LICENCE 3 HIRISS • SEMESTRE 6 • 2013/2014 JEAN-FRANÇOIS MURACCIOLE • HISTOIRE CONTEMPORAINE
EISENHOWER
Portrait par Norman Rockwell
JOSSELIN COLLETTA • AVRIL 2014
Trente-‐‑quatrième Président des États-‐‑Unis (1953-‐‑1961)
EISENHOWER
Introduction Dans une Amérique encore plongée dans le marasme coréen et
saisie d’hystérie anticommuniste, ce sont les questions de politique étrangère et de sécurité intérieure qui jouèrent un rôle primordial dans la campagne présidentielle de 1952. Le général-‐‑héros Dwight Eisenhower -‐‑ auquel les deux grands partis avaient proposé d’être leur candidat et qui choisit le Grand Old Party -‐‑ se présenta comme au-‐‑dessus de la politique des partis. Sa formule de campagne, K1C2 identifiait parfaitement les préoccupations et les priorités des Américains. Après sa victoire sur le démocrate Stevenson, il entre en 1
fonction le 20 janvier 1953. Le pays semble alors être à l’apogée de sa prospérité : les États-‐‑Unis sont le plus gros producteur mondial, et leurs grandes firmes s’organisent sur le plan international.
Le nouveau Président Eisenhower jouit d’une grande popularité justifiée par sa carrière militaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Texan, né en 1890 dans une famille texane modeste, il est entré à West Point, l’école militaire américaine, en 1911. Après avoir occupé divers postes d’état-‐‑major, il est nommé par Roosevelt en 1942 à la tête du théâtre d’opérations européen. C’est lui qui prépare et exécute les plans de débarquement de novembre 1942 en Afrique du Nord et ceux de l’opération Overlord de juin 1944 sur les côtes normandes. Il dirige ensuite l’assaut contre l’Allemagne et obtient sa capitulation en mai 1945. Il est ensuite président de l’université de Columbia, qu’il qui_e après avoir été nommé commandant en chef des forces de l’OTAN en 1950, mais outre ce glorieux passé, ce républicain rassure par
JOSSELIN COLLETTA� SUR �2 19 Korea d’abord, puis le Communisme et la Corruption.1
LES ÉLECTIONS DE 1952
EISENHOWER
son programme qu’il définit comme un « conservatisme dynamique ». Peu autoritaire et moins soucieux de défendre les prérogatives présidentielles que son prédécesseur, il se considère comme un arbitre entre les différentes tendances et adopte la politique de la « voie moyenne ». En effet, devant l'ʹexpansion soviétique en Europe de l'ʹEst, Truman et ses conseillers en politique étrangère adoptèrent une ligne dure contre l’URSS : Truman suivait l'ʹopinion publique américaine qui s'ʹinquiétait d'ʹune potentielle domination mondiale des Soviétiques. Ainsi, dès son arrivée, Eisenhower décide, avec son secrétaire d’État John Foster Dulles, de tenter une normalisation des rapports avec l’Union soviétique tout en restant vigilant à son égard, et surtout il va me_re fin aux excès du maccarthysme. Aussi, 1953 marque le commencement d’une nouvelle période dans la guerre froide, celle d’une « stabilisation » causée par le développement rapide des techniques militaires et la constitution de stocks de bombes à hydrogène d’un côté comme de l’autre. La présidence d’Eisenhower reste marquée par de multiples crises sur la scène internationale : entre 1953 à 1961, la politique étrangère des États-‐‑Unis reste presque intégralement tournée vers une véritable lu_e pour l’hégémonie, malgré ces efforts et des l’existence de conflits internationaux qui échappent à la guerre froide. !
Comment expliquer la politique menée par D. Eisenhower, qui semble être marquée par un apparent désir d’entente avec l’URSS, alors que la Guerre froide était à son comble et que la position des États-‐‑Unis était bien plus dure sous H. Truman ? Si la ligne générale de sa Foreign Policy semble annoncer une nouvelle approche, elle perpétue la formation d’alliances tout en créant de nouveaux éléments de doctrine. À l’intérieur, il sera l’homme du juste milieu et de la mise au ban de McCarthy.
JOSSELIN COLLETTA� SUR �3 19
EISENHOWER
NEW LOOK ET THÉORIE DES DOMINOS L’endiguement est la pierre angulaire sur laquelle toute la politique
étrangère américaine est fondée après la Deuxième Guerre mondiale. La doctrine Truman, le plan Marshall, l’OTAN, le document NSC 68 qui définit la politique américaine des années 1960 et 1970, en découlent. NSC 68 présente le conflit avec l’Union soviétique comme inévitable car ses objectifs amoraux sont irréconciliables avec ceux des Américains. Les négociations, prétend-‐‑on, sont inutiles car on ne peut se fier aux Soviétiques. Pour faire face efficacement à la menace, il faut accroître la part du budget de défense sensiblement. On pense que la survie des États-‐‑Unis et du monde libre en dépend.
Dans le rapport à l’ennemi soviétique, il semble que, malgré le fait que les années 1953 -‐‑ 1956 constituent un relatif dégel, il n’y ait pas eu de véritable rupture avec la période précédente. La perte du monopole nucléaire et l’expérimentation de nouvelles armes par les Russes ont plutôt pour effet dans un premier temps de radicaliser la politique de la Maison Blanche. Toutefois le président Eisenhower, qui avait fortement critiqué la politique de simple « endiguement » de son prédécesseur lors de la campagne présidentielle de 1952, n’ira pas jusqu’à appliquer les idées de certains de ses collaborateurs, favorables au refoulement (roll-‐‑back) des Russes sur leurs positions de départ.
De fait, après la guerre de Corée à laquelle Eisenhower met fin en quelques mois, la politique étrangère américaine devint plus agressive et le Département d’État commença à définir le monde en termes essentiellement stratégiques et militaires. L’aide militaire américaine se substitua alors à l’aide économique, la stratégie reposant sur la théorie du fil de détente‑ selon 2laquelle toute a_aque soviétique contre un pays de l’OTAN comprenant des troupes américaines déclencherait automatiquement une riposte nucléaire.
JOSSELIN COLLETTA� SUR �4 19
ALINER M., PORTIS L., La politique étrangère des États-‐‑Unis depuis 2
1945, Paris, Ellipses, 2000
EISENHOWER
C’est en décembre 1953 que le président de l’état major des trois armes (Joint Chiefs of Staff) Radford parla d’une nouvelle orientation (a New Look) donnée à la stratégie américaine. Il annonça une réduction substantielle du budget militaire, une diminution des armées conventionnelles, mais une intensification de la fabrication des armes « scientifiques ». Et désormais, on affirmait qu’en cas d’a_aque communiste contre un pays quelconque, les représailles ne seraient plus cantonnées dans ce seul pays. Elles pourraient avoir lieu n’importe où, seraient immédiates et massives -‐‑ ce qui impliquait la menace des armes nucléaires (massive retaliation). En mars 1954, le secrétaire d’Etat Dulles lui-‐‑même parle d’un New look diplomatique. A vrai dire, on ne voit pas très clairement en quoi la nouvelle politique se différenciait de l’ancienne.
Alors candidat républicain aux élections présidentielles de novembre 1952, Eisenhower avait critiqué dans sa campagne électorale la politique de containment du président Truman et du secrétaire d’Etat Acheson. Élu avec Richard Nixon comme vice-‐‑président, Eisenhower choisit comme secrétaire d’Etat l’avocat John Foster Dulles . La nouvelle équipe se 3
rend vite compte que la libération des peuples soumis à la tutelle soviétique était impossible sans courir le risque d’une guerre générale dont personne ne voulait. Les républicains au pouvoir se bornèrent donc à suivre pratiquement la même voie que les démocrates. Le « New look diplomatique » adopté par la nouvelle équipe consistera seulement en un containment renforcé, appliqué notamment au Proche-‐‑Orient (« doctrine Eisenhower », que nous aborderons ensuite) et complété par l’adoption d’une nouvelle doctrine stratégique, dite des « représailles massives ». Désormais, une a_aque communiste contre un pays quelconque entraînerait une riposte nucléaire immédiate des États-‐‑Unis pouvant intervenir en n’importe quel point du camp socialiste.
Eisenhower considérait le prodigieux développement de la société de consommation américaine comme un atout essentiel pour lu_er contre l’idéologie communiste. Cependant, ce_e perspective plus économique d’une
JOSSELIN COLLETTA� SUR �5 19 Principal négociateur américain pour le traité de paix avec le Japon.3
EISENHOWER
compétition mondiale ne modifia pas la stratégie politique car tous les problèmes, en Europe comme en Asie, semblaient liés. Ce_e vision toujours monolithique du communisme international se vérifia dans la fameuse « théorie des dominos » exposée par le président dans une conférence de presse en avril 1954. Prenant comme exemple le Sud-‐‑Est asiatique, Eisenhower souligna le risque que la chute d’un seul domino, en l’occurrence l’Indochine, n’entraîne une réaction en chaîne, une « désintégration » aux conséquences « incalculables pour le monde libre ». Au final, même s’il lance le 8 décembre 1953 le programme Atoms for Peace visant à développer, nationalement et internationalement, les usages pacifiques de l'ʹénergie atomique, Eisenhower ne fit guère avancer les négociations sur le contrôle des armes nucléaires , le gouvernement américain, comme les Soviétiques 4
d’ailleurs, cherchant surtout à marquer des points de propagande auprès de l’opinion publique mondiale.
Au contraire, la politique d’Eisenhower est bien moins tournée vers la coexistence pacifique qu’il n’y paraît. En effet, en bonne application du vieil adage Civis pacem para bellum, Eisenhower s’efforce de nouer des alliances.
JOSSELIN COLLETTA� SUR �6 19
Malgré ses efforts affichés devant l’ONU : « Against the dark background of the 4
atomic bomb, the United States does not wish merely to present strength, but also the desire and
hope for peace. »
EISENHOWER
RENFORCEMENT DES ALLIANCES L’émergence d’une « troisième force », formée par les pays
décolonisés d’Afrique, du Moyen-‐‑Orient, d’Asie et même d’Amérique latine, a focalisé la confrontation entre les a États-‐‑Unis et l’Union soviétique. Les différents gouvernements américains réagirent à ce_e nouvelle donne en créant donc des systèmes d’alliances militaires qui avaient une double fonction : d’abord encercler l’Union soviétique de bases militaires, ensuite englober des Etats dans un système de dépendance économique et financière de manière influencer leur politique intérieure. La création de l’Otan en 1949 en fut le modèle.
Tout comme les démocrates, Eisenhower et Dulles essayèrent de renforcer les alliances des États-‐‑Unis. L’une des solutions envisagées depuis 1950 était de réarmer l’Allemagne occidentale. Elu en novembre 1952, la réalisation de la CED était un point essentiel de son programme et même une sorte d’obsession. La conférence de presse de Dulles en décembre 1953 le montre bien : il y déclare qu’au fond le vrai but américain n’était pas de réarmer l’Allemagne mais de « créer une situation qui perme_e aux nations occidentales de cesser ce_e lu_e de suicide où elles se sont engagées au cours de ces derniers siècles, créer une situation qui rende impossible le suicide de la France et de l’Allemagne par une guerre entre les deux nations ». La Communauté européenne de défense (CED) était un projet de création d'ʹune armée européenne, avec des institutions supranationales, placées sous la supervision du commandant en chef de l'ʹOTAN, qui était lui-‐‑même nommé par le président des États-‐‑Unis. Dans le contexte de la Guerre froide, le projet, qui est esquissé en septembre-‐‑octobre 1950, ne devient un traité, signé par 6 États, que le 27 mai 1952. Ratifié par la République fédérale d'ʹAllemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-‐‑Bas, le traité instituant la CED sera rejeté par l'ʹAssemblée nationale française le 30 août 1954 par 319 voix contre 264. À l'ʹorigine, ce projet de CED fut le résultat d'ʹune exigence américaine largement appuyée par l’administration Eisenhower. Le rejet de la CED par la France
JOSSELIN COLLETTA� SUR �7 19
EISENHOWER
créa un mécontentement sérieux aux États-‐‑Unis et chez les autres puissances signataires. Ce_e même année 1954, les États-‐‑Unis renforcèrent et étendirent encore leur réseau d’alliances anticommunistes en élaborant des projets de défense régionale au Moyen-‐‑Orient (CENTO) et dans le Sud-‐‑Est asiatique (OTASE). Ainsi, Eisenhower était bien dans la lignée républicaine en politique étrangère : démontrer la volonté des États-‐‑Unis d’être partout, de contrer le communisme perçu comme seule véritable menace à l’ordre international.
Les États-‐‑Unis, déjà alliés dans le Pacifique avec les Philippines, le Japon et la nouvelle Zélande depuis 1951, s’efforcèrent, sous l’administration Eisenhower, d’étendre ce système à l’Asie continentale. Cela était lié à la nécessité de conclure des armistices en Corée et en Indochine, de même qu’aux prédilections asiatiques de Dulles. Le 1er octobre 1953, traité de défense mutuelle entre les États-‐‑Unis et la Corée du Sud ; 19 mai 1954, traité d’assistance et de défense mutuelle États-‐‑Unis-‐‑Pakistan ; le 2 décembre 1954, pacte de défense mutuelle États-‐‑Unis-‐‑Chine nationaliste, notamment pour la défense de Formose. Plus important, par son caractère collectif, est le traité de Manille du 8 septembre 1954. Ce « traité de défense collective pour l’Asie du Sud-‐‑Est » était en quelque sorte la réaction américaine, face aux concessions faites à la conférence de Genève à propos de l’Indochine. Il groupait les États-‐‑Unis, la France, le Royaume-‐‑Uni, l’Australie, la Nouvelle-‐‑Zélande, les Philippines, le Pakistan et la Thaïlande. Ce pacte, imité du Pacte atlantique, était essentiellement une alliance. En effet il prévoyait qu’en cas d’agression armée contre l’un des signataires, les puissances feraient face commune et se consulteraient en cas de menace. Mais les États-‐‑Unis, dans une déclaration spéciale, ne s’engagent à intervenir qu’en cas d’agression communiste.
En 1957, le lancement par l’URSS du satellite Spoutnik surprend le monde occidental. La surprise est d’autant plus grande que les Américains avaient sous-‐‑estimé leurs rivaux dans la course à l’armement et dans la conquête de l’espace et qu’ils considéraient volontiers les Soviétiques comme des paysans un peu a_ardés. Eisenhower renforce alors la politique de défense et accélère le développement des missiles intercontinentaux, définit
JOSSELIN COLLETTA� SUR �8 19
EISENHOWER
la doctrine Eisenhower et engage le pays dans un programme spatial très ambitieux.
Les États-‐‑Unis étaient constamment préoccupés par les risques de révolution communiste dans les pays sous-‐‑développés de l’Amérique latine. De nombreux éléments rendaient instables une zone où les États-‐‑Unis étaient en général considérés avec suspicion. On accusait les riches yankees d’exploiter à leur profit l’Amérique latine. L’exemple le plus remarquable de l’anticommunisme des États-‐‑Unis nous est fourni par l’affaire du Guatemala. Le communisme y fit son apparition dans les années 1940. C’est en 1954 que Castillo Armas opère son coup d’état, très largement poussé par les États-‐‑Unis . De plus, les États-‐‑Unis agirent pour rendre inefficace l’appel au Conseil 5
de sécurité et Dulles se réjouit publiquement de la défaite du colonel Arbenz. La dixième conférence interaméricaine est réunie à Caracas en mars
1954.Seul le Costa Rica en était absent. Au début de la session, Dulles proposa de voter une résolution anti-‐‑communiste plus ne_e que celle qui avait été adoptée à Bogota. Il obtint gain de cause par 17 voix contre 1 (celle du Guatemala, le ministre des Affaires étrangères guatémaltèque voyait dans ce_e résolution l’internationalisation du maccarthysme), mais dans bien des cas le vote des Latinos-‐‑Américains, inquiets de donner un prétexte à une intervention des États-‐‑Unis, fut plus résigné qu’enthousiaste.
!
JOSSELIN COLLETTA� SUR �9 19
Au début des années 1990, les chefs de la CIA ont officiellement reconnu 5
l’existence de onze opérations secrètes de ce genre pendant la Guerre froide, y compris au
Guatemala.
EISENHOWER
La doctrine Eisenhower À son retour au State Department après avoir été malade quelques
temps, Dulles élabora avec le président une tactique nouvelle : le 5 janvier 1957, le Président proposa au Congrès le vote d’une résolution conjointe sur le Moyen-‐‑Orient, connue sous le nom de « doctrine Eisenhower ». Ce_e résolution donnait au président le pouvoir d’intervenir en cas d’a_aque communiste « directe » sur un pays du Moyen-‐‑Orient, ainsi que le droit de distribuer aux pays arabes qui accepteraient la doctrine Eisenhower, une aide économique de 200 millions de dollars.
Ainsi, c’est avec Eisenhower que l’Iran est devenu un allié majeur des États-‐‑Unis, en recevant d'ʹénormes aides économiques et militaires. Eisenhower fut un des premiers présidents à traiter avec le Shah en tant que client important du complexe militaro-‐‑industriel américain. Cependant, Eisenhower ne cédait pas à toutes les demandes du Shah en matière d’équipement militaire, exhibant un réel scepticisme à l’égard des menaces soviétiques rapportées par le Shah et sur lesquelles les requêtes iraniennes étaient basées. Dans bien des cas, Eisenhower rejeta les demandes du Shah en équipement, dans d’autres il le fournit pour moins que ce qui avait été demandé. En réalité Eisenhower voyait le Shah comme un rouage majeur dans sa politique de containment en Asie du Sud-‐‑Ouest : ce dernier affirme publiquement être favorable au coup d’état anglo-‐‑américain effectué contre le premier ministre Iranien Mohammad Mossadeq en 1953. Sous l’administration Eisenhower, l’Iran rejoint le pacte de Bagdad, un accord de sécurité collective conçu encore une fois par John Foster Dulles comme une méthode d’endiguement du bloc communiste. Ainsi, l’Iran et autres états amis du Moyen Orient se voyaient assurés d’une aide militaire américaine dans le cas d’une a_aque soviétique, voire même de toute forme d’ingérence communiste.
Les démocrates reprochèrent à ce_e doctrine son insuffisance, et le fait qu’elle se bornait à la défense anticommuniste, ne réglant en rien les
JOSSELIN COLLETTA� SUR �10 19
EISENHOWER
problèmes essentiels : sécurité d’Israël, canal de Suez, passage des navires israéliens dans le golfe d’Akaba. Néanmoins, les États-‐‑Unis remportèrent des succès diplomatiques en écartant de Nasser l’Arabie Saoudite, puis la Jordanie où le roi Hussein opéra son coup d’État avec leur appui déclaré. La VIe flo_e américaine, pour protéger Hussein, fit une démonstration spectaculaire en Méditerranée orientale, et l’URSS ne réagit pas. Les relations internationales se trouvent alors dans une situation complexe. Les États-‐‑Unis s’appuyaient sur le pacte de Bagdad, la Jordanie et l’Arabie Saoudite ; l’URSS sur l’Egypte et la Syrie qu’elle fournissait en armes. Les troupes syriennes avaient dû, en mai 1957, évacuer le nord de la Jordanie. Le résultat capital de l’affaire de Suez fut l’élimination quasi totale des influences française et britannique de ce_e région clé. Les deux grandes puissances étaient désormais face à face.
Ce_e doctrine Eisenhower avait largement échoué. L’opinion publique arabe, généralement favorable à Nasser, avait poussé les gouvernements à refuser l’aide américaine. L’Irak, le Liban, la Jordanie étaient les seuls Etats arabes du Moyen-‐‑Orient à pratiquer une politique favorable aux États-‐‑Unis. Dulles essaya de constituer un groupe comprenant la Turquie (membre de l’OTAN), la Jordanie et l’Irak. La Syrie semblait donc encerclée par un groupe d’états sous influence américaine. Mais en 1958, des révoltes perturbent ce_e donne géopolitique. Le roi d’Irak et sa famille sont tués le 14 juillet 1958 et un nouveau gouvernement est constitué sous les ordres du général Qassim. Les communistes sont libérés de prison, et l’Irak proclama sa neutralité dans la guerre froide. C’était un véritable coup dur porté à la politique d’Eisenhower et de Dulles.
En fait, la crise fut de courte durée. Les Anglo-‐‑Saxons voulaient qu’elle soit réglée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Khrouchtchev suggérait une réunion de tous les Etats arabes intéressés. Le conflit fut résolu lorsque, le 21 août, aux Nations Unies, tous les pays de la Ligue arabe proposèrent une résolution suivant laquelle le Moyen-‐‑Orient devait être tenu à l’écart des querelles entre les grands. Ce_e résolution fut acceptée à l’unanimité y compris la voix d’Israël. Les États-‐‑Unis évacuèrent leurs
JOSSELIN COLLETTA� SUR �11 19
EISENHOWER
troupes du Liban et purent constater dans les années suivantes que l’influence communiste en Irak était beaucoup moins forte qu’ils ne l’avaient redouté. Au total, on peut dire que ce_e crise avait démontré la volonté américaine de ne voir aucun pays arabe passer sous influence communiste directe, mais en même temps, la volonté des Arabes de détendre, le cas échéant, leurs liens avec l’Occident.
En fin de compte, la politique étrangère d’Ike ne diffère de celle de Truman que par sa rhétorique. On peut dire que sa chance fut d'ʹavoir maintenu son pays à l’abri de la guerre pendant huit ans. C’est ce souvenir que l’histoire veut retenir des deux mandants d’Eisenhower.
JOSSELIN COLLETTA� SUR �12 19
EISENHOWER
LA SITUATION INTÉRIEURE Les succès américains à l’extérieur tendent à faire oublier la
performance d’Eisenhower sur le plan intérieur, où il faut organiser la reconversion de l’économie américaine après la guerre et assurer des conditions favorables à la paix sociale.
Lorsque les républicains reviennent au pouvoir, vingt ans après Hoover, le pays est en pleine croissance industrielle et offre une image de prospérité et de stabilité que viennent confirmer la fin de la guerre de Corée et la disparition du maccarthysme. En écho aux années 1920, les années 1950 vont prendre valeur de symbole et signifier une sorte d’âge d’or, un Eden qui renforce l’a_ractivité mythique des États-‐‑Unis. En réalité, entre 1953 et 1960, les Américains vivent une parenthèse heureuse, enfin libérés de leurs anxiétés et pas encore assaillis par les doutes, la contestation. Généralement, les électeurs ont confiance dans leur partis politiques et restent fiers d’une démocratie qui fonctionne bien. C’est dans ce contexte de sérénité qu’Eisenhower est porté à la présidence. Son charisme est celui d’un Roosevelt voire d’un Reagan, et sa cote de popularité reste aussi haute à la fin de ses deux mandats que lorsqu’il les débute.
Comme l’indique le slogan publicitaire I like Ike, Eisenhower incarne une politique nouvelle et le nouveau président forme un gouvernement modéré, conservateur et prudent composé d’industriels, de financiers et d’hommes d’affaires. Choisi par Wall Street, il est soutenu par les milieux d’affaires et la grande finance de New York.
Alors qu’il dispose de Foster Dulles pour sa politique étrangère jusqu’en 1959, il compte sur son grand conseiller Sherman Adams pour les affaires courantes. Il s’appuie largement sur le secteur privé, et notamment Charles Wilson l’ancien président de General Motors devenu secrétaire à la Défense, et qui acquit une certaine notoriété en déclarant « Ce qui est bon pour les États-‐‑Unis, est bon pour General Motors et vice versa ».
JOSSELIN COLLETTA� SUR �13 19
EISENHOWER
JOSSELIN COLLETTA� SUR �14 19
L’ICONOGRAPHIE AUTOUR D’EISENHOWER
EISENHOWER
La volonté du président est de suivre la ligne d’un « conservatisme progressiste ou dynamique » ou bien encore d’un « progressisme modéré ». 6
C’est sur ce programme qu’il assure sa réélection de 1956, malgré sa première crise cardiaque de septembre 1955. Là encore, la forte personnalité du président lui permet d’obtenir une victoire écrasante sur le même adversaire démocrate qu’en 1952, ce_e fois avec 35 millions de voix soit 57% des suffrages.
Le second mandat d’Eisenhower débute le 20 janvier 1957 et confirme les décisions prises pendant le premier mandat. Eisenhower suit une ligne centriste qui fait de lui le champion de la modération et du juste milieu. « Il lui est plus aisé de collaborer avec les démocrates qu’avec certains républicains ultra-‐‑conservateurs » écrit l’historien Albert Desbiens. Le président fait tout pour rapprocher les deux partis afin de constituer un gouvernement au centre. C’est bien ce côté non partisan qui frappe chez Eisenhower : il est le premier président depuis John Quincy Adams à se situer ainsi au-‐‑dessus de la mêlée. En apparence, ses détracteurs le disent hésitant ou timoré, mais c’est plutôt la prudence qui dicte sa conduite lucide. Eisenhower a le souci de prendre un profil bas en me_ant en avant ses collaborateurs qui lui servent d’écran protecteur, mais c’est bien lui qui est à l’origine de la plupart des décisions.
Ses deux mandats sont donc marqués par le vote de mesures qui prolongent celles adoptées pendant le New Deal ou le Fair Deal (Truman) : en 1954, la sécurité sociale est à nouveau étendue à 10 millions d’Américains; une loi de 1955 prévoit de nouvelles constructions sociales. Le gouvernement républicain s’a_aque d’autre part au problème agricole, momentanément résolu pendant la guerre et qui resurgit rapidement : la production dépasse largement les besoins ; le revenu agricole ne cesse de se détériorer. Une loi de 1954 prévoit le soutien des prix, l’ajustement de l’offre à la demande et surtout une vigoureuse politique d’expansion des exportations agricoles.
JOSSELIN COLLETTA� SUR �15 19
ROBERT F., L’histoire américaine à travers les présidents américains et leurs discours d’investiture (1789 - 6
2001), Paris, Ellipses, 2001
EISENHOWER
Dans le domaine financier, le discours sur la rigueur est de mise. L’intervention gouvernementale a pour objectif essentiel de créer la stabilité économique dont les hommes d’affaires seront les premiers à profiter. Les Américains ne peuvent pas espérer une réduction des impôts ou du budget car le président souhaite s’a_aquer plutôt à réduire la de_e et il ne manque pas de rappeler qu’il faut se préparer à faire des sacrifices et à traverser des moments difficiles.
!Le climat international déstabilise les Américains : en 1949, les
Soviétiques percent le secret atomique, la Chine tombe aux mains des communistes, la guerre de Corée éclate l’année suivante. Les affaires de trahisons éclatent : les Rosenberg, l’affaire Hiss, le cas Oppenheimer. En 1949, le secrétaire à la Justice déclare qu’il y a des communistes partout, dans les usines, les bureaux, les boucheries, au coin des rues et que chacun représente une menace mortelle pour la société américaine. Sous l’égide du sénateur républicain Joseph R. McCarthy, les États-‐‑Unis vont connaître une obsession anticommuniste, amenant à une chasse à la sorcière parfois appelée Red Scare. En 1950, il prononce un discours où il prétend détenir une liste de 205 noms de communistes travaillant au département d’État. Diverses commissions du Congrès tiennent des dizaines d’enquêtes sur la subversion communiste. Le Communism Control Act (1954) frappe le Parti communiste d’un système d’obligations discriminatoires et lui interdit pratiquement toute activité. Pourtant, les excès mêmes du maccarthysme finissent par déconsidérer le mouvement : le 2 décembre 1954, McCarthy est publiquement blâmé par ses pairs au Sénat.
On a souvent reproché à Eisenhower son indulgence coupable voire sa mollesse à l’égard de McCarthy. Il n’a rient fait en tout cas pour le réduire au silence. Plusieurs raisons semblent avoir motivé sa conduite. Il y a déjà le fait qu’il ne voulait pas accroître la publicité faite autour de cet homme dont la crédibilité était renforcée par les médias. Aussi, certains historiens pensent que dans le fond, le président partageait les mêmes convictions sur la nécessité de lu_er contre le péril communiste même à l’intérieur du pays. Il
JOSSELIN COLLETTA� SUR �16 19
EISENHOWER
semble aussi qu’il ait eu une sorte d’accord tacite entre les deux hommes pour tolérer les agissements de McCarthy à condition que le Parti républicain soit épargné.
!Le dernier volet intéressant et novateur de la politique d’Eisenhower
fut d’avoir engagé une série de grands travaux sur crédits républicains qui ont eu pour effet de créer des emplois et de moderniser le système de transport du pays. En mai 1954, la décision est prise de réaliser avec le Canada la construction de la voie navigable reliant le Saint Laurent aux Grands Lacs, appelée the St Lawrence Seaway. La mise en valeur du Saint-‐‑Laurent permet aux gros navires d’avoir accès aux Grands Lacs et le grand canal et ouvert à la navigation en avril 1959. Un grand programme de construction permet enfin la mise en chantier de 65 000 km d’autoroutes, un des plus grands jamais entrepris, et qui aura pour effet un essor nouveau donné à l’industrie automobile.
Sous sa Présidence, l’Alaska entra dans l’Union le 3 juillet 1959 comme 49e État, et le 21 août 1959, Hawaï fit de même, devenant ainsi le 50e État de l’Union. Sa présidence marque un relatif effacement du Congrès, contrait de laisser les coudées franches à un président puissant et garant du bien être des Américains. Républicain modéré et pragmatique, il aura mené sur le plan intérieur une politique du juste milieu.
!
JOSSELIN COLLETTA� SUR �17 19
EISENHOWER
Conclusion Eisenhower, général vénéré, acteur majeur de la Guerre froide mais
président parfois sous-‐‑estimé par l’histoire américaine, qui_e la Maison Blanche en janvier 1961. Il meurt le 28 mars 1969 sans avoir la satisfaction de voir la prouesse que réalise la NASA, organisme qu’il a contribué à créer, en envoyant quelques mois plus tard le premier homme sur la Lune.
La conjoncture oblige à faire de la politique étrangère une priorité de l’exécutif et, épaulé par son chef de la diplomatie, John Foster Dulles, Eisenhower parvient à préserver les États-‐‑Unis d’une nouvelle guerre tout en s’impliquant non ouvertement là où les intérêts américains sont menacés. Sous son apparence d’homme tranquille, Eisenhower a su pratiquer une politique ferme et efficace, que certains décrivent par l’expression de hidden-‐‑hand presidency. En fin de compte, la politique étrangère qu'ʹaura mené Dwight David Eisenhower est une politique de fermeté afin de faire reculer la zone d’influence soviétique. Ces années passées à la Maison Blanche ont montré Eisenhower dans sa qualité d’homme pragmatique qui, contrairement l’apparent désir d’entente avec l’URSS que nous évoquions au début de notre réflexion, va tout faire pour gagner le conflit avec le camp communiste.
L'ʹAmérique vient de vivre avec Eisenhower huit années d'ʹadministration républicaines considérées comme décevantes par l'ʹopinion aussi bien sur le plan économique (faible croissance, chômage, inflation, crise du dollar) que sur le plan extérieur où une baisse du prestige des États-‐‑Unis est ressentie principalement en raison du lancement du Spoutnik soviétique. Avec le jeune et dynamique président démocrate John Fi�gerald Kennedy, l'ʹAmérique « change de génération » et se lance à la conquête de ce qu'ʹil appelle la « nouvelle frontière », c'ʹest-‐‑à-‐‑dire de tous les obstacles qui empêchent les États-‐‑Unis d'ʹaffirmer leur supériorité économique et technique et d'ʹêtre reconnus comme leader du monde occidental.
JOSSELIN COLLETTA� SUR �18 19
EISENHOWER
BIBLIOGRAPHIE !
ALINER M., PORTIS L., La politique étrangère des États-Unis depuis 1945, Paris, Ellipses, 2000
DESBIENS A., Histoire des États-Unis des origines à nos jours, Paris, Nouveau Monde, 2012
DUROSELLE J.-B., KASPI A., Histoire des relations internationales (tome 2, de 1945 à nos jours), Paris, Armand Colin, 2009 (réed.)
HUNT M., Ideology and US Foreign Policy, New Haven, Yale UP, 1987
KASPI A., ARTAUD D., Histoire des États-Unis, Paris, Armand Colin, 1991
MELANDRI P. La politique étrangère des États-Unis de 1945 à nos jours, Paris, PUF, 1982
MILZA P., BERSTEIN S., Histoire du XXe siècle (tome 2, 1945 ‐ 1973, le Monde entre guerre et paix), Paris, Hatier, coll. Initial,, 1994
NOUAILHAT, Y.-A., Les États-Unis et le monde au XXe siècle, Paris, Colin, 1997
ROBERT F., L’histoire américaine à travers les présidents américains et leurs discours d’investiture (1789 - 2001), Paris, Ellipses, 2001
ZINN H. A People’s History of the United States, New York, Harper & Row, 1980
JOSSELIN COLLETTA� SUR �19 19