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LesrisquesexistantsetémergentsPar Pascal Jacquetin, Adjoint à la Directrice des Risques professionnels à la CNAMTS et responsable de la mission statistiques

I-Malgréleurbaisse,lessinistresliésautravailconstituenttoujoursunréelproblèmedesantépubliqueLe périmètre réglementaire des sinistres pris en charge par la Branche AT-MP est uncompromis politique entre plusieurs facteurs parmi lesquels les possibilités financières etl’intensitédelademandesociale.Ilnecorresponddoncpasstrictementàtouteslesincidencesdutravailsurlasantédessalariés.Aussilesstatistiquesquienrésultent[1]n’ont-t-ellespasdevaleurépidémiologique.Cependant,ellessontrichesd’enseignementscarlerégimegénéraldes AT-MP s’impose à tous travailleurs, les salariés, contractuels de la fonction publiqueet fonctionnaires travaillantmoinsde27heurespar semainequi constituent lamajorité del’emploienFrance (environ65%de lapopulationactive).Deplus, tous lessinistres,sansexception,reconnuscommeprofessionnels,sontcomptabilisésdanslessystèmesdegestionquialimententlessystèmesstatistiques.Toutefois, lasousdéclarationpotentielledecertainssinistresestàprendreencomptedansl’analyse de ces statistiques.Pour les accidents du travail (AT),même si des cas de non-déclaration sont ponctuellement rapportés, on considère jusqu’à preuve du contraire quelesdénombrementsdesaccidentssontplutôtexhaustifs,aumoinspourlesaccidentsayantoccasionné des journées d’arrêts de travail. L’employeur a en effet obligation de déclarerl’accident d’un salarié dans les « 48 heures après avoir pris connaissance de l’accident»etsondéfautdedéclarationpeutêtresanctionné.Lamêmeobligations’appliqueauxaccidentsdetrajet.Laquestionseprésentedifféremmentpourlesmaladiesprofessionnelles(MP).Lademandedepriseenchargerevientausalariéquin’aaucuneobligationdelefaire.Pourdenombreusesraisons,parmilesquelleslaméconnaissancedudispositifetcelamalgrédeseffortsd’informationrécurrents,lesmaladiesquipourraientêtrereconnuescommeprofessionnellessonttrèsloind’êtretoutesdéclarées.Cette«sous-déclaration»estunsujetestidentifiédelonguedate, et éclairé par les intéressants rapports successifs d’une commission triennaleprévueparlesarticlesL.176ducodedelasécuritésocialequiluiestdédiée.Lesnombresdessinistresreconnuspar lescaissesprimairesd’assurancemaladie(CPAM)sur le territoiremétropolitainet lescaissesgénéralesdesécuritésociale (CGSS)dansdesdépartementsd’outre-mersecomptentendizainesdemillierspourlesMPetencentainedemillierspourlesATetlesaccidentsdetrajet.Celarevientàenviron600accidentsparheuredetravailenFrancepourlesseulsAT.Lemêmecalculappliquéaux555décèscorrespondàundécèstouteslesdeuxheuresetdemiesenviron.Cependant, si les accidents du travail constituent un problème de santé publique au plan«macro»,ilspeuventnepasêtreperçuscommeuneréalitétangibleauniveau«micro»delaTPE.Eneffet,rapportésàl’entreprisede10salariés,cesnombressetraduisentparunaccidentavecarrêtenmoyennetouslestroisans,etunaccidentavecincapacitépermanente,tousles51ans.Celasignifiequelesaccidentsdutravailrestentdesévénementsstatistiquementrares,cequin’aidepasàmobilisercetyped’entreprisesurleurprévention.

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Lesdernièresstatistiquesconnuessontcellesrelativesàl’année2015.LeTableau 1 enprésenteleschiffresclefs.Tableau 1 : chiffres clefs de la sinistralité AT-MP 2015

Risques Accidentsdu travail

Accidentsde trajet

Maladies prossionnelles TOTAL

Nombredesalariés(ETP) 18 449 720

Nombred’heurestravaillées* 27 325 936 136

Heures de travail annuelles* 875 874 119 412 64 889 1 060 175

Nombredesinistresreconnus à l’heure de travail

591 81 44 716

%dessinistresavecarrêt(ouprestationsenespèces) 72 % 74 % 79 % 73 %

Nombredesinistresavecarrêt(ouprestationsenespèces)

633 230 87 838 50 960 772 028

Indicedefréquence:nombred’accidents avecarrêt(ouPE) pour1000salariés

34,3 4,8ne se calcule

paspourles MP

Nombredejoursd’arrêt(incapacitétemporaire(IT)) 40 299 052 6 080 596 10 850 511 57 230 159

Nombremoyendejoursd'arrêtrapportéauxnouveaux sinistres

64 69 213 74

Nombredesincapacitéspermanentesrapportéauxsinistresavecarrêt(ouPE)

6 % 8 % 50 % 9 %

Nombred’incapacitéspermanentes

Nombre d’incapacités permanentes

36 880

25 744

7 093

4 919

25 537

16 051

69 510

46 714

Nombre de décès routiers 138 234 372

Nombre de décès non routiers 417 42 459

Total décès 555 276 381 1 212

* LeseffectifsetlesheurestravailléessontceuxcalculésselonlesrèglesdegestionenvigueurpourlatarificationdessinistresprisenchargeparlabrancheAT-MP.Ilspeuventlégèrementdifférerdeceuxaffichéspard’autressystèmesstatistiquescommeceluidel’INSEE,maiscelan’affecteenrienlaréalitédesconstatsprésentésdanslasuitedel’article.

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Lagravitédessinistress’approchestatistiquementdedeuxfaçons:parlesarrêtsde travail qu’ils ontpuoccasionner– cequ’onappelle l’incapacité temporaire (IT)–ouparlesséquellesquiaffectentlespersonnesàvie–cequ’onappellel’incapacitépermanente(IP)–.L’incapacitétemporairesemesureennombredejournéesd’arrêtsdetravailprescritesparlesmédecinsdevilleouhospitaliers,tandisquel’incapacitépermanentesemesurepardestauxd’incapacité–essentiellementfonctionnels–fixéssuruneéchellequivade0à100parlesmédecins-conseildel’Assurancemaladie,quandl’étatdesvictimeseststabilisé:parexemple,uneépauleaffectéeparunTMSpourradonnerlieuàuneincapacitépermanentede15%,tandisqu’unbrasamputépourrasevoirévalueràhauteurde70%.Lesquelques57millionsdejournéesdetravailindemniséesen2015correspondentàplusde200000équivalentstempspleindepersonnesautravail:comptetenudelapartdesalariésdanslapopulationfrançaise,celarevientàuneneutralisationéconomiqued’unéquivalentdepopulationgénéraled’environ800000personnes,soitunevillecompriseenLyonetMarseille.Encequiconcernel’incapacitépermanente,lespersonnessevoyantreconnaîtreuneIPde10%ouplusbénéficierontd’unerenteviagère :46714nouveauxcasen2015sontvenuss’ajouterauxrentiersAT-MP.Ainsi,fin2015,environ1200000personnesbénéficiaientd’unerenteAT-MP,soitenvironunepersonnesur50enFrance!Heureusement,touslessinistresnesontpasd’unegravitéextrême.Enmatièred’incapacitétemporaire,lamoitiédesATavecarrêtsesoldentpardesarrêtsinférieursàdeuxsemaines:environ 80 % des AT restent en-deçà de 50 jours d’arrêt, mais à l’opposé 5 % des ATengendrentdesarrêtssupérieursàhuitmois.Cependant,ces5%d’arrêtslespluslongssontresponsablesàeuxseulsdelamoitiédesjoursd’arrêtsindemniséspourcaused’AT,tandisque lesarrêts inférieursàdeuxsemainesn’en représententque7%.Demême,encequiconcerne,l’incapacitépermanente,environ⅔desIPontleurtauxcomprisentre0%et10%et,dansletiersrestant,⅔desIPsontcomprisesentre10%et20%.

I.1/ Des accidents du travail qui semblent atteindre un palier au terme d’une baisse historiqueLenombredesaccidentsdutravailachutédefaçonrégulièreentre1955et2008[2],alorsmêmequelenombredesalariésaplusquedoublédanslamêmepériode.Lamodificationdutissuéconomiquefrançaisestsansdoutel’unedesexplicationspossibles:59%dessalariéstravaillaientdanslesindustriesetlalogistiqueen1955alorsqu’ilsnereprésententplusque27%de lapopulationactiveen2008, lesservices, larestaurationet l’hôtelleriepassantde19%à51%surlamêmepériode.

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Figure 1 : évolution de l’indice de fréquence (IF) – nombre annuel d’accidents avec arrêt pour 1 000 salariés – de l’ensemble des secteurs entre 1955 et 2008

Champ:Régimegénéral-FrancemétropolitaineSource:StatistiquesnationalesdessinistralitéAT-MP,publicationsannuellesetbasesnationalesSGE-TAPR(CNAMTS)

Cependant,lafortediminutiondel’indicedefréquencenes’expliquepasqueparlatertiarisationdel’économie:ladiminutionintrinsèquedelasinistralitédesecteurs« sinistrogènes» comme lamétallurgie (dont l’IF est passéde185à40) et duBTP(dontl’IFestpasséde223à81)yontprisunebonnepart.Ilestvraiquecessecteursontétéconcernésaupremierchefparlesdirectivesmachinespourl’unet par une réglementation renforcée pour l’autre.Mais d’une façon générale, etdanstouslessecteurs,lesévolutionsdestechnologiesetdesorganisationsontpuégalementcontribueràcetteréduction.

L’évolutiondesATestégalementliéeaucontexteéconomique.Ainsi,enpériodedecroissance,lenombred’ATcroit1,2foisplusvitequelenombredesalariéstandisqu’en période de décroissance, il diminue presque 3 fois plus rapidement.Cecilaissepenserqu’enpériodedecroissancedel’activité,lesentreprisesembauchentpourrépondreàlademandeet leseffectifssupplémentairessontexposésàdesrisquessupérieursà lamoyenne.En revanche,enpériodededécroissance, leseffectifsnesontpasajustésproportionnellementà l’activitémais ilsconnaissentunesinistralitémoindredufaitd’uneexpositionmoinsimportante.

Surlesdernièresannées,lafréquencedesaccidentsdutravailatteintunpalier:l’indicedefréquences’élèveà33,4accidentsdutravailavecarrêtpour1000salariésen2015.Certainesactivitésdeservicescommel’aideetsoinsàlapersonne(aideàdomicileethébergementmédico-social)connaissentnonseulementuntauxdefréquenceélevé(92,7pour1000salariésen2015)maisunedynamiqueimportantede+6%cesdernièresannées.Bienque lesaccidentsdu travailaientdiminuédansleBTP, ilreste l’undesplussinistrésavecunindicedefréquencepresquedeuxfoissupérieuràlamoyennedesautressecteurs(61,9pour1000salariésen2015),notammentpourlestravauxdecharpenteetpourlestravauxdecouverture.

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Demême,lesaccidentsdutravaildansl’intérimdiminuentenpassantd’unIFde52en 2010 à 44,8 en 2015.

Figure 2 : évolution du nombre d’accidents du travail en 1er règlement et de leur fréquence pour 1 000 salariés sur la période 1998-2015

Figure 3 : sinistralité sectorielle des accidents du travail en 2015

Lestaillesdesbullesrendentcomptentdesnombresrespectifsdesalariésemployésdanslesdifférentssecteurs.

La répartition des risques en cause (cf. Figure 4 ci-dessous) démontre que laplupartdesaccidentsdetravailauraientpuêtreévitables.Toussecteursd’activitéconfondus, les principales causes d’accidents du travail sont la manutentionmanuelle,quiestàl’originedepresquelamoitiédesATetleschutesdeplain-piedetdehauteurquireprésententunquartenvirondesAT.

Figure 4 : répartition des AT 2015 en 1er règlement avec au moins 4 jours d’arrêt dans l’année par risque

Ilexistecertesdescontextescomplexes,commedegrandesusinesoudegrandschantiers, où la prévention doit être méticuleusement planifiée, par exemplepouréviterdesenchaînementsdecirconstancesoudes interactionsentrecorpsdemétiers qui interviennent simultanément, mais dans unemajorité de cas, lapréventionestsurtoutfaitedebonsensettrèsaccessibleàdesgensdemétier.Plus que des investissements, même s’il en faut, ce sont surtout du temps deréflexion,desensibilisationetdeformationqu’ilfautaccepterd’yconsacrer.

I.2/ Des accidents de trajet fluctuant selon la météo et la sécurité routièreLes circonstances des accidents de trajet se limitent pour l’essentiel à deuxgrandescauses:lerisqueroutierpour60%descas,loindevantleschutes,quienreprésentent30%.Ainsi,l’évolutionsurlesquinzedernièresannéesfaitclairementressortir deux périodes : une première période 1999-2008 où la sinistralité destrajets bénéficie des résultats des politiques publiques concernant la circulationroutière,suivied’unepériode2009-2015marquéeparunpicdesinistralitédûpourl’essentielàdeschutesdepersonnesàpiedsurdessolsrendusglissantspardesépisodeshivernauxparticulièrementrigoureux.

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Figure 5 : Évolution du nombre d’accidents de trajet en 1er règlement et de leur fréquence pour mille salariés sur la période 2005-2015

Lafréquencedesaccidentsdetrajetquisestabiliseautourde4,6accidentsavecarrêtpour1000salariésconnaîtdesdisparitésrégionalesaussifortes(entre3et7pourles«grandes»régions)quelesdisparitéssectoriellesquil’affectent.

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Figure 6 : sinistralité régionale 2014 et 2015 des accidents de trajet

La taille de la bulle reflète le nombre de salariés de la CARSAT/ CGSS.

I.3/ Des maladies professionnelles constituées principalement par les troubles musculo-squelettiquesÀ ladifférencedesaccidentsqui sontoccasionnésparunévénementponctuel,lesmaladiesprofessionnellessontlaconséquenced’uneexpositiondansladuréequipeutallerdequelquesjoursàplusieursannées,l’antérioritédecesexpositionspouvantvarierelleaussidequelquesjoursà40ans.Ainsi,deslombalgies[3]sontreconnuescommeaccidentsdutravail,maiscertainesherniesdiscalesfontl’objetdetableauxdemaladiesprofessionnelles.Si lesmaladiesprofessionnellesne représententencoreque10%dessinistresassurésparlaBrancheAT-MP,ellessontàl’originedutiersdesescoûts.LesTMSfournissent l’écrasantemajoritédesMPreconnues(87%en2015). Ilssontprévusparcinqdes94 tableauxdemaladiesprofessionnelles inscritsdansla réglementation qui représentent environ 120 des quelques 900 syndromesrépertoriésdansl’ensembledecestableaux.Mais,àluiseul,letableau57dédiéauxaffectionspéri-articulairesestàl’originede78%desMP.LesTMSsetrouventchezlessalariésdelaplupartdesactivités,maisdefaçonplusfréquentesdansdessecteursbienidentifiéscommel’industrieagro-alimentaire,l’industrieautomobileetlamétallurgie,leBTP,lagrandedistributionainsiquel’aideetsoinsàlapersonne.Dans ce dernier secteur qui est en fort développement, les TMS ressortent enaugmentation,comme les lombalgiesd’ailleursetconstituentdece faitunenjeunouveaudeprévention.

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Figure 7 : Évolution du nombre de maladies professionnelles sur la période 2005-2015

LescourbesprésentéessurlaFigure7résultentdeplusieursfacteursquivarientdansletempsaupremierrangdesquelslesexpositionsréelles,lecontenudestableauxetlapropensionàdéclarerdusalariéquin’aaucuneobligationàlefaire.UnegrandecampagneTMScommecellede2008«TMS,enparlerc’estdéjàlesfairereculer»quiincluaitladiffusiondespotsTVauxheuresdegrandeécouteapeut-êtrecontribuéàl’inflexiondelacourbeconstatéeen2009.Àl’inverse,larévisiondelapartieépauledutableau57acontribuéàl’inversiondepentede 2012.Les maladies liées à l’amiante fournissent le second poste en nombre parmi les MP : letableau30représentaitenviron3700casen2015,soit7%desmaladiesreconnues,dontunepetitemoitiépourdesplaquespleurales,l’autremoitiéétantconstituéedecancersbroncho-pulmonaires,mésothéliomesouasbestoses.L’interdictiondel’amianteen1996acontribuéàfairecesserlesexpositionslesplusimportantes,maislefaitquelespathologiespeuventsedéclarerplusieursdécenniesaprèsl’expositionexpliqueenpartiequelesstatistiquestardentàenregistrerunedécroissance.Viennentensuite,danscetridécroissant,lessurdités(tableau42),leseczémas(tableau65)et lesrhinitesetasthmes(tableau66)qui,àeuxtrois,représententunpeumoinsde1500cas. Il faut signaler ensuite la reconnaissance d’environ 200 à 250 affections résultant del’inhalationdepoussièresdesilice (tableaun°25)quipeuvent,à termeconduireauxdécèsdespersonnes.Pris individuellement, lesautres tableauxcomptentannuellementmoinsdecas,maisprisensemble,lescancersprofessionnelshorsamiantedonnentlieuàenviron300reconnaissancesannuellement.Ilfautégalementsignalerunerecrudescencedecasdegale(tableau76,maladiesdesagentsinfectieux)danslessecteursdel’aideetdusoinàlapersonne.

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Pourcomplétercetétatdeslieux,ilfautmentionnerl’existencedecasdeMPreconnushors tableauxparunsystèmeditcomplémentaire.Environ400desquelques700casreconnusparcettefilièreen2015serapportaientàdesaffectionspsychiques(dépressions, troubles anxieux, stress post-traumatiques). Ce chiffre est en netteaugmentationdepuisquelquesannées :enquatreans, ilapresquequintuplé (82reconnaissances en 2012 et 418 en 2015). Cette hausse est liée, d’une part, àl’accroissementdunombrededemandesdereconnaissancedemaladiespsychiques(triplementencinqans),maisaussiàunassouplissementréglementairequipermetdesoumettreplusdedossiersauxcomitésmédicauxchargésdel’expertiseaucasparcas.Ilconvientd’yajouterlesaffectionspsychiquesconsécutivesàunévénementsoudainquisontprisesenchargecommeaccidentsdutravail(parexempleunstresspost-traumatique suiteàunbraquagedansuneagencebancaire).On lesestimeentre 1 et 2 % des accidents du travail, soit environ 50 000 AT en 2015.

II-LesrisquesémergentsII.1/ L’emploi menacé par l’automatisation ?Lors de la réalisation de l’exercice de prospective « Modes et méthodes deproduction en France en 2040 : quelles conséquences en santé et sécurité autravail ? » [1], nombreux sont les experts, parmi la centaine interrogée, qui ontévoqué l’automatisation (la robotisation dans l’industrie mais aussi toutes lesformesde logicielisationdans lesservices) commeun facteurdéterminantdansl’évolution de la production dans les années à venir. Les provenances diversesde ces experts (entreprises, monde académique, syndicats professionnelsou de salariés, spécialistes de la prévention des risques professionnels, élus,personnalitésqualifiées)montrentqu’ils’agitd’unsentimentlargementpartagé.Ilestdoncraisonnabledeconsidérerlaquestiondesrisquesémergentsd’abordsouscetaspect.

L’ampleur du phénomène à venir divise les chercheurs. De l’étude de Frey etOsborne[2],aboutissantauchiffrede47%d’emploissubstituablesparlamachinedans lesdixàvingtannéesàveniràcellede l’OCDE[3]quichiffre lerisquedeperted’emploisà9%pourlaFrance,lamargeestgrande.UneautreétuderéaliséeparMcKinsey[4]arriveàdesconclusionsvoisinesdecelledeFreyetOsborne,maisàuneéchéancepluséloignée (de l’ordrede40ans). Indépendammentdeces divergences entre spécialistes, les analyses des experts de l’exercice deprospectivesemblentconfirméesetildevientlégitimedefairedudéveloppementdel’automatisationunélémentstructurantquantauxévolutionsàvenirdumondedu travail. D’autant qu’une étude récente [5] effectuée sur la base de donnéesrecueilliesdanslesecteurindustrielauxÉtats-Unisentre1990et2007,AcemogluetRestrepoaboutissentauxconclusionssuivantes:

Si on considère une unité de production employant 1 000 travailleurs,l’introductiond’unrobotaboutitàladestructionde6,2emploisetàunepertede salaire de 0,7 %,

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Auniveaunational, leseffets sontminoréspuisqued’autresemplois sontcréés (en particulier dans les services, mais aussi dans d’autres activitésindustriellesdanslesquelleslarobotisationestleplussouventintégréedèslaconception):troisemploisdisparaissentetlabaissedesalairen’estplusquede0,25 %.

Cesrésultatsviennentnéanmoinsbattreenbrèchel’hypothèsedela«destructioncréatrice»d’emplois qui s’est jusqu’à présent vérifiée depuis le début de la révolution industrielle.Aucoursdecettepériodeilaétépossible,àtoutmoment,d’identifiercinqàdixansàl’avancequelsemploisallaientdisparaître.En revanche,onn’a jamaisétécapabled’imaginerquelsemplois viendraienten remplacement, sanspourautantque, saufpériodesdecriseet casgéographiquesparticuliers,lechômageaitaugmentéparticulièrement(avecenparticulieruneaugmentationdel’emploiféminin).Àtraversl’exempledel’étuded’AcemogluetRestrepo,ceparadigmede«destructioncréatrice»estpeut-êtreentraindesubirunemodificationprofondealorsquedesinnovationstellesquel’intelligenceartificielle,potentiellementtrèsimpactantes,n’ensontencorequ’àleursdébuts.Danscecontexte,c’estbienl’ensembledelaproduction(secteursprimaire,secondaireettertiaire)quipeutêtrecomplètementredessiné:si jusqu’àprésent,lacréationd’emploisdansletertiairea(saufpériodesdecrise)permisdecompenserl’attritiondansl’industrieetlaconstruction,riennepermetdegarantirqu’ilenserademêmedemain.

II-2/ Redéfinir la prévention des risques professionnels dans ce contexte d’automatisation ?Pour en venir, après ces hypothèses sur le travail et l’emploi, à la question des risquesprofessionnels, la question est de savoir où sera placé le curseur entre deux modèlesextrêmes (dont la part peut d’ailleurs être variable à unmêmemoment selon les secteursd’activité) :

Larobotisationmiseauservicedelaproductivité,l’Hommeétantcontraintdes’adapteràunmodedeproductionessentiellementconçuen fonctiondesperformancesde lamachine,

Laplus-valuedégagéeparcette robotisationestaumoinspourpartiesocialisée,aubénéficeenparticulierdel’améliorationdesconditionsdetravail.

Danslecasoùlecurseurdonneraitunpoidsfortàlapremièrehypothèse,lesconséquencespourletravailleursontpotentiellementtrèsfortes:pertedesensdutravail,moindrecapacitéd’innovation(larobotisationpouvants’accompagner,mêmes’iln’yapasdefatalitédanscedomaine, d’une plus forte prescription du travail), cadences augmentées grâce, au besoin,à l’utilisation complémentaire de robots d’assistance physique, etc. En termes de risques,en revanche,guèredenouveautés : le terrainpourrait être fertilepour les risquespsycho-sociaux (RPS) et les troubles musculo-squelettiques (TMS), y compris en cas d’utilisationd’exosquelettes.Cetteautomatisationpeutaussipermettrelarelocalisationdecertainesactivitésindustrielles:silecoûtdelamaind’œuvredevientfaibledevantceluidel’investissement,pourquoipoursuivrel’implantation d’usines loin des lieux de consommation ? Les politiques commerciales de

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satisfactionimmédiatedessouhaitsdesclients,larotationaccéléréedescollections(fast fashion) plaident pour ce rapprochement entre lieux de production et lieuxdeconsommation.Lespremiersexemplesidentifiésdeceretourdelaproductionmontrentqu’elles’accompagneeneffetd’unerobotisationmassive,peucréatriced’emploi,mêmepourlamaintenancedecesmachines.Leparadoxepourraitêtrealorsladélocalisationdesactivitésdeconception,devenuesproportionnellementplusconsommatricesdetravailhumain,versdespaysàplusfaiblecoûtdemaind’œuvre,commel’IndequipeutproposerdesprestationsdehautniveauàdesprixbieninférieursàceuxappliquésenFranceetenEurope.Quand,demain,lerobotsortiradelacagedanslaquelleilestactuellementconfiné,quelles«relations»entretiendra-t-ilavecsonpartenairehumain?Aucoursdeleuractivitécommuneouparcequ’ilsinterviendrontenparallèledansunmêmeatelier,ilestpossiblequ’àunefréquenceplusoumoinsgrande,descontactsphysiquesaccidentels(nonplanifiés)interviennententreeux:dusimplefrôlementauheurt.Faut-il,commecertainslepréconisentdéjà,faireévoluerlesnormespouryintégrerleseuildechoc (etdedouleur !)acceptablepour l’Hommeou faut-il considérerque,mêmes’il n’y apasde conséquencephysique immédiatementperceptible,il n’est pasadmissibleque le travailleur soit soumisde façon répétéeà cequ’ilpourraitconsidérercommeuneagression [6]?Considérerait-onaujourd’huiqu’ilest légitimequedeux travailleursseheurtentplusieurs foisaucoursd’unposte,sansyapporterunesolutionentermesorganisationnels?Lamultiplicationdesrobotsetautomatesaugmenteaussilespossibilitésd’intrusionsmalveillantes (oumaladroites) dans les systèmesde production (hackage) aveclesconséquencesqu’onpeutaisémentimaginerentermesderisquesindustrielsmaisaussipourlestravailleurs.Siaujourd’hui,lesinstallationslesplusstratégiquessemblentcorrectementprotégées,depremierssignes (prisedecontrôleexterned’unrobotchirurgicalaucoursd’uneopérationoud’unevoituresanschauffeur)fontcraindrequelamultiplicationdesautomatesnesetraduiseparunemultiplicationdesportesd’entrée:ilestsouhaitable,danscecas,quelessystèmesdeprotectionn’aientpasuntempsderetard,commecelaseproduitparfoisactuellement,surlamalveillance.

II-3/ Des frontières fluctuantes entre prévention des risques professionnels et santé publique ? Unaspectégalementmisenavantparlacentained’expertsconsultésestceluid’unpossible«retouraulocal».Cettehypothèseestprincipalementbaséesurlefaitqueleschaînesdevaleurmondialesneserontpasenmesurederépondreàcertainsbesoinsspécifiquesdesconsommateursparcequ’elleslimiterontl’essentieldeleurcatalogueàdesproduitsstandardisés.S’yajoutentcertainesexigencesprobablesàvenir(etdéjàamorcées)entermesdedurabilitéetderecyclabilitédesbiensdeproductionetdeconsommation.IlyauraitdoncuneplacesignificativesurlemarchépourdesPMEspécialiséesetunartisanatdehautniveau.Demême,lanécessitéderéparerlesbiensdeconsommation(auplusprèsafindelimiterlaconsommation

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énergétique)plaiderait pour la (re)créationd’ateliersspécialisés,dans lesquels ilfaudraitréapprendreàtraiterdesrisquesdisparusouaumoinsatténuésdansnotresociétélinéaire(paroppositionàcirculaire).Sionremetcesévolutionsdansuncontextedécritprécédemmentde fortepercolationde l’automatisationdans toutes lesactivités, lapréventiondesrisquesprofessionnelspourraitsevoirconfrontéedanslesannéesàveniràdesproblématiquesdontonconstateaujourd’huiqu’ellessontpeuoudifficilement traitées:promouvoir lasantéau travaildans lespluspetitesstructuresnécessiteuneméthodologie,unepromotionetuneorganisationspécifiques.Demêmelaquestiondel’économie(aumoinspartiellement)circulaireouvriradenouveauxhorizons:commentconcevoirdifféremmentpourallonger la durée de vie de produits réparables, comment organiser la déconstuction et lerecyclagedecesproduitsentoutesécurité,commentparveniràunesituationdezérodéchetenparticulierpourlesproduitsorganiquessansaugmenterlesrisquesbiologiques,etc.Onnesauraittraiterlaquestiondesrisquesprofessionnelsémergentssansaborderlaquestiondel’emploietdesformesd’emploi,surtoutsi,commeonl’avuenintroduction,l’automatisationestsusceptibledemodifierprofondémentlepaysagedelaproduction.Beaucoupd’hypothèsessontformuléesconcernantlereculdusalariatauprofitdutravail indépendant(enparticulierl’auto-entreprenariat), la multi-activité (le fait d’occuper plusieurs emplois souvent à tempspartiel), toutes les formesde travail ditesatypiques (du télétravail à la reconnaissancedesactivitésàcaractèresocial,aujourd’huibénévoles).Laquestionprobablementmajeuredevientalorscelledelapossibilitéd’organiserunepréventiondesrisquesprofessionnelsaujourd’huiessentiellementconstruiteàpartird’unmodèlepartagéassocianttouslesacteurs(analysedutravailréel,solutionsbâtiesenliaisonaveclescollectifsdetravailetportéespareux,etc.):onadéjàvuprécédemmentladifficultéaujourd’huirencontréepouryimpliquerlespluspetitesstructures,enparticulierartisanales.Cesquestionsdutravailatypiqueamènentàpousserlaréflexionplus loin:quandvieprivéeetvieprofessionnellesontdeplusenplus imbriquées,quandlaquestiondesespacesetdestempsdévolusrespectivementàl’uneetàl’autredevientplusfloue,quellespécificitélasantéautravailconserve-t-elleparrapportàlasantépublique?Certainementcelled’unecertaineprévention«technique»dontilfaudravraisemblablementredéfinirlaconceptionetlefinancement.Danslemêmecontextederaréfactiondutravaildisponible,d’autrespartiesprenantesévoquentlacréation(oul’accentuation)d’unesociétéàdeux(ouplusieurs)vitessesquiverraitaugmenterlenombredetravailleurslaisséspourcompte:pasassezqualifiés,pasassezdisponibles,pasassezadaptablesàunmondetechnologiquedont lesévolutionss’accéléreraient.Commentmaintenirchezcesderniersunecapacitéd’adaptationauxrèglesappliquéesenmatièredesantéetsécuritéautravailsuffisantepourquedeslacunesdanscedomaineneconstituentpas rapidementun facteurd’exclusion rédhibitoire?Unedesquestionssous-jacenteest lacréation d’une économie de la « débrouille » faite de petits travaux (parfois à la limite dela légalité) pouvant peut-être assurer la survie de ces travailleursmarginalisés,mais avecdes conséquences potentielles significatives sur leur santé et leur sécurité : comme décritprécédemment, les limitesentresantéautravailetsantépubliquepourraientêtrefortementperturbées,voireannihilées.

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N°51 • juin 2017

RéférencesRéférences de la partie 1 (risques existants)[1] CNAMTS,RapportsdegestionannuelsdelaBrancheAT-MP,accessiblessurlesite www.risquesprofessionnels.fr(onglet«Nosbrochures»).

[2] N. Serres et P. Jacquetin « Baisse des accidents du travail sur le long terme :sinistralitéetélémentsexplicatifsparsecteurd’activité»CNAMTS,Pointde repères n°32, 2010, accessible sur le site ameli.fr, onglet « statistiques etpublications».

[3] CNAMTS,Directiondesrisquesprofessionnels,rapport«lombalgiesAT-MP»,2016, accessible sur le site www.risquesprofessionnels.fr(onglet«brochures»).

Références de la partie 2 (risques émergents)[1] INRS,AssurancemaladieRisquesprofessionnels,Anact,Anses,Aravis-AractAuvergne-RhôneAlpes,Dares,Francestratégie,Futuribles-ModesetméthodesdeproductionenFranceen2040:quellesconséquencespourlasantéetlasécuritéautravail?INRSed,Paris,novembre2016.[2]http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_Future_of_Employment.pdf

[3] Arntz,M.T.GregoryetU.Zierahn-TheRiskofAutomationforJobsinOECDCountries:AComparativeAnalysis.Documentsdetravaildel’OCDEsurlesaffairessociales,l’emploietlesmigrations,n°189,OCDEed,Paris,2016.

[4] McKinsey Global Institute -A future thatworks : automation, employment,andproductivity.2017.Accessibleparunliensurlapage:http://www.mckinsey.com/global-themes/digital-disruption/harnessing-automation-for-a-future-that-works

[5] D. Acemoglu, P. Restrepo-Robotsandjobs:EvidencefromU.S.labormarkets.MassachusettsInstituteofTechnology,DepartmentofEconomics,WorkingPaperSeries :WorkingPaper17-04,March17,2017.Accessiblesurhttp://ssrn.com/abstract=2940245

[6] A. Sghaier, A. Aublet-Cuvelier, J. Chatillon–Commentlesnormeseuropéennespeuvent-ellesprendreencomptelecontacthomme-robot?KanBrief,n°2,2015.Accessiblesur https://www.kan.de/fr/publications/kanbrief/le-normatif-et-linformatif/comment-les-normes-europeennes-peuvent-elles-prendre-en-compte-le-contact-homme-robot/