétaitunhommebien,jepensequejevaishurler.Jecroisquejevaismemettreàcrierenpleinmilieude l’église,devant touscesgens, lesamispersonnelsdemamère.Laplupart d’entre eux n’ont jamais même rencontré Richard Young. Pourquoi sont-ils ici etquels mensonges ma mère a-t-elle pu débiter sur mon père pour qu’ils chantent seslouanges?
C’estpasque jenecroispasquemonpèreétaitunhommebien.Jene leconnaissaispasassezpour juger sapersonnalitémais je connais la réalité, et la réalité, c’estqu’ilm’aabandonnéeavecmamèrequand j’étais enfant et qu’il n’est revenudansmavie qu’il y aquelques mois, par hasard. Si je n’avais pas accompagné Hardin chez ce tatoueur, je nel’auraisprobablementjamaisrevu.
Il ne voulait pas faire partie dema vie. Il ne voulait être ni père ni époux. Il voulaitvivre sa vie et faire des choix qui tournaient autour de lui et de personne d’autre. Tantmieux pour lui, vraiment, mais je ne comprends pas ses choix. Je ne comprends paspourquoiilafuisesresponsabilitéspourmenerlavied’undrogué.Jemesouviensdecequej’airessentiquandHardinamentionnélessaleshabitudesdemonpère;jen’arrivaispasàle croire. Pourquoi ai-je si facilement accepté son alcoolismemais pas son addiction à ladrogue?Jen’arrivaissimplementpasàmefaireàcette idée.Jepenseque j’essayaisdans
matêtedevoiren luiunepersonnemeilleure.Jesuisdoucemententrainderéaliserque,commeHardinledittoujours, jesuisnaïve.Jesuisnaïveetstupidedetoujoursessayerdevoirlebiendanslespersonnesqui,enretour,meprouventlecontraire.J’aitoujourstortetj’enaivraimentmarre.
–Cesdamesveulentvenircheznousquandnouspartironsd’ici,ilfautquetum’aidesàpréparerlamaisonpourlesrecevoir,dèsnotrearrivée.
–Quisont«cesdames»?Est-cequ’ellesleconnaissaientseulement?Jenepeuxpasm’empêcherdeparlersurcetonsecetjeculpabiliselégèrementquand
ma mère fronce les sourcils. Cette culpabilité s’envole instantanément quand je la voisregarderautourd’ellepours’assurerqu’aucunedeses«amies»nem’aentendueparlersurcetonirrespectueux.
–Oui,Theresa.Quelques-unesd’entreellesleconnaissaient.–J’adoreraisvousprêtermainforteégalement.Sivousn’yvoyezpasd’inconvénient.Je suis contentequeKaren soit là.Elleest toujours sigentilleetattentionnée ;même
mamèresemblel’apprécier.–Avecgrandplaisir.MamèrerépondparunsourireàceluideKarenets’éloigneenfaisantunsigneàune
femmequejeneconnaispasaumilieudupetitgroupedepersonnesquis’estformésurlapelousedevantl’église.
– Ça ne te dérange pas que je me joigne à vous, moi aussi ? Mais je comprendraisparfaitementque tuneveuillespas.Jesaisqu’Hardinest iciet tout,maispuisquec’est luiquim’ademandédevenir…
–Non,biensûr,tupeuxtejoindreànous,Zed.Tuasfaitunlongcheminjusqu’ici.Sur le parking, je ne peux pas m’empêcher de chercher Hardin du regard lorsque
j’entendssonnom.JerepèreLandonetKenà l’autrebout. Ilsmontentdans lavoituredeKen. À ce que je vois, Hardin n’est pas avec eux. J’aurais aimé pouvoir parler à Ken etLandon,maisilsétaientassisàcôtéd’Hardinetjenevoulaispasqu’ilss’éloignentdelui.
Pendant l’enterrement, je ne pouvais rien faire, mais je me suis inquiétée qu’HardinrévèlelavéritésurChristianVanceàKendevanttoutlemonde.Hardindoitsesentirmal,ilauraitpuavoirenvied’attirerquelqu’undanssonmal-être.Jepriepourqu’ilaitladécenced’attendre le bon moment pour lui apprendre cette blessante vérité. Je sais que c’estquelqu’un de bien ; au fond de lui, Hardin n’est pas unemauvaise personne. Il est justemauvaispourmoi.
JemetourneversZedquitriturelespoisduveteuxdesachemiserouge.–Tuveuxmarcher?Ilyenapourvingtminutesaupluspourreveniràlamaison.Ilaccepteetnousnouséclipsonsavantquemamèrenepuissemecaserdanssapetite
voiture.Encemoment, jenepeuxpassupporter l’idéed’êtrecoincéedansunpetitespaceensacompagnie.Mapatienceenverselleaatteintseslimites.Jeneveuxpasêtreimpolie,
mais je sens que ma frustration augmente chaque fois qu’elle touche ses cheveuxparfaitementbouclés.
Zedromptlesilenceauboutdedixminutesdemarchedanslesruesdemapetitevillenatale.
–Tuveuxenparler?–Jenesaispas.Riendecequejepourraisdiren’auraitdesens.Jesecouelatête,nevoulantpasqueZedsacheàquelpointjesuisdevenuedingueen
une semaine. Il n’a pas posé de question sur ma relation avec Hardin et je lui en suisreconnaissante.RiendecequiconcerneHardinn’estouvertàladiscussion.
–Balance.Zedmesouritchaleureusement.–Jesuisfolle.–Folledetristesseoufolletoutcourt?Il me taquine en cognant doucement son épaule contre la mienne alors que nous
attendonsaupassagecloutéqu’unevoiturepasse.– Les deux. (J’essaie de sourire.) Enfin, surtout folle de tristesse. Est-ce que c’estmal
quejeressentedelacolèrecontremonpèred’êtremort?Jedétestel’impressionquemefontcesmots.Jesaisquec’estmal,maisilsmesemblent
tellement justes. La colère, c’est toujours mieux que rien et c’est une distraction. Unedistractiondontj’aidésespérémentbesoin.
–Cen’est pasmald’avoirde telles idées, bonunpeuquandmême. Jenepensepasquetudevraisêtreencolèrecontre lui.Jesuiscertainqu’iln’avaitaucune idéedecequ’ilfaisaitquandilafaitça.
Zedbaisselesyeuxversmoi,maisjemedétourne.–Ilsavaitcequ’ilfaisaitquandilestentrédanscetappartementavecladrogue.Bien
sûr, il ne savait pas qu’il allait mourir, mais il savait que c’était possible et tout ce qu’ilvoulait, c’était sedéfoncer. Iln’apenséàpersonned’autreque luietà sonbonplaisir, tuvois?
Je ravale la culpabilitéquiaccompagnemesmots. J’aimaismonpère,mais j’aibesoinderegarderlaréalitéenface.J’aibesoindelaissersortircequejeressens.
Zedfroncelessourcilsetrépond:– Jene saispas,Tessa. Jenepensepasquec’était commeça. Jenepensepasqu’on
puisseêtreencolèrecontreunmort,particulièrementunparent.–Cen’estpascommes’ilm’avaitélevée.Ilestpartiquandj’étaispetite.Est-cequeZedlesavait?Jen’ensuispascertaine.J’aitellementl’habitudedeparlerà
Hardin,quisaittoutdemoi,queparfoisj’oubliequelesautresnepeuventsavoirquecequejeleuraidit.
–Peut-êtrequ’ilestpartiparcequ’ilsavaitquec’étaitcequ’ilyavaitdemieuxpourtamèreettoi?
Zedessaiedemeréconforter,envain.Cequ’ilmeditmedonnejusteenviedehurler.J’enaiassezd’entendreexactementla
mêmeexcusesortirdetouteslesbouches.Toutescespersonnesquidisentvouloircequ’ilyademieuxpourmoietqui,pourtant,trouventdesexcusesàcepèrequim’abandonnée,enfaisant croire que c’était pourmonbien.Quel altruiste d’avoir abandonné sa femmeet safille!
–Jenesaispas.Passonsàunautresujet.Cequenousne faisonspas.Nous restons silencieux jusqu’à lamaisondemamèreet
j’ignore le ton contrarié avec lequel elle me réprimande d’avoir mis aussi longtemps àrentrer.
–HeureusementqueKarenestvenuemeprêtermainforte.Jepassedevantellepourentrerdanslacuisine.Zed estmal à l’aise, pas trop sûr de savoir s’il doit aider, ou pas. Bien entendu,ma
mèreluidonneuneboîtedebiscuitsapéritifsetluimontredudoigtunplatsansprononcerunmot.KenetLandonontdéjàétémisau travail. Ilsarrangentunecorbeillede fruitsetdécoupent des légumes pour les servir dans sa plus belle vaisselle. Celle qu’elle utilisequandelleveutimpressionner.
–Ouais,heureusement…Jenesaispassiellem’aentendue.J’aurais cru que l’air printanier m’aiderait à me rafraîchir les idées et à apaiser ma
colère, mais en fait, non. La cuisine demamère est trop petite, trop étouffante, surtoutqu’elleseremplitd’improbablesfemmesendimanchées.
–J’aibesoindeprendrel’air.Jerevienstoutdesuite,restelà.Jeprofitequemamèreseprécipitedanslecouloirpourchercheruntruc.Autant jesuis reconnaissanteàZedd’avoir fait toutecette routepourmeréconforter,
autantjenepeuxpasm’empêcherdeluienvouloirdenotreconversation.Jesuiscertaineque quand j’aurai les idées claires, je verrai les choses autrement,mais là, j’ai juste envied’êtreseule.
La porte arrière de la maison grince et je me maudis en espérant que ma mère nesurgissepastelundiabledesaboîtepourmeramenerdeforceàl’intérieur.Lesoleilafaitdesmiraclessurl’épaissecouchedebouequitapisselesoldelaserre.Destachessombresethumides couvrent encore lamoitié de la surface,mais j’arrive à trouver unpetit coin sec.Abîmerleschaussuresàtalonsquem’amèrem’aachetéesalorsqu’ellen’enavraimentpaslesmoyens,estbienladernièrechosequejeferais.
Ducoinde l’œil, j’aperçoisunmouvementet jememetsàpaniquer jusqu’à ceque jevoie Hardin sortir de derrière une étagère. Ses yeux sont clairs et soulignés de marques
sombres qui détonnent sur son teint pâle. Sa peau mate, d’ordinaire rayonnante, est àprésentd’unecouleurivoirehantéeetfragile.
Jem’excuseetreculepoursortirdupetitespace–Désolée,jenesavaispasquetuétaislà.Jevaisyaller.–Non,c’estbon.C’esttacachetted’abord,tutesouviens?Ilme faitun sourireetmêmesi c’est lepluspetitdes sourires, ilme sembleplus réel
quelesinnombrablesfaussesexpressionsdesympathiequ’onm’aadresséesaujourd’hui.–C’estpasfaux,maisjedoisrentrerdetoutefaçon.J’attrapelapoignéedelaportepourl’ouvrir,maisiltendlamainpourm’empêcherde
le faire. À l’instant où ses doigts entrent en contact avecma peau, je retire vivementmamain,cequiprovoquechez luiungrossoupirdefrustration. Ilreprendcontenance,passedevant moi pour tenir la poignée et s’assurer que je ne parte pas, et me demandedoucement:
–Dis-moipourquoituesvenueici.–Je…C’estjusteque…Jecherchemesmots.AprèsmaconversationavecZed,j’aiperdul’enviedediscuterde
mesabominablespenséessurlamortdemonpère.–Rien.–Tessa,dis-moi.Ilmeconnaîtassezpoursavoirquandjemensetjeleconnaisassezpoursavoirqu’ilne
melaisserapasquittercetteserreavantquejeneluiaieditlavérité.Maispuis-jeluifaireconfiance?Jeregardesanspouvoirm’enempêcher lanouvellechemisequ’ilasur ledos. Iladû
l’acheter pour l’enterrement car je connais tous ses vêtements et il n’y a pasmoyen qu’ilrentredanslesvêtementsdeNoah.Nonpasqu’illesporteraitunjour…Lamanchedecettenouvellechemisenoireestdéchiréepourlaisserpassersonplâtre.
–Tessa.Jesorsdemesdivagationsàproposdesesvêtements.Ledernierboutonde sa chemiseestdéfait et le colestde travers. Je reculed’unpas
avantderépondre:–Jenepensepasqu’ondevraitfaireça.–Fairequoi?Parler?Jeveuxjustesavoirdequoitutecaches.Unedemandesisimpleetpourtantsi insidieuse.Jemecachedetout.Jemecachede
tellementdechosesquejenepourraispaslesnommer,deluitoutenhautdelaliste.J’aienvie de passermes nerfs sur Hardin,mais c’est trop facile de retomber dans nos petiteshabitudesetjen’aiplusenviedejoueràcespetitsjeux.Jenepeuxplusfaireça.Ilagagnéetjedoisapprendreàvivreavec.
–Toietmoisavonstrèsbienquetunesortiraspasdecetteserreavantd’avoircrachélemorceau,alorsépargne-nousunpeudetempsetd’énergie,dis-moitout.
Ilessaiededireçasurletondelaplaisanterie,maisjevoisl’ombredudésespoirdanssonregard.
Jefinispasadmettre:–Jesuisfurieuse.Ilhochevivementdelatête.–Évidemment.–Enfin,jeveuxdire,vraiment,genrefollederage.–Tuasbienraison.Jelèvelesyeuxverslui.–J’airaison?–Biensûrquetuasraison.Jeseraisdanslemêmeétatsij’étaisàtaplace.Jenepensepasqu’ilsaisissecequej’essaiededire.–J’enveuxàmonpère,Hardin.Jesuistellementencolèrecontrelui.Aprèscetteclarification,jem’attendsàcequ’ilchangesaréponse.–Moiaussi.–Ahbon?–Putain,maisouais, çame fout lesboules.Et toiaussi, tuas toutes les raisonsde la
Terred’avoirenviedeluidéfoncerleportrait.Refroidioupas.Jenepeuxretenir l’éclatderirequi s’est formédansmagorgeenvoyant l’expression
desérieuxsurlevisaged’Hardinalorsqu’ilmeditunechoseaussiridicule.–Tunecroispasquec’estmaldemapartdenepasarriveràêtre triste tellement je
suisencolèrecontreluides’êtreôtélavietoutseul?Jemarqueunpetittempsd’arrêtenmâchouillantmalèvreinférieure.– C’est ce qu’il a fait. Il s’est suicidé et il n’a même pas pensé à quel point ça
perturberaittoutlemonde.Jesaisquec’estégoïstedemapart,maisc’estcequejeressens.Jebaisselesyeuxsurlesolenterrebattue.J’aihontedeça,demessentiments,maisje
mesens tellementmieuxdepuisque j’ai laissésortir touscesmots.J’espèrequ’ils resterontici,enterrésdanscetteserre,etj’espèrequemonpère,quelquepartlà-haut,nepeutpaslesentendre.
Hardinpressesesdoigtssousmonmentonetmelèvelatête.–Hé.Jenetressaillepasàsoncontact,maisjesuiscontentequ’illeromperapidement.–N’aies pas honte de ces sentiments. Il s’est suicidé et ce n’est la faute de personne,
sinonlasienne.Putain,j’aivuàquelpointtuétaisexcitéequandilestrevenudanstavieetc’estvraimentuncond’avoirtoutfoutuenl’airsimplementpourladéfonce.
Le tonqu’emploieHardinestdur,mais c’est exactement ceque j’aibesoind’entendreencemoment.
Ilritdoucementetajoute:–Maisquisuis-jepourparler?Ilfermelesyeuxetsecouedoucementlatête.Jedétournelaconversationpournepasparlerdenous.–Jemesensmald’avoirdesidéespareilles.Jeneveuxpasluimanquerderespect.–Mais,merde,quoi.Tuasledroitdesentircequetuveuxetpersonnen’aquoiquece
soitàyredire.Ilaccompagnesesmotsd’unmouvementdesamainplâtréeentreluietmoi.–J’aimeraisquetoutlemondepensecommetoi.Jesoupire.JesaisquemeconfieràHardinn’estpascequ’ilyadeplussainetjedois
faireattention,maisjesaisqu’ilestleseulàvraimentmecomprendre.– Je suis sérieux, Tessa.Ne laisse pas l’un de ces coincés du cul te faire regretter tes
sentiments.J’aimerais que ce soit aussi simple que ça. J’aimerais être davantage comme Hardin
pourn’enavoir rienà fairedeceque lesgenspensentdemoietnepasavoirpeurde lesblesser,maisjenepeuxpas.Jenesuistoutbêtementpascommeça.J’aidel’empathiepourles autres,même quand je ne le devrais pas et j’aimerais pouvoirme dire que ce trait decaractèrevacesserdeprovoquermaperte.C’estbiendesesoucierd’autrui,c’estuneforce,maisçameblessebientropsouvent.
Il a suffi de quelques minutes dans cette serre avec Hardin pour faire disparaîtrepratiquementtoutemacolère.Jenesuispastropsûredesavoircequil’aremplacée,maisjeneressenspluscettefureurincandescente.Ilmerestelabrûlurepersistantedeladouleurqui,jelesais,resterauncompagnondelongueroute.
–Theresa!LavoixdemamèrerésonnedanslejardinetHardinetmoisursautons.–Çanemeposeaucunproblèmedetouslesenvoyerchier,elleycompris.Tulesais,
hein?Il cherchemon regard et j’acquiesce. Je le sais bien et çame plairait de le lâcher au
beaumilieudecettefouledebonnesfemmesbavardesquin’ontrienàfaireici.–Jesais.Jesuisdésoléedem’épanchercommeça.C’estjustequeje…Laportedelamoustiquaireclaque,mamèreentredanslaserre.–Theresa,s’ilteplaît,rentreàlamaison.Malgré son ton autoritaire, elle fait de son mieux pour cacher sa colère contre moi,
maissonmasqueluiéchappeàvitessegrandV.Leregardd’Hardinvaduvisageencolèredemamèreaumien,avantdepasserdevant
nous.
–Detoutefaçon,j’allaispartir.Lesouvenirdemamère le trouvantdansmachambredefac ilyaquelquesmoisme
traversel’esprit.ElleétaittellementencolèreetHardinavaitl’airsiabattuquandilm’avaitlaisséepartiravecelleetNoah.Cesjourssemblentsilointains,sisimples.Jenesavaispascequim’attendait,aucund’entrenousnelesavait.
–Quefais-tuici,d’ailleurs?Cequejefaisaisnelaregardepas.Ellenecomprendraitpasmessentimentségoïsteset
jeneluiferaisjamaisassezconfiancepourlesluirévéler.EllenecomprendraitpaspourquoijeparlaisàHardinaprès l’avoir évitépendant trois jours.Ellene comprendrait riende cequejepourraisluidireparcequ’ellenemecomprendpas,toutsimplement.
Alors, plutôt que de répondre à sa question, je me tais et regrette de ne pas avoirdemandéàHardindequoiluisecachaitdansmaserre.
35
Hardin
–Hardin,s’ilteplaît.Ilfautquejemeprépare.
Tessamarmonnaitcontremapoitrine.Cejour-là,soncorpsnuétaitétalésurmoi,cequidistrayaitjusqu’aupluspetitneurone
restantdansmoncerveau.–Tun’espas convaincante, jeune femme.Si tuvoulaisvraimentpartir, tu seraisdéjà
sortiedulitàl’heurequ’ilest.Tuvasêtreenretard.J’aiembrassél’ourletdesonoreilleetelles’esttortillée.–Ettuneseraiscertainementpasentraindetefrottercontremaqueue.Elleagentimentgloussépuiss’estglisséecontremoi,entrantdélibérémentencontact
avecmonérection.–Etvoilà,tuasgagné.Tunevasjamaisarriveràl’heureencoursmaintenant.J’aigrognéenagrippantseshanchesvoluptueusesàpleinesmains.Mesdoigtssesont
glissésenelle,luicoupantlesouffle.Putain, je la sens toujours si étroiteet si chaudeavecmesdoigts, etplusencoreavec
mabite.Sans unmot, elle a roulé sur le côté etmis samain surmon gourdin, en faisant de
lents allers et retours.De son pouce, elle a essuyé la petite perle humide déjà formée aubout de mon membre ; un sourire a trahi l’impassibilité de mon visage quand elle m’asuppliédeluiendonnerplus.
–Plusdequoi?Je l’ai titillée, priant pour qu’ellemorde à l’hameçon. Peu importait, je savais ce qui
allaitarriver;j’avaisjusteenviedel’entendreledire.
Sesdésirsprenaientplusd’ampleur,ilsétaientplustangiblesquandellelesexprimaitàhautevoix.Sa façondebredouilleretdegémirmeremplissaitde satisfactionetétaitbienplusqu’unesuppliquelubrique.Desesmots,ellemesignifiaitsaconfiance;lesmouvementsdesoncorpssoulignaientsaloyautéenversmoi,etlapromessedesonamourcomblaitmoncorpsetmonesprit.
J’étaistotalementconsuméparelle,putain, j’étaisperduenellechaquefoisqueje luifaisaisl’amour,mêmequandjeluimentais.Cettefois-làn’étaitpasuneexception.
–Dis-moi,Tessa.Je la pressais pour qu’elle me dise les mots que je voulais entendre. Les mots dont
j’avaisbesoin.–Plusdetout,juste…justetoi,toutentier.Elle a gémi en frôlantma poitrine de ses lèvres. Puis j’ai soulevé l’une de ses cuisses
pour la passer au-dessus de la mienne. Ce serait plus difficile comme ça, mais bien plusprofond, et je pourrais la regarder plus facilement. Je pourrais regarder ce quemoi seulpeux lui faire et, putain, je pourrais décoller rien qu’à voir sa bouche s’ouvrir quand ellejouitencriantmonnom.
Tuasdéjàtoutdemoi.Voilàcequej’auraisdûdire.Àlaplace, j’aipassélamainpar-dessus son corps pour choper une capote, l’enfiler et me faufiler entre ses cuisses. Songémissementdesatisfactionafaillimefaireexploseràcemoment-là,maisjemesuisretenuassezlongtempspourlamenerauborddugouffreavecmoi.Ellememurmuraitàl’oreillecombien elle m’aimait et à quel point je lui faisais du bien et j’aurais dû lui dire que jepensaislamêmechose,peut-êtreencoreplusqu’ellenepouvaitl’imaginer,maisàlaplace,j’aiditsonnometj’aiéjaculédanslepréservatif.
Il y a tant de choses que j’aurais dû dire, j’aurais pu dire, et putain de merde, quej’auraiscertainementditessij’avaissuquemesjoursauparadisétaientcomptés.
Sij’avaissuquej’enseraisaussiviteexpulsé,jel’auraisvénéréecommeellelemérite.J’aientenduTessadireàCarolqu’elleallaitencoredormirchezelle.Noahmeramèneàlaréalitédecettefaçonirritantequ’ilademeparler.–Tuessûrquetuneveuxpasresterunenuitdeplus?Aprèsuneminuteàmefixercommeungentiltoutouséducteur,ilajoute:–Çava?–Ouais.Jedevraisluidirecequipassedansmatête,luiparlerdusouvenirdoux-amerdeTessa
enroulée autour de moi, de ses ongles enfoncés dans mon dos pendant qu’elle jouissait.Maisbon,jeneveuxpasglissercetteimagedanssatêtenonplus.
–Alors?–Jemecasse.Ilfautquejeluilaissedel’espace.
Je me demande comment j’ai pu me foutre dans une situation pareille, pourcommencer.Jesuisunvraicon,voilàcomment.Mastupiditéestsanspareille,enfinsi,elleressemble à celle demes pères et demamère aussi, probablement. Je dois avoir pris çad’eux. C’est d’eux trois que je tire ma capacité à l’auto-sabotage et à la destruction desseuleschosesbiendemavie.
Jepourraislesblâmer.Jelepourrais,maisrejeterlafautesurtoutlemondenem’apasmenébienloinjusqu’à
présent.Peut-êtrequ’ilesttempsquejem’yprenneautrement.–Del’espace?J’ignoraisquetusavaiscequec’est!Noahessaiedeblaguer,maismonregardassassinl’arrêteviteetilajoute:–Situasbesoindequoiquecesoit,jenevoispastropquoi,maisjusten’importequoi
enfait,tupeuxm’appeler.Il jette un coup d’œil gêné à l’immense salon familial et, pour éviter de croiser son
regard,jeregardelemurderrièrelui.AprèscetéchangeinconfortableetquelquesœilladesnerveusesdelapartdeMadame
Porter, je prendsmonpetit sac et sorsde lamaison. Jen’ai rien avecmoi, juste quelquesfringuesdégueulassesetmonchargeurde téléphonedansmonsacmerdique.Pireencore,etçac’est franchementchiant,c’est seulementmaintenantque jesuisdehorssous lapluiequejemerappelleoùj’ailaissémacaisse.Etmerde.
Jepourraisalleràpiedchez lamèredeTessaetdemanderàKendemerameners’ilestencore là,mais jenesuispassûrquecesoitunebonne idée.Si jem’approcheunpeuplusd’elle, ne serait-ce que si je respire lemêmeair qu’elle, personnene sera capabledenousséparer.J’ailaisséCarolmedégagerdelaserre,maisçan’arriveraplus.J’étaissiprèsdemarquerunpointavecTessa.Jel’aisentietjesaisqu’elleaussi.Jel’aivuesourire.J’aivusonsourirevideettristepourletristegarçonquil’aimedetoutesonâmeabîmée.
Elle m’aime encore assez pour m’offrir des sourires pour rien et ça, putain, ça veutvraimenttoutdire.Elleestmontout.Peut-être,justepeut-être,quesijeluidonnel’espacedontelleabesoin,ellecontinueradem’accorderquelquesmiettes.Jeprendraicesmiettesavec plaisir. Putain, un petit sourire, un texto en réponse, merde, si elle n’a pas uneordonnance restrictive contre moi, je me contenterai de n’importe quoi jusqu’à ce que jepuisseluirappelercequenouspartagions.
Luirappeler?Jesupposequecen’estpasvraimentça,enfaitjeneluiaijamaismontréquel genred’homme je pouvais être. Jen’ai jamais été riend’autre qu’un égoïstemort detrouille, laissant mes peurs et ma haine contre moi-même mener la danse, me tournanttoujours vers autre chose. Je ne pouvaisme concentrer que surmoi-même etmon atrocehabitudedeprendretoutl’amourettoutelaconfiancequ’ellem’offraitpourlesluirenvoyerenpleinefigure.
Il pleut de plus en plus et, franchement, ça va. En temps normal, toute cette flottem’aiderait à ressasser ma haine, mais pas aujourd’hui, aujourd’hui la pluie n’est pas sichiante.Ellemepurifiepresque.
Enfin,voussavez,sijenedétestaispascesmétaphoresdemerde.
36
Tessa
Lapluies’est remiseà tomber,dessinantun lourdrideausur lapelouse.Jesuisappuyée
contrelafenêtreàregarderfixementlepaysage,commesij’étaisfascinée.Avant,j’aimaislapluie. Elle me réconfortait quand j’étais enfant et cette sensation s’est poursuivie àl’adolescence.Maintenant que je suis adulte, elle ne fait queme renvoyer le reflet demasolitude.
Lamaisonestvidemaintenant.MêmeLandonetsafamillesontretournéschezeux.Jen’arrive pas à savoir si je suis contente qu’ils soient partis ou triste deme retrouver touteseule.
–Jepeux?Unevoixetunpetitcoupfrappéàlaportedemachambremerappellentquejenesuis
pastouteseule,aprèstout.Zedaproposéderesterchezmamèrecesoiretjen’aipaspuluirefuser.Jem’assieds
prèsde latêtedemonlitetattendsqu’ilouvre laporte.Auboutdequelquessecondes, iln’est toujourspasentré, je l’y invitedoncàvoixhaute.Ondiraitque jesuishabituéeàcequ’unecertainepersonnedébarque toujoursavantque je luiendonne lapermission.Nonpasqueçam’aitvraimentgênée…
Zed entre dans la petite pièce vêtu des mêmes vêtements que ceux qu’il portait àl’enterrement, sauf que maintenant, plusieurs boutons de sa chemise sont ouverts et sescheveuxsansgelsontretombés,cequiluidonneunairplusdoux,plusagréable.
Ilprendplaceaucoindulitetsetourneversmoi.–Commenttuvas?–Ehbien,onpeutdirequeçava.Jenesaispascommentjesuiscenséemesentir.
Maréponseesthonnête,jenepeuxpasluidirequejeporteledeuildedeuxhommescesoir,passeulementd’un.
–Tuveuxaller faireun tour?Oupeut-êtrevoirun film,ouun trucdans legenre?Pourtechangerlesidées.
Jeprendsunmomentpourréfléchiràsaquestion.Jen’aienvied’allernullepartnidefairequoiquecesoit,mêmesijeledevraisprobablement.J’étaisbienàcôtédemafenêtre,àpsychotersurlapluiecafardeuse.
–Ouonpourraitjusteparler?Jenet’aijamaisvuecommeça,tun’espastoi-même.Zedposesamainsurmonépauleetjenepeuxpasmeretenirdemepencherverslui.
C’était injuste d’avoir été si dure avec lui cet après-midi. Il essayait simplement de meréconforter,endisantl’inversedecequejevoulaisentendre.Cen’estpaslafautedeZedsij’ai récemment décidé de m’installer à Tarée-land, c’est ma faute, à moi et à personned’autre. Population : deux habitants, moi et mon vide intérieur. Il compte pour unepersonnepuisquec’esttoutcequirestedemoiaprèslabataille.
–Tessa?LesdoigtsdeZedfrôlentma jouepourgagnermonattention.Embarrassée, jesecoue
latêteenretour.–Désolée,jetel’aidit,jesuisunpeufolle.J’essaiedesourireetilfaitlamêmechose.Ils’inquiètepourmoi,jelevoisbiendansle
dorédesesyeuxnoisette.Jelevoisdanslefaiblesourireforcédeseslèvrespleines.–C’estnormal.Tuaspleindetrucsàgérer.Viensparlà.Iltapotelecouvre-litàcôtédeluietjem’approche.–Ilfautquejetedemandeuntruc.Sonteintmatlaisseparaîtreunecertainerougeursursesjoues.Jeluifaissignedecontinuer.Jenevoispasdutoutcequ’ilveutmedemander,maisil
aétéunsibonamidevenirjusqu’icipourmeréconforter.–Ok,bon…(Ilprendunegrandeinspiration.)Jemedemandaiscequisepassaitentre
Hardinettoi.Ilsemordlalèvreinférieure,jedétourneleregard.–Jenesaispassic’estsagedeparlerd’Hardinetdemoi…–Jen’aipasbesoindedétails.Jeveuxjustesavoirsic’estvraiment,absolumentterminé
entrevouscettefois-ci.Jedéglutis.C’estdifficileàdire.–Oui.–Tuessûre?Quoi?Jemeretourneverslui.–Oui,maisjenevoispas…
JesuisinterrompueparleslèvresdeZedsurlesmiennes.Sesmainsseposentsurmescheveuxetsalangueessaiedes’insinuerentremeslèvrescloses.J’enpousseunpetitcridesurprisequ’ilprendpouruneinvitationàpoursuivresesavances,plaquantsoncorpscontrelemien,meforçantàm’allongersurlematelas.
Confusetprisparsurprise,moncorpsn’enréagitpasmoinsrapidementetmesmainsrepoussentsapoitrine.Ilhésiteuninstant,essayanttoujoursdem’embrasser.
–Qu’est-cequetufais?Finalementils’arrête.–Quoi?Sesyeuxsontécarquillésetseslèvresgonflées.–Pourquoias-tufaitça?Jeme lèvebrusquement,complètementdéconcertéeparsongeste,mais j’essaiedene
pasdramatiser.–Quoi?T’embrasser?–Oui!C’est sorti du fond du cœur, mais je me couvre vite la bouche. Je n’ai vraiment pas
besoinquemamèredébarque.–TuasditquetuavaisrompuavecHardin!Tuviensdeledire!Ilparleplusfortquemoi,maissansrienfairepourbaisserleniveaucommejel’aifait.Pourquoipense-t-ilqu’ilpeuts’autoriseràfaireça?Pourquoim’a-t-ilembrassée?Instinctivement, je croise les bras sur ma poitrine et réalise qu’en fait j’essaie de me
couvrir.–Çan’étaitpasune invitationàmesauterdessus!Jepensaisquetuétaisvenupour
meréconforterenami.–Enami?Tuconnaismessentimentspourtoi!Tuastoujourssu!Jesuisdéroutéeparladuretédesavoix.Ilatoujoursétésicompréhensif.Qu’est-cequi
achangé?–Zed,tuétaisd’accordpourquenoussoyonsamis,tuconnaismessentimentspourlui.Je garde un ton aussi calme et neutre que possible en dépit de la panique qui me
gagne.Jeneveuxpasleblesser,maislà,iladépassélesbornes.Illèvelesyeuxauciel.– Non, je ne connais pas tes sentiments pour lui parce que vous deux, vous êtes les
championsdesallers-retours.Tuchangesd’avistouteslessemaines,etmoij’attends,encoreettoujours.
Jeme recroqueville. C’est à peine si je reconnais Zed ; je veux que l’ancien revienne.Celuienquij’aiconfianceetquej’affectionnen’estpaslà.
– Je sais bien. Je sais que c’est ce que nous faisons, mais je croyais avoir été clairequand…
–Mecollerfaçonmouleàsonrochern’envoiepasfranchementcemessage.Savoixestplateetfroide,etdesfrissonsmeparcourentl’épinedorsalequandjevoisla
différence entre ce Zed et celui d’il y a deux minutes. Son accusation m’offense et meperturbe.
–Jenemecollaispasàtoi.(Iln’apaspupenserunechosepareille!)Àl’enterrementdemonpère,tuaspassétonbrasautourdemesépaulespourmeréconforter.J’aipenséquec’était gentil, je ne voulais pas que tu le prennes autrement. Pour moi, ce n’était riend’autre. Hardin était là, tu ne peux quand même pas croire que je t’aurais témoigné lemoindresignedetendressedevantlui?
Lebruitd’uneportedeplacardquiserefermerésonnedanslapetitemaisonetjesuisinfinimentsoulagéequandZedfaitenfinuneffortpourbaisserd’unton,maissaremarqueestacerbe:
–Pourquoipas?Tum’asdéjàutilisépourlerendrejalouxdanslepassé.Je veuxmedéfendre,mais je sais qu’il a raison. Pas pour tout,mais là ilmarqueun
point.–Jesaisquec’estcequej’aifaitdanslepassé,etj’ensuisdésolée.Vraiment.Jet’aidéjà
dit à quel point j’étais désolée et je le répète : tu as toujours été là pourmoi et je t’aimebien,maisjecroyaisqu’onenavaitdéjàparlé.Jecroyaisquetuavaiscomprisquenousnepourrionsjamaisêtreautrechosequ’amis.
– Tu es tellement aveuglée par ce mec que tu ne vois même pas à quel point c’estgrave.
Lachaleurdesonregardalaisséplaceàuneombreglaciale.– Zed. (Je soupire, vaincue.) Je suis désolée, d’accord ? Vraiment, mais ton
comportementestabsolumentinacceptable.Jecroyaisquenousétionsamis.Jeneveuxpasmedisputeraveclui,pasaprèslasemainequejeviensdetraverser.Ilrépondencrachantcesmots:–Non,nousnesommespasamis. Jecroyaisque tuavaisbesoindeplusde temps, je
croyaisquec’étaitmachancedet’avoir,enfin,ettumerejettes.Encore.– Je ne peux pas te donner ce que tu veux. Tu sais que je ne le peux pas. C’est
impossible.Quecesoitbienoumal,Hardinm’amarquéeetjeneseraispascapabledemedonneràtoi.Àpersonneenfait,jecrains.
Jeregrettecesmotsaumomentoùilssortentdemabouche.Quand j’enai fini avec cediscourspathétique, le regarddeZedmedonne le tournis,
mefaitdésespérémentrecherchertoutetracedel’inoffensifmaisoptimisteMonsieurCollins 1
que je croyais connaître. En fait, j’ai face à moi, dans cette chambre, un Wickham3
imposteur, insistant,blesséparDarcydans lepassé,quiprétendaitêtre charmantet loyalpourséduirealorsqu’enréalitéc’étaitunmenteur.
Jem’approchedelaporte.
Comment ai-je pu être aussi stupide ? Elizabethm’attraperait par les épaules et mesecouerait un bon coup pour me mettre un peu de plomb dans la cervelle. J’ai passétellementdetempsàdéfendreZedcontreHardin,àtournerses inquiétudesendérision,àincriminersajalousie,alorsqu’enfaitilatoujourseuraison.
–Tessa,attends!Jesuisdésolé!Je suis déjà en traind’ouvrir la porte de lamaison et demeprécipiter sous la pluie,
quandilm’appelle,savoixrésonnedanslecouloiretattirel’attentiondemamère.Maisjesuisdéjàpartie,partiedanslanuit.
1.Personnaged’OrgueiletpréjugésdeJaneAusten.
37
Tessa
L’eauprojetéeparmespiedsnussurlebétonm’aéclabousséeetletempsd’arriverchezles
Porter,mesvêtementssonttrempés.Jenesaispasquelleheureilest,jenepeuxmêmepasdéterminerlemomentdelajournée,maisc’estunsoulagementdevoirlalumièretoujoursallumée chez eux. Une sensation de calmeme saisit, je suis comme apaisée par de l’eaufraîchelorsquelamèredeNoahvientm’ouvrirlaporte.
–Tessa?Machérie!Est-cequetuvasbien?Elle me fait vite entrer, ça m’horripile de voir l’eau dégouliner sur leur parquet
impeccable.–Jesuisdésolée,jevoulaisjuste…Un regard au salon cossu et d’une propreté quasi parfaite me fait regretter
immédiatementd’êtrevenueici.Hardinneveutcertainementpasmevoirdetoutefaçon.Maisoùavais-jelatête?Jene
peuxpluscourirmeréfugierdanssesbras.Iln’estpasl’hommequejecroyais.MonHardinadisparuenAngleterre,leberceaude
mes contes de fées, un étranger l’a remplacé et nous a détruits. Mon Hardin ne sedrogueraitpas,netoucheraitàaucuneautrefemmeetlalaisseraitencoremoinsportersesvêtements.MonHardinnese seraitpasmoquédemoidevant sesamisetnem’auraitpasrenvoyéeenAmérique,jetéecommesij’étaisunemoinsquerien.Jenesuisrien,àsesyeuxdumoins.Plusj’énumèresesoutrages,plusjemetrouvestupide.Lavérité,c’estqueleseulHardinquejeconnaissem’afaittoutçaetilarecommencé,encoreetencore,etpourtant,mêmemaintenant,enmeparlantàmoi-même,jecontinuedeledéfendre.
Jesuispathétique!
–Jesuisdésolée,MadamePorter.Jen’auraispasdûvenirchezvous.Désolée.S’ilvousplaît,neditesàpersonnequejesuisvenueici.
Je lui présente mes excuses avec frénésie et comme la folle que je suis devenue, jereparsencourantsouslapluieavantqu’elleaitpum’arrêter.
Quandjem’arrêtedecourir, jesuisdevantlebureaudeposte.J’aitoujoursdétestécecoinquandj’étaispetite.Cepetitbâtimentdebriquesestisoléaumilieudenullepart,aufinfondde la ville. Il n’y animaisonni commerce aux alentours et dansunmomentpareil,quandilfaitnuitetqu’ilpleut,mesyeuxmejouentdestoursetlapetiteposteseperddanslesarbres.Gamine,jepassaistoujoursdevantencourant.
Monpicd’adrénalines’estévaporéetlà,j’aimalauxpiedsàforcedelestapercontrelebéton.Jenesaispascequim’aprisd’alleraussiloin.Jen’yaipasréfléchi,enfinjecrois.
Masantémentale,déjàbiendouteuse,metrahitencorelorsqu’uneombreémergesouslestoredubureaudeposte.Jecommenceàreculer,doucement,aucasoùceneseraitpasunehallucination.
–Tessa?Qu’est-cequetufousici,bordel?L’ombreempruntelavoixd’Hardin.Je tourne les talonspourpartir en courant,mais il est plus rapidequemoi. Ses bras
encerclentmatailleetilm’attirecontresapoitrineavantquej’aieletempsdepartir.Desagrande main, il me force à le regarder, j’essaie de conserver les yeux ouverts malgré lesgrossesgouttesdepluiequim’aveuglent.
–Maisputain,pourquoit’eslà,souslapluie,touteseule?Hardingrondecommel’orageenbruitdefond.Jenesaispascommentjemesens.J’aimeraissuivreleconseild’Hardinetressentirce
quejeveux,maiscen’estpassisimple.Jenepeuxpasabandonnerlepeudeforcequimereste.Si jem’autorise àgoûter l’indescriptible sensationde soulagementde sentir samainsurmajoue,jevaismedégonfler.
–Réponds-moi.Ils’estpasséquelquechose?–Non.Jemedégagedesonétreinteetessaiederetrouvermonsouffleaprèscemensonge.–Qu’est-ce que tu fais ici si tard, aumilieu de nulle part ? Je croyais que les Porter
t’hébergeaient?Je panique une minute en m’imaginant que Madame Porter lui a parlé de mon
embarrassanteetdésespéréeerreurdejugement.–Non,ilyauneheurequejesuisparti.J’attendsuntaxi.Ceconnardétaitcenséêtre
làdepuisvingtminutes.Sesvêtementssonttrempés,sescheveuxdégoulinentetsesmainstremblentcontrema
peau.–Dis-moipourquoitueslà,àpeinevêtueetnu-pieds.
Jevoisbienqu’ilfaitdegroseffortspourgardersoncalme,maissonmasquen’estpasaussi intact qu’il le croit. Clairement, je discerne de la panique dans le vert de ses yeux.Mêmedanslenoir,jevoisl’orages’annoncer.Ilconnaîtlaréponse,j’ail’impressionqu’ilsaittoujourstout.
–Rien,cen’estpasgrave.Je recule d’un pas, mais ça ne prend pas. Il s’approche, encore un peu plus. Il a
toujoursétéexigeant.Des phares percent le rideau de pluie et j’aperçois se profiler la silhouette d’un van.
Mon cœur semet à cognerpuismon cerveauentredans ladansequand je réalise que jeconnaiscevéhicule.
Lorsqu’ils’arrête,Zedenbonditetcourtversmoienlaissantlemoteurtourner.Hardins’interposeentrenous,l’avertissantsilencieusementdenepass’approcherdavantage.Voilàencoreune scèneà laquelle je suis trophabituée et que j’aimeraisnepas revivre.Chaqueaspect dema vie semble pris dans un cercle, un cercle vicieux, un cercle qui emporte unpetitboutdemoiàchacunedesesrévolutions.
Lavoixd’Hardinrésonneforteetdistinctesouslapluie:–Qu’est-cequetuasfait?–Qu’est-cequ’ellet’adit?Hardins’approchedeZed.–Tout.J’aidumalàinterpréterl’expressionduvisagedeZeddevantcemensonge.Mêmedans
lalumièredespharesdelavoiture,jenevoispasbien.–Ellet’aditqu’ellem’avaitembrasséealors?Zedricane,lavoixempreinted’unhorriblemélangedeméchancetéetdesatisfaction.Avantquejepuissemedéfendredesonnouveaumensonge,d’autrespharessurgissent
danslanuitpourcompléterlechaos.–Elleaquoi?Hardinest toujourstournéversZedet le faisceaudespharesdutaxi illumine l’espace
entre eux, suffisammentpour que je puisse apercevoir le rictusméprisant sur le visagedeZed. Comment peut-ilmentir surmoi àHardin de cettemanière ? Est-ce qu’Hardin va lecroire?Plusimportant,est-cequeçachangequelquechosesic’estlecas?
Enfait,est-cequej’enaiquelquechoseàfaire?–C’estàproposdeSam,c’estça?HardinluiposecettequestionavantqueZedaitletempsderépondre.–Non,biensûrquenon!Zeds’essuielevisage,Hardinpointeundoigtaccusateurverslui.–Maissi,c’estça!Jelesavais!Putain,jesavaisquetucouraisderrièreTessaàcause
decettesalope!
–Cen’estpasunesalope!Etcen’estpasqu’àcaused’elle,Tessacomptepourmoi !ToutcommeSamantha,etilafalluquetufoutestamerde!Ilfauttoujoursquetumettesleboxondansmavie.
Hardins’approched’unpasversluimaiss’adresseàmoi:–Montedansletaxi,Tessa.J’ignore sa remarque, je reste là où je suis. Qui est Samantha ? Le nom me dit
vaguementquelquechose,maisjenesaisplustropoùjel’aientendu.–Tessa,montedansletaxietattends-moi,s’ilteplaît.Hardin a lesdents serrées, il a atteint la limitede sapatience et, à ce que je vois de
Zed,lasienneaussis’estévaporée.–S’ilteplaîtHardin,netebaspascontrelui.Nerecommencepas.Jelesupplieparcequej’enaimarredecesbagarres.Jenepensepaspouvoirsupporter
d’êtreletémoind’uneautrescèneviolente,aprèsavoirdécouvertlecorpsdemonpèrefroidetsansvie.
–Tessa…Maisjel’interromps.–S’ilteplaît,Hardin,cettesemaineaétésihorrible,jenepeuxpassupporterdevoir
ça.Pitié,Hardin.Montedansletaxiavecmoi.Emmène-moiloind’ici,s’ilteplaît.Lepeuquimerestedesantémentaleaofficiellementdisparu.
38
Hardin
Tessa n’a pas dit unmot depuis que je suismonté dans le taxi et je suis trop occupé à
essayerdememaîtriserpourdirequoiquecesoit.Lavoirlà,danslanuit,courirpourfuirquelquechose,fuirZed,m’amisdansunecolèrepuissancemaximale,etceseraittropfaciledeluicéder.Delalaisseragirenliberté.
Mais jenepeuxpas faire ça.Pas cette fois.Cette fois, je vais lui prouverque jepeuxcontrôlercequisortdemabouche,etdemespoingsaussi.Jesuismontédanscetaxiavecelleplutôtqued’éclaterlecrânedeZedcontrelebétoncommeilleméritait.J’espèrequ’ellevalereconnaître,j’espèrequeçavaplaiderenmafaveur,neserait-cequ’untoutpetitpeu.
Tessa n’a pas essayé de s’échapper, elle n’a pas dit un mot quand j’ai demandé auchauffeurdepasserparlamaisondesamèrepourrécupérersonmerdier.C’estbonsigne.Ilfautqueçalesoit.Sesfringuessonttrempées,ellesluicollentàlapeau,surtoutlecorps,et ses cheveux forment des paquets sur son front. Elle les repousse de lamain, soupirantquandlesplusrécalcitrantsrefusentdecoopérer.Jedois faireappelàtoutesmesréservesdeself-controlpournepastendrelamainetlarecoiffer.
– Attendez ici pendant que nous serons à l’intérieur. On revient dansmoins de cinqminutes,restezlàoùvousêtes.
Lechauffeurétaitenretardquandilestvenumechercher,alorsilnefautpasqu’ilmefassechierd’attendreunpeu.Nonpasquejemeplaigne;s’iln’avaitpasétéàlabourre,jeneseraispastombésurTessamarchanttouteseulesouscettepluiedemerde.
Elle ouvre la portière et traverse la pelouse. Elle n’a aucune réaction à la pluie quil’arrose totalement, formant un bouclier et l’emportant presque loin de moi. Après avoirrappelé au chauffeur qu’il doit nous attendre, je lui cours après avant que la pluie noussépareplusencore.
Jeretiensmonsouffle,meforçantàignorerlevanrougegarédevantlamaison.D’unemanièreoud’uneautre,Zedatrouvélemoyendereveniriciavantnous,commes’ilsavaitoùj’allaislaramener.Maisjenepeuxpasperdrelespédales.JedoismontreràTessaquejepeuxmeteniretfairepassersessentimentsavantlesmiens.
Elledisparaîtdans lamaisonet je la suisquelques secondesplus tard.Carolestdéjàsursondosquandj’entre.
– Theresa, combien de fois vas-tu encore faire ça ? Tu te mets toi-même dans unesituationqui,tulesais,seracatastrophique!
Zedestaumilieudusalon,dégoulinantsurleplancher.Tessasepincelabasedunezentrelesyeux,signedecomplètedétressechezelle,etunefoisencore,jeluttepourneriendire.
Il suffirait d’unmot de travers dema part pour qu’elle reste ici, éloignée demoi deplusieursheuresderoute.
Tessalèveunemain,ungesteàmi-cheminentrel’ordreetlasupplique.–Maman,est-ceque tupeux juste t’arrêter? Jene fais rien, jeveux justepartird’ici.
Resterdanscettemaisonnem’aidepasetj’aiunboulotetdescoursàSeattle.Seattle?–TuretournesàSeattlecesoir?–Non,pascesoir,maisdemain.Jet’aime,Maman,et jesaispourquoituagiscomme
ça,maisj’aitrèsenviedemerapprocherdemon…euh…(lesyeuxgrisdeTessamelancentunregardtrèsincertain)deLandon.JeveuxmerapprocherdeLandon,là.
Oh…Zedouvresonclaque-merde:–Jevaist’yconduire.Jenepeuxsimplementpasm’empêcherdelecontredire.–Non,tuneleferaspas.J’essaied’êtrepatient,mais là,merde,c’est trop.J’auraisdûdébarquer,choper le sac
deTessaetlaramenerdansletaxiavantqueZednepuisseneserait-cequelaregarder.Lepetitsouriresatisfaitquis’étalesursagueule,lemêmequ’ilm’afaitilyaquelques
secondesàpeine,chercheàmenarguer.Ilessaiedemepousserdansmesretranchements,essaiedemefairepéterlesplombsdevantTessaetsamère.Ilveutjoueraucaïdavecmoi,commetoujours.
Maispascesoir.Jeneluidonneraipaslasatisfactiond’êtresonpion.–Tessa,prendstesaffaires,ons’enva.L’expression hargneuse peinte sur le visage des deux femmes me fait reformuler ma
phrase:–S’ilteplaît,peux-tuallercherchertonsac?LevisagedeTessas’adoucit,elles’envadanslecouloirverssonanciennechambre.
LesyeuxdeCarolvontetviennentdeZedàmoi.–Ques’est-ilpassépourqu’elleparteencourantsouslapluie?Lequeldevousdeuxa
faitça?Ellenousassassineduregard,c’enestpresquecomique.–Lui.Commedesmômes,nousnoussommesmutuellementaccusés,d’unemêmevoix.Carol lève lesyeuxaucielet suit sa filledans lapetitechambre.Jemeconcentresur
Zed:–Tupeuxtetirer,maintenant.JesaisqueCarolm’entend,maishonnêtement,là,jen’enaiplusrienàbattre.– Tessa ne voulait pas que je parte ; elle était seulement un peu paumée. Elle s’est
colléeàmoi,m’asuppliéderestericiavecelle.(Sontonestmauvaisetilpoursuit,mêmesijesecouelatête.)Elleneveutplusdetoi.Tuasgrillétoutesteschancesavecelle,ettulesais.Tuasvucommeellemeregarde?Tuasvucommeelleaenviedemoi?
Je serre les poings et prends de grandes inspirations pourme calmer. Si Tessa ne sedépêche pas de sortir avec son sac, ce salon va être repeint en rouge sang quand ellereviendra.Quelconnardavecsonpetitsourireàlacon!
Ellenel’auraitpasembrassé.Elleneferaitpasunechosepareille.Desflashsdemoncauchemardansentderrièremespaupières,merapprochantencore
plus de mon point de rupture. Ses mains sur son ventre gonflé de femme enceinte, sesonglesàelle luigriffant ledos.Sa fâcheuse tendanceà toujoursallervers les copinesdesautres…
Elleneferaitpasunechosepareille.Ellenel’auraitpasembrassé.Jemeforceàluirépondre:–Çanevapaslefaire.Tunevaspasmeforceràt’attaquerdevantelle.C’estterminé.Putain, j’ai envie de lui éclater la tête et de voir la matière grise s’échapper de son
crâne.Putain,j’enaitellementenvie!Ils’assiedsurunbrasducanapéetsourit.–Tum’as rendu la tâche facile.Ellem’aditàquelpointelleavaitenviedemoi,elle
m’aditçailyamoinsd’unedemi-heure.Iljetteuncoupd’œilàsamontrecommepourvérifier.Ceconnardd’enfoiréselajoue
dramatique,commetoujours.–Tessa!Je l’appellepoursavoircombiende temps jevaisencoredevoir tolérer laprésencede
cetrouducul.Lamaison est silencieuse, sauf quelquesmurmures de Tessa et de samère. Je ferme
momentanément les yeux, espérantqueCaroln’apas convaincu sa fillede resterdans cebleddemerdeunenuitsupplémentaire.
–Çaterenddingue,hein?(Zedcontinueàmenarguer.)Commentcrois-tuquejemesentaisquandtuasbaiséSam?C’étaitmillefoispirequelapetitejalousiedérisoirequeturessensencemoment.
Comme s’il pouvait comprendre la profondeur demes sentiments pour Tessa ! Je leregarde,excédé.
–Jet’aiditdefermertagueuleetdetecasser.Personnen’enarienàfoutredeSametdetoi.C’étaitunefillefacile,tropfacilepourmoi,etriendeplus.
Zed faitunpasversmoi. Je redresse ledos,histoirede lui rappelerquema tailleestl’undesnombreuxavantagesquej’aisurlui.Àmontourdeluifairepéterlesplombs:
–Quoi?Tun’aimespasm’entendreparlerdetaprécieuseSamantha?LesyeuxdeZedvirentaunoir,m’avertissantdem’arrêter,mais je refuse.Putain, ila
euleculotd’embrasserTessaetd’essayerd’utilisersessentimentscontremoi?Àl’évidence,ilnesaitpasquej’aitoutunarsenaldephrasesassassinesdanslamanche.
–Ferme-la.Il continuedemepousser.Peut-êtreque jenevaispasutilisermespoingscecoup-ci,
maisdetoutefaçonmesmotsontunimpactplusimportantsurlui.–Pourquoi?Je jetteunregarddans lecouloirpourm’assurerqueTessaest toujoursoccupéeavec
samèrependantquejetortureZedverbalement:–Tuneveuxpasquejeteparledelanuitoùjel’aibaisée?Enfait,c’estàpeinesije
m’en souviens, mais j’ai cru comprendre que ce que je lui ai fait était tellement nouveauqu’elle en a couvert quelques pages de son journal intime. Elle n’était pas franchementmémorable,maisaumoinsellefaisaitpreuved’enthousiasme.
Je savais à quel point il était mordu de cette meuf et, à l’époque, j’ai cru que leurrelation devenait compliquée pour elle. La blague, c’est qu’en fait, elle est devenue pluschiantequedivertissante.
–Jel’aibaiséejusqu’àplussoif,jepeuxtel’assurer.C’estpeut-êtrepourçaqu’ellem’afaitlecoupdelagrossesseaprès.Tut’ensouviensdeça,hein?
Je m’arrête une seconde, une petite seconde, pour réfléchir à ce qu’il a dû ressentirquandiladécouvertlepotauxroses.J’essaiedemesouvenirdecequim’atraversél’espritquand j’ai décidé deme la taper. Je savais qu’ils sortaient ensemble. Je l’avais entendueparlerde lui à laphotocopieuse chezVanceet j’ai toutde suite été intrigué.Çane faisaitquequelquessemainesquejeconnaissaisZedetj’aipenséqueçapourraitêtremarrantdelefairechier.
–Tuétaiscenséêtremonami.Cettephrasepathétiquetombeàplatdansnotreéchange.–Tonami?Jenefaispaspartiedetesamisdégénérés.Jeteconnaissaisàpeine,cela
n’avait rien de personnel. (Jem’approche de lui et empoigne son col.) Comme ça n’avait
riendepersonnel quandStéphanie t’a présentéRebeccamême si elle savait queNoah s’yintéressait. Personnel, c’est quand tudéconnes avecTessa.Tu sais ce qu’elle représente àmesyeux,plusquen’importequellesalopeaubureaupourraitêtrepourtoi.
Jenel’aipasvuvenir,ilmerepousseetm’éclatecontrelemur.Lescadresdesphotostremblentettombentparterre,faisantrevenirTessaetsamèreencourant.
–Va te faire foutre !J’auraispubaiserTessaaussi,çaauraitété facilevucommeelles’estjetéesurmoicesoirsitunet’étaispaspointé!
SonpoingentreencollisionavecmaboucheetTessacried’horreur.Legoûtmétalliquedusangserépandsurmalangueetjedéglutisrapidementavantdem’essuyerleslèvresetlementondureversdelamanche.Tessaseprécipiteàmescôtés.
–Zed!Va-t’en!Toutdesuite!Desespetitspoings,elletapesursapoitrine;jel’attrapedélicatementpourl’écarterde
lui.TessaentendantZedparlerd’elle commeça, estunepureexpériencequime fout en
extase.C’estexactementcedontj’aiessayédelaprévenirdepuisledébut:iln’ajamaisétélegentilgarçoninnocentqu’ilessayaitdejouer.
Bon,ok, jesaisqu’iladessentimentspourelle.Jenesuispassiaveuglequeça.Maisses intentionsn’ont jamaisétéhonorables. Ilvient justede le luiprouveret jenepourraispas être plus heureux. Je suis un connard d’égoïste, mais je n’ai jamais prétendu lecontraire.
Sans un autre mot, Zed sort sous la pluie. Ses phares s’allument, projettent de lalumièreparlesfenêtresets’éloignentdanslarue.
–Hardin?LavoixdeTessaestdouceetteintéed’épuisement.Noussommesassisàl’arrièredece
taxidepuispresqu’uneheureetnousn’avonspaséchangéunmot.Mavoixestéraillée,jedoism’éclaircirlagorge.–Ouais?–QuiestSamantha?J’attendaisqu’ellemeposecettequestiondepuisquenousavonsquittélamaisondesa
mère. Je pourrais lui mentir, je pourrais monter un bateau pour donner une imagemerdiquedeZed,sonvéritablereflet,oujepeuxêtrehonnête,pourunefois.
–C’estune fillequia faitun stagechezVance. Je l’aibaiséealorsqu’elle sortaitavecZed.
J’ai décidé de ne pas mentir, mais je regrette la dureté de mes mots lorsque je voisTessatressaillir.Alorspouressayerdelesadoucir,j’ajoute:
–Désolé,jevoulaissimplementêtrehonnête.–Tusavaisquec’étaitsacopinequandtuascouchéavecelle?Ellemeregardedroitdanslesyeuxcommeelleseulesaitlefaire.
–Oui,jelesavais.C’estpourçaquejel’aifait.Jehausselesépaules,ignorantlesoupçonderegretquimenacedefairesurface.–Pourquoi?Sesyeuxfouillentlesmienspourytrouveruneréponsedécente,maisjen’enaiaucune.
Jen’aiquelavérité.Cettevéritéinfâmeetdépravée.–Jen’aipasd’excuse.Cen’étaitqu’unjeupourmoi.Jesoupire,regrettantd’êtreunepareilleordure.PaspourZedouSamantha,maispour
cette jolie fillesidoucequi,mêmeàcet instant,neme jugepas lemoinsdumondeetmeregarde,attendantquejedéveloppemonexplication.
–Tuoubliesquejen’étaispaslamêmepersonneavantdeterencontrer.Jen’avaisriende l’homme que tu connais maintenant. Enfin, je sais que tu penses que je déconnecomplètementencemoment,maiscrois-moi,tumehaïraisencoreplussitum’avaisconnuàl’époque.
Jedétournelesyeuxpourregarderparlavitreetjepoursuis:–Jesaisqueçanesevoitpas,maistum’asvraimentbeaucoupaidé,tum’asdonnéun
butdanslavie,Tess.J’entendssabrusqueexpirationetjegrimace,elledoitpenserquejesuispathétiqueet
hypocrite.J’ensuiscertain.–Etquelestcebut?Savoixtimiderésonnedanslanuitdevenuesoudainimmobile.– J’essaie encore de le comprendre.Mais je vais y arriver, alors s’il te plaît, essaie de
resterassezlongtempsdanslesparagespourquej’arriveàletrouver.Ellemeregarde,silencieuse.Je luiensuisreconnaissant, jenepensepaspouvoirêtreenmesured’accepterdeme
faire jeter, là. Je détourne la tête pour regarder le paysage plongé dans une profondeobscurité. Je suis content que rien d’irrémédiable ni de dévastateur ne soit sorti de sabouche.
39
Tessa
Quand je me réveille, des bras passent autour de ma taille et me portent hors de la
voiture.Lalumièreblanchesurletoitdutaximerappellelanuitquejeviensdepasser.Uninstant de panique : je regarde autour demoi pourm’apercevoir que je suis devant chezKen,pas,pas…
–Jeneteramèneraijamaislà-bas.Hardinmurmureàmonoreille lesmotsquirépondentàmoninquiétudeavantmême
qu’ellenes’exprimedansmoncerveau.Je ne proteste pas quand Hardin me porte jusqu’à la maison en remontant l’allée.
Karen est réveillée, assise dans un fauteuil devant la fenêtre, un livre de cuisine sur lesgenoux.Hardinmeremetdebout,jevacilleunpeu.
Karenselève,traverselapiècepourmerejoindreetmeserredanssesbras.– Tu veux que je t’apporte quelque chose,ma chérie ? J’ai fait des petits gâteaux au
caramel.Tuvaslesadorer.Ellesouritetglissesamainchaudedanslamienne,m’emmenantverslacuisineavant
qu’Hardindise:–Jemontetonsaclà-haut.–Est-cequeLandondortencore?–Jecrois,oui,maisjesuiscertainequeçaneledérangerapasquetuleréveilles.Ilest
encoretôt.Karensouritetmetunpetitgâteaurecouvertdecaramelsuruneassietteavantqueje
nepuissel’enempêcher.–Non,c’estbon.Jeleverraidemain.
LamèredeLandonmeregarde,douceettendre.Sesdoigtstriturentnerveusementsonalliancesursondoigtfin.
– Je sais que ce n’est vraiment pas lemoment et j’en suis désolée,mais je voulais teparlerdequelquechose.
Sonregardchaleureuxbrilledesollicitude;ellemefaitsignedemordredanslegâteaupendantqu’elleversedulaitdansdeuxverres.
J’acquiesce pour qu’elle poursuive, la bouche pleine du délicieux dessert. Je n’ai pasencoremangé, j’étais trop bouleversée, et la journée a été trop longue. Je tends lamainpourenprendreunautre.
–Jesaisqu’ilsepassebeaucoupdechosesdanstavieencemoment,alorssi tuveuxquejetelaissetranquille,dis-lemoi.Jeteprometsquejecomprendrai,maisj’aimeraisbienavoirtonopinionsurunsujet.
Jeluiconfirmed’unsignedetête,labouchepleinedegâteau.–C’estàproposd’HardinetdeKen.J’ouvregrandlesyeuxetm’étouffantàmoitié,jetendslamainversleverredelait.Est-
cequ’elleestdéjàaucourant?Est-cequ’Hardinaditquelquechose?Karenmetapedans ledos, jeboisunegorgéede lait froidetellecontinueen faisant
desgestescirculairesdansmondos:– Ken est tellement content qu’Hardin commence enfin à le supporter. Ça le rend si
heureux d’enfin pouvoir construire une relation avec son fils ; c’est quelque chose qu’il atoujours voulu faire. Hardin est son plus grand regret et ça m’a fait mal pendant tantd’années de le voir dans cet état. Je sais qu’il a fait des erreurs, beaucoup, beaucoupd’erreurset,enaucuncas, jeneluitrouveraisd’excusespourça.(Sesyeuxs’emplissentdelarmesqu’elleessuieduboutdesdoigts,puisellesourit.)Désolée.Jesuisconfuse.
Elleprendquelquesgrandesinspirationsetajoute:–Cen’estpluslemêmehomme.Ilneboitplusdepuislongtemps,ilafaitunethérapie
etilaeudesannéespourréfléchiretregrettersesactes.Ellesait.KarenestaucourantpourTrishetChristian.Mapoitrinesecomprimeetmes
yeuxs’emplissentdelarmesaussi.–Jesaiscequevousallezdire.J’aime cette famille. Je l’aime comme la mienne et j’ai des sentiments pour tous ses
membres,avecleurssecrets,leursproblèmesd’addictionetleursregrets.–Tuesaucourant?Ellepousseungrossoupir,signedesonsoulagement.–Landont’aparlédubébé?J’auraisdû lesavoir.Alors j’imaginequ’Hardinestaussi
aucourant,non?Nouvellequintedetoux,unequinteétrangléependant laquelleKarenm’observeavec
attention.
–Quoi?Unbébé?– Alors, tu n’étais pas au courant. Je sais que je suis plus vieille que lamajorité des
femmesenceintes,maisjedébuteàpeinemaquarantaineetmonmédecinm’aassuréquejesuisenassezbonnesanté…
–Unbébé?Je suis soulagée qu’elle ne sache pas que Christian est le père d’Hardin, mais là, ça
dépasselestadedelasurprise.–Oui.(Ellesourit.)J’étaistoutaussichoquéequetoi.Kenaussi.Ilesttellementinquiet
pourmoi. Landon a failli faire une crise. Il était au courant demes rendez-vous chez lemédecin,mais je ne lui ai pas dit de quoi il retournait, alors le pauvre chou pensait quej’étaismalade. Jemesentais trèsmalet il a falluque je lui révèle lavérité.Cen’étaitpasplanifié.(Sonregardcherchelemien.)Maismaintenantquenousavonsdépassélestadeduchoc,noussommesheureuxd’avoirunnouvelenfantdansnotrevie,sitard.
Jeluisauteaucouet,pourlapremièrefoisdepuisplusieursjours,jeressensdelajoie.Làoùiln’yavaitpratiquementqueduvideenmoi,jesensmaintenantunsentimentdejoie.J’aime Karen et je suis ravie pour elle. Cette sensation est si agréable. Je commençais àm’inquiéterdeneplusjamaispouvoirressentirça.
–C’estincroyable!Jesuissiheureusepourvousdeux!Jedéborded’enthousiasmeetsesbrasm’enserrentdenouveau.–Merci,Tessa.Jesavaisqueturéagiraisdecettemanière,c’esteffectivementexcitant
et plus j’avance, plus ça devient tangible. (Elle s’écarte légèrement etm’embrasse sur lesjouesavantdeme regarder bien en face.) Jem’inquiète seulement de ce que va ressentirHardin.
Et voilà, mon bonheur est stoppé net, immédiatement remplacé par de l’inquiétudepourHardin.Savieentièreétaitbaséesurunmensongeetiln’apasexactementbienprislanouvelle. L’homme qu’il pensait être son père va maintenant avoir un autre enfant etHardinseraoublié.Véritéoupas,jeleconnaisassezpoursavoirquec’estcequ’ilvapenser.EtKarenlesaitaussi,raisonpourlaquelleelleavaitdumalàaborderlesujet.
–Çanevousdérangepasquecesoitmoiquiluiannoncelanouvelle?Maisbiensûr,jecomprendrais.
Ilne fautpasque je réfléchisse tropà laquestion.Jesaisque jebrouille lespistes là,maissijequitteHardin,jepréfèrem’assurernepaslaisserlebazarderrièremoi.
C’estuneexcuse,m’avertitunepartiedemoncerveau.–Non,bien sûrquenon.Pourêtrehonnête, j’espéraisque tuacceptesde le faire. Je
saisqueçatemetdansunepositiondélicateetjeneveuxpasquetutesentesobligéedetemêlerdetoutça,maisj’aipeurdelaréactiond’Hardinsic’estKenquiluiannonce.Toi,tusaiscommentt’yprendreaveclui,commepersonned’autre.
–C’estbon,jevousassure.Jeluiparleraidemain.
Ellemeserreencoredanssesbras.–Tu as euune très dure journée. Je suis désoléed’avoir abordé ce sujet. J’aurais dû
attendre. Je voulais simplement lui éviter de deviner la nouvelle, surtout que j’ail’impressionqueçacommenceàsevoir. Ilaeuunevieassezdifficilecommeçaet jeveuxfaire ce qu’il faut pour que ça se passe bien. Je veux qu’il sache qu’il fait partie de cettefamille,quenousl’aimonstousbeaucoupetquecebébénechangerarienàtoutça.
–Illesait.Jeluipromets.Iln’estpeut-êtrepascapabledel’acceptertoutdesuite,maisillesait.Desbruitsdepasrésonnentenbasdel’escalieretKarenetmoisortonsdenotrebulle.
Nous nous essuyons toutes les deux les joues et je prends une autre bouchée de gâteau,quandHardinentredanslacuisine.Ilaprisunedoucheets’estchangé.Ilporteunbasdejoggingtropcourtqu’iladûprendredanslesaffairesdeLandon,lelogodeWCUbrodésurlacuisseenestlapreuve.Iln’yaaucunechancequ’ilsoitsupporterdel’université.
Sinousétionsailleurs, jememoqueraisdecepantalon.Maiscen’estpaslecas.Noussommes au pire des endroits, enfin, le meilleur pour moi ; c’est vraiment bizarre etdéroutant. Mais bon, l’équilibre n’a jamais été notre fort, alors pourquoi nos rupturesseraient-ellesplussaines?
–Jevaismecoucher.Tuasbesoindequelquechose?Savoixmesemble rauqueetbasse. Je lève lesyeuxvers lui,mais il regarde fixement
sespiedsnus.–Non,maismercidel’avoirproposé.–J’aimistesaffairesdanslachambred’amis,danstachambre.Jehochelatête.MoncôtétaréetpeudignedeconfianceregrettequeKarensoitdans
lacuisineavecnous,maisl’autrecôté,rationnel,aigrietmajoritaire,estbiencontentqu’ellesoitlà.Ildisparaîtdansl’escalieretjesouhaiteunebonnenuitàKarenavantdelesuivre.
Jemeretrouve rapidementdevant laportede lachambredans laquelle j’aipassé lesmeilleures nuits dema vie. J’attrape la poignée,mais je retire vitemamain, comme si lemétalfroidallaitmebrûler.
Cecycledoitprendrefinetsi jecèdeà toutesmes impulsions,àchaquefibredemonêtre qui désire désespérément être près de lui, je n’arriverai jamais à sortir de ce cercleinfernald’erreursetdedisputes.
Jefermelaportedelachambred’amisetlaverrouille.Etjem’endorsenregrettantnepasavoirconnulesdangersdel’amourlorsquej’étaisplusjeune.Sij’avaissuqueçafaisaitsimal, si j’avais su que j’en serais déchirée, puis recousue puis éparpillée de nouveau enmillemorceaux,jeseraisrestéeaussiloinquepossibled’HardinScott.
40
Tessa
–Tessie!Ici,viensparici!
C’estlavoixdemonpèredanslecouloir,sonexcitationestpalpable.Jedescendsdemonlitpourlerejoindreencourant.Dansmaprécipitation,marobede
chambremal nouéeme fait trébucher, jeme dépêche de la rattacher et déboule dans leséjour…oùmesparentssetiennentàcôtéd’unsapinmagnifiquementdécoré.
J’aitoujoursaiméNoël.–RegardeTessie,ont’aoffertuncadeau.Jesaisquetuesuneadultemaintenant,mais
j’aivuçaetilfallaitquejetel’offre.Monpèresouritetmamèresepencheverslui.Uneadulte?Je regardemespiedsetessaiedecomprendre le sensdecesmots. Jene
suispasuneadulte,enfinjenecroispas.On me pose une petite boîte dans la main et, sans plus y réfléchir, je retire avec
impatiencelenœuddoré.J’adorelescadeaux.Onnem’enoffrepassouvent,alorsquandçam’arrive,çaaunesaveurparticulière.
En arrachant le papier, je regarde mes parents, mais l’excitation de ma mère meperturbe.Jenel’ai jamaisvuesourirecommeçaetmonpère,ehbienj’ai l’impressionqu’ilnedevraitpasêtrelà,maisjen’arriveplusàmerappelerpourquoi.
–Dépêche-toi,ouvre-levite!Jehoche la têteavecenthousiasme, soulève lecouverclede laboîteetmet lamainà
l’intérieur… mais la retire rapidement parce que quelque chose m’a piqué le doigt. Ladouleur m’arrache presque quelques gros mots, j’en fais tomber la boîte par terre. Uneseringue roule sur lamoquette.Quand je lève lesyeuxversmesparents, lapeaudemonpèreaperdutoutecouleuretsesyeuxsontvides.
Lesouriredemamèreesttoujourséclatant,pluséclatantquejenel’aijamaisvu,aussiéclatantquelesoleil,ilmesemble.Monpèresepencheenavantetattrapelaseringueparterre. Il s’avance près de moi, aiguille en avant. Je tente de reculer, mais mes pieds neveulent pas bouger. Bien que j’essaie, ils ne bougent pas et je suis là, sans défense, à nepouvoirquehurlerquandilmel’enfoncedanslebras.
–Tessa!Landonestdanstoussesétats,ilparlefortenmesecouantl’épaule;ilmefaitpeur.Jem’assieds.Bizarrement,mont-shirtesttrempédesueur.Jeleregarde,puisobserve
monbrasencherchant,hallucinée,unemarquedepiqûre.–Tuvasbien?Je cherche mon souffle, ma poitrine me fait mal et j’ai du mal à reprendre ma
respiration.Jesecouelatête,Landonresserresaprisesurmesépaules.–Jet’aientenduecrier,alorsje…LandonestréduitausilenceparHardinquidébarquedansmachambre.Sesjouessontd’unrougeprofondetsesyeuxaffolés.–Qu’est-cequis’estpassé?IlpousseLandonets’assiedàcôtédemoisurlelit.–Jet’aientenduecrier.Qu’est-cequis’estpassé?Ilposedoucementsesmainssurmesjoueset,desespouces,essuiemeslarmes.–Jenesaispas,j’airêvé.–Quellesortederêve?La voix d’Hardin est réduite à un murmure et ses pouces caressent toujours mes
pommettesdansungestetrèslent.–Lemêmegenrederêvequetoi.Unsoupirs’échappedeseslèvres.–Depuisquand?Depuisquandfais-tudesrêvescommelesmiens?Jeprendsunmomentpourrassemblermespensées.– Seulement depuis que je l’ai trouvé, et ce n’est arrivé que deux fois. Je ne sais pas
d’oùilsviennent.Çamebouleversede levoir faire courir sesmainsdans ses cheveux,dansungeste si
familier…–Ehbien,c’estsûrquetrouverlecadavredesonpèrecauseraitàtoutlemondedes…
(Ils’interromptenpleinephrase.)Merde,jesuisdésolé,faudraitquej’aieunfiltre.Ilsoupiredefrustration,détachesonregarddumienetdétaillelatabledechevet.–Tuasbesoindequelquechose?Del’eau?Ilessaiedesourire,maisc’estunsourireforcé,tristemême,puisilpoursuit:–J’ail’impressionquejet’aiproposémillefoisdet’apporterdel’eaucesderniersjours.–Ilfautjustequejemerendorme.
–Tuveuxquejereste?C’estautantunequestionqu’uneexigence.–Jenepensepasque…JeregardeLandon.J’avaispresqueoubliéqu’ilétaitavecnousdanslapièce.–C’estbon.Jecomprends.Hardinfixeavecintensitélemurderrièremoi.Quandilhausselesépaulesensignededéfaite,jedoisfaireappelàtoutcequej’ai,au
moindresoupçond’amour-proprequimereste,pournepasluisauteraucouetlesupplierdedormiravecmoi.J’aibesoind’êtreréconfortéeparlui; j’aibesoindesesbrasautourdema taille et de ma tête sur sa poitrine pour m’endormir. J’ai besoin qu’il me donne cesentimentdepaixquejeluiaitoujoursoffert.Maisiln’estpluscefiletdesécuritésurlequeljepouvaismereposer,etbon,l’a-t-iljamaisété?Ilaétédepassagedansmavie,toujourshors de portée, constamment àme fuir et à fuir notre amour. Je ne peux plus lui couriraprès.Jen’aisimplementpluslaforcedecouriraprèsquelquechosed’aussiimprobableetirréel.
Le temps que je sorte de ma rêverie, il ne reste plus que Landon avec moi dans lapièce.
–Pousse-toiunpeu.Jeluiobéisetmerendorsenregrettantcespenséesquimeretiennentloind’Hardin.Mêmeaumilieudel’inévitabletragédiequereprésentenotrerelation,jen’enrenierais
pasuneseuleseconde.Jenerecommenceraispasdepuis ledébut,mais jeneregrettepasunseulinstantpasséàsescôtés.
41
Hardin
Il fait tellementmeilleur iciqu’àSeattle.Pasunetracedepluie, lesoleilamêmefaitune
discrèteapparition.Noussommesenavrilmaintenant:ilesttempsqu’ilfassebeau,putain.Tessa est dans la cuisine avec Karen et cette fille, Sophia, à longueur de journée.
J’essaiedeluimontrerquejepeuxlalaisserrespirer,quejepeuxattendrequ’ellesoitenfinprête à me parler, mais c’est plus dur que je ne me l’étais imaginé. C’était dur la nuitdernièrepourmoi.Putain, vraimentdurde lavoir endétresseet effrayée.Çame fout lesboulesquemescauchemarsaientdéteintsurelle.Mesterreurssontcontagieuseset,sijelepouvais,jelesluiretirerais.
Quand Tessa était mienne, elle dormait toujours en paix. Elle était mon roc, monréconfortnocturne,elle combattaitmesdémonspourmoiquand j’étais trop faiblepour lefaire, trop occupé à m’apitoyer sur moi-même pour l’aider dans cette lutte. Elle était là,bouclierenmain,àsebattrecontretoutescesimagesquimenaçaientmonespritperturbé.Elleportaitcefardeauseuleetc’estfinalementcequiaeuraisond’elle.
Puis, je me rappelle qu’elle est toujours à moi, c’est juste qu’elle n’est pas prête àl’admettre.
Iln’yapaslechoix.Iln’yapasd’autresolution.Jegaremavoituredevantchezmonpère.L’agentimmobilierm’afaitchierquandjelui
aiditquejedéménageais.Ilm’asortidesconneriesdugenrequejeluidevaisdeuxmoisdeloyerpouravoirrompulebail,mais je luiairaccrochéaunez.Jemetapedecequej’aiàpayer, jen’habiteplus ici.Jesaisquecettedécisionest impulsive,que jen’aipasvraimentd’autreendroitoùaller,maisj’espèreresterchezKenquelquesjoursavecTessa,jusqu’àcequejepuisselaconvaincred’emménageravecmoi,àSeattle.
Je suis prêt. Je suis prêt à vivre à Seattle si c’est ce qu’elle veut, etma demande enmariage est toujours sur la table. Ce coup-ci, c’est sûr. Je vais l’épouser et vivre à Seattlejusqu’àlafindemesjourssic’estcequ’elleveut,sic’estcequilarendheureuse.
–Ellevarestercombiendetemps,cettefille?JemontreàLandonlaPriusgaréeàcôtédesacaisse.C’étaitplutôtcooldesapartdemeproposerd’allerrécupérermavoiture,surtoutque
je l’aibienengueuléd’avoirdormiavecTessa.Comme ilme l’a fait remarquer, jen’auraispasétécapablededéverrouiller laporte,mais j’auraisdéfoncécette saloperie si j’enavaiseu l’énergie. L’idée de les savoir tous les deux dans lemême litm’a rendu complètementdinguequandjelesaientendusparlerderrièrelaporte.Etcematin,j’aiignorésonregardétonnéquandilm’atrouvéàmoitiéendormi,assisparterredevantlaporte.
J’ai essayé dem’endormir dans le lit vide qu’onm’avait attribué,mais je n’y suis pasarrivé,toutsimplement.Ilfallaitquejesoisplusproched’ellejusteaucasoùquelquechosed’autre luiarriverait etqu’elle se remetteà crier.Dumoins, c’est ceque jeme répétaisenluttantpournepasm’endormirdanslecouloirpendanttoutelanuit.
–Jenesaispas.SophiavaretourneràNewYorkd’icilafindelasemaine.Savoixesttoutebizarreethautperchée.C’estquoicebordel?Jelepressepourqu’ilmerépondequandnousrentrons.–Quoi?–Non,rien.Maissesjouesrougissent.JelesuisdanslesalonoùTessas’estassiseprèsdelafenêtre,
leregarddanslevague,tandisqueKarenetmini-Karenéclatentderire.PourquoiTessanerit-ellepas?Pourquoineparticipe-t-elle-mêmepasàlaconversation?LananasouritàLandon:–Tevoilà!Elle est plutôt mignonne, à des années-lumière de la beauté de Tessa, mais elle est
agréableàregarder.Lorsqu’elleapproche,jeremarquequeLandonseremetàrougir…ungâteaudanslamain…ellesouritdetoutessesdents…etçafaitclicdansmatête.
Pourquoi je n’ai rien vu avant ? Putain demerde, il la kiffe ! Un flot de blagues et decommentaires embarrassantsmeviennentaux lèvres et jedois littéralementmemordre lalanguepourm’empêcherdeletortureravecça.
J’ignore le début de leur conversation et m’approche directement de Tessa qui nesembleremarquermaprésencequelorsquej’arrivedevantelle.
–Quesepasse-t-il?La frontière est ténue entre « lui donner de l’espace » et… eh bien… et mon
comportementnormal,et j’essaiedetoutesmesforcesdetrouverlebonéquilibre,mêmesic’estdurdechangerdecaractère.
Je saisque si je luidonne tropd’espace, elle va s’éloigner,mais si je l’étouffe, elle vaprendresesjambesàcou.Toutçaestnouveaupourmoi,unterritoireinexploré.Jedétestel’admettre,mais jem’étaisunpeuhabituéàcequ’ellesoitmonpunching-ballémotionnel.Jemedétestedel’avoirtraitéeainsietjesaisqu’elleméritemieuxquemoi,maisj’aibesoindecettedernièrechancepourdevenirquelqu’undemeilleur,pourelle.
Non,j’aibesoind’êtremoi-même.Justeuneversiondemoiquisoitdignedesonamour.–Rien,quedelapâtisserie.Commed’habitude.Enfin,là,ellesfontunepetitepause.Un léger sourire caresse ses lèvres et je lui souris en retour. Ces petites marques
d’affection,cesminusculestracesdesonadorationm’emplissentd’espoir.Unespoiràlafoisnouveauetbienloindemazonedeconfort,maisjeconsacreraisdutempsavecplaisirsijepouvaiscomprendrecequec’est.
Karen et le numéro un des fantasmes à pattes de Landon s’approchent, font signe àTessa et, en quelques secondes, elles sont toutes les trois reparties dans la cuisine, nouslaissant,Landonetmoi,abandonnésdanslesalon.
Dèsque jesuiscertainque les fillesnepeuventpasm’entendre,unsourirediaboliquesedessinesurmonvisageetj’attaqueLandon:
–C’estchaudavecelle.Ilpousseungrossoupirmélodramatiqueenmeregardantméchamment.– Combien de fois devrai-je te le répéter ? Tessa et moi sommes seulement amis. Je
croyaisquetuavaiscompris,aprèsm’avoirpourripendantuneheurecematin.–Oh,jeneparlepasdeTessa.MaisdeSarah.–Elles’appelleSophia.Jehausselesépaulesetcontinuedesourire.–C’estpareil.–Non.Cen’estpaspareil.Tufaiscommesitunetesouvenaisjamaisdunomd’aucune
femme,àpartceluideTess.Jelecorrigeenfronçantlessourcils:–Tessa.Etjen’aipasbesoindemesouvenirdunomdesautresfemmes.–C’estinsultant.TuasappeléSophiapartouslesprénomsquicommencentparunS,
saufsonvéritablenom,etçamerendaitfouquandtuappelaisDakotaDanielle.–T’eschiant.Jem’assiedssurlecanapé,souriantàmonbeau-…Enfait,iln’estplusmonbeau-frère.
Ilnel’ajamaisété.Etjenesaispastropquoienpenser.Ilréprimeunsourire.–Toiaussi.Est-cequeçaletoucheraits’ilsavait?Probablementpas,ilseraitprobablementsoulagé
deneplusêtredelamêmefamillequemoi,mêmeparalliance.Jeletitille:–Jesaisquetul’aimesbien.Admets-le.
–Non,cen’estpasvrai.Jenelaconnaismêmepas.Ildétourneleregard.Grillé.–MaiselleseraàNewYorkavectoietvouspourrezexplorerlavilleensembleetvous
retrouvercoincéssousunstorependantuneénormeaverse.Commec’estromantique!Jememordslalèvreentrelesdentspourm’empêcherderiredevantsatêtehorrifiée.–Tuvasarrêter?Elleestbienplusvieillequemoiet,franchement,pasàmaportée.–Elle est tropbonnepour toi,mais onne sait jamais.Certaines fillesn’enont rien à
foutreduphysique.Etquisait?Ellerecherchepeut-êtreunpetit jeune.Elleaquelâgetapetitevieille,là?
–Vingt-quatreans.Laissetomber.Etc’estjustementcequejedécidedefaire.Jepourraiscontinueràlepourrir,maisj’ai
d’autreschatsàfouetter.–JevaisdéménageràSeattle.J’aipresqueunvertigeenluibalançantlanouvelle.Presque.Ils’approche,unpeutropsurpris.–Quoi?– Ouais, je vais voir ce que Ken peut faire pour m’aider à finir le semestre en
enseignementàdistanceetjevaistrouverunappartementàSeattlepourTessaetmoi.J’aidéjàretirémondossieruniversitaire,çanedevraitdoncpasêtretropcompliqué.
–Quoi?Landonchercheàfuirmonregard.Est-cequ’iln’apasentenducequejeviensdedire?–Jenevaispasmerépéter.Jesaisquetum’asentendu.–Pourquoimaintenant?Tessaettoin’êtesmêmeplusensembleetelle…–Nousleseronsbientôt,elleajustebesoind’unpeudetempspourréfléchiràtoutça,
maisellevamepardonner.Ellemepardonnetoujours.Tuverras.Alorsquelesmotssortentdemabouche,jelèvelesyeuxetaperçoisTessasurlepasde
laporte,lessourcilsdesonbeauvisagesévèrementfroncés.Unbeauvisagequidisparaît instantanémentquandelle tourne les talonset retourne
sansdireunmotdanslacuisine.–Etmerde.Jefermelesyeuxetappuiematêtesurlecoussinducanapé,memaudissantpourmon
mauvaistiming.
42
Tessa
–New York est la ville la plus démente de la Terre, Tessa, c’est incroyable. Ça fait
maintenantcinqansque j’yviset jen’aipasencore toutvu.Je tepariequ’unevieentièren’ysuffiraitpas.
Sophiabavardeenfrottantunmouleàgâteauquej’aibrûléenfaisantcuirelapâte.C’estmafaute.J’étais tropperduedansmesproprespensées,aprèsavoirentendu les
parolesarrogantesetinsensiblesd’Hardin,pourfaireattentionàl’odeurquis’échappaitdufour. Ce n’est que lorsque Sophia et Karen sont sorties du garde-manger à grandesenjambées que j’ai remarqué la fumée. Elles nem’ont pas grondée, Sophia a simplementpassélemoulesousl’eaupourlerefroidir,puiselles’estmiseàlegratter.
–Jen’aijamaisétédansunevilleplusgrandequeSeattle,maisjesuisprêtepourNewYork.J’aibesoindepartird’ici.
Cesmotsn’effacentpaslevisaged’Hardindemonesprit.Karenmesouritetnoussertunverredelait.–Tu sais, j’habite à côtédeNYU, jepourrais te fairedécouvrir le quartier si tu veux.
C’esttoujoursbiendeconnaîtrequelqu’un,surtoutdansunevilleaussigrande.–Merci.Jelepensevraiment.Landonseralà,maisilseracertainementaussiperduquemoi,et
nouspourrions tous lesdeuxavoirbesoind’unamidanscetteville.L’idéedevivreàNewYork est tellement intimidante, presque écrasante, mais je suis sûre que tout le monderessentçaavantdedéménagerdel’autrecôtédupays.SiHardinm’accompagnait…
Jesecouelatêtepourmedébarrasserdecetteidéeridicule.Jen’aimêmepasréussiàleconvaincrededéménageràSeattlepourmoi,ilmeriraitaunezpourNewYork.Etmes
plans,cequejeveuxfairedemavie,illestientpourtellementacquisqu’ilpensequejevaisluipardonner,justeparcequejel’aidéjàfaitdanslepassé.
–Ehbien,àNewYorketauxnouvellesaventures!Karensouritet lèvesonverrede laitvers lemienpour trinquer.Ellerayonne.Sophia
lève son verre et je ne peux m’empêcher de ressasser les paroles d’Hardin à Landon enportantcetoast.
Ellevamepardonner.Ellemepardonnetoujours.Tuverras.Lapeurdedéménagerdel’autrecôtédupaysdiminueàchaquetourquefontsesmots
dansmaboîtecrânienne,chaquesyllabeclaqueunenouvellegifleausemblantdedignitéquimereste.
43
Tessa
Dire que j’ai évitéHardin est un euphémisme. Ces derniers jours (seulement deux jours,
certes,maisondiraitqu’ilyenaeuquarante),jel’aiévitéàtoutprix.Jesaisqu’ilestdanscettemaison,mais jenepeuxpasme résoudreà le voir. Il a frappéàmaporteplusieursfois,maisjeluiaidonnédefaiblesexcusespourexpliquermonsilence.
Jen’étaistoutsimplementpasprête.Pourtant,çasuffit,jedoistoutluidire,sinonKarenvaêtredeplusenplusfébrile.Jele
sais.Elledébordedebonheuretjesaisqu’elleneveutpasgarderlesecretpluslongtemps.D’ailleurs,ellenedevraitpasavoiràlefaire,elledevraitêtreheureuseetfièreetexcitée.Jenepeuxpasluiretirerçasimplementparcequejesuislâche.
Alors,quandj’entendslebruitd’unelourdepairedebottesdevantmaporte,j’attendsensilence,espérantpathétiquementàlafoisqu’ilfrappeetqu’ils’enaille.J’attendstoujourslejouroùmonesprityverraplusclair,oùmesidéesredeviendrontlogiques.Plusletempspasse,plusjemedemandesij’aieuunjourlesidéesclaires.Ai-jetoujoursétéaussiconfuse,sipeusûredemoietdemesdécisions?
J’attendssurmonlit, lesyeuxferméset la lèvretremblante.Jesuisdéçueetpourtantsoulagéequandj’entendssaporteclaquerdel’autrecôtéducouloir.
Rassemblant mes forces, mon téléphone à la main pour voir de quoi j’ai l’air unedernièrefois, jetraverselecouloir.Aumomentoù jem’apprêteà frapper, laportes’ouvredevantHardin,torsenu,lesyeuxbaisséssurmoi.
–Qu’est-cequisepasse?–Rien,je…J’ignore le nœudqui se formedansmon estomac et ses sourcils froncés d’inquiétude.
Sesmainsme touchent, ses pouces caressent légèrementmes joues et je reste plantée là,
dans le couloir, à cligner des yeux devant lui, aucune pensée cohérente à portée deneurone.
–Ilfautqu’onparled’untruc.Lesmotssortentcommeassourdis,etsonregardvertbrillantchercheàcomprendre.–Jen’aimepast’entendredireça.Ilm’observed’unairsombre,etlaisseretombersesmains.Ilvas’asseoirsurlecoinde
son lit etme fait signe de le rejoindre. Je n’ai pas confiance dans cemanque de distanceentrenous,mêmel’airétouffantdelapiècesemblesemoquerdemoi.
–Alors?C’estquoi?Hardin écarte ses grandesmainsderrière sa tête et s’y repose. Son short de sport est
serré,l’élastiquedelaceintureestsibasquejevoisqu’ilneportepasdesous-vêtement.Jecommence:
–Hardin,jesuisdésoléed’avoirétéaussidistante.Tusaisquej’aibesoindetempspouryvoirplusclair.
Cen’estpascequej’avaisprévudedire,maisvisiblementmaboucheàd’autresplansquematête.
–C’est bon. Je suis content que tu sois venuemevoir, parcequ’on sait tous lesdeuxquejesuisnulpourtelaisserdel’espaceet,putain,çamerenddingue.
Il semble soulagé que nous ayons dit ça tous les deux. Il a plongé ses yeux dans lesmiens,jenepeuxmedétournerdel’intensitédesonregard.
–Jesais.Jenepeuxpasnierqu’ilsembleavoirréussiàsecontrôlerdepuisunesemaine.J’aime
qu’il soit devenu un peumoins imprévisible, mais le bouclier que jeme suis construit esttoujourslà,toujoursdansuncoinàattendrequ’Hardinseretournecontremoi,commeillefaittoujours.
–Est-cequetuasparléàKen?Il faut que je revienne au sujet quime préoccupe avant d’être complètement perdue
danslebazarsansnomqu’estnotrerelation.Instantanément,ilseraiditetplisselesyeuxdefaçonsarcastique.–Non.Çanevapasbiensepasser.–Jesuisdésolée.Jeneveuxpasêtreinsensible.Jeveuxjustesavoiroùtuenesence
moment.Ilnerépondpasdurantquelquesinstantsetlesilences’installeentrenous,commeune
routesansfin.
44
Hardin
Tessa me regarde. Visiblement elle s’inquiète et c’est contagieux, ça me ronge. Elle a
traversétantd’épreuves,dontbeaucoupinfligéesparmoi,alorsladernièrechosedontelleabesoin,c’estdes’inquiéteràmonsujet.Jeveuxqu’elleseconcentresurelle,sursafacultéàêtreelle-mêmeetnonpas surdesefforts supplémentaires.Même si sa compassionpourlesautres,spécialementpourmoi,supplantesespropresproblèmes.
–Tun’espasinsensible.Jesuischanceuxquetuveuillesneserait-cequemeparler.C’estlavérité,maisjenesaispastropoùelleveutenveniraveccetteconversation.Tessahochedoucement latête.Et faitunepauseavantdemeposer laquestionpour
laquelleelleestvenuemeparler.–AlorstupensestoutdireàKendecequenousavonsapprisàLondres?Jem’allongesurlelit,lesyeuxfermés,etjeréfléchisàsaquestionavantderépondre.
J’aipenséàçatouscesderniersjours,hésitantentrel’idéedetoutluibalancerrapidementetfairel’inverseengardanttoutpourmoi.Est-cequeKenabesoindesavoir?Etsijeluidis,serai-je capable d’accepter les changements qui en découleront ? Est-ce qu’il y aura deschangementsouest-cequejemefaisdesfilms?Çamesembleincroyablequ’àlaminuteoùjememets à le tolérer et où j’envisage de lui pardonner, je découvre qu’il n’est pasmonpère!
J’ouvrelesyeuxetmerassieds.–Jen’aipasencoredécidé.Enfait,jepréféraissavoircequetuenpensais.Leregardbleugrisdemachérienebrillepluscommeavant,maisilsembleyavoirplus
devieenellequeladernièrefoisqueje l’aivue.Putain,c’étaitdelatortured’êtresouslemêmetoitqu’ellesansêtreprèsd’elle,commej’enaienvie.
Tout semble avoir été modifié avec ce revirement ironique du destin, et maintenant,c’estmoiquiessaied’attirersonattention,quilasuppliedemedonnersimplementtoutcequ’ellevoudrabienm’offrir.Mêmelà,l’expressionsoucieusedesonregardsuffitàmettreunbaumesurladouleurconstantequejerefused’acceptercommecompagne,peuimportelaforcedesonrejet,peuimporteladistancequ’elleveutmettreentrenous.
–Est-cequetuveuxcontinueràavoirunerelationavecChristian?Savoixestdouce,elletriturelecouvre-litdesespetitsdoigts.–Non.Enfin,putain,j’ensaisrien.Ilfautquetumedisescequejedoisfaire.Ellehochelatêteetmeregardedroitdanslesyeux.– Je pense que tu devrais en parler à Ken seulement si tu penses que ça va pouvoir
t’aideràmieuxgérerlesblessuresdetonenfance.Jenepensepasquetudoivesleluidiresitesseulesmotivationssontlaméchancetéetlacolère;etpourChristian,jepensequetuasun peu de temps avant d’avoir à prendre une décision. Vois simplement où les choses temènent,tucomprends?
Sontonestsicompréhensif.–Commentarrives-tuàfaireça?Ellepenchelatêtedecôté.–Àfairequoi?–Toujoursdirecequ’ilfaut.–Cen’estpasvrai.(Elleritdoucement.)Jenedispastoujourscequ’ilfaut.–Si.(Jetendslamainverselle,maisellerecule.)Tudiscequ’ilfaut,commetoujours.
Avant,jen’arrivaisjustepasàt’entendre.Tessa détourne le regard, mais ce n’est pas grave. Ça va lui prendre du temps de
s’habitueràm’entendredirecegenredechoses,maisellevayarriver.J’aijurédeluidirecequeje ressentaisetd’arrêterd’êtreégoïsteenattendantqu’elledécrypte tousmesmotsettoutesmesintentions.
Sontéléphonevibre,mettantfinàcetinstantimmobile,ellelesortdelapochedesonsweat-shirt trop grand. Je préfère croire qu’elle l’a acheté à la boutique de l’université etqu’elleneportepaslesfringuesdeLandon.Onm’ainfligédeportertoutlemerchandisingbrodéauxlettresdel’université,maisl’idéequesesvêtementsàluitouchentsapeauàelle,merévulse.C’estultra-conettotalementirrationnel,maisjenepeuxpasempêchercesidéesd’entrerdansmatêteetd’yprendreracine.
Elle passe sonpouce sur l’écran et ilme faut quelques secondespour comprendre cequej’aisouslesyeux.
Jeluiarrachesontéléphonedesmainsavantqu’elleneréagisse.–Un iPhone?Tute fousdemagueule !(J’observesonnouveautéléphonedansmes
mains.)C’estletien?–Ouais.
Elle rougit et tente deme le reprendre,mais je tends les bras au-dessus dema tête,horsdesaportée.
–Alorsmaintenant, tuasun iPhone,maisquand jevoulaisque tuenprennesun, tuavaisabsolumentrefusé!Pourquoias-tuchangéd’avis?
Jelataquine.Elleécarquillelesyeuxetrespirenerveusement,maisjeluisourispourlarassurer.
–Jenesaispas.Ilétaittemps,jecrois.Ellehausselesépaules,toujoursnerveuse.Je n’aime pas son air perturbé, mais j’espère qu’elle n’a besoin que d’un peu de
légèreté.–C’estquoitoncode?Jeluiposelaquestion,maisenmêmetemps,jetapelacombinaisonquejedevineêtre
labonne.Hé,hé!Dupremiercoup,etjetombesursonécrand’accueil.–Hardin!Tunepeuxpasfouillerdansmontéléphonecommeça!Elle se penche et m’attrape le bras d’unemain, tandis que de l’autre, elle essaie de
choperletéléphone.–Si,jepeux.Je rigole et rien que de la sentirme toucher, j’ai des frissons partout, chaque cellule
sousmapeauseréveille.Ellesouritettendunepetitemainimpérieusepoursoulignercettedouceexpressionquim’atantmanqué.
–Trèsbien.Donne-moiletien,alors.–Nan,désolé!Je continue de la taquiner en parcourant comme un obsédé l’historique de ses
conversationstextos.–Rends-moimontéléphone!Elles’approchedemoi,maissonsouriredisparaît.–Ilyaprobablementbeaucoupdechosessurtontéléphonequejepréfèrenepasvoir.Etlàquejesensqu’elleremetsacarapace.–Non,pasdu tout. Ilyaenvironunmillierdephotosde toiet toutunalbumde ta
musiquedemerde, si tuveuxvraiment savoiràquelpoint je suispathétique.Tupourraisregardermon journal d’appels et voir combien de fois je t’ai appelée juste pour entendrecetteconnasseà lavoix synthétiquemedireque lenuméroque j’ai composén’estplusenserviceactuellement.
Elle m’assassine du regard, visiblement, elle ne me croit pas. Non pas que je lui enveuille.Sonregards’attendrituntoutpetitmomentavantqu’elleneréponde:
–PasmêmeJanine?Savoixestsibassequejeperçoisàpeinesontonaccusateur.
–Quoi?Non!Vas-y,regarde.Ilestsurlatabledechevet.–Jen’ytienspas.Jemeredressesurmesgenouxetpressemesépaulescontrelessiennes.–Tessa,ellen’estrienpourmoi.Elleneleserajamais.Tessaessaiede toutes ses forcesde s’en foutre.Elle sebat contreelle-mêmepourme
montrerqu’elleestpasséeàautrechose,mais je laconnais.Jesaisquepenseràmoiavecuneautrefemmelafaitbouillir.
–Jedoisyaller.Elleselèvepourpartir,jetendslamainverselle.Mesdoigtsencerclentlentementson
bras,lapriantdoucementderevenirversmoi.Toutd’abordellehésite,etjenelaforcepas.Jel’attends,mesdoigtscaressentlapeausidouceàl’intérieurdesonpoignetenfaisantdepetitscercles.
–Jesaiscequetupenses,maistuastort.J’essaiedelaconvaincre.–Non,jesaiscequej’aivu.Jel’aivueportertont-shirt.Savoixestcassante.Elleretiresamainmaisserapproche.–Jen’étaispasmoi-même,Tessa,maisjenel’aipasbaisée.Jenel’auraispasfait.Lasentirmetouchermegênaitdéjàsuffisamment.Pendantune
seconde,jemedemandesijedevraisluidirequejenesupportaismêmepasseslèvresàlasaveurdecigarettesurlesmiennes,maisçaneferaitquemettrelefeuauxpoudres.
–Maisbiensûr!–Tumemanquesettoncomportementaussi.Jet’aime.J’essaied’alléger l’ambiance,mais sans succès :elle lève lesyeuxauciel.Maisçaa le
mérited’attirersonattention.Ellepoussesesdeuxmainscontremapoitrinepourmettreunpeud’espaceentrenous.
–Arrêtede faireça !Tunepeuxpas justedéciderquetuveuxdemoimaintenantetattendrequejerevienneverstoiencourant.
J’aienviedeluidirequ’ellemereviendraparcequ’ellem’appartientetquejamaisjenecesseraid’essayerdel’enconvaincre.Aulieudequoi,jesourisetsecouelatête.
–Onchangedesujet?Jevoulaisjustequetusachesquetumemanques,d’accord?–Ok.Elle soupire. Elle pose le bout de ses doigts sur ses lèvres et les pince, ce quime fait
oublierdequoijevoulaisluiparler.–UniPhone,alors.(Jeretournesontéléphonedansmamain.)Jen’arrivepasàcroire
quetuaiesprisuniPhoneetquetun’allaispasmeledire.Sessourcilsfroncéslaissentplaceàundemi-sourire.–Iln’yapasdequoienfaireunfromage.Çam’aideàorganisermajournéeetLandon
vamemontrercommenttéléchargerdelamusiqueetdesfilms.
–Jepeuxt’aider.–C’estbon,vraiment.Elleessaiedem’écarter.–Jevaist’aider.Jepeuxtemontrerçatoutdesuite.Jevaisdirectementsurl’applicationiTunesStore.Nouspassonsuneheurecommeça,à
parcourirlecatalogue,choisirsamusiquepréféréeetjeluimontrecommenttéléchargercescomédies romantiques dégoulinantes avec TomHanks qu’elle semble tant aimer. Pendanttout ce temps,Tessaestquasiment silencieuse,nemedonnantquequelques «Merci »ou«Non,pascettechanson»,etj’essaiedenepaslapousseràlaconversation.
C’estmoiqui luiaifaitça, jel’aitransforméeencettefemmesilencieuseetsipeusûred’ellequej’aidevantlesyeux,etc’estmafautesiellenesaitpascommentsecomporterencemoment.C’estmafautesichaquefoisquejemepencheverselle,ellerecule,emportantunpetitboutdemoi.
Ça semble impossible qu’il me reste encore quelque chose à lui donner, alors qu’ellepossèdedéjàmonêtretoutentier,maisétrangement,quandellemesourit,moncorpslaisseapparaîtreunpetitmorceaudemoiquejelalaissemevoler.Toutluiappartient,etceseratoujourscommeça.
–Tuveuxquejetemontrecommentchargerlesmeilleurspornos,tantqu’onyest?Jesuisrécompensédemablagueparunerougeursursesjoues.–Jesuiscertainequetuconnaislesujetsurleboutdesdoigts.J’aimequ’ellemetaquine.J’aimeêtrecapabledelachambrercommeavantet,putain,
j’aimequ’ellemelaissefaire.–Pasvraimentenfait,j’aipleind’imageslà.(Jetapemonfrontavecmonplâtre,cequi
lafaitgrimacer.)Quedesimagesdetoi.Elle ne peut s’empêcher de froncer les sourcils, mais je refuse de laisser ses pensées
prendrecettedirection.C’estinsensédesedirequejepourraisêtreintéresséparn’importequi d’autre. Je commence à me dire qu’elle est aussi tarée que moi. Peut-être que çapourraitexpliquerlaraisonpourlaquelleonestrestésensemblesilongtemps.
–Jesuissérieux.Jenepensequ’àtoi.Toujourstoi.Jeparled’un tongrave,putain,bien tropgrave,mais j’enai rienàbattre, jeneveux
paslechanger.J’aiessayédefairedesblaguesetd’êtresympa,maisjelablesse.Ellemesurprendenmedemandant:–Qu’est-cequetuvoisquandtupensesàmoi?Jememordslalèvreinférieurelorsquedesimagesd’ellesurgissentdansmoncerveau.–Tun’aimeraispasmaréponseàcettequestion.Tessaallongéesurlelit,lescuissesécartées,agrippantlesdrapsdesesmainstandisqu’elle
jouitsousmalangue.
Tessamechevauchant,seshanches faisantdoucementdescerclesquimetorturentsoussesgémissements.
Tessaàgenouxdevantmoi, ses lèvrespleines s’ouvrantpourm’accueillirdanssabouchesichaude.
Tessasepenchantenavant,sapeaunueluisantsouslalumièredoucedelapièce.Elleestdevant moi, de dos, et colle son corps au mien. Je la pénètre profondément, elle halète monnom…
–Tuasprobablementraison.Onfaittoujoursça,onrecommencetoujours.Elleagitesesmainsentrenousdeux,elleritetsoupire.Jevoisexactementcequ’elleveutdire.Jesuisaubeaumilieudelapiresemainedema
vieetellemefaitrireetsourireenparlantd’unputaind’iPhone.–C’estvraimentnous,ça,Bébé.C’estcommeçaquenoussommes.Onnepeutrieny
faire.–Onpeutyfairequelquechose.Ondoitlefaire.Jen’aipaslechoix.Sesmotssemblentlaconvaincre,maisellenemetrompepasuneseuleseconde.–Arrêtedetropréfléchir.Tusaisquec’estcommeçaqueçadoitêtre,onsechambre
l’un l’autre en parlant de porno et je pense à toutes les cochonneries que j’ai faites et àtoutescellesquejeveuxfaireavectoi.
–C’estcomplètementdingue.Onnepeutpasfaireça.–Fairequoi?–Toutnetournepasautourdusexe.Sonregardseconcentresurmonentrejambeetjevoisbienqu’elleessaiededétourner
leregarddelabossequ’elleyvoit.–Jen’aijamaisditquec’étaitlecas,maisçanousrendraitserviceàtouslesdeuxsitu
arrêtaisdetecomportercommesitunepensaispasàlamêmechosequemoi.–Onnepeutpas.Mais là, je remarque que nos respirations sont synchrones, et sa langue darde
subtilemententreseslèvrespourlescaresser.–Jen’airienproposé.Jen’airienproposé,maisputain,unechoseestsûre,jenerefuseraispas.Maisbon,je
n’aipas cette chance, iln’yapasmoyenqu’elleme laisse la toucher.Pas si rapidement…Si?
–Tusuggérais.(Ellesourit.)–Commetoujours,non?–C’estpasfaux.(Ellegloussedoucement.)C’estvraimentdéroutant.Onnedevraitpas
joueràça.Jenemefaispasconfiancequandjesuisprèsdetoi.Putain,jesuiscontent.Lamoitiédutemps,jenemefaispasconfiancenonplus.Mais
jeluidis:
–Qu’est-cequipourraitnousarriverdepire?Je pose ma main sur son épaule. Elle tressaille à mon contact, mais ce n’est pas le
mêmetypedefrisson,ellenemerejettepascommeellel’afaittoutelasemainedernière.–Jepourraiscontinueràêtrestupide.Mamaincaressedoucementsonbrasdehautenbas.–Arrêtederéfléchir,disàtatêtedesetaireetlaissetoncorpstecontrôler.Toncorpsa
enviedemoi,Tessa,ilabesoindemoi.Ellesecouelatêtecommepourniercettesimplevérité.–Maissi.Maissi.Jecontinueàlatoucher,àmerapprocherdesapoitrinemaintenant,m’attendantàce
qu’ellem’arrête.Siellemeledemande,jemettraifinàtoutcontact.Jenelaforceraijamais.J’aifaitbeaucoupdetrucscomplètementbarrés,maisça,çan’ajamaisétéuneoption.
–Tuvois,letrucc’estque…c’estquejesaisexactementoùtetoucher.Jelaregardedanslesyeuxpourqu’ellemedonnesonaccord,etilsmefontdegrands
signes.Ellenevapasm’arrêter,soncorpsmeréclame,commetoujours.–Jesaiscommenttefairejouirsifortquetuoublierastoutlereste.Peut-êtreque si je satisfais soncorps, sonâmesuivra lemouvement.Etpuis,une fois
quejemeseraifaituneplacedanssachairetdanssonesprit,soncœurcéderaàsontour.Je n’ai jamais été timide quand il s’agit de son corps et de son plaisir : pourquoi
commencermaintenant?J’interprètesonsilenceetsonregardrivédanslemiencommeunsignalpourattraper
le bas de son sweat-shirt. Quelle saloperie, c’est plus lourd que ça ne le devrait et cetteconneriedecordon s’est emmêlédans ses cheveux.Ellemedonneunepetite tape surmamainabîmée,retirelevêtementetlaficelledesescheveux.
–Jeneteforcepasàfairequoiqueçasoit,là,hein?Jedoisposercettequestion.Ellemeréponddansunsouffle:– Non. Je sais que c’est une très mauvaise idée, mais je ne veux pas m’arrêter. J’ai
besoind’uneéchappatoire,s’ilteplaît,fais-moipenseràautrechose.–Arrête de cogiter.Arrête de réfléchir à toutes les autresmerdes et concentre-toi là-
dessus.Jepassemesdoigtslelongdesoncou,ellefrissonnesousmacaresse.Elle me prend au dépourvu en pressant ses lèvres contre les miennes. En quelques
secondes, ce baiser lent et hésitant disparaît. Les gestes timides s’évaporent et, soudain,noussommesànotreplace.Toutes lesautresconneriesontdisparuet ilneresteplusqueTessaetmoi,seslèvress’écrasantcontrelesmiennes,salanguecaressantfougueusementlamienne,sesmainstirantmescheveuxàlaracine,merendantcomplètementdingue.
Jepassemesbrasautourdesatailleetcollemeshanchescontrelessiennesjusqu’àcequesondostouchelematelas.Elleapliéungenou,lelevantcontremonentrejambe,etje
mefrottesanshontecontreelle.Mondésespoirluicoupelesouffleetelledétachel’unedesesmainsdemescheveuxpour laplaquercontresaproprepoitrine.Jepourraisexploser,rienquede lasentirsousmoi.Putain,c’est tropetpourtantpasassez,et jen’arrivepasàformulerunepenséecohérenteendehorsd’elle.
Elle se touche, attrapant à pleine main l’un de ses seins volumineux, et je baisse leregard comme si j’avais oublié comment faire, perdu dans la contemplation de son corpsparfaitetdesafaçondes’abandonnerauplaisirenmaprésence.Elleabesoindeçaencoreplusquemoi,elleabesoindes’extrairedumonderéel,etjejoueraicerôleavecjoie.
Nosmouvementsne sontpas calculés, unepassionpurenous embrase. Jebrûle, elleest l’essencedemon incandescence,putain,et iln’yaaucunsignemedisantdem’arrêteroude ralentir jusqu’àcequ’un trucexplose, c’est certain.Si c’est lecas, j’attendrai,prêtàcombattrelefeupourelle,àlaprotégerdudangerpourquelesflammesdemonamournelablessentpasencoreune fois.Samaindescendsur soncorps,ellem’agrippe, se frottantcontremoi. Je doisme concentrer pour ne pas jouir de ce simple contact. Je décalemeshanches pour les reposer entre ses jambes écartées. Elle tire l’élastique de la ceinture demon short, je l’aide d’unemain jusqu’à ce que nous soyons nus sous la ceinture tous lesdeux.
Legrognementquis’échappedeses lèvresrencontre lemien, jemefrottecontreelle,peau contre peau. Je bouge légèrement et la pénètre un peu, provoquant un nouveaugémissement. Cette fois, elle presse ses lèvres contremon épaule dénudée. Elleme lèche,puismemordille,jelapénètreplusprofondément.Mavisionsetrouble,j’essaiedesavourerchaque seconde, chaque instant où elle me désire de cette manière. Je lui fais unepromesse:
–Jet’aime.Sabouchecessedebougeretlapressiondesesmainsdiminue:–Hardin…–Épouse-moi,Tessa.S’ilteplaît.Je la pénètre complètement, profondément, espérant la cueillir injustement au beau
milieud’unmomentdefaiblesse.–Situcontinuesàmediredeschosescommeça,nousdevronsarrêterimmédiatement.Jevoisdanssonregardqu’elleestblessée,ellesereprochesonmanquedeself-control
et çame fait culpabiliser d’avoir évoqué ce putain de truc demariage pendant que je labaise.
Putaindesupertiming,espècedeconnardd’égoïste.–Désolé,jenerecommenceraiplus.Jescellemapromessed’unbaiser.Illuifautdutempspourréfléchir,ilfautquej’yaille
mollosurlestrucsbienlourds.Jecontinueàalleretvenirenelle,sichaude,simouillée…–OhmonDieu!
Plutôtquedeluiconfessermonamouréternel,jeluidislesmotsqu’elleveutentendre:–Tuessiétroite,putain.Etçafaitsilongtemps.Matêteestenfouiedanssoncou,l’unedesesmainspressemesfesses,m’encourageant
àallertoujoursplusprofondémentenelle.Elleserresespaupièresetses jambes.Jesaisqu’elleyestpresqueet,mêmesielleme
détesteencemoment,jesaisqu’elleaimequandjeluidisdescochonneries.Jenevaispaspouvoirtenirlongtemps,maisellenonplus.Çam’amanquétoutça,passeulementlapureperfectionducoït,putain,demesentirenelle,maisaussid’êtreproched’elle,c’estquelquechosedontj’aibesoinetelleaussi.
–Allez,Bébé.Jouispourmoi,laisse-moisentirtonorgasme.Ellem’obéit, s’agrippant à l’un demes bras et gémissantmon nom, la tête enfoncée
dans lematelas. Elle explose, une étincelle après l’autre, et je l’admire. J’observe sa bellebouches’ouvrirpourdiremonnom.J’observesesyeuxquicherchent lesmiens justeavantqu’ilsneseferment,livrésauplaisir.C’enesttrop,toutecettebeautéjouissantpourmoi,mepermettantdelafairemienne.Jem’enfonceunedernièrefoisenelle,j’attrapeseshanchesfermementetj’éjacule.
–Putain.Je retombe surmes coudes de chaque côté de son corps, faisant attention de ne pas
l’écrasersousmonpoids.Ellefermelesyeux,lespaupièreslourdes,elleadumalàlesgarderouverts.–Mmmm.Je me redresse sur une épaule pour l’admirer à son insu. J’ai peur de ce qui va se
passerquandellevareprendreconscience,quandellevasemettreà regretterd’avoir faitçaetquesacolèrecontremoireprendraledessus.
–Tuvasbien?Je ne peux pas m’empêcher de redessiner la courbe de sa hanche nue du bout des
doigts.–Ouais.Savoixetrauqueetsatisfaite.Putain, jesuistellementcontentqu’ellesoitvenueàmaporte.Jenesaispascombien
detempsj’auraisencoreputenirsanslavoirnientendrecettevoix.–Tuessûre?Jepousselebouchon,maisj’aibesoindesavoircequeçaveutdirepourelle.–Oui.Elleouvreunœil,impossiblederéprimerlesourireidiotquimonteàmeslèvres.–Ok.Jehochelatête.Jelaregardeserepaîtredesavolupté,c’esttellementbondelavoir
denouveauelle-même,mêmesicen’estquepourquelquesinstants.Ellerefermelesyeuxet
àcetinstantprécis,jemesouviensd’untruc:–Aufait,pourquoies-tuvenuedansmachambre,d’abord?Son air de femme satisfaite et alanguie disparaît instantanément, elle écarquille
brièvementlesyeuxavantdereprendrelamaîtrisedesoncorps.–Pourquoi?Dis-lemoi,s’ilteplaît.Jelapresse,levisagedeZedremonteàlasurfacedemonesprittordu.–C’estKaren.Elle roule sur le côté, obligeant mes yeux à quitter sa parfaite poitrine, si joliment
offerte.Bordeldemerde,pourquoiparle-t-ondeKarenalorsquenoussommestoutnus?–Ok…Qu’est-cequ’ellea,Karen?–Elle…ehbien…Tessas’arrête,etunepeurinattendues’emparedemoi,pourelle,pourKen,aussi.–Ellequoi?–Elleestenceinte.Quoi?C’estquoicebordel?–Dequi?MonaveuglementamuseTessaquiritenmerépondant:–Detonpère.(Vite,ellesecorrige.)DeKen,dequid’autre?Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais que Karen soit en cloque n’en faisait
certainementpaspartie.–Quoi?–Jesaisquec’estunpeusurprenant,maisilsensonttrèsheureux.Unpeusurprenant?Putain,c’estbienplusqu’unpeusurprenant.–KenetKarenvontavoirunbébé?Jedisdeschosesparfaitementridicules.–Oui.Qu’est-cequeçatefait?Qu’est-cequeçamefait?Putain,j’ensaisrien.C’estàpeinesijeconnaiscemeceton
commence juste à construire un truc ensemble, etmaintenant il va avoir unmôme ? Unautregaminpourlequelilvafairel’effortderesteretqu’ilvaélever.
–Jecroisqu’ons’enfoutdecequeçamefait,non?J’essaievainementdenousfairetairetouslesdeux.Jemerallongesurledosetferme
lesyeux.–Si,çacompte.Çacomptepoureux.Ilsveulentquetusachesquecebébénechangera
rien,Hardin.Ilsveulentquetufassespartiedecettefamille.Tuvasdevenirgrandfrère.Grandfrère?JepenseimmédiatementàSmithetàsapersonnalitébizarredemini-adulteetj’enaila
nausée.C’est tropdifficileàgéreret,putain, c’estvraiment troppourunmecaussiabîmé
quemoi.–Hardin,jesaisquec’estdurd’encaissertoutça,maisjecrois…–C’estbon.Ilfautquejeprenneunedouche.Jesorsdulitetattrapemonshortquitraîneparterre.Tessas’assied,désorientéeetblessée.–Jesuislàsituveuxenparler.Jevoulaisquecesoitmoiquit’annoncetoutça.C’esttrop.Elleneveutmêmepasdemoi.Ellerefusedem’épouser.Pourquoinevoit-ellepas cequenous sommes?Cequenous sommesensemble?Nousne
pouvonsêtreséparés.Notreamourestunamourderoman,mieuxquedansceuxd’AustenouBrontë.
Moncœurcognedansmapoitrine,jepeuxàpeinerespirer.Sesent-ellehorsdelavie?Jenepeuxpasl’imaginer.Juste, jenepeuxpas.Jenevis
quepourelle.Elleestmonseulsouffledevie,sanscesoufflejenesuisrien.Sanslui,jenepourraisnivivrenisurvivre.Mêmesijelepouvais,jenelevoudraispas.
Putain,mesidéesnoiressontsurlesentierdelaguerreetjesuisécraséparcetteluttepourconserverlalueurd’espoirqueTessam’arendue.
Quand tout cela va-t-il s’achever ? Quand toute cette merde arrêtera-t-elle de metomberdessuschaquefoisquej’ail’impressiond’avoirmismonespritsouscontrôle?
45
Tessa
Etnousvoilàencoredanscettebouclesans fin,de joie,de lubricité,depassion,d’amour
infinietdedouleur.Ladouleursemblegagner,ellegagnetoujours,et j’enaiassezdemebattre.
Jeleregardetraverserlapièce,meforçantàfairecommesiderienn’était.Àl’instantoù laportese ferme,mesmains tapentmonfront,puis frottentmes tempes.Qu’est-cequinevapaschezmoipourquejenevoiepersonned’autrequelui?Pourquoimesuis-jelevéece matin, prête à affronter le monde sans lui, pour me retrouver dans son lit quelquesheuresplustard?
Je déteste cette emprise qu’il a sur moi, mais en toute bonne foi, je ne peux pasl’empêcher. Jenepeuxpas leblâmerdemapropre faiblesse,mais si je le faisais, jediraisqu’ilnemefacilitepaslatâcheenbrouillantleslignesentrelebienetlemal.Quandilmesourit, les lignes deviennent floues, elles semélangent et c’est littéralement impossible decombattrelasensationquis’emparedemoncorps.
Ilme fait rire autant qu’ilme fait pleurer et ilme fait ressentir des choses alors quej’étais convaincuequemondestinmecondamnaitaunéant. Je croyaisvraimentque jenepourraisplusjamaisriensentir,maisHardinm’afaitsortirdecettephase,ilm’aattrapélamainquandpersonned’autrenesemblaitintéresséàlefaireetilm’aremontéàlasurface.
Nonpasqueçachangelefaitquenousnepuissionspasêtreensemble.Çanemarchetout simplement pas et je ne peux pas me permettre d’espérer à nouveau, pour finirécrabouillée quand il me reprendra tout ce qu’il a confessé, et je refuse d’être déchiréeencoreetencoreparlaseulemainquiveuillebienm’aider.
Etmevoilà,levisagedanslesmains,àrepasserdansmatêteceserreurs(meserreurs,ses erreurs, les erreurs de nos parents) et à me demander comment les miennes me
grignotentpetitboutparpetitbout,merefusantlamoindreminutedepaix.J’aientraperçuunelueur,unelueurdesérénitéetdecalme,quandsesmainssesont
poséessurmoncorps,quandsabouchem’acommuniquésachaleur,quandsesdoigtsontcreusélapeausisensibledemeshanches,maisquelquesminutesplustard,l’embrasements’estéteintetjesuistouteseule.Jesuisseuleetblesséeetgênée,toujourslamêmehistoire.Saufque,cettefois-ci,lafinestencorepluspathétiquequ’audernierépisode.
Jeme lève, attachemon soutien-gorgeetpasse le sweat-shirtdeLandon. JenepeuxpasêtrelàquandHardinreviendra.Jenepeuxpaspasserlesdixprochainesminutesàmeprépareràsonretour,quellequesoitlapersonnalitéqu’ilchoisirad’interprétercettefois-ci.J’aifaitçabientropsouventetj’aienfinréussiàmehisseràunepositionoùmonbesoindeluin’annihilepastoutemavolonté.Unepositionoùilnemonopolisepastoutematête,oùiln’estpasresponsabledechaqueinspirationquejeprends,etoùj’arriveenfinàenvisagerunevieaprèslui.
C’étaitunerechute.Cen’étaitriend’autre.Uneterriblerechute,unmanqueflagrantdejugeotedemapart,etlesilencedelapiècesechargedemelerappeler.
Quand je l’entends ouvrir la porte de la salle de bains, je suis habillée et dans machambre.Lebruitdesonpass’alourditquandilpassedevantmaporteetçaneluiprendquequelquessecondespourserendrecomptequejenesuisplusdanssonlit.
Ilnefrappepasàlaporteavantd’entrer.Ça,jem’yattendais.Je suis assise, les jambes croisées sur le lit, les genoux relevés sur ma poitrine, en
positiondéfensive.Jedois luiparaîtrepathétique,mesyeuxbrûlentdelarmesderegretetjesenssonodeursurmapeau.
–Pourquoies-tupartie?Ses cheveux sont mouillés, dégoulinants sur son front, ses mains posées sur ses
hanches,sonshortbientropbas.–Jenesuispaspartie.Toi,si.Jeledisl’airobstiné.Ilmeregarded’unœilinexpressifpendantquelquessecondes.–Jecroisquetuasraison.Tureviens?Il transforme son exigence en question, jeme bats contremoi-mêmepour ne pasme
leverdulit.–Jenepensepasquecesoitunebonneidée.Jedétourneleregard,iltraverselapiècepours’asseoirsurlelit,faceàmoi.–Etpourquoiça?Jesuisdésolé,j’aiflippé,c’estjustequejenesavaispasquoipenser
et,putain,sijesuishonnêtejusqu’aubout,jenemefaisaispasconfiance.J’étaiscapabledetedirequelquechosequ’ilnefallaitpas,alorsj’aipréféréquitterlapièce,letempsd’yvoirplusclair.
Pourquoines’est-ilpascomportécommeçaavant?Pourquoinepouvait-ilpasêtrehonnêteet raisonnablequand j’avais besoinqu’il le soit ?Pourquoi fallait-il que j’enarriveà lequitterpourqu’ilveuillechanger?
–J’auraisaiméquetumeledises,plutôtquedemelaissertouteseulelà-bas.Jehochelatête,récupérantlepeudeforcequiresteenmoi,etj’ajoute:–Jenepensepasquenousdevrionsêtreseulstouslesdeuxdanslamêmepièce.Sonregards’affole.Ilgronde:–Dequoituparles?Tantpispourlecôtéraisonnable.Jegardelesbrascroiséssurlapoitrine:–Jeveuxêtrelàpourtoietjeleserai.Situasbesoindeparlerdequoiquecesoitou
detedéfoulerousituasjustebesoindequelqu’un,jeserailà.Maisjepensevraimentquenousdevrionsnous cantonner auxparties communesde lamaison, comme le salonou lacuisine.
–Tun’espassérieuse.–Si.– Les parties communes ? Genre avec Landon dans le rôle d’Eleanor Tilney de
Northanger Abbey1 ? C’est ridicule, Tess. On peut rester dans la même pièce sans avoirbesoind’unchaperondemerde.
–Jen’aipasparlédechaperon.Jepense justeque,vunotresituationencemoment,c’est probablement nécessaire (Je soupire.) Je pense retourner à Seattle pour quelquesjours.
Je n’avais rien décidé de la sorte, mais maintenant que je l’ai dit, ça me paraîtparfaitement logique. Il faut que je récupèremes affaires pour déménager àNewYork etKimberlymemanque. J’ai aussiun rendez-vous chez lemédecinauquel j’essaiedenepaspenser,etriennesertderesteràjoueràladînettechezlesScott.Etpourtant.
–Jevaisveniravectoi.Commesiçacoulaitdesource!–Hardin…Sansdemanderlapermission,ils’assiedsurlelit,torsenu.– Je voulais attendre pour t’en parler, mais je vais partir de l’appart pour aller à
Seattle,aussi.C’estcequetuastoujoursvouluetjesuisprêt.Jenesaispaspourquoiçam’aprisaussilongtemps.
Ilsepasselamaindanslescheveuxpourrepoussersesmèchesencoreunpeuhumides,quiformentunemasseemmêlée.
Jesecouelatêteenleregardant.–Dequoiparles-tu?Maintenant,ilveutdéménageràSeattle?
–Jenoustrouveraiunjoliappartement.Ceneserapasuntrucénormecommetuenasl’habitudechezVance,maisceseratoujoursplussympaquecequetupourraistepayer.
Mêmesi jesaisqu’ilneditpasçapourm’insulter,c’estcommeçaque je leressens, cequimemetimmédiatementsurladéfensive.
–Tunecomprendspas.Tunecomprendsrienàrien.– Rien à quoi ? Pourquoi faut-il que tu voies le mal dans tout ça ? Pourquoi ne
pouvons-nouspasêtrenous,pourquoineme laisses-tupas temontrerque jepeuxêtre làpourtoi?Cen’estpasunebatailleoùcompter lespointschacundesoncôté,cen’estpasminabledem’aimerettupeuxt’autoriseràtelaisseralleravecmoi.
Ilcouvremamaindelasienne.Jelaretire.–J’aimeraisêtred’accordavectoiet j’adoreraismevautrerdanscefantasmeoùnotre
relationpourraitfonctionner,maisjel’aitropfait,troplongtemps,etjenepeuxplus.Tuasessayédem’avertirdanslepasséettum’asdonnéchanceaprèschancedevoirl’inévitable,maisj’étaisdansledéni.Jelevoisbienmaintenant.Jevoiscequej’étaiscondamnéeàfairedepuisledébut.Combiendefoisdevrons-nousavoircetteconversation?
Ilmeregardedecesyeuxvertspénétrants.–Aussisouventquenécessaire,jusqu’àcequetuchangesd’avis.–Jen’aijamaispuchangerletien;qu’est-cequitefaitcroirequetupourraschangerle
mien?–Cequivientdesepasserentrenous,cen’étaitpasuneévidence?–Jeveuxque tu fassespartiedemavie,maispasdecettemanière,pascommemon
petitami.–Commetonmari,alors?Sesyeuxbrillent,pleinsd’humouret…d’espoir?Jelefixe,ébahiequ’ilose…–Nousnesommesplusensemble,Hardin!Ettunepeuxpasmejetercettedemande
enmariageàlafigureparcequetupensesqueçavamefairechangerd’avis.Jevoulaisquetuaiesenviedem’épouser,pasquetumeleproposesendernierressort!
Sarespirations’accélère,maisilreprendcalmement:–Cen’estpasendernierressort.Jenejouepasavectoi, j’aiapprismaleçon.Jeveux
t’épouserparceque jenepeuxpas imaginermavieautrement,ettupeuxyaller,medireque j’ai tort,maisonpourraitsemarierdèsmaintenant.Nousnenoussépareronsplus,ettulesais.
Ilsemblesisûrdelui,sisûrdenotrerelation.Moijesuisencoreperdue,jen’arrivepasàsavoirsijedevraisêtreencolèreoumeréjouirdecequ’ilvientdedire.
Lemariagenerevêtplusaujourd’huilamêmeimportanceàmesyeuxqu’ilyaquelquesmois à peine. Mes parents n’ont jamais été mariés ; j’ai eu dumal à le croire quand j’ai
découvert qu’ils l’ont prétendu pour apaiser mes grands-parents. Trish et Ken étaientmariés, et ce lien légaln’a jamaispu sauver leur relationdunaufrage.Pourquoi vouloir semarier en fait ? Ça nemarche pratiquement jamais et je commence à comprendre que leconcept entier est ridicule. C’est n’importe quoi, cette idée inculquée dès notre plus jeuneâge qu’il faut se promettre l’un à l’autre et dépendre de l’autre comme unique source debonheur.
Heureusementpourmoi,j’aienfincomprisquejepeuxnedépendredepersonnepourtrouverlebonheur.
–Jenepensemêmeplusvouloirmemarierunjour.Hardin inspire violemment et sa main se pose sous mon menton pour fouiller mon
regard.–Quoi?Tunelepensespasvraiment.–Si,vraiment.Pourquoifaire?Çanemarchejamaisetundivorce,çacoûtecher.Jehausselesépaulesetignorel’expressionhorrifiéequigagnelevisaged’Hardin.–Non,maistumefaisquoi,là?Depuisquandes-tudevenuecynique?Cynique?Jenepensepasêtrecynique.J’ai justebesoind’êtreréalisteetd’arrêterde
croireauxbelleshistoiresqu’on litdans les livres, car çan’arrive jamais.Mais cen’estpasnonpluscommesij’allaissupportercesallersetretoursdansnotrerelationindéfiniment.
–Jenesaispas,depuisquej’airéaliséàquelpoint j’étaisstupide.Jenet’enveuxpasd’avoir rompuavecmoi. J’étaisobsédéepar l’idéed’avoirunevieque jenepourrai jamaisavoiretçaadûterendrecomplètementdingue.
Hardintiresescheveuxdanscegestedefrustrationquiluiestsifamilier.–Tessa,tudisdesconneries.Tun’étaispasobsédéeparquoiquecesoit.J’aijusteété
con.(Ilgrognedefrustrationets’agenouilledevantmoi.)Putain,regardeunpeucequetupensesparmafaute,maintenant!C’estlemondeàl’envers.
Jemelève,détestantculpabiliserd’avoirparlédecequejeressentais.Jesuisenpleineguerre contremoi-même, etme retrouverdans cettepetite chambre seuleavecHardinnem’aidepas.Quandjesuisprèsdelui,jenepeuxpasmeconcentreretjenepeuxpasgarderma ligne de défense quand il me regarde comme si chacun demesmots était une armecontre lui. Peu importe le degré de vérité là-dedans, j’éprouve toujours de la compassionpourlui,mêmesijepensequeçan’estpasraisonnable.
J’étais toujours si prompte à juger les femmes comme ça. En regardant les relationssuperdramatiquessurunécran, jequalifiaisrapidement les femmesde« faibles»,mais laréalitén’estpassisimpleousinette.
Il y a bien des choses à prendre en considération quand on met une étiquette surquelqu’unet,jedoisl’admettre,avantderencontrerHardin,jelefaisaisbientropsouvent.Qui suis-je pour juger les gens sur leurs sentiments ? Je ne savais pas que ces émotionsstupides pouvaient être si puissantes ; je ne pouvais pas comprendre cette attirance
magnétiquequedeuxpersonnespeuventressentir.Jenecomprenaispasquel’amourpuisseêtreplusfortquelaraison,quelapassionpuissesupplanterlalogique,etàquelpointilesttroublantquepersonnenepuisse comprendrenos sentiments.Personnenepeutme jugerd’êtrefaibleoustupide,personnenepeutmemettreplusbasqueterrepourlessentimentsquej’éprouve.
Je ne dirai jamais que je suis parfaite et je lutte à chaque instant pour rester à lasurface,maiscen’estpasaussifacilequ’onlepense.Cen’estpassifaciledelaisserderrièresoiunepersonnequia imprégnéchaquecelluledesoncorps, chaquepensée,etquiestàl’originedesmeilleurscommedespiressensations.Personne,pasmêmecettepartiedemoilivrée au doute, ne peut me faire sentir mal d’aimer passionnément et d’espérerdésespérémentvivreunjourlegrandamourquej’aidécouvertdansleslivres.
Le temps que je finisse de m’auto-justifier, mon subconscient a enclenché le modedétente,soulagéquej’arrêteenfindemepunird’avoirlaissémesémotionssejouerdemoi.
–Tessa,jeviensàSeattle.Jen’essaieraipasdeteforceràvivreavecmoi,maisjeveuxêtrelàoùtuseras.Jegarderaimesdistancesjusqu’àcequetusoisprêteàpasseràlaphasesuivanteetjelejoueraigentilavectoutlemonde,mêmeavecVance.
–Làn’estpaslaquestion.Je soupire. Sa détermination est admirable, mais la constance n’est pas son fort. Il
s’ennuieraunjouretpasseraàautrechose.Noussommesalléstroploincettefois-ci.–Commejel’aidéjàdit,j’essaieraidegardermesdistances,maisjeviensàSeattle.Situ
neveuxpasm’aideràchoisirunappartement,jeleferaitoutseul,maisjem’assureraiqu’ilteplaiseaussi.
Iln’apasbesoindesavoircequejeveuxfaire.Jenoiesesparolesdansmespensées.Sije l’entends, si je l’écoute vraiment, la barrière que j’ai érigée sera brisée. La surface en adéjàétéentailléeilyauneheureseulement,etj’ailaissémesémotionscontrôlermoncorps,maisjeneveuxpasqueçaserépète.
Hardinquitte lachambredixminutesplustard,alorsque j’essaieencored’ignorersespromesses, et je commence à faire mes valises pour Seattle. Ces derniers temps, j’ai tropvoyagé.Jecumulelesallersetretours,j’aihâtedepouvoirm’installerenfindansunendroitquejedésigneraicommemamaison.J’aibesoindesécurité,j’aibesoindestabilité.
Comment ai-je pu passer toute ma vie à préparer une existence stable pour meretrouver projetée, bringuebalée sans un point fixe qui seraitmon chez-moi, sans filet desécurité,sansriendutout?
Lorsque j’atteins le bas des escaliers, Landon, adossé au mur, m’arrête d’un gentilmouvementdubras.
–Hé!Jevoulaisteparleravantquetunepartes.Jerestedevantluietj’attendsqu’ilparle.J’espèrequ’ilnevapaschangerd’avisetqu’il
vamelaisserlesuivreàNewYork.
–Jevoulaissavoirsi tun’avaispaschangéd’avisetsi tuvoulaistoujoursveniràNYUavecmoi.Sinon,cen’estpasgrave.J’aijustebesoindesavoirpourdireàKencommentons’arrangeaveclesbilletsd’avion.
–Oui,jevienstoujours.Ilfautquej’ailleàSeattlepourdireaurevoiràKimet…J’aienviedeluiparlerdemonrendez-vouschezlemédecin,maisjenesuispasencore
sûre de pouvoir faire face à ça. Rien n’est certain, mais je préfère simplement ne pas ypenserpourl’instant.
–Tuessûre?Jeneveuxpasquetucroiesquetudoivesyaller,jelecomprendraissituvoulaisresterici,aveclui.
Landonparled’unevoixsidouce,sicompréhensive,quejenepeuxpasm’empêcherdemejeteràsoncou.
–Tuesincroyable,tusais,ça?Jen’aipaschangéd’avis.J’aienviedelefaire,jedoislefairepourmoi.
–Quandvas-tuluiannoncer?Qu’est-cequetucroisqu’ilvafaire?Jen’aipasencoreréfléchiàcettequestion.QuevafaireHardinquandjeluiparleraide
mon projet de déménager à l’autre bout du pays ? Je n’ai pas le temps de laisser l’avisd’Hardinmodelermonprojet,c’estterminé.
–Honnêtement,jenesaispascommentilvaréagir.Jusqu’àl’enterrementdemonpère,j’auraisditqu’ilenavaitrienàfaire.
Landon hoche la tête sans grande conviction. Puis des bruits venus de la cuisinerompentnotresilenceetçamerappellequejenel’aipasfélicitépourlagrandenouvelle.Alors,biencontentedepouvoirchangerdesujet,jem’exclame:
–Jen’arrivepasàcroirequetunem’aiespasditquetamèreétaitenceinte!– Je sais, je suis désolé. Quand ellem’a annoncé la nouvelle, tu t’esmise à vivre en
reclusedanstachambre.Ilmetaquinegentiment.–Çaterendtristedequitterlamaisonalorsqu’unpetitfrèrevaarriver?JemedemanderapidementsiLandonaimeêtrefilsunique.Nousavonsabordélesujet
quelquefois, mais il a toujours évité de parler de son père, chaque fois il a rapidementretournél’attentionversmoi.
– Un peu. Je m’inquiète surtout de savoir comment ma mère va supporter cettegrossesse.Etellevamemanquer,Kenaussid’ailleurs,maisjesuisprêt.Enfin,jecrois.
Jehochelatêteavecassurance.–Toutvabiensepasser.Surtoutpourtoi,tuasdéjàétéadmisàlafac.Jedéménage
là-bassansmêmesavoirsi jevaispouvoiryfairemarentrée.JevaisvoguerversNewYorksansfacfixe,sansboulotet…
LamaindeLandoncouvremaboucheetilsemetàrire.
–J’ailamêmesensationdepaniquequandjepenseauchangement,maisjemeforceàmeconcentrersurlesaspectspositifs.
–Quisont?–Ehbien,c’estNewYork.C’esttoutcequej’aipourl’instant.Ilpartd’unéclatderireetjemeretrouveavecunsourireallantd’uneoreilleàl’autre
lorsqueKarennousrejointdanslecouloir.–Cesonvamemanquerquandvouspartireztouslesdeux.Ses yeux brillent sous la lumière. Ken la suit de près, l’embrasse sur le crâne et
réplique:–Commeànoustous.
1.RomandeJaneAusten.(NdT)
46
Hardin
Ontoqueàlaporteetquandjel’ouvre, jeneprendsmêmepaslapeinedemasquerma
déceptiondevoirlesourirebizarredeKenaulieudelafilledemesrêves.Ilresteplantélà,àattendremapermissiond’entrer.–Jevoulaisteparlerdubébé.Je savais que ça allait arriver etmême si çamenavre, il n’y a pasmoyend’éviter ce
merdier.–Entre,alors.Jeme décale pour le laisser passer et vaism’asseoir sur la chaise à côté du bureau.
Putain,jen’aiaucuneidéedecequ’ilvapouvoirmedireoudecequejevaisrépondre,oudecommenttoutçavaseterminer,maisjenevoispascommentçapourraitbiensepasser.
Kenrestedebout.Ilestplantélà,àcôtédelacommode,lesmainsdanslespochesdesonpantalongris.Lefaitquecesoitlemêmegrisquelesrayuresdesacravateetqu’ilporteungiletnoirproclamehautet fort : « Je suisprésidentd’uneuniversitéd’État ! »Maisenregardant au-delà des apparences, je lis l’inquiétude dans ses yeuxmarron et ses sourcilsfroncés. Il triture ses mains de façon si pathétique que je veux juste mettre fin à sessouffrances.
–Çava.Tut’esprobablementditquej’allaiscassertesmerdesetpiquerunecrise,maishonnêtement,jem’entapequetuaiesunbébé.
Ilsoupire,maisiln’apasl’airsoulagé,commejel’espéraisplusoumoins.– C’est normal que tu sois contrarié. Je sais que c’est inattendu et je connais tes
sentimentsàmonégard.J’espèresimplementqueçanevapasalimentertarancœur.IlbaisselesyeuxausoletjeregrettequeTessanesoitpasàmescôtésplutôtquelàoù
elle est avec Karen. J’ai besoin de la voir avant qu’elle parte. J’ai promis de la laisser
respirer,maisjenem’attendaispasàcequ’onm’infligecemomentpère-fils.–Tunesaisriendecequejeressenspourtoi.Putain,mêmemoi jene saispas ceque je ressenspour lui.Pourtant sapatienceavec
moiestsanslimites.– J’espère que ça ne changera pas et ne fera pas reculer les progrès que nous avons
faits.Jesaisquej’aibeaucoupdechosesàmefairepardonner,maisj’espèrevraimentquetumelaisserascontinuerd’essayer.
D’entendreça, je ressensunecertaineaffinitéavec lui,que jen’avais jamaiséprouvéejusque-là. Nous sommes tous les deux déglingués ; nous avons tous les deux subi lesconséquences de nos décisions demerde et de notre addiction, et çame fait chier d’avoirdéveloppécetraitenétantélevéparlui.SiVancem’avaitélevé,jeneseraispascommeça.Jeneseraispasaussibousilléàl’intérieur.Jen’auraispaseupeurdevoirmonpèrerentrerbourré à lamaison et je ne serais pas resté assis par terre, pendant des heures, avecmamère blessée qui pleurait et luttait pour reprendre conscience après tout ce qu’elle avaitenduréàcausedesesconneries.
La colère bouillonne en moi, elle chante dans mes veines, et je suis à deux doigtsd’appeler Tessa. J’ai besoin d’elle dans lesmoments comme ça, enfin, j’ai toujours besoind’elle, mais particulièrement maintenant. J’ai besoin que sa douce voix me murmure desparolesd’encouragement. J’ai besoinque sa lumière repousse les ténèbresqui envahissentmonesprit.
–Jeveuxquetufassespartiedelaviedecebébé,Hardin.Jecroisqueçapourraitêtreunetrèsbonnechosepournoustous.
–Nous?–Oui,noustous.Tufaispartiedecettefamille.Quandj’aiépouséKarenetassuméle
rôledepèrepourLandon, je saisque tuaseu l’impressionque je t’oubliais, et jeneveuxpasquetuéprouvescegenredechoseàcausedubébé.
–M’oublier?Tum’asoubliébienlongtempsavantd’épouserKaren.Mais je ne ressens pas ce petit pic d’excitation à lui balancer ce genre de merde en
pleine tronche, maintenant que je connais son passé entre ma mère et Christian. J’ai del’empathie pour lui, vu toutes les saloperies que ces deux cons lui ont fait subir,mais enmêmetemps, jesuistoujoursenrognequ’ilaitétéunpèreaussinaze jusqu’à l’andernier.Mêmes’iln’estpasmonpèrebiologique,c’étaitsonrôledes’occuperdenousetilaacceptécerôle,avantdetoutabandonnerpourlabouteille.
Alorsjenepeuxpasm’enempêcher.Jeledevrais,maisjefrémisderageetj’aibesoinde savoir. J’ai besoin de savoir pourquoi il essaie de faire amende honorable avecmoi s’iln’estpassûràcentpourcentd’êtremonpère.
–DepuisquandtusaisquemamèrebaisaitVancedanstondos?Enposantcettequestion,jelâchelesmotscommejedégoupilleraisunegrenade.
Toutl’oxygènequittelapièceetKenestsurlepointdetomberdanslespommes.–Comment…Ils’interromptetgrattesabarbenaissante,puisreprend:–Quit’aditça?–Épargne-moi tes conneries. Je sais tout.Voilà cequi s’est passé àLondres. Je les ai
surpristouslesdeux.Ilselatapaitsurleplandetravaildelacuisine.–OhmonDieu!(Savoixs’étrangle.)Avantouaprèslemariage?–Avant,maiselles’estquandmêmemariée.Pourquoies-turestéavecellesitusavais
qu’elleendésiraitunautre?Ilprendquelquesinspirationsetregardeautourdelui,puishausselesépaules.–Jel’aimais.Ilmeregardedroitdanslesyeux,faisantpreuved’unehonnêtetédénuéed’artificequi
pourraitsupprimertoutedistanceentrenous.Ilcontinue:–Jen’aipasd’autreraison.Jel’aimaisetjet’aimaisetj’espéraisqu’unjourellecesserait
del’aimer.Cejourn’estjamaisvenu…etçamerongeait.Jesavaiscequ’ellefaisaitaveclui,monmeilleurami,maisj’avaistellementd’espoiretjepensaisqu’unjourellemechoisirait.
–Ellenel’apasfait.Elleapeut-êtrechoiside l’épouseretdepassersavieavec lui,maisellene l’a jamais
vraimentchoisipourlesbonnesraisons.–Àl’évidence,oui.Etj’auraisdûabandonner,bienlongtempsavantdemetournervers
labouteille.Lahontequejelisdanssonregardmedonneuneleçond’humilité.–Ouais,tuauraisdû.Toutauraitététellementdifférents’ill’avaitfait.–Jesaisquetunecomprendspasetjesaisquemeschoixpitoyablesetcesfaux-espoirs
ont détruit ton enfance, alors je ne m’attends pas à ce que tu me pardonnes ni mecomprennes.
Ilrassemblesesmainsdansungestedeprièreetlesmetdevantsabouche.Jerestesilencieuxcarjenesaispasquoidire.J’ailatêteencombréed’atrocessouvenirs
et de cette révélation : mes trois… figures parentales sont réellement et complètementbarrées.Jenesaismêmepascommentlesappeler.
– Jepensaisqu’elleverraitqu’ilnepouvaitpas luioffrir la stabilitéque jepouvais luiprocurer.J’avaisunbonboulot,elleprenaitmoinsderisquesavecmoiqu’avecChristian.(Ilmarque un temps d’arrêt et ses respirations tendent son gilet sur son torse, puis il meregarde.)J’imaginequesiTessaépousaitunautrehomme,c’estcequ’iléprouverait.Ilseraittoujoursencompétitioncontretoietquandtulaquitteraispourlacentièmefois,ilauraitàsebattrecontretonfantôme.
Ilestconvaincudecequ’ildit,jel’entendsautondesavoixetlevoisàsamanièredemeregarderdroitdanslesyeux.
–Jenelaquitteraiplus.Jeparleentremesdentsserrées,empoignantlecoindubureaudetoutesmesforces.–C’estcequ’iladit,luiaussi.Ilsoupireets’appuiecontrelacommode.–Jenesuispascommelui.–Je lesais.JenedispasquetuesChristianetqueTessaest tamère.Heureusement
pour toi,Tessanevoitque toi.Si tamèrenes’étaitpasbattuecontreses sentimentspourlui, ils auraient pu être heureux ensemble ; finalement, ils ont laissé leur relation toxiquedétruirelaviedetousceuxquilesentouraient.
Kensefrotteencoresabarbedetroisjours.Unehabitudeirritante.JepenseàCatherineetàHeathcliffetj’aienviedevomirdevantunecomparaisonaussi
facile. Tessa et moi sommes peut-être des désastres ambulants comme les deuxpersonnages,maisjenenouslaisseraipassouffrirlamêmedestinée.
Toutefois,riendecequemeditKenn’estillogique.Pourquoia-t-ilsupportétouteslesmerdesquejeluiaifaitsubirs’ilavaitlemoindresoupçonquejen’étaispassonproblème,d’abord?
–Alorsc’estvrai,hein?C’estluitonpère?C’estcommes’ilperdaitlaforcevitalequil’animait.L’hommeforteteffrayantdemonenfanceadisparu.Ilestremplacéparunhommeau
cœurbrisé,surlepointdepleurer.J’aienviedeluidirequ’ilestdébiled’avoirsupportétoutesmesconneries,quemamère
etmoinepourronspasoublierl’enferqu’ilnousainfligéquandj’étaisgamin.C’estsafautesi je fais équipe avec les démons et que je combats les anges, sa faute si ma place estréservéeenenferetquejenesuispaslebienvenuauparadis.C’estsafautesiTessaneveutplusêtreavecmoi.C’estsafautesijel’aiblesséed’innombrablesfoisetc’estsafautesij’ensuisàessayerderattrapervingtetuneannéesdeconneries.
Plutôtquedeluidiretoutça,jemetais.Kensoupireetcontinue:–Dèslapremièrefoisquejet’aivu,j’aisuquetuétaissonfils.Sesmotsmepercutentsi fortque l’airquittemespoumons, toutcommemes idéesde
colère.Ilpoursuit:–Jelesavais.Ilessaiedenepaspleurer,envain.J’aiunmouvementdereculetdétourneleregard
pournepasvoirleslarmesroulersursesjoues.–Je lesavais.Commentaurais-jepul’ignorer?Tuluiressemblestellementetchaque
année, tamère pleurait un peu plus et le voyait en cachette un peu plus souvent. Je lesavais.Jenevoulaispas l’admettreparcequetuétais toutceque j’avais.Jen’avaispasta
mère;çan’ajamaisvraimentétélecas.Dujouroùjel’airencontrée,elleatoujoursétéàlui. Tu étais tout ce que j’avais et quand j’ai laisséma ragemedominer, je t’ai perdu, toiaussi. (Il s’interrompt, reprend son souffle et je reste assis, paumé dansmon silence.) Tuaurais été plus heureux s’il t’avait élevé, je le sais très bien, mais je t’aimais. Je t’aimetoujours comme si tu étais demon sang. Et je ne peux qu’espérer que tume laisses fairepartiedetavie.
Ilpleureencore;ilyatropdelarmessursonvisageetjecompatispourlui.Unepartiedupoidsquimepesait sur le cœuraétéenlevée, jepeux sentirdesannéesde rageetdecolère se dissoudre. Je n’ai jamais connu cette sensation ; c’est puissant et libérateur. Letempsqu’illèvelesyeuxversmoi,jenemesenspluspareil.Jenesuispluslemême.C’estlaseule explicationàmonmouvement :mesbras touchent ses épaules et se resserrentdanssondospourleréconforter.
Enfaisantcegeste,jelesenstremblerpuissemettreàvraimentsangloterdetoutsoncorps.
47
Tessa
La routeaétépresqueaussiatroceque je l’avaisprévu. J’aieu l’impressionqueçane se
terminerait jamais. À chaque ligne jaune, je voyais l’un de ses sourires, l’un de sesfroncementsdesourcil;chaquebouchonsemblaitsemoquerdechacunedemeserreursetchaquevoituresur laroute,c’étaitunautre inconnu,uneautrepersonneavecsespropresproblèmes.Jemesentaisseule,tropseuledansmapetitevoiture,enm’éloignantdeplusenplusdelàoùjevoulaisêtre.
Suis-jeassezbêtepour vouloirmebattre contre ça?Vais-je êtreassez fortepournageràcontre-courantcettefois-ci?Enai-jeseulementenvie?
Quellessontleschancesquecettefois-cicesoitdifférentalorsqueçafaitdescentainesdefoisquenousrevivonslamêmescène?Est-cequ’ilmeditlesmotsquej’aitoujoursvouluentendrepardésespoir,justeparcequ’ilsaitàquelpointjem’ensuisdétachée?
J’aidanslatêtecequisembleêtreunromandedeuxmillepagessaturéesdepensées,dedialogues irréfléchis et de tonnes de questions à deux balles dont je ne connais pas laréponse.
Quand jeme suisgaréedevant chezKimberlyetChristian il yaquelquesminutes, latension dansmes épaules était quasiment insupportable. Je sentais lesmuscles se tendresous ma peau au point de claquer et là, plantée dans le salon à attendre que Kimberlyarrive,cettetensionnefaitquegrandir.
Smithdescendlesescaliersenplissantlenezdedégoût.–Elleaditqu’elleviendraquandelleaurafinidefrotterlajambedemonpère.Cepetitgarçonàfossettesestplutôtcraquant.–Ok.Merci.
Iln’apasditunmotquandilm’aouvertlaportetoutàl’heure.Ilm’ajusteexaminéede bas en haut et fait signe d’entrer avec un petit sourire. J’ai été impressionnée par cesourire,simincefût-il.
Il s’assied sur le coin du canapé sans dire un mot. Je le regarde attentivement seconcentrer sur le gadget qu’il a dans la main. Le petit frère d’Hardin. C’est une idéetellementbizarrequecetadorablepetitgarçon,qui semblenepas tropm’aimerpouruneraison que j’ignore, soit son frère biologique. D’une certaine façon, c’est logique : il atoujoursété trèscurieuxd’Hardineta toujourssembléappréciersacompagnie,à l’inversedelamajoritédesgens.
Ilseretourneetmesurprendàl’observer:–Ilestoù,tonHardin?TonHardin. J’ai l’impressionquechaque foisqu’ilmeposecettequestion,monHardin
estbienloin.Encoreplusloincettefois-ci.–Ilest…C’est cemoment-là queKimberly choisit pourdéboulerdans lapièce, les bras grands
ouverts.Évidemment,elleestparfaitementmaquilléeetportedestalonshauts.Jesupposequelemondeextérieuracontinuédetourner,contrairementaumien.
–Tessa!Oh!Çafaittroplongtemps!Savoixesthautperchéeetellemeserresifortdanssesbrasquej’entousse.Puiselle
reculeetmetireparlamainjusquedanslacuisine.–Commentvatavie?Jegrimpesurcequisembleêtremontabourethabituel.Debout devant le comptoir du petit déjeuner, elle passe ses mains dans ses cheveux
blondsmi-longspouressayerdesefaireunvaguechignonsurlesommetducrâne.–Ehbien,nousavonstoussurvécuàcesatanévoyageàLondres.Nonsanspeine,mais
onl’afait.Ellegrimace,etmoiaussi.–CommentvalajambedeMonsieurVance?–MonsieurVance? (Elle rit.)Non,pasde retourenarrièreà causede tous les trucs
bizarresquisesontpassés.Jet’aiditquetupeuxfranchementl’appelerChristianouVance.Sa jambe cicatrise ; heureusement, le feu s’est surtout attaqué à ses vêtements, peu à sapeau.
Unpliluibarrelefrontetjevoisunfrissonluiparcourirlesépaules.J’essaiedenepasêtretropinsistante,maisluidemandequandmême:
–Iladesennuis?Desennuisaveclajustice?–Pasvraiment.Ilamontéunbateau.Unehistoiredepunksquiseraiententrésdansla
maisonet l’auraientvandaliséeavantd’ymettrelefeu.Maintenant,c’estuncasd’incendievolontairesanspiste.
Ellesecouelatêteetpasselesmainssursarobe.– Comment vas-tu, toi, Tessa ? Je suis vraiment désolée pour ton père. J’aurais dû
t’appelerplussouvent.J’aiétésioccupéeàessayerderésoudretoutça.(Kimberlyposesamainsurlamiennesurleplandetravailengranit.)Maisbon,cen’estpasunetrèsbonneexcuse…
–Non,non.Net’excusepas.Ilsepassaittellementdechosesdanstavieetjen’aipasété de très bonne compagnie. Si tu avais appelé, je n’aurais sans doute même pas étécapabledeterépondre.J’avaislittéralementperdularaison.
J’essaie de rire, mais même moi, j’entends que ce qui sort de ma bouche sonneétrangementfaux.
–Jevois.C’estquoi,ça?Ellemeregarded’unairincréduleendésignantmatenue,etjebaisselesyeuxsurmon
sweat-shirtinformeetmonjeansale.–Jenesaispas.Lesdeuxdernièressemainesontétéplutôtlongues.Jehausselesépaulesettiremescheveuxemmêlésenarrière.–Àl’évidence,tuaspasséunsalequartd’heure.Hardinaencorefaitdessiennesouce
sonttoujourslesconséquencesdeLondres?Kimberly hausse un sourcil, ce qui me rappelle à quel point les miens doivent être
broussailleux.M’épilerestbienladernièrechosequej’aientête,maisKimberlyestl’unedecesfemmesquivousdonnetoujoursenvied’êtrejoliepourêtreàsonniveau.
–Pasvraiment.Bon,àLondresilafaitlamêmechosequed’habitude,maisenfinjeluiaiditquec’étaitfinientrenous.
Voyantl’airsceptiquedesesyeuxbleus,j’ajoute:–Jesuissérieuse.JepensedéménageràNewYork.–NewYork?Sérieux?AvecHardin?(Elleenrestebouchebée.)Oh!oublie,tuviens
justedemedirequevousaviezrompu.Ellesetapelefrontdelamaindansungestethéâtral.– Avec Landon, en fait. Il part à NYU et m’a proposé de l’accompagner. Je vais
m’accorderl’étéetavecunpeudechance,jepourraiintégrerNYUàlarentrée.Ellerigole.–Waouh,j’aibesoindereprendremesesprits.–C’estungrandchangement.Jesais.C’estjustequeje…ehbien,j’aibesoindepartir
d’iciet,commeLandonysera,çam’aparulogique.C’estn’importequoi,ungrandn’importequoidedéménageràl’autreboutdupays,et
laréactiondeKimberlymeleprouve.–Tun’aspasàm’expliquerquoiquecesoit.Jepensequec’estunetrèsbonneidée,je
suis juste surprise. (Kim n’essaie même pas de contrôler son petit sourire.) Toi, tu
déménagesàl’autreboutducontinentsansplanning,sansavoirtoutpréparéparlemenudepuisunan?
–C’estbête,hein?C’estça?J’aiposélaquestion,sanstropsavoirquelleréponsej’aienvied’entendre.–Non!Depuisquandmanques-tuautantdeconfianceentoi?Machérie,jesaisquetu
as traversé pasmal d’épreuvesmerdiques,mais il faut que tu te reprennes. Tu es jeune,brillanteetbelle.Lavien’estpassimoche!Bordel,essaiedenettoyerlesbrûluresquetonfiancés’estfaitesententantdecouvrirlesconneriesd’unfilsadultequ’ils’estdécouvertente trompant avec son « amour de jeunesse perdu » (en levant les yeux au ciel, ellemimeaveclesdoigtsdesguillemets)etprendssoindeluialorsquetuasenviedel’étrangler.
Je ne sais pas si elle voulait être drôle, mais je dois me mordre la langue pourm’empêcherderiredel’imagequ’ellevientdemedonner.Maisquandellepouffe,jel’imite.
–Plussérieusement,tuasledroitd’êtretriste,maissitulaisseslatristessetecontrôler,tunepourrasplusvivre.
Ses mots tombent parfaitement entre mes pleurnicheries égoïstes et ma trouille dedéménageràNewYorksansavoirrienprévu.
Ellearaison,cetteannée,j’aitraversépasmaldemomentspassympas,maisest-cequeçam’avanceraitàquelquechosederestercommeça?D’être tristeetendeuilléeàchaquepensée?J’aimaislafacilitédenerienressentir,maispourautantjenemesentaispasmoi-même. J’avais l’impression que mon esprit s’échappait à chaque pensée négative et jecommençais à craindre de ne jamais retrouver ma personnalité. Je n’y suis pas encorearrivée,maispeut-êtrequ’unjour…?
–Jesaisquetuasraison,Kim.C’estjustequejenesaispascommentm’arrêter.Jesuistellement en colère tout le temps. (Je serre les poings.)Ou triste. De la tristesse et de ladouleur.Jenesaispascommentm’ensépareretçamebouffedel’intérieur,çaprendlepassurmaraison.
– Ce n’est pas aussi facile que ce que je viens d’essayer de te montrer, mais pourcommencer, il faut que tu retrouves ton enthousiasme. Tu déménages à New York ! Faiscommesituétaistransportéedejoieàcetteidée.SitutebaladesdanslesruesdeNewYorkentirantlagueule,tuneteferasjamaisd’amis.
Elleaccompagnesesparolesd’unsourirecensélesadoucir.–Etsijen’yarrivaispas?Etsijemesentaistoujourscommeça?–Alors tu ressentiras toujours lamêmechose.Et riend’autre,mais tunepeuxpas te
permettredepensercommeçamaintenant.J’aiapprisdansmesjeunesannées(ellesouritlargement),etc’estpassivieuxfigure-toi,j’aiapprisquelesmerdes,çaarrivetoutletempset qu’il faut faire avec. C’est pourri, et crois-moi, je sais qu’on parle d’Hardin. On parletoujoursd’Hardin,maistudoisaccepterqu’ilnetedonnerapascequetuveuxetcedonttuasbesoin.Alors,essaiedumieuxquetupeuxdeprétendrequetupassesàautrechose.Si
tu peux l’embobiner, lui et tout lemonde en fait, peut-être que toi aussi tu arriveras à lecroireetalors,çaarriveravraiment.
–Tucroisquejepeuxyarriver?Jeveuxdire,àl’oublier?Jemetordslesmains.–Jevaistementir justeparcequec’estcequetuasbesoind’entendreencemoment.
(Kimberlysortdeuxverresàvinduplacard.)Àcestade,tuasbesoind’entendredestasdeconneries qui font du bien aumoral. Il sera toujours temps de faire face à la réalité plustard,mais pour l’instant… (Elle fouille dans le tiroir sous l’évier pour en extraire un tire-bouchon.)Pourl’instant,onboitduvinetjeteracontepleind’histoiresderupturesquivonttefairepenserquelatienne,c’estgenreunjeud’enfant.
Jesaisqu’elleneveutpasparlerdelaflippantepoupéeàcheveuxorangequitue,maisjeluiposequandmêmelaquestion.
–Commelefilmd’horreuravecChucky?–Non,grossemaligne.(Ellemedonneunetapesurlacuisse.)Jeparledefemmesqui
sont restées mariées pendant des années alors que leur mari s’envoyaient leur sœur. Cegenredemerdesinfâmesteferacomprendrequetoncasestloind’êtrelepire.
Jesuis sur lepointderefuser leverredevinblancdevantmoiquandKimberlyme leporteauxlèvres.
Unebouteilleplus tard, je rigole tellementque je suisobligéedeme tenirauplandetravail pour ne pas m’effondrer. Kimberly m’a présenté un vaste éventail de relationscomplètement déjantées et j’ai enfin arrêté de regarder mon téléphone toutes les dixsecondes.Detoutefaçon,Hardinn’apasmonnouveaunuméro.Jemelerépètesanscesse.Bon,c’estd’Hardindontonparle : s’ilveutconnaître lenuméro, il trouveraunmoyendel’obtenir.
Quelques-unesdeshistoiresqueKimberlyvientdemeracontermesemblenttropfollespourêtrevraies.Jesuiscertainequelevinl’a incitéeàtoutes lesenjoliverpourlesrendreencorepires.
Celledelafemmequiestrentréechezellepourtrouversonmarinudanssonlitaveclavoisine…etsonmari.
L’histoiretropdétailléedelafemmequiaessayédefairedescendresonmarimaisquiadonnéparerreurlaphotodesonfrèreautueuràgages.Sibienquelemariafiniparavoiruneviebienmeilleurequelasienne!
Etpuiscelledel’hommequiaquittésafemmeavecquiilétaitdepuisvingtans,pourtrouverunejeunettedelamoitiédesonâgequis’estrévéléeêtre…sapetite-nièce.Beurk.(Oui,ilssontrestésensemble.)
Etlafillequiacouchéavecsonprofdefacetquis’enestvantéeàsamanucurequi,ôsurprise,étaitlafemmeduditprofesseur.Bon,ellearedoublé.
L’histoiredel’hommequiaépouséuneFrançaisevraimentsexyqu’ilavaitrencontréeàl’épicerie, pour s’apercevoir qu’elle ne venait pas de France mais de Detroit et avait degrandstalentsd’arnaqueuse.
CelledelafemmequiaeuuneliaisonpendantunanavecunhommesurInternetetqui eut la surprise de découvrir, au premier rendez-vous, qu’il s’agissait en fait de sonpropremari.
Maiscelledelafemmequiasurprissonmarientraindecoucheravecsasœur,puissamère,puissonavocateenchargedudivorce,netientpaslaroute.Ellen’aabsolumentpaspuluicouriraprèsdanslecabinetjuridiqueenluihurlantdessusetenluijetantsestalonsàlafigurealorsqu’ils’enfuyaitdanslecouloir,lepantalonsurleschevilles.
Je n’en peux plus de rire, Kimberly se tient le ventre et proclame qu’elle a vu cethommequelquesjoursplustardavec,aubeaumilieudufront,latracedelachaussuredesafutureex.
– C’est même pas une blague ! C’était un vrai bordel ! La meilleure partie de cettehistoire,c’estqu’ilssesontremariésdepuis!
Elle tapede lamain sur le plande travail et le volumede sa voix ivreme fait taire.Smithestmontéàl’étageetalaissélesfillesbourréesquiparlenttropforttoutesseules.Jesuiscontente, jeneculpabiliseraipasdeleperturberenrigolantfranchementdelamisèredesautres.
–Leshommessont tousdesconnards.Tous, sansexception. (Kimberly lève sonverrefraîchement rempli, lemienest vide.)Maispour êtrehonnête, les femmes sont toutesdesconnasses aussi, alors le seulmoyen pour que çamarche, c’est de te trouver un connardavecquiçapasse.Unquiterendeunpeumoinsconnassetoi-même.
Christianchoisitcetinstantpourentrerdanslacuisine.–Toutevotreconversationsurlesconnardsportejusquedanslecouloir.J’avais complètement oublié qu’il était dans le coin. Il me faut un instant pour me
rendrecomptequ’ilestenfauteuilroulant.J’enailesoufflecoupé.Kimberlymeregarde,unpetitsourireauxlèvres,puisellem’assure:
–Ilvas’ensortir.Luisouritàsafiancéequisetortillecommeellelefaittoujoursquandillaregardede
cettemanière.Çame surprend. J’étais sûrequ’elle luipardonnerait ; jene savaispasquec’étaitdéjàchosefaiteet,encoremoins,qu’ellepuisseenavoirl’airsiheureuse.
–Désolée.Elleluisouritetils’approchepourluiattraperleshanchesetl’asseoirsursesgenoux.Il
grimacequandsacuissetouchesablessureetillarepositionnevitesursabonnejambe.–Çaal’airpirequeçanel’estvraiment.Il me dit ça pour me rassurer lorsqu’il me surprend à regarder le métal du fauteuil
roulantetlachairbrûléesursajambe.
–C’estvrai.Ilselajouevraimentgrandblessémaintenant!Kimberlytapotesafossetteduboutdudoigt.Jedétourneleregard.–Tuesvenueseule?VanceignoreleregardmeurtrierdeKimberlyquandilluimordledoigt.Jenepeuxpasm’empêcherdelesobserver,mêmesijesaisquejenerisquepasd’êtreà
leurplacesouspeu,voirejamais.–Ouais.Hardinestderetourchezson…chezKen.Christianal’airdéçuetleregarddeKimberlys’adoucit,maisj’ail’impressionquemon
videintérieur,colmatéparlesplaisanteriesdeKimberly,commenceàsecreuserdenouveauàl’annoncedunomd’Hardin.Christianmurmure:
– Comment va-t-il ? J’aimerais vraiment qu’il décroche son téléphone quand jel’appelle,cepetitcon.
Jemetsçasurlecompteduvin,maisjeluirépondsvertement:–Ilapleindetrucsàgérerencemoment.(Immédiatement,jemerendscomptequ’en
prenantcetonacerbe,jejouelesconnasses.)Jesuisdésolée.Jenevoulaispasparlersurceton. Je sais juste qu’il a plein de choses à gérer en ce moment. Je ne voulais pas êtregrossière.
Jechoisisd’ignorer lepetit sourire satisfaitdeKimberlyquandellem’entenddéfendreHardin.
Christiansecouelatêteetmerépondenriant:–C’estbon,jeleméritaisamplement.Jesaiscequ’ilvit.Jeveuxjusteluiparler,maisje
saisqu’ilreviendraquandilseraprêt.Mesdames,jevaisvouslaisser;j’avaisjusteenviedeconnaîtrel’originedetouscesriresetdecescris,etdem’assurerquecen’étaitpassurmondos.
Sur ce, il embrasse Kimberly brièvement mais tendrement, et fait rouler son fauteuilverslaporte.JetendsmonverreàKimberlyquimeleremplit.
–Attends,çaveutdirequ’onnetravailleraplusensemble?Tunepeuxpasmelaisseravectoutescesvipèresvicieuses!Tueslaseulequejepuissesupporter,àpartlanouvellecopinedeTrevor.
–Trevoraunecopine?Jeboisunegorgéedevinfrais.Kimberlyavaitraison,levinetlesrires,çaaide.Jesens
que je sors de ma coquille, que je reviens à la vie. À chaque blague ou histoireabracadabrante,jetrouveçaplusfacile.
–Oui!Larousse!Tusais,cellequis’occupeducommunitymanagementàlacom’?J’essaiedemesouvenirdesatête,maisjenevoisrien,levindansedansmatête.–Jenelaconnaispas.Depuiscombiendetempssortent-ilsensemble?–Seulementquelquessemaines.Maisécouteça.Christianlesaentendustouslesdeux.Kimberlyalesyeuxbrillantsdeselivreràsonactivitéfavorite,lespotinsdebureau.
J’avaleuneautregorgéedevin,attendantqu’elledéveloppe.–Genreillesaentendustouslesdeuxensemble.Genre,àbaiserdanssonbureau.Etle
plusdingue,c’est cequ’ilaentendu…(Ellemarqueunepausepour rire.) Ils faisaientdestrucscoquins.Jetedis,Trevorestdugenrecostaudauplumard.Ilaentendudesfessées,ilssedonnaientdesnomscochons,ettoutça.
J’éclatederirecommeunegourdedelycéenne.Unelycéennequiatropbu.–J’ycroispas!Jen’arrivepasàimaginerlegentilTrevordonnantlafesséeàquiconque.Rienquede
l’imaginer, çame fait rire encore plus fort et je secoue la tête, essayant de ne pas trop ypenser.Trevorestbeau,trèsbeau,maisbon,ilesttellementpolietgentil.
–Jetejure!Christianestconvaincuqu’ill’avaitattachéeaubureauparcequequandill’avujusteaprès,ildétachaituntrucducoin!
Kimberlyagitesesmainsenl’air,levinmonteetmesortparlesnarines.C’estmondernierverre.OùestHardinquandj’aibesoindelui?C’estluimonautorité
suprêmeenmatièred’alcool.Hardin.Moncœur semetàbattreplusviteetmon riredérape,pendantqueKimberlyajoute
quelquesdétailssalacesàsonhistoire.–J’aientendudirequ’ilaunecravachedanssonbureau.–Unecravache?Jebaisseleton.–Oui,pourl’équitation.VavoirsurGoogle!–Jen’arrivepasàycroire. Ilest tellementdouxetgentil. Ilnepourrait quandmême
pasattacherunefemmeàsonbureauetluifairecestrucs!Impossible de l’imaginer.Mon esprit traître et imbibé commence à imaginer des trucs
avecHardin,desbureaux,descordesetdesfessées.–Quis’envoieen l’airdanssonbureaude toute façon?MonDieu,cesmurssont fins
commedupapier.J’enrestebouchebée.Devraies images,dessouvenirsd’Hardinmecouchantsurmon
bureaumetraversentl’espritetmonteintdéjàbienrougevireaurubicondbiencuisant.Kimberlymefaitunpetitregardcompliceetpenchelatête.–Lesmêmespersonnesquis’envoientenl’airdanslesgymnasesprivés,j’ail’impression.Là,ellem’accuseengloussant.Jel’ignore,malgrél’embarrasquimegagne.–RevenonsàTrevor.Jecachemonvisagederrièremonverredumieuxquejepeux.–Jesavaisqu’iln’étaitpasnet.Leshommesquiportentuncostumetouslesjoursnele
sontjamais.
–Seulementdanslesromanscochons.Çac’estpourlacontredire,çamerappelleunlivrequej’avaisprévudeliremaisqueje
n’aipasencorecommencé.– Ces histoires viennent bien de quelque part, non ? (Elle me fait un clin d’œil.) Je
n’arrêtepasdepasserdevantlebureaudeTrevor,enespérantbienl’entendrelapilonner,maisjen’aipaseucettechance…enfinpasencore.
Le ridicule de cette soirée m’a rendu légère, comme je ne m’étais pas sentie depuislongtemps.J’essaiedesaisircettesensationetdelagarderserréecontremapoitrinelepluslongtempspossible.Jeneveuxpasqu’ellem’échappe.
–QuiauraitcruqueTrevorsoituntelpervers,hein?–CettepetitebitedeTrevor.JerestesilencieuselorsqueKimberlyéclated’unriresonore.–PetitebitedeTrevor!Ellepousseuncristridentetjemejoinsàsonéclatderireenpensantàl’originedece
surnom, et à tour de rôle nous imitons de notre mieux son instigateur prononçant cesurnom.
48
Hardin
Cette journée a été trop longue. Putain, vraiment trop longue, là je suis prêt à allerme
coucher. Après cette conversation à cœur ouvert avec Ken, je suis épuisé. Ça, suivi deSarah… Sonya… enfin S. – on s’en fout de son nom – et Landon qui se faisaient desœilladesdeloutresenchaleurpendantledîner,j’aifaillicreverd’ennui.
MêmesijeregrettequeTessasoitpartiesansmeprévenir,jenepeuxpasledireàvoixhaute,ellenemedoitaucuneexplication.
J’aiétésage,commejeleluiavaispromisetj’aimangéensilencependantqueKarenetmonpère–ouquiqu’ilsoit–m’observaientavecattention,s’attendantàcequej’exploseouruineleurdînerd’unemanièreoud’uneautre.
Maisjenel’aipasfait.Jen’airienditetj’aibienmastiquéavantd’avaler.Jen’aimêmepasmismescoudessurl’atroceboutdetissuquisertdenappe.Karenpensequeçaajouteunecharmantetouchepastelpourleprintempsouunemerdedanslegenre,maiscen’estpaslecas.C’esthideuxetquelqu’undevraitymettrelefeupendantqu’elleregardeailleurs.
Jeme suis senti un peumieux, trop bizarre,mais un peumieux quandmême aprèsavoir parlé à mon père. Je trouve que c’est amusant de continuer à appeler Ken « monpère » alors qu’ado, jepouvais àpeineprononcer sonnomsans l’assassinerdu regardouregretterqu’il soitparti,histoirede luidéfoncer leportrait.Maintenantque je comprends,enfin,quejecomprendsunpeucequ’iléprouvait,etseschoix,unepartiedelacolèrequejeretenaisenmoidepuissilongtempss’estévaporée.
En revanche, c’était bizarre de la sentir quitter mon corps. Dans les romans, ilsappellentcephénomènelepardon,maisjenel’avaisjamaisressentiavantcesoir.Jenesuispastoutàfaitsûrd’apprécierlasensation,maisj’admetsqueçam’aideàmedistrairedeladouleurconstanted’êtreloindeTessa.Enfin,plusoumoins.
Jemesensmieux…Plusheureux?Jenesaispas,maisjenecessedepenseràl’avenirmaintenant.UnaveniroùTessaetmoiachetonsuntapis,desétagères, tousces trucsqueles gens mariés achètent. Le seul couple marié que je connaisse qui peut se supportermutuellement, c’est Ken et Karen, et je ne sais absolument pas ce qu’ils font ensemble. Àpartdesbébésàquaranteanspassés.Commeungaminimmature,jegrimaceàcetteidéeetfeinsdenepasdepenseràleurviesexuelle.
En vérité, penser à l’avenir est bien plus fun que je ne l’aurais jamais imaginé. Jen’attendaisriendemonfuturnimêmedemonprésent.J’aitoujourscruquejeseraisseul,alors je neme suis jamais donné la peine de tirer des plans à la con sur la comète ni derêver de joursmeilleurs. Il y a encore huitmois, j’ignorais qu’une personne comme Tessapouvait exister. Jen’avais pas idéeque cette blonde énervante était prête à retournermavie, me rendant complètement dingue, me rendant amoureux encore plus que j’aimerespirer.
Putain,sij’avaissuqu’elleétaitdanslecoin,jen’auraispasperdumontempsàbaisertoutes les filles que je pouvais. Avant, rien nem’arrêtait ; aucune force de la nature auxyeuxbleugrisnem’aidait,nemeguidaitàtravers lebordelambiantqu’étaitmavie,alorsbiensûrj’aifaittropdeconneries,etmaintenantjedoisfairedeuxfoisplusd’effortsquelaplupartdesgenspouressayerdecorrigercestravers.
Sijepouvaisrevenirenarrière,jen’auraispastouchéd’autrefille.Pasuneseule.Etsij’avaissuàquelpointc’étaitbondetoucherTessa,jemeseraispréparé,j’auraiscomptélesjoursjusqu’àcequ’elledébarquedansmachambreàlafraternité,qu’ellebousculetousmeslivresetmesaffaires,mêmeaprèsquejeluiavaisexplicitementdemandédenepaslefaire.
Leseultrucquimefaitàpeuprèsgarderlecontrôle,c’estl’espoirquetôtoutard,ellechangerad’avis.Elleverrabien,cettefois-ci,quejetiendraiparole.Jel’épouserai,mêmesijedoislatraînerparlapeauduculjusqu’àl’autelpourça.
Çaaussi,c’estundenosproblèmes,cesfantasmesautoritaires.Autantjenel’admettraijamais face à elle, autant je ne peux pas m’empêcher de sourire en l’imaginant en robeblancheà râler etm’engueulerparceque je la tire littéralementpar les pieds sur le tapisd’uneéglisetandisqu’uneharpe joueunechansonà lacon,oucegenred’instrumentquepersonnen’utilisejamaisendehorsdesmariagesetdesenterrements.
Sij’avaissonnuméro,jeluienverraisuntextojustepourm’assurerqu’ellevabien.Maisbon, elle ne veut pas que j’aie son numéro. Il a fallu que je puise dans mes réserves decalmepournepasarracherdesapocheetvolerletéléphonedeLandon,aprèsledîner.
Je suis allongé dans ce lit alors que je devrais être en route pour Seattle. Devrais,voudrais,auraisbesoin,mais jenepeuxpas.Jedois lui laisserunpeud’espace,sinonellem’échappera. Je tiensmon smartphone au-dessusdema têtedans le noir et regardemesphotosd’elle.Sidesimagesdesouvenirssonttoutcequejepeuxavoirpourquelquetemps,ilvamefalloirplusdephotos.Jen’enaiqueseptcentvingt-deux.Cen’estpasassez.
Plutôtquedecontinuermontripharceleurd’obsédé,jemelèveetenfileunpantalon.JenepensepasqueLandonouKarenencloqueapprécientdemevoiràpoil.Enfin,peut-être que si. L’idéeme fait sourire et ilme faut quelques secondes pour préparer unplan.Landonvaselajouerentêté,jelesais,maisc’estfaciledelefairechangerd’avis.
Àladeuxièmeblagueembarrassantesursanouvellechérie,ilvamecracherlenumérodeTessaetrougircommeunepremièrecommuniante.
Jefrappedeuxfoisàsaporte,donnantàcegaminunbonavertissementavantd’ouvrirlaporte.Ildort,allongésurledos,unbouquinsurletorse.Putaind’HarryPotter. J’auraisdûm’endouter…
J’entends un bruit et remarque un petit flash. Commeun signe des dieux, l’écran desontéléphones’allumeet je l’attrapesur latabledenuit.Sur l’écrans’affichent lenomdeTessaetledébutd’untexto:
SALUTLANDON,T’ESRÉVEILLÉ?PARCEQUE…
L’aperçunemontrepaslerestedumessage,ilfautquejeleliseabsolument.Lesmainssurmoncou, j’essaied’empêcher la jalousiedeprendre ledessus.Pourquoi luiécrit-elledestextosaussitard?
Jetentededevinersonmotdepasse,maisc’estplusdifficiledelireenluiqu’enTessa.Le sienétait si évidentque c’enétaitpresquecomique, en fait. Je savaisque, commemoi,elleauraitpeurdel’oublieretchoisirait1234.C’estnotremotdepassepourtout.NuméroPIN,codepouraccéderaux films sur labox,pour toutcequi requiertuncode, c’est celuiquenousutilisons.
Voilà,enfait,ons’estdéjàpassélabagueaudoigt,putain.Onpourraitêtremariésetsefairevolernotreidentitéensembleparlepremierhackervenu.Merde!
JebalanceunoreillersurlagueuledeLandon,çalefaitronchonner.–Debout,Ducon.–Tire-toi!–J’aibesoindunumérodeportabledeTessa.Coupd’oreiller.–Non.Encoredeuxcoupsd’oreiller.Plusfort.–Mais,euh!(Ils’assied.)C’estbon.Jevaistelepasser,sonnuméro.À tâtons, il cherche son téléphone,que je luiposedans lamain. Je le regardeentrer
soncode,justeaucasoù.Ilmelerenddébloqué,cedontjeleremercie,etj’entrelenumérodeTessdansmon répertoire. Je suis tellement soulagéquand je clique sur « enregistrer »que c’en est pathétique, mais je m’en tape. Pour faire bonnemesure, j’assène un derniercoupd’oreilleràLandonetsorsdesachambre.
Jecroisquejel’entendsm’insulterjusqu’àcequejefermelaporteenriant.Jepourraism’habituer à ça, à cette sensation… d’espoir en tapant un simple texto pour souhaiter
bonnenuitàmacopineetàattendresaréponseavecanxiété.Toutsembles’arrangerpourmoi, enfin la dernière étape, c’est le pardon de Tessa. J’ai juste besoin d’une lueur del’espoirqu’elleatoujourseupourmoi.L’espoirdeluirevenir.
Unmessages’affiche:HARRRDIN?
Putain,jecommençaisàcroirequ’elleallaitm’ignorer.NON,PASHARRRDIN.JUSTEHARDIN.
Jedécided’entamer la conversationen la taquinantmême si j’aimerais la supplierderevenir de Seattle ou de ne pas partir en live si jeme pointe là-bas au beaumilieu de lanuit.
DÉSOLÉE,JEN’ARRIVEPASÀTAPERSURCECLAVIER.ILESTTROPSENSIBLE.
Jepeuxl’imaginer,allongéedanssonlitàSeattle,clignantlesyeux,unplisurlefront,entapantleslettresdesonindex.
OUAIS,C’ESTL’IPHONE,C’ESTÇA?TONVIEUXCLAVIERÉTAITÉNORME,PASÉTONNANTQUET’ENCHIES.
Ellemerépondparunsmileyetjesuisimpressionnéetamuséqu’elleviennedetrouvercommentutiliser lesémoticônes.Putain, je lesdétesteet j’ai toujours refuséde lesutiliser,maisme voilà en train de télécharger l’appli qui va bien pour pouvoir lui répondre de lamêmemanière.
Letempsquejeluienvoieunsmiley,ellemeredemande:TUESENCORELÀ?
OUAIS.POURQUOIES-TUENCOREDEBOUT?J’AIVUQUETUAVAISÉCRITÀLANDON.
Quelques secondes passent et ellem’envoie une image d’un petit verre de vin. Aprèstout,j’auraisdûmedouterqu’elleallaitpasserlasoiréeavecKim.
SOIRÉEPICOLE?
Jejoinsàmonmessageuntrucquiressembleàunetêtedegarssurpris,enfinjecrois.Putain,maispourquoi ilyenaautant,decesmerdes?Pourquoiquelqu’unvoudrait-ilenvoyeruneimageavecuncondetigre,bordel?
Commejesuiscurieuxetunpeushootéàl’attentionqu’elledaignem’accorder,j’envoiel’image de ce putain de tigre et j’éclate de rire quand elle me répond d’un chameau. Jerigolechaquefoisqu’ellem’envoieunepetiteimagedébiledontpersonnen’al’usage.
J’aimequ’elleaitpigéletruc,qu’ellesachequej’aienvoyéletigreparceque,putain,çan’aaucunsens,etmaintenant,nousnouslivronsàunebatailled’émoticônesàlaconetjesuislà,allongédanslenoir,àriretellementfortquej’enaimalauventre.
Aprèscinqminutesd’échangesdébiles,nousrepassonsàl’écrit.J’ENAIPLUS.
MOINONPLUS.T ’ESFATIGUÉE?
OUI,J’AITROPBU.
TUT’ESAMUSÉE?
Je suis surpris,mais jeme rends compte que j’ai envie qu’elle réponde oui, qu’elle apasséunebonnesoirée,mêmesijen’étaispaslà.
ÇAVATOI?J’ESPÈREQUETOUTS’ESTBIENPASSÉAVECTONPÈRE.
OUAIS,PEUT-ÊTREQU’ONPOURRAENPARLERQUANDJ’ARRIVERAIÀSEATTLE?J’accompagnemonmessageunpeutroprentre-dedansd’uncœuretd’uneimaged’un
trucquiressembleàunimmeuble.PEUT-ÊTRE.
JESUISDÉSOLÉD’AVOIRÉTÉSIMERDIQUECOMMEMEC.TUMÉRITESMIEUXQUEMOI,MAISJET’AIME.
J’envoielemessageavantdemecensurer.C’estlavéritéetjenepeuxpasm’empêcherdeladiremaintenant.J’aifaituneerreurengardantsecretsmessentimentspourelle,c’estpourçaqu’ellepeutaussifacilementdouterdemespromessesmaintenant.
TROPD’ALCOOLDANSMESVEINESPOURAVOIRCETTECONVERSATIONNE.CHRISTIANAENTENDUTREVOR
S’ENVOYERENL’AIRDANSSONBUREAU.
Jelèvelesyeuxaucielenvoyantcenoms’affichersurmonécran.CettepetitebitedeTrevor.
PETITEBITEDETREVOR.
C’ESTCEQUEJELEURAIDIT.J’AIDTIÀKIMTROPLAMÊMMECHOES.
TROPDEFAUTESPOURPOUVOIRTELIRE.VATECOUCHER.ÉCRIS-MOIDEMAIN.
J’appuiesur«envoyer»,puisjecommenceunnouveaumessage.S’ILTEPLAÎT,ÉCRIS-MOIDEMAIN.
Un sourire s’affiche sur mon visage lorsqu’elle envoie une image de téléphone, unvisageendormietceputaindecondetigre.
49
Hardin
LavoixfamilièredeNaterésonnedansl’étroitcouloir:
–Scott!Etmerde.Jesavaisquejen’arriveraispasàmesortirdecebordelsansavoiràmetaper
l’und’entreeux.Jesuisvenusurlecampuspourparleràmesprofs.Jevoulaism’assurerquemonpère
puisse bienme faire sautermes dernières dissertes. Avoir des amis ou de la famille hautplacésçaaidevraiment,onm’adonnélapermissiondesécherlafindemescourspourcesemestre.Detoutefaçon,j’aitellementséchéqueçaneferapasvraimentladifférence.
LescheveuxblondsdeNatesontpluslongsetrelevéssurlesommetdesoncrânefaçontouffepointue.
–Hé,mec,j’aicommel’impressionquetuessayaisdem’éviter,là.Ilmeregardedroitdanslesyeux.–Perspicace,àcequejevois?Jehausselesépaules,çanesertàriendementir.–J’aitoujoursdétestétonvocabulairedesnob.J’auraispumepasserdelevoiraujourd’hui,etàl’avenir.Jen’airiencontrelui;jel’ai
toujours relativement plus apprécié que le reste de mes amis, mais je suis passé à autrechose.
Ilprendmonsilencepouruneautreinvitationàouvrirsonclaque-merde.– Je ne t’ai pas vu sur le campus depuis une éternité. Tu n’es pas censé bientôt
terminer?–Ouais,aumilieudumoisprochain.Ilmesuitenmarchantlentement.
–Loganaussi.Tuvasalleràlacérémonie,hein?–Putain,jamaisdelavie.Tuviensvraimentdemeposercettequestion?Jerigole.JevisualisedansmatêtelefroncementdesourcilsdeTessaetjememordsla
lèvrepourm’empêcherde sourire. Je saisqu’elle veutque jeparticipeàmacérémoniederemisedesdiplômes,maisputain,iln’estpasquestionquej’yaille.
Peut-êtrequejedevraisaumoinsréfléchiràlaquestion?–Ok…C’estquoiceplâtre?–Longuehistoire.Unehistoirequejenesuispasprèsdeteraconter.Tuvois,Tessa,j’aiunpeuapprisàmecontrôler.Mêmesijeteparledansmatêtealorsquetun’esmêmepaslà.Ok,peut-être que je suis taré,mais je suis plus oumoins sympaavec les gens…Tu serais
fièredemoi.Putain,jesuisvraimentfait.Natesecouelatêteetmetientlaportequandnoussortonsdubâtimentadministratif.–Alors,commentvalavie?Là,iljouesonrôledebavarddugroupe.–Cool.–Commentva-t-elle?Mes bottes s’arrêtent net sur le trottoir en béton et il recule d’un pas en levant les
mainsensignededéfense.–Jenefaisqueposerlaquestion,mec.Çafaitunbailquejen’aivuaucund’entrevous
ettuasarrêtéderépondreànosappelsdepuislongtemps.ZedestleseulàparleràTessa.Est-cequ’ilessaiedemefoutrelesboules?–Zedneluiparlepas.Laseulementiondesonnommemetlesnerfstropfacilement,merde.Natelèvelamainsursonfront,c’estunticnerveux.–Jenedisaispasçacommeça,mais ilnousaditpoursonpèreet ilaannoncéqu’il
étaitàl’enterrement,alors…–Alorsrien.Iln’estrienpourelle.Passeàautrechose.Cette conversation ne mène nulle part, c’est pour ça que j’ai arrêté de perdre mon
tempsaveceux.–C’estbon.Sijeleregardais,jesaisquejeleverraisleverlesyeuxauciel.Maisnon,ilmesurprend
quandilajouteavecunepointed’émotion:–Jenet’aijamaisrienfait,tusais.Quandjemetourneverslui,jenesuispassurprisquesonvisagereflètelamêmechose
quesavoix.Jemesenslégèrementcoupable.
–Jen’essaiepasdefairelecon.Cemecestsympa,plussympaquelaplupartdenosamis.Desesamis,carcenesont
pluslesmiens.Ilregardederrièremoi.–Ondiraitbienquesi.–Ehbiennon.C’est justequec’estfinitoutçapourmoi.Tuvois?(Jemetournevers
lui.) J’ai dépassé toutes cesmerdes. Les fêtes, l’alcool, la fumette, la baise. C’est terminé.Alorsnon,jen’essaiepasdejouerauconavectoipersonnellement,c’estjustefini.
Natesortuneclopedesapocheetleseulbruitentrenousestceluidesonbriquet.Letempsoùjemebaladaissur lecampusavecluiet lerestedugroupemesembletellementloin. Çame paraît si loin, le temps où on racontait toutes cesmerdes sur les gens et oùsoigner sa gueule de bois était la seule activité du matin. Elle semble si lointaine, cetteépoqueoùmavietournaitautourd’autrechosequ’elle.
Iltireunelatte.– Je comprends ce que tu veuxdire. Je n’arrive pas à croire que tumedises un truc
pareil,maisj’aipigé,etj’espèrequetusaisquejesuisdésolépourlerôlequej’aijouédansles conneries de Steph et Dan. Je savais qu’ils préparaient un truc,mais je ne savais pasquoi.
Ladernièrechosedontj’aienvie,c’estbiendeparlerdeStephetdeDanetdelamerdequ’ilsontprovoquée.
–Ouais,bon,onpourraitcontinueràergotersurlesujet,lerésultatseraitlemême.Ilsne seront plus jamais assez proches de Tessa pour ne serait-ce que respirer le même airqu’elle.
–Stephs’estbarréedetoutefaçon.–Elleestoù?–EnLouisiane.Bien.Jeveuxqu’ellesoitaussiloindeTessaquepossible.J’espèrequeTessavabientôtm’écrire;elleaplusoumoinsacceptédelefairehiersoir,
etj’ycomptebien.D’ailleurssiellenes’exécutepasrapidement,jevaiscraqueretluiécrireenpremier.J’essaiedeluidonnerdel’espace,maisnotreconversationàcoupsd’émoticônesétait le truc le plus fun que j’aie vu depuis… bah, depuis que j’étais en elle seulementquelques heures auparavant. Je n’arrive toujours pas à croire qu’un connard chanceuxcommemoiaitledroitdes’approcherd’elle.
J’aidéconnéjusteaprès,maisça,c’estuneautrehistoire.–Tristanl’asuivie.Le vent se lève ; ce putain de campus demerde semble être un endroit un peuplus
fréquentabledepuisquejesaisqueStephaquittél’État.–C’estqu’ungroscon.
–Non.Ill’aimevraimentbien.Enfin,ill’aime,jecrois.Natedéfendsonpote.Jerenifle.–C’estbiencequejedis,c’estqu’ungroscon.–Peut-êtrequ’illaconnaîtdifféremmentdenous.Sesmotsmefontrire,d’unpetitrireagacé.–Qu’est-cequetuveuxconnaîtred’autre?Cettesalopeestcomplètementtarée.Jen’arrivepasàcroirequ’ilsoitvraimententraindedéfendreSteph,enfinTristan,qui
ressortavecSteph,alorsquec’estunefollefurieusequiaessayédefairedumalàTessa.–Jenesaispas,mec,maisTristanestmonpote,alorsjenelejugepas.Laplupartdes
gensdiraientlesmêmesconneriessurTessaettoi.Natemeregardefroidement.–J’espèrequec’estmoiquetucomparesàSteph,pasTessa.–Biensûr.Ilsoupireetfaittomberlacendredesacigaretteparterre.–Tudevraisvenirà lamaisonavecmoi.Commeaubonvieux temps. Iln’yaurapas
beaucoupdemonde,justequelquespotes.–Dan?MonportablevibredansmapocheetjelesorspourvoirlenomdeTessas’affichersur
l’écran.–Jenesaispas,maisjepeuxm’assurerqu’ilnesepointepasquandtuyseras.Noussommesarrivéssurleparking.Mavoituren’estqu’àquelquespasdelàetsamoto
est garée au premier rang. Je n’arrive toujours pas à croire qu’il n’ait pas pété cettesaloperie.Lejouroùilaeusonpermismoto,ilafaittombercettemerdeaumoinscinqfoisetjesaisquecedébileneportepasdecasquequandiltraverselavilleàtouteberzingue.
–C’estbon.J’aidestrucsàfaire,enplus.Je lui mens en répondant au bonjour de Tessa. J’espère que mes trucs à faire se
résument à discuter quelques heures avec elle. J’avais presque accepté d’aller dans cetteconneriede fraternité,maisquemesanciens«amis» fréquententencoreDanmerappelleexactementpourquoij’aiarrêtédelesvoir.
–Tuessûr?Onpourraitsefaireunedernièresoiréeavantquetunesoisdiplôméetquetuengrossestacopine.Tusaisqueçatependaunez,non?
Ilmetaquine,ok.Jevoissalanguebrillersouslesoleiletjerepoussesonbras.–Tut’esfaitfaireunpiercingàlalangue?Jefrotteduboutdudoigtlapetitecicatriceàcôtédemonsourcil.–Ouais,genreilyaunmois.Jen’arrivetoujourspasàcroirequet’aiesvirélestiens.Et
bienjouéd’avoirévitéderépondreàlasecondepartiedemaphrase!J’essaiedemesouvenir.Untrucsurmacopine…etunegrossesse?
–Ohputain,non.Personnenevafairedemôme,connard.Vatefairefoutre,n’essaiepasdemefoutrelesboulesaveccegenredeconneries.
Jelepoussedel’épaule,etilritdeplusbelle.Lemariageestunechose.Lesbébés,putain,c’enestuneautre.Je jette un coup d’œil sur mon téléphone. Aussi sympa que ce soit de prendre des
nouvellesdeNate,jeveuxmeconcentrersurTessaetsesmessages,surtoutdepuisqu’elleaécrituntrucàproposd’unrendez-vouschezlemédecin.Jeluienvoieuneréponserapide.
–Tiens,voilàLogan.Nate détourne mon attention du téléphone et je suis son regard jusqu’à Logan qui
s’avanceversnous.–Merde.J’aperçoislafillequimarcheàcôtédeLogan.J’ail’impressiondelaconnaître,maispas
totalement…Molly. C’est Molly, mais ses cheveux sont noirs maintenant, plus roses du tout. J’ai
vraimentbeaucoupdechanceaujourd’hui,vraiment!–Bon,c’estunsigne.Jemecasse.Pourtenterd’éviterledésastrepotentielquis’avanceversmoi.Justeaumomentoù jemedétournepouryaller,Molly s’approchedeLoganet il lui
passelebrasautourdelataille.C’estquoicemerdier?J’enrestebouchebée.–Ilssontensemble?Euxdeux,là?Ilsbaisent?JeregardeNate;cetenfoirén’essaiemêmepasdedissimulersonamusement.–Ouais, ça fait un bailmaintenant. Ils n’en ont parlé à personne jusqu’à il y a trois
semainesenviron.Maisbon, je lesavaisgrillésavant.Jesavaisqu’ilyavaituntrucquandelleaarrêtédefairesaconnasseavectoutlemonde.
Molly repousse ses cheveuxd’unmouvementde tête et sourit à Logan. Impossibledemesouvenird’unjouroùjel’aivuesourire.Jenepeuxpasl’encaisser,maisjeneladétesteplusautantqu’avant.ElleaaidéTessa…
Loganm’interpelledepuisl’autreboutduparking.–Nepensemêmepasàtetireravantdemedirepourquoitunousévites!Jeluirépondssurlemêmeton,enrevérifiantmontéléphone.–J’avaismieuxàfaire!Je veux savoir pourquoi Tessa est retournée chez le médecin. Dans son dernier
message,elleévitaitderépondreàlaquestionetj’aibesoindesavoir.Jesuissûrqu’ellevabien,c’estjustequejesuisunconnardcurieux.
LeslèvresdeMollydessinentunpetitsouriresatisfait.–Mieuxàfaire?GenrebaiserTessajusqu’àplussoifàSeattle?Etcommeaubonvieuxtemps,jeluifaisundoigtd’honneur.
–Vatefairefoutre!–Faispastafiotte.Onsaittousquevousn’avezjamaisarrêtédebaiserdepuislejour
oùvousvousêtesrencontrés.Ellemecherche,alorsjeregardeLoganetjeluidis:–Fais-lataireoujem’enoccupe.–Vousfaitesunmerveilleuxcouple,touslesdeux.J’arque un sourcil en regardant mon vieux pote, et c’est à son tour de me faire un
doigt.–Aumoins,elletelaissesortirtoutseulmaintenant,àcequejevois?LaremarquedeLoganmefaitrire.Ilaraisonsurcepoint.Mollydemande:–Elleestoù,d’abord?Nonpasquej’enaiequoiquecesoitàfoutre;jenel’aimepas.–Onsait.NatesoupireetMollylèvelesyeuxauciel.Àmontourdememoquer.–Ellenet’appréciepasnonplus.Personnenet’aime,enfait.–Touché.Ellesouritdetoutessesdentsets’appuiesurl’épauledeLogan.Natepourraitavoirraison:onal’impressionqu’elleestmoinsconnasse.Enfinunpeu.– Bon, c’était cool de vous voir les gars, vraiment. (Petit sarcasme avant de me
détourner.)Maisj’aidestrucsplusintéressantsàfaire.Amusez-vousbienavecvosmerdes.EtLogan,tudevraiscontinueràlabaiser.Ondiraitqueçaluiréussit.
Jelessalued’unsignedetêteetmontedansmavoiture.Justequand je ferme laporte, j’entendsunbouquetd’exclamationsmêlant « il estde
meilleurehumeur»,« il se faitmenerpar leboutde lachatte»et« jesuiscontentepourlui».
Leplusbizarre,c’estquecederniercommentaireaétéprononcéparlaSalopeenChef,enpersonne.
50
Tessa
Je suismal à l’aise, stressée et j’ai unpeu froid, assise comme ça, seulement vêtued’une
légère blouse d’examen médical, dans la petite salle du cabinet du Docteur West,exactementlamêmequetouteslesautreslelongducouloir.Ilsdevraientmettreunpeudecouleur dans ces pièces, juste un peu de peinture ferait l’affaire, ou même une photoencadréecommedans toutes les sallesd’examenque j’ai fréquentées.Celle-cimiseàpart.Elleestcomplètementblanche.Desmursblancs,unbureaublanc,unsolblanc.
J’auraisdûaccepter lapropositiondeKimberlydem’accompagner.Jepeuxm’entirertouteseule,maisavoirunpeudesoutienaujourd’hui,neserait-cequ’unpeude l’humourdeKimberly,m’aurait aidéeàdéstresser.Enme levant cematin, jeme sentaisbienmieuxquejeneleméritais,aucunetracedegueuledebois.Jemesentaisquasimentbien.Jemesuisendormieavecunsouriredûaumélangedevinetd’Hardin,et j’aimieuxdormicettenuitqu’aucoursdesdernièressemaines.
Ça tourne en rond dans ma tête, comme d’habitude dès que j’en viens à penser àHardin. Lire et relire notre conversation badine d’hier soir n’a pas manqué de me fairesourire,peuimportelenombredefoisoùj’airegardélesmessages.
J’aimeceHardin,patient,gentiletjoueur.J’adoreraismieuxleconnaître,maisj’aipeurqu’il ne demeure pas assez longtemps dans les parages pour ça. Je ne vais pas resterlongtempsnonplus.JeparspourNewYorkavecLandonetplusladateapproche,pluslespapillonsquej’aidansleventresontexcités.Jenepeuxpasdiresic’estunebonneouunemauvaisevibration,maisaujourd’huielleestincontrôlableet,encemoment,démultipliée.
J’ailespiedsquipendentauborddel’inconfortabletabled’examenetjen’arrivepasàdécidersi jeveuxgarder les jambescroiséesoupas.C’estunequestiondérisoire,maiselle
m’aideàpenseràautrechosequ’àlatempératuretropfraîchedelapièceetauxpapillonsbizarresquiattaquentmonestomac.
Je sors mon téléphone de mon sac et envoie un message à Hardin, juste pourm’occuperpendantmonattente,biensûr.
J’envoieunsimpleSALUT,etj’attendslaréponseencroisantetdécroisantmesjambes.JESUISCONTENTQUETUM’ÉCRIVESPARCEQU’UNEHEUREDEPLUSETJET’ENVOYAISUNMESSAGE.
Jesourisàl’écran,mêmesi jedevraisêtrechoquéedel’intransigeancecachéederrièresesmots.Ilestsihonnêtecesdernierstemps,j’adoreça.
JESUISCHEZLEMÉDECINETJ’ATTENDSDEPUISUNEÉTERNITÉ.COMMENTTEPORTES-TU?
ARRÊTED’ÊTREAUSSIFORMELLE.POURQUOIES-TUCHEZLEMÉDECIN?TUVASBIEN?TUNEM’ASPASDIT
QUETUYRETOURNAIS.JEVAISBIEN,NET’ENFAISPASPOURMOI,MÊMESIJESUISAVECNATEQUIESSAIEDEME
TRAÎNERCHEZLUI.COMMESIÇAALLAITLEFAIRE.
Jedétesteladouleurquejeressensdanslapoitrineàl’idéequ’Hardinpassedutempsavecsesanciensamis.Sesactivitésnemeconcernentpasni ses fréquentations,mais jenepeuxpasmedébarrasserde cemalaisequand je repenseà tous les souvenirsauxquels ilssontassociés.
Quelquessecondesplustard:NONPASQUETUAIESBESOINDEME LEDIRE,MAIS TU POURRAIS YALLER.PEUT-ÊTREQUE JE T’AURAIS
ACCOMPAGNÉ?
C’ESTBON.JESUISBIENTOUTSEUL.
Jemeretrouveàregretterdeluiavoirdonnélechoix.TUESRESTÉTROPLONGTEMPSTOUTSEULDEPUISQUEJET’AIRENCONTRÉ.
PASVRAIMENT.
Jenesaispastropquoidire,j’ailatêteencombréeetjemesensassezheureusequ’ilsesouciedemoietqu’ilsoitsiouvert.
UnMENTEUSEaccompagnéd’unjeanetd’unebouledefeus’affichentensuite.Jecouvremabouchedemamainpourm’empêcherd’éclaterderirequandlemédecinrentredanslasalled’examen.
LEDOCTEURVIENTD’ARRIVER.JETEREPARLEPLUSTARD.DIS-LEMOIS’ILALAMAINBALADEUSE.
Je rangemon téléphone etmon sourire (enfin j’essaie) pendant que leDocteurWestenfileunepairedegantsenlatex.
–Commentallez-vous?Comment jevais?Commes’ilvoulaitavoir laréponseàcettequestion!Pasplusqu’il
n’aletempsdel’écouter.C’estunmédecin,pasunpsy.–Bien.Jegrimaceàl’idéedeluifairelaconversationpendantl’examen.–J’ailesrésultatsdevosexamenssanguins,iln’yapasàs’inquiéterdececôté-là.
Jelaisseéchapperunsoupirdesoulagement.–Toutefois…Ilditçadefaçonmenaçante,avantdemarquerunepause.J’auraisdûsavoirqu’ilyauraituntoutefois.–Auvudevotrescan,j’enconclusquevotrecoldel’utérusesttrèsétroitet,àcequeje
peuxvoir,trèscourt.J’aimeraisvousmontrercequejeveuxdire,siçavousva?LeDocteurWestremetseslunettesetjefaisunsignedetêtepourdonnermonaccord.
Uncoldel’utéruscourtetétroit.J’aifaitassezderecherchessurInternetpoursavoircequeçaveutdire.
Dixlonguesminutesplustard,ilm’amontrédemanièretrèsdétailléecequejesavaisdéjà. Je connaissais la conclusion de son exposé. Je l’ai su à l’instant où j’ai quitté soncabinetilyadeuxsemainesetdemi.Enmerhabillant,sesparolesmetournaientsanscessedanslatête:
«Pasimpossible,maishautementimprobable.»«Ilyad’autrespossibilités,beaucoupdegensoptentpourl’adoption.»«Vous êtes encore très jeune.Envieillissant, votrepartenaire et vouspourrez explorer les
meilleuresoptions.»«Jesuisdésolé,MademoiselleYoung.»Sansypenser,jecomposelenumérod’Hardinenretournantàmavoiture.Troisfois,je
tombesursamessagerievocale,avantdemeforceràreposermontéléphone.Jen’aipasbesoindeluinidepersonneencemoment.Jepeuxgérerçatouteseule.Je
lesavaisdéjà.J’aidéjàdigérél’informationetl’aiarchivée.Peuimportequ’Hardinnerépondepasàsontéléphone.Jevaisbien.Quisesoucieque
je sois stérile ? Jen’ai quedix-neuf ans, et tous les autres plansdema vie sont tombés àl’eau jusqu’à présent. Ça semble logique que ce dernier projet d’avenir se soit envolé enfuméeluiaussi.
LaroutepourrentrerchezKimberlyestlongueàcausedesembouteillages.J’aidécidéque jedétestaisconduire.Jedéteste les fousduvolant.Jedétestecettepluiepermanente.Je déteste ces filles qui écoutent lamusique à fond, les fenêtres grandes ouvertes,mêmequandilpleut.Maisremontez-les,vosvitres!
Jedétestemafaçond’essayerderesterpositivepournepasreveniràl’étatdecréaturepathétiquequej’avaisatteintlasemainedernière.Jedétestequecesoitsidifficiledepenseràautrechosequ’àcettetrahisondemoncorps,sidéfinitiveetsiintime.
Jesuisnéecommeça,m’aannoncéleDocteurWest.Bienévidemment.Toutcommemamère, peu importe à quel point j’essaie d’être parfaite, ça n’arrivera jamais. Il y a un boncôtéàtoutça,certesassezpervers,maisjenetransmettraiaucundecestraitspourrisàunenfant. Je suppose que je ne peux pas en vouloir à ma mère pour mon col de l’utérus
détraqué, pourtant j’en ai envie. J’ai envie de rejeter la faute sur quelqu’un ou quelquechose,maisjenelepeuxpas.
Ainsivalemonde:siondésirequelquechosevraiment,ilvousestretiréetmishorsdeportée.ToutcommeHardin.PasdeHardinetpasdebébé.Lesdeuxneseraientjamaisbienallésensembledetoutefaçon,maisc’étaitsympaderêverquejepourraisavoirlesdeux.
JemarcheverslademeuredeChristianetsuissoulagéedemeretrouvertouteseuleàla maison. Pas à mamaison, mais là. Sans regarder mon téléphone, je me déshabille etpasse sous ladouche.Jenesaispascombiende temps j’y reste,à regarder l’eaus’écoulerdans la canalisation.Quand l’eauest froide, je sors etme rhabille en choisissant le t-shirtqu’Hardinavaitlaissédansmavalisequandilm’arenvoyéedeLondres.
Je reste allongée là, dans ce lit vide. Au moment où je me mets à regretter queKimberlyne soit pas chez elle, je reçoisun textode sapartm’annonçantqueChristian etelle vont passer la nuit en ville et que Smith va rester chez sa baby-sitter. J’ai toute lamaison pourmoi et rien à faire ni personne à qui parler. Plus personnemaintenant, pasmêmeunpetitbébéquejepourraischériretaimerplustard.
M’apitoyersurmonsort,jesaisquec’estridicule,maisjen’arrivepasàm’arrêter.Kimberlyrépondàmonmessagequiluisouhaitaitunebonnesoirée.PRENDSUNVERREDEVINETLOUEUNFILM,C’ESTCADEAU!
Montéléphonesonneàl’instantoùjeluienvoieuntextoderemerciement.Lenumérod’Hardins’affichesurl’écran,jemedemandesijedoisrépondre.
Le tempsque j’atteigne le frigodans la cuisine, il est renvoyé surmaboîtevocale. JeprendsunbilletpourlaFêteàlaDéprime.
Unebouteilledevinplustard, jesuisdans leséjouraubeaumilieud’unfilmd’actionquej’ailoué.C’estl’histoired’unMarinedevenunounouquiseretrouveàchasserlesaliens.C’étaitleseulfilmsurlalistequin’aitrienàvoiravecl’amour,lesbébésouquoiquecesoitdejoyeux.
Depuisquandsuis-jeunefille triste?Jereprendsunegorgéedevin,directementà labouteille.J’aiabandonnéleverreilyacinqexplosionsdevaisseauspatial.
Mon téléphone résonne et, cette fois-ci, en regardant l’écran,mon ivrogne de poucerépondàmaplace,parpuraccident.
51
Hardin
–Tess?
J’essaiededissimulermapanique.Elleaignorémesappelstoutelasoiréeetçam’arendudinguedemedemanderceque
j’aifaitdemal,cequej’aiencorefaitdemalcettefois-ci.–Ouais.Elleparled’unevoixtraînante.Unseulmot,etjecomprendsqu’elleabu.–Encoreduvin?Ilfautquejetefasselaleçon?Jelataquineenriantdoucement,maisseulsonsilencemerépond.–Tess?–Ouais?–Qu’est-cequisepasse?–Rien,jeregardeunfilm.–AvecKimberly?Monestomacseretourneàl’idéequ’ellesoitlà-basavecquelqu’und’autre.–Avecmoi-même.Jesuistouteseuledanscettegraaanndemaison.Savoixestatone,mêmequandelleappuiesurcertainsmots.–OùsontKimberlyetVance?Jenedevraispasêtreaussiinquiet,maisletondesavoixm’amislapuceàl’oreille.– Sortis pour la soirée. Smith aussi. Je suis juste en train de regarder un film toute
seule.C’estl’histoiredemavie,non?Ellerigole,maisc’estunrirecreux.Aucuneémotion,rien.–Tessa,qu’est-cequisepasse?Combiendeverresas-tubus?Ellesoupiredansletéléphoneetjejurequejelavoisunverreàlamain.
–Tessa.Réponds-moi!–Çava.J’ailedroitdeboireuncoup,hein,Papa?Elletenteuneblague,maissamanièredeprononcerlesmotsmefoutlesboules.–Techniquementparlant,tun’aspasledroitdeboire.Paslégalement,dumoins.Je suis bien la dernière personne à pouvoir lui faire lamorale ; c’estma faute si elle
s’estmiseàboireaussisouvent,etlà,cetteparanoïavirulentemecreusel’estomac.Elleboitseuleetelleal’airasseztristepourquejemelèved’uncoup.
–Ouais.–Combiendeverresas-tubus?J’envoieuntextoàVance,j’espèrequ’ilvarépondre.–Pasbeaucoup.Çava.Tusssssaiscequiestbizarre?J’attrapemesclés.Putain,çafaitchierqueSeattlesoitsiloin.–Dis-moi?J’enfilemesVans.Lesbottesprendraienttropdetemps,etjen’aipasdutoutletemps,
là.–C’estbizarrequeleschosesmochesarriventtoujoursauxgensbien.Tuvois?Etmerde.JerenvoieuntextoàVance,cettefois-cijeluidisderamenersonculchezlui,
toutdesuite.–Ouais,jesuisbienplacépourlesavoir.C’estpasjuste.Je déteste qu’elle se sente comme ça. C’est une fille bien, la plus belle personne que
j’aiejamaisrencontrée,etelles’estretrouvéecernéeparunebandedetarés,moilepremier.Dequijememoque?Jesuislepiredelabande.
–Peut-êtrequejedevraisarrêterd’êtreunefilleb-bien.Quoi?Non.Non,non,non.Ellenedevraitpasparler commeçanipenser commeça,
d’ailleurs.–Non,nedispasça.JefaisunsigneimpatientàKarenqui,surlepasdelaportedelacuisine,sedemande
oùjevaisàcetteheuredelanuitsiprécipitamment,j’ensuiscertain.–J’essaie,maisjenepeuxpasm’enempêcher.Jenesaispascommentarrêter.–Qu’est-cequis’estpasséaujourd’hui?C’est dur de croire que je parle à ma Tessa, celle qui voit toujours le meilleur en
chacun, y compris en elle-même. Elle a toujours été si positive, si heureuse, et là, elle nel’estpas.
Ellesemblesidésespérée,siabattue.Etellesemetàparlercommemoi.Monsangne faitqu’untour.Jesavaisqueçaallaitarriver ; jesavaisqu’elleneserait
pluslamêmeunefoisquej’auraisplantémesgriffesenelle.D’unemanièreoud’uneautre,jesavaisqu’aprèsmoi,elleseraitdifférente.
J’espéraisqueçan’arriveraitpas,maiscesoir,ondiraitbienquesi.–Riend’important.Ellement.Vancenem’atoujourspasrépondu.Ilaintérêtàêtreenroute.–Tessa,dis-moicequisepasse.S’ilteplaît.–Rien.C’estjustelekarmaquim’arattrapée,jecrois.Aprèscebredouillement,j’entendslesond’unbouchondebouteillequisortdugoulot,
rompantlesilenceàl’autreboutdelaligne.–Karmapourquoi?Tuesfolle?Tun’asjamaisrienfaitquipuisseméritertoutesles
merdesquitetombentdessus.Silence.– Tessa, je crois que tu devrais arrêter de boire pour ce soir. Je suis en route pour
Seattle.Jesaisquetuasbesoind’espace,maistum’inquiètesetje…ehbien,jenepeuxpasresterloindetoi,jel’aijamaispu.
–Ouais…Ellenem’écoutemêmepas.–Jen’aimepasquetucontinuesàboireautant.Jesaisqu’ellenem’entendrapas.–Ouais…–Jesuisenroute.Prendsunebouteilled’eau.D’accord?–Ouais…unepetitebouteille…
LaroutepourarriveràSeattlenem’ajamaisparuaussilongue,putain,etàcausede
cettedistanceentrenous,jevoisenfincefameuxcycledontTessamerebatlesoreilles.Maislecycles’achèveici.Putain,c’estladernièrefoisquejefaislaroutepourallerlavoirdansuneautreville.Plusdetoutecettemerdeenboucle.Plusdefuitedevantmesproblèmesetplus d’excuses à la con. Plus de putain de route sans fin à travers l’État deWashingtonparcequejem’étaisenfuiauloin.
52
Hardin
J’aiappeléquarante-neuffois.Putain,quarante-neuffois.Quarante-neuf.Voussavezcombiendesonneriesçafait?Unsacrépaquet.Bientroppour lescompter,oudumoins jenepeuxpaspenserassezclairementpour
lescompter.Maissijelepouvais,çaferaitunnombreénormedesonneries.Si jesurvisauxtroisprochainesminutes, j’envisaged’arracher laported’entréedeses
putainsdegondsetd’éclaterletéléphonedeTessa,celuiauquelellenesaitapparemmentpasrépondre,del’éclatercontrelemur.
Ok,bon,peut-êtrejenedevraispasl’éclatercontrelemur.Peut-êtrequejepourraislepiétineravecforceplusieursfoisetlefairecraquersousmonpoids.
Peut-être.Putain, elle vam’entendre, elle va se prendre une bonne soufflante, ça, c’est sûr. Ça
faitdesheuresquejen’aipaseudesignedevieetputain,ellenesaitpasàquelpointcesheures de route ont été une torture. Je dépasse la limite de vitesse de trente bonskilomètres/heurepourarriverleplusrapidementpossibleàSeattle.
Quand j’approchede lamaison, il est troisheuresdumat,putain,etTessa,VanceetKimberly sont sur ma liste noire. Je devrais peut-être éclater leurs téléphones à tous lestrois,puisqu’àl’évidenceilsontoubliéderépondreàmesappels.
En arrivant à la porte, je me mets à paniquer encore plus. Et s’ils avaient décidé defermerleurportaildesécurité?Etsiilsavaientchangélecodedel’alarme?
Putain,est-cequejemesouviensdececodedemerde?Biensûrquenon.Est-cequ’ilsvontrépondresij’appellepourleurdemanderlecode?Biensûrquenon.
Ets’ilsnerépondaientpasparcequ’ilestarrivéquelquechoseàTessaetqu’ils l’aientemmenéeàl’hôpitaletqu’ellen’aillepasbienetqu’iln’yaitpasderéseauet…
Maisouf, jevoisque leportailestouvertetçaaussi, çam’emmerdeunpeu.PourquoiTessan’a-t-ellepasenclenchélesystèmedesécuritéalorsqu’elleesttouteseule?
Commej’avancedansl’alléesinueusequimèneàlamaison,jevoisquesavoitureestlaseulegaréedevant lagigantesquemaison.C’estbonde savoirqueVanceest làquand j’aibesoindelui…Putain,quelami!Pèreouami,enréalité,iln’estnil’unnil’autre,putain.
Macolèreetmonanxiétémontentd’uncran,jesorsdelavoitureetm’approchedelaported’entrée.Elleparlaitcomme…commesiellenemaîtrisaitmêmeplussesactes.
La porte est ouverte – mais bien sûr – je m’avance jusqu’au séjour, puis remonte lecouloir.Mesmainstremblentquandj’ouvrelaportedesachambreetmapoitrineseserre:son lit est vide. Non seulement il est vide mais il est fait à la perfection, bordé commepersonned’autrenepourraitarriveràcerésultat.J’aiessayé,impossibledefaireunlitaussibienqueTessa.
–Tessa!Jecontinuevers lasalledebainsde l’autrecôtéducouloir.Jegarde lesyeuxfermés,
j’allumelalumière.N’entendantrien,jelesouvre.Rien.Tout l’air que je retenais dans mes poumons sort d’un coup, je passe à la pièce
suivante.Putain,maiselleestoù?–Tess?Jegueuledeplusenplusfort.Après avoir cherché partout dans cette immense baraque de merde, j’ai du mal à
respirer.Oùest-elle?Lesseulespiècesquirestent,c’est lachambredeVanceetunepièceverrouilléeàl’étage.Jenesuispassûrdevouloirouvrircetteporte…
Ilmeresteàvérifierdanslepatioetdansle jardin,maissi jenelatrouvepas lànonplus,putain,jenesauraivraimentplusquoifaire.
–Theresa!Putain,oùtuteplanques?C’estpasdrôle,jetejure…J’arrêtedegueuler quand j’aperçoisuneboule emmitoufléedans la chaise longuedu
patio.Jem’approcheetdécouvreTessarecroquevilléeenchiendefusil,lesbrasserréssurla
poitrine,commesielles’étaitendormieenessayantdesepréserver.Toute ma colère s’évapore d’un coup, je m’agenouille à côté d’elle. Je repousse une
mèche de cheveux blonds tombée sur son visage et me force à ne pas péter un câblemaintenantquejesaisqu’ellevabien.Putain,jemesuistellementinquiétépourelle.
Monpoulsbatscommeuntarédansmesveines, jemepencheverselleetpassemonpoucesursalèvreinférieure.Jenesaispaspourquoijefaisçaenfait,c’estungestenaturel,maisunechoseestsûre,jeneleregrettepas:sesyeuxpapillonnent,s’ouvrentetelles’étire.
–Qu’est-cequetufaisdehors?Jeparled’unevoixfortemaiséreintée.Ellegrimace,clairementirritéeparmonvolumesonore.Pourquoin’es-tupasrentrée?Jemesuisinquiétécommeunmaladepourtoi,àmerepasser
touslesscénariospossiblesdanslatêtependantdesheures.Maissansréfléchir,jeluidis:–Dieumerci,tuétaisendormie.Jen’aipasarrêtédet’appeler,jem’inquiétaispourtoi.Elles’assied,setenantlecoucommesisatêtepouvaittomber.–Hardin?–Oui,Hardin.Danslenoir,jedevinequ’elleplisselesyeuxetsefrottelanuque.Lorsqu’elleessaiede
selever,unebouteilledevintombesurlesolenbétonetsebrise.–Désolée.Ellesepenchepourattraperlesmorceauxdeverre.Jerepoussedoucementsamainetenveloppesesdoigtsdesmiens.–Netouchepasàça.Jem’enoccuperaiplustard.Rentrons.Jel’aideàselever.–Comment…tues…arrivéici?Ses mots sortent hachés, je ne veux même pas savoir quelle quantité de vin elle a
ingurgitéeaprèsavoirraccroché.J’aivuaumoinsdeuxbouteillesvidesdanslacuisine.–Jesuisvenuenvoiture,pardi.–Tuasfaittoutcechemin?Quelleheureest-il?Mesyeuxtombentsursoncorpsquin’estcouvertqued’unt-shirt.Mont-shirt.Ellesuitmonregardettiresurlebasdutissupourcouvrirsescuissesnues.–Jenelep-porteque…(Ellebégaieetn’achèvepassaphrase.)Jeneleportequelà,
justeunefois.Cequ’elleditn’aniqueuenitête.–C’estbon.Çamefaitplaisirquetuleportes.Rentrons.–J’aimebienêtreici.Savoixestcalmeetsonregardseperddanslesténèbres.– Il fait trop froid.Onrentre.(Je tendsmamainvers lasienne,maisellerecule.)Ok,
ok,situveuxresterici,toutvabien.Maisjeresteavectoi.Elle acquiesce puis s’appuie à la balustrade. Ses genoux tremblent et son visage est
livide.–Ques’est-ilpassécesoir?
Elle demeure silencieuse, les yeux toujours perdus dans le vague. Quelques instantsplustard,ellesetourneversmoi.
–Tun’asjamaiseul’impressionquetavieétaitdevenueunevasteblague?–Touslesjours.Jehausse lesépaules,pas sûrdesavoiroùcetteconversationvanousmener,mais je
hais la tristesse de son regard. Ces yeux brillants que j’aime tant sont hantés de tristesse,mêmedanslenoir,ilssontd’unbleuprofond.
–Ehbien,moiaussi.– Non, de nous deux, c’est toi la positive. La fille heureuse. C’estmoi le trou du cul
cynique,pasl’inverse.–C’estépuisantd’êtreheureuse,tusais?–Pasvraiment.Jenesuispasvraimentlemeilleurreprésentantdesrayonsdesoleilet
delajoie,aucasoùtunel’auraispasremarqué.J’essaied’allégerl’atmosphère,cequimevautunsourire,mi-alcoolisé,mi-amusé.Jeme
rapproched’elled’unpas.J’aimeraissimplementqu’ellemedisecequiluiestarrivécetaprès-midi.Jenesaispas
quoi fairepour l’aider,mais c’estma faute : toutestma faute.Cette tristesseenelle, c’estmonfardeau,paslesien.
Ellelèvelesbraspourlesposersurlarambardeenboisdevantelle,maisellelarateettrébuche, tombant pratiquement la tête la première sur le parasol fiché dans la table dejardin.
Jel’attrapeparlescoudespourlastabiliser,ellevients’appuyersurmoi.–Onpeutrentrermaintenant?Tuasbesoindedormiravectoutcevinquetuasbu.–Jenemerappellepasm’êtreendormie.–C’estprobablementparcequetut’esévanouie,pasendormie.Jedésignelabouteillebriséeàquelquespasdelà.–N’essaiepasdemegronder.Elleparled’untontranchantenreculant.–Non,promis.Jelèvelesmainsdansungested’innocence;j’aienviedecrierdevantl’ironiedecette
putain de situation. C’est Tessa qui est bourrée et moi qui suis sobre et essaie de laraisonner.
Ellesoupire.–Jesuisdésolée.Jen’arrivepasàréfléchir.Je la regardes’asseoirpar terreet ramenersesgenouxcontresapoitrine.Elle lève la
têtepourmeregarder.–Jepeuxteparlerd’untruc?–Biensûr.
–Ettuserascomplètementhonnête?–Jevaisessayer.Ma réponse semble la satisfaire et jem’assieds sur le coinde la chaise laplusproche
d’elle.J’aiunpeupeurdecedontelleveutmeparler,mais j’aibesoindesavoircequi luiarrive,alorsj’attends,bouchecousue,qu’ellesemetteàparler.
–Parfois,j’ail’impressionquetoutlemondeacequemoijevoudrais.Elleestembarrassée.Tessasesentiraitcoupablededirecequ’elleressent…J’aidumal
àdiscernercequ’elleveutdire.–Cen’estpasquejenesuispascontentepoureux…Je vois bien les larmes poindre dans ses yeux. Mais, je le jure, je n’arrive pas à
comprendredequoielleparle,mêmesilesfiançaillesdeKimberlyetdeVancemeviennentàl’esprit.
–Est-cequec’estàproposdeKimberlyetdeVance?Parcequesic’estça,tunedevraispasenviercequ’ilspartagent.C’estunmenteur,ill’atrompéeet…
Jem’arrêteavantdefinirmaphraseparuntruchorrible.–Ill’aime.Ill’aimetellement.Sesdoigtsdessinentdepetitsmotifssurlebéton.–Moi,jet’aimeplus.J’aiparlésansréfléchir,maismesmotsontl’effetopposédecequej’attendaisetellese
metàgémir.Littéralement.Puiselleserresesgenouxcontreelle.–C’estvrai.–Tunem’aimesquedetempsentemps.Saphrase tombe commeune sentence, comme si c’était la seule chosedont elle était
certainesurcetteTerre.–N’importequoi.Tusaisquecen’estpasvrai.–C’estcequejeressens.Sonregardseporteverslameràl’horizon.Jeregrettequ’ilnefassepasjourpourque
lavuepuisselaréconforter,puisqu’àl’évidence,jenesuispastrèsdouépourça.–Jesais.Jesaisquetupourraislecroire.Jepeuxcomprendrequeçapuisseêtresonressenti,maintenant.–Plustard,tuaimerasquelqu’unpourtoujours.Quoi?–Dequoituparles?–Laprochainefois,tul’aimerastoutletemps.Àcetinstant,j’ailavisionétrangedemoidanscinquanteans,repensantàcemoment,
revivanttouteladouleurquiaccompagnesesparoles.Lasensationestécrasante,etc’estsiévident,çan’ajamaisétéplusévident.
Ellearenoncéàmoi.Ànotrehistoire.
–Iln’yaurapasdeprochainefois!Je ne peux empêcher de hausser le ton, mon sang frémit en surface et menace
d’exploserlà,dansceputaindepatio.–Maissi.JesuistaTrish.Elleparledequoi, là?Jesaisqu’elleestbourrée,maisqu’est-cequemamèreaàvoir là-
dedans?–TaTrish,c’estmoi.TuaurasuneKaren,toiaussi,etellepourratedonnerunbébé.Tessaessuieseslarmes,jeglissedelachaisepourm’agenouilleràcôtéd’elle.–Jenesaispasdequoituparles,maistuastort.Mesbrasencerclentsesépaulesaumomentoùellesemetàsangloter.Jen’arrivepasàcomprendrecequ’elledit:–…bébé…Karen…Trish…Ken.Putain,ellefaitchier,Kimberly,àgarderautantdepinardchezelle.–Jenevoispas le rapportentreKaren,Trishoun’importequelnomque tuviensde
balanceretnous.Ellemerepousse,maisjeresserremonétreintesursesépaules.Ellepeutnepasvouloir
demoi,maisencemoment,elleabesoindemoi.–TuesTessa,etjesuisHardin.Findel’…–Karenestenceinte.Ellevaavoirunbébé.Tessasanglotedansmont-shirt.–Etalors?Jeluicaresseledosdemamainplâtrée,pastropsûrdesavoirquoifaireniquoidireà
cetteversiondeTessa.–Jesuisalléechezlemédecin.Maintenant,ellepleure.Jerestefigésurplace.Oh!putaindebordeldemerde.–Et?Surtout,nepaspaniquer.Sa réponse est inintelligible. Elle vient plutôt sous forme d’un cri aviné et j’essaie un
instantderéfléchiravecdiscernement.Apparemment,ellen’estpasenceinte;siellel’était,elleneboiraitpas.JeconnaisTessaetjesaisqu’elleneferaitjamais,augrandjamais,riendetel.Elleestobsédéeparl’idéed’avoirdesenfantsunjour,ellenemettraitpasneserait-cequ’unembryondebébéendanger.
Ellemelaisselaserrerdansmesbrasletempsqu’ellesecalme.–Tuaimeraisbien?Uneprofonderespirationlafaittremblercontremoi,maisseslarmessonttaries.–Quoi?–Avoirunbébé?
Ellesefrottelesyeuxetjetressaille.–Euh,non.Jeneveuxpasavoird’enfantavectoi.Ellefermelesyeuxetseremetàgémir.Jerepassedansmatêtecequejeviensdedire
etjeréalisequ’elleapumall’interpréter.–Cen’estpascequejevoulaisdire.C’estjustequejeneveuxpasd’enfant,engénéral.
Tulesais.Ellerenifleethochelatête,toujourssilencieuse.–TaKarenpourratedonnerunbébé.Lesyeuxclos,ellereposesatêtesurmapoitrine.Je suis toujoursaussipaumé.Je fais le lienentreKarenetmonpère,mais jeneveux
pasm’appesantirsur l’idéequeTessapensequ’elleest justemondébutetpas l’histoiredetoutemavie.
Jepassemesbrasautourdesatailleetlasoulèvedusol.–C’estbon,ilestl’heured’allersecoucher.Cettefois-ci,ellenesedébatpas.–C’estvrai.Tul’asditunjour.Ellepassesesjambesdepartetd’autredemataillepourm’aideràlaporter,jepasse
laporte-fenêtreetavancelelongducouloir.–J’aiditquoi?–«Ilnepeutyavoirdefinheureuse.»Ellemecitedansletexte.Putain,ilfaitchier,Hemingway,avecsonregardnégatifsur
lavie.–C’étaitcondemapartdetedireça.Jenelepensaispas.–«Situtrouvesquejenelesuispasassezcommeça!Qu’est-cequetuveuxdonc,ma
mort 1?»Elleciteencorecetenfoiré.FaitesconfianceàTessapouravoirunemémoireparfaite,
mêmequandelleesttropbourréepourresterdebout.–Çava,onpourraciterHemingwayquandtuaurasdessoûlé.Ellemurmuredansmoncou,enresserrantsonemprise:–«C’esttoujoursdansl’innocencequelemalvéritableprendsasource 2.»J’ouvrelaportedesachambre.Avant, j’adoraiscettecitation,mais jen’enavais jamaiscompris lesens.Jecroyaisque
si,maismaintenantquejelavispourdebon,jeviensdepiger.La culpabilité envahit mon esprit et je pose Tess doucement sur le lit, puis jette les
coussinsparterre,enengardantunseulpourfaireunoreiller.–Pousse-toiunpeu.Sesyeuxsontfermésetjesaisqu’elleestàdeuxdoigtsdes’endormir,enfin.Jelaissela
lumière,éteinteespérantqu’ellepuissefinirsanuit.
–Turessssssstes?–Tuveuxquejereste?Jepeuxdormirdansl’autrechambre.Même si jen’enai aucuneenvie, je lui fais laproposition.Elle est tellementpartie, si
détachéed’elle-même,quej’aiunpeupeurdelalaisserseule.Entendantlamainverslacouverture,ellemarmonne:–Mmmmhhh.Elle en attrape un bout et soupire de frustration parce qu’elle n’arrive pas à la tirer
suffisammentpourserecouvrir.Jel’aideàseborder,retiremeschaussuresetgrimpesurlelitàsescôtés.Alorsqueje
medemandequelledistancelaisserentrenosdeuxcorps,ellepassesacuissenueautourdemataille,m’attirantplusprèsd’elle.
Jerespire.Enfin,putain,jerespireenfin.Danslesilencedesténèbresdelachambre,j’admets:–J’avaispeurquetuneguérissespas.–Moiaussi.Savoixsebrise.Je passemonbras sous sa tête, elle bascule ses hanchesdemon côté, resserrant son
étreinte.Jenesaispasquoifaire,là.Jenesaispascequej’aifaitpourqu’ellesoitdanscetétat.Si.Si,jesais.Jel’aitraitéecommedelamerdeetj’aiabusédesagentillesse.J’aigâché
toutesseschancesl’uneaprèsl’autre,commesielleenavaituneréservesansfin.J’aiprislaconfiance qu’elle m’avait accordée, je l’ai déchirée comme si de rien n’était et je la lui airenvoyéeenpleine faceà chaque foisque j’avais l’impressionque jen’étaispasassezbienpourelle.
Sij’avaissimplementacceptésonamourdepuisledébut,accueillisaconfianceetchérilesensdelaviequ’elleessayaitdem’insuffler,elleneseraitpascommeçaaujourd’hui.Elleneseraitpasallongéeàcôtédemoi,ivreetbouleversée,abattueetdétruiteparmoi.
Ellem’aréparé,ellearecollélespetitsmorceauxdemonâmedéglinguéepourformerquelquechosed’impossible,quelquechosedepresqueattrayant,même.Elleafaitquelquechose demoi, ellem’a rendu quasiment normal,mais à chaque goutte de colle qu’elle autiliséepourmoi, elle aperduunpeud’elle-mêmeetmoi, enbonnegrossemerdeque jesuis,jen’airieneuàluioffrir.
Toutcequejecraignaiss’estmatérialisé.Peuimportecommentj’aiessayédel’éviter,jevoismaintenantquej’aitoutfaitempirer.Jel’aitransforméeetdétruite,exactementcommejeleluiavaispromisautoutdébut.
Çasembledingue.Quandsarespirationseralentitetqu’elleestsurlepointdes’endormir,jeluimurmure
danslescheveux:
–Jesuisvraimentdésolédet’avoirdétruite.–Moiaussi.Elle soupire, et les regrets emplissent tous ces petits espaces vides entre nous tandis
qu’elles’assoupit.
1.L’adieuauxarmes,traductionMaurice-E.Coindreau,Gallimard,1948,chapitreXXXIX.
2.Parisestunefête,traductionMarcSaporta,Gallimard,1964.
53
Tessa
Un bourdonnement. Tout ce que j’entends, c’est un bourdonnement constant, j’ai
l’impressionquematêtevaexploserd’unesecondeà l’autre.Et il faitchaud.Tropchaud.Hardinpèseunetonne.Sonplâtrem’appuiesurleventreetj’aienviedefairepipi.
Hardin.Je soulève sonbrasetme trémoussepourm’extirperdu lit. Lapremière choseque je
fais,c’estd’attrapersontéléphonesurlatabledechevetpourl’arrêter.DesmessagesetdestextosdeChristianremplissentl’écran.J’envoieunsimpleONVABIENenréponseetpassesonportableenmodesilencieuxavantd’allerdanslasalledebains.
Moncœurest lourddansmapoitrineet je sensque j’aiencorede l’alcoolde laveilledanslesveines.Jen’auraispasdûtantboire; j’auraisdûm’arrêteràlafindelapremièrebouteille.Oudelaseconde.
Je n’ai aucun souvenir de m’être endormie et je ne sais pas comment Hardin s’estretrouvé ici. Un vague souvenir de sa voix au téléphone affleure mamémoire, mais c’estdifficiled’y voir clair et jene suis pas tout à fait convaincueque ce soit réellement arrivé.Mais ilest làmaintenant,endormidansmonlit,alors jesupposequelesdétails importentpeu.
Penchéesurlelavabo,jefaiscoulerl’eaufroide.Jem’aspergelevisagecommeilsfontdanslesfilms,maisçanemarchepas.Çanemeréveillepasnimefaitvoirplusclair.Toutcequeçafait,c’estdebarbouillerunpeuplusmesjouesdemascara.
–Tessa?Jefermelerobinet.Hardinestlà,danslecouloir.–Salut.J’évitedecroisersonregard.
–Pourquoies-tulevée?Tut’esendormieilyadeuxheuresàpeine.–Jen’arrivaisplusàdormir.Jehausselesépaules,jedétestelatensionbizarrequesaprésenceprovoqueenmoi.–Commenttesens-tu?Tuasbeaucoupbuhiersoir.Jelesuisdanslachambreetfermelaportederrièremoi.Ils’assiedaucoindulitetje
meglissesous lescouvertures.Jenemesenspascapablede faire faceà laréalité toutdesuite,maisbon,lesoleilnes’estpasencoredécidéàselever.
–J’aimalàlatête.–Pasétonnant.Tuaspassélamoitiédelanuitàvomir,Bébé.Jegrimaceausouvenird’Hardinmetenantlescheveuxetmecaressantlehautdudos
pourmeréconforterpendantquejevidaislecontenudemonestomacdanslestoilettes.LavoixduDocteurWestm’annonçantlaterriblenouvelle,lapiredesnouvelles,sefait
uneplacedansmatêtesidouloureuse.Est-ceque,dansmonaccèsd’ivrognerie,j’aipartagécettenouvelleavecHardin?Ohnon!Jenel’espèrepas.
–Qu’est-ceque…qu’est-cequejet’airacontéhiersoir?Jemarchesurdesœufsenposantcettequestion.Ilsoupireetsepasselamaindanslescheveux.–TuparlaisdeKarenetdemamère.Jeneveuxmêmepassavoircequetuvoulaisdire
parlà.Sonvisageaunrictus,j’ail’impressionquesonexpressionestàl’imagedelamienne.–C’esttout?Entouscas,jel’espère.–Engros,oui.Oh!EttuascitéHemingway.Ilsouritunpeu,etçamerappelleàquelpointilpeutêtrecharmant.–Non,jen’aipasfaitça?Jecachemonvisagedansmesmainspourdissimulermonembarras.–Ohquesi!Unpetitrires’échappedeseslèvres,jeleregardeentremesdoigts.– Tu as aussi dit que tu acceptais mes excuses et que tu me donnerais une autre
chance.Ilplongesonregarddanslemien;mesmainssonttoujoursplaquéessurmafigureet
jen’arrivepasàdétournerlesyeux.Ilestdoué.Trèsdoué.–Menteur!Jene suispas sûrede savoir si je veux rireoupleurer.Nousvoilàaubeaumilieudu
mêmevieiléchangealler-retour,attraction-répulsion.Jenepeuxpasignorerquecettefois-ci, la sensationestdifférente,mais je saisaussique jenepeuxpas faireconfianceenmonjugementenlamatière.Chaquefoisqu’ilmefaitdespromessesqu’iln’arrivepasàtenir,j’ail’impressionquelasituationestdifférente.
–Tuveuxparlerdecequiestarrivéhiersoir?Parcequej’aidétestétevoircommeça.Tun’étaispastoi-même.Tum’asvraimentfaitpeurquandj’étaisautéléphoneavectoi.
–Çava.–Tuétais bourrée.Tuasbu jusqu’à enperdre connaissancedans lepatio, il y ades
bouteillesvidesquitraînentdanstoutelamaison.–C’estpascooldetrouverquelqu’uncommeça,hein?J’aiàpeineprononcécesmotsquejemesensunevraieconnasse.Ilbaisselatête.–Non.Vraimentpas.Jemerappelle lesnuits (etparfoismême les jours)où j’ai trouvéHardin ivre.Hardin
bourrévatoujoursdepairaveclampescassées,trousdanslemuretméchancetésquifontmalàtouslescoups.
–Çan’arriveraplusjamais.Ilrépondàmespensées.–Jen’étaispas…J’allaisdireunmensonge,maisilmeconnaîttropbien.–Si,tuétais,ettuasraison,jelemérite.–Quoiqu’ilensoit,cen’étaitpasjustedemapartdet’envoyerçaenpleinefigure.JedoisapprendreàpardonneràHardinounil’unnil’autrenousnetrouveronslapaix
dansnotreexistenceaprèsnotrehistoire.Jenem’étaispasrenducomptequ’ilvibrait, jusqu’àcequ’ilprennesontéléphonesur
latabledechevetetleposecontresonoreille.Poursoulagermonmaldecrâne,jefermelesyeux lorsque je l’entends invectiverChristian.Je lui faisunsignepouressayerde l’arrêter,maisilm’ignoreetsedépêched’ajouterqueChristianestunconnard.
–Ehbien,putain,tuauraisdûrépondre.S’illuiétaitarrivéquoiquecesoit,putain,jet’auraistenupourresponsable.
Hardincontinuesoncoupdefiletj’essaiedefaireabstractiondelaconversation.Çava,j’aijusteunpeutropbuparcequej’aipasséunemauvaisejournée,maisjevais
bienmaintenant.Oùestlemallà-dedans?Quandilraccroche,jesenslematelass’enfonceràcôtédemoietilôtemamaindema
figure.–Ilditqu’ilestdésolédenepasêtrevenus’assurerquetoutallaitbien.Hardin est à quelques centimètres demon visage, je vois sa barbe naissante sur son
menton et ses joues. Je ne sais pas si c’est parce que je suis encore un peu bourrée oucomplètementtarée,maisjelèvelamainpourdessinerlecontourdesonvisageduboutdemesdoigts.Mongestelesurprend,etsonregards’embuetandisquejecaressesapeau.
Ilserapproche:–Qu’est-cequetufais?
–J’ensaisrien.C’est la seule vérité que je connaisse.AvecHardin, je n’ai aucune idéede là oùnous
mènentmesactes,nosactes.Jenel’aijamaissu.Au fond, je suis triste et blessée, je me sens trahie par mon propre corps, la nature
essentielle du karma et la vie en général, mais avant tout, je sais qu’Hardin peut touteffacer.Même si c’est temporaire, il peutme faireoublier tousmes soucis ; il peut écartertoutlechaosquiembuemonesprit,toutcommejelefaisaispourlui.
Maintenant,jecomprends.Jecomprendscequ’ilvoulaitdirequandilmerépétaitqu’ilavaitbesoindemoi.Jecomprendspourquoiilm’autiliséedecettemanière.
–Jeneveuxpast’utiliser.–Quoi?Ilal’airconfus.–Jeveuxquetumefassestoutoublier,maisjeneveuxpast’utiliser.Jeveuxêtreprès
detoiencemoment,maisjen’aipaschangéd’avispourtoutlereste.Jedivagueenespérantqu’ilcomprennecequejenesaispasexpliquer.Ils’appuiesuruncoudeetbaisseleregardversmoi.– Je me fous de savoir comment et pourquoi, mais si tu veux de moi, de n’importe
quellefaçon,tun’aspasàmel’expliquer.Jet’appartiensdéjà.Ses lèvres sont proches desmiennes et je pourrais si facilement lever la tête un tout
petitpeupourlestoucher.–Jesuisdésolée.Je détourne la tête. Je ne peux pas l’utiliser comme ça,mais surtout, je ne peux pas
prétendre qu’il n’y aura rien d’autre. Ça ne serait pas qu’une distraction physique pouréchapperàmesproblèmes.Çaseraitplus,bienplus.Jel’aimeencore,mêmesiparfoisjeleregrette.J’aimeraisêtreplus fortepourclassercemomentaurayondivertissementsimple,sanssentiment,riend’autrequedusexe.
Maismoncœuretmaconsciencene lepermettentpas.Mêmeblesséeparcequemonidéal d’avenirm’est arraché de force, je ne peux pas l’utiliser comme ça, particulièrementmaintenantqu’ilsemblefairetantd’efforts.Çaluiferaittropmal.
Pendantquejemebatscontremoi-même,ilroulesoncorpssurlemienetramènemesdeuxpoignetsau-dessusdematête.
–Àquoitu…Jesaiscequetuesentraindepenser.Ilpresseseslèvrescontremoncou,etmoncorpsgagnelabataille.Jetournelatêtesur
lecôtépourluidonnerunmeilleuraccèsàcettezonesisensible.–Cen’estpasenverstoi.Je suffoque quand ilmemordille sous l’oreille. Il relâche un instantmes poignets, le
tempsderetirermont-shirtetdelejeteràterre.
–Cen’estpasjuste.Mepermettredetetoucheraprèstoutcequejet’aifaitsubirn’estpasjusteenverstoi,maisj’enaienvie.J’aienviedetoi,j’aitoujoursenviedetoietjesaisquetuessaiesde t’enempêcher,mais tuasbesoinque je te fasseoublierceque tuasen tête.Laisse-moifaire.
Il s’écrase sur moi, ses hanches me rivent au matelas, elles sont exigeantes etdominatrices.Ilmefaittournerlatêteencoreplusquelevind’hier.Sesgenouxs’insinuententremescuisses,qu’ilécarte.
–Nepensepasàmoi.Nepensequ’àtoietàcequetuveux.–Ok.Jehochelatêteetmemetsàronronnerquandsongenoufrottemonentrejambe.–Jet’aime.Neculpabilisejamaisdemelaissertelemontrer.Il me dit des mots très doux, mais ses mains sont fermes, l’une me maintient les
poignets,l’autresefrayeunchemindansmapetiteculotte.–Tumouillestellement.Il grogneen frottant sondoigt le longdemon intimité. J’essaiede rester immobile, il
portesonindexàmaboucheetaffirme:–C’estbon,hein?Avant de me permettre de répondre, il libère mes mains et place sa tête entre mes
jambes.Sa langueme lèche sur toute la hauteur et j’enfouismes doigts dans ses cheveux. À
chaque caresse de sa langue sur mon clitoris, je m’éloigne un peu plus. Je ne suis plusencercléeparlesténèbres,jenesuisplusencolère.Jenemeconcentreplussurmesregretsetmeserreurs.
Jenepensequ’àmoncorpsetausien.Jenepensequ’àsesgrognementsquandjetiresur ses cheveux. Je ne pense qu’à mes ongles laissant de féroces lignes rouges sur sesépauleslorsqu’ilmepénètrededeuxdoigts.Jenepensequ’àsesmainssurmoncorps,surl’ensemble de mon corps, à l’intérieur comme à l’extérieur, comme personne d’autre nepourrajamaislefaire.
Jeme concentre sur sa respirationquand je le suppliede se releverpour le satisfairecomme il me satisfait, sur sa façon de faire tomber son jean par terre et de quasimentdéchirer son t-shirt dans sa précipitation à me toucher encore. Je me concentre pourm’installer sur lui,monvisageprèsde sonmembre. Jeme concentre sur lanouveautédecettepositionpourmoi,maisj’aimel’entendregémirmonnomquandjeleprendsdansmabouche. Je ne pense qu’à ses doigts qui s’enfoncent dans mes hanches pendant qu’il melèche et que je le suce. Je ne pense qu’à cette pression quimonte enmoi, qu’aux parolessalacesqu’ilmerépètepourmefairetomberdansl’extase.
Je jouis en premier, il me suit rapidement et remplit ma bouche. Je m’effondrepratiquement tant mon corps est soulagé après la jouissance. J’essaie de ne pas me
concentrersurmaculpabilitédeluiavoirpermisdemetoucherpourpenseràautrechosequ’àmadouleur.
–Merci.Jehalètecontresapoitrine,ilmeretournepourm’allongeràsoncôté.–Non,merciàtoi.Est-cequetuvasmedirecequitepèsetant?Ildéposeunpetitbaisersurmonépaulenue.–Non.Duboutdudoigt,jesuislecontourdel’encrenoirequidessinel’arbresursapeau.–Bien.Veux-tum’épouser?Soncorpstressailleprèsdumien,ilpartd’unrireléger.–Non.Jeluifaisunepetitetape,espérantqu’ilmetaquinesimplement.–Bien.Veux-tuhabiteravecmoi?–Non.Mondoigtsedéplaceversunautregroupedetatouagessursapeauetjem’attardesur
lesymboledel’infinienformedecœur.–Jevaisinterpréterçacommeunpeut-être.Ilritdoucementetpassesonbrasdansmondos.–Est-cequetuvasmepermettredet’inviteràdînercesoir?–Non.Là,j’airépondutropvite.Ilritcarrément.–Jevaisprendreçapourunoui.Sonéclatderireestinterrompuparlebruitdelaported’entréequis’ouvreetdesvoix
quirésonnentdanslecouloir.Nousnousexclamonsensemble:–Merde.Ilmeregarde,interloqué,cequimefaitricaner,avantquejememetteàfouillerdans
montiroirpourtrouverdequoim’habiller.
54
Tessa
Il y a tellement de tension dans l’air qu’il en devient épais. D’ailleurs, je suis sûre que
Kimberly a ouvert la fenêtrepour ça.D’unbout à l’autredu séjour, nous échangeonsdesregardsdesympathie.
–Cen’estpasdurderépondreautéléphoneouaumoinsd’envoyeruntexto.J’ai faittoutelaroutepourveniriciettuesrentréilyauneheureàpeine.
Hardin,furieux,faitlamoraleàChristian.Je soupire, tout autant que Kimberly. Je suis sûre qu’elle se demande, comme moi,
combiendefoisHardinvaencorerépéter:«J’aifaittoutelaroutepourvenirici.»ChristianfaitroulersonfauteuildevantHardin.–J’aiditquej’étaisdésolé.Nousétionsenvilleetmontéléphoneavaitdécidéqu’iln’y
avait pas de réseau. Ça arrive. « Les plans les mieux conçus des souris et des hommessouventneseréalisentpas 1»,ettuttiquanti…
HardinassassineChristiandesoncélèbreregardavantdesemettreàcôtédemoi.Jeluimurmure:–Jecroisqu’ilacompris.–Ouais,bah,ilvaudraitmieux.Hardinpersisteavecsonregardmauvais,cequiluivautunemimiqueennuyéedeson
pèrebiologique.–Tuesdesalehumeuraujourd’huisionpenseàcequ’onvientdefaire.J’aimurmurécettepetitephraseàsonoreille,espérantdiluersacolère.Ilsepencheversmoi,l’espoirremplacelaragedanssesyeux.–Àquelleheuretuveuxpartirpourallerdîner?–Dîner?
JemetourneversKimberly,pasbesoind’êtrevoyantpourdevinercequ’ellepense.–Pascommeça.–Maissi.EntreKimqui fourresonnezpartoutet lepetitsouriresatisfaitd’Hardin, j’aienviede
lesclaquertouslesdeux.Biensûrquej’aienvied’allerdîneravecHardin.Depuislejouroùjel’airencontré,j’aitoujourseuenvied’êtreprèsdelui.
Mais je ne veux pas lui céder ; ni entrer dans le cercle vicieux de notre relationdestructrice.Nousdevonsparler,vraimentparlerdetoutcequis’estpasséetdemesprojetsd’avenir.Monavenir,c’estNewYorkdanstroissemainesavecLandon.
Il y a eu bien trop de secrets entre nous, trop de situations explosives quand lesditssecrets ont été révélés de la pire des manières, que je ne veux pas revivre ce genre desituation. Il est temps d’êtremature, de prendremon courage à deuxmains et de dire àHardincequejeprojettedefaire.
C’estmavieetmonchoix.Iln’apasàl’approuver,pasplusluiquequiconqued’autre,d’ailleurs.Mais je luidois
bien ça, je dois au moins lui dire la vérité avant qu’il ne la découvre par une tiercepersonne.
–Onpeutyallerquandtuveux.J’ignorelepetitsourireretorsdeKimberly.Ilmefaitunsignecondescendantàlavuedemont-shirtfroisséetdemonpantalonde
joggingtropgrand.–Tuvasmettreçapoursortir?Jen’aipaseu le tempsdechoisirceque j’enfilaisà lava-vitepourmecouvrir ; j’étais
troppréoccupéepar l’éventualité queKimberly frappeàmaporte etnous surprenne toutnus.
–Chut.Jeclignedesyeux toutenm’éloignantde lui.Je l’entendsmesuivre,mais je ferme la
portedelasalledebainsjustederrièremoietlaverrouille.Ilessaiedel’ouvriretj’entendssonrire,puisunpetitcoupétouffécontrelebattant.Jel’imagineentraindesetaperlatêtegentimentcontrelaporteetçamefaitsourire.
Quandjen’entendsplusriendel’autrecôté,jefaiscoulerl’eau,retiremesvêtementsetmeglissesousladoucheavantmêmequ’elleaiteuletempsdechauffer.
1.VersextraitdupoèmedeRobertBurns,ToAMouse.
55
Hardin
Kimberlyestdanslacuisine,unemainsurlahanche.Charmant.
–Dîner,hein?–Hein?Je l’imite pour me moquer d’elle et lui passe sous le nez, comme si j’étais chez moi
plutôtquechezelle.–Nemeregardepascommeça.Sestalonsclaquentderrièremoi.– J’aurais dû parier plus d’argent sur le peu de temps qu’il te faudrait pour revenir.
(Elle ouvre la porte du frigo.) Sur le chemin du retour, j’ai dit à Christian que ta voitureseraitdansl’allée.
–Ouais,ouais.J’aicompris.Je jetteuncoupd’œilvers lecouloir,espérantque ladouchedeTessa sera rapideet
regrettant de ne pas y être avec elle. Putain, je serais même content qu’elle me laissesimplement m’asseoir par terre pour lui parler pendant qu’elle prend un bain. Ça memanquedeneplusprendrededoucheavecelle,çamemanquedeneplus lavoir fermerlesyeuxunpeutropfortetplisserlenezchaquefoisqu’elleselavelescheveux–«tusais,juste“aucasoù”leshampoingrentreraitdansmesyeux.»
Je me suis moquée d’elle à ce sujet un jour et elle a ouvert les yeux, juste pour seprendre une grosse bulle de savon en plein dedans. J’en ai entendu parler pendant desheures,jusqu’àcequelarougeurdesesyeuxdisparaisse.
–Qu’est-cequ’ilyadesidrôle?Kimberlyposeuneboîted’œufssurleplandetravaildevantmoi.
Jenem’étais pas rendu compte que je riais ; j’étais tellement pris par ce souvenir deTessaleregardnoir,enfléetstriéderouge.
–Rien.JefaisunpetitsignedédaigneuxdelamainàKimberlycommepourlachasser.Leplande travail est envahiparunemontagnedebouffe, etKimberlyme filemême
unetassedecafénoir.–Qu’est-cequit’arrive?Tuesgentilleavecmoipourquej’arrêtededireàtonfiancéà
quelpointc’estungroscon?Suspicieux,jelèvelatassedecaféenl’air.Kimberlyrigole.–Non. Je suis toujours gentille avec toi. Je n’accepte pas que tumemarches sur les
pieds,commelesautres,maisjesuistoujoursgentilleavectoi.Je hoche la tête, ne sachant pas quoi dire ensuite pour poursuivre la conversation.
Qu’est-cequiestentraindesepasser,là?J’aiuneconversationaveclaplusinsupportablecopinedeTessa?Cettemêmefemmequisetrouveêtrefiancéeàmonputaindedonneurdesperme?
Ellecasseunœufsurlebordd’unsaladierenverre.–Jenesuispassiterrible,unefoisquetuasdépassétoutcetrucde«jehaislaTerre
entière»quetuarboresenpermanence.Jelèvelesyeux.Elleestchiante,maiselleesthyperloyale,jepeuxluiaccorderçaau
moins. La loyauté, ça ne court pas les rues, surtout de nos jours, et bizarrement je meretrouveàpenseràLandonquisembleêtrelaseulepersonneloyaleenversmoi,Tessamiseàpart.Defaçoninattendue,ilaétélàpourmoiet,franchement,jenem’attendaispasàça,j’ensuismêmearrivéàcompterdessus.
Avectoutescesmerdesdansmavieetmoncombatpourrestersurledroitchemin,cecheminnoyéd’arcs-en-ciel à la con,de fleurs etde toutes lesmerdesquimènent à la vieavecTessa,c’estcooldesavoirqueLandonest làsi j’aibesoindelui. Ilpartbientôtetça,c’est bien pourri,mais je sais quemême depuis New York, il sera loyal. Il est du côté deTessa laplupartdu temps,mais il est toujourshonnêteavecmoi. Ilnemecache rien,aucontrairedecequelefonttouslesautres.
–Enplus,noussommesunefamille!Kimberlysemordlalèvrepours’empêcherderire.Etvoilà,elleredevientcasse-couilles.–Superdrôle.Je souffle.Si c’estmoiqui avaisdit ça, ça l’aurait été,mais il a falluqu’elle rompe le
silencequis’étaitinstallé.Ellesedétourneetversesontrucavecdesœufsdansunepoêlesurlefeu.–Monsensdel’humourm’arenduecélèbre.
C’est surtout tagrandegueulequi t’a rendue célèbre,mais si ça te faitplaisirde te croiredrôle,vas-y.
Ellemeregardepar-dessussonépaule.–Blagueàpart.J’espèrequetuenvisagesdeparleràChristianavantdepartir. Ilest
vraiment bouleversé et inquiet que votre relation soit détruite pour toujours. Je ne t’envoudraispassic’étaitlecas,maisjeteledissimplement.
Son regardquitte lemienet elle se remetà cuisiner,me laissant le tempsde trouveruneréponse.Dois-jemêmerépondre?
–Jenesuispasprêtàenparler…pasencore.Pendantunmoment,jenesuispassûrqu’ellem’aitentendue,maisellehochelatêteet
jepeuxvoirl’esquissed’unsourirelorsqu’ellesetournepourattraperunautreingrédient.J’ail’impressionqu’ils’estpassétroisplombesavantqueTessaémergeenfindelasalle
de bains. Ses cheveux sont secs et son visage est dégagé grâce à un fin bandeau qui lesmaintientenarrière.Jevoistoutdesuitequ’elles’estmaquillée.Elleauraitpus’enpasser,maisjeprendsçacommeunbonsigne,elleveutreveniràlanormale.
Je l’observeunpeutroplongtemps,ellesedandinesousmonregard.J’aimesatenueaujourd’hui:desballerines,undébardeuretunejupeàgrosplisrose.Jelaconnais,ellel’aachetéchezKarlMarcJohn,fautpasmelafaire.Putain,qu’est-cequ’elleestbelle!Iln’yariend’autreàdire.
–Onvadéjeunerplutôt?Jechangemaproposition,nevoulantpasm’éloignerd’elletoutcourtaujourd’hui.–Kimberlyafaitunpetitdéjeuner?Ellemurmure.–Etalors?C’estprobablementdégueulassedetoutefaçon.Jedésignetoutelabouffequ’elleasortie.Çan’apasl’airmal,jecrois.Maisbon,n’estpasKarenquiveut.–Nedispasça.Tessasouritetjesuistentéderépéterlaphrasepourobtenirunautresourire.–Ok.Onprenduntrucendisantqu’onlemangeraenrouteetpuisonlefoutraà la
poubelledèsqu’onserasortis?Ellem’ignore, mais je l’entends dire à Kimberly de nous garder des restes pour plus
tard.Hardin,1.Kimberly,sabouffedégueuetsesquestionsàlacon,0.
Laroutepourrejoindrelecentre-villedeSeattlen’estpasaussichiantequed’habitude.
Tessaestsilencieuse,commejem’yattendais.Jesenssonregardsurmoitoutletemps,maisdèsquejelaregarde,elledétournelesyeux.
Pourdéjeuner,jechoisisunpetitrestau,destylemoderne,maisquandonsegaresur
leparkingpratiquementdésert,jesaisqu’iln’yaquedeuxoptions:soitçavientd’ouvriretla foule n’est pas encore arrivée, soit la bouffe est tellement immonde que personne nemangelà.Espérantquelapremièresolutionsoit labonne,nousfranchissonslesportesdeverre et Tessa observe attentivement l’endroit. Le décor est sympa, fantaisiste comme ellesemblel’aimer,cequimerappellecombienj’aimesaréactionauxchoseslesplussimples.
Hardin,2.Nonpasquejecomptelespoints…Maissijelefaisais…jegagnerais.Nous nous asseyons en silence et attendons de passer commande. Le serveur est un
jeune étudiant, pas très rapide, il semble stressé et avoir un problème pour regarder lesgensdanslesyeux.Ondiraitqu’ilneveutpasounepeutpasmeregarderenface,cetrouducul.
Tessacommandeuntrucdont jen’ai jamaisentenduparleret jedemande lepremiertrucquejelissurlemenu.Unefemmeenceinteestassiseàlatableàcôtédelanôtreetjeregarde Tessa la dévisager un peu trop longtemps. Jeme racle la gorge pour attirer sonattention.
–Hé!Jenesaispassitutesouviensdecequejet’aidithiersoir,maissic’estlecas,jesuisdésolé.Quandj’aiditquejenevoulaispasfaired’enfantavectoi,jevoulaissimplementdire que je ne veux pas avoir d’enfant tout court. Mais qui sait… (mon cœur bat lachamade)peut-êtrequ’unjour…
Jen’arrivepasà croireque jeviensdedire çaetvu la têtedeTessa,ellenonplusàl’évidence.Ellealabouchegrandeouverteetsamain,quitientunverred’eau,restefigéeenl’air.
Elleclignedesyeux.–Quoi?Qu’est-cequetuviensdedire?Pourquoij’aiditça?Jeveuxdire,jelepense.Jecrois.Jepourraispeut-êtreysonger.Je
n’aimepaslesgamins,nilesbébés,nilesados,maisbon,jen’aimepaslesadultesnonplus.Enfait,grossomodo,jen’aimequeTessa,alorspeut-êtrequ’uneversionminiatured’elleneseraitpassihorrible?
–Jedisjusteque,peut-être,ceneseraitpassiterrible?Jehausselesépaulespourcacherlapaniquequimesecoue.Elle est toujours bouche bée. Je commence à me dire que je devrais me rapprocher
d’ellepourluiremonterlamâchoire.–Bien sûr,pas toutde suite. Jene suispascon. Je saisqu’il fautque tu termines tes
étudesettoutescesmerdes.–Maistu…Visiblement,jel’aitellementscotchéequ’ellenesaitplusquoidire.– Je sais ceque j’aidit,mais jen’étaispasnonplus sorti avecquelqu’unavant toi, je
n’avaisjamaisaimé,jenem’étaissouciédepersonne.Jepourraischangerd’avis.Situm’en
donneslachance?Je lui laisse quelques secondes pour se reprendre, mais elle reste plantée là, assise,
bouchebée,yeuxécarquillés.– J’ai encoreducheminà faire ; tuneme faispasencoreconfiance, je le sais. Il faut
qu’onfinissenosétudesetjedoisd’abordteconvaincredem’épouser.(Jeradote,cherchantuntrucpourl’attraper,pourlafairemienneencetinstant.)Nonpasqu’onaitbesoindesemarierd’abord;jenesuispasungentleman.
Unrirenerveuxs’échappedemeslèvres,cequisemblefairerevenirTessaàlaréalité.Elleestlivide.
–Onnepourraitpas.–Onpourrait.–Non…Jelèvelamainpourlafairetaire.–Onpourrait. Je t’aime et je veux fairema vie avec toi. Jeme tape que tu sois trop
jeuneetmoiaussi,quejenesoispasceluiqu’iltefautetquetusoistropbienpourmoi…Putain,jet’aime.Jesaisquej’aidéconné…
Jepassemamaindansmescheveux.Unbrefregardautourdemoi,jeréalisequeladameenceintemedévisage.Elledevrait
pass’occuperdesonutérus,elle?Genreboufferpourdeux?Sepomperle lait?J’ensaisrien,mais elle me rend nerveux, genre elle me juge et elle est en cloque, et c’est juste tropbizarre.Pourquoij’aichoisidedéballertoutescesconneriesdansunlieupublic,moi?
–Et jesaisaussique je t’aidéjàsorticespeechprobablement…unetrentainedefois,maisilfautquetulesaches,j’aiarrêtédedéconner.Jeteveux,pourtoujours.Desdisputes,desréconciliations,putain,tupeuxmêmerompreavecmoiettetirerdelamaisonunefoisparsemainesiçatechante.Promets-moijustequetureviendras,etjenemeplaindraipas.
Jereprendsmarespiration,lèvelesyeuxverselleetreprends:–Bon,jenemeplaindraipastrop.–Hardin,jen’arrivepasàcroirequetumedisestoutça.Ellesepencheenavantetajouteenmurmurant:–Je…C’esttoutcequej’aitoujoursvoulu.(Sesyeuxs’emplissentdelarmes.Deslarmes
debonheur,j’espère.)Maisnousnepourronspasavoird’enfantensemble.Nousnesommesmêmepas…
Jenepeuxpasm’empêcherdel’interrompre:–Jesais.Jesaisquetunem’aspasencorepardonnéetjeseraipatient.Jetelejure.Et
jeneseraipastrop insistant.Jeveux justequetusachesque jepeuxêtreceluidonttuasbesoin,jepeuxtedonnercequetuveuxetpasseulementparcequetuleveux,maisparceque,moiaussi,jeleveux.
Elleouvrelabouchepourrépondre,maisleserveuràlaconrevientavecnotrebouffe.Il pose l’assiette fumante du truc que Tessa a commandé et mon burger. Bizarrement, ilresteàcôtédenous.Jelecasseenluidemandant:
–Vousavezbesoindequelquechose?Cen’estpassafautesic’estmaintenantquejedéversetousmesespoirsd’aveniràcette
femmeetqu’ilnousainterrompus,maisplantélàilmefaitperdremontemps.–Non,monsieur.Ceseratout?Lerougeluimonteauxjoues.–Oui,mercid’avoirdemandé.Tessa lui sourit, le sortantde l’embarras et compensantmesmanièresd’enfoiré. Il lui
rendsonsourireetdisparaîtenfin.–Bon,enfait,jetedisaisjustetoutcequej’auraisdûtediredepuislongtemps.Parfois,
j’oubliequetunepeuxpasliredansmespenséesetquetunesaispastoutcequejepensedetoi.J’aimeraisquetupuisseslefaire;tum’aimeraisdavantagesic’étaitlecas.
–Jenepensepasquejepuisseplust’aimerquejenelefaisdéjà.Ellesetordlesdoigts.–Vraiment?Nouséchangeonsunvraisourire.–Maisilfautquejetediseuntruc.Jenesaispascommenttuvasleprendre.Elle a dumal à terminer sa phrase, çame fait paniquer. Je sais qu’elle a renoncé à
notrehistoire,maisjepeuxlafairechangerd’avis.Jesaisquejepeuxlefaire.Jeressensunedéterminationcommejamais,jenesavaismêmepasqueçaexistait.
–Vas-y.Jemeforceàrester leplusneutrepossibleaveccesdeuxmots,puis jemordsdans le
burger.C’estleseulmoyenpourquejelaferme.–Tusaisquejesuisalléechezlemédecin.Desimagesd’elleenlarmes,quimarmonnedestrucssursonmédecin,m’envahissentla
tête.–Est-ceque toutvabienpourvous?Toutest àvotregoût?Souhaitez-vousunpeu
plusd’eau,Mademoiselle?Putain,nonmaisilestsérieux,cetenfoirédeserveur?–Toutvabien.Je réponds en grognant, commeun putain de chien enragé. Ilme fait chier et Tessa
lèvesondoigtdevantsonverrevide.–Merde.Tiens.Jeluiglissemonverreetellesourit,puisledescendd’uncoup.–Tudisais?–Onpeutenparlerplustard.
Elleentameleplatposédevantelleauquelellen’avaitpasencoretouché.–Ohnon!pasquestion.Jeconnaiscetruc,jel’aiinventé.Tupeuxteremplirlapanse,
maistumeledirasaprès.S’ilteplaît.Elleprenduneautrebouchée,essayantdedétournermonattention,mais,non,çane
marcherapas.Jeveuxsavoircequesondocteurluiaditpourqu’ellesoitaussibizarre.Sinous n’étions pas en public, ce serait plus facile de la faire parler. Je peux lui faire unescène,j’enairienàfoutre,maisjesaisqu’elleseraitgênée,alors,jelajouegentil.Jepeuxlefaire. Je peux garder cet équilibre de gentil garçon coopératif et ne pas me sentircomplètementinstrumentalisé.
Je la laisse s’en tirer avec cinqautresminutesde silenceet, bientôt, elle commenceàéparpillerlanourrituredanssonassiette.
–Tuasterminé?–C’est…Ellebaisseleregardsursonassietteencorepleine.–Quoi?–Cen’estpastrèsbon.Elleavoueçadansunmurmure, regardantautourd’ellepours’assurerquepersonne
nel’entende.J’éclatederire.–C’estpourçaqueturougisetquetuparlesàvoixbasse?–Chut.Ellefaitunpetitgestedelamainetreprend:– J’ai super faim,mais la nourriture est vraimentatroce. Je ne saismême pas ce que
c’est.J’aiprisuntrucauhasardparcequej’étaisnerveuse.–Jevaisleurdirequetuveuxautrechose.Jemelève,maisellem’attrapelebras.–Non,c’estbon.Sionyallait?– Ok. On passera au drive-in prendre un truc pour toi et tu pourras me parler du
bordeldanstatête.Jedevienstaréàessayerdeledeviner.Ellehochelatête,l’airunpeufolleelleaussi.
56
Hardin
Le passage au drive-in pour choper des tacos a rassasié Tessa, mais ma patience s’est
amenuiséeaufildetoutescesminutesdesilence.–Jet’aifaitflipperenparlantdegamins,c’estça?Jesaisquejet’aibalancépleinde
trucsd’unseulcoup,maisj’aipasséleshuitderniersmoisàtoutgarderàl’intérieuretjeneveuxplusfaireça.
Je veux lui parler de toutes les conneries complètement dingues que j’ai en tête. Luidireque jeveux, commeunconhyper sentimental, regarder le soleil caresser sescheveuxsurlesiègepassagerjusqu’àendeveniraveugle.Quejeveuxl’entendregémirdeplaisiretfermer lesyeux lorsqu’ellemorddansun taco jusqu’àendevenir sourd (pourtant çaaungoûtdecarton).Quejeveuxlataquinersurlepetitcoindepeauqu’elleoublietoujoursderasersoussongenou,jusqu’àendevenirmuet.
–Cen’estpasça.Sontonsecmeforceàdétachermonregarddesesjambes.–C’estquoialors?Laisse-moideviner:tuteposesdéjàdesquestionssurlemariage;
maintenanttuneveuxplusd’enfanttoinonplus?–Non,cen’estpasça.–Putain,j’espèrebien,parcequetusaistrèsbienquetuseraslameilleuremamande
laTerre.Elletressailleetposesesmainssursonventre.–Jenepeuxpas.–Si,onpeut.–Non,Hardin,jenepeuxpas.
Jesuiscontentd’êtregaréquandjelavoisbaisserlesyeuxsursonventreetsesmains;jeseraissortidelaroutesinon,merde.
Lemédecin,leslarmes,levin,lacrisesurKarenetsonbébé,larépétitiondes«jepeuxpas»toutelajournée.
–Tunepeuxpas…J’aicompriscequ’elleveutdire,maisjepoursuis:–C’estmafaute,c’estça?Jet’aifaitquelquechose?Jenesaispascequej’auraispuluifaire,maisc’estcommeçaqueçamarche:ilarrive
toujoursquelquechosedeterribleàTessaparmafaute,toujours.–Non,non.Tun’asrienfait.C’estuntrucquinevapaschezmoi.Seslèvrestremblent.–Oh!J’aimeraispouvoirdireautrechose,untrucunpeumieux,n’importequoienfait.–Ouais.Elle se frotte le bas du ventre et je sens tout d’un coup l’air disparaître du petit
habitacle de la voiture.Aussi dingue que ce soit, aussi dingue que je sois, j’ai l’impressionque mon torse s’affaisse et que des petites filles brunes aux yeux bleu gris et des petitsgarçons blonds aux yeux verts avec de mini-bonnets-trucmuches et de toutes petiteschaussettes avec des animaux (toutes ces conneries qui me donnent envie de gerberd’habitude) tourbillonnent dans ma tête, et j’en ai le vertige lorsqu’ils sont arrachés etbalancésn’importecomment,puisemportéslàoùlesavenirsbrisésvontmourir.
–C’estpossible, jeveuxdire, ilyaunetoutepetite,petitechance.Mais ilyauraitungrosrisquedefausse-coucheetmontauxhormonalestdansleschoux,alorsjecroisquecen’estpaslapeinedemetortureràessayer.Jeneseraispascapabledegérerlaperted’unbébéoud’essayerpendantdesannéessanssuccès.C’estjustequ’ilétaitécritquejeneseraijamaismère,jecrois.
Ellemesortcettemerdepouressayerdemeréconforter,maisçanemarchepas,jevoisbienqu’ellenecontrôlepaslasituationcommeelleessaiedemelefairecroire.
Ellemeregarde,s’attendantàcequejeluidisequelquechose,maisjenepeuxpas.Jenesaispasquoiluidire,etimpossiblederetenirlacolèrequejeressenspourcequ’ellevit.C’estcon,égoïsteettellementmal,putain,maisvoilà,jesuisterrifié:sij’ouvrelabouche,jevaisdireuntrucàcôtédelaplaque.
Sijen’étaispasuntelconnard,jelaréconforterais.Jelaprendraisdansmesbrasetjelui dirais que tout ira bien, que nous n’avons pas besoin d’avoir des enfants, qu’on peutadopterouuntrucdanslegenre,n’importequoi.
Maisdanslaréalité,çanemarchepascommeça.Danslaréalité,leshommesnesontpasdeshéros, ilsnechangentpasdu toutau toutenunenuitetpersonnene fait jamais
riendebiendans lavraieviedesvraisgens.JenesuispasunDarcyetellen’estpasuneElizabeth.
Elleestauborddeslarmes.–Tudisquelquechose?–Jenesaispasquoidire.Lesondemavoixestàpeineaudibleetmagorgesereferme.J’ai l’impressiond’avoir
avaléunepoignéedeguêpes.– Tu ne voulais pas avoir d’enfants, de toute façon, hein ? Je ne pensais pas que ça
changeraitgrand-chose…Sijetournelatête,jevaislavoirenlarmes.–Jenepensaispas,dansl’absolu,maismaintenantquecen’estpluspossible…–Oh!Je lui suis reconnaissant de m’avoir interrompu, qui sait quelle connerie j’aurais pu
balancerensuite.–Peux-tujustemeramenerchez…Jehochelatêteetdémarre.C’estn’importequoi:commentquelquechosedontonn’a
jamaisvoulupeutfaireaussimal?–Jesuisdésolé,justeje…Jenefinispasmaphrase,niellenimoin’yarrivonsaujourd’hui.–C’estbon,jecomprends.Elles’appuiecontresavitre.Jesupposequ’elleessaiedes’éloigner lepluspossiblede
moi.Mesémotionsmedisentdelaréconforter,depenseràelleetàsafaçond’êtreaffectée,
àcequ’elledoitressentir.Maismatêteestdure,sidure,putain,etjesuisencolère.Pascontreelle,maiscontre
son corps et contre samère pour le truc défectueux qu’elle lui a refilé. Je suis en colèrecontrelemondeentierdem’avoirenvoyéencoreunebonneclaqueetcontremoi-mêmeden’êtrepascapabledeluidirequoiquecesoitpendantquenoustraversonslaville.
Quelquesminutesplustard,jeréalisequelesilenceesttellementassourdissantqu’ilen
est douloureux. Tessa essaie de garder son calme de son côté, mais j’entends à sarespirationqu’elleessaiedesecontrôler,qu’elletentedegardersesémotionspourelle.
Ma poitrine est totalement comprimée, putain, et elle est assise là, gardant mesconneriesàl’esprit.Pourquoiest-cequejemerdetoujoursavecelle?Jedistoujourscequ’ilnefautpas,peuimportelenombredefoisoùjeluiprometsdenepluslefaire.Peuimporte
le nombre de fois où je lui ai promis de changer, je fais toujours ça. Je rentre dans macoquilleetjelalaissetouteseulebaignerdanssamerde.
C’est terminé.Jenepeuxpasrecommencer ;elleabesoindemoi,plusque jamais,etc’estmachancedeluimontrerquejepeuxêtreprésentdelamanièredontelleabesoin.
Tessa neme regarde pas quand je tourne le volant et que jeme gare sur la banded’arrêtd’urgencedel’autoroute.J’allumemesfeuxdedétresse,espérantqu’unflicàlaconnevapasvenirmefairechier.
–Tess.J’essaie de capter son attention tout en rassemblant mes idées. Elle garde les yeux
baisséssursesmainsposéessursonventre.–Tessa,regarde-moi.Jetendslamainpourlatoucher,maisellereculeviolemmentetheurtesamaincontre
laportièredelavoiture,fort.–Hé!Jedétachema ceinturede sécurité etme tourne vers elle, prenant sesdeuxpoignets
dansl’unedemesmains,dansungestequim’estcoutumier.–Jevaisbien.Elle lève légèrement le menton pour me prouver qu’elle a raison, mais ses yeux
brillantsdelarmesracontentunetoutautrehistoire.–Tunedevraispastegarerici,c’estuneautoroutetrèsfréquentée.–J’enairienàbattredelàoùjesuisgaré.Jesuisdéglingué,çanevapasbiendansma
tête.(Jecherchedesmotsquiontunsens.)Jesuisdésolé.Jen’auraispasdûréagircommeça.
Elle lève les yeux vers moi après quelques battements, puis elle regardemon visagemaisévitemesyeux.
– Tess, ne te referme pas sur toi-même encore une fois, s’il te plaît. Je suis vraimentdésolé,jenesaispasàquoijepensais.Jen’avaisjamaispenséàavoirdesenfantsenfaitet,là,jet’aifaitculpabiliserpourcesconneries.
Cetteconfessionsembleencorepire,maintenantquelesmotsflottentautourdenous.–Tuasledroitd’êtrebouleversé,toiaussi.J’avaisjustebesoinquetumedisesquelque
chose,n’importequoi…Lederniermot,ellel’aprononcésibasquejel’entendsàpeine.– Jem’en tape que tu ne puisses pas avoir d’enfant. (Je balance ça, cash. Putain de
bordeldemerde.)Enfin, ceque jeveuxdire, c’estque jem’en tapedecesmômesqu’onnepeutpasavoir.
J’essaie de passer de la pommade sur la blessure que j’ai provoquée, mais sonexpressionmefaitcomprendrequec’estl’inverse.
–Cequej’essaiedetedire,etvisiblementj’échouelamentablement,c’estquejet’aimeet que je suis un connard insensible de ne pas pouvoir t’aider. Je fais passermes besoinsavantlestiens,commetoujours,etj’ensuisdésolé.
Mesmotssemblenttoucherleurbut,ellesortdesatranseetmeregardeenfindanslesyeux.
–Merci.Elledégagel’undesespoignets,j’hésiteàlalaisserfaire,maisjesuissoulagélorsqu’elle
lèvelamainpours’essuyerlesyeux.–Jesuisdésoléequetuaiesl’impressionquejet’aiprisquelquechose.Jevoisbienqu’elleaencoredeschosesàmedire.–Neteretienspas.Jeteconnais,discequetuassurlecœur.–Jedétestelaréactionquetuaseue.(Ellesoupire.)–Jesais,je…Ellelèvelamainpourm’interrompre.–Jen’aipasterminé.D’aussiloinquejem’ensouvienne,j’aitoujoursvouluêtremère.
J’étais comme toutes les autres petites filles avec leurs poupées, peut-être même un peuplus.C’étaitsiimportantpourmoid’êtremère.Jen’aijamais,jamaisremisçaenquestionninemesuisinquiétéedenepouvoiryarriver.
–Jesais,je…–S’ilteplaît,laisse-moiparler.Elleserrelesdents.Jedevraisvraimentfermermagueule,pourunefois.Plutôtquederépondre,jehoche
latêteensilence.–J’éprouveunindescriptiblesentimentdeperteencemoment.Etjen’aipasl’énergie
de m’inquiéter du fait que tu m’en veuilles. C’est normal que toi aussi tu éprouves cettesensationdeperte, pour toi aussi ; je veuxque tu sois toujours ouvert sur tes sentiments,mais ce ne sont pas tes rêves qui viennent d’être réduits à néant, là. Ça ne fait pas dixminutes que tu veux avoir des enfants et je ne trouve pas ça juste que tu te comportescommeça.
J’attendsquelquessecondeset,d’unsourcilinterrogateur,jeluidemandelapermissiondeparler.Elleaccepted’unsignedetête,maisàcemoment-là,unsemi-remorqueklaxonnesifortquej’ensursautesurmonsiège.
–JevaisteramenerchezVance.Maisj’aimeraisrentreretresteravectoi.Tessaregardeparlavitreetmefaitunpetitsigned’assentiment.–Jeveuxdire,pourteréconforter,commej’auraisdûlefaire.D’untoutpetitgeste,toutaussiténuquesonpetitmouvementdetête,jelasurprends
quilèvelesyeuxauciel.
57
Tessa
Hardin et Vance se regardent bizarrement en se croisant dans le couloir. C’est bizarre
d’avoirHardinavecmoiiciaprèstoutcequis’estpassé.Jenepeuxpasignorerleseffortsetlaretenuedontilfaitpreuveenvenantdanscettemaison,danslamaisondeVance.
C’est dur de rester concentrée sur un seul des nombreux problèmes qui ont surgi cesdernierstemps:lecomportementd’HardinàLondres,VanceetTrish,lamortdemonpère,leproblèmedemastérilité.
C’esttropetçasemblenejamaisfinir.D’unecertainemanière,jesuisimmensémentsoulagéed’avoirparlédeceproblèmede
stérilitéàHardin.C’esténorme.Maisilyaencoreautrechosequiattendd’êtrerévéléoud’êtrejetéentrenous.NewYork.Jenesaispassi jedevraisluidiremaintenant,maintenantqu’unproblèmes’interpose
déjàentrenous.J’aidétesté laréactiond’Hardin,mais je luisuisreconnaissanted’avoireudes remords après coup et dem’avoirmontré qu’il regrettait d’avoir rejeté si cruellementmessentiments.S’ilnes’étaitpasgarépourmeprésentersesexcuses, jenepensepasquej’auraistrouvélaforcedecontinueràluiparler.Jenepeuxpasdirecombiendefoisj’aidéjàprononcé, pensé,même juré cette phrase depuis que je l’ai rencontré. Jeme dois àmoi-mêmedecroirequecettefois-ci,jelepensais.
–Àquoitupenses?Hardinfermelaportedemachambrederrièrelui.Sanshésitation,jeluirépondshonnêtement:–Quejenet’auraisplusjamaisadressélaparole.–Quoi?
Ils’approche,maisjem’éloignedeluienreculant.–Situnem’avaispasprésentétesexcuses,jenet’auraisplusjamaisadressélaparole.Ilsoupireetpasselamaindanssescheveux.–Jesais.Je ne peux pasm’empêcher de penser à ce qu’ilm’a dit : « Je ne pensais pas vouloir
d’enfant,maismaintenantquec’estimpossible…»Je suis toujours choquée de l’avoir entendu dire ça, c’est sûr. Je neme serais jamais
attendueàcequecesmotssortentdesabouche.Pourmoi,c’était impossiblequ’ilchanged’avis,maisbon,fidèleànotrerelationdysfonctionnelle,sonopinionn’aévoluéqu’aprèslatragédie.
–Viensparlà.Hardinouvregrandlesbrasversmoi,j’hésite.– Je t’en prie, laisse-moi te réconforter comme j’aurais dû. Laisse-moi te parler et
t’écouter.Jesuisdésolé.Comme d’habitude, je me réfugie dans ses bras. Je les trouve différents maintenant,
plussolides,plusréelsqu’avant.Ilresserresonétreinteautourdemoietposesajouesurlesommetdemoncrâne.Jesensqu’ilm’embrasselescheveux.
–Dis-moicequetupensesdetoutça.Dis-moitoutcequetunem’aspasencoredit.Ilme tire pourm’asseoir à côté de lui sur le lit. Jem’installe, les jambes croisées, lui
s’appuieàlatêtedelit.Etjeluiracontetout.Jeluiparledemonpremierrendez-vouspourmefaireprescrire
unmoyendecontraception.Jeluidisquejesavaisquec’étaitunproblèmepotentielavantmêmequenouspartionspourLondres.Ilserrelesdentsquandje luidisquejenevoulaispasqu’ilsoitaucourant,puisilfermelespoingsquandjeluiannoncequej’aieupeurqu’ils’enréjouisse.Ilrestesilencieuxjusqu’àcequejeluidisequej’avaisl’intentiondenejamaisluiparlerdeceproblème.
Ils’appuiesuruncoudepours’approcherdemoi.–Pourquoi?Pourquoiaurais-tufaitunechosepareille?–Jepensaisquetut’enréjouiraisetjenevoulaispasavoiràentendreça.(Jehausseles
épaules.)J’auraispréférégarderçapourmoiplutôtquedet’entendredireàquelpointtuétaissoulagé.
– Si tu m’en avais parlé avant d’aller à Londres, les choses auraient pu se passerdifféremment.
Jeluiadresseunregardmauvais.–Ouais,pireencore,c’estsûr.J’espèrequ’ilnedirigepascetteconversationlàoùjepensequ’ilveutaller;ilaplutôt
intérêtànepasmereprocherlebazardenotrevoyageàLondres.Ilsembleréfléchiravantdeparler,c’estunautredesesprogrès.
–Tuasraison.Tusaisquetuasraison.–Jesuiscontented’avoirgardéçapourmoi,surtoutavantd’enêtrecertaine.–Jesuiscontentquetum’enaiesparléenpremier.–J’enavaisdéjàparléàKim.Je culpabilise légèrement qu’il ait cru avoir été le premier,mais il n’était pas là pour
moi.Hardinfroncelessourcils.–Commentça,tuenasparléàKim?Quand?–Jeluiaiparlédecerisqueilyaunpetitboutdetemps.–AlorsKimétaitaucourantetmoipas?–Oui.–EtLandon?Est-cequeLandonestaussiaucourant?Karen?Vance?–PourquoiVanceserait-ilaucourant?Jeluirépondsd’untondur.Ilreprendsoncomportementridicule.–Kimberlyleluiaprobablementannoncé.Est-cequetuenasaussiparléàLandon?– Non, Hardin. Seulement à Kimberly. Il fallait que j’en parle à quelqu’un et je ne
pouvaispasassezcomptersurtoipourtel’annoncer.–Aïe.Le son de sa voix est âpre, je suis bouleversée par son air sévère. Je lui parle
doucement.–C’est vrai. Je saisque tuneveuxpas l’entendre,mais c’est vrai.Tu semblesoublier
quetunevoulaispasd’unerelationavecmoijusqu’àcequemonpèremeure.
58
Hardin
Jenevoulaispasd’unerelationavecelle?J’aiaimécette filledetoutmonêtredepuissi
longtemps.Jedétestesavoirqu’elleressentaitça,qu’elleaitoubliéàquelpointmonamourpourelleestprofondetqu’ellel’aitréduitàunemined’embrouillesàlacon.Nonpasquejepuisseluienvouloir.C’estmafautesielleéprouvedeschosespareilles.
– J’ai toujours voulu de toi, tu le sais.Mais je n’arrêtais pas d’essayer de détruire laseulebonnechosedemavie,et j’en suisdésolé. Je saisquec’estnazequeçam’aitpris silongtemps,ethorriblequ’ilaitfalluquetonpèremeurepourarrêterd’êtreuntrouducul,maisjesuislàmaintenant,jet’aimeplusquejamaisetjem’enfoussionnepeutpasavoirdebébé.
Désespéréetpouressayerdecontrersonregardhostile,j’ajouteimpulsivement:–Épouse-moi.Ellem’assassineduregard.–Hardin,tunepeuxpasmebalancerçacommeçaàtoutboutdechamp.Arrête!Ellecouvresapoitrinedesesbrascommepourseprotégerdemesmots.–Bien,jevaisd’abordt’acheterunebag…–Hardin.(Ellepinceleslèvres.)–D’accord.Jesoupire,jecroisqu’elleaenviedemefilerunebaffe.–Jesuistellementamoureuxdetoi.–Ouais,c’estça,maintenantpeut-être.Ellereculepourmedéfier.–Jet’aimedepuissilongtemps.–Maisbiensûr!
Commentpeut-elleêtreaussimignonneetaussiodieuseàlafois,putain?–Jet’aimaismêmequandjefaisaisleconàLondres.–Tunel’aspasmontréetpeuimportelenombredefoisoùtuledissitunelemontres
pasnimefaissentirquetesmotssontvrais.–Jesais,j’étaiscomplètementàcôtédelaplaque.Jetritureleboutdetissuquimefaitchierauboutdemonplâtre.Combiendesemaines
avantquejepuissevirercettemerde?–Tul’aslaisséeportertont-shirtaprèsavoircouchéavecelle.Tessanemeregardepas,elleseconcentresurlemurderrièremoi.Quoi?–Dequituparles?J’appuiedoucementmonpoucesoussonmentonpourlaforceràmeregarder.–Cettefille-là, lasœurdeMark.Janine, jecroisquec’estcommeçaquequelqu’unl’a
appelée?J’enrestebouchebée.–Tucroisquejel’aibaisée?Jet’aiditquejenel’avaispasfait.Jen’aitouchéaucune
filleàLondres.–C’estcequetudis,maistum’aspratiquementagitélepréservatifdevantlesyeux.–Jenel’aipasbaisée,Tessa.Regarde-moi.Ilfautquejelaconvainque,maiselledétournelatête.Jepoursuis:–Jesaisqueçaavaitl’air…–Çaavaitl’airqu’elleportaittont-shirt.Janinedansmont-shirt,çam’adonnéenviedegerber,maisellenevoulaitpasfermer
sagueuletantquejeneleluiavaispasfilé.–Jesais,maisjenel’aipasbaisée.Tutefaisdesfilmssitumecroiscapabled’untruc
pareil.J’ailecœurquicogneàmortàl’idéedel’avoirlaisséesebaladercesdernièressemaines
avecdetellesconneriesentête.J’auraisdûsavoirquenotredernièreconversationàcesujetn’avaitpassuffi.
–Elleavaitsesmainspartoutsurtoi,Hardin,devantmoi!–Ellem’aembrasséetaessayédemetaillerunepipe,maisc’esttout.Tessafaitunpetitbruitetfermelesyeux.–Jen’aimêmepasréussiàbanderpourelle,jenebandequepourtoi.J’essaiedemieuxluiexpliquer,maisellelèvelamainpourmefairesigned’arrêter.–Arrêtedeparlerd’elle,jevaisvomir.Jesaisqu’ellelepensevraiment.–Moiaussi,j’aigerbé.J’aidégueulépartoutdansl’appartquandellem’atouché.–Tuasfaitquoi?
Tessameregardeavecintensité.– J’ai littéralement vomi, genre j’ai dû aller dans la salle de bains parce que çam’a
donnéenviedegerberdel’avoirsentiemetoucher.Jen’aipaspulesupporter.–Vraiment?Jemedemandesijedevraism’inquiéterdupetitsourirequimonteaucoindeseslèvres
quandjeluiparledemonexpériencevomitive.–Oui,vraiment.N’aiepasl’airsicontente.Pouressayerd’allégerl’atmosphère, jetenteunsourire;sielledoitsemoquerdemoi
pourchangerl’ambiance,jesuispour.–Bien.J’espèrequetuasvraimentvomi.Ellesouritvraimentmaintenant.Noussommeslecoupleleplusdinguedelaplanète.J’enprofite.–Maisoui.Putain,j’aigerbépartout.Jesuisdésoléquetuaiescruçaaussilongtemps.
Pasétonnantquetum’enveuillesautant.(Çameparaîtlogiquemaintenant,maisbon,ellem’enveuttoutletempsencemoment.)Maintenantquetusaisquejenet’aipastrompée,est-cequetuveuxbienmereprendreetmelaisserfairedetoiunehonnêtefemmequinevitplusdanslepéché?
Ellepenchelatêtesurlecôté.–Tuaspromisd’arrêterdemejeterçaàlafigure.–Jen’airienpromis.Lemotpromisn’ajamaisétéutilisé.Ellevamefoutreunebaffed’unesecondeàl’autre.–Tuvasparleràquelqu’undecemerdieraveclebébé?–Non.Jenepensepas.Pastoutdesuite.Ellesemordlalèvreinférieure.– Personnen’a à le savoir avant qu’on adopte, dans quelques années. Je suis certain
quelemondeestblindédebébésàlaconquiattendentd’êtreachetéspardesparents.Onvas’ensortir.
Jesaisqu’ellen’apasacceptémademandeenmariage,nimêmed’êtreavecmoi,maisj’espèrequ’ellenevapasseservirdecetteopportunitépourmelerappeler.
Elleritdoucement.–Bébésàlacon?Pitié,dis-moiquetunepensespasqu’ilyaenvilledesmagasinsde
bébésoùtupeuxalleracheterdesenfants?Elleposesamaindevantsabouchepours’empêcherderiredemoi.–Ahbon?C’estquoiBabies‘R’Usalors?–Oh,monDieu!Ellepenchelatêteenarrièrepouréclaterderire.Jetendslamaindanslepetitespacequinoussépareetluiattrapelesdoigts.
–Siceputaindemagasinn’estpaspleindebébésenrayons,prêtsàêtreachetés,c’estdelapublicitémensongère!
Jeluifaismonmeilleursourireetellesoupire,soulagéederire.Quelquepart,jelesais.Jesaisexactementcequ’ellepense.
–Ilfauttefairesoigner.Elleretiresamaindelamienneetselève.Jevoissonsourires’effacer.–Ouais.Ouais,jevaislefaire.
59
Hardin
–Vous êtes les deux personnes que je connais qui traversez le plus souvent l’État de
Washington.Landonmeregarde,assisdanslecanapédusalondemonpère.Quandnotreéclatde rire s’estmuéensilence, j’ai convaincuTessade repartirà l’Est
pour profiter de Landon avant qu’il ne nous quitte pour de bon. J’avais cru qu’elle seraitimmédiatement partante – elle adore passer du temps avec lui après tout –,mais elle estrestée assise et muette dans son coin pendant quelques minutes inconfortables avantd’accepter. J’ai patienté sur son lit le temps qu’elle emballe quasiment toutes ses affairespour une raison que je n’ai pas pigée. Puis, j’ai attendu dans la voiture pendant qu’ellefaisaitd’interminablesadieuxàKimberlyetàVance.
JeregardeLandondetravers.–Vulepeudemondequetuconnais,jenevoispastroplapertinencedetavanne…Il jette un petit coup d’œil à sa mère, assise dans le fauteuil, je sens qu’il veut me
balancerunesaloperie.Siellen’avaitpasétélà,jesuiscertainqu’ilm’auraitsortiunebellevanned’intello.Ils’estaméliorécôtérépartiescesdernierstemps.
Maisilasimplementlevélesyeuxaucieletdit«Ah,ah»,puisilestretournéaulivresursesgenoux.
–Jesuiscontentequevoussoyezbienarrivésà lamaison. Ilpleutdescordesetc’estcenséallerdemalenpiscettenuit.Ledînerestaufour,ceserabientôtprêt.
Karenmesourit,cequimefaitdétournerleregard.–Jevaismechanger.(Tessaparlederrièremondos.)Mercidem’accueillirencoreici.Elledisparaîtdanslesescaliers.
Je reste en bas quelques secondes avant de la suivre commeun petit toutou.Quandj’entredanssachambre,elleestensous-vêtements.
Lorsqu’ellemeregardesurlepasdelaporte,jememarmonneun«Bienjoué,Ducon».Elle se couvre la poitrine des mains, puis les baisse sur son pubis, et je ne peux
m’empêcherdesourire.–C’estunpetitpeutardpourça,tunecroispas?–Chut.Ellepasseunt-shirtsecpar-dessussescheveuxtrempésparlapluie.–Tusaisquejenesuispastrèsdouépourgarderlesilence.–Etpourquoies-tudoué,exactement?Je sens qu’ellemedéfie, remuant les hanches le temps de remonter un pantalon sur
sonventre.Cepantalon.–Tun’aspasportécetrucdeyogadepuisunbail…Je gratte ma barbe naissante et regarde avec intensité le tissu noir si serré qu’il la
mouleparfaitement.–Necommencepasaveccepantalon.(Ellepointeversmoiunindeximpertinent.)Tu
l’avaiscaché,c’estpourçaquej’avaisarrêtédelemettre.Ellesourit,surprisedeblagueraussifacilementavecmoi.Puiselledurcitsonregardet
redressel’échine.–Maisnon.Je me demande quand elle a pu le trouver au fond du placard de notre connerie
d’appartement. En matant son cul dans ce pantalon, je me rappelle pourquoi je l’avaisplanqué.
–Ilétaitdansleplacard.En disant ça, les images de Tessa fouillant pour trouver son pantalon me font rire,
jusqu’àcequejemesouviennequ’ilyavaitautrechoselà-dedans,quelquechosequejenevoulaispasqu’elletrouve.
Jescrutesonvisage,craignantquelamentiondeceplacardneluirappellequ’elleyatrouvécettesaloperiedeboîte.
–Quoi?Elleenfileunmignont-shirtKMJbleuetdeschaussettesroses,untruchideuxavecdes
poilsetdespoisau-dessusdupied.–Rien.Jecontinueàmentir,ignorantmaparano.–Ok…Elle s’éloigne et, continuant à jouer les petits toutous, je la suis dans les escaliers et
m’assiedsàcôtéd’elleautourdel’énormetabledesalleàmanger.CetteS-filleestencorelà,
àmaterLandoncommes’ilétaitunbijoubrillantouuneconneriedanslegenre,cequi larangeclairementdanslegenretaréedepremierordre.
Tessafaitungrandsourireàlafille:–Salut,Sophia.Sophia détache son regard de Landon suffisamment longtemps pour nous sourire à
touslesdeux.–Sophiam’adonnéuncoupdemainpourlejamboncuit.Karen a l’air très fière. L’énorme table de salle à manger est dressée pour un
monstrueuxfestin,sansoublierleschandeliersincandescentsetlesbouquetsdefleurs.Uneconversation sans intérêt bourdonne en bruit de fond, le temps que Karen et Sophiacoupentlaviande.
–Mmm,c’esttellementbon.Lasauceestvraimentdélicieuse.Tessagémit,lafourchettedanslabouche.Cesfemmesetleurbouffeàlacon!–Oncroiraitquevousparlezd’untrucporno.Jeparlevraimenttropfort.TessamefileunboncoupdepiedsouslatableetKarentousse,labouchepleine.Tout
le monde est surpris quand Sophia se met à rire. Landon a l’air mal à l’aise, mais sonexpressions’adoucitquandilremarqueàquelpointelleesthilare.
–Quiaditça?Landonestpathétiquementbéatd’admirationdevantelleet,maintenant,Tessasourit.– Hardin. C’est Hardin qui dit ce genre de choses. (Karen a les yeux qui pétillent
d’humour.)Ok,c’estbizarre.Landonmeregarderapidementavantderevenirvitefaitàsanouvellepassade.–Tuvasbientôt t’y faire.Enfin,si tupassesbeaucoupdetempsavecnous.(Ses joues
sontrougevif.)Enfin,jeveuxdire,situveux,quoi.Nonpasquetusoisobligée.–Elleacompris.Jelesorsdesagalère,j’ail’impressionqu’ilestàdeuxdoigtsdesepisserdessus.–J’aicompris.EllesouritàLandonetjejurequesonvisagepasseducramoisiauviolet.Pauvrepetite
chose!–Sophia,tuvasresterlongtempsenville?Ça,c’esttoutTessadechangerdesujetpouraidersonpote.–Quelquesjours,seulement.JeretournelundiàNewYork.Mescolocsonthâtequeje
revienne.–Tuascombiendecolocataires?–Trois,tousdanseurs.Jeris.Tessasefendd’unsourire.
–Waouh!–OhmonDieu!Desdanseursclassiques,pasdesgogodancers.Sarahexplosederireet jel’imite,seulementpourmemoquerdeTessa,sisoulagéeet
embarrasséeàlafois.Tessamènelaconversation,elleposedesquestionsà laconsur laviede la filleet je
pense complètement à autre chose,me concentrant sur la courbede ses lèvres lorsqu’elleparle.J’aimesamanièredes’interromprerégulièremententrelesbouchéespourtamponnerdélicatementsabouched’uneserviette,justeaucasoùelleaitquelquechosedessus.
Ledînersepoursuitcommeçajusqu’àcequejesoisquasimentmortd’ennuietquelevisage de Landon ne soit plus qu’un tout petit peu rougeâtre. Les filles débarrassent latable.
–Hardin,tuasprisunedécisionpourtacérémoniedefind’études?Jesaisquetuneveuxpasparticiper,maisest-cequetuyasbienréfléchi?
–Nan,j’aipaschangéd’avis.Kenfaittoutletempslamêmechose,ilmetlesujetsurletapisdevantTessa,espérant
me forcer à traverser cet auditorium surchauffé où des milliers de personnes serontengoncéessurlesgradins,àtranspirerethurlercommedesanimauxsauvages.
–Vraiment?Jecroyaisquetuallaischangerd’avis?Tessasaitexactementcequ’ellefait.Jelesregardealternativement,elleetmonpère.Landonsouritdetoutessesdentscommelevraitrouduculqu’ilest.KarenetlaS-fille
papotentdanslacuisine.–Je…Putaindebordeldemerde.LeregarddeTessaestpleind’espoir,maisaussidenervosité,
ellemedéfiepresquedeluirefuser.Finalement,jesoupire:–Ouais,bon,d’accord,çava.Putain,jevaisyalleràtacérémonie.C’estvraimentdesconneries.–Merci.AlorsquejesuissurlepointderépondreàKen«Derien,putain»,jemerendscompte
quec’estTessaqu’ilremercie,pasmoi.–Touslesdeux,vousêtes…Jenefinispascettephrase,Tessamelanceunregardd’avertissementquimedissuade
depoursuivre.Jefinisdoncpardire:–Touslesdeux,vousêtesformidables.Touslesdeux,vousêtesdessalespetitscomploteursdemerde,ouais.Jerépètelaphraseen
boucledansmatête,lesvoyantpartagerunsouriredeconnivencesatisfaite.
60
Tessa
Chaque fois que Sophia a mentionné New York pendant le dîner, j’ai commencé à
paniquer. C’est moi qui ai mis le sujet sur la table, je sais. Mais je n’essayais que dedétournerl’attentiondeLandon.Jesavaisqu’ilétaitmalàl’aiseetj’aiditlapremièrechosequim’ait traversé l’esprit. Il s’est trouvéque c’était le sujetque jen’auraispasdûaborderdevantHardin.
Ilfautquejeluidisetoutcesoir.Jesuisunepoulemouillée,ridiculeetimmaturedeluicacherça.Lesprogrèsqu’il faitpoursecontenirvontpeut-être l’aideràgérer lanouvelle,oualorsilexplosera.Jenesaisjamaisàquoim’attendreaveclui;çapeutêtretoutl’unoutoutl’autre.Maisjesaisaussiquejenesuispasresponsabledesesréactionsémotivesetquejeluidoisdeluiannoncerlanouvellemoi-même.Appuyéeauchambranledelaportedelasalleàmanger,àmoitiédanslecouloir,j’observeKarenessuyerlepianodesacuisineavecun torchon humide. Ken s’est installé dans le fauteuil du salon et pique un petit somme.LandonetSophiasontassisensilenceautourdelatabledelasalleàmanger.Landonluijettedescoupsd’œiletquandellelèvelesyeuxsurlui,ellecroisesonregardetluifaitsonplusbeausourire.
Je ne suis pas sûre de savoir quoi penser de Landon, à peine sorti d’une relationlongue, et déjà prêt à se remettre avec quelqu’un…Mais bon, qui suis-je pour avoir unequelconque opinion sur les relations des autres ? Je ne sais déjà pasmoi-même commentnaviguerdanslamienne.
De mon poste d’observation, au croisement du salon, de la salle à manger et de lacuisine,j’aiuntableauparfaitdespersonnesquimesontlespluschères.
Au milieu de ce groupe, le plus important d’entre eux, Hardin, est calmement assisdanslecanapédusalon,lesyeuxdanslevaguefaceaumur.
L’idée qu’il participe à sa cérémonie de remise des diplômes aumois de juinme faitsourire.Jenepeuxpasl’imaginerdansl’uniformeuniversitaire,maiscequiestsûr,c’estquej’aihâtedelevoiretjesaisquec’esttrèsimportantpourKenqu’ilaitacceptédelefaire.
Kenm’asouventrépétéqu’ilnes’étaitjamaisattenduàcequ’Hardinfinissel’universitéet,maintenantquelavéritésurleurpasséaéclaté,jesuissûrequeKenneseseraitjamaisattendu à ce qu’Hardin change d’avis et accepte de se prêter au jeu de la cérémonietraditionelledefind’études.HardinScottesttout,sauftraditionel.
Les doigts sur le front, j’essaie de forcer mon cerveau à fonctionner normalement.Comment puis-je aborder le sujetmaintenant ?Que faire s’ilme propose dem’accompagner àNewYork?Ferait-ilunechosepareille?S’illepropose,dois-jeaccepter?
Soudain,jesenssonregardsurmoietévidemment,quandjeleregarde,ilm’étudie,sesyeuxvertspleinsdecuriosité,sesdouceslèvrespresséesenuneligneétroite.Jeluifaismonmeilleur sourire type « tout va bien, je ne fais que réfléchir » et je l’observe froncer lessourcils puis se lever. Il traverse la pièce en quelques pas et appuie l’une de ses paumescontrelemuràcôtédemoitandisquel’autremefrôle.
–Qu’est-cequisepasse?LandonlèvelatêteetsedétournelégèrementdeSophiaenentendantHardinparlersi
fort.J’admetsalorscalmement:–Jedoisteparlerd’untruc.Iln’apasl’airinquiet,pasautantqu’ildevraitl’être.–Ok,dequoi?Ils’approcheplusprès,tropprès,etj’essaiedefaireunpasdecôté.Bon,ilm’acoincée
contre le mur. Hardin lève son autre bras pour m’empêcher toute sortie et quand monregardcroiselesien,unpetitsouriresatisfaits’affichefranchementsursonvisage.
–Ehbien?Jel’observeensilence.J’ailabouchesèchemaintenantetquandjel’ouvrepourparler,
jememetsàtousser.J’ail’impressionqueçaarrivetoujoursdansuncinématrèssilencieux,à l’église ou pendant une conversation importante. En fait, dans les situations où il vautmieux ne pas tousser. Commemaintenant par exemple, aumoment où j’ai un débat trèsanimé avecmoi-même sur cette question de toux, où je tousse et oùHardinme dévisagecommesij’allaismouriràsespieds.
Ilreculeetentredanslacuisined’unpasdécidé.IlcontourneKarenpuisrevientavecun verre d’eau pour la trentième fois en deux semaines. Je le prends, et le liquide fraisapaisemagorgeirritée.
Jesuisconscientequemêmemoncorpsessaied’éviterderévélerlavéritéàHardinetjemedonneraisbienunetapedansledosetunebonnegifleenmêmetemps.Sijefaisaisça,j’imagine qu’Hardin aurait un peu pitié de mon comportement de folle furieuse etchangeraitpeut-êtredesujet.
–Qu’est-cequisepasse?Çatourneàmilleàl’heuredanstatête.Ilbaisseleregardversmoiettendlamainpourrécupérerleverre.Quandjesecouela
tête,ilinsiste:–Non,non,jevoisbien.–Est-cequ’onpeutsortir?Jeme tournevers laportequidonnesur la terrassepour lui indiquerclairementque
nous ne devrions pas parler en public. Zut, on devrait même retourner à Seattle pourabordertoutcebazar.Ouplusloinencore.Plusloin,c’estbien.
–Dehors?Pourquoi?–Jepeuxteparlerd’untruc?Enprivé.–D’accord.Biensûr.Jefaisunpasdevantluipourgarderl’équilibre.Sijepassedevant,jepourraipeut-être
mener la conversation. Si j’ai la main sur cet échange, alors je peux même avoir unemeilleurechancedenepaslelaissertoutécrabouiller.Peut-être.
Jeneretirepasmamaindecelled’Hardinquandjesenssesdoigtssemêlerauxmiens.C’est si calme, on n’entend que les voix du documentaire policier devant lequel Ken s’estendormietlebourdonnementdulave-vaisselledanslacuisine.
Quandnoussortonssurlaterrasse,lessonss’estompent.Jemeretrouveseulefaceauvacarme de mes pensées chaotiques et d’Hardin qui fredonne doucement. Je lui suisreconnaissantedemeubler gentiment avec sa petitemusique,mais çamedéconcentre, çamefaitpenseràautrechosequ’audésastreimminentquejem’apprêteàprovoquer.Si j’aide la chance, j’aurai quelques minutes pour m’expliquer et lui présenter les motivationsderrièremadécisionavantqu’ilnepartetotalementenlive.
–Crachelemorceau.Hardintireunedeschaisesdejardinsurlerevêtementenbois.Jepeuxdireadieuàmachancequ’ilrestecalme,mêmependantquelquesminutes,je
nelesenspasd’humeurpatiente.Ils’assiedetappuiesescoudessurlatableentrenous.Jemeruesurlachaiseenfacedelasienne,hésitantàsavoiroùmettremesmains.Jelesposesur la table, puis sur mes genoux, puis encore sur la table avant qu’il ne les attrape etaplatissesapaumesurmesdoigtsagités.
–Détends-toi.Samainestchaude,ellerecouvrecomplètementlamienne,cequimedonneunéclair
declarté,neserait-cequ’uninstant.–Jetecachequelquechoseetçamerenddingue.Ilfautquejeteledisemaintenantet
je saisquecen’estpas lebonmoment,mais il le fautavantque tune ledécouvresd’uneautremanière.
Ilôtesamainets’adosseaudossierdesachaise.–Qu’est-cequetuasfait?
J’entendsl’anxiétédansletondesavoix,lasuspiciondanssarespirationmaîtrisée.–Rien.Riendecequetuasl’airdepenser.– Tu n’as pas… (Il cligne des yeux plusieurs fois.) Tu n’es pas allée… avec un autre
homme,hein?–Non!Jeneparlepas,jegrinceetsecouelatêtepourappuyermesparoles.–Non,riendetel.Jeviensjustedeprendreunedécisionetjenet’enaipasparlé.Ça
n’impliquepasquejesoisavecquelqu’und’autre.Jenesuispassûredesavoirsijesuissoulagéeououtréequecesoitsapremièreidée.
D’unecertainemanière,jesuissoulagée,parcequedéménageràNewYorknepeutpasêtreaussi douloureux pour lui que de me savoir avec un autre homme, mais je suis un peuoutrée qu’il ne me connaisse pas mieux que ça depuis tout ce temps. Certes, en bonneirresponsable, j’ai l’ai blessé, particulièrement avecZed,mais je ne coucherais jamais avecunautre.
–Ok.Il segratte lecrâne,puisgardesapaumecontre sanuque, semassant légèrement. Il
poursuit:–Çanepeutpasêtresiterrible,alors.Je prends une grande inspiration et décide de tout balancer et d’arrêter de tourner
autourdupot.–Alors…Illèvelamainpourm’interrompre:– Attends. Avant de me dire ce que c’est, si tu commençais par m’expliquer tes
motivations.–Mesmotivationspourquoi?Jepenchelatêtesurlecôté,signedemaconfusion.Ilarqueunsourcil.–Tesmotivationspouravoirpriscettedécisionpourlaquelletuesentraindetepisser
dessus.–Ok.Je fais le tridansmes idéespendantqu’ilme regarded’unairpatient.Paroùdois-je
commencer?C’estbienplusdifficilequedetoutsimplementluiannoncerquejedéménage,maisc’estunbienmeilleurmoyendeluifairepartdelanouvelle.
Maintenantque j’ypense, jenesuispassûred’avoirdéjà faitçaavec lui.Chaque foisqu’ilestarrivéungrostrucbiendramatique,nousavonstoujoursdécouvertlepotauxrosesd’unefaçontoutaussitragique.
Je lui jette un dernier coup d’œil avant de me mettre à parler. Je veux mémoriserchaquedétaildesonvisage,étudieretmerappelerlapatiencequipeutparfoissedégager
de son regard vert. Je remarque à quel point la légère teinte rosée de ses lèvres paraîtattirantelà,maisçamerappelleaussilesnombreusesfoisoùjelesaivuesfenduesd’uncôtéouenpleinmilieuetsanguinolentesaprèsunebagarre.Jemesouviensdesonpiercingàcetendroitquej’avaissiviteapprécié.
J’éprouveencore lasensationdumétal froidquicaressemes lèvres.Jemeperdsdansles images de son petit geste pour le triturer entre ses dents chaque fois qu’il était perdudanssespensées,etàquelpointc’étaitattirant.
Jerepenseàlasoiréeoùnoussommesallésfairedupatinàglaceetàsatentativedemeprouverqu’ilpouvaitêtreunpetitami«normal». Ilétait stresséet joueurà la fois. Ilavaitretirésesdeuxpiercingsetm’avaitannoncéqu’illesavaitenlevésparcequ’illevoulait,maismêmeàce jour, je restepersuadéequ’il s’enestdébarrassépour seprouverquelquechoseà lui-même,ainsiqu’àmoi. Ilsm’ontmanquépendantunpetitboutde temps.C’esttoujours un peu le cas,mais j’aime assez ce que leur absence représente,même si c’étaitindéniablementtrèssexysurlui.
–HardinàTessa:Prêteàmedirecequ’ilyadanstatête?Ilmetaquineensepenchantetenposantsonmentonsurlapaumedesamain.–Oui.Ehbien,j’aipriscettedécisionparcequenousavionsbesoindepasserdutemps
loindel’autreetçamesemblaitêtreleseulmoyend’êtresûred’yarrivervraiment.–Dutempsloindel’autre,hein?Encore?–Oui,dutempsloinl’undel’autre.Toutestuntelbazardansnotrerelationetj’avais
besoindemettrede ladistanceentrenous,maisvraimentcette fois-ci. Je saisqu’on ledittoutletemps,maisonconnaîtlachansonetàchaquerefrain,onrecommence,cequinousobligeàdesallersetretoursentreSeattleetici,puisLondress’estmêléàtoutça;enfait,onsèmenosembrouillessurtoutelaplanète.
Je fais une pause pour le laisser réagir et ne reçois qu’une expression énigmatique.J’arracheenfinmonregarddusien.
–C’estvraimentuntelbazar?Hardinparled’unevoixdouce.–Nousnousdisputonsplusquenousnousentendonsbien.–Cen’estpasvrai.(Iltirelecoldesont-shirtnoir.)Techniquementetlittéralement,ce
n’estpasvrai,Tess.Onpeutenavoirl’impression,maissiturepensesàtouteslesconneriesqu’onatraversées,onapasséplusdetempsàrire,parler,lire,sevanneretaulit,biensûr.Jeprendsbeaucoupdetempsaulit.
Ilmefaitunpetitsourire,jesensmavolontéfaiblir.–Onrésouttousnosproblèmesencouchantensemble,cen’estpassain.– Le sexe, ce n’est pas sain ? (Son ton se fait moqueur et son regard intense.) On
s’envoie en l’air parce qu’on le veut bien, qu’on s’aime et, putain, parce qu’on se faitconfiance. Ouais, il se trouve aussi que c’est époustouflant et incroyablement bon, mais
n’oubliepaspourquoinouslefaisons.Jenetebaisepasjustepourprendremonpied.Jelefaisparcequejet’aimeetquej’aimelaconfiancequetum’accordesquandtumelaissestetoucher.
Tout cequ’ildit estparfaitement logique,mêmesi çanedevraitpas. Je suisd’accordaveclui,peuimportelaprudencedontj’essaiedefairepreuve.
JesensNewYorks’éloignerdeplusenplus,alorsjedécidedelâchermabombetoutdesuite.
– Est-ce que tu connais les caractéristiques de la maltraitance dans une relation decouple?
–Maltraitance?J’ail’impressionqu’iln’arrivepasàrespirer,maisilcontinue:– Tu crois que je temaltraite ? Je n’ai jamais porté la main sur toi et je ne le ferai
jamais!Jepoursuismoncheminsurlaroutedel’honnêteté.–Non, cen’est pas ceque je voulaisdire. Je faisais référenceànousdeuxet ànotre
fâcheuse tendanceà fairedeschosespournousblessermutuellement.Jene t’accusaispasdememaltraiterphysiquement.
Ilsoupireetpassesesdeuxmainsdanssescheveux,preuveévidentedesondébutdepanique.
–Ok, alors à l’évidence, c’est bien plus qu’unedécision à la conpour venir habiter àSeattleavecmoioupas.
Il s’interrompt, attendant une réponse dema part,me regarde avec un sérieux sansfailleetreprend:
– Tessa, je vais te poser une question et je veux une vraie réponse honnête, pas deconneries ni de « je vais y réfléchir ». Tume dis simplement ce qui te passe par la tête,d’accord?
Jehochelatête,pastropsûredesavoiroùilveutenvenir.–Quelleestlapirechosequejet’aijamaisfaite?Quelétaitmonacteenverstoileplus
dégoûtant,leplusterribledepuisquenousnoussommesrencontrés?Je repense à ces huit derniers mois, mais il s’éclaircit la gorge, me rappelant qu’il
voulaitquejeluidiselapremièrechosequimevienneàl’esprit.Je me trémousse sur ma chaise, ne voulant pas ouvrir cette boîte de Pandore, ni
maintenantnidanslefutur,enfait.Maisjefinisparcracher:–Lepari.Lefaitquetutesoismoquédemoialorsquejetombaisamoureusedetoi.Pendantunbrefinstant,Hardinsembleperdudanssespensées.–Est-cequetuleretirerais?Est-cequetuchangeraiscetteerreurquej’aifaitesitule
pouvais?
Jeprends le tempsde réfléchir à la question, vraimentd’en examiner tous les anglesavantderépondre.J’aidéjàdonnémaréponsedanslepassé,denombreusesfois,etj’aitrèssouvent changé d’avis à ce sujet,mais à présent la réponseme semble si…définitive. J’ail’impression que c’est terriblement définitif, c’est comme si cette réponse portait plus àconséquencequelesfoisprécédentes.
Le soleil poursuit sa course, il est en train de se cacher derrière l’épais bosquet quibordelapropriétédesScott,cequidéclenchel’allumageautomatiquede la lumièresur laterrasse.
–Non,jenelerenieraispas.J’airépondusurtoutpourmoi.Hardinhochelatête,commes’ilsavaitexactementcequej’allaisrépondre.–Ok,alorsensuite,quelleestlasecondepirechosequejet’aifaite?–LorsquetuasfaitcapotermonplanlogementàSeattle.–Vraiment?Ilsemblesurprisparmaréponse.–Oui.–Pourquoi?Qu’est-cequit’afoutulesboulesàcepoint?–Lefaitquetuaiesprislecontrôled’unedécisionquinet’appartenaitpasetquetume
l’aiescaché.–Jen’essaieraipasdejustifiercetteconnerie,parcequejesaisquejustement,c’enétait
une,particulièrementnazeenplus.–Ok?J’espèrequ’ilaplusqueçaàm’offrircommeexplication.–Jecomprendsd’oùçatevient.Jen’auraispasdûfaireça;j’auraisdûteparlerplutôt
que d’essayer de t’empêcher d’aller à Seattle. Je n’allais pas bien dans ma tête à cetteépoque,enfintoujourspas,maisj’essaiedem’améliorer,cequichangetout.
Jenesaispastropcommentrépondreàça.Jesuisd’accord,ilnedevraitpasavoirfaitune chose pareille et c’est vrai qu’il fait des efforts. Je plongemon regard dans ses yeuxverts si honnêtes et si brillants que j’ai dumal àme rappeler où je voulais en venir aveccetteconversation.
–Tuasuneidéeentête,Bébé,uneidéeplantéelàparquelqu’un,peut-êtrequetul’asvuedansuneémissiondemerdeàlatélé,oupeut-êtredansl’undetesbouquins,jenesaispas.Mais lavraievie,putain,c’estdur.Aucunerelationn’estparfaiteetaucunhommenetraitera jamaisunefemmecommeil ledevrait.(Il lèveunemainen l’airpourm’empêcherdel’interrompre.)Jenedispasquec’estbien,d’accord?Écoute-moiunpeu:toutcequejedis,c’estquesi toietpeut-être toutautrepersonnedanscemondedecritiquesdemerde,enfin si vous faisiez plus attention au merdier en coulisse, vous verriez le monde
différemment. Nous ne sommes pas parfaits, Tessa. Putain, je ne suis pas parfait mais jet’aime,ettoiaussituesloindelaperfection.
Ilgrimaceendisantça,cequimefaitcomprendrequ’il lepensemaisquecen’estpasaussiterriblequeça.Ilpoursuit:
–Jet’aifaitsubirbeaucoupdesaloperieset,putain,jet’aidéjàditçamillefois,quelquechoseenmoiachangé.Tusaisquec’estvrai.
Quand Hardin arrête de parler, je regarde le ciel derrière lui pendant quelquessecondes. Le soleil vient de passer derrière les arbres et j’attends qu’il disparaissecomplètementavantderépondre:
–J’aipeurquenoussoyonsalléstroploin.Nousavonstouslesdeuxfaittantd’erreurs.–Ce seraitun tropgrandgâchisd’abandonner sansessayerde réparer ceserreurset
bordel,tulesaistrèsbien.– Un gâchis de quoi ? De temps ? Nous n’avons plus beaucoup de temps à perdre
maintenant.Nousapprochonsdel’inévitabledéraillement.– On a tout le temps dumonde. On est encore jeunes ! Je suis sur le point de finir
l’université et on va habiter à Seattle. Je sais que tu en asmarre demes conneries,maiségoïstement, je compte sur ton amour pour te convaincre de me laisser une dernièrechance.
–Ettupensesquoidetoutcequejet’aifait?Jet’aiinsultéettoutcetrucavecZed?JememordslalangueetdétourneleregardlorsquejeparledeZed.Hardinpianoteduboutdesdoigtssurlatableenverre.–Toutd’abord,Zedn’apassaplace ici,danscetteconversation.Tuasdéconné,moi
aussi.Ni toinimoinesavionscommentsecomporterdansunerelationamoureuse.Tuaspu croire que tu savais parce que tu es resté avecNoah pendant longtemps,mais soyonsréalistes : tous lesdeux,engros,vousétiezcommedescousinsquiseroulaientdespelles.Cen’étaitpasunevraierelation.
JeregardeHardinméchammentenattendantqu’ilcontinueàcreuserletrouauquelilvientdes’attaquer.
–Etbon,pourcequiestdem’insulter,cequin’estpresquejamaisarrivé(ilsouritetjemedemandequiestl’hommeenfacedemoi),toutlemondesejetteunepetiteinsulteàlagueuledetempsentemps.Jesuisdésolé,maismêmela femmedupasteurdetamèreditquesonmariestuntrouducul.Elleneluiditprobablementpasenface,maisc’estpareil.Etjepréfèremillefoisquetumedisesenfacequejesuisunconnard.
–Tuasuneexplicationpourtout,c’estça?–Non,paspourtout.Paspourgrand-chose,enfait,maisjesaisquetuesassisefaceà
moià chercheruneportede sortie, et je faisdemonmieuxpourm’assurerque tu sais cequetudis.
–Depuisquandcommunique-t-oncommeça?Je ne peux m’empêcher d’être étonnée de l’absence de cris et de pleurs de notre
conversation.Hardincroiselesbrasettritureleboutdesonplâtre.–Depuismaintenant.Depuis,jenesaispas,quelesautresmerdesn’avaientpasl’airde
marcherentrenous.Alors,pourquoinepasessayerça?Jesensmabouches’ouvrirdesurprisedevantlanonchalancedesadéclaration.–Pourquoitudisçacommesic’étaitsifacile?Siçal’était,onauraitpulefaireavant.–Non.Jen’étaispaslemêmeavant,ettoinonplus.Ilmeregardeintensémentdansl’attented’uneréponse.–Cen’estpassisimple;letempsqu’ilnousafallupourenarriverlàcompte,Hardin.
Çacomptequenousayonstraversétoutescesépreuvesetj’aibesoindetempspourmoi.Detempspourdécouvrirquijesuis,cequejeveuxfairedemavieetcommentjevaisyarriveraussi.Etj’aibesoindefaireçatouteseule.
Pleine d’audace, j’annonce mon programme, mais j’ai l’impression d’avoir de l’acidedanslaboucheenprononçantcesmots.
–Tuaspristadécision,alors?TuneveuxpasvivreavecmoiàSeattle?C’estpourçaquetuesaussiferméeetquetuneveuxmêmepasécoutercequej’aiàtedire?
–J’écoute,maismadécisionestdéjàprise…Jenepeuxplusmepermettredefairecesallersetretoursincessants.Passeulementavectoi,maisaussiavecmoi-même.
–Jenetecroispas,surtoutparcequej’ail’impressionquetunetecroispastoi-même.Ils’enfoncedanslecoussindelachaiseetposesespiedssurlatable.Ilpoursuit:–Oùesttonappartementalors?DansquelquartierdeSeattle?–CeneserapasàSeattle.J’ai soudain l’impressionquema langue est enplombet que je nepeuxplusdireun
mot.–Oh!Oùçaalors?Dansquellebanlieue?Savoixdevientméprisante.–ÀNewYork,Hardin.Jeveuxaller…Là,ilmecroit.–NewYork? (Il enlève sespiedsde la tableet se lève.)Tuparlesde lavraie villede
NewYork?Oud’unpetitquartierdehipstersàSeattlequejeneconnaispasencore?–LevraiNewYork.Dansunesemaine.Ilvautmieuxclarifierlasituationtoutdesuite.Le seul bruit que fait Hardin est celui de ses pieds sur le bois de la terrasse qu’il
parcourtdelongenlarge.–Quandas-tupriscettedécision?–AprèsLondresetaprèsledécèsdemonpère.
–Alors,parcequej’aijouéauconavectoi,tuasdécidéd’emballertesaffairesetdetetirer àNewYork?Tun’asmême jamaisquitté l’ÉtatdeWashington ; qu’est-cequi te faitcroirequetupourraisvivredansunevillepareille?
Saréponsetitillemoncôtédéfensif.–Jepeuxvivreoùjeveux!N’essaiepasdemerabaisser.–Terabaisser?Tessa,tuesunepersonnemillefoismeilleurequemoi,maisqu’est-ce
quitefaitpenserquetupeuxvivreàNewYork?Oùvivrais-tu?–AvecLandon.Hardinécarquillelesyeux.–Landon?C’est cette tête-là que j’attendais, espérant qu’elle ne vienne pas, mais maintenant
qu’elleestlà,tristement,jemesensunpeuplusàl’aise.Hardinprenaittoutsibien;ilétaitplus compréhensif, calme et prudent dans ses paroles qu’il ne l’a jamais été. Ça meperturbait.
Cettetête-là,jelaconnais.C’estHardinquiessaiedecontrôlerlaragequilesaisit.–Landon.ToietLandon,vousdéménagezàNewYork.–Oui,ilyallaitdéjàetje…–C’estl’idéedequi?Lasienneoulatienne?Hardin parle d’une voix sourde, et je réalise qu’il est bien moins en colère que je
l’attendais.Ilyaquelquechosedepirequelacolère,c’estlasouffrance.Hardinestblesséetje sensmes entrailles se serrer en le voyant tour à tour surpris, trahi, puis essayantde secontrôler.
JeneveuxpasdireàHardinqueLandonm’aproposédel’accompagneràNewYork.JeneveuxpasdireàHardinqueLandonetKenm’ontaidéepourenvoyermacandidatureàl’universitéavecdeslettresderecommandation.
–Jenevaispassuivredecourslepremiersemestrequandj’arriverai.J’espèreluifaireoubliersaquestion.Il se tourne versmoi, les joues rouges sous la lumière artificielle, le regard fou et les
poingsserrés.–C’était son idée, c’est ça ? Il le savait depuis ledébut et alors qu’ilme faisait croire
qu’onétait,jenesaispas,amis…frèresmême,ilafaitçadansmondos.–Hardin,çanes’estpaspassécommeça.– Mais genre ! Tous les deux, vous êtes autre chose, putain. (Ses mains s’agitent
frénétiquement.) Tu es restée là, à me faire passer pour un con qui te proposait det’épouser,d’adopterdesmômeset toutes cesmerdes, et tu savais,putain, tu savais que tuallaistetirerdetoutefaçon?
Iltiresescheveuxetchangeladirectiondesesdéambulations.Ilmarcheverslaporte,j’essaiedeleretenir.
– Ne rentre pas dans la maison dans cet état-là, s’il te plaît. Reste ici avec moi etterminonscettediscussion.Nousavonsencoretantdechosesànousdire.
–Stop!Putain,stop!D’unmouvementd’épaule,ilrepoussemamainquandj’essaiedeletoucher.Hardintiresurlapoignéedelaportedelamoustiquaireetjesuiscertainequelebruit
quej’entendsprovientdesgondsquisedéforment.Jelesuisdeprèsenespérantqu’ilnevapas faire ce qu’il fait toujours quand quelque chose demal arrive dans notre vie. Il entredanslacuisine.
–Landon!JesuiscontentequeKenetKarensemblents’êtreretirésàl’étage.–Quoi?Landonrépondsurlemêmeton.Je suis Hardin dans la salle àmanger où Landon et Sophia sont toujours assis, une
assietteàdessertquasimentterminéeentreeux.Lorsqu’Hardindébouledanslapièce, lamâchoiretendueet lespoingsserrés,Landon
changed’expression.–Quesepasse-t-il?Iljetteuncoupd’œilprudentàsondemi-frèreavantdeseretournerpourm’observer.–Nelaregardepaselle,maismoi.Sophiasursautemaissereprendrapidementetsetourneversmoilorsquejemeplace
derrièreHardin.–Hardin,iln’arienfaitdemal.C’estmonmeilleuramietilnefaisaitquem’aider.Je sais dequoiHardin est capable, et l’idéequeLandon soit dumauvais côtéde son
poingmerendmalade.–Resteendehorsdeça,Tessa.– De quoi parles-tu ? (Je sais que Landon est parfaitement conscient de ce qui a pu
mettreHardindanscetétat.)Attends,tuveuxparlerdeNewYork,c’estça?–Putain,maisoui,c’estàproposdeNewYork!Landon se lève et Sophia adresse à Hardin un regard d’avertissementmeurtrier.Ma
décision est prise, je suis d’accord pour que Landon et elle deviennent plus que de bonsvoisins.
–JenefaisaisquemesoucierdeTessaquandjel’aiinvitée!Tuasrompuavecelleetelleétaitbrisée,absolumentbrisée.NewYorkestcequ’ilyademieuxpourelle.
–Tusaisàquelpointt’estaré?Tuasprétenduêtremonpote,putain,etmaintenanttumefaiscecoup-là?
Hardinseremetàtournerenrond,àpetitspascettefois.–Jen’airienprétendu!Tuasencoredéconnéetj’essayaisdel’aider!Jesuisvotreami
àtouslesdeux.
J’ai lecœurquibat lachamadequandHardin traverse lapièceetagrippe lachemisedesondemi-frère.
–Tul’aidesenmelaprenant!Hardinlepoussecontrelemur.–Tuétaistropdéfoncépourenavoirquelquechoseàfoutre.Landonluicriemaintenantenpleinefigure.Sophia etmoi les observons, scotchées sur place. Je les connais bienmieux qu’elle et
mêmemoi,jenesaispasquoifaireniquoidire.C’estunvéritablechaos:lesdeuxhommesquisecrientdessus,levacarmedeKenetKarendescendantlesescaliersàtoutevitesse,leverreetlaporcelainequisebrisentquandilcolleLandoncontrelemur.
–Putain,tusavaiscequetufaisais.Jetefaisaisconfiance,espècedepetitemerde!–Vas-yalors!Frappe-moi!Hardin lève le poing, mais Landon ne cille même pas. Je crie le nom d’Hardin et
j’entends Ken et Karen faire la même chose. Du coin de l’œil, je vois Karen tirer sur lachemisedeKenpourl’empêcherd’allers’interposerentrelesdeuxhommes.
–Frappe-moi,Hardin!Tuessifortetsiviolent,vas-yputain!–Jevais!Jevais…Hardinbaisselamainpourlaremonterensuite.Les jouesde Landon sont rougesde colère et sa poitrine se soulève au rythmede sa
respirationsaccadée,maisiln’apasl’aird’avoirlemoinsdumondepeurd’Hardin.Ilal’airencolère,maisaussidesemaîtrisercomplètement.J’ail’impressiond’êtrel’exactopposé;jeme sens commesi lesdeuxpersonnesque j’aimais leplusallaient sebattred’un instantàl’autre,sanssavoirquoifaire.
Ken et Karen ne semblent pas s’inquiéter pour la santé de leur fils. Ils sontétonnammentcalmes.
–Tunevaspaslefaire.–Si,putain,jevaislefaire!Jevaisdéfoncercecondeplâtre…MaisHardinneterminepassaphrase.IlobserveLandon,setourneversmoiavantde
revenirsurLandon.–Vatefairefoutre!Ilbaisselepoing,puistournelestalonsetquittelapièce.Landonesttoujourscontrele
mur, l’aird’êtreàdeuxdoigtsdetapersurquelquechoseluiaussi.Sophias’est levéeetserapprochedeluipourleréconforter.KenetKarenparlentdoucemententreeux,sedirigentversnous…etmoi,ehbien,jesuisplantéelà,aumilieudelasalleàmanger,àessayerdecomprendrecequivientdesepasser.
LandonademandéàHardindelefrapper.Hardinétaitdéjàlancé:ils’estsentitrahicommes’ils’étaitfaitavoirencoreunefois,etpourtant, ilnel’apasfait.HardinScotts’estdétournédelaviolence,mêmelorsqu’elleétaitàsonparoxysme.
61
Hardin
Jemarche jusqu’à sortirde lamaisonet c’est seulementà cemoment-làque jeme rends
comptequeKenetKarenétaientdanslapièce.Pourquoin’ont-ilspasessayédem’arrêter?Est-ceque,d’unemanièreoud’uneautre,ilssavaientquejenelefrapperaispas?
Jenesuispastropsûrdesavoircequeçamefait.Putain, l’air printanier n’est ni frais, ni vivifiant, ni floral mon cul, rien qui puisse
m’aider à sortir de cette transe demerde. J’y retourne. Je vois rouge,mais je n’en ai pasenvie.Putain, jeneveuxpasrechuteretperdretoutceque j’ai tantbossépourréussir.Jeneveuxpasperdrecettenouvelleetbienplus facileversiondemoi.Si je l’avais frappé, sij’avais cogné Landon, putain, il aurait retrouvé ses dents au fond de sa gorge et j’auraisperdu.J’auraistoutperdu,Tessaenpremier.
Mais bon, jene l’ai pas vraiment.Ellen’est plus àmoidepuis que je l’ai renvoyéedeLondres.Depuistoutcetemps,elleplanifiaitsapetitesortie.AuxcôtésdeLandon.Touslesdeuxontcomplotéderrièremondos,sepréparantàmelaisserderrièreeuxdanscetÉtatdeWashingtondemerdealorsqu’ilsvont traverser lepaysensemble.Elleestrestéeassise là,silencieuse,àm’écouterluiouvrirmoncœuretellem’alaissépasserpouruncon.
Landonm’aroulédepuis ledébut,àmefairecroireque jecomptaispour lui.Tout lemondedansmonentouragesefoutdemagueule,mement,etj’enaimarre.Hardin,putaindecond’Hardin,legarsdonttoutlemondesefout,toujoursledernieràêtreaucourantdetout.C’estmoi.Çaatoujoursétémoietçaleseraàjamais.
Tessaest laseulepersonnequiaitpris letempsdesesoucierdemoi,des’occuperdemoietdemefairesentirquej’envalaisvraimentlapeine.
Jesuisd’accord,notrerelationn’estpasdesplussimples.J’aifaitconneriesurconnerieet j’aurais pu beaucoup moins merder en faisant les choses différemment, mais je ne la
maltraiterai jamais. Si elle me voit comme ça, ou si elle pense que notre relation estentachéedemaltraitance,alorsiln’yavraimentplusaucunespoirpournous.
Jecroisqueleplusduràexpliquer,c’estqu’ilyaunegrossedifférenceentrelefaitquenotre relationne soit pas saine et un casdemaltraitance. Je crois quebeaucoupde genssontpromptsàjugersanssemettreàlaplacedeceuxquisontdanscettemerde.
Mespiedsmefonttraverserlapelouseetm’emmènentàl’oréedubosquetaufonddujardin.Putain, jene saispasoù je vaisni ceque je fous là,mais j’ai besoinde calmermarespirationetdemeconcentreravantdepéterlesplombs.
Ila falluquececondeLandonmepousse ; ila justeeuàappuyer làoùça faitmalpourqueje lefrappe.Mais jen’aipassenti lavagued’adrénalineenragéem’envahir,monsangnechantaitpasdansmesveines,jenesalivaispasd’avanceàl’idéedemebattre,pourunefois.
Putain,maispourquoim’a-t-ildemandédelefrapper?C’estqu’ungroscon,jenevoispasd’autreexplication.
C’estunenfoiré,voilàcequ’ilest.Bâtard.Trouducul.Putaind’enfoirédebâtarddetrouduculdemerde.–Hardin?LavoixdeTessa traverse lesilenceobscuret j’essaiederapidementdécidersi jeveux
lui parler ou non. Je suis trop en colère pour gérer sa merde et supporter qu’ellem’engueuled’avoirprovoquéLandon.Jesorsdemacachetteentredeuxgrosarbres.
–C’estluiquiacommencé.Bienjouépourlaplanque.Etvoilà,jenesuismêmepasfoutudefaireçacorrectement.–Tuvasbien?Savoixestlégèreetnerveuse.–Qu’est-cequetucrois?–Je…–C’estbon.Épargne-moiça.Jesaisquetuvasdirequetuasraisonetquej’aitort,et
quejen’auraispasdûbalancerLandoncontrelemur.Elle s’approche demoi et je ne peux pasm’empêcher de remarquer que chaque fois
qu’elle fait un pas en avant, moi aussi. Même en colère, je suis attiré par elle, putain,commetoujours,etçanechangerajamais.
–Enfait,jevenaisteprésenterdesexcuses.Jesaisquec’étaittrèsmaldetecacherça.Jeveuxendosserlaresponsabilitédemonerreur,past’enblâmer.
Quoi?–Depuisquand?
Jemerappelleencoreunefoisquejesuisencolère.Maisc’estdurquandj’aijusteenviequ’ellemefasseuncâlin,qu’ellemerappellequejenesuispasaussitorduquejelepense.
–Est-cequ’onpeutencoreparler?Tusais,commenousl’avonsfaitsurlaterrasse?Sesyeuxsontgrandsouvertsetpleinsd’espoir,mêmedanslenoir,mêmeaprèsm’avoir
vuexploser.J’aienviedeluidirenon,qu’elleaeuuneputaind’opportunitédeparlertouslesjours
depuisqu’elleadécidéd’allervivredel’autrecôtédeceputaindepays,de«mettreunpeud’espace entre nous ». Au lieu de quoi, je soupire pour accepter. Je ne lui donne pas lasatisfaction de répondre, mais je fais un mouvement de tête, puis je m’adosse contre untroncd’arbrederrièremoi.
Rienqu’en regardant sa tête, je vois bienqu’ellene s’attendait pas à ceque j’accepteaussi facilement. Le petit merdeux infantile qui est en moi est bien content de l’avoirdéstabilisée.
Elles’agenouille,puiss’assiedentailleurdansl’herbe.Elleposesesmainssursespiedsnus,lèvelesyeuxversmoi.
–Jesuisfièredetoi.Les lampes sur la terrasse projettent juste assez de lumière pour souligner son petit
sourireetsondouxcomplimentdanssesyeux.–Pourquoi?Jetriturel’écorcedel’arbredansl’attentedesaréponse.–D’avoirtournélestalonscommeça.JesaisqueLandontepoussaittantetplus,mais
tu t’esdétournéde laviolence,Hardin.C’estune immenseétapepour toi. J’espèreque tusaiscombiençacomptepourluiquetuaieschoisidenepaslefrapper.
Genre il en a quelque chose à foutre ! Il a fait des trucs dans mon dos ces troisdernièressemaines.
–Çaneveutriendire.–Si,biensûrquesi.C’esttrèsimportantpourlui.J’arracheunmorceaud’écorceparticulièrementgros et le jette àmespieds. Les yeux
rivéssurlesarbres,jedemande:–Etpourtoi,qu’est-cequeçaveutdire?–Encoreplus.Çaveutdireencorepluspourmoi.Ellecaresselapelousedelapaumedesamain.–Assezpourt’empêcherdedéménager?Ouest-ceun«encoreplus»,genretuestrès
fièredemoi,maistuveuxquandmêmepartir?Jen’arrivepasàdissimulermontongeignard.–Hardin…Ellesecouelatête,essayantdetrouveruneexcuse,j’ensuiscertain.
–Landon,plusquen’importequid’autre, sait ceque tu représentespourmoi. Il saitquetuesmaputaindelignedevieetiln’enarieneuàfoutre.Ilvat’emmenerdel’autrecôtédupays,loindemoi,etçafaitmal,d’accord?
Ellesoupireetsemordlalèvreinférieure.–Quandtudisdeschosescommeça,j’oubliepourquoijemedisputeavectoi.–Quoi?Jerepoussemescheveuxenarrièreetm’assiedsparterre,adosséàl’arbre.–Quandtumedisquejesuistalignedevieetquandtuadmetsquequelquechosete
faitmal,çamerappellepourquoijet’aimetant.Je la regarde et je remarque qu’elle parle comme une personne décidée, malgré ses
déclarationssurl’incertitudedenotrerelation.–Putain,tusaistrèsbienquetul’esettusaisaussitrèsbienquejesuisunemerdesans
toi.Peut-êtrequej’auraisdûdire:Jenesuisriensanstoi,aime-moi,mais j’aidéjàbalancé
mapropreversion.–Maisnon.(Ellehésiteàsourire.)Tuesunebonnepersonne,mêmequandtudonnes
le pire de toi-même. J’ai lamauvaise habitude de te rappeler tes erreurs et de t’en tenirrigueur,alorsqu’enfaitjesuisaussimauvaisequetoidansnotrerelation.Jesuistoutaussiresponsablequetoidecettemalédiction.
–Malédiction?J’aientenduçabientropsouvent.–Notredestructionmutuelle,jeveuxdire.C’étaitautanttafautequelamienne.–Pourquoidétruire?Pourquoinepouvons-nouspasrésoudrenosproblèmes?Elleprenduneautreinspirationetpenchelatêtelégèrementenarrièrepourregarder
leciel.–Jenesaispas.–Tunesaispas?Jerépètesaphrase,unsourireauxlèvres.Putain,onestcomplètementtarés.–Jenesaispas.J’aijusteprismadécisionetmaintenant,jesuisperdue,parcequetu
essaiesvraimentethonnêtement,jelevoisbien.–Vraiment?J’essaiedenepasavoirl’airtropintéressé,maisbiensûrmavoixdemerdesebriseetje
couinecommeunesourisàlacon.–Oui,Hardin,vraiment.Jenesaissimplementpastropcommentréagir.–NewYorknevapasnousaider.NewYorkneserapascenouveaudépartouquoique
cesoitd’autreauqueltupenses.Toietmoisavonsbienquetuutilisescettevillecommeuneportedesortiefaciledevanttoutcebordel.
J’agitelamainentreelleetmoipournousdésignertouslesdeux.
–Jesais.Elle arracheune touffe d’herbe, je la connais suffisamment pour savoir qu’elle fait ça
chaquefoisqu’elles’assieddansl’herbe.–Combiendetemps?– Je ne sais pas. Je veux vraiment aller àNewYork,maintenant.Mon expérience de
l’ÉtatdeWashingtonn’apasétéuneréussitejusqu’àprésent.Ellebaisselatêteetjelasenss’éloigneretdisparaîtredanssespensées.–Tuyashabitétoutetavie.Elleclignedesyeux,prendunegrandeinspirationetjettelespetitsmorceauxd’herbeà
sespieds.–Justement.
62
Tessa
–Tuesprêtàrentrer?
Jerompslesilence.Hardinn’apasditunmotetjen’aipasréussiàtrouverquoiquecesoitquivaillelapeined’enparlerdurantcesvingtdernièresminutes.
–Ettoi?Ilselèveens’appuyantsurl’arbre,puisessuielaterresursonjeannoir.–Situl’es…– Je le suis. (Un sourire sarcastique se dessine sur ses lèvres.)Mais si tu veux qu’on
continueàparlerderentreràlamaison,onpeutlefaire.–Ahah!Je lève les yeuxau ciel et il tend lamainversmoipourm’aider àme lever.Samain
s’enroule avec délicatesse autour de mon poignet, puis il me tire vers le haut. Il ne merelâchepas ; ilglisseseulementsamaindans lamiennepour la tenir.Jenerelèvepassacaresseniqu’ilmeregarded’unemanièrefamilière,ilmeregardecommelorsquesacolèreest masquée, dépassée même, par son amour pour moi. Cette expression naturelle,absolumentpas réfléchie,me rappelle que j’ai aussi besoinde cet hommeet que je l’aimeplusquejenepourraijamaisl’admettre.
Iln’yapasdesous-entenduderrièresongeste,riendecalculélorsquesonbrasenserrematailleetqu’ilmerapprochedesoncorpspourtraverserlapelousejusqu’àlaterrasse.
Quandnousrentrons,nousn’échangeonspasunmot;nousnerécoltonsqu’unregardinquietdelapartdeKaren.ElleaposésamainsurlebrasdesonmariquisepencheversLandonpour lui parler calmement. Landon a regagné son siège autour de la table de lasalleàmanger.
Sophian’estpluslà, j’imaginequ’elleestpartieaumomentoùlechaosadéferlédanslapièce.D’ailleursquipourraitl’enblâmer?
–Est-cequetuvasbien?KarensuitdesyeuxHardinquipasseàcôtéd’elle.Landon lève les yeux enmême temps que Ken, j’appuie d’une petite pression sur le
boutdesdoigtsd’Hardin.–Qui,moi?Ils’arrêteaupieddesescaliersetjeluirentrededans.–Oui,chéri,est-cequetuvasbien?Karen repousse sescheveuxbrunsderrière sesoreilleset s’avanced’unpasversnous,
unemainposéesursonventre.–Tuveuxdire(Hardins’éclaircitlagorge),est-cequejevaismedéchaînersurLandon
etluirefaireleportrait?Non,jevaism’abstenir.Karensecouelatête,sondouxvisageincarnelapatience.–Non,cequejevoulaistedemander,c’estsitoi,tuallaisbien?Est-cequejepeuxfaire
quelquechosepourtoi?Voilàcequejevoulaisdire.Ilclignedesyeux,reprenantcontenance.–Ouais,çava.–Silaréponseàcettequestionchange,tum’enparles.D’accord?Ilacquiesceetmeconduitàl’étage.Avantdemonter,jebaisselesyeuxpourchercher
Landonduregardetluidemandersilencieusementdemesuivre,maisilfermelesyeuxetsetourned’unquartdetour.
–JedoisparleràLandon.Hardinouvrelaportedesachambre,allumelalumièreetlâchemonbras.–Maintenant?–Oui,maintenant.–Maintenant,toutdesuite?–Oui.Àl’instantoùjeprononcelemot,Hardinmeplaquecontrelemur.–Tuesàunesecondeprès?Ilsepencheversmoi,sonsoufflechaudcontremoncou,etpoursuit:–Tuessûre?Jenesuispassûre,sûrederienenfait.–Quoi?J’ailavoixrauqueetlatêteembuée.–Jecroisquetuallaism’embrasser.Il presse ses lèvres contre lesmiennes et je ne peuxm’empêcher d’en sourire, deme
sentirfollementsoulagéedesonaffection.Seslèvresnesontpasdouces;ellessontsèches
etgercées,mais siparfaites, et j’aime sentir sa languedessiner le contourde lamienneets’insinuerdansmabouche,m’évitantdetropréfléchiroudemedérober.
Je sens sesmains surma taille, sesdoigts s’enfoncentdansmachair,et songenousefraieunpassageentremescuissespourlesécarter.
–Jen’arrivepasàcroirequetudéménagessiloindemoi.(Sabouchemefrôletoutlelongdelajouepours’arrêterjustesousmonoreille.)Siloindemoi.
–Jesuisdésolée.Jesuisincapabled’endireplusquandsesmainspassentdemeshanchesàmonventre,
repoussantletissudemont-shirtd’ungesteappuyé.–Onnefaitquecourir,touslesdeux.Letondesavoixestcalme,maissesmainsprennentmesseinsavecprécipitation.J’ai
ledosappuyécontrelemuretmont-shirtestmaintenantàmespieds.–C’estvrai.–Unedernièrecitationd’Hemingwayetjevaisoccupermaboucheailleurs.Il sourit en m’embrassant, ses mains me caressent, me titillent juste au-dessus de la
ceinturedemonpantalon.–«Cen’estpasparcequetuirasd’unendroitdansunautrequetuéchapperasàtoi-
même 1.»Puissesdoigtsseglissentsousmaceinture.Je gémis, bouleversée tant par ses mots que par la sensation de ses mains sur mon
corps.Sesparolestournentenronddansmatêtequandilmetouche,ceque jefaisaussi.Visiblement,ilbandefortetquandjem’occupedelabraguettedesonjean,ilmurmuremonnom.
–NeparspasàNewYorkavecLandon,resteavecmoiàSeattle.Landon.Jetournelatêteetretiremamaindupantalond’Hardin.–IlfautquejeparleàLandon,c’estimportant.Ilsemblaitfâché.–Etalors?Moiaussi,jesuisfâché.–Jesais.(Jesoupire.)Maisvisiblement,tun’espassifâchéqueça.Jejetteuncoupd’œilàsonsexe,àpeinerecouvertparsonboxer.–Ehbien,ça,c’estparcequemacolèreaétédétournée.C’estcommes’ilyavaitpenséaprèscoup.–Jeneseraipaslongue.Jemedétachedeluietrécupèremont-shirtparterre,puislerenfile.–Ok,j’aibesoindedeuxminutesdetoutefaçon.Hardinsetirelescheveuxenarrièreetrelâchelamècheemmêléesursanuque.Depuis
que je l’ai rencontré, ses cheveuxn’ont jamaisétéaussi longs. Je lesaimebiencommeça,maisçamemanqueunpeudeneplusvoirl’encredesontatouages’échapperducoldesont-shirt.
–Deuxminutesloindemoi?J’aiposélaquestionavantdemerendrecompteàquelpointjefaisfilledésespéréeen
disantça.–Oui.Tuviensjustedem’annoncerquetuallaisdéménagerdel’autrecôtédupayset
j’aiperdumoncalmeavecLandon.J’aibesoindequelquesminutespourmerepasser toutçadansmatêteetyréfléchir.
–Ok,jecomprends.Je comprends vraiment. Il gère la situation bien mieux que je ne l’aurais cru et la
dernière chose que je devrais faire, c’est bien de sauter dans son lit et de négliger monamitiéavecLandon.
–Jevaisprendreunedouche.Ma tête est toujours dans la chambre avec Hardin, pressée contre le mur à vivre ce
moment d’oubli lorsque je descends au rez-de-chaussée. À chaque pas, le fantôme de sesmainssurmoncorpsdisparaîtunpeuplusetquandj’entredanslasalleàmanger,Karens’éloignedeLandonetKenluifaitsignedemelaisserseuledanslapièceaveclui.Ellemefaitunpetitsourire,puismepressegentimentlamainenpassant.
–Salut.Je tire une chaise pour m’asseoir à côté de Landon, mais il se lève à l’instant où je
prendsplace.–Pasmaintenant,Tessa.Ilsedirigeverslesalond’unairdécidé.Perturbéepar laduretéde savoix, jemedisque j’ai ratéun truc.Apparemment, j’ai
ratémêmeplusqueça.–Landon…Attends!Jemelèvepourlesuivredanslesalon.–Jesuisdésolé,maisçanemarcheplus.–Qu’est-cequinemarcheplus?Je tire sur le bas de son t-shirt àmanches longues pour l’empêcher de s’éloigner de
moi.– Ce truc entreHardin et toi. Ça allait quand ça ne concernait que vous deux,mais
maintenant,vousentraîneztoutlemondededansetcen’estpashonnête.Sa colère me blesse profondément et il me faut un instant pour me rappeler qu’il
s’adresseàmoi.Landonatoujoursétéuntelsoutienetsigentilquejenemeseraisjamaisattendueàentendreçadesabouche.
–Jesuisdésolé,Tessa,maistusaisquej’airaison.Touslesdeux,vousnepouvezpasvous empêcher de ramener vos problèmes ici. Ma mère est enceinte maintenant et cettescène aurait vraiment pu être dangereuse pour sa santé. Vous n’arrêtez pas de faire desallersetretoursentreSeattleetici,àvousdisputerdanslesdeuxvillesetpartout.
Aïe.Jecherchemesmots,nonpasqu’aucunebelleparolenemevienneàl’esprit.–Jesais,jesuisdésoléepourcequivientdesepasser.Jen’avaispasl’intentionqueça
seproduise,Landon. Il fallaitque je luidisepourNewYork, jenepouvaisplus luicacherça.Jepensequ’ilatrèsbienprislanouvelle.
Jem’arrêtequandmavoix sebrise.ÇameperturbeetmepaniquequeLandonm’enveuille.Jesavaisqu’iln’étaitpascontentqu’Hardinletouche,maisjenem’attendaispasàça.
Landonsetournepourmeregarder.–Ila«trèsbienprislanouvelle»?Ilm’abalancécontrelemur…Il soupire et retrousse ses manches jusqu’au coude, en prenant quelques grandes
inspirationsavantdepoursuivre:– J’imagine que tu as raison. Mais ça ne veut pas dire que ça ne devient pas un
problème de plus en plus pénible. Tous les deux, vous ne pouvez pas continuer à vousdisputeretvousrabibocherpartoutsur laplanète.Siçane fonctionnepasdansuneville,pourquoipenses-tuqueçapeutmarcherdansuneautre?
–Jesais.C’estpourçaquejeviensàNewYorkavectoi.J’avaisbesoindecomprendreçatouteseule.Enfin,sansHardin.C’étaitlàlefinmotdel’histoire.
Landonsecouelatête.– Sans Hardin ? Tu crois qu’il va te laisser aller à New York sans lui ? Soit il va
t’accompagner,soittuvasresterici,maisvousvousdisputerezcommetoujours.ToutlemondeditlamêmechosesurmarelationavecHardin.MonDieu,moiaussij’en
arrive aux mêmes conclusions. J’ai déjà entendu tout ça de nombreuses fois, mais queLandonmelesjetteenpleinefigure,c’estautrechose.C’estdifférentetçaaunetoutautreportée,çamefaitplusmalencoreetj’enviensàdouterencoreplus.
–Jesuisvraimentdésolée,Landon.(J’ail’impressionquejevaismemettreàpleurer.)Jesaisquej’attiretoutlemondedansnotredésastreetj’ensuisdésolée.Cen’estpascequejeveuxfaire.Jeneveuxpasqueçasepassecommeça,surtoutavectoi.Tuesmonmeilleurami.Jen’aijamaisvouluquetutemettesdansuntelétat.
–Ouais,ehbien,troptard.Etçavautpourbeaucoupdemonde,Tessa.Sesmotssidursmefrappentauseulendroitencoreintactetproprequirestaitenmoi,
cepetitcoinque j’avais réservépourLandonetson indéfectibleamitié.Cepetitcoinsacréqui était tout ce qui me restait des gens de mon entourage. C’était mon refuge et,maintenant,ilestplongédanslesténèbres,commelereste.
–Jesuisdésolée.Mavoixestréduiteàuncouinementbriséetjesuisconvaincuequemonespritn’apas
encoresaisiquec’étaitLandonquimedisaittoutça.–C’estjustequeje…jecroyaisquetuétaisdenotrecôté.
Ilfautquejesachesilasituationestaussidésespéréequ’ellesemblel’être.Ilrespireunboncoupavantdemerépondre:– Je suis tout aussi désolé,mais ce soir, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le
vase. Ma mère enceinte, Ken qui essaie de rattraper la situation avec Hardin, et mondéménagement, c’est trop. C’est notre famille et nous devons nous retrouver. Tu ne nousaidespas.
–Jesuisdésolée.Jenepeuxriendired’autre,riencontrelui,jenepeuxmêmepasavoirunavisdifférent
dusien,carilaraison.C’estleurfamille,paslamienne.Peuimportemonimmensedésirdeconsidérercettefamillecommelamienne,cen’estpaslecas,jesuislapiècerapportéedontonpeutsedébarrasser.Jel’aiétépartoutoùj’aiessayédem’installerdepuisquej’aiquittélamaisondemamère.
Ilaleregardbaissésursespiedsetjen’arrivepasàregarderailleursquesonvisage.–Jesaisquetuesdésolée.Jelesuisaussid’êtreuneordure,maisilfallaitquejetele
dise.–Oui,jecomprends.(Ilnemeregardetoujourspas.)CeneserapascommeçaàNew
York,jetelepromets.J’aijustebesoindetemps.Jesuistellementperduedanstoutcequisepassedansmavie,jen’arrivepasàyvoirlalogique.
Cette sensationdenepasêtredésiréequelquepart,quandonn’estpas sûrdesavoircommentpartir,estvéritablementatroce, iln’yapaspire.C’est tellementbizarre,et ilmefaut quelques secondes pour comprendre la situation etm’assurer dene pas être parano.Maisquandmonmeilleuramirefusedemeregarderenfaceaprèsm’avoirditquejecausaisdes problèmes à sa famille, la seule famille que j’ai, je sais que c’est la vérité. Landon neveutpasmeparlerencemoment,maisilesttropgentilpourmeledire.
–NewYork.(Jeravalelagrosseboulequej’aidanslagorge.)Tuneveuxplusquejevienneavectoi?
–C’estpasça.J’aicruqueNewYorkseraitunnouveaudépartpournousdeux,Tessa.PasunnouvelendroitpourquetutedisputesavecHardin.
–J’aicompris.Je hausse les épaules et plante mes ongles dans les paumes de ma main pour
m’empêcherdepleurer.J’aipigé.Jecomprendstout.Landonneveutpasque j’ailleàNewYorkavec lui.Monplann’étaitpas trèsbonde
toutefaçon.Jen’aipasbeaucoupd’argentetjenesuispasencoreformellementacceptéeàNYU, si jamais je le suis un jour. Jusqu’à présent, je n’avais pas pris conscience del’importancedemadécisiondedéménageràNewYork.J’enavaisbesoin.J’avaisbesoind’aumoinsessayerdefairequelquechosedespontanéetdedifférentetj’avaisbesoindesauteràdeuxpiedsaucœurdumonderéeletderetombersurmespattes.
–Jesuisdésolé.
Il tape légèrement le pied d’une chaise du bout de sa chaussure pour détournerl’attentiondecequ’ilvientdem’asséner.
–C’estbon,j’aicompris.Jeme force à sourire àmonmeilleur ami et jem’arrangepour remonter les escaliers
avantquemeslarmescoulentabondammentsurmesjoues.Dans la chambre d’amis, le lit semble dur sousmon corps,mais ilme permet deme
tenirsuffisammentdroitepourregardertoutesmeserreursenface.J’aiétésiégoïste,jenem’enétaismêmepasrenducomptejusqu’àprésent.J’aidétruit tantde relationsceshuitderniersmois.Quand j’ai commencémesétudes,
amoureusedeNoah,monpetitamid’enfance,jel’aitrompéàpeinequelquessemainesplustardavecHardin,etàplusieursreprises.
JesuisdevenueamieavecStephquim’atrahieetaessayédemefairedumal.J’aijugéMolly alors qu’ellen’était pas celledont j’auraisdûm’inquiéter. Jeme suis forcéeà croirequejepourraisavoirmaplaceàl’université,quedanscegroupedepersonnesj’avaistrouvédesamisquand,enfait,jen’étaisqu’unevasteblagueàleursyeux.
JemesuisbattuetantetpluspourgarderHardin;jemesuisbattuedèsledépartpourqu’ilm’accepte.Quandilnevoulaitpasdemoi,jelevoulaisplusencore.Jemesuisbattuecontremamèrepourledéfendre;jemesuisbattuecontremoi-mêmepourledéfendre;jemesuisbattuecontreluipourledéfendredelui-même.
Je lui aidonnémavirginitéalorsque c’étaitpour remporterunpari. Je l’ai aimé, j’aichéricemomentet,pendanttoutcetemps,ilmecachaitlaraisondesesactes.Mêmeaprèsavoirsuça,jesuisrestéeavecluietilmerevenaittoujoursavecdesexcuseschaquefoisplusénormes. Ce n’était pas toujours sa faute, mais plus ses erreurs étaient profondes etdouloureuses,pluslesmiennesdevenaienttoutaussifréquentes.
Parpurégoïsme, j’aiutiliséZedpourremplir levidequandHardinmequittait.Je l’aiembrassé, j’ai passédu tempsavec lui et je l’aimenéenbateau. J’ai conservéma relationamicale avec lui au détriment de celle que j’avais avec Hardin, poursuivant en touteconnaissancedecauselejeuqu’ilsavaientcommencébiendesmoisplustôt.
J’ai souvent accordé mon pardon à Hardin, pour lui renvoyer ses erreurs en pleinefigure.J’aitoujourstropattendudeluietjenel’aijamaislaissél’oublier.Malgrésesfailles,Hardin est unmec bien. C’est quelqu’un de tellement bien qu’il mérite d’être heureux. Ilmérite tout. Il mérite des jours tranquilles avec une femme aimante qui n’aura pas à sebattrepourluidonnerdesenfants.Ilneméritepasdespetitsjeuxetdesmauvaissouvenirs.Il ne mérite pas de tenter de vivre à la hauteur de mes attentes ridicules, quasimentimpossiblesàatteindre.
Ceshuitderniersmois,j’aitraversél’enferetj’ensuisrevenueetmaintenant,jesuislà,assisesurcelit,seule.
J’aipassé toutemavieàplanifier,programmer,organiseretanticiperet,pourtant, jemeretrouveiciavecjustelesjouesbarbouilléesdemascaraetdesplansréduitsànéant.Pasmême réduits ànéant, aucund’entre euxn’était suffisamment avancépourqu’ils puissentêtreréduitsàquoiquecesoit.Jen’aiaucune idéede làoùdoitmemenermavie.Jen’aiplusd’universitépourm’accueillir,maplacen’estnullepart,jen’aimêmepluscettenotionromantiquedel’amourapprisedansleslivres,quej’aiadoréeetàlaquellejecroyais.Jen’aiaucuneidéedecequejevaisbienpouvoirfairedemavie.
Tantde ruptures, tantdedeuils.Monpère revenudansmavie, seulementpour êtremassacréparsespropresdémons.J’aivulemensongeabsoluqu’étaittoutelavied’Hardin:sonmentordevenusonpèrebiologiquedont la longuerelationamoureuseavecsamèreamenél’hommequil’aélevéàlaboisson.Hardinatantsouffertdanssonenfancepourrien;iladûsupporterl’alcoolismedesonpèrependantdesannéesetêtreletémoin,enfant,dechosesquepersonnenedevrait jamaisvoir.Depuis ledébut, j’aivu les tentativesd’HardinpourrenoueravecKen,depuisnotrepremièrerencontredevantlerestaurant,pourdevenirmembre à part entière de cette famille, et j’ai vu Hardin lutter pour lui pardonner seserreurs. Il apprend à accepter son passé et à pardonner à Ken. C’est incroyable. Lui,tellementcolériquedepuistoujours,quitrouveenfinmaintenantunpeudepaixdanssavie,je me rends compte que c’est ahurissant. Hardin a besoin de cette paix. Il a besoin dedétermination. Il n’a pas besoinde retours en arrière et d’incessants tourments. Il n’a pasbesoindedoutesetdedisputes;ilabesoind’unefamille.
IlabesoindesonamitiéavecLandonetd’unerelationavecsonpère.Ildoitacceptersa place dans cette famille et être capable d’apprécier l’excitation de voir cette familles’agrandir.IlabesoinderéveillonsdeNoëlpleinsd’amouretd’éclatsderire,pasdelarmesetde tension. J’ai vu tellementde changementsdepuis le jouroù j’ai rencontré cegarçongrossier, tatoué,avecdespiercingset les cheveux lesplusemmêlésque j’aie jamaisvus. Iln’estpluscegarçon.C’estunhommemaintenant,unhommesurlechemindelaguérison.Ilneboitpluscommeavant.Ilnecasseplusd’objetsaussisouvent.Etils’estarrêtétoutseulavantdefairedumalàLandon.
Ilaréussiàseconstruireuneexistenceautourdelui,pleinedegensquil’aimentetlechérissent,alorsquemoi,jen’airéussiqu’àdétruiretouteslesrelationsquejecroyaisavoir.Nous nous sommes disputés et battus, nous avons gagné et perdu, et maintenant monamitiéavecLandonestdevenueunautredommagecollatéraldemoncoupleavecHardin.
Àpeineai-jeévoquésonprénom,commes’ilétaitungénietoutdroitsortid’unelampeà huile magique, Hardin ouvre la porte et entre calmement en se frottant les cheveuxmouillésavecuneserviette.
–Qu’est-cequisepasse?Dèsqu’ilvoitl’étatdanslequeljesuis,iljettesaservietteetsedépêchedetraverserla
piècepours’agenouillerdevantmoi.
Jen’essaiepasdemasquermeslarmes;jenevoispasàquoiçapourraitservir.–NoussommesCatherineetHeathcliff.Jesuisdévastéeparlavéritédecettephrase.Hardinfroncelessourcilsetdemande:–Quoi?Putain,qu’est-cequis’estpassé?–Nous avons rendu tout notre entouragemalheureux et je ne sais pas si je nem’en
étais simplement pas rendu compte ou si j’étais trop égoïste pourm’en soucier,mais c’estarrivé.MêmeLandon,mêmeLandonaététouchéparnotredésastre.
–Çasortd’où,ça?Putain,qu’est-cequ’ilt’adit?–Non.(JetireHardinpar lebras, lesuppliantdenepasdescendre.)Iln’aditquela
vérité.Jelevoisbienmaintenant.J’essayaisdesaisirl’idée,maismaintenant,jecomprends.J’essuiemeslarmes,prendsuneprofondeinspirationetpoursuis:–Cen’estpastoiquimedétruisais;j’aifaitçatouteseule.J’aichangéettoiaussi,mais
tuaschangéenbien.Moipas.Endisantcesmotsàhautevoix,c’estplusfaciledelesaccepter.Jenesuispasparfaite.
Jeneleseraijamais.Etcen’estpasgrave,maisjenepeuxpastirerHardinverslebasavecmoi. Jedois réparercequiclochechezmoi, cen’estpas justed’exigerçad’Hardinsans lefairemoi-même.
Ilsecouelatête,m’observantdesesmagnifiquesyeuxémeraude.–Tudisn’importequoi.Çan’apasdesens.–Si.C’esttrèsclairpourmoi.Jemelève,puiscoincemescheveuxderrièremesoreilles.J’essaiederesteraussicalme
quepossible,mais c’estdurcar ilnecomprendpas,et c’estpourtant siévident : commentpeut-ilnepaslecomprendre?
– J’ai besoin que tu fasses quelque chose pourmoi. J’ai besoin que tume promettesquelquechosetoutdesuite.
–Quoi?Putain,non.Jeneteprometsrien,Tessa.Putain,oùveux-tuenvenir?Ilmeprenddoucementlementonduboutdesdoigtspourquejeleregardeenface.De
sonautremain,ilessuiemeslarmes.–S’ilteplaît,promets-moiquelquechose.Sinouspouvonsavoirunechanced’avoirun
avenirensemble,ilfautquetufassesquelquechosepourmoi.–Bon,ok.– Je t’en supplie, si tu m’aimes, écoute-moi et fais ça pour moi. Si tu refuses, nous
n’auronspasd’avenirensemble,Hardin.Jeneveuxpasquecesmotssoientunemenace.Ilssontunesupplique.J’aibesoinqu’il
fasse ça pour moi. J’ai besoin qu’il comprenne et guérisse pour vivre sa vie pendant quej’essaiederéparerlamienne.
Ildéglutitetplantesonregarddanslemien, jesaisqu’ilneveutpasaccepter,maisilditquandmême:
–Ok,jetelepromets.–Nemesuispascettefois-ci,Hardin.Resteiciavectafamilleet…– Tessa… (Il prend mon visage dans ses mains.) Non, arrête tout de suite. On va
trouverunesolutionpourcetteconneriedeNewYork.Nefaispasunemontagned’unpetittruc.
Jesecouelatête.–JenevaisplusàNewYorket je teprometsque jenedramatisepas lasituation.Je
saisqueçaal’airimpulsif,maisjeteprometsqueçanel’estpas.Nousavonstraversétouslesdeuxtantd’épreuvescetteannéeetsinousneprenonspasunpeudetempspournousassurerquec’estcequenousvoulons,nousfinironsparentraînertoutlemondedansnotrechute,encoreplusquenousl’avonsdéjàfait.
J’essaiedeluifairecomprendre;ilfautqu’illefasse.–Combiendetemps?Sesépauless’affaissentetilrepoussesescheveux.–Jusqu’àcequenoussachionstouslesdeuxquenoussommesprêts.Jemesensplusdéterminéequ’aucoursdeshuitderniersmois.–Qu’onsachequoi?Jesaisdéjàcequejeveuxavectoi.–J’aibesoindeça,Hardin.Sijenemeretrouvepas,jet’envoudraietàmoiaussi.J’en
aibesoin.–Bien,tuasgagné.Jet’accordeça,pasparcequejeleveux,maisparcequeceserale
dernierdoutequejetepermettraid’avoir.Jecèdecettefois-ci,puistumereviendrasetc’esttout. Tu ne me quitteras plus et tu m’épouseras. C’est ce que je veux en échange de cetempsdonttuasbesoin.
–Ok.Sinousarrivonsànoussortirdeça,j’épouseraicethomme.
1.ErnestHemingway,Lesoleilselèveaussi,chapitreII,traductionMaurice-EdgarCoindreau,Gallimard,Folio,Paris1972.
63
Tessa
Hardinm’embrassesurlefrontetfermelaportedemavoiture,côtépassager.Mesvalises
ont été refaites pour la centième et dernière fois etmaintenantHardin s’appuie contre lacarrosserie,meserrantcontresapoitrine.
–Jet’aime.S’ilteplaît,souviens-t’en.Etappelle-moidèsquetuarrives.Il n’est pas content,mais il le sera un jour. Je sais que c’est la bonne décision.Nous
avonsbesoindeprendredutempschacundenotrecôté.Noussommessijeunes,siperdus,nousavonsbesoindecelapsdetempspourréparercequenousavonsendommagédanslaviedesgensquinousentourent.
–Promis.Tuleurdirasaurevoirdemapart,tut’ensouviendras?Je me love contre lui en fermant les yeux. Je ne sais pas trop comment ça va se
terminer,maisjesaisquec’estnécessaire.–Promis.Montedanslavoiture,s’ilteplaît.C’esttropdurdefairedurercetaurevoir
et de prétendre que je suis content plus longtemps. Je suis une nouvelle personnemaintenant, et je peux coopérer,mais pas trop longtemps, sinon je vais vouloir te traînerjusqu’àcettechambrepourtoujours.
Jepassemesbrasautourdesapoitrineetlessiensenserrentmesépaules.–Jesais.Merci.–Jet’aime,Tessa,putain,jet’aimetellement.Tun’oublieraspas,d’accord?J’entendssavoixsebriserdansmescheveux,etlebesoindeleprotégerrecommenceà
plantersesgriffesdansmoncœur.–Jet’aime,Hardin.Pourtoujours.Jeposemesmainscontresapoitrineetmepenchepourl’embrasser.Jefermelesyeux,
espérant,voulant,rêvantqueceneserapasladernièrefoisquejesentiraiseslèvrescontre
lesmiennes, que ce ne sera pas la dernière fois que je ressentirai ça.Même à cet instant,même avec la tristesse et la douleur de le laisser ici, je perçois cette petite étincelleélectrique entre nous. Je sens la douce courbe de sa lèvre et la brûlure demon désir, etaussi ledésirde changerd’avisàproposde cettedécisionetde continueràvivredans cecercle infernal. Je connais le pouvoir qu’il a sur moi et moi sur lui, je connais cetteattraction.
Jemedégagedenotreétreinteenpremier,mémorisantsonsourdgrognementlorsquejel’embrassesurlajoueetquejem’éloigne.
–Jet’appelleenarrivant.Jel’embrasseencoreunefois,unpetitbaiserd’adieurapide,ilpasselesmainsdansses
cheveuxens’écartantdelavoiture.–Prendssoindetoi,Tess.Jegrimpedanslavoitureetfermelaporte.Jeneme fais pas assez confiancepourparler,mais quandmavoiture s’éloignede la
maison,jemurmureenfin:–Aurevoir,Hardin.
64
Tessa
Juin
–Çavacommeça?
Unpetit tour surmoi-mêmepourm’admirerdans lemiroir enpied, en tirant surmarobe Karl Marc John qui tombe juste au-dessus des genoux. La matière me procure unepetitevaguedenostalgie.Àl’instantoùj’aiessayécetterobe,jesuistombéeamoureusedutissu,etlacouleurbleuemerappellelepassé,cetteépoqueoùj’étaisquelqu’und’autre.
–Dequoiai-jel’air?Larobeestdifférentedecellesquejeportaisalors.Ellesétaientamples,n’avaientpas
dedécolleté etdesmanches trois-quarts.Celle-ci est coupéeplusprèsdu corps, elle aunjolidécolleté,d’ailleurslaformeenesttravaillée,etellen’apasdemanche.J’adorelalignefémininedecettenouvellerobesurmoi.
–Trèsbien,vraiment,Theresa.Mamères’appuiecontrelechambranledelaporteetmesourit.J’aiessayédemecalmerenmepréparantpourcettejournée,maisj’aibuquatretasses
decafé,mangélamoitiéd’unsacdepop-cornetarpentélamaisondemamèredanstouslessenscommeunefolle.
C’estlacérémoniederemisedesdiplômesd’Hardin.Légèrementparano,jenesaispastrop si je serai la bienvenue ou si l’invitation nem’a été envoyée que par pure politesse.D’unemanièreoud’uneautre,lesminutesetlesheuressesontécoulées,commeellesl’onttoujoursfaitetleferonttoujours,maiscettefois-ci,jen’essaieplusdel’oublier.Cettefois-ci,jepeuxmesouvenir,guériretrepenseràmesmomentsavecHardinensouriant.
Cettenuitd’avril,cettenuitoùLandonm’aoffertuneleçonderéalismesurunplateaud’argent, je suis allée directement chez ma mère. J’ai appelé Kimberly et j’ai pleuré autéléphone jusqu’à ce qu’elleme dise de remballer tout ça, d’arrêter de chialer et de fairequelquechosedemavie.Vuladirectionqu’elleprenait,c’étaitnécessaire.
Je n’avais pas réalisé à quel pointma vie était devenue sombre jusqu’à ce que jemeremette à voir la lumière. La première semaine, je l’ai passée dans la solitude la pluscomplète,quittantàpeinemachambred’enfantetmeforçantàmanger.Chacunedemespenséestournaitautourd’Hardin:àquelpoint ilmemanquait,àquelpoint j’avaisbesoindelui,àquelpointjel’aimais.
Lasuivanteaétémoinsdouloureuse,surtoutcomparéeàcellesquej’avaisvécueslorsde nos ruptures précédentes ; cette fois-ci, c’était différent. Cette fois-ci, je me répétaisqu’Hardin était bien avec sa famille, que je ne l’avais pas laissé livré à lui-même pourcombattre ses démons. S’il avait besoin de quoi que ce soit, il était auprès de sa famille.SeulslesappelsquotidiensdeKarenm’ontempêchéederetournerlà-basvérifierqu’ilallaitbien pour la centième fois. J’avais besoin de reprendrema vie enmain,mais j’avais aussibesoindesavoirquejen’endommageaispaslavied’Hardinnid’aucuneautrepersonnedemonentourage.
Sansm’enrendrecompte,j’étaisdevenueunefillepesantepourtoutlemondecarjenevoyais riend’autrequ’Hardin.L’opinionqu’ilavaitdemoiétait la seulechosequi semblaitavoir de l’importance, et je passaismes jours etmesnuits à essayer de le guérir, denousguérir,toutenbrisanttoutlereste,moiycompris.
Lestroispremièressemaines,Hardinaététenace,maiscommelesappelsquotidiensdeKaren, lafréquencedesescoupsdefiladiminuépourfinirpardeuxparsemaine,deleurpart à tous les deux. Karenm’assure qu’Hardin est heureux, je ne peux donc pas lui envouloirdeneplusm’appelerautantquejelevoudraisoulesouhaiterais.
JegardesurtoutlecontactavecLandon.Lelendemaindecefameuxjouroùilm’adittout ça, il s’est senti atrocement mal. Il est venu dans la chambre d’Hardin pour meprésentersesexcuses,maisn’atrouvéqu’Hardinseuletenragé.
Landonm’aimmédiatementappelée,mesuppliantderevenirpourluilaisserletempsdetoutm’expliquer,maisjeluiaiassuréquec’estluiquiavaitraisonetquej’avaisbesoindem’éloigner quelque peu. Même si je mourais d’envie d’aller à New York avec lui, j’avaisbesoinderevenirlàoùladestructiondemavieavaitdébutépourtoutrecommencertouteseule.
Cequim’afaitleplusmal,c’estqueLandonmerappellequejenefaisaispaspartiedeleurfamille.Jemesuissentiedetrop,sansamourniattacheàquelquechoseouquelqu’un.J’aieul’impressiond’êtreseule,sanslien,deflotterenessayantdem’accrocheràquiconquevoudrait de moi. J’étais devenue dépendante des autres et totalement perdue dans marecherched’amour.Etj’aidétestécettesensation.Jel’aimêmehaïeplusquetout,etmêmesij’aicomprisqueLandonm’avaitditçasurlecoupdelacolère,iln’avaitpastort.Parfoislacolèrepermetdepercerunabcèsetdenousfairevoircequenousressentonsvraiment.
–Rêvassernevapast’aideràfranchirleseuildecetteporteplusrapidement.
Mamères’avanceetouvreletiroirduhautdesaboîteàbijoux.Enlaissanttomberunepairedepetitesbouclesd’oreillesendiamantdansmapaume,ellerefermesamainautourdelamienne.
– Porte-les. Ce ne sera pas aussi terrible que tu le penses. Reste calme et nemontreaucunefaiblesse.
Jerisdesatentatived’encouragementetderéconfort,etmetslesbouclesd’oreilles.–Merci.Et,fidèleàelle-même,CarolYoungmesuggèrededégagermonvisageenm’attachant
les cheveux,d’ajouterdu rougeà lèvresetdeporterdes talonsplushauts. Je la remerciegentimentpoursesconseils,maisjen’enfaisqu’àmatête;etsilencieusement,jelaremerciesurtoutdenepasinsister.
Mamèreetmoitravaillonsàconstruirecetterelationdontj’aitoujoursrêvépournous.Elle apprend àme traiter commeune femme, jeunemais capable de prendre ses propresdécisions, et j’apprends à accepter qu’elle n’ait jamais voulu être la femme qu’elle estdevenue.Elleaétébriséeparmonpère ilya longtempsmaintenantetne s’enest jamaisremise.Aujourd’huielleytravaille,enparallèleàmontravailsurmoi-même.
J’ai été surprise quand elle m’a annoncé qu’elle avait rencontré quelqu’un et qu’elleavaiteuquelquesrendez-vouscesdernièressemaines.Laplusgrandedessurprisesaétédedécouvrirquecethomme,David,n’étaitniavocatnimédecinetqu’ilneconduisaitpasdevoitureluxueuse.Ilestpropriétaired’uneboulangeriedelavilleetc’estlapersonnelaplusgaie que j’aie jamais rencontrée. Et il a une fille de dix ans qui a un penchant pourl’essayagedemagarde-robe.Mesvêtementssontbientropgrandspoursafrêlesilhouette,en revanche elle me laisse pratiquer avec enthousiasme mes techniques balbutiantes demaquillageetdecoiffuresurelle.C’estunegentillepetitefille.Elles’appelleHeatheretsamèreestdécédéequandelleavaitseptans.Leplussurprenantestdevoirlagentillessedemamèreenverselle.Davidfaitressortirenmamèredeschosesquejen’avaisjamaisvuesetj’adoresafaçonderireetdesourirequandilestdanslesparages.
–J’aiencorecombiendetemps?Jemetourneversmamèreetenfilemeschaussures,ignorantsonexaspérationquand
jechoisislestalonslesmoinshautsdemonplacard,maiscesballerinesàpaillettesKMJsontjustes parfaites. Je suis déjà stressée à mort ; la dernière chose dont j’ai besoin pourdéveloppermonanxiété,c’estdemarchersurdeséchasses.
–Cinqminutessituveuxarriverenavance,cequetuveux,j’ensuissûre.Ellesecouelatêteetpasseseslongscheveuxblondsderrièresonépaule.Voirmamère
changer,voirsacarapacesefêlerpourdevenirunemeilleureversiond’elle-même,aétéuneexpérience incroyable et chargée d’émotion. C’est agréable de la sentir me soutenir,particulièrementaujourd’hui, surtout je lui suis reconnaissanted’avoirgardépourelle sonopinionsurmaprésenceàcettecérémonie.
– J’espère qu’il n’y aura pas trop de circulation. Et s’il y avait un carambolage ? Lesdeux heures pourraient facilement se transformer en quatre heures de route et ma robeseraitfroissée,mescheveuxtoutplatset…
Mamèrepenchelatêtedecôté.–Toutirabien.Turéfléchistrop.Maintenant,metsunpeuderougeàlèvresetvas-y.Je soupire et fais exactement ce qu’elle m’a dit, espérant que tout se passe comme
prévu.Pourunefois.
65
Hardin
Je ronchonne en voyant cet uniforme monstrueusement laid dans le miroir. Je ne
comprendrai jamaispourquoi jesuis forcédeportercettemerde.Pourquoinepeut-onpasmettredesvêtementsnormauxpourlacérémonie?Mesfringuesdanslecivilseraientdelabonnecouleur,vuqu’ellessontnoires.
–Lamerdelaplusdébilequej’aijamaisportée,hautlamain!Karenlèvelesyeuxauciel.–Oh!allez.Enfileça.–Lagrossesseterendmoinstolérante.Jelataquineenm’écartantavantqu’ellenemetapesurlebras.–KenestauColiseumdepuisneufheuresdumatin.Ilvaêtresi fierdetevoirhabillé
commeça,quandtut’avancerasverslascène.Elle sourit et ses yeux deviennent brillants de larmes. Si elle se met à chialer, il va
falloirquejetrouveuneportedesortie.Jedéguerpiraicalmementdelapièceenespérantqu’ellevoietroptroublepourmesuivre.
–Tuparlescommesij’allaisaubaldefind’année.Jerâleenajustantcestupidemorceaudetissuquicomprimemoncorpstoutentier.J’ailesépaulestendues,malàlatête,etmapoitrinebrûled’avance.Pasàcausedela
cérémonie ou du diplôme, j’en ai strictement rien à battre de ces conneries. C’est saprésumée présence qui me vaut cette anxiété dévastatrice. C’est pour Tessa que je mecomporte aux yeux de tous de cettemanière convenue. C’est elle quim’a convaincue d’yaller(enfinquim’aarnaqué).Etsi je laconnaisaussibienque je lecrois,ellesera làpourassisteràsontriomphe.
Mêmesisescoupsdetéléphonesontdevenusdemoinsenmoins fréquentsetquesestextosontpratiquementdisparudelasurfacedelaTerre,elleseralàaujourd’hui.
Uneheureplustard,nousnousgaronsdansleparkingduColiseumoùlacérémonievaavoir lieu.J’aiacceptéd’yallerenvoitureavecKarenà ladix-neuvièmefoisoùellemel’ademandé.Bon, j’auraispréférém’y conduiremoi-même,mais elle est collante cesdernierstemps.Jesaisqu’elleessaiedecompenserledépartdeTessademavie,maisriennepourracomblercemanque.
Ni rien ni personne ne pourra compenser ce queTessameprocurait, j’aurai toujoursbesoind’elle.Cequejefaischaquejourdepuisqu’elleestpartie,c’estm’améliorerpourelle.Jeme suis fait de nouveaux amis ; ok, deux amis. Luke et sa copine Kaci sont ce que jepourraisavoirdeplusprochedu statutd’amis, et ils sont supportables. Ilsneboiventpasvraiment et sont définitivement à des années-lumière de faire des paris à la con lors desoirées débiles. Luke est un peu plus vieux quemoi, je l’ai rencontré alors qu’il se faisaittraîneràune séancede thérapiede couple, lorsd’undemes rendez-voushebdomadairesavecleDocteurTran,lefabuleuxprofessionneldelasantémentale.
Enfin, pas vraiment ; c’est un escroc que je paie cent dollars de l’heure pour qu’ilm’écouteparlerdeTessaenvirondeuxheurespar semaine…mais çame fait vraimentdubiendeparleràquelqu’undetoutelamerdequej’aidanslatête,etilécoutepastropmal.
– Landon m’a demandé de te rappeler qu’il est vraiment désolé de ne pouvoir êtreprésent.IlestsioccupéàNewYork!(Karensegare.)Jeluiaipromisdeprendrepleindephotosaujourd’hui.
–Ouais.JesourisàKarenetsorsdelavoiture.Le bâtiment est blindé, le simili-stade est rempli de parents très fiers, de proches et
d’amis. Je fais un signe de tête à Karen qui me fait un petit coucou depuis son siège aupremier rang. Être la femmedu président de la fac donne quelques avantages, j’imagine.Genreunsiègeaupremierrangpourcescérémoniesquidéchirent.
Je ne peuxm’empêcher d’essayer de trouverTessa dans la foule. Il est impossible devoir la moitié des visages à cause de ces satanées lumières, si puissantes que j’en suisquasiment aveugle. Je détesterais savoir combien cette cérémonie extravagante coûte àl’université. Je trouve mon nom sur le plan et me dirige vers la dame en charge duplacement. Elle ronchonne. Elle est énervée. J’imagine que c’est parce que j’ai séché larépétition. Mais sérieux, pourquoi cette merde est-elle aussi compliquée ? Assis. Appelé.Marcher.Prendreleboutdepapierquisertàrien.Marcher.Assis.
Biensûr,unefoisassissurunsiègeenplastiquehautementinconfortable, jedécouvreque lemecà côtédemoi transpire commeunbœuf. Il remue tout le temps, fredonneuntrucpourlui-même,etsongenoutremble.J’aienviedel’envoyerchierjusqu’àcequejemerendecomptequejefaisexactementlamêmechose,lasueurdégueuenmoins.
Impossible de savoir combien d’heures ont passé (au moins quatre, j’ai l’impression)quandmonnomest enfin appelé.C’est trèsbizarre et j’ai grave enviedegerberquand jevoistoutlemondememater;jememagnedequitterlascènedèsquejeremarquequeKenaleslarmesauxyeux.
Maintenant,ilfautjustequejerésistejusqu’àlafindel’alphabetpourpouvoirallerlaretrouver. Quand on arrive à la lettre V, j’ai trop envie de me lever de mon siège etd’interrompretoutcebordel.CombiendegenspeuventavoirunnomquicommenceparunV?
Apparemmentbeaucoup.Enfin,aprèsdelongsmomentsd’ennuimorteletl’apogéedel’excitationlorsquetoutle
mondeapplaudit,nouspouvonsquitternossièges.Karenseprécipiteversmoipourmefaireuncâlin,m’empêchantdem’enfuir.Aprèscequisembleunmomentdetolérancetoutàfaitraisonnable,jemesoustraisàsesfélicitationslarmoyantesetmecassepourlaretrouver.
Jesaisqu’elleestlà,jelesens.Jenel’aipasvuedepuisdeuxmois,deuxputainsdemoisquisesonttraînés,etjesuis
shootéàl’adrénalinequandjelarepèreenfinàcôtéd’unesortie.Jesentaisqu’elleallaitmefairececoup-là : sepointeret sebarrerendouceavantque je la trouve,mais jene le luipermettraipas.Jelapoursuivraienbagnoledanslarue,sinécessaire.
–Tessa!Je me fraie un chemin parmi les attroupements familiaux pour la rejoindre, elle se
retourneaumomentoùjedégageungamindematrajectoire.Çafaitsilongtempsquejenel’aipasvuequelasensationdesoulagementbalaietout
sur son passage. Putain, je suis bouleversé. Elle est toujours aussi belle. Sa peau estlégèrement bronzée, ce qui n’était pas le cas avant, et ses yeux sont plus brillants, plusheureux,lacoquillevidequ’elleétaitdevenueaétéremplacéeparunecoquillevivante.Jepeuxdiretoutçarienqu’enlaregardant.
–Salut.Elle sourit et fait ce truc qu’elle fait toujours quand elle est stressée : elle met ses
cheveuxderrièresesoreilles.–Salut.Répéter la même chose qu’elle me donne quelques secondes, juste le temps de
l’admirer.Elleestencoreplusangéliquequedansmessouvenirs.Ellesemblefairelamêmechosequemoi,jel’observemereluquerdelatêteauxpieds.
Je regrette de porter cette espèce d’étoffe à la con. Sans cettemerde, elle pourrait voir àquelpointj’aifaitdusport.
Elleparleenpremier:–Tescheveuxsontlongs.
Je ris doucement et passe mes doigts dans le bordel sur ma tête. Le chapeau del’uniformeadûy foutre encoreplus leboxon.C’est à cet instantque jeme rends comptequejenesaisplusoùj’aifoutucettemerde.Maisbon,ons’enbranle,non?
–Ouais,lestiensaussi.(Ellesemarredemaremarquedébileetmetsamaindevantsabouche.)Enfin,tescheveuxsontlongs,ilsl’onttoujoursété.
J’essaiedemerattraper,maisçanefaitquelafaireriredeplusbelle.Bienjoué,Scott.Putain,vraimentbienjoué.–Alors,est-cequelacérémonieétaitaussiterriblequeceàquoitut’attendais?Elleestàdeuxpasdemoietj’aimeraisqu’onsoitassisouuntrucdanslegenre.Jesens
quej’aibesoindem’asseoir.Putain,pourquoijesuisaussistressé,moi?– Pire. Tu as vu combien de temps ça a duré ? Lemec qui lisait les noms était une
antiquité.J’espère qu’elle va encore sourire. Quand ses lèvres se soulèvent aux coins de sa
bouche,jeluirenvoielapareilleetrepoussemescheveuxdemafigure.J’aivraimentbesoind’unecoupe,maisjecroisquejevaislesgardercommeçaunboutdetemps.
–Je suis très fièrede toi,d’avoirparticipéàcettecérémonie. Je suiscertainequeKenesttrèsheureux.
–Es-tuheureuse,toi?Ellefroncelessourcils.–Pour toi?Oui,biensûr. Je suis trèsheureuseque tu te soispliéaurituel.Çane te
gênepasquejesoisvenue,hein?Elleregarderapidementsespiedsavantdeplantersonregarddanslemien.Ilyauntrucdifférentenelle,elleaplusconfiance,elleestplus…jenesaispas,plus
forte?Ellesetientdroite,sonregardestfrancetconcentré,mêmesijevoisbienqu’elleeststressée,ellen’estpasintimidéecommeellel’étaitavant.
–Biensûrquenon.Jen’auraispasétécontentsijem’étaistapécemerdierpourrien.Jeluisouris,etluisourisencoreennousregardantnerienfaired’autrequesourireet
triturernosdoigts.– Comment vas-tu ? Je suis désolé de ne pas avoir beaucoup appelé. J’ai été très
occupé…–C’estbon,jesaisquetuaseufortàfaireaveclacérémonieetlapréparationdeton
dossier pour l’année à venir et tout ça. (Elle esquisse un mini-sourire.) Je vais bien. J’aienvoyémacandidaturedanstouteslesfacsdeNewYorketsesalentours.
–Tuveuxtoujoursyaller?Landondisaitquetun’enétaispassûrehier.– Pas encore. J’attends la réponse d’au moins une fac avant de programmer mon
déménagement.Mon dossier ne s’est pas arrangé avec tous ces transferts. Le bureau desadmissions de NYUm’a dit que ça donnait demoi une image d’écervelée enmanque depréparation, alors j’espère qu’aumoinsunedes autres universités là-basdira autre chose.
Sinon, je vais prendre quelques cours à l’IUT à côté de chezmoi jusqu’à ce que je puissetrouver une place en fac. (Elle prend une grande inspiration.)Waouh, c’était une grosseexplicationpourunepetitequestion.
Ellerit,faitunpasdecôtépourlaisserpasserunemèreenlarmesmarchantmaindanslamainavecsafilleenuniforme,puisellemedemande:
–As-tudécidédecequetuvoulaisfaireaprès?–Ehbien,j’aiquelquesentretiensdanslesprochainessemaines.–C’estsuper.Jesuistrèscontentepourtoi.–Aucund’entreeuxn’esticienrevanche.J’observesonvisageattentivement.–Ici,icidanscetteville?–Non,icidansl’ÉtatdeWashington.–Oùsont-ils?Siçanetedérangepasquejeteposelaquestion.Elle est posée, polie, et sa voix est si douce et prévenante que je doisme rapprocher
d’elle.–UnàChicagoettroisàLondres.–Londres?Elle essaie de cacher sa surprise, j’acquiesce. Je ne voulais pas lui dire ça, mais j’ai
profité de l’opportunité qui se présentait. Je ne retournerai probablement pas là-bas detoutefaçon,jenefaisqu’explorerlespossibilités.
–Jenesavaispascequiallaitsepasser,tusais,entrenous.Ça,c’estpouressayerdem’expliquer.–Oui,jecomprends.Jesuisjustesurprise,c’esttout.Jesaisqu’elle réfléchit, jepeux levoir sursonvisageet jepeuxpratiquementdeviner
toutcequiluitraverselatête.–J’aiunpeuparléàmamèrecesdernierstemps.Ça paraît bizarre que cette phrase sorte de ma bouche, c’était encore plus bizarre
d’enfindécrocherletéléphoneàl’undesesappels.Jel’aiévitéejusqu’àcequejedécidederépondreàsoncoupdetéléphoneilyadeuxsemaines.Jeneluiaipasvraimentpardonné,maisj’essaieplusoumoinsdegérertoutcemerdier.Çanem’apporteriendeluttercontre.
–Vraiment?Hardin,c’esttellementfantastique.Ellenefroncepluslessourcils,ellesourittellementquej’enaimalàlapoitrinedevoir
tantdebeauté,putain.–Ouais,unpeu,quoi.Ellemesourittoujourscommesijevenaisdeluiannoncerquej’avaisgagnéauLoto.–Jesuissiheureusequetoutsepassebienpourtoi.Tuméritesleboncôtédelavie.Jenesaispastropquoidire,maissagentillessem’atellementmanquéquejenepeux
pasm’empêcherdel’attraperpourlaserrerdansmesbras.
Ses mains se posent sur mes épaules et sa tête se love sur ma poitrine. Je jure quej’entendsunsoupirquitterseslèvres.Sij’aitort,jeprétendraiquec’étaitvrai.
–Hardin!Quelqu’unm’interpelle, et Tessa recule pour semettre à côté demoi. Ses joues sont
rougesetelleadenouveaul’airstressée.Lukes’approcheavecKaci,unbouquetdefleursàlamain.
–Jesuissûrquecen’estpastoiquim’asapportécesputainsdefleurs.Jerâlepourcequinepeutêtrequ’uneidéedesameuf.Tessaestàmescôtés,elleécarquillelesyeuxdevantLukeetlapetitebruneàsescôtés.–Tulesaisbien.Etjesaisàquelpointtuappréciesleslys.LukesemarredesamerdetandisqueKacifaitunpetitbonjourdelamainàTessa.Tessasetourneversmoi,unpeupaumée,maisellemefaitleplusbeaudessouriresde
cesdeuxderniersmois.–C’estvraimentsympadeterencontrerenfin.Kaci prend Tessa dans ses bras pendant que Luke essaie de me refourguer son
monstrueuxbouquet.Jelaissetomberlesfleursparterrecequimevautunlotd’insultesdeLukelorsqu’une
hordedeparentsbientropfierslespiétineenpassantdevantnous.–JesuisKaci,uneamied’Hardin.J’aitellemententenduparlerdetoi,Tessa.LafillesereculeunpeupourprendrelebrasdeTessa; jesuisunpeusurprisquand
ellerépondàsonsourireets’engagedansuneconversationavecKacisurlesfleursgâchées,sansmeregarderpourquejeluivienneenaide.
–Hardin a l’air d’être unmec à fleurs, non ? C’est pour ça qu’il a toutes ces feuillesridiculestatouéessurlui.
LeriredeKacifaitglousserTessa,quihausseunsourcilinterrogateur.–Desfeuilles?– Ce ne sont pas exactement des feuilles ; c’est juste pour me faire chier, mais j’ai
quelquesnouveauxtatouagesdepuisladernièrefoisquejet’aivue.Jenesaispastroppourquoijeculpabiliseunpeupourça,maisc’estlecas.–Oh!C’estbien.Tessaessaiedesourire,maisjevoisbienquecen’estpassincère.L’ambiance a viré vers le légèrement bizarre. Luke parle à Tessa des nouveaux
tatouagessurlebasdemonventreetfaitunegrosseconnerieendisant:– Je lui avais dit dene pas les faire faire.On était sortis tous les quatre etKaci était
curieusedestatouagesd’Hardin,çal’adécidéàenfaireun.–Quatre?Tessa lâche le mot et je peux lire dans ses yeux la contrariété d’avoir posé cette
question.
J’assassineLukeduregardaumomentoùKaciluiflanqueunboncoupdecoude.–LasœurdeKaci.Lukeessaiederattrapersaconnerie,maisilnefaitqu’empirerleschoses.La première fois que j’ai traîné avec Luke, nous avons retrouvé Kaci pour dîner. Ce
week-end-là,noussommesallésaucinéetKaciavait invitésasœur.Quelquessoiréesplustard, jemesuis renducomptequecette filleavaitunpetitbéguinpourmoiet j’aidû leurdire d’arrêter de l’inviter à nos sorties. Je n’avais pas et je n’ai toujours pas besoin d’unedistractionenattendantqueTessamerevienne.
–Oh!TessaadressesonsourireleplusfauxàLukeettournesonregardverslafoule.Putain,jedétestevoircetteexpression-làsursonvisage.AvantquejepuisseenvoyerLukeetKacisefairefoutreetexpliquercemerdieràTessa,
Kens’approche.–Hardin,ilyaiciquelqu’unquejevoudraisteprésenter.Luke et Kaci se retirent et Tessa s’écarte. Je tends la main vers elle, mais elle me
repousse.–J’aibesoind’allerauxtoilettes.Ellesouritets’envaaprèsavoirrapidementsaluémonpère.–JeteprésenteChris,dontjet’aiparlé.IlestdirecteuréditorialchezGabberàChicago
etilestvenujusqu’icipourteparler.Kenafficheunlargesourireetagrippelemecparl’épaule,maismonregardessaiede
suivreTessadanslafoule.–Ouais,merci.Jeserrelamaindupetithommequiselancedansuneconversation.Jenecomprends
pas quel genre de conneries Ken a pu débiter pour attirer ce gars ici, mais surtout jem’inquiètequeTessanetrouvepassonchemin.Enfait,jenesaisisqu’àpeinelamoitiédelapropositiondumec.
Aprèsquoi,jefoncedanslecoindestoilettes;jelesfouille,toutes,jel’appelledeuxfoisautéléphone,maisjedoismerendreàl’évidence:Tessaestpartiesansdireaurevoir.
66
Tessa
Septembre
L’appartementdeLandonestpetitetiln’yapratiquementpasdeplacard,maisçaluiva.
Enfin, ça nous va. Chaque fois que je dis à Landon que c’est son appartement et pas lemien,ilmerappellequej’habiteicimaintenant,danscetappartement,àNewYork.
–Tuessûrequeçavaaller,hein?Tuterappelles,Sophiaaditquetupouvaishabiterchezelleceweek-end,situn’espasàl’aise.
Landonrangeunepiledeserviettespliéesdanslemicroscopiqueréduitqu’ilappelleleplacard.
Jeluifaisunpetitsignedetêtepourmasquermonanxiétégalopantedevantleweek-endquim’attend.
–C’estbon,t’inquiète.Jevaisdevoirbossertoutleweek-enddetoutefaçon.Nous sommes le deuxième vendredi du mois de septembre et le vol d’Hardin doit
atterrird’unesecondeàl’autre.Jen’aipasdemandépourquoiilvenait,jen’aipasréussiàle faire, et quand Landon a maladroitement amené le sujet, j’ai juste hoché la tête, meforçantàsourire.
– Il vaprendreun taxidepuisNewark,etvu la circulation, ildevraitarriverd’iciuneheure.
Landonpasselesmainssursonmentonavantdesecacherlevisagededans.J’ail’impressionqueçavamalsepasser,jen’auraispasdûaccepter.J’ôtelesmainsde
sonvisage.–C’estbon.Jesuisunegrandefille,jepeuxgérerunepetitedosed’HardinScott.Je suis complètement stressée, mais savoir que je dois travailler et que Sophia est à
deuxruesdevraitm’aideràsurvivreàceweek-end.–Est-cequequi-tu-saisseralàceweek-end?Jenesaispascommentçavasepasser…
Landona l’airpaniqué,commes’ilallait semettreàpleurerouàcrierd’un instantàl’autre.
–Non,luiaussidoittravaillercesprochainsjours.Je m’avance vers le canapé et prends mon tablier sur la pile de vêtements propres.
C’est faciledevivreavecLandon,malgréses récentsproblèmesamoureux,etcomme ilnedétestepasfaireleménage,nousnousentendonsplutôtbiensurceplan-là.
Notreamitiéavitereprisledessusetnousn’avonsvécuaucunmomentdifficiledepuisque je suis arrivée il y aunmois. J’ai passé l’été avecmamère, sonpetit amiDavidet safille,Heather.J’aimêmeapprisàmeservirdeSkypeavecLandon,etmesjournéesétaientconsacréesàpréparermondéménagement.C’était l’undecesétésoùl’ons’endortunsoirenjuinetonseréveilleunmatindumoisd’août.Unététroprapideoùlamajeurepartiedemon temps était occupée par le souvenir d’Hardin. David avait loué un cabanon, unesemaineenjuillet,àmoinsdedixkilomètresdelamaisondevacancesdesScottet,ennouspromenant,j’airevucepetitbardanslequelnousavionstropbu.
J’ai parcouru lesmêmes rues, cette fois avec la fille deDavid qui s’arrêtait à tous lescarrefourspour ramasserdes fleurs.Nous sommesallésmangerdansce restaurantoù j’aipassé l’une des soirées les plus tendues dema vie et c’était lemême serveur, Robert. Lasurprise,c’estquand ilm’aannoncéque luiaussidéménageaitàNewYorkpourentrerenfacdemédecine.Commeon luiaproposéuneplusgrosseboursepourvenirétudierdansuneuniversiténew-yorkaisequedanssonchoixprécédentàSeattle,iln’apashésité.Nousavons échangé nos numéros de téléphone et passé l’été à nous envoyer des textos. Nouspréparionsnosdéménagementsenmêmetemps.IlestarrivéàNewYorkunesemaineavantmoi et, maintenant, nous travaillons au même endroit. Avant de reprendre les cours àtempscomplet,ilvabosserautantquemoilesdeuxprochainessemaines.J’auraisbienaiméfaire la même chose, malheureusement je suis arrivée trop tard pour entrer au premiersemestreàNYU.
Kenm’aconseilléd’attendreaumoinsledébutdusecondsemestreavantd’intégrerunenouvelleuniversité.Ilditquejenedevraispaschangerdefacunefoisdeplus;çaneferaitque ruiner mon dossier universitaire et l’université de New York est on ne peut plussélective.Çanemedérangepasdefaireunepause,mêmesijevaisdevoirbosserdeuxfoispluspourrattrapermonretard,jevaisutilisercettepausepourtravailleretdécouvrircettevilletentaculairebizarroïde.
Depuis qu’il a quitté la cérémonie de remise des diplômes sans me dire au revoir,Hardinetmoin’avonsquepeudiscuté.Ilm’aenvoyéquelquestextosdetempsentempsetdeuxou troismailsassezcrispés,gaucheset formels.Jen’ai réponduqu’àcertainsd’entreeux.
–Vousavezdesprojetspourleweek-end?JeregardeLandonducoindel’œiletattachemontablierautourdelataille.
–Pasquejesache.Jecroisqu’ilvajustedormiricietpartirlundiaprès-midi.–Ok.Jefaisdeuxservicesaujourd’hui,alorsnem’attendspas.Jenerentreraipasàla
maisonavantdeuxheuresdumatin.Landonsoupire.– J’aimerais vraiment que tu ne travailles pas autant. Tu n’as pas àm’aider à payer
quoiquece soit, j’aiassezd’argentavec lesboursesque j’aiobtenueset tu saisqu’enplusKenneveutpasquejepayegrand-chose.
Je faismonplus gentil sourire à Landonet attachemes cheveux enqueuede chevalbasse,justeau-dessusducoldelachemisenoire.
–Jerefused’avoirencoreunefoiscettediscussionavectoi.Jerentremachemisedansmonpantalond’uniforme.Matenuedetravailn’estpastrophorrible:unechemisenoire,unpantalonnoiretdes
chaussuresnoires.Laseulechosequim’ennuie,c’estcettecravatevertefluoqu’ilfautquejeporte. Ilm’a falludeuxsemainespourm’habituerau look,mais je suis si reconnaissanteàSophiadem’avoirdégotéun jobdeserveusedansunrestaurantchicque lacouleurde lacravaten’apasbeaucoupd’importance.
Elle est chef pâtissière au Lookout, un restaurant ouvert récemment en pleinManhattan,moderne et horsdeprix. Jenememêlepasde son…amitié? avec Landon,surtoutdepuisquej’airencontrésescolocataires,dontl’unequej’avaisdéjàrencontréedansl’ÉtatdeWashington.Landonetmoisemblonssouffrirdumêmesyndrome«l’Amériqueestunvillage».
–Tum’envoiesuntextoquandtupars?Landon attrapemes clés sur le crochet etme les pose dans lamain. J’y consens, lui
assurant que l’arrivée d’Hardin ne va pas me bouleverser et, sur ces bonnes paroles, jedécollepourallerbosser.
Les vingtminutes demarche pour arriver jusqu’àmon travail neme dérangent pas.J’apprendsencoreàmerepérerdanscettegigantesquevilleetchaque foisque jemenoiedanslafouledegenspressés,bizarrement,j’arriveànagerenrythme.Lebruitdesrues,lebrouhaha perpétuel, les sirènes et les klaxons ne m’ont tenue éveillée que la premièresemaine. Maintenant, cet incessant boucan me calme presque, tout comme j’arrive à mefondredanslafoule.
C’estcomplètementdifférentd’observer lesgensàNewYork.Toutlemondesemblesiimportant,genreofficiel,et jem’amuseàdevinerl’histoiredecesgens, làd’oùilsviennentetpourquoiilssontlà.Jenesaispascombiendetempsjeresteraiici;cen’estpasdéfinitif,maispourl’instant,j’aimebien.Pourtantilmemanque,tellement.
Arrête ça. Je dois arrêter de penser comme ça. Je suis heureuse maintenant, il aclairementrefaitsavieetjen’yaipasmaplace.Çameva.Jeveuxjustequ’ilsoitheureux,
c’esttout.J’aiaimélevoiravecsesnouveauxamisàsacérémoniederemisedesdiplômes,j’aiaimélevoirsicalmeetserein,si…heureux.
J’ai juste détesté qu’il s’en aille parce que j’avais mis trop de temps à revenir destoilettes. En fait, j’avais laissé mon téléphone à côté du lavabo et quand je m’en suisaperçue, je suis retournée le chercher,mais il n’était déjà plus là. Ensuite, j’ai passé unedemi-heure à essayer de dénicher le service des objets trouvés ou un gardien qui puissem’aider.Pourfinir,jel’airetrouvéposésurunepoubelle,commesiquelqu’uns’étaitrenducompte qu’il avait pris le mauvais téléphone mais ne s’était pas donné la peine de leremettre à sa place.Quoi qu’il en soit, quand j’ai remis lamaindessus, la batterie était àplat.J’aiessayédetrouverHardinlàoùjel’avaislaissé,maisilétaitparti.Kenm’aditqu’ilavaitquitté les lieuxavec sesamis,et là, j’ai comprisun truc : c’était fini.C’étaitvraimentterminé.
Est-ceque j’aimerais qu’il revienne versmoi ?Bien sûr.Mais il ne l’a pas fait et jenepeuxpaspassermavieàespérerqu’illefasse.
C’estexprèsquej’aidemandéàenchaînerlesservicesceweek-end,pourêtreoccupéeet lemoins longtemps possible à l’appartement. Comme il y a beaucoup de tension entreSophiaet sescolocatairesquipassent leur tempsà sedisputer, je faisdemonmieuxpouréviterdedormirlà-bas,maisjem’yréfugieraisiçadevienttropbizarreavecHardin.Sophiaetmoinoussommesrapprochées,mais jeneveuxpastropmemêlerdesesaffaires.ÉtantamieavecLandon,monpointdevueestbiaiséet jepréfèrenepasentendrelesdétailsdeleur histoire. Surtout si elle se sentait assez à l’aise avec moi pour me parler de leursrelationssexuelles.JetrembleencoredesrévélationsdeKimberlysurlespenchantscoquinsdel’adorableTrevor.
À quelques rues du Lookout, en baissant les yeux sur mon téléphone pour regarderl’heure,jebutepratiquementsurRobert.Iltendlesbrasetm’arrêtepouréviterlacollision.
–AttentionLéon!Bon,tunetrouvespasçadrôle,çarimepourtant,et,et…Ilsouritetajustesacravatevertefluod’ungestecomique.Avecsescheveuxblondsdécoiffésenépis,lacravateluivabienmieuxqu’àmoi.Jeme
demandesijedoisluirappelerqu’Hardinarrive,maisjepréfèremetaire,etnoustraversonsla rue en compagnie d’un groupe d’adolescentes qui gloussent en lui faisant de grandssourires.Jeneleurenveuxpas,ilesttrèsmignon.
–J’aiunpeulatêteailleurs.–Ilarriveaujourd’hui,c’estça?Robertmetientlaporteetj’entredanslerestaurantpeuéclairé.L’intérieurduLookout
est tellement sombre qu’il faut quelques secondes pour que mes yeux s’habituent à lapénombre, particulièrement quand l’après-midi est ensoleillé ou même maintenant, alorsqu’ilestàpeinemidi.Jelesuisdanslasalledupersonnel,jerangemonsacàmaindansunpetitcasieretRobertsontéléphoneportablesurl’étagèreduhaut.
–Oui.Jefermelaporteducasieretm’yadosse.Roberttendlamainpourmetoucherlecoude.–Tusais,çanemeposepasdeproblèmequetumeparlesdelui.Jen’aimepastropce
gars,maistupeuxmeparlerdetoutcequetuveux.– Je sais… Et c’est tellement bien. Je pense juste que ce n’est pas une bonne idée
d’ouvrirlaportedeceplacard.Jel’ailaisséeferméependantsilongtemps.Jerisenespérantêtreplusconvaincantequejenelesuis.Jesorsenpremierdelasalle
dupersonnel,Robertsurmestalons.Ilsouritetlèvelesyeuxverslapendulesurlemur.Sileschiffresnes’affichaientpasen
bleumarinesurunfondrougeluisant,jenepensepasquejeseraiscapabledelirel’heurequ’ilest.Lescouloirssontleszoneslesplussombresdurestaurant,lescuisinesetlasalledupersonnelsontlesdeuxseulesàêtrenormalementéclairées.
Monservicecommencesanshistoireetlesheuress’égrainentrapidementàmesurequelafouledudéjeuners’envaetquecelledudînercommenceàs’installer.J’ensuispresquearrivéeàoublierlavenued’Hardinpendantcinqminutesd’affiléequandRoberts’approchedemoi,l’airvisiblementinquiet.
– Ils sont là. Landon et Hardin. (Robert attrape l’ourlet de son tablier et s’essuie lefront.)Ilsdemandentàêtreassisàl’unedetestables.
Jenepaniquepas comme j’aurais cru le faire.En fait, jehoche simplement la tête etm’avanceversl’entréeencherchantLandon.JeforcemesyeuxànevoirqueLandonetsachemise de bûcheron, pas Hardin. Je scrute avec inquiétude la file d’attente, passant surtouslesvisagesl’unaprèsl’autre:Landonn’estpasparmieux.
–Tess.Unemaintouchemonbras,jesursaute.C’est cette voix, cette voix profonde au si bel accent, que j’ai écoutée dans ma tête
pendantdesmois.–Tessa?Hardinme touche encore ; cette fois, samain entouremon poignet dans un geste si
familier.Je ne veux pas me retourner pour lui faire face, enfin si, j’en ai envie, mais je suis
terrifiée.Jesuisterrifiéeàl’idéedelevoir,devoircevisagegravépourtoujoursdansmonesprit sansy être jamais altéréni effacépar le temps comme je l’auraispourtant cru.Sonvisage,grincheuxetrenfrogné,seratoujoursaussivivacedansmamémoirequelapremièrefoisquejel’aivu.
Je sors rapidementdema transe etme retourne.Dans les quelques secondesque j’aieues pour trouver un plan, j’essaie de croiser le regard de Landon avant celui d’Hardin,maispourquoifaire?
Il est impossible de passer à côté de ce regard, de ces yeux verts si beaux qu’ils nepourrontjamaisêtreégalés.
Hardinmesouritetjeresteplantéelà,incapabledeparlerpendantquelquessecondes.Ilfautquejemereprenne.
–Salut.–Salut.–Hardinvoulaitvenirici.J’entends la voix de Landon, mais mes yeux ne veulent pas collaborer avec mon
cerveau. Hardin me regarde comme avant, ses doigts pressent toujours la peau de monpoignet.Jedevraism’écarteravantquemonpoulsnetrahissemaréactiondelevoiraprèstroismoisd’absence.
–Nousnerestonspassituesoccupée.–Non,c’estbon.Vraiment.JesaiscequeLandonpense.Jesaisquemonmeilleuramiculpabilise,qu’il s’inquiète
quelaprésenced’HardinicibriselanouvelleTessa.LaTessaquirigoleetfaitdesblagues,laTessaquis’assume,mêmesic’estavecunetêtedemule.Maisçan’arriverapas.Jesaisoùj’ensuis,jemecontrôle,jesuisposéeetcalme.Absolument.
Je dégage mon poignet de la douce étreinte d’Hardin et attrape deux menus surl’étagère. Un petit signe à l’hôtesse d’accueil, Kelsey, pour lui faire savoir que je vaisconduirecesdeuxclientsàleurtable.
–Tutravaillesicidepuiscombiendetemps?Hardinmesuit. Ilest toujourshabilléde lamêmemanière,avec lemêmet-shirtnoir,
lesmêmes bottes, lemême jeanmoulant noir,même si celui-ci est légèrement déchiré augenou. Je doisme rappeler qu’il n’y a que quelquesmois que j’ai quitté lamaison demamère.J’ail’impressionqueçafaitbienpluslongtemps,desannéesmême.
–Seulementtroissemaines.–Landonditquetuascommencéàmidiaujourd’hui?Jehoche la tête. Je leurdésigneunepetite table isoléecontre lemurnoir,Hardin se
glissed’uncôtéetLandondel’autre.–Quandest-cequetusorsavectacravate?Sortiravecmacravate?Est-cequ’il faitdesallusions?Après toutce temps, jen’ensais
rien.Est-cequej’enaienvie?Çanonplus,jen’ensaisrien.–Lerestaurantfermeàuneheure,alorsjerentreàlamaisonversdeuxheuresquand
jefaisceservice-là.–Àdeuxheuresdumatin?Ilenrestepositivementbouchebée.Je pose lesmenus devant eux etHardinm’attrape encore le poignet. Cette fois-ci, je
reculecommesijeneremarquaispassesintentions.
–Oui,lematin.Ellefaitceshoraires-làpratiquementtouslesjours.Je lanceun regardd’avertissementàLandon, regrettantqu’iln’aitpasgardéçapour
lui,etmedemandantpourquoijepenseuntrucpareil.Lenombred’heuresquejepasseicinedevraitpasavoird’importancepourHardin.
Puisiln’ajouteplusgrand-chose.Ilregardelemenu,désignelesraviolisàl’agneauetcommande de l’eau. Landon passe sa commande habituelle etme demande si Sophia estoccupéeencuisine,megratifiantdequelquessouriresambiance«jesuisdésolé».
Latablesuivantem’occupebien.Laclienteestivreetjen’arrivepasàsavoircequ’elleveut manger ; son mari est trop occupé par son téléphone pour y prêter la moindreattention. En fait, je suis plutôt soulagée que cette femme soit soûle, qu’elle renvoie sonassiettetroisfois;çamepermetdenepasseràlatabledeLandonetHardinqu’uneseulefoispourremplacerleurcarafed’eauetreprendreleursassiettes.
Fidèle à elle-même,Sophia apris leur addition. Fidèle à lui-même,Hardinm’a laisséunpourboireridicule.Etfidèleàmoi-même,j’aiforcéLandonàleprendrepourlerendreàHardinquandilsrentrerontàl’appartement.
67
Hardin
Je balanceunbon vieux «merde » enmarchant sur un truc enplastique,mais pas trop
fort, car je suis certain qu’on entend tout dans cet appartement, un appartement qui,n’ayantquepeude fenêtres,estbien tropsombrepouryvoirquoiquecesoit. Il fautquej’essaiedemesouvenirducheminderetourentrelaminusculesalledebainsetlecanapé.Voilà ce que je récolte d’avoir bu toute cette flotte au restaurant en espérant que Tessapasse plus souvent nous apporter des carafes d’eau. Ça n’a pas fonctionné et un autreserveur est passé à sa place. En revanche, j’ai gagnéune énorme envie de pisser toute lanuit.
Dormirsur lecanapésachantque leplacardàbalaisquisertdechambreàTessaestvide,çamerendtaré.Jedétestesavoirqu’ellemarchetouteseuledanslarueaumilieudelanuit,putain.Etj’aiengueuléLandondeluiavoirdonnélapluspetite«chambre»,maisilmejurequeTessarefusedechanger.
Vacomprendre.Çanem’étonnepasdutoutqu’ellesoittoujoursaussientêtée.Comme,parexemple,quandelletravaillejusqu’àdeuxheuresdumatinetrentreàpiedàlamaisontouteseule.
J’auraisdûpenseràçaplustôt.J’auraisdûêtreàlaportedecerestauridiculepourlaraccompagner. Je chopemon téléphone sur le canapé et regarde l’heure. Il n’est qu’uneheuredumatin.Jepeuxprendreuntaxietyêtreencinqminutes.
Unquartd’heureplustard,etmalgrél’impossibilitédetrouveruntaxi,parcequec’estvendredisoir, j’imagine, jesuisdevant le lieude travaildeTessaet je l’attends.Jedevraisluienvoyeruntexto,mais jeneveuxpas lui laisser l’opportunitéderefuser,d’autantplusquejesuisdéjàlà.
Desgenspassentdanslarue,surtoutdeshommes,cequimefaitstresserencoreplusàl’idéequ’ellerentreseulesi tard.Jeme lancedans l’analysedesparamètresdesasécuritélorsquej’entendsquelqu’unrire.C’estelle.
Les portes du restaurant s’ouvrent et elle sort en riant, unemain sur la bouche. Unhomme est à côté d’elle, il lui tient la porte. J’ai l’impression de l’avoir déjà vu, genrevraiment déjà vu… Putain, mais c’est qui ce type ? Je suis sûr que j’ai déjà croisé ce mecquelquepart,maisjen’arrivepasàmesouvenir…
C’est le serveur.Le serveurdece restaurantàcôtéde lamaisondevacancesdemonpère.
Putain,maiscommentc’estpossible?Qu’est-cequ’ilfoutàNewYorkcemec,merde?Tessasepencheverslui,toujoursenriant,maisquandjem’avanced’unpaspoursortir
del’ombre,sonregardcroiseimmédiatementlemien.–Hardin?Qu’est-cequetufaislà?Tum’asfoutuunetrouillebleue!Je le regarde, puis je me tourne vers elle. Des mois à faire du sport pour me
débarrasserdemacolère,desmoisàdiredelamerdeauDocteurTranpourcontrôlermesémotions, ne m’ont pas préparé à ça, de toute façon je ne pourrai jamais m’y préparer.L’idée m’a traversé la tête de temps en temps, Tessa avec un petit ami, mais je nem’attendaispas,jen’étaispréparéàavoiràaffronterlasituation.
Aussinonchalammentquepossible,jehausselesépaules.–Jesuisvenum’assurerqueturentreraissansproblème.Tessaetlemecseregardentsilencieusement.–Envoie-moiunmessagequandtuarrivesàlamaison.Illuicaresselamainavantdepartir.Tessaleregardes’éloigner,puissetourneversmoiavecunsourire…pasdésagréable.–Jevaisappeleruntaxi.Jepoursuismondialogueintérieur.Àquoiavais-jelatête?Jecroyaisvraimentqu’elle
allaittrouverunesolutionànotremerdier?Ouais,jecroisbienqueoui.–D’habitude,jemarche.–Tumarches?Touteseule?Jeregretted’avoirposélasecondequestionàl’instantoùlesmotsquittentmeslèvres.
Jelaissepassertroissecondes.–Ilteraccompagneàlamaison?–Seulementquandnoussommesdumêmeservice.–Voussortezdepuiscombiendetempsensemble?–Quoi?Elle s’arrête avant même que nous ayons atteint le coin de la rue et me répond en
fronçantlessourcils:–Onnesortpasensemble.
–Ondiraitbienquesi.Jefaisdemonmieuxpournepasfairemonconnardquiboude.–Cen’estpaslecas.Nouspassonsdutempsensemble,maisjenesorsavecpersonne.J’essaiedesavoir,enlaregardant,sielleditlavérité.–Ilenaenvie.Lafaçondontilt’atouchélamain.–Ehbien,cen’estpaslecas.Pasencore.Elle regarde sespiedsavecattentionetnous traversons la rue. Iln’yapasautantde
mondequetoutàl’heure,loindelà,maislesruesnesontpasvraimentdésertes.–Pasencore?Tun’essortieavecpersonne?Jeregardeleprimeuràcôtéquiremballesesfruitspourlanuitenpriantpourqu’elle
répondecequejeveuxbienentendre.–Non,jen’aipasl’intentiondesortiravecquiquecesoitpourunboutdetemps.Jesenssonregardseportersurmoi.–Ettoi?Tusorsavecquelqu’un?Jen’aipasdemotspourdécrire lasensationdesoulagementquandellem’aannoncé
qu’ellenesortaitavecpersonne.Jemetourneverselleavecunsourire.–Non,jenesorsavecpersonne.Etellesouritàsontour.–J’aidéjàentenduçaquelquepart.–Jesuisplutôtconservateurcommemec,tut’ensouviens?Elleritmaisnerebonditpassurmaremarque.Nouscontinuonsàmarcher.Ilfautque
jeluiparledeçad’ailleurs,derentreràpieddutravailsitard.J’aipassémesnuitsetmessemaines à essayer d’imaginer sa vie ici. La découvrir serveuse dans un restaurant,déambulanttouteseulelanuitàNewYork,nem’avaitjamaistraversél’esprit.
–Pourquoitravailles-tudansunrestaurant?–C’estSophiaquim’atrouvécejob.C’estvraimentsympacommeendroitetjemefais
plusd’argentquetunepourraislecroire.–Plusd’argentqu’entravaillantchezVance?Jeluiposelaquestion,maisjeconnaislaréponse.–Çanem’ennuiepas.Çam’occupe.–Vancem’aditquetuneluiavaismêmepasdemandédelettrederecommandation,
ettusaisqu’ilprojetted’ouvrirundépartementiciaussi.Ellealeregardperdudanslevague,semblantobserverletrafic.–Jesais,maisjeveuxréussirparmoi-même.J’aimemonboulotpourl’instant,jusqu’à
cequejepuisseentreràNYU.Jesuisincapabledecachermasurprise.–Tun’aspasencoreintégréNYU?
Pourquoi personne ne m’a-t-il rien dit de tout ça ? Je force Landon à me donner desnouvelles de la vie de Tessa, mais apparemment, il choisit de laisser de côté les trucsimportants.
–Non,maisj’espèreyentrerauprochainsemestre.(Ellemetlamaindanssonsacpourensortiruntrousseaudeclés.)Lesdateslimitesd’inscriptionétaienttoutesdépassées.
–Çanet’emmerdepas?Jesuissurprisdel’entendreaussicalme.–Non,jen’aiquedix-neufans.Toutsepasserabien.(Moncœurs’arrête.)Cen’estpas
idéal,maisj’ailetempsdemerattraper.Jepourraistoujourscumulerlesheuresdecoursetpeut-êtremêmefinirparêtrediplôméeenavance,commetoi.
Jenesaispasquoirépondreàça…Tessacalme,quitransige,Tessasansplanenbétonarmé…maisjesuistellementheureuxd’êtreprèsd’elle.
–Ouais,c’estvraiquetupourrais…Avant que je puisse finir ma phrase, un homme surgit devant nous. Son visage est
recouvertdesaletéetd’uneénormemoustache.Instinctivement,jepassedevantTessa.–Salut,majolie.Jepassedeparanoïaqueàprotecteuretmeredressedetoutemahauteurenattendant
quececonnardtenteuntruc.–Salut,Joe.Çavacesoir?Tessamefaitgentimentdégageretsortunpetittrucdesonsacàmain.–Çava,mabelle.(Toutsourires,l’hommetendlamain.)Qu’est-cequetum’asapporté
cettefois-ci?Jemeforceàreculer,maispasloin.–Desfritesetlesmini-hamburgersquetuaimestant.L’hommerépondparunsourireausien,avantd’ouvrirlesacenpapierqu’elleluitend
etdeleporteràsonvisagepourensentirlecontenu.–Tuestropbonnepourmoi.Ilenfonceunemaincrasseusedanslesac,ensortunepoignéedefritesqu’ilenfourne
aussitôt.–T’enveux?Ilnousregardetouràtour,desfritespleinlabouche.–Non.Profitedetondîner,Joe.Jeteverraidemain.Elleme fait signede la suivre au coinde la rueoùelle compose le codepour entrer
dansl’immeubledeLandon.–Commentconnais-tucetype?Elles’arrêteaumilieudelarangéedeboîtesauxlettresdansl’entréeetouvrelasienne
pendantquej’attendssaréponse.
–Ilhabitelà,àcecoinderue.Ilyesttouslessoirs,alorsquandnousavonsdesrestesencuisine,j’essaiedeluienrapporter.
–Çan’estpasdangereux?Jeregardederrièremoienremontantlehalld’entréedésert.–Dedonneràmangeràquelqu’un?Non.Jenesuisplusaussifragilequejel’étais.Ellemefaitunvraisourire,ellenes’estpassentieoffenséeparmaquestionet,moi,je
nesaisplusquoidire.Dans l’appartement, Tessa se déchausse et retire sa cravate. Je ne me suis pas trop
autorisé à la reluquer. J’essaie de garder mes yeux sur son visage, ses cheveux, putain,même sur ses oreilles, mais là, en la voyant déboutonner sa chemise noire, révélant undébardeur, je suis distrait et je n’arrive pas àme rappeler pourquoi j’évitais de lamater.Putain, son corps est plus que parfait, j’en salive, et je fantasme sur la courbe de seshanches.
Ellevadanslacuisineetmeparlepar-dessussonépaule.–Jevaismecoucher,jeprendsmonservicetôtdemain.Jem’approched’elleetattendsqu’ellefinissesonverred’eau.–Tutravaillesdemainaussi?–Oui,toutelajournée.–Pourquoi?Ellesoupire.–Ehbien,j’aidesfacturesàpayer.Ellement.–Et?Elleessuieleplandetravailavecsamainpendantuneminute.–Etpeut-êtrequej’essayaisdet’éviter.–Tum’asévitéassezlongtemps,tunecroispas?Elledéglutit.–Jenet’évitaispas.Tun’essayaispresqueplusdemeparler.–Ça,c’estparcequetum’évitais.Ellepassedevantmoiendéfaisantsaqueuedecheval.–Jenesavaispasquoidire.Çam’afaitplutôtmalquandtuespartidetacérémonie
deremisedesdiplômeset…–Tuespartie.Pasmoi.–Quoi?Elles’arrêtenetetseretourne.–Tuespartiedelacérémonie.Jen’aiquittéleslieuxqu’aprèst’avoircherchéependant
unedemi-heure.Elleal’airoutré.
–Jet’aicherchétoi.Jel’aifait.Jeneseraisjamaispartiecommeçad’untelévénement.–Ok,ehbien, j’ai lesouvenird’unetoutautrehistoiredemoncôté,maisçanesertà
riendenousdisputeràcesujet.Ellebaisselesyeux,ellesembleêtred’accordavecmoi.–Tuasraison.Elleseremplitunnouveauverred’eauetenboitunepetitegorgée.–Regarde-nous,onn’estpasmignonsàéviterdenousdisputer?Ellesouritquandjelataquine,s’accoudeauplandetravailetfermelerobinet.–Etmerde.–Etmerde.Nousrionstouslesdeuxencontinuantdenousregarder.–Cen’estpasaussibizarrequejelecraignais.Tessaessaiederetirersontablier,maisellebutesurlenœud.–Besoind’uncoupdemain?–Non.Ellem’arépondutropviteettireànouveausurlescordons.–Tuessûre?Aprèsquelquesminutesàsedébattre,ellemejetteunregardnoirpuissetournepour
me donner accès à son dos. En quelques secondes, j’ai défait le nœud et elle compte sespourboires.
–Pourquoin’essaies-tupasde faireunnouveau stage ?Tumérites bienmieuxqu’unjobdeserveuse.
– Iln’yariendemalàêtreserveuseetcen’estpasunbutensoi.Çanemedérangepaset…
–Etparcequetuneveuxpasdemanderd’aideàVance.Elleécarquillelesyeux.Jesecouelatêteetrepoussemescheveuxenarrièreavantde
poursuivre:–Tufaiscommesijeneteconnaissaispas,Tess.–Iln’yapasqueça; j’aimeneriendevoiràd’autresquemoi-même, c’estmon job. Il
faudraitdemanderdesacréesfaveursàdenombreusespersonnespourobtenirunstageici.Jenesuismêmepasinscriteàl’université,pourplusieursmoisencore.
–Sophiat’aaidéeàavoirceboulot.Jeneveuxpasêtrecruel,maisjustel’entendremedirelavérité.Jecontinue.–Cequetuvoulaisvraiment,c’estquelquechosequinemesoitpasrelié.J’airaison?Elleprendquelquesinspirationsetregardepartoutautourdelapièce,saufversmoi.–Oui,c’estça.Nous restons là, calmement, trop près l’un de l’autre et pourtant trop éloignés dans
cette petite cuisine. Au bout de quelques secondes, elle se redresse, attrape son tablier et
sonverred’eauetannonce:–Jedoisallermecoucher.Jetravailletoutelajournéedemainetilsefaittard.–Appellepourdirequetuesmalade.Jeluisuggèreçacommeça,mêmesienfait,j’aienviedel’exiger.–Jenepeuxpasfaireça.–Maissi.–Jen’aijamaisloupéunjourdetravail.– Tu n’es là que depuis trois semaines, tu n’as pas encore eu le temps de sécher et,
sérieux,c’estcequefontlesgenslesamediàNewYork.Ilsappellentleurboulotpourdirequ’ilsserontabsentsetpassentleurjournéeenmeilleurecompagnie.
Ellesourit,seslèvrespleinesontunairjoueur.–Etlameilleurecompagnie,c’esttoi?–Biensûr.Ellememateunpeuet jevoisbienqu’ellepensesérieusementàprendreune journée
derepos.–Non,jenepeuxpas.Jesuisdésolée.Jenepeuxvraimentpas.Jenepeuxpasrisquer
dedéstabiliserleservice.Çamemettraitenmauvaisepostureetj’aibesoindeceboulot.Ellefroncelessourcils,cen’estpluslajoiequ’onlitsursonvisage,cen’estplusquede
laréflexionsuperflue.Jesuisàdeuxdoigtsde luidirequ’ellen’apasvraimentbesoindece job,quetoutce
qu’elleaàfaire,c’estremballersonmerdieretreveniràSeattleavecmoi,maisjememordsla langue pourm’empêcher de parler. LeDocteurTrandit que le contrôle est un facteurnégatif dans notre relation et que « j’ai besoin de trouver l’équilibre entre contrôle etconseil».
Ilmefaitvraimentchier,leDocteurTran.–Jecomprends.Jehausselesépaules,maismentalement,j’engueulelebondocteurcommedupoisson
pourriavantdesourireàTessa.–Jevaistelaisserallertecoucher,alors.Sur cesmots, elle tourne les talonset retournedans sa chambre-placard,me laissant
seuldanslacuisine,puisseulsurlecanapé,puisseulfaceàmesrêvesd’avenir.
68
Tessa
Lavoixd’Hardintranspercemesrêves,hauteetintelligible,ilmesupplied’arrêter.
Mesupplierd’arrêter?Pourquoi…J’ouvrelesyeuxtoutenm’asseyantsurmonlit.J’entendsdenouveaucebruit.–Stop!Il me faut unmoment pour me rendre compte que je ne suis pas dans l’un de mes
rêves,maisquej’entendsbeletbienlavoixd’Hardin.Jemeprécipitehorsdema chambrepour courir dans le salonoùHardindort sur le
canapé. Ilnehurlepasensedébattantdans lesdrapscommeavant,maissavoixestunesuppliquelorsqu’ildit:«S’ilvousplaît,arrêtez!»J’enailecœurquisaigne.
–Hardin,réveille-toi.S’ilteplaît,réveille-toi.Calmement,jepasselamainsursonépaulemoite.Il ouvre les yeux et sesmains viennent touchermon visage. Désorienté, il s’assied et
m’attiresursesgenoux.Jenemedébatspas,jenelepourraismêmepas.Des secondes silencieuses s’écoulent avantqu’il ne repose sa tête surmapoitrine. J’ai
malpourlui.–Çaarrivesouvent?– Seulementune à deux fois par semaine en gros.Maintenant, je prendsdes cachets
pourlesmaîtriser,maislessoirscommecelui-ci,ilétaittroptardpourlesprendre.–Jesuisdésolée.Je me force à oublier que nous ne nous sommes pas vus depuis des mois. Je ne
m’appesantis pas sur le fait que nous en soyons déjà à nous toucher. Jem’en fiche, je nem’empêcheraijamaisdeleréconforter,peuimportentlescirconstances.
–Nelesoispas.Jevaisbien.Jesuisdésolédet’avoirréveillée.
Ilenfouitsonvisagedansmoncouetpassesesbrasautourdemataille.–Nelesoispas.Jemerencognedanslecoinducanapé.–Tum’asmanqué.Il bâille etme serre encoreplus contre son cœur. Il se rallonge enm’entraînant avec
lui,etjelelaissefaire.–Toiaussi.Je sens ses lèvres se poser sur mon front, je frissonne en savourant la chaleur et la
sensationsifamilièresurmapeau.Çanemeparaîtpaslogiquequecesoitaussifacile,aussinatureldemeretrouverdanslesbrasd’Hardin.
–J’aimequecesoitsiréel.Çanechangerajamais,tulesais,ça?Essayantdedonnerunsemblantdecohérenceànotreéchange,jeluiréponds:–Nousavonsdesviesdifférentes,maintenant.–J’attendstoujoursquetut’enrendescompte,c’esttout.–Quejemerendecomptedequoi?Comme il ne répond pas, je le regarde, mais ses yeux sont fermés et ses lèvres
entrouvertesdanslesommeil.
Jemeréveilleausondelacafetièrequisonnedanslacuisine.Levisaged’Hardinestlapremièrechosequejevoisetjenesuispastropsûredesavoircequeçamefait.
Jedétachemoncorpsdusien,retiresesbrasdematailleetmedandinepourréussiràmelever.Landonsortdelacuisine,unetassedecaféàlamain,unsourirequinetrompepasauxlèvres.
–Quoi?Jen’aipartagéde litnidecanapéavecpersonnedepuisHardin.Unenuit,Robertest
restéàlamaisoncarils’étaitenferméàl’extérieurdesonappartement,maisiladormisurlecanapéetmoidansmonlit.
–Rrrrrrien.Le sourirede Landon s’élargit et il essaiede le cacher enbuvantune gorgéede café
fumant.Jelèvelesyeuxaucieletréprimeunsourireenallantdansmachambrecherchermon
téléphone.Panique:ilestonzeheuresetdemie.Jen’aijamaisdormiaussitarddepuisquej’aiemménagéici,etmaintenantjen’aimêmepasletempsdeprendreunedoucheavantdepartirtravailler.
Jemeverseunetassedecaféetlametàrefroidirdanslecongélateurpendantquejeme brosse les dents,me débarbouille, puism’habille en vitesse. Je suis devenue accro aucaféfrappé,mais jedétestepayerunefortunepouracheterdeuxglaçonsdansuncafé.Lemienalemêmegoût.Landonestd’accord.
Hardindortencorequandjeparsetjemeretrouvepenchéesurlui,prêteàl’embrasser
avantdepartir.Heureusement,Landonentredanslesalonaubonmoment,mettantfinàmoncomportementdefollefurieuse.Qu’est-cequinevapaschezmoi?
Enchemin,jesuisassailliedesouvenirsd’Hardin:lamanièredontils’estendormidansmesbras,àquelpointc’étaitréconfortantdemeréveillerdanslessiens.Jesuisperturbée,commed’habitudequandjelecroise,etjedoisaccélérerpourarriveràl’heureautravail.
Quand j’entre dans la salle du personnel, Robert est déjà là, il ouvre mon casierlorsqu’ilmevoitarriver.
–Jesuisàlabourre,ilss’ensontaperçus?Jemeprécipitepourrangermonsacetfermerlecasier.–Non,tun’asquecinqminutesderetard.Comments’estpasséetanuit?Sesyeuxbleusbrillentd’unecuriositéàpeinemasquée.Jehausselesépaules.–Çaallait.JeconnaislessentimentsdeRobertàmonégardetcen’estpasjustedemapartdelui
parlerd’Hardin,qu’ilm’encourageàlefaireoupas.–Çaallait,hein?–Mieuxquejenel’auraiscru.Ilvautmieuxmecantonneràdesréponsescourtes.– C’est bon, Tessa. Je sais ce que tu ressens pour lui. Je l’ai su le jour où je t’ai
rencontrée.Je suis tout émuemaintenant, je regrettequeRobert soit si gentil et qu’Hardin soit à
New York pour le week-end, puis je change d’idée et regrette qu’il ne reste pas pluslongtemps.Robertnemeposepasd’autrequestionetnoussommessioccupésaujourd’huiquejen’ailetempsdepenseràriend’autrequ’àservirdesboissonsetdesassiettesjusqu’àune heure du matin. Même mes pauses passent trop vite, ne me laissant que le tempsd’avaleruneassiettedeboulettesdeviandeetunboutdefromage.
Quandvientl’heuredelafermeture,jesuisladernièreàsortir.J’aiassuréàRobertquetoutiraitbienetilestpartiplustôtboiredescoupsaveclesautresserveurs.Detoutefaçon,j’ail’impressionqu’àl’instantoùjesortiraidurestaurant,Hardinseralààm’attendre.
69
Tessa
Et j’ai vu juste. Hardin est là, adossé au mur recouvert d’une copie d’un pochoir à la
Banksy.–Tunem’avaispasditqueDelilahetSamanthaétaientlescolocatairesdeSophia.Sonsourire,celuioùilplisselenez,setermineenunfrissondetoutsoncorps.–Ouais,c’estlebordel.Surtoutqu’ellesnes’appellentpascommeça,ettulesaisbien.Hardinéclatederire.–Maisc’estbon,ça.C’étaittellementimprobable.Çasorttoutdroitd’unetelenovela à
lacon!Secouéederire,ilportelamainàsoncœur.–Àquiledis-tu?Moi, jedoismetaperça.Maisbon,pauvreLandon,tuauraisvusa
têtequandilestalléboireunverreavecSophiaetsesamiesunsoiretqu’ils’enestrenducompte.Ilenestpresquetombédesachaise.
–C’esttrop.Hardinétouffeunpetitrire.–Netemarrepasdevantlui;iladumalàgérerlasituationavecelles.–Ouais,ouais.J’imagine.Hardinricane.À cemoment, le vent se lève et ses longs cheveux semettent à voler autour de son
visage. Je ne peux pas m’empêcher de le lui faire remarquer et d’en rire. C’est moinsdangereuxquel’autrepossibilité:luidemanderlesraisonsdesavenue.
–Mescheveuxsontpluscool commeçaet çadonnequelquechoseaux femmespours’agripper.
Bon,ilmetaquine,maissesmotsmefontunedrôledepiqûreaucœur.
–Oh.Préférant lui cacher que j’ai la tête qui tourne, que çame rend triste de penser que
quelqu’und’autrepourraitletoucher,jerisaveclui.–Hé!Et, comme si nous étions tout seuls sur le trottoir, il se rapproche etme fait pivoter
pourquejeleregarde.–C’étaituneblague.Ok,uneblagueàlacon.–C’estbon,toutvabien.Je lui souris en rattrapantmes cheveux, qui sont eux aussi balayés par le vent dans
touslessens.–Que tu sois très indépendanteetassezcourageusepourcopineravecdesSDF, soit,
maistuestoujoursaussinullepourmentir.Ilvoitclairdansmonjeu,maisj’essaiedegarderdelalégèretéànotreconversation.–NecommencepasavecJoe.C’estmonpote.Jeluitirelalangueaumomentoùnouspassonsdevantuncouplequisepelotesurun
banc.–Cinqballesqu’ilasamainsoussajupedansmoinsdedeuxminutes!Ilfaitexprèsdeparlerassezfortpourqu’ilsl’entendent.Pourjouer,jeluidonneunepetitetapesurl’épauleetilenprofitepourpassersonbras
autourdemataille.–Nesoispassicâline,ouJoevaseposerdesquestions!Jehausseplusieursfoislessourcils,Hardinéclatederire.–C’estquoitontrucaveclesSDF?Jepenseàmonpèreetmonrires’arrêtenet.–Merde,cen’estpascequejevoulaisdire.Jetendslamainversluienluisouriant.–Non, c’est bon. T’inquiète. Espérons simplement que Joe ne se révèle pas êtremon
oncle.Hardinmeregardecommesijem’étaisfaitpousserdesyeuxenplus.Jepoursuis:– Tout va bien ! Je peux encaisser les blagues maintenant. J’ai appris à ne pas me
prendretropausérieux.CetterévélationsembleluiplaireetilsouritmêmeàJoequandjeluitendsunsacavec
desrestesdepoissonetdecroquettesdecrabe.
L’appartement est plongé dans le noir. Il est très probable que Landon soit couchédepuisplusieursheures.
CommeHardinmesuitdanslacuisine,jeluidemande:–Tuasmangé?Ils’assiedàlapetitetablepourdeuxetposesescoudesdessus.
– En fait, non. Je n’ai pas mangé. J’avais tiré ce sac de bouffe, mais Joe a été plusrapidequemoi!
–Tuveuxquejetefasseuntruc?Moiaussi,j’aifaim.Vingtminutesplustard,jetrempemondoigtdanslasauceàlavodkapourlatester.Derrièremoi,Hardinaunpetitsouriresatisfait.–Tuvaspartager?Ceneseraitpaslapremièrefoisquejelèchequelquechosesurton
doigt.Leglaçageétaitl’undemesparfumsdeTessapréférés.–Tutesouviensdeça?Jeluiproposelasaucesurunecuillère.–Jemesouviensdetout,Tessa.Enfin,detoutquandj’étaissobreetpasdéfoncé.Son sourire taquin disparaît. Je trempe mon doigt dans la sauce pour la lui faire
goûter.Çamarcheplutôtbien,sonsourirerevient.Sa languesurmondoigtest chaude, ilplongesonregarddans lemienen léchant la
sauce jusqu’aubout.Mêmequand iln’enresteplus, ilaspiremondoigtentreses lèvresetcontinuedelesucer.
Mondoigttoujourssurseslèvres,ilmedit:–Jevoulaisteparlerd’untruc.Àproposdecequetudisaissurmessouvenirs.Maislemouvementdeseslèvressidoucessurmapeaumedistrait.–Maintenant?–Àunmomentouunautre,pasnécessairementcesoir.Salanguemouilleleboutdemonmajeur.–Qu’est-cequetufais?–Tum’astropposécettequestion.Ilsouritpuisselève.–Onnes’estpasvusdepuissilongtemps.Cen’estpasunebonneidée.Jen’enpensepaslemoindremot.–Tum’asmanquéet j’attendaisde temanquerà toi aussi. (Samain suitmahanche,
surletissudemachemised’uniforme.)Jen’aimepastevoirtoutennoir.Çanetevapas.Ilpenchelatêtepourfrôlermonmentondesonnez.Maladroitement,mesdoigtsessaientdedéboutonnermachemise,mais ilsglissent sur
lespetitsboutonsdeplastique.–Jesuiscontentequetoi,tunetesoispaspointéicivêtud’uneautrecouleur.Ilsouritcontremajoue.–Jen’aipasbeaucoupchangé,Tess.J’aijustevuquelquesmédecinsetj’aiforcésurle
sport.–Tuneboistoujourspas?Jelaissetombermachemiseparterrederrièrenousetilmepoussedansuncoin.
–Si,unpeu.Généralementduvinoudelabièrelégère.Maisnon,jenedescendsplusdebouteilledevodkaculsec.
Ma peau s’embrase, mon cerveau essaie péniblement de savoir comment on en estarrivéslà,tantdemoisaprès,etmesmainsattendentlapermissiondeluiretirersont-shirt.Ilsembleliredansmespensées,prendmesmainsdanslessiennesetlespassentsouslefintissu.
–Noussommesenpleindanslemoisdel’anniversairedenotrerencontre,tulesais?Ilenlèvesont-shirt,cequimepermetd’apprécierlavuedesontorsenu.Je l’observe, à la recherche de nouveaux tatouages, et je suis contente de ne trouver
quedesfeuilles,dulierre,jecroisqu’Hardinaditça.Àmesyeux,ondiraitdesfeuillestoutesbizarres,petitesetavecdelonguestigesquis’enroulent.
–Onn’apasdemoisd’anniversairederencontre,t’esungrandmalade.Un peu gênée, j’essaie d’observer son dos et quand il comprend mon manège, il se
retourne.–Maissi.Regarde,iln’yatoujoursqueletiensurmondos.Jerestescotchéedevantlesmusclesquisesontdéveloppéssursesépaulesetdansson
dos.J’ailabouchesèche.–Tum’envoisravie.Leregardfranchementamusé,ilmedemande:–Est-cequemapetitefolles’estfaittatouer?–Non.Ilreculeversleplandetravailentendantlamainversmoi.–Tuesd’accordpourquejetetouchecommeça?–Oui.C’estmabouchequirépondavantquemoncerveaun’aiteuletempsderéagir.D’unemain,ilsuitleborddudécolletédemondébardeur.–Etcommeça?Jehochelatête.Moncœurbatsifortquejesuiscertainequ’ill’entendcognercontremapoitrine.Jeme
senssibien,sivivanteetconsciente,siexcitéedelesentirmetoucher.Çafaitsilongtempsetilestlà,faceàmoi,àmedireetmefairedeschosesquej’aimetant.Saufquecettefois-ci,ilestplusprudent,pluspatient.
–J’aieutellementbesoindetoi,Tess.Sa bouche est à quelques centimètres de la mienne, ses doigts dessinent de petits
cercles sur la peau demon épaule dénudée. Je suis ivre de lui et ne peux penser à riend’autre.
Quandses lèvres seposent sur lesmiennes, je replonge. Je retournedanscetendroitoù seulHardin existe, où il n’y a que sesmains surma peau, ses lèvres qui caressent les
miennes, ses dents qui mordillent le coin de ma bouche et le doux gémissement quis’échappedesagorgequandjedéboutonnesonjean.
–Est-cequetuessaiesdem’utiliserpourt’envoyerenl’airencoreunefois?Il souritenm’embrassant,poussantsa languecontre lamiennepourque jenepuisse
pasrépondre.–Jeblague.Ilpressesoncorpscontrelemien.Mesbraspassentautourdesoncouetmesdoigtsseperdentdanssescheveux.–Sijen’étaispasungentleman,jetebaiseraisici,directsurleplandetravail.Sesmains se saisissentdemesdeux seins, sesdoigts font tomber lesbretellesdemon
soutien-gorgeetdemondébardeur.– Je te poserais là, je ferais glisser ce monstrueux pantalon le long de tes jambes,
j’écarteraistescuissesetjeteprendraiscommeça.–Tuastoujoursditquetun’étaispasungentleman.–J’aichangéd’avis.Maintenant,jesuisundemi-gentleman.Jesuistellementpartiequejecommenceàmedirequejepourraisbienprendrefeuet
mettreleboxon,là,aubeaumilieudelacuisine.D’ungeste,jefaistombersonboxer.–Putain,Tess.–Undemi-gentleman?Qu’est-cequeçaveutdire?Sesmainsdescendentsouslaceinturedemonpantalon,m’arrachantungémissement.–Çaveutdirequepeuimporteàquelpointj’aienviedetoi,àquelpointj’aienviedete
baisersurceplandetravail,àt’enfairecriermonnompourquetoutlequartiersachequitefaitjouir…(ilsuçotelapeautoutlelongdemoncou)…jeneteferairienjusqu’aujouroùtuaccepterasdem’épouser.
Mesmainss’immobilisentimmédiatement,l’unesursafesse,l’autredanssondos.–Quoi?–Tum’asbienentendu.Jenetebaiseraipastantquetunetemarieraspasavecmoi.–Tun’espassérieux?Pitié,faitesqu’ilnesoitpassérieux!Cen’estpaspossible,çafaitdesmoisqu’onseparleà
peine.Ilsefoutdemoi.Non?–C’estloind’êtreuneblague.Sérieux.Ses yeux pétillent de joie, mais je suis si frustrée que je commence à taper du pied
contrelecarrelage.–Maisnousne…onn’amêmepas…Jerassemblemescheveuxd’unemainetessaiedecomprendrecequ’ilm’adit.– Oh ! tu ne croyais tout de même pas que j’abandonnerais aussi facilement ? (Il
s’approchepourembrassermajouebrûlante.)Tunemeconnaisdoncpas?
Son sourire me donne envie de lui retourner une baffe et de l’embrasser en mêmetemps.
–Maistuasabandonné.–Non, je t’ai donnéde l’espace, comme tum’y as forcé. J’ai confiance en ton amour
pourmoiquiteferarevenirdanslevraiunjour.(Ilarqueunsourcil,affichantdenouveaucesourireetcettefossettediabolique.)Maisputain,ilt’enfautdutemps.
C’estquoicemerdier?–Mais…Jesuislittéralementàcourtdemots.–Tuvastefairemal.Ilritetmecaresselajoued’ungestedelamain.–Est-cequetuveuxencoredormiravecmoisurlecanapé?Ouest-cequelatentation
seraittropgrandepourtoi?Je rigole et le suis dans le salon, essayant de comprendre comment tout ça pourrait
finir, pour lui comme pour moi. Il y a tant de choses dont nous devons parler, tant dequestionsàposer,tantderéponsesàdonner.
Mais,pourl’instant,jevaism’endormirsurlecanapéavecHardinetprétendrequetoutvabiendansmonpetitmonde,pourunefois.
70
Tessa
–Bonjour,Bébé.
Unevoixmeparletoutprès.Lorsquej’ouvrelesyeux, lapremièrechosequejevois,c’estunehirondelledessinéeà
l’encre.Leteintd’Hardinestplushâléquejamaisetlesmusclesdesontorsesontbienplusdéveloppés que dansmon souvenir. Il a toujours été incroyablement beau,mais là, il estmagnifiqueet c’est laplusexquisedes torturesqued’êtreallongéecontre sapoitrinenue,undesesbrasencerclantmatailleetl’autrerepoussantmescheveux.
–Bonjour.Jeposemonmentonsursapoitrine,cequimedonneleplusadmirabledespointsde
vuesursonvisage.–Biendormi?Ilmecaressedoucementlescheveux,unparfaitsourireauxlèvres,commetoujours.–Oui.Je ferme les yeux un instant pour rassembler mes esprits, qui se sont engourdis en
entendantlesondesavoixéraillée,chargéedesommeil.Silencieux,ilposesonpoucesurmeslèvres.AubruitdelaportedelachambredeLandonquigrince,j’ouvrelesyeuxetcommence
àm’asseoir,maisHardinm’enveloppedesesbras.–Ohquenon!Ilselève,m’entraînantaveclui.Landonentredanslesalon,torsenu,Sophialesuitdeprès.Elleportesonuniformede
laveille,lesvêtementsnoirsmettentenvaleursonsourireradieux.–Salut.
LandonrougitetSophialuiprendlamainenmesouriant.J’ail’impressionqu’ellemefaitunclind’œil,maisj’aitoujourslecerveauembuédem’êtreréveilléeauprèsd’Hardin.
EllesehaussesurlapointedespiedspourembrasserLandonsurlajoue.–Jet’appelleàlafindemonservice.J’aiencoredumalàm’habituerà labarbedeLandon,maisça luivabien. Il sourità
Sophiaetluiouvrelaporte.Hardinmurmureàmonoreille,sonsoufflechaudsurmapeau:–Ehbien,maintenant,onsaitpourquoiLandonn’estpassortidesachambrehiersoir.Hypersensibleettrèstendue,j’essaieencoredemedécollerdelui.–J’aibesoind’uncafé.Çadoitêtrelaformulemagique,parcequ’ilhochelatêteetmelaissedescendredeses
genoux.Immédiatement,jeressensunmanquedem’éloignerdesoncorps,maisjemeforceàatteindrelamachineàcafé.
J’ignoreLandonqui sourit etvaisdans la cuisine.Lapoêleque j’ai vouluutiliserhiersoir est toujours sur la gazinière, pleine de sauce à la vodka et, quand j’ouvre le four, jedécouvrelesfiletsdepouletàl’intérieur.
Je ne me souviens pas de l’avoir éteint, mais bon, ce n’est pas comme si j’avaisbeaucoupréfléchihiersoir.Moncerveaunesemblaitpasvouloirétendresesréflexionsau-delàd’Hardinetde lasensationdeses lèvressur lesmiennesaprèsdesmoisdeprivation.Rien qu’au souvenir de la douceur de son contact enflammant mon corps, ma peaus’embrase.
–C’estpascond’avoiréteintlefour,hein?Hardinfanfaronneenentrantdanslacuisine,sonpyjamatrèsbassurseshanches.Ses
nouveaux tatouages mettent l’accent sur ses muscles et attirent mon regard sur sonabdomensculpté.
–Euh,ouais.Jem’éclaircis la gorge et essaie de comprendre pourquoi je suis devenue l’esclave de
meshormones.Jemesenscommelapremièrefoisoùjel’airencontré,etçam’inquiète.C’esttoujourssifacilederetomberdanscetterelationdysfonctionnelle,ilfautquejegardelatêtefroide,là.
–Tutravaillesàquelleheureaujourd’hui?Hardins’appuieauplandetravailetmeregardenettoyermonbazardelaveille.– Àmidi. (Je verse la sauce froide dans l’évier.) Je ne fais que le service demidi. Je
devraisêtreàlamaisonverscinqheures.–Jet’inviteàdîner.Ilsouritetcroise lesbras.Jepenchelatêtedecôtéet lui lanceunregard,puis jeme
tourneverslebroyeurdedéchets.Ilreprend:–T’esentraindepenseràmemettrelamainlà-dedans,non?
Malgrélebruitdubroyeur,j’entendssonriredouxetcharmant,cequimefaittournerlatête.
–Peut-être…Ilvafalloirquetureformulestoninvitationsousformedequestion.–Ah,revoilàTheresal’impertinente,cellequejeconnaisetquej’aime.Ilaunregardtaquinetfrottelapaumedesamaincontreleplandetravail.–OnenestrevenusàTheresa?J’essaiedeleregardersévèrement,maisj’échouelamentablement…parunsourire.–Oui,onenestrevenuslà.Ilmefaitunsignedetêteetfaituntrucquineluiressemblepasdutout:ilprendla
petitepoubellesousl’évieretm’aideàremettredel’ordredanslacuisine.–Donc, pourrais-tu, s’il te plaît,me faire l’insigne honneur dem’accorder un peu de
tontempslibrepourpartagerunrepasdansunlieupubliccesoir?Satendremoqueriemefaitrire.Landonentredanslacuisineetnousjetteuncoupd’œilavantdes’adosserauplande
travail.–Tuvasbien?Landonfixel’hommedéguiséenHardinquiestentraindefaireleménage,etretourne
sonattentionversmoi,l’airsurpris.Ilsefrottelesyeux.–Ouais,justeunpeufatigué.–J’imaginebien.Avec un sourire, Hardin hausse plusieurs fois les sourcils et Landon lui pousse
gentimentl’épaule.Jelesregarde,fascinée,aveclasensationd’êtredansununiversparallèle.Ununivers
dans lequel Landon pousseHardin qui en rit et le traite de trou du cul plutôt que de lemenacer. J’aime bien ce monde-là. Je crois que j’aimerais beaucoup y rester un bout detemps.
–Cen’estpascequetucrois.Ferme-la!Landonmet du cafémoulu dans la cafetière et sort trois tasses du placard pour les
posersurleplandetravail.–Maisouais,c’estça!Hardinlèvelesyeuxauciel.–C’estça,ehoui!Je les écouteplaisanter et se lancerdegentillespiques. J’attrape laboîtede céréales
dansleplacardleplushaut.Perchéesurlapointedespieds,jesenslesmainsd’Hardinquitirentsurmonshortpourcacherunpeudemapeau.
D’un certain côté, j’ai bien envie de le remonter encore plus, voire de complètementl’enleverjustepourvoirsatête,maisparpitiépourLandon,jem’abstiens.
Au lieu de quoi, je rigole du geste pudique d’Hardin et lève les yeux au ciel endescendantlaboîtedecéréalesetenouvrantlesachetintérieur.
HardindemandeàLandon:–Y’adesFrosties?–Dansleplacard.Une imaged’Hardin se chamaillant avecmonpère parce qu’il lui avaitmangé toutes
sescéréalesremonteàlasurface.Çamefaitsourire,maisjerangecesouvenirdansuncoindematête.Jen’aiplusdedouleurdansmoncœurquandjerepenseàmonpère.J’aiapprisàsourireenrepensantàsonsensdel’humour,etàadmirerl’optimismedontilafaitpreuvele tempsde son court séjour cheznous. Jem’éclipse dans la salle de bains, il faut que jeprenneunedoucheavantd’allertravailler.LandonparleàHardindesonnouveaujoueurdehockeypréféréquivientdesefaireengagerparuneautreéquipeetHardinmesurprendenrestantdanslacuisineaveclui,plutôtquedemesuivre.
Uneheureplustard,jesuishabilléeetprêteàalleraurestaurantàpied.Quandj’entredanslesalon,Hardinestentraind’enfilersesbottessurlecanapé.
Illèvelesyeuxversmoietmesourit.–Prête?–Àquoi?J’attrapemontabliersurledossierdufauteuiletdéposemontéléphoneaufonddema
poche.–Àallerautravail,biensûr.Commesic’étaitlaplusévidentedesréponses!Appréciantlegeste,j’acquiesceetlesuisensouriant,commeuneidiote.C’est un peu bizarre demarcher dans les rues deNewYork avecHardin. Il s’intègre
parfaitement ici, sonstyle,sesvêtements,maisenmêmetemps, il sembleprendre toute laplaceavecsavoixetsesexpressionsaniméesquiamènentunrayondesoleildanscettegrisejournée.
–Leseul,enfin,undesseulsproblèmesque j’aiaveccetteville, c’estça…(Ilagite samainenl’air.J’attendsunesecondequ’ildéveloppeunpeu.)Lesoleilestcaché.
Sesbottesfontbeaucoupdebruitsurletrottoiretjemerendscomptequej’aimeça.Çam’amanqué. C’est l’une des petites choses que j’aime en lui et dont je nemem’étais pasrenducompteavantdelequitter.J’étaistouteseuleàmarcherdanslevacarmedesruesdecetteville,regrettantdenepasentendrelebruitlourddesbottesd’Hardinàmescôtés.
–Tu vis dans le très pluvieuxÉtat deWashington.Tunepeuxpas reprocher àNewYorksonmanquedesoleil.
Ilrit,changedesujetets’enquiertdesconditionsdetravaildesserveuses.Leresteduchemin est sympa ; Hardinme pose des tonnes de questions sur ce que j’ai fait ces cinqderniersmoisetjeluiparledemamère,deDavidetdesafille.JeluiparledeNoahetdu
faitqu’ila réussià intégrer l’équipede footdesonuniversitéenCalifornie.Je luiparledemes vacances avec mamère et David dans cette même ville où la famille d’Hardin nousavaitemmenés.
Jeluiparledemesdeuxpremièresnuitsicietduvacarmequim’atenueéveilléeetqu’àla troisième nuit je suis sortie demon lit, j’ai fait une promenade dans le quartier et j’airencontréJoepourlapremièrefois.JeluiditquecegentilSDFmerappellemonpèred’unecertainemanière,etquej’aimecroirequeluiapporteràmangerl’aidelàoùj’aiéchouéavecmongéniteur.
En entendant cette confession, Hardin me prend la main ; je n’essaie pas de medétacherdesonétreinte.
Jeluiparledemoninquiétudequandj’aidéménagéiciet je luidissurtoutquejesuiscontentequ’il soitvenunousrendrevisite. Ilneparlepasdufaitqu’ilarefusédecoucheravecmoietm’a taquinée jusqu’àceque jem’endormedanssesbras. Ilneparlepasdesademande en mariage, et ça me va plutôt bien. J’essaie toujours de comprendre messentimentspourluidepuisqu’iladébarquédansmonexistencel’annéedernière.
Quand jeretrouveRobertaucoinde larue,commechaque foisquenoussommesdumêmeservice,Hardinserapprochedemoietserremamainplusfort.Aucund’entrenousneditgrand-chose,ilssetoisentmutuellement.Lecomportementdeshommesenprésenced’unefemmemefaithalluciner.
–Jeserailàquandtusortiras.Hardin se penche vers moi pour m’embrasser sur la joue et repousser mes cheveux
derrièrelesoreilles,avantdemurmurer:–Netravaillepastropdur.J’entends son sourire lorsqu’ilmeparle,mais je reconnaisaussi le soupçonde sérieux
derrièresarecommandation.Bienévidemment,ondiraitquelesparolesd’Hardinmeportentlapoissependanttout
monservice.Noussommesdébordéspardestablesetdestablesd’hommesetdefemmesquiboivent trop. Un enfant a aussi décidé quemon uniforme pourrait avoir besoin de petitsajustements esthétiques :uneassiettede spaghettis a fait l’affaire. Jen’ai pas le tempsdeprendredepausependanttoutleserviceetquandarriveenfinlemomentdepointerpoursortircinqheuresplustard,j’ailespiedsencompote.
Commepromis,Hardinm’attenddans lecouloir.Sophiaestassiseàcôtéde luisur lebanc. Elle a remonté ses cheveux noirs en chignon sur le haut du crâne, ce qui attirel’attentionsur l’étrangebeautéde sonvisage.Elleades traitsvraimentexotiquesavec sespommettessaillantesetseslèvrespulpeuses.Jebaisselesyeuxsurmonuniformetoutsaleet je grimace, ma chemise sent l’ail et la tomate. Hardin ne semble pas remarquer mesvêtementssouillés,maisilretireuntrucdemaqueuedechevalquandnoussortons.
Jerisdoucement.
–Jeneveuxmêmepassavoircequec’était.Ilsortuneservietteenpapier,non,unmouchoirdesapocheetmeletend.Jem’enserspourm’essuyerlesjoues;j’aitellementsuéentravaillantquemoneyeliner
a coulé, impossible de trouver ça sexy. Hardin bavarde, me posant toutes sortes dequestionssurmonservice,etnousretournonsrapidementàl’appartement.
–J’ailespiedsdéfoncés.Jegrogneenretirantmeschaussures,quejebalancen’importeoùdansl’appartement.
Hardin lessuitdesyeuxet j’imagine lescommentairessarcastiquessurmoncomportementdesouillonquiseformentsoussoncrâne.Alorsjecontinue:
–Jelesrangeraidansdeuxminutes,biensûr.–Jemedisaisaussi!(Ilsouritets’assiedàcôtédemoisurlelit.)Viensparici.Il attrape mes chevilles et pose mes pieds douloureux sur ses cuisses. Puis il me les
masse et jem’allonge sur lematelas, essayant d’ignorer quemes petons ont été enfermésdansdeschaussurespendantdesheures.
–Merci.Jegémisàmoitié.Mesyeuxvoudraientsefermertantlemassaged’Hardinmerelaxe,
mais jeveux le regarder. J’ai souffertpendantdesmoisdenepaspouvoir l’admireralors,maintenant,jeneveuxplusdétournerlesyeux.
– Pas de problème. Je pourrais supporter l’odeur rien que pour voir ce putain d’airrêveurettranquillesurtonvisage.
Jelèvelamainpourmimerlapetiteclaquequejeluiadministreraisbiensurlebras,cequilefaitrire;etilcontinuedefairedesmiraclessurmespieds.
Sesmainsremontentsurmesmolletsetlelongdemescuisses.Jeneprendsmêmepaslapeinedemettreunfreinauxgémissementsquis’échappentdemeslèvres;c’esttellementbonetcalmantdelesentirmetoucher,relaxermesmusclesendoloris.
–Vienst’asseoirdevantmoi.Je me redresse pour m’asseoir sur ses cuisses. Ses mains attrapent d’abord mes
épaules;ilpressesesdoigtscontremesmusclestendusetlesmassejusqu’àfairedisparaîtretoutetracedetension.
–Sanstachemise,ceseraitencoremieux.Je ris un instant, mais le souvenir de son attaque sensuelle hier soir dans la cuisine
m’arrêtetoutdesuite.Jemepencheenavant,j’attrapelebasdemachemised’uniformequin’est pas très ajustée et la fais sortir de mon pantalon. J’entends qu’Hardin cherche sonsouffle quand je la retire avec le débardeur que je porte en dessous en les passant par-dessusmatête.
–Quoi?C’étaittonidée.Sesmains sont plus vigoureusesmaintenant, elles repoussentma peau dans un sens
précisetmatêteretombesursonépaule.
Il marmonne un truc et je me félicite mentalement d’avoir eu l’idée de mettre unsoutien-gorgepotable.Certes, cen’estque l’undesdeuxenmapossession,maispersonned’autrequemoinelesvoit,àpartLandonlorsqu’ilyaunpetitaccidentdelessive.
–C’estnouveau,ça.Hardinpasseundoigtsousl’unedesbretelles.Iltiredessusetlarelâche.Jenedisrien.Jenefaisqueprendreunepositionplusconfortableenrapprochantmes
fessesdesesjambesécartées.Ilgrogneetattrapemanuquedesagrandemain,sesdoigtsmemassentdoucement,puisreviennentsurlapeausifinesousmonoreille.
–Çafaitdubien?Ilconnaîtlaréponse.–Mmmmm.C’est le seul bruit cohérent que je sois capable d’émettre. Quand je l’entends rire, je
m’approche plus près de lui, en fait je frottemon corps contre son entrejambe et, demamain,jefaisglisserlabretelledemonsoutien-gorgelelongdemonépaule.
Sesmainssecrispentsurmagorge.–Onnem’allumepas.Desonautremain,ilremetmabretelleenplace.–…Ditlemaîtreenlamatière!Denouveau, je repousse la bretelle demon soutien-gorge.Rester assise sans chemise
devant luienretirantmessous-vêtements tandisquesamain lesretientenplacemerendfolle.JesuisépuiséeetHardinnefaitquedécuplerl’effetdemeshormonesenhaletantetensefrottantcontremoi.
–Onnem’allumepas.J’airépétésaphrasepourmemoquer.Jen’aipasletempsderirequ’ilposesesmains
surmesépaulesetfaitpivotermatêteverslui.–Çafaitcinqmoisquejen’aibaiséavecpersonne,Theresa.Turepoussesleslimitesde
monself-control.Sabouchefrôlemeslèvres.J’attaque la première : j’écrasemabouche contre la sienne, ce quime rappelle notre
premierbaiserdanssachambredecettesaletédefraternité.–Vraiment?Qu’iln’aitcouchéavecpersonnependantnotreséparationmestupéfieetj’enremercie
mabonneétoile.Quelquepart, j’ai l’impressionque je lesavais, j’enétaissûre.Oualors jemesuisforcéeàcroirequ’ilnetoucheraitpasd’autrefemme.
Iln’estplus lemêmegarçonqu’ilyaunan. Iln’aplusrecoursausexeniàdesmotscruspourattirerl’attention.Iln’aplusbesoind’enchaînerlesfillesd’unsoir,ilestplusfortmaintenant…C’estlemêmeHardinqueceluiquej’aiaimé,maisenplusfort.
Ilm’avaitdit:«Jen’avaispasremarquéàquelpointtesyeuxétaientgris»etilnem’enavaitpas falluplus.Entre l’alcooletsasoudainegentillesse, jen’avaispaspum’empêcherdel’embrasser.Ilavaitungoûtdementhebiensûr,quoid’autre?Etj’avaissentilefroiddesonpiercing à la lèvre contre lesmiennes. La sensation était étrange et dangereuse,maisj’avaisaiméça.
Maintenant, jegrimpesur lesgenouxd’Hardincommeje le faisais ilyasi longtemps,sesmainsagrippentma taille,m’attirantdoucementcontre luidansunmêmemouvementtandisqu’ils’allongesurlelit.
–Tess.Ilgémitcommedansmonsouvenir.Çaattisemondésir,meprojetantdanscettepassiondévorantequinoushabite.J’ysuis
perdueetjen’aiabsolumentaucuneenviederetrouverlasortie.Mes cuisses serrent plus fort sa poitrine et je plongemesmains dans ses cheveux. Je
suisenmanqued’affection,enpleinefrénésie,enpleindésir,etjenepeuxpenserqu’àuneseule chose : ses doigts qui parcourent ma colonne vertébrale d’un geste d’une telledouceur.
71
Hardin
Monplanacomplètementfoiré. Iln’yapasmoyenque jem’arrêteetque jene lui fasse
pas l’amour. J’aurais dû savoir que je n’avais aucune chance. Je l’aime. Je l’aime depuistoujours,enfin j’enai l’impression,et çam’a tellementmanquédenepas la sentir commeça.
Lespetitscouinementssisexyquis’échappentdeses lèvrespulpeusesm’onttellementmanqué.Commedefaireglisserseshanchesvoluptueusescontremoi,j’enbandetellementque jenepensequ’à lapénétrer,pour luimontreràquelpointellemefaitmesentirbientantphysiquementqu’émotionnellement.
–Putain,tum’astellementmanquéquej’encrevais,àchaquesecondedechaquejour.Sa langue passe sur la mienne et je la serre entre mes lèvres, jouant avec elle. Sa
respiration s’accélère.Sesmainsattrapent lebasdemon t-shirt etelle le repousse jusqu’àmi-hauteur.Jem’assieds,faisantbougersoncorpsàmoitiénuaveclemienpourluifaciliterlatâche,pourqu’ellepuissemeleretirer.
–Tun’as pas idéedunombrede fois où j’ai pensé à toi, où jeme suis branlé enmerappelantcequeçafaisaitdesentirtesmainssurmoi,taboucheaussi.
–OhmonDieu!Sesgémissementsmepoussentàcontinuer.–Toi aussi, ça t’amanqué,hein ?T’avais envieque je tedise cesmots salacesqui te
fonttellementmouiller?Ellehoche la tête et continueàgémirquandma languedescend le longde son cou,
embrassant doucement sa peau légèrement salée. J’ai tellement rêvé de cette sensation,cettemanièrequ’elleadememaîtrisercomplètement,demefairesombrerpourmieuxmerameneràlasurfacerienqu’enmetouchant.
Jepassemesbrasautourdesatailleetfaispivotersoncorpspourl’allongersousmoi.Demesdoigts,jedéboutonnesonpantalonquejefaistombersurseschevillesenquelquessecondes.Tessas’impatienteetelleledégaged’uncoupdepied.
–Enlèveletienaussi.C’est un ordre. Ses joues sont rouges, sesmains tremblent, posées surmes fesses. Je
l’aime,putain,jel’aimeetj’aimequ’ellem’aimeencoreaprèstoutcetemps.Notreamourestinéluctable,mêmeletempsnepeutnousséparer.
Jefaiscequ’ellemedemandeetremontesursoncorps,qu’ellesoulève,m’aidantàluienleversapetiteculotte.
–Putain.Je reluque lacourbedeseshanches,et sescuissesmecrientde lesattraperàpleines
mains.C’estcequejefaisetsesyeuxmefixenttoutletemps,cesyeuxbleusgrisquim’ontfaitdébiterdes conneriesauDocteurTranpendantdesheures.Cesyeuxquim’ontmêmepousséàappelerVanceplusieursfoiscesderniersmois.
–S’ilteplaît,Hardin.Tessalèvesonculdumatelas,memontrantlechemin.–Jesais,Bébé.Jeposemesdoigtsàlajonctiondesescuissesetfrottemonindexcontresonsexepour
y recueillir sonhumidité. J’ai la queuequi fait desbondsquandelle soupired’envie.Monpouce caresse son clitoris, je la pénètre d’un doigt et quand j’ajoute un deuxième, elle setortilleautourenpoussantlespetitscrislesplussexydelaTerre.
Putain.Putain.–C’esttellementbon.Ellehalèteets’agrippeauxmonstrueuxdrapsàfleursdesonpetitlit.–Ouais?Je l’encourageenbougeantplusvitemonpouce sur lepointqui la renddingue.Elle
meditouidelatête,samains’emparedemaqueueetlacaressedehautenbasdansunmouvementlentmaischaud.
–J’aienviedetelécher,detegoûter,putain,çafaitsilongtemps,maissimabitenetepénètrepastoutdesuite,jevaisjouirsurtesdraps.
Elle écarquille les yeux et je bouge encore un peumes doigts en elle avant d’alignermoncorpssurlesien.Elleatoujourslamainsurmaqueuequ’elleguidejusqu’àsonsexe,lesyeuxfermésquandjem’yenfonce.
–Jet’aime,putain,jet’aimetellement.Jem’accoudedepartetd’autredesoncorpsetcommenceàalleretvenirenelle.D’unemain, ellemeplante ses onglesdans ledos et, de l’autre, elle s’agrippe àmes
cheveux.Elle tiredessuset lorsque je changemonmouvementdehanches, elle écarteun
peuplussescuisses.Aprèsplusieursmoisàm’améliorerpourvoir lavieduboncôtéet toutescesmerdes,
putain,c’est tellementbond’êtreavecelle.Toutemaviegraviteautourdecette femmeetcertainespersonnesdirontquecen’estpassain,quec’estuncomportementobsessionnelquitourneàlafolie.Maisvoussavezquoi?
Jem’en tape complètement, absolument rien à battre. Je l’aime et elle est tout pourmoi.Siquelqu’untrouvequoiquecesoitàredire,qu’ilaillesefairefoutreavecsesconneriesde jugement, parce que putain, personne n’est parfait et Tessa me rapproche de laperfectionautantquejenepourraijamaisl’être.
–Jet’aime,Hardin,jet’aitoujoursaimé.Sesmotsmefontmarqueruntempsd’arrêt,etunautrepetitmorceaudemonpuzzle
seremetenplace.Tessaestmontout,etl’entendredirecesconneries,voirsatêtequandjelaregarde,c’esténorme.
– Il faut que tu saches que je t’aimerai toujours. Tu m’as permis de devenir…moi-même,Tessa,etjenel’oublieraijamais.
Jereplongedanssonintimité,espérantnepasmemettreàchialerenlafaisantjouir.–Toiaussi,tum’aspermisd’êtremoi.Ellemesouritcommesinousétionsdansuneromance.Deuxamants,séparéspendantdesmois,merveilleusementréunisdanslagrandeville.
Sourires,éclatsderireetséancesdebaise.Onadéjàtousluça.–Iln’yaquenouspouravoiruneconversationsentimentaleàunmomentpareil.Jelataquineenluiplantantunbaisersurlefront.Maisbon,ya-t-ilmeilleurmoment
pourlaissernossentimentss’exprimer?J’embrasseseslèvres,toutsourires,etelleencerclematailledesescuisses.
J’y suis presque. J’ai des fourmis dans la colonne vertébrale et je sens que jem’approche du moment fatidique à mesure que j’entends sa respiration s’accélérer ets’approfondirquandelleresserresescuisses.Lesoufflecourt,jemurmureàsonoreille:
– Tu vas jouir. (Elle tire mes cheveux, m’approchant du précipice.) Tu vas jouirmaintenant,avecmoi,etjevaisdécharger.
Pasbesoindeluipromettre,maisjesaisqu’elleaimequandjeluidisdesmotscochons.Jesuispeut-êtreunpeumoinsconnard,maisjenevaisquandmêmepasperdremonstyle.
Elle jouit en criant mon nom. Moi aussi et, putain, c’est tellement bon que c’en estpresquemagique,iln’yariendemeilleuraumonde.Jen’avaisjamaistenuaussilongtempssansbaiserpersonneetj’auraisattenduencoreunanpourelleavecplaisir.
Jeroulepourm’allongeràcôtéd’elle.–Tusais,enmefaisantl’amour,là,tuviensjusted’accepterdem’épouser.–Tais-toi.Tugâcheslemoment.Nousrionsensemble.
–Tuviensdejouirtellementfortquejedoutequequoiquecesoitarriveàruinertonmoment.
–Notremoment.Je sais qu’elle se moque de moi lorsqu’elle sourit comme une tarée, les yeux bien
fermés.–Sérieux,tuasaccepté.Alorsquandvas-tuallerachetertarobe?Elle roule surelle-même,me foutant ses seinsdans lagueule,et jedois faireappelà
tout mon self-control pour ne pas me pencher et les lécher. Elle ne pourrait pas m’envouloir,jeviensdetraverserunepérioded’abstinencesexuellevraimentlongue.
–Tuestoujoursaussidingue.Pasquestionquejet’épousemaintenant.–Lathérapienem’aidequ’àmaîtrisermacolère,pasmonobsessiondet’avoiravecmoi
pourtoujours.Ellesoupire,puislèvelesbraspourcachersonvisage.Jerisetlatireaveclesdrapspourrigoler.–C’estvrai.Jelafaispassersurmonépaule.–Qu’est-cequetufais?Tuvastefairemalenmeportant!Elle gigote pour que je la laisse tomber, mais je serre mon bras sur le haut de ses
cuisses.IgnorantsiLandonestlàoupas,jelanceunavertissementjusteaucasoù.Ladernière
chosedont ilabesoin,c’estbiendemevoirporteruneTessaàpoildans lecouloirdecetappartementgrandcommeuneboîteàchaussures.
–Landon!Situeslà,restedanstaputaindechambre!–Repose-moi!Ellerecommenceàmedonnerdescoupsdepied.–Tudoisprendreunedouche.Je lui donneunepetite claque sur les fesses et, avec unpetit couinement, elleme la
rend.–Jepeuxmarcherjusqu’àladouche!Ellerigolemaintenant,elleglousseetcouinecommeuneécolièreet,putain,j’aimeça.
J’aimetoujourslafairerireetqu’ellemel’accordemecomble.Jelareposeenfin,aussidoucementquepossible,surlecarrelagedelasalledebainset
jefaiscoulerl’eaudeladouche.–Tum’asmanqué.Assiseparterre,ellemeregardeintensément.Mapoitrinesecontracte;putain,j’aibesoindepassermavieaveccettefemme.Ilfaut
quejeluidisetoutcequej’aifaitdepuisqu’ellem’aquitté,maislà,cen’estpaslemoment.Demain,jeluidiraidemain.
Ce soir, je vais profiter de ses remarques cinglantes, savourer son rire et essayer degagnertouteslesbribesdetendressequ’ellevoudrabienm’accorder.
72
Tessa
Quand je me réveille le lundi matin, Hardin n’est plus dans mon lit. Je sais qu’il a un
entretienouuneréunion,maisiln’apaspréciséchezqui.Jenesaisabsolumentpass’ilseraderetouravantquejepartepourallerbosser.Jeroulesurleventre,embarquantlesdrapsavecmoi,lesdrapsquiportentencoreson
odeur et que je presse contrema joue. La nuit dernière… eh bien, la nuit dernière étaitincroyable. Hardin était incroyable. Nous étions incroyables. L’alchimie, cette alchimieexplosiveentrenous,esttoujoursaussiindéniableetmaintenant,noussommesarrivésàcestadedenosviesoùnouspouvonsenfinvoirnospropresdéfautsetceuxdel’autre,nouslesacceptonsettravaillonsdessuscommenousn’aurionsjamaispulefaireparlepassé.
Nousavionsbesoindecetteséparation.Nousavionsbesoind’êtrecapablesdetenirtoutseulsavantdepouvoirtenirensembleetjesuissiheureusequenousayonsputraverserlesténèbres,lesdisputes,ladouleur,pourensortirmaindanslamain,plusfortsquejamais.
Je l’aime,Dieuseul saitàquelpoint j’aimecethomme,malgré toutes les séparations,toutlechaos,ils’estinsinuédansmonâmeetl’amarquéedesonsceau,pournejamaisêtreoublié.Sij’avaisessayé,etd’ailleursj’aiessayé,jen’auraispaspulefaire.Pendantdesmois,j’ai tenté de suivre le mouvement au jour le jour, prenant garde de rester occupée dansl’espoirdedonnerdugrainàmoudreàmoncerveau,histoirequ’ilnepensepasàlui.
Évidemment,çan’apasfonctionnéetmessouvenirsnes’éloignaientjamaisvraimentdemoncortex.Maintenantquej’aiacceptédefaireavancerleschoses,ànotremanière,jesensenfinqueçapourraitmarcher.Nouspourrionsêtrecequenousvoulionsplusquetoutaumonde.
Enmepénétrant,iladit:«Ilfautquetusachesquejet’aimeraitoujours.Tum’aspermisdedevenir…moi-même,Tessa,etjenel’oublieraijamais.»
Il était àboutde souffle,douxetpassionné. J’étaisperduedansmes sensations, soussesdoigtsquimecaressaient.
Lebruitde laportequi s’ouvreme fait sortirdemarêverieetdemessouvenirsde laveille.Jesorsdulit,attrapemonshortparterreetl’enfilerapidement.Mescheveuxsontenpaquets,c’estunevéritablecatastrophe,Hardinaeulatrèsmauvaiseidéedemesuggérerde les laisser sécherà l’air libre. Ils sontemmêléset j’aipleindepetits frisottis,mais je lespeignevitefaitavecmesdoigtsavantdemefaireunequeuedecheval.
Hardinestdanslesalon,letéléphonecolléàl’oreille,quandj’arrivedansl’entrée.Ilesthabillé en noir, comme d’habitude, et ses cheveux longs sont emmêlés, comme lesmiens,maisluial’airparfait.
J’approcheducanapé,cequ’ilremarque.–Ouais,jesais.C’estBenquivousferaconnaîtremadécision.Ilvousrappellera.Il n’est pas très courtois, presque impatient, en raccrochant. Son air irrité disparaît
quandils’approchedemoi.–Toutvabien?–Ouais.Il hoche la tête et baisse les yeux sur son téléphoneencoreune fois, passant lamain
danssescheveux;j’attrapesonpoignet.–Tuessûr?Jeneveuxpaslepoussertroploin,maisilnesemblepasallerbien.Sontéléphonese
remetàsonneretilregardel’écran.–Jedoisrépondre.Jerevienstoutdesuite.Ilsoupire,m’embrassesurlefront,puissortdanslecouloirenfermantlaportederrière
lui.C’estàcemoment-làquej’aperçoisleclasseursurlatable.Ilestouvertetunepilede
papiers en sort. Je le reconnais, c’est celui que je lui ai offert et ça me fait sourire qu’ill’utiliseencore.
La curiosité me gagne et je me retrouve en train de l’ouvrir. Sur la première pageimprimée,jepeuxlire:
AFTER,PARHARDINSCOTT
Jetournelapagepourregarderlasuite.
C’estenautomnequ’ill’arencontrée.Laplupartdesgensparaissaientobsédésparlacouleurdesfeuillesetl’odeurdesfeuxdecheminéeflottanttoujoursdansl’airàcettepériodedel’année.Paslui.Lui,ilnesesouciaitqued’unechose.Delui-même.
Quoi?Jetournelespagesàlarecherched’uneexplicationpourcalmermesidéesquisebousculentetlaconfusionquimegagne.Çanepeutpasêtrecequejecrois…
Sescomplaintesledépassaientcomplètement,ilnevoulaitpasl’entendreluijeterauvisagecequ’ilyavaitdepireenlui.Ilvoulaitqu’ellelecroieparfait,commeellel’étaitàsesyeux.
Des larmes emplissent mes yeux et je frissonne quand quelques feuilles tombent parterre.
DansungesteàlaDarcy,ilpayal’enterrementdesonpère,toutcommelehérosduromanavait couvert les frais du mariage de Lydia. Il voulait ainsi dissimuler une honte familialequ’avaitcauséeundrogué,pasunesœuradolescentefuyantlamaisonpoursemarierendouce,mais le résultat était le même. Si sa vie avait ressemblé à un roman, son geste attentionnéauraitpoussésonElizabethdanssesbras.
Je sens la pièce tourner autour de moi. Je ne me doutais pas qu’Hardin avait payél’enterrementdemonpère.Cettemincepossibilitéavaittraversémonespritàl’époque,maisj’avaiscruquel’églisedemamèrel’avaitaidéeàassumercettedépense.
Même si elle était incapable de porterun enfant, ellene pouvait renoncerà ce rêve. Il lesavait et ilne l’enaimaitqueplus. Il faisaitde sonmieuxpournepas fairepreuved’égoïsme,maisilnepouvaitempêcherdes’insinuerenluil’imagedesversionsminiaturesdeluiqu’ellenepourraitluidonner.Sonempathiel’avaitfaitsouffrir,pluspourellequepourlui,maisilneputs’empêcherdepleurerleurdisparitionpendantbienplusdenuitsqu’ilneputlescompter.
Au moment où je décide que je ne peux en supporter davantage, la porte d’entrées’ouvre et Hardin entre. Son regard plonge sur le bazar de papier blanc imprimé de sesrépugnantsmotsnoirsetsontéléphonetombeparterre,sejoignantauchaos.
73
Hardin
Descomplications.
La vie en est pleine. Lamienne semble en être blindée, à ras bord, elle en débordemême tout le temps. Des vagues et des vagues d’embrouilles qui se déversent sur lesmoments les plus importants demavie et, à cet instant, je nepeuxpasmepermettredecouler.
Sijerestecalme,putain,sijerestevraimentcalmeetquej’essaiedem’expliquer,jevaispouvoircontenirlerazdemaréequivas’abattresurcepetitsalondansuninstant.
Je vois la vaguede fond se formerdans ses yeux bleus gris. Je vois la confusion êtreemportée par un tourbillon de rage, donnant naissance à une énorme tempête, commel’océanavantqu’unéclairnefrappeetqueletonnerrenegronde.L’eauestencorecalme,aurepos,ellefrissonneàpeineàlasurface,maisjelavoisvenir.
Tessaserreune feuilledepapierblancentresesmains tremblantes,et sonexpressionmenaçantem’avertitdudangerquiseprofile.
Putain, je ne sais vraiment pas quoi lui dire ni par où commencer. C’est une histoiretellementcompliquéeetjesuisvraimentnazepourrésoudrelesproblèmes.Ilfautquejemereprenne, il faut que je fasse plus qu’un gros effort pour formuler une explication quil’empêcheradepartirencourant,encore.
–C’estquoi,ça?Elleparcourtdesyeuxunepageavantdelajeterenl’air,etellefroisselepetittasresté
danssonautremain.–Tessa.Jem’avanceprudemmentverselle.
Ellemefixe.Sonvisageestdur,fermé,commejenel’aiencorejamaisvu,etsespiedsfontunpasenarrière.
–Ilfautquetum’écoutes.Jelasupplietoutencherchantàdéchiffrersonregardénigmatique.Jemesenscomme
unemerde totale.On vient juste de se retrouver, je viens seulement de lui revenir et il afalluqueçapèteaprèssipeudetempsensemble.
–Jet’écoute,vas-y,jet’enprie.Elleparled’unevoixforteetsarcastique.–Jenesaispasparoùcommencer.Donne-moiuneminuteetjevaist’expliquer.Jepasselesmainsdansmescheveuxentirantsurlesracines,jeregrettedenepouvoir
échanger sa douleur contre la mienne et de ne pouvoir m’arracher les cheveux, direct.Ouais,c’estbarré.
Tessa restedebout, je sens la tempête qui couvederrière son calme, ses yeux suiventunepagepuisl’autre.Sessourcilssehaussentàplusieursreprises.Elleplisselesyeux,puislesécarquille.
–Arrêtedelire.Je faisunpas vers elle et lui arrache lemanuscrit desmains. Lespages tombentpar
terre,rejoignantcesautresmerdesàsespieds.–Explique-toi.Toutdesuite.Sontondurcit,sonregardseglace,d’ungrisorageuxquimeterrifie.–Ok,ok.(Jemebalancesurmestalons.)Ok,jemesuismisàécrire.–Depuiscombiendetemps?Elle faitunpas versmoi. Je suis surprisde voir la réactiondemoncorps, comme s’il
avaitpeurd’elle.–Unbail.J’évitelavérité.–Tuvascracherlemorceauettuvaslefairetoutdesuite.–Tess…–Iln’yapasdeTessquitienne,espèced’enfoiré.Jenesuispluslapetitefillequetuas
rencontréel’andernier.Tuvasmediretoutelavérité,toutdesuite,outudégages.Ellefaitexprèsdemarchersurunefeuille,jenepeuxpasluienvouloir.–Enfin,jenepeuxpastefoutredehorsparcequ’onestchezLandon,maisjemetiresi
tun’expliquespastonmerdier.Toutdesuite.Malgrésacolère,c’esttoujoursunefillegentille.–Çafaitlongtempsquej’écris,depuisnotrerencontre,maisjen’avaisaucuneintention
defairequoiquecesoitdeça.Jenefaisaisquemedéfoulersur lepapierpouressayerdecomprendrecequisepassaitdansmatête,maisunjour,j’aieucetteidée.
–Quand?
Elle presse son index contrema poitrine, puisme tape dessus, d’unemanière qu’ellecroitpercutante,maisellen’arriveàrien.Bon,jenevaispasluidireçatoutdesuite.
–J’aicommencéaprèsnotrebaiser.–Lepremier?Elleétalesesmainssurmapoitrineetjelesattrapequandelleessaiedemerepousser.–Tutemoquaisdemoi.Ellelibèresesmainspourlesplongerdanssescheveux.–Non,pasdutout!Cen’étaitpasça!J’essaie de ne pas hausser le ton. C’est dur, mais je réussis à me maîtriser, plus ou
moins.Furieuse, elle arpente lepetit salonde longen large.Elle serre lespoingsdepart et
d’autredesoncorps,puisleslanceenl’air.–Tantdesecrets,tropdesecrets.J’enaiassez.–Tuenasassez?Jerestebouchebée.Ellecontinuedetournerenronddanslesalon.Sansdireunmot.–Parle-moi.Dis-moicequetupensesdetoutça.– Ce que j’en pense ? (Elle secoue la tête, le regard affolé.) J’en pense que c’était le
coup de massue qui me manquait. La goutte d’eau qui me fait retrouver la réalité etabandonnermesespoirsridiculesdecesderniersjours.Là,c’estnous.(Elleagitesesmainsentrenous.)Ilyatoujoursunebombequiestenpassed’exploser,maisjenesuispasassezstupidepourattendred’êtredétruite.C’estterminé.
–Cen’estpasunebombe,Tessa.Tutecomportescommesij’avaisécritçapourtefairedumalintentionnellement!
Elleouvrelabouchepourprendrelaparoleavantdelarefermer,elleaussiàcourtdemots,j’ensuiscertain.Puisellesereprend:
–Etqu’est-cequetucroyaisquej’allaispenserendénichantça?Tusavaisbienqu’unjour ou l’autre je découvrirais le pot aux roses, pourquoi ne m’en as-tu simplement pasparlé?Jedétesteressentirça.
–Ressentirquoi?–Cettesensation,c’estcommesiçabrûlaitdansmapoitrinequandtumefaisdestrucs
pareils et je déteste ça. Je n’ai pas ressenti ça depuis si longtemps et je ne voulais plusjamaisyêtreconfrontéeetpourtant,nousyrevoilà.
Elleparlesuruntondouxmaisvisiblementvaincu,etj’ailachairdepoulequandellemetourneledos.
–Viensparlà.J’essaiede luiattraper lesbraspour larapprocherdemoi,sielle lepermet,maiselle
lescroisequand je l’attirecontremoi.Ellenesedébatpas,maisnemeserrepasdanssesbras.Elleresteimmobileetjenesuispassûrdesavoirsilepireestdéjàpassé.
–Dis-moicequeturessens.Àquoipenses-tu?Mavoixsonnebizarrement.Ellemerepoussemaisavecmoinsdeforcecettefois-ci,etjelalaisses’éloigner.Ellese
metàgenouxetramassel’unedesfeuillesparterre.Au début, j’avais commencé à écrire ça comme une sorte d’exercice d’expression et,
honnêtement, parce que je n’avais plus rien à lire. J’étais entre deux bouquins et Tessa,TheresaYoungàcetteépoque,avaitcommencéàm’intriguer.Elleavaitsurtoutcommencéàmefairechier,etjemesurprenaisàpenseràelledeplusenplussouvent.
Elle dansma tête, j’avais l’impression qu’il n’y avait plus de place pour grand-chosed’autre.Elleestdevenuemonobsessionetjetentaisdemeconvaincrequeçafaisaitpartiedupari,maisj’yvoyaisclairdansmesconneries,jen’étaissimplementpasprêtàl’admettre.Jemesouviensdeceque j’ai ressenti lapremière foisque je l’aivue, ses lèvres semblaientfairelamoueetsesfringuesétaientàgerber.
Elle portait une jupe qui touchait le sol et des godasses plates qui raclaient lapoussière, trop bizarrement. Elle a regardé ses pieds quand elle a dit son nom pour lapremière fois : «Euh…oui, jem’appelleTessa », et jeme rappelleavoirpenséquec’étaitcheloucommenom.Jen’aipastropfaitattentionàelleaprèsça.Nateétaitsympaavecelleetjen’aimaispassamanièredemeregarder,sesyeuxgrismejugeaient.
Ellemecritiquaittouslesjours,mêmequandellenem’adressaitpaslaparole,surtoutquandellenem’adressaitpaslaparole.
–Est-cequetum’écoutesseulement?Savoixpercelevoiledemessouvenirsetjelaregarde:elleestencoreencolère.–Je…J’hésite.–Tun’écoutaismêmepas. Jen’arrivepasàcroireque tuaies faitunechosepareille.
Alors, c’est ce que tu faisais depuis tout ce tempsquand je rentrais à lamaison et que turangeaistonclasseur.C’estçacequej’ai trouvédansleplacardjusteavantdetombersurmonp-père…
–Jenevaispasmechercherd’excuses,mais lamoitiédesmerdesqui sont là-dedanssontsortiesdemoncerveaualcoolisé.
–Desmerdes?Elleregardevitefaitlapagedanssamainetmecite:Elle ne pouvait pas tenir l’alcool, elle titubait partout dans la pièce en foutant lamerde,
remuantcommecesfillesinsipidesquiboiventtroppourimpressionnerlesautres.–Arrêtedelirecettemerde,cepassageneparlepasdetoi.Jelejureettulesaistrès
bien.Jeluiprendslafeuilledesmains,maisellemelareprendrapidement.
–Ohnon!Tun’aspasledroitd’écriremonhistoireetdem’interdiredelalire.Tun’astoujoursrienexpliqué.
Elletraverselesalon,attrapantunechaussuresurletapisàcôtédelaported’entrée.Elleenfilesesdeuxbasketsetremetsonshortenplace.
–Oùvas-tu?Jesuisprêtàlasuivre.–Jevaismepromener.J’aibesoind’air.J’aibesoindesortird’ici.Jevoisbienqu’ellesemauditintérieurementdem’avoirlâchécetteinfo.–Jet’accompagne.–Non.Pasquestion!Sesclésenmain,ellerassemblesescheveuxemmêléssurlesommetdesoncrâneenles
enroulantpourlescontrôler.–Tuespresqueàpoil.Ellemebalanceunregardassassin.Sansunmot,ellequittel’appartementenclaquant
laportederrièreelle.Çan’amenéàrien,rienn’estrésolu.Leplanqu’ilfallaitquejecontrôlepourmaîtriser
les complications a tourné au désastre, putain, et maintenant, c’est pire que tout. Jem’agenouillepar terre,me forçantànepas la suivrepour la jeter, criantet sedébattant,surmonépaule,etl’enfermerdansunepiècejusqu’àcequ’ellesoitprêteàmeparler.
Non, jenepeuxpas faireça.Ceseraitrevenirenarrièreetrenier tous les«progrès»que j’ai faits. Alors, je rassemble les pages éparpillées par terre et relis quelques-uns desmotsque j’ai couchés sur lepapier,meremémorantpourquoi,un jour, j’aidécidéde fairequelquechosedecesconneries.
–Qu’est-cequetuplanqueslà-dedans?Commed’habitude,Natefourraitsonnezlàoùiln’auraitpasdû.–Rien,occupe-toidedesoignons,mec.Hardinpritunairsévèreenregardantdel’autrecôtédelacour.Ilnesavaitpaspourquoiil
avaitcommencéàs’asseoiràcetendroit,touslesjoursàlamêmeheure.Çan’avaitstrictementrienàvoiravecTessaetcechieurdeLandonquiseretrouvaientlàpourprendreuncafétouslesmatins.Rienàvoirdutout.
Ilnevoulaitpasvoircettefilleodieuse.Vraimentpas.–Jet’aientendubaiserMollyhiersoirdanslecouloir,espècedeporc.Natefittomberlescendresdesacigaretteentirantlagueule.–Bah,jen’allaispaslalaisserentrerdansmachambreetellenevoulaitpasquejelaisse
tomber.Hardinrit, fierqu’elleaiteutantenviedeluitaillerunepipen’importeoù,mêmedansle
couloiràcôtédesachambre.Cequ’ilne luiditpas, c’estqu’il finitpar l’envoyer chier et termina leboulot tout seul en
pensantàunecertaineblonde.–T’esvraimentunenfoiré.C’estpasunenfoiré?Nates’adressaitàLoganquivenaitd’arriverprèsdelatabledepique-niquedélabrée.–Si.Logan tendit lamain pour queNate lui donne une cigarette, etHardin essaya de ne pas
regarder cette fille recouverte d’un sac à patates en guise de jupe, qui attendait au feu pourtraverserlarue.
– Un jour, tu vas tomber amoureux et je me foutrai grave de ta gueule. C’est toi quilécheraslachatted’unefilledansuncouloiretellenetelaisserapasentrerdanssachambre.
Nateprenaitsonpiedàsemoquerdelui,maisc’estàpeines’ill’entendait.Pourquoisesape-t-ellecommeça?Hardin vit Tessa rouler lesmanches de sa chemise.Un stylo à lamain, il l’observait, elle
s’approchait, le regard concentré sur le trottoir devant elle, et quand elle bouscula un gaminchétifetfittomberleslivresqu’iltenaitàlamain,elles’excusabientroplongtemps.
Elle se baissa pour l’aider et lui sourit. Hardin ne pouvait s’empêcher de se rappeler sesdouceslèvresquandellel’avaitembrassédeforcel’autresoir.Ilavaitétésurpriscommejamais,iln’auraitjamaiscruqu’elleétaitdugenreàfairelepremierpasetilétaitàpeuprèssûrqu’ellen’avaitjamaisembrasséquesongrosnazedemecavant.Sonsoufflecourtetsesmainsavidesdeletoucherl’enavaientconvaincu.
–Alors,commentçaavancecepari?Logandésignaitd’unmouvementdetêteTessaquisouriaitdetoutessesdentsàl’arrivéede
Landon,ausommetdesagloiredegrosblaireauaustyleintello,sacàdoscompris.–Riendeneuf.Hardincouvritimmédiatementsesfeuillesd’unbras.Commentaurait-ilpudevinécequiallaitarriveraveccette fillegrandegueuleethabillée
commeunebonnesœur?Elleluiavaitàpeineadressélaparoledepuisquesataréedemèreetsonnazedemecs’étaientpointésentambourinantàsaportesamedimatin.
Pourquoisonnométait-ilécritsurcettefeuille?EtpourquoiHardinsesentait-ilprochedebaliseràmortsiLogann’arrêtaitpasdeleregardercommes’ilsavaitquelquechose?
–Elleestchiante,maisellesemblemepréféreràZedaumoins.–Elleestbonne.Lesdeuxmecssoulignèrentcefaitenmêmetemps.– Si j’étais un bon connard, je rentrerais dans la course contre vous deux. Je suis plus
mignondetoutefaçon.NatesemarraitavecLogan.– Je ne veux rien avoir à faire avec ce merdier. C’est vraiment trop con, vraiment, tu
n’auraispasdûbaisersacopine.LogandéfiaitHardinquinefitqu’enrire.
–Çaenvalaitlapeine.Hardin regarda le trottoir de l’autre côté de la cour. Elle avait disparu et il changea de
conversation,posantdesquestionssurlafêteduprochainweek-end.Alorsquesesdeuxpotes seprenaient la têtepoursavoircombiende fûtsdebière il fallait
acheter,Hardin se retrouva à coucher sur le papier l’air apeuré qu’elle avait eu vendredi soir,tambourinantàsaportepouréchapperàNeilleFlippantquiavaitessayédeselafaire.C’étaitvraiment un gros bâtard et il en voudrait certainement longtemps à Hardin pour la bouteilled’eaudeJaveldéverséesurson litdimanchesoir.Cen’étaitpasqu’Hardinenavaitquoiquecesoitàfoutredecettefille;c’étaitunequestiondeprincipe.
Aprèsça,lesmotsontcontinuéàsortirtoutseuls.Jen’avaisaucuncontrôlesureuxet,àchacunedenosrencontres,ilfallaitquej’écriveencore.Jedevaisparlerdufroncementdesonnezlorsqu’ellem’avaitexpliquéàquelpointelledétestaitleketchup.Enfin,quidétesteleketchup?
À chaque petit détail que j’apprenais sur elle,mes sentiments grandissaient. Je les ailongtempsrefoulés,maisilsétaientlà.
Quandons’estmisàhabiterensemble,c’estdevenuplusdifficiled’écrire. Je le faisaisdemoins enmoins,mais quand ça sortait, je planquaisma production dans une boîte àchaussuresdansleplacard.Jeviensd’apprendrequeTessal’avaittrouvéeetmevoilà,àmedemanderquandjevaisarrêterdecompliquermaviedemerde.
De nouveaux souvenirs m’assaillent et j’aimerais pouvoir simplement la brancher surmoncerveaupourqu’ellepuisseliremespenséesetdéchiffrermesintentions.
Si elle était dansma tête, elle pourrait voir la conversation quim’a fait venir àNewYork pour rencontrermes éditeurs. Ce n’est pas quelque chose que j’avais prévu de faire.C’estjustearrivé.J’avaisécritpasmaldetrucs,dessouvenirsmémorables:lapremièrefoisquejeluiaiditquejel’aimais,etladeuxièmefois,quandjenel’aipasrepris.Jerepenseàtouscessouvenirsquimedépassentenfaisant leménagedansnotrebordel,et jenepeuxpaslesempêcherdes’installerdansmatête.
Ilétaitadosséaupoteaudebut,bourréetlagueuledéfoncée.Pourquois’était-illancédansunebagarreaveccesmecsaubeaumilieud’unfeudecampàlacon?Ahouais,parcequeTessas’était barrée avec Zed qui lui avait raccroché au nez avec rien d’autre qu’une remarquesarcastiqueindiquantqu’elleétaitchezlui.
Ça l’a rendubienplusdingueque çane l’auraitdû. Il voulaitoublier tout ça,bloquer cesidées et ressentir cettedouleurphysiqueplutôtque cette inopportunebrûlurede jalousie.Est-cequ’elleallaitlebaiser?sedemandait-ilsanscesse.Est-cequ’ilallaitgagner?
Était-ce encoreunequestionde victoire ? Il n’aurait su le dire.Àunmomentdonné, touts’était emmêlé et Hardin n’arrivait pas à comprendre ce qui s’était passé, mais il en avaitconscience,enfinplusoumoins.
Ilposasonculdansl’herbeetessuyalesangàsabouchequandTessaapprocha.Hardinnevoyaitpastropclair,maisc’étaitvraimentelle,ilenétaitcertain.SurlecheminduretourchezKen,elles’agita,ellemanquaitd’assuranceetsecomportaitcommeunanimalenragé.
Elleseconcentrasurlarouteetdemanda:–Est-cequetum’aimes?Hardin fut surpris,merde, surprisàmort,pasdu toutprêtà répondreà cettequestion. Il
avaitdéjàproclamésonamourpourelle,puisétaitrevenusursesmotsetelleétaitlà,toujoursaussifolle,àluidemanders’ill’aimaitalorsquesonvisageenflaitetquelesbleusgrandissaientsoussapeau.
Biensûrqu’ill’aimait,ilnepouvaittromperpersonne.Hardinévitaderépondreà laquestionunboutde temps,maisce fut tropdifficilede tout
retenir et il lui cracha un « C’est toi, la personne que j’aime le plus aumonde ». C’était vrai,aussi embarrassant et inconfortable que ce fût d’admettre cette vérité. Il l’aimait et, depuis cejour-là,ilsutquesavieneseraitplusjamaislamême.
Mêmesielle lequittait, siellepassait lerestedesavie loinde lasienne, ilneseraitplusjamaislemême.Ellel’avaitchangéetilseretrouvaitlà,lespoingsensang,àvouloircequ’ilyavaitdemieuxpourelle.
Lejoursuivant,jemesuisretrouvéàdonneruntitreàcettepiledepapiers,froissésettachésdecafé:After.
Jen’étaistoujourspasdécidéàlepublierjusqu’àcequejefassel’erreurdeprendreleclasseur avecmoi lors d’une séance de thérapie de groupe il y a quelquesmois. Luke l’achopésousunechaiseenplastiquependantquejeracontaiscommentj’avaismislefeuàlamaisondemamère.
Mesmotsétaienthachés–jedétesteparlerdecebordel–,maisj’aigardélesyeuxau-dessusde leurs têtes quim’observaient curieusement, et fait comme si Tessa était là, avecmoidanscettepièce,qu’ellemesouriait,fièredemoid’avoirpartagémesmomentslesplussombresavecungrouped’étrangerstoutaussidéglinguésquejelesuis…quejel’étais.
J’allaisattraperleclasseurquandleDocteurTranamisfinàlaséance.Mapaniquen’aduréqu’uninstantquandj’aivuqueLukel’avaitdanslesmains.
–C’estquoitoutça?Ilparcouraitunepage.–Situm’avaisrencontrélemoisdernier,tuseraisentraind’avalertesdentsàl’heure
qu’ilest.Jel’aifusilléduregardetluiaireprisleclasseurdesmains.–Désolé,mec,jenesuispastrèsdouépourlesbonnesmanières.
Ilm’afaitunsouriremalàl’aiseet,vasavoirpourquoi,çam’adonnél’impressionquejepouvaisluifaireconfiance.
–Ondirait,ouais.J’ailevélesyeuxaucieletrangélesfeuillesvolantesaumilieuduclasseur.Ilarigolé.–Tumediscequec’estsijetepaieunelimonadeaubarducoin?–Onestpathétiquesàcepoint-là?Unduod’alcooliquessurlavoiedelaguérisonqui
négocientpourlireunehistoirevraie.J’aisecouélatête,medemandantcommentj’avaispuenarriverlàsijeune,maisj’étais
tellement reconnaissant envers Tessa. Si elle n’était pas entrée dans ma vie, je seraistoujoursàmecacherdanslenoir,toutseulàpourrirdansuncoin.
–Bon,unelimonadeneteferapasmettrelefeuàunemaisonetnemeferapasdiredesconneriesblessantesàKaci.
–Ok.Çaroulepourunelimonade.Je savais qu’il consultait le Docteur Tran pour plus qu’une thérapie de couple, mais
j’avaisdécidédenepasjouerauconnidelevanneravecça.Noussommesallésaurestaurantd’àcôté.J’aicommandéunetonnedebouffesurson
compteetj’aifiniparlelaisserlirequelquespagesdemaconfession.Vingtminutes plus tard, il a fallu que jemette fin à sa lecture. Il aurait tout lu si je
l’avaislaisséfaire.–C’esthyperbien,tontruc,mec.C’estvraiment…merdiqueàcertainspassages,mais
jecomprends.Cen’étaitpastoiquiparlais,maistesdémons.–Desdémons,hein?J’aiterminémonsodad’uneseulegrandegorgée.–Ouais,desdémons.Quand tuesbourré, tuenesblindé. Il yadespassagesque je
viensdelire,là,quinesontpasdetoi.Ilssontdetesdémons.J’ai secoué la tête. Il avait raison, bien sûr, mais je ne pouvais pas m’empêcher
d’imaginerunepetitecréaturerougeflippanteenformededragon,poséesurmonépaule,écrivantlesconneriesquinoircissentcertainesdecespages.
–Tuluiferasliretoutçaquandtuaurasterminé,non?J’aitrempéunboutdefromagedansunesauceetessayédenepasl’insulterpouravoir
pourrimondélireaveclespetitsdémonssurmesépaules.–Non.Iln’estpasquestionquejelalaisselirecettemerde.Tapantdudoigtsurmonclasseurencuir, jemesuissouvenude l’excitationdeTessa
quandj’aicommencéàl’utiliseraprèsqu’ellemel’avaitoffert.J’airepoussécetteidée,biensûr,maisj’aimelestrucsstupides,maintenant.
–Tudevrais.Enfin,virelestrucslesplusbarrés,surtoutlestrucssursastérilité.Tropdéconnant.
–Jesais.Je ne l’ai pas regardé, j’ai gardé les yeux rivés à la table et j’ai grimacé en me
demandant ce qui avait bien pu passer par mon cerveau malade quand j’avais écrit cessaloperies.
–Tudevraispenseràfaireuntrucavec.JenesuispasunexpertenlittératureouenHeningsway,maisjesaisquecequej’ailu,là,c’esttrèsbon.
J’aidéglutienchoisissantd’ignorerl’erreurdeprononciation.–Publiercetruc?Putain,pasmêmeenrêve!J’airigoléetmisuntermeàlaconversation.Mais à chaque entretiend’embauche, jeme faisais plus chier qu’auprécédent, putain
tellement chier, et j’en sortais chaque foismoinsmotivé, sans pouvoirm’imaginer plantermonculdansl’undecesbureaux.
Je voulais travailler dans le secteur de l’édition, vraiment, mais j’ai relu page aprèspagemes idées lesplusperversesetplus je lisaisetme souvenais, etplus jevoulais,non,plusj’avaisbesoind’enfairequelquechose.
Cespagesmesuppliaientd’aumoinsessayer,etjemedisaisquesiellelisaitça,quandj’auraisretirélesmomentslesplusdéconnants,elleaimerait.C’estdevenuuneobsessionetj’ai été surpris de constater que certaines personnes étaient intéressées par la lecture duparcoursd’unmecquiseprendenmainpourguérirtoutseul.
Déconnant,maisçalesfaisaitbicher.Grâceàunagentque j’avais connuenbossantchezVance, j’aienvoyéunexemplaire
parmailàchaquemaisond’éditionquejesentaisbien.Visiblement,lesjoursoùl’onpouvaitenvoyeruntasdefeuillesmi-écritesàlamain,mi-tapéesàlamachine,sontrévolus.
Ça serait ça,mon truc, oudumoins je le croyais. Je croyais que cebouquin serait cegrandgestedontelleavaitbesoinpouraccepterquejereviennedanssavie.Ok,j’aicruqueça prendrait desmois pour le faire publier et qu’elle aurait plus de temps pour faire sestrucsiciàNewYork.
Jenepeuxpasresterassisicipluslongtemps.Matoutenouvellepatienceadeslimitesetjeviensdelesatteindre.Putain,jedéteste,non,jehaiscetteidéedeTessasepromenanttouteseuledanscetteénormevilleparcequ’ellem’enveut.Elleestpartieassezlongtempsetj’aidesexplicationsàluidonner,beaucoupd’explications.
J’attrape ladernièrepagedubouquin et je la fourredansmapoche sansprendre lapeinede laplier.J’envoieuntextoàLandonet luidisde laisser laportedéverrouillées’ilrentreousort,puisjeparsàsarecherche.
Jen’aipasbesoind’allerbienloin,enrevanche.Quandjesors,jelatrouveassiseparterresurleperrondel’immeuble.Ellealeregard
perdudanslevague,maiselleestconcentrée,avecuneexpressionduresur levisage.Ellenemecalculepasquandjem’approched’elle.Cen’estquelorsquejem’assiedsàsescôtés
qu’ellesetourneversmoi,lesyeuxtoujoursdanslevague.Jel’observeavecattention,elles’adoucitlentement.
–Ilfautqu’onparle.Ellehochelatête,puisladétourne,dansl’attented’uneexplication.
74
Hardin
–Ilfautqu’onparle.Jerépètemaphraseetlaregarde,forçantmesmainsàrestersurmesgenoux.–Tum’endirastant.Elleseforceàsourire.Sesgenouxsontsales,marquésdevilainestracesrouges.–Ques’est-ilpassé?Tuvasbien?Mon projet de garder mes mains sur moi se barre en sucette à l’instant où elles
s’approchentpourtouchersesjambes,examinantsablessuredeplusprès.Ellesedétourne,lesjouesrougesetlesyeuxaussi.–J’aitrébuché,c’esttout.–Riendetoutçan’étaitcenséarriver.–Tuasécritunlivresurnousettul’asenvoyéàplusieurséditeurs.Commentétait-ce
censénepasarriver?–Non,jeveuxdiretoutça.Toietmoi,tout.L’airesthumideetj’aiplusdemalqueprévuàsortirlesmots,maisjepoursuis:–Cetteannéem’afaitl’effetdetouteunevie.J’aitantapprissurmoi,surlavieetsur
cequelaviedevraitêtre.J’avaisunevisioncomplètementdéconnantedel’existence.Jemehaïssaisetcettehaines’étendaitàtouteslespersonnesautourdemoi.
Ellerestesilencieuse,maisàsalèvreinférieuretremblotante,jevoisbienqu’ellefaitdesonmieuxpourgardersoncalme.
–Jesaisquetunecomprendspas,iln’yaquepeudemondequicomprenne,maislepire sentiment sur Terre, c’est de se haïr soi-même, et c’est à ça que je devais faire face,chaquejour.Cen’estpasuneexcusepourlesconneriesquejet’aifaitendurer.Jen’auraisjamaisdûtetraitercommeça,ettuavaistouteslesraisonsdumondedemequittercomme
tul’asfait.J’espèreseulementquetulirastoutlelivreavantdeprendretadécision.Tunepeuxpasjugerunlivresansleliredelapremièreàladernièrepage.
–J’essaiedenepasjuger,Hardin.Vraimentj’essaie,maisc’esttrop.Jesuissortiedeceschémaetjenel’aipasvurevenir;jen’arrivetoujourspasàsavoirquoipenser.
Elle secoue la tête comme si elle essayait de faire le tri dans ses pensées qui partentdanstouslessens.Jelevoisbienderrièresesbeauxyeux.
–Jesais,Bébé,jesais.Quand j’attrape l’unede sesmainspour la serrerdans lamienne, elle grimace. Je la
retournedoucementpourexaminerleszébruressursapaume.–Tuvasbien?Ellehochelatête,mepermettantdedessinerlablessureduboutdudoigt.–Qui voudramême lire ça ? Je n’arrive pas à croire qu’autant d’éditeurs veuillent le
publier.Tessa détourne le regard en se concentrant sur la ville qui, bizarrement, continue à
s’agiterautourdenous,toujoursaussifourmillante.–Pleindegens.Jehausselesépaules,décidéànedirequelavérité.– Pourquoi ? C’est tellement… atypique, pour une histoire d’amour. Je n’ai lu que
quelqueslignesetjevoisbienàquelpointc’estsombre.–Mêmelesdamnésontbesoinderaconterleurhistoire,Tess.–Tun’espasdamné,Hardin.Malgrélasensationdetrahisonqu’elledoitencoreéprouver,ellemeréconforte.Jesoupire,enpartied’accordavecelle.– Dans l’espoir d’une rédemption peut-être ? Peut-être pas, peut-être que certaines
personnesveulentseulementliredeshistoiresheureusespleinesdeclichés,maisilexistedesmillionsdegens,desgensimparfaitsquionttraversédestrucspassympasdansleurvie,etpeut-êtrequ’ils s’y retrouveront?Peut-êtrequ’ils s’identifierontàmonhistoireetputain…(jeme frotte lanuqued’unemain tremblante)…putain,peut-êtrequequelqu’unpourraittirerquelquechosedemeserreursetdestiennes.
Ellemeregardemaintenant,alorsque jevomiscesmotssur lebétondesescaliers.Jevoisencoreledoutedanssonregard,quimepousseàcontinueràparler.
–Peut-êtrequ’unjourtoutneserapasoutoutnoiroutoutblancet,putain,peut-êtrequetoutlemonden’estpasparfait.J’aibeaucoupdéconné,avectoietavecd’autres,çajeleregrette, et je ne recommencerai jamais ni ne me trouverai d’excuse. Là n’est pas laquestion.Celivrem’apermisd’évacuerdestrucs.C’étaituneautreformedethérapiepourmoi.Çam’adonnéunendroitoù jepouvaissimplementécrire toutceque jevoulaisetceque je ressentais. Il s’agitdemoietdemavieet jenesuispas leseul iciàavoirdéconné,c’esttoutunbouquindeconneries,etsilesgensmejugentpourlecontenusombredemon
histoire,çalesregarde.Jenepeuxpasplaireàtoutlemonde,maisjesaisqu’ilyauradesêtres,desêtrescommenousTessa,quipourrontseretrouverdanscebouquinetyverrontquelqu’unfairefaceàsesproblèmesetleurchercherunesolutionconcrète.
Lacommissuredeseslèvressesoulève,ellesoupireensecouantlégèrementlatête.–Etsi lesgensnel’aimentpas?Ets’ilsnelelisaientmêmepasmaisnousdétestaient
pource livre?Jenesuispasprêteà lesupporter.Jeneveuxpasque lesgensparlentdemavieetmejugent.
–Laisse-lesnoushaïr.Qu’est-cequ’onenaàfoutredeleuropinion?Ilsn’allaientpaslelire,detoutefaçon.
– C’est juste que… je n’arrive pas à savoir quoi penser de ça. Quel genre d’histoired’amourest-ce?
Savoixestdevenuefrêle,mêmeincertaine.–C’estletyped’histoired’amourquifaitfaceàdevraisproblèmesmerdiques.C’estune
histoiredepardonetd’amourinconditionneletçamontreàquelpointunepersonnepeutchanger, vraiment changer, si elle essaieassez fort.C’est le typed’histoirequiprouvequetout est possible quand on veut se guérir. Ça montre que si tu as quelqu’un sur qui tereposer,tupeuxtrouvertoncheminpoursortirdesténèbres.Çamontrequepeuimportelegenredeparentsquetuaseus,oulesaddictionsauxquellestuasdûfaireface,tupeuxtoutdépasseretdevenirunemeilleurepersonne.C’estçaletyped’histoirequ’estAfter.
–After?Ellemeregardeenlevantsamainpournepasêtreaveugléeparlesoleil.–C’estletitredulivre.(Jedétourneleregard,soudaingêné.)Çaparledemonvoyage
intérieuraprèst’avoirrencontrée.–Àquelpointc’estdéconnant?BonDieu,Hardin,pourquoinem’as-turiendit?–Jenesaispas.Cen’estpasaussiterriblequetulepenses.Tuaslulepire.Cespages
que tu n’as pas lues, celles qui sont la véritable essence de l’histoire, elles parlent del’immensitédemonamourpourtoi,ellesdisentquetuasdonnéunbutàmonexistenceetqueterencontreraétélameilleurechosequimesoitjamaisarrivée.Cespagesquetun’aspasluesparlentdenoséclatsderiredevantmesdifficultés,nosdifficultés.
Ellesecachelevisagedanslesmainsdansungestedefrustration.–Tuauraisdûmedirequetuécrivaisça.Ilyaeutantdesignes,commentai-jepules
ignorer?Jem’adosseauxmarchesdel’escalier.–Jesaisquej’auraisdût’enparler,maisaumomentoùj’aicomprisetoùj’aicommencé
àrectifiermeserreurs,jevoulaisquecesoitparfaitavantdetelemontrer.Jesuisvraimenttristepour ça,Tessa. Je t’aimeet je suisdésoléque tuaiesdécouvert ça commeça. Jenevoulaispasteblesserniabuserdetaconfiance,etjeregrettequetuaiesressentiça.Jenesuispluslemêmehommequeceluiquetuasquitté,Tessa.Tulesaisbien.
Ellemerépondd’unevoixàpeineplusfortequ’unmurmure:–Jenesaispasquoidire.– Lis-le simplement. Est-ce que tu pourrais lire tout le livre avant de prendre une
décision,s’ilteplaît?C’esttoutcequejetedemande,s’ilteplaît,lis-le.Ellefermelesyeuxetbougelégèrement,appuyantsongenoucontremonépaule.–Oui,jevaislelire.Un peu d’air entre dans mes poumons, un poids se retire de ma poitrine et je ne
pourraisdireàquelpointjesuissoulagé,mêmesij’essayais,iln’yauraitpasdemot.Elleselèveetépoussettesesgenouxégratignés.–Jevaistechercherquelquechoseàmettrelà-dessus.–Çava.–Quandvas-tuarrêterdechercherlabagarreavecmoi?J’essaied’allégerl’atmosphère.Çamarchecarelleréprimeunsourire.–Jamais.Elle remonte les escaliers et je me lève pour la suivre. J’ai envie d’aller dans
l’appartementetd’êtreassisàcôtéd’ellependantqu’ellelittoutleroman,maisjesaisquejeneledevraispas.J’utiliselepeuderaisonquimeresteetdécidedepartirenpromenadedanscettesaleville.
–Attends!Je l’appelle quand elle arrive en haut des marches. Je sors la feuille froissée de ma
poche.–Lisçaendernier,s’ilteplaît.C’estladernièrepage.Elletendlamain.Jeremontelesmarchesdeuxpardeuxetluimetleboutdepapierdanslamain.–S’ilteplaît,pasdepetitcoupd’œilcurieux.–Promis.Tessarepartetj’observesamanièredetournerlatêteetdem’envoyerunsourire.L’un de mes plus grands souhaits dans la vie, ce serait qu’elle comprenne, qu’elle
comprenne vraiment qu’elle est unique. Elle est l’une des rares personnes sur Terre quisachecequ’estlepardon,etsicertainsdisentd’ellequ’elleestfaible,ilsn’ontriencompris,elleesttoutlecontraire,enfait.Elleestforte,forted’êtrerestéeauxcôtésdequelqu’unquisedétestait.Fortedem’avoirmontréquejen’étaispasdamné,quejesuisdigned’êtreaimé,aussi, même si j’ai grandi en croyant le contraire. Elle a été assez forte pour me quitterquandelle l’a faitetelleestassez fortepourm’aimer inconditionnellement.Tessaestplusfortequelaplupartdesgens,etj’espèrequ’ellelesait.
75
Tessa
Quand j’entre dans l’appartement, je prends un instant pour rassemblermes esprits qui
partentdanstouslessens.J’arriveprèsduclasseurposésurlatable,touteslespagesysontfourréespêle-mêle,dansuncompletdésordre.
J’attrape la première page, retenant mon souffle pour me préparer à entamer malecture.Est-cequesesmotsvontme fairechangerd’avis?Est-cequ’ilsvontmeblesser? Jenesuismêmepassûred’êtreprêteàaffrontercettedécouverte,mais jesaisquej’aibesoindefaireçapourmoi.J’aibesoindeliresontexteetladescriptiondesesémotionspourvoircequi se tramait dans sa tête pendant tout ce temps, lorsque je ne pouvais pas lire ce qu’ilécrivait.
C’està cet instantqu’il sut.À cemoment, il sutqu’il voulaitpasser le restantde ses joursavecelle,quesavien’auraitdesens,qu’elleseraitinsignifianteetvide,sanslalumièrequeTessaluiapportait.Elle luidonnaitde l’espoir.Elle lui faisait sentirquepeut-être, justepeut-être, ilpouvaitêtreplusquesonpassé.
Jelaissetomberlapageparterreetj’encommenceuneautre.
Ilnevivaitquepourlui-même,puisleschosesontchangé,ilnes’agissaitplusdeseréveilleretderetournerdormir,c’étaitbienplus.Elleluidonnaittoutcedontilavaitbesoinsansl’avoirjamaissu.
Iln’arrivaitpasàcroirelamerdequisortaitdesabouche.Ilétaitrépugnant.Ilblessaitlesgensquil’aimaientetnepouvaits’enempêcher.Ilseposaitsanscessecettequestion:«Pourquoi
m’aiment-ils ? Je ne suis pas digne de leur amour. » Ces pensées polluaient son esprit, lehantaient,mêmes’ils’encachait.Ellesrevenaienttoujours.
Il voulait embrasser ses larmes pour les effacer, il voulait lui dire qu’il était désolé, qu’ilétaitunhommedétruit,maisilnelepouvaitpas.Ilétaitlâcheetincapabled’êtreréparétantilétaitfoutu,etluiinfligerçanefaisaitqu’alimentersahaineenverslui-même.
Son rire, c’est son rire qui l’a fait passer des ténèbres à la lumière. C’est son rire qui l’atraînéparlecolàtraverstoutescessaloperiesquiencombraientsonespritetquiinfectaientsespensées.Iln’étaitpaslemêmegenred’hommequ’étaitsonpèreet,àl’instantoùellelequitta,ildécidaqu’ilnelaisseraitplusjamaisleserreursdesesparentscontrôlersavie.Ildécidaalorsquecette femme était digne de plus que ce qu’un hommedétruit pouvait attendre, et il fit tout cequ’ilputpourserattraper.
Je continue à lire ses confessions, toutes plus sombres les unes que les autres, pageaprès page. Mes larmes ont maculé mes joues et quelques-unes des pages de sa si bellehistoiredétraquée.
Ilfallaitqu’illuidise,ilfallaitqu’illuidiseàquelpointilétaitdésoléd’avoireuleculotdeluibalancerl’argumentdesgaminsenpleinetête.Ilétaitégoïste,nepensaitqu’àlablesser,etiln’étaitpasprêtàadmettrequ’ilvoulaitvraimentpassersavieavecelle.Iln’étaitpasprêtàluidirequ’elle serait laplusmerveilleusedesmères,qu’ellene serait jamais comme la femmequil’avaitélevée. Iln’étaitpasprêtà luidirequ’ilessaieraitdetoutsonêtred’êtreassezbienpourl’aideràéleverunenfant. Iln’étaitpasprêtà luidirequ’ilétaitabsolumentterrifiéà l’idéedereproduire les erreurs de son père et pas prêt à admettre qu’il avait peur d’échouer. Il neconnaissaitpaslesmotsquiluipermettraientdeluidirequ’ilnevoulaitpasrentreràlamaisonbourré et que ses enfants le fuientpour se cacherde lui comme lui l’avait faitavec sonproprepère.
Il voulait l’épouser, passer sa vie à ses côtés, se vautrer dans sa bonté. Il ne pouvaits’imaginerdeviesanselleet ilessayaitdetrouverunmoyendele luidire,deluimontrerqu’ilpouvaitvraimentchangeretqu’ilpouvaitêtredigned’elle.
Bizarrement, le tempspasseet jemeretrouverapidemententouréed’unecentainedefeuilles éparpillées par terre. Je ne sais pas combien de temps a passé et il me seraitabsolumentimpossibledecompterleslarmesquiontcoulédemesyeuxoulessanglotsquisesontéchappésdemeslèvres.
Pourtant,jecontinue;jelistouteslespageséparses,dansledésordre,maisjefaisbienattentionàm’imbiberdetouteslesconfessionsdel’hommequej’aime,leseulhommehormismon père que j’ai jamais aimé et lorsque j’ai fini la pile de papiers, il fait sombre dansl’appartement,lesoleilestpresquecouché.
Je regarde autour de moi pour voir le bazar que j’ai mis et je l’apprécie dans sonensemble.Mesyeuxparcourentlesol,puismarquentunepauseenremarquantlabouledepapier sur la petite table dans l’entrée. Hardin a dit que c’était la dernière page, lavéridiquedernièrepagede cettehistoire, notrehistoire, et j’essaiedeme calmer avantdel’attraper.
Mamaintrembleenseposantdessus.Jeladéfroissepourlirecesmots:
Ilespèrequ’unjourelle liraçaetqu’ellecomprendraàquelpoint ilétaitdétruit. Ilne luidemandepassapitiéousonpardon;ilneluidemandequedevoiràquelpointelleatransformésavie.Qu’elle,cettebelleétrangèreaucœurd’or,estdevenuesalignedevieetqu’elleafaitdelui l’homme qu’il est devenu. Il espère que par cesmots, peu importe que certains d’entre euxsoient sidurs, elle sera fièred’elle,d’avoir réussià traînerunpécheurdu fin fondde l’enferauparadis,luipermettantdeselibérerdesdémonsdesonpasséverslarédemption.
Ilpriepourquechacundecesmotsluiailledroitaucœuretquepeut-être,justepeut-être,elle l’aime après toutes les épreuves qu’ils ont traversées. Il espère qu’elle sera capable de serappelerpourquoiellel’aime,pourquoielles’estbattuesifortpourlui.
Enfin,ilespèreque,oùqu’ellesoitenlisantcelivrequ’ilaécritpourelle,elleleliralecœurlégeretqu’elleluitendralamain,mêmesicesmotsnelatrouventquedansplusieursannées.Ilfautqu’ellesachequ’iln’apasrenoncé.Tessadoitsavoirquecethommel’aimeratoujoursetqu’ill’attendralerestantdesesjours,qu’elleluirevienneounon.Ilveutqu’ellesachequ’ellel’asauvé,qu’ilnepourrajamaisluiremboursercettedettepourtoutcequ’elleafaitpourlui,qu’ill’aimedetoutesonâmeetqueriennechangerajamaisça.
Il veut lui rappeler que « de quoi que soient faites nos âmes, la sienne et lamienne sontpareilles.»C’estleurromanpréféréquienparlelemieux.
Je rassemble toutes les miettes de force qui me restent et quitte l’appartement avectoutescesfeuilleséparpilléesparterre.Jetiensfermementladernièrepageserréedansmamain.
76
Tessa
Deuxansplustard
–Tuesabsolumentsuperbe,unemagnifiquemariée!
JefaisunsignedetêtepourmontrermonaccordàKarenetremetsenplacelabretelledemaproprerobed’uncoupd’œildanslemiroir.
–Ilvaêtrescotché.Jen’arrivetoujourspasàcroirequecejoursoitenfinarrivé.Je souris enmettant une dernière épingle dans les épais cheveux bouclés, coiffés en
anglaises,quibrillentsousleslumièresdelapetitesallederrièrel’église.J’aipeut-êtremisunpeutropdepaillettesdanssescheveux.–Etsijetrébuche?Ets’ilmeplantetouteseuledevantl’autel?LasublimefiancéedeLandonparled’unevoixfluette,sistresséequ’ellepourraitcéder
àtoutinstant.–Ilseralà.Kenl’aconduitàl’églisecematin.Monmarinousauraitalertéess’ils’était
passéquoiquecesoit.Karenrit,cequinousrassuretouteslesdeux.–Landonnerateraitpasçapourtoutl’ordumonde.Je luipeux lui fairecettepromesse, j’aivusonvisageet j’aiessuyé les larmessousses
yeuxquandilm’amontrélabaguequ’ilavaitchoisiepourelle.–J’espèrebienquetuasraison.Sinon,jeseraisvraimentencolère.Elle laisseéchapperunrirenerveux.Elleaunsi jolisourire,etmêmequandl’anxiété
affleurelasurfacedesabeauté,ellesetientplutôtbien.Demesdoigts,jecaressesesbouclesbrunespuisj’ajustelevoiletransparentsursatête.
Uncoupd’œilàsonsijolivisagedanslemiroiretjelèvelamainpourtouchersonépaulenue. Ses yeux bruns sont pleins de larmes et elle mâchouille nerveusement sa lèvreinférieure.
–Toutvabiensepasser,tuvasêtrefantastique.
L’argentdema robebrille sous les spotset j’admire labeautédechaquedétaildecemariage.
–Est-cequec’esttroptôt?Çanefaitquequelquesmoisquenousnoussommesremisensemble.Tucroisquec’esttroptôt,Tessa?
Cesdeuxdernièresannées,jemesuistellementrapprochéed’ellequejepourraissentirson inquiétude rien qu’au tremblement de ses doigts quand ellem’a aidée à refermermarobededemoiselled’honneur.
Jesouris.–Non,cen’estpastroptôt.Touslesdeux,vousaveztraversétellementd’épreuvesces
deuxdernièresannées.Turéfléchistrop.Et,crois-moi,j’enconnaispasmalsurlesujet.–Tuaspeurdelevoir,lui?Sesyeuxscrutentmonvisage.Oui.Terrifiée.Peut-êtremêmeunpeupaniquée.–Non,çanefaitquequelquesmois.–C’esttroplong.LamèredeLandonsembleparlerpourelle-même.J’ai lecœurlourd, j’écarteladouleurquiaccompagnetoutesmespenséespourlui.Je
ravale les mots que je pourrais dire, devrais dire même, peut-être. Puis je changerapidementdesujet:
–Vousarrivezàcroirequevotrefilssemarieaujourd’hui?MondérivatiffaitdesmiraclesetKarensourit,pousseunpetitcrietsemetàpleureren
mêmetemps.–Zut,monmaquillagevacouler.Ellepasselesdoigtssoussesyeuxetsecouelatête,remuantsescheveuxchâtainclair.Quelqu’unfrappeàlaporte,cequinousfaittairetouteslestrois.–Chérie?Ken parle d’une voix douce et prudente. C’est ce qui doit arriver à un homme qui
approcheunemariéedansunesallerempliedefemmesémues.Kenouvrelaporte,safillesurlahanche.–Abbyvientdeseréveillerdesasieste.Ses cheveux bruns et ses yeux marron brillants sont étonnants, c’est comme s’ils
éclairaientchaquepiècedanslaquelleentrelapetitefille,vêtued’uneravissanterobegriseetblancheKarlMarcJohn,digned’uneprincesse.
–Jen’arrivepasàtrouverlesacavecsonchange.–Ilestlà,àcôtédelachaise.Tupeuxluidonneràmanger?J’aipeurquedelapurée
depoiséclaboussemarobe.KarenritentendantlesbrasversAbbyetajoute:–Elleestunpeuprécocepourlafameuseétapedesdeuxans.
Lapetitefillepoteléesouritetmontreunerangéedeminusculespetitesdents.–Mama!ElletendlesdeuxbraspouratteindrelesbretellesdelarobedeKaren.J’ailecœurquifondchaquefoisquej’entendsAbbyparler.–Salut,MissAbby.Je chatouille la petite fille sous la joue, ce qui la fait rire.Quel joli bruit ! J’ignore le
regardcompatissantdeKarenetdelafuturefemmedeLandon.–B’jour.Abbyenfouitsonvisagedansl’épauledesamère.–Êtes-vousbientôtprêtes,Mesdames? Ilnenous restequedixminutesavantque la
musiquecommence,etLandonstresseunpeuplusàchaquesecondequipasse.Kennousinciteàaccélérer.–Ilvabien,hein?Ilveuttoujoursm’épouser?Lafuturemariées’inquiètedevantsonfuturbeau-père.Kenluioffreunsourirepétillantquigagnelecoindesesyeux.– Oui,ma chère, bien sûr qu’il veut t’épouser. Landon est nerveux au possible,mais
Hardinl’aideàgérerça.Toutlemonderitenentendantcettephrase,mêmemoi.Lamariéegrimace,pleined’humour,etsecouelatête.– Si Hardin « aide à gérer », je ferais mieux d’annuler mon voyage de noces
immédiatement!– Bon, allons-y. Je vais donner un petit truc à manger à Abby pour qu’elle tienne
jusqu’àlaréception.Kenembrassesafemmesurlaboucheavantdereprendrelapetitefilledanssesbraset
dequitterlapièce.–Oui.S’ilvousplaît,nevousinquiétezpaspourmoi,jevaisbien.Je leur promets à toutes les deux que je vais bien. Cette espèce de relation longue
distanceavecHardinmevabien. Ilmemanquetout le temps,oui,maisc’estcequ’ilnousfallait.
Lepirequandonvabien,c’estqu’onestloind’êtreheureux.Allerbien,c’estcettezonegrisedanslaquelleonpeutseréveillertouslesjours,continueràvivre,mêmerireetsouriresouvent,maisbienn’arienàvoiraveclajoie.Biennedonnepasenviedeprofiterdechaquesecondedelajournéeetbien,cen’estpastirerlemaximumdesonexistence.Bien,c’estcequelamajeurepartiedesgensacceptent,moilapremière,etsinousprétendonsqueçavabien,enfaitnousdétestonsçaetpassons laplusgrandepartiedenotretempsàattendredesortirdecettezonedujustebien.
Ilm’adonnéunavant-goûtdelavieau-delàdecebien,etdepuisçamemanque.
Ça fait longtemps que je vais bien et je ne suis pas trop sûre de savoir comment ensortirmaintenant,mais j’espèrequ’unjourviendraoùjepourraidirequejevaissuperbienplutôtquebien.
Jesourisàlafemmechanceusedevantmoi.–Prête,MadameGibson?–Non,répond-elle,maisjeleseraidèsquejeleverrai.
77
Hardin
–Dernièrechancepourtetirer.
J’aideLandonàajustersacravate.–Merci,connard.J’aiportéplusd’unecentainedecravatesdansmavie,maiscelle-ci
refusederesterdroite.Ilrepoussemesmainsquifoutentlebordeldanssacravatedetravers.Ileststresséetçam’émeut.Plusoumoins.–N’enmetspasalors.Illèvelesyeuxauciel.–Jenepeuxpasnepasmettredecravate,jememarie.–C’est exactementpour çaque tupeuxnepasporterde cravate.C’est ta journée et
c’esttoiquipaies.Situneveuxpasporterdecravate,alors,putain,n’enmetspas.Putain,si c’étaitmoi qui y passais aujourd’hui, ils auraient de la chance si je portais ne serait-cequ’unpantalon!
Monmeilleuramiritettriturelacravateautourdesoncou.–C’estpasplusmalquecenesoitpaslecas,alors.Jeneviendraipaspourassisteràce
spectacle.–Toietmoinoussavonsquejenememarieraijamais.Jemeregardedanslemiroir.Landoncroisemonregard.–Peut-être.Tuvasbien,hein?Elleestlà.Tonpèrel’avue.Putainnon,çanevapas.–Ouais, ça va. Tu fais comme si je ne savais pas qu’elle serait là ou comme si je ne
l’avaispasvuecesdeuxdernièresannées?
Je ne l’ai vraiment pas assez vue, mais elle avait besoin de rester loin de moi. Jecontinue:
–Elleesttameilleureamieetlademoiselled’honneurdetafuturefemme.Iln’yapasd’effetdesurprise.(Jeretirelacravateautourdemoncouetlaluidonne.)Tiens,latienneestàchier,prendslamienne.
–Ilfautquetuportesunecravate,çavaavectoncostard.–Tusaistrèsbienquetuasdéjàdelachancequejeportecetruc.Jetiresurl’épaistissuducostumequejeporte.Landonfermebrièvementlesyeuxetsoupireàlafoisdesoulagementetdefrustration.–J’imaginequetuasraison.Merci.–Etmercideporterdesfringuesàtonmariage?–Tagueule!Il lève les yeux au ciel et passe lamain sur lesmanches de son impeccable smoking
noir.–Etsiellemeplantaitàl’autel?–Elleseralà.–Maissiellenevenaitpas?Jesuisdinguedememarieraussirapidement?–Oui.–Bon,merci.Jehausselesépaules.–Cen’estpasplusmald’êtredingue.Ilscrutemonvisageàlarecherched’unsignequejepourraiscraqueràtoutmoment.–Est-cequetuvasessayerdeluiparler?–Oui,biensûr.J’aiessayéd’entamerlaconversationavecelleaudînerderépétition,maisKarenetla
fiancée de Landon lui collaient aux basques. J’ai été très surpris que Tessa les aide àpréparerlemariage;jenesavaispasqu’elleaimaitcegenredetruc,maisvisiblement,elleestplutôtdouéepourça.
–Elle estheureusemaintenant ; pas totalementheureuse,mais laplupartdu temps,ellel’est.
Sonbonheurestcequ’ilyadeplusimportantetpasseulementpourmoi,lemondeneseraitpas lemêmesiTessaYoungn’étaitpasheureuse.Je lesaurais, j’aipasséuneannéeentière à la vider de toute substance de vie, tout en la faisant briller. C’est déconnant etpersonne ne peut le comprendre, mais je n’ai et n’aurai jamais rien à foutre du mondeextérieurquandils’agitdecettefemme.
–Cinqminutes,lesgars.Kennousrappelleàl’ordredel’autrecôtédelaporte.
Cettepièceestpetite.Ellesent levieuxcuiret lanaphtaline,maisc’est lemariagedeLandon.Jevaisattendrelafindelaréceptionpourm’enplaindre.
Peut-être que je vais direct allerme plaindre à Ken. J’imagine que c’est lui qui règlel’additionpourtoutcemerdierdetoute façon,vu les financesdesparentsde la fiancéeettout.
JedemandeunedernièrefoisàLandon:–Prêt,espècedetaré?–Non,maisjeleseraiquandjelaverrai.
78
Tessa
–OùestRobert?
Karenregardeautourd’elle,parmilesconvivesdecepetitmariage.–Tessa?Tusaisoùilestparti?Savoixestpaniquée.Robertaprissurluidedivertirlapetitefillependantquelesfemmessebouclaientles
cheveuxetsemaquillaient.Maintenantquelemariagecommence,ildevraitreprendresonrôle,maispersonnen’arriveàletrouveretKarennepeutpastenirAbbytoutenparticipantàlapremièrepartiedumariage.
–Jevaislechercher.Je regarde parmi les invités.Abby se débat dans les bras deKaren qui a l’air à deux
doigtsdepéterunplomb.–Ah,tiens!Levoilà…Maisjen’entendspaslerestedelaphrasedeKaren.Jesuiscomplètementdistraitepar
lesondelavoixd’Hardin.Ilsortdulongcouloiràgauche,parlantlentementcommeil lefaittoujoursquandils’adresseàLandon.
Ses cheveux sont encore plus longs que sur les dernières photos que j’ai vues de luirécemment.Jenepeuxpasm’empêcherdeliretoutlesarticlessurlui,qu’ilssoientprochesdelavéritéounonetpeut-être,justepeut-être,quej’aienvoyéquelquesmailsenflammésetbourrésdereprochesàdesblogueursquiécrivaientdeschosesatrocessurluietsonhistoire,surnotrehistoire.
Je suis surprisede voirunanneaumétalliqueà sa lèvre,même si je savais qu’il avaitréapparu.J’avaisoubliéàquelpointçaluiallaitbien.Jesuisfaite,totalementanéantiedele revoir, renvoyée dans un monde où j’ai dû tant me battre et dans lequel j’ai perdu
pratiquement toutes lesbataillesauxquelles j’aidû faire face,etdont jenesuispartiequedépourvuedelaseuleraisondemoncombat:lui.
–IlfautuncavalieràTessa;sonpetitamin’estpasvenu.Jenesaispasquiaditça,maisenentendantmonnom,Hardinseconcentresoudain.
Ses yeux me cherchent une demi-seconde avant de me trouver. Je romps ce lien enregardantmeschaussuresàtalonsqu’onaperçoitàpeinesousmarobelongue.
–Quiaccompagnelademoiselled’honneurdanslecortège?C’estlasœurdelafuturemariéequiaposélaquestionàlaronde.Ellepousseungros
soupirenmepassantdevant,commesiellefaisaittout…J’aiplusœuvrépourcemariagequ’elle,maisvusonniveaudestress,onpourraitcroire
lecontraire.–Moi,jevaislefaire.Hardinlèvelamain.Il a l’air si sûr de lui, si incroyablement beaudans son costume sans cravate. L’encre
noire de ses tatouages s’échappe du col blanc immaculé de sa chemise. Je sens quelquechosededouxtouchermonbras.Jeclignedesyeux,essayantdenepaspenseraufaitquenousnoussommesàpeineadressélaparolehiersoiretquenousn’avonspasrépétécetteentréecommenousaurionsdûlefaire.Jehochelatête,m’éclaircislagorgeetdétachemonregardd’Hardin.
–Alorsc’estparti.Futurmariéàl’autel,s’ilvousplaît.La sœur tape impérieusement dans sesmains et Landon se dépêche de semettre en
place,meserrantgentimentlesdoigtsaupassage.Inspirer.Expirer.Çanevadurerquequelquesminutes,moinsqueça,même.Cen’est
pasunconcepttropcompliqué.Noussommesamis.Jepeuxlefaire.PourlemariagedeLandon,biensûr.Jemebatsuninstantcontremoi-mêmepourne
paspenseràuneautreremontéedenefd’égliseoùjeleretrouverais,lui,àl’autel.Hardinestàmescôtés,silencieux,etlamusiquecommence.Ilaleregardrivésurmoi.
Je le sais,mais je ne peux pas lever les yeux sur lui. Avec ces chaussures, j’ai presque lamêmetaillequeluietilestsiprochedemoiquejesensledouxparfumquis’accrocheàsoncostume.
La petite église a été transformée, le décor est simplemais très joli et les invités ontcalmement rempli quasiment tous les rangs. De magnifiques fleurs, si hautes en couleurqu’elles en sontpresque fluorescentes, couvrent les bancs enbois, etdu tissublancdrapechaquerangée.
–C’estpasunpeutropcoloré?Desimpleslysrougesetblancsauraientfaitl’affaire.Hardin me surprend en disant une chose pareille. Il passe ensuite son bras derrière
mon coude alors que la pimbêche de sœur nous fait signe d’entamer notre remontéed’église.
–Oui,deslysauraientétéduplusbeleffet.Maisc’estjoli,aussi,çaleurvabien.–Tonpetitamiledocteurafièreallure.Hardinmetaquine.Jeleregarde.Ilsouritetjenelisquedel’amusementdanssesyeuxverts.Lalignede
samâchoire est encoreplusnette qu’avant et ses yeux sontplusprofonds,moins réservésqu’avant.
–Ilestencoreàlafac,iln’estpasencoremédecin.Oui,ilafièreallure.Ettusaisqu’iln’estpasmonpetitami,alorstais-toi.
J’ai déjà eu cette conversation avec Hardin de nombreuses fois ces deux dernièresannées.Robertestunamisur lequel jepeuxcompter, riendeplus.Nousavonsessayédesortirensembleunjour,environunanaprèsquej’avaistrouvélemanuscritd’Hardindansnotreappartement,maisçan’apasmarché.Onnedevraitsortiravecpersonnesisoncœurappartientàquelqu’und’autre.Çanefonctionnepas,faites-moiconfiance.
–Etcommentallez-voustouslesdeux?Çafaitquoi,unan,c’estça?Savoixtrahitl’émotionqu’ilchercheàcacher.–Ettoi?Cetteblonde,là.Comments’appelle-t-elle?Cettenefestbienpluslonguequ’ellen’enal’air.Jereprends:–Ahouais,Eliza,ouuntrucdanslegenre?Ilrigoledoucement.–Ahah!J’aime bien le faire chier avec sa groupie, Eliza, qui s’est révélée légèrement
psychopathe.Jesaisqu’iln’apascouchéavecelle,maisçamefaitriredel’embêteravecçaquandjelevois.
–Bébé,ladernièreblondequiafréquentémonlit,c’étaittoi.Il sourit. Je me prends les pieds dans ma robe et Hardin rétablit mon équilibre en
resserrant sa prise sur mon coude avant que je ne tombe la tête la première sur la soieblanchequirecouvrelesol.
–Ahouais?–Ouais.Ilgardesesyeuxbraquéssurlechœurdel’égliseoùsetrouveLandon.–Tuasremistonpiercing.Je change de sujet avant de plonger plus loin dans l’embarras.Nous passons devant
mamèrequiestassisecalmementàcôtédesonmari,David.Elleal’airlégèrementinquiète,maisjeluisuisreconnaissantedesourireàHardinlorsquenouspassonsdevantelle.Davidsepencheverselle, luimurmurequelquechoseetelleseremetàsourireen lui faisantunpetitsignedetête.
Hardinmemurmure:–Elleal’airplusheureuse,maintenant.
Nousnedevrionspasparlerenremontant lanef,maisHardinetmoisommesconnuspourfairecequ’ilnefautpas.
Il m’a manqué, bien plus que je ne le montre. Je ne l’ai vu que six fois ces deuxdernièresannéesetàchaquevisite,j’aieuplusmalqu’àlaprécédente.
–Ellel’est.Davidauneinfluenceincroyablesurelle.–Jesais,ellemel’adit.Jem’arrête encore. Cette fois-ci,Hardin sourit tout en continuant àme faire avancer
danscettenefsansfin.–Qu’est-cequetuveuxdire?–Tamère,jeluiaiunpeuparlédetempsentemps.Tulesais.Jenevoispasdutoutdequoiilveutparler.–Elleestvenueàunedédicacelemoisdernier,quandmondeuxièmelivreaparu.Quoi?–Qu’est-cequ’elleadit?Je rend compte que je parle trop fort quand plusieurs invités nous regardent avec
insistance.–Onenparleraplustard.J’aipromisàLandonquejenefoutraispassonmariageen
l’air.Hardin me sourit lorsque nous atteignons l’autel et j’essaie, j’essaie vraiment de me
concentrersurlemariagedemonmeilleurami.Maisjenepeuxpasdétachermonregarddutémoin.
79
Hardin
Finalement, laréceptionaprèslemariageestsupportable.Lesgensontunpeumoinsun
balaidansleculetquelquesverresd’alcoolserviàvolonté,accompagnésd’undînerquiadûcoûterbonbon,yaidentbien.
Lemariages’estpassésansaccroc:lefiancéapluspleuréquelamariéeetjesuisfierdemoiden’avoir regardéTessaquequatre-vingt-dix-neufpourcentsde la cérémonie. J’aientendu une partie des vœux, je le jure.Mais c’est tout, en revanche. À voir les bras deLandon autour de la taille de sa nouvelle femme qui rit à ses remarques pendant qu’ilsdansentdevanttoutlemonde,jediraisquelemariages’estbienpassé.
–Jeprendraidel’eaugazeusesivousavezça.Jem’adresseàlafemmederrièrelebar.–Avecdelavodkaoudugin?Elledésignelesrangéesdebouteillesderrièreelle.–Aucundesdeux,justedel’eaugazeuse.Pasd’alcool.Ellemefixeuninstantavantdehocherlatêteetderemplirunverreavecdesglaçons
etriend’autrequedel’eau.–Ah!tevoilà.C’estunevoixque jeconnaisbienetunemaintouchemonépaule.Vanceestderrière
moi,safemme,enceinte,àsescôtés.–Tumecherchais,peut-être?Unepointedesarcasmedansmavoix.–Absolumentpas.Kimberlysourit,samainestposéesursonénormeventre.–Çava?Ondiraitquetuvastomberaveccetruc.
Jebaisselesyeuxpourregardersespiedsenflés,puisjereviensàsonairrevêche.–Cetruc,c’estmonbébé.Jesuisdansmonneuvièmemois,mais jepourrais encore te
collerunebaffe.Tiens,ondiraitqu’ellealalanguetoujoursaussibienpendue.–Situpeuxallerplusloinquetonventretelepermet,biensûr.Jelataquine,maisellemeprouvequej’aitort:effectivement,jemeprendsuneclaque
surlebrasparunefemmeenceinteàunmariage.Jeme frotte le biceps comme si ellem’avait vraiment faitmal et elle semarrequand
Vancemeditquejesuisuntrouduculdemefoutredelagueuledesafemme.Arquantunsourcilsuggestif,ilmefaitremarquer:–TuétaisparfaitenremontantlanefavecTessaàtonbras.J’en perdsmon souffle. Jeme gratte la gorge en cherchant dans la pièce sombre ses
longscheveuxblondsetcettescandaleuserobeensatin.–Ouais, jenevoulaispas fairedetrucsdemariageà lacon,àpartêtre le témoinde
Landon,maiscen’étaitpassiterrible.Kimajoutesciemment:– Cet autre gars-là, tu sais que ce n’est pas son mec. Tu n’es pas tombé dans le
panneau,hein?Ellepassepasmaldetempsaveclui,maisàlesregarderensemble,onvoitbienqu’iln’yariendesérieuxentreeux.Pascommequandvousêtesensemble.
–Quandvousétiez.Kimmefaitungrandsourire,preuveéclatantequ’ellen’estpasdupe,etmefaitsigne
desuivresonregardverslatablelaplusprochedubar.Tessayestassise,sarobesoyeusebrille sous les lumières changeantes. Elle a le regard tourné vers moi, ou peut-être versKimberly.Non,ellemeregarde,moi,etellesedétournevitefait.
–Tuvois,c’estbiencequejetedisais,touslesdeux,vousêtes.Elleabeauêtreenceintejusqu’auxyeux,Kimberlygardecetairsûred’elleetsemarre
en se foutant de moi. Je vide mon verre d’un coup et balance le gobelet avant derecommanderdel’eau.J’ail’estomacenvracetjemecomportecommeunputaindemômeencemoment,essayantdenepasregardercommeunobsédé la jolie fillequiavolémoncœurilyatantd’années.
Ellen’apas volé cettemerde.Elle l’a trouvée ;d’abord c’est ellequi adécouvertquej’avaisuncœuretellel’adéterré.Malgrétousnoscombats,ellen’ajamaisabandonné.Ellea trouvémon cœur et l’a gardé en sécurité. Elle l’a protégéde cemondede barges. Plusimportantencore,elle l’aprotégédemoi-même, jusqu’àcequejesoisprêtàm’enoccupertout seul. Elle a essayé de me le rendre il y a deux ans, mais mon cœur a refusé de laquitter.Ilnelaquitterajamaisd’ailleurs.
–Touslesdeux,vousêteslesdeuxpersonneslesplustêtuesquej’aierencontrées.
Vancepassecommanded’unverred’eaupourKimberlyetd’unverredevinpourluietajoute:
–Est-cequetuasvutonfrère?JeregardeautourdemoipourchercherSmith,quejedécouvreassisàquelquestables
deTessa,toutseul.JedésignelegaminetVancem’enjoinsd’allerlevoirpourluidemandercequ’ilveutboire.Cemômeestassezvieuxpourallersechercheruntrucàboiretoutseul,mais je préfère éviter de m’asseoir à une table avec Monsieur et Madame Suffisant. Jem’approchedelatabledéserteetprendslachaiseàcôtédecelledemonpetitfrère.
–Tuavaisraison.Smithmeregardedroitdanslesyeux.–Àproposdequoi,cettefois-ci?Jem’adosseàlachaisedécoréeetmedemandecommentLandonetTessapeuventdire
que ce mariage est « petit et simple » alors qu’ils ont recouvert toutes les chaises d’unemerdefaçonrideau.
–Àproposdesmariages,c’estchiant.Smithsourit. Il luimanquequelquesdents,dontunedevant. Ilestvraimentadorable
danslegenreintellominiaturequisefoutcomplètementdesgensquil’entourent.–J’auraisdûtefaireparierdufric.JerigoleetreprendsmonobservationdeTessa.Smithlaregardeaussi.–Elleestjolieaujourd’hui.– Ça fait des années que je te dis de ne pas t’approcher d’elle, sale mioche, ne me
poussepasàtransformercemariageenenterrement.Je lui tape doucement l’épaule, ce qui le fait sourire de travers etmontrer ses dents
manquantes.J’aimeraisallerlarejoindreàsatableetvirersonpotelepresque-docteuràlaconpour
m’asseoiràsaplaceàcôtéd’elle.J’aimerais luidireàquelpointellebelle,àquelpoint jesuisfierdelavoirexcelleràNYU.J’aimeraislavoirrepousserleslimitesdesonself-controletl’entendrerire,laregardersourireetconquérirtoutelasalle.
JemepencheversSmithetjeluidemande:–Rends-moiunservice.–Quelgenre?–JeveuxquetuaillesparleràTessa.Ilrougitetsecouelatêterapidement.–Pasquestion.–Allez!Vas-y.–Nan.Salemômeentêté!–Tusais,letraincustomiséquetuvoulaisquetonpèret’achète?
–Ouais?J’aipiquésonintérêt.–Jetel’achèterai.–Tum’achètespourquej’ailleluiparler?–Etcomment!Legaminmejetteunregarddetravers.–Quandvas-tumel’acheter?–Situarrivesàlafairedanseravectoi,lasemaineprochaine.Ilnégocie:–Non,pouruntourdepiste,ilmelefautdemain.–D’accord.Putain,ilestdouépourça.IlregardeverslatabledeTessa,puisversmoi,etselève.–Adjugé.Bien.Ça,c’étaitfacile.Jeleregardes’avancerverselle.Mêmeàdeuxtablesdedistance,sonsouriremecoupe
lesouffle.Jeluidonneàpeuprèstrentesecondesavantdemeleveretdem’approcherdela table. J’ignore lemecassisàcôtéd’elleet trouvemonbonheuren lavoyant s’illuminerquandjememetsàcôtédeSmith.
–Tevoilà.Jeposemamainsurl’épauledugaminquidemande:–Est-cequetuveuxdanseravecmoi,Tessa?Elleestsurprise.Àpeineéclairées,jevoissesjouesrougird’embarras,maisjelaconnais
etjesaisqu’elleneleluirefuserapas.–Biensûr.EllesouritàSmithetl’autregars,là,l’aideàselever.Connardavecdesmanières.J’observeTessasuivreSmithsur lapistededanseet jesuiscontentqueLandonetsa
nouvellefemmeaimentlamusiquedemerdedoucereuseetlente.Smithal’airmisérableetTessastresséequandilscommencentàdanser.
–Commentvas-tu?Ledocteurregardelamêmefemmequemoi.–Bien,ettoi?Jedevraisêtresympaaveccemec,aprèstoutilsortaveclafemmequej’aimeraijusqu’à
lafindemesjours.–Bien,jesuisendeuxièmeannéedemédecinemaintenant.–Ilterestequoi,alors,dixansàtirer?Bon,c’estironique,maisjenepeuxpasêtreplussympaqueçaavecunmecquiades
sentimentspourelle,jelesais.
Jem’excuseetmedirigeversTessaetSmith.Ellem’aperçoitenpremieret reste figéesurplacequandsonregardcroiselemien.
–Puis-jevousinterrompre?JetireSmithpar lecoldesachemiseavantqu’aucundesdeuxnepuisserefuser.Mes
mainsseplacentimmédiatementsursatailleetglissentsurseshanches.Jesuissonexempleetrestescotchésurplace,dépasséparlessensationsdemesdoigtsquilatouchent.
Çafaitsilongtemps,troplongtemps,quejenel’aipastenuedansmesbras.Elle est venue àChicago il y a quelquesmois pour assister aumariage d’une copine,
sansm’invitercommecavalier.Elleyestalléetouteseule,maisnousnoussommesretrouvésaprèsledîner.C’étaitsympa;elleabuunverredevinetnousavonspartagéuneénormeglace saupoudrée de bonbons au chocolat et de beaucoup de caramel. Elle m’a proposéd’alleràl’hôtelavecellepourundernierverre,duvinpourelle,del’eaugazeusepourmoi,etnousnoussommesendormisaprèsquejeluiaifaitl’amourcarrémentsurlamoquette.
–Jemesuisditque jepourraisvenir te sauver, il estunpeupetitpourdanser.Quelabominablecavalier.
Jeviensderéussiràmesortirlatêtedufion.–Ilm’aditquetul’avaissoudoyé.–Petitenfoiré!J’assassineduregardletraîtrequiretournes’asseoiràsatabletoutseul.–Vousvousêtesbien rapprochés tous lesdeux,plusmêmeque ladernière foisoù je
vousaivus.Ellesembleadmirative.Unerougeurmemonteauxjouesetjenepeuxpaslaréprimer,
mêmesij’essayais.–Ouais,jecrois.Sesdoigtssecrispentsurmesépaulesetjesoupire.Littéralement,putain,jesoupireet
jesaisqu’ellem’aentendu.–Tuasvraimentl’airenforme.Elle regardemaboucheavec intensité. J’aidécidéde remettremonpiercingquelques
joursaprèsl’avoirvueàChicago.–Enforme?Jenesaispassic’estunebonnechose.Jerapprochemoncorpsdusienetellemelaissefaire.–Vraimenttrèsenforme,beau.Trèssexy.Ces derniers mots lui ont échappé. Je le vois bien, ses yeux s’écarquillent et elle
mordillesalèvreinférieure.–Tueslafemmelaplussexydanscettepièce,tul’astoujoursété.Ellebaisseleregard,essayantdesecacherdanslamassedesesbouclesblondes.–Netecachepas,pasdemoi.
Unevaguedenostalgiem’emporteenprononçantcesmotssifamiliersetjevoisbienàsonexpressionqu’elleressentlamêmechose.
Ellechangevitedesujet.–Quandsorttonprochainlivre?–Lemoisprochain.Tul’aslu?Jet’avaisfaitenvoyerunexemplairenoncorrigé.–Oui,jel’ailu.J’enprofitepourlacollercontremapoitrine.–Jelesaitouslus,tut’ensouviens?–Qu’est-cequetuenaspensé?Lachansonsetermineetunenouvellecommence.Alorsqu’unevoixdefemmeemplit
lapièce,nousnousregardonsdroitdanslesyeux.–Cettechanson.Évidemment,ilfallaitqu’ilspassentcettechanson.Jedégageunemèchedecheveuxdesesyeux.–Jesuissicontentepourtoi,Hardin.Tuesunauteur incroyableetunmilitantde la
causedesalcooliques. J’aivuaussi l’interviewque tuasaccordéeauTimes àproposde lamaltraitanceinfantile.
Sesyeuxs’embuentdelarmeset jesuiscertainquesiellessemettentàcouler, jevaisperdretoutmonsang-froid.
–Cen’estrien.Sérieux.J’aimequ’ellesoitfièredemoi,maisjeculpabiliselégèrementdel’effetqueçaluifait.–Jenemeserais jamaisattenduàtoutça; il fautquetulesaches.Jenevoulaispas
quetusoisbrocardéesurlaplacepubliqueàcausedemeslivres.Jeluiairépétéçatellementsouvent,etàchaquefois,ellemefaitlamêmeréponse.–Ne t’inquiète pas pour ça.Cen’était pas si terrible que ça et tu sais que tu as aidé
beaucoupdemonde,etbeaucoupdemondeaimeteslivres.Moiycompris.Tessasourit,rougit,etjefaisdemême.Puisjelaisseéchapper:–Çadevraitêtrenotremariage.Sespiedss’immobilisent,elleperdunpeudesonaura,puism’assassineduregard:–Hardin.–Theresa.Jeluirépondssuruntonbadin,maisellesaitquejesuissérieux.–Jecroyaisquecettedernièrepageallaittefairechangerd’avis.Vraiment.–Pourrais-jeavoirl’attentiondetoutlemonde,s’ilvousplaît?Lasœurdelamariéeaprislemicro.Cettefilleestvraimentsuperchiante.Ellesetient
surl’estradeaumilieudelapièce,maisjepeuxàpeinelavoirderrièrelatable,tantelleestpetite.
–Ilfautquejemepréparepourmondiscours.Jeronchonneetpasselamaindansmescheveux.
–Tuvasfaireundiscours?Tessamesuità la tabled’honneur.Elledoitavoiroublié ledocteuret jenepeuxpas
direqueçamegêne.Enfait,j’adoreça.–Ouais,jesuistémoin,tuterappelles?–Jesais.Ellemerepoussedoucementl’épauleetj’attrapesonpoignet.J’avaisprévudeleporter
àmeslèvrespourydéposerunbaisersursapeaunue,maisjesuisarrêtéparunpetitcerclenoirtatouédessus.
–C’estquoicettemerde?Jerapprochesonpoignetdemonvisage.–J’aiperduunparilejourdemesvingtetunans.–Tut’esvraimentfaittatouerunsmiley?Sérieux?Je ne peux pas m’empêcher de rire. Le petit smiley est tellement ridicule et si mal
dessinéquec’enestdrôle.Cependant,jeregrettedenepasavoirétéàsescôtéspourlevoirréalisé,etpoursonanniversaire.
–Maisouais.Ellehochelatêtefièrementenpassantsonindexsurlepetitmotif.–Tuenasd’autres?J’espèrepas.–Aucun.Justecelui-là.–Hardin!Lapetitebonnefemmem’appelle.Jevaisjusqu’auboutdemongesteetembrasselepoignetdeTess.Elleretiresamain,
nonpardégoût,maisdesurprisej’espère,avantquejemedirigeversl’estrade.Landonetsafemmeprésidentlatable.Ilapassésonbrasautourdesataille,samain
poséesurl’unedessiennes.Ah,lesjeunesmariés!J’aihâtedelesvoirprêtsàs’étriperàlamêmeépoquel’anprochain.
Peut-êtrequ’ilsserontdifférents.Jeprendslemicroàl’hôtesseetm’éclaircislagorge.–Salut.MavoixesttropbizarreetàlatêtedeLandon,jevoisqu’ilsavourel’exercice.–Jen’aimepasparlerenpublicd’habitude.Etmême,jen’aimepasêtreentouréparde
pleinsdegensd’habitude,alorsçanevapasdurerlongtemps.Laplupartd’entrevoussontdéjàbourrésous’ennuientàmourir,alorssentez-vouslibresd’ignorertoutça.
–Viens-enaufait.L’épousedeLandonritàgorgedéployée,unverredechampagneà lamain.Landon
hoche la tête et je leur fais un doigt d’honneur devant tout lemonde. Tessa, au premierrang,esthilareetsecouvrelabouche.
–Bon,j’aiécrittoutçaparcequejenevoulaispasoubliercequej’avaisàdire.Jesorsuneservietteenpapierfroisséedemapocheetjeladéplie.–Quandj’airencontréLandon,jel’aitoutdesuitedétesté.Tout lemonde semarre comme si c’était uneblague,mais çan’en est pasune. Je le
détestaisvraiment,maisseulementparcequejemedétestaismoi-même.–Ilavaittoutcequejevoulaisdanslavie:unefamille,unecopineetdesprojetspour
l’avenir.Quand je regarde Landon, je le vois sourire, les joues légèrement rouges.On va dire
quec’estlechampagne.– Mais bon, les années passant, nous sommes devenus amis, frères même, et il m’a
beaucoup appris. Il m’a montré comment être un homme, particulièrement ces deuxdernièresannéeslorsquecesdeux-làsesontpasmalaffrontés.
Je souris à Landon et à sa femme, ne voulant pas les projeter dans un merdierdépressif.
–Jevaisvitearrêterlàcesconneries,maintenant.Enfait,cequejevoulaisdiretientenunmot:merci.MerciàLandond’êtreunhommehonnêteetdem’avoirpourriquandj’enavaisbienbesoin.C’estassezdéconnant,maisjet’admireetjeveuxcequetumérites:êtreheureux,mariéàl’amourdetavie,mêmesiças’estfaittrèsrapidement.
Lepublicritencore.Jepoursuis:–Tunesaurasjamaislachancequetuasdepouvoirpasserlerestantdetesjoursavec
lamoitiédetonâme,tantquetun’auraspasàvivresanselle.Je repose lemicro sur la table et j’aperçois une lueur argentée traverser la foule en
courant, je descends de l’estrade en quatrième vitesse pour la suivre alors que tous lesinvitésboiventàlasantéducouple.
Lorsque je rattrape enfin Tessa, elle ouvre la porte des toilettes des dames. Elledisparaîtà l’intérieuret, sanshésitation, je lasuis.Elles’appuieàun lavabo, lesmainsdepartetd’autred’unevasqueenmarbre.
Elle lève lesyeuxdans lemiroir, ils sontrougeset ses jouessontmaculéesde larmes.Ellesetourneversmoiquandelleserendcomptequejel’aisuivie.
–Tunepeuxpasparlerdenouscommeça.Denosâmes.Elleterminesaphraseenpoussantunpetitcri.–Pourquoipas?–Parceque…Ellenesemblepascapabledetrouveruneexplication.–Parcequetusaisquej’airaison?J’essaiedel’encourager.–Parceque tunepeuxpasdire cegenrede chosesenpublic.Tun’arrêtespasde le
fairedanstesinterviews,aussi.
Elleposesesmainssurseshanches.–J’essayaisd’attirertonattention.Jem’approched’elle.Sesnariness’écartentet,l’espaced’uninstant,j’ail’impressionqu’ellevataperdupied.–Tumefaischier.Savoixs’adoucitetsonregardnepeutpasmentir.–Maisoui.(Jetendsmesbrasverselle.)Viensparlà.Elleaccepteet,direct,seréfugiedansmesbras.Je lui faisuncâlin.L’avoircommeça
contre moi, c’est encore plus satisfaisant que de coucher avec n’importe qui. Simplementl’avoirlà,toujoursattiréeparmoidecettemanièrequenousseulspouvonscomprendre,çafaitdemoileplusheureuxdesconnardssurTerre.
–Tum’astellementmanqué.Sesmainsseposentsurmesépaules,tirantsurlalourdevestepourlafairetomberpar
terre.–Tuessûre?Jetienssonbeauvisagedansmesmains.–Jesuistoujourssûreavectoi.Jesenssavulnérabilitéetunedoucesatisfactiondesentirsabouchecontrelamienne,
leslèvrestremblantes,larespirationprofondeetlente.Bientroprapidement,jem’écarted’elleetsesmainstrouventmaceinture.–Attends,jevaisbloquerlaporte.Je suis plutôt content qu’il y ait des chaises dans le boudoir des femmes, j’en coince
deuxdevantlaportepourempêcherlesgensd’entrer.–Onvavraimentfaireça?JemepencheversTessapoursouleversarobelonguejusqu’àlataille.–Çatesurprend?Jerisenl’embrassantencore.Elleestmonfoyeretjesuisrestétroplongtempsloinde
chez moi en vivant à Chicago tout seul. Je n’ai pu avoir que de petites doses d’elle cesdernièresannées.
–Non.Elleouvrelabraguettedemonpantalonet j’enai lesoufflecoupéquandelleattrape
maqueuedansmonboxer.Çafaitbienlongtemps,putain,bientroplongtemps.–C’estquandladernièrefoisquetu…–AvectoiàChicago.Ettoi?–Pareil.Jereculepourlaregarderdroitdanslesyeuxetjen’ylisquelavérité.–Sérieux?
Mêmesijepeuxlireenellecommedansunlivreouvert,jeluidemandeconfirmation.–Oui,personned’autrequetoi.Rienquetoi.Elle fait tombermonboxerpar terreet je lasoulèveàcôtéde lavasque,écartantses
cuissesvoluptueusesdemesdeuxmains.–Putain.Jememordslalanguequandjedécouvrequ’elleneportepasdeculotte.Elleal’airnerveuse.–Aveccetterobe,jen’avaispasvraimentlechoix.–Femme,unjourtuserasmafin.Putain, je bande comme un âne quand elle me caresse, ses deux petites mains me
branlentchaudement.–Ilfautqu’onsedépêche.Ellegémitet,exitée,mouillequandjepassemesdoigtssursonclito.Ellegrogneetsa
tête part en arrière, se posant contre lemiroir. Elle écarte encore plus les cuisses. J’ai dumalàréfléchir,maisjeposequandmêmelaquestion.
–Unecapote?Commeellenerépondpas, j’enfonceundoigtenelleetellecaressema languede la
sienne.Chaquebaiserestuneconfessionquej’essaiedeluifaire:Jet’aime;j’aibesoindetoi.Jeluisucelalèvreinférieure:Jenepeuxplusteperdre.Jem’enfonceenelleetjel’entendsgémiràmesurequejelaremplisdetoutmonêtre.
–Tuestellementétroite.Je vais me foutre la honte en jouissant dans deux secondes, mais là, il n’est pas
question de ma satisfaction sexuelle, il s’agit de lui montrer qu’elle et moi sommes uneévidence.Nousnousappartenonsmutuellement,c’estvéritablementindéniable.
–OhmonDieu!Ellemegriffeledosquandjemeretired’ellepourlapénétrerànouveau,cettefois-ci
jusqu’au bout. Elle s’étire pour m’accueillir, son corps me faisant de la place commetoujours.
–Hardin.Tessagémitdansmoncou.Jesensqu’ellememordetquejevaisjouird’uninstantàl’autre,lasensationremonte
dansmacolonnevertébrale.Jemetsunemaindanssondospourlarapprocherdemoietlasoulève pourm’enfoncer plus profondément.Mon autremain saisit sa grosse poitrine quidébordedesarobeet jechoisisdesuçoterunpetitcoindepeau,puis j’aspiresestétonssidursentremeslèvres,grognantetgémissantsonnomenjouissantenelle.
Ellehalètemonnom, je caresse son clitoris et replongeencore enelle. Le sonde sescuisses tapant contremon corps suffit àme faire bander encore. C’est juste que ça fait si
longtemps,putain,etquenoussommessiparfaitementajustés.Soncorpsréclamelemienetmepossèdeintégralement.
–Jet’aime.Jelasensjouir,tenduedeseperdreavecmoi,m’autorisantàlaretrouver.L’orgasmedeTessasemblenepasfiniretj’adoreça,putain.Soncorpsseramollit,elle
s’appuiecontremoietellereposesatêtesurmapoitrineenreprenantsonsouffle.–Jet’aientendue,tusais?J’embrassesonfrontensueuretellemefaitunsouriredélirant.–Onressembleàrien.Ellelèvesesyeuxversmoi.–Unadmirablerien,quandbienmêmechaotique.–Nejouepaslesécrivainsavecmoi.Ellemetaquine,àboutdesouffle.–Net’écartepasdemoi.Jesaisquejetemanqueaussi.–Oui,oui.Ellepassesesbrasautourdemataille,jerepoussesescheveuxdesonfront.Je suisheureux,putain, je suis foude joiede l’avoir làavecmoiaprès toutce temps,
dans mes bras, souriante, me taquinant, riant, et je ne vais pas gâcher ce moment. J’airetenulaleçon,çan’apasétéfacile.Jesaisquelavien’apasàêtreunebataille.Parfois,onpartdumauvaispiedetparfois,ondéconneenroute,maisilyatoujoursdel’espoir.
Ilyatoujoursunautrejour,ilyatoujoursunmoyenderattraperlesmerdesqu’onafaitesetlesgensqu’onablessésetilyauratoujoursquelqu’unpourvousaimer,mêmesionsesentcomplètementseuletqu’onal’impressiondeflotterdanslemondedansl’attentedelaprochainedéception.Ilyatoujoursquelquechosedemieuxàvenir.
C’estpastoujoursfaciledelevoir,maisc’estlà.Tessaétaitlà,soustoutescesmerdesetcettehaine.TessaétaitenseveliesousmonaddictionetTessaétaitenterréesoussadouleuretmesmauvaischoix.Elleétaitlàquandj’ensuissorti;ellem’atenulamainpendanttoutlechemin,mêmeaprèsm’avoirquitté,elleétaittoujourslà,àm’aider.
Jen’aijamaisperduespoir,carTessareprésentetoutesmesaspirations.Ellel’atoujoursétéetleseratoujours.–Est-cequetupeuxresteravecmoicettenuit?Onpeutpartirtoutdesuite,maispitié,
resteavecmoi.Elle se penche en avant pour remettre ses seins dans sa robe, puis elle lève les yeux
versmoi.Sonmaquillageacouléetsesjouessontrouges.–Jepeuxtedireuntruc?–Depuisquandtudemandeslapermission?Demonindex,jetoucheleboutdesonnez.–C’estpasfaux.J’aidétestéquetunefassespasplusd’efforts.
–Jel’aifait,mais…Ellelèveundoigtpourmefairetaire.–J’aidétestéquetune fassespasplusd’efforts,maisc’est injustedemapartdete le
dire car nous savons tous les deux que c’est moi qui suis partie. Je n’ai pas arrêté de tepoussertantetplus,àattendretropdetoi,etj’étaistellementencolèreàcausedulivre,etde toute l’attention dont je ne voulais pas, que j’ai laissé toute cette colère prendre desdécisions pour moi. J’avais l’impression que je ne pouvais pas te pardonner à cause del’opinionpublique,maismaintenant,jesuisencolèrecontremoi-mêmed’yavoirseulementprêté attention. Jememoquede ce que les gensdisent denous oudemoi. Les seuls quicomptentàmesyeux,cesontceuxquim’aimentetmesoutiennent.Jevoulaisjustetedirequejesuisdésoléed’avoirécoutécesvoixquin’avaientrienàfairedansmatête.
Deboutàcôtédes lavabos,Tessa toujoursassisedevantmoi, je reste silencieux.Jenem’attendaispasàça.Jenem’attendaispasàuntelvirageàtroiscentsoixantedegrés.Jesuisvenuàcemariagedanslesimpleespoird’unsouriredesapart,àpeineplus.
–Jenesaispasquoidire.–Quetumepardonnes?Ellemurmurenerveusement.–Biensûrquejetepardonne,(Est-ellecomplètementfolle?)Ettoi,tumepardonnes?
Pourtout?Oupresquetout?–Oui.Elletendsamainverslamienne.–Maintenant,jenesaisvraimentplusquoidire.Jepasselamaindansmescheveux.–Peut-êtrequetuveuxtoujoursm’épouser?Sesyeuxm’interrogent,j’ail’impressionquelesmiensvontjaillirdeleurorbite.–Quoi?–Tum’asbienentendue.Ellerougit.–T’épouser?Maistumedétestaisilyadixminutes.Ellevavraimentm’achever.–Enfait,ilyadixminutes,ons’envoyaitenl’airàcôtéd’unlavabo.–Tuesvraimentsérieuse?Tuveuxm’épouser?Jen’arrivepasàcroirequ’elledituntrucpareil.Cen’estpaspossible,çanepeutpas
êtrevrai.–Est-cequetuasbu?J’essaiedemerappelersisalanguesentaitl’alcool.–Non, jen’aibuqu’unecoupede champagne il yaplusd’uneheure. Jene suispas
ivre, jesuis justefatiguéedemebattre.Noussommesdéfinitivementfaitsl’unpourl’autre,
tut’ensouviens?Ellemetaquineenessayantd’imitermonaccent.Jel’embrassesurlabouchepourlafairetaire.–Onestlecouplelemoinsromantiquedelaplanète,tulesais,ça?Malanguepassesursesdouceslèvres.–«Laromance,c’estsurfait,maintenant,c’estleréalisme.»Ellecitemondernierlivre.Jel’aime.Putain,j’aimetellementcettefemme.–Onsemarie?Vraiment,tuacceptes?–Pasaujourd’hui,maisoui,jevaisyréfléchir.Elledescenddesonperchoiretajustesarobe.Jesourismoiaussi.–Jesaisquetuvasyréfléchir.Je remets de l’ordre dans ma tenue en essayant de comprendre ce qui vient de se
passerdanscestoilettes.Tessaaplusoumoinsacceptédem’épouser.Putaindebordeldemerde.
Joueuse,ellehausselesépaules.–LasVegas.OnpartàLasVegas,làmaintenant,toutdesuite.Jeplongemesmainsdansmespochespourenressortirmesclés.–Iln’yapasaucuneraisonquejememarieàLasVegas.Tuesdingue?–Noussommestouslesdeuxdingues.Ons’enfout,non?–Non,Hardin,jamaisdelavie.–Pourquoipas?Jelasupplie,lesmainssursonvisage.–LasVegasestàquinzeheuresderoute.Ellemejetteuncoupd’œil,puisregardesonrefletdanslemiroir.– Tu crois que quinze heures de route vont suffire pour nous donner le temps d’y
réfléchir?Jeretireleschaisesquibloquaientlaporte.Etlà,Tessamesurprendvraiment.Ellepenchelatêtedecôtéetmerépond:–Ouais,jecrois.
ÉPILOGUE
Hardin
La route pour Las Vegas est flippante. On a passé les deux premières heures à essayer
d’inventerlescénarioparfaitpourunmariagetypiqueVegas.Tessaajouéavecsesmèchesbouclées en me regardant de temps en temps, les joues rouges et du bonheur dans sonsourirecommejen’enavaispasvudepuissilongtemps.
– Jemedemande à quel point c’est facile, en réalité, de semarier à LasVegas.À ladernièreminute.CommeRossetRachel.
Elleestcaptivéeparsontéléphone.–TuesentraindechercherlaréponsesurGoogle.Hein?Jeposemamainsursesgenouxetentrouvrelafenêtredemavoituredelocation.QuelquepartversBoisedansl’Idaho,nousnousarrêtonspouracheterdelabouffeet
de l’essence. Tessa s’endormait, la tête tombante, le regard doux et lourd. J’ai choisi unestation-servicepourcamions,surpeuplée,etj’aigentimentsecouéTessaparl’épaulepourlaréveiller.
–Onestdéjàarrivés?C’estjusteuneblague,ellesaitpertinemmentquenoussommesàmi-chemin.Onaquittélavoitureetjel’aisuivieauxtoilettes.J’aitoujoursaimécetypedestation-
service;ellessontbienéclairées,avecpleindeplacepoursegarer.Moinsdechancedesefaireassassinerettoutlebordel.
En sortant des toilettes, je vois Tessa dans l’unedes allées de la supérette. Elle a lesbras chargés de cochonneries : des sachets de chips, du chocolat et bien tropde boissonsénergétiquesquesesmainsnepeuvententenir.
Je reste en arrièreun instant, juste à regarder cette femmedevantmoi.Cette femmequiseralamiennedansquelquesheures.Mafemme.Aprèstoutcequenousavonstraversé,après nous être battus autour d’unmariage que, honnêtement aucun de nous ne pensaitvoir arriver un jour, nous voilà en route pour Las Vegas pour légaliser tout ça dans unepetitechapelle.Àvingt-troisans,jevaisdevenirlemaridequelqu’un,lemarideTessa,etjenepeuximaginerquoiquecesoitquimerendeplusheureux.
Mêmesijesuisunbongrosbâtard,j’aidécrochémonhappyendavecelle.Ellepourramesourire,lesyeuxpleinsdelarmes,etjepourraifaireuneremarqueàlaconsurunsosied’Elvispendantnotremariage.
–Regardetouscestrucs,Hardin.D’un geste du coude, Tessame désigne un gros paquet de cochonneries, au pif. Elle
porte ce pantalon, ouais, celui-là. Ce pantalon de yoga et un sweat siglé NYU, c’est cequ’elleveutmettrepoursonmariage.Elleaprévudesechangerenarrivantàl’hôteldanslequel nous échouerons, quel qu’il soit. Elle ne portera pas de robe demariée, comme jel’avaisimaginé.Jelaisseéchapperunequestion:
–Çanetegênepasdenepasavoirderobedemariée?Elleécarquilleunpeulesyeuxetmesouritavantdesecouerlatête.–Çasortd’où,ça?–Jemedemande,c’esttout.Jemedisaissimplementquetun’aurasjamaiscemariage,
ce genre de truc pour lesquels les femmes développent une obsession. Tu n’auras pas defleursnitoutlereste.
Ellemetendunsachetdetrucsquiressemblentàdumaïssoufflécoloréenorange.Unvieux type passe à côté de nous et lui fait un sourire. Son regard croise le mien et il ledétournerapidement.
–Desfleurs?Sérieux?Ellesoupireenmepassantdevant,ignorantquejel’imite.Je la suis enmeprenantquasiment lespiedsdansungaminpas très stabledans ses
petitesgodassesquitientlamaindesamère.–EtLandon?TamèreetDavid?Tuneveuxpasqu’ilssoientàtescôtés?Elle se retourne pourme faire face et je vois ses pensées changer. Sur la route, nos
esprits ont été tous les deux tellement encombrés par l’excitation d’avoir décidé de nousmarieràLasVegasquenousenavonsoubliélaréalité.
–Oh!Ellesoupireenmeregardantapprocher.Nous passons à la caisse et je vois bien qu’elle cogite encore : Landon et sa mère
doiventassisterànotreunion.C’estobligatoire.EtKaren,Karenauraitlecœurbrisésielleneparticipaitpasaumariagedesapresque-fille.
Nouspayonspournoscochonneriesetlescafés.Ouplutôt,ellemeprendlatêtepourpayeretjelalaissefaire.
–Tuveuxtoujoursyaller?Tusaisquetupeuxmeparler,Bébé.Onpeutattendre.J’attachemaceinture.Elleouvrelesacdetrucsorangeetcommenceàviderlepaquet.–Oui,jeleveux.Maisjevoisbienqueçanevapas.Jesaisqu’elleveutm’épouseretjesaisquejeveux
passermavieavecelle,maisjeneveuxpasdémarrernotreexistencecommunecommeça.Jeveuxquenosfamillessoientlà.JeveuxquemonpetitfrèreetlapetiteAbbyparticipentenremontantl’alléecentraledel’égliseenjetantdespétalesdefleursetduriz,enfintousces trucs qu’on fait faire auxmômes pendant les mariages. J’ai vu son regard s’illuminerquand elle m’a très fièrement annoncé qu’elle avait beaucoup aidé à l’organisation dumariagedeLandon.
JeveuxquetoutsoitparfaitpourmaTessa,alorsquandelles’endort, trenteminutesplus tard, je fais demi-tour et je la ramène chez Ken. Lorsqu’elle se réveille, je vois sasurprise,mais elle nem’insulte pas. Elle déboucle sa ceinture, grimpe surmes genoux etm’embrasseenpleurantàchaudeslarmes.
–MonDieu,jet’aime,Hardin.Onrestedanslavoitureuneheuredeplus, jelatienssurmesgenouxetquandjelui
dis que je veux que Smith jette du riz à notremariage, elle éclate de rire enme faisantremarquerqu’illeferaitprobablementtrèsprécisément,grainpargrain.
Tessa
Deuxansplustard
C’est le jourdemondiplômede find’étudesà l’université et je suis très fièredemoi.J’aime tous les aspects dema vie, sauf que je ne veux plus travailler dans l’édition. Oui,TheresaYoung,planificatriceobsédéedechaquedétaildesavie,achangéd’avisenpleinmilieudesoncursusuniversitaire.
ToutacommencéquandlafemmedeLandonn’apasvoulusepayerlesservicesd’unwedding planner. Elle a été inflexible, elle n’a pas voulu en engager un, même si elle nesavait absolument pas comment organiser son propremariage. Landon l’a aidée, tout demême ; il a été le parfait fiancé, veillant tard le soir pour parcourir des magazines avecnous,séchantquelquescourspourallerdeuxfoisgoûterunedizainedegâteauxdifférents.J’aiaimécettesensationd’êtreencharged’untelévénementpourtantdepersonnes.C’estmaspécialité:planifieretfairedestrucspourlesautres.
Pendantlemariage,jen’aipasarrêtédemedirequej’adoreraisfaireçaplussouvent,justecommeunhobby,maislesmoispassant,jemesuisretrouvéeàfréquenterlessalonsdemariage et avant que jem’en rende compte, jeme suismise àm’occuper dumariage deKimberlyetdeChristian.
JegardemonboulotchezVanceàNewYorkparceque j’aibesoind’argent.HardinadéménagéàNewYorkavecmoi,maisjerefusedelelaisserréglermesfacturespendantquej’essaiede trouverquoi fairedemavieparceque,mêmesi je suis si fièredemondiplômeuniversitaire, jen’ai simplementplusenviede travaillerdanscesecteur.J’ai toujoursaimélire,jesuisviscéralementliéeàmeslivres,corpsetâme,maisj’aisimplementchangéd’avis.Justecommeça.
Hardinn’arrêtepasdeme faire chieravecça, j’ai toujoursété tellement sûredemonchoix de carrière.Mais les années passant, j’ai grandi, jeme suis rendu compte que je nesavais pas qui j’étais quand j’ai intégréWCU. Comment peut-on s’attendre à choisir quoifairepourlerestantdesesjoursalorsqu’onenestjusteaudébutdesavie?Landonadéjàtrouvéunboulot:profd’écoleprimaireàBrooklyn.Hardin,best-sellerduNewYorkTimesàvingt-cinqansàpeine,adéjàsortiquatrelivresetmoi,ehbien,j’essaietoujoursdetrouvermavoie,maisçanemedérangepas.Jenemesenspaspresséecommejel’aitoujoursété.Je veux prendre mon temps et m’assurer que la décision que je vais prendre me rendraheureuse.Pourlapremièrefois,jefaispassermonbonheuravantceluidesautres,etça,çafaitdubien.
Jeregardemonrefletdanslemiroir.Cesquatredernièresannées,jemesuisdittantdefois que je n’arriverais pas à finir l’université et pourtant me voilà diplômée. Hardin m’aapplaudietmamèreapleuré.Ilssesontmêmeassisl’unàcôtédel’autre.
Mamèreentredanslasalledebainsets’arrêteàcôtédemoi.–Jesuissifièredetoi,Tessa.Elle porte une robe de soirée ; ce n’est pas vraiment ce qu’il faut mettre à une
cérémonie de remise de diplômes,mais elle voulaitmarquer le coup avec une belle robe,commed’habitude.Sescheveuxblondssontboucléset laquésà laperfectionet sesonglessont vernis de la même couleur quemon uniforme de jeune diplômée. C’est un coup detrop,mais elle est si fière que je ne vais pas lui retirer ça. Ellem’a façonnée pour que jeréussissemavie,quej’aiedusuccèslàoùelleaéchoué,etmaintenantquejesuisadulte,jelecomprends.
–Merci.Jeluiprendssonglossavecplaisir,mêmesijen’ainienvienibesoindemeremaquiller,
maiselleal’airsicontentequejeneveuxpaslutter.–Est-cequ’Hardinesttoujourslà?Leglossestcollantettropsombreàmongoût,maisjesouris.–IltientcompagnieàDavid.Ellesouritenmêmetempsquemoietmoncœurgonfleunpeuplus.Mamèreremetdu
boutdesdoigtsdel’ordredanssesimpeccablesboucles.–Ill’ainvitéàlasoiréedegalacaritatifàlaquelleilvaparler.–C’estsympa.LeschosesnesontplusaussicompliquéesentremamèreetHardin.Ilneserajamaisle
gendreidéalmais,cesdernièresannées,elles’estmiseàlerespecteretjen’auraisjamaiscruçad’elle.
J’ai gagné un nouveau respect auprès d’Hardin Scott aussi. C’est douloureux derepenserauxquatredernièresannéesdemavieetdemesouvenircommentilétaitavant.
Jen’étaispasparfaitenonplus,maisilétaitsiprisonnierdesonpasséque,pours’enlibérer,ilm’abriséeaupassage.
Ilafaitdeserreurs,deserreursmonstrueusesetdévastatrices,maisilapayépourça.Iln’ajamaisétépatient,aimableouamical,maisilétaitàmoi.Ill’atoujoursété.
Mais bon, j’ai eu besoin de cette séparation quand j’ai déménagé à New York avecLandon.Onsevoyaitdetempsentemps,«riendesérieux»aussipeusérieuxqu’Hardinetmoipuissionsl’être.Ilnem’ajamaismislapressionpourvenirhabiteravecluiàChicagoetjenel’aijamaissuppliédevenirhabiteravecmoiàNewYork.C’estenvironunanaprèslemariagedeLandonqu’iladéménagé,maisnousavonsréussià fairetenirnotrerelationàdistance en se voyant aussi souvent que possible. J’ai toujours trouvé suspects tous sessoudains « voyages d’affaires » à New York, mais j’étais si heureuse quand il venait quej’auraisvouluqu’ilrestechaquefoisqu’ilrepartait.
Notre appartement à Brooklyn n’est pas si mal. Même s’il se fait pas mal d’argent,Hardinveutvivredansunendroitoùjepuissevraimentparticiperauloyer.J’aitravailléaurestaurant entre deux organisations demariages et les cours,mais il ne s’est plaint qu’untoutpetitpeu.
Nousnesommestoujourspasmariés,cequilerenddingue.Jen’arrêtepasdechangerd’avissurlesujet.Oui,jeveuxdevenirsafemme,maisj’enaiassezdeposerdesétiquettessurtout.Jen’aipasbesoindecelle-làpourquenotrerelationaitlamêmevaleurquecellequ’onm’aenseignéedanssonenfance.
Comme simamère pouvait lire dansmes pensées, elle se penche versmoi et ajustemoncollier.
–Est-cequevousavezdécidéd’unedate?C’estaumoinslatroisièmefoisdelasemainequ’ellemeposelaquestion.J’aimebeaucoupquandmamère,Davidetsafilleviennentnousrendrevisite,maiselle
merendfolleavecsanouvelleobsession:monmariage,ouplutôtmonabsencedemariage.–Maman!Jegrogne. Jepeux supporterqu’elle joueà lapoupéeavecmoi, je luiaimême laissé
choisirmesbijouxcematin,maisjenesupporteraipassonpetitmanègeavecça.Ellelèvelesmainsenl’airetsourit.–Bon.Elle a trop facilement lâché l’affaire et je sais qu’elle tramequelque chosequandelle
m’embrassesurlajoue.Jesorsdelasalledebainsavecelleetmonirritations’envolequandjevoisHardinadosséaumur.Illèvesescheveuxenl’airpourlesattacheravecunélastique.
J’aimesescheveuxlongs.Mamèreplisselenezenlevoyantsefaireunchignonetjerisdesonairdégoûtécommeunegamineimmature.
–Jedemandais justeàTessasivousaviezdécidéd’unedatepourvotrehypothétiquemariage,touslesdeux.
Hardinpassesesbrasautourdematailleetenfouitsonvisagedansmoncou.Jesenssonsoufflesurmanuquelorsqu’ilrit.
–J’aimeraisbienpouvoirvousledire(illèvelatête),maisvoussavezàquelpointellepeutêtretêtue.
Mamèreacquiesceetjesuisàlafoisennuyée,maisfièreaussi,delesvoirfaireéquipecontremoi.
–Ça,jelesaisbien.Elletientçadetoi.Davidattrapesamainetlaporteàseslèvres.–Çava,touslesdeux.Ellevientjustededécrochersondiplômeuniversitaire,laissez-la
unpeurespirer.JeremercieDavidd’unsourireetilmefaitunclind’œilenembrassantencorelamain
demamère.Ilestsidouxavecelle,j’appréciebeaucoupça.
Hardin
Deuxansplustard
Ça fait unanquenous essayonsde faireunbébémaintenant.Tessa sait que ce seradifficile. Je sais que la chance ne joue pas en notre faveur, commed’habitude,mais nousespérons toujours.Nousgardonsespoir entre les rendez-vous chez lemédecin etpendantlesplanningsd’ovulation.Onbaisetantetplusetonfaitl’amourautantquepossible.Elleaessayé les remèdesdegrands-mères lesplus ridiculeset j’aidûboiredes trucsaigres-douxavecdesmorceauxdedans,Tessajuraitqueçaafonctionnésurlemarid’unecopine.
Landonet sa femmeattendentunepetite fillepourdans troismoisetnousavonsétédésignés parrain et marraine de la petite Addelyn Rose. J’ai essuyé les larmes de Tessaquandelleaaidéàpréparerlababyshowerdesameilleureamieetj’aifaitsemblantdenepasêtretristepournousenaidantàpeindrelachambredelapetiteAddy.
Ce matin est un matin normal. Je viens juste de raccrocher d’un coup de fil avecChristian. Nous avons programmé un voyage pour que Smith nous rende visite quelquessemaines cet été. C’était son prétexte pour m’appeler, mais en fait, il essaie de me fairepasseruneidée.Ilveutquejepublieunlivrechezlui,c’estuneidéequimeplaît,maisj’aiprétendu le contraire. J’ai juste voulu le faire chier et lui faire croire que j’attends unemeilleureoffre.
Tessadébouledansl’appartement,vêtued’unsweatavecunepetitepochepoitrine.Sesjouessontrougesdel’airfraisdumoisdemarsetsescheveuxenbatailleàcauseduvent.Elle vient de rentrer de sa promenadematinale chez Landon,mais semblepressée, limitepaniquée,cequimedonneuncoupaucœur.
–Hardin!
Elle traverse rapidement le séjour pour me rejoindre dans la cuisine. Ses yeux sontbrillants etmon cœur s’emballe. Elle tend lamainpourmedired’attendreun instant. Jerestefigésurplace.
–Regarde!Samainplongedanslapochedesonsweat.J’attendsensilenceimpatiemmentqu’elleouvresamain.Elle tient un petit bâtonnet. J’ai vu trop de tests avec des faux positifs au cours de
l’annéepour en penser quoi que ce soit,mais à samain tremblante et, à sa voix fêlée, jecomprendsimmédiatement.
Toutcequej’arriveàdire,c’est:–Ouais?–Ouais.Ellerépondd’unetoutepetitevoixpleinedevie.Jebaisselesyeuxverselle,ellepose
sesmainsautourdemonvisage.Jen’aimêmepassentileslarmescoulertantqu’ellenelesapasessuyées.
–Tuessûre?–Àl’évidence,oui.Elleessaiederire,maissemetàpleurerdejoieetmoiaussi.Jepassemesbrasautour
d’elle,puisl’assiedssurleplandetravail.Jeposematêtesursonventreetjeprometsàcebébéquejeseraiunmeilleurpèrequelesdeuxmiensnel’ontjamaisété.Meilleurquetouslesautres.
Pendant que Tessa se prépare pour notre rencard avec Landon et sa femme, jefeuillettel’undesnombreuxmagazinesdemariagequ’ellelaissetraînerdansl’appartementquandj’entendscecri.Uncriquasimentinhumain.
Ilvientdelasalledebainsattenanteànotrechambre,jem’yprécipite.–Hardin!Cettefois-ci,jesuisdevantlaporte,etl’angoissequejeperçoisdanssavoixestencore
plusévidentequelapremièrefoisqu’ellem’aappelé.J’ouvrelaportepourlatrouverassiseparterreàcôtédestoilettes.–J’aiunproblème!Elletientsespetitesmainssursonventre.Saculotteestparterre,couvertedesang.Je
doism’empêcherdevomir,jesuisincapabledeparler.Jemelaissetomberparterreàcôtéd’elleetprendssonvisageentremesmains.–Toutvabiensepasser.Jemens,maisattrapemontéléphonedansmapoche.Letondelavoixdenotremédecinet l’expressionduvisagedeTessaconfirmentmon
pirecauchemar.Jelaportejusqu’àlavoitureetjecrèveunpeuplusàchaquesanglotdemaTessasur
lalongue,longueroutequinousmèneàl’hôpital.Trenteminutesplustard,nousavonslaréponse.Ilssemontrenttrèsgentilspournous
annoncerqueTessaaperdulebébé,maisçan’empêchepascettemonstrueusedouleurdes’emparerdemoichaquefoisquejecroiseleregardcomplètementdévastédeTessa.
–Jesuisdésolée,tellementdésolée.Ellepleuredansmesbrasquandl’infirmièrenouslaissetousseulsdanslapièce.Jemetsmamainsoussonmentonetlaforceàmeregarder.–Non,Bébé.Tun’aspasàêtredésoléedequoiquecesoit.Jerepoussedoucementsescheveuxdesonvisageetfaisdemonmieuxpournepasme
concentrersurlapertedecequ’ilyavaitdeplusimportantdansnotrevie.Quandnousrentronsàlamaison,cesoir-là,jerappelleàTessacombienjel’aimeetà
quelpointun jourelleseraunemerveilleusemaman,etellepleuredansmesbras jusqu’às’endormir.
Lorsquejesuissûrqu’elleneseréveillerapas,jesorsdanslecouloir.J’ouvreleplacarddanslachambredubébéettombeàgenoux.C’étaittroptôtpoursavoirsiceseraitunefilleouungarçon,mais j’avaisaccumulédes trucsces troisderniersmois.Je lesgarde làdansdessacsetdesboîtesetj’aibesoindelesvoirunedernièrefoisavantdem’enséparer.Jenepeuxpaslalaisservoirça.JeveuxlaprotégerdespetiteschaussuresjaunesqueKarennousavaitenvoyéesparlaposte.Jeveuxtoutjeteretdémonterleberceauavantquele jourselève.
Le lendemainmatin,Tessameréveilleenmeprenantdanssesbras.Jesuispar terredans la chambre du bébé, vide. Elle ne dit rien pour les meubles manquants ni pour leplacard vide, elle s’assied juste là par terre, avecmoi, la tête posée surmon épaule, sesdoigtsdessinantlesmotifsdemestatouagessurlebras.
Dix minutes plus tard, mon téléphone vibre dans ma poche. Je cache le message,n’étantpastropsûrdelaréactiondeTessa.Maiselleyjetteuncoupd’œilpuisseconcentredessus.
–C’estAddyquiarrive.Jelaserreencoreplusfortdansmesbras,ellemefaitunpauvresouriretristeavantde
s’asseoir.Je la regarde longtemps et, enfin j’en ai l’impression, nous partageons lamême idée.
Nousnousrelevonstouslesdeuxdanscequiseraunjourlachambredenotrebébé,nousnousforçonsàsourireetnousapprêtonspournosmeilleursamis.
Quand la femme dema vie et moi nousmettons en route pour l’hôpital afin d’alleraccueillirnotrefilleulequivientaumonde,jeluifaisunepromesse:
–Unjour,nousseronsparentsnousaussi.
Hardin
Unanplustard
Onvient justededéciderde faireunepausedansnotreprojetde faireunbébé.C’estl’hiver.Tessadébouledans lacuisine.Elleaattachésescheveuxenunélégantchignonetelleporteuneroberoseclair.Sonmaquillageestdifférentaujourd’hui,jen’arrivepasàvoirenquoi,maisc’estbienlecas.Elleestradieuseets’approchedemoi, jeglissedutabouretsurlequeljesuisassisetluifaissignedevenirdansmesbras.Ellesepenchecontremoi;sescheveux sentent la vanille et lamenthe et son corps est si doux contre lemien. Je pressemeslèvrescontresanuqueetellesoupireenposantsesmainssurmescuisses.
–Salut,Bébé.–Salut,Papa.J’arqueunsourcilenlaregardant;safaçondedirePapamedonnedesfourmisdans
labraguettecommesesmainsquicaressentlentementmescuisses.–Ahouais,Papa?Jeparled’unevoixrauquequilafaitmarrermaislà,çanecadrepasdutoutavecmon
délire.–Non,pascepapa-là,espècedepervers!Ellemedonneunepetitetapesurl’entrejambe,jeposemesmainssursesépaulespour
qu’ellemeregarde.Ellemesouritencore,detoutessesdents,maisjenecomprendspastropoùelleveut
envenir.–Regarde.Ellemetlamaindanslapocheventraledesarobeetensortuntruc.C’estunmorceau
depapier.Bienévidemment, jenecomprendspas,mais tout lemondesaitque jenepige
paslestrucsimportantsdupremiercoup.Elledéplieleboutdepapieretmelemetdanslamain.
–Qu’est-cequec’estquecetruc?Jeregardeleslignestroublesimpriméessurlafeuille.–Tugâchescomplètementmonmoment,là.Jerisdevantsamouepuislèvelafeuilledevantmesyeuxpourlire:«Urine,positif».–Merde.J’enrestebouchebée,lamaincrispéesurlepapier.–Merde?Ellepartd’ungrandéclatderire,l’excitationestvisibledanssonregardgrisbleu.–J’aipeurd’êtretropexcitée.Jeluiattrapelamainenfroissantencorepluslafeuilledepapierentrenous.–Ne le soispas. (Je l’embrasse sur le front.)Nousne savonspas cequiva sepasser,
alors,putain,sionveutêtreexcités,allons-y.Jel’embrassesurlecrâne.–Onabesoind’unmiracle.Jevoisqu’elleessaiedeblaguer,maisbientropsérieusement.
Septmoisplustard,unpetitmiracleblonddunomd’Emeryapparaîtdansnosvies.
Tessa
Sixansplustard
Je suis assise à la table de la cuisine de notre nouvel appartement, devant monordinateur portable. J’organise troismariages à la fois et j’attendsnotredeuxième enfant.Unpetitgarçon.Nousavonsprévudel’appelerAuden.
Audenvaêtreungrosbébé,monventreesténormeetmapeaudistendueànouveauparcettegrossesse.J’arriveàlafindutermeetjesuistellementfatiguée,maisjeveuxfinirmontravail.Lepremierdestroismariagesestdansunesemaineàpeine,alorsdireque jesuis occupée est un doux euphémisme.Mes pieds sont enflés et Hardin neme lâche pasparcequejetravailledur,maisilsaitquecen’estpasunebonneidéedetropmepousser.J’arrive enfin àme verser un salaire décent et à avoirmes propres bureaux. C’est dur defairesontrousur lascènedumariagenew-yorkais,maisçayest.Grâceà l’aided’unami,monentreprisegrossitettantmaboîtevocalequemaboîtemailsontpleinesdedemandesderenseignements.
L’unedes fiancéespanique : samèreadécidéà ladernièreminutedeveniravec sonnouveaumariaumariageetilfautrefairetoutleplandetable.Pasdeproblème.
La porte d’entrée s’ouvre et Emery passe en trombe devantmoi pour foncer dans lecouloir.Ellea sixansmaintenant.Sescheveuxd’unblondencoreplusclairque lesmienssontattachésenunvaguechignon;Hardins’estchargédesacoiffureavantdel’emmeneràl’écolecematin,tandisquej’étaischezlemédecin.
–Emery?Jel’appellealorsqu’elleclaquelaportedesachambre.LefaitqueLandonenseigneà
l’écolequefréquententAddyetEmerymefacilitelavie,particulièrementquandjetravailleautant.
–Laisse-moitranquille!Jeme lève,monventrecogne leplande travail lorsque jeme tourne.Hardinsortde
notrechambre,torsenuetjeannoirmoulantbassurleshanches.–Qu’est-cequiluiarrive?Impossible de répondre à sa question. Notre petite Emery a l’air aussi douce que sa
maman,mais tient de l’état d’esprit de sonpère.C’est une combinaison qui rendnos viestrèsintéressantes.
Hardinritunpeulorsqu’Emeryhurleunsonore«Jevousentends!».Elleasixansetc’estdéjàunetornade.
–Jevaisluiparler.Il retournedansnotrechambreetenressort,unt-shirtnoirà lamain.En l’observant
l’enfiler,j’aiunflashbacksurmapremièresemaineàlafac,quandjel’airencontré.Ilfrappeàlaported’Emery,ellesoupireetseplaint,maisilentrequandmême.
Comme il ferme la porte derrière lui, je colle mon oreille contre le panneau pourécouterleuréchange.
–Qu’est-cequit’arrive,petitchou?Lavoixd’Hardin résonnedanssachambre.Emerysebatcontre tout,maiselleadore
Hardinetj’aimeleurcomplicité.C’estunpèresipatientetsidrôleavecelle.Je baissemamain pourme frotter le ventre et dire au petit gars que j’ai dansmon
ventre:«Tum’aimerasplusquetonpapa.»HardinadéjàEmery,Audenseraàmoi.Jel’aisouventrépétéàHardin,maisilritetdit
quej’endemandesimplementtropàEmeryetquec’estpourcetteraisonqu’ellelepréfèreàmoi.
NotrepetiteHardinminiatureseplaintensoupirant.–Addyestinsupportable.Jel’imaginearpentersachambreenrepoussantsescheveuxblondscommesonpère.–Ahouais?Commentça?Lavoixd’Hardinestpleined’ironie,maisjedoutequ’Emerylecomprenne.–C’estjustequ’elleestcommeça.Jeveuxplusêtresacopine.–Etpourtant,Bébé,ellefaitpartiedetafamille.Tuescoincéeavecelle.Hardinsouritprobablement,sedélectantdumondetragiquedesenfantsdesixans.–Jepeuxchangerdefamille?–Non.(Il ritetmoi, jemecouvre labouchepourriresilencieusement.)Moiaussi, j’ai
longtemps voulu une nouvelle famille quand j’étais plus jeune, mais ça ne marche pascommeça.Tudevraisessayerde te contenterdecelleque tuas.Si tuavaisunenouvellefamille,ilfaudraitquetuchangesdepapaetdemamanet…
–Non!Emerysembletellementdétestercetteidéequ’ellenelelaissepasfinirsaphrase.
– Tu vois ! Alors, il faut que tu apprennes à accepter Addy et aussi qu’elle soitinsupportable de temps en temps, comme Maman a dû accepter que Papa le soit aussiparfois.
–Toiaussi,tuesinsupportable?Savoixsefaittoutepetite.Moncœurgonfle.Etpasqu’unpeu,merde,ai-jeenviededire.–Etpasqu’unpeu,merde.Hardinarépondupourmoi.Je lève les yeux au ciel et me rappelle que je dois lui dire d’arrêter de dire des
grossièretésdevantelle.Ilnelefaitplusautantqu’avant,maistoutdemême.Emeryracontesonhistoirepourexpliquerqu’Addyaditqu’ellen’étaitplussacopineet
Hardin, en incroyable père qu’il est, écoute et commente chaque phrase. Le temps qu’ilsterminent,jesuiscomplètementretombéeamoureusedecegarçonboudeur.
Je suis adossée aumur lorsqu’il sort de la chambre et ferme la porte derrière lui. Ilsouritenm’apercevant.
–LeCP,c’estpourlesdurs,commente-t-ilenriantavantquejepassemesbrasautourdesataille.
–Tuesdouéavecelle.Jemepencheverslui,maismonventrem’empêchedetropm’approcher.Ilmetournesurlecôtéetm’embrasse,fort.
Hardin
Dixansplustard
–Sérieux,Papa?Emerym’assassineduregarddel’autrecôtédel’îlotcentraldelacuisine.Elletapeses
onglesverniscontrelegranitduplandetravailetlèvelesyeuxauciel,commesamère.–Oui,sérieux.Jetel’aidéjàdit.Tuestropjeunepouralleràcegenredetruc.Je triture le pansement surmon bras. J’ai fait faire des retouches à quelques-uns de
mestatouageshiersoir.C’estsurprenantdevoircommentcertainsd’entreeuxontperduencouleuraufildesans.
–J’aidix-septans.C’estunvoyageavecmaclassedeterminale.OncleLandonalaisséAddyyallerl’andernier!
Mamagnifiquefillehausseleton.Ses cheveux blonds sont raides sur ses épaules. Elle les fouette en parlant ; ses yeux
vertssontsiexpressifsetviventunvéritabledramelorsqu’elleplaidesacauseendisantquejesuislepirepèredelaTerre,etblablabla.
–C’esttellementinjuste.J’aivingtdemoyenneettuasdit…–Stop,chérie.Jeluiglissesonpetitdéjeunersurleplandetravailetelleregardesesœufscommes’ils
étaientaussiresponsablesquemoideladestructiondesonexistence.– À moins que tu ne changes d’avis et que tu repenses à ma proposition de vous
accompagnerpourvouschaperonner.Ellesecouelatêteenaffichantsoncharmantcaractère.–Non.Pasquestion.Jamaisdelavie.–Alorscevoyagen’aurapaslieu.
Elle sorten trombede la cuisineetquelques secondesplus tard,Tessa s’approchedemoi,Emerysurlestalons.
Etmerde.–Hardin,nousenavonsdéjàparlé.Ellevafairecevoyage.Onl’amêmedéjàpayé.Je saisqueparlerdevantEmery, c’est sa techniquepourmontrerquiporte la culotte
ici. Nous avons une seule règle dans notre maison : pas de dispute devant les enfants.Jamais.
ÇaneveutpasdirequeTessanemerendpluscomplètementdingue.Elleestentêtéeetm’envoiechiertoutletemps,deuxadorablestraitsdecaractèrequin’ontfaitqu’empireravecl’âge.
Audenentredanslapièce,sacàdossurlesépaules,écouteursdanslesoreilles.Ilestobsédéparlamusiqueetlesarts,etj’adoreça.
–Voilàmonenfantpréféré.Tessa et Emery montrent leur désapprobation en reniflant bruyamment, puis en
m’assassinantduregard.Jeris,etAudenhochelatête,lesalutofficieldesados.Quepuis-jedire?Ilaatteintunniveaud’humourélevépoursonâge,toutcommemoi.
Audenembrassesamèresurlajoueetattrapeunepommesurleplandetravail.Tessasourit,leregardadouci.AudenestaffectueuxlàoùEmeryaduculot.Ilestpatientetparled’unevoixdoucealorsqu’Emeryaunavis trèsarrêtésur toutetunetêtedemule.Aucundesdeuxn’estmieuxquel’autre;ilssontjustedifférents,delameilleuredesmanières.
Étonnamment, ils s’entendent trèsbien.Emerypassepasmaldeson temps libreavecsonpetitfrèreenleconduisantàsesrépétitionsouenallantàsesexpositions.
–C’estbonalors.Jevaistellementm’amuserpendantcevoyage!Emeryfrappedesmainsetsautesursespieds.Audennousditaurevoiretsuitsasœur
pouralleràl’école.–Commentsommes-nousdevenuslesparentsdedeuxenfantspareils?Tessasecouelatête.–Putain,aucuneidée,(J’enrisetluiouvremesbras.)Viensparlà.Lasibellefemmedemaviemarcheversmoietselovedansmesbras.–Larouteaétélongue.Ellesoupire,jeposemesmainssursesépaulespourlesmasser.Elle s’appuie contremapoitrine et se relaxe immédiatement.Puis, elle se tournevers
moi,sesyeuxbleugristoujoursaussipleinsd’amouraprèstantd’années.
Aprèstoutça,enfindecompte,onyestarrivés.Dequelquematièrequesoientfaitesnosâmes,lesnôtresseressemblent.
REMERCIEMENTS
Waouh,onyest!TheEND.C’estlafindecettefolleaventurequ’aétéAfter.Cettefois-ci,lesremerciementsvontêtrepluscourtscarj’aidéjàtoutditdanslesprécédentsvolumes.
Àmeslecteursquisontrestésàmescôtéspendanttoutecetteaventure,noussommesmaintenantplusprochesquejamais.Vousêtestousmesamisetj’adorelaforcedusoutienque vous m’apportez, à moi et à mes livres. Nous sommes véritablement devenus notrepropre famille.Nous avons pris quelque chose qui a commencé sur un coupde tête pourmoi et en avons fait cette série de bouquins. C’est juste dingue ! Je vous aime et je nepourraijamaism’arrêterdedireàquelpointvouscomptezpourmoi,tousautantquevousêtes.
AdamWilson, lemeilleuréditeurde tout l’univers (je saisque jevarie sur le thèmeàchaque livre), tu m’as aidé à faire de ces livres ce qu’ils sont et tu es un merveilleuxprofesseur et ami. Je t’ai envoyé trop de textos, t’ai laissé trop de commentaires dans lesmarges, mais tu as toujours répondu sans jamais te plaindre ! (Tu mérites entre une ettrenterécompensespourça.)J’aihâtedepouvoirmeremettreàtravailleravectoi!
À l’équipe de production et aux correcteurs, particulièrement Steve Breslin et StevenBoldt, ainsi qu’aux équipes commerciales de S&S, vous travaillez tellement sur les livres,vousêtesgéniaux!
KristinDwyer,tuestropcool,meuf!Mercipourtout,etjeveuxjustequ’oncontinueàtravaillerensemblepourlerestedenotrevie,ah!
ÀtoutlemondechezWattpad,mercidetoujoursmedonnerunemaisondanslaquellerevenir.
Àmonmari, pour être la seconde partie demon être et toujoursm’encourager danschaqueaspectdemavie.EtàAsherpourêtrelameilleurechosequimesoitjamaisarrivée.
Retrouveztoutel’actualitédelasérieAfterd’AnnaTodd,etdesautrestitresdelacollectionNewRomance,
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AVANT,ELLECONTRÔLAITSAVIE.AFTER,TOUTACHAVIRÉ…
L’AMOUR ?
Tessaestunejeunefilleambitieuse,volontaire,réservée.Ellecontrôlesavie.SonpetitamiNoah est le gendre idéal. Celui que samère adore, celui qui ne fera pas de vagues. Sonaveniresttouttracé:debellesétudes,unbonjobàlaclé,unmariageheureux…Maisça,c’étaitavantqu’ilnelabousculedansledortoir.Lui, c’est Hardin, bad boy, sexy, tatoué, piercé, avec un « p… d’accent anglais ! » Il estgrossier, provocateur et cruel, bref, il est le type le plus détestable que Tessa ait jamaiscroisé.
Etpourtant,lejouroùelleseretrouveseuleaveclui,elleperdtoutcontrôle…
Cethommeingérable,aucaractèresombre,larepoussesanscesse,maisilfaitnaîtreenelleunepassionsanslimites.Unepassionqui,contretouteattente,sembleréciproque…Initiation, sexe, jalousie,mensonges,entreTessaetHardin,est-ceunehistoiredestructriceouunamourabsolu?L’écriturerythméed’AnnaToddrendraaccrostousseslecteurs.
AVANT,ILN’AVAITRIENÀPERDRE…AFTER?
Après un début tumultueux, la relation de Tessa et Hardin semblait s’arranger. Jusqu’aumoment où Tessa découvre les secrets du passé d’Hardin, qui la bouleversent. Elle savaitqu’ilpouvaitêtrecruel,maisàcepoint…Hardinseratoujours…Hardin,mêmes’ilsembleamoureux.
Maisest-ilvraimentl’hommedontTessaesttombéeéperdumentamoureuse,ouest-ilunétrangeretunmenteurdepuisledébut?
Cen’estpassifacile.Lesouvenirdesesmainssurelle…desapeauquil’électrise…deleursnuitspassionnées,troublesonjugement.Tessan’estpassûredesupporteruneautrepromessenontenue,maiselleabesoinde luipouravancer.Hardin sait qu’il a faituneerreur,peut-être laplusgrandede savie, etqu’il peutperdreTessa. Il sait aussi que ses amis peuvent se révéler des traîtres etmettre leur histoire endanger.Ilveutsebattrepourelle,maispourra-t-ilchangerparamour?
AVANT,RIENN’AURAITPULESSÉPARER…AFTER?
Le caractère ombrageux d’Hardin continue à lui jouer des tours, et il échappe de peu àl’expulsiondel’université.Desoncôté,Tessaretrouvesonpèreparhasardaudétourd’unerue.Hardin,toujoursaussiingérable,nefaciliterapascetterencontreimprévue.
Tessavadevoiraffronterlaplusdouloureusedesquestions:Hardinsera-t-ilcapabledes’ouvrirunjour?
Unweek-endchez lepèred’Hardinest l’occasionrêvéepourse recentrer sur leurhistoire.LarencontreducoupleRileyetLillianleurenapprendbienplusquetoutesleursquerelles.Pourtant, le départ pour Seattle approche… C’est le moment de prendre les bonnesdécisions.MaisHardin est-il seulement capable demettre ses démonsde côté pour suivreTessa?Lebesoinpassionnéd’êtreensemblesera-t-ilplusfortquetouslesobstacles?
AVANT,PERSONNEN’AURAITOSÉLESDÉCHIRER…AFTER?
Grâce àZed,Tessa échappe aupire et peut commencerunenouvelle vie indépendante àSeattle. De son côté, Hardin se rapproche de plus en plus de Richard, le père de Tessa,jusqu’à l’héberger dans leur ancien appartement pour l’aider à s’en sortir ! L’occasionparfaite pour prouver qu’il a changé et que, peut-être, il peut devenir quelqu’unde bien.Maisest-ceunemanipulationdeplusàsonactif?
Reste-t-ilunespoirpourTessaetsonincorrigiblebadboy?Lesnuitsentre lesdeuxamantssontpluspassionnéesque jamaisetTessase jetteàcorpsperdudanscetteliaisontumultueuse.Pourtantsonentouragesemblecroirequesarelationavec Hardin est vouée à l’échec. Elle va alorsmener l’un de ses plus durs combats poursauversoncouple.C’estsanscomptersuruncruelcoupdudestinquivafaireressortir lespiresdémonsd’Hardin…Tessaarrivera-t-elleàchasserlesténèbresdansl’esprittorturédesonhomme?