1
RAPPORT SORBONNE-ICSS
RÉSUMÉ
PROTÉGER L’INTÉGRITÉ DES
COMPÉTITIONS SPORTIVES
LE DERNIER PARI DU SPORT MODERNE
Mai 2014
2
IINNTTRROODDUUCCTTIIOONN
OBJECTIFS
Le rapport Sorbonne-ICSS entend :
fournir un état des lieux des recherches sur une forme particulière d’atteinte à
l’intégrité du sport : la manipulation des compétitions sportives ;
proposer des réflexions et recommandations opérationnelles.
L’intérêt essentiel de cette production est de regrouper dans un même ensemble :
des études et analyses jusque là dispersées ;
des approches fonctionnelles, souvent innovantes, qui replacent la problématique dans un
contexte beaucoup plus large que celui du seul milieu sportif, notamment en abordant les
questions d’éthique et d’intérêt général.
APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE ET ANALYSE CRITIQUE
Le cadre et l’environnement de la problématique de la manipulation des compétitions sont présentés
de manière aussi complète que possible. C’est toujours dans une perspective critique que le point de
vue des différents acteurs a été entendu et analysé.
Il en ressort :
une description du phénomène de la manipulation des compétitions sportives ;
un tableau des réalités d’une économie du sport très mondialisée, particulièrement pour ce
qui concerne le sport spectacle et le sport professionnel ;
une présentation du caractère transnational du marché des paris sportifs et des risques qu’il
représente pour l’intégrité du sport ;
une typologie des cas de manipulation des compétitions et une analyse de la difficulté pour
les autorités étatiques et les institutions sportives de les appréhender ;
une analyse de la rationalité économique des acteurs de la manipulation des compétitions
sportives ;
une pluralité d’approches (historique, philosophique, sociologique et sémiologique) des défis
éthiques du sport ;
un retour sur les différentes politiques existantes en matière de lutte contre la
manipulation des compétitions sportives et contre les paris illégaux ;
une étude des contraintes qui s’exercent sur les autorités publiques et le mouvement sportif
associés dans la lutte contre la manipulation des compétitions sportives.
APPROCHE PRATIQUE ET RECOMMANDATIONS OPERATIONNELLES
La visée ultime de ce travail de recherche est d’apporter un éclairage aux décideurs concernés pour :
la mise en œuvre de dispositifs efficaces de prévention de la manipulation des compétitions
sportives et des paris illégaux ;
la conception d’instruments de répression adaptés de la manipulation des compétitions
sportives et des paris illégaux ;
l’organisation d’une coopération et d’une coordination appropriées entre les acteurs
publics et privés, au plan national, transnational et international.
3
Le présent document n’a pas pour vocation de refléter de manière fidèle l’articulation logique
du Rapport ni de restituer chacune de ses parties à due proportion. Il s’agit, en répondant à
des questions, d’en faire ressortir quelques éléments saillants.
4
11.. QQUUEELLLLEE EESSTT LL’’AAMMPPLLEEUURR DDEE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN
DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??
LA RECURRENCE DE LA MANIPULATION DES COMPETITIONS SPORTIVES : UN PHENOMENE
PLANETAIRE QUI MENACE LES FONDEMENTS DU SPORT MODERNE
La succession des scandales qui ponctue le déroulement d’un certain nombre de compétitions
donne un aperçu de l’ampleur d’un phénomène qui intéresse et préoccupe désormais l'opinion
publique et les autorités compétentes, au-delà des seuls milieux du sport.
Une dérive globale
Un examen des affaires de manipulation montre que cette dérive concerne aujourd’hui tous les
États et toutes les régions du monde, gangrène une partie des disciplines sportives et menace
aussi bien les compétitions à faibles enjeux sportifs et économiques que les compétitions
d’envergure internationale. Les affaires de corruption impliquent tant les athlètes que leur entourage
professionnel, les clubs, les arbitres/juges et parfois même les officiels des organisations sportives.
Quel que soit l’angle adopté pour analyser ces affaires, la manipulation des compétitions sportives
s’impose comme un phénomène global.
Le football et le cricket : les disciplines les plus visées
Dans le tableau des différentes disciplines sportives à propos desquels des affaires de manipulation
ont été révélées, on notera que la première place revient au football. Outre les nombreuses affaires
qui ont touché l’Asie, les problèmes récurrents dans les championnats italiens et la célèbre affaire dite
de « Bochum », des scandales de manipulation dans des contrées aussi diverses que la Finlande,
l’Australie, le Salvador, la Chine et l’Afrique du Sud, ainsi que dans beaucoup d’autres pays, ont
conduit à des enquêtes à l’occasion desquelles des centaines de matchs ont été mis en cause.
En nombre d’affaires révélées, le football est suivi par le cricket. Des cas moins nombreux ont
également été découverts dans bien d’autres disciplines, comme notamment - entre beaucoup
d’autres exemples - le snooker, le basketball, le volleyball, la lutte, la boxe, le badminton ou encore le
handball.
Le palmarès des compétitions les plus gangrenées
En ce qui concerne les compétitions sportives visées par les manipulateurs, les affaires dévoilées
montrent que sont privilégiés les championnats et autres compétitions de rang national. Des
compétitions à l’échelle continentale et internationale ont cependant aussi fait l’objet de manipulations
(exemples : matchs qualificatifs pour les compétitions UEFA ; rencontres internationales de cricket).
Les cas recensés : la partie émergée de l’iceberg
De nombreux indices permettent de penser que les cas recensés aujourd’hui ne représentent
que la partie émergée de l’iceberg. Le manque de moyens de certaines fédérations pour la
détection des fraudes et la faible surveillance des compétitions dans les divisions inférieures des
ligues, les compétitions de mineurs, voire dans les sports d’équipes féminins ou à l’échelle locale,
amènent à penser que les cas pourraient y être beaucoup plus nombreux que ceux découverts
jusqu’à présent.
L’efficacité des autorités ne se mesure pas au nombre d’affaires détectées
Le nombre d’affaires détectées sur un territoire donné ne saurait être considéré comme un indice de
l’efficacité des autorités, tout simplement parce que le nombre d’affaires réel n’est pas connu. Dès
lors, le fait qu’aucun cas de fraude n’ait été détecté dans certains États peut aussi bien être la preuve
d’un travail de prévention très efficace que du manque d’action répressive ou de l’absence de moyens
5
de détection. De leur côté, certaines organisations sportives consentent plus que d’autres à
fournir les efforts nécessaires à la lutte contre les manipulations, ce qui a pour effet qu’elles sont
amenées, en principe, à déceler davantage de cas. On peut faire ici un parallèle avec les affaires de
dopage : les fédérations qui ne procèdent qu’à très peu de contrôles ne découvrent que très peu de
cas, ce qui peut laisser penser, parfois à tort, qu’elles sont moins touchées par le phénomène.
Dès lors, le nombre d’affaires découvertes ne constitue que l’un des critères à prendre en
considération quand on s’interroge sur la prévalence des manipulations sur un territoire ou
pour une discipline sportive donnés.
LES ACTEURS IMPLIQUES : DES SPORTIFS, MAIS PAS SEULEMENT
Dans la grande majorité des cas, qu’il s’agisse de sports individuels ou d’équipe, les manipulations
ont été accomplies, respectivement consommées, par des sportifs et, dans une moindre
mesure, par des arbitres. D’autres acteurs tels que les agents, les entraîneurs, les dirigeants de
clubs et d’organisations sportives sont plus rarement en cause. Il a parfois aussi été question de la
responsabilité de journalistes et de membres de l’entourage des athlètes.
Les enquêtes démontrent souvent l’implication de membres de réseaux du crime organisé et
de syndicats de parieurs, qui corrompent des acteurs directs du sport. Leur objectif est de garantir
un résultat déterminé à l’issue d’une compétition ou la survenance de faits de jeu particuliers, dont
l’influence sur le résultat de la compétition est plus ou moins décisive, parfois seulement anecdotique,
mais qui sont susceptibles de paris.
LA RÉPARTITION DES CAS DE MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES : L’EUROPE ET L’ASIE
PARTICULIÈREMENT VISÉES
L’Europe : le plus grand nombre de cas de manipulations révélées dans le plus grand nombre de
disciplines sportives différentes
L’Europe est la région du monde où se concentre le plus grand nombre de cas de manipulations
révélées, dans le plus grand nombre de disciplines sportives différentes. De fait, outre que la presque
totalité des pays européens a été touchée par des affaires de matchs de football truqués, certaines
d’entre elles figurant parmi les plus emblématiques, la quasi-totalité des sanctions infligées pour
manipulation des compétitions dans certains sports, tels que le snooker et le tennis, l’ont été à
l’encontre de sportifs européens.
L’Asie : des championnats souvent truqués
L’Asie est le continent où le plus de matchs de cricket auraient été manipulés ou d’où provient le plus
grand nombre de joueurs concernés. Pour la seule année 2013, des enquêtes portant sur la
manipulation de nombreuses rencontres organisées dans le cadre de tournois nationaux ont conduit à
la suspension d’un nombre significatif de joueurs en Inde, au Pakistan et au Bangladesh.
Le nombre de manipulations constatées sur le continent asiatique à l’occasion de matchs de football
demeure pour l’instant en deçà de celui établi pour l’ensemble des pays européens mais c’est bien en
Asie que certains championnats semblent avoir été presque entièrement truqués. À l’exemple de
l’Europe, le bilan asiatique montre que les affaires découvertes concernent un nombre élevé de
disciplines sportives différentes.
L’Océanie, l’Afrique et les Amériques : une situation moins alarmante pour l’heure
Cela contraste avec la situation de l’Océanie, où l’on ne compte, parmi les cas révélés, que des
manipulations touchant le football, le cricket et le rugby.
6
Le cas de l’Afrique reste intermédiaire, car en dehors des affaires concernant le football, des cas très
ponctuels ont été découverts dans des sports comme le cricket, la boxe et le basketball. Dans les
Amériques, des cas de manipulations ont, par exemple, concerné des sports comme le baseball et le
basketball (Amérique du Nord), ou le football (Amérique centrale et du Sud).
La carte n° 1 ci-dessous offre une vision très synthétique des cas reportés de manipulation de
compétitions sportives. Elle n’a aucune vocation à l’exhaustivité et les codes couleurs ont pour unique
ambition d’indiquer les très grandes tendances.
7
8
22.. DDAANNSS QQUUEELL CCOONNTTEEXXTTEE SSEE DDÉÉVVEELLOOPPPPEE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS
CCOOMMPPEETTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??
LE POIDS CROISSANT DU SPORT DANS L’ECONOMIE MONDIALE
Le sport, considéré comme une activité économique, revêt aujourd'hui une dimension mondiale.
Les marchés du sport représentent presque 2 % du PIB
Dans les économies développées contemporaines, les marchés du sport ont pris une importance
considérable. Leur poids économique est surtout appréciable dans les pays développés, un peu
moindre dans les pays émergents et relativement faible dans les pays en développement. L’absence
de données avérées et collectées dans un cadre statistique et comptable préétabli empêche une
appréciation précise. Une estimation, basée sur des chiffres partiels, permet cependant de le situer
entre 800 et 900 milliards d’euros en 2011 (sans le marché des paris sportifs), soit environ 1,7 % à
1,8 % du PIB mondial. Si l’on ajoute le marché des paris sportifs, légaux et illégaux, le volume
croît de 20 à 50 % selon une estimation basse et de près de 100 % selon l’estimation la plus
haute. Le tableau suivant représente le circuit économique du sport.
L’AVENEMENT D’UN MARCHE GLOBAL DU SPORT
Le spectacle sportif et ses dérivés immédiats : la composante la plus mondialisée de l’économie
du sport
La composante la plus mondialisée de l’économie du sport est le spectacle sportif et ses dérivés
immédiats, le spectacle sportif télévisé et les paris sportifs. Le nombre annuel d’évènements
sportifs internationaux ou mondiaux croît de manière exponentielle : 20 en 1912, 315 en 1977,
660 en 1987 et 1000 en 2005. À titre d’exemple, le budget final des Jeux olympiques d’été de
2012 s’est élevé à 11 milliards d’euros.
La mondialisation touche aussi le marché du sponsoring sportif et la distribution d’articles de
sport.
La globalisation du marché du travail des sportifs de haut niveau et de l’encadrement
La mondialisation concerne également le marché du travail des sportifs de haut niveau
(transferts internationaux de joueurs, avec une dérégulation en Europe qui a commencé avec l’arrêt
Bosman, en 19951), mais pas seulement : la main-d’œuvre requise pour produire un match de
football professionnel comporte les joueurs, mais aussi l’encadrement au sens large. Une fraction
croissante de ce personnel est recrutée sur un marché mondial et la main-d’œuvre des grands clubs
sportifs a désormais une composition multinationale. Les actifs financiers de nombreux clubs sont
d’ailleurs acquis par des propriétaires étrangers. Par exemple, dans la Premier League anglaise de
football, treize clubs sur vingt appartiennent à des étrangers.
La globalisation du financement des grands clubs sportifs
Le financement des grands clubs sportifs s’est également globalisé. Dans le modèle prévalant dans
les sports professionnels européens jusque dans les années 1990, les finances des clubs étaient
avant tout alimentées par des sources locales ou nationales : recettes au guichet, subventions
publiques, donations privées, cotisations des adhérents et sponsors. À cette époque, les revenus
obtenus grâce aux droits de retransmission télévisée ne formaient qu’une part minime du financement
(0 % en 1971 et 1 % en 1981 pour les clubs de football français de première division).
1 Si l’on se réfère aux données fournies par la FIFA en septembre 2013, soit pour les « mercato » d’hiver et d’été 2013, on
recense 10.454 transferts pour un montant d’indemnités de 2,55 milliards d’euros, dont 2 milliards pour les cinq plus grands championnats. Voy. par [http://ec.europa.eu/sport/library/documents/study-transfers-exec-summary_en.pdf].
9
Un autre modèle a émergé vers la fin des années 1990, d’abord dans le football européen, où il est
désormais caractéristique des plus grands clubs, et tend à se propager vers d’autres sports à mesure
qu’ils passent à un régime de professionnalisation explicite (cricket, basketball, rugby, handball). Dans
ce modèle, le financement provient des médias, surtout à travers les droits de retransmission
télévisée, puis de riches hommes d’affaires, pour qui l’investissement dans un club
s’accompagne le plus souvent de sa gestion par des managers professionnels2. Les clubs
développent le merchandising, qui représentait jusqu’à 34 % des revenus de Manchester United
en 1998. Enfin, certains clubs se spécialisent dans la formation de jeunes joueurs et tirent ensuite une
valeur ajoutée du transfert de ces joueurs sur le marché mondial. D’autres clubs ont fait appel au
marché du capital en se transformant en sociétés par actions, puis en introduisant leurs titres en
bourse.
Le modèle de financement contemporain est de plus en plus global : il n’y a plus de lien
automatique ou nécessaire entre la nationalité d’un grand club, celle des chaînes de télévision qui
retransmettent ses matchs, celle du magnat intéressé à y investir, celle de la banque qui lui ouvre un
crédit ou celle des joueurs sur le terrain.
La soumission au droit de l’Union européenne
Logiquement, l’essor du sport comme activité économique globalisée l’expose à l’application
du droit de l’Union européenne et le banalise, la Cour de Justice de l’Union européenne entendant
bien soumettre les règles adoptées par les institutions sportives compétentes et susceptibles d’entrer
dans le champ d’application des normes relatives à la liberté de circulation ou à la concurrence au
triple test suivant : les règles litigieuses poursuivent-elles un objectif légitime ? Les restrictions en
découlant sont-elles inhérentes aux règles litigieuses ? Sont-elles, enfin, proportionnées à l’objectif
poursuivi ?
L'aléa sportif au péril de la globalisation économique du sport
Cette globalisation de l’économie du sport et les enjeux financiers qui en découlent, à titre
aussi bien individuel que collectif, emportent principalement un double effet : s’ils risquent de
nourrir les tentations de manipulation des compétitions sportives, ils constituent dans le
même temps une très forte incitation à la préservation de l’aléa sportif sur lequel repose tout
l’intérêt des compétitions et qui, dès lors, justifie les sommes investies, notamment dans la formation
des sportifs, le rachat des clubs, l’organisation des compétitions, la négociation des droits de
retransmission, les contrats de sponsoring, etc. Et à cet égard, sont concernés aussi bien les
investisseurs privés que les États qui versent des subventions publiques ou consentent des
investissements pour améliorer les équipements sportifs.
LE DEVELOPPEMENT CORRELATIF D’UN MARCHE TRANSNATIONAL DES PARIS SPORTIFS D’UN
MONTANT ESTIME ENTRE 200 ET 500 MILLIARDS D’EUROS (MONTANT DES MISES)3
À partir des années 2000, le marché des paris sportifs s’est aussi mondialisé. Il est le prototype - avec
les marchés financiers - du marché global. Quiconque peut accéder en ligne à une offre de paris
sportifs en un point quelconque du globe a la possibilité de parier sur l’issue d’événements
sportifs qui vont se dérouler ou se déroulent - dans le cas des paris en temps réel - dans des
pays tiers. Un Japonais peut ainsi, depuis le Japon, parier sur un site de paris sportifs basé à Malte,
considéré comme illégal au Japon, sur le nombre de corners d’un match du championnat de football…
au Brésil !
2 Par exemple, il ressort d’un rapport du CSA intitulé « Sport et télévision » de juin 2011 que les droits télévisuels représentent
40 % des budgets des clubs professionnels anglais contre 57 % pour les clubs professionnels français. Voy. également pour des chiffres bruts, l’étude du cabinet Grant Thornton de mars 2012 intitulée : "Focus on football finance" [http://www.grant-thornton.co.uk/Documents/Focus_on_football_finance.pdf] et, pour les parts des différentes ressources 2011/2012 de la Premier League anglaise (revenue mix), l’étude du cabinet Deloitte intitulée : "Turn on, tune in, turnover. Annual Review of Football Finance – Highlights” – Sport Business Group – June 2013 [http://www.deloitte.com/assets/Dcom-UnitedKingdom/Local%20Assets/Documents/Industries/Sports%20Business%20Group/deloitte-uk-sbg-arff-2013-highlights-download.pdf]. On trouve en page 7 de cette dernière étude les pourcentages suivants : 50 % droits TV, 23 % "matchday", 27 % commercial. 3 Certains experts (voy. notamment Interpol) l’estime entre 500 et 1.000 milliards d’euros.
10
Ce marché des paris sportifs se greffe sur des compétitions sportives de tous niveaux, dans toutes les
disciplines, des plus prestigieuses - comme les Jeux olympiques - aux plus modestes, de celles qui
présentent de grands enjeux sportifs à celles qui en sont dépourvues.
Cette hyper-mondialisation est sous-jacente à la plupart des problèmes discutés dans le rapport. Elle
s’accompagne en effet d’un déficit de régulation, de contrôle et de coordination entre les États. L’offre
de paris sportifs constitue prima facie une prestation de services encadrée juridiquement, soit par le
droit des États, de l’Union européenne ou de l’Organisation mondiale du commerce. Cependant, en
elle-même, elle affecte les conceptions nationales encore très disparates de l’ordre public : tous les
États ne considèrent pas aujourd’hui l’offre de paris sportifs comme légitime et licite. Ceux qui
l’admettent en s’efforçant de l’encadrer butent sur l’ubiquité des opérateurs et des consommateurs de
paris sportifs. Tous les États, finalement, assistent au développement d’un marché transnational
des paris qui prend pour support des compétitions sportives se déroulant sur leur territoire ou
en dehors et qui attire, légalement ou illégalement, les consommateurs situés sous leur
juridiction. Quant aux organisateurs de compétitions sportives, ils n’ont qu’une maîtrise très relative,
voire inexistante, de l’utilisation de ces manifestations comme supports de paris sportifs.
LES DERIVES ASSOCIEES A LA MONDIALISATION DU SPORT ET DES PARIS SPORTIFS
La mondialisation est exploitée par ceux qui contribuent aujourd’hui aux pires dérives, financières et
autres, du sport. Ainsi, les matchs truqués semblent progresser au rythme des paris sportifs
internationaux. Par le truchement de flux internationaux de capitaux transitant par (ou investis dans)
le sport et les paris sportifs, des détenteurs de capitaux acquis de manière douteuse se servent de la
mondialisation des circuits financiers afin de donner à ces derniers une apparence légale4. Les
risques d’utilisation du sport comme vecteur de blanchiment d’argent sale se multiplient.
4 Voy. le rapport du GAFI de 2009 sur le blanchiment sale d’argent dans le football (« Money laudering through the Football
sector ».
11
33.. QQUUEELL EESSTT LL’’IIMMPPAACCTT DD’’IINNTTEERRNNEETT SSUURR
LLEE MMAARRCCHHÉÉ DDEESS PPAARRIISS SSPPOORRTTIIFFSS
ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?
Les premiers paris sportifs « organisés » remontent probablement à l'Antiquité grecque. Les paris
modernes sont nés au XVIIIème
siècle, lorsque le Britannique Harry Ogden est devenu le premier
bookmaker connu à offrir des paris à cotes sur des courses hippiques. Au milieu des années 1990,
l’univers des paris sportifs a été bouleversé par l’avènement d’Internet. Portés par les
possibilités offertes par ce nouveau canal de distribution, les paris sportifs connaissent ainsi, depuis
une quinzaine d’années, une vague d’expansion sans précédent, notamment en raison de l’évolution
des paramètres suivants :
Multiplication des nouveaux opérateurs de paris sur Internet, souvent dans des paradis fiscaux
Plus de 8.000 opérateurs proposeraient des paris sportifs dans le monde. La plupart - environ
80 % - ont été créés dans des territoires appliquant un faible taux de taxation et pratiquant souvent
peu de contrôles (Alderney, Gibraltar, Île de Man, Malte, province de Cagayan aux Philippines,
territoire du Kahnawake au Québec, Antigua et Barbuda, Costa Rica, etc.). La plupart de ces
opérateurs proposent leur offre de jeux partout dans le monde, souvent sans disposer des
autorisations nationales requises dans les pays de leurs clients, ce qui en fait des opérateurs
illégaux dans ces pays. Aujourd’hui, 80 % des mises du marché mondial des paris sportifs
seraient ainsi illégales.
La cartographie ci-dessous, réalisée par l’Iris5, indique les pays qui sont devenus des « paradis de
paris sportifs » :
Carte n° 2 : Les pays devenus des « paradis de paris sportifs »
5 Iris : Institut des Relations Internationales et Stratégiques.
12
Apparition d’actionnaires privés
Il est difficile, du fait de l’opacité des structures et de la localisation des sociétés dans des pays où la
surveillance est lâche ou inexistante, de connaître leurs antécédents et leurs liens éventuels avec des
activités illicites ou des groupes criminels.
Création d’autorités de régulation nationale des paris parfois insuffisamment dotées face aux
phénomènes des compétitions manipulées et du blanchiment d’argent
De telles autorités sont successivement apparues en Italie, en France, au Danemark, en Espagne, en
Belgique, au Royaume-Uni, etc. Elles ont dû maîtriser de nombreux paramètres liés à la complexité
du marché. Pour l’heure, l’analyse des risques de manipulation des compétitions sportives et de
blanchiment d’argent, de même que la définition d’une stratégie pour les combattre, sont par
conséquent souvent passées au second plan, sauf dans certains pays comme la France ou
l’Australie.
Modification sans précédent de l’offre de paris sportifs
D’un monde où les paris sportifs n’existaient quasiment que sous leur forme mutuelle (hormis au
Royaume-Uni, en Irlande, au Nevada et dans quelques pays comme l’Afrique du Sud et la Suède),
on est passé en quinze ans à un quasi-monopole des paris à cotes, qui réalisent aujourd’hui
près de 90 % du marché. Sont apparus progressivement les betting exchanges (système de gré à
gré), la révolution du live betting (pari en direct durant un événement sportif), les paris sur des sports
parfois moins médiatisés (badminton ou tennis de table, par exemple) et les formules de paris dites
« dérivées » (offrant la possibilité de parier sur des faits de jeu et non sur le résultat ou le score de la
rencontre).
Augmentation considérable des taux de retour aux joueurs6
Tandis qu’il y a vingt ans le Totocalcio italien, leader mondial des paris sportifs des années 1980,
proposait un TRJ limité à 50 %, les principaux opérateurs de paris en ligne, en forte concurrence,
proposent désormais des taux supérieurs à 90 %, pouvant aller jusqu’à 99 %.
Opérateur William Hill Ladbrokes Unibet Bwin Sportingbet Bet365
TRJ 20127 92,1 % 93 % 93 % 93,1 % 93,8 % 95,6 %
Apparition de nouveaux types de parieurs, professionnels
Certains parieurs appliquent dorénavant aux paris sportifs les techniques des produits
financiers, pour tenter de s’enrichir. Des « traders », mais également des criminels, font désormais
partie du paysage et utilisent divers moyens pour ne pas se faire repérer par les opérateurs et les
autorités. Le fameux « Know Your Customer », affiché comme une garantie absolue par
l’ensemble des opérateurs de paris, n’est pas imposé dans le secteur des paris sportifs avec la
même vigueur que dans le secteur financier.
L’évolution inégale des modèles de régulation du marché des paris sportifs
En matière de régulation des paris, les États disposent de quatre possibilités :
interdire complètement un jeu (prohibition) ;
accorder un droit d’exploitation déterminé, dans le cadre d’une réglementation imposant aux
opérateurs de jeu un certain cahier des charges :
- droit exclusif concédé à un seul organisme (monopole) ;
- droit concédé à un nombre limité d’opérateurs (licences multiples) ;
définir un régime général d’autorisation.
6 TRJ, soit la proportion des mises qui sont reversées aux gagnants.
7 Sources : rapports annuels, sauf pour Bet365 (communiqué de presse).
13
Le système de licences, souvent mis en exergue en Europe, n’est pas majoritaire dans le
monde, que ce soit pour les réseaux physiques ou le jeu sur Internet.
En effet, le régime de prohibition reste encore en vigueur dans près de la moitié des pays du globe.
Les pays musulmans, de nombreux pays d’Asie (dont l’Inde, l’Indonésie et la Thaïlande), ainsi que les
USA (hors Nevada) ont recours à ce système. Les principaux pays fidèles pour l’heure à un régime
monopolistique sont la Chine, le Japon, le Canada, plusieurs pays d’Amérique Latine et la
Scandinavie (hors Danemark).
Enfin, ont opté pour un modèle de licences la plupart des grands pays d’Europe, mais également le
Mexique, l’Australie et de nombreux États de plus petite taille souhaitant dynamiser l’économie locale
(îles d’Amérique centrale, Malte, Province de Cagayan aux Philippines, etc.).
Le Royaume-Uni est le seul État étudié qui ait mis en place un régime général d’autorisation.
On trouvera ci-dessous la cartographie des modèles de régulation des paris sportifs offline pour 2012
ainsi que celle des modèles de régulation des paris sportifs online à la même date.
14
Carte n° 3 : Cartographie des modèles de régulation des paris sportifs offline - 20128
8 Code couleurs : rouge : prohibition ; orange : monopole ; vert : licence.
15
Carte n° 4 : Cartographie des modèles de régulation des paris sportifs online - 20129
9 Code couleurs : rouge : prohibition ; orange : monopole ; vert : licence.
16
L’INCIDENCE DE LA REGULATION PUBLIQUE SUR LE MARCHE DES PARIS SPORTIFS
Il existe trois grandes familles d’opérateurs de paris sportifs :
les loteries (pour qui l’activité de paris sportifs reste généralement marginale dans la part du
groupe, soit moins de 10 % en moyenne) ;
les « bookmakers traditionnels » (qui se sont d’abord développés grâce aux paris hippiques
puis, depuis dix ans, grâce à la croissance des machines à sous et d’Internet ; les paris
sportifs - hors hippiques - ne représentent paradoxalement qu’une petite partie de leur activité,
soit entre 10 et 20 % en moyenne et font souvent office de produits d’appel) ;
les « pure players » (nés il y a une quinzaine d’années avec Internet et qui, partis de zéro,
rattrapent petit à petit les deux autres groupes)10
.
Sur la base de cette classification, il est possible de comparer les principaux indicateurs11
d’opérateurs représentatifs de ces catégories :
le premier opérateur de loterie au monde (Lottomatica) ;
le premier bookmaker traditionnel (William Hill) ;
le premier « pure player » Internet (Bwin.party).
10 Opérateurs n’intervenant que sur Internet. 11 PBJ : produit brut des jeux (différence entre le total des sommes misées et le total des sommes redistribuées aux joueurs) ; PNJ : produit net des jeux (différence entre le PBJ et les taxes liées au jeu dont un opérateur est redevable dans un pays) ; EBITDA : Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization (bénéfices avant intérêts, impôts [taxes], dotations aux amortissements et provisions sur immobilisations, mais après dotations aux provisions sur stocks et créances clients) ; TRJ : proportion des mises qui sont reversées aux gagnants. .
17
2011
Lottomatica (hors Gtech)
William Hill
Bwin.party
Famille d’origine Loterie (membre de WLA (1) et d’EL (2)
Bookmaker (membre de l’ABB (3) et de RGA (4)
Opérateur de jeu d’argent sur internet (membre
d’EGBA (5)
Nombre d’employés 8.000 employés (dans le Groupe entier)
15.900 employés (dont points de vente)
2.700 employés
Nombre de points de vente
113.800 2.370 0
Présence Italie (100 %) UK (92 %), Italie, Espagne, USA
(Nevada), Australie
Allemagne (22 %), Italie (10 %), UK (10 %), France
(7 %), Amérique (6 %), Espagne (5 %), Grèce (4 %), Danemark (2 %), autres UE
(18 %), reste du monde (17 %)
Présence légale (estimation – en % du
PBJ)
100 % 97 % 45 %
Chiffre d’affaires 30.295 m€ 20.950 m€ (tous produits)
3.760 m€ (paris sportifs)
TRJ moyen 65 % 93,7 % (tous produits) N.B. : TRJ paris en
points de vente : 83,2 %
92,3 % (paris sportifs)
PBJ 10.579 m€ 1.330 m€ 796 m€ (jeux d’argent) (+ 20 m€ autres revenus)
Taxes liées aux jeux 8.700 m€ 191 m€ 40 m€ (estimation)
Taxes liées aux jeux (en % du PBJ)
82,2 % 14,4 % 5 %
PNJ (Produit Net des Jeux) (6)
1.879 m€ 1.139 m€ 756 m€ (+ 20 m€ autres revenus)
Coûts opérationnels 1.157 m€ 828 m€ 578 m€
EBITDA 722 m€ 311 m€ 199 m€
Part d’internet dans le PBJ
1,2 % (estimation) 28 % 100 %
Part des paris sportifs dans le PBJ
1,9 % 14 % 32 %
Autres activités Part dans le chiffre d’affaires : machines à
sous (37 %), jeux à gratter (33 %), Lotto
(22 %), etc.
Machines à sous (37 %), paris hippiques, casinos en ligne, poker en ligne,
etc.
Casinos (33 %), Poker (26 %), Bingo (8 %)
1 WLA : World Lottery Association 2 EL : The European Lotteries 3 ABB : Association of British Bookmakers 4 RGA : Remote Gambling Association 5 EGBA : European Gambling and Betting Association 6 PNJ = PBJ Ŕ Taxes liées aux jeux
18
Le niveau de taxation des paris sportifs varie fortement selon les pays, en fonction des
objectifs poursuivis. Par exemple, s’il s’agit de protéger la société civile contre des risques d’ordre
public et social, la fiscalité est forte. Les paris sportifs génèrent environ 4 milliards d’euros de
recettes pour les États, le sport et diverses causes d’intérêt général. Les loteries, fortement
taxées sur leur produit brut des jeux (PBJ, soit le montant des mises, moins celui reversé aux
gagnants), en sont les premiers contributeurs (à 75 %).
Il n’existe pas de véritable corrélation entre modèles de régulation, fiscalité et paris illégaux.
Cela signifie qu’un pays peut très bien avoir adopté une politique très restrictive (monopole,
fiscalité élevée) et faire baisser la part du marché illégal, à condition qu’il s’en donne les
moyens.
La dépense nette par habitant est en outre davantage liée à des facteurs économiques et culturels
qu’au choix d’un mode de régulation ou d’un système de taxation.
LA DYNAMIQUE DU MARCHE DES PARIS SPORTIFS
Le PBJ total du marché des paris sportifs (hors paris hippiques, lévriers, motonautisme et
keirin) peut être évalué à environ 16.000 m€ pour l’année 2011 : le marché légal représente un
peu moins des deux tiers (10.500 m€), le marché illégal un peu plus d’un tiers (5.500 m€).12
Toutefois, si l’on raisonne en termes de mises, ce qui est très difficile puisque les TRJ des paris
illégaux ne sont pas bien connus, on peut estimer le volume du marché mondial (légal et illégal)
des paris sportifs entre 200 et 500 milliards d’euros, plus de 80 % étant réalisés illégalement.
La différence entre PBJ et mises provient des taux de retours aux joueurs, très élevés sur le marché
illégal (parfois supérieurs à 99 %).
Année 2011
PBJ
TRJ (estimation délicate pour le marché illégal)
Mises
Marché légal
10.500 m€ (66 %)
78 %
47.700 m€ (15%)
Marché illégal
5.500 m€ (34 %)
98 %
13
275.000 m€ (85%)
Total marché
16.000 m€ (100 %)
95 % (obtenu par calcul)
322.700 m€ (100%)
12
Le marché illégal comprend les paris illégaux sur Internet et les paris réalisés illégalement dans la rue. 13
Si l’on substituait le TRJ du marché illégal par 96 %, on obtiendrait un marché illégal (en mises) de 137.500 M€ et par conséquent un marché total de 185.200 M€, soit un peu moins de la moitié du chiffre ci-dessus, pour une différence de TRJ de seulement 2 points. On constate donc l’extrême volatilité de la variable « mises » en fonction du TRJ et donc le peu d’intérêt de raisonner en termes de mises.
19
Si l’on raisonne à présent en termes de PBJ, l’Asie (incluant la Turquie) devance très légèrement
l’Europe sur le marché des paris sportifs (légal et illégal), les deux continents se partageant près de
85 % du marché mondial.
44%
41%
12%
1%
2% Répartition du PBJ par continent en 2011 (légal + illégal)
Asie
Europe
Amérique
Afrique
Océanie Plus précisément, parmi les dix premiers pays au monde, on trouve cinq pays d’Asie et tous les
grands pays européens, sauf l’Allemagne.
En revanche, si l’on se limite au marché légal, l’Europe dépasse l’Asie et réalise quasiment la
moitié (49 %) du PBJ mondial. Près de 60 % de ce marché légal est réalisé par les loteries d’État,
que ce soit en Europe ou en Asie.
20
39%
49%
8%
1%3%
Répartition par continent du PBJ légal en 2011
Asie
Europe
Amérique
Afrique
Océanie
En ce qui concerne le marché illégal, l’Asie et l’Amérique (avec les USA), portés par
d’importants marchés de « rue », représentent à eux deux près des trois quarts du PBJ illégal
mondial.
21
Les paris en ligne constituent 30 % du marché mondial. Toutefois, si l’on met à part les paris
illégaux de rue, leur part remonte à plus de 35 %.
Online30%
Offline70%
Répartition du PBJ mondial en 2011 (légal + illégal)
En Europe, et en Océanie, la part d’Internet est proche de 40 %, compte tenu d’un marché illégal de
rue moins important que sur les autres continents.
L’Europe des paris sportifs dépasse l’Asie sur Internet, mais il convient de ne pas oublier que, sur ce
continent, les seuls opérateurs en ligne autorisés, au-delà des monopoles d’État, sont ceux ayant
obtenu une licence dans la Province de Cagayan aux Philippines.
22
Aujourd’hui, les paris mutuels ne représentent plus qu’à peine 10 % du PBJ mondial. En vingt
ans, cette forme de paris, qui était auparavant la seule autorisée dans la plupart des pays du globe (à
l’exception des pays anglo-saxons), a donc très largement perdu de son importance. Si les pays
asiatiques, servis par leur bassin de population, sont en tête du classement, les pays latins et
scandinaves restent toutefois performants, en raison de leur culture et de leur histoire.
Enfin, le classement mondial des opérateurs par PBJ paris sportifs (hors hippique, keirin et
motonautisme) est dominé par les loteries qui placent sept d’entre elles dans les dix premiers
opérateurs.
Il faut noter que Betfair (170 m€), SportingBet et Ladbrokes (un peu moins de 150 m€ chacun) ne
figurent pas dans ce classement. Par ailleurs, il n’a pas été possible d’évaluer, même de manière
approximative, le PBJ de l’opérateur 12Bet, qui semble important en Asie.
23
24
44.. QQUUEELLSS RRIISSQQUUEESS PPOOUURR LL’’IINNTTEEGGRRIITTÉÉ DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS
PPEEUUVVEENNTT ÊÊTTRREE AASSSSOOCCIIÉÉSS AAUU DDÉÉVVEELLOOPPPPEEMMEENNTT DDEESS PPAARRIISS SSPPOORRTTIIFFSS ??
JEU ILLEGAL, PARADIS FISCAUX ET TRANSACTIONS A HAUTE FREQUENCE
Les paris sportifs entraînent désormais d’importants risques pour l’intégrité du sport car leur
développement fournit aux manipulateurs de compétitions sportives de nombreuses possibilités de
paris très lucratifs et peu ou pas contrôlables.
Paris illégaux
Parmi les facteurs à prendre en considération, il faut mentionner l’importance des paris illégaux,
avec pour corollaire une économie souterraine très importante, des liens entre le crime
organisé et le sport et l’impossibilité de détecter des mouvements de cotes suspects.
Le caractère incontrôlable des paris en Asie fournit des opportunités de mises discrètes, échappant
au contrôle des autorités locales et étrangères.
La co-existence d’opérateurs légaux, illégaux et partiellement illégaux crée une situation très
complexe pour nombre de régulateurs, conduit les opérateurs partiellement illégaux à se
méfier des mesures qui pourraient être prises en faveur de l’intégrité du sport (ils redoutent les
mesures qui pourraient nuire à leur profitabilité) et entraîne des conflits d’intérêts (des opérateurs
illégaux financent le sport professionnel pour gagner en légitimité).
La très forte progression du live betting exige, en pratique, des moyens importants pour suivre
en temps réel les mouvements du marché et donc détecter d’éventuelles manipulations.
La montée en puissance de pays qui tentent d’attirer des opérateurs de paris grâce à des
régimes de taxation attractifs et des contrôles peu sévères offre également des espaces
propices aux criminels, attirés par les paradis de paris sportifs comme ils l’étaient déjà par les
paradis fiscaux.
Formules de jeu attractives pour les criminels
En réponse au développement des nouvelles techniques de l’information et de la communication
(NTIC), à l’intensification de la concurrence et à l’évolution de l’offre, une complexification des types
et formules de paris a été observée sur la dernière décennie et, avec elle, de nouvelles
opportunités pour les tricheurs, de même que pour les régulateurs de nouvelles zones de
risque à prendre en considération.
Un événement sportif peut être le support de plusieurs formules de paris. Le risque propre à un
événement sportif donné augmente avec la liquidité14
correspondante, résultat de l’agrégation de
plusieurs formules et plusieurs types de paris, d’où l’expression : un événement, plusieurs
formules, une liquidité.
La différence de dangerosité (de « manipulabilité ») qui peut exister entre les différents types et
formules de paris invite à prendre en compte de manière appropriée chacun d’entre eux, plutôt qu’à
considérer « les paris » en général. En particulier, dans une optique de protection de l’ordre public
comme de l’intérêt des parties prenantes, il serait souhaitable d’adapter les éventuelles restrictions
en fonction de la dangerosité propre de chaque type et formule de paris.
14
Liquidité : volume total de paris sur les différentes formules liées à un événement sportif.
25
Les volumes de paris placés sur un événement sportif, premier facteur d’attractivité pour les
criminels
De fait, ce sont les formules les plus prisées des parieurs, comme le 1X2 (pari sur le vainqueur
d’une rencontre) ou le handicap, où la liquidité est la plus élevée, qui attirent en premier lieu les
criminels. Ceux-ci peuvent ainsi miser gros avec moins de risques d’être détectés : l’intérêt d’une
manipulation des compétitions concernées sera ainsi aiguisé.
Les paris en direct, dont la part dépasse aujourd’hui 70 % pour de nombreux opérateurs, doivent
particulièrement retenir l’attention. Étroitement associé au développement des paris en ligne, le live-
betting accroît la valeur de l’information : avec la même information privilégiée, on peut extraire des
profits supérieurs à ce que permettent les paris a priori.
Faute de liquidité relative suffisante, certaines formules de paris (paris portant sur les faits de jeu
sans influence directe sur le résultat d’une compétition - spot-fixing) ne présentent pas pour l’heure
de danger majeur. Pourtant, quelques affaires récentes (voy. le cas du football au Royaume-Uni) ont
montré que des joueurs avaient accepté des sommes pour se faire expulser. Le risque de fraude
individuelle est alors plus important que le risque de crime organisé, et ce d’autant plus qu’un
individu seul peut aisément manipuler un fait de jeu. Si ces produits ont contribué à la
transformation des marchés de paris traditionnels, leurs niveaux de liquidité respectifs limitent pour
l’instant leur attrait pour les tricheurs, et donc leur dangerosité pour le sport.
La dissociabilité de l’issue sportive et de l’issue du pari représente un facteur de risque majeur
Les formules de pari binaires (handicap, over/under)15
, parce qu’elles autorisent une dissociation de
l’issue sportive et de l’issue du pari, sont potentiellement porteuses d’un risque relatif supérieur.
De plus, l’entrée sur le marché, désormais globalisé, des consommateurs asiatiques et américains
aux préférences marquées en faveur des paris à handicap et over/under, est susceptible de porter la
liquidité à des niveaux suffisants pour assurer la rentabilité des opérations criminelles : l’évaluation du
risque relatif de ces formules de paris doit tenir compte de ces phénomènes.
La construction de matrices de risk-management16
, permettant l’identification des risques
propres aux types et aux formules de paris sportifs, a été entreprise dans le cadre de la Chaire
Sorbonne-ICSS. Un indice de dangerosité17
pour le sport en découle, permettant, à la lumière
des arbitrages effectués par les tricheurs, d’appréhender le potentiel de nuisance relatif de ces
différents produits.
Les tableaux suivants tentent d’évaluer les principaux risques attachés : (1) à chaque type et 2) à
chaque formule de paris.
15
Dans un pari à handicap, l’une des deux équipes ou l’un des deux joueurs part avec un handicap, ce dernier étant le plus souvent exprimé en termes de buts ou de points selon les sports. C’est le « spread » anglais. Le handicap ne s’ajoute qu’à une seule équipe. D’une manière plus générale, tout sport où le match est a priori ou devient déséquilibré peut donner lieu à la création d’un marché handicap. Dans tous les cas, ce marché handicap ne comporte que deux issues (et éventuellement ce que l’on nomme un « push », soit un remboursement). 16
L'expression risk-management renvoie à une série de pratiques disparates dont on ne perçoit pas nécessairement la cohérence. Bien que la communauté francophone des risk-managers soit bien structurée autour de l'Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (AMRAE), il n'y a pas de textes de référence. Dans le contexte américain, l’expression risk-management renvoie à une série d’associations professionnelles clairement identifiées et à leurs pratiques très codifiées. De plus, la loi Sarbanes-Oxley impose depuis 2002 des obligations en la matière. La section 404 dispose en effet que les entreprises cotées doivent se doter d’un cadre de contrôle interne qui inclut une analyse des risques, et en particulier des risques de fraude. La plupart des entreprises ont opté pour le référentiel (framework) COSO (l’acronyme abrégé de Committee Of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission) Internal Control Framework, qui comprend une évaluation des risques typique du risk-management ; des recommandations de la SEC ont contribué à renforcer les exigences de prévention de la fraude. En raison de leur statut associatif, les entités sportives échappent en général à cette obligation des sociétés commerciales (même si le rapport de la FIFA, par exemple, présente plusieurs analogies avec un rapport de société cotée). 17
(liquidité max) + (sévérité) x
3
))(2( OrganiséeanceFraudeVraissemblleIndividuelanceFraudeVraissembl .
26
On expose donc un risque moyen sur la base des considérations suivantes :
le coût de la fraude est lié au nombre d’acteurs qu’il faut corrompre (5 : un seul sportif,
1 : une organisation) ;
la difficulté de détection a été appréciée par un panel d’experts (1 : le plus facile à
détecter, 5 : le plus difficile à détecter) ;
la liquidité est mesurée par le log des volumes de transactions/le nombre de formules de
paris disponibles ;
la facilité de blanchiment est reprise de Kalb-Verschuuren (2013) ;
les indices de vraisemblance sont calculés comme suit :
vraisemblance de la fraude individuelle = 50 % (coût de la fraude) + 25 % (difficulté de
détection) + 25 % (facilité de blanchiment) ;
vraisemblance de la fraude organisée = 12,5 % (coût de la fraude) + 75 % (liquidité max) +
12,5 % (facilité de blanchiment) ;
enfin l’indice de dangerosité =
(liquidité max) + (sévérité) x 3
))(2( OrganiséeanceFraudeVraissemblleIndividuelanceFraudeVraissembl
(2) Formules de paris
Coût de la
fraude
Difficulté de
détection Liquidité on-line
20
Liquidité en dur
21
Facilité du blanchiment
Vraisemblance
fraude individuelle
Vraisemblance fraude
organisée
Sévérité Indice de
dangerosité pour le sport
Match (1-X-2)
2
2
4
5
3
2
4
5
17
Handicap
Match (1-2) 3
3
3
3
2
3
5
5
20
Pari dérivé
(exact)22
4
3
2
2
2
3
2
2
5
Pari dérivé
(over/under) 4
4
3
2
2
3
3
3
9
Paris sur des faits de jeu
23
5
4
1
1
1
5
2
1
3
18
Source : European Lotteries. (Pas nécessairement représentatif de la liquidité mondiale agrégée). 19
Source : European Lotteries. (Pas nécessairement représentatif de la liquidité mondiale agrégée). 20
Source : European Lotteries (pas nécessairement représentatif d’une liquidité mondiale agrégée). 21
Source : European Lotteries (pas nécessairement représentatif d’une liquidité mondiale agrégée). 22
Paris fortement corrélés à l’issue du match (exemple : vainqueur mi-temps, marge de la victoire du favori, etc.). 23
Paris faiblement corrélés à l’issue du match (exemple : 1er corner, nombre de cartons jaunes distribués, etc.).
(1) Types de
paris
Coût
de la
fraude
Difficulté
de
détection
Liquidité
on-line18
Liquidité
en dur19
Facilité du
blanchiment
Vraisemblance
fraude
individuelle
Vraisemblance
fraude
organisée
Sévérité
Indice de
dangerosité
pour le
sport
Pari
mutuel
1
1
1
3
1
1
1
1
1
Paris à
cotes ex-
ante 4
4
5
5
3
5
5
4
20
Paris à
cotes live 5
5
5
2
4
5
5
5
25
Betting
exchanges 5
3
5
1
5
5
5
3
15
Spread
betting 2
2
2
1
2
2
2
2
4
27
La structure des compétitions contribue à l’existence de fenêtres d’opportunités de déviance aux
règles pour les participants sportifs
Un risque de manipulations collusives mises en place par (et pour le compte) des participants
apparaît dès lors que la structure d’une compétition autorise une nette asymétrie d’enjeu
(sportif et/ou financier) entre compétiteurs. Parmi les recommandations pertinentes énoncées
dans la littérature du contest design24
, on retiendra tout particulièrement :
les bonus à la performance (match par match) par opposition à une distribution finale, pour
s’assurer l’existence d’une incitation financière même si il n’y a plus d’enjeu sportif ;
la réorganisation de l’ordre de jeu des rencontres dans un championnat à l’avantage des
équipes les plus faibles, afin de limiter au maximum les matchs sans enjeu.
Si nous recommandons évidemment ces mesures, déjà appliquées par certaines fédérations
internationales (l’UEFA notamment), soulignons qu’elles ne permettent de limiter l’occurrence que
d’un certain type de manipulation (individuelle et collusive), qui présente une faible menace pour
l’intégrité sportive en comparaison des manipulations opérées par les organisations criminelles.
Analogies avec les marchés financiers
L’analogie financière ne signifie pas que les paris aient « vendu » le sport à la finance, mais que
certains instruments d’analyse (par exemple les concepts de délit d’initié et de hedging25
) et de
détection de la fraude pourraient être empruntés utilement à la théorie financière.
Les paris et les produits financiers ont en effet la même structure formelle de contrats
aléatoires, c’est-à-dire de contrats dont le résultat dépend d’événements incertains. Si une des
parties possédait une information sur le dénouement du contrat, elle serait bien évidemment en
situation de profiter de l’autre ; c’est pourquoi la loi interdit à ceux qui possèdent des informations
privilégiées sur un titre financier de l’acheter ou de le vendre.
Pareillement, on peut utiliser le concept d’efficience informationnelle26
pour comprendre la
manière dont les bookmakers fixent leurs cotes en respectant les règles du calcul des
probabilités.
En pratique, les méthodes de la finance de marché s’appliquent déjà aux paris sportifs :
les algorithmes de détection en temps réel des manipulations sportives évoquent ceux qu’utilisent les
autorités de marché pour repérer les délits d’initiés tandis que les bookmakers peuvent couvrir leur
exposition en pariant eux-mêmes sur des marchés de paris à l’instar des opérateurs financiers.
Les méthodes des opérateurs de paris sont toutefois moins sophistiquées à l’heure actuelle
que celles des banques de marché et la détection de la fraude est rendue difficile par l’absence
de données en volume, les opérateurs de paris ne communiquant pas leurs données sur leurs
propres volumes.
Les difficultés constatées jusque sur des marchés financiers soumis à des obligations de
transparence conduisent, par contraste, à s’inquiéter justement de l’opacité des marchés de paris
sportifs et des conséquences possibles : un krach inattendu des opérateurs de paris ne paraît pas
totalement invraisemblable.
24
Risques de fraude de type collusif associés à la structure de la compétition (pour l’essentiel la dichotomie entre ligues fermées et ligues ouvertes). 25
Couverture du risque. 26
L’intuition de base des marchés efficients est que les opérateurs prennent position sur le marché en fonction de l’information dont ils disposent et de leur situation propre. Cette information est supposée commune à tous les agents et gratuite. Le prix de marché agrège l’ensemble des comportements des individus et reflète ainsi, à chaque instant, toute l’information disponible ; telle est la définition d’un marché informationnellement efficient. Dès lors, le prix observé sur le marché est égal à la valeur fondamentale, définie comme la somme actualisée des dividendes futurs anticipés rationnellement par les agents.
28
Opportunités de blanchiment d’argent
Par ailleurs, les paris sportifs modernes offrent de nombreuses opportunités de blanchiment d’argent.
Basées la plupart du temps dans des paradis fiscaux, devenus des paradis de jeux, les
sociétés de paris sportifs offrent régulièrement leurs services via Internet sans disposer des
autorisations requises dans les pays dans lesquels résident les consommateurs. Comme le pari
illégal ne constitue généralement pas un délit, de l’argent sale peut être aisément transféré, sous
forme de gains, d’un compte-joueur offshore vers le compte bancaire d’un pays réputé sérieux.
Ensuite, les opérateurs en ligne concentrent la majorité des risques, en raison de taux de retour
aux joueurs élevés, des nouveaux moyens de paiement qui favorisent l’anonymat, du faible contrôle
de l’identité des parieurs ou de l’offre illégale proposée tous azimuts.
On estime à environ 140 milliards de dollars par an la valeur des sommes blanchies à travers
les paris sportifs, ce qui signifie que plus de 10 % des recettes mondiales du crime organisé
gagneraient une apparence légale par cet intermédiaire.
Les effets combinés de la mondialisation des marchés sportifs (et de leur diffusion internationale,
notamment via Internet) et des marchés de paris ont donc clairement contribué à l’augmentation des
opportunités de manipulation des compétitions sportives pour les organisations criminelles.
29
55.. OOÙÙ EENN EESSTT LLAA LLUUTTTTEE
CCOONNTTRREE LLEESS PPAARRIISS IILLLLÉÉGGAAUUXX ??
Lutter contre les paris illégaux constitue pour la communauté internationale et les
gouvernements un enjeu d’ordre public et, pour le mouvement sportif, un enjeu à la fois
financier et d’image.
MOBILISATION ET RESULTATS : UNE CORRELATION INDENIABLE
Quels que soient le modèle de régulation et le niveau de taxation choisis par un pays, il est très
difficile aujourd’hui d’éliminer les paris illégaux. Cela provient du fait qu’au plan technique, il est
difficile de bloquer l’ensemble des sites illégaux, ainsi que les paiements de transactions financières
illégales liées aux paris. En outre, de nombreux pays n’ont pas encore bien défini les contours
juridiques du filtrage d’Internet, qui reste un média très jeune. Enfin, la lutte contre les paris illégaux ne
fait, en règle générale, pas partie des priorités des gouvernements, qui ciblent en premier lieu des
sujets comme le terrorisme.
Cependant, les pays qui ont pris la mesure de la menace des paris illégaux ont obtenu des
résultats significatifs même si, à l’exemple de la lutte contre le dopage, l’éradication complète des
paris illégaux ne semble pas envisageable. En revanche, la prévention vis-à-vis des parieurs, le
ciblage des sites récalcitrants, la coopération avec les institutions financières et des actions
policières ciblées permettent de réduire sensiblement le niveau des paris illégaux.
MONITORING DES VARIATIONS DE COTES : UN TEST ANTI-MANIPULATION AISEMENT CONTOURNABLE
Les systèmes de monitoring repérant les variations suspectes de cotes (comme le BFDS27
de
SportRadar) permettent de mettre en lumière des atypismes et d’alerter les autorités publiques et/ou
sportives en indiquant la possibilité de manipulations. Toutefois, les alertes de ces systèmes n’ont
pratiquement jamais conduit à des condamnations ; réciproquement, un nombre très réduit des
affaires de fraude sportive ayant entraîné des condamnations n’a démarré grâce à une alerte d’un tel
système. Contrairement à leurs homologues des marchés financiers, ces systèmes d’alerte
n’ont pas accès aux volumes des paris. Dans ces conditions, il semble difficile d’aller plus loin
qu’un état de suspicion avancée.
En parallèle, les opérateurs de paris à cotes développent leurs propres systèmes internes de
monitoring, ne serait-ce que pour maîtriser le risque de contrepartie financière lié aux paris à cotes.
Ils ont l’avantage d’intégrer des informations précises relatives à la distribution des volumes transitant
par leur réseau, à commencer par l’identité de leurs clients. De ce fait, ils sont les mieux à même de
juger de l’intégrité des paris placés par leurs clients sur leur propre plateforme.
Pour un criminel averti, il est donc important d’éviter de provoquer des déviations importantes
en plaçant des mises trop volumineuses par rapport à la liquidité d’un marché donné, qui
pourraient éventuellement déclencher une alerte des systèmes de monitoring. Toutefois, en évitant
les opérateurs réputés pour leurs mécanismes de détection avancés et en répartissant
judicieusement les mises entre plusieurs opérateurs, il n’est pas très difficile de contourner cet
écueil dans un marché de paris opaque et très faiblement préparé à lutter contre ce type de
manipulation de manière coordonnée. Le contrôle en temps réel des paris en direct nécessite
d’ailleurs des moyens importants, qui peuvent s’avérer prohibitifs pour certains bookmakers.
Il convient cependant d’être conscient que le démantèlement des systèmes d’alerte se traduirait
certainement par une augmentation de la fraude ; les systèmes de monitoring sont donc nécessaires
mais pas pour autant suffisants.
27 Betting Fraud Detection System.
30
66.. QQUUEELLLLEESS FFOORRMMEESS PPRREENNDD LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS
SSPPOORRTTIIVVEESS ??
TYPOLOGIE DES CAS DE MANIPULATION DE COMPÉTITIONS SPORTIVES
Il n’existe actuellement que très peu de définitions de la notion de manipulation d’une
compétition sportive. Les termes de « manipulation », de « matchs truqués », de « fraude sportive »,
de « corruption sportive » ou encore d’« arrangement » sont d’ailleurs souvent utilisés indifféremment.
Gorse et Chadwick semblent avoir été les premiers à donner, en 2011, une définition assez large de
la notion de manipulation des compétitions sportives28
avant que le ministère des Sports australien s’y
essaye également en proposant une autre définition29
.
Plus récemment, en janvier 2014, l’Accord partiel élargi sur le sport (APES, Conseil de l’Europe) a
tenté à son tour de définir la manipulation des compétitions sportives et proposé une définition qui
semble convenir à la fois aux autorités publiques, au mouvement sportif et aux opérateurs de paris30
.
Manipulation sans lien et en lien avec les paris sportifs
En définitive, on doit distinguer les manipulations sans lien avec les paris sportifs de celles qui
sont liées à de tels paris.
Manipulation sans contrepartie proposée à un acteur
sportif par autrui (1)
Manipulation avec contrepartie proposée à un acteur
sportif par autrui (2)
Manipulation
sans lien avec les paris sportifs
Sports arrangement (Match de la
« honte »)
Exemple : R.F.A./Autriche/football/coupe du
monde 1982
CADRAN 1
Corruption avec pots de vins
Exemple : Marseille/Valenciennes/football/ 1993
CADRAN 3
Manipulation ayant un lien avec les paris
sportifs
Arrangement sur le score à la mi-
temps
Exemple : Cesson-
Montpellier/handball/2012 (Affaire en cours d’investigation - pour
l’instant simple suspicion)
CADRAN 2
Crime organisé et manipulation de rencontres
Exemple : Calcioscommesse/football/à partir de
2009
CADRAN 4
(1) La notion de contrepartie est ici employée lato sensu et non dans son sens juridique strict.
Par contrepartie, on entend à la fois une rémunération financière, un avantage en nature (par ex. : un
cadeau), ou une promesse (par ex. : un futur contrat dans une « grande » équipe, la possibilité d’une
meilleure rémunération, etc.). La contrepartie peut donc être sportive et/ou financière. Mais elle peut
également consister en une « contrepartie » offerte à soi-même. Il s’agit alors d’une satisfaction
personnelle recherchée par l’acteur sportif à travers la manipulation.
28
« Toute activité illégale, immorale ou contraire à l’éthique, qui vise délibérément à modifier le résultat d’une compétition sportive (ou tout élément lié à son déroulement) dans le but de procurer un gain matériel au bénéfice d’une ou plusieurs parties impliquées dans ladite activité ». 29
« Le trucage de rencontres implique la manipulation du résultat ou d’une phase d’une compétition sportive par des sportifs, équipes, agents sportifs, personnel d’encadrement, arbitres, officiels ou personnel travaillant pour l’organisateur de l’événement ». 30
« La manipulation de compétitions sportives désigne « un arrangement, un acte ou une omission intentionnelle visant à une modification irrégulière du résultat ou du déroulement d’une compétition sportive afin de supprimer tout ou partie du caractère imprévisible de cette compétition, en vue d’obtenir un avantage indu pour soi-même ou pour autrui ».
31
Cadran 1. Il en va ainsi dans l’hypothèse d’un arrangement conclu entre deux équipes. Pour que cet
exemple remplisse les critères de définition de la catégorie de manipulations visée, il faut postuler que
les deux équipes, avant ou pendant le match, se sont effectivement arrangées (« pacte de non-
agression ») afin d’obtenir un résultat « gagnant-gagnant », au détriment d’un tiers, en l’occurrence
l’Algérie lors du match de la « honte » (1982), et qu’elles soient considérées comme un seul et même
auteur de l’infraction. En outre, et sous les mêmes conditions, et bien que là encore cet exemple soit
sujet à controverses, le cas de l'attitude des quatre doubles féminins en badminton, soupçonnés, lors
des Jeux olympiques de Londres de 2012, d'avoir « laissé filer » le match afin de faciliter leur
progression dans le tournoi et affronter des adversaires moins redoutables lors des quarts de finale,
peut être rangé dans cette catégorie.
En outre, un acteur sportif peut être mû par des considérations purement personnelles qui l’emportent
sur le risque d’être découvert et sanctionné. Par exemple un arbitre qui, dans un désir de revanche ou
par chauvinisme, prendrait des décisions injustifiables au regard du comportement des sportifs
rapproché des règles du jeu.
Cadran 2. L’avantage recherché par l’acteur sportif peut être de nature financière. C’est le cas lorsque
la manipulation est en lien avec des paris sportifs pris par cet acteur.
(2) La notion de contrepartie est ici employée au sens juridique strict (cadrans 3 et 4).
Risques pour l’intégrité du sport associés aux paris sportifs
Il est également possible de dresser la liste des principaux risques que les paris sportifs
repésentent directement et indirectement pour l’intégrité du sport.
Risques Conséquences pour l’intégrité du sport
Sommes pariées illégalement très importantes : plus de 80 % des mises (plusieurs centaines de
milliards d’euros)
Économie souterraine très importante Impossible de détecter des irrégularités liées
aux paris illégaux Absence de recettes liées à ces paris illégaux
pour les États et les institutions sportives, qui pourraient être investies dans la protection de l’intégrité du sport
Marché (paris sportifs) qui échappe en partie à tout contrôle par les États
Sources de fraudes et de violation de l’ordre public (organisations criminelles transnationales)
Possibilités de liens entre le crime organisé et le sport
Cas particulier des risques
liés aux paris illégaux en Asie
Exemples concrets qui démontrent les points
précédents avec des dégâts considérables pour le sport (notamment football et cricket) : perte de confiance dans le sport
Interférences entre opérateurs légaux et illégaux
Complexité juridique liée à la présence
d’opérateurs (même d’opérateurs cotés en bourse) légaux sur un territoire mais illégaux sur un autre
Intérêt pour les opérateurs partiellement illégaux de ne pas promouvoir des mesures plus strictes pour l’intégrité du sport (car elles nuisent à leur profitabilité)
Conflits d’intérêts (ces opérateurs financent parfois le sport professionnel pour gagner de la légitimité)
Progression très forte du live betting : plus de 60 %
du PBJ des principaux opérateurs
Difficultés pratiques à suivre les mouvements
du marché des paris sportifs en temps réel et à détecter des cas de manipulations de rencontres
32
Taux de retour aux joueurs en forte croissance
(notamment live betting)
Intérêt supplémentaire pour le crime organisé
(blanchiment d’argent grâce à des arbitrages permettant de flirter avec un TRJ de 100 %)
Pays qui tentent d’attirer des opérateurs de paris grâce à des régimes de taxation motivants et des
contrôles peu sévères
Tout comme les paradis fiscaux ont créé des
risques pour le système bancaire international, les paradis de paris sportifs créent des risques pour le sport (une fois encore en attirant le crime organisé)
Modes de répression adaptés aux types de manipulation des compétitions
À chaque type de manipulation peuvent être associés un ou plusieurs modes de répression.
Dans chacune de ces catégories, la manipulation peut avoir ou non le but d’obtenir un avantage direct
ou indirect, pour l’auteur ou pour autrui, ce qui n’est pas sans incidence sur le type de sanction à lui
appliquer :
Manipulation sans lien avec des paris et sans avantage direct pour l’auteur ou autrui
(exemple : sportif déjà qualifié pour la phase ultérieure d’une compétition, qui perd
volontairement une rencontre pour éviter d’affronter un adversaire redouté au tour suivant).
Ces affaires sont clairement liées à un choix sportif de l’acteur sportif, qu’on peut
condamner ou non au plan éthique ou moral. Elles relèvent, tout au plus, du droit
disciplinaire.
Manipulation sans lien avec des paris, mais où l’auteur de la manipulation s’est vu
proposer un avantage (exemple : sportif qui perd volontairement pour « aider » l’adversaire
qui lui a promis l’avantage) : la situation relève de la corruption, active pour celui qui la met
en place, passive pour celui qui l’accepte ou qui ne la dénonce pas, et donc à la fois du droit
pénal et disciplinaire.
Manipulation en lien avec des paris, mais sans avantage proposé (exemple : sportif qui
perd volontairement parce qu’il a parié sur sa propre défaite) : il s’agit d’une fraude interne,
difficile à réprimer au plan pénal en l’état actuel et qui relève donc surtout du droit
disciplinaire.
Manipulation en lien avec des paris et un avantage proposé (exemple : sportif qui perd
volontairement pour permettre au tiers qui lui a promis l’avantage de gagner des paris) : ce
type de manipulation représente la principale menace pour l’intégrité du sport et relève
à la fois du droit pénal et du droit disciplinaire.
Manipulation sans
contrepartie proposée à un acteur sportif par autrui
Manipulation avec
contrepartie proposée à un acteur sportif par autrui
Manipulation sans lien avec les paris sportifs
(A)
Droit disciplinaire
(B)
Droit pénal et droit disciplinaire
Manipulation ayant un
lien avec les paris sportifs
(C)
Droit disciplinaire et éventuellement pénal selon les
pays
(D)
Droit pénal et droit disciplinaire
33
Ce tableau, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, présente les comportements qui sont susceptibles de
constituer une infraction à l’occasion la manipulation des compétitions sportives, notamment en lien
avec des paris. Nombre de ces comportements sont d’ailleurs déjà incriminés - ou ont vocation à l’être
en vertu de conventions internationales comme celles relatives à la corruption par exemple - par
certains droits nationaux, et/ou par les codes disciplinaires de certaines organisations internationales
sportives. L’objectif de cette typologie, qui s’inspire pour l’essentiel de normes de droit positif, est de
clarifier les éléments constitutifs de certaines infractions en ce domaine. Parmi les critères de
classification des différents comportements sont notamment retenus l’actus reus (l’élément matériel
ou objectif de l’infraction), la qualité de l’auteur de l’infraction, la mens rea entendue dans un sens
large (l’élément subjectif ou psychologique, à savoir, outre l’intention de commettre une infraction, le
but concret que son auteur poursuit), et, enfin, le lien éventuel de ces comportements avec les paris
sportifs.
Enfin, on trouvera ci-dessous le tableau utilisé au cours des travaux préparatoires à la Convention du
Conseil de l’Europe contre la manipulation des compétitions sportives. Ce tableau a également pour
objet de mettre en lumière ce qui peut relever de la répression pénale.
Le Rapport propose une typologie des comportements, comprenant les actes et omissions nuisibles
ou dangereux pour l’intégrité des compétitions sportives, qui concourent à la manipulation des
compétitions sportives et sont imputables aux acteurs de la compétition (athlètes, arbitres,
entraîneurs, personnel d’encadrement, officiels des clubs et des fédérations, clubs et associations
eux-mêmes) ou à des tiers. Cette typologie prend en compte aussi bien les faits de manipulation « sur
le terrain » (avec ou sans corruption, voire sous la contrainte) que des comportements liés aux paris
sportifs (paris sportifs non autorisés, divulgation d’informations d’initié, etc.) ou d’autres actes et
omissions mettant en danger l’intégrité des compétitions (abus de fonctions par des personnes
chargées de superviser et contrôler des compétitions ou des opérateurs de paris, etc.).
34
77.. QQUUEELLSS EENNSSEEIIGGNNEEMMEENNTTSS TTIIRREERR DDEE LL’’AANNAALLYYSSEE DDEE LLAA RRAATTIIOONNAALLIITTÉÉ
ÉÉCCOONNOOMMIIQQUUEE DDEESS AACCTTEEUURRSS DDEE LLAA CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONN ??
IIDDEENNTTIIFFIICCAATTIIOONN DDEESS AACCTTEEUURRSS EENN PPRRÉÉSSEENNCCEE,, DDEE LLEEUURRSS IINNTTÉÉRRÊÊTTSS EETT DDEE LLEEUURRSS RRIISSQQUUEESS
((JJOOUUEEUURRSS,, EENNTTIITTÉÉSS SSPPOORRTTIIVVEESS,, PPAARRIIEEUURRSS,, OOPPÉÉRRAATTEEUURRSS DDEE PPAARRIISS EETT AAUUTTOORRIITTÉÉSS DDEE RREEGGUULLAATTIIOONN))
Il est possible de décrire l’équilibre concurrentiel et l’optimum des parties prenantes aux paris
Graphique n° 1 – Équilibre concurrentiel et optimum des parties
L’équilibre du marché des paris sportifs met aux prises quatre catégories d’acteurs : outre les
autorités dont le rôle dépend du mandat qu’elles exercent, les parieurs forment la demande, tandis
que l’offre résulte de l’entente entre les opérateurs de paris et les entités sportives. Les premiers ont
des coûts fixes importants (infrastructures) et donc des rendements croissants qui se traduisent par
un prix d’offre décroissant. Au contraire, le prix d’offre des entités sportives est croissant car
l’abondance des paris attire les fraudeurs, ce qui entraîne des coûts croissants.
Le graphique n° 1 illustre ici deux équilibres distincts : en (P*,Q*), les opérateurs tiennent compte
des coûts que les entités sportives consacrent à leur sécurité ; on aboutit donc à un prix des paris
élevés qui entraîne une consommation modérée. Toutefois, les opérateurs pourraient ne tenir aucun
compte des contraintes des entités sportives et casser les prix pour améliorer leur position dans un
marché très concurrentiel : c’est le cas de l’équilibre (P**,Q**) qui n’est donc pas coopératif.
Les conflits d’intérêts potentiels entre les parties intéressées aux paris sportifs : leur analyse est
un préalable à la répartition des responsabilités et de l’autorité en matière de régulation du
marché des paris sportifs
Si les parties ont un intérêt commun aux compétitions sportives, les risques auxquels ces parties
sont exposées et les bénéfices qu’elles en tirent peuvent être différents.
35
Les entités sportives n’ont intérêt à l’accroissement des volumes pariés que si cette évolution
permet de financer la lutte contre la fraude.
La situation des opérateurs de paris est plus complexe : si les opérateurs de paris à cotes peuvent
être victimes d’une manipulation, ils peuvent aussi se couvrir sur les marchés de paris (betting
exchanges). Les opérateurs de paris correctement couverts, tout comme les marchés de paris,
semblent donc avoir intérêt à l’accroissement des volumes pariés. Leur intérêt s’oppose dès lors
à celui des entités sportives que la nécessité de lutter contre les manipulations conduit à militer pour
une limitation du montant des paris.
Détection, reporting et relation principal-agent : révélation de la fraude, quand l’intérêt social se
heurte à la maximisation de l’utilité des opérateurs de paris
Dans la lutte contre la manipulation sportive, l’État-régulateur a besoin du concours des autres
parties : les opérateurs de paris, en particulier, peuvent jouer un rôle important dans la détection de la
fraude. Toutefois, cette coopération ne rapporte en général rien aux opérateurs car ces
derniers disposent de moyens pour éviter des pertes en relation avec des compétitions
manipulées (hedging). L’asymétrie d’information et d’intérêts entre les parties qui peuvent concourir
à la lutte contre la fraude risque donc de jouer au détriment de l’intérêt social.
Schéma n° 1 : Circulation de l’information, intérêts des parties et intérêt social
La théorie de l’agence (relation d’agence entre un principal, déléguant un pouvoir décisionnel, et son
agent) permet toutefois de concevoir des mécanismes qui conduisent les parties à coopérer.
Le but est de faire en sorte que quels que soient ses intérêts, en ce compris la non révélation
de certaines informations, l’opérateur de paris (l’agent) soit incité à fournir au régulateur (le
principal) les informations dont ce dernier a besoin et, ainsi, réduire l’asymétrie qui existe entre
eux (régulateur sous informé, d’une part, opérateur de paris, rationnel et détenteur de l’information,
d’autre part).
36
Une telle incitation peut résulter, par exemple, de la création d’une certification (construite sur
d’autres standards de mesure de la performance) accordée à l’agent par le régulateur. L’agent
pourrait ainsi acquérir (par un processus d’audit, entre autres) une caractéristique visible et
vérifiable, contribuant à révéler l’information privée qu’il détient, et dont la non-communication est
préjudiciable au principal).
Une autre solution consiste à parvenir à obtenir une transformation de l’organisation interne
des entités sportives et des opérateurs de paris permettant, sur le modèle des institutions
financières, de limiter les conflits entre intérêts commerciaux et obligations en termes de
gestion des risques et de conformité (appelé communément « muraille de Chine »). Il s’agit,
concrètement, de faire en sorte que les départements en charge de l’audit interne et de la gestion des
risques demeurent strictement autonomes par rapport aux autres départements et que les résultats de
leurs travaux puissent être transmis aux organes de régulation, étant rappelé que les principes de
conformité (compliance) et de KYC (« Know Your Customer ») font partie intégrante des standards qui
accompagnent les travaux de ces départements.
À la différence des opérateurs de paris, les fédérations sont insuffisamment équipées pour lutter
contre la manipulation des compétitions sportives
Si les opérateurs de paris peuvent, dans une certaine mesure, et à l’aide de coûteux dispositifs,
assurer leur propre protection (par un risk-management bien calibré et une couverture des positions
risquées), les fédérations sportives sont exposées à un phénomène globalisé contre lequel
elles sont peu équipées.
Graphique n° 2 : Équilibre concurrentiel : perte des entités sportives et
gains des opérateurs de paris
37
Des scandales répétés peuvent conduire à un effondrement d’une équipe ou d’une compétition
À la suite de scandales répétés, la dégradation de l’image d’une équipe ou d’une compétition peut
conduire à l’effondrement de son image et de son modèle économique, en particulier quand il
apparaît qu’elle ne lutte pas efficacement contre la corruption en son sein. C’est évidemment cette
issue qu’il faut éviter.
Schéma n° 2 : Choc de demande négatif : impact d’un scandale de match-fixing
sur une fédération nationale31
IIDDEENNTTIIFFIICCAATTIIOONN DDEE LLAA RRAATTIIOONNAALLIITTÉÉ ÉÉCCOONNOOMMIIQQUUEE DDEESS AACCTTEEUURRSS
L’étude des méthodes opératoires des criminels truqueurs de matchs montre que ceux-ci obéissent
indéniablement à une rationalité économique.
Les truqueurs procèdent à un calcul coûts-avantages
Les truqueurs choisissent soigneusement les événements qu’ils décident de manipuler en
fonction d’un calcul coûts-avantages dans lequel entrent en ligne de compte en particulier, d’une
part, les possibilités de trucage, qui dépendent elles-mêmes notamment du vivier de sportifs et
d’officiels corrompus au sein duquel ils peuvent puiser et, d’autre part, la liquidité des formules de
paris correspondante à ces événements.
Un projet criminel de match-fixing viable devra présenter un potentiel de gains réalisables
(auprès de la masse de parieurs non informés) suffisant pour couvrir les coûts engagés, et
générer les bénéfices justifiant la prise de risque. Une distribution habile des mises frauduleuses
sur les marchés de paris sportifs permettra à l’information privilégiée (issue du fait de manipulation
sportive, ou fix) d’être exploitée au maximum de son potentiel, c’est-à-dire jusqu’aux seuils de
détection des systèmes de monitoring. Ce type « gestion de projet » criminel fonctionne par la
mobilisation de ressources et de compétences multiples : face à ce constat, il apparaît
indispensable de reconnaître le retard existant des organes de surveillance, et la nécessité
d’une lutte coordonnée, se saisissant simultanément des diverses facettes du même
phénomène.
31
Deloitte, « Captains of Industry - Football Money League », January 2013.
38
La fraude, une activité à rendement croissant
L’accent mis par l’Économie du crime sur le calcul individuel des coûts et des avantages peut laisser
croire que la fraude sportive correspond à une activité artisanale.
Toutefois le détail de la mise en œuvre du projet criminel montre que les fraudeurs disposent d’un
réseau de sportifs corrompus et d’opérateurs qui placent les mises et récupèrent les gains : une fois
cette organisation mise en place, il faut une activité soutenue pour l’amortir si bien que le
rendement de la fraude paraît nettement croissant. Dès qu’une organisation criminelle commence
à extraire des profits de son réseau corrupteur, ces sommes peuvent être consacrées à la corruption
de nouveaux joueurs comme aux mises : l’activité augmente donc rapidement. On peut donc penser
qu’après la phase d’amorçage, la fraude se développe rapidement, et que la découverte d’un
cas de fraude est certainement le signe d’une activité bien structurée et installée.
Ces propriétés de la fraude sont illustrées par notre modèle qui prolonge l’analyse de l’Économie du
crime par l’étude de la demande de paris truqués : celle-ci augmente la demande générale de
paris.
Graphique n° 3 : Propriétés de la fraude
Sous certaines conditions, les opérateurs de paris peuvent être intéressés à la seule hausse des
volumes pariés
Les opérateurs de paris appliquant des techniques de couverture efficaces, tout comme les marchés
de paris (qui mettent en relation les parieurs sans se porter contrepartie) ont un intérêt certain à
l’accroissement des volumes pariés. L’analyse de la rationalité économique des acteurs confirme
donc que les opérateurs de paris et les entités sportives n’ont pas les mêmes intérêts.
39
Les États doivent assumer la responsabilité qui est la leur étant donné l’existence de conflits
d’intérêts des parties prenantes
L’Économie du crime rappelle une évidence parfois oubliée : les criminels n’évaluent pas leur
exposition au risque sur des intentions, mais sur des actes. Le déchiffrage de la rationalité
économique des entités sportives et des opérateurs de paris fait apparaître, pour des raisons
différentes, leur intérêt au maintien du statu quo : les États-régulateurs, garants de l’intérêt social,
gagneraient en conséquence à ne pas se contenter des seules informations qui leurs sont fournies
par ces deux types d’acteurs, et à contrôler avec fermeté les progrès réalisés par ces derniers en
matière de lutte contre la manipulation des compétitions sportives.
Schéma n° 3 : Communiquer sur les moyens ou sur les fins ?
Sécurité publique
Communication sur les résultats
Maximisation du profit
There is such thing as bad publicity
Communication sur les moyens
Consommateurs +
État-régulateur +
Réduction du crime
Consommateurs –
État-régulateur –
-+
= +
Les modèles de l’Économie du crime permettant de rendre compte avec une certaine précision des
faits, ils doivent dès lors permettre d’avancer quelques recommandations.
PPRRÉÉCCOONNIISSAATTIIOONNSS FFOONNDDÉÉEESS SSUURR LL’’AANNAALLYYSSEE DDEE LLAA RRAATTIIOONNAALLIITTÉÉ ÉÉCCOONNOOMMIIQQUUEE DDEESS AACCTTEEUURRSS
Les renouvellements théoriques opérés permettent de proposer des recommandations novatrices tant
aux entités sportives qu’aux opérateurs et aux autorités.
Une politique de risk-management adaptée à l’innovation des procédés criminels
Une étude du risque lié aux différentes types et formules de paris devrait permettre aux entités
sportives et aux opérateurs d’identifier celles qui sont les plus exposées au risque de fraude (voy.
supra). Cette recommandation s’ajoute aux conseils déjà bien connus sur les conséquences du choix
par les organisateurs d’évènements sportifs du mode d’organisation des compétitions (contest
design), chacun des modes d’organisation appelant la mise en place d’un risk-management actif
spécifique. Que l’étude de risque concerne le domaine des différents types et formules de paris ou
celui des différents modes d’organisation des événements sportifs, les choix arrêtés dans l’un de ces
deux domaines se répercutent sur l’autre.
40
La centralisation par les autorités publiques de l’organisation des actions à mener contre la
fraude
L’organisation des actions à mener contre la fraude sportive devrait être centralisée par les autorités
publiques : il leur appartiendrait en particulier de trancher les conflits d’intérêts et de faire preuve d’une
résolution sans faille dans la lutte contre la criminalité. La collecte de taxes permettrait de financer ces
missions. Une taxation pigouvienne paraît la plus adaptée afin que le coût effectif pour la firme
corresponde au coût social32
.
Une limitation du TRJ
Afin de combattre les manipulations sportives qui se nourrissent du blanchiment, il faut limiter le taux
de retour au joueur (dont les récentes augmentations ont davantage favorisé les fraudeurs que les
joueurs honnêtes).
Cette limitation pourrait être levée pour les joueurs acceptant de se conformer aux obligations du
GAFI33
relatives aux établissements financiers34
. Toutefois, les autorités de régulation des paris
sportifs devraient alors contrôler strictement cette conformité.
Un droit au pari35
discriminant
Afin de financer la sécurité des entités sportives, un droit au pari (voy. infra) constituerait un
outil complémentaire de l’action des autorités publiques. Celui-ci doit pouvoir être discriminant,
en particulier pour encourager les formes de paris les moins susceptibles d’entraîner des fraudes
(comme le pari mutuel). Il constituerait un élément visible et significatif d’une politique de maîtrise des
risques.
Dans le même temps, Il apparaît nécessaire d’imposer un contrôle strict de l’usage des fonds
ainsi collectés.
L’assimilation des opérateurs de paris aux institutions financières
Tous les opérateurs de paris devraient être considérés comme des institutions financières au sens du
GAFI et soumis aux mêmes exigences.
Relation d’agence : des schémas incitatifs favorisant la convergence des intérêts des parties à la
révélation de la fraude
Des mesures peuvent améliorer la performance des agences de sécurité dans la lutte contre la
manipulation des événements sportifs en permettant le contrôle de la relation d’agence.
32
Une taxe dite « pigouvienne » est une taxe s'appliquant à des agents dont l'activité produit des externalités négatives sur la société. Le principal effet des externalités est que le coût privé diffère du coût pour la société. Par exemple, quand une usine pollue, son coût (dit privé) est plus faible que le coût social, puisqu’elle n’intègre pas la pollution qu’elle génère dans ses coûts. Raisonnant uniquement sur le coût privé (qui est faible), elle va produire plus que si elle prenait en compte le coût social (qui intègre le coût de traitement des déchets). L’externalité négative va donc engendrer une surproduction. Pigou propose de mettre en place une taxe du montant de l’externalité, afin que le coût social soit le coût effectif pour la firme. La mise en place d’une telle taxe devrait ainsi réduire les effets négatifs. 33
Le Groupe d’action financière (ou FATF pour Financial Action Task Force). Le Groupe d’action financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental créé en 1989 par les Ministres de ses États membres. Les objectifs du GAFI sont l’élaboration des normes et la promotion de l’application efficace de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées pour l’intégrité du système financier international. Le Groupe d’action financière est donc un organisme d’élaboration des politiques qui s’efforce de susciter la volonté politique nécessaire pour effectuer les réformes législatives et réglementaires dans ces domaines, [http://www.fatf-gafi.org/fr/pages/aproposdugafi/]. 34
Voy. « La méthodologie d’évaluation de la conformité technique aux recommandations du GAFI et de l’efficacité des systèmes de LCB/FT » du GAFI, février 2013 et, en pp. 153-154 de ce document, « La note sur la base légale des obligations des institutions financières et des entreprises et professions non financières désignées », [http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/methodology/FATF-Methodologie-2013.pdf]. 35
Le droit au pari consiste pour les organisateurs d’événements sportifs (dont les fédérations) - qui en sont propriétaires - à recevoir une juste rémunération en contrepartie de l’exploitation commerciale de ces événements par les opérateurs de paris. Une part de ces revenus doit être affectée à la mise en place de dispositifs de protection de l’intégrité des compétitions par leurs organisateurs et leur financement.
41
88.. QQUUEELLSS DDÉÉFFIISS PPOOUURR LL’’ÉÉTTHHIIQQUUEE RREEPPRRÉÉSSEENNTTEENNTT LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS
CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS EETT LLAA LLUUTTTTEE CCOONNTTRREE CCEETTTTEE PPRRAATTIIQQUUEE ??
Parmi les normes de la vie en société, il convient de distinguer, d’une part, les normes juridiques,
d’autre part, les normes librement endossées par les individus ou les groupes afin d’organiser leur
propre vie et leurs rapports avec les autres. L’éthique renvoie à cette seconde sorte de normes et
peut aussi aider à orienter l’organisation de la contrainte collective consentie (dans une direction plutôt
qu’une autre).
La manipulation des compétitions sportives est inacceptable au regard des exigences éthiques. C’est
l’enjeu d’une approche humaniste du sport selon laquelle le sport n’est pas enfermé dans des
« valeurs » qui lui seraient propres et se trouve bien plutôt mis en corrélation avec des valeurs
générales qui intéressent l’humanité (telles que l’éducation, la qualité des réalisations humaines, la
santé, le respect de normes justifiées, les droits fondamentaux ou le développement personnel).
Mais la promotion de ces valeurs se heurte à de nombreuses difficultés et pose la question en
particulier de l’existence ou non de conditions spécifiques de leur acceptation par le milieu sportif.
L’ÉTHIQUE DU SPORT : ENTRE DEMANDE DE RÈGLES ET CONTROVERSES SUR LES VALEURS QUI LES
FONDENT
Comment les valeurs humanistes qui donnent sens au sport peuvent-elles se concilier avec les
réalités sociales, géostratégiques et économiques induites par la compétition ? Tel est l’enjeu
central de l’interrogation éthique sur le sport aujourd’hui.
Une approche éthique du sport (telle qu’on l’entend de nos jours) consiste à identifier les
conflits de valeurs et à comprendre comment la référence aux jugements de valeur s’insère
dans les pratiques, les règles et les institutions.
Le sport, confronté aux questions éthiques
Le sport s’enracine dans le « jeu », autrement dit, dans de libres activités pratiquées sans autre but
qu’elles-mêmes et l’agrément qu’elles procurent. Toutefois, le passage à la compétition est en
grande partie à l’origine du besoin d’une éthique sportive, puisqu’il y a, dans la compétition, des
enjeux de reconnaissance et des récompenses (financières autant que politiques) qui se trouvent
associés à des occasions de transgression de règles et à l’appropriation éventuellement insuffisante
de valeurs de référence jugées importantes.
Au-delà des différences culturelles, le sport est aussi réputé contribuer au bien humain.
L’approche éthique du sport met en évidence cette contribution, notamment, aux enjeux de santé, à la
recherche de l’excellence dans l’usage des facultés humaines, à la considération à témoigner aux
compétiteurs malgré la rivalité qui les oppose, à la recherche de l’équité et à l’apprentissage du
respect de règles communes.
Aussi, dès lors que les activités sportives s'insèrent dans les transactions sociales, politiques
et économiques qui sont la trame de la vie en collectivité, leurs enjeux deviennent-ils des
enjeux plus larges pour la société. Le soutien du public au sport crée donc des attentes en termes
de justification et renforce les attentes en matière éthique.
Ce soutien du public n’est cependant pas exempt de débats sur les valeurs du sport.
42
Le débat sur les valeurs du sport
La critique des « valeurs du sport » contribue à dénoncer des mythes en obligeant à confronter
les pratiques, les conditions matérielles et institutionnelles du sport et les pratiques effectives.
Elle suggère des évolutions dans la formulation et la concrétisation des valeurs de référence.
Le conseil éthique peut fournir des outils pour la critique et pour la structuration des débats
institutionnels et du débat public. En effet, l’éthique telle que l’on cherche à la cultiver dans une
perspective rationnelle ne saurait se limiter à la recherche d’un « code » correct et immuable. Ses
conclusions doivent demeurer ouvertes à la critique et ses formulations (ainsi que ses
arguments et ses procédés d’argumentation) sont susceptibles de progrès. L’éthique de la
discussion fournit à cet égard un cadre de référence.
CE QUE LA DIMENSION SOCIALE ET PRATIQUE DU SPORT RÉVÈLE DES DIFFICULTÉS À METTRE EN
ŒUVRE LES PRESCRIPTIONS ÉTHIQUES
La traduction dans les pratiques sportives de l’exigence éthique se heurte à trois difficultés :
la primauté donnée aujourd'hui à la compétition, l’insertion du sport dans la vie sociale et les valeurs
évolutives de la société.
La remise en cause de la fonction cathartique du sport
Le principal risque réside dans l’effondrement possible de l’aptitude du sport à canaliser, à
travers des tensions agréables et intéressantes (concernant l’issue des compétitions en particulier),
les formes de rivalité qui existent dans la société humaine.
Le primat de la compétition
Les tensions propres au milieu sportif mettent en jeu la santé et l’intégrité morale des sportifs d’une
manière qui se trouve facilitée par la diffusion, hors et autour du sport, d’une idéologie de la
compétition et de la performance susceptible d’accentuer l’exposition à une prise de risque
injustifiée.
Le souci de l’individu et de ses droits
Pour que l’option collective en faveur de la démarche éthique ait un sens authentique, on doit
s’attacher en toute priorité au respect de l’intégrité morale du sportif, et tout particulièrement à
l’engagement de le traiter comme une personne libre, responsable de ses choix et méritant les
égards dus à tout être humain.
L’APPORT DE L’ÉTHIQUE INSTITUTIONNELLE AU SPORT : IDENTIFIER LES RESPONSABILITÉS ET
PROPOSER DES REMÈDES
L’éthique du sport s’incarne dans des dispositifs institutionnels qui permettent de garantir que les
principes régulateurs des pratiques sportives ne restent pas lettre morte et peuvent évoluer. En effet,
si la tradition a sa place dans le sport, elle ne doit pas se figer en usages sociaux dont la raison d'être
serait perdue de vue.
Identifier ce qui, dans le sport, relève de la responsabilité individuelle ou de la responsabilité
collective
La multiplicité des institutions impliquées dans le sport rend difficile l’établissement des
responsabilités mais il est essentiel de déterminer qui est responsable (de quoi, envers qui, pour
qui, par quels moyens et pour quels objectifs). À cette fin, il est pertinent d’étudier et d’évaluer les
leviers dont chacun dispose à son échelle, dans une perspective d’éthique institutionnelle.
Par ailleurs, la détermination de la frontière entre responsabilité institutionnelle et responsabilité
individuelle pose certains problèmes, quelquefois pressants, à propos du sport.
43
Enfin, il convient de s’assurer que la répartition institutionnelle des compétences est de nature à
assurer la corrélation entre droits et devoirs et est ainsi propre à sauvegarder les droits respectifs des
parties prenantes.
Favoriser l’adaptation des institutions aux défis éthiques
La première fonction des institutions est de contribuer à la création (et au renforcement dans le
temps) de routines sociales ou de pratiques institutionnelles permettant d’orienter la vie
commune dans des directions souhaitables, de manière à permettre aux personnes de retirer les fruits
légitimes de leurs pratiques tout en évitant les risques ou dangers autant que faire se peut.
Dans un contexte de mise en œuvre très imparfaite des normes et d’efficacité assez relative de
la sanction en cas de transgression de la norme, la sanction doit toujours être relayée par
l’éthique, par la confiance, par les marques crédibles d’engagement sur des valeurs partagées et par
des rapports adaptés entre les institutions ou organisations.
L’introduction de changements, pour des raisons éthiques, notamment à travers la consécration de
nouvelles normes de comportement et de sanctions dans l’hypothèse de leur violation, risque
toujours d’avoir des effets non intentionnels. Pour cette raison, l’évaluation des risques liés aux
changements de nature institutionnelle s’avère déterminante.
Ce risque pose la question des conditions de la promotion de l’éthique dans le milieu sportif.
Y A-T-IL DES CONDITIONS SPECIFIQUES A LA PROMOTION DE L’ETHIQUE DANS LE MILIEU SPORTIF ?
L’étude par les sociologues des cas dans lesquels l’éthique a été mobilisée dans le champ sportif
international pendant la période 1945-1975 permet de montrer de quelle manière s’organise le rappel
aux principes de « bonne conduite » dans le sport - ce qui peut éclairer les projets actuels.
Ce type de rappel ne peut être envisagé avec succès qu’en prenant en compte les valeurs
générales à mobiliser mais aussi en éclairant les modes spécifiques de fonctionnement de la
sphère sociale concernée, en l’occurrence le monde sportif, de façon à s’assurer que le corpus
éthique mobilisé corresponde aux valeurs et à la configuration de relations propres au sport. Les
analyses du monde sportif proposées par les sciences humaines et sociales ont pour finalité d’éclairer
le décideur sur ce point.
Le contexte changeant d’une mobilisation de l’éthique en milieu sportif
Les relations dans le sport changent à mesure que le monde change - spécialement les relations du
milieu sportif avec les pouvoirs organisateurs du sport, mais aussi avec diverses forces sociales
agissantes en ce domaine. Autant de mutations, autant de situations critiques dans l’espace sportif
international : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, durant la « Guerre froide », lors des
décolonisations, sous l’effet de flambées de nationalisme dans diverses régions du monde, avec les
mouvements pour l’égalité raciale ou sexuelle, etc. Des adaptations sont entreprises par les
organisations sportives. Des débats critiques, puis la production de principes éthiques, s’enclenchent
à partir de tensions autour des pôles de pouvoir dans le sport. Ils se développent à l’initiative d’acteurs
qui sont en position de challengers face aux équipes dirigeantes en place.
Les acteurs impliqués dans la mobilisation de l’éthique en milieu sportif et leur légitimité
L’analyse de « ce qui ne va pas » dans l’état des affaires sportives, et la formulation de
principes éthiques qui devraient idéalement inspirer les conduites des dirigeants comme des
sportifs de terrain, échoit à diverses catégories d’acteurs : ce sont parfois les pouvoirs institués
eux-mêmes, qui révisent leurs codes officiels (code de l’amateurisme au CIO, principes de fair play à
la FIFA, etc.) ; ce sont parfois quelques champions sportifs qui se prononcent en leur nom personnel
44
(voir l’exemple du « Décalogue » des sœurs Williams en tennis) ; enfin, il peut s’agir de groupements
réformateurs constitués pour reformuler les grands principes éthiques du sport, les adapter à la
« nouvelle donne » et faire pression sur les pouvoirs en place afin de redonner une ligne morale à
l’institution, perçue comme « dévoyée », « corrompue » ou « décadente ».
La constitution de « groupes » prenant l’initiative d’énoncer des principes éthiques, et les opérations
qui peuvent leur conférer une crédibilité morale, posent un certain nombre de problèmes pratiques
que l’étude des réalisations passées et présentes a tenté d’éclairer. Au vu de ces expériences
concrètes, les questions suivantes se posent : quelles sont les ressources morales et culturelles dont
doivent disposer les membres d’un comité d’éthique ou les composantes d’un mouvement collectif de
rappel aux valeurs du sport ? De quelles dispositions doivent-ils être dotés ? Quelle position un tel
comité ou un tel groupe d’initiative peut-il occuper face aux pouvoirs sportifs établis ? Enfin, dans quel
cadre peut-il émettre des jugements et des recommandations perçues comme « crédibles »,
« significatifs », « recevables » ?
Il ressort de l’analyse que les initiatives de prédication éthique durables émergent de groupements
qui possèdent une double caractéristique :
une position de challenger vis-à-vis des pouvoirs sportifs et des institutions établies, ce
qui peut se traduire, en certaines circonstances, par des luttes pour le pouvoir dans la sphère
du sport,
des dispositions à injecter de l’éthique dans le sport, dispositions acquises au travers de
l’éducation, de l’appartenance à une communauté morale ou de leur expérience personnelle
(comme pour les athlètes de couleur subissant les effets d’une ambiance raciste durant leur
carrière sportive).
Il ne s’agit cependant pas de soutenir que seules les tensions autour du pouvoir d’organiser le
sport seraient le moteur de la production de principes éthiques en ce domaine pas plus que
d’affirmer que les manifestations de principes éthiques n’ont qu’un rôle fonctionnel au sein de
luttes de pouvoir. Les regroupements porteurs de principes éthiques qui ont été étudiés se
caractérisent par une distance aux centres de pouvoir qu’on peut dire « intermédiaire » : ni « trop
près » du pouvoir comme le sont les membres responsables du fonctionnement de l’institution, ni
« trop loin » comme le sont les sportifs et les personnalités qui s’expriment en nom propre, mais sans
implication dans l’institution. Au contraire, ces entités porteuses d’éthique peuvent à la fois :
avoir prise sur les fonctionnements institutionnels sans être « pris » par eux,
et développer une critique et des propositions de restauration d’une orientation éthique de la
pratique sportive.
Les conditions d’une mobilisation de l’éthique en milieu sportif : authenticité et transparence
La prise de position éthique est une attitude qui ne supporte guère les arrière-pensées calculatrices et
intéressées : elle présuppose, au contraire, sincérité et franchise, c’est-à-dire un mode d’expression
profondément enraciné dans les convictions et les pratiques personnelles ou collectives, et elle exige
une grande transparence.
Les outils d’une mobilisation de l’éthique en milieu sportif
Mobiliser des éducateurs sportifs et d’autres milieux d’encadrement en vue d’une approche
éthiquement renforcée du sport consistera à constituer plusieurs équipes d’acteurs étroitement
articulées, mais bien distinctes.
1/ Un noyau de promoteurs qui conçoivent, selon une démarche stratégique, un plan d’intervention
en faveur d’un sport « fair play », que ce soit par l’éducation, la législation, la répression ou l’incitation
à choisir les « bonnes conduites ».
45
2/ Des réseaux d’acteurs de terrain, déjà convaincus de la supériorité et de la nécessité d’un sport
« franc jeu », et dont l’action, toujours-déjà éthique, sera en quelque sorte « recrutée » dans le cadre
des actions menées en faveur d’une moralisation des pratiques dans l’espace des sports.
3/ Des instances de légitimation de haut standard moral (de type UNESCO) venant étayer,
supporter, cautionner, légitimer, les différentes initiatives, sachant qu’il est très difficile de maintenir
durablement une position légitime (un magistère) de conseil et de prescription morale dans un milieu
profondément divisé comme l’est le champ sportif international.
46
99.. CCOOMMMMEENNTT LLEESS IINNSSTTIITTUUTTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS SSEE SSOONNTT--EELLLLEESS
HHIISSTTOORRIIQQUUEEMMEENNTT PPOOSSIITTIIOONNNNÉÉEESS PPAARR RRAAPPPPOORRTT ÀÀ
LL’’ÉÉTTHHIIQQUUEE DDAANNSS LLEE SSPPOORRTT ??
Les institutions sportives, tout comme l’éthique sportive, sont à la fois un produit et un moment de
l’histoire, ce qui signifie qu’elles sont contingentes à des sociétés données, inscrites dans des
espaces uniques, et localisées dans un âge singulier. En l’occurrence, le processus de sportisation,
pour reprendre un néologisme forgé par Norbert Elias, débute dans l’Europe de la Renaissance et se
poursuit continûment jusqu’à nos jours. Il permet d’articuler codification et diffusion des règles,
quête de performance et pédagogie des gestes, autonomisation progressive des espaces de
jeu et du calendrier sportif par rapport aux pouvoirs civils et religieux (communautés
d’habitants, corporations de métier, confessions et Églises, princes), adoption d’une langue
commune faite de mots et d’images, apparition d’une presse spécialisée. Force est de constater
que les règles et valeurs des sports sont définies en Europe et diffusées vers le reste du monde dans
le cadre colonial et impérial, et que les institutions sportives internationales ont toujours, en 2014, leur
siège au cœur de l’Europe.
Le processus de transformation des jeux en sports ne se limite pas à la codification des
règles. Il est complété par l’introduction de systèmes de valeurs propres aux groupes sociaux
dominant les pratiques (courtoisie chevaleresque, codes d’honneur populaires). Ces systèmes sont
constamment redéfinis comme l’illustrent, au XIXème
siècle, le fair play britannique et la chevalerie du
sport chère au baron français Pierre de Coubertin.
Dans le cadre d’une double dynamique de mise à distance du religieux (laïcisation) et du
politique (neutralisation), le Comité international olympique prend, dès son origine en 1894, le
contrôle de l’espace mondial des sports : c’est l’idéologie olympique qui lui permet de fédérer dans
le mouvement olympique les fédérations internationales sportives (FIS) pourtant régulièrement
tentées par le sécessionnisme.
Plus précisément, les FIS ont suivi un cheminement plutôt parallèle à celui du CIO : elles
s’évertuent d’une part à contrôler les fédérations continentales, nationales, et les clubs liés à leur
propre pratique, à l’exception cependant des ligues sportives professionnelles et des compétitions
sportives appartenant à des exploitants privés ; elles investissent d’autre part la question éthique qui
devient d’actualité avec les années 1980, en réaction à des cas de corruption avérés.
La question du dopage a pu mettre en situation de concurrence le CIO et les FIS, puis les faire se
rapprocher en raison de la menace d’intervention des États qui s’érigent en garants de la santé
publique et de l’intégrité des compétitions.
C’est la création de SportAccord36
en 2009 qui relance le processus fort ancien de répartition
des pouvoirs à l’échelle mondiale entre les FIS et le CIO.
Pour comprendre comment les institutions sportives se sont historiquement positionnées par rapport à
l’éthique dans le sport, il faut déjà comprendre comment se sont formées les règles du jeu et comment
elles ont été articulées à un socle de valeurs conçues comme propres au sport à travers, notamment,
le corpus des valeurs olympiques promu dès son avènement par le Comité international olympique.
Ce premier mouvement s’est doublé d’un jeu d’acteurs subtil entre les FIS et le CIO, la promotion des
valeurs du sport servant notamment à asseoir les positions de chacun d’entre eux sur la scène
internationale.
36
SportAccord se définit comme l’union des fédérations internationales sportives olympiques et non olympiques et des
organisateurs d’événements sportifs internationaux. [http://www.sportaccord.com/en/who-we-are/mission-and-values/].
47
LA REGLE SPORTIVE, LE FAIR PLAY ET LA CHEVALERIE DU SPORT
L’âge qui précède le temps des règles du sport, des clubs et des fédérations ne saurait être envisagé
avec le mépris d’une modernité qui aurait triomphé des archaïsmes.
Dans le processus pluri-séculaire de codification qui conduit des jeux médiévaux aux sports
contemporains, le jeu de paume semble occuper le premier rang historique avec l’escrime et
l’équitation de manège. Mais il s’en distingue dans la mesure où l’escrime et l’équitation sont des
pédagogies de la guerre. D’autres divertissements qui sollicitent moins le corps comme les fléchettes,
le billard, les jeux de cartes, participent également de ce premier mouvement de régulation. Il s’agit
d’adopter des règles du jeu qui permettent aux joueurs de se mettre d’accord sur le lieu de la
pratique, les limites du terrain, le matériel, les gestes et coups autorisés, le comptage des
points. Et cela afin d’éviter les disputes entre joueurs et également entre parieurs, lesquels sont
souvent les mêmes, car les jeux sont consubstantiellement liés aux mises d’argent.
Les valeurs du sport auraient relevé d’une histoire seulement anglaise et impériale - au sens où les
valeurs du sport ont été adoptées par les élites indigènes soumises par Londres - si un jeune baron
français ne s’était pas attaché en 1892 à faire revivre les concours athlétiques de l’Antiquité et à leur
donner une dimension internationale. En l’occurrence, Pierre de Coubertin (1863-1937) a opéré une
greffe aristocratique sur des pratiques corporelles hétéroclites dans leur forme comme dans
leur essence socio-culturelle : les arts corporels de la noblesse comme l’escrime, le tir au pistolet,
ou l’équitation, les gymnastiques aux agrès à la fois populaires et d’ambiance patriotico-militaire, les
sports anglo-saxons, les nages devenues natation. Son projet qu’il souhaitait au départ réserver aux
jeunes gens issus de la bourgeoisie et de la noblesse s’est non seulement diffusé en direction des
couches populaires masculines, mais il a fini par recouvrir le monde au fur et à mesure de la
disparition des empires coloniaux européens entre les années 1920 et 1970.
L’OLYMPISME, LE CIO, LE MOUVEMENT OLYMPIQUE
Le Comité international olympique est la seule institution sportive de niveau international
construite depuis son origine, en 1894, sur un corpus de valeurs présentées comme
intrinsèques aux Jeux olympiques rénovés à Athènes en 1896. Constitué plus d’une décennie
avant les fédérations internationales sportives, le CIO est parvenu à se faire reconnaître comme
l’institution faîtière du sport mondial grâce à la ritualité quadriennale des jeux olympiques et à son
magistère idéologique : par delà les conflits majeurs du XXème
siècle, il est parvenu à maintenir
tant bien que mal sa domination sur ce qu’il a fini par dénommer « le mouvement olympique ».
Les flux d’argent engendrés par les médias à compter des années 1960 permettent au président Juan
Antonio Samaranch d’opérer une redéfinition copernicienne de l’olympisme au seuil des années
1980 : la participation des athlètes professionnels aux Jeux olympiques se combine
dorénavant avec la conclusion de riches partenariats commerciaux. Pour se protéger de
nouveaux assauts de la part d’éventuels concurrents, le CIO conduit une opération de séduction en
direction des institutions supra-étatiques (ONU, Conseil de l’Europe, Union européenne…) et tente de
reconstruire son image éthique après le scandale de Salt Lake City37
.
De l’invention de l’olympisme au neutralisme durant la guerre froide
Même s’il se donne les apparences de la tradition grâce à sa référence à l’Antiquité, l’olympisme n’est
rien d’autre qu’une construction idéologique inventée par Pierre de Coubertin en réponse aux dérives
que connaissent les premières éditions des Jeux olympiques. Quant à l’amateurisme, sa définition ne
cesse d’évoluer sous la pression de différents lobbies, au point que Pierre de Coubertin finit par lui
37
Célèbre affaire de corruption liée à l'attribution des Jeux d'hiver à la ville américaine de Salt Lake City. Six membres du CIO furent exclus, quatre démissionnèrent et dix autres reçurent un avertissement. Pas moins de cinq enquêtes, dont une du FBI furent diligentées.
48
préférer un serment de loyauté sportive : le serment olympique. La guerre européenne de 1914-
1918 ébranle les convictions pacifistes du président du CIO et de ses collègues qui en viennent à
exclure des jeux les nations considérées comme « responsables de la guerre » par les diplomaties
des vainqueurs.
L’Entre-deux-guerres correspond donc à un moment de crispation idéologique sur une ligne amateur
intransigeante et à une répartition des rôles entre fédérations internationales sportives et CIO dont
témoignent les premières chartes olympiques. L’organisation des Jeux olympiques à Berlin en
1936 par l’Allemagne d’Hitler pose de redoutables questions au CIO, qui est confronté pour la
première fois à une dictature. Avec la guerre froide entre États-Unis et URSS qui dure plus de quatre
décennies, le CIO adopte une position neutraliste au risque d’être accusé de sacrifier la défense des
libertés.
La réinvention de l’olympisme à l’ère marchande
Les années 1980 marquent un tournant dans l’histoire du CIO : la fin d’une morale de
l’amateurisme. L’avance des télévisions américaines depuis les années 1960 et l’invention du
sponsoring sportif à l’échelle mondiale par Horst Dassler dans les années 1970 sont au centre
d’autres transformations majeures opérées par le mouvement olympique : contractualisation avec
médias et sponsors, financiarisation du CIO lui-même, développement d’une administration interne...
Depuis la Seconde guerre mondiale, le document de référence qu’est la Charte olympique n’a cessé
de s’étoffer. Chaque session annuelle du CIO est l’occasion d’amendements multiples proposés par
les membres ou la commission exécutive pour répondre à des situations particulières et ponctuelles.
Avec les années 1980, les chartes olympiques sont sans cesse réécrites au point de constituer un
outil juridique complexe et dont les effets sont difficilement mesurables.
D’une certaine manière, le CIO contrôle le champ sportif global bien mieux que l’ONU n’organise
la société mondiale. En effet, au-delà des Comités nationaux olympiques (CNO) et des FIS, il
influence jusqu’aux associations sportives et clubs d’échelle simplement locale. En outre, il impose
ses règlements aux Comités d'organisation des Jeux olympiques (COJO), ou bien encore aux athlètes
et aux juges. Enfin, par le jeu subtil de la « reconnaissance olympique », d’autres organisations et
institutions lui sont redevables comme l’Association olympique internationale pour la recherche
médico-sportive, ou bien l’Association internationale pour l'information sportive, l’Association
internationale de la presse sportive, la Fédération internationale cinéma et télévision sportifs. Le CIO
reconnaît également des FIS de sports non olympiques. Il conduit également une politique
d’aimantation en direction d’autres organisations sportives qui échappe à sa tutelle comme la
Fédération internationale du sport universitaire, la Fédération internationale du sport scolaire, la
Fédération internationale sportive de l'enseignement catholique, la Confédération sportive
internationale du travail, le Conseil international du sport militaire, l’Union sportive internationale des
polices, l’Association internationale des jeux mondiaux concernée par les sports non-olympiques.
À la fin du cinquième mandat présidentiel de Samaranch, un scandale de corruption ébranle le
CIO, qui l’oblige à revoir son organisation interne et à promouvoir une nouvelle éthique auprès
de l’opinion mondiale et des sponsors inquiets. Cette crise profonde transforme radicalement
le CIO, qui passe du fonctionnement d’un « club privé » à celui d’une entreprise moderne et
dynamique. En 2001, le Belge Jacques Rogge, élu à la suite du Catalan, s’emploie à redorer l’image
du comité, tout en assurant sa réussite financière.
49
LES FIS ET LE CIO : UNE HISTOIRE ENTRECROISEE
Les défis auxquels sont confrontées les organisations sportives de niveau local, national ou
international sont aussi vieux que le sport lui-même : tricheries, violence, corruption, matchs truqués
et paris illégaux, dopage. Maints exemples en montreraient l’existence et la réalité à la fin du XIXème
siècle, mais aussi dans les siècles antérieurs, pour ne pas dire dans l’Antiquité si on veut se rappeler
qu’à Olympie les tricheurs, qu’ils soient athlètes, juges ou organisateurs, étaient condamnés à
offrir une statue au dieu Zeus en guise de réparation.
La prise de contrôle de l’espace mondial par le CIO et la réaction des FIS
Les FIS vont lutter pour leur indépendance et obtenir dès 1925 le contrôle de la réglementation
sportive, le CIO conservant l’organisation des Jeux olympiques sans subir encore la concurrence des
championnats du monde par sport.
La difficile émancipation des FIS à l’égard du CIO
De fait, si les quatre cinquièmes des FIS correspondant aux actuels sports olympiques sont apparues
avant la Seconde guerre mondiale, en trois vagues successives (1881-1892, 1900-1913, 1921-1934),
elles ont éprouvé bien des difficultés à s’émanciper du CIO comme en témoigne la création très
souvent tardive de leurs propres championnats du monde.
Une affirmation tardive des valeurs sportives
En matière d’affirmation de valeurs sportives et aussi d’action éthique, les FIS ont longtemps été en
retard par rapport au CIO qui en avait en quelque sorte le monopole. Il a fallu que l’UNESCO lance
une offensive dans les années 1960 en matière de lutte contre la violence dans le sport et en faveur
du fair play pour que le CIO s’empare de cette question au début des années 1980, puis que les FIS
s’y convertissent à leur tour très progressivement avec les années 1990 et 2000.
Des dispositifs de lutte contre le dopage peu efficaces
Force est de reconnaître qu’en matière de lutte contre le dopage, le CIO et les FIS ont remporté peu
de victoires. Rares ont été les athlètes de la République démocratique d’Allemagne sanctionnés pour
dopage alors que l’on sait dorénavant qu’un dopage systématique avait été organisé au plus haut
sommet de l’État et de la hiérarchie des sports dans les années 1960-1980. Et le nombre très faible
d’athlètes américains sanctionnés jusqu’à nos jours, mis à part les cas très médiatisés de Ben
Johnson à Séoul en 1988 et de Marion Jones en 2008 suite à « l’affaire Balco » commencée en 2003,
ne suffit pas à convaincre d’une efficacité des dispositifs de lutte contre le dopage des FIS et du CIO.
Les deux affaires « Festina » (1998) et « Armstrong » (2012) à une décennie d’intervalle ont encore
illustré cette impuissance malgré la création en 1999 de l’Agence mondiale anti-dopage (AMA).
La stratégie offensive de SportAccord à l’égard du CIO
Dans ce contexte de déstabilisation du CIO par les médias et par les États, lesquels tentent de
reprendre la main par le biais de la lutte anti-dopage et anti-corruption, les FIS se sont réorganisées à
l’échelle mondiale avec la transformation en 2009 de leur assemblée générale (AGFIS) en une
structure plus offensive dénommée SportAccord. Avec la présidence de Marius Vizer à la tête de cet
organisme, il semblerait que les FIS soient en mesure, sinon de déconstruire le rôle faîtier du CIO, du
moins de l’obliger à renégocier le partage des compétences sportives à l’échelle mondiale.
50
1100.. QQUUEELLLLEESS RREEAACCTTIIOONNSS LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPEETTIITTIIOONNSS
SSPPOORRTTIIVVEESS AA--TT--EELLLLEE SSUUSSCCIITTÉÉEESS ??
La manipulation des compétitions sportives génère nombre de menaces, et pour l’ordre public lato
sensu en raison de la corruption qui peut l’accompagner, du blanchiment d’argent, de ses liens avec
la criminalité transnationale organisée, etc., et pour les valeurs que le sport véhicule (supra).
COMMENT LE MOUVEMENT SPORTIF A-T-IL INTEGRE LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION DES
COMPETITIONS SPORTIVES DANS LA CONSTRUCTION D’UN « ORDRE PUBLIC » SPORTIF ?
Les institutions sportives se sont employées à transcrire en droit ces valeurs et à se doter des moyens
juridiques de lutter - dans la mesure de leurs responsabilités et de leurs capacités - contre les
atteintes à l’intégrité des compétitions sportives.
Construction d’un ordre public sportif à protéger
Cette transmutation du discours sur les valeurs du sport en un corpus juridique de normes de
comportement assorties de sanctions est rendue possible par le fait que les organisations sportives
sécrètent elles-mêmes leur propre droit, la lex sportiva. Bien qu’inévitablement rattachée aux
ordres juridiques étatiques, celle-ci constitue un ordre juridique sportif à part entière, s’ordonnant
selon ses propres mécanismes et selon des principes fondamentaux qui lui sont propres.
La lex sportiva s’organise autour d’un « ordre public sportif » dont l’objet, en tant que socle de la
cohésion sociale au sein du mouvement sportif, est d’assurer le respect et la primauté de
certains principes fondamentaux opposables à toutes les organisations sportives et à l’ensemble
de leurs membres, sans possibilité d’y déroger. Leur transgression est considérée comme une atteinte
à l’ordre sportif (et aux valeurs qui en justifient l’existence) lui-même.
Le Tribunal arbitral du sport (TAS), qui appartient au mouvement sportif et en constitue une sorte de
tribunal suprême, participe de manière essentielle à l’édification de cet ordre public sportif.
Formulation d’un principe général d’intégrité des compétitions sportives
Le TAS a procédé à la révélation de certains « principles of sport law », qui doivent être compris
comme des principes spécifiques à l’ordre juridique sportif. Par exemple, la règle de la
responsabilité objective en matière de dopage a été qualifiée comme telle par le TAS après que celle-
ci a été adoptée par le CIO, puis par la quasi-totalité des fédérations internationales, mais avant
qu’elle soit codifiée par le Code mondial antidopage.
Mais c’est surtout le principe général d’intégrité, auquel on peut associer les principes de fair play
et d’équité, qui nous intéresse ici. Le principe a été défini dans la sentence AEK Athens et SK Slavia
Prague c. UEFA, en 1999. En résumé, le TAS considère que l’intégrité du sport - en l’occurrence le
football - est en lien direct avec l’authenticité des résultats, le public devant percevoir que les
compétitions sont des tests authentiques des capacités athlétiques, techniques, de coaching
et de management des équipes en présence, et que ces équipes font tout ce qu’elles peuvent
pour gagner.
Le TAS considère le respect du principe d’intégrité comme la condition sine qua non de la
survie du sport et du mouvement sportif. Sur son fondement, le TAS a développé une véritable
politique judiciaire de tolérance zéro à l’égard de ces comportements déviants.
51
Si le principe d’intégrité trouve sa source matérielle dans les nombreux instruments adoptés par les
organisations sportives qui en consacrent l’importance, il découle de la jurisprudence du TAS que le
principe s’est imposé du fait de sa nécessité et des besoins du mouvement sportif.
Répression disciplinaire des atteintes à l’intégrité des compétitions sportives
Le principe général d’intégrité des compétitions sportives peut permettre de sanctionner certains
comportements qui, sans être expressément interdits par le code disciplinaire applicable, n’en
apparaissent pas moins clairement contraires à l’éthique sportive. Cette possibilité est d’autant
plus importante que la manipulation des compétitions sportives, par exemple, peut emprunter des
voies aussi osées qu’inattendues et que les règlements disciplinaires des fédérations sportives ne
peuvent pas tout prévoir.
Toutefois, tout n’est pas permis aux instances disciplinaires sous prétexte que la protection de
l’intégrité des compétitions sportives est nécessaire. Elles se doivent en effet de respecter des
principes généraux de droit issus des ordres juridiques étatiques (même si, du fait de la spécificité
des litiges tranchés par le TAS, celui-ci adopte parfois une interprétation plus souple que celle retenue
par les tribunaux étatiques).
COMMENT LES AUTORITES PUBLIQUES ONT-ELLES REAGI AU DEFI QUE LA MANIPULATION DES
COMPETITIONS SPORTIVES REPRESENTE POUR L’ORDRE PUBLIC ?
La question de la manipulation des compétitions sportives est aujourd’hui, incontestablement,
une question d’intérêt public international inscrite à l’agenda d’organisations ou d’agences
internationales universelles telles que l’UNESCO - à travers le MINEPS en particulier -, l’ONUDC, qui
coopère avec le Comité international olympique, ou encore Interpol, mais aussi d’organisations
régionales, qu’il s’agisse de l’Union européenne, préoccupée autant par la manipulation des
compétitions sportives que par la régulation des paris sportifs, ou du Conseil de l’Europe, à l’origine
du processus d’élaboration d’une convention contre la manipulation des compétitions sportives,
ouverte à des États européens et non européens. Le texte provisoire de cette convention, élaboré
dans le cadre de l’APES, a été arrêté par le Groupe de rédaction le 22 janvier 2014 pour être soumis
au Comité des ministres du Conseil de l’Europe38
(voy. infra ses grandes orientations). Entretenu par
le plaidoyer d’organisations non gouvernementales et légitimé par la révélation continue de nouveaux
cas de manipulation de compétitions sportives, l’intérêt pour ce défi lancé à l’intégrité du sport et à
l’ordre public dont les États sont les garants ne faiblit pas. Son premier mérite pourrait être de
persuader les États que, d’une part, la manipulation des compétitions sportives ne peut plus être
contrôlée et sanctionnée par les seules institutions sportives, d’autre part, la nécessité de lutter contre
les paris illégaux n’est pas l’apanage des États qui ont fait le choix d’autoriser les paris sportifs mais
est une responsabilité aussi partagée que la lutte contre le blanchiment d’argent.
Pour autant, la mobilisation internationale, à ce jour, n’est pas allée au-delà de l’adoption de
déclarations de principes, de projets de convention ou d’opérations ponctuelles qui auront attiré
l’attention soit sur des pratiques mesquines susceptibles cependant de devenir monnaie courante
dans le sport et de ruiner ses vertus sociétales (voy. l’affaire du handball en France), soit sur des
pratiques pouvant relever de la criminalité transnationale organisée (voy. l’affaire du
Calcioscommesse). Les instruments d’une lutte bien coordonnée contre la manipulation des
compétitions sportives restent encore à adopter puis à compléter avec des outils
opérationnels (voy. diagnostics et propositions infra).
38
La Chaire Sorbonne-ICSS a été associée, de même que l’ICSS, au suivi des travaux préparatoires de ce projet de convention.
52
D’ores et déjà, cet agenda international a eu des répercussions sur les agendas nationaux,
plusieurs États ayant engagé des processus de révision de leurs dispositifs légaux en vue de mieux
réguler le marché des paris sportifs, de mieux combattre les paris illégaux et/ou de mieux réprimer la
manipulation des compétitions sportives. S’il faut être sans illusion sur l’issue de certains débats qui
ont acquis un caractère aussi rituel que la manipulation des compétitions sportives elle-même, le
perfectionnement des instruments forgés par les États en pointe dans le combat contre ces dérives
mérite la plus grande attention, pour éclairer les États qui, moins bien informés ou moins bien dotés,
en sont encore seulement à prendre conscience de la menace que représente cette forme de
corruption sportive.
En tout état de cause, en raison du caractère transnational tant des compétitions sportives,
que des paris sportifs et de la manipulation des compétitions sportives, le meilleur dispositif
national trouvera rapidement ses limites s’il n’est pas correctement articulé aux dispositifs des
institutions sportives et à des mécanismes de coopération internationale.
53
1111.. CCOOMMMMEENNTT LLEESS IINNSSTTIITTUUTTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS EETT LLEESS AAUUTTOORRIITTÉÉSS
PPUUBBLLIIQQUUEESS SSEE PPAARRTTAAGGEENNTT--EELLLLEESS LLAA RREEPPOONNSSAABBIILLIITTÉÉ DDEE LLUUTTTTEERR
CCOONNTTRREE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??
La lutte contre la manipulation des compétitions apparaît comme une nécessité au nom de la
protection de l’ordre public sportif mais aussi des intérêts que les autorités publiques ont la charge de
défendre. Cette lutte exige donc le concours du mouvement sportif et de la puissance publique
mais elle suscite de ce fait même la crainte que « l’autonomie du mouvement sportif » s’en
trouve compromise. Ces préventions ne peuvent être surmontées, au moment de coordonner les
actions, que moyennant une meilleure compréhension des fondements, expressions et limites
de « l’autonomie du mouvement sportif ».
FONDEMENT DE « L’AUTONOMIE DU MOUVEMENT SPORTIF »
L’autonomie du mouvement sportif s’est peu à peu imposée comme un dogme, à la faveur de
circonstances historiques. Le fait sportif s’est en effet construit, initialement, comme un espace social
et culturel très peu régulé. Plus précisément, les activités sportives se sont développées, et leur
pratique s’est peu à peu organisée et institutionnalisée, dans un champ que, pendant longtemps, l’État
n’a pas souhaité investir par des règles spécifiques, soit par désintérêt, soit par absence de nécessité.
Ainsi, les revendications articulées autour du principe d’autonomie ont pu grandir jusqu’à ce que celle-
ci soit entendue, par certains acteurs du mouvement sportif, comme signifiant purement et simplement
que le sport échappe à toute emprise du droit étatique.
En réalité, le principe d’autonomie n’est reconnu par les États qu’en tant que principe de
rationalisation de l’intervention respective des pouvoirs publics et des pouvoirs sportifs ; il ne
peut donc ni être opposé à l’État comme un principe limitant juridiquement et définitivement sa propre
compétence, ni signifier une totale indépendance du mouvement sportif à l’égard de la puissance
publique.
MANIFESTATIONS ORDINAIRES DE L’AUTONOMIE DU MOUVEMENT SPORTIF
La capacité du mouvement sportif à sécréter des normes constitue le principal vecteur de son
autonomie (supra). Elle est encore renforcée par le fait que les organisations sportives sont soumises
à leur propre juge. Afin de maintenir leur autonomie et d’éviter les ingérences de la part des autorités
étatiques, les organisations sportives cherchent en effet, dans toute la mesure du possible, à régler
elles-mêmes les litiges survenant dans le cadre de leurs activités.
Toutefois, la revendication d’une exception sportive, même non absolue, doit être rejetée. Elle
l’a d’ailleurs été dans le champ d’application du droit communautaire européen (voy. les célèbres
affaires Bosman, 1995, et Meca-Medina, 2006). Dans les ordres juridiques internes, la position des
États est moins claire, ces derniers adoptant une doctrine ambivalente à l’égard de l’autonomie
normative des organisations sportives, du moins lorsqu’il s’agit de définir les règles de la discipline
sportive. Quoi qu’il en soit, l’étendue de l’autonomie ne peut se définir qu’au contact des règles de
droit d’origine étatique, qui lui ménagent l’espace dans lequel elle peut se déployer. Les organisations
sportives n’échappent ainsi jamais totalement à la compétence des juges nationaux. Elles doivent agir
dans le cadre de la légalité étatique et sont susceptibles de devoir rendre compte de leurs actes
devant la justice ordinaire, laquelle peut tenir compte des spécificités du sport.
54
L’autonomie du mouvement sportif peut être considérée comme acquise dans les limites suivantes :
sont reconnus l’autonomie du sport par rapport au pouvoir politique, le pouvoir d’autorégulation de la
discipline sportive elle-même (ce qui inclut l’organisation de la discipline sportive et des compétitions
en tant que telles, mais exclut les rapports économiques qui se greffent sur elles) et l’autonomie
institutionnelle du mouvement sportif en tant que condition d’exercice du pouvoir d’autorégulation.
En définitive, le principe de l’autonomie du mouvement sportif est une illustration du principe
de subsidiarité, qui permet de confier à l’entité la plus à même de satisfaire efficacement les objectifs
visés - parce qu’elle est plus experte ou parce qu’elle est plus directement liée aux destinataires des
normes à adopter, par exemple - les compétences correspondantes. Mais le principe de subsidiarité
suppose aussi que la répartition des responsabilités soit flexible, selon leur objet et les enjeux,
et que l’action des différentes autorités compétentes soit articulée.
RESPONSABILITÉS ET CONTRAINTES PARTAGÉES DANS LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION DES
COMPÉTITIONS SPORTIVES
Protéger ensemble le bon ordre sportif et le bon ordre public national et international
L’emprise des normes publiques sur les normes sportives s’est tendanciellement resserrée car les
interactions entre les intérêts des organisations sportives, ceux de la société et ceux de l’État (l’intérêt
général) sont de plus en plus nombreuses.
Si l’on distingue habituellement les États de tradition dirigiste et les États libéraux dans leurs rapports
avec le mouvement sportif, force est de constater que tous, y compris les États les moins
interventionnistes, ont développé des politiques sportives dont l’objet est, au minimum, de définir les
objectifs qui doivent être poursuivis par les organisations sportives pour bénéficier de subventions
publiques.
Les institutions sportives ne peuvent faire face seules à la multiplication des cas de
manipulation des compétitions sportives - a fortiori s’ils sont liés à des paris sportifs qui peuvent
eux-mêmes être considérés comme les vecteurs de menaces pour l’ordre public. Les autorités
publiques ne peuvent pas davantage s’en désintéresser.
En effet, les dérives que l’on observe aujourd’hui dans le sport touchent de très près aux intérêts
essentiels protégés par l’État. D’une part, l’exemplarité attendue du sport (supra) et des sportifs est en
passe de se retourner en étalage d’une corruption systémique, que l’on envisage ce terme de
corruption sous son acception juridique ou morale. D’autre part, la corruption dans le sport n’est bien
souvent qu’un maillon d’une chaîne de criminalité organisée constituant une menace pour l’ordre
public, un facteur de distorsion sur les marchés sportifs et, enfin, une menace pour l’intégrité des
systèmes politiques nationaux en raison de la porosité des milieux sportifs et politiques dans certaines
sociétés.
Il apparaît donc que les éléments constitutifs de l’ordre public sportif, national et international
coïncident objectivement dans une large mesure et que les responsabilités de la « puissance
sportive »39
et de la « puissance publique » doivent être envisagées comme complémentaires
et non comme rivales en matière de lutte contre la manipulation des compétitions sportives.
Lutter contre la manipulation des compétitions sportives sans attenter aux droits fondamentaux
de la personne humaine
Dans le domaine de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives, certaines mesures de
prévention, comme la surveillance des athlètes ou l’échange d’informations entre différentes
39
Selon une heureuse formule de G. Simon.
55
plateformes de contrôle des compétitions sportives et des jeux et paris en ligne, peuvent directement
porter atteinte au droit des sportifs au respect de leur vie privée et de celle de leur entourage ou à leur
liberté de circulation. D’autres, comme l’interdiction pour un athlète et son entourage de parier sur sa
propre compétition ou sur une rencontre dans le même sport, peuvent être contraires à la liberté de
prestation de services, si cette interdiction n’est pas strictement proportionnée au but poursuivi.
Des risques spécifiques de violation des droits fondamentaux de la personne humaine
apparaissent également dans le cadre de la répression de la manipulation des compétitions sportives
et découlent aussi des procédures et des sanctions disciplinaires ou pénales, voire du cumul des deux
types de sanctions prononcées dans le cadre de la manipulation des compétitions sportives.
Il est donc nécessaire de concevoir les mesures de prévention et de répression en ayant à l’esprit ces
risques pour les individus concernés eux-mêmes, mais aussi pour les institutions sportives : la
légalité des mesures de prévention et de répression pourrait en être fragilisée et la légitimité
même de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives, affectée.
Cela ne signifie pas pour autant que les garanties relatives aux droits de la personne interdisent toute
mesure restrictive qui semblerait appropriée à lutte contre la manipulation des compétitions sportives,
mais bien que si une contradiction apparaît avec un droit ou une liberté consacrés par un instrument
de protection des droits de l’homme (ou autre), elle ne sera acceptable, le cas échéant, que si
l’objectif poursuivi est légitime - ce qui est a priori bien le cas en matière de lutte contre le dopage ou
la manipulation des compétitions sportives - et que la restriction imposée à l’exercice des droits ou
libertés est strictement proportionnée à l’objectif poursuivi.
Pour autant, la soumission des organisations sportives et du droit sportif au respect des droits
de l’homme ne doit aboutir ni à méconnaître les spécificités de la lutte contre la manipulation
des compétitions sportives (en particulier lorsqu’elle est liée à la criminalité transnationale
organisée), ni à nier toute « spécificité sportive ». Les juges, comme ils le font dans d’autres
domaines, peuvent moduler, voire atténuer la rigueur des instruments qu’ils appliquent, par voie de
distinctions ou de restrictions propres à la matière sportive. Cette approche procède, là encore, de la
reconnaissance d’une certaine forme de subsidiarité, puisqu’elle revient à reconnaître une « marge
d’appréciation » aux organisations sportives qui, dans certains cas, sont le plus à même de
déterminer les moyens qui permettent de servir au mieux les intérêts du sport.
En définitive, l’adoption et la mise en œuvre effective d’un principe « d’autonomie responsable » du
mouvement sportif officialiserait la prise de conscience par les institutions sportives qu’un
accroissement de pouvoir ou de puissance appelle inévitablement un accroissement corrélatif du
contrôle. Le mouvement sportif en a pris conscience en esquissant déjà ce principe, par la voix du
Président du CIO devant l’Assemblée générale des Nations Unies à la fin de l’année 2013.
Il reste à accélérer la réflexion en vue d’une définition précise et admise par tous du concept
« d’autonomie responsable ».
MISE EN ŒUVRE CONCRÈTE DU PARTAGE DES RESPONSABILITÉS ENTRE LA PUISSANCE PUBLIQUE ET
LE MOUVEMENT SPORTIF
La coordination de l’action publique et de l’action sportive
La mise en œuvre des règles de droit applicables à un même fait, lorsqu’il trouble gravement l’ordre
public placé sous la protection de la puissance publique et l’ordre public placé sous la protection des
institutions sportives, doit se fonder sur quelques principes.
56
Le pouvoir du dernier mot revient à la puissance publique en ce qu’elle est garante de l’ordre
public dans la société tout entière. Elle peut donc à la fois faire prévaloir ses intérêts sur ceux du
mouvement sportif et imposer aux institutions sportives - par des encouragements, des mesures
incitatives, des politiques de conditionnalité, des obligations de faire et des obligations
redditionnelles, voire des sanctions - de prendre les mesures qu’elle-même juge
indispensables à la résorption de la menace pour l’ordre public, sans toutefois porter à
l’autonomie du mouvement sportif des atteintes excédant ce qui est nécessaire pour la préservation
de l’ordre public.
Les institutions sportives et la puissance publique détiennent les unes et les autres des leviers
qui leur sont propres (par exemple en termes d’accès à des informations de natures différentes sur
les faits contraires à l’éthique sportive et aux lois nationales) et des pouvoirs irréductibles (l’État ne
saurait pas plus se substituer au pouvoir sportif disciplinaire qu’une procédure disciplinaire ne saurait
évincer une procédure pénale). Leurs actions doivent être présumées complémentaires et être
coordonnées, structurellement et dans les cas particuliers qui l’exigent.
En matière de prévention par l’éducation et la sensibilisation, les actions du mouvement sportif
et de la puissance publique pourront - a priori sans grandes difficultés - soit s’additionner, soit
se substituer selon le modèle qui sera jugé le plus efficace et le plus efficient.
En matière de prévention par la régulation, le contrôle, le monitoring et, surtout, de répression
(disciplinaire et/ou pénale), il importe de définir, sur la base d’une typologie des cas de
manipulation des compétitions sportives (selon les protagonistes, leur gravité, leur lien ou non
avec les paris sportifs, etc., voy. supra), si la lutte contre la manipulation des compétitions
sportives incombe :
exclusivement au mouvement sportif (en lien ou non avec les opérateurs de paris) ;
ou parallèlement au mouvement sportif et à la puissance publique (pour ce qui est de la
régulation du marché des paris sportifs) ;
ou cumulativement au mouvement sportif et à la puissance publique à travers la conduite
des actions pénale et disciplinaire dans une même affaire (même si tous les protagonistes ne
sont pas nécessairement passibles des deux types de sanctions).
Dans cette dernière hypothèse, il convient de régler les modalités pratiques d’une collaboration
resserrée entre le mouvement sportif et la puissance publique, afin d’éviter que l’action de l’une ne
puisse pâtir des initiatives de l’autre, symboliquement, pratiquement ou légalement (par exemple si
des informations communiquées par la puissance publique à une institution sportive « fuitent » ou si la
discordance des actions pénale et disciplinaire affaiblit la légitimité même de la sanction).
D’évidence, les modalités d’articulation des pouvoirs et actions du mouvement sportif et de la
puissance publique ne se laissent pas définir dans les moindres détails de règles spécifiques.
Pour partie, il faut s’en remettre, d’une part, aux principes généraux qui guident et encadrent
l’action publique et, d’autre part, à la prudence et à l’expérience des acteurs.
57
1122.. QQUUEELLLLEESS SSOONNTT LLEESS LLIIMMIITTEESS DDEESS IINNSSTTRRUUMMEENNTTSS AACCTTUUEELLSS DDEE LLUUTTTTEE
CCOONNTTRREE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??
UNE COOPERATION INSUFFISANTE AU PLAN NATIONAL
Un manque de coordination au plan national
Très peu de pays ont mis en place une véritable coordination impliquant les principales parties
prenantes à la question des matchs truqués, à savoir les pouvoirs publics (ministères des Sports,
de la Justice, de l’Intérieur, régulateur des paris sportifs et autorités compétentes en matière de lutte
contre le blanchiment d’argent), le mouvement sportif et les opérateurs de paris (légaux). Cet élément
est essentiel pour espérer obtenir des résultats concrets.
En effet, bien conduite, une telle coordination permet :
d’informer les parties prenantes sur les risques inhérents au phénomène ;
d’utiliser l’expertise des opérateurs de paris coopératifs (détection de paris irréguliers, sportifs
qui parient sur leurs compétitions, etc.) ;
de définir les contours d’une organisation adaptée (par exemple en nommant un responsable
« intégrité » au sein de chaque structure et en déterminant des procédures opérationnelles en
cas de crise) ;
de partager les bonnes pratiques et l’expérience des disciplines sportives les plus réactives ;
d’harmoniser certaines règles (par exemple des sanctions disciplinaires ou des conflits
d’intérêts) ;
de mutualiser certaines ressources humaines et financières de manière à optimiser les coûts
de prévention et de répression ; ce dernier élément est d’autant plus important que les
budgets dont disposent certaines disciplines sportives sont peu élevés.
L’Australie et la Norvège font partie des pays qui, avant les autres, ont mis en place une
structure adaptée et un plan d’action national coordonné. De son côté le DIF (Confédération des
Sports) danois a déterminé des dispositions obligatoires pour l’ensemble des fédérations sportives
nationales (interdictions de parier et de divulguer des informations non connues du grand public à des
fins de paris, obligations de reporter une approche, etc.).
Une coopération opérationnelle entre le mouvement sportif et les opérateurs de paris sportifs
encore fragmentaire
Si la coopération entre le mouvement sportif et les opérateurs de paris dans la lutte contre la
manipulation des compétitions liée aux paris est de plus en plus fréquente, elle reste pour l’heure
fragmentaire.
Cela s’explique par le fait que les intérêts des organisations sportives et des opérateurs de paris
sont souvent contradictoires (supra) : profitabilité des opérateurs de paris, protection de l’intégrité
du sport et lutte conjointe contre la criminalité forment les variables d’une équation complexe à
résoudre.
Néanmoins, ces deux groupes d’intérêts ont développé un certain nombre d’actions destinées à lutter
contre la manipulation des rencontres sportives.
Le Code de conduite sur les paris sportifs pour les athlètes en constitue un exemple
important. Il montre que les opérateurs de paris sportifs peuvent, quand ils le veulent, soutenir
activement les efforts des représentants de la société sportive en ce domaine. Ce code a été
développé dans le cadre d’un partenariat entre EU Athletes (le syndicat européen des sportifs
58
professionnels), l’Association européenne des jeux et paris en ligne (EGBA), la Remote Gambling
Association (RGA) et l’Association européenne de sécurité des sports (ESSA) et entend compléter les
règles établies par les lois et/ou les réglementations sportives spécifiques de chaque pays. Il a pour
ambition de créer les fondements d’un programme d’éducation complet et proportionné à destination
des athlètes, comprenant des conseils adaptés selon le sport et le pays et des exemples spécifiques
illustrant chaque situation. Après une introduction, le Code établit six lignes directrices puis énumère
quatre conseils d’ordre général.
Pourtant, établir des règles de conduite destinées à être adressées uniquement au monde
sportif, et en particulier aux joueurs, ne suffit pas.
Il faut également uniformiser les règles à destination des opérateurs des paris eux-mêmes.
À cet égard, l’instrument existant le plus important est le Code de conduite EL sur les paris
sportifs, élaboré par The European Lotteries (association de droit suisse regroupant les loteries et
totos d’État et dont les revenus nets sont attribués pour la majeure partie selon une décision publique,
aux bonnes causes et/ou au budget de l’État - article 4.1.2 des Statuts).
Le recours aux systèmes de monitoring des paris et l’accès des institutions sportives aux
alertes en temps utile constituent un outil de coopération indispensable même si, en tant que
tels, les systèmes de monitoring se heurtent à certaines limites.
UNE COORDINATION INSUFFISANTE AU PLAN INTERNATIONAL
À plusieurs reprises, le Rapport souligne et démontre la difficulté de mener à terme des enquêtes
et des investigations qui dépassent le cadre national.
Il convient à cet égard de rappeler le schéma de fonctionnement du scandale du Calcioscommesse
dans lequel celui qui finance les manipulations se trouve à Singapour alors que les corrupteurs
agissent en Italie, pendant que les paris sont placés dans toute l’Asie et l’argent blanchi partout dans
le monde via une structure au Panama.
Carte n° 5 : Schéma de fonctionnement du scandale du Calcioscommesse
59
Même si Interpol a créé une « Task force » dont l’objectif est de coordonner les efforts d’une vingtaine
de services de police nationaux et de lutter contre les manipulations dans le football, il faut bien
reconnaître que les difficultés opérationnelles restent nombreuses, notamment :
la dématérialisation d’une partie des actions délictueuses, grâce à Internet ;
le manque de moyens humains et financiers alloués par les États, soit parce que le sujet n’est
pas prioritaire, soit parce qu’il reste méconnu et insuffisamment compris ;
une faible expertise en matière de paris sportifs et une faible connaissance des modes
opératoires des criminels ;
l’absence, dans la plupart des cas, de preuves concrètes.
La nécessité d’une véritable « police du sport », qui pourrait simultanément remplir un rôle
d’observatoire de la corruption, pourrait par conséquent s’imposer.
DES MECANISMES DE RAPPROCHEMENT MULTIPARTITES ENCORE BALBUTIANTS
Afin de lutter contre la manipulation des compétitions sportives, les différentes parties prenantes -
États, organisations sportives et opérateurs de jeux et paris - ont entrepris des rapprochements
institutionnels ou simplement conventionnels, aux plans national, international et transnational
pour unir leurs efforts et mettre en place des outils de prévention, de détection voire de répression
plus efficaces. Certains de ces mécanismes et réseaux de coopération sont établis entre
homologues (par exemple entre autorités nationales de régulation) tandis que d’autres, de portée
transversale, associent différentes parties prenantes. De l’avis général (États, organisations
internationales, organisations sportives, industrie du jeu), c’est cette dernière forme de coopération qui
doit désormais être privilégiée.
S’agissant de la coopération institutionnelle, s’il n’existe pas, pour le moment, d’organisation
internationale comparable à l’Agence mondiale antidopage, au sein de laquelle pourraient être
représentés aussi bien les États que les organisations sportives, voire les opérateurs de jeux et paris,
de nombreux arrangements plus ou moins formalisés existent déjà.
Le mouvement sportif, qui repose sur une organisation institutionnelle pyramidale extrêmement
hiérarchisée, peut profiter des réseaux préexistants pour véhiculer ses politiques de lutte contre la
manipulation des compétitions sportives et pour diffuser dans toutes les strates du monde sportif les
principes essentiels de la lex sportiva.
Les régulateurs nationaux des marchés de jeux et paris se sont également organisés aux plans
international et régional en se regroupant au sein d’associations (l’International Association of
Gambling Regulators - IAGR - ou le Gaming Regulators European Forum - GREF - pas exemple) pour
ébaucher les grandes lignes d’une politique concertée de régulation des marchés.
L’industrie du jeu a également entrepris la mise en place de certains réseaux transnationaux, avec
par exemple la création de European Lotteries (EL) et de la World Lottery Association (WLA). Les
grands opérateurs de paris sportifs en ligne et hors ligne d’Europe se sont même regroupés, en 2005,
au sein d’une association de droit privé - European Sports Security Association - ESSA - dont la
mission spécifique est de lutter contre la corruption sportive en lien avec les paris sportifs.
S’agissant des formes de coopération sur une base conventionnelle, les initiatives sont beaucoup
plus nombreuses et beaucoup plus hétéroclites.
60
Certains États, tout d’abord, entreprennent de mettre en place, au niveau national, des unités ou
plateformes de coopération entre les pouvoirs publics (les agences de régulation des marchés
des jeux, les autorités de poursuites judiciaires, etc.), voire entre pouvoirs publics, organisations
sportives et industrie du jeu.
Au niveau international, les accords de coopération entre agences nationales de régulation des
marchés de jeux et de paris, le plus souvent sous la forme de mémorandum d’accord
(memorandum of understanding - MoU), sont les plus nombreux et visent surtout à encourager et à
faciliter, sur une base plus incitative qu’obligatoire, l’échange d’informations.
Mais on trouve aussi certains arrangements de portée transversale qui reposent sur une
coopération entre différents acteurs de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives.
Toujours dans le but de faciliter l’échange d’informations, certains accords sont passés entre les
agences nationales de régulation et les organisations sportives ou entre les agences nationales de
régulation, les organisations sportives et l’industrie du jeu. Il n’est pas rare qu’un volet plus
opérationnel soit ajouté à ces mécanismes de coopération, dans le but de mettre en place des
mécanismes de détection des paris suspects qui reposent essentiellement sur les moyens plus
développés à la disposition des agences de régulation et de l’industrie du jeu (supra).
Ce type d’arrangement pourrait se généraliser, au moins pour les grandes manifestations
sportives, si l’on s’en tient aux intentions les plus récentes du CIO de mettre en place un système de
surveillance des paris baptisé « Integrity Betting Intelligence System - IBIS » pour toutes les
compétitions olympiques40
. Enfin, la mise en commun des efforts et moyens de chaque partie
prenante peut aussi servir la mise en place d’outils de prévention destinés à sensibiliser les personnes
concernées aux risques de la manipulation des compétitions sportives. L’initiative conjointe lancée en
2011 avec la FIFA - INTERPOL-FIFA Training Education and Prevention Initiative - en constitue
l’exemple le plus abouti.
Le champ des possibles en termes de coopération est donc extrêmement vaste. Aucune formule de
coopération n’est a priori exclue. La tendance est toutefois, à l’heure actuelle, à des rapprochements
très peu formalisés. Peu d’engagements sont pris sur une base véritablement contraignante
(même certains accords conclus par l’Agence française de régulation des jeux en ligne, ou ARJEL,
s’ils constituent de véritables engagements juridiques dans le domaine de l’échange d’informations
laissent une grande marge de manœuvre aux autorités parties). Par conséquent, l’efficacité des
réseaux de coopération existants repose essentiellement sur le bon vouloir des parties.
En outre, les outils de coopération sont, pour le moment, essentiellement pris sur une base
bilatérale. Les entreprises de plus grande envergure, à l’échelle régionale ou mondiale, sont pour le
moment très rares alors même que la dimension transnationale des réseaux de corrupteurs
agissant sur le marché des paris sportifs exige un déploiement plus vaste de la coopération.
En outre, si c’est à l’occasion des grands évènements sportifs que les parties prenantes se mobilisent
le plus fermement, l’efficacité de la lutte requiert la mise en place de dispositifs susceptibles de
couvrir tout type d’événement sportif et tout type de marché de paris sportifs. L’expérience a en
effet montré que parmi les compétitions sportives les plus exposées à la manipulation on trouve aussi
celles présentant les enjeux sportifs les plus modestes, puisqu’elles sont précisément les moins
surveillées, même s’il est plus difficile de placer un volume de paris important sans attirer l’attention
des opérateurs et des systèmes de surveillance. Finalement, ces mécanismes de coopération
gagneraient sans aucun doute en efficacité s’ils étaient rendus plus transparents et s’ils
reposaient sur des engagements plus fermes de coordination.
40
Communiqué du CIO en date du 14 décembre 2013.
61
DES DISPOSITIFS NORMATIFS INTERNES AUX INSTITUTIONS SPORTIVES ENCORE INEGALEMENT
PERTINENTS
Le TAS, comme on l’a vu, joue un rôle important dans le contrôle des sanctions disciplinaires et
l’actualisation des principes généraux de la lex sportiva. Toutefois, il intervient nécessairement
a posteriori - après la manipulation, et même après la sanction par les instances disciplinaires.
Les actions concrètes engagées en amont par les institutions sportives afin d’empêcher la
manipulation des compétitions sportives et la sanctionner efficacement si elle survient néanmoins,
sont donc primordiales.
Le bilan des premières réactions des institutions sportives : des institutions sportives
inégalement mobilisées et qui agissent souvent par réaction
En 2013, SportAccord, en collaboration avec la Chaire Sorbonne-ICSS, a adressé à ses
membres - 91 fédérations internationales - un questionnaire portant sur les questions
d’intégrité du sport. Les réponses reçues permettent d’avoir une bonne vision des mécanismes,
procédures et outils mis en place par les fédérations sportives internationales pour protéger l’intégrité
de leur sport.
Pour ne prendre que quelques exemples, et s’agissant d’abord de la typologie des sports établie en
fonction des risques de manipulation, il ressort de l’analyse des réponses au questionnaire qu’il est
possible de classer les fédérations en trois groupes :
Groupe n° 1 : fédérations sportives où de nombreux événements sont supports de paris et qui
ont déjà été confrontées à plusieurs cas de manipulation.
Groupe n° 2 : fédérations sportives où de rares événements sont supports de paris et qui
n’ont jusqu’ici qu’exceptionnellement été confrontées à des cas de manipulation.
Groupe n° 3 : fédérations sportives dont les compétitions ne font pas l’objet de paris sportifs
sur des sites Internet et où la question de la manipulation des rencontres reste pour l’instant
secondaire pour diverses raisons (cela ne signifie toutefois pas que le risque de manipulation n’existe
pas, chaque discipline sportive étant susceptible d’être touchée un jour ou l’autre).
Tableau n° 1 : Typologie des sports établie en fonction des risques de manipulation
Groupe n° 1 :
Risques de manipulation
élevés ou avérés
Groupe n° 2 :
Risques de manipulation
faibles
Groupe n° 3 :
Risques de manipulation
très faibles
Baseball
Basketball
Cricket
Cycling (Cyclisme)
Darts (Fléchettes)
Football
Muaythai (Boxe Thaï)
Rugby
Tennis
Aquatics (Natation)
Archery (Tir à l’Arc)
Bobsleigh &
Tobogganing
Floorball
Gymnastics (Gymnastique)
Hockey
Netball
Aikido
Air Sports (Aéronautique)
Chess (Échecs)
Draughts (Jeu de Dames)
Fistball (Faustball)
Polo
Racquetball
Sleddog Sports (Chiens de
traineaux)
Sport Climbing (Escalade)
(9) (7) (9)
62
S’agissant maintenant de la prise en compte de l’intégrité du sport et de la manipulation des
rencontres dans les statuts, missions et réglementations des fédérations internationales,
il ressort des réponses au questionnaire que les fédérations directement concernées par le trucage de
rencontres sportives ont réagi en adaptant leurs réglementations en conséquence (cricket, fléchettes,
football, tennis). D’autres, qui n’ont pas encore été fortement touchées par le fléau, peuvent être
citées en exemple pour, chacune à leur niveau, la qualité de leurs textes officiels (rugby et tir à l’arc).
Enfin, même si les phénomènes de manipulation d’événements sportifs liés aux paris restent récents -
la problématique est réellement apparue entre 2005 et 2008 -, on peut s’étonner de la faible réactivité
de certaines fédérations sportives.
Tableau n° 2 : Prise en compte de l’intégrité du sport et de la manipulation des rencontres dans les statuts, missions et réglementations des fédérations internationales
Enfin, s’agissant des procédures en cas de manquement à l’éthique sportive avérée ou
suspectée (manipulation, paris sportifs, dopage, etc.), il ressort des réponses au questionnaire
que lorsqu’un sport a été réellement confronté à des affaires de manipulation ou liées à l’intégrité
sportive, il a en règle générale déterminé une procédure de qualité. Le cricket, le football et le tennis
entrent clairement dans ce cadre. Notons toutefois que le rugby, voire dans une moindre mesure le
basketball, qui n’ont pas encore eu à gérer des cas de manipulation aussi importants, affichent de
bonnes pratiques en la matière. Cela se traduit notamment, pour le cricket, le football et le tennis, par
une bonne coopération avec les autorités nationales en charge des procédures pénales liées à la
manipulation des rencontres sportives.
Groupe n° 1 :
Risques de manipulation
élevés ou avérés
Groupe n° 2 :
Risques de manipulation
faibles
Groupe n° 3 :
Risques de manipulation
très faibles ou nuls (aïkido)
Niveau 1 : prise en compte de l’intégrité avérée, inscription
détaillée dans les textes officiels, avec code de conduite pour les
différents acteurs, mention explicite des paris sportifs
- cricket, darts (fléchettes),
football, rugby, tennis
Niveau 2 : prise en compte de l’intégrité avérée, inscription dans les textes officiels, avec code de conduite pour certains acteurs
- baseball, boxe thaï
Niveau 3 : prise en compte de
l’intégrité partielle, avec mention à portée générale dans les textes officiels, en cours d’amélioration
- basketball, cyclisme
Niveau 1 : prise en compte de l’intégrité avérée, inscription
détaillée dans les textes officiels, avec code de conduite pour les
différents acteurs, mention explicite des paris sportifs
- archery (tir à l’arc), floorball,
hockey
Niveau 2 : prise en compte de l’intégrité avérée, inscription dans les textes officiels, avec code de conduite pour certains acteurs
- aquatics (natation), netball
Niveau 3 : prise en compte de l’intégrité partielle, avec mention à
portée générale dans les textes officiels, en cours d’amélioration
- bobsleigh & tobogganing, gymnastics (gymnastique)
Niveau 1 : prise en compte explicite
de l’éthique sportive et de la manipulation dans les textes
officiels :
- Chess (Échecs), Draughts (Jeu de Dames)
Niveau 2 : prise en compte de l’éthique sportive dans les textes
officiels avec adaptation à la spécificité de la fédération
- air sports (Aéronautique), polo,
sleddog sports (chiens de traineaux),
sport climbing (escalade) Niveau 3 : pas de prise en compte
de l’éthique sportive dans les textes officiels :
- fistball (faustball), racquetball,
Non adapté à la spécificité de la discipline sportive :
- aïkido
(9) (7) (9)
63
Tableau n° 3 : Procédures en cas de manquement à l’éthique sportive avérée ou suspectée (manipulation, paris sportifs, dopage, etc.)
Plus généralement, il faut bien reconnaître que de nombreuses organisations sportives ont
privilégié la réaction par rapport à l’anticipation, tout simplement parce que ce n’est pas là leur
métier.
À titre d’exemple, pour 60 % des structures sportives interrogées en France dans le cadre d’une étude
(2011), la lutte anti-dopage restait un fléau qui bénéficiait d’un niveau de maturité supérieur à la
corruption liée aux paris sportifs. La première explication est temporelle et provient de l’antériorité des
questions de dopage.
De manière plus générale, la plupart des organisations sportives rencontrées dans le cadre d’un projet
que l’IRIS a mené pour le compte de la Commission européenne estiment que le risque de
manipulation d’une compétition sportive soit reste potentiel, soit est encore extrêmement limité. Un
peu comme pour le dopage, où le cyclisme est le principal sport montré du doigt, la corruption liée aux
paris semble - à tort - ne pouvoir toucher que le football ou le cricket, et ce uniquement dans des pays
à fort risque de corruption. Généralement, c’est uniquement lorsqu’une affaire de manipulation a été
fortement médiatisée que la mobilisation a lieu. Apprendre à gérer les risques en amont devrait
par conséquent constituer une priorité pour les institutions sportives.
Le tableau ci-dessous indique aux institutions sportives les mesures à prendre par ordre de priorité,
selon le degré de risque auquel elles sont exposées.
Groupe n° 1 :
Risques de manipulation
élevés ou avérés
Groupe n° 2 :
Risques de manipulation
faibles
Groupe n° 3 :
Risques de manipulation
très faibles ou nuls (aïkido)
Niveau 1 : organisation claire avec
procédures bien structurées et interlocuteurs identifiés :
- cricket, football, rugby, tennis
Niveau 2 : organisation claire avec
procédures relativement bien structurées (notamment parce que le rôle des interlocuteurs n’est pas très précis ou bien non adapté) :
- baseball, basketball, boxe thaï,
cyclisme, darts (fléchettes),
Niveau 3 : organisation non
clairement déterminée
Niveau 1 : organisation claire avec
procédures bien structurées et interlocuteurs identifiés :
- archery (tir à l’arc), floorball
Niveau 2 : organisation claire avec procédures relativement bien
structurées (notamment parce que le rôle des interlocuteurs n’est pas très précis ou bien non adapté) :
- aquatics (natation), bobsleigh &
tobogganing, gymnastics (gymnastique), hockey
Niveau 3 : organisation non clairement déterminée
- netball
Niveau 1 : organisation claire avec
procédures bien structurées et interlocuteurs identifiés : /
Niveau 2 : organisation claire avec
procédures relativement bien structurées (notamment parce que le rôle des interlocuteurs n’est pas très
précis ou bien non adapté) :
Niveau 3 : organisation non clairement déterminée ou non
adaptée à la discipline :
- aïkido, air sports (aéronautique), chess (échecs), draughts (jeu de dames), fistball (faustball), polo,
racquetball, sleddog sports (chiens de traineaux), sport climbing (escalade)
(9) (7) (9)
64
Tableau n° 4 : Outils à adopter selon le niveau de risque auquel sont exposées les institutions sportives
NIVEAU DE RISQUE
OUTILS
Niveau de
risque le plus
élevé
Niveau de risque
assez élevé
Niveau de risque
modéré
Niveau de risque
très faible
Dirigeant élu expert en
« éthique/intégrité »
Priorité 1 Priorité 2 Priorité 3 Priorité 3
Responsable opérationnel
en charge de l’intégrité
Priorité 1 Priorité 1 Priorité 2 Priorité 3
Unité dédiée à l’intégrité Priorité 1 Priorité 2
(au moins une
personne)
Priorité 3 Priorité 3
Sensibilisation « intégrité »
dirigeants
Priorité 1 Priorité 1 Priorité 2 Priorité 2
Sensibilisation « intégrité »
sportifs & arbitres
Priorité 1 Priorité 1 Priorité 2 Priorité 2
(éducation)
Acquisition de compétences
à l’égard des paris sportifs
Priorité 1 Priorité 2 Priorité 2 Priorité 3
Acquisition de
connaissances à l’égard du
Crime organisé
Priorité 1 Priorité 2 Priorité 3 Priorité 3
Interdiction de parier pour les
acteurs
Priorité 1 Priorité 1 Priorité 1 Priorité 2
Interdiction de divulguer des
informations sensibles
Priorité 1 Priorité 1 Priorité 2 Priorité 2
Obligation de reporter toute
approche / corruption
Priorité 1 Priorité 1 Priorité 1 Priorité 1
Sanction forte en cas
de manipulation
Priorité 1 Priorité 1 Priorité 1 Priorité 1
Politique de désignation et
de surveillance arbitres
Priorité 1 Priorité 2 Priorité 2 Priorité 3
Contrôle des accès aux
compétitions et des moyens
de communication
Priorité 1 Priorité 2 Priorité 3 Priorité 3
Coopération avec l’industrie
des paris sportifs
Priorité 1 Priorité 2 Priorité 3 Priorité 3
Suivi du marché
des paris sportifs
Priorité 2 Priorité 2
(uniquement
événements
majeurs)
Priorité 3 Priorité 3
Unité de renseignement et
d’investigation interne
Priorité 1 Priorité 3 Priorité 3 Priorité 3
Remontée d’informations
anonymes et confidentielles
Priorité 2 Priorité 2 Priorité 3 Priorité 3
Une amorce de convergence entre les institutions sportives
Au-delà des dispositifs spécifiques à telle ou telle fédération reflétés dans cette étude,
un mouvement de convergence s’amorce.
Du point de vue de la soft law, un groupe de travail institué par le CIO a énoncé, le 2 novembre 2011,
les cinq principes universels qui devraient être contenus dans un code de conduite qu’il serait
souhaitable que toutes les fédérations sportives internationales adoptent. Ces principes, qui
s’adressent aux sportifs, sont les suivants :
65
connaître les règles de son sport et des manifestations multisportives ;
ne jamais parier sur son sport ni sur aucun sport figurant au programme d’une manifestation
multisportive ;
ne jamais truquer une compétition ou une partie de celle-ci ;
se montrer prudent avec les informations d’initié, qu’elles aient trait au sport pratiqué ou à
n’importe quel autre sport ; ne jamais divulguer ces informations ;
signaler immédiatement chaque sollicitation en vue du trucage d’une compétition ou d’une
partie de celle-ci.
Ils se retrouvent pour l’essentiel, sous une forme plus ou moins développée, dans certains
codes de conduite et modèles de règles, à l’exemple du Code de conduite sur les paris sportifs pour
les athlètes de 2010 évoqué supra.
Les cinq principes universels évoqués plus haut font déjà partie du droit de plusieurs
fédérations internationales, à côté des dispositions relatives à la lutte contre la corruption. Les
fédérations internationales accordent désormais une attention soutenue à la question de la corruption
sportive et en particulier à la manipulation des compétitions sportives liée aux paris. Il serait ainsi
souhaitable d’uniformiser les règles de conduite, sur la base des cinq principes universels, et de
clarifier leur régime juridique.
UNE LUTTE INEGALE ENTRE LES ACTEURS DE LA MANIPULATION DES COMPETITIONS SPORTIVES ET
LES AUTORITES QUI LA COMBATTENT
Des faiblesses structurelles du milieu sportif exploitées par les groupes criminels
Les groupes criminels ont très rapidement identifié les failles structurelles du milieu sportif :
salaires payés en retard/déficits structurels de certains clubs ;
sportifs qui vivent au-dessus de leur train de vie ;
clubs sportifs en difficulté qui acceptent de l’argent d’une origine incertaine ;
actionnaires/dirigeants d’organisations sportives liés au crime organisé qui utilisent la bonne
image du sport et son autonomie vis-à-vis des États pour se livrer à certaines activités
délictueuses (fausses factures, surfacturations, blanchiment, faux transferts, etc.).
La difficulté à détecter les manipulations
Il existe trois manières de repérer les éventuelles manipulations de compétitions sportives :
le suivi en temps réel du marché des paris sportifs et la détection des paris irréguliers
(par variation anormale des cotes ou des volumes de paris) ;
les actions de renseignement menées par les services étatiques compétents qui ont
pour objet de comprendre, pour mieux les combattre, les comportements des organisations
criminelles, et les procédures pénales engagées contre la criminalité transnationale
organisée ; celles-ci sont parfois en lien avec le secteur des paris sportifs et du sport
(cf. affaire de « Bochum », par exemple) ;
les actions de renseignement des organisations sportives (supervision de rencontres,
rapports d’officiels et la remontée d’informations issues d’acteurs du sport ou de leur
entourage, qui ont eu vent d’une approche ou d’une tentative de fraude sportive.
66
Chacun de ces types d’action se heurte concrètement à des écueils pratiques :
pour les systèmes de monitoring de paris sportifs, il existe deux difficultés majeures ;
la première est liée au fait que les systèmes d’alertes les plus sophistiqués (de type BFDS de
l’UEFA par exemple) n’ont pas accès aux volumes de marché ; ils ne peuvent donc compter
que sur l’analyse des variations de cotes, sans connaître l’identité des parieurs, leur
distribution géographique et le montant des mises pariées ; par ailleurs, les organisations
criminelles savent aujourd’hui comment fonctionnent ces systèmes et tentent de rester « au-
dessous des radars », préférant disperser leurs mises à travers une multitude d’opérateurs ;
le sport n’est généralement pas une priorité pour les services de renseignement, qui
doivent de surcroît se familiariser avec les subtilités d’Internet et sa capacité à favoriser les
flux transnationaux ;
enfin, si de nombreuses actions se mettent en place pour tenter de faire remonter de
l’information « du terrain » (numéro téléphonique ou adresse électronique confidentiels,
ombudsman - c’est-à-dire intermédiaire de confiance -, application d’alerte téléchargée sur un
« smartphone », etc.), force est de constater que les acteurs du sport hésitent encore à
signaler une approche ou une rumeur de corruption ; les raisons en sont multiples : peur
que l’information soit traitée sans la confidentialité requise, crainte d’être jugé de manière
négative pour une dénonciation, ou tout simplement angoisse de ne pas retrouver un contrat
pour avoir brisé l’omerta (cf. Simone Farina).
Une prise en compte insuffisante des dangers de certains paris
Les dangers intrinsèques à certains types et formules de paris sont accentués par des facteurs
aujourd'hui bien identifiés :
offre de paris qui poursuit son essor sans limites ;
rareté des restrictions (exception : l’Australie, qui interdit le live betting ; la France et
l’Allemagne, qui limitent les formules de paris autorisées ; la Finlande, qui limite les mises
quotidiennes ; le Canada, qui interdit encore les paris simples, etc.) ;
difficultés pour les pays qui cherchent à protéger l’ordre public de composer avec les paradis
de jeux/paradis fiscaux ;
stratégie de certains operateurs, exposés à une forte concurrence qui, pour survivre, ne
peuvent que rechercher l’illégalité ou l’extension de l’offre.
67
1133.. QQUUEELLSS SSOONNTT LLEESS IINNSSTTRRUUMMEENNTTSS ÀÀ DDÉÉVVEELLOOPPPPEERR EENN PPRRIIOORRIITTÉÉ PPOOUURR
PPRRÉÉVVEENNIIRR LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??
DÉVELOPPER DES INSTRUMENTS DE PRÉVENTION, D’INFORMATION ET D’ÉDUCATION : LA PREMIÈRE
PRIORITÉ
Parmi les instruments susceptibles de faire reculer les risques de manipulation des rencontres
sportives, les mesures de prévention et d’information sont sans aucun doute essentielles. Elles
sont simples à mettre en œuvre, efficaces et directement opérationnelles. En effet, le risque que,
par exemple, un sportif ou un arbitre sensibilisé participe au trucage d’un événement sportif est
fortement atténué. La prévention et l’éducation représentent ainsi le principal outil susceptible
d’atteindre des objectifs à court terme.
Des actions de plus en plus variées
Aujourd’hui, la palette des actions de prévention menées par les différentes parties prenantes est de
plus en plus variée. Sans être exhaustive, la typologie ci-dessous permet de regrouper les différentes
actions, parfois complémentaires, qui peuvent être entreprises :
organisation et coordination des actions (unité dédiée à l’intégrité du sport, réseau de
référents intégrité, etc.) ;
adaptation des procédures disciplinaires sportives (modèles, règles de conflits d’intérêts, etc.)
et codes de conduites ;
information à destination des dirigeants sportifs, des pouvoirs publics et de cibles relais (par
exemple les médias) ;
formation approfondie des formateurs ;
actions de prévention à destination des acteurs sportifs (face-à-face, e-learning, forums
interactifs, utilisation des réseaux sociaux, guides pratiques, etc.) ;
communication vis-à-vis du grand public ;
divers (étude du comportement des acteurs sportifs vis-à-vis des matchs truqués,
ombudsman, etc.).
Dans tous les cas, il est intéressant de déterminer l’élément fondateur qui préside à la mise en
place des actions de prévention : anticipation des risques, réaction plus ou moins rapide à un
problème concret, amélioration de l’image, recherche de ressources financières, etc.
Des programmes de sensibilisation et d’éducation encore récents
L’analyse menée dans le cadre du Rapport s’est attachée à recenser et analyser les actions
significatives connues. Une soixantaine d’actions concrètes ont ainsi pu être identifiées. Les
campagnes de prévention et d’information restent un phénomène récent. En effet, près de 60 % des
actions identifiées ont été lancées il y a moins de dix-huit mois, et plus de 75 % des actions datent d’il
y a moins de trois ans. Cela s’explique par le fait que la plupart des grands scandales ont éclaté assez
récemment. Le constat reste d’ailleurs sans appel : c’est rarement de manière préventive, mais plutôt
en réaction à une affaire que la plupart des organisations développent des programmes.
Si l’Amérique du Nord a été le premier continent à mettre en place des actions de prévention et
d’éducation en matière d’intégrité du sport, depuis 2010, c’est principalement l’Europe, minée par les
scandales à répétition, qui a mis en place des programmes sur la manipulation des compétitions
sportives et les paris sportifs. Plus de 40 % des opérations recensées sont ainsi développées sur
l’ancien continent, principalement dans le football, le tennis, le cricket et le rugby. Sans surprise, le
68
football et les organisations multisports et étatiques (CIO, SportAccord, Gouvernement australien,
Comités nationaux olympiques, etc.) représentent chacun environ un tiers des actions de prévention
menées en faveur de l’intégrité du sport.
Les conditions du succès des actions de prévention et d’éducation
L’optimisation des actions de prévention et d’éducation relatives à l’intégrité sportive nécessite de
mettre en place, au plan national au moins, les conditions d’une bonne coopération entre
pouvoirs publics, mouvement sportif et opérateurs de paris.
Il convient ensuite de former les dirigeants sportifs, de sorte qu’ils anticipent les risques liés à
l’intégrité du sport.
Dans chaque organisation sportive, un processus de circulation de l’information en matière
d’intégrité du sport devrait être déterminé, de manière à atteindre l’ensemble des acteurs
sportifs. Ces organisations devraient en outre définir les personnes à former et adapter le contenu
des programmes de prévention, ainsi que la meilleure manière de faire passer les messages.
Un mécanisme d’évaluation des résultats obtenus devrait être établi, en vue, notamment,
d’adapter les programmes de prévention.
Enfin, il faut faire connaître les actions de prévention menées, ainsi que les résultats obtenus,
auprès du grand public et des journalistes. Les actions auprès des fans et des supporters doivent
également être encouragées.
AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DES ORGANISATIONS SPORTIVES : UNE PRIORITÉ RÉCEMMENT
RECONNUE
D’éventuelles défaillances de la gouvernance des institutions sportives sont susceptibles
d’accroître directement et indirectement leur vulnérabilité à l’égard de la manipulation des
compétitions sportives. Directement, en ne les protégeant pas contre le risque que des agents
corrupteurs gagnent un pouvoir d’influence dans certaines de leurs instances dirigeantes ou sur
certains de leurs membres. Indirectement, en les empêchant soit d’engager résolument la lutte contre
la manipulation des compétitions sportives, faute d’une réactivité suffisante par exemple, soit de
conduire cette lutte efficacement, en raison d’un déficit de légitimité par exemple.
L’analyse des risques liés à la gouvernance des organisations sportives susceptibles de rejaillir
sur l’intégrité du sport a permis de recenser les facteurs de risque suivants :
contrôle de l’organisation par le crime organisé ;
difficultés financières de l’organisation ;
déni de la situation ou peur pour l’image de l’organisation en cas d’« affaire » ;
manque de prise de conscience des problématiques d’intégrité du sport ;
difficultés opérationnelles dans la gestion des questions d’intégrité (incluant une réactivité
insuffisante) ;
insuffisante prise en compte des intérêts de l’organisation dans la durée (pérennité) ;
isolement de l’organisation sportive vis-à-vis des pouvoirs publics (induisant un risque de
réaction insuffisante) ;
dilution des responsabilités entre acteurs d’un sport donné sur le thème de l’intégrité
(induisant un risque de réaction insuffisante).
69
Comme les autorités publiques et comme d’autres organisations privées, les institutions sportives
sont aujourd’hui confrontées à une exigence de bonne gouvernance qui repose sur trois
piliers : la responsabilité, la transparence, la participation. Ces principes se déclinent en une
série d’exigences plus concrètes (la légitimité des dirigeants de l’organisation, le développement d’une
vision stratégique, la prise en compte de la voix de tous les membres de l’institution mais aussi de
parties prenantes qui lui sont extérieures, l’existence de mécanismes de recours, la transparence du
processus décisionnel, la responsabilisation des décideurs, la lutte contre la corruption et les conflits
d’intérêts, le respect des droits fondamentaux et des libertés économiques des personnes privées,
etc.).
Or, certaines spécificités du mouvement sportif ont un impact direct sur sa gouvernance. Les
principales institutions sportives sont en effet à la fois des régulateurs et des agents économiques de
premier plan sur leur marché. Elles sont généralement appelées à adopter des normes et des
décisions qui contribuent tout ensemble à la régulation de leur sport et à la promotion de leurs propres
intérêts économiques et commerciaux. En outre, les organisations sportives ont des objectifs et
réalisent des performances de natures très différentes (performances financières, nombre de
licenciés, résultats sportifs, etc.).
Plusieurs études ont d’ores et déjà mis en avant des faiblesses dans la gouvernance des
institutions sportives en général ou dans telle ou telle d’entre elles. Leur fonctionnement - pour
s’en tenir à ce qui pourrait entraver la lutte contre la manipulation des compétitions sportives - fait en
effet parfois apparaître des situations de blocage, un manque de réactivité, de transparence et une
certaine paralysie dans la prise de décision.
Spontanément ou sous la pression extérieure, certaines institutions sportives ont fait montre
de leur volonté d’adapter leur système de gouvernance à la fois à l’évolution de leurs fonctions et
aux exigences de l’opinion publique et des autorités publiques. Ces initiatives vont de l’adoption, en
2008, des Basic Universal Principles of Good Governance of the Olympic and Sports Movement par le
CIO aux règles sur le fair play financier de l’UEFA entrées en vigueur le 1er
juin 2012 Ŕ pour ne citer
qu’eux. Le premier instrument illustre bien le type de règles de gouvernance qui peut indirectement
contribuer à la lutte contre la manipulation des compétitions sportives : les mesures ciblées ne
peuvent produire leurs effets que si elles s’adossent à des structures institutionnelles saines. Le
second instrument illustre les mesures de bonne gouvernance destinées à neutraliser un facteur
précis, susceptible de favoriser la manipulation des compétitions sportives. En l’occurrence, les règles
du fair play financier doivent permettre d’éviter que les clubs diffèrent trop longtemps le paiement des
salaires des joueurs et de leur encadrement, ce qui contribue à prévenir un risque majeur de fraude.
Sur la base des analyses contenues dans le Rapport et des préconisations déjà formulées par ailleurs
(par exemple dans la résolution 1875 (2012) adoptée le 25 avril 2012 par l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe), plusieurs mesures qui devraient permettre d’anticiper les risques
rappelés supra peuvent être proposées, sans prétention ici à l’exhaustivité :
l’intégrité des dirigeants sportifs devrait être garantie : la compétence des institutions sportives
en matière d’éthique peut être optimisée ou affaiblie par le mode d’élection et le
fonctionnement des organes de décision ;
les organes de direction de l’organisation sportive devraient privilégier un mode de
fonctionnement préventif et proactif et pas seulement réactif ;
les risques financiers des structures sportives amenées à rémunérer des sportifs devraient
être limités ;
le fonctionnement des organes dirigeants des fédérations et ligues sportives devrait être
adapté à la problématique de l’intégrité du sport ;
70
pour chaque organisation sportive, des procédures de gestion des incidents affectant
l’intégrité du sport devraient être établies ;
pour chaque organisation sportive, la mise en place d’un comité de l’intégrité (Integrity
Committee) dotés de véritables pouvoirs devrait être rendue obligatoire ;
l’ensemble des notions relatives à l’intégrité devrait être inscrit dans les statuts et règlements
des fédérations - et ligues - sportives nationales et internationales.
Les observations de portée générale suivantes peuvent aussi être formulées :
la fiabilité de l’analyse ou du conseil juridique en amont de la prise de décision
politique est déterminante pour l’efficacité et la légitimité des dispositifs de prévention et de
répression à mettre en œuvre ; la sous-estimation de certaines contraintes juridiques est
susceptible d’exposer les institutions sportives à des contentieux inattendus ; leur sur-
estimation peut au contraire être un facteur de paralysie de l’institution ;
sous peine de ne pouvoir correctement remplir leurs missions, les institutions sportives
doivent déterminer précisément, pour chaque question, de qui/de quoi elles doivent tenir
compte et à qui/sur quoi elles doivent rendre des comptes : dès lors que la manipulation
des compétitions sportives affecte les intérêts de tiers, elles supportent certainement une
obligation de rendre compte de la situation et de leurs réactions aux autorités publiques (voire
à d’autres parties prenantes) ;
le partage des meilleures pratiques et le recours à une expertise extérieure (débouchant
éventuellement sur un ranking) ou à des mécanismes d’évaluation mutuelle (peer review)
pourraient entretenir la volonté des institutions sportives de rénover leur gouvernance et une
saine émulation entre elles.
La bonne gouvernance ne revêt pas, pour les institutions sportives, le caractère d’une mode à laquelle
il faudrait sacrifier. C’est en un enjeu crucial : de la qualité de la gouvernance institutionnelle
dépendra la qualité de la coopération avec les autorités publiques, notamment en termes de
partage d’informations (infra).
DÉVELOPPER DES INSTRUMENTS DE RÉGULATION APPLICABLES AUX OPERATEURS DE PARIS
SPORTIFS : LUTTE CONTRE LES PARIS ILLÉGAUX ET IRRÉGULIERS, RESTRICTIONS IMPOSÉES AU
OPÉRATEURS DE PARIS, AUTO-RÉGULATION DES OPÉRATEURS
Les risques que le développement exponentiel des paris sportifs fait courir à l’intégrité du
sport en favorisant la manipulation des compétitions sportives ne rend que plus urgent le
développement d’une régulation des paris performante. En effet, la mise en place d’une
manipulation devient plus délicate ou inopérante, sur un territoire donné lorsque certaines restrictions
sont appliquées aux paris sportifs (par exemple de manière à éviter qu’il soit possible de parier sur
des phases de jeu aisément influençables) ou qu’un régulateur contrôle de manière très stricte les
opérateurs à qui il a octroyé une autorisation.
Éventail des politiques publiques à l’égard des paris illégaux
Les politiques publiques en matière de paris sportifs, les instruments de lutte contre les paris illégaux,
ainsi que les restrictions apportées à l’offre de paris sportifs et du contrôle des opérateurs, se
distribuent en deux grandes catégories :
pour certains pays, les paris sportifs - et plus généralement les jeux en ligne - constituent une
aubaine pour créer des emplois et augmenter de manière significative le niveau des recettes
publiques ; la province de Cagayan aux Philippines, Gibraltar et Malte font, par exemple,
partie de cette catégorie ;
71
à l’opposé, pour d’autres juridictions, les paris sportifs présentent des risques d’ordre public et
social qu’il convient de strictement contrôler ; la Chine, les États-Unis et la Suisse peuvent
être cités à ce titre.
À ces deux premières catégories, il est possible d’en ajouter une troisième : celle des États pour qui
les paris sportifs sont une pratique socialement acceptable, mais qui doit être encadrée.
Au-delà de leur volonté de lutter contre les paris illégaux, il semble intéressant de classifier les pays
en fonction de la priorité donnée à l’intégrité du sport (législation punissant le délit de fraude sportive,
interdiction de parier pour les parties prenantes au spectacle sportif, restrictions sur les paris sportifs :
types de paris autorisés, limitation du TRJ et des mises, échanges entre les opérateurs de paris et le
mouvement sportif, contribution financière des opérateurs de paris pour protéger l’intégrité du sport,
etc.).
Graphique n° 4 : Classification des pays en fonction de la priorité donnée à l’intégrité du
sport41
Sports integrity: Weak priority
Sports integrity: Strong priority
Strong fight against illegal betting
Weak fight against illegal betting
AUSTRALIA
UK
SOUTH AFRICA
FINLAND
USA
ALDERNEY
CHINA
CYPRUS
ANTIGUA
GERMANY
CANADA
BELGIUM
AUSTRIA
SPAIN
DENMARK
COSTA RICA
SOUTH KOREA
FRANCE
ISLE OF MAN
MALTA
ITALY
JAPAN
PHILIPPINES
NL
MEXICO
RUSSIA
CZECH REPUBLIC
POLAND
SWITZERLAND
SWEDEN
CAGAYAN
On constate qu’au-delà de certaines nuances nationales, les spécificités des typologies
identifiées supra restent globalement respectées :
hormis le Royaume-Uni, les pays du groupe 1 (cadran sud-est) n’ont pas pris la mesure des
risques liés à l’intégrité du sport ;
41
Source : Chaire Sorbonne-ICSS.
72
les pays du groupe 2 (cadran nord-est) qui contrôlent le plus strictement les paris sportifs sont
ceux qui protègent également le mieux l’intégrité du sport (dont l’Australie qui a notamment
été précurseur sur nombre de sujets) ;
les pays du groupe 3 (cadran nord-ouest) luttent en règle générale à la fois contre les paris
illégaux et tentent de préserver le sport dans leur pays ;
les pays du groupe 4 (cadran sud-ouest) n’ont la plupart du temps pris ni la mesure des paris
illégaux ni celle des risques pour le sport.
Création, compétences et moyens des autorités de régulation des paris sportifs
Au-delà de la mesure indispensable que constitue la création d’autorités de régulation dédiées
à la régulation des paris sportifs, la recension des compétences et moyens confiés aux régulateurs
déjà institués et dont les résultats se sont révélés satisfaisants a été réalisée. On y trouve :
l’injonction envoyée aux sites illégaux ;
la constitution d’une liste noire d’opérateurs illégaux ;
le blocage des sites illégaux (via les fournisseurs d’accès Internet ou FAI) ;
le blocage du paiement des gains obtenus chez un opérateur illégal ;
l’interdiction de publicité pour les opérateurs illégaux ;
le principe d’exclusion mutuelle : les autorités publiques en charge de la régulation des paris
peuvent décider de ne pas accorder de licence nationale à un opérateur qui ne respecte pas
les règles établies dans un autre État ; elles peuvent également décider de retirer sa licence à
un opérateur qui agirait illégalement dans un autre pays ;
l’instauration d’un délit de pari illégal : dans cette hypothèse, parier sur un site illégal est
condamnable pénalement ; c’est donc à l’individu qu’incombe la responsabilité d’identifier les
sites légaux/illégaux et de ne pas parier sur un site illégal ;
l’implication des moteurs de recherche dans la lutte contre les paris illégaux.
Au titre des meilleures pratiques en matière de lutte contre les paris illégaux, il convient en premier
lieu de citer la Belgique, Israël et les USA. Si les dispositifs mis en place dans ces pays se sont
avérés efficaces, la jurisprudence récente de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) sur
les limites qui encadrent les exigences des États membres à l’égard des FAI doit être gardée à
l’esprit. La solution retenue par la Cour au bénéfice des FAI, dans deux affaires, risque en effet de
limiter les procédures de blocage préconisées par les autorités42
.
Tous les autres pays mentionnés dans le tableau de synthèse ci-dessous ont également obtenu des
résultats probants. Ces exemples démontrent, si besoin était, que des mesures répressives et des
sanctions potentielles limitent fortement la part du jeu illégal. Ce postulat est valable quel que soit le
modèle de régulation mis en place (prohibition : USA ; monopole : Israël, Norvège ; licences :
Belgique). Cette conclusion est importante car elle permet clairement de prendre le contrepied de
l’argumentation classique des opérateurs illégaux. Ces derniers soutiennent en effet que,
puisqu’aucune mesure de blocage ne fonctionne de manière pleinement satisfaisante, les États
feraient mieux d’autoriser tous les opérateurs, dès le moment où ils disposent d’une licence « quelque
part » (même dans un paradis fiscal ou de jeu).
42
Voy. les affaires C-70/10 du 24 novembre 2011 et C-360/10 du 16 février 2012. Dans la première affaire, la CJUE a dit pour droit qu’un État membre ne pouvait enjoindre à un fournisseur d’accès à Internet de mettre en place un système de filtrage de toutes les communications électroniques, applicable indistinctement à tous ses clients, à titre préventif et à ses frais, sans limitation dans le temps, pour prévenir les atteintes à un droit de propriété intellectuelle. Cette solution a été confirmée d ans la seconde affaire jugée par la CJUE.
73
Mesures de
lutte contre les
paris illégaux
Blocage des
sites
Blocage des
gains
Interdiction de
publicité
Délit de pari
illégal
Principe
d’illégalité
Belgique OUI
(sanction
pénale pour
le FAI
possible)
En cours OUI (sanction
pénale possible)
OUI NON
Chypre OUI En projet OUI (non utilisé à
ce jour)
NON NON
Danemark OUI OUI (non utilisé
à ce jour)
OUI NON NON
Estonie OUI NON OUI NON NON
France OUI OUI (non utilisé
à ce jour)
OUI NON NON
Grèce OUI OUI (non utilisé
à ce jour)
OUI NON NON
Israël OUI OUI OUI NON NON
Italie OUI NON NON OUI NON
Norvège NON OUI OUI NON NON
Pays-Bas NON OUI OUI NON NON
Pologne NON OUI OUI NON OUI
USA NON OUI OUI NON Indirectement
(Nevada, New-
Jersey)
Bien entendu, aucune mesure technique ne permet d’éliminer complètement les opérateurs illégaux,
d’autant plus que certains d’entre eux redoublent d’ingéniosité afin de contourner les mesures
susceptibles d’être prises à leur encontre.
L’exemple de bwin.party est intéressant à ce titre. L’opérateur, illégal sur certains marchés, utilise les
services d’un tiers pour gérer ses comptes clients (World Pay Ltd.). Dans ces conditions, le client
inscrit chez bwin.party se connecte et mise chez World Pay, qui n’est pas identifié comme un site
illégal. C’est World Pay, société de services de paiement électronique basée à Londres, qui parie
alors chez bwin.party, alors que le client final serait bloqué s’il voulait parier directement. Ce cas
concret démontre l’intérêt de la loi américaine, qui exige des institutions financières et des
fournisseurs de transactions électroniques de tout mettre en œuvre pour déjouer eux-mêmes les
ruses des opérateurs.
Le schéma ci-dessous résume cette situation43
:
43
Source : Chaire Sorbonne-ICSS.
74
En conclusion, on peut recommander aux États qui souhaitent réellement lutter contre les jeux
en ligne illégaux d’adopter des législations favorisant la mise en place d’un ensemble de
mesures techniques. Prises séparément, elles conduiront chacune à des résultats plus ou
moins tangibles. Conjointement, elles permettront de limiter très fortement (95 % de succès est
un objectif réaliste) la part du marché illégal. En effet, pour les opérateurs illégaux qui souhaiteraient
continuer à enfreindre certaines législations nationales, la voie sera nécessairement plus complexe,
plus onéreuse (donc moins attractive) et plus risquée d’un point de vue juridique.
Les techniques qui semblent à ce jour produire les meilleurs effets et peuvent être recommandées
sont, par ordre de priorité, les suivantes :
le principe d’exclusion mutuelle (un régulateur des paris sportifs peut décider de n’accorder de
licence qu’à des opérateurs qui ne sont inscrits sur aucune liste noire des pays avec qui le
régulateur a passé un accord) ;
le blocage des paiements selon une approche indirecte de type USA (la responsabilité des
résultats est transférée aux institutions financières et assimilées) ;
l’établissement d’une liste noire (non publique) d’opérateurs illégaux et le blocage de leurs
sites ;
l’interdiction de publicité pour les opérateurs illégaux, assortie d’amendes significatives pour
les médias qui accepteraient de leur vendre de l’espace.
Perfectionner les outils adoptés à l’initiative des opérateurs de paris et des institutions sportives
Certaines loteries membres d’EL (European Lotteries) ont ainsi, dès 1999, créé un système de
monitoring des paris sportifs capable de détecter certaines irrégularités sur le marché. Elles ont
été suivies quelques années plus tard (2005) par ESSA (association d’opérateurs privés), qui a
développé un système analogue et passé de nombreux accords avec des fédérations sportives, de
manière à générer des alertes en cas de suspicion de manipulation. Ces outils de monitoring doivent
encore être perfectionnés.
Lorsque les questions liées à la manipulation des compétitions sportives sont devenues un sujet
majeur pour l’avenir du sport, les deux groupes d’opérateurs (loteries d’un côté, bookmakers et « pure
players » de l’autre) ont chacun développé des codes de conduite destinés à limiter les risques de
manipulation liés aux paris sportifs. Pour les loteries, les codes de conduite visent précisément à
défendre un modèle de jeu encadré, où les formules de paris doivent rester raisonnables et sont
destinées à des parieurs qui misent dans le cadre d’une activité de loisir. Ils soulignent aussi
explicitement qu’il est nécessaire de recourir à des actions fermes pour lutter contre les paris illégaux.
Pour les membres d’ESSA, d’EGBA ou de RGA (associations d’opérateurs privés), qui opèrent parfois
sans disposer d’une autorisation dans la juridiction du consommateur où ils proposent leurs produits, il
s’agit avant tout de protéger le consommateur contre les risques de fraudes et de se doter d’outils de
monitoring et de contrôle internes.
En outre, sans expertise, le sport reste démuni. Il faut donc que les opérateurs de paris
s’engagent à coopérer avec les entités sportives afin de former leurs membres et les informer.
Enfin, on peut penser qu’en vertu du principe de prudence, il ne serait pas inutile, en réunissant
entités sportives, opérateurs de paris et autorités de régulation, de dresser une liste des paris
autorisés et des paris interdits. S’il est trop tôt pour savoir si une telle politique portera ses fruits et
réduira les risques de fraude sportive au plan national, certains pays, comme l’Australie ou la France,
ont déjà emprunté cette voie.
75
Il faudrait donc :
s’agissant du monitoring des paris sportifs, que soit déterminé un standard d’alerte avec
obligation de vigilance pour les opérateurs (les opérateurs transmettent automatiquement une
alerte au mouvement sportif à partir du moment où un indicateur passe au rouge : volume de
mises supérieur de x% à une moyenne, répartition géographique qui s’écarte d’un standard,
etc.) ;
s’agissant de l’utilisation de l’expertise des opérateurs de paris, il est essentiel que le
sport identifie les risques liés aux paris sportifs ; par conséquent, les opérateurs doivent
s’engager à informer et éduquer les dirigeants sportifs, mais également à mettre à leur
disposition un certain nombre d’éléments, à l’exemple du droit aux paris australien ou français,
qui crée les conditions d’une coopération ;
s’agissant de l’identification des risques liés aux paris sportifs, il conviendrait de suivre la
méthodologie suivante, en prenant en compte les spécificités de chaque discipline sportive ;
il s’agirait pour un comité d’experts d’établir chaque année une liste de paris autorisés (ou
interdits) ; ce comité pourrait par exemple être administré par le CIO, le Conseil de l’Europe
(APES), l’ONU ou encore l’UNESCO ; cette liste serait ensuite transmise à la fois à tous les
régulateurs de jeux d’argent nationaux et aux opérateurs de paris.
76
1144.. QQUUEELLSS SSOONNTT LLEESS IINNSSTTRRUUMMEENNTTSS DDEE RR ÉÉPPRREESSSSIIOONN DDEE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN
DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ÀÀ DDÉÉVVEELLOOPPPPEERR EENN PPRRIIOORRIITTÉÉ
1144..11.. CCOOMMMMEENNTT LLAA RRÉÉPPRREESSSSIIOONN DDOOIITT--EELLLLEE ÊÊTTRREE CCOONNDDUUIITTEE PPAARR LLEESS IINNSSTTAANNCCEESS DDIISSCCIIPPLLIINNAAIIRREESS DDUU
MMOOUUVVEEMMEENNTT SSPPOORRTTIIFF ??
Il ne fait aucun doute que le mouvement sportif dispose d’un ensemble d’institutions et de
normes, formant son droit disciplinaire, qui peut être mobilisé contre la manipulation des
compétitions sportives - ou du moins certains de ses acteurs. Pour autant, l’exercice de la
répression disciplinaire est soumis à des contraintes juridiques qui sont pour partie endogènes
et pour partie exogènes.
LE POUVOIR DISCIPLINAIRE DES INSTITUTIONS SPORTIVES, UN ATOUT DANS LA LUTTE CONTRE LA
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES
De manière générale, le droit disciplinaire sert à maintenir et, le cas échéant, à rétablir l’ordre
au sein d’une organisation donnée (étatique ou privée) : il tend à la répression de fautes
imputables à une personne soumise au pouvoir de cette organisation. Ce pouvoir revêt également
un effet de prévention ou de dissuasion, la crainte de sanctions incitant leurs destinataires
potentiels à se comporter comme ils le doivent.
Le pouvoir disciplinaire des institutions sportives s’inscrit très exactement dans cette logique, mais
présente deux spécificités. D’une part, le droit disciplinaire découle du pouvoir réglementaire et
juridictionnel des fédérations sportives et exprime un très puissant rapport d’autorité, à l’intérieur de
l’institution, à l’égard des sportifs. D’autre part, afin de maintenir leur autonomie et d’éviter des
ingérences de la part des autorités étatiques, les organisations sportives préfèrent régler elles-
mêmes les litiges survenant dans le cadre de leurs activités. Elles sont tentées de considérer la
procédure disciplinaire comme préférable, voire exclusive de toute autre.
Enfin, l’exercice du pouvoir disciplinaire est soumis à une contrainte très forte, mais parfois perdue de
vue. C’est en effet un principe général qu’un litige ne peut échapper au contrôle des tribunaux
ordinaires étatiques qu’à condition de pouvoir être soumis à un autre tribunal indépendant et
impartial, ce qui suppose, dans les faits, qu’il puisse être porté devant une juridiction remplissant
les conditions posées pour les tribunaux arbitraux (par ex. le TAS) ; la procédure, dans son
ensemble, doit être respectueuse des principes généraux de droit.
Sous cette réserve, les décisions rendues par des instances internes sont évidemment valables et
peuvent être exécutées lorsqu’elles sont devenues définitives. Des mécanismes juridiques
permettent de voir leurs effets reconnus dans les ordres juridiques étatiques et le cas échéant étendus,
à l’intérieur d’une même fédération internationale.
À condition d’être exercé dans le respect des contraintes légales, le pouvoir disciplinaire des
institutions sportives constitue un outil performant, rapidement mobilisable, efficace, de
répression de la manipulation des compétitions sportives.
LA PROTECTION DE L’INTÉGRITÉ DES COMPÉTITIONS SPORTIVES, OBJECTIF GÉNÉRAL DES
DISPOSITIFS DISCIPLINAIRES
Les règles applicables aux cas de manipulation de compétitions sportives prennent leur source dans
une pluralité de textes, comme des statuts de fédérations, des codes d’éthique, des codes
77
disciplinaires, des codes de conduite, des règlements anti-corruption spécifiques ou d’autres
instruments plus ou moins similaires. Plusieurs types de dispositions existent en pratique. Elles
peuvent se référer explicitement à de telles pratiques ou embrasser plus généralement les atteintes à
l’intégrité des compétitions sportives.
Des contrats - de joueurs ou d’autres employés d’organisations sportives - peuvent aussi contenir
des règles de comportement, dont la violation peut entraîner la résiliation du contrat.
En général, il est admis que le droit disciplinaire – droit associatif, de nature privée –
s’interprète par référence aux objectifs sportifs, notamment à la nécessaire intégrité des
compétitions, sans que des interprétations strictement légales ou techniques puissent faire
obstacle à la poursuite légitime de ces objectifs.
LE CUMUL DE LA RÉPRESSION DISCIPLINAIRE ET DE LA RÉPRESSION PÉNALE DE LA MANIPULATION
DES COMPÉTITIONS SPORTIVES OU COMMENT REDOUBLER D’EFFICACITÉ
La répression disciplinaire de la manipulation des compétitions sportives n’est pas toujours suffisante
à elle seule. En effet, des affaires de manipulation des compétitions sportives peuvent, en raison de
l’identité de leurs protagonistes ou de leurs dimensions, échapper partiellement à la compétence des
instances disciplinaires des institutions sportives. Pour autant, cela ne signifie pas que l’action pénale
doive lui être substituée. Plus probablement, la répression disciplinaire et la répression pénale
doivent - du moins dans certains cas (voy. typologie supra) - être envisagées comme
complémentaires.
La répression pénale et la répression disciplinaire n’ont pas le même but
Alors que la première prend en considération l’intérêt général de la morale et de la société, la
seconde ne joue qu’en considération de l’intérêt du groupement considéré et a pour objectif de
maintenir des standards de comportement au sein de ce groupement, dans l’intérêt de ce dernier et
du public.
Les infractions pénales et disciplinaires ne coïncident pas nécessairement
Si, généralement, les fautes pénales commises par un athlète dans le cadre d’une compétition
constituent aussi des fautes disciplinaires, l’inverse n’est pas toujours vrai : dans de nombreux cas,
une faute à sanctionner disciplinairement ne constitue pas une faute pénale. Dès lors, il est logique
que l’action disciplinaire soit indépendante de l’action pénale. En cas de concours entre infractions
disciplinaires et pénales, les autorités pénales et organes disciplinaires peuvent en principe
enquêter en même temps sur les mêmes faits, leurs décisions respectives pouvant d’ailleurs
diverger.
Le droit pénal et le droit disciplinaire n’ont pas le même champ d’application ratione personae
La répression disciplinaire ne peut s’appliquer qu’autant que le fautif appartient au
groupement considéré ou entretient avec celui-ci une relation suffisante, alors
qu’évidemment une sanction pénale peut frapper sans condition préalable tout individu ayant
commis une infraction pénale. Or, dans les cas de manipulation des compétitions sportives, il
n’est pas rare qu’un tiers à l’institution sportive soit impliqué alors que le droit disciplinaire ne
peut pas s’appliquer aux personnes qui, sans être elles-mêmes membres d’une organisation
sportive ou impliquées dans une telle organisation de quelque manière que ce soit, manipulent des
compétitions sportives en se servant de contacts avec des acteurs du sport, sans relever elles-
mêmes de la juridiction sportive au sens de ce qui précède. L’exercice du pouvoir disciplinaire par les
institutions sportives ne peut donc avoir qu’un impact limité sur la manipulation de compétitions,
dans la mesure où certains acteurs qui ont participé aux actes de fraude, et qui en sont même
souvent à l’origine, échappent à la justice sportive.
78
La répression disciplinaire et la répression pénale ne sont pas soumises au même régime
juridique
Ainsi, la règle « nulla poena sine lege », qui interdit de prononcer des sanctions non prévues
expressément par les textes, s’applique strictement en droit pénal, alors que le régime disciplinaire
laisse parfois aux instances décisionnelles une c e r t a i n e latitude quant à la nature et à la
quotité des sanctions pouvant être infligées. La règle « nullum crimen sine lege », qui interdit, en
droit pénal, de retenir des infractions non définies de façon précise par les textes, ne s’applique
pas nécessairement au droit disciplinaire : tout manquement aux obligations, aux devoirs, à la
morale, à l’éthique ou à la déontologie sportive peut en principe constituer une faute
disciplinaire et, en tout état de cause, les règles disciplinaires peuvent comprendre des
formulations extrêmement larges quant aux fautes sanctionnables,
ce qui serait inacceptable en
droit pénal.
Les règles sur l’administration des preuves ne sont pas identiques
Par exemple, des moyens de preuve peuvent être admissibles en procédure disciplinaire
alors qu’ils ne le seraient pas en procédure pénale.
Le standard de preuve appliqué en droit disciplinaire peut être différent et moins exigeant que
celui qui s’impose aux tribunaux pénaux (infra).
Pour toutes ces raisons, la répression disciplinaire de la manipulation des compétitions
sportives est à la fois plus aisée que sa répression pénale et, en même temps, insuffisante
dans les cas où un tiers est impliqué, et impuissante face à une corruption systémique dont la
répression exige le déploiement de moyens de répression lourds.
LES ADAPTATIONS DU DROIT DISCIPLINAIRE REQUISES POUR LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION
DES COMPÉTITIONS SPORTIVES
Unification ou harmonisation des règles disciplinaires relatives à la manipulation des
compétitions sportives
Pour renforcer l’efficacité et la cohérence de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives,
il convient d’envisager une réglementation uniforme (soit strictement identique pour toutes les
fédérations sportives) ou au moins harmonisée (soit comportant les mêmes éléments, ou au moins un
nombre minimal d’éléments communs, en laissant aux fédérations le soin de les formuler). Une telle
solution permettrait aussi d’assurer une meilleure sécurité du droit.
Pour l’heure, des règles-modèles ont été proposées par des organisations sportives regroupant des
fédérations internationales (SportAccord et l’ASOIF) et, par ailleurs, les fédérations internationales
peuvent édicter des règles obligatoires pour leurs fédérations affiliées, qui sont d’application directe ou
indirecte (reprise obligatoire des règles internationales dans leur propre réglementation). On pourrait
imaginer, pour aller plus loin, qu’une organisation comme le CIO impose des règles sur la
manipulation des compétitions sportives à l’ensemble des fédérations internationales qu’il reconnaît,
comme condition à cette reconnaissance et donc à l’exercice de droits spécifiques. Mais d’autres
processus sont envisageables pour parvenir à une unification - ou au moins une large harmonisation -
des dispositions réglementaires relatives aux différentes formes de manipulation des compétitions
sportives. Cela pourrait passer par l’adhésion des institutions sportives à un instrument récapitulant
leurs obligations dans l’exercice de leur pouvoir disciplinaire et les dispositions principales dont elles
doivent se doter ou par l’adoption d’un code unifié, à mettre au point et adopter dans le cadre d’une
large coopération entre des institutions étatiques et/ou internationales (exemple : UNESCO), les
fédérations internationales et les associations dont elles font partie et des organismes ayant pour
vocation de promouvoir l’intégrité du sport.
79
Quelle que soit la voie empruntée, l’harmonisation devrait porter en tout cas sur les règles de
comportement des acteurs de la compétition assujettis au droit disciplinaire. Elle est moins
nécessaire en ce qui concerne les organes disciplinaires des différentes fédérations, les
sanctions et les règles de procédure, le TAS exerçant d’ailleurs déjà une fonction fédératrice.
Extension limitée du champ d’application du droit disciplinaire
De manière générale, le droit disciplinaire vise en premier lieu les comportements intervenant en
relation directe avec les compétitions sportives.
S’agissant de la manipulation de compétitions, il doit cependant s’étendre à un domaine plus
large, incluant des comportements en lien indirect avec les compétitions (exemples : contacts
en vue d’une manipulation ; paris sur une compétition), voire à d’autres comportements encore
(exemple : publicité pour une société de paris sportifs ; détention de parts dans une telle société).
Le droit disciplinaire ne peut s’appliquer qu’aux personnes physiques et morales soumises à
la juridiction sportive, soit à la compétence d’une institution sportive. Pour que cette juridiction
soit établie, il faut un lien juridique d’une sorte ou d’une autre entre la personne - physique ou
morale - et l’organisation sportive détenant le pouvoir disciplinaire. Le lien juridique peut résulter
des règles internes de l’organisation sportive, règles qui prévoient que tous les membres et le
cas échéant leurs propres membres répondent disciplinairement de leurs fautes. Il peut aussi
résulter d’un contrat entre l’organisation sportive et la personne concernée, ou du fait de la
simple participation à un événement sportif, pour autant que les règles internes le prévoient
(lien juridique de fait). Enfin, des sanctions disciplinaires contre des tiers supposent qu’un lien plus
formel existe entre eux et l’organisation, par exemple sous la forme d’une accréditation pour
accéder à des espaces non publics lors de compétitions.
L’extension du champ d’application ratione personae du droit disciplinaire est donc
envisageable, mais en tout état de cause limitée. Elle ne saurait embrasser toutes les
personnes susceptibles d’être impliquées dans la manipulation d’une compétition sportive.
Définition des règles de comportement : préférer le général au particulier
Par normes de comportement, on entend les règles statutaires et réglementaires, édictées par des
organisations sportives et qui postulent, pour les personnes soumises à la juridiction de ces
dernières, des obligations de faire ou de s’abstenir d’un comportement donné, ceci sous peine de
sanctions disciplinaires.
De nombreuses réglementations contiennent des dispositions très générales, qui visent à éviter
des lacunes dans la répression en réprimant toutes formes de comportement nuisibles au
sport, sans autres précisions (règles « catch all »). À titre d’exemple, de nombreuses
réglementations contiennent des dispositions qui répriment la corruption active et passive, dans un
sens assez général. Ces règles générales sont parfois accompagnées de normes spécifiques
illustrant le propos, mais sans prétention à l’exhaustivité. La diversité des comportements
inacceptables en matière d’éthique et de morale conduit à une impossibilité de les appréhender
tous par des règles précises. L’insertion dans les dispositions réglementaires de règles larges
constitue donc la seule solution pour une lutte efficace contre la manipulation des compétitions
sportives.
La définition de certains comportements spécifiques, constitutifs d’infraction, parce qu’ils peuvent
favoriser la manipulation des compétitions sportives, devrait se référer à la typologie contenue dans le
Rapport. Outre la manipulation en tant que telle définie en termes génériques, les
comportements réprimés devraient notamment comprendre le fait, pour des acteurs du sport :
80
de parier sur toutes les compétitions du sport concerné (y compris le fait de faire parier des
tiers à sa place), a fortiori celles auxquelles les acteurs participent ;
de participer directement ou indirectement à toute forme d’activité d’un opérateur de paris
sportifs ;
de promouvoir directement ou indirectement toute forme de pari sportif ;
de révéler des informations confidentielles, ce qui appelle les précisions suivantes :
préférer une définition large des informations confidentielles (informations inconnues du
public, acquises par l’auteur du fait de sa fonction dans le sport et qui ne sont pas
destinées à la publication, en raison de leur nature) ;
prohiber la divulgation de ces informations à des tiers ;
prohiber l’utilisation de ces informations, notamment en relation avec des paris ;
prévoir une clause discrétionnaire permettant aux organes disciplinaires de renoncer à
poursuivre et sanctionner une telle divulgation s’il apparaît, au vu des circonstances,
que cette dernière n’était pas de nature à entraîner un risque quelconque pour l’intégrité
des compétitions ;
de méconnaître l’obligation de rapporter des approches, ce qui appelle les précisions
suivantes :
lorsqu’une personne a rapporté des faits à l’organe compétent, elle reste tenue par
l’obligation de rapporter, pour les faits nouveaux susceptibles de survenir ou de parvenir
à sa connaissance par la suite ;
n’importe quel soupçon abstrait ne saurait entraîner l’obligation de dénoncer, cette
obligation ne pouvant être imposée qu’en présence d’éléments concrets donnant à
penser qu’un tiers tente de corrompre la personne concernée ;
le destinataire de la dénonciation doit être clairement identifié ;
l’obligation de dénoncer devrait être exécutée dans les plus brefs délais afin d’étouffer
toute tentative de manipulation ;
de méconnaître l’obligation de dénoncer des faits (la question de savoir à partir de quand
l’obligation de dénonciation est constituée se pose également dans cette hypothèse) ;
de méconnaître l’obligation de prêter sa coopération aux enquêtes :
à la différence de la procédure pénale, la procédure disciplinaire ne reconnaît pas à la
personne visée le droit de garder le silence et de refuser de fournir des éléments à sa
charge (droit à ne pas s’auto-incriminer) ;
aussi importante soit-elle pour lutter efficacement contre la fraude sportive, l’obligation
de coopérer ne saurait servir de prétexte aux organes associatifs pour exiger des
personnes concernées qu’elles fournissent des informations sans lien avec la cause ou
les faits à prouver, ou totalement disproportionnées par rapport au but poursuivi et à
l’importance de l’affaire ;
les organisations sportives devraient encadrer rigoureusement les informations à
révéler dans le cadre de l’obligation de coopérer.
Qu’il s’agisse de comportements relevant de la corruption au sens large ou de l’un de ces
comportements spécifiques, toute forme de participation (instigation, complicité, co-action)
devrait également être réprimée.
81
On aura garde d’oublier que la délimitation entre ce qui relève de la tactique (en principe non
sanctionnable) et ce qui relève de la corruption, au sens large (qui doit entraîner des
conséquences disciplinaires), est délicate. Faut-il par exemple réprimer disciplinairement tous les
cas dans lesquels un sportif n’aurait pas consenti à fournir tous les efforts requis ou encore ceux dans
lesquels une équipe, volontairement, n’aligne pas sa meilleure formation ? Plutôt que de tenter
d’opérer une distinction a priori entre ces situations, il paraît préférable de laisser à l’instance
disciplinaire une marge d’appréciation importante, qu’elle utilisera pour prendre en compte les
paramètres inhérents au sport concerné.
Enfin, l’hypothèse dans laquelle le sort ou la position d’un participant à une compétition dépend de la
victoire d’un autre participant sur un tiers (hypothèse dite des incentives) fait l’objet d’appréciations
divergentes : le fait pour une équipe A de proposer une récompense à l’équipe B (ou à l’entraîneur ou
à un joueur de cette équipe) en cas de victoire sur ce tiers (équipe C) est-il répréhensible ? Dans
l’affirmative, les organisations sportives devraient s’appuyer sur leurs règles interdisant les
récompenses et promesses de récompenses, ou à défaut leurs dispositions « catch-all » afin de
sanctionner ce genre de comportements.
ADOPTION DES SANCTIONS DISCIPLINAIRES : DE LA SÉVÉRITÉ SANS AUTOMATICITÉ EN CAS DE
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES
Pour les organisations sportives et s’agissant de leurs membres, les sanctions disciplinaires
revêtent une plus grande importance que les sanctions pénales. En effet, aux yeux des
organisations sportives, et plus particulièrement dans le domaine de la manipulation des
compétitions sportives, l’essentiel est d’écarter de la discipline les personnes susceptibles
de lui nuire. Or, les sanctions pénales n’ont pas pour but d’empêcher la personne concernée de
prendre part à des activités sportives dans telle ou telle discipline, quelle que soit la nature de
ces activités, e t cela même si une sanction pénale comme la peine privative de liberté peut
entraîner ce type d’effet.
En principe, les organisations sportives sont libres de définir, dans leurs statuts et règlements, quels
types de sanctions elles veulent pouvoir infliger aux personnes soumises à leur juridiction. Pour les
personnes physiques, les sanctions vont de l’avertissement à la suspension pour une durée
déterminée ou à vie, en passant notamment par l’amende. S’agissant des personnes morales, les
règles peuvent prévoir, par exemple, l’exclusion d’un club de la fédération, sanction la plus lourde,
l’exclusion de compétitions en cours ou futures (sanction assez adaptée aux infractions de
manipulation des compétitions sportives), ou encore l’amende et la rétention de recettes provenant
d’une compétition. Les sanctions peuvent être assorties d’un sursis total ou partiel, lui même assorti, le
cas échéant, de conditions (exemple : sursis conditionné à la participation à des programmes anti-
corruption). Dans les affaires de fraude sportive, l’amende est généralement prononcée en concours
avec d’autres sanctions, en particulier avec une suspension.
L’insertion, dans le dispositif statutaire ou réglementaire, d’une disposition permettant de
réprimer disciplinairement les infractions même après la perte de la qualité de membre par
la personne visée constituerait un gage d’efficacité supplémentaire.
Il existe des sanctions plus originales, les organisations sportives pouvant par exemple prévoir
que des prestations dues à des personnes physiques ou morales soient confisquées à
concurrence du montant des sommes qui ont servi à commettre l’infraction. On peut encore
imaginer que les clubs fassent signer à leurs joueurs et autres employés des contrats de travail
prévoyant la résiliation avec effet immédiat en cas d’infraction avérée aux règles relatives à la
manipulation de résultats ou aux paris.
82
Dans le cadre fixé, les organes disciplinaires décident de la sanction la plus appropriée dans
chaque cas soumis à leur appréciation. Comme en droit pénal, la fixation des sanctions dans
chaque cas particulier doit tenir compte autant des objectifs de prévention générale, soit de l’effet
dissuasif sur les tiers des sanctions prononcées, que des objectifs de prévention spéciale, soit de
l’effet de la sanction sur la personne qui en est l’objet (effet punitif et prévention de la récidive). En
outre, dans le domaine disciplinaire, les sanctions doivent permettre à l’organisation sportive qui
les prononce de maintenir ou rétablir l’ordre dans ses rangs, ainsi que de préserver ou rétablir son
image envers les tiers, soit les sponsors, les autres partenaires contractuels (exemple : diffuseurs de
programmes télévisés), les supporters et le public en général.
La plupart des organisations sportives ont renoncé à prévoir des barèmes de sanctions pour les
différentes infractions en matière de manipulation de compétitions sportives. En l’état actuel du droit
et malgré certaines décisions judiciaires isolées, il faut considérer qu’elles peuvent prévoir des
sanctions minimales et/ou maximales pour certains types d’infractions, voire imposer des
suspensions - ou une sanction équivalente - à vie dans certains cas particuliers. Les organes
disciplinaires doivent alors s’en tenir au cadre fixé.
Le principe de « tolérance zéro » semble guider les organes disciplinaires sportifs.
Il n’implique cependant pas que toute infraction soit sanctionnée de la peine maximale,
mais bien que les organes disciplinaires ne sauraient faire preuve de faiblesse devant ce
qui constitue une menace importante pour le sport.
Toutefois, les associations sportives ne sont pas affranchies de l’obligation de respecter
les principes généraux de droit. En particulier, les sanctions ne doivent pas être contraires
à l’ordre public. Elles doivent avoir égard aux libertés individuelles des personnes visées,
comme par exemple la liberté économique quand il s’agit de la suspension d’athlètes dont la
pratique du sport constitue le métier (suspension qui équivaut à une interdiction professionnelle),
ou le droit de la concurrence. Globalement, elles doivent respecter le principe de
proportionnalité, au sens où, dans chaque cas concret, elles doivent être proportionnées au but
visé, aux circonstances de l’espèce et aux circonstances personnelles de la personne concernée. Ces
principes n’empêchent cependant pas de prononcer des sanctions sévères dans les cas
d’infractions disciplinaires graves.
La pratique démontre que les sanctions disciplinaires prononcées contre les arbitres et
joueurs ayant manipulé des compétitions sont généralement lourdes, et même très lourdes.
Dans de nombreux cas, c’est une suspension ou exclusion à vie qui a été prononcée. Cela
correspond à une nécessité, d’une part, pour éloigner du sport des personnes qui lui nuisent
gravement et, d’autre part, pour dissuader ceux qui pourraient être tentés de commettre des actes
frauduleux.
Il serait souhaitable que les organisations sportives et les tribunaux arbitraux publient non
seulement leurs décisions mais également un rapport sur les sanctions prononcées en matière
de manipulation, afin d’accroître l’effet dissuasif des sanctions et faciliter une harmonisation des
pratiques. Les tribunaux arbitraux devraient également renforcer davantage la motivation de
leurs décisions, afin de ne pas donner l’impression d’infliger systématiquement des sanctions
graves.
83
LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE : UN CADRE PROCÉDURAL SUFFISAMMENT SOUPLE POUR DÉJOUER
LES RUSES DES MANIPULATEURS DE COMPÉTITIONS SPORTIVES
La grande liberté dont jouissent les institutions sportives et, en leur sein, les organes
disciplinaires
Les institutions sportives disposent en principe d’une grande liberté pour instituer, organiser et
constituer leurs organes disciplinaires et peuvent régler à leur gré la procédure applicable à ceux-ci.
Cette liberté n’est en fait limitée que par le droit des parties à une procédure équitable, qui
respecte notamment le droit d’être entendu, avec ses corollaires, en particulier le droit à une procédure
conduite dans un délai raisonnable, le droit d’être informé des charges, le droit d’être assisté par un
conseil juridique, le droit de prendre connaissance du dossier, le droit de proposer l’administration de
preuves pertinentes, le droit d’exposer sa position par écrit ou en audience et le droit de recevoir une
décision motivée.
Les organes disciplinaires jouissent eux aussi d’une assez grande latitude quant à la manière dont ils
conduisent les procédures individuelles. En effet, la plupart du temps, les règlements n’entrent pas
dans le détail quant aux différentes étapes de la procédure et leur laissent donc une marge
d’appréciation.
La nécessité d’une incitation à la révélation des faits
L’une des difficultés principales auxquelles se heurte la lutte contre la fraude sportive vient de ce que
les personnes approchées par des tiers voulant les inciter à manipuler des compétitions
tout comme celles qui ont connaissance de faits de corruption ne dénoncent en général
pas spontanément les auteurs de ces approches, respectivement de ces actes. En outre, les
personnes qui se sont elles-mêmes rendues coupables d’infractions ont évidemment tendance à ne
pas les dévoiler, et cela d’autant plus quelles savent les sanctions disciplinaires encourues
sévères.
Certains mécanismes réglementaires peuvent favoriser la dénonciation des approches et autres
faits de manipulation des compétitions sportives. Il s’agit essentiellement de l’obligation de
rapporter et de dénoncer, de mécanismes de lancement d’alertes (« whistleblowing »),
d’atténuation des sanctions ou de renonciation à celles-ci en cas de coopération et de
systèmes permettant des sanctions négociées (« plea barganing ») et de l’amnistie. Cette
dernière devrait cependant être considérée comme une ultima ratio, à laquelle une organisation
sportive ne devrait recourir que si d’autres mesures, mieux accordées avec la morale, n’ont pas
entraîné les effets escomptés ou si la situation est telle qu’une « mise à plat » immédiate
s’impose.
La nécessité en certains cas de mesures provisoires
Quand des soupçons fondés sont émis contre une personne relevant de la juridiction
disciplinaire, pour des faits de manipulation des compétitions sportives, il peut s’avérer nécessaire
que les organes compétents de l’institution sportive concernée décident de mesures provisoires,
en particulier la suspension provisoire de la personne visée durant la procédure, et cela afin de
préserver l’intégrité des compétitions et l’image du sport. Par nature, ces mesures interviennent à un
stade de la procédure disciplinaire où les faits ne sont parfois pas encore établis à un degré
suffisant pour qu’une sanction apparaisse comme certaine et à un moment où la personne mise en
cause n’a pas encore pu Ŕ ou pas encore pu pleinement Ŕ faire valoir les droits de la défense.
Elles reposent donc sur une appréciation prima facie de la situation, qui peut être démentie par les
résultats des opérations d’instruction ultérieures. Le risque est donc qu’une personne soit frappée
d’une suspension provisoire, sur la base de soupçons, et soit ensuite blanchie ou
sanctionnée d’une suspension d’une durée inférieure à celle de la suspension provisoire déjà subie,
les faits s’étant finalement révélés moins graves que ce que l’appréciation prima facie pouvait laisser
apparaître. Les institutions sportives doivent cependant assumer ce risque, dans l’intérêt
supérieur du sport, tout en veillant à éviter des décisions hâtives et injustifiées.
84
Le libéralisme des moyens d’administration de la preuve
Pour l’établissement des faits dans le cadre de la procédure disciplinaire, les règles judiciaires sur
l’admissibilité des preuves ne s’appliquent pas. Par exemple, les tribunaux anglo-saxons refusent la
preuve par ouï-dire (« hearsay »), mais cette interdiction ne s’applique pas à la procédure
disciplinaire. En outre, même des preuves obtenues de manière contraire au droit peuvent
parfois être utilisées. Par ailleurs, il n’existe pas de numerus clausus des preuves en procédure
disciplinaire, et les faits peuvent être établis par tout moyen utile et pertinent. Ne sont donc exclus
que les méthodes qui ne permettent pas la découverte de la vérité, du fait de leur caractère
aléatoire, non scientifique ou non pertinent pour d’autres motifs, et les moyens de
preuve contraires à l’ordre public, notamment lorsqu’elles ne respectent la dignité humaine.
Les parties ont le droit de proposer l’administration de preuves. Ce droit n’est cependant pas
absolu, dans la mesure où l’organe disciplinaire compétent peut refuser d’administrer les preuves
qui ne lui paraissent pas pertinentes et dispose d’un large pouvoir d’appréciation à ce sujet.
La charge de la preuve revient en principe à un organe disciplinaire et non à la personne
accusée. Cependant, des règles disciplinaires peuvent instituer des présomptions, dans une mesure
proportionnée au but poursuivi et qui ne viole pas le principe du procès équitable. Par exemple, une
institution sportive peut prévoir une présomption d’exactitude des faits établis par un tribunal
étatique, un tribunal arbitral, un organe disciplinaire ou une autre juridiction étatique ou sportive
compétente
Le TAS a en quelque sorte inventé un standard de preuve qui se situe entre la preuve au-delà du
doute raisonnable (standard privilégié dans les procédures pénales) et la simple prépondérance
des preuves (standard privilégié dans les procédures civiles). Le standard qu’il a retenu est celui de la
« satisfaction confortable » (« comfortable satisfaction ») en ce sens qu’il faut, mais qu’il suffit,
que les preuves administrées soient de nature à ce que l’organe de décision soit
« confortablement satisfait » que les faits sont établis, l’absence de tout doute n’étant pas
nécessaire. Le standard varie selon la gravité de l’infraction en cause : plus le fait reproché à la
personne visée sera grave et la sanction envisagée, importante, plus il faudra que le
faisceau de preuves soit important pour emporter la satisfaction de l’organe juridictionnel.
En l’absence de disposition contraire dans la réglementation de la fédération sportive concernée,
c’est le standard de la satisfaction confortable que le TAS applique.
Il est légitime, pour les organisations sportives, de ne pas exiger, pour qu’une sanction
puisse être prononcée, que les faits soient établis au-delà de tout doute raisonnable. Certes,
cela entraîne le risque et même une certaine probabilité que des personnes innocentes
soient sanctionnées, mais ce genre d’injustice doit être accepté dans l’intérêt supérieur de
l’intégrité du sport.
1144..22.. CCOOMMMMEENNTT DD’’AAUUTTRREESS AACCTTEEUURRSS PPRRIIVVÉÉSS PPEEUUVVEENNTT--IILLSS CCOONNTTRRIIBBUUEERR ÀÀ SSAANNCCTTIIOONNNNEERR ÉÉCCOONNOOMMIIQQUUEEMMEENNTT
LLEESS AATTTTEEIINNTTEESS ÀÀ LL’’IINNTTÉÉGGRRIITTÉÉ DDUU SSPPOORRTT ??
Quelque forme que prenne le sponsoring, l’objectif pour le sponsor est de mettre en avant sa marque
et de profiter de la notoriété du sportif ou de l’événement pour se créer une image valorisante et en
obtenir un bénéfice commercial. La renommée du sportif ou de l’événement est donc essentielle, ce
qui explique que les sponsors cherchent à se prémunir contre les phénomènes de dopage et de
manipulation des compétitions sportives qui pourraient entacher ces manifestations ou impliquer le
sportif sponsorisé. Il s’agit donc dans un premier temps de protéger le sponsor.
Le sponsor doit porter une attention particulière à la rédaction de son contrat afin de se
protéger contre les phénomènes de dopage et de manipulation des compétitions sportives.
Deux types de clauses ressortent de la pratique. Elles sont inscrites dans les contrats unissant
sponsor et sportif, dont l’intérêt est d’inciter les parties à exécuter correctement le contrat : les
« morals clauses » et les « specific provisions » et « warranties ».
85
Les « morals clauses » étaient à l’origine prévues dans les contrats signés entre les studios
produisant des films et les acteurs, dans l’objectif officiel de rassurer le public et dans l’objectif
officieux de protéger les investissements des studios. Les acteurs promettaient par exemple de ne
pas « do or commit anything tending to degrade him (her) in society or bring him (her) into public
hatred, contempt, scorn or ridicule; or tending to shock, insult or offend the community or outrage
public morals or decency; or tending to the prejudice of the Universal Film Manufacturing Co. or the
motion picture industry ». Ces clauses ont ensuite été utilisées dans le mannequinat, puis, enfin,
dans le sport. Dans ce dernier domaine, ces clauses, devenues de style, sont rédigées de façon
suffisamment larges pour embrasser un maximum de comportements illégaux ou pouvant nuire
à la réputation du sportif, et incidemment au sponsor. Quant aux « specific provisions » et
« warranties », leur intérêt est de viser des circonstances et comportements bien particuliers, et de
prévoir une sanction adéquate. Elles sont généralement stipulées à l’égard de sportifs dont le
comportement ne s’est pas toujours révélé conforme à l’esprit du sport et plus largement à ce que l’on
peut attendre d’un athlète sponsorisé.
Les sanctions pour le sportif peuvent être lourdes : si certains sponsors se contentent de rompre leur
relation de sponsoring avec le sportif pour l’avenir, en laissant intactes les relations passées, d’autres
vont jusqu’à exiger la restitution des sommes versées en récompense des performances acquises par
fraude.
En l’absence de clause contractuelle, il semble que rien ne s’oppose à la consécration
d’obligations implicites à la charge du sportif mais qu’il soit raisonnable que cette obligation
implicite ne concerne que les comportements contraires aux valeurs sportives, mettant ainsi en cause
les pratiques sportives relatives à la tricherie sportive au sens large.
Inversement, et en raison des enjeux financiers, le sponsor lui-même peut être impliqué dans de
telles pratiques. La partie à protéger sera alors le sportif ou l’organisateur de l’événement sponsorisé.
Afin de se protéger, et même si ceci demeure concrètement rare, un sportif peut
demander à son sponsor qu’il soit lui-même lié par une clause de moralité. En effet, parce
que l’atteinte à la réputation de l’athlète ou de l’organisme sponsorisé peut être grave, il est
important que ce dernier puisse mettre unilatéralement fin au contrat. Le sportif pourrait ici
sanctionner son sponsor si ce dernier devait adopter un comportement contraire aux valeurs du
sport, dans la mesure où ces soupçons pourraient également faire peser des doutes sur les
performances de l’athlète et ainsi ternir son image.
Enfin, pour éviter que le contrat de sponsoring, en faisant varier la rémunération du sportif (ou de son
club par exemple) en fonction de ses performances, ne puisse l’inciter à entrer dans un projet de
manipulation de la compétition sportive, il importe que seule une partie de la somme due par le
sponsor au sportif varie en fonction de son résultat.
1144..33.. CCOOMMMMEENNTT LLEESS ÉÉTTAATTSS EETT LLEESS OORRGGAANNIISSAATTIIOONNSS IINNTTEERRNNAATTIIOONNAALLEESS PPEEUUVVEENNTT--IILLSS RREENNDDRREE PPLLUUSS
EEFFFFEECCTTIIVVEE LLAA RRÉÉPPRREESSSSIIOONN PPÉÉNNAALLEE DDEE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??
L’INSUFFISANCE DES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX ACTUELLEMENT EN VIGUEUR
Le cadre juridique proprement international (interétatique) reste à ce jour très peu développé.
Il n’existe en effet aucun instrument juridique international s’appliquant spécifiquement à la
corruption sportive, lato sensu, ou à la manipulation des compétitions sportives, liée ou non à
des paris sportifs. Il n’existe par conséquent aucune définition obligatoire et généralement
admise de la manipulation des compétitions sportives sur le plan international, les définitions
fournies par les quelques législations nationales qui contiennent des dispositions spécifiques en la
matière étant par ailleurs loin d’être parfaitement identiques (infra). La coordination de la répression
et la coopération judiciaire internationales ne peuvent qu’en pâtir.
86
Il n’existe que des instruments internationaux d’application partielle et aléatoire
Il existe en droit international quelques instruments qui pourraient être applicables à certains
des aspects du phénomène de la manipulation des compétitions sportives. Il s’agit
notamment de conventions en vigueur sur la corruption, la criminalité transnationale organisée et,
dans une moindre mesure, la cybercriminalité.
Les conventions relatives à la corruption ne s’appliquent pas toujours au secteur privé, donc aux
institutions sportives
Les deux principales conventions dans le domaine de la lutte contre la corruption, la Convention des
Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003
et la Convention pénale sur la
corruption du Conseil de l’Europe du 27 janvier 1999, ne couvrent potentiellement qu’un
nombre relativement limité d’infractions susceptibles d’être qualifiées de manipulation d’une
compétition sportive.
Tout d’abord, leurs dispositions concernant la corruption dans le secteur public semblent difficilement
applicables à la manipulation de compétitions sportives qui est en règle générale le fait de personnes
privées n’exerçant aucune prérogative de puissance publique.
Ensuite, l’incrimination des actes de corruption dans le secteur privé reste facultative pour les parties
à ces instruments et, même si les dispositions de ces instruments concernant les actes de corruption
dans le secteur privé sont applicables à certaines formes de manipulation impliquant un rapport de
corruption entre deux personnes, elles ne le sont pas à des comportements frauduleux imputables à
une seule personne.
En outre, il ressort des premières conclusions du Mécanisme d’examen de l’application de la
Convention des Nations Unies que non seulement moins de la moitié des États parties ont à ce jour
incriminé les actes de corruption dans le secteur privé, mais aussi que leurs approches varient
considérablement, que ce soit en matière d’incrimination ou de coopération judiciaire internationale.
Dans la mesure de leur applicabilité à la corruption dans le secteur privé, ces instruments
internationaux permettront d’appréhender les cas de manipulation faisant intervenir un acteur de la
compétition et un tiers qui lui offre une contrepartie pour qu’il réalise une (contre-)performance, au
mépris de l’éthique sportive et du droit disciplinaire. En revanche, paraît exclu de l’applicabilité de ce
régime le simple fait pour un opérateur de paris d’offrir des paris sportifs irréguliers, lorsque cet
opérateur est au courant de la manipulation de la compétition faisant l’objet des paris, s’il n’a pas
reçu un avantage indu de la part d’un tiers ou n’a pas offert une contrepartie à un acteur de la
compétition. Semble aussi exclu le fait pour un arbitre de parier de sa propre initiative (donc sans
avoir été corrompu) sur une compétition qu’il va diriger et qu’il a l’intention de manipuler.
En somme, les conventions sur la corruption ne semblent pouvoir couvrir qu’une faible
partie des phénomènes de corruption dans le sport.
Les instruments relatifs à la criminalité transnationale organisée peuvent, en principe,
s’appliquer aux formes les plus pathologiques de manipulation des compétitions sportives
Face à des pratiques qui relèvent du crime organisé, les dispositions de la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 paraissent
applicables. Elles prévoient notamment que les parties doivent incriminer, dans leurs ordres
juridiques nationaux, la participation aux activités d’un groupe criminel organisé, le blanchiment du
produit du crime, la corruption et l’entrave au bon fonctionnement de la justice, dans la mesure où il
s’agit d’infractions graves (soit celles qui sont passibles d’une peine privative de liberté dont le
maximum ne doit pas être inférieur à quatre ans ou d’une peine plus lourde) et dans la mesure où les
infractions concernées ont un caractère transnational.
87
L’applicabilité effective de la Convention à la manipulation des compétitions sportives se heurte
toutefois à des difficultés. D’une part, l’existence d’une infraction grave dans le droit national des
parties est une condition d’applicabilité de la convention, ce qui impliquerait que la manipulation d’une
compétition sportive fasse l’objet, que ce soit comme forme de corruption ou de fraude, d’une
incrimination nationale passible d’une peine de la gravité requise. D’autre part, le caractère
transnational de l’infraction est établi dans certains cas de manipulation, mais pas dans tous.
Finalement, les législations nationales, lorsqu’elles appréhendent le phénomène de la manipulation
d’une manière ou d’une autre, sont loin d’être uniformes sur la gravité de la sanction pénale
permettant de déclencher l’application de la Convention.
À elle seule, la Convention ne saurait constituer un outil efficace contre la manipulation des
compétitions sportives liée aux paris, car elle ne s’applique potentiellement qu’à un aspect
particulier, bien qu’important, du problème.
Les instruments de lutte contre la cybercriminalité peuvent s’appliquer utilement à titre
complémentaire
Quant à la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité du 23 novembre 2011,
premier instrument international applicable aux infractions pénales commises via Internet, elle
pourrait être applicable aux infractions liées aux jeux en ligne. L’incrimination obligatoire de
certains comportements pourrait couvrir les infractions dans le domaine des paris sportifs,
commises aujourd’hui sur Internet, comme l’offre, par un opérateur, de paris sportifs irréguliers en
ligne, à savoir des paris portant sur une compétition dont le même opérateur connaît la
manipulation. Néanmoins, à supposer que cette convention soit applicable à un ou plusieurs
aspects du phénomène de la manipulation d’une compétition sportive en lien avec des paris
sportifs en ligne, il paraît en définitive que seul un dispositif spécifique en la matière pourrait
permettre une lutte efficace contre cette dimension du phénomène.
LA NÉCESSITÉ D’ÉVALUER ET D’ADAPTER LES NORMES NATIONALES APPLICABLES À LA
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES
Depuis quelques années, de nombreuses initiatives nationales et internationales visent à adapter le
cadre normatif destiné à réprimer pénalement la manipulation des compétitions sportives.
Les raisons de l’adaptation du droit pénal national à la répression de la manipulation des
compétitions sportives
Ces efforts sont justifiés par les menaces que fait peser la manipulation des compétitions sportives sur
les effets bénéfiques du sport, quels que soient la forme qu’ils revêtent et les secteurs dans lesquels
ils se déploient, y compris sur les valeurs qu’il entend promouvoir et, au-delà, sur l’économie et l’ordre
public. La manipulation des compétitions sportives met en danger les fondements éducatifs,
sociaux, culturels et économiques du sport, activité profitable à la collectivité, et offre un
nouveau champ d’activité aux groupes criminels.
La lutte contre la manipulation des compétitions sportives ressortit dès lors à la compétence
des autorités publiques. Par ailleurs, le droit international n’apporte que des réponses partielles
au problème de la manipulation des compétitions sportives. Partant, le recours au droit pénal
est donc en soi nécessaire et légitime en ce domaine. Il permet en outre de recueillir des preuves
qui peuvent être aussi utilisées dans un cadre disciplinaire, ce qui favorise la maîtrise globale du
phénomène puisque les États ont intérêt à ce que les organisations sportives contribuent à la lutte
contre la manipulation de compétitions sportives, y compris dans ses manifestations les moins graves.
Cependant, bien que nécessaires et légitimes, les législations nationales, en raison de leur
diversité, ne permettent pas aujourd'hui de garantir l’efficacité et la cohérence des poursuites
pénales, les affaires recensées présentant dans la grande majorité des cas des aspects
internationaux. La répression des cas de fraude est alors au mieux aléatoire.
88
L’adaptation des législations doit porter aussi bien sur le droit pénal matériel que sur la procédure
pénale.
La diversité des cadres normatifs nationaux et des incriminations retenues pourrait être
préjudiciable à l’efficacité de la répression44
Actuellement, les législateurs nationaux ont adopté des solutions qui se signalent par une assez
grande diversité, la fraude sportive étant réprimée de manière le plus souvent imparfaite et différente
selon les pays. La diversité des solutions ne surprend pas. Ce n’est que récemment, en effet, que les
États ont pris conscience du phénomène de la manipulation des résultats sportifs, ou à tout le moins
de son ampleur et des risques qu’il entraînait pour l’ordre public. Certains pays ont réagi rapidement
afin d’adapter leurs législations à la nouvelle situation, d’autres pas.
Dans certains d’entre eux, la poursuite pénale de la manipulation de résultats sportifs peut se
réclamer de l’application des normes qui répriment la corruption (Belgique, République tchèque,
Finlande, Luxembourg, Roumanie, Slovaquie, Suède). Cela suppose toutefois que ne soit pas
seulement incriminée la corruption d’agents publics, mais également la corruption privée (ce qui n’est
pas le cas par exemple en Argentine, ou seulement dans une mesure très limitée au Brésil, alors que
l’infraction de corruption active dans le secteur privé n’existe pas aux Émirats arabes unis). En effet,
les personnes corrompues dans les cas de manipulation sportive sont en principe des personnes
privées (athlètes, entraîneurs, dirigeants de fédérations et de clubs, membres de l’entourage
d’athlètes, etc.). À quoi s’ajoute le fait que les législations nationales définissent parfois de manière
restrictive le cercle des personnes visées, ce qui peut entraîner des lacunes dans le champ de la
répression. Ainsi, et à titre d’exemples, en Roumanie et en Suède, ce cercle ne comprend que les
personnes liées par contrat à une personne morale, ce qui englobe certes les joueurs de football
professionnels, mais pas les sportifs amateurs. En Belgique et au Luxembourg, la loi pénale incrimine
la corruption active et passive dans le secteur privé, mais la définition retenue circonscrit l’infraction au
domaine des affaires. Un autre problème se pose quant à la définition de l’avantage illicite (« bribe »),
qui n’inclut pas toujours toutes les notions de bénéfice ou d’avantage indu (exemples de la Russie et
de l’Ukraine). Enfin, les cas de manipulation sans corruption ne sont évidemment jamais couverts
dans cette hypothèse (cas d’athlètes ou d’arbitres qui truquent une compétition à laquelle ils prennent
part et parient eux-mêmes sur les éléments qu’ils manipulent).
Dans une majorité de pays, on peut - ou on peut aussi - se référer à l’infraction générale de
fraude pour tenter d’appréhender les cas de manipulation de résultats sportifs (Allemagne, Autriche,
Danemark, Estonie, Finlande, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Slovaquie, Argentine,
Australie, Brésil, Canada, République populaire de Chine, Hong Kong, Nouvelle-Zélande, Nigéria,
Qatar, République de Corée, Thaïlande, Trinidad and Tobago, Ukraine, Émirats Arabes Unis). Un lien
entre la fraude et des paris sportifs doit généralement exister pour que l’infraction puisse être retenue.
L’examen des législations amène à la conclusion que le recours à la notion de fraude pose de
très sérieux problèmes pratiques, notamment de preuve, quant au lien entre la manipulation,
l’avantage illicite et le dommage.
Une spécialité du Royaume-Uni et de certains territoires australiens est l’incrimination du
« cheating at gambling », qui sanctionne celui qui triche lui-même en relation avec des paris ou
adopte n’importe quel comportement dans le but de permettre à une autre personne de tricher en
relation avec des paris, ou assiste une autre personne à cet effet ; un résultat n’est pas nécessaire.
Ce modèle a été critiqué en raison de la difficulté à établir un lien entre une mise et un incident
dont le résultat est la manipulation d’une compétition.
44 Voy. le rapport publié en juillet 2013 par le CIO et l’UNODC intitulé « Criminalization approaches to combat match-fixing and illegal/irregular betting: a global perspective. Comparative study on the applicability of criminal law provisions concerning match-fixing and illegal/irregular betting ».
89
Une infraction de « corruption sportive », ou un équivalent, peut être prévue par le code pénal
(Bulgarie, Espagne, France), la loi sur le sport (Chypre, Grèce, Pologne) ou dans une loi spéciale sur
la fraude sportive (Italie, Malte, Portugal). Hors Union Européenne, plusieurs États ont aussi constitué
la fraude sportive en infraction spécifique (Japon, Fédération de Russie, Afrique du Sud, États-Unis
d’Amérique, sur le plan fédéral et dans certains États). Certaines de ces dispositions font l’objet de
critiques, en particulier parce qu’elles semblent lacunaires, en particulier parce qu’elles ne
s’appliquent qu’au seul football professionnel (Japon), qu’au seul sport professionnel (Espagne,
Fédération de Russie), qu’à la manipulation du résultat final d’une compétition et pas à celle d’autres
faits de jeu (Espagne), qu’aux compétitions officielles organisées par des fédérations spécifiques et
pas aux autres, notamment pas aux matchs d’entraînement, dont on sait qu’ils sont parfois aussi
manipulés (Italie) ou encore qu’aux compétitions sur lesquelles des paris sont possibles et légaux
(République de Corée). Un exemple de bonne pratique vient des États-Unis d’Amérique, où le 18
United States Code 2006, Section 224, définit le « sporting contest » comme toute compétition, dans
n’importe quel sport, entre des concurrents individuels ou des équipes de concurrents (sans
considération pour le statut amateur ou professionnel des concurrents), qui est annoncée
publiquement avant son déroulement. Cette méthode présente l’avantage évident de tenir compte
des spécificités du sport et des manipulations frauduleuses possibles dans ce cadre, ce qui
permet en principe de poursuivre et sanctionner pénalement les auteurs de telles
manipulations, sans devoir recourir à l’application de normes générales, dont les conditions
sont, en pratique, parfois difficiles à remplir ou qui nécessitent une interprétation plus ou
moins extensive afin de couvrir les actes de fraude sportive.
En résumé, la situation dans son ensemble n’est pas satisfaisante. Seule l’adoption de normes
pénales bien conçues - c'est-à-dire suffisamment larges - et spécifiques à la manipulation des
compétitions sportives peut permettre une répression cohérente et efficace de ces comportements.
Cette approche se heurte cependant encore à certaines résistances. Si, pratiquement, toutes les
organisations sportives considèrent que des normes pénales spécifiques s’imposent, il n’en va pas de
même des gouvernements. Il semble essentiel que les normes nationales soient harmonisées, d’une
part, parce qu’il serait dommageable qu’elles couvrent des champs différents selon les pays
(cohérence, visibilité de la poursuite pénale) et, d’autre part, parce que des différences rendraient plus
difficile la coopération internationale, notamment pour l’échange d’informations entre autorités
pénales. Une véritable amélioration passe donc par une harmonisation des législations et un
alignement de ces dernières sur le plus haut standard juridique, soit celui qui permet de
couvrir le champ le plus large que possible pour ne laisser échapper aucun acte de
manipulation.
Cette harmonisation ne va pourtant pas de soi. Elle nécessite de définir précisément le champ
d’application du droit pénal tout autant que celui des sanctions et de réfléchir aux possibilités
d’adaptation de la procédure pénale.
Le champ d’application du droit pénal doit être largement défini
Il convient de se demander quels comportements peuvent être sanctionnés seulement par le
droit disciplinaire et quels autres comportements créent un danger tel pour l’ordre public qu’ils
doivent être appréhendés par le droit pénal. En opérant ce choix, soit celui qui consiste à définir
quels types de comportements doivent être appréhendés par le droit pénal, le législateur consacre sa
conception du sport et de la place de ce dernier dans la société. Il prend également en considération
d’autres critères, tels que le risque théorique et concret de manipulations, la prévalence - ou
l’interdiction - des paris sportifs dans l’ordre juridique concerné, les traditions locales en matière de
répression pénale en général, etc. Tous ces critères peuvent être évalués différemment, selon les
pays, les époques et l’existence d’éventuels précédents de fraude sportive. Leur évaluation peut
conduire les législateurs pénaux à vouloir embrasser l’intégrité du sport dans tous ses aspects, ou au
contraire à limiter le champ de la répression à un minimum, laissant le soin aux organisations
sportives de poursuivre disciplinairement leurs membres pour le surplus.
90
En réalité, la seule solution pour une répression efficace de la manipulation des compétitions
sportives consiste à définir de manière très large le champ d’application du droit pénal.
Les sanctions pénales doivent être modulées en fonction de la gravité des faits de manipulation
En l’état actuel, les sanctions pénales envisageables dans les cas de manipulation de
compétitions sportives diffèrent fortement selon les législations. Au sein de l’Union Européenne,
le maximum va de deux ans d’emprisonnement en Finlande à quinze ans en Roumanie, étant
cependant précisé que, dans les cas les plus sérieux, les tribunaux pourraient retenir des
circonstances aggravantes qui permettraient de prononcer des peines plus sévères que les maxima
prévus dans les autres cas.
Quoi qu’il en soit, il devrait être possible de prononcer des sanctions pénales suffisamment
significatives dans les cas qui le méritent, notamment quand il s’agit de sanctionner les
criminels organisés qui font métier de manipuler des rencontres sportives. À cet égard, un
maximum de deux ans d’emprisonnement seulement paraît discutable.
La procédure pénale se heurte à des limites qui doivent être surmontées
Un droit pénal matériel adéquat ne suffit pas - loin s’en faut - pour garantir une répression
efficace de la manipulation de résultats sportifs : pour traduire une personne devant un tribunal,
il faut que ce tribunal soit compétent et que les autorités de poursuite pénale aient rassemblé des
preuves suffisantes.
C’est souvent à cet égard que les procédures échouent : comme les autres comportements relevant
de la corruption, ceux qui concernent la fraude sportive sont très difficiles à appréhender, car
les auteurs agissent de manière discrète, souvent grâce à une organisation élaborée, et laissent
peu ou pas de traces. Les transactions se font en argent liquide ou - s’agissant des mises pour des
paris sportifs - par des moyens électroniques difficilement détectables. La manipulation elle-même ne
saute pas forcément aux yeux. L’intention de tricher est pratiquement impossible à établir
directement, sauf en cas d’aveux. Le contexte international dans lequel les actes frauduleux se
déroulent ne facilite pas les recherches policières. Les victimes ne se rendent généralement pas
compte qu’une infraction a été commise.
Des pistes de réforme de la procédure pénale peuvent être proposées
Seuls des instruments adéquats de procédure pénale peuvent permettre la découverte des
infractions, préliminaire évidemment indispensable à toute poursuite.
S’agissant de la compétence, on peut noter que le principe de la territorialité, soit la juridiction locale
pour les infractions commises sur le territoire considéré, est retenu par l’ensemble des législateurs.
Les principes de personnalité active et passive devraient aussi être appliqués.
Dans la plupart des ordres juridiques, les citoyens ne sont pas tenus de dénoncer les
infractions dont ils acquièrent la connaissance par un moyen ou par un autre. Pour la poursuite
de la manipulation de compétitions sportives, une obligation de dénoncer les faits aux autorités pénales
(et éventuellement aussi aux fédérations concernées), obligation qui s’appliquerait aux acteurs du sport
organisé, constituerait sans doute un instrument utile. Il faut cependant reconnaître qu’en pratique,
l’introduction dans la législation pénale d’une obligation de dénoncer les faits de fraude sportive se
heurterait à un obstacle majeur : pourquoi faudrait-il obliger les citoyens à dénoncer ce genre de faits et
pas d’autres crimes plus graves ?
91
Afin d’inciter les personnes, y compris les auteurs d’infractions, à révéler aux autorités pénales les
faits dont elles ont connaissance, il faudrait en tout état de cause que les lanceurs d’alerte
potentiels aient connaissance de la possibilité de révéler les faits dans un cadre déterminé, que
des mécanismes appropriés soient mis en place pour recueillir leurs confidences et que les lanceurs
d’alertes soient protégés contre les représailles auxquelles ils pourraient être exposés en relation avec
leurs révélations.
La détection des cas de manipulation de compétitions sportives, tout comme la phase
d’investigation qui la précède ou la suit, est toujours difficile. Ce type d’infraction laisse en effet
peu ou pas de traces matérielles et leurs auteurs utilisent peu ou prou les mêmes méthodes,
discrètes, que les organisations criminelles. L’expérience pratique montre que des mesures
officielles de surveillance, en particulier les écoutes téléphoniques et les observations discrètes, ont
joué un rôle essentiel et même décisif pour le succès de nombreuses enquêtes, en particulier celles qui
ont permis de découvrir le plus de rencontres de football manipulées (affaire de « Bochum » en
Allemagne, procédure Calcioscomesse en Italie, cas Fenerbahçe et autres en Turquie). Les autorités
de poursuite pénale devraient donc pouvoir recourir à des mesures de surveillance discrète
dans les enquêtes relatives à la fraude sportive (écoutes téléphoniques, surveillance de la
correspondance électronique et postale, microphones et caméras cachés, agents sous
couverture, observations discrètes, livraisons contrôlées, etc.). À l’heure actuelle, les législations
nationales n’admettent pas toutes le recours à ce genre de procédés dans les enquêtes
relatives à la manipulation des compétitions sportives, même si des mesures de surveillance sont
possibles dans une large majorité de pays. Cette situation doit être corrigée.
Les autorités de poursuite pénale, dans le respect des droits et libertés garantis, devraient aussi
pouvoir recourir, dans les enquêtes pour fraude sportive, aux autres moyens de procédure,
respectivement de contrainte prévus, en règle générale, par les législations relatives à la procédure
pénale : arrestations, perquisitions, auditions, expertises, édition de documents (notamment les relevés
bancaires, de cartes de crédit, d’appels téléphoniques et courriels, extraits de registres comme le
registre des sociétés et celui relatif aux propriétés immobilières, etc.), etc.
Par ailleurs, le succès de l’enquête peut dépendre de la volonté des suspects de coopérer avec
les autorités pénales. Assurément, la collaboration des suspects s’acquiert plus facilement si une
contrepartie peut leur être proposée, sous la forme d’une réduction de peine ou même d’un abandon
des poursuites. C’est la raison pour laquelle de nombreuses législations prévoient la possibilité
d’accords entre l’accusation et la défense, destinés à amener les suspects à dévoiler leur
activité délictueuse et, le cas échéant, celle de tiers. Dès lors, les législateurs devraient adopter
les dispositions appropriées, afin de faciliter le dévoilement de faits criminels dans le cadre
d’un « plea bargaining ». Il conviendra cependant d’éviter tout excès, tel que celui que constituerait à
abandonner entièrement les poursuites contre des auteurs de crimes graves en échange de révélations
sur des tiers.
Enfin, les fédérations sportives devraient pouvoir accéder aux dossiers des procédures pénales
dirigées contre les auteurs présumés de manipulations, le cas échéant avec la qualité formelle
de parties à la procédure pénale (voy. également infra l’échange d’informations).
Au vu du bilan mitigé des instruments internationaux applicables et du caractère disparate des
dispositifs nationaux, l’adoption d’un accord international consacré à la lutte contre la
manipulation des compétitions sportives s’impose comme une urgente nécessité.
92
NÉCESSITÉ D’ADOPTER UN ACCORD INTERNATIONAL CONSACRÉ À LA LUTTE CONTRE LA
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES
Il est nécessaire qu’un accord international contraignant pour les États donne une définition claire et
opérationnelle de la manipulation des compétitions sportives, oblige les parties à lutter contre les paris
illégaux et les paris irréguliers et à ériger la manipulation en infraction pénale dans leurs ordres
juridiques respectifs, et puisse servir de fondement à la coopération judiciaire internationale.
Différents processus sont envisageables pour parvenir à un tel résultat. En tous cas, si un accord
interétatique constitue une pièce essentielle d’un régime international de lutte contre la manipulation
des compétitions sportives, d’autres instruments doivent lui être adjoints.
L’adaptation des instruments existants par voie de protocole n’est pas la méthode la plus
expédiente
L’idée d’un protocole additionnel (par exemple à une convention portant sur la lutte contre la
corruption) qui aurait eu trait spécifiquement à la manipulation des compétitions sportives a été
envisagée sans finalement être retenue à ce jour. L’inconvénient de cette formule est de ne pas
vraiment se prêter à l’appréhension de la problématique de la régulation des paris sportifs, dont il a
été montré qu’elle est aujourd’hui centrale (supra).
L’adoption d’une convention spéciale englobant la lutte contre la manipulation des compétitions
sportives et la régulation des paris sportifs est l’option qui a été et devait être retenue
L’option privilégiée dans le cadre de l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) du Conseil de l’Europe
a été, en associant aux discussions les trois principales parties prenantes (autorités étatiques,
organisations sportives, opérateurs de paris) et en entendant d’autres acteurs (représentants des
sportifs ou de la société civile), de préparer une convention internationale spécifiquement consacrée à
la lutte contre la manipulation des compétitions sportives, en lien ou non avec les paris sportifs.
Tous les éléments d’analyse qui précèdent viennent conforter ce choix d’articuler dans un même
instrument la prévention de la manipulation des compétitions sportives et sa répression, la
lutte contre la manipulation des compétitions sans lien avec les paris sportifs et une plus forte
régulation des paris sportifs lorsqu’ils emportent un risque de manipulation pour le sport,
l’adoption de dispositifs nationaux et la coopération, nationale et internationale entre les États,
mais aussi avec les autres principales parties prenantes.
Les difficultés pour parvenir à un accord sur la répartition des compétences de régulation des paris
sportifs entre États, dans la mesure nécessaire à la lutte contre la manipulation des compétitions
sportives, sont indéniables. Les divergences de vues entre les États sur la bonne manière
d’appréhender le marché transnational des paris sportifs y concourent pour beaucoup. Pourtant, une
convention qui viserait seulement la répression, essentiellement pénale, de la manipulation des
compétitions sportives manquerait sa cible : il a bien été montré que la manipulation des compétitions
sportives prospère, en partie, grâce à l’opacité du marché transnational des paris sportifs.
La définition de la manipulation des compétitions sportives et l’insertion dans le projet de convention
d’une obligation claire de sanctionner cette infraction selon le droit national n’auront pas été sans
difficulté non plus.
Dans l’ensemble toutefois, le projet de convention jette les bases d’une politique globale et
coordonnée de lutte contre la manipulation des compétitions sportives qui mobilise l’ensemble de
moyens à la disposition des États. L’engagement pris par les États de créer des plateformes
nationales favorisant l’échange d’informations et facilitant leurs communications est emblématique
des changements qui doivent être introduits dans les institutions et dans les pratiques pour que
la lutte contre la manipulation des compétitions sportives soit efficace.
93
Un accord interétatique ne saurait cependant à lui seul permettre de juguler la manipulation des
compétitions sportives
Il serait illusoire de penser qu’une unique convention internationale, fût-elle à vocation universelle,
pourrait à elle seule consigner l’ensemble des engagements de toutes les parties prenantes à la lutte
contre la manipulation des compétitions sportives. Aussi bien l’étroitesse des liens entre prévention et
répression - puisque la prévention de la manipulation des compétitions sportives passe en partie par
la répression des paris illégaux et irréguliers - que la complémentarité des responsabilités du
mouvement sportif et des États appellent l’adoption d’un ensemble coordonné d’instruments
reprenant :
les engagements des États en matière de prévention et de répression de la manipulation des
compétitions sportives, qu’elle soit liée ou non aux paris sportifs (accord international) ;
l’engagement des institutions sportives internationales de prévenir et réprimer la manipulation
des compétitions sportives (déclaration contraignante pour les institutions sportives,
éventuellement reprise dans les instruments pertinents du CIO) ;
un instrument d’harmonisation des règles disciplinaires de fond applicables à la manipulation
des compétitions sportives (lignes directrices d’un code disciplinaire reprises par les
institutions sportives adhérant à la déclaration précitée dans leurs instruments disciplinaires) ;
des engagements subsidiaires des opérateurs de paris, notamment en matière de coopération
volontaire avec les institutions sportives (code de bonne conduite et accord-type à passer
avec les institutions sportives) ;
les standards, typologies et règles techniques indispensables à la coordination de l’action des
différentes parties prenantes ;
des accords (MoU, etc.) passés entre organisations internationales concernées (UNESCO,
Conseil de l’Europe, Interpol, ONUDC, etc.) ou entre elles et d’autres parties prenantes (États,
institutions sportives).
L’élaboration des instruments clés d’un régime international de lutte contre la manipulation
des compétitions sportives est seulement amorcée à ce jour. Pour l’heure, le premier instrument
international est en voie d’élaboration au sein du Conseil de l’Europe, tout en ayant vocation à élargir
le cercle de ses participants bien au-delà de l’Europe ; le cadre juridique transnational apparaît quant
à lui encore fragmentaire faute d’unification au niveau universel ; la coordination du droit transnational
avec les droits étatiques et le droit international n’est pas encore assurée de manière à permettre de
lutter efficacement contre la manipulation des compétitions sportives à tous les niveaux - tout en
respectant l’autonomie du mouvement sportif telle que définie supra.
94
1155.. QQUUEELLSS MMEECCAANNIISSMMEESS DDEE CCOOOORRDDIINNAATTIIOONN IINNSSTTAAUURREERR PPOOUURR UUNNEE LLUUTTTTEE
MMUULLTTIIPPAARRTTIITTEE PPLLUUSS EEFFFFIICCAACCEE CCOONNTTRREE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS
CCOOMMPPEETTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??
1155..11.. QQUUEELLSS EENNSSEEIIGGNNEEMMEENNTTSS TTIIRREERR DDEE MMEECCAANNIISSMMEESS EEXXIISSTTAANNTTSS DDEE CCOOOORRDDIINNAATTIIOONN DDEE LLAA LLUUTTTTEE CCOONNTTRREE LLAA
FFRRAAUUDDEE HHIIPPPPIIQQUUEE EETT LLEE DDOOPPAAGGEE ??
LE MILIEU HIPPIQUE S’EST DOTE DE MECANISMES EFFICACES QUI NE SONT PAS PARFAITEMENT
TRANSPOSABLES AU SPORT
La création de la British Horseracing Authority (BHA) : une réaction aux scandales de corruption
qui ont frappé le milieu hippique britannique au début des années 2000
En Grande-Bretagne, la relation entre les courses hippiques et les paris est unique et remonte à plus
de deux cent cinquante ans. En 2002, le secteur des courses hippiques a dû affronter une situation
difficile, quand un programme télévisé a dénoncé les courses comme étant « institutionally corrupt »,
notamment en relation avec des manipulations en lien avec des paris. Ce scandale a été suivi d’un
nouveau scandale en 2004 qui a donné lieu à l’arrestation de quatre jockeys, d’un entraîneur et d’un
propriétaire et à leur mise en accusation. Toutefois, le magistrat en charge du dossier décida
d’interrompre le procès en raison de preuves jugées insuffisantes. Cet échec conduisit la Grande-
Bretagne à créer en 2007 un nouveau régulateur des courses hippiques : la British Horseracing
Authority (BHA). Après avoir commandé un rapport à un expert indépendant, Dame Elisabeth Neville,
la BHA décida de se doter d’un modèle efficace de lutte contre la corruption sportive.
La stratégie et les pouvoirs de la British Horseracing Authority
Il en est résulté une stratégie articulée autour de sept axes :
l’adoption de règles et de politiques anti-corruption claires ;
un régime efficace de délivrance des licences pour les pratiquants ;
le développement des capacités d’enquêtes et de renseignements ;
des procédures et des sanctions disciplinaires rigoureuses ;
la promotion d’une politique de coopération ;
des programmes de sensibilisation et d’éducation pour les participants et les officiels ;
la mise en place d’un environnement global propice à l’intégrité.
C’est en considération de ces sept axes que la politique de prévention et de sanction de la
BHA a été pensée et arrêtée.
Ainsi, et pour ne prendre que quelques exemples, les règles sur les courses ont été amendées afin :
d’interdire aux propriétaires, aux entraîneurs et aux personnels d’écurie de parier sur la
défaite de leur propres chevaux ;
de préciser la définition des informations privilégiées et d’en sanctionner l’utilisation ;
au-delà des restrictions imposées aux jockeys quant à l’utilisation des moyens de
communication, d’obliger tout participant à une course (Racing’s participants) de
communiquer à la BHA les informations contenues dans son téléphone relatives à cette
course ;
95
d’obliger toute personne partie à une course de coopérer aux enquêtes menées ;
de permettre à la BHA d’enquêter sur des tiers et de les poursuivre disciplinairement ;
de subordonner la délivrance de licences à l’engagement des bénéficiaires de se soumettre à
un certain nombre de contraintes : communication de factures de téléphone et d’informations
sur des comptes ouverts auprès d’opérateurs de paris, etc. ;
de doter la BHA d’outils de renseignent performants ;
de doter la BHA de moyens d’enquêtes poussés et variés ;
etc.
Les pouvoirs dont dispose la British Horseracing Authority ne sont pas parfaitement
transposables au sport
S’il est possible de considérer que la stratégie globale de la BHA pourrait être transposée aux sports
les plus touchés par la manipulation des compétitions sportives, il n’en va pas de même s’agissant
des pouvoirs qu’elle détient et des prérogatives qui lui sont consenties.
Cette difficulté se heurte aussi bien à des raisons pratiques qu’à la très grande diversité des
législations nationales.
D’un point de vue pratique, on voit mal, par exemple, comment obliger les participants à une
compétition de football ou de cricket à tenir à disposition de l’autorité de régulation les informations
dont celle-ci aurait besoin, ni même, à supposer qu’une telle obligation soit consacrée, comment les
recueillir.
D’un point de vue plus juridique, il suffira de rappeler les difficultés qui ont entouré, en France,
la soumission des sportifs tenus à des contrôles anti-dopage, à l’obligation de localisation45
, pour
mesurer combien les mesures drastiques adoptées par la BHA seraient pour le moins compliquées à
mettre en œuvre dans un autre contexte. Cela étant dit, et le Rapport milite en ce sens, les solutions
adoptées par la BHA doivent pouvoir servir à la réflexion sur l’amélioration des outils de de prévention,
de détection et de sanction des cas de manipulation des compétitions sportives.
LA LUTTE CONTRE LE DOPAGE NE CONSTITUE NI UN MODÈLE NI UN ANTI-MODÈLE
Dans le domaine de la lutte contre le dopage, le séisme médiatique qui a suivi la découverte par les
douanes françaises d’un trafic organisé de produits dopants, à quelques jours du départ du Tour de
France 1998 (affaire Festina) a conduit, dans un climat d’abord tumultueux, à la création de l’Agence
mondiale anti-dopage (AMA).
L’instauration d’un dispositif mondial anti-dopage associant États et mouvement sportif
constitue une entreprise originale dont le bilan est toutefois mitigé.
Cette création visait, d’une part, à harmoniser les normes et pratiques adoptées par les différentes
autorités sportives en la matière et, d’autre part, à permettre aux États de participer à une lutte qu’ils
avaient auparavant largement ignorée, à quelques exceptions près. Inaugurée par le CIO à l’occasion
de la conférence de Lausanne en juin 1999, l’AMA apparaît comme une fondation de droit privé
suisse qui associe sur une base strictement paritaire mouvement sportif et autorités publiques. Elle a
permis l’adoption d’un Code mondial antidopage en 2003 (entré en vigueur en 2004 et encore
récemment révisé avec effet en 2015) signé par la vaste majorité du mouvement sportif et par des
agences nationales antidopage et rendu opposable aux États par le truchement d’une Convention
45
Voy. par exemple, CE, 18 décembre 2013, Mme A… B…, req. n° 364.839. Le Conseil d'État était saisi d’une demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 232-5-3 et L. 232-15 du code du sport.
96
internationale contre le dopage dans le sport, adoptée sous l’égide de l’UNESCO en 2005, entrée en
vigueur en 2007 et ratifiée par 174 États au 1er
août 2013. Le rôle de l’AMA dans l’harmonisation et la
coordination de la lutte contre le dopage entre parties prenantes aux statuts, intérêts et agendas forts
disparates est régulièrement souligné. Le Programme mondial antidopage a ainsi permis de doter ces
différents acteurs de règles communes et de répartir les compétences entre eux, même si cette
répartition fait l’objet de contestations récurrentes. Ce résultat remarquable a été obtenu au moyen de
mécanismes originaux, mais ne saurait masquer les difficultés structurelles du système international
de lutte contre le dopage.
Le mécanisme international de lutte contre le dopage se heurte à des difficultés structurelles
Le mécanisme de lutte contre le dopage ne doit pas être surestimé. Les principales affaires de
dopage révélées ces dernières années, dont l’affaire Puerto puis, surtout, l’affaire Armstrong, l’ont en
effet été en marge des procédures prévues par le Programme mondial antidopage, notamment grâce
à une intervention publique importante et un recours abondant aux moyens d’enquêtes non-
analytiques.
Plusieurs éléments peuvent expliquer les limites du modèle promu dans le cadre de l’AMA. Les uns
tiennent aux modalités de prise de décision en son sein. Les procédures sont relativement lourdes et
font se succéder plusieurs filtres, ce qui peut conduire, d’une part, à un retard dans l’adaptation des
règles applicables aux réalités mouvantes des pratiques, d’autre part, à un allégement des contraintes
pesant sur les acteurs, pour des raisons essentiellement politiques. D’autres sont liés aux défaillances
du système de suivi de la mise en œuvre des règles communes. Les dispositions du Code laissent
parfois une marge d’appréciation à ceux qui doivent les mettre en œuvre et doivent en tout état de
cause être transposées pour produire des effets. Or, cette étape de la transposition du dispositif a pu
être utilisée par les États ou les instances sportives pour en retarder ou en limiter la mise en œuvre.
Sans doute est-il temps que l’AMA s’assure effectivement du respect du Programme mondial
antidopage par l’ensemble de ses signataires.
Le Code mondial antidopage constitue cependant certainement l’avancée la plus importante à
porter au crédit de l’AMA, mais les résultats de l’AMA sont peu probants en matière de
stratégie de lutte et d’élaboration des règles. Pour des raisons dépassant largement la seule
problématique de la lutte contre le dopage, l’objectif de facilitation du partage d’informations
entre les institutions étatiques et sportives est resté lettre morte.
En la matière, la gestion de l’affaire Armstrong par l’agence américaine antidopage US Anti-
Doping Agency (USADA)
et, surtout, la révélation de ses conclusions le 10 octobre 2012 ont
constitué un véritable « coup de pied de l’âne » à l’égard de l’AMA. Pour réaliser son enquête,
l’USADA s’est complètement affranchie du Code mondial, et même de l’existence de l’AMA. Elle a
utilisé des procédures de nature policière ou judicaire, pris contact directement avec des autorités
nationales pour récupérer des données utiles, et veillé soigneusement à ne communiquer aucune
information ni à la fédération internationale concernée, considérée comme complice des infractions,
ni même à l’AMA, jugée trop « poreuse » à l’égard de l’Union cycliste internationale. L’USADA a donc
mis en exergue l’inefficacité de l’AMA, dans la plus importante affaire de dopage des q u in ze
dernières années.
Le mécanisme international de lutte contre le dopage est cependant nécessaire et perfectible
Des améliorations du fonctionnement actuel de l’agence sont envisageables : adaptation du Code
mondial pour prendre en compte l’évolution technologique du dopage, interdiction de certaines
substances actuellement tolérées (par exemple les corticoïdes), obligation de communication des
données ADAMS (Service d’administration et de gestion anti-dopage) à toutes les parties
concernées, révision de la répartition des compétences concernant les manifestations
internationales. D’autres avancées encore sont certainement envisageables : rapprochement avec
97
l’OMS et INTERPOL pour la recherche sur les molécules utilisées frauduleusement et pour la lutte
contre le trafic de médicaments, modalités moins « politiques » (c'est-à-dire conçues sur des bases
seulement scientifiques) d’élaboration des listes, coordination des organisations nationales anti-
dopage (ONAD), création d’une structure indépendante d’arbitrage des conflits entre fédérations
et États.
Cela étant, le problème essentiel réside certainement dans une évolution du périmètre d’action
de l’AMA. Si le mouvement sportif semble souhaiter le réduire à des fonctions d’appui et de
coordination et récupérer ainsi la totalité du pilotage de la lutte contre le dopage, les États
ne peuvent évidemment pas accepter cette mise à l’écart de toute dimension stratégique.
Une solution intermédiaire pourrait toutefois résider dans une plus grande responsabilisation de
tous les membres de l’AMA dans l’application du Code mondial auquel ils ont souscrit, et dans
l’instauration d’une entité indépendante dotée de larges pouvoirs d’évaluation, de régulation
voire de sanction pour en contrôler la bonne exécution.
L’expérience de l’AMA contient à tout le moins des enseignements essentiels sur les écueils
de l’institutionnalisation de la coopération entre mouvement sportif et États, et plus
généralement sur les écueils de toute organisation hybride ou associant des intérêts publics et des
intérêts privés, à savoir : la dilution des objectifs, la dissociation des intérêts, la politisation du
processus décisionnel, l’insuffisance des mécanismes de suivi et de contrôle des obligations de
natures bien différentes des uns et des autres, les discussions toujours ouvertes sur le financement
équilibré de l’ensemble.
Pour autant, le bilan mitigé de l’AMA ne saurait condamner une nouvelle tentative de faire
coopérer dans un cadre formel stable les États et le mouvement sportif à la lutte contre la
manipulation des compétitions sportives. Il s’agit là en effet d’une impérieuse nécessité
(supra).
La lutte contre le dopage présente des différences importantes avec la lutte contre la
manipulation des compétitions sportives
En tout état de cause, la reproduction pure et simple du modèle normatif et institutionnel de la lutte
contre le dopage à la lutte contre la manipulation des compétitions sportives se heurte aux
différences considérables qui séparent les deux phénomènes.
En effet, d’une part, à l’inverse du dopage, qui implique pour l’heure un nombre limité de personnes et
est en règle générale plus facile à détecter, la corruption sportive, et tout particulièrement la
manipulation des compétitions liée aux paris sportifs, est aujourd’hui un phénomène transnational
très complexe faisant intervenir une pluralité d’acteurs (dont des réseaux criminels) et
soulevant des enjeux économiques énormes.
D’autre part, la régulation des paris sportifs - qui, pour être périphériques par rapport au sport, n’en
constituent pas moins un élément d’un contexte qui favorise la corruption dans le sport - n’a pas
d’équivalent dans la lutte contre le dopage (à tout le moins telle qu’elle a été conçue à l’origine). Elle
est indissociable de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives.
Enfin, la répression pénale de certains faits de manipulation des compétitions sportives est
indispensable alors que la répression pénale n’a qu’un rôle très accessoire dans le dispositif anti-
dopage.
15.2. QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER D’EXPÉRIENCES DE RÉGULATION ET DE COOPÉRATION MULTIPARTITE EN
DEHORS DU DOMAINE DU SPORT ?
Compte tenu de la complémentarité des responsabilités en matière de lutte contre la manipulation des
compétitions sportives, qui se répartissent principalement, mais pas seulement, entre États et
98
mouvement sportif, c’est en termes de régime global de lutte contre la manipulation des
compétitions sportives qu’il faut raisonner, plutôt que de considérer séparément des
mécanismes intergouvernementaux et des mécanismes transnationaux.
Un tel régime se définit comme un ensemble de principes, de normes, de règles et de procédures de
décision, implicites ou explicites, autour desquels des acteurs se rassemblent pour agir de manière
coordonnée dans un domaine spécifique, en dépit de leurs différences de nature et d’intérêts
particuliers. Le cadre de la coordination ou de la coopération peut être unifié, formel et personnifié ; il
peut aussi simplement assurer, sans personnification ni formalisation systématique, la bonne
coordination d’une pluralité de mécanismes permettant de produire les normes nécessaires, d’en
contrôler l’application, d’en faciliter l’exécution sur le plan opérationnel, d’en évaluer les résultats, etc.
En d’autres termes, la création d’un régime global ne se confond pas nécessairement avec la
création d’une organisation internationale qui serait chargée de la protection de l’intégrité du
sport sous tous ses aspects ou de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives
dans toutes ses dimensions.
Le régime global à définir ne saurait faire table rase de ce qui existe déjà dans un cadre plus ou
moins institutionnalisé (supra) et devrait au contraire inclure et rationaliser les initiatives
existantes présentées plus haut.
LA CRÉATION D’UN RÉGIME GLOBAL DOIT REPOSER SUR QUELQUES PRINCIPES ESSENTIELS
Une définition très claire des fonctions, de leur hiérarchie et des règles de fonctionnement de
chacun des mécanismes envisagés
Un préalable apparaît indispensable avant toute identification d’un mécanisme institutionnel
susceptible de contribuer à la lutte contre la manipulation des compétitions : la mise en évidence
précise des fonctions qui lui seraient assignées et de leur hiérarchie.
L’un des enjeux consiste ici à organiser simultanément et coordonner deux grandes fonctions :
la lutte contre les paris illégaux et irréguliers ainsi que la détection des paris suspects, d’une
part, avec la prévention et la répression de la manipulation des compétitions sportives, d’autre
part.
La distribution des pouvoirs et l’équilibre entre les participants aux mécanismes destinés à servir ces
deux grandes fonctions sont ensuite susceptibles de varier selon que l’on entend mettre l’accent sur
l’élaboration de normes, l’administration d’un système d’échange d’informations, le suivi de la mise en
œuvre des règles par leurs destinataires, l’enquête, ou encore la répression des violations, voire une
combinaison de ces fonctions. En effet, des fonctions dépendent non seulement la structure à
privilégier, les participants à mobiliser et les dynamiques de pouvoir qui peuvent se nouer entre eux,
mais encore l’identification des partenaires à prendre en considération et des contraintes légales.
Si l’élaboration de normes ne nécessite pas nécessairement la mise en place d’une structure
institutionnelle formalisée, d’autres fonctions peuvent l’impliquer. Mais la structure choisie dépendra
encore des tâches précises, concrètes, qui lui seront assignées. À titre d’exemples : la mise en
place d’un mécanisme capable d’assurer un monitoring efficace des règles applicables peut
nécessiter une indépendance organique ou fonctionnelle vis-à-vis des destinataires de ces règles ; un
système d’échange d’informations relevant du renseignement (intelligence) n’est pas identique à un
système d’échange d’informations s’inscrivant dans le cadre de la coopération policière et judiciaire
internationale ; la constitution d’une base de données commune susceptible de faciliter la détection de
paris suspects ou irréguliers n’implique pas d’appareil administratif excessivement lourd mais suppose
le respect de règles relatives à la protection des données personnelles, sans quoi la participation des
autorités nationales compétentes pourrait être compromise.
99
Si une pluralité de mécanismes est créée pour remplir une série de fonctions clairement
identifiées, il importe de prévoir une coordination entre eux et une évaluation régulière des
performances du régime dans son ensemble.
Des procédures assurant durablement la légitimité et l’accountability de chacun des mécanismes
La mise en place d’un régime global n’est possible que si sa légitimité et son accountability sont
assurées. Il est ainsi essentiel que des mécanismes soient envisagés, afin que les institutions
investies de fonctions internationales, quel que soit leur statut, tiennent compte des parties prenantes
dans leur action et leur en rendent compte.
Ces garanties sont essentiellement procédurales. Elles peuvent tenir à l’exigence de transparence
et de participation, d’une part, à celle de motivation des actes, d’autre part, voire à la possibilité
d’exercer un recours contre les décisions prises au sein du mécanisme. Le respect de tels principes
peut non seulement accroître la légitimité, mais aussi renforcer l’adhésion des parties prenantes et,
dès lors, l’effectivité du mécanisme.
Seules des procédures de contrôle indépendantes sont à même d’assurer aux parties prenantes
que le mécanisme respecte les règles qu’elles lui ont données ou qu’il s’est lui-même données.
De tels contrôles peuvent être diffus, et intervenir au stade de la mise en œuvre des décisions prises
dans le cadre du régime global, ainsi que l’indique par exemple la pression indirecte que font peser la
Convention et la Cour européennes des droits de l’homme sur l’AMA. Mais pour s’en prémunir, les
régimes globaux doivent se doter de mécanismes internes - médiateurs, points focaux et autres
examens périodiques par des équipes indépendantes - permettant de renforcer leur accountability.
Des règles de financement équilibrées et stables
La pérennité d’un tel régime global repose également sur l’élaboration de règles de financement
équilibrées et stables. Plusieurs types de contributions peuvent être envisagées, le régime pouvant
être financé par les États, l’ensemble des parties prenantes ou ceux qui tirent bénéfice de ses
prestations. Ce financement doit être assuré de manière pérenne. Il peut être mixte, assis sur des
ressources propres et sur des contributions obligatoires ou volontaires, sur des contributions
en nature et sur des contributions monétaires.
Les modes de financement classiques, reposant sur les contributions des participants, et notamment
des États ou du mouvement sportif, pourraient ainsi être complétés par des modes de financement
indexés sur une partie du droit au pari lorsque ce système est pratiqué (voy. infra) ou sur une partie
des droits de retransmission des compétitions, la valeur médiatique des compétitions étant tributaire
de l’intégrité des compétitions sportives. En outre, certaines parties prenantes peuvent apporter une
contribution en nature prenant la forme de mise à disposition de personnel compétent, d’expertise,
d’informations ou du savoir-faire technique.
Des procédures de contrôle des obligations des différentes parties prenantes
La mise en œuvre d’un régime global repose sur l’implication de ses participants. La lutte contre la
manipulation des compétitions nécessite ainsi une action résolue et conjointe des acteurs publics, du
mouvement sportif et des opérateurs de paris. Dès lors, l’efficacité d’un tel régime dépend largement
de sa capacité à mettre en place des procédures de contrôle des obligations des différentes
parties prenantes.
Ce contrôle ne doit pas être confondu avec celui qui s’exerce sur le mécanisme lui-même. Il s’agit ici
d’établir des systèmes d’évaluation mutuelle (ou peer-review), à savoir d’examen par ses pairs
et/ou d’autres parties prenantes de l’action de chacune des parties prenantes au régime global
(à l’instar du Mécanisme d’examen de la Convention des Nations Unies contre la corruption). Cet
100
examen peut être conduit par des équipes constituées de représentants d’États, mais aussi du
mouvement sportif, voire des opérateurs de paris. L’association d’organisations non
gouvernementales intéressées à la défense et la promotion de l’intégrité du sport n’est pas exclue,
que ces organisations regroupent des sportifs, des militants anti-corruption ou des amateurs d’un
sport intègre. Alternativement, on pourra préférer un mécanisme de contrôle par des experts
parfaitement indépendants de toutes les parties prenantes.
Ces mécanismes doivent être assortis de moyens suffisants pour effectuer un examen non
seulement quantitatif mais aussi qualitatif de la mise en œuvre de leurs obligations par les
parties prenantes. Ils doivent se conclure par l’adoption de rapports de conformité ou de non-
conformité assortis d’indications sur la marche à suivre pour se conformer aux exigences du système,
sur les meilleures pratiques des différentes parties prenantes, sur l’interprétation la plus utile des
normes faisant l’objet de débats et enfin sur les amendements à leur apporter éventuellement pour
qu’elles puissent appréhender des pratiques qui, en matière de paris sportifs comme en matière de
manipulation des compétitions sportives, évoluent rapidement pour déjouer les contrôles.
DES MÉCANISMES EMPRUNTÉS À D’AUTRES EXPÉRIENCES EN DEHORS DU DOMAINE DU SPORT
PERMETTRAIENT D’AMPLIFIER LES EFFETS DE LA COOPÉRATION MULTIPARTITE DÉJÀ AMORCÉE DANS
LE CADRE DE LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES
L’examen des mécanismes développés en dehors du domaine du sport éclaire la façon dont la
coopération multipartite peut se déployer, au-delà des schémas internationaux classiques. Il permet
d’envisager des pistes concrètes pour la construction d’un régime global de lutte contre la
manipulation des compétitions sportives.
Les secteurs étudiés indiquent que les schémas institutionnels retenus peuvent être souples et
faire participer acteurs publics et privés dans des proportions variables. Les mécanismes
peuvent rester essentiellement publics, et associer sur un mode informel des régulateurs nationaux,
comme c’est le cas dans le secteur financier (Comité de Bâle, OICV, GAFI). Ils peuvent prendre la
forme de mécanismes très faiblement institutionnalisés, tels que le Système de certification du
processus de Kimberley, mis en place formellement par les seuls États, mais qui associe étroitement
l’industrie du diamant et la société civile. Quant à l’action d’une organisation internationale classique
telle que l’OMS, elle n’empêche pas l’établissement d’institutions multipartites, telles qu’IMPACT
(International Medical Products Anti-Counterfeiting Taskforce), qui associe autorités nationales de
régulation dans le secteur du médicament, organisations internationales et associations
internationales de patients, de professionnels de santé ou de laboratoires pharmaceutiques. Quelle
que soit la forme que prend l’association des acteurs publics et privés, ces expériences indiquent que
les intérêts des uns et des autres doivent être clairement identifiés, afin de prévenir les
éventuelles tensions entre les objectifs parfois divergents poursuivis par ces acteurs
hétérogènes, et les risques de « capture réglementaire »46
. Les mécanismes de régulation ne sont
d’ailleurs pas exclusifs et plusieurs systèmes peuvent se combiner pour la régulation efficace d’un
secteur (diamants, entreprises militaires et de sécurité privées).
Sur le plan normatif, les secteurs étudiés conduisent à relativiser les distinctions entre droit dur
et droit mou, instruments publics et privés, sources internationales, transnationales et
internes. En effet, ces secteurs se caractérisent, comme celui de la manipulation des compétitions
sportives, par une dimension globale et une pluralité d’intervenants relevant d’ordres juridiques divers.
Or, les effets de régulation globaux sont recherchés au travers d’une pluralité d’instruments aux
statuts variés. Tel est le cas dans le domaine de la régulation financière, mais aussi s’agissant de la
lutte contre le blanchiment, l’encadrement des entreprises militaires et de sécurité privées ou encore
la lutte contre les « diamants du sang ». Dans tous ces cas, les instruments de soft law sont
privilégiés. Ils permettent d’associer toutes les parties prenantes au processus normatif, de dégager
un consensus rapide et peuvent être aisément adaptés à l’évolution des pratiques appréhendées.
46
On désigne par cette expression l’ascendant pris par une entité régulée sur l’autorité de régulation.
101
L’effectivité de ces mécanismes est toutefois conditionnée par deux éléments. D’une part, ils
s’appuient bien souvent sur une logique de marché et sur la pression exercée sur les acteurs,
contraints d’accepter ces normes formellement non contraignantes sous peine d’être écartés, d’être
mis à l’index d’une société relativement intégrée, ou d’être privés de certains avantages (régulation
financière, GAFI, processus de Kimberley, entreprises militaires et de sécurité privées). D’autre part,
leur intégrité est conditionnée par la mise en place de systèmes de suivi et de contrôle efficaces, que
cette fonction soit confiée aux parties prenantes ou à des équipes d’experts indépendants. Toute
défaillance de l’évaluation, au stade de l’enquête ou de la décision, conduit à faire douter de l’intégrité
du système, comme ce peut être le cas avec le processus de Kimberley.
Sur le plan opérationnel, la coopération multipartite peut se traduire de diverses manières. L’une des
modalités privilégiées est celle de la certification ou, forme atténuée, de la notation. Elle permet de
s’assurer, via certains points de contrôle, étatiques (Kimberley) ou privés (entreprises militaires et de
sécurité), que les acteurs d’un secteur se conforment aux règles communes. Une autre modalité de
coopération consiste dans la collecte et le partage d’informations, notamment via des points de
contacts nationaux (Kimberley). Cette collecte et ce partage servent toutefois essentiellement à
recueillir des données sur l’ampleur d’un phénomène. Le développement de typologies des
pratiques à combattre pour actualiser les méthodes des autorités de contrôle et de répression
est aussi pratiqué avec succès. Mais la coopération multipartite peut aller plus loin encore. C’est
ainsi qu’IMPACT peut être amenée à coordonner, avec Interpol, des opérations ciblées des
autorités de police nationales en vue de lutter contre les médicaments contrefaits.
102
1166.. QQUUEELLSS PPRRIINNCCIIPPEESS CCOOMMMMUUNNSS LL’’EENNSSEEMMBBLLEE DDEESS AACCTTEEUURRSS EENNGGAAGGÉÉSS
DDAANNSS LLAA LLUUTTTTEE CCOONNTTRREE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS
SSPPOORRTTIIVVEESS DDOOIIVVEENNTT--IILLSS RREESSPPEECCTTEERR ??
Afin de lutter efficacement contre la manipulation des compétitions sportives, États et organisations
sportives ont tout intérêt à mettre en commun leurs moyens d’action et à coordonner leur politique de
prévention et de répression. Dans le cadre de cette lutte concertée, certains principes viennent
nécessairement encadrer aussi bien les actions des États que celles des organisations sportives.
RESPECTER LES DROITS FONDAMENTAUX DE LA PERSONNE HUMAINE DANS LES PROCÉDURES DE
PRÉVENTION ET DE RÉPRESSION DE LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION DES COMPÉTITIONS
SPORTIVES
Montée des inquiétudes et multiplication des contentieux
Les différentes parties prenantes, publiques ou privées, sont soumises à l’obligation de respecter les
droits fondamentaux des personnes concernées, par des mesures tant de prévention que de
répression des atteintes à l’intégrité du sport.
La lutte contre le dopage a suscité de nombreuses inquiétudes (notamment au regard du droit au
respect de la vie privée des athlètes ou de leur droit à la libre circulation) signalées dans des avis
juridiques circonstanciés et appréhendées par la jurisprudence des juridictions nationales et
disciplinaires. Celle-ci constitue un important précédent qui a conforté l’idée que l’élaboration
d’outils efficaces de lutte contre la manipulation des compétitions sportives ne pouvait être
envisagée sans que les principes communs applicables à l’ensemble des acteurs concernés
soient identifiés.
En outre, d’ores et déjà, à propos des mesures de lutte contre la manipulation des compétitions
sportives, les contentieux se multiplient devant les juridictions nationales, devant le Tribunal arbitral du
sport et même devant certaines juridictions internationales (telle la Cour européenne des droits de
l’homme), les requérants n’hésitant pas à contester la légalité des décisions prises par les
organisations sportives au regard des règles protectrices de leurs droits fondamentaux.
Une contrainte longtemps passée inaperçue : l’applicabilité de la Convention européenne des
droits de l’homme aux institutions sportives
L’instrument de portée internationale susceptible de s’appliquer le plus directement au mouvement
sportif (par l’intermédiaire du Tribunal arbitral du sport, dont les décisions peuvent faire l’objet d’un
recours devant le Tribunal fédéral suisse) est la Convention européenne des sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), à laquelle la Suisse, État du siège du TAS, est
partie). Mais d’autres sources devraient être prises également en considération, comme les
constitutions nationales ou certains autres instruments de portée internationale ou régionale.
Les États (européens) sont liés…
Les États parties à la CESDH peuvent bien évidemment voir leur responsabilité engagée à raison
de leur propre dispositif légal dans le domaine du sport en général et de la lutte contre la
manipulation des compétitions sportives en particulier. Mais les États peuvent également être tenus
responsables des atteintes aux droits de l’homme commises par des personnes privées - et
notamment par des organisations sportives placées sous leur juridiction - lorsque ces atteintes ont été
rendues possibles par un contrôle insuffisant sur les activités de ces personnes. On parle alors de
responsabilité de l’État pour ingérence passive ou ingérence négative.
103
… et les institutions sportives (internationales) aussi !
En tant qu’organisations privées, les institutions sportives pourraient passer pour libres de toute
obligation de respecter les droits de l’homme, ceux-ci ayant principalement pour vocation de protéger
les personnes privées contre les ingérences de la puissance publique. Il en va, en réalité, tout
autrement.
Tout d’abord, l’objet et les finalités des normes protectrices des droits de l’homme, quelle que soit leur
source, ont si bien évolué qu’elles peuvent désormais encadrer non plus seulement l’action des États
mais aussi celle des personnes privées qui se trouvent en position de porter atteinte aux droits et
libertés d’autres personnes privées (les employeurs ou les bailleurs de fonds par exemple).
En outre, la nature très spécifique du lien qui unit l’organisation sportive à ses membres et
l’étendue des prérogatives que la première exerce sur les seconds (prérogatives de puissance
privée exorbitantes du droit commun) - font que la « puissance sportive » doit être considérée
comme supportant une responsabilité propre de respecter les droits de l’homme. Toutefois
certaines organisations sportives, placées en bas de la pyramide institutionnelle, ne disposent
évidemment pas de la même puissance ni des mêmes prérogatives que les fédérations nationales ou
internationales placées en situation de monopole. Il va de soi que ces différences de statut ont des
conséquences sur le traitement de la question de la responsabilité propre des organisations sportives
à l’égard du respect des droits de l’homme.
Les dispositifs comportant un risque de violation des droits fondamentaux de la personne
Les principales tensions qui peuvent survenir dans la mise en œuvre d’une politique efficace de lutte
contre la manipulation des compétitions sportives concernent :
les mesures de prévention présentant un caractère intrusif (contrôle des communications,
règles de comportement étendues à l’entourage…) ;
la procédure disciplinaire sportive, avec ses règles spécifiques : aussi bien les instances
disciplinaires sportives que les tribunaux arbitraux chargés du contrôle des décisions
disciplinaires (et notamment le TAS) sont soumis aux garanties procédurales des droits de
l’homme, au premier rang desquelles le droit à un procès équitable, au besoin avec quelques
aménagements visant à tenir compte des spécificités et des besoins propres des
organisations sportives ;
les sanctions disciplinaires qui doivent obéir au principe de proportionnalité et être
prononcées en tenant compte de certains droits et libertés tels que la liberté d’exercer une
activité.
FACILITER MAIS ENCADRER AUSSI L’ÉCHANGE D’INFORMATIONS
L’échange d’informations entre autorités judiciaires et institutions sportive fait se rencontrer deux types
de pouvoir répressif : le pouvoir de répression pénale et le pouvoir de répression disciplinaire, qui ne
disposent pas des mêmes informations et ne reposent pas sur les mêmes pouvoirs d’investigation,
mais sont appelés à s’exercer de manière complémentaire dans un certain nombre de cas de
manipulation.
Convergence d’intérêts, divergence d’intérêts ou confiance réciproque ?
Deux points de vue tout à fait opposés peuvent être défendus sur l’échange d’informations. Selon
le premier, les autorités judiciaires et les institutions sportives ont des intérêts suffisamment
convergents pour s’engager à coopérer en matière d’échange d’informations. Il peut être soutenu, à
l’inverse, que les intérêts des autorités judiciaires nationales et des institutions sportives ne sont
pas suffisamment convergents et que l’échange d’informations risque de se retourner contre ses
objectifs.
104
Sans chercher à trancher a priori cette querelle, on peut estimer que les autorités pénales devraient
apprécier au cas par cas la nécessité de coordonner leurs opérations avec celles des organes
disciplinaires : dans certaines situations, elles doivent pouvoir opérer sans informer qui que ce soit
de leurs intentions. Les autorités pénales n’ont pas nécessairement intérêt à ce que les fédérations
sportives engagent des procédures disciplinaires tous azimuts, avec des auditions, etc., quand, par
exemple, un sportif est mis en détention : les enquêtes disciplinaires peuvent gêner le déroulement
des enquêtes pénales. Il est alors utile d’assurer, dans une certaine mesure, une coordination des
deux enquêtes, que ce soit en coordonnant les opérations prévues ou en stoppant momentanément
l’enquête disciplinaire (le cas échéant, la fédération sportive devrait alors avoir la possibilité, pour
préserver son image, de faire savoir au public que c’est à la demande de l’autorité pénale qu’elle
n’agit pas, pour autant - bien sûr - que le public ait déjà connaissance de l’existence des enquêtes).
Évidemment, une coordination passe par une certaine information des fédérations sportives quant aux
buts et enjeux des enquêtes pénales en cours.
Le degré de confiance entre autorités pénales et organisations sportives, dans chaque cas
particulier, influencera aussi la position des premières quant à une éventuelle coordination
avec les secondes.
La communication d’éléments par le mouvement sportif aux pouvoirs publics doit être distinguée du
courant inverse.
La communication d’informations par le mouvement sportif aux pouvoirs publics est dans son
intérêt bien compris
La circulation d’informations en ce sens ne semble pas poser de problème majeur sur le plan légal.
Du côté des organisations sportives, une pleine collaboration avec les autorités pénales devrait aller
de soi.
Cependant, certains acteurs du mouvement sportif pourraient être tentés de protéger leurs
membres contre les investigations policières, pour toutes sortes de raisons comme la protection de
la personnalité, la camaraderie ou encore le risque d’image pour l’organisation sportive, lié à la
révélation de faits délictueux commis par certains de ses membres. Des motifs de ce genre
peuvent amener des responsables sportifs à ne pas coopérer pleinement et spontanément avec les
autorités pénales.
Il pourrait donc être judicieux d’imposer aux composantes du mouvement sportif de saisir
les autorités judiciaires lorsqu’elles décèlent des faits susceptibles de constituer une
infraction pénale.
En définitive, elles pourraient même y trouver avantage lorsque sont en cause dans ces affaires
des tiers non impliqués dans la vie fédérale (membres du crime organisé, etc.) et plus encore
lorsque ces faits, par leur nature ou leur complexité, relèvent beaucoup plus de la sanction pénale
que de la sanction disciplinaire, qui peut ne trouver à s’appliquer que marginalement.
Une restriction légale doit être évoquée néanmoins. Dans certains cas, les organisations sportives
recueillent des preuves qui heurtent les garanties de procédure existant en droit pénal (cf. devant le
TAS les affaires Amos Adamu c. FIFA, 2012 et Amadou Diakite c. FIFA, 2012 - écoutes
téléphoniques réalisées par des journalistes). Autrement dit, l’échange de certaines informations Ŕ
dans le sens organisations sportives vers autorités judiciaires Ŕ est impossible au regard des
garanties procédurales entourant chacune des procédures.
105
La communication d’informations des pouvoirs publics au mouvement sportif est nécessaire
mais comporte des risques
Si les autorités pénales ont souvent l’utilité et parfois le besoin de renseignements détenus par les
organisations sportives, ces dernières ne peuvent que rarement réprimer efficacement les
manipulations de compétitions sans disposer d’informations obtenues préalablement par les
autorités pénales.
Il est sans aucun doute dans l’intérêt public que les athlètes, entraîneurs, arbitres et officiels
corrompus puissent être sanctionnés sur le plan disciplinaire, en plus de l’être sur le plan pénal
(image du sport, rôle positif du sport dans la société, etc.). Pour pouvoir sanctionner les acteurs
corrompus, les organisations sportives doivent pouvoir disposer des informations nécessaires. Dans
de nombreux cas de manipulation de compétitions, les preuves essentielles résultent
d’enquêtes pénales et sont obtenues par des moyens dont les organisations sportives ne
disposent pas (enregistrements de conversations téléphoniques, relevés bancaires, données
relatives à des paris sportifs, etc.).
Pourtant, la communication de documents de nature administrative ou judiciaire aux fédérations
sportives pourrait présenter des inconvénients et susciter des résistances.
Même si elles sont parfois investies de missions de service public ou d’intérêt général, les fédérations
sportives sont fondamentalement des organisations privées qui n’ont pas vocation à agir dans un
champ policier et encore moins judiciaire. Leurs statuts leur attribuent des compétences disciplinaires
applicables à leurs seuls adhérents et essentiellement liées à la participation aux compétitions
qu’elles organisent (supra). La quasi-totalité des fédérations disposent de structures adéquates
et d e compétences humaines qualifiées pour assurer cette fonction disciplinaire et recueillir
des informations apportées par les pouvoirs publics pour les utiliser à bon escient.
Cela étant, le circuit statutaire de ces procédures peut conduire à des saisines hiérarchiques ; au
lieu d’être cantonnées aux instances spécialisées, les affaires peuvent donc être évoquées dans des
structures généralistes (bureau exécutif ou comité directeur) regroupant toutes les composantes de
la « famille sportive » (dirigeants, sportifs, entraîneurs, médecins, arbitres, personnels
administratifs). Des procédures pourraient donc être perturbées (voire annihilées dès leur
origine) par des pratiques délibérées (accointance avec les mis en cause) ou maladroites
(porosité du contenu des débats) ou l’évocation trop ouverte de certains dossiers. On peut
aussi imaginer que des fédérations s’inquiètent des risques judiciaires et économiques qu’elles
pourraient encourir lorsque ces dossiers concernent des sportifs percevant des rémunérations
élevées qui leur permettent de s’attacher les services de conseils performants dont les voies de
défense sont facilitées par les déficiences de ce type de procédure.
Il reste que, sans préjudice de l’indépendance des procédures pénales et disciplinaires (supra), le
principal argument en faveur de l’échange d’informations entre autorités judiciaires et
institutions sportives réside dans leur complémentarité, qui peut s’avérer un atout pour
démêler des affaires complexes, pour démanteler des « réseaux » de manipulateurs de
compétitions sportives, et pour donner à chaque infraction, selon sa gravité, la sanction
qu’elle mérite (disciplinaire et/ou pénale).
L’échange d’informations est soumis à des contraintes légales fortes
Il convient toutefois de toujours rapporter le bénéfice espéré d’un échange d’informations et
de sanctions complémentaires aux contraintes légales pesant sur lui. Par exemple, les
informations détenues par les autorités judiciaires peuvent être d’une nature telle - découlant par
exemple de leur mode d’obtention - qu’elles ne peuvent être transmises à des tiers ou utilisées à
d’autres fins que celles pour lesquelles elles ont été obtenues ( inversement d’ailleurs, les
institutions sportives peuvent utiliser, dans la procédure disciplinaire, des éléments dépourvus de
force probante dans la procédure pénale).
106
Les autorités publiques en général et les autorités pénales en particulier sont soumises, par la loi,
au secret de la fonction et de l’enquête. Sauf exception légale, elles ne peuvent donc pas, en
principe, révéler à des tiers des informations résultant des dossiers pénaux, e t cela jusqu’à la
phase du jugement où les faits sont exposés en audience publique. Parmi les exceptions légales
habituelles figure la possibilité laissée à certaines autorités pénales de donner des informations au
public sur des enquêtes en cours, quand le besoin s’en fait sentir (généralement, des règles Ŕ plus
ou moins précises, selon les systèmes Ŕ encadrent l’exercice de ce pouvoir ; il y est notamment
question de l’intérêt du public à connaître l’activité des autorités, de parer au risque de publication de
nouvelles inexactes, etc.).
La révélation à des tiers d’informations contenues dans des dossiers pénaux peut, selon le stade
de l’enquête et les circonstances de celle-ci, entraîner un risque de collusion. Par exemple, la
révélation prématurée de surveillances téléphoniques en cours peut amener les personnes visées à
se concerter sur les explications qu’il faudra, le moment venu, fournir aux policiers qui les
entendront. La révélation du simple fait qu’une enquête a été ouverte peut aussi amener des
suspects à détruire des preuves, par exemple en changeant les disques durs de leurs ordinateurs.
Ces éléments constituent à l’évidence des obstacles à une collaboration entre les autorités pénales et
les organisations sportives, en ce sens que les premières devront souvent veiller à ce que les
secondes n’aient pas même connaissance des enquêtes en cours, et encore moins des informations
réunies par ces enquêtes.
Dans la plupart des cas, les organisations sportives dépendent des renseignements détenus par les
autorités pénales pour pouvoir poursuivre disciplinairement les auteurs de faits répréhensibles. Or
elles ne peuvent et ne doivent pas attendre la fin de la procédure pénale, qui prend généralement
plusieurs années avant d’aboutir à un jugement définitif et exécutoire, pour sanctionner les auteurs
sur le plan disciplinaire : qu’un athlète ou président de club sérieusement soupçonné de fraude puisse
continuer à participer aux compétitions, respectivement à diriger son club, nuit gravement à l’image
du sport, à l’intégrité des compétitions et à une prévention efficace. De ce qui précède, il pourrait
résulter que les organisations sportives devraient pouvoir recevoir des informations tirées
des dossiers pénaux, avant même que ces informations soient disponibles pour le public en
général, donc avant que les faits soient évoqués en audience publique. Si on pose le principe
que les organisations sportives doivent pouvoir recevoir des informations de la part des autorités
pénales, avant la fin des enquêtes pénales, des mesures doivent être prises pour éviter ou au moins
limiter les inconvénients mentionnés ci-dessus. Il devrait probablement prendre la forme d’un
complexe d’instruments puisqu’est nécessaire au moins un engagement formel pris par les
institutions sportives quant aux conditions d’utilisation, conservation, traitement,
communication des données.
À supposer que l’échange d’informations entre les autorités judiciaires nationales et les institutions
sportives internationales puisse être doté d’un cadre juridique offrant des garanties suffisantes
de sécurité juridique, les conditions entourant la transmission d’informations de l’autorité pénale
aux institutions sportives d’un même pays, d’une part, de l’autorité pénale à des institutions sportives
internationales, d’autre part, devraient être sensiblement les mêmes, les États pouvant t o u t e f o i s
légitimement exiger des clauses de sauvegarde leur garantissant le pouvoir de refuser la
transmission d’informations sans que leur responsabilité puisse être recherchée.
Finalement, la mise en place pendant les grands événements sportifs comme les Jeux
olympiques, d’unités conjointes, revêt une importance particulière : d’une part, elle est riche
d’enseignements sur les écueils et les bonnes pratiques du partage d’informations ; d’autre part,
elle contribue à renforcer la confiance entre les institutions nationales et les institutions sportives, ce
qui pourrait, le cas échéant, faciliter la définition de mécanismes d’échange d’informations entre les
autorités judiciaires nationales et les institutions sportives internationales.
107
1177.. QQUUII FFIINNAANNCCEE LLAA LLUUTTTTEE CCOONNTTRREE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS
SSPPOORRTTIIVVEESS ?? LL’’EEXXEEMMPPLLEE DDUU DDRROOIITT AAUU PPAARRII
Le financement de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives, bien qu’essentiel, est un
sujet assez peu abordé ou volontairement tu.
Le financement de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives : un catalyseur des
conflits d’intérêts
De fait, il met au jour assez crument les oppositions d’intérêts entre acteurs du monde sportif que
l’analyse économique avait déjà soulignées.
Alors que chacun s’accorde sur la nécessité d’allouer à la lutte contre la manipulation des
compétitions sportives les sommes tirées des revenus engendrés par les marchés des spectacles
sportifs et des paris, les dissensions se font jour dès lors qu’il est question de la méthode retenue, des
montants perçus et du contrôle de leur affectation.
L’exemple du droit au pari témoigne de ces difficultés.
L’exemple du droit au pari
Adopté par l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Turquie et la France, avec quelques différences
mineures, le droit au pari apparaît a priori comme une solution séduisante. Il s’agit en substance
de faire en sorte que les organisateurs d’événements sportifs (dont les fédérations) - qui en sont
propriétaires - reçoivent une juste rémunération en contrepartie de l’exploitation commerciale de ces
événements par les opérateurs de paris. Une part de ces revenus doit être affectée à la mise en place
de dispositifs de protection de l’intégrité des compétitions par leurs organisateurs et leur
financement47
.
Ce mécanisme, qui a donné quelques résultats, se heurte cependant aujourd'hui à un certain
nombre d’obstacles qui traduisent autant de divergences d’intérêts et de priorités entre
acteurs du sport :
quel doit être le montrant du droit au pari, ce montant s’ajoutant aux prélèvements auxquels
est soumise l’activité de jeux et de pari ?
quelle doit en être l’assiette : les mises engagées ou le produit brut des jeux ?
quelles sont les manifestations et compétitions sportives visées par le droit au pari ?
le droit au pari n’est-il pas contraire à la liberté d’entreprendre et aux règles de la
concurrence ?
le montant du droit au pari doit-il être régulé ?
comment s’assurer que les sommes récoltées sont effectivement affectées pour partie à la
mise en place de dispositifs de protection de l’intégrité des compétitions par leurs
organisateurs ?
etc.
47
Pour une analyse détaillée du droit au pari, voy. le rapport de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) du mois de février 2013.
108
Ces questions demeurent aujourd'hui en débat et témoignent de la difficulté des différentes parties
concernées, au-delà des pétitions de principe sur l’intégrité du sport, à s’accorder.
Le financement de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives constitue pourtant un
vecteur essentiel de succès.
La question du financement d’une éventuelle plate-forme internationale de lutte contre la
manipulation des compétitions sportives
Dans l’hypothèse où l’idée de la mise en place d’une plate-forme internationale de lutte contre la
manipulation des compétitions sportives trouverait à se concrétiser, quelles qu’en soient au
demeurant la nature et la forme et quels que soient les pouvoirs dont elle serait dotée, il est à redouter
que les mêmes conflits d’intérêts se fassent jour.
La question du financement de cette future plate-forme, au-delà des débats sur sa nature et ses
pouvoirs, constitue pourtant l’une des questions essentielles à résoudre.
109
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION.....................................................................................................................................2
11.. QQUUEELLLLEE EESSTT LL’’AAMMPPLLEEUURR DDEE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPEETTIITTIIOONNSS
SSPPOORRTTIIVVEESS ??..................................................................................................................................................................................................................................................................................4
LA RECURRENCE DE LA MANIPULATION DES COMPETITIONS SPORTIVES : UN PHENOMENE PLANETAIRE
QUI MENACE LES FONDEMENTS DU SPORT MODERNE…………………………..………………............4 Une dérive globale…………………………………………………………………………………......4
Le football et le cricket : les disciplines les plus visées………………………………………….....4
Le palmarès des compétitions les plus gangrenées……………………………………………......4
Les cas recensés : la partie émergée de l’iceberg……………………………………………….....4
L’efficacité des autorités ne se mesure pas au nombre d’affaires détectées…………………….4
LES ACTEURS IMPLIQUES : DES SPORTIFS, MAIS PAS SEULEMENT……………………………………...5
LA RÉPARTITION DES CAS DE MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES : L’EUROPE ET L’ASIE
EN
DANGER………………………………………………………………………………………………......5 L’Europe : le plus grand nombre de cas de manipulations révélées dans le plus grand nombre
de disciplines sportives différentes……………………………………………………………………5
L’Asie : des championnats souvent truqués………………………………………………………....5
L’Océanie, l’Afrique et les Amériques : une situation moins alarmante pour
l’heure…………………………………………………………………………………………………..5
22.. DDAANNSS QQUUEELL CCOONNTTEEXXTTEE SSEE DDÉÉVVEELLOOPPPPEE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPEETTIITTIIOONNSS
SSPPOORRTTIIVVEESS ??..................................................................................................................................................................................................................................................................................88
LE POIDS CROISSANT DU SPORT DANS L’ECONOMIE MONDIALE………………………………………....8
Les marchés du sport représentent presque 2 % du PIB……………………………………….....8
L’AVENEMENT D’UN MARCHE GLOBAL DU SPORT……………………………………………………......9
Le spectacle sportif et ses dérivés immédiats : la composante la plus mondialisée de
l’économie du sport……………………………………………………………………………………..9
La globalisation du marché du travail des sportifs de haut niveau et de l’encadrement………..9
La globalisation du financement des grands clubs sportifs………………………………………...9
La soumission au droit de l’Union européenne…………………………………………………....10
L’aléa sportif au péril de la globalisation économique du sport…………………………………10
LE DEVELOPPEMENT CORRELATIF D’UN MARCHE TRANSNATIONAL DES PARIS SPORTIFS……………10
LES DERIVES ASSOCIEES A LA MONDIALISATION DU SPORT ET DES PARIS
SPORTIFS……………………………………………………………………………………………….11
33.. QQUUEELL EESSTT LL’’IIMMPPAACCTT DD’’IINNTTEERRNNEETT SSUURR LLEE MMAARRCCHHÉÉ DDEESS PPAARRIISS SSPPOORRTTIIFFSS……………………………………1122
ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?.....................................................................................................12
Multiplication des nouveaux opérateurs de paris sur Internet, souvent dans des paradis
fiscaux ………………………………………………………………………………………………………….12
Apparition d’actionnaires privés…………………………………………………………………….13
Création d’autorités de régulation nationale des paris parfois insuffisamment dotées face aux
phénomènes des compétitions manipulées et du blanchiment d’argent………………………………...13
Modification sans précédent de l’offre de paris sportifs…………………………………………..13
Augmentation considérable des taux de retour aux joueurs……………………………………..13
Apparition de nouveaux types de parieurs, professionnels………………………………………13
L’évolution inégale des modèles de régulation du marché des paris sportifs…………………..13
L’INCIDENCE DE LA REGULATION PUBLIQUE SUR LE MARCHE DES PARIS SPORTIFS…………………..17
LA DYNAMIQUE DU MARCHE DES PARIS SPORTIFS……………………………………………………..19
44.. QQUUEELLSS RRIISSQQUUEESS PPOOUURR LL’’IINNTTEEGGRRIITTÉÉ DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS PPEEUUVVEENNTT ÊÊTTRREE
AASSSSOOCCIIÉÉSS AAUU DDÉÉVVEELLOOPPPPEEMMEENNTT DDEESS PPAARRIISS SSPPOORRTTIIFFSS ??....................................................................................................................2244
JEU ILLEGAL, PARADIS FISCAUX ET TRANSACTIONS A HAUTE FREQUENCE……………………………24
Paris illégaux………………………………………………………………………………………….24
Formules de jeu attractives pour les criminels…………………………………………………....24
Les volumes de paris placés sur un évènement sportif, premier facteur d’attractivité pour les
criminels………………..............................................................................................................26
110
La dissociabilité à l’issue sportive et de l’issue du pari représente un fateur de risque
majeur…………………………………………………………………………………………………..26
La structure des compétitions contribue à l’existence de fenêtres d’opportunités de déviance
aux règles pour les participants sportifs……………………………............................................27
Analogies avec les marchés financiers……………………………………………………………..27
Opportunités de blanchiment d’argent………………………………………………………………28
55.. OOÙÙ EENN EESSTT LLAA LLUUTTTTEE CCOONNTTRREE LLEESS PPAARRIISS IILLLLÉÉGGAAUUXX ??....................................................................................................................3300
MOBILISATION ET RESULTATS : UNE CORRELATION INDENIABLE……………………………………...30
MONITORING DES VARIATIONS DE COTES : UN TEST ANTI-MANIPULATION AISEMENT
CONTOURNABLE…………………………………………………………………………………………30
66.. QQUUEELLLLEESS FFOORRMMEESS PPRREENNDD LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??........................3311
TYPOLOGIE DES CAS DE MANIPULATION DE COMPÉTITIONS SPORTIVES………………………………31
Manipulation sans lien et en lien avec les paris sportifs ………………………………………….31
Risques pour l’intégrité du sport associés aux paris sportifs …………………………………….32
Modes de répression adaptés aux types de manipulation des compétitions…………………32
77.. QQUUEELLSS EENNSSEEIIGGNNEEMMEENNTTSS TTIIRREERR DDEE LLAA CCOOMMPPRRÉÉHHEENNSSIIOONN DDEE LLAA RRAATTIIOONNAALLIITTEE
ÉÉCCOONNOOMMIIQQUUEE DDEESS AACCTTEEUURRSS DDEE LLAA CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONN ??......................................................................................................................................3355
IDENTIFICATION DES ACTEURS EN PRÉSENCE, DE LEURS INTÉRÊTS ET DE LEURS RISQUES…………35
Il est possible de décrire l’équilibre concurrentiel et l’optimum des parties prenantes aux
paris……………………………………………………………………………………………………35
Les conflits d’intérêts potentiels entre les parties intéressées aux paris sportifs : une
interrogation nécessaire sur le bien-fondé de la répartition des responsabilités et de l’autorité
en matière de régulation du marché des paris sportifs…………………..……………………….35
Détection, reporting et relation principal-agent : révélation de la fraude, quant l’intérêt social se
heurte à la maximisation de l’utilité des opérateurs de paris……………………………………..36
À la différence des opérateurs de paris, les fédérations sportives sont insuffisamment
équipées………………………………………………………………………………………………..37
Des scandales répétés peuvent conduire à l’effondrement d’une équipe ou d’une
compétion……………………………………………………………………………………………...38
IDENTIFICATION DE LA RATIONALITÉ ÉCONOMIQUE DES ACTEURS……………………………………..38
Les truqueurs procèdent à un calcul coût-avantages……………………………………………..38
La fraude, une activité à rendement croissant…………………………………………................39
Sous certaines conditions, les opérateurs de paris peuvent être intéressés à la seule hausse
des volumes pariés……............................................................................................................39
Les États doivent assumer la responsabilité qui est la leur étant donné l’existence de conflits
d’intérêts des parties prenantes……………………………………………………………………..40
PRÉCONISATIONS FONDÉES SUR L’ANALYSE DE LA RATIONALITÉ ÉCONOMIQUE DES
ACTEURS………………………………………………………………………………………………...40
Une politique de risk-management adaptée à l’innovation des procédés
criminels………………………………………………………………………………………………..40
La centralisation par les autorités publiques de l’organisation des actions à mener contre la
fraude…………………………………………………………………………………………………..41
Une limitation du TRJ…………………………………………………………………………………41
Un droit au pari discriminant…………………………………………………………………………41
L’assimilation des opérateurs de paris aux institutions financières……………………………...41
Relation d’agence : des schémas incitatifs favorisant la convergence des intérêts des parties à
la révélation de la fraude……………………………………………………………………………..41
88.. QQUUEELLSS DDÉÉFFIISS PPOOUURR LL’’ÉÉTTHHIIQQUUEE RREEPPRRÉÉSSEENNTTEENNTT LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS
SSPPOORRTTIIVVEESS EETT LLAA LLUUTTTTEE CCOONNTTRREE CCEETTTTEE PPRRAATTIIQQUUEE ??............................................................................................................................4422
L’ÉTHIQUE DU SPORT : ENTRE DEMANDE DE RÈGLES ET CONTROVERSES SUR LES VALEURS QUI LES
FONDENT………………………………………………………………………………………………..42 Le sport, confronté aux questions éthiques………………………………………………………..42
Le débat sur les valeurs du sport……………………………………………………………………43
111
CE QUE LA DIMENSION SOCIALE ET PRATIQUE DU SPORT RÉVÈLE DES DIFFICULTÉS À METTRE EN
ŒUVRE LES PRESCRIPTIONS ÉTHIQUES………………………………………………………………...43 La remise en cause de la fonction cathartique du sport…………………………………………..43
Le primat de la compétition…………………………………………………………………………..43
Le souci de l’individu et de ses droits……………………………………………………………….43
L’APPORT DE L’ÉTHIQUE INSTITUTIONNELLE AU SPORT : IDENTIFIER LES RESPONSABILITÉS ET
PROPOSER DES REMÈDES……………………………………………………………………………..43 Identifier ce qui, dans le sport, relève de la responsabilité individuelle ou de la responsabilité
collective………………………………………………………………………………………………44
Favoriser l’adaptation des institutions aux défis éthiques………………………………………...44
Y-A-T-IL DES CONDITIONS SPECIFIQUES A LA PROMOTION DE L’ETHIQUE DANS LE MILIEU SPORTIF ?..44
Le contexte changeant d’une mobilisation de l’éthique en milieu sportif………………………..44
Les acteurs impliqués dans la mobilisation de l’éthique en milieu sportif et leur légitimité…...44
Les conditions d’une mobilisation de l’éthique en milieu sportif : authenticité et
transparence………………………………………………………………………………………….45
Les outils d’une mobilisation de l’éthique en milieu sportif……………………………………….45
99.. CCOOMMMMEENNTT LLEESS IINNSSTTIITTUUTTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS SSEE SSOONNTT--EELLLLEESS HHIISSTTOORRIIQQUUEEMMEENNTT
PPOOSSIITTIIOONNNNÉÉEESS PPAARR RRAAPPPPOORRTT ÀÀ LL’’ÉÉTTHHIIQQUUEE DDAANNSS LLEE SSPPOORRTT ??..............................................................................................4477
LA REGLE SPORTIVE, LE FAIR PLAY ET LA CHEVALERIE DU SPORT…………………………………….48
L’OLYMPISME, LE CIO, LE MOUVEMENT OLYMPIQUE…………………………………………………..48
De l’invention de l’olympisme au neutralisme durant la guerre
froide…………………………………………………………………………………………………..48
La réinvention de l’olympisme à l’ère marchande…………………………………………………49
LES FIS ET LE CIO : UNE HISTOIRE ENTRECROISEE…………………………………………………...50
La prise de contrôle de l’espace mondial par le CIO et la réaction des FIS……………………50
La difficile émancipation des FIS à l’égard du CIO………………………………………………..50
Une affirmation tardive des valeurs sportives……………………………………………………..50
Des dispositifs de lutte contre le dopage peu efficaces…………………………………………..50
La stratégie offensive de SportAccord à l’égard du CIO………………………………………….50
1100.. QQUUEELLLLEESS RREEAACCTTIIOONNSS LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPEETTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS AA--TT--EELLLLEE
SSUUSSCCIITTEEEESS ??..............................................................................................................................................................................................................................................................................5511
COMMENT LE MOUVEMENT SPORTIF A-T-IL INTEGRE LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION DES
COMPETITIONS SPORTIVES DANS LA CONSTRUCTION D’UN « ORDRE PUBLIC SPORTIF » ?..............................51
Construction d’un ordre public sportif à protéger………………………………………………….51
Formulation d’un principe général d’intégrité des compétitions sportives………………………51
Répression disciplinaire des atteintes à l’intégrité des compétitions sportives………………...52
COMMENT LES AUTORITÉS PUBLIQUES ONT-ELLES RÉAGI AU DÉFI QUE LA MANIPULATION DES
COMPÉTITIONS SPORTIVES REPRÉSENTE POUR L’ORDRE PUBLIC ?.................................................52
1111.. CCOOMMMMEENNTT LLEESS IINNSSTTIITTUUTTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS EETT LLEESS AAUUTTOORRIITTÉÉSS PPUUBBLLIIQQUUEESS SSEE
PPAARRTTAAGGEENNTT--EELLLLEESS LLAA RREEPPOONNSSAABBIILLIITTÉÉ DDEE LLUUTTTTEERR CCOONNTTRREE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS
CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??....................................................................................................................................................................................................................5544
FONDEMENT DE « L’AUTONOMIE DU MOUVEMENT SPORTIF »…………………………………………53 MANIFESTATIONS ORDINAIRES DE L’AUTONOMIE DU MOUVEMENT SPORTIF………………………….53 RESPONSABILITÉS ET CONTRAINTES PARTAGÉES DANS LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION DES
COMPÉTITIONS SPORTIVES……………………..………………………………………………………55 Protéger ensemble le bon ordre sportif et le bon ordre public national et international…….…55
Lutter contre la manipulation des compétitions sportives sans attenter aux droits
fondamentaux de la personne humaine…………………………………………………………….55
MISE EN ŒUVRE CONCRÈTE DU PARTAGE DES RESPONSABILITÉS ENTRE LA PUISSANCE PUBLIQUE ET
LE MOUVEMENT SPORTIF………………………………………………………………………………56 La coordination de l’action publique et de l’action sportive……………………………………....56
12. QUELLES SONT LES LIMITES DES INSTRUMENTS ACTUELS DE LUTTE CONTRE LA
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES ?.................................................................. 58
UNE COOPÉRATION INSUFFISANTE AU PLAN NATIONAL……………………………………………….58 Un manque de coordination au plan national………………………………………………….58
112
Une coopération opérationnelle entre le mouvement sportif et les opérateurs de paris
sportifs encore fragmentaire……………………………………………………………………..58
UNE COORDINATION INSUFFISANTE AU PLAN INTERNATIONAL………………………………………..59 DES MÉCANISMES DE RAPPROCHEMENT MULTIPARTITES ENCORE BALBUTIANTS……………………60 DES DISPOSITIFS NORMATIFS INTERNES AUX INSTITUTIONS SPORTIVES ENCORE INÉGALEMENT
PERTINENTS……………………………………………………………………………………………62 Le bilan des premières réactions des institutions sportives : des institutions sportives
inégalement mobilisées et qui agissent souvent par réaction…………………………..............62
Une amorce de convergence entre les institutions sportives……………………………...……65
UNE LUTTE INÉGALE ENTRE LES ACTEURS DE LA MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES ET
LES AUTORITÉS QUI LA COMBATTENT………………………………………………………………... 66 Des faiblesses structurelles du milieu sportif exploitées par les groupes criminels…………....................66
La difficulté à détecter les manipulations……………………………………………………………………….66
Une prise en compte insuffisante des dangers de certains paris…………………………….………………67
13. QUELS SONT LES INSTRUMENTS À DÉVELOPPER EN PRIORITÉ POUR PRÉVENIR LA
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES ?.....................................................................68
DÉVELOPPER DES INSTRUMENTS DE PRÉVENTION, D’INFORMATION ET D’ÉDUCATION : LA PREMIÈRE
PRIORITÉ……………………………………………………………………………………………….68 Des actions de plus en plus variées………………………………………………………………...68
Des programmes de sensibilisation et d’éducation encore récents…………………………......68
Les conditions du succès des actions de prévention et d’éducation…………………………....69
AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DES ORGANISATIONS SPORTIVES : UNE PRIORITÉ RÉCEMMENT
RECONNUE……………………………………………………………………………………………..69 DÉVELOPPER DES INSTRUMENTS DE RÉGULATION APPLICABLES AUX PARIS SPORTIFS : LUTTE
CONTRE LES PARIS ILLÉGAUX ET IRRÉGULIERS, RESTRICTIONS IMPOSÉES AU OPÉRATEURS DE PARIS, AUTO-RÉGULATION DES OPÉRATEURS…………………………………………………………………71
Éventail des politiques publiques à l’égard des paris illégaux……………………………………71
Création, compétences et moyens des autorités de régulation des paris sportifs……………..73
Perfectionner les outils adoptés à l’initiative des opérateurs de paris et des institutions
sportives………………………………………………………………………………………………..75
1144.. QQUUEELLSS SSOONNTT LLEESS IINNSSTTRRUUMMEENNTTSS DDEE RRÉÉPPRREESSSSIIOONN DDEE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS
CCOOMMPPÉÉTTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ÀÀ DDÉÉVVEELLOOPPPPEERR EENN PPRRIIOORRIITTÉÉ………………………………………………………………………………..7777
14.1. Comment la répression doit-elle être conduite par les instances disciplinaires du
mouvement sportif..............................................................................................................................77
LE POUVOIR DISCIPLINAIRE DES INSTITUTIONS SPORTIVES, UN ATOUT DANS LA LUTTE CONTRE LA
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES………………………………………………………77 LA PROTECTION DE L’INTÉGRITÉ DES COMPÉTITIONS SPORTIVES, OBJECTIF GÉNÉRAL DES
DISPOSITIFS DISCIPLINAIRES………………………………………………………………………….77 LE CUMUL DE LA RÉPRESSION DISCIPLINAIRE ET DE LA RÉPRESSION PÉNALE DE LA MANIPULATION
DES COMPÉTITIONS SPORTIVES OU COMMENT REDOUBLER D’EFFICACITÉ……………………………78 La répression pénale et la répression disciplinaire n’ont pas le même but……………….…….78
Les infractions pénales et disciplinaires ne coïncident pas nécessairement……………….…..78
Le droit pénal et le droit disciplinaire n’ont pas le même champ d’application ratione
personae…………………………………………………………………………………………….....78
La répression disciplinaire et la répression pénale ne sont pas soumises au même régime
juridique………………………………………………………………………………………………...79
Les règles sur l’administration des preuves ne sont pas identiques…………………………….79
LES ADAPTATIONS DU DROIT DISCIPLINAIRE REQUISES POUR LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION
DES COMPÉTITIONS SPORTIVES………………………………………………………………………..79 Unification ou harmonisation des règles disciplinaires relatives à la manipulation des
compétitions sportives………………………………………………………………………………..79
Extension limitée du champ d’application du droit disciplinaire………………………………….80
Définition des règles de comportement : préférer le général au particulier………………...…..80
ADOPTION DES SANCTIONS DISCIPLINAIRES : DE LA SÉVÉRITÉ SANS AUTOMATICITÉ EN CAS DE
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES…………………………………………………….....82 LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE : UN CADRE PROCÉDURAL SUFFISAMMENT SOUPLE POUR DÉJOUER
LES RUSES DES MANIPULATEURS DE COMPÉTITIONS SPORTIVES……………………………………..84
113
La grande liberté dont jouissent les institutions sportives et en leur sein, les organes
disciplinaires…………………………………………………………………………………………..84
La nécessité d’une incitation à la révélation des faits……………………………………………..84
La nécessité en certains cas de mesures provisoires………………………………………….....84
Le libéralisme des moyens d’administration de la preuve………………………………………..85
14.2. Comment d’autres acteurs privés peuvent-ils contribuer à sanctionner économiquement
les atteintes à l’intégrité du sport ?...................................................................................................85
14.3. Comment les États les organisations internationales peuvent-ils rendre plus effective la
répression pénale de la manipulation des compétitions sportives ?.............................................86
L’INSUFFISANCE DES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX ACTUELLEMENT EN VIGUEUR………………..86 Il n’existe que des instruments internationaux d’application partielle et aléatoire……………...87
Les conventions relatives à la corruption ne s’appliquent pas toujours au secteur privé, donc
aux institutions sportives…………………………………………………………………………….87
Les instruments relatifs à la criminalité transnationale organisée peuvent, en principe,
s’appliquer aux formes les plus pathologiques de manipulation des compétitions sportives…87
Les instruments de lutte contre la cybercriminalité peuvent s’appliquer utilement à titre
complémentaire…………………………………………………………………………………...…..88
LA NÉCESSITÉ D’ÉVALUER ET D’ADAPTER LES NORMES NATIONALES APPLICABLES À LA
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES…………………………………………………….....88 Les raisons de l’adaptation du droit pénal national à la répression de la manipulation des
compétitions sportives………………………………………………………………………..………88
La diversité des cadres normatifs nationaux et des incriminations retenues pourrait être
préjudiciable à l’efficacité de la répression…………………………………………………………89
Le champ d’application du droit pénal doit être largement défini…………………………...……90
Les sanctions pénales doivent être modulées en fonction de la gravité des faits de
manipulation…………………………………………………………………………………………...91
La procédure pénale se heurte à des limites qui doivent être surmontées……………………..91
Des pistes de réforme de la procédure pénale peuvent être proposées………………………..91
NÉCESSITÉ D’ADOPTER UN ACCORD INTERNATIONAL CONSACRÉ À LA LUTTE CONTRE LA
MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES………………………………………………………..93 L’adaptation des instruments existants par voie de protocole n’est pas la méthode la plus
expédiente……………………………………………………………………………………………..93
L’adoption d’une convention spéciale englobant la lutte contre la manipulation des
compétitions sportives et la régulation des paris sportifs est l’option qui a été et devait être
retenue…………………………………………………………………………………………………93
Un accord interétatique ne saurait cependant à lui seul permettre de juguler la manipulation
des compétitions sportives…………………………………………………………………………...94
1155.. QQUUEELLSS MMEECCAANNIISSMMEESS DDEE CCOOOORRDDIINNAATTIIOONN IINNSSTTAAUURREERR PPOOUURR UUNNEE LLUUTTTTEE MMUULLTTIIPPAARRTTIITTEE
PPLLUUSS EEFFFFIICCAACCEE CCOONNTTRREE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPEETTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??....................................9955
15.1. Quels enseignements tirer de mécanismes existants de coordination de la lutte contre la
fraude hippique et le dopage ?...........................................................................................................95
LE MILIEU HIPPIQUE S’EST DOTÉ DE MÉCANISMES EFFICACES QUI NE SONT PAS PARFAITEMENT
TRANSPOSABLES AU SPORT………………………………………………………………………..…..95 La création de la British Horseracing Authority (BHA) : une réaction aux scandales de
corruption qui ont frappé le milieu hippique britannique au début des années 2000……….…95
La stratégie et les pouvoirs de la British Horseracing Authority…………………………………95
Les pouvoirs dont dispose la British Horseracing Authority ne sont pas parfaitement
transposables au sport…………………………………………………………………………….....96
LA LUTTE CONTRE LE DOPAGE NE CONSTITUE NI UN MODÈLE NI UN ANTI-MODÈLE…………………96 L’instauration d’un dispositif mondial anti-dopage associant États et mouvement sportif
constitue une entreprise originale dont le bilan est toutefois mitigé……………………………..96
Le mécanisme international de lutte contre le dopage se heurte à des difficultés
structurelles…………………………………………………………………………………………....97
Le mécanisme international de lutte contre le dopage est cependant nécessaire et
perfectible……………………………………………………………………………………………...97
114
La lutte contre le dopage présente des différences importantes avec la lutte contre la
manipulation des compétitions sportives………………………………………………………..…98
15.2. Quels enseignements tirer d’expériences de régulation et de coopération multipartite en
dehors du domaine du sport ?...........................................................................................................98
LA CRÉATION D’UN RÉGIME GLOBAL DOIT REPOSER SUR QUELQUES PRINCIPES ESSENTIELS……..99 Une définition très claire des fonctions, de leur hiérarchie et des règles de fonctionnement de
chacun des mécanismes envisagés………………………………………………………………..99
Des procédures assurant durablement la légitimité et l’accountability de chacun des
mécanismes………………………………………………………………………………………….100
Des règles de financement équilibrées et stables……………………………………………….100
Des procédures de contrôle des obligations des différentes parties prenantes………….…..100
DES MÉCANISMES EMPRUNTÉS À D’AUTRES EXPÉRIENCES EN DEHORS DU DOMAINE DU SPORT
PERMETTRAIENT D’AMPLIFIER LES EFFETS DE LA COOPÉRATION MULTIPARTITE DÉJÀ AMORCÉE DANS
LE CADRE DE LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION DES COMPÉTITIONS SPORTIVES……………...101
1166.. QQUUEELLSS PPRRIINNCCIIPPEESS CCOOMMMMUUNNSS LL’’EENNSSEEMMBBLLEE DDEESS AACCTTEEUURRSS EENNGGAAGGEESS DDAANNSS LLAA LLUUTTTTEE
CCOONNTTRREE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPEETTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS DDOOIIVVEENNTT--IILLSS
RREESSPPEECCTTEERR ??......................................................................................................................................................................................................................................................................110033
RESPECTER DES DROITS FONDAMENTAUX DE LA PERSONNE HUMAINE DANS LES PROCÉDURES DE
PRÉVENTION ET DE RÉPRESSION DE LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION DES COMPÉTITIONS
SPORTIVES…………………………………………………………………………………………...103 Montée des inquiétudes et multiplication des contentieux……………………………………..103
Une contrainte longtemps passée inaperçue : l’applicabilité de la Convention européenne des
droits de l’homme aux institutions sportives……………………………………………………..103
Les États (européens) sont liés………………………………………………………………...….103
… et les institutions sportives (internationales) aussi !...........................................................104
Les dispositifs comportant un risque de violation des droits fondamentaux de la
personne…………………………………………………………………………………………….104
FACILITER MAIS ENCADRER AUSSI L’ÉCHANGE D’INFORMATIONS………………………………….104 Convergence d’intérêts, divergence d’intérêts ou confiance réciproque ?.............................104
La communication d’informations par le mouvement sportif aux pouvoirs publics est dans son
intérêt bien compris…………………………………………………………………………………105
La communication d’informations des pouvoirs publics au mouvement sportif est nécessaire
mais comporte des risques………………………………………………………………………...106
L’échange d’informations est soumis à des contraintes légales fortes………………………...106
1177.. QQUUII FFIINNAANNCCEE LLAA LLUUTTTTEE CCOONNTTRREE LLAA MMAANNIIPPUULLAATTIIOONN DDEESS CCOOMMPPEETTIITTIIOONNSS SSPPOORRTTIIVVEESS ??
LL’’EEXXEEMMPPLLEE DDUU DDRROOIITT AAUU PPAARRII……………………………………………………………………………………………………………………………………………………..110088
Le financement de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives : un catalyseur
des conflits d’intérêts………………………………………………………………………………..108
L’exemple du droit au pari…………………………………………………………………….……108
La question du financement d’une éventuelle plate-forme internationale de lutte contre la
manipulation des compétitions sportives…………………………………………………………109
Recommended