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Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité Les entretiens de la Fabrique La Fabrique de l’industrie présente : AVEC Philippe JURGENSEN inspecteur général des finances Jean-Claude VOLOT président de Dedienne Aerospace Louis GALLOIS président de La Fabrique de l’industrie DÉBAT ANIMÉ PAR Thibaut de JAEGHER directeur de la rédaction de L’Usine nouvelle Le 18 juillet 2013

Les entretiens de la Fabrique : Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité

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Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité

Les entretiens de la Fabrique

La Fabrique de l’industrie

présente :

AVEC

Philippe JURGENSEN inspecteur général des financesJean-Claude VOLOT président de Dedienne AerospaceLouis GALLOIS président de La Fabrique de l’industrie

DÉBAT ANIMÉ PAR

Thibaut de JAEGHER directeur de la rédaction de L’Usine nouvelle

Le 18 juillet 2013

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Avec le rapport Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité de Phi-lippe Jurgensen, Jean-Philippe Demaël et Jean-Jack Queyranne, pour la première fois est dressé un tableau d’ensemble des multiples interventions économiques de l’État et des collectivités locales en faveur des entreprises, assorti d’une évaluation de leur effi-cacité. Les auteurs préconisent trente-six mesures autour de trois grandes orientations - conforter les interventions les plus pertinentes, réformer les aides et soutiens les moins justes et les moins efficaces, simplifier les dispositifs - devant permettre de réaliser trois milliards d’euros d’économies. Mais au-delà de simples coupes budgétaires, ils dessinent les contours d’une stratégie positive, susceptible d’accroître la compétitivité des entre-prises françaises. Les acteurs politiques, économiques et syndicaux sont-ils prêts à un changement de cadre de grande ampleur ?

Compte rendu rédigé par Sophie Jacolin

EN BREF

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1TABLE RONDE

Débroussailler le maquis des aides aux entreprises

Thibaut de JaegherRemis au Ministre du redressement productif Arnaud Montebourg le 18 juin dernier, le rapport Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité, dont Philippe Jurgensen est coauteur avec Jean-Philippe Demaël et Jean-Jack Queyranne, dresse une analyse des aides publiques accordées aux entreprises, dont le montant total atteindrait 110 milliards d’euros. Le rapport se concentre sur un champ représentant 46,5 milliards d’euros et suggère des pistes permettant de réaliser 3 milliards d’euros d’économies, sachant que la lettre de mission demandait d’en dégager 2 milliards.

Philippe Jurgensen, comment ce travail a-t-il été mené et quels critères ont présidé à la définition d’aides efficaces ?

Philippe Jurgensen Nous avons été chargés par le Premier ministre d’étudier l’ensemble des aides publiques aux entreprises, avec le double objectif de simplifier et rendre lisible le véritable maquis qu’elles constituent — on n’en dénombre pas moins de 3 000 attribuées par les collectivités locales et 750 par l’État — et de dégager des sources d’économies. Cette mission, l’une des premières relevant de la Modernisation de l’action publique, présentait la particularité de se voir assigner a priori l’objectif de réaliser 2 milliards d’euros d’économies, répartis pour moitié entre 2014 et 2015. Le rapport a dépassé ce cap, anticipant que certaines des mesures courageuses qu’il proposait ne pourraient pas être retenues, et estimant que ce léger surplus permettrait de renforcer les aides les plus utiles.

La gouvernance de cette mission a été confiée à un triumvirat composé d’un homme politique, d’un chef d’entreprise et d’un fonctionnaire. La collaboration entre nous fut parfaitement harmonieuse, et nous avons eu la chance d’être accompagnés par une efficace équipe de rapporteurs. Nous avons présenté nos travaux à deux reprises à un comité de suivi de la mission Modernisation de l’action publique rassemblant les principaux partenaires, y compris syndicaux. Ajoutons que cette étude a été menée de façon parallèle et conjointe avec le travail qui se poursuit au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), où sont représentés les entreprises et les partenaires syndicaux, et qui se concentre plus spécifiquement sur les aides aux entreprises industrielles.

Circonscrire le champ des véritables aides

Si l’on en retient une définition large, les aides aux entreprises atteignent 110 milliards d’euros. D’emblée, nous avons décidé d’exclure de nos investigations certains volets qui, aussi

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importants fussent-ils, ne nous semblaient pas relever du champ du soutien aux entreprises. Il en est ainsi des taux réduits de TVA, des allégements de cotisations sociales dits Fillon (21 milliards d’euros), des aides aux handicapés (7 milliards d’euros) ou encore des mesures sur la formation professionnelle (4 milliards d’euros) qui feront l’objet d’une analyse spécifique.

Aussi avons-nous couvert un périmètre représentant 40 milliards d’euros d’aides de l’État et 6,5 milliards d’euros d’aides des collectivités locales. Pour étudier celles-ci, nous avons procédé à un référencement au regard des pratiques d’une dizaine de grands pays industriels, en nous fondant sur les enquêtes conduites par nos représentations dans ces États. Nous avons également enquêté auprès des entreprises, dont nous avons pu exploiter pas moins de 600 réponses.

À cela s’est ajouté un travail très large et inédit conduit auprès des collectivités locales à partir des données de la Direction générale des finances publiques. Les 3 000 aides que nous avons identifiées à cet échelon n’étaient jusqu’alors recensées nulle part de façon exhaustive, et les collectivités locales d’une même région ne savaient pas même toujours quelles aides accordaient les unes et les autres. Pour compléter cette analyse, nous avons mené une étude auprès de l’ensemble des régions et d’un certain nombre de départements et métropoles. Un peu plus de la moitié du champ des aides des collectivités locales a ainsi pu être couvert, le reste l’étant par extrapolation.

Des aides d’État fragmentées et peu axées sur la compétitivité

Sur les 40 milliards d’euros d’aides accordées par l’État, 18 milliards revêtent la forme de niches fiscales et sociales, c’est-à-dire de soutiens sous forme de non-versement d’argent par les entreprises. Autre poste particulier, les dotations en capital (12,5 milliards d’euros) sont inscrites à tort comme une dépense annuelle, alors qu’elles n’ont pas lieu de se renouveler de façon systématique. S’y ajoutent près de 3 milliards d’euros de taxes affectées, concernant par exemple les chambres du commerce et de l’industrie (CCI) ou le Centre national du cinéma (CNC).

Ne restent finalement que 6,5 milliards d’euros de crédits budgétaires proprement dits. Au total, si l’on entend réduire les sommes versées par l’État chaque année, l’assiette sur laquelle il est possible d’agir est donc limitée. C’est pourquoi nos propositions portent pour moitié sur les dépenses budgétaires et les taxes affectées, et pour moitié sur les niches fiscales et sociales. Intervenir sur ces dernières permet certes de diminuer le déficit budgétaire en faisant entrer davantage de recettes, mais présente l’inconvénient de ne pas alléger la charge des prélèvements obligatoires.

Autre constat, les aides aux entreprises industrielles au sens strict ne constituent qu’une faible part de cet ensemble, à hauteur de 2 milliards d’euros. Si l’on inclut les services d’appui à l’industrie, elles atteignent 9 milliards d’euros. Notons que le ministère le plus concerné par le soutien aux entreprises est celui de l’agriculture (4,5 milliards d’euros).

Parmi toutes les mesures existantes, certaines ne ciblent que lointainement voire aucunement les entreprises. Il en est ainsi des aides du CNC (1 milliard d’euros), des dons aux associations et aux œuvres diverses (2,1 milliards d’euros) ou encore des aménagements de taxe foncière et des subventions au gazole. Par ailleurs, nombre d’aides profitent de façon indirecte aux entreprises par le biais de leurs financeurs ou parties prenantes, telles que le plan épargne en actions, les tickets restaurant et les soutiens financiers à l’épargne d’entreprise.

Enfin, les soutiens interviennent à des stades extrêmement variés de la vie des entreprises : création, transmission ou développement.

Tout ceci forme un ensemble hétéroclite résultant d’une longue segmentation, dans lequel

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certaines incitations sont même contradictoires les unes avec les autres, comme la subvention du transport routier qui cohabite avec l’encouragement des transports alternatifs à la route. Le système est insuffisamment évalué, tant en ce qui concerne les aides des collectivités locales que de l’État. Certes, des évaluations ponctuelles sont régulièrement effectuées. À titre d’exemple, la Cour des comptes a récemment rendu un rapport assez vif sur le soutien apporté aux débitants de tabac. Il conviendrait cependant de généraliser cette pratique. Notre rapport préconise ainsi que l’évaluation devienne obligatoire et régulière.

Les coûts de gestion des aides aux entreprises ne représentent pas une part majeure de l’enveloppe. Tout au plus les évaluons-nous à 3 % ou 4 % de la dépense totale pour l’État. Ils sont plus significatifs pour les collectivités locales, qui emploient 15 000 personnes pour conseiller et accompagner les entreprises. C’est pourquoi que nous avons proposé des mesures portant sur la réduction de ces frais de gestion.

Le rapport ne se contente pas de proposer des coupes budgétaires, mais entend décliner une stratégie positive susceptible de conforter la compétitivité des entreprises. Cette philosophie est résumée dans la stratégie des « 4 I » qui cible l’investissement, l’innovation, l’industrie et l’international.

Douze mesures confortées : cap sur la compétitivité

Douze premières propositions viennent conforter les éléments existants que nous avons jugés les plus utiles.

En matière d’investissement, il nous paraît nécessaire de conforter les instruments bancaires et les instruments d’intervention en fonds propres de Bpifrance, ainsi que les incitations fiscales à l’investissement risqué pour les particuliers.

S’agissant de l’innovation, les interventions en faveur de l’innovation de Bpifrance (aides à l’innovation, initiative stratégique industrielle) méritent d’être renforcées, de même que les interventions des régions en faveur de l’innovation et le régime de la jeune entreprise innovante.Pour ce qui est de l’industrie, le rapport préconise de conforter les pôles de compétitivité qui structurent les filières et soutiennent des projets innovants (Fonds unique interministériel et Fonds de compétitivité des entreprises), ainsi que les soutiens aux secteurs de pointe de l’industrie française (avances remboursables dans l’aéronautique notamment) et les interventions du programme Investissements d’avenir.

Quant à l’international, nous suggérons de renforcer les soutiens financiers de la Coface en les rapprochant des autres instruments publics au sein du label Bpifrance Export, mais aussi de conforter les actions d’Ubifrance en les rapprochant des autres instruments publics au sein du label Bpifrance Export et, enfin, de conforter les interventions des régions en faveur de l’internationalisation des entreprises, en les articulant mieux avec les soutiens de l’État.

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3Douze propositions d’économies budgétaires

Viennent ensuite douze propositions d’économies budgétaires visant à réformer en priorité les interventions inefficaces et coûteuses.

Réduire les coûts de gestion

La réduction des coûts de gestion que nous appelons de nos vœux permettrait de réaliser 485 millions d’euros d’économies. Pour y parvenir, le rapport recommande d’opérer une coupe significative dans les dépenses des réseaux consulaires, des CCI principalement mais aussi des chambres des métiers, à hauteur de 400 millions d’euros. À cela s’ajouteraient 15 millions d’euros d’économies relatives aux centres techniques industriels.

Les chambres consulaires ont en effet connu une nette croissance de leurs ressources ces dernières années, de même qu’a crû la taxe qu’elles prélèvent sur les entreprises. Elles dégagent un résultat positif de 200 millions d’euros. Qui plus est, leur effort de regroupement n’a donné lieu à aucune économie de fonctionnement. Les 400 millions de coupe que nous proposons ramènent simplement leur budget à son niveau de 2008. Il semble que cette proposition ait été largement suivie.

Une autre piste réside dans la rationalisation de la carte des 110 agences de développement économique des collectivités territoriales. Il nous paraît raisonnable de ne maintenir qu’une agence par région — pouvant être, le cas échéant, celle du département. Pourraient en résulter 70 millions d’euros d’économies budgétaires.

Réduire ou supprimer les interventions inefficaces

Un ensemble de dépenses, essentiellement des niches fiscales et sociales, correspondent à des systèmes de soutien ayant déjà été identifiés comme inefficaces (c’est-à-dire qu’ils ne remplissent pas leurs objectifs) ou inefficients (c’est-à-dire qu’ils atteignent le but visé au prix d’une déperdition d’énergie considérable). Le rapport pointe les mesures que la mission d’Henri Guillaume sur l’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales a précédemment cotées à zéro. Il nous semble raisonnable de supprimer la moitié de ces mesures inefficaces, soit 400 millions d’euros d’économies de dépenses fiscales et sociales.

Par ailleurs, les zones franches urbaines mériteraient d’être remplacées par des emplois francs. Créées initialement pour revitaliser des parties du territoire défavorisées, ces zones franches ont suscité d’importants effets d’aubaine, manquant le plus souvent leur cible. Il serait probablement plus efficace de financer directement les emplois proposés aux habitants de ces zones. Le gain n’en sera que progressif (25 millions d’euros de réduction de dépense fiscale la première année) car il faudra continuer à honorer les engagements pris par le passé, mais il ira croissant.

Nous proposons également de mettre un terme rapide aux subventions aux biocarburants de première génération. L’utilisation de ceux-ci est encouragée par des diminutions fiscales depuis maintenant 18 ans, outre qu’elle est obligatoire dans les mélanges de carburant des véhicules. Or il s’avère que ces biocarburants n’ont qu’une efficacité écologique limitée, voire sont nuisibles. D’où l’urgence de passer aux biocarburants de deuxième génération, qui présentent l’avantage de ne pas être concurrents des cultures alimentaires et d’avoir une empreinte écologique plus

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limitée. L’économie qui pourrait en résulter est estimée à 250 millions d’euros. Cette mesure a été retenue.

Sujet délicat, le rapport suggère de reparamétrer les exonérations de cotisations sociales pour les activités Outremer. Il n’est pas question de les supprimer, mais de redéfinir leur mode de calcul ainsi que leur étalement (jusqu’à 4,5 Smic en Outremer contre 2,5 Smic en métropole). Ceci générerait 200 millions d’euros d’économies budgétaires. S’y ajouteraient 100 millions d’euros induits par la suppression du remboursement de la TVA non perçue Outremer (ou TVA NPR). Je crains que nous n’ayons pas été suivis sur ce point. De nombreux autres systèmes d’aides existent déjà pour les activités Outremer, que nous ne proposons pas de modifier, comme le soutien à l’économie sucrière ou le système fiscal particulier de ces départements.

Autre proposition qui ne semble pas avoir été approuvée, la réforme des avantages fiscaux en faveur du livret de développement durable. Nous jugeons que dans la période actuelle, la priorité doit aller à l’investissement et à la consommation, et non à la conservation d’une épargne liquide en Sicav monétaire ou en livret de Caisse d’épargne. Ce dernier est certes censé financer le logement social, mais les marges dont dispose la Caisse des Dépôts sont déjà bien suffisantes à cet effet. Aussi les livrets de développement durable pourraient-ils voir leurs intérêts imposés et assujettis à la contribution sociale généralisée et à la contribution au remboursement de la dette sociale.

Nous sommes enfin favorables à une baisse du taux d’exonération dont bénéficient les dons aux associations et aux œuvres. Seul le taux de réduction d’impôt appliqué aux particuliers faisant des dons aux associations qui s’engagent en faveur des plus démunis serait maintenu à son niveau actuel de 75 %. Pour le reste s’appliquerait un taux unique de 60 %, tant pour l’impôt sur le revenu (aujourd’hui à 66 %) que pour l’impôt sur la fortune (aujourd’hui à 75 %). Cette diminution, même si elle n’est pas considérable, rapporterait 150 millions d’euros. Rappelons que le taux de 60 % s’applique déjà au mécénat des entreprises.

Au total, ce volet de mesures génèrerait 1,1 milliard d’euros d’économies.

Reconfigurer des aides au poids budgétaire trop élevé

Un volet de propositions, induisant 330 millions d’euros d’économies budgétaires, vise à reconfigurer un certain nombre d’interventions inefficientes et qui ne répondent pas aux enjeux de compétitivité de demain.

La première de celles-ci consiste en une réforme de l’avantage fiscal des sociétés immobilières d’investissement cotées (SIIC). Leurs résultats sont en effet imposés entre les mains de leurs actionnaires — c’est-à-dire les particuliers qui détiennent des parts — et non au niveau social, tandis que les sociétés gardent une partie de leurs recettes. Notre proposition n’est pas de supprimer ce régime de transparence fiscale mais d’obliger les SIIC à distribuer une part plus importante de leurs revenus et plus-values.

Sans aucunement remettre en cause l’exception culturelle française, nous suggérons un certain nombre d’économies relatives au CNC. Cette institution a vu ses recettes croître plus rapidement qu’escompté ces dernières années grâce au bénéfice d’une taxe supplémentaire, la taxe sur la distribution de services audiovisuels. Il semble possible de réaliser 150 millions d’euros d’économies budgétaires sur l’enveloppe dont elle profite.

Reconfigurer des interventions qui pénalisent l’environnement ou la santé publique

Des interventions pourraient être reconfigurées au motif qu’elles ont des effets néfastes sur

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l’entreprise ou sur la santé publique, entraînant 695 millions d’euros d’économies.Ainsi paraît-il nécessaire de moduler la réduction de taxe sur le gazole dont bénéficient les agriculteurs, les transporteurs routiers, les taxis et les engins de travaux publics. Alors que les particuliers détenteurs de véhicules diesel payent une taxe de 43 centimes par litre, les utilisateurs d’engins de travaux publics ne s’acquittent que de 7 centimes, et les agriculteurs de 2 centimes. Nous proposons non de supprimer ces allégements mais de les diminuer et de les harmoniser à 15,7 centimes. Les petits agriculteurs néanmoins en seraient épargnés. Sachant que l’ensemble de ces abattements fiscaux représente quelque 2 milliards d’euros, cette mesure entraînerait 485 millions d’euros d’économies.

Enfin, nous proposons de réduire très substantiellement le soutien aux buralistes. Ceux-ci bénéficient aujourd’hui de sept régimes d’aides pour 250 millions d’euros annuels, malgré l’enjeu de santé publique que représente la consommation de tabac, et malgré le récent constat opéré par la Cour des comptes selon lequel leurs revenus ont crû de 67 % en moyenne depuis dix ans. Le rapport préconise de supprimer la plus grande partie de ces aides, à hauteur de 110 millions d’euros, pour ne maintenir que celles qui portent sur la sécurité des points de vente et les bureaux les plus fragiles.

Les 12 simplifications proposées

Venons-en aux douze mesures avancées par le rapport pour simplifier et rationaliser le dispositif.Bien qu’ait été maintenue la clause de compétence générale pour toutes les collectivités, nous préconisons que la région soit l’entier chef de file dans le champ économique. Il s’agirait de transférer le pouvoir en matière de développement économique et d’aide aux entreprises aux régions, lesquelles devraient établir un document stratégique régional servant de référence à tous les acteurs de leur périmètre. Cela permettrait de gagner en efficience, alors que sont aujourd’hui dispersées des actions parfois contradictoires. Nous en espérons un gain d’une centaine de millions d’euros. Il convient parallèlement de tirer les conséquences de la décentralisation en réduisant les interventions territoriales de l’État dans le domaine du commerce, de l’artisanat et de l’aménagement du territoire, soit 90 millions d’euros d’économies budgétaires.

Nous préconisons également de supprimer la moitié des 360 mesures de faible montant de l’État qui s’avèrent obsolètes, inefficaces ou dont les coûts de gestion sont trop élevés au regard des objectifs assignés. Cela représenterait au total une centaine de millions d’euros.

De même dans les collectivités locales, nous proposons de regrouper et simplifier les aides à la création et à la transmission d’entreprise, extrêmement nombreuses, ainsi que les aides au tourisme auxquelles tous les niveaux de collectivité contribuent. Nous en attendons cent millions d’euros d’économies budgétaires. Cinquante millions d’euros d’économies budgétaires pourraient de surcroît provenir de la simplification et du regroupement d’une série de prestations de conseil et d’accompagnement rendus par les collectivités locales aux entreprises mais non facturés.

Six dernières mesures paraissent utiles bien qu’elles n’apportent pas d’économie chiffrée : le déploiement du portail unique renseignant sur l’ensemble des aides disponibles ; le développement d’une plateforme commune entre Bpifrance et chaque région ; la mise en place de référents État capables d’accélérer les délais de pilotage des dossiers ; la systématisation du dépôt de dossiers matérialisés des demandes de soutien des entreprises ; l’harmonisation des procédures

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d’octroi des aides ; le déploiement rapide du programme « Dites-le nous une fois » pour éviter de multiplier les demandes de pièces justificatives. Enfin, chacun des organismes gestionnaires pourrait utilement établir son propre programme de simplifications des procédures.

En termes financiers, les économies induites par l’ensemble de ces propositions se monteraient à 3,130 milliards d’euros.

Thibaut de Jaegher Des premiers arbitrages ont été rendus très récemment. Avez-vous été écoutés ?

Philippe Jurgensen Les deux tiers de nos propositions ont été retenues, ce qui est déjà remarquable compte tenu de leur caractère souvent délicat. Les mesures courageuses ont été suivies dans les deux tiers des cas, notamment celles qui concernent les CCI, le gazole ou les biocarburants de première génération. Ne le seront probablement pas les aides aux buralistes ni la TVA NPR. J’ignore ce qu’il en est de nos propositions sur le CNC et les dons aux associations.

Les entreprises ont-elles vraiment besoins d’aides ?

Thibaut de Jaegher Jean-Claude Volot, quel est votre point de vue sur ce rapport ?

Une réforme plus profonde est nécessaire

Jean-Claude Volot Je crains fort que les mesures préconisées par l’excellent rapport Jurgensen ne suffisent pas à remédier à la complexité administrative que doivent supporter quotidiennement les entreprises. Comment expliquer que l’État ait attendu 2013 pour dresser un inventaire des aides existantes ? Si nos entreprises fonctionnaient de cette façon, nul doute que leur avenir serait menacé ! L’enjeu majeur est que les acteurs politiques français gagnent en connaissance et en compétence sur tous les sujets qui touchent à l’économie.

L’assertion, très largement relayée dans les médias, selon laquelle les entreprises bénéficieraient de 110 milliards d’euros d’aides, a eu un effet hautement préjudiciable sur l’opinion publique. Malgré cette somme considérable, les entreprises osent se plaindre ! Ce n’est en fait qu’une annonce politique. La démonstration de Philippe Jurgensen prouve qu’en réalité, les aides qui profitent directement aux entreprises, notamment industrielles, sont bien moindres. Alors qu’avec l’équipe de Pierre Gattaz, le Medef a décidé d’œuvrer au rapprochement des sphères politiques, économique et citoyennes, ce type d’annonce fait paraître les entreprises comme des privilégiées aux yeux des Français. Le Medef prône pour sa part une économie de 100 milliards d’euros sur cinq ans pour les entreprises, répartie à égalité en une baisse des cotisations sociales et une réduction des impôts.

Quelle est la philosophie défendue par les entrepreneurs ? Notre demande fondamentale est la suivante : des charges minimales et la disparition des subventions. Les entrepreneurs ne sont pas favorables aux aides. Ils ont avant tout besoin de dégager de la marge brute. La situation actuelle n’est pas soutenable, dans laquelle les entreprises françaises affichent 28 % de marge

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brute moyenne, contre 40 % en Europe et 42 % en Allemagne. Naturellement, les entreprises européennes perçoivent des subventions bien plus faibles que leurs concurrentes françaises.

Autre élément non négligeable et assez peu évoqué dans le rapport Jurgensen, le coût de gestion associé aux aides aux entreprises. Dans certaines régions, les salaires du personnel qui gère ces aides dépassent largement les montants distribués aux entreprises. Ce coût de gestion est probablement de l’ordre de 7 % à 10 %, soit 7 à 10 milliards d’euros. Malgré cela, l’objectif n’est de réduire les aides aux entreprises que de 2 milliards d’euros. C’est parfaitement inconséquent. C’est pourquoi il est essentiel de former et d’informer le monde politique pour qu’il comprenne l’absurdité du système actuel.

Les incohérences manifestes et persistantes du système

Voici, en guise d’illustration, quelques exemples des aberrations qui prévalent aujourd’hui. Les 35 heures n’ont jamais été demandées par les entrepreneurs. À l’époque où elles ont été mises en place, nous étions favorables à une diminution du temps de travail lente et progressive, sans compensation. Or l’État a instauré une indemnisation de 20 milliards d’euros sur les bas salaires, tandis que les entreprises ont dû faire face à une chute brutale des heures travaillées.

Évoquons maintenant les aides à l’export. Depuis treize ans, le nombre d’entreprises exportatrices ne cesse de chuter. L’État et les régions voient comme unique solution l’accroissement des aides. Mais plus leur soutien se renforce, moins les entreprises exportent. Ne faudrait-il pas analyser les raisons de cette faible appétence à exporter des entreprises ? Un récent rapport élaboré par deux députés s’ouvre sur un constat extrêmement pertinent : il faut redonner l’envie d’exporter. Puis sont énumérées 32 mesures, dont aucune ne répond à cet objectif. Il nous faut, plus fondamentalement, revoir la façon dont nous appréhendons ces sujets essentiels.

Qu’en est-il du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ? Au moment où Louis Gallois plaide pour que les charges des entreprises soient allégées de 30 milliards d’euros, une charge supplémentaire de 30 milliards d’euros leur est imposée, compensée certes par un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros relevant d’un dispositif extrêmement complexe. En d’autres termes, un défaut est compensé par un autre. Nous nous évertuons à expliquer aux hommes politiques que c’est en amont qu’il faut intervenir sur les éléments permettant de constituer un prix, et non en aval au travers d’une sorte de « marge arrière » de l’État. Le CICE donne lieu à un effet pervers indéniable, rapporté par plusieurs centaines d’acheteurs de grandes entreprises : les fournisseurs doivent en fait le restituer.

Autre incohérence du système actuel parmi de nombreuses autres, le maintien du soutien aux buralistes malgré le coût que représente la consommation de tabac pour le système de santé.

Favoriser l’investissement et protéger les marges

Quels éléments positifs pouvons-nous néanmoins dégager ? Le soutien public à l’investissement est nécessaire. Le crédit d’impôt recherche (CIR), qui atteint 3,5 milliards d’euros, est pertinent et susceptible de stimuler l’investissement. Mais les entreprises s’en passeraient volontiers si leurs marges brutes atteignaient 42 % comme en Allemagne.

Autre point positif, les 35 milliards d’euros destinés aux Investissements d’avenir, auxquels 12 milliards d’euros viennent d’être ajoutés. Là encore, nous y sommes favorables car ils soutiennent l’investissement. Il aurait cependant été souhaitable que le CIR soit couplé à un effort d’exportation, le lien qui unit celle-ci à l’innovation étant indéniable. J’affirme que si une entreprise bénéficie du CIR, elle doit aussi faire l’effort d’exporter.

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Loin de moi de critiquer les nombreuses lignes budgétaires qui soutiennent la recherche et développement, et qui sont favorables à l’investissement et à la construction du futur. Il me paraîtrait néanmoins souhaitable que les chercheurs qui bénéficient de l’argent public aient un devoir de retour sur cet investissement.

Au total, je regrette que le système actuel soit constitué d’un empilement de défauts censés se compenser les uns les autres. Je déplore également que l’essentiel des soutiens aux entreprises ne soit pas fondé sur l’investissement, bien qu’un virage semble s’opérer actuellement en ce sens. Je suggère donc que soit confié à Philippe Jurgensen le tome II de son rapport sur le thème suivant : comment transformer les prétendus soutiens aux entreprises en un système essentiellement basé sur l’investissement ? Je doute malheureusement que notre État et notre pays soient capables de changer de mode de pensée, tant le paradigme actuel est prégnant.

Faire la vérité sur le montant des aides et leurs coûts de gestion

Philippe Jurgensen Il faut affirmer haut et fort que les aides aux entreprises ne se montent pas au chiffre souvent avancé de 110 milliards d’euros, et rappeler que le soutien aux entreprises industrielles n’atteint que 2 à 9 milliards d’euros. Prenons quelques exemples de mesures qui, bien qu’elles relèvent officiellement de l’enveloppe des aides aux entreprises, n’y ont pas leur place de notre point de vue. Parmi elles figure une dépense de 178 millions d’euros correspondant à l’exonération de 20 % de la taxe foncière pour les terres agricoles. Nous considérons que cette mesure n’est pas efficace, qu’elle ne soutient ni l’investissement ni la productivité agricole et qu’elle pourrait être supprimée. Autre exemple, on trouve dans les aides aux entreprises 35 millions d’euros pour la suppression partielle des cotisations sociales des arbitres et juges sportifs, qui sont au nombre de 120 000. Quel est le rapport avec la compétitivité du pays ? En Guyane s’applique une diminution de moitié des droits de timbre et d’enregistrement. Pourquoi en Guyane ? Quelle en est l’efficacité économique ? Nous pourrions multiplier ces exemples à l’envi.

Pour ce qui est des coûts de gestion, Jérôme Itty, rapporteur général du rapport, pourra nous apporter davantage de précisions.

Jérôme Itty La difficulté à chiffrer les coûts de gestion pour l’État provient des trois caractéristiques de la distribution des aides. Lorsqu’il s’agit d’une dépense fiscale, le coût est plutôt supporté par l’entreprise. Dans le cas d’une subvention gérée par l’État, il convient d’intégrer les frais constatés dans les Direccte 1 ou encore à la DGCIS2 . Lorsque l’aide est gérée par des opérateurs comme Oséo ou l’Ademe, nous avons une indication assez précise des coûts de gestion. Pour les collectivités territoriales, nous avons pu établir que 15 000 ETP étaient mobilisés pour gérer 6,5 milliards d’euros d’aides.

Réponse d’un défenseur de la compétitivité industrielle

1 Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.2 Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services.

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Louis Gallois Je partage le point de vue de Jean-Claude Volot sur les 35 heures et les coûts de gestion des systèmes, bien que je ne sois pas en mesure de chiffrer ces derniers. Je note également l’hommage rendu par Jean-Claude Volot aux Investissements d’avenir.

La responsabilité des chefs d’entreprise

Les entreprises tiennent leur part de responsabilité dans la situation actuelle. Huit cent branches professionnelles sont recensées en France, alors que nous devrions en compter tout au plus trente ou quarante. Elles nous coûtent de l’argent à tous. Si leur nombre n’a pas été réduit jusqu’à présent, c’est pour préserver leurs présidents ! Les tribunaux de commerce sont également très dépensiers. J’ai semblé briser une omertà en révélant publiquement le salaire des greffiers. Il est vrai que leur charge est coûteuse — puisque celle-ci s’acquiert, avant d’être transmise en famille. N’est pas là un système quelque peu moyenâgeux ? Le patronat mériterait aussi de s’interroger sur le mode de gestion de la formation professionnelle, dans le but non pas de réduire les crédits mais de réaliser quelques économies et de faire gagner le dispositif en efficacité.

Jean-Claude Volot La nouvelle équipe qui a pris la présidence du Medef a justement pour objectif de réduire le nombre de branches professionnelles.

Louis Gallois J’ajoute que les chefs d’entreprise sont souvent les meilleurs défenseurs des systèmes d’aides que vous stigmatisez. Chaque tentative de mettre en cause un système d’aide suscite une levée de boucliers.

Comme je l’ai martelé dans mon rapport, le problème majeur que nous rencontrons aujourd’hui réside dans le niveau historiquement bas des marges brutes des entreprises françaises. Une analyse précise m’a permis de constater que l’écart des coûts salariaux entre la France et l’Allemagne sur les douze dernières années, qui atteint 12 %, était dû pour un tiers au transfert de charges sociales sur la fiscalité, et pour deux tiers aux augmentations de salaires accordées par les entreprises. La France a fait le choix du salaire contre l’emploi et contre la marge des entreprises. Nous n’avons pas été capables de déployer l’effort de pédagogie nécessaire pour protéger la compétitivité. En cela, la responsabilité des chefs d’entreprise est engagée.

Jean-Claude Volot Je reconnais que les entreprises n’ont pas été raisonnables en matière de modération salariale ces dix dernières années. On peut d’ailleurs établir une corrélation entre les rythmes d’augmentation salariale en France et en Allemagne et l’évolution relative de la compétitivité de ces deux pays.

Anticiper les effets macroéconomiques des aides aux entreprises

Louis Gallois Le Medef prône la suppression des 110 milliards d’euros d’aides aux entreprises (montant dont l’évaluation mérite d’être discutée), compensée par 100 milliards d’euros d’économies opérées via une baisse des cotisations sociales et des impôts. Cet objectif est irréaliste. Demander, dans la situation actuelle du pays, un transfert de 100 milliards d’euros soit sur la réduction de la dépense publique, soit sur la fiscalité des ménages, équivaudrait à tuer définitivement tout espoir

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de croissance. Cela ferait en conséquence souffrir les entreprises.

Lorsque j’ai soumis la proposition de réduire de 20 milliards d’euros les charges patronales et de 10 milliards d’euros les charges salariales, j’ai été alerté de l’impact macroéconomique qu’aurait une telle mesure. Les chefs d’entreprise estiment que s’ils sont capables de réduire leurs coûts de 10 %, l’État peut en faire de même. C’est juste. Le problème est que la diminution de 10 % des dépenses publiques aurait un impact macroéconomique sur la croissance.

Jean-Claude Volot Le montant de 100 milliards d’euros d’économies pour les entreprises évoqué par Pierre Gattaz correspond précisément à la différence de marge brute entre l’Allemagne et la France. Autant dire que nous nous inspirons de votre rapport pour avancer ce chiffre !

L’indispensable aide à l’exportation

Louis Gallois Quant aux aides à l’export, quel pays développé n’en a pas ? J’ai proposé dans mon rapport de les aligner sur les meilleures pratiques étrangères. Pour avoir exporté des Airbus, j’ai pu constater combien était efficace le soutien apporté par Ex-Im Bank à Boeing. Nous ne pouvons pas nous passer d’aides à l’export. À cet égard, le crédit export est absolument indispensable.

Contrairement à ce que vous affirmez, le dispositif du CICE n’est pas compliqué. La preuve en est que nous recevons chaque jour 120 dossiers de demande de préfinancement du CICE. Il est beaucoup plus simple que le CIR, car son assiette est plus aisée à définir.

À l’argument selon lequel les fournisseurs risques d’être toisés par leurs donneurs d’ordres, je réponds que la situation serait strictement identique s’il était procédé à une réduction de charges sociales. Dans la bataille pour le partage de la marge qui sévit tout au long de la chaîne des fournisseurs, les grands acteurs pèsent davantage que les petits et tirent inévitablement profit de la situation.

Fiscalement, le CICE pourra s’imputer sur le coût salarial. Aussi ne peut-il pas être considéré comme une « marge arrière ». Pour autant, il ne correspond pas au dispositif que j’appelais de mes vœux.

Jean-Claude Volot L’aide à l’export est nécessaire. Mais pourquoi de moins en moins d’entreprises exportent-elles malgré les soutiens existants ? En dix ans, nous avons perdu 15 000 entreprises exportatrices. Elles sont un peu plus de 100 000 à déployer une réelle politique d’exportation, quand on en compte 200 000 en Italie ou au Royaume-Uni et 300 000 en Allemagne. L’enjeu est de redonner envie d’exporter à des chefs d’entreprise souvent tétanisés.

Un système plus simple et plus direct que le CICE aurait été préférable. De manière générale, je prône la simplification avant tout. Inspirons-nous de l’engagement dont a fait preuve le Gerhard Schröder en Allemagne, et qui a largement contribué à bâtir l’Allemagne d’aujourd’hui.

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1DÉBAT

Quels critères d’attribution des aides ?

Un intervenant Quelle est la part respective des aides aux PME, aux ETI et aux grandes entreprises ?

Philippe Jurgensen Nous ne sommes pas en mesure d’indiquer quelle part de l’enveloppe que nous avons examinée revient aux petites ou aux grandes entreprises, car un certain nombre d’aides ne sont pas attribuées en fonction de la taille des structures. Cela dit, il est certain que les aides à l’aéronautique ou encore le CIR profitent majoritairement aux grandes entreprises.

Jérôme Itty Nous avons étudié l’ordre de priorité qui régit les critères d’attribution des aides. En premier lieu vient la distinction entre l’entreprise et les parties prenantes. Pour 14 milliards d’euros, les aides sont accordées à ces dernières. Deuxième critère, les aides sont octroyées aux entreprises au titre de leur appartenance à un secteur à hauteur de 8,6 milliards d’euros. Ce n’est qu’en troisième lieu qu’intervient le critère de la taille. Parmi les 16 milliards d’euros restants, quelque 10 milliards sont destinés aux PME et ETI, correspondant essentiellement aux interventions de Bpifrance et d’Oséo. Le solde de 6,3 milliards d’euros est attribué indépendamment des critères précédents. On y trouve potentiellement des aides aux grandes entreprises.

Un intervenant Avez-vous eu l’occasion d’étudier les modalités d’attribution et l’efficacité des aides européennes, qui abondent dans de nombreux cas les soutiens de l’État et des collectivités en faveur des entreprises ?

Philippe Jurgensen Des fonds européens complètent effectivement un certain nombre d’interventions de l’État et des collectivités. Ils n’entrent pas dans le champ de notre étude. Les aides provenant du Programme-cadre de recherche et développement technologique présentent le défaut d’être largement tournées vers la recherche fondamentale. Nous demandons depuis des années qu’elles bénéficient davantage à la recherche appliquée et à l’innovation. Peuvent également être mobilisées les aides du Fonds européen de développement régional et du Fonds social européen. Certaines régions et collectivités y parviennent très bien, de même que certains services d’État. Néanmoins, tous ces fonds ne sont pas utilisés, au point que des régions doivent les restituer en partie.

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2Réhabiliter l’entreprise

Un intervenant Il semble régner dans l’opinion française une faible conscience de l’utilité et de l’importance de l’entreprise pour l’économie et l’avenir du pays. Par quelles voies pourrions-nous réhabiliter l’entreprise ?

Philippe Jurgensen Nul doute que nous ayons besoin d’une évolution en ce sens, car l’image de l’entreprise en France est dégradée. Peut-être ce changement est-il très légèrement amorcé, mais il y a encore du chemin à parcourir. Le pays reste marqué par une tradition de forte intervention de l’État et de colbertisme. En outre, le système éducatif ne met guère en valeur l’entreprise, et l’enseignement de l’économie est moins centré sur l’utilité de l’entreprise que sur les conflits sociaux. Le cours d’économie que je donne à Sciences Po débute toujours par de la microéconomie, avant d’aborder les mécanismes macroéconomiques. Car pour qu’il y ait macroéconomie, encore faut-il une production à la base ! Malheureusement, cette approche est faiblement partagée. Nous avons de grands progrès à réaliser, en particulier pour rapprocher le système éducatif des réalités et des besoins de l’entreprise. Pourquoi s’obstine-t-on à orienter des élèves vers des formations qui n’offrent plus de débouché professionnel, tandis que l’on manque de candidats dans d’autres secteurs ? Pour occuper les professeurs spécialisés dans ces domaines, m’a un jour répondu un recteur d’académie !

Jean-Claude Volot Nous avons proposé avec Pierre Gattaz que les établissements d’enseignement professionnel passent dans les mains des fédérations professionnelles par une forme de délégation de service public. Les entrepreneurs pourraient alors adapter les cursus à l’évolution des emplois et former des jeunes au plus près des besoins et des métiers. À ma grande surprise, les enseignants n’ont pas émis le moindre commentaire négatif sur cette idée.

Un intervenant La notion d’entrepreneur, qui peut légitimement s’appliquer à chacune des composantes de l’entreprise, permet de dépasser la traditionnelle opposition entre dirigeants et salariés, qui constitue un frein considérable au développement. Nous avancerions bien davantage si tous les acteurs prenaient conscience qu’ils sont animés par le même esprit d’entreprendre pour œuvrer à la réussite d’un projet commun.

Philippe Jurgensen Certains frémissements permettent de penser que la situation évolue à cet égard. À titre d’exemple, les Assises générales de l’industrie ont été l’occasion pour l’ensemble des partenaires sociaux de tenir une discussion de fond. Sur cette base a été fondé le Conseil national de l’industrie, où les entreprises et les syndicats étudient les sujets de concert. La connaissance progresse de part et d’autre, or elle est souvent la clé qui permet d’aboutir à des accords. De même, le rapport sur la compétitivité élaboré par le CNI il y a deux ans a fait l’objet d’un large consensus, y compris avec les organisations représentant les syndicats ouvriers. Le travail que nous entreprenons

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désormais, portant sur les contreparties des aides, est de nature à faire comprendre et aimer davantage l’entreprise.

Louis Gallois Autre signe positif, le Medef, la CGPME et l’UPA ont signé avec trois organisations syndicales majoritaires un accord national interprofessionnel qui octroie une place d’importance à l’entreprise. Ces mêmes partenaires ont récemment publié un document intitulé « Réinventer la croissance ». Les syndicats ont consenti des progrès considérables dans la prise en compte de l’entreprise. J’espère que le Medef continuera sur cette lancée.

Jean-Claude Volot Il faut prendre conscience que l’entreprise est un écosystème dans lequel le personnel, la direction, les investisseurs, les propriétaires du capital mais aussi les fournisseurs et les clients doivent naviguer ensemble. Ce n’est pas par angélisme que nous avons avancé avec René Ricol la notion de solidarité intelligente : c’est la condition nécessaire pour réaliser plus de bénéfices que si chacun travaillait isolément. Toutes les parties en sortent gagnantes. L’Allemagne applique cette logique de longue date. Il est par exemple courant de voir des fournisseurs allemands, pourtant concurrents, s’afficher ensemble dans des salons internationaux. La France fait l’apprentissage de cette démarche, notamment via les États généraux de l’industrie. La Fédération de l’aéronautique est avancée de ce point de vue, puisqu’elle rassemble tous ses acteurs sous le même toit depuis 105 ans. Cette intelligence collective a porté ses fruits. L’objectif désormais — et il est partagé au-delà des frontières politiques — est de constituer des filières marché. C’est ce dont je suis chargé au Medef. Par nécessité, la dynamique est enclenchée.

Un intervenant Il est à craindre que les organisations philanthropiques qui soutiennent l’esprit entrepreneurial, comme la Fondation Entreprendre, ne soient pénalisées par la diminution du taux de défiscalisation appliqué aux dons aux associations.

Philippe Jurgensen La Fondation Entreprendre joue un rôle d’une grande utilité, que personne n’entend décourager. La réduction du taux de défiscalisation que nous proposons pour les dons aux associations est modeste, passant de 66 % à 60 % pour les particuliers. Elle ne devrait pas avoir d’effet significatif sur le montant des dons, pas plus que n’en a d’ailleurs eu l’augmentation de ce taux il y a quelques années.

Jean-Claude Volot Les motivations philanthropiques reposent sur d’autres ressorts que la fiscalité. Il en va du désir de restituer une part de ce que l’on a gagné à la société, comme le prouvent l’engagement d’André Mulliez avec le Réseau Entreprendre ou celui de Xavier Niel dans le domaine de la formation. Le précédent gouvernement avait proposé, plutôt que de supprimer l’impôt sur la fortune (ISF), de mettre en place un « ISF PME », espérant que ces nouvelles conditions fiscales feraient naître des vocations de business angels. Nous n’avons gagné que 4 000 business angels, alors que près de 400 000 personnes sont assujetties à l’ISF. Il convient manifestement d’actionner des leviers d’une autre nature.

Un intervenant Les plafonds de défiscalisation appliqués aux business angels sont de 10 000 euros en France

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contre bientôt 2 millions de livres au Royaume-Uni. Dès lors, il n’y a pas lieu de s’étonner de la rareté de ces acteurs dans notre pays.

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