De la collecte à la valorisation Préparer un entretien,
l’enregistrer, l’archiver et le
valoriser
Véronique Ginouvès Phonothèque http://phonotheque.hypotheses.org
La phonothèque de la MMSH
7500 heures de son 6000 heures numérisées 1500 heures en ligne Accessibles sur la base de données Ganoub : http://phonotheque.mmsh.univ-aix.fr Valorisées sur le carnet de recherche : http://phonotheque.hypotheses.org
Effet incitatif des dépôts
La phonothèque de la MMSH a mis en place une poli6que d’accueil des archives associée à une réflexion méthodologique et a créé un disposi6f complet pour leur traitement, de la collecte à la valorisa.on.
Pourquoi enregistrer ? - Les sociétés ne sont pas fondées uniquement sur l’écrit, la transmission peut passer par l’oralité : savoir faire, conte, chanson, musique, langues… - Les archives papier ne sont pas suffisante pour comprendre l’histoire : les détails de la vie quotidienne, les anecdotes, les “secrets”... permettent de mieux comprendre les contextes - L’histoire est faite aussi bien par des personnes anonymes (les “oubliés de l’histoire”) que par des personnes “hauts placées”, chacun apporte par l’oralité des compléments indispensables à la connaissance - La reconstitution du passé se fait aussi à travers la représentation qu’en ont eue les témoins ou à travers leurs émotions - La parole donne de la vie à un évènement, une histoire, des archives…
L’enregistrement sonore du terrain conservés dans un centre d’archives : quelles fonctions ?
- Produire du document comme l’écrit, l’audiovisuel ou l’iconographie - Recueillir rapidement et de façon efficace une information
évite la prise de notes, source d’erreurs - Fixer des données qui ne peuvent être recueillies que
sous forme orale pratiques linguistiques, vécu, affectif, représentations du symboliques ou de l’imaginaire, sujets sensibles sur lesquels il n’existe pas d’archives imprimées, pièces musicales qui n’ont jamais fait l’effet de transcriptions
- Donner la parole aux anonymes - Compléter des sources imprimées et photographiques
Notre programme
- Méthodologie de la collecte - Enregistrement d’entretiens - Ecoute et archivage - Valorisation des entretiens
Une méthode pour préparer un collectage de paroles
− Définir une problématique − S'informer sur son sujet − Choisir des « informateurs » privilégiés − Répondre à la problématique par des
hypothèses − Rédiger une grille d'enquête − Définir les personnes physiques et/ou
morales responsables des archives collectées et les interactions des partenaires du projet
− Préparer un contrat d’utilisation et de diffusion des archives
Au cours de cette préparation, ces étapes en relation vont se modifier les unes les autres… Selon ses finalités, ses moyens mobilisables (humains et financiers) et ses partenaires, un projet peut être plus ou moins complexe à mettre en place. La rédaction d’un cahier des charges s’avère toujours nécessaire, nous le construirons au fil de la semaine.
Préparer son enquête
S'engager dans une enquête s'est se placer du côté de la production des données. Nous allons préparer le terrain de façon active.
Choisir notre sujet Il convient d'être guidé par une question de départ puis passer du thème à la question d'enquête => en reformulant la question à partir de lectures et d’expériences => en délimitant les « populations concernées » > la question doit faire échos à votre propre expérience, à votre parcours, pour devenir un véritable sujet d'entretien. Chemin faisant ce thème sera notre objet d'enquête.
Une question toujours en évolution
Au fil des enquêtes le thème les questions peuvent évoluer mais il convient régulièrement de préciser toujours la question : l'enquête va cheminer, peut passer par des périodes de progression ou de blocage.
Le terrain dicte sa loi à l'enquêteur.
Propre histoire familiale Expérience personnelle
Connaissances de culture étrangère Pratique des voyages
Rapports familiaux
Particularités de l’enquêteur
La place et le rôle du collecteur de témoignages oraux, Florence Descamps http://afas.revues.org/1514
Connaissance du terrain
Pour enquêter, il faut mettre en avant l'atout de l'étrangeté
= Inverser son regard > Le ressort le plus sûr de l'enquête ethnographique est de se décentrer pour voir autrement le monde social pour découvrir sous des faits apparemment banals, naturels, évidents, des relations sociales, une histoire
Préparer son enquête
1. Connaître le domaine de recherche => recherches documentaires - s'inscrire dans une science cumulative - poser de nouvelles questions - sortez de vos préjugés - faites des fiches thématiques - éviter des thèmes trop larges ou trop originaux
Préparer son enquête
2. Se familiariser avec le terrain - apprentissage du langage de «votre » population : langage de métier, langage social, langage culturel... - arriver à déceler l'implicite de la vie sociale dans le milieu enquêté, - ne pas contruire trop vite de théories qui pourraient vous faire faire des interprétations hâtives.
Préparer son enquête 3. S’informer : - soyez capables en permanence de parler aux témoins de choses qui les intéressent, - efforcez-vous de recueillir un maximum d'information sur votre thème de recherche ; soyez aux aguets !
Partir enquêter...
Emporter avec soi un cahier de papier, pas trop épais mais pas trop fin, transportable pour tenir son journal de terrain.
Ouverture de documents partagés en ligne pour savoir ce que fait l’équipe.
Le carnet de terrain Journal de bord du suivi de l'enquête. Les qualités : précision, sens du détail, honnêteté scrupuleuse du laboratoire... Où, quand, comment, quand, avec qui... Certaines pages deviendront le journal de recherche : analyses, évolution du sujet, hypothèses, doutes bonheurs... Essayez le vis à vis (à gauche l'informatif, à droit les analyses).
Faut-il filmer les entretiens ? -‐ Décalage entre ce que le
témoin montre de lui et ce qu'il raconte,
- Distanciation critique plus difficile,
- Enregistrement « total » de la vie sociale,
- Coût importants, - Complexification des
droits de diffusion.
- Décalage entre ce que le témoin montre de lui et ce qu'il raconte,
- Enregistrement « total » de la vie sociale,
- Le témoin « montre », - Meilleure critique de la
source, - Facilité de la valorisation.
Le magnétophone
Enregistreur numérique permettant la prise de son au format WAVE = minimum 44.1Hzt, 16 bits. Un micro directionnel ou pas (inutile parfois si un micro de bonne qualité est intégré à l'enregistreur).
De la mémoire sur un support qui sera comptatible avec votre matériel.
Préparer un entretien pour son archivage :mettre de son côté
les aspects matériels
Importance du - lieu de l'entretien, - de sa durée, - l'image de l'enquêteur, - du matériel d’enregistrement et de conservation, puisqu’on se situe dans une logique de pérennité des documents.
Conséquences du choix du lieu sur la prise de son
- Chaque lieu peut produire des interférences dans l’esprit du témoin quant à sa conception de l’exercice des archives orales : registre journalistique, patrimonial, mondain, pédagogique, confidentiel, professionnel... - Halte au bruit ! (téléphone, conversations extérieures, animaux de compagnie, fenêtres ouvertes...). - Installation technique à envisager (prises électrique, prise de notes...
La présentation de soi
Devenir « enquêteur » c'est un nouveau rôle social à tenir... Ne vous déguisez pas et restez vous-mêmes : - Neutralité de son allure, - Respect des règles usuelles de politesse et en particulier la ponctualité, - Sauf exception, le vouvoiement est de rigueur.
Le temps d'un entretien L'idéal : une à deux heures,... attention à la
gabégie numérique ;-) À un moment de la journée qui puisse où le témoin
est le plus vif et le plus disponible par rapport à son organisation personnelle ou professionnelle.
Suivant une fréquence (en cas de récit de vie) de une à deux séances par semaine.
La prise de son
- Qualité du magnétophone et du micro, - Qualité de la prise de son (orientation du micro, maîtrise du fonctionnement de l’appareil, vérification des niveaux), - Qualité du format d'enregistrement, - Carte son de bonne capacité - Vigilance sur les sons perturbants pendant l'entretien, - Vigilance sur la charge du magnétophone (pile ou transformateur) - Transfert systématique du fichier numérique et vérification de son intégrité à la fin de chaque entretien.
Se présenter au début de l'entretien Des usages du mot « enquête »
Un terme qui n'est pas neutre et se prête à des associations d'idées qui peut être péjoratif : étude, travail, recherche sont des mots plus positifs mais surtout prenez le temps d'expliquer votre travail en particulier s'il s'agit d'une enquête patrimoniale pour laquelle vous allez faire signer des contrats de diffusion et d'utilisation.
Demandez toujours l'autorisation d'enregistrer
En demandant à votre interlocuteur de l'enregistrer, vous changer le statut de sa parole : vous transformez une parole privée (entre vous et le témoin), en une parole publique, potentiellement audible par autrui, donc exploitable, citable.
Règles de déontologie - Ne jamais enregistrer à l'insu de la personne, - Expliquer le contexte et l'objectif de l'enquête au témoin, - Interrompre l'enregistrement si elle le demande, - Demander l'autorisation pour prendre des photographies - Ne jamais divulguer les propos du témoin dans son milieu d'interconnaissance, - Faire signer des contrats d'autorisation et de diffusion pour les enregistrements comme pour les images.
La bande annonce de l'entretien
La bande-annonce identifie le fichier et évite toute erreur d’attribution, elle indique : — le nom du témoin, — le nom de l'enquêteur (éventuellement ses qualités), — la date de l’entretien et l’heure (éventuellement son n°) — le lieu de l’entretien (domicile, bureau, institution...), — Eventuellement, l’objet de l’entretien et son cadre (entretien biographique, programme de recherche, thématique, enquête patrimoniale pour un dépôt dans une archive...).
Conduire un entretien 1. Faut-il utiliser un « guide d'entretien » ? 2. Collecter des données objectives 3. Savoir conduire l'échange : - Les stratégies d'écoute - Les stratégies d'intervention
Faut-il utiliser un « guide d'entretien » ?
Avantages : - il rassure l'enquêté comme les enquêteurs, - vous rassemblez les informations pour recueillir du matériel conforme à votre problématique, - vous pouvez plus facilement effectuer des comparaisons entre les différents entretiens - il légitime la conception quantitative des entretiens.
Faut-il utiliser un « guide d'entretien » ?
Inconvénients : - Vous vous croyez obligé(e)s de suivre et de respecter un ordre de questions, - Vous n'êtes pas assez attentifs aux propos de l'enquêté ; - Vous renforcez chez le témoin l'idée qu'il doit répondre à un questionnaire, - Le guide peut vous enfermer dans votre sujet, ne vous y crispez pas.
Mise en pratique En groupe, construire un « guide
d'entretien », sur un thème à définir ensemble : votre problématique.
Repérer dans votre environnement proche, un témoin, lui présenter votre projet et l’enregistrer un témoin, pendant 10 minutes sur le thème préalablement défini.
Faire signer au témoin un contrat d’utilisation et de diffusion de cet enregistrement
Les outils pour planifier une campagne de collectage
Parmi les multiples outils d'organisation citons : La méthode QQOQCCP Qui fait Quoi, Où, Quand, Comment, Combien et Pourquoi ? Les cartes heuristiques ou carte mentale (Mind Mapping) pour suivre le cheminement associatif de la pensée. Exemples de logiciels libre de Mind Mapping en français Freemind ou Xmind
Créer la grille d’entretien à partir d’une carte heuristique
=> Représentation visuelle du cheminement associatif de la pensée
Créer une grille d’enquête : à partir d’une carte mentale :
Le patrimoine immatériel : définitions, trasmissions, relations,
réalités, imaginaires
N'oubliez pas de collecter des données objectives
Bien entendu le « vécu » des enquêtés est important mais pour que ces archives “prennent du sens”, il faut aussi obtenir des informations objectives qui seront trop difficiles ensuite à retrouver : âge de la personne, parcours professionnel, langues parlées, origine sociale... > quête d'indices au cours de l'entretien, ces données ne peuvent être collectées à brûle pourpoint.
Savoir conduire l'échange - Ecoutez des entretiens en ligne - Centrez l'entretien de départ sur un point particulier : le témoin doit savoir où vous allez, - Gérer le temps de l'entretien, savoir trouver le temps de recevoir les confidences, - Eviter de donner une interprétation tout en posant une question ou poser des questions factuelles embarassante, ou des questions d'opinions, - Ne coupez pas votre témoin : ce n'est pas vous qui êtes intéressant, c'est lui.
Les stratégies d'écoute
La clé de la méthodologie de l'entretien repose sur la technique d'écoute. Dans ce cadre l'écoute est productrice de significations, mettant en œuvre des opérations de sélection, d'inférence, de comparaisons par rapport aux objectifs de l'entretien. La décision d'intervention doit être prise en toute connaissant des différents types d'intervention.
L’enquête de terrain en sociologie par Howard Becker : Ne demandez jamais « Pourquoi ? »
http://www.canal-u.tv/producteurs/canal_socio_universite_paul_verlaine_metz/dossier_programmes/trois_lecons_de_sociologie/trois_lecons_de_sociologie_1_sur_le_travail_de_terrain
Canal socio
Les stratégies d'intervention
- Consigne - Relance - Intervention
Les stratégies d'intervention : la consigne
Tout entretien commence par une consigne inaugurale : elle doit être claire, le champ des réponses suffisamment large pour que chacun puisse inscrire son discours. « J'aimerais que vous me parliez de... ce que ça représente pour vous » (obtenir une opinion), « J'aimerais que vous me parliez de... comment ça se passe » (obtenir une narration), => chaque consigne introduit une nouvelle thématique, structure l'entretien.
Les stratégies d'intervention : la relance
La relance est un acte réactif qui s'inscrit dans le déroulement des énoncés de l'informateur. - réitération en écho : simple reprise de la dernière information du locuteur, - réitération en reflet, avec un préfixe modal : « vous pensez que... ? », - relance interprétative : « vous craignez que... » (attention aux usages des deux dernières, elle peuvent mettre en cause l'assurance du témoin) … il y en a d'autres...
Les stratégies d'intervention : la contradiction
> L'intervention par contradiction contraint le témoin à soutenir l'argumentation de son discours. Inconvénients : l'enquêteur n'est plus neutre et donne un avis
=> se rapproche du journalisme et s'éloigne de l'enquête ethnologique.
Crédits Photographie première page et petits personnages : Corinne Cassé, 2011. Diapo 2 : Vue de la MMSH par Pierre Monteil, 2005. Diapo 3 : Archives de Marceau Gast par Laure Principaud, 2011. Diapos 35 et 36 Carte du cerveau par Roberta Faulhaber, artiste plasticienne Méthodologie : Descamps, Florence, François Monnier, et Dominique Schnapper. 2005. L’historien, l’archiviste et le magnétophone : de la cons8tu8on de la source orale à son exploita8on. Paris, France: Ministère de l’économie des finances et de l’industrie, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. (hMp://igpde.revues.org/104).
Weber, Florence, et Stéphane Beaud. 2003. Guide de l’enquête de terrain -‐ Produire et analyser des données ethnographiques. Paris: La Découverte.