1
LYCĂENS ET APPRENTIS AU CINĂMA EN RĂGION PROVENCE-ALPES-CĂTE DâAZURLE HUSSARD SUR LE TOITDE JEAN-PAUL RAPPENEAU (1995)
2
LYCĂENS ET APPRENTIS AU CINĂMA
LE HUSSARD SUR LE TOIT Jean-Paul Rappeneau, 1995
Fiche technique et scénario 2Réalisateur 4GenÚse et adaptation 6Découpage narratif 9Récit 11Le motif 13Séquence 14Filmographie & bibliogaphie 15
ĂditĂ© par CinĂ©mas du sud & tilt
Directeur de la publication : Joël Bertrand Rédacteur en chef : Vincent Thabourey Rédacteur : Adrien Dénouette Coordination éditoriale : Nadia Crespin Révision : Sarajoy Mercier
Crédits
Le Hussard sur le toit ©1995 Hachette PremiĂšre et Cie â France 2 CinĂ©ma â Centre EuropĂ©en CinĂ©matographique RhĂŽne-Alpes. Tous droits rĂ©servĂ©s.Carlotta Films
FICHE TECHNIQUE l GénériqueLe Hussard sur le toit x France x 1995 x 2h10
RĂ©alisation :
Jean-Paul Rappeneau
Scénario :
Jean-Paul Rappeneau, Nina Companéez,
Jean-Claude CarriĂšre
Image :
Thierry Arbogast
DĂ©cors :
Jacques Rouxel
Costumes :
Franca Squarciapino
Son :
Pierre Gamet, Dominique Hennequin
Montage :
Noëlle Boisson
Producteurs :
Bernard Bouix, René Cleitman
Coproduction :
Hachette PremiĂšre, Canal+,
Centre Européen Cinématographique
Distribution :
Carlotta Films
Format :
2,35 : 1, couleurs, pellicule
Sortie :
France, 20 septembre 1995
l Interprétation Juliette Binoche Pauline de Théus
Olivier Martinez Angelo Pardi
Claudio Amendola Maggionari
Isabelle Carré la gouvernante
François Cluzet le médecin
Jean Yanne le colporteur
Pierre Arditi M. Peyrolle
Christiane Cohendy Mme de Peyrolle
GĂ©rard Depardieu le commissaire de police de Manosque
Carlo Cecchi Giuseppe
Paule Freeman Laurent de Théus
3
SYNOPSIS l Juillet, 1832. Un jeune colonel de hussards italiens traverse la Provence en quĂȘte dâun certain Giuseppe. Des autrichiens sont Ă ses trousses, chargĂ©s dâĂ©liminer les rĂ©volutionnaires milanais venus se rĂ©fugier de ce cĂŽtĂ© des Alpes, oĂč une Ă©pidĂ©mie de cholĂ©ra dĂ©cime la population. Il constate pour la premiĂšre fois les ravages de la maladie dans un hameau, oĂč un mĂ©decin frictionne des cholĂ©riques Ă lâagonie â en vain. Ă son tour, il tentera sa chance sur dâautres malades, pour le mĂȘme rĂ©sultat nul. Ă Manosque, il est rossĂ© puis pour-suivi par une foule assoiffĂ©e dâempoisonneurs Ă lyncher. Seul refuge : les toits. Un soir, il entre par effraction dans une grande maison dĂ©serte et se fait surprendre par une jeune femme qui, contre toute attente, lâinvite Ă dĂźner. Elle sâappelle Pauline de ThĂ©us, lui, Angelo Pardi. Tout les assemble : leur bravoure, leur noblesse de caractĂšre, leur jeunesse. HĂ©las, le cĆur de Pauline nâest pas Ă prendre, elle cherche Ă rejoindre son Ă©poux du cĂŽtĂ© de Gap. QuâĂ cela ne tienne, Angelo lâescortera tel un chevalier servant que ni les miasmes, ni les barrages de soldats, ni les quarantaines nâeffraient. Leur intrĂ©piditĂ© les immunise contre le mal, ainsi que la peur du mal. Ils le prouvent un soir dans une demeure bourgeoise quand, accueillis par des amis de son mari, Pauline sĂšme la panique en confessant avoir traversĂ© les rĂ©gions ravagĂ©es par le cholĂ©ra. De toutes les Ăąmes rencontrĂ©es par Angelo depuis Aix-en-Provence, elle est la seule Ă ĂȘtre faite du mĂȘme bois que lui â insubmersible, incorruptible, impĂ©nĂ©-trable. Un soir pourtant, tout proche de Gap et du but de leur aventure, dans une vaste propriĂ©tĂ© vide oĂč ils se sont rĂ©fugiĂ©s de lâorage, la jeune femme est prise de violentes convulsions. Angelo, animĂ© par lâĂ©nergie du dĂ©sespoir, frictionne toute la nuit son corps froid, jusquâĂ Ă©puisement. Le lendemain matin, elle est miraculeusement revenue Ă la vie. Angelo lâescorte saine et sauve vers sa vie dâavant, dont elle reprendra le cours comme si lâĂ©pidĂ©mie nâavait jamais existĂ©e. Ă ceci prĂšs que dĂ©sormais, ce nâest plus le sort de son mari qui lâobsĂšde mais celui du valeureux hussard, parti dĂ©fier lâEmpire dâAutriche dans son pays natal â la jeune femme priant pour que les balles, comme jadis les symptĂŽmes, ne lâatteignent jamais.
4
LE RĂALISATEUR UN CINĂMA DâAUTEUR POPULAIRE l Jean-Paul Rappeneau naĂźt en 1932 Ă Auxerre. La guerre marque sa jeunesse. Pendant lâoccupation, une garnison allemande investit la propriĂ©tĂ© familiale alors que son pĂšre a Ă©tĂ© fait prisonnier et que sa mĂšre, quâil qualifie de « fiĂšre, forte et coriace », sâoccupe seule de leurs trois enfants sans adresser le moindre regard aux soldats. On lit dans cette enfance comme dans un livre ouvert, câest la nappe phrĂ©atique de lâĆuvre Ă venir, peuplĂ©e de refuges dâoĂč regarder dĂ©filer lâHistoire sans y prendre part, dâĂ©poux et de pĂšres absents, de femmes surtout, tantĂŽt lĂ©gĂšres, tantĂŽt insubmersibles, mais toujours rĂ©solues Ă ne pas se laisser dicter leur conduite.
LA GRANDE HISTOIRE DANS LA PETITE l Chez Jean-Paul Rappeneau, sous la grande variĂ©tĂ© des univers, des Ă©poques et des rĂ©cits se dĂ©ploie souvent deux guerres : une grande, qui appartient Ă lâHistoire, et une
plus banale, plus quotidienne, qui se fiche un peu de la premiĂšre. Câest la Seconde Guerre Mondiale dans son premier film, La Vie de chĂąteau (1966), subvertie par une relecture Ă peine voilĂ©e de Madame Bovary dans laquelle une jeune femme interprĂ©tĂ©e par Catherine Deneuve se laisse courtiser par un rĂ©sistant et un officier allemand, tout cela dans le dos de son chĂątelain de mari (Philippe Noiret). La Bourgogne de sa jeunesse a Ă©tĂ© troquĂ©e contre la Normandie, thĂ©Ăątre du dĂ©barque-ment, mais le reste de son enfance y est : la propriĂ©tĂ© occupĂ©e par les allemands, la mĂšre dĂ©cidĂ©e Ă se montrer sous son pire jour, et la grande Histoire qui fait tapisserie pour des intrigues dĂ©risoires. Puis viendront les conflits sentimentaux. Celui dâune jeune femme (Ca-therine Deneuve, encore) qui prend la poudre dâescampette sitĂŽt mariĂ©e, pour se blottir sous lâaile dâun Robinson dont elle sâĂ©prend (Yves Montand) dans Le Sauvage (1975). Celui dâune polytechnicienne jouĂ©e par Isabelle Adjani et de son pĂšre libertin (Yves Montand, encore), Ă qui la premiĂšre en veut Ă mort dans Tout feu, tout flamme (1982). Câest aussi lâassaut lancĂ© par deux hommes sur le cĆur dâune femme
dans Cyrano de Bergerac (1990), sur fond de guerre contre les espagnols - relĂ©guĂ©e, comme le dĂ©barquement dans La Vie de chĂąteau, Ă lâarriĂšre-plan des pĂ©ripĂ©ties boulevardiĂšres. Enfin, câest la guerre contre le cholĂ©ra quâobserve le hussard du haut de son perchoir, aux premiĂšres loges dâune Histoire avec laquelle il prend ses distances, quand il nâoublie pas complĂštement sa mission rĂ©volutionnaire (acheminer de lâargent aux carbonari) pour les beaux yeux de sa protĂ©gĂ©e. Ici, la petite et la grande histoire Ă©changent leurs rĂŽles : les amours occupent tellement de place quâils rĂ©duisent les Ă©vĂ©-nements historiques Ă de simples anecdotes.
5
LE CARBONARISME
Dans le roman ainsi que le film qui en est tiré, Angelo
est un carbonaro originaire de Turin et exilé en France.
Son histoire fait Ă©cho Ă lâĂ©pisode du « carbonarisme »,
un mouvement insurrectionnel italien ayant pour but
dâunifier lâItalie en une nation libre, par Ă©mancipation
du joug autrichien. Si le carbonarisme est Ă lâorigine
de plusieurs soulĂšvements infructueux (on peut noter
celui de 1821 Ă Turin, qui fit lâobjet dâune importante
répression et de centaines de morts), celui auquel
pourrait avoir participé Angelo correspond chrono-
logiquement aux émeutes de 1831 dans les différents
duchĂ©s pontificaux. Ă noter, dâailleurs, que lâun de ses
principaux leaders, un certain Giuseppe Mazzini, avait
Ă©migrĂ© Ă Marseille, cherchant lâaide des français. Cette
personnalité a trÚs certainement inspiré le Giuseppe
de Giono, le frĂšre de lait influent chez les italiens en exil
quâAngelo cherche Ă retrouver Ă Manosque.
LA FEMME-BUNKER l Si la grande Histoire ne vaut pas grand-chose, câest parce que les femmes y ont rarement leur place. Or chez Rappeneau, elles sont une cause suprĂȘme : dĂ©barquement, guerre dâEspagne, cholĂ©ra, quâimporte, lâHistoire Ă©crite par les hommes sâeffondre comme un chĂąteau de cartes au premier battement de cil. La vraie guerre, câest la femme : la conquĂ©rir, la protĂ©ger, la conserver comme une forte-resse assiĂ©gĂ©e, voici lâenjeu numĂ©ro un de ce cinĂ©ma hantĂ© par la fĂ©minitĂ©. Rien ne le montre mieux quâune scĂšne co-mique de La Vie de ChĂąteau, oĂč un rĂ©sistant français, expli-quant aux anglais une opĂ©ration pour laquelle il a fait des repĂ©rages photographiques, montre par erreur des images de la chĂątelaine dont il est tombĂ© amoureux (Catherine Deneuve), en parlant au mĂȘme moment de « bunkers diffi-cile Ă pĂ©nĂ©trer » sous les hourras dâun public miraculeuse-ment concerné⊠RĂ©sistants français, commandos anglais, officiers allemands, au diable la grande guerre, seule compte cette blonde sublime pour qui les fins stratĂšges sont prĂȘts Ă sacrifier leur destin hĂ©roĂŻque. On comprend mieux, dĂšs lors, que Cyrano de Bergerac ait Ă©tĂ© proposĂ© Ă Rappeneau. Car la piĂšce dâEdmond Rostand, au fond, parle moins de laideur
ou de beautĂ© intĂ©rieure que de dĂ©cuplement des hommes, dâunion nĂ©cessaire des forces masculines pour venir Ă bout de lâexigence de Roxane, Ă qui la bravoure et la beautĂ© de Christian ne suffisent pas. Il lui faut aussi lâesprit de Cyrano, son panache et sa poĂ©sie : pour une femme, deux hommes ne sont pas de trop. Ă lâarrivĂ©e, ni les courtisans de La Vie de chĂąteau, ni Cyrano, ni Christian, ni le hussard nâarriveront Ă leurs fins.
DU POPULAIRE AU LITTĂRAIRE
l Cette vaste question traverse lâhistoire du septiĂšme art, des films grand public aux plus confidentiels. Cela tombe bien, les films de Rappeneau se trouvent lĂ : pile Ă lâintersection peu frĂ©quentĂ©e du grand spectacle et du film dâauteur. Au compte du populaire, versons le succĂšs commercial de ses films, bien aidĂ©s par des distributions qui apetissent le public : en huit longs mĂ©trages rĂ©alisĂ©s de 1966 Ă 2015, le rĂ©alisateur a fait jouer Catherine Deneuve, Philippe Noiret, Jean-Paul Belmondo, MarlĂšne Jobert, Yves Montand, Isabelle Adjani, Alain Souchon, GĂ©rard Depardieu, Juliette Binoche, Jean Yanne, Pierre Arditi, Ma-thieu Amalric et Gilles Lellouche entre autres. Pour autant, lorsquâil passa au long mĂ©trage en 1966 aprĂšs dix ans dâas-sistanat et dâĂ©criture de scĂ©narios pour les autres (dont son ami Alain Cavalier), le novice entendit faire Ćuvre dâauteur, au mĂȘme titre que les jeunes turcs de la Nouvelle Vague qui lui font forte impression. Lorsque la CinĂ©mathĂšque Française lui rendit hommage en novembre 2018, elle salua lâĆuvre dâun « auteur de films populaires », statut pour le moins rarissime dans le cinĂ©ma français. Si populaire soit-il, Jean-Paul Rappeneau nâen reste pas moins attachĂ© Ă la mise en valeur du patrimoine littĂ©raire, dans lequel il nâhĂ©site pas Ă puiser. Outre le thĂšme du bovarysme qui serpente le long de sa filmographie, lâĆuvre est emprunte dâun certain pi-caresque, notamment en prĂ©sence dâYves Montand. Et câest tout naturellement quâil se lance Ă la fin des annĂ©es 1980 dans lâadaptation de Cyrano de Bergerac, la piĂšce mondia-lement cĂ©lĂšbre dâEdmond Rostand, puis du Hussard sur le toit, roman le plus Ă©coulĂ© de Jean Giono. Car de Flaubert Ă Giono en passant par Rostand, Jean-Paul Rappeneau remarque des rĂ©currences qui plaisent et continuent de trouver leur Ă©cho dâun grand public Ă lâautre, du thĂ©Ăątre au cinĂ©ma, du roman Ă lâĂ©cran. Ă commencer par lâimpuissance comique des hommes Ă cerner leurs homologues fĂ©minins.
6
GĂNĂSE ET ADAPTATION Sans Cyrano de Bergerac, Le Hussard sur le toit nâaurait sans doute pas Ă©tĂ© adaptĂ© au cinĂ©ma. SĂ©lectionnĂ© Ă Cannes et primĂ© (meilleur acteur pour GĂ©rard Depardieu), gratifiĂ© de dix CĂ©sar, dâun Oscar et dâun Golden Globe, lâadaptation cinĂ©matographique du chef dâĆuvre rĂ©putĂ© inadaptable dâEdmond Rostand connaĂźt un tel succĂšs critique et public Ă sa sortie en 1990, que ses producteurs (en particulier RenĂ© Cleitman, du puissant groupe multimĂ©dia Hachette) ac-cordent toute licence Ă Jean-Paul Rappeneau pour son pro-chain film. Avec, cette fois-ci, carte blanche quant au choix de lâĆuvre Ă adapter, ce qui nâavait pas Ă©tĂ© le cas pour Cyrano, qui lui avait Ă©tĂ© proposĂ© par lâintermĂ©-diaire de son agent assorti dâun dĂ©lai rapide dâĂ©criture. Si Rappeneau sâĂ©tait lan-cĂ© dans le projet contre sa nature plutĂŽt besogneuse, câest parce que la piĂšce de Rostand Ă©tait lâune des rĂ©-fĂ©rences thĂ©Ăątrales de son enfance. Et câest une fois en-core Ă sa jeunesse quâil ira sâabreuver, car dĂšs sa paru-tion en 1951 Le Hussard sur le toit de Jean Giono fut pour le jeune homme un livre de chevet. Dans une interview donnĂ©e Ă PremiĂšre en 1995, le cinĂ©aste se confie sur ces deux adaptions : « Il se trouve que Cyrano puis le Hussard mâont libĂ©rĂ© des problĂšmes du scĂ©nario. Auparavant les problĂšmes dâĂ©criture me pompaient une Ă©nergie crĂ©atrice considĂ©rable, et cela au dĂ©triment de la mise en scĂšne. Paetir dâune histoire existante a un cĂŽtĂ© libĂ©rateur : je me sens plus metteur en scĂšne⊠». AccompagnĂ© Ă lâĂ©criture du dialoguiste Jean-Claude CarriĂšre et de la scĂ©nariste Nina Companeez, Rappeneau doit condenser le roman sans pour autant trahir le style et les personnages de lâĂ©crivain provençal. AprĂšs le dĂ©fi des alexan-
drins et du matĂ©riau colos-sal de la piĂšce de lâhomme au grand nez, lâĂ©quipe sâat-tĂšle ainsi aux blocs de des-cription contemplative de Giono et Ă ses Ă©changes di-rects volumineux, qui sont moins des dialogues que des monologues qui attendent leur tour de parole. LâĂ©criture leur coĂ»tera plus de deux ans.
UNE RĂCEPTION HOULEUSE
Comparé à la réception cannoise, critique et publique
unanimement dithyrambique de Cyrano (1990), celle
du Hussard sur le toit fait plutĂŽt pĂąle figure. Quoique
mentionné dans de nombreuses catégories, le film ne
remporte que le César du meilleur scénario adapté
(contre les dix prix remportés par Cyrano : un record).
Dans les salles, mĂȘme constat : si ses deux millions
dâentrĂ©es ne classent pas le film dans la catĂ©gorie des
échecs commerciaux, son score est néanmoins deux
fois infĂ©rieur Ă celui de lâhomme Ă la pĂ©ninsule (plus de
quatre millions de spectateurs). Surtout, Le Hussard
sur le toit est pris pour cible par la critique, laquelle
y voit le parangon dâun certain « goĂ»t de la produc-
tion française pour lâadaptation des classiques littĂ©-
raires certifiĂ©s conformes », quand elle nây voit pas un
« nĂ©o-acadĂ©misme qui, sâil remplit les salles, sâil rĂ©con-
cilie le peuple avec la culture, nâen demeure pas moins
fichtrement empesé et surtout un poil répétitif ». Il doit
cette rĂ©putation de cas dâespĂšce Ă son budget record,
que les articles de manquent pas de souligner railleu-
sement : Ă titre de comparaison, Germinal de Claude
Berri avait voûté 160 millions de francs et La Reine
Margot de Patrice Chéreau 120 millions. Dans Les
Cahiers du cinéma, Thierry Jousse et Serge Toubiana
rédigent un éditorial au titre fracassant : « à la Hus-
sarde ». Ils y dĂ©noncent le discours de lâexemplaritĂ©
culturelle française qui, avec cette production exorbi-
tante, semble vouloir dire au monde : « Vous voyez, la
France a les moyens de voir grand ». Non sans com-
parer cette stratĂ©gie digne dâun « blockbuster made
in France » (en anglais, le terme de « blockbuster »
signifie littéralement « faire exploser le quartier ») aux
essais nucléaires concomitants du nouveau Président
Jacques Chirac. Sâil ne faut pas exagĂ©rer le rĂŽle pres-
cripteur de la presse, cette réception critique condi-
tionne pour partie les scores plutÎt décevants du film
lors de sa sortie salle.
AVANT RAPPENEAU l Ă lâorigine du film se trouve donc le roman, lâun des chefs dâĆuvres de son auteur. « Ăa part comme le tonnerre, Ă©crit Giono Ă propos du Hussard, et ça devient un monstrueux roman picaresque, cocasse, tendre, Ă©bouriffant et fina-lement grave. » Avant Rappeneau, nombreux sont ceux Ă
7
avoir tentĂ© de lâadapter. Luis Buñuel entre autres, songea Ă le porter Ă lâĂ©cran - en vain. En 1953, AndrĂ© Bourdil en fait une adaptation radiophonique avec GĂ©rard Philipe et Jeanne Moreau dans les rĂŽles principaux. Puis, RenĂ© ClĂ©ment projette de lâadapter pour la salle, sans lendemains. Seul, ou parfois en Ă©troite collaboration avec certains de ces projets, Jean Giono lui-mĂȘme a plusieurs fois essayĂ© de transcrire « son Hussard » au cinĂ©ma. En 1957, il rĂ©dige un script de 150 pages. Le projet avorte mais Rappeneau sâinspirera de ce scĂ©nario. Un court-mĂ©trage de François Villiers et Jean Giono, Le Foulard de Smyrne, avait encore poussĂ© ce dernier Ă imaginer et Ă©crire une suite Ă son roman sur le cho-lĂ©ra en Provence : Cent mille morts, en 1958. Enfin, un carnet de 1960 contient une nouvelle adaptation pour la tĂ©lĂ©vision. Dans lâappareil critique de lâĂ©dition de la PlĂ©iade consacrĂ©e Ă Giono, Pierre Citron conclut que : « De toutes ces versions visuelles, avortĂ©es ou non, on ne peut tirer de conclusion sur le roman : elles reprĂ©sentent diverses vues quâavait Giono de tout ou partie du Hussard sur le toit plusieurs annĂ©es aprĂšs lâavoir Ă©crit, câest Ă dire avec les dĂ©formations et les interprĂ©-tations que sa mĂ©moire et son imagination lui ont fait subir. Elles ne sont que des variations autour dâun texte Ă©crit qui les a engendrĂ©es, et qui seul demeure un chef dâĆuvre. » Si le rĂ©alisateur du Sauvage a rĂ©ussi lĂ oĂč tout le monde a Ă©chouĂ© - Giono compris -, câest surtout parce que lâindus-trie lui en avait donnĂ© les moyens : prĂ©cisĂ©ment 176 millions de francs, soit le plus gros budget de lâhistoire du cinĂ©ma français Ă sa sortie. La condition dâexistence de lâadaptation cinĂ©matographique du Hussard, roman ample et ambitieux, tenait donc moins Ă la qualitĂ© du scĂ©nario quâĂ lâengagement dâun cinĂ©aste suffisamment populaire pour que lâindustrie lui confie le budget nĂ©cessaire Ă la mise en image de lâuni-vers imaginĂ© par Giono.
GIONO AU CINĂMA
Giono sâest intĂ©ressĂ© trĂšs tĂŽt au cinĂ©ma. Lâimpact des
films de Pagnol tirés de ses propres romans, dans
les années 1930, a été trÚs important dans sa per-
ception positive de cet art. Cependant, il nây viendra
quâen rĂ©action aux adaptations quâil juge mĂ©diocres
de ses propres romans. Lesquelles ne gardaient, se-
lon lui, que le cÎté anecdotique et folklorique de ses
Ćuvres, parfois jusquâĂ la caricature de la Provence et
de ses habitants. En tout,
il collaborera, initiera ou
participera Ă de nom-
breux projets de courts
métrages, long-métrages
et adaptations radiopho-
niques ou télévisuelles
de ses propres Ćuvres.
On retiendra en particu-
lier le film Crésus (1960)
avec Fernandel, quâil Ă©crit et met en scĂšne avec
le soutien de Costa-Gavras. En 1963, il supervise
lâadaptation par Louis Leterrier de son roman Un Roi
sans divertissement. Ces deux films sont produits par
sa propre société de production : Les films Jean Gio-
no. AprÚs sa mort, de nombreux films seront tirés de
son Ćuvre, dont deux trĂšs beaux : Les Ămes fortes de
Raoul Ruiz (2001) et LâHomme qui plantait des arbres,
film dâanimation du quĂ©bĂ©cois FrĂ©dĂ©ric Back (1987).
Aux yeux de lâĂ©crivain, le cinĂ©ma Ă©tait un art difficile
mais qui permet de raconter des histoires autrement.
DE LâĂCRIT Ă LâĂCRAN l En adaptant le roman de Giono, Rappeneau sâest confrontĂ© Ă plusieurs obs-tacles. En premier lieu la structure dramatique, avec laquelle il lui a fallu prendre des libertĂ©s. Contraire-ment Ă la piĂšce de Rostand, lâĆuvre fourmille dâimages et de tableaux mais reste allu-sive sur lâapparence des personnages (si Pauline voit plu-sieurs fois son visage comparĂ© Ă un « fer de lance parfait », le roman ne donne presque aucune indication sur lâappa-rence physique dâAngelo), et son rĂ©cit trĂšs Ă©tirĂ©. Lâhistoire originale sâouvrait sur une lente propagation de lâĂ©pidĂ©-mie Ă travers la Provence, dont le narrateur omniscient donnait une description panoramique Ă la fois prĂ©cise et mĂ©taphorique, charriant la mort et la dĂ©gĂ©nĂ©rescence. Tout cet univers dĂ©mesurĂ©ment chaud, dâune blancheur calcaire, fiĂ©vreux et visqueux, lâodeur des fontaines avariĂ©es, la glaire des melons dont abusent les cholĂ©riques pour Ă©tan-cher leur soif, tout cela Ă©tait tenu Ă distance dâAngelo, qui pour lâheure se livrait Ă des dissertations intĂ©rieures Ă lâaccent stendhalien, du genre : « Lâamour est ridicule⊠Qui mâappren-dra Ă ĂȘtre Ă©goĂŻste ? ». Ă lâinverse, le film de Rappeneau opte pour un dĂ©part pied au plancher, avec la traque dâun rĂ©fugiĂ© carbonaro par une milice autrichienne, son exĂ©cution brutale, le tout sur fond de carnaval aixois qui semble inven-tĂ© de toutes piĂšces. Aix-en-Provence en liesse, son peuple insouciant du carnage qui lâattend, contrastent avec le dĂ©but anxiogĂšne du roman qui est comme une longue descrip-tion des symptĂŽmes du point de vue du paysage. Le journa-liste Bertrand Poirot-Delpech, dans son commentaire dâun ouvrage photographique rĂ©alisĂ© par Hans Silvester sur les lieux du tournage, analyse cette innovation de Rappeneau : « Comme le lecteur, le metteur en images remplit les inters-tices des pages Ă©crites. (âŠ) Voyez la fĂȘte sur laquelle sâouvre le film, avant le gĂ©nĂ©rique. Aix chante et danse. Les pĂ©tards claquent du cĂŽtĂ© des fontaines aux quatre dauphins. Les rues grouillent de passants joyeux. Il fallait cette explosion dâinsouciance, en ouverture Ă lâopĂ©ra de la mort qui va se jouer. Giono nây avait pas pensĂ©. On jurerait que lâidĂ©e vient de lâĂ©crivain, alors que câest du pur Rappeneau. Le voilĂ au
8
comble de la fidĂ©litĂ©. » Lâajout de Rappeneau tĂ©moigne dâune lecture approfondie du texte, quâil trahit pour les besoins de son rĂ©cit mais Ă lâaide de Giono lui-mĂȘme.
GIONO Ă LA RESCOUSSE DE RAPPENEAU l Le dĂ©but tonitruant de Rappeneau change le hĂ©ros intros-pectif du roman, obligĂ© Ă la fuite, en un valeureux fugitif. Il nâen Ă©pouse pas moins la belle mĂ©taphore cousue-main par Giono : « Il apparut comme un Ă©pi dâor sur son cheval noir ». Car le cinĂ©aste puise son inspiration non seulement dans Le Hussard sur le toit, dans le scĂ©nario que lâĂ©cri-vain en avait tirĂ©, mais aussi dans la tĂ©tralogie Ă laquelle il appartient : « Le Cycle du Hussard ». Il trouve ainsi le dĂ©-tail du complot politique dont Angelo se trouve victime dans deux autres romans, Mort dâun personnage (1948) et Le Bonheur fou (1957). Quant au personnage du traĂźtre, Paolo Maggionari, qui accompagne les autrichiens dans le film et dĂ©busque ses anciens camarades, il vient du Bonheur fou, dans lequel Giono avait eu lâidĂ©e de faire de Giuseppe, le frĂšre de lait dâAngelo rĂ©fugiĂ© Ă Manosque, un traĂźtre. Mais la plus grande modification concerne la relation du hussard et de Pauline de ThĂ©us, dont il fallait accentuer la tension quitte Ă simplifier leurs intentions. Dans le roman, lâatti-rance mutuelle dâAngelo et Pauline nâest jamais explicitĂ©e. Dans le film, Angelo est plus frontal dans ses attentes, sa frustration est palpable et son comportement presque in-sistant ; lĂ oĂč chez Giono, sa prĂ©venance extrĂȘme Ă lâĂ©gard de Pauline ne souffrait pas le moindre Ă©quivoque : il Ă©tait simplement gentleman, sa volontĂ© de bien faire passait avant son dĂ©sir tout court. Aussi Rappeneau devait-il, sans trans-gresser le cadre platonique de leur relation, resserrer leurs liens, Ă©tablir une stratĂ©gie de tension, en puisant dans la part sentimentale sous-jacente au rĂ©cit de Giono au risque de malmener sa pudeur. Ă lâarrivĂ©e, le Hussard du rĂ©alisateur est tout aussi Ă©lectrique et brave que celui de lâĂ©crivain, mais parcouru dâune Ă©nergie plus turgescente, moins maĂźtresse de ses Ă©lans, qui le rend parfois fĂ©brile et souvent agaçant. De mĂȘme, Pauline aussi se dĂ©forme en passant de lâĂ©crit Ă lâĂ©cran. Ă la fin du film, dans une maison oĂč Angelo et elle se sont rĂ©fugiĂ©s de lâorage, Rappeneau accorde un gros plan au visage ruisselant de Binoche, son regard intense portĂ© sur le jeune homme accusant tout le non-dit accumulĂ© pendant leur escapade. Chez Giono, elle Ă©tait un bloc de marbre au garde-Ă -vous, un fantassin sous les ordres dâun haut gradĂ©. Jamais Pauline ne fondait comme dans le film Ă la vue de son infatigable protecteur.
LE CYCLE DU HUSSARD
Le « Cycle du Hussard » auquel appartient Le
Hussard sur le toit se compose de quatre romans :
Angelo, publiĂ© en 1958 et pourtant premier dans lâordre
de la narration. Le Hussard sur le toit paru en 1951,
Le Bonheur fou datant de 1957 et Mort dâun person-
nage qui, bien que dernier dans la chronologie, fut
publié en 1949. Dans le premier roman, de nature
picaresque, on voit Angelo Pardi partir de Turin,
sâinstaller Ă Aix-en-Provence et rencontrer Pauline
de ThĂ©us et sa famille avant lâĂ©pidĂ©mie du cholĂ©ra.
Le Bonheur fou, câest celui quâĂ©prouve le mĂȘme
héros à faire la révolution italienne de 1848, aprÚs ses
aventures avec Pauline, dans Le Hussard sur le toit.
Cette derniÚre est absente du roman mais réoccupe la
place centrale dans Mort dâun personnage qui relate,
observés par le petit-fils du Hussard, dont il a hérité
le prénom, des yeux et du front, les derniers jours de
Pauline, sa grand-mĂšre, quâil sâemploie Ă soigner avec
affection. Giono aimait tellement son personnage quâil
en aura fait le noyau dâune odyssĂ©e familiale, presque
sur le mode du feuilleton.
PLUS FIDĂLE Ă LâESPRIT QUâĂ LA LETTREl Si la chronologie est bouleversĂ©e et lâhistoire originale truffĂ©e dâinformations glanĂ©es hors du roman, le film et lâĆuvre nâen restent pas moins dâune intimitĂ© profonde. Lâadaptation est subtilement Ă©maillĂ©e dâimages en Ă©cho Ă certains temps fort des descriptions de Giono. Dans le film, Angelo fait pour la premiĂšre fois connaissance avec le cholĂ©ra par le biais dâune femme en jupon rouge qui descend une colline en hurlant Ă la mort. Le dĂ©tail du jupon rouge Ă©tait structurant dans le roman : on le trouve ici, peu avant le passage du village des Omerges oĂč le hussard dĂ©couvre les ravages de la maladie, ainsi quâĂ la fin, portĂ© par une paysanne qui offre sa charrette Ă Pauline convalescente, en guise de rappel. Il nâa pas Ă©chappĂ© Ă Rappeneau que le motif ouvrait et refermait lâĂ©pisode du cholĂ©ra. Autre exemple de cette subtile connivence entre le texte et le film : la prĂ©sence dâune chouette en insert, dans la scĂšne oĂč Angelo essaie de sauver Pauline du cholĂ©ra. Elle est un prĂ©sage de la victoire ultime sur la maladie, comme lâĂ©tait dans le roman ce cla-rinettiste capable de calmer lâassistance dans une quaran-taine, et dont Angelo et Pauline avaient confondu la musique avec le chant dâune chouette. Enfin, un dernier exemple â le plus beau â prouve la loyautĂ© de Rappeneau : la scĂšne du sauvetage de Pauline. Dans le livre, un beau personnage sacrifiĂ© par le film, hĂŽte de passage et ancien mĂ©decin admirateur de Victor Hugo, annonçait dans un long monologue que la seule façon pour un cholĂ©rique dâĂ©chapper Ă la mort Ă©tait dâĂȘtre sĂ©duit par un ĂȘtre plus sĂ©duisant encore que le trĂ©pas. Or justement, la mise en scĂšne de Rappeneau insiste sur la dimension fortement Ă©rotique du cadavre de Pauline dans les yeux dâAngelo. Ainsi tournĂ©e, la scĂšne suggĂšre quâelle est moins maintenue en vie que ramenĂ©e du monde des morts, et ce par les ca-resses du jeune homme (cf. Analyse de sĂ©quence). Du livre au film, lâordre des Ă©vĂ©nements importe peu, câest Ă lâesprit du roman que Rappeneau dĂ©montre sa fidĂ©litĂ©.
9
DĂCOUPAGE NARRATIF
1 DES HOMMES DE LâOMBRE 00:00:00 - 00:05:05
Juillet 1832. Un soir de fĂȘte Ă Aix-en-Provence, un ita-lien est dĂ©busquĂ©, emmenĂ© et exĂ©cutĂ© par un groupe dâhommes en noir. Sa femme parvient Ă sâĂ©chapper pour prĂ©venir un certain Angelo, leur prochaine cible. Le jeune homme fuit.
2 GĂNĂRIQUE 00:05:05 â 00:06:48
Le gĂ©nĂ©rique dĂ©file sur trois vues dâun champ de blĂ© Ă lâaube.
3 TRAHI PAR LES SIENS00:06:48 â 00 :12:26
Dans une auberge, Angelo est surpris de recevoir la visite de Maggionari. Mais son ancien compagnon est Ă la solde des hommes en noir, missionnĂ©s par lâEmpire dâAutriche. Le carbonaro sâĂ©chappe une nouvelle fois.
4 LâĂPIDĂMIE 00:12:26 â 00:21 :00
Le lendemain matin, Angelo dĂ©couvre un village rava-gĂ©. Les animaux dĂ©vorent des cadavres. Un mĂ©decin de passage lui apprend que les gens meurent du cholĂ©ra, et essaie de sauver quelques villageois Ă lâagonie - sans succĂšs. Lâhomme meurt sous les yeux du jeune italien.
5 SEULS DANS LA NUIT00 :21 :00 â 00 :23 :14
Les morts sont brĂ»lĂ©s par dizaines dans les campagnes. Le fugitif rencontre une jeune gouvernante et les deux enfants qui lâaccompagnent. Une milice les repĂšre et les conduit en quarantaine.
6 EN QUARANTAINE 00:23 :14 â 00:28:20
La quarantaine a lieu dans une vieille grange bondĂ©e. As-sistĂ© dâun homme, Angelo essaie de porter secours Ă une cholĂ©rique, en reproduisant les frictions Ă lâeau de vie que lui avait appris le mĂ©decin. En vain. La nuit, il sâĂ©chappe.
7 FOLIE COLLECTIVE00:28:20 â 00:33:42
A Manosque, il est pris pour un empoisonneur, capturĂ© puis relĂąchĂ© par un commissaire aussi paniquĂ© que la foule. Afin dâĂ©chapper au lynchage, il sâintroduit dans une maison vide et gagne les toits par le grenier.
8 LE HUSSARD SUR LE TOIT00:33:42 â 00:38:07
Depuis son observatoire, Angelo regarde la panique se répandre. En bas circulent des charriots remplis de
macchabĂ©s, et gisent des corps liquidĂ©s par la maladie ou la foule assoiffĂ©e dâempoisonneurs.
9 PAULINE 00:38:07 â 00:46:32
Un soir, le hussard fait la rencontre dâune jeune femme seule, Pauline, qui lui offre le gĂźte et le couvert alors mĂȘme quâil sâĂ©tait introduit chez elle par effraction depuis les toits. EpuisĂ©, il sâendort Ă sa table. Au petit matin, la jeune femme sâest volatilisĂ©e.
10 LES EXILĂS 00:46:32 â 00:53:09
Dans les collines qui entourent Manosque, Angelo retrouve enfin Giuseppe, son frĂšre de lait partisan de lâItalie libre. La ville a Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©e, ses habitants campent Ă lâombre des oliviers dans leur mobilier.
11 EN ROUTE VERS LâITALIE00:53:09 â 00:59:09
De lâargent lui est confiĂ© par Giuseppe, Ă acheminer vers lâItalie. Mais Ă peine parti, Angelo tombe sur Maggionari, le traĂźtre, qui aprĂšs sâĂȘtre dĂ©barrassĂ© des autrichiens meurt dans ses bras dâune crise de cholĂ©ra. Pauline, tĂ©moin de la scĂšne parmi dâautres curieux, rattrape son cheval et dĂ©cide de prendre la route avec lui.
12 PASSAGE EN FORCE00:59:09 â 01:04:20Premier obstacle : un barrage de soldats. DevancĂ©e par Angelo qui joue du sabre, Pauline fonce dans le tas et sâen sort indemne. Mais bientĂŽt, la garde les pourchasse. Pas question pour eux dâemprunter les routes principales. Direction les chemins de traverse.
13 NUIT BLANCHE01:04 :20 â 01:08 :40
Le jour qui tombe les force Ă bivouaquer. Curieuse, Pauline cherche Ă en savoir davantage sur lâargent quâil transporte et les raisons de sa prĂ©sence en Provence.
14 OISEAU DE MALHEUR 01:08:40 â 01:11:22
Un coup de feu dĂ©chire le silence de lâaube. Câest Pauline, effrayĂ©e par un corbeau qui la poursuit de ses ardeurs. Le hussard sâempresse dâĂ©liminer le volatile, mais la jeune femme ne peut sâempĂȘcher dây voir un mauvais prĂ©sage.
15 LâHOMME AU PARAPLUIE 01:11:22 â 01:13:16
En chemin, ils croisent la route dâun homme en parapluie, craintif et mystĂ©rieux, lequel prĂ©tend dĂ©tenir un Ă©lixir contre le cholĂ©ra.
10
16 ITINĂRAIRE DE CONSEIL 01:13:16 â 01:15:55
Alors quâAngelo sâenquiert du chemin auprĂšs du vendeur de tisane, Pauline bondit Ă lâĂ©vocation dâune ville dont elle dit connaĂźtre le maire. Elle convainc Angelo de sây rendre.
17 VENT DE PANIQUE 01:15:55 â 01:25:52
Chez lâĂ©dile, Pauline est dâabord reçue Ă table avec beau-coup de maniĂšres. Mais quand lâassistance rĂ©alise quâelle vient de Manosque, câest la panique gĂ©nĂ©rale. Seul le maire garde la tĂȘte froide. Il lui apprend que son mari sâest lancĂ© Ă sa recherche, vers Manosque, et lui propose de lâemmener chez elle du cĂŽtĂ© de Gap, mais Pauline choi-sit lâescorte dâAngelo.
18 PAR AMOUR01:25:52 â 01:29:30
Par amour pour son mari, Pauline décide de rebrousser chemin. SitÎt partie, elle est faite prisonniÚre par la garde montée, qui la conduit à la quarantaine la plus proche.
19 RETOUR EN QUARANTAINE01:29 :30 â 01:37:00
Angelo, tĂ©moin de lâarrestation, demande Ă ĂȘtre mis en quarantaine et soudoie les gardes pour quelques privi-lĂšges quâil met Ă disposition de Pauline. Jusquâici, ils ne sâĂ©taient jamais Ă©changĂ© leur nom. Câest chose faite et de nuit, ils prĂ©voient de faire le mur.
20 LA FOURNAISE01:37:00 â 01:40:22
Ils dĂ©clenchent un incendie et contraignent les gardes Ă ouvrir. Avec lâaide prĂ©cieuse de Pauline, Angelo libĂšre tout le monde.
21 SENTIMENTS BRĂLANTS01:40 :22 â 01:53:52
De nouveau sur les routes, les deux fuyards trouvent refuge dans une maison abandonnĂ©e. Dedans, Pauline trouve une robe quâelle enfile, et Angelo du vin quâil fait chauffer. Sous lâeffet de lâalcool, ils sâavouent leurs sen-timents et rĂ©priment une Ă©treinte. Soudain, Pauline est prise de violentes convulsionsâŠ
22 LâAMOUR Ă MORT01:53 :52 â 01:57:32
Toute la nuit, Angelo frictionne le corps nu et blĂȘme de Pauline Ă lâeau de vie, comme il lâavait fait plusieurs fois sans succĂšs, et ce jusquâĂ Ă©puisement. Au petit matin, il est rĂ©veillĂ© par la main de Pauline, qui lui caresse les cheveux. Angelo lâa ramenĂ©e dâentre les morts. Le lende-main, il lâa reconduit Ă son mari, qui lâattendait prĂšs de Gap.
23 UNE BOUTEILLE Ă LA MER 01:57:32 â 02:00:30
Cela fait plusieurs mois quâAngelo est retournĂ© en Italie et que Pauline a repris le cours de son existence, comme si lâĂ©pisode du cholĂ©ra nâavait jamais existĂ©. Mais dĂ©sor-mais, ce nâest plus son Ă©poux mais le hussard qui habite ses pensĂ©es. Elle lui Ă©crit plusieurs lettres, dans lâespoir dâobtenir une rĂ©ponse, et que lâamour de sa patrie ne lâait remplacĂ©e dans son cĆur.
24 GĂNĂRIQUE DE FIN 02:00:30 â 02:03:57
1. 2.
3. 4.
5. 6.
7. 8.
9. 10.
11. 12.
13. 14.
15. 16.
17.
11
RĂCIT UN ROMAN DâINITIATIONl De tous les films de Jean-Paul Rappeneau, Le Hussard sur le toit est celui qui ressemble le plus Ă un film dâapprentis-sage romantique, dans la tradition stendhalienne (lâauteur prĂ©fĂ©rĂ© du rĂ©alisateur). CinĂ©aste des rapports hommes/femmes, en particulier de lâempĂȘchement maladif des gar-çons, lâauteur de La Vie de chĂąteau fait le choix de suivre les actes dâAngelo. Giono, Ă lâinverse, accordait moins dâim-portance Ă la perception de son personnage principal, le-quel nâĂ©tait quâun regard surplombĂ© comme dâautres par le point de vue omniscient de lâauteur. Mais Rappeneau, donc, ne sâintĂ©resse quâĂ Angelo (et Pauline). Le cholĂ©ra, vĂ©ritable protagoniste du roman, nâest plus quâune toile de fond dans le film, un prĂ©texte Ă crĂ©er des pĂ©ripĂ©ties pour son hĂ©ros. Dâailleurs, le contexte de lâĂ©pidĂ©mie ne lui suffit pas. Il y ajoute la trahison dâun carbonaro (Maggionare), et la me-nace dâune police autrichienne qui, quoique parfaitement crĂ©dible au point de vue historique et dramatique, nâexistait pas dans le livre. Ici, seul compte ce qui arrive aux hĂ©ros, ce qui les fait Ă©voluer, grandir, apprendre. Le « Angelo Pardi » de Rappeneau a pour frĂšres de lettre Julien Sorel et Fabrice Del Dongo, soit le personnage de Giono relu et corrigĂ© par un grand admirateur de Stendhal. Auteur chez qui le rĂ©cit suivait, et nâabandonnait jamais, le point de vue du hĂ©ros.
ESQUIVER LâĂPIDĂMIEl Le grand sacrifiĂ© des choix de rĂ©Ă©criture de Rappeneau et CarriĂšre, câest hĂ©las le cholĂ©ra. « HĂ©las », car lâoriginalitĂ© du roman de Giono - sa modernitĂ© aussi -, tenait Ă avoir fait de la maladie le vĂ©ritable protagoniste de lâhistoire. De fait, câĂ©tait moins Angelo et Pauline qui observaient les ravages du mal, que le cholĂ©ra qui les regardait eux, le livre Ă©tant Ă©crit du point de vue omniscient de la nature toute entiĂšre, rendue folle de rage par les miasmes. DâoĂč le sentiment per-sistant dâavoir moins affaire Ă du Giono quâĂ du Stendhal. Or, il se trouve que lâĂ©crivain provençal lui-mĂȘme, lorsquâil adapta son film pour lâĂ©cran, eut lâidĂ©e dâĂ©toffer les pĂ©ri-pĂ©ties du parcours dâAngelo au dĂ©triment du spectacle de lâĂ©pidĂ©mie. Sans doute Ă©tait-il conscient que ses descriptions riches, prĂ©cises et passionnĂ©es des symptĂŽmes, des crises et de la panique, ne seraient pas aisĂ©es Ă ĂȘtre mises en scĂšnes. En un sens, Giono fit lui-mĂȘme des choix stendhaliens. Est-ce Ă dire que Stendhal est plus cinĂ©ma-compatible que Giono ? Si lâon en croit le nombre dâadaptations cinĂ©matographiques et tĂ©lĂ©visĂ©es du Rouge et le noir et de La Chartreuse de Parme, la rĂ©ponse est sans appel : oui. Oui parce que la part narrative du cinĂ©ma dĂ©rive du roman, et parce quâune majoritĂ© des Ćuvres de Giono Ă©parpillent le point de vue, ce qui nâĂ©tait pas le cas de Stendhal, grand artisan avec Balzac et Hugo des codes du rĂ©cit dâinitiation.
ACADĂMISMEl Compte tenu la modernitĂ© du style, on aurait pu sâattendre Ă ce que le roman de Giono donne lieu Ă un film formelle-ment plus audacieux que celui de Rappeneau. Pourtant, la mise en scĂšne classique du cinĂ©aste nâest pas un contresens
mais le fruit dâun calcul. Optant comme Giono lâaurait fait pour un rĂ©cit du point de vue dâAngelo, Rappeneau sâen est remis Ă une grammaire visuelle conventionnelle, comme si lâinfluence de Stendhal avait eu pour effet dâinstaller le rĂ©cit sur les rails de la transparence narrative. Le film, Ă ce titre, ne se contente pas dâĂȘtre acadĂ©mique : il lâest Ă un degrĂ© radical, refusant le moindre flashback (procĂ©dĂ© pour-tant intĂ©grĂ© au langage classique), la moindre incertitude quant Ă lâordre chronologique des Ă©vĂ©nements. Aucune coquetterie plastique ou narrative ne fera dĂ©vier le film de son programme linĂ©aire. Il y a pour Angelo un dĂ©but, un milieu et une fin. Au terme de son aventure en Provence, son initiation lui aura appris quelque-chose quâil ignorait : satisfaire une femme.
UNE FEMME STENDHALIENNEl Or cette femme, comme Angelo, a fait lâobjet dâune lĂ©gĂšre rĂ©Ă©criture par Rappeneau. Pour la faire entrer dans le ca-talogue de ses personnages fĂ©minins Ă la fois irrĂ©sistibles et inĂ©branlables, trop fortes pour que les hommes qui les courtisent puissent arriver Ă leur fin, le cinĂ©aste sâen est remis une nouvelle fois Ă Stendhal. Chez Giono, Pauline Ă©tait une jeune femme incorruptible, dâun bloc. Rappeneau a repris ces caractĂ©ristiques en y ajoutant le mordant, la dĂ©termination un brin calculatrice de Mathilde de la Mole du Rouge et le noir. Ainsi, le jeu de Juliette Binoche laisse subtilement transparaĂźtre de la curiositĂ© sous le masque de la biensĂ©ance. La Pauline de Rappeneau est plus sĂ©ductrice que celle de Giono (laquelle ne tombait pas amoureuse du hussard). Sa volontĂ© imperturbable tranche avec la jeune gouvernante du dĂ©but du film (jouĂ©e par Isabelle CarrĂ©), qui ne voyait en Angelo quâun chevalier servant dans la tradition du poĂšme chevaleresque (elle le compare au personnage de Roland le furieux, du mythe de Renaud et Armide). Madame de ThĂ©us, Ă lâinverse, ne souhaite pas ĂȘtre secourue mais lâaccompagner, aspirant Ă un destin romanesque au mĂȘme titre que son binĂŽme masculin. Câest Ă partir de la rencontre avec Pauline que le film, dâabord purement
chevaleresque, bas-cule dans la moder-nitĂ© romantique. Sa volontĂ© dâĂȘtre lâĂ©gal dâAngelo est un rappel des hĂ©roĂŻnes de Stendhal, qui malgrĂ© leur statut social diffĂ©rent (dans le XIXe siĂšcle des romans de Stendhal et de lâaction du Hussard sur le toit), parviennent Ă mani-puler leur monde et obtenir ce quâelles veulent. A ce titre, la mĂšre dâAngelo â chez Rappeneau comme dĂ©jĂ chez Giono â, de 16 ans seulement son
12
aĂźnĂ©e, est une variation de la tante de Fabrice del Dongo dans La Chartreuse de Parme, qui non seulement lâencourageait Ă vivre sa vie comme un roman mais en plus facilitait son ascension depuis les coulisses de la cour Milanaise. Chez Rappeneau comme chez Stendhal, les garçons sont peut-ĂȘtre les hĂ©ros, mais il y a toujours quelque-part une femme qui secrĂštement scĂ©narise leurs aventures.
LâHĂRITAGE DE STENDHAL
Dans lâesprit, Angelo Pardi est un pur hĂ©ritier de
Stendhal. Son pĂšre, nous apprend-t-on par le biais
dâune conversation avec Pauline, est un soldat français
napolĂ©onien. Nous nâen saurons pas davantage (le livre
lui-mĂȘme nâen disait pas tant, puisquâil sâagit dâun ajout
de Rappeneau), mais cette indication suffit Ă rappeler
aux lecteurs de La Chartreuse de Parme que lâadmira-
tion de Napoléon se trouve au fondement des récits de
lâauteur romantique (et mĂȘme du romantisme littĂ©raire
français tout entier). En outre, le rĂ©cit du film sâouvre
sur une date : juillet 1832. Soit pile un an aprĂšs la
parution de Le Rouge et le Noir. La précision est une
fois encore Ă mettre au compte de Rappeneau, car
Giono ne donnait pas dâautre indication historique que
celle du soulĂšvement des carbonari. Enfin, quâAngelo
soit carbonaro est tout sauf un hasard : il est animé
du feu de la révolution, qui est chez Stendhal le propre
de la jeunesse, au mĂȘme titre que chez dâautres au-
teurs romantiques de la premiÚre moitié du 19e siÚcle
(Balzac, Hugo). Si le roman est résolument moderne,
avec ce point de vue omniscient qui fait de la maladie
le vĂ©ritable sujet de lâhistoire, le personnage dâAngelo
est complĂštement anachronique, pur protagoniste de
romans dâinitiation comme la littĂ©rature française
nâosait plus en inventer depuis Flaubert et la fin des
illusions (LâĂducation Sentimentale).
13
LE MOTIF LES MAINS DâANGELOl « Lâart se fait avec la main », remarque Henri Focillon dans son Eloge de la main. Câest peut-ĂȘtre la raison de la fasci-nation du cinĂ©ma pour cette partie du corps. Mais ce qui explique lâintĂ©rĂȘt de Jean-Paul Rappeneau pour ce membre en particulier, câest la question du « touchĂ© » : la main certes saisit, frappe, manipule des objets avec plus ou moins de dextĂ©ritĂ© â beaucoup, sâagissant dâAngelo, qui sait non seu-lement armer des pistolets et manier lâĂ©pĂ©e, mais aussi cuisi-ner â, Ă©crit parfois, mais elle est surtout une zone de contact â une extrĂ©mitĂ©. Dans Le Hussard sur le toit, les mains dâAngelo sont beaucoup plus expressives que sa bouche, elles sont mĂ©tonymiques en ceci quâelles rĂ©sument sa per-sonne : Ă lâextrĂȘme en tout, cultivĂ©, ardent, dotĂ© de beaucoup de tact ; et nĂ©anmoins incapable, inapte, lorsquâil sâagit de caresser. Angelo, comme ses mains, est un ĂȘtre parfois trĂšs habile, et dâautres fois parfaitement impuissant. On pourra sâamuser Ă repĂ©rer avec (les Ă©lĂšves) les diffĂ©rentes occurrences des mains, et ce quâelles racontent du person-nage. La premiĂšre main signifiante du film nâest pas celle dâAngelo mais de la femme qui le prĂ©vient, au tout dĂ©but du rĂ©cit. Lui ordonnant de filer, elle caresse son beau visage lisse et parfait. On peut y voir une marque de bĂ©nĂ©diction, de la part dâune femme qui le sauve et le chĂ©rit comme une mĂšre. Mais câest aussi un geste traumatique : de tous les gestes possibles, câest prĂ©cisĂ©ment celui-ci quâAngelo ne saura ja-mais reproduire Ă la perfection. Ses frictions ne guĂ©riront pas les malades, ses caresses nâatteindront jamais le corps de Pauline autrement que sous lâalibi mĂ©dical des massages Ă©nergiques qui la sauvent du cholĂ©ra. A lâautre bout du film, la mĂȘme caresse de Pauline sur le visage dâAngelo vient dĂ©-finitivement sceller le registre de ce geste : si Angelo excelle au combat, la tendresse est pour lui une langue Ă©trangĂšre - celle des mĂšres et des amantes, dont il peine Ă repĂ©rer les signes et Ă deviner les dĂ©sirs. Comme tous les personnages masculins de Jean-Paul Rappeneau, Angelo manque de doigtĂ© avec les femmes. Il ne sait sâadresser Ă Pauline que comme Ă un soldat, ce quâelle ne se prive pas de lui dire. Or il se trouve que cette lacune immense, ce peu dâadresse dans le touchĂ© qui confine au handicap, explique tout du personnage. Son empressement, sa hardiesse, ses ardeurs et sa promptitude Ă combattre sont une maniĂšre pour Angelo, ĂȘtre brave et objectivement vi-ril, de compenser son impuissance Ă caresser, et donc sans doute de dĂ©montrer sa propre force sur dâautres terrains : celui du combat, de la stratĂ©gie, de la raison, de la rĂ©sistance et de lâendurance physique. CommunĂ©ment, on dirait quâil
ne sait pas « sây prendre » avec les femmes. Mieux : il sait sây prendre avec tout sauf avec les femmes. Angelo nâest pas un ĂȘtre tactile. Ses mains sont des outils, des armes, des objets bruts et utiles, en aucun cas le prolongement charnel de sa sensibilitĂ©. Ă ce propos, lâune des plus belles idĂ©es du film revient en propre Ă Rappeneau. Soit celle, simple et nĂ©anmoins trĂšs Ă©vocatrice, de faire jaillir le feu des mains dâAngelo. En ef-fet, depuis quâil a vu le mĂ©decin des Omerges le faire pour se dĂ©sinfecter, chaque fois quâil frictionne un malade, le jeune hussard sâasperge les mains dâeau de vie et les fait flamber (en tout il le fera trois fois, dont une avec Pauline). Sâil faut attribuer lâidĂ©e Ă Rappeneau, câest dâabord parce quâil sâagit dâune pure trahison, Giono ne lâayant pas Ă©crite. Surtout, elle mĂ©taphorise Ă merveille ce que non seulement Le Hussard sur le toit cherche Ă montrer, mais toute la fil-mographie du cinĂ©aste depuis La Vie de chĂąteau : ce feu intĂ©rieur que les hommes Ă©puisent en pure perte, sans ja-mais parvenir Ă leurs fins. De fait, chaque fois que les mains dâAngelo sâembrasent, câest Ă la suite dâun Ă©chec. Le feu de ses mains est moins lâexpression dâune puissance que dâune dĂ©pense inutile, dâun trop-plein dâĂ©nergie et de dĂ©sir qui se consume sans rien produire ni sauver. Angelo peine Ă faire de son courage et de son habiletĂ© au combat quelque-chose dâutile pour les autres. Du moins jusquâĂ ce que ses mains, dĂ©tachĂ©es de son esprit par lâĂ©puisement et rendues Ă leur fonction premiĂšre du « touchĂ© », sauvent lâĂȘtre qui lui est le plus cher : Pauline. Par lâentremise des sentiments, les frictions sur le corps nu de la jeune femme se font enfin caresses. A dĂ©faut dâavoir su lâĂ©treindre, Angelo renoue grĂące Ă son amour pour Pauline avec le geste premier quâil recevait sans savoir le reproduire : la bĂ©nĂ©diction du touchĂ©, la caresse qui chĂ©rit sans calcul ni pudeur, parce quâelle sâimpose comme seul geste possible dans lâurgence. A la fin de son aventure, Angelo ne semble pas avoir changĂ©. Mais ses mains, elles, en plus de com-battre, Ă©crire et bricoler, ont enfin appris Ă aimer.
14
SĂQUENCEBRISER LA GLACEl Le sauvetage de Pauline concerne la sĂ©quence 22 de notre dĂ©coupage sĂ©quentiel (Lâamour Ă mort), mais il faut sâattar-der sur une partie de la sĂ©quence prĂ©cĂ©dente (21, sentiments brĂ»lants) pour en saisir les enjeux. Au coin du feu, dans une grande maison bourgeoise vide oĂč ils ont trouvĂ© refuge, Pauline et Angelo sâavouent leurs sentiments Ă demi-mot. La jeune femme a enfilĂ© une robe de soirĂ©e verte, couleur de lâespoir, et Angelo leur sert du vin. Le feu, sa parure, lâivresse, le tableau romantique, toutes les conditions sont rĂ©unies pour une dĂ©claration, et peut-ĂȘtre un rapproche-ment. Mais sous lâeffet de lâalcool, Pauline se met Ă parler de son mari, ce qui irrite Angelo, Ă nouveau dĂ©sireux de re-prendre la route (autrement dit de quitter le cadre qui lui a inspirĂ© ces confessions). Alors quâil fait son paquetage sous le regard de Pauline qui lâa rejoint dans une coursive attenant au salon, ils sont comme deux glaçons, deux blocs froids qui ne parviennent pas Ă se rĂ©chauffer mutuellement. La rupture semble consommĂ©e (1). Câest alors quâune dĂ©-faillance de la jeune femme ramĂšne Angelo auprĂšs dâelle. La jeune femme se retourne et la camĂ©ra les saisit en gros plan, la faible profondeur de champ les isolant de lâarriĂšre-plan comme si le monde autour dâeux nâexistait plus. Contre-champ sur Angelo avec Pauline en amorce, toujours en gros plan : « Ma mĂšre nâest pas comme vous lâimaginez, dit-il, pour elle je ne suis jamais assez fou ». « Elle a raison », lui rĂ©pond-t-elle. Mais au lieu du baiser qui aurait dĂ» succĂ©der Ă ce consentement tacite, Angelo baisse les yeux. Pauline lui caresse le visage (2). Confus, le hussard dĂ©porte son ar-deur vers la main de la jeune femme (cf. Le motif, les mains dâAngelo), sur laquelle il pose ses lĂšvres dans un geste mĂȘlant la tendresse au dĂ©sir, et peut-ĂȘtre aussi la gĂȘne dâavoir invoquĂ© sa mĂšre (3). Angelo reprend alors ses esprits et fait un pas en arriĂšre, « pardonnez-moi ». Un plan large les saisit, distants Ă nouveau de ce mĂštre de pudeur quâil nâavait jamais osĂ© franchir (4). Par excĂšs de courtoisie, il vient de gĂącher la meilleure occasion dâune Ă©treinte.
PĂLEUR DE CADAVREl « Vous connaissez le chemin de la sortie », dit Pauline pour mettre un terme Ă ce ballet navrant. Elle saisit un chandelier dont les flammes sont ce quâil reste du feu de la cheminĂ©e, symbole miniature de leur amour contenu, symbole aussi du peu de forces quâil lui reste. Ă cet instant prĂ©cis, Angelo et elle sont exsangues, vidĂ©s de leur substance comme en atteste lâabattement du hussard quand la jeune femme passe une derniĂšre fois devant lui pour gagner une chambre Ă lâĂ©tage supĂ©rieur. Ils sont deux pantins dont les fils sâapprĂȘtent Ă rompre, deux ĂȘtres dont lâĂ©nergie vitale fonctionnait de pair. Dans lâascension des escaliers, Ă©loignĂ©e de ce chevalier servant qui avait assez de sĂšve pour deux, Pauline dĂ©faille deux fois, ce qui alarme Angelo. Sur le palier, elle se tourne vers lui et rĂ©vĂšle un visage de cadavre, cernĂ© et cireux, laissant choir le chandelier dans la fon-taine en contrebas (5). Prise de convulsion, elle tombe dans lâescalier. Le motif de la flamme, image du feu intĂ©rieur
dâAngelo, rend la scĂšne univoque : sâil suspectait la robe et les lits de porter la maladie, Ă un niveau de lecture plus mĂ©taphorique câest surtout parce quâil sâapprĂȘte Ă lâaban-donner que le cholĂ©ra la contamine enfin. Le hussard Ă©tait un protecteur, le feu de sa bien-aimĂ©e. Sâil la quitte du regard, sâil cesse de la surprotĂ©ger comme il le faisait sur les routes, dâun coup Pauline sâeffondre. Angelo la maintenait debout. Lui seul peut la ramener Ă la vie.
DE FORCEl Pauline crache le liquide blanchĂątre qui est le symptĂŽme du cholĂ©ra. Angelo, Ă qui lâurgence de secourir une femme en dĂ©tresse a redonnĂ© toutes ses forces, la porte au coin du feu et tire un immense tapis pour lâallonger dessus (6). DĂ©liĂ© de sa conscience et de ses maniĂšres de gentilhomme, rendu aux puissances souveraines de la nĂ©cessitĂ©, son corps exĂ©cute spontanĂ©ment les gestes quâil aurait pu faire un peu plus tĂŽt, au coin du feu, quand toutes les conditions Ă©taient rĂ©unies pour vivre le rapprochement tant dĂ©sirĂ©. Car voici lâenjeu secret, et trĂšs beau, de cette scĂšne dâamour dĂ©guisĂ©e en opĂ©ration mĂ©dicale : ruiner le clichĂ© romantique, dĂ©jouer les attentes du roman Ă lâeau de rose pour consumer lâamour au-trement, en lâoccurrence sous lâalibi suprĂȘme dâun sauvetage dâordre vital. Si Angelo ne la dĂ©shabille pas intĂ©gralement, sâil ne masse pas Ă©nergiquement le corps inerte de Pauline sous toutes les coutures pour repousser le raidissement de ses membres, elle mourra. Câest, nous disent de concert Giono et Rappeneau, lâimpĂ©ratif catĂ©gorique dont rĂȘvent peut-ĂȘtre tous les garçons chevaleresques : que dĂ©chirer les vĂȘtements dâune jeune femme dĂ©sirĂ©e soit une question de vie ou de mort, que lâacte devienne le prolongement des gestes sĂ»rs et dĂ©nuĂ©s dâembarras du combat et de la tech-nique. La scĂšne, dĂšs lors, nâest pas dĂ©nuĂ©e dâĂ©quivoque. Car Pauline ne lui accorde pas son consentement dâĂȘtre sauvĂ©e, « jâaime mieux mourir » dit-elle, catastrophĂ©e Ă lâidĂ©e de dĂ©-voiler son intimitĂ© au jeune homme, fut-ce Ă titre mĂ©dical (7). Mais pour toute rĂ©ponse, le hussard dĂ©chire violemment ses bas (8), lâĆil soudain pĂ©nĂ©trant, vif et dĂ©terminĂ© (9). La mise scĂšne cultive les contrastes : dâun cĂŽtĂ©, la musique joue un air de violon mielleux, romantique Ă un degrĂ© presque caricatural, de lâautre, Juliette Binoche a la tĂȘte rejetĂ©e en arriĂšre, cadrĂ©e serrĂ©e, flanquĂ©e dâune expression qui oscille entre la souffrance extrĂȘme et lâextase (10).
FASCINATION DE LA MORT l Maintenant Pauline est allongĂ©e, totalement nue et in-consciente. La nuit nous informe que du temps a passĂ©, peut-ĂȘtre des heures. Quâimporte, les durĂ©es ne comptent plus pour Angelo. Deux plans larges, similaires, ouvrent et referment la scĂšne sur la silhouette du jeune homme vue de loin, massant le corps inerte de Pauline au pied de la chemi-nĂ©e (11). Entre les deux, le film se glisse dans le regard du hussard en une sĂ©rie de plans rapprochĂ©s. Au son du frotte-ment ininterrompu de ses mains, la camĂ©ra glisse le long du buste marmorĂ©en de la jeune femme, qui est un gisant dâune grande beautĂ© plastique, Ă la fois Ă©rotique et grise comme un macchabĂ©e. Par lâusage exclusif du gros plan, le film nous montre ici quâAngelo est seul Ă regarder, abandonnĂ© par Pauline qui nâest plus quâun Ćil vide (14). Le hussard
15
selon Rappeneau nâaurait pas pu connaĂźtre le sexe lĂ©ger ou romantique qui nâest quâune reprĂ©sentation romancĂ©e et mensongĂšre. Seulement pouvait-il faire lâexpĂ©rience profonde et troublante de la chair, celle qui flirte avec le trĂ©pas, dans la tradition des amours destructeurs depuis Tristan et Iseult. Les plans flatteurs du corps de la jeune femme insistent sur la sĂ©duction quâexerce la mort sur Angelo (13). Deux inserts montrent alors le carbonaro alimenter le feu, puis casser une bouteille de vin pour en verser le contenu sur sa protĂ©gĂ©e (12). Comme lâacte lui-mĂȘme, les symboles de son Ă©nergie et de son dĂ©sir continuent de circuler de façon dĂ©tournĂ©e, suggĂ©rant toute lâambiguĂŻtĂ© de la situation : le feu quâil nourrit et lâalcool quâil rĂ©pand Ă mĂȘme la peau revĂȘtent Ă la fois une utilitĂ© mĂ©dicale et un sens implicite inavouable. A savoir : le plaisir quâil y prend peut-ĂȘtre.
RAMENĂE Ă LA VIEl Une ellipse. Nous sommes au petit matin. Angelo sâest en-dormi sur le dos, une partie du tapis le couvre. Une main blanche venue du hors champ lui caresse les cheveux (15). Lâimage change dâangle en suivant le mouvement du jeune homme, lequel tourne dĂ©licatement sa tĂȘte par-dessus son Ă©paule. Au bout de la main se trouve Pauline qui le regarde, le visage creusĂ©, couverte du mĂȘme tapi que lui, comme sâils partageaient le lit (16). Dans le mĂȘme plan, elle est passĂ©e du hors champ de la mort qui lui semblait promise Ă lâintimitĂ© dâune scĂšne de rĂ©veil Ă deux - autrement dit, du nĂ©ant au monde des vivants. Lorsquâil rĂ©alise quâelle est consciente, le jeune homme effectue un brusque mouvement de recul, surpris de la trouver tirĂ©e dâaffaire. « Vous avez failli mou-rir », dit-il comme pour se justifier de quelque-chose de-vant ce regard qui le fixe. Or, il y a dans ce mouvement de recul une derniĂšre et trĂšs belle hĂ©sitation du sens : Angelo sâĂ©carte-t-il devant un fantĂŽme ou parce quâil se reproche dâavoir parcouru son corps nu toute la nuit ? Lui sera-t-elle redevable parce quâil lâa sauvĂ©e, ou attisera-t-elle le feu de sa culpabilitĂ© pour avoir profitĂ© dâune femme inconsciente ? Mais Pauline, qui nâa plus rien Ă cacher aprĂšs ces heures pas-sĂ©es Ă lutter contre la mort et Ă recevoir ses caresses, lui tend doucement la main (17). La valeur du plan est assez large pour les contenir tous les deux : cette fois-ci, leurs mains jointes annulent la distance de froideur qui les sĂ©parait dans la sĂ©quence prĂ©cĂ©dente (1 et 4). Par ce geste de tendresse, le film les assemble enfin, et Pauline rend grĂące Ă ce pou-voir insoupçonnĂ© que laissait pourtant deviner le prĂ©nom du hussard (« Ange » en italien) : celui, prĂ©cieux, de ramener la femme quâil aime Ă la vie.
FILMOGRAPHIELes films de Jean-Paul RappeneauLa Vie de chĂąteau (1966)Les MariĂ©s de lâan deux (1971)Le Sauvage (1975) Tout feu tout flamme (1982) Cyrano de Bergerac (1990)Le Hussard sur le toit (1995), Coffret DVD, « Jean-Paul Rappeneau », Ă©dition spĂ©ciale FNAC Blu-ray.
Dâautres films adaptĂ©s de lâĆuvre de Jean Giono Un roi sans divertissement, de François Leterrier, Ă©crit et dialoguĂ© par Jean Giono (1963), Ă©ditions DVD CinĂ©GĂ©nĂ©ration. LâHomme qui plantait des arbres, de FrĂ©dĂ©ric Back (1987), Ă©ditions Films Paradoxes. Les Ames fortes, de Raoul Ruiz (2001), Ă©ditions Arcades.
Adaptations contemporaines du Hussard sur le toitGerminal, de Claude Berri, dâaprĂšs Emile Zola (1993), Ă©ditions Fox PathĂ© Europa.La Reine Margot, de Patrice ChĂ©reau, dâaprĂšs Alexandre Dumas (1994), Ă©ditions Fox PathĂ© Europa.
BIBLIOGRAPHIE Sur Le Hussard sur le toit de Jean-Paul RappeneauArticle, Le CinĂ©ma impur : Rappeneau et lâadaptation cinĂ©matographique du roman de Jean Giono : Le Hussard sur le toit, de JoĂ«lle Cauville, « Dalhouse French Studies », Vol 69 (hiver 2004), pp.83-90.
Ouvrage, Le Hussard : autour du film de Jean-Paul Rappeneau adaptĂ© de lâĆuvre de Jean Giono, de Hans Silvester et Bertrand Poirot-Delpech, Ăditions du ChĂȘne, 1995.
Articles Ă charges, contemporains de la sortie du film, âŠĂ la hussarde, de Thierry Jousse et Serge Toubiana, in Cahiers du cinĂ©ma n°495, octobre 1995.
Sur Jean Giono et le cinĂ©ma Essai, Les Ăcrivains du 7Ăšme art, de FrĂ©dĂ©ric Mercier, SĂ©guier, 2016.
Essai, Jean Giono et le cinéma, de Jacques Mény, édition augmentée, Ramsay, 1990.
Ćuvres cinĂ©matographiques, textes rĂ©unis et prĂ©sen-tĂ©s par Jacques MĂ©ny, Ă©ditions Cahiers du cinĂ©ma : Gallimard, 1980.
16
Cinémas du sud & tilt remercie Carlotta Films
RĂDACTEURADRIEN DENOUETTE : Critique de cinĂ©ma pour les revues Carbone, Critikat et Trois Couleurs, Adrien DĂ©nouette enseigne par ailleurs Ă lâUniversitĂ© Paris-Diderot, anime un atelier de programmation de films auprĂšs dâenfants du primaire pour le Forum des Images et donne des confĂ©rences portant sur diffĂ©rents cinĂ©mas (le cartoon, John Carpenter, Hayao Miyzaki, Wang Bing, les adapta-tions de Stephen King, etc.). Auteur dâun essai sur lâacteur amĂ©ricain Jim Carrey : Jim Carrey : lâAmĂ©rique dĂ©masquĂ©e aux Ă©ditions Carbone.
LYCEENS ET APPRENTIS AU CINEMA EN PROVENCE-ALPES-COTES DâAZUR Dispositif national mis en Ćuvre avec le soutien du Conseil RĂ©gional Provence-Alpes-CĂŽte dâAzur, du MinistĂšre de la culture / Direction rĂ©gionale des affaires culturelles Provence-Alpes-CĂŽte dâAzur et du Centre national du cinĂ©ma et de lâimage animĂ©e.En partenariat avec les rectorats des acadĂ©mies dâAix-Mar-seille et de Nice, de la Direction RĂ©gionale de lâAlimentation, de lâAgriculture et de la ForĂȘtet les salles de cinĂ©ma associĂ©es.
Coordination régionale du dispositif Cinémas du Sud & tilt
11, Cours Joseph Thierry - 13001 Marseille 04 13 41 57 [email protected]
www.laacsud.fr