Download pdf - Manuels F(f)rancophones

Transcript
Page 1: Manuels F(f)rancophones
Page 2: Manuels F(f)rancophones
Page 3: Manuels F(f)rancophones

M a n u e l s F ( f ) r a n c o p h o n e s

Page 4: Manuels F(f)rancophones

© Agence universitaire de la Francophonie

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation rĂ©servĂ©s pour tous pays. Toutereproduction ou reprĂ©sentation intĂ©grale ou partielle, par quelque procĂ©dĂ© que ce soit (Ă©lec-tronique, mĂ©canique, photocopie, enregistrement, quelque systĂšme de stockage et de rĂ©cupĂ©ra-tion d’information) des pages publiĂ©es dans le prĂ©sent ouvrage faite sans autorisation Ă©critedes ayants droit est interdite.

Les textes publiĂ©s dans ce volume n’engagent que la responsabilitĂ© de leurs auteurs. Pourfaciliter la lecture, la mise en page a Ă©tĂ© harmonisĂ©e, mais la spĂ©cificitĂ© de chacun, dans lesystĂšme des titres, le choix des transcriptions et des abrĂ©viations, l’emploi des majuscules,la prĂ©sentation des rĂ©fĂ©rences bibliographiques, etc. a Ă©tĂ© le plus souvent conservĂ©e.

Responsable de collection :Ciprian MIHALI (Université « Babes-Bolyai », Cluj-Napoca)

RĂ©dacteurs de l’ouvrage :AndrĂ© CABANISJean-Marie CROUZATIERRuxandra IVANJacques SOPPELSA

Couverture :Carolina BANC

Correction : Ciprian JELER

Technorédaction :Lenke JANITSEK

Impression :IDEA Design & Print, Cluj

ISBN 978–973–7913–93–7

Page 5: Manuels F(f)rancophones

André Cabanis | Jean-Marie Crouzatier | Ruxandra Ivan | Jacques Soppelsa

MĂ©thodologie de la rechercheen droit international,

géopolitique et relations internationales

master et doctorat

Idea Design & PrintEditura, Cluj

2010

Page 6: Manuels F(f)rancophones

« Hobbes rappelait, dans son LĂ©viathan,que la parole est, avant tout, une “trom-pette de guerre”. Elle peut ĂȘtre aussi unefficace instrument de rassemblement. »

Jacques SOPPELSA1

_________________________1. Francophonie et relations internationales, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2009,

préface, p. 11.

Page 7: Manuels F(f)rancophones

5

Préface

L’Agence universitaire de la Francophonie considĂšre que le soutien auxjeunes chercheurs – Ă©tudiants de maĂźtrise, doctorants et post-doctorants – estune prioritĂ©. Si d’ores et dĂ©jĂ  elle accorde Ă  certains d’entre eux une boursede mobilitĂ©, elle a la ferme volontĂ© de les aider tous dans leur dĂ©marche scien-tifique.

Son objectif, Ă  moyen et Ă  long terme, est de prĂ©parer la relĂšve, non seule-ment dans les sept cent dix universitĂ©s membres de l’AUF, mais aussi dansl’ensemble des Ă©tablissements d’enseignement supĂ©rieur et de recherche dela Francophonie, une Francophonie qui ne cesse de s’étendre.

Dans la prochaine dĂ©cennie, de nombreux postes seront Ă  pourvoir, qu’ils’agisse de postes nouveaux ou de ceux occupĂ©s par les enseignants-cher-cheurs nommĂ©s dans les annĂ©es soixante-dix et quatre-vingts – pĂ©riode del’expansion universitaire – qui auront atteint l’ñge de la retraite.

La rĂ©daction d’un mĂ©moire de master, d’un doctorat ou de publicationspost-doctorales exige la maĂźtrise d’une mĂ©thodologie qui relĂšve Ă  la fois dela transdisciplinaritĂ© et de la discipline scientifique qu’il convient de faire pro-gresser. Mais au-delĂ  de cet aspect, ces travaux ont une utilitĂ© sociĂ©tale etchaque auteur a, prĂ©alablement, Ă  se poser cette question cruciale: les rĂ©sul-tats de la recherche sont-ils susceptibles de profiter, directement ou indirecte-ment, Ă  la sociĂ©tĂ© locale, rĂ©gionale, nationale ou internationale ?

Le prĂ©sent ouvrage s’adresse prioritairement aux chercheurs en droit in-ternational, en relations internationales et en gĂ©opolitique. Mais il pourra aussiĂȘtre utile Ă  des chercheurs d’autres disciplines. Je pense notamment auxphilosophes, aux anthropologues, aux historiens et aux sociologues. Il est, cetouvrage, le rĂ©sultat d’un travail collectif de longue haleine. Des spĂ©cialistesde renommĂ©e internationale se sont rĂ©unis en plusieurs ateliers. Ils se sontorganisĂ©s de maniĂšre Ă  ce que leur rĂ©flexion puisse mĂ»rir et s’enrichir d’ap-ports constants de nouvelles informations.

Toutefois, un manuel de mĂ©thodologie n’est pas un livre de recettes qu’ils’agirait d’appliquer mĂ©caniquement. Tous les acteurs scientifiques s’ac-cordent Ă  penser qu’il n’existe aucune procĂ©dure gĂ©nĂ©rale et interchangeableque suivraient ou devraient suivre les chercheurs pour produire de nouvellesconnaissances. Le jeune chercheur devra donc faire preuve d’imagination etde crĂ©ativitĂ©. « L’imagination est plus importante que le savoir », se plaisait

Page 8: Manuels F(f)rancophones

6

Ă  dire non un soixante-huitard nostalgique, mais Albert Einstein lui-mĂȘme,insistant ainsi sur l’impact de la crĂ©ativitĂ© sur l’utilisation mĂȘme des savoirs.

La crĂ©ativitĂ©, c’est la capacitĂ© d’inventer d’autres chemins, de sortir desschĂ©mas traditionnels pour relever de nouveaux dĂ©fis. C’est un processus men-tal qui implique la gĂ©nĂ©ration d’idĂ©es ou de concepts originaux, d’associa-tions inĂ©dites entre des idĂ©es et des concepts prĂ©existants. Elle consiste aussiĂ  dĂ©couvrir de nouveaux points de vue permettant de voir autrement ce quel’on connaissait dĂ©jĂ . La crĂ©ativitĂ© permet de dĂ©velopper cette pensĂ©e com-plexe qui gomme les ruptures traditionnelles entre les disciplines acadĂ©miquesafin de comprendre le monde qui nous entoure dans sa globalitĂ©, un mondefait d’enchevĂȘtrements et d’entrelacements. Aujourd’hui, la pluridisciplina-ritĂ© ou, mieux encore, l’interdisciplinaritĂ© et la transdisciplinaritĂ© sont, plusque jamais, indispensables.

Chacun sait combien le mĂ©tier de chercheur est exigeant. Il ne peut s’exer-cer sans une grande curiositĂ© intellectuelle, sans une pensĂ©e et une analysecritiques, sans une argumentation rigoureuse, sans une approche originale,sans le sens de l’initiative et de l’autonomie. Dans le cas de mĂ©moires de mas-ter et de doctorats, il faut en outre faire preuve de dĂ©termination et ĂȘtre ca-pable de terminer le travail dans les dĂ©lais fixĂ©s.

Mais tout cela n’est rien si l’enthousiasme pour la recherche scientifiquefait dĂ©faut, un enthousiasme constamment nourri au sein d’équipes dont lesmembres confirmĂ©s sont prĂȘts Ă  partager leur passion avec les plus jeunes.Et pareilles Ă©quipes, qu’il s’agisse du droit international, des relations inter-nationales et de la gĂ©opolitique, ou d’autres disciplines, existent dans toutela Francophonie.

Le prĂ©sent manuel est accompagnĂ© du vademecum de l’évaluation. Certes,le mĂ©moire de master et la thĂšse de doctorat sont dĂ©jĂ  Ă©valuĂ©s lors de la soute-nance. Mais dans de nombreux cas, il faudra procĂ©der Ă  d’autres Ă©valuations.Par exemple, quand le jeune chercheur sollicitera une bourse de mobilitĂ© –à l’Agence universitaire de la Francophonie ou ailleurs – ou quand il souhaite-ra publier les rĂ©sultats de ses recherches dans une revue scientifique.

Il peut y avoir une part d’utopie dans le projet d’un quadrillage mĂ©tho-dique d’un champ de recherche aussi vaste et pointu que celui du droit in-ternational, des relations internationales et de la gĂ©opolitique, surtout si ongarde Ă  l’esprit que ce champ ne se prĂ©sente pas comme un plan, mais commeun relief complexe. Cependant, nous n’en doutons pas, le prĂ©sent manuel nemanquera pas de fournir aux jeunes chercheurs des repĂšres solides suscep-tibles de les aider Ă  mener leur recherche Ă  bien.

Ce livre me semble pertinent dans la mesure oĂč le transfert d’intuitions,de concepts et de mĂ©thodes est l’un des aspects de la crĂ©ativitĂ© scientifique.

Page 9: Manuels F(f)rancophones

7

Et s’il ne peut y avoir une mĂ©thodologie universelle de la crĂ©ativitĂ©, on peutnĂ©anmoins dĂ©gager, au moyen d’exemples, certaines lignes d’une sorte deprocessus par lequel Ă©merge l’innovation.

Manfred PETERSMembre du Conseil scientifique de l’Agence universitaire de la Francophonie

Page 10: Manuels F(f)rancophones
Page 11: Manuels F(f)rancophones

11

Avant-propos

Ce volume, destinĂ© principalement aux Ă©tudiants de master et aux docto-rants, est le rĂ©sultat d’une Ă©laboration collective, interdisciplinaire etinternationale francophone, soutenue par l’Agence universitaire de la Fran-cophonie. Il se veut une contribution Ă  la rĂ©flexion menĂ©e au sein de la Fran-cophonie sur son projet et son avenir.

Madame RUXANDRA IVAN, politiste, professeur Ă  l’UniversitĂ© de Bucarest,Bucarest (Roumanie), est l’auteur des dĂ©veloppements consacrĂ©s aux Rela-tions Internationales ; Monsieur JACQUES SOPPELSA, gĂ©opoliticien, professeurĂ  l’UniversitĂ© de Paris I, Paris (France), a rĂ©digĂ© les parties consacrĂ©es Ă  laGĂ©opolitique et Monsieur JEAN-MARIE CROUZATIER, juriste, professeur Ă  l’Uni-versitĂ© Toulouse 1 Capitole, Toulouse (France), celles consacrĂ©es au droit inter-national. Monsieur ANDRÉ CABANIS, professeur Ă  l’UniversitĂ© Toulouse 1Capitole, Toulouse (France), a contribuĂ© Ă  la rĂ©daction de l’introduction et dela conclusion.

Les auteurs ont bĂ©nĂ©ficiĂ© du soutien du ComitĂ© de coordination et de suividu Programme thĂ©matique Aspects de l’État de droit et dĂ©mocratie de l’Agenceuniversitaire de la Francophonie, Ă  l’occasion de deux sĂ©minaires de rĂ©-flexion du collectif « Francophonie, États francophones et francophonie » quise sont tenus Ă  GorĂ© (SĂ©nĂ©gal) en fĂ©vrier 2009 et Ă  Cluj (Roumanie) en oc-tobre 2009. Outre les auteurs, ont participĂ© Ă  ces sĂ©minaires le professeurMamadou Badji, UniversitĂ© Cheikh Anta Diop, Dakar (SĂ©nĂ©gal), et MonsieurClaude-Emmanuel Leroy, directeur dĂ©lĂ©guĂ©, Programme Aspects de l’État dedroit et dĂ©mocratie, Agence universitaire de la Francophonie ; le professeurManfred Peters, FacultĂ©s universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur (Bel-gique), le professeur Laurent Sermet, UniversitĂ© de la RĂ©union (France), etle professeur Rotha Ung, UniversitĂ© royale de droit et d’économie, PhnomPenh (Cambodge), ont pris part au second sĂ©minaire de Cluj.

Monsieur Claude-Emmanuel Leroy, directeur dĂ©lĂ©guĂ© du ProgrammeAspects de l’État de droit et dĂ©mocratie, a supervisĂ© ces rencontres et l’élabora-tion de l’ouvrage.

Les opinions exprimĂ©es n’engagent que leurs auteurs.

Page 12: Manuels F(f)rancophones

10

Liste des abréviations, des acronymes et des sigles utilisés

A.C.C.T. Agence de coopĂ©ration culturelle et techniqueA.C.P. États d’Afrique, des CaraĂŻbes et du PacifiqueA.E.F. Afrique Ă©quatoriale françaiseA.G. AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations uniesA.I.F. Agence intergouvernementale de la FrancophonieA.L.E.C.S.O. Organisation de la ligue arabe pour la culture, l’éducation et la scienceA.L.E.N.A. Association de libre Ă©change d’AmĂ©rique du NordA.N.Z.U.S. TraitĂ© d’assistance mutuelle Australie – Nouvelle-ZĂ©lande – États-UnisA.O.F. Afrique occidentale françaiseA.P.D. Aide publique au dĂ©veloppementA.P.E.C. Asia-Pacific economic cooperationA.S.E.A.N. Association des nations d’Asie du Sud-EstA.U.F. Agence universitaire de la FrancophonieB.I.T. Bureau international du travailC.E.D.E.A.O. CommunautĂ© Ă©conomique des États de l’Afrique de l’OuestC.I.J. Cour internationale de justiceC.S. Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations uniesF.A.D. Force arabe de dissuasionF.I.N.U.L. Force intĂ©rimaire des Nations unies au LibanF.M.I. Fonds monĂ©taire internationalMercosur CommunautĂ© Ă©conomique des pays d’AmĂ©rique du SudO.E.A. Organisation des États amĂ©ricainsO.I.F. Organisation internationale de la FrancophonieO.I.G. Organisation intergouvernementaleO.L.P. Organisation de libĂ©ration de la PalestineO.M.C. Organisation mondiale du commerceO.M.S. Organisation mondiale de la santĂ©O.N.G. Organisation non gouvernementaleO.N.U. Organisation des Nations uniesO.T.A.N. Organisation du TraitĂ© de l’Atlantique NordO.U.A. Organisation de l’unitĂ© africaineP.M.A. Pays les moins avancĂ©sP.M.E. Petites et moyennes entreprisesS.A.L.T. Strategic arms limitation talksU.A. Union africaineU.E. Union europĂ©enneU.N.E.S.C.O Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la cultureU.R.S.S. Union des rĂ©publiques socialistes soviĂ©tiques

Page 13: Manuels F(f)rancophones

11

Introduction

L’objet du prĂ©sent ouvrage – comme l’indique son titre – est de fournir unemĂ©thode de travail susceptible d’ĂȘtre utilisĂ©e dans le cadre de toute Ă©tude rela-tive au domaine international, en insistant sur les avantages d’une approchepluridisciplinaire. Pour mieux en cerner l’intĂ©rĂȘt, il est nĂ©cessaire de re-prendre successivement chacun des termes qui composent son intitulĂ©.

Le terme « mĂ©thodologie » est dĂ©fini comme « l’étude des mĂ©thodespropres aux diffĂ©rentes sciences »1. Le but de la mĂ©thodologie n’est donc pasde fournir un enseignement portant sur le contenu d’une matiĂšre ou d’unediscipline, mais vise Ă  apprendre Ă  gĂ©rer rationnellement les connaissancesacquises dans une matiĂšre ou une discipline. Ceci suppose la connaissance– et la maĂźtrise – d’outils mĂ©thodologiques adaptĂ©s aux objectifs scientifiqueset pĂ©dagogiques prĂ©alablement dĂ©finis. NĂ©anmoins, le choix d’une certainemĂ©thode implique le choix d’une certaine approche thĂ©orique : il est donc in-dispensable que le chercheur connaisse les courants thĂ©oriques dominantsdans sa discipline et les disciplines connexes reprĂ©sentĂ©es ici, car il (elle) devrase positionner par rapport Ă  ces courants.

Cette mĂ©thodologie doit permettre de mener une « recherche » scientifique.La recherche est un processus qui s’étend dans le temps et recouvre plusieursĂ©tapes : l’exploration de la documentation existant sur un sujet ou un thĂšme,la dĂ©finition d’idĂ©es directrices ou d’orientations, la mise en place d’une problĂ©-matique, la construction d’un modĂšle d’analyse, l’élaboration d’un plan derĂ©daction, la rĂ©daction d’un texte argumentĂ© et appuyĂ© par des rĂ©fĂ©rences auxsources utilisĂ©es. La prĂ©sentation chronologique de ces Ă©tapes est ici faite pourla commoditĂ©, mais en rĂ©alitĂ© elles ne sont pas rigoureusement sĂ©parĂ©es etse chevauchent souvent.

La mĂ©thodologie de la recherche prĂ©sentĂ©e dans cet ouvrage s’appliqueplus prĂ©cisĂ©ment aux diffĂ©rentes disciplines concernĂ©es par le domaine « in-ternational ». Parce que la caractĂ©ristique premiĂšre de la francophonie est ladiversitĂ© (diversitĂ© des systĂšmes politiques et des cultures juridiques, notam-ment), il paraĂźt naturel que la formation, dans l’espace francophone, privilĂ©gieun processus de pluralitĂ© disciplinaire et une dĂ©marche comparative. Il

_________________________1. Armand Cuvillier, Vocabulaire philosophique, Paris, A. Colin, 1956, p. 117.

Page 14: Manuels F(f)rancophones

12

s’agit de sensibiliser les Ă©tudiants francophones Ă  de nouvelles perspectivesouvertes par d’autres disciplines, connexes de celles qu’ils Ă©tudient, et de lesconvaincre de l’enrichissement qu’ils peuvent retirer du processus d’inter-action entre disciplines. Tel est l’objet du prĂ©sent ouvrage : ouvrir les Ă©tu-diants du domaine « international » aux apports des disciplines qui s’yrapportent : le droit (droit international), la science politique et la sociologie(Relations Internationales), la gĂ©ographie humaine et l’histoire (la GĂ©opoli-tique) ; de plus fournir aux rĂ©dacteurs d’un mĂ©moire de master ou d’une thĂšsede doctorat dans ce domaine les outils mĂ©thodologiques propres Ă  ces dif-fĂ©rentes disciplines pour qu’ils puissent, en les utilisant, enrichir leur rĂ©-flexion et leur travail.

L’entreprise a dĂ©butĂ© en 2008, Ă  l’initiative d’un groupe de philosophes,politologues et juristes rĂ©unis au sein du collectif « GĂ©opolitique de la Fran-cophonie », avec la publication des rĂ©sultats d’une rĂ©flexion pluridisci-plinaire ; leur ouvrage intitulĂ© Francophonie et relations internationales2 avaitpour objectif de mettre en lumiĂšre le rĂŽle mĂ©connu d’une organisation inter-nationale (l’OIF) atypique.

Toute Ă©tude scientifique doit commencer par une dĂ©finition des termes dusujet Ă  traiter. Et de ce point de vue, la premiĂšre difficultĂ© qu’ils ont rencon-trĂ©e tenait au caractĂšre polysĂ©mique du terme « francophonie ». Car si le terme« francophonie » – sans majuscule – renvoie Ă  un mouvement, un ensembled’institutions non gouvernementales qui Ɠuvrent directement ou indirecte-ment Ă  promouvoir le français comme langue de travail, d’échanges et de cul-ture, « Francophonie » – avec une majuscule – dĂ©signe des institutionsintergouvernementales crĂ©Ă©es par les soixante-dix « États francophones » etrassemblĂ©es au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie. Cetteorganisation, souvent mĂ©connue, regroupe pourtant un tiers des membresde l’ONU ; elle entretient des reprĂ©sentations permanentes Ă  New York,GenĂšve, Bruxelles, et Addis Abeba ; elle est distinguĂ©e comme partenaire partoutes les OIG


Cette distinction entre francophonie et Francophonie n’apparaĂźt pas seule-ment logique mais chronologique, fondĂ©e sur l’évolution suivante : c’est lasociĂ©tĂ© civile (francophone) qui a gĂ©nĂ©rĂ© des institutions spĂ©cialisĂ©es que lesÉtats (francophones) ont couronnĂ©es par l’adjonction d’une organisationgĂ©nĂ©rale (Francophone).

C’est donc cet ensemble polymorphe « francophonie, États francophoneset Francophonie » qui est l’objet de l’étude.

_________________________2. Francophonie et relations internationales, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2009.

Page 15: Manuels F(f)rancophones

15

La francophonie

Le lien Ă©vident est celui de la langue : le français. Le terme « francopho-nie » dĂ©signe donc un mouvement issu de la sociĂ©tĂ© civile, tous ceux qui –depuis plus d’un siĂšcle – s’emploient Ă  rĂ©pandre le français comme langue detravail, d’échanges et de culture ; la francophonie est formĂ©e par des centainesd’établissements scolaires, universitaires et culturels, des milliers de chercheurspartiellement ou entiĂšrement de langue française, des dizaines de milliers d’as-sociations qui se donnent pour mission la pratique et la diffusion du français :Ă©tablissements privĂ©s religieux ou laĂŻcs, alliances françaises, Ă©diteurs,acadĂ©mies et sociĂ©tĂ©s savantes, comitĂ©s et conseils, associations, fĂ©dĂ©rationset unions en tous genres qui permettent Ă  175 millions de personnes sur lescinq continents d’étudier (deuxiĂšme langue Ă©tudiĂ©e dans le monde) et de par-ler français (neuviĂšme langue parlĂ©e dans le monde). Certes, cet ensemble n’estpas toujours cohĂ©rent, en ce sens que la francophonie se dĂ©finit par rĂ©gions(la francophonie du Maghreb, celle de l’Afrique noire, de l’Asie, de l’Europecentrale et orientale) ; mais il se dĂ©finit par une langue « en partage ». Et lasociĂ©tĂ© civile francophone – plurielle – se caractĂ©rise par sa vitalitĂ©.

LES ONG

La plupart des analyses portant sur les champs de la GĂ©opolitique, desRelations Internationales ou du droit international, privilĂ©gient depuisdes dĂ©cennies le concept d’« État-nation » ; ce constat, apparemmentbanal, eu Ă©gard Ă  son omniprĂ©sence dans la saga planĂ©taire, tend ce-pendant Ă  simplifier, voire Ă  caricaturer les caractĂšres fondamentauxdu monde contemporain.Le rĂŽle des États-nations est plus que jamais complĂ©tĂ©, modifiĂ©, voireperturbĂ©, par l’action d’autres acteurs :– les organisations supra-Ă©tatiques « rĂ©gionales », de l’ALENA Ă 

l’Union europĂ©enne, de l’APEC au Mercosur, ou « thĂ©matiques »,comme l’OMS, l’OTAN ou l’OIF ;

– les firmes transnationales, naguĂšre baptisĂ©es « multinationales », etdont le poids gĂ©oĂ©conomique est trĂšs comparable avec celui de cer-tains États-nations ;

– et, depuis deux ou trois gĂ©nĂ©rations, les « Organisations Non Gou-vernementales » (ONG).

Ces derniĂšres sont officiellement dĂ©finies par l’ONU – rĂ©solution 288 bde fĂ©vrier 1950 – comme des « organisations qui ne sont pas crĂ©Ă©es parla voie d’accords intergouvernementaux ». Cette dĂ©finition s’avĂšre de

Page 16: Manuels F(f)rancophones

14

facto partielle et obsolĂšte, parce qu’aujourd’hui, maintes ONG (etparmi les plus puissantes), sont souvent financĂ©es par des États. Cons-tat qui fait apparaĂźtre aussi l’énumĂ©ration « classique » des principauxcaractĂšres propres Ă  une ONG comme naĂŻve, sinon hypocrite :– l’origine privĂ©e de sa constitution ;– l’indĂ©pendance financiĂšre ;– le but non lucratif de son action ;– l’indĂ©pendance politique ;– la notion d’intĂ©rĂȘt public.Beaucoup d’auteurs se sont ralliĂ©s depuis la fin des annĂ©es 1990 Ă  unedĂ©finition plus subtile, sinon plus sophistiquĂ©e, en distinguant troisgrands types d’ONG :– les « Quangos » (« quasi non governmental organisations »), ONG

dĂ©pendant partiellement de subsides gouvernementaux ;– les « Dongos » (« donor organised NGOs »), strictement liĂ©es Ă  leur

bailleur de fonds principal ;– et les « Gongos » (« government-organised NGOs »), gĂ©nĂ©rĂ©es par lesgouvernements, officiellement indĂ©pendantes, mais en rĂ©alitĂ© contrĂŽ-lĂ©es par ces derniers.Si les esquisses typologiques basĂ©es sur leurs modes d’action nous pa-raissent d’un intĂ©rĂȘt trĂšs limitĂ©, un phĂ©nomĂšne rĂ©cent apparaĂźt, en re-vanche, incontestable : le poids croissant de leur rĂŽle sur l’échiquierinternational.Parmi les plus puissantes de ces dizaines, voire ces centaines, d’ONG,se dĂ©gagent des organisations Ă  but essentiellement « humanitaire » :– « caritatif » (pour ne citer que quelques exemples d’origine « franco-

phone » : Médecins du Monde, Médecins sans FrontiÚres, Actioncontre la Faim) ;

– la lutte contre le sous-dĂ©veloppement (ATD Quart Monde) ; – des objectifs plus gĂ©nĂ©raux : promotion de l’écologie (Les Amis de la

Terre) ; lutte contre les violations des droits de l’homme (AmnestyInternational, Otages du Monde).

Certaines, enfin, ont des buts fondamentalement « politiques » (ATTAC,Greenpeace) et sont, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale (ceci expliquant sans doute ce-la), les organisations les plus controversĂ©es.Illustration rĂ©cente de l’action et du dynamisme de certaines ONG, lePrix Nobel de la paix a Ă©tĂ© dĂ©cernĂ© Ă  trois d’entre elles : Amnesty In-ternational, en 1977, Handicap International, en 1997, et MĂ©decinssans FrontiĂšres, en 1999.

Pourtant, la francophonie ne manque pas de s’interroger sur son devenirĂ  travers – pour faire simple – les perspectives d’utilisation du français. SansĂȘtre exagĂ©rĂ©ment pessimiste, l’on peut repĂ©rer, de ce point de vue, deux

Page 17: Manuels F(f)rancophones

17

problĂšmes. Le premier rĂ©sulte du constat qui se fait jour d’une Ă©volution dela perception du fait francophone et de son intĂ©rĂȘt, en fonction des gĂ©nĂ©ra-tions, avec une tendance dans une partie de la jeunesse Ă  considĂ©rer la mon-dialisation sous sa forme linguistique comme une tendance irrĂ©sistible, doncĂ  soutenir qu’il ne saurait y avoir qu’une langue de communication au ni-veau international – l’anglais – et que les autres idiomes devraient se rĂ©signerĂ  une fonction Ă©troitement locale, voire seulement familiale. Le second pro-blĂšme tient Ă  ce que, chez nombre de francophones, y compris militants, estperceptible le sentiment de n’ĂȘtre en mesure, au mieux, que de retarder la pro-gressive domination de l’anglais. Le combat pour la langue de MoliĂšre seraitparfois vĂ©cu comme un signe d’appartenance Ă  une petite communautĂ© aupassĂ© prestigieux, porteuse de valeurs estimables mais frappĂ©e d’un irrĂ©mĂ©-diable dĂ©clin. Une vision rĂ©aliste de la perception de la francophonie par seslocuteurs mĂȘmes interdit de se dissimuler ces deux Ă©lĂ©ments et contraint Ă en tenir compte, malgrĂ© ceux qui refusent d’oublier que, pendant quelquesdeux cents ans, entre le TraitĂ© de Rastadt de 1714 et le TraitĂ© de Versailles de1918, le français fut la langue de la diplomatie.

Une trentaine de langues « majeures » dominent actuellement le monde,aux premiers rangs desquelles apparaissent (estimations trĂšs approximatives)le mandarin (1 200 millions de locuteurs), l’arabe (420 millions), l’hindi (370millions), l’anglais (340 millions), l’espagnol (220 millions), le bengali (200 mil-lions), le portugais (180 millions), le russe (176 millions), le français (175 mil-lions), l’allemand (100 millions)
 Mais si ces donnĂ©es quantitatives sont loind’ĂȘtre nĂ©gligeables, l’importance qualitative des langues est tout autre : sanssous estimer le chinois, l’hindi ou le bengali, au-delĂ  des locuteurs des dias-poras, des minoritĂ©s indiennes d’Afrique orientale et des « chinatowns » del’univers anglo-saxon, il s’agit lĂ  de langues d’usage essentiellement interne,mĂȘme si cet usage s’applique Ă  des « nations-continents ».

ParallĂšlement, de nombreuses langues ont beaucoup de difficultĂ©s Ă  s’im-poser sur le plan mondial : l’allemand, le japonais, l’italien, en dĂ©pit du dy-namisme Ă©conomique et commercial contemporain des trois grands vaincusdu Second Conflit mondial, sont, Ă  quelques exceptions prĂšs, Ă©troitement con-finĂ©s Ă  l’intĂ©rieur des frontiĂšres de leur pays d’origine ; l’arabe progresse len-tement, mais rĂ©guliĂšrement, dans le sillage de l’Islam ; le russe, qui avaitĂ©tendu son emprise gĂ©ographique en corrĂ©lation avec l’expansion de l’Em-pire soviĂ©tique, est (ceci expliquant cela) en voie de tassement ; et les languesibĂ©riques, en dĂ©pit de l’essor rĂ©cent de l’espagnol en AmĂ©rique du Nord, etde ses consĂ©quences sociĂ©tales et culturelles, connaissent un accroissementrĂ©cent qui ne reflĂšte guĂšre que les comportements dĂ©mographiques natalistesdes États latino-amĂ©ricains.

Page 18: Manuels F(f)rancophones

16

Et si l’Organisation des Nations unies utilise officiellement six langues de tra-vail (l’anglais, le français, le russe, le chinois, l’arabe et l’espagnol), la quasi tota-litĂ© des organisations internationales ne sont rĂ©ellement concernĂ©es que par deuxoutils linguistiques, du BIT Ă  l’UNESCO, du FMI au ComitĂ© Olympique :l’anglais et le français. Seules, ces deux langues sont prĂ©sentes sur les cinq con-tinents. Elles seules disposent vĂ©ritablement du statut international, un statutcapital dans la compĂ©tition Ă©conomique, politique et, a fortiori culturelle, du globe.À l’image de feu le systĂšme bipolaire sĂ©crĂ©tĂ© au plan gĂ©opolitique par l’aprĂšsYalta, on peut souligner avec force la permanence d’un partage linguistique dumonde, perçu au plan des comportements, entre la langue de Shakespeare (ouplutĂŽt celle de l’Oncle Sam) d’une part, la langue de MoliĂšre, d’autre part.

L’anglo-amĂ©ricain est le vĂ©hicule privilĂ©giĂ© des Ă©changes internationaux :reflet sĂ©culaire de l’hĂ©ritage de l’Empire britannique (Commonwealth) et, plusrĂ©cemment, de l’impact Ă©conomique et politique de la superpuissance nord-amĂ©ricaine, la langue anglaise et son avatar, l’anglo-amĂ©ricain, constituentle premier outil de la communication internationale « classique » (Ă©changescommerciaux, transferts de technologies, systĂšmes audiovisuels).

Mais si 340 millions (seulement) de personnes partagent l’anglais commelangue d’usage sur la planĂšte – quatre fois moins que le chinois –, le rĂŽle rĂ©elde l’anglais est sans commune mesure avec ces donnĂ©es chiffrĂ©es.

VĂ©hicule politique et commercial, l’impĂ©rialisme de l’anglo-amĂ©ricain setraduit aussi par un processus, frĂ©quemment dĂ©noncĂ©, d’invasion culturelle.L’anglais devient l’outil quasi exclusif du monde scientifique. La passivitĂ©,voire la rĂ©signation, des scientifiques de langue française Ă  l’égard de l’an-glo-amĂ©ricain confine parfois au pathĂ©tique. Il y a quelques annĂ©es, l’AcadĂ©miefrançaise des Sciences dĂ©cidait l’emploi de l’anglais dans ses compte-rendus :« Reconnaissant le rĂŽle essentiel de l’anglais dans les communications inter-nationales, spĂ©cialement dans les sciences, l’AcadĂ©mie a dĂ©cidĂ© de donnerune place beaucoup plus importante Ă  l’anglais en favorisant les auteurs accep-tant de fournir une « abridged english version » de leur texte (sic). Plus rĂ©vĂ©la-teur encore : en 1970, 70 % des articles rĂ©digĂ©s par les scientifiques quĂ©bĂ©coisl’étaient en langue anglaise ; plus de 80 % Ă  l’aube de l’an 2000.

ParallÚlement à la renaissance officielle de la Francophonie depuis quaranteans, le français semble toutefois regagner du terrain grùce à son implantationsur les cinq continents. Mais la progression dûment constatée du nombre delocuteurs de langue française est surtout le reflet direct de la poussée démo-graphique de certaines nations et singuliÚrement des pays africains.

Au-delĂ  de ce « combat » entre français et anglo-amĂ©ricain, le monde con-temporain se caractĂ©rise par un paysage linguistique de plus en plus com-plexe. Certes, la plupart des États ont tout naturellement tendance Ă  ĂȘtre

Page 19: Manuels F(f)rancophones

19

unilingues, qu’ils soient « mono-ethniques ou pluri-ethniques » : la langue« nationale » constitue depuis l’aube des temps modernes le ciment de l’u-nitĂ© d’un pays. Mais, en 2007, sur 190 États souverains membres de l’ONU,38 disposaient de deux langues officielles, et 13 de plus de deux.

BILINGUISME PAR JUXTAPOSITION

ET BILINGUISME PAR SUPERPOSITION

Le bilinguisme par juxtaposition : C’est notamment le cas de la Belgique oĂč, aprĂšs un siĂšcle de tensions(loin d’ĂȘtre apaisĂ©es) les rĂ©formes constitutionnelles de la derniĂšre dĂ©-cennie reconnaissent trois types d’entitĂ©s : trois « rĂ©gions » (flamande,wallonne, et bruxelloise), trois « communautĂ©s culturelles » (nĂ©erlandaise,française et allemande) et cinq « conseils de communautĂ©s » : ces rĂ©formesjuxtaposent des ensembles territoriaux unilingues, sĂ©parĂ©s par desfrontiĂšres linguistiques. C’est aussi l’exemple de la ConfĂ©dĂ©ration helvĂ©-tique (quatre langues officielles depuis 1938 : le français, l’allemand,l’italien et le romanche du canton des Grisons) ; ou celui du Canada oĂč,toutefois, depuis 1980, le bilinguisme officiel, faute de vĂ©ritable consen-sus de la part des anglophones, est comme noyĂ© dans une politique fĂ©dĂ©-rale de multiculturalisme thĂ©oriquement destinĂ© Ă  permettre l’expressiondes autres groupes linguistiques.Le bilinguisme par superposition :C’est notamment le cas de la FĂ©dĂ©ration de Russie, hĂ©ritiĂšre de l’URSS,oĂč toutes les langues parlĂ©es sous le rĂ©gime soviĂ©tique ont servi de fon-dements aux « nationalitĂ©s ethniques » ; ou celui de la Chine (56 « na-tionalitĂ©s »), de l’Union Indienne (31 « Ă©tats linguistiques »), d’un certainnombre d’États africains (qui ont conservĂ© comme langue officielle cellede l’ancienne puissance coloniale et oĂč, Ă  la notable exception du swahilien Tanzanie, au Kenya ou en Ouganda, les langues vernaculaires y sonttrop nombreuses pour pouvoir assumer le tĂŽle de langue nationale).Beaucoup plus original : le cas de l’Irlande : depuis l’adoption de la Cons-titution de 1937, l’Eire dispose d’une seule langue officielle, le gaĂ«lique.Mais la « celtisation » de la rĂ©publique reste trĂšs faible et plus des troisquarts de ses habitants ne parlent, aujourd’hui, que l’anglais.Bilinguisme par juxtaposition ou par superposition contribuent Ă  la com-plexitĂ© des situations rĂ©gionales pour plus de la moitiĂ© de la populationde la planĂšte. Source d’enrichissement au plan des Ă©changes ? Peut-ĂȘtre.Source de tensions et de conflits latents ou ouverts ? Plus sĂ»rement.

Mais la francophonie aujourd’hui ne se dĂ©finit pas seulement au regard dufrançais, sinon comment expliquer l’intĂ©rĂȘt que lui portent nombre d’Etats non

Page 20: Manuels F(f)rancophones

20

francophones ? Par-delĂ  la nĂ©cessitĂ© de la pluralitĂ© des langues, les organi-sations de la sociĂ©tĂ© civile francophone se sont naturellement intĂ©ressĂ©es Ă la prĂ©servation de la diversitĂ© culturelle et se sont mobilisĂ©es sur ce thĂšme.À une Ă©poque oĂč prĂ©dominent rationalisation Ă©conomique et standardisa-tion culturelle, la francophonie aurait pour mission de faire prĂ©valoir sur laplanĂšte la pluralitĂ© et la diversitĂ© qui doivent continuer de la caractĂ©riser :diversitĂ© des identitĂ©s nationales, des cultures politiques et juridiques, desvaleurs sociales. Encore faut-il s’entendre sur ce terme de diversitĂ©. L’accordpour s’en rĂ©clamer est d’autant plus facile Ă  rĂ©aliser qu’il s’agit de dĂ©noncerune influence extĂ©rieure considĂ©rĂ©e comme intrusive. Ainsi, s’agissant de laDĂ©claration de Bamako sur la diversitĂ© culturelle, il est Ă©vident que son Ă©la-boration a Ă©tĂ© rendue plus aisĂ©e par le refus, sur lequel tous s’accordent, del’hĂ©gĂ©monie amĂ©ricaine dans le domaine des mĂ©dias. La diversitĂ© culturelle– terme parfois prĂ©fĂ©rĂ© Ă  celui d’exception culturelle, trop usitĂ© par la diplo-matie française – peut se rĂ©aliser Ă  travers l’utilisation de la langue françaiseconsidĂ©rĂ©e comme un outil et certainement pas comme un but en soi. Dansle mĂȘme temps, un pays comme la France se met en porte Ă  faux lorsqu’il sefait le dĂ©fenseur Ă  l’international d’une pluralitĂ© linguistique qu’il combatdepuis des siĂšcles Ă  l’intĂ©rieur de son propre territoire. D’autres pays, ayantacquis leur indĂ©pendance depuis quelques dĂ©cennies, ont pu ĂȘtre tentĂ©s decommettre la mĂȘme erreur et de combattre leurs langues vernaculaires. UneĂ©tude rĂ©cente dont Le Monde s’est fait l’écho (3 octobre 2009) aboutit Ă  la conclu-sion que, s’il existe 6000 Ă  7000 langues diffĂ©rentes sur la planĂšte, beaucoupsont en voie de rĂ©sorption, parlĂ©es par des communautĂ©s si peu nombreuses,Ă©touffĂ©es dans des ensembles si importants qu’il en disparaĂźtrait de l’ordred’une vingtaine par an. Sans que l’OIF puisse prĂ©tendre ĂȘtre en mesure d’as-surer une survie Ă  des idiomes trop limitĂ©s, il est clair qu’elle se veut commemoins au service du français que du maintien d’une pluralitĂ© linguistique. LapluralitĂ© se prĂ©sente ici Ă  la fois comme une donnĂ©e et comme une valeur. Danscette perspective, la francophonie se rĂ©signerait Ă  n’avoir qu’une identitĂ©faible en ce qu’elle n’implique pas de rĂ©duction des diffĂ©rences.

Les États francophones

Les soixante-dix États et gouvernements francophones ont en communune triple diversitĂ© : spirituelle, c’est-Ă -dire le sentiment d’appartenir Ă  unemĂȘme communautĂ©, cette solidaritĂ© qui naĂźt du partage des valeurs communesaux divers individus et communautĂ©s francophones ; gĂ©ographique, c’est-Ă -dire l’ensemble des peuples, des hommes et des femmes dont la langue, mater-

Page 21: Manuels F(f)rancophones

21

nelle, officielle, courante ou administrative, est le français ; politique enfin,puisque tous les types de rĂ©gimes politiques, tous les niveaux de libertĂ© sontreprĂ©sentĂ©s. Au-delĂ  de cette diversitĂ©, les États et gouvernements fran-cophones ont fait passer la francophonie d’un mouvement linguistique et cultu-rel Ă  une rĂ©alitĂ© gĂ©opolitique, une zone d’influence (dont le pĂ©rimĂštre rested’ailleurs Ă  dĂ©terminer). Dans ce contexte, qu’attendent les États membresde l’Organisation internationale de la Francophonie ? NĂ©e dans les annĂ©es1970, la Francophonie rĂ©pond-t-elle aux attentes de ses membres en ce dĂ©butdu XIXe siĂšcle ?

L’incertitude sur ce point, comme sur l’évolution institutionnelle de l’OIF,n’empĂȘche pas que, lors de chacun des sommets successifs, le nombre demembres augmente. La Francophonie sĂ©duit. L’OIF regroupe dĂ©jĂ  70 Étatset gouvernements (53 membres, 3 associĂ©s et 14 observateurs), ce qui lui donneun poids non nĂ©gligeable sur la scĂšne mondiale. Les pays francophonessont membres des Nations unies et de ses institutions spĂ©cialisĂ©es. Les opĂ©ra-teurs francophones ont un statut reconnu par certaines de ces derniĂšres, tellel’UNESCO. Plusieurs États francophones exercent une influence au sein duFMI et de la Banque mondiale. La France et le Canada font partie du G8. Lespays francophones reprĂ©sentent la moitiĂ© des membres de l’Union euro-pĂ©enne, et sont nombreux parmi les pays ACP partenaires. Le Canada est l’undes trois membres de l’ALENA. La proportion de pays francophones et« francisants » est importante au sein de l’Union africaine, de la Ligue arabeet de la Commission de l’OcĂ©an indien. L’AUF entretient des bureaux rĂ©gio-naux dans toutes les parties du monde
 Une Ă©tonnante vitalitĂ© qui ne re-pose ni sur l’obligation, ni sur des pressions, ni sur des intĂ©rĂȘts matĂ©riels. Uneillustration en a Ă©tĂ© l’élargissement de l’OIF consĂ©cutif Ă  l’effondrement dubloc communiste ; l’arrivĂ©e rapide et massive des États d’Europe centrale etorientale au sein des organisations rĂ©gionales « de l’Ouest » – Union del’Europe occidentale, Organisation du TraitĂ© de l’Atlantique Nord, Union euro-pĂ©enne – s’est accompagnĂ©e pour beaucoup d’entre eux d’une adhĂ©sion Ă  laFrancophonie au point qu’ils reprĂ©sentent dĂ©sormais la majoritĂ© absolue deses membres europĂ©ens ; leurs adhĂ©sions ont permis Ă  l’organisation de con-naĂźtre un accroissement spectaculaire du nombre de ses membres au coursdes annĂ©es 1990. Il ne semble pas qu’ils prĂ©sentent aujourd’hui un front com-mun dans les enceintes francophones, mais s’ils y parvenaient, leur influencepolitique et normative pourrait ĂȘtre considĂ©rable.

Page 22: Manuels F(f)rancophones

20

DATE D’ADHÉSION À LA FRANCOPHONIE PAR RÉGION

(56 États et 14 observateurs)

Afrique centraleBurundi ______________________ 1970Cameroun ____________________ 1991

(associé depuis 1975)Centrafrique ___________________ 1973Congo ________________________ 1981Congo RD _____________________ 1977Gabon ________________________ 1970Guinée équatoriale _____________ 1989Rwanda ______________________ 1970Sao Tomé et Principe ___________ 1999Tchad _________________________ 1970

Afrique de l’Est et OcĂ©an indien Comores ______________________ 1977Djibouti _______________________ 1977Madagascar ___________________ 1970Maurice _______________________ 1970Mozambique ** ________________ 2006Seychelles _____________________ 1976

Afrique du Nord et Moyen-Orient Egypte ________________________ 1983Liban _________________________ 1973Maroc ________________________ 1981Mauritanie ____________________ 1980Tunisie _______________________ 1970

Afrique de l’Ouest BĂ©nin _________________________ 1970Burkina Faso __________________ 1970Cap-Vert ______________________ 1996CĂŽte d’Ivoire __________________ 1970Ghana * _______________________ 2006GuinĂ©e _______________________ 1981GuinĂ©e Bissau _________________ 1979Mali __________________________ 1970Niger _________________________ 1970SĂ©nĂ©gal _______________________ 1970Togo __________________________ 1970

** Membres associés** Observateurs.

EuropeAlbanie _______________________ 1999Andorre _______________________ 2004Autriche ** ____________________ 2004Belgique** _____________________ 1970Bulgarie _______________________ 1993Chypre * ______________________ 2006Communauté française de Belgique ____________________ 1980Croatie ** ______________________ 2004Ex-République Yougoslave de Macédoine __________________ 2001France ________________________ 1970GrÚce _________________________ 2004Hongrie ** _____________________ 2004Lettonie ** _____________________ 2008Lituanie ** _____________________ 1999Luxembourg ___________________ 1970Moldavie ______________________ 1996Monaco _______________________ 1970Pologne ** _____________________ 1997République TchÚque ** __________ 1999Roumanie _____________________ 1993Serbie ** _______________________ 2006Slovaquie **____________________ 2002Slovénie ** _____________________ 1999Suisse _________________________ 1996Ukraine ** _____________________ 2006

Amérique-CaraïbesCanada________________________ 1970Canada Nouveau-Brunswick_____ 1977Canada Québec ________________ 1971Dominique ____________________ 1979Haïti __________________________ 1970Sainte-Lucie ___________________ 1981

Asie-PacifiqueArménie * _____________________ 2008Cambodge_____________________ 1993Géorgie ** _____________________ 2004Laos __________________________ 1991Thaïlande ** ___________________ 2008Vanuatu _______________________ 1979Vietnam _______________________ 1970

Page 23: Manuels F(f)rancophones

23

Reste Ă  s’interroger avec rĂ©alisme et objectivitĂ© sur les prioritĂ©s des États,par rapport Ă  l’organisation francophone, comme par rapport Ă  des organisa-tions plus anciennes et mieux structurĂ©es. Il faut s’interroger sur l’identitĂ© fran-cophone et sur l’existence Ă©ventuelle d’autres intĂ©rĂȘts communs que la langue,la culture et des valeurs politiques liĂ©es Ă  la dĂ©mocratie et aux droits del’homme. En rĂ©alitĂ©, chaque État membre a ses propres intĂ©rĂȘts et ses motiva-tions spĂ©cifiques pour adhĂ©rer Ă  la Francophonie. Les Ă©lĂ©ments communs sontparfois difficiles Ă  repĂ©rer pour certains pays, tels par exemple l’Autriche, ob-servateur depuis 2004, et la ThaĂŻlande qui a demandĂ© le mĂȘme statut en 2008,et sans que l’évocation de ces deux nations ait aucun caractĂšre de stigmatisa-tion. Ce n’est pas leur faire insulte que de constater qu’il est des gouverne-ments qui utilisent la Francophonie en termes d’alternative, par exemple pourfaire contrepoids Ă  l’influence allemande en Europe centrale ou anglo-saxonneen Asie. Des motivations comparables peuvent pousser les États lusophonesĂ  se rapprocher de la Francophonie. Pour tous enfin, c’est un moyen de fairepiĂšce au dĂ©sĂ©quilibre de la rĂ©partition des puissances militaire, politique etĂ©conomique entre les États. L’affirmation sur la scĂšne internationale d’uneseule puissance hĂ©gĂ©monique incite ses dirigeants Ă  contester le principe fon-damental de la structure institutionnelle crĂ©Ă©e en 1945 : la coopĂ©ration danstous les domaines de la vie internationale et plus particuliĂšrement la gestioncollĂ©giale de la sĂ©curitĂ© collective. Une rĂšgle essentielle du droit internatio-nal se trouve ainsi mise ouvertement en cause : celle de l’égalitĂ© souverainedes États. Les conditions illĂ©gales du bombardement de la Serbie et du Koso-vo, ainsi que de l’entrĂ©e des troupes nord-amĂ©ricaines en Irak ne peuvent querenforcer les inquiĂ©tudes de ceux qui prĂ©fĂšrent la situation – mĂȘme incer-taine – de l’équilibre des forces Ă  celle de la sĂ©curitĂ© – illusoire – Ă  l’ombred’un empire. La plupart des États francophones en font partie et cela expliquel’attachement de l’organisation aux idĂ©es de diversitĂ© et de coopĂ©ration : desidĂ©es qui trouvent une application Ă©vidente dans le domaine culturel puis-qu’elles sont le plus sĂ»r moyen de combattre l’appauvrissement linguistiquedans un contexte mondialisĂ© et uniformisateur ; mais au-delĂ  des repĂšres etdu patrimoine culturels, elles sont essentielles pour structurer l’ensemble dela vie internationale.

Les États francophones y sont d’autant plus enclins que les obligations sontrares et la contrainte inexistante au sein de la Francophonie. Ainsi, cette fran-cophonie institutionnelle venant couronner des initiatives spĂ©cifiques remon-tĂ©es de la sociĂ©tĂ© civile (dans les domaines de l’enseignement des langues,de l’échange d’informations et de programmes entre mĂ©dias, d’opĂ©rationscommunes dans les domaines des formations et de la recherche universitaires,des contacts entre Ă©lus
) permet dans une certaine mesure aux États de

Page 24: Manuels F(f)rancophones

22

rĂ©cupĂ©rer progressivement la mise. Il faut souligner que, dĂšs les indĂ©pen-dances, les autoritĂ©s constitutionnelles placĂ©es Ă  la tĂȘte des nations d’Afriquenouvellement indĂ©pendantes s’étaient employĂ©es Ă  chercher les meilleuresstructures pour dĂ©velopper des actions communes entre elles et avec laFrance, sur les terrains culturels, Ă©conomiques et politiques. Pour s’en teniraux organisations les plus importantes, il y eut successivement, au cours desannĂ©es 1960, d’abord l’Union africaine et malgache (UAM), puis l’Organisa-tion commune africaine et malgache (OCAM). C’était une francophonie quine disait encore son nom mais qui a prĂ©cĂ©dĂ© et prĂ©parĂ© l’Agence de coopĂ©ra-tion culturelle et technique entre pays utilisant le français. Dans cette perspec-tive, une interprĂ©tation cynique de l’évolution des structures actuelles de l’OIFconduirait Ă  soutenir que le rapport de forces aujourd’hui fait figure de re-vanche des États, dĂ©possĂ©dĂ©s pendant quelques dizaines d’annĂ©es du con-trĂŽle effectif de l’institution francophone.

La Francophonie

Il faut concĂ©der d’emblĂ©e que la Francophonie est une organisation aty-pique.

Cet ensemble est atypique car les gouvernements des 21 États qui signenten 1970 Ă  Niamey le traitĂ© fondant l’Agence de coopĂ©ration culturelle et tech-nique (ACCT) ont le projet de crĂ©er un simple organe de coopĂ©ration culturelleet non une organisation internationale. Une longue pĂ©riode d’incertitude vad’ailleurs durer jusqu’à ce que le PrĂ©sident Mitterrand fasse passer un capĂ  l’organisation en organisant la premiĂšre « confĂ©rence des chefs d’État et degouvernement des pays ayant le français en partage », mieux connue sousle nom de « sommet », en 1986 Ă  Paris ; l’ACCT compte alors 42 membres etles thĂšmes traitĂ©s portent sur les questions Ă©conomiques et de coopĂ©ration.À partir de la confĂ©rence de QuĂ©bec (1987), les sommets auront lieu rĂ©guliĂšre-ment tous les deux ans : en 1989, Ă  Dakar, le sommet dĂ©cide notamment lacrĂ©ation de l’universitĂ© internationale de langue française Senghor d’Alexan-drie ; en 1991, Ă  Paris, la Francophonie est institutionnalisĂ©e avec la crĂ©ationd’un conseil permanent de la Francophonie composĂ© de reprĂ©sentants deschefs d’État et de gouvernement auprĂšs des instances francophones ; en 1997,Ă  Hanoi, le sommet fait franchir Ă  la francophonie une Ă©tape supplĂ©mentaireavec la crĂ©ation de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF),dirigĂ©e par un secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral (Boutros Boutros-Ghali est Ă©lu secrĂ©taire gĂ©-nĂ©ral de la Francophonie pour quatre ans ; Abdou Diouf le remplace en 2002 ;il est rĂ©Ă©lu en 2006) ; en 2004, le Xe sommet de Ouagadougou dĂ©cide une

Page 25: Manuels F(f)rancophones

25

rĂ©forme institutionnelle d’envergure qui se traduit l’annĂ©e suivante par la crĂ©a-tion de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui remplacel’AIF et l’ACCT. Mais cette organisation intergouvernementale est tout Ă  faitdiffĂ©rente de ses homologues car elle ne repose pas sur un traitĂ© (sauf Ă  consi-dĂ©rer – comme le font ses membres – que le TraitĂ© de Niamey est toujoursun fondement valide : ce qui est juridiquement contestable).

Cet ensemble est Ă©galement atypique parce qu’en plus de sa mission na-turelle – la promotion de la langue française – la Francophonie contribue depuisles annĂ©es 1990 Ă  l’effort des Nations unies en faveur de la dĂ©mocratie et desdroits de l’homme : par ses prises de position (DĂ©claration de Bamako, DĂ©-claration de Saint-Boniface), mais aussi par ses programmes d’accompagne-ment des processus Ă©lectoraux, de consolidation de l’État de droit, de promotionde la culture des droits de l’homme, et de coopĂ©ration juridique et judiciaire.De plus, la Francophonie a liĂ© rĂ©cemment la question du respect de la dĂ©mo-cratie Ă  celle de la « sĂ©curitĂ© humaine » et de la prĂ©vention des conflits (DĂ©-claration de Saint-Boniface). Pour comprendre ce processus, il faut revenir auxorigines de l’organisation. Le dĂ©but de l’institutionnalisation de la Fran-cophonie s’est faite dans les annĂ©es 1970 et 1980, donc dans une pĂ©riode mar-quĂ©e par des tensions entre l’Est et l’Ouest. Dans cette perspective et mĂȘmesi elles se voulaient autant que possible au-dessus de la mĂȘlĂ©e, mais ne fĂ»t-ceque par le rĂŽle qu’y jouaient le Canada-QuĂ©bec et la France, les structures fran-cophones apparaissaient comme liĂ©es au camp occidental, relais pour les va-leurs de ce dernier auprĂšs d’un certain nombre de gouvernements qui n’yauraient peut-ĂȘtre pas spontanĂ©ment adhĂ©rĂ©. Dans les annĂ©es 1990, avec lafin de l’équilibre bipolaire, la Francophonie a accompagnĂ© et parfois prĂ©cĂ©dĂ©un grand mouvement d’adhĂ©sion Ă  des valeurs quasi mondiales, mĂȘlantexhortation au respect des droits de l’homme, adhĂ©sion Ă  la dĂ©mocratie et exal-tation des libertĂ©s dites de la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration, au premier rang desquellescelles qui impliquent la dĂ©fense de l’environnement. Leur spĂ©cificitĂ© tient Ă l’identitĂ© de leur titulaire qui est la personne humaine envisagĂ©e indĂ©pendam-ment de son rattachement Ă  un État (alors que traditionnellement l’individusur le plan international n’a d’existence que par le truchement de l’État dontil dĂ©tient la nationalitĂ©) ; leur caractĂšre « objectif » entraĂźne une sĂ©rie de consĂ©-quences juridiques – par exemple le dĂ©veloppement de la justice internationaleĂ  partir de 1993 – mais aussi politiques, notamment sur l’émergence de ce qu’ilest convenu d’appeler la sociĂ©tĂ© civile internationale. Cette question devait nĂ©-cessairement concerner la Francophonie, comme en tĂ©moigne, depuis l’adop-tion de la DĂ©claration de Bamako, ses affirmations rĂ©pĂ©tĂ©es sur l’importancedes droits de l’homme et de l’État de droit et le lien Ă©tabli avec la dĂ©mocra-tie. La Francophonie contribue Ă  l’effort de promotion de la dĂ©mocratie qui

Page 26: Manuels F(f)rancophones

24

est une prioritĂ© de l’Organisation des Nations unies depuis les annĂ©es 1990,par ses prises de position3 mais aussi par ses programmes d’accompagnementdes processus Ă©lectoraux, de consolidation de l’État de droit, de promotionde la culture des droits de l’homme, et de coopĂ©ration juridique et judiciaire.Ce dĂ©veloppement de la Francophonie sur la scĂšne politique internationaleimplique de se poser une sĂ©rie de questions relatives Ă  ses prises de position :quelle est la dĂ©finition des notions de « dĂ©mocratie », de « droits de l’homme »et d’« État de droit » dans les dĂ©clarations de la Francophonie ? Existe-t-il uneconception francophone originale par rapport Ă  celles d’autres institutionsinternationales, dont l’Organisation des Nations unies ?

Dans le mĂȘme temps, un deuxiĂšme Ă©lĂ©ment marquant dans l’évolutionde la scĂšne internationale est l’affirmation du principe du non recours Ă  laforce. Il est bien sĂ»r possible de confronter ironiquement cette ambitionavec le nombre de conflits qui se seront dĂ©clarĂ©s ou auront durĂ© depuis lesannĂ©es 1970 ; mais il paraĂźt plus important de souligner que la Cour inter-nationale de justice a reconnu en 1986, dans l’affaire opposant le Nicaraguaaux États-Unis d’AmĂ©rique, que le principe a dĂ©sormais gagnĂ© le champ dudroit international, et que les États s’accordent Ă  lui reconnaĂźtre un caractĂšreobligatoire, voire impĂ©ratif, en dĂ©pit de la grande frĂ©quence de ses violations.Son statut actuel au sein de l’ordre juridique international ne pouvait lais-ser la Francophonie – dĂšs lors qu’elle souhaitait passer d’une mission culturelleĂ  un rĂŽle plus politique – insensible : ainsi s’explique la DĂ©claration de Saint-Boniface et la volontĂ© Ă©noncĂ©e par l’organisation de contribuer au maintiende la paix et de la sĂ©curitĂ© internationales. Certains s’interrogent – de façonlĂ©gitime – sur la spĂ©cificitĂ© que la Francophonie pourrait Ă  bon droit revendi-quer, dans cette ambiance de consensus mondial au moins apparent, autourd’un certain nombre de principes communs. Actuellement, la Francophoniese garde de se mĂȘler de tels problĂšmes autrement que par des prises de posi-tion figurant notamment dans les dĂ©clarations finales de ses Sommets tenustous les deux ans. Pourtant une rĂ©flexion sur les rapports entre Francopho-nie et relations internationales ne peut Ă©chapper Ă  une interrogation, ne fĂ»t-ceque sous la forme d’une pierre d’attente, sur ce que pourrait ĂȘtre la place etle rĂŽle de la Francophonie dans un monde oĂč tensions, crises et conflits ten-dent Ă  se multiplier. Compte tenu du caractĂšre insaisissable des rapports deforce sur bien de territoires, devra-t-elle prudemment s’en dĂ©sintĂ©resser,sauf sous forme de vaines admonestations adressĂ©es aux belligĂ©rants les pluscriminels ? Peut-on au contraire souhaiter, voire espĂ©rer que la souplesse de

_________________________3. Notamment Ă  travers la DĂ©claration de Bamako et la DĂ©claration de Saint-Boniface.

Page 27: Manuels F(f)rancophones

25

ses structures, la multiplicitĂ© de ses composantes et l’absence de soupçon detentation impĂ©rialiste puissent faire reconnaĂźtre la Francophonie commeplus Ă  mĂȘme que d’autres Ă  apporter une contribution au retour Ă  la paix surcertains territoires ?

Ces questionnements ne doivent toutefois pas faire perdre de vue l’essen-tiel : la francophonie pose la question du statut de l’individu dans les relationsinternationales ; dans l’idĂ©al, il lui appartiendrait mĂȘme de l’y rĂ©introduirechaque fois qu’il en est absent. En mĂȘme temps, l’existence d’une francophonietransnationale se heurte au constat que, plus l’organisation s’engage sur leterrain des relations internationales, plus elle se rapproche de l’intergouverne-mental et plus elle risque de s’éloigner de la sociĂ©tĂ© civile. Personne n’a in-tĂ©rĂȘt Ă  ce que cette Ă©volution soit poussĂ©e trop loin dans la mesure oĂč ce sontles dynamiques de la francophonie qui rendent en grande partie lĂ©gitime unprojet inter-Ă©tatique en Francophonie.

La problĂ©matique Ă  mettre en Ɠuvre pour rĂ©aliser ce qui serait une vĂ©ri-table « gĂ©opolitique de la Francophonie » peut ĂȘtre schĂ©matisĂ©e sous laforme d’un triangle dont les trois sommets seraient : les États (Ă©cartelĂ©sentre opportunitĂ© et volontĂ© politique), la Francophonie (c’est-Ă -dire conçuecomme une organisation et confrontĂ©e au problĂšme de sa lĂ©gitimitĂ©) et la fran-cophonie (donc prise comme un Ă©lĂ©ment de la sociĂ©tĂ© civile et qui ne sauraits’affirmer qu’en prĂ©servant soigneusement sa pluralitĂ©). Ce schĂ©ma se veutopĂ©ratoire, donc contribuant Ă  apporter une rĂ©ponse Ă  un certain nombre dequestions, et d’abord Ă  celle des rapports entre d’une part l’opportunitĂ© oula volontĂ© politique et d’autre part la lĂ©gitimitĂ© institutionnelle et la plurali-tĂ© des rĂ©fĂ©rences identitaires. Autrement dit et pour prĂ©senter l’interrogationsous une forme plus dĂ©veloppĂ©e : qu’en est-il de la pluralitĂ© par rapport Ă la volontĂ© ou Ă  l’opportunitĂ© politique et par rapport Ă  la lĂ©gitimitĂ© et qu’enest-il de la lĂ©gitimitĂ© par rapport Ă  la pluralitĂ© et Ă  la volontĂ© ou Ă  l’opportu-nitĂ© politique ? S’il est bien de la vocation de la Francophonie de placer l’indi-vidu au centre des relations internationales, se pose la question de savoir siles enjeux de la francophonie peuvent mobiliser les politiques nationales etles mettre au service de cette derniĂšre.

Francophonie

lĂ©gitimitĂ©d’une instance internationale

(niveau inter-Ă©tatique)

États

volonté ou opportunitédes politiques nationales

(niveau Ă©tatique)

francophonie

pluralité des références identitaires

(niveau transnational et intra-Ă©tatique)

Page 28: Manuels F(f)rancophones
Page 29: Manuels F(f)rancophones

PREMIÈRE PARTIE

MĂ©thodologie pluridisciplinaire

Page 30: Manuels F(f)rancophones
Page 31: Manuels F(f)rancophones

31

Ce manuel s’inspire de l’ouvrage des professeurs Édith Jaillardon etDominique Roussillon Outils pour la recherche juridique. MĂ©thodologie de la thĂšsede doctorat et du mĂ©moire de master en droit. Il consiste – comme l’ont fait lesauteurs prĂ©citĂ©s, mais dans les domaines du droit international, des relationsinternationales et de la gĂ©opolitique – Ă  proposer aux jeunes chercheurs desmodes d’organisation rigoureuse et de solides mĂ©thodes de travail. Il prĂ©senteles Ă©tapes de la recherche susceptibles d’apporter une aide aussi bien pourla prĂ©paration d’un mĂ©moire de master que d’une thĂšse en vue de l’obten-tion du doctorat, ou pour l’élaboration d’un article pouvant ĂȘtre l’objet d’unepublication dans une revue scientifique.

Comme les auteurs prĂ©citĂ©s, il faut d’emblĂ©e affirmer qu’en matiĂšre derecherche, il n’existe pas une seule mĂ©thode possible et chacun doit se cons-truire la sienne ; de ce fait, personne ne peut prĂ©tendre enseigner de façonindiscutable la mĂ©thode permettant d’élaborer et de rĂ©diger une thĂšse (ou unmĂ©moire). Mais il existe certains prĂ©ceptes et principes permettant d’éviterde commettre des erreurs. Ces prĂ©ceptes et principes pratiques valent danstous les domaines, pour chacune des phases du travail de recherche : explo-ration, documentation, rĂ©flexion et rĂ©daction.

Page 32: Manuels F(f)rancophones

30

CHAPITRE I.

L’esprit de la recherche

Choisir de s’engager dans un travail de mĂ©moire de master ou de thĂšsede doctorat suppose prĂ©alablement d’avoir connaissance des difficultĂ©s dela tĂąche et des qualitĂ©s qui sont nĂ©cessaires pour les affronter avec succĂšs.

SECTION 1.La lucidité

Il faut d’abord savoir ĂȘtre honnĂȘte avec soi-mĂȘme sur ses propres capa-citĂ©s intellectuelles et son caractĂšre : le/la candidat(e) est-il (elle) capabled’écrire quelques pages organisĂ©es sur un sujet donnĂ© ? A-t-il (elle) rĂ©digĂ©un travail de plusieurs dizaines de pages ? A-t-il (elle) la volontĂ© d’aller jus-qu’au bout ? Le mĂ©moire de master et plus encore la thĂšse de doctorat reprĂ©-sentent en effet un travail lourd et long. Il est impĂ©ratif qu’avant de se dĂ©cider,le/la candidat(e) prenne conscience du temps que va nĂ©cessiter la produc-tion d’un mĂ©moire (plusieurs mois) et d’une thĂšse (plusieurs annĂ©es). Peu-t-il (elle) consacrer l’essentiel de son temps pendant toute cette pĂ©riode Ă  cettetĂąche ? Peut-il (elle) s’imposer une discipline de travail sur plusieurs moisou plusieurs annĂ©es ? La question vaut d’ĂȘtre mĂ©ditĂ©e, non seulement d’unpoint de vue pratique (matĂ©riel, financier) mais aussi Ă©thique : en effet, le can-didat qui passe cinq, six annĂ©es – voire davantage – pour mener Ă  bien le pro-jet de thĂšse aura ainsi « gelĂ© » un sujet qui aurait pu ĂȘtre traitĂ© par d’autresplus rapidement et mieux
 Car la valeur d’un travail n’est pas forcĂ©mentproportionnelle au temps qui lui a Ă©tĂ© consacrĂ© : c’est la qualitĂ© de l’écrit quiest jugĂ©e au moment de la soutenance, et non le temps passĂ© Ă  le prĂ©parer.

Ensuite, le choix du sujet est capital : parce que le candidat y consacreral’essentiel de son temps pendant plusieurs mois ou plusieurs annĂ©es ; maissurtout parce que ce choix conditionne la rĂ©ussite du projet professionnel pour-suivi Ă  travers la thĂšse. Si elle a pour objectif l’orientation vers l’enseignementet la recherche, elle doit ĂȘtre un travail de rĂ©flexion thĂ©orique et d’analyse ;si elle a pour objectif un emploi dans le secteur privĂ© ou le secteur public (ycompris international), le travail Ă  rĂ©aliser sera vraisemblablement plus pra-tique et plus technique dans la prĂ©sentation et la rĂ©flexion sur les mĂ©canismes

Page 33: Manuels F(f)rancophones

31

Ă©tudiĂ©s, portant sur un thĂšme de prĂ©fĂ©rence en liaison avec le secteur oĂč l’onsouhaite ĂȘtre embauchĂ©, donc susceptible d’intĂ©resser les employeurs poten-tiels. Le choix du sujet est donc un Ă©lĂ©ment capital du projet professionnel.Mais il est aussi un processus trĂšs personnel : il ne faut pas choisir un sujetuniquement pour des considĂ©rations d’opportunitĂ© professionnelle ; il fautĂȘtre passionnĂ© par son sujet. Si ce n’est pas le cas, il sera trĂšs difficile de lemener au bout. La premiĂšre des « Ă©tapes de la recherche » (voir plus loin) dĂ©critles conditions du choix d’un « bon » sujet. Ce choix suppose de ne pas se leur-rer sur ses propres possibilitĂ©s et sa volontĂ© de rĂ©ussir.

SECTION 2.La rigueur

Une fois entamĂ©e la recherche proprement dite, la qualitĂ© principaled’un(e) doctorant(e) est – outre la tĂ©nacitĂ© – sa capacitĂ© de maintenir un ni-veau Ă©levĂ© d’exigence. Il faut en effet beaucoup d’exigence dans la recherchedocumentaire Ă  l’époque de l’ordinateur et de l’Internet. Ce dernier est uneinĂ©puisable source d’informations, mais aussi un invraisemblable bazar, no-tamment lorsqu’il s’agit de questions internationales oĂč toutes sortes d’in-tervenants plus ou moins fiables et dĂ©sintĂ©ressĂ©s souhaitent s’immiscer dansle dĂ©bat en y apportant des informations orientĂ©es. Il serait dommageable dene pas l’utiliser ; mais il faut le faire avec vigilance, en vĂ©rifiant toutes les infor-mations rĂ©coltĂ©es : en particulier la qualitĂ© de l’auteur, la nature du documentet la fiabilitĂ© du site. Et il faut le faire dans le cadre d’une dĂ©marche rĂ©flĂ©chieet organisĂ©e.

Le niveau d’exigence du candidat s’exprime Ă©galement au moment de larĂ©daction. Un conseil de base dans ce domaine : il ne faut pas hĂ©siter Ă  com-mencer la rĂ©daction trĂšs tĂŽt, mĂȘme si les premiĂšres lignes ne seront sans doutepas dĂ©finitives. Trop d’étudiants ajournent la rĂ©daction (l’angoisse de lapage blanche), sous prĂ©texte de n’avoir pas fini la documentation (mais onne finit jamais une documentation
), ou l’arrĂȘt du plan (mais le plan Ă©tabliau dĂ©but de la recherche sera sans cesse retouchĂ© et modifiĂ© par la suite
).Il faut au contraire procĂ©der de façon pragmatique et entamer la rĂ©dactiond’un chapitre, d’une section, voire d’un paragraphe (et peu importe la placede ce texte dans le mĂ©moire ou la thĂšse) dĂšs que la documentation recueil-lie permet de le faire. RĂ©diger quelques pages permet Ă  l’auteur qui manquede confiance en ses capacitĂ©s de renforcer son assurance : ce qui n’est pas nĂ©gli-geable, mĂȘme si les inĂ©vitables remises en question ultĂ©rieures conduisentĂ  corriger ces pages, voire Ă  les refondre dans un texte diffĂ©rent. Car la

Page 34: Manuels F(f)rancophones

32

rĂ©daction finale doit ĂȘtre soignĂ©e, du point de vue de la forme (style, ortho-graphe, ponctuation, prĂ©sentation des notes de bas de page ou de la biblio-graphie, etc.) et du fond (logique du raisonnement, pertinence des arguments,etc.).

NĂ©anmoins, le/la candidat(e) qui affronte ces difficultĂ©s n’est pas seul(e).Il (elle) bĂ©nĂ©ficie du soutien du directeur de thĂšse. En s’inscrivant en docto-rat, l’étudiant(e) signe en effet un contrat avec le directeur de recherche, dansle cadre fixĂ© par la charte des thĂšses (voir un modĂšle de charte des thĂšses enannexe). La charte des thĂšses dĂ©taille les droits et devoirs respectifs du doc-torant et du directeur lors des diffĂ©rentes Ă©tapes de la prĂ©paration d’une thĂšse(et mĂȘme aprĂšs la soutenance). De plus, l’étudiant intĂšgre une Ă©quipe de re-cherche et, plus largement, une Ă©cole doctorale, lieu d’encadrement pĂ©da-gogique des doctorants. FormĂ©es Ă  partir d’une ou de plusieurs disciplinesvoisines, les Ă©coles doctorales comprennent les diffĂ©rents masters et lesĂ©quipes de recherche ou les laboratoires au sein desquels les doctorantseffectuent leurs recherches. Elles proposent des activitĂ©s spĂ©cifiques de for-mation mĂ©thodologique et des ateliers au cours desquels les thĂ©sards prĂ©-sentent l’état de leur recherche aux autres doctorants. La recherche ne doiten aucun cas se dĂ©ployer comme une activitĂ© solitaire ; le partage et le dia-logue existent, ils sont mĂȘme indispensables pour faire avancer une rĂ©-flexion. C’est ainsi que se dĂ©veloppe entre les thĂ©sards une solidaritĂ© nĂ©e dela prise de conscience de problĂšmes communs constatĂ©s ensemble et de la com-paraison des solutions susceptibles d’y ĂȘtre apportĂ©es, avec aussi une partd’émulation.

SECTION 3.La neutralité

Le niveau d’exigence doit se manifester aussi par rapport Ă  l’approchemĂ©thodologique : le travail produit doit ĂȘtre scientifique et non marquĂ© pardes orientations idĂ©ologiques. Le scientifique a pour mission d’observer, dedĂ©crire, d’expliquer les faits ou les situations, et non pas de les juger par rap-port Ă  ses convictions personnelles : qu’elles soient politiques, morales ouphilosophiques.

Comme tout individu, le chercheur a des prĂ©fĂ©rences personnelles, sansdoute ; de ce point de vue, on pourrait dire que l’objectivitĂ© absolue n’existepas : chacun est marquĂ© par ses expĂ©riences personnelles et ses propres ca-tĂ©gories de pensĂ©e. Le chercheur peut, bien sĂ»r, exprimer ses opinions si lesdĂ©veloppements le lui permettent et comme la dĂ©nomination mĂȘme de

Page 35: Manuels F(f)rancophones

35

« thĂšse » y invite ; mais ces prises de position doivent toujours ĂȘtre argumen-tĂ©es scientifiquement. En d’autres termes, il faut bannir l’étude Ă  charge, voirele pamphlet ; le travail prĂ©sentĂ© doit ĂȘtre honnĂȘte, c’est-Ă -dire prĂ©senter lesdiffĂ©rentes facettes d’une situation ou les diffĂ©rents points de vue exprimĂ©ssur une question. Et si l’on choisit de privilĂ©gier l’un de ces points de vue, ilfaut expliquer les raisons qui motivent cette attitude.

Ce principe de neutralitĂ© semble aller de soi ; il n’est pourtant pas rare derelever dans des Ă©tudes « scientifiques » (articles ou ouvrages) des expres-sions qui trahissent les prĂ©jugĂ©s de l’auteur : le comportement de tel acteurest « malheureusement » en contradiction avec telle rĂšgle ; l’interprĂ©tationfaite de tel texte est « regrettable ». Il s’agit lĂ  de l’expression de sentimentspersonnels qui ne peuvent faire l’objet d’une discussion ou d’une rĂ©futationscientifique. Il faut donc les bannir et se limiter Ă  constater, exposer, dĂ©mon-trer, sans fausser le raisonnement scientifique par l’expression de sa propresubjectivitĂ©. La tentation est particuliĂšrement forte dans le domaine des Re-lations Internationales oĂč les prĂ©fĂ©rences personnelles et les prĂ©jugĂ©s peuventchercher une fausse justification dans une revendication d’appartenancenationale ou partisane qui serait mal placĂ©e dans un travail scientifique.

Page 36: Manuels F(f)rancophones

36

CHAPITRE II.

L’éthique de la recherche

Les exigences scientifiques et Ă©thiques de la recherche doctorale semblenta priori entretenir d’étroites relations, alors qu’elles se situent sur des niveauxdiffĂ©rents. En effet, lorsque l’éthique ne suffit pas Ă  rĂ©gler les comporte-ments, elle dĂ©bouche, quant Ă  elle, sur le monde conflictuel du droit.

En ce qui concerne l’exigence scientifique, on pourrait trĂšs briĂšvement direqu’elle signifie que le travail de recherche doctoral, assurĂ©ment, et celui deniveau master – dans une moindre mesure – repose sur des rĂšgles prĂ©ciseset rigoureuses de citation, sur la vĂ©rification systĂ©matique de la justesse dessources de « seconde main », sur l’analyse la plus exhaustive possible desressources documentaires. Mais surtout, le travail doctoral a pour ambitionde produire un savoir inĂ©dit, car le doctorant doit offrir, avec la problĂ©ma-tique qu’il a Ă©tablie, une lecture personnelle et nouvelle du sujet. La thĂšse nepeut jamais se rĂ©duire Ă  une « Ɠuvre » de compilation, aussi rĂ©ussie soit-elle.Entre la compilation et la thĂšse – mais pas nĂ©cessairement le mĂ©moire de mas-ter, mĂȘme de recherche – il n’y a pas une diffĂ©rence de degrĂ© mais une diffĂ©-rence de nature.

La section de droit public du Comité français des universités, chargée dedélivrer la qualification préalable au recrutement des maßtres de conférences,a rendu publiques ses observations relatives à des dérives qui, en prenant uneampleur objectivement constatée, enlÚvent toute « scientificité » au travail doc-toral et relÚvent, par voie de conséquence, du domaine déontologique, voirejuridique dans le cas du plagiat.

RAPPORT ANNUEL DE LA SECTION DE DROIT PUBLIC

DU COMITÉ NATIONAL DES UNIVERSITÉS (EXTRAITS)

Montpellier, le 1er octobre 2009.

5°) Exigences dĂ©ontologiquesLa Section est au regret de devoir mettre en garde trĂšs formellement lescandidats contre la pratique, de moins en moins exceptionnelle, consis-tant pour un auteur Ă  ne pas citer rigoureusement ses sources d’infor-mation ou d’inspiration, certaines omissions pouvant relever de procĂ©dĂ©s

Page 37: Manuels F(f)rancophones

37

non conformes Ă  la dĂ©ontologie universitaire. Quelquefois mĂȘme, ellea dĂ» dĂ©plorer des cas plus ou moins caractĂ©risĂ©s de plagiat, qui consisteĂ  recopier la lettre mĂȘme de ce qui a pu ĂȘtre Ă©crit antĂ©rieurement pard’autres auteurs, sans leur reconnaĂźtre, par des guillemets appropriĂ©s etpar une indication bibliographique convenable, la paternitĂ© des lignesen cause. Sans aller jusqu’à ce point, il arrive trop souvent que les au-teurs, tout en citant leurs sources, les recopient plus ou moins textuelle-ment, mais sans utiliser les guillemets ou en les utilisant de maniĂšreponctuelle et parcimonieuse ; dans d’autres cas, pour se justifier implicite-ment – mais maladroitement – de ne pas recourir Ă  cette conventiontypographique, ils s’appliquent Ă  ne modifier que quelques mots dansla phrase dont ils ne sont pas les auteurs rĂ©els, citant simplement, en notesde bas de page, le nom des auteurs dont ils reprennent les propos, maisaussi, quelquefois, en oubliant de le mentionner ou en ne le faisantqu’une seule fois, bien plus haut dans le texte, ou encore bien plus bas...Il est Ă  peine nĂ©cessaire de souligner que ces pratiques sont inadmis-sibles et indignes d’universitaires, tout en desservant trĂšs fortement ceuxqui s’y livrent...

Mais c’est de l’éthique de la recherche que nous voudrions parler pluslonguement ici. Plusieurs Ă©lĂ©ments participent, Ă  des degrĂ©s divers, Ă  la dĂ©fi-nition des comportements qui sont jugĂ©s acceptables dans l’univers doctoral.

SECTION 1.Les relations entre le directeur de recherche

et le doctorant

Voici une question dĂ©licate, qui s’inscrit dans un processus nouveau,dynamique, de professionnalisation1. L’expĂ©rience montre qu’aucune direc-tion ne ressemble aux autres, car les sujets et les personnalitĂ©s des Ă©tudiantssont singuliers. La dimension psychologique des relations n’est pas nĂ©gligeableet des dĂ©bordements, de part et d’autre, peuvent se produire. Lorsqu’une

_________________________1. Deux principes fondamentaux sont aujourd’hui reconnus dans la rĂ©glementation concernant

le doctorat : 1. le doctorat est une activitĂ© professionnelle ; 2. le doctorat doit permettre Ă  sontitulaire d’exercer de nombreux mĂ©tiers Ă  haute valeur ajoutĂ©e. ConsĂ©quence de ces principesfondamentaux, le doctorat s’inscrivant dans des enjeux qui dĂ©passent le simple couple doc-torant/encadrant, l’organisation du doctorat dans la pratique doit ĂȘtre rĂ©gulĂ©e, et la chartedes thĂšses est ici le document de rĂ©fĂ©rence : Voir ConfĂ©dĂ©ration des Jeunes Chercheurs, Rap-port sur l’évaluation des chartes des thĂšses des universitĂ©s françaises, Juin 2009.

Page 38: Manuels F(f)rancophones

38

dissension survient, c’est Ă  l’étudiant d’expliquer et de justifier ses positions.L’enseignant-chercheur est dans une situation qui est objectivement plus favo-rable que celle de l’étudiant doctoral. Le premier fait partie d’un corps quiaura tendance, par un rĂ©flexe corporatiste, Ă  le dĂ©fendre. Puis, il peut invo-quer le fameux principe d’indĂ©pendance des professeurs d’universitĂ© quis’entend de façon large2. Enfin, il n’est pas toujours aisĂ© d’établir des manque-ments rĂ©els, au-delĂ  de la qualification juridique, aux devoirs d’encadrement.

Depuis quelques annĂ©es, la jurisprudence administrative s’est consolidĂ©esur un terrain nouveau : celui des relations de direction de thĂšse portĂ©es enjustice. Ainsi, un candidat mĂ©content envers le ComitĂ© national des univer-sitĂ©s a plaidĂ© qu’il n’avait pas bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un « encadrement doctoral dignede ce nom » et le juge s’est interrogĂ© sur l’existence d’une prĂ©tendue « fautede service dans l’encadrement de sa thĂšse » (Cour administrative d’appel,Marseille, 3 juillet 2008, n° 06MA01036). Il arrive que de telles plaintes soientjugĂ©es en faveur de l’étudiant. Ainsi, lors d’une affaire oĂč la thĂšse prĂȘte Ă  ĂȘtresoutenue en 1998 donna lieu Ă  un report non expliquĂ©. Le juge a estimĂ© quece report reposait sur des « considĂ©rations Ă©trangĂšres Ă  l’apprĂ©ciation objec-tive que la directrice Ă©tait en droit de porter sur la valeur du travail ». Il a retenula faute de nature Ă  engager la responsabilitĂ© de l’universitĂ© (Cour adminis-trative d’appel, Versailles, 18 octobre 2007, n° 05VE00800). Évidemment, detels cas extrĂȘmes, rarissimes au demeurant, doivent absolument ĂȘtre Ă©vitĂ©s.Des mĂ©canismes sont mis en Ɠuvre pour les prĂ©venir. La vocation de la chartedes thĂšses est prĂ©cisĂ©ment de dĂ©finir a priori les obligations respectives desuns et des autres. Et puis, des pratiques d’examen collectif sont mises en placedans les laboratoires de recherche et dans les Ă©coles doctorales, pour Ă©viterque le vis-Ă -vis, parfois trop personnalisĂ©, ne dĂ©bouche sur des mĂ©sententesdouloureuses.

Chacun doit prendre en compte l’état d’esprit de l’autre : le directeur dethĂšse se met Ă  la place du thĂ©sard pour lequel la rĂ©daction de la thĂšse devientune quasi-obsession pour des longues annĂ©es, la crainte d’une erreur qui pour-rait tout compromettre le poursuivant sans cesse, et sans lui donner ce con-fort de s’imaginer que l’on ne s’en prĂ©occupe pas autant que lui ; le thĂ©sardprend en compte le fait qu’il n’est pas le seul solliciteur d’attention auprĂšsde son directeur de thĂšse et qu’il est d’autres candidats dont il doit encadrerle travail mĂȘme si une rĂ©glementation relativement rĂ©cente limite le nombre

_________________________2. « le principe d’indĂ©pendance des professeurs de l’enseignement supĂ©rieur fait obstacle Ă 

ce que le juge se prononce sur les apprĂ©ciations pĂ©dagogiques portĂ©es par un professeurde l’enseignement supĂ©rieur, directeur de thĂšse, sur la qualitĂ© du travail de son doctorant » :Cour administrative d’appel, Versailles, 18 octobre 2007, n° 05VE00800.

Page 39: Manuels F(f)rancophones

39

d’inscriptions que chaque professeur peut accepter. En outre, un rapport tropfusionnel, voire affectif sur le plan intellectuel ne constitue pas forcĂ©ment labonne situation. Enfin, le directeur de thĂšse trouvera parfois une justificationa posteriori d’un suivi mesurĂ© dans la forte proportion de docteurs qui se sontmontrĂ©s extrĂȘmement pressants et prĂ©sents en phase d’élaboration de la thĂšseet qui ne donnent plus aucun signe de vie, si fugace soit-il, une fois le titredĂ©livrĂ© et la nomination ou la promotion escomptĂ©e obtenue.

CHARTE DES THÈSES, UNIVERSITÉ DE LA RÉUNION, 2 JUIN 2009 (EXTRAITS)

2 – Sujet et faisabilitĂ© de la thĂšseL’inscription en thĂšse prĂ©cise le sujet, le contexte de la thĂšse et l’unitĂ©d’accueil. Le sujet de thĂšse conduit Ă  la rĂ©alisation d’un travail Ă  la foisoriginal et formateur, dont la faisabilitĂ© s’inscrit dans le dĂ©lai prĂ©vu. Lechoix du sujet de thĂšse repose sur l’accord entre le doctorant et le di-recteur de thĂšse, formalisĂ© au moment de l’inscription. Le directeur dethĂšse doit aider le doctorant Ă  en dĂ©gager le caractĂšre novateur dansle contexte scientifique et s’assurer de son actualitĂ©. Le directeur de thĂšse,en collaboration avec le doctorant, dĂ©finit et rassemble les moyens Ă mettre en Ɠuvre pour permettre la rĂ©alisation du travail (
). Le doc-torant s’engage sur un temps et un rythme de travail. Il a vis-Ă -vis deson directeur de thĂšse un devoir d’information quant aux difficultĂ©s ren-contrĂ©es et Ă  l’avancement de sa thĂšse. Il doit faire preuve d’initiativedans la conduite de sa recherche dont il est le responsable.

3 – Encadrement et suivi de la thĂšseLe futur doctorant doit ĂȘtre informĂ© du nombre de thĂšses en cours quisont dirigĂ©es par le directeur qu’il pressent. En effet, un directeur de thĂšsene peut encadrer efficacement, en parallĂšle, qu’un nombre limitĂ© de doc-torants, s’il veut pouvoir suivre leur travail avec toute l’attention nĂ©ces-saire. Le doctorant a droit Ă  un encadrement personnel de la part de sondirecteur de thĂšse, qui s’engage Ă  lui consacrer une part significativede son temps. Il est nĂ©cessaire que le principe de rencontres rĂ©guliĂšreset frĂ©quentes soit arrĂȘtĂ© lors de l’accord initial. Le doctorant s’engageĂ  remettre Ă  son directeur autant de notes d’étape qu’en requiert sonsujet et, le cas Ă©chĂ©ant, Ă  prĂ©senter ses travaux dans les sĂ©minaires dulaboratoire. Le directeur de thĂšse s’engage Ă  suivre rĂ©guliĂšrement la pro-gression du travail et Ă  dĂ©battre des orientations nouvelles qu’il pour-ra prendre au vu des rĂ©sultats dĂ©jĂ  acquis. Il a le devoir d’informer ledoctorant des apprĂ©ciations positives ou des objections et des critiquesque son travail peut susciter.

Page 40: Manuels F(f)rancophones

40

Le Conseil d’État retient la valeur non contractuelle de la charte, ce qui n’en-traĂźne pas son absence de portĂ©e juridique. Ainsi, il a estimĂ© que les procĂ©-dures de mĂ©diation de la charte habilitent le prĂ©sident de l’universitĂ© Ă dĂ©signer un nouveau directeur de thĂšse (Conseil d’État, Paris, 21 dĂ©cembre2001, n° 220997). Au-delĂ  des aspects juridiques, la bonne relation de direc-tion est celle qui, au rythme propre du doctorant, fait progresser celui-ci dansun esprit de tolĂ©rance et d’objectivitĂ© vers le stade final de la soutenance. Tropde docteurs dans les diverses branches des sciences sociales ont gardĂ© lamĂ©moire de rapports de forte confiance et mĂȘme d’amitiĂ© avec leur directeurde thĂšse – une relation quasi-ensoleillĂ©e qui a compensĂ© ce que le travail derecherche et de rĂ©daction a nĂ©cessairement de revĂȘche – pour que l’on ne sou-haite pas que ce soit ce genre de relations qui devinssent la rĂšgle plutĂŽt queles Ă©changes fondĂ©s sur l’appel Ă  l’intervention des tribunaux. Il va de soi quel’étudiant est « propriĂ©taire » de son travail, dans le cadre du laboratoire quil’a accueilli.

SECTION 2.Le gel d’un sujet de thĂšse et la durĂ©e idoine

de la recherche doctorale

Lorsqu’un sujet de thĂšse est choisi par un Ă©tudiant, il impose Ă  son « dĂ©-tenteur » d’en faire la dĂ©claration au fichier national des thĂšses. Cette dĂ©cla-ration simple a pour effet de rendre publics, par les moyens informatiques,le titre du sujet, l’universitĂ© d’inscription et le nom du doctorant. Il arrive par-fois que le doctorant soit confrontĂ© Ă  de comprĂ©hensibles difficultĂ©s, d’ordrematĂ©riel, de santĂ© et de rĂ©alisation et qu’un laps de temps plus ou moins longs’écoule sans que la recherche n’avance, soit plusieurs annĂ©es. De ce fait, lesujet se trouve dans une situation d’entre-deux due Ă  une forme d’indĂ©cision :il s’agit du gel du sujet, rendu public mais insuffisamment travaillĂ©. Cette situa-tion est prĂ©judiciable Ă  l’égard de candidats Ă©ventuels qui voudraient traiterce sujet. RĂ©glementairement, rien ne s’oppose Ă  ce que des sujets proches soientdĂ©posĂ©s et travaillĂ©s en mĂȘme temps, mĂȘme si des difficultĂ©s de concurrencedĂ©placĂ©e peuvent s’ensuivre. Surtout, le gel est prĂ©judiciable au prĂ©tendu doc-torant. La situation de gel doit contraindre le « dĂ©tenteur » du sujet Ă  se dĂ©ter-miner : soit l’abandon, soit l’engagement de poursuivre Ă  son terme untravail commencĂ©. Formellement, l’abandon se traduit par une non-rĂ©inscrip-tion annuelle. Elle passe aussi, mais plus rarement dans la pratique, par unedĂ©claration d’abandon.

Page 41: Manuels F(f)rancophones

41

L’observation empirique nous montre que les thĂšses en droit prennent sou-vent plus de temps que les thĂšses scientifiques. Le dĂ©lai Ă©norme de cinq annĂ©esy est frĂ©quent ! L’ambition politique contemporaine est de mettre fin aux situa-tions souvent inextricables de thĂšses « qui n’en finissent pas ». L’idĂ©al d’unethĂšse financiĂšrement aidĂ©e, rĂ©servĂ©e aux meilleurs Ă©tudiants, pour trois ansest affichĂ©. La rĂ©alitĂ© actuelle reste encore en deçà de cette dĂ©claration volon-tariste. Mais il est vrai qu’il faut savoir clĂŽturer une thĂšse et rĂ©pondre, aussi,aux exigences scientifiques du sujet, du directeur de recherche. Pour contour-ner les obstacles des dĂ©lais dĂ©passĂ©s, du gel du sujet, il arrive que certainsdoctorants choisissent de ne pas se rĂ©inscrire, mĂȘme si l’intention de pour-suivre ou d’abandonner n’est pas claire dans leur esprit. Leur radiation estcensĂ©e s’ensuivre. Mais il s’agit parfois d’une radiation fictive, car le docto-rant s’inscrit Ă  nouveau, en une seconde annĂ©e 1, avec un sujet semblable. Cetabandon provisoire permet, en toute lĂ©galitĂ©, d’atteindre l’objectif final.

SECTION 3.Le plagiat et ses conséquences

La tentation est grande, dans les disciplines juridiques, de recourir au co-pier-coller, qui prĂ©sente l’avantage apparent de gagner du temps. Les res-sources infinies offertes par l’Internet ont, en effet, considĂ©rablement affectĂ©la façon dont on rĂ©dige sa thĂšse. Ce « copier-coller » est, Ă©videmment, parfaite-ment contraire Ă  l’exigence scientifique et Ă  une dĂ©marche de rigueur. En unmot, inacceptable. L’UniversitĂ© royale de droit et d’économie de PhnomPenh (Cambodge) Ă©prouve d’ailleurs le besoin de faire signer au chercheurun engagement Ă©crit de non-plagiat avant d’entreprendre une recherche. LadifficultĂ© se situe au niveau de la preuve du plagiat, qui est pourtant de plusen plus facilitĂ©e par certains logiciels. La preuve Ă©tablie place, ensuite, lacommunautĂ© universitaire devant une difficultĂ© fondamentale : comment sanc-tionner de façon juste ce comportement ? À nos yeux, la plus grande sĂ©vĂ©ritĂ©doit ĂȘtre de mise dans cette situation. L’affaire suivante en tĂ©moigne. Ellemontre le cas de deux thĂšses successives portant sur un sujet semblable. L’attri-bution de la qualification Ă  la seconde thĂšse a conduit le ComitĂ© national desuniversitĂ©s Ă  en retirer le bĂ©nĂ©fice l’annĂ©e suivante. Autant dire, la ruine d’unecarriĂšre universitaire !

Page 42: Manuels F(f)rancophones

42

CONSEIL D’ÉTAT, PARIS, 23 FÉVRIER 2009, N° 310277

ConsidĂ©rant que le 5 fĂ©vrier 2006, la section n° 2 du Conseil nationaldes universitĂ©s (CNU) a inscrit Mme A–B sur la liste de qualification auxfonctions de maĂźtre de confĂ©rences en prenant notamment en considĂ©-ration sa thĂšse soutenue en 2005, intitulĂ©e : La sĂ©curitĂ© sanitaire des ali-ments en droit international et communautaire. Rapports croisĂ©s et perspectivesd’harmonisation ; que, par la dĂ©libĂ©ration du 5 septembre 2007 dont MmeA–B demande l’annulation, la mĂȘme section a prononcĂ© le retrait de cetteinscription au motif qu’elle aurait Ă©tĂ© obtenue par fraude, cette thĂšse com-portant, sans les citations appropriĂ©es, des emprunts nombreux etmanifestes Ă  la thĂšse de Mme C publiĂ©e en 2002 sous le titre : Principede prĂ©caution et risque sanitaire. Recherche sur l’encadrement juridique de l’in-certitude scientifique ; (
) que le travail reprend dans plusieurs de sesparties la mĂȘme structure formelle, rend compte dans des termes trĂšssemblables des objectifs recherchĂ©s par la rĂ©glementation et la jurispru-dence et de leur Ă©volution et comprend de nombreux et importants para-graphes exposant les propres rĂ©flexions de l’auteur qui sont rĂ©digĂ©sdans le mĂȘme ordre et avec les mĂȘmes termes que ceux contenus dansla thĂšse de Mme C, sans faire apparaĂźtre qu’il s’agit de citations ; qu’ain-si, Mme A–B n’est pas fondĂ©e Ă  soutenir que c’est Ă  tort que le CNU aretenu Ă  son encontre une fraude consistant Ă  prĂ©senter des travaux quiĂ©taient en rĂ©alitĂ© pour partie ceux d’un autre chercheur ; ConsidĂ©rantqu’il rĂ©sulte de ce qui prĂ©cĂšde que Mme A–B n’est pas fondĂ©e Ă demander l’annulation de la dĂ©cision du 5 septembre 2007 par la-quelle le CNU a prononcĂ© le retrait de son inscription sur la liste de quali-fication aux fonctions de maĂźtre de confĂ©rences etc.

Page 43: Manuels F(f)rancophones

43

CHAPITRE III.

Le dialogue des disciplines

Les prĂ©ceptes et principes pratiques qui viennent d’ĂȘtre mentionnĂ©svalent dans tous les domaines, pour chacune des phases du travail de re-cherche : exploration, documentation, rĂ©flexion et rĂ©daction. NĂ©anmoins, ilexiste une mĂ©thodologie particuliĂšre Ă  chaque discipline. Les disciplines quisont prĂ©sentĂ©es dans ce manuel peuvent paraĂźtre, au premier regard, voisineset mĂȘme confondues : « droit international public », « Relations Internatio-nales » et « GĂ©opolitique ». MalgrĂ© leur proximitĂ© – qui tient bien sĂ»r Ă  leurintĂ©rĂȘt pour « l’international » – elles font rĂ©fĂ©rence Ă  des concepts spĂ©cifiqueset utilisent des mĂ©thodes sensiblement diffĂ©rentes pour observer et rendrecompte des faits qu’elles Ă©tudient. Elles ont donc un point de vue diffĂ©rent– ou une perspective particuliĂšre – sur les objets de connaissance.

SECTION 1.Trois disciplines voisines


A – LE DROIT INTERNATIONAL

Le droit international se dĂ©finit comme le droit applicable Ă  la sociĂ©tĂ© inter-nationale, c’est-Ă -dire un ensemble de rĂšgles et d’institutions destinĂ©es Ă  rĂ©girles relations internationales ; Ă  la diffĂ©rence du droit international privĂ© quiconcerne les rapports entre personnes privĂ©es, le droit international publicne s’applique en principe qu’aux entitĂ©s « publiques » que sont les États etles organisations internationales.

L’expression « droit international » est ambivalente, car elle dĂ©signe nonseulement un ensemble de rĂšgles et d’institutions, mais aussi la science de cecorps de rĂšgles et d’institutions, la discipline qui les Ă©tudie : le droit interna-tional Ă©tudie des normes en termes d’obligation et de sanction, ou en termesd’effectivitĂ© (qui permet de distinguer le caractĂšre dĂ©claratoire ou contraignantd’une norme) ; il Ă©tudie les institutions ou les situations de fait en utilisantdes concepts juridiques connus et dĂ©finis avec prĂ©cision : source, sujet, objet,attribution, compĂ©tence ou contrĂŽle
 Sa mĂ©thode est juridique : elle consisteen une analyse du systĂšme normatif et institutionnel souvent conçu comme

Page 44: Manuels F(f)rancophones

44

un « ordre » (et donc une analyse de l’articulation entre ordres national et inter-national) et une interprĂ©tation du contenu des normes et du pouvoir des insti-tutions. L’analyse juridique dĂ©bouche quelquefois sur une description du rĂ©el,afin d’en amĂ©liorer la connaissance (le droit comme une science), mais ellevise le plus souvent Ă  fonder une opinion consultative ou prescriptive (le droitcomme un art) ; mais, dans les deux cas, elle suppose l’apprentissage d’unecertaine logique formelle et d’une technique Ă©galement formalisĂ©e, dont lamaĂźtrise est indispensable (le droit comme discipline).

Le droit est d’abord une technique de rĂ©gulation sociale, formalisĂ©e pourdes raisons de fiabilitĂ© et de sĂ©curitĂ© : cette dĂ©finition est vraie de tous les sys-tĂšmes juridiques. Cependant, par rapport aux autres domaines du droit, ledroit international prĂ©sente des caractĂšres propres. Il y a une triple source deces particularitĂ©s du droit international.

D’abord, la sociĂ©tĂ© internationale Ă  laquelle il s’applique prĂ©sente la parti-cularitĂ© d’ĂȘtre un systĂšme juridique anarchique : elle ignore le phĂ©nomĂšnedu pouvoir lĂ©gal grĂące auquel, dans l’ordre interne, l’État produit des normesopposables Ă  une collectivitĂ©, au nom de la supĂ©rioritĂ© de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral –qu’il prĂ©tend reprĂ©senter – par rapport Ă  la multitude des intĂ©rĂȘts particuliers.En droit international, il n’y a pas de « super-État » pour reprĂ©senter l’intĂ©rĂȘtgĂ©nĂ©ral d’une « communautĂ© internationale » plus ou moins mythique, nide « loi » internationale pour encadrer les actes des États. En fait, le systĂšmeinternational est Ă  la fois lĂ©galement organisĂ© et anarchique : organisĂ© selonun mode lĂ©gal puisque le comportement des États obĂ©it Ă  des rĂšgles qui ledĂ©terminent au moins partiellement ; anarchique, en raison de l’absence d’unjuge international obligatoire, mais aussi parce que ces États, Ă©gaux et sou-verains, ne tolĂšrent ce mode lĂ©gal qu’à condition qu’aucun d’eux ne se voieopposer un Ă©lĂ©ment quelconque du systĂšme juridique international s’il n’apas consenti Ă  la production de ses effets. Pour ces raisons, certains ont la tenta-tion de dĂ©nier la qualitĂ© de droit au droit international, car les rĂšgles interna-tionales seraient dĂ©pourvues de tout fondement obligatoire et seraient detoutes façons privĂ©es de sanction1. Cette nĂ©gation du droit international mĂ©-connaĂźt l’évolution considĂ©rable qu’il a connue rĂ©cemment, marquĂ©e notam-ment par la rĂ©activation du chapitre VII de la Charte des Nations unies(pouvoirs du Conseil de sĂ©curitĂ© en cas de rupture de la paix), la crĂ©ation des

_________________________1. Pour une rĂ©futation des arguments selon lesquels le droit international n’existe pas, voir

Prosper Weil, « Le droit international en quĂȘte de son identitĂ© », Recueil des cours de l’AcadĂ©miede droit international de La Haye, 1992, vol. 237, notamment la premiĂšre partie : pp. 41–82. Con-sulter Ă©galement Pierre-Marie Dupuy, « L’unitĂ© de l’ordre juridique international », Recueildes cours de l’AcadĂ©mie de droit international de La Haye, 2002, vol. 297, p. 25.

Page 45: Manuels F(f)rancophones

45

juridictions pĂ©nales internationales ou l’expansion du droit du commerce inter-national. Surtout, cette nĂ©gation, qui prend appui sur les caractĂ©ristiques dog-matiques des ordres juridiques internes, doit ĂȘtre replacĂ©e dans son justecontexte : le droit international n’est jamais, en raison de sa nature propre,rĂ©ductible Ă  un droit national. Dans cette perspective, les rapports de systĂšmeentre droit international et droits internes sont nĂ©cessairement caractĂ©risĂ©spar le dualisme, soit la sĂ©paration stricte.

DeuxiĂšmement, la spĂ©cificitĂ© du droit international est due Ă  la polyvalencedes traditions juridiques et culturelles dont cette technique tire ses origines :il s’agit surtout de celle de la « Common law » propre aux pays anglo–saxons,qui privilĂ©gie la procĂ©dure et le rĂŽle du juge, et de celle des droits « romano-germaniques » fondĂ©s moins sur le prĂ©cĂ©dent judiciaire que sur l’apport dulĂ©gislateur. Ces droits sont nĂ©s dans des contextes historiques, sociaux et cul-turels variĂ©s ; les rĂšgles qu’ils Ă©noncent sont donc diffĂ©rentes, et les solutionsqu’ils apportent aux problĂšmes juridiques sont bien spĂ©cifiques. De plus, lamultiplicitĂ© des droits ne tient pas seulement Ă  la variĂ©tĂ© des rĂšgles qu’ils com-portent : chaque droit constituant un systĂšme, il utilise un certain vocabulaire,et comporte l’emploi de certaines techniques et de certaines mĂ©thodes. Il estdonc liĂ© Ă  un univers culturel et idĂ©ologique qu’il reflĂšte. Or la traduction destermes et des expressions juridiques est en elle-mĂȘme une difficultĂ© pour quine maĂźtrise pas parfaitement les langues Ă©trangĂšres ; d’autant que les formulesemployĂ©es par les thĂ©oriciens et praticiens du droit sont souvent elliptiqueset ne rendent pas toujours compte de la rĂ©alitĂ©. Une autre difficultĂ© tient Ă  l’é-trangetĂ© de la pensĂ©e juridique lorsqu’elle relĂšve d’une aire culturelle trĂšsĂ©loignĂ©e ou diffĂ©rente de la sienne : car, comme nous l’avons dĂ©jĂ  dit, le droitest liĂ© Ă  une certaine conception de l’ordre social qui dĂ©termine ses fonctions.

Enfin, le droit international prĂ©sente des traits particulier car, plus encoreque les autres branches du droit, il est traversĂ© par des courants idĂ©ologiquesdivers, instrumentalisĂ© par des volontĂ©s politiques concurrentes et morcelĂ©par des stratĂ©gies normatives contradictoires. De ce point de vue, un problĂšmede mĂ©thode se pose trĂšs vite Ă  l’internationaliste dĂ©butant : quelle place faire,dans l’analyse d’une norme juridique, au contexte historique, politique,Ă©conomique et social ? Beaucoup de juristes ont choisi de se cantonner dansla seule analyse des aspects formels du phĂ©nomĂšne juridique, convaincus quetel est le rĂŽle du juriste et que cette dĂ©marche « positiviste » leur permet deprĂ©server leur neutralitĂ©. Ils oublient cependant les fondements philoso-phiques et les prolongements pratiques du mouvement auquel ils se rat-tachent : en particulier, l’idĂ©e selon laquelle la validitĂ© formelle d’un actejuridique lui confĂšrerait sa valeur positive ; en d’autres termes, ce qui est Ă©tablipar l’État, Ă©tant lĂ©gal, serait nĂ©cessairement lĂ©gitime en soi : cette affirmation

Page 46: Manuels F(f)rancophones

46

est loin d’ĂȘtre neutre puisqu’elle fait de l’État l’auteur et l’ordonnateurexclusif de l’ordre juridique international en excluant les entitĂ©s non pourvuesde personnalitĂ© juridique internationale ; puisqu’elle n’envisage que lesactes qui procĂšdent du mĂȘme auteur Ă©tatique (le traitĂ©, secondairement la cou-tume et les principes gĂ©nĂ©raux du droit) ; puisque, enfin, elle justifie l’anar-chie de l’ordre juridique international car, en dehors de la volontĂ© de l’État,il n’y aurait pas de droit. Le clivage ainsi prĂ©sentĂ© oppose le positivisme ju-ridique au jusnaturalisme qui postule l’existence d’une loi naturelle su-pĂ©rieure au droit positif et Ă  laquelle ce dernier doit ĂȘtre conforme puisqu’elleserait la manifestation de la justice. Certes, le positivisme ne peut ĂȘtre rejetĂ©avec trop de lĂ©gĂšretĂ© : il faut nĂ©cessairement distinguer le droit tel qu’il est(droit positif) du droit tel qu’il devrait ĂȘtre (morale) ; il faut Ă©galement pro-cĂ©der Ă  une analyse technique et formelle d’une norme ou d’un phĂ©nomĂšnejuridique puisqu’en effet le droit est une discipline technique. Mais c’est unediscipline au service d’un projet politique et/ou social. Elle doit doncprendre en compte la diversitĂ© des Ă©lĂ©ments permettant d’expliquer les Ă©vo-lutions de l’ordre juridique, qui traduit Ă©videment les Ă©volutions de la sociĂ©tĂ©qu’il est appelĂ© Ă  rĂ©guler.

Mais il y a d’autres clivages encore plus spĂ©cifiques au droit internatio-nal. L’un des plus fondamentaux est celui opposant le volontarisme et l’ob-jectivisme. Le volontarisme est une doctrine construite sur l’idĂ©e que le droitinternational est fondĂ© sur la volontĂ© des États2 ; le droit international seraitdonc un ordre juridique de type contractuel, fondĂ© sur l’égalitĂ© souverainede tous les États. Selon les tenants de l’objectivisme, le droit est au contrairefondĂ© sur les nĂ©cessitĂ©s sociales et il doit son contenu et son caractĂšre obli-gatoire Ă  celles-ci3. Ce ne serait donc pas la volontĂ© des États mais les nĂ©-cessitĂ©s et les diffĂ©rents types de solidaritĂ© sociale qui provoqueraient – etjustifieraient – la crĂ©ation du droit international ; ce dernier s’imposerait alorsmĂȘme aux États qui le refusent. Ces deux courants, fondamentaux pourcomprendre la thĂ©orie du droit international, ont de multiples significa-tions. Le courant objectiviste, qui s’inscrit dans le devenir contemporain dudroit international, veut dire que le droit prĂ©existe Ă  la loi internationale posi-tive. Surtout, il facilite l’apparition de valeurs communes, sous-tendant unecommunautĂ© internationale virtuelle, crĂ©ant une tension Ă  laquelle le volon-tarisme dominant se heurte. En revanche, ce dernier pose que la loi interna-tionale forme et est Ă  la base du droit.

_________________________2. Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit international public, Paris, LGDJ, 1994, p. 98.

3. Ibid., p. 105.

Page 47: Manuels F(f)rancophones

47

Le chercheur en droit international ne peut Ă©luder ce clivage, car son choixde l’une des deux thĂ©ories induit des mĂ©thodes de recherche diffĂ©rentes : faceĂ  une situation ou un phĂ©nomĂšne donnĂ©s, l’approche volontariste privilĂ©giela volontĂ© des États concernĂ©s ; la source de rĂ©fĂ©rence sera le traitĂ© et, dansune moindre mesure, le droit dĂ©rivĂ© des organisations internationales (parcequ’elles sont inter-Ă©tatiques). L’approche objectiviste prendra Ă©galement encompte la volontĂ© des États, mais aussi les dĂ©terminants politiques et sociauxtels qu’ils sont exprimĂ©s dans la coutume ou les principes gĂ©nĂ©raux dudroit.

Un autre clivage important est celui opposant les approches rĂ©aliste et idĂ©a-liste : c’est un clivage Ă©galement prĂ©sent dans la thĂ©orie des Relations Interna-tionales. L’approche idĂ©aliste se caractĂ©rise par l’importance qu’elle accordeaux valeurs et aux normes pour expliquer les points de vue et les comporte-ments des acteurs internationaux : le droit international serait donc un facteurstructurant de la vie internationale, prenant une place toujours plus importante(compĂ©tences Ă©largies des institutions et organisations internationales, protec-tion plus grande des droits de l’homme sur le plan rĂ©gional et universel, pro-grĂšs de la justice internationale) au dĂ©triment de l’ancienne figure de l’État.Ce renforcement du rĂŽle du droit international serait de nature Ă  favoriserla paix et le dĂ©veloppement international. L’approche rĂ©aliste se garde biend’idĂ©aliser les valeurs et le droit, et privilĂ©gie, au contraire, une analyse dela rĂ©alitĂ© internationale fondĂ©e sur les faits, les intĂ©rĂȘts et les rapports de force.De ce point de vue, le droit international joue un rĂŽle marginal ; il est, plusprĂ©cisĂ©ment, un Ă©lĂ©ment – parmi d’autres – qu’utilisent les États pour faireavancer leurs intĂ©rĂȘts ; mais en l’absence d’un pouvoir international suscep-tible de sanctionner les manquements Ă  ses rĂšgles, ce droit international nedispose d’aucune autonomie par rapport aux États. « La paix par le droit »est donc une formule creuse qui cache mal la perpĂ©tuation des rapports depuissance.

Courant doctrinalDegrĂ© d’achĂšvement

juridique des relationsinternationales

Nature des normes

Doctrine volontariste Société internationaleDroits et obligations

subjectives

Doctrine objectivisteCommunautéinternationale

Jus cogens, obligationserga omnes

Page 48: Manuels F(f)rancophones

48

Bien d’autres choix thĂ©oriques et donc mĂ©thodologiques pourraient ĂȘtreexposĂ©s, mais ne le seront pas dans le cadre limitĂ© de cet ouvrage4. L’étudedu droit international peut donc suivre des orientations mĂ©thodologiques sen-siblement diffĂ©rentes selon la thĂ©orie privilĂ©giĂ©e. Mais il faut souligner que,sur le plan scientifique, aucune de ces thĂ©ories ne peut se prĂ©tendre supĂ©rieureaux autres : un chercheur ne peut donc pas ĂȘtre critiquĂ© pour ses choix, pourvuqu’ils soient explicitĂ©s et argumentĂ©s. D’autant que, d’une maniĂšre ou d’uneautre, toutes ces thĂ©ories considĂšrent que la connaissance des autres sciencessociales (sociologie, psychologie sociale, science politique, histoire) et notam-ment celles qui s’intĂ©ressent Ă  l’international (Relations Internationales,GĂ©opolitique) est indispensable5.

B – LES RELATIONS INTERNATIONALES

Le statut de la discipline des Relations Internationales et, par consĂ©quent,celui de sa mĂ©thodologie est beaucoup plus prĂ©caire que le statut du droit,voire du droit international. Certains auteurs contestent le caractĂšre discipli-naire des Relations Internationales, en les considĂ©rant comme un sous-do-maine de la science politique. Nous allons nĂ©anmoins nous situer du cĂŽtĂ© deceux pour lesquels les Relations Internationales sont une discipline de pleindroit, tout en Ă©tant conscient de ses faiblesses, dues Ă  sa nouveautĂ© (notonsque la premiĂšre chaire de Relations Internationales est fondĂ©e en 1919 Ă Aberystwith, ce qui rend la discipline assez rĂ©cente) et aux controverses per-manentes entre les thĂ©oriciens des diffĂ©rents paradigmes portant sur le but,l’objet et la mĂ©thode des Relations Internationales. En effet, il n’y a pas en-core de consensus parmi les thĂ©oriciens Ă  l’égard de ces aspects ; nous allonsdonc commencer par expliquer les points de vue des paradigmes les plus im-portants, ainsi que les dĂ©bats majeurs auxquels leurs thĂ©oriciens se livrent.

Faisons d’abord la distinction entre « Relations Internationales », avec ma-juscules, qui dĂ©signe la thĂ©orie, la discipline scientifique, et « relations interna-tionales », qui dĂ©signe simplement les relations entre les États. La distinctionest reprise de la littĂ©rature anglo-saxonne, oĂč c’est l’acronyme « IR » qui s’estconsolidĂ© comme dĂ©signant la thĂ©orie des Relations Internationales. C’est

_________________________4. Voir Olivier Corten, MĂ©thodologie du droit international public, Bruxelles, Éditions de l’ULB,

2009, premiĂšre partie, chapitre 1.

5. Sur tous ces points, voir l’introduction de Pierre-Marie Martin, Les Ă©checs du droit interna-tional, Paris, PUF, « Que sais-je ? », n° 3151 ; et celle de Jean Combacau, Le droit des traitĂ©s,PUF, « Que sais-je ? », n° 2613.

Page 49: Manuels F(f)rancophones

49

toujours la littĂ©rature anglo-saxonne qui a produit la plupart des thĂ©ories etdes dĂ©bats dans la discipline. Pour ce qui est de l’espace francophone, Ray-mond Aron est celui qui ouvre le dĂ©bat thĂ©orique, en fondant une praxĂ©olo-gie des relations internationales6 ; l’accompagnent aussi d’importantshistoriens des relations internationales, comme Pierre Renouvin7 ou PhilippeMoreau Defarges8. RĂ©cemment, une sorte de synthĂšse s’est opĂ©rĂ©e entre leslittĂ©ratures française et anglo–saxonne, comme en tĂ©moignent les Ă©crits deDario Battistella9 ou FrĂ©dĂ©ric Charillon10.

L’essence des relations internationales est fondĂ©e sur l’existence de rela-tions rĂ©guliĂšres entre des entitĂ©s titulaires de souverainetĂ© Ă©tatique11 et surla distinction entre un ordre interne Ă  l’État, hiĂ©rarchique et unitaire, et unordre international qui est anarchique sans ĂȘtre pourtant chaotique. Cetteapproche exclut de notre domaine d’étude les situations conflictuelles Ă  l’in-tĂ©rieur des États, comme, par exemple, la guerre civile. Cependant, l’évolu-tion politique des derniĂšres dĂ©cennies efface de plus en plus la distinction entre« interne » et « international », en raison de la permĂ©abilitĂ© croissante des fron-tiĂšres, du dĂ©clin de la capacitĂ© des États Ă  contrĂŽler les flux d’échanges quiles traversent, ainsi que de l’importance idĂ©ologique toujours plus grande don-nĂ©e Ă  la notion d’« ingĂ©rence humanitaire », censĂ©e permettre l’interventionde la communautĂ© internationale dans des situations de conflit interne pourprotĂ©ger les droits de l’homme. Le dĂ©bat sur le conflit entre la souverainetĂ©Ă©tatique et le droit d’ingĂ©rence humanitaire est un exemple qui illustre la ma-niĂšre dont les Relations Internationales et le droit international partagent, entant que disciplines, le mĂȘme champ d’étude. D’autres disciplines inter-viennent dans la rĂ©flexion du chercheur en Relations Internationales, tellesque l’histoire, la science politique ou la GĂ©opolitique.

Le premier problĂšme que doit rĂ©soudre l’étudiant qui Ă©crit une thĂšse enRelations Internationales est de choisir un paradigme pour situer son approchethĂ©orique. Le choix du paradigme n’est pas alĂ©atoire, car il repose sur des convic-tions ontologiques et Ă©pistĂ©mologiques. Puisque la discipline n’est pas encore

_________________________6. Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-LĂ©vy, 1962; « Qu’est-ce qu’une

thĂ©orie des Relations Internationales ? », in Revue Française de Sciences Politiques, vol. 17,n° 5, 1967, pp. 837–861.

7. Pierre Renouvin, Histoire des relations internationales, Paris, Hachette, 1954. 8. Philippe Moreau Defarges, Relations Internationales, Paris, Seuil, 2007.9. Dario Batistella, Théorie des Relations Internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.

10. Frédéric Charillon (dir.), Les Relations Internationales, Paris, La Documentation Française,2006.

11. Dario Batistella, op. cit., p. 23.

Page 50: Manuels F(f)rancophones

50

consolidĂ©e, les diffĂ©rents auteurs dĂ©battent encore des questions liĂ©es Ă  l’ob-jet de la discipline, Ă  la possibilitĂ© de forger une « grande thĂ©orie », et aux mĂ©-thodes, qualitatives ou quantitatives, qui doivent ĂȘtre utilisĂ©es pour mieuxcomprendre les relations internationales. La question ontologique porte surles acteurs que l’on considĂšre les plus significatifs dans les relations interna-tionales et leur identitĂ© (en rĂ©pondant Ă  la question : quelle est la rĂ©alitĂ© quel’on doit connaĂźtre ?), tandis que la question Ă©pistĂ©mologique porte sur la possi-bilitĂ© mĂȘme de la connaissance de cette rĂ©alitĂ© (comment peut-on connaĂźtreles relations internationales ?). Les thĂ©ories selon lesquelles la rĂ©alitĂ© est don-nĂ©e (et il revient au chercheur de l’investiguer par les moyens traditionnelsde la science positiviste) sont des thĂ©ories rationalistes, tandis que les thĂ©oriesqui soutiennent que les relations internationales, ainsi que les identitĂ©s et in-tĂ©rĂȘts Ă©tatiques sont socialement construits, et qu’il est impossible de faire unedistinction entre faits et valeurs – donc, qu’une connaissance objective desrelations internationales n’est pas envisageable –, sont des thĂ©ories rĂ©flexi-vistes12..

Le noyau de la discipline est reprĂ©sentĂ© par les thĂ©ories rationalistes ; lesthĂ©ories rĂ©flexivistes sont assez rĂ©centes. Datant des annĂ©es 1990, elles appa-raissent comme une rĂ©ponse Ă  l’échec des thĂ©ories existantes Ă  prĂ©dire la finde la guerre froide. Encore assez peu dĂ©veloppĂ©es, elles souffrent d’une ca-rence importante : l’impossibilitĂ© de proposer un modĂšle positif de recherchedes relations internationales. Elle ne font que contester les approches exis-tantes et dĂ©construire les modalitĂ©s d’exercice de la puissance. Pourtant,elles peuvent s’avĂ©rer prometteuses pour un monde dans lequel la globalisa-tion croissante renverse les paradigmes traditionnels de constitution des re-lations entre les acteurs internationaux.

Parmi les thĂ©ories rationalistes, le rĂ©alisme politique est de loin la thĂ©oriela plus influente dans l’histoire de la discipline. FondĂ© par E. H. Carr et HansMorgenthau dans la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle, le rĂ©alisme politique reposesur quelques assomptions fondamentales : les principaux acteurs des rela-tions internationales sont les États ; le systĂšme international est anarchiqueou, autrement dit, il n’y a pas d’autoritĂ© au-dessus de la souverainetĂ© Ă©tatique ;par consĂ©quent, les États sont Ă©gaux du point de vue lĂ©gal et conceptuel. Lebut premier de tout État est la survie et la maximisation de la puissance. Danstoute circonstance, les actions des États vont ĂȘtre dictĂ©es par l’intĂ©rĂȘt natio-nal dĂ©fini en termes de puissance, en dehors des contraintes de la morale ou

_________________________12. Cette distinction qui fait école a été avancée pour la premiÚre fois par Robert Keohane,

« International Institutions: Two Approaches », in International Studies Quarterly, Vol. 32,n° 4, 1988, pp. 379–396.

Page 51: Manuels F(f)rancophones

51

du droit. Le rĂ©alisme politique conteste la pertinence du droit international,dont le respect ne peut ĂȘtre garanti par aucune autoritĂ© capable d’imposerdes sanctions : c’est le corollaire de l’anarchie internationale. Lorsque la coo-pĂ©ration entre les États existe, elle est justifiĂ©e uniquement par des intĂ©rĂȘtspartagĂ©s, comme dans le cas des alliances militaires. La coopĂ©ration est tou-jours un jeu Ă  somme nulle, car un État peut gagner uniquement aux dĂ©pensdes autres. Le rĂ©alisme n’accorde aucune crĂ©dibilitĂ© aux institutions internatio-nales, qui ne seraient que la transposition de la distribution de la puissancedans le systĂšme13. Dans cette logique, ce sont les États les plus puissants quiutilisent les institutions pour faire prĂ©valoir leurs intĂ©rĂȘts.

Cette approche a Ă©tĂ© contestĂ©e par le paradigme libĂ©ral, qui part de l’idĂ©eque l’état naturel du systĂšme international n’est pas la guerre, comme lepensent les rĂ©alistes, mais que l’intĂ©rĂȘt primordial des États est la paix, qui leurpermet le dĂ©veloppement et la prospĂ©ritĂ© Ă©conomique. Car pour les libĂ©raux,l’intĂ©rĂȘt vital des États n’est pas la maximisation de la puissance, mais de laprospĂ©ritĂ©. Les États ont une tendance naturelle Ă  coopĂ©rer afin d’obtenir desbĂ©nĂ©fices, sans se soucier de savoir si les autres États gagnent davantagegrĂące Ă  la coopĂ©ration. Les institutions ont un rĂŽle essentiel dans la structura-tion du systĂšme international, en rendant plus facile cette coopĂ©ration et enempĂȘchant l’apparition des guerres. Il est quatre modifications que les insti-tutions opĂšrent dans l’environnement international : elles permettent une pro-jection de la coopĂ©ration dans l’avenir, en limitant le risque de dĂ©fection ; ellesfacilitent des nĂ©gociations dans lesquelles les problĂ©matiques sont liĂ©es (issue-linkage) ; elles augmentent le niveau d’information qui existe dans le systĂšme(ainsi, l’incertitude sur les intentions des autres est limitĂ©e) ; finalement, ellesrĂ©duisent les coĂ»ts de transaction14. Pour les libĂ©raux, les institutions de-viennent des acteurs de plein droit dans les relations internationales (Ă  la dif-fĂ©rence du rĂ©alisme, qui ne considĂšre que les États comme acteurs pertinents).

Un dernier paradigme que nous devons rappeler ici est le constructi-visme, apparu au dĂ©but des annĂ©es 1990 Ă  la faveur de l’enthousiasme sus-citĂ© par la fin de la guerre froide. Le constructivisme se prĂ©sente comme unpont entre les thĂ©ories rationalistes, telles que le rĂ©alisme et le libĂ©ralisme, etles thĂ©ories rĂ©flexivistes, telles que la thĂ©orie critique, le marxisme ou le post-modernisme. Du rationalisme, le constructivisme reprend l’épistĂ©mologie posi-tiviste, c’est-Ă -dire la conviction que la rĂ©alitĂ© sociale peut ĂȘtre connue avecles moyens de la science. Mais, Ă  la diffĂ©rence des rationalistes, l’ontologie_________________________13. John Mearsheimer, « The False Promise of International Institutions », in International Secu-

rity, Vol. 19, n° 3, 1994–1995, pp. 5–49.

14. Ibid.

Page 52: Manuels F(f)rancophones

52

des constructivistes part de l’idĂ©e que la rĂ©alitĂ© n’est pas donnĂ©e une fois pourtoutes, attendant seulement Ă  ĂȘtre dĂ©couverte ; elle est dans un processus per-manent de construction et re-construction Ă  travers l’intersubjectivitĂ©. PlusprĂ©cisĂ©ment, en ce qui concerne le systĂšme des États, ceux-ci n’ont pas d’in-tĂ©rĂȘts et d’identitĂ©s Ă©tablies une fois pour toutes ; leurs intĂ©rĂȘts et identitĂ©schangent en fonction des perceptions qu’ils ont des autres États. Toute rĂ©a-litĂ© est construction sociale ; par consĂ©quent, si l’anarchie internationaleexiste, elle existe parce que les États croient qu’elle existe15. Dans cette approche,le rĂŽle des perceptions des États, des normes et valeurs partagĂ©es, des idĂ©esqui circulent au niveau international est essentiel pour la construction des iden-titĂ©s et des intĂ©rĂȘts des États.

Ces trois paradigmes constituent « le courant principal » des Relations In-ternationales. Quant aux autres – les thĂ©ories rĂ©flexivistes ou post-positi-vistes –, elles n’ont pas encore rĂ©ussi Ă  proposer de modĂšles cohĂ©rents derecherche, en se maintenant plutĂŽt Ă  un niveau mĂ©tathĂ©orique de rĂ©flexion.C’est pourquoi le chercheur dĂ©butant en Relations Internationales aura du malĂ  appliquer l’une ou l’autre de ces thĂ©ories – qu’il s’agisse de la thĂ©orie critique,du post-modernisme ou mĂȘme du fĂ©minisme – Ă  des Ă©tudes de cas prĂ©cis.

On peut Ă©galement dĂ©crire l’histoire de la discipline des Relations Interna-tionales sous l’angle des quatre grands dĂ©bats qui ont divisĂ© les thĂ©oriciens.Le premier dĂ©bat sĂ©pare les idĂ©alistes des rĂ©alistes ; il a lieu avant la DeuxiĂšmeGuerre mondiale, et se structure autour de la question : quel est le but d’unescience des relations internationales ? Pour les idĂ©alistes, la rĂ©ponse est nor-mative : le but est d’empĂȘcher la guerre et crĂ©er un monde de la paix. Pourles rĂ©alistes, il ne s’agit que d’une tentative de comprendre et dĂ©crire une rĂ©a-litĂ© permanente : l’état conflictuel des États dans un systĂšme international anar-chique.

Le deuxiĂšme grand dĂ©bat est stimulĂ© par l’essor du bĂ©haviorisme dansles sciences sociales aux annĂ©es 1950–60 et porte sur les mĂ©thodes les plusappropriĂ©es pour l’étude des relations internationales. Ce dĂ©bat oppose,d’une part, les adeptes des nouvelles mĂ©thodes mathĂ©matiques appliquĂ©esaux sciences de l’homme, et de l’autre part ceux qui croient que l’approchebĂ©havioriste ne fait que compliquer la tentative de comprĂ©hension d’une rĂ©ali-tĂ© mieux apprĂ©hendĂ©e par les mĂ©thodes traditionnelles des disciplinescomme l’histoire, la philosophie ou le droit.

Le troisiĂšme dĂ©bat survient dans les annĂ©es 1970 et concerne l’objet de ladiscipline des Relations Internationales. Les rĂ©alistes se focalisent uniquement_________________________15. Alexander Wendt, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge Universi-

ty Press, 1999.

Page 53: Manuels F(f)rancophones

53

sur les relations entre les États souverains, tandis que les marxistes et les trans-nationalistes soutiennent qu’il faut Ă©tudier les relations entre tous les typesd’acteurs, et notamment entre les classes sociales.

Le dernier grand dĂ©bat, qui a lieu durant les annĂ©es 1990 autour de la ques-tion « Comment peut-on Ă©tudier les relations internationales ? », oppose lesrationalistes et les post-positivistes, qui sont tentĂ©s de rĂ©pondre qu’une vraiescience des Relations Internationales n’est pas possible16.

Le chercheur en Relations Internationales doit donc commencer sa dĂ©-marche en se situant par rapport Ă  ces paradigmes et ces dĂ©bats. Cette clarifi-cation thĂ©orique lui permettra d’éviter l’éclectisme et d’avoir une approchecohĂ©rente de son objet d’étude17.

C – LA GÉOPOLITIQUE

Il convient de ne pas confondre la « gĂ©opolitique » avec la « gĂ©ographiepolitique » imaginĂ©e par l’Allemand Friedrich Ratzel, en 1897 : la gĂ©ographiepolitique a pour objectif majeur d’analyser les interactions entre le pouvoirpolitique et ses structures, d’une part, l’espace stricto sensu d’autre part. Elles’intĂ©resse en prioritĂ© aux États pour s’efforcer de dĂ©finir comment les condi-tions gĂ©ographiques influencent les relations internationales. À la diffĂ©rencede la gĂ©ographie politique qui dĂ©crit donc l’organisation du monde divisĂ© enÉtats, Ă  un moment donnĂ©, la GĂ©opolitique tente de relier entre eux les princi-paux facteurs dynamiques rendant compte de ladite organisation pour abou-tir Ă  la synthĂšse d’une situation politique existante et de ses potentialitĂ©s18.

Espace et temps : telles sont les donnĂ©es majeures de la rĂ©flexion gĂ©opoli-tique. Parmi ces facteurs susceptibles d’ĂȘtre qualifiĂ©s de « tendances lourdes »,certains sont relativement stables (localisation, donnĂ©es orographiques,gabarit du territoire, position d’enclave ou d’exclave, facteurs climatiques,hydrologiques, biogĂ©ographiques, etc.). D’autres, plus instables dans letemps, concernent la palette, fort diversifiĂ©e, des thĂšmes Ă©margeant auchapitre de la GĂ©ographie humaine et de l’Histoire, comme la prĂ©sence deressources naturelles, les comportements dĂ©mographiques Ă  long terme, lesstructures politico-sociĂ©tales ou gĂ©o-Ă©conomiques.

_________________________16. Ce compte-rendu des débats entre les paradigmes est repris de Dario Batistella, op. cit.

17. Une excellente introduction Ă  l’étude des RI est le livre de Dario Batistella que nousvenons de citer.

18. DĂ©finitions extraites de Jacques Soppelsa et al., Lexique de GĂ©opolitique, Paris, Dalloz, 1988.

Page 54: Manuels F(f)rancophones

54

Tendances lourdes qui peuvent ĂȘtre brutalement perturbĂ©es par l’appari-tion de variables, par dĂ©finition strictement localisĂ©es dans le temps : un coupd’État peut en quelques heures faire basculer une dĂ©mocratie dans le campdes dictatures ; une intervention extĂ©rieure destinĂ©e Ă  Ă©radiquer des pandĂ©-mies peut modifier drastiquement des donnĂ©es dĂ©mographiques sĂ©culaires :en 1947, Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka), rĂ©vĂ©lait des taux de mortalitĂ© del’ordre 2,5 % ; en 1949, ils passaient sous la barre des 1 % ; entre temps, l’ar-mĂ©e amĂ©ricaine, soucieuse de protĂ©ger les GI’s dans les bases en cours d’ins-tallation dans le pays face au danger communiste avait modifiĂ© le monde ruralcinghalais par une utilisation massive de DDT.

Historiquement, au-delĂ  de sa dĂ©finition, et des avatars qu’elle a subis du-rant l’entre-deux-guerres, la discipline GĂ©opolitique est partagĂ©e entre deuxtendances :

PremiĂšre tendance : considĂ©rer que les tendances lourdes, et tout particu-liĂšrement les donnĂ©es gĂ©ographiques doivent ĂȘtre prises prioritairement encompte dans le champ des analyses : la « position », par exemple. Elle a com-mandĂ©, par le biais des distances, le facteur « communications terrestres etmaritimes » en jouant avec l’espace et ses contraintes jusqu’à l’aube de duXXe siĂšcle ; l’accĂšs Ă  la mer notamment, a constituĂ© une condition sine qua nonde l’expansion d’une nation ; tĂ©moins le rĂŽle tenu par Mare Nostrum dans l’An-tiquitĂ©, le mariage sĂ©culaire de l’OcĂ©an et de la puissance britannique, ou la« course Ă  la mer » d’un Pierre le Grand. C’est dans ce contexte aussi qu’appa-raĂźt la place historique des dĂ©troits et des isthmes : les dĂ©troits au doubleintĂ©rĂȘt stratĂ©gique et Ă©conomique, points d’ancrages et points d’escales,illustrĂ©s en particulier par la Sonde, le Bosphore, les Dardanelles, Gibraltarou le Sund ; les isthmes (Corinthe, Schlesvig), souvent revitalisĂ©s (et ce n’estpas un hasard) par la politique d’amĂ©nagement des canaux transocĂ©aniquesde la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle (Suez, Panama).

Souvenons nous de la leçon inaugurale de Jules Michelet, en Sorbonne,consacrĂ©e Ă  la Grande-Bretagne : « Messieurs, (il n’y avait pas, Ă  cette Ă©poque,de jeunes filles dans la vĂ©nĂ©rable enceinte
), la Grande-Bretagne est une Ăźle.Mon cours est achevĂ©. » Et le cĂ©lĂšbre historien faisait mine, non sans humour,de disparaĂźtre !

Seconde tendance : refuser d’octroyer un rĂŽle de premier plan Ă  ces ten-dances lourdes du fait de l’apparition ou de l’épanouissement de certainesvariables contemporaines. Depuis un demi-siĂšcle et la « saga du nuclĂ©aire »,certains auteurs soulignent, non sans finesse – bien que l’argument concernemoins la GĂ©opolitique que sa sƓur cadette, la GĂ©ostratĂ©gie – que l’atome, dansle cas (certes, et fort heureusement, trĂšs hypothĂ©tique !) d’un conflit nuclĂ©aire,ignore la taille d’un territoire, sa position, la prĂ©sence ou l’absence de littoraux

Page 55: Manuels F(f)rancophones

55

ou d’obstacles orographiques (l’apparition de l’arme nuclĂ©aire a potentielle-ment mis Ă  la retraite, par exemple, le plus constant et valeureux dĂ©fenseurde la Russie, le cĂ©lĂ©brissime GĂ©nĂ©ral Hiver).

D’Alexandre le Grand au Vietnamien Giap, en passant par Jules CĂ©sar, Ri-chelieu, Vauban, FrĂ©dĂ©ric II ou Bismarck, la liste est longue des « stratĂšgeset hommes d’État » privilĂ©giant le dĂ©terminisme physique, un concept quia servi de trame de rĂ©fĂ©rence Ă  nombre de GĂ©opoliticiens du XXe siĂšcle. Mais,depuis le milieu de ce dernier, hĂ©ritiers des visions prophĂ©tiques de l’Écos-sais McKinder, d’autres spĂ©cialistes ont donc tendu Ă  relĂ©guer ce dernier Ă l’arriĂšre plan, au profit de facteurs conjoncturels.

Un consensus s’est progressivement Ă©tabli entre les deux « Ă©coles », pouraboutir aujourd’hui Ă  un constat : la prĂ©dominance de trois thĂšmes majeurs :l’universalisation des facteurs Ă©conomiques et idĂ©ologiques ; les sĂ©quelles(encore tenaces) du double processus historique de colonisation et de dĂ©co-lonisation ; la multiplication des « facteurs variables ».

Ce double faisceau de causes rendant compte de la spĂ©cificitĂ© de telle outelle situation gĂ©opolitique, « tendances lourdes » et « variables contempo-raines » constitue ainsi l’épine dorsale de la mĂ©thodologie de la recherche enGĂ©opolitique.

SECTION 2.
aux méthodes souvent semblables


Il ressort des dĂ©finitions de ces trois disciplines, qu’il existe entre elles sinonune convergence, du moins des relations Ă©troites ; ce sont des disciplines voi-sines dont les mĂ©thodes visent Ă  produire des connaissances Ă©quilibrĂ©es etcomplĂ©mentaires sur leur objet d’étude.

A – UN OBJECTIF COMMUN

Outre leur champ d’étude – l’international –, les trois disciplines se re-trouvent d’abord sur l’objectif poursuivi par la recherche : il s’agit bien sĂ»rde rendre compte de la façon la plus prĂ©cise possible du rĂ©el afin d’en amĂ©-liorer la connaissance ; mais cette recherche n’est pas nĂ©cessairement dĂ©s-intĂ©ressĂ©e : elle peut Ă©galement viser Ă  fonder une opinion consultative ouprescriptive Ă  l’intention des pouvoirs ou/et du public ; dans tous les cas,elle suppose la maĂźtrise d’une certaine logique formelle et d’une techniquedistincte, scientifiquement validĂ©e. Les trois disciplines relĂšvent en effet des

Page 56: Manuels F(f)rancophones

56

sciences sociales oĂč les connaissances se construisent Ă  l’appui de cadres thĂ©o-riques et mĂ©thodologiques explicites, Ă©laborĂ©s de façon pragmatique, et sontĂ©tayĂ©es par une observation des faits concrets.

Relevant des sciences sociales, les trois disciplines considĂšrent que pour ĂȘtrevalides, les connaissances doivent ĂȘtre produites selon certaines rĂšgles et cer-taines procĂ©dures rigoureuses (problĂ©matique argumentĂ©e, dĂ©finition prĂ©-cise des concepts, mise Ă  l’épreuve d’hypothĂšses, observations systĂ©matiques).

Les phĂ©nomĂšnes ou situations Ă©tudiĂ©s sont alors observĂ©s sous un angledĂ©fini par les concepts thĂ©oriques et expliquĂ©s par le chercheur au terme decette observation particuliĂšre : autrement dit, dans les trois disciplines, il nepeut y avoir de constatation satisfaisante sans la construction prĂ©alable d’uncadre thĂ©orique de rĂ©fĂ©rence. Certes, l’articulation entre la thĂ©orie et l’observa-tion peut adopter des modalitĂ©s diffĂ©rentes selon la discipline considĂ©rĂ©e ;mais la rĂ©alisation d’un schĂ©ma conceptuel est indispensable.

Lorsque les hypothĂšses ou propositions prĂ©sentĂ©es par le chercheur sontsusceptibles d’ĂȘtre vĂ©rifiĂ©es par la rĂ©alitĂ©, elles sont alors qualifiĂ©es de scien-tifiques.

B – DES APPROCHES COMPLÉMENTAIRES

Plus encore, les trois disciplines peuvent se complĂ©ter : le droit internatio-nal prĂ©tend analyser l’articulation entre ordres national et international et four-nir l’interprĂ©tation du contenu des normes et du pouvoir des institutions. Orcette dĂ©marche descriptive ou normative ne permet pas d’apprĂ©hender tousles phĂ©nomĂšnes relatifs Ă  une situation ou Ă  une question, d’autant que se pose,comme toujours en matiĂšre juridique et plus encore dans le domaine inter-national, la question de la plus ou moins bonne application de la rĂšgle de droit.Les Relations Internationales constituent alors un apport apprĂ©ciablepuisqu’elles tentent d’expliquer la conduite et le fonctionnement des relationsentre les nations, les organisations internationales et les diffĂ©rents acteurs trans-nationaux Ă  l’aide de grilles de lectures alternatives rendant compte de la com-plexitĂ© des phĂ©nomĂšnes internationaux. Quant Ă  la GĂ©opolitique, elle rencontreles deux disciplines prĂ©cĂ©dentes dans leur dĂ©marche, mais y ajoute son in-tĂ©rĂȘt pour l’espace (ressources naturelles, comportements dĂ©mographiquesĂ  long terme, structures politiques et sociĂ©tales, tendances gĂ©o-Ă©conomiques)et le temps (notamment les perspectives historiques de longue durĂ©e). Ainsile rĂ©el peut-il ĂȘtre observĂ© et analysĂ© sous des facettes diffĂ©rentes – ou desangles diffĂ©rents – mais complĂ©mentaires.

Les relations entre ces disciplines peuvent-elles aller – au-delĂ  de cette con-vergence – jusqu’à une vĂ©ritable interpĂ©nĂ©tration ? Une approche interdis-

Page 57: Manuels F(f)rancophones

57

ciplinaire fait appel Ă  plusieurs disciplines mais, au lieu de dĂ©velopper despoints de vue successifs, elle intĂšgre l’utilisation de ces disciplines dans uneapproche unique qui les associe de maniĂšre cohĂ©rente. Il semble que cette « in-terdisciplinaritĂ© » apporterait Ă  chacune d’elles d’apprĂ©ciables bĂ©nĂ©fices quiconcernent les mĂ©thodes et mĂȘme le contenu. Il est cependant permis d’endouter pour des raisons Ă  la fois thĂ©oriques et pratiques.

Du point de vue thĂ©orique, l’interdisciplinaritĂ© est un idĂ©al impossible Ă atteindre. Certes, la critique de la fragmentation des objets de connaissance,du fractionnement du processus de comprĂ©hension des phĂ©nomĂšnes et dela parcellisation du savoir est justifiĂ©e : la plupart des spĂ©cialistes des sciencessociales regrettent la trop grande spĂ©cialisation des points de vue sur la rĂ©a-litĂ© et l’émiettement des disciplines. L’interdisciplinaritĂ© viendrait alors rap-peler aux scientifiques qui l’auraient oubliĂ© que c’est le point de vue qui crĂ©el’objet ; elle permettrait de dĂ©cloisonner l’observation et le travail scientifiquerĂ©alisĂ©s par chacune des disciplines. Mais l’entreprise est-elle possible ? Lechercheur peut-il utiliser des concepts, des mĂ©thodes et des thĂ©ories forgĂ©esau sein d’autres disciplines que la sienne pour les faire travailler sur son objetd’étude ? Cela suppose la capacitĂ© de s’approprier concepts, mĂ©thodes et thĂ©o-ries, c’est-Ă -dire disposer du vocabulaire et des connaissances nĂ©cessaires Ă leur maĂźtrise. Or pour un chercheur en sciences sociales, qui aura suivi uncursus « classique » et donc cloisonnĂ© Ă  une discipline, l’entreprise exige uninvestissement intellectuel important
 Mais mĂȘme s’il consent cet effort, ilsera confrontĂ© Ă  un autre problĂšme : celui de la cohĂ©rence Ă©pistĂ©mologique.Car aucune discipline ne peut se prĂ©valoir d’une objectivitĂ© absolue ; chaquediscipline repose sur un certain nombre d’axiomes, implicites ou explicites,qui sont indĂ©montrables mais qui doivent former un ensemble cohĂ©rent. Com-ment assurer la cohĂ©rence d’une approche vĂ©ritablement interdisciplinaire ?Seul remĂšde : pour « fonctionner », l’interdisciplinaritĂ© suppose que l’on choi-sisse une « discipline maĂźtresse » qui encadre l’ensemble du raisonnementscientifique. Mais ce n’est plus de l’interdisciplinarité 

Du point de vue pratique, l’interdisciplinaritĂ© entre droit international,Relations Internationales et GĂ©opolitique n’est ni souhaitable ni possible. S’ils’agit de dĂ©velopper un corpus de concepts communs, de partager un mĂȘmelangage et de crĂ©er un modĂšle analytique nouveau pour examiner la rĂ©ali-tĂ©, le risque est de dĂ©penser beaucoup d’énergie pour Ă©laborer un langageĂ©sotĂ©rique au service d’analyses moins percutantes que celles menĂ©es danschaque discipline, ce qui n’est pas souhaitable. Ce n’est pas non plus pos-sible car, au-delĂ  de leurs mĂ©thodes somme toute semblables, les trois dis-ciplines privilĂ©gient des dĂ©marches ponctuellement spĂ©cifiques.

Page 58: Manuels F(f)rancophones

58

SECTION 3.
mais dont les démarches

sont occasionnellement spécifiques

Les relations entre le droit international, les Relations Internationales etla GĂ©opolitique ne se bornent pas Ă  la convergence Ă©voquĂ©e plus haut ; il fautconstater des divergences de mĂ©thodes et des dĂ©marches ponctuellement spĂ©-cifiques. Pour s’en convaincre, il n’est pas inutile d’exposer tour Ă  tour la dĂ©-marche du chercheur en droit international, la mĂ©thodologie de la rechercheen Relations Internationales et celle que propose la GĂ©opolitique.

A – LA MÉTHODE DE LA RECHERCHE EN DROIT INTERNATIONAL

La recherche en droit international pose des problĂšmes spĂ©cifiques quitiennent Ă  la valeur des sources utilisĂ©es et Ă  l’interprĂ©tation qui en est faitepar le chercheur.

Si en thĂ©orie, les spĂ©cialistes considĂšrent qu’il n’existe pas de hiĂ©rarchieentre les sources du droit international, il est facile de constater qu’en pra-tique, l’utilisation de sources conventionnelles (les traitĂ©s) offre moins de priseĂ  la critique et que ces derniĂšres sont donc privilĂ©giĂ©es. En revanche, un raison-nement consistant Ă  Ă©tablir l’existence d’une rĂšgle coutumiĂšre ou d’un prin-cipe gĂ©nĂ©ral du droit peut toujours faire l’objet de controverse ; la citation d’unjugement peut toujours faire l’objet de contestation (en rĂ©fĂ©rence Ă  la jurispru-dence de la juridiction concernĂ©e).

Mais le problĂšme mĂ©thodologique capital reste celui de l’interprĂ©tationdu droit. L’interprĂ©tation est une Ă©tape essentielle de la recherche en droit inter-national et la plus difficile : la collecte des sources est relativement simple alorsque leur interprĂ©tation est bien plus complexe. Les manuels lui accordent ce-pendant peu d’importance, sans doute en raison de la survivance d’une con-ception positiviste du phĂ©nomĂšne : l’interprĂ©tation serait une opĂ©rationpassive consistant Ă  consacrer le sens, qualifiĂ© de « clair » ou « d’évident »,du texte concernĂ© ; elle ne pourrait dĂ©boucher que sur une seule solutionjuridique correcte. En rĂ©alitĂ©, quelle que soit la prĂ©cision des textes considĂ©-rĂ©s, il n’existe jamais une seule interprĂ©tation possible ; les thĂ©ories contempo-raines de l’interprĂ©tation insistent au contraire sur la marge considĂ©rable demanƓuvre dont dispose l’interprĂšte : en l’occurrence, le chercheur. Il n’existedonc pas d’interprĂ©tation qui s’imposerait a priori. Cependant, ceci ne signi-fie pas que toutes les interprĂ©tations se valent : certaines interprĂ©tationspeuvent ĂȘtre prĂ©fĂ©rĂ©es Ă  d’autres parce qu’elles sont plus correctement

Page 59: Manuels F(f)rancophones

59

motivĂ©es. La convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s comprend trois ar-ticles (31, 32 et 33) relatifs Ă  l’interprĂ©tation des traitĂ©s ; les rĂšgles gĂ©nĂ©rales etles moyens d’interprĂ©tation qui y sont Ă©noncĂ©s peuvent ĂȘtre utilisĂ©s pourd’autres types de textes ou de sources. Il faut d’abord prendre en compte letexte de la disposition (et interprĂ©ter les termes utilisĂ©s selon le sens ordinaire ;un terme ne sera entendu dans un sens particulier que s’il est entendu quetelle Ă©tait l’intention des parties) et le contexte (dĂ©fini dans l’article 31, par.2, comme « tout accord ayant rapport au traitĂ© » et « tout instrument Ă©tabliĂ  l’occasion de la conclusion du traité  » : il ne s’agit donc pas du contextehistorique). Il convient ensuite de prendre en compte « toute rĂšgle pertinentede droit international applicable dans les relations entre les parties », ainsique tout accord ultĂ©rieur relatif Ă  l’application du traitĂ©. Il faut enfin prendreen compte l’objet et le but du traitĂ© (ou plus gĂ©nĂ©ralement du texte concernĂ©) :c’est sur ce point que la latitude du chercheur est la plus grande. À titre demoyens complĂ©mentaires, l’article 32 mentionne « les travaux prĂ©para-toires » et « les circonstances dans lesquelles le traitĂ© a Ă©tĂ© conclu ».

B – LA MÉTHODE DE LA RECHERCHE EN RELATIONS INTERNATIONALES

La mĂ©thode propre Ă  la discipline des Relations Internationales prĂ©supposecertaines clarifications thĂ©oriques, ainsi qu’une articulation rĂ©ussie entre le mo-dĂšle thĂ©orique et l’objet empirique. Cinq pas thĂ©oriques sont indispensables:

– une clarification Ă©pistĂ©mologique et ontologique ;– choisir un niveau d’analyse : individuel, Ă©tatique, systĂ©mique ;– faire une option en ce qui concerne la dichotomie agence-structure ;– choisir la thĂ©orie/le modĂšle le plus appropriĂ© Ă  l’objet d’étude ;– Ă©mettre des hypothĂšses.

Écrire un travail de recherche en Relations Internationales prĂ©supposeessentiellement d’articuler un certain nombre d’énoncĂ©s thĂ©oriques avec les don-nĂ©es empiriques offertes par la rĂ©alitĂ© que le chercheur se propose d’étudier,de comprendre et d’expliquer. Si cette articulation entre la thĂ©orie et les don-nĂ©es empiriques constitue le noyau de la mĂ©thode des Relations Interna-tionales, certaines clarifications concernant tant la dĂ©marche thĂ©orique, que lerapport du chercheur Ă  la rĂ©alitĂ© Ă©tudiĂ©e sont nĂ©cessaires avant de commencer.

Deux questions prĂ©alables Ă  tout positionnement par rapport Ă  l’objet d’é-tude et par rapport Ă  la thĂ©orie sont Ă  poser :

– est-ce que la rĂ©alitĂ© sociale est donnĂ©e objectivement, une fois pourtoutes, et par consĂ©quent observable directement par le chercheur, ou

Page 60: Manuels F(f)rancophones

60

bien est-elle dans un processus continu de re-construction ? Ou, plus sim-plement : la réalité est-elle bien « réelle » ? (la question ontologique) ;

– est-ce qu’il est possible de connaĂźtre la rĂ©alitĂ© sociale de maniĂšre objec-tive, dans une dĂ©marche similaire Ă  celle des sciences exactes, ou bienle chercheur construit son objet d’étude en fonction de ses propres va-leurs ? (la question Ă©pistĂ©mologique).

DĂšs qu’il aura rĂ©pondu Ă  ces questions, il sera plus facile au chercheur defaire un choix des thĂ©ories Ă  employer pour confronter son objet d’étude, carce sont les deux questions principales qui divisent les diffĂ©rents paradigmesdes Relations Internationales.

Le deuxiĂšme pas consiste Ă  choisir un niveau d’analyse censĂ© mieux ren-dre compte du phĂ©nomĂšne que l’on tente d’expliquer. L’analyse peut sesituer au niveau de l’individu-dĂ©cideur, au niveau des processus dĂ©cision-nels au sein des États ou au niveau systĂ©mique19. Ce choix facilitera Ă©gale-ment la dĂ©marche ultĂ©rieure, car une approche systĂ©mique penchera vers lestructuralisme, tandis que l’explication qui met l’accent sur la maniĂšre dontun État prend des dĂ©cisions Ă  l’intĂ©rieur de son systĂšme politique accorderaune place importante Ă  l’agence.

TroisiĂšmement, le chercheur devra dĂ©cider s’il va opter pour une expli-cation structuraliste ou bien pour une explication qui met l’accent sur la capa-citĂ© des États de façonner leur environnement international.

En quatriĂšme lieu, il faut choisir une thĂ©orie ou un modĂšle d’analyse. Cechoix doit ĂȘtre cohĂ©rent avec les options prĂ©alables du chercheur et, d’unecertaine maniĂšre, en dĂ©coule directement. Par exemple, si l’on croit que la rĂ©a-litĂ© est donnĂ©e, et qu’elle peut ĂȘtre Ă©tudiĂ©e de maniĂšre objective en utilisantune dĂ©marche reprise des sciences de la nature, si l’on prĂ©fĂšre le niveau sys-tĂ©mique pour comprendre les relations entre les États, et si on croit que la struc-ture de ce systĂšme dĂ©termine le comportement des États, alors, presquecertainement, on est un nĂ©o-rĂ©aliste, et on doit donc chercher au sein de ceparadigme le modĂšle qu’on va appliquer Ă  ces donnĂ©es empiriques.

Finalement, le cinquiĂšme pas thĂ©orique consiste Ă  formuler des hypo-thĂšses qui lient la thĂ©orie pour laquelle on a optĂ© avec le phĂ©nomĂšne que l’onveut Ă©tudier. Tout le long de la recherche, il faut faire attention Ă  ne pasperdre de vue cette articulation permanente entre la thĂ©orie et les faits.

_________________________19. Cette typologie appartient Ă  Kenneth Waltz, Man, the State, and War. A theoretical analysis,

New York, Columbia University Press, 1959. Il soutient cependant que le propre de ladémarche des RI serait le troisiÚme niveau, celui systémique.

Page 61: Manuels F(f)rancophones

61

C – LA MÉTHODE DE LA RECHERCHE EN GÉOPOLITIQUE

À l’instar des disciplines prĂ©cĂ©dentes, la GĂ©opolitique fait appel Ă  une mĂ©-thode. En effet, pour observer objectivement une situation gĂ©opolitique, il fautune mĂ©thode solide et scientifique. Cette mĂ©thode est axĂ©e sur la prise encompte de plusieurs grilles d’analyse offertes par des diverses disciplines20,comme la gĂ©ographie21 ou l’histoire. Pour ce qui est de la science politique,l’on estime qu’elle dĂ©voile une « triple complexification de la gĂ©opolitique :centrĂ©e sur les “grands”, elle descend vers les “petits” (micro-gĂ©opolitique) ;axĂ©e sur les masses, elle s’intĂ©resse aux rĂ©seaux (en particulier les diasporas) ;n’apprĂ©hendant traditionnellement que ce qui est immobile (les peuples iden-tifiĂ©s Ă  un territoire), elle cherche Ă  saisir ce qui bouge : les flux, les migra-tions. L’appareil photo se fait camĂ©ra »22.

La GĂ©opolitique est un savoir pratique et opĂ©ratoire ayant pour fondementune mĂ©thode d’analyse scientifique reposant sur la prise en compte de ce queJacques Soppelsa appelle d’une part, les « tendances lourdes » et d’autre part,les « variables contemporaines » de l’objet d’étude.

C’est pourquoi la premiĂšre Ă©tape de la recherche portera sur le recense-ment le plus complet et le plus objectif possible des principaux paramĂštres,« qu’ils soient jugĂ©s importants et structurants du point de vue de leur in-fluence sur la dynamique du systĂšme, qui Ă©chappent Ă  la maĂźtrise de l’acteuren charge de la rĂ©flexion et/ou qui soient porteurs d’incertitudes majeures. »Elle doit se traduire par une description objective des phĂ©nomĂšnes observĂ©s,parallĂšlement Ă  l’élaboration et Ă  l’analyse critique des sources.

La seconde Ă©tape doit permettre de distinguer les « tendances lourdes » etles « variables » : les premiĂšres constituent la toile de fond de la quĂȘte des fac-teurs explicatifs, les incertitudes pouvant susciter, en outre, les prĂ©missesd’une esquisse prospective.

Recenser, dĂ©crire, expliquer les caractĂšres fondamentaux d’une situationgĂ©opolitique : tout ceci peut (ou doit) ensuite dĂ©boucher, soit, en changeantd’échelle (notion capitale tant en GĂ©ographie politique qu’en GĂ©opolitique),Ă  nuancer les analyses prĂ©alables, soit Ă  proposer des scenarii pour le procheavenir23.

_________________________20. Yves Lacoste, Géographie du sous-développement, Paris, PUF, 1965.

21. Yves Lacoste, La gĂ©ographie, ça sert d’abord Ă  faire la guerre, Paris, Maspero, 1976.

22. Philippe Moreau Defarges, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Armand Colin, 2002, p. 60.

23. François Thual, Méthodologie de la Géopolitique, Paris, Ellipses, 1996.

Page 62: Manuels F(f)rancophones
Page 63: Manuels F(f)rancophones

DEUXIÈME PARTIE

Les Ă©tapes de la recherche

Page 64: Manuels F(f)rancophones
Page 65: Manuels F(f)rancophones

63

Le mĂ©moire de master et la thĂšse de doctorat sont des ouvrages scien-tifiques censĂ©s apporter un progrĂšs dans la connaissance : soit un Ă©clairageoriginal sur une question, soit la reconstruction d’un corpus explicatif, soitl’approfondissement ou le renouvellement d’une analyse sur un point parti-culier. C’est dire qu’ils comportent, selon des proportions variables, des des-criptions et des analyses, mais aussi un apport personnel de l’auteur. C’estparticuliĂšrement le cas de la « thĂšse » puisque ce terme dĂ©signe non seule-ment un ouvrage composĂ© en vue de l’obtention du titre de docteur, mais aussiune proposition que l’on Ă©nonce et que l’on soutient. La thĂšse consiste en effetĂ  exposer Ă  l’intention d’autrui les rĂ©sultats d’une recherche et d’une rĂ©-flexion, de la maniĂšre la plus claire, la plus complĂšte et la plus prĂ©cise pos-sible. Or ces qualitĂ©s dĂ©pendent de la mĂ©thode de travail.

Chaque recherche est particuliĂšre ; chaque chercheur est confrontĂ© Ă  desdifficultĂ©s singuliĂšres et doit s’adapter Ă  des situations souvent imprĂ©vues.Mais en aucun cas il ne faut procĂ©der sur la base des seules intuitions ou desopportunitĂ©s du moment. Une recherche en sciences sociales suppose deprocĂ©der avec mĂ©thode : c’est-Ă -dire respecter les principes gĂ©nĂ©raux du tra-vail scientifique et suivre une dĂ©marche scientifique. ProcĂ©der avec mĂ©thode,c’est d’abord dĂ©terminer clairement l’objectif Ă  atteindre, ensuite Ă©tablir lasomme des opĂ©rations Ă  rĂ©aliser et des matĂ©riaux Ă  rassembler, enfin accom-plir ces opĂ©rations de façon ordonnĂ©e.

L’objectif de cet ouvrage est de prĂ©senter la dĂ©marche scientifique sous laforme de six Ă©tapes Ă  parcourir ; le tableau ci-dessous indique prĂ©cisĂ©mentces Ă©tapes de la recherche et dĂ©crit les opĂ©rations Ă  rĂ©aliser pour passer d’uneĂ©tape Ă  l’autre. Il est certain qu’une recherche concrĂšte n’est pas aussi mĂ©-canique et que les Ă©tapes – prĂ©sentĂ©es ici sĂ©parĂ©ment pour des raisons didac-tiques – se chevauchent souvent ; c’est la raison pour laquelle les interactionspossibles seront soulignĂ©es par la suite.

Page 66: Manuels F(f)rancophones

64

____________________________

1. Les Ă©tapes de la recherche ne sont pas isolĂ©es les unes des autres, et chaque Ă©tape peut fairel’objet d’un renvoi Ă  une Ă©tape antĂ©rieure.

2. Voir Édith Jaillardon et Dominique Roussillon, Outils pour la recherche juridique. MĂ©thodolo-gie de la thĂšse de doctorat et du mĂ©moire de master en droit, coll. « Manuel », Éditions desarchives contemporaines, Paris, 2006. Cet ouvrage a Ă©tĂ© publiĂ© avec le soutien du comitĂ©de coordination et de suivi du programme concernĂ©.

Droit international2

Les recherches exploratoires

Il s’agit de faire une pre-miĂšre dĂ©limitation dusujet. Cette Ă©tape doit per-mettre d’identifier : les rĂ©fĂ©rences principalesconstituant la base futurede la documentation – les approches envisa-geables – les difficultĂ©sprĂ©visibles. Cette Ă©tapeoffre la possibilitĂ© dedĂ©finir une vue gĂ©nĂ©raledu travail projetĂ© et dedonner un titre (provi-soire) Ă  la recherche.

GĂ©opolitique

Amorce de la recherche

La premiĂšre Ă©tape rĂ©sidedans l’identification glo-bale du sujet, des sourcesprincipales, socles desrĂ©fĂ©rences bibliogra-phiques et des difficultĂ©ssusceptibles d’ĂȘtre ren-contrĂ©es au cours deladite recherche.

RelationsInternationales

DĂ©finition de la ques-tion centrale

Le projet de recherchedoit exprimer le plusexactement possible, àtravers cette question cen-trale, ce que le chercheursouhaite produire commeconnaissance, en développant de nou-velles connaissances ouen modifiant des connais-sances déjà existantes. La question centrale doitservir de fil conducteur à la recherche.

Identification de l’objet d’analyse ; quĂȘte des sources principales ; validation provisoire de la dĂ©marche.

Étapes de la recherche1

Étape n° 1

Étape n° 1

DĂ©frichement du terrain

Le défrichement du ter-rain va permettre de fairele point sur les thÚmes quiont été dégagés. Il fautcommencer à préciser etapprofondir les quelquesidées directrices déjàdégagées.

Poursuite des recherchesexploratoires

DĂ©termination de l’axemajeur (question centrale)de la thĂšse et desquestions connexes.Recherches iconogra-phiques. Elaboration de labibliographie et de lasitographie.

Travail d’exploration

Cette Ă©tape comprend desĂ©lĂ©ments de lecture (ver-sion papier et versionĂ©lectronique) et des entre-tiens. Le travail d’explo-ration vise Ă  actualiser lesconnaissances du cher-cheur sur l’objet d’étude.Il s’agit Ă©galement de dĂ©-finir de nouvelles pers-pectives en vue de finali-ser la dĂ©finition de la pro-blĂ©matique.

Validation du thĂšme central et mise en valeur des questions qui s’y rattachent ; hiĂ©rarchisation des sources et des rĂ©fĂ©rences bibliographiques.

Étape n° 2

Étape n° 2

Page 67: Manuels F(f)rancophones

67

GĂ©opolitique

Définition de la problématique

Confirmation de l’idĂ©edirectrice. Éliminationprogressive de certaineshypothĂšses hasardeuses ouerronĂ©es. PremiĂšresdĂ©terminations desfacteurs explicatifs.Utilisation systĂ©matiquedes outils cartogra-phiques et iconogra-phiques. Identification et utilisation des conceptsspĂ©cifiques.

RelationsInternationales

Définition de la problématique

La problĂ©matique peutĂȘtre dĂ©finie commel’approche thĂ©orique quele chercheur dĂ©cided’adopter pour analyserla (les) question(s)centrale(s).La problĂ©matique doitdonc permettre d’établirun lien entre lathĂ©matique qui fait l’objetde la recherche et lesressources thĂ©oriques quiseront utilisĂ©es.

Droit international

DĂ©finir les grandes orientations

Il s’agit de dresserl’inventaire prĂ©cis et dĂ©-taillĂ© de toutes lesquestions qui peuvent seposer, directement ouindirectement, Ă  proposdu sujet traitĂ©. Quelquesquestions « simples »peuvent aider Ă  dĂ©finirces grandes orientations :Pourquoi ? Comment ?Quels problĂšmes ? Avecquels effets ? La formula-tion d’hypothĂšses enrĂ©ponse (au moins provi-soire) Ă  toutes ces ques-tions va contribuer Ă  structurer le projet et Ă en dĂ©finir les grands axes.C’est la rĂ©flexion sur lesquestions ayant faitl’inventaire qui va faireĂ©merger les grandeslignes de la recherche,presque d’elles-mĂȘmes.

Étapes de la recherche

Étape n° 3

Page 68: Manuels F(f)rancophones

66

Droit international

Construire son sujet

Construire son sujet, c’estdĂ©finir les hypothĂšsesqui, au-delĂ  des appa-rences et des Ă©vidences,vont permettre de sĂ©lec-tionner les Ă©lĂ©ments Ă prendre en compte, de lesinterprĂ©ter, de leur don-ner un sens, ce qui facili-tera la comprĂ©hension del’objet d’étude et, Ă©ven-tuellement, contribuera Ă l’élaboration d’une thĂ©o-rie. Propositions de rĂ©-ponses Ă  des questionsbien posĂ©es, les « bonnes »hypothĂšses peuvent avoirdes origines diverses (lectures, changementsnormatifs, constructionintellectuelle, observa-tions empiriques, etc.),elles sont prĂ©cieuses carelles suggĂšrent des pistesde recherche. Ellespeuvent supposer l’exis-tence de ressemblances,de diffĂ©rences, de liensentre tels et tels mĂ©ca-nismes, de pistes pourexpliquer l’évolution detelle institution ou de telmĂ©canisme juridique


GĂ©opolitique

Construction du sujet

Approfondissement de laquestion centrale et hiĂ©-rarchisation des ques-tions connexes. Poursuitede l’analyse des facteurs.Identification des ten-dances lourdes et des va-riables contemporaines.Prise en compte systĂ©ma-tique de la notiond’échelle.

RelationsInternationales

Construction du modùle d’analyse

Le modĂšle d’analyse doitpermettre le passage de ladĂ©finition de la problĂ©-matique (approchethĂ©orique) au travaild’observation (approcheopĂ©rationnelle). Le modĂšle d’analyse in-tĂšgre dans sa dĂ©finitiondes concepts et des hypo-thĂšses qui s’articulententre eux pour finaliserun cadre d’étudecohĂ©rent.

Étapes de la recherche

Étape n° 4

Page 69: Manuels F(f)rancophones

69

Droit international

Établir son plan

Le plan s’est construitpeu Ă  peu : 1° l’établissement d’un

plan provisoire : idĂ©es directrices dĂ©ga-gĂ©es qu’il faut organi-ser, articuler entreelles, Ă©ventuellementregrouper

2° le cadrage du plan :délimitation finale du sujet, ce qui sup-pose de faire des choixthéoriques, privilégiercertains axes, re-trancher ou ajouterpour donner à la thÚseson aspect définitif

3° L’établissement du plan dĂ©finitif : qu’est-ce qui m’est nĂ©-cessaire pour effectuerla dĂ©monstration sou-haitĂ©e ? Qu’est-ce quim’est nĂ©cessaire poursuivre le « fil rouge »de ma dĂ©monstration,en le dĂ©roulant demaniĂšre prĂ©cise et per-tinente et en ne l’aban-donnant jamais ?

GĂ©opolitique

Élaboration du plandĂ©taillĂ©

Construction progressivedu plan de la thùse.Articulation des parties et des chapitres.Confirmation de l’accom-pagnement iconogra-phique.

RelationsInternationales

Travail d’observationet d’analyse de l’infor-mation

Ce travail comprend l’en-semble des activitĂ©s parlesquelles le modĂšled’analyse est testĂ©. Il s’agit de vĂ©rifier si lesrĂ©sultats obtenus corres-pondent aux hypothĂšsesformulĂ©es dans le modĂšled’analyse, et, plus prĂ©-cisĂ©ment, si les rĂ©sultatsobtenus sont ceux prĂ©ala-blement dĂ©terminĂ©s.

Validation dĂ©finitive du plan de l’ouvrage et travail de rĂ©daction.

Étapes de la recherche

Étape n° 5

Étape n° 5

Page 70: Manuels F(f)rancophones

70

Droit international

Conclusion de la recherche

La conclusion sert à fairele bilan du travail,dégager sesenseignements, évoquerses développements etperspectives ultérieurs.

GĂ©opolitique

Conclusion de la recherche

AprĂšs avoir dressĂ© lebilan de la recherche, laconclusion permet d’évo-quer des hypothĂšsesprospectives Ă  court ou Ă  moyen terme (Ă©laboration de diversscenarii).

RelationsInternationales

Conclusion de la recherche

La conclusion comprendun rappel du modĂšled’analyse et une prĂ©sen-tation des connaissancesproduites par la re-cherche. Il s’agit ici demettre en Ă©vidence enquoi la recherche a per-mis de produire un sa-voir sur l’objet d’étude,en dĂ©veloppant des nou-velles connaissances ouen modifiant des con-naissances dĂ©jĂ  exis-tantes.

Bilan et perspectives.

Étapes de la recherche

Étape n° 6

Étape n° 6

Page 71: Manuels F(f)rancophones

71

CHAPITRE I.

Une démarche commune

Il existe plusieurs maniĂšres d’apprĂ©hender la pluralitĂ© disciplinaire ; onprivilĂ©giera ici, eu Ă©gard Ă  nos objectifs pĂ©dagogiques, celle qui lie Ă©troitementladite pluralitĂ© au niveau d’interaction entre les disciplines.

Le tableau ci-dessus prĂ©sente un double intĂ©rĂȘt pĂ©dagogique : montrer quedans les premiĂšres Ă©tapes et les Ă©tapes terminales de la recherche, les grandsprincipes mĂ©thodologiques sont trĂšs similaires et que l’utilisation des sourceset d’un certain nombre de concepts par l’étudiant ou l’équipe de recherche,quel que soit son champ disciplinaire d’origine, obĂ©it Ă  la mĂȘme logique etse traduira par l’enrichissement de ladite dĂ©marche. En revanche, les Ă©tapesintermĂ©diaires (3. la dĂ©finition de la problĂ©matique et 4. la construction d’unmodĂšle d’analyse) demeurent spĂ©cifiques, ce qui a une double consĂ©quence :contribuer Ă  nouveau Ă  l’enrichissement de ladite dĂ©marche par l’utilisationpertinente de concepts et d’outils spĂ©cifiques Ă  d’autres disciplines ; Ă©viterdes dĂ©rives mĂ©thodologiques qui s’avĂ©reraient dommageables eu Ă©gard aucloisonnement actuel des disciplines et des structures de recherche caractĂ©-risant l’espace francophone.

En dĂ©pit de leur caractĂšre particulier, les trois disciplines partagent doncun champ commun : il s’agit des deux premiĂšres et des deux derniĂšresĂ©tapes du tableau mĂ©thodologique, c’est-Ă -dire la dĂ©limitation du sujet (1),la validation du thĂšme central (2), la validation dĂ©finitive du plan (5), le bilanet les perspectives (6).

SECTION 1.La délimitation du sujet (étape 1)

Le premier problĂšme qui se pose au chercheur est de savoir comment com-mencer son travail. Il n’est en effet pas facile de traduire un intĂ©rĂȘt ou unecuriositĂ© assez vague et informulĂ©e en un projet de recherche. Pour limiterles hĂ©sitations et Ă©viter les errements, une technique consiste Ă  choisir la ma-tiĂšre ou le domaine dans lequel se situera le sujet de la thĂšse ou du mĂ©moire.Et pour ce faire, il faut tenir compte de diffĂ©rents facteurs qui ne sont pas toussubjectifs.

Les facteurs personnels peuvent Ă©videmment jouer un rĂŽle important dansle choix du domaine, pour un mĂ©moire (travail d’une durĂ©e limitĂ©e Ă  quelques

Page 72: Manuels F(f)rancophones

70

mois), mais plus encore pour un travail de thĂšse (puisqu’il s’agit d’une re-cherche durant plusieurs annĂ©es) : d’abord, la prĂ©fĂ©rence personnelle pourun domaine ou une discipline affirmĂ©e Ă  l’occasion des Ă©tudes antĂ©rieuresou des lectures ou encore des suggestions faites par un enseignant ; ensuite,la connaissance de ses propres capacitĂ©s, de ses aptitudes (par exemple, dansla mesure oĂč le travail de recherche se rĂ©alise Ă  partir de textes ou, d’une ma-niĂšre gĂ©nĂ©rale, de documents de premiĂšre main, une connaissance de certaineslangues Ă©trangĂšres, indispensable pour traiter un sujet de droit internatio-nal, de Relations Internationales ou de GĂ©opolitique) et de ses limites (notam-ment la difficultĂ© de cumuler travail et recherche) ; enfin, le goĂ»t pour larecherche thĂ©orique : il faut en effet avoir un certain goĂ»t pour l’analyse etle raisonnement quand on choisit la voie de la recherche


Mais il ne faut pas nĂ©gliger les contraintes matĂ©rielles, qui ne dĂ©pendentpas du candidat : d’abord, l’accĂšs Ă  la documentation doit ĂȘtre aisĂ© ; une ra-pide recherche sur l’Internet permet de se faire une idĂ©e de la documenta-tion en ligne ou papier disponible, gratuitement ou non ; il faut Ă©galementprendre en compte les plus ou moins grandes facilitĂ©s de dĂ©placement et d’ac-cĂšs aux lieux intĂ©ressants (par exemple, un sujet sur l’ONU doit s’appuyersur la possibilitĂ© d’accĂšs aux documents publiĂ©s et diffusĂ©s par l’ONU et mĂȘmeĂ  ceux qui ne font pas l’objet d’une publication ; un sujet Ă  forte dominantehistorique ne peut se rĂ©aliser sans l’accĂšs aux archives pertinentes) ; enfin lesdĂ©marches prĂ©alables Ă  une enquĂȘte ou Ă  des entretiens peuvent prendre beau-coup de temps et nĂ©cessiter des moyens financiers. Il faut donc ĂȘtre rĂ©alisteet choisir de traiter une question en rapport avec les ressources personnelles,matĂ©rielles et techniques sur lesquelles on peut raisonnablement compter.

Ensuite et surtout, il importe de dĂ©finir prĂ©cisĂ©ment l’objectif poursuiviĂ  travers la thĂšse. Si la thĂšse a pour objectif l’orientation vers l’enseignementet la recherche, elle doit ĂȘtre un travail de haut niveau : le sujet doit dĂ©pas-ser la simple prĂ©sentation de mĂ©canismes ou institutions juridiques et/ou poli-tiques et sociales ; il doit mettre en Ă©vidence la rĂ©flexion thĂ©orique et l’analyse.Si la thĂšse a pour objectif un emploi dans le secteur privĂ© ou le secteur pu-blic (y compris international), le travail Ă  rĂ©aliser aura sans doute unemoindre ambition thĂ©orique et sera vraisemblablement plus pratique et plustechnique dans la prĂ©sentation et la rĂ©flexion sur les mĂ©canismes Ă©tudiĂ©s ; maisil ne pourra pas se contenter d’ĂȘtre descriptif.

Dans le cadre de la matiĂšre ainsi identifiĂ©e (par exemple, le droit interna-tional), le choix devra porter sur un thĂšme de recherche (une idĂ©e gĂ©nĂ©ralequi peut donner lieu Ă  de nombreuses dĂ©clinaisons : par exemple, l’agressionou la frontiĂšre, en droit international), puis sur un objet de recherche (un Ă©lĂ©-ment prĂ©cis du thĂšme de recherche : par exemple, l’agression commise par

Page 73: Manuels F(f)rancophones

73

des acteurs non Ă©tatiques ; ou la fixation des frontiĂšres) et enfin un sujet (l’évo-lution des rĂšgles internationales concernant l’agression « indirecte » ; ou lafixation des frontiĂšres en Afrique). De nouveau, des critĂšres personnelspeuvent intervenir ici : l’intĂ©rĂȘt personnel pour le sujet, de mĂȘme que l’uti-litĂ© sur le plan professionnel ou pour l’orientation future, ou encore certainesaptitudes personnelles telles que la pratique de langues Ă©trangĂšres, l’acces-sibilitĂ© des moyens d’enquĂȘte, de recherche et de documentation...

Mais il faut aussi faire preuve de rĂ©alisme et choisir un sujet rĂ©alisable dansde bonnes conditions et conforme aux possibilitĂ©s du candidat. Les « bons »sujets sont ceux qui permettent Ă  leur auteur de faire Ă©tat de sa connaissancede la littĂ©rature existante sur le thĂšme choisi, de montrer sa maĂźtrise des con-cepts et des thĂ©ories sur la question, de faire la dĂ©monstration scientifique,argumentĂ©e et logiquement exposĂ©e d’une « thĂšse » personnelle.

Une premiĂšre phase de prospection doit ĂȘtre engagĂ©e, qui va permettrede dĂ©gager un sujet disponible. Il faut prospecter avec mĂ©thode, rejeter unsujet dĂ©jĂ  traitĂ©, achevĂ© ou publiĂ©. La premiĂšre dĂ©marche consiste Ă  consul-ter le fichier central des thĂšses pour s’assurer qu’aucune thĂšse n’a Ă©tĂ© enregis-trĂ©e ni soutenue sur le mĂȘme sujet et avec la mĂȘme approche. La deuxiĂšmedĂ©marche consiste Ă  rechercher les ouvrages traitant du sujet, ainsi que lesarticles importants publiĂ©s dans les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Ainsi est-il possiblede savoir avec certitude si un nouveau travail s’impose ou est possible. Si telest le cas, il faut ensuite procĂ©der Ă  la dĂ©limitation du sujet.

OpĂ©rer la dĂ©limitation du sujet, c’est dĂ©terminer quelles devraient ĂȘtre laconception gĂ©nĂ©rale du sujet et ses principales caractĂ©ristiques. Il faut identi-fier les rĂ©fĂ©rences principales constituant la base future de la documentation ;cerner les contours du thĂšme Ă  traiter ; dĂ©finir les approches envisageables ;prĂ©ciser quelques idĂ©es gĂ©nĂ©rales. Il ne s’agit certainement pas de faire unplan, mais de dĂ©finir une vue gĂ©nĂ©rale du travail projetĂ© et de donner un titre(provisoire) Ă  la thĂšse. L’expĂ©rience dĂ©montre que, dans la majoritĂ© des cas,il vaut mieux avoir au dĂ©part une conception large du sujet ; il sera toujourspossible par la suite de restreindre, si nĂ©cessaire, la visĂ©e et de centrer la re-cherche sur un nombre plus limitĂ© de questions parce que celles-ci auront paruplus intĂ©ressantes, plus nouvelles, se prĂȘtant plus facilement Ă  des considĂ©-rations novatrices, reprĂ©sentant un vĂ©ritable apport thĂ©orique, etc. Parfoisaussi, c’est le simple rĂ©alisme, la prise de conscience que le sujet est trop vastepour un travail de master ou de doctorat qui peut dĂ©terminer le candidat,en accord avec le directeur de recherche, de limiter son champ d’investiga-tion et d’analyse. Le titre devra, bien entendu, ĂȘtre modifiĂ© en consĂ©quencepour Ă©viter le reproche, lors de la soutenance, de n’avoir traitĂ© qu’une par-tie de la question.

Page 74: Manuels F(f)rancophones

74

Mais dans tous les cas, le projet de recherche doit exprimer une questioncentrale ou un thĂšme central qui va servir de fil conducteur. Le chercheur doits’efforcer de le dĂ©gager assez rapidement pour que le travail puisse dĂ©butersans retard et se structurer ; peu importe si ce fil conducteur ou thĂšme cen-tral semble banal ; peu importe si l’auteur change de perspective en cours deroute : ce point de dĂ©part est provisoire ; mais il est essentiel d’énoncer le pro-jet de recherche sous la forme d’une question de dĂ©part dans laquelle le cher-cheur va exprimer le plus prĂ©cisĂ©ment possible ce qu’il cherche Ă  savoir etĂ  comprendre. Cette question de dĂ©part doit donc ĂȘtre formulĂ©e le plus claire-ment possible et avec concision. C’est un bon moyen de prouver que le pro-jet est Ă  la fois pertinent et faisable.

Questions : Quel est l’objectif poursuivi en entamant le travail de la thĂšse ?Pouvez-vous Ă©tablir une liste de thĂšmes entretenant un rapport avecce sujet ?Pouvez-vous formuler une question de dĂ©part prĂ©cise et rĂ©aliste ?

SECTION 2.La validation du thĂšme central (Ă©tape 2)

À ce stade, deux tĂąches sont essentielles : dĂ©fricher le terrain et dĂ©finirles grandes orientations de la recherche. Le dĂ©frichement du terrain va per-mettre de faire le point sur les sources documentaires relatives aux thĂšmesprincipaux dĂ©gagĂ©s prĂ©cĂ©demment. La dĂ©finition des grandes orientationsde la recherche va constituer une opĂ©ration dĂ©terminante pour mettre en Ă©vi-dence les points de repĂšre qui vont guider dans la collecte des informationset constituer le support du travail.

C’est ainsi que le thĂšme central de l’étude pourra ĂȘtre validĂ©, tandis qu’au-tour de lui les idĂ©es directrices et les perspectives principales commencerontĂ  s’agencer.

Le dĂ©frichement du terrain permet de prĂ©ciser et d’approfondir les quelquesidĂ©es directrices dĂ©jĂ  dĂ©gagĂ©es. Les premiĂšres recherches doivent ĂȘtre mĂ©-thodiques et systĂ©matiques ; leur point de dĂ©part est la bibliographie qu’il fautdĂ©velopper et exploiter par un choix de thĂšmes et de sources : les lectures per-mettent de faire le point sur les connaissances existantes concernant le sujet ;dans certaines des sciences sociales (par exemple en sociologie), les entretiensont Ă©galement une grande importance, car ils enrichissent les lectures person-

Page 75: Manuels F(f)rancophones

75

nelles par le point de vue d’enseignants et d’experts du domaine de rechercheconsidĂ©rĂ©, ou celui de tĂ©moins privilĂ©giĂ©s, ou encore celui du public ; ils per-mettent au chercheur de prendre conscience d’aspects du sujet auxquels seslectures ne l’avaient pas rendu sensible. Les recherches doivent ĂȘtre centrĂ©esautour des idĂ©es gĂ©nĂ©rales confirmĂ©es par la discussion avec le directeur derecherche et visent Ă  actualiser les connaissances du chercheur sur le sujet etĂ  imaginer des perspectives ; il faut donc mener de front les recherches biblio-graphiques, les entretiens Ă©ventuels et l’exploitation de ces rĂ©fĂ©rences, c’est-Ă -dire la prise de notes. Il n’est pas nĂ©cessaire, Ă  ce stade, d’aller au bout des pistesentrevues ; il s’agit en effet d’une sorte de tour d’horizon. L’objectif est de menerdes recherches exploratoires sur les questions gĂ©nĂ©rales afin de pouvoir Ă©va-luer le travail Ă  faire et de dĂ©finir ainsi les grandes orientations du projet.

Les grandes orientations du travail vont permettre d’aller plus loin. Ellespeuvent ĂȘtre dĂ©finies par quelques questions simples, mais dont les rĂ©ponsespeuvent ĂȘtre difficiles Ă  vĂ©rifier :

Dans le cas d’une Ă©tude de nature sociologique, l’observateur devra seposer les questions suivantes : Quoi observer ? (Quelles sont les donnĂ©es Ă rassembler ?) ; Qui observer ? (Quel est le champ de l’analyse, la populationconsidĂ©rĂ©e ?) ; Comment observer ? (Quels sont les instruments d’observa-tion et d’analyse utilisĂ©s ?).

Dans le cas d’une analyse de nature juridique ou de science politique, lesquestions gĂ©nĂ©ralement retenues sont : Pourquoi ? (Pourquoi le fait, le mĂ©ca-nisme ou l’organisme Ă©tudiĂ© a-t-il Ă©tĂ© crĂ©Ă©, dans quel but ?) ; Comment ?(Quelles sont les modalitĂ©s choisies pour sa mise en place par rapport Ă  quellesautres modalitĂ©s possibles ou comparables dans l’histoire ou dans d’autrespays ?) ; Quels problĂšmes le fait, le mĂ©canisme ou l’organisme Ă©tudiĂ© a-t-ilrencontrĂ© lors de sa mise en place ? (À quelles limites liĂ©es au systĂšme exis-tant s’est-il heurtĂ© ? Des « effets pervers », c’est-Ă -dire non prĂ©vus et l’ayantfait dĂ©river par rapport Ă  ses objectifs initiaux, ont-ils Ă©tĂ© constatĂ©s ?) ; Avecquels effets ? (Pour l’organisme ou le mĂ©canisme lui-mĂȘme ? Sur son envi-ronnement ? Sur tel ou tel principe fondant traditionnellement le domaineconcernĂ© ? Sur l’ensemble du systĂšme concernĂ© ?).

En somme, il s’agit de dresser l’inventaire prĂ©cis et dĂ©taillĂ© de toutes lesquestions qui peuvent se poser, directement ou indirectement, Ă  propos dusujet Ă  traiter.

Il faut donc faire le tour du sujet de la maniĂšre la plus exhaustive possi-ble et de n’oublier aucun Ă©lĂ©ment dans cet inventaire. Des omissions, surtoutsi elles sont importantes, font courir deux sortes de risques : d’une part, celuide se les voir reprocher le jour de la soutenance ; d’autre part, celui de faire

Page 76: Manuels F(f)rancophones

74

perdre au travail une partie de son intĂ©rĂȘt puisque l’une de ses dimensionsn’aura pas Ă©tĂ© abordĂ©e.

La formulation d’hypothĂšses en rĂ©ponse (au moins provisoire) Ă  toutesces questions va contribuer Ă  structurer le projet et Ă  en dĂ©finir les grands axeset les questions connexes. C’est la rĂ©flexion sur les questions dont on vientde faire l’inventaire qui va faire Ă©merger les grandes lignes de la recherche.Et ce sont ces grandes lignes qui vont, ensuite, constituer les bases Ă  partirdesquelles la construction du sujet et la dĂ©finition du plan de la thĂšse (ou dumĂ©moire) pourront ĂȘtre initiĂ©es.

La validation du thĂšme central dĂ©coule logiquement lorsque la comprĂ©-hension du sujet a suffisamment progressĂ© : certains aspects se sont clarifiĂ©s,des idĂ©es nouvelles sont apparues (diffĂ©rentes, peut-ĂȘtre mĂȘme contradictoirespar rapport aux prĂ©cĂ©dentes), certaines questions se rĂ©vĂšlent sans intĂ©rĂȘt outrop marginales tandis que d’autres, au contraire, revĂȘtent une importanceimprĂ©vue et ouvrent des perspectives prometteuses de rĂ©flexion et d’analyse ;la dĂ©finition du thĂšme central est donc indispensable pour hiĂ©rarchiser et trierl’information. Elle va aussi permettre de construire un systĂšme de questionset d’hypothĂšses fondĂ©es sur des outils mĂ©thodologiques ou des concepts aussirigoureux que possible.

C’est le moment de rĂ©diger un canevas, qui fixe les limites de l’étude, dĂ©finitses grands axes et en dĂ©termine l’orientation : soit quelques grandes ques-tions Ă  Ă©lucider ; soit quelques grands domaines Ă  Ă©tudier, en prĂ©cisant lesmoyens et les mĂ©thodes qui seront mis en Ɠuvre. La rĂ©daction de ce canevasprĂ©sente deux avantages : Ă  court terme, elle oblige le candidat Ă  faire le pointdu travail dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©, Ă  clarifier et systĂ©matiser ses idĂ©es, Ă  les ordonner selonleur importance, Ă  les articuler entre elles comme une sorte d’argumentaire ;Ă  long terme, le canevas sera constamment prĂ©sent pour commander la pour-suite de la recherche : sa consultation frĂ©quente Ă©vitera au candidat de trops’éloigner du sujet et de se disperser, et l’obligera Ă  approfondir mĂ©thodique-ment le thĂšme central en triant les sources et les rĂ©fĂ©rences qui s’y rapportent.Car le plan sommaire ou canevas s’articule autour du thĂšme central qui doitpouvoir ĂȘtre formulĂ© en quelques lignes.

Le canevas doit ĂȘtre validĂ© par le directeur de recherche.

Questions : La recherche documentaire est-elle achevée ?Pouvez-vous formuler quelques hypothÚses de travail ?Le thÚme central est-il précisé ?

Page 77: Manuels F(f)rancophones

77

SECTION 3.La validation définitive du plan et la rédaction (étape 5)

La construction du sujet (Ă©tape prĂ©cĂ©dente) permet l’établissement du plan :les deux sont liĂ©s puisque ce sont l’approche du sujet et la problĂ©matique adop-tĂ©es qui vont dĂ©terminer l’architecture gĂ©nĂ©rale du travail et donc le plan. Ilfaut en effet rĂ©pĂ©ter qu’une thĂšse n’est pas une juxtaposition de thĂšmes ou dedescriptions mais une dĂ©monstration : un point de vue que l’on expose et quel’on soutient par des arguments.

Le plan est le support de la dĂ©monstration et de l’argumentation que veutmener l’auteur, il doit donc ĂȘtre clair, prĂ©cis, explicite de la problĂ©matique qu’en-tend dĂ©velopper l’auteur. Sa pensĂ©e ainsi construite et mise en forme seramieux assimilĂ©e car plus aisĂ©ment comprĂ©hensible par le lecteur.

Le plan ne s’établit pas en une seule fois ; il ne devient vraiment dĂ©fini-tif que lorsque l’ouvrage est lui-mĂȘme terminĂ© (Benjamin Constant : « On nepeut travailler Ă  un ouvrage qu’aprĂšs en avoir fait le plan, et un plan ne peutĂȘtre bien fait qu’aprĂšs que toutes les parties de l’ouvrage sont achevĂ©es »).La rĂ©alisation d’une Ă©tude est un processus dynamique : il va donc Ă©voluer,se modifier au fur et Ă  mesure de l’augmentation de la documentation, del’affinement de la connaissance et de la comprĂ©hension du sujet, mais ausside l’avancement de la rĂ©daction (il faut nĂ©anmoins qu’il soit suffisammentprĂ©cisĂ© avant le dĂ©but de la rĂ©daction
 C’est toute la difficultĂ©).

À son origine, se trouvent le canevas, puis le plan provisoire, qui aurontmis en Ă©vidence les points de repĂšre, les idĂ©es directrices organisĂ©es, articu-lĂ©es entre elles, Ă©ventuellement regroupĂ©es. Ils ont Ă©tĂ© progressivement com-plĂ©tĂ©s et affinĂ©s.

Lorsque la phase de documentation est achevĂ©e, le « cadrage du plan »permet la dĂ©limitation finale du sujet. C’est le moment de faire le dernier triet choisir entre les diverses solutions possibles, de faire des choix thĂ©oriquesen privilĂ©giant certains axes, de retrancher ou d’ajouter pour donner Ă  la thĂšseson aspect dĂ©finitif. Lorsque le chercheur a utilisĂ© un modĂšle d’analyse, c’estle moment de vĂ©rifier que les rĂ©sultats obtenus correspondent aux hypo-thĂšses formulĂ©es dans le modĂšle d’analyse.

Il s’agit donc de dĂ©limiter de façon prĂ©cise la portĂ©e du sujet : certains Ă©lĂ©-ments, Ă©ventuellement considĂ©rĂ©s comme marginaux au dĂ©but, ont pris del’importance au cours des recherches ou, au contraire, des Ă©lĂ©ments quiavaient Ă©tĂ© surĂ©valuĂ©s au dĂ©but doivent ĂȘtre convoquĂ©s plutĂŽt en tantqu’auxiliaires ou ĂȘtre Ă©liminĂ©s.

Page 78: Manuels F(f)rancophones

78

Le sujet peut Ă©galement avoir Ă©tĂ© envisagĂ© de maniĂšre trop restrictive audĂ©but : il faut donc lui donner plus d’ampleur, thĂ©orique par exemple. Inver-sement, le sujet a pu ĂȘtre au dĂ©part envisagĂ© de maniĂšre trop large : il convientdonc, sans en diminuer la portĂ©e thĂ©orique, de le restreindre et lui donner uneenvergure compatible avec la durĂ©e d’un travail de ce type (trois Ă  quatre anspour une thĂšse, quelques mois pour un mĂ©moire). On l’a dit plus haut : c’estaffaire de rĂ©alisme. Il n’y a rien de dĂ©shonorant Ă  calibrer un sujet en fonc-tion du temps disponible.

Il faut aussi tenir compte de l’actualitĂ©, c’est-Ă -dire tout Ă©lĂ©ment nouveauintĂ©ressant le thĂšme de la recherche : l’actualitĂ© peut ĂȘtre prĂ©vue ou prĂ©visi-ble lorsqu’elle consiste par exemple dans la publication d’un texte de droitinterne ou d’un accord international dont l’auteur connaissait la prĂ©parationen raison de ses recherches sur ce point ; elle est imprĂ©vue quand il s’agit dedĂ©cisions qui expriment un revirement ou une Ă©volution brutale, ou d’évĂ©ne-ments politiques ou sociaux, nationaux ou internationaux inattendus. Quelsque soient les aspects qu’elle prend, l’actualitĂ© doit ĂȘtre prise en compte etincorporĂ©e dans le travail sous la forme et selon les modalitĂ©s les plus adap-tĂ©es aux besoins du sujet. Mais, en tout Ă©tat de cause, il est clair qu’il ne fautrien construire sur des Ă©lĂ©ments pĂ©rimĂ©s ou dĂ©passĂ©s et qu’une thĂšse doit ĂȘtreĂ  jour au moment de la rĂ©daction. Il ne faut pas se lamenter d’un revirementjurisprudentiel, d’une rĂ©forme lĂ©gislative, d’une rĂ©volution politique : cettesurvenance donne de la valeur Ă  un travail qui sera parmi les premiers Ă  l’intĂ©-grer en son sein ; d’autant qu’un tel Ă©vĂ©nement rend obsolĂšte tout ce qui a Ă©tĂ©Ă©crit sur le sujet auparavant.

Le plan se construit autour du thĂšme central : il s’agit d’une dĂ©monstra-tion qui utilise de façon prĂ©cise et pertinente les Ă©lĂ©ments en possession del’auteur. Il s’agit de ne retenir que les Ă©lĂ©ments qui sont nĂ©cessaires, et mĂȘmeindispensables, Ă  cette dĂ©monstration.

L’établissement du plan dĂ©finitif doit Ă©viter quelques Ă©cueils majeurs.D’abord, le plan ne doit pas ĂȘtre artificiel ; il doit articuler des idĂ©es direc-trices Ă©troitement liĂ©es au sujet : articuler, c’est-Ă -dire relier selon un schĂ©maou une progression logique. Il faut faire apparaĂźtre la rĂ©flexion de l’auteur etla dĂ©monstration qui la justifie.

Ensuite, le plan ne doit pas ĂȘtre simplement descriptif. Certes, des Ă©lĂ©mentsdescriptifs sont nĂ©cessaires, notamment pour des faits ou des organismes peuconnus. Mais ces observations et cette Ă©tude des faits doivent conduire Ă  desrĂ©flexions ou analyses thĂ©oriques : c’est ce qui constitue la thĂšse.

Ajoutons enfin que le plan doit Ă©viter les rĂ©pĂ©titions. Certes, il est toujourspossible de traiter d’un mĂȘme thĂšme dans des chapitres diffĂ©rents, mais Ă 

Page 79: Manuels F(f)rancophones

79

condition que ce soit sous des angles diffĂ©rents et que la dĂ©monstrationl’exige. Un plan qui contient des rĂ©pĂ©titions est, en gĂ©nĂ©ral, mauvais. Si onne peut pas dire que savoir Ă©viter les rĂ©pĂ©titions est toujours le signe d’unbon plan, on peut, en revanche, affirmer que ne pas savoir les Ă©viter est, Ă  coupsĂ»r, le signe d’un mauvais plan.

Questions : Le plan définitif est-il achevé ?Que voulez-vous démontrer ?La démonstration apparaßt-elle clairement à la simple lecture duplan ?

SECTION 4.Le bilan et les perspectives (Ă©tape 6)

Comme l’introduction gĂ©nĂ©rale, la conclusion gĂ©nĂ©rale est distincte du restedu texte ; elle ne comporte pas de subdivisions. Elle est courte (quelques pages),ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas d’importance. Car la conclusion d’untravail est la partie que les lecteurs lisent volontiers en premier lieu : ilsveulent, grĂące Ă  la lecture de ces quelques pages, se faire une idĂ©e gĂ©nĂ©raleet prĂ©cise de l’intĂ©rĂȘt que la recherche prĂ©sente, sans devoir lire l’ensemble ;ce n’est que si cette dĂ©couverte rapide les inspire qu’ils dĂ©cideront de lirel’ensemble du travail. C’est pourquoi il convient de rĂ©diger la conclusion avecbeaucoup d’attention et d’y faire apparaĂźtre les informations utiles aux lec-teurs potentiels.

La difficultĂ© de la conclusion gĂ©nĂ©rale est d’obliger le candidat Ă  ramasserde façon condensĂ©e tout ce qui a le plus de relief dans son travail afin d’en mon-trer l’intĂ©rĂȘt. La conclusion contient l’essentiel de la « thĂšse » du candidat.

En contradiction avec la formule de Flaubert « la bĂȘtise c’est de conclure »(mais il se plaçait sans doute sur le terrain littĂ©raire oĂč il ne faut fermer aucuneporte Ă  l’imagination), conclure un mĂ©moire ou une thĂšse consiste donc Ă  fairele bilan du travail rĂ©alisĂ© en rappelant la question de dĂ©part et le modĂšle d’ana-lyse utilisĂ© ou la problĂ©matique dĂ©gagĂ©e, en relevant les observations effec-tuĂ©es et les rĂ©sultats obtenus, ou les idĂ©es essentielles autour du fil conducteuret en indiquant les enseignements que l’on peut en tirer ; il pourra s’agir deconfirmer les connaissances existantes sur la question, ou de revendiquer –en le justifiant – une modification de ces connaissances : un travail de recherchesociale est en effet susceptible d’apporter de nouvelles connaissances rela-tives Ă  l’objet d’analyse, mais aussi de nouvelles connaissances thĂ©oriques(points de vue originaux, questionnements nouveaux).

Page 80: Manuels F(f)rancophones

80

Conclure, c’est aussi le moment de prendre parti et d’exprimer sa posi-tion personnelle, lorsque le sujet comporte un dĂ©bat entre opinions opposĂ©es.Il faut reprendre sa « thĂšse » et la mettre en valeur en rappelant les argumentsdĂ©veloppĂ©s tout au long de l’étude.

Conclure peut conduire enfin Ă  Ă©voquer des perspectives sur la question(Ă©ventuellement des perspectives sur des applications pratiques), ou Ă  envisa-ger des hypothĂšses prospectives Ă  court ou moyen terme. C’est particuliĂšre-ment vrai en GĂ©opolitique : la derniĂšre partie pourra ĂȘtre articulĂ©e autour dedeux orientations complĂ©mentaires. Le changement d’échelle, tout d’abord.Un sujet consacrĂ© Ă  l’Union europĂ©enne devra plus que vraisemblablementdistinguer, aprĂšs la description des caractĂšres gĂ©opolitiques appliquĂ©s Ă  l’en-semble de l’Union et des facteurs rendant compte de leur spĂ©cificitĂ©, les Ă©lĂ©-ments concrets susceptibles d’ĂȘtre appliquĂ©s, par exemple, aux membres del’Union gravitant au sein de l’Europe Occidentale (« la vieille Europe » de Do-nald Rumsfeld) et aux nouveaux venus de l’Europe de l’Est, notamment lesex-DĂ©mocraties populaires. L’étude des flux migratoires vers ladite Union con-duira vraisemblablement Ă  conclure qu’ils se conjuguent de maniĂšre diffĂ©rentedans les pays europĂ©ens de l’interface mĂ©diterranĂ©en (de la GrĂšce Ă  l’Espagneen passant par Chypre, l’Italie ou Malte) et dans les États baltes ou scandinaves.

ParallĂšlement Ă  ce changement d’échelle, rappelons que toute Ă©tude gĂ©o-politique doit en principe dĂ©boucher sur des perspectives, des projections (bienentendu Ă©tayĂ©es par des arguments solides) voire des scenarii esquissĂ©s pourle moyen terme. Ici aussi, il faudra non seulement raison garder mais s’abs-tenir de toute interprĂ©tation partiale et trop personnelle.

Concernant la bibliographie et les annexes, les mĂȘmes principes mĂ©thodo-logiques s’appliquent : une approche iconographique, mĂȘme sommaire, estsouvent la bienvenue. « Un croquis vaut mieux qu’un long discours » rappe-lait frĂ©quemment NapolĂ©on Bonaparte. Encore faut-il que l’approche carto-graphique respecte un certain nombre de « garde fous » : le terme de « carte »doit ĂȘtre rĂ©servĂ© Ă  un document Ă©laborĂ© qui a pour objectif d’informer et delocaliser avec prĂ©cision ; l’échelle et l’orientation doivent ĂȘtre systĂ©matique-ment prĂ©sentes. On pourra reprĂ©senter des « cartes » reprises intĂ©gralementd’un ouvrage publiĂ© (« cartes issues de
 »), des cartes « amĂ©nagĂ©es » parl’auteur (« carte extraite de
, et complĂ©tĂ©e par l’auteur ») voire des cartestotalement construites par l’auteur.

Le « croquis » correspond Ă  l’interprĂ©tation cartographique d’une problĂ©-matique autour de quelques grandes idĂ©es, via la localisation des phĂ©nomĂšnesĂ©tudiĂ©s.

Page 81: Manuels F(f)rancophones

81

Le terme de « schĂ©ma cartographique » concerne un document cartogra-phique qui ne recherche pas une localisation prĂ©cise mais la simple visuali-sation d’une idĂ©e ou de plusieurs idĂ©es prĂ©cises.

Rappelons in fine, Ă  ce propos, quelques banalitĂ©s, pas toujours inutiles :un croquis doit ĂȘtre lisible (les principaux phĂ©nomĂšnes doivent apparaĂźtreau premier coup d’Ɠil), Ă  la fois clair et contrastĂ© ; il doit hiĂ©rarchiser les es-paces ; il doit ĂȘtre dĂ©monstratif et expressif en mettant en valeur ce que l’onveut dĂ©montrer. Bref, accompagnĂ© par une lĂ©gende structurĂ©e, il peut Ă  la foisdĂ©crire le phĂ©nomĂšne et tenter de l’expliquer.

Quant Ă  la bibliographie, il est toujours nĂ©cessaire de la prĂ©senter de fa-çon ordonnĂ©e et classĂ©e. Il est notamment indispensable de distinguer lesouvrages fondamentaux, les ouvrages spĂ©cialisĂ©s, les articles
 Un rapide com-mentaire personnalisĂ© desdites sources peut ĂȘtre envisagĂ©, Ă  condition qu’ilne se cantonne pas Ă  un banal rĂ©sumĂ© de l’ouvrage concernĂ©.

Questions : La conclusion rĂ©sume-t-elle fidĂšlement la thĂšse ?Évoque-t-elle des perspectives ou des hypothĂšses prospectives ?Contient-elle des Ă©lĂ©ments qui pourraient ĂȘtre utiles Ă  la dĂ©monstra-tion ?

Page 82: Manuels F(f)rancophones

82

CHAPITRE II.


mais des spécificités à chaque discipline

La dĂ©finition de la problĂ©matique (Ă©tape 3) et la construction d’un modĂšled’analyse (Ă©tape 4) font apparaĂźtre de nettes diffĂ©rences entre les approchesdisciplinaires, comme en tĂ©moigne le tableau synoptique ci-dessus. Ces dif-fĂ©rences rĂ©sultent de l’utilisation d’outils et de concepts spĂ©cifiques, mais aussiplus profondĂ©ment de mĂ©thodes d’analyse originales.

SECTION 1.La définition de la problématique (étape 3)

En droit, cette Ă©tape est souvent confondue avec la prĂ©cĂ©dente. Dans uneĂ©tude juridique, dĂ©finir la problĂ©matique consiste le plus souvent Ă  dresserl’inventaire prĂ©cis et dĂ©taillĂ© de toutes les questions qui peuvent se poser, Ă formuler des hypothĂšses en rĂ©ponse (au moins provisoire) Ă  toutes ces ques-tions, puis Ă  dĂ©finir les grands axes et les questions connexes. La rĂ©flexionsur les questions dont on a fait l’inventaire fait alors Ă©merger les grandes lignesde la recherche : grandes lignes qui vont, ensuite, constituer les bases Ă  par-tir desquelles la construction du sujet et la dĂ©finition du plan de la thĂšse (oudu mĂ©moire) pourront ĂȘtre initiĂ©es.

Cette lacune de beaucoup d’analyses juridiques tient au positivisme domi-nant dans les sciences juridiques : les thĂ©ories explicatives sont perçues commeautant de tentations idĂ©ologiques pour un juriste Ă©pris avant tout de neutra-litĂ©. RĂ©sultat : beaucoup de juristes ont choisi de se cantonner Ă  la seule ana-lyse des aspects formels des phĂ©nomĂšnes dans une dĂ©marche typiquement« positiviste ». Il n’en reste pas moins qu’ils « font de la thĂ©orie » sans le savoir :aborder les faits en termes de causalitĂ©, de structure, de rĂ©seau, comme le fontla plupart des Ă©tudes juridiques, c’est adopter – sans le dire ou mĂȘme sans lesavoir – des approches dĂ©terminĂ©es (causale, structurale, fonctionnelle) etdonc un paradigme particulier (la dimension structurĂ©e du social).

Il n’en va pas de mĂȘme en Relations Internationales et en GĂ©opolitique.Dans ces deux disciplines, la problĂ©matique dĂ©signe la perspective thĂ©oriqueque l’auteur dĂ©cide, explicitement et de façon formalisĂ©e, d’adopter pour trai-ter le problĂšme posĂ© par la question de dĂ©part. Il s’agit de dĂ©finir l’angle sous

Page 83: Manuels F(f)rancophones

83

lequel les phĂ©nomĂšnes vont ĂȘtre Ă©tudiĂ©s : la problĂ©matique fait donc le lienentre l’objet d’étude et les outils thĂ©oriques dont dispose l’auteur pour l’étu-dier. C’est une Ă©tape difficile qui suppose de la part de l’étudiant une bonneconnaissance des principaux courants thĂ©oriques en sciences sociales, maisaussi la capacitĂ© de mobiliser ces thĂ©ories et concepts avec discernement etpertinence dans une recherche concrĂšte. Car il ne s’agit pas de plaquer surla rĂ©alitĂ© – de façon artificielle – une thĂ©orie toute faite. Il s’agit de l’utiliserpour Ă©clairer et ordonner les phĂ©nomĂšnes Ă©tudiĂ©s, ainsi que pour se poserles bonnes questions et choisir les bonnes pistes de recherche.

En effet, la recherche en sciences sociales doit tendre Ă  dĂ©passer la simpledescription des faits (mĂȘme si une bonne description est une Ă©tape impor-tante) ; elle doit viser Ă  expliquer les faits. Ceci suppose de les mettre en re-lation avec d’autres faits ou phĂ©nomĂšnes, actions, contextes, Ă©volutionshistoriques, stratĂ©gies globales ou individuelles, fonctions
 Les diffĂ©rentesthĂ©ories sont censĂ©es aider Ă  Ă©tablir un lien entre les donnĂ©es observĂ©es et leshypothĂšses explicatives.

À la diffĂ©rence du droit, qui met l’accent sur la causalitĂ© et les structures,les Relations Internationales et la GĂ©opolitique privilĂ©gient la dimension pro-cessuelle et les concepts dynamiques que sont le mouvement, les interactions,les conflits, les stratĂ©gies, la production sociale, les rĂ©seaux
 Ainsi l’analysede GĂ©opolitique qui pourra comporter des descriptions en termes de « stocks »(le propre de la « gĂ©ographie politique ») comportera Ă©galement, lorsque lesujet s’y prĂȘte, une analyse en termes de « flux » (Ă©volution des caractĂšres fon-damentaux du dit sujet dans le temps). Ces disciplines insistent Ă©galementsur le sens des phĂ©nomĂšnes sociaux : elles les abordent en termes de culture,d’idĂ©ologie, de reprĂ©sentations sociales ou de symbolique pour tenter de com-prendre la maniĂšre dont les acteurs – individus et groupes – se rattachent Ă©mo-tionnellement aux institutions qui les structurent.

Dans le cas des Relations Internationales, cette troisiĂšme Ă©tape de la re-cherche coĂŻncide avec une option pour le paradigme thĂ©orique dans lequelon a dĂ©cidĂ© d’inscrire son travail de recherche. Cette option devra s’accom-pagner de quelques questionnements mĂ©tathĂ©oriques prĂ©alables, que nousavons dĂ©taillĂ©s dans la section consacrĂ©e Ă  la spĂ©cificitĂ© de la mĂ©thode des Re-lations Internationales. Le paradigme thĂ©orique qui guidera le travail sera choisien fonction de la rĂ©ponse donnĂ©e Ă  ces questions, ainsi qu’en fonction des spĂ©-cificitĂ©s de l’objet empirique. Par exemple, il est connu que les sujets liĂ©s Ă  laguerre se prĂȘtent mieux Ă  une analyse rĂ©aliste, que le paradigme libĂ©ral aapprofondi la question de la coopĂ©ration et des institutions, ou que le cons-tructivisme s’intĂ©resse de prĂ©fĂ©rence Ă  la construction des identitĂ©s et des

Page 84: Manuels F(f)rancophones

82

intĂ©rĂȘts Ă©tatiques. L’approche thĂ©orique devra donc Ă©tablir ce lien entre la vi-sion plus gĂ©nĂ©rale sur la recherche et l’objet particulier d’étude.

Le choix d’une problĂ©matique s’effectue progressivement et de façon prag-matique, Ă  mesure de l’avancement de la recherche exploratoire et des lec-tures sur les thĂ©ories en prĂ©sence ; il faut en effet les comparer, mettre enĂ©vidence les diffĂ©rentes approches qu’elles proposent ; il faut ensuite choisirune thĂ©orie qui permette de formaliser une problĂ©matique adaptĂ©e au sujetĂ©tudiĂ©.

Expliciter cette problĂ©matique offre l’occasion de reformuler la questionde dĂ©part : il s’agit de recentrer l’objet d’analyse alors que la question de dĂ©partĂ©tait volontairement large ; il s’agit Ă©galement de la prĂ©ciser davantage auregard de l’option thĂ©orique choisie pour formuler la problĂ©matique.

Questions : À quelle(s) thĂ©orie(s) se rattache votre analyse ?Quelle problĂ©matique jugez-vous la plus adaptĂ©e Ă  votre sujet ?La question centrale de votre recherche ne doit-elle pas ĂȘtre reformulĂ©e ?

SECTION 2. La construction d’un modĂšle d’analyse (Ă©tape 4)

La construction du modĂšle d’analyse constitue la charniĂšre entre la pro-blĂ©matique retenue par le chercheur et son travail d’analyse puis de rĂ©dac-tion. Ce modĂšle est composĂ© d’hypothĂšses et de concepts articulĂ©s entre eux.Les remarques introductives du paragraphe prĂ©cĂ©dent (Ă©tape 3) relatives Ă la discipline « droit » valent Ă©galement ici.

La recherche doit se structurer autour d’hypothĂšses : une fois formulĂ©es,ces derniĂšres permettent en effet au chercheur de sĂ©lectionner – parmi les nom-breuses donnĂ©es recueillies – celles qui sont pertinentes, c’est-Ă -dire utiles Ă l’étude. Les hypothĂšses sont des propositions qui anticipent une relation entredeux termes (concepts ou phĂ©nomĂšnes) ; elles anticipent : c’est dire qu’ellessont provisoires et nĂ©cessitent la vĂ©rification. C’est prĂ©cisĂ©ment l’objet de l’ob-servation : vĂ©rifier l’adĂ©quation de l’hypothĂšse aux donnĂ©es observĂ©es. Larecherche se prĂ©sente alors comme un incessant va-et-vient entre la rĂ©flexionthĂ©orique et l’observation empirique.

Cette recherche suppose parallĂšlement la dĂ©finition de concepts, c’est-Ă -dire des constructions abstraites qui visent Ă  rendre compte du rĂ©el. La con-ceptualisation n’est pas une simple convention ; elle a une utilitĂ© pratique :celui de ne retenir de la rĂ©alitĂ© que ce qui en exprime l’essentiel pour le cher-cheur.

Page 85: Manuels F(f)rancophones

83

Par exemple, en GĂ©opolitique, la quĂȘte des facteurs explicatifs conduit Ă dĂ©gager de la gamme des facteurs recensables, les « tendances lourdes » et les« variables contemporaines ». Les tendances lourdes, qui correspondent Ă  desĂ©volutions observĂ©es sur une longue pĂ©riode, doivent prĂ©tendre Ă  servir derĂ©fĂ©rence raisonnable Ă  l’émission d’hypothĂšses, voire, ultĂ©rieurement, Ă  l’évo-cation de perspectives Ă  court ou moyen terme. C’est Ă  partir de tendanceslourdes (et singuliĂšrement le binĂŽme incontournable « tendances lourdes liĂ©esĂ  l’espace/tendances lourdes liĂ©es au temps ») que seront, dans une troisiĂšmepartie, esquissĂ©s les scenarii possibles. Les variables contemporaines (parfoisqualifiĂ©es « d’incertitudes majeures ») sont de facto des Ă©lĂ©ments d’évaluationsusceptibles d’entraĂźner des fractures brutales face au rĂŽle tenu par certainestendances lourdes.

Pour ce qui est des Relations Internationales, cette Ă©tape suppose, en pre-mier lieu, la construction des hypothĂšses qui seraient des tentatives de don-ner une rĂ©ponse – provisoire – Ă  la question de recherche initiale. Ces hypo-thĂšses doivent ĂȘtre cohĂ©rentes avec le paradigme thĂ©orique retenu – ellesdoivent mĂȘme ĂȘtre inspirĂ©es par le paradigme respectif. Ensuite, ces hypo-thĂšses doivent ĂȘtre articulĂ©es sous la forme d’un modĂšle d’analyse – qui peutĂȘtre dĂ©jĂ  existant dans la littĂ©rature, ou bien construit par le chercheur pourcorrespondre Ă  son objet d’étude.

Questions : Quelles sont les hypothÚses retenues ?Quels sont les concepts utilisés ?Voyez-vous clairement les relations entre vos hypothÚses et les con-cepts ?

Page 86: Manuels F(f)rancophones

84

CHAPITRE III.

La construction de la pluralité disciplinaire

Trois spĂ©cialistes (droit international, Relations Internationales et GĂ©opoli-tique) prĂ©sentent ci-aprĂšs la construction de plans de mĂ©moire ou de thĂšse :ils ont choisi un sujet thĂ©matique (La question des frontiĂšres en Afrique subsa-harienne) et un sujet spatial (Le fleuve Litani) traitĂ©s en parallĂšle. Il est ainsi pos-sible de comparer trois plans, chacun dans une discipline, afin d’apprĂ©cierles diffĂ©rences d’approche et de mĂ©thode.

SECTION 1.La question des frontiĂšres en Afrique subsaharienne

A – DU POINT DE VUE DU DROIT INTERNATIONAL

La question des frontiĂšres en Afrique subsaharienne soulĂšve des problĂšmesjuridiques complexes : en effet, la plupart d’entre elles ont Ă©tĂ© imposĂ©es parle colonisateur et pourtant, bien que contestĂ©es, elles demeurent intangiblesdepuis la dĂ©colonisation.

La frontiĂšre peut ĂȘtre dĂ©finie comme la ligne oĂč commencent et oĂč fi-nissent les territoires de deux États voisins ; elle dĂ©termine donc oĂč com-mencent et s’arrĂȘtent les compĂ©tences Ă©tatiques. Les frontiĂšres rĂ©sultentnormalement de compromis conventionnels nĂ©gociĂ©s entre les États limi-trophes ; mais les procĂ©dĂ©s de fixation des frontiĂšres font quelquefois l’ob-jet de dĂ©saccords et les affaires relatives au contentieux territorial sontnombreuses, comme en tĂ©moigne la jurisprudence de la Cour internationalede justice.

En Afrique subsaharienne, la question des frontiĂšres pose des problĂšmesspĂ©cifiques dans la mesure oĂč elles rĂ©sultent soit du partage des territoiresentre puissances coloniales (notamment Ă  la suite du CongrĂšs de Berlin), soitdes dĂ©limitations administratives internes Ă  l’ancien empire colonial ou plusrarement d’accords passĂ©s entre l’ancienne mĂ©tropole et un autre État. Danstous les cas, le colonisateur n’a pas tenu compte des identitĂ©s et des solidari-tĂ©s ethniques, sociales ou politiques des populations dans les sociĂ©tĂ©s afri-caines prĂ©-coloniales.

Page 87: Manuels F(f)rancophones

87

AprĂšs la dĂ©colonisation, ces frontiĂšres ont bien sĂ»r Ă©tĂ© contestĂ©es ; pour-tant, l’Organisation de l’unitĂ© africaine (aujourd’hui Union africaine) a pristrĂšs tĂŽt le parti de l’application du principe de l’uti possidetis juris, c’est-Ă -direle choix du statu quo ante, afin de limiter les tensions liĂ©es aux contentieux ter-ritoriaux (RĂ©solution du Caire, juillet 1964). Cette position fait l’objet d’un con-sensus (Ă  l’exception notable de la tentative de sĂ©cession du Biafra en1967–1970), mais n’empĂȘche pas l’apparition de diffĂ©rends Ă  l’occasion des-quels la Cour internationale de justice a prĂ©cisĂ© le principe de l’intangibilitĂ©des frontiĂšres issues de la colonisation.

I. Des frontiÚres imposées par le colonisateur


A. Le caractĂšre non conventionnel d’établissement des frontiĂšresen Afrique subsaharienne

Les modes conventionnels et non conventionnels (unilatĂ©raux, juridiction-nels) d’établissement des frontiĂšres.

Le CongrÚs de Berlin (Acte final de la Conférence de Berlin, 26 février 1885)et la délimitation des frontiÚres entre les empires coloniaux.

Les délimitations administratives internes aux empires coloniaux.

B. Le caractĂšre artificiel des frontiĂšres en Afrique subsaharienneFrontiĂšres « naturelles » et frontiĂšres « artificielles » ; principe de l’équitĂ©.L’exemple de l’empire français : division entre l’AOF et l’AEF ; puis divi-

sion entre les douze colonies composant l’AOF.

II. 
et maintenues depuis la décolonisation

A. Le principe stabilisateur de l’uti possidetis jurisLa mise en Ɠuvre du principe en AmĂ©rique latine au XIXe siĂšcle, puis en

Afrique aprÚs la décolonisation.Un « principe général » pour la Cour internationale de justice (affaire Bur-

kina Faso/Mali, 1986).

B. L’application du principe de l’uti possidetis juris en AfriqueSentence arbitrale « DĂ©termination de la frontiĂšre maritime GuinĂ©e-Bis-

sau/SĂ©nĂ©gal », 1989 ; Cour internationale de justice, « DiffĂ©rend frontalierLibye/Tchad Ă  propos de la bande d’Aouzou » (1994).

Les limites de l’application du principe en Afrique subsaharienne.

Page 88: Manuels F(f)rancophones

88

Bibliographie sommaire

SociĂ©tĂ© française pour le droit international, La frontiĂšre, Paris, Pedone, 1980.CAFLISCH Lucius, « Essai d’une typologie des frontiĂšres », Relations internationales, n° 63, 1990,

pp. 265–293.GUILLAUME Gilbert, Les grandes crises internationales et le droit, Paris, Seuil, 1994.KOHEN Marcelo, « Les relations titres/effectivitĂ©s dans le contentieux territorial Ă  la lumiĂšre

de la jurisprudence rĂ©cente », Revue gĂ©nĂ©rale de droit international public, vol. 108, nÂș 3, 2004,pp. 561–595.

TAVERNIER Paul, « Les diffĂ©rends frontaliers terrestres dans la jurisprudence de la CIJ », Annu-aire français de droit international, 2001, pp. 137–148.

B – DU POINT DE VUE DES RELATIONS INTERNATIONALES

La perspective des Relations Internationales sur la question des frontiĂšresen Afrique subsaharienne devra intĂ©grer des aperçus repris de la GĂ©opoli-tique, ce qui montre encore une fois le caractĂšre hybride de la discipline. LeproblĂšme le plus important liĂ© Ă  la dĂ©limitation des frontiĂšres dans cette rĂ©gionconcerne l’incohĂ©rence ethnique des États issus de la dĂ©colonisation. Les fron-tiĂšres arbitrairement tracĂ©es par les empires coloniaux avant leur retraite hĂątiveet, pour la plupart, dĂ©sorganisĂ©e de l’Afrique ne tiennent compte ni des fron-tiĂšres naturelles, ni des groupes ethniques et linguistiques souvent sĂ©parĂ©sbrutalement dans des États diffĂ©rents. C’est la raison principale des conflitsexistant encore de nos jours entre les États africains et des guerres civiles entreles populations qui ne se sentent pas solidaires dans des communautĂ©s poli-tiques artificielles. Plus qu’ailleurs dans le monde, Ă  cause de la transversali-tĂ© des groupes ethniques, les guerres suivent dans cette rĂ©gion un schĂ©madans lequel un groupe ethnique vise la prise du pouvoir Ă  l’aide des forcesarmĂ©es d’un État voisin, comme c’est le cas du conflit Rwanda–Congo en 1996.

Une approche politique de la question des frontiĂšres en Afrique subsaha-rienne devra s’interroger sur la maniĂšre dont la domination coloniale d’abord,puis la dĂ©colonisation se sont dĂ©roulĂ©es, ont influencĂ© la configuration des fron-tiĂšres et ont donnĂ© naissance aux conflits territoriaux. RĂ©sultant des nĂ©gociationspolitiques entre les empires coloniaux et des pressions pour la dĂ©colonisationexercĂ©es par les deux superpuissances de la guerre froide, plutĂŽt que d’une prĂ©oc-cupation pour la dĂ©limitation Ă©quitable, dans l’esprit de la justice, ces frontiĂšresse sont maintenues jusqu’à nos jours Ă  cause du danger reprĂ©sentĂ© pour la com-munautĂ© internationale par la mise en cause du statu quo.

Une consĂ©quence importante de la maniĂšre dont ces frontiĂšres ont Ă©tĂ© tra-cĂ©es est le manque de solidaritĂ© au sein des communautĂ©s politiques artifi-cielles ainsi crĂ©Ă©es. En dĂ©coule une quĂȘte permanente d’identitĂ© de la part de

Page 89: Manuels F(f)rancophones

89

ces communautĂ©s politiques, qui se traduit par des conflits rĂ©currents. Or,l’état conflictuel est l’une des entraves les plus importantes au dĂ©veloppe-ment Ă©conomique, comme l’ont bien montrĂ© les penseurs libĂ©raux.

Introduction

Question de recherche : quel est le lien entre la configuration des frontiÚresen Afrique subsaharienne, les conflits ethniques et le sous-développement ?

HypothĂšse : la configuration des frontiĂšres en Afrique subsaharienne estune cause indirecte du sous-dĂ©veloppement, car elle a empĂȘchĂ© la crĂ©ationde communautĂ©s politiques solidaires, capables de mettre en place un pro-jet politique commun.

Clarification conceptuelle et choix thĂ©orique : le rĂ©alisme politique et lathĂ©orie de l’équilibre de puissances, outils pour la comprĂ©hension de la con-figuration des frontiĂšres ; les thĂ©ories du dĂ©veloppement.

I. La dimension politique de la question des frontiĂšres

A. Aperçu historiqueComment peut-on expliquer la configuration des frontiÚres en Afrique sub-

saharienne ?– les colonies comme ressource de puissance pour la mĂ©tropole ;– les États d’Afrique subsaharienne : crĂ©ation historique de haut en bas.

À la diffĂ©rence des États europĂ©ens, dont la crĂ©ation a Ă©tĂ© l’aboutissementd’un long processus historique de formation de la nation, une crĂ©ationorganique de bas en haut, les États d’Afrique subsaharienne ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©sde maniĂšre artificielle. Les puissances coloniales ont essayĂ© d’appli-quer un modĂšle totalement inadaptĂ© pour la rĂ©gion, celui de l’État-na-tion de type europĂ©en ;

– la dĂ©limitation des frontiĂšres est un jeu Ă  somme nulle. Tout ce qui estgagnĂ© par une partie est perdu par les autres ;

– la dĂ©limitation des frontiĂšres, depuis le CongrĂšs de Berlin (1885) jusqu’àla fin de la dĂ©colonisation, a Ă©tĂ© le rĂ©sultat de l’équilibre des puissancescoloniales.

B. Aperçu gĂ©ographiqueQuel est l’impact de l’ethnicitĂ©, de la langue et de la religion sur l’émer-

gence des conflits territoriaux en Afrique subsaharienne ?– les groupes ethniques en Afrique ;– les langues ;

Page 90: Manuels F(f)rancophones

90

– les questions religieuses ;– les frontiùres en Afrique subsaharienne ne tiennent aucun compte des

clivages ethniques, linguistiques et religieux.

C. Le maintien du statu quoComment expliquer le maintien du statu quo en dĂ©pit de l’artificialitĂ©

des frontiĂšres ?– les diffĂ©rends territoriaux devant la CIJ ; – les implications politiques et juridiques pour la communautĂ© interna-

tionale de l’éclatement possible des frontiĂšres en Afrique ;– le principe de l’intangibilitĂ© des frontiĂšres, garantie non pas de la jus-

tice internationale, mais de la stabilité.

II. FrontiÚres et développement

A. Les conditions du dĂ©veloppement Ă©conomique– la paix ;– la stabilitĂ© du rĂ©gime politique ;– la prĂ©dictibilitĂ© de l’environnement.

B. Le dĂ©veloppement en Afrique subsaharienne. Étude de cas

Bibliographie sommaire

AMSELLE Jean-Loup et M’BOKOLO Elikia (dir.), Au cƓur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et Étaten Afrique, Paris, La DĂ©couverte, 1999.

BACH Daniel (dir.), RĂ©gionalisation, mondialisation et fragmentation en Afrique subsaharienne, Paris,Karthala, 1998.

BAYART Jean-François, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989.BEJI Hele, Le DĂ©senchentement national. Essai sur la dĂ©colonisation, Paris, La DĂ©couverte, 1982.LEYMARIE Philippe et PERRET Thierry, Les 100 clĂ©s de l’Afrique, Paris, Hachette LittĂ©ratures,

2006.

C – DU POINT DE VUE DE LA GÉOPOLITIQUE

Deux remarques prĂ©alables : – l’ambiguĂŻtĂ© du terme « frontiĂšre ». En langue française, ce terme recou-

vre en effet plusieurs rĂ©alitĂ©s, ce qui n’est pas le cas de l’anglais, qui dis-tingue la « frontiĂšre administrative » (« boundary »), frontiĂšre linĂ©aire,de la « zone frontiĂšre » ou « front » – the « frontier » (cf. l’ouvrage cultede l’historien Frederick Turner quant Ă  la « frontiĂšre » du Far West amĂ©-

Page 91: Manuels F(f)rancophones

91

ricain, Ă  la fin du XIXe siĂšcle). Les deux notions correspondent naturelle-ment Ă  une rĂ©alitĂ© historique dans l’Afrique subsaharienne, mais sedĂ©clinent de maniĂšre disparate selon les rĂ©gions et les États.

– la controverse rĂ©cente quant Ă  la notion de « frontiĂšre naturelle » et de« frontiĂšre artificielle ». À l’échelle de la planĂšte, la quasi totalitĂ© des fron-tiĂšres, au sens linĂ©aire du terme, ne sont pas naturelles. Bien qu’elles cor-respondent assez frĂ©quemment Ă  des « rĂ©fĂ©rences naturelles » (fleuves,littoraux, crĂȘtes montagneuses), elles Ă©margent de fait – n’en dĂ©plaiseĂ  Richelieu – Ă  la dĂ©cision des hommes et, le plus souvent, de compro-mis entre peuples ou
 belligĂ©rants.

En l’occurrence, ce qui est profondĂ©ment original en Afrique subsaharienne,c’est que lesdites frontiĂšres sont hĂ©tĂ©ronomes, c’est-Ă -dire que leur tracĂ© a Ă©tĂ©dĂ©cidĂ© par des dĂ©cideurs extĂ©rieurs au continent.

I. Des frontiÚres spécifiques

A. L’Afrique subsaharienne, une mosaĂŻque d’États « artificiels »L’Afrique, archĂ©type du « Tiers Monde » et de ses flĂ©aux, (au-delĂ  d’indĂ©-

niables disparitĂ©s selon les ensembles rĂ©gionaux), apparaĂźt tout d’abord commeun vĂ©ritable kalĂ©idoscope de situations gĂ©opolitiques et gĂ©oĂ©conomiques,une juxtaposition d’États-nations (si tant est que l’on puisse appliquer sansrĂ©serves ce concept au continent) ; un kalĂ©idoscope fruit de dĂ©coupages tech-niques ou « administratifs » extĂ©rieurs, arbitraires, et qui ont pu se chevau-cher au fil du temps : liens tribaux, poids des ethnies, cultures traditionnelles,foyers religieux
 Les structures et les rĂ©gimes politiques se sont avĂ©rĂ©s trĂšsfragiles depuis un demi-siĂšcle. Depuis la vague d’accessions Ă  l’indĂ©pendancedes annĂ©es soixante, l’Afrique noire a Ă©tĂ© frappĂ©e par la « maladie chronique »de l’AmĂ©rique latine, le « pronunciamento ». PrĂšs d’une trentaine de coupsd’État ont pu ĂȘtre ainsi recensĂ©s dans la zone subsaharienne, tant dans lesnations anglophones (Ghana, Nigeria, Liberia) que dans les pays francophones(Congo, BĂ©nin, Burkina Faso, Tchad, Mali, Niger).

B. 
gĂ©nĂ©ratrice de multiples contentieux, voire de conflits ouvertsCette extrĂȘme fragilitĂ© caractĂ©rise des États enfermĂ©s dans des frontiĂšres

trÚs « artificielles » (au tracé parfois rectiligne), frontiÚres ùprement dispu-tées et souvent à la source de conflits ouverts.

Depuis l’indĂ©pendance, l’Afrique subsaharienne a connu une successionpresque ininterrompue de guerres. On a pu dĂ©nombrer prĂšs de quatre mil-lions de morts au cours du dernier demi-siĂšcle : guĂ©rillas internes (ou conflitsintra-Ă©tatiques), souvent gĂ©nĂ©rĂ©es ou exacerbĂ©es par les États voisins ; conflits

Page 92: Manuels F(f)rancophones

92

de frontiĂšres, tout particuliĂšrement lorsque le tracĂ© de ces derniĂšres ignoresomptueusement la carte traditionnelle de la rĂ©partition des peuples et desethnies. Ces deux types de conflits ouverts se sont multipliĂ©s, en Afrique del’Ouest (« conflit du Sahel » entre Mali et Haute Volta en 1974, guerre entrele Nigeria et le Cameroun en 1981) comme en Afrique australe (contentieuxangolo-namibien) ou orientale (Corne de l’Afrique oĂč ces deux types de con-flits ont pu parfois se combiner).

C. 
dans un monde sous-dĂ©veloppĂ©, aux frontiĂšres permĂ©ables, tant au plan inter-Ă©tatique qu’à celui des interventions extĂ©rieures

En ce domaine, au cours des derniĂšres dĂ©cennies, il faut souligner l’inter-ventionnisme croissant de puissances Ă©trangĂšres non europĂ©ennes, venantdamner le pion aux anciennes mĂ©tropoles : l’URSS, avant l’implosion de l’em-pire (parfois par Cuba interposĂ©e, comme en Angola ou au Mozambique) ;les États-Unis, peu prĂ©sents jusqu’en 1975 (une seule intervention directe, en1960, au Katanga) mais dĂ©sormais actifs dans la plupart des pays africainsles moins dĂ©munis ; plus rĂ©cemment, la Chine Populaire.

II. Un faisceau diversifié de causes

A. Le caractÚre « aberrant » des frontiÚres confine à la caricature « Contemplez la mappemonde : avec ses frontiÚres taillées au cordeau,

l’Afrique des États semble ĂȘtre crĂ©Ă©e des divagations d’un Dieu-gĂ©omĂštredevenu fou
 La carte n’a pas de territoire ; elle rappelle seulement la pageblanche sur laquelle, Ă  la rĂšgle et au compas, divers Ă©tablissements europĂ©ensse partagĂšrent, au XIXe siĂšcle, un continent. Les armĂ©es coloniales parties, lesfrontiĂšres sont restĂ©es » (AndrĂ© Glucksmann).

Les grandes puissances (CongrĂšs de Berlin), toutes idĂ©ologies confondues,ont largement contribuĂ©, aprĂšs les avoir crĂ©Ă©es, Ă  « figer » les frontiĂšres dansune sorte d’éternitĂ©, en les proclamant intangibles, et en rendant imprescrip-tible le principe de non intervention dans les affaires des autres pays.

B. Un hĂ©ritage confortĂ© par les effets et les sĂ©quelles de la dĂ©colonisationÀ l’aube des annĂ©es soixante, le continent africain se divisait en zones d’in-

fluences : l’Afrique de l’Ouest Ă  la France, l’Afrique de l’Est au Royaume-Uni.En dĂ©pit de la prĂ©sence d’enclaves portugaises, hispaniques, belge, ou alle-mandes, la fracture majeure demeurait liĂ©e au partage historique du conti-nent entre mondes francophone et anglophone.

L’Afrique a connu quatre grandes vagues de dĂ©colonisation. Avec leursconsĂ©quences : la pĂ©rennitĂ© de la coopĂ©ration Ă©tablie entre les anciennes

Page 93: Manuels F(f)rancophones

93

mĂ©tropoles et leurs anciennes colonies ; une coopĂ©ration technique, linguistique,culturelle, mais aussi des interventions de l’ancienne puissance coloniale dansdes conflits, internes ou frontaliers (cf. le rĂŽle de la Grande-Bretagne au Zim-babwe ou de la France Ă  Kolwesi ou dans le cadre de l’opĂ©ration Manta).

C. 
et par l’essor de nouveaux facteurs d’instabilité– l’activisme rĂ©cent des États-Unis et de la Chine Populaire semble directe-

ment liĂ© Ă  la prĂ©sence de ressources naturelles en gĂ©nĂ©ral, d’hydrocarburesen particulier (cf. les tensions frontaliĂšres entre Nigeria et Cameroun, revi-vifiĂ©es, sur le littoral du Golfe de GuinĂ©e, par la dĂ©couverte et l’exploita-tion de colossales poches d’hydrocarbures) ;

– l’essor de l’islam, venant remettre en cause le classique binĂŽme religieux« christianisme-animismes » dans de nombreux États proches du Saharaet du Sahel. Le facteur religieux aggrave les divisions dans maints paysde la zone : le Mali est peuplĂ© Ă  75 % de musulmans, le Niger Ă  plus de80 % ; mais le Cameroun, par exemple, offre aujourd’hui le visage d’unÉtat formĂ© d’un Nord islamisĂ© « opposĂ© » Ă  un Sud chrĂ©tien ou animiste,comme le Tchad (dont la frontiĂšre avec la Libye, tirĂ©e au cordeau, est cari-caturale) ou l’Ouganda.

III. Les principales conséquences

A. Une controverse : les corollaires nĂ©gatifs du caractĂšre artificiel des frontiĂšres Le tracĂ© des frontiĂšres de l’Afrique subsaharienne a, depuis quarante ans,

suscitĂ© beaucoup de commentaires contradictoires. Boutros Boutros-Ghalin’hĂ©sitait pas Ă  affirmer (dans son ouvrage Les conflits de frontiĂšres en Afrique) :« Si les frontiĂšres africaines sont artificielles, il faut aussi reconnaĂźtre que pres-que toutes les frontiĂšres du monde le sont ». Alors que le PrĂ©sident somalien,en 1980, Ă©voquant ce thĂšme, dĂ©clarait : « L’histoire a montrĂ© que l’obstaclemajeur Ă  l’unitĂ© africaine provient des frontiĂšres artificielles que les puissancescolonialistes ont imposĂ©es ».

B. La question des rĂ©fugiĂ©sParallĂšlement au facteur majeur de l’émigration, l’état endĂ©mique de sous-

dĂ©veloppement, et ses corollaires, de l’exode rural Ă  l’anarchie macrocĂ©phale desagglomĂ©rations urbaines), les guĂ©rillas internes et les conflits inter-Ă©tatiques, essen-tiellement frontaliers, sont source d’accĂ©lĂ©ration du phĂ©nomĂšne des rĂ©fugiĂ©s.

On estimait en 2005 Ă  plus de 50 % du total mondial de rĂ©fugiĂ©s les per-sonnes dĂ©placĂ©es originaires de l’Afrique, notamment du Sahel et de laCorne orientale.

Page 94: Manuels F(f)rancophones

94

À l’aube du XXIe siĂšcle, l’ONU considĂ©rait ladite Corne comme « le plusvaste camp de rĂ©fugiĂ©s du monde ». Les confĂ©rences internationales sur lesrĂ©fugiĂ©s n’ont guĂšre cessĂ© de se multiplier, avec des rĂ©sultats gĂ©nĂ©ralementdĂ©cevants. L’ONU elle-mĂȘme estimait au tournant du siĂšcle « que de nom-breux pays hĂŽtes sont incapables de fournir les services de base Ă  leurs pro-pres ressortissants, a fortiori aux rĂ©fugiĂ©s ». Mais, realpolitik oblige, en 2000,Ă  l’échelle de l’Afrique, on pouvait chiffrer l’aide aux rĂ©fugiĂ©s Ă  un prixcomparable Ă  celui de quelques 250 chars de bataille. Alors mĂȘme que les ÉtatsconcernĂ©s en achetaient plus de 400 !

C. La solution : la promotion des organisations supra-Ă©tatiques ?Le bilan de l’action des organisations multilatĂ©rales africaines demeure

indĂ©niablement modeste pour ce qui relĂšve des entitĂ©s sous-rĂ©gionales : laCommunautĂ© de l’Afrique de l’Est (Kenya, Tanzanie, Ouganda) crĂ©Ă©e en 1967a Ă©tĂ© supprimĂ©e en 1979 ; le TraitĂ© de Lusaka signĂ© en 1981 par treize Étatsde la zone est restĂ© quasiment lettre morte ; l’OCAM (Organisation de la Com-munautĂ© africaine et malgache) a Ă©galement disparu ; la SADCC (regroupantles neuf États d’Afrique australe) a connu un cinglant Ă©chec ; la CEDEAO etla CEAO (en Afrique de l’Ouest) prĂ©sentent des bilans plus que mitigĂ©s.

En changeant d’échelle, l’Organisation de l’UnitĂ© Africaine (OUA), crĂ©Ă©epar le TraitĂ© d’Addis Abeba, en 1963, avait connu quelques succĂšs (commela rĂ©solution du conflit Mali–Burkina Faso) mais beaucoup d’échecs (Katan-ga, Biafra, Ogaden, Tchad, Sahara Occidental). Beaucoup trop fragile, dotĂ©ede maigres moyens, l’OUAa Ă©chouĂ© dans son objectif de concrĂ©tiser le « grandrĂȘve africain » des ancĂȘtres, de N’Krumah Ă  Senghor. Son avatar, l’UnionAfricaine, fondĂ©e Ă  Maputo en 2002, semble confirmer aujourd’hui l’écartcolossal qui persiste entre les ambitions dĂ©clarĂ©es et les rĂ©alitĂ©s de la gĂ©opoli-tique africaine.

Bibliographie sommaire

BART François, L’Afrique. Continent pluriel, Paris, SEDES, 2003.BRUNEL Sylvie, L’Afrique, Paris, BrĂ©al, 2003.DUBRESSON Alain et al., Les Afriques au sud du Sahara, Paris, Belin, 1994.DUBRESSON Alain, L’Afrique subsaharienne, Paris, A. Colin, 2003.FOUCHER Michel, L’invention des frontiĂšres, Paris, FEDN, 1987.M’BOKOLO Elikia, L’Afrique au XXe siĂšcle, Paris, Seuil, 1986.POURTIER Roland, Afriques noires, Paris, Hachette, 2003.

Page 95: Manuels F(f)rancophones

93

SECTION 2.Le fleuve Litani

A – DU POINT DE VUE DU DROIT INTERNATIONAL

VoilĂ  un sujet dont la formulation inspire peu le juriste. Le Litani est eneffet un fleuve de 200 kilomĂštres de long dont le bassin se trouve entiĂšrementen territoire libanais : il prend sa source dans la vallĂ©e de la Bekaa et se jettedans le Tyr. Ce cours d’eau doit sa renommĂ©e au conflit du Proche-Orient,plus prĂ©cisĂ©ment Ă  la lutte pour le contrĂŽle des ressources hydrauliquesentre le Liban, la Syrie et IsraĂ«l, ce dernier en revendiquant sinon la posses-sion en tout cas le contrĂŽle. Le juriste a peu Ă  dire sur cette situation, sauf Ă Ă©largir le champ d’analyse pour traiter des conflits entre IsraĂ«l et le Liban, ainsique des opĂ©rations de maintien de la paix dans la rĂ©gion du Litani. Mais onconviendra que le traitement du sujet qui est prĂ©sentĂ© ici, du point de vuedu droit international, est assez artificiel


DĂšs la publication de la DĂ©claration Balfour (1917), les dirigeants sionistesrĂ©clament l’intĂ©gration du bassin du Litani dans le territoire d’IsraĂ«l : demanderepoussĂ©e par Clemenceau qui l’intĂšgre dans le « grand Liban ». Aussi aprĂšsla crĂ©ation d’IsraĂ«l, ses dirigeants manifesteront-ils la volontĂ© constante derepousser les frontiĂšres de l’État jusqu’au Litani (et vers l’est sur les hauteursdu Golan : objectif atteint en 1967). Le 14 mars 1978, la premiĂšre invasion is-raĂ©lienne du Liban est d’ailleurs baptisĂ©e « opĂ©ration Litani » ; officiellementdĂ©clenchĂ©e pour repousser de l’autre cĂŽtĂ© du fleuve les organisations pales-tiniennes implantĂ©es au sud du Liban, elle permet la mise en place d’une mi-lice anti-palestinienne dirigĂ©e par le major Haddad ; cette milice proclameen avril 1979 un État du « Liban libre » sur les 800 km2 que l’armĂ©e israĂ©lienneoccupe jusqu’en 2000 en infraction Ă  la rĂ©solution 425 du Conseil de sĂ©curitĂ©.En juin 1982, une nouvelle agression israĂ©lienne contre le Liban – l’opĂ©ration« Paix en GalilĂ©e » – est motivĂ©e par la volontĂ© de chasser l’OLP du Liban :l’armĂ©e envahit le pays, assiĂšge Beyrouth de juin Ă  aoĂ»t, puis installe un pou-voir phalangiste qui signe avec IsraĂ«l un traitĂ© de paix inĂ©gal. Le Liban s’en-fonce alors dans une spirale de dĂ©sintĂ©gration communautaire. Enfin enaoĂ»t 2006, le Litani est de nouveau au centre des combats entre IsraĂ«l et lemouvement Hezbollah, combats qui se solderont par des milliers de mortset de dĂ©placĂ©s, des destructions Ă©conomiques considĂ©rables et un dĂ©sastreĂ©cologique lorsque l’aviation israĂ©lienne bombarde les rĂ©serves de fioul dela centrale de Beyrouth et provoque le dĂ©versement en mer de 15.000 tonnesde mazout.

Page 96: Manuels F(f)rancophones

94

Sans en ĂȘtre la cause principale, le Litani est donc au centre du conflit entreIsraĂ«l et le Liban ; il offre donc l’occasion de revenir sur les aspects juridiquesde ce conflit depuis 1978.

I. « L’opĂ©ration Litani » et les interventions militaires israĂ©liennes au Liban

A. La justification d’IsraĂ«l par l’exercice de la lĂ©gitime dĂ©fenseJustification utilisĂ©e en 1978, 1982 et 2006 : les opĂ©rations militaires seraient

dirigĂ©es, non contre l’État du Liban, mais contre des mouvements (OLP,Hezbollah).

La critique de l’argument est fournie par la Cour internationale de justice(dans son avis du 9 juillet 2004 sur les consĂ©quences juridiques de l’édifica-tion d’un mur dans le territoire palestinien occupĂ©, elle estime que la lĂ©gitimedĂ©fense prĂ©vue Ă  l’article 51 de la Charte des Nations unies ne peut s’exercerqu’à l’encontre d’une agression de la part d’un État) et du Conseil de sĂ©cu-ritĂ© qui dans chaque cas a critiquĂ© l’intensitĂ© et la durĂ©e des opĂ©rations mili-taires (principe de proportionnalitĂ©).

B. L’interdiction des reprĂ©sailles armĂ©esElles sont contraires au droit international, qu’il s’agisse de la destruction

d’avions civils sur l’aĂ©roport de Beyrouth en 1978, de l’invasion du pays en1982, ou encore du raid sur le QG palestinien en Tunisie en 1985 : illicĂ©itĂ©relevĂ©e par le Conseil de sĂ©curitĂ© et l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de l’ONU.

De mĂȘme est interdite l’assistance aux insurgĂ©s lorsque ces derniers pren-nent le contrĂŽle d’une partie du territoire (comme l’assistance fournie par IsraĂ«lĂ  l’armĂ©e du Sud-Liban entre 1979 et 2000).

C. Les obligations de la puissance occupanteLes conventions de La Haye et de Genùve confùrent à l’occupant des pou-

voirs Ă©tendus sur le territoire occupĂ© ; en contrepartie ce dernier doit assu-rer la sĂ©curitĂ© des habitants et sanctionner les actions criminelles des forcesarmĂ©es, rĂšgle renforcĂ©e par le premier protocole de GenĂšve de 1977 : son art.86 confirme la responsabilitĂ© de l’occupant s’il n’a pas empĂȘchĂ© ou puni lescrimes de guerre (comme les massacres dans les camps palestiniens de Sabraet Chatila au Liban en 1982).

Page 97: Manuels F(f)rancophones

97

II. La communauté internationale et le rétablissement de la paix au Liban

Le Liban prĂ©sente cette particularitĂ© d’avoir expĂ©rimentĂ© les trois modali-tĂ©s connues de forces de maintien de la paix.

A. Le maintien de la paix par une force rĂ©gionaleEn 1976, la Ligue arabe dĂ©cide d’établir une force arabe de dissuasion au

Liban (les « casques verts ») pour tenter de mettre fin aux affrontements in-ternes. La tentative est peu convaincante puisque la FAD est rapidement rĂ©-duite au contingent syrien


B. Le maintien de la paix par les forces des Nations uniesEn mars 1978, l’invasion israĂ©lienne provoque la mise en place de la FINUL :

opération de maintien de la paix.

C. L’intervention d’une force multinationaleEn 1982, à la demande du gouvernement libanais, des forces multinationales

(États-Unis, Royaume-Uni, France, Italie), sans l’aval des Nations unies, inter-viennent pour assurer l’évacuation des combattants palestiniens et des mem-bres de la FAD, puis pour rĂ©tablir l’autoritĂ© des instances Ă©tatiques libanaises.Cette « force multinationale de sĂ©curitĂ© » n’a pu mettre fin Ă  la guerre civile.

Bibliographie sommaire

BROUILLET Alain, « La force multinationale d’interposition Ă  Beyrouth », Annuaire françaisde droit international, 1982, pp. 293–336.

FEUER Guy, « La force arabe de sĂ©curitĂ© au Liban », Annuaire français de droit international, 1976,pp. 51–61.

MAJZOUB Tarek, Les fleuves au Moyen-Orient, Paris, L’Harmattan, 1994.MARTINEZ Jean-Claude, « La force intĂ©rimaire des Nations unies au Liban », Annuaire

français de droit international, 1978, pp. 479–511.MOMTAZ Djamchid, « Le rĂ©gime juridique des ressources en eau des cours d’eau interna-

tionaux du Moyen-Orient », Annuaire français de droit international, 1993, pp. 874–897.

B – DU POINT DE VUE DES RELATIONS INTERNATIONALES

En 1919, l’Organisation sioniste mondiale prĂ©sente Ă  la ConfĂ©rence de paixde Paris une proposition de dĂ©limitation de la frontiĂšre de la Palestine pourinclure l’intĂ©gralitĂ© des ressources d’eau de la rĂ©gion (y compris le bassin dufleuve Litani dĂšs ses sources), considĂ©rĂ©es d’une importance vitale pour la

Page 98: Manuels F(f)rancophones

96

Palestine. MĂȘme si la Grande-Bretagne a agrĂ©Ă© cette position, les pressionsde la France, qui se prĂ©valait des accords Skyes–Picot de 1916, ont dĂ©terminĂ©la ligne finale de frontiĂšre qui assignait le Litani au Liban. C’est le dĂ©but histo-rique des disputes sur l’eau du Litani, qui affectent encore les relations entreles États de la rĂ©gion.

L’importance de l’eau est en effet cruciale dans le Moyen-Orient, puisqu’ils’agit d’une ressource rare et dont dĂ©pendent les activitĂ©s Ă©conomiques. Onpeut donc dire que l’eau est une ressource de puissance pour tout État de larĂ©gion, et que chacun a l’intĂ©rĂȘt vital de contrĂŽler cette ressource. L’État d’Is-raĂ«l, crĂ©Ă© en 1948 sur un territoire qui n’est pas trĂšs favorable ni du point devue des ressources naturelles, ni du point de vue gĂ©ostratĂ©gique (le territoiren’a pas de profondeur et la sortie Ă  la mer est trĂšs limitĂ©e), et ayant des voisinsqui ne reconnaissent pas son droit Ă  l’existence, a adoptĂ© dĂšs le dĂ©but une poli-tique qui visait l’augmentation de ses ressources de puissance (y compris terri-toire, population et accĂšs Ă  l’eau). L’invasion du Liban en 1978 peut s’inscriredans cette logique, spĂ©cifique au cas thĂ©orique du dilemme de la sĂ©curitĂ©.

Pourtant, la question de l’eau n’est qu’une des motivations de l’invasion,et probablement pas la plus importante. IsraĂ«l vise surtout la destruction desmilices palestiniennes qui s’étaient installĂ©es au sud du Liban aprĂšs leur Ă©vic-tion de la Jordanie en 1971. AprĂšs 1964, lorsque IsraĂ«l crĂ©e le Grand conduitnational pour transporter les eaux du lac de TibĂ©riade, et surtout aprĂšs 1967,lorsque la Syrie perd complĂštement l’accĂšs Ă  ce lac, le fleuve Litani n’a plusla mĂȘme importance pour IsraĂ«l. C’est pourquoi nous sommes tentĂ©s de croireque la question de l’eau n’est que marginale dans les invasions israĂ©liennesdu Liban en 1978, 1982 et 2006.

Introduction

Question de recherche : pourquoi Israël envahit-il le Liban en 1978, 1982et 2006 ?

HypothĂšse : la raison principale est le contrĂŽle du bassin du fleuve Litani(la dĂ©monstration va rĂ©futer l’hypothĂšse initiale).

Aperçu thĂ©orique : le dilemme de la sĂ©curitĂ© ; l’eau comme ressource depuissance (l’eau, ressource rare au Moyen-Orient).

I. La question du fleuve Litani dans l’histoire de la rĂ©gion

A. Le Litani : un fleuve disputĂ© dĂšs la fin de la PremiĂšre Guerre mondiale– la proposition de l’Organisation Sioniste Mondiale Ă  la ConfĂ©rence de

paix de Paris (1919) ;

Page 99: Manuels F(f)rancophones

99

– la rĂ©solution finale de la ConfĂ©rence de Paris ;– la partition du territoire de la Palestine.

B. L’importance de l’eau dans le processus de consolidation de l’État d’IsraĂ«l

– le besoin d’attirer des nouveaux immigrants, d’oĂč la nĂ©cessitĂ© d’assu-rer des terres pour l’agriculture des kibboutzim ;

– la crĂ©ation des systĂšmes d’irrigation : le Grand conduit national (1964) ;– l’importance de l’eau comme source d’énergie : les centrales hydroĂ©lec-

triques.

II. Les invasions israéliennes du Liban en 1978 et 1982 : quelques causes possibles

A. Les guĂ©rillas palestiniennes et l’OLP– l’éviction de l’OLP de la Jordanie en 1971 et son Ă©tablissement sur le ter-

ritoire libanais ;– l’autonomisation du Fatah dans le sud du Liban par rapport au gouverne-

ment de Beyrouth et les attaques des milices palestiniennes sur le terri-toire israélien ;

– Ă©tablissement des milices israĂ©liennes au sud du Liban et installation dugouvernement phalangiste.

B. La prĂ©vention de l’augmentation de la puissance syrienne– les conflits entre IsraĂ«l et la Syrie depuis 1948 jusqu’à la « Guerre des six

jours » ;– l’emprise syrienne sur le Liban ;– la menace de l’augmentation de l’influence syrienne dans la rĂ©gion.

C. La question de l’eau– la diminution de l’importance du bassin de Litani aprĂšs 1964 ;– les actions israĂ©liennes par rapport aux eaux du Litani aprĂšs l’invasion

du Liban de 1978.

III. L’invasion israĂ©lienne du Liban en 2006

A. L’émergence du Hezbollah– la crĂ©ation du Hezbollah comme « organisation de libĂ©ration nationale »

aprĂšs l’invasion israĂ©lienne de 1982 ;– le Hezbollah : en mĂȘme temps organisation terroriste, parti politique

libanais et gouvernement de facto au sud du Liban ;

Page 100: Manuels F(f)rancophones

100

– les liens du Hezbollah chiite avec l’Iran : nouvelle menace pour l’ÉtatisraĂ©lien ?

B. L’invasion de 2006 et la destruction du Hezbollah– considĂ©rations de puissance : dĂ©truire le Hezbollah et prĂ©venir le con-

trĂŽle syrien sur le Liban ;– consĂ©quences de l’invasion : aucune dĂ©marche en ce qui concerne le

Litani.

Conclusion : invalidation de l’hypothùse initiale.

Bibliographie sommaire

BLANC Pierre, « Le Liban, l’eau, la souverainetĂ© », in Confluences MĂ©diterranĂ©e, n° 58, Ă©tĂ© 2006,pp. 127–136.

DELALIEU Dimitri, « La nouvelle “Guerre du Liban” : une consĂ©quence de l’impuissance dela communautĂ© internationale ? », European Strategic Intelligence and Security Center,www.esisc.org.

ENCEL FrĂ©dĂ©ric et THUAL François, GĂ©opolitique d’IsraĂ«l, Paris, Seuil, 2006. MERMIER Franck et PICARD Elizabeth (dir.), Liban, une guerre de 33 jours, Paris, La DĂ©cou-

verte, 2007. SARKIS Jean, Histoire de la guerre du Liban, Paris, PUF, 1993.

C – DU POINT DE VUE DE LA GÉOPOLITIQUE

En dĂ©pit de son cours relativement modeste (moins de 200 kilomĂštres) aucƓur du Sud-Liban, le fleuve Litani a jouĂ© (et joue), du fait de sa localisationgĂ©ographique, un rĂŽle gĂ©opolitique et gĂ©ostratĂ©gique de tout premier plandepuis prĂšs d’un siĂšcle.

Il concrĂ©tise en effet un double dĂ©fi : au chapitre de la gĂ©opolitique de l’eau,dans un milieu physique semi aride, d’une part ; Ă  celui de la donne stratĂ©gique(et singuliĂšrement au plan des relations bilatĂ©rales IsraĂ«l–Liban) d’autre part.

I. Le Litani, symbole contemporain d’un double dĂ©fi gĂ©opolitique

A. La question de l’eau :Elle est vitale au Proche-Orient, mais Ă  des degrĂ©s variables. Le Liban est,

en la matiĂšre, relativement bien pourvu, et constitue le premier gisement enressources hydrauliques de la rĂ©gion, avec l’Oronte, le Nahr al Kebir, voirele Jourdain (qui naĂźt de la confluence du Hasbani libanais et du Banyas), etdonc le Litani, qui se jette en MĂ©diterranĂ©e au sud de Saida.

Page 101: Manuels F(f)rancophones

101

Le Litani reprĂ©sente 18 % des eaux libanaises et a un dĂ©bit de l’ordre de940 hm3/an.

Le Liban est relativement privilĂ©giĂ© au plan de la donne hydrologique, cequi n’est pas, en revanche, le cas de ses voisins, et notamment d’IsraĂ«l. Au-jourd’hui, les ressources hydriques israĂ©liennes sont dĂ©jĂ  surexploitĂ©es et lesressources intĂ©rieures en la matiĂšre couvrent moins de 60 % de ses besoins.Tel Aviv n’a guĂšre le choix, quant Ă  sa quĂȘte de ressources complĂ©mentaires,qu’entre trois opportunitĂ©s : l’acheminement de l’extĂ©rieur (Turquie), les tech-niques de dĂ©salinisation de l’eau de mer et, enfin, l’exploitation d’un bassinnon encore utilisé  le Litani.

B. Le Litani, au cƓur du Sud-Liban : une zone stratĂ©gique convoitĂ©eEn proie Ă  des tensions et des contentieux Ă©margeant Ă  sa gĂ©opolitique

interne, le Sud-Liban, eu Ă©gard Ă  sa position gĂ©ographique, Ă  la frontiĂšre (con-testĂ©e) d’IsraĂ«l, est aussi un vĂ©ritable kalĂ©idoscope, tant au plan du peuple-ment que de la donne religieuse, capitale dans la rĂ©gion : chiites, sunnites,druzes, chrĂ©tiens maronites, etc. cohabitent depuis des siĂšcles dans un con-texte permanent d’affrontements.

Un contexte exacerbĂ© depuis quelques dĂ©cennies par l’implantation d’or-ganisations et de mouvements palestiniens : OLP, Hezbollah.

C. Ce double dĂ©fi contribue Ă  la vitalitĂ© du contentieux et des conflits israĂ©lo–libanais

La premiĂšre invasion israĂ©lienne au Sud-Liban, en mars 1978, prĂ©cisĂ©mentqualifiĂ©e « OpĂ©ration Litani » fut justifiĂ©e par le souci d’éradiquer les organi-sations palestiniennes implantĂ©es dans le secteur. La consĂ©quence directe del’OpĂ©ration Litani est la crĂ©ation d’un « État du Liban Libre », jusqu’en 2000,sur les territoires occupĂ©s par l’armĂ©e israĂ©lienne.

Le Litani va se trouver aussi au cƓur de l’opĂ©ration « Paix en GalilĂ©e » en1982 : une opĂ©ration qui remonte jusqu’à Beyrouth. IsraĂ«l se retire du Libanen janvier 1985, mais conserve le contrĂŽle d’une zone oĂč est maintenue unemilice libanaise auxiliaire, et donc celui des eaux du Litani. Ce dernier, en aoĂ»t2006, se retrouve Ă  nouveau au centre des combats entre l’armĂ©e israĂ©lienneet le Hezbollah, prĂ©cisĂ©ment implantĂ© au Sud-Liban.

II. Du rĂŽle de l’eau et des considĂ©rations stratĂ©giques

A. La donne hydrologique :Au-delĂ  du constat classique – « un Liban riche en potentialitĂ©s hydrauliques,

un État d’IsraĂ«l pĂ©nalisĂ© par les conditions climatiques et orographiques » –

Page 102: Manuels F(f)rancophones

102

la question des liens hydrologiques entre le Litani et les conditions d’alimen-tation des sources du Jourdain reste controversĂ©e. Les gĂ©ologues ont soulevĂ©depuis longtemps le problĂšme (non totalement Ă©lucidĂ©) desdits liens. Le Has-bani pourrait ĂȘtre approvisionnĂ© en partie par des eaux souterraines provenantdu Litani, ce qui expliquerait la disparition de quelques 100 hm3/an ducours infĂ©rieur de ce dernier. HypothĂšse Ă©ventuellement lourde de consĂ©-quences : la gestion du cours amont du Litani par les Libanais pouvant ef-fectivement entraĂźner de sĂ©rieuses difficultĂ©s en aval, sur le bassin duJourdain, lui mĂȘme vital pour l’État d’IsraĂ«l.

B. De Lord Balfour Ă  l’OpĂ©ration Litani : une singuliĂšre constante !FidĂšles au souhait de ThĂ©odore Herzl, qui avait rappelĂ© Ă  maintes re-

prises « l’incontournable nĂ©cessitĂ©, pour le futur État israĂ©lien, de contrĂŽlerle fleuve Litani », dĂšs le lendemain de la DĂ©claration de Lord Balfour, en 1917,les reprĂ©sentants du mouvement sioniste revendiquent ce dernier. En 1920,Weizman, Ă©crivant Ă  Lloyd George, souligne que « l’alimentation en eau dufutur État juif doit provenir du Mont Hermon, des sources du Jourdain et duLitani ».

Une revendication qui va devenir une constante aprĂšs la crĂ©ation d’IsraĂ«l :en 1955, sept ans aprĂšs cette derniĂšre, par exemple, Tel Aviv refuse le planJohnson-Main qui, concentrĂ© sur la question du Jourdain, excluait le Litani.A contrario, dĂšs 1964, la Ligue arabe va tenter de concrĂ©tiser son ambitieuxprogramme « Barrage de l’UnitĂ© », visant Ă  dĂ©tourner les eaux du Banyas versle Jourdain et du Hasbani vers le Litani. Un plan qui ne favorisait en dĂ©fini-tive que la Jordanie en ignorant les intĂ©rĂȘts de la Syrie, ce qui explique sansdoute la rapiditĂ© avec laquelle il sera abandonnĂ©.

C. L’imbroglio des facteurs gĂ©opolitiques internes et externesLa pĂ©riode contemporaine, au-delĂ  de cette constante, s’illustre de facto par

une multiplication des acteurs, internes et externes, et des facteurs rendantcompte de l’évolution rĂ©cente de la question du Litani : facteurs internes auLiban, et notamment au Sud-Liban, avec l’exacerbation des tensions ethniqueset religieuses, la banalisation des activitĂ©s illicites (opium de la Bekaa, traficsd’armes, structures mafieuses, expansion de la criminalitĂ© organisĂ©e) ; fac-teurs externes : l’opĂ©ration « Paix en GalilĂ©e » va se traduire par un spectacu-laire changement d’échelle quant aux acteurs concernĂ©s, avec la prĂ©sence(dĂ©sormais plus que trentenaire) des forces de maintien de la paix de l’Orga-nisation des Nations unies, la FINUL.

Page 103: Manuels F(f)rancophones

103

III. Bilan et perspectives :

A. Le Litani, illustration du thĂšme de la « lĂ©gitime dĂ©fense »Depuis la crĂ©ation de l’État d’IsraĂ«l, 75 % des interventions armĂ©es hors

de ses frontiĂšres ont Ă©tĂ© assimilĂ©es par Tel Aviv Ă  des cas de « lĂ©gitime dĂ©-fense » et 10 % Ă  des cas de « lĂ©gitime dĂ©fense prĂ©ventive » dont l’opĂ©ration« Paix en GalilĂ©e ». D’oĂč la controverse, toujours d’actualitĂ© : oĂč s’arrĂȘte lanotion de « lĂ©gitime dĂ©fense prĂ©ventive », oĂč commence celle d’agression ?

B. De quelques perspectives au Sud-LibanLe Sud-Liban se caractĂ©rise, comme l’ensemble du pays, mais plus encore,

par la permanence de son instabilité.Le fragile équilibre régional suscité, dÚs 1919, par le mandat français dé-

tachĂ© de la « Syrie historique » est dĂ©truit en 1985. La Syrie soutient tour Ă tour les diffĂ©rentes factions libanaises afin de jouer le rĂŽle de l’arbitre autopro-clamĂ© dans des conflits qu’elle entretient. Depuis une vingtaine d’annĂ©es,Damas contrĂŽle de facto le Nord du Mont Liban, le Chouf, mais Ă©galementune partie du secteur mĂ©ridional, via les milices chiites.

C. En changeant d’échelle Au-delĂ  du rĂŽle de ladite Syrie, a fortiori de l’action indirecte des grandes

puissances (au premier rang desquelles les États-Unis n’ont cessĂ© de confirmerleur statut d’alliĂ© privilĂ©giĂ© d’IsraĂ«l, comme en tĂ©moigne par exemple la con-figuration du nouveau bouclier antimissile), le Sud-Liban en gĂ©nĂ©ral, et lebassin du Litani en particulier, constituent depuis trois dĂ©cennies un exem-ple tout Ă  fait Ă©difiant du rĂŽle, des rĂ©sultats positifs et des Ă©checs de l’Orga-nisation des Nations unies, via la prĂ©sence des casques bleus de la FINUL.

Bibliographie sommaire

AMMOUN Denise, Histoire du Liban contemporain, Paris, Fayard, 1997.D’ARMAILLÉ Bernadette, « Le bassin du Jourdain », StratĂ©giques, n° 70, 1998, pp. 145–174.AYEB Habib, L’eau au Proche-Orient, Paris, Khartala, 1998.CHESNOT Christian, La bataille de l’eau au Proche-Orient, Paris, Khartala, 1998.GUILLOT Fabien, Les frontiĂšres chaudes, Caen, Presses de l’universitĂ©, 2003.KOLARS John, « Les ressources en eau du Liban », Monde arabe Maghreb-Machrek, n° 138, 1992,

pp. 11–26.LEBBOS Georges A., « Le Litani, au cƓur du conflit israĂ©lo-arabe », Les Cahiers de l’Orient, n° 44,

1996, pp. 31–42.MUTIN Georges, L’eau dans le monde arabe, Paris, Ellipses, 2001.VAUMAS Etienne de, Le Liban : Étude de gĂ©ographie physique, Paris, Firmin Didot, 1954.

Page 104: Manuels F(f)rancophones
Page 105: Manuels F(f)rancophones

TROISIÈME PARTIE

Pluralité disciplinaire ?

Études de cas

Page 106: Manuels F(f)rancophones
Page 107: Manuels F(f)rancophones

107

La pluralitĂ© disciplinaire pose un problĂšme de dĂ©limitation thĂ©orique. Eneffet, malgrĂ© l’abondante littĂ©rature portant sur ce sujet, certains concepts fon-damentaux liĂ©s aux recherches pluridisciplinaires ne sont pas clairement dĂ©fi-nis et sont loin de faire l’unanimitĂ© des spĂ©cialistes.

Il n’est donc pas inutile de nous attacher Ă  regrouper les dĂ©finitions ou inter-prĂ©tations de ces concepts, qui sont au centre de l’analyse.

CHAPITRE I.

Les modalités de la pluralitédisciplinaire

Il existe diffĂ©rentes modalitĂ©s pour mettre en Ɠuvre la pluralitĂ© disci-plinaire : la premiĂšre approche est Ă©troitement liĂ©e au niveau d’interactionentre les disciplines concernĂ©es et la seconde approche s’attache plus parti-culiĂšrement Ă  dĂ©finir les modalitĂ©s d’intĂ©gration des disciplines concernĂ©esen fonction des caractĂ©ristiques propres Ă  chaque activitĂ©.

SECTION 1.Le niveau d’interaction entre disciplines

La premiĂšre maniĂšre d’apprĂ©hender la pluralitĂ© disciplinaire est Ă©troite-ment liĂ©e au niveau d’interaction entre les disciplines : de la simple commu-nication Ă  l’intĂ©gration totale des disciplines concernĂ©es.

Prenons tout d’abord la multidisciplinaritĂ©. C’est la forme la moins dĂ©-veloppĂ©e du processus d’intĂ©gration entre disciplines, la communicationentre les reprĂ©sentants des diverses disciplines Ă©tant des plus rĂ©duites. Ce-pendant, il peut apparaĂźtre que les projets de formation ou de recherche soientsi proches ou complĂ©mentaires, qu’ils offrent un terrain qui se rĂ©vĂšlera utilepour Ă©tablir des liens.

Quant à elle, la pluridisciplinarité est un processus qui se limite le plussouvent à une simple juxtaposition des différentes disciplines : si celles-ci

Page 108: Manuels F(f)rancophones

108

dĂ©veloppent des analyses spĂ©cifiques en relation avec un objet d’étude quiserait commun, la pluridisciplinaritĂ© produit alors autant de savoirs surl’objet d’étude que d’approches diffĂ©rentes car propres Ă  chaque disciplineconcernĂ©e.

En ce qui concerne l’interdisciplinaritĂ©, elle apparaĂźt de plus en plus commeune nĂ©cessitĂ©. L’interdisciplinaritĂ© peut s’entendre de la coopĂ©ration de dis-ciplines diverses, qui contribuent Ă  une rĂ©alisation commune et qui, par leurassociation, permettent la production de nouveaux savoirs. Au sens strict, elleimplique la rencontre et la coopĂ©ration entre deux ou plusieurs disciplines,chacune d’elles apportant, au niveau des projets de formation ou de recherche,ses propres schĂ©mas conceptuels, sa façon de dĂ©finir les problĂšmes et ses mĂ©-thodes de recherche. Au sens large, l’interdisciplinaritĂ© sous-entend un cer-tain degrĂ© d’intĂ©gration entre disciplines, entre diffĂ©rents domaines du savoiret entre diffĂ©rentes approches, ainsi que la mise en place d’un langage com-mun permettant des Ă©changes d’ordre conceptuel et mĂ©thodologique.

L’interdisciplinaritĂ© peut rĂ©pondre, non Ă  « cette volontĂ© de confronter, d’ar-ticuler, voire d’intĂ©grer, pour un objet ou un but commun de recherche »1, maisĂ  une nĂ©cessitĂ© soit scientifique, soit sociĂ©tale. Faire « des ponts internes auxdisciplines »2 a un intĂ©rĂȘt si on doit traverser une riviĂšre et non simplementpour construire un nouveau pont au-dessus de cette riviĂšre. L’interdiscipli-naritĂ© ne doit pas se construire Ă  partir de paradigmes dogmatiques quipeuvent rapidement engendrer des appauvrissements scientifiques.

Selon l’objet d’étude et le niveau de la recherche, il appartiendra au cher-cheur ou Ă  l’équipe de recherche de dĂ©finir le niveau d’interaction adoptĂ©e :multidisciplinaritĂ© (communication), pluridisciplinaritĂ© (juxtaposition), inter-disciplinaritĂ© (coopĂ©ration). Le quatriĂšme niveau (transdisciplinaritĂ©) sup-pose un dĂ©cloisonnement rĂ©el des champs disciplinaires ; c’est le processusle plus poussĂ© d’interaction entre les disciplines concernĂ©es. La transdiscipli-naritĂ© implique un processus d’unification conceptuelle entre disciplines, cequi nous autorise Ă  suggĂ©rer que la transdisciplinaritĂ© ne peut ĂȘtre envisagĂ©equ’à l’échelle des Ă©tudes post-doctorales et dans le cadre d’une Ă©quipe derecherche.

_________________________1. D. Le Queau et al., Promouvoir l’interdisciplinaritĂ© au CNRS, Paris, CNRS, 2005.

2. Ibid.

Page 109: Manuels F(f)rancophones

109

Section 2.Les modalitĂ©s d’intĂ©gration des disciplines

L’autre maniĂšre de concevoir la pluralitĂ© disciplinaire est celle qui s’attacheĂ  dĂ©finir les modalitĂ©s d’interaction entre les diffĂ©rentes Ă©tapes qui rythmentet caractĂ©risent les recherches dĂ©veloppĂ©es dans les disciplines concernĂ©es.

Définition de la question centrale : le projet de recherche doit exprimer leplus exactement possible, à travers cette question centrale, ce que le chercheursouhaite produire comme connaissance, notamment en développant desnouvelles connaissances ou en modifiant des connaissances déjà existantes.La question centrale doit servir de fil conducteur à la recherche.

Travail d’exploration : cette Ă©tape comprend des Ă©lĂ©ments de lecture (ver-sion papier et version Ă©lectronique) et des entretiens. Le travail d’explorationvise Ă  actualiser les connaissances du chercheur sur l’objet d’étude. Il s’agitĂ©galement de dĂ©finir de nouvelles perspectives en vue de finaliser la dĂ©fini-tion de la problĂ©matique.

DĂ©finition de la problĂ©matique : la problĂ©matique peut ĂȘtre dĂ©finie commel’approche thĂ©orique que le chercheur dĂ©cide d’adopter pour analyser la (les)question(s) centrale(s). La problĂ©matique doit donc permettre d’établir un lienentre la thĂ©matique qui fait l’objet de la recherche et les ressources thĂ©oriquesqui seront utilisĂ©es.

Construction du modĂšle d’analyse : le modĂšle d’analyse doit permettrele passage de la dĂ©finition de la problĂ©matique (approche thĂ©orique) au tra-vail d’observation (approche opĂ©rationnelle). Le modĂšle d’analyse intĂšgre danssa dĂ©finition des concepts et des hypothĂšses qui s’articulent entre eux pourfinaliser un cadre d’étude cohĂ©rent.

Travail d’observation et d’analyse de l’information : ce travail comprendl’ensemble des activitĂ©s par lesquelles le modĂšle d’analyse est testĂ©. Il s’agitde vĂ©rifier si les rĂ©sultats obtenus correspondent aux hypothĂšses formulĂ©esdans le modĂšle d’analyse, plus prĂ©cisĂ©ment que les rĂ©sultats recueillis sontceux prĂ©alablement dĂ©terminĂ©s.

Conclusion de la recherche : la conclusion comprend un rappel du mo-dĂšle d’analyse et une prĂ©sentation des connaissances produites par la re-cherche. Il s’agit ici de mettre en Ă©vidence en quoi la recherche a permis deproduire un savoir sur l’objet d’étude, notamment en dĂ©veloppant des nou-velles connaissances ou en modifiant des connaissances dĂ©jĂ  existantes.

Dans l’hypothĂšse oĂč la question centrale, et la dĂ©finition de la problĂ©ma-tique qui en dĂ©coule, ne peuvent pas ĂȘtre analysĂ©es Ă  travers une seule disci-pline, la pluralitĂ© disciplinaire devient souhaitable. Dans ce cadre, les conceptsĂ©laborĂ©s au sein d’une discipline peuvent ĂȘtre mobilisĂ©s pour enrichir la

Page 110: Manuels F(f)rancophones

110

recherche dans une autre discipline ; bien plus, une mĂ©thode propre Ă  unediscipline peut ĂȘtre utilisĂ©e pour faire progresser la recherche dans d’autresdisciplines.

Ces prĂ©cisions faites, il n’est pas sans intĂ©rĂȘt de souligner l’importance dela collaboration entre disciplines, de la pluralitĂ© disciplinaire. Loin d’ĂȘtre unevogue passagĂšre, celle-ci s’analyse comme une nĂ©cessitĂ© scientifique, Ă  causede l’interpĂ©nĂ©tration croissante entre les diffĂ©rents domaines du savoir, entreles disciplines concernĂ©es.

Ce manuel vise dĂšs lors Ă  livrer aux Ă©tudiants de niveau master, auxdoctorants et aux post-doctorants quelques rĂšgles Ă©lĂ©mentaires en matiĂšrede recherche s’effectuant dans un contexte de pluralitĂ© disciplinaire, et Ă  lesorienter tout au long de leur processus d’écriture, tant en fonction de leursprojets que des canons acadĂ©miques.

Page 111: Manuels F(f)rancophones

111

CHAPITRE II.

ÉlĂ©ments pour un plan commun

La pluralitĂ© disciplinaire peut enrichir les rĂ©sultats de la recherche, commele montrent les propositions de plans qui suivent : ces propositions portentsur des sujets qui supposent la maĂźtrise des outils mĂ©thodologiques et desconcepts des trois disciplines. Chacun des spĂ©cialistes apporte des Ă©lĂ©ments– tirĂ©s de sa propre discipline et en fonction de son propre point de vue – pourĂ©laborer un plan commun. Afin de bien prĂ©ciser les Ă©tapes de la dĂ©marche,les deux premiers sujets – « la DĂ©claration de Saint-Boniface » et « le site dePreah Vihear » – feront l’objet d’un traitement sĂ©parĂ© ; c’est au lecteur de re-grouper les Ă©lĂ©ments apportĂ©s par chaque spĂ©cialiste pour Ă©tablir un plan com-mun, sur le modĂšle de celui Ă©tabli sur le troisiĂšme sujet : « Francophonie etPacifique Sud ».

SECTION 1.La DĂ©claration de Saint-Boniface

A – ÉLÉMENTS JURIDIQUES POUR L’ÉLABORATION D’UN PLAN COMMUN

Valeur juridique du texte :Du point de vue du droit international, c’est une dĂ©claration : sa valeur

est politique, voire morale, mais elle n’a pas de valeur juridique contraignante :c’est toute la diffĂ©rence entre une dĂ©claration et une convention.

Pour autant, elle exprime une position juridique commune des Étatsmembres de l’OIF ; ces derniers ont entendu Ă©noncer une rĂšgle de droit. CetterĂ©solution a-t-elle Ă©tĂ© adoptĂ©e afin d’établir une coutume ? Il faut pour celala mettre en relation avec les rĂ©solutions du Conseil de sĂ©curitĂ© et de l’Assem-blĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies relatives Ă  la « responsabilitĂ© de protĂ©ger ».

Du point de vue du droit de l’OIF, il faut remarquer que cette dĂ©clarationa Ă©tĂ© adoptĂ©e le 14 mai 2006, dans le cadre de la ConfĂ©rence ministĂ©rielle dela Francophonie sur la prĂ©vention des conflits et la sĂ©curitĂ© humaine ; pas dansle cadre d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement. DiffĂ©rence dansle niveau de reprĂ©sentation des États membres. D’ailleurs le XIe sommet quisuit la confĂ©rence ministĂ©rielle n’examine pas la dĂ©claration


Page 112: Manuels F(f)rancophones

112

Formulation :Les termes utilisés soulignent le caractÚre déclaratoire et non obligatoire

du texte : les signataires « rappellent », « prennent acte », « rĂ©affirment », « con-firment », « soutiennent », « invitent », « encouragent », « demandent » Lorsqu’ils « s’engagent », c’est Ă  renforcer des actions de sensibilisation (art.19), Ă  dĂ©velopper des actions de formation (art. 20), Ă  dĂ©velopper unecoopĂ©ration entre eux (art. 22) ou Ă  collaborer (art. 23)
 Le texte fait pesersur les États des obligations de moyens et non de rĂ©sultats : caractĂšre plusincitatif que contraignant.

Lorsqu’ils souhaitent le dĂ©veloppement d’initiatives ou de moyens con-crets, les signataires « invitent » le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral Ă  y procĂ©der.

Contenu du texte :Confirmation (par leur rappel) des déclarations de Bamako et de Ouaga-

dougou : dĂ©mocratie, État de droit et droits de l’homme.Nouveaux principes introduits : « sĂ©curitĂ© humaine » et « responsabilitĂ©

de protéger ».Lien établi entre tous ces éléments.Discussion des principes de « sécurité humaine » et « responsabilité de pro-

tĂ©ger » : apport original de la Francophonie dans leur dĂ©finition ? Dans leurmise en Ɠuvre ?

Suivi de la dĂ©claration :Rappel de la mise en Ɠuvre du processus d’observation, d’évaluation et

d’alerte prĂ©coce (Bamako) ; invitation au secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral Ă  proposer desmodalitĂ©s pour conforter ce dispositif ; invitation au secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral pourla pleine utilisation des potentialitĂ©s du dispositif de Bamako en matiĂšre deprĂ©vention des conflits et de promotion de la paix, en s’assurant, notammentpar des Ă©valuations adĂ©quates, de l’efficacitĂ© des actions dans la mise en Ɠuvreet le suivi des engagements consignĂ©s.

Ce dispositif dĂ©pend du bon vouloir des parties ; le mĂ©canisme de rĂšgle-ment repose sur des moyens diplomatiques. Il s’agit d’un mĂ©canisme con-sensualiste.

Examen critique des rapports de l’ « Observatoire » : comment qualifierla contribution de la Francophonie en matiĂšre de rĂšglement des crises et deconsolidation de la dĂ©mocratie ?

Documentation :Charte de la francophonie, 23 novembre 2005.DĂ©claration de Bamako, 3 novembre 2000.

Page 113: Manuels F(f)rancophones

113

DĂ©claration de Ouagadougou, 27 novembre 2004.DĂ©claration de Saint-Boniface, 14 mai 2006.Rapport d’activitĂ© du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la Francophonie, De Ouagadougou Ă  Bucarest,

2004–2006.DĂ©lĂ©gation Ă  la DĂ©mocratie et aux Droits de l’Homme, État des pratiques de la dĂ©mocratie, des

droits et des libertĂ©s dans l’espace francophone en 2004.DĂ©lĂ©gation Ă  la DĂ©mocratie et aux Droits de l’Homme, État des pratiques de la dĂ©mocratie, des

droits et des libertĂ©s dans l’espace francophone en 2006.DĂ©lĂ©gation Ă  la Paix, Ă  la DĂ©mocratie et aux Droits de l’Homme, État des pratiques de la dĂ©mo-

cratie, des droits et des libertĂ©s dans l’espace francophone en 2008.

B – ÉLÉMENTS DE RELATIONS INTERNATIONALES

POUR L’ÉLABORATION D’UN PLAN COMMUN

La DĂ©claration de Saint-Boniface s’inscrit dans le cadre des efforts faits parl’OIF pour assumer une mission politique qui complĂšte sa mission culturelleoriginaire. L’intention d’exercer une influence dans les affaires internationalesest annoncĂ©e dans la DĂ©claration de Bamako (2000), et rĂ©itĂ©rĂ©e dans la DĂ©cla-ration de Ouagadougou, lors du Xe sommet de la Francophonie, en 2004. « Lapromotion de la paix, de la dĂ©mocratie et des droits de l’homme » est une tĂącheessentiellement politique pour une organisation qui promettait, lors de sa fon-dation, de ne pas s’immiscer dans les affaires internes de ses États membres.

La DĂ©claration de Saint-Boniface : un miroir de l’anarchie kantienneLe constructivisme est la thĂ©orie qui peut rendre compte le mieux du con-

texte dans lequel cette dĂ©claration a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e. Alexander Wendt expliquela maniĂšre dont les perceptions des États sur l’environnement internationalcontribuent Ă  effectivement modifier cet environnement. Ainsi, si les États sontorientĂ©s vers la puissance militaire, s’ils sont mĂ©fiants Ă  l’égard des intentionsdes autres États, s’ils croient se trouver dans un Ă©tat permanent de guerre,le systĂšme international sera une anarchie hobbesienne. Si les États sont disposĂ©sĂ  percevoir l’environnement comme Ă©tant non pas conflictuel, mais concur-rentiel, s’ils acceptent la coopĂ©ration, et si finalement ils internalisent les normesdu droit international, l’anarchie sera lockĂ©enne. Enfin, lorsque le systĂšme in-ternational est entiĂšrement coopĂ©ratif, partageant une culture politique inter-nationaliste commune, fondĂ©e sur le respect des normes et l’amitiĂ© entre lesÉtats, il s’agit d’une anarchie kantienne. Les caractĂ©ristiques principales decelle-ci seront la sĂ©curitĂ© collective et les communautĂ©s de sĂ©curitĂ© plurielles.C’est de cet esprit que tĂ©moigne la DĂ©claration de Saint-Boniface. Un brefextrait du texte suffit Ă  illustrer ce point : « l’instauration du dialogue des cul-tures et civilisations, comme l’affermissement de la solidaritĂ© entre les

Page 114: Manuels F(f)rancophones

114

nations, sont de nature à réduire les tensions, à prévenir les conflits et à ren-forcer la lutte contre le terrorisme ».

La dĂ©claration est aussi un pas vers la consolidation de la norme interna-tionale visant le droit Ă  l’ingĂ©rence humanitaire, qui a suscitĂ© un vif dĂ©bat Ă cause de son incompatibilitĂ© avec le principe de la souverainetĂ© Ă©tatique.

Le grand nombre d’États membres ou observateurs de l’OIF peut ĂȘtre unargument supplĂ©mentaire en faveur de l’idĂ©e que cette vision sur le systĂšmeinternational a des chances de gagner du terrain.

Les critiques du constructivismePourtant, plusieurs arguments peuvent ĂȘtre invoquĂ©s pour critiquer la pers-

pective de la section prĂ©cĂ©dente. Puisqu’il s’agit d’une dĂ©claration, sa valeurjuridique est trĂšs faible et elle n’engage pas les États membres. De plus, ellen’est pas signĂ©e par les chefs d’États, mais par des ministres, ce qui rĂ©duitdavantage sa valeur politique. Les diffĂ©rends existant encore entre des Étatsmembres de l’OIF contredisent l’existence d’une culture politique interna-tionale qui s’inscrirait dans la typologie de l’anarchie kantienne. Une perspec-tive rĂ©aliste des Relations Internationales ignorerait complĂštement cettedĂ©claration, qui ne serait qu’une tentative des États membres de la Francopho-nie de gagner plus de visibilitĂ© et plus de poids sur la scĂšne internationale ;les rĂ©alistes montreraient que, pourtant, le chemin est trĂšs long jusqu’à ce quel’OIF ait un vĂ©ritable poids.

Une Ă©tude approfondie sur les nĂ©gociations qui ont menĂ© Ă  la signaturede la dĂ©claration, sur les travaux de la confĂ©rence, ainsi que sur la positionde chaque État, rĂ©vĂ©lerait les mĂ©canismes politiques derriĂšre ce documentpublique et pourrait donner raison Ă  l’une ou l’autre des deux positionsexposĂ©es plus haut.

Documentation :DĂ©claration de Bamako, 3 novembre 2000.DĂ©claration de Ouagadougou, 27 novembre 2004.DĂ©claration de Saint-Boniface, 14 mai 2006.WENDT Alexander, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University

Press, 1999.

C – ÉLÉMENTS DE GÉOPOLITIQUE POUR L’ÉLABORATION D’UN PLAN COMMUN

Au-delĂ  de l’intĂ©rĂȘt strictement juridique prĂ©sentĂ© par ladite dĂ©claration,Ă©laborĂ©e par l’OIF le 14 mai 2006, et de la volontĂ© de cette derniĂšre de colla-borer sur tous les plans avec les organisations supra-Ă©tatiques dans leur

Page 115: Manuels F(f)rancophones

115

souci d’éradiquer maints flĂ©aux planĂ©taires, les rĂ©dacteurs de ladite dĂ©cla-ration mettent l’accent, directement ou indirectement, sur trois thĂšmesgĂ©opolitiques majeurs Ă  l’orĂ©e de ce nouveau siĂšcle :

– la pĂ©rennitĂ© des conflits ;– les alĂ©as du contrĂŽle des armements ;– l’aggravation de la fracture entre les pays nantis du Nord et les pays dĂ©-

munis du Sud.

I. La prĂ©vention des conflits, un objectif plus que jamais d’actualitĂ©

A. 
eu Ă©gard Ă  la multiplication des contentieux et des guerres ouvertes depuis un demi-siĂšcle

La pĂ©riode contemporaine se caractĂ©rise fondamentalement par un essorcroissant du nombre de conflits ouverts, parallĂšlement (mais ceci est loin d’ĂȘtreĂ©tranger Ă  cela) Ă  une militarisation soutenue de la planĂšte.

Au cours de la pĂ©riode 1945–1975, le bilan concret Ă©tabli par les expertsde l’ONU Ă©voquait 71 conflits de premier ordre, qui ont fait plus de 12 mil-lions de morts « directs » (5 millions entre 1945 et 1960, 7 millions entre 1960et 1975). Pour le dernier quart de siĂšcle, les estimations s’élĂšvent Ă©galementĂ  quelques 5 millions. Avec un constat spatial supplĂ©mentaire Ă©difiant : surla centaine de pays affectĂ©s par un conflit armĂ© au cours des cinquante der-niĂšres annĂ©es, 87 % Ă©taient le fait de nations sous-dĂ©veloppĂ©es, dont 36 % pourles pays les moins avancĂ©s (PMA).

B. 
engendrant une typologie Ă©difiante de conflits La multiplication de ces conflits ouverts s’est aussi traduite, via la « polĂ©-

mologie », par de nombreuses esquisses typologiques. On peut distinguernotamment :

– les conflits inter-Ă©tatiques ;– les conflits « post-coloniaux » ;– les conflits intra-Ă©tatiques.Les premiers, les plus « classiques » (ceux qui ont Ă©grenĂ© tragiquement l’his-

toire de l’humanitĂ© au cours des millĂ©naires), illustrĂ©s par les guerres de CorĂ©eou de la pĂ©ninsule indienne, ou par les conflagrations du Proche et du Moyen-Orient, sont dĂ©sormais minoritaires (25 % pour le dernier demi-siĂšcle) ; les se-conds, sĂ©quelles du processus de dĂ©colonisation, du Vietnam aux Afriquesfrancophones ou anglophones (Ă©galement de l’ordre de 25 %) se sont naturelle-ment rarĂ©fiĂ©s Ă  la fin du dernier siĂšcle, avec la quasi disparition des colonies.

Le troisiĂšme type (du Biafra au Bangladesh, de l’IndonĂ©sie au Cambodge,du Rwanda Ă  la Somalie) concerne par essence des espaces gĂ©ographiques

Page 116: Manuels F(f)rancophones

116

plus limitĂ©s. Ils sont devenus majoritaires. Plus rĂ©vĂ©lateur encore : un seulconflit ouvert a directement opposĂ© deux nations dĂ©veloppĂ©es du globe aucours du dernier tiers de siĂšcle : la Grande-Bretagne et l’Argentine, avec la« Guerre des Malouines », un cas de figure par ailleurs aberrant


La multiplication des conflits est donc, pour l’essentiel, l’apanage des con-trĂ©es du Tiers Monde en gĂ©nĂ©ral, et de « l’Arc de crise » en particulier.

C. 
et constituant un paradoxe fondamental, Ă  l’heure du contrĂŽle des armementsCertes, et c’est loin d’ĂȘtre insignifiant, la planĂšte, depuis 1945, n’a pas connu

de troisiĂšme guerre mondiale. Constat directement liĂ© Ă  l’aventure nuclĂ©aire,Ă  la spĂ©cificitĂ© de l’arme atomique, et aux effets persistants du systĂšme bipo-laire et de la logique des Blocs, dĂ©sormais caducs.

La prolifĂ©ration des conflits localisĂ©s, en revanche, peut paraĂźtre paradoxale,puisque, depuis l’aube des annĂ©es soixante-dix, le monde via, notamment,les États-Unis (dĂ©claration de Richard Nixon en janvier 1970) puis l’Organi-sation des Nations unies, a proclamĂ© « la guerre Ă  la guerre » et officialisĂ© lapromotion de la paix par la voie du dĂ©sarmement. Et alors que la plupart desÉtats dĂ©veloppĂ©s ont multipliĂ© signatures et ratifications de maints traitĂ©s rela-tifs au contrĂŽle des armements !

II. Les aléas de la promotion de la paix par la voie du désarmement

A. La « rĂ©volution » des annĂ©es soixante-dix De fait, la pĂ©riode des « seventies » s’est essentiellement illustrĂ©e, en

plein cƓur de la dĂ©tente, par des actes, certes significatifs, en matiĂšre de « con-trĂŽle » des armements. TĂ©moin l’édifiant : le traitĂ© « SALT » (relatif auxarmements stratĂ©giques Ă  portĂ©e intercontinentale), conclu en 1974 parMoscou et par Washington (et qui a, en rĂ©alitĂ©, abouti Ă  une sophisticationspectaculaire desdites armes) ; tĂ©moins aussi les nombreux traitĂ©s multi-latĂ©raux, trĂšs souvent ponctuels, comme le TraitĂ© de Tatlelolco (non nuclĂ©ari-sation de l’AmĂ©rique Latine), la Convention sur l’environnement de 1972 oules accords destinĂ©s Ă  interdire la fabrication de certains types d’armes(armes biologiques, chimiques
).

B. L’hypocrisie de la pĂ©riode contemporaine La plupart de ces traitĂ©s ou accords, dĂ»ment ratifiĂ©s (encore que le plus

important d’entre eux, celui relatif Ă  l’interdiction des essais nuclĂ©aires, at-tend depuis dix ans sa ratification par le CongrĂšs nord-amĂ©ricain) ont Ă©tĂ© sui-vis de peu d’effets concrets.

Page 117: Manuels F(f)rancophones

117

TĂ©moin le thĂšme dramatique des mines antipersonnels, toujours d’actua-litĂ© : en 1973, les 112 signataires de la Convention sur l’interdiction de cer-taines armes jugĂ©es « excessivement pernicieuses » (sic) ont ainsi mis horsla loi les « mines, piĂšges et autres engins analogues ». Ce qui n’a guĂšre em-pĂȘchĂ© les belligĂ©rants dans le monde de s’acharner Ă  transformer rapidementune partie de la pĂ©ninsule indochinoise, ou les campagnes d’Angola ou duMozambique en des contrĂ©es particuliĂšrement riches en champs de minesantipersonnels.

C. Une situation pĂ©nalisant, d’abord, le Tiers MondeLes effets directs du systĂšme bipolaire, puis l’abandon progressif de toute

hypothĂšse de conflit direct entre les puissances du monde dĂ©veloppĂ©, arc-bou-tĂ©es sur la possession de l’arme nuclĂ©aire, sous peine de dĂ©clencher l’Apoca-lypse, se sont donc traduits par une concentration soutenue des points chaudsdu globe dans les contrĂ©es dites « en voie de dĂ©veloppement ». Avec un co-rollaire direct : la sur-militarisation de ces « desesperados » du Tiers Monde,parallĂšlement Ă  une montĂ©e en puissance des nations du Sud dans la hiĂ©rar-chie des acheteurs d’armes et de systĂšmes d’armes. Le Japon, premier des paysnantis du Nord en matiĂšre d’achat d’armes, n’apparaĂźt qu’au treiziĂšme rangdans la hiĂ©rarchie des acheteurs mondiaux en 2008.

III. L’aggravation de la fracture entre pays du Nord et pays du Sud

A. Les ambiguĂŻtĂ©s de l’inĂ©gal dĂ©veloppement La notion d’inĂ©gal dĂ©veloppement, reprise par l’OIF, est ambiguĂ« : elle

masque mal (« politically correct » oblige) les disparitĂ©s de fait entre les Étatsdu Sud (maints pays n’ont guĂšre dĂ©collĂ© sur l’échelle de Rostow et il existedĂ©sormais un vĂ©ritable abĂźme entre certains PMA et les nantis du pĂ©trole, parexemple) ainsi que l’aggravation de la fracture entre Nord et Sud rĂ©vĂ©lĂ©e parla plupart des indicateurs Ă©conomiques et sociĂ©taux.

Certains indicateurs classiques sont particuliĂšrement Ă©loquents, telle l’es-pĂ©rance de vie Ă  la naissance : la plupart des États voisins de la rĂ©publique Sud-Africaine rĂ©vĂšlent aujourd’hui une espĂ©rance de vie se situant en deçà de labarriĂšre des 50 ans (42 ans pour le Lesotho, le Botswana ou le Zimbabwe, soitpratiquement la moitiĂ© de l’espĂ©rance de vie des nations de la « vieille Europe »).

B. Les caractĂšres fondamentaux du « sous-dĂ©veloppement »La pĂ©rennisation des conflits localisĂ©s, et leurs sĂ©quelles directes, s’a-

joutent à la longue litanie des fléaux du sous-développement (démographie

Page 118: Manuels F(f)rancophones

118

mal contrĂŽlĂ©e, surpeuplement, sous-nutrition, malnutrition, maladies endĂ©-miques, Ă©pidĂ©mies, analphabĂ©tisme, exode rural, structures Ă©conomiquesparalysantes). C’est dans semblable contexte que s’inscrivent les effets directsde la multiplication des guerres.

L’exemple des mines antipersonnels figure parmi les plus Ă©loquents :dans les campagnes du Nicaragua, criblĂ©es de mines par l’armĂ©e US, sousla prĂ©sidence de Reagan, les « peones » s’habituĂšrent dans leur chair Ă  la gĂ©o-graphie des dites mines pour Ă©viter dans leur cheminement quotidien ces lieuxde mort, jusqu’à l’arrivĂ©e du typhon El Nino qui, bouleversant les donnĂ©esmicro-gĂ©ographiques, s’est ingĂ©niĂ© Ă  perturber ladite configuration, de tellesorte que les « peones » ont redĂ©couvert de maniĂšre dramatique les sĂ©quellesde la lutte des « contras » Ă  l’égard des sandinistes et de l’application con-crĂšte de la doctrine Reagan relative aux conflits de « basse intensitĂ© ».

C. 
et ses principales consĂ©quences en matiĂšre de prĂ©vention des conflitsEn 2005, le volume total des transactions en matiĂšre de matĂ©riel d’arme-

ment (soit le quart environ de l’ensemble des budgets consacrĂ©s aux dĂ©-penses militaires de la planĂšte) Ă©tait estimĂ© Ă  plus de cinquante fois le totaldes aides internationales aux programmes de type humanitaire. On comprendmieux le souhait de l’OIF de collaborer Ă  la prĂ©vention des conflits et, enamont, Ă  la promotion de la paix internationale et de la sĂ©curitĂ© humaine,encore bien hĂ©sitants Ă  ce jour.

Documentation :BOUTHOUL Gaston, La Guerre, Paris, PUF, 1983.CEPII, Économie mondiale : la fracture, Paris, Économica, 1984.COHEN-TANUGI Laurent, Guerre ou Paix, Paris, Grasset, 2007.LACOSTE Yves, UnitĂ© et diversitĂ© du Tiers Monde, Paris, La DĂ©couverte, 1984.LE DIASCORN Yves, Le nouveau dĂ©sordre Ă©conomique mondial, Paris, Ellipses, 1995.RUFIN Jean-Christophe, L’Empire et les nouveaux Barbares, Paris, LattĂšs, 1991.SOPPELSA Jacques, Des tensions et des armes, Paris, Publications de la Sorbonne, 1984.SOPPELSA Jacques, GĂ©opolitique de 1945 Ă  nos jours, Paris, Sirey, 1994.

Page 119: Manuels F(f)rancophones

119

Section 2.Le site de Preah Vihear

A – ÉLÉMENTS JURIDIQUES POUR L’ÉLABORATION D’UN PLAN COMMUN

Le site de Preah Vihear, dĂ©diĂ© Ă  Shiva, est composĂ© d’une sĂ©rie de sanc-tuaires reliĂ©s par un systĂšme de chaussĂ©es et d’escaliers s’étendant sur un axede 800 m ; il date de la premiĂšre moitiĂ© du XIe siĂšcle. Le temple se trouve aubord d’un plateau qui domine la plaine du Cambodge, sur la frontiĂšre entrece pays et la ThaĂŻlande. Il fait l’objet d’un contentieux entre les deux pays.

L’arrĂȘt de la Cour internationale de justice, 15 juin 1962À la suite de l’occupation du temple par un dĂ©tachement armĂ© thaĂŻ en

1958, le Cambodge avait saisi la CIJ sur le tracĂ© de la frontiĂšre Ă  cet endroitet l’appartenance du temple. En 1904, une commission mixte franco-siamoise(la France exerçait Ă  cette Ă©poque un protectorat sur le Cambodge) avaitdĂ©terminĂ© la frontiĂšre dans le secteur des Dangrek et indiquĂ© clairement quele temple de Preah Vihear et ses environs sont en terre cambodgienne ; d’ailleurs,en 1907, la France et le Siam avaient conclu un traitĂ© qui sert de rĂ©fĂ©rence ju-ridique pour la souverainetĂ© cambodgienne sur Preah Vihear.

C’est l’argument principal de la CIJ pour confirmer la souverainetĂ© duCambodge sur le site de Preah Vihear : la convention du 13 fĂ©vrier 1904 a dĂ©fi-ni une ligne-frontiĂšre et « lorsque deux pays dĂ©finissent entre eux une fron-tiĂšre, un de leurs objectifs est d’arrĂȘter une solution stable et dĂ©finitive
 Celaest impossible si le tracĂ© ainsi Ă©tabli peut ĂȘtre remis en cause Ă  tout mo-ment
 ». De plus la preuve de la dĂ©limitation est apportĂ©e par une carte Ă©tablied’un commun accord. La ThaĂŻlande fait valoir l’erreur sur les cartes annexĂ©es Ă la convention de dĂ©limitation ; or la Cour considĂšre que les qualitĂ©s et compĂ©tencesdes personnes qui ont vu la carte du cĂŽtĂ© des nĂ©gociateurs siamois rendent dif-ficile l’invocation de l’erreur par la ThaĂŻlande et que son absence de contestationpendant des dĂ©cennies vaut acquiescement. Par leur conduite pendant cinquanteans, les deux parties ont reconnu la frontiĂšre dĂ©limitĂ©e en 1907.

La souverainetĂ© du Cambodge est donc confirmĂ©e par la CIJ en 1962. CettedĂ©cision n’a cependant pas fait cesser les revendications thaĂŻlandaises. La dĂ©li-mitation n’a d’ailleurs pas Ă©tĂ© suivie d’une dĂ©marcation ni d’un abornementpartout.

Les affrontements de 2008 indiquent que la question de la dĂ©limitation desfrontiĂšres reste une question Ă©pineuse pour les deux États. D’ailleurs, uneĂ©quipe mixte travaille Ă  la dĂ©limitation des frontiĂšres terrestres depuis la

Page 120: Manuels F(f)rancophones

120

signature d’un mĂ©morandum d’entente mutuelle en 2000. En attendant derĂ©gler l’épineux diffĂ©rend maritime
 et pĂ©trolifĂšre.

Le dĂ©saccord sur l’inscription du temple au patrimoine mondial, 2005 Ă  2009Chef-d’Ɠuvre remarquable de l’architecture khmĂšre, le site a fait l’objet

d’une demande d’inscription au patrimoine mondial par le gouvernementcambodgien en 2005, puis 2007 et 2008 : demande acceptĂ©e le 7 juillet 2008.Chaque demande a fait l’objet d’une opposition de la ThaĂŻlande (qui rĂ©clameune gestion commune du site) et a relancĂ© le contentieux, jusqu’à provoquerde brefs affrontements militaires entre juillet et dĂ©cembre 2008.

La Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturelet naturel a Ă©tĂ© adoptĂ©e par la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de l’UNESCO le 16 no-vembre 1972. Elle Ă©tablit et rĂ©vise rĂ©guliĂšrement une liste de centaines de sitesdans le monde qui font l’objet d’une protection particuliĂšre. L’inscription surla liste ne procure pas d’avantages matĂ©riels importants mais constitue unepublicitĂ© apprĂ©ciable.

Elle constitue de plus pour la ThaĂŻlande la confirmation du caractĂšre cam-bodgien du site, ce que son gouvernement refuse. À la suite de nĂ©gociationsen mai 2008, la partie cambodgienne a acceptĂ© que seul le temple soit nommĂ©au patrimoine et non l’ensemble du site ; elle s’est en outre engagĂ©e Ă  fournirune carte dĂ©limitant la superficie du monument. Au motif que la carte de PreahVihear retenue par la CIJ dans sa dĂ©cision de 1962 qui situe les bornes dedĂ©marcation entre les deux pays laisse non dĂ©limitĂ©e une zone de 5 km2 encontrebas du temple et que certaines bornes ont disparu pendant le conflitindochinois, le gouvernement thaĂŻlandais relance la question de la souverai-netĂ© sur certaines parties de la frontiĂšre, notamment sur ce site sensible dePreah Vihear.

Documentation :DĂ©cision de la Cour internationale de justice, 15 juin 1962, Rec. 1962, p. 6.COT Jean-Pierre, « L’affaire de Preah Vihear devant la Cour internationale de justice », An-

nuaire français de droit international, 1962, pp. 217-247.EISEMANN Pierre Michel et PAZARTZIS Photini, La jurisprudence de la CIJ, Paris, Pedone, 2008.JENNAR Raoul, Les frontiÚres du Cambodge contemporain, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001.

Page 121: Manuels F(f)rancophones

121

B – ÉLÉMENTS DE RELATIONS INTERNATIONALES

POUR L’ÉLABORATION D’UN PLAN COMMUN

Aperçu historiqueLes disputes territoriales entre les entités politiques occupant le terri-

toire actuel du Cambodge et de la ThaĂŻlande datent du XVe siĂšcle. L’inter-vention française au XIXe siĂšcle favorise une solution avantageuse pour lesKhmers, par les traitĂ©s de 1887 et 1893, qui assignent tous les territoires dela rive gauche du fleuve MĂ©kong Ă  la France. Une nouvelle frontiĂšre est Ă©tablieen 1904, par laquelle le Siam renonce aux deux provinces de Battambang etSiem Reap. Le contexte politique de l’entre-deux guerres favorise le Siam, alliĂ©du Japon, mais il est encore une fois renversĂ© Ă  la fin de la DeuxiĂšme Guerremondiale avec la dĂ©faite du Japon. La dispute Ă  propos du site de Preah Vihearest favorisĂ©e par le fait qu’une dĂ©marcation exacte du territoire n’a jamais Ă©tĂ©faite, les deux parties ne pouvant pas s’accorder sur le mandat d’une commis-sion mixte chargĂ©e de tracer la frontiĂšre. Suite Ă  l’invasion thaĂŻlandaise dusite en 1954, le Cambodge dĂ©pose une plainte devant la CIJ en 1959. La so-lution est donnĂ©e en 1962 et donne raison au Cambodge, mais la ThaĂŻlanden’accepte pas de se retirer. D’ailleurs, le vote de la Cour n’a pas Ă©tĂ© unanime :trois juges sur douze ont votĂ© contre. La dĂ©cision de la Cour a suscitĂ© desprotestations de la part des officiels et de l’opinion publique thaĂŻlandaise, quiont dĂ©plorĂ© aussi le manque de soutien de la part de leurs alliĂ©s dans la guerrefroide : les États-Unis (Dean Acheson, ancien SecrĂ©taire d’État, a plaidĂ© la causedu Cambodge devant la Cour). La ThaĂŻlande accepte de se retirer du PreahVihear seulement sous la menace de guerre de la part du Cambodge. En jan-vier 1963, les officiels cambodgiens ont repris possession du site.

L’annĂ©e 2008 a vu une nouvelle escalade du conflit, stimulĂ©e cette fois-cipar la demande, faite par le gouvernement cambodgien, d’inclusion du PreahVihear dans le patrimoine mondial.

Les enjeux de politique interneLe conflit sur le site de Preah Vihear met en lumiÚre le dilemme de la sécu-

ritĂ© dans lequel se trouvent les deux pays. Tandis que le Cambodge tĂ©moigned’une anxiĂ©tĂ© permanente concernant la possibilitĂ© de l’irrĂ©dentisme thaĂŻlan-dais, la ThaĂŻlande conteste jusqu’à nos jours la dĂ©cision de la CIJ, qu’elle con-sidĂšre mal fondĂ©e. D’autres problĂšmes internes contribuent au maintien de cetĂ©tat de mĂ©fiance rĂ©ciproque entre les deux pays. Le Cambodge est un cas ty-pique de pays sans une tradition Ă©tatique consolidĂ©e, qui se sent menacĂ© detous les cĂŽtĂ©s : rappelons que le Cambodge a un diffĂ©rend frontalier avec le Viet-nam, mais aussi une significative minoritĂ© vietnamienne sur son territoire.

Page 122: Manuels F(f)rancophones

122

D’autre part, la ThaĂŻlande a, elle aussi, un diffĂ©rend important avec le Viet-nam, et elle a utilisĂ© le rĂ©gime des Khmer Rouge pour maintenir une zone-tampon. Si l’on pense Ă  sa politique interne, le conflit avec le Cambodge aĂ©tĂ© un bon prĂ©texte pour justifier le rĂŽle primordial occupĂ© par l’armĂ©e dansle rĂ©gime politique thaĂŻlandais. Au fur et Ă  mesure que la prioritĂ© politiquemajeure se dĂ©place de la zone de la sĂ©curitĂ© nationale vers le dĂ©veloppementĂ©conomique, le rĂŽle de l’armĂ©e diminue (surtout aprĂšs 1992). Cette prĂ©occu-pation pour le dĂ©veloppement, visible Ă  partir de 1988, a contribuĂ© aussi Ă la diminution de l’importance du site de Preah Vihear pour le gouvernementthaĂŻlandais.

DerniĂšrement, la question de Preah Vihear a Ă©tĂ© Ă  nouveau instrumentali-sĂ©e dans la politique interne thaĂŻlandaise lorsque le premier ministre SamakSundaravej a Ă©tĂ© renversĂ© par l’opposition en 2008 et le nouveau gouverne-ment contestĂ© en 2009.

Les enjeux internationauxLe Cambodge et la Thaïlande ont été dans des camps différents lors de la

guerre froide, avec l’URSS et les États-Unis respectivement (dĂ©jĂ  pendant lapremiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle, elles ne faisaient pas partie du mĂȘme camp,le Cambodge Ă©tant partie de la colonie française d’Indochine, tandis que leSiam Ă©tait alliĂ© au Japon). Cela peut avoir Ă©tĂ© un catalyseur du diffĂ©rend surPreah Vihear, les deux cĂŽtĂ©s ayant espĂ©rĂ© qu’une intervention des grandespuissances allait faire pencher la balance en leur faveur. La ThaĂŻlande a Ă©tĂ©profondĂ©ment déçue par le manque de soutien de la part de son alliĂ©.

Un autre enjeu international important est la coopĂ©ration rĂ©gionale. La ThaĂŻ-lande est l’un des pays fondateurs de l’ASEAN en 1967, tandis que le Cam-bodge y a adhĂ©rĂ© plus tard. La ThaĂŻlande s’efforce de s’assurer un rĂŽle de leaderrĂ©gional au sein de l’ASEAN, tout en essayant d’échapper Ă  l’influence de sesdeux alliĂ©s traditionnels, les États-Unis et la Chine. D’une part, cela peutavoir des effets positifs, car la ThaĂŻlande est obligĂ©e de montrer un engage-ment solide pour le multilatĂ©ralisme ; d’autre part, Ă  long terme, l’effet peutĂȘtre une consolidation du rĂŽle de ce pays dans la rĂ©gion, et par consĂ©quentune remontĂ©e de la spirale de la mĂ©fiance dans la relation avec le Cambodge.

Documentation :BUSZYNSKI Leszek, « Thailand’s Foreign Policy: Management of a Regional Vision », in Asian

Survey, vol. 34, n° 8, Aug. 1994, pp. 721–737. COURMONT BarthĂ©lĂ©my, « DiffĂ©rend frontalier Cambodge–ThaĂŻlande difficilement arbitrĂ©

par l’UNESCO », Centre d’Études Transatlantiques, Note Asie n° 30, juillet 2008. SINGH L. P., « The Thai–Cambodian Temple Dispute », in Asian Survey, vol. 2, n° 8, Oct. 1962,

pp. 23–26.

Page 123: Manuels F(f)rancophones

123

C – ÉLÉMENTS DE GÉOPOLITIQUE POUR L’ÉLABORATION D’UN PLAN COMMUN

Au-delĂ  des Ă©vĂ©nements de l’étĂ© 2008, concomitants de l’inscription duTemple de Preah Vihear au Patrimoine mondial de l’UNESCO (sur prĂ©sen-tation du dossier par le Cambodge), des Ă©vĂ©nements qui ne sont pas non plustotalement sans relation avec les difficultĂ©s rĂ©centes de la gĂ©oĂ©conomie in-terne thaĂŻlandaise, ce contentieux autorise l’évocation de trois Ă©lĂ©ments gĂ©o-politiques majeurs :

Deux concrĂ©tisent le poids des « tendances lourdes » dans l’analyse gĂ©o-politique : le rĂŽle de la gĂ©ographie physique et de sa traduction cartographique,le poids de l’hĂ©ritage historique ; le troisiĂšme (« variable contemporaine »)Ă©marge au constat actuel relatif aux disparitĂ©s de ces deux nations du TiersMonde au chapitre du dĂ©veloppement.

1. Du rÎle des facteurs physiques et de leur concrétisation par la carte Le Temple de Preah Vihear, dans la région orientale des Dangrek, a été érigé

sur une ligne de crĂȘte, naturellement liĂ©e au milieu orographique thaĂŻ et sur-plombant par une falaise relativement abrupte (d’oĂč son accĂšs malaisĂ©) lescampagnes cambodgiennes.

Mais la frontiĂšre Ă©tablie depuis plus d’un siĂšcle, et reconnue, au moinstacitement, par les deux adversaires potentiels jusqu’à la fin des annĂ©es cin-quante, « dĂ©croche », dans le secteur du temple, de maniĂšre apparemmentaberrante. Ce dĂ©crochage a Ă©tĂ© inscrit dans les faits par la validation d’unecarte Ă©tablie en 1907.

2. De l’hĂ©ritage colonial En fait, c’est l’armĂ©e française qui, en 1907, a cartographiĂ© la frontiĂšre entre

le Cambodge (Ă  l’époque, membre Ă  part entiĂšre, au sein de l’Indochine, del’empire colonial français) et le Royaume du Siam. Le tracĂ© fut prĂ©sentĂ© uni-latĂ©ralement Ă  Bangkok, qui ne le contesta guĂšre avant 1958 : contestation quiaboutira au jugement de la Cour internationale de justice en 1962, au profitde la partie cambodgienne.

L’argument cartographique est un Ă©lĂ©ment assez constant dans l’histoiredes revendications territoriales, a fortiori frontaliĂšres (tĂ©moin, par exemple,la remise en question de l’authenticitĂ© des portulans portugais dans le con-tentieux argentino-britannique Ă  l’origine de la guerre des Malouines, ou desFalklands).

Le « dĂ©crochage » entre frontiĂšres naturelles et frontiĂšres administra-tives, clef de voĂ»te de la dispute du Temple de Preah Vihear, apparaĂźt rĂ©gu-liĂšrement dans la saga des controverses et des litiges bilatĂ©raux. À l’échelle,

Page 124: Manuels F(f)rancophones

124

Ă  nouveau, de l’AmĂ©rique Latine, rappelons le conflit de « la Laguna delDieserto », sur le flanc oriental des Andes patagonnes, entre le Chili, parti-san d’une frontiĂšre fixĂ©e sur la ligne de crĂȘte orographique, et l’Argentine,privilĂ©giant la ligne de crĂȘte militaire ; ou la guerre de 1995 entre l’Équateuret le PĂ©rou dans la « Cordilliera del Condor », dĂ©clenchĂ©e, il est vrai, quelquesmois aprĂšs la dĂ©couverte de gisements d’hydrocarbures dans la rĂ©gion.

3. Deux situations gĂ©oĂ©conomiques, de part et d’autre d’une frontiĂšre Ă  forte porositĂ©Le contentieux de Preah Vihear oppose, de facto, deux États Ă  la situation

Ă©conomique contemporaine fortement contrastĂ©e, tant Ă  l’échelle des pays duTiers Monde, qu’à celui, a fortiori, des nations Ă©grenĂ©es le long de « l’arc decrise ».

La ThaĂŻlande figure aujourd’hui dans la cohorte des « pays Ă©mergents »et le Cambodge piĂ©tine dans celle des « pays les moins avancĂ©s ».

En outre, ladite frontiĂšre se caractĂ©rise aussi par une indĂ©niable porositĂ©,Ă  l’heure de l’essor des activitĂ©s criminelles organisĂ©es, et des trafics transfron-taliers illicites en tous genres, du trafic de drogues (depuis l’éradication, aumoins partielle, de la culture du pavot dans une grande partie de la ThaĂŻlande)Ă  celui des ĂȘtres humains, des espĂšces animales rares ou des systĂšmesd’armes.

Documentation :JENNAR Raoul, Les frontiĂšres du Cambodge contemporain, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001.LABRECQUE Georges, Les diffĂ©rends internationaux en Asie, Paris, l’Harmattan, 2006.

Page 125: Manuels F(f)rancophones

125

CHAPITRE III.

Un plan pluridisciplinaire

L’exercice d’application qui suit prĂ©sente trois plans uni-disciplinaires (ju-ridique, de Relations Internationales et GĂ©opolitique), puis une suggestionde plan pluridisciplinaire, sur un mĂȘme sujet : « Francophonie et PacifiqueSud ».

SECTION 1.Francophonie et Pacifique Sud :

du point de vue du droit international

Ce sujet est particuliĂšrement difficile Ă  traiter du strict point de vue du droit in-ternational car il ne se prĂȘte pas Ă  une analyse juridique. Le droit a peu Ă  dire surcertaines questions. Le plan qui suit montre donc les limites d’une approche mono-disciplinaire sur certains sujets.

La Francophonie est peu prĂ©sente dans la rĂ©gion du Pacifique Sud, essen-tiellement par l’entremise des territoires de son principal contributeur : laFrance ; mais est-ce un atout ou un handicap ?

Le Pacifique Sud dont les limites gĂ©ographiques sont incertaines rassem-ble des États peu viables Ă©conomiquement et politiquement (exceptĂ© l’Aus-tralie, La Nouvelle-ZĂ©lande et les territoires français) : la rĂ©gion comprend neufdes douze pays les plus pauvres du monde, et ceux dont les populations sontles plus faibles : sept millions de personnes dans quinze pays (dont cinqpour la seule Papouasie-Nouvelle-GuinĂ©e). Ces micro-États (Nauru : 20 km2)souvent fragmentĂ©s (Kiribati est formĂ© d’une trentaine d’atolls dissĂ©minĂ©s surdes millions de km2) soulĂšvent des problĂšmes juridiques particuliers, mais sontdes membres de l’ONU et disposent d’une voix Ă  l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. Mal-grĂ© l’éloignement et son Ă©tendue, le Pacifique Sud intĂ©resse la plupart desgrandes puissances, pour des raisons liĂ©es aux richesses maritimes maisaussi Ă  la proximitĂ© de l’Antarctique (TraitĂ© de l’Antarctique, 1er dĂ©cembre 1959).

Le terme « Francophonie » dĂ©signe des institutions intergouvernementalesrassemblĂ©es au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie. Cetteorganisation, souvent mĂ©connue, regroupe pourtant un tiers des membres del’ONU ; elle entretient des reprĂ©sentations permanentes Ă  New York, GenĂšve,Bruxelles, et Addis Abeba ; elle est distinguĂ©e comme partenaire par toutes

Page 126: Manuels F(f)rancophones

126

les OIG
 Cet ensemble est atypique parce qu’en plus de sa mission naturelle– la promotion de la langue française et de l’éducation – la Francophonie a Ă©tĂ©en pointe dans l’adoption de la convention de l’UNESCO sur la protection dela diversitĂ© cultuelle ; elle contribue Ă©galement depuis les annĂ©es 1990 Ă  l’ef-fort des Nations unies en faveur de la dĂ©mocratie et des droits de l’homme ;enfin, elle a liĂ© rĂ©cemment la question du respect de la dĂ©mocratie Ă  celle dela « sĂ©curitĂ© humaine » et de la prĂ©vention des conflits. C’est dire qu’elle estpassĂ©e en quelques annĂ©es d’un rĂŽle d’agence de coopĂ©ration technique et cul-turelle Ă  un statut d’organisation internationale politique.

La Francophonie ne compte dans le Pacifique Sud qu’un seul membre :le Vanuatu, ancien condominium franco-britannique devenu indĂ©pendanten 1979 (et qui a adhĂ©rĂ© la mĂȘme annĂ©e Ă  l’OIF). C’est la France Ă  travers sesterritoires (Nouvelle-CalĂ©donie, PolynĂ©sie française, Wallis et Futuna) qui faitl’essentiel de la prĂ©sence francophone dans le Pacifique Sud. Cette prĂ©sencepourrait ĂȘtre le vecteur potentiel du dĂ©veloppement de la Francophoniedans cette rĂ©gion du monde ; mais il faut se demander si les relations diffi-ciles – voire conflictuelles – entre la France et les puissances rĂ©gionales ne cons-tituent pas plutĂŽt un obstacle Ă  ce dĂ©veloppement.

I. Les territoires français, vecteur de la présence francophone dans le Pacifique Sud

À l’exception du Vanuatu (qui accueille une antenne de l’Agence univer-sitaire de la Francophonie), la Francophonie n’est prĂ©sente dans la rĂ©gion qu’àtravers les territoires français.

A. La diversitĂ© du statut des territoires françaisDepuis 2003 et la disparition de la notion de « territoire d’outre-mer », Wal-

lis et Futuna est une collectivitĂ© d’outre-mer, la PolynĂ©sie est un pays d’outre-mer, et la Nouvelle-CalĂ©donie est une collectivitĂ© particuliĂšre rĂ©gie par le titreXIII de la constitution française. Cette Ă©volution contrastĂ©e vers davantaged’autonomie – voire vers l’indĂ©pendance – est largement due aux pressionsdes organisations rĂ©gionales.

B. La participation des territoires français aux associations régionalesIls sont membres de la Commission du Pacifique Sud, organisation inter-

nationale bilingue (anglais, français) fondĂ©e en 1947 et rebaptisĂ©e en 1997 « Se-crĂ©tariat gĂ©nĂ©ral de la communautĂ© du Pacifique » ; ils participent Ă©galementau Forum des Îles du Pacifique, organisation politique rĂ©gionale : la Nouvelle-

Page 127: Manuels F(f)rancophones

127

CalĂ©donie y a Ă©tĂ© admise comme observateur en 1999 ; elle est membre asso-ciĂ©e depuis 2006 en compagnie de la PolynĂ©sie française (Wallis et Futuna,qui n’a pas choisi la voie de l’autonomie, est observateur).

II. La France, obstacle au développement de la Francophonie dans le Pacifique Sud ?

A. La volontĂ© de coopĂ©ration de la FrancophonieLa Francophonie, qui se veut une communautĂ© culturelle, peut s’élargir

dans la rĂ©gion : par l’adhĂ©sion de nouveaux membres, mais aussi en dĂ©velop-pant un partenariat, ou une association avec le Commonwealth qui compteplusieurs membres dans le Pacifique. Le Commonwealth partage en effet unmode d’organisation comparable et les mĂȘmes valeurs politiques. D’ailleurs,une coopĂ©ration entre la Francophonie et le Commonwealth a dĂ©butĂ© en 1999,notamment par l’organisation de rencontres et de colloques.

La promotion de la diversitĂ© culturelle suppose le renforcement des aireslinguistiques partout dans le monde ; et leur rapprochement est le plus sĂ»rmoyen de combattre l’appauvrissement linguistique dans un contexte mon-dialisĂ© et uniformisateur. Pour la Francophonie, l’action contre l’uniformitĂ©passe par le partenariat avec ces aires linguistiques organisĂ©es dans le cadred’unions gĂ©oculturelles.

B. Les obstacles liés à la politique françaiseLes relations entre la France et les puissances régionales ont souvent été

difficiles : d’ailleurs le Forum des Îles du Pacifique est issu de l’oppositiondes pays de la rĂ©gion aux essais nuclĂ©aires français en PolynĂ©sie. C’est dansle cadre du Forum qu’a Ă©tĂ© nĂ©gociĂ© et adoptĂ© le TraitĂ© de Rarotonga (6 aoĂ»t1985) instaurant une zone dĂ©nuclĂ©arisĂ©e en OcĂ©anie. La dĂ©cision française demettre un terme aux essais en 1996 a permis de renouer le dialogue, mais laFrance continue d’ĂȘtre perçue comme une puissance extĂ©rieure. D’autant quel’importance des eaux territoriales françaises suscite la convoitise


DĂšs lors on peut se demander si la prĂ©sence française n’est pas un obsta-cle plus qu’un avantage pour le dĂ©veloppement de la Francophonie dans larĂ©gion.

Bibliographie sommaireBENSAAlain, RIVIERRE Jean-Claude (dir.), Le Pacifique. Un monde Ă©pars, Paris, L’Harmattan,

« Cahiers du Pacifique Sud contemporain », 1999.HAMELIN Christian, La tradition et l’État, Paris, L’Harmattan, « Cahiers du Pacifique Sud con-

temporain », 2002.

Page 128: Manuels F(f)rancophones

128

SECTION 2.Francophonie et Pacifique Sud :

du point de vue des Relations Internationales

Le constat de la faible prĂ©sence de la Francophonie dans le Pacifique Suddoit s’accompagner d’une investigation des causes de ce phĂ©nomĂšne.Celles-ci peuvent ĂȘtre recherchĂ©es soit au niveau des États de la rĂ©gion, soitau niveau de la Francophonie elle-mĂȘme, soit au niveau du contexte rĂ©gional.

À deux exceptions notables – l’Australie et la Nouvelle-ZĂ©lande –, les Étatsdu Pacifique Sud sont des micro-États. Or, les Relations Internationales ontdĂ©veloppĂ© une thĂ©orie qui dĂ©couvre des modĂšles de comportement spĂ©ci-fiques pour cette catĂ©gorie d’États : ils ne s’impliquent pas beaucoup dansles affaires internationales, militent pour la force du droit international, et leursobjectifs de politique Ă©trangĂšre sont trĂšs limitĂ©s. Or, si l’on observe les micro-États du Pacifique Sud, on constate qu’en effet ils tĂ©moignent de ce type decomportement. La plupart d’entre eux ont une tradition de non-militarisa-tion ; certains s’appuient sur des forces militaires Ă©trangĂšres (c’est le cas dela MicronĂ©sie) ou bien se trouvent dans une situation de dĂ©pendance par rap-port Ă  une grande puissance, tels la France, les États-Unis, la Grande-Bretagneou l’Australie. C’est pourquoi on peut considĂ©rer que, dans beaucoup de cas,leur politique Ă©trangĂšre est dĂ©pendante et qu’ils hĂ©siteront Ă  entrer dans descoopĂ©rations internationales qui iraient Ă  l’encontre des intĂ©rĂȘts de leurs pro-tecteurs. Or, la Francophonie est largement perçue, surtout dans les cerclesinfluencĂ©s par le rĂ©alisme (et ici on peut inclure le nĂ©o-conservatisme amĂ©ri-cain), comme une organisation qui sert principalement les intĂ©rĂȘts de laFrance, en diffusant son modĂšle culturel dans une logique de soft power.

D’autre part, si l’on choisit de s’éloigner de ce paradigme rĂ©aliste et de cher-cher une logique de coopĂ©ration, la participation de ces États Ă  la Francopho-nie pourrait s’avĂ©rer utile pour les deux cĂŽtĂ©s. L’inclusion dans l’OIF pourraitapporter Ă  ces États une plus grande visibilitĂ© internationale, un accĂšs pluslarge aux institutions d’éducation des autres pays membres de la Francopho-nie et, surtout, la chance de bĂ©nĂ©ficier des expĂ©riences des autres États mem-bres en matiĂšre de dĂ©veloppement, tenant compte du taux de la pauvretĂ© trĂšsĂ©levĂ© des micro-États du Pacifique Sud. À son tour, l’OIF bĂ©nĂ©ficiera deplus de diversitĂ© culturelle, Ă©tant donnĂ© les traditions culturelles trĂšs forteset trĂšs particuliĂšres des Ăźles du Pacifique, mais aussi d’un poids politique accrudans la rĂ©gion et dans le monde.

Page 129: Manuels F(f)rancophones

129

I. La faible présence de la Francophonie dans le Pacifique Sud

A. Les micro-États et leur politique Ă©trangĂšre– la thĂ©orie des micro-États ;– la tradition de dĂ©militarisation des États du Pacifique Sud ;– la faible prĂ©sence des autres organisations internationales dans la rĂ©gion :

ONU, puis uniquement le Forum des Îles du Pacifique et le SecrĂ©tariatde la CommunautĂ© Pacifique.

B. Les essais nuclĂ©aires de la France dans le Pacifique Sud– les divergences avec l’Australie ;– les divergences avec la Nouvelle-ZĂ©lande.

C. Les autres influences dans la rĂ©gion– les relations politiques des pays du Pacifique Sud avec les États-Unis.

L’influence culturelle amĂ©ricaine dans la rĂ©gion ;– le Commonwealth ;– l’Australie, puissance rĂ©gionale. Le projet de l’Union Pacifique.

II. Les avantages d’une prĂ©sence accrue de la Francophonie dans le Pacifique Sud

A. Pour les États de la rĂ©gion– la coopĂ©ration interuniversitaire comme vecteur du dĂ©veloppement. Le

rĂŽle des Ă©lites Ă©duquĂ©es ;– la diffusion des normes et des valeurs comme vecteur du dĂ©veloppement.

L’apprentissage des bonnes pratiques d’administration et de gouverne-ment. La promotion de la dĂ©mocratie et des droits de l’homme.

B. Pour l’Organisation internationale de la Francophonie– du point de vue politique : un poids plus important dans la politique

internationale ; un nombre accru de voix dans l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale del’ONU ; une influence accrue dans l’OcĂ©anie et la rĂ©gion Antarctique ;

– du point de vue culturel : la diversitĂ© culturelle, dimension essentiellede la Francophonie.

Bibliographie sommaireHEGARTY David et POLOMKAPeter (dir.), The Security of Oceania in the 1990s, Canberra, Strate-

gic and Defence Studies Centre, Australian National University, 1989. LOCKHART Douglas G. (dir.), The Development Process in Small Island States, London, Rout-

ledge, 1993.

Page 130: Manuels F(f)rancophones

130

TAGLIONI François, « La Francophonie ocĂ©anienne », in HermĂšs, n° 40, 2004, pp. 247–254. TONRA Ben, « Les petits pays ont aussi une politique Ă©trangĂšre », in CHARILLON FrĂ©dĂ©ric

(dir.), Politique Ă©trangĂšre. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, pp. 331–359.VERINE StĂ©phane, « La politique Ă©trangĂšre des micro-États du Pacifique Sud », in Politique

Ă©trangĂšre, vol. LII, n° 1, 1997, pp. 102–104.

Section 3.Francophonie et Pacifique Sud :

du point de vue de la GĂ©opolitique

AprĂšs les incontournables dĂ©finitions gĂ©ographiques (quelles sont leslimites et les spĂ©cificitĂ©s du Pacifique Sud et des États de la zone ?) et de la « fran-cophonie », l’approche gĂ©opolitique du sujet peut difficilement ĂȘtre axĂ©e surun autre thĂšme que celui – tendances lourdes comme variables contempo-raines – de la confusion (surtout aux yeux des anglophones) des intĂ©rĂȘts fran-cophones et des intĂ©rĂȘts français.

I. Le Pacifique Sud : des données géopolitiques exceptionnelles

Le Pacifique dans son ensemble, le Pacifique Sud en particulier, constituentla seule aire (par ailleurs gigantesque) oĂč se rencontrent aujourd’hui tous lescas de figures gĂ©opolitiques, de la superpuissance (influence indirecte) auxnations les moins avancĂ©es.

Les États-Unis, par ailleurs riverains du Pacifique Nord, sont plus que ja-mais (y compris via des accords privilĂ©giĂ©s comme l’ANZUS), prĂ©sentsdans le Sud, oĂč cohabitent des « puissances moyennes » Ă  Ă©conomie libĂ©rale(Australie, Nouvelle-ZĂ©lande), des États en voie de dĂ©veloppement (IndonĂ©-sie), des PMA(Papouasie-Nouvelle-GuinĂ©e), des micro-États (du Vanuatu auxSamoas, du Tonga au Tuvalu) et des territoires liĂ©s Ă  une puissance euro-pĂ©enne, la France. Le triangle stratĂ©gique, Ă©conomique et politique de tout pre-mier ordre : Nouvelle-CalĂ©donie, PolynĂ©sie, Wallis et Futuna, au-delĂ  desproblĂšmes de gĂ©opolitique interne que connaĂźt la Nouvelle-CalĂ©donie, cons-titue un sujet de prĂ©occupation majeur pour le binĂŽme anglophone « austra-lo–nĂ©o-zĂ©landais »...

Cette zone gigantesque et quasiment vide d’hommes (26 millions d’anglo-phones, cent fois moins de francophones) recense ainsi, par les alĂ©as de l’his-toire, une trentaine d’États-nations, dont 22 micro-États.

Page 131: Manuels F(f)rancophones

131

II. 
avec, corollaire direct, une traduction géostratégique originale

Si l’affrontement Est-Ouest, clef de voĂ»te du systĂšme bipolaire, a naturelle-ment disparu avec l’implosion de l’Union SoviĂ©tique (Moscou avait multi-pliĂ© en son temps les points d’appui et d’infiltration au Vanuatu, Ă  Kiribati,en Nouvelle GuinĂ©e) l’affrontement plus ou moins feutrĂ© entre les puissancesanglophones et la France est plus vivace que jamais.

En fait, la « fracture des langues » entre ces quelques vingt-six millions delocuteurs anglophones et moins de trois cent milles francophones constituesans doute l’élĂ©ment le plus constant dans l’évolution rĂ©cente et contempo-raine de la zone. « Il est parfaitement incongru de parler français dans le Paci-fique Sud » pouvait dĂ©clarer, il y a quelques annĂ©es, le Premier MinistreNĂ©o-ZĂ©landais !

Cette « fracture » a jouĂ© un pĂŽle nullement nĂ©gligeable au plan religieux(eu Ă©gard au poids local des Ă©glises protestantes anglophones) et dans les ava-tars stratĂ©giques qu’a connu la rĂ©gion au cours des vingt derniĂšres annĂ©es(tensions avec la Nouvelle-ZĂ©lande, Nouvelle-CalĂ©donie, politique nuclĂ©airede la France, notamment).

De facto, la francophobie manifestĂ©e ici masque peut-ĂȘtre tout simplementl’hostilitĂ© des deux puissances hĂ©ritiĂšres de l’Empire britannique Ă  l’égardde la France, obstacle Ă  leur projection de puissance.

L’Australie en particulier, État-continent, face aux « vides » de l’Ouest(OcĂ©an Indien) et du Sud (Antarctique, « gelĂ© » par l’application du traitĂ© Ă©po-nyme de 1959) et bloquĂ©e au Nord par l’IndonĂ©sie (tĂ©moins les rĂ©centes pĂ©-ripĂ©ties au sujet du Timor Oriental) ne dispose que d’une seule possibilitĂ©d’expansion spatiale : l’Est ! C’est Ă  dire vers le triangle des territoires françaisdĂ©jĂ  Ă©voquĂ©.

En outre, depuis l’accĂšs Ă  l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie, la France a procĂ©dĂ©durant plus de quatre dĂ©cennies Ă  des expĂ©riences nuclĂ©aires du cĂŽtĂ© de Muru-roa qui n’ont pas laissĂ© indiffĂ©rents ni Wellington, ni Canberra (cf. la poussĂ©ede francophobie exacerbĂ©e de l’étĂ© 1995 dans les principales agglomĂ©ra-tions australiennes aprĂšs la reprise des essais dĂ©cidĂ©e par Paris au lendemainde l’élection de Jacques Chirac).

Page 132: Manuels F(f)rancophones

130

III. Une fracture linguistique qui resurgit sournoisement Ă  travers les organisations supra-Ă©tatiques


tout particuliĂšrement via la « CommunautĂ© du Pacifique Sud » et, plusĂ©difiant encore, l’exemple du Forum des Îles du Pacifique Sud.

La Communauté du Pacifique Sud : Créée en 1947 sous le nom de Commission du Pacifique Sud, elle regrou-

pait Ă  l’époque les six puissances industrialisĂ©es directement situĂ©es dans lazone (Australie et Nouvelle-ZĂ©lande) ou via leurs territoires (Grande-Bretagne,France, États-Unis, Pays-Bas). Son but : coordonner les aides au dĂ©veloppe-ment, dans tous les domaines, de l’ensemble de la zone.

Elle s’est progressivement Ă©toffĂ©e, avec les indĂ©pendances : 13 membresen 1990, 22 aujourd’hui, avec l’adhĂ©sion progressive de la quasi-totalitĂ© desmicro-États de la rĂ©gion, des Cook au Vanuatu en passant par Niu, Nauri,les Samoas ou Tonga.

Le Forum des Îles du Pacifique Sud :Le rĂŽle de la CommunautĂ©, au demeurant modeste, en dĂ©pit de la palette

officiellement affichĂ©e de ses missions, est dĂ©sormais relĂ©guĂ© Ă  l’arriĂšre planau profit du Forum du Pacifique Sud, dont l’action concrĂšte est beaucoup plusrĂ©vĂ©latrice des liens entre les « rĂ©serves » manifestĂ©es par maints États de larĂ©gion Ă  l’égard de la langue française et de la Francophonie, d’une part, etleur hostilitĂ© vis-Ă -vis de la France.

CrĂ©Ă© en 1971 sous le nom de « Forum du Pacifique Sud » (il changera denom en 2000) son objectif est clair : « lutter dans la rĂ©gion contre l’influencedes puissances impĂ©rialistes (les États-Unis) ou colonialistes (la France) ».

Il recense aujourd’hui 16 États indĂ©pendants. La Nouvelle-CalĂ©donie etla PolynĂ©sie française lui sont associĂ©es depuis 2006, date Ă  laquelle le Foruma aussi obtenu le statut d’observateur auprĂšs des Nations unies.

Le Forum, qui a maintes fois condamné les expériences nucléaires fran-çaises de Mururoa a obtenu, avec la bénédiction des Néo-Zélandais et desAustraliens, la signature du Traité de Rarotonga, en 1985, exigeant la dénu-cléarisation du Pacifique Sud (un traité directement inspiré des principes duTraité latino-américain de Tatlelolco).

Conclusion : MalgrĂ© l’arrĂȘt des essais nuclĂ©aires, l’hostilitĂ© de l’Australie et de la Nou-

velle-ZĂ©lande n’a pas totalement cessĂ© Ă  l’égard de la France au sein du Paci-fique Sud. Les relations de cette derniĂšre avec les membres du Forum se sont

Page 133: Manuels F(f)rancophones

131

adoucies depuis 2006 ; mais, derriÚre la dénonciation plus ou moins larvéede la pratique de la langue de MoliÚre, on devine sans trop de mal les objec-tifs purement géopolitiques des descendants directs des colonies de forçatsde Sa Gracieuse Majesté.

Bibliographie sommaireBENSAAlain, RIVIERRE Jean-Claude (dir.), Le Pacifique. Un monde Ă©pars, Paris, L’Harmattan,

« Cahiers du Pacifique Sud contemporain », 1999.HALLIER Jean-Pierre, La Commission du Pacifique Sud, NoumĂ©a, 1997.HENNINGHAM Stephen, France and the South Pacific, Sydney, Allen & Unwin, 1992.MRGUDOVIC Nathalie, La France dans le Pacifique Sud, Paris, L’Harmattan, 2008.SOPPELSA Jacques, GĂ©opolitique de l’Asie-Pacifique, Paris, Ellipses, 2002.

SECTION 4. Francophonie et Pacifique Sud :

une suggestion de plan interdisciplinaire

Introduction : Rappel des définitions : le Pacifique Sud (et ses limites ambiguës) ; la Fran-

cophonie et la nécessité de distinguer « Francophonie » et « francophonie ».Question centrale : la France, atout ou obstacle de la F(f)rancophonie ?

1. Le Pacifique Sud : un monde majoritairement non francophone– des donnĂ©es gĂ©opolitiques, gĂ©oĂ©conomiques et gĂ©ostratĂ©giques excep-

tionnelles ;– un monde anglo-saxon ;– une prolifĂ©ration de micro-États fragiles et « puissants » ; une « fracture

linguistique ».

2. La France, atout ou obstacle pour la Francophonie ?– la diversitĂ© de statuts des « territoires » français, depuis la disparition

des TOM ;– des atouts : de la coopĂ©ration Ă  la promotion des droits de l’homme ; de

l’enrichissement mutuel liĂ© Ă  la diversitĂ© des cultures ;– des obstacles : francophobie et « hĂ©ritage » des essais nuclĂ©aires (cf. le

Traité de Rarotonga).

Page 134: Manuels F(f)rancophones

132

3. Du changement d’échelle : France et Francophonie face aux acteurs non francophones du Pacifique Sud

– l’influence nord-amĂ©ricaine, l’ANZUS ;– le Commonwealth ;– la spĂ©cificitĂ© des relations bilatĂ©rales : Australie, Nouvelle-ZĂ©lande,

micro-États ;– les organisations rĂ©gionales : La CommunautĂ© du Pacifique Sud, le

Forum des Îles du Pacifique Sud.

Conclusion : Perspectives : scenarii pour l’avenir ; l’Australie, puissance rĂ©gionale au

dĂ©triment des intĂ©rĂȘts francophones ?

Page 135: Manuels F(f)rancophones

133

Conclusion

De quelques perspectives

Avec les « perspectives », c’est surtout mais pas exclusivement, de la con-clusion du travail de thĂšse, de mĂ©moire ou de rapport qu’il s’agit, ouvrantde nouveaux horizons, que le corps du texte a Ă  peine esquissĂ©s. C’est ce quilaisse au lecteur, donc Ă©galement aux Ă©valuateurs, l’ultime impression. La con-clusion doit donc ĂȘtre particuliĂšrement soignĂ©e. L’expĂ©rience montre que, dansbeaucoup de recherches universitaires, elle est souvent trop courte par rap-port au travail prĂ©sentĂ© et Ă  ce que l’auteur pourrait valoriser, compte tenude tout ce qu’il a dĂ©couvert. En mĂȘme temps, il n’est pas souhaitable de se bor-ner Ă  rĂ©sumer ce qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dit et que chacun est censĂ© avoir lu. Pour repren-dre une formule un peu simplificatrice : une conclusion sert « Ă  fermer uneporte et Ă  ouvrir une fenĂȘtre ». S’agissant de la porte, il faut rĂ©ussir une syn-thĂšse qui ajoute quelque chose Ă  ce qui prĂ©cĂšde. S’agissant de la fenĂȘtre, ilconvient d’ouvrir de nouvelles perspectives. Cinq thĂšmes, repĂ©rĂ©s dansnotre ouvrage sur la Francophonie et les relations internationales, peuvent four-nir une idĂ©e des questions que l’on doit se poser pour donner une autre dimen-sion Ă  son Ă©tude, pour l’exhausser au moment de la finaliser.

Le premier thĂšme porte sur la lĂ©gitimitĂ© de l’organisation et de l’institution-nalisation de la francophonie. Elle implique de dĂ©finir le point de vue desacteurs de la Francophonie et de la sociĂ©tĂ© civile. Elle suppose de rechercherles modalitĂ©s du processus d’institutionnalisation avec le passage progres-sif et parfois improvisĂ© de la sociĂ©tĂ© civile Ă  l’institution, avec le souci de recons-tituer le processus qui a conduit, Ă  partir d’actions jusque lĂ  volontaires,diffuses et variĂ©es, Ă  installer une institution apte Ă  porter ces actions, Ă  lesfĂ©dĂ©rer, Ă  leur donner un sens commun pour l’ensemble des membres. CettedĂ©marche doit s’appuyer sur l’appel Ă  la thĂ©orie de l’institution, avec laquestion des rapports de pouvoirs et des reconnaissances mutuelles : c’est,pour la Francophonie, un vĂ©ritable enjeu que de se faire reconnaĂźtre pard’autres institutions et de sĂ©lectionner celles avec lesquelles elle souhaite colla-borer. Il y a lĂ  des choix qui n’ont rien d’insignifiant.

Parmi les questions que doit se poser l’étudiant traitant un sujet de droitinternational, de Relations Internationales ou de GĂ©opolitique, le problĂšmedes institutions est toujours prĂ©sent. Il prend des aspects particuliers dansle cadre de la Francophonie, ensemble complexe et atypique fondĂ© sur un traitĂ©

Page 136: Manuels F(f)rancophones

134

fort ancien qui ne correspond plus aux Ă©quilibres actuels. Les protagonistesdu mouvement francophone s’efforcent de regrouper des initiatives disper-sĂ©es sans les contraindre, en s’appuyant sur les projets et les financementsde quelques États dĂ©veloppĂ©s mais se plaçant dans une perspective claire-ment plurielle. Ces dĂ©fis ne sont pas spĂ©cifiques Ă  la francophonie mais ilssont ici ressentis avec une particuliĂšre acuitĂ©. MĂȘme au-delĂ  de la francopho-nie, il n’est guĂšre de questions internationales oĂč un minimum d’institution-nalisation, fĂ»t-ce Ă  titre provisoire, ne soit utile, ne fĂ»t-ce que pour dĂ©passerles Ă©goĂŻsmes nationaux et introduire un nouveau partenaire qui s’efforce d’ana-lyser les problĂšmes en terme d’intĂ©rĂȘts convergents et pas seulement derivalitĂ©s, en vue de tenter de dĂ©passer les conflits par la mise en place de vĂ©ri-tables opĂ©rations de coopĂ©ration. En mĂȘme temps, la tentation de rĂ©soudrechaque difficultĂ© ou de donner l’impression de vouloir y apporter une solu-tion par une gesticulation mĂ©diatique dĂ©bouchant sur la crĂ©ation d’unestructure internationale ne constitue pas une panacĂ©e absolue. Nombre deconfĂ©rences internationales ne laissent rien d’autre que des institutionsmorts-nĂ©es lancĂ©es Ă  grand fracas mais abandonnĂ©es tout de suite aprĂšs, Ă moins qu’elles ne vivotent faute des relais financiers prĂ©vus Ă  l’origine. Il estsouvent utile pour l’étudiant de poser la question de la pertinence de la miseen place d’une structure internationale pour rĂ©soudre un problĂšme lorsqu’unetelle structure n’existe pas, et il est toujours nĂ©cessaire de s’interroger sur l’ef-ficacitĂ© de celles qui existent. Trop d’analyses, et pas seulement celles des Ă©tu-diants, se bornent Ă  dĂ©crire les organes et les procĂ©dures prĂ©vus par lestraitĂ©s internationaux fondateurs. Il est indispensable de tenter d’évaluer leurcaractĂšre opĂ©rationnel : combien de rĂ©unions par an ? quels ordres du jour ?combien de rĂ©solutions adoptĂ©es ? dans quelles conditions ont-elles Ă©tĂ© sui-vies d’effets ? Il est trop facile en droit international de se contenter de bonnesintentions et d’apparences trompeuses. On se souvient de l’algarade du gĂ©-nĂ©ral de Gaulle prĂ©sidant un conseil des ministres et interrompant la commu-nication de son ministre des Affaires Ă©trangĂšres, Maurice Couve de Murville,qui se bornait Ă  une plate Ă©numĂ©ration de prises de position insignifiantes :« Allez-vous cesser d’enfoncer des portes ouvertes en essayant de nous lesfaire prendre pour des arcs de triomphe ? ». L’auteur d’un travail universi-taire, notamment, devra se livrer Ă  cette Ă©valuation des institutions, modeste-ment mais sans dissimuler son jugement pour autant qu’il soit fondĂ© sur toutesles donnĂ©es collectĂ©es.

Un deuxiĂšme thĂšme de rĂ©flexion porte sur la Francophonie revisitĂ©e Ă  lalumiĂšre des thĂ©ories des relations internationales. Il s’agit d’étudier si laFrancophonie, avec sa vision et sa pratique, peut, dans ce domaine, ajouter

Page 137: Manuels F(f)rancophones

137

sa contribution Ă  celle des autres grands acteurs institutionnels. Cette ques-tion est rendue plus pertinente par le constat qu’à partir des annĂ©es 2005-2006,Ă  la volontĂ© des Nations unies d’intĂ©grer l’individu dans ses prĂ©occupationss’est substituĂ© le retour des États au premier plan. La place de la Francopho-nie–francophonie est confrontĂ©e aux mĂ©thodes du rĂ©alisme-nĂ©o-rĂ©alisme, duconstructivisme social, du nĂ©olibĂ©ralisme institutionnel, de l’école anglaise(avec sa dimension historique et son appel aux institutions). Ces champs d’é-tude supposent d’utiliser l’approche des institutions dans leurs diversesthĂ©ories. L’analyse repose Ă©galement sur la dĂ©termination des rapports entrenormativisme et francophonie. Elle suppose d’expliciter la connexion exis-tant entre l’approche francophone et le rĂŽle de la sociĂ©tĂ© civile internationale,en se fondant sur les analyses Ă©laborĂ©es Ă  propos des acteurs non-Ă©tatiquesdans les relations internationales. La rĂ©flexion doit en outre se rĂ©fĂ©rer Ă  la thĂ©o-rie des « genres ».

Peut-ĂȘtre faudrait-il faire figurer cette dimension en tĂȘte des problĂ©matiquesĂ  intĂ©grer. Se positionner par rapport aux grandes Ă©coles mĂ©thodologiquesauxquelles se rattachent les spĂ©cialistes des questions internationales doitapparaĂźtre au jeune chercheur comme un prĂ©alable indispensable. L’on ne sau-rait le nier. En mĂȘme temps, il convient d’éviter certains Ă©cueils Ă©pistĂ©molo-giques. La nĂ©cessitĂ© de connaĂźtre les grands courants et les grandes approchesen matiĂšre internationale est Ă©vidente pour un Ă©tudiant qui entend se consa-crer Ă  ce domaine d’investigation. Il doit imaginer le mĂȘme niveau de connais-sances chez ses lecteurs et ne pas se complaire, en introduction ou ailleurs,dans une description exhaustive des grandes Ă©coles – ce qui aurait plutĂŽt saplace dans un manuel que dans une Ă©tude qui se veut originale et novatrice.Puisque la connaissance des grands courants constitue un prĂ©alable, te-nons-les pour connus. Pour autant, le jeune chercheur devra faire certainschoix : mĂȘme si les diverses mĂ©thodes ne sont pas toutes rigoureusement in-compatibles, Ă©tant parfois complĂ©mentaires, mĂȘme si certaines techniquesentendent faire le pont et faciliter des liens entre des approches a priori incom-patibles, mĂȘme s’il est parfois judicieux de confronter un mĂȘme problĂšme Ă plusieurs techniques d’analyse, il est lĂ©gitime de se positionner par rapportaux grands clivages qui divisent la doctrine actuelle. Encore convient-il, unefois le choix effectuĂ©, de n’en pas oublier les termes et de les utiliser commeun fil directeur qui orientera toute la recherche. Il convient aussi de savoirparfois s’en dĂ©gager : la mĂ©thode doit jouer le rĂŽle de guide et non de lieu d’en-fermement. En tous cas, il faut la retrouver en fin d’étude, au niveau de laconclusion. C’est d’abord l’occasion d’en Ă©valuer la pertinence, vĂ©rifiĂ©e aulong des pages et sans hĂ©siter Ă  exprimer des rĂ©serves si l’étudiant en sentle besoin. Les dĂ©cisions Ă©pistĂ©mologiques Ă©clairent aussi les conclusions

Page 138: Manuels F(f)rancophones

138

proposĂ©es et les perspectives ouvertes. Elles peuvent aussi jouer le rĂŽled’utiles excuses pour expliquer qu’un aspect puisse paraĂźtre avoir Ă©tĂ© nĂ©gli-gĂ©, ou simplement insuffisamment approfondi.

Un troisiĂšme thĂšme d’investigation susceptible de prolonger la rĂ©flexionconduite dans cet ouvrage conduit Ă  passer au crible de la critique le langageet le discours de la Francophonie. Une telle analyse doit ĂȘtre menĂ©e Ă  partird’une Ă©valuation des grands textes de la Francophonie en termes de thĂ©ma-tique et en se posant la question de la pertinence de ces discours, telles parexemple les dĂ©clarations de Bamako, du Luxembourg, de Ouagadougou, deSaint-Boniface, notamment en fonction du langage privilĂ©giĂ©. L’on ne sauraitĂȘtre dupe de l’appel Ă  certains termes, utilisĂ©s avec une Ă©vidence qu’ils n’ontpas toujours. Il ne faut pas considĂ©rer comme relevant de la prĂ©somptionirrĂ©fragable l’affirmation selon laquelle la Francophonie apporterait naturelle-ment du neuf au discours officiel. Il n’est pas insolent de se poser la questionde savoir si, dans certains cas, l’on ne serait pas en prĂ©sence d’une simple tra-duction en français, tardive et maladroite, de ce qui a Ă©tĂ© fait ailleurs depuislongtemps. Cet ouvrage n’a Ă  aucun moment voulu prendre le ton de l’ha-giographie ; ce n’est pas l’endroit d’y succomber. Dans cette perspective, s’im-pose une analyse critique des termes utilisĂ©s de façon Ă  rompre avec unedĂ©marche qui se borne trop souvent Ă  une simple description. C’est lĂ  quela francophonie peut apporter un Ă©lĂ©ment nouveau, par une attitude systĂ©ma-tique de suspicion Ă  l’égard des mots, en Ă©vitant l’analyse de texte en soi afinde privilĂ©gier une lecture critique, Ă©clairĂ©e, en outre, par une analyse du con-texte francophone.

L’analyse du discours en matiĂšre internationale est toujours fĂ©conde. Ellerenvoie Ă  la prise en compte et Ă  la comprĂ©hension de toute une hiĂ©rarchiede propos aux buts divers et avec des codes diffĂ©rents : il y a les dĂ©clarationssolennelles qui concluent les sommets, d’autant plus enthousiastes et promet-teuses que la force obligatoire est douteuse (ce qui facilite l’obtention d’unaccord gĂ©nĂ©ral) ; il y a les traitĂ©s, aux termes soigneusement pesĂ©s, rĂ©sultatde prĂ©occupations contradictoires, telles que la comprĂ©hension des engage-ments de tous est insĂ©parable du rappel des intĂ©rĂȘts de chacun et des marchan-dages finaux ; il y a les rĂ©solutions adoptĂ©es par des instances internationales,rĂ©sultat de nĂ©gociations d’autant plus difficiles que le temps est comptĂ© etqu’une rĂ©daction rapide s’impose, avec un vocabulaire trĂšs spĂ©cifique qui mĂȘledes formules telles que « manifestation d’une vive prĂ©occupation » ou « con-damnation avec la plus grande fermetĂ© », avec des Ă©quilibres tels que la vi-gueur des attendus compense la prudence des dĂ©cisions ; il y a les dĂ©clarationsproduites par les ministĂšres des Affaires Ă©trangĂšres des États, occasion de

Page 139: Manuels F(f)rancophones

139

prendre position ou, parfois et plus simplement, de prendre date, de don-ner des gages aux uns et aux autres avec les formules soigneusement balan-cĂ©es ; il y a, hors champ de la diplomatie, les dĂ©clarations politiques, effectuĂ©esĂ  la tribune des assemblĂ©es parlementaires ou Ă  l’occasion de rĂ©ponses auxquestions posĂ©es par les mĂ©dias, sous le coup de l’urgence, de l’émotion etdes attentes d’une opinion publique qui ne comprendrait pas l’absence derĂ©actions rapides aux problĂšmes que pose l’actualitĂ©, Ă  moins que certainsprotagonistes ne tentent de prĂ©senter cette absence comme un signe d’indif-fĂ©rence ou, au pire, de complicitĂ©. Ce serait une erreur majeure d’évaluer Ă la mĂȘme aune les termes utilisĂ©s dans ces divers textes : Ă  la prudence et Ă l’équilibre, parfois Ă  la pusillanimitĂ© des uns correspond l’outrance, l’exagĂ©ra-tion assumĂ©es des autres. C’est dans cet esprit que les propos sont tenus etqu’il faut les Ă©couter. C’est ainsi qu’ils doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©s par les auteursd’une thĂšse, d’un mĂ©moire ou d’un exposĂ©. Pour ce qui est, en outre, de l’uti-lisation du français plutĂŽt que de l’anglais, elle ne doit pas conduire Ă  nĂ©gli-ger l’utilisation de la documentation rĂ©digĂ©e dans d’autres langues : sur lamajoritĂ© des sujets portant sur les relations internationales, il est indispen-sable de se rĂ©fĂ©rer Ă  des Ă©lĂ©ments de bibliographie en langues Ă©trangĂšres, passeulement pour le plaisir de la citation Ă©rudite mais en les utilisant pour lacomprĂ©hension des problĂšmes et pour un regard diffĂ©rent sur les rĂ©alitĂ©s inter-nationales.

Un quatriĂšme thĂšme liĂ© aux territoires et aux marges de la francophoniepasse Ă©videmment par un Ă©claircissement de cette notion de « marges », carac-tĂ©ristiques des grands Empires dont l’histoire de l’humanitĂ© a donnĂ© maintsexemples, avec des limites imprĂ©cises, avec, Ă  la lisiĂšre, des espaces-tampond’autant plus attentivement surveillĂ©s, d’autant mieux garnis en troupes qu’ilsconstituaient une ligne de dĂ©fense Ă  la fois rĂ©elle et symbolique, premier obs-tacle Ă  toute agression extĂ©rieure. La notion paraĂźt adaptĂ©e Ă  la Francopho-nie pour autant qu’on l’allĂšge de toute connotation prĂ©torienne. Le conceptde territoire est pris ici dans un sens qui renvoie Ă  la fois aux notions d’iden-titĂ©, de pĂ©rimĂštre
 Pour reprendre l’idĂ©e de marges, il en est qui sont intĂ©-grĂ©es officiellement Ă  la Francophonie, telles la Roumanie, l’Autriche ou laSlovaquie, tandis que d’autres, comme l’AlgĂ©rie, y sont liĂ©es seulement parleur francophonie. Se pose ici le problĂšme du multiculturalisme et celui, ini-maginable il y a quelques annĂ©es, des rapports entre langues, religions et fran-cophonie. Une question ne peut ĂȘtre Ă©ludĂ©e : celle de l’élargissement de lafrancophonie, du risque de dilution auquel elle expose, de l’adĂ©quation desmoyens par rapport aux objectifs qu’elle impose.

Page 140: Manuels F(f)rancophones

140

Le thĂšme du territoire est Ă©videmment central en matiĂšre internationale :pendant des siĂšcles c’est en termes de conquĂȘte de nouveaux espaces que s’ap-prĂ©ciaient le succĂšs ou l’échec de la politique extĂ©rieure de telle puissance oude tel dirigeant. Si les pays occidentaux ont un peu rĂ©visĂ© cette conceptionet se placent davantage dans une perspective coĂ»t-avantage – ce qui peut lesconduire Ă  accepter de se dĂ©lester de certaines zones –, en revanche le patrio-tisme en honneur dans les nouvelles nations peut conduire certains dirigeantsĂ  se lancer dans des politiques de conquĂȘte censĂ©es attirer la bienveillancede leur opinion publique. Si l’on ajoute qu’il est gĂ©nĂ©ralement acceptĂ©, de nosjours, que de nouveaux espaces Ă  maĂźtriser s’offrent aux États, ceux liĂ©s audĂ©veloppement Ă©conomique ou Ă  la recherche scientifique, l’on conviendraque le thĂšme du territoire est plus complexe qu’il ne paraĂźt Ă  premiĂšre vue.Qui plus est, la nouvelle configuration de la sociĂ©tĂ© internationale aboutit,comme il est indiquĂ© Ă  propos de l’exemple de la francophonie, Ă  ce que cer-taines zones aient des statuts spĂ©cifiques : espaces protecteurs Ă  la lisiĂšre degrands ensembles, zones-tampon entre deux pays rivaux, territoires dispu-tĂ©s ou dont la possession est incertaine
 Les instances internationales ne cher-chent pas nĂ©cessairement Ă  clarifier ces situations ambiguĂ«s : dans certainscas, elles prĂ©fĂšrent geler le conflit en attendant qu’un accord soit possible. Ajou-tons qu’en liaison avec ces problĂšmes de statut, en gĂ©nĂ©ral juridiques maisparfois aussi Ă©pistĂ©mologiques, l’auteur d’une recherche universitaire doitsoigneusement prĂ©ciser le champ sur lequel porte son investigation. Ici, il s’a-git d’abord de territoire au sens premier du terme : dĂ©finir les pays concernĂ©spar l’étude, Ă  l’exception des cas oĂč l’on prĂ©tend s’intĂ©resser Ă  l’ensemble dela planĂšte, ce qui n’est guĂšre possible que pour des questions fort limitĂ©es.En toutes hypothĂšses, il faut Ă©viter le reproche d’avoir oubliĂ© un territoire com-pris dans l’espace arrĂȘtĂ© comme sujet d’étude. On retrouve ici le problĂšmede la stricte dĂ©limitation de la recherche, ce qui doit ĂȘtre fait d’emblĂ©e, doncdĂšs le dĂ©but du rassemblement de la documentation. La dĂ©termination du pĂ©-rimĂštre peut faire l’objet d’ajustements par la suite, par extension ou rĂ©duction,en fonction des premiers rĂ©sultats, ce qui doit ĂȘtre de toutes façons clairementindiquĂ© pour que le lecteur sache, sans ĂȘtre exposĂ© Ă  aucun doute, quel estle champ auquel la recherche est consacrĂ©e.

Un cinquiĂšme thĂšme consiste Ă  prĂ©senter la Francophonie entre plurali-tĂ© et lĂ©gitimitĂ©. Il conduit Ă  s’interroger sur les rapports perçus et rĂ©els entreFrancophonie et perspectives de dĂ©veloppement Ă©conomique. Il suppose unecomparaison entre la Francophonie et le Commonwealth, ainsi qu’avec lesmondes hispanophone et lusophone, en Afrique. Il renvoie aux questions del’image et du regard de la francophonie du Sud ainsi que des attentes de cette

Page 141: Manuels F(f)rancophones

141

francophonie du Sud, pour autant que l’on puisse dĂ©velopper significative-ment les possibilitĂ©s de coopĂ©ration, voire de solidaritĂ© entre les pays du Sud.Autres interrogations : quelle perception de la Francophonie, de la franco-philie et de la francophobie ? Est-on capable de dĂ©coupler la francophonied’une relation bilatĂ©rale privilĂ©giĂ©e avec la France ? Quelle pourrait ĂȘtre l’au-tonomie de la francophonie par rapport Ă  la France ? Enfin peut-on Ă©valuerle degrĂ© de prĂ©sence, dans la francophonie du Sud, d’un sentiment d’appar-tenance ?

Le thĂšme des rapports entre pluralitĂ© et lĂ©gitimitĂ© peut paraĂźtre assez spĂ©-cifique Ă  la francophonie, regroupant des rĂ©alitĂ©s, des intĂ©rĂȘts et des attentesassez diffĂ©rents au point de faire douter de ce qui unit des États et des peuplesaussi disparates. Il n’est pas inutile de faire prendre conscience, dans le cadred’un travail de recherche, qu’il n’y a pas lĂ  une situation tout Ă  fait exception-nelle. C’est, lĂ  encore, le gĂ©nĂ©ral de Gaulle qui indique : « Au club des grands,nous trouvions, assis aux bonnes places, autant d’égoĂŻsmes sacrĂ©s qu’il y avaitde membres »1. La formule est utilisĂ©e Ă  propos de l’organisation d’aprĂšs laDeuxiĂšme Guerre mondiale mais elle est valable dans la plupart des cas defigure. Les participants Ă  une organisation internationale, Ă  un groupe de pres-sion permanent, Ă  une coalition pour un objectif limitĂ© ont gĂ©nĂ©ralement desbuts fort divers et ce serait une manifestation de naĂŻvetĂ© d’imaginer l’exis-tence d’une affectio societatis sans nuage. En outre, les États ne sont pas les seulsacteurs dans les relations internationales. Surtout aprĂšs la fin de l’équilibrebipolaire et la disparition d’un certain nombre de blocages, d’autres interve-nants sont apparus. Ils existaient auparavant mais leur rĂŽle s’est accru :organisations non gouvernementales qui s’efforcent de se faire reconnaĂźtreune lĂ©gitimitĂ© pour parler au nom de la sociĂ©tĂ© civile et qui s’érigent volon-tiers en tribunaux, se prĂ©tendant Ă  ce titre fondĂ©es Ă  Ă©valuer et Ă  classer lesgouvernements ; lobbies et groupes de pression qui mĂȘlent dĂ©fense d’intĂ©rĂȘtsprivĂ©s et Ă©tudes globales censĂ©es renouveler les donnĂ©es de problĂšmes posĂ©sdepuis longtemps et qu’ils souhaitent voir rĂ©soudre dans le sens de leurs objec-tifs ; grandes entreprises avançant Ă  visage plus ou moins masquĂ© et dont l’in-fluence ne peut ĂȘtre niĂ©e mĂȘme lorsque l’on n’en connaĂźt l’ampleur exactequ’aprĂšs un dĂ©lai favorable Ă  ce que les langues se dĂ©lient. La description dumonde des relations internationales doit prendre en compte toutes ces va-riables : la pluralitĂ© est incontestable, la lĂ©gitimitĂ© doit parfois ĂȘtre cherchĂ©e.

_________________________1. MĂ©moires de guerre : Le Salut (1944–1946), Paris, Plon, 1959, p. 54.

Page 142: Manuels F(f)rancophones
Page 143: Manuels F(f)rancophones

ANNEXES

Page 144: Manuels F(f)rancophones
Page 145: Manuels F(f)rancophones

145

Annexe 1Carte du monde représentant les pays

oĂč la langue française est utilisĂ©e

Page 146: Manuels F(f)rancophones

144

Carte de l’Organisation internationale de la Francophonie

Page 147: Manuels F(f)rancophones

147

Annexe 2.DĂ©claration de Saint-Boniface (extraits)

Nous, Ministres et Chefs de dĂ©lĂ©gation des États et gouvernements ayantle français en partage, rĂ©unis Ă  Saint-Boniface les 13 et 14 mai 2006, dans lecadre de la ConfĂ©rence ministĂ©rielle de la Francophonie sur la prĂ©vention desconflits et la sĂ©curitĂ© humaine ;

Nous fondant sur les dispositions de la Charte de la Francophonie adop-tĂ©e Ă  Antananarivo en novembre 2005 ainsi que sur les orientations dĂ©finiespar nos Chefs d’État et de gouvernement dans le Cadre stratĂ©gique dĂ©cen-nal de la Francophonie, adoptĂ© lors du Sommet de Ouagadougou, en no-vembre 2004, et Rappelant en particulier les objectifs stratĂ©giques arrĂȘtĂ©sdans ce dernier, portant sur la consolidation de la dĂ©mocratie, des droits del’homme et de l’État de droit, ainsi que sur la prĂ©vention des conflits et l’ac-compagnement des processus de sortie de crises, de transition dĂ©mocratiqueet de consolidation de la paix ;

Convaincus que, dans un monde plus que jamais interdĂ©pendant, confron-tĂ© Ă  des dangers communs et Ă  des menaces transnationales, le multilatĂ©ra-lisme demeure le cadre privilĂ©giĂ© de la coopĂ©ration internationale ; que laconstruction de la paix, le renforcement de la sĂ©curitĂ© collective et le dĂ©velop-pement durable Ă  l’échelle mondiale sont une tĂąche commune qui doit serĂ©aliser dans le respect de la souverainetĂ© des États, de l’égalitĂ© des droits despeuples et de leur droit Ă  disposer d’eux-mĂȘmes, et que le recours Ă  la forceest du ressort ultime du Conseil de sĂ©curitĂ©, qui l’exerce dans le respect dela Charte des Nations unies et des rĂšgles du droit international ;

PersuadĂ©s que l’instauration du dialogue des cultures et des civilisations,comme l’affermissement de la solidaritĂ© entre les nations, sont de nature Ă rĂ©duire les tensions, Ă  prĂ©venir les conflits et Ă  renforcer la lutte contre le ter-rorisme ;

Convaincus Ă©galement que la prĂ©vention des crises et des conflits repose aussisur la sĂ©curitĂ© de l’individu, la satisfaction de ses besoins vitaux, notammentcelui de vivre en paix, le respect de tous ses droits, y compris le droit au dĂ©ve-loppement, toutes exigences conditionnĂ©es par l’existence d’un État de droitdĂ©mocratique ;

Convaincus enfin que la sĂ©curitĂ©, la paix, le respect de tous les droits del’homme – assortis de mĂ©canismes de garantie –, la dĂ©mocratie et le

Page 148: Manuels F(f)rancophones

148

développement, composantes essentielles de la sécurité humaine, sontindissociables et constituent des objectifs liés et interdépendants ;

(...)

Rappelant en particulier le rĂŽle prĂ©curseur jouĂ© par la Francophonie dansla DĂ©claration de Ouagadougou (2004) sur la responsabilitĂ© de protĂ©ger et no-tamment en ce qui concerne celle des États de protĂ©ger les populations surleurs territoires et la responsabilitĂ© de la communautĂ© internationale, lorsqu’unÉtat n’est pas en mesure ou n’est pas disposĂ© Ă  exercer cette responsabilitĂ©,de rĂ©agir, dans le cadre d’un mandat du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unieset sous son Ă©gide, pour protĂ©ger les populations victimes de violations mas-sives des droits de l’homme et du droit international humanitaire ;

Prenant acte avec satisfaction de la reconnaissance unanime par lesmembres de l’Organisation des Nations unies au titre des dispositions desalinĂ©as 138 et 139 du Document final du Sommet mondial qui s’est tenu Ă  NewYork en septembre 2005, du principe de la responsabilitĂ© de protĂ©ger les popu-lations contre le gĂ©nocide, les crimes de guerre, l’épuration ethnique et lescrimes contre l’humanitĂ© ;

Prenant acte, Ă  cet Ă©gard, de la RĂ©solution 1674 du Conseil de sĂ©curitĂ© concer-nant le renforcement des efforts de protection des civils, en pĂ©riode de con-flit armĂ©, particuliĂšrement les femmes et les enfants, ainsi que la responsabilitĂ©et le rĂŽle d’accompagnement de la communautĂ© internationale ;

(
)

RĂ©itĂ©rons notre attachement Ă  un systĂšme multilatĂ©ral actif, efficace et im-prĂ©gnĂ© des valeurs dĂ©mocratiques, fondĂ© sur le respect de l’intĂ©gritĂ© territo-riale, l’indĂ©pendance politique, la souverainetĂ© des États et le principe de noningĂ©rence dans les affaires intĂ©rieures, et favorisant le rĂšglement pacifique desdiffĂ©rends et la renonciation au recours Ă  la menace ou Ă  l’emploi de la forcedans les relations internationales, conformĂ©ment au droit international ;

Soutenons avec intĂ©rĂȘt, dans ce contexte, les rĂ©flexions Ă  venir auxNations unies visant l’établissement de principes directeurs du recours Ă la force ;

Soulignons la responsabilitĂ© qui incombe Ă  chaque État de protĂ©ger les civilssur son territoire ou sur un territoire qu’il contrĂŽle ;

RĂ©affirmons que cette responsabilitĂ© exige la protection des populationscontre le gĂ©nocide, les crimes de guerre, l’épuration ethnique, et les crimescontre l’humanitĂ©, ainsi que la poursuite en justice des auteurs de tels actes ;

Page 149: Manuels F(f)rancophones

149

Confirmons la coopĂ©ration pleine et entiĂšre de la Francophonie Ă  l’égardde ses membres qui le souhaitent, pour qu’ils s’acquittent de cette responsa-bilitĂ© ;

Soulignons la responsabilitĂ© de la communautĂ© internationale de rĂ©agird’une façon opportune et dĂ©cisive, et en conformitĂ© avec la lĂ©galitĂ© interna-tionale, les principes de la Charte des Nations unies et les prĂ©rogatives dĂ©-volues au Conseil de sĂ©curitĂ© pour protĂ©ger les civils contre le gĂ©nocide, lescrimes de guerre, l’épuration ethnique et les crimes contre l’humanitĂ©, au casoĂč les moyens pacifiques s’avĂ©reraient insuffisants et oĂč il serait manifesteque les autoritĂ©s nationales ne protĂšgent pas leurs populations contre de telsactes ;

RĂ©affirmons notre volontĂ© de conforter l’action prĂ©ventive de l’Organisa-tion internationale de la Francophonie, telle que prĂ©vue par la DĂ©clarationde Bamako et dans le Programme d’action annexĂ© Ă  celle-ci, par une utilisa-tion optimale de ses capacitĂ©s, afin de lui permettre de jouer pleinement sonrĂŽle spĂ©cifique dans l’observation, l’alerte prĂ©coce, la diplomatie prĂ©ventive,la gestion des crises, l’accompagnement des transitions et la consolidationde la paix, et ce, dans le cadre d’une coopĂ©ration systĂ©matique et rationali-sĂ©e avec les Organisations internationales et rĂ©gionales ;

Confirmons notre volontĂ© politique d’agir et d’exercer pleinement notre res-ponsabilitĂ© de prĂ©venir l’éclatement des crises et des conflits dans l’espacefrancophone, limiter leur propagation, faciliter leur rĂšglement pacifique ethĂąter le retour Ă  une situation de paix durable par la mise en Ɠuvre des dispo-sitions librement consenties au titre de la DĂ©claration de Bamako et des ins-truments internationaux auxquels nos États sont parties ;

(...)

RĂ©affirmons que le dĂ©veloppement Ă©conomique et social est un Ă©lĂ©ment clĂ©de la prĂ©vention structurelle des crises et des conflits, et Soulignons Ă  cet Ă©gardl’importance d’une coopĂ©ration internationale solidaire, concertĂ©e et agissante ;

Sommes rĂ©solus Ă  participer de façon active et concertĂ©e Ă  la mise en placeet aux travaux des nouveaux organes instituĂ©s dans le cadre des Nations unies,Ă  savoir le Conseil des droits de l’homme et la Commission de consolidationde la paix, qui seront appelĂ©s Ă  jouer, chacun dans leurs domaines, un rĂŽlede premier plan dans la promotion et la protection des droits de l’homme,la prĂ©vention des conflits et la sauvegarde de la sĂ©curitĂ© humaine ;

Demandons Ă  l’Organisation internationale de la Francophonie de dĂ©velop-per, dans ce cadre, ses actions d’appui Ă  la prĂ©sence et aux concertations denos dĂ©lĂ©guĂ©s ;

(...)

Page 150: Manuels F(f)rancophones

150

Entendons mettre en Ɠuvre notre dĂ©cision d’Antananarivo visant Ă  assu-rer une plus forte participation de nos pays aux OpĂ©rations de maintien dela paix, en Ă©troite coopĂ©ration avec l’Organisation des Nations unies et lesOrganisations rĂ©gionales compĂ©tentes ;

Entendons Ă©galement intensifier, Ă  cette fin, les coopĂ©rations entre Étatsmembres afin de renforcer les capacitĂ©s des États dont les moyens sont insuffi-sants ;

Demandons Ă  l’Organisation internationale de la Francophonie de soutenircet effort des États membres, en dĂ©veloppant, en partenariat avec les coopĂ©ra-tions bilatĂ©rales et multilatĂ©rales, des programmes de formation et en favo-risant les Ă©changes d’expĂ©riences et de bonnes pratiques ;

(...)

Réitérons notre engagement à respecter et à faire respecter le droit inter-national humanitaire, notamment dans les situations de conflits armés, et àappliquer les résolutions 1265, 1296, 1325, 1612, 1674 du Conseil de sécurité ;

(...)

Saint-Boniface, le 14 mai 2006

Page 151: Manuels F(f)rancophones

151

Annexe 3. Pratiques doctorales contemporaines

EXEMPLE DE CHARTE DES THÈSES : UNIVERSITÉS TOULOUSE I CAPITOLE, LE MIRAIL, PAUL SABATIER,

INP, INSA ET ISAE

CHARTE DES THÈSES

1. La charte formalise l’accord conclu entre le/la doctorant(e), le/la directeur(trice)de thĂšse, de l’unitĂ© de recherche, de l’école doctorale et l’établissement auprĂšs duquels’inscrit le/la doctorant(e).

Cette charte s’appuie sur les principes Ă©noncĂ©s par le MinistĂšre de l’Éduca-tion nationale, de l’enseignement supĂ©rieur et de la recherche Ă  travers ses textesrĂ©glementaires (arrĂȘtĂ© du 3 septembre 1998 relatif Ă  la charte des thĂšses, arrĂȘ-tĂ© du 7 aoĂ»t 2006 relatif Ă  la formation doctorale, arrĂȘtĂ© du 6 janvier 2005 modi-fiĂ© par l’arrĂȘtĂ© du 7 aoĂ»t 2006 relatif Ă  la cotutelle internationale de thĂšse), etles prĂ©cise pour tenir compte de la politique et des dispositifs d’accompagne-ment de la thĂšse Ă©tablis dans le cadre du collĂšge doctoral du pĂŽle de rechercheet d’enseignement supĂ©rieur (PRES) « UniversitĂ© de Toulouse ».

L’objectif de cette charte est de responsabiliser les partenaires et de dĂ©finir les droitset devoirs de chacun(e).

Les diffĂ©rent(e)s partenaires engagĂ©(e)s par cette charte sont :– le/la doctorant(e) ;– le/la directeur(trice) de la thĂšse, qui a la responsabilitĂ© scientifique du tra-

vail, l’encadre, s’engage sur sa qualitĂ© et est reconnu(e) par une commu-nautĂ© scientifique, au sein de laquelle devront en particulier ĂȘtre trouvĂ©esles personnes en charge du rapport de thĂšse et les membres du jury ;

– l’équipe d’accueil et l’unitĂ© de recherche au sein de laquelle le/la doctorant(e)effectue sa recherche, et dont il/elle doit au minimum respecter le rĂšgle-ment intĂ©rieur, les rĂšgles d’utilisation des outils et les Ă©ventuelles pra-tiques de confidentialitĂ© ;

– l’école doctorale, portĂ©e par les Ă©tablissements dĂ©livrant le diplĂŽme natio-nal de docteur(e), qui regroupe les Ă©quipes accueillant les doctorant(e)sautour d’un projet de formation doctorale ;

– l’établissement auprĂšs duquel est inscrit le/la doctorant(e), personnalitĂ©juridique qui a la responsabilitĂ© administrative de sa formation.

Page 152: Manuels F(f)rancophones

152

La prĂ©paration d’une thĂšse s’inscrit dans le programme de formation dĂ©-fini par l’école doctorale de rattachement de chaque doctorant(e) et elle obĂ©itaux conditions d’encadrement et aux exigences d’évaluation que celle-cidĂ©finit.

Les Ă©tudiant(e)s prĂ©parant une thĂšse en cotutelle internationale bĂ©nĂ©ficientdes mĂȘmes droits et doivent rĂ©pondre aux exigences formalisĂ©es dans la con-vention signĂ©e Ă  cet effet.

Les sites respectifs des Ă©coles doctorales proposent aux doctorant(e)s desinformations relatives aux parcours de formation qu’elles offrent et aux uni-tĂ©s de recherche qu’elles regroupent.

La prĂ©sente charte doit ĂȘtre signĂ©e, au moment de la premiĂšre inscription en thĂšse,par le/la doctorant(e), le/la directeur(trice) (ou les codirecteur(trice)s) de thĂšse, de l’uni-tĂ© de recherche et de l’école doctorale.

Sommaire1. La thĂšse, Ă©tape d’un projet personnel et professionnel2. Avant l’inscription en doctorat3. DĂ©roulement de la thĂšse4. AprĂšs la soutenance de la thĂšse5. ProcĂ©dure de mĂ©diation

1. LA THÈSE, ÉTAPE D’UN PROJET PERSONNEL ET PROFESSIONNEL

La prĂ©paration d’une thĂšse doit s’inscrire dans le cadre d’un projet person-nel et professionnel clairement dĂ©fini dans ses buts comme dans ses exigences.Elle constitue une expĂ©rience professionnelle de recherche.

Il est recommandĂ© par l’article L 412–2 du code de la recherche que le tra-vail de thĂšse soit financĂ© ;

Le/la doctorant(e) est alors liĂ©(e) Ă  la personnalitĂ© morale assurant le finan-cement, par un contrat dont les dispositions doivent ĂȘtre compatibles avecla prĂ©paration de la thĂšse et qui s’imposent Ă  la doctorante ou au doctorant.À l’Institut National Polytechnique de Toulouse (INPT), Ă  l’Institut Nationaldes Sciences AppliquĂ©es de Toulouse (INSA), Ă  l’Institut SupĂ©rieur de l’AĂ©ro-nautique et de l’Espace (ISAE), et Ă  l’UniversitĂ© Paul Sabatier – Toulouse III(UPS), l’existence d’un financement de trois annĂ©es est obligatoire pour lesdoctorant(e)s en formation initiale ; nĂ©anmoins, en ce qui concerne l’UPS, desdĂ©rogations Ă  caractĂšre exceptionnel peuvent ĂȘtre accordĂ©es par le conseil scien-tifique de l’établissement sur proposition du directeur ou de la directrice del’école doctorale.

Dans les autres Ă©tablissements, le/la directeur(trice) de thĂšse et l’équiped’accueil doivent s’efforcer d’en obtenir un.

Page 153: Manuels F(f)rancophones

153

Les moyens Ă  mettre en Ɠuvre pour faciliter l’insertion professionnelle duou de la futur(e) docteur(e) reposent aussi sur le projet professionnel du doc-torant ou de la doctorante. Ce projet doit donc ĂȘtre prĂ©cisĂ© dĂšs que possibleen concertation avec son directeur, sa directrice de thĂšse, afin que sa forma-tion soit adaptĂ©e. Les donnĂ©es sur le devenir professionnel des docteur(e)sformĂ©(e)s localement lui sont communiquĂ©es par son Ă©cole doctorale et/ouson Ă©tablissement.

ParallĂšlement, il incombe au doctorant, Ă  la doctorante, en s’appuyant surl’école doctorale et sur l’unitĂ© de recherche, de se prĂ©occuper de cette inser-tion en prenant contact avec d’éventuels futurs employeurs (entreprises, la-boratoires, universitĂ©s, en France ou Ă  l’étranger). Cette stratĂ©gie s’appuierasur la participation aux Doctoriales et autres formations complĂ©mentaires pro-posĂ©es par les Ă©tablissements.

2. AVANT L’INSCRIPTION EN DOCTORAT

Le choix du sujet, les conditions de travail nĂ©cessaires Ă  l’avancement dela recherche et la nature des tĂąches Ă  effectuer au sein du laboratoire font l’ob-jet d’un accord entre le/la candidat(e) et le/la directeur(trice) de thĂšse au mo-ment du dĂ©pĂŽt du dossier de candidature.

Le/la directeur(trice) de thĂšse prĂ©cise le sujet, son contexte scientifique,ainsi que l’équipe au sein de laquelle s’effectue la recherche. La prĂ©parationde la thĂšse doit conduire Ă  la rĂ©alisation d’un travail Ă  la fois original et for-mateur, dont la faisabilitĂ© s’inscrit dans le dĂ©lai prĂ©vu, qui est de trois ans Ă temps plein. Le/la directeur(trice) de thĂšse doit informer le/la candidat(e)du nombre de thĂšse(s) qu’il ou elle encadre ou co-encadre et du devenir pro-fessionnel des dernier(e)s docteur(e)s qu’il ou elle a dirigĂ©(e)s. Il ou elle ren-seigne Ă©galement la personne candidate sur les dĂ©bouchĂ©s dans son domaine.

Le/la directeur(trice) de l’école doctorale assure l’accĂšs des futur(e)sdoctorant(e)s aux informations sur le programme des formations qui leur sontoffertes et sur le devenir professionnel des docteur(e)s formĂ©(e)s par l’écoledoctorale.

Lorsque la thĂšse est financĂ©e, la source, le montant et la durĂ©e du finance-ment ainsi que les droits et contraintes affĂ©rents doivent ĂȘtre clairement dĂ©finis.En outre, les frais d’inscription et de couverture sociale doivent ĂȘtre prĂ©cisĂ©s.

3. DÉROULEMENT DE LA THÈSE

– Droits et devoirs des partenairesLe/la doctorant(e) :Le/la doctorant(e) remplit ses obligations administratives vis-à-vis de son

Ă©tablissement d’inscription.

Page 154: Manuels F(f)rancophones

154

Il/elle est pleinement intĂ©grĂ©(e) dans son unitĂ© de recherche. À ce titre,il/elle a les mĂȘmes droits et devoirs que les autres membres de l’unitĂ© et parti-cipe aux tĂąches collectives inhĂ©rentes Ă  la vie scientifique de son unitĂ©. Il/ellene saurait cependant pallier les insuffisances de l’encadrement technique del’unitĂ© de recherche et se voir imposer des tĂąches extĂ©rieures Ă  son projet derecherche.

Le/la doctorant(e) s’engage sur un temps et un rythme de travail.Il/elle a vis-à-vis de son directeur, sa directrice de thùse, un devoir d’infor-

mation quant aux rĂ©sultats obtenus et aux difficultĂ©s rencontrĂ©es lors de l’a-vancement de sa thĂšse. Il/elle s’engage Ă  lui remettre autant de notes d’étapequ’en requiert son sujet et Ă  prĂ©senter ses travaux dans les sĂ©minaires del’équipe.

Le/la doctorant(e) bĂ©nĂ©ficie de formations complĂ©mentaires, proposĂ©esou validĂ©es par l’école doctorale, qui poursuivront deux objectifs :

– accroĂźtre ses compĂ©tences dans son domaine de recherche et Ă©largir saculture scientifique (participation Ă  des sĂ©minaires, ateliers, etc.)

– prĂ©parer son insertion professionnelle (formations linguistiques, “Doc-toriales”, modules spĂ©cifiques, confĂ©rences d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral
).

Le/la directeur(trice) de la thùse :Le/la directeur(trice) de la thùse est responsable de l’encadrement scien-

tifique du doctorant, de la doctorante et s’engage Ă  lui consacrer une part signi-ficative de son temps. SollicitĂ©(e) en raison d’une maĂźtrise reconnue duchamp de recherche concernĂ©, il/elle aide le/la doctorant(e) Ă  dĂ©gager le carac-tĂšre novateur de son travail dans le contexte scientifique et s’assure de sonactualitĂ©. En concertation avec le doctorant ou la doctorante, il/elle dĂ©finitles diffĂ©rentes Ă©tapes du dĂ©roulement de la thĂšse et en assure un suivi rĂ©gu-lier. Il/elle veille en particulier aux Ă©ventuelles Ă©volutions du projet. Il/elledoit Ă©galement s’assurer que le/la doctorant(e) fait preuve d’esprit d’initia-tive et de crĂ©ativitĂ©.

Le/la directeur(trice) de la thĂšse informe l’école doctorale de tous alĂ©asdans le dĂ©roulement du travail, et veille Ă  ce que la constitution des dossiersde rĂ©-inscription et de soutenance soit faite dans les dĂ©lais. Il lui appartienten particulier de planifier les publications.

Le/la directeur(trice) de l’unitĂ© de recherche :Le/la directeur(trice) de l’unitĂ© de recherche assure l’intĂ©gration du doc-

torant, de la doctorante qui a alors accĂšs aux mĂȘmes facilitĂ©s que les cher-cheur(e)s titulaires pour accomplir son travail de recherche : Ă©quipements,moyens, documentation, possibilitĂ© d’assister aux sĂ©minaires et confĂ©renceset de prĂ©senter son travail dans des rĂ©unions scientifiques.

Page 155: Manuels F(f)rancophones

155

Le/la directeur(trice) de l’école doctorale :Le/la directeur(trice) de l’école doctorale met en Ɠuvre un programme

de formations doctorales. Il/elle assure l’accĂšs des doctorant(e)s aux informa-tions relatives Ă  ces formations et au devenir professionnel des docteur(e)sformĂ©(e)s par l’école doctorale.

Il/elle veille au respect de la charte de l’UniversitĂ© de Toulouse, et en par-ticulier aux conditions d’encadrement effectives. Il/elle peut organiser un suividu dĂ©roulement de la thĂšse (parrain, marraine, entretien Ă  mi-parcours
).

L’établissement d’inscription :L’établissement d’inscription assure la gestion administrative de l’étu-

diant(e), la gestion de sa scolarité et de la soutenance de sa thÚse. Il luidélivre le diplÎme national de docteur(e).

Il est responsable du dĂ©pĂŽt, du signalement, de la diffusion et de l’archi-vage de la thĂšse soutenue.

– Publications et communicationsLa qualitĂ© et l’impact de la thĂšse peuvent se mesurer Ă  travers les publica-

tions ou les brevets et les rapports industriels qui seront tirĂ©s du travail, qu’ils’agisse de la thĂšse elle-mĂȘme ou d’articles et de communications rĂ©alisĂ©s pen-dant ou aprĂšs la prĂ©paration du manuscrit.

La publication des rĂ©sultats d’un travail de thĂšse doit respecter les droitsdu doctorant, de la doctorante. La position du doctorant, de la doctorante par-mi les co-signataires d’une publication doit reflĂ©ter son investissement dansle travail.

Le/la doctorant(e) doit ĂȘtre incitĂ©(e) Ă  publier et Ă  prĂ©senter une ou descommunications scientifiques dans un congrĂšs Ă  audience internationale.

– Conditions de fin de thĂšseUne thĂšse est une Ă©tape dans un processus de recherche. Celle-ci doit

respecter les Ă©chĂ©ances prĂ©vues, conformĂ©ment Ă  l’esprit des Ă©tudes docto-rales et Ă  l’intĂ©rĂȘt du doctorant, de la doctorante. La durĂ©e de rĂ©fĂ©rence deprĂ©paration d’une thĂšse est de trois ans Ă  temps plein.

Au-delĂ  de la troisiĂšme inscription, les demandes de dĂ©rogation soumisesĂ  l’école doctorale devront ĂȘtre assorties d’une lettre motivĂ©e du doctorant, dela doctorante, accompagnĂ©e d’un avis du directeur, de la directrice de la thĂšse,expliquant les raisons du retard et prĂ©cisant la date prĂ©visionnelle de soutenance.

Les dĂ©rogations sont accordĂ©es par le/la chef d’établissement sur proposi-tion du directeur, de la directrice de l’école doctorale.

Les dossiers de soutenance sont instruits par l’école doctorale. Ils doiventrespecter les prĂ©-requis Ă©ventuellement fixĂ©s par l’école doctorale et/ou

Page 156: Manuels F(f)rancophones

156

l’établissement en terme de production scientifique, de participation Ă  l’en-seignement doctoral et de langues de rĂ©daction et de soutenance de la thĂšse.

4. APRÈS LA SOUTENANCE DE LA THÈSE

– DĂ©livrance du diplĂŽmePour obtenir le diplĂŽme de docteur(e) (ou une attestation de diplĂŽme), le/la

docteur(e) doit avoir dĂ©posĂ© auprĂšs de l’établissement de soutenance le ma-nuscrit dĂ©finitif de thĂšse Ă©tabli aprĂšs prise en compte des demandes du juryde soutenance.

– Valorisation de la thùseAprùs la soutenance de la thùse, le/la directeur(trice) de thùse et le/la docto-

rant(e) se concertent pour procĂ©der, dans les dĂ©lais les plus brefs, Ă  la publi-cation des rĂ©sultats des travaux qui n’ont pas encore fait l’objet d’unevalorisation.

Le/la doctorant(e) doit apparaßtre parmi les co-auteur(e)s des communi-cations, publications, brevets ou rapports industriels présentant pour la pre-miÚre fois des résultats issus de ses travaux de thÚse.

Le service de documentation de chaque Ă©tablissement dĂ©livrant le diplĂŽmede docteur(e), pourra assurer la mise en ligne de la thĂšse, aprĂšs signature parle/la docteur(e) d’un formulaire d’autorisation prĂ©sentant les garanties nĂ©-cessaires vis-Ă -vis du droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle.

– Suivi de l’insertion professionnelle du docteur(e)Les Ă©coles doctorales entretiennent des bases de donnĂ©es sur l’insertion

et le parcours professionnel des docteur(e)s qui en sont issu(e)s. En con-sĂ©quence, les docteur(e)s s’engagent Ă  informer l’école doctorale de leur si-tuation et adresse professionnelle pendant au moins 5 ans aprĂšs la soutenancede la thĂšse. Ces bases de donnĂ©es centralisĂ©es au niveau de l’UniversitĂ© deToulouse, via le collĂšge doctoral de site, seront accessibles aux doctorant(e)set aux docteur(e)s de l’UniversitĂ© de Toulouse.

5. PROCÉDURE DE MÉDIATION

Tout conflit entre le/la doctorant(e) et son directeur, sa directrice de thĂšsedoit ĂȘtre portĂ© Ă  la connaissance des directeurs(trices) de l’unitĂ© de rechercheet de l’école doctorale, qui, en concertation, s’efforceront de rechercher unesolution. En cas de persistance du conflit, chaque signataire de cette chartepeut faire appel Ă  un groupe de mĂ©diation qui, sans dessaisir quiconque deses responsabilitĂ©s, Ă©coute les parties et propose Ă  son tour une solution en

Page 157: Manuels F(f)rancophones

157

vue de l’achĂšvement de la thĂšse. La mission du groupe de mĂ©diation impliqueson impartialitĂ©.

Il est composĂ© de cinq membres :– le/la vice-prĂ©sident(e) du conseil scientifique de l’établissement d’inscrip-

tion plus un ou une membre HDR de ce mĂȘme conseil dĂ©signĂ©(e) parle/la vice-prĂ©sident(e) ;

– deux doctorant(e)s dĂ©signĂ©(e)s par le/la chef d’établissement parmiles Ă©lu(e)s des conseils de l’établissement, de l’école doctorale ou duPRES ;

– le/la directeur(trice) de l’école doctorale.Si l’une de ces personnes est concernĂ©e par le conflit, un(e) supplĂ©ant(e)

la reprĂ©sentant sera dĂ©signĂ©(e) par les autres membres.En cas d’échec de la mĂ©diation, un dernier recours peut ĂȘtre dĂ©posĂ© au-

prĂšs du prĂ©sident ou de la prĂ©sidente/directeur(trice) de l’établissement.

Page 158: Manuels F(f)rancophones
Page 159: Manuels F(f)rancophones

157

Bibliographie sommaire

BIBLIOGRAPHIE POUR LA RECHERCHE EN DROIT INTERNATIONAL

BEAUD Olivier, L’art de la thĂšse, Paris, La DĂ©couverte, 2006.BÉLANGER Michel, Droit international public, Paris, LGDJ, 2000.BERGEL Jean-Louis, MĂ©thodologie juridique, Paris, PUF, 2001.CORTEN Olivier, MĂ©thodologie du droit international public, Bruxelles, Éditions de l’ULB, 2009.JAILLARDON Édith, ROUSSILLON Dominique, Outils pour la recherche juridique. MĂ©thodolo-

gie de la thĂšse de doctorat et du mĂ©moire de master en droit, Paris, Éditions des archives con-temporaines, 2006.

QUIVY Raymond, VAN CAMPENHOUDT Luc, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris,Dunod, 2006.

ROMI Raphaël, Méthodologie de la recherche en droit. Master et doctorat, Paris, Litec, 2006.Société française pour le droit international, Enseignement du droit international, recherche et pra-

tique, Paris, Pedone, 1997.

BIBLIOGRAPHIE POUR LA RECHERCHE EN RELATIONS INTERNATIONALES

BARREA Jean, Théories des Relations Internationales, Louvain-la-Neuve, Artel, 1994.BATTISTELLA Dario, Théories des Relations Internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2003. BURNHAM Peter, GILLAND Karin, GRANT Wyn, LAYTON-HENRY Zig, Research Methods

in Politics, Houndmills, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004.CABANIS André, CROUZATIER Jean-Marie et al., Francophonie et relations internationales, Paris,

Éditions des archives contemporaines, 2009. RAMEL FrĂ©dĂ©ric, CUMIN David, Philosophie des Relations Internationales, Paris, Presses de Sci-

ences Po, 2002. SMOUTS Marie-Claude, BATTISTELLA Dario, VENNESSON Pascal, Dictionnaire des relations

internationales: Approches, concepts, doctrines, Paris, Dalloz-Sirey, 2006.

BIBLIOGRAPHIE POUR LA RECHERCHE EN GÉOPOLITIQUE

CORDELLIER Serge, Dictionnaire historique et géopolitique du XXe siÚcle, Paris, La Découverte,2005.

LACOSTE Yves (dir.), Dictionnaire de GĂ©opolitique, Paris, Flammarion, 1995.LOROT Pascal et THUAL François, La gĂ©opolitique, Paris, Montchrestien, 1997.MONTBRIAL Thierry de et KLEIN Jean (dir.), Dictionnaire de StratĂ©gie, Paris, PUF, 2000.O’LOUGHLIN John, Dictionary of Geopolitics, New York, Greenwood, 1994.SOPPELSA Jacques, Lexique de GĂ©opolitique, Paris, Dalloz, 1988.SOPPELSA Jacques, GĂ©opolitique de 1945 Ă  nos jours, Paris, Sirey, 1994.THUAL François, MĂ©thodologie de la GĂ©opolitique, Paris, Ellipses, 1996.

Page 160: Manuels F(f)rancophones

Table des matiĂšres

Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9Liste des abréviations, des acronymes et des sigles utilisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

PREMIÈRE PARTIE. MĂ©thodologie pluridisciplinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27CHAPITRE I. L’esprit de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

SECTION 1. La lucidité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30SECTION 2. La rigueur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31SECTION 3. La neutralité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

CHAPITRE II. L’éthique de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34SECTION 1. Les relations entre le directeur de recherche et le doctorant . . 35SECTION 2. Le gel d’un sujet de thĂšse et la durĂ©e idoine

de la recherche doctorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38SECTION 3. Le plagiat et ses conséquences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

CHAPITRE III. Le dialogue des disciplines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41SECTION 1. Trois disciplines voisines
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

A. Le droit international . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41B. Les Relations Internationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46C. La GĂ©opolitique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

SECTION 2. 
aux méthodes souvent semblables
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53A. Un objectif commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53B. Des approches complémentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

SECTION 3. 
mais dont les démarches sont occasionnellement spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

A. La méthode de la recherche en droit international . . . . . . . . . . 56B. La méthode de la recherche en Relations Internationales . . . . 57C. La méthode de la recherche en Géopolitique . . . . . . . . . . . . . . 59

DEUXIÈME PARTIE. Les Ă©tapes de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61CHAPITRE I. Une dĂ©marche commune
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

SECTION 1. La délimitation du sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69SECTION 2. La validation du thÚme central . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72SECTION 3. La validation définitive du plan et la rédaction . . . . . . . . . . . . 75SECTION 4. Le bilan et les perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

CHAPITRE II. 
mais des spĂ©cificitĂ©s Ă  chaque discipline . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80SECTION 1. La dĂ©finition de la problĂ©matique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80SECTION 2. La construction d’un modĂšle d’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

CHAPITRE III. La construction de la pluralité disciplinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84SECTION 1. La question des frontiÚres en Afrique subsaharienne . . . . . . . 84

A. Du point de vue du droit international . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84B. Du point de vue des Relations Internationales . . . . . . . . . . . . 86C. Du point de vue de la GĂ©opolitique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

Page 161: Manuels F(f)rancophones

SECTION 2. Le fleuve Litani . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93A. Du point de vue du droit international . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93B. Du point de vue des Relations Internationales . . . . . . . . . . . . 95C. Du point de vue de la GĂ©opolitique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

TROISIÈME PARTIE. PluralitĂ© disciplinaire ? Études de cas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103CHAPITRE I. Les modalitĂ©s de la pluralitĂ© disciplinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

SECTION 1. Le niveau d’intĂ©gration entre disciplines . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105SECTION 2. Les modalitĂ©s d’intĂ©gration des disciplines . . . . . . . . . . . . . . . . 107

CHAPITRE II. ÉlĂ©ments pour un plan commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109SECTION 1. La DĂ©claration de Saint-Boniface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

A. ÉlĂ©ments juridiques pour l’élaboration d’un plan commun 109B. ÉlĂ©ments de Relations Internationales

pour l’élaboration d’un plan commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111C. ÉlĂ©ments de GĂ©opolitique pour l’élaboration

d’un plan commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112SECTION 2. Le site de Preah Vihear . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

A. ÉlĂ©ments juridiques pour l’élaboration d’un plan commun 117B. ÉlĂ©ments de Relations Internationales pour l’élaboration

d’un plan commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119C. ÉlĂ©ments de GĂ©opolitique pour l’élaboration

d’un plan commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

CHAPITRE III. Un plan pluridisciplinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123SECTION 1. Francophonie et Pacifique Sud :

du point de vue du droit international . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123SECTION 2. Francophonie et Pacifique Sud :

du point de vue des Relations Internationales . . . . . . . . . . . . . 126SECTION 3. Francophonie et Pacifique Sud :

du point de vue de la GĂ©opolitique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128SECTION 4. Francophonie et Pacifique Sud :

une suggestion de plan interdisciplinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

CONCLUSION. De quelques perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133

ANNEXESAnnexe 1. Carte du monde représentant les pays

oĂč la langue française est utilisĂ©e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143Carte de l’Organisation internationale de la Francophonie . . . . . . . . . . . 144

Annexe 2. DĂ©claration de Saint-Boniface (extraits) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145Annexe 3. Pratiques doctorales contemporaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157

Page 162: Manuels F(f)rancophones
Page 163: Manuels F(f)rancophones
Page 164: Manuels F(f)rancophones