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Cet ouvrage a été expliqué littéralement par M. D. Delaunay, professeur à la Faculté des lettres de Rennes. La traduion française est celle de M. J. Baillard. Restitution v. 0 : Gérard Gréco © 2010 Cette création est mise à diosition selon le Contrat Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Partage des Condi- tions Initiales à l’Identique 2.0 France dionible en ligne http ://creativecom- mons.org/ licenses/ by-nc-sa/ 2.0/fr/ ou par courrier postal à Creative Com- mons, 171 Second Street, Suite 300, San Francisco, California 94105, USA. LES AUTEURS LATINS PAR DEUX TRADUCTIONS FRANÇAISES avec des sommaires et des notes PAR UNE SOCIÉTÉ DE PROFESSEURS SÉNÈQUE DE LA VIE HEUREUSE , -,

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Cet ouvrage a été expliqué littéralement par M. D. Delaunay,professeur à la Faculté des lettres de Rennes. La traduion françaiseest celle de M. J. Baillard.

Restitution v. 0 : Gérard Gréco © 2010 Cette création est mise à diositionselon le Contrat Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Partage des Condi-tions Initiales à l’Identique 2.0 France dionible en ligne http ://creativecom-mons.org/ licenses/ by-nc-sa/ 2.0/fr/ ou par courrier postal à Creative Com-mons, 171 Second Street, Suite 300, San Francisco, California 94105, USA.

LES

AUTEURS LATINS ’

PAR DEUX TRADUCTIONS FRANÇAISES

avec des sommaires et des notes

PAR UNE SOCIÉTÉ DE PROFESSEURS

SÉNÈQUEDE LA VIE HEUREUSE

, -,

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AVIS

On a réuni par des traits, dans la traduion juxtalinéaire,les mots français qui traduisent un seul mot latin.

On a imprimé en italique les mots qu’il était nécessaired’ajouter pour rendre intelligible la traduion littérale, et quin’avaient pas leur équivalent dans le latin.

Enfin, les mots placés entre parenthèses, dans le français,doivent être considérés comme une seconde explication, plusintelligible que la version littérale.

ARGUMENT ANALYTIQUE.

Le traité de la Vie Heureuse peut se diviser en quatre parties :1° L’auteur expose la théorie stoïcienne sur le bonheur, qui est

constitué exclusivement par la raison et la volonté chap. à ).2° Il explique en quoi sa dorine diffère de la dorine d’Épicure, à

laquelle il reproche son impuissance et ses conséquences dangereuses,tout en reconnaissant que les exemples donnés par Épicure valentmieux que ses préceptes ; mais les vertus personnelles du philosophene sauraient justifier son principe (chap. à ).

3° Sénèque montre ensuite que sa dorine se distingue égalementde la dorine péripatéticienne (chap. ).

4° Il défend la morale stoïcienne contre des objeions malveil-lantes qui l’atteignaient personnellement.—Les faiblesses de l’hommene prouvent rien contre ses principes.— L’opulence, que l’on reprocheà Sénèque, n’est pas, en elle-même, contraire aux dogmes stoïciens ; lesage du Portique ne repousse pas les dons de la fortune : à ses yeux,la richesse est au nombre des choses préférables, sans être au rangdes biens ; il sait en user, et elle lui fournit l’occasion de pratiquercertaines vertus, à la fois plus faciles et plus brillantes que les autres,telles que la tempérance, la modération, la libéralité ; enfin il ne s’yattache pas ; elle n’est pas un élément nécessaire de son bonheur. Ilfaut donc admettre que le sage préfère, sans se méprendre sur leurvéritable nature, les choses qui fournissent aux efforts de la volontéet de la raison une matière plus aisée. Sénèque met en scène Socrate,dans la bouche duquel il place une éloquente protestation contre lesdétraeurs de la philosophie et des philosophes (chap. à ).

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DEVITA BEATA.

I. Vivere, Gallio frater, omnes beate volunt : sed ad per-videndum, quid sit quod beatam vitam efficiat, caligant.Adeoque non est facile consequi beatam vitam, ut ab eaquisque eo longius recedat, quo ad illam concitatius fertur,si via lapsus est : quæ ubi in contrarium ducit, ipsa velo-citas majoris intervalli causa fit. Proponendum est itaqueprimum, quid sit quod appetamus : tunc circumicien-dum est, qua contendere illo celerrime possimus : intel-leuri in ipso itinere, si modo reum erit, quantum quo-tidie profligetur, quantoque propius ab eo simus, ad quodnos cupiditas naturalis impellit. Quamdiu quidem passimvagamur, non ducem secuti, sed fremitum et clamoremdissonum in diversa . . . . . . . . . . . . . . . . . .

I. Vivre heureux, mon frère Gallion, voilà ce que veulent tousles hommes : quant à bien voir ce qui fait le bonheur, quel nuagesur leurs yeux ! Et il est si difficile d’atteindre à la vie heureuse,qu’une fois la route perdue, on s’éloigne d’autant plus du butqu’on le poursuit plus vivement ; toutemarche en sens contrairene fait, par sa rapidité même, qu’accroître l’éloignement. Il fautdonc d’abord déterminer la fin vers laquelle nous devons tendre,ensuite chercher les moyens les plus dires pour l’atteindre ;une fois en route, si nous sommes engagés sur la bonne voie,nous comprendrons quelle perte produit chaque jour une mau-vaise direion, et combien est plus voisin de nous ce but vers le-quel nous pousse l’inclination naturelle.Mais tant qu’onmarcheà l’aventure, sans guide et suivant le hasard des vagues rumeurset des clameurs contradioires qui nous

DELA VIE HEUREUSE.

I. Gallio frater,omnes volunt vivere beate :sed caligantad pervidendumquid sit quod efficiatvitam beatam.Estque adeo non facileconsequi vitam beatam,ut quisque recedat ab ea,si est lapsus via,eo longius quo ferturconcitatius ad illam :quæ ubi ducitin contrarium,velocitas ipsafit causamajoris intervalli.Itaque primumest proponendumquid sit quod appetamus ;tunc est circumiciendumqua possimus celerrimecontendere illo ;intelleuri in itinere ipso,si modo erit reum,quantum profligeturquotidie,quantoque simus propiusab eo ad quodcupiditas naturalisnos impellit.Quamdiu quidem vagamurpassim,secuti non ducem.sed fremitum

I. Gallion, mon frère,tous veulent vivre heureusement.Mais ils ne-voient-pas-clairà distinguerqu’est-ce qui produitla vie heureuse.Et il est tellement peu faciled’atteindre la vie heureuse,que l’on s’écarte d’elle,si l’on s’est trompé de route,d’autant plus loin qu’on se porteplus vivement vers elle :et quand cette route conduità l’opposé,la rapidité même de la marchedevient la caused’un plus grand éloignement.C’est pourquoi premièrementnous devons-mettre-sous-nos-yeuxquel est le but que nous poursuivons ;puis nous devons chercher,par quel moyen nous pouvons le plus vitenous-diriger vers-ce-but :devant comprendre dans le voyage même,si toutefois il est dire,combien d’efforts on perdchaque-jour,et combien nous sommes plus prèsde ce but vers lequelle désir naturelnous pousse.Tant-que certes nous erronsçà et là,ayant suivi non pas un guide,mais la rumeur

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vocantium, conteritur vita inter errores, brevis, etiamsidies noesque bonæ menti laboremus. Decernatur itaqueet quo tendamus, et qua ; non sine perito aliquo, cui explo-rata sint ea, in quæ procedimus : quoniam quidem noneadem hic, quæ in ceteris peregrinationibus, conditio est.In illis comprehensus aliquis limes, et interrogati incolænon patiuntur errare : at hic tritissima quæque via, et ce-leberrima, maxime decipit. Nihil ergo magis præstandumest, quamne, pecorum ritu, sequamur antecedentiumgre-gem, pergentes non qua eundum est, sed qua itur. Atquinulla res nos majoribus malis implicat, quam quod ad ru-morem componimur : optima rati ea, quæ magno assensurecepta sunt, quodque exempla pro bonis multa sunt : necad rationem, sed ad similitudinem vivimus. Inde ista tantacoacervatio aliorum super alios ruentium. Quod in stragehominum magna evenit, quum ipse . . . . . . . . . .

appellent vers mille points opposés, on consume dans de vainsécarts cette vie déjà si courte, alors même que l’on consacreraitses jours et ses nuits à l’étude de la sagesse. Déterminons doncla fin et les moyens, non sans consulter un guide expérimentéqui ait déjà exploré cette route où nous devons marcher ; car lesconditions de ce voyage sont tout autres que celles d’un voyageordinaire, où un sentier battu, les indications fournies par lesgens du pays, empêchent qu’on ne s’égare : ici ce sont les cheminsles plus suivis et les plus fréquentés qui trompent lemieux. Ainsi,par dessus tout, gardons-nous de suivre en stupide bétail la têtedu troupeau, et de nous diriger où l’on va plutôt qu’où l’on doitaller. Or il n’est rien qui nous jette en d’inextricables misèrescomme de nous régler sur le bruit public, regardant comme lemieux ce que la foule applaudit et adopte, ce dont on voit leplus d’exemples, et vivant, non pas d’après la raison, mais d’aprèsautrui. De là ce vaste entassement d’hommes qui se renversentles uns sur les autres. Comme en une déroute générale

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et clamorem dissonumvocantiumin diversa,vita brevis,etiamsi dies noesquelaboremusmenti bonæ,conteritur inter errores.Itaque decernaturet quo tendamus,et qua ;non sine aliquo perito,cui sint explorata eain quæ procedimus ;quoniam quidem conditionon est eadem hicquæ in ceterisperegrinationibus.In illis aliquis limescomprehensus,et incolæ interrogatinon patiuntur errare :at hic quæque viatritissima et celeberrimadecipit maxime.Nihil ergoest præstandum magis quamne sequamurgregem antecedentium,ritu pecorum,pergentes non quaest eundum,sed qua itur.Atqui nulla resnos implicatmalis majoribus,quam quod componimurad rumorem :rati ea optimaquæ sunt receptamagno assensu,quodque exempla multasunt pro bonis :nec vivimus ad rationem,sed ad similitudinem.Inde ista tantacoacervatio ruentiumaliorum super alios.Quod evenit inmagna strage hominum,

et le cri discordantdes gens qui nous appellentdans des direions opposées,la vie qui est courte,même-si jours et nuitsnous travaillionspour avoir une âme saine,est usée dans les égarements.C’est pourquoi qu’il soit décidéet vers-quel-but nous devons-tendre,et par-quel-moyen ;non sans quelque guide habile,par qui aient été explorées ces régionsdans lesquelles nous nous avançons ;puisque en vérité la conditionn’est pas la même icique dans les autresvoyages.Dans ceux-ci un sentierbattu,et les habitants interrogésne permettent pas de s’égarer :mais ici chaque routela plus frayée et la plus fréquentéetrompe le plus.Rien doncne doit être effeué plus que ceci,que nous ne suivions pasle troupeau de ceux qui nous précèdent,à la manière des bêtes,allant non par-oùon doit aller,mais par-où l’on va.Or aucune chosene nous enlacedans des maux plus grandsque ceci, que nous nous réglonssur la rumeur publique :convaincus que ces aes sont les meilleursqui sont accueillisavec une grande approbation,et ceci, que des exemples nombreuxsont à-la-place-(tiennent lieu) de bons :et nous ne vivons pas selon la raison,mais selon la ressemblance.De là cette si-grandeaccumulation de gens qui tombentles uns sur les autres.Ce qui arrive dansune grande chute d’hommes,

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se populus premit, nemo ita cadit ut non alium in se attra-hat, primi exitio sequentibus sunt : hoc in omni vita acci-dere videas licet ; nemo sibi tantummodo errat, sed alienierroris et causa et auor est. Nocet enim applicari antece-dentibus : et dum unusquisque mavult credere quam ju-dicare, nunquam de vita judicatur, semper creditur : ver-satque nos et præcipitat traditus per manus error, alie-nisque perimus exemplis. Sanabimur, si modo separemura cœtu : nunc vero stat contra rationem, defensor malisui, populus. Itaque id evenit, quod in comitiis, in quibuseos faos prætores iidem qui fecere mirantur, quum semobilis favor circumegit. Eadem probamus, eadem repre-hendimus ; hic exitus est omnis judicii, in quo secundumplures datur.

II. Quum de beata vita agitur, non est quod mihi illuddiscessionum more reondeas : « Hæc pars major essevidetur. » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

où, les masses se refoulant sur elles-mêmes, nul ne tombe sans fairechoir quelque autre avec lui ; les premiers entraînent la perte de ceuxqui suivent ; demême, dans tous les rangs de la vie, nul ne s’égare poursoi seul : on est la cause, on est l’auteur de l’égarement des autres. Caril n’est pas bon de s’attacher à ceux qui marchent devant ; et commechacun aimemieux croire que juger, demême au sujet de la vie, jamaisonne juge, on croit toujours : ainsi nous joue et nous précipite l’ erreurtransmise de main en main, et l’ on périt viime de l’exemple. Nousserons guéris à condition de nous séparer de la foule ; car tel est lepeuple : il tient ferme contre la raison, il défend lemal qui le tue. Aussiarrive-t-il ce qui a lieu dans les comices, où les éleeurs eux-mêmess’étonnent d’avoir choisi tel ou tel préteur, quand la faveur capricieusea fait un retour contraire. On approuve et on blâme tour à tour lesmêmes choses ; telle est l’issue de tout jugement où lamajorité décide.

II. Quand c’est de la vie heureuse qu’il s’agit, ne va pas, commelorsqu’on se partage pour aller aux voix, me répondre : « Ce côté-ciparaît le plus nombreux. » Par là même

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quum populus ipsese premit,nemo caditita ut non attrahatalium in se,primi sunt exitiosequentibus :licet videashoc acciderein vita omni ;nemo erratsibi tantummodo,sed est et causa et auorerroris alieni.Nocet enimapplicari antecedentibus :et dum unusquisque mavultcredere quam judicare,nunquam judicaturde vita,semper creditur :errorque traditus per manusnos versat et præcipitat,perimusque exemplisalienis.Sanabimur, si modoseparemur a cœtu :nunc vero populusstat contra rationem,defensormali sui.Itaque id evenitquod in comitiis,in quibus iidemqui fecere prætoresmirantur eos faos,quum favor mobilisse circumegit.Probamus eadem,reprehendimus eadem ;hic est exitusomnis judicii in quodatursecundum plures.

II. Quum agiturde vita beata,non est quodmihi reondeas illudmore discessionum :« Hæc pars

quand la foule elle-mêmes’écrase,quand personne ne tombede-telle-sorte qu’il n’entraîne pasun autre sur lui,et quand les premiers sont à perteà ceux qui les suivent :il est-possible que tu voiescela arriverdans la vie en-général ;nul ne s’égarepour soi seulement,mais il est et la cause et l’auteurde l’égarement d’-autrui.Il est-nuisible en effetde s’attacher à ceux qui vont-devant :et pendant que chacun préfèrecroire plutôt que juger,jamais on ne jugesur la vie,toujours l’on croit :et l’erreur transmise de main-en-mainnous roule et nous précipite,et nous périssons par les exemplesd’-autrui.Nous nous guérirons, si seulementnous nous séparons de la foule :mais maintenant le peuplese-dresse contre la raison,comme défenseurdu mal qui-lui-est-propre.C’est pourquoi cela arrivequi arrive dans les comices,dans lesquels les mêmes hommesqui ont fait les préteurss’étonnent qu’ils aient été faits,quand la faveur capricieuses’est retournée.Nous approuvons les mêmes choses,nous blâmons les mêmes choses ;telle est l’issuede tout jugement dans lequella sentence est donnéesuivant le-plus-grand-nombre.

II. Quand il s’agitde la vie heureuse,il n’y a pas lieu quetu me répondes cecià la façon des votes-par-division :« Ce côté-ci

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Ideo enim pejor est. Non tam bene cum rebus humanisagitur, ut meliora pluribus placeant : argumentum pes-simi, turba est. Quæramus, quid optimum faum sit, nonquid usitatissimum : et quid nos in possessione felicita-tis æternæ constituat, non quid vulgo, veritatis pessimointerpreti, probatum sit. Vulgum autem tam chlamydatosquam coronatos voco. Non enim colorem vestium, qui-bus prætexta corpora sunt, adicio : oculis de hominenon credo ; habeo melius certiusque lumen, quo a falsisvera dijudicem : animi bonumanimus inveniat. Hic, si un-quam illi reirare et recedere in se vacaverit, o quam sibiipse verum, tortus a se, fatebitur, ac dicet : « Quidquid feciadhuc, infeum esse mallem : quidquid dixi quum reco-gito, mutis invideo : quidquid optavi, inimicorum exse-crationem puto ; quidquid timui, dii boni, quanto meliusfuit, quam quod concupivi ! Cum multis inimicitias gessi,et in gratiam ex odio (si modo . . . . . . . . . . . . .

il est le moins sage. L’humanité n’est pas tellement favorisée que lemeilleur parti plaise au plus grand nombre : le pire se reconnaît à lafoule qui le suit. Cherchons ce qu’il y a de mieux à faire, non ce qui estle plus habituel ; ce qui met en possession d’une félicité stable, non cequ’approuve le vulgaire, le plus sot interprète de la vérité ; et j’entendspar vulgaire aussi bien les obscurs porteurs de chlamydes que les por-teurs de couronnes. Car ce n’est pas à la couleur du vêtement dont lecorps s’enveloppe que s’arrêtent mes yeux ; je ne juge pas l’homme surleur témoignage : j’ai un flambeau meilleur et plus sûr pour démêlerle faux du vrai. C’est l’âme qui doit juger sur le bien de l’âme. Oh ! sijamais il lui était loisible de reirer et de se retirer en elle-même, et des’imposer une torture salutaire, comme elle se confesserait la vérité ets’écrierait : « Tout ce que j’ai fait jusqu’ici, j’aime rais mieux ne l’avoirpoint fait ; quand je me rappelle tout ce que j’ai dit. je porte envie auxêtres muets ; tous les vœux que j’ai formés sont à mes yeux des impré-cations d’ennemis ; tout ce j’ai craint, ô dieux ! m’eût valu mieux millefois que ce que j’ai désiré ! J’ai eu des inimitiés avec bien

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videtur esse major. »Ideo enim est pejor.Non agitur tam benecum rebus humanis,ut melioraplaceant pluribus :turbaest argumentum pessimi.Quæramus quid sit faumoptimum,non quid usitatissimum :et quid nos constituatin possessionefelicitatis æternæ,non quid sit probatum vulgo,pessimo interpreti veritatis.Voco autem vulgumtam chlamydatos.quam coronatos.Non enim adiciocolorem vestium,quibus corporasunt prætexta ;non credo oculisde homine ;habeo lumenmelius certiusque,quo dijudicem veraa falsis :animus inveniatbonum animi.Hic, si unquamvacaverit illi,reirare et recedere in se,o quam, tortus a se,ipse sibi fatebitur verum,ac dicet : « Mallemquidquid feci adhucesse infeum :quum recogitoquidquid dixi,invideo mutis :puto exsecrationeminimicorumquidquid optavi ;dii boni,quanto quidquid timuifuit melius quamquod concupivi !Gessi inimicitias

parait être plus nombreux. »Pour-ce motif en effet il est pire.II n’est pas agi si bienenvers les choses humaines,que les idées meilleuresplaisent au-plus-grand-nombre :la fouleest une preuve du pire.Cherchons quel est l’aele meilleur,non quel est le plus usité ;et ce qui nous établiten possessiond’un bonheur éternel,non pas ce qui est approuvé de la foule,très mauvais juge de la vérité.Or j’appelle fouleautant les porteurs-de-chlamydesque les porteurs-de-couronnes.Je ne regarde pas en effetla couleur des vêtements,dont les corpssont couverts ;je ne me-fie pas aux yeuxsur l’homme ;j’ai une lumièremeilleure et plus sûre,par laquelle je peux-distinguer le vraidu faux :que l’âme trouvele bien de l’âme.Celle-ci, si jamaisloisir-est à ellede reirer et de rentrer en soi,ô combien, torturée par elle-même,elle-même s’avouera la vérité,et dira : « J’aimerais-mieuxtout ce que j’ai fait jusqu’-icine pas avoir été fait :quand je réfléchisà-tout-ce-que j’ai dit,j’envie les muets :je regarde comme une malédiiond’ennemistout-ce-que j’ai souhaité ;dieux bons.combien tout-ce-que j’ai crainteût été meilleur quece que j’ai désiré !J’ai eu des inimitiés

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ulla intermalos gratia est) redii :mihi ipsi nondumamicussum. Omnem operam dedi, ut me multitudini educerem,et aliqua dote notabilem facerem : quid aliud quam telisme opposui, et malevolentiæ, quod morderet, ostendi ? »Vides istos, qui eloquentiam laudant, qui opes sequuntur,qui gratiæ adulantur, qui potentiam extollunt ? omnes autsunt hostes, aut (quod in æquo est) esse possunt. Quammagnus mirantium, tam magnus invidentium populusest.

Quin potius quæro aliquid usu bonum, quod sentiam,non quod ostendam ? ista quæ eantur, ad quæ consis-titur, quæ alter alteri stupens monstrat, foris nitent, in-trorsus misera sunt.

III. Quæramus aliquid non in eciem bonum, sed so-lidum et æquabile, et a secretiore parte formosius ; hoceruamus. Nec longe positum est ; invenietur ; scire tantumopus est, quo manum porrigas. Nunc velut in tenebris vi-cina transimus, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

des hommes ; puis de la guerre je suis revenu à la paix, s’il est une paixpossible entre les méchants, et je n’ai pu encore rentrer en grâce avecmoi -même. Je me suis consumé en efforts pour me tirer des rangs duvulgaire, pour me signaler par quelque mérite : qu’ai-je obtenu, que dem’exposer aux traits de la malveillance, que d’indiquer où l’on me pouvaitmordre ? » Ces hommes que tu vois préconiser l’éloquence, courtiserla fortune, adorer le crédit, exalter le pouvoir, sont tous des ennemis,ou, ce qui revient au même, peuvent le devenir. Tout ce grand nombred’admirateurs n’est qu’un grand nombre d’envieux.

Pourquoi ne pas chercher plutôt un bien qui profile, qui se sente, nonun bien de parade ? Ces choses qui fonteacle, qui arrêtent la foule, quel’on se montre avec ébahissement, brillantes à l’extérieur, ne sont au fondque misères.

III. Je veux un bonheur qui ne soit pas pour les yeux ; je le veux substan-tiel, partout identique à lui-même, et que la partie la plus cachée en soit laplus belle ; voilà le trésor à exhumer. Il n’est pas loin : on peut le trouver :il ne faut que savoir où porter la main. Mais nous passons à côté, comme

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cum multis.et redii ex odioin gratiam(si modo ulla gratiaest inter malos) :nondum sum amicusmihi ipsi.Dedi omnem operamut me educeremmultitudini,et me facerem notabilemaliqua dote :quid aliud quamme opposui telis,et ostendi malevolentiæquod morderet ? »Vides istosqui laudant eloquentiam,qui sequuntur opes,qui adulantur gratiæ,qui extollunt potentiam ?Omnes aut sunt hostesaut (quod est in æquo)possunt esse.Populus invidentiumest tam magnusquam magnusmirantium.

Quin quæro potiusaliquid bonum usu,quod sentiam,non quod ostendam ?ista quæ eantur,ad quæ consistitur,quæ alter stupensmonstrat alteri,nitent foris,sunt misera introrsus.

III. Quæramus aliquidnon bonum in eciem,sed solidum et æquabile,et formosiusa parte secretiore ;eruamus hoc.Nec est positum longe ;invenietur ;opus est tantum scirequo porrigas manum.Nunc velut in tenebristransimus vicina,

avec beaucoup,et je suis revenu de la haineà la concorde(si toutefois aucune concordeexiste entre méchants) :je ne suis pas-encore amide moi-même.J’ai donné tout mon soinpour que je m’arrachassede la multitude,et me rendisse remarquablepar quelque mérite :qu’ai-je fait autre chose queje me suis exposé aux traits,et ai montré à la malveillancequelque chose qu’elle pouvait-mordre ? »Vois-tu ces hommesqui vantent l’éloquence,qui suivent la richesse,qui flattent le crédit,qui exaltent la puissance ?Tous ou sont des ennemis,ou (ce qui est en égalité (égal)peuvent être des ennemis.Le peuple des envieuxest aussi nombreuxqu’est nombreuxcelui des admirateurs.

Que-ne cherché-je plutôtquelque chose de bon dans la pratique,que je sente,non que je montre ?ces biens qui sont regardés,devant lesquels on s’arrête,que l’un stupéfaitmontre à l’autre,brillent au-dehors,sont misérables intérieurement.

III. Cherchons quelque bienqui soit non bien en apparence,mais massif et homogène,et qui soit plus beaudans sa partie plus intime ;exhumons ce bien-là.Et il n’est pas placé loin ;il sera trouvé ;besoin est seulement de savoiroù tu dois-tendre la main.Maintenant comme dans les ténèbresnous passons devant les objets voisins,

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offensantes ea ipsa, quæ desideramus. Sed ne te per circui-tus traham, aliorum quidem opiniones præteribo : nam etenumerare illas longum est, et coarguere : nostram accipe.Nostram vero quumdico, non alligome ad unum aliquemex Stoicis proceribus : est et mihi censendi jus. Itaque ali-quem sequar, aliquem jubebo sententiam dividere : for-tasse et post omnes citatus, nihil improbabo ex his quæpriores decreverint, et dicam : « Hoc amplius censeo. » In-terim, quod inter omnes Stoicos convenit, rerum naturæassentior ; ab illa non deerrare, et ad illius legem exem-plumque formari, sapientia est. Beata est ergo vita, conve-niens naturæ suæ ; quænon aliter contingere potest, quamsi primum sana mens est, et in perpetua possessione sani-tatis suæ ; deinde, si fortis ac vehemens, tum pulcherrimaet patiens, apta temporibus, corporis sui pertinentiumquead id curiosa, non anxie : tunc aliarum rerum quæ vitaminstruunt, diligens, sine admiratione cujusquam : usurafortunæ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

dans les ténèbres, nous heurtantmême contre l’objet désiré. Pour ne paste traîner par des circuits sans fin, j’omettrai les dorines étrangèresqu’il serait trop long d’énumérer et de combattre. Voici la nôtre, ànous ; et quand je dis la nôtre, ce n’est pas que je m’enchaîne à un chefquelconque de l’école stoïcienne : j’ai droit aussi de parler pour moncompte. Ainsi je serai de l’opinion de tel, j’exigerai que tel autre divisela sienne : et peut-être, appelé moi-même le dernier, sans improuver enrien les préopinants, je dirai : « Voici ce que j’ajoute à leur avis. » Dureste, d’après le grand principe de tous les stoïciens, c’est la nature queje prétends suivre ; ne pas s’en écarter, se former sur sa loi et sur sonexemple, voilà la sagesse. La vie heureuse est donc une vie conforme àla nature ; mais nul ne saurait l’obtenir, s’il n’a préalablement l’âme saineet en possession constante de son état sain ; si celte âme n’est énergiqueet ardente, belle de ses mérites, patiente, propre à toute circonstance,prenant soin du corps et de ce qui le concerne, sans anxiété toutefois,ne négligeant pas les choses qui font le matériel de la vie, sans s’éblouird’aucune, et usant des dons de la fortune,

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offensantes ea ipsaquæ desideramus.Sed ne te trahamper circuitus,præteribo quidemopiniones aliorum :nam est longumet illas enumerare,et coarguere :accipe nostram.Quum vero dico nostram,non me alligoad aliquem unumex proceribus Stoicis :jus censendi est et mihi.Itaque sequar aliquem,jubebo aliquemdividere sententiam :et fortassecitatus post omnes,improbabo nihil ex his quæpriores decreverint,et dicam :« Censeo hoc amplius. »Interim, quod convenitinter omnes Stoicos,assentior naturæ rerum ;non deerrare ab illa,et formari ad illius legemexemplumque,est sapientia.Beata est ergo vita,conveniens naturæ suæ ;quæ non potest contingerealiter quam si primummens est sana,et in possessione perpetuasuæ sanitatis ;si deinde fortisac vehemens,tum pulcherrimaet patiens,apta temporibus,curiosa sui corporispertinentiumque id,non anxie :tunc diligens aliarum rerumquæ instruunt vitam,sine admiratione cujusquam :usura muneribus fortunæ

heurtant ceux mêmesque nous désirons.Mais pour que je ne te traîne paspar des détours,je passerai à la vérité sous silenceles opinions des autres :car il serait trop longet de les énumérer,et de les réfuter :écoute la nôtre.Mais quand je dis la nôtre,je ne m’attache pasà quelqu’undes chefs stoïciens :le droit d’opiner est aussi à moi.C’est pourquoi je suivrai l’un,je prierai tel autrede diviser son avis :et même peut-êtreappelé après tous,je ne désapprouverai rien de ce queles premiers auront décidé,et je dirai :« Je pense ceci de plus. »Cependant, ce qui est convenuentre tous les stoïciens,je veux-suivre la nature ;ne pas s’écarter d’elle,et se former d’après sa loiet son modèle,est la sagesse.Heureuse est donc la vie,s’accordant avec sa nature propre ;laquelle vie ne peut se-réaliserautrement que si d’abordl’âme est saine,et en possession perpétuellede sa santé ;si ensuite elle est forteet énergique,puis très belleet patiente,s’ajustant aux circonstances,prenant-soin de son corpset de ce qui s’y rapporte,sans-anxiété :puis s’occupant des autres chosesqui soutiennent la vie,sans étonnement pour aucune :devant se servir des dons de la fortune,

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muneribus, non servitura. Intelligis, etiamsi non adjiciam,sequi perpetuam tranquillitatem, libertatem, depulsis his,quæ aut irritant nos, aut territant. Nam pro voluptatibus,et pro illis quæ parva ac fragilia sunt, et in ipsis flagitiisnoxia, ingens gaudium subit, inconcussum, et æquabile ;tum pax et concordia animi, et magnitudo cum mansue-tudine. Omnis enim ex infirmitate feritas est.

IV. Potest aliter quoque definiri bonum nostrum, id esteadem sententia, non iisdem comprehendi verbis. Que-madmodum idem exercitus modo latius panditur, modoin angustum coaratur, et aut in cornua, sinuata mediaparte, curvatur, aut rea fronte explicatur ; vis illi, ut-cumque ordinatus est, eadem est, et voluntas pro iisdempartibus standi ; ita finitio summi boni alias diffundi po-test et exporrigi, alias colligi, et in se cogi. Idem utiqueerit, si dixero : Summum bonum est, animus fortuita des-piciens, virtute lætus ; aut, invia vis . . . . . . . . . .

sans en être l’esclave. On comprend, quand je ne le dirais pas, quel’homme devient à jamais tranquille et libre, quand il s’est affranchi detout ce qui nous irrite ou nous terrifie. Car au lieu des voluptés, de cesavantages chétifs et fragiles qui flétrissent l’homme en le perdant, ontrouve une satisfaion sans bornes, inébranlable, toujours égale ; alorsl’âme est en paix, en harmonie avec elle-même, et réunit la grandeur àla bonté. Toute cruauté en effet vient de faiblesse.

IV. On peut encore définir autrement le bonheur tel que nous l’en-tendons, c’est-à-dire exprimer la même idée dans des termes différents.Tout comme la même armée tantôt se développe au large, tantôt semasse sur un terrain étroit, ou se courbe au centre eu formede croissant,ou déploie de front toute sa ligne, sans perdre de sa force, quelle que soitsa distribution, sans changer d’erit ni de drapeau ; ainsi la définitiondu souverain bien peut s’allonger et s’étendre, selon les goûts divers,comme se resserrer et se réduire. Ce sera donc tout un, si je dis : « Lesouverain bien, c’est une âme qui dédaigne toute chose fortuite, et quifait sa joie de la vertu ; » ou bien : « C’est l’invincible énergie d’une âme

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non servitura.Intelligis,etiamsi non adjiciam,tranquillitatem perpetuamet libertatem sequi,his depulsis,quæ aut irritantaut territant nos.Nam pro voluptatibuset pro illis quæ suntparva et fragilia,et noxiain flagitiis ipsis,subit gaudium ingens,inconcussum et æquabile ;tum pax et concordia animi,et magnitudocum mansuetudine.Omnis enim feritasest ex infirmitate.

IV. Bonum nostrumpotest definiri quoque aliter,id est eadem sententiacomprehendi verbisnon iisdem.Quemadmodumidem exercitusmodo panditur latius,modo coaraturin angustum,et aut curvatur in cornua,parte media sinuata,aut explicaturfronte rea ;utcumque est ordinatus,vis est eadem illi,et voluntas standipro iisdem partibus ;ita finitio summi bonipotest alias diffundiet exporrigi,alias colligi et cogiin se.Erit utique idem,si dixero : Summum bonumest animusdeiciens fortuita,lætus virtute ;aut, vis animi invia,perita rerum,

ne devant pas s’y asservir.Tu comprends,même-si je ne l’ajoute pas,une tranquillité perpétuelleet la liberté venir-à-la-suite,ces causes ayant été écartées,qui ou irritentou effraient nous.Car au lieu des plaisirset au lieu de ces avantages qui sontchétifs et fragiles,et nuisiblesdans les désordres mêmes,arrive une joie grande,imperturbable et constante ;puis la paix et l’accord de l’âme,et la grandeuravec la douceur.Car toute cruautéprovient de la faiblesse.

IV. Le bien tel-que-nous-le-concevonspeut être défini aussi autrement,c’est-à-dire la même pensée peutêtre exprimée par des motsnon identiques.De-même-quela même arméetantôt est déployée plus largement,tantôt est resserréeà l’étroit,et ou est courbée en ailes,la partie du milieu étant infléchie,ou est développéeavec un front droit ;de-quelque-façon-qu’elle ait été rangée,la force est la même à elle,et la volonté de tenirpour le même parti ;ainsi la définition du souverain bienpeut tantôt être développéeet être étendue,tantôt, être repliée et être réduiteen elle-même.Ce sera complètement identique,si j’aurai dit : Le souverain bienest une âmeméprisant les choses fortuites,joyeuse par la vertu ;ou, une force d’âme invincible,ayant-l’-expérience des choses,

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animi, perita rerum, placida in au, cum humanitatemulta, et conversantium cura. Libet et ita finire, ut beatumdicamus hominem eum, cui nullum bonum malumquesit, nisi bonus malusque animus ; honesti cultor, virtutecontentus, quem nec extollant fortuita, nec frangant ; quinullum majus bonum eo, quod sibi ipse dare potest, nove-rit ; cui vera, voluptas erit voluptatum contemptio. Licet,si evagari velis, idem in aliam atque aliam faciem, salvaet integra potestate, transferre. Quid enim prohibet nosbeatam vitam dicere, liberum animum, et ereum, et in-territum ac stabilem, extra metum, extra cupiditatem po-situm ; cui unum bonum honestas, unum malum turpi-tudo ? Cætera vilis turba rerum, nec detrahens quidquambeatæ vitæ, nec adjiciens, sine auu ac detrimento summiboni veniens ac recedens. Hoc ita fundatum necesse est,velit nolit, sequatur hilaritas continua, et lætitia alta atqueex alto veniens, ut quæ suis gaudeat, nec majora domesti-cis cupiat. Quidni ista penset bene cum . . . . . . . .

éclairée sur les choses de la vie, calme dans l’aion, toute bienveillante etdu commerce le plus obligeant. » Je suis libre de dire encore : « Celui-làest heureux pour lequel il n’est de bien ou de mal qu’une âme bonne oudépravée ; qui cultive l’honnête, et, content de sa seule vertu, ne se laisse nienfler ni abattre par les événements ; qui ne connaît pas de plus grand bienque celui qu’il peut se donner lui-même, et pour qui la vraie volupté est lemépris des voluptés. » Tu peux, si tu veux te donner carrière, faire prendresuccessivement à la même idée des formes différentes, sans en compromettreni en altérer la valeur. Par exemple, qui nous empêche d’appeler le bonheurune âme libre, élevée, intrépide et constante, placée en dehors de la crainte,en dehors de toute cupidité, aux yeux de laquelle l’unique bien est l’honnête,l’unique mal l’infamie, et tout le reste un vil amas d’objets qui n’ôtent rien àla vie heureuse, n’y ajoutent rien, et, sans accroître ou diminuer le souverainbien, peuvent arriver ou s’en aller ? L’homme établi sur une telle base aura,ne le cherchât-il point, pour compagnes nécessaires une perpétuelle sérénité,une satisfaion profonde comme la source d’où elle sort, heureux de sespropres biens et ne souhaitant rien de plus grand que ce qu’il trouve en soi.De tels biens

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placida in au,cum multa humanitate,et cura conversantium.Libet et finire itaut dicamuseum hominem beatum,cui nullum sitbonum malumque,nisi animusbonus malusque ;cultor honesti,contentus virtute,quem fortuitanec extollant nec frangant ;qui noverit nullum bonummajus eo quod ipsepotest sibi dare ;cui vera voluptas eritcontemptio voluptatum.Licet, si velis evagari,transferre idemin aliamatque aliam faciem,potestate salva et integra.Quid enim prohibetnos dicere vitam beatamanimum liberum et ereum,et interritum ac stabilem,positum extra metum,extra cupiditatem ;cui unum bonum honestas,unum malum turpitudo ?Cætera vilis turba rerum,nec detrahens nec adjiciensquidquam vitæ beatæ,veniens ac recedenssine auu ac detrimentosummi boni.Est necessehilaritas continuaet lætitia altaatque veniens ex alto,ut quæ gaudeatsuis,nec cupiatmajora domesticis,sequatur hocfundatum ita,velit nolit.Quidni penset bene

calme dans l’aion,avec grande humanité,et soin de ceux qui vivent-avec elle.On peut encore définir de sorteque nous appelionscet homme-là heureux,pour qui rien n’estbon ou mauvais,sinon une âmebonne ou mauvaise ;cultivant l’honnête,se-contentant de la vertu,que les choses fortuitesne peuvent-altérer ni briser ;qui ne connaît aucun bienplus grand que celui que lui-mêmepeut se donner ;pour qui le vrai plaisir serale mépris des plaisirs.Il t’est permis, si tu veux t’étendre,de faire-passer la même définitionsous une autrepuis une autre forme,sa valeur étant sauve et intae.Quoi en effet empêchenous dire la vie heureuse êtreune âme libre et élevée,et imperturbable et stable,placée hors de la crainte,hors du désir ;pour qui l’unique bien est l’honnêteté ;l’unique mal l’infamie ?Le reste est une vile foule de choses,qui ni n’enlève, ni n’ajouterien à la vie heureuse,venant et se retirantsans accroissement et diminutiondu souverain bien.Il est nécessairequ’une gaieté continueet une joie profondeet venant d’une source profonde,attendu qu’elle se réjouitde ses biens propres,et ne souhaite pasdes biens plus grands que ceux-de-chez-elle,suivent cette situationfondée ainsi,que l’âme le veuille ou ne-le-veuille-pas.Comment ne compenserait-elle pas bien

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minutis, et frivolis, et non perseverantibus corpusculi mo-tibus ? quo die infra voluptatem fuerit, et infra doloremerit.

V. Vides autem, quam malam et noxiam servitutemserviturus sit, quem voluptates doloresque, incertissimadominia impotentissimaque, alternis possidebunt. Ergoexeundum ad libertatem est ; hanc non alia res tribuit,quam fortunæ negligentia. Tum illud orietur inæstimabilebonum, quies mentis in tuto collocatæ, et sublimitas ; ex-pulsisque terroribus, ex cognitione veri gaudium grandeet immotum, comitasque et diffusio animi : quibus delec-tabitur non ut bonis, sed ut ex bono suo ortis. Quoniamliberaliter agere cœpi, potest beatus dici, qui nec cupit, nectimet, beneficio rationis. Quoniam et saxa timore et tristi-tia carent, nec minus pecudes ; non ideo tamen quisquamfelicia dixerit, quibus non est felicitatis intelleus. Eodemloco pone homines, quos in numerum pecorum et anima-lium redegit hebes natura, . . . . . . . . . . . . . . .

ne sont-ils pas une ample compensation de ces mouvements de la chair,chétifs, misérables et inconstants ? Le jour où l’homme subira la lot duplaisir, il subira aussi celle de la douleur.

V. Or tu vois combien seramauvaise et funeste la servitude de celui quele plaisir et la douleur, ces deotes capricieux et passionnés, se diute-ront tour à tour. Élançons-nous donc vers la liberté, que rien ne donne,hormis l’indifférence pour la fortune. Alors commencera ce bonheur in-appréciable, ce calme d’un erit retiré en un asile sûr d’où il dominetout ; alors plus de terreurs ; la possession du vrai nous remplira d’une joieimmense, inaltérable, et de sentiments affeueux et expansifs que noussavourerons non comme des biens, mais comme des fruits du bien quinous est propre. Puisque j’ai déjà prodigué les définitions, disons qu’onpeut appeler heureux celui qui, grâce à la raison, est sans désir commesans crainte. Tout comme les rochers n’éprouvent ni nos craintes, ni nostristesses, non plus que les animaux, sans que pourtant on les ait jamaisdits heureux, puisqu’ils n’ont pas le sentiment du bonheur ; il faut mettresur la même ligne tout homme qu’une nature émoussée et l’ignorance de

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ista cum motibusminutis et frivoliset non perseverantibuscorpusculi ?Quo die fueritinfra voluptatem,erit et infra dolorem.

V. Vides autemquam malamet noxiam servitutemsit serviturus quemvoluptates doloresque,dominia incertissimaimpotentissimaque,possidebunt alternis.Ergo est exeundumad libertatem ;non alia res hanc tribuitquam negligentia fortunæ.Tum orieturillud bonum inæstimabile,quies mentiscollocatæ in tuto,et sublimitas ;terroribusque expulsis,gaudium grandeet immotumex cognitione veri,comitasqueet diffusio animi :quibus deleabiturnon ut bonis,sed ut ortisex bono suo.Quoniam cœpiagere liberaliter,beatus potest dici,qui beneficio rationisnec cupit nec timet.Quoniam et saxanec minus pecudescarent tristitia et timore,non ideo tamen quisquamdixerit felicia,quibus non estintelleus felicitatis.Pone eodem locohomines quos natura hebeset ignoratio suiredegit in numerum

ces avantages avec les mouvementschétifs et frivoleset non persistantsd’une misérable-chair ?Le jour où elle aura étéau-dessous du plaisir,elle sera aussi au-dessous de la douleur.

V. Or tu voiscombien mauvaiseet nuisible servitudedevra subir celui queles plaisirs et les douleurs,tyrannies très inconstanteset très arbitraires,posséderont alternativement.Donc il faut s’élancervers la liberté ;pas d’autre moyen ne la donneque l’indifférence pour la fortune.Alors naîtrace bien inappréciable,le calme de l’eritétabli en sûreté,et la hauteur de l’âme ;et les terreurs ayant été bannies,une joie grandeet immuablerésultant de la connaissance du vrai,et la douceuret l’expansion du cœur ;avantages desquels il sera charménon pas comme de biens,mais comme d’avantages nésde son bien propre.Puisque j’ai commencéà agir libéralement,l’homme heureux peut être défini,celui qui par le bienfait de la raisonne craint ni ne désire.Parce que les pierres aussiet non moins les bêtessont-exemptes de tristesse et de crainte,ce-n’est-pas un-motif-pour-que quelqu’unles ait dites heureuses,elles à qui n’est pasl’intelligence du bonheur.Mets au même rangles hommes que leur nature émousséeet l’ignorance d’eux-mêmesa réduits au nombre

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et ignoratio sui. Nihil interest inter hos, et illa : quoniamillis nulla ratio est, his prava et malo suo atque in perver-sum solers. Beatus enim nemo dici potest, extra veritatemprojeus ; beata ergo vita est, in reo certoque judiciosta-bilita, et immutabilis. Tunc enim pura mens est, et solutaomnibus malis, quum non tantum lacerationes, sed etiamvellicationes effugerit ; statura semper ubi constitit, ac se-dem suam, etiam irata et infestante fortuna, vindicatura.Nam quod ad voluptatem pertinet, licet circumfundaturundique, per omnes vias influat, animumque blandimen-tis suis leniat, aliaque ex aliis admoveat, quibus totos par-tesque nostri sollicitet : quis mortalium, cui ullum super-est hominis vestigium, per diem noemque titillari velit,deserto animo, corpori operam dare ?

VI. « Sed et animus quoque, inquit, voluptates habebitsuas. » Habeat sane, sedeatque luxuriæ et voluptatum ar-biter, impleat se omnibus iis, quæ obleare sensus solent :deinde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

soi relèguent au rang des troupeaux et des brutes, dont rien ne le distingue.Car si la raison chez ceux-ci est nulle, celui-là en a une dépravée, qui n’esthabile qu’à le perdre et à pervertir toutes ses voies. Le titre d’heureux n’estpas fait pour l’homme jeté en dehors de la vérité ; partant, la vie heureuseest celle dont un jugement droit et sûr fait la base immuable. I1 n’estd’erit serein et dégagé de toute affliion que celui qui, échappant auxplaies déchirantes comme aux moindres égratignures, reste à jamais fermeoù il s’est placé, certain de garder son assiette en dépit des colères et desassauts de la fortune. Quant à la volupté, dût-elle nous assiéger de toutesparts, s’insinuer par tous nos sens, flatter notre âme de ses mille caressessuccessivement renouvelées, et solliciter ainsi tout notre être et chacun denos organes, quel mortel, si peu qu’il lui restât de l’homme, voudrait êtrechatouillé nuit et jour, et renoncer à son âme pour ne plus songer qu’à soncorps ?

VI. « Mais l’âme aussi, dit l’épicurien, aura ses voluptés. » Qu’elle les aitdonc, qu’elle siège en arbitre de la mollesse et des plaisirs, saturée de tout cequi délee les sens ; qu’elle porte encore ses regards en arrière et s’exalte au

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pecorum et animalium.Nihil interestinter hos et illa :quoniam illis ratio est nulla,his pravaet solers suo maloatque in perversum.Nemo enim,projeus extra veritatem,potest dici beatus ;ergo beata est vitastabilita et immutabilisin judicio reo certoque.Tunc enim mens est puraet soluta omnibus malis,quum effugeritnon tantum lacerationes,sed etiam vellicationes ;statura semperubi constitit,ac vindicatura suam sedem,etiam fortuna irataet infestante.Nam quod pertinetad voluptatem,licet circumfundaturundique,influat per omnes vias,leniatque animumsuis blandimentis,admoveatque aliaex aliis, quibussollicitet totospartesque nostri :quis mortalium,cui superestullum vestigium hominis,velit titillariper diem noemque,animo desertodare operam corpori ?

VI. « Sed et animus quoquehabebit suas voluptates, »inquit.Habeat sane, sedeatquearbiter luxuriæet voluptatum ;impleat se omnibus iisquæ solent obleare sensus :deinde reiciat

des troupeaux et des animaux.Rien ne diffèreentre ceux-ci (les hommes) et ceux-là :car à ceux-là la raison n’est pas,à ceux-ci elle est dépravéeet habile pour son malheuret dans un mauvais sens.Personne en effet,jeté hors de la vérité,ne peut être dit heureux ;donc heureuse est la vieaffermie et immuabledans un jugement droit et sûr.Alors en effet l’âme est pureet dégagée de tous maux,puisqu’elle a échappénon seulement aux déchirements,mais encore aux égratignures ;devant se tenir ferme toujoursoù elle s’est établie,et devant défendre son domaine,même la fortune étant irritéeet faisant-la-guerre.Car pour ce qui se-rapporteau plaisir,quoiqu’il se répande-à-l’entourde-tous-côtés,se glisse par toutes les voies,et flatte l’âmepar ses caresses,et emploie d’autres moyensaprès d’autres, par lesquelsil puisse-nous-essayer tout-entierset les parties de notre être :qui parmi les mortels,à qui restequelque vestige de l’homme,voudrait être chatouillépendant le jour et la nuit,et son âme étant délaissée,donner son soin au corps ?

VI. « Mais l’âme même elle aussiaura ses plaisirs propres, »dit l’épicurien.Qu’elle les ait assurément, et siègearbitre de la mollesseet des plaisirs ;qu’elle se remplisse de tous ceuxqui ont-coutume de charmer les sens :ensuite qu’elle regarde-derrière elle

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præterita reiciat, et exoletarum voluptatum memor ex-sultet prioribus, futurisque jam immineat, ac es ordinetsuas, et dum corpus in præsenti sagina jacet, cogitationesad futura præmittat ! hoc mihi videtur miserior, quoniammala pro bonis legere dementia est. Nec sine sanitate quis-quam beatus est, nec sanus, cui obfutura pro optimis ap-petuntur. Beatus est ergo judicii reus : beatus est præ-sentibus, qualiacumque sunt, contentus, amicusque rebussuis : beatus est is, cui omnem habitum rerum suarum ra-tio commendat. Videt et in illis, qui summum bonum vo-luptatem dixerint, quam turpi illud loco posuerint. Itaquenegant posse voluptatem a virtute diduci, et aiunt, nechoneste quemquam vivere, ut non jucunde vivat, nec ju-cunde, ut non honeste quoque. Non video, quomodo istadiversa in eamdem copulam conjiciantur. Quid est, orovos, cur separari voluptas a virtute non possit ? videlicet,quia omne bonis ex virtute principium est ; ex hujus radi-cibus etiam ea, quæ vos et amatis et expetitis, . . . . . .

souvenir des débauches passées ; qu’elle dévore en eoir et déjà diosecelles où elle aire, et, tandis que le corps s’engraisse et dort dans leprésent, qu’elle anticipe l’avenir par la pensée. Elle ne m’en paraît que plusmisérable : car laisser le bien pour le mal est une haute folie. Sans la raisonpoint de bonheur ; et la raison n’est point chez l’homme qui néglige lesmeilleurs aliments et n’a faim que de poisons. Pour être heureux il fautdonc un jugement sain ; il faut que, content du présent, quel qu’il soit, onsache aimer ce que l’on a ; il faut que la raisonnous fasse trouver du charmedans toute situation. Chez ceux-là mêmes qui disent : « Le souverain bien,c’est la volupté, » le sage voit dans quelle place infime ils le mettent. Aussinient-ils que la volupté puisse être détachée de la vertu ; selon eux, pointde vie honnête qui ne soit en même temps agréable, point de vie agréablequi ne soit en même temps honnête. Je ne vois pas comment des choses sidiverses se laisseraient accoupler ainsi. Pourquoi, je vous prie, la volupténe saurait-elle être séparée de la vertu ? L’on veut dire, sans doute, que lavertu étant le principe de tout bien, elle produit, comme les autres biens,ceux que vous aimez et que vous recherchez. Mais si la vertu

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præterita, [ tarum,et memor voluptatum exole-exsultet prioribus,jamque immineat futuris,ac ordinet suas es,et dum corpus jacetin sagina præsenti,præmittat cogitationesad futura.Videtur mihi miserior hoc,quoniam legeremala pro bonisest dementia.Nec quisquam est beatussine sanitate,nec sanus cuiobfutura appetunturpro optimis.Beatus est ergoreus judicii :beatus est contentuspræsentibusqualiacumque sunt,amicusque suis rebus :beatus est is cui ratiocommendat omnem habitumsuarum rerum.Videt et in illis.qui dixerint voluptatemsummum bonum,loco quam turpiposuerint illud.Itaque negant voluptatemposse diduci a virtute,et aiuntnec quemquam viverehoneste ut non vivat jucunde,nec jucundeut non quoque honeste.Non video quomodoista diversa conjicianturin eamdem copulam.Quid est, vos oro,cur voluptas non possitseparari a virtute ?Videlicet quiaomne principium bonisest ex virtute ;etiam ea quæ voset amatis et expetitis,

les jouissances passées,et se souvenant des plaisirs flétris,qu’elle bondisse des plaisirs précédents,et déjà se penche-vers ceux futurs,et qu’elle diose ses eérances,et pendant que le corps est couchédans sa graisse présente,qu’elle envoie-en-avant ses penséesvers l’avenir.Elle me semble plus malheureuse par cela,parce que choisirle mal pour le bienest folie.Ni personne n’est heureuxsans la santé,ni il n’est sain celui par quides choses qui-lui-nuiront sont recherchéesau lieu des meilleures.Heureux est donccelui qui est droit de jugement :heureux est l’homme contentdes choses présentes,quelles qu’elles soient,et ami de ses propres affaires :heureux est celui à qui la raisonrend-agréable tout étatde ses affaires.Il voit aussi chezceuxqui ont dit le plaisirêtre le souverain bien,dans une situation combien honteuseils ont placé celui-ci.C’est pourquoi ils nient le plaisirpouvoir être séparé de la vertu,et disentqu’aucun ne peut-vivrehonnêtement qu’il ne vive agréablementet qu’aucun ne vivra agréablementqu’il ne vive aussi honnêtement.Je ne vois pas commentces idées contraires sont jetéesdans le même lien.Quel est le motif, je vous prie,pour que le plaisir ne puisse pusêtre séparé de la vertu ?Sans doute c’est parce quetout principe pour les biensvient de la vertu ;même ces avantages que vouset vous aimez et vous chercher,

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oriuntur. Sed si ista indiscreta essent, non videremus quæ-dam jucunda, sed non honesta ; quædam vero honestis-sima, sed aera, et per dolores exigenda.

VII. Adjice nunc, quod voluptas etiam ad vitam tur-pissimam venit : at virtus malam vitam non admittit ; etinfelices quidam non sine voluptate, immo ob ipsam vo-luptatem sunt : quod non eveniret si virtuti se voluptasimmiscuisset, qua virtus sæpe caret, nunquam indiget.Quid dissimilia, immo diversa componitis ? Altum quid-dam est virtus, excelsum, regale, invium, infatigabile :voluptas humile, servile, imbecillum, caducum, cujus sta-tio ac domicilium fornices et popinæ sunt. Virtutem intemplo convenies, in foro, in curia, pro muris stantem,pulverulentam, coloratam, callosas habentem manus : vo-luptatem latitantem sæpius, ac tenebras captantem ; circabalnea ac sudatoria, ac loca ædilem metuentia ; mollem,enervem, mero atque unguento madentem, pallidam autfucatam, et medicamentis pollutam. Summum . . . . .

et le plaisir étaient inséparables, nous ne verrions pas certains aesdéshonnêtes être agréables, tandis que d’autres aes très honnêtes sontpénibles et ne s’accomplissent pas sans douleur.

VII. Ajoutez que le plaisir se rencontre même dans la vie la plus in-fâme ; or la vertu n’admet pas une telle vie, et certains hommes sont mal-heureux, non pas sans le plaisir,mais par le plaisirmême. Cela ne pourraitpas être si le plaisir ne faisait qu’un avec la vertu, qui ne le trouve pas tou-jours mais n’en a jamais besoin. Pourquoi allier des éléments différentsou plutôt opposés ? La vertu est quelque chose de grand, de sublime, desouverain, d’invincible, d’infatigable ; la volupté est chose basse, servile,impuissante, caduque, qui a son poste et son domicile aux mauvais lieuxet aux tavernes. La vertu, tu la trouveras dans le temple, au forum, au sé-nat, debout sur les remparts, le corps poudreux, le teint hâlé, les mainscalleuses ; la volupté le plus souvent va cherchant le mystère et appelle lesténèbres ; elle rôde autour des bains, des étuves, des lieux qui redoutentl’édile, efféminée, sans vigueur, ruisselante de vins et de parfums, pâle oufardée

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oriuntur ex radicibus hujus.Sed si istaessent indiscreta,non videremus quædamjucunda,sed non honesta,quædam verohonestissima,sed aera,et exigendaper dolores.

VII. Adjice nunc,quod voluptasvenit etiam ad vitamturpissimam :at virtus non admittitvitam malam ;et quidam sunt infelicesnon sine voluptate,immo ob voluptatem ipsam :quod non eveniretsi voluptas se immiscuissetvirtuti,qua virtus caret sæpe,nunquam indiget.Quid componitisdissimilia,immo diversa ?Virtus est quiddam altum,excelsum, regale, invium,infatigabile :voluptas, humile, servile,imbecillum, caducum,cujus fornices et popinæsunt statio et domicilium.Convenies virtutemin templo,in foro, in curia,stantem pro muris,pulverulentam, coloratam,habentem manus callosas :voluptatemlatitantem sæpiusac captantem tenebras ;circa balnea ac sudatoria,ac loca metuentia ædilem ;mollem, enervem,madentem meroatque unguento,pallidam aut fucatam,

naissent des racines de celle-ci.Mais si ces élémentsétaient inséparables,nous ne verrions pas certains aesêtre agréables,mais non honnêtes,certains au contraireêtre très honnêtes,mais pénibles,et devant être accomplispar les souffrances.

VII. Ajoute maintenant,que le plaisirvient même à la viela plus honteuse :mais la vertu n’admet pasune vie mauvaise ;et certains hommes sont malheureuxnon sans le plaisir,bien-plus à cause du plaisir même :ce qui n’arriverait passi le plaisir s’était confonduavec la vertu,duquel plaisir la vertu se-passe souventn’a jamais besoin.Pourquoi mettez-vous-ensembledes éléments dissemblables,ou-plutôt contraires ?La vertu est chose élevée,sublime, royale, invincible,infatigable :le plaisir est chose basse, servile,faible, caduque,dont les mauvais-lieux et les cabaretssont le séjour et la demeure.Tu rencontreras la vertudans le temple,au forum, au sénat,debout devant les remparts,poudreuse, hâlée,ayant les mains calleuses :la voluptése cachant plus souventet recherchant les ténèbres ;autour des bains et des étuves,et des lieux qui craignent l’édile ;molle, énervée,humeée de vin puret de parfums,pâle ou fardée,

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bonum immortale est, nescit exire : nec satietatem habet,nec pœnitentiam ; nunquam enim rea mens vertitur ;nec sibi odio est, nec quidquam mutavit, quia semper se-cuta est optima : at voluptas tunc, quum maxime deleat,exstinguitur. Nec multum loci habet ; itaque cito implet :et tædio est, et post primum impetum marcet. Nec id un-quam certum est, cujus in motu natura est. Ita ne potestquidem ulla ejus esse substantia, quod venit transitu ce-lerrime, in ipso usu sui periturum. Eo enim pervenit, ubidesinat : et dum incipit, eat ad finem.

VIII. Quid, quod tam bonis, quam malis, voluptas in-est, necminus turpes dedecus suum, quam honestos egre-gia deleant. Ideoque præceperunt veteres, optimam se-qui vitam, non jucundissimam : ut reæ ac bonæ volun-tatis non dux, sed comes voluptas sit. Natura enim duceutendum est : hanc . . . . . . . . . . . . . . . . . .

et souillée des drogues de la toilette. Le souverain bien est impéris-sable : il ne sort pas du cœur où il règne, il n’a ni satiété, ni repen-tir. Car une conscience droite ne dévie jamais, n’est jamais odieuseà elle-même, et ne change jamais rien à sa ligne de conduite, parceque toujours elle suit la meilleure. La volupté, au contraire, s’éteintau moment même où son charme est le plus puissant. Son domaineest limité ; aussi le remplit-elle promptement ; le dégoût arrive, et dèsqu’elle a pris son essor, elle languit. Une chose dont le mouvement estl’essence, n’a jamais de fixité, et ce qui ne vient que pour passer rapide-ment et périr en se réalisant, n’a même rien du positif : venir et cesserd’être ne font qu’un seul moment, et le commencement touche à la fin.

VIII. N’est-il pas vrai aussi que le plaisir est commun aux bons etauxméchants ? L’homme dépravé trouve dans son infamie des plaisirsnonmoins intenses que l’honnête hommedans sa belle conduite. C’estpour cela que les anciens prescrivent d’avoir pour but, non pas unevie agréable, mais une vie honnête : de telle sorte que le plaisir soitpour la volonté droite et bonne, non pas un principe direeur, maisun accompagnement. La nature, en effet, est le guide qu’il faut

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et pollutam medicamentis.Summum bonumest immortale,nescit exire ;habet nec satietatemnec pœnitentiam ;nunquam enim mens reavertitur,nec odio est sibi ;nec mutavit quidquam,quia sempersecuta est optima :at voluptas exstinguiturtunc, quum deleat maxime.Nec habetmultum loci ;itaque implet cito,et est tædio,et marcetpost primum impetum.Nec id cujus naturaest in motuest unquam certum.Ita ulla substantiaejus quod venit celerrimetransitu,periturum in usu ipso sui,ne potest quidem esse.Pervenit enimeo ubi desinat :et dum incipit,eat ad finem.

VIII. Quid quod voluptasinest tam malisquam bonis ?et suum dedecusnon minus turpes,quam egregiadeleant honestos.Ideoque veterespræceperunt sequivitam optimam,non jucundissimam :ut voluptassit non dux,sed comesvoluntatis reæ ac bonæ.Utendum est enim ducenatura :ratio observat hanc,

et souillée par des drogues.Le souverain bienest immortel,il ne sait-pas s’en aller ;il n’admet ni satiéténi repentir ;jamais en effet l’erit droitn’est tourné,ni n’est à haine à lui-même ;et il n’a rien changé,parce que toujoursil a suivi le meilleur parti :mais la volupté s’éteintalors que elle charme le plus.Et elle ne possède pasbeaucoup de place ;aussi la remplit-elle vite ;et elle est à ennui,et se-flétritaprès le premier essor.Ni cette chose dont l’essenceconsiste dans le mouvementn’est jamais fixe.Ainsi quelque réalitéd’une chose qui vient très rapidementen passant,devant périr dans l’ae même d’elle,ne peut pas même être.Elle arrive en effetau terme où elle doit-cesser :et pendant qu’elle commence,elle regarde vers sa fin.

VIII. Que dire de ce que la voluptése trouve autant chez les méchantsque chez les bons ?et que leur infamiene charme pas moins les infâmes,que les aions noblesne charment les honnêtes gens.Et pour-cela les anciensprescrivirent de suivrela vie la meilleure,non la plus agréable :de telle sorte que la voluptésoit non le guide,mais la compagnede la volonté droite et bonne.Il faut en effet user pour guidede la nature :la raison observe celle-ci,

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ratio observat, hanc consulit. Idem est ergo beate vivere, etsecundum naturam. Hoc quid sit, jam aperiam : si corpo-ris dotes et apta naturæ conservabimus diligenter et impa-vide, tanquam in diem data et fugacia ; si non subierimuseorum servitutem, nec nos aliena possederint ; si corporigrata et adventitia eo nobis loco fuerint, quo sunt in castrisauxilia, et armaturæ leves. Serviant ista, non imperent : itademum utilia sunt menti. Incorruptus vir sit externis, etinsuperabilis, miratorque tantum sui ; fidens animi, atquein utrumque paratus, artifex vitæ. Fiducia ejus non sinescientia sit, scientia non sine constantia : maneant illi se-mel placita, nec ulla in decretis ejus litura sit. Intelligitur,etiamsi non adjecero, compositum ordinatumque fore ta-lem virum, et in his quæ aget, cum comitate magnificum.Erit vera ratio sensibus . . . . . . . . . . . . . . . . .

suivre ; c’est elle qu’observe, elle que consulte la raison. C’est doncune même chose que vivre heureux et vivre selon la nature. Orvoici comment il faut l’entendre : nous devons conserver les qua-lités physiques et les avantages naturels avec soin et sans inquié-tude, comme des objets prêtés pour un jour et fugitifs ; nous nedevons pas nous mettre sous leur dépendance, ni nous assujettirà ce qui nous est étranger, et il faut que les biens corporels et ad-ventices soient placés dans notre vie au rang que tiennent dans lescamps les auxiliaires et les troupes légères. Que tout cela serve et necommande point ; à ce titre seulement l’âme en tirera profit. Quel’homme de cœur soit incorruptible aux choses extérieures, touchéd’admiration seulement pour son bien propre, plein de confiance,également prêt à l’une et l’autre fortune, et artisan de sa vie. Quel’assurance chez lui n’aille pas sans la science, ni la science sans lafermeté ; que ses résolutions tiennent, une fois prises, et que dansses décrets il ne se glisse pas de rature. On conçoit, sans que jel’ajoute, quelle paix, quelle concordance régnera dans un tel erit,et que tous ses aes seront empreints d’une dignité bienveillante.Chez lui la véritable raison sera greffée sur les sens, et y prendra

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consulit hanc.Vivere beateet secundum naturamest ergo idem.Jam aperiamquid sit hoc :siconservabimus diligenteret impavidedotes corporiset apta naturæ,tanquam data in diemet fugacia ;si non subierimusservitutem eorum,et alienanon nos possederint ;si grata corporiet adventitiafuerint nobiseo loco quo suntin castris auxiliaet armaturæ leves.Ista serviant,non imperent :ita demumsunt utilia menti.Virsit incorruptusexternis,et insuperabilis,miratorque tantum sui ;fidens animi, atque paratusin utrumque,artifex vitæ.Fiducia ejus non sitsine scientia,non scientiasine constantia :semel placitamaneant illi,et nulla litura sitin decretis ejus.Intelligitur,etiamsi non adjecero,talem virum forecompositum ordinatumque,et magnificum cum comitatein his quæ aget.Vera ratio erit

elle consulte celle-ci.Vivre heureusementet vivre selon la natureest donc identique.Maintenant j’expliqueraice qu’est cela :cette condition sera réalisée sinous conservons soigneusementet sans-crainteles qualités du corpset les biens attachés à la nature,comme des biens donnés pour un jouret fugitifs ;si nous ne nous-mettons-pas-sousla servitude d’eux,et si des choses qui nous sont étrangèresne nous possèdent pas ;si les choses agréables au corpset adventicessont pour nousà ce rang où sontdans un camp les auxiliaireset les troupes légères.Que ces choses servent,ne commandent pas :à-cette-condition seulementelles sont utiles à l’âme.Que l’homme-véritablesoit incorruptibleaux choses extérieureset invincible,et admirateur seulement de son-bien-propre ;confiant dans soit courage, et préparéà l’une-et-l’-autre fortune,artisan de sa propre vie.Que sa confiance ne soit passans science,ni sa sciencesans fermeté :que les résolutions une fois arrêtéessoient maintenues par lui,et qu’aucune rature ne soitdans les décrets de lui.On comprend,même si je ne l’aurai pas ajouté,qu’un tel homme seraréglé et ordonné,et grand avec bienveillancedans ces choses qu’il fera.La vraie raison sera chez lui

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insita, et capiens inde principia : nec enim habet aliudunde conetur, aut unde ad verum impetum capiat ; inse revertatur. Nam mundus quoque cuna compleens,reorque universi Deus, in exteriora quidem tendit, sedtamen in totum undique in se redit. Idem nostra mens fa-ciat : quum secuta sensus suos, per illos se ad externa por-rexerit, et illorum et sui potens sit. Hoc modo una efficie-tur vis ac potestas, concors sibi : et ratio illa certa nascetur,non dissidens nec hæsitans in opinionibus comprehensio-nibusque, nec in sua persuasione. Quæ quum se diosuit,et partibus suis consensit, et (ut ita dicam) concinuit, sum-mum bonum tetigit. Nihil enim pravi, nihil lubrici super-est ; nihil in quo arietet, aut labet. Omnia faciet ex impe-rio suo, nihilque inopinatum accidet : sed quidquid aget,in bonum exibit, facile et parate, et sine tergiversationeagentis. Nam pigritia et hæsitatio pugnam et inconstan-tiam ostendit. Quare audaer . . . . . . . . . . . . .

ses éléments : car il n’a pas d’autre point d’appui pour faire effort etprendre son élan vers le vrai, puis se replier sur lui-même. Le mondeaussi, qui embrasse tout, et ce Dieu qui régit l’univers, malgré leurtendance vers le dehors, rentrent néanmoins de toutes parts dans legrand tout et en eux-mêmes. Qu’ainsi fasse l’erit humain : lorsque,en suivant les sens dont il diose, il se sera porté par eux à l’extérieur,qu’il soit maître d’eux et de lui-même. C’est seulement à cette condi-tion que sera réalisée l’unité d’une force et d’une puissance toujoursd’accord avec elle-même, une raison mûre, sans contradiion nihésitation dans les opinions, les compréhensions et l’assentiment.Quand elle a mis cet ordre, ce plein accord entre toutes ses parties ;quand elle s’est, pour ainsi dire, harmonisée, le souverain bien estconquis. Il ne reste plus de fausse voie, de passage où l’on glisse, oùl’on se heurte, où l’on chancelle. Tout se fait par sa libre autorité,rien n’arrive contre son attente ; chacun de ses aes tourne à bien ets’exécute avec cette facilité prompte et cette allure qui ne tergiversentjamais. La lenteur, l’incertitude, trahissent la lutte et l’inconsistance

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insita sensibus,et capiens inde principia :nec enim habet aliudunde conetur,aut unde capiat impetumad verum,revertatur in se.Nam mundus quoquecompleens cuna,Deusque reor universi,tendit quidem in exteriora,sed tamen redit undiquein totum in se.Nostra mens faciat idem :quum secuta suos sensusse porrexerit per illosad externa,potens sitet illorum et sui.Hoc modo efficieturvis ac potestas una,concors sibi :et nascetur ratio illa certa,non dissidens nec hæsitansin opinionibuscomprehensionibusque,nec in persuasionesua.Quæ, quum se diosuit,et consensitsuis partibus,et (ut dicam ita)concinuit,tetigit summum bonum.Nihil enim pravi,nihil lubrici,nihil in quo arietet,aut labet,superest.Faciet omniaex suo imperio,nihilque accidetinopinatum :sed quidquid agetexibit in bonum,facile et parate,et sine tergiversationeagentis.Nam pigritia et hæsitatioostendit pugnam

greffée sur les sens,et prenant de-là ses principes :elle n’a pas en effet d’autre pointd’où elle puisse-s’efforcer,ou d’où elle puisse-prendre son essorvers la vérité,et puisse-revenir sur elle-même.Car le monde aussiqui embrasse tout,et Dieu qui gouverne l’univers,tend, il-est-vrai, vers l’extérieur,mais cependant revient de-partoutdans le tout en lui-même.Que notre âme fasse la même chose :lorsqu’ayant suivi ses senselle se sera étendue par euxjusqu’aux choses extérieures,qu’elle soit maîtresseet d’eux et d’elle-même.De cette façon seront réaliséesune force et une puissance une,d’accord-avec elle-même :et naîtra cette raison sûre,ne se-contredisant pas et n’hésitant pasdans les opinionset les compréhensions,ni dans l’assentimentqui-lui appartient-en-propre.Celle-ci, quand elle s’est diosée,et s’est-mise-d’-accorddans ses éléments,et (pour que je dise ainsi)s’est-harmonisée,a atteint te souverain bien.Rien en effet qui soit de travers,rien de glissant,rien à quoi elle puisse-se-heurter,ou puisse-chanceler,ne reste en elle.Elle fera toutde sa propre autorité,et rien n’arriveraqui soit imprévu :mais tout-ce-qu’elle feraaboutira au bien,facilement et aisément,et sans tergiversationd’elle agissant.Car la lenteur et l’incertitudemanifestent une lutte

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licet profitearis, summum bonum esse animi concordiam.Virtutes enim ibi esse debebunt, ubi consensus atque uni-tas erit : dissident vitia.

IX. « Sed tu quoque, inquit, virtutem non ob aliud co-lis, quam quia aliquam ex illa eras voluptatem. » Pri-mum, non, si voluptatem præstatura virtus est, ideo prop-ter hanc petitur ; non enim hanc præstat, sed et hanc :nec huic laborat, sed labor ejus, quamvis aliud petat, hocquoque assequetur. Sicut in arvo, quod segeti proscissumest, aliqui flores internascuntur, non tamen huic herbulæ,quamvis deleet oculos, tantum operis insumptum est :aliud fuit serenti propositum, hoc supervenit : sic et vo-luptas non est merces, nec causa virtutis, sed accessio :nec quia deleat, placet ; sed si placet, et deleat. Sum-mum bonum in ipso judicio est et habitu optimæ mentis :quæ quum suum ambitum implevit et finibus se suis cin-xit, consummatum est . . . . . . . . . . . . . . . . .

des pensées. Oui, prononce-le hardiment : le souverain bien, c’estl’harmonie de l’âme ; car les vertus doivent être où se trouventl’accord et l’unité : le désaccord est le propre des vices.

IX. «Mais vous aussi, me dira-t-on, vous ne cultivez la vertu qu’envue d’une jouissance quelconque que vous en eérez. » D’abord, sila vertu doit procurer le plaisir, il ne s’ensuit pas que ce soit pour celaqu’on la cherche ; ce n’est pas le plaisir seul qu’elle apporte, mais ellel’apporte en plus ; et, sans y travailler, ses efforts, quoique ayant unautre but, arrivent en outre à celui-là. Comme en un champ labourépour la moisson quelques fleurs naissent par intervalles, bien quece ne soit pas pour de minces bluets, qui pourtant réjouissent lesyeux, qu’on a dépensé tant de travail ; l’objet du semeur était autre :la fleur est venue par surcroît ; de même le plaisir n’est ni le salaire,ni le mobile de la vertu, il en est l’accessoire ; ce n’est pas parcequ’elle donne du plaisir qu’on l’aime ; c’est parce qu’on l’aime qu’elledonne du plaisir. Le souverain bien est dans le jugement même et ladiosition d’un erit excellent ; quand celui-ci a rempli le cercle de

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et inconstantiam.Quare licetprofitearis audaersummum bonum esseconcordiam animi.Virtutes enim debebuntesse ibi ubi eritconsensus atque unitasvitia dissident.

IX. « Sed tu quoqueinquit,non colis virtutemob aliud quam quiaeras ex illaaliquam voluptatem. »Primum si virtuspræstatura est voluptatem,non petitur ideopropter hanc ;non enim præstat hanc,sed et hanc :nec laborat huic,sed labor ejus,quamvis petat aliud,assequetur hoc quoque.Sicut in arvo,quod proscissum est segeti,aliqui floresinternascuntur,tantum operis tamennon est insumptumhuic herbulæ,quamvis deleet oculos ;aliud propositum fuitserenti,hoc supervenit ;sic et voluptasnon est merces nec causavirtutis,sed accessio :nec placet,quia deleat,sed si placet, et deleat.Summum bonum estin judicio ipsoet habitu mentis optimæ :quum quæ implevitsuum ambitumet cinxit se suis finibus,summum bonum

et un manque-de-fermeté.C’est pourquoi il est permisque tu déclares hardimentque le souverain bien estl’harmonie de l’âme.Les vertus en effet devrontêtre là où seral’accord et l’unitéles vices sont-en-désaccord.

IX. « Mais toi aussi.dit l’épicurien,tu ne cultives pas la vertupour un autre motif que parce quetu attends d’ellequelque plaisir. »D’abord si la vertuest devant procurer le plaisir,elle n’est pas cherchée à-cause-de-celaen-vue-de celui-ci,en effet elle ne procure pas celui-ci,mais et celui-ci en-plus :et elle ne travaille pas pour celui-ci,mais le travail d’elle,quoiqu’il vise un autre objet,obtiendra cela en-outre.De-même-que dans un champ,qui a été ouvert en vue de la moisson,quelques fleursnaissent-au-milieu,tant de travail pourtantn’a pas été dépensépour cette petite-végétation,quoiqu’elle charme les yeux ;un autre but futau cultivateur,cela est venu en plus ;de même aussi le plaisirn’est pas le prix ni la causede la vertu,mais un accessoire :et la vertu n’est pas aiméeparce qu’elle réjouit,mais si elle est aimée, elle réjouit aussi.Le souverain bien estdans le jugement mêmeet dans l’état d’une âme excellente :quand celle-ci a remplison développementet s’est renfermée dans ses limites,le souverain bien

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summum bonum, nec quidquam amplius desiderat. Nihilenim extra totum est, non magis quam ultra finem. Itaqueerras, quum interrogas quid sit illud propter quod virtu-tem petam ? quæris enim aliquid supra summum. Inter-rogas quid petam ex virtute ? ipsam ; nihil enim habetme-lius, ipsa pretium sui. An hoc parum magnum est, quumtibi dicam ; Summum bonum est infragilis animi rigor etprovidentia, et subtilitas, et sanitas, et libertas, et concor-dia, et decor ? Aliquid et jam nunc exigis majus, ad quodista referantur ? Quid mihi voluptatem nominas ? Homi-nis bonum quæro, non ventris, qui pecudibus ac belluislaxior est.

X. « Dissimulas, inquit, quid a me dicatur : ego enimnego quemquam posse jucunde vivere, nisi simul et ho-neste vivat : quod non potest mutis contingere animali-bus, nec bonum suum cibo metientibus. Clare, inquam,ac palam testor, hanc vitam, quam ego jucundam voco,non sine adjea virtute . . . . . . . . . . . . . . . .

son développement et s’est retranché dans ses limites propres, le souverainbien est complet, il ne veut rien de plus. Car il n’y a rien en dehors du tout,non plus qu’au delà du dernier terme. Vous vous méprenez donc quandvous demandez pour quel motif j’aire à la vertu ; c’est chercher quelquechose au-dessus du sommet des choses. Vous demandez ce que je cherchedans la vertu ? elle-même : elle n’a rien demeilleur, elle est à elle-même sonsalaire. Trouvez-vous que ce soit trop peu ? Si je vous dis : Le souverainbien, c’est une inflexible rigidité, c’est une prévoyance judicieuse ; c’est lasagesse, l’indépendance, l’harmonie, la dignité, exigerez-vous encore unprincipe plus élevé pour y rattacher tous ces attributs ? Pourquoime parlerdu plaisir ? Je cherche le bien de l’homme, non pas le bien du ventre qui,chez les bêtes et les brutes, a plus de capacité.

X. « Vous feignez, me dit l’épicurien, de ne pas entendre ce que je dis ;je prétends, en effet que l’on ne peut pas vivre agréablement si l’on ne vitpas honnêtement : or cette condition est inaccessible à la brute, et auxhommes qui mesurent leur bonheur à leurs aliments. Oui, je l’atteste touthaut et publiquement, cette vie que j’appelle agréable

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est consummatum,nec desiderat quidquamamplius.Nihil enim est extra totum,non magis quamultra finem.Itaque erras,quum interrogasquid sit illud propter quodpetam virtutem.Quæris enim aliquidsupra summum.Interrogas quid petamex virtute ?ipsam ;habet enim nihil melius ;ipsa pretium sui.An hoc est parum magnumquum tibi dicam :Summum bonum estrigor animi infragilis,et providentia et subtilitas,et sanitas et libertas,et concordia et decor ?Exigis et jam nuncaliquid majusad quod ista referantur ?Quid mihi nominasvoluptatem ?Quæro bonum hominis,non ventris,qui est laxiorpecudibus ac belluis.

X. « Dissimulas,inquit,quid dicatur a me :ego enim negoquemquam possevivere jucunde,nisi simulvivat et honeste :quod non potest contingereanimalibus mutisnec metientibussuum bonum cibo.Testor, inquam,clare ac palam,hanc vitam quamego voco jucundam,non contingere

est consommé,et ne demande riende plus.Rien en effet n’est en dehors du tout,pas plus queau-delà de la fin.C’est pourquoi, tu te trompes,quand tu me demandesquelle est cette fin en-vue-de laquelleje cherche la vertu.Tu cherches en effet quelque choseau-delà du sommet des choses.Tu me demandes ce-que je cherchedans la vertu ?elle-même ;elle n’a en effet rien de meilleur ;elle-même est le salaire d’elle-même.Est-ce que cela est peu grand à tes yeux,quand je te dis :Le souverain bien estla rigidité d’une âme indestruible,et la prévoyance et la pénétration,et la santé morale et l’indépendance,et l’harmonie et la beauté ?Exiges-tu encore maintenantquelque chose de plus grandà quoi ces attributs soient rattaches ?Pourquoi me nommes-tula volupté ?Je cherche le bien de l’homme,non celui du ventre,qui est plus largechez les bêtes et chez les brutes.

X. « Tu-feins-de-ne-pas-comprendre,dit l’épicurien,quelle chose est dite par moi :moi en effet je niequ’aucun puissevivre agréablement,à moins qu’en même tempsil ne vive aussi honnêtement :ce qui ne peut pas échoiraux êtres muets,ni aux hommes mesurantleur bien aux aliments.J’atteste, dis-je,tout-haut et, ouvertement,cette vie quemoi j’appelle agréable,ne pas échoir

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contingere. » Atqui quis ignorat plenissimos esse volupta-tibus vestris stultissimos quosque ? et nequitiam abundarejucundis, animumque ipsum non tantum genera volupta-tis prava, sed multa suggerere ? in primis insolentiam etnimiam æstimationem sui, tumoremque elatum supra ce-teros, et amorem rerum suarum cæcum et improvidum :delicias fluentes, ex minimis ac puerilibus causis exsulta-tionem ; jam dicacitatem, et superbiam contumeliis gau-dentem, desidiam dissolutionemque segnis animi indor-mientis sibi. Hæc omnia virtus discutit, et aurem pervellit,et voluptates æstimat, antequam admittat : nec quas pro-bavit, magni pendit (utique enim admittit), nec usu ea-rum, sed temperantia læta est ; temperantia autem, quumvoluptates minuat, summi boni injuria est. Tu voluptatemcompleeris : ego compesco ; tu voluptate frueris : egoutor ; tu illam summum bonum putas : ego nec bonum ;tu omnia voluptatis causa facis : ego nihil.

n’est pas possible sans le concours de la vertu. » — Mais qui ignoreque les hommes les plus étrangers à la sagesse sont les plus comblésde ces plaisirs que vous vantez ; que les jouissances sont prodiguées àla perversité, et que l’âme elle-même se crée des satisfaions à la foisnombreuses etmauvaises ? C’est d’abord l’insolence, l’estime excessive desoi-même, une vanité par laquelle on se met au-dessus de tous les autres,un amour-propre aveugle et imprévoyant, une mollesse énervante, destranorts de joie pour les motifs les plus minces et les plus puérils ; c’estaussi un ton railleur, un orgueil qui se plaît à humilier autrui, l’apathie,l’affaissement d’une âme qui s’endort sur sa propre lâcheté. Toutes cesfolies, la vertu les dissipe en nous prenant par l’oreille ; elle pèse lesplaisirs avant de les admettre, et quand elle les a trouvés de bon aloi,elle n’en fait pas grand cas ; c’est tout au plus si elle les tolère, heureuse,non pas d’en user, mais de les tempérer : or la tempérance, en enlevantquelque chose au plaisir, porte atteinte à votre souverain bien. Vous vousjetez dans les bras du plaisir, moi je le tiens à distance ; vous l’épuisez,moi je le goûte ; vous y voyez le bien suprême, pour moi il n’est mêmepas un bien ; vous faites tout pour lui, et moi rien.

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sine virtute adjea. »Atqui quis ignoratquosque stultissimosesse plenissimosvestris voluptatibus ?et nequitiamabundare jucundis,animumque ipsumsuggereregenera voluptatisnon tantum pravased multa ?in primis insolentiamet æstimationem nimiamsui,tumoremque elatumsupra ceteros,et amorem suarum rerumcæcum et improvidum :fluentes delicias,exsultationem ex causisminimis et puerilibus ;jam dicacitatem,et superbiam gaudentemcontumeliis,desidiam dissolutionemqueanimi segnisindormientis sibi.Virtus discutit omnia hæc,et pervellit aurem,et æstimat voluptatesantequam admittat :nec pendit magniquas probavit(utique enim admittit),nec læta est usu,sed temperantia earum ;temperantia autem,quum minuat voluptates,injuria est summi boni.Tu compleeris voluptatem,ego compesco ;tu frueris voluptate,ego utor ;tu illam putassummum bonum,ego nec bonum ;tu facis omniacausa voluptatis :ego nihil.

sans la vertu étant ajoutée. »Pourtant qui ignoreque tous les plus insenséssont les plus comblésde vos plaisirs ?et que la perversitéregorge d’agréments.et que l’âme elle-mêmesuggèredes genres de plaisir,non seulement mauvaismais nombreux ?en premier lieu l’insolenceet l’estime excessivede soi-même,et une vanité qui s’élèveau-dessus des autres,et un amour de ses biensaveugle et imprévoyant :de molles délices,des tranorts pour des causesminimes et puériles ;ensuite la causticité,et un orgueil qui est-heureuxdes affronts qu’il fait.l’apathie et le relâchementd’une âme indolentequi-s’endort sur elle-même.La vertu dissipe tous ces défauts.et nous tire l’oreille,et juge les plaisirsavant de les admettre :et elle ne prise pas beaucoupceux qu’elle a approuvés(car tout au plus elle les admet),et elle n’est pas heureuse par l’usage,mais par la modération de ces plaisirs :or la modération,vu-qu’elle diminue les plaisirs,est une atteinte à votre souverain bien.Toi tu embrasses le plaisir,moi je le comprime ;toi tu jouis du plaisir,moi j’en use ;toi tu le regardes-commele souverain bien,moi même-pas comme un bien ;toi tu fais touten-vue-du plaisir :moi, rien.

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XI. Quum dico me nihil voluptatis causa facere, de illoloquor sapiente, cui soli concedis voluptatem.

Non voco autem sapientem, supra quem quidquam est,nedum voluptas. Atqui ab hac occupatus, quomodo re-sistet labori, ac periculo, egestati, et tot humanam vitamcircumstrepentibus minis ? quomodo coneum mor-tis, quomodo doloris feret ? quomodo mundi fragores, ettantum acerrimorumhostium, a tammolli adversario vic-tus ? Quidquid voluptas suaserit, faciet. Age, non videsquam multa suasura sit ? « Nihil, inquis, poterit suadereturpiter, quia adjuna virtuti est. » Non vides iterum,quale sit summum bonum, cui custode opus est, ut bo-num sit ? Virtus autem quomodo voluptatem reget quamsequitur, quum sequi parentis sit, regere imperantis ? atergo ponis, quod imperat. Egregium autem habet virtusapud vos officium, voluptates prægustare ! Sed videbimus,an apud quos tam contumeliose traata virtus est, adhucvirtus sit : quæ habere nomen . . . . . . . . . . . . .

XI. Quand je dis moi, je veux parler du sage à qui seul vous accordez leplaisir.

Mais je n’appelle point sage l’esclave de quoi que ce soit, et moins quetous, l’esclave de la volupté. Comment, une fois dominé par elle, résistera-t-il à la fatigue, aux périls, à l’indigence, à tant de menaces qui grondentautour de la vie humaine ? Comment soutiendra-t-il l’ae de la mort,l’aede la douleur, le fracas d’un ciel en courroux, et une foule d’attaquesacharnées, lui qu’un si mol adversaire a vaincu ? Tout ce que lui auraconseillé la volupté, il le fera. Et ne voyez-vous pas que de choses elle luiconseillera ? « Elle ne saurait, dites-vous, l’engager à rien de honteux : elle ala vertu pour compagne. »Mais, encore une fois, qu’est-ce qu’un souverainbien qui ne peut être tel que s’il est surveillé ? D’ailleurs, comment lavertu gouvernera-t-elle le plaisir auquel elle est subordonnée ? Ce qui estsubordonné doit obéir à ce qui gouverne. Vous mettez derrière ce quicommande. Le bel emploi pour la vertu ! Vous la réduisez à faire l’essaides plaisirs ! Nous verrons plus tard si, chez des hommes qui l’ont sioutrageusement traitée, elle est encore la vertu, elle qui ne peut garder son

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XI. Quum dico me facerenihil voluptatis causa.loquor de illo sapiente,cui soli concedisvoluptatem.

Non autem voco sapientemsupra quem est quidquam,nedum voluptas.Atqui occupatus ab hac,quomodo resistetlabori ac periculo,egestati et tot miniscircumstrepentibusvitam humanam ?quomodo feretconeum mortis,quomodo doloris ?Quomodo fragores mundiet tantum hostiumacerrimorum,vius ab adversariotam molli ?Faciet quidquidvoluptas suaserit.Age, non vides quam multasit suasura ?« Poterit, inquis,suadere nihil turpiter,quia est adjuna virtuti. »Non vides iterumquale sit summum bonum,cui opus est custodeut sit bonum ?Quomodo autem virtusreget voluptatemquam sequitur,quum sequisit parentisregere imperantis ?Ponis a tergoquod imperat.Virtus autemhabet apud vosegregium officium.prægustare voluptates !Sed videbimus an virtussit adhuc virtus apud quosest traatatam contumeliose :quæ non potest

XI. Quand je dis que je ne faisrien en-vue-du plaisir,je parle de ce sage,auquel seul lu accordesle plaisir.

Mais je n’appelle pas sagecelui au-dessus duquel est quelque chose,encore moins si c’est le plaisir.D’ailleurs absorbé par celui-ci,comment l’homme résistera-t-ilà la fatigue et au danger,à la pauvreté et à tant de menacesqui grondent-autour-dela vie humaine ?Comment supportera-t-illa vue de la mort,comment la vue de la douleur ?Comment les fracas du cielet de tant d’ennemistrès acharnés,lui vaincu par un adversairesi mou ?Il fera tout-ce-quele plaisir lui aura conseillé.Allons, ne vois-tu pas combien de chosesil est devant lui conseiller ?« Il ne pourra, dis-tu,conseiller rien honteusement,parce qu’il est attaché à la vertu. »Ne vois-tu pas encore-une-foisquel est un souverain bien,à qui besoin est d’un surveillantpour qu’il soit un bien ?Comment d’autre-part la vertudirigera-t-elle le plaisirqu’elle suit,puisque suivreest le propre de qui obéit,diriger de qui commande ?Tu places par derrièrece qui commande.Eh bien ! La vertua chez vousune noble fonion,essayer-en-goûtant les plaisirs !Mais nous verrons si la vertuest encore vertu chez ceux chez quielle a été traitéesi outrageusement :elle qui ne peut pas

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suum non potest, si loco cessit ; interim, de quo agitur,multos ostendam voluptatibus obsessos, in quos fortunaomnia munera sua effudit, quos fatearis necesse est ma-los. Aice Nomentanum et Apicium, terrarum ac maris(ut isti vocant) bona conquirentes, et super mensam reco-gnoscentes omniumgentium animalia. Vide hos eosdem esuggestu rosæ exeantes popinam suam ; aures vocumsono, eaculis oculos, saporibus palatum suum delec-tantes. Mollibus lenibusque fomentis totum lacessitur eo-rum corpus : et ne nares interim cessent, odoribus variisinficitur locus ipse, in quo luxuriæ parentatur. Hos essein voluptatibus dices : nec tamen illis bene erit, quia nonbono gaudent.

XII. « Male, inquit, illis erit, quia multa interveniunt,quæ perturbant animum et opiniones inter se contrariæmentem inquietabunt. » Quod ita esse concedo ; sed nihi-lominus illi ipsi stulti, et inæquales et sub iu pœnitentiæpositi, magnas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

nom dès qu’elle perd son rang ; eu attendant, pour parler de ce qui nousoccupe, je vous montrerai nombre d’hommes entourés par les plaisirs, surlesquels la fortune a répandu tous ses dons, et que vous serez forcé dereconnaître méchants. Voyez un Nomentanus, un Apicius, recherchant àgrands frais ce qu’ils appellent les biens de la terre et de l’onde, et passanten revue sur leur table les animaux de tous les pays. Voyez-les du haut d’unlit de roses contempler l’orgie qu’ils ordonnent, charmer leurs oreilles par leson des voix, leurs yeux par deseacles, leur palais par d’exquises saveurs.La moelleuse et douce pression des coussins caresse tout leur corps ; etpour que leurs narines mêmes prennent part à la fête, des parfums variésembaument jusqu’aux salles où sont offerts à la mollesse des repas qu’onpeut dire funèbres. Ces gens-là, allez-vous dire, nagent dans les délices ;maisils auront à souffrir, parce que ce n’est pas le vrai bien qui fait leur joie.

XII. « Ils auront à souffrir, dites-vous, parce que leur vie est sous le coupdemille causes de troublemoral, et le conflit des opinions agitera leurs erits. »Cela est vrai, je vous l’accorde ; mais ces erits égarés, capricieux et sous lecoup du repentir, n’en perçoivent pas moins de vives

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habere suum nomen,si cessit loco ;interim, de quo agitur,ostendam multosobsessos voluptatibus,in quos fortuna effuditomnia sua muneraquos est necessefatearis malos.Aice Nomentanumet Apicium,conquirentes bona(ut isti vocant)terrarum et mariset recognoscentessuper mensamanimalia omnium gentium.Vide hos eosdemexeantes suam popiname suggestu rosæ ;deleantes auressono vocum,oculos eaculis,suum palatum saporibus.Totum corpus eorumlacessitur fomentismollibus lenibusque :et ne nares interimcessent,ipse locus in quoparentaturluxuriæ,inficitur odoribus variis.Dices hos essein voluptatibus :nec tamen bene erit illis,quia non bono gaudent.

XII. « Male erit illis,inquit,quia multa interveniunt,quæ perturbant animum,et opinionescontrariæ inter seinquietabunt mentem. »Quod concedo essesed nihilominusilli stulti ipsi,et inæquales,et positisub iu pœnitentiæ,

garder son nom,si elle a quitté son rang ;en attendant, ce dont il-est-question,je montrerai beaucoup d’hommesassiégés par les plaisirs,sur qui la fortune a versétoutes ses faveurs,lesquels il est nécessaireque tu reconnaisses méchants.Regarde Nomentanuset Apicius,recherchant les biens(comme ils les appellent)des terres et de la mer,et passant-en-revuesur leur tabledes animaux de toutes les nations.Vois ces mêmes hommesattendant leur bonne-chèredu-haut-d’un lit de roses ;charmant leurs oreillespar le son des voix,leurs yeux par des eacles,leur palais par des saveurs.Tout le corps d’euxest provoqué par des excitationscaressantes et douces :et de peur que leur nez pendant-ce-tempsne reste-inaif,ce lieu dans lequelune fête-funèbre-est-célébréeà la mollesse,est rempli de parfums variés.Tu diras que ces gens-là sontdans tes plaisirs :et cependant bien ne sera pas à eux,car ce n’est pas du bien qu’ils se réjouissent.

XII. « Mal sera à eux,dit l’ épicurien,parce que bien des causes interviennent,qui troublent complètement l’âme,et des opinionscontraires entre ellesagiteront leur erit. »Ce que je concède être ainsi :mais néanmoinsces insensés eux-mêmes,et capricieux,et placéssous le coup du repentir,

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percipiunt voluptates : ut fatendum sit, tam longe tum illosab omni molestia abesse, quam a bona mente : et (quodplerisque contingit) hilarem insaniam insanire, ac per ri-sum furere. At contra sapientium remissæ voluptates, etmodestæ, ac pæne languidæ sunt, compressæque, et vixnotabiles : ut quæ neque arcessitæ veniant, nec quamvisper se accesserint, in honore sint, neque ullo gaudio per-cipientium exceptæ. Miscent enim illas, et interponuntvitæ, ut ludum jocumque inter seria. Desinant ergo in-convenientia jungere, et virtuti voluptatem implicare, perquod vitium pessimis quibusque adulantur. Ille effusus involuptates, ruabundus semper atque ebrius, quia scit secum voluptate vivere, credit et cum virtute : audit enimvoluptatem separari a virtute non posse : deinde vitiis suissapientiam inscribit, et abscondenda profitetur. Ita non abEpicuro impulsi luxuriantur, sed . . . . . . . . . . . .

voluptés ; aussi faut-il avouer que, s’ils sont loin alors de toutmalaise, ils ne le sont pas moins de la sagesse ; que, pour la plu-part, leur joie est une folie délirante, et leur rire un rire de fu-rieux. Tout au contraire, les plaisirs du sage sont modérés, dis-crets, presque languissants, tout intérieurs et à peine sensiblesau dehors ; car ce n’est point à sa sollicitation qu’ils viennent,et, bien qu’ils se présentent d’eux-mêmes, il ne leur fait pointfête, il les accueille et les goûte sans aucun tranort. Il les mêleà la vie comme un intermède et un jeu pour égayer le sérieux dudrame. Que l’on cesse donc d’allier des choses incompatibles etd’accoler la vertu à la volupté, faux assemblage qui flatte les pen-chants les plus dissolus. Tel homme livré au plaisir et la bouchetoujours pleine des fumées de l’ivresse, sachant qu’il suit la vo-lupté, croit aussi suivre la vertu. Il entend dire en effet qu’ellessont inséparables, puis sur ses vices il écrit sagesse et affiche cequ’il devrait cacher à tous les yeux. Ainsi ce n’est pas Épicurequi pousse ces hommes à la débauche ; ce sont eux

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percipiuntmagnas voluptates :ut sit fatendumillos tum abessetam longe ab omni molestia,quam a mente bona :et (quod contingit plerisque)insanire insaniam hilarem,ac furere per risum.At contravoluptates sapientiumsunt remissæ,et modestæ,ac pæne languidæcompressæque,et vix notabiles :ut quæ veniantneque arcessitæ,et quamvis accesserintper se,non sint in honore,neque exceptæullo gaudiopercipientium.Miscent enimet interponunt illas vitæ,ut ludum jocumqueinter seria.Desinant ergo jungereinconvenientia,et implicarevoluptatem virtuti,per quod vitium adulanturquibusque pessimis.Ille effusus in voluptates,semper ruabundusatque ebrius,quia scit se viverecum voluptate,credit etcum virtute :audit enimvoluptatem non posseseparari a virtute :deinde inscribit sapientiamsuis vitiis,et profitetur abscondenda.Ita non impulsiab Epicuroluxuriantur,

perçoiventde grands plaisirs :tellement qu’il faut avouerqu’ils sont éloignés alorsaussi loin de toute souffrance,que d’un erit sage :et (ce qui arrive à la plupart)qu’ils sont fous d’une folie gaie,et qu’ils sont-en-délire dans le rire.Mais au contraireles plaisirs des sagessont détendus,et modérés,et presque languissants,et contenus,et à peine sensibles :attendu qu’ils viennentet n’ayant pas été cherchés,et quoique ils soient venuspar (d’) eux-mêmes,qu’ils ne sont pas en honneurni accueillisavec quelque joiede ceux qui les perçoivent.Ils mêlent en effetet interposent eux dans leur vie,comme une distraion et un jeuentre les choses sérieuses.Qu’on cesse donc d’allierdes éléments incompatibles,et de mêlerle plaisir à la vertu,défaut par lequel on flattetous les plus pervers.Tel abandonné aux plaisirs,toujours rotantet ivre,parce qu’il sait qu’il vitavec le plaisir,croit qu’il vit aussiavec la vertu :il entend-dire en effetque le plaisir ne peutêtre séparé de la vertu :ensuite il intitule sagesseses vices,et affiche des choses devant être cachées.Ainsi non pas pousséspar Épicureils se-livrent-à-la-débauche,

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vitiis dediti luxuriam suam in philosophiæ sinu abscon-dunt, et eo concurrunt, ubi audiunt laudari voluptatem.Nec æstimant voluptas illa Epicuri (ita enim meherculessentio) quam sobria et sicca sit ; sed ad nomen ipsum ad-volant, quærentes libidinibus suis patrocinium aliquod acvelamentum. Itaque quod unum habebant in malis bo-num, perdunt, peccandi verecundiam. Laudant enim eaquibus erubescebant, et vitio gloriantur : ideoque ne re-surgere quidem adolescentiæ licet, quum honestus turpidesidiæ titulus accessit.

Hoc est, cur ista voluptatis laudatio perniciosa sit, quiahonesta præcepta intra latent : quod corrumpit, apparet.

XIII. In ea quidem ipse sententia sum (invitis hoc nos-tris popularibus dicam), sana Epicurum et rea præci-pere, et, si propius accesseris, tristia : voluptas enim illa adparvum et exile revocatur, et quam nos virtuti legem di-cimus, eam ille dicit voluptati : jubet illam parere naturæ.Parum est autem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

qui, livrés à tous les excès, cachent leurs goûts dépravés dans le seinde la philosophie, et volent en foule aux lieux où ils apprennent qu’onvante le plaisir. Ils ne comprennent pas combien le plaisir d’Épicure estsobre et austère (telle est vraiment ma pensée) ; c’est au nom seul qu’ilsaccourent, cherchant pour leurs désordres une autorité favorable et unvoile. II en résulte qu’ils perdent le seul bien qui leur restât dans leursmaux : la honte du péché ; ils louent ce dont ils rougissaient, ils se fontgloire de leur corruption ; et se relever de sa chute est impossible à cettejeunesse qui décore d’un titre honorable ses turpitudes et sa lâcheté.

Voilà ce qui rend cette apologie du plaisir pernicieuse : les précepteshonnêtes se cachent au fondde la dorine ; la séduion està la surface.

XIII. Je découvrirai ma pensée, dussé-je déplaire à mes confrèresdu Portique : la dorine d’Épicure est pure et morale, et même, à yregarder de près, elle est austère : la volupté, telle qu’il la conçoit, seréduit à quelque chose d’étroit et de pauvre ; la loi que nous imposonsà la vertu, il l’impose au plaisir. Il le veut soumis à la nature ; or, c’est

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sed dediti vitiisabscondunt suam luxuriamin sinu philosophiæ,et concurrunt eoubi audiuntvoluptatem laudari.Nec æstimant quamilla voluptas Epicurisit sobria et sicca(ita enim sentiomehercules) ;sed advolantad nomen ipsum,quærentes suis libidinibus,aliquod patrociniumet velamentum.Itaque perduntunum bonumquod habebant in malis,verecundiam peccandi.Laudant enim eaquibus erubescebant,et gloriantur vitio :ideoque ne licet quidemadolescentiæ resurgere,quum titulus honestusaccessit desidiæ turpi.

Hoc est curista laudatio voluptatissit perniciosa,quia præcepta honestalatent intra :quod corrumpit apparet.

XIII Sum quidem ipsein ea sententia(dicam hocinvitis nostris popularibus),Epicurum præciperesana et rea,et, si accesseris propius,tristia :illa enim voluptasrevocaturad parvum et exile,et ille dicit voluptatieam legem quam nosdicimus virtuti :jubet illamparere naturæ.Quod autem est satis

mais livrés aux vicesils cachent leur corruptiondans le sein de la philosophie,et accourent-tous làoù ils entendent-direle plaisir être loué.Et ils n’apprécient pas combience plaisir d’Épicureest sobre et sec(ainsi en effet je pensepar Hercule) ;mais ils accourentau nom même (seul),cherchant pour leurs désordresquelque patronageet quelque voile.C’est pourquoi ils perdentle seul bienqu’ils avaient dans leur perversité,la honte de pécher.Ils louent en effet ces chosesdont ils rougissaient,et se glorifient du vice :et aussi n’est-il même plus possibleà la jeunesse de se-relever,lorsqu’un titre honnêtes’est joint à la mollesse honteuse.

Ceci est cause quecet éloge du plaisirest pernicieux :c’est que les préceptes honnêtessont cachés intérieurement ;ce qui séduit parait au dehors.

XIII. Je suis en vérité moi-mêmedans ce sentiment(je dirai cecimalgré nos confrères),qu’Épicure donne-des-préceptesvertueux et justes,et même, si tu t’approches de plus près,des préceptes austères :ce plaisir-là en effetest réduità quelque chose de faible et de pauvre,et il (Épicure) die au plaisircette loi que nous autresnous dions à la vertu :il ordonne lui (le plaisir)obéir à la nature.Or ce qui est assez

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luxuriæ, quod naturæ satis est. Quid ergo est ? ille quis-quis desidiosum otium, et gulæ ac libidinis vices felici-tatem vocat, bonum malæ rei quærit auorem : et dumillo venit, blando nomine induus, sequitur voluptatem,non quam audit, sed quam attulit : et vitia sua quum cœ-pit putare similia præceptis, indulget illis non timide, necobscure, luxuriatur et jam nude, aperto capite. Itaque nondicam, quod plerique nostrorum, seam Epicuri flagitio-rummagistram esse ; sed illud dico : «Male audit ; infamisest, et immerito. » Hoc scire qui potes, nisi interius admis-sus ? Frons ipsa dat locum fabulæ, et ad malam em irri-tat. Hoc tale est, quale vir fortis stolam indutus. Constantetibi pudicitia virilitas salva est : nulli corpus tuum patien-tiæ vacat, sed in manu tympanum est. Titulus itaque ho-nestus eligatur, et inscriptio ipsa excitans animum ad earepellenda, quæ statim enervant, quum . . . . . . . .

bien peu pour la mollesse que ce qui suffit à la nature. D’où vientdonc le mal ? De ce que ceux qui mettent le bonheur dans une oisi-veté nonchalante, dans les jouissances alternatives de la table et desfemmes, cherchent pour une mauvaise cause un patron reeable.Ils s’en viennent, attirés par un nom qui séduit ; ils suivent, non lavolupté qu’il enseigne, mais celle qu’ils lui apportent ; croyant voirdans leurs passions les préceptes dumaître, ils s’y abandonnent sansréserve et sans feinte, et la débauche enfin court tête levée. Je ne disdonc pas, comme presque tous les nôtres : « La see d’Épicure estune école de scandale ; » mais je dis : « Elle a mauvais renom ; on ladiffame, sans qu’elle le mérite. » Qui peut bien connaître le temple,s’il n’est admis dans l’intérieur ? Le fronton seul donne li eu aux fauxbruits et invite à une coupable eérance, il y a là comme qui diraitun héros en habit de femme. Tu gardes les lois de la pudeur, et la di-gnité humaine est sacrée pour toi : ta personne ne se prête à aucunesouillure, mais tu as à la main le tambour de Cybèle. Choisis doncun honnête drapeau et une devise qui par elle-même excite les âmesà repousser des vices dont l’approche

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naturæ,est parum luxuriæ.Quid est ergo ?Ille quisquisvocat felicitatemotium desidiosum,et vicesgulæ ac libidinis,quærit auorem bonummalæ rei :et dum venit illo,induus nomine blando,non sequitur voluptatemquam audit,sed quam attulit :et quum cœpit putaresua vitiasimilia præceptis,illis indulgetnon timide nec obscure,et jam luxuriaturnude, capite aperto.Itaque non dicam,quod plerique nostrorum,seam Epicuri essemagistram flagitiorum ; .sed dico illud :« Audit male ;est infamis,et immerito. »Qui potes scire hocnisi admissusinterius ?Frons ipsadat locum fabulæ,et irritat ad malam em.Hoc est talequale vir fortisindutus stolam.Pudicitia constante tibi,virilitas est salva :tuum corpus vacatnulli patientiæ,sed tympanum est in manu.Itaque titulus honestus,eligatur,et inscriptio excitans ipsaanimumad repellenda ea vitiaquæ, quum venerunt,

pour la natureest peu pour la mollesse.Quel est donc le mal ?Celui qui, quel-qu’il-soit,appelle bonheurun repos inoccupé,et l’alternativede la gourmandise et de la débauchecherche une autorité reeablepour une mauvaise cause :et tandis qu’il vient là,séduit par un nom flatteur,il ne suit pas le plaisirdont il entend-parler,mais celui qu’il a apporté :et quand il s’est mis à croireses vicesconformes aux préceptes,il s’y abandonnenon timidement et dans-l’ombre,et dès-lors il se-livre-à-la-débaucheà-nu, la tête découverte.C’est pourquoi je ne dirai pas,ce que disent la plupart des nôtres,que la see d’Épicure estune institutrice d’infamies ;mais je dis ceci :« Elle entend-parler mal d’elle,elle est décriée.et sans-le-mériter. »Comment peux-tu savoir celasinon ayant été admisdans -l’ -intérieur de cette école ?La façade elle-mêmedonne lieu au propos,et excite à une mauvaise attente.C’est une chose telle,qu’un homme courageuxrevêtu d’une longue-robe.La-pudeur se-maintenant en toi,ta virilité est sauve :ton corps n’est accessibleà aucune complaisance-coupable.mais un tambour est dans la main.C’est pourquoi qu’une enseigne honnêtesoit choisie,et une inscription excitant elle-mêmel’âmeà repousser ces vicesqui, quand ils sont venus,

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venerunt, vitia. Quisquis ad virtutem accessit, dedit gene-rosæ indolis ecimen ; qui voluptatem sequitur, videturenervis, fraus, degenerans a viro, perventurus in turpia,nisi aliquis distinxerit illi voluptates, ut sciat, quæ ex iis in-tra naturale desiderium sistant, quæ in præceps ferantur,infinitæque sint et, quo magis implentur, eo magis inex-plebiles. Agedum, virtus antecedat : tutum erit omne ves-tigium ; et voluptas nocet nimia : in virtute non est veren-dum, ne quid nimium sit, quia in ipsa est modus. Non estbonum, quod magnitudine laborat sua.

XIV. Rationabilem porro sortitis naturam, quæ meliusres quam ratio proponitur ? et si placet ista junura, si hocplacet ad beatam vitam ire comitatu, virtus antecedat, co-mitetur voluptas, et circa corpus, ut umbra, versetur. Vir-tutem quidem, excellentissimam omnium, voluptati tra-dere ancillam, nihil magnum animo capientis est. Primavirtus sit, hæc ferat signa : habebimus nihilominus volup-tatem, sed domini . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

seule nous amollit. Quiconque passe au camp de la vertu est présumé unnoble caraère ; qui s’enrôle sous la volupté est aux yeux de tous dépourvude ressort et d’énergie, déchu de la dignité d’homme, voué à de honteuxexcès, si on ne lui montre à faire la distinion des plaisirs, s’il ne sait paslesquels se renferment dans les besoins de la nature lesquels se précipitent etn’ont plus de bornes, d’autant plus insatiables qu’on les rassasie davantage.Eh bien, donc ! que la vertumarche la première : tous nos pas seront assurés.L’excès du plaisir est nuisible ; dans la vertu pas d’excès à craindre car elleest elle-même le principe régulateur. Ce n’est pas un bien qu’une chose quisouffre de son propre accroissement.

XIV. Homme, tu as en partage une nature raisonnable : quel meilleurguide te proposer que la raison ? Et si l’on veut marier la vertu à la volupté,et n’aller au bonheur qu’ayant toutes les-deux pour compagnes, que la vertuprécède et que l’autre suive, comme l’ombre suit le corps. Faire de la vertu,de ce qu’il y a de plus relevé aumonde, la servante de la volupté, c’est l’œuvred’un erit incapable de toute idée grande. Que la vertu aille en tête, qu’elleporte l’étendard ; nous n’en aurons pasmoins la volupté,mais nous en serons

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enervant statim.Quisquis accessitad virtutem,dedit ecimenindolis generosæ ;qui sequitur voluptatem,videtur enervis, fraus,degenerans a viro,perventurus in turpia,nisi aliquisdistinxerit illi voluptates,ut sciatquæ ex iis sistantintra desiderium naturale,quæ ferantur in præceps,sintque infinitæ,et magis inexplebiles eoquo magis implentur.Agedum, virtus antecedat :omne vestigium erit tutum ;et voluptas nocet nimia :non est verendum in virtutene sit quid nimium,quia modus est in ipsa.Quod laboratsua magnitudinenon est bonum.

XIV. Porro quæ resmelius quam ratioproponitur sortitisnaturam rationabilem ?Et si junura ista placet,si placet ire hoc comitatuad vitam beatam,virtus antecedat,voluptas comitetur,et versetur ut umbracirca corpus.Tradere quidem virtutem,excellentissimam omnium,ancillam voluptati,est capientis animonihil magnum.Virtus sit prima,hæc ferat signa ;habebimus nihilominusvoluptatem,sed erimusdomini et temperatores ejus ;exorabit nos

amollissent aussitôt.Quiconque s’est rangédu-côté-de la vertu,a donné l’indiced’un caraère généreux ;qui suit le plaisir,semble énervé, brisé,dégénérant de l’homme,devant en venir aux infamies,à-moins-que quelqu’unn’ait distingué pour lui les plaisirs,de façon qu’il sachelesquels d’entre eux se tiennenten-deçà du désir naturel,lesquels se portent en-avant,et sont sans-bornes,et plus insatiables par cette raisonqu’ils sont plus rassasiés.Eh bien, donc ! que la vertu marche-devant :chaque pas sera sûr ;le plaisir aussi nuit s’il est excessif :il n’est pas à craindre dans la vertuqu’il n’y ait quelque excès,car la mesure est en elle-même.Ce qui souffrede sa propre grandeurn’est pas un bien.

XIV. En outre quel butmieux que la raisonest proposé à des êtres ayant-en-partageune nature raisonnable ?Et si l’alliance dont-tu-parles te plaît,s’il te plaît d’aller avec ce cortègeà la vie heureuse,que la vertu marche-devant,que le plaisir accompagne,et se-tourne comme l’ombreautour du corps.Livrer vraiment la vertu,la plus excellente de toutes les choses,pour servante au plaisir,est d’un homme qui ne conçoit dans l’eritrien de grand.Que la vertu soit la première,qu’elle porte l’étendard ;nous n’en aurons pas moinsle plaisir,mais nous seronsmaîtres et modérateurs de celui-ci ;par-des-prières-il-obtiendra de nous

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ejus et temperatores erimus ; aliquid nos exorabit, nihilcoget. At hi qui voluptati tradidere principia, utroque ca-ruere ; virtutem enim amittunt ; ceterum non ipsi volup-tatem, sed ipsos voluptas habet : cujus aut inopia tor-quentur, aut copia strangulantur. Miseri, si deserunturab illa : miseriores, si obruuntur ! sicut deprehensi mariSyrtico, modo in sicco relinquuntur, modo torrente undafluuantur. Evenit autem hoc nimia intemperantia, etamore cæco rei ; nam mala pro bonis petenti, periculo-sum est assequi. Ut feras cum labore periculoque vena-mur, et captarum quoque illarum sollicita possessio est,sæpe enim laniant dominos, ita habentes magnas volup-tates in magnum malum evasere, captæque cepere. Quæquo plures majoresque sunt, eo ille minor ac plurium ser-vus est, quem felicem vulgus appellat. Permanere libet inhac etiam nunc hujus rei imagine ; quemadmodum quibestiarum cubilia indagat, et laqueo captare feras magnoæstimat, et magnos canibus circumdare saltus, ut illarumvestigia premat, potiora deserit, multisque officiis renun-tiat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

maîtres etmodérateurs ; nous céderons quelque chose à ses prières, et rien à ses ordres.Celui au contraire qui donne le pas à la volupté n’obtient ni l’une ni l’autre ; il laisseéchapper la vertu, et encore, loin de posséder les plaisirs, les plaisirs le possèdent : ouleur absence le torture, ou leur excès le suffoque : malheureux, s’ils le délaissent ; plusmalheureux, s’ils l’assiègent en foule ! Comme le navigateur, surpris dans les mers desSyrtes, tantôt il demeure à sec, tantôt la vague le roule et l’emporte au loin. Tel est l’effetd’une intempérance excessive et d’un aveugle amour des richesses ; car à qui prendun but mauvais pour un bon, il est dangereux de réussir. C’est avec fatigue et périlque nous chassons les bêtes féroces ; leur capture même ne donne qu’une possessioninquiète : souvent en effet elles ont mis leurs maîtres en pièces. De même, quiconquea de grandes voluptés sous la main se trouve n’avoir pris que des monstres ; il est laproie de ses captifs. Plus ceux-ci sont forts et nombreux, plus il devient chétif esclave,et plus il a de maîtres, lui que le vulgaire appelle heureux. Pour suivre jusqu’au bout lasimilitude, l’hommequi fouille les retraites du gibier, quimet une si grande importance

...à lui tendre ses rets, Qui de sa meute ardente investit les forêts,celui-là, pour relancer des animaux, abandonne de plus

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aliquid,coget nihil.At hi qui tradidereprincipia voluptati,caruere utroque ;amittunt enim virtutem ;ceterum non ipsivoluptatem,sed voluptas habet ipsos :cujus aut inopiatorquentur,aut copia strangulantur.Miseri, si deserunturab illa :miseriores, si obruuntur !sicut deprehensimari Syrtico,modo relinquuntur in sicco,modo fluuanturunda torrente.Hoc autem evenitintemperantia nimia,et amore cæco rei ;nam est periculosumpetenti mala pro bonis,assequi.Ut venamur ferascum labore periculoque,et possessio illarumcaptarum quoqueest sollicita,sæpe enim laniant dominos,ita habentesmagnas voluptates,evasere in magnum malum,captæque cepere.Quæ quo suntplures majoresque,eo ille quem vulgusappellat felicem,est minor ac servus plurium.Libet permanere etiam nuncin hac imagine hujus rei :quemadmodum, qui indagatcubilia bestiarum,et æstimat magnocaptare feras laqueoet circumdare canibusmagnos saltus,deserit potiora,

quelque chose,n’imposera rien.Mais ceux qui ont livréle quartier-général au plaisir,ont manqué de-l’un-et-de-l’autre bien ;ils perdent en effet la vertu ;de plus eux-mêmes ne possèdent pasle plaisir,mais le plaisir les possède eux-mêmes :duquel ou par le manqueils sont tourmentés,ou par l’excès ils sont étranglés.Malheureux, s’ils sont abandonnéspar lui :plus malheureux, s’ils sont écrasés !comme les navigateurs saisisdans la mer des-Syrtes,tantôt ils sont laissés à sec,tantôt ils sont ballottéspar la vague impétueuse.Or cela arrivepar l’intempérance excessiveet l’amour aveugle de la fortune ;car il est dangereuxpour qui cherche le mal pour le bien,d’atteindre le but.Comme nous chassons les bêtes-férocesavec fatigue et danger,et comme la possession d’ellesprises mêmeest pleine-d’-inquiétude,car souvent elles déchirent leursmaîtres,de même ceux qui-ontde grands plaisirs,sont arrivés à un grand mal,et les plaisirs conquis les ont conquis.Lesquels plaisirs par cela que ils sontnombreux et plus grands,par cela celui que la fouleappelle heureux,est plus faible et esclave de plus de maîtres.Il me plaît de rester encore maintenantdans cette image de cette question :de-même-que celui qui chercheles repaires des bêtes-sauvages,et estime d’un grand prixde prendre les fauves dans un filetet de cerner avec des chiensles grands bois,abandonne des choses plus importantes,

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ita qui seatur voluptatem, omnia postponit, et primamlibertatem negligit, ac pro ventre dependit ; nec voluptatessibi emit, sed se voluptatibus vendit.

XV. « Quid tamen, inquit, prohibet in unum virtu-tem voluptatemque confundi, et effici summum bonum,ut idem et honestum, et jucundum sit ? » Quia pars ho-nesti non potest esse, nisi honestum, nec summum bo-numhabebit sinceritatem suam, si aliquid in se viderit dis-similemeliori. Ne gaudiumquidemquod ex virtute oritur,quamvis bonum sit, absoluti tamen boni pars est : nonma-gis quam lætitia et tranquillitas, quamvis ex pulcherrimiscausis nascantur. Sunt enim ista bona, sed consequentiasummum bonum, non consummantia. Qui vero volupta-tis virtutisque societatem facit, et ne ex æquo quidem, fra-gilitate alterius boni quidquid in altero vigoris est hebetat,libertatemque illam ita demum, si nihil se pretiosius novit,inviam, sub jugum mittit. Nam . . . . . . . . . . . .

utiles soins, et renonce à une foule de devoirs ; ainsi le seateur duplaisir lui sacrifie tout, ne tient nul compte du premier des biens, laliberté, qu’il aliène aux plus vils penchants : il se vend au plaisir, quandil pense l’acheter.

XV. « Cependant, qui empêche que la vertu et le plaisir ne se confon-dent, et ne réalisent le souverain bien, de telle sorte que l’honnête etl’agréable soient une même chose ? » C’est que l’honnête seul peut fairepartie de l’honnête, et que le souverain bien n’aurait pas toute sa puretés’il admettait en soi quelque alliage de moindre prix. La joie même quinaît de la vertu, quoique étant un bien, ne fait point partie du bienabsolu ; non plus que le calme et la sérénité, quelque beaux qu’en soientles motifs. Car ces choses ne sont des biens que comme conséquencesdu bien suprême, non comme compléments. Mais quiconque associe làvertu et le plaisir, sansmême leur faire part égale, émousse par la fragilitéde l’un tout ce que l’autre a de vigueur ; cette liberté, qui n’est invinciblequ’autant qu’elle ne voit rien de plus précieux qu’elle-même, il la metsous le joug. Car il commence dès lors à avoir besoin de la fortune, etc’est là

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renuntiatque multis officiis,ut prematvestigia illarum,ita qui seatur voluptatem,postponit omnia,et negligit illam libertatemprimam,ac dependit pro ventre ;nec emit sibi voluptates,sed se vendit voluptatibus.

XV. « Quid prohibet tamen,inquit,virtutem voluptatemqueconfundi in unum,et summum bonum effici,ut honestum et jucundumsit idem ? »Quia non potest essepars honesti,nisi honestum,nec summum bonumhabebit suam sinceritatem,si viderit in sealiquid dissimile meliori.Ne gaudium quidemquod oritur ex virtute,quamvis sit bonum,est tamen pars boni absoluti :non magis quam lætitiaet tranquillitas,quamvis nascanturex causis pulcherrimis.Ista sunt enim bona,sed consequentia,non consummantiasummum bonum.Qui vero facit societatemvoluptatis virtutisque,et ne ex æquo quidem,hebetat fragilitatealterius boniquidquid est vigorisin altero,mittitque sub jugumlibertateminviam ita demum,si novit nihilpretiosius se.Nam incipit illi(quæ est maxima servitus)

et renonce à beaucoup de devoirs,afin qu’il fouleles traces de ces bêtes sauvages ;ainsi celui qui poursuit le plaisir.place-après toutes choses,et néglige cette liberté,le premier des biens,et la dépense pour (la sacrifie à) sonventre ;et il n’achète pas pour lui les plaisirs,mais se vend aux plaisirs.

XV. « Qui empêche cependant,dit l’épicurien.que la vertu et le plaisirsoient fondus ensemble,et que le souverain bien soit fait,de façon que l’honnête et le plaisirsoient une même chose ? »C’est que rien ne peut êtreune partie de l’honnête,si-ce-n’est l’honnête,ni le souverain bienn’aura sa pureté,s’il aura vu en lui-mêmeun élément différent du meilleur.Pas même la joiequi naît de la vertu,quoiqu’elle soit un bien,n’est cependant une partie du bien absolu :pas plus que l’allégresseet le calme,quoiqu’ils naissentdes causes les plus belles.Ce sont en effet des biens,mais qui suivent,et-non qui complètentle souverain bien.Or celui qui fait une alliancedu plaisir et de la vertu,et pas même à titre égal,affaiblit par la fragilitéd’un-des-deux bienstout-ce-qu’il-y-a de forcedans l’autre,et envoie sous le jougla libertéinvincible à-cette-condition seulement,si elle ne connaît riende plus précieux qu’elle-même.Car il commence pour lui(ce qui est la plus grande servitude)

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(quæ maxima servitus est) incipit illi opus esse fortuna ;sequitur vita anxia, suiciosa, trepida, casuum pavens ;temporum suensa momenta sunt. Non das virtuti fun-damentum grave, immobile, sed jubes illam in loco volu-bili stare. Quid autem tam volubile est, quam fortuitorumexeatio, et corporis rerumque corpus afficientium va-rietas ? Quomodo hic potest Deo parere, et quidquid eve-nit, bono animo excipere, nec de fato queri, casuum suo-rum benignus interpres, si ad voluptatum dolorumquepuniunculas concutitur ? Sed ne patriæ quidem bonustutor aut vindex est, nec amicorum propugnator, si ad vo-luptates vergit. Illo ergo summum bonum ascendat, undenulla vi detrahatur ; quo neque dolori, neque ei, nequetimori sit aditus, nec ulli rei quæ deterius summi boni jusfaciat. Escendere autem illo sola virtus potest ; illius graduclivus iste frangendus est : illa fortiter stabit, et quidquidevenerit feret, non patiens tantum, sed etiam volens ; om-nemque temporum difficultatem . . . . . . . . . . . .

la plus grande des servitudes ; de là une vie d’anxiété, de soupçons,d’alarmes ; il redoute les événements, il est suendu à leurs moindreschances. Ce n’est pas là donner à la vertu un fondement fixe et inébran-lable : c’est la vouloir ferme sur un point mobile. Quoi de plus mobile,en effet, que l’attente des choses fortuites, que les révolutions du corpset des objets qui l’affeent ? Comment peut-il obéir à Dieu, prendre enbonne part tout ce qui arrive, ne pas se plaindre du destin, et expliquerfavorablement ses disgrâces, l’homme qu’agitent les plus légères pointesde la douleur ou du plaisir ? On n’est pas même bon pour défendre ouvenger sa patrie, ni pour soutenir ses amis, quand le cœur penche vers lesvoluptés. Que le souverain bien s’élève donc à une hauteur d’où nulle vio-lence ne l’arrache, où n’aborde ni la douleur, ni l’eérance, ni la crainte,ni rien qui porte atteinte à son sublime privilège. Or une telle hauteurn’est accessible qu’à la seule vertu ; ces âpres sentiers ne seront gravisque par elle ; elle s’y tiendra ferme et supportera, voudra même tout cequi pourra survenir, car elle saura que toutes ces difficultés accidentellessont une loi de la nature.

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opus esse fortuna ;vita anxia, suiciosa.trepida, pavens casuum,sequitur ;momenta temporumsunt suensa.Non das virtutifundamentumgrave, immobile,sed jubes illam starein loco volubili.Quid autem est tam volubilequam exeatiofortuitorum,et varietascorporis rerumqueafficientium corpus ?Quomodo hic potestparere Deoet excipere animo bonoquidquid evenit,nec queri de fatointerpres benignussuorum casuum,si concutiturad puniunculasvoluptatum dolorumque ?Sed ne patriæ quidemest bonus tutor aut vindex,nec propugnator amicorum,si vergit ad voluptates.Ergo summum bonumascendat illo,unde detrahatur nulla vi ;quo sit aditus neque dolori,neque ei, neque timori,neque ulli rei quæfaciat deteriusjus summi boni.Sola autem virtus potestescendere illo ;iste clivus frangendus estgradu illius ;illa stabit fortiter,et feret quidquid evenerit,non tantum patiens,sed etiam volens ;scietqueomnem difficultatemtemporum

à être besoin de la fortune ;une vie anxieuse, soupçonneuse,troublée, craignant les hasards,suit (en est la suite) ;les changements des circonstancessont le tenant-en-suens.Tu ne donnes pas à la vertuune basepesante, immobile,mais tu ordonnes elle se tenir-deboutsur un point mobile.Qu’y a-t-il, en effet, d’aussi mobileque l’attentedes choses fortuites,et les révolutionsdu corps et des objetsqui affeent le corps ?comment cet homme-là peut-ilobéir à Dieuet accueillir avec une âme bien-disposéetout-ce-qui arrive,et ne pas se plaindre du sort,étant un interprète bienveillantde ses chances,s’il est ébranléaux petites-piqûresdes plaisirs et des douleurs ?Mais pas-même de sa patrieil n’est bon proteeur ou vengeur,ni bon défenseur de ses amis,s’il penche vers les plaisirs.Donc que le souverain biensoit élevé là,d’où il ne soit renversé par aucune violence ;où il-n’y-ait accès ni pour la douleur,ni pour l’eérance, ni pour la crainte,ni pour aucune chose quirende moindrele pouvoir au souverain bien.Or, seule la vertu peutmonter là ;cette pente doit être brisée (adoucie)par la marche d’elle ;elle se tiendra bravement,et supportera tout-ce-qui sera arrivé,non-seulement patiente (avec patience),mais encore voulant (volontiers) ;et elle sauraque toute difficultédes circonstances

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sciet legem esse naturæ ; et, ut bonus miles, feret vul-nera, enumerabit cicatrices, et transverberatus telis, mo-riens, amabit eum, pro quo cadet, imperatorem ; habebitin animo illud vetus præceptum : Deum sequere. Quis-quis autem queritur, et plorat, et gemit, imperata facere vicogitur, et invitus rapitur ad jussa nihilominus. Quæ au-tem dementia est, potius trahi quam sequi ? tam, meher-cule, quam, stultitia et ignorantia conditionis suæ, dolere,quod est aliquid aut incidit durius, æque ac mirari, aut in-digne ferre ea, quæ tam bonis accidunt quam malis ; mor-bos dico, funera, debilitates, et cetera ex transverso in vi-tam humanam incurrentia. Quidquid ex universi consti-tutione patiendum est, magno suscipiatur animo ; ad hocsacramentum adai sumus, ferremortalia, nec perturbarihis, quæ vitare non est nostræ potestatis. In regno nati su-mus : Deo parere libertas est.

XVI. Ergo in virtute posita est vera felicitas. Quid hæctibi suadebit ? ne quid aut bonum, aut malum existimes,quod nec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

De même qu’un brave soldat supportera ses blessures, domptera fièrement sescicatrices, et, tout percé de traits et mourant, bénira le général pour qui il suc-combe, elle aura, gravé dans son âme, cet antique précepte : Suis Dieu. Le lâchequi se plaint, qui pleure, qui gémit, n’en est pas moins forcé d’exécuter ce qu’onordonne et violemment ramené au devoir Or, quelle démence de se faire traî-ner plutôt que de suivre ! Non moindre, en vérité, est la sottise de ces gens,oublieux de leur condition, qui s’affligent s’il leur arrive quelque chose de pé-nible, qui s’étonnent, qui s’indignent à l’ une de ces disgrâces communes auxbons et aux méchants, je veux dire les maladies, les morts, les infirmités etles milles traverses auxquelles la vie de l’homme est en butte. Tout ce que laconstitution de l’univers nous impose de souffrances, acceptons-le intrépide-ment. On nous enrôla sous serment pour subir toute épreuve humaine, pourne point nous laisser bouleverser par les choses qu’il n’est pas en nous d’éviter.Nous sommes nés dans une monarchie : obéir à Dieu, voilà notre liberté,

XVI. C’est donc dans la vertu que réside le vrai bonheur. Et que te conseil-lera-t-elle ? de ne pas regarder comme un bien

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esse legem naturæ ;et ut bonus milesferet vulnera,enumerabit cicatrices.et transverberatus telis,amabit morienseum imperatorempro quo cadet ;habebit in animoillud vetus præceptum :Sequere Deum.Quisquis autem queritur,et plorat et gemit,cogitur vifacere imperata,et invitusrapitur nihilominusad jussa.Quæ autem dementia esttrahi potiusquam sequi ?Tam meherculequam dolere stultitiaet ignorantiasuæ conditionisquod aliquid duriusest aut incidit,ac æque mirariaut ferre indigneea quæ accidunttam bonis quam malis :dico morbos, funera,debilitates et ceteraincurrentia ex transversoin vitam humanam.Quidquid est patiendumex constitutione universi,suscipiatur magno animo ;adai sumusad hoc sacramentumferre mortalia,nec perturbari hisquæ vitare non estnostræ potestatis.Nati sumus in regno :parere Deo est libertas.

XVI. Ergo vera felicitasest posita in virtute.Quid hæc tibi suadebit ?ne existimes aut bonum

est une loi de la nature ;et de même qu’un bon soldatendurera les blessures,comptera ses cicatrices,et, tranercé de traits,aimera en mourantce généralpour lequel il tombera ;elle aura dans l’âmecet antique précepte :Suis Dieu.Quiconque, d’autre part, se plaint,et pleure et gémit,est contraint par la forceà faire ce qui a été prescrit,et malgré luiest entraîné néanmoinsà ce qui a été ordonné.Or, quelle folie est-cede se-laisser-traîner plutôtque de suivre volontairement ?C’est aussi fou par Herculeque de s’affliger par sottiseet par ignorancede sa condition,que quelque chose de trop péniblesoit ou survienne,et également devoir-avec-surpriseou de supporter avec-révolteces accidents qui arriventautant aux bons qu’aux méchants :je veux-dire les maladies, les deuils,les infirmités et les autres disgrâcesqui se jettent de traverssur la vie humaine.Que tout-ce-qui doit être subien-vertu-de l’ordre de l’univers,soit supporté avec une grande âme ;nous avons été poussésà ce serment,de souffrir les maux des-mortels,et de ne pas être troublés par ces choseslesquelles éviter n’est pasde notre pouvoir.Nous sommes nés dans une monarchie :obéir à Dieu est notre liberté.

XVI. Donc le vrai bonheurest placé dans la vertu.Quelle chose celle-ci te conseillera-t-elle ?que tu ne juges ni bonne

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virtute, nec malitia continget ; deinde, ut sis immobilis etcontra malum ex bono ; ut, qua fas est, Deum effingas.Quid tibi pro hac expeditione promittit ? ingentia et æquadivinis. Nihil cogeris : nullo indigebis : liber eris, tutus,indemnis : nihil frustra tentabis, nihil prohibeberis. Om-nia tibi ex sententia cedent : nihil adversum accidet, ni-hil contra opinionem ac voluntatem. Quid ergo ? virtusad vivendum beate sufficit ? perfea illa et divina quidnisufficiat ? immo superfluit. Quid enim deesse potest extradesiderium omnium posito ? quid extrinsecus opus est ei,qui omnia sua in se collegit ? Sed ei qui ad virtutem ten-dit, etiamsi multum processit opus est tamen aliqua for-tunæ indulgentia, adhuc inter humana luanti, dum no-dum illum exsolvit, et omne vinculummortale. Quid ergointerest ? quod alii alligati sunt, alii adstrii, alii destriiquoque : hic qui ad superiora progressus est, et se altiusextulit, laxam catenam trahit, nondum liber, jam tamenpro libero.

ni comme un mal ce qui n’est l’effet ni de la vertu ni de la méchanceté ; puisd’être inébranlable à tout mal qui résulterait du bien, et de te rendre, commetu dois l’être, l’image de la divinité. Pour une telle entreprise que te promet-on ? Un privilège immense, égal à celui de Dieu même. Plus de contrainte,plus de privation ; te voilà libre et inviolable ; plus de perte à subir, plus devaine tentative, plus d’obstacles. Tout marche selon tes vœux ; tu ne connaisplus de revers ; rien ne contrarie tes prévisions ni tes volontés. « Eh quoi ! lavertu suffirait pour vivre heureux ? » Parfaite et divine qu’elle est, pourquoi n’ysuffirait-elle pas ? Elle amême plus qu’il ne faut. Que peut-ilmanquer, en effet,à un être placé en dehors de toute convoitise ? Qu’a-t-elle affaire de l’extérieur,l’âme qui rassemble tout en elle ? Quant à l’homme qui chemine vers la vertu,quels que soient déjà ses progrès, il a besoin de quelque indulgence de lafortune, lui qui lutte encore dans l’embarras des choses humaines, tant qu’il n’apas délié ce nœud et rompu tout lien mortel. Où donc est la différence ? C’estque les uns sont attachés, les autres enchaînés ; d’autres n’ont pas un membrequi soit libre. L’homme qui touche à la région supérieure, qui a gravi plus prèsdu faîte, ne traîne après lui qu’une chaîne lâche ; sans qu’il soit libre encore, ilest déjà bien près de l’être.

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aut malum aliquidquod contingetnec virtute, nec malitia ;deinde ut sis immobiliset contra malumex bono ;ut effingas Deum,qua est fas.Quid tibi promittitpro hac expeditione ?Ingentiaet æqua divinis.Cogeris nihil :indigebis nullo :eris liber, tutus, indemnis :tentabis nihil frustraprohibeberis nihil.Omnia cedent tibiex sententia :nihil accidet adversum,aut contra opinionemac voluntatem.Quid ergo ? virtus sufficitad vivendum beate ?Quidni sufficiatilla perfea et divina ?immo superfluit.Quid enim potest deesseposito extradesiderium omnium ?Quid opus est extrinsecus eiqui collegit in se omnia sua ?Sed ei qui tendit ad virtutem,etiamsi multum processit,opus est tamenaliqua indulgentia fortunæ,luanti adhucinter humana,dum exsolvit illum nodum,et omne vinculum mortale.Quid interest ergo ?quod alii sunt alligati,alii adstrii,alii destrii quoque :hic qui progressus estad superioraet se extulit altius,trahit catenam laxamnondum liber,jam tamen pro libero.

ni mauvaise une-chosequi n’arriverani par la vertu, ni par la méchanceté ;ensuite que tu sois inébranlablemême en-face du malrésultant du bien ;que tu reproduises Dieu en toi,en-tant-que cela est-permis.Que te promet-ellepour cet affranchissement ?Des choses grandeset égales aux divines.Tu ne seras contraint en rientu ne manqueras de rien :tu seras libre, en sûreté, indemne :tu ne tenteras rien en vain,tu ne seras arrêté en rien.Tout ira pour toià souhait :rien n’arrivera de fâcheux,ou qui soit contre ton opinionet ta volonté.Quoi donc ? la vertu suffit-ellepour vivre heureusement ?Pourquoi ne suffirait-elle paselle qui est parfaite et divine ?bien plus, elle surabonde.Quoi en effet peut manquerà-qui-est-placé horsdu désir de toutes choses ?Quel besoin est au-dehors à celuiqui a rassemblé en lui tous ses biens ?Mais à celui qui tend vers la vertu,même-s’il s’est beaucoup avancé,besoin est cependantde quelque complaisance de la fortune,à lui qui se débat encoreau milieu des choses humaines,pendant qu’il délie ce nœud,et toute chaîne mortelle.Quelle différence-y-a-t-il donc ?c’est que les uns sont attachés,les autres enchaînés,les autres garrottés mêmecelui qui s’est avancéjusqu’aux régions supérieureset s’est élevé plus haut,traîne une chaîne lâche,pas-encore libre,déjà cependant comme libre.

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XVII. Si quis itaque ex istis qui philosophiam conla-trant, quod solent, dixerit : « Quare ergo tu fortius loquerisquam vivis ? Quare superiori verba summittis ; et pecu-niam necessarium tibi instrumentum existimas, et damnomoveris, et lacrimas, audita conjugis aut amici morte, de-mittis, et reicis famam, et malignis sermonibus tange-ris ? Quare cultius rus tibi est quam naturalis usus deside-rat ? cur non ad præscriptum tuum cœnas ? cur tibi niti-dior supellex est ? cur apud te vinum ætate tua vetustiusbibitur ? cur arvum dionitur ? cur arbores præter um-bram nihil daturæ conservantur ? quare uxor tua locuple-tis domus censum auribus gerit ? quare pædagogium pre-tiosa veste succingitur ? quare ars est apud te ministrare,nec temere et ut libet, collocatur argentum, sed perite ser-vatur, et est aliquis scindendi obsonii magister ? » Adjice,si vis : « Cur trans mare possides ? . . . . . . . . . . .

XVII. Or maintenant, qu’un de ces hommes qui vont aboyantcontre la philosophie me dise, selon l’usage : « Pourquoi donc tonlangage est-il plus brave que ta conduite ? Pourquoi baisses-tu leton devant un supérieur ? Pourquoi regardes-tu l’argent comme unmeuble qui t’est nécessaire, et te montres-tu sensible à une perte ?Et ces larmes quand on t’annonce la mort de ta femme ou d’unami ? D’où vient que tu tiens à l’opinion, que les malins discourste blessent, que tu as une campagne plus élégante que le besoinne l’exige, et que tes repas ne sont point selon tes préceptes ? Àquoi bon ce brillant mobilier, cette table où tu fais boire des vinsplus âgés que toi, cette terre bien diosée, ces plantations qui nedoivent produire que de l’ombre ? D’où vient que ta femme porte àses oreilles le revenu d’une opulente famille ; que tes jeunes esclavessont habillés d’étoffes précieuses ; que chez toi servir à table estun art ; qu’on y voit l’argenterie non placée au hasard et à volonté,mais savamment symétrisée ? Que fais-tu d’un maître en l’art dedécouper ? » Qu’on ajoute, si l’on veut : « Pourquoi possèdes-tu audelà des mers,

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XVII. Itaque si quisex istis quiconlatrant philosophiam,dixerit, quod solent :« Quare ergo tu loquerisfortius quam vivis ?Quare summittis verbasuperiori ;et existimaspecuniam instrumentumnecessarium tibi,et moveris damno,et demittis lacrimasmorte conjugis aut amiciaudita,et reicis famamet tangerissermonibus malignis ?Quare rusest tibi cultiusquam usus naturalisdesiderat ?cur non cœnasad tuum præscriptum ?cur supellex nitidiorest tibi ?cur vinumvetustius tua ætatebibitur apud te ?cur arvumdionitur ?cur arboresdaturæ nihilpræter umbramconservantur ?quare tua uxorgerit auribus censumdomus locupletis ?quare pædagogiumsuccingitur veste pretiosa ?quare est arsministrare apud te,et argentum collocaturnon temere et ut libet,sed servatur perite,et est aliquis magisterobsonii scindendi ? »Adjice, si vis :Cur possidestrans mare ?

XVII. C’est pourquoi si quelqu’unde ceux quiaboient-après la philosophie,aura dit, ce qu’ils ont-coutume de dire :« Pourquoi donc toi parles-tuplus courageusement que tu ne vis ?Pourquoi baisses-tu la voixdevant un supérieur ;et estimes-tul’argent un meublenécessaire pour toi,et es-tu ému par une perte,et laisses-tu-couler tes larmes,la mort de ta femme ou d’un amiayant été apprise,et considères-tu la renommée,et es-tu touchépar les propos malveillants ?Pourquoi une terreest-elle à toi plus cultivéeque le besoin naturelne le demande ?pourquoi ne dînes-tu passelon ton précepte ?pourquoi un mobilier plus brillantest-il à toi ?pourquoi un vinplus vieux que ton âgeest-il bu chez toi ?pourquoi ta terreest-elle plantée artistement ?pourquoi des arbresne devant donner rienque de l’ombresont-ils conservés ?pourquoi ta femmeporte-t-elle à ses oreilles le revenud’une maison opulente ?pourquoi ton école domestiqueest-elle vêtue d’une étoffe précieuse ?pourquoi est-ce un artde servir-à-table chez toi,et pourquoi l’argenterie est-elle poséenon au-hasard et comme il plaît,mais est-elle arrangée savamment,et pourquoi y-a-t-il un maîtrede la viande devant être découpée ? »Ajoute, si tu veux :« Pourquoi possèdes-tuau delà de la mer ?

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cur plura quam nosti ? turpiter aut tam negligens es, utnonnoveris pauculos servos ; aut tam luxuriosus, ut plureshabeas, quam quorum notitiæ memoria sufficiat. » Adju-vabo postmodum convicia, et plura mihi quam putas, ob-jiciam ; nunc hoc reondebo tibi. Non sum sapiens, et,ut malevolentiam tuam pascam, nec ero. Exigo itaque ame, non ut optimis par sim, sed ut malis melior ; hoc mihisatis est, quotidie aliquid ex vitiis meis demere, et erroresmeos objurgare. Non perveni ad sanitatem, ne perveniamquidem : delinimenta magis quam remedia podagræ meæcompono, contentus si rarius accedit, et si minus vermi-natur. Vestris quidem pedibus comparatus, debilis cursorsum.

XVIII. Hæc non pro me loquor, ego enim in alto vitio-rum omnium sum, sed pro illo, cui aliquid ai est. « Ali-ter, inquit, loqueris, aliter vivis. » Hoc, malignissima ca-pita et optimo cuique inimicissima, Platoni objeum est,objeum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

et as-tu des biens que ta n’as jamais vus ? C’est une honte que d’être négligentau point de ne pas pouvoir connaître un petit nombre d’esclaves, ou fastueuxau point d’en posséder un nombre tel que la mémoire est impuissante à engarder la connaissance. » J’aiderai tout à l’heure à ces reproches et m’en feraiplus que l’agresseur ne pense : ici je répondrai seulement : Je ne suis pas unsage, et pour donner pâture à ta jalousie, je ne le serai jamais. Ce que j’exigede moi, c’est d’être, sinon l’égal des plus vertueux, du moins meilleur queles méchants ; il me suffit de me défaire chaque jour de quelque vice et degourmandermes erreurs. Je ne suis point parvenu à la santé, je n’y parviendraimême pas : ce sont des lénitifs plutôt que de vrais remèdes que j’élabore pourma goutte, heureux si ses accès deviennent plus rares, si je sensmoins sesmilleaiguillons. Mais à comparer mes jambes aux vôtres, tout infirme que je suis,je suis un coureur !

XVIII. Encore n’est-ce pas pour moi que je dis cela, pour moi qui suisplongé dans l’abîme de tous les vices ; c’est pour quiconque a déjà fait quelquesprogrès. « Autre est mon langage, autre ma conduite ! » Hommes pétris demalignité et ennemis des plus pures vertus, on a fait le même reproche àPlaton, on l’a fait à Épicure, on l’a fait à Zénon. Tous ces

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cur pluraquam nosti ?Es turpiteraut tam negligensut non noverispauculos servos ;aut tam luxuriosusut habeas plures quam utmemoria sufficiatnotitiæ eorum. » [modum,

Adjuvabo convicia post-et mihi objiciam plura.quam putas ;nunc tibi reondebo hoc :Non sum sapiens,et ut pascamtuam malevolentiam,non ero.Itaque exigo a menon ut sim par optimis,sed utmelior malis ;hoc satis est mihi,demere quotidie aliquidex meis vitiis,et objurgare meos errores.Non perveni,ne perveniam quidemad sanitatem ;compono delinimentamagis quam remediameæ podagræ,contentus si accedit rarius,et si verminatur minus.Comparatus quidemvestris pedibus,debilis sum cursor.

XVIII. Non loquor hæcpro me,ego enim sum in altoomnium vitiorum,sed pro illo cuiest aliquid ai.« Loqueris aliter,inquit,vivis aliter. »Capita malignissimaet inimicissimacuique optimo,hoc est objeum Platoni,

pourquoi possèdes-tu plus de biensque tu n’en connais ?Tu es à-ta-honteou si négligentque tu ne connais pasde très-peu-nombreux esclaves ;ou si fastueuxque tu en as trop pour queta mémoire suffiseà la connaissance d’eux. »J’aiderai tes injures tout à l’heureet me reprocherai plus de chosesque tu ne penses ;maintenant je te répondrai ceci :Je ne suis pas sage,et pour que je repaisseta malveillance,je ne le serai pas.C’est pourquoi j’exige de moinon pas que je sois égal aux meilleurs,mais que je soismeilleur que les méchants ;ceci est assez pour moi,de supprimer chaque jour quelque chosede mes vices,et de gourmander mes égarements.Je ne suis pas arrivé,je n’arriverai même pasà la santé ;je compose des lénitifsplutôt que des remèdespour ma goutte,heureux si elle vient plus rarement,et si elle me démange moins.Comparé il est vraiavec vos pieds,quoique infirme, je suis un coureur.

XVIII. Je ne dis pas celapour moi,car moi je suis dans l’abîmede tous les vices,mais je le dis pour celui pour quiil y a quelque chose de fait.« Tu parles différemment,dit l’Épicurien,tu vis différemment. »Êtres très malveillantset très ennemispour tout homme très vertueux,cela a été reproché à Platon,

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Epicuro, objeumZenoni. Omnes enim isti dicebant, nonquemadmodum ipsi viverent, sed quemadmodum viven-dum ipsis esset. De virtute, non de me loquor, et quumvitiis convicium facio, in primis meis facio ; quum po-tuero, vivam quomodo oportet. Nec malignitas me istamulto veneno tina deterrebit ab optimis ; ne virus qui-dem istud, quo alios argitis, vos necatis, me impedietquominus perseverem laudare vitam, non quam ago, sedquam agendam scio ; quominus virtutem et ex intervalloingenti reptabundus sequar. Exeabo scilicet, ut quid-quam malevolentiæ inviolatum sit, cui sacer nec Rutiliusfuit, nec Cato ? Curet aliquis an istis dives nimis videa-tur, quibus Demetrius Cynicus parum pauper est ? Virumacerrimum, et contra omnia naturæ desideria pugnantem,hoc pauperiorem quam ceteri Cynici, quod quum sibi in-terdixerint habere, interdixit et poscere, . . . . . . . .

philosophes, en effet, ne nous entretenaient pas de leur vie, à eux,mais de celle qu’il faut se proposer. C’est de la vertu non demoi queje parle : et quand je fais la guerre aux vices, je la fais avant tout auxmiens ; quand j’en aurai le pouvoir, je vivrai comme je le dois. Etla malveillance aura beau tremper à loisir ses traits dans le fiel, ellene me détournera pas du mieux ; ce venin que vous distillez sur lesautres, et qui vous tue, nem’empêchera pas d’applaudir sans relâcheà des principes que je ne suis pas, sans doute, mais que je sais qu’ilfaudrait suivre ; ne m’empêchera pas d’adorer la vertu et, bien qu’àun long intervalle, d’aller me traînant sur sa trace. J’attendrai, n’est-ce pas, que cette malveillance apprenne à reeer quelque chose,quand rien ne fut sacré pour elle, ni Rutilius, ni Caton ? Commentaussi ne leur paraîtrait-on pas trop riche, à ceux qui ne jugent pasDémétrius le cynique assez pauvre ?Cet homme si énergique, quilutta contre tous les désirs naturels, plus pauvre que tous ceux deson école, puisque à la loi qu’ils s’imposaient de ne rien avoir, il ajoint celle de ne rien demander, n’est point, selon eux, assez dénuéde tout. Car,

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objeum Epicuro,objeum Zenoni.Omnes enim istidicebantnon quemadmodumviverent ipsi,sed quemadmodumesset vivendum ipsis.Loquor de virtute,non de me,et quumfacio convicium vitiis,facio in primis meis ;quum potuero,vivam quomodo oportet.Et ista malignitastina multo venenonon me deterrebitab optimis ;ne quidem virus istudquo argitis alios,vos necatis,me impedietquominus perseveremlaudarevitam non quam ago,sed quam scio agendam ;quominus sequar virtutem,et reptabundusex ingenti intervallo.Exeabo scilicet,ut sit quidquaminviolatum malevolentiæ,cui nec Rutiliusnec Cato fuit sacer ?Aliquis curet an videaturnimis dives istis,quibus Demetrius Cynicusest parum pauper ?Negant virum acerrimumet pugnantem contraomnia desideria naturæ,pauperiorem quamceteri Cynici,hoc quod,quum sibi interdixerinthabere,interdixit et poscere,egere satis !Vides enim ?

reproché à Épicure,reproché à Zénon.Tous ceux-là en effetdisaientnon pas commentils vivaient eux-mêmes,mais commentil aurait dû être vécu par eux-mêmes.Je parle de la vertu,non pas de moi,et quandje fais du tapage contre les vices,j’en fais surtout contre les miens ;quand je l’aurai pu,je vivrai comme il faut.Et cette malveillanceimprégnée de beaucoup de poisonne me détournera pasdes meilleures choses ;pas même ce veninavec lequel vous arrosez les autres,et vous vous tuez vous-mêmes,ne m’empêcheraque je ne continueà louerla vie non pas que je mène,mais celle que je sais devoir être menée ;et que je ne suive la vertu,même en me traînantà une énorme distance.J’attendrai sans doutequ’il-y-ait quelque chosereeé par l’envie,pour laquelle ni Rutiliusni Caton n’a été sacré ?Quelqu’un se préoccuperait-il s’il paraîttrop riche à ces gens,pour qui Démétrius le cyniqueest trop-peu pauvre ?Ils nient qu’un homme très énergiqueet combattant contretous les désirs de la nature,plus pauvre queles autres cyniques,en ceci que,quand eux se sont interditde posséder,lui s’est interdit même de demander,soit pauvre assez !Vois-tu en effet ?

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negant satis egere ! Vides enim ? non virtutis scientiam,sed egestatis professus est.

XIX. Diodorum, Epicureum philosophum, qui intrapaucos dies finem vitæ suæ manu sua imposuit, negantex decreto Epicuri fecisse, quod sibi gulam præsecuit : aliidementiam videri volunt faum hoc ejus, alii temerita-tem. Ille interim beatus, ac plenus bona conscientia, red-didit sibi testimonium vita excedens, laudavitque ætatis inportu et ad ancoram aæquietem, et dixit, quod vos invitiaudistis, quasi vobis quoque faciendum sit :

Vixi, et quem dederat cursum fortuna, peregi.

De alterius vita, de alterius morte diutatis, et ad no-menmagnorumob aliquam eximiam laudem virorum, si-cut ad occursum ignotorum hominum minuti canes, la-tratis. Expedit enim vobis, neminem videri bonum : quasialiena virtus exprobratio deliorum vestrorum sit. Invitilendida cum sordibus vestris confertis, nec intelligitisquanto id vestro detrimento audeatis. Nam si illi qui vir-tutem sequuntur, avari, . . . . . . . . . . . . . . . .

voyez-vous, ce n’est pas la dorine de la vertu, c’est la dorine de l’indigencequ’il professait !

XIX. Diodore philosophe épicurien qui, ces jours derniers, mit volontairementfin à son existence, n’agit pas, dit-on, suivant les préceptes dumaître en se coupantla gorge. Les uns veulent qu’on voie là un ae de folie ; et les autres, un aed’irréflexion. Lui, cependant, heureux et fort d’une bonne conscience, se rendaittémoignage en sortant de la vie, et bénissait le calme de cette vie passée dans leport et à l’ ancre. Il disait (et pourquoi murmuriez-vous de l’entendre, comme s’ilvous fallait l’imiter ?) il disait :

J’ai vécu, j’ai rempli toute ma destinée.Vous diutez sur la vie ou la mort d’autrui, et vous aboyez aux grands noms

qu’ennoblit un mérite éminent, comme font de petits chiens à la rencontre depersonnes qu’ils ne connaissent pas. Il vous importe en effet quenul ne passe pourhommede bien : il semble que la vertu d’autrui soit la censure de vosméfaits. Vousêtes blessés de ce pur éclat auquel vous opposez vos souillures, sans comprendrecombien tant d’audace tourne à votre détriment. Car si ceux qui prennent

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Professus estnon scientiam virtutis,sed egestatis.

XIX Negant Diodorum,philosophum Epicureum,qui intra paucos diesimposuit finem suæ vitæsua manu,fecisse ex decreto Epicuri,quod sibi præsecuitgulam :alii volunt hoc faum ejusvideri dementiam,alii temeritatem.Ille interim beatus,ac plenus bona conscientiasibi reddidit testimonium,excedens vita,laudavitque quietemætatis aæ in portuet ad ancoram,et dixit quod vosaudistis inviti,quasi sit faciendumvobis quoque :« Vixi et peregi cursumquem fortunadederat. »

Diutatisde vita alterius,de morte alterius,et latratis ad nomenvirorum magnorumob aliquam laudemeximiam,sicut minuti canesad occursumhominum ignotorum.Expedit enim vobisneminem videri bonumquasi virtus alienasit exprobratiovestrorum deliorum.Confertis invitilendidacum vestris sordibus,nec intelligitisquanto detrimento vestroaudeatis id.Nam si illi qui

Il a professénon pas la science de la vertu,mais la science de la pauvreté.

XIX. On nie que Diodore,philosophe épicurien.qui en-deçà-de quelques joursa mis fin à sa viede sa propre main,ait agi suivant le dogme d’Épicureparce qu’il s’est coupéla gorge :les uns veulent que cette aion de luiparaisse de la folie,les autres de l’irréflexion.Lui cependant heureux,et plein d’une bonne consciences’est rendu témoignageen sortant de la vie,et a vanté le calmed’une existence passée dans le portet à l’ancre,et a dit ce que vousvous avez entendu malgré-vous,comme-si cela devait être faitpar vous aussi :« J’ai vécu et j’ai achevé la courseque la fortunem’avait assignée. »

Vous discutezsur la vie de l’un,sur la mort de l’autreet vous aboyez au nomdes hommes grandspour quelque mériteéminent,comme les petits chiensà la rencontrede personnes inconnues.Il est-utile, en effet, pour vousque personne ne passe-pour boncomme-si la-vertu d’-autruiétait un blâmede vos fautes.Vous comparez malgré-vousles choses brillantesavec vos souillures,et vous ne comprenez pasavec quel-grand préjudice votrevous osez cela.Car si ceux qui

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libidinosi, ambitiosique sunt, quid vos estis, quibus ip-sum nomen virtutis odio est ? Negatis quemquam præs-tare quæ loquitur, nec ad exemplar orationis suæ vivere.Quid mirum ? quum loquantur fortia, ingentia, omneshumanas tempestates evadentia ? quum refigere se cruci-bus conentur, in quas unusquisque vestrum clavos suosipse adigit ? ad supplicium tamen ai stipitibus singulispendent : hi qui in se ipsi animum advertunt, quot cupidi-tatibus, tot crucibus distrahuntur : et maledici, in alienamcontumeliam venusti sunt. Crederem illis hoc vacare, nisiquidam ex patibulo suos eatores conuerent.

XX. Non præstant philosophi quæ loquuntur ? multumtamen præstant quod loquuntur, quod honesta menteconcipiunt. Utinam quidem et paria diis agerent ! quidesset illis beatius ? interim non est quod contemnas bonaverba, et bonis cogitationibus plena præcordia. Studio-rum salutarium, etiam citra effeum, laudanda traatioest. Quid mirum, si non . . . . . . . . . . . . . . . .

pour fin la vertu, sont cupides, débauchés, ambitieux, qu’êtes-vous donc,vous à qui le nom seul de vertu est odieux ? Vous soutenez que pas un neréalise ce qu’il dit et ne conforme sa vie à ses maximes. Quoi d’étonnant,quand leurs paroles sont si héroïques, si sublimes, dominent de si hauttoutes les tempêtes de la vie humaine ; quand ils ne visent pas à moins qu’às’arracher de ces croix, où tous, tant que vous êtes, vous enfoncez de vosmains les clous qui vous déchirent ? Le supplicié du moins n’est suenduqu’à un seul poteau ; ceux qui se font bourreaux d’eux-mêmes subissentautant de croix que de passions qui les tiraillent ; et dans leur médisance ilstrouvent de l’erit pour insulter autrui. Je les laisserais faire si ce n’était pas duhaut de leur propre gibet que certains hommes crachent sur les eateurs.

XX. Les philosophes ne réalisent pas leurs propres paroles ? cependant ilsfont beaucoup par ces paroles mêmes et par la conception de l’honnête. Sileurs aes étaient à la hauteur de leur langage, quelle félicité surpasseraitla leur ? En attendant qu’il en soit ainsi, il n’y a pas lieu de mépriser debonnes paroles et des cœurs pleins de bonnes pensées. L’application auxétudes salutaires, restât-elle en deçà du but, est louable

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sequuntur virtutem.sunt avari,libidinosi ambitiosique,quid vos estis quibusnomen ipsum virtutisest odio ?Negatis quemquampræstare quæ loquitur,nec vivere ad exemplarsuæ orationis.Quid mirum,quum loquanturfortia, ingentia,evadentiomnes tempestates humanas ?quum conenturse refigere crucibusin quasunusquisque vestrumadigit ipse suos clavos ?Tamen ai ad suppliciumpendent stipitibus singulis :hi qui ipsiadvertunt animum in se,distrahuntur tot crucibusquot cupiditatibus :et maledici, sunt venustiin contumeliam alienam.Crederem hoc illis vacarenisi quidam conuerentex patibulosuos eatores.

XX. Philosophi [ tur ?non præstant quæ loquun-Præstant tamen multumquod loquuntur,quod concipiuntmente honesta.Utinam quidemet agerentparia diis !quid esset beatius illis ?Interim non est quodcontemnas bona verba,et præcordia plenabonis cogitationibus.Traatiostudiorum salutarium,etiam citra effeum,est laudanda

suivent la vertu,sont cupides,débauchés et ambitieux,qu’êtes-vous, vous à quile nom même de la vertuest à haine ?Vous niez que personneexécute ce qu’il ditet vive selon le modèlede (donné par) son langage.Quoi d’étonnant,quand les sages parlentd’aes héroïques, sublimes,échappantà toutes les tempêtes humaines ?quand ils s’efforcentde s’arracher des croixsur lesquelleschacun de vousenfonce lui-même ses clous ?[ suppliceCependant ceux qui-ont-été-menés ausont-suendus à des gibets isolés :ceux qui eux-mêmestournent leur erit contre eux-mêmes,sont déchirés par autant de croixque de passions ;et médisants, ils sont irituelspour l’outrage d’-autrui.Je jugerais que cela leur est-loisible,si certains hommes ne conuaientdu haut du gibetleurs eateurs.

XX. Les philosophesn’exécutent pas ce qu’ils disent ?Ils exécutent pourtant beaucouppar cela même qu’ils disent,par ce qu’ils conçoiventdans leur erit honnête.Plût-aux-dieux-que certesils fissent aussides choses conformes à leurs paroles !quel être serait plus heureux qu’eux ?En-attendant il-n’y-a pas lieu quetu méprises de sages paroles,et des cœurs remplisde bonnes pensées.Le maniementd’études salutaires,même en-deçà-de 1’ (sans) effet,est louable

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escendunt in altum ardua aggressi ? sed si vir es, suice,etiamsi decidunt, magna conantes. Generosa res est, re-icientem non ad suas, sed ad naturæ suæ vires, conarialta, tentare, et mente majora concipere, quam quæ etiamingenti animo adornatis effici possint. Qui sibi hoc pro-posuit : « Ego mortem eodem vultu cum quo audiam, etvidebo ; ego laboribus, quanticumque illi erunt, parebo,animo fulciens corpus ; ego divitias et præsentes et ab-sentes æque contemnam : nec, si alicubi jacebunt, tris-tior ; nec, si circa me fulgebunt, animosior ; ego fortu-nam nec venientem sentiam, nec recedentem ; ego terrasomnes tanquam meas videbo, meas tanquam omnium ;ego sic vivam, quasi sciam aliis me natum, et naturæ re-rum hoc nomine gratias agam : quo enim melius generenegotium meum agere potuit ? unum me donavit omni-bus, uni mihi omnes. Quidquid habebo, nec sordide cus-todiam, nec prodige argam ; nihil magis possidere mecredam, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

encore. Faut-il s’étonner qu’on ne parvienne pas jusqu’au sommet, quand onplace son but à une telle hauteur ?Unhommede cœur, au contraire, admireraceux qui, lors même qu’ils tombent, montrent cependant une audace géné-reuse. Elle est noble, l’ambition de l’homme qui, consultant moins ses forcesque celles de la nature humaine, s’essaye à de grandes choses, fait effort etse crée en lui-même des types de grandeur que les âmes le plus virilementdouées seraient impuissantes à reproduire. L’homme qui s’est dit d’avance :.« Un arrêt de mort et l’ae du supplice me laisseront également impas-sible ; toutes les épreuves, quelles, qu’elles soient, je les subirai, et mon âmeprêtera sa force àmon corps. Absentes ou présentes, les richesses m’inirentlemêmemépris : je ne serai ne affligé si je les vois ailleurs que chezmoi, ni liersi elles m’entourent de leur éclat. Que la fortune me vienne ou se retire, je nem’en apercevrai pas. Je regarderai toutes les terres comme à moi, les miennescomme à tous. Je vivrai en homme qui se sent né pour ses semblables, et jerendrai grâce à la nature d’une si belle mission. Pouvait-elle mieux pourvoirà mes intérêts ? Elle m’a donné moi seul à tous, et tous à moi seul. Ce quej’aurai, quoi que ce soit, je ne le garderai pas en avare, je ne le sèmerai pas enprodigue : je ne croirai rien posséder mieux

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Quid mirum si,aggressi arduanon escendunt in altum ?Sed si vir es,suice,etiamsi decidunt,conantes magna.Est res generosaconari alta,reicientemnon ad suas vires,sed ad suæ naturæ,tentareet concipere mente majoraquam quæ possint efficietiam adornatisingenti animo.Qui sibi proposuit hoc :« Ego et videbo mortemeodem vultucum quo audiam ;ego parebo laboribus,quanticumque illi erunt,fulciens corpus animo ;ego contemnam æquedivitiaset præsentes et absentes :nec tristior,si jacebunt alicubi,nec animosior sifulgebunt circa me ;ego sentiam fortunamnec venientem,nec recedentem ;ego videbo omnes terrastanquam meas,meas tanquam omnium ;ego vivam sic quasi sciamme natum aliis,et agam gratiasnaturæ rerumhoc nomine :quo enim generepotuit agere meliusmeum negotium ?donavit me unumomnibus,omnes mihi uni.Nec custodiam sordide,nec argam prodige

Quoi d’étonnant si,marchant dans des voies escarpéesils n’arrivent pas au sommet ?Mais si tu es un homme,regarde-avec-admiration,même s’ils tombent,ceux qui tentent de grandes choses.C’est une chose généreuseque de tenter des choses hautes,en regardantnon pas à ses propres forces,mais à celles de sa nature,que d’essayer [ trop grandset de concevoir dans l’erit des aespour qu’ils puissent être exécutésmême par ceux qui sont douésd’une grande âme.Celui qui s’est proposé ceci :« Moi je verrai même la mortdu même airavec lequel j’entendrai mon arrêt ;moi je me soumettrai aux épreuves,quelque-grandes-qu’elles seront,soutenant mon corps par mon âmemoi je mépriserai égalementles richessessoit présentes, soit absentes :ni n’étant plus triste,si elles sont ailleurs que chez moi,ni plus fier sielles brillent autour de moi ;moi je ne sentirai pas la fortuneni quand elle viendra,ni quand elle se-retirera ;moi je regarderai toutes les terrescomme miennes,les miennes comme à tous ;moi je vivrai ainsi comme-si je savaisque je suis né pour les autres,et je rendrai grâceà la nature du mondeà ce titre :de quelle manière en effeteût-elle pu faire mieuxmon affaire ?elle a donné moi, un individu,à tous les êtres,tous les êtres à moi, un individu.Ni je ne garderai sordidementni je ne sèmerai en-prodigue

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quam bene donata : non numero, nec pondere beneficia,nec ulla, nisi accipientis æstimatione, pendam. Nunquamidmihimultum erit, quod dignus accipiet. Nihil opinioniscausa, omnia conscientiæ faciam : populo eante fiericredam, quidquidme conscio faciam. Edendi mihi erit bi-bendique finis, desideria naturæ restinguere, non implerealvum, et exinanire. Ergo amicis jucundus, inimicis mi-tis et facilis, exorabor antequam roger ; honestis precibusoccurram. Patriam meam esse mundum sciam, et præ-sides deos, hos supra me, circaque me stare, faorum dic-torumque censores. Quandocumque autem natura iri-tum repetet, aut ratio dimittet, testatus exibo, bonam meconscientiam amasse, bona studia : nullius per me liber-tatem diminutam, minime meam. »

XXI. Qui hoc facere proponet, volet, tentabit, ad deositer faciet : næ ille, etiamsi non tenuerit, magnis tamenexcidet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

que ce que j’aurai sagement donné. J’estimeraimes bienfaits, non d’aprèsleur poids ou leur nombre, mais d’après le mérite de celui qui les rece-vra ; je ne croirai jamais avoir dépassé la juste mesure quand l’obligé ensera digne. Je ne ferai rien en vue de l’opinion, et je ferai tout en vuede ma conscience : seul devant ma conscience, j’agirai comme si tout leinonde me regardait. J’aurai pour terme du manger et du boire de satis-faire les appétits naturels, non de remplir mon estomac, puis de le viderfaicement. Agréable à mes amis, doux et traitable à mes ennemis, jeferai grâce avant qu’on m’implore, je préviendrai toute légitime prière.Je saurai que ma patrie c’est le monde, que les dieux y président, quesur ma tête, qu’autour de moi, veillent ces juges sévères de mes aes etde mes paroles. Et à quelque instant que la nature redemande ma vie,ou que la raison me presse de partir, je m’en irai avec le témoignaged’avoir aimé la bonne conscience, les bonnes études, de n’avoir pris surla liberté de personne, ni laissé prendre sur la mienne. »

XXI. Qui se proposera d’agir ainsi, qui le voudra, qui le tentera,s’acheminera vers les dieux ; et dût-il s’arrêter en route, il échouera dumoins dans une noble entreprise. Vous autres

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quidquid habebo ;credam me possiderenihil magisquam bene donata ;pendam beneficianon numero, nec pondere,nec ulla æstimationenisiaccipientis ;quod dignus accipiet,nunquam erit multum mihi.Faciam nihilcausa opinionis,omnia conscientiæ :credam quidquid faciamme consciofieri populo eante.Restingueredesideria naturæ,non implere alvumet exinanire,erit mihi finisedendi bibendique.Ergo jucundus amicis,mitis et facilis inimicisexorabor antequam roger,occurram precibus honestis.Sciam mundumesse meam patriam,et deos præsides :hos stare supra me,circaque me,censores diorumfaorumque.Quandocumque autemnatura repetetaut ratio dimittet iritum,exibo testatus me amassebonam conscientiam,bona studia ;libertatem nulliusdiminutam per me,meam minime. »

XXI. Qui proponet facerevolet, tentabit, [hoc,faciet iter ad deos :næ ille,etiamsi non tenuerit,excidet tamenmagnis ausis.

tout-ce-que j’aurai ;je croirai que je ne possèderien plusque ce que j’ai bien donné ;je n’évaluerai mes bienfaitsni par le nombre ni par le ooids,ni par aucune autre estimationsinon par celle que je feraide celui qui-recevra ;ce que quelqu’un qui en sera dignerecevrane sera jamais beaucoup pour moi.Je ne ferai rienen-vue-de l’opinion,tout en-vue-de ma conscience :je croirai que tout-ce-que je feraimoi seul en ayant-conscienceest fait la foule regardant.Éteindreles désirs de la nature,non pas remplir mon estomacet le vider faicement,sera pour moi la findu manger et du boire.Donc agréable à mes amis,doux et traitable à mes ennemis,je serai fléchi avant que je sois prié,j’irai-au-devant des prières honnêtes.Je saurai que le mondeest ma patrie,et que les dieux y président :que ceux-ci se tiennent au-dessus-de moi,et autour de moi,censeurs de mes paroleset de mes aions.Or à quelque-instant-quela nature redemanderaou la raison congédiera la vie,je sortirai attestant que j’ai aiméla bonne conscience,les bonnes études ;que la liberté de personnen’a été diminuée par moi,et la mienne pas du tout. »

XXI. Qui se proposera de faire celale voudra, le tentera,fera route vers les dieux :certes celui-làmême-s’il n’aura pas touché le but,tombera cependantdu haut d’une grande entreprise.

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ausis. Vos quidem, quod virtutem cultoremque ejus odis-tis, nihil novi facitis ; nam et solem lumina ægra formi-dant, et aversantur diem lendidum nourna animalia,quæ ad primum ejus ortum stupent, et latibula sua pas-sim petunt, abduntur in aliquas rimas timida lucis. Ge-mite, et infelicem linguam bonorum exercete convicio ;hiscite, commordete ; citius multo frangetis dentes, quamimprimetis ! « Quare ille philosophiæ studiosus est, et tamdives vitam agit ? quare opes contemnendas dicit, et ha-bet ? vitam contemnendam putat, et tamen vivit ? valelu-dinem contemnendam, et tamen illam diligentissime tue-tur, atque optimammavult. Et exsiliumnomen vanumpu-tat, et ait : Quid est enimmali, mutare regiones ? et tamen,si licet, senescit in patria. Et inter longius tempus et bre-vius nihil interesse judicat : tamen si nihil prohibet, exten-dit ætatem, et in multa seneute placidus viret. » Ait istadebere contemni, non, . . . . . . . . . . . . . . . . .

qui haïssez et la vertu et son adorateur, vous ne faites là riend’étrange ; car les vues malades redoutent le soleil, et le grand jourest antipathique aux animaux nournes : éblouis de ses premiersrayons, ils regagnent de tous côtés leurs retraites et fuient dansd’obscures crevasses cette lumière qui les effraye. Gémissez, exer-cez votre langue maudite à outrager les bons ; acharnez-vous, mor-dez tous à la fois : vos dents se briseront sur eux bien avant qu’ellesne s’y impriment. « Pourquoi cet amant de la philosophie mène-t-ilune existence si opulente ? Il dit qu’il faut mépriser l’or, et il en pos-sède ; qu’il faut mépriser la vie, et il reste avec les vivants ; la santé,et pourtant il soigne la sienne, il la préfère excellente. L’exil est unvain mot, selon lui ; il s’écrie : Quel mal y a-t-il à changer de pays ?et pourtant, s’il le peut, il vieillira dans sa patrie. Il prononce qu’uneexistence plus ou moins longue est indifférente ; toutefois, tant querien ne l’en empêche, il prolonge la sienne, et, dans une vieillesseavancée, il conserve en paix sa verdeur. » Il dit, en effet, qu’on doitmépriser tous ces avantages ;

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Vos quidem facitisnihil novi,quod odistis virtutemcultoremque ejus ;nam et lumina ægraformidant solem,et animalia nournaaversantur diem lendidum,quæ stupentad primum ortum ejus,et petunt passimsua latibula,abduntur in aliquas rimastimida lucis.Gemite et exercetelinguam infelicemconvicio bonorum ;hiscite, commordete ;frangetis dentesmulto citius,quam imprimetis !« Quare illeest studiosus philosophiæ,et agit vitam tam dives ?quare dicitopes contemnendas,et habet ?putatvitam contemnendam,et vivit tamen ?valeludinem contemnendam,et tamen tuetur illamdiligentissime,atque mavult optimam ?Et putat exsiliumvanum nomen,et ait :Quid enim mali estmutare regiones ?et tamen, si licet,senescit in patria.Et judicat nihil interessetempus longiuset brevius :tamen si nihil prohibet,extendit ætatem,et viret placidusin multa seneute. »Ait ista deberecontemni,

Vous certes vous ne faitesrien de nouveau,en-ce-que vous détestez la vertuet l’adorateur d’elle ;car et les yeux maladesredoutent le soleil,et les animaux nournesse détournent du jour éclatant,eux qui restent-engourdisau premier lever de ce jour,et gagnent de-tous-côtésleurs retraites,se cachent dans quelques crevassescraignant la lumière.Gémissez et exercezvotre langue mauditepar l’insulte des bons ;ouvrez-la-bouche, mordez-tous-ensemble ;vous vous casserez les dentsbeaucoup plus vite,que vous ne les imprimerez !« Pourquoi celui-ciest-il ami de la philosophie,et passe-t-il sa vie si riche ?pourquoi dit-ilque les richesses doivent être méprisées,et en possède-t-il ?pourquoi pense-t-ilque la vie est méprisableet vit-il cependant ?que la santé est méprisable,et cependant soigne-t-il elletrès attentivement.et la préfère-t-il très bonne ?Et il estime l’exilun vain nom,et il dit :Quoi de mal en effet est-ce,de changer de pays ?et cependant, s’il lui est-permis,il vieillit dans sa patrie.Il juge aussi que rien ne-diffère-entreun temps plus longet un temps plus court :cependant si rien ne l’empêche,il prolonge sa vie,et il-reste-vert paisibledans une grande vieillesse. »Il dit que ces avantages doiventêtre méprisés,

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ne habeat, sed ne sollicitus habeat ; non abigit illa a se,sed abeuntia securus prosequitur. Divitias quidem ubi tu-tius fortuna deponet, quam ibi, unde sine querela red-dentis receptura est ? M. Cato quum laudaret Curium etCoruncanium, et seculum illud in quo censorium crimenerat paucæ argenti lamellæ, possidebat ipse quadringen-ties sestertium : minus sine dubio quam Crassus, plus ta-men quam censorius Cato. Majore atio, si comparentur,proavum vicerat, quam a Crasso vinceretur. Et si majoresilli obvenissent opes, non revisset ; nec enim se sapiensindignum ullis muneribus fortuitis putat. Non amat divi-tias sed mavult : non in animum illas, sed in domum reci-pit : nec reuit possessas, sed continet, et majorem virtutisuæ materiam subministrari vult.

XXII. Quid autem dubii est, quin major materia sa-pienti viro sit animum explicandi suum in divitiis, quamin paupertate ? quum in hac unum genus virtutis sit, noninclinari, nec deprimi : . . . . . . . . . . . . . . . . .

mais ce qu’il défend, c’est la possession inquiète, et non la possession elle-même ; il ne repousse pas ces choses, mais si elles se retirent de lui, il les suitdans leur retraite d’un œil tranquille. Où la fortune déposera-t-elle ses ri-chesses plus sûrement que chez l’homme qui les lui rendra sans murmure ?Quand M. Caton louait Curius, et Coruncanius, et ce siècle où l’on étaitcoupable aux yeux du censeur pour posséder quelques lames d’argent, lui,Caton avait quarante millions de sesterces : moins sans doute que Crassus,mais plus que Caton le censeur. C’était, si l’on compare, dépasser son bis-aïeul de bien plus que lui-même ne fut dépassé par Crassus ; et si de plusgrands biens lui étaient échus, il ne les eût pas dédaignés. Car le sage nese croit indigne d’aucun des dons du hasard ; non qu’il aime les richesses,mais il les préfère : ce n’est pas dans son âme, c’est dans sa maison qu’illes loge ; il n’en répudie pas la possession, mais il les domine : il n’est pointfâché qu’une plus ample matière soit fournie à sa vertu.

XXII. Eh ! qui doute que pour le sage il n’y ait plus ample manière àdéployer son âme dans la richesse que dans la pauvreté ? Toute la vertude celle-ci est de ne point plier ni

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non ne habeat,sed ne habeatsollicitus ;non illa abigit a se,sed prosequitur abeuntiasecurus.Ubi quidem fortunadeponet divitiastutius quam ibi,unde est recepturasine querela reddentis ?Marcus Cato quum laudaretCurium et Coruncanium,et illud seculum in quoerat crimen censoriumpaucæ lamellæ argenti,possidebat ipsequadringenties sestertium :minus sine dubioquam Crassus,plus tamenquam Cato censorius.Vicerat proavum,si comparentur,atio majorequam vinceretur a Crasso.Et si opes majoresilli obvenissent,non revisset ;et enim sapiensnon se putat indignumullis muneribus fortuitis.Non amat divitias,sed mavult :non recipit illasin animum,sed in domum :nec reuit possessas,sed continet,et vult materiam majoremsubministrarisuæ virtuti.

XXII. Quid autem dubiiestquin sit materia majorviro sapientiexplicandi suum animumin divitiisquam in paupertate ?quum in hac

non pour qu’il ne les possède pas,mais pour qu’il ne les possède pasétant inquiet ;il ne les repousse pas de lui,mais il les suit quand-ils-se-retirenttranquille (d’un œil tranquille).Où en-vérité la fortunedéposera-t-elle les richessesplus sûrement que là,d’où elle est devant les retirersans plainte de celui qui les rendra ?Marcus Caton quand il louaitCurius et Coruncanius,et ce siècle dans lequelc’était un grief pour-les-censeursque quelques lames d’argent,possédait lui-mêmequatre-cents-fois cent milliers de sesterces :moins sans douteque Crassus,plus cependantque Caton l’ancien-censeur.Il avait dépassé son bisaïeul,en-admettant qu’ils soient comparés,d’une distance plus grandequ’il n’était dépassé par Crassus.Même si des richesses plus grandeslui étaient échues,il ne les eût pas dédaignées ;et en effet le sagene se croit pas indigned’aucuns dons fortuits.Il n’aime pas les richessesmais il les préfère :il ne reçoit pas ellesdans son âme.mais dans sa maison :et il ne repousse pas elles possédées,mais il les maîtrise,et veut qu’une matière plus amplesoit fournieà sa vertu.

XXII. Or quel doutey-a-t-ilqu’il-n’y-ait une matière plus amplepour l’homme sagede déployer son âmedans les richessesque dans la pauvreté ?puisque dans celle-ci

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in divitiis, et temperantia, et liberalitas, et diligentia, etdiositio, et magnificentia, campum habeat patentem.Non contemnet se sapiens, etiamsi fuerit minimæ sta-turæ ; esse tamen se procerum volet : et exilis corpore,ac amisso oculo valebit ; malet tamen sibi esse corpo-ris robur. Et hoc ita, ut sciat esse aliud in se valentius ;malam valetudinem tolerabit, bonam optabit. Quædamenim, etiamsi in summam rei parva sunt, et subduci sineruina principalis boni possunt, adjiciunt tamen aliquid adperpetuam lætitiam, et ex virtute nascentem. Sic illum af-ficiunt divitiæ, et exhilarant, ut navigantem secundus etferens ventus, ut dies bonus, et in bruma ac frigore apri-cus locus. Quis porro sapientum, nostrorum dico, quibusunumestbonumvirtus, negat etiamhæc quæ indifferentiavocamus habere in se aliquid pretii, et alia . . . . . . .

s’abattre ; dans l’autre la tempérance, la libéralité, l’erit d’or-dre, l’économie, lamagnificence, ont un champvaste et libre. Lesage ne se méprisera pas s’il est d’une taille exiguë, et pourtantil préférera une grande taille ; avec un corps chétif et privé d’unœil, il aura toute sa force, et pourtant il préférera une constitu-tion robuste. Il saura qu’il a en lui-même un principe de vi-gueur supérieur à tous ces avantages ; cependant il supporterales infirmités, et souhaitera la santé. Car il est des choses qui,tout en étant d’une valeur insignifiante par rapport à la perfec-tion de l’être, de telle sorte qu’elles se hissent enlever sans en-traîner la ruine du souverain bien, ajoutent cependant à cettejoie perpétuelle qui naît de la vertu. Les richesses sont au sage cequ’est au navigateur un bon vent qui l’égaye et facilite sa course ;ce qu’est un beau jour, et, par un temps brumeux et froid, uneplage que réchauffe le soleil. Et quel sage de notre école, où lavertu est le seul bien, ne reconnaîtra pas que ces choses mêmesque nous appelons indifférentes ont en elles un certain prix

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ait unum genus virtutis,non inclinari,nec deprimi :in divitiis,et temperantiset liberalitas,et diligentiaet diositio,et magnificentia,habeat campum patentem.Sapiensnon se contemnet,etiamsi fueritminimæ statutæ ;volet tamense esse procerum :valebitet exilis corpore,ac oculo amisso :malet tamen robur corporisesse sibi.Et hoc ita,ut sciatesse in se aliud valentius ;tolerabitmalam valetudinem,optabit bonam.Quædam enim,etiamsi sunt parvain summam rei,et possunt subducisine ruinaprincipalis boni,adjiciunt tamen aliquidad lætitiam perpetuam,et nascentem ex virtute.Divitiæ afficiuntet exhilarant illum,sic ut ventus secunduset ferensnavigantem ;ut bonus dies,et in bruma ac frigorelocus apricus.Quis porro sapientum,dico nostrorum,quibus virtusest unum bonum,nogat etiam hæcquæ vocamus indifferentia

il-y-a un-seul genre de vertu,savoir ne pas être plié,et ne pas être abattu ;et que, dans les richesses,et la tempérance,et la libéralité,et l’ordre,et l’économie,et la magnificence,ont une carrière ouverte.Le sagene se méprisera pas,même-si il aura étéde très petite taille ;il souhaitera cependantsoi être grand :il sera-fortmôme chétif de corps,et un œil perdu ;il préférera pourtant la force du corpsêtre à soi.Et cela ainsi,bien qu’il sachequ’il-y-a en lui un autre principe plus fort ;il supporterala mauvaise santé,souhaitera la bonne.Certaines choses en effet,quoiqu’elles soient petitesrelativement à l’ensemble de l’être,et puissent être retiréessans la ruinedu souverain bien,ajoutent pourtant quelque choseà la joie perpétuelle,et naissant de la vertu.Les richesses touchentet égayent lui,de-même qu’un vent favorableet qui le portetouche et égaye le navigateur ;comme un beau jour,et dans l’hiver et le froidun endroit exposé-au-soleil.Or qui d’entre les sages,je dis d’entre les nôtres,pour lesquels la vertuest le seul bien,nie que même ces chosesque nous nommons indifférentes

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aliis esse potiora ? Quibusdam ex his tribuitur aliquid ho-noris, quibusdam multum. Ne erres itaque, inter potioradivitiæ sunt. « Quid ergo, inquis, me derides, quum eum-dem apud te locum habeant, quem apud me ? » Vis scirequam non habeant eumdem locum ? mihi divitiæ si ef-fluxerint, nihil auferent, nisi semetipsas : tu stupebis, etvideberis tibi sine te relius, si illæ a te recesserint ; apudme divitiæ aliquem locum habent ; apud te, summum acpostremum ; divitiæ meæ sunt, tu divitiarum es.

XXIII. Desine ergo philosophis pecunia interdicere ;nemo sapientiam paupertate damnavit. Habebit philoso-phus amplas opes, sed nulli detraas, nec alieno san-guine cruentas, sine cujusquam injuria partas, sine sordi-dis quæstibus, quarum tam honestus sit exitus quam in-troitus, quibus nemo ingemiscat, . . . . . . . . . . . .

et que les unes sont préférables aux autres ? Il en est auxquelles on ac-corde un peu d’importance, il en est auxquelles on en accorde beau-coup. Ne vous y trompez donc pas, la richesse est du nombre deschoses préférables. « Pourquoi alors, direz-vous, me railler quandelle tient chez vous le même rang que chez moi ? » — Voulez-voussavoir combien je suis loin de lui donner le même rang ? Quellerichesse m’échappe, elle ne m’enlèvera rien qu’elle-même ; vous, sielle vous quitte, vous resterez frappé de stupeur, comme un hommequi, dans son abandon, ne se trouverait plus lui-même. Chez moiles richesses tiennent une certaine place, tandis que chez vous ellesoccupent la plus haute ; enfin, moi je les possède ; vous, vous êtespossédé par elles.

XXIII. Cesse donc d’interdire l’argent aux philosophes : personnen’a condamné la sagesse à la pauvreté. Oui, le philosophe aurad’amples richesses ; mais elles ne seront ravies à qui que ce soit, nisouillées du sang d’autrui, ni acquises au détriment de personneou par de sordides profits ; mais elles sortiront de chez lui aussihonorablement qu’elles y seront entrées ; mais elles ne feront gémirque l’envie. Exagérez-les

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habere in sealiquid pretii,et alia essepotiora aliis ?Aliquid honoristribuiturquibusdam ex his,quibusdam multum.Ne erres itaque,divitiæ suntinter potiora.« Quid ergo, inquis,me derides,quum habeant apud teeumdem locumquem apud me ? »Vis scire quamnon habeanteumdem locum ?si divitiæmihi effluxerint,auferent nihilnisi semetipsas :tu stupebis,et videberis tibirelius sine te,si illæ recesserint a te ;divitiæ habent apud mealiquem locum ;apud te, summumac postremum ;divitiæ sunt meæ,tu es divitiarum.

XXIII. Desine ergointerdicerepecunia philosophis ;nemo damnavitsapientiam paupertate.Philosophus habebitopes amplas,sed detraas nulli,nec cruentassanguine alieno,partas sine injuriacujusquam,sine quæstibus sordidis ;quarum exitus sittam honestusquam introitus,quibus nemo ingemiscat,

aient en soiquelque prix.et que les unes soientpréférables aux autres ?Quelque-peu de considérationest attribuéà quelques-unes d’elles,à quelques-unes beaucoup.Ne t’y trompe donc pas,les richesses sontparmi les choses préférables.« Pourquoi donc, dis-tu,me railles-tu,puisqu’elles ont chez toile môme rangque chez moi ? »Veux tu savoir à-quel-pointelles n’ont pasle même rang ?si les richessesm’auront échappé,elles n’emporteront riensinon elles-mêmes :toi, tu seras interdit,et tu paraîtras à toi-mêmelaissé sans toi,si elles se seront retirées de toiles richesses ont chez moiquelque place ;chez toi, la plus hauteet la dernière au sommet ;les richesses sont miennes (à moi),toi tu es des (aux) richesses.

XXIII. Cesse doncd’interdirel’argent aux philosophes ;personne n’a condamnéla sagesse à la pauvreté.Le philosophe posséderades richesses considérables,mais enlevées à personne,ni ensanglantéesdu sang d’autrui,acquises sans préjudicede (pour) qui-que-ce-soit,sans gains sordides ;dont la sortie soitaussi honnêteque l’entrée,dont personne ne gémisse,

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nisi malignus. In quantum vis exaggera illas, honestæsunt : in quibus, quum multa sint quæ quisque sua di-cere velit, nihil est quod quisquam suum possit dicere. Illevero fortunæ benignitatem a se non submovebit, et patri-monio per honesta quæsito nec gloriabitur, nec erubescet.Habebit tamen etiam quo glorietur, si aperta domo, et ad-missa in res suas civitate, poterit dicere : Quod quisqueagnoverit, tollat ! » O magnum virum, optime divitem, sipost hanc vocem tantumdem habuerit ! ita dico, si tutuset securus scrutationem populo præbuerit, si nihil quis-quam apud illum invenerit, quo manus injiciat : audaeret propalam erit dives. Sapiens nullum denarium intra li-men suum admittet male intrantem ; magnas opes, mu-nus fortunæ, fruumque virtutis non repudiabit, nec ex-cludet. Quid enim est, quare illis bonum locum invideat ?veniant, hoitentur. Nec jaabit illas, nec . . . . . . .

tant que vous voudrez, elles sont honorables : s’il s’y trouve biendes choses que chacun voudrait pouvoir dire siennes, on n’y voitrien dont personne puisse dire : C’est à moi. Le sage ne repous-sera pas les faveurs de la fortune, et un patrimoine loyalement ac-quis ne lui inirera ni orgueil ni honte. Je me trompe : il éprou-vera quelque orgueil si, ouvrant sa porte et exposant sa richesseaux regards publics, il peut dire : « Que quiconque y reconnaîtson bien le reprenne. » Oh ! qu’il est grand, qu’il mérite sa for-tune celui qui resterait après ce défi aussi riche qu’avant ! Oui,s’il peut sans crainte et impunément provoquer l’inventaire detous, si nul n’y trouve à exercer la moindre revendication, c’esthardiment et au grand jour qu’il sera riche. Si, d’un côté, pas undenier n’entre chez le sage par de mauvaises voies, de l’autre, lestrésors que la fortune lui donne ou qui sont le fruit de ses méritesne seront pas répudiés ni exclus par lui. Pourquoi les refuserait-il quand ils sont si bien placés chez lui ? Qu’ils viennent, qu’ils ytrouvent l’hoitalité, il n’en fera ni étalage

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nisi malignus.Exaggera illasin quantum vis,sunt honestæin quibus,quum sint multaquæ quisque velit dicere sua,est nihil quod quisquampossit dicere suum.Ille veronon submovebit a sebenignitatem fortunæ,et nec gloriabitur,nec erubescetpatrimonio quæsitoper honesta.Habebit tamen etiamquo glorietur,si domo aperta,et civitate admissain suas res,poterit dicere :« Quisque tollatquod agnoverit ! »O magnum virum,optime divitem,si post hanc vocemhabuerit tantumdem !Ita dico,si tutus et securuspræbueritscrutationem populo,si quisquam nihil inveneritapud illumquo injiciat manus :erit divesaudaer et propalam.Sapiens admittetintra suum limennullum denariumintrantem male ;non repudiabitnec excludetmagnas opes,munus fortunæ,fruumque virtutis.Quid est enimcur [quare] illis invideatbonum locum ?Veniant,

sinon l’envieux.Entasse-lesautant que tu veux,elles sont honorables :elles dans lesquelles,quoiqu’il y ait beaucoup de chosesque chacun voudrait dire siennes,il-n’y-a rien que personnepuisse dire sien.Lui d’un autre côténe repoussera pas de lui-mêmela bienveillance de la fortune,et ni il se-glorifierani il rougirade son patrimoine acquispar des moyens honnêtes.Il aura cependant mêmede quoi il pourra-se-glorifier,si sa maison étant ouverte,et la ville étant admiseau-milieu-de ses biens,il pourra dire :« Que chacun emportece qu’il aura reconnu ! »Ô le grand homme,excellemment riche,si après cette paroleil aura eu autant qu’avant !Oui, je le dis,si sans-crainte et sans-inquiétudeil aura offertcette enquête au public,si personne n’aura rien trouvéchez luisur-quoi il mette les mains :il sera richehardiment et ouvertement.Le sage ne recevraen-dedans de son seuilaucun denierentrant malhonnêtement ;il ne repoussera paset n’exclura pasde grandes richesses,don de la fortune,et fruit de sa vertu.Qu’y-a-t-il en effetpour qu’il leur refuseune bonne place ?Qu’elles viennent,

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abscondet ; alterum infruniti animi est ; alterum timidiet pusilli, velut magnum bonum intra sinum continen-tis. Nec, ut dixi, ejiciet illas e domo. Quid enim dicet ?utrumne : « Inutiles estis ? » an, « Ego uti divitiis nescio » ?Quemadmodum etiam si pedibus suis poterit iter confi-cere, escendere tamen vehiculum malet : sic pauper, si po-terit esse dives, volet ; et habebit itaque opes, sed tanquamleves et avolaturas ; nec ulli alii, nec sibi graves esse patie-tur. Quid ? Donabit ? Credo, erexistis aures. Quid expe-ditis sinum ? Donabit aut bonis, aut iis quos facere pote-rit bonos. Donabit cum summo consilio, dignissimos eli-gens, ut qui meminerit tam expensorum quam accepto-rum rationem esse reddendam. Donabit ex rea et pro-babili causa ; nam inter turpes jauras malum munus est.Habebit sinum facilem, non perforatum ; ex quo multaexeant, nihil excidat.

ni mystère : le premier est d’un sot imprudent ; le second, d’unhomme timide et pusillanime qui pense tenir dans sa bourse unbien inestimable. Non, encore une fois, il ne chassera pas de samaison les richesses. Leur dirait-il : « Vous ne m’êtes bonnes àrien ; » ou : « Je ne sais pas me servir de vous » ? Le sage, quand ilpourrait cheminer à pied, aimera cependant mieux monter sur unchar ; demême, s’il est pauvre et qu’il puisse être riche, il accepterala richesse : il l’aura, sans doute, mais comme chose fugitive et quidoit s’envoler ; il ne souffrira qu’elle pèse ni à personne ni à lui-même. Comment ? Il donnera ? dites-vous. Il me semble que vousavez dressé l’oreille. Pourquoi tendez-vous le pan de votre robe ?Il donnera aux bons ou à ceux qu’il pourra rendre tels. Il donneraavec mûre réflexion, choisissant les plus dignes, en homme qui sesouvient qu’il faut rendre compte de la dépense non moins que dela recette. Il donnera d’après desmotifs justes et plausibles ; car c’estune perte des plus humiliantes qu’un présent mal placé. Sa boursene sera ni fermée ni percée ; on y puisera abondamment, mais ellene laissera rien tomber.

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hoitentur.Nec jaabitnec abscondet illas ;alterum estanimi infruniti ;alterum timidi et pusilli,continentis intra sinumvelut magnum bonum.Nec ejiciet illase domo, ut dixi.Quid enim dicet ?utrumne :« Estis inutiles ; »an :« Ego nescio uti divitiis » ?Quemadmodum etiam sipoterit conficere itersuis pedibus,malet tamenescendere vehiculum ;sic pauper,si poterit esse dives,volet ;et habebit itaque opes,sed tanquam leveset avolaturas ;nec patietur esse gravesulli aliinec sibi.Quid ? Donabit ?Erexistis aures, credo.Quid expeditis sinum ?Donabit aut bonis,aut iis quos poteritfacere bonos.Donabitcum summo consilio,eligens dignissimos,ut qui memineritrationem esse reddendamtam expensorumquam acceptorum.Donabit ex causarea et probabili ;nam munus malumest inter jauras turpes.Habebit sinum facilem,non perforatum,ex quo multa exeant.nihil excidat.

qu’elles soient hébergées.Ni il n’affichera,ni il ne cachera elles ;l’un estd’un erit déraisonnable ;l’autre d’un erit timide et étroit.renfermant (la richesse) dans sa boursecomme un grand bien.Et il ne chassera pas ellesde sa maison, comme je l’ai dit.Que dira-t-il en effet ?est-ce-ou :« Vous êtes inutiles ; »ou bien :« Moi je ne-sais-pas user des richesses » ?De-même-que même siil pourra faire routeavec ses pieds,il préférera cependantmonter-sur un char ;de même pauvre,s’il pourra être riche,il le voudra ;et il possédera donc les richesses,mais comme étant légèreset devant s’envoler ; [pesanteset il ne supportera pas qu’elles soientà aucun autreni à lui-même.Comment ? Il donnera ?Vous avez dressé les oreilles, je crois.Pourquoi dépliez-vous le pan-de-votreIl donnera ou aux bons, [-robe ?ou à ceux qu’il pourrarendre bons.Il donneraavec la plus grande réflexion,choisissant les plus dignes,en homme qui se souvientcompte devoir être renduautant des dépensesque des recettes.Il donnera pour un motifjuste et plausible ;car un présent mal-placéest du-nombre-des pertes humiliantes.Il aura une bourse facile,non percée,de laquelle beaucoup sorterien ne tombe.

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XXIV. Errat, si quis existimat facilem rem esse donare.Plurimum ista res habet difficultatis, si modo consilio tri-buitur, non casu et impetu argitur. Hunc promereor, illireddo ; huic succurro, hujus misereor. Illum instruo, di-gnum quem non deducat paupertas, nec occupatum te-neat. Quibusdam non dabo, quamvis desit : quia, etiamsidedero, erit defuturum ; quibusdam offeram ; quibusdametiam inculcabo. Non possum in hac re esse negligens :nunquammagis nomina facio quam quumdono. « Quid ?tu, inquis, recepturus donas » ? immo non perditurus. Eoloco sit donatio, unde repeti non debeat, reddi possit. Be-neficium collocetur, quemadmodum thesaurus alte obru-tus : quem non eruas, nisi fuerit necesse. Quid ? domusipsa divitis viri, quantam habet benefaciendi materiam ?Quis enim liberalitatem tantum ad togatos vocat ? homi-nibus prodesse natura me jubet : servi liberine sint, inge-nui an libertini, justæ libertatis, an inter . . . . . . . .

XXIV. On se trompe si l’on croit que donner soit une chose facile.Elle présente beaucoup de difficulté pour qui du moins donne avecréflexion, sans semer au hasard et par boutade. Ici j’oblige sans riendevoir, là je m’acquitte ; j’accours à la voix du malheur, ou poussé parla seule pitié ; je relève un homme qui ne mérite pas que la pauvreté ledégrade et le retienne dans ses entraves ; je refuse à d’autres, bien qu’ilsaient besoin, parce que lors même que j’aurais donné, ils seront toujoursdans le dénuement. Tantôt j’offrirai simplement, tantôt j’userai d’unesorte de pression. Puis-je montrer ici de la négligence, moi qui ne placejamais mieux que lorsque je donne ? « Quoi ! vous ne donnez que pourrecouvrer ? » Ditesmieux : pour ne pas perdre. Tel doit être le placementde nos dons, que nous n’ayons pas droit de réclamer, mais qu’on puissenous rendre. Qu’il en soit du bienfait comme d’un trésor profondémentenfoui, que l’on n’exhume qu’en cas de nécessité. Et la maison mêmedu riche, quelle large hère n’ouvre-t-elle pas à sa bienfaisance ! Carqui oserait n’appeler la libéralité que sur des hommes libres ? Faites dubien aux hommes, nous dit la nature ; esclaves ou libres, ingénus ouaffranchis, affranchis

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XXIV. Quis errat,si quis existimatdonare esse rem facilem.Ista res habetplurimum difficultatis,si modotribuitur consilio,non argiturcasu et impetu.Promereor hunc,reddo illi ;succurro huic,misereor hujus.Instruo illum,dignum quem paupertasnon deducat,nec teneat occupatum.Non dabo quibusdam,quamvis desit :quia, etiamsi dedero,erit defuturum ;offeram quibusdam ;quibusdam etiaminculcabo.Non possum essenegligens in hac re :nunquam facio nominamagis quam quum dono.« Quid ? inquis, tu donas[quasi] recepturus ? »Immo, non perditurus.Donatio sit eo loco,unde non debeat repeti,possit reddi.Beneficium colloceturquemadmodum thesaurusobrutus alte :quem non eruas,nisi fuerit necesse.Quid ? domus ipsaviri divitis,quantam materiam habetbenefaciendi ?Quis enim vocatliberalitatemtantum ad togatos ?Natura jubetme prodesse hominibus :qui refertsint servi liberine ?

XXIV. Quelqu’un se trompe,s’il croitdonner être chose facile.Cette chose abeaucoup de difficulté,si toutefoisil est accordé avec réflexion,et s’il n’est pas seméau hasard et par élan.J’oblige celui-ci,je rends à celui-là ;je secours l’un,j’ai-pitié d’un autre.J’équipe cet homme,digne que la pauvreténe l’abatte pas,ni ne le tienne occupe.Je ne donnerai pas à certains hommes,quoiqu’il y-ait-dénuement :parce que, même si j’aurai donné,il y aura-dénuement ;j’offrirai à quelques-uns ;chez quelques-uns mêmeje ferai-entrer-de-force mes bienfaits.Je ne peux pas êtrenégligent dans cette affaire :jamais je ne fais de billets (de placements)plus (mieux) que quand je donne.« Quoi ? dis-tu, toi, tu donnescomme devant recouvrer ? »Non-mais comme ne devant pas perdre.Que le don soit dans ce placement,d’où il ne doive pas être réclamé,mais puisse être rendu.Qu’un bienfait soit placécomme un trésorenfoui profondément :lequel tu n’exhumerais pas,à moins qu’il n’ait été nécessaire.Quoi ? la maison mêmed’un homme riche,quelle-grande matière elle ade (pour) faire-le-bien ?Qui en effet appellela libéralitéseulement sur les hommes-en-toge ?La nature ordonnemoi être-utile aux hommes :en quoi importe-t-ilqu’ils soient esclaves ou-libres ?

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amicos datæ, qui refert ? ubicumque homo est, ibi bene-ficii locus est. Potest itaque pecuniam etiam intra limensuum diffundere, et liberalitatem exercere : quæ non quialiberis debetur, sed quia a libero animo proficiscitur, itanominata est. Hæc apud sapientem nec unquam in turpesindignosque impingitur ; nec unquam ita defatigata er-rat, ut non, quoties dignum invenerit, quasi ex pleno fluat.Non est ergo quod perperam exaudiatis, quæ honeste, for-titer, animose, a studiosis sapientiæ dicuntur ; et hoc pri-mum attendite : aliud est, studiosus sapientiæ : aliud, jamadeptus sapientiam. Ille tibi dicet : « Optime loquor, sedadhuc inter mala volutor plurima. Non est quod me adformulammeamexigas : quummaxime faciome et formo,et ad exemplar ingens attollo ; si processero quantum pro-posui, exige ut diis faa reondeant. » Assecutus verohumani boni summa, aliter tecum aget, et dicet : « Pri-mum, non est quod tibi permutas de . . . . . . . . . .

devant le préteur ou devant nos amis, il n’importe : partout où il y a unhomme, il y a place pour le bienfait. Le sage peut donc aussi répandrel’argent dans son particulier et y pratiquer la libéralité, vertu ainsi appeléenon qu’elle se doive aux hommes libres seuls, mais parce qu’elle partd’un cœur libre. Les bienfaits du sage ne se jettent jamais à des hommesflétris et indignes, comme aussi jamais ne s’épuisent et ne s’éparpillenttellement, qu’à l’ae de qui les mérite ils ne puissent plus couler àpleine source. N’allez donc pas interpréter à faux ce que disent de moral,de courageux, de magnanime les airants de la sagesse ; et d’abord,prenez-y bien garde : autre est l’airant, autre est l’adepte de la sagesse.Le premier vous dira : « Je parle vertu ; mais je me débats encore aumilieu d’une foule de vices. Ne me jugez pas d’après la règle que j’aiposée moi-même ; en ce moment je travaille à me faire, à me former, jem’élève vers un idéal sublime. Quand j’aurai atteint complètement monbut, vous pourrez exiger que mes œuvres répondent à mon langage. »Mais l’homme arrivé au bien suprême plaidera autrement sa cause, etdira : « D’abord il ne vous appartient pas de vous porter juges de ceuxqui

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ingenui an libertini,libertatis justæ,an datæ inter amicos ?Ubicumque est homo,ibi est locus beneficii.Itaque potestdiffundere pecuniamet exercere liberalitatemetiam intra suum limen :quæ ita est nominata,non quia debeturliberis,sed quia proficisciturab animo libero.Hæc apud sapientemnec impingitur unquamin turpes indignosque ;nec unquamerrat defatigata,ita ut non fluatquasi ex pleno,quoties inveneritdignum.Non est ergo quodexaudiatis perperamquæ dicuntur honeste.fortiter, animose,a studiosis sapientiæ ;et attendite hoc primum :aliud est,studiosus sapientiæ,aliud, jam adeptussapientiam.Ille tibi dicet :« Loquor optime,sed volutor adhucinter mala plurima.Non est quod me exigasad meam formulam :quum maximeme facio et formo,et attolload exemplar ingens ;si processeroquantum proposui,exige ut faareondeant diis. »Assecutus vero summaboni humaniaget aliter tecum,et dicet :

ingénus ou libres,d’une liberté légale,ou donnée entre amis ?Partout-où est un homme,là est la place d’un bienfait.C’est pourquoi il peutrépandre de l’argentet exercer sa libéralitémême en dedans de son seuil :laquelle libéralité a été ainsi nommée,non parce qu’elle est dueaux hommes libres,mais parce qu’elle partd’une âme libre.Celle-ci chez le sageni n’est jetée jamaissur des hommes flétris et indignes ;ni jamaisne s’égare fatiguée,de-telle-sorte qu’elle ne coule pascomme d’abondance,chaque-fois-qu’elle aura trouvéun sujet digne.Il n’est donc pas de motif pour quevous entendiez de traversce qui est dit honnêtement,courageusement, généreusement,par les amis de la sagesse ;et faites-attention-à ceci d’abord :autre chose est,l’ami de la sagesse ;autre chose, celui qui a déjà acquisla sagesse.Le premier te dira :« Je parle très bien,mais je me roule encoreau milieu de vices très nombreux.Il n’est pas de motif pour que tu me jugesselon ma règle :alors surtout queje me façonne et me forme,et m’élèvevers un modèle sublime ;quand j’aurai avancéautant-que je me le suis proposé,exige que mes aesrépondent à mes paroles. »Mais l’homme arrivé aux sommetsdu bien humainparlera autrement avec-toi.et dira :

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melioribus ferre sententiam ; mihi jam, quod argumen-tum est rei, contingit malis dilicere. Sed ut tibi ratio-nem reddam, qua nulli mortalium invideo, audi quid pro-mittam, et quanti quæque æstimem. Divitias nego bonumesse : nam si essent, bonos facerent ; nunc quoniam quodapud malos deprehenditur, dici bonum non potest, hocillis nomen nego ; ceterum et habendas esse, et utiles, etmagna commoda vitæ afferentes, fateor.

XXV. Quid ergo est ? quare illas non in bonis nume-rem, et quid in illis præstem aliud quam vos, quoniam in-ter utrosque convenit habendas, audite. Pone in opulentis-sima me domo, pone ubi aurum argentumque in promis-cuo usu sit : non suiciam me ob ista, quæ etiamsi apudme, extra me tamen sunt. In Sublicium pontem me trans-fer, et inter egentes abige : non ideo tamen me deiciam,quod in illorum numero . . . . . . . . . . . . . . . .

valent mieux que vous : pour moi, déjà, preuve que je tiens le droitchemin, j’ai le bonheur de déplaire aux méchants. Mais je veux bienvous rendre un compte que je ne refuse à aucun mortel : écoutezma profession de foi, et apprenez quel cas je fais de toute chose.Je nie que les richesses soient un bien ; autrement, elles rendraientl’homme bon ; puisque donc ce qui se rencontre chez les méchantsne peut pas être appelé un bien, je refuse ce titre aux richesses ; dureste, qu’elles soient permises, utiles, et d’une grande commoditédans la vie, je le confesse.

XXV. Mais il faut s’expliquer : vous me demandez comment, enrefusant d’admettre les richesses au nombre des biens, je leur assigneun autre caraère que vous, et cela quand nous convenons l’un etl’autre qu’on peut les posséder ? Écoutez-moi donc. Placez-moi dansla plus opulentemaison, en un lieu où l’or et l’argent soient de l’usagele plus commun, je ne m’enorgueillirai pas de ces choses qui, bienqu’étant chez moi, n’en seront pas moins hors de moi. Tranortez-moi sur le pont Sublicius, jetez-moi parmi les nécessiteux : je ne memépriserai pas pour me voir assis aux côtés de

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« Primum, non est quodtibi permutasferre sententiamde melioribus ;jam mihi contingit,quod est argumentum rei,dilicere malis.Sed ut tibi reddamrationem qua invideonulli mortalium,audi quid promittam,et quanti æstimem quæque.Nego divitiasesse bonum :nam si essent,facerent bonos ;nunc quoniam quoddeprehenditur apud malos,non potest dici bonum,illis nego hoc nomen ;ceterum fateoret esse habendas,et utiles,et afferentesmagna commoda vitæ.

XXV. Quid est ergo ?quoniam convenitinter utrosquehabendas,audite quarenon illas numeremin bonis,et quid aliudquam vospræstem in illis.Pone me in domoopulentissima,pone ubiaurum argentumque sitin usu promiscuo :non me suiciamob ista,quæ etiamsi apud me,sunt tamen extra me.Transfer mein pontem Sublicium,et abige inter egentes :non me deiciam tamen,ideo quod consideoin numero illorum

« D’abord il est pas de motif pour-quetu te permettesde porter un jugementsur des hommes meilleurs que toi ;déjà il m’arrive,ce qui est une preuve du bien,de déplaire aux méchants.Mais pour que je te rendeun compte que je ne refuseà aucun des mortels,écoute ce que j’avance,et de-quel-prix j’estime chaque chose.Je nie que les richessessoient un bien ;car si elles étaient un bien,elles rendraient les hommes bons ;maintenant puisque ce quise trouve chez les méchants,ne peut pas être appelé un bien,je leur refuse ce nom ;du reste je reconnais elleset être bonnes-à-posséder,et utiles,et apportantde grands avantages à la vie.

XXV. Qu’est-ce donc ?puisqu’il est convenuentre les deux partisles richesses être bonnes-à-posséder,écoutez pourquoije ne les compte pasparmi les biens,et quel caraère autreque vousje mets en elles.Place-moi dans une maisontrès opulente,place-moi oùl’or et l’argent soienten usage commun :je ne m’admirerai paspour ces avantages,qui quoique chez moi,sont cependant hors de moi.Tranorte-moisur le pont Sublicius,et pousse-moi parmi les pauvres :je ne me mépriserai pas pourtant,pour-ce la que je suis assisau nombre de ceux

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consideo, qui manum ad stipem porrigunt ; quid enim adrem, an frustum panis desit, cui non deest mori posse ?Quid ergo est ? domum illam lendidam malo, quampontem. Pone in stramentis lendentibus, et delicato ap-paratu : nihilome feliciorem credam, quodmihimolle eritamiculum, quod purpura in conviviis meis substernetur.Mutas magnificentiammeam : nihilo miserius ero, si lassacervixmea inmanipulo fœni acquiescet, si super Circensetomentum, per sarturas veteris lintei effluens, incubabo.Quid ergo est ? malo quid mihi animi sit ostendere præ-textatus et gausapatus, quam nudis scapulis aut semitec-tis. Omnes mihi dies ex voto cedant, novæ gratulationesprioribus subtexantur ; non ob hoc mihi placebo. Muta incontrarium hanc indulgentiam temporis : hinc illinc per-cutiatur animus damno, luu, incursionibus variis, nullaomnino hora sine aliqua querela sit : non ideo me dicaminter miserrima miserum, non ideo . . . . . . . . . .

ceux qui tendent la main vers l’aumône. Car qu’importe qu’on manqued’un morceau de pain, quand le pouvoir de mourir ne manque pas ?Que dirai-je pourtant ? Que cette maison opulente, je la préfère au pontSublicius. Placez-moi sur des tapis lendides, au milieu des recherchesde la mollesse, je ne m’en croirai nullement plus heureux pour avoir unmanteau moelleux et, dans mes festins, la pourpre pour lit. Un chan-gement m’enlève tout le luxe : je ne serai en rien plus à plaindre, si jen’ai qu’une poignée de foin pour reposer ma tète fatiguée, et, pour dor-mir, qu’un paillasson du cirque dont la bourre s’échappe par les reprisesd’une vieille toile. Que dirai-je encore ? Que j’aime mieux montrer mavaleur morale sous la prétexte ou la chlamyde, que les épaules nues ou àdemi-couvertes. Que tousmes ours s’écoulent à souhait, que des félicita-tions nouvelles s’enchaînent aux précédentes félicitations, je ne m’en fe-rai pas accroire pour cela. Changez en rigueur cette indulgence du sort :que de toutes parts mon âme ait à sabir des pertes, des chagrins, des as-sauts de tout genre ; que chaque heure m’apporte son sujet de plainte :non, au milieu des plus grandes misères, je ne me dirai pas misérable ;non, je ne

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qui porrigunt manumad stipem ;quid enim ad rem,an frustum panis desit,cui non deest posse mori ?Quid est ergo ?Malo illam domumlendidamquam pontem.Ponein stramentis lendentibuset apparatu delicato :me credamnihilo feliciorem,quod mihi eritamiculum molle,quod purpurasubsterneturin meis conviviis.Mutasmeam magnificentiam :ero nihilo miserius.si mea cervix lassaacquiescetin manipulo fœni,si incubabo supertomentum Circense effluensper sarturas veteris lintei.Quid est ergo ?Malo ostenderequid animi sit mihi,prætextatus et gausapatus,quam scapulisnudis aut semiteis.Omnes diescedant mihi ex voto,novæ gratulationessubtexantur prioribus ;non mihi placebo ob hoc.Muta in contrariumhanc indulgentiamtemporis :animus percutiaturhinc illinc, damno, luu,incursionibus variis,nulla hora omnino sitsine aliqua querela :non me dicam ideomiseruminter miserrima.

qui tendent la mainà l’aumône :qu’importe en effet à l’affaire,si un morceau de pain manque,à qui il ne manque pas de pouvoir mourir ?Qu’est-ce donc ?J’aime mieux cette maisonlendideque le pont.Place-moisur des tapis brillantset dans une magnificence raffinée :je ne me croiraien rien plus heureux,parce que à moi seraun vêtement moelleux,que la pourpresera étendue-sous moidans mes festins.Tu changesma magnificence :je ne serai en rien dans-un-état-plus-si ma tête fatiguée [malheureux,se reposerasur une poignée de foin,si je me-coucherai-surde la bourre du-cirque s’échappantpar les reprises d’une vieille toile.Qu’est-ce donc ?J’aime-mieux montrercombien de courage est en moi,vêtu-d’une-prétexte et d’une gausape,que les épaulesnues ou à demi-couvertes.Que tous les joursmarchent pour-moi selon mon vœuque de nouvelles félicitationsse cousent aux précédentes ;je ne me complairai pas pour cela.Change en sens contrairecette bienveillancedu temps :que mon âme soit frappéed’-ici de-là par les pertes, le deuil,par des assauts variés,qu’aucune heure absolument ne soitsans quelque sujet-de-plainte :je ne me dirai pas pour-celamalheureuxau milieu des choses les plus malheureuses,

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aliquem exsecrabor diem ; provisum est enim a me, nequis mihi ater dies esset. Quid ergo est ? malo gaudia tem-perare quamdolores compescere. Hoc tibi ille Socrates di-cet : « Fac me viorem universarum gentium ; delicatusille Liberi currus triumphantem usque ad ebas a so-lis ortu vehat ; jura reges Persarum petant : me hominemesse tum maxime cogitabo, quum deus undique consalu-tabor. Huic tam sublimi fastigio conjunge protinus præci-pitem mutationem : in alienum imponar ferculum, exor-naturus vioris superbi ac feri pompam : non humiliorsub alieno curru agar, quam in meo steteram. » Quid ergoest ? vincere tamen, quam capi malo. Totum fortunæ re-gnum deiciam : sed ex illo, si dabitur eleio, meliorasumam. Quidquid ad me venerit, bonum fiet : sed malofaciliora ac jucundiora veniant, et minus vexatura traan-tem. Non est enim quod ullam existimes esse sine laborevirtutem, sed quædam virtutes stimulis, quædam . . . .

maudirai aucun de mes jours ; j’ai pourvu à ce qu’il n’y en ait pointde néfaste pour moi. Que vous dirai-je pourtant que j’aimerais mieuxavoir à tempérer mes joies qu’à maîtriser mes douleurs. Voici ce quevous dira le grand Socrate. « Faites-moi vainqueur de toutes les nations ;que le voluptueux char de Bacchus me promène triomphant jusqu’àèbes depuis les lieux où naît le jour ; que les rois perses me demandentmes lois, je ne me souviendrai jamais mieux que je suis homme qu’àce moment où toutes les voix me salueront dieu. De ce faîte de gloire,précipitez-moi par un brusque retour sur le brancard ennemi pour ornerla pompe d’un triomphateur cruel et superbe : on ne me traînera pasplus humilié sous son char que quand j’étais debout sur le mien. » Quevous dirai-je pourtant ? J’aimerais mieux être vainqueur que captif. Toutle domaine de la fortune, je le dédaignerai ; mais de ce domaine, si onme donne le choix, je prendrai ce qu’il a de plus doux. Tout ce quim’adviendra se transformera en bien ; mais je préfère des éléments plusfaciles, plus agréables, moins rudes à mettre en œuvre. Car ne croyez pasqu’aucune vertu soit exempte de travail : seulement les unes ont besoind’aiguillon,

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non exsecrabor ideoaliquem diem.Provisum est enim a mene quis diesesset ater mihi.Quid est ergo ?Malo temperare gaudiaquam compescere dolores.Ille Socratestibi dicet hoc :« Fac me vioremgentium universarum ;ille currus delicatus Liberime vehat triumphantemab ortu solisusque ad ebas ;reges Persarumpetant jura :cogitabo me esse hominemtum maxime quum undiqueconsalutabor deus.Conjunge protinushuic fastigio tam sublimimutationem præcipitem :imponarin ferculum alienum,exornaturus pompamvioris superbi ac feri :non agar humiliorsub curru alienoquam steteram in meo. »Quid est ergo ?Malo tamen vincerequam capi.Deiciamtotum regnum fortunæ :sed ex illo,si eleio dabitur,sumam meliora.Quidquid venerit ad mefiet bonum :sed malo facilioraac jucundioraet vexatura minustraantem, veniant.Non est enim quodexistimes ullam virtutemesse sine labore,sed quædam virtutesegent stimulis,

je ne maudirai pas pour-ce-motifquelque jour.Il a été pourvu en effet par moipour qu’aucun journe fût sombre pour moi.Qu’est-ce donc ?J’aime-mieux tempérer des joiesque comprimer des douleursCe-fameux Socratete dira ceci :« Fais-moi vainqueurdes peuples tous-ensemble ;que ce char voluptueux de Bacchusme promène triomphantdu levant du soleiljusqu’à èbes ;que les rois des Persesme demandent des lois :je songerai que je suis hommealors surtout que de-partoutje serai salué dieu.Joins sans-interruptionà ce sommet si élevéun changement brusque :que je sois placésur le brancard d’-autrui,devant orner le cortèged’un vainqueur superbe et farouche :je ne serai pas poussé plus humblesous le char d’-autruique je n’étais debout sur le mien. »Qu’est-ce donc ?J’aime-mieux pourtant être-vainqueurque d’être pris.Je dédaigneraitout l’empire de la fortune :mais de cet empire-làsi le choix me sera donné,je prendrai le meilleur.Tout ce qui sera arrivé vers moi,sera rendu un bien :mais je préfère que des choses plus facileset plus agréableset devant tourmenter moinsmoi les maniant, m’arrivent.Il n’est pas en effet de motif pour quetu croies qu’aucune vertusoit sans travail,mais certaines vertusont besoin d’aiguillons,

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frænis egent. Quemadmodum corpus in proclivi retineridebet, adversus ardua impelli, ita quædam virtutes in pro-clivi sunt, quædam clivum subeunt. An dubium sit quinescendat, nitatur, obluetur patientia, fortitudo, perse-verantia, et quæcumque alia duris opposita virtus est, etfortunam subigit ? Quid ergo ? non æque manifestum estper devexum ire liberalitatem, temperantiam, mansuetu-dinem ? In his continemus animum, ne prolabatur : inillis exhortamur, incitamusque. Acerrimas ergo pauper-tati adhibebimus illas, quæ impugnatæ fiunt fortiores : di-vitiis illas diligentiores, quæ suensum gradum ponunt,et pondus suum sustinent.

XXVI. Quum hoc ita divisum sit, malo has in usu mihiesse, quæ exercendæ tranquillius sunt, quam eas, quarumexperimentum sanguis et sudor est. Ergo non aliter, inquitsapiens, vivo quam loquor, sed vos aliter auditis. Sonustantummodo verborum ad aures vestras pervenit ; quidsignificet, non . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

comme les autres de frein. De même que sur une descente il faut aucorps une force qui le retienne, et, pour monter, une impulsion ; ainsicertaines vertus suivent un plan incliné, d’autres gravissent laborieuse-ment. Doutez-vous qu’il y ait ascension, effort, lutte opiniâtre dans la pa-tience, le courage, la persévérance, dans toute vertu qui fait face aux duresépreuves de la vie et qui dompte le sort ? Et, d’autre part, n’est-il pas ma-nifeste que la libéralité, la modération, la mansuétude, ne font qu’aller surune pente ? Là nous retenons notre âme qui pourrait glisser trop avant :ailleurs nous l’exhortons, nous la stimulons. Ainsi nous emploierons enprésence de la pauvreté les plus énergiques vertus, celles chez qui les at-taques augmentent le courage : et nous réserverons à la richesse les plussoigneuses, qui vont d’un pas circone et savent tenir leur équilibre.

XXVI. Cette distinion ainsi faite, je préférerai pour mon usage cellesdont l’exercice est plus paisible à celles dont l’essai veut du sang et dessueurs, « Ce n’est donc pas moi, dira le sage, qui vis autrement que je neparle ; c’est vous qui entendez autrement. Le son des paroles frappe seulvotre oreille ; leur sens, vous ne le cherchez pas. » « Quelle est

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quædam frænis.Quemadmodum corpusdebet retineri in proclivi,impelli adversus ardua,ita quædam virtutessunt in proclivi,quædam subeunt clivum.An sit dubiumquin patientia,fortitudo, perseverantiaet quæcumque alia virtusest opposita duriset subigit fortunam,escendat, nitatur,obluetur ?Quid ergo ?Non est æque manifestumliberalitatem,temperantiam,mansuetudinemire per devexum ?In his continemus animum,ne prolabatur :in illis, exhortamur,incitamusque.Ergo adhibebimuspaupertatiillas acerrimas,quæ impugnatæfiunt fortiores :divitiis illasdiligentioresquæ ponuntgradum suensum,et sustinent suum pondus.

XXVI. Quum hoc sitdivisum itamalo esse mihi in usuhas quæ sunt exercendætranquillius,quam easquarum experimentumest sanguis et sudor.Ergo, inquit sapiens,non vivo aliterquam loquor,sed vos auditis aliter.Sonus verborumtantummodopervenit ad vestras aures ;

certaines de freins.De-même-que le corpsdoit être retenu sur un endroit en-pente,être poussé contre ceux qui-montent,de même certaines vertus,sont sur une pente,certaines gravissent une côte.Est-ce-qu’il serait douteuxque la patience,le courage, la persévéranceet toute autre vertu quiest opposée aux épreuveset dompte la fortune,ne monte, ne s’efforce,ne lutte-contre ?Quoi donc ?N’est-il pas également évidentque la libéralité,la tempérance,la mansuétudevont le long-d’une pente ?Dans celles-ci nous contenons notre âmepour qu’elle ne tombe pas-en-avant :dans celle-là nous l’exhortons,et nous la stimulons.Donc nous appliqueronsà la pauvretéces vertus très énergiques,qui attaquéesdeviennent plus courageuses :aux richesses ces autres vertusplus soigneusesqui posentun pied suendu (qui n’appuie pas)et soutiennent leur poids (équilibre).

XXVI. Puisque cela estdistingué ainsi,j’aime-mieux être à moi en usageces vertus qui sont à-exercerplus paisiblement,que cellesdont l’épreuveest du sang et de la sueur.Donc, dit le sage,je ne vis pas autrementque je ne parle,mais vous l’entendez autrement.Le son des motsseulementarrive à vos oreilles ;

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quæritis. « Quid ergo inter me stultum, et te sapienteminterest, si uterque habere volumus ? » Plurimum. Divi-tiæ enim apud sapientem virum in servitute sunt, apudstultum in imperio ; sapiens divitiis nihil permittit, vobisdivitiæ omnia. Vos, tanquam aliquis vobis æternam pos-sessionem earum promiserit, assuescitis illis, et cohære-tis : sapiens tunc maxime paupertatem meditatur, quumin mediis divitiis constitit. Nunquam imperator ita pacicredit, ut non se præparet bello, quod, etiamsi non geri-tur, indium est. Vos domus formosa, tanquam nec ar-dere nec ruere possit, insolentes vos opes, tanquam per-iculum omne transcenderint, majoresque sint quam qui-bus consumendis satis virium habeat fortuna, obstupefa-ciunt ! Otiosi divitiis luditis, nec providetis illarum per-iculum : sicut barbari plerumque inclusi, et ignari machi-narum, segnes laborem obsidentiumeant, nec quo illapertineant, quæ ex longinquo struuntur, . . . . . . . .

donc la différence entre moi, le fou, et vous, le sage, si vous commemoi nous voulons posséder ? » Elle est très grande. Chez le sage,la richesse est esclave ; chez l’insensé, elle est souveraine ; le sagen’attribue aucun droit sur lui même aux richesses, et vous, c’est d’ellesque vous tenez tout. Vous, comme si l’on vous en eût garanti l’éternellepossession, vous vous y affeionnez, vous faites corps avec elles : lesage, au contraire, ne pense jamais tant à la pauvreté que quand il nagedans l’opulence. Comme un non général, il ne croit jamais tellementà la paix qu’il ne se prépare à une guerre qui, alors même que leshostilités ne sont pas engagées, est pourtant déclarée. Vous êtes fiersd’une maison magnifique, comme si elle ne pouvait ni prendre feuni s’écrouler ; vos yeux s’éblouissent d’une fortune inaccoutumée,comme si elle avait franchi tout écueil, désormais assez colossale pourque toutes les attaques du sort soient impuissantes à la ruiner. Vousjouez indolemment avec les richesses, vous n’en prévoyez pas le péril ;ainsi d’ordinaire les barbares qu’on assiège ne connaissant pas nosmachines, regardent les travaux des assaillants sans bouger et ne com-

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non quæritisquid significet.« Quid ergo interestinter me stultumet te sapientem,si uterque volumus habere ? »Plurimum.Divitiæ enimsunt in servituteapud virum sapientem,apud stultumin imperio.Sapiens permittit nihildivitiis ;vobis divitiæ omnia.Vos illis assuescitiset cohæretis,tanquam aliquisvobis promiseritpossessionem æternamearum :sapiens meditaturpaupertatem,tunc maxime quum constititin mediis divitiis.Nunquam imperatorcredit ita paciut non se præparet bello,quod, etiamsi non geritur,est indium.Formosa domus,tanquam possitnec ardere, nec ruere,vos ;opes insolentes,tanquam transcenderintomne periculumsintque majoresquam ut fortunahabeat satis viriumeis consumendis,vos obstupefaciunt !Otiosi luditis divitiis,nec providetispericulum illarum :sicut plerumque barbariinclusi,et ignari machinarumeant segneslaborem obsidentium,

vous ne cherchez pasce qu’il signifie.« Quoi donc diffèreentre moi insenséet toi sage,si l’un-et-l’autre nous voulons posséder ? »Beaucoup.Les richesses, en effet,sont en esclavagechez l’homme sage ;chez l’insensé,elles sont au pouvoir.Le sage ne permet rienaux richesses ;à vous les richesses permettent toutVous, vous vous y habituezet vous vous y attachez,comme-si quelqu’unvous avait promisla possession éternelled’elles :le sage méditesur la pauvreté,alors surtout qu’il se-tientau milieu des richesses.Jamais un généralne croit tellement à la paixqu’il ne se prépare à une guerrequi, quoiqu’elle ne se fasse pas,a été déclarée.Une belle maison,comme-si elle ne pouvaitni brûler, ni s’écrouler,vous frappe de stupeur ;des richesses inaccoutumées,comme si elles avaient dépassétout dangeret étaient trop grandespour que la fortuneeût assez de forcespour elles devant être détruites,vous frappent-de-stupeur !Oisifs vous jouez avec les richesses,et vous ne prévoyez pasle danger d’elles :comme d’ordinaire les barbaresenfermés dans une place,et ignorant les machinescontemplent indolentsle travail des assiégeants,

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intelligunt. Idem vobis evenit : marcetis in vestris rebus,nec cogitatis quot casus undique immineant, jam jamquepretiosa olia laturi Sapienti quisquis abstulerit divitias,omnia illi sua relinquet : vivit enim præsentibus lætus,futuri securus. « Nihil magis, Socrates inquit, aut aliquisalius, cui idem jus adversus humana atque eadem potes-tas est, persuasimihi, quamne ad opiniones vestras aumvitæ meæ fleerem. Solita conferte undique verba : nonconviciari vos putabo, sed vagire velut infantes miserri-mos. » Hæc dicet ille, cui sapientia contigit ; quem animusvitiorum immunis increpare alios, non quia odit, sed inremedium, jubet. Adjiciet his illa : « Existimatio me vestranon meo nomine, sed vestro movet, quia calamitatis estodisse, et lacessere virtutem bonæ ei ejuratio est. Nul-lam mihi injuriam facitis ; sicut ne diis quidem hi qui arasevertunt : sed malum propositum . . . . . . . . . . .

prennent pas à quoi tendent ces ouvrages qui s’élèvent si loin d’eux.Lamême chose vous arrive : engourdis aumilieu de votre avoir, vousne songez pas combien d’accidents de toutes parts vous menacent,qui tout à l’heure vous raviront ces précieuses dépouilles. Ôtez ausage les richesses, tous ses vrais biens lui resteront ; car il vit satisfaitdu présent, tranquille sur l’avenir. « Il n’est rien, dira Socrate ouquiconque pourra juger les choses humaines avec la même autorité,il n’est rien que je me sois autant promis que de ne pas plier à vospréjugés la conduite de ma vie. Ramassez de tous côtés contre moivos propos ordinaires, je ne prendrai pas cela pour des injures, maispour de misérables vagissements d’enfants. » Ainsi parlera l’hommeen possession de la sagesse, l’homme auquel une âme exempte detout vice fait une loi de gourmander les autres, non qu’il les haïsse,mais pour les guérir. Il ajoutera encore : « Votre opinion m’inquiète,non pour mon compte, mais pour le vôtre ; c’est un malheur que dehaïr et de harceler la vertu, c’est abjurer l’eoir de revenir au bien.Vous ne me faites, à moi, aucun tort, pas plus qu’aux dieux ceux quirenversent leurs autels ; mais l’intentionmauvaise estmanifeste, et le

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nec intelliguntquo pertineant illaquæ struunturex longinquo.Idem vobis evenit :marcetis in vestris rebus,nec cogitatis quot casusimmineant undique,laturi jam jamquepretiosa olia.Quisquis abstuleritsapienti divitias,illi relinquetomnia sua ;vivit enimlætus præsentibus,securus futuri.« Persuasi mihi nihilinquit Socrates,aut aliquis aliuscui est idem jusatque eadem potestasadversus humana,magis quam ne fleeremad vestras opinionesaum meæ vitæ.Conferte undiqueverba solita :putabo vos non conviciari,sed vagirevelut miserrimos infantes. »Ille cui sapientia contigit,quem animusimmunis vitiorumjubet increpare alios,non quia odit,sed in remedium,dicet hæc.Adjiciet his illa :« Vestra existimatiome movet,non meo nomine,sed vestro,quia odisse est calamitatis,et lacessere virtutemest ejuratio bonæ ei.Facitis mihinullam injuriam,sicut hi qui evertunt arasne diis quidem :

et ne comprennent pasoù tendent ces ouvragesqui s’élèventau loin.La même chose vous arrive :vous vous flétrissez dans vos biens,et ne songez pas combien de hasardsvous menacent de-toutes-parts,devant emporter d’un instant à l’autrevos précieuses dépouilles.Quiconque aura enlevéau sage les richesses,lui laisseratous ses biens propres ;il vit en effetsatisfait du présent,insouciant de l’avenir.« Je ne me suis persuadé rien,dit Socrate,ou quelque autreauquel est le même droitet le même pouvoircontre les choses humaines,plus que de ne pas plierà vos opinionsla conduite de ma vie.Ramassez de-tous-côtésvos propos habituels :je croirai que vous n’injuriez pas,mais que vous vagissezcomme de très malheureux enfants. »Celui à qui la sagesse est échue.qu’une âmeexempte de vicesinvite à gourmander les autres,non parce qu’il les hait,mais pour leur guérison,dira cela.Il ajoutera à ces paroles celles-ci :« Votre appréciationme touchenon en mon nom,mais au vôtre,parce-qu’haïr la vertu, c’est du malheur,et que persécuter la vertuest l’abjuration du bon eoir.Vous ne faites à moiaucun tort,de même-que ceux qui renversent les autelsn’en font non-plus aux dieux :

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apparet, malumque consilium, etiam ibi ubi nocere nonpotuit. Sic vestras halucinationes fero, quemadmodum Ju-piter optimus maximus ineptias poetarum : quorum aliusilli alas imposuit, alius cornua, alius adulterum illum in-duxit, et abnoantem, alius sævum in deos, alius ini-quum in homines, alius raptorum ingenuorum corrupto-rem, et cognatorum quidem ; alius parricidam, et regnialieni paternique expugnatorem. Quibus nihil aliud ac-tum est, quam ut pudor hominibus peccandi demeretur,si tales deos credidissent. Sed quamquam istame nihil læ-dant, vestra tamen vos moneo causa : suicite virtutem.Credite his, qui illam diu secuti, magnum quiddam ipsos,et quod in dies majus appareat, sequi clamant. Et ipsamut deos, et professores ejus ut antistites colite, et quotiesmentio sacra litterarum intervenerit, favete linguis ! » Hocverbum non, ut plerique existimant, . . . . . . . . . .

dessein est coupable, lors même qu’il n’a pu nuire. Je supporte voshallucinations comme le grand Jupiter souffre dans sa bonté les im-pertinences des poètes qui l’ont affublé, celui ci d’un plumage, celui-là de cornes ; qui l’ont représenté adultère et découchant ; qui en ontfait un maître cruel envers les dieux, injuste envers les hommes, ra-visseur et corrupteur de nobles adolescents, de ses proches même,enfin parricide et usurpateur du trône de son roi, de son père. Toutcela n’allait à autre chose qu’à ôter aux hommes la honte demal faire,s’ils avaient cru que les dieux fussent ainsi.

Mais si vos propos ne me blessent en rien, toutefois, c’est pourl’amour de vous que je vous avertis : reeez la vertu. Croyez-enceux qui l’ont suivie longtemps, et qui vous crient qu’ils suivent enelle quelque chose de grand, quelque chose qui de jour en jour leurapparaît plus grand encore. Honorez-la, elle aussi bien que les dieux,et ceux qui la prêchent, aussi bien que ses pontifes ; et à chaquesouvenir des livres sacrés que par moment on invoquera : prêtez unsilence favorable. » Cette formule n’indique pas, comme le croit lafoule, une faveur qu’on réclame ; mais on

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sed propositum malummalumque consiliumapparet etiam ibi ubinon potuit nocere.Ferovestras halucinationes,sic quemadmodum Jupiteroptimus maximusineptias poetarum,quorum aliusilli imposuit alas,alius cornua,alius illum induxitadulterumet abnoantem,alius sævum in deos,alius iniquum in homines.alius corruptoremingenuorum,et quidemcognatorum raptorum ;alius parricidamet expugnatoremregni alieni paternique.Quibus nihil aliudest aumquam ut pudor peccandidemeretur hominibus,si credidissent deos tales.Sed quamquam istame lædant nihil,vos moneo tamenvestra causa :suicite virtutem.Credite his quiillam secuti diu,clamant ipsos sequiquiddam magnum,et quod appareatmajus in dies.Colite et ipsam ut deos,et professores ejusut antistites,et quoties mentio sacralitterarumintervenerit,favete linguis ! »Hoc verbum non trahitura favore,ut plerique existimant ;

mais un dessein coupableet une coupable résolutionse manifestent même là oùils n’ont pu nuire.Je supportevos hallucinations,de-la-même-façon que Jupitertrès bon, très grandsupporte les impertinences des poètes,dont l’unlui a donné des ailes,l’autre des cornes,l’autre l’a représentéadultèreet découchant,l’autre, cruel envers les dieux,l’autre, injuste envers tes hommes,l’autre, corrupteurd’hommes libres,et mêmede ses parents enlevés par lui ;l’autre, parricideet usurpateurdu trône d’-autrui et paternel.Par lesquelles impertinences rien d’autren’a été faitsinon que la honte de mal-fairefût enlevée aux hommes,s’ils avaient cru les dieux tels.Mais quoique ces (vos) proposne me blessent en rien,je vous avertis cependantdans votre intérêt ;admirez la vertu.Croyez ceux quil’ayant suivie longtemps,proclament qu’ils suiventquelque chose de grand,et qui leur apparaîtplus grand de jours en jours.Honorez et elle même comme les dieux,et les professeurs d’ellecomme les pontifes,et chaque-fois-que la mention sacréedes lettres (des ouvrages des philosophes)sera intervenue,soyez-favorables par vos langues ! »Cette formule n’est pas tiréede la faveur,comme la plupart se le figurent ;

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a favore trahitur ; sed imperatur silentium, ut rite peragipossit sacrum, nulla voce mala obstrepente.

XXVII. Quod multo magis necessarium est imperarivobis, ut, quoties aliquid ex illo proferetur oraculo, intentiet compressa voce audiatis. Quum sistrum aliquis concu-tiens ex imperio mentitur ; quum aliquis secandi lacer-tos suos artifex, brachia atque humeros suensa manucruentat ; quum aliquis genibus per viam repens ululat,laurumque linteatus senex, et medio lucernam die præ-ferens, conclamat iratum aliquem deorum : concurritiset auditis, et divinum esse eum, invicem mutuum alentesstuporem, affirmatis. Ecce Socrates ex illo carcere, quemintrando purgavit, omnique honestiorem curia reddidit,proclamat : « Quis iste furor ? quæ ista inimica diis ho-minibusque natura est, infamare virtutes, et malignis ser-monibus sana violare ? Si potestis, bonos laudate : si mi-nus, transite. Quod si vobis exercere tetram istam licen-tiam placet, alter in alterum incursitate ; . . . . . . . .

commande le silence pour que les saintes pratiques puissent s’achever dansl’ordre prescrit, sans que nulle parole funeste les vienne troubler.

XXVII. Il est bien plus essentiel encore de vous commander ce silence,pour qu’à chaque oracle énoncé par elle vous écoutiez avec l’attention la plusrecueillie. Qu’un imposteur par état s’en vienne agitant son sistre ; qu’unhomme, habile à se taillader les membres, ensanglante d’une main légère sesbras et ses épaules ; qu’un autre hurle en rampant sur ses genouxdans les rues,ou qu’un vieillard en robe de lin, tenant une branche de laurier et une lanterneen plein jour, crie de toute sa force que quelque dieu est irrité, vous accoureztous, vous êtes tout oreilles : il est iniré, affirmez-vous ; et de l’ébahissementdes uns s’augmente rehaussement des autres. Mais voici Socrate qui, de celteprison purifiée par sa présence et devenue plus reeable que pas un sénat,vous adresse ce langage : « Quelle est cette frénésie ? quelle est cette natureennemie des dieux et des hommes, qui vous fait diffamer les vertus, et dansvos propos malfaisants violer les choses saintes ? Si vous le pouvez, louez lesbons ; sinon, passez outre. Que s’il vous plaît de donner cours à votre odieuselicence, ruez-vous les uns contre les autres. Lorsque

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sed silentium imperatur,ut sacrum possitperagi rite,nulla voce malaobstrepente.

XXVII. Quod estmulto magis necessariumvobis imperari,ut quoties aliquidproferetur ex illo oraculo,audiatis intentiet voce compressa.Quum aliquisconcutiens sistrummentitur ex imperio ;quum aliquis artifexsecandi suos lacertos,cruentat manu suensabrachia atque humeros ;quum aliquis ululatrepens genibus per viam,senexque linteatuspræferens laurumet lucernam medio die,conclamataliquem deorum iratum,concurritiset auditis,et affirmatis eum essedivinum,alentes invicemstuporem mutuum.Ecce Socrates proclamatex illo carcerequem purgavit intrando,reddiditque honestioremomni curia :« Quis iste furor ?quæ est ista natura inimicadiis hominibusque,infamare virtutes,et violare sanasermonibus malignis ?Si potestis,laudate bonos :si minus, transite.Quod si vobis placetexercereistam licentiam tetram,incursitate

mais le silence est commandépour que le sacrifice puisseêtre accompli selon-les-rites,aucune parole de-mauvais-augurene le troublant.

XXVII. Ce qui estbien plus nécessaireque l’on vous commande,c’est que chaque-fois-que quelque parolesera prononcée par cet oracle,vous écoutiez attentifset votre voix étant étouffée.Quand un-hommeagitant un sistrement par ordre ;quand un-homme habileà taillader ses bras,ensanglante d’une main légèreses bras et ses épaules ;quand un-homme hurlerampant sur les genoux par la rue.et qu’un vieillard en-robe-de-lintenant-devant lui un laurieret une lanterne en plein jour,crie-de-toutes-ses-forcesque quelqu’un des dieux est irrité,vous accourez-touset écoutez,et vous affirmez qu’il estiniré-par-les-dieux,nourrissant les-uns-chez-les-autresun ébahissement mutuel.Voici que Socrate criede cette prisonqu’il a purifiée en y entrant,et a rendue plus nobleque tout palais-du-sénat :« Quel est ce délirequelle est cette nature ennemiedes dieux et des hommes,de calomnier les vertus,et de violer les choses saintespar des propos malveillants ?Si vous le pouvez,louez les hommes de biensinon, passez.Que s’il vous plaîtd’exercercette licence odieusejetez-vous

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nam quum in cælum insanitis, non dico, sacrilegium fa-citis, sed operam perditis. Præbui ego aliquando Aristo-phani materiam jocorum : tota illa comicorum poetarummanus in me venenatos sales suos effudit. Illustrata estvirtus mea, per ea ipsa per quæ petebatur ; produci enimilli et tentari expedit ; nec ulli magis intelligunt quanta sitquam qui vires ejus lacessendo senserunt. Duritia silicisnulli magis quam ferientibus nota est. Præbeome non ali-ter quam rupes aliqua in vadosomari destituta, quamfluc-tus non desinunt, undecumque moti sunt, verberare : necideo aut loco eam movent, aut per tot ætates crebro in-cursu suo consumunt. Assilite, facite impetum : ferendovos vincam. In ea, quæ firma et insuperabilia sunt, quid-quid incurrit, malo suo vim suam exercet. Proinde quæ-rite aliquammollem cedentemquemateriam, in quam telavestra figantur. Vobis autem vacat aliena . . . . . . . .

en effet votre folie s’attaque au ciel même, je ne dis pas quevous faites un sacrilège, mais vous perdez votre peine. Moi, j’aifourni jadis matière aux bouffonneries d’Aristophane : toutecette poignée de poètes burlesques a vomi contre moi ses sar-casmes envenimés. Ma vertu a dû son plus beau lustre aux at-teintes qu’on lui portait : car le grand jour et les persécutions laservent, et nul n’apprécie mieux tout ce qu’elle vaut que ceux quiont éprouvé ses forces en la provoquant. La dureté du cailloune se fait bien connaître qu’à ceux qui le frappent. Je me livreà vos coups comme un rocher isolé sur une mer houleuse : lesflots, quelque vent qui les pousse, le battent incessamment, sanspour cela l’ébranler de sa base ni, malgré tant de siècles et des at-taques perpétuelles, le détruire. Attaquez-moi, donnez l’assaut :c’est en vous supportant que je triompherai. Contre une force in-surmontable, toute agression, si vive qu’elle soit, ne fait tort qu’àelle-même. Cherchez donc quelque matière plus molle, plusprompte à céder, où puissent s’enfoncer vos traits. Avez-vous

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alter in alterum ;nam quuminsanitis in cælum,non dico,facitis sacrilegium,sed perditis operam.Ego præbui aliquandoAristophanimateriam jocorum :tota illa manuspoetarum comicorumeffudit in mesuos sales venenatos.Mea virtus est illustrataper ea ipsaper quæ petebatur ;expedit enim illiproduci et tentari ;nec ulli magis intelliguntquanta sit,quam quisenserunt vires ejuslacessendo.Duritia silicisnota est nullimagis quam ferientibus.Præbeo me non aliterquam aliqua rupes destitutain mari vadoso,quam fluusnon desinunt verberare,undecumque sunt moti ;nec ideoaut eam movent loco,aut per tot ætatesconsumuntsuo incursu crebro.Assilite,facite impetum :vincam ferendo vos.Quidquid incurritea quæ sunt firmaet insuperabilia,exercet suam vimsuo malo.Proinde quæritealiquam materiammollem cedentemque,in quam vestra telafigantur.

l’un sur l’autre ;car lorsquevous êtes-furieux contre le ciel.je ne dis pas,vous faites un sacrilège,mais vous perdez votre peine.Moi j’ai fourni autrefoisà Aristophaneune matière de plaisanteries :toute cette poignéede poètes comiquesa répandu sur moises sarcasmes empoisonnés.Ma vertu a été mise-en-lumièrepar ces moyens mêmespar lesquels elle était attaquée ;il est-avantageux en effet pour elled’être produite et d’être éprouvéeet aucuns ne comprennent mieuxcombien-grande elle est,que ceux quiont senti les forces d’elleen la persécutant.La dureté du cailloun’est connue de personneplus que de ceux qui le frappe.Je présente moi non autrementqu’un rocher isolésur une mer semée-de bas-fonds,que les flotsne cessent pas de battre,de-quelque-côté-qu’ils soient poussés ;ni pour-celaou ils ne le font-bouger de place,ou pendant tant de sièclesils ne le détruisentpar leur attaque répétée.Élancez-vous-sur moi,donnez l’assaut :je triompherai, en vous supportant.Tout-ce-qui se-jette-surces obstacles qui sont fermeset insurmontables,exerce sa forceà son détriment.Donc cherchezquelque matièremolle et non-résistante,dans laquelle vos traitspuissent-être-enfoncés.

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scrutari mala, et sententias ferre de quoquam ? Quare hicphilosophus laxius habitat, quare hic lautius cœnat ? Pa-pulas observatis alienas, obsiti plurimis ulceribus. Hoctale est, quale si quis pulcherrimorum corporum næ-vos aut verrucas derideat, quem fœda scabies depascitur.Objicite Platoni quod petierit pecuniam ; Aristoteli quodacceperit ; Democrito, quod neglexerit ; Epicuro, quodconsumpserit ; mihi ipsi Alcibiadem et Phædrum objec-tate. O vos usu maxime felices, quum primum vobis imi-tari vitia nostra contigerit ! Quin potius mala vestra cir-cumicitis, quæ vos ab omni parte confodiunt, alia gras-santia extrinsecus, alia in visceribus ipsis ardentia ? Noneo loco res humanæ sunt, etiamsi statum vestrum parumnostis, ut vobis tantum otii supersit, ut in probra melio-rum agitare linguam vacet.

XXVIII. Hoc vos non intelligitis, et alienum fortunævestræ vultum geritis : sicut plurimi quibus in circo aut intheatro desidentibus, jam funesta domus est, nec annun-tiatum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

bien le loisir de scruter les faibles d’autrui, de vous faire juges de qui que cesoit ? « Pourquoi ce philosophe est-il si largement logé ? Pourquoi ce sage a-t-il si bonne table ? » Vous prenez garde aux pustules d’autrui, vous, sillonnésde tant d’ulcères. C’est comme qui rirait des taches rares d’un beau corpsou des moindres verrues, quand une lèpre hideuse le dévorerait lui-même.Reprochez à Platon d’avoir demandé de l’argent, à Aristote d’en avoir reçu, àDémocrite de s’en être peu soucié, à Épicure de l’avoir dissipé ; reprochez-moisans cesseAlcibiade et Phèdre.Ô trop heureuse la vie dont vous jouirez, le jouroù il vous sera donné d’imiter nos vices ! Que ne tournez-vous plutôt votreclairvoyance sur ces mauvaises passions qui de tous côtés vous poignardent,les unes vous assaillant du dehors, les autres consumant jusqu’à vos entrailles ?Non, les choses humaines n’en sont pas à ce point que, malgré l’ignorance oùvous êtes de votre situation, vous ayez du loisir assez pour exercer vos languesà insulter qui vaut mieux que vous. »

XXVIII. Voilà ce que vous ne comprenez pas ; vous portez un visage mal-séant à votre fortune, comme tant d’autres, tranquillement assis au cirque ouau théâtre, quand déjà leur

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Vacat autem vobisscrutari mala alienaet ferre sententiasde quoquam ?Quare hic philosophushabitat laxius ?quare hic cœnatlautius ?Observatis papulas alienas,obsiti plurimis ulceribus.Hoc est talequale si quisquem scabies fœdadepascitur,derideat nævosaut verrucas corporumpulcherrimorum.Objicite Platoniquod petierit pecuniam ;Aristoteli quod acceperit ;Democrito quod neglexerit,Epicuro quod consumpseritobjeate mihi ipsiAlcibiadem et PhædrumO vos maxime felices usu,quum primumvobis contigeritimitari nostra vitia !Quin circumicitispotius vestra vitiaquæ vos confodiuntab omni parte,alia grassantia extrinsecusalia ardentiain visceribus ipsis ?Res humanæ non sunteo loco,etiamsi nostis parumvestrum statum,ut vobis supersittantum otiiut vacetagitare linguam in probrameliorum.

XXVIII. Vosnon intelligitis hoc,et geritis vultumalienum vestræ fortunæsicut plurimiquibus desidentibus

Mais loisir-est-il à vousde sonder les maux d’-autruiet de porter des jugementssur qui-que-ce-soit ?Pourquoi ce philosopheest-il logé plus au large ?pourquoi celui-ci soupe-t-ilplus magnifiquement ?Vous observerez les boutons d’-autrui,couverts de très nombreux ulcères.Cela est telque si quelqu’unqu’une gale hideusedévore,se moquait des signesou des verrues des corpsles plus beaux.Reprochez à Platonqu’il a demandé de l’argent ;à Aristote qu’il en a reçu ;à Démocrite qu’il l’a dédaigné ;à Épicure qu’il l’a dépensé :reprochez-sans-cesse à moi-mêmeAlcibiade et Phèdre.Ô vous bien heureux en pratique,aussitôt queil vous sera échud’imiter nos vices !Que-ne regardez-vous-autour-de vousplutôt vos vicesqui vous poignardentde toute part,les uns marchant sur vous du-dehorsles autres brûlantdans vos entrailles mêmes ?Les choses humaines ne sont pasdans une situation telle,quoique vous connaissiez peuvotre état,qu’il vous restetant de loisirqu’il vous soit-loisibled’exercer votre langue en injurescontre des hommes meilleurs que vous

XXIII. Vous,vous ne comprenez pas celaet vous portez un visagemalséant à votre fortunecomme beaucoupà qui étant assis

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malum. At ego ex alto proiciens, video quæ tempes-tates aut immineant vobis, paulo tardius rupturæ nimbumsuum, aut jam vicinæ vos ac vestra rapturæ, propius acces-serint. Quid porro ? nonne nunc quoque (etiamsi parumsentitis) turbo quidam animos vestros rotat, et involvit,fugientes petentesque eadem, et nunc in sublime alleva-tos, nunc in infima allisos rapit ?...

maison est en deuil d’une catastrophe qu’ils ne connaissent point. Moiqui d’en haut vois plus loin que vous, j’aperçois les orages qui grossissentsur vos têtes pour éclater un peu plus tard, ou qui. déjà proches etimminents, vont vous balayer vous et vos biens. Et que dis-je ? à présentmême, bien qu’à peine vous le sentiez, une sorte de tourbillon roule etenveloppe vos âmes tour à tour détachées et rapprochées des mêmesobjets : tantôt il vous élève jusqu’aux nues, tantôt il vous précipite etvous brise au fond des abîmes... »

Le reste manque.

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in circo aut in theatrodomus est jam funesta,nec malum annuntiatum.At ego proiciens ex alto,video quæ tempestatesaut vobis immineant,rupturæ paulo tardiussuum nimbum,aut jam vicinæaccesserint propius,rapturæ vos ac vestra.Quid porro ?Nonne quidam turbo rotatet involvit nunc quoque(etiamsi sentitis parum)vestros animos fugientespetentesque eadem,et rapit nunc allevatosin sublime,nunc allisos in infima ?...

au cirque ou au théâtrela maison est déjà en-deuil,sans que le malheur ait été annoncé.Mais moi regardant-au-loin d’en haut,je vois quelles tempêtesou vous menacent,devant crever un peu plus tardleur nuage,ou déjà voisinessont arrivées plus près,devant enlever vous et vos biens.Quoi de plus ?Est-ce qu’un certain tourbillon ne roule paset n’enveloppe pas maintenant même(quoique vous le sentiez peu)vos âmes qui fuientet cherchent les mêmes choses,et ne les entraîne pas tantôt élevéesdans les airs,tantôt brisées dans les abîmes ?...

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Imp. d’Éditions, 9, Rue Édouard-Jacques, Paris,