Balcon II (Hong-Kong) - Philippe Ramette
L’œuvre du mois - Février 2013
Balcon II (Hong-Kong), Philippe Ramette,
2001, photographie couleur, 155.5 x 126 cm,
Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris
Les œuvres de Philippe Ramette plongent le spectateur dans un délicieux trouble de la perception. Ce dernier
tournera la tête dans un sens, puis dans l’autre, avant de témoigner de la puissance poétique de ces images,
capables de mettre à bas les théories de Copernic ou de Galilée. Perte de repères, anéantissement des lois de la
pesanteur, prises de vue contre-nature ou contre-raison, autant de conséquences à ce qui n’est au départ qu’un
objet, une « prothèse à attitude » comme l’artiste aime à l’appeler. Ramette joue de l’impassibilité méditative
de son corps, immergé dans ces horizons irrationnels, entre la silhouette burlesque keatonienne et l’image du
héros romantique, définitivement seul et aspirant à l’infini.
Le courant artistique : un retour au burlesque ?
Pour mieux voir…: « Acquérir un nouveau point de vue »
jphilippe mercé CPD Arts Visuels et Histoire des Arts 64
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ARTS DU VISUEL :
PHOTOGRAPHIE
Contre toute attente, ou du moins contre l’attente du consommateur d’images faussées et truquées que l’homme moderne est, Ramette nous propose des images réelles, des
mises en scène factuelles capturées par l’appareil photographique. C’est en réalité un prétexte pour illustrer et donner vie à ses inventions, ses prothèses extravagantes, har-
nachées à son propre corps et dissimulées des yeux du spectateur par son costume. On imagine le mécanisme barbare et ingénieux qui maintient à l’horizontale le corps pe-
sant de l’artiste, feignant une absence d’effort et une posture contemplative. Ces images sont donc réelles mais ne sont pas réalistes, et c’est de ce chiasme absolu que pro-
vient toute la puissance philosophique, drôle et poétique de son art. Il explique: « L’idée forte consiste à représenter un personnage qui porte un regard décalé sur le
monde, sur la vie quotidienne. Dans mes photos, je ne vois pas d’attirance pour le vide, mais la possibilité d’acquérir un nouveau point de vue. » L’homme, ce « pauvre
cyclope paralytique » comme le décrit Gérard Wajcman, est condamné à voir le monde d’un point de vue unique. L’œuvre de Ramette révèle alors la lutte qu’il engage pour
échapper à cette condition humaine, une lutte physique, celle de son corps en train d’éprouver l’expérimentation de sa prothèse, et celle du spectateur, à qui il offre une mul-
titude de points de vue, qui se complètent ou s’annulent, s’opposent ou se composent dans une image qui joue de la logique et de la raison, pour notre plus grand plaisir...
L’artiste
Philippe Ramette naît à Auxerre en 1961, il vit et travaille à Paris. Plasticien et sculpteur avant tout, il invente
des objets tout à la fois absurdes et poétiques qu’il choisit de mettre en scène et de photographier. L’artiste est
quasiment omniprésent dans ces nouveaux et troublants paysages - n’ayant d’ailleurs subi aucune retouche -
dans un impeccable costume noir, livrant au spectateur sa vision du monde, pour le moins renversante.
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La scène
Deux zones composent le rectangle de l’image, séparées par une verticale nette:
- A gauche: un balcon est vu de profil. Un homme s’y tient debout, lui aussi de profil, jambes droites et parallèles,
vêtu d’une chemise blanche et d’un costume noir. Les bras tendus tenant la rambarde, il regarde au loin, droit devant
lui. Le balcon « surgit » d’un plan aquatique vertical; de l’écume blanche étant visible au sommet de l’encadrement
du balcon.
- A droite: on voit une ville, et un alignement de gratte-ciels imposants, le tout ayant subi une rotation de 90° dans le
sens des aiguilles d’une montre. Cet alignement dessine du coup une « verticale » assez nette, délimitant le bord de
l’eau. Au pied de ces immeubles, ou plutôt, à gauche de cet alignement: des bateaux. Quelques panneaux publici-
taires, chapotant certains des buildings, se lisent, dans cette même rotation à 90°: Sharp, Panasonic, Epson.
Tout à fait à droite, derrière les gratte-ciels, des montagnes.
Les couleurs La photographie est en couleur, d’une palette relativement homogène: nuances de gris/bleu/vert.
La lumière Le personnage est éclairé par la droite; son visage et ses mains sont dans la lumière.
Composition Le « pied » des gratte-ciels permet de dessiner très nettement le bord de l’eau, dans une verticale très forte qui coupe
l’image en deux. Cette verticale est reprise par celle de l’encadrement du balcon et de la posture du personnage.
Je dis ce que je vois : la description
Je dis ce que je comprends: l’interprétation
Je dis ce que je pense : la conclusion
Ramette réussit à nous déstabiliser, à nous faire douter de nos certitudes et de notre héritage scientifique et rationnel. Notre œil refuse de prime abord cette proposition. Cela
est impossible. Et pourtant… Tourner la tête? Cela suffira-t-il…? Même si ce doit sûrement être lui le moins « stable » dans cette prise de vue, le vertige gagne malgré tout le
spectateur, un vertige de réaction et de révélation: il a réussi ! Il dépasse notre condition d’homme; il est capable de voir autrement et ailleurs. On l’envie...
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La scène
Le titre permet d’identifier la zone urbaine visible sur la droite: il s’agit de la ville de Hong-Kong. Celle-ci étant côtière, on comprend alors que le plan
d’eau à gauche doit être la baie de Hong-Kong, sur la Mer de Chine. L’écume blanche visible sur le cadre supérieur du balcon, de même que le pan de cos-
tume horizontal, donc perpendiculaire à la ligne verticale du personnage, sont deux indices qui laissent deviner le subterfuge : la photo n’est pas truquée,
elle a été en fait tournée à 90°, et le balcon flotte sur l’eau, le personnage étant en réalité horizontal. Le pan de costume devient une trace rassurante de la
gravité terrestre inévitable. Cet homme est tenu par un support invisible qui lui permet de rester à l’horizontale comme s’il était réellement au balcon.
Les couleurs La neutralité et l’homogénéité des couleurs renforcent l’atmosphère contemplative de l’homme face à ce paysage.
La lumière L’éclairage est donc bien un éclairage naturel, celui du soleil, probablement au zénith, à l’aplomb du balcon.
Composition
Le cadrage décidé par Ramette lui permet de troubler encore plus le spectateur: les buildings sont habituellement des verticales très fortes dans les pay-
sages urbains. Ici, il les renverse, renversant par là-même la ligne d’horizon qui est le repère spatial par excellence dans toute image d’extérieur. Ainsi, si
on ne tourne pas la tête pour voir la photo « autrement », le contemplatif semble presque perdre son regard vers l’infini, comme s’il était physiquement sur
une tangente terrestre, lui permettant d’observer par delà le quotidien humain.
Et aussi… : des exemples d’exploitations pédagogiques
Cycle 1 Cycle 2 et 3
Langage
- Produire une fiche lexicale de l’œuvre avec les
mots importants à retenir : photographie, balcon,
corps, horizon, ville, gratte-ciel, vertical...
- Raconter, lire, écrire, faire des recherches sur l’œuvre, sur
l’artiste, etc.
- Produire une fiche lexicale de l’œuvre avec les mots impor-
tants à retenir : photographie, horizontal/vertical, paysage, ville,
gratte-ciel, balcon, point de vue...
Rédaction Production
d’écrits
- Elaborer une phrase qui explique ce que représente l’œuvre (trace écrite, pour affichage ou support personnel).
- Ecriture inventée, ou dictée: les mots clefs (cf ci-dessus).
- Ecrire une phrase que pourrait prononcer l’artiste (bulle d’une BD).
- Ecrire un autre titre, une légende, une critique.
- Changer de point de vue: décrire ce que voit l’artiste, ce que voit le photographe, ce que voit un habitant d’un
gratte-ciel qui observerait la scène...
« Découverte du monde »
- Situer Hong-Kong sur une carte pour mieux comprendre la composition de la photographie.
- Chercher et proposer d’autres villes où le même type de photographie aurait pu être prise.
Arts Visuels
- Inventer la fiche technique de la prothèse nécessaire à cette mie en scène.
- Prolonger la photographie par l’habitation imaginaire et « sous-marine » dont ce balcon surgirait à fleur d’eau.
- Changer de point de vue: représenter ce que voit l’artiste, un habitant d’un gratte-ciel…
- Représenter le avant et le après.
- Par collage, imaginer d’autres mises en scène troublant les repères spatiaux de verticalité et d’horizontalité, de
point de vue, etc.
- Se mettre physiquement en scène pour réaliser des photographies qui jouent avec ces renversements de repères.
Histoire des Arts
- Observer et comparer avec d’autres œuvres de Philippe Ramette pour constater de la permanence de la démarche
« renversante ».
> [1] Promenade irrationnelle, 2003
> [2] Métaphore photographique, 2003
> [3] Exploration rationnelle des fonds sous-marins: le contact, 2006
- Comparer avec les personnages de Buster Keaton et comprendre en quoi la démarche de Ramette peut se rappro-
cher de l’univers burlesque de l’acteur.
> Lien avec Ecole et cinéma
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