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20 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - 429 BIS Agents infectieux et induction de lymphomes Felipe Suarez a, * a Service d’hémaologie adultes Hôpital Necker – Enfants Malades 149, rue de Sèvres 75743 Paris cedex 15 * Correspondance [email protected] 1. Incidence et facteurs de risque des lymphomes L’incidence des lymphomes non hodgkiniens (LNH) a régulièrement augmenté au cours des deux dernières décennies du 20 e siècle, pour se stabiliser actuellement autour de 20/100 000 personnes par an aux Etats-Unis. Les lymphomes se développent au dépens de lymphocytes matures. À ce titre, ils peuvent retenir une des caracté- ristiques fondamentales de leur contrepartie normale, à savoir la capacité à réagir à leur environnement, à la fois antigénique, cytokinique ou cellulaire par des inte- ractions cellules-cellules. Plusieurs facteurs de risques de lymphomes ont été identifiés. Le principal facteur est l’immunodépression. Pour autant, l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ne représente qu’une des causes d’augmentation de l’incidence des LNH ces dernières années. 2. L’instabilité génétique intrinsèque des lymphocytes Tout au long de leur développement dans la moelle osseuse (lymphocytes B) et dans le thymus (lymphocytes T), et par la suite au cours des étapes successives de leur maturation/ différenciation en périphérie, les lymphocytes subissent des phases de prolifération cellulaire parfois massive, contrecarrée par une apoptose finement régulée (processus d’expansion clonale, réponse antigénique). Toute interfé- rence avec ces processus de prolifération et de contraction de la réponse immune peuvent bien sûr faire le lit de la transformation maligne. Une autre propriété intrinsèque des lymphocytes qui les rend hautement susceptibles à la transformation maligne repose sur leur fréquente instabilité génétique. Cette dernière est en effet consubstantielle du processus de développement précoce et de génération de la diversité du répertoire des récepteurs aux antigènes (immunoglobulines pour les lymphocytes B et récepteur T, TCR, pour les lymphocytes T) qui se fait par le réarran- gement somatique de différents segments géniques (VDJ) dans la moelle et le thymus. Les lymphocytes B matures en périphérie passent ensuite à travers plusieurs étapes d’instabilité génétique au cours de la réponse du centre germinatif, au cours de laquelle surviennent la commuta- tion isotypique (switch) permettant de passer de l’IgM aux autres isotypes, et l’hypermutation somatique permettant la maturation d’affinité de l’immunoglobuline. Ces deux processus se déroulent dans les centres germinatifs des organes lymphoïdes secondaires et sont indispensables à la réponse humorale efficace et à la génération de la mémoire B. 3. Facteurs de risque des lymphomes On voit alors que toute situation qui va conduire à une stimu- lation accrue de la prolifération lymphocytaire, qui entraîne des lymphocytes sujets aux réarrangements génétiques du fait de l’instabilité génétique intrinsèque au travers d’une phase où peuvent survenir des réarrangements aberrants impliquant notamment des oncogènes, peut favoriser le développement de lymphome. En sus, beaucoup des situations qui peuvent pousser les lymphocytes dans cette voie dangereuse vont également favoriser la survie des lymphocytes en interférant avec l’apoptose physiolo- gique. L’inflammation chronique, par exemple, va entraîner des stimulus favorables à la prolifération lymphocytaire, mais également, parfois indirectement, des stimulus anti- apoptotiques prolongeant la survie des lymphocytes déjà poussés à proliférer anormalement. Enfin, la production accrue de radicaux oxygénés au cours de l’inflammation chronique va également favoriser l’instabilité génétique propice à la transformation lymphoïde. 4. Agents infectieux dans l’induction des lymphomes Bien que les infections récapitulent la plupart de ces évé- nements, l’implication d’agents infectieux dans le déve- loppement de lymphomes, et les mécanismes impliqués dans leur transformation maligne, ne commencent à être élucidés que depuis deux décennies. 4.1. Le virus d’Epstein-Barr Le virus Epstein-Barr (EBV), de la famille des gamma- herpesviridae, est un virus lymphotrope B. Il est le premier virus oncogénique humain à avoir été identifié. C’est à partir de prélèvements de lymphome endémique en Ouganda, prélevés par le chirurgien britannique Denis Burkitt, que l’équipe d’Epstein au Royaume-Uni a mis en évidence © 2011 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

Agents infectieux et induction de lymphomes

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20 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - 429 BIS

Agents infectieux et induction de lymphomesFelipe Suarez a,*

a Service d’hémaologie adultesHôpital Necker – Enfants Malades149, rue de Sèvres75743 Paris cedex 15

* [email protected]

1. Incidence et facteurs de risque

des lymphomes

L’incidence des lymphomes non hodgkiniens (LNH) a régulièrement augmenté au cours des deux dernières décennies du 20e siècle, pour se stabiliser actuellement autour de 20/100 000 personnes par an aux Etats-Unis. Les lymphomes se développent au dépens de lymphocytes matures. À ce titre, ils peuvent retenir une des caracté-ristiques fondamentales de leur contrepartie normale, à savoir la capacité à réagir à leur environnement, à la fois antigénique, cytokinique ou cellulaire par des inte-ractions cellules-cellules. Plusieurs facteurs de risques de lymphomes ont été identifiés. Le principal facteur est l’immunodépression. Pour autant, l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ne représente qu’une des causes d’augmentation de l’incidence des LNH ces dernières années.

2. L’instabilité génétique

intrinsèque des lymphocytes

Tout au long de leur développement dans la moelle osseuse (lymphocytes B) et dans le thymus (lymphocytes T), et par la suite au cours des étapes successives de leur maturation/différenciation en périphérie, les lymphocytes subissent des phases de prolifération cellulaire parfois massive, contrecarrée par une apoptose finement régulée (processus d’expansion clonale, réponse antigénique). Toute interfé-rence avec ces processus de prolifération et de contraction de la réponse immune peuvent bien sûr faire le lit de la transformation maligne. Une autre propriété intrinsèque des lymphocytes qui les rend hautement susceptibles à la transformation maligne repose sur leur fréquente instabilité génétique. Cette dernière est en effet consubstantielle du processus de développement précoce et de génération de la diversité du répertoire des récepteurs aux antigènes (immunoglobulines pour les lymphocytes B et récepteur T, TCR, pour les lymphocytes T) qui se fait par le réarran-gement somatique de différents segments géniques (VDJ)

dans la moelle et le thymus. Les lymphocytes B matures en périphérie passent ensuite à travers plusieurs étapes d’instabilité génétique au cours de la réponse du centre germinatif, au cours de laquelle surviennent la commuta-tion isotypique (switch) permettant de passer de l’IgM aux autres isotypes, et l’hypermutation somatique permettant la maturation d’affinité de l’immunoglobuline. Ces deux processus se déroulent dans les centres germinatifs des organes lymphoïdes secondaires et sont indispensables à la réponse humorale efficace et à la génération de la mémoire B.

3. Facteurs de risque

des lymphomes

On voit alors que toute situation qui va conduire à une stimu-lation accrue de la prolifération lymphocytaire, qui entraîne des lymphocytes sujets aux réarrangements génétiques du fait de l’instabilité génétique intrinsèque au travers d’une phase où peuvent survenir des réarrangements aberrants impliquant notamment des oncogènes, peut favoriser le développement de lymphome. En sus, beaucoup des situations qui peuvent pousser les lymphocytes dans cette voie dangereuse vont également favoriser la survie des lymphocytes en interférant avec l’apoptose physiolo-gique. L’inflammation chronique, par exemple, va entraîner des stimulus favorables à la prolifération lymphocytaire, mais également, parfois indirectement, des stimulus anti-apoptotiques prolongeant la survie des lymphocytes déjà poussés à proliférer anormalement. Enfin, la production accrue de radicaux oxygénés au cours de l’inflammation chronique va également favoriser l’instabilité génétique propice à la transformation lymphoïde.

4. Agents infectieux

dans l’induction des lymphomes

Bien que les infections récapitulent la plupart de ces évé-nements, l’implication d’agents infectieux dans le déve-loppement de lymphomes, et les mécanismes impliqués dans leur transformation maligne, ne commencent à être élucidés que depuis deux décennies.

4.1. Le virus d’Epstein-Barr

Le virus Epstein-Barr (EBV), de la famille des gamma-herpesviridae, est un virus lymphotrope B. Il est le premier virus oncogénique humain à avoir été identifié. C’est à partir de prélèvements de lymphome endémique en Ouganda, prélevés par le chirurgien britannique Denis Burkitt, que l’équipe d’Epstein au Royaume-Uni a mis en évidence

© 2011 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

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53es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR

des particules virales ressemblant à des virus de la famille Herpes par microscopie électronique et a secondairement isolé le virus qui porte aujourd’hui son nom. L’EBV infecte naturellement les cellules épithéliales de l’oropharynx où il établit une infection lytique. Les particules infectieuses ainsi produites infectent ensuite les lymphocytes B naïfs du tissu lymphoïde de l’amygdale où le virus établit ensuite une infection latente, c’est-à-dire sans production de virions infectieux. Pendant cette phase de latence, seuls quelques gènes viraux sont exprimés et impriment un effet marqué sur les lymphocytes B qui hébergent le génome viral. On décrit aujourd’hui un premier programme d’ex-pression des gènes de latence de l’EBV appelé latence de type III ou programme de transformation et de crois-sance, qui récapitule l’effet immortalisant du virus sur des lymphocytes B en culture. Sous l’action du gène EBNA2, plusieurs gènes cellulaires impliqués dans la prolifération (notamment c-myc) sont induits. EBNA2 active aussi plu-sieurs autres gènes viraux impliqués dans la transformation cellulaire notamment LMP1 et LMP2. LMP1 agit comme un analogue constitutivement activé du récepteur CD40, délivrant au lymphocyte B un puissant signal de costimu-lation identique à celui qu’il reçoit normalement au cours de la réponse du centre germinatif par le truchement du CD40L exprimé sur les lymphocytes T CD4. LMP2 délivre un signal de survie semblable à celui qui émane du récep-teur B (immunoglobuline de surface) et active notamment plusieurs molécules de transduction du signal, convergeant vers l’activation de la voie NFkB. Les gènes EBNA3A, 3B et 3C sont également activés par EBNA2 et exercent secondairement un rétrocontrôle négatif sur la proliféra-tion et sur l’effet d’EBNA2, conduisant finalement à une transition vers une latence de type II (LMP) puis de type I (EBNA1) à mesure que le lymphocyte B, sous l’action coor-données des gènes de latence de l’EBV, se différencie en lymphocyte B mémoire qui va re-circuler tout au long de la vie de l’individu, hébergeant quelques copies du génome viral quiescent. Contrairement aux protéines LMP1 et LMP2, la protéine EBNA1 n’est pas à proprement parler oncogénique. Elle permet en revanche au génome viral, contenu dans les cellules infectées de manière latente, de se répliquer en même temps que le génome cellulaire, au cours de la division cellulaire, en cooptant la machinerie réplicative de la cellule eucaryote, sans intervention par conséquent de la polymérase virale uniquement active au cours du cycle lytique. Par la suite, au cours de différents stimulus, certains lymphocytes B mémoires infectés par l’EBV vont, en se différenciant en plasmocytes, réactiver le cycle lytique du virus, conduisant à la mort de la cellule, à la libération de plusieurs particules infectieuses qui vont ainsi pouvoir recommencer un cycle en infectant de nou-veaux lymphocytes B naïfs et ainsi perpétuer l’infection. Si l’EBV est immortalisant pour les lymphocytes B in vitro, il n’est impliqué que dans une minorité de lymphomes B chez l’Homme. La plupart des lymphomes B associés à l’EBV surviennent chez des patients immunodéprimés, soit au cours de l’infection par le VIH, soit de façon théra-peutique (transplantation d’organe ou de cellules souches hématopoïétiques, utilisation d’immunodépresseurs), soit enfin au cours de déficits primitifs de l’immunité. In vivo, les lymphocytes T CD8 sont en effet induits tôt au cours

de l’infection, et les lymphocytes subissant l’effet des gènes de latence (programme III et II) exposent à leur surface des peptides antigéniques dérivés des différents gènes de latence. Ces peptides antigéniques induisent une puissante réponse immunitaire cellulaire cytotoxique qui va brider la prolifération B sous influence du virus, en même temps que la transition vers une latence de type I, non ou très peu immunogénique, va permettre l’émergence de lymphocytes B infectés de manière silencieuse (stealth infection) non immunogéniques.

En cas de déficit immunitaire, un moindre contrôle par les lymphocytes T cytotoxiques et une accélération du cycle de réinfections de lymphocytes B naïfs par l’EBV peut donc contribuer, en augmentant le pool de lymphocytes infectés et proliférant, au développement de lymphomes.

Ainsi, la détection du génome de l’EBV (hybridation in situ) ou de protéines de l’EBV (immunohistochimie), ou encore la détection de génome de l’EBV dans le sang à un taux augmenté (RQ-PCR quantitative) constituent des arguments pour impliquer l’EBV dans le développement de certains lymphomes et doivent faire rechercher un déficit immunitaire sous-jacent. Comme argument supplémentaire pour attribuer à l’EBV un rôle causal dans le développe-ment de certains lymphomes, on citera la régression de lymphoproliférations associées à l’EBV après injection de lymphocytes T spécifiques de l’EBV après transplantation par exemple.

4.2. Le virus du Kaposi, KSHV (HHV8)

Le KSHV est le seul autre membre des gamma-herpesvi-rus infectant l’Homme. Comme tous les gamma-herpes-virus, il est lymphotrope et infecte les lymphocytes B. Il est impliqué dans le sarcome de Kaposi dans 100 % des cas, où il est retrouvé dans les cellules fusiformes, déri-vées de cellules endothéliales qu’il transforme. Depuis le milieu des années 90, il a été impliqué dans le dévelop-pement de certains lymphomes B, très rares, survenant essentiellement dans le contexte de l’infection par le VIH. On le retrouve dans les lymphomes dits des cavités, ou lymphomes primitifs des séreuses. Les cellules de ces lymphomes très agressifs sont de nature B, bien qu’elles aient perdu l’expression du CD20 et de l’immunoglobuline de surface. Le mécanisme précis de transformation est plus difficile à établir et l’EBV est souvent présent conjoin-tement. Quoi qu’il en soit, comme son homologue EBV, KSHV code pour plusieurs gènes dont les produits exercent un effet remarquable sur le cycle cellulaire et l’apoptose, et qui peuvent être soit directement oncogéniques soit promoteurs de la transformation cellulaire dans des sys-tèmes expérimentaux. L’épidémiologie de KSHV est très différente de l’EBV. Contrairement à l’EBV qui infecte 95 % des adultes à travers le monde, le KSHV n’est retrouvé que chez 1 à 20 % des adultes approximativement, en fonc-tion des zones géographiques et de certaines conduites à risque (homosexualité masculine, prostitution, toxicomanie intraveineuse), expliquant sans doute la grande rareté de ces lymphomes, qui sont le plus souvent diagnostiqués dans un contexte pathologique particulier et ne sont que rarement l’élément qui va conduite à la découverte d’un déficit immunitaire sous-jacent.

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4.3. Le virus HTLV1, agent de lymphomes T

Le virus HTLV1 (human T-cell lymphotropic virus 1) est le premier rétrovirus oncogénique identifié chez l’Homme. Il infecte environ 20 millions d’individus dans le monde, dans des zones géographiques bien distinctes (Japon, Afrique intertropicale, Caraïbes). L’infection se fait le plus souvent par transmission verticale au moment de l’allai-tement maternel. Le virus établit une infection dans les lymphocytes T CD4 qui sous l’action de certain gènes viraux (Tax, Hbz) vont se transformer et subir des expan-sions clonales. Là aussi, comme c’est le cas pour l’EBV, l’infection suscite une puissante réponse lymphocytaire T cytotoxique qui va contenir cet effet prolifératif des cellules infectées tout au long de la vie. Environ 3 % des patients infectés peuvent, après une période de latence longue (20 à 40 ans), développer un lymphome agressif (ATL pour adult T-cell leukemia/lymphoma).

Comme c’est le cas pour les lymphomes associés à l’EBV et à KSHV, les cellules des ATL contiennent toutes le génome de HTLV1 (qui contrairement aux deux premiers qui sont maintenus dans le noyau sous une forme épisomale est intégré dans le génome). La contribution au cours de la transformation en lymphome ATL des différents gènes de HTLV1 n’est pas encore très claire. La protéine Tax, la plus connue, exerce de puissants effets transformant in vitro, et contribue certainement à la phase initiale de la prolifération cellulaire lors de l’infection chronique mais n’est pas exprimée dans les cellules de lymphomes in vivo (elle est re exprimée ex vivo). Tax est très immunogène et est la cible principale de la réponse immunitaire dirigée contre l’HTLV1, expliquant probablement une répression de son expression sous l’effet d’une pression de sélec-tion négative. Le gène Hbz, plus récemment caractérisé, serait quant à lui exprimé en continu à tous les stades de l’infection y compris dans les cellules transformées, et pourrait jouer un rôle majeur dans le maintien du phéno-type transformé des cellules.

4.4. Le virus de l’hépatite C, HCV, et les lymphomes de la zone marginale

Le virus HCV infecte plus de 170 millions d’individus dans le monde et conduit le plus souvent à une hépatite chronique. La cirrhose secondaire et l’hépatocarcinome représentent les principales complications de cette infection. Le virus HCV peut également entraîner des manifestations extrahé-patiques. La principale d’entre elles est la cryoglobulinémie mixte (CM), qui dans plus de 90 % des cas est associée à une infection chronique par l’HCV. La CM est caracté-risée par la production d’une IgM monoclonale à activité facteur rhumatoïde (IgM anti-IgG). La précipitation dans les tissus et l’activation du complément est responsable de manifestations de vascularité nécrosante.

Le lymphome splénique à lymphocytes villeux (Splenic lymphoma with villous lymphocytes, SLVL) est une entité rare de lymphome B de bas grade, développé au dépens de lymphocytes B de la zone marginale splénique. Il est caractérisé par une splénomégalie et la présence d’une phase leucémique faite de lymphocytes B de cytologie

particulière, présentant des expansions cytoplasmiques. L’observation initiale que certains patients avec SLVL pré-sentant une infection concomitante par l’HCV se mettaient en rémission complète du lymphome après traitement par interféron pour une hépatite chronique a été confirmée par plusieurs autres études. Le virus HCV est retrouvé, surtout dans les zones à forme prévalence de l’infection comme l’Italie, dans plusieurs sous-types de lymphomes B, mais les deux sous-types histologiques les plus prévalents sont les lymphomes B à grandes cellules et les lymphomes dérivés de la zone marginale (SLVL et autres lymphomes de la zone marginale). La coïnfection par l’HCV est impor-tante à rechercher car elle a une implication thérapeutique, beaucoup de patients pouvant se mettre en rémission durable du lymphome après contrôle de l’infection virale par l’interféron et la ribavirine.

Bien que l’HCV utilise le CD81, molécule membranaire exprimée à la surface des hépatocytes et des lymphocytes B, l’infection directe des lymphocytes B par le virus n’est pas établie in vivo. L’hypothèse qui prévaut aujourd’hui est celle d’une stimulation chronique par l’infection virale de lymphocytes B spécifiques d’antigènes du virus. Le fait que le virus circule dans le sang lors de l’infection chronique explique sans doute la stimulation préférentielle des lymphocytes de la zone marginale qui est au contact des sinus sanguins dans la rate. Ces lymphocytes ont des propriétés particulières notamment la capacité à répondre rapidement à des antigènes, de manière T-indépendante, proliférer vigoureusement, et produire rapidement des quantités abondantes d’anticorps souvent autoréactifs. Ce dernier point est à mettre en relation avec la présence d’une cryoglobuline chez beaucoup de patients. Il a aussi été suggéré qu’il existait une communauté antigénique entre la glycoprotéine E2 du virus (cible de la réponse anticorps) et certaines séquences des immunoglobulines humaines. Certains anticorps anti-HCV auraient de ce fait une réaction croisée avec les immunoglobulines, expliquant l’activité facteur rhumatoïde.

La stimulation soutenue de cette population particulière de lymphocytes B dans la zone marginale de la rate favo-riserait donc, chez certains patients, le développement de lymphomes, qui resteraient longtemps dépendant de la stimulation antigénique produite par le virus, ce qui rendrait compte de la régression du lymphome après contrôle de la réplication virale.

4.5. Helicobacter pylori, une bactérie responsable de lymphome

Bien avant que le virus HCV soit impliqué dans le déve-loppement de lymphomes B, la démonstration qu’une bactérie, Helicobacter pylori (Hp), pouvait induire des lymphomes, a été apportée de manière convaincante. Le lymphome du MALT (tissu lymphoïde associé aux muqueuses) est le lymphome gastrique le plus fréquent. Il s’agit d’un lymphome indolent mais pouvant se trans-former en lymphome à grandes cellules. Hp, une bac-térie vivant dans l’estomac d’une proportion importante d’individus (variations géographiques), est retrouvée chez la plupart des patients atteints de lymphome du MALT gastrique et son éradication entraîne la régression du

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lymphome dans la majorité des cas. La démonstration que les cellules du lymphome prolifèrent en présence d’extraits d’Hp a été apportée expérimentalement, et les souris infectées par Hp ou d’autres espèces d’Helico-bacter développent également un lymphome gastrique, complétant le postulat de Koch.

5. Lymphomes de la zone

marginale et agents infectieux :

vers un nouveau paradigme

de transformation lymphoïde

Les lymphomes du MALT sont également développés au dépens de lymphocytes B de la zone marginale, comme les lymphomes spléniques et particulièrement ceux asso-ciés au virus HCV. Contrairement aux lymphomes associés aux gammaherpesvirus et à l’HTLV1, l’agent pathogène n’infecte pas directement les lymphocytes transformés. Pour autant la présence du pathogène est nécessaire au développement et au maintien du lymphome puisque l’éradication de l’agent infectieux conduit à une régression du lymphome dans une grande proportion de cas. Des arguments cliniques et expérimentaux indiquent que les lymphocytes transformés répondent effectivement à la stimulation par des antigènes dérivés du pathogène, mais que la situation est vraisemblablement complexe avec des différences selon les types d’infection.

6. Autres lymphomes

de la zone marginale,

autres pathogènes impliqués

Selon le même paradigme de transformation indirecte (stimulation chronique d’une population spécifique), citons également le rôle de Campylobacter jejuni dans le développement de la maladie des chaînes lourdes alpha ou lymphome méditerranéen (immunoproliferative small intestinal disease, IPSID, classé dans les lymphomes de la zone marginale de type MALT), de Chlamydia psittaci

dans les lymphomes des annexes oculaires (MALT), de Borrelia burgdorferi dans les lymphomes de la zone mar-ginale cutanée.

7. Conclusions

Depuis la description par Burkitt et Epstein de l’association entre un lymphome et un virus, d’importants progrès ont été faits dans la compréhension des mécanismes en jeu et la découverte de nouveaux agents pathogènes impliqués dans le développement de lymphomes. Ces avancées sont aussi majeures d’un point de vue clinique car elles permettent de proposer dans certains cas, et d’envisager le développement pour les autres, de stratégies thérapeu-tiques pour les lymphomes de ce type, ciblant le pathogène et non plus seulement la cellule tumorale.

Le cas des virus associés à une transformation directe des lymphocytes (EBV par exemple) est connu depuis plus long-temps mais les stratégies thérapeutiques ciblées sont en retard. A l’évidence, du fait d’une infection de type latente et non lytique, les molécules inhibant la polymérase virale (aciclovir, ganciclovir) n’ont pas d’effet sur les cellules trans-formées infectées de manière latente par l’EBV. En revanche, une piste qui se dégage est celle de la réinduction du cycle lytique dans les cellules tumorales infectées par des agents déméthylants ou par des inhibiteurs d’histone déacétylase suivie de l’action d’un inhibiteur de la polymerase, permettant une approche de type gène suicide, électivement toxique pour les seules cellules infectées par le virus.

Le développement des techniques de microbiologie molé-culaire et de séquençage à haut débit permettra aussi de découvrir de nouveaux pathogènes associés aux tumeurs. Avant de les incriminer définitivement dans la physiopatholo-gie de certains lymphomes, il faudra vérifier certains critères : présence et expression de gènes de l’agent infectieux à potentialité oncogénique dans toutes les cellules tumorales dans le cas d’une transformation directe, régression du lymphome après éradication du pathogène ou démonstra-tion de la capacité de stimulation directe des lymphocytes par le pathogène dans le cas de transformation indirecte.

Conflit d’intérêt : aucun.