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n 2011, soit trois ans à peine après la crise russo-géorgienne qui fai- sait déjà craindre l’annexion d’un ancien territoire soviétique par la Russie, Moscou et Paris ont conclu une entente pour la livraison de deux bâtiments de projection et de commandement de classe Mistral (plus deux autres en option, qui ne seront vraisemblablement pas commandés). Le contrat d’une valeur de 1,2 milliard d’euros n’a pas manqué à l’époque de susciter les inquiétudes de plusieurs membres de l’OTAN, des Pays baltes aux États-Unis en passant par la Pologne et le Royaume-Uni. Il s’agit en effet du plus important contrat d’armement jamais conclu entre un mem- bre de l’Alliance et la Russie. La guerre en Ukraine et l’impossibilité de par- venir à un règlement diplomatique entre Kiev et Moscou ont accentué la pression sur Paris à un moment où la livraison du premier navire d’assaut amphibie, le Vladivostok, devait avoir lieu. C’est ce qui a poussé le président François Hollande à sursoir la livraison du maté- riel militaire 1 . La saga des Mistral russes est donc loin de son épilogue 2 . Tout au long de la crise ukrainienne, l’analyse des réactions des divers acteurs du débat stratégi- que français sur l’opportunité ou non de respecter le calendrier convenu avec Moscou dans le cadre du contrat ne manque pas d’intérêt. On y décou- vre certains intervenants arcboutés sur la notion d’indépendance nationale quitte à occulter, d’une part, les enjeux sécuritai- res en Ukraine, ainsi que ceux qui se posent pour les alliés de l’OTAN et de l’Union européenne et, d’autre part, les obligations légales découlant du droit communautaire. En France, le discours dans l’espace public fait de l’autonomie stratégique navires. La plupart des politiciens de droite comme de gauche ainsi que des experts hexagonaux sur les questions de défense ont adopté cette position 1. L’Obs avec AFP, « La France reporte “jusqu’à nouvel ordre” la livraison du Mistral à la Russie », L’Obs, 25 novembre 2014. 2. Pour de plus amples détails sur le contrat du Mistral et ses implications, voir Roy Isbister et Yannick Quéau, « Au vent mauvais : comment la vente de Mistral sape les efforts de l’Union européenne », Rapport du GRIP et de Saferworld, novembre 2014. Cet article reprend d’ailleurs plusieurs des éléments du rapport. E

 · navires. La plupart des politiciens de droite comme de gauche ainsi que des experts hexagonaux sur les questions de défense ont adopté cette position 1. ... aussi s’appeler

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n 2011, soit trois ans à peine après la crise russo-géorgienne qui fai-sait déjà craindre l’annexion d’un ancien territoire soviétique par la

Russie, Moscou et Paris ont conclu une entente pour la livraison de deux bâtiments de projection et de commandement de classe Mistral (plus deux autres en option, qui ne seront vraisemblablement pas commandés). Le contrat d’une valeur de 1,2 milliard d’euros n’a pas manqué à l’époque de susciter les inquiétudes de plusieurs membres de l’OTAN, des Pays baltes aux États-Unis en passant par la Pologne et le Royaume-Uni. Il s’agit en effet du plus important contrat d’armement jamais conclu entre un mem-bre de l’Alliance et la Russie. La guerre en Ukraine et l’impossibilité de par-venir à un règlement diplomatique entre Kiev et Moscou ont accentué la pression sur Paris à un moment où la livraison du premier navire d’assaut amphibie, le Vladivostok, devait avoir lieu. C’est ce qui a poussé le président François Hollande à sursoir la livraison du maté-riel militaire1. La saga des Mistral russes est donc loin de son épilogue2.

Tout au long de la crise ukrainienne, l’analyse des réactions des divers acteurs du débat stratégi-que français sur l’opportunité ou non de respecter le calendrier convenu avec Moscou dans le cadre du contrat ne manque pas d’intérêt. On y décou-vre certains intervenants arcboutés sur la notion d’indépendance nationale quitte à occulter, d’une part, les enjeux sécuritai-res en Ukraine, ainsi que ceux qui se posent pour les alliés de l’OTAN et de l’Union européenne et, d’autre part, les obligations légales découlant du droit communautaire.

En France, le discours dans l’espace public fait de l’autonomie stratégique

navires. La plupart des politiciens de droite comme de gauche ainsi que des experts hexagonaux sur les questions de défense ont adopté cette position

1. L’Obs avec AFP, « La France reporte “jusqu’à nouvel ordre” la livraison du Mistral à la Russie », L’Obs, 25 novembre 2014.

2. Pour de plus amples détails sur le contrat du Mistral et ses implications, voir Roy Isbister et Yannick Quéau, « Au vent mauvais : comment la vente de Mistral sape les efforts de l’Union européenne », Rapport du GRIP et de Saferworld, novembre 2014. Cet article reprend d’ailleurs plusieurs des éléments du rapport.

E

qui, dans les formes, est parfois teintée d’une touche d’anti-américa-nisme, d’une aversion envers les pressions extérieures, d’une certaine

Hollande bashing 3. Quatre principaux arguments sont avancés.

Premièrement, les entreprises privées et publiques, les travailleurs syndiqués et certains politiciens insistent partiellement sur les emplois créés au pays avec ce contrat et qui seraient éventuellement supprimés par son annulation. STX, le chantier naval en charge de la construction

activités à Saint-Nazaire (660 millions d’euros). Pour DCNS4, dont le bi-lan des dernières années est assez positif à la fois sur le marché intérieur et celui de l’exportation, la vente des Mistral est moins critique, même si elle est la bienvenue (430 millions d’euros). DCI-NAVFCO (30 millions d’euros) qui a fourni les services de conseil pour la formation des ma-rins russes représente une masse d’emploi nettement moindre5.

Deuxièmement, des préoccupations ont également été soulevées au -

lation. On parlerait dans ce cas d’un milliard d’euros. À l’heure de grandes -

sion de réaliser une transaction fructueuse soutenant l’emploi manufactu-rier dans le pays, mais elle perdrait simultanément beaucoup d’argent.

Troisièmement, la réputation de la France en tant que fournisseur

d’annulation de la vente. Les programmes d’acquisitions impliquent un engagement à long terme du fournisseur ; les acheteurs exigent donc des garanties que leur commande ne sera pas menacée par l’évolution possible de l’environnement sécuritaire international. La France redou-terait ainsi notamment de voir sa position fragilisée, particulièrement en Inde pour la vente des avions Rafale.

-me trop avancé pour pouvoir être annulé. L’État russe a rencontré la

-nologie ont déjà eu lieu (coque, intégration des systèmes C2, notam-ment). Une annulation française pourrait avoir des répercussions sur l’attitude de Moscou à l’égard de la propriété intellectuelle. Si la France ne remplit pas sa part du contrat, elle peut craindre que la Russie utilise ses nouvelles connaissances sans égard pour les préoccupations de Paris et engage des travaux de rétro-ingénierie sur la technologie et les équi-pements français déjà transférés.

Le précédent argumentaire occulte deux dimensions incontournables pour la compréhension de tout enjeu lié à un transfert international d’armement, à savoir : la situation sécuritaire et les engagements inter-

3. « La suspension de la vente du Mistral suscite un concert de réactions disparates », Les Échos, 4 septembre 2014 ; Jacques Sapir, « En suspendant la livraison du Mistral, Hollande met la France hors-jeu », Le Figaro, 4 septembre 2014.

4. Groupe industriel français spécialisé dans l’industrie navale militaire, l’énergie nucléaire et les infrastructures marines.

5. Michel Cabirol avec agences, « Russie : pourquoi une annulation du contrat Mistral serait préjudiciable à la France », La Tribune, 20 mars 2014.

« [le] désir d’enraciner une fois pour toutes la réalité de l’événement, face à la persistance de discours allant de l’explication par la ‘‘lutte interethnique’’ à la négation des pogroms. » Le Monde diplomatique

« Comment devient-on génocidaire ? C’est la question que pose le magistrat Damien Vandermeersch. Et à laquelle il donne une réponse forte dans un ouvrage très dense et au sous-titre saisissant. » La Libre

« Un ouvrage éclairant qui, si le sujet n’était aussi grave pourrait aussi s’appeler ‘‘le génocide pour les nuls’’, car il restitue le contexte de l’époque, rappelle les faits et l’histoire et retrace l’étrange démarche d’un magistrat belge soudain plongé au coeur de l’indicible. » Le Soir

« En pédagogue avisé, le magistrat tente d’expliquer les processus collectifs qui conduisent aux crimes de l’extrême : la recherche d’un pouvoir sans partage, le contexte de guerre, l’autolégitimation sur base du ‘‘passé’’, les médias... » Le Vif

nationaux contractés par la France en vue de réguler un marché des ar-mements. Rappelons-le, ces transactions concernent des produits dont

civil) sera mis hors d’état de nuire.Que sont donc les Ukrainiens au regard des partisans du discours

sur l’indépendance nationale ? Pas grand-chose apparemment. L’an-nexion de la Crimée par la force, l’occupation militaire de ce qui reste

-

intervenants hexagonaux sur la question du Mistral, du moins pas ou -

ment à un pays en guerre ayant agressé un État voisin aux frontières de l’Union européenne.

Fort heureusement, il se trouve tout de même en France quelques voix en appelant à la responsabilité internationale de la France pour s’op-poser à la livraison du Mistral dans le contexte actuel6. L’argument repo-se ici sur une lecture prenant en compte le risque que les navires d’assaut amphibies soient utilisés par la Russie contre des alliés de la France.

Il est clair que la Russie est prête à remodeler son environnement sécuritaire, par la force si nécessaire. Ainsi, non seulement la France de-vrait renoncer à fournir les navires mais elle devrait aussi dans le même temps apporter des assurances de sécurité à ses partenaires (par exemple en envoyant des avions de combat Rafale dans les Pays baltes). L’annu-lation pourrait aussi aider à retrouver un peu de la crédibilité perdue par la France auprès des États d’Europe orientale et ne plus constituer une entrave à l’accès à leurs marchés de défense. La Pologne est ici un bon exemple. La vente du Mistral est une préoccupation pour Varsovie. Elle met clairement les industries de défense françaises dans l’embarras pour

l’obtention des contrats auprès du gouvernement polonais, notamment pour le programme anti-missile et pour celui des hélicoptères.

Si la dimension sécu-ritaire s’est faite discrète dans le débat français, que dire des aspects ju-ridiques ? Ceux-ci ont presque exclusivement été abordés sous l’angle

des obligations contractuelles. Hormis une poignée d’articles de jour-naux, il faut lire la presse ou la production des think tanks étrangers pour trouver mention des obligations légales de la France en matière de commerce des armements, notamment, celles découlant de la Position commune de l’UE. Un soin tout particulier semble avoir été porté par les intervenants du débat pour exclure cette dimension de la discussion se tenant dans l’espace public.

6. Étienne Dedurand interviewé par Jean Guisnel, « La Russie est susceptible d’utiliser les Mistral contre nos alliés directs », Le Point, 22 mars 2014 ; François Heisebourg, « Vente de Mistral à la Russie : un acte honteux et imprudent », Ouest France, 19 juin 2014. À commander au GRIP.

ET SI NOUS ÉTIONS TOUS CAPABLES DE MASSACRER NOS VOISINS

C’est d’autant plus remarquable que le contrat des Mistral soulève

des interrogations importantes pour au moins six des huit critères de la Position commune de l’Union européenne, plus particulièrement les critères 4 et 57. Le critère 4 exige en effet que le transfert soit refusé lorsqu’il existe un risque avéré qu’il nuise à la paix, à la sécurité et à la stabilité régionale. Le critère 5 impose quant à lui à l’État exportateur de prendre en compte le risque que le transfert comporte pour la sécurité nationale des pays amis et alliés. Il convient aussi d’insister sur le fait que la Position commune prévoit explicitement que si « les États membres peuvent prendre en compte l’effet des exportations envisagées sur leurs intérêts éco-nomiques, sociaux, commerciaux et industriels, ces facteurs ne doivent pas affecter l’application des critères »8.

Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du parti socialiste, croyant sans doute venir en appui à la position du président Hollande, n’y est pas allé par quatre chemins le 22 juillet 2014 sur le plateau de la chaîne de télévision I-TéléVladivostok de la manière suivante : « C’est un faux débat mené par des faux-

Hollande ne recule pas, il livre le premier Mistral malgré le fait qu’on lui demande

Russie) vous comporterez. C’est une manière de faire pression sur Vladimir Pou-tine. » Ce n’est pas l’option retenue par l’Élysée pour le moment.

En ce qui concerne le langage choyé de la première partie de la cita-tion, il faudra tout de même penser à interroger l’auteur de ces propos

vendre des armements à un pays en guerre en Europe – et que les alliés de la France considèrent comme une menace – et, de l’autre, à déployer avions de chasse et véhicules blindés chez ces mêmes alliés pour les rassurer tout en les invitant à jeter un œil aux catalogues-produits des

-jeurs aux niveaux sécuritaire et juridique, tout en interrogeant la crédibi-lité et la cohérence de la parole de la France sur la scène internationale, notamment en Europe.

Sans ligne directrice claire tant sur plan politique que juridique, la stratégie de Paris visant à préserver l’essentiel des capacités de la base industrielle de défense nationale via la conquête des marchés interna-tionaux risque de mener à d’autres imbroglios semblables à celui des Mistral russes. L’observation vaut également pour les autres États euro-péens qui, à quelques variantes près, poursuivent les mêmes buts en mettant en œuvre les mêmes moyens quitte à contourner l’esprit et par-fois la lettre des engagements communautaires et internationaux. Les États européens se sont pourtant dotés de tous les outils visant à éviter ces déconvenues. Ne manque que la volonté politique de les utiliser.

7. « -exportations de technologie et d’équipements militaires » (Position com-

mune), 8 décembre 2008.8. Idem.

« L’armée et la sécurité sont la véri-table religion de ce pays », s’inquiète Gideon Levy, journaliste du Haaretz. Pour l’État d’Israël, la question du « vi-vre en sécurité » tourne, en effet, à l’obsession. Telle une « villa dans la jungle » – expression d’Ehoud Barak –, il a développé une vraie culture de la forteresse assiégée. Pour se proté-ger, Israël se replie, s’enferme, mise sur sa force militaire, se lance dans des guerres préventives au nom de la « légitime défense », colonise les terres « incertaines » à ses frontières... À Jérusalem-Est, « judaïser » des quartiers devient ainsi synonyme de sécurisation. Mais cette politique pose question puisqu’elle s’avère incompa-tible avec l’existence et les droits des Palestiniens…On ne peut comprendre ce complexe sécuritaire sans se replonger dans l’Histoire de cette « nation » atypique. Le syndrome d’Amalek est souvent avancé comme le mythe fondateur du « bellicisme » israélien. Après un détour par l’époque biblique, l’auteur revisite surtout des pages d’Histoire récentes : la profonde blessure laissée par la guerre du Kippour (1973), le trauma-tisme des premiers attentats-suicide dans les années 1990, les échecs des interventions au Liban (2006) et dans la bande de Gaza (comme à l’été 2014), les cyber-attaques contre l’Iran, l’incidence des Printemps arabes… Ce tableau ne saurait toutefois être com-plet sans une analyse de la situation sociale interne – incontestable bombe à retardement – et de la radicalisa-tion de l’opinion publique israélienne. Autant d’éclairages essentiels qui permettent de mieux appréhender la politique complexe de ce pays, tiraillé de toutes parts.

À commander au GRIP.

e 30 octobre, à l’issue de quatre jours de mobilisation nationale, le président Blaise Compaoré a été contraint de démissionner. Deux

semaines de négociations ont ensuite permis à l’armée, à l’opposition politique et à la société civile de s’entendre sur l’établissement d’une charte de transition ainsi que sur la nomination de l’ancien diplomate Michel Kafando à la tête du gouvernement intérimaire, jusqu’au scrutin présidentiel prévu pour le mois de novembre 2015.

Plus qu’une crise politique conjoncturelle, cette période de mobilisa-tion sociale renvoie à des dynamiques de contestation déjà anciennes et relevant de revendications socio-économiques profondément ancrées dans la société burkinabée. Porteuse de la mobilisation, la jeunesse dé-nonce notamment l’existence d’une fracture générationnelle, entraînée par la mainmise sur le pays des élites issues du coup d’État de 1987, ainsi que la récupération de la « révolution burkinabée » par les anciens cadres du régime.

L’opposition de la société civile à la réélection de Blaise Compaoré ré-sulte en effet de plusieurs années de contestation et de mouvements

sociaux d’envergure. Entre décembre 2012 et août 2013, de nombreuses manifestations ont lieu pour s’opposer à la création d’un Sénat burkinabé, alors perçu comme un outil institutionnel permettant à Compaoré d’opérer à huis clos la révision de l’article 37 de la Constitution, l’autorisant à effectuer un nouveau mandat à la tête du pays. La

-venue le catalyseur du mécontentement et des griefs exprimés à l’encontre du régime. Mais en réalité, la crise est bien plus pro-fonde et couvre un champ plus vaste que le seul domaine politique. La contestation sociale s’inscrit dans le prolongement de la

crise socio-économique de 2011, amorcée par de nombreuses manifes-tations étudiantes dénonçant l’assassinat du collégien Justin Zongo par les forces de police. Ce mouvement contestataire a ensuite été relayé par une grève puis une mutinerie des forces armées, avant d’être rejoint par la mobilisation des forces de police et des enseignants.

C’est donc une grande partie de la société burkinabée qui se mobili-se autour de revendications portant essentiellement sur l’amélioration des conditions de vie ainsi que sur l’assainissement des structures de gouvernance du pays. Dans l’ensemble, ces acteurs en colère réclament une répartition équitable des fruits de la croissance économique ; l’in-

Amine Ait-Chaalal, Bichara Khader et Claude RoosensDes données brutes (documents, discours, cartes…) décryptées et liées entre elles par des textes

au lecteur une vision globale

palestinien.

Patrice Bouveret, Pascal Fenaux, Caroline Pailhe et Cédric Poitevin

Centré sur la problématique des transferts d’armes vers l’État

hébreu – premier fournisseur : les États-Unis dont l’incommensurable aide militaire est inscrite dans des accords solides –, ce livre explore aussi les origines de ce qu’on est

bien obligé de nommer la « violence d’État » israélienne.

L

dépendance de la justice ; la garantie des droits sociaux ainsi que la lutte contre la corruption et l’impunité des cadres du régime de Compaoré1. Pourtant, le règlement de la crise de 2011 n’a entraîné que des réformes

-turelles de la crise sociale.

Lors des manifestations d’octobre 2014, les discours tenus par les organisations de la société civile, telles que le Collectif anti-référendum et le Balai citoyen2, allaient au-delà du simple retrait du texte de loi sur la

-paoré, à une réorientation complète des modes de gouvernance socio-politique du pays et des structures patrimoniales qui régissent l’État burkinabé. Le Balai citoyen appelle alors à un « nettoyage en profon-deur » du pays et dénonce le fait que « depuis presque

burkinabée subit et ne réagit

la population qui a commencé à s’enrichir impunément pen-dant que le reste dégraisse »3. En effet, en dépit d’une forte croissance économi-

culture intensive du coton et de l’exploitation industrielle des ressour-ces minières, la population demeure extrêmement pauvre. La Banque mondiale estime que plus de 45 % de la population du pays vit encore sous le seuil de pauvreté. Les plus touchés étant les jeunes et surtout les moins de 24 ans qui représentent 65 % de la population du Burkina Faso…

Néanmoins, au-delà des simples enjeux économiques, la jeunesse s’en-

marginalité et le dédain dont elle est victime4. En effet, elle est à l’évi-dence en proie à une véritable fracture générationnelle. Une enquête de

les conditions économiques, les rapports

acteur du changement social ou dans la société alors qu’ils sont au cœur des mobilisa-tions »5. La jeunesse est un acteur indéniable du renversement de Blaise Compaoré. Porteuse de la contestation, elle est néanmoins sous-repré-

1. Mathieu Hilgers, Loada Augustin « Tensions et protestations dans un régime semi-autori-taire : croissance des révoltes populaires et maintien du pouvoir », 2013.

2. Le Balai citoyen et le Collectif anti-référendum (CAR) sont les deux principales organi-sations de la société civile ayant pris part à l’organisation et à la coordination des manifestations amenant au renversement de Blaise Compaoré. Créé en juillet 2013, en marge d’une manifesta-tion s’opposant à la création du Sénat burkinabé, le Balai citoyen possède une excellente visibilité en raison de sa maîtrise des réseaux sociaux et de la diffusion des informations relatives aux mouvements de contestation.

3 https://www.facebook.com/CitoyenBalayeur4. Hilgers et Loada 2013, op. cit., p. 204.5. Idem.

sentée au sein du gouvernement de transition, alors que les membres de

des principaux partis politiques d’opposition au sein de la manifestation amenant au renversement de l’Assemblée nationale6. Cette absence est d’autant plus étonnante que ces formations politiques, telles que l’UPC (Union pour le progrès et le changement) et le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès), ont appelé à manifester le 30 octobre 2014 et ont participé aux nombreuses journées de mobilisation nationale contre

!

La position des organisations de la société civile à ce sujet révèle une

auto-proclamés de l’opposition, majoritairement des transfuges du ré-gime de Compaoré. En effet, depuis 2011, les mouvements de contes-tation successifs s’organisent généralement de manière spontanée et se dissocient des appels à manifester lancés par l’opposition, souvent per-çue comme une composante du jeu politique proposé par le gouverne-ment burkinabé. La jeunesse rejette d’autant plus le régime de Compa-

les responsables directs de l’assassinat, le 15 octobre 1987, de Thomas

Pour ces derniers, la révolution sankariste transforme « la société en don-nant aux femmes et à la jeunesse une place qu’ils n’avaient pas jusqu’alors »7.

Il est dès lors légitime de s’interroger sur les capacités du gouverne-

de la jeunesse burkinabée et à créer une rupture dans les modes de gou-vernance tout en amorçant une perspective de développement socio-économique du pays. Certains citoyens dénoncent la récupération de leur « révolution » par les cadres de l’armée et les leaders de l’opposition politique8. Le journaliste franco-tunisien Béchir Ben Yahmed estime à ce sujet qu’« ont hérité du changement non pas ceux qui se sont soulevés pour

une révolution, mais une grande alternance au sein de l’establishment politico-so-cial »9. Les principaux acteurs de la transition sont en effet presque tous issus de l’ère Compaoré, que ce soit le président de transition, Michel Kafando (représentant à l’ONU du gouvernement pendant plus de dix ans), le Premier ministre Isaac Zida (numéro deux de l’ex-garde rappro-chée de Compaoré) ou les cadres des principaux partis d’opposition, qui ont tous occupé des postes politiques de premier ordre sous l’ancien régime.

Un proche du lieutenant-colonel Isaac Zida, s’exprimant sous cou-vert de l’anonymat, dénonce les « appétits voraces » de certains membres de l’opposition civile et politique cherchant à maximiser leurs gains au sein du gouvernement de transition10.

6. Le Faso du 14 novembre 2014, « Smockey artiste chanteur burkinabé : Si le Balai citoyen avait voulu le pouvoir, il l’aurait eu ».

7. International Crisis Group 2013, op. cit., p. 7.8. Jeune Afrique, « Dans l’ombre ou en premières lignes, les hommes clés de la révolution »,

18 novembre 2014 ; Rapport Afrique n° 205, « Burkina Faso : avec ou sans Compaoré, le temps des incertitudes », International Crisis Group, 22 juillet 2013, p. 43.

9. Jeune Afrique, « Burkina Faso : ce n’est pas une révolution », 20 novembre 2014. 10. Jeune Afrique, « Burkina : Des appétits voraces ralentissent la formation du gouvernement »,

20 novembre 2014.

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La société civile demeure néanmoins vigilante et, à l’instar du Balai citoyen, plu-

pression sur le Conseil national de transition pour les limoger du nouveau gou-vernement. Le renvoi, le 25 novembre, du ministre de la Culture et du Tourisme, Adama Sagnon, semble être le signe d’une volonté de la part des nouvelles instances dirigeantes de se mettre à l’écoute des revendications populaires. Mais le resteront-elles lorsque la société civile dénoncera la mainmise des anciens cadres du régime sur les ministères clés tels que la Défense, l’Administration territoriale, les Affaires étrangères et le ministère des Mines ?

DÉCOUVREZ LE DOCTEUR DENIS MUKWEGE : SON PARCOURS, SES RÉFLEXIONS, SON COMBAT

Le regard croisé de Colette Braeckman et Denis Mukwege nous amène à comprendre les ressorts de cette tragédie

qui se joue à l’Est du Congo. Avec les femmes comme principales victimes :

violées, mutilées, terrorisées...

La conférence des présidents de groupe politique du Parlement européen a décerné

au docteur congolais Denis Mukwege pour « son combat pour la protection des femmes aussi le mouvement ukrainien Euromaïdan et la militante des droits de l’homme Leyla Yunus (Azerbaïdjan).

Le « prix Sakharov pour la liberté de l’esprit » est sans aucun doute la plus « politique » des distinctions remportées par le médecin-

chef de Panzi. Dans son hôpital de Bukavu, celui qui est désormais décrit comme « l’homme qui répare les femmes », a soigné depuis 1996 – avec son équipe – plus de 40 000 patientes. Son centre s’est spécialisé dans le traitement des victimes sexuelles

A Strasbourg, le 26 novembre, Denis Mukwege a déclaré devant les parlementaires venus en nombre, qu’il recevait cette récompense avec humilité, rappelant que la région où il vit est l’une des plus riches de la planète mais que le corps des femmes y est devenu un véritable champ de bataille, et le viol utilisé comme une arme de guerre. Et de rajouter que « c ; chaque mère violée à ma mère et chaque enfant violé à mes enfants. Comment me taire quand nous

un mobile bassement économique ? ».

À commander au GRIP.