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La pyramide alimentaire terrestre doit, pour être stable, reposer sur une base très large (nombreux herbivores quali- fiés de consommateurs primaires, carnivores ou consomma- teurs secondaires beaucoup plus rares). De nos jours le ratio prédateur/proie est au maximum de 20 % pour des ensembles ectothermes et de 1 à 2 % pour des prédateurs endothermes [18]. Au Mésozoïque les végétaux nourrissaient les dino- saures 1 (tableaux 1 et 2) herbivores (Sauropodes et Ornithischiens ), proies potentielles des dinosaures carni- vores (Théropodes), la proportion entre consommateurs pri- maires et secondaires restant cependant difficile à établir dans l’ignorance où nous nous trouvons (le sujet est âprement débattu) de leur statut d’ectothermes ou d’endothermes. Ces animaux disparus ont enflammé les imaginations et, à leur propos, «à peu près tout a été dit ainsi que son contraire». Ce constat conduit à examiner les faits rapportés d’un œil cri- tique (la bibliographie, même limitée aux vingt dernières années est gigantesque) et invite à un usage immodéré du conditionnel, l’hypothèse aujourd’hui plausible pouvant s’avérer caduque à la lumière de découvertes nouvelles. La nature des aliments ou des proies ainsi que les tech- niques de prédation d’un vertébré fossile peuvent cependant SYNTHÈSE SCIENTIFIQUE Appareil digestif, appareil locomoteur et stratégies de prise alimentaire chez les Dinosaures ° J.P. MAGNOL ° Professeur d’Anatomie Pathologique à l’E N V de Lyon - 1 av. Bourgelat F-69780 Marcy-l’Etoile RÉSUMÉ La plupart des Dinosaures étaient herbivores ou carnivores, les premiers constituant l’essentiel de la nourriture des seconds situés au sommet de la pyramide alimentaire. Les Dinosaures herbivores (Sauropodes et Ornithischiens) ont fait la preuve, pendant toute la durée du Mésozoïque (180 Ma), de leur plasticité adaptative, exploitant toutes les strates du cou- vert végétal, toutes les essences, même les plus ligneuses, grâce à des inno- vations anatomiques ou des dispositifs ingénieux (cinétisme crânien, gas- trolithes...). Leur activité (celle des grands Sauropodes du Jurassique en par- ticulier) a pu favoriser le développement, à partir du Crétacé, des plantes à fleurs. Les Dinosaures carnivores (Théropodes) -dont certaines formes gra- ciles et agiles furent à l’origine des Oiseaux- ont développé leur appareil olfactif, amélioré leur vision (désormais stéréoscopique), adapté leurs membres pelviens et leur queue pour une brusque ruée frontale ou des manœuvres précises et d’exécution rapide. Ces adaptations étaient destinées à servir la formidable machine à tuer que constituaient leurs mâchoires et parfois leurs griffes. Avec l’extinction sans appel des Dinosaures au cours de la crise de la biosphère qui stigmatisa, il y a 65 Ma, la fin du Crétacé, dis- parurent quelques innovations témoins de leur évolution buissonnante et de leur adaptation à des régimes alimentaires variés et à des techniques de pré- dation diversifiées. MOTS-CLÉS : Denture - appareil digestif - appareil loco- moteur - stratégies de prédation - Dinosaures SUMMARY Digestive tract, locomotor system and aminal feeding behaviour in dinosaurs. By J.P. MAGNOL. Most of the dinosaurs were herbivores or carnivores, the first of them representing the main food for the second which were situated on the top of the food pyramid. During the Mesozoic (180 million years), the herbivorous dinosaurs (mainly Sauropods and Ornithischians) proved their adaptability by taking advantage of all the plant layers, all the plant families even the most woody ones, thanks to anatomical innovations or ingenious devices (skull mobility, gastroliths...). Their activity (especially the one of the huge Sauropods from the Jurassic era) may have contributed to the development of the Cretaceous flowering plants. The carnivorous dinosaurs (Theropods) -some of them with slender and agile forms gave perhaps rise to birds- had developed their olfactory system, improved their sight (probably stereoscopic), adapted their pelvic limbs and their tail towards a sudden frontal rush or a balanced running up to their vic- tims. These adaptations aimed to serve the fantastic killing machine consti- tuted by their jaws and sometimes by their claws. Some innovations demonstrating their adaptability to various food diets and techniques of predation disappeared with their extinction during the biosphere crisis which stigmatized the end of the Cretaceous period, 65 mil- lion years ago. KEY-WORDS : Teeth - gut - limbs - predation strategies - dinosaurs. Revue Méd. Vét., 2003, 154, 8-9, 543-563 1 Les dinosaures sont classiquement distingués en Saurischiens (Sauropodes et Théropodes : leur pubis est dirigé crânialement) et Ornithischiens (l’os pubien est projeté caudalement). En raison de diver- gences de vues entre spécialistes à propos de leur classification l’auteur s’en tient généralement aux taxons bénéficiant d’un large consensus (ordre, famille, genre).

Appareil digestif, appareil locomoteur et stratégies de ... · cités dans le texte. ... de gym-nospermes et d’angiospermes de 5 à 7 ans. Prudemment, les auteurs (Currie,1995

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La pyramide alimentaire terrestre doit, pour être stable,reposer sur une base très large (nombreux herbivores quali-fiés de consommateurs primaires, carnivores ou consomma-teurs secondaires beaucoup plus rares). De nos jours le ratioprédateur/proie est au maximum de 20 % pour des ensemblesectothermes et de 1 à 2 % pour des prédateurs endothermes[18]. Au Mésozoïque les végétaux nourrissaient les dino-saures1 (tableaux 1 et 2) herbivores (Sauropodes et

Ornithischiens ), proies potentielles des dinosaures carni-vores (Théropodes), la proportion entre consommateurs pri-maires et secondaires restant cependant difficile à établirdans l’ignorance où nous nous trouvons (le sujet est âprementdébattu) de leur statut d’ectothermes ou d’endothermes. Cesanimaux disparus ont enflammé les imaginations et, à leurpropos, «à peu près tout a été dit ainsi que son contraire». Ceconstat conduit à examiner les faits rapportés d’un œil cri-tique (la bibliographie, même limitée aux vingt dernièresannées est gigantesque) et invite à un usage immodéré duconditionnel, l’hypothèse aujourd’hui plausible pouvants’avérer caduque à la lumière de découvertes nouvelles.

La nature des aliments ou des proies ainsi que les tech-niques de prédation d’un vertébré fossile peuvent cependant

SYNTHÈSE SCIENTIFIQUE

Appareil digestif, appareil locomoteuret stratégies de prise alimentairechez les Dinosaures

° J.P. MAGNOL

° Professeur d’Anatomie Pathologique à l’E N V de Lyon - 1 av. Bourgelat F-69780 Marcy-l’Etoile

RÉSUMÉ

La plupart des Dinosaures étaient herbivores ou carnivores, les premiersconstituant l’essentiel de la nourriture des seconds situés au sommet de lapyramide alimentaire. Les Dinosaures herbivores (Sauropodes etOrnithischiens) ont fait la preuve, pendant toute la durée du Mésozoïque(180 Ma), de leur plasticité adaptative, exploitant toutes les strates du cou-vert végétal, toutes les essences, même les plus ligneuses, grâce à des inno-vations anatomiques ou des dispositifs ingénieux (cinétisme crânien, gas-trolithes...). Leur activité (celle des grands Sauropodes du Jurassique en par-ticulier) a pu favoriser le développement, à partir du Crétacé, des plantes àfleurs. Les Dinosaures carnivores (Théropodes) -dont certaines formes gra-ciles et agiles furent à l’origine des Oiseaux- ont développé leur appareilolfactif, amélioré leur vision (désormais stéréoscopique), adapté leursmembres pelviens et leur queue pour une brusque ruée frontale ou desmanœuvres précises et d’exécution rapide. Ces adaptations étaient destinéesà servir la formidable machine à tuer que constituaient leurs mâchoires etparfois leurs griffes. Avec l’extinction sans appel des Dinosaures au coursde la crise de la biosphère qui stigmatisa, il y a 65 Ma, la fin du Crétacé, dis-parurent quelques innovations témoins de leur évolution buissonnante et deleur adaptation à des régimes alimentaires variés et à des techniques de pré-dation diversifiées.

MOTS-CLÉS : Denture - appareil digestif - appareil loco-moteur - stratégies de prédation - Dinosaures

SUMMARY

Digestive tract, locomotor system and aminal feeding behaviour indinosaurs. By J.P. MAGNOL.

Most of the dinosaurs were herbivores or carnivores, the first of themrepresenting the main food for the second which were situated on the top ofthe food pyramid. During the Mesozoic (180 million years), the herbivorousdinosaurs (mainly Sauropods and Ornithischians) proved their adaptabilityby taking advantage of all the plant layers, all the plant families even themost woody ones, thanks to anatomical innovations or ingenious devices(skull mobility, gastroliths...). Their activity (especially the one of the hugeSauropods from the Jurassic era) may have contributed to the developmentof the Cretaceous flowering plants.

The carnivorous dinosaurs (Theropods) -some of them with slender andagile forms gave perhaps rise to birds- had developed their olfactory system,improved their sight (probably stereoscopic), adapted their pelvic limbs andtheir tail towards a sudden frontal rush or a balanced running up to their vic-tims. These adaptations aimed to serve the fantastic killing machine consti-tuted by their jaws and sometimes by their claws.

Some innovations demonstrating their adaptability to various food dietsand techniques of predation disappeared with their extinction during thebiosphere crisis which stigmatized the end of the Cretaceous period, 65 mil-lion years ago.

KEY-WORDS : Teeth - gut - limbs - predation strategies -dinosaurs.

Revue Méd. Vét., 2003, 154, 8-9, 543-563

1 Les dinosaures sont classiquement distingués en Saurischiens(Sauropodes et Théropodes : leur pubis est dirigé crânialement) etOrnithischiens (l’os pubien est projeté caudalement). En raison de diver-gences de vues entre spécialistes à propos de leur classification l’auteur s’entient généralement aux taxons bénéficiant d’un large consensus (ordre,famille, genre).

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être restituées avec un degré d’approximation satisfaisant, àla condition de prendre en compte l’ensemble2 des faits d’ob-servation, directs et indirects. Les premiers portent sur lecontenu stomacal [47] et la composition des fèces fossiliséesou coprolithes [11] tandis que les seconds, spéculatifs, sontpour l’essentiel basés sur les relations entre structuresconservées (dents, squelette, gastrolithes...) et fonctions pré-visibles, relations qui se déduisent de l’application des lois dela physique à des structures vivantes.

Très exceptionnellement des restes identifiables se rencon-trent à l’emplacement de l’estomac, le repas étant fossilisé aumême titre que le dîneur. Pour les dinosaures herbivores, onne connaît qu’un seul site ayant préservé des aiguilles de pin

dans l’estomac d’Edmontosaurus (Hadrosaure). Certainspaléontologues estiment cependant que cette observation,déjà ancienne, n’offre pas toutes les garanties de sérieux3.Ces réserves expliquent en partie l’intérêt récent [30] portéaux phytolithes, particules microscopiques de silice, prove-nant des cellules épidermiques de nombreuses plantes.Parfois piégées dans des microfissures de la surface dentaire,elles peuvent aider à préciser la nature des végétaux consom-més de façon préférentielle. Chez les Théropodes, cespreuves directes n’existent que pour quelques très rares indi-vidus, le plus souvent de petite taille (Compsognathus,

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TABLEAU 1. — Position systématique et régime alimentaire supposé des principaux taxons de dinosaurescités dans le texte.

3 Quelques contenus gastriques semblent avoir été conservés chez desanimaux récemment exhumés dans le Parc des Dinosaures de l’Alberta. Ony reconnaît des graines et des tiges de 1 à 4 cm de long provenant de gym-nospermes et d’angiospermes de 5 à 7 ans. Prudemment, les auteurs(Currie,1995 cité par 42) s’interrogent sur la signification exacte de ces trou-vailles : contenu gastrique ou éléments végétaux apportés à l’emplacementdu cadavre par des courants ?.

2 Spéculer sur un seul critère est dangereux. L’exemple actuel du Panda(dont le squelette est celui d’un ours), presque exclusivement herbivore, etde surcroît très sélectif (pousses de bambous) est, à cet égard, très démons-tratif.

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Cœlophysis..) ayant ingéré des congénères ou des lézards.Pour les grands Théropodes, nous ne disposons pour l’heureque d’un unique exemple : celui de Daspletosaurus, amateurd’Hadrosaures sub-adultes [51]. L’étude des fèces (colo-lithes, coprolithes) fossilisées est généralement frustrante carl’acte n’est pas signé4 et nous nous trouvons dans l’ignorance(comme d’ailleurs pour beaucoup de pontes et de traces...) del’auteur précis de ces témoignages. Les coprolithes sont parailleurs beaucoup moins bien conservés chez les herbivoresque chez les carnivores fossiles ou actuels (Théropodes, Oursdes cavernes, Hyène). Chez les premiers persistent, tout auplus, quelques tiges ligneuses d’un intérêt limité. Pour lesseconds, la richesse en carbonate de calcium des déjections aassuré leur pérennité, mais l’état très fragmentaire du maté-riel osseux interdit généralement l’identification de la proie.Les arguments directs en somme, pourtant parfois spectacu-laires, doivent s’effacer, par leur caractère trop souvent anec-dotique et conjectural, devant les arguments indirects : tracesde traque, de prédation ou de lutte, données anatomiques sur-tout.

La taphonomie (devenir du cadavre : transport, enfouisse-ment... et rapports avec l’environnement), l’étude des pistes,l’accumulation de dents de Théropodes au voisinage de sque-lettes de Sauropodes [8, 36], les traces de prédation sur les osdes victimes confrontées aux indices fournis par l’examen dela denture... débouchent sur des données objectives qu’il estnéanmoins nécessaire de réajuster au fur et à mesure desdécouvertes nouvelles. Les expéditions Polono-Mongolesdans le désert de Gobi mirent au jour en 1971 deux squelettesenlacés dans une étreinte mortelle, le prédateur étantVelociraptor et la victime Protoceratops. Un ptérosaureaurait été dévoré par un Vélociraptoriné (Saurornitholestes)comme en témoignent des marques de prédation et surtoutune dent du carnivore encore enchâssée dans un os [14]. Cesont cependant les données anatomiques (denture, squelette)et biomécaniques qui à quelques exceptions près permettent,pour un dinosaure donné, de lui attribuer un statut d’herbi-vore ou de carnivore et de reconstituer -partiellement- sonsystème digestif et son comportement alimentaire. Il est natu-rel d’accorder une grande importance aux dents des dino-saures (Encadré 1), herbivores ou carnivores, constituéesd’un fût de dentine recouvert d’émail5. Ce dernier protège

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APPAREIL DIGESTIF, APPAREIL LOCOMOTEUR ET STRATÉGIES DE PRISE ALIMENTAIRE CHEZ LES DINOSAURES 545

TABLEAU 2. — Position systématique et régime alimentaire supposé des principaux taxons dedinosaures cités dans le texte (suite)

4 La publication de Molnar (37( concernant le genre Minmi, petit dino-saure à armure du début du Crétacé australien, semble moins sujette à cau-tion. Un cololithe, situé au niveau de sa septième vertèbre dorsale, contienten effet des feuilles, des tiges et des graines partiellement identifiables bienque finement hachées.

5 Le cément ne prendra un réel développement que dans certaines dentsmammaliennes.

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l’ensemble de la couronne (carnivores) ou ne revêt, chezcertains herbivores, que sa face linguale ou labiale. Chacunsaura, à partir de ces restes abondamment fossilisés et trèsétroitement adaptés au régime alimentaire, distinguer un car-nivore (dents faites pour tuer et déchirer les chairs) d’un her-bivore (dents conçues pour effeuiller, tronçonner, triturer,broyer...).

Dinosaures herbivores : lesSauropodes et les Ornithis-chiens

Les animaux qui tirent leurs nutriments des végétaux sesont adaptés à un certain nombre de contraintes. La premièreest la nécessité d’un broyage efficace de façon à rompre lesmembranes des cellules végétales et à libérer leurs consti-tuants pariétaux et intracellulaires dont la cellulose. Les dino-saures ont résolu cette difficulté de différentes manières, latrituration des aliments étant réalisée soit par l’appareil

bucco-dentaire, soit par un estomac musculeux contenant desgastrolithes [42]. Les dents broyeuses, à la différence decelles des Mammifères, n’offrent généralement pas de «tabledentaire» au sens strict, puisque le mode de remplacementdentaire interdit l’occlusion. L’engrènement entre les dentssupérieures et inférieures avec superposition partielle, aléa-toire et temporaire assure cette fonction. La secondecontrainte est d’ordre biologique. Aucun vertébré connu (etprobablement fossile) ne possède les enzymes nécessaires àla dégradation de la cellulose en éléments assimilables. Seulsdes micro-organismes (bactéries anaérobies, protozoairesciliés et flagellés, champignons...) en sont capables. Enconséquence, les vertébrés herbivores hébergent dans leurtube digestif une faune-flore cellulolytique, un éco-systèmesymbiotique, d’où l’existence de ces vastes cuves à fermen-tation que sont, pour faire référence à des espèces vivantesfamilières, le rumen des bovins et le complexe cæcum-colondes chevaux. Les dinosaures herbivores possédaient très pro-bablement une cuve à fermentation de type cæcum-colonpeuplée de micro-organismes cellulolytiques.

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ENCADRÉ 1. — Caractères généraux des dents de dinosaures.

Chez les reptiles en général et les dinosaures en particulier, les dents, constituées de dentine et d’émail, sont à renouvelle-ment permanent et il n’y a pas lieu, comme chez les mammifères, de distinguer les dents de lait des dents adultes. A l’excep-tion de quelques cas très sporadiques (Heterodontosaurus nanti de dents incisiformes et caniniformes,...) les dents des dino-saures sont toutes du même type (pour un individu donné) qu’elles appartiennent au maxillaire ou à la mandibule. Pour le pré-maxillaire des théropodes, toutefois, les dents y sont plus volontiers incisiformes, bombées rostralement, aplaties caudalement.

Les dents qui saillent dans la cavité buccale sont poussées hors du maxillaire et de la mandibule par des germes dentairesempilés à la face linguale des mâchoires. La dent en voie de remplacement voit sa racine se résorber en même temps que s’usesa couronne et les nombreuses dents sans racine trouvées isolées ne sont que des dents spontanément perdues au cours d’unrepas...

La durée moyenne de vie d’une dent est de deux à trois mois pour les Cératopsiens et les Hadrosaures, durée s’allongeantjusqu’à deux ans pour les Tyrannosaures. Ces estimations reposent sur le comptage des lignes de croissance de la dentine (diteslignes de Von Ebner) et qui, à titre comparatif, sont apposées au quotidien chez les Alligators.

En comptant les lignes de croissance (de Von Ebner) de la dentine d’une dent éjectée spontanément après résorptionradiculaire, on peut ainsi déterminer sa durée de vie (de 50 à 800 jours selon les espèces).

L’observation des mâchoires révèle, par ailleurs, l’absence de perte simultanée de dents voisines ce qui évite de compro-mettre l’efficacité des arcades dentaires. Plusieurs tentatives d’explication de ce phénomène observé chez certains reptiles ontété avancées, depuis la théorie ondulatoire d’Edmund (1960) jusqu’à la théorie plus récente d’Osborn puis Westergaard, d’in-hibition par la croissance : une dent qui pousse bloquerait la croissance des dents de remplacement de celles qui précèdent etsuivent dans l’arcade, assurant ainsi un asynchronisme des éruptions.

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Des variations considérables interviennent cependant entreles différentes familles. Elles concernent la denture, la pré-sence ou non d’un cinétisme crânien, de joues musclées, degastrolithes, la longueur du cou, la hauteur des membresantérieurs, la posture... Certains de ces caractères sont en réa-lité corrélés ce qui nous conduira à scinder, au cours d’uneapproche synthétique, les dinosaures herbivores en deuxgrands ensembles.

I - ETUDE ANALYTIQUE DES INDICES PALÉONTOLO-GIQUES :

A - Dents, mâchoires et articulation cranio-mandibu-laire :

Nous distinguerons les herbivores à arcades dentairessimples et ceux à arcades dentaires formant batterie.

1) Dinosaures herbivores à arcades dentaires simples :

Ils sont surtout représentés par les Sauropodes(Diplodocidés, Camarasauridés, Brachiosauridés...) etquelques Ornithischiens (Iguanodontidés).

— Les dents de Diplodocus (figure 1, A) sont petites,longues, cylindriques, la couronne n’étant pas plus large quela racine. Projetées vers l’avant, assez régulièrement espa-cées à la façon d’un peigne, elles étaient destinées à effeuillerles extrémités des rameaux pour en détacher feuilles ouaiguilles, non mastiquées et dégluties en l’état. ChezCamarasaurus et Brachiosaurus (figure 1, B), la couronneest creusée en forme de gouge. L’appareil dentaire, simpleappareil de capture, semble totalement inapte à la mastica-tion. Fiorillo [19] a pu montrer, grâce à l’étude des facettesd’usure de la couronne, que Camarasaurus consommait desvégétaux plus grossiers que Diplodocus. Les jeunesCamarasauridés toutefois se rapprochent de ce point de vuedes Diplodocidés, suggérant pour les premiers des diffé-rences dans le régime alimentaire entre sub-adultes et adulteset une possible compétition entre Camasauridés juvéniles etDiplodocidés.

— Les dents des Iguanodons (figure 1, C), lancéolées,n’ont qu’une face émaillée parcourue de crêtes saillantes(vestibulaires pour le maxillaire et linguales pour la mandi-bule). Chaque bord dur (émaillé) butte donc, au moment del’occlusion, contre un bord plus tendre (dentine) assurantainsi la pérennité du biseau. La surface d’usure, par ailleurs,témoigne d’un rôle de meule alors que la mandibule, commechez tous les reptiles, ne peut se mouvoir que dans le sensvertical compte tenu de la conformation de l’articulationentre l’os carré et l’articulaire. Ce rôle de meule est permispar une innovation sur laquelle nous reviendrons, le caractèremobile de nombreuses articulations crâniennes (cinétisme).Un point important de l’anatomie de la mandibule concernele processus coronoïde, sa taille et sa distance par rapport àl’articulation articulaire/carré. Schématiquement, plus le pro-cessus coronoïde est long et large, plus les muscles qui s’yattachent sont puissants. De même, plus la distance articula-tion crâniomandibulaire-processus coronoïde est grande,plus le bras de levier est long et la puissance d’occlusionimportante. Si l’on compare, sur ces bases, deux

Iguanodontidés, Iguanodon devait être capable d’une occlu-sion plus puissante que celle d’Ouranosauruss.

2) Dinosaures herbivores à arcades dentaires multiplesdisposées en batterie

Les deux exemples majeurs sont fournis par lesCératopsidés et les Hadrosaures.

— Cératopsidés : la dent adopte chez eux une forme tri-angulaire caractéristique, la couronne étant prolongée pardeux racines (figure 1, D). La face émaillée est jugale pourles dents du maxillaire et linguale pour celles de la mandi-bule. Leur groupement en batterie forme les mors verticauxd’une véritable paire de cisailles dont l’efficacité devait êtreredoutable, si l’on tient pour acquis l’existence de musclesmasticateurs volumineux attachés à la vaste collerettenuchale. Les mâchoires se prolongent par un bec édenté, pro-bablement corné et coupant, comparable à celui desPerroquets, développé à partir de l’os rostral et de l’os pré-dentaire6.

— Hadrosaures : la dent ne possède qu’une seule racine(ce qui la distingue aisément de la dent des Cératopsidés) etune couronne losangique, la face émaillée, ornée d’un reliefmédian, étant la face jugale pour les dents du maxillaire et laface linguale pour celles de la mandibule. Les dents de lamandibule groupées en rangées, imbriquées à la façon destuiles d’un toit (figure 1, E), fonctionnaient à la manièred’une râpe à bois. Les juvéniles possèdent 30 à 36 dents (10à 12 familles de trois) tandis que les adultes sont dotés de 135dents par batterie dentaire (45 familles de trois). Compte tenud’un potentiel de deux à quatre dents de remplacement,chaque batterie voyait se succéder jusqu’à 540 dents ! Lesparticularités de l’articulation articulaire/carré (articulationmandibulo-crânienne) interdisent là encore les mouvementsde diduction. Aussi, comme les Iguanodons, les Hadrosauresprésentent une mobilité, une laxité crânienne (cinétisme)autorisant l’appareil dentaire à jouer son rôle de râpe. Lamorphologie de l’extrémité du museau est toute aussi impor-tante à considérer. Le «bec de canard» large et plat desHadrosauridés indiquerait un régime peu sélectif à base devégétaux grossiers (aiguilles de conifères, feuilles d’angio-spermes, fougères, rameaux de Cycas...). A l’inverse unmuseau effilé et étroit pouvait favoriser le choix de végétauxplus nutritifs (bourgeons, pousses tendres, fruits...).

B - Squelette crânien :

1. Le cinétisme crânien (laxité crânienne ou pleurocinèse),déduit essentiellement de l’observation des facettes d’usureentre dents supérieures et inférieures, aurait existé chez lesHypsilophodontes, les Iguanodons et les Hadrosaures [40,52]. L’innovation consiste en un attachement souple(muscles, ligaments...) du maxillaire à la boîte crânienne.

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6. Chez les Cératopsiens (cf. tableau 2) un os supplémentaire, l’os rostral,prolonge vers l’avant l’os pré maxillaire. Rostral et prédentaire (pour lamandibule) constituent le support osseux d’un bec corné tranchant..

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FIGURE 1. — A : Couronne d’une dent non spatulée (en «crayon») de type Diplodocus ou Titanosaurus. On remarque une facette d’usure à la pointe. Le largeforamen apical associé à une forte épaisseur de la dentine pour la couronne militent en faveur d’une résorption radiculaire.

Rebbachisaurus, Maroc, 4,3 cm. B : Couronne et début de racine brisée d’une dent spatulée en vue linguale. Couronne et racine sont séparées par un collet.Brachiosauridé ou Camarasauridé Nord-

Américain. (2,7 cm pour la couronne). C : Couronne d’une dent mandibulaire en vue linguale (1) et rostro-caudale (2) d’un Iguanodontidé Chinois (Probactrosaurus). 2 cm.Noter la surface d’occlu-

sion comparable à celle des dents hypsodontes des Mammifères.D : Batterie mandibulaire d’un Hadrosauridé en vue linguale. 2,5 cm pour une couronne dentaire entière. E : Dent maxillaire de Triceratops en vue labiale (1) et rostro-caudale (2). 5 cm.F : Couronne et début de racine d’une dent latérale d’un grand Théropode. Noter la section en fuseau et les crénelures du bord rostral (convexe) et caudal. 8

cm.Carcharodontosaurus, Maroc.G : Couronne et début de racine d’une dent crocodiliforme de section sub-circulaire d’un grand Théropode. 7,5 cm. Spinosaurus, Maroc.

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Chez Gryposaurus par exemple (figure 2), le bloc maxillo-facial mobile comprend le maxillaire, le lacrymal, le jugal, lequadrato-jugal et le carré associés à des os de la voûte pala-tine : ptérygoïde, ectoptérygoïde et palatin. Les articulations,souples, se font dorsalement avec le squamosal, le post-orbi-taire et le groupe pré-maxillaire, nasal, préfrontal, ventrale-ment avec le surangulaire de la mandibule. Lors du mouve-ment d’occlusion, chaque mandibule repousse vers l’exté-rieur le maxillaire correspondant. En s’écartant, les dents duhaut frottent alors contre celles du bas, réalisant un mouve-ment de meule. Les dinosaures dotés de mâchoires inca-pables de mouvements latéraux (diduction) ont ainsi résolu leproblème du broyage et de la mastication des végétauxligneux, grâce à un ingénieux mécanisme de laxité crânio-maxillaire. Chez les Hétérodontosaures un résultat compa-rable aurait été obtenu lors de l’occlusion des mâchoires parl’écartement des deux mandibules.

2. Des os pour des joues musclées

Autant que l’on puisse en juger à partir de critères ostéolo-giques, les Théropodes ne possédaient pas de joues musclées,inutiles pour déglutir la proie entière ou la bouchée non mas-tiquée. Leur présence en revanche se traduit, sur le squeletteosseux maxillaire et mandibulaire des Ornithischiens(Iguanodons, Hadrosaures, Cératopsidés) par plusieurs parti-cularités. En premier lieu, les arcades dentaires se trouvent enretrait (vers le plan sagittal) par rapport au plan maxillo-man-dibulaire. Par ailleurs de nombreux foramens, situés au-des-sus de l’arcade dentaire maxillaire, livraient probablement

passage à des pédicules vasculo-nerveux. Des sailliesosseuses enfin constituaient des zones d’insertion muscu-laire. Ces herbivores, qui avaient besoin de triturer longue-ment la nourriture ligneuse et coriace, auraient perdu une par-tie du bol alimentaire en voie de façonnement, si les côtés dela bouche n’avaient pas été fermés. Des joues musclées parleur tonicité et leurs contractions, ramenaient activement lesvégétaux dans la cavité buccale d’où la langue les poussait ànouveau vers les joues. Ce faisant, ils subissaient à chaquepassage l’action triturante des arcades dentaires. Cette actioncoordonnée entre les muscles des joues et la langue permet-tait ainsi un meilleur broyage des aliments.

C - Le squelette axial et appendiculaire

Les particularités du squelette axial et appendiculaireinfluent sur la hauteur de capture7. Il apparaît clairement que,compte tenu de leur morphologie générale, les Ankylosauresrestèrent plaqués au sol tandis que les Sauropodes duJurassique furent parfois capables d’écrêter le faîte desarbres. Les hautes branches ou les cimes sont en effetatteintes par les animaux qui peuvent porter leur tête, doncleur appareil de capture, à leur niveau. Plusieurs solutionsévolutives conduisirent au même résultat. L’animal put utili-

7. Dans la savane arbustive Africaine, l’exploitation des richesses végé-tales se fait par strates. Zèbres et buffles broutent au sol tandis que les anti-lopes de grande taille broutent les graminées, effeuillent et «ébourgeonnent»arbustes et arbres. La hauteur des prélèvements culmine avec la girafe, laplus performante dans la course à la conquête de cimes.

PHOTO 1. — Dent (30 mm pour la couronne) d’un petit Théropode.Crénelures des bords rostraux et caudaux. Microscopie à balayage,barre = 1 mm.

PHOTO 2. — Dent (15 mm pour la couronne) d’un petit Théropode du genreTroodon. Crénelures. Microscopie à balayage, barre = 1 mm.

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FIGURE 2.— Gryposaurus notabilis. Modifié et redessiné d’après NORMAN, Weishampel.

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ser son long cou vertical prolongeant des membres thora-ciques plus hauts que les pelviens (Brachiosaures), ou bienmettre à profit un très long cou (la hauteur du prélèvementdes végétaux est estimée entre 4 et 6 m, pour Diplodocus etApatosaurus. (Encadré 2) ou encore se dresser sur sesmembres

pelviens, la queue formant tripode. Cette aptitude à se dres-ser sur les postérieurs en prenant appui sur la queue fut, pourcertains paléontologues [5] partagée par les Apatosaures, lesStégosaures et Diplodocus. Cependant, les argumentsd’ordre anatomique avancés par cet auteur sont loin de fairel’unanimité parmi les spécialistes. Dodson [15], en outre, cri-tique cette interprétation compte tenu des difficultés à assurerune irrigation céphalique correcte.

La forme de la ceinture pelvienne influe enfin sur la capa-cité de la cavité abdominale. Chez les Saurischiens, l’ospubien placé antérieurement limita probablement l’extensioncaudale de la masse intestinale, tandis que chez lesOrnithischiens où le pubis est projeté vers l’arrière, la capa-cité de la cavité abdominale put augmenter considérable-ment, permettant ainsi le développement de vastes cuves àfermentation.

D - Gastrolithes

Certains dinosaures herbivores semblent avoir été pourvusd’un estomac musculeux comparable au gésier des oiseauxactuels. Cette idée s’impose lorsque l’on découvre, à l’em-placement présumé de l’estomac, un amoncellement decailloux étrangers au sédiment encaissant, les gastrolithes. Ils’agit de galets de taille petite à moyenne, ingérés volontaire-ment pour jouer le rôle de meules et partiellement polis parusure réciproque. Ils seraient ainsi l’équivalent du «grit» desoiseaux granivores actuels.

Des gastrolithes sont connus chez les Prosauropodes et lesSauropodes (tableau 3) aux arcades dentaires simples, non

masticatrices : Massospondylus, Vulcanodon... et surtoutSeismosaurus [22], un géant parmi les Sauropodes et quiaurait possédé deux poches gastriques contenant jusqu’à 240gastrolithes, le plus volumineux d’entre eux atteignant 10 cmde diamètre, la moyenne se situant autour de 5 cm.Cedarosaurus weiskopfae, un Brachiosauridé Nord-Américain a fourni 1158 gastrolithes sub-sphériques en silex,

Stevens et Parrish [46] estiment, à partir d’une modélisation informatique, la relation entre le degré de liberté des facetteszygapophysaires (surface, orientation, conformation en 3D) et la mobilité du cou chez deux diplodocidae : ApatosaurusBrontosaurus louisae et Diplodocus carnegii. En position neutre (facettes pré et postzygapophysaires centrées) les cous desdeux sauropodes (L = 6,2 m pour Diplodocus et 5,3 m pour Apatosaurus) sont portés rectilignes et inclinés, la tête se trouvantproche du sol (1,6 m pour Apatosaurus et 0,8 m pour Diplodocus). Cette attitude qui renoue avec les premières descriptions,s’éloigne des reconstructions plus récentes.

La flexibilité maximale latérale et dorso-ventrale dépend de la résistance opposée au déplacement par les capsules articu-laires. Par analogie avec les caractéristiques du cou des oiseaux modernes, les auteurs estiment que le déplacement maximumest atteint lorsque le chevauchement n’est plus que de 50 %. Sur ces bases théoriques, Stevens et Parrish constatent que la hau-teur maximum de la tête, donc du prélèvement des végétaux, est de 6 m pour Apatosaurus et de 4 m seulement pour Diplodocus(en dehors de l’adoption d’une position tripodale). La flexion ventrale maximum, en revanche, pourrait porter la tête (pour lesdeux taxons) à environ 1 m 50 au-dessous du niveau du sol permettant une exploitation aisée des végétaux des berges desrivières encaissées, voire des plantes sub-aquatiques. Les auteurs concluent que ces deux taxons contemporains se nourris-saient à partir des strates inférieures de la végétation arbustive (fougères, cycadales, prêles, peut-être plantes aquatiques...)avec un avantage pour Apatosaurus dont la gamme des mouvements cervicaux était plus étendue latérodorsalement et latéro-ventralement.

ENCADRÉ 2. — Flexibilité du cou et hauteur de la prise alimentaire chez les Sauropodes.

8. La nature du dépôt sédimentaire, abandonné par des eaux de basseénergie, autorise à penser que la collection est complète.

TABLEAU 3. — Reptiles du Mésozoïque pourvus de gastrolithes d’après F.SANDERS [45] simplifié et modifié

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grès, quartzite... pour une masse totale de 7 kg, répartis surune surface de 0,5 x 0,5 x 0,25 m. Le plus volumineux pèse715 g. L’animal ne semble pas avoir été guidé dans son choixpar des critères de forme ou de couleur [45]. Des gastrolithesont été également retrouvés en dehors des Prosauropodes etdes Sauropodes chez les Théropodes, les Ornithopodes etquelques reptiles marins non dinosauriens. LesOrnithomimidés, Théropodes généralement dépourvus dedents (à l’exception de Pelecanimimus) semblent bien, euxaussi, posséder un gésier musculeux. Les gastrolithes, sous laforme d’un sable grossier, occupent, pour les douze sque-lettes chinois décrits par Kobayashi [29], un volume variantentre 10 x 7,5 x 2,5 cm et 15 x 11 x 3 cm et leur grande majo-rité ont un diamètre inférieur à 2 mm. Les auteurs admettent,pour ces Théropodes omnivores, un régime diversifié (végé-tarien, entomophage...).

II - ETUDE SYNTHÉTIQUELes données analytiques précédemment exposées sont

diversement corrélées. C’est ainsi que les arcades dentairessimples, réduites à un appareil de préhension, s’accompa-gnent généralement de la présence de gastrolithes, témoinsprobables de l’existence d’un estomac musculeux. Deuxgrands groupes de dinosaures herbivores peuvent être, surces bases, distingués.

A - Les «non-masticateurs» comme les Sauropodes(Saurischiens) du Jurassique (Diplodocus, Camarasaurus...)et du Crétacé (Titanosaures). Leur long cou, mobile, et peut-être pour certains (Apatosaures, Diplodocus, Barosaures...)l’aptitude à se dresser sur leurs membres pelviens, autori-saient la cueillette entre le sol et une hauteur de plusieursmètres. Des travaux récents [46] portant sur la hauteur decapture pour Diplodocus et Apatosaurus, accordent un légeravantage à ce dernier (Encadré 2). Brachiosaurus adulte quibénéficiait de membres thoraciques très longs, atteignaitquant à lui le couvert végétal vers 12 mètres. Le régime étaitdonc probablement éclectique9 (figure 3) : fougères, ginkgos,conifères, fruits de Nilssonian, peut-être Czekanowskiales,Caytoniales... L’étude des facettes d’usure des dents desBrachiosauridés a permis à Fiorillo [19] de suggérer unrégime alimentaire différent et moins ligneux pour les jeunesque pour les adultes. Les premiers entraient peut-être en com-pétition avec les Diplodocidés consommateurs de végétauxplus tendres. Les arcades dentaires constituaient chez cesherbivores un simple appareil de capture10 destiné àeffeuiller les rameaux. Corrélativement les muscles mastica-teurs étaient faibles et les muscles des joues peu développés.En revanche, l’estomac musculeux (analogue au gésier desoiseaux granivores) jouait le rôle d’un broyeur, rôle facilitépar la présence de gastrolithes. La cuve à fermentation se

situait probablement à l’avant de la région abdominalecompte tenu de la disposition de l’os pubien.

B - Les «masticateurs»

Nous rangerons, sous cette rubrique, certainsOrnithischiens (Iguanodontidés, Hadrosauridés, Cératop-siens...).

1 - Iguanodons et Hadrosaures :

Ces dinosaures, probablement aptes à se dresser sur leursmembres pelviens, prélevaient leur nourriture entre le niveaudu sol et quelques mètres de hauteur. Leur régime était pro-bablement plus pauvre en fibres et de meilleure qualité éner-gétique que celui des Sauropodes. Pour les Iguanodons, onsonge aux conifères et aux angiospermes. Pour lesHadrosaures, la présence de « râpes» suggère un régime plusgrossier [52]. Des muscles masticateurs puissants associés àun certain degré de cinétisme crânien, la présence de jouesmusclées, constituent autant d’arguments en faveur d’unemastication efficace rendant superflue l’intervention de gas-trolithes. La cuve à fermentation pouvait être assez posté-rieure compte tenu de la conformation du pubis.

2 - Cératopsiens (Protoceratops, Psittacosaurus,Cératopsidés):

La hauteur de prédation était faible, plus limitée que chezles Hadrosaures, ces animaux paraissant inaptes à se dressersur leurs postérieurs. Leur alimentation était probablementgrossière, ligneuse, arbustive, constituée majoritairement decycadales, les arcades dentaires en cisaille s’avérant capablesde tronçonner des tiges résistantes et des branchages. Desmuscles masticateurs volumineux, puissants, autorisaientsans doute le hachage de la nourriture. Cette interprétationdes faits anatomiques a reçu récemment [30] une confirma-tion, apportée par l’étude des phytolithes accumulés dans lesmicrofissures de la surface triturante des dents. Cet auteur apu ainsi supposer une différence dans le régime alimentairedes Hadrosaures et des Cératopsiens fini-crétacés del’Alberta. Ces derniers auraient en effet consommé préféren-tiellement des Cycadales. Compte tenu de l’efficacité suppo-sée de l’appareil manducateur, l’estomac est dépourvu degastrolithes, à l’exception de Psittacosaurus dont le casdemeure encore assez énigmatique. En effet, ce dinosaurenanti d’arcades dentaires broyeuses est également (et para-doxalement) pourvu de gastrolithes. Une explication souventavancée fait état d’un rôle de ballast11 pour ces élémentsingérés, qui auraient pu aussi jouer un rôle thermodyna-mique, les cailloux récupérant la chaleur du sol et la distri-buant entre deux périodes d’exposition au soleil... [3]. Lacuve à fermentation était probablement du type de celle desHadrosaures.

11. Pour les reptiles marins non dinosauriens -comme pour les crocodilessemi aquatiques actuels- on propose classiquement, pour les gastrolithes, unrôle de lest, de ballast, intervenant dans l’équilibre hydrostatique.

9. A noter que les prairies de graminées, au sens où nous les connaissons,n’existèrent qu’à partir du milieu du Cénozoïque.

10. Les travaux de Fiorillo se basant sur les facettes d’usure des dentssuggèrent un certain degré de fonction de mastication et, s’ils sont confir-més, n’autoriseront plus une distinction aussi tranchée entre non-mastica-teurs et masticateurs. La découverte récente de batteries dentaires chez undiplodocidé du Crétacé (Nigersaurus) renforce cette réserve.

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Dinosaures carnivores :les Théropodes

Un prédateur -et nous prendrons, sauf mention particulière,Tyrannosaurus comme modèle d’étude- doit chercher et repé-rer sa proie, l’approcher par la ruse et la surprendre ou bien laforcer, l’abattre, la mettre à mort, la débiter, la consommer etl’assimiler. Toute la machinerie intervient tour à tour : lesorganes des sens, puis ceux de la locomotion, les dents et lesgriffes, le canal alimentaire enfin.

I - ETUDE ANALYTIQUE DES INDICES PALÉONTOLO-GIQUES :

A - Encéphale et organes des sens :

1 - L’encéphale :

Il existe une relation, certes grossière, entre la masse del’encéphale (rapportée à celle du corps) et la faculté d’adap-

tation à une situation nouvelle, de même qu’entre le dévelop-pement de certaines aires spécialisées et les performancesdes fonctions sensorielles sollicitées lors de la prédation :olfaction, vision... Un reptile «généraliste» montreraun développement équilibré de ses lobes olfactifs (odorat),de ses lobes optiques (vue), de son cervelet et desflocculi (manœuvrabilité, sens de l’équilibre...). Un «visuel»se singularisera par des lobes optiques volumineux, unmacrosmatique par de gros lobes olfactifs et un petit préda-teur très agile par des flocculi d’une taille inhabituelle...Malheureusement, un organe aussi fragile que le cerveaun’est, bien entendu, jamais conservé. Les paléontologues dis-posent cependant de moulages internes naturels de la cavitécrânienne, souvent extrêmement précis, lorsqu’un fin sédi-ment en a comblé tous les recoins avant de se pétrifier. Lesdinosaures peuvent ainsi bénéficier de l’examen tomodensi-tométrique (scanner) et leur cerveau peut être reconstitué entrois dimensions jusque dans les moindres détails ayant trait

FIGURE. 3. — Succession des paléoflores au Mésozoïque et au Cénozoïque Simplifié d’après TIFFNEY [49].

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à sa vascularisation, ou à l’émergence des nerfs crâniens... Sil’on s’intéresse au volume (tableau 4) et à la masse de l’en-céphale, corrélés à l’intelligence, au mode de vie, au niveaud’activité (ectothermie/ endothermie) et à la masse corporelle(encadré 3) elle varie, chez Tyrannosaurus, entre 320 et 340g, pour un animal de 5 à 8 tonnes. A titre de comparaison, ungros éléphant d’Afrique de 5 tonnes possède un encéphale de5,7 kg, soit un facteur multiplicateur de 18. Pourtant l’étudetopographique du cerveau de «Sue», le dernier en date desTyrannosaurus exhumés [6], révèle des hémisphères céré-braux sensiblement plus volumineux que ceux d’Allosaurusou de Carcharodontosaurus et, par ailleurs, un surprenantdéveloppement des aires olfactives, laissant présager un sensde l’odorat particulièrement développé12.

2 - Les organes des sens :

a) Appareil olfactif et odorat :

Les Mammifères actuels13 sont distingués, de ce point devue, en macrosmatiques (le chien par exemple), microsma-tiques (l’homme...) et anosmatiques (mammifères marins).En conséquence, extrapoler, au sein de la même classe, ceque l’on sait du chien à l’homme, ou inversement, serait

absurde. Il en va de même pour les dinosaures dont il fautsouligner la grande diversité (plus de 1 000 espèces recenséesà ce jour). Nous limiterons donc l’exposé aux espèces lesmieux connues à cet égard, comme les grands Théropodesdont le chef de file est Tyrannosaurus. Grâce au scanner,l’étude topographique de son cerveau a permis d’avancerl’hypothèse d’un animal macrosmatique, à l’instar du Varande Komodo, capable, selon Auffenberg [4], de capter leseffluves d’une charogne située à plus de 8 km de distance.Chez le Tyrannosaurus les bulbes et pédoncules olfactifs ontune longueur de 20 cm et la largeur de chaque bulbe olfac-tif14 est 1,5 fois celle du cerveau mesurée à la hauteur deshémisphères cérébraux15.

b) Œil et vision :

L’œil du Tyrannosaurus est volumineux, placé en arrièred’un maxillaire évidé, rappelant celui de certains reptilesactuels, comme le serpent-fouet d’Asie du Sud-Est. Cette dis-position particulière devait permettre aux deux champsvisuels de se recouper, d’où une vision stéréoscopique et unejuste appréciation des distances, condition sine qua noned’une attaque réussie.

12. L’odorat a été pratiquement perdu par les oiseaux, descendants de cer-tains Théropodes, à quelques exceptions près, toutefois : le Kiwi (Apteryxaustralis) dont les narines s’ouvrent à l’extrémité du bec, l’Albatros, l’oi-seau cavernicole de Trinidad (Steatornis caripensis), certains vautoursd’Amérique du Nord (Cathartes aura) et un oiseau Africain (Indicator indi-cator) détectant à distance (grâce à ses bulbes olfactifs particulièrementdéveloppés) le miel des abeilles sauvages.

13. L’homme avec 5 cm2 de muqueuse olfactive détecte l’acide butyriqueà la concentration de 2,5x10-10 mol/cm3. Le chien bénéficiant de 150 cm2

de muqueuse olfactive a un seuil de détection 1 000 000 de fois plus bas.Pour l’acide acétique, composante de la sueur humaine, le seuil de détectionserait, toujours chez le chien, 10 000 000 de fois inférieur.[23].

La masse du cerveau est corrélée à de multiples facteurs (masse totale du corps, intelligence, mode de vie, niveaud’activité...)

La comparaison entre les différents groupes animaux nécessite une formule corrigée, prenant en compte la masse du corps.

QE = E1 (masse de l’encéphale mesurée)

E2 (masse attendue)

Pour les Archosaures (dinosaures, crocodiliens...), E2 (masse attendue au sein d’une classe pour une masse corporelle donnée)= 0,005 x (M du corps) 0,66

Pour les crocodiles, chez lesquels le cerveau n’est que le 1/25e de celui d’un mammifère de même masse corporelle, le QEest égal à 1.

Cératopsiens, Stégosaures, Ankylosaures et Sauropodes ont un QE < 1.

Les Hadrosaures (1,5) et surtout les Théropodes de petit format, tels Troodon formosus et les Ornithomimidés(Dromiceiomimus brevitertius) ont, en revanche, un QE très supérieur à 1, comparable à celui de l’Autruche situé au bas del’échelle des Oiseaux (le corbeau se plaçant au sommet). Bien qu’il s’agisse d’Archosaures certains auteurs critiquent cepen-dant, à juste titre, le choix des crocodiles et de l’autruche, en tant que base de comparaison.

ENCADRÉ 3. — Le quotient d’encéphalisation (QE) ou formule de Jerison d’après BUCHHOLTZ [7]

14. A noter l’absence apparente de bulbe olfactif accessoire en régiondorsale des bulbes olfactifs ce qui rend improbable l’existence -ou le pleindéveloppement- de l’organe voméro-nasal (ou organe de Jacobson), absentégalement chez les crocodiles et les oiseaux, proches parents des dino-saures...

15. On peut se poser la question de l’origine des odeurs susceptiblesd’être captées par un appareil sensoriel aussi développé. Les proies poten-tielles de Tyrannosaurus -c’est-à-dire des reptiles- n’exhalaient probable-ment aucune odeur cutanée, les glandes annexées à la peau -cornée et sèche-étant concentrées sur des aires très étroites, (glandes fémorales des lézards,cloacales des crocodiles...). Il faut chercher ailleurs l’origine des odeurs, parexemple, pour les herbivores, dans les souillures de la région cloacale parl’urine et les fèces ainsi que dans le rejet des gaz de fermentation.

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c) Ouïe et appareil vestibulo-cochléaire :

Contrastant avec la richesse relative des données intéres-sant l’olfaction, celles concernant l’appareil vestibulo-cochléaire sont rares. On dispose bien, de temps à autre, demoulages naturels des canaux semi-circulaires, mais cesstructures sont impliquées dans le maintien de l’équilibre. Del’oreille moyenne reptilienne nous connaissons le stapes oucolumelle, baguette osseuse qui relie le tympan à la fenêtreovale de l’oreille interne. Chez les grands prédateurs duMésozoïque, l’oreille interne n’est semble t-il partiellementconnue que chez Allosaurus [24] et Carcharodontosaurus[32]. La lagena, siège de l’organe spiral (organe de Corti), estencore courte. Elle ne s’allongera vraiment pour donner uncanal cochléaire que chez les oiseaux et ne s’enroulera en spi-rale que chez les mammifères. Sur ces bases morphologiquesfragmentaires on peut estimer que l’ouïe de ces grandsThéropodes était comparable à celle des crocodiles actuels[35], c’est-à-dire fine mais non exceptionnelle.

Cerveau et organes des sens sont contenus dans uneénorme tête osseuse, puissante machine à tuer et à dépecer.

B - Mâchoires

Nous envisagerons successivement les dents, les musclesmasticateurs et la force présumée de la morsure.

1 - Les dents :

Il s’agit soit de lames triangulaires aplaties16 et pointues,tranchantes, incurvées vers l’arrière, de taille très variable, dequelques millimètres à plusieurs dizaines de centimètres pourles grands prédateurs (figure 1) soit de dents coniques rappe-lant celles des crocodiles. Isolées des mâchoires, elles sont laplupart du temps restreintes à la couronne compte tenu desphénomènes de résorption radiculaire en rapport avec lerenouvellement permanent de la denture. Cette donnéeexplique la fréquence avec laquelle sont exhumées des dentsdéchaussées et perdues à l’occasion d’un repas. Un collet,entre couronne et racine, n’est guère signalé que chezTroodon. Comme pour les dinosaures herbivores la majeure

partie de la dent est constituée d’un fût de dentine protégé entotalité dans sa partie libre par une couche d’émail [48].L’ordonnancement des cristaux d’hydroxyapatite diffèrepour les faces vestibulaire et linguale conférant des proprié-tés biomécaniques particulières (résistance à l’usure et auxcontraintes transversales). Les dents des Théropodes sontassez semblables entre elles (homodontie) pour un individudonné (indépendamment de leur appartenance au prémaxil-laire, au maxillaire ou au dentaire) et entre individus d’es-pèces différentes si l’on fait abstraction de leur taille. Lesdents les plus volumineuses sont implantées, chezTyrannosaurus, en région rostrale des mâchoires et chezAlbertosaurus, Daspletosaurus, Tarbosaurus, en régionmoyenne. Les dents les plus mésiales (rostrales) deTyrannosaurus ont toutefois une section en forme de D (laface plane étant orientée caudalement), à la différence desdents les plus distales à section plutôt arrondie. Le dentaired’un petit Théropode du Crétacé final de Madagascar(Masiakasaurus) fait toutefois exception à la règle généralepar sa nette hétérodontie et ses dents les plus mésiales(quatre) projetées vers l’avant, la première étant sub-horizon-tale. Ces caractères sous-tendent probablement un régime ali-mentaire particulier, peut-être insectivore si l’on fait réfé-rence aux particularités de la denture de certains marsupiauxactuels [43, 44]. Que la dent soit aplatie ou conique, ses bordsrostraux et caudaux sont habituellement finement crénelés,denticulés, à la manière d’un couteau-scie, adaptation retrou-vée chez des animaux fossiles très différents mais tous carni-vores : requins (Carcharodon megalodon), reptiles(Pseudosuchiens...), mammifères (Félidés comme les«Tigres à dents de sabre» du genre Smilodon). Chez lesThéropodes, les crénelures de l’arête mésiale (convexe) etdistale (concave) expriment des variations de taille et derépartition mises à profit pour différencier les espèces. ChezTyrannosaurus, le contact entre deux denticules adjacentss’opère sous la forme de becs aigus affrontés limitant en pro-fondeur une petite cuvette étirée dans le sens vestibulo-lin-gual (figure 1). Au cours du repas ces becs fonctionnaientcomme de petits étaux, pinçant la nourriture carnée qui s’ac-cumulait dans les cuvettes et se putréfiait... garantissant par lasuite une morsure qui, si elle n’était pas sur le champ mor-telle, pouvait l’être à moyen terme par contamination bacté-rienne anaérobie de la plaie. Abler [1, 2] émet cependant,

TABLEAU 4. — Volume de l’encéphale et des hémisphères cérébraux pour troisThéropodes de taille comparable. Simplifié d’après LARSSON. [31].

16. Cet aplatissement dans le sens vestibulo-lingual n’est d’ailleurs paspropre aux dents des dinosaures puisqu’il se rencontre, par convergence,chez les requins, chez certains crocodiles fossiles (Pristichampsidés) etmammifères disparus comme le Machairodus ou Tigre à dents de sabre.

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pour ces petites cuvettes, une toute autre hypothèse. Selonlui, elles distribuaient dans toutes les directions les forcessubies par la dent lors du dépeçage et prévenaient ainsi sonbris lié à l’étirement du bord distal (et à la compression dubord mésial). Les Théropodes les plus nombreux sont doncdotés de dents très spécialisées aptes à déchiqueter les massesmusculaires des autres dinosaures moins armés ou moinsrapides. Quelques Théropodes cependant, comme leBaryonyx britannique et le Spinosaurus africain, dotés decouronnes coniques (à l’instar de celles des crocodilesactuels), sont réputés piscivores. Les Ornithomimidés oudinosaures-autruches constituent un groupe de Théropodes leplus souvent édentés, à l’exception du genre espagnolPelecanimimus. Leur régime alimentaire est resté énigma-tique jusqu’à la communication de Norell [39] qui fait état,pour un Ornithomimus de l’Alberta et un Gallimimus deMongolie, de la conservation exceptionnelle d’un «bec»corné strié de lamelles rappelant la structure filtrante desAnatidés actuels. Enfin, la découverte au Mexique, au sein desédiments datés du Campanien, d’une dent très particulièrerelance le débat sur l’existence possible de petits Théropodescapables d’inoculer une salive venimeuse [41]. Son bord dis-tal, en effet, montre les classiques crénelures mais alignées aufond d’une gouttière telle qu’on la rencontre chez certainsserpents (Elapidés) et lézards venimeux (Hélodermatidés)actuels.

2 - Les muscles masticateurs :

Chez les dinosaures carnivores -comme chez les herbi-vores- les mouvements d’occlusion des mâchoires étaientstrictement verticaux et mettaient en jeu deux groupes anta-gonistes de muscles. Le muscle depressor mandibulae, quireliait la région occipitale du neurocrâne à l’articulaire,ouvrait la bouche. Les muscles adducteurs principaux étaientau nombre de deux. Le muscle capiti-mandibularis qui s’in-sérait ventralement sur le renflement coronoïde du dentaire,donnait de la puissance à la morsure une fois les mâchoiresrapprochées. Le muscle pterygoïdeus enfin, qui courait enoblique de la région de l’os ptérygoïde à la face médiale de lamandibule, servait probablement à initier le mouvementd’occlusion et à faire claquer brusquement les mâchoiresgrandes ouvertes.

3 -Puissance de la morsure et résistance des dents desThéropodes aux chocs :

De nombreux paléontologues ont par le passé soutenu qu’ilexistait, dans la mandibule de T. rex et de Tarbosaurus, une

charnière entre un bloc rostral (dentaire, splénial, supraden-taire) et un bloc caudal (angulaire, surangulaire, coronoïde,préarticulaire et articulaire), articulation participant à la ciné-tique crânienne avec pour corollaire une morsure faible,comparable -toutes proportions gardées- à celle des lézards.Récemment Hurum et Currie [25] décrivent une barreosseuse rigide chevauchant la prétendue charnière (fusion dusupradentaire et du coronoïde et attache ferme au surangu-laire) et contestent l’interprétation fonctionnelle des premiersauteurs. Erickson [17] fait par ailleurs état d’un bassin deTriceratops provenant du Montana, porteur de 58 empreintesen creux de dents de Tyrannosaurus, l’empreinte la plus pro-fonde s’enfonçant de 11,5 mm dans l’épaisseur de l’os. Apartir d’un bassin de bœuf actuel (de densité osseuse compa-rable donc probablement de résistance mécanique voisine),les auteurs ont estimé la force nécessaire pour une telle péné-tration. Les résultats ont été comparés avec ceux connus pourd’autres prédateurs actuels [16]. La force développée parTyrannosaurus varie entre 6410 et 13400 N atteignant celle,élevée, de l’Alligator américain ([16] et Encadré 4).Tyrannosaurus possédait ainsi des couronnes dentairessolides, capables de résister aux rudes contraintes méca-niques occasionnées par la capture de proies volumineuses...et non consentantes.

Chez les Ornithomimidés en revanche, les mâchoires sontconstruites légèrement et la tête petite. Située à l’extrémitéd’un long cou flexible, elle suggère, pour les genres pourvusde dents, un animal omnivore picorant ici et là, insectes,petits vertébrés, plantes. Pour les genres édentés à bec cornéfiltrant, l’hypothèse d’un régime analogue à celui de certainsoiseaux actuels (canards, flamants...) a été avancée, bien queces animaux ne paraissent pas aquatiques. Oviraptor, enrevanche, possède des mâchoires courtes et très robustespotentiellement capables de broyer mollusques, arthropodes,graines, et d’écraser les œufs dérobés...

C - Squelette axial et appendiculaire

1 - Une posture bipède

Les traces laissées par les Théropodes17 en mouvement(par exemple celles relevées le long de la rivière Paluxy auTexas) sont sans ambiguïté : la démarche était bipède, lemembre pelvien parasagittal, la queue portée au-dessus dusol. La posture que l’on prête donc, de nos jours, aux dino-saures prédateurs, petits et grands, a considérablementchangé depuis les tableaux classiques de Ch. KNIGHT, oùTyrannosaurus était représenté avec un corps vertical, saqueue prenant appui sur le sol. Aujourd’hui, le corps duTyrannosaurus, dont le centre de gravité se place à l’articula-tion de la hanche, est figuré sub-horizontalement, en appuistable sur les puissants membres pelviens, la longue et lourdequeue placée en porte-à-faux, contrebalançant le poids de laforte tête (pourtant largement fenestrée et même pneumati-sée !). L’impression qui se dégage de ces représentations

17. Les traces de course laissées par les grands Théropodes restent à cejour exceptionnelles, ce qui constitue un handicap pour l’estimation de leurvitesse de déplacement.

ENCADRÉ 4. — Puissance comparée de la morsure de Tyrannosaurus [16]exprimée en Newtons.

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actualisées est celle d’un gain de stabilité, donc de mobilité etde puissance.

2 - Membre thoracique et main : un rôle secondaire ?

La main possède le plus souvent trois doigts, les doigts 1(le plus médial) 2 et 3, de longueur variable en fonction desfamilles et terminés par des griffes plus ou moins puissantes.Chez Deinonychus les os carpiens, de petite taille, donnent dela souplesse à l’articulation du poignet et les paumes desdeux mains peuvent se faire face. Les griffes, puissantes etrecourbées, pouvaient dès lors s’agripper aux victimes.Tyrannosaurus, en revanche, n’a que deux doigts (1 et 2, le 3étant rudimentaire) et le rôle de ses membres thoraciquesréduits mais musclés [9] n’apparaît pas clairement. Diverseshypothèses (incontrôlables) ont été avancées : grappin pours’accrocher à la femelle lors de l’accouplement, aide au rele-ver, ...

3 - Un membre pelvien adapté à une charge puissante

a) Rapports entre rayons osseux : courtes cuisses etlongues jambes...

Si l’on compare la longueur du membre pelvien d’unTyrannosaurus avec celle d’un Hadrosaure (Edmontosaurus)qui constituait l’un de ses gibiers favoris, on constate naturel-lement (compte tenu des tailles respectives des deux adver-saires) que celle du prédateur est plus longue (3,3 m) quecelle de la proie (2,3 m) et surtout que cet allongement est lefait des rayons osseux de la jambe (tibia, fibula et métatar-siens). Ce rapport entre les différents segments qui consti-tuent le membre pelvien, caractériserait les animaux capablesde déplacements rapides.

b) Le pied et ses griffes

Le pied porte cinq orteils mais en réalité ni le doigt 1(médial), ni le doigt 5 (latéral) très atrophiés, ne participaientà la locomotion. Seuls les doigts 2, 3 et 4 s’appuyaient sur lesol, y laissant des empreintes tridactyles facilement identi-fiables. Le pied de Deinonychus est tout à fait extraordinaire.Le second doigt possède une énorme griffe en faucille de 12cm de long articulée sur des phalanges très mobiles, capablede pivoter de 180° entre sa position haute (repos, marche,course...) et sa position basse (attaque). Seuls deux doigts (3et 4) étaient utilisés pour la course dont on pense qu’elle étaitrapide et acrobatique.

c) Une musculature puissante actionne ces rayons osseux

La musculature est composée d’adducteurs, d’abducteurs,de muscles fléchisseurs, comme le muscle caudofemoralislongus, et de muscles extenseurs insérés d’une part sur les osdu bassin et les vertèbres caudales, d’autre part sur le fémuret de part et d’autre de l’articulation du genou. Le puissantmuscle caudofemoralis longus (CFL) mérite une présenta-tion particulière. Son importance peut être appréciée au tra-vers de caractères ostéologiques comme sa zone d’insertionsur le fémur. Ce muscle s’insère en effet sur le quatrième tro-chanter, particulièrement développé chez Tyrannosaurus,mais absent chez Deinonychus qui, nous le préciserons plusloin, a modifié sa musculature motrice dans le sens avien.Plus le quatrième trochanter est saillant, plus le CFL est puis-sant. Caudalement le CFL s’insère le long des vertèbres jus-qu’à un point dit de transition que l’on peut facilement posi-tionner sur un squelette fossile puisque c’est à son niveau quedisparaissent les processus transverses et se raccourcissentles os en chevron (tableau 5)... A un point de transition trèsdistal correspond un CFL long, puissant et, inversement, à unpoint de transition proximal un CFL plus court et moins per-formant. A noter que chez Tyrannosaurus, le point de transi-tion est beaucoup plus distal que chez Deinonychus.

Le CFL, muscle de la détente, correspondant à l’extension de lahanche, est donc d’une grande puissance chez les Théropodesbasiques et son évolution (ou plutôt son involution) a été suivie pasà pas chez les Théropodes dérivés montrant des caractères aviens([21] et tableau 6). L’évolution vers les Oiseaux se caractérise parun affaiblissement puis une disparition du quatrième trochanter etpar la migration du point de transition vers la base de la queue. C’estainsi que chez un oiseau coureur actuel comme la pintade, le musclecaudofemoralis devenu un muscle de petite taille perd de sonimportance au profit de ceux insérés sur le bassin osseux.

TABLEAU 5. — Nombre de vertèbres caudales possédant un processus (apo-physe) transverse et détermination du point de transition, d’aprèsGATESY [21].

TABLEAU 6. — Relations morpho-fonctionnelles membre pelvien-queue chez les Théropodesbasiques et ceux présentant des caractères aviens

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d) La course chez les Théropodes :

Nous prendrons deux exemples-type (figure 4 )

— Chez Tyrannosaurus c’est surtout l’articulation de lahanche qui travaille. Le fémur, mû par un puissantCFL, décrit un arc de cercle important, le genou étantgardé assez raide. L’enjambée peut être comparée à laprogression des branches rigides d’un compas et lacharge à une ruée frontale, sans finesse, un peu à lafaçon des Rhinocéros actuels dont les capacitésmanœuvrières, une fois lancés, sont des plus étroites.L’appréciation de la vitesse d’exécution de lamanœuvre, en l’absence de traces de course laisséespar les grands théropodes, demeure un sujet débattu.Diverses estimations ont été avancées. La plupart don-nent pour Tyrannosaurus une vitesse de déplacementsituée entre 40 et 72 km/h. Cette performance seraitnéanmoins inférieure à celle réalisable par lesOrnithomimidés, les plus véloces de tous les dino-saures et qui auraient pu atteindre 80 km/h en vitessede pointe. Une publication récente [26] apporte cepen-dant une note discordante. Hutchinson y explore defaçon très sophistiquée les propriétés biomécaniquesdu membre pelvien du Tyrannosaurus et estime, seréférant aux modèles actuels proches des dinosaures(alligator, oiseaux...), la masse minimale des musclesextenseurs nécessaires pour une course rapide. Lerésultat est surprenant : 86 % de la masse corporellepour les deux membres d’un Tyrannosaurus de 6tonnes ! Sa vélocité serait ainsi à revoir à la baisse(comme celle d’ailleurs de ses proies volumineuses,Hadrosaures et Cératopsiens) soit nettement inférieureaux estimations antérieures les plus basses (40 km/h).

— Chez Deinonychus, Théropode de taille moyenne (3 m)très spécialisé, le jeu des fémurs, mus par des CFL plusfaibles, est moins important que celui de l’articulationdu genou et des jambes. La griffe en faucille dudeuxième doigt est portée relevée de façon à ce qu’ellene puisse ni s’user ni s’abîmer.

4 - La queue et son évolution : du contrepoids au balan-cier et au gouvernail (figure 4)

La queue des Théropodes basiques, par sa massivité, auraitéquilibré le corps et la tête, le centre de gravité se situant àl’aplomb du bassin campé sur des membres pelviens solides.Ce rôle de contrepoids perd de l’importance pour desThéropodes plus légers comme Deinonychus, au profit de laqueue-balancier qui augmente l’agilité, la précision de lamanœuvre, lors des changements de direction d’exécutionrapide. Un examen attentif de la queue de Deinonychus est, àcet égard, instructif. Les vertèbres caudales les plus anté-rieures s’articulent entre elles de façon très souple. Les ver-tèbres les plus distales, par contre, sont comme fagotées parun réseau dense, entrelacé et rigide de baguettes osseuses quiprocèdent des prézygapophyses (homologues des processusarticulaires crâniaux des mammifères [41a]) latéralement et,ventralement, de l’os en chevron (homologue de l’arc hémal[41a]) qui s’allonge démesurément vers l’avant. Près du bas-sin, la queue de Deinonychus, dépourvue d’attelles, restaitdonc flexible. Plus loin elle pouvait devenir rigide, tout d’une

pièce, lorsque les muscles insérés aux extrémités libres desbaguettes se contractaient. Son rôle de gouvernail est évi-dent ; l’animal pouvait pivoter en pleine course, en balançantsa queue sur le côté. Il existait donc clairement, chez ces rep-tiles, une relation morpho-fonctionnelle entre le membre pel-vien et la queue, relation qui ira en s’amenuisant jusqu’à ladissociation, lors d’évolution vers le type avien qui se carac-térise par une relation fonctionnelle nouvelle, membre thora-cique (aile) -queue [10, 21]

II - ETUDE SYNTHETIQUE

Il ne faut pas cacher que quelques Théropodes suscitentencore des interrogations concernant leur régime alimentaireet, sans esquiver tout à fait ce sujet mouvant18, nous n’endirons que quelques mots. Il s’agit surtout des Oviraptoridéset des Ornithomimidés. Les premiers sont édentés mais pour-vus de mâchoires en bec de perroquet actionnées par desmuscles puissants. Certains paléontologues pensent qu’ilsétaient malacophages, c’est-à-dire aptes à broyer lescoquilles résistantes de mollusques lacustres. Si, par ailleurs,l’accusation de voleur d’œufs, portée par les Américains à lasuite de leur première expédition dans le désert de Gobi,constituait une erreur d’interprétation [34], on ne peutexclure pour autant la présence d’œufs dans le régimed’Oviraptor. Le toit de son palais révèle, en effet, une saillieosseuse apte à poinçonner les coquilles et qui ressemble à ladent spécialisée des serpents oophages actuels. Une fois per-foré, l’œuf aurait été écrasé par les muscles du gosier et l’en-semble de ses constituants liquides dégluti sans aucune perte.

Les Ornithomimidés le plus souvent édentés ont, quant àeux, des mâchoires moins puissantes et ils sont considéréscomme des omnivores peu sélectifs susceptibles de prélever,au hasard des rencontres, insectes, fruits, mammifères etpetits reptiles. Ces interprétations ne sont, il faut le souligner,que du domaine du plausible. Rappelons ici que la décou-verte récente [39] d’un «bec» corné strié de lamelles (compa-rable à celui des Anatidés actuels) chez un OrnithomimusNord-américain et un Gallimimus de Mongolie, suggère pourcet appendice un rôle de filtre bien qu’il paraisse difficiled’attribuer à ces deux genres un mode de vie aquatique.

La très grande majorité des Théropodes, petits ou grands,affiche en revanche et sans ambiguïté son statut de carnivore,encore que, outre les besoins physiologiques spécifiques, lerégime alimentaire ait pu varier dans d’assez larges propor-tions avec l’âge, le rang social, les ressources disponibles,l’occasion... et ces inflexions échappent, bien entendu, àl’observateur. Des différences notables entre taxons exis-taient probablement aussi dans les techniques utilisées pourla mise à mort et le dépeçage. L’étude des marques d’usurequi s’ébauche actuellement apportera sans nul doute de pré-

18. On croyait par exemple les Ornithomimidés dépourvus de dents, cequi n’est pas toujours exact puisque un exemplaire espagnol récemmentdécouvert à Las Hoyas, Province de Cuenca -Pelecanimimus polyodon- n’enporte pas moins de 220, un record parmi les Théropodes.

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FIGURE 4. — Rapport membre pelvien-queue lors de la locomotion chez Tyrannosaurus rex et Deinonychus antirrhopus.

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cieuses informations. A titre d’exemple signalons chezTyrannosaurus [38] des marques d’usure plus fréquentes etplus nettes sur les dents rostrales, traduisant une plus largeexposition aux contraintes mécaniques. Les lignes qui sui-vent et qui sont consacrées à ces carnivores exclusifs -dontcertains ont été, avec les grands requins du Cénozoïque, lesplus extraordinaires machines à tuer de toute l’histoire de laCréation- aborderont successivement la nature des proiespotentielles ainsi que les techniques de chasse et de mise àmort.

A - Les proies

En dehors de la consommation de reptiles dinosauriens ounon, celle de mammifères ou de poissons (Baryonyx,Spinosaurus... sont réputés piscivores) était possible. La cap-ture des mammifères, outre qu’elle n’était guère rentable enraison de leur taille, petite ou insignifiante, ne devait pas êtrefacilitée par leurs mœurs, probablement le plus souvent arbo-ricoles et nocturnes. Ces cas particuliers écartés, il reste queles reptiles, pour l’essentiel, se dévoraient entre eux et l’in-verse eut été surprenant, compte tenu de leur suprématie dansles airs, les mers et sur la terre ferme. Les preuves de cettemonotonie gastronomique sont directes et indirectes.

1 - Preuves directes :

Elles n’existent, en première approximation, que pour lesThéropodes de petit format pour lesquels des conditions defossilisation miraculeuses ont permis de retrouver le contenustomacal. Le Compsognathus bavarois a consomméBavarisaurus, un Lépidosaurien. Sinosauropteryx prima, leCompsognathus chinois a ingéré un petit lézard. On suppose,par ailleurs et depuis longtemps, que Cœlophysis (GostRanch - Nouveau Mexique) pratiquait le cannibalisme. Iln’est toutefois pas certain que cette pratique ait été habituelle,divers auteurs suggérant qu’elle fut peut-être la conséquenceaccidentelle d’une situation de panique, au sein d’une bandefuyant quelque catastrophe. Jusqu’en 1999, il n’avait pas étéfait mention de contenus digestifs pour les grandsThéropodes du Jurassique et du Crétacé (Allosaures etTyrannosaures américains, Tarbosaures mongols,Giganotosaures patagons, Carcharodontosaures etSpinosaures marocains, Siamotyrannosaure thaïlandais...).Varrichio [51] fait récemment état d’un contenu stomacalpour Daspletosaurus, un Tyrannosauridé fini-Crétacé duMontana. Il s’agit de vertèbres et d’un dentaire fragmentaireayant appartenu à un ou plusieurs Hadrosaures juvéniles etqui présentent une corrosion de surface telle qu’on peut larencontrer après une attaque acide et/ou enzymatique. Uncoprolithe intéressant attribué à Tyrannosaurus a été en outrepublié par Chin [12,13]. D’une taille de 64 x 17 x 11 cm ilcontient des esquilles de tissu osseux fibro-lamellaire et desempreintes de tissu musculaire non digéré. Ce gaspillage pro-téique suggère l’ingestion massive de viande au-dessus descapacités d’assimilation d’un intestin court.

2 - Arguments indirects :

Une des découvertes les plus extraordinaires de l’histoirede la Paléontologie est due aux expéditions polono-mongoles

dans le désert de Gobi. En 1971 elles ont mis au jour deuxsquelettes enlacés dans une étreinte mortelle19, le prédateurétant Velociraptor et la victime Protoceratops. Aucun desdeux protagonistes ne voulant relâcher sa prise, les deux ani-maux finirent par succomber, probablement étouffés puisensevelis par une tempête de sable [50]. Ce cas demeure pourl’instant unique et, en réalité, on reste dans l’ignorance de lacible convoitée par le prédateur : adulte, sub-adulte, œufs...L’étude des pistes (comme celles relevées par Bird en 1 938,le long de la rivière Paluxy au Texas, où un Théropodebipède poursuivit un Sauropode quadrupède, ou encore cellesrelevées par Leonardi [33] en Bolivie suggérant une traquecollective), les traces de prédation sur les os des victimes,confrontées aux données générales fournies par l’examen dela denture, du squelette... débouchent sur des données objec-tives intéressantes, qu’il est néanmoins indispensable deréajuster au fur et à mesure des nouvelles découvertes.

Les proies des Théropodes, Sauropodes herbivores oumême Théropodes, étaient non seulement mises à mort (cequi pourrait se concevoir, en dehors de toute considérationalimentaire, dans le cadre d’affrontements liés à la défense duterritoire ou à la conquête des femelles) mais, en définitive,consommées. Les chiffres publiés par JACOBSEN [27] sont,à cet égard, significatifs. Sur un millier d’os de dinosaures duCrétacé Supérieur provenant du «Dinosaur Park», 14 % desos d’Hadrosaures portent des traces de prédation, contre 4%seulement des os de Cératopsiens. Ces faits suggèrent que lesHadrosaures constituaient la proie préférée des grands préda-teurs de la fin du Crétacé. Les impacts de dents portés parleurs os (stries, poinçons...) sont dus à la rencontre acciden-telle des dents du prédateur et du squelette de la victime, àl’occasion des morsures destinées à arracher de volumineuxquartiers de viande. Les extrémités des os, dépourvues d’épi-physes chez les Sauropsidés, n’étaient pas consommées, et ils’agit là d’une différence avec le comportement possible decertains grands carnivores actuels qui rongent les épiphysesconstituées d’os spongieux plus tendre et plus nourrissant. Ilest intéressant de noter que certaines blessures osseuses ontcicatrisé, argument en faveur d’une agression sur des ani-maux vivants (Edmontosaurus). Les Cératopsiens consti-tuaient également une proie potentielle mais, à la différencedes Hadrosaures, leur système de défense très élaboré(cornes nasale et frontales, collerette parfois hérissée depiques et servant de protège-nuque...) les rendait combatifs etdangereux, invitant l’assaillant à abandonner l’attaque fron-tale et à privilégier la ruse, l’embuscade, l’approche par der-rière... Quoi qu’il en soit, les traces de prédation existent chezles Cératopsiens, comme le démontre la publication parERICKSON [17] d’un bassin de Triceratops portant 58impacts de dents. Par ailleurs les affrontements entre grandsprédateurs ne semblent pas exceptionnels. L’un des derniers

19. Pour accréditer cette interprétation il faut préciser que les membrespelviens de Velociraptor sont en position d’éviscération, que sa main gaucheagrippe le crâne de Protoceratops, tandis que la droite est prise entre lesmâchoires de l’adversaire.

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des 21 Tyrannosaurus exhumés20, «Sue», femelle retrouvéeen quasi-totalité, semble avoir succombé à une mort vio-lente (grave blessure de la face du côté gauche avecécrasement ou arrachement du post-orbitaire, du squamosal,de la partie postérieure de la mandibule) occasionnée par unautre Tyrannosaurus appartenant peut-être à un groupe fami-lial rival. Enfin, mais il s’agit de constatations plus anecdo-tiques, des cas de consommation d’un Tyrannosaurus par unautre sont connus, les régions prélevées correspondant auxmuscles dorsaux. Signalons enfin [28] des traces de préda-tion sur un dentaire de Dromaeosauridé de l’Alberta(Saurornitholestes) attribuables, compte tenu de la forme etde la taille des stries, à un Tyrannosaurus juvénile.

L’estimation du rapport entre proies potentielles et préda-teurs (qui pourrait fournir des indications sur le caractèreectotherme ou endotherme de ces derniers), à partir de«Bone-beds» donnant des récoltes massives (plusieursmilliers d’os et de dents) est extrêmement délicate et néces-site une procédure rigoureuse qui ne semble pas toujoursrespectée.

B - Les techniques de chasse et de mise à mort

Un prédateur doit, en premier lieu, repérer sa proie (rôle dela vue, de l’odorat, de l’ouïe, de l’apprentissage...), l’appro-cher par la ruse et la surprendre ou encore la forcer à lacourse, l’épuiser et, dans les deux cas, la mettre à mort et ladépecer. Vue, odorat et ouïe étaient au départ sollicités.L’animal privilégiait tel ou tel organe des sens en fonctiondes caractéristiques du milieu, ouvert ou non. Dans un envi-ronnement semi-aride, dunaire et lacustre (désert de Gobi auCrétacé), la vue pouvait jouer un rôle essentiel, tandis qu’ausein d’un fouillis végétal tropical (deltas marécageux bordantune mer intérieure pour l’Amérique du Nord), odorat et ouïeétaient davantage mis à contribution. La plupart des préda-teurs étaient probablement diurnes mais Troodon, dont lesdents ont été retrouvées en abondance en Alaska (PrinceCreek formation du Crétacé), était pour Fiorillo [20] un pré-dateur crépusculaire ou nocturne, hypothèse corroborée parle diamètre important de l’orbite chez un sujet adulte.L’apprentissage, comme chez tous les prédateurs, devaitjouer un rôle déterminant et assurait des succès réguliers làoù les individus sub-adultes ne pouvaient guère compter quesur la chance21. L’expérience des sujets âgés, en revanche,leur permettait d’augmenter leurs chances en rôdant enmarge des troupeaux en mouvement (pour y surprendre traî-nards, égarés ou étourdis...), aux alentours des aires de ponte

et de nidification (capture facile de juvéniles), aux environsdes pièges naturels (pied des escarpements, berges desrivières et des étangs...) pour y achever d’éventuellesproies accidentées. La proie une fois repérée était alorsapprochée, rejointe, maîtrisée et abattue. Deux techniquesfort différentes et que l’on retrouve de nos jours chez lesmammifères prédateurs de la savane Africaine, ont probable-ment prévalu en fonction du rapport de taille prédateur / proieconvoitée et du caractère individuel ou collectif de la traque...

Les grands prédateurs actuels sont des chasseurs solitairesou chassent en petits groupes familiaux (léopards, lions, gué-pards...). Ils capturent leurs proies à l’issue d’une poursuite àtrès grande vitesse (guépard) ou d’une approche rusée et dis-crète suivie d’une courte mais puissante charge (lions, léo-pards...). Il est possible que Tyrannosaurus chassait en soli-taire ou en petits groupes familiaux, compte tenu de sa tailleet de celle de ses proies de prédilection (Hadrosaures sur-tout). L’approche au plus près de la cible (embuscade, pis-tage... ?) devait jouer un rôle important et la charge finale serésumer à une ruée frontale, toute en puissance, sur unecourte distance. La mise à mort résultait du choc et de l’écra-sement entre les puissantes mâchoires de zones particulière-ment vulnérables (cou, colonne vertébrale...). Il n’est pasexclu (mais l’hypothèse semble peu convaincante) queTyrannosaurus ait mis à mort ses victimes à l’aide d’unetechnique différente, plus sournoise, qui aurait consisté àmordre assez superficiellement à plusieurs endroits en conta-minant les blessures par des germes anaérobies. Le prédateurse serait alors contenté de suivre à distance la piste odoranted’une proie affaiblie par la fièvre ne nécessitant, pour tomber,qu’un coup de grâce. On opposera à cette vision des choses,dans un souci d’objectivité, la thèse de divers auteurs qui ontsoutenu que les grands prédateurs carnivores du Mésozoïquen’étaient que des consommateurs de cadavres.Tyrannosaurus était-il un prédateur actif ou un charognard ?De nombreux arguments militent en faveur de la premièreproposition : ses lobes olfactifs sont très développés, demême que son œil, volumineux et que ses membres pelvienspuissants, lui permettant des assauts violents... Par ailleurs,des Hadrosaures (Edmontosaurus) portent des traces de mor-sures sur les vertèbres, les côtes, morsures données parTyrannosaurus qui était à l’époque (si l’on exclut de trèsgrands crocodiliens) le seul carnivore terrestre à pouvoirinfliger ce type de blessure. Or ces morsures ont cicatrisé cequi prouve bien que les animaux furent malmenés de leurvivant. De là à prétendre que Tyrannosaurus dédaignait lescadavres il n’y a qu’un pas mais qu’il faut probablement segarder de franchir trop vite. Observons à nouveau la fauneafricaine actuelle. En réalité, seuls les Vautours sont des cha-rognards exclusifs. Les hyènes, par exemple, chassent ettuent dès que l’occasion leur en est donnée. Inversement,nombre de prédateurs actifs ne dédaignent pas une carcasseofferte sans effort, qu’il s’agisse d’une baleine échouée pourles ours polaires ou d’une carcasse de zèbre pour les lions. Ensomme, Tyrannosaurus, prédateur actif, pouvait être oppor-tuniste et, en période d’insuccès, ne pas mépriser l’aubained’un cadavre en putréfaction.

Le débitage, qu’il s’agisse d’une victime pantelante oud’une carcasse pullulant de germes anaérobies, consistait à

20. Tyrannosaurus rex a été découvert pour la première fois en 1900 parl’équipe de Barnum BROWN dans les «Lance Creek Beds» du Wyoming etil a fait l’objet de plusieurs publications scientifiques, dès 1905, sous laplume de Henry FAIRFIELD OSBORN. Aujourd’hui, les paléontologuesdisposent de 21 squelettes sub-complets ou fragmentaires, - «Sue» parexemple est l’un des plus beaux- dont la moitié environ découverts entre1990 et aujourd’hui.

21. Pour ces derniers, plusieurs possibilités sont envisageables : formerun groupe familial, donc accompagner les géniteurs et partager leurs traqueset leurs repas (solution possible pour Tyrannosaurus, «Sue» semblaitaccompagnée d’un mâle plus petit et de plusieurs immatures...) ou biengrossir les rangs de bandes errantes de sub-adultes, vivant au jour le jour defaçon opportuniste, et adoptant probablement un régime très éclectique(insectes, petits reptiles et mammifères, congénères affaiblis ou blessés...).

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arracher de volumineux quartiers de viande par le brusquerejet en arrière de la tête et à les avaler sans mastication. Lesos de la victime, parfois heurtés, striés ou poinçonnés,n’étaient consommés qu’accidentellement. Le repas carné,copieux, ne s’achevait probablement qu’avec la complèteréplétion de l’estomac d’où la présence, dans les coprolithes,de fibres musculaires non digérées.

La seconde technique de chasse possiblement utilisée étaitcelle de la chasse collective, en meutes22, rassemblant desprédateurs de petite taille23 comme les Deinonychus. Cesderniers auraient chassé en bandes d’une demi-douzained’individus leur gibier de prédilection, Tenontosaurus, unherbivore de taille moyenne (6-7 m). MAXWELL etOSTROM [36] ont en effet fait connaître l’association d’unsquelette de Tenontosaurus et de trois squelettes deDeinonychus. La proie était ainsi poursuivie par la meute quila flanquait, la dépassait d’une brusque accélération, puis luicoupait la retraite en pivotant brutalement. Plusieurs préda-teurs attaquaient alors simultanément la queue, les flancs, lecou, de façon à immobiliser la victime bientôt exsangue carlacérée, tailladée, voire éviscérée par les griffes meurtrièresdu deuxième orteil, puissamment projetées à l’occasion desauts et de ruades... L’attaque devait ressembler d’assez prèsà celle des coqs de combat actuels utilisant, avec une extrêmerapidité et violence, leurs ergots meurtriers.

Les Dinosaures ont marqué leur époque en régnant enmaîtres sur les terres émergées pendant toute la durée duJurassique et du Crétacé. Pour quelques paléontologues etpaléobotanistes, la «Dinoturbation» liée à la prise alimentairepar les grands Sauropodes du Jurassique, aurait eu pourconséquence l’ouverture de clairières trouant les monotonesforêts de conifères, puits de lumière mis à profit par lesplantes à fleurs qui se développèrent considérablement auCrétacé !

Avec leur extinction sans appel au cours de la crise de labiosphère qui stigmatisa la fin du Crétacé il y a 65 Ma, dis-paraissent quelques innovations qui ont marqué leur évolu-tion buissonnante et les péripéties de leur adaptation à desrégimes alimentaires variés. Cette remarque, qui vaut surtoutpour les dinosaures herbivores, fait essentiellement allusionau renouvellement rapide des dents après résorption radicu-laire, à la disposition particulière de l’émail qui autorise unauto-affutage, au groupement des dents en batteries offrantdes surfaces de trituration sub-verticales, au cinétisme crâ-nien enfin, mis à profit par les Iguanodons et les Hadrosaureset qui pallie ingénieusement l’impossibilité des mouvementsde diduction qui n’apparaissent qu’avec la nouvelle articula-tion temporo-mandibulaire des mammifères. Chez lesoiseaux actuels (dépourvus de dents), descendants probablesde petits Théropodes, il ne demeure que bien peu de chosesde cette splendide démonstration de plasticité et d’ingénio-sité adaptatives. Les mammifères, qui ont eu au cours de l’èresuivante le développement que l’on sait, tireront profit quant

à eux de dispositifs différents : croissance brève ou prolongéedans le temps d’une dent devenue pérenne, table de tritura-tion horizontale, en rapport avec les mouvements de diduc-tion désormais possibles à l’issue de la profonde réorganisa-tion de l’articulation crânio-mandibulaire propre à cetteclasse.

Remerciements— Aux spécialistes anonymes dont les suggestions perti-

nentes ont contribué à améliorer la qualité du manuscrit,

— A T. ALMOSNINO pour la réalisation des schémas et letravail de secrétariat.

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22 Un bon exemple actuel serait les meutes de lycaons.23 Il est possible que les Allosaures du Jurassique, bien que de bonne

taille, aient été contraints à adopter une technique de chasse similaire pourvenir à bout des grands Sauropodes, véritablement monumentaux.

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