Rapport scientifique de fin de projet
LES CATASTROPHES ET LES DROITS DE L’HOMME CADHOM
PROGRAMME « LES SUDS AUJOURD’HUI II »
ÉDITION 2010
Tome 1
Date de commencement des travaux de recherche : 15 décembre 2010
Durée : 36 mois
Montant total de l’aide octroyée par l’ANR : 240 000 €
Participants au projet :
- Université de Limoges ‐ Centre de Recherches Interdisciplinaires en Droit de l’Environnement de l’Aménagement et de l’Urbanisme ‐ CRIDEAU‐OMIJ – EA 3177 (Coordonnateur)
Convention n° ANR‐10‐SUDS‐017‐01
- Centre International de Droit Comparé de l’Environnement – CIDCE Convention n° ANR‐10‐SUDS‐017‐03
- Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) SciencesPo
Convention n° ANR‐10‐SUDS‐017‐02
- Association Française pour la Prévention des Catastrophes Naturelles ‐ AFPCN Convention n° ANR‐10‐SUDS‐017‐04
Décembre 2013
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PRÉSENTATIONDESÉQUIPES(par organisme et par ordre alphabétique)
Prénom ‐ Nom Fonction Adresse mail
Université de Limoges ‐ Centre de Recherches Interdisciplinaires en Droit de l’Environnement de l’Aménagement et de l’Urbanisme ‐ CRIDEAU‐OMIJ – EA 3177 (Coordonnateur)
Julien Bétaille
Docteur du CRIDEAU‐OMIJ
Maître de conférences (Université Toulouse 1
Capitole)
Jean‐Jacques Gouguet Professeur [email protected] Simon Jolivet Doctorant [email protected]
Jean‐Marc Lavieille Maître de conférences [email protected]
Jessica Makowiak Maître de conférences Directrice exécutive du
CRIDEAU‐OMIJ [email protected]
Jean‐Pierre Marguénaud
Professeur Coordinateur
scientifique du projet CADHOM
jean‐[email protected]
Gérard Monédiaire
Professeur Directeur du
développement du CRIDEAU‐OMIJ
Séverine Nadaud Maître de conférences [email protected]
Romuald Pierre
Docteur du CRIDEAU‐OMIJ
Maître de conférences (Université Jean‐
Monnet, St Etienne)
Damien Roets Maître de conférences [email protected] Charlotte Touzot Doctorante [email protected]
Walter Jean‐Baptiste
Docteur du CRIDEAU‐OMIJ
Maître de conférences (Université de
Bourgogne, Dijon)
Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) SciencesPo Pauline Brucker Doctorante [email protected]
François Gemenne Professeur francois.gemenne@sciences‐po.org Centre International de Droit Comparé de l’Environnement (CIDCE)
Stéphanie Bartkowiak Chargée de mission [email protected] Fernanda De Salles Cavedon Capdeville
Chargée de recherche (post‐doc CIDCE) [email protected]
Michel Prieur
Président Professeur émérite Directeur scientifique du CRIDEAU‐OMIJ
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Association Française pour la Prévention des Catastrophes Naturelles (AFPCN)
Alice Azémar
Affaires internationales et européennes Animation de la
présidence française du Réseau européen des plateformes
nationales
Yves Le Bars Président délégué [email protected]
Paul‐Henri Bourrelier Président du conseil scientifique paul‐[email protected]
Laurie Darroux Chargée de l’enquête de terrain sur les feux
de forêts du Var [email protected]
Réné Feunteun Trésorier [email protected]
Michel Juffé Membre du conseil
scientifique
Constance Lenne Chargée de l’enquête
de terrain sur la tempête Xynthia
Alice Roger
Chargée de l’enquête de terrain sur
l’explosion de l’usine AZF
Partenaires étrangers
Argentine Gonzalo Sozzo
et María Valeria Berros
Professeur Université nationale du
littoral Docteur
Université nationale du littoral
Brésil Erika Pires Ramos
Procureur fédéral de l’Institut brésilien de
l'environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA)
à São Paulo Docteur en droit à l’Université de São
Paulo
Cameroun J‐J Poumo Leumbe
Doctorant au CRIDEAU‐OMIJ
Président de l’association Action pour la protection en Afrique des déplacés
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internes et des migrants
environnementaux (APADIME)
Tunisie Wahid Ferchichi
Professeur à l’Université des
Sciences Juridiques Politiques et Sociales
de Tunis
Turquie Ibrahim Kaboglu
Professeur à l’Université de
Marmara [email protected]
Vietnam Tran Thi Huong Trang
Directrice du Centre de recherches en droit de l’environnement et des
politiques du développement
durable
Partenaire hors contrat
Christel Cournil
Maître de conférences en droit public, (HDR) Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité Iris (UMR8156‐U997) CERAP, F‐Bobigny
France
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REMERCIEMENTS
Cette recherche a bénéficié du soutien financier de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) que nous remercions ici.
Nous adressons également nos remerciements à tous ceux qui de près ou de loin ont contribué au bon déroulement de cette recherche.
Que toutes les personnes ayant accordé des entretiens suite aux différentes enquêtes menées dans sept pays ainsi que les participants, les intervenants et le public au colloque de présentation des travaux, des mardi 11 et mercredi 12 juin 2013 – SciencesPo Paris, soient aussi remerciés.
Enfin, nous saluons le travail accompli par les experts étrangers : pour l’Argentine : Gonzalo Sozzo ; pour le Brésil : Erika Pires Ramos ; pour le Cameroun : Jean‐Jacques Poumo Leumbe ; pour la Tunisie : Wahid Ferchichi ; pour la Turquie : Ibrahim Kaboglu, pour le Vietnam : Tran Thi Huong Trang et celui des post‐doctorants : Romuald Pierre et Walter Jean‐Baptiste pour le CRIDEAU‐OMIJ ainsi que Fernanda de Salles Cavedon Capdeville pour le CIDCE.
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RÉSUMÉ
Le présent rapport aspire à contribuer à améliorer la recherche dans les Suds en associant des chercheurs des pays des Suds sur la thématique des droits de l’Homme toujours en situation de conflits et de résistances face à la prétention de l’universalisme de ces droits reposant sur des textes internationaux.
La recherche a porté sur un domaine jusqu’ici peu exploré à savoir les relations comparées des Suds et des Nords entre droits de l’Homme et catastrophes. On constate que les travaux en matière de catastrophes ont été peu développés tant au niveau des sciences sociales que du droit. En effet, l’aspect juridique des catastrophes, surtout présent au niveau des mécanismes de prévention et des mécanismes d’organisation des secours, s’est jusqu’alors peu intéressé à l’impact des droits de l’Homme sur la façon dont les sociétés affrontent les catastrophes. On se situe à cet égard, dans une problématique qui rejoint celle de la justice environnementale. En effet, les inégalités sociales et la situation de dépendance des victimes de catastrophe les rendent particulièrement vulnérables. Une catastrophe naturelle ou autre est toujours une catastrophe sociale. Mais les droits de l’Homme ne concernent pas seulement les victimes, ils touchent aussi les sauveteurs dont les droits et obligations vis à vis des droits de l’Homme doivent être pris en considération.
La prise en compte des droits de l’Homme pendant le déroulement de la catastrophe est au cœur de la problématique du fait de la difficulté matérielle existante et de la nécessité de sérier les urgences, mais nous avons aussi recherché les rapports entre droits de l’Homme et catastrophes pendant les périodes en amont et en aval de la crise.
La recherche a envisagé sur ces questions tant le droit international et européen que les droits comparés de sept pays : Argentine, Brésil, Cameroun, France, Tunisie, Turquie, Vietnam.
Les catastrophes entraînent toujours des déplacements de population soient internes soient internationaux, la recherche s’appuie sur un projet de convention internationale sur le statut juridique des déplacés environnementaux élaboré par les porteurs de la présente proposition (le CRIDEAU‐OMIJ et le CIDCE) qui s’applique dans tous les types de catastrophes tant naturelles qu’accidentelles affectant à la fois les hommes et l’environnement. Tous les types de catastrophes, qu’elles qu’en soient les causes entraînent des conséquences sociales et affectent d’une manière ou d’une autre l’ensemble des droits de l’Homme y compris le droit de se déplacer ou le droit de revenir dans son lieu de vie. C’est pourquoi, s’appuyant sur ce projet de convention déjà disponible (cf annexe 4, Tome 2, page 460), a été évaluée la pertinence d’un tel instrument international, confronté aux règles actuelles du droit international relatif aux migrations ainsi qu’aux droits nationaux comparés dans quatre continents (Europe, Afrique, Asie, Amérique du sud).
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SOMMAIRE
PRÉSENTATION DES ÉQUIPES ............................................................................................................................. 2
REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................... 5
RÉSUMÉ .............................................................................................................................................................. 6
SOMMAIRE ......................................................................................................................................................... 7
INTRODUCTION .................................................................................................................................................. 9
PARTIE 1 : LE FACE À FACE DROITS DE L’HOMME ET CATASTROPHES ......................................................... 15
CHAPITRE 1 : LES CATASTROPHES NE DISPENSENT PAS DU RESPECT DES DROITS DE L’HOMME ................... 16 CHAPITRE 2 : LES DROITS DE L’HOMME CONCERNÉS PAR LES CATASTROPHES .............................................. 29 CHAPITRE 3 : LA PRISE EN COMPTE EFFECTIVE DES DROITS DE L’HOMME DANS LA PRÉVENTION ET LE TRAITEMENT DES CATASTROPHES : ÉTUDES DE CAS ..................................................................................... 110
PARTIE 2 : LE DROIT NATIONAL DES CATASTROPHES ENCORE PEU SOUCIEUX DES LIENS ENTRE DROITS DE L’HOMME ET CATASTROPHES .................................................................................................................. 153
CHAPITRE 1 : LES CONVENTIONS INTERNATIONALES ET RÉGIONALES CONCERNANT LES DROITS DE L’HOMME ET LES CATASTROPHES DANS LES PAYS DU PROJET CADHOM ..................................................... 154 CHAPITRE 2 : LES CATASTROPHES DANS LES CONSTITUTIONS ...................................................................... 180 CHAPITRE 3 : LE CADRE GÉNÉRAL ET INSTITUTIONNEL EN MATIÈRE DE CATASTROPHES ET DE DROITS DE L’HOMME ....................................................................................................................................................... 222
PARTIE 3 : LES RAPPORTS TRADITIONNELS ET LIMITÉS ENTRE CATASTROPHES ET DROITS DE L’HOMME EN DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN ..................................................................................................... 283
CHAPITRE 1 : LES CATASTROPHES ET LES DROITS DE L’HOMME EN DROIT INTERNATIONAL ....................... 284 CHAPITRE 2 : LES CONDITIONS D’APPLICATION DU DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME LORSQUE LA CATASTROPHE EST ASSIMILÉE À UNE SITUATION D’URGENCE ................................................ 295 CHAPITRE 3 : LE LIEN ENTRE CATASTROPHES ET DROITS DE L’HOMME AU SEIN DU CONSEIL DE L’EUROPE ET DE L’UNION EUROPÉENNE ............................................................................................................................. 322 CHAPITRE 4 : LA JURISPRUDENCE INTERNATIONALE ET RÉGIONALE SUR LES CATASTROPHES ET LES DROITS DE L’HOMME .................................................................................................................................................. 338
PARTIE 4 : LES LIENS NOUVEAUX ET CROISSANTS ENTRE DROITS DE L’HOMME ET CATASTROPHES ......... 358
CHAPITRE 1 : COMMENT LES DROITS DE L’HOMME SONT INTEGRES DANS LA GOUVERNANCE DES CATASTROPHES .............................................................................................................................................. 359
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CHAPITRE 2 : LA PRATIQUE INTERNATIONALE ............................................................................................... 400 CHAPITRE 3 : LA CODIFICATION EN COURS DU DROIT INTERNATIONAL DE LA PROTECTION DES PERSONNES EN CAS DE CATASTROPHES ............................................................................................................................ 421 CHAPITRE 4 : L’INFLUENCE DE LA DÉCLARATION ET DU CADRE D’ACTION DE HYOGO ET LES PERSPECTIVES POST HYOGO .................................................................................................................................................. 440 CHAPITRE 5 : L’INDISPENSABLE CONSÉCRATION DES DROITS DE L’HOMME AU PROFIT DES DÉPLACÉS ENVIRONNEMENTAUX VICTIMES DE CATASTROPHES .................................................................................. 459
CONCLUSION GÉNÉRALE ................................................................................................................................ 493
RECOMMANDATIONS DU PROJET « CATASTROPHES ET DROITS DE L’HOMME » ......................................... 499
TABLE DES MATIÈRES ..................................................................................................................................... 522
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INTRODUCTION
La recherche collective sur les « catastrophes et les droits de l’Homme » (CADHOM) a été réalisée au titre du programme « Les Suds aujourd’hui II » lancé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) de 2010 à 2013. Son but était double :
1.Auplanméthodologique Il s’agissait d’associer des chercheurs du Sud à une recherche internationale et comparative afin de stimuler la recherche dans un domaine d’intérêt commun en partageant les investigations, les constats et les préconisations. Furent à ces titres associés du côté français quatre équipes :
- Le Centre de Recherches Interdisciplinaires en Droit de l’Environnement de l’Aménagement et de l’Urbanisme (CRIDEAU‐OMIJ) de l’Université de Limoges pour le droit français,
- Le Centre International de Droit Comparé de l’Environnement (CIDCE) pour le droit international et comparé,
- L’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) ‐ SciencesPo pour la science politique et les relations internationales,
- L’Association française pour la prévention des catastrophes naturelles (AFPCN) pour l’analyse concrète sur le terrain.
Du côté des partenaires des Suds, on s’est appuyé sur la situation juridique et effective de six pays différents, du monde arabe, d’Afrique noire, d’Amérique du sud et d’Asie :
- L’Argentine, Université nationale du littoral de Santa Fe, - Le Brésil, Université “do Vale do Itajai”, Santa Caterina, - Le Cameroun, Action pour la protection en Afrique des déplacés internes et des migrants
environnementaux, APADIME, - La Tunisie, Université des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, - La Turquie, Université de Marmara, Istanbul, - le Vietnam, Institut de recherche en droit et politique du développement durable de Hanoi.
Un enrichissement réciproque a permis de mieux identifier les lacunes du droit des catastrophes et les lacunes des droits de l’Homme. Tout en relativisant l’importance des vulnérabilités respectives, la confrontation avec les Suds a bien confirmé l’universalité des droits de l’Homme face à la diversité des contextes des catastrophes. Mais la perspective de l’extension et de l’universalité des catastrophes renforce les caractères communs du fait que « les risques civilisationnels écologiques sont cosmopolitisables »1 . 1 Ulrich Beck, Pouvoir et contre ‐ pouvoir à l’heure de la mondialisation, Flammarion, 2003, p. 46.
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2.Auplanscientifique La recherche avait pour objectif d’examiner dans quelle mesure les catastrophes prennent en compte les droits de l’Homme et quelles conséquences peuvent être tirées des déplacements de population. La recherche est à la fois fondamentale et appliquée. Partant du constat que ni les droits de l’Homme, ni le droit des catastrophes n’envisagent directement leurs interrelations, il s’agissait d’examiner en détail, sur la base des textes existants au plan international et dans chacun des 7 pays considérés, l’applicabilité et l’application effective des divers droits de l’Homme lors des trois phases du cycle des catastrophes (avant , pendant , après). On pourra ainsi réintroduire les droits de l’Homme, tant en ce qui concerne leur substance que leur effectivité, au sein de la construction sociale des catastrophes. De plus, sur la base d’un projet de convention sur les déplacés environnementaux initié à Limoges dès 2009, la recherche devait tester l’applicabilité de ce projet dans les 7 Etats concernés au moyen d’une sorte d’étude d’impact ex ante. Le terme de « catastrophe » sera ici considéré dans son acception large dans l’esprit de la Déclaration de Hyogo de 2005 de la conférence des Nations Unies sur la réduction des catastrophes. On inclura tant les catastrophes naturelles qu’accidentelles ou d’origine humaine, ainsi que les catastrophes soudaines ou celles résultant d’une dégradation progressive ou insidieuse de l’environnement. Cela pourra concerner aussi bien les tremblements de terre, les inondations et tsunamis, que la sécheresse, l’explosion d’une installation industrielle ou nucléaire. Dans tous les cas ces catastrophes affectent indistinctement les hommes et l’environnement. On s’inspirera de la seule définition légale existante au titre de la soft law donnée dans les projets d’articles de la Commission du droit international des Nations Unies de l’ONU de 2009 sur « la protection des personnes en cas de catastrophe » qui vise aussi bien les vies humaines, les souffrances et la détresse, ainsi que l’environnement. On exclura les épidémies, sans négliger pour autant le droit à la santé, ainsi que les situations de guerre internationale ou civile relevant du droit humanitaire et des conventions de Genève, même si certains événements, comme au Soudan, sont à la fois des catastrophes résultant de conflits armés et de crise écologique. En tout état de cause, on ne s’attachera qu’aux liens des catastrophes avec les droits de l’Homme sans chercher à déterminer les causes exactes de la catastrophe, naturelle ou anthropique, qui posent des problèmes scientifiques et éventuellement juridiques au titre des liens de causalité en cas de recherche de responsabilité. Compte tenu de sa spécificité, on exclura aussi de ce fait la question des responsabilités juridiques en cas de catastrophe. Elle sera simplement évoquée mais non traitée en tant que telle. Il résulte de la recherche théorique entreprise enrichie par des enquêtes de terrain menées en France et dans les 6 pays partenaires suite à des catastrophes locales, que si les droits de l’Homme ne sont pas vraiment la préoccupation première face aux catastrophes, on assiste néanmoins à une évolution des esprits et des pratiques pour ne pas négliger certains droits de l’Homme spécialement mis en cause lors des diverses phases des catastrophes. Les questions les plus souvent identifiées lors des catastrophes comme mettant en cause des droits de l’Homme, à la fois au plan théorique et à la suite des enquêtes de terrain sont : l’accès inégal à l’assistance et la discrimination volontaire ou involontaire, les évacuations ou déplacements forcés, les viols ou abus sexuels, les atteintes à la propriété et aux biens, les réinstallations précoces ou indignes. Toutefois l’évolution constatée ne se traduit pas encore en termes juridiques. Comme l’a remarqué la Commission du droit international en 2008 :
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« Les rapports entre le droit international relatif aux droits de l’Homme et les catastrophes ne sont pas encore concrétisés dans des instruments de droit positif existant dans l’un ou l’autre domaine »2 On va constater le grand vide des conventions internationales en la matière. Seules deux conventions relient expressément les catastrophes aux droits de l’Homme : l’art. 23‐4 de la Charte africaine des droits et du bien être de l’enfant de 1990, et l’art. 11 de la convention relative aux personnes handicapées de 2006. La présente recherche a pour but de contribuer à combler ce vide en démontrant l’impérieuse nécessité de rattacher étroitement les droits de l’Homme au droit des catastrophes. L’évolution est plus perceptible au niveau international et au niveau régional qu’au niveau national. Au niveau international on le constate en termes de soft law à la fois au sein des organes des Nations Unies compétents sur les droits de l’Homme et sur les catastrophes et au sein de la Commission du droit international. Ainsi c’est seulement en 2006 que des lignes directrices opérationnelles sur les droits de l’Homme et les catastrophes naturelles ont été élaborées par le Comité permanent inter‐agences (IASC).3 La Commission du droit international, dans son travail en cours de codification du droit international a clairement énoncé l’applicabilité de tous les droits de l’Homme en cas de catastrophe. Une initiative japonaise en 2001 s’est prolongée par un rapport en 2003 concernant la « sécurité humaine »4 et par la création d’une unité permanente auprès de l’office de coordination des affaires humanitaires de l’ONU à New York. La sécurité humaine inclut les droits de l’Homme et les catastrophes. Au niveau régional le Conseil de l’Europe a fait le lien entre droits de l’Homme et catastrophes à la fois dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et dans les principes éthiques de l’accord partiel européen et méditerranéen sur les risques majeurs (EUR‐OPA). Au plan national les textes de droit positif et les institutions concernées restent encore très fragmentés. Seule la constitutionnalisation du droit des catastrophes permet d’établir un lien juridique direct entre catastrophes et droits de l’Homme. Les apports les plus prometteurs au plan international, non sans effets au plan national, résultent de l’intervention croissante des organes des Nations Unies et des organes des États américains sur les droits de l’Homme à l’occasion de catastrophes récentes. Elles ont concerné tant des États du Nord (États‐Unis, Japon) que des États du sud (Haïti) montrant que le respect des minorités et des plus vulnérables est une question universelle face à l’imprévisibilité et à la violence des catastrophes. Les résultats de la recherche ont été présentés et discutés lors d’un colloque à Paris à l’Institut d’études politiques les 11 et 12 juin 2013 avec la participation des chercheurs des sept pays et de représentants de plusieurs instances internationales. Ces résultats sont concrétisés par la formulation de 26 recommandations destinées à la fois aux États, aux organisations internationales et aux ONG humanitaires et d’environnement. Ces recommandations tirent les leçons des constats juridiques effectués et des résultats des enquêtes de terrain réalisées. Elles seront adressées à toutes les parties prenantes tant au niveau national qu’international.
2 Rapport préliminaire sur la protection des personnes en cas de catastrophe par Eduardo Valencia‐ Ospina, p.10, Commission du droit international, 5 mai 2008, A/CN.4/ 598. 3 Protecting persons affected by natural disasters, IASC operational guidelines on human rights and natural disasters, 9 june 2006, publié en tant que « field manual on human rights ». 4 La sécurité humaine maintenant, rapport de la Commission sur la sécurité humaine, Presses de sciences Po, Paris, 2003.
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Alors que jusqu’à présent les recherches sur les catastrophes ont trop souvent négligé les sciences sociales et humaines, comme cela été souligné par Harald Welzer5, la lecture juridique des catastrophes met bien en lumière les inégalités sociales et le sort des victimes des catastrophes les plus vulnérables. Jusqu’alors la vulnérabilité a le plus souvent été envisagée au plan économique ou social sans se référer précisément aux droits de l’Homme. Le rôle des droits de l’Homme est pourtant essentiel, car ces droits universels et indivisibles sont applicables en toutes circonstances. Ils se présentent à nous à la fois comme un rempart contre l’injustice environnementale (au sens anglo‐saxon d’« environmental justice ») et comme un instrument de résilience individuelle et collective pour mieux faire face aux catastrophes. Les droits de l’Homme tant civils et politiques, qu’économiques, sociaux et culturels, y inclus le nouveau droit à l’environnement, sont aujourd’hui des réalités juridiques et sociales du droit international et du droit national des droits de l’Homme qu’il convient d’intégrer systématiquement dans l’ensemble de la problématique des catastrophes. Cette intégration, comme on le montrera, doit se faire à la fois au plan des mentalités et des pratiques et aussi parallèlement au niveau institutionnel et normatif. Au‐delà de l’inventaire des droits de l’homme les plus concernés par les diverses phases de la catastrophe, la recherche conduit à se poser la question de la force des droits de l’Homme applicables à l’occasion des catastrophes en tant que normes impératives de jus cogens reconnue par le droit international public. En effet, la Cour internationale de justice a reconnu pour la première fois de façon explicite qu’une norme relative aux droits de l’Homme pouvait avoir le caractère d’une norme de jus cogens6. Les victimes des catastrophes ne pourraient‐elles pas se prévaloir d’un nouveau statut juridique suggéré par Régis Debray de « pupille de l’humanité » ?7 La fin de cette recherche en décembre 2013 correspond aussi à plusieurs échéances qui permettront d’en valoriser rapidement les résultats. En effet, plusieurs événements et projets pourront aisément trouver dans nos travaux des réponses déjà réfléchies et élaborées. On citera les plus importants : En ce qui concerne la question des droits de l’Homme des déplacés environnementaux :
- En septembre 2014, la conférence des Nations Unies sur le petits États insulaires à Java pourra s’inspirer du projet de convention et de l’analyse de son impact,
- Il en sera de même pour la poursuite des travaux de l’initiative Nansen du Conseil des droits de l’homme en vue d’un statut des déplacés environnementaux externes,
- La faisabilité d’un statut juridique des déplacés environnementaux figurant au programme Montevideo IV du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) devrait pouvoir être facilement testée si un État le demande au sein du PNUE.
- Un examen approfondi du statut des migrants environnementaux pourra s’appuyer sur le projet de convention testé dans 7 pays et servir de base de travail à l’organisation internationale des migrations.
5 Harald Welzer, Les guerres du climat, pourquoi on tue au XXI° siècle ?, Gallimard, 2009, p. 45. 6 CIJ, 3 février 2006, affaire des activités armées sur le territoire du Congo, RDC c. Rwanda, para. 64, cité par P.M. Dupuy, jus cogens, dans dictionnaire des droits de l’homme, dir. J. Andrianatsimbazovina, H . Gaudin , J.P. Marguénaud, S. Rials, F. Sudre, PUF, 2008, p. 568. 7 Régis Debray, Haïti, pupille de l’humanité, l’ONU devrait inventer ce statut juridique, Le Monde, 20 janvier 2010, p. 15.
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En ce qui concerne plus généralement les conditions d’intégration des droits de l’Homme dans la prévision et la gestion des catastrophes :
- Les réflexions en cours dans l’Union européenne pourront mieux rattacher la gestion des catastrophes à la charte des droits fondamentaux et au droit international des droits de l’homme,
- Les travaux actuels du Conseil des droits de l’homme et du Haut commissariat aux réfugiés pourront directement s’enrichir de nos conclusions pour intégrer plus directement les droits de l’Homme dans les catastrophes,
- La conférence mondiale pour la réduction des risques de catastrophes des Nations Unies post Hyogo de 2015 pourra renforcer la présence des droits de l’Homme dans les stratégies nationales,
- La conférence des Parties de la Convention sur les changements climatiques de Paris de novembre 2015 pourra introduire les droits de l’Homme dans ses conclusions finales.
L’intérêt suscité par cette recherche tant auprès des chercheurs français, qu’étrangers et auprès des divers institutions internationales, conduit à envisager la création d’un observatoire international et comparé sur le droit et les pratiques en matière de droits de l’Homme et catastrophes environnementales. Les résultats de la recherche débouchent sur l’énoncé de recommandations tant au niveau international qu’au niveau national. Pour aboutir à ces recommandations on a fait un certain nombre de constats qui structurent ce rapport. À l’occasion de toute catastrophe, les droits de l’Homme sont plus ou moins mis en cause. Mais ni les droits de l’Homme, ni le droit des catastrophes n’ont encore véritablement été juridiquement associés. Ils sont de ce fait simplement face à face, parfois même ils s’ignorent. Pourtant les catastrophes ne dispensent pas juridiquement de la protection des droits de l’Homme. Il est aisé de constater que de nombreux droits de l’Homme sont concernés par les catastrophes, aussi bien avant, pendant, qu’après la catastrophe. De nombreux documents en font état à l’occasion des récentes grandes catastrophes (Katrina, Haïti, Fukushima). L’examen de la pratique des catastrophes tant en France que dans les autres pays du projet CADHOM a permis de mettre en lumière les droits de l’Homme effectivement mis en cause et de proposer une hiérarchisation de fait parmi les droits les plus souvent invoqués (Partie 1). On vérifiera ensuite dans les sept droits nationaux étudiés que les liens entre les droits de l’Homme et le droit des catastrophes est encore bien tenu, voire inexistant. La plupart des États, à quelques exceptions près, sont Parties aux principales conventions internationales sur les droits de l’Homme et sur les catastrophes. Les instruments internationaux sur les catastrophes sont anormalement peu nombreux. Mais cette adhésion à ces conventions n’a pas permis aux droits nationaux d’intégrer les droits de l’Homme dans le droit national des catastrophes. Les droits de l’Homme étant dans pratiquement tous les pays inclus dans les constitutions, on peut penser que la constitutionnalisation du droit des catastrophes pourrait faciliter le rapprochement entre ces deux droits. Tirant la synthèse des rapports nationaux de la France et des six partenaires du sud, l’examen des institutions et du droit applicable a permis de détecter les bonnes pratiques et les éventuelles lacunes. Compte tenu de leur spécificité, les catastrophes nucléaires font l’objet d’un examen particulier qui confirme, que même pour ce type de catastrophe, le lien entre droits de l’Homme et catastrophe est inexistant (Partie 2). L’examen du droit international et du droit européen va confirmer, à quelques nuances près, le constat fait au plan national. Les rapports entre les deux droits sont inexistants en droit
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conventionnel. En revanche en matière de soft law et de jurisprudence internationale et surtout de jurisprudence européenne, il existe une prise en compte réelle mais limitée des droits de l’Homme dans les catastrophes. Il est très important juridiquement de bien clarifier l’effet des situations d’urgence sur l’applicabilité du droit international des droits de l’Homme, dans la mesure où certaines catastrophes de grande ampleur pourraient être considérées comme des situations d’urgence se traduisant par la suspension des garanties attachées aux droits de l’Homme (Partie 3). Le constat assez négatif fait dans la Partie 2 et la Partie 3 est finalement tempéré par des évolutions lentes mais réelles tant des esprits que du droit, visant à tisser des liens nouveaux et croissants entre droits de l’Homme et catastrophes. Le contexte politique et socio politique tant européen qu’international renforce cette tendance. La pratique internationale au sein de l’ONU et au sein du Conseil de l’Europe montre une prise en compte accrue des droits de l’Homme dans les catastrophes. Une preuve institutionnelle de cette évolution résulte des diverses décisions du Conseil des droits de l’homme et de la Commission américaine des droits de l’homme qui mettent directement en avant des violations des droits de l’Homme à l’occasion des catastrophes récentes de Katrina, Haïti et Fukushima. La perspective la plus prometteuse au plan juridique résulte des travaux de la Commission du droit international sur la protection des personnes en cas de catastrophe qui pourrait déboucher sur une convention internationale. Au plan diplomatique, l’influence réelle de la Déclaration de Hyogo sur les catastrophes est traduite dans les États au niveau des stratégies nationales et l’on peut espérer que les perspectives post Hyogo et la Conférence internationale de 2015 mettront les droits de l’Homme au cœur des stratégies de prévention et de gestion des catastrophes. Enfin, les déplacements de population étant une des conséquences les plus fréquentes des catastrophes, il convenait au titre des droits de l’Homme des personnes déplacées de faire des propositions concrètes pour combler le vide juridique existant au plan international. À cet effet, le projet de convention sur les déplacés environnementaux élaboré par des chercheurs de Limoges a fait l’objet d’un test de faisabilité dans les sept pays concernés. Les effets juridiques de cette convention ont été analysés et ont montré l’intérêt d’un tel instrument couplé avec un aménagement des droits nationaux sur les migrations (Partie 4).
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PARTIE1:LEFACEÀFACEDROITSDEL’HOMMEETCATASTROPHES
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CHAPITRE1:LESCATASTROPHESNEDISPENSENTPASDURESPECT
DESDROITSDEL’HOMME
Fernanda De Salles Cavedon Capdeville
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1.1L’universalitédesdroitsdel’Hommefaceauxcatastrophes Les catastrophes ne dispensent pas du respect des droits de l’Homme. Au contraire, les impacts possibles des catastrophes sur les droits de l’Homme exigent une protection renforcée de ces droits face aux menaces de violations liées aux catastrophes. Les Directives Opérationnelles de l’IASC (Inter‐Agency Standing Committee) sur la protection des personnes affectées par des catastrophes naturelles énumèrent les nombreux droits de l’Homme affectés par les catastrophes, tels que:
- L’absence de sécurité et de sûreté; - La violence sexiste; - L’inégalité d’accès à l’aide, aux biens et services essentiels et la discrimination dans la
distribution de l’aide; - L’abus, la négligence et l’exploitation des enfants; - La séparation des familles et conséquences en particulier pour les enfants, les personnes
âgées, les personnes handicapées et autres personnes qui comptent sur le soutien de la famille pour leur survie;
- La perte, la destruction de documents personnels et les difficultés pour les remplacer; - Les mécanismes d’application des lois inadéquates et l’accès limité à la justice; - L’absence de mécanismes de plainte; - L’inégalité d’accès à l’emploi et aux moyens d’existence; - La relocalisation forcée; - Le retour involontaire ou dans des conditions d’insécurité ou réinstallation des personnes
déplacées par la catastrophe ; - L’absence de restitution des biens et d’accès à la terre (pp 1‐2).
Les Principes éthiques pour la réduction des risques de catastrophe et la résilience des personnes de l’Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs (EUROPA) soulignent également l’impact des catastrophes sur les droits de l’Homme : Ces catastrophes constituent une menace importante non seulement pour la survie des populations et pour les sociétés dans leur ensemble mais aussi pour la dignité des individus, leur sûreté et la sauvegarde du patrimoine naturel, culturel et environnemental. Le plus souvent ces catastrophes entraînent une désorganisation de la société qui augmente souvent les atteintes sérieuses à l’ensemble des droits de l’Homme. Il résulte de cet ensemble d’évènements des conséquences diverses qui affectent la vie humaine, la sécurité, la dignité, les biens, le patrimoine culturel, l’environnement et le développement durable. Il est important de noter que les liens entre les catastrophes et les droits de l’Homme ne sont pas restreints aux phases d’urgence et de reconstruction. Certains droits de l’Homme peuvent être menacés pendant la phase de prévention en raison de l’absence de mesures adéquates et suffisantes de prévention, notamment dans le contexte de l’information sur les risques, de la participation dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de prévention, de la préservation de l’environnement tenant en compte des services environnementaux des écosystèmes en matière de prévention des risques et d’atténuation des effets des catastrophes. En dehors des impacts des catastrophes sur les droits de l’Homme, un autre lien entre ces droits et les catastrophes peut être relevé. Les droits de l’Homme doivent être considérés comme des outils
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majeurs de résilience. Leur respect peut contribuer à réduire les risques de catastrophes et atténuer leurs effets. C’est ce qu’a souligné le Secrétaire général des Nations Unies dans son Rapport «Coopération internationale en matière d’aide humanitaire à la suite de catastrophes naturelles : de la phase des secours à celle de l’aide au développement » du 13 mai 2013 (A/68/89) : « Bien que des progrès aient été accomplis dans la réduction des risques liés aux catastrophes et du nombre de décès imputables à ces phénomènes, il faudra à l’avenir consacrer davantage d’efforts au renforcement de la résilience ». Les droits de l’Homme sont d’importants moyens pour combattre les vulnérabilités socioéconomiques et environnementales, considérées comme des facteurs capables d’augmenter l’exposition aux risques et aux effets des catastrophes. Les catastrophes sont le résultat de l’interaction entre facteurs environnementaux, socioéconomiques, politiques et institutionnels. Les catastrophes ont lieu quand le danger interagit avec les vulnérabilités. Ces situations de risque et de danger n’aboutiraient pas aussi souvent à de graves catastrophes si les vulnérabilités étaient mieux maitrisées. Le Conseil des droits de l’Homme, dans la Résolution 22/16 du 10 avril 2013 « Promotion et protection des droits de l’homme dans les situations consécutives à une catastrophe ou à un conflit » (A/HRC/RES/22/16) constate que les droits de l’Homme et les libertés fondamentales de millions de personnes pâtissent de différentes façons des catastrophes naturelles et des catastrophes causées par l’homme, ainsi que durant les étapes du relèvement, des secours et de la reconstruction. Dans une résolution spécifique sur droits de l’Homme et changements climatiques (Résolution 18/22 du 17 octobre 2011 – A/HRC/RES/18/22) le Conseil s’est déclaré préoccupé par le fait que les changements climatiques font peser une menace immédiate et de grande ampleur sur les populations et les communautés de par le monde et ont des répercussions néfastes sur la jouissance effective des droits de l’Homme. Il faut tenir compte que les changements climatiques sont un important facteur de l’intensification de la fréquence et des impacts des catastrophes dans le monde. En 2005, la Commission des droits de l’Homme, dans sa Résolution 2005/60 « Les droits de l’Homme et l’environnement en tant qu’éléments du développement durable » considérait que les dégâts causés à l’environnement, notamment par des phénomènes ou des catastrophes naturelles, peuvent avoir des effets potentiellement néfastes sur l’exercice des droits de l’Homme et sur la salubrité de la vie et de l’environnement. L’accroissement mondial des mégapoles, souvent sur des côtes basses, comporte également une lourde menace de catastrophes futures. Le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sur les évènements extrêmes (SREX, 2012), établi en collaboration avec l’ISDR (International Strategy for Disaster Reduction), montre clairement l’influence catastrophique de ces expositions massives. Les liens entre catastrophes et droits de l’Homme sont de plus en plus pris en compte par les Nations Unies, spécialement par les organismes chargés des droits de l’Homme, comme nous pourrons le vérifier dans le chapitre 2, paragraphe 2.3 (partie 1) et dans le chapitre 2, paragraphe 2.1 (partie 4), notamment par leur intervention lors des grandes catastrophes telles que l’ouragan Katrina aux États‐Unis de l’Amérique, le tremblement de terre d’Haïti de 2010 ou la catastrophe nucléaire de Fukushima de 2011 au Japon. Plusieurs documents généraux des Nations Unies sur les droits de l’Homme considèrent les catastrophes comme une menace à la réalisation de l’universalité de ces droits. Le Conseil des droits de l’Homme, dans la résolution « Droits de l’Homme et solidarité internationale » (A/HRC/23/L.23)
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adoptée le 13 juin 2013, affirme qu’il faudrait faire beaucoup plus face à l’accroissement inquiétant des catastrophes naturelles et anthropiques et que la solidarité devrait avoir un caractère préventif et non correctif face aux énormes dégâts irréversibles déjà causés. Cette solidarité devrait s’exercer dans le contexte des catastrophes aussi bien naturelles qu’anthropiques. En conséquence, il y a une forte tendance dans le contexte international de développer une approche de la gestion des risques des catastrophes fondée sur les droits de l’Homme en prenant en compte le point de vue des victimes des catastrophes. L’approche fondée sur les droits prend en considération non seulement les besoins humains mais aussi l’obligation de la société de respecter les droits inaliénables de la personne humaine. Elle permet à chacun de demander justice en tant que droit et non pas comme acte de charité, et confère aux collectivités une base morale à partir de laquelle elles peuvent demander, si nécessaire, une assistance internationale. L’importance de cette approche est soulignée dans le Rapport du Représentant du Secrétaire général pour les droits de l’Homme des personnes déplacées dans leur propre pays. Selon l’Additif concernant la protection des personnes déplacées dans leur propre pays dans des contextes de catastrophe naturelle : « pour empêcher que des violations se produisent, il faudrait intégrer une approche fondée sur les droits dans la conception des politiques nationales de gestion des catastrophes ainsi que dans les opérations humanitaires des institutions et des organisations internationales ». Le contenu de cette approche fondée sur les droits de l’Homme a été détaillé par l’expert indépendant pour les droits de l’Homme en Haïti dans son rapport de 2012 : « 64. L’Expert indépendant rappelle que l’approche fondée sur les droits n’est pas une démarche conceptuelle, mais qu’elle appelle un changement de paradigme parce qu’il s’agit d’abord de porter une attention toute particulière aux personnes les plus vulnérables, les femmes, les enfants, les personnes atteintes d’un handicap. Il s’agit également de chercher à associer systématiquement à la reconstruction les organisations de la société civile, notamment les organisations de femmes, de paysans et de défense des personnes vulnérables. Il s’agit aussi de constamment veiller à ce que les plans et budgets de reconstruction incluent des analyses sexospécifiques et des cibles particulières en matière d’égalité des genres. Il s’agit enfin de veiller à ce que les programmes de reconstruction à haute intensité de main‐d’œuvre ne se concentrent pas uniquement dans les secteurs économiques traditionnellement occupés par les hommes. 65. La technique de l’approche fondée sur les droits vise à prendre d’abord en considération les besoins et les aspirations des Haïtiens eux‐mêmes, afin de restaurer un environnement de développement durable plus décentralisé et soucieux de protéger la population des risques naturels. C’est également une démarche qui permet de veiller à assurer une reconstruction équitable, en recherchant particulièrement l’égalité entre les régions les plus riches et les moins prospères, avec pour objectif d’établir une société plus juste. » Cette approche des catastrophes fondée sur les droits de l’Homme se justifie par l’universalité de ces droits, qui exige leur respect, protection et réalisation en tous lieux et en toutes circonstances, notamment dans le contexte des situations de crise qui vulnérabilisent les personnes et les communautés. Comme l’a bien souligné le Rapporteur spécial de la Commission du Droit
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International des Nations Unies dans son cinquième rapport sur la protection des personnes en cas de catastrophe (A/CN.4/625) du 9 avril 2012 « les obligations qui prévoient aujourd’hui le droit des droits de l’Homme ne disparaîtront pas demain si une catastrophe survient ». L’universalité des droits de l’Homme, ayant pour conséquence leur application en tous lieux, en tout temps et en toutes circonstances, sans distinction, préférence ou hiérarchisation, est à la base de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948. Elle a été consacrée par la Déclaration et le Programme d’action de Vienne du 12 juillet 1993 (A/CONF.157/23). Dans le paragraphe 5 le document dispose que « tous les droits de l’Homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’Homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance ». Le lien avec les catastrophes est remarqué au paragraphe 23, qui souligne l’importance et la nécessité de fournir une assistance humanitaire aux victimes de toutes les catastrophes, naturelles ou causées par l’Homme. L’universalité des droits de l’Homme et l’obligation de la communauté internationale et des États de veiller à leur protection et réalisation pour tous en toute circonstance a été renforcée dans le Document final du Sommet mondial de 2005 (A/60/L.1) aux paragraphes 120 et 121. Le document réaffirme l’obligation des États en vertu du droit international des droits de l’Homme de promouvoir le respect universel de tous les droits de l’Homme, de veiller à leur protection et d’en assurer l’exercice par tous, rappelant que l’universalité de ces droits ne saurait être mise en question. Il faut tenir compte que la plupart des documents postérieurs en matière de droits de l’Homme adoptés par les différents organismes des Nations Unies mentionnent et renforcent l’universalité des droits de l’Homme, y compris les documents en matière de catastrophes ou de changements climatiques. Pour le Rapporteur de la Commission, M. Denis Badré, des questions politiques et de démocratie de l’Assemblé Générale du Conseil de l’Europe, dans son rapport « Réaffirmer le caractère universel des droits de l’homme » du 13 février 2012, l’idée d’universalité exprime le principe selon lequel les droits de l’Homme s’appliquent à tous les individus, en tout temps et en tout lieu. Dans le même document, le Rapporteur spécial mentionne une allocution du Secrétaire général des Nations Unies du 19 octobre 2010 à l’occasion du 60ème anniversaire de la Convention européenne des droits de l’Homme exprimant que les droits de l’Homme ne sont pas des droits à la carte dont il serait loisible de retenir certains pour en écarter d’autres. Nous pouvons ajouter, notamment dans les situations de crise telles que les catastrophes. Cette universalité des droits de l’Homme exige également qu’ils soient appliqués et respectés en toute circonstance, spécialement en cas de crise, lorsque ces droits peuvent être encore plus menacés ou acquérir plus d’importance. L’exigence de respecter, de protéger et de réaliser les droits de l’Homme ne s’efface pas devant le chaos et les difficultés entraînés par une catastrophe. L’Etat et l’ensemble des pouvoirs publics ont l’obligation de promouvoir ces trois dimensions des droits de l’Homme : le respect, la protection et la réalisation. Comme il a été bien souligné dans les Principes éthiques pour la réduction des risques de catastrophe et la résilience des personnes de l’Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs « En principe les droits fondamentaux de l’homme sont applicables en tout temps et en tous lieux du fait de leur caractère universel. Ils devraient donc s’imposer en toutes circonstances y compris en temps de catastrophe. (…) La catastrophe ne fait pas disparaître les droits fondamentaux de l’homme ». Les victimes des catastrophes n’ont pas des « droits spéciaux », mais leur condition
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spéciale de vulnérabilité exige une réinterprétation des droits de l’Homme pour les adapter à leurs besoins et une attention redoublée pour garantir que leurs droits sont respectés, protégés et réalisés. Dans ce sens, le Rapporteur spécial de la Commission du droit International, M. Eduardo Valencia‐Ospina, considère que « les victimes des catastrophes ne constituent pas une catégorie juridique à part. Mais comme elles se trouvent de fait dans une situation tout à fait particulière, elles ont des besoins spéciaux auxquels il s’agit de répondre ». Les victimes de catastrophes, même devant les difficultés matérielles, institutionnelles et opérationnelles engendrées par les catastrophes, continuent d’être titulaires des droits de l’Homme garantis par le droit international des droits de l’Homme et par le droit interne de chaque pays. Comme il est souligné par les Directives Opérationnelles de l’IASC sur la protection des personnes affectées par des catastrophes naturelles « (…) les personnes affectées par les catastrophes naturelles ne vivent pas dans un vide juridique. Elles appartiennent à la population de pays ayant ratifié des instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme et adopté des constitutions, des lois, des règles et des institutions pour protéger ces droits ». En conséquence, on peut se poser la question de savoir si les situations d’exception, à l’exemple de la force majeure, pourraient dispenser les États de leurs obligations découlant des instruments internationaux, régionaux et nationaux de protection des droits de l’Homme, comme dans le domaine de la responsabilité en cas de force majeure. Un exemple est la Convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires, adoptée le 21 mai 1963. Elle prévoit l’exonération de la responsabilité civile de l’exploitant en cas de cataclysme naturel exceptionnel (art. 4). Dans le même sens, la Convention de Bruxelles sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1969 exclut la responsabilité du propriétaire du navire en cas de phénomène naturel de caractère exceptionnel. La Commission du droit international a élaboré un projet d’articles sur la responsabilité des États et a proposé un projet d’article spécifique sur la force majeure : Article 23 Force majeure 1. L’illicéité du fait d’un État non conforme à une obligation internationale de cet État est exclue si ce fait est dû à la force majeure, consistant en la survenance d’une force irrésistible ou d’un événement extérieur imprévu qui échappe au contrôle de l’État et fait qu’il est matériellement impossible, étant donné les circonstances, d’exécuter l’obligation. 2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas: a) Si la situation de force majeure est due, soit uniquement, soit en conjonction avec d’autres facteurs, au comportement de l’État qui l’invoque; ou b) Si l’État a assumé le risque que survienne une telle situation. Cette formulation concerne aussi le champ de la responsabilité, sans aucune mention à la situation des droits de l’Homme face à la force majeure. Comme l’a remarqué le professeur Michel PRIEUR dans « Le Conseil de l’Europe, les catastrophes et les droits de l’Homme » : « La catastrophe apparaît ainsi juridiquement comme une circonstance exceptionnelle qui réduit à néant le droit normalement applicable, du moins en matière de responsabilité. La question se pose de savoir s’il en est également ainsi pour le respect des droits de
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l’homme. En cas de catastrophe, les droits de l’Homme peuvent‐ils être suspendus ? On attire ici l’attention de tous sur la nécessité de ne pas mettre à l’écart les droits de l’Homme sous prétexte de l’urgence ou du désordre provoqué par la catastrophe ». Tous les éléments que nous avons réunis jusqu’ici nous amènent à affirmer que les droits de l’Homme et l’obligation des États et de la communauté internationale de les respecter, les protéger et les réaliser ne s’efface pas lors d’une catastrophe naturelle ou technologique. Il faut, bien sûr, tenir compte des situations exceptionnelles comme l’urgence qui, dans certains traités des droits de l’Homme, peuvent justifier la dérogation des droits de l’Homme spécifiques. Ce sujet sera abordé dans le chapitre 2 de la partie 3 consacré aux « conditions d’application du droit international des droits de l’Homme si la catastrophe est assimilée à une situation d’urgence ». Les catastrophes ne sont pas des situations de non‐droit. Le désordre social et structurel qui suit un événement catastrophique n’efface pas les normes internationales, régionales et nationales attribuant des droits de l’Homme aux victimes dans l’Etat affecté. Elles n’effacent pas non plus les obligations de l’État envers leur population. 1.2LaresponsabilitédesÉtatsdeprotégerlespersonnesfaceauxrisquesetauxeffetsdescatastrophes Si les catastrophes n’effacent pas les droits de l’Homme ni l’obligation des États de protéger, de réaliser et de respecter ces droits, les États ont alors une responsabilité de protéger les personnes face aux catastrophes. Les origines de l’idée de la responsabilité de protéger figurent dans le travail de Francis Dent, Représentant du Secrétaire général chargé de la question des personnes déplacées en 1992, qui a inventé l’expression « souveraineté en tant que responsabilité ». La responsabilité de protéger se présente comme un nouveau concept de droit international créé par la Commission Internationale de l’Intervention et de la Souveraineté des États (CIISE) dans son rapport « La responsabilité de protéger » de décembre 2001. Dans ce rapport, la Commission indique que les États souverains ont la responsabilité de protéger leurs propres citoyens contre les catastrophes qu’il est possible de prévenir – meurtres à grande échelle, viols systématiques, famine. S’ils ne sont pas disposés à le faire ou n’en sont pas capables, cette responsabilité doit être assumée par l’ensemble de la communauté des États. La Commission a distingué une responsabilité de prévenir, une responsabilité de réagir et une responsabilité de reconstruire, en définissant un ensemble d’instruments d’action successives pour passer de l’une à l’autre. Plusieurs recommandations de la Commission ont été reprises dans les conclusions du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, constitué en 2004 par le Secrétaire général (A/59/565 et Corr.1), puis dans le rapport du Secrétaire général intitulé « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous » (A/59/2005). Le concept a été finalement approuvé lors du Sommet Mondial de 2005. Le document final du Sommet (A/60/L.1) intègre l’idée de responsabilité de protéger instituant le devoir de protéger des populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre
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l’humanité, ce qui a limité l’application de ce nouveau concept, aux situations de crise humanitaire. Ce concept a été développé pour servir de justification aux interventions de la communauté internationale dans certains États en cas de crise humanitaire. Mais il peut avoir une signification beaucoup plus étendue et trouver une application intéressante dans le contexte des catastrophes écologiques. Après le Sommet Mondial de 2005 le sujet a été développé par les Nations Unies. Le Secrétaire général des Nations Unies a présenté quatre rapports en 2009, 2010, 2011 et 2012 (A/63/677 ; A/64/864 ; A/65/877‐S/2011/393 ; A/66/874‐S/2012/578). Le 2 octobre 2009, l’Assemblé Générale a adopté sa première résolution sur la responsabilité de protéger, décidant de continuer d’examiner la question. Il faut remarquer que ces documents sont toujours restreints aux situations prévues dans le document final du Sommet de 2005, sans aucune mention spécifique aux catastrophes. Dans son rapport « La mise en œuvre de la responsabilité de protéger » de 2009, le Secrétaire général a été clair en affirmant que « La responsabilité de protéger ne s’applique, jusqu’à ce que les États Membres en décident autrement, qu’aux quatre crimes et violations spécifiés : génocide, crimes de guerre, nettoyage ethnique et crimes contre l’humanité. Tenter de l’étendre à d’autres calamités, comme le VIH/sida, aux changements climatiques ou à la réaction face aux catastrophes naturelles compromettrait le consensus réalisé en 2005 et solliciterait le concept au‐delà de sa reconnaissance ou de son utilité opérationnelle » (paragraphe 10, b). Malgré cette position du Secrétaire général excluant pour le moment les catastrophes du champ d’application de la responsabilité de protéger, nous considérons que ce concept correspond au consensus général des organismes des Nations Unies et d’autres organismes internationaux et scientifiques que l’État touché par une catastrophe est le premier responsable de la protection des personnes victimes de la catastrophe. Cette obligation correspond à l’application de la responsabilité de protéger dans le contexte des catastrophes. Ce qui nous intéresse dans le concept de responsabilité de protéger est de l’utiliser comme un des fondements pour justifier l’obligation des États de promouvoir, respecter et réaliser les droits de l’Homme vis‐à‐vis des personnes sous sa juridiction en tout lieu, en tout temps et en toute situation, y compris en cas de catastrophe. À l’occasion du Colloque de Nanterre de l’Association française pour le droit international un atelier traitait de la responsabilité de protéger et des catastrophes naturelles, en se demandant s’il ne s’agissait pas de l’émergence d’un nouveau régime. Le concept est même utilisé dans le Cadre d’action de Hyogo dans la publication « Préparation à une réponse efficace en cas de catastrophe – ensemble de directives et indicateurs pour la mise en œuvre de la priorité 5 du Cadre d’action de Hyogo » de 2008. Parmi les principes directeurs applicables à la réduction des risques de catastrophe indiqués dans le document figure le principe suivant : « Les États ont la responsabilité première de mettre en œuvre des mesures visant à réduire les risques de catastrophe. La réduction des risques de catastrophe doit être un élément essentiel de l’investissement public dans le développement durable. Les États ont le pouvoir ainsi que la responsabilité de protéger leurs citoyens et leurs biens nationaux en réduisant les pertes causées par les catastrophes. » Ce principe est intéressant parce qu’il renforce l’application de l’obligation de protéger dans la phase de prévention, ce qui exige des États de prendre des mesures pour réduire les risques de catastrophe, de mieux se préparer et de préparer leur population pour faire face aux catastrophes.
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Cela inclut la promotion et la réalisation de certains droits de l’Homme fondamentaux pour développer et renforcer la résilience aux catastrophes, dans un contexte de prévention. L’idée selon laquelle l’Etat touché par une catastrophe a la responsabilité de protéger les personnes sous sa juridiction et de leur prêter une assistance humanitaire figure dans plusieurs documents des Nations Unies et a fait objet du projet d’article n° 9, dans le contexte des travaux de la Commission du droit international des Nations Unies concernant la protection des personnes en cas de catastrophe : « Rôle de l’État touché 1. L’État touché a, en vertu de sa souveraineté, le devoir d’assurer la protection des personnes et la fourniture de secours et d’assistance en cas de catastrophe sur son territoire. 2. L’État touché a le rôle principal en ce qui concerne la direction, la maîtrise, la coordination et la supervision de tels secours et assistance. » Dans son 3ème rapport le Rapporteur spécial de la Commission du droit international affirme que « Le droit international reconnaît depuis longtemps que le gouvernement d’un État est le mieux placé pour évaluer la gravité d’une situation d’urgence et prendre les mesures qu’elle appelle ». Cette primauté de l’Etat touché dans la réaction aux catastrophes a comme conséquence que « c’est lui qui, toutes choses considérées, est responsable de la protection des victimes qui se trouvent sur son territoire et lui qui a le premier rôle dans la facilitation, la coordination et la supervision des opérations de secours sur son territoire ». Les Principes directeurs de l’aide humanitaire en cas de catastrophe adoptés par l’Assemblé Générale des Nations Unies dans la Résolution 46/182 du 19 décembre 1991 prévoyait déjà cette responsabilité première de l’Etat dans le principe 4 : « C’est à chaque État qu’il incombe au premier chef de prendre soin des victimes des catastrophes naturelles et autres situations d’urgence se produisant sur son territoire. Le rôle premier revient donc à l’Etat touché dans l’initiative, l‘organisation, la coordination et la mise en œuvre de l’aide humanitaire sur son territoire ». Dans une autre résolution en matière de catastrophes, la Résolution 63/217 « Catastrophes naturelles et vulnérabilité » du 19 février 2009, l’Assemblée Générale a également considéré que chaque État est responsable au premier chef d’adopter des mesures efficaces pour réduire les risques de catastrophe afin, notamment, de protéger sa population, son infrastructure et les autres biens nationaux des effets des catastrophes. Plus récemment, l’Assemblé Générale a encore souligné la responsabilité de l’État touché au premier chef de protéger et prêter assistance à sa population dans la Résolution 67/231 « Coopération internationale en matière d’aide humanitaire à la suite de catastrophes naturelles : de la phase des secours à celle de l’aide au développement », du 21 décembre 2012. La Résolution 67/231 souligne que « c’est à l’État sinistré qu’il incombe au premier chef de lancer, d’organiser, de coordonner et d’exécuter les activités d’aide humanitaire sur son territoire et de faciliter la tâche des organismes à vocation humanitaire qui s’efforcent d’atténuer les effets des catastrophes naturelles ». À part les Nations Unies, d’autres organisations internationales ont également reconnu cette responsabilité première des États en matière de protection des victimes des catastrophes. Une référence intéressante est le document de la Fédération internationale des sociétés de la Croix‐
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Rouge et du Croissant‐Rouge intitulé « Lignes directrices relatives à la facilitation et à la réglementation nationales des opérations internationales de secours et d’assistance au relèvement initial en cas de catastrophe ». À la différence d’autres rapports, ce dernier précise que la responsabilité des États est aussi de réduire les risques de catastrophe : « Il incombe au premier chef aux États touchés de réduire les risques de catastrophe et d’assurer les secours et l’assistance au relèvement initial sur leur territoire ». Cela signifie que la responsabilité étatique de protection s’applique à tout le cycle de la catastrophe, incluant la phase de prévention. La Résolution « L’assistance humanitaire » de l’Institut du Droit International, adoptée lors de la session de Bruges de 2003 reconnaît également l’obligation principale de l’État de protéger les victimes de catastrophes, disposant que « L’État affecté a le devoir de prendre soin des victimes de catastrophe sur son territoire et exerce, par conséquence, la responsabilité principale dans l’organisation, la fourniture et la distribution de l’assistance humanitaire ». D’autre part, la Résolution considère que « le fait de laisser les victimes de catastrophes sans assistance humanitaire constitue une menace à la vie et une atteinte à la dignité humaine et, par conséquent, une violation des droits humains fondamentaux ». Ce qui signifie que l’État peut être responsabilisé pour violation des droits de l’Homme quand il ne protège pas les personnes sur son territoire en cas de catastrophe. Une fois de plus, nous constatons que les obligations en matière de respect, de protection et de réalisation des droits de l’Homme persistent pendant tout le cycle de la catastrophe. L’approche de la gestion des catastrophes fondée sur les droits de l’Homme signifie que cette responsabilité première des États de protéger les personnes et de leur apporter secours et aide humanitaire requiert surtout une action positive pour veiller et protéger les droits de l’Homme des victimes potentielles et effectives des catastrophes. 1.3 Les besoins spécifiques de protection des droits de l’Homme desgroupesvulnérablesfaceauxcatastrophes Même si l’universalité des droits de l’Homme exige que ces droits doivent être réalisés de façon universelle, intégrale et sans distinction ou discrimination, certains groupes de personnes, en raison de leur vulnérabilité, ont des besoins spécifiques qui exigent une protection spéciale de leurs droits dans le contexte des catastrophes. Il faut souligner que le Droit international des droits de l’Homme n’est pas resté indifférent aux besoins spécifiques des groupes vulnérables et des instruments internationaux ont été adoptés pour adapter les droits de l’Homme à leur condition spéciale de vulnérabilité tels que : la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 ; la Convention Relative aux Droits de l’Enfant de 1989 ; la Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2006 ; la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de 2007. D’autres personnes peuvent être considérées vulnérables aux risques et aux effets des catastrophes en raison de leur ethnie, de leur condition sociale ou économique. Les personnes exposées à l’extrême pauvreté ont été reconnues comme un des groupes les plus vulnérables aux catastrophes. Un rapport du Overseas Development Institutute (ODI) intitulé « La géographie de la pauvreté, des catastrophes et des conditions climatiques extrêmes en 2030 » indique qu’en 2030 jusqu’à 325 millions de personnes extrêmement pauvres vivront dans les 49 pays les plus exposés aux
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catastrophes et recommande que les objectifs de développement de l’après 2015 doivent inclure des objectifs concernant les catastrophes et les changements climatiques, considérant la menace que ces dimensions posent sur l’objectif d’éradication de l’extrême pauvreté d’ici 2030. En conséquence, « la gestion des risques de catastrophe devrait constituer un élément essentiel de la lutte contre la pauvreté en se concentrant à la fois sur la protection des moyens de subsistance et la sauvegarde des vies humaines. Il est nécessaire d’identifier et d’agir dans les zones où le niveau de pauvreté et de risque de catastrophe est le plus concentré ». Les Nations Unies ont adopté le 18 juillet 2012 les « Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme (A/HRC/21/39), qui prennent en compte les liens entre la pauvreté et l’exposition aux risques de catastrophes. Le document considère que l’exposition disproportionnée aux catastrophes naturelles ou aux risques liés à l’environnement menacent souvent la vie ou la santé des personnes vivant dans la pauvreté (§ 20). Les principes font des recommandations concernant la gestion des catastrophes et la protection des droits de l’Homme des personnes vivant dans l’extrême pauvreté, notamment en ce qui concerne le droit au logement: « h) Concevoir et mettre en œuvre, en matière de logement, des politiques et des programmes de réduction des risques liés aux catastrophes, en tenant dûment compte des droits des personnes vivant dans la pauvreté. Les activités de remise en état à l’issue d’une catastrophe devraient prévoir des mesures visant à renforcer la sécurité d’occupation pour les personnes se trouvant dans une situation précaire et accorder la priorité à la reconstruction de logements et à la fourniture de logements de remplacement, notamment de logements sociaux ou publics, pour les groupes les plus défavorisés. (21) » Les personnes âgées constituent également un groupe vulnérable aux risques et aux effets des catastrophes. Elles ne disposent pas encore d’une norme contraignante spécifique concernant leurs droits. Les Nations Unies ont adopté, par la Résolution 46/91 de l’Assemblée Générale du 16 décembre 1991, les « Principes des Nations Unies pour les personnes âgées ». Les Nations Unies travaillent actuellement à un projet d’instrument international visant la protection des droits des personnes âgées. Dans sa Résolution 67/139 du 20 décembre 2012, l’Assemblée Générale a décidé l’élaboration d’un instrument juridique international visant à promouvoir et à protéger les droits et la dignité des personnes âgées, suivant l’approche intégrée adoptée dans les domaines du développement social, des droits de l’homme, de la non‐discrimination, de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes. C’est certainement le moment opportun pour ajouter la question de la protection des droits des personnes âgées face aux catastrophes. En ce qui concerne les personnes handicapées, elles ont été le sujet de la Journée internationale des Nations Unies pour la prévention des catastrophes du 13 octobre 2013. Elle a mis l'accent sur les questions qui concernent un milliard de personnes dans le monde vivant avec un handicap dans des régions exposées aux risques de catastrophe. Une enquête a été organisée afin de déterminer les besoins des personnes vivant avec un handicap dans les situations de catastrophe. L’objectif majeur est de parvenir dans le prochain cadre d’action de réduction des risques