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Rémi Dupré et Henri Seckel P lus une paire de chaussettes dans le placard, plus une serviette dans la salle de bains, plus un pos- ter sur les murs. Les couvertures, les draps et les taies d’oreiller jon- chent le couloir à l’entrée des chambres. L’un après l’autre, les enfants de la promo 98 de l’Institut national du football (INF) s’en extraient, lestés de sacs plus gros qu’eux, qu’ils descendent entreposer dans une salle au rez-de-chaussée du bâtiment. Drôle d’ambian- ce à Clairefontaine. Un petit air de fin de vacan- ces, alors qu’elles débutent précisément ce samedi 23 juin pour les « première année » de l’INF, sauf pour Samy Hammour et Guillaume Péria, qui passent leur brevet quelques jours plus tard puisqu’ils ont un an d’avance. D’ici aux retrouvailles prévues fin août, la promo 98 se sera éparpillée aux quatre coins du monde, de la Crète (pour Khamis Digol) à la Nor- mandie (Hugo Boquet), et de la Lorraine (Mar- vin Plantier) à Dubaï (Kylian Mbappe). Avachi dans un fauteuil du hall au premier étage, Jaouad Jouini regarde dans le vide et soupire : « J’arrive pas à croire qu’on est en vacances. On a passé toute l’année ici, on n’a jamais été séparés plus de deux semaines, et là, on ne va pas se revoir avant deux mois. Je ne sais même pas si je reconnaîtrai tout le monde à la rentrée… » Peut- être pas, en effet, vu la vitesse à laquelle ces gamins de 13-14 ans se métamorphosent. L’année scolaire s’achève, et le directeur de l’INF Gérard Prêcheur dresse le bilan du par- cours de ses protégés, en évoquant la triple dimension de son projet à laquelle il tient tant. Dimension football ? « On savait qu’on avait pris beaucoup de pitchouns, des garçons jeunes sur le plan de la maturité physique. Et on a beau- coup de profils qui se ressemblent, avec une grande majorité de milieux de terrain. Ces deux paramètres ont fait qu’on a un peu manqué d’équilibre, donc les progrès ont été plus longs à se concrétiser en match. Malgré tout, il y a quand même beaucoup de satisfaction. » Dimension scolaire ? « C’est pas mal, on a un équilibre entre un gros tiers de très bons élèves, un tiers dans la moyenne, et quelques garçons en difficulté qu’on va s’efforcer de mieux assis- ter en deuxième année. » Dimension humaine ? « Ce sont des bons gamins, sympathiques, agréables dans la vie de tous les jours, souriants, qui ont une bonne édu- cation et sont assez à l’écoute. Cette promo n’a quasiment pas posé de problèmes. » Moins, en tout cas, que sa devancière : au milieu de la petite sauterie qui réunit les enfants, leurs familles et le staff de l’INF pour célébrer les vacances, les « deuxième année », qui font leurs adieux, se lancent dans la lecture d’une lettre surprenante, où ils adressent leurs remerciements à tout l’encadrement et présen- tent leurs excuses pour avoir parfois « déshono- ré» l’INF par leur comportement. Six membres de la promo 97 ont été définitivement exclus en cours d’année. La promo 98, elle, va perdre un de ses piliers : Fakri Amadi Ali ne reviendra pas à Clairefontai- ne à la rentrée. « Quand il nous l’a annoncé début juin, on avait tous les larmes aux yeux », se souvient Samy Hammour. C’est que ce grand gaillard amusait souvent la galerie, en plus d’être un excellent footballeur. Mais il a lâché prise sur le plan scolaire et n’a pas respec- té son « contrat » de début d’année, qui lui imposait de se tenir à carreau. Une succession de petits écarts – le dernier : un morceau de pain jeté à la figure d’un camarade à la cantine – ont eu raison de la patience de Gérard Prê- cheur, qui a dû s’en séparer à contrecœur. Quand il regarde en arrière, le patron de l’INF regrette d’avoir trop souvent dû troquer l’habit SPORT & FORME REPORTAGE Ils ont déjà grandi promo 98 | épisode 6 Derniers jours à Clairefontaine. La promo 98 quitte les lieux pour deux mois de vacances. Bilan de cette première année à l’Institut national du football feuilleton 4 0123 Samedi 7 juillet 2012

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RémiDupré etHenri Seckel

Plusunepairede chaussettesdansle placard, plus une serviettedanslasalledebains,plusunpos-ter sur lesmurs. Les couvertures,lesdrapset les taiesd’oreiller jon-chent le couloir à l’entrée des

chambres. L’un après l’autre, les enfants de lapromo98del’Institutnationaldufootball (INF)s’en extraient, lestés de sacs plus gros qu’eux,qu’ils descendent entreposer dans une salle aurez-de-chaussée du bâtiment. Drôle d’ambian-ce à Clairefontaine.Unpetit air de findevacan-ces, alors qu’elles débutent précisément cesamedi 23 juin pour les «première année» del’INF, sauf pour SamyHammour et GuillaumePéria, qui passent leur brevet quelques joursplus tardpuisqu’ils ontunand’avance.

D’ici aux retrouvailles prévues fin août, la

promo98seseraéparpilléeauxquatrecoinsdumonde,delaCrète(pourKhamisDigol)à laNor-mandie (Hugo Boquet), et de la Lorraine (Mar-vin Plantier) à Dubaï (Kylian Mbappe). Avachidans un fauteuil du hall au premier étage,Jaouad Jouini regarde dans le vide et soupire:«J’arrivepasàcroirequ’onest envacances.Onapassé toute l’année ici, onn’a jamais été séparésplus de deux semaines, et là, on ne va pas serevoiravantdeuxmois. Je ne saismêmepas si jereconnaîtrai tout lemondeà la rentrée…»Peut-être pas, en effet, vu la vitesse à laquelle cesgaminsde 13-14 ans semétamorphosent.

L’année scolaire s’achève, et le directeur del’INF Gérard Prêcheur dresse le bilan du par-cours de ses protégés, en évoquant la tripledimensionde sonprojet à laquelle il tient tant.Dimension football ? «On savait qu’on avaitpris beaucoupdepitchouns, des garçons jeunessurleplandelamaturitéphysique.Etonabeau-coup de profils qui se ressemblent, avec une

grandemajoritédemilieuxde terrain.Ces deuxparamètres ont fait qu’on a un peu manquéd’équilibre,donc les progrès ont été plus longsàse concrétiser en match. Malgré tout, il y aquand même beaucoup de satisfaction. »Dimension scolaire? «C’est pas mal, on a unéquilibre entre un gros tiers de très bons élèves,un tiers dans la moyenne, et quelques garçonsen difficulté qu’on va s’efforcer de mieux assis-ter en deuxièmeannée.»

Dimension humaine? «Ce sont des bonsgamins, sympathiques, agréablesdans la viedetous les jours, souriants, qui ontunebonneédu-cation et sont assez à l’écoute. Cette promo n’aquasimentpas poséde problèmes.»

Moins, en tout cas, que sa devancière : aumilieu de la petite sauterie qui réunit lesenfants, leurs familles et le staff de l’INF pourcélébrer les vacances, les «deuxième année»,qui font leursadieux, se lancentdans la lectured’une lettre surprenante, où ils adressent leurs

remerciementsàtoutl’encadrementetprésen-tentleursexcusespouravoirparfois«déshono-ré» l’INFpar leur comportement.Sixmembresde la promo 97 ont été définitivement exclusen cours d’année.

Lapromo98,elle,vaperdreundesespiliers:FakriAmadiAlinereviendrapasàClairefontai-ne à la rentrée. «Quand il nous l’a annoncédébut juin, on avait tous les larmes aux yeux»,se souvient Samy Hammour. C’est que cegrand gaillard amusait souvent la galerie, enplus d’être un excellent footballeur. Mais il alâchéprisesur leplanscolaireetn’apasrespec-té son « contrat» de début d’année, qui luiimposait de se tenir à carreau. Une successionde petits écarts – le dernier : un morceau depainjetéà lafigured’uncamaradeàlacantine–ont eu raison de la patience de Gérard Prê-cheur, qui a dû s’en séparer à contrecœur.

Quandil regardeenarrière, lepatrondel’INFregretted’avoirtropsouventdûtroquer l’habit

SPORT&FORME R E P O R T A G E

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p r o m o 9 8 | é p i s o d e 6

DerniersjoursàClairefontaine.Lapromo98quitte les lieuxpourdeuxmoisdevacances.Bilandecettepremièreannéeàl’Institutnationaldufootball

f e u i l l e t o n

4 0123Samedi 7 juillet 2012

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R E P O R T A G E SPORT&FORME

de l’éducateur sportif de haut niveau pourceluide l’éducateur toutcourt : «C’estdomma-gequejenepuissepasplusfaireprofiterdemonexpertise de technicien aux jeunes, vu ce quemange tout le côté éducatif.» Il pointeaussiuncertainmanque de gratitude, surtout chez les«deuxième année». «Parfois, on trouve qu’ilsne sontpasvraimentconscientsde l’opportuni-té qu’ils ont d’être ici, ils banalisent tout. Aubout de quelquesmois, s’entraîner à Clairefon-taine est presque devenu quelque chose de nor-malpour eux.Mais c’est le refletde la société, ilssontconsommateurs,ilsviventdansl’immédia-teté. A leur âge, je n’avais pas les mêmesvaleurs : "Tu sèmes aujourd’hui pour récolterdemain, tout semérite, rienn’est dû, etc."»

Jean-Claude Lafargue, l’entraîneur de la pro-mo98, reconnaît qu’enun andans les Yvelinesces enfants «ne sont pas encore devenus desadultes, notamment quand ils sont entre eux».Cela dit, «par rapport au moment de leur arri-vée, ils sont plus autonomes, savent davantageseprendreencharge.Parfois,onnes’en rendpascompte parce qu’on vit constamment avec eux,maisilyaunmonded’écart.Dansle jeuaussi, ilyaunematuritéqu’iln’yavaitpasavant».Defait,les petits sont conscients des progrès accom-plis. «Au niveau de la maîtrise du ballon, de laprojectionvers l’avant,de lafrappeoude laprised’information», précise par exemple SamyHammour, persuadéque «quandon est à l’INF,si ons’investit à fond,onest obligédeprogresservules infrastructureset lesentraîneursqu’ona».

Malgré cela, Gérard Prêcheur ne peut mas-querune légère inquiétude:«Les clubsprofes-sionnels auront-ils la même patience quenous? Des garçons de ce profil-là, il va leur fal-loir plus de temps pour arriver à maturité. Et,souvent, les recruteurs évaluent sur ce qu’ilsvoient, pas sur ce que peut devenir le joueur.Parce que les clubs n’ont pas la même démar-chequenous.Dans les centresde formation, lesjeunes sont en contrat. Un club pro investit surdes joueurs qu’il forme, et dont il attend unerentabilité.»

Voilà qui devrait pousser les apprentis foot-balleurs à profiter de ce cocon si confortable

que représente Clairefontaine. «J’ai passé uneannéegéniale, jemesuis faitpleindenouveauxcopains, savoure d’ailleurs ClémentMay. Toutle monde s’est bien entendu, on a vraimentbeaucoup rigolé.» L’un des ultimes éclats derire a eu lieu lors du dernier jour à l’INF précé-dant les congés estivaux. Alors que Jean-Claude Lafargue suggérait que Yacine Tahri,quinecessaitdefaire le fou,soit rebaptiséYaci-ne «Taré», la promo98 s’est lancéedans l’énu-mération des surnoms – souvent inspirés parles caractéristiques physiques des uns et desautres–dontchacunahéritéencoursd’année.

Guillaume Péria s’appelle désormais«Front» (ou «Crevard», pour sa propension àne jamais partager la nourriture) ; AlexisClaudeMaurice a été renommé «Kit Kat», carle duvet de sa moustache et ses sourcils évo-quent deux barres chocolatées ; Samy Ham-mour a été rebaptisé «Champions League»,alias la coupe aux grandes oreilles ; KylianMbappe a eu droit à «Chicots d’or», du fait dela légère coloration desdits chicots ; KilianBevis a, lui, hérité du sobriquet de «GameCube» grâce à la forme de son crâne vague-ment cubique. Boubacar Fofana est devenu«l’Iroquois»,LoreintzRosier,«Poney»,etMar-vin Plantier, «BlackBerry». Cette joyeuse ban-deseraderetourà l’INFle 19aoûtpour lancer ladeuxièmeannéedelapromo98.LeMondeseralà aussi pour vous la faire vivre. p

Quand il regarde enarrière,le patronde l’INF regrette

d’avoir trop souvent dû troquerl’habit de l’éducateur sportifdehautniveaupour celuide l’éducateur tout court

KSergioGoncalvesquitte le centre avecsa famille. En routepour les vacances!

kUnepartie de la promo98réunie pour unephoto

lors de la fête de fin d’annéedans les jardins

de Clairefontaine.PHOTOS: MAGALI DELPORTE POUR «LE MONDE»

LaprestationdesBleusàl’Euro,unexempleà...nepassuivre

jYannKitala et ArnaudNordin (au sol).

JAvant de quitter l’INFpour l’été, Boubacar Fofana

range sa chambre.

P uisque certainsd’entre eux enfilerontun jour ou l’autre lemaillot de l’équipedeFrance, les petits de l’Institutnational

du football (INF) nepouvaientdécemmentpasrater les (més)aventuresdes Bleus enUkraine.A chaque rencontre, hormis le quart de finaleperdu face à l’Espagne, c’est devant l’écrangéantde l’amphithéâtredeClairefontainequ’ils ont chanté LaMarseillaise et encouragéleurs glorieuxaînés – qu’ils n’ont, en l’occur-rence, pas trouvés si glorieuxque ça.

«Ils ont atteint l’objectif des quarts de finale,mais ils n’ont gagnéqu’unmatch, et dans lejeu, c’était pas brillant, regrette SamyHam-mour.Cen’était pas vraiment ce qu’onnousapprendà l’INF: ona surtout vudes individuali-tés alors qu’onnousapprendplutôt à jouer col-lectif, en uneoudeux touches de balle.» «Onade très bons joueurs,mais ondirait qu’ilsjouentpour eux, pas pour l’équipe», ajouteHugoBoquet. A Clairefontaine, lieu saint dufootball français, Xavi et Iniesta ontplus lacote queMénez etNasri.

Lesécartsde conduitedecertainsBleusn’ontpaséchappéà cespetits footballeurs,néan-moinsconscientsqued’autres joueursont étéexemplaires, et, surtout, que la loupemédiati-quea tout amplifié.«Certainsn’ontpas com-

pris la chancequ’ils avaientdeporter lemaillotde l’équipede France, quelques-unsdevraient seremettreenquestion», suggèreClémentMay,qui se gardede citerquiconque.KhamisDigol,lui, a été surprispar l’altercationentreLaurentBlancetHatemBenArfa, fâchéd’avoir été rem-placé contre la Suède: «Si le coach faitun chan-gement, c’est pour le biende l’équipe, c’est paspour embêter les joueurs. Peut-êtrequec’estunmanquedematurité. Ça faisait longtempsqu’iln’avaitpas été sélectionné, il aurait dû se fairetoutpetit, ouaumoinsêtreplusdiscret.»

Des règlesà respecterGérardPrêcheur, directeurde l’INF, ne s’est

pas trop étendu sur le sujet avec les enfants,mais l’épisodeukrainien lui fournira «l’occa-sionde reparler de certaines valeurs, de l’espritd’équipe, du comportement, etc.»Pour lui,«porter lemaillot de l’INF et porter lemaillotdes Bleus, c’est lamêmechose. Çan’apportepasuniquementdes avantages, cela astreint aussià des règles. Si des joueurs ne sont pasconscientsde ça, qu’ils ne restent pas, ni à Claire-fontaineni en équipe de France». Cette année,l’INF a renvoyé six élèves de la promo97 et unde la promo98pour leurmauvais comporte-ment. Et la FFF? pH.Se.

kPour la dernière soirée,onblagueautourd’un repas

avec le surveillantAzizMokadem.

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