Cherry SCHRECKER - Qu Est Ce Que La Communaute - Reflexion Sur Le Concept Et Son Usage

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MANA 16

Cherry SCHRECKER

QU�EST-CE LA COMMUNAUT� ? R�FLEXIONS

SUR LE CONCEPT

ET SON USAGE

� Si nous �cartons l�id�e qu�un mot doit repr�senter un quelconque objet � ce qui est commun � toute chose d�sign�e par le mot � alors,notre attitude � l��gard du langage deviendra plus ouverte. Lib�r�s de la pr�conception essentialiste, nous ne nous pr�occuperons plus de regarder le langage de mani�re unidimensionnelle, c�est-�-dire de chercher le sens du mot, nous serons, au contraire, ouverts � la "flexi-bilit�" de son usage r�el dans le langage et la pens�e : dans la descrip-tion, l�interpr�tation et l��valuation du comportement �(1).

L�utilisation du mot communaut� varie selon la r�alit� d�crite et l��valuation explicite ou implicite qui accompagne souvent les tentatives de conceptualisation. Il serait illusoire de chercher une unique d�finition du mot, tributaire d�un accord improbable � la fois sur son contenu s�mantique et sur ses sous-entendus �valuatifs. Conna�tre les multiples sens mobilis�s par son usage est un objectif plus facile � atteindre. La pr�sentation des diverses possibilit�s offertes par le concept de communaut�, ainsi que par son application dans la sociologie anglo-saxonne vise, par la r�f�rence � une tradition intellectuelle vieille de plus de 100 ans, � donner des �claircisse-ments sur les modalit�s de son usage. Ces r�flexions se veulent une contri-bution aux d�bats actuels sur la communaut� en France(2). Le corpus �tudi� est compos� d��crits sociologiques concernant la communaut� et non d�investigations empiriques que j�aurais effectu�es moi-m�me. Pour cette raison, les interpr�tations ordinaires ne sont �voqu�es qu�� travers des tra-vaux sociologiques pr�existants. Dans de nombreux cas, la restitution des donn�es incorpore un commentaire du sociologue sur l�ensemble observ� et, m�me quand son opinion n�est pas donn�e explicitement, elle est impliqu�e

(1) Plant Raymond, Community and Ideology, London and Boston, Routledge and Kegan Paul, 1974, p. 10.

(2) Pour �viter de me limiter artificiellement aux seuls sociologues anglo-saxons, je ferai �galementr�f�rence aux auteurs d�autres origines, ayant influ� sur les d�bats concernant la communaut� en Grande-Bretagne et aux �tats-Unis.

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par l�angle d�analyse d�velopp�. On observe, de ce fait, une difficult� � op�-rer une distinction entre les sens d�notatif et connotatif du mot, ce qui com-promet son efficacit� au niveau conceptuel.

Deux principaux types d��crits caract�risent le domaine de la sociologie de la communaut� : premi�rement, les ouvrages � vis�e analytique et th�ori-que, qui d�veloppent une argumentation concernant le concept en tant que principe ; deuxi�mement, ceux qui se rapportent aux investigations empiri-ques et aux interrogations que celles-ci soul�vent. Cette seconde cat�gorie comprend les monographies issues d��tudes de communaut�s, ainsi que de nombreuses publications consacr�es au questionnement et � la syst�matisa-tion des principes th�oriques et m�thodologiques appliqu�s � implicitement ou explicitement � dans le cadre des �tudes. La s�paration entre ces deux cat�gories de textes n�est pas toujours clairement dessin�e, et la question est souvent pos�e de savoir si les cat�gories de communaut� et de soci�t�, �labo-r�es par T�nnies(3), constituent soit un sch�ma analytique destin� � l��tude du lien social et de l�activit� humaine, soit la description d�une progression historique entre deux types d�organisation sociale, d�crivant, de ce fait, une r�alit� concr�te. Bien que les types semblent plut�t se conformer au premier cas de figure, de nombreux auteurs ont fait valoir l�interpr�tation inverse et ont d�velopp� les concepts en forme de � real-types �, c�est-�-dire bas�s sur l�observation de configurations existantes et destin�es � la description de situations r�elles. Dans un premier temps, il convient de se pencher sur la question des cat�gories analytiques et sur leur d�veloppement dans la socio-logie am�ricaine.

Une cat�gorie analytiqueLe concept de communaut�, en tant que cat�gorie analytique en sociolo-

gie, est formalis� dans la dichotomie de T�nnies constitu�e des deux typesid�aux : Gemeinschaft et Gesellschaft, dont la traduction classique est "communaut�" et "soci�t�", cette derni�re parfois nomm�e aussi "associa-tion". Les traits qui caract�risent ces deux constructions sont largement d�crits ailleurs(4) et ne sont d�peints ici que bri�vement. La premi�re, la com-munaut�, est ant�rieure aux individus et comprend une vie commune durable de personnes organiquement li�es dans l�espace et dans le temps. Leurs liens se fondent sur la parent� (communaut� originelle) et �voluent vers une com-munaut� de lieu, � ensemble coh�rent de la vie animale �, bas�e sur le voisi-nage au sein d�un village ou d�une agglom�ration d�habitations rapproch�es.

(3) T�nnies Ferdinand, Communaut� et Soci�t� : cat�gories fondamentales de la sociologie, introduction et traduction de J. Leif, Paris, PUF, 1944 [1887].

(4) Voir, par exemple, Schrecker Cherry, La communaut� : histoire critique d�un concept dans la sociologie anglo-saxonne, Paris, L�Harmattan, 2006.

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Ces liens peuvent fonder une communaut� d�esprit, � ensemble coh�rent de la vie mentale �, caract�ris�e principalement par l�amiti�(5). Dans les communaut�s d�esprit, les liens sont invisibles et peuvent exister entre mem-bres d�une m�me profession ou d�une pratique artistique, par exemple, c�est-�-dire entre personnes qui ne partagent pas un lieu d�habitation. Dans ce cas,leur maintien n�cessite des rencontres r�guli�res, fussent-elles passag�res. La progression d�une communaut� de sang vers une communaut� d�esprit n�est pas une progression n�cessairement temporelle, mais, selon la lecture de la description de T�nnies, constitue soit un acquis cumulatif, soit un affi-nement du type de liens(6). Les membres des communaut�s s�aiment, donc se comprennent et restent ensemble, tout en r�glant leur vie commune de concert. Le sentiment commun est nomm� Wesenwille, souvent traduit par � volont� naturelle �(7).

Le terme de soci�t� d�signe, par opposition, un ensemble plus artificiel, fruit d�une association entre individus ind�pendants qui sont ant�rieurs, donc, � l�ensemble. C�est une unit� d��change o� chacun n�gocie pour son propre avantage. Alors que les membres de la communaut� ont le regard tourn� vers l�int�rieur, ceux de la soci�t� orientent le leur vers l�ext�rieur. L�activit� au sein de la soci�t� �mane de la volont� r�fl�chie (K�rwille), la relation entre membres �tant contractuelle(8).

Plusieurs auteurs am�ricains ont d�velopp� l�analyse de T�nnies, parfois par l�utilisation des m�mes concepts, parfois par l�invention de concepts analogues auxquels ils pr�tent souvent des noms diff�rents. Cahnman(9)

donne l�exemple, parmi d�autres, des travaux de Edward Ross et de Horton Cooley. Le premier emploie les termes "communaut�" et "soci�t�", tout en affirmant les avoir invent�s avant de prendre connaissance des travaux de T�nnies ; le deuxi�me d�signe par la notion de � groupe primaire � un �tat social similaire � celui couvert par le concept de communaut�. Cependant, comme l�indique Cahnman, le rapport entre ces concepts et la r�alit� d�crite est davantage ancr� dans une progression temporelle que dans le cas des types id�aux de T�nnies. Avant de poursuivre, il est important de noter, comme le fait Stephen Turner(10), que les concepts sociologiques sont bas�s sur les usages de sens commun, ainsi n�est-il gu�re surprenant de voir �mer-

(5) T�nnies Ferdinand, Communaut� et Soci�t�, op. cit., pp. 14 - 16.(6) Les descriptions des types dans l��uvre de T�nnies ne sont pas toujours tr�s claires, de ce fait, les

relations entre les diff�rents �l�ments qui composent les types et entre les types en tant que constructions et le monde r�el sont parfois ouvertes � interpr�tation.

(7) Une autre traduction courante est celle de "volont� organique".(8) Ibid., p. 81.(9) Cahnman Werner J., "T�nnies in America" in History and Theory, 1977, vol. XVI, n� 1, pp. 147 �

167.(10) Turner Stephen, "The origins of �mainstream sociology� and other issues of American sociology" in

Social Epistemology, 1994, vol. 8, n� 1, pp. 41-67, p. 47.

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ger des concepts analogues formul�s par diff�rents auteurs au cours d�une m�me p�riode. De ce fait, il devient difficile de s�parer le ph�nom�ne d�influence et celui de co�ncidence.

De mani�re g�n�rale, dans la sociologie anglo-saxonne, les �crits analyti-ques traitant de la communaut� ont suivi deux voies : tant�t ils rendent compte des �l�ments constitutifs des ensembles sociaux, tant�t ils se donnent comme objectif de comprendre les structures de la soci�t� et l�interrelation entre les institutions informelles et formelles qui la composent. Ces deux d�marches ne sont pas n�cessairement mutuellement exclusives.

Les �l�ments constitutifs du socialBien que Robert Park soit connu en France surtout pour son instigation de

travaux empiriques sur la ville de Chicago, nous trouvons �galement dans son �cologie urbaine un d�veloppement th�orique sur le th�me de commu-naut� et soci�t�, m�me si Cahnman estime qu�il s�agit plus de st�r�otypes que de types analytiques. Sans r�f�rence explicite � T�nnies, Park a men� une r�flexion sur les modalit�s de la mise en place et de la p�rennisation des communaut�s � urbaines ou culturelles � dans les soci�t�s modernes. Dans son ouvrage Human Communities(11), il a employ� les concepts de communaut� et de soci�t�, sans les opposer formellement, comme l�avait fait T�nnies, ce qui les rend parfois presque synonymes. Park assimilait les prin-cipes fondamentaux de la communaut� aux descriptions spenceriennes de l�ensemble social, alors que la soci�t� relevait chez lui davantage du type de description propos�e par Comte. La communaut� est un lieu o� les individus r�sident, o� ils coop�rent et m�nent �ventuellement une vie commune. La soci�t� pr�suppose en plus solidarit�, consensus et objectifs communs. Les soci�t�s et les structures qui en r�sultent, affirme Park, sont form�es au tra-vers de l�action. Dans ce contexte, la communaut� devient la base physique � "l�objet visible" � sur laquelle les soci�t�s se fondent(12). Elle est caract�ri-s�e comme �tant d�un c�t�, une division de travail, une coop�ration comp�-titive ; de l�autre, un consensus et un ordre moral. Ce dernier forme le contexte dans lequel les individus �voluent, conscients d�eux-m�mes et de leur r�le dans la communaut�. Les communaut�s se subdivisent en "zones naturelles", dont les r�sidents auront tendance � partager les m�mes caract�-ristiques culturelles. Ces zones peuvent �tre cartographi�es au moyen d��tudes statistiques. La multiplication des �tudes rend possible la formula-

(11) Park Robert Ezra, Human Communities, New York, The Free Press, 1952 [1929], chapitre 15, pp. 181-209, "Sociology, Community and Society".

(12) Ibid., p. 182.

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tion d�affirmations g�n�rales, c�est-�-dire de connaissances syst�matiques et conceptualis�es(13).

Un aspect important de la participation � l�activit� sociale de la commu-naut�, selon Park, est la communication, entendue ici comme le langage et les vecteurs d�id�es, telles que l��ducation ou la presse(14). C'est par ce moyen que ces membres cr�ent une histoire partag�e et une d�finition com-mune de la situation(15).

Plus tard, Everett Hughes a formalis� la dichotomie de la mani�re suivan-te :

� Une soci�t� est d�crite en termes de comportement collectif, usagessociaux, sanctions, status(16) et sentiments : une communaut� en ter-mes de comp�tition, symbiose, et la division du travail par laquelle elle met � profit son environnement �(17).Clairement dessin�e ici, la fronti�re entre communaut� et soci�t� l�est

peut-�tre moins dans les �crits de Park.La perspective de Park est d�velopp�e par Louis Wirth(18), qui souligne

que les concepts repr�sentent deux aspects de la vie humaine � la base terri-toriale et physique, et le lien socio-psychologique � et non deux types de groupes sociaux. La communaut� d�signe la vie du groupe vue comme une symbiose ; la soci�t�, du point de vue d�un consensus. Encore une fois, cet usage est loin d��tre coh�rent dans l�ensemble du chapitre. Par exemple, � la page 168, Wirth pr�te � la communaut� un ensemble d�attributs tels que la communication, l�interaction sociale et l�h�ritage culturel. Et il poursuit : � Historiquement, la communaut� a �t� l�expression qui met l�accent sur l�unit� de la vie commune d�un peuple ou de l�humanit� �(19). Cette vie com-mune se baserait vraisemblablement sur l�activit� et la communication qui, comme les autres �l�ments, sont nomm�es ailleurs comme crit�res distinctifs de la soci�t�. Wirth fait �tat de plusieurs caract�ristiques de la communaut� susceptibles de la d�finir et d�en faire un objet d��tude. Elle peut �tre abor-d�e de plusieurs points de vue : celui de sa base territoriale ; celui de la

(13) Ibid., p. 199.(14) Le r�le du langage dans la coh�sion des organismes sociaux est �voqu� par Herbert Spencer :

Spencer Herbert, The Principles of Sociology, Londres, William and Norgate, 1893-1896.(15) Park Robert E. et Burgess Ernest W., Introduction to the Science of Sociology, Chicago, University

of Chicago Press, 1921, pp. 763-766.(16) Nous faisons le choix de conserver le terme anglais de status. Une traduction, et notamment la plus

naturelle par la notion de statut, ne permet pas de rendre compte de la diversit� des acceptions propres � chacun des auteurs anglo-saxons cit�s dans le texte.

(17) Hughes Everett C., "Institutions and the Community" in Park Robert E., An Outline of the Principles of Sociology, New York, Barnes and Noble Inc., 1939, p. 310.

(18) Wirth Louis, "The Scope and Problems of the Community" in On Cities and Social Life, Chicago, University of Chicago Press, 1964 [1933].

(19) Ibid., p. 169.

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distribution de sa population ; celui de ses caract�ristiques physiques ; celui des institutions qui la constituent ; ou encore du point de vue des types de personnalit�s qui la composent. Comme Park, Wirth, en se r�f�rant � John Dewey(20), signale la place importante qu�il convient d�accorder � la communication. C�est ce facteur qui permet � la communaut� de devenir soci�t�(21).

Les concepts de communaut� et soci�t� sont expliqu�s et comment�s par Talcott Parsons dans son � Note on Gemeinschaft et Gesellschaft � dans The Structure of Social Action, publi� en 1937(22). Parsons insiste avant tout sur la nature des relations dans les deux types d�ensemble. Au sein de la premi�-re, elles sont, en g�n�ral, non limit�es et non sp�cifiques ; dans la seconde, elles sont contractuelles, donc sp�cifi�es et limit�es. � son avis, les cat�go-ries de T�nnies sont descriptives plut�t qu�analytiques et constituent ainsi des types id�aux de relations concr�tes. En 1960, dans Structure and Process in Modern Society, Parsons d�veloppe une r�flexion � partir du concept de communaut� qu�il aborde � non comme un type d�ensemble social concret, mais comme une cat�gorie analytique �(23). Selon lui, la communaut� est un aspect de toute collectivit� ou structure sociale, cependant, le terme ne d�si-gne qu�un parmi des nombreux aspects des syst�mes sociaux. La d�finition de d�part retenue pour l�analyse est la suivante : � cet aspect des syst�mes sociaux qui se rapporte � la situation spatiale des personnes (c�est-�-dire les individus humains en tant qu�organismes) et leurs activit�s �(24). Comme pour les sociologues de Chicago, qu�il cite, la r�f�rence territoriale est fonda-mentale, mais une compr�hension globale n�cessite la prise en compte des personnes et de leurs actions qui constituent la relation sociale. Ce qui importe est la relation et l�influence r�ciproque entre les personnes (et plus pr�cis�ment leurs divers r�les) ainsi que les territoires qu�elles occupent. L�analyse de ces relations met en �vidence plusieurs contextes qui consti-tuent autant d��l�ments de la structure de la communaut�. Ils sont le lieu de r�sidence, le lieu d�exercice du m�tier, la juridiction (qui comprend le contr�le exerc� sur les cat�gories de personnes par les autorit�s l�gitimes) et

(20) Dewey (Dewey John, Democracy and Education in The Middle Works, 1899-1924, 15 volumes, ed Jo Ann Boydston, Carbondale: Southern Illinois University Press, 1976-1983) insiste sur l�importance de la communication (et de l��ducation) pour une participation dans la compr�hension commune au sein de l�ensemble social. Il utilise, cependant, les termes de communaut� et soci�t� de mani�re plus ou moins interchangeable, ou du moins sans distinction significative pour la discussion en cours (vol. 9, pp. 7 et suivantes et pp. 87 et suivantes.). Il fait �tat de l�ambigu�t� des notions qui endossent � la fois un sens descriptif et des connotations normatives.

(21) Wirth Louis, "The Scope and Problems of the Community" op. cit., p. 168.(22) Parsons Talcott, The Structure of Social Action, Illinois, The Free Press, 1937, pp. 686-694.(23) Parsons Talcott, Structure and Process in Modern Society, Illinois, The Free Press of Glencoe, 1960,

Chapitre 8, � The Principal Structures of Community �, p. 250, les italiques sont dans l�original.(24) Ibid.

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l�ensemble des communications. Ces derni�res sont un processus d��change qui articule le physique et le non physique.

Ces �crits furent formul�s dans l�objectif de d�crire et analyser les grou-pes sociaux et l�influence r�ciproque entre l��tre humain et le groupe. En tant que types analytiques, les concepts et leurs �l�ments constituants ne sous-entendent pas en eux-m�mes une prise de position axiologique du type � la communication est une bonne chose � car ils sont destin�s � la compr�hen-sion et � la formulation de lois valables pour l�ensemble social. Cela n�emp�che pas que de telles positions puissent �tre d�fendues et que, par la suite, la compr�hension acquise puisse s�appliquer en vue de l�am�lioration de situations r�elles. Alors que Park, Hughes et Parsons concluent les chapi-tres cit�s par des affirmations sur le contenu ou le potentiel des termes pr�-sent�s, Wirth affirme qu�une fois les donn�es collect�es et analys�es, la compr�hension acquise peut jouer un r�le important dans la planification urbaine et la r�solution de probl�mes sociaux(25). Ces suggestions int�grent, bien s�r, certaines id�es sur les qualit�s inh�rentes � une "bonne soci�t�" et les moyens de la mettre en place, l�auteur insiste, cependant, sur la capacit� analytique du concept et sur la n�cessit� d�une analyse scientifique de la situation comme pr�alable de tout projet d�action. En cela, il s�inscrit dans la lign�e de nombreux sociologues de l��cole de Chicago, dont Thomas et Znaniecki(26) ou Park.

Un �l�ment structurant� l�encontre de Park, et avant que la majorit� de son �uvre ne f�t ache-

v�e, Robert MacIver a fond� sa d�finition de la communaut� sur la relation sociale. La communaut� prend la forme de r�seaux car elle est � cr��e par cette activit� de l�esprit des hommes par laquelle ils entrent incessamment en relation les uns avec les autres �(27). C�t� objectif, la communaut� repose sur la volont� des �tres humains de r�aliser leurs int�r�ts, c�t� subjectif elle repose sur l�activit� m�me de leurs esprits qui les lie ensemble. Bien que la base de la communaut� soit d�une autre nature, MacIver doit, par la suite, r�soudre un probl�me similaire � celui qui se pose � Park : celle de l�organisation mat�rielle de cette activit�. Il y r�pond par la mobilisation d�une notion compl�mentaire, celle de l�association. Ainsi : � Une commu-naut� est un point focal de la vie sociale, de la vie commune des �tres sociaux ; une association est une organisation de la vie sociale �tablie de

(25) Op. cit., pp. 175 et suivantes.(26) On trouvera des affirmations similaires dans la "Note m�thodologique" qui introduit Le paysan

polonais : Guth Suzie (�d) et alii, Fondation de la sociologie am�ricaine. Morceaux choisis de William Isaac Thomas et Florian Znaniecki, Paris, L�Harmattan, 2000.

(27) MacIver Robert M., Community, London, Macmillan, 1924 [1917], p. 98.

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mani�re intentionnelle en vue de la poursuite d�un ou plusieurs int�r�ts communs �(28). L�association ressemble au contrat imagin� par Hobbes, sans lequel les membres de la communaut� ne seraient pas en mesure de concilier leurs int�r�ts et coordonner leurs activit�s. C�est par leur association, n�ces-sairement fond�e sur des liens communautaires, que les institutions, telles que l��glise et l��tat, sont mises en place. De ce point de vue, comprendre la communaut� (ou l�association/soci�t�) n�cessite l��tude de la coop�ration entre les �tres humains et des structures qui en r�sultent.

C�est �galement vers la structure de la communaut� en tant que � forme �l�mentaire de la vie sociale � que se tourne Ren� K�nig, qui souhaite situer cette structure par rapport � la globalit� des institutions sociales pass�es et pr�sentes(29). Apr�s avoir r�fl�chi sur la m�thodologie d�une telle investiga-tion, le type de donn�es consid�r�es comme pertinentes par les auteurs d��tudes de communaut� et les questions th�oriques soulev�es par la formu-lation des r�sultats, il affirme que la communaut� est l�institution sociale interm�diaire la plus importante entre la famille et les institutions plus glo-bales telles que la nation. Il est important de souligner que son utilisation du concept diff�re de celle des auteurs d�j� mentionn�s car sa r�flexion vise aussi la communaut� en tant que groupe constitu�, susceptible d�investigation empirique, et s��loigne, de ce fait, des pr�occupations plus abstraites concernant la nature de l'ensemble social. Ces groupes sont, le plus souvent, conceptualis�s comme des totalit�s en soi, qui s�int�grent dans d�autres totalit�s plus englobantes.

Une r�alit� concr�tePlut�t que d�interroger la constitution du social de mani�re abstraite, le

deuxi�me usage du concept de la communaut� consiste � �tudier des com-munaut�s r�elles, ces �tudes sont appel�es community studies. Leurs objets sont des groupes sociaux centr�s, en leur majorit�, sur un lieu de r�sidence et clairement d�limit�s dans l�espace et dans le temps. Afin de d�velopper un cadre th�orique permettant la conduite de ces recherches, les d�bats concer-nant le concept de communaut� sont formul�s en termes l�g�rement diff�-rents de ceux �voqu�s ci-dessus, m�me si les deux approches se fondent sur des �l�ments communs. Les d�finitions destin�es � servir de base aux �tudes de communaut� se r�f�rent habituellement � un nombre limit� de principes.

(28) Ibid., p. 24. NB. MacIver oppose "association" � "communaut�" et pr�f�re employer le mot "soci�t�"dans son acception plus g�n�rale.

(29) Konig Ren�, The Community, traduction anglaise de l�allemand, Fitzgerald Edward, London, Routledge & Kegan Paul Ltd. 1968, p. 3. Cet ouvrage, �crit en allemand, est souvent cit� par des auteurs anglophones et signale de nombreux travaux anglo-saxons. K�nig a pass� plusieurs ann�es aux �tats-Unis (ainsi qu�en Grande-Bretagne et en France) et au moment de l��criture enseignait r�guli�rement aux �tats-Unis.

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Hillery(30) affirme que la quasi-totalit� des �tudes consult�es nomme l�interaction sociale et le partage d�une zone g�ographique, la plupart �vo-quent �galement des liens entre les membres du groupe(31). Les trois facteurs ne sont pas n�cessairement pr�sents simultan�ment et les communaut�s �tu-di�es prennent des formes variables. On trouve de nombreuses �tudes de villages et d�autres objets comme des institutions totales (communaut�s de prisonniers(32)), des m�tiers(33) ou encore des communaut�s virtuelles(34). La constitution de chacun de ces objets pr�sente des probl�mes diff�rents, la d�limitation de l�espace et la mesure de la force des liens ou de la r�gularit� et signifiance des interactions n��tant pas les moindres(35). Ces op�rations sont d�autant plus d�licates qu�elles impliquent � la fois des conclusions concernant la nature de la communaut� et la mesure m�me de son existence.

� la fin de la note sur Gemeinschaft et Gesellschaft(36), Parsons indique que les concepts de T�nnies sont surtout des cat�gories descriptives issues d�une classification de faits r�els, qui permettent d�isoler des �l�ments perti-nents pour l�analyse de l�action et des situations. Pour ce qui concerne notre r�flexion, des concepts dot�s de telles vertus descriptives ont �t� d�velopp�s dans une d�marche exemplifi�e par le continuum rural � urbain, qui oppose deux constructions id�altypiques ayant comme vocation d�articuler et d�opposer les diverses caract�ristiques du village traditionnel (qui s�apparente � la communaut�) et de la ville moderne (ressemblant plut�t � la soci�t�). Robert Redfield �tablit l�id�altype de la communaut� tradition-nelle comme suit : c�est un ensemble petit, isol�, homog�ne, ne connaissant pas l��criture, o� r�gne un sentiment fort de solidarit� de groupe. Cette communaut� poss�de quatre qualit�s : elle est distincte, en ce sens que ses limites sont faciles � rep�rer ; elle est petite, ce qui rend ais�e son �tude par des m�thodes directes ; elle est homog�ne, ce qui veut dire que les mem-bres d�un m�me groupe d��ge ou de sexe se ressemblent au niveau des attitudes et de leur �tat d�esprit, et aussi que ces caract�ristiques sont reconduites de g�n�ration en g�n�ration ; elle est autosuffisante, r�pondant

(30) Hillery George A., "Definitions of Community : Areas of Agreement" in Rural Sociology, vol. 20, n� 1, pp. 111-123.

(31) Pour plus de d�tails sur ces caract�ristiques voir Schrecker Cherry, "Le concept de communaut� dans la sociologie anglo-saxonne", in Diversit�, 150, septembre 2007, pp. 57-64.

(32) Hayner Norman, et Ash Ellis, "The Prisoner Community as a Social Group" in American Sociological Review, vol. 4, n� 3, juin 1939, pp. 362-369, Hillery George A. Jr., "Villages, Cities and Total Institutions" in American Sociological Review, vol. 28, n� 5, 1963, pp. 779-791.

(33) Dennis Norman, Henriques Fernando et Slaughter Clifford, Coal is our Life, London, Eyre and Spottiswood, 1969 [1956], Tunstall Jeremy, The Fishermen, London, Macgibbon & Kee, 1962.

(34) Rheingold Howard, The Virtual Community : Homesteading on the Electronic Frontier, op. cit.(35) Ces crit�res sont �voqu�s par Heberle Rudolf, "The Application of Fundamental Concepts in Rural

Community Studies" in Rural Sociology, 6 (1-4), 1941, pp. 203-215.(36) Parsons Talcott, The Structure of Social Action, op. cit., pp. 693-4.

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� la quasi-totalit� des besoins des habitants(37). Il oppose cet id�altype � celui de la ville, d�velopp� notamment par Max Weber(38) et plus tard dans la sociologie am�ricaine par Louis Wirth. Ce dernier d�finit la ville comme � un lieu d�habitation relativement grand, dense et permanent, compos� d�individus socialement h�t�rog�nes �(39). Plac�e � l�autre extr�mit� du continuum rural-urbain, la ville est caract�ris�e comme � grande, non iso-l�e, utilisant l��criture, h�t�rog�ne et d�pourvue d�un sentiment fort de solidarit� de groupe �(40). L�organisation sociale des communaut�s rurales et celle des centres urbains se font sur des bases diff�rentes. Selon Wirth, le citadin exprime sa personnalit� et acquiert un status social par le biais d�activit�s de groupes volontaires en contraste avec les liens traditionnels de la campagne. Ce type d�organisation lui semble aller de pair avec un taux plus �lev� de d�sorganisation personnelle, de suicides, de corruption, de crime et de d�sordre. Ces probl�mes sociaux ont leur source dans � les conflits entre attitudes, valeurs, personnalit�s institutions et groupes �co-nomiques, raciaux, politiques et culturels �(41). Les villes exercent une influence sur la campagne qui, dans un d�lai plus ou moins long, se trouve, elle aussi, urbanis�e, l��cart entre les deux types de soci�t�s s�amoindrit avec le temps et on ne trouve ni l�un ni l�autre des deux extr�mes dans la r�alit�. Ces types id�aux sont construits � partir de situations r�elles.

La vision que Redfield donne du village sur lequel il va baser son analyse et la typologie �tablie ont �t� mises en question par des �tudes subs�quentes. Le d�bat tourne autour d�une seconde �tude du village de Tepotztlan effectu�e par Oscar Lewis 17 ans plus tard. Lewis soutient que Redfield avait tendance � occulter les probl�mes rencontr�s par les mem-bres de la communaut� et les conflits qui les divisaient. La r�ponse de Red-field �tait d�affirmer que la description du chercheur d�pend, du moins en partie, des questions qu�il pose � son objet, les diff�rences d�analyse ne sont pas, selon lui, de nature � mettre en question la valeur de la typolo-gie(42). Les deux types, qu�il est peu probable de trouver en tant que formes pures, sont compl�mentaires. Norbert Elias affirme que, malgr� ces pr�ci-sions, Redfield persiste � donner une vision id�alis�e des communaut�s traditionnelles, en leur attribuant des caract�ristiques positives qui seraient perdues au fur et � mesure de la progression vers le p�le urbain(43).

(37) Redfield Robert, The Little Community, viewpoints for the study of a human whole, Chicago, University of Chicago Press, 1956.

(38) Weber Max, La Ville, traduction Fritsch, Philippe, Paris, Aubier Montaigne, 1982 [1947].(39) Wirth Louis, "Urbanism as a Way of Life" in On Cities and Social Life, op. cit., p. 66.(40) Bell Colin et Newby Howard, Community Studies, London, George Allen & Unwin Ltd., 1971, p. 44.(41) Wirth Louis, � The Scope and Problems of the Community � op. cit. p. 175.(42) Redfield Robert, The Little Community, op. cit., p. 136 et suivantes.(43) Elias Norbert, "Towards a Theory of Communities" in Bell Colin et Newby Howard (eds.), The

Sociology of Community, a selection of readings, London, Frank Cass and co. 1974, p. xiv.

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L�id�altype serait, en fait, bas� sur une lecture id�alis�e de la r�alit�, car les petites communaut�s rurales ne sont pas conformes � la description qu�on en fait. Une critique similaire est adress�e � Wirth par Herbert Gans. Les r�serves formul�es � l��gard du type visent sa caract�risation du cita-din, qui serait moins anonyme, isol� et rationnel que la description laisse entendre. Il soutient que ce type ne tient pas compte des changements intervenus dans la vie en ville et d�crirait les conditions de la soci�t� indus-trielle plus g�n�ralement, plut�t que celle de la ville en tant que milieu de vie(44).

Selon Elias, les biais constat�s dans la constitution des types, ainsi que les sous-entendus id�ologiques, discr�ditent ces types comme base th�ori-que d�investigations empiriques. Par ailleurs, en raison de leur lien avec des situations r�elles (� partir desquelles ils sont construits et qu�ils ont la vocation de d�crire) ils ont tr�s souvent �t� confondus avec la r�alit� elle-m�me ; �tant devenus r�els plut�t qu�id�aux, ils perdent leur capacit� d�abstraction en faveur d�une application ponctuelle et descriptive. D�s qu�ils sont con�us de cette mani�re, ils ne peuvent rendre compte de la complexit� de la vie sociale de mani�re plus g�n�rale car la r�alit� n�est jamais aussi simple et aussi monolithique. Tout ensemble social peut rece-ler � la fois des caract�ristiques con�ues comme inh�rentes au type rural et d�autres le plus souvent associ�es � la vie urbaine. Tenter de r�duire un ensemble � l�un ou l�autre type fait courir le risque d�ignorer d�autres aspects qui peuvent �tre tout aussi importants. Comme c�est le cas des concepts analytiques, on va trouver certains traits de chaque type dans tout groupe r�el. Deux exemples suffiront pour illustrer cette affirmation.

Le premier exemple est celui de la ville de "Springdale" �tudi�e par A. J. Vidich et Joseph Bensman(45). C�est une communaut� rurale avec une population de 2500 habitants situ�e dans l��tat de New York. Les habitants de Springdale con�oivent leur communaut� comme harmonieuse et saine et se d�crivent comme des "gens ordinaires" (folks), terme qui les distingue des habitants de la ville. Cette appellation implique � la fois la parit� de tous et un ensemble de valeurs morales telles que l�honn�tet�, la fiabilit�, l�entraide entre voisins, l�obligeance, la sobri�t� et un mode de vie exem-plaire(46). Springdale est con�u comme un endroit o� il fait bon vivre, et ses habitants se croient sup�rieurs � ceux des villes environnantes. L�image positive de la ville et de ses habitants est toujours mise en valeur en public, que ce soit dans les conversations quotidiennes ou dans les journaux

(44) Gans Herbert J., "Urbanism and Suburbanism as Ways of Life : a re-evaluation of definitions" in Rose A. M. Human Behavior and Social Processes, London, Houghton Miffin, 1962, pp. 625-648.

(45) Vidich Arthur J. et Bensman Joseph, Small Town in Mass Society, New York, Anchor books, 1960 [1958].

(46) Ibid., p. 31.

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locaux. Par opposition, la grande ville, que la plupart connaissent peu ou pas du tout, est imagin�e comme dot�e de tous les maux, les probl�mes sociaux et la corruption y sont l�gion et ses habitants paresseux. Les mem-bres de la communaut� ne se sentent pas vraiment concern�s par les pro-bl�mes de la ville.

Apr�s une p�riode d�observation d�environ trois ans (dur�e largement sup�rieure � celle de la plupart des �tudes de communaut�s), les auteurs ont form� une vision de la situation incompatible avec celle des habitants. Loin d��tre homog�ne, la population est divis�e en classes sociales dont l�une, la classe d�affaires, domine la vie politique de la ville. L�apparence de relations harmonieuses est maintenue par l��vitement en public de questions potentiellement sensibles et les d�cisions importantes sont prises en dehors de la sph�re publique. Quant � son ind�pendance des grands centres urbains, les auteurs concluent qu�un tel isolement est impossible dans l�Am�rique moderne et qu�une influence r�ciproque s�exerce entre la communaut� observ�e et les structures et institutions plus globales qui l�entourent.

Il est ais� de voir que le seul recours � l�un ou l�autre p�le du conti-nuum ne suffirait pas pour d�crire la r�alit� qui marie des �l�ments des deux constructions. Par ailleurs, cet exemple illustre la part d�interpr�tation dans la description d�un ensemble. Les diff�rences ici n�opposent pas deux chercheurs, comme elles l�ont fait dans le cas de Tepotztlan, mais les cher-cheurs et les habitants de la ville. La r�action de la population est de refu-ser la version des chercheurs car elle est incompatible avec l�image qu�ils ont de leur communaut�. La pol�mique qui s�ensuivit s�exprima par voie de presse et dans des revues scientifiques. Par la suite, certains sociologues ont pris le parti des habitants, r�cusant ainsi les conclusions des chercheurs et leur position d�ontologique du simple fait de les avoir rendues publi-ques(47). La r�action de la population face la version des chercheurs met en �vidence toute la complexit� de la situation. Le fait de r�v�ler les divisions, caract�ristiques de l�id�altype urbain qui traverse la communaut�, a provo-qu� une expression de solidarit� et r�activ� ainsi des caract�ristiques qui rel�vent plut�t des communaut�s traditionnelles.

(47) Pour une pr�sentation de cette pol�mique qui s�est d�velopp�e dans un nombre d�articles dans diverses revues et ouvrages voir, par exemple : Vidich A. J. et Bensman J., "The Springdale Case : Academic Bureaucrats and Sensitive Towns-people", in Vidich A. J., Bensman J. et Stein M., Reflections on Community Studies, New York (and London), John Wiley and sons, Inc, 1964, VidichA. J., With a Critical Eye, An Intellectual and his Times, 1922-2006, manuscrit non-publi�.

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Notre deuxi�me exemple est celui d�un quartier urbain, Bethnal Green, qui fait partie de la ville de Londres(48). Contrairement aux attentes, inspir�s par les th�ories populaires � l��poque, sur la disparition de la famille �tendue et de la solidarit� familiale dans les soci�t�s industrielles, les auteurs trou-vent, dans ce quartier v�tuste, habit� par des populations ouvri�res, des liens familiaux �tendus. Ces liens seraient responsables d�une entraide mat�rielle et affective tr�s importante pour les r�sidents. Il s�en ajoute d�autres, issus, par exemple, d�une scolarit� commune ou d�une bonne connaissance du quartier que les personnes habitent. Il s�ensuit que, sans r�ellement conna�tre tout le monde, les habitants du quartier sont en mesure d�entrer en relation avec, ou de pouvoir situer, la plupart des autres r�sidents. Ils ont, disent les auteurs, le sentiment d�appartenir � une communaut�. Le sens de commu-naut� prend la forme d�un � certain sentiment de solidarit� entre les r�sidents qui occupent un territoire commun, et qui vient de ce que les gens vivent l� depuis longtemps avec leurs familles �(49). Comme dans beaucoup de quar-tiers de grandes villes, situ�s, a priori, du c�t� urbain dans le continuum, ne serait-ce qu�en raison de leur taille (54000 habitants � Bethnal Green) et de leur int�gration dans un ensemble plus �tendu (non isol�), nous trouvons ici certaines caract�ristiques des petites communaut�s. Les auteurs insistent sur le sens de solidarit�, mais il convient �galement de remarquer une certaine homog�n�it� de la population qui appartient majoritairement � une seule classe sociale.

Les modalit�s d�applicationLe concept de la communaut� est appliqu� � divers types d�ensembles

dans le cadre de nombreuses �tudes, dont je viens d��voquer quelques exem-ples. La d�limitation des communaut�s est effectu�e soit sur une base territo-riale, soit � partir de l�activit� ou des liens qui rassemblent les membres. Pour ce qui concerne les objectifs analytiques, selon Bell et Newby, deux approches pr�dominent, surtout dans les �tudes am�ricaines : l�une consiste � tenter d��tablir des traits g�n�raux, applicables � la soci�t� dans sa globalit�, � partir de l��tude d�une communaut� particuli�re ; l�autre � explorer les effets d�un contexte social sur le comportement humain. Beaucoup de tra-vaux combinent les deux d�marches.

(48) Young Michael et Willmott Peter, Le village dans la ville, traduction Gotman Anne, Paris, Centre de la Cr�ation Industrielle, Centre Georges Pompidou, 1983 [1957].

(49) Ibid., p. 140.

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L��tude de Middletown(50), souvent consid�r�e comme une recherche pionni�re, illustre la premi�re mani�re de proc�der. Cette ville de 35000 habitants est choisie en raison de sa repr�sentativit� de la vie am�ricaine contemporaine et parce que les auteurs la consid�rent comme assez petite et homog�ne pour permettre son �tude en tant que globalit�. Le nom attribu� par les chercheurs, qu�on pourrait traduire par Villemoyenne, t�moigne de sa vocation repr�sentative. Dans le m�me esprit, d�autres sont nomm�es Yankee City ou Plainville (Ville dans la plaine)(51). La ville est �tudi�e du point de vue de sa culture, qui inclut toutes les choses que font ses habitants. Le prin-cipal objectif est de comprendre les probl�mes sociaux que cette ville conna�t afin de d�couvrir, par induction, les probl�mes de l�Am�rique enti�-re.

Pour la seconde approche, nous pouvons citer l��tude de Yankee City(52), ville de 17000 habitants, qui devait �galement servir � donner une image r�duite de la soci�t� am�ricaine dans son ensemble. La ville est �tudi�e du point de vue de son syst�me social, notamment en ce qui concerne les fac-teurs de classe et de status social. Les auteurs s�int�ressent � la mani�re dont le positionnement (jug� � partir de divers facteurs, dont l�appartenance aux institutions de la ville) de l�individu dans ce syst�me conditionne ses moda-lit�s d�action. Il �tait admis que l�espace occup� par l�individu dans la soci�-t� d�terminait sa "personnalit� sociale", laquelle diff�rait de celles de tous les autres membres du groupe(53). Comme nous l�avons vu, ce principe est �vo-qu� �galement par Wirth dans sa discussion th�orique du concept de la communaut�. Parsons aussi s�int�resse aux aspects structurels de la commu-naut� et le status des personnes(54).

Au vu de l�importance accord�e � l�interaction, il est int�ressant d��voquer bri�vement les �tudes de communaut�s constitu�es sans r�f�rence � l�espace ou sans que celui-ci soit le r�f�rent principal. Plusieurs types d�ensembles sont envisag�s sur la base des liens qui unissent leurs mem-bres : certaines communaut�s de m�tiers (comme les camionneurs(55)) en sont un exemple, bien qu�il ne soit pas rare que la pratique d�un m�tier se d�ploie dans un espace. Les communaut�s virtuelles sont des communaut�s cr��es en raison de l�unique volont� des membres, par le biais de leur acti-

(50) Lynd Robert S et Helen Merrell, Middletown: a study in modern American culture, New York, Harcourt Brace, 1929.

(51) "Plain" veut aussi dire "ordinaire" en langue anglaise.(52) Warner W. Lloyd. et alii., Yankee City Series, New Haven, Yale University Press, 1941-1959.(53) Warner W. Lloyd, et Lunt P. S., The Social Life of a Modern Community, New Haven, Yale

University Press, 1941 (Yankee City Series 1), p. 27.(54) Parsons Talcott, Structure and Process in Modern Society, op. cit.(55) Hollowell Peter, The Lorry Driver, London, Routledge and Kegan Paul, 1968.

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vit� commune(56). Leur existence th�orique repose sur le constat que � les r�seaux informatiques permettent aux gens de cr�er toute une gamme d�espaces sociaux nouveaux dans lesquels ils peuvent se rencontrer et inte-ragir �(57). Une communaut� qui a focalis� l�int�r�t des chercheurs � un moment donn� celle du WELL (Whole Earth �Lectronic Link), un espace �lectronique permettant le contact en groupes de discussion, par �changes d�emails entre des cercles plus ou moins restreints de membres. En 1992, il �tait compos� de 7000 membres, dont 70 contribuaient r�guli�rement aux �changes, alors que la majorit� participait uniquement en tant que consom-mateurs recherchant des informations, sans contribuer � la vie du groupe.

Plusieurs questions ont �t� pos�es par rapport � ce type d�ensemble, en particulier celle des crit�res de d�finition d�une communaut� et de l�appartenance � celle-ci. Dans le cas du WELL, cette d�finition repose sur les membres, certains le qualifient de "village virtuel" et d�clarent passer plusieurs heures par jour dans leur communaut�(58). La base de son existence est donc le sentiment subjectif d�appartenance d�crit par Max Weber(59). La communaut� est �galement reconnue comme telle par des personnes ext�-rieures, � l�exemple des sociologues qui l��tudient. L�un des crit�res de justi-fication est la qualit� des liens, qualifi�s par les participants comme porteurs d�une forte solidarit�, d�amiti�, d�entraide, et enracin�s dans une histoire commune qui se construit au fil du temps et se prolonge dans des rencontres r�elles. Une crainte exprim�e � l��gard de ces communaut�s est le risque d�enfermement, qui am�nerait les gens � s�extraire de la soci�t� globale, affaiblissant le tissu social et les processus d�mocratiques(60). Les avis sontdivis�s sur cette analyse et certains auteurs pensent que l�utilisation des m�dias �lectroniques peut favoriser l�int�gration sociale(61). C�est un th�me r�current dans les d�bats sur la communaut� que de s�interroger sur ses capa-cit�s int�gratives ou s�gr�gatives par rapport � la soci�t� globale.

On retrouve dans ces �tudes certains �l�ments du questionnement th�ori-que pr�sent� plus haut. Dans le passage � l�enqu�te empirique, nous obser-vons tr�s souvent la perte de la compl�mentarit� entre les deux types de rela-

(56) On pourrait affirmer que des communaut�s comme Second World existent en dehors de la participation des membres, quoi que de mani�re virtuelle, mais il est ind�niable que le fait d�y participer n�cessite une d�cision ponctuelle et r�p�t�e. C�est-�-dire que le participant ne devient pas de facto membre de la en raison d�un de son lieu d�habitation ou de son appartenance � un autre groupe d�finie en raison d�une activit� ou un but autre que celui de participer � la communaut�.

(57) Smith Marc A. et Kollock, Communities in Cyberspace, London, Routledge, 1999, p. 3.(58) Rheingold Howard, The Virtual Community : Homesteading on the Electronic Frontier, op. cit.(59) Weber Max, �conomie et soci�t�, traduction Freund Julien, Kamnitzer Pierre, Bertrand Pierre, de

Dampierre Eric, Maillard Eric et Chavy Jacques, Paris, Plon, 1971, 1995 [1921].(60) Van Alstyne Marshall et Brynjolfsson Eric, Electronic Communities: Global Village or

Cyberbalkans?, Sociosite, 1996.(61) Hampton Keith et Wellman Barry, "Neighboring in Netville", in City and Community, 2, 3, Fall

2003.

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tions sociales exemplifi�s par la communaut� et la soci�t�. M�me si le lec-teur peut d�celer ces deux types de liens dans les descriptions propos�es, il est assez rare que ces notions soient mises au profit pour les besoins de l�analyse. Par cons�quent, l�existence ou non d�une communaut� dans un lieu pr�cis, g�ographique ou social et les choix quant aux aspects de la vie sociale qu�il convient d��tudier restent, dans une certaine mesure, sujets � l�appr�ciation des auteurs.

Conceptualisation et �valuationBien que la majorit� des �tudes se veuille purement descriptive, on ne

peut pas ignorer les jugements, souvent implicites, port�s par les chercheurs. Pour cette raison, il est impossible de faire un bilan complet de l�usage du concept sans �voquer ses capacit�s connotatives.

Comme nous avons pu le constater, la communaut�, d�finie pour les besoins d�une �tude, se fonde avant tout sur des caract�ristiques objectives. Des limites territoriales ou le partage d�une activit� professionnelle sont de cette nature. Mais ces facteurs objectifs � �l�ments ext�rieurs qui rendent tangible pour l�observateur l�unit� observ�e � sont li�s � des facteurs sub-jectifs. Ces derniers incluent le sentiment d�appartenance � une commu-naut�, �voqu� par Weber, sans lequel la "communalisation" ne peut avoirlieu, et le sens dont les membres de la communaut� investissent les �l�-ments objectifs. Selon Georg Simmel, ces �l�ments � tels que les fronti�res � ont une signification uniquement en tant qu�expressions tangibles de faits sociologiques(62). Effectivement, il est impossible de comprendre la communaut�, de savoir ce qu�elle est, sans tenir compte du sens qui lui est attribu� par les membres car : � Les gens construisent la communaut� de mani�re symbolique et en font une source et un r�ceptacle de sens, et un rep�re de leur identit� �(63).

La symbolisation de la communaut� et l�attribution de sens s�accompa-gnent presque immanquablement d�une �valuation positive du groupe. Quelles que soient les conditions mat�rielles de son existence, la commu-naut� est souvent con�ue, par les habitants et les chercheurs � la fois, comme une bonne chose(64). Selon Neuwirth, la conception positive du groupe social par lui-m�me est une pr�-condition du d�sir d�appartenance sans laquelle

(62) Simmel Georg, Sociologie, trad. Deroche-Gurcel Lilyane et Muller Sibylle, Paris, PUF, 1999 [1908], p. 600 et suivantes.

(63) Cohen A. P, The Symbolic Construction of Community, London et New York, Routledge, 1985, p.118.

(64) Cette tendance est observ�e par de nombreux auteurs � l�exemple de Raymond Williams, Keywords, London, Fontana Paperbacks, 1976 et Zygmunt Bauman, Community, seeking safety in an insecure world, Oxford, Polity Press, 2001.

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celui-ci pourra difficilement repr�senter un rep�re identitaire(65). La valeur, ici, est celle de "l�honneur" du groupe, d�autres caract�ristiques souvent mises en avant sont la solidarit� et la bonne entente entre habitants, leur authenticit�, l��galit� des membres et la stabilit� de l�ensemble. Ces caract�-ristiques s�inscrivent, la plupart du temps, dans la dur�e et se r�f�rent aux traditions, souvent reconstitu�es a posteriori, pour affirmer leur l�gitimit�(66).

Les chercheurs n��chappent pas � la tentation d��valuer positivement la communaut�. Elias retrace l�origine de cette d�formation dans les travaux de T�nnies o�, selon lui, la "communaut�" devient le symbole d�un pass� meil-leur, tandis que "l�association" se trouve assimil�e � un � pr�sent troubl� et troublant �(67). En cela, Elias est en contradiction avec d�autres auteurs qui insistent sur le caract�re purement analytique des concepts et affirment que T�nnies s�abstient de prendre position(68). Quoi qu�il en soit, les auteursd��tudes de communaut�s expriment souvent une nostalgie pour une �poque pass�e ou en train de dispara�tre. L�une des expressions les plus extr�mes de cette attitude est fournie par Alwyn Rees(69). Dans son �tude d�une petite communaut� au Pays de Galles, compos�e de trois petits hameaux et des fermes �parpill�es habit�es par 500 personnes, Rees regrette le passage du mode de vie traditionnel et de l�int�gration sociale qui le caract�risait, � celui d�une soci�t� qui, � l�instar de la soci�t� urbaine, est compos�e d�individus isol�s et d�racin�s.

Park exprime une attitude plus positive � l��gard de la soci�t� urbaine. Il d�crit la ville comme un lieu de libert� o� l�individu peut trouver un envi-ronnement dans lequel choisir sa vocation et d�velopper ses talents. Cela dit, il n�en observe pas moins la modification des institutions traditionnelles telles que l��glise, l��cole et la famille, dont le d�clin occasionnerait l�affaiblissement de contr�le social et expliquerait l�augmentation du vice et de la criminalit�(70). La vie sociale et culturelle, y compris celle de petites communaut�s relativement isol�es, n�est plus centr�e uniquement sur la localit�, mais se mondialise avec pour r�sultat la perte de sens de la vie. Ainsi devient-il n�cessaire de recr�er, notamment par l��ducation, une

(65) Neuwirth Gertrud, "A Weberian Outline of a Theory of Community : its Application to the �Dark Ghetto�", in The British Journal of Sociology, vol. 20, 1969, pp. 148-163.

(66) Voir � ce sujet Hobsbawm Eric et Ranger Terence, (eds.) L�invention de la tradition, trad. VivierChristine, Paris, Amsterdam, 2006 [1983].

(67) Elias Norbert, "Towards a Theory of Communities", op. cit., pp. xi-xii.(68) � l�exemple de Cahnman W. J. et Heberle R., "Introduction" in T�nnies, Ferdinand, On Sociology :

Pure, Applied and Empirical (selected writings), Cahnman W. J. et Heberle R. (�ds.), Chicago et London, University of Chicago Press, 1971 ou Fletcher Roland, The Making of Sociology, vol. 2, London, Nelson, 1971.

(69) Rees Alwyn D., Life in a Welsh Countryside, Cardiff, University of Wales Press, 1951.(70) Park Robert E., "The City : Suggestions for the Investigation of Human Behavior in the Urban

Environment" in The City, Chicago, The University of Chicago Press, 1967 [1925].

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culture commune qui int�gre les individus dans la civilisation mondiale(71). C�est-�-dire que les modifications spatiales doivent �tre comprises et assi-mil�es au moyen de la communication. Wirth formule ce principe sur un niveau plus local :

� Quand les unit�s territoriales sur lesquelles repose notre organisation politique ne co�ncident plus avec les zones d�organisation �conomique et culturelle, il en r�sulte non seulement une inefficacit� au niveau de l�administration, mais il peut y avoir des probl�mes de d�sorganisation communautaire, tels que la dislocation des institutions, la corruption politique, la d�t�rioration physique, le vice, le crime et la paralysie de l�action collective �(72).R�tablir la communaut� n�cessite sa compr�hension en vue de

l�harmonisation de ses divers �l�ments. D�autres auteurs ayant conduit des �tudes du point de vue de l��cologie sociale affirment qu�on ne trouve pas de lien communautaire dans la plupart des zones urbaines et estiment que la communaut� est en train de dispara�tre. L�urgence serait de la retrouver afin de maintenir l�ordre social de la ville(73). Cependant, l�existence d�une communaut� est souvent pr�suppos�e, au lieu d��tre d�montr�e, et l�on se contente de vouloir en �tudier le fonctionnement.

La question des valeurs n�est jamais mieux illustr�e que par l�opposition entre la communaut� et la soci�t� de masse. Dans un d�bat qui a cours aux �tats-Unis surtout depuis les ann�es 1930, de nombreux chercheurs ont exprim� leur inqui�tude face aux dangers inh�rents � la soci�t� de leur temps. Dans cette soci�t� tenue pour atomis�e, les individus isol�s, priv�s des rep�res r�put�s inh�rents � la communaut�, ne trouveraient plus de sens � leur vie. Ainsi seraient-ils pr�ts � suivre toute personne qui proposerait une solution. Il semble que les Am�ricains et les intellectuels exil�s d�Europe qui exprimaient cet avis, craignaient la r�p�tition des �v�nements qui eurent lieu en Europe au moment de la mont�e du fascisme(74). Plus r�cemment, la pen-s�e communautariste met l�accent sur les qualit�s positives de la commu-naut�, oppos�e cette fois-ci � la soci�t� lib�rale, pr�sent�e comme d�pourvue

(71) Park Robert E., Race and Culture, London, The Free Press of Glencoe, 1950, p. 326 et suivantes.(72) Wirth Louis, "The Scope and Problems of the Community", op. cit. p. 171.(73) Voir, par exemple, Zorbaugh Harvey W., The Gold Coast and the Slum, Chicago, University of

Chicago Press, 1929.(74) Lynd Robert S et Helen Merrel, Middletown in Transition : a study of cultural conflicts, London,

Constable and Company, 1937, pour les dangers en Am�rique, Spurk Jan, Gemeinschaft und Modernisierung, Berlin, Walter de Gruyter, 1990, explique les utilisations des deux concepts dans la rh�torique nazi.

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de sens pour les individus qui la composent(75). Comme nous le savons, l�acception du communautarisme est diam�tralement oppos�e dans le dis-cours politique en France o� le communautarisme est pr�sent� comme source potentielle d�une mise en p�ril de l�ensemble social de la R�publique. Comme je l�ai d�j� dit � propos des communaut�s virtuelles, ce regard est fonction de la mani�re d�envisager la relation entre la (ou les) communau-t�(s) et la soci�t� dans laquelle elle(s) s�incri(ven)t. En effet, nous pouvons, comme Joseph Gusfield, distinguer entre � communaut� � et � communau-t�s � le premier terme d�signant une organisation � m�me de satisfaire le d�sir de communion, alors que le second signifie le retrait de la soci�t� de certains groupes pour former de nouveaux ensembles(76).

ConclusionNous avons constat� que les utilisations du concept de la communaut�

varient selon la mani�re de le concevoir en tant qu�outil d�analyse et selon l�attitude � l��gard de la r�alit� de celui qui emploie le terme. Plusieurs �cueils compromettent l�utilit� de cette notion pour les sociologues.

Un premier �cueil est la perm�abilit� aux jugements axiologiques. L�une des explications est la tendance � concevoir le concept communaut� et celui de soci�t�, avec lequel il est associ�, comme deux voies alternativess�excluant mutuellement et non comme les aspects compl�mentaires d�une m�me r�alit�. Ainsi voyons-nous la chaleur et l�intimit� des relations com-munautaires oppos�es � la froideur et la formalit� des relations au sien de la soci�t�(77). Pour celui qui craint la mont�e de l�individualisme et la dissolu-tion des valeurs, il n�y a qu�un pas pour id�aliser les anciens modes d�organisation sociale, con�us comme solidaires et perdus � jamais. Au contraire, celui qui observe un ensemble de personnes unies a priori et gui-d�es par l�affectivit�, peut redouter que ce groupe puisse concevoir et d�fen-dre ses propres int�r�ts aux d�pens de ceux de la soci�t� comprise dans sa globalit�. Le jugement d�pend donc, du moins en partie, de la mani�re de concevoir les relations entre la communaut� et la soci�t�.

Un autre �cueil est de confondre le concept en tant que principe analyti-que avec la situation qu�il est cens� analyser. Ainsi, une insatisfaction (ou satisfaction) avec la r�alit� influe sur le concept destin� � son analyse et emp�che que cette analyse soit men�e � terme. L�efficacit� du concept repo-

(75) Pour une pr�sentation critique de la pens�e communautaire et de ses fondations, voir Phillips Derek L, Looking Backward, a critical appraisal of communitarian thought, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1993.

(76) Gusfield Joseph R., Community, a critical response, Oxford, Basil Blackwell, 1975, p. 97.(77) Tendance observ� par Berger Bennet M., "Disenchanting the Concept of Community" in Society,

vol. 25, n� 6, septembre/octobre 1988, pp. 50-52.

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se donc sur la mise en �vidence de traits saillants de la situation observ�e et non sur un jugement a priori quant � leur d�sirabilit�. Cette derni�re appro-che peut r�sulter dans l�application du concept � toute situation o� l�on trouve, ou d�sire trouver, certaines qualit�s jug�es inh�rentes � la commu-naut�.

Un dernier danger appara�t enfin, en raison du lien avec le langage et son usage ordinaire : il devient difficile de s�parer les acceptions "profanes" du terme de son utilisation en tant que concept scientifique, et de savoir qui parle, le chercheur qui tente de d�crire et de comprendre une r�alit� sociale, ou l��tre humain qui s�empresse de porter un jugement de valeur au sujet de la r�alit� qu�il peut approuver ou d�sapprouver avant m�me qu�il ne l�observe(78).

(78) Merci � Clara L�vy et � Wiktor Stockowski pour leurs suggestions pertinentes.