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UN TEMPS POUR vivre ICTUS VOYAGES L’agence Ictus voyages organise des marches spirituelles : des randonnées ponctuées de temps de prière et de découverte des sites. Voyager autrement Loin des sentiers battus et par- fois encombrés du tourisme, de nouvelles manières de voyager se développent. Porteuses de valeurs plus respectueuses de l’environnement, des cultures et des hommes, elles séduisent chaque année davantage de candidats. PAR ÉRIC HAHN ILLUSTRATIONS ROBIN H uit mois après son escapade de trois semaines en Équateur, Chantal, 50 ans, se dit encore chamboulée par son premier voyage solidaire. « Une expérience de partage et d’échange extraordinaire en dépit de la barrière de la langue. Non seulement avec les enfants dont je m’occupais, mais aus- si avec la population locale et les autres voyageurs de mon groupe. Une immersion loin de mon quotidien, où je me suis retrouvée tous les jours confron- tée à mes émotions. J’ai hâte de recommencer ! » Comme elle, un nombre croissant de touristes aspirent à voyager autrement. Lassés par le tourisme de masse qui, de 25 millions de voyageurs dans le monde en 1950, a franchi le milliard en 2012 et s’élèvera à 1,6 milliard à l’horizon 2020. Désormais, le consommateur souhaite davantage être acteur de ses loisirs, d’où l’engoue- ment pour des voyages « sur mesure », mais aussi et surtout en faveur de formules porteuses de sens. « On se met en route pour faire des rencontres, mais aussi pour découvrir le sens de la vie en général et de sa vie en particulier, souligne Gaële de La Brosse, journaliste, éditrice et 38 N°6909 30 avril 2015

Voyager Autrement - Dossier Pelerin Magazine - Tourisme solidaire

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L’agence Ictus voyages organise des marches spirituelles : des randonnées ponctuées de temps de prière et de découverte des sites.

Voyager autrementLoin des sentiers battus et par-fois encombrés du tourisme, de nouvelles manières de voyager se développent. Porteuses de valeurs plus respectueuses de l’environnement, des cultures et des hommes, elles séduisent chaque année davantage de candidats.

par Éric HaHnillUstrations robin

Huit mois après son escapade de trois semaines en Équateur, Chantal, 50 ans,

se dit encore chamboulée par son premier voyage solidaire. « Une expérience de partage et d’échange extraordinaire en dépit de la barrière de la langue. Non seulement avec les enfants dont je m’occupais, mais aus-si avec la population locale et les autres voyageurs de mon groupe. Une immersion loin de mon quotidien, où je me suis retrouvée tous les jours confron-tée à mes émotions. J’ai hâte de recommencer ! » Comme elle, un

nombre croissant de touristes aspirent à voyager autrement. Lassés par le tourisme de masse qui, de 25 millions de voyageurs dans le monde en 1950, a franchi le milliard en 2012 et s’élèvera à 1,6 milliard à l’horizon 2020.Désormais, le consommateur souhaite davantage être acteur de ses loisirs, d’où l’engoue-ment pour des voyages « sur mesure », mais aussi et surtout en faveur de formules porteuses de sens. « On se met en route pour faire des rencontres, mais aussi pour découvrir le sens de la vie en général et de sa vie en particulier, souligne Gaële de La Brosse, journaliste, éditrice et

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vie de famille

L’association Volontaires pour la nature mise sur l’écovolon- tariat. Les bénévoles peuvent aider à la protection des animaux (en haut) ou à la garde des troupeaux,

animatrice du réseau Chemins d’Étoiles dédié à l’itinérance. Le voyage élimine nos scories, rabote notre être, le dépouille du superflu pour lui permettre de se reconnecter avec l’essentiel. » Ainsi ont fleuri en France depuis une quinzaine d’années, dans la mouvance d’une démarche initiée par le monde associatif, des offres de tourisme durable, solidaire, équitable, écorespon-sable, spirituel… Des qualificatifs recouvrant des réalités quelque peu différentes mais qui, toutes, témoignent d’attentes nouvelles. Les professionnels, saisissant cet intérêt des Français pour un tou-risme alternatif, se positionnent

placer l’homme au cœur du voyage, insister sur la rencontre et l’échange réciproque entre visi-teurs et visités. » Depuis dix ans, Double Sens emmène ainsi de petits groupes de quatre à six per-sonnes au Bénin, à Madagascar, au Cambodge… non pas sim-plement en voyage mais en mis-sion. « Nos clients consacrent au moins la moitié de leur temps sur place à divers projets : éduca-tion à l’hygiène, cours d’informa-tique, soutien scolaire, aide à la vie quotidienne des enfants dans des orphelinats, à la construction de sanitaires, de porcheries… Des projets décidés en concerta-tion avec les populations, selon leurs besoins, et encadrés par des autochtones pour que les retom-bées économiques locales soient le plus profitables possible. »

L’ailleurs près de chez soiCar là réside bien l’intérêt du tou-risme équitable. Et nul besoin de partir à l’autre bout du monde pour répondre à cette attente. « On peut se mettre en marche vers l’ailleurs à la porte de chez soi, précise Gaële de La Brosse. À condition d’adopter les ver-tus du voyageur et notamment d’appréhender ces contrées familières avec un regard neuf, comme si on les découvrait pour la première fois. » Afin d’élargir et de démocratiser le tourisme alternatif, Ecotours, spécialisé dans les destinations sud-améri-caines, a diversifié ses offres en direction de l’Europe (Roumanie, Bulgarie, Espagne…) mais aussi de la France. « Nous proposons, par exemple, de découvrir la Bretagne autrement, indique David Rosemberg, son direc-teur. En privilégiant des héber-gements responsables vis-à-vis de l’environnement et souvent en lien avec l’agritourisme ; en allant à la rencontre de marins-pêcheurs artisanaux, d’un patron de conserverie de sardines à

de plus en plus nombreux sur ce créneau. Opportunisme marketing ou sincère prise de conscience ? « Sans doute certains surfent-ils sur la vague, constate Aurélien Seux, cofondateur de l’agence Double Sens et acteur engagé dans le voyage solidaire. Mais mieux vaut positiver et se dire que toute démarche allant dans le bon sens, même limitée, est bienvenue si elle contribue à développer un tourisme plus intelligent. »Aurélien Seux sait de quoi il parle. En 2006, avec son ami et complice Antoine Richard, il s’est lancé dans une démarche solidaire et responsable. « Nous souhaitions

Déchargement de sardines pour une petite conserverie bretonne,

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vie de famille voyager autrement

La dimensionÉcoLogiquesÉduit dePLus en PLus

Les membres de la famille Pujol ont choisi de voyager solidaire avec l’agence Double Sens : sur l’île de Koh Phdao (Cambodge), au milieu du Mékong, ils ont participé à la construction

d’une porcherie.

taille humaine ; en s’initiant à la culture locale… Parce que nous voulons faire du tourisme un outil de préservation des activi-tés traditionnelles et un facteur de lien social. »La dimension écologique du voyage emporte également l’ad-hésion d’un nombre croissant de touristes. Volontaires pour la nature propose ainsi différents types de missions, allant de l’en-tretien de marais ou de forêts à la revégétalisation des berges de cours d’eau, en passant par la pro-tection des phoques en baie de Somme… Ces activités ne néces-sitent pas de compétences parti-culières et reposent sur le prin-cipe du donnant/donnant. « En échange d’un mi-temps de travail, les volontaires bénéficient d’ani-mations encadrées, par exemple par des botanistes ou des natu-ralistes, explique Marion Tucci, administratrice de l’association. La participation reste en général modique, de l’ordre de 60 € par semaine pour couvrir les frais de nourriture. L’hébergement, et c’est là aussi l’un de nos outils d’éducation écoresponsable, s’organise en pleine nature, sous tente, avec des toilettes sèches et des douches solaires de manière à limiter au maximum l’impact environnemental. »Dans l’esprit du « Wwoofing », mouvement né en Angleterre en 1971 et dont le réseau de fermes biologiques s’étend dans une trentaine de pays, l’associa-tion de Marion Tucci met aussi

en relation des volontaires avec des agriculteurs-éleveurs. Le prin-cipe ? Vivre au minimum deux semaines sur une exploitation, nourri et logé, tout en participant quelques heures par jour aux activités de la ferme. Pour aider à soigner les animaux, encadrer la naissance des petits ou assurer la garde du troupeau en alpage, en zones de présence du loup.

cheminement spirituelAu voyage solidaire ou à l’enga-gement écoresponsable, d’autres préfèrent la marche et le chemi-nement spirituel pour donner du sens à leurs vacances. « Nous pro-posons bien sûr des pèlerinages vers des lieux de tradition chré-tienne, précise Thierry Sanson, directeur d’Ictus Voyages. Mais pas seulement. Partir de chez soi, quitter ses habitudes et ses cer-titudes pour cheminer dans un désert, admirer au rythme de ses pas la beauté des paysages, goûter le silence, constitue déjà, en soi, un cheminement spirituel. Cette expérience, au-delà des gens très engagés dans l’Église, touche particulièrement les « recom-mençants » qui vivent parfois une relation un peu blessée avec l’institution et redécouvrent là de quoi nourrir leur intériorité ». Autre « spécialité » d’Ictus, les voyages culturels à la rencontre des grandes civilisations, y com-pris dans leur dimension reli-gieuse, qui témoignent de la gran-deur de l’homme et de la richesse de l’humanité. Une invitation à la tolérance. « L’autre nous révèle à nous-même, précise Gaële de La Brosse, et se connaître soi-même pousse à découvrir les autres, ren-dant plus fructueux ces moments de partage. » Même si, ces der-nières années, l’environnement

géopolitique ne favorise guère les échanges. Épidémies en Afrique de l’Ouest, printemps arabes, conflits et terrorisme dans les pays du Maghreb ou du Proche-Orient ont, en effet, plutôt de quoi faire fuir les voyageurs potentiels. Nombre de voyagistes, sans pour autant abandonner certaines destinations à l’écart des zones sensibles, ont dû réduire la voi-lure en Afrique pour dévelop-per de nouvelles destinations. Madagascar, dans l’océan Indien, a ainsi bénéficié de ce repli stra-tégique, mais aussi l’Amérique du Sud et l’Asie. Ictus Voyages, pour sa part, s’est vu contraint de rayer de sa brochure ce qui faisait son « cœur de métier ». « Le découpage géographique de nos activités, en 1994, n’a plus grand-chose à voir avec celui de 2010, déplore Thierry Sanson. Toutes les destinations du monde arabe sont quasiment fermées, de même que nombre de déserts qui nous permet-taient de proposer de magni-fiques expériences spirituelles à la source même de notre foi. » L’agence se redéploie donc vers le monde orthodoxe : la Grèce, Chypre, l’Arménie, la Russie. Et réinvente de nouveaux voyages en se réappropriant des person-nages forts du christianisme comme saint François d’Assise, à découvrir au cours d’une marche de huit jours en Italie, à l’écart des sentiers battus. f

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par Éric HaHn

Des voyageurs en quête de sens

Samedi, 14 heures. Au 84, quai de Jemmapes, qui longe à Paris le canal Saint-Martin, une quin-

zaine de personnes se présentent à l’entrée de La Ruche, un espace collaboratif abritant l’agence de voyages solidaires Double Sens. Parmi eux, d’éventuels futurs clients venus se renseigner, mais aussi des anciens, présents pour témoigner. Comme Étienne, 43 ans, parti l’été dernier avec Charlotte et leurs trois fils au Cambodge, sur une île du Mékong, pour aider une famille à construire une porcherie. « Depuis quelques années déjà, nous pratiquions des vacances en mode randonnée, de préférence hors des sentiers battus, à la rencontre de nouvelles cultures. Nous avons eu envie d’aller plus loin, de nous rendre vraiment utiles. »Un projet immédiatement plébis-cité par Quentin, 16 ans, et ses deux plus jeunes frères, tous engagés dans le mouvement scout. « Apporter

ma modeste contribution à des gens qui n’ont pas la chance d’être gâtés comme nous s’est avéré une expérience incroyable sur le plan humain », souligne l’adolescent enthousiaste. « Personne n’a râlé parce qu’il faisait trop chaud, que c’était fatigant, que nous n’avions ni eau courante ni électricité ni Internet, enchaîne Étienne. Cette parenthèse loin de notre quotidien parisien bruyant et stressant nous a permis de nous retrouver, de partager des émo-tions extrêmement fortes, mais aussi, je l’espère, de laisser une trace utile de notre passage. » Sabine 31 ans, enseignante-chercheuse en psycho-logie sociale, envisage de partir avec Matthieu, son mari. Une première expérience d’un mois à Madagascar il y a dix ans, à l’initiative d’une reli-gieuse, pour s’occuper d’enfants des rues, lui a inoculé le virus du voyage solidaire. « Voyager n’a de sens que si l’on peut prendre le temps de créer du lien. Les missions de l’agence me semblent répondre à cette exigence.

Surtout, elles s’inscrivent dans la durée, avec des voyageurs qui se succèdent tout au long de l’année pour un véritable suivi de l’aide. » Ayant déjà vécu cette situation, Sabine sait qu’il est toujours difficile de revenir d’un tel voyage. Habité, parfois, du sentiment d’abandonner ceux que l’on était venu aider. « Mais quand on sait que d’autres vont prendre le relais, on relativise ! » Pour autant, l’expérience reste intense et personne n’en sort indemne. « Je suis revenue transformée, confirme Chantal, partie en juillet dernier s’occuper d’enfants en Équateur. Il y a un tel décalage par rapport à notre propre culture, notre soif de consumérisme. Pourtant, là-bas, chaque jour, j’ai eu l’impression d’être à ma place, de servir à quelque chose. Je me suis aussi sentie nour-rie de partage et d’amour, car nous recevons autant que nous donnons. » « Nous redécouvrons notre pays et notre façon de vivre avec un regard presque étranger, renchérit Sabine. Retourner au supermarché m’a paru inacceptable. L’expérience amène forcément à prendre de la distance. » Une prise de conscience qui se traduit souvent par la volonté de continuer à aider les populations sur place. En soutenant l’association Frères de sens créée par d’anciens voyageurs ou en réitérant l’expérience. 20 % des clients de Double Sens repartent au moins une fois. Pour un voyage humanitaire ? « Non, pour un voyage humain, tout simplement », répond Valérie, revenue enchantée du Bénin avec son mari et leurs trois enfants de 5, 8 et 11 ans. f

Depuis dix ans, l’agence double sens s’est développée autour d’un maître mot : l’échange. une vertu plébis-citée par ses clients, qui en redemandent.

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vie de famille voyager autrement

nul besoin de partir loin pour voyager solidaire. La cité phocéenne vous en offre l’occasion…

Visiter Marseille avec ses habitants

Séjourner chez l’habitant, consommer des produits locaux, aider à la sauvegarde du

patrimoine industriel et naturel… Bienvenue dans les quartiers nord de Marseille avec la coopérative Hôtel du Nord* ! Loin des faits divers qui font la une des médias, l’occasion de plonger dans les histoires de vie d’une population lasse d’être stigma-tisée, qui travaille et crée à l’Estaque ou à Saint-Antoine. Alors, une fois les incontournables accomplis – Notre-Dame-de-la-Garde, la cathédrale de la Major, le MucEM… –, prenez la navette au Vieux-Port, direction l’Estaque.

De là s’offre une vue splendide sur la baie scintillante et la Bonne-Mère… et l’embarras du choix pour se loger : une bastide, une cité ouvrière, une villa fleurie… Quarante habitants des quartiers nord vous ouvrent leur porte et, mieux encore, vous guident à travers leur quartier. Sur les hau-teurs de Mourepiane, Michèle Rauzier accueille ses hôtes dans sa superbe bastide. Une villa achetée par son père, Italien sans le sou envoyé par sa famille pour travailler dans les tuileries. « Il y a un siècle, Marseille construisait les toits du monde entier, raconte notre guide enthousiaste. Vingt-sept tuileries employaient 6 000 ouvriers dans le bassin de Séon,

que l’on surplombe ici. La randonnée débute par les hautes demeures : Lou Castelet, ses serres et rocailles, la villa Marie, la coquette villa Eugénie. Puis se poursuit rue Poussardin, où les logis de maîtres côtoient de petites maisons de pêcheurs et d’ouvriers des années 1930. « Ces derniers utilisaient les rebus de tuiles pour bâtir leurs murs, indique Michèle. Regardez, on en voit encore les traces partout. » Au fil des rues, en suivant la généalogie d’une famille et l’urbanisme, c’est l’histoire de Marseille qui s’écrit. « Mon père, jeune Piémontais plein de courage, épousa ma mère, fermière à deux pas d’ici, se forma, acheta un bar au vil-lage de Saint-Henri, là, juste derrière… puis s’offrit la bastide ! » détaille notre hôtesse. Férue de patrimoine, elle se bat avec l’association Cap Nord pour éviter que les tours des promoteurs ne défigurent la corniche, au détri-ment des quartiers ouvriers célébrés au cinéma par Robert Guédiguian. Faisant sienne la formule d’Henri Bosco : « Le premier monument de Marseille, c’est sa population ! » f* De 25 à 70 € la chambre. Rens. : hoteldunord.coop

par murieL fauriat

Au programme des balades urbaines organisées par Hôtel du Nord, la « Route Nougaret » fait découvrir la nouvelle route d’Aix tracée par l’architecte Nougaret avant la Révolution française.

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À Hilionoudo, les voyageurs rencontrent un ferronnier fabriquant des clochettes destinées

aux troupeaux.

Dans les ruelles de Chania (la Canée), le nez levé sur les façades élégantes où le bois

se mêle à la pierre, le regard d’Anne, 64 ans, infirmière à Nantes, est attiré par l’architecture intérieure en arche, caractéristique des maisons des riches familles turques. L’important pour elle : prendre le temps de flâner, au rythme de cette île au charme discret. Sur le port tout proche, le minaret rappelle que la ville au nord-ouest de la Crète, la plus grande île grecque, a connu l’invasion ottomane de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe. Reconvertie en lieu d’exposition, la mosquée est en rénovation, à l’image de nombreux édifices de la ville. Comme la majorité des neuf participants au séjour organisé par Tourisme et Développement solidaire (TDS)(1), Michel est jeune retraité. Il travaillait dans la construc-tion et est sensible à la rénovation soignée des bâtiments de l’arsenal qui, les pieds dans l’eau, dominent le petit port. « Avec un voyagiste classique, on ne voit pas le pays. On le traverse. Là, c’est différent. On prend le temps de faire connais-sance avec les spécificités du lieu », commente Nicole, 62 ans, alerte ex-institutrice. « Je retrouve avec TDS un esprit de développement écono-mique local », confie son époux, Jean-François, 60 ans, responsable de développement régional à la chambre

d’agriculture du Maine-et-Loire. Tous les participants viennent de la région (l’association TDS est basée à Angers) et partagent des valeurs communes : intérêt pour les coutumes locales, prise en compte des problèmes économiques rencontrés par leurs hôtes.

un même état d’esprit« Nous avons le même état d’esprit », confirme Gilberte, 65 ans, professeur d’anglais à la retraite et épouse de Michel. Les voyageurs emboîtent le pas de Georg, notre guide, attentifs à ses explications.

Allemand, Georg vit en France après une longue parenthèse en Crète où il organisait des randonnées. Il connaît chaque parcelle de l’île aux mille trésors dont le secret de longévité de ses habitants réside, paraît-il, dans le régime crétois – beaucoup d’huile d’olive, légumes et fruits frais, fromage de brebis, miel… – et la douceur de vivre en plus. Georg s’emploie depuis quinze ans à soutenir la vie du village alpin d’Agios Johannis, à l’extrême sud, déserté par les jeunes, où vivent des bergers. Le hameau de quinze habi-tants a trouvé un nouveau souffle

À la découverte de la Crète authentique

rencontrer les habitants, s’informer sur leur us et coutumes, partager leur table… tourisme et développement solidaire donne la priorité aux voyageurs curieux.

par Patricia Labiano

Repas à la table de la famille Karaiskakis.

Visite des ruines du pressoir de l’ancien monastère de Gavalochori.

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vie de famille voyager autrement

faut-il se fier aux labels ?

grâce aux touristes de passage attirés par la beauté sauvage du lieu. Il est prévu que notre groupe y fasse halte dans le gîte d’étape des frères Nikoloukadis. Pour trois nuits, nous avons au préalable élu domi-cile à Tsivaras, petit village perché surplombant la mer, à une trentaine de kilomètres à l’est de Chania, chez Kostas, le pope (prêtre orthodoxe). Au programme : des minirandon-nées alentour pour découvrir l’artisanat local dans le petit village de Kalyves et sa jolie plage de sable ; Hilionoudo, où l’on fabrique les clo-chettes des chèvres et des moutons ;

un nombre croissant d’agences de voyages et de tour-opérateurs

se revendiquent responsables et solidaires. mais comment être sûr que le professionnel auquel vous vous adressez répond bien aux critères de respect de l’environnement et de l’homme ? Deux labels peuvent vous y aider : celui délivré par atr (1) (agir pour un tourisme responsable) et celui accordé par l’ates (2) (association de tourisme équitable et solidaire). ils garantissent que les pratiques de ses membres sont « responsables » (préservent l’environnement et la culture locale) et/ou « solidaires » (financent avec une partie de l’argent du séjour des projets librement choisis par les associations locales).

L’atr a transposé il y a dix ans les règles du développement durable au tourisme : respect et valorisation du patrimoine culturel

et naturel, information claire des voyageurs recherchant authenticité, qualité et respect des personnes et des sites, impact environnemental limité… Le cahier des charges, confié le 1er janvier 2015 à l’organisme de certification ecocert, intègre de nouveaux critères comme le réchauffement climatique.

L’ates, pour sa part, délivre depuis peu un label à l’issue d’un audit aux critères exigeants, mené par un comité composé de voyagistes, de structures comme l’unat (figure de proue du tourisme

social et solidaire en France) et de la plate-forme du commerce équitable.

de petites structures apportent elles aussi une réelle aide à la population locale (ecotours, Double sens, croq’nature…) bien que n’affichant aucun label. Jean-Luc gantheil, directeur de croq’nature, pionnier du tourisme

solidaire et ex-membre de l’ates, fait désormais cavalier seul après avoir vu s’effondrer les demandes de séjour au niger, au mali, en algérie, au maroc et en tunisie. « il a fallu développer de nouvelles destinations pour ne pas mettre la clé sous la porte et continuer à soutenir financièrement les populations de ces pays en souffrance. répondre aux grilles d’évaluation de l’ates pour obtenir le label m’aurait pris trois semaines à plein temps. c’était impossible ! » Les voyageurs ont néanmoins accès à un rapport détaillé et chiffré sur son site (voir carnet d’adresses). D’ailleurs, avant de réserver la destination de vos rêves, faites-vous toujours préciser le pourcentage du prix du séjour reversé à la population locale, la nature des projets et les pratiques environnementales en vigueur (déchets, énergie, émission de co2).

PATRICIA LABIANO

(1) www.tourisme-responsable.org (2) www.tourismesolidaire.org

Galavahori, où France, professeur de maths à la retraite, admire la dentellière à ses fuseaux. À 56 ans, Kostas Karaiskakis vient de passer le relais de sa charge de pope à son fils Stélios, 34 ans. Ils portent la même tunique sombre traditionnelle. Stélios, sa femme Dimitra et leurs deux petites filles vivent sous le même toit que ses parents et sa grand-mère paternelle qui aide Eleni, l’épouse de Kostas, aux fourneaux. Recevoir des hôtes dans la maison familiale(2), bâtie de leurs mains, permet de compléter leurs revenus.

Produits maisonÀ table, est servie la viande d’agneau de petits éleveurs voisins, l’huile d’olive, le vin et le pain faits maison, la salade grecque préparée avec les légumes du jardin. Le pope produit

près de 200 litres chaque année d’un vin de couleur ambrée aux accents ensoleillés. De quoi en faire profiter amis et hôtes de passage. C’est à regret que l’on quitte la famille Karaiskakis pour reprendre la route. Direction : le sud par autobus local au son entraînant de la musique grecque. Les champs d’oliviers laissent peu à peu la place aux massifs pierreux où l’herbe se fait rare, et aux sapins. Puis, la lande plonge en pente abrupte dans la mer. L’aventure se termine là pour moi et je laisse, à regret, la petite troupe poursuivre une escapade où l’on prend le temps de goûter à des lieux aussi sereins que les eaux paisibles qui bordent l’île. f

(1) À la découverte des villages tradition-nels de l’ouest de la Crète, circuit itiné-rant de douze jours, randonnée facile, 1 190 € sans le vol. Tourisme et

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randonnÉeset dÉcouvertede L’artisanatLocaL

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Croq’ NatureVietnam et Cubacircuit de onze jours chez les thaïs blancs, au vietnam, avec immersion dans les us et coutumes locales, à partir de 1 800 € tout compris. en partenariat avec terre et humanisme, l’association de pierre rahbi qui forme des agriculteurs à l’agroécologie, croq’nature lance aussi un séjour solidaire et bio à cuba. < Rens. : www.croqnature.org La Balaguère (ATR)Indeséjour en liberté de dix jours alliant la marche à pied (randonnée facile) et l’immersion dans un village au sud de l’inde, au Karnataka, pour permettre aux populations des régions choisies de rester vivre sur place, dans leurs villages, et d’élever leur niveau de vie grâce au tourisme de randonnée douce. village « Ways », Kerala, à partir de 795 €, hors vol (à partir de 720 €).

Albaniebalade découverte facile de douze jours sur cette terre insolite des balkans restée un demi-siècle fermée au tourisme. soutenez sa population tout en découvrant son patrimoine architectural, en explorant ses paysages montagneux aux pics acérés, les rivages de la mer ionienne et ses jolies plages. À partir de 1 395 €, vol compris (excepté : déjeuner du 1er jour

et dîner du dernier jour, entrées dans les sites et musées, boissons, pourboires d’usage, frais d’inscription, assurance).< Rens. : www.labalaguere.com Double SensBéninmission de deux semaines à ouidah, abomey ou natitingou. Dix jours (2 X 5) d’intervention (à raison de 4 à 6 h/j) en matière d’animation socio-éducative auprès d’enfants, de soutien scolaire, de cours d’informatique, de prévention sanitaire… et quatre jours (2 X 2) d’excursions dans le sud entre mer et lagune (ganvié, la venise de l’afrique) ou dans le nord, en pays somba. À partir de 1 990 € (vol inclus). < Rens. : www.doublesens.fr EcotoursItalietrois jours dans les hauteurs du parc national du cilento, à trois heures de naples, chez isabella et caesare. pour se ressourcer, manger bio, boire local, monter à cheval dans les champs d’oliviers, sortir les chèvres le matin, découvrir les villages alentour, apprendre à cuisiner un bon plat italien… À partir de 250 € en 1/2 pension, vol non inclus. < Rens. : www.ecotours.fr Ictus VoyagesTrek en Galilée (Israël)De nazareth au lac de tibériade, en passant par le mont

des béatitudes, tabgha, capharnaüm… une semaine de marche à travers plaines, canyons et champs d’oliviers, au cœur des Évangiles et à la suite du christ. À partir de 1 393 €, vol inclus. < Rens. : www.ictusvoyages.com Volontaires pour la natureFrancemission de deux semaines ou plus au village des tortues de gonfaron (var). participation aux travaux de sauvegarde et d’études, nourrissage et soins aux tortues, entretien des locaux, information du public. À partir de 18 ans. prise en charge totale par le centre de la nourriture, du logement et de l’assurance. < Rens. : www.volontairesnature.org BastinaCroatieséjour immersif à pakostane en croatie, à la découverte de la réserve ornithologique de vransko Jezero, des parcs nationaux de la rivière Krka ou paklenica dans la montagne de velebit, des îles de vrgada et Zizanje. vous goûtez aux produits du terroir avec un atelier de cuisine croate et un repas à la ferme. hébergement chez l’habitant. À partir de 575 € les 8 j./pers., en demi-pension, excursions et vol compris. < Rens. : www.bastina.fr

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