Upload
el-espanol-y-otras-lenguas
View
766
Download
2
Embed Size (px)
DESCRIPTION
Consejos para realizar un comentario de texto literario, especialmente preparados para los aspirantes a profesores de Lengua Francesa en enseñanzas medias.
Citation preview
1
Rafael del Moral
Stratégies
pour
l’analyse
des textes
2
Sommaire
Introduction
Les stratégies pour l’analyse des textes
1. La notion de texte
1.1. Cohésion
1.2. Cohérence
2. L’étape externe
3. Le style et la rhétorique
3.1. Contenu idéologique
3.2. Contenu stylistique
3.3. Le mot
3.4. Le syntagme et la phrase
4. La narration
4.1. Le rôle du narrateur.
4.2. Textes narratifs et textes descriptifs
4.3. Les personnages
5. La poésie
5.1. La rime
5.2. Le rythme
5.3. La sonorité
5.4. Le vers
6.Le théâtre
6.1. Les paroles.
6.2. La langue orale du théâtre.
6.3. Le dialogue théâtrale : la situation de communication.
6.4. Le dialogue théâtrale : les stratégies du dialogue.
6.5. L’action dramatique
6.6. Les personnages
6.7. Effets comiques et effets dramatiques
7. Conclusion
Aide mémoire
Bibliographie
3
Introduction
Qu’est-ce qu’un texte, pour l’opinion courante ? C’est la surface de
l’œuvre littéraire, le tissu des mots engagés dans l’œuvre et agencés de
façon à imposer un sens stable et autant que possible unique.
En dépit du caractère partiel et modeste de la notion (ce n’est, après tout,
qu’un objet , perceptible par le sens visuel), le texte participe à la gloire
spirituelle de l’œuvre, dont il est le servant prosaïque mais nécessaire.
Lié constitutivement à l’écriture (le texte, c’est ce qui est écrit ), peut-être
parce que le dessin même des lettres, bien qu’il reste linéaire, suggère
plus que la parole, l’entrelacs d’un tissu (étymologiquement, « texte »
veut dire « tissu ») il est, dans l’œuvre, ce qui suscite la garantie de la
chose écrite, dont il rassemble les fonctions de sauvegarde : d’une part, la
stabilité, la permanence de l’inscription, destinée à corriger la fragilité et
l’imprécision de la mémoire; et d’autre part la légalité de la lettre, trace
irrécusable, indélébile, pense-t-on, du sens que l’auteur de l’œuvre y a
intentionnellement déposé; le texte est une arme contre le temps, l’oubli,
et contre les roueries de la parole, qui, si facilement, se reprend, s’altère,
se renie. La notion de texte est donc liée historiquement à tout un monde
d’institutions : droit, église, littérature, enseignement; le texte est un
objet moral : c’est l’écrit en tant qu’il participe au contrat social; il
assujettit, exige qu’on l’observe et le respecte, mais en échange il marque
le langage d’un attribut inestimable (qu’il ne possède pas par essence) :
la sécurité.
En conclusion nous pouvons dire que c’est grâce au commentaire de
texte bien fait que nous arriverons à découvrir les idées et les beautés
littéraires, en enrichissant nos connaissances linguistiques et en
contribuant à enrichir et agrandir nos perspectives dans le domaine de la
civilisation.
4
Les stratégies pour l’analyse des textes
1.
La notion de texte
Tous les textes sont susceptibles de commentaire. En revanche, tous les
textes n’ont pas la cohésion et la cohérence nécessaires pour une analyse
approfondie..
1.1.
Cohésion
Les facteurs de la cohésion d’un texte sont tous des facteurs qui relèvent
de la langue et du discours.
a) La cohésion de la forme orale tient au rôle des mélodies de types de
phrases (déclarative, exclamative, interrogative) des accents et des
pauses. Elle est évidemment liée à la ponctuation.
b) La cohésion morpho-syntaxique tient à quelques relations
fondamentales :
- Emploi anaphorique de l’article défini (le référent est identifiable parce
qu’il a déjà été présenté; l’article défini est alors en relation avec ce qui
précède).
- Emploi anaphorique (l’adjectif possessif renvoie à un possesseur cité
avant), cataphorique ( l’adjectif possessif précède le possesseur), ou
déictique (le possesseur est présent dans la situation d’énonciation) des
adjectifs possessifs.
- Pronoms représentants (ils ne désignent pas directement un référent) et
pronoms déictiques (ils désignent un référent identifiable).
- La distinction aspect non accompli / aspect accompli (temps simples
/ temps composés), les valeurs des voix (active, passive, impersonnelle,
factive).
- Les emplois des modes : l’emploi du subjonctif, les mots supports du
gérondif, du participe, de la forme adjective du verbe, de l’infinitif.
- Les constructions par coordination ou par subordination.
- Mise en position détachée (quand le mot est séparé du reste de la
phrase), présentatifs (voici / voilà, il y a, il est, c’est...)
c) La cohésion lexicale et sémantique repose sur les ensembles de
vocabulaire (lexique général de la langue) répartis dans le texte.
1.2.
Cohérence.
5
On peut distinguer quatre principaux types de cohérence
a) La cohérence informative concerne des textes qui ont comme but
l’information :. Un guide, le mode d’emploi, un catalogue, une
convocation… La cohésion est assurée de la manière la plus simple, la
plus neutre : peu de phrases complexes, temps verbaux courants,
énonciation-récit. Un défaut fréquent est l’abondance des adjectifs et des
pronoms démonstratifs. L’élégance consiste dans la précision et la clarté.
b) La cohérence d’exposition : Elle demande une grande unité
thématique. Une simple lettre commerciale doit présenter cette
cohérence et ne comporter qu’un seul objet. Les textes sont de trois
sortes : Textes législatifs et juridiques; textes scientifiques et
techniques, textes d’opinion, d’idées.
c) La cohérence de narration : la cohérence de narration intervient dans
tous les textes qui racontent une histoire, que ce récit soit leur premier
objectif ou qu’il soit un objectif parmi d’autres. Bien entendu, des
données particulières interviennent pour organiser la narration d’un texte
historique, d’un roman ou de l’intrigue d’une pièce de théâtre. Mais tous
ces types de textes ont en commun une cohérence narrative qui organise
les rapports entre les épisodes de la narration, les moments et les lieux où
elle se déroule, les personnes ou les personnages qui interviennent...
d) La cohérence d’évocation : On pourrait aussi l’appeler cohérence
poétique. Mais cette cohérence ne concerne pas que des textes poétiques.
Elle joue sur les sons du discours, les associations d’idées et les
métaphores, tout ce qu’un texte peut suggérer...
2.
L’étape externe
Toute organisation du commentaire peut être bonne si elle est la réponse
d’un raisonnement. Nous devons partir du principe du but : ¿Qu’est-ce
que nous voulons tirer ou enseigner avec le commentaire ?
Voici une large vision des possibilités pas à pas.
Le premier pas doit être une vision externe. C’est l’étape de l’application
de connaissances préalables, de la situation du texte dans son cadre
historique et littéraire, et de l’étude du fragment en relation avec l’auteur
et son activité littéraire (époque de l’auteur, autres oeuvres...), et aussi du
fragment en relation avec l’oeuvre (repérage, implications, explications
de points que l’on retrouve plus loin ou dans d’autres oeuvres,
identification des personnages qui apparaissent...). On doit aussi
s’interroger sur la forme de l’expression : genre littéraire et ses
6
caractéristiques fondamentales : narration, roman, conte, légende, fable,
biographie, mémoire, livres de voyages, chronique, article de journal,
essai, didactique, argumentation, poésie, prose...
3.
Le style et la rhétorique
3.1.
Contenu idéologique.
Argument, structure, parties, thème ou idée centrale, thèmes traditionnels
(carpe diem, locus amoenus, ubi sunt…), le message et ses
caractéristiques, la perspective, l’attitude et l’originalité font partie du
contenue idéologique.
.
3.2.
Contenu stylistique.
- Langage et situation: langue culte, langue familière, langue vulgaire,
langage administratif, langage juridique, langage littéraire, langage
journalistique, langage publicitaire, langage technique et scientifique...
- Contenu logique-sémantique: concret, abstrait, hermétique,
polémique...
- Contenu stylistique: académique, emphatique, baroque, affecté,
rhétorique, burlesque, satirique, impressionniste, concis, laconique,
formel, dynamique...
- Attitude de l’auteur: ton, rythme, vraisemblance, inspiration,
intellectualisme, parodie...
3.3.
Le mot
- Le mot et la forme: abréviation, acronyme, diminutif.
- Le mot et son origine: cultisme, archaïsme, néologisme, emprunt,
barbarisme, anglicisme, gallicisme...
- Le mot et ses sens: champ associatif, champ lexique, champ
sémantique / euphémisme, tabou/ vulgarisme / anthroponyme,
toponyme / cliché, stéréotype, lieu commun / contexte, connotation,
dénotation.
3.4.
Le syntagme et la phrase.
7
Dans l’analyse du syntagme et de la phrase on peut tenir compte de :
- La sonorité: l’allitération, ou répétition d’une même consonne dans
une phrase ou un vers (Chacun se dispersa sous les profonds feuillages).
- Des procédés métaphoriques: la métaphore, procédé par lequel on
substitue un terme à un autre pour produire une image. Dans sa forme, la
métaphore correspond à une comparaison dans laquelle on aurait
supprimé le terme comparatif (comme, ainsi, que...) (Nos deux coeurs
seront deux vastes flambeaux); la métonymie, figure de style qui permet
de traduire un terme par un autre (Il a pris la tête du peloton); la
synecdoque, variété de métonymie, elle consiste à traduire un terme au
moyen d’un autre terme (j’ai acheté un Picasso); l’image, procédé
d’écriture qui révèle un rapport d’analogie entre deux choses ou deux
êtres étrangers l’un à l’autre (Je suis un cimetière abhorré de la lune);
l’hyperbole, figure de style qui permet d’exprimer une idée ou un
sentiment avec exagération (L’éternité pour moi ne sera qu’un instant);
la prosopopée, procédé de style qui consiste à invoquer un être absent ou
mort, un animal, une abstraction, en lui donnant la parole (Je me flattai
toujours d’une espérance vive, /Faisant le chien couchant auprès d’un
grand seigneur); l’hypotypose, ce terme de rhétorique désigne une
description animée et frappante (Les pieds dans les glaïeuls, il dort.
Souriant comme/ Sourirait un enfant malade, il fait un somme).
- Les affrontement de sens : Le paradoxe, énoncé qui présente des
réflexions incongrues , des arguments qui vont à l’encontre des
coutumes, des opinions généralement admises, voire de la
vraisemblance, (La sagesse n’est pas dans la raison, mais dans l’amour);
l’antithèse, elle permet d’opposer deux termes ou deux expressions dans
une même phrase ou un même paragraphe. Elle joue sur les contrastes
qu’elle exprime dans des tournures souvent symétriques (Faut-il de votre
éclat voir triompher le comte/ Et mourir sans vengeance , ou vivre dans
la honte ?); l’oxymore, appelé aussi oxymoron ou antilogie, cette figure
de style permet de rapprocher des réalités supposées incompatibles, des
termes opposés (Ce pyrophore humain est un savant ignorant, un
mystificateur mystifié, un prêtre incrédule); l’ironie, procédé de style qui
consiste à se moquer de quelqu’un en exprimant le contraire de ce que
l’on pense, de ce que l’on veut faire entendre. Il permet de détromper,
par antiphrase, un lecteur (La jeune Sara avait quatre-vingt-dix ans selon
l’Ecriture quand Dieu lui promit qu’Abraham, qui en avait alors cent
soixante, lui ferait un enfant dans l’année.); la litote, figure de style qui
permet de dire peu et de signifier beaucoup. A la différence de
l’euphémisme, qui atténue des réalités cruelles, la litote modère des
8
éloges, des aveux (1- Va, je ne te hais point. 2- Votre devoir n’est pas
mauvais.); le pléonasme, répétition dans un énoncé de mots ayant le
même sens (Je l’ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu, /Ce qu’on
appelle vu).
- D’une grande importance est aussi l’ordre des mots: énumération,
voisine de l’accumulation, l’énumération permet d’énoncer
successivement les différentes parties d’un tout et de dresser des
inventaires. (Ils exhibaient d’extravagants jabots de baptiste et faisaient
étinceler à leur chemise, à leurs manchettes, à leurs cravates, à leurs dix
doigts, voire même à leurs oreilles, tout un assortiment de bagues,
d’épingles, de brillants, de chaînes, de boucles, de breloques dont le haut
prix égalait le mauvais goût.); l’accumulation, cette figure de style
permet dans une phrase un foisonnement de détails qui développent
l’idée principale par touches successives, au moyen d’adjectifs et de
compléments. Elle cherche à cerner un sujet, à tout dire sur une question.
(Elle commençait sous les pieds, l’Exposition, par ce déballez-moi ça de
gogos, ce méli-mélo de bronzes d’art, de géraniums, de filles, de soldats,
de bourgeois, de gosses, de grandes eaux, d’Annamites, de Levantins,
d’étrangers frais débarqués et de voyous venus de la Butte, par ce
pandémonium étonné, goguenard, bruyant, traînant la patte.); la
gradation, énumération organisée, qui peut être ascendante ou
descendante. (Va, cours, vole et nous venge.); l’hyperbate, figure de
style qui consiste à renverser l’ordre attendu des éléments d’une phrase, à
produire une construction lexicale originale, voire insolite. (Elle a vécu,
Myrto, la jeune Tarentine.); l’inversion, il arrive que l’ordre des mots de
la syntaxe traditionnelle soit inversé. Lorsque cette modification n’a pas
une origine grammaticale, elle répond à une volontés stylistique de
l’auteur. (J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre.); le chiasme,
figure de rhétorique composée de deux ensembles dans lesquels les mots
sont inversés (Leur origine est très diverse, divers aussi leurs buts et leur
financement.), on appelle également chiasme la simple interversion de
mots (Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger.);
l’hypallage, cette figure de style consiste à rattacher à certains mots des
attributs qui concernent d’ordinaire d’autres mots, sans que l’on puisse se
méprendre sur le sens global de la phrase (L’odeur neuve de ma robe).
- Répétition de mots: l’anaphore, procédé qui consiste à commencer
plusieurs vers ou plusieurs phrases successives par un même mot ou
groupe de mots (Le limon se fendille, il grille et s’éparpille/ Le limon
s’épaissit et devient une étoffe /le limon s’éparpille et devient
limitrophe.). l’épanalepse, figure de style qui consiste à placer le même
9
mot au début et à la fin d’une phrase ou d’un vers (L’homme est un loup
pour l’homme.);
l’anadiplose, procédé qui consiste à reprendre au début d’une
proposition un mot qui appartient à la proposition précédente (Sur la mer
il y a un bateau – dans le bateau il y a une chambre. Dans la chambre il
y a une cage – dans la cage il y a un oiseau.); l’antanaclase, figure de
style qui consiste à reprendre le même mot dans une phrase, mais en
l’employant dans deux sens différents (Le coeur a ses raisons que la
raison ne connaît point); les calembours sont des jeux sur les sons. On
peut en créer de trois sortes : - en ajoutant ou en supprimant des sons (un
poème de Léon-Paul Fargue est intitulé Merdrigal –au lieu de Madrigal-
), - en jouant sur le découpage sémantique des mots (la mère
Michel/l’amer Michel), - en travaillant sur l’homonymie (va-t’en porter
ma lettre aux fleurs à tire d’elle) ou l’homographie (Le garçon de café. –
C’est pour qui la bière ?/Le client. –C’est pour le mort !) .
- Ellipse de mots : l’asyndète, juxtaposition de deux expressions ou de
deux propositions, obtenue par l’ellipse de la conjonction de coordination
(mais, et, or...) ou de subordination (bien que, tandis que...) (Nous
marchions fourbus, blessés, crottés, malades); l’ellipse, figure de style
qui consiste à ne pas utiliser dans une phrase tous les éléments qu’on
devrait y trouver si l’on suivait strictement les règles grammaticales (On
se mit à parler allemand, avec la même aisance que tout à l’heure pour
le français.); le zeugma, alliance de mots où l’on associe des réalités
abstraites et concrètes dans une même structure syntaxique (Enfermée
dans sa chambre et dans sa surdité...).
- Organisation du discours: la symétrie, correspondance exacte des
formes ou des rythmes dans une phrase ou dans un vers, d’une phrase à
l’autre ou d’un vers à l’autre (Tant de fois s’appointer, tant de fois se
fâcher,/Tant de fois rompre ensemble et puis se renouer,/Tantôt blâmer
Amour et tantôt le louer,/Tant de fois se fuir, tant de fois se
chercher,/Tant de fois se montrer, tant de fois se cacher,/Tantôt se mettre
au joug, tantôt le secouer,/Sont signe que l’Amour de près nous vient
toucher.)
- Figures descriptives: le portrait. On distingue deux types de portrait :
le portrait physique, ou l’on insiste sur l’allure du personnage, sa
démarche, son regard, sa voix... et le portrait moral ou caractère, où
l’on expose sa façon de se comporter, ses défauts et ses qualités...
(Grande et mince jusqu’à l’exagération, elle possédait au suprême degré
l’art de faire disparaître cet oubli de la nature par le simple
arrangement des choses qu’elle revêtait. Son cachemire, dont la pointe
10
touchait à terre, laissait échapper de chaque côté les larges volants
d’une robe de soie...).
4.
La narration
L’étude de la narration porte sur trois axes : La place et le rôle du
narrateur, la combinaison des textes narratifs et descriptifs, les
personnages.
4.1.
Le rôle du narrateur.
Lorsque le narrateur est extérieur à l’histoire il la raconte à la
troisième personne. Il n’est pas invraisemblable qu’il connaisse tout de
cette histoire. On parle de focalisation zéro, de narrateur omniscient ou
de vision « par en dessus ». Parfois le narrateur ne rapporte que les
apparences extérieures de l’histoire. Il tient le lecteur en attente, c’est la
focalisation externe, la vision « par derrière »). Quand le narrateur
raconte ce que voit, sait et pense un personnage on l’appelle focalisation
interne.
Le narrateur peut être aussi extérieur à l’histoire même si par
moments, on rencontre aussi des passages d’énonciation-discours qui
correspondent à une intervention directe du narrateur : il dit je, nous
ou on, il interpelle parfois le lecteur. Ces interventions sont celles d’un
narrateur qu’on peut confondre avec l’auteur et qui commente non
seulement l’histoire mais la narration elle-même. Ce type de texte
ressemble aux textes précédents.
Si le narrateur est présent dans l’histoire. Deux positions sont
possibles : - le narrateur témoin raconte l’histoire sans l’avoir vécue lui-
même; et le narrateur personnage qui a vécu ou est en train de vivre
l’histoire. Le narrateur personnage peut raconter une histoire achevée
(narration rétrospective). Il est presque dans la position d’un narrateur
témoin. Dans ce cas il faut bien distinguer le « je » du narrateur en train
de raconter et le « je » du narrateur quand il vivait l’histoire. Le narrateur
personnage peut aussi raconter une histoire en train de se dérouler. Le
seul point de vue vraisemblable est celui d’une focalisation interne. Le
narrateur personnage sait ce que toute personne peut savoir du monde,
des autres... mais il ne sait rien de plus.
4.2.
11
Textes narratifs et textes descriptifs
a) Temps de l’histoire et temps de la narration. Dans une narration, le
temps est exprimé par différents procédés : noms de date, d’heure,
d’époque..., adverbes, compléments circonstanciels de temps, et surtout
temps grammaticaux des verbes. Le temps de l’histoire est celui des
calendriers, des horloges. Le temps de la narration est un temps relatif,
c’est le moment où le narrateur est situé pour narrer l’histoire. La
narration rétrospective, qui est le cas le plus fréquent, emploie les
temps du passé. Attention au présent de narration, au futur de narration,
au conditionnel. Toute narration rétrospective est une sorte de grand
retour en arrière, mais la narration peut aussi comporter des retours en
arrière plus ponctuels (analepses dans le roman, flash-back au cinéma).
Dans la narration simultanée le narrateur semble raconter l’histoire au
moment où elle se déroule. Emploi du présent historique.
b) Durée de l’histoire et durée de la narration. La durée de l’histoire
se mesure en jours, en heures... La durée de la narration se mesure en
pages, en lignes... Dans les passages de dialogue, la durée de la narration
est à peu près la même que celle de l’histoire. Les passages de récit
comportent des tempos lents ou vifs, des accélérations et des ralentis.
La longueur des phrases, l’accumulation des verbes, l’opposition passé
simple / imparfait, les adverbes de temps en sont les principaux outils.
L’accélération peut aller jusqu’à l’ellipse temporelle. Quand l’ellipse est
complète, les temps des verbes la signalent (On se serra la main une
dernière fois, le train siffla, nous avions quitté la gare.) Ou bien un
résumé rassemble le passé en quelques mots autour d’un verbe
imperfectif au passé simple (Puis des années s’écoulèrent, toutes
pareilles et sans autres épisodes que le retour des grandes fêtes :
Pâques, l’Assomption, la Toussaint.)
c) Les séquences narratives. On appelle séquence narrative une
histoire complète avec un début, un développement et une fin. Un
roman est une grande séquence narrative. Mais cette grande séquence
narrative est faite de petites séquences. Les séquences narratives
s’organisent de deux manières : elles se succèdent et elles se
superposent. C’est ce tissage des séquences qui assure la cohérence
narrative de l’ensemble.
d) Le déroulement de la narration. Le déroulement d’une narration
comporte plusieurs événements : événement déclencheur – suite
d’événements – dénouement. Pour étudier ce déroulement, il faut
étudier chaque événement en précisant sa place dans la suite des
12
événements (enchaînements de causes et d’effets, renversement de
l’action, coup de théâtre...). On voit alors que certains événements sont
plus importants que d’autres parce qu’ils correspondent aux grandes
séquences de la narration. Ce sont les événements clés de l’action. -
L’évolution de la situation. Le déroulement d’une narration comporte
aussi une évolution : situation initiale – situations intermédiaires –
situation finale. Pour étudier cette évolution, il faut expliquer comment
les événements modifient les situations (situation heureuse ou
malheureuse, avantageuse pour tel personnage mais au détriment d’un
autre, renversement de la situation...).
e) « La langue du récit ». En étudiant les contes populaires de son pays,
le critique russe Vladimir Propp a montré qu’ils suivaient tous des
déroulements comparables. Par exemple, une ville est menacée par un
péril, un héros accepte d’affronter le péril, il remporte un premier succès,
suivi d’une défaite, mais il se reprend et triomphe définitivement. On
retrouve un déroulement de ce genre dans bien d’autres récits, contes de
tous les pays, romans ou films.
Les narrations plus longues et plus complexes introduisent des
variations. Mais on rencontre là encore des constructions qui se
ressemblent : situation, élément modificateur, action, élément
modificateur inverse, nouvelle situation. On parle donc parfois de la
« langue du récit » (Roland Barthes). Tous les lecteurs connaissent plus
ou moins cette « langue ». Ils savent que l’auteur joue sur leur attente,
leur angoisse, leurs espoirs... Et c’est l’un des plaisirs de la lecture que
d’être pris dans ce jeu.
f) Lieux et objets de la narration. Une narration fictive peut se dérouler
dans des lieux inventés ou dans des lieux empruntés au monde réel.
Les deux cas ne sont pas différents parce que les lieux (et les objets)
d’une narration appartiennent à cette narration avant d’appartenir au
monde réel. On peut donc étudier ces lieux et ces objets du point de vue
référentiel (par rapport aux lieux et aux objets réels du monde), mais il
faut surtout étudier leur rôle dans la narration.
Le rôle de la description dans la narration ne se réduit pas à dessiner un
décor indispensable ou à faire découvrir au lecteur des paysages
inconnus.
Les liens entre les descriptions et la narration jouent à quatre niveaux :
- Comment la description est-elle elle-même une narration : rôle du
narrateur ? ordre de la description ?
- Comment la description est-elle insérée dans la narration générale :
pause narrative ? superposition du narratif et du descriptif ?
- Quel est le rôle de la description dans le mouvement narratif ?
13
- Quelle place les descriptions occupent-elles dans les romans ou les
autres textes narratifs de l’époque ? Cette dernière question relève de
l’histoire de la littérature et de l’esthétique.
g) Les lieux et la narration. On peut dresser la carte des lieux et
examiner les points suivants :
- Lieux réels et lieux imaginaires. Par rapport au mouvement narratif, la
différence est faible. Mais le choix qu’en fait l’auteur influe sur le
caractère réaliste du roman.
- Les lieux et leurs oppositions. Lieu clos / lieu ouvert; lieu privé / lieu
public; ville / campagne; maison / rue ou place; séjour / passage; etc.
- Les lieux et le déroulement de la narration. La narration va d’un lieu
à un autre, reste enfermée dans un même lieu, ou au contraire oppose
deux ou trois lieux précis. Il faut être attentif aux noms des lieux, à leurs
valeurs dénotatives connotatives, leurs valeurs métaphoriques ou
métonymiques.
- Les lieux et les personnages. Les lieux auxquels ils sont liés, ceux
qu’ils quittent, ceux où ils vont, ceux qu’ils espèrent atteindre...
h) Le texte descriptif (lieux ou objets). La description est une
narration. Elle donne lieu à plusieurs questions :
- Qui décrit ? Narrateur extérieur, témoin, personnage ?
- Dans quel ordre ? La description n’est pas une « reproduction »,
comme une banale photo. Elle suit un ordre. Description d’un seul tenant
ou fragment épars ? Du premier plan à l’arrière plan, mouvement
circulaire, du centre vers la périphérie, l’inverse, etc. ? Part des « plans
larges » et des « gros plans ».
- Avec quels matériaux de la langue et du discours ? La liste donne
toutes les pistes à explorer.
- Champs lexicaux des lignes, des volumes, des formes, des couleurs, des
mouvements, des odeurs, des sons...
- Répartition de la description sur la syntaxe : plusieurs phrases, une
seule phrase ? description morcelée ou continue ?
- Usage des présentatifs.
- Emplois de l’imparfait, valeur des présents.
- Nombre de noms, d’adjectifs, de verbes.
- Rôle des verbes imperfectifs, des verbes attributifs.
- Voix active et passive, pronominaux de sens passif.
i) Le narratif et le descriptif. La valeur de non-accompli de l’imparfait,
jointe à des verbes imperfectifs, convient à la description. Sur cet
arrière-plan, le passé simple se détache pour exprimer le mouvement
narratif. Le présent de valeur permanente, combiné à l’imparfait, donne
14
un arrière-plan de commentaire et de description sur lequel, là encore,
le passé simple se détache. Des auteurs contemporains opposent
imparfait et passé composé pour obtenir les mêmes effets ou emploient le
présent historique qui réunit dans le même moment la narration et la
description. Il faut toujours préciser le rôle du passage descriptif dans
la cohérence narrative. Rôle d’évocation symbolique d’un personnage
par métaphore ou métonymie, ou bien, la description minutieuse des
espaces pour préparer le « terrain » pour une action future, ou encore, la
description prépare l’action future tout en jouant un rôle symbolique.
On peut très souvent associer un texte descriptif à la vie de l’auteur.
Non pas pour retrouver dans la description la reproduction banale des
lieux où l’auteur a vécu, mais pour explorer la géographie inconsciente
que tout homme garde avec lui. Lieux associés à des souvenirs heureux,
émouvants, dramatiques.
4.3.
Les personnages
L’illusion du réel est l’une des réussites du roman : le personnage nous
semble aussi réel qu’une personne. Mais pour étudier un personnage, il
faut aller au-delà de cette impression et comprendre comment la
narration le construit et l’utilise. Même s’ils ont été inspirés par des
personnes réelles, c’est dans la narration que se déroule leur histoire.
Pour construire un personnage on dresse souvent sa fiche d’état civil
(nom, âge, domicile, métier, situation de famille, aspects physiques) à
laquelle on ajoute une série de données psychologiques, morales,
sociales. Tout cela peut être fourni au lecteur d’un coup, dans un portrait,
ou bien dispersé sur plusieurs passages. Le personnage se révèle aussi
dans ce qu’il dit. Il faut donc étudier les dialogues : comment parle-t-il ?
quel est son vocabulaire ? sa syntaxe ?Le nom est souvent un point
important. Ses sonorités, ses connotations participent à la construction du
personnage.
Le rôle du personnage dans le déroulement de la narration
correspond à la position de celui-ci par rapport à l’action et par rapport
aux autres personnages. Un personnage peut être le sujet et l’objet de
l’action, Il peut être destinateur ou destinataire des éléments du récit,
Il peut être auxiliaire ou opposant à l’un des personnages. Ce qu’il faut
bien comprendre, c’est qu’un personnage ne s’étudie pas séparément
des autres personnages de la narration. Il y a dans toute narration un
système de personnages dont les relations (de rapprochement ou de
conflit, d’amour ou de haine...) évoluent au long du récit. A chaque
15
changement dans la situation, il faut examiner ce système et étudier ses
modifications. Ce qui apparaît enfin, c’est que la notion de personnage
fait partie d’un système plus vaste : celui des actants, système qui
englobe les personnages (J. Greimas) mais aussi des objets, des entités,
des idées.
Ni la narration historique ni la narration autobiographique font
partie de la fiction. Ce sont des narrations non fictives. Pour la première
les passages permettent à l’historien d’intervenir dans sa narration. Le
caractère spécifique de la narration historique tient aux référents du texte
(événements, dates, lieux, personnes) qui peuvent être vérifiés, recoupés,
le cas échéant dénoncés comme faux ou falsifiés. Mais on ne peut pas en
déduire que les relations associatives sont sans importance. L’historien a
devant lui les matériaux de l’histoire : il faut qu’il les éclaire, qu’il les
ordonne, qu’il narre les événements. Ici, son travail ressemble beaucoup
à celui de n’importe quel narrateur.
Dans une autobiographie, on a donc le « je » de l’auteur-énonciateur et
le « je » de l’auteur-acteur. L’autobiographie a donc la même structure
narrative que le roman d’un narrateur-personnage. Mais il faut ajouter
que l’autobiographie est une narration de caractère historique où les
référents doivent présenter, en principe, les mêmes garanties que dans les
travaux historiques.
5.
La poésie
5.1.
La rime :
Tenir compte de la règle de la versification française classique, dite
alternance, qui utilise après une rime masculine une rime féminine.
(Mon coeur, lassé de tout, même de l’espérance,/N’ira plus de ses voeux
importuner le sort;/Prêtez-moi seulement, vallons de mon enfance,/Un
asile d’un jour pour attendre la mort).
Dans un groupe de vers, on dit que les rimes sont embrassées
lorsqu’elles présentent le schéma a b b a. (Un octogénaire
plantait./ « Passe encore de bâtir; mais planter à cet âge !/Disaient trois
jouvenceaux, enfants du voisinage;/Assurément il radotait.) On dit que
les rimes sont croisées lorsqu’elles présentent le schéma a b a b.
On appelle traditionnellement rime féminine une rime terminée par un e
muet. (Rare et fameux esprit, dont la fertile veine/Ignore en écrivant le
travail et la peine) et masculine, par opposition à la rime féminine, une
16
rime qui n’est pas terminée par un e muet. (Dans le vieux parc solitaire
et glacé/Deux formes ont tout à l’heure passé.)
5.2.
Le rythme :
La cadence, surtout utilisée en poésie, désigne le rythme obtenu par les
coupes et les accents toniques, la mise en relief due à l’accentuation et
aux intonations. (Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,/Fit
sentir dans les vers une juste cadence.)
Las césure est éthymologiquement une coupure. Elle divise le vers en
deux demi-vers, aussi appelés hémistiches. Ainsi, dans l’alexandrin
classique, la césure intervient après la sixième syllabe. (Et la mer et
l’amour - ont l’amer pour partage,/ Et la mer est amère, - et l’amour est
amer,/L’on s’abîme en l’amour – aussi bien qu’en la mer/Car la mer et
l’amour – ne sont point sans orage.)
Le rythme du vers est marqué par le retour à intervalles déterminés
d’un certain nombre de syllabes plus accentuées que les autres. Y
contribuent également les coupes et les césures. (Comme un vol/de
gerfauts/hors/du charnier natal.)
5.3.
La sonorité :
La répétition d’une même consonne dans une phrase ou un vers est
appelé allitération. (De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.)
L’assonance est la répétition d’une même voyelle dans une phrase ou un
vers.(Garde ton âme ouverte aux parfums d’alentour.)
La cacophonie est le retour à intervalles plus ou moins réguliers de sons
semblables et déplaisants. On rencontre des mots cacophoniques au
même titre que des expressions ou des propositions. (Non, il n’est rien
que Nanine n’honore.)
La paronomase est une figure d’élocution qui rapproche deux mots –des
paronymes- de sens différents mais de sonorités voisines. (L’Amour à
mort).
5.4.
Le vers
Le vers alexandrin, propre de la tradition littéraire française, a été
employé pour la première fois dans le Roman d’Alexandre, paru vers
1150, ce vers français compte douze syllabes. Son rythme repose sur les
17
règles de l’accentuation et de la césure. (Et de longs corbillards sans
tambour ni musique ).
Le décasyllabe compte dix syllabes. (La vie et le bal ont passé trop vite /
La nuit n’a jamais la longueur qu’on veut,)
L’octosyllabe compte huit syllabes.(Juin ton soleil ardente lyre / Brûle
mes doigts endoloris).
Distique : strophe composée de deux vers. (Je suis mort sans laisser de
fils, et regrettant / Que mon père avant moi n’en eût pas fait autant.)
(Épitaphe de misanthrope.)
Léonin : on dit qu’un vers est léonin lorsque ses hémistiches riment
ensemble. (Des filous effrontés, d’un coup de pistolet, / Ébranlent ma
fenêtre et percent mon volet.)
L’acrostiche est un poème dans lequel les initiales de chaque vers, lues
verticalement, composent le nom de l’auteur ou du dédicataire, ou
rappellent un mot clé. (Mon aimée adorée avant que je m’en aille / Avant
que notre amour, Maria, ne déraille / Râle et meurt, m’amie, une fois,
une fois, / Il faut nous promener tous deux seuls dans les bois, / Alors je
m’en irai plein de bonheur je crois.)
Un poème est constitué de vers irréguliers lorsque ses vers ne
présentent pas le même nombre de syllabes (Une souris craignait un chat
/ Qui dès longtemps la guettait au passage. / Que faire de cet état ? Elle,
prudente et sage, / Consulte son voisin : c’était un maître rat...).
Un poème qui n’a qu’une seule sorte de vers (Saigne : / Clame ! /
Geigne.) est appelé monomètre
6.
Le théâtre
Les éléments suivants sont à tenir en compte dans le texte théâtral.
6.1.
Les paroles.
Dans le dialogue, chaque intervention d’un personnage s’appelle une
réplique : la tirade est une longue réplique, l’aparté est une réplique
adressée aux spectateurs et le monologue est le propos tenu par un
personnage seul en scène. L’auteur choisit le dialogue ou le monologue,
des tirades ou des répliques brèves, en fonction des nécessités de
l’action. Quand l’action le permet, il prend soin d’alterner les types de
discours.
6.2.
18
La langue orale du théâtre.
La situation théâtrale imite une énonciation-discours réelle. L’oral
comporte donc forcément un grand nombre de déictiques : je / tu, ici,
maintenant, hier, demain...
L’oral de théâtre est un oral fictif, mais il met évidemment en jeu tous
les actes de langage (acte qu’on accomplit en disant quelque chose,
oralement ou par écrit).
À cet oral fictif, l’usage classique donne une tenue qui n’est pas celle de
l’oral familier réel. Les différents genres obéissaient en effet à des
traditions qui leur imposaient un certain type de style et une écriture en
vers ou en prose. Dans la comédie, l’irruption de parlers différents a
souvent pour but de représenter un type de personnages. Il n’en reste pas
moins que l’oral de théâtre approche alors d’un oral plus réel.
L’évolution de la langue théâtrale s’est poursuivie dans ce sens. Le
vocabulaire et la syntaxe des personnages peuvent rejoindre les registres
familiers.
Théâtre en prose ou en vers : La tradition rhétorique classique
demandait que la tragédie et la comédie de moeurs ou de caractère,
genres nobles, soient en vers alexandrins. Au vers de la tragédie devait
s’associer le style sublime (celui de l’épopée, de la tragédie).
Les comédies de simple divertissement, à plus forte raison les farces
(style burlesque), pouvaient être en prose. Le drame romantique est en
vers ou en prose. Il mêle les styles. Ces pratiques et leurs évolutions
relèvent de l’histoire littéraire. La rencontre du vers et du dialogue met
en jeu toutes les ressources de la versification.
6.3.
Le dialogue théâtrale : la situation de communication.
Dans un dialogue réel, A parle avec B. Dans un dialogue théâtral, A parle
avec B devant des spectateurs. On a donc trois niveaux de
compréhension :
- ce que sait et dit le personnage qui parle;
- ce que sait et entend le personnage qui écoute;
- ce que sait et entend le spectateur.
Les écarts qui existent entre ces trois niveaux créent une situation qui est
l’une des donnée essentielles de la représentation théâtrale et qu’on
appelle l’ironie dramatique.
Comme l’ironie courante, l’ironie dramatique fait appel à une complicité.
Complicité du personnage qui « sait » et des spectateurs, ou complicité
des spectateurs si aucun personnage ne « sait ».
19
6.4.
Le dialogue théâtrale : les stratégies du dialogue.
Dans certains cas, celui qui pose les questions dirige le dialogue. L’autre
est obligé de répondre. Ne pas répondre, c’est avouer sa défaite. Mais il
peut s’efforcer de renverser la situation à son profit pour prendre la
maîtrise du dialogue (un moyen un peu désespéré est de répondre à une
question par une question). Dans d’autres cas, celui qui pose les
questions est celui qui « ne sait pas ». Il dépend donc des réponses de
l’autre.
- Enchaîner sur les idées :
Questions et réponses ne forment pas un duel mais un face à face d’idées,
d’opinions. Le dialogue procède par répliques où les interlocuteurs sont
sur le même plan.
- Enchaîner sur les mots :
On retrouve dans la réplique les mots de la réplique précédente ou leurs
contraires. Ce tour donne au dialogue une très grande vivacité. Les
interlocuteurs peuvent être complices, donc égaux.
6.5.
L’action dramatique
Le texte de théâtre est un texte narratif sans narrateur. Ses rapports à
l’espace et au temps, à l’action dramatique et aux personnages,
présentent donc des caractères particuliers. D’autre part, le texte de
théâtre est un texte d’abord destiné à la représentation. Le lecteur d’un
roman « a le temps ». Un spectateur n’a que le temps du spectacle. Il y a
donc toujours au théâtre un effet de stylisation et de grossissement.
Dans le théâtre grec, le temps de l’action pouvait être égal au temps de la
représentation. Celle-ci devait donc se dérouler sans interruption. Les
Romains ont « inventé » l’acte qui permet d’interrompre la
représentation, de changer de lieu et de moment. Acte, scènes et
tableaux ne sont pas des données théoriques. Ils dépendent, selon les
époques, des conditions matérielles des représentations (ex. jadis, la
durée des chandelles). Dans le théâtre classique français, les scènes
correspondent strictement à des entrées ou sorties de personnages. Dans
d’autres traditions, la scène est un changement de lieu, de tableau.
Un texte de théâtre comporte des paroles et des indications sur les
personnages et les actions. On appelle ces indications les didascalies.
Les didascalies font partie du texte. Elles donnent en particulier des
20
indications importantes sur l’espace : les décors et les déplacements des
personnages. L’espace et le temps sont présents dans les
répliques : situation des moments, évocation des lieux « en dehors » de
la scène, évocation des déplacements des personnages « en dehors » de la
scène. Elles permettent d’établir la chronologie générale de l’action et la
carte des lieux où elle se déroule. Chaque passage doit être situé sur
cette chronologie et sur cette carte.
La chronologie n’a pas d’intérêt en elle-même : il faut analyser les
ellipses (entre les scènes ou les actes), les tempos lents ou vifs, les
ralentis et les accélérations.
Les lieux ne doivent pas être étudiés séparément : il faut analyser la
structure qu’ils forment, comme dans le texte narratif.
C’est à la première de ces données que les notions d’unité de temps et
d’unité de lieu prennent leur signification. Le classicisme, soucieux
d’une certaine vraisemblance, demandait :
Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. (Boileau)
Toutes les pièces, à commencer par les pièces du XVIIè siècle, ne
respectent pas à la lettre ces contraintes. Mais toutes les pièces ont une
unité de temps et une unité de lieu parce qu’elles ont une unité d’action.
L’un des objets de l’étude est de montrer ces unités.
Pour les étudier, il faut faire le relevé des scènes de chaque acte en
répondant au questions : où est-on ? quand ?
L’action dramatique développe une action sans narrateur qui compte
avec le savoir du spectateur. Il faut étudier la manière dont le spectateur
la perçoit.
Le déroulement de l’action comporte une suite ordonnée :
Le début nous informe sur l’exposition des faits (où ? quand ? qui ?
pourquoi ?).
Le déroulement de l’intrigue, péripéties (séquences de l’action),
épisodes (au sens strict : des actions secondaires qui doivent rester peu
nombreuses), noeud de l’intrigue (elle atteint toute sa tension et sa
complexité maximale), retournement durable ou passager de la situation.
La fin est le dénouement de l’action et les interventions de conclusion.
La pièce peut comporter un prologue et (ou) un épilogue. S’y exprime
un personnage ou un choeur qui appartient ou non à l’intrigue elle-même.
Bien que parfois ils sont mélangés, on peut considérer quatre genres
théâtraux : Dans la tragédie tout est soumis au déroulement inéluctable
de la fatalité. On connaît la fin. La mort ou un châtiment exemplaire y
jouent leur rôle. Dans la tragi-comédie l’intrigue est complexe, riche en
épisodes, et elle laisse une place au hasard. Il peut y avoir eu des
21
péripéties tragiques, mais la fin sera heureuse ou apaisée. La comédie
développe une intrigue traditionnelle (parents, enfants qui s’aiment,
valets habiles), ou intrigue de boulevard (le mari, la femme et la
maîtresse, ou l’amant) ou intrigue de caractère (par ex. deux êtres qui se
cherchent et s’avoueront leur amour; à la différence de l’intrigue
traditionnelle les obstacles sont en eux-mêmes) ou intrigue de moeurs
(satire d’un comportement social)... On ne connaît pas la fin, mais elle
doit être heureuse. La mélancolie n’est pas exclue. En tout cas, il n’y
aura pas de sang. Le drame finalement combine dans sa version
romantique tragédie et comédie, mais la fin est malheureuse.
L’auteur a plusieurs possibilités pour mener l’action dramatique, ce qui
se passe sur scène. Les informations utiles peuvent être données dans un
prologue ou dans une scène qui ressemble à un prologue, ou bien dans
un dialogue entre un personnage qui arrive et un confident ou dans un
dialogue engagé dans l’action, etc. Il joue aussi sur les personnages
présents sur la scène., sur une scène attendue, ou inattendue, sur la
grande scène de l’acte, de la pièce. Ce sont les événements imprévus ou
un personnage qu’on n’attendait pas. Ils forment les coups de théâtre.
Ce sont ensuite les récits souvent rapportés dans une tirade.
Il faut se garder de penser que l’action aurait avantageusement remplacé
le récit. Il ne faut pas non plus se contenter d’ajouter que si l’action s’est
passée « dans les coulisses », c’est à cause des bienséances classiques
(pas de sang sur la scène), ou parce que l’événement n’était pas
représentable. Tout peut être représenté. Le récit a deux fonctions : celle
de raconter l’événement et sa place dans l’action, et celle de montrer les
réactions des personnages au récit.
6.6.
Les personnages
Tout ce que nous avons dit des personnages peut être repris pour les
personnages du texte de théâtre : ils naissent de l’action dramatique, il
faut prêter attention à leur nom, et surtout ils forment des systèmes de
personnages dont l’organisation se fait et se défait au fil de l’action.
Parmi ces actants, il faut faire la place des objets. Non pas les objets du
décor mais les véritables objets dramatiques, ceux qui jouent un rôle dans
l’action.
Sur trois points importants, les personnages de théâtre diffèrent des
personnages de roman et deux de ces points sont liés à l’absence de
narrateur :
* Le personnage de théâtre est un être de « paroles ». Il a besoin d’un
acteur pour exister pleinement, un être vivant qui incarne ces paroles,
22
qui leur donne une voix, c’est-à-dire un corps. Le personnage de roman,
grâce à l’épaisseur de vie que le narrateur crée autour de lui, n’a pas
besoin de cette incarnation.
* Le dramaturge doit donner à son personnage un confident ou lui
ménager des monologues pour que le spectateur puisse entrer plus avant
dans les pensées, les débats du personnage. Là encore, un narrateur
omniscient pourrait narrer ce qui agite le personnage.
* Le dernier point découle de la stylisation propre au théâtre. Les
personnages y sont souvent des « types humains ». Les personnages de
la tragédie sont des princes, parce que la fatalité ne concerne pas que leur
destin individuel mais aussi celui de leur cité. La comédie comporte tout
un ensemble de personnages-types : les jeunes premiers, les servantes au
grand coeur et à la langue bien pendue, les valets habiles, les profiteurs
malins...
6.7.
Effets comiques et effets dramatiques
Effets comiques : Il est plusieurs formes de comique.
- Le comique de gestes joue sur les gifles données et reçues (de
préférence par celui à qui elles n’étaient pas destinées), sur les coups de
bâton, les chutes, etc.
- Le comique de mots joue sur les accents, les patois, les langues
étrangères , les difficultés d’expression, les « mots d’auteur », etc.
- Le comique de situation joue sur les rencontres imprévues, le
quiproquos, les scènes convenues (dépit amoureux, trompeur trompé),
tout ce qui place un personnage dans uns situation qu’il ne maîtrise pas.
- Le comique de caractère vise à peindre les travers d’une passion
individuelle.
- Le comique de moeurs peint un travers de société.
Effets dramatiques :
Aristote retenait comme ressorts du tragique la terreur et la pitié.
Corneille a proposé d’y ajouter l’admiration. Dans tous les cas, le
pathétique est sollicité. Au théâtre, ces émotions sont évidemment
manipulées et l’une des données de la manipulation est le jeu de
l’incertitude et de la certitude.
Le jeu de l’incertitude est celui de l’attente angoissée, du « suspense »,
du coup de théâtre.
Au jeu de la certitude correspond le spectacle de l’inéluctable. Il faut
alors relever les éléments qui expriment cet inéluctable :
23
- dans la confrontation entre ce que « savent » les personnages et
ce que sait le spectateur;
- dans les agencements de l’action : savoir du spectateur, ordre des
actes et des scènes; sortie et arrivée annoncées d’un personnage; parfois
prologue ou annonce explicite de la fin malheureuse;
- dans les paroles des personnages. Importance ici des derniers
mots de la plupart des personnages tragiques : Importance de toutes les
paroles qui ont rapport avec le temps, les désirs, les projets, mais aussi
celles qui sont des bilans.
7.
Conclusion
Un bon commentaire doit finir avec une bonne conclusion. La conclusion
d’un commentaire n’a rien de définitif, mais résume d’abord les idées
principales du texte et les contraste après avec l’effet qu’elles produisent
dans le lecteur.
La conclusion est le miroir du commentaire et se présente comme un
grand tableau qui nous permet de visualiser d’une seule lecture les
aspects les plus importants de notre commentaire. Elle laisse aussi
entrevoir une bonne partie des sentiments des personnes, des sentiments
affectifs et esthétiques en face du texte.
Un bon commentaire doit finir par une conclusion avec l’amplitude
générale et l’individualité qui exige cette importante partie stratégique du
commentaire de texte.
24
Aide mémoire Les stratégies pour l’analyse des textes
1. La notion de texte
1.1. Cohésion
a) La cohésion de la forme orale tient au rôle des mélodies de
types de phrases.
b) La cohésion morpho-syntaxique : Emploi anaphorique de
l’article défini, Emploi anaphorique, cataphorique ou déictique des
adjectifs possessifs, pronoms représentants et pronoms déictique,
distinction aspect non accompli / aspect accompli, emplois des modes :
constructions par coordination ou par subordination, Mise en position
détachée
c) La cohésion lexicale et sémantique repose sur les ensembles de
vocabulaire (lexique général de la langue) répartis dans le texte.
1.2. Cohérence.
a) Informative : textes qui ont comme but l’information.
b) Exposition : unité thématique : Textes législatifs et juridiques;
textes scientifiques et techniques, textes d’opinion, d’idées.
c) Narration : textes qui racontent une histoire.
d) Évocation : cohérence poétique, tout ce qu’un texte peut
suggérer.
2. L’étape externe : ¿Qu’est-ce que nous voulons tirer ou enseigner avec
le commentaire ?
Connaissances préalables sur le texte.
3. Le style et la rhétorique
3.1. Contenu idéologique.
3.2. Contenu stylistique
3.3. Le mot: forme, origine, sens.
3.4. Le syntagme et la phrase.
- La sonorité
- métaphore, métonymie, synecdoque, l’image,
- Hyperbole, la prosopopée, l’hypotypose,
- Les affrontement de sens : paradoxe, l’antithèse,
l’oxymore…
- Ordre des mots: énumération, accumulation,
hyperbate…
- Répétition de mots: anaphore, épanalepse,
anadiplose, antanaclase…
- Ellipse de mots : asyndète, ellipse, zeugma…
- Organisation du discours: la symétrie….
4. La narration
25
4.1. Le rôle du narrateur. extérieur / présent
4.2. Textes narratifs et textes descriptifs : temps, durée, séquences,
déroulement, langue du récit, lieux et objets, lieux et narration,
texte descriptif, texte narratif et descriptif,
4.3. Les personnages : rôle du personnage dans le déroulement de la
narration
5. La poésie
5.1. La rime : versification française classique. Types.
5.2. Le rythme : cadence, césure, retour à intervalles déterminés.
5.3. La sonorité : allitération, assonance, cacophonie, paronomase
5.4. Le vers : Alexandrin, décasyllabe, octosyllabe.
6. Le théâtre
6.1. Les paroles : réplique, tirade, aparté, monologue.
6.2. La langue orale du théâtre : fictif. Vers ou en prose. Tragédie,
la comédie et le drame romantique.
6.3. Le dialogue théâtrale : la situation de communication (ironie
dramatique).
6.4. Le dialogue théâtrale : les stratégies du dialogue : Enchaîner
sur les idées, Enchaîner sur les mots
6.5. L’action dramatique : Effet de stylisation et de
grossissement. Acte, scènes et tableaux ne sont pas des données
théoriques. L’espace et le temps. Chronologie. Unité de temps,
unité de lieu, unité d’action. Action sans narrateur. Suite
ordonnée : l’exposition des faits, déroulement de l’intrigue,
péripéties, épisodes, noeud de l’intrigue, dénouement de l’action,
conclusion. Prologue et (ou) un épilogue.
Genres théâtraux : tragédie, tragi-comédie, comédie,
drame.
6.6. Les personnages : acteur, personnage confident
6.7. Effets comiques et effets dramatiques : gestes, mots,
situation, caractère mœurs. / terreur et la pitié, l’admiration,
pathétique, incertitude, angoissée, suspense. , du coup de théâtre /
7. Conclusion : miroir du commentaire.
26
Bibliographie
AMON, EVELYNE ET BOMATI, YVES, Vocabulaire du commentaire
de texte, Larousse, Paris, 1993.
BERGEZ, D., BARBÉRIS, P., DE BIASI, P.-M., MARINI, M..
VALENCY, G., Introduction aux Méthodes critiques pour
l ‘analyse littéraire, Dunod, París, 1966.
BOISSINOT, ALAIN, ET LASSERRE, Marie-Martine, Techniques du
Français, Ed. Bertrand-Lacoste, París, 1994. (2 vol.)
DELCROIX, MAURICE, ET HALLYN FERNAND, (Ed.) Introduction
aux études littéraires. Méthodes du texte, Duculot, París, 1990.
DOMÍNGUEZ CAPARRÓS, JOSÉ, Introducción al comentario de
textos, Publicaciones del Ministerio de Educación y ciencia,
Madrid, 1997.
FONTANIER, PIERRE, Les figures du discours, Paris, Flammarion,
1968.
LÁZARO CARRETER, FERNANDO, Y CORREA, EVARISTO, Como
se comenta un texto literario, Anaya, Salamanca, 1996.
MOLINIÉ, GEORGES, Éléments de stylistique française, Paris, P.U.F.,
1987.
MORAL, RAFAEL DEL, Diccionario práctico del comentario de textos
literarios, Verbum, Madrid, 1996.
MORIER, HENRI, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris,
P.U.F., 1961..
REBOUL, OLIVIER, Introduction à la rhétotique, Paris, P.U.F., 1991.
REICHLER, CLAUDE et coll., l’Interprétation des textes, Paris, Éd. de
Minuit, 1989.
SUHAMY, HENRI, les Figures de style, Paris, P.U.F., « Que sais-je ? »,
1981.
27
Tema 36
El lenguaje literario. Los géneros literarios. La crítica literaria.
Sommaire
introduction
1. Le langage littéraire
1.1. L’auteur
1.2. Le lecteur
1.3. Le canal
2. Les genres littéraires
2.1. Les principes.
2.2. La poésie.
2.2.1. Les origines
2.2.2. La poésie et les circonstances
2.2.3. Poésie et musique
2.3. La narration.
2.3.1. Le roman.
2.3.2. La nouvelle
2.3.3. Littérature épistolaire
2.3.4. L’histoire.
2.3.5. Le pamphlet et le pastiche
2.4. L’essai et les textes d’idée.
2.4.1. L’essai et le portrait
2.4.2. Les idées les plus courtes
2.5. Le théâtre.
2.5.1. La tragédie
2.5.2. La comédie
2.5.3. Autres genres théâtrales
3. La critique littéraire
3.1. La critique thématique
28
3.2. La critique psychanalytique
3.3. La critique sociologique
3.4. La critique structuraliste
Aide mémoire
Bibliographie
29
Introduction
Ce qu’on appelle littérature est formé d’un corpus de textes d’une grande
diversité qui ont été produits tout au long des siècles en langues
différentes et dans des cultures très hétérogènes.
Il n’est pas facile de trouver des caractéristiques communes à ces textes.
Du point de vue historique la littérature ne peut pas être statique. Elle
modifie ses principes à chaque société, à chaque moment de son
évolution.
Du points de vu social et culturel la littérature est conditionnée en thèmes
et modalités par le lecteur qui l’utilise.
Du point de vue de l’auteur, l’œuvre littéraire d’un écrivain est formée
par une série de conventions qui marquent la préférence pour quelques
mécanismes structuraux et linguistiques au lieu d’autres, et ces
conventions changent aussi.
Du point de vue individuel, la langue littéraire dépend aussi de la volonté
de l’auteur qui, d’une façon ou d’une autre décide de quelle manière
utiliser les moyens que la langue met à sa porté pour les transformer en
langage littéraire.
Mais l’accord n’existe pas. ¿La littérature est-elle une langue spéciale
différente de la langue commune ? Les critères sont partagés. Pour
certains critiques il n’y a pas de différences entre la langue courante et la
langue littéraire. Tout usage qu’on fait de la langue est esthétique, si nous
considérons esthétique tout ce qui est expressif.
30
1.
Le langage littéraire
Le texte littéraire constitue un acte de communication. Les différences
avec d’autres actes de communication ne sont pas formellement grandes,
mais il faut préciser certaines particularités propres au fait littéraire
concernant l’auteur, le lecteur et le canal de communication.
1.1.
L’auteur
Le texte littéraire est un acte individuel dans lequel un écrivain crée un
texte à partir de ses intuitions et inspirations personnelles. Cela ne veut
pas dire que l’œuvre littéraire est toujours individuelle. Aujourd’hui nous
la concevons comme un produit de la création personnelle libre. Il y a,
bien sûr, une grand quantité de textes littéraires qui sont considérés
collectifs comme la poésie populaire, les chansons, les nouvelles
populaires…, qui se sont transmis d’une génération à l’autre comme une
partie de leur culture.
Le créateur, collectif ou individuel, ne crée pas en partant du néant.
L’écrivain part de sa propre expérience personnelle (ou collective) de
l’observation de la réalité et de la littérature elle-même, c’est à dire des
œuvres précédentes et contemporaines, parmi lesquelles il place sa
propre création.
L’auteur est conditionné aussi par la réalité, par le monde qui l
‘entoure, la société et tout son entourage. Les textes littéraires ne parlent
pas seulement de l’auteur, mais aussi du monde extérieur.
Le texte ne disparaît pas dès qu’il a produit son effet; au contraire,
l’émetteur (auteur) prétend qu’il dure indéfiniment, en maintenant sa
forme intacte.
L’émetteur n’écrit pas pour quelqu’un de particulier mais pour n’importe
quel lecteur, actuel ou futur (récepteur universel), dont il n’attend pas de
réponse mais seulement son attention. Il arrive parfois qu’un auteur
écrive pour favoriser une cause déterminée, politique, religieuse, éthique,
etc. Ses raisons sont d’ordre pratique, mais de manière indirecte, en
développant des contenus et en employant des formes qui admettent une
lecture intéressante par elle-même et non seulement à cause du but que le
texte poursuit.
Tout cela est possible car la communication littéraire n’a pas de but
pratique immédiat; elle ne cherche qu’à produire un plaisir esthétique
désintéressé.
31
1.2.
Le lecteur
Ce n’est pas l’émetteur ou auteur qui possède l’initiative de commencer
la communication, mais le récepteur (lecteur, spectateur), qui la
commence et l’interrompt de son propre chef.
Le lecteur d’une œuvre littéraire et toujours indéterminé et pluriel car
l’auteur ne se dirige pas à un destinataire concret, mais à tout lecteur
possible, contemporain ou futur. Dans ce sens on peut dire que le
récepteur est universel.
D’une certaine façon l’auteur sélectionne son public, même quand il
assure qu’il écrit pour lui même. Tout auteur construit une image qu’on
pourrait appeler l’idéal du lecteur pour qui il écrit. Toute communication
littéraire est toujours un dialogue que l’auteur établit vers un récepteur
idéal, imaginaire, qui n’existe pas dans la réalité mais qui est toujours
présent dans le texte, cas c’est pour lui que l’auteur écrit.
C’est le lecteur qui doit décoder le message littéraire. Le texte n’a qu’une
seule signification, celle que l’écrivain a voulu lui donner, mais il n’aura
de sens que si le lecteur le lui donne. C’est au lecteur que correspond
l’interprétation du texte. C’est de là qu’on peut tirer une des grandes
caractéristiques de la communication littéraire : l’absence du sens unique
à tous les lecteurs.
Tout œuvre littéraire a donc un caractère ouvert. Chaque lecteur réalise
avec sa lecture une récréation du texte, qui peut même être différente
de celle d’un autre lecteur ou même de celle de l’auteur. Et il faut dire
aussi que la propre lecture enrichit le texte, et surtout son
interprétation par différentes lecteurs à différentes époques. Les grandes
œuvres deviennent encore plus grandes à travers le temps grâce aux
apports interprétatifs des lecteurs à travers les siècles.
1.3.
Le canal
Le langage littéraire est, avant tout, la langue écrite culte de chaque
époque, dans laquelle on introduit parfois des mots peu utilisés
(néologismes, cultismes, archaïsmes), mais sans exclure des mots et
expressions familiers et même vulgaires, capables de produire certains
effets: drôlerie, fidélité envers la façon de parler du personnage, surprise,
etc.
La langue littéraire attire l’attention sur elle-même (fonction poétique)
en utilisant des figures, c’est à dire des utilisations ingénieuses de la
langue. Celles-ci peuvent apparaître sur les plans suivants: phonique,
32
lexique et syntaxique. Il existe aussi les figures de pensée, qui consistent
dans la manière choquante de formuler la pensée.
Pour certaines théoriciens de la littérature elle ne peut pas être définie. Ils
considèrent que la littérature est plutôt une idée relative qui ne peut être
définie qu’en fonction d’une époque ou d’une société. Pour d’autres,
par contre, même si ses limites sont peu précises, il y a des critères qui
permettent la compréhension de ce qui est littéraire. D’après ces critères
la littérature serait une activité de préférence individuelle fondée sur la
lecture comme récréation, plutôt écrite qu’orale, qui consiste à créer
l’art de la parole. Une œuvre littéraire est autonome en elle même.
2.
Les genres littéraires
2.1.
Les principes.
La question des genres littéraires est aussi ancienne que la littérature elle-
même. Elle en constitue pour ainsi dire la conscience. Elle s’est
notamment développée par un constant mouvement d’abstraction visant à
justifier la littérature dans l ‘ordre de l ‘histoire.
Traditionnellement il y a eu, pour des raisons évidentes, une
division entre la poésie et la prose. Mis à part cette classification, les
quatre genres littéraires, avec les mélanges de styles et autres précisions,
sont les suivants: poésie, narration, essai, théâtre.
2.2. La poésie.
2.2.1.
Les origines
La poésie est d’autant plus difficile à définir qu’elle recouvre une
pratique très diversifiée, plus qu’un genre particulier. Mais, tout autant
que sa diversité, frappe son universalité, qui invite à chercher, par-delà
ses multiples variantes linguistiques et historiques, les critères constants
qui la distinguent d’autres pratiques littéraires.
La frontière qui sépare la poésie de la prose n’est guère indiscutable
qu’aux yeux de ceux qui réduisent la poésie à la seule versification.
Pourtant, cette frontière — son tracé ou bien son existence même — n’a
jamais cessé d’être contestée de toutes parts, à toutes les époques. Le
33
poème en prose, depuis le romantisme, est un des lieux privilégiés de
cette contestation.
Auparavant, il faut se souvenir que la poésie ne s’était pas interdite les
territoires de la narration (bien des romans médiévaux étaient en vers),
tandis qu’inversement, la «prose poétique ou cadencée» était pratiquée
en toute conscience, dès le XVe siècle à tout le moins.
Dans les origines de la littérature en vers, l’épopée. Proche du mythe,
l’épopée chante l’histoire d’une tradition, un complexe de
représentations sociales, politiques, religieuses, un code moral, une
esthétique. À travers le récit des épreuves et des hauts faits d’un héros ou
d’une héroïne, elle met en lumière un monde total, une réalité vivante, un
savoir sur le monde.
Les chansons de femmes sont les plus anciens poèmes lyriques en
langue romane intégralement conservés et les premières chansons
courtoises des troubadours (début du XIIe s.) Mais la poésie courtoise,
expression d’une nouvelle doctrine de l’amour, subtile, agressivement
aristocratique, n’a rien de populaire et n’est pas l’héritière directe de la
poésie orale antérieure, sur l’existence de laquelle on possède des
témoignages très anciens, indirects mais irréfutables (canons conciliaires,
khardjas mozarabes). Quelques genres lyriques dont les spécimens
connus sont tous postérieurs à l’apparition de la poésie courtoise, et donc
influencés par elle, se rattachent cependant à cette tradition. Ces poèmes,
bien que composés par des hommes, sont l’expression d’une subjectivité
féminine; l’amour y est éprouvé et chanté par une femme, d’où le nom de
chansons de femmes.
Les chansons de geste, chansons d’histoire romancée, sont des poèmes
qui narrent les hauts faits, les guerres, les drames imaginaires et les
légendes pieuses d’illustres personnages historiques ou inventés.
Composées par des trouvères, dont on vante parfois le savoir et la noble
naissance, colportées par des jongleurs qui hantent les palais et battent
l’estrade, les quelques quatre-vingts chansons conservées constituent
l’ensemble le plus important de la littérature française des origines. Selon
quelques auteurs, la cantilène, littéralement «complainte lyrique», aurait
donné naissance à la chanson de geste (théorie de Gaston Paris, rejetée
par Joseph Bédier, mais reprise récemment avec modifications par
Jacques Chailley). La cantilène est une forme élémentaire de chant
profane monodique, sorte d’hymne en langue romane, à caractère
lyrique ou épique, et se développant jusqu’au Xe siècle.
34
Le terme générique débat, conçu comme genre littéraire, correspond à
une série de genres poétiques dialogués que les trouvères et les
troubadours cultivaient depuis le début du XIIe siècle: d’abord en latin,
sous le nom de disputatio, puis en langue vulgaire; il est appelé tenson
ou jocpartit en langue d’oc, parture ou jeu-parti en langue d’oïl. Le
répertoire des questions débattues est relativement restreint, car il ne
s’agit pas d’apporter la solution à un problème, mais de susciter une
joute verbale au cours de laquelle les lutteurs se mesurent à armes
rhétoriques égales (de sorte qu’il n’y a pas de vainqueur ni même de
véritable jugement).
Aux contours parfois imprécis, les fabliaux, dont les quelque cent
cinquante vestiges qui nous sont parvenus ne représentent qu’un
échantillon, sont des contes à rire en vers selon la définition de
J. Bédier. Ils apparaissent vers la fin du XIIe siècle et disparaissent au
début du XIVe siècle.
2.2.2.
La poésie et les circonstances
L’apologue est la narration d’une anecdote à personnages animaux,
ou parfois végétaux, agissant et parlant comme les humains et, le cas
échéant, en leur compagnie. L’apologue a toujours servi à illustrer des
leçons de prudence ou de morale pour les hommes. Les Fables de La
Fontaine viennent de deux traditions antérieures: celle de l’occident,
représentée par les fables grecques attribuées à Ésope et rassemblées
pour la première fois, semble-t-il, en Ionie au VIe siècle, par Phèdre à
Rome et par de nombreux traducteurs, adaptateurs ou même inventeurs
de l’Antiquité et de la Renaissance; celle de l’orient, qui a pour origine
connue le Pañchatantra sanskrit et pour maillons principaux Bidpaï en
Inde et le livre de Kalila et Dimna en Perse et dans les pays arabes.
Les élégies sont des poèmes exprimant des sentiments tendres et
mélancoliques, notamment les joies mais surtout les peines de l’amour.
L’idylle est un poème court, de style moyen et d’écriture vive, à sujet
essentiellement descriptif. Ce dernier point a longtemps fait assimiler,
chez les lexicographes, l’idylle à un petit tableau verbal. Tout vient, pour
notre tradition culturelle, des Idylles de Théocrite. Mais parmi la
trentaine de ces textes ainsi génériquement appelés, les espèces, comme
35
les sujets, sont variés: dialogues, descriptions prises en charge par le
poète ou par un personnage qui parle, développements dramatiques,
mimes… L’unité stylistique de cette manière littéraire vient de la
simplicité langagière, l’expression imagée et concrète qui rendent le
naturel et le pittoresque.
Le chant choral en l’honneur des nouveaux mariés s’appelle, d’après
la tradition grecque, épithalame. Ce poèmes accompagnaient la marche
des époux vers la demeure du mari (du grec épi, «sous, près de», et
thalamos, «chambre», en particulier «chambre nuptiale, lit»).
Le fatrasie est une poésie qui se réduit à des jeux incohérents de non-
sens. Son étymologie est obscure et on a voulu les faire remonter au latin
farsura, « remplissage ». Il semble avoir été pratiqué, à titre de
divertissement, dans des cercles de lettrés coutumiers de toute espèce
d’expérimentation joyeuse sur le langage.
La composition par laquelle le poète met en forme le topos du regret et
du deuil à l’occasion d’un départ, d’une mort ou d’une calamité publique
s’appelle lamentation. Qu’il parle en son nom ou au nom de la
communauté entière, il doit convertir l’émotion en mots, sans cesse
renouvelés et cependant conformes à la tradition, car la douleur, elle, est
toujours identique à elle-même. Cette «habitude poétique» (P. Zumthor)
engendre ainsi une poésie de circonstance.
2.2.3.
Poésie et musique
L’ode est une forme. Pour une fois, l’étymologie correspond à la réalité
de sens (ôdè, chant) et nous renvoie aux anciennes manifestations de la
poésie occidentale, c’est-à-dire au lyrisme grec. Le lyrisme, on le sait, est
un chant fait de couplets, accompagné de musique. L’ode est formé sur
un groupe tripartite (triade), composé d’une strophe, d’une antistrophe
(chacune sur le même mètre) et d’une épode (sur un système particulier).
Les triades se suivent, et l’ensemble constitue l’ode. En principe, le
chœur interprétant l’ode primitive se déplaçait en fonction des trois
stades de la triade. Une autre caractéristique de l’ode chez Pindare est sa
thématique: il s’agit d’un lyrisme choral d’apparat, c’est-à-dire de chants
solennels en l’honneur de grands personnages (en l’occurrence, des
vainqueurs aux jeux panhelléniques). C’est ce type d’ode qui a été
transposé en poésie française par Ronsard, dans le premier livre de ses
Odes: mais il n’y a plus de musique, le système est purement métrique et
consiste en un retour de trois strophes, les deux premières de même
36
structure, le tout sur des thèmes grandioses ou mythiques.
Par son étymologie (ancien provençal ballada ), la ballade est, comme le
rondeau, une des formes lyriques associées à la danse. La structure la
plus typique, qui l’a fait ranger parmi les formes fixes, comporte trois
strophes sur les mêmes rimes terminées par un refrain, et un envoi
comptant la moitié des vers de la strophe et reprenant les rimes finales et
le refrain.
Le rondeau qui naît de la danse, de la ronde, ancre ce qui deviendra une
forme lyrique dans le corps, le rythme et la musique. Le Moyen Âge
toutefois met plutôt le rondeau en rapport avec sa forme, à l’enseigne du
rond . Pensée homologique qui au-delà de la stricte étymologie dit une
essence formelle: le retour du refrain.
Du XIIIe au XVe siècle, le forme la plus répandue de la chanson
française était le virelai. Le virelai classique débute, comme le rondeau,
par une strophe-refrain reprise après chacune des trois strophes-couplets
de huit vers. De plus, la dernière partie de la strophe reprend
ordinairement la mélodie du refrain. Le virelai a d’abord été une danse,
puis une chanson à danser (ballettes du XIIIe siècle). On rencontre la
forme du virelai dans les laudi italiennes du XIIIe siècle et, en Espagne,
dans les cantigas de Santa Maria; de même dans le villancico du
XVe siècle. C’est au XIVe siècle que le virelai acquiert son autonomie
véritable: Guillaume de Machaut en est le maître incontesté. Il comporte
alors nécessairement un accompagnement musical.
2.3.
La narration.
2.3.1.
Le roman.
Depuis plus de deux mille ans et produit par milliers des œuvres de
qualité, et cela dans la plupart des grandes littératures, le roman, comme
on l’appelle aujourd’hui en français, se dresse comme le genre littéraire
roi.
Dans ses origines (souvent appartenant à la littérature espagnole:
caballerìas, sentimental, pastoril, morisca) le roman s’habille de formes
différentes, et c’est au XVIIIè siècle qu’il adopte sa forme actuelle.
37
Pour beaucoup de lecteurs le roman d’aventures évoque, en expression
purement rêveuse, de lointaines ressemblances entre toutes sortes de
récits d’époques et d’intentions complètement dissemblables. Le
simple lecteur de fiction, toutefois, ressentira, sans avoir besoin de les
formuler, les liens immédiats et profonds (et le plaisir identique) qui
unissent – entre bien d’autres – la poursuite de la Baleine blanche,
l’arrivée sur l’île au Trésor, le combat des Hobbits contre les forces de
l’Ombre; il saura naïvement ce qu’il y a de mystérieusement commun
entre une boîte louche dans une ruelle crasseuse de New York, un voilier
sur l’immensité d’une mer ténébreuse, une route déserte à travers un pays
ignoré...
Toutes les tentatives pour définir et codifier le roman policier, si l’on
peut parler de genre spécifique, ont échoué. Contrairement à une opinion
admise, il peut y avoir des romans policiers sans cadavre et même sans
policier. Poe, le premier, dans Genèse d’un poème, le définit comme un
mystère que l’on résout « avec la précision et la rigoureuse logique d’un
problème mathématique ». Mais le succès des Mémoires de Vidocq avait
montré que l’on pouvait intéresser le lecteur à la simple traque d’un
assassin identifié dès le départ et écrire ainsi un roman policier. Crime et
châtiment demeure un parfait exemple de roman criminel sans mystère.
Lorsque, en 1928, Van Dine crut pouvoir définir les vingt règles du
roman policier dans un article de l’American Magazine, il évoqua le
roman-jeu, une sorte de partie d’échecs, un exercice intellectuel de bon
ton destiné à rester artificiel et frivole. Raymond Chandler n’eut aucun
mal à faire voler en éclats les prétentions de Van Dine au nom du simple
réalisme et de la vérité psychologique. Se réclamant de Léo Malet, le
« néo-polar » à la française repousse toute règle, toute sujétion, et n’a le
plus souvent que de lointains rapports avec les énigmes chères à Agatha
Christie. Le sexe, la politique, les revendications sociales y occupent une
place plus importante que le crime. Et l’on ne saurait oublier le roman de
simple consommation, le plus lu, celui qui se vend dans les grandes
surfaces, entre les paquets de lessive et les produits laitiers. Quel rapport
entre Edgar Poe et Gérard de Villiers dont les livres sont abandonnés,
une fois parcourus, sur les banquettes des trains ou jetés au vide-
ordures ? Peut-être convient-il de renoncer aux querelles esthétiques pour
constater que le roman policier est avant tout le reflet d’une époque, le
miroir d’une société qui y projette ses peurs et ses fantasmes.
Dans le roman de science fiction le lecteur est invité à éprouver des
émotion au delà des possibilités naturelles. Ce n’est pas seulement la
surprise, c’est aussi la difficulté ou même l’impossibilité de venir à bout
de la surprise en recourant aux opinions communément admises.
38
L’auteur nous jette un défi et nous attendons qu’il le relève. C’est ce qui
se produit généralement: le paradoxe initial donne le branle à une
construction aventureuse, qui de chimère en chimère aboutit à résorber le
paradoxe. La vraisemblance jetée à bas est finalement restaurée. L’effet
de non-sens devient effet de sens. Le récit de science-fiction se déploie
dans le temps d’un désarroi et aussi d’un jeu entre l’auteur, le texte et le
lecteur.
La science-fiction relève de l’escamotage. Elle est moins un genre
littéraire qu’un changement de genre perpétuellement renouvelé: au
début, elle a l’air d’en appeler à l’illusion naïve, comme le conte
merveilleux; à la fin elle requiert la croyance, comme le mythe ou la
légende. 2001 est un mythe racontant comment l’humanité a commencé
et comment elle finira; mais le film de Kubrick est l’exception qui
confirme la règle. Dans la pratique, la science-fiction parle surtout du
futur, soit sur le mode du conte, soit sur le mode mythique de la
prophétie (et non sur le mode légendaire de l’oracle, qui est plutôt celui
de la prospective): la science-fiction explore des possibles ou annonce la
fin des temps, et, si elle vise le futur proche, c’est que la fin est proche ou
ressentie comme telle.
Le roman populaire est devenu aussi un genre littéraire. C’est au
moment où la narration hésite entre différentes formes d’expression que
s’effectue un retour aux sources populaires, à cette littérature qui
privilégia l’imagination aux dépens de l’intelligence, le style direct
contre le langage obscur, le respect des valeurs établies face à la
remise en question de la société. C’est le roman populaire. Cette
infralittérature, selon l’expression péjorative de la critique
contemporaine, obéit à des lois, respecte des traditions et répond à des
normes fixées autant par les éditeurs que par les goûts du public. Le
roman populaire n’est certes pas une invention du XIXe siècle, mais la
diffusion de l’instruction a hâté son essor et favorisé son apogée vers
1914, avant que de nouveaux médias, fondés sur l’audio-visuel, n’en
précipitent le déclin. Aux origines du roman populaire il y a la littérature
de colportage – celle de la Bibliothèque bleue notamment – constituée de
livres sans auteurs avoués, destinés à la « populace », qui, souvent
illettrée, se les faisait lire le soir, à la veillée, par des conteurs ou des
enfants. Transportés dans des besaces, où ils voisinaient avec des images
pieuses ou guerrières, ces ouvrages offraient à l’imagination de leurs
acheteurs des adaptations des contes de Perrault ou les exploits embellis
de brigands illustres, Cartouche et Mandrin. On y remarque déjà deux
constantes: le fantastique et le crime, qui alimenteront les deux branches
les plus fécondes du roman populaire.
39
Pour parler de sagas comme genre littéraire il faut se remonter à
L’Islande du XIIè siècle. C’est là qu’on a créé une littérature originale et
inimitable encore trop mal connue, en France notamment. Au premier
rang de cette production se placent les sagas, chefs-d’œuvre narratifs en
avance de plus d’un demi-millénaire sur leur temps et qui continuent de
passionner la critique par les problèmes que posent leur genèse, leur
contenu et leur art. Cet art éminemment concerté, où l’essentiel n’est
jamais ouvertement dit, où tout doit se lire sur deux ou plusieurs plans
qui interfèrent, culmine certainement dans l’intensité tragique, dans la
grandeur dépouillée de tout artifice avec lesquelles sont présentées les
scènes majeures de ces chefs-d’œuvre narratifs. Le mot saga désigne
avant tout une certaine manière de raconter une histoire. Son mode
d’expression est la prose, quand bien même elle s’agrémenterait – le cas
est fort fréquent – de strophes, de fragments de poèmes ou même de
poèmes entiers (comme dans la Saga du scalde Egill, fils de Grímr le
Chauve ). Son originalité tient avant tout à un style très caractéristique,
fait de concision, de fermeté et de clarté, qualités rares pour l’époque où
elle a vu le jour (de la fin du XIIe siècle au milieu du XIVe siècle).
Destinée sans doute plus à la lecture qu’à la récitation ou à la narration,
la saga est une œuvre éminemment littéraire dont les qualités artistiques
gardent tout leur prestige aujourd’hui, d’autant qu’elles préfigurent
souvent, par certains aspects, le roman réaliste flaubertien ou même un
type actuel de regard froid jeté sur la vie.
2.3.2.
La nouvelle
Type de récit bref qui remplace, à la fin du Moyen Âge, le fabliau et le
dit en vers, a été remplacé par la nouvelle médiévale. Le nom et le genre
viennent d’Italie; le Décaméron de Boccace et les Facéties du Pogge,
alors traduites en français, fournissent les modèles aux Cent Nouvelles
nouvelles, recueil composé pour le duc de Bourgogne Philippe le Bon au
milieu du XVe siècle et qui sera imité un peu plus tard par Philippe de
Vigneules. L’accent est mis sur les données qui «font vrai»: notations
géographiques, biographiques et historiques. On feint ainsi de rapporter
la «nouvelle» d’une amusante aventure récemment arrivée à quelqu’un
que l’on peut nommer. Mais le thème est emprunté à une autre tradition,
et simplement maquillé. L’intention est généralement de faire rire,
comme dans le fabliau, au besoin en brodant sur un simple jeu de mots,
le plus souvent en faisant agir le ressort comique d’une aventure
sexuelle. Le mari cocu, l’amant orgueilleux ou le manant rusé, la
coquette trompeuse ou trompée, le prêtre lubrique ou la nonnain
40
dévergondée retrouvent là leur rôle de prédilection. Le désir tend un
piège où tombe celui qui justement l’a préparé. Certains narrateurs ont
compris que cette machine à surprise que constitue la nouvelle pouvait
servir à construire des récits tragiques, tel celui que racontait en vers la
Châtelaine de Vergi (XIIIe s.). On sait que Marguerite de Navarre saura
tirer parti de ces deux tendances de la nouvelle, en les adaptant à son
public et à ses intentions sérieuses. Mais la nouvelle en France a eu du
mal à se dégager des contraintes allégoriques où s’enfermait le récit bref,
comme dans les Arrêts d’amour de Martial d’Auvergne (vers 1460) ou
les Quinze Joies de mariage (début du XVe s.).
Depuis les nouvelles de la Renaissance, on ne fait que parler, au XIXe,
au XXe siècle, des renaissances de la nouvelle. Comme si ce genre
périodiquement périclitait, ou décédait. Mais l’âge classique pourrait
bien se définir: celui, notamment, de la nouvelle. Et dans la Chine des
Song, des Ming, des Mandchous, la nouvelle, indiscernable du conte, ne
cesse de prospérer. Témoin Pu Songling, ses Contes extraordinaires du
pavillon du loisir, qui, malgré leur titre, s’appelleraient aussi bien des
nouvelles extraordinaires, selon notre terminologie.
Au fait, cette terminologie, que vaut-elle ? Novella, tale, novela, histoire,
monogatari, rasskaz, yarn, Erzählung, short short, novelette,
Kurzgeschichte, tjerpén, voilà quelques-uns des mots dont on désigne les
variantes d’un genre littéraire que, depuis le Moyen Âge, on appelle en
français d’oïl la nouvelle et unas novas, au pluriel, en français d’oc. Non
sans flottement: La Fontaine et Musset hésitent entre conte et nouvelle;
Flaubert rassemble, dans Trois Contes, une légende, un conte et l’histoire
d’Un cœur simple, simple nouvelle.
Le terme de conte présente, dans la littérature, des acceptions multiples.
Le conte populaire s’inscrit dans la littérature orale. Le conte moderne
est, de plus, un récit hérité de cette tradition. À l’intérieur de la
littérature, le conte se singularise surtout par son caractère de fiction
avouée. L’incipit « Il était une fois » atteste déjà la rupture avec le
monde ordinaire. Les localisations spatio-temporelles du conte
merveilleux l’accentuent.
La fable n’est-elle vraiment – comme le veut la définition traditionnelle
– qu’un bref récit mettant en scène des animaux ? Mais Le Chat botté
et Le Petit Chaperon rouge, où l’on voit intervenir des bêtes, sont
appelés contes et non fables. Comment oublier aussi qu’au XVIIe et au
XVIIIe siècle le mot fable est couramment employé au sens de mythe,
comme le montrent bien les innombrables « dictionnaires de la fable » du
41
temps, consacrés aux dieux, demi-dieux et héros du Panthéon antique ?
Autre ambiguïté: des expressions courantes comme fabuleux ou
affabulation ne renvoient pas à des récits sur les animaux, mais au
merveilleux et à la fiction en général.
De style concret et journalistique, l’esquisse est moins dramatique, mais
plus analytique et descriptive que le conte et la nouvelle. Un auteur
d’esquisses conserve un ton de causerie familière; il suggère plus qu’il ne
tire des conclusions. Dans l’esquisse on trouve une description
divertissante d’un aspect du mode de vie d’un pays, généralement
écrite à l’intention de lecteurs étrangers par quelqu’un qui se trouve sur
place. Le portrait littéraire se présente comme une variante de l’esquisse.
Ce panorama ne serait pas bien décrit si nous n‘ajoutons pas la bande
dessinée, forme de récit fondé, comme dans un film, sur une harmonie
de l’image et du son. Ce récit est fait au moyen d’images dessinées (à la
différence du photo-roman), fixes (à la différence du dessin animé), à
l’intérieur desquelles figurent les sons: bruits, commentaires, dialogues;
ces derniers s’inscrivent en général dans une réserve blanche aux
contours irréguliers, dénommée en anglais balloon, en français, ballon,
bulle, ou phylactère.
2.3.3.
Littérature épistolaire
L’idée de littérature épistolaire a subi au XXe siècle une double
restriction. D’une part, on a dénié à cette forme d’écriture la qualité
d’« art », et G. Lanson a rejeté la notion de genre épistolaire hors du
domaine littéraire; aussi, dans l’inconscient culturel, réduit-on
couramment la littérature épistolaire au roman par lettres, et seul le
prestige persistant des Liaisons dangereuses semble lui conserver une
part de vie. D’autre part, l’expansion des médias audiovisuels contribue à
faire croire que la correspondance par écrit est un usage périmé. Ces
deux restrictions s’entretiennent mutuellement. Pourtant, le moindre
effort de mémoire suffit à montrer l’abondance et l’importance de la
forme épistolaire dans notre héritage culturel: surgit aussitôt le souvenir
de Mme de Sévigné, et celui des Lettres de Cicéron, celui des Lettres
philosophiques de Voltaire, celui encore des « petites lettres » de Pascal,
les Provinciales . Et s’y adjoignent d’autres noms et titres d’une aussi
grande notoriété: Diderot pour sa Lettre sur les aveugles, ou ses Lettres à
Sophie Volland, ou encore, dans l’univers du roman, Rousseau et La
Nouvelle Héloïse, Goethe avec Werther ... Dans la production
contemporaine, le genre de la « lettre ouverte », souvent lié à des
42
polémiques et scandales, jouit d’une solide vitalité y compris dans des
formes de large diffusion, comme en témoigne la lettre ouverte en forme
de chanson de Boris Vian, Le Déserteur, qui suscita censures et remous.
Et parmi les revues et journaux d’aujourd’hui, outre ceux qui portent en
titre « La Lettre de... », la plupart consacrent une rubrique au « courrier
des lecteurs ». Ainsi, un rapide tour d’horizon atteste aussi la
permanence de la pratique de la lettre et des publications qui lui sont
liées.
Même si les usages mondains de la lettre ont décliné, nous restons tous
des épistoliers de fait, et la communication écrite, loin de disparaître,
s’étend comme toutes les formes de communication. L’art de la lettre n’a
donc pas disparu, ni dans ses productions de forme polémique ou d’ordre
privé, et pas plus que l’attrait des lecteurs pour ses versions
romanesques. Aussi est-ce bien d’art qu’il faut parler pour les
productions esthétiques d’ordre épistolaire. Un art qui occupe, dans notre
littérature, une place cruciale: il est un des points où les pratiques de
l’écrit accessibles à chacun et la création littéraire la plus élaborée ne
diffèrent pas, dans le principe initial, de la forme employée; un dialogue
peut donc s’y nouer entre la dimension du quotidien et les productions
textuelles d’ordre esthétique; là réside l’origine et la cause de la place
considérable qu’il a occupée et occupe encore dans la culture française
et, plus largement, occidentale.
2.3.4.
L’histoire.
Ni la narration historique ni la narration autobiographique font
partie de la fiction. Ce sont des narration non fictives. Pour la première
les passages permettent à l’historien d’intervenir dans sa narration. Le
caractère spécifique de la narration historique tient aux référents du
texte (événements, dates, lieux, personnes) qui peuvent être vérifiés,
recoupés, le cas échéant dénoncés comme faux ou falsifiés. Mais on ne
peut pas en déduire que les relations associatives sont sans importance.
L’historien a devant lui les matériaux de l’histoire: il faut qu’il les
éclaire, qu’il les ordonne, qu’il narre les événements. Ici, son travail
ressemble beaucoup à celui de n’importe quel narrateur.
Dans une autobiographie, on a donc le « je » de l’auteur-énonciateur et
le « je » de l’auteur-acteur. L’autobiographie a donc la même structure
narrative que le roman d’un narrateur-personnage. Mais il faut ajouter
que l’autobiographie est une narration de caractère historique où les
référents doivent présenter, en principe, les mêmes garanties que dans les
travaux historiques.
43
L’hagiographie est un genre littéraire qu’au XVIIe siècle on appelait
aussi l’hagiologie ou l’hagiologique. Comme le père Delehaye le
précisait en 1905 dans un ouvrage qui a fait date, Les Légendes
hagiographiques, elle privilégie les acteurs du sacré (les saints) et elle
vise l’édification (une « exemplarité »): « Il faudra donc, écrivait
l’auteur, réserver ce nom à tout monument écrit inspiré par le culte
des saints et destiné à le promouvoir. » De ce « monument », la
rhétorique est saturée de sens, mais du même sens. C’est un tombeau
tautologique.
Le journal intime est une pratique d’écriture, une des plus communes
qui soient dans notre société, mais qui n’a été encore que peu étudiée.
Est-ce à cause de son aspect protéiforme, qui va de la chronique
événementielle à l’écriture intimement autobiographique, du journal de
lectures au recueil de réflexions politiques ou morales; Est-ce dû au fait
que la plupart des journaux intimes échappent à toute investigation, dans
la mesure où ils ne sont jamais publiés.
Si la pratique du journal sous la forme du registre des événements
marquants vécus par son scripteur (et parfois destiné à servir de matériau
de base pour la rédaction de mémoires) remonte à fort loin (cf. le Journal
de l’Estoile ou celui de Dangeau), le journal intime comme moyen
d’expression et d’autoanalyse ne commence à apparaître qu’à la fin du
XVIIIe siècle, en même temps que les autres formes d’écriture
autobiographique.
Le caractère essentiel du récit de voyage, genre très proche du journal
intime, devrait être sa diversité. N’est-ce pas pour être désorienté qu’on
va à l’étranger, ou qu’on lit ? Il est cependant possible de trouver des
points communs à la multitude de récits qui racontent des pèlerinages ou
constituent des enquêtes: quelqu’un s’adresse à un lecteur dont il se fait
une idée particulière pour le mettre au courant de sa quête. Mais ce que
recherche le voyageur est toujours au-delà de ce qu’il avoue: le désir réel
du voyageur est de trouver un jardin où « il soit loisible de vivre avec
une âme et un corps », un paradis. Dès lors que la terre est parcourue, et
qu’il faut renoncer à l’idée même de découverte, que devient le « récit de
voyage » qui devait à la fois étonner, ravir et combler ? Il ne proposera
plus au lecteur le rêve d’un « ailleurs », mais constituera lui-même un
paysage étrange: ce n’est plus en tant que reportage que vaudra le récit
de voyage, mais en tant que construction.
2.3.5.
Le pamphlet et le pastiche
44
Au sens strict, le mot «pamphlet» désigne une brochure brève et
incisive, une œuvre d’actualité, de combat et de passion attaquant le plus
souvent violemment un personnage connu, un parti ou une institution.
Bien que la brièveté (cent pages au maximum, souvent moins, «une
feuille ou deux», écrit P.-L. Courier) soit l’une des règles générales du
pamphlet, certains textes, par leur nature, leur objectif, leur ton
constamment virulent, pourront être considérés avant tout comme des
pamphlets: ainsi La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps
(1623) du père Garasse contre les libertins, ou Napoléon le petit (1852)
de Victor Hugo.
La pratique du pastiche, genre imitatif relevant de l’activité artistique
«au second degré» (G. Genette), remonte aussi loin que la création
d’œuvres originales, bien que le mot lui-même n’apparaisse dans le
vocabulaire de la peinture qu’au XVIIe siècle. Considéré comme genre
«mineur», car il est attaché à son original comme la Lune l’est à la Terre,
le pastiche n’a pas d’existence autonome, si ce n’est par disparition du
modèle (Platon pastichant Lysias dans le Phèdre ). Son statut ambigu est
aggravé par une étymologie sentant les relents de la cuisine (pasticcio
signifie «pâte» en italien), mais les accents dépréciatifs de
l’Encyclopédie proviennent aussi de sa situation non moins ambiguë,
«entre la moquerie et la référence admirative» (Genette). La proximité de
la parodie, de la charge et du travestissement, genres satiriques, le
déshonore; pourtant sa pratique est recommandée par Quintilien comme
exercice de style pour les écrivains novices. Au sérieux de la visée
pédagogique s’ajoute celui de l’intention critique d’un Proust, mais c’est
l’étendue des traits imités, très supérieure à ce que l’on trouve chez ses
parents pauvres, qui l’en distingue le plus. Ceux-là ne font que tourner en
dérision en amplifiant, en transposant certaines des caractéristiques de
leur modèle, tandis que le pastiche cherche à reproduire la totalité des
éléments qui donnent son identité à l’œuvre. D’où la tentation de
l’assimiler soit au faux, soit au plagiat .
2.4.
L’essai et les textes d’idée.
Il faut indiscutablement attribuer à Montaigne la paternité du genre
littéraire que nous appelons essai. D’autres textes d’idée, bien que plus
courts, peuvent s’étudier dans ce chapitre.
45
2.4.1.
L’essai et le portrait
Le terme d’essai implique une part sans doute trop grande faite à la
liberté, pour que puissent se soumettre à un même titre des écrits dont la
caractéristique commune est l’hétérogénéité. Or, on désigne ainsi un
certain nombre de textes en prose, aux formes diverses, mais comme
soumis à une inspiration analogue et pratiquant des styles souvent
proches les uns des autres, en dépit de l’éventail quasiment illimité des
sujets. Si la tonalité constitue l’un des éléments d’unité, il convient
probablement d’en voir la raison, ainsi posé comme élément de
référence, sinon comme modèle. Vraie ou fausse modestie, l’essai donne
le livre qu’il nomme pour une tentative, sans prétentions de maîtrise ou
de magistrature, tentative novice d’un amateur qui se refuse à accepter
l’étiquette d’homme de lettres ou d’écrivain. Le noble Montaigne
trouvait dans ce titre quelque excuse pour un gentilhomme descendu se
promener au jardin des Muses, et qui eût probablement pensé déroger en
endossant la robe d’un docte. «Je propose les fantaisies humaines et
miennes, simplement comme humaines fantaisies, et séparément
considérées, non comme arrêtées et réglées par l’ordonnance céleste»
dit-il pour définir son entreprise, assez amoureux de la liberté pour
revendiquer pour lui-même celle de changer d’opinion, fidèle au
provisoire et à la diversité des humeurs ou des pensées. «Tout argument
m’est également fertile», écrit-il, en renvoyant aux circonstances de la
vie quotidienne, aux événements historiques ou au hasard des lectures la
responsabilité du sujet ou du thème un moment adoptés. Ce refus du
pédantisme, de l’esprit de sérieux, constitue l’un des traits essentiels de
l’essai, qui n’est pas l’un de ses moindres charmes.
Seconde signification, liée à la première: l’essai se donne comme une
épreuve de soi, une expérience dont le résultat sinon la visée est de
prendre la mesure de sa pensée, de se connaître soi-même à travers
ce qu’on écrit. L’enregistrement obstiné des réflexions vagabondes
n’assure pas d’un progrès, moral ou intellectuel, à tout le moins
témoigne-t-il d’un exercice ininterrompu du questionnement, à travers
lequel se lit la recherche d’un homme qui se donne à lire jusque dans ses
erreurs. Le lecteur, anonyme, auquel le texte s’adresse, se trouve placé
dans une apparente position d’égalité par rapport à l’auteur,
particulièrement lorsque celui-ci accentue son originalité individuelle.
On pourrait dire que le lecteur de l’essai est tenu à l’humour.
F. Bacon pour la première fois emploie le terme comme désignant un
genre littéraire, renvoyant à Montaigne, mais remontant à la tradition
latine des Épîtres. L’allure familière des énoncés lui semble élément
essentiel, l’absence de prétentions et le caractère personnel des
46
propositions devant caractériser le style. C’est dans la littérature anglaise
que l’on trouverait les plus nombreuses illustrations de l’essai, de
Cornwallis à Hazlitt. Certes, Voltaire intitule son ouvrage historique
Essai sur les mœurs ..., mais la continuité et le sérieux du contenu
excluent toute ressemblance avec le modèle posé par Montaigne. Il ne
suffit pas que le terme «essai» entre dans l’intitulé pour que la tonalité
attendue soit présente; à la limite, plus qu’un genre, l’essai désigne des
qualités humaines qu’on demande à trouver à travers un style, un refus
du système, une bonhomie souriante, une acceptation des contradictions,
une précision sans facilités, bref, l’intelligence. L’un des meilleurs
exemples modernes de ce discours à bâtons rompus (oratio soluta ), très
proche de la parole, a été donné par E. Bloch avec Traces (Spuren,
1930): l’essai, c’est «l’étrange passion de dire notre vie, comme cela,
sur-le-champ et entièrement».
Montaigne demandait pourquoi il n’était pas loisible «à un chacun de se
peindre de la plume» comme tel personnage dont il cite l’exemple «se
peignait d’un crayon». Le développement du portrait littéraire (dont les
Essais sont justement l’une des premières manifestations systématiques)
est en effet lié au modèle pictural (le terme lui-même est un terme de
peinture) et plus précisément à l’apparition de la peinture de chevalet:
bien que l’Antiquité ne l’ait pas ignoré (on connaît la fonction des
portraits dans l’œuvre des historiens anciens, Tite-Live ou Tacite), le
portrait s’est élaboré en tant que genre au milieu du XVIIe siècle, dans la
société précieuse qui se réunissait autour de Mlle de Montpensier et qui,
sous l’influence en particulier des romans de Mlle de Scudéry (où les
portraits sont multipliés), en a fait un divertissement de société (dont on
pourra trouver un échantillon dans l’une des scènes du Misanthrope ). La
princesse et ses familiers collaborent à quatre recueils — ou «galeries»
— de portraits qui paraissent de 1659 à 1663. Les textes qui y sont
rassemblés obéissent à deux exigences qui tirent toutes deux leur origine
de la peinture, mais qui peuvent paraître contradictoires: il faut que le
portrait ressemble au modèle (on retrouve cette loi dans le théâtre de
Molière, qui oppose aux «portraits faits à plaisir» de la tragédie les
portraits fidèles de la comédie), mais ce n’est pas tout d’y faire
reconnaître le modèle, il faut encore y faire reconnaître la «manière du
peintre». On voit alors se fixer les caractéristiques qui seront celles du
portrait dans les siècles suivants: «Comme autant de coups successifs
de crayons, des énoncés parallèles cernent et définissent une image
qui, comme celle du peintre, est statique et intemporelle» (J. D.
Lafond).
47
2.4.2.
Les idées les plus courtes
La maxime, l’aphorisme et l’épigramme ont un but très proche:
condenser les idées.
La maxime (maxima: très grande pensée) se caractérise par ce qui donne
forme de sommet à la pensée: isolement, réduction à une ou deux
phrases, structure aiguë d’où se découvre un panorama universel, et dont
le dessin se rehausse de tel ou tel accident de relief, antithèse,
rapprochement paradoxal, distinction de synonymes, comparaison,
métaphore. Sa forme implique la reconnaissance d’une essence stable
de l’homme. Parfaite réussite, celle qui combine la densité incisive et la
force d’évidence immédiate ou légèrement décalée («Comme c’est
vrai;...» «Mais oui...»). Chez le maître du genre s’en dégage une vision
unifiée, celle du moi rivé à lui-même, esclave de l’amour-propre et
néanmoins responsable.
La brièveté de l’aphorisme, la précision du geste vers laquelle tend
l’auteur attirent son regard sur le mouvement de sa propre pensée,
comme l’éclair s’insinue dans l’œil. Spéculaire, l’aphorisme l’est aussi
par sa situation ambiguë qui fait «réfléchir» (au sens optique et au sens
intellectuel du mot).
L’épigramme est le plus court des genres littéraires puisqu’elle consiste,
selon l’étymologie, en une inscription . Ainsi l’entendaient les Grecs, qui
en ornaient les tombeaux, statues, monuments, ex-voto. Les Latins furent
les premiers à lui donner une destination satirique ou moqueuse. En
France, c’est surtout à l’époque classique qu’à la faveur des polémiques
et d’une certaine promotion de l’esprit l’épigramme s’est spécialisée
dans l’attaque à bout portant jusqu’à devenir un genre poétique, une
miniature de la satire. Escrime verbale où la brièveté est la meilleure
des armes: tout le mérite de l’épigramme réside dans la façon de placer
les coups et dans l’art d’enfoncer le trait final. Voltaire en a écrit de
fameuses; Jean-Baptiste Rousseau et Lebrun (dit le Pindare français) en
ont laissé des livres entiers. Piron en «éternuait» trois ou quatre tous les
matins. Curieusement, l’épigramme semble tombée en désuétude depuis
la mort de l’Ancien Régime: preuve qu’elle n’était pas seulement une
affaire de tempérament, mais aussi l’expression d’une société.
2.5.
Le théâtre.
48
Bien que parfois ils sont mélangés, on peut considérer quatre genres
théâtraux: Dans la tragédie tout est soumis au déroulement inéluctable
de la fatalité. On connaît la fin. La mort ou un châtiment exemplaire y
jouent leur rôle. Dans la tragi-comédie l’intrigue complexe, riche en
épisodes, laisse une place au hasard. Il peut y avoir eu des péripéties
tragiques, mais la fin sera heureuse ou apaisée. La comédie développe
une intrigue traditionnelle (parents, enfants qui s’aiment, valets
habiles), ou intrigue de boulevard (le mari, la femme et la maîtresse, ou
l’amant) ou intrigue de caractère (par ex. deux êtres qui se cherchent et
s’avoueront leur amour; à la différence de l’intrigue traditionnelle les
obstacles sont en eux-mêmes) ou intrigue de moeurs (satire d’un
comportement social)... On ne connaît pas la fin, mais elle doit être
heureuse. La mélancolie n’est pas exclue. En tout cas, il n’y aura pas de
sang. Le drame finalement combine dans sa version romantique tragédie
et comédie, mais la fin est malheureuse.
2.5.1.
La tragédie
La tragédie naît en Grèce au VIe siècle avant J.-C., mais c’est à Athènes,
au cours du Ve siècle, qu’elle trouve sa forme littéraire achevée. Les
œuvres tragiques qui nous sont parvenues et que les Grecs nous ont
transmises parce qu’ils les jugeaient dignes d’être conservées (trente-
deux pièces sur les quelque trois cents qu’avaient, à eux seuls,
composées les trois plus grands poètes tragiques de l’époque: Eschyle,
Sophocle et Euripide), toutes ces œuvres ont été produites en moins de
soixante-dix ans (470-404). Cette brusque et puissante éclosion, ce déclin
rapide soulignent le double caractère du phénomène tragique en Grèce:
c’est une invention, dès l’abord, si neuve et si complète qu’il est vain de
vouloir en chercher l’origine dans d’anciens rituels religieux; c’est aussi
un moment historique, étroitement localisé dans l’espace et le temps, lié
à des conditions sociales et mentales très particulières. La tragédie
marque un tournant: elle innove, et de façon radicale, dans le domaine
des institutions sociales, des formes d’art, de l’expérience humaine.
Fondation des concours tragiques, avènement d’un nouveau genre
littéraire, émergence d’une conscience tragique, telles sont en effet les
trois faces d’une seule et même réalité que les Grecs ont, au sens propre,
inventée. La tragédie française a connu son âge d’or au XVIIe siècle.
Depuis le début du XXe siècle, le théâtre occidental est hanté par la
volonté de retrouver la tragédie. En même temps que les metteurs en
scène s’efforcent de recréer, au-delà de toute illusion naturaliste, un
49
« théâtre théâtral », des auteurs rêvent de renouer, au-delà du drame
bourgeois, avec le grand théâtre tragique des siècles passés, celui de la
Grèce comme celui de Shakespeare, plus encore que celui de Racine ou
de Corneille, et penseurs et philosophes, à la suite tantôt de Kierkegaard,
tantôt de Nietzsche, mettent au centre de leur réflexion ce que Unamuno
appellera « le sentiment tragique de la vie ».
2.5.2.
La comédie
Si l’on peut suivre aisément la naissance et le développement de la
comédie dans le monde occidental, il est impossible de donner une
définition univoque et précise de ce terme. Tantôt il se comprend par
opposition à la tragédie, pour désigner une pièce de théâtre dont les
personnages appartiennent à une humanité moyenne et dont les péripéties
trouvent une conclusion heureuse. Tantôt il vise à différencier la comédie
de la farce, dont elle se distinguerait par une expression plus décente,
plus conforme à la vraisemblance et plus chargée d’intentions littéraires.
La comédie ne se confond pas davantage avec la notion de comique: elle
peut tirer ses ressources aussi bien du romanesque que de la fantaisie, de
l’analyse psychologique que de l’improvisation débridée. Mieux: le mot
de comédie a souvent été utilisé pour renvoyer à toute espèce de
théâtre, de la même manière que, dans la langue usuelle, comédien veut
dire tout simplement acteur.
2.5.3.
Autres genres théâtraux
On appelle farces les pièces de théâtre comiques composées du
XIIIe jusqu’au XVIe siècle. On ne les nomme pas comédies parce que,
selon les Arts poétiques du Moyen Âge, ce terme s’applique aux poèmes
dont le début est triste et la fin plutôt joyeuse. On trouve le terme de
farce qualifiant une pièce de théâtre à partir de 1398. Vers la fin du
Moyen Âge, nombreuses sont les pièces intitulées farce ou moralité,
sottie ou farce . Des acteurs installaient des tréteaux, souvent en plein air
à l’occasion d’une fête, d’un marché, dans la rue, et même, plus tard, sur
le Pont-Neuf à Paris. On commençait par un cry, pièce d’une centaine de
vers qui rassemblait le public. Venait ensuite une moralité, une pièce
satirique qui visait surtout une idée, par exemple la Gourmandise (La
Condamnation du Banquet ). Il ne faut pas confondre la moralité, pièce
satirique française, et le Morality Play, pièce morale anglaise qui fait
partie du théâtre religieux médiéval. Après la moralité on jouait une
sottie, pièce comique qui satirisait souvent les idées politiques et dont les
50
personnages sont le Sot, la mère Sotte, etc., c’est-à-dire les sots qui
portaient le costume traditionnel aux grelots, et tenaient à la main la
marotte. Le point culminant, c’est la farce, pièce comique qui présente
des situations et des personnages ridicules où règnent tromperie,
équivoques, ruses, mystifications.
On désigne par le mot jeu les plus anciennes pièces de théâtre de
langue française sans qu’on puisse affirmer qu’il s’agit vraiment du
même genre littéraire. Quoi de commun entre le Jeu d’Adam et le Jeu de
Robin et Marion; La notion même de théâtre étant un anachronisme si on
l’applique aux spectacles dramatiques du Moyen Âge, l’équivalent du
mot latin ludus, que semble constituer le terme «jeu», a été abusivement
utilisé pour différents genres de «dialogues par personnages», c’est-à-
dire interprétés par des acteurs. Mais, si l’on consulte le manuscrit latin
des œuvres d’Hilarius (disciple de Pierre Abélard), on voit qu’il est bien
l’auteur d’un Ludus super iconia sancti Nicolai, et Li Jus de saint
Nicholas, de Jean Bodel, appartient naturellement au même genre. Par
contre, la Résurrection de Lazare (Suscitatio Lazari ), de ce même
Hilarius, n’est intitulée ludus que par une main tardive, son Jeu de
Daniel s’appelant seulement Historia de Daniele representanda . Le vrai
titre du Jeu d’Adam est Ordo representationis Ade . On peut donc se
demander si primitivement la notion de jeu ne s’appliquait pas plus
exactement à un genre de divertissement plus proche de la tradition des
mimes ou des parodies scolaires que du drame liturgique, qu’il s’agisse
du Jeu du garçon et de l’aveugle ou du Jeu de la feuillée, aussi nommé
Jus Adam, du nom de son auteur Adam de la Halle.
3.
La critique littéraire
L’expression « critique littéraire » recouvre aujourd’hui deux activités
relativement autonomes. Elle désigne d’une part les comptes rendus de
livres dans la presse, à la radio, à la télévision: parlons ici de
« critique journalistique ». Elle renvoie d’autre part au savoir sur la
littérature, aux études littéraires ou à la recherche littéraire: parlons
cette fois de « critique universitaire » ou « didactique ». Il s’agira ici de
ce second emploi, qui pose de plus sérieux problèmes de définition. Ce
double emploi est source de confusion. Dans la presse, on prononce des
jugements sur les livres qui paraissent, on tranche entre les bons et les
mauvais. La critique qui se veut érudite ou scientifique répugne, elle, à
porter des jugements, en tout cas explicitement; à l’université, on fait de
la recherche sur la littérature, on décrit, on analyse, on interprète, et l’on
dépend des jugements littéraires des autres, ou de soi-même comme
51
autre.
Enfin, la critique journalistique porte plutôt sur la littérature
contemporaine et la critique didactique sur la littérature du passé, mais
sans exclusive. Cette distinction découle des deux précédentes. On juge
les œuvres nouvelles, on explique les œuvres anciennes.
Le discours historique et philologique sur la littérature s’est formalisé
dans la seconde moitié du XIXe siècle en Europe et en Amérique du
Nord, étendant aux littératures médiévales, classiques et même modernes
le modèle d’étude des littératures anciennes. D’où l’idée de deux
compétences distinctes – évaluative et descriptive –, renforcée par
l’observation que les critiques universitaires se sont presque toujours
trompés quand ils ont jugé la production contemporaine.
On distingue encore une troisième critique, celle des écrivains. Sans
doute est-elle la plus importante. Elle s’écrit parallèlement aux œuvres
littéraires, comme chez Henry James ou E. M. Forster, qui n’ont rien à
envier aux critiques didactiques pour la sophistication formelle, mais elle
est aussi inséparable de la création chez les modernes. Il est devenu banal
de rappeler que, depuis Baudelaire, avec Mallarmé, Valéry, Proust,
Borges, tout écrivain est aussi ou d’abord un critique.
La recherche d’une définition de la littérature et, simultanément, de la
critique postule en général qu’il existe des propriétés des textes littéraires
qui les distinguent des autres textes. Par exemple, la « littérarité » d’un
texte tient à des éléments linguistiques particuliers, ou à une organisation
particulière de matériaux linguistiques ordinaires, ou à l’origine
particulière du texte: son auteur est un écrivain. Toutes ces conditions
sont réfutables: certains textes littéraires ne s’écartent pas du langage
ordinaire, et les traits littéraires se rencontrent aussi dans le langage
ordinaire: on a défini la licence poétique, pas la littérature. De même
pour l’organisation particulière. Le troisième critère n’est pas plus
satisfaisant: logiquement, c’est quand on a décidé qu’un texte est
littéraire qu’on en conclut que son auteur est un écrivain. Ces trois
critères incluent une évaluation implicite. On ne peut éviter la question
de la valeur lorsqu’on veut définir la littérature et la critique.
Cherchant un critère de littérarité, on tombe sur une aporie à laquelle la
philosophie du langage nous a habitués. La définition d’un terme –
comme « littérature » – ne donnera jamais autre chose que l’ensemble
des occurrences dans lesquelles les usagers d’une langue acceptent
d’employer ce terme: la littérature, c’est ce qu’on appelle la littérature.
Peut-on aller plus loin que cette formulation d’apparence circulaire ? Un
peu, car les textes littéraires sont ceux qu’une société utilise sans les
52
rapporter nécessairement à leur contexte d’origine. C’est une société qui
décide que certains textes sont littéraires par l’usage qu’elle en fait.
La théorie de la critique aboutit à la confusion parce que toute critique
est une idéologie de la littérature. Et le panorama laisse d’immenses
trous: on a fait comme si, par exemple, la critique littéraire, liée au
criticisme, appartenait à l’Occident moderne. C’est faux s’il est
impossible de définir la critique autrement que comme tout discours sur
la littérature, et la littérature comme tout texte, et, petit à petit, tout
contexte comme texte. Dans la tradition occidentale elle-même, on n’a
pas parlé de tout non plus, ce qui n’aurait fait qu’ajouter au chaos.
La critique littéraire est inséparable de l’enseignement de la
littérature. Elle sert à légitimer cet enseignement et elle fournit des
pédagogies. Elle permet de parler de la littérature autrement que par
jugements de valeur. Elle est dépendante de la littérature comme
institution scolaire. Si, dans le passé, des paradigmes critiques ont
dominé à tour de rôle et si ce n’est plus le cas, un des motifs de ce
changement, et du désordre ou de l’absence de norme critique qui en
résulte, tient à la transformation de la nature et des buts de l’école depuis
sa démocratisation statistique, ou depuis que la scolarisation n’est plus
synonyme de promotion sociale. Le nombre de critiques, c’est-à-dire de
professeurs de lettres, a augmenté considérablement depuis la Seconde
Guerre mondiale, et avec lui les modèles critiques, cultivant de plus en
plus ouvertement l’originalité et la virtuosité. La critique n’est plus une
corporation mais une profession qui, au fur et à mesure que son statut
social se dégradait, a proclamé de plus en plus fort que rien ne la séparait
plus de la littérature et que tout était texte.
Globalement, la critique moderne applique à la littérature les nouvelles
idéologies directement issues des sciences humaines, notamment
l’histoire, la psychanalyse et la linguistique.
3.1.
La critique thématique
Par delà les idées de l’auteur, il s’agit de chercher le rapport qu’il
entretient avec le monde et que seule peut révéler son oeuvre littéraire.
Une critique d’identification ou existentielle tente de saisir l’attitude d’un
écrivain devant le monde à travers la manière dont l’individu se
comporte devant l’espace et le temps. La critique thématique recherche
la situation élémentaire que chaque écrivain organise.
53
3.2.
La critique psychanalytique
La psychanalyse apporte à la critique une méthode qui prétend tout
expliquer puisque l’inconscient parle dans un langage qui le structure.
Freud avait tenté de montrer l’affleurement de l’inconscient sous forme
de symboles dans l’œuvre littéraire. Carl Gustav Jung (1875-1961), en
disciple infidèle, accentue ce versant littéraire de la psychanalyse:
l’inconscient, selon lui, s’élargit aux dimensions d’une mémoire
collective dont l’humanité tout entière assumerait l’héritage sous forme
d’archétypes dont on trouve trace dans les contes, les légendes, les
mythes et les grande oeuvres significatives. La psychanalyse ouvre un
domaine à l’étude biographique avec la psychobiographie ou
l’interaction entre l’homme et l’œuvre et leur unité saisie dans ses
motivation inconsciente.
3.3.
La critique sociologique
La sociocritique propose d’expliquer la production, la structure et le
fonctionnement du texte littéraire. Dans Pour une théorie de la
production littéraire (1966), Pierre Macherey révèle l’idéologie qui se
cache derrière la littérature en montrant les lacunes et les contradictions
de celle-ci. Lucien Goldmann cherche à dégager la structure mentale
susceptible de rendre compte de la totalité du texte considéré. Selon le
structuralisme génétique, la vision du monde d’un auteur détermine une
structure englobante et s’explique par rapport à des structures sociales
plus vastes.
3.4.
La critique structuraliste
Le langage, aux XXè siècle, est l’objet d’une réflexion constante.
Puisque tout problème humain relève du langage il s’agit de déchiffrer à
travers lui les méandres d’une pensée. Plus scientifique, la critique
d’inspiration structuraliste s’appuie sur la science linguistique. Selon
Saussure, toute langue doit être considérée comme un système et les
éléments d’une langue s’étudient d’après leurs relations. La forme et
l’œuvre devient une réalité en soi et, dit Jakobson, « l’objet de la science
de la littérature n’est pas la littérature mais la littérarité, c’est á dire ce
qui fait d’une oeuvre donnée une oeuvre littéraire ».
54
À partir de cette position, divers travaux analysent l’œuvre pour elle
même et en elle même, à travers son fonctionnement interne, sans se
préoccuper des conditions psychologiques et historiques de sa
production.
Le formalisme structuraliste souligne l’autonomie du langage, la
sociologie engage la littérature dans l’histoire humaine, la psychocritique
dévoile l’inconscient qui participe à l’élaboration de l’œuvre. Mais toutes
ces analyses ont en commun la préexistence de la méthode sur le
commentaire.
55
Aide mémoire 1. Le langage littéraire
1.1. L’auteur : un acte individuel. Conditionné aussi par la
réalité. L’émetteur (auteur) prétend qu’il dure indéfiniment pour
n’importe quel lecteur. pas de but pratique immédiat; elle ne
cherche qu’à produire un plaisir esthétique désintéressé.
1.2. Le lecteur : commence et l’interrompt de son propre chef.
Récepteur est universel.
Chaque lecteur réalise avec sa lecture une récréation du texte, la
propre lecture enrichit le texte. Les grandes œuvres deviennent
encore plus grandes à travers le temps grâce aux apports
interprétatifs des lecteurs à travers les siècles.
1.3. Le canal. la langue écrite culte de chaque époque. Attire
l’attention sur elle-même (fonction poétique).
2. Les genres littéraires
2.1. Les principes.
La question des genres littéraires est aussi ancienne que la
littérature elle-même.
2.2. La poésie.
2.2.1. Les origines. L’épopée chante l’histoire d’une
tradition. Les chansons de femmes sont des poèmes lyriques. Les
chansons de geste sont des chansons d’histoire romancée. La
cantilène est une forme élémentaire de chant profane
monodique.Le terme générique débat correspond à une série de
genres poétiques dialogués. Les fabliaux sont des contes à rire en
vers.
2.2.2. La poésie et les circonstances. L’apologue est la
narration d’une anecdote à personnages animaux, ou parfois
végétaux. Les élégies sont des poèmes exprimant des sentiments
tendres et mélancoliques. L’idylle est un poème court, à sujet
essentiellement descriptif. Le chant choral en l’honneur des
nouveaux mariés s’appelle épithalame. Le fatrasie est une poésie
qui se réduit à des jeux incohérents de non-sens. La composition
par laquelle le poète met en forme le topos du regret et du deuil
s’appelle lamentation.
56
2.2.3. Poésie et musique. L’ode est un chant solennel en
l’honneur de grands personnages. La ballade est une des formes
lyriques associées à la danse. Le rondeau ancre ce qui deviendra
une forme lyrique dans le corps, le rythme et la musique. Le
virelai a d’abord été une danse, puis une chanson à danser.
2.3. La narration.
2.3.1. Le roman. C’est le genre littéraire roi. Le roman
d’aventures évoque toutes sortes de récits d’époques et
d’intentions complètement dissemblables. Le roman policier est
avant tout le reflet d’une époque, le miroir d’une société. Dans le
roman de science fiction le lecteur est invité à éprouver des
émotion au delà des possibilités naturelles. Le roman populaire
est un genre littéraire qui privilégie l’imagination aux dépens de
l’intelligence, le style direct contre le langage obscur, le respect
des valeurs établies face à la remise en question de la société. Le
mot saga désigne avant tout une certaine manière de raconter une
histoire.
2.3.2. La nouvelle. Type de récit bref (nouvelle
médiévale, nouvelle de la Renaissance). Le conte se singularise
surtout par son caractère de fiction avouée. La fable n’est-elle
vraiment qu’un bref récit mettant en scène des animaux ? Dans
l’esquisse on trouve une description divertissante d’un aspect du
mode de vie d’un pays. La bande dessinée, forme de récit fondé
sur une harmonie de l’image et du son.
2.3.3. Littérature épistolaire. L’idée de littérature
épistolaire a été souvent réduite au roman par lettres.
2.3.4. L’histoire. Ni la narration historique ni la narration
autobiographique font partie de la fiction. Ce sont des narration
non fictives. La narration historique tient aux référents du texte.
L’autobiographie est une narration de caractère historique.
L’hagiographie : tout monument écrit inspiré par le culte des
saints et destiné à le promouvoir. Le journal intime est une
pratique d’écriture des plus communes. Le caractère essentiel du
récit de voyage devrait être sa diversité.
2.3.5. Le pamphlet et le pastiche
2.4. L’essai et les textes d’idée.
2.4.1. L’essai et le portrait Le terme d’essai s’applique à des
écrits dont la caractéristique commune est l’hétérogénéité. On désigne
ainsi un certain nombre de textes en prose, aux formes diverses. Seconde
signification, liée à la première: l’essai se donne comme une épreuve de
soi, une expérience dont le résultat sinon la visée est de prendre la
mesure de sa pensée, de se connaître soi-même à travers ce qu’on écrit.
Le portrait littéraire : «Comme autant de coups successifs de crayons, des
57
énoncés parallèles cernent et définissent une image qui, comme celle du
peintre, est statique et intemporelle» (J. D. Lafond).
2.4.2. Les idées les plus courtes. La maxime, l’aphorisme et
l’épigramme ont un but très proche: condenser les idées. La maxime
implique la reconnaissance d’une essence stable de l’homme.
L’aphorisme : situation ambiguë qui fait «réfléchir». L’épigramme :
miniature de la satire. Escrime verbale où la brièveté est la meilleure des
armes.
2.5. Le théâtre.
2.5.1. La tragédie : Fondation des concours tragiques, avènement
d’un nouveau genre littéraire, émergence d’une conscience tragique.
Unamuno l’appellera « le sentiment tragique de la vie ».
2.5.2. La comédie : Il est impossible de donner une définition
univoque et précise de ce terme. Le mot de comédie a souvent été utilisé
pour renvoyer à toute espèce de théâtre.
2.5.3. Autres genres théâtraux :
On appelle farces les pièces de théâtre comiques .
On désigne par le mot jeu les plus anciennes pièces de théâtre de langue
française.
3. La critique littéraire : Comptes rendus de livres dans la presse, à la
radio, à la télévision: « critique journalistique ». Savoir sur la littérature,
aux études littéraires ou à la recherche littéraire: « critique universitaire».
On distingue encore une troisième critique, celle des écrivains. Sans
doute est-elle la plus importante.
C’est une société qui décide que certains textes sont littéraires par
l’usage qu’elle en fait.
La critique littéraire est inséparable de l’enseignement de la littérature.
3.1. La critique thématique recherche la situation élémentaire
que chaque écrivain organise.
3.2. La critique psychanalytique :La psychanalyse apporte à la
critique une méthode qui prétend tout expliquer puisque l’inconscient
parle dans un langage qui le structure.
3.3. La critique sociologique :La sociocritique propose
d’expliquer la production, la structure et le fonctionnement du texte
littéraire.
3.4. La critique structuraliste :la critique d’inspiration
structuraliste s’appuie sur la science linguistique.
Bibliographie
58
AYUSO DE VICENTE, GARCÍA GALLARÍN, SOLANO SANTOS,
Diccionario de Términos Literarios, Akal, Madrid, 1990.
BARAT, J.-C., Théories des genres et communication, Bordeaux -
Talence, Maison des Sciences de l’Homme, 1978.
BERGEZ, D., BARBÉRIS, P., DE BIASI, P.-M., MARINI, M..
VALENCY, G., Introduction aux Méthodes critiques pour
l ‘analyse littéraire, Dunod, Paría, 1966.
CALVO, J.H., « La crítica de los géneros literarios », dans P. Aullon de
Haro (éd.), Introducción à la crítica literaria actual, Madrid,
Playor, 1984. pp. 83-139.
DUCROT, O., TODOROV, T. , Dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage, Paris, Seuil, 1972.
ESTÉBANEZ CALDERÓN, Demetrio, Diccionario de Términos
Literarios, Alianza Diccionarios, Madrid, 1996.
FONTANIER, PIERRE, les Figures du discours, Paris, Flammarion,
1968.
FRYE, N., Anatomie de la critique, Paris, Gallimard, 1969.
GENETTE, G. (e.a.), Théorie des genres, Paris, Seuil, 1986.
JAKOBSON, R., Questions de poétique, Paris, Seuil, 1973.
KIBEDI-VARGA, A., Rhétorique et littérature, Paris, Didier, 1970.
MAINGUENAU, DOMINIQUE, l’Analyse du discours, Paris, Hachette,
1991.
MORAL AGUILERA, RAFAEL DEL, Diccionario práctico del
comentario de textos literarios, Verbum, Madrid, 1996.
MORIER, HENRI, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris,
P.U.F., 1961.
REICHLER, CLAUDE et coll., l’Interprétation des textes, Paris, Éd. de
Minuit, 1989.
SUHAMY, HENRI, les Figures de style, Paris, P.U.F., « Que sais-je ? »,
1981.
TAMBA-MECZ, Le sens figuré, Paris, P.U.F., 1981.
TODOROV, T., Les genres du discours, Paris, Seuil, 1970.
VIËTOR, K., « L’histoire des genres littéraires », Poétique, 32 (1977).
pp. 507-514.
WELLEK, R., WARREN, A., La théorie littéraire, Paris, Seuil, 1971.